Institution communale et pouvoir politique: Le cas de Roanne [Reprint 2017 ed.] 9783111709420, 9783111017785

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Polecaj historie

Institution communale et pouvoir politique: Le cas de Roanne [Reprint 2017 ed.]
 9783111709420, 9783111017785

Table of contents :
Introduction
CHAPITRE PREMIER. Présentation de la ville
CHAPITRE II. La scène politique
CHAPITRE III. L’industrialisation
CHAPITRE IV. Logement et rénovation
CHAPITRE V. L’Association pour l’établissement du Schéma directeur d’aménagement et d’urbanisme
CHAPITRE VI. L’implantation d’une Maison centrale des jeunes et de la culture
Conclusion
ANNEXES
Bibliographie
Liste des principaux sigles utilisés dans l’ouvrage
Table des matières

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INSTITUTION COMMUNALE ET POUVOIR POLITIQUE

La recherche urbaine 5

MOUTON · PARIS · LA HAYE

Institution communale et pouvoir politique Le cas de Roanne

SYLVIE BIAREZ · CLAUDE BOUCHET GUY DU BOISBERRANGER · CHRISTIAN MINGASSON MARIE-CHRISTINE M O N Z I E S · CATHERINE POUYET avec la collaboration

de

PIERRE KUKAWKA

M O U T O N · PARIS · LA HAYE

Le présent travail a été effectué grâce au concours de la Délégation générale à la recherche scientifique et technique (contrat 70.02.123). La présente édition reproduit le compte rendu scientifique de fin de contrat. Son contenu n'engage que la responsabilité de ses auteurs.

Library of Congress Catalog Card Number : 73-79776 Couverture de Jurriaan Schrofer © 1973 Mouton & Co.

Imprimé en France

Introduction

Entreprendre une recherche sur la gestion politique de l'urbain implique de procéder, dans le contexte actuel de la sociologie urbaine et de la science politique, à quelques éclaircissements théoriques et méthodologiques préalables : quelles ruptures avec des approches antérieures de ce thème propose-t-on d'opérer ici ? Comment le politique urbain apparaît-il alors comme objet de recherche reconstruit à partir de ces ruptures ? Enfin, quelle démarche appliquée à l'analyse d'une situation urbaine concrète peut-on proposer qui ne soit pas elle-même en rupture avec l'approche théorique de l'objet ? Tels sont les points que cette introduction s'efforcera de préciser, sans prétendre proposer un état exhaustif de la question, mais plutôt le simple cheminement théorique par lequel nous avons été conduits finalement à analyser la ville de Roanne de la façon dont il est rendu compte dans les chapitres suivants.

1. LES QUESTIONS DE DÉPART

1.1.

Q U E L POUVOIR ÉTUDIE-T-ON ?

Dans les années récentes, le thème du « pouvoir local » ou du « pouvoir urbain » a donné lieu en France à la production de nombreuses analyses cherchant à rendre compte de la réalité sociale en termes de processus de décision, de réseaux d'influence, de repérage des élites, de leurs places et de leurs stratégies dans ces réseaux et processus. Nous ne prendrons que deux exemples, pour faire apparaître la question par rapport à laquelle il convient ici de se situer.

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Le premier concerne une recherche que nous avons menée nousmêmes sur la « structure du pouvoir local » dans un certain nombre de villes françaises en adaptant au contexte français la démarche suivie aux Etats-Unis par T.N. Clark 2 . Cherchant à faire apparaître qui gouverne, où, quand et avec quels effets, la recherche a voulu confronter les données de la situation sociale des communes à l'étude de la prise de décision. Dans un échantillon de dix-sept communes classées selon une typologie fondée sur des variables économiques et sociales 3 , une enquête par questionnaire a cherché à rendre compte de la structure du pouvoir selon quatre approches essentielles : — Approche décisionnelle, tendant à reconstituer les processus de décision dans différents secteurs de la vie locale ; — Approche réputationnelle, situant les détenteurs perçus du pouvoir local ; — Approche relationnelle, tendant à reconstituer les réseaux permanents ou temporaires existant entre les différents acteurs de l'administration locale ; — Approche structurelle, prenant en compte des données sur l'organisation des corps élus, des bureaucraties municipales, etc. Les données recueillies étaient ensuite quantifiées et ramenées à un certain nombre d'indices rattachés aux concepts de décentralisation décisionnelle, institutionnelle ou politique, de spécialisation du leadership, de mobilisation des ressources de la commune et de réseaux externes, afin d'aboutir à la distinction de types différents de structuration de pouvoir et de fonctionnement des collectivités locales. Une dernière typologie tentait alors d'établir des relations entre les données socio-économiques et les données concernant la structure du pouvoir local. Mais il n'y a pas là, finalement, changement par rapport à la problématique des études décisionnelles. On en reste essentiellement à une différenciation des mécanismes formels du fonctionnement du système institutionnel, par rapport à laquelle l'essai de « réintroduc1. P. Kukawka, C. Mingasson et C. Roig, Recherche sur la structure du pouvoir local en milieu urbain, Grenoble, Centre de recherche de l'Institut d'études politiques de Grenoble, 1969 (ronéo). 2. Terry Ν. Clark, Community Structure and Decision-Making : Comparative Analysis, San Francisco, Chandler, 1968. 3. Démographie, activités économiques, catégories socio-professionnelles, migrations quotidiennes, importance des établissements industriels et commerciaux, indicateurs de niveau de vie individuel, etc.

Introduction

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tion, par la bande, d'une problématique en termes de classes sociales reste artificiel » 4 . Le deuxième exemple porte sur une recherche, menée dans le cadre du Groupe de sociologie des organisations, sur les réponses des acteurs locaux à la réforme régionale 5. Nous empruntons à A.M. Topalov l'analyse suivante, qui permet parfaitement de situer la question que nous voulons poser : Le cadre théorique de la recherche est celui de l'analyse stratégique... La population interrogée est constituée par les « élites locales », individus placés dans des statuts qui leur confèrent une position de pouvoir, « une certaine capacité de décision et d'action » ; ils sont les éléments constitutifs de la « société locale » définie comme un système social organisé autour des mécanismes du pouvoir. Chaque catégorie d'élite participe d'un sous-système qui soutient et légitime sa position de pouvoir (par exemple, l'administration ou l'une de ses composantes, le patronat industriel, les syndicats ouvriers) ; mais chacune est en même temps en interaction avec toutes les autres et doit élaborer sa stratégie d'action en fonction de la perception qu'elle a de la stratégie de ses partenaires. L'étude renonce délibérément à analyser les soussystèmes et choisit pour objet les règles du jeu qui s'instaurent entre les élites, la régulation de leurs stratégies respectives par le système social dans lequel elles s'insèrent. Ce parti théorique comporte une conséquence importante ; l'analyse choisit de mettre entre parenthèse les objectifs spécifiques de chacune des élites (déterminés par leur appartenance à un sous-système) pour autonomiser leur objectif commun, la maximisation de leur pouvoir ou 4. Critique de la recherche par M. Castells, dans La question urbaine, Paris, Maspero, 1972, p. 324. Ajoutons que « les méthodes quantitatives habituellement utilisées dans ce type de recherches posent un problème : le souci de comparabilité, problème intéressant en soi, amène à « neutraliser » les concepts dont on se sert, à les vider de leur contenu social. Ainsi la méthode de comptage employée pour les études de décentralisation décisionnelle passe-t-elle le plus souvent à côté de la réalité sociale et politique. Comment peut-on considérer avec le même poids, statistiquement et surtout sociologiquement, une décision d'implantation d'usine dans une grande ville diversifiée et dans une ville à mono-industrie en crise ? Les enjeux, les impacts et les conséquences ne sont pas les mêmes. S'en tenir au seul résultat statistique ne permet pas de découvrir les véritables facteurs explicatifs de telle ou telle décision. S'en tenir au démontage des rouages d'une décision ne peut suffire si on ne peut par ailleurs replacer cette décision dans une analyse de la société » (P. Kukawka, « Structure sociale et structure du pouvoir local en milieu urbain en France», Communication au VII* Congrès mondial de sociologie, Varna, septembre 1970). 5. P. Gremion et J.-P. Worms, Les institutions régionales et la société locale, Paris, CNRS, 1968.

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capacité d'influence. Les stratégies auront donc, pour seul enjeu, la répartition du pouvoir qui comprend deux aspects intimement liés : le maintien de la position de pouvoir des élites concernées au sein de chaque sous-système et l'amélioration de leur capacité d'influence dans le système social. Cette problématique autorise donc l'emploi du concept « d'élite », catégorie de statut rendue indépendante de l'appartenance des leaders à des groupes sociaux plus vastes, et l'évacuation des contenus engagés dans l'affrontement de ces groupes6. Il est de fait que, dans les années récentes, les principaux travaux français en la matière ont été fortement marqués par la sociologie américaine de la décision, qu'il s'agisse de la théorie des organisations ou de l'analyse du pouvoir local dans la tradition des community studies. Mais la question qui est désormais posée, en opposition à ce type de problématiques, est de savoir finalement de quel « pouvoir » il s'agit de rendre compte : en matière d'analyse de la gestion politique de l'urbain, nous pensons que : L'étude de la centralisation ou de la décentralisation du pouvoir, analysée en détail au niveau de la bureaucratie locale, de même que celle des relations de la commune avec l'appareil politique et administratif national, deviennent secondes. Ce qui devient prépondérant, ce n'est plus le jeu des acteurs, c'est, à partir d'une analyse économique, de saisir la manière dont les classes sociales en France ont cherché à détenir le pouvoir dans les institutions politiques urbaines et dans quel but économique, politique et idéologique par rapport au système global, ... et de faire apparaître, dans ce contexte, quelle diversité de stratégies ces institutions politiques permettent à qui les contrôle localement 7 .

1 . 2 . L E S CLASSES SOCIALES

Il est clair dès lors qu'une avancée de la connaissance dans cette direction ne pourra découler de la simple adjonction, aux observations sur le fonctionnement et les outputs des institutions politiques lo6. A.M. Topalov, « Analyse critique de cette recherche », Bulldoc 31-32, 1971, pp. 9-15 (Paris, Ministère de l'équipement et du logement, Centre de documentation sur l'urbanisme). 7. S. Biarez, C. Bouchet, G. du Boisberranger, P. Kukawka, C. Mingasson et C. Pouyet, Rapport scientifique pour la DGRST, décembre 1970 (ronéo).

Introduction

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cales, d'informations sur la stratification sociale des villes étudiées. On ne peut, au mieux, dans cette direction que procéder à la mise en évidence de quelques rapports apparents entre spécialisation sociale de l'espace urbain et orientation de la politique des institutions municipales 8 . Le problème de fond qui est posé ici est celui du mode de saisie des groupes sociaux : L'analyse sociologique classique tendrait à nous faire rechercher le sens de la situation des rapports sociaux dans les comportements idéologiques, politiques, économiques des agents. Par exemple, un certain nombre de valeurs clés assimilables à la nature humaine (la recherche du pouvoir, de la décision, du bénéfice...) expliqueraient les conflits sociaux. Cette conception situe les agents sociaux comme « sujets » et « source » des pratiques, et, par conséquent, l'examen « phénoménal » des comportements, attitudes, représentations des agents, est donné comme seul susceptible de fonder la connaissance des pratiques sociales : l'empirie devient le fondement de la théorie 9 . Or la détermination des pratiques par 1'« agent-sujet » ne revêt pour nous aucun caractère scientifiquement explicatif. Elle reflète l'intégration dans l'analyse d'un modèle idéologique généralement indiqué par la notion d'« acteur », notion qui, sur le champ de la conceptualisation théorique, recouvre les notions de « producteur individuelconcurrentiel » dans l'économique, de « citoyen-libre » dans le politique, d'« homme-conscience » dans l'idéologique 10. Contre cette orientation, nous choisirons ici les principes d'analyse marxiste rappelés par N. Poulantzas, selon lesquels les pratiques sociales sont déterminées (bien évidemment dans une perspective théorique et non chronologique) par les structures économiques, idéologiques, politiques, et par l'unité articulée des instances d'une formation sociale 11 :

8. C'est notamment l'un des points abordés dans S. Biarez, P. Kukawka et C. Mingasson, Les élus locaux et l'aménagement urbain dans l'agglomération grenobloise, Grenoble, Centre de recherche de l'Institut d'études politiques, 1970. 9. G. du Boisberranger, Les rapports sociaux : approche méthodologique, Grenoble, Centre de recherche de l'Institut d'études politiques, 1971. 10. Nous ne voulons pas dire que 1'« acteur», 1'« agent-sujet », «n'existe p a s » . Mais comme l'indique L. Althusser, il s'agit là de 1'« interpellation idéologique » d e l'agent-support, c'est-à-dire de l'effet de l'idéologique (effet existant bel et bien) sur les agents. 11. Ce point sera repris ci-dessous. Cf. infra, p. 16, § 2.3.

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La classe sociale est un concept qui indique les effets de l'ensemble des structures d'une formation sociale sur les agents qui en constituent les supports. Ce concept indique donc les effets de la structure globale dans le domaine des rapports sociaux 12 . Cette définition est importante à plus d'un titre. En premier lieu, elle indique très clairement qu'il s'agit du concept de classe sociale et en aucun cas d'un objet empirique concret. Il est donc clair que le concept de pratiques sociales ne peut être confondu avec la « matière première » retirée d'un examen empirique du vécu des agents (comportements, attitudes, représentations). Il rend compte d'une connaissance de ce vécu par un travail théorique particulier. D'autre part, il faut retenir de cette définition que ce concept indique les « effets de l'ensemble des structures ». Contrairement aux analyses marxistes « économistes », il ne s'agit donc pas de fonder le concept de classe sociale à partir de la seule place des agents dans le procès de production. Il importe au contraire de prendre en compte l'ensemble des structures, économiques, politiques et idéologiques d'une formation sociale donnée. C'est cet ensemble combiné et articulé des structures d'une formation sociale qui a des effets sur les rapports sociaux et qui fonde par conséquent le concept spécifique de classe sociale. Enfin, il faut noter que, dans ce contexte, au moins en ce qui concerne l'analyse sociale, l'agent s'identifie à sa pratique et le concept d'agent est réductible au concept de pratique. De même, la classe n'est pas « source » de pratique, mais pratique sociale : le terme de « pratique de classe » doit être entendu non pas dans le sens génétique (la classe comme source de pratique), mais comme une spécification sociale (par effet des structures) de la pratique. La classe est une pratique sociale spécifique n .

1.3.

E M P I R I E ET THÉORIE

A travers les deux développements qui précèdent se trouve déjà présent en fait le troisième point par rapport auquel il convient ici de se situer, à savoir le débat sur la place respective de la théorie et de 12. N. Poulantzas, Pouvoir politique et classes sociales, Paris, Maspero, 1971, vol. 1, p. 66. 13. Nous aurons à revenir plus loin sur les problèmes que pose l'analyse des rapports entre structures et pratiques.

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l'empirie dans la démarche de connaissance. Déjà, en effet, nous nous sommes interrogés sur ce que permet de saisir de la réalité sociale une analyse décisionnelle ou stratégique, ou sur la pertinence d'un examen « phénoménal » du comportement des agents pour fonder la connaissance des pratiques sociales. Le problème qui est posé ici est donc bien celui de la nécessité de la mise en place d'instruments théoriques, constitutifs en dernière analyse de l'objet à étudier. Contre la sociologie empirique nous dirons que celle-ci réduit l'acte scientifique à un constat : « A force de rappeler l'impératif du constat... la communauté sociologique tend aujourd'hui à oublier la hiérarchie épistémologique des actes scientifiques qui subordonne le constat à la construction et la construction à la rupture. » 14 Mais la valorisation de l'empirisme au sein même des institutions universitaires n'est pas fortuite : l'empirisme, opposé à ce qui serait une recherche « idéologique », sert en fait d'idéologie dominante et constitue en quelque sorte une analyse du statu-quo, dans laquelle on considère qu'il y a problème chaque fois que les normes du comportement social sont violées 15. Le processus de connaissance scientifique est lié à l'existence d'outils conceptuels qui permettent de rendre compte d'une matière première saisie dans sa complexité et ses transformations ; et un champ d'étude ne peut être défini et saisi qu'à partir du moment où l'on dispose des concepts qui « participent à la clôture, donc à la définition de l'objet étudié et en même temps, en tant que conceptsfrontières, délimitent le champ à l'intérieur duquel l'objet peut se constituer » I 6 . Après ces préliminaires, situant quelques ruptures essentielles, il reste donc à procéder ici à cette délimitation du champ d'étude et à la construction de l'objet de recherche.

14. P. Bourdieu, J.-C. Chamboredon et f.-C. Passeron, Le métier de sociologue, t. I, Paris, Bordas/Mouton, 1968, p. 31. 15. Sur le problème plus général de la critique de la sociologie fonctionnaliste et en général des théories de la société, signalons le texte éclairant de D. Vidal, « Notes sur l'idéologie », L'homme et la Société 17, juillet-septembre 1970, p. 38. 16. D. Vidal, Essai sur l'idéologie, Paris, Anthropos, 1971, p. 47.

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2. LA CONSTRUCTION DE L'OBJET : L'INSTITUTION COMMUNALE COMME CENTRE DE POUVOIR ET DE LUTTE POLITIQUE EN MILIEU URBAIN

2.1.

L E POLITIQUE ET SES MODALITÉS

Quel que soit ultérieurement l'objet particulier de l'étude (tel ou tel appareil constitutif du politique urbain — ou l'ensemble de ces appareils — dans leurs rapports aux luttes politiques), il est nécessaire de situer ici à quel type d'analyse du politique, c'est-à-dire à quelle théorie générale de l'Etat, nous entendons nous référer.

2.1.1. Formation économique

et sociale et mode de

production

Nous suivrons ici le cadre proposé par N. Poulantzas en rappelant d'abord qu'il convient de distinguer deux niveaux d'analyse auxquels correspondent deux catégories de concepts 17 : — Le concept de formation économique et sociale, pour rendre compte du réel-concret, du devenir historique ; — Au niveau abstrait-formel, le concept de mode de production. La formation économique et sociale qui seule existe dans la réalité, historiquement déterminée, se caractérise par un chevauchement et une articulation particulière de modes de production. Par exemple, la France gaulliste, l'Allemagne de Bismarck, l'Angleterre victorienne. Dans toute formation sociale, un mode de production dominant marque l'ensemble de cette formation. Le mode de production dominant ne se présente pas à 1'« état pur », pas plus que les modes de productions dominés. Ils sont « déformés », par la situation historique et par le fait même de leur chevauchement et de leur articulation qui caractérise la formation économique et sociale 18 . Cependant, les caractéristiques fondamentales du MP dominant marquent l'ensemble de la FES. Cet ensemble est caractérisé par des décalages et 17. Nous ferons dans ce paragraphe de larges emprunts à la « Note sur pouvoir politique et classes sociales » du Groupe d'études marxiste-léniniste du 3" cycle (Grenoble, Institut d'études politiques, 1972, ronéo). 18. Dorénavant, nous écrirons FES pour formation économique et sociale, et MP pour mode de production.

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un développement inégal, entre modes de production, entre instances. Poulantzas précise nettement le concept marxiste de mode de production, qu'il distingue notamment de toutes les définitions qui l'assimilent à celui de procès de production et le réduisent à la seule sphère de l'économique : le type d'unité qui caractérise un MP est celui d'un « tout complexe à dominance » et un mode de production apparaît donc comme une articulation d'instances — économique, politique, idéologique — instances que l'on peut définir comme un mode de traitement spécifique des contradictions. C'est cette articulation spécifique que Poulantzas appelle, après Althusser, matrice du mode de production. La FES et le mode de production, sont spécifiés par un champ de structures et un champ des pratiques. Par rapport à ce dernier, le champ des structures fonctionne comme une matrice organisante en ce que l'unité de la structure détermine (se réfléchit dans) le champ des rapports sociaux, ceux-ci apparaissant comme les effets de l'unité de la structure sur les agents supports. Quant au champ des pratiques, il se présente comme le lieu des pratiques de classe, des rapports sociaux (rapports sociaux économiques, rapports sociaux politiques, rapports sociaux idéologiques).

2.1.2. Le politique

dans le mode de production

capitaliste

Nous avons défini la matrice du mode de production (et de la FES) comme une articulation spécifique d'instances. Il convient de préciser, avec N. Poulantzas, que l'instance économique est toujours déterminante (en dernière analyse et dans tout mode de production) en ce qu'elle fixe celle des instances de la structure sociale qui aura le statut dominant, en attribuant une place (limites) et une fonction attachée à cette place à chaque instance structurelle. Dans ce contexte, le politique consiste dans la superstructure juridico-politique (l'Etat) et se distingue de la politique, dont il est l'objectif. Le rôle fondamental de l'Etat est d'assurer la cohésion des instances d'une FES. Il est facteur d'ordre, principe d'organisation de l'équilibre global d'une unité complexe en tant que système. Mais il est aussi la structure dans laquelle se condensent les contradictions des différents niveaux d'une FES et parce qu'il est le lieu de cohésion de l'unité de la formation, il est également le lieu de ses transformations. Notons par ailleurs que le politique revêt des formes différentes selon les modes de production et les FES : dans le mode de pro-

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duction capitaliste et la FES capitaliste, il est caractérisé par une autonomie relative, et par sa fonction de cohésion. Enfin, il convient de préciser que trois modalités de fonctionnement de l'Etat peuvent être distinguées : fonction technicoéconomique, fonction spécifiquement politique, et fonction idéologique, les modalités technico-économiques et idéologiques étant surdéterminées par le rôle politique de l'Etat, rôle politique en rapport avec la domination de classe, dans la mesure où l'Etat a place et fonction dans un ensemble de structures qui ont pour effet la division en classes et la domination de classe.

2.2.

L A GESTION POLITIQUE DE

L'URBAIN

Nous aurons à revenir plus loin 19 sur une analyse plus poussée de l'Etat capitaliste. Dans la démarche de construction de l'objet de recherche l'important était ici de situer le politique comme instance assurant la cohésion de la formation sociale, avec ses modalités et sa relative autonomie. Dans ce contexte théorique, nous chercherons à situer maintenant ce que peut être une analyse du « politique urbain ». Chercher à savoir s'il y a un politique urbain revient à se demander s'il existe un ou des éléments du politique qui visent au maintien de l'unité, de la cohésion, d'une combinaison particulière (ayant une logique autonome) des instances de la formation sociale globale, fondée en dernière analyse sur la domination politique de classe. Cette question en entraîne une autre. Y a-t-il dans la ville des contradictions structurelles particulières (ou particulièrement exacerbées) qu'il est nécessaire de réduire pour maintenir la domination politique de classe ? M. Castells répond oui à cette dernière question en disant : Nous appelons système urbain l'articulation spatialement spécifique des éléments fondamentaux du système économique. Le système urbain est la structure des rapports entre processus de production et processus de consommation dans un ensemble spatial donné 20 . Ayant ainsi défini le phénomène urbain, il suppose un politique dont l'objet est l'intervention sur l'économique urbain pour dépasser 19. Cf. chapitre II, « Analyse de la scène politique ». 20. M. Castells, « Vers une théorie sociologique de la planification urbaine », Sociologie du Travail (4), 1969, p. 423.

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ses contradictions dans l'intérêt général de la formation sociale dont il assure la subsistance. Le politique est donc alors la planification urbaine, gestion technico-économique de l'ensemble socio-spatial urbain. Par rapport à ce type de lecture, il reste donc à dégager la fonction idéologique du politique urbain (et donc ses instruments) et sa fonction spécifiquement politique. L'analyse du politique urbain devient donc le repérage des instruments remplissant de façon spécifique les fonctions technico-économiques, idéologiques et purement politiques nécessaires pour le maintien de la cohésion du système spatial considéré, dans le cadre de la cohésion générale de la formation sociale fondée en dernière analyse sur la domination politique de classe. Il est toutefois matériellement exclu de prétendre analyser dans le cadre d'une recherche contractuelle 21 l'ensemble des modalités de la reproduction du système d'organisation politique dans les unités urbaines, c'est-à-dire de l'organisation « spatialisée » de la domination politique de classe. Un choix étant nécessaire, nous centrerons donc la recherche sur l'institution communale 22 , comme constituant l'institution politique « localisée » la plus ancienne (elle précède l'Etat capitaliste moderne), la plus résistante (le pouvoir central manœuvre avec beaucoup de souplesse à son égard), idéologiquement la plus « naturelle » (la fonction sociale « primaire » est perçue comme surdéterminant sa fonction politique). Ce faisant, nous restons conscients de tout l'intérêt que représenterait un élargissement de l'analyse à tout ou partie des structures politiques d'organisation urbaine de la domination de classe, notamment en référence à l'hypothèse d'un « dépassement historique » de l'IPC comme système d'organisation spatialisée de cette domination 21. C'est-à-dire devant être réalisée dans un budget limité par des chercheurs contractuels. 22. Nous utiliserons désormais le sigle IPC pour désigner l'institution politique communale. 23. Il semble qu'on assiste en effet actuellement à une mutation de l'organisation du politique en milieu urbain : l'institution politique communale, avec des fonctions modifiées sous un statut apparemment peu changé, s'articule différemment à la fois à l'appareil d'Etat central et à un « nouveau politique urbain » qui lui-même reproduit certains traits propres à l'IPC, mais présente par ailleurs des caractères nouveaux. Les modalités de cette mutation devraient être mises à jour et rapportées à la fois au caractère différentiel de la politique « d'aménagement du territoire » à l'égard des régions et villes françaises, et aux capacités de résistance locale des représentations de classes dans les institutions préexistantes. A travers cette analyse, il serait possible de faire apparaître dans quelle mesure l'institution politique communale demeure un lieu possible de luttes de classes, et pour quels types de luttes, et dans quelle mesure le

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2 . 3 . L'INSTITUTION POLITIQUE COMMUNALE COMME CENTRE DE POUVOIR ET DE LUTTE POLITIQUE

2.3.1. Institution

et pouvoir

Les institutions (qu'il s'agisse des institutions juridico-politiques ou de l'école, de l'église, etc.) n'ont pas de « pouvoir » : le concept de pouvoir se constitue en effet dans le champ des rapports sociaux, des rapports de classe, qui sont à tous les niveaux (économique, politique, idéologique) des rapports de pouvoir. En nous référant aux analyses développées par N. Poulantzas, nous dirons ici que : (Les institutions) constituent autant de centres de pouvoir spécifiques pour l'exercice du pouvoir des classes sociales, et elles ne peuvent être définies, dans une analyse en termes de pouvoir, que par rapport à la possibilité qu'elles offrent à une classe sociale de réaliser ses intérêts objectifs spécifiques 24 . L'expression « centre de pouvoir » marque donc la spécificité structurelle des institutions à offrir une possibilité de pouvoir dans tel domaine (économique, politique ou idéologique) pour une classe donnée, et leur autonomie relative par rapport aux classes sociales qui, dans les limites fixées par ce rapport des institutions aux structures, y exercent leur pouvoir. Par rapport à notre objet, le terme de « pouvoir local », de même d'ailleurs que celui de « pouvoir urbain », est donc à rejeter comme impropre à rendre compte de la réalité. Il n'y a pas, à proprement parler, de « pouvoir local » ni de participation au « pouvoir local » ou au « pouvoir urbain », mais des pouvoirs de classe exercés dans des domaines différents, cet exercice se réalisant notamment, dans une formation sociale donnée, à travers des institutions locales diverses. Nous dirons donc, au sujet de l'institution communale que celle-ci est, comme toute autre institution, un centre de pouvoir spécifique pour l'exercice du pouvoir de classe 25 . « nouveau politique urbain » se constitue comme un nouvel enjeu réel, mais posant d'autres problèmes que le précédent aux représentations de classes. 24. Ainsi l'Etat, centre d'exercice du pouvoir politique, n'a pas à proprement parler de pouvoir. Le pouvoir d'Etat est « le pouvoir d'une classe déterminée, aux intérêts de laquelle l'Etat correspond, sur d'autres classes sociales » (N. Poulantzas). 25. « Institution communale, appareil d'Etat et classes sociales », par C. Mingasson ; communication présentée au nom de l'équipe de recherche au colloque

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En d'autres termes, les analyses sur la nature et le rôle de l'IPC dans la structure de la formation sociale française (élément de l'appareil d'Etat, modalités d'intervention, etc.) se traduisent dans le champ de la lutte des classes par une spécification de l'IPC en tant que centre de pouvoir (pouvoir politique, idéologique, économique, pour telle classe). Cette spécification qualifie socialement l'appareil en question : elle indique sa « capacité » d'assurer la domination d'une classe donnée (dans le cadre d'une occultation spécifique de cette domination), dans tel domaine (politique, idéologique, économique).

2.3.2. Les contradictions dans les structures Dans cette perspective et en réaction contre les analyses dominantes, utopistes, idéologiques ou volontaristes, « déconditionnant » la lutte de classe au niveau structurel pour ne la référer qu'à son « amont » historique et supposant les institutions ouvertes à tout rapport de pouvoir entre classes, on relèvera ici les conditions structurelles déterminant cette lutte de classe en rapport à l'IPC. C'est-à-dire que, à l'encontre d'une présentation idéologique de l'autonomie de l'IPC, tendant à la limite à présenter celle-ci comme lieu possible d'un pouvoir de classe interchangeable, en tout domaine, on insistera alors sur l'articulation appareil d'Etat-IPC, sur le caractère de branche (dominée) de l'appareil d'Etat de cette dernière, la faisant participer au fonctionnement politique d'un appareil d'Etat garant des intérêts de la classe ou fraction hégémonique. Mais il convient ici de ne pas oublier que « les contradictions existent dans le processus de développement de toute chose et de tout phénomène (et que) dans le processus de développement de chaque chose, de chaque phénomène, le mouvement contradictoire existe du début à la fin » 7 6 . Aussi, sous peine de tomber dans une démonstration mécaniste et linéaire, doit-on noter que les contradictions sont inscrites à l'intérieur même des structures, elles se manifestent également entre les structures et sont favorisées par l'autonomie relative de celles-ci. Ainsi en va-t-il par exemple des contradictions entre IPC et appareil d'Etat, ou entre idéologie juridico-

international du CNRS sur l'analyse interdisciplinaire de la croissance urbaine. (Toulouse, 1971), Paris, Ed. du CNRS, 1972, pp. 267-281. 26. Mao-Tsé-Tung, Quatre essais philosophiques, Editions de Pékin, p. 35. Nous citerons encore : « L'unité des contraires est conditionnée, passagère. Alors que la lutte des contraires qui s'excluent mutuellement est absolue » (ibid., p. 75).

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politique et idéologie économique, ou encore de l'apparition de contradictions entre intérêts économiques et politiques des classes dominantes. Plus généralement, il convient donc, dans l'analyse du rapport de 1Ί PC à la lutte de classe, de procéder à un repérage des contradictions structurelles, qu'elles soient internes au politique ou relatives à l'articulation du politique à l'économique ou à l'idéologique, pour les effets qu'elles ont dans le champ des pratiques. Cette analyse sera tentée ci-dessous dans les différents chapitres, afin de fournir le cadre indispensable à la lecture des rapports sociaux qui y seront pris en compte.

2.3.3. Les rapports structures - pratiques Par rapport à notre objet (l'IPC comme champ de la lutte de classes), il convient donc de tenir compte de deux remarques générales : — D'une part les pratiques, analysées comme pratiques conflictuelles, comme lutte de classes, sont l'effet des contradictions des structures sur les rapports sociaux ; — D'autre part, la pratique est une production, un travail de transformation 2 7 et elle peut donc, selon certaines limites, déterminées par les structures et par le champ des pratiques, aggraver les contradictions existantes, les faire éclater. En référence au premier point, nous dirons donc que l'IPC, participant à la structure de la formation sociale française, doit être considérée en fonction de son impact dans le champ des rapports sociaux. Dans le champ de lutte spécifique ouvert par cette institution, les structures de celle-ci, articulées aux structures de la formation sociale 28, fixent en effet les limites de la pratique (lutte de classes) particulière possible et des places de subordination ou domination dans cette lutte. Mais, en référence au second point, il faut ajouter que le rapport de pouvoir existant à un instant donné, dans cette institution ainsi définie comme lieu d'exercice d'un pouvoir de classe, dépend à la fois de cet effet des structures dans le champ des pratiques et du rapport des forces sociales en présence. « Les structures de l'Etat, telles qu'elles apparaissent dans la relation des instances, portent inscrites en elles une série de variations, qui à la fois délimitent la 27. Pratique : travail de transformation sur un objet déterminé, dont le résultat est la production de quelque chose de nouveau. 28. Avec les contradictions qui les marquent.

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lutte des classes, et se réalisent concrètement suivant l'action de cette lutte sur l'Etat, dans les limites ainsi posées. » 29 Reste un dernier point : l'IPC se présente comme un champ réduit de la lutte des classes, où s'inscrivent des pratiques qui trouvent leur origine dans l'ensemble de la structure de la formation sociale. II s'agit donc là de rapports entre un appareil, champ de lutte spécifié et qualifié socialement par les hypothèses présentées plus haut, et les rapports de classe. Ici se présente pour la recherche une double difficulté : le rapport entre appareil politique urbain et rapports de classe renvoie en effet aux intérêts objectifs des classes (l'appareil comme lieu de luttes pour la réalisation de ces intérêts). Or, d'une part l'analyse de ces intérêts objectifs (à long et à court terme) renvoie elle-même à une lecture dialectique des effets-limites 30 de la structure de la formation sociale sur les pratiques, c'est-à-dire à une analyse théorique se rapportant à un champ d'investigation beaucoup plus large que le nôtre. D'autre part, ne sont empiriquement repérables, dans le champ de lutte que constitue l'appareil politique urbain, que des groupes et mouvements sociaux, que des actions déclarées, que des comportements : des intérêts représentés, ce qui pose le problème de la lecture du rapport intérêts objectifs-intérêts représentés. Ceci nous renvoie à la nécessité d'avoir éclairé les intérêts objectifs en rapport avec l'appareil politique urbain. Nous pensons pouvoir réduire cette difficulté, sans tomber pour autant dans un empirisme en rupture avec la démarche théorique proposée, en introduisant ici le concept d'enjeu 31 . Il a pour rôle de circonscrire à un moment donné et par rapport à un objet donné l'analyse théorique des pratiques et intérêts de classes : il indique ici l'objet particulier de la lutte des classes dans l'appareil politique urbain, en référence aux intérêts précis que recouvrent les interventions de cet appareil. Le repérage d'un enjeu principal dans la lutte des classes dont l'IPC est le champ nous renvoie au problème de l'articulation des statuts régionaux de l'IPC (politique, économique, idéologique). En d'autres termes, il s'agit d'articuler les contradictions internes à cet appareil, en vue de repérer la contradiction principale et les contradictions secondaires, afin de pouvoir référer les comportements des « groupes sociaux », des organisations déclarées de classes, etc., à un enjeu central permettant notamment de reconnaître ce qui 29. Poulantzas, op. cit., t. II, p. 7. 30. Sur effets-limites et intérêts objectifs, cf. Poulantzas, op. cit. ; L. Althusser et E. Balibar, Lire le capital, Paris, Maspero, 1965. 31. Utilisé par M. Castells « V e r s une théorie sociologique...», op. cit.

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ne serait que luttes sociales partielles, ou utopiques 32 , dans le champ de lutte que constitue cet appareil politique urbain. Mais cette démarche reste insuffisante. La surdétermination des enjeux secondaires par l'enjeu principal n'élimine pas de l'IPC ces luttes sociales partielles ou utopiques dont elle est concrètement le centre. Il est donc nécessaire, pour rendre compte de la complexité des luttes, d'appliquer également ce concept d'enjeu aux principales interventions de l'appareil politique urbain dans des situations urbaines particulières (opérations de logement, de rénovation, de transports, d'action culturelle, etc.). Ces opérations représentent en effet des enjeux en soi, auxquels l'appareil politique s'articule structurellement dans la mesure de sa capacité à infléchir le résultat de ces opérations. Ce repérage des rapports de l'appareil politique urbain aux rapports de classes, que ce soit au niveau de son statut général ou de ses interventions partielles, peut fournir dès lors les outils nécessaires à l'interprétation des pratiques des divers regroupements d'agents face à l'appareil politique urbain en général ou à ses interventions en particulier.

3. LA DÉMARCHE D'INVESTIGATION

3 . 1 . ORIENTATION GÉNÉRALE

Notre objet de recherche peut donc se formuler ainsi : nature et rôle, dans les domaines économique, politique et idéologique, de l'institution communale en milieu urbain. La détermination concrète de cette nature et de ce rôle sera recherchée à travers une mise en relation des interventions de l'IPC avec la situation structurelle des milieux urbains étudiés et l'état des rapports sociaux dans ces milieux urbains. La production de l'espace urbain peut être analysée comme une série de processus que l'analyse peut décomposer afin de faire apparaître la logique sociale qui leur est sous-jacente. Ainsi, par exemple, la détermination sociale de différents programmes de rénovation urbaine peut être analysée par examen de l'influence respective des différents éléments constitutifs de chaque structure urbaine dans chacun de ces programmes. 32. Cf. D . Vidal, « Formation sociale et mouvements sociaux », Sociologie Sociétés 2 (2), 1970.

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Cette analyse permet de situer la signification de l'intervention des forces sociales dans ces processus : — D'une part, par la place qu'elles viennent prendre, ou non, dans le processus étudié ; — D'autre part, par les transformations que ces interventions, et les conflits qui peuvent les accompagner, peuvent apporter au contenu structurel initial du processus. La démarche consiste donc à mettre en lumière la cohérence d'un processus en se fondant sur l'existence d'un rapport entre rapports structurels (éléments et combinaisons définissant la structure sociale) et rapports sociaux. C'est par rapport à ces processus ainsi analysés, faisant notamment apparaître les intérêts sectoriels qui sont en jeu et les contradictions à traiter, qu'il devient possible d'étudier la signification des interventions, directes ou indirectes, de l'institution communale, par rapport à ces processus. Chaque intervention, resituée par rapport au processus étudié, contribuera donc : — D'une part, à éclairer ce processus même, dans la mesure où l'intervention éclaire la configuration des rapports sociaux déterminée par l'enjeu particulier et révèle, par l'appui apporté à certains intérêts, la dominance de ces derniers ; — D'autre part, à préciser la nature et le rôle de l'institution communale dans ses rapports avec les groupes sociaux et l'Etat. Ces interventions de l'institution communale peuvent être analysées comme des interventions du politique sur l'économique, ou du politique sur lui-même ou sur l'idéologique, étant entendu que la majorité de ces interventions remplissent à la fois plusieurs rôles. Ainsi, à titre d'exemple, la création d'une agence d'urbanisme d'agglomération est à la fois une intervention économique (aménagement-planification), politique (institutionalisation des rapports d'agglomération), et idéologique (par exemple affirmation d'une idéologie technocratique). Le problème est donc de les saisir dans leur complexité, tout en spécifiant leur objet principal. Le type d'analyse proposé ici impliquera que soient prises en compte, dans l'étude du rôle de l'institution communale par rapport aux processus de production de l'espace urbain, certaines déterminations extérieures au milieu urbain considéré : par exemple, conséquences des politiques d'aménagement du territoire, politiques gouvernementales en

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matière d'institutions régionales et urbaines, de circonscriptions administratives locales, de systèmes électoraux, ou encore politiques foncières, politiques du logement, etc.

3.2.

L'APPLICATION

À UNE SITUATION URBAINE

PARTICULIÈRE

En entreprenant l'observation d'une situation urbaine particulière, notre objet n'est donc pas de produire une analyse exhaustive de la structure de la ville et de l'état des rapports sociaux dans cette ville en relation avec l'institution municipale, mais à la fois de produire les éléments de connaissance nécessaires à l'enrichissement du corps d'hypothèses particulières déjà élaboré et d'établir le caractère opératoire de la méthode d'investigation retenue, et donc des hypothèses sur lesquelles cette méthode se fonde. Au cours d'une première phase d'enquête ont été repérées les grandes évolutions qui ont caractérisé sur une période récente la structure de cet urbain (sur le plan des structures économiques, de l'organisation du politique et de l'encadrement idéologique) et dégagés les quelques éléments marquants de cette modification de la structure urbaine. A ce titre, ont été finalement retenus comme éléments à prendre en compte : — Le développement, depuis quelques années, d'un conflit permanent entre deux formes de représentation politique de la droite sur la scène politique locale ; — La réalisation récente de trois zones industrielles ; — Une opération de rénovation urbaine pratiquement achevée, la réalisation en cours d'un grand ensemble de logements en banlieue, et un projet de rénovation urbaine centrale ; — La création d'une association selon la loi de 1901 pour l'établissement du schéma directeur d'aménagement et d'urbanisme ; — Création d'une Maison centrale des jeunes et de la culture. L'analyse s'est alors centrée sur la signification sociale de chacun de ces éléments, soit par rapport à ses caractères spécifiques dans le procès de production ou dans le système de reproduction, soit dans le maintien ou la transformation du système politique local et dans la constitution de la scène idéologique locale. C'est par rapport à ces éléments ainsi analysés qu'on a alors examiné si l'institution municipale a pu constituer un enjeu pour les forces

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sociales dans la ville : dans quelle mesure cette institution avait-elle structurellement la capacité d'intervenir (et avec quelles limites) sur la signification sociale de chacun des éléments retenus ? Quelles ont été les interventions effectives de l'institution et en quoi ont-elles participé à la signification sociale des transformations observées ? Enfin, quel a été le degré et la forme de mobilisation des forces sociales par rapport aux éléments étudiés ? L'institution municipale apparaît alors dans sa dimension réelle d'enjeu effectif : par rapport à tel élément, ayant telle signification sociale, l'intervention de l'institution municipale a infléchi ou non cette signification dans tel sens, dans tel contexte d'action des forces sociales. *

Le contenu des chapitres qui suivent se situera donc à un double niveau : on y trouvera d'une part les éléments d'une théorie de l'institution politique communale comme élément structurel de gestion politique de l'urbain, et d'autre part l'analyse de cette même institution comme « objet » de la pratique. A cet égard, l'analyse ne peut être que conjoncturelle, dans le sens du concept de conjoncture : La conjoncture, objet de la pratique politique et lieu privilégié où se réfléchit l'individualité historique toujours singulière d'une formation, c'est la situation concrète de la lutte politique de classe 33 . C'est dire que ce qui pourra paraître avoir été établi dans la conjoncture roannaise n'épuise pas le sujet et ne prétend pas rendre compte de ce que devient l'institution communale comme objet de la pratique dans d'autres types de situation. Ce travail reste à poursuivre si l'on admet que seule « la conjoncture permet de déchiffrer l'individualité historique de l'ensemble d'une formation, bref le rapport de l'individualité concrète des structures et de la configuration concrète de la lutte des classes » M.

33. Poulantzas, op. cit., t. I, p. 96. 34. Ibid., p. 97.

CHAPITRE PREMIER

Présentation de la ville

L'agglomération choisie comme zone d'étude est une ville moyenne du Centre de la France, sous-préfecture d'environ 75 000 habitants, dans une situation relativement isolée à la fois par rapport aux grands axes actuels de circulation et aux zones urbaines importantes de la région. Son développement ne date que de la fin du xix e siècle, à la faveur d'un essor important du textile à partir de 1870, accompagné, par la suite, d'industries mécaniques et métallurgiques Nous retrouverons dans des chapitres ultérieurs, de façon plus précise, ce qui doit être retenu de cette courte histoire industrielle pour les conséquences qu'elle fait peser sur la structure actuelle de la ville, au niveau de l'activité économique, de la situation de la force de travail ou de l'état du cadre bâti. Nous ne pensons pas, en effet, en ce début de rapport, devoir présenter au lecteur une monographie complète de l'agglomération roannaise, et nous avons opté pour un autre mode d'introduction à cette ville, à savoir : tenter de faire partager au lecteur les premières questions qu'elle nous a posées après quelques semaines de lecture de documents et de chiffres, de découverte de ses rues et paysages, de premières conversations avec ses habitants ou de lecture de ses journaux... La première image qui apparaisse est celle d'une ville à la population quasi stagnante 2, avec une proportion relativement importante 1. De 11 000 habitants en 1841, la ville passe à 35 000 en 1901, en même temps que se sont implantées une quarantaine d'usines de tissage (dont la moitié employant plus de 100 salariés). En 1936, on dénombre 45 000 habitants avec, entre-temps, la création d'une centaine d'ateliers de bonneterie ainsi que d'entreprises de mécanique liées en partie au textile et à l'établissement d'un important arsenal d'armement de l'Etat. 2. Taux annuel d'accroissement : 0,8 % de 1936 à 1954 1,2 % de 1954 à 1962 1,1 % de 1962 à 1968 (Sauf indications contraires, 'les chiffres donnés dans ce chapitre sont extraits du Livre Blanc de l'agglomération et concernent les quinze communes de l'aire d'étude du SDAU.)

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de personnes âgées 3 et une population majoritairement ouvrière 4 . Une branche, le textile, domine de loin l'activité et repose essentiellement sur un travail féminin peu rétribué 5 . Quant au cadre bâti, il est encore marqué, dans des quartiers entiers de la ville qui ne paraissent pas avoir changé autrement qu'en vieillissant, par l'imbrication de logements ouvriers et d'ateliers datant du début du siècle : l'extension du parc immobilier ou des locaux industriels, qui ne date que des dix à quinze dernières années, a laissé subsister ces quartiers vétustés. Cette ville continuerait-elle donc à vivre, pour l'essentiel, sur un mode qui lui a valu son expansion passée, dans un cadre presque inchangé ? La lecture de l'hebdomadaire local, les activités et caractéristiques du théâtre municipal ou de multiples sociétés locales, ou le type de relation patronat-ouvriers dans les très nombreuses petites ou moyennes entreprises de la ville, contribueraient à le faire penser. Pourtant le changement, au niveau même des activités économiques, se révèle important sur une période récente. Depuis quinze ans de nombreuses petites ou moyennes entreprises de tissage ont progressivement fermé, tandis que les principales affaires locales dans ce secteur de production étaient rachetées et regroupées, à partir de 1965, par un important groupe national (DMC), ce double processus s'accompagnant de licenciements importants d'ouvrières 6 et de libération de locaux industriels le plus souvent imbriqués dans le tissu urbain ancien. En même temps, depuis 1950-1955, la branche bonneterie s'est fortement développée, sur la base de petites ou moyennes entreprises, à personnel essentiellement féminin 7 , avec une phase (avant 1960) de réutilisation des ateliers de tissage fermés dans les campagnes environnantes ou en ville même, et, depuis 1965, un début de concentration des ateliers en unités plus importantes, accompagné de la construction de locaux situés de façon diffuse dans les quartiers nouveaux d'habitation. 3. O n lira ci-dessous la répartition de la population de la ville par âge et par rapport aux villes moyennes de la région : — moins de 20 ans 30,5 % contre 33,3 % — 20 à 64 ans 56,6 % contre 55,7 % — 65 ans et plus 12,9 % contre 11,0 % 4. O n compte 55 % de la population active en 1962, et 52 % en 1968. Cf. annexe, tableau 1. 5. Le textile fournit 50 % des 26 000 emplois industriels, avec 9 000 emplois (dont 80 % féminins) dans la seule bonneterie. Les femmes représentent 40 % d e la population active ouvrière. 6. En 1962, on compte 5 000 emplois dans le tissage, et, en 1970, 1 500. 7. En 1970, 200 entreprises.

Présentation

de la ville

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Enfin, depuis 1960, les industries mécaniques ont accru leur importance tant au niveau des deux grands employeurs locaux 8 que par le développement de petites unités sous-traitantes, entraînant accroissement des effectifs 9 et développement de locaux industriels. Mais dans ce contexte, une nouvelle série de questions apparaît alors, relative à la situation de l'emploi d'une part, aux caractéristiques actuelles du tissu urbain d'autre part : — La structure des activités de production suffit-elle à absorber la main-d'œuvre masculine disponible ? 1 0 L'expansion de la bonneterie sur la base d'un emploi essentiellement féminin, et donc peu rétribué, ne risque-t-elle pas d'être freinée, au niveau du recrutement de force de travail supplémentaire, par l'absence d'emplois masculins en nombre suffisant, provoquant l'émigration des ménages ? Les petites entreprises de mécanique locales peuvent-elles supporter la concurrence, sur le marché du travail, de n'importe quel type d'entreprises extérieures à emploi masculin qui s'implanteraient dans la ville ? — Et quel rapport existe-t-il entre niveau moyen des salaires et vétusté du parc de logement ? A quelle utilité correspond le maintien dans le tissu urbain ancien, ou l'implantation diffuse dans les nouveaux quartiers d'habitation, des ateliers et usines textiles et le refus de la municipalité de prévoir la sortie de la ville de ces entreprises lors de l'établissement du plan d'urbanisme ? Dans ce contexte à quoi correspondent les zones industrielles récemment créées et comment expliquer leur faible succès ? Quant au logement, si l'on cherche à préciser l'image sommaire évoquée plus haut, on constate que, malgré un développement récent des programmes, le parc demeure largement vétusté et surpeuplé u , et que la ville porte encore très fortement la trace de cette période 8. Un arsenal de l'Etat et une entreprise de machines textiles. 9. Environ 25 % de l'emploi industriel et 6 000 salariés, avec un taux très fort d'emplois masculins. 10. Dans une étude de 1966, la CFDT signale qu'un tiers seulement des jeunes diplômés d'un niveau supérieur au CAP trouvent un emploi sur place. 11. En 1968 : — 48,5 % des logements datent d'avant 1914 — 28 % des logements sont en état de surpeuplement « courant » ou « critique » selon les normes du Ministère de l'Equipement. Cf. annexe.

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1870-1930 où il fallait loger vite et économiquement la main-d'œuvre rurale requise pour faire tourner les nouveaux ateliers : premiers faubourgs ouvriers (Mulsant et Clermont) au Sud et à l'Ouest de la vieille ville qui étalent encore aujourd'hui jusqu'aux arrières-portes même de l'Hôtel de Ville leur puzzle de rues étroites aux maisons basses et d'ateliers, établis à l'époque sur des terrains peu coûteux et non assainis, et premier développement de la zone ouvrière et industrielle de la banlieue Nord, avec les cités d'usine de 1910-1930 (Arsenal, Matel). Ce n'est que vers 1955 que se produit une reprise de la construction sur un rythme lent, avec accroissement de la dimension des programmes à partir de 1960 environ n . Mais les caractéristiques et la localisation de ces productions récentes paraissent accentuer ce qui pouvait déjà exister en fait de ségrégation sociale de l'espace urbain n . On peut, en effet, distinguer schématiquement : — Le centre de l'agglomération 14 , avec d'une part les deux faubourgs ouvriers évoqués ci-dessus et leur prolongement dans le vieux quartier voisinant l'Hôtel de Ville (ici pas d'opérations immobilières importantes, mais par contre un projet de rénovation pour les prochaines années portant sur le secteur proche de l'Hôtel de Ville), et d'autre part un secteur faisant figure de vieux centre bourgeois et commerçant de la ville, et dont les caractéristiques sociales ont été en gros reproduites dans les constructions neuves l'entourant immédiatement au Nord et à l'Est ; — Une couronne en développement qui se compose à son tour d'une banlieue ouest, au-delà des anciens faubourgs ouvriers, à dominance d'habitat individuel des catégories favorisées, et d'un important secteur ouvrier et industriel, au Nord, où des programmes récents viennent se surajouter aux cités ouvrières du début du siècle. Dans ce contexte, une nouvelle série de questions apparaît. Si la relance de la construction et sa légère accélération ces dernières 12. De 1962 à 1967 le nombre annuel de logements achevés se situe autour de 500. Il passe à 800 par an pour les années 1968-1971. En 1968, moins de 15 % des logements datent de moins de dix ans. 13. Même si le pourcentage élevé des catégories ouvrières dans la population et la faiblesse des catégories supérieures (professions libérales, cadres supérieurs et même cadres moyens), liés à la structure de l'emploi, atténuent, par rapport à d'autres villes, ces aspects de ségrégation. 14. En situation de perte démographique de 1962 à 1968.

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années correspondent au souci de répondre à une crise grave du logement, pourquoi la production a-t-elle été orientée à un point tel sur les logements de bon ou moyen standing qu'il y a actuellement mévente de ce type de logements ? Comment résoudre la contradiction existant entre l'existence d'une liste d'attente de quelques 3 000 personnes pour les HLM locatives et le fait qu'un attributaire sur deux se récuse devant le niveau de loyer demandé ? L'importance du logement vétusté et son maintien apparaissent-ils donc comme une réponse à cette question, dans l'état actuel des revenus des ménages et des conditions de fonctionnement d'une partie de l'industrie locale ? Mais à quoi correspond alors le projet de rénovation du vieux quartier voisin de l'Hôtel de Ville, centré sur des surfaces de bureaux, de commerces et des logements de standing ? Et pourquoi, au sujet de cette opération, voit-on pour la première fois apparaître dans la ville un discours urbanistique ? Comment expliquer que cette situation du logement et l'absence assez générale d'équipements collectifs dans les quartiers, y compris dans les opérations récentes, ne donnent finalement lieu à aucun « mouvement social » notable au niveau des couches populaires, ne soient pas prises en compte par les organisations ouvrières et n'apparaissent finalement au niveau d'un débat public qu'à l'occasion, épisodique, des campagnes électorales ? Peut-être pour comprendre cette ville, faut-il ici, comme à propos des problèmes de l'emploi, s'interroger, au-delà de l'examen de ses usines et de ses logements, sur ce qui la caractérise idéologiquement et politiquement ? Mais ici encore, au niveau d'une première découverte, les interrogations se multiplient. Dans une ville qui fournit au département 40 % des jeunes recensés comme « cas sociaux », une Maison des jeunes et de la culture toute neuve n'attire que quelques dizaines de clients. Dans cette ville fortement ouvrière, où la multiplicité des petites ou moyennes entreprises oppose un important obstacle à l'organisation syndicale des travailleurs, aucun bulletin local des partis de gauche n'existe avec une diffusion régulière, hors des périodes électorales, mais la page locale du quotidien est en revanche chaque jour abondamment alimentée par les communiqués de quelques-unes des innombrables sociétés locales de musique, sport, boules, etc. A quoi donc correspond la survivance jusqu'à une période récente, tant au niveau des associations sociales ou culturelles que des débats politiques, du traditionnel clivage entre « laïques » et « confessionnels » ? Et pourquoi, par contre, le développement actuel, dans certains cercles de la société locale, de débats centrés sur l'urbanisme, la croissance, l'aménagement ?

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Enfin, au niveau électoral, cette ville ouvrière a porté à la Municipalité depuis des années une équipe centriste fermement anticommuniste qui, après avoir même expulsé la SFIO de la Mairie en 1959, fait à nouveau alliance avec celle-ci en 1971. Et l'enjeu, ici, n'était pas d'éviter une victoire d'une liste de gauche, situation improbable depuis des années, mais de l'UNR 1 5 . Mais pourquoi cette faiblesse électorale de la gauche ? *

Ces questions et quelques autres sans doute, issues d'une première rencontre avec cette ville, peuvent introduire, nous semble-t-il, à une analyse des rapports sociaux qui caractérisent cette unité urbaine, et à un examen de la place qu'y tient l'institution communale en matière de gestion politique de ces rapports sociaux. Les points qui n'ont été ici qu'effleurés feront alors l'objet d'une analyse moins pointilliste. Notre ambition se limitait pour le moment à proposer une première image et un lot d'interrogations qui fassent attendre au lecteur, pour la suite, autre chose qu'un Livre Blanc.

15. Qui déjà a ravi au maire en place les sièges de conseiller général et de député de la circonscription.

CHAPITRE II

La scène politique

Afin de faire apparaître en quoi l'institution politique communale constitue à la fois un centre de pouvoir et un centre de lutte de classe en rapport à la gestion politique de l'urbain, quatre éléments de transformation récente des structures de la ville étudiée ont donc été choisis, comme constituant autant d'enjeux quant à cette gestion politique. Mais, si l'IPC est effectivement articulée à des degrés et selon des modalités diverses aux éléments retenus, elle l'est aussi, structurellement, à la scène politique qui constitue actuellement en France le lieu privilégié de la lutte politique de classe C'est dire que notre objet (l'IPC comme centre de pouvoir et de lutte de classe) ne pourrait être atteint sans une analyse de la scène politique et une prise en compte de la conjoncture dans laquelle se situent les quatre enjeux, afin de connaître les contradictions politiques et la façon dont elles sont traitées d'un côté sur la scène politique et de l'autre à l'occasion de chacun des quatre enjeux particuliers.

1. CADRE THÉORIQUE POLITIQUE

1.1.

POUR

Q U ' E S T - C E QUE LA SCÈNE

L'ANALYSE

DE LA

SCÈNE

POLITIQUE?

D'une part, la scène politique doit être analysée dans le cadre du rapport de l'appareil d'Etat à la lutte politique de classe, et, d'autre part, les caractères qui constituent la scène politique doivent être saisis comme autant de conditions politiques posées par l'appareil d'Etat au fonctionnement de celle-ci. 1. Ce point important sera repris ci-dessous.

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Dans ce contexte, la scène politique apparaît bien, comme le propose N. Poulantzas, comme le « lieu privilégié de l'action ouverte des forces sociales au moyen de leur organisation partisane » 2 . Mais il est nécessaire d'être plus précis : il s'agit d'un lieu imposé par l'appareil d'Etat pour y organiser, fixer et limiter l'action ouverte des forces sociales dans un rapport appareil d'Etat - lutte politique contrôlé par l'idéologie dominante. Et ceci constitue une réponse à la contradiction principale présente dans le fonctionnement de l'Etat : étant Etat de classe et entretenant donc un rapport principalement répressif à la lutte politique de classe, il se présente comme expression du peuple-nation et garant de l'intérêt général de celui-ci ; il doit donc assurer la légitimation du monopole de classe de la violence dans l'intérêt général. La scène politique apparaît dès lors comme une partie de la scène idéologique, mais avec des traits tout à fait spécifiques. En effet, le caractère général de l'idéologie dominante, en ses différentes régions et dans les appareils idéologiques qui la constituent, est d'être « dépolitisée » : ainsi par exemple, la culture, l'enseignement, l'urbanisme, l'économie, etc. La scène politique, en revanche, de par ses fonctions même de fixation et de limitation de la lutte politique, est en rapport spécifiquement à la seule région « politique » de cette idéologie dominante, d'où la possibilité d'un développement particulièrement intense sur la scène politique des contradictions entre principe d'unité du pouvoir et autonomie relative des appareils idéologiques que sont les partis. Comment est assuré ce rapport à l'idéologie dominante (Etat = intérêt général) dans le fonctionnement de la scène politique ? Par les conditions fixées à ce fonctionnement, à savoir : — Le suffrage universel, qui fixe les individus par rapport à l'Etat en faisant abstraction de leur détermination en tant qu'agents de la production, pour organiser leur rapport à l'Etat en tant que personnes politiques, dépouillées de leur appartenance de classe. Par là, la domination politique de classe dans l'Etat est niée : la source de légitimité de l'Etat est l'ensemble des citoyens, formellement libres et égaux ; et le suffrage universel est le moyen de la participation à la communauté politique nationale, c'est-à-dire de la constitu2. Rappelons que la place d'une classe dans le procès de production, son existence en tant que force sociale, peut se réfléchir au niveau politique sans qu'elle dispose d'une organisation spécifique. Son action ouverte, ou déclarée, suppose par contre cette organisation spécifique, politique et idéologique, lui permettant d'entrer dans les rapports de pouvoir politique et est nécessaire à sa présence sur la scène politique.

La scène politique

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tion de l'unité politique de rapports sociaux économiques isolés 3. — La relative autonomie des organisations partisanes, qui signifie que les partis ne sont pas liés politiquement au pouvoir d'Etat, contrairement aux rapports entre branches de l'appareil d'Etat lui-même, mais idéologiquement dans la mesure où les partis doivent sur la scène politique se plier à la règle du jeu de la démocratie bourgeoise. Mais ces deux traits (suffrage universel et relative autonomie des partis), nécessaires au rapport individu-Etat, contiennent contradictoirement la possibilité de fonder sur le suffrage populaire et l'organisation partisane une représentation de classes ou fractions dominées. C'est ainsi qu'apparaît et se développe par exemple la social-démocratie au niveau de la scène politique. Historiquement, on constate au sein de la social-démocratie des scissions successives correspondant à autant de tentatives de constitution d'une organisation politique de la classe ouvrière plus autonome, c'est-à-dire à autant de tentatives de rupture avec l'idéologie politique dominante : l'autonomie consiste bien à quitter le terrain de l'idéologie, fixé par l'Etat, pour venir sur le terrain de la lutte réelle qui peut comporter le recours à la violence, contre la violence même de l'Etat. Au développement de cette contradiction, la classe ou fraction hégémonique oppose des réponses destinées à maintenir son pouvoir tant face à la lutte politique des classes dominées qu'à l'égard des autres classes ou fractions non hégémoniques : — La répression, si une organisation politique cesse de situer la lutte politique de classe sur la scène politique ainsi contrôlée par l'idéologie dominante, pour la situer sur le terrain politique dans un rapport de violence. On aboutit à la limite à l'Etat policier de type espagnol, apparaissant clairement comme appareil de classe. — Une articulation, entre elles, des branches exécutives de l'appareil d'Etat et des branches de cet appareil en rapport à la scène politique (le Parlement, l'IPC) qui assure la subordination de l'ensemble des branches à celles détenues par la classe ou fraction hégémonique. La modification de type de régime que représente en France le passage de la IVe à la Ve République est une illustration de cette réarticulation en fonction de la montée d'une nouvelle classe hégémonique 3. Cf. N . Poulantzas.

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et pouvoir

politique

et du décalage entre hégémonie et représentation parlementaire : face à un Parlement ayant joué sous la IVe République le rôle d'instance centrale de l'unité de l'Etat 4 , la nouvelle classe hégémonique impose comme nouvelle instance centrale le Président de la République, élu au suffrage universel, et la prépondérance de cet exécutif légitimé par la souveraineté populaire sur le Parlement 5 . Dans un deuxième temps, s'organise le contrôle de chefs politiques, du Président de la République et du chef du gouvernement, sur un parti et une entente de partis qui, sur cette base, deviennent majoritaires à l'Assemblée (nouveau bloc au pouvoir, avec nouvelle hégémonie). — Enfin, la mise en place de formes nouvelles de rapports idéologiques des agents à l'Etat, ignorant souvent le suffrage universel et l'idéologie politique pour se fonder sur des relations de « partenaires sociaux », et sur l'idéologie économique 6.

1 . 2 . REPRÉSENTATION PARTISANE ET CLASSES

L'important pour notre objet d'étude est ici de proposer les éléments d'analyse du rôle que remplissent les organisations partisanes selon les classes ou fractions qu'elles représentent. On a vu plus haut que toute classe ou fraction définie par sa place dans le procès de production n'est pas toujours dotée d'une organisation de pouvoir spécifique, mais n'est pas pour autant absente des rapports sociaux politiques. Au niveau de la scène politique, les organisations de pouvoir d'autres classes ou fractions modifieront éventuellement leur stratégie pour tenir compte de l'existence de ces forces sociales, en cherchant par exemple à se constituer comme leur représentation. 4. Rappelons, avec N . Poulantzas, que l'instance principale d e l'unité de l'Etat est celle o ù se concentre le rapport des deux principes d'unité de l'Etat : — Lieu o ù se constitue l'unité politique du bloc au pouvoir sous l'égide d e la classe o u fraction h é g é m o n i q u e . — Représentation de l'unité politique du peuple-nation, c'est-à-dire lieu où se réfléchit la souveraineté populaire. 5. N o m i n a t i o n du gouvernement par le Président, rôle essentiel de l'exécutif quant à l'initiative des lois, etc. 6. Commissions du Plan, projet de réforme du Sénat, Conseil é c o n o m i q u e et social, C O D E R et nouvelles assemblées régionales, commissions locales de PME, de S D A U . . . (sur ce point, c f . infra, chapitre V ) .

La scène politique

35

Cette éventualité permet de saisir un trait plus général, à savoir qu'il peut y avoir décalage entre intérêts objectifs des classes ou fractions et intérêts représentés sur la scène politique.

1.2.1. Le parti pour les classes

dominantes

Pour les classes et fractions dominantes, et spécialement pour la fraction hégémonique, c'est l'appareil d'Etat proprement dit qui joue le rôle dominant d'organisation de pouvoir politique de classe, tant dans leur rapport aux classes dominées que dans leurs rapports entre classes membres du bloc au pouvoir 7 . Dans ce contexte, les partis bourgeois apparaissent comme des organisations de représentation de classe beaucoup plus idéologiques qu'organisationnelles, au sens strict (au sens d'organisation du pouvoir de classe). Il s'agit principalement de courroies de transmission idéologiques assurant, à un double niveau, la légitimation de l'organisation de pouvoir de classe que constitue l'appareil d'Etat : — D'une part à l'égard des classes membres du bloc au pouvoir et des classes alliées ou appuis ; — D'autre part à l'égard de l'ensemble des citoyens, sur le thème central de l'Etat lieu d'unité du peuple-nation. Les organisations partisanes des classes ou fractions non hégémoniques du bloc au pouvoir, tout en contribuant à cette fonction de légitimation, peuvent toutefois, au niveau de la scène politique, jouer un rôle plus marqué d'organisation spécifique de telle classe ou fraction, pour assurer leur propre représentation : elles apparaissent alors sous la forme des fractions parlementaires, avec des ruptures possibles des ententes entre partis. Enfin, on doit noter ici que la division du travail entre les appareils idéologiques d'Etat que sont les partis peut produire la constitution de partis bourgeois spécialement destinés aux classes dominées. C'est historiquement, dans la formation sociale française, le cas de la social-démocratie au sein de laquelle des ruptures successives sont intervenues, séparant d'elle des noyaux organisationnels se reconstituant sur la base de partis de la classe ouvrière. 7. Ainsi, on a vu plus haut que la modification d'hégémonie récemment apparue en France s'est traduite avec la V e République par une réorganisation de l'appareil d'Etat, de telle sorte que l'organisation interne de celui-ci se fasse sous la domination de la branche détenue par la nouvelle classe o u fraction hégémonique.

36

Institution

communale

et pouvoir

politique

1.2.2. Le parti pour les classes dominées Pour les classes dominées par contre, les partis constituent les instruments principaux d'organisation de pouvoir politique. En effet : D'une part, la réalisation des intérêts de la classe ouvrière passe par l'existence d'une organisation autonome et donc par le primat de la lutte politique sur la lutte économique, avec nécessité de dominance du niveau d'organisation politique de la classe ouvrière sur son niveau d'organisation économique 8 . D'autre part, l'appareil d'Etat ne peut jouer pour les classes dominées le rôle d'organisation qu'il joue pour la bourgeoisie. Certes, des organisations partisanes se réclamant des classes dominées peuvent, en utilisant les contradictions contenues dans la démocratie bourgeoise (suffrage universel, pluralité des partis), obtenir des représentations parfois importantes, ou même majoritaires, dans les branches de l'appareil d'Etat en rapport avec la scène politique et le suffrage universel : Sénat, Assemblée et Municipalités. Mais il est clair théoriquement et confirmé historiquement (cf. 1936 ou 1945 en France) que le pouvoir d'Etat ne se partage pas, que le pouvoir politique des classes dominées ne s'accroît pas sur la base d'un grignotage de l'appareil d'Etat bourgeois. Faute d'une organisation politique autonome par rapport à cet appareil, fondée sur la rupture avec l'idéologie politique dominante, permettant alors d'utiliser la présence dans l'appareil d'Etat pour y exacerber les contradictions, il n'y a en effet dans cette présence dans les branches élues de l'appareil d'Etat que contribution à la reproduction de l'idéologie bourgeoise, conduisant à la désorganisation politique des classes dominées (cf. la social-démocratie).

1.3. LE

RAPPORT

DE

L'INSTITUTION

POLITIQUE

COMMUNALE

À

LA

SCÈNE POLITIQUE LOCALE

L'analyse du rapport entre IPC et scène politique locale passe par une connaissance du rapport existant entre l'IPC, branche de l'appareil d'Etat, et la branche centrale de cet appareil d'Etat 9 , rapport qui s'opère sur deux modes complémentaires : l'un s'analyse en termes de centralisation et de maintien de l'unité du pouvoir poli8. La situation inverse a été décrite par Lénine dans sa critique du TradeUnionisme. 9. C'est-à-dire, sous le régime de la V° République, le Président de la République et le Gouvernement (cf. supra).

La scène politique

37

tique 10 , l'autre en termes d'autonomie relative et de rapport à l'idéologie dominante.

I.3.1.

Unité du pouvoir politique et centralisation

On a vu plus haut, à propos du changement de type de régime de la IVe à la Ve République, que l'unité du pouvoir politique au sein de l'appareil d'Etat est assurée par le fait que l'organisation interne de l'appareil d'Etat (l'articulation de ses différentes branches) se fait sous la domination de la branche détenue par la classe ou fraction hégémonique n . Dans le cadre de cette centralisation nécessaire du pouvoir politique, l'IPC n'entretient pas avec la branche centrale de l'appareil d'Etat des rapports de nature fondamentalement différente de ceux qui lient un préfet au gouvernement : dans les deux cas la subordination à l'unité du pouvoir de classe existe ; pour le préfet, elle est totale, pour l'IPC, elle se réalise encore dans le cadre d'une plus grande autonomie administrative, liée notamment au caractère historique des « communes » mais étroitement limitée par l'encadrement juridico-financier imposé par l'appareil d'Etat central, système de règles et de normes qui organise son fonctionnement 12 . Ces règles et normes ne sont pas politiquement neutres : elles ont été imposées par les bourgeoisies successives qui ont exercé en France le pouvoir d'Etat. On peut d'ailleurs penser que, par un décalage fréquent entre le Droit et l'état des rapports politiques, l'essentiel des normes et règles organisant ce fonctionnement de l'IPC relève d'une phase de domination, dans la formation sociale française, de fractions de la bourgeoisie qui ont aujourd'hui perdu leur rôle hégémonique. Ce qui conduit le pouvoir d'Etat actuel à la fois à renforcer le caractère subordonné de l'IPC et à poursuivre, avec difficultés, sa réforme communale. Que des contradictions existent dans cet appareil d'Etat, qu'en se fondant notamment sur le décalage analysé ci-dessus et sur le caractère élu de l'IPC, des représentations de classe puissent ré10. Il doit être clair ici que la centralisation du pouvoir concerne l'unité du pouvoir politique, son unification au profit d'une olasse ou fraction et non la concentration technique du pouvoir de décision au sein d'une organisation, décrite sous les mêmes termes par la sociologie administrative classique. II. Cf. N. Poulantzas, Fascisme et dictature, Paris, Maspero, 1970, p. 337. 12. Ainsi la municipalité est tenue de prendre en charge et de financer un certain nombre de tâches imposées par l'Etat ; elle ne peut modifier le mode de prélèvement de l'impôt local, son autonomie d'investissement est étroitement limitée à la fois par la faiblesse même de ses ressources propres et par le contrôle de l'Etat sur l'accès aux emprunts, etc.

38

Institution

communale et pouvoir

politique

sister à la centralisation politique, nous allons l'analyser. Mais il est important de poser clairement auparavant ce fait : la structure de l'appareil d'Etat, la structure de l'IPC dans son rapport à la branche centrale de l'appareil d'Etat, fixent ici des limites à la pratique des représentations de classes présentes dans les Municipalités. Municipalités et bureaucraties ont ici pour fonction obligée d'être les agents de mise en œuvre des institutions d'un Etat de classe.

1.3.2. Autonomie

relative et rapport à l'idéologie

dominante

Mais, parallèlement, un rapport sur un autre mode s'établit entre l'IPC et la branche centrale de l'appareil d'Etat, fondé sur un recours commun à la légitimation populaire, sur une même mise en œuvre des principes de la démocratie bourgeoise. Le système électoral communal situe en effet les individus par rapport à l'IPC selon les mêmes principes qui organisent par ailleurs les rapports individus-Etat. La source de légitimité de la commune est présentée comme un ensemble de citoyens formellement libres et égaux, niant la domination politique de classe. Il y a bien dans ce cas, organisée par l'appareil d'Etat central, participation à la reproduction de l'idéologie dominante, ici plus précisément de l'idéologie juridicopolitique, dans sa fonction principale d'occultation du caractère « répressif » de l'appareil d'Etat 13 . L'IPC, comme toute branche de l'appareil d'Etat, fonctionne à la fois « à la répression », comme nous l'avons vu ci-dessus, et « à l'idéologie ». Nous repérons ainsi une autre limite opposée par l'appareil d'Etat à la lutte de classe au niveau de la scène politique locale, par la structure même de l'appareil d'Etat et de l'IPC, à savoir l'obligation de passer par le jeu de la démocratie bourgeoise, avec les effets idéologiques et politiques qu'en tirent les classes dominantes. Toutefois, ce nécessaire fonctionnement de l'IPC « à l'idéologie » autorise, comme pour les autres branches élues de l'appareil d'Etat, l'utilisation du suffrage universel comme facteur d'organisation de certaines classes en partis, et l'intervention de ces représentations de classe sur la scène politique. Celle-ci trouve donc ici une base locale spécifique pouvant rendre compte à la fois de décalages entre état des représentations partisanes (et de leurs ententes) sur la scène 13. On analysera par ailleurs les effets secondaires spécifiques qu'entraîne l'application à l'IPC des principes du suffrage universel : représentation spécifique d'intérêts de résidents-consommateurs, accent mis sur l'autonomie locale... (cf. infra, chapitre IV).

La scène politique

39

politique nationale et sur telle scène locale, et, au niveau d'une même ville, de variations dans la capacité des partis à se constituer comme représentation de classes selon que 1'« enjeu » des élections est local ou national. Il y a ainsi, dans le cadre des limites opposées à la lutte politique par les caractères structurels de l'appareil d'Etat et de l'IPC analysés plus haut, possibilité d'utilisation de l'IPC comme centre de résistance à la centralisation du pouvoir politique de la classe ou fraction hégémonique au niveau national. Et ceci à deux niveaux : — Sur le plan de la scène politique et idéologique, par l'utilisation de l'IPC comme moyen local de renforcement de l'organisation idéologique des agents 14 , et de leur regroupement sous la direction d'une représentation partisane (ou d'une entente partisane), apte à entrer dans des relations de lutte ouverte ou de compromis sur la scène politique avec les classes ou fractions détenant le pouvoir d'Etat. — Sur le plan de l'articulation de l'IPC à l'économique, par la volonté de défense par une Municipalité de certains intérêts des classes ou fractions non hégémoniques qu'elle représente, soit au niveau de la consommation collective, soit au niveau des conditions de survie des unités locales de production et d'échanges, dans le cadre de ses capacités d'intervention en la matière I5. Cette possibilité d'utilisation de l'IPC comme centre de résistance de représentations de classes non hégémoniques, à partir de son caractère de branche élue de l'appareil d'Etat, renvoie à la nécessité pour le pouvoir d'Etat de renforcer les instruments de subordination de l'IPC à la branche centrale de l'appareil d'Etat. Et ceci d'autant plus que, tant du fait de la structure actuelle du bloc au pouvoir que du jeu du suffrage universel, une forte proportion de Municipalités sont aujourd'hui dirigées par des représentations de classes ou fractions non hégémoniques, ou même de classes dominées, avec, par conséquent, un risque important de remise en cause de l'unité idéologique dominante et de l'identification nécessaire entre intérêt général et intérêts économiques de la fraction hégémonique. L'accentuation du caractère subordonné de l'IPC a été réalisée notamment à travers le réaménagement du rapport IPC - appareil 14. Pour une analyse des rapports entre IPC et appareils idéologiques d'Etat, c f . infra, chapitre VI. 15. Cf. infra, chapitre III.

40

Institution

communale

et pouvoir

politique

d'Etat qui a accompagné le passage de la IV e à la V e République. En même temps que l'instance centrale de l'unité de l'Etat passe du Parlement au Président de la République nommant et contrôlant l'exécutif, les communes voient leur relation à l'élection du Président de la République supprimée et ne sont plus désormais articulées, par les procédures électorales, qu'à un Sénat dominé dans un Parlement globalement diminué. Mais cet « abaissement » de l'IPC, répondant aux besoins d'accession dans l'appareil d'Etat de la nouvelle classe hégémonique, contribue contradictoirement, dans de nombreux cas, à renforcer l'utilisation qu'en font des représentations de classes ou fractions non hégémoniques comme centre de résistance politique, en relation à des organisations partisanes qui continuent à y trouver leurs bases locales. Enfin, la réarticulation de l'IPC à l'appareil d'Etat a, parallèlement, une autre dimension : dans les régions urbaines en expansion, l'IPC apparaît aujourd'hui comme structurellement incapable d'accompagner ce développement urbain, c'est-à-dire l'accumulation du capital, par une gestion technico-économique satisfaisante. D'où, à l'initiative de l'appareil d'Etat, la tentative de mise en place de nouvelles institutions politiques urbaines 1 6 mieux subordonnées à l'appareil central, auxquelles sont transférées des attributions de l'IPC, essentiellement en matière d'« urbanisme », mais non le caractère élu de celle-ci, la préférence étant donnée ici au développement de l'idéologie économique et à la concertation entre « partenaires sociaux ».

2. LA SCÈNE P O L I T I Q U E LOCALE : LES TROIS PHASES DE L ' É V O L U T I O N DES RAPPORTS DE FORCE SUR LA SCÈNE POLITIQUE

Nous de la à un tions

pouvons maintenant procéder à une observation et une analyse scène politique de la ville étudiée. Nous procéderons d'abord repérage de l'évolution des rapports de force entre organisapartisanes sur cette scène, tels qu'ils apparaissent au niveau

16. Qu'il s'agisse soit d'organismes purement « administratifs », tels que les O R E A M , G E P o u missions de villes nouvelles, o u intercommunaux travaillant alors en liaison avec ces derniers, tels que agence d'urbanisme, c o m m i s s i o n d e PME, c o m m i s s i o n s de S D A U , etc. (cf. infra, chapitre V ) .

La scène politique

41

phénoménal, évolution qui passe par trois phases successives, de la Libération à aujourd'hui. De cette observation naît une série de questions, qui s'ordonnent autour de deux axes : pourquoi constatet-on un affaiblissement d'ensemble de la « gauche » ? Pourquoi l'évolution aboutit-elle, aujourd'hui, à une domination politique locale de la « droite » marquée par une lutte interne à celle-ci sur le plan de la représentation locale (IPC) et nationale (député) ? Pour répondre à ces questions, nous nous référerons aux éléments théoriques proposés ci-dessus, en les enrichissant. Nous devrons également apporter les informations disponibles sur les rapports entre scène politique et terrain. Et c'est, ainsi recherchée, la réponse à ces questions qui permettra de saisir les conditions d'apparition de la conjoncture actuelle, et la nature même de cette conjoncture.

2 . 1 . D E LA DIVISION DE LA GAUCHE À LA TROISIÈME F O R C E :

1945-

1953 Au lendemain de la Libération, les premières élections font renouer la ville avec une tradition, établie depuis cinquante ans, de domination électorale de la gauche 17 : en 1945 la ville est prise en main par une liste issue de la Résistance, et les trois élections législatives de 1945 et de juin et novembre 1946 marquent une nette domination de la gauche socialiste et communiste 1S, face au MRP et aux Républicains Indépendants.

PC UDSR (45) RGR (46) SFIO Radicaux MRP Républicains Indépendants

1945

Juin 1946

37,6

33,6

35,8

18,0

11,9 14,5 1,8 26,8 9,6

17,4 10,9



3,0 36,6 —

Novembre

1946



25,2 10,8

Toutefois, dans le cadre de cette domination de la gauche sur la scène politique, un renversement s'est produit, qui va être lourd de conséquences dans l'avenir quant aux stratégies d'entente des 17. Municipalité de gauche depuis 1896. Législatives de 1936, au second tour, 61,4 % des voix à S F I O / P C (cf. annexe I). 18. Qui recueille 58 %, 61 % et 64 % des suffrages.

42

Institution

communale

et pouvoir

politique

organisations partisanes : alors qu'avant-guerre la social-démocratie dominait de loin l'entente de gauche 19, c'est maintenant le PC qui rassemble le plus fort pourcentage des voix. La social-démocratie se trouve de plus scindée en deux : à côté de la SFIO absente en 1945 20 et qui réapparaît en 1946 avec des scores faibles, se développe l'UDSR-RGR. A partir de cette situation, on assiste en quelques années à une modification profonde des rapports de force et de l'état des ententes sur la scène politique. Au niveau de la municipalité, en effet, dès 1947, la liste unique d'entente proposée aux électeurs à la Libération fait place à quatre listes concurrentes : le PC (un tiers des sièges), la SFIO et le MRP (chacun un sixième) et un nouveau pôle de regroupement qui s'est constitué sous le titre de Rassemblement des forces républicaines et qui obtient également un tiers des sièges. En 1953, c'est autour de ce nouveau pôle que s'organise officiellement la municipalité 21 . Animé par un conseiller élu dès 1945, conseiller général depuis 1951, rassemblant des éléments venus de l'UDSR, du MRP et des Indépendants, ce groupe obtient 12 des 33 sièges et se réserve la place de premier adjoint, tout en laissant celle de maire (comme en 1947) à la SFIO. Celle-ci ne dispose pourtant que de six sièges, mais son appui est indispensable pour s'assurer la direction d'une Municipalité hétérogène où le PC compte encore 10 sièges sur 33. Ainsi l'ensemble de la social-démocratie est dès lors officiellement liée au Centre, et la SFIO coupée du PC 22. Les législatives de 1951 et 1952 jalonnent et confirment cette évolution: dès 1951, la gauche se révèle en effet minoritaire et la tendance se confirme en 1952 23. Par contre, l'entente MRP-UDSRIndépendants recueille 25 % des voix en 1951 et 56 % en 1952.

19. 51,5% des voix au premier tour des législatives de 1936, contre 13,8% au PC (cf. annexe I). 20. Pendant l'occupation, c'est le maire SFIO en place à la veille de la guerre qui a été reconduit dans ses fonctions, en tant que Maire nommé, par le régime de Vichy. 21. Il porte alors l'étiquette de Rassemblement républicain d'action municipale. 22. Alors que les résultats en nombre de sièges rendent encore mathématiquement possible une domination de la gauche communiste, socialiste et radicale sur la municipalité (cf. annexe II). 23. En 1951, PC : 33 %, Bloc des gauches (Socialistes et radicaux) : 13 %. En 1952, au second tour, PC : 38,5 %, gauche sociale et démocrate : 5,2 %.

La scène politique

2.2. DE

LA TROISIÈME

DE RÉGIME

FORCE AUX CONSÉQUENCES

43

DU CHANGEMENT

: 1953-1958

Ces quelques années sont d'abord marquées par le développement de cette nouvelle coupure sur la scène politique locale entre une représentation ouvrière isolée (PC) et une entente centriste intégrant la social-démocratie. A la Mairie, à la suite des municipales de 1953, la direction politique effective est assurée, derrière le maire SFIO, par le conseiller général - 1 er adjoint, leader du bloc UDSR-MRP-Indépendants. Aux législatives de 1956 encore, dans un contexte national qui renforce l'impact de la social-démocratie, les listes en présence opposent classiquement PC (26 %), Union des Gauches (socialistes et radicaux 21 %) et des listes UDSR, MRP et Indépendants qui, au total, recueillent 3 0 % , compte tenu de l'irruption temporaire sur la scène politique de l'UDCA (Poujadistes, 12,8 %). A droite, il n'existe plus de concurrence gaulliste, depuis la liquidation du RPF 24. Mais le changement de régime, en 1958, modifie profondément la situation. Aux législatives de 1958 en effet, le second tour voit s'affronter une liste PC et deux listes de droite : l'une conduite par le premier adjoint de la municipalité, qui a appelé à voter oui au référendum constitutionnel et qui emporte le siège de député grâce notamment à un report de voix sociales-démocrates du premier tour, l'autre présentée par l'UNR, ces deux listes totalisant ensemble 76 % des voix au second tour. Législatives

de 1958

1" tour

2 e tour

20,3 3,5 12,5

23,5 — —

36,1 22,9 4,7

44,4 élu 31,7 —

PC UGS-UFD SFIO Rassemblement républicain (liste du 1er adjoint) UNR UDCA

C'est ici le début, provoqué par le changement de régime, d'une nouvelle phase marquée par la domination d'une droite divisée 24. Les Républicains sociaux obtiennent 2,7 %.

44

Institution

communale

et pouvoir

politique

en deux représentations concurrentes. A gauche, la seule force notable demeure le PC ; la social-démocratie étant elle-même divisée entre une SFIO fortement anti-communiste qui reporte ses voix sur la droite, et un faible noyau UGS-UFD créé en réaction à cette orientation de la SFIO.

2 . 3 . L A LUTTE AU SEIN D'UNE DROITE DOMINANTE :

1958-1971

Au cours de cette dernière période, les stratégies des organisations partisanes se situent donc toutes par rapport à ce fait majeur qui domine désormais la scène politique locale : la rivalité entre deux types de représentation de droite, dans le cadre d'une domination permanente de la droite.

2.3.1. Pendant

les premières

années

C'est la représentation de droite localement dominante sous la IV e République qui maintient sans partage sa suprématie. Aux municipales de 1959, en effet, la liste du Rassemblement républicain est élue à la Mairie : son leader, premier adjoint de la municipalité sortante, déjà conseiller général et député, devient maire, à la tête d'un conseil homogène. Fait notable, ce résultat est obtenu après avoir rejeté l'alliance de la SFIO et malgré l'absence de soutien de l'UNR 2 5 . Aux législatives de 1962, le député-maire conserve aisément son siège au second tour, face aux candidats de l'UNR et du PC 2 6 . Enfin les municipales de 1965 maintiennent à la Mairie l'équipe en place 27 . La représentation gaulliste pendant ces premières années se révèle donc incapable de concurrencer sérieusement la représentation de droite localement dominante. Fait significatif, cette faiblesse est plus 25. La SFIO, contactée pour participer à une liste unique de la gauche au deuxième tour, refuse et négocie, en vain, avec le Rassemblement républicain pour maintenir sa présence à la Mairie. Ainsi isolée, elle se retire purement et simplement, sans consignes de vote. Quant à l'UNR, c'est de sa part que vient le refus de participation à une liste unique avec le Rassemblement républicain au deuxième tour. (Cf. Annexe II, les résultats des différentes listes.) 26. Maire sortant : 47 %, UNR : 21 %, PC : 32 %. 27. Avec 62 % des suffrages, contre 38 % à une liste de gauche.

La scène politique

45

nette au niveau des municipales qu'à celui des élections nationales (législatives ou présidentielles) Quant à la gauche, les ententes qui s'établissent ou non en son sein paraissent commandées par les avatars de la social-démocratie. Le PC, en effet, poursuit régulièrement sa stratégie d'union de la gauche au second tour des élections, municipales ou législatives : aux municipales de 1959, nous avons vu qu'il se heurte au refus de la SFIO, finalement rejetée également par la droite 29 . Par la suite, la SFIO affaiblie, coupée de la Mairie, se désiste pour le PC au deuxième tour des législatives de 1962. Elle participe ensuite à la liste unique de la gauche pour les municipales de 1965, liste dans laquelle le PC cède à la SFIO, malgré les faibles scores électoraux de celle-ci la place de maire éventuel. Dans ce contexte, la tentative de développement d'une organisation social-démocrate rénovée, en opposition à la SFIO, se poursuit, mais son impact demeure faible: l'UGS-UFD se présente aux législatives de 1958 31 et aux municipales de 1959 11. Ce courant se retrouve aux législatives de 1962 sous l'étiquette du PSU 33 et participe aux municipales de 1965 à la liste commune PC-SFIO-PSU.

2.3.2. Les élections première période

législatives

de 1967 marquent

la fin de

cette

Désormais la droite continue à dominer largement la scène politique locale, mais le courant gaulliste s'affirme fortement. Il s'appuie sur un candidat envoyé par l'appareil national de l'UDR et se référant fortement aux liens qu'il entretient avec l'appareil d'Etat central. Ce courant remporte des victoires sur l'autre forme de représentation proposée par la droite : en 1967, en effet, l'UNR enlève le siège de député à la suite d'une élection opposant jusqu'au deuxième 28. Au premier tour des municipales de 1959, l'UNR recueille 2 000 voix contre 6 700 au Rassemblement républicain, et elle est absente de la compétition en 1965. Elle réunit par contre 21 % des voix aux législatives de 1962, et les élections présidentielles de 1965 donnent au premier tour 38 % des voix à De Gaulle contre 22 % au total aux candidats centristes et indépendants (Lecanuet et Marcilhacy). 29. Elle recueille 2 700 voix au premier tour, contre 6 000 au PC (cf. annexe). 30. Au premier tour des législatives de 1962, 8 % des voix. 31. Avec 3,5 % des voix au premier tour, contre 20,3 % au PC et 12,5 % à la SFIO. 32. Avec 1 100 voix au premier tour, contre 6 000 au PC et 2 700 à la SFIO. 33. Avec 5,9 %. PC : 24,6 % ; SFIO : 8,2 % ; désistement pour le PC au second tour.

46

Institution

communale

et pouvoir

politique

tour UNR, Rassemblement Républicain (le député maire sortant) et PC.

Législatives

PC Courant F G S D Rassemblement républicain UNR-UDR

de 1967

Législatives

de

1968

1" tour

2 e tour

1" tour

2 e tour

26,8 12,6 29,1 31,5

37,1

21,0 18,9 21,8 38,5

38,7



23,0 39,7 élu

— —

61,3 élu

L'année suivante, après les « désordres » de mai 1968, le député UDR conserve aisément son siège au deuxième tour, seul face au PC 3 4 : compte tenu du rapport des forces après le premier tour, le Rassemblement républicain se retire en effet cette fois au second tour afin d'éviter le risque d'élection du candidat de la gauche. Par contre, au référendum de 1969 sur la réforme de la Région et du Sénat et aux élections présidentielles qui le suivent, le conflit au sein de la droite réapparaît nettement au niveau des résultats : au référendum le non l'emporte avec 58 % des suffrages ; aux présidentielles G. Pompidou recueille au premier tour 42 % des voix et Poher 24 % 35. Enfin, aux municipales de 1971, le député UDR arrive en tête au premier tour et le maire sortant n'est réélu que de justesse au deuxième tour. Encore a-t-il dû pour cela d'une part, avant ces élections, faire alliance avec la SFIO qu'il avait exclue de la mairie auparavant, et d'autre part bénéficier sans doute d'un fort report de voix de gauche au second tour 36 .

Municipales 1" tour PC-PSU Maire sortant + UDR

SFIO

25,9 34,2 39,8

de

1971 Τ

tour 18,9 41,5 39,4

34. Avec 61,3 % des voix ; PC : 38,7 %. 35. PC : 23 %, parti socialiste : 4,5 %, PSU et Ligue Communiste : 4,8 % au total. 36. Seule une étude détaillée des abstentionistes aux premier et deuxième tours permettrait de façon sûre de chiffrer ce report.

La scène politique

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On constate ainsi, dans les années récentes, une nette et constante domination de la droite, doublée, depuis 1967-1968, d'un décalage de représentation au niveau de l'institution municipale et du Parlement, résultat des luttes qui se déroulent au sein de la droite. Ce sont, dans les dernières années, ces luttes internes à la droite qui constituent l'opposition principale sur la scène politique locale, hormis en 1968 où l'opposition principale bourgeoisie - classe ouvrière a repris le dessus, scellant l'entente momentanée des partis bourgeois, pour le temps d'une élection. A gauche, le PC reste l'organisation politique dominante, ces dernières années, mais demeure dépendant, sur la scène politique locale, des évolutions de la social-démocratie : après la baisse forte d'influence qu'a connue la SFIO 37, une tentative de réorganisation du courant social démocrate sur une base du type FGDS se développe à l'occasion des législatives de 1967 et 1968 L'objectif poursuivi (dépasser le PC au premier tour, pour obtenir son désistement au second) est presque atteint en 1968 39 . Mais ce regroupement éphémère éclate presque aussitôt : à nouveau un noyau cherche à développer une organisation plus autonome, autour du PSU, qui se retrouve avec quelques scissionnistes du parti socialiste sur une liste commune avec le PC pour les élections municipales de 1971. L'autre branche de cette entente éphémère, et notamment la SFIO, choisit par contre de faire liste commune avec le maire sortant.

3. LA SCÈNE POLITIQUE LOCALE : CONJONCTURE ACTUELLE A ROANNE

ANALYSE

DE

LA

Les interventions de la Municipalité dans les secteurs retenus pour notre étude se réfèrent bien sûr aux contradictions internes à ces secteurs (problèmes du logement, de l'industrialisation, de l'encadrement idéologique, de la gestion politique). Mais la Municipalité n'agit pas pour autant comme un simple organisme technocratique, politiquement 37. Exclusion de la mairie depuis 1959, 8 % des voix aux législatives de 1962. 38. En 1968, ce courant, patronné par un Centre de renouveau de la gauche local et soutenu par P. Mendès-France, présente comme candidat un avocat radical avec suppléant PSU, et regroupe le PSU {critiqué par la direction nationale), la SFIO, les radicaux, des syndicalistes de la FEN et de la CFDT. 39. 18,9% des voix contre 2 1 % au PC (en 1967, respectivement 12,6% et

26,8 %).

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inexistant, uniquement préoccupé par les intérêts économiques ou idéologiques des classes qu'elle représente. L'hypothèse centrale que se propose de vérifier cette étude est que les interventions de la Municipalité se réfèrent en dernière analyse aux intérêts politiques qu'elle représente, dans les limites des capacités d'intervention et du caractère de classe de l'IPC ellemême. En conséquence, la signification sociale des opérations urbaines qui résultent de ces interventions ressort d'une analyse préalable des principales contradictions que cherche à traiter le pouvoir politique local dans une conjoncture donnée 4 0 . On procédera donc ici à l'analyse de cette conjoncture, à partir des questions que l'approche historique des rapports de force sur la scène politique a permis de dégager.

3.1.

L'AFFAIBLISSEMENT

D'ENSEMBLE

DES

REPRÉSENTATIONS

PARTI-

SANES « DE GAUCHE »

L'affaiblissement d'ensemble des représentations partisanes de « gauche » résulte d'une triple série d'éléments : 1) l'affaiblissement de la social-démocratie traditionnelle et le renversement du rapport de force interne à la gauche en faveur du PCF, 2) dans ce cadre, l'échec des tentatives d'entente d u PCF avec la social-démocratie, et 3) enfin, les difficultés d'émergence d'une social-démocratie rénovée et d'une extrême gauche.

3.1.1. La double incapacité de la social-démocratie dans la conjoncture locale à fonctionner comme parti dominant au pouvoir, ou comme parti dominant d'opposition, la conduit à une totale désagrégation organisationnelle L'analyse de la social-démocratie locale est centrale pour comprendre l'affaiblissement général des représentations partisanes de gauche. Pour mener cette analyse, on doit répondre à une double question : quelles sont les contradictions inhérentes à la social-démocratie ? Pourquoi tendent-elles à s'exacerber dans la conjoncture roannaise ? 40. La conjoncture ou « moment actuel » est Γ« objet de la pratique politique et lieu privilégié où se réfléchit l'individualité historique toujours singulière d'une formation, c'est la situation concrète de la lutte politique de classe », N . Poulantzas, Pouvoir politique et classes sociales, Paris, Maspero, 1971, p. 96.

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3.1.1.1. Les contradictions inhérentes à la social-démocratie On a situé la social-démocratie comme l'organisation bourgeoise traditionnellement destinée aux classes dominées, à partir de laquelle contradictoirement se détache l'organisation autonome de la classe ouvrière (cf. le Congrès de Tours). On se trouve dès lors très schématiquement face à une double contradiction. D'une part, en tant que parti bourgeois, la social-démocratie se constitue pour l'exercice du pouvoir dans l'appareil d'Etat de classe (et non pour la lutte de classe contre l'appareil d'Etat). Mais sa présence au pouvoir (au niveau central comme au niveau des institutions politiques locales) ne peut résulter que d'une situation de crise politique remettant en question la cohésion de la formation sociale et nécessitant de la part de la bourgeoisie un compromis idéologique avec les classes dominées (cf. le Front populaire, Mendès-France en 1954, le Front républicain en 1956, l'entente avec le gaullisme en 1958, les propositions mendésistes dans le plus aigu de la crise de 1968, etc.). Devant l'absence de perspectives de « pouvoir central » les IPC deviennent donc des enjeux d'importance, comme centre d'organisation de la social-démocratie. D'autre part, pour fonctionner comme organisation bourgeoise destinée à la classe ouvrière, la social-démocratie se doit non seulement de « gagner les élections », mais de les gagner « sur le PCF ». En effet, le problème posé ici à la bourgeoisie est celui de la représentation idéologique des classes dominées : ce problème ne peut être traité par la social-démocratie que dans un rapport d'« unité » au PCF. On entend par là que, pour que la social-démocratie apparaisse à la classe ouvrière comme sa représentation dans l'appareil d'Etat, elle doit entraîner le PCF si possible à participer à une entente qu'elle domine, ou au moins à ne pas dénoncer son caractère bourgeois. La réduction de cette contradiction nécessite un rapport de force électoral favorable à la gauche sur la scène politique, doublé d'un rapport de force interne à la gauche favorable à la social-démocratie. L'exacerbation de cette contradiction correspond au contraire à l'incapacité pour la social-démocratie de réaliser ces deux objectifs à la fois. En effet, si la participation au pouvoir (central ou local), premier objectif, exclut pour des raisons de conjoncture ou de régime une entente avec le PCF, la social-démocratie va se présenter comme parti purement bourgeois dans le cadre d'ententes de troisième force. Elle se trouvera dès lors incapable de prétendre représenter idéologiquement les classes dominées. Ce faisant, ne remplissant pas son rôle de parti social-démocrate, elle perdra son influence idéologique sur la classe ouvrière, au profit du PCF, ce qui ne se fera pas sans

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crise interne pour l'organisation (cf. la constitution d'organisations social-démocrates en rupture avec la SFIO : PSA, UGS, PSU, Clubs, Convention des institutions républicaines, etc.). Si, par contre, la social-démocratie refuse de participer au pouvoir en vue d'éviter la rupture du rapport d'unité au PCF, elle se prive de l'appareil d'Etat comme instrument d'organisation de pouvoir et se trouve doublement affaiblie vis-à-vis du PCF et des nouvelles initiatives social-démocrates de la bourgeoisie. 3.1.1.2. L'exacerbation des contradictions internes à la socialdémocratie dans la conjoncture locale La social-démocratie (parti SFIO, parti Radical-Socialiste) sort affaiblie de la période de Vichy. Mais autant la situation de crise politique qui suit la Libération que la conjoncture locale favorable aux forces de gauche indiquent que l'antagonisme de classe reste dominant sur la scène politique locale. La social-démocratie se présente encore pour la bourgeoisie comme la solution de compromis idéologique avec les classes dominées, compromis nécessaire au maintien de la cohésion sociale : la Municipalité de 1947 est une Municipalité de gauche, sous la direction de la SFIO, par délégation de représentation du PCF dominant pourtant fortement la socialdémocratie sur le plan électoral. La rupture de l'entente de gauche après 1947, qui résulte de la crise internationale (Yougoslavie, guerre froide) et nationale (gouvernement Ramadier), a d'autant plus d'acuité sur la scène politique locale que la social-démocratie est ici dominée par sa tendance la plus droitière, les éléments de gauche de la SFIO ayant rejoint le PCF dès avant la guerre. La social-démocratie qui n'a plus qu'une très faible influence sur les classes dominées est encore un fanion nécessaire à la bourgeoisie dans la conjoncture locale de lutte politique de classe. Il lui sera donc laissé aux élections municipales de 1953, dans le cadre d'une entente de troisième force, la place de Maire, dans une Municipalité où le pouvoir est en fait tenu, vu l'importance de sa liste « centriste », par le premier adjoint. Dès lors, la social-démocratie traditionnelle se trouve immobilisée par ses propres contradictions. Ne fonctionnant plus comme parti social démocrate, elle ne fonctionne pas non plus réellement comme parti au pouvoir dans l'entente de troisième force. Malgré le contexte national favorable à la social-démocratie en 1956, c'est le PCF qui gagne les élections législatives ; malgré la division interne de la bourgeoisie aux élections municipales de 1959, la liste centriste peut se passer de toute entente électorale avec la SFIO, pour gagner la Municipalité.

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Les diverses tentatives de réunification de la gauche, impulsées par la scène politique nationale de 1965 à 1970, vont amener la SFIO locale à se resituer, pour un temps, dans le cadre de l'unification de la gauche. Mais son insuccès, c'est-à-dire autant son incapacité dans ce cadre à renverser le rapport de force interne à la gauche, favorable au PCF, que l'impossibilité de renverser le rapport de force sur la scène politique, favorable à la droite, la conduit à une quasi-disparition organisationnelle : la section locale n'existe pratiquement plus en 1970. La reconstitution de l'organisation se pose alors pour le dernier carré d'adhérents en terme de participation au pouvoir, l'I PC devenant l'instrument d'organisation. L'exacerbation des luttes internes à la bourgeoisie rend cet appui nécessaire à la liste « centriste ». Le PS local est donc ramené à fonctionner comme parti bourgeois proprement dit.

3.1.2. Le Parti communiste

français

La faiblesse de la représentation social-démocrate sur la scène politique et son anticommunisme rendent inopérante la stratégie de démocratie avancée, alors que celle-ci bloque par ailleurs toutes perspectives de luttes politiques autonomes de la classe ouvrière. La stratégie de démocratie avancée du PCF situe la lutte politique des classes dominées sur la scène politique telle qu'elle est constituée par l'appareil d'Etat, c'est-à-dire conduit le PCF à privilégier les luttes électorales (le suffrage universel comme facteur constitutif de la scène politique). Dans le cadre d'une telle stratégie, le problème de l'alliance des classes dominées est subordonné à celui de l'entente entre organisations partisanes sur la scène. Principalement la stratégie du PCF suppose une entente avec une social-démocratie forte et refusant le rôle de parti bourgeois (anti-communisme), en vue d'ouvrir des perspectives de victoire électorale qui n'entameraient pas pour autant le monopole de représentation organisationnelle de la classe ouvrière par le PCF. Dans le cas présent, le PCF se heurte donc à la quasi-disparition de la social-démocratie traditionnelle de la scène politique et à ses tentatives de reconstitution comme parti bourgeois. Son premier problème sera donc celui du renforcement d'une social-démocratie sur des bases d'entente de gauche : il ira jusqu'à céder aux municipales de 1965 la place de maire à une SFIO électoralement affaiblie. Il appuiera au niveau de la circonscription le renforcement du « courant Savary » favorable à une unité avec le PCF, contre le

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courant municipaliste dominant dans la ville centrale. Mais ces tentatives n'ont pas encore connu de succès. Or la stratégie de démocratie avancée — et c'est la contradiction principale du révisionisme — nécessite l'abandon d'une pratique de lutte ouverte contre l'appareil d'Etat, l'affaiblissement de la lutte idéologique, le freinage des luttes sociales en vue de l'utilisation électorale d'un climat social de mécontentement. Cette contradiction se traduit ici concrètement par l'affaiblissement de l'intervention du PCF dans les luttes et les organisations de masse, en d'autres termes, par une « dépolitisation » de la classe ouvrière. Notamment, les luttes syndicales ne sont que partiellement reprises au niveau politique, et surtout le mécontentement social (logement, équipements, école, etc.) n'est traduit politiquement qu'en période électorale. Par ailleurs, l'axe antimonopoliste de la pratique du PCF se trouve relativement décalé par rapport à la dominance locale d'une bourgeoisie industrielle moyenne, alors que dans les luttes concrètes la classe ouvrière s'affronte directement à cette dernière. En conclusion, l'échec des tentatives d'entente avec la socialdémocratie traditionnelle empêche toute domination électorale de gauche sur la scène politique. Comme par ailleurs la stratégie de démocratie avancée réduit toute autre forme d'action déclarée pour le PCF, il se produit un décalage entre les intérêts de la classe ouvrière et leur représentation sur la scène.

3.1.3. Les difficultés d'émergence d'une extrême-gauche

d'une social-démocratie

rénovée et

Les mouvements de rénovation de la social-démocratie ou d'autonomisation de la représentation des intérêts de la classe ouvrière trouvent leur origine dans les contradictions internes à la social-démocratie et secondairement au PCF. On constate effectivement sur la scène politique locale ce double mouvement : le PSU local a été primitivement formé d'éléments en rupture avec la stratégie nationale de la SFIO (cf. la guerre d'Algérie). La rénovation prend même une configuration locale, par la constitution en 1967 d'un Centre de renouveau de la gauche. Le PSU, après 1968, connaîtra une phase d'autonomisation relative vis-à-vis d'une pratique purement électorale. Enfin, de mai 1968 émerge, par ailleurs, une frange de militants d'extrême-gauche, prenant, dans un premier temps, leurs distances vis-à-vis du PCF. Mais ces tentatives auront finalement peu de répondant : le

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Centre de renouveau de la gauche se disloque rapidement. L'extrêmegauche ne s'organise pas, certains militants rejoignant le PCF, d'autres abandonnant toute pratique politique. Seul le PSU reste finalement présent sur la scène politique appuyant d'une part quelques initiatives de luttes autonomes, et procurant d'autre part au PCF une alternative d'entente électorale autre que la SFIO (élection municipale de 1971). Cette crise des organisations partisanes d'opposition sur la scène politique locale ne signifie nullement que les classes dominées ne se trouvent pas affrontées sur le terrain à des problèmes économiques, politiques, idéologiques cruciaux (par exemple, crise de l'emploi, du logement, manque d'équipements, salaires, rapports sociaux de production, etc.). Elle traduit le décalage entre les représentations de leurs intérêts sur la scène politique, et ces intérêts proprement dits : en d'autres termes, ces intérêts ne se voient pas « réalisés » sur la scène politique. Il en résulte d'une part un climat de défaitismedésengagement, d'autre part un rapport de force favorable aux organisations partisanes de droite qui tentent, par un certain gauchissement de façade, de s'assurer la capacité de représentation idéologique des classes dominées.

3 . 2 . CONSÉQUENCES

DE

L'AFFAIBLISSEMENT

DES

REPRÉSENTATIONS

PARTISANES DE GAUCHE

L'affaiblissement des représentations partisanes de gauche fait passer sur la scène politique locale les contradictions internes à la bourgeoisie comme contradictions principales.

3.2.1. Sous la IVe République se dégage progressivement de l'entente municipale de troisième force une représentation politique de la bourgeoisie locale On a noté que, dès la période unitaire qui a suivi la Libération, s'organise, sur la scène politique locale, autour du maire actuel, un groupe de conseillers municipaux centristes. Déjà en 1953, c'est ce groupe qui obtiendra le plus grand nombre de sièges de conseillers et la place de premier adjoint. En 1958, le premier adjoint enlève au PCF le siège de député. Enfin, aux élections municipales de 1959, il prend à la SFIO la place de Maire. Comment s'explique la constitution et la position do-

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minante que prend sur la scène politique la représentation actuellement en place des intérêts de la bourgeoisie ? Une première série d'éléments négatifs, se réfèrent à l'affaiblissement de l'action déclarée des classes dominées du fait des contradictions, analysées plus haut, immobilisant leurs organisations politiques. Le recul de la lutte de classe rend l'alternative socialdémocrate moins nécessaire à la bourgeoisie, pour le maintien de la cohésion dans l'unité urbaine considérée. La SFIO se présentait en effet comme le moindre des maux dans une période de luttes de la classe ouvrière locale où par ailleurs l'unité de la gauche aurait pu amener le PCF à la tête de la Municipalité. Dans la mesure où ces dangers s'éloignaient, la bourgeoisie pouvait s'affirmer plus directement au pouvoir. De plus, la SFIO, minée par ses contradictions internes, se trouve immobilisée dans le cadre de l'entente de troisième force et donc incapable de s'opposer à l'hégémonie locale, dans l'entente de troisième force, de la liste « centriste ». Mais si ces premiers éléments laissent « la place libre » à la bourgeoisie, ils n'expliquent pas que celle-ci se soit finalement donné dans l'IPC une représentation politique particulière. Il faut faire intervenir ici le problème de la réalisation, au niveau de la gestion urbaine, des intérêts économiques de la moyenne bourgeoisie locale : dans la mesure où la cohésion locale ne se trouve plus politiquement menacée, c'est la réduction de la crise au niveau de la reproduction économique du cadre urbain (logement, équipements d'infrastructure, équipements scolaires et sociaux), qui devient pour un temps l'objectif principal de la bourgeoisie locale. Le premier adjoint dans la Municipalité élue en 1953 se présente à ce niveau comme 1'« homme fort » apte à réaliser efficacement ces intérêts 41 . L'IPC est ici le lieu de constitution et d'organisation d'une représentation politique des intérêts de la moyenne bourgeoisie locale. L'équipe municipale actuelle n'appuiera son pouvoir sur aucune organisation partisane, quelles que soient les étiquettes centristes successives qu'elle se donnera : on ne trouve pas ces organisations sur la scène politique locale 42 . C'est l'IPC qui constituera cette équipe comme représentation politique dominante de la bourgeoisie locale sur la scène politique. C'est également l'IPC qui sera le fondement de l'alliance de cette dernière avec l'importante petite bourgeoisie 41. Il fut élu en grande partie sur le problème du logement : par ailleurs, ses entrées dans les administrations centrales (il a été au Cabinet d'un ministre de la Construction et du logement) devraient assurer une certaine efficacité à ses entreprises. 42. A part l'UDR, on ne trouve pas à Roanne de partis de droite structurés.

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commerçante locale. Le maire actuel assure donc, au travers de l'IPC, à la fois l'unité politique de cette bourgeoisie et la cohésion sociale dans l'espace urbain considéré. Ces deux points expliquent les difficultés locales des gaullistes sous la I V e République (RPF, républicains sociaux) : sur un plan économique, la moyenne bourgeoisie locale n'a pas intérêt à appuyer une transformation de l'appareil productif (concentration, monopolisation), une remise en question du protectionnisme et des privilèges coloniaux (cf. les marchés du tissage), un aménagement régional en faveur des grandes métropoles (Lyon), une évolution des rapports sociaux de production (remise en cause du paternalisme par la reconnaissance des organisations syndicales comme partenaires sociaux). Sur le plan politique, les gaullistes, en proposant une alternative de régime (une modification d'hégémonie dans le bloc au pouvoir), se heurtent à l'appareil d'Etat central comme lieu d'organisation politique d'un bloc au pouvoir où la fraction monopoliste de la bourgeoisie n'est pas encore hégémonique. Ici ils ne peuvent s'appuyer sur l'IPC pour se constituer en représentation politique de la bourgeoisie locale, mais au mieux ils peuvent tendre à exacerber les contradictions internes à cette bourgeoisie. L'IPC a donc joué à plein son rôle d'organisation de pouvoir de la classe localement dominante : ce n'est pas sur la scène politique proprement dite, c'est-à-dire au niveau des rivalités et ententes partisanes, que le maire actuel a affirmé sa capacité de représentation politique de la bourgeoisie, par la mise en place d'une organisation partisane effective revendiquant la municipalité ou le siège de député. C'est dans l'appareil municipal lui-même qu'il se dégage et qu'il dégage son équipe, en utilisant les contradictions internes à l'entente de troisième force préalablement dominée par la social-démocratie traditionnelle. C'est aussi en s'appuyant sur cet appareil qu'il assure son pouvoir : notamment le siège de député lui revient en 1958 non du fait de son appartenance à une organisation politique structurée et forte sur la scène politique nationale (au contraire, il s'opposera à l'UNR), mais du fait de sa place dans l'IPC. 3.2.2. Avec la Ve République (modification de régime) les conflits internes à la bourgeoisie deviennent principaux sur la scène politique locale On a constaté que, depuis 1958, les luttes électorales se sont essentiellement rapportées à l'opposition UNR-UDR contre équipe municipale, à l'exception d'une seule entente aux élections législatives de 1968.

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Celle-ci prend tout son sens face aux « menaces » qui pesaient alors « sur la République » : la contradiction antagonique de classe était à ce point exacerbée que les contradictions internes à la bourgeoisie reprenaient, dans la conjoncture locale, leur caractère secondaire. Mais, à cette exception près, comment expliquer la perpétuation de cette division interne à la « droite » ? 3.2.2.1. L'UNR tend à reproduire, sur la scène politique locale, les rapports d'hégémonie et d'alliance organisés par l'appareil d'EtatVe République La V e République correspond, très schématiquement, à la réalisation de l'hégémonie politique de la fraction économiquement dominante du capital. Cette modification d'hégémonie concerne doublement la scène politique : il s'agit d'une part de réorganiser la représentation partisane de la bourgeoisie, d'autre part de faire passer les intérêts de la fraction nouvellement hégémonique pour ceux de l'ensemble du peuple-nation. L'UNR-UDR se présente comme le principal appareil de réalisation de cette double tâche sur la scène politique : elle est directement constituée et organisée par la branche centrale de l'appareil d'Etat (Présidence de la République-Gouvernement) ; elle se définit en rapport à la défense du régime (c/. son nom : pour la Nouvelle République). Elle est la principale organisation du bloc au pouvoir. Or, on a repéré dans la ville considérée la lente constitution, sous la IV e république, d'une représentation politique locale de la bourgeoisie, assise sur l'IPC, dominant la scène politique, et assurant la cohésion de l'ensemble des citoyens résidents. Par ailleurs, la ville est économiquement marquée par la dominance d'un capitalisme industriel moyen et par sa localisation hors des axes de développement monopoliste. Les tentatives locales de l'UNR-UDR pour se substituer à l'équipe du maire actuel sur la scène politique ne correspondent donc pas à un enjeu économique par rapport auquel la présence de l'UNR-UDR dans l'IPC signifierait l'élimination des résistances politiques d'une bourgeoisie locale malthusienne. Les luttes électorales de l'UNR-UDR relèvent d'une logique proprement politique : — La lutte relative au siège de député se rapporte principalement à la scène politique nationale. Il s'agit d'assurer sur cette scène la dominance des organisations partisanes du bloc au pouvoir, et donc, ici, de contrer les tentatives locales de représentation de la bourgeoisie en rupture avec ce bloc. Cette lutte sur la scène politique nationale s'oppose plus généralement à la reconstitution d'ententes de troisième force

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(centristes, réformateurs) qui enlèveraient à la fraction hégémonique sa place dominante sur cette scène. — La lutte pour la municipalité se rapporte principalement à la scène politique locale. Elle a secondairement un caractère stratégique, par rapport au siège de député : le maire actuel qui s'oppose au candidat UDR à la députation n'est rien sans la Mairie ; et son éviction correspondrait à la désorganisation de la représentation politique locale de la bourgeoisie, c'està-dire à la nécessité pour celle-ci de se resituer en fonction des organisations partisanes existantes sur la scène politique nationale. Mais cet aspect renvoie à la question de l'enjeu que représente la dominance sur la scène politique locale. La réponse n'est pas une simple reproduction de l'analyse du sens des luttes sur la scène politique nationale. En effet, à ce niveau national, la réorganisation de la représentation partisane de la bourgeoisie correspondait aux intérêts placés dans l'appareil d'Etat par la fraction monopoliste de la bourgeoisie. Par contre, la lutte de l'UNR-UDR contre l'équipe municipale prend tout son sens si on la rapporte au problème de la cohésion de la formation sociale : la dominance d'une représentation partisane particulière à la moyenne bourgeoisie industrielle locale, sa mainmise sur l'IPC, font que ce sont les intérêts de cette fraction qui localement tendent à passer pour ceux de l'ensemble des citoyens-résidents. Cette cohésion locale fondée sur les intérêts particuliers de la bourgeoisie en place, tend dès lors à opposer la ville à la cohésion nationale fondée sur les intérêts de la fraction monopoliste de la bourgeoisie. Ce problème se pose plus particulièrement à partir de la crise économique de 1965, dans la mesure où les contradictions antagoniques tendent à s'exacerber, plus particulièrement au travers de la crise de l'emploi, mais également au travers des difficultés dans les secteurs du logement, de l'équipement urbain, de l'encadrement idéologique, etc. 3.2.2.2. La stratégie de la Municipalité actuelle tend à faire passer la défense des intérêts particuliers de la moyenne bourgeoisie industrielle, économiquement dominée, par la résistance politique à l'hégémonie de la fraction monopoliste dans le bloc au pouvoir La représentation politique détenant actuellement la Mairie non seulement ne rejoint pas l'UNR en 1958, mais refuse jusqu'aujourd'hui toute entente avec elle. Dès la première campagne électorale de la Ve République (législatives de 1958) le maire s'oppose à un candidat UNR. En s'affirmant alors « le meilleur gaulliste de Roanne », il reconnaît la nécessité d'un changement de régime (critique du « ré-

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gime des partis ») et de la remise en ordre de l'appareil d'Etat (cf. la crise de 1958). Mais sa position face à l'UNR, sur toute la période considérée, correspond à un refus des nouveaux rapports d'hégémonie au sein du bloc au pouvoir, c'est-à-dire d'une subordination des intérêts de la moyenne bourgeoisie industrielle à ceux du capitalisme monopoliste. La dominance de cette moyenne bourgeoisie industrielle dans la ville « spatialise » le conflit : il y a imbrication des intérêts de cette fraction et des intérêts de la ville, d'autant plus qu'aucun projet de développement n'est poursuivi par l'appareil d'Etat. Cette imbrication fonde doublement la stratégie de la Municipalité. D'une part, celle-ci tend à reporter la réalisation des intérêts de cette fraction au niveau politique, dans la mesure où les rapports de subordination économique (prenant ici une dimension « centre-périphérie ») ne peuvent être remis en question au niveau économique, puisqu'ils correspondent à la logique même de la reproduction élargie du MPC (concentration, dévalorisation du petit et moyen capital). Ce n'est que la prise en considération politique de ses intérêts qui peut permettre le fonctionnement de ce moyen capital dans de bonnes conditions de reproduction. Or ces intérêts ne sont pas pris en considération en ce qui concerne ici la politique d'aménagement du territoire de l'appareil d'Etat. D'autre part, cette imbrication tend à identifier les intérêts de cette fraction de la bourgeoisie à ceux de l'ensemble des citoyens-résidents, et à opposer la cohésion locale à l'appareil d'Etat : les crises de l'emploi et du logement, le manque d'équipements, l'enclavement de la ville, sa non-industrialisation..., sont imputés par l'IPC à l'appareil d'Etat, surtout après 1965. Cette stratégie situe la lutte principalement sur la scène politique locale : le rapport de force entre la bourgeoisie locale et la fraction hégémonique dans la formation sociale ne peut être que très secondairement établi par l'appropriation du siège de député dans un parlement dominé par l'UNR-UDR. Il s'affirme, en revanche, dans l'utilisation de l'IPC comme centre de résistance politique au pouvoir central et lieu de constitution d'une cohésion locale opposable à l'appareil d'Etat. 3.2.2.3. Les luttes internes à la bourgeoisie concernent principalement les rapports de pouvoir de l'Institution politique communale à la scène politique locale et, plus généralement, à la scène idéologique locale On a noté en quoi l'IPC avait constitué l'organisation de pouvoir particulière à la bourgeoisie locale, et en quoi elle était le centre de résistance politique de cette dernière aux rapports d'hégémonie au sein

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du bloc au pouvoir. En ce sens, la modalité proprement politique de l'IPC apparaît comme principale : la « politique » de la Municipalité est avant tout déterminée par cette contradiction interne à la bourgeoisie. L'intérêt économique d'un réaménagement de l'espace urbain, l'intérêt idéologique d'une réorganisation de l'encadrement des populations locales, seront rapportés à cet intérêt politique principal. Les rapports de pouvoir établis dans l'IPC, qui font de celle-ci le centre de résistance de cette fraction de la bourgeoisie, doivent être reproduits au niveau de la scène politique et plus généralement de la scène idéologique locale, lieux fixés à la lutte de classe. L'autonomie relative de ces lieux (par exemple la Chambre de Commerce, les sociétés locales) était constituée sous la IVe République par le double caractère de la conjoncture locale présenté plus haut, à savoir : affaiblissement des représentations partisanes de gauche, et fiabilité d'une représentation particulière de la bourgeoisie locale. Dans la mesure où la Ve République présente, au travers de l'UNRUDR, une alternative nationale de représentation de la bourgeoisie et de cohésion de la formation sociale, la lutte pour l'appropriation idéologique et politique des AIE 4 J , constituant ces lieux, se trouve exacerbée. Cette lutte passe par un renforcement de l'articulation politique de ces appareils aux centres de pouvoir : appareil d'Etat central et IPC. En fait, vue la place de l'IPC par rapport à la scène locale, c'est essentiellement l'articulation politique à cette dernière qui est en jeu. Dans le cadre d'une stratégie de résistance politique, la cohésion idéologique sur la scène ne suffit plus, le problème de l'unité du pouvoir devenant principal. En effet, les interventions de la bourgeoisie dans le cadre urbain peuvent émaner d'appareils reflétant soit une catégorie particulière (la bourgeoisie textile, du bâtiment, les petits entrepreneurs métallurgistes, etc.), soit des intérêts à court ou moyen terme spécifiques. La résistance politique conduit à subordonner l'ensemble de ces représentations d'intérêts à la logique centrale d'unité du pouvoir. La politisation de la lutte interne à la bourgeoisie, son caractère dominant sur la scène politique locale, tend en dernière analyse à faire passer la centralisation locale du pouvoir comme mode d'articulation principal entre l'IPC et la scène idéologique et politique locale, contradictoirement au principe de l'autonomie relative.

43. Appareils idéologiques d'Etat.

60

3.3.

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CONCLUSION

La conjoncture actuelle est marquée par un décalage entre représentation politique et intérêts économiques de la bourgeoisie locale.

3.3.1. La stratégie de la Municipalité conduit à une surpolitisation de la lutte, à la limite contradictoire avec les intérêts économiques immédiats de la bourgeoisie locale En 1967, le maire actuel perd son siège de député, acquis en 1958. Celui-ci revient au candidat UDR, envoyé de Paris pour la circonstance, et, par ce renversement du rapport de force interne à la « droite », la bourgeoisie locale se voit représentée au Parlement, non plus en opposition au bloc au pouvoir, mais dans ce bloc. Cette position de compromis de la bourgeoisie locale est à rapporter au blocage interne de la situation roannaise : l'équilibre économique de la ville s'appuyait, pratiquement jusqu'en 1965, sur le développement des unités de production locales. La crise économique de 1965 a posé avec acuité le problème du soutien externe, principalement de celui de l'appareil d'Etat, l'IPC notamment se trouvant dans l'incapacité de réduire la crise par ses propres moyens 44 . C'est d'ailleurs sur ce thème que le candidat UDR organise sa campagne : il se présente comme l'homme du changement qui arrivera, de par ses rapports avec la branche centrale de l'appareil d'Etat, à débloquer l'aide nécessaire pour la réduction de la crise locale. Sa presse électorale, aussi bien que ses déclarations, mettent en avant ses rapports épistolaires ou familiers avec les gouvernants et veulent montrer sa capacité à engager ceux-ci dans la résolution des différents aspects de la crise locale (équipement, logement, IUT, industrialisation...).

3.3.2. Mais l'UDR ne peut pas plus réaliser les intérêts de la bourgeoisie locale

économiques

Aux élections municipales de 1971, le député UDR n'arrive pas à prendre possession de la Mairie qui reste entre les mains de l'équipe « centriste ». Un premier élément d'explication de ce fait ne se rapporte pas à proprement parler à la conjoncture, mais renvoie aux carac44. Cf. infra, chapitre III.

La scène politique

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téristiques de l'I PC elle-même : son caractère local, son articulation à une scène politique locale relativement autonome de la scène politique nationale 45 font que les rapports privilégiés de l'UDR au pouvoir central ont ici une moindre importance que pour le siège de député. Un second élément se rapporte à l'évolution de la politique du maire, dans la mesure où celui-ci a été conduit, à la suite de la crise de 1965 et de la perte de son siège de député en 1967, à développer l'intervention de l'IPC dans la reproduction du cadre urbain, enlevant ainsi un argument de poids au candidat UDR. Mais l'échec de ce dernier est principalement lié au fait que la politique sélective d'industrialisation menée par l'appareil d'Etat et la priorité donnée dans les Ve et VI e plans aux investissements d'accompagnement de cette industrialisation ne concernent pas Roanne. L'intervention de l'appareil d'Etat sur cette ville se limite principalement à y assurer une paix sociale relative, c'est-à-dire à éviter l'exacerbation des contradictions internes à la bourgeoisie et, en rapport à celles-ci, l'exacerbation des contradictions entre la bourgeoisie et la classe ouvrière 46. On peut même poser l'hypothèse que l'intérêt porté par la branche centrale de l'appareil d'Etat à la candidature UDR locale situe le rôle du candidat sur ce plan : la réduction de ces contradictions par la dominance de l'UDR sur la scène politique locale, en vue d'assurer la cohésion locale. Dans ce contexte, le député UDR, « homme du pouvoir », doit représenter les intérêts de la bourgeoisie locale dans l'appareil d'Etat, mais ne peut les réaliser. Et, de fait, il n'obtiendra durant les quatre années de mandat qui précèdent les municipales rien de principal pour la réduction de la crise locale, notamment rien dans le domaine de l'industrialisation. La stratégie de représentation des intérêts de la bourgeoisie locale par le parti de la fraction hégémonique du bloc au pouvoir se heurte ici à ses propres limites. En ce sens, les contradictions locales ne se trouvent pas réduites ; au contraire, elles tendent à s'exacerber dans le domaine de l'emploi. Néanmoins, la situation actuelle des représentations partisanes de gauche ne leur a pas permis jusqu'aujourd'hui de tirer parti de cette crise interne à la bourgeoisie. Les luttes électorales de 1971 montrent au contraire que cette division interne à la bourgeoisie domine l'ensemble de la scène politique. 45. Et le fait même qu'elle corresponde historiquement à une organisation de l'Etat favorable aux intérêts de la fraction industrielle moyenne de la bourgeoisie. 46. On retrouvera plus loin (chapitre III et chapitre V) une analyse des compromis qui peuvent ainsi s'établir entre appareil d'Etat et entente politique locale.

C H A P I T R E III

L'industrialisation

Nous avons privilégié l'étude du processus de production de zones industrielles sur l'agglomération dans la mesure où d'une part ce processus constitue le lieu le plus apparent de l'intervention du politique urbain sur la production, et d'autre part porte, au même niveau de l'apparence, ses propres limites (les zones industrielles construites restant largement non utilisées). Passer de l'aspect (zones industrielles produites, non-utilisation de ces zones) aux déterminants structurels de cette situation suppose une codification du problème qui induise notre démarche d'investigation. La codification du problème Nous reprendrons, mais sur un mode différent, la codification de Dos Santos et Marié 1 en termes de production/reproduction. La distinction entre sphère de la production et sphère de la reproduction qui oppose usine et ville en référence à un mode fondamentalement différent d'existence sociale des agents nous semble féconde pour codifier une analyse qui doit dépasser le seul problème de la force de travail. En effet, si la loi de la valeur régit totalement la sphère de la production, elle ne peut jouer dans la totalité des processus de reproduction aussi bien de la force de travail que du capital 2 , dans la mesure où il y a socialisation de ces processus, en particulier dans l'urbain 3 . L'autonomisation des deux sphères recouvre, à travers l'hypothèse de décalages possibles de contradictions qui se développent inégalement entre elles, les modes de traitements différenciés de ces contradictions dans les deux sphères, plus précisément le nonrecouvrement entre la logique proprement économique qui règle le fonctionnement de la sphère de la production et la gestion poli1. J. Dos Santos et M. Marié, «Migrations et force de travail», Espace et Société (4), 1971, pp. 67-68. 2. Même si, comme le notent les auteurs, elle les domine globalement. 3. Que ce soit le logement social ou certains équipements collectifs qui constituent pour partie un capital de frais pour l'industrie (reporté sur le financement public).

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tique de la sphère de la reproduction. Mais l'autonomie n'a pas alors la place que lui donnent Dos Santos et Marié entre « le système comme structure et les pratiques de classes » 4 , mais marque précisément le type d'articulation entre instance économique et politique : la relative autonomie de l'économique explique le développement à partir de la sphère de la production de contradictions dans la sphère de la reproduction, d'où nécessité d'une intervention économique du système politique de gestion de l'urbain. Cependant cette intervention est précisément limitée par cette relative autonomie de l'économique et du politique : ainsi M. Castells, dans sa propre codification du système urbain, note la non-intervention directe de G (élément gestion) sur Ρ (élément production) dans la mesure où il ne peut y avoir altération du rapport de propriété ; cette intervention est d'autre part surdéterminée par la fonction proprement politique du système de gestion de l'urbain, surdétermination politique qui se réfère en dernière analyse à l'organisation de la domination politique de classe dans l'urbain considéré et à la place structurelle de l'IPC dans cette institutionalisation du pouvoir de classe. La démarche d'investigation La codification du problème des zones industrielles 5 sur le mode de l'étude des rapports production/reproduction dans une formation urbaine structurée en instances, suppose deux niveaux successifs d'analyse. L'analyse interne de la sphère de la production est nécessaire pour produire un rapport production/reproduction en termes d'intérêt économique pour les types de capitaux productifs qui fonctionnent dans la formation urbaine, c'est-à-dire pour étudier dans quelle mesure les rapports de production « nécessitent » des conditions spécifiques de reproduction de la formation urbaine. Le problème est 4. L'autonomie s'articule pour eux à une détermination plus ou moins forte par les structures, donc différente entre ville et usine, entre producteur et consommateur. L'objet sous-jacent de cette analyse qui est de réserver une « marge de liberté » à la lutte de classe risque de conduire les auteurs à tomber partiellement dans l'idéologie de l'agent-sujet, dans la mesure même où elle ne prend pas en compte les autres niveaux structurels constitutifs de la formation sociale que sont le politique et l'idéologique. De même que l'appareil d'Etat central constitue les agents de la production comme citoyens libres et égaux, l'IPC tend à les constituer comme citoyens, consommateurs égaux d'une même structure collective de reproduction (école, socio-culturel, etc.), il est significatif que ce rapport idéologique de l'IPC à l'agent à travers la démocratie locale soit repris par Marié et Dos Santos comme validant un degré d'autonomie de l'agent dans la ville alors qu'il ne constitue qu'un aspect contradictoire du pouvoir politique (c'est-à-dire répressif) de classe dans l'appareil communal. 5. Dorénavant, nous écrirons ZI pour zone industrielle.

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alors d'analyser les ZI comme enjeu pour les fractions capitalistes, c'est-à-dire comme mode de résolution possible de contradictions dans les rapports production/reproduction en référence aux conditions de la production. A un deuxième niveau, il est nécessaire de passer d'une problématique capital/ville, en termes d'intérêts économiques pour les différentes fractions capitalistes, à une problématique en termes de pouvoir c'est-à-dire de capacité à réaliser ces intérêts. Le procès de réalisation des ZI s'étudiant alors comme produit d'interventions de centres de pouvoirs spécifiques, la place structurelle de ces centres de pouvoir spécifiant leur capacité d'intervention, leur mode d'intervention dans le procès c'est-à-dire leur capacité de représentation d'intérêts de classe en référence à l'objet.

1. LES ZONES INDUSTRIELLES COMME ENJEUX ÉCONOMIQUES POUR LE CAPITAL INDUSTRIEL ROANNAIS

1 . 1 . L E DOUBLE NIVEAU DES ENJEUX

Nous proposons d'étudier à deux niveaux le type d'enjeux qui peuvent se constituer, en référence à la production de zones industrielles, pour les capitalistes présents dans la formation urbaine. Un premier niveau concerne la spécialisation des capitaux productifs dans la formation urbaine : le « tissu urbain » matérialisant des rapports passés entre production et reproduction, peut rentrer en contradiction avec les conditions actuelles de fonctionnement des capitaux productifs dans la ville. La « rigidité » du cadre bâti industriel, inscrit lui-même dans une morphologie spécifique du tissu urbain, peut conduire certains capitalistes à rechercher une autre implantation pour les unités de production : la zone industrielle, dans son double rôle de mobilisation des sols (dégagement d'une offre foncière pour l'industrie) et de production d'un complexe de valeurs d'usages (équipement interne à la zone, équipement de raccordement de la zone au tissu urbain), peut fournir à ces capitalistes des opportunités de localisation plus conformes aux conditions matérielles de fonctionnement de leurs unités de production. Il s'agit donc d'étudier, pour la formation urbaine considérée, dans quelle mesure une ZI peut être une réponse aux contradictions tenant

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à la localisation des unités de production, donc apparaître comme un enjeu pour les capitalistes locaux. Le produit ZI ne pose pas seulement le problème des contradictions internes à la formation urbaine en référence à la localisation des capitaux productifs. En effet, l'ouverture de la formation urbaine à l'arrivée de capitaux extérieurs, qui est inscrite dans une opération de création de ZI au moins comme possibilité, risque de remettre en cause certains rapports globaux entre production et reproduction dans la formation urbaine étudiée comme système fermé. Il s'agit ici d'étudier dans quelle mesure la « fermeture » de la formation urbaine spécifie un pouvoir économique dans le sens d'un rapport de domination et de subordination des pratiques économiques de classes. On peut poser, en effet, l'hypothèse qu'une formation urbaine constitue un champ particulier de la lutte de classes en produisant, de par sa relative fermeture, des conditions particulières à cette lutte ; le pouvoir économique spécifiant dans ce cadre des rapports locaux de pouvoir au niveau de la lutte économique de classe. L'enjeu pour les fractions de classes capitalistes dans la formation urbaine roannaise se constitue, à ce niveau, comme possible déplacement de ces rapports locaux de pouvoir, par modification, à travers le risque d'ouverture de la formation urbaine inscrit dans l'objet ZI, de certaines conditions de cette lutte économique. Nous tenterons, à partir de l'étude de la sphère de la production dans la formation urbaine, de penser dans quelle mesure ces deux types d'enjeux théoriquement définis se sont constitués en enjeu réel, et sur quels modes, pour les fractions de classes capitalistes roannaises.

1 . 2 . L E S PROCÈS DOMINANTS DANS LA SPHÈRE DE LA PRODUCTION

Il n'est pas question, ici, de tenter une étude exhaustive de la sphère de la production sur la ville, mais de dégager les principaux procès d'élargissement ou de réduction de cette sphère qui ont mis en cause, à travers de nouvelles conditions de fonctionnement de certains types de capitaux (fonctionnement dans des conditions d'élargissement ou au contraire de régression), les rapports production/reproduction dans la ville en posant de nouveaux problèmes d'articulation. Nous limiterons ainsi notre analyse à trois procès qui dominent l'évolution de l'industrie roannaise 6 : 6. Les trois branches concernées représentent 75 % de l'emploi industriel.

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— La régression du tissage ; — Le développement de la bonneterie ; — Le développement de la mécanique. Nous donnerons pour chacun de ces trois procès des éléments d'analyse qui les explicitent en référence aux conditions d'ensemble de fonctionnement des types de capitaux mis en œuvre dans ces différentes branches 7 , dans la mesure où ils permettent de penser le rapport à Roanne qui nous intéressera plus spécifiquement.

1.2.1. La régression du tissage L'évolution du tissage roannais s'inscrit dans les nouvelles conditions de fonctionnement de la branche au sein de la formation sociale française depuis une quinzaine d'années. On peut la référer plus spécifiquement à deux éléments dominants : — L'évolution des conditions de réalisation de la plus-value ; — La croissance de la composition organique du capital dans la branche. Au niveau de la réalisation du capital marchandise, alors que la constitution du marché colonial avait été particulièrement importante pour le tissage roannais largement spécialisé dans la production de tissus de coton, le passage du système capitaliste à un nouveau stade d'intégration des formations sociales du centre (CEE, ouverture de frontières), articulé sur un nouveau mode (de type néo-colonial) avec les formations sociales de la périphérie, a largement remis en cause la capacité des industries roannaises de réaliser leurs produits sur ce type de marché. La croissance de la production du tissu éponge, qui se réfère au développement du marché intérieur pour ce type de produits, n'a pu compenser la forte régression de la production de tissus de coton, le marché intérieur ne pouvant ici assurer le relais du marché colonial pour le tissage roannais, car la spécialisation de ce dernier dans les tissus d'habillement le rend particulièrement sensible à la substitution sur ce marché des maillés (produits de la bonneterie) aux tissés. La régression de la production du tissage 8 s'est marquée dans la formation urbaine roannaise par des conséquences au niveau du 7. En utilisant le terme de branche pour simplifier la présentation même si ce terme a dans le langage économique un contenu théorique précis. 8. La production passe de 14 594 tonnes en 1958 à 10 649 tonnes en 1968, malgré le développement de la production de tissu-éponge (sur cette période, de 2 500 à 4 000 tonnes).

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fonctionnement des unités de production beaucoup plus importantes que le seul chiffre de baisse de la production annuelle ne peut le laisser supposer. La crise a en effet entraîné un processus de concentration du capital très important, marqué par une dévalorisation massive des capitaux fonctionnant dans la branche à Roanne. Les nouvelles conditions de la concurrence intercapitaliste 9 sur un marché relativement bloqué ont induit une croissance de la « productivité », c'est-à-dire une progressive substitution du capital constant au capital variable. La croissance de la composition organique du capital dans la branche a entraîné à son tour une suraccumulation du capital dont le produit dialectique est nécessairement un procès de dévalorisation. Dans la formation urbaine roannaise, ce procès a revêtu deux figures principales. Tout d'abord, on assiste à une dévalorisation absolue des capitaux « individuels », relativement nombreux à Roanne, l'importance des investissements nécessaires pour pouvoir continuer à fonctionner au profit moyen de la branche dépassant largement les possibilités qu'avaient ces petits et moyens capitalistes de mobiliser du capital argent en vue de le transformer en capital productif (possibilités réduites d'autofinancement, coût du capital bancaire, etc.). Ces types de capitalistes, limitant la reproduction de leurs moyens de production, ont donc été conduits à fonctionner à des taux de profit de plus en plus faibles, jusqu'au profit nul et à l'arrêt des unités de production. L'histoire de Roanne et de sa région est ainsi marquée depuis quinze ans par la fermeture de nombreux petits et moyens tissages, libérant force de travail et cadre bâti industriel. On peut remarquer que le fonctionnement de ces capitaux en régime de régression a permis à certains capitalistes les mettant en œuvre, dans la mesure où ils n'assuraient qu'une reproduction minimale de moyens de production largement amortis, d'investir dans des placements fonciers et immobiliers, ou même de financer partiellement l'accumulation dans la bonneterie (les caractéristiques de cette branche permettant précisément l'accumulation à partir de capitaux « individuels »). Ces éléments expliquent partiellement la reconversion du textile roannais en termes de transfert de capitaux locaux d'une branche en régression à une branche en développement. Ce procès de dévalorisation absolue avec sa conséquence, à savoir la sortie de la branche de nombreux capitalistes de faible taille, s'est doublé d'un important procès de concentration du capital. 9. Concurrence entre les formations sociales du Centre (en particulier concurrence des groupes italiens) et concurrence des unités de production installées par les groupes occidentaux dans les formations de la périphérie.

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Certains capitalistes de taille moyenne se sont regroupés pour pratiquer une politique commune d'investissement et de commercialisation de leurs produits dans le cadre d'une politique de marque utilisant des créneaux de la grande production monopoliste. Ce procès apparaît cependant comme secondaire par rapport à la concentration qui s'est effectuée sous l'égide d'un des « grands » du textile, le groupe DMC, celui-ci prenant à partir de 1965 le contrôle des principales affaires locales de tissage pour les regrouper en 1968 et assurer en 1970 plus de la moitié du tissage coton dans le roannais. Cette concentration s'est inscrite dans une stratégie du groupe tendant à lui assurer une position hégémonique dans le secteur « coton » ; elle a produit, à travers un procès interne au groupe d'accumulation/dévalorisation, d'importants effets en terme de libération de force de travail et de concentration d'un nouveau capital productif dans un nombre plus limité d'unités de production. Comme conclusion de cette analyse de la régression du tissage roannais, nous retiendrons la désarticulation progressive entre cette sphère productive et la formation urbaine roannaise, cette désarticulation apparaissant phénoménalement de deux manières : — La libération d'une importante force de travail, en majorité féminine ; — La libération d'un cadre bâti industriel, le plus souvent implanté dans le tissu urbain.

1.2.2. Le développement

de la

bonneterie/confection

Pour comprendre la croissance depuis 1950-1955 de la bonneterie roannaise, il est nécessaire d'articuler les conditions de réalisation de la plus-value aux conditions de la production, c'est-à-dire de replacer le procès de production au sens strict au sein du procès de circulation dans lequel il s'insère comme moment. Au niveau de la circulation, de la réalisation du produit, on doit considérer la segmentation du marché en deux parties relativement distinctes : — Un marché d'articles standards et permanents ; — Un marché d'articles de mode. Le premier type de marché, par sa relative rigidité, a permis le développement de la production sur le mode de la grande industrie,

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la forte homogénéité des marchandises sur de longues périodes permettant une importante mécanisation du procès de production. An contraire, sur le marché des articles de mode, de par la très forte sensibilité à la conjoncture, le procès de production doit nécessairement se constituer sur la base d'une très grande souplesse de l'appareil productif, les caractéristiques de la marchandise se modifiant de manière importante dans des délais très courts, souvent infra-annuels. Ces conditions spécifiques de la réalisation expliquent que le moment dominant dans le procès de production reste, en aval du fonctionnement de la machine (à tricoter), la part du cycle productif qui va de la coupe à la finition, le « temps machine » n'occupant que 30 % du temps de production et 20 % de la force de travail. Le développement de la bonneterie roannaise se place essentiellement dans le cadre du marché des articles de mode, le faible niveau de la composition organique du capital comme condition de fonctionnement dans cette activité expliquant un procès d'accumulation sur la base de petites et moyennes unités à partir de la mobilisation de capitaux individuels 10. Ce développement s'est réalisé sur le mode d'une très forte articulation locale entre les unités de production : la relative rigidité des moyens de production (machines spécialisées pour produire tel type de maille, etc.), par rapport à la variation très forte quantitativement et qualitativement de la demande, impose, pour ne pas fonctionner en surcapacité de production, des rapports de sous-traitance très importants entre les unités de production. Ces rapports de sous-traitance sont à étudier dans le cadre des rapports de pouvoir économique entre les capitalistes fonctionnant dans la branche, c'est-à-dire en référence à des places de domination/subordination dans le procès d'appropriation de la plus-value. Ainsi la période de croissance extensive de la branche à Roanne (c'est-à-dire de 1950-1955 à 1965) se caractérise par le report d'une part importante de l'investissement en machines des grosses entreprises sur les unités fonctionnant en sous-traitance, la division technique du travail entre le « moment » tricotage (totalement mécanisé et où la force de travail n'intervient que sur le mode de l'entretien et du contrôle des métiers) et le « moment » confection (où la force de travail joue le rôle dominant) ne se retrouve pas au niveau de la division sociale du travail sous le mode d'une indilo. Cette mobilisation pouvant s'effectuer en deux temps : avance d'un capital relativement faible pour monter un atelier de confection, puis dans un deuxième temps achat de machines à tricoter.

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vidualisation des capitaux entre les deux moments (séparation entre entreprises de bonneterie pure et entreprises de confection pure), mais au contraire sous le mode d'une intégration de ces deux moments dans la plupart des petites et moyennes entreprises qui se sont créées pendant toute cette période. Cet aspect de l'analyse est très important pour comprendre les conditions de fonctionnement des petits capitaux dans la branche : si le faible niveau de composition organique du capital a permis, en effet, à des détenteurs individuels de capital-argent " de rentrer dans la branche, la tendance à la hausse de cette composition organique dans le cadre du fonctionnement en sous-traitance développé plus haut a pesé de manière importante sur les taux de profit de ces petites unités, incitant ce type de petits capitalistes à limiter les investissements, par exemple, dans un autre élément du capital fixe : le cadre bâti industriel. Il semble qu'au cours d'une période plus récente, qui est largement le produit de la crise de 1965, la branche entre dans un procès de concentration qui tend à remettre en cause la division technique du travail encore dominante au sein de la formation urbaine roannaise, l'importance du capital argent nécessaire pour investir dans les nouvelles machines à tricoter impliquant un processus de centralisation du capital qui tend à se réaliser par un regroupement d'affaires locales dans le cadre de nouveaux rapports avec certains grands capitaux de type monopoliste (fonctionnant, en particulier, dans le commerce type grandes surfaces ou grandes sociétés de vente par correspondance). Ce processus de concentration du capital a d'importantes conséquences sur le plan de la matérialisation spatiale de la division technique du travail. La contradiction croissante entre la haute productivité du « moment » tricotage et celle, beaucoup plus faible, du « moment » confection conduit à une centralisation des ateliers d'assemblage dans une même unité physique de production pour permettre une parcellisation/mécanisation accrue des postes de travail. Ainsi des bonnetiers importants de Roanne qui avaient des ateliers dans divers points du tissu urbain ou de la région ont tendance à reconcentrer leurs activités dans une unité de production importante. L'effet de ce processus de concentration du capital sur la division sociale du travail (division de la production sociale entre capitalistes différents) apparaît contradictoire : 11. Anciens tisseurs remobilisant le capital-argent dégagé de leurs activités antérieures dans ce nouveau type de capital industriel, et israélites d'Afrique du Nord arrivant dans les années 1950-1955, après avoir réalisé leur patrimoine, et cherchant une affectation productive de leurs capitaux.

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— D'une part, le profit moyen tendant à se fixer en référence au au fonctionnement des capitaux les plus productifs dans ces nouvelles unités plus concentrées, des unités de production qui sont restées en dehors du processus de concentration risquent de fonctionner avec un profit de plus en plus faible jusqu'à la fermeture ; — D'autre part, la relative rigidité de l'appareil productif dans ces groses unités de production qui se constituent, laisse toute son importance au fonctionnement de sous-traitants qui permettent d'amortir le caractère fortement conjoncturel du marché.

1.2.3. Le développement

de la branche

mécanique

La mécanique roannaise regroupe trois types d'unités de production : — Un nombre limité de firmes importantes (de 500 à 3 000 salariés) dont une entreprise d'Etat produisant du matériel lourd pour l'armée, une entreprise d'outillage hautement spécialisée dans le traitement thermique de l'acier, une firme de matériel textile 12 ; — Une dizaine de firmes de 20 à 50 salariés ; — Un nombre important de petits ateliers de mécanique générale ou de mécanique de précision. Le développement de la mécanique roannaise se réalise selon des modalités différentes en référence à cette division de la sphère productive. Phénoménalement, on constate, sur la période 1960-1970, la croissance de l'atelier militaire, de la firme de matériel textile et la multiplication de petites unités travaillant en sous-traitance. La croissance de l'atelier militaire pose un problème spécifique qui est celui de la surdétermination politique de la stratégie proprement industrielle de cette unité : l'accroissement des effectifs 13 depuis 1960 est partiellement en rapport à une volonté du pouvoir politique central d'intervention sur le marché local du travail pour amortir des conjonctures de crise de l'emploi, certains rapports de 12. Entreprise fabriquant des machines spécialisées dans le traitement des fibres synthétiques. 13. A savoir: 2 300 personnes en 1950, 2 000 personnes en 1960 et 3 000 personnes en 1970.

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sous-traitance entre cet atelier militaire et des entreprises locales pourraient également s'étudier selon cette logique. La croisance de la firme de matériel textile doit être référée à la place quasi monopolistique de cette unité sur le marché mondial pour un type bien particulier de machine textile ; cette croissance s'est marquée par une élévation des effectifs et, à l'occasion du rachat d'une entreprise parisienne et de sa décentralisation à Roanne, par une concentration à partir de 1968 de tous les ateliers de la firme dans une nouvelle usine. Au contraire, le dévelopement des petites et moyennes unités de production s'est réalisé sans intégration importante de la force de travail. La logique de ce processus tient à ce que les firmes qui soustraitent (que ce soit la firme de matériel textile de qui dépendent 250 sous-traitants de la région roannaise, ou la plupart des autres entreprises mécaniques qui sous-traitent à Roanne) tendent à repousser sur les unités fonctionnant en sous-traitance des investissements en capital fixe, pour limiter la croissance de leur propre composition organique du capital. La firme de matériel textile est caractéristique de cette pratique dans la mesure où elle tend à limiter son propre appareil productif au montage final des machines. Ce niveau de la composition organique du capital dans la plupart des petites et moyennes entreprises mécaniques de Roanne est impliqué par : — La nécessité d'une forte spécialisation inscrite dans ce type de rapports de sous-traitance (sous-traitance de spécialité) qui impose pour être compétitif (dans les conditions d'une forte concurrence entre sous-traitants) d'être très productif dans une filière précise, c'est-à-dire un investissement en machines modernes ultra-spécialisées ; — L'effort même de ces capitalistes individuels pour échapper à l'emprise du client unique, effort qui les conduit à tenter une diversification de leurs productions, donc à alourdir leur appareil de production. Ce rapport firmes dominantes/firmes dominées se reproduit partiellement au sein même des firmes dominées : dans la mesure où certains petits industriels ont réussi dans le cadre de leur spécialisation à mettre au point une fabrication autonome, ils ont alors concentré leurs investissements sur le montage final et sous-traité le reste de la fabrication (ces unités recouvrent en fait le niveau présenté plus haut des 20 à 50 salariés).

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Les rapports de sous-traitance de spécialité se doublent de rapports de sous-traitance de capacité qui expliquent partiellement la multiplication des ateliers de mécanique générale dans la formation urbaine, ce deuxième type de rapports ayant, comme le premier, pour effet un fonctionnement à faible taux de profit pour les unités dominées, non plus en référence à un haut niveau de composition organique du capital mais du fait du caractère conjoncturel de l'activité, la sous-traitance servant ici à éponger la production marginale.

1 . 3 . L'ARTICULATION

DE CES TROIS ÉVOLUTIONS DOMINANTES DE

LA

SPHÈRE DE LA PRODUCTION DANS LA FORMATION URBAINE

Nous chercherons à préciser ici dans quelle mesure l'étude de cette articulation complexe tissage/bonneterie/mécanique constitue le lieu principal de déchiffrement des enjeux économiques d'une opération ZI. En effet, les deux types d'intérêts économiques présentés dans le cadre d'analyse général — intérêts relatifs à la spatialisation des capitaux productifs et intérêts relatifs à la « fermeture » de la formation urbaine — peuvent être spécifiés : — Pour le premier, principalement à la reconversion tissage/ bonneterie en posant les relations de correspondance entre une structure urbaine produite par le tissage et la matérialisation spatiale de l'accumulation dans la bonneterie ; — Pour le second, en rapport à la complémentarité nécessaire entre les deux types de forces de travail utilisées par la bonneterie et par la mécanique, en analysant quels types de rapports contradictoires s'établissent au niveau de la reproduction élargie de cette force de travail « complexe » dans une conjoncture de développement inégal des deux branches (en ce qui concerne l'intégration de force de travail).

1 . 3 . 1 . La formation urbaine comme lieu de l'accumulation — le problème des intérêts économiques relatifs à la spatialisation des capitaux productifs 1 . 3 . 1 . 1 . Le problème de la reconversion tissage/bonneterie Notre hypothèse centrale en ce qui concerne le contenu de cette « reconversion » est qu'il y a correspondance entre les conditions

L'industrialisation

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matérielles et sociales de fonctionnement des capitaux dans la bonneterie et une structure urbaine profondément marquée par des conditions antérieures de fonctionnement des capitaux dans le tissage (dans sa phase historique de développement extensif). Alors que le tissage, dans la mesure où il y a eu passage à de nouvelles formes de concentration du capital et d'exploitation de la force de travail, se « dégage » de la formation urbaine, celle-ci continue à être marquée par des rapports structurels issus de cette période et réactualisés dans le cadre de la croissance de la bonneterie. Précisons ce point sur le plan du rapport social à l'espace du capital industriel bonnetier dans le cadre de son procès d'accumulation. Le tissage avait produit un espace urbanisé dont nous retiendrons trois caractères dominants : — Imbrication étroite des usines et des logements ; par ailleurs, logements eux-mêmes souvent dégradés, cette dégradation ayant une forte utilité sociale dans la mesure où elle tend à diminuer le coût de reproduction de la force de travail 14 ; et densité relativement faible de nombreux quartiers ; l'importance des « pores » intra-urbains caractéristiques d'une petite production maraîchère s'explique par le fait que le revenu agricole comme élément de la reproduction de la force de travail participait au maintien de sa sous-valorisation imposée par le patronat du tissage. Or, si l'on étudie la logique économique de la localisation des bonneteries, on s'aperçoit que deux éléments apparaissent dominants : — Un rapport étroit, sur le plan spatial, avec le lieu principal de reproduction de la force de travail que constitue le logement. En effet, le type de force de travail utilisée par le capital bonnetier (à 80 % féminine) et les conditions de sous-valorisation de cette force de travail que maintient collectivement le patronat 1 5 impliquent, dans le cadre d'une tendance quasi permanente à une offre d'emplois féminins supérieure à la demande, une proximité travail-habitat. La concurrence entre bonnetiers sur le marché du travail ne pouvant se réaliser au niveau du salaire (surtout pour les petites et moyennes bonneteries, les grosses bonneteries posant un problème spécifique que nous étudierons plus loin), elle 14. Cf. infra, chapitre IV. 15. Peu ou pas de négociation au plan local. Les bonneteries roannaises se contentent d'appliquer les hausses résultant des conventions nationales sans jamais remettre en cause la disparité Roanne/formation sociale en ce qui concerne le niveau moyen de la valorisation de la force de travail.

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tend à se déplacer au niveau du type d'avantage que représente la faible distance habitat - lieu de travail. Il y a une tendance à la constitution de microzones d'emploi. — Un rapport au cadre bâti industriel qui est le produit de la division technique et de la division sociale du travail : • Produit de la division technique du travail, qui domine dans la branche au sens où la bonneterie apparaît comme peu exigeante au plan du type de cadre bâti industriel ; la relative autonomie entre les différents moments du procès de production (tricotage - coupe - assemblage - finition) rend possible une segmentation spatiale, c'est-à-dire un fonctionnement dans des lieux différents, l'exemple « limite » étant en l'occurrence le possible fonctionnement du moment finition sur le mode du travail à domicile, c'est-à-dire sans cadre bâti industriel propre ; • Produit de la division sociale du travail, dans la mesure où 16, pour la plupart des petits capitalistes, la nécessité de transformer le capital argent en capital productif (développement du « moment » tricotage à haute composition organique) implique une limitation du type d'affectation que constitue le cadre bâti. La recherche d'un investissement réduit en locaux apparaît comme une constante de la politique d'implantation des bonnetiers 17. Ces principes de localisation des unités de production se sont trouvés concrètement réalisés dans la formation urbaine selon deux modes. 1.3.1.1.1. Le capital bonnetier s'est partiellement inscrit dans l'espace urbain par réutilisation des locaux industriels désaffectés dans le cadre de la régression du tissage : locaux imbriqués dans le tissu urbain, donc répondant aux conditions de proximité de la main-d'œuvre, et nécessitant peu de transformations pour répondre aux conditions matérielles de fonctionnement d'un atelier de bonneterie, le bilan financier de l'opération apparaissant comme plus favorable que la construction d'un bâtiment neuf. 16. Cf. analyse du développement de la bonneterie. 17. A titre d'exemple, la construction par un important bonnetier d'une grande usine en périphérie de Roanne est perçue comme aberrante par les milieux de la petite et moyenne bonneterie.

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On peut avancer deux éléments principaux d'explication de cette reconversion d'un capital immobilier dans la sphère de la production elle-même. Dans le cadre d'un transfert de capital de branche à branche au niveau local, certains capitalistes qui ont réinvesti dans la bonneterie le capital argent qu'ils avaient pu dégager du tissage en régime de régression ont réutilisé le seul élément du capital fixe qui ne se soit pas trouvé totalement dévalorisé. Les conditions particulières du marché de l'immobilier à Roanne 18 expliquent que, à part quelques unités situées dans u n espace particulièrement valorisé, il n'y ait pas eu dans le cas général destruction du local ancien et réalisation d'opérations immobilières, la rentabilisation financière supposant du logement de standing pour lequel la demande solvable apparaît très faible dans les conditions roannaises. La relative ouverture du marché foncier, c'est-à-dire l'existence d'une offre foncière sur la base d'un prix moyen assez bas n'implique de toute façon par le recours, pour les promoteurs, au type de solution que constitue la construction sur l'emplacement des usines désaffectées 1 9 . O n conçoit alors que la vente ou plus souvent la location de ces locaux aux bonnetiers ait pu constituer un mode privilégié d'affectation. 1.3.1.1.2. Le capital bonnetier s'est constitué pour partie un cadre bâti industriel propre La logique d'implantation à proximité immédiate de l'habitat a pu également jouer dans ce cas, du fait de la porosité du tissu urbain, de l'existence d'un nombre important de parcelles de terrains libres 2 0 . De plus, on peut rappeler que la division possible de la production en différents lieux pour une même unité limite fortement les contraintes au niveau d'une surface de plancher minimale. Sur le plan phénoménal, on note une implantation diffuse d'ateliers de bonneterie dans les différentes zones de l'espace urbain qui se densifient ; la logique spatiale de construction de logements, à la fois centrifuge (quittant progressivement Roanne pour les communes périphériques) et axiale (sur les principaux axes routiers desservant

18. Cf. infra, chapitre IV. 19. Cette situation est caractéristique du fait plus général qu'à Roanne, au moins jusqu'à une date récente, le renouvellement du parc immobilier n'est jamais posé comme problème ; ce qui l'est, c'est l'extension de ce parc, c'est-àdire la construction sur parcelles vides. 20. Une étude fine des agents support de cette petite propriété foncière pourrait faire apparaître les conditions de dégagement d'une offre foncière, en particulier on peut faire l'hypothèse que la régression du petit maraîchage intra-urbain a joué dans ce sens un rôle important.

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Roanne), déterminant la logique d'implantation de ces nouveaux ateliers. Nous retiendrons de cette analyse de la reconversion tissage/bonneterie, soit par réutilisation directe d'un élément du capital fixe, soit plus généralement par réarticulation à un tissu urbain matérialisant des conditions sociales de fonctionnement spécifiques, qu'elle ne conduit pas à poser le problème ZI comme réponse aux contradictions économiques tenant à la localisation des capitaux productifs fonctionnant dans la bonneterie : la logique de valorisation des sols par l'équipement inscrite dans une opération ZI ne correspond pas à la logique dominante pour la bonneterie de valorisation du sol par le rapport à la zone d'emploi. 1.3.1.2. Le problème du rapport à l'espace de la mécanique On doit nécessairement faire référence ici à la structuration interne de la branche dans la formation urbaine que nous avons étudiée précédemment. Il semble en effet que les unités les plus importantes se soient historiquement implantées dans une zone particulière, la zone nord de l'agglomération, avec constitution de réserves foncières importantes, donc sans grandes contraintes spatiales de développement. En ce qui concerne les petites et moyennes unités de mécanique, on constate que, alors que la nécessité de leur « desserrement » hors du tissu urbain a été un des thèmes majeurs de l'argumentation présentée par la Chambre de commerce dans ses dossiers de demande de programmation de ZI et qu'effectivement la majorité des demandes d'information locale au service spécialisé de la Chambre de commerce ont concerné ce type d'unité, il n'y a eu desserrement effectif que pour un nombre très limité d'entreprises. Pour comprendre ce décalage, on doit se référer à l'analyse interne de la branche dans la formation urbaine : — Le fonctionnement en sous-traitance subordonne l'investissement en locaux à la priorité des priorités que constitue le renouvellement des moyens de production et double le coût d'une interruption même momentanée de l'activité d'un risque important de perte de marché 21 ; — Le prix moyen du sol ne permet pas de s'approprier, dans le cadre de l'opération de desserrement, une rente foncière importante ; 21. Le secrétaire général du Syndicat de la mécanique a insisté lors de son interview sur le problème de la continuité de fabrication et sur l'obstacle au transfert que représente la trésorerie de ce type d'entreprises, c'est-à-dire la capacité de mobilisation du capital argent (pas d'accès au marché financier, coût et limite des prêts bancaires).

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— Enfin le système de primes consenties par l'appareil d'Etat ne favorise pas ce type de petites et moyennes entreprises (une des conditions de plancher d'investissements primables, la création de trente emplois nouveaux, est en contradiction avec le type de croissance de ces unités qui se réalise de manière dominante par hausse de la composition organique du capital). On comprend donc que la logique dominante soit celle du « statu quo » sur le plan de la localisation pour l'ensemble de ce secteur de petite mécanique, seul un facteur externe impératif entraînant le transfert de l'activité dans de nouveaux locaux (ainsi le transfert d'une de ces unités sur ZI ne se réalise qu'après expropriation dans le cadre de l'opération de rénovation « RN 7 »). *

Pas plus donc pour la mécanique que pour la bonneterie, on ne trouve de contradictions économiques majeures tenant à la consommation de sols qui aient pu constituer comme enjeux réels pour les industriels locaux la création de zones industrielles. Une étude effectuée pour le SDAU de Roanne 2 2 fournit une justification ex-post de cette analyse. Les auteurs du rapport notent en effet à propos de la consommation de terrains industriels équipés (ZI) que : Le rythme de vente des lots n'est pas très soutenu ; en l'absence de contraintes, les créations ou extensions industrielles n'ont pas toujours une zone d'activité aménagée comme support, jusqu'à maintenant quelques établissements seulement ont fixé leur choix sur les ZI du Coteau et de Roanne-Arsenal-Sud. Et cela les amène à conclure que : Les localisations spontanées et un peu anarchiques des extensions actuelles pourraient, si elles s'amplifiaient, compromettre le but recherché et la réussite des zones industrielles aménagées. L'inexistence de l'enjeu (sur le plan qui nous intéresse ici) semble donc apparaître concrètement dans la mesure où la réalisation même des ZI n'a que très peu modifié les stratégies de localisations industrielles. Cependant, il convient de tempérer ce caractère « négatif » de l'ana22. « Les constructions récentes de locaux industriels dans le périmètre du SDAU de Roanne », Doc. D-27, décembre 1970.

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lyse dans la mesure où l'on peut faire l'hypothèse de la constitution progressive dans une phase récente d'un enjeu économique englobant celui des seules ZI : en effet le rapport précité note à propos des locaux industriels que, sur l'ensemble de la période étudiée (1963-1970): Si la ville de Roanne concentre plus de la moitié des extensions ou créations nouvelles, la part de Roanne tend à stagner ou diminuer, car les espaces disponibles vont en se raréfiant alors que la part des communes périphériques, disposant de surfaces libres considérables, augmente régulièrement 23 . Or, dans les deux types d'implantation, sur Roanne et sur les communes périphériques, le report, sur les institutions politiques de gestion de la reproduction de la formation urbaine, d'une partie de la charge d'investissement et de fonctionnement risque d'avoir des conséquences différentes : simple articulation aux réseaux d'infrastructure 24 existants pour la ville-centre (la tendance à la saturation n'apparaissant que comme limite), et par contre nécessité de constitution de nouveaux réseaux pour les communes périphériques (la saturation apparaissant ici comme constante). De plus au niveau des IPC ainsi mises en cause, la différenciation des contraintes financières s'accentue du fait de potentiels fiscaux profondément inégaux. L'hypothèse de constitution d'un enjeu économique à « moyen terme » pour la bourgeoisie industrielle locale recouvre donc la nécessité pour cette dernière d'éviter qu'à terme, la division politique de l'agglomération (sur le mode multicommunal) ne limite le financement « public » de l'accumulation que constituent certains équipements collectifs. Dans cette optique, les opérations de ZI sont moins à envisager dans une logique de réservation de terrains pour l'industrie locale (dont nous avons vu qu'elle n'apparaissait pas pertinente pour l'analyse) que dans le contexte plus général des réseaux d'infrastructure dans lesquels ces opérations s'inscrivent, réseaux qui tendent à élargir l'espace « viabilisé » au-delà du seul espace programmé directement dans l'opération. Bien que ce type d'enjeu ne semble se constituer qu'en tendance et dans une période relativement récente 25 , le problème général posé 23. Le p o u r c e n t a g e R o a n n e / t o t a l du S D A U d e s permis de construire industriels est de 7 0 % en 1963, 54 % e n 1966 et d e 45 % en 1970. 24. Voiries, e a u x , etc. 25. O n doit ici faire référence à l'évolution qui s e m b l e se dessiner d a n s la b o n n e t e r i e , les n o u v e l l e s f o r m e s de c o n c e n t r a t i o n du capital i m p l i q u a n t un n o u v e a u rapport à l'espace (cf. supra, analyse de la bonneterie).

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à travers cet enjeu, à savoir le rapport entre l'intérêt économique de la moyenne bourgeoisie locale et la modalité économique de l'intervention du politique local, constitue, nous l'étudierons plus loin, le lieu de déchiffrement des contradictions entre représentation des intérêts de cette bourgeoisie dans deux centres de pouvoirs particuliers : l'IPC de la ville-centre et la Chambre de Commerce. Après cette étude du rapport à l'espace du capital industriel local dans le cadre de son procès d'accumulation, il est nécessaire de compléter l'analyse par le rapport à la force de travail de ce même capital, non plus de manière intra-urbaine comme nous l'avons déjà fait pour la bonneterie (dans la mesure où il conditionnait le rapport à l'espace de cette dernière) mais au niveau de l'ensemble de la formation urbaine.

1.3.2. La formation urbaine comme lieu de reproduction de la force de travail — le problème des intérêts économiques relatifs à la fermeture de la formation urbaine 1.3.2.1. Nous avons posé, comme deuxième niveau de lecture des enjeux économiques d'une opération de ZI, l'analyse de la formation urbaine comme système fermé spécifiant des conditions particulières à la lutte économique de classe. Le cas de Roanne est caractéristique, du fait des rapports d'une fraction du capital industriel avec une force de travail spécifique : la main-d'œuvre féminine. Compte tenu de l'importance de cette fraction, les femmes constituent près de la moitié de la force de travail utilisée par l'ensemble du capital industriel dans la formation urbaine. Si les deux types de force de travail (masculine ou féminine) sont exploités dans des branches relativement distinctes, ils se trouvent reproduits de manière conjointe dans le cadre de rapports sociaux idéologiques particuliers constituant l'appareil familial. Or cet appareil connote un rapport particulier entre l'idéologique et l'économique : si les valeurs d'échange des deux types de force de travail tendent à se fixer en rapport au coût minimal de reproduction de la cellule familiale 26 , c'est-à-dire que, si le salaire de la femme ne constitue pas un « surplus » mais au contraire une nécessité pour reproduire le ménage, idéologiquement seul le travail masculin tend à être « valo26. Au niveau des conditions sociales moyennes de reproduction dans la jormation urbaine roannaise (on peut en particulier faire référence ici à l'importance du logement dégradé, surpeuplé, qui tend à abaisser ce coût).

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risé » socialement, et la dominance sur le plan de l'idéologie de la famille de la « fonction ménagère » fait que le salaire féminin reste perçu comme « salaire d'appoint », « sur-salaire » 27. Cette analyse est importante pour comprendre, d'une part, la nécessaire articulation entre le procès d'incorporation de force de travail féminine par la bonneterie et celui concernant la force de travail masculine par les autres industries, principalement la mécanique, même si cette articulation n'est pas univoque : la bonneterie incorpore un nombre important de femmes célibataires, dans la mesure où le travail représente pour elles une condition absolue de leur reproduction. On peut faire également référence à une cellule familiale élargie, la tendance étant à l'entrée dans la vie active très jeune pour les filles dans un « environnement » social où le travail productif prime toute poursuite de travail scolaire 28 , et, d'autre part, le contenu même de cette articulation sur le plan de la valorisation 29 de cette force de travail. La sous-valorisation de la force de travail féminine doit en effet être référée : — Au contenu idéologique de ce type de travail, son exploitation dans de petits ateliers n'expliquant pas seule la faible implantation syndicale et plus généralement les rapports de force locaux entre capital et travail ; il serait intéressant à ce niveau d'étudier dans la bonneterie les pratiques de division du personnel entre travailleurs masculins (10 % de la force de travail totale occupés dans des ateliers de tricotage) et reste du personnel sur le plan des rémunérations et leurs conséquences sur la lutte syndicale, la représentation syndicale étant souvent « monopolisée » par les hommes ; — Au contenu économique de sa valorisation en rapport à la reproduction de la cellule familiale, c'est-à-dire que le niveau de valorisation du travail masculin doit être tel qu'il implique 27. Ce phénomène idéologique semble d'autant plus important à Roanne que l'importance même du travail féminin n'a pas ici de contenu normatif, mais objectif, au sens où E. Preteceille note que la reproduction est définie par les caractéristiques de la force de travail qu'il s'agit de reproduire, les conditions de reproduction évoluant donc avec l'évolution des forces productives (op. cit., pp. 19-20). 76. Plus de 40 % des ménages ont un revenu inférieur à 1 400 F par mois en 1969. La masse des salaires du secteur privé supérieurs à 800 F par mois représente environ 58 % de la masse salariale totale du secteur industriel, contre par exemple 76 % à Villefranche, 90 % et 93 % pour le département de la Loire et pour Rhône-Alpes, 91 % pour la France entière : Livre Blanc, p. 24. 77. Déterminé par l'appareil d'Etat central, du fait de la masse des capitaux dévalorisés qui permettent le financement de ces logements ainsi que du taux de dévalorisation (rappelons qu'en 1970, le pourcentage de remboursement des emprunts entre pour 72 % dans le loyer d'équilibre des HLM).

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Roanne, qui se déclare étonné par la modicité des chiffres cités, ceux-ci ne comprenant pas le renouvellement des logements7e. L'utilité sociale du logement vétusté ne signifie pas ici qu'il y ait adéquation stricte entre ce type de logement et le coût de reproduction de la force de travail : le rapport du CRESAL que nous avons déjà cité signale que, en moyenne, la part du loyer dans le budget des ménages est inférieure à 10 % alors que ceux-ci se déclareraient prêts à affecter de 15 à 20 % de leurs ressources au logement 79 . Cependant, même dans ces conditions, l'accès aux HLM s'avère souvent impossible, sinon dans l'attente problématique 80 de la libération d'une HLM ancienne à loyer plus faible. L'utilité sociale du logement vétusté signifie par contre qu'on ne peut « toucher » au tissu ancien sans que se posent de très graves problèmes de relogement. C'est dans ce contexte difficile que nous allons maintenant analyser les trois grandes opérations de logement des dix dernières années.

2.3.

L E S TROIS MACRO-OPÉRATIONS DE LOGEMENT λ

ROANNE

Le terme de macro-opération reflète ici le passage d'un processus de production « à la marge » du tissu urbain à une production reflétant une utilisation poussée de la puissance publique (expropriation, procédures de rénovation urbaine, ZAC...), qui peut permettre un changement structurel dans la composition du tissu additionnel, du fait de la « collectivisation des objets-médias » 8 1 qui y est inscrite.

2.3.1. L'opération

RN 7

Etalée de 1960 à aujourd'hui 8 2 cette opération combine, dans un cadre juridique et financier de rénovation urbaine, la réalisation 78. Compte rendu de l'Assemblée générale de la CCI du 25 septembre 1963. 79. On peut penser que ceci n'est pas indifférent à la réputation qu'ont les Roannais de «paraître», de «tout se mettre sur le d o s » : le langage vestimentaire ne peut-il être un palliatif à un « habitat » sordide ? 80. Attente d'autant plus problématique du fait de la faiblesse du rythme de construction des HLM avant une période relativement récente. 81. Cf. Cottereau, « Les débuts de la planification urbaine... », op. cit. 82. L'opération de « rénovation urbaine et de remodelage d'îlot défectueux » de Roanne dénommée opération RN 7 a été déclarée d'utilité publique par arrêté préfectoral du 12 octobre 1959.

Le logement

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à la périphérie immédiate du centre-ville d'une déviation de la route nationale 7 et d'un ensemble de 1 800 logements sur une surface de 17 ha, peu occupée antérieurement et dernier grand espace libre proche des quartiers centraux. Elle se présente comme une rénovation assez singulière : — Du fait de sa surdétermination par la seule opération de déviation : l'emprise publique correspondant à cette dernière couvrant à elle seule 41 % des logements à démolir, 43,5 % des locataires à reloger, 52 % des activités économiques à déplacer ; — Du fait de l'importance des parcelles de terrain nu et de celles ne supportant que des bâtiments peu importants dans le périmètre de l'opération : celles-ci représentent environ 70 % de l'emprise totale de l'opération (non compris l'emprise publique) et 40 % du nombre de parcelles à acquérir. Cette opération se présente cependant bien comme une rénovation au sens où le Groupe de sociologie urbaine de Nanterre 8 3 emploie ce terme, c'est-à-dire de reproduction d'un espace. En effet, si le programme de logement prévoit 45 % de HLM locatives, réalisées par l'OPHLM, la distribution spatiale de ces logements apparaît significative, car il y a en fait production de deux sous-espaces : — Un premier sous-espace où se trouvent implantés ces logements sociaux, et dont la « dévalorisation symbolique » se marque à deux niveaux : • par sa localisation : excentration relative du fait du rôle ségrégatif évident que revêt l'axe routier 84 ; les HLM locatives sont toutes construites entre la Loire et la route, sur les anciens marécages assainis ; • par son contenu architectural propre (type grands ensembles) : « on s'y égare facilement et il s'en dégage une impression de monotonie... compte tenu du nombre d'habitants et surtout des enfants, l'ensemble manque d'espaces libres et de parcs » 85 ;

83. Henri Delayre, Catherine Dessane, Francis Godard, Chantai O'Callaghan, La rénovation urbaine à Paris, Paris, Mouton, 1973. 84. En 1968 « on envisage deux passages pour piétons » entre les deux côtés de la nouvelle RN 7 (conférence de presse à la Mairie). Le passage est de fait très difficile, et il ne s'agit pas que d'un problème technique. 85. Cf. Crétin, op. cit.

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— Un second sous-espace constitué par des ILN ou logements a i d é s e t auquel s'applique le terme de reproduction ; l'espace détruit à cette occasion est en effet constitué « d'immeubles de construction très ancienne et souvent assez vétustés » 8 7 , l'espace reproduit, au contraire, est caractéristique d'une nouvelle médiation symbolique : différenciation de volumes architecturaux : tours et longs bâtiments en S 88, implantation d'un grand super-marché, etc. Ce nouveau quartier se présentera comme fortement marqué par la présence de catégories sociales à revenus moyens ou élevés et contribuera à rééquilibrer la composition sociale d'un centre qui perd ses cadres moyens. Les difficultés de commercialisation des immeubles non-HLM montrent toutefois les limites d'un tel processus. Comment se place cette opération dans le double système de contradiction étudié précédemment ? Quant aux contradictions développées par la logique de fonctionnement du capital dans la branche locale du BTP, l'opération RN 7 marque le début d'une réduction de ces contradictions ; d'une part, elle a assuré pour la première fois ce que les entrepreneurs demandaient, un programme important pluri-annuel 89 ; d'autre part, elle a donné lieu à un processus de concentration du capital dans la branche, les deux entreprises principales ne se sont engagées que dans un deuxième temps sur l'opération, laissant les plus petites unités soumissionner d'abord (sur des programmes excessifs par rapport à la taille de leurs capitaux), puis les absorbant lors de difficultés financières. Quant aux contradictions tenant au décalage de la formation urbaine au niveau des rémunérations moyennes, et quelle qu'ait été la faiblesse du nombre des logements à démolir la contradiction n'a pas manqué de surgir et d'entraver partiellement le rythme de réalisation de l'opération. Concrètement, cette contradiction s'est manifestée dans l'opposition de deux logiques :

86. A Roanne, tout est relatif, décalé, même la notion de standing. 87. Note du directeur de la Société d'équipement du département de la Loire, Document interne, 1966. 88. Différenciation qui a un double sens : nouvelle composition urbaine en tant que telle et première image de modernité dans l'ensemble urbain. 89. Elle a donc favorisé l'accumulation du capital dans la branche. 90. On en comptait 305 (dont 209 personnes à reloger), contre 1 900 logements prévus.

Le logement

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— La logique opérationnelle du maître-d'œuvre, la SEDL 91, dont le problème principal est l'éviction à l'amiable des occupants des immeubles à détruire — éviction qui dépend directement des possibilités de relogement. La SEDL demande donc à pouvoir utiliser les 180 logements construits pour reloger en priorité les locataires évincés de l'opération et de ce fait financés à 100 % par l'Etat. — La logique différente de l'OPHLM (et de la Mairie prenant en compte l'ensemble du problème du décalage sur la commune. Cette opposition, dans les conditions d'un rapport de force favorable à l'OPHLM (qui dispose de l'affectation des logements), conduira ce dernier à n'affecter à la SEDL que 14 logements de ce type 93 ; dès lors, du fait de l'impossibilité d'une éviction réelle des locataires d'immeubles pourtant déjà acquis par la SEDL, et faute de possibilité de r e l o g e m e n t l e processus d'acquisition amiable tend à se bloquer : les propriétaires des immeubles non encore acquis, constatant que d'autres immeubles acquis depuis plusieurs années se trouvaient toujours occupés par leurs locataires, préfèrent conserver les revenus de leurs biens immobiliers. Il est intéressant de constater qu'il n'y a eu, ce que reproche vivement le directeur de la SEDL (dans la note citée plus haut) au maire de Roanne, « aucune information de la part de la Municipalité pour faire connaître l'objectif principal, c'est-à-dire la construction de 1 896 logements », a fortiori n'y a-t-il aucun discours urbanistique sur le projet. Pour comprendre ce silence contradictoire du maire sur une opération qui fournit pourtant à Roanne une première « image de modernité », on doit se référer à ce qui a été dit dans les chapitres antérieurs sur la personnalisation du pouvoir comme produit du rôle de l'IPC dans la constitution du maire en tant que représentation politique dominante de la bourgeoisie locale sur la scène politique. Le problème difficile de la représentation (présent en particulier dans tout le chapitre sur la scène politique) semble se formuler d'une manière particulière à Roanne. On peut 91. Société d'équipement du département de la Loire. 92. Particulièrement du fait du contrôle étroit du maire sur l'OPHLM et en particulier du contrôle sur l'affectation des HLM (à mettre en rapport au problème spécifique de la personnalisation du pouvoir politique à travers un système de paternalisme politique au plan des rapports individuels entre chaque citoyen et le maire). 93. Et seulement 36 logements dans des H L M anciennes ; donc plus accessibles. 94. Alors que 80 % des locataires acceptaient un relogement dans les HLM prévues par l'appareil d'Etat dans ce but, donc particulièrement aidés, seuls 25 % de ces mêmes personnes peuvent payer le loyer d'une HLM normale.

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penser qu'il revêt partiellement la forme d'une « identification » 9 5 qui ne nécessite aucune justification, aucun « discours sur » 96 . Le « paternalisme politique » qui en est le produit, s'explique d'autant mieux si l'on considère que c'est l'IPC qui est le fondement de l'alliance de la bourgeoisie locale avec l'importante petite bourgeoisie ; or N. Poulantzas 97 nous rappelle l'importance dans l'idéologie petite bourgeoise du « fétichisme du pouvoir », d'une certaine « statolâtrie » (notions qu'il est éclairant pour nous de rapporter au niveau local). Il est significatif de constater qu'attaqué sur ce terrain même par le candidat UDR, fort du maniement des notions gaullistes de participation et de concertation, le maire sera conduit progressivement à changer partiellement de terrain et à faire a posteriori des « discours sur... », des conférences de presse..., à se justifier. C'est dans ce sens que jouera également la crise économique de 1965, qui ébranle profondément les différents niveaux structurels de la formation urbaine.

2.3.2. L'opération

Parc des sports

Cette opération consiste à construire en banlieue un grand ensemble de 1 100 logements, en cours de réalisation actuellement, dont 70 % de HLM, tous réalisés par l'OPHLM, et 30 % d'ILN ou autres logements aidés. 2.3.2.1. La logique principale (la détermination de l'opération) Avec la situation de crise qui se développe à partir de 1965, il y a recoupement entre l'intérêt politique qu'a l'appareil d'Etat central d'affecter des contingents croissants de HLM à l'agglomération roannaise, pour éviter qu'il y ait focalisation de la responsabilité de la crise à son niveau (focalisation qui, comme nous le notons à propos du problème des zones industrielles, si elle est organisée systématiquement par l'entente politique locale, peut permettre à celle-ci de reconstituer son pouvoir de représentation ébranlé par les contradictions sur le terrain), et l'intérêt politique qu'a l'IPC de montrer par une intervention importante dans l'économique qu'elle représente effectivement l'intérêt de la population de Roanne. Si 95. Représentation = mode décliné de la présence, présence absente mais évoquée, convoquée. 96. Il apparaît par exemple caractéristique que dans certaines « professions de foi électorales », le maire de Roanne déclare qu'il n'y a pas besoin de présenter un programme mais les principes (moraux) qui guideront son action. 97. N. Poulantzas, Fascisme et dictature, Paris, Maspero, 1970, p. 262.

Le logement

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on ajoute à cette détermination d'une politique du logement effective 98 le double problème : — L'un, économique, qui tient à la nécessité pour l'IPC de prendre en compte le décalage spécifique de la formation urbaine roannaise au niveau des rémunérations — nécessité qui implique de jouer au maximum la tendance à la baisse de la charge foncière ; — L'autre, proprement politique, qui se réfère à ce que nous avons déjà vu à propos des zones industrielles, à savoir que le maire réduit le traitement économique au seul espace qu'il contrôle politiquement : la commune-centre. Nous obtenons la logique de localisation sur le dernier grand terrain libre de la commune-centre 99 , terrain à faible prix, largement excentré par rapport à la ville, situé dans le tissu industriel nord (sous le vent de la cheminée CTA 100 dégageant une fumée particulièrement acide) mais, comme le dit avec une fausse naïveté C. Cretin, « ce choix dirigé par le prix du terrain sera corrigé en partie par le soin accordé aux espaces boisés qui le sépareront des zones industrielles ou qui l'égaieront » ! 2.3.2.2. La logique secondaire (la forme de l'opération) Une fois déterminée la nécessaire autonomie de l'opération (déterminée de fait par son excentration), et dans le contexte politique de l'époque où l'urbanisme devient un thème idéologique sur la scène politique, rappelons ici que la crise de 1965 a produit une inversion dans la représentation idéologique : à une phase où les formes spatiales de la reproduction se déduisaient des processus de production 101 a succédé une autre phase où, pour la première fois, le problème des formes spatiales a commencé à être posé en termes spécifiques, articulés aux termes correspondant dans la formation sociale, l'urbanisme a alors acquis droit de cité à Roanne, soit comme élément de lutte politique entre le maire et l'UDR, soit encore à travers des questionnaires, des débats... Ainsi, le Parc des sports sera : 98. Politique qui se développe sur un rythme sans précédent (local) depuis 1968 et que le développement de la capacité de production du BTP autorise à partir de 1965-1967. 99. Lot de terres basses et sablonneuses entre l'Arsenal, l'usine de textiles artificiels, le canal de la Loire. 100. CTÁ = Compagnie des textiles artificiels. 101. Ce que nous avons appelé dans le chapitre III une logique endogène des rapports production/reproduction.

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...Une unité autonome avec église, écoles, maison de jeunes et centre commercial. A partir de trois immeubles centraux élevés, les autres bâtiments auront des hauteurs décroissantes et imbrication doit positions

avoir

en équerre

pour

effet

d'éviter

la monotonie

leur

des dis-

L e centre est conçu pour la circulation des

m.

piétons autour d'une pièce d'eau et les véhicules desserviront les immeubles par la périphérie sans pouvoir accéder à cette agora centrale. Ainsi

un effort

notable

est entrepris

pour

loger

une

pulation

aux modestes ressources dans un lieu qui soit plus

machine

à habiter

po-

qu'une

103.

En attendant, les 500 premiers logements

sont occupés

sans

que

les équipements aient été entrepris, hormis l'école...

2.3.3. L'opération L'opération ZAC,

2

Ilot 2, deuxième programme

est actuellement de

Ilot

à la

représente

phase la

d'approbation

première

tranche

de rénovation, qui du d'un

projet

de

projet

en

création

global

de

restructuration de la partie la plus vétusté et la plus ouvrière

du

secteur central de la ville. L e programme proposé pour le V I e Plan comprend 300 logements de moyen et bon standing, 2 000 m 2 de surface commerciale ou de bureaux et un centre administratif. Il est proposé de réaliser ultérieurement

600

autres

logements,

dont

seulement

150

HLM,

6 000 m 2 nouveaux de commerces et de bureaux et des parkings. Le

projet est clair : d'un

centre-ville, dont

nous

avons vu

au

long du texte toutes les faiblesses, il s'agit de passer à un centre qui soit selon le projet « un phare à la cité et à la région » . D e la semi-rénovation qu'a pu constituer l'opération R N 7, on passe à la logique presque « pure » —

de la pratique rénovatrice actuelle :

Rénovation-déportation

104

: la première tranche va toucher un

des quartiers les plus vétustés et les plus surpeuplés de Roanne. Les quelques H L M prévues ne le sont pas dans la première tranche, et, en tout état de cause, on peut faire l'hypothèse qu'elles ne seraient pas accessibles à la population déportée ; —

Logique

symbolique

évidente : la constitution

d'un

nouvel

objet-médium de prestige est posée comme pouvant renverser 102. Type RN 7 dans son sous-espace HLM. 103. Cf. Crétin, op. cit. 104. Un projet de 500 PLR est prévu dans la zone sud de la commune.

Le logement

127

au moins deux tendances structurelles : le faible développement du « tertiaire supérieur » à Roanne (et l'intégration du tertiaire industriel dans le cadre bâti industriel) — or il s'agit de vendre en deux tranches 10 000 m2 de bureaux —, et la préférence des CSP « supérieures » pour l'habitat individuel. Mais le projet est cohérent avec ce que nous notions dans le chapitre III sur le fait que le problème de renouveau économique de Roanne s'articule, depuis la crise de 1965, à un contre-modèle d'industrialisation dans la représentation idéologique dominante de la crise, d'où ce que nous signalions alors sur le « rapport d'extériorité » caractérisant cette représentation idéologique : référence à une nouvelle image de la ville, à un nouveau modèle urbain qu'il est nécessaire de constituer pour se « placer » sur le marché généralisé des localisations industrielles dans la formation sociale française I0S. Sur le plan de la lutte sur la scène politique, le projet Ilot 2 permet à court terme au maire actuel de se placer avec avantage sur un des terrains idéologiques important dans la lutte électorale locale, l'urbanisme, sans compromettre sa position par rapport à la petite bourgeoisie commerçante qui peut ne voir qu'à moyen terme le problème des parkings additionnels, tandis qu'en insistant sur le long terme (et le caractère très progressif du projet), il peut faire valoir aux populations concernées qu'un « mouvement social » ne serait pas d'actualité.

105. L'Ilot 2 est présenté comme nécessaire pour « vendre Roanne », thème préféré de la Jeune Chambre économique.

/jj¡ haul : le groupe d'habitation «Parc des Sports». d'exercice du pouvoir de classe. un lieu spécifique

Ett bas:

l'Hôtel

de

Ville

île

Roanne,

Le Livre Blanc constate « un goût pour l'habitat individuel plus marqué à Roanne que dans d'autres unités urbaines ».

Les limites de la constitution d'une centralití urbaine par la classe bourgeoise...

CHAPITRE V

L'Association pour l'établissement du Schéma directeur d'aménagement et d'urbanisme

En 1969, une Association selon les dispositions de la loi de 1901 est créée avec pour objet l'établissement du Schéma directeur d'aménagement et d'urbanisme de l'agglomération Roannaise. La composition, le mode de fonctionnement de cette association et les deux textes successifs de Livre Blanc qu'elle a publiés à la date de février 1972 tel est le troisième élément que nous avons retenu pour rendre compte du rôle de l'institution communale dans la gestion politique de l'urbain. Notre propos est donc ici d'analyser : — En quoi, dans la conjoncture locale, une telle Association constitue un enjeu pour les différentes forces sociales en présence. C'est-à-dire à quelles contradictions dans les rapports sociaux correspond la création d'une telle institution et selon quelles modalités cette institution peut-elle les traiter ? Quelles nouvelles contradictions peuvent se développer du fait même de la création d'une institution de ce type ? Cet examen étant axé sur la mise en lumière des problèmes posés, de ce fait, aux représentations de classes dominantes politiquement dans l'IPC par rapport au type de gestion politique de l'urbain qu'elles entendent maintenir. — Comment, à travers l'analyse des conditions même de création de l'association, de sa composition, de l'organisation de son fonctionnement, du contenu de son travail (les projets de Livre Blanc), les forces sociales dominantes dans la Municipalité ont pu, ou non, dans ce champ spécifique, imposer des modalités de fonctionnement et une orientation de cette production compatibles avec le type de traitement politique des contradictions dans les rapports sociaux qu'elles tentent de réaliser au niveau de l'IPC. 1. Projet de Livre Blanc en novembre 1971, texte définitif en février 1972.

130

Institution

communale

et pouvoir

politique

1. L'ASSOCIATION COMME ENJEU

Pour faire apparaître la nature de l'enjeu que représente cette Association, dans l'optique indiquée ci-dessus, nous aurons à reprendre ici, à titre de rappel, certaines des indications qui nous ont été fournies plus haut, soit dans le cadre de l'analyse de la scène politique, soit dans les chapitres consacrés à la production des zones industrielles ou du logement. Il est toutefois nécessaire, auparavant, de développer de façon plus précise les éléments d'analyse 2 qui permettent de saisir les problèmes que pose à l'étude de la gestion politique de l'urbain le développement actuel d'institutions locales dites de planification ou d'aménagement urbain.

1.1.

NOUVELLES

MENT URBAIN

INSTITUTIONS

ET SCÈNE

DE

PLANIFICATION

OU

D'AMÉNAGE-

POLITIQUE

La mise en place d'une institution spécifique chargée de l'élaboration d'un Livre Blanc sur le développement et l'aménagement de l'agglomération, étape préparatoire à la publication d'un SDAU \ n'est pas un phénomène isolé, caractéristique de la ville étudiée. On constate en effet depuis quelques années la multiplication dans les agglomérations et régions urbaines françaises d'institutions nouvelles, aux statuts et attributions d'ailleurs variés, chargées d'étudier et de « planifier » le développement urbain et parfois de le gérer, en relation plus ou moins étroite avec les institutions communales d'une part 4 , et avec un appareil central, directement rattaché à l'exécutif d'autre part — appareil qui joue un rôle important d'incitation et de contrôle quant au développement local ou régional 5 . Il nous paraîtrait prématuré, faute de possibilités d'analyse suffisantes de situations urbaines diverses, de proposer ici une interprétation exhaustive de ce développement des institutions de « plani2. Evoqués seulement lors de l'approche théorique de la scène politique (chapitre II). 3. Schéma Directeur d'Aménagement et d'Urbanisme. 4. OREAM, GEP, missions des villes nouvelles, agences d'urbanisme, commissions locales des PME, commissions SDAU, syndicats intercommunaux d'études, sociétés filiales de la Caisse des dépôts, etc. 5. DATAR pour une partie de ses attributions, Groupe central de planification urbaine, Service régional et urbain du Plan, DAFU.

La préparation

du Schéma

directeur

131

fication urbaine » ou d'« aménagement urbain » (quelles contradictions de la formation sociale le pouvoir d'Etat cherche-t-il à traiter ici, avec quelles modalités dominantes selon le type d'institution ou les situations urbaines particulières, au prix de quelles contradictions nouvelles ?). Nous nous limiterons donc à proposer ici quelques éléments théoriques relatifs aux problèmes que posent la production d'un Livre Blanc et la préparation d'un SDAU dans une conjoncture telle que celle de la ville étudiée : quels éléments nouveaux la reproduction du modèle national introduit-elle dans la conjoncture locale ? Quels peuvent être les effets prioritairement recherchés par le pouvoir d'Etat lorsqu'une telle introduction se réalise dans ce type de conjoncture particulière ? Et quels sont les problèmes prioritaires que doivent traiter, à travers cette innovation, les forces sociales politiquement dominantes au niveau local ? Nous avons défini plus haut la scène politique comme une partie de la scène idéologique, en rapport spécifiquement à la région politique de l'idéologie dominante : le caractère particulier de cette région idéologique étant précisément d'être politique alors que les autres régions et, par exemple, l'urbanisme, l'économie, sont au contraire « dépolitisées ». Face au développement des contradictions dans les rapports sociaux politiques qu'autorisent le suffrage universel et le jeu des organisations partisanes, nous avions noté qu'une des réponses du pouvoir d'Etat pouvait être la mise en place de formes nouvelles de rapports idéologiques des agents à l'Etat, ignorant souvent le suffrage universel et l'idéologie politique, pour se fonder sur des relations de « partenaires sociaux » et sur l'idéologie économique. Une association comme celle que nous étudions apparaît bien, en effet, comme un nouvel élément sur la scène idéologique, proposant aux agents un nouveau mode de rapport à l'Etat, qu'il s'agisse de l'appareil d'Etat central ou de l'IPC, en les conviant, en tant que producteurs, consommateurs et usagers, à participer à la définition commune, concertée avec l'administration, d'un développement économique présenté comme condition de la satisfaction de l'ensemble de ces « partenaires sociaux » et comme limite aux aspirations particulières qui nuiraient aux autres partenaires. La négation de l'appartenance de classe des agents est assurée ici comme dans le rapport citoyen-Etat, et les éléments à partir desquels peut se développer la lutte politique (suffrage universel, représentation partisane) sont éliminés de ces nouvelles institutions : les Municipalités y participent comme les administrations locales en tant que gestionnaires de l'espace urbain, aux côtés des syndicats

132

Institution

communale et pouvoir

politique

patronaux et ouvriers réunis, des chambres de commerce ou des responsables de caisses d'allocations familiales. Le développement de ce type d'institutions correspond donc à une modification des structures de gestion politique de l'urbain et a des conséquences sur le mode de fonctionnement de la scène politique traditionnelle. En effet, dans une conjoncture telle que celle de la ville étudiée, les forces sociales dominantes sur la scène politique locale et dans la Municipalité doivent s'assurer que le mode de traitement des « problèmes urbains » effectué en ce nouveau lieu institutionnel ne soit pas en contradiction avec les intérêts défendus jusque-là à travers l'IPC. C'est en fait un problème de maintien de la centralisation du pouvoir politique local qui est posé ici, essentiellement : le traitement des problèmes du développement local au sein de l'Association pour l'établissement du SDAU ne doit : — Ni fournir des éléments à une contestation par les classes dominées du type de pouvoir politique de classe exercé à la Mairie ; — Ni conduire à un éclatement de l'entente politique localement dominante, qui pourrait être notamment provoqué par un renforcement du courant de représentation UDR s'appuyant sur des éléments « modernistes », techniciens, sensibles à l'idéologie économique dominant les travaux de ce type d'association ; — Ni diminuer, par la rupture évoquée ci-dessus ou le type d'analyse proposé de la situation locale, la capacité de défense de ses intérêts par cette entente politique locale face à la politique de l'appareil d'Etat central. Quant à la classe ouvrière, dont on a vu plus haut à quelles conditions elle peut développer une organisation politique autonome par rapport à l'appareil d'Etat, en rapport au mode de fonctionnement de la scène politique traditionnelle, le problème lui est désormais posé, par l'extension de ces formes de concertation véhiculant l'idéologie économique dominante, du développement de nouvelles formes autonomes de lutte sur « les problèmes urbains » : le logement, les « rénovations », les conditions de vie des travailleurs immigrés, les transports publics, etc.

La préparation

1 . 2 . NOUVELLES

INSTITUTIONS

DE

du Schéma

PLANIFICATION

directeur

OU

133

D'AMÉNAGE-

MENT URBAIN ET ENJEU ÉCONOMIQUE

Les éléments d'analyse proposés ci-dessus ont fortement mis en avant les modalités idéologiques d'une institution du type de l'Association pour l'établissement du SDAU et leurs incidences sur les rapports politiques dans la ville étudiée. Une telle Association en effet, de par ses caractères structurels, ne peut traiter par elle-même les contradictions économiques qui marquent la structure urbaine locale que sur le mode idéologique 6 , et ceci d'autant plus que nous ne la saisissons que dans ses premières années consacrées à la seule élaboration d'un Livre Blanc. Il reste toutefois, pour mieux saisir la nature de l'enjeu que représente cette Association dans la ville étudiée, à préciser ce que peut signifier principalement un SDAU dans une situation urbaine de ce type. Nous avions noté, lors de l'analyse de la scène politique, que l'IPC peut être utilisée comme centre de résistance à la centralisation du pouvoir politique de la classe ou fraction hégémonique au niveau national. Ceci, d'une part, sur le plan de la scène politique et idéologique — nous venons d'en voir ci-dessus une application — et, d'autre part, sur le plan de l'articulation de l'IPC à l'économique, par la volonté de défense par une Municipalité de certains intérêts des classes ou fractions non hégémoniques qu'elle représente, soit au niveau de la consommation collective, soit au niveau des conditions de survie des unités locales de production et d'échange. Mais nous avions également observé que, du fait du maintien par l'appareil d'Etat d'un cadre juridique et financier limitant au maximum la capacité de politiques locales en contradiction avec les intérêts de la fraction hégémonique, l'IPC était maintenue de ce fait dans une situation de lourde incapacité lorsqu'elle devrait pouvoir accompagner le développement urbain, c'est-à-dire l'accumulation du capital, par des opérations d'« urbanisme » ou d'« aménagement urbain ». C'est dans ce contexte qu'il convient de situer la signification d'un SDAU.

6. Elle ne peut en effet que produire des études et faire des propositions qui devront finalement être soumises aux institutions politiques et acceptées par elles pour devenir document politique officiel.

134

Institution

communale et pouvoir

1.2.1. Les régions à accumulation

politique

rapide du capital

Si nous distinguons de façon schématique, dans l'espace français, régions ou zones d'accumulation rapide du capital et zones à économie stagnante ou de « reconversion », il apparaît alors que la mise au point d'un SDAU constitue un enjeu différent dans l'un ou l'autre de ces deux types de situation, en se plaçant du point de vue de la politique économique de l'Etat. Dans les régions à accumulation rapide du capital, l'articulation principale de l'Etat à l'économie régionale n'est pas directe. Elle passe principalement par le biais des interventions de l'Etat au niveau de sa politique économique nationale en faveur de certains secteurs de la production : politique sélective en faveur de l'industrialisation déjà présente dans le Ve Plan et accentuée au niveau du VI e , accord Etat-Sidérurgie, PlanCalcul, politique de l'énergie, etc. Ce sont ces interventions directes dans l'économique qui provoquent ensuite en matière de localisation régionale et de développement urbain ce que l'on peut considérer comme des « effets sociaux inattendus », à savoir que telle firme accroît ses investissements, s'implante dans telle région, que l'emploi se développe dans telle ville, etc. Ce développement rapide et important de la structure productive appelle dès lors une adaptation de la structure urbaine. Notamment il devient important que l'intervention économique de l'Etat, au niveau des branches, qui a produit ces effets, soit redoublée au niveau local par la réalisation des équipements d'infrastructure ou d'accompagnement nécessaires. Il doit y avoir, au niveau de la gestion urbaine, accompagnement de la croissance économique, et les institutions et instruments d'« aménagement urbain » doivent ici permettre de réaliser ces objectifs. Enfin, l'Etat, afin de pouvoir réserver la priorité dans l'utilisation de ses ressources aux interventions directes dans les secteurs de pointe (c'est-à-dire à une dévalorisation massive du capital allant dans le sens de l'évolution monopoliste), doit en même temps obtenir que les collectivités locales concernées prennent en charge une part croissante des interventions locales nécessaires. Dans ces conditions, pour ces régions urbaines en expansion, c'est l'enjeu économique qui est déterminant dans les relations pouvoir d'Etat-institutions locales en matière de mise en place d'institutions ou de plans d'aménagement urbain, et la résistance éventuelle des forces sociales localement dominantes dans les institutions locales, et notamment dans l'IPC, sera combattue politiquement 7 . 7. Cette lutte pourra prendre des formes variées : imposition du régime de la Communauté urbaine à six grandes agglomérations françaises en 1966 ;

La préparation

1.2.2. Les régions en

du Schéma

directeur

135

stagnation

En revanche, dans les zones en stagnation (et la ville étudiée relève de ce type de situation), la nature de l'enjeu, et donc des rapports entre pouvoir d'Etat et forces localement dominantes, est d'un autre ordre. Le processus de développement inégal des régions et des villes, en référence à leur place dans l'accumulation du capital, laisse un grand nombre d'unités urbaines subsister sur la base de rapports non monopolistes, ou pré-capitalistes de production. Ici, il n'y a pas, comme dans la situation précédente, de mutation ou de développement important et rapide de la structure productive locale, qui appelleraient une adaptation de la structure urbaine. Le problème principal pour l'Etat est non pas l'accompagnement, au niveau de la gestion urbaine, de la croissance économique, mais une gestion politique de cette situation de régression économique, qu'il s'agisse de gérer une crise de l'emploi latente ou exacerbée selon les lieux et les périodes, ou le dépérissement des couches de petits entrepreneurs et de commerçants progressivement laminées par l'évolution économique générale. L'enjeu, pour l'Etat, est ici de continuer à être perçu politiquement et idéologiquement par les populations de ce type de villes, malgré la crise, comme Etat audessus des classes et garant de l'intérêt général, et par là d'éviter la rupture de la cohésion de la formation sociale. Certes, pour maintenir la crédibilité de son discours sur la reconversion et l'aménagement du territoire, crédibilité émoussée par l'ampleur géographique et la persistance du phénomène, l'Etat financera directement dans ces zones, de façon ponctuelle, l'implantation de quelques unités de production dont les caractéristiques permettent précisément la localisation dans des structures urbaines et régionales non profondément remaniées. Mais il s'agit bien là d'une intervention principalement politique, sans logique économique déterminante, et, dans ce type de villes, les nouvelles institutions ou les plans d'aménagement urbain ne représentent pas pour le pouvoir d'Etat, en cas d'opposition éventuelle avec les forces sociales localement dominantes, un enjeu économique déterminant au sens où nous l'avons posé plus haut à propos des villes en expansion. Pour Roanne, cette situation est particulièrement nette, dans la mesure où, au cours des années récentes, la ville a vu précisément se développer en son voisinage la métropole d'équilibre conflit actuel entre gouvernement et certaines municipalités de la région de Fos-sur-Mer ; création d'établissements publics tels que celui de la BasseSeine, etc.

136

Institution

communale

et pouvoir

politique

Lyon - Saint-Etienne - Grenoble, dotée d'une O R E A M 8 élaborant documents et plans d'aménagement, regroupement dont elle a été exclue malgré sa demande. La naissance de l'Association pour l'élaboration du S D A U représente donc bien principalement, dans ce contexte régional spécifique, un résultat du développement des contradictions sur la scène idéologique et politique locale. Pour poursuivre l'analyse de notre objet, à savoir la création de l'Association dans sa relation à la gestion politique de l'urbain par l ' I P C , nous disposons donc désormais : —



D'une part, de la connaissance des contradictions propres aux rapports sociaux économiques (tels qu'ils ont été analysés à l'occasion de l'étude des Z I et de la production du logement) et des contradictions relatives à la scène politique (étudiées au chapitre II) ; D'autre part des éléments d'analyse proposés ci-dessus sur les rapports qui s'établissent, dans une conjoncture telle que celle de la ville étudiée, entre un nouvel appareil d'« aménagement urbain » du type de l'Association et la scène politique et idéologique locale.

Ces informations nous conduisent à examiner maintenant les modalités de création et de fonctionnement de l'Association, ainsi que le contenu donné au Livre Blanc, en centrant l'analyse sur les deux enjeux, d'importance inégale, qui sont principalement décelables : —



D'abord, et avant tout, la nécessité pour les forces sociales présentes à la Municipalité d'éviter l'appropriation de l'Association par d'autres forces l'utilisant comme centre de pouvoir concurrent, donc nécessité d'articuler ce nouvel appareil à la scène politique traditionnelle et de limiter son autonomie ; Ensuite, mais comme un enjeu secondaire, et lié aux résultats de la lutte principale, le contenu du Livre Blanc en tant que discours sur la ville qui doit être contrôlé.

8. Organisation

régionale d'études d'aménagement

d'aire

métropolitaine.

La préparation

du Schéma

directeur

137

2. LA CRÉATION ET L'ORGANISATION DE L'ASSOCIATION

2.1.

U N AMÉNAGEMENT LOCAL D'UN MODÈLE NATIONAL

Au cours des dernières années, le développement des contradictions relatives à la reproduction du capital ou de la force de travail s'est traduit par un ébranlement de la scène idéologique et politique locale ; et la création de l'Association apparaît à la fois comme un symptôme de cet ébranlement et comme l'une des tentatives de réunification de cette scène idéologique et politique. La persistance de la crise du logement et le développement de la crise de l'emploi, effets les plus apparents et les plus sensibles politiquement des conflits capital-travail et intercapitalistes dans la ville étudiée, provoquent en effet un débat public : étude de la CFDT sur la situation économique en 1966, étude en réponse de la Chambre de commerce, enquête de la Jeune Chambre économique, campagne municipale de 1971 fortement axée sur ces thèmes, manifestations syndicales à l'occasion de fermetures d'entreprises ou de licenciements, etc. Devant l'évolution de la situation économique le maire lui-même modifie son discours : en 1961, il déclare que « l a situation financière de la ville, grâce à sa prospérité économique, permet des projets ambitieux sans demander aux habitants des charges fiscales très importantes ». En 1963 encore, il établit un tableau qui, pour être plus nuancé, n'en demeure pas moins optimiste : « Les raisons qui freinent actuellement l'expansion industrielle résident surtout dans le retard pris dans le domaine du logement, car les industries sont très prospères... ; la ville connaît le plein emploi et se trouve située sur des voies de communication qui sont celles de l'Europe. » Mais en décembre 1966 lors du passage du premier ministre dans la préfecture voisine (Saint-Etienne), le maire signale que « les problèmes du département ne doivent pas être envisagés dans la seule optique de Saint-Etienne » et insiste pour qu'on tienne compte des problèmes de l'emploi dans sa ville. En d'autres termes, la gravité des tensions au niveau des rapports sociaux économiques atteint un niveau tel que la seule idéologie politique (suffrage universel, pluralisme des partis, IPC et Etat garants de l'intérêt général) ne parvient plus à gérer de façon satisfaisante ces contradictions. Cette idéologie, en effet, a tendu jusqu'alors à imposer aux agents, à Roanne, une lecture de la situation locale dans laquelle l'IPC n'avait pas de motifs d'intervention dans l'économique, celui-ci s'auto-développant « naturellement » à partir de ses capacités propres, et la non-intervention de l'IPC n'ayant donc au-

138

Institution

communale

et pouvoir

politique

cun lien avec les conditions locales de reproduction du capital. La crise économique de 1965, le débat public qu'elle provoque aboutissant à une mise en cause directe de cette capacité des détenteurs locaux du capital à assurer le développement de la ville, cette idéologie devient inadaptée et insuffisante : il devient nécessaire désormais que le politique (ici l'I PC) apparaisse comme capable de gérer partiellemet l'économique. D'où l'accent mis dès lors sur l'intérêt que porte la Municipalité à l'aménagement urbain, c'est-à-dire à une transformation du système de reproduction. Pour l'entente politique localement dominante, le risque est en effet double : — Risque de diminution de sa capacité à drainer, au niveau de la scène politique, une forte partie des voix ouvrières, dans un contexte de dénonciation, par les organisations partisanes concurrentes, de la politique antérieure de non-intervention, présentée comme une pratique de collusion avec le patronat local ; — Risque de rupture de cette entente elle-même par l'exacerbation des conflits d'intérêts entre les éléments de la bourgeoisie industrielle et de la petite bourgeoisie locales. Dans ce contexte, un organisme d'étude technique des problèmes économiques de la cité constitue à la fois une réponse aux impatiences et aux critiques de certains 9, et, s'il est en fait politiquement contrôlé, le lieu possible d'une réunification idéologique à la fois autour des analyses et projets, parés de leur valeur « technicienne » et « apolitique », et éventuellement d'une critique collective de l'attitude de l'Etat à l'égard de la région. Le modèle national, c'est les commissions d'élaboration des SDAU que les préfets ont été chargés de mettre en place par un décret de mai 1969 10. Quant au réaménagement, il apparaît à travers deux types d'informations : le calendrier de mise en place de l'association, et les structures de celle-ci comparées à celles prévues par le décret de mai 1969.

9. Notamment une lutte contre la tentative de l'UDR locale de développer sa capacité de représentation, y compris dans la classe ouvrière, par un recours intense aux thèmes du changement, du modernisme, du développement. La lutte pour la capacité de représentation de la classe ouvrière revêt nous l'avons vu, parallèlement, d'autres formes et notamment l'entrée de la SFIO à la Municipalité en 1971. 10. Décret du 28 mai 1969 (Journal officiel du 8 juin 1969).

La préparation

du Schéma

directeur

139

2.1.1. Les dates En 1969, l'aire d'étude de l'OREAM voisine est délimitée ; la ville en est exclue. En mai paraît le décret relatif à la mise en place de commissions d'élaboration des SDAU. Or, dès le mois de décembre de la même année se tient une Assemblée générale constitutive de l'Association. Et il faut attendre juin 1970 pour que le préfet publie pour sa part un arrêté délimitant le périmètre du SDAU, et juillet 1970 pour qu'il crée, en application du décret de mai 1969, une commission locale du SDAU qui, depuis, n'a d'ailleurs pas encore été réunie.

2.1.2.

Les structures

comparées

(Le lecteur se référera au tableau donné page suivante.) Ces informations sur les dates de mise en place et les structures de l'Association font bien apparaître les traits essentiels du réaménagement : mise en sommeil de la structure officielle prévue par l'Etat, et, dans la structure concurrente mise en place, renforcement sélectif de l'aspect concertation entre partenaires sociaux et remontée du politique local au niveau de la direction (où il se trouve entouré de représentants des appareils d'organisation économique et idéologique de la bourgeoisie locale) contrôlant les travaux et en position numériquement et financièrement dominante par rapport aux administrations de l'Etat n .

2 . 2 . LA SIGNIFICATION ET LES LIMITES DU RÉAMÉNAGEMENT

L'Association ainsi organisée, produit de l'état des rapports sociaux locaux, constitue un lieu de traitement des contradictions qui structurent ces rapports, mais lieu de traitement spécifique : il s'agit d'un appareil idéologique, qui traitera sur le mode de l'idéologie les contradictions locales. En tant que telle, elle constitue, sur la scène locale, un nouveau lieu d'organisation idéologique des agents et constitue un enjeu par rapport au mode de fonctionnement antérieur de la scène politique : les représentations partisanes doivent compter avec les effets possibles des travaux de l'Association, d'une 11. Alors que, dans la structure prévue par le décret de 1969, le contrôle des représentants de l'Etat s'exerce sur une consultation limitée aux communes (niveau 1), sur les travaux réalisés par l'administration à son initiative.

140

Institution communale et pouvoir

MODÈLE NATIONAL Commissions selon le décret de 1969 DIRECTION

Procédure conduite sous l'autorité du préfet, par la direction départementale de l'équipement ou son représentant.

CONSULTATION

Niveau 1 Constitution d'une commission composée de représentants des communes et des s e r v i c e s de l'Etat. La commission est saisie du programme d'études, de leur avancement et des options, mais n'a pas

politique

AMENAGEMENT LOCAL Association type loi de 1901

CONSEIL D'ADMINISTRATION :

Présidé par le maire de la villecentre avec 3 vice-présidents (2 députés dont le député UDR candidat aux municipales et un maire). Composé de : — 4 maires de l'agglomération, — 3 maires ruraux, — 2 députés conseillers généraux, • préfet, sous-préfet, représentant du directeur départemental de l'équipement, receveur des finances, • un r e p r é s e n t a n t de la Chambre de commerce, de la Chambre des métiers, de la Chambre d'agriculture, • un représentant des jeunes dirigeants d'entreprises, de la Jeune Chambre économique, du Comité d'expansion. Le CA contrôle les travaux du bureau d'études : programme des études, liste des membres des groupes de travail, présidence de ceux-ci, approbation des études faites, décision sur les options. Niveau 1 Assemblée générale de l'Association composée de 50 personnes environ, se réunissant essentiellement pour approuver le budget et les travaux réalisés : — 7 maires de l'agglomération, 8 maires ruraux, 2 députés conseillers généraux, — préfet, sous-préfet, représentant DDE, receveur des finances,

La préparation

MODÈLE NATIONAL Commissions selon le décret de 1969 l'initiative des des.

étu-

Niveau 2 Association aux travaux de représentants des organismes économiques et professionnels et de personnalités qualifiées.

du Schéma

directeur

141

AMENAGEMENT LOCAL Association type loi de 1901

— les directeurs ou présidents de la Caisse de sécurité sociale, de la Caisse d'allocations familiales, de la Caisse d'épargne, de la Banque de France, — représentants de divers organismes économiques ou professionnels dont ceux cités au titre du CA, les syndicats ouvriers et des personnalités qualifiées. Niveau 2 Constitution de groupes de travail composés de personnes extérieures à l'Association, convoquées par le bureau d'études de l'Association sur une liste établie par le CA. Ces groupes sont encadrés par les vice-présidents du CA (2 députés, 1 maire).

EXECUTION DES ÉTUDES

Service de l'équipement (GEP) avec éventuellement appel à des bureaux d'étude.

Bureau d'études de l'Association composé de 4 personnes, dirigé par un contractuel du service de l'équipement. Elabore les études et les soumet au CA. Liaison avec les groupes de travail sur liste établie par le CA.

FINANCEMENT

Pas de dispositions précises sur ce point dans les textes officiels.

Communes * : 47,7 % (dont 62 % de cette part à la charge de la commune centre). Conseil général : 4 % Etat (DDE) : 36,6 % Chambre de commerce : 10,1 % Chambre d'agriculture : 1,1 % Chambre des métiers : 0,5 %

DES ÉTUDES

Chiffres d u budget de l'année 1971.

142

Institution

communale

et pouvoir

politique

part, sur les agents qu'elles s'efforcent de regrouper, et, d'autre part, sur une remise en cause éventuelle de la hiérarchie et de l'articulation entre elles des institutions politiques locales qu'elles contrôlent actuellement n . Il convient donc maintenant d'examiner en quoi le mode de fonctionnement de l'association a permis ou non aux forces sociales dominantes sur la scène politique locale et dans la municipalité d'atteindre leurs objectifs à travers la naissance d'une telle institution.

2.2.1. Association,

entente politique

locale et classes

dominées

Le premier type de contradiction que pourrait développer la mise en place de l'Association, à savoir qu'à partir de son aspect d'ouverture aux partenaires sociaux elle donne une possibilité nouvelle aux représentations de la classe ouvrière de dénoncer les problèmes locaux en matière de logement, d'emploi, de formation ou d'équipements sociaux comme liés à une politique municipale de classe, ne constitue, dans l'état actuel du rapport de forces sur la scène politique, qu'un aspect relativement secondaire. Les dispositions prises pour limiter la diffusion des débats du Conseil d'administration 13, l'absence de publicité 14 sur les options étudiées ou l'état d'avancement des travaux, montrent que les débats au sein de l'Association n'ont pas pour objet premier dans le temps de rallier une classe ouvrière hésitante, mais bien d'unifier, hors d'un débat public, les représentants d'une bourgeoisie divisée. Cette priorité dans l'objet de la concertation apparaît encore au niveau de la composition du Conseil d'administration de l'Association : face à la contradiction existant entre le comportement majoritairement paternaliste ou autoritaire du patronat vis-à-vis de la classe ouvrière dans les entreprises locales et la perspective de faire siéger ensemble patrons et syndicats au Conseil d'administration, au nom de la logique de la concertation, la solution retenue signifie un abandon de cette dernière : lors de la création de l'Association, il est proposé aux trois unions locales des syndicats ouvriers (CGT, CFDT et FO) d'occuper un siège unique au Conseil d'administration, quitte à s'entendre entre elles pour 12. La restructuration économique et politique de l'espace d'agglomération, actuellement morcellé entre plusieurs IPC, ne doit pas se réaliser aux détriments des forces sociales aujourd'hui dominantes dans PIPC de la commune-centre. 13. La diffusion des procès-verbaux des séances est extrêmement restreinte. Contrôlée par le président, maire de la ville, elle n'atteint même pas toujours tous les membres de l'Assemblée générale de l'Association. 14. Notamment dans la presse locale.

La préparation

du Schéma

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143

l'occuper à tour de rôle. Ce qui s'est traduit, naturellement, par le refus des syndicats et leur absence complète au niveau du Conseil, organe de direction effective. De façon plus générale, on notera enfin que, dans la mesure même où la municipalité devait, pour atteindre ses objectifs prioritaires, assurer fortement son contrôle politique sur l'Association, celle-ci ne pouvait en même temps servir de lieu d'intégration idéologique efficace pour les classes dominées : un appareil idéologique fonctionne normalement dans une relative autonomie à l'égard de l'appareil d'Etat stricto sensu et sur la base d'une neutralité libérale, condition de son efficacité sur le maximum d'agents 15 . Que des contradictions trop fortes sur la scène idéologique conduisent l'appareil politique à diminuer cette autonomie, le caractère répressif de classe des deux appareils est alors trop mis en lumière pour que le fonctionnement antérieur puisse persister.

2.2.2. Association,

entente politique locale et pouvoir

d'Etat

L'UNR, organisation politique dominante dans le bloc au pouvoir au niveau national, peut saisir l'Association comme un nouveau lieu où développer sa lutte pour enlever sa fonction de représentation de la population à une entente politique locale à direction bourgeoise, certes, mais hostile à la nouvelle hégémonie. Au niveau des relations entre branches de l'appareil d'Etat, en revanche, et ici entre Préfecture et commune-centre, les rapports à propos de l'Association s'établissent en termes de compromis : ce que nous avions noté plus haut à propos de l'absence d'enjeu économique déterminant dans une Association de ce type, vu la place de la ville dans le contexte régional 16 , rend déjà compte de l'accord réalisé pour substituer la formule locale d'Association, avec sa forte spécificité 17, à la commission officielle, mise en réserve. Lorsque le préfet nouvellement nommé consacre l'une de ses premières visites hors de la Préfecture à la ville concernée et y annonce qu'il sera le « préfet de tout le département », il n'entend certes pas apporter ici les aides économiques que l'Etat réserve à Saint-Etienne, élément de la « métropole d'équilibre » régionale. A cette occasion, comme dans le compromis sur l'Association, 15. Cf. infra, chapitre VI. 16. Pas de nécessité d'imposer un accompagnement, au niveau de la gestion urbaine, de la croissance économique. 17. Et notamment, pour le point qui nous occupe ici, la place minoritaire des représentants de l'Etat dans le conseil, la soumission du bureau d'études à ce conseil, le financement majoritaire des institutions locales.

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politique

comme encore lorsque le préfet participe régulièrement et activement aux réunions de l'Association (en sus du sous-préfet local), la priorité est donnée à une gestion politique commune de la crise locale avec les élus en place : l'entente politique dominante dans la Municipalité s'assure pour sa part que le fonctionnement de l'Association ne diminue pas son unité et son pouvoir de représentation (cf. ci-dessous) et donc de négociation avec l'appareil d'Etat. Quant à la Préfecture, elle paraît avoir ici un double objectif : — Elle participe avec intérêt à une entreprise qui répond aux vœux du pouvoir d'Etat, dans la mesure où l'Association engage les forces sociales que représente l'entente politique locale dans la logique de la responsabilité des agents locaux dans le non-développement ou le développement de leur ville 18 ; — Elle cherchera à éviter, par sa présence et ses interventions dans les débats, la rupture de cohésion par rapport au niveau national que représenterait un développement trop poussé de l'unité locale reconstituée sur le thème d'une dénonciation de la responsabilité de l'Etat (et des intérêts qu'il privilégie) dans la situation de crise locale.

2.2.3. Association

et unité de l'entente

politique

locale

Reste le point principal, qui commande largement les deux aspects ci-dessus, à savoir : en quoi le mode de fonctionnement de l'Association contribue-t-il à éviter la rupture de l'entente politique des forces sociales dominantes dans la Municipalité, rupture qui serait provoquée par une exacerbation de leurs conflits d'intérêts ? Ces conflits d'intérêts existent, nous les avons relevés dans les chapitres antérieurs, de même que nous avons pu noter qu'ils avaient déjà eu certaines conséquences sur la scène politique locale, telles que des périodes d'opposition marquée entre Chambre de commerce et Municipalité, ou des ralliements partiels, parfois temporaires, de certaines forces à la représentation UDR. Face à ces premières fissures et à la concurrence locale accrue du parti majoritaire, l'entente municipale en place tente de se réaffirmer comme le meilleur garant politique des intérêts de la bourgeoisie locale et comme son seul véritable défenseur dans un régime dont 18. « Bretons, aidez-vous vous-mêmes. »

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les faveurs sont réservées à d'autres régions, animées par d'autres capitaux. A l'égard de l'Association, il convient donc d'éviter que celle-ci ne devienne principalement un lieu d'affrontement des représentants d'intérêts économiques, entre eux ou à l'égard de l'équipe politique qui les représente, mais soit au contraire, à travers l'analyse de la situation locale et des objectifs possibles, un instrument de réunification idéologique et politique, autour d'un intérêt politique commun redécouvert. Les effets attendus de ce débat idéologique interne à la bourgeoisie locale expliquent l'intérêt porté à la substitution à la commission SDAU officielle, tête-à-tête entre élus et administrations, de l'Association largement ouverte, au niveau même de son organe de direction, aux représentations économiques et idéologiques des différents éléments de cette bourgeoisie locale ou des classes moyennes qui la suivent. Mais la difficulté et les risques d'un tel débat conduisent en même temps à fixer des limites précises à cette logique de la concertation, qui facilitent un contrôle politique sur son déroulement : limitation et sélection des participants au Conseil d'administration, véritable lieu du débat, présidence du Conseil d'administration par le maire de Roanne, diffusion restreinte des comptes rendus de débats du Conseil, limitation du rôle de l'Assemblée générale qui, après sa réunion constitutive de décembre 1969, n'a été convoquée à nouveau qu'en juin 1971 pour être informée du bilan des études réalisées 19. Le contrôle du bureau d'études lui-même constitue ici un enjeu important, tant au niveau des thèmes et problèmes qu'il doit aborder dans les dossiers et rapports qu'il établit, que de la façon de les traiter ou des contacts qu'il est amené à prendre pour élargir son information. A cet égard, la formule de l'Association permet de placer le bureau d'études dans la dépendance du Conseil, alors que dans les commissions SDAU les élus se voient présenter les résultats de travaux réalisés par les services de l'Equipement. De surcroît, la précaution a été prise de faire établir par le Conseil d'administration une liste des personnes ou organismes extérieurs à l'Association pouvant être invités par le bureau d'études à participer aux groupes de travail dont il s'entoure. Ce contrôle du bureau d'études est d'autant plus nécessaire que, dans le contexte de lutte de l'UDR pour assurer un changement de représentation, un tel organisme peut constituer, compte tenu de l'idéologie dominante en matière d'urbanisme et d'aménagement urbain, un point de passage et de diffusion des thèmes modernistes sur lesquels s'appuie

19. Entre-temps, le Conseil d'administration a tenu une dizaine de séances.

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précisément l'UDR locale pour critiquer la gestion municipale actuelle et rallier une partie de ses supports Tels sont les éléments signifiants du mode de fonctionnement de l'Association par rapport au problème posé. Ils témoignent déjà par eux-mêmes d'une réelle capacité du politique local à se réarticuler à ce nouvel appareil en fonction de ses objectifs prioritaires. Une autre mesure de ce contrôle se trouve dans le contenu luimême du discours public produit par l'Association, à savoir le Livre Blanc, dont la diffusion est désormais possible au-delà du cercle restreint au sein duquel s'est déroulé le débat préparatoire, dans la mesure où il constitue précisément un discours relativement unifié, compromis provisoire issu de ce débat interne à la bourgeoisie locale. Mais avant d'examiner, pour finir, ce que révèlent à cet égard les deux versions successives de ce document, il convient de s'arrêter sur le problème des relations inter-communales dans l'agglomération et la façon dont il est traité par la commune-centre. La dénonciation du caractère néfaste du morcellement administratif des agglomérations par rapport aux exigences d'un aménagement urbain cohérent constitue en effet l'un des thèmes réguliers des discours émis habituellement par les aménageurs, et un exemple-type de mise en avant de contradictions secondaires. Il est certain que, dans l'agglomération étudiée, comme ailleurs, l'insuffisance des ressources financières des communes de banlieue interdit à ces dernières de réaliser certains équipements, et que seule la ville-centre prend en charge actuellement la réalisation d'une partie des équipements dont pourrait disposer une agglomération de cette dimension 21 . Mais ceci ne constitue pas, aux yeux de l'entente politique en place dans la commune-centre, un motif suffisant pour accepter d'entrer dans des relations de coopération inter-communale 21 . Un argument financier est donné pour justifier ce refus : créer aujourd'hui un syndicat inter-communal pour réaliser des équipements nouveaux d'intérêt commun laisserait entièrement à la charge de la communecentre les frais de fonctionnement de l'ensemble des « équipements 20. On constate d'ailleurs que le rapporteur du groupe de travail sur « les problèmes d'urbanisme » est le représentant de la Jeune Chambre économique et que le rapport concernant « le mode d'urbanisation et l'aménagement du cadre de vie » a été rédigé en collaboration avec les membres de la Jeune Chambre économique. 21. La liste des projets d'investissements dressée par les différentes communes pour la préparation du PME (VI e Plan) confirme que cette situation va se prolonger. 22. La commune-centre ne participe pas au syndicat inter-communal créé par les communes de la banlieue sur des objets très limités.

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d'agglomération » déjà existants, réalisés par elle. Seule la fusion des communes donnerait une réponse juste à ce problème. Mais si la commune-centre s'en tient actuellement à cette préférence pour la fusion, c'est principalement, pensons-nous, parce que les contradictions d'ordre économique relatives au morcellement administratif actuel ne sont pas encore développées au point d'empêcher que la priorité soit réservée au traitement politique du problème : pour l'entente politique en place dans la commune-centre, la contradiction principale à traiter en ce domaine est celle d'un espace politique divisé dont la restructuration économique et politique ne doit pas se réaliser aux détriments des forces sociales qu'elle représente. Ici encore nous retrouvons l'opposition avec l'UDR, s'appuyant sur des communes de banlieue pour prôner la coopération dans le cadre d'un syndicat de communes, contre la fusion. La Municipalité de la ville-centre, pour sa part, se satisfait d'obtenir actuellement (et notamment par le biais des travaux de l'Association pour l'établissement du SDAU) un accord général sur l'utilisation de l'espace urbain ou urbanisable conforme aux intérêts qu'elle défend, et d'attendre alors que l'application lente de la loi de réforme communale de 1971 aboutisse à la fusion, c'est-à-dire à l'élargissement de son contrôle politique unifié sur l'ensemble de l'agglomération 23 .

3. LE LIVRE BLANC

Le contenu donné au Livre Blanc apparaît comme un enjeu secondaire, dans le sens où il dépend du résultat de la lutte principale analysée ci-dessus, mais en même temps comme un révélateur de l'état actuel du rapport de forces engagé dans l'Association. En tant que discours sur la ville, qui doit être politiquement contrôlé, il est donc intéressant d'en examiner les caractéristiques et de relever notamment les variations qui marquent le passage du projet de Livre Blanc, réalisé en novembre 1971 et n'ayant connu qu'une diffusion très restreinte, au texte définitif rendu public en février 1972. Le projet de Livre Blanc produit une image nettement défavorable de la ville. L'évolution économique de l'ensemble urbain est consi23. La loi du 16 juillet 1971 prévoit, en cas de fusion, la possibilité de maintenir des communes associées dotées, semble-t-il, de faibles pouvoirs, leur suppression pouvant intervenir après consultation de la population demandée par le Conseil municipal.

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dérée comme extrêmement lente. Le caractère attractif de l'agglomération est en baisse. Le secteur tertiaire demeure insuffisant. Le niveau des salaires n'est pas sans conséquences sur la qualité de l'espace construit, caractérisé par un étalement incontrôlé des quartiers le long des axes de circulation et par l'existence d'un centre qui ne remplit pas ses fonctions. Il s'agit donc de favoriser l'implantation de nouvelles activités industrielles, d'améliorer les liaisons, de rénover le centre. L'idée fondamentale repose sur la nécessité d'ouvrir l'économie sur l'extérieur et de recréer dans ce but une image qui permette de « vendre la ville ». Dans la version définitive, on constate à la fois des suppressions et des réarticulations du texte, par rapport au projet, qui toutes concourent à éviter une mise en cause des industriels locaux ou du mode de gestion de la ville assuré par la Municipalité. Ainsi, si le projet de Livre Blanc reconnaissait à la bonneterie-confection une expansion rapide, il enlevait à ce secteur tout pouvoir de commandement sur le marché national ou international. Il envisageait, en raison de la multitude de petits établissements et de la quasi-absence de réseaux de commercialisation, leur suppression à plus ou moins longue échéance : « Si les entreprises de bonneterie-confection ne se regroupent pas..., il est fort probable que le regroupement se fera dès qu'une crise durera très longtemps, mais sur l'initiative de firmes extérieures. » Dans le texte définitif, il n'est plus question de changer les structures de la bonneterie-confection et celle-ci est considérée comme ayant su affirmer ses positions : « Souplesse et capacité d'adaptation, savoir faire, groupements réalisés, constituent en effet les atouts dans cette branche particulièrement difficile. » Ainsi encore, à l'analyse faite dans le projet de texte de l'évolution du secteur tissage, révélant que celui-ci n'avait pas eu les bases financières suffisantes pour résister ou former un personnel qualifié, est substituée une simple phrase indiquant la baisse continue de l'emploi dans ce secteur. Enfin, certaines analyses susceptibles de mettre en cause la responsabilité de l'IPC ont été retirées ou atténuées : inconvénients d'un tissu urbain trop lâche, absence d'équipements et d'animation des quartiers, ou problème de réaménagement des structures politiques de l'agglomération, timidement évoqué dans les deux dernières lignes du texte définitif. On souligne par contre la portée de certaines opérations d'urbanisme, la construction de locaux industriels et le dynamisme local. Quant à l'avenir, il est établi dans le texte définitif que si la diversification des activités doit être le fondement de la croissance, celle-ci trouve dans les structures locales de larges possibilités de se

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réaliser, sans qu'on insiste désormais sur les restructurations nécessaires, notamment dans le secteur textile. On met en avant, par contre, le rôle de grandes firmes locales garantissant une part importante des créations d'emplois, et le dynamisme d'un certain nombre d'entreprises locales susceptibles d'attirer des activités complémentaires et dont l'intérêt même implique une diversification des entreprises par un apport extérieur qui évite les aléas de la conjoncture et favorise le renouvellement de la main-d'œuvre. Si dans le projet de texte, il était finalement proposé aux industriels, pour promouvoir l'expansion, de susciter largement les interventions extérieures 24 , et, à une partie d'entre eux, d'organiser leur regroupement et de modifier la structure de leurs entreprises, le texte définitif affirme que « pour sa majeure partie, l'expansion économique reste un phénomène endogène », et se trouve allégé d'un chapitre entier du projet, consacré à la nécessité de « vendre la ville » aux entrepreneurs extérieurs et de leur fournir les moyens afin qu'ils puissent en tirer le meilleur parti. Ces modifications de contenu, du projet au texte définitif, ne font qu'accuser davantage ce qui constitue les caractéristiques fondamentales d'un tel discours sur la ville, à savoir : au niveau de l'étude de la situation, l'absence d'analyse des contradictions provoquant la crise actuelle et des effets de ces contradictions sur l'urbain, et, au niveau des solutions proposées, la tenue d'un discours économique et urbanistique volontariste invoquant comme solution les signes extérieurs de la situation souhaitée, sans analyse des déterminants qui permettront ou non de voir se réaliser cette situation.

24. Y compris, au niveau de la gestion de la ville, par des opérations d'urbanisme facilitant l'implantation de nouvelles entreprises.

CHAPITRE VI

L'implantation d'une Maison centrale des jeunes et de la culture

L'étude de la Maison des jeunes et de la culture 1 nécessite l'exposé préalable des principes d'analyse de l'idéologique et plus précisément de la scène idéologique, permettant d'interpréter les éléments d'information qui ont pu être réunis sur le plan local.

1. CADRE THÉORIQUE POUR L'ANALYSE DE LA SCÈNE IDÉOLOGIQUE

1 . 1 . ETUDE DE LA STRUCTURE ET DU MODE DE FONCTIONNEMENT PARTICULIER DE L'INSTANCE IDÉOLOGIQUE ET DE L'IDÉOLOGIE DOMINANTE DANS UNE FORMATION SOCIALE

Appréhender l'idéologie en tant qu'instance signifie se situer en rupture par rapport à l'analyse de l'idéologie conçue comme somme de représentations. En effet, poser le contenu comme le mode d'être de l'idéologie serait « fonder l'analyse sur la formulation explicite donnée par les acteurs, qu'il s'agisse de sommes d'opinions ou jugements, ou de systèmes déjà constitués et intégrés, avec un degré de cohérence assez élevé » 2 , ce qui revient bien à affirmer l'existence d'un rapport expressif entre opinions et acteurs. Cette perspective ne permet pas d'isoler une fonction propre de l'idéologie, elle interdit de saisir l'idéologie comme lieu de travail spécifique : La fonction de l'idéologie se limite ici à une simple opération de redoublement de sens, qui est supposé ailleurs qu'en elle-même : 1. Ci-dessous abrégée MJC. 2. D. Vidal, « N o t e sur l'idéologie», L'homme

et la Société

(17), 1970, p. 41.

152

Institution

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et pouvoir

politique

les acteurs sont considérés comme sources latentes de signification, la capacité d'occultation étant liée à l'efficacité des acteurs, conçue comme à la fois principe de sens et raison de production différée, ou oblitérée, de ce sens, du fait des intérêts ou stratégies de ces acteurs et groupes 3. A l'encontre de ce mode de saisie, nous posons que l'instance idéologique peut être définie comme lieu ou système de traitement spécifique des contradictions qui caractérisent une formation sociale, comme lieu d'une production autonome, c'est-à-dire d'un travail pour un produit particulier (ici le discours, les doctrines) par l'utilisation de moyens de production particuliers (ici les signes et symboles, le langage), aboutissant, au niveau des rapports sociaux, à une appropriation et à une dominance de classe (ici production d'une classe dominante idéologiquement). Ainsi : Les contradictions spécifiques sont traitées en termes de valeurs, ou de pouvoir, par l'instance économique et l'instance politique. Elles sont traitées en termes de discours par l'instance idéologique : l'instance idéologique constitue le système de production du discours circulant dans la formation sociale 4 .

1.1.1. L'analyse de l'idéologie en tant qu'instance

régionale

On examinera successivement l'idéologie comme lieu de constitution d'un discours, c'est-à-dire de production de représentations qui prennent sens par un agencement interne obéissant à des exigences structurelles, et le rapport existant entre ces représentations et les rapports réels 5 qui caractérisent une formation sociale, et par là, l'effet de l'idéologie sur les pratiques des agents. 1.1.1.1. L'idéologie, lieu de production d'un discours On peut définir l'idéologie comme un ensemble structuré de représentations, valeurs, croyances 6 , produit d'une systématisation qui demeure non visible pour les agents, point sur lequel nous reviendrons plus loin. 3. Ibid., p. 42. 4. Ibid., p. 45. 5. C'est-à-dire les rapports de production et les rapports qui en dérivent. 6. L'idéologie ne réside en effet pas seulement dans les idées : elle s'étend aux mœurs, aux coutumes, au « mode de vie » des agents.

La Maison des

jeunes

153

L'idéologie opère à partir des contradictions et tensions portées par un certain état des rapports sociaux 1 . Reproduisant sur le plan imaginaire une formation sociale, elle s'étend en effet à l'ensemble de cette formation ; elle est présente dans tous les étages de l'édifice social. Elle comporte en fait une série d'idéologies régionales : religieuse, morale, juridique, politique, esthétique, économique, et, dans chaque formation sociale, l'idéologie dominante est marquée par la domination d'une de ces régions sur les autres. 1.1.1.2. Idéologie et pratiques des agents Il convient de préciser quels types de rapports existent entre le discours ainsi produit et les relations qui caractérisent une formation sociale. La réponse à cette question permettra de rendre compte de l'effet de l'idéologie sur les pratiques des agents. Ce discours ou « ensemble-structuré », présent, rappelons-le, à tous les étages de l'édifice social, joue sur la majorité des agents comme « objet culturel perçu - accepté - subi » 8 agissant sur eux par un processus qui leur échappe. « Les hommes vivent leurs actions dans l'idéologie, à travers et par l'idéologie ... le rapport des hommes au monde... est l'idéologie elle-même » 9 , ou encore « l'idéologie est à tel point présente dans toutes les activités des agents qu'elle est indiscernable de leur expérience vécue » I0. Toutefois, ce ne sont pas leurs conditions d'existence réelles que les agents vivent dans l'idéologie, mais un rapport imaginaire des individus à leurs conditions réelles d'existence. « Toute idéologie représente... non pas les rapports de production existant et les autres rapports qui en dérivent, mais avant tout le rapport (imaginaire) des individus aux rapports de production et aux rapports qui en dérivent. » 11 Cet établissement de rapports « imaginaires » au niveau du vécu des agents a pour effet, et c'est en cela que réside la fonction particulière de cohésion de l'idéologie, de permettre le fonctionnement de pratiques des agents dans l'unité d'une formation sociale.

7. « Loin d'agir comme système de représentation d'une pratique, l'idéologie constitue une grille, avec effets de lecture et effets de masque inséparables : les fenêtres de la grille permettent de lire autre chose que ce qui est masqué par ses points aveugles, mais ce sont ces derniers qui organisent la distribution du discours qui est lu. » Cf. D. Vidal, Essai sur l'idéologie, Paris, Anthropos, 1968, p. 225. 8. L. Althusser, Pour Marx, Paris, Maspero, 1965, p. 240. 9. Ibid. 10. Poulantzas, Pouvoir politique..., op. cit., p. 223. 11. L. Althusser, «Idéologie et appareils idéologiques d'Etat», La Pensée, avril 1970, p. 26.

Institution

154

1.1.2. Etude dominante

communale

de la structure

et pouvoir

politique

et du fonctionnement

de

l'idéologie

Nous avons vu que l'idéologique dans une formation sociale se divise en diverses régions (morale, politique, religieuse, esthétique...) et se caractérise par la dominance d'une région sur les autres. Dans le mode de production capitaliste où l'économique détient en général le rôle dominant, on constate la dominance dans l'idéologique de la région juridico-politique, qui apparaît la plus à même d'assurer la cohésion de la formation sociale. L'idéologie « ciment » de la formation capitaliste concerne l'ensemble de la pratique des agents. En ce qui concerne la pratique économique, l'idéologie se manifeste par l'effet d'isolement qui se révèle être le produit privilégié de l'idéologie juridico-politique, puisqu'il s'agit entre autre de la constitution des agents en individus, personnes politiques, « sujets de droit libres et égaux ». Cet effet d'isolement est une condition qui préside aux principes mêmes de la démocratie bourgeoise organisant les rapports des individus à l'Etat et à la commune. Dans les deux cas, les sujets sont fixés en tant que personnes politiques dépouillées de leur détermination économique, et donc de leur appartenance de classe. L'institution communale comme les autres parties de l'appareil d'Etat se présente comme organisée autour des principes de liberté et d'égalité des individus (cf. analyse de la scène politique). Le rôle politique de la région juridico-politique consiste à ce qu'elle tente d'imposer à l'ensemble de la société un « mode de vie » à travers lequel l'Etat sera vécu comme représentant 1'« intérêt général » de la société face à des individus privés. Ceux-ci, création de l'idéologie bourgeoise, sont présentés comme unifiés par une « égale » et « libre » participation à la communauté « nationale ». Ainsi, à son propre niveau, l'Institution communale, par son caractère d'organe élu, s'offre comme représentant l'unité politique de rapports sociaux économiques isolés. Toute trace de domination de classe est systématiquement absente du discours juridico-politique. Tout se passe comme si la région de l'idéologique qui est la mieux placée pour cacher l'indice réel de détermination et de dominance de la structure est aussi la mieux placée pour cimenter la cohésion des rapports sociaux en reconstituant l'unité sur un plan imaginaire 12.

12. Cf

Poulantzas, Fascisme

et dictature,

op. cit., pp. 327-328.

La Maison des jeunes

155

Le cadre général de référence théorique ayant été rapidement présenté, il nous faut préciser les principes d'analyse nécessaires à l'étude d'un appareil idéologique : une MJC.

1.2.

P R I N C I P E S D'ANALYSE DE L'ARTICULATION ENTRE APPAREIL D ' E T A T

ET APPAREILS IDÉOLOGIQUES D'ETAT

1.2.1. L'autonomie relative comme politique et l'idéologique

13

principe

d'articulation

entre

le

L'« autonomie relative » de l'idéologique vis-à-vis du politique indique que celui-ci n'est pas articulé au politique suivant le principe de 1'« unité du pouvoir » qui relie les différentes branches de l'appareil d'Etat proprement dit entre elles. Elle se présente comme le principe d'unification de deux termes contradictoires. Le fonctionnement concret des rapports sociaux idéologiques « à l'idéologie dominante » suppose l'institutionalisation de cette dernière : les conditions de la domination de l'idéologie bourgeoise sont politiques, réalisées par l'appareil d'Etat proprement dit ; on peut parler d'étatisation des appareils idéologiques d'Etat dans la mesure où leur constitution, leur fonctionnement, sont subordonnés aux règles fixées par l'appareil d'Etat. Il s'agit donc d'une intervention « répressive » de l'appareil d'Etat sur les rapports sociaux idéologiques. Mais le problème est ici celui de la réalisation dans ces rapports, non pas du pouvoir politique de la classe dominante, mais de son idéologie : le problème n'est pas l'unité du pouvoir, mais la cohésion de la formation sociale. Cela suppose contradictoirement que cette idéologie ne se présente pas comme politiquement (répressivement) imposée, comme idéologie de classe. Le champ des rapports sociaux idéologiques doit apparaître comme un champ non soumis au pouvoir politique. La réduction de 13. Pour un développement plus complet, se référer à la note multigraphiée « Scène idéologique et lutte de classes », réalisée par B. Aubrée, G. du Boisberranger, S.E. Lapierre et C. Vial, à partir du travail effectué par un groupe informel fonctionnant dans le cadre du 3° cycle de l'Institut d'études politiques de Grenoble, 1 er juin 1972. Cette note a fait l'objet d'une communication lors d'une rencontre sur les nouvelles méthodes d'analyse des idéologies organisée à l'Institut d'études politiques de Grenoble, avec le concours du Consortium européen de sciences politiques, les 1, 2 et 3 juin 1972. Elle est reprise partiellement dans cet exposé.

Institution

156

communale

et pouvoir

politique

cette contradiction suppose que les conditions politiques fixées par l'appareil d'Etat au fonctionnement des rapports sociaux idéologiques se rapportent principalement à l'idéologie dominante : l'autonomie relative indique en ce sens la nature principalement idéologique de l'articulation, l'intervention politique, surdéterminante, tendant à la réalisation de cette unité idéologique, cette unification idéologique présupposant l'autonomie politique.

1 . 2 . 2 . Les effets de l'autonomie le champ des rapports sociaux

relative sur la lutte de classe dans idéologiques

L'autonomie relative est à la fois la condition du non-affrontement direct des classes dominées au pouvoir politique, et la possibilité de leur organisation de pouvoir en vue de cet affrontement. L'idéologie dominante, comme pratique structurant les rapports sociaux idéologiques, ouvre, de par ses propres contradictions, la double possibilité de production et de réalisation des idéologies des classes dominées. L'autonomie relative vis-à-vis du pouvoir politique fait, par ailleurs, du champ des rapports sociaux idéologiques le lieu privilégié d'organisation du pouvoir des classes non dominantes. Alors que, en ce qui concerne l'appareil d'Etat proprement dit, l'unité du pouvoir exclut pratiquement (à l'exception des branches dominées de l'appareil d'Etat, par exemple l'IPC) toute possibilité d'appropriation politique par les classes non dominantes, ici, ces classes peuvent se constituer en s'appropriant les AIE 14 nécessaires à leur organisation de classes : syndicats, partis politiques, organisations de masses, etc.

1.3.

L A SCÈNE IDÉOLOGIQUE COMME LIEU CONCRET FIXÉ AUX RAPPORTS

SOCIAUX

1.3.1.

IDÉOLOGIQUES

La scène

idéologique

Les premières conséquences de l'autonomie relative sur la structuration des rapports sociaux idéologiques, notées par L. Althusser, concernent la diversité des AIE, l'autonomie entre les différents appareils, la variabilité de leurs statuts juridiques, en quelque sorte leur absence 14. Appareil idéologique d'Etat.

La Maison des jeunes

157

d'unification concrète. Cette observation est renforcée d'autant qu'elle se fait par comparaison à l'AE 1 5 proprement dit : il y a un appareil d'Etat, il y a des appareils idéologiques d'Etat. L'unité des rapports sociaux idéologiques permet en fait d'élargir le concept de « scène politique » repris par N. Poulantzas 16 à leur ensemble. La scène idéologique recouvre le champ particulier d'action des appareils idéologiques qui se trouve souvent décalé par rapport aux pratiques et intérêts idéologiques des classes. C'est dire que la scène idéologique a un caractère de classe : d'une part, elle résulte de la tentative de maintien de la cohésion de la formation sociale, donc du non-affrontement direct des classes dominées au pouvoir politique de la classe dominante, d'autre part, elle fonctionne à l'idéologie dominante, forme fixée aux rapports sociaux idéologiques. Mais c'est dire, par ailleurs, que c'est le lieu premier de l'organisation des classes dominées, du fait de son autonomie relative par rapport à l'AE, et des contradictions internes à l'idéologie dominante. C'est dire enfin que c'est par la rupture avec ce lieu que passe la réalisation autonome des intérêts politiques de la classe ouvrière.

1.3.2. Conditions gique

concrètes

de fonctionnement

de la scène

idéolo-

La scène idéologique recouvre l'ensemble des régions dont le fonctionnement concret est organisé par des AIE spécifiques : l'école, les syndicats, l'Eglise, la famille, l'action culturelle, les partis politiques... 1.3.2.1. L'exacerbation des crises idéologiques Ces crises peuvent concerner une région particulière de la scène ou son ensemble. Elles produisent alors, dans leur phase d'exacerbation maximum, des effets d'autonomisation (de rupture) par rapport aux régions de la scène concernées. On en prendra pour exemple les grèves sauvages. Elles peuvent se rapporter aussi au problème du décalage d'ensemble entre la scène, lieu de représentation des intérêts et des pratiques de classe, et le terrain proprement dit de ces intérêts et pratiques ; c'est-à-dire qu'on ne retrouve que partiellement ces inté15. Appareil d'Etat. 16. Poulantzas, Pouvoir « Scène politique ».

politique

et classes

sociales,

op. cit. Cf. aussi chapitre

158

Institution

communale et pouvoir

politique

rêts et pratiques de classe sur la scène. En ce sens, la conséquence la plus apparente de ces décalages sera l'effet de « désengagement » des agents vis-à-vis de la scène : ce sera l'abstentionnisme électoral, une diminution de l'adhésion syndicale, un désintéressement par rapport à l'activité sociale et culturelle. 1.3.2.2. Le problème de la réduction de ces crises sur la scène idéologique Les besoins de l'exposé nous conduisent à séparer formellement un « moment » d'exacerbation d'un moment de « réduction ». L'observation d'une conjoncture concrète fait par contre apparaître le caractère dialectique du mouvement. Le repérage dans un deuxième temps des modes de réduction des crises sur la scène idéologique ne signifie donc nullement qu'on conclut à une impossibilité de développement d'une contradiction. Ces modes de réduction peuvent être par exemple : — Les tentatives d'institutionalisation des rapports sociaux idéologiques en rupture avec la scène : ainsi l'apparition de formes organisationnelles nouvelles de travailleurs ; dans le domaine de l'encadrement des jeunes, l'animation en milieu ouvert tend aujourd'hui à réduire le problème des formes sociales spontanées que certaines couches de la jeunesse cherchent à se donner ; — La modification des statuts de certains AIE. Un secteur a été particulièrement touché, celui de l'action culturelle, où lentement des AIE « publics », neutralistes, sont mis en place, diminuant d'autant le rôle des associations privées de type « loi 1901 » qui bénéficient d'une autonomie relative plus grande (le droit entre autres d'affirmer un « courant de pensée ») ; — La revitalisation d'AIE traditionnels ; en France, les prérogatives des appareils syndicaux ont été renforcées face au développement d'organisations spontanées des travailleurs. — Le renforcement du fonctionnement à l'idéologie dominante de certaines parties de la scène : par exemple, l'école. Mais ces tentatives peuvent conduire, par ailleurs, à une remise en cause de l'autonomie relative elle-même : on en donnera pour exemple la censure (culturelle, de l'information...), les limitations des droits d'expression publique (interdiction de manifestations, dissolutions d'associations, d'organisations politiques), l'intervention

La Maison des jeunes

159

directe dans la vie interne d'AIE (la police à l'Université, la fermeture et la « réorganisation » de certaines MJC).

2. LES ENJEUX LIÉS A L'IMPLANTATION D'UNE MAISON CENTRALE DES JEUNES ET DE LA CULTURE

2 . 1 . APPROCHE

ET

CHOIX

DE

LA

MAISON

DES

JEUNES

ET

DE

LA

CULTURE COMME OBJET D'ÉTUDE

Une première enquête portant sur les appareils idéologiques locaux a permis de repérer la MJC comme un des lieux actuels de cristallisation des rapports sociaux sur la scène idéologique et d'articulation de cette scène à l'Institution politique communale. La démarche d'investigation a comporté deux phases : dans la première, les outils d'analyse proposés pour l'étude de l'idéologique ont été rapportés aux éléments d'information qui ont pu être réunis sur la scène idéologique locale en vue d'interpréter ces derniers, et, dans la seconde, les informations réunies sur la MJC proprement dite ont été interprétées en rapport à l'analyse de la scène idéologique et de son articulation à l'IPC.

2 . 2 . LA SCÈNE IDÉOLOGIQUE

LOCALE

Existence d'une scène idéologique marquée jusqu'en la dominance d'une idéologie à caractère passéiste 17 2.2.1.

1965 par

Les caractéristiques des différents appareils idéologiques retenus et leur importance respective dans la ville permettent de constater, sur la scène locale, la dominance d'une idéologie à caractère passéiste. 17. Nous entendons par «passéiste » le fait que l'idéologie traite les contradictions présentes dans la ville en vue de maintenir ou d e revenir à une situation dépassée eu égard aux caractères dominants d e la formation sociale française contemporaine. Ce m o d e d e traitement reflète en fait les intérêts économiques et politiques de la bourgeoisie traditionnelle dominante dans cette ville.

160

Institution

communale

et pouvoir

politique

Il faut noter le rôle encore très important de l'Eglise qui, malgré des évolutions, reste marquée par un fonctionnement traditionaliste quant à ses rapports avec la bourgeoisie locale et à l'encadrement idéologique des couches populaires. Ce mode de fonctionnement existait encore à l'état relativement pur, il y a une dizaine d'années, puisqu'étaient développés alors, par les paroisses, de nombreux mouvements d'Eglise ne se rapportant qu'indirectement à la diffusion de l'idéologie chrétienne : colonies de vacances, bibliothèques, clubs de jeunes, foyers pour jeunes filles, etc. D'une façon générale, les discours de l'Eglise locale vers les ruraux et les ouvriers étaient marqués par l'inspiration traditionnelle. Ce rôle de l'Eglise explique en particulier l'importance du clivage laïc/confessionnel. Ainsi sur le plan scolaire, ce clivage est illustré par l'existence de deux couples d'institutions centrales, laïques et privées (confessionnelles), contrôlant chacune leur propre filière d'enseignement secondaire, technique et primaire. Dans ce cadre, le secteur privé croît proportionnellement plus que le secteur public 1S. Enfin, ses rapports avec la classe localement dominante sont plus évidents (cf. les liaisons très directes entre patronat local et écoles confessionnelles, principalement dans l'enseignement technique). Le système scolaire est marqué, quant à lui, par la survivance d'un fonctionnement hiérarchico-élitiste : les établissements centraux, en particulier publics, « rayonnaient » sur une large zone, concentrant les éléments « forts » (de type « héritiers » ou « promotion sociale individuelle »). Ces établissements sont encore aujourd'hui réputés « bons établissements », dotés de « bons professeurs » (forte proportion de succès au baccalauréat) et de sections exclusives. Ce caractère hiérarchico-élistite est renforcé par l'idéologie ambiante relative à la formation scolaire : ainsi la Fédération Cornee des parents d'élèves a des difficultés à convaincre les parents des couches populaires de faire prolonger les études de leurs enfants. Jusqu'en 1965, on note une forte proportion des 12, 13, 14 ans dans le primaire, ce qui correspond en fait à un blocage de la formation scolaire, limitant la future qualification professionnelle au niveau OS. Dans le domaine socio-culturel, le grand nombre d'associations, (900 « sociétés locales », mais dont un grand nombre ne sont plus actives) indique l'importance passée de l'encadrement par des AIE « privés ». Ces associations étaient principalement organisées autour des deux pôles « laïcs » et « confessionnels » relativement structurés. Ce système associatif se caractérise par ailleurs par les caractères essentiellement esthético-cognitifs (sociétés artistiques et savantes) et 18. Pour suivre l'évolution de la scolarisation à Roanne, cf. annexe.

La Maison des jeunes

161

populistes (comité de fêtes, jeux de boules, galas, sports, etc.) de ses activités. La scène idéologique est aussi marquée par la domination d'une presse régionale représentative de la bourgeoisie traditionnelle ; les organes de presse secondaires se situent tous à droite, en particulier un hebdomadaire local à caractère particulièrement passéiste, dont la diffusion très importante s'appuie sur la publication de petites annonces (cette articulation au marché du travail reflétant par ailleurs le support idéologique que se donne le patronat local) et un hebdomadaire catholique d'information relativement moderniste au niveau national qui, dans ses feuilles locales, prend un ton traditionaliste (il reflète la dominance des traditionalistes dans l'Eglise : articles moraux et non politiques). La revue locale de la Caisse d'allocations familiales a comme thème la défense de la famille dans son sens traditionnel : ainsi, ses éditoriaux s'opposent aux tentatives de réformes nationales, dans la mesure où ces dernières risquent d'affaiblir la relation à l'encadrement familial. Ces caractères passéistes se retrouvent également dans le fonctionnement et les activités des appareils idéologiques publics et semipublics à vocation socio-culturelle : théâtre mis en régie et programmé par une Commission municipale strictement fermée, bibliothèque traditionnelle et musée ne connaissant jusqu'il y a quelques années aucune animation. Il nous reste à caractériser la scène idéologique pendant cette période (jusqu'en 1965), dans son articulation au pouvoir politique local. Le peu d'appareils idéologiques publics, l'absence d'interventions de la Municipalité dans les appareils privés, sa politique traditionnelle de subventions se limitant à un saupoudrage, reflètent le fonctionnement libéral de la scène idéologique, l'autonomie des appareils idéologiques. Ce libéralisme s'explique par le fait que l'idéologie passéiste, dominante dans la ville, assure à son propre niveau, jusqu'en 1965, la cohésion de la formation urbaine et la reproduction des rapports sociaux ; plus précisément, il y a correspondance entre les rapports sociaux de production dans l'industrie roannaise, telle qu'elle se développe de 1955 à 1965, et les rapports idéologiques à travers lesquels les agents se représentent ces rapports de production (rôle de l'idéologie paternaliste). L'IPC n'a donc pas à intervenir pour modifier les conditions de fonctionnement de la scène idéologique. La crise de 1965 (cf. notre analyse des ZI) se traduit par une mise en cause des rapports sociaux de production qui va entraîner un décalage avec les rapports idéologiques et les appareils précédemment observés.

162

Institution

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politique

2.2.2. Les signes de désorganisation des appareils d'Etat et de leur désarticulation sur la scène

idéologiques

Cette crise, qui se développe sur la scène idéologique locale à partir de 1965, est à référer à l'impact local de la transformation, au niveau de la formation sociale, des modes d'intervention des AIE 19. Les signes de désorganisation sont d'abord repérés à l'intérieur des appareils idéologiques. Ainsi, l'introduction dans l'appareil scolaire de la sectorisation, de la mixité et de l'allongement de la scolarité obligatoire, le développement local de la Fédération Cornee, en partie consécutif à la démocratisation du premier cycle du secondaire, sont autant d'éléments qui rompent la logique antérieure du système d'enseignement local. Des phénomènes de résistance se manifestent pourtant ; ainsi la faible présence des parents dans les structures de participation mises en place dans les établissements s'explique par la crainte chez les membres de la Fédération Armand, et même de l'Administration scolaire, d'une « politisation » de cette participation, et par la crainte d'une remise en cause de l'autorité du « maître ». Pour l'Eglise, l'évolution contemporaine se traduit localement par un abandon relatif de la prise en charge par les paroisses d'activités non cultuelles, le développement d'une action catholique ouvrière locale progressiste, l'apparition de prêtres ouvriers en 1970 à la suite d'un conflit qui n'est d'ailleurs pas terminé, une certaine rupture d'unité à l'intérieur des deux systèmes d'encadrement idéologique, laïc et confessionnel, le remplacement d'une action rayonnante (déclin des paroisses centrales) par une action de secteurs. Dans le domaine socio-culturel, on peut noter que les deux filières « laïc/confessionnel » fortement hiérarchisées tendent à se désorganiser. De plus, des activités d'action culturelle et d'éducation populaire se développent, correspondant à une politique nationale plus moderniste, passant notamment par de nouvelles institutions, de type neutraliste. On a vu par ailleurs que le développement d'une grosse entreprise, dans laquelle les rapports de travail sont marqués par la reconnaissance des syndicats comme partenaires sociaux, influe sur l'ensemble des rapports entre patronat des petites entreprises locales et ouvriers (l'organisation des mouvements de grève en 1968 s'est faite par les syndicats des grandes unités : cf. notre chapitre sur les zones industrielles). 19. Le contexte de la crise, en particulier sur le plan économique, a été étudié dans le chapitre sur les ZI.

La Maison des jeunes

163

Les modifications de l'articulation entre les différents appareils présents sur la scène idéologique reflètent également cette désorganisation. Ainsi, le développement des appareils idéologiques publics et leur évolution (appareil scolaire, institutions publiques d'action sociale et culturelle), tendent à relativiser l'importance des appareils idéologiques privés pour l'encadrement des populations locales. Cette évolution articulée à la politique idéologique de la Municipalité en matière d'équipements (tentatives de regroupement des associations au moyen des subventions, modification des règles de fonctionnement de certains AIE publics ou privés par la signature de conventions avec l'I PC) reflète des contradictions importantes sur la scène idéologique traditionnelle décrite précédemment.

2.3.

LA SIGNIFICATION

SOCIALE

DE

LA CULTURE ET LES ENJEUX Q U ' E L L E

LA MAISON

DES

JEUNES

ET

DE

REPRÉSENTE

Il est dès lors possible de situer les contradictions auxquelles se rapporte la MJC d'une part sur la scène idéologique, d'autre part dans l'articulation de cette scène au pouvoir politique local.

2.3.1.

Sur la scène idéologique

proprement

dite

La MJC se rapporte aux contradictions entre le discours dominant sur la scène idéologique locale et la référence des jeunes à un discours décalé par rapport au premier (on parle d'« incompréhension »). En d'autres termes, la scène idéologique locale est décalée par rapport à l'état des rapports sociaux idéologiques chez les jeunes ; par exemple, le clivage chrétien/laïc n'est plus représentatif d'une opposition entre idéologie traditionaliste et idéologie progressiste : la lutte idéologique passe dans des rapports différents, à l'intérieur de ces deux pôles de la scène idéologique locale. Cette contradiction s'exprime phénomènalement par la désaffection des jeunes vis-à-vis des appareils idéologiques qui leur sont traditionnellement destinés (on parle de jeunes « inorganisés ») : la cellule familiale locale supporte l'effet de l'importance du travail féminin, des faibles qualifications et niveau culturel d'une grande partie de la force de travail locale, de la vétusté du logement, etc. Les références idéologiques, la faiblesse des moyens techniques, d'animation, et financiers, le type d'activité d'une bonne part des

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Institution

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politique

« sociétés » locales freinent ou empêchent l'intégration d'une partie de la jeunesse que ces associations parvenaient à encadrer auparavant. A cet effet d'inorganisation se surajoute un développement relatif de la « marginalisation » d'autres jeunes : 40 % des jeunes du département repérés comme « cas sociaux » par le juge des enfants proviennent de cette ville, alors que celle-ci est loin de représenter ce pourcentage de la population urbaine du département. Cette marginalisation ne s'exprime pas tant par des actions violentes que par un désœuvrement. Des phénomènes de bandes ont été combattus, notamment dans le centre-ville, mais sans qu'aucun mode d'encadrement n'ait été prévu pour les remplacer. Dans ce cadre, les caractères structuraux de la MJC font qu'elle concerne plus particulièrement la catégorie des jeunes scolarisés, donc déjà touchés par une forme d'encadrement, et ce dans le temps du loisir, avec toutefois, du fait du rattachement à elle du Foyer des jeunes travailleurs, une plus forte propension qu'ailleurs à se situer vis-à-vis des jeunes travailleurs et apprentis. En ce sens, la MJC est à relier au relatif développement du système scolaire local, d'autant plus qu'à la multiplication des populations scolaires n'a pas correspondu une multiplication des activités scolaires annexes d'encadrement {cf. la faible « animation » des établissements scolaires par les foyers ou coopératives), principalement dans le système public. Par ailleurs, la MJC joue un rôle important dans le discours et la symbolique urbaine concernant la jeunesse. Elle y représente à la fois une image de la jeunesse et une occultation de contradictions la concernant (les articles de la presse locale, les campagnes électorales, autant que le caractère central et prestigieux de l'instrument en rendent compte).

2.3.2. Dans l'articulation

de cette scène au pouvoir politique

local

Le décalage que nous venons de signaler, entre la scène idéologique locale et une partie de la jeunesse, se reproduit par une désarticulation idéologique entre cette jeunesse et l'institution politique communale, centre de pouvoir de la bourgeoisie traditionnelle locale. En d'autres termes, l'idéologie réalisée et diffusée par ce pouvoir (son « discours » sur les rapports sociaux en général et sur la jeunesse en particulier) ne correspond pas, quant à sa logique même, à l'idéologie diffusée de façon dominante par les appareils idéologiques nationaux (presse et littérature pour jeunes, radio, télévision,

La Maison des jeunes

165

disques, cinéma, publicité, etc.) et par rapport à laquelle se situent généralement les luttes idéologiques chez les jeunes et sur les jeunes. Si cette désarticulation ne se manifeste pas directement par des luttes, le fait que l'IPC intervienne fortement dans les conditions de fonctionnement de la scène idéologique 20 permet de repérer phénoménalement le décalage signalé en tant qu'inadaptation des conditions de fonctionnement des appareils idéologiques, fixées par l'IPC, à leur tâche d'encadrement de la jeunesse (cf. la désaffection précédemment indiquée). Il faut noter que ce décalage signifie inversement une inadaptation des nouvelles conditions de fonctionnement d'appareils idéologiques publics à l'idéologie de la Municipalité encore très traditionaliste.

2.3.3. Les principaux enjeux que représente la Maison des jeunes et de la culture dans ce double cadre de référence Ces principaux enjeux peuvent se définir comme : — Le rapport de domination idéologique proprement dit, dans la MJC, entre une idéologie passéiste et une idéologie moderniste : cet enjeu s'exprime notamment par les discours sur la MJC et la façon dont elle doit résoudre les problèmes de la jeunesse, par le contenu des activités, par le mode d'organisation des rapports sociaux dans la MJC (débats, possibilités d'expression individuelle ou collective, d'auto-organisation des jeunes, etc). A travers ces choix passe en fait la possibilité d'une lutte idéologique de classes ; — La place de la MJC dans l'évolution des rapports sociaux entre les différentes catégories de la jeunesse : du fait même de son caractère central, l'appropriation de la MJC par une catégorie tend à situer cette dernière en position de force dans la ville ; — La place et le rôle de la MJC par rapport aux autres appareils idéologiques concernant la jeunesse, notamment les « clubs » de jeunes, associations sportives et de loisirs, associations culturelles, etc. ; — La modification des conditions de fonctionnement des appareils locaux d'encadrement de la jeunesse : cet enjeu s'exprime 20. Cf. sa politique de subvention, sa politique d'équipement, les règles et normes qu'elle fixe au fonctionnement des appareils idéologiques locaux, principalement dans le domaine de l'animation et du loisir.

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Institution

communale

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politique

notamment par les statuts et règles de fonctionnement de la MJC, quant à la place respective qu'y prennent l'IPC, les associations, les adhérents ; — La mise en place et l'organisation du système public d'appareils idéologiques d'encadrement de la jeunesse : si un premier choix MJC centrale/MJC de quartier a été réglé en faveur de la Maison centrale, reste aujourd'hui le problème des rapports de cette MJC centrale à des MJC de quartier en cours de réalisation ou en projet ; — L'utilisation politique de la MJC comme lieu d'organisation de pouvoir des représentations partisanes des forces sociales locales : cet enjeu se réfère aux conflits récemment déclarés entre organisations politiques, quant à leur place respective dans les organes de gestion.

3. LES MOUVEMENTS SOCIAUX FACE AUX INTERVENTIONS DE L'INSTITUTION POLITIQUE COMMUNALE

Il s'agit ici, à partir de l'analyse des enjeux que représente la MJC centrale de Roanne, de repérer et d'analyser les mouvements sociaux liés à son implantation et aux interventions de l'IPC. La signification sociale de la MJC résulte en dernière analyse de l'efficacité de la lutte de classe face au pouvoir politique de l'IPC, défini à la fois par ses capacités structurelles d'intervention et par l'orientation politique de la Municipalité. Quelle est la nature des mouvements sociaux locaux et dans quelle mesure ont-ils été « capables » d'infléchir la « politique » de la Mairie ? On étudiera les types d'interventions à l'origine du processus de mobilisation, les formes de luttes qu'elles ont entraîné, leurs résultats (traitement des contradictions). Les mouvements sociaux seront analysés en référence aux principales hypothèses concernant l'articulation entre le politique et l'idéologique, ici, entre l'IPC et la scène idéologique locale.

La Maison des jeunes

3.1.

LES

TENTATIVES

IDÉOLOGIQUE

FACE

DE « R E V I T A L I S A T I O N » AU

PROJET

CENTRALE DES JEUNES ET D E LA

INTERNE

D'IMPLANTATION

DE

D'UNE

167

LA

SCÈNE MAISON

CULTURE

3.1.1. Les origines du projet: la Maison des jeunes et de la culture comme solution à la crise de la jeunesse En 1961, la Municipalité de Roanne devient propriétaire d'un hôtel particulier du x v m e siècle et des 1 400 m2 du parc qui l'entoure, dans le centre de Roanne, en vue d'y réaliser une Maison des jeunes et un Foyer de jeunes travailleurs. Cette intervention est à relier à l'analyse précédente de la scène idéologique. Face à la désorganisation des AIE, à leur incapacité d'assurer l'encadrement idéologique de la populaiton, en particulier des jeunes, l'IPC doit intervenir pour résoudre les contradictions de façon directe en introduisant des appareils idéologiques publics (MJC) dont elle va pouvoir fixer plus précisément les règles de fonctionnement. Cette interprétation doit être nuancée, car elle laisse supposer, et ce, en opposition avec toute l'analyse antérieure sur l'origine « nationale » des contradictions locales, que l'IPC était totalement maîtresse du mode de traitement de ces contradictions. En d'autres termes, cette interprétation semble surestimer l'autonomie de la modalité idéologique de l'IPC face à la modalité idéologique de l'AE en général. Il apparaît en effet que la « Maison des jeunes » se présente comme une proposition véhiculée par l'idéologie dominante, une « référence » nationale à laquelle l'IPC doit se reporter pour tout projet d'intervention sur la scène idéologique : concrètement la « Maison des jeunes » 2 1 était « demandée » chaque fois que des problèmes d'équipement, de délinquance, de loisirs et d'encadrement des jeunes se présentaient. On doit donc situer la politique d'équipement de l'IPC en vue de réduire ces contradictions, comme étant surdéterminée par les modalités idéologiques générales de l'Etat et devant intervenir dans ce cadre. Le problème sera dès lors celui 21. On ne parle pas encore à ce moment-là de MJC, mais de Maison pour les jeunes. La différence est notable : on veut une solution à l'exacerbation des contradictions concernant la jeunesse, on commence par imaginer un équipement (une Maison), défini à son niveau le plus général, et non un appareil •déjà défini dans son fonctionnement, dans ses formes d'animation et ses activités {une MJC). Ce mode de sensibilisation est souvent utilisé dans le domaine socio-culturel. Le « vague » de la définition permet au départ à tous de s'y retrouver (qui peut être contre une Maison pour les jeunes ?) et donc d'éviter l'apparition trop rapide des premiers clivages sociaux.

168

Institution

communale

et pouvoir

politique

d'une définition du mode de fonctionnement de cette Maison des jeunes.

3.1.2. L'effet de l'initiative de la Municipalité socio-culturelles pour la jeunesse

sur les

associations

Cette initiative peut être considérée comme le point de départ de la réorganisation des rapports entre l'IPC locale et la scène idéologique, plus particulièrement, la partie de cette scène réalisant des activités de loisirs socio-culturels de la jeunesse. C'est la première prise en charge directe du problème par l'IPC : jusqu'alors l'intervention de celle-ci se limitait, dans ce domaine, au soutien des « sociétés » privées, que ce soit par subventions, conventions d'utilisation de locaux ou matériels, ou tentatives de coordination. La nature de l'intervention, l'importance de l'acquisition et sa situation centrale dans la ville sont significatives du modèle centralisé-rayonnant que souhaite promouvoir la Municipalité, opposé à une réalisation première de petits équipements de quartier, pour résoudre la crise. Ces caractères, ainsi que la non-concertation avec les communes avoisinantes correspondent à la volonté de la Municipalité de maîtriser politiquement l'initiative. Cette stratégie conduit à faire passer en second lieu la réduction de la crise idéologique. Face à cette initiative, les Associations n'engagent pas tout de suite un débat « ouvert ». Cela peut s'expliquer à la fois par la parcellisation de la scène, l'isolement des Associations les unes visà-vis des autres et par la participation d'une partie d'entre elles à la revendication d'une « Maison des jeunes ». Le débat « un ou plusieurs équipements » n'a été en fait soulevé qu'en 1964, par un rapport du CRESAL (Saint-Etienne) qui critiquait la réalisation d'une MJC centrale (le caractère technique de ce rapport faisait passer la réduction de la crise idéologique avant le problème de la centralisation du pouvoir politique). Les mouvements résultant de cette initiative sur la scène idéologique apparaissent comme autant de tentatives techniques et politiques de « revitalisation » interne. Les associations vont essayer de s'unifier pour réaménager la scène, garantir un rapport de force favorable à leurs intérêts, assurer à nouveau l'encadrement des jeunes. Elles le feront encore principalement à partir de clivages idéologiques et des conditions techniques antérieures (bi-polarité laïc/confessionnel, activités de type passéiste, faibles moyens techniques et financiers, discours décalé par rapport au discours dominant sur les jeunes dans la formation sociale). Ces premiers mouvements ne vont

La Maison des jeunes

169

pratiquement pas aboutir, que ce soit en terme de revitalisation traditionaliste de la scène ou de réduction des contradictions concernant la jeunesse sur le « terrain ». On peut en citer quelques exemples. En 1965, des clubs de jeunes se créent dans les quartiers périphériques de Roanne (effet de la politique nationale du développement des clubs de jeunes de la FOL 2 2 ). Ces clubs ne sont pas soutenus par la Municipalité. Ils vont disparaître très rapidement, à l'exception de quelques-uns d'entre eux qui constitueront l'ébauche d'une structuration d'encadrement des jeunes par quartiers. La contradiction principale se situe entre le développement des AI 2 3 privés de quartier, qui sont susceptibles d'une appropriation idéologique et politique, et l'implantation d'un appareil idéologique public de type central, premier élément d'un réseau à construire, fonctionnant à l'idéologie neutraliste et contrôlé politiquement par l'IPC. En février 1965, les Scouts catholiques et les Eclaireurs de France, laïcs, organisent une réunion commune d'information sur les MJC. Pour la première fois se trouve posé le problème du rapport des AI privés pour jeunes à la MJC. Cette réunion n'aura pas de suite, les Eclaireurs étant récusés par leur hiérarchie départementale pour avoir rompu le clivage laïc-confessionnel. En 1965, on assiste à la mise en place d'une commission jeunesse de la FOL, à caractère coordinateur et non structurant, mettant du matériel à la disposition des clubs laïcs. En février 1966, six mouvements (clubs de jeunes laïcs et jeunesses communistes) forment un regroupement destiné, au niveau stratégique, à s'opposer à l'équipement MJC, en cherchant comme alternative à développer l'encadrement des jeunes par un mouvement laïc plus structuré (projet de mise en commun d'activités, demande d'un local à la Municipalité). Ce mouvement n'a pas eu de suites sinon quelques « sorties » communes. Mais ces mouvements n'empêchent pas, à la même période, l'exacerbation des contradictions sur le terrain, concrétisée entre autre par la recrudescence de la délinquance juvénile : la presse signale les batailles rangées dans le centre de la ville, des cambriolages, la multiplication des bandes, et note que la MJC constitue un traitement mythique du problème. Tous ces mouvements, en référence au conflit AI publics / AI privés permettent de constater l'échec de la capacité des AIE privés à assurer l'encadrement des jeunes. Dans cette conjoncture, l'IPC 22. Fédération des œuvres laïques. 23. Appareil idéologique.

170

Institution

communale

et pouvoir

politique

se trouve en position de force pour régler le problème dans les termes qui lui conviennent. Le type de conflit AI publics / AI privés se retrouve dans la même période sur une autre partie de la scène idéologique avec des contradictions semblables mais dont le type de résolution se posera pour la Municipalité en termes d'alternative à la M J C : l'état des finances locales impose à la Municipalité de faire un choix entre la réalisation d'une M J C , d'un centre culturel ou d'une salle des fêtes ; les contradictions se développant de manière plus grave au niveau de l'encadrement des jeunes, la Municipalité va s'orienter d'abord vers la solution d'une Maison 2 4 . Durant cette première phase, les mouvements sociaux se caractérisent donc : —

Par leur « localisation » commune sur la scène idéologique, entre les appareils idéologiques. Il s'agit de luttes au niveau de la représentation des intérêts idéologiques de classes, et non de la défense des intérêts objectifs de celles-ci (aucun mouvement de jeunes en rapport à la M J C ) ; — Par leurs formes : réunions entre A I E , comptes rendus de presse, aucun rapport avec l'IPC ; — Par leurs résultats : échec de tous les regroupements d'AIE de type passéiste, renforcement de l'IPC pour dénouer la crise.

3.2.

LES

LUTTES

EN RAPPORT À LA DÉFINITION

DU MODE DE

FONC-

TIONNEMENT DE LA MAISON DES JEUNES ET DE LA CULTURE

Le renforcement de la position de l'IPC se traduit par un déplacement des luttes sur le terrain que cette dernière leur fixe : le problème n'est plus une MJC centrale ou des équipements de quartier, une alternative d'intervention ou de non-intervention de l'IPC sur la scène idéologique, une possibilité de revitalisation de la scène idéologique par les associations privées. En approuvant en novembre 1966 le projet M J C / F J T 2 5 , la Municipalité devient le lieu de traite24. Mars 1966 : création d'un Comité d'organisation et de liaison artistique et culturelle du Roannais, c o m m e tentative de réaménagement traditionaliste de la scène idéologique, et recherche d'implantation d'une Maison de la culture de type « Malraux » en alternative à la création de la M J C . Ce comité ne connaîtra aucun développement. Mai 1966 : création du comité d'action des amis du théâtre populaire à l'initiative de Tourisme et travail. Ce mouvement concrétise une tendance au passage à un mode d'encadrement de type moderniste. 25. F o y e r des jeunes travailleurs.

La Maison des

jeunes

171

ment des contradictions sur la scène idéologique et confirme ainsi le principe de réarticulation de cette scène au pouvoir politique. Les mouvements sociaux ne se rapporteront donc plus à la mise en place ou non d'une MJC, mais auront pour enjeu son mode de fonctionnement : la MJC va-t-elle être constituée avec les appareils idéologiques privés, ceux-ci vont-ils pouvoir se l'approprier, vont-ils pouvoir y diffuser, y réaliser leur idéologie, vont-ils perdre la très grande autonomie relative dont ils bénéficiaient antérieurement, etc. ?

3.2.1. La transition En mars 1967 se crée, à l'initiative de mouvements catholiques, un comité inter-clubs dont l'objectif est de regrouper tous les clubs de jeunes disposant d'un local pour leurs activités. Cette tentative qui, par son contenu, se trouve être déjà dépassée par l'état du rapport de force établi par l'IPC, pose indirectement le problème de la direction politique d'un regroupement des AIE privés face à l'enjeu nouveau du mode de fonctionnement de la MJC. En mai 1967, en effet, la création du comité inter-jeunes correspond à une récupération et à une transformation du comité précédemment créé, par le courant laïc (en sachant que, dans ce courant laïc, la tendance radicale traditionnelle est déjà dominée, entre autres par l'intermédiaire du secteur jeunes, par le courant démocratique de gauche sous la direction du PCF). Le comité inter-jeunes est élargi à 35 clubs et associations de l'agglomération roannaise. Les débats internes concernant son fonctionnement opposent une première tendance, voulant faire du Comité une véritable organisation substituant partiellement son pouvoir à celui de ses composants, à une deuxième tendance, qui sera majoritaire, voulant faire du Comité un organe de coordination et refusant de ce fait une structuration trop forte (pas de Bureau élu, pas de mise en commun des activités). Cette tendance traduit une volonté politique d'unification du maximum d'AIE privés sur une base minimale, dont l'aspect principal concerne les rapports MJC/IPC, MJC/AIE privés. Cette phase de transition conduit ainsi à la mise en place d'un comité de coordination des associations, sous la dominance d'un courant « démocratique de gauche », en vue d'établir un rapport de force avec l'IPC, favorable à l'insertion des Associations dans le fonctionnement de la MJC. En fait, cette défense des AIE privés est politique : ces associations se présentent comme autant de lieux refuges d'expression idéologique et politique des classes localement dominées.

172

Institution

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et pouvoir

politique

Le Comité inter-jeunes cherche d'abord à se faire reconnaître par la Municipalité et à engager des « négociations » avec elle. Il demande audience au maire le 15 juin 1967 : le maire paraît reconnaître le caractère représentatif du Comité en lui proposant de s'associer à une commission municipale sur la jeunesse chargée d'étudier les problèmes posés par la MJC. Mais la Commission jeunesse se réunira le 9 novembre 1967 sans aucune participation extérieure. La Municipalité précisera les options possibles de fonctionnement de la MJC, elle décidera du recrutement rapide d'un directeur, du démarrage des travaux le 20 novembre 1967, sans aucune consultation préalable, marquant ainsi l'échec de la politique de négociation relativement bureaucratique menée par le CIJ 26 face à l'IPC. Par ailleurs, le maire continuera à s'adresser séparément aux associations membres du CIJ, cherchant par là à rompre l'unité de ce dernier. 3.2.2. Les tentatives de mobilisation par le Comité inter-jeunes face au problème du statut de la Maison des jeunes et de la culture Les options dessinées par l'IPC précisent, concrétisent l'enjeu ; trois formules sont possibles, ayant chacune une signification sociale distincte : La MJC « municipale » reflète un élargissement aux associations socio-culturelles de la conception traditionnelle de la gestion directe par l'IPC des institutions culturelles (musée, théâtre, école de musique...) : les jeunes sont alors « utilisateurs » d'une institution communale, directement dépendante du pouvoir politique local ; l'IPC se substitue aux associations privées, c'est-à-dire substitue l'unité du pouvoir à l'autonomie relative dans le fonctionnement des AIE. Une telle option correspond à un traitement politique de la crise idéologique locale ; elle tend à faire passer l'intérêt politique de classe (centralisation du pouvoir) avant son intérêt idéologique (cohésion idéologique en rapport au « désengagement » politique des AIE). Contradictoirement, elle tend à révéler le caractère de classe de cette institution et à exacerber les contradictions politiques (report de la lutte idéologique de classe sur le pouvoir politique local). La MJC adhérente à la FFMJC 27 correspond, à l'inverse, à une tentative de réduction de la lutte idéologique de classe par « neutralisation » de l'institution. Contrairement aux AIE privés, si tous les 26. Comité inter-jeunes. 27. Fédération française des Maisons de jeunes et de la culture.

La Maison des jeunes

173

« courants » peuvent normalement « s'exprimer », aucun ne peut engager l'institution, qui fait de la « laïcité », du « libéralisme », son principe de fonctionnement. Elle tend à réaliser la cohésion idéologique à ce niveau de désengagement, l'IPC ayant alors à assurer les conditions de fonctionnement de cette idéologie dominante dans l'institution (éviter son appropriation idéologique, intervenir de manière répressive en cas de crise). Contradictoirement, l'autonomie relative de sa gestion autorise, dans une conjoncture favorable, son appropriation politique par des « forces d'opposition », contrecarrant par là les tentatives de centralisation du pouvoir de la Municipalité. La troisième formule, appelée à Roanne « MJC indépendante », correspond en fait à une tentative d'éviter à la fois que la MJC apparaisse comme gérée directement par la Municipalité et que des « forces d'opposition » puissent, du fait du rapport de force sur la scène idéologique locale, se l'approprier politiquement. Toute 1'« habileté » de la formule consiste à donner formellement à la MJC un statut « 1901 » (Bureau et CA 28 élu), tout en organisant ce statut de telle façon que les autorités politiques locales soient directement ou indirectement majoritaires dans les organes de gestion, face aux membres représentant les usagers ou les associations locales (membres de droit, mode de cooptation, prérogatives des autorités de tutelle, convention d'utilisation). Le CIJ, face à ces options et à l'échec des tentatives de négociation bureaucratique, va chercher l'appui d'un « courant populaire », en déplaçant le problème sur le terrain. Il veut provoquer une prise de conscience de l'opinion publique sur la signification sociale du mode de gestion de la MJC et sur l'enjeu que représente à cet égard l'IPC, dans la mesure où celle-ci fixe les conditions politiques de fonctionnement de ces appareils. C'est à cette fin que le CIJ organise en décembre 1967 une réunion publique d'information sur les statuts de MJC, en demandant à des représentants de maisons municipales, de maisons indépendantes et de MJC de la FFMJC de s'y exprimer (seul le délégué de la FFMJC sera présent). Cette réunion rassemble des notables politiques locaux et des représentants des AIE privés, mais aucunement une « base populaire ». Elle n'en est pas moins une occasion d'affirmer la nécessité d'un fonctionnement neutraliste, avec participation des usagers au CA. A la suite de cette réunion, le maire propose d'organiser une table ronde sur ce problème. La mobilisation des jeunes va alors être tentée par une autre voie. Dans le même temps où l'UJP organise de son côté une enquête sur 28. Conseil d'administration.

174

Institution

communale

et pouvoir

politique

les jeunes (300 questionnaires retournés), le CIJ va élaborer et distribuer à 5 000 exemplaires un questionnaire sur le thème « Loisirs et MJC ». La distribution est assurée par les lycées, les plus importants comités d'entreprise et les mouvements de jeunesse. Sur les 25 % de réponses obtenues, 80 % proviennent des scolaires. Cette enquête va occuper le CIJ de janvier à novembre 1968. Présentée comme destinée à aider la commission municipale de la jeunesse, elle affirme par ses résultats l'absence d'activités de loisirs pour les jeunes à Roanne et la volonté des jeunes de participer à la gestion de la MIC. Ces opérations (réunions publiques, enquêtes) vont pourtant se traduire par un échec pour le CIJ : elles n'ouvrent aucune possibilité nouvelle de négociation avec la Mairie, malgré la promesse de cette dernière d'organiser une table ronde. Elles reflètent les difficultés du CIJ à poser le problème sur le « terrain », malgré les interventions auprès de la presse locale pour sensibiliser 1'« opinion » sur l'opération questionnaire.

3.2.3. Le déclin du Comité

inter-jeunes

L'absence de fonctionnement du Comité en mai 1968, illustrant les divisions idéologiques internes, et le constat de l'impossibilité de créer ce rapport de force favorable face à l'IPC, sont les premiers indices de sa crise interne. En réaction, le problème du renforcement de son organisation va se poser : demande d'un local, opportunité de créer un Bureau, projet d'organisation d'un centre de rencontre... Mais, c'est encore l'initiative municipale qui va précipiter la crise. Le maire annonce le 16 novembre 1968 que la MJC n'adhère pas à la FFMJC et présente en avril 1969 le projet de statut retenu par le conseil municipal (Maison «indépendante»). Le CIJ, en tant qu'instrument coordinateur des AIE privés, tend à disparaître dans la mesure où il y a suppression de l'enjeu du statut de la MJC. Dans un premier temps les associations « de droite » vont quitter le CIJ où se retrouve alors essentiellement le courant démocratique de gauche. Le CIJ continue cependant à se présenter comme l'unité des associations de jeunesse et d'éducation populaire. L'enjeu restera les conditions politiques de fonctionnement en rapport aux possibilités de mener dans l'institution des luttes politiques, mais ne se concrétisera plus par une demande de présence des AIE privés en tant que tels, mais par une demande de représentation majoritaire des usagers au CA.

La Maison des jeunes

175

Il est à noter qu'autant pour la Municipalité que pour les associations de gauche, l'enjeu politique prime sur l'enjeu idéologique : concrètement la lutte porte sur la composition du CA et du Bureau, et non sur l'autonomie du Conseil de Maison 29 chargé de l'organisation des activités. La tactique de l'IPC sera, pour maintenir sa dominance politique sur la Maison des jeunes, de s'assurer la majorité dans les organes de direction effective (Bureau, CA), la responsabilité de la nomination de l'équipe de direction, quitte à laisser une plus grande autonomie au Conseil de Maison : la séparation des fonctionnements politiques et idéologiques de la Maison est donc assurée par sa propre organisation interne. La présentation par le maire des statuts de la MJC se fera auprès d'une assemblée d'associations considérées dans leur individualité et divisées entre elles. D'une part l'opposition véhémente de quelques leaders de gauche va entraîner une exacerbation des conflits internes du CI} et rompre définitivement le « front commun », face à la Municipalité, qu'avaient su réaliser un temps les forces d'opposition de gauche. D'autre part, la réalisation effective de la MJC réveille l'opposition conservatrice et met les forces de gauche dans une situation ambiguë de défense du principe de la MJC et de condamnation de l'intervention de l'IPC. Enfin le maire va tenter d'utiliser l'effondrement du CIJ pour proposer aux jeunes et associations qui le désirent de participer à l'aménagement intérieur de la Maison. Le CIJ ne peut qu'enregistrer la division des associations, rendre à chacune sa liberté, constater sa non-représentativité en refusant de se substituer aux futurs usagers, et inviter la direction de la MJC à organiser une réunion publique en vue de fonder un Conseil de Maison provisoire.

3 . 3 . L E S LUTTES Λ L'INTÉRIEUR DE LA MAISON DES JEUNES ET DE LA CULTURE

C'est encore une fois l'autorité publique, ici déléguée au directeur, qui va imposer son terrain aux luttes concernant la MJC : en janvier 1970, l'Association est constituée à titre provisoire et l'ensemble de l'équipe de direction est embauchée. Néanmoins la direction politique étant maintenant assurée, le problème est d'envisager l'articulation de cette MJC aux AIE privés, dans un rapport de subordination de ces derniers. En effet, l'élimination des AIE privés de la 29. Le Conseil de Maison est constitué par les représentants des usagers.

176

Institution

communale

et pouvoir

politique

direction et l'effondrement du CIJ n'ont pas donné pour autant une « base », un « corps » apte à constituer la MJC ; la direction poursuit alors un double objectif : réorganiser ses rapports à la scène idéologique, organiser l'animation directe du « terrain » (c'està-dire la jeunesse, sans passer par les associations).

3.3.1. Les mouvements en rapport à la réarticulation de la Maison des jeunes et de la culture à la scène idéologique locale Une fois assurée sa direction politique de la MJC, le maire accepte en janvier 1970 la présence des représentants des unions syndicales CGT, CFDT, FO comme membres associés du CA. De plus, quatre anciens leaders du CIJ se voient désignés comme représentants des usagers. Ces éléments tendent à dénoncer le caractère peu démocratique du fonctionnement, la subordination politique de l'institution. Ils appuieront par ailleurs les demandes d'utilisation des locaux par les associations locales. Sur un autre plan, le maire autant que le premier directeur chercheront à réamorcer les contacts avec ces associations. Le maire demandera en janvier 1970 que la MJC ne se substitue pas aux associations existantes. Le directeur, après avoir affirmé un temps le caractère propre des activités de la MJC, tendra à les coordonner avec celles des associations. Au printemps 1970, par l'intermédiaire du stand d'information sur la MJC à la foire annuelle de Roanne, il organisera une consultation des associations locales, à laquelle cinquante-quatre d'entre elles se montreront intéressées. Peu de résultats concrets sont sortis de cette démarche ; c'est néanmoins la tendance à l'isolement de la MJC, résultant de la stratégie politique de l'IPC, qui va être à la base de la ré-intervention d'AIE privés dans la restructuration de la scène idéologique x . Elle s'exprime concrètement sur deux plans : à l'intérieur de la MJC, l'utilisation des locaux par des associations tend à se développer (en février 1971 par exemple, les unions syndicales ouvrières pouvaient organiser elles-mêmes, dans la MJC, un débat sur les problèmes de l'emploi et du chômage) ; et, principalement dans le domaine de l'encadrement idéologique des quartiers : la Mairie, qui dans un premier temps avait une perspective monolithique et centralisatrice de cet encadrement, par exemple, monter dans les quartiers des « antennes » de la MJC subordonnées à son CA, est amenée 30. En rapportant les conditions du fonctionnement de la MJC à 1'« unité politique », l'IPC a tendu à couper son rapport idéologique avec la scène.

La Maison des jeunes

177

« pragmatiquement », c'est-à-dire en prenant en considération les réalités des rapports de force sur le quartier, à confier par convention cet encadrement aux associations privées « implantées » dans le quartier de l'Arsenal.

3.3.2. Les mouvements en rapport à l'encadrement jeunesse par la Maison des jeunes et de la culture

direct

de la

La MJC devait finalement ouvrir ses portes en mai 1970. Le premier contact avec la jeunesse fut des plus habituels : trois cent cinquante adhérents à l'ouverture, sept cents en juillet, principalement des « scolaires », animant la Maison jusqu'au début des vacances. Mais pendant l'été 1970, la MJC se fait « occuper » par des « bandes » et des « marginaux ». Face aux « difficultés » d'animation (la presse locale parle de « saccages ») la MJC est fermée en septembre. Ce mouvement spontané de la jeunesse non scolaire pose le problème de l'appropriation sociale du principal équipement pouvant servir de base à l'organisation de la jeunesse ; il pose au pouvoir politique local un double problème : — Ne pas laisser s'exacerber une crise sociale concernant cette partie de la jeunesse et, en fonction de cela, se donner le moyen de l'encadrer : en octobre 1970 le maire organise une réunion avec les services sociaux, les représentants de la justice et de la police ; le directeur obtient des stagiaires de l'Ecole nationale d'éducateurs spécialisés ; — Mais l'élément principal du problème sera finalement de ne pas laisser à cette fraction le rôle dominant dans le « mouvement » de la jeunesse, et par conséquent de ne pas la laisser s'approprier les instruments qui peuvent lui servir de « base » à cet effet. On parlera donc d'« inadaptation de la MJC » à ce type de jeunes et on utilisera le « racisme » de l'opinion publique (la MJC est « mal vue ») pour l'orienter à nouveau, à sa réouverture, vers la jeunesse scolaire. Mais à force de vouloir neutraliser toute expression idéologique ou politique de lutte de classe, la MJC centrale se retrouve en 1971 avec bien peu d'adhérents et de participants jeunes. La crainte de l'équipe d'animation de prendre des initiatives, voire de s'exprimer verbalement, reflète très bien les conséquences immobilisatrices de la domination politique de la Municipalité.

Conclusion

Le présent rapport est consacré à un champ d'étude déjà fortement investi par la recherche : celui de la gestion urbaine. Il est néanmoins apparu nécessaire de reformuler la question, de s'interroger sur le mode d'appréhension du champ considéré. Cette conclusion tend à rendre compte de la validité d'une démarche d'investigation centrée sur l'analyse des rapports sociaux politiques dans la ville, tels qu'ils sont organisés autour de l'institution politique communale. La recherche relève d'une double démarche : la première concerne les caractères structurels internes à l'appareil de gestion considéré, ici l'IPC, les intérêts mis en pratique 1 et leurs limites (l'IPC comme centre de pouvoir), les contradictions internes à son fonctionnement (l'IPC en tant que centre de lutte). La seconde concerne le système d'acteurs que l'IPC investit d'autorité, dans ses rapports à la lutte de classe, spécifiée localement.

Analyse

de la structure,

analyse de la

conjoncture

Une première remarque s'impose : les deux termes de la démarche ne peuvent être considérés exclusivement l'un de l'autre. On a rejeté une réduction de l'analyse aux seuls caractères structurels de l'appareil considéré qui aurait conduit en fait à une lecture a-historique et déterministe de la formation sociale. La conjoncture, les rapports de force locaux, auraient été en quelque sorte absents de l'analyse. On a rejeté à l'inverse une lecture historiciste, mettant entre parenthèse l'analyse de l'appareil constitutif de cette gestion et qui aurait rapporté les interventions de la municipalité aux seuls rapports sociaux dans l'espace considéré.

1. Les intérêts des classes en présence sont inscrits dans la structure même du mode de production, de la formation sociale. En ce sens, un appareil, tel l'IPC, est le lieu de réalisation, de mise en pratique, d'intérêts spécifiques à une classe donnée.

180

Institution communale et pouvoir

politique

La gestion de l'unité urbaine relève d'une logique politique Dans ce cadre, l'analyse s'est construite autour d'une hypothèse centrale : la gestion de l'unité urbaine relève d'une logique politique, et ce, quelle que soit l'importance respective des différentes modalités d'intervention, économique, idéologique et proprement politique. En ce sens, cette gestion ne pouvait être considérée comme le seul « reflet » des intérêts économiques localement dominants, a fortiori comme une simple rationalisation technico-économique de l'aménagement du cadre urbain. L'analyse ne pouvait être réduite aux seuls caractères économiques de l'unité urbaine qui, pour être déterminants, ne sont pas uniques. Cette hypothèse ne va pas à l'encontre de la reconnaissance de la place de plus en plus grande que prend, dans les interventions de l'appareil d'Etat sur le cadre urbain, la modalité économique. Mais l'analyse indique clairement que, si la gestion de l'espace urbain prend en compte la réduction des contradictions économiques (entre système de production et système de reproduction), elle les traite en les rapportant au problème central de l'organisation spatiale de la domination politique de classe. On peut dire, d'une façon plus générale, que l'appareillage institutionnel, juridique, financier, contemporain dans ce domaine (SDAU, Communautés urbaines, PME, agences d'urbanisme, etc.), appareillage « technico-économique », recouvre une modification des formes politiques de la gestion dans l'espace urbain 2 et des intérêts politiques qui y sont réalisés. C'est dire, en ce qui concerne l'IPC dans le cadre urbain, qu'on a dépassé une analyse qui interpréterait sa pratique (le sens de ses interventions) en termes d'adaptation-inadaptation aux conditions nouvelles de la reproducion, pour se poser la question des intérêts politiques qu'elle tend à réaliser et, contradictoirement, de ceux auxquels elle tend à s'opposer.

Le double caractère politique de l'Institution

politique

communale

La réponse à cette question se réfère au double caractère de l'IPC de branche subordonnée de ΓΑΕ et de branche élective autonome. On a vu que le premier caractère en fait un centre localisé d'exercice du pouvoir central. Néanmoins l'IPC n'est pas une institution nouvelle, création de la fraction aujourd'hui hégémonique dans le bloc au pouvoir, mais la sanction historique de la domination politique 2. Parfois une modification des espaces eux-mêmes : commune, agglomération.

Conclusion

181

de fractions de la bourgeoisie aujourd'hui dominées dans ce bloc. On repère dès lors les effets du décalage entre le Droit et l'état des rapports politiques contemporains, en termes de contradictions secondaires entre les intérêts des fractions de la bourgeoisie anciennement hégémoniques et nouvellement hégémoniques \ Le caractère de branche élue ne confère donc pas aux représentations de classes un pouvoir direct dans la gestion de la ville, sauf dans la très faible mesure du reste d'autonomie administrative. Par contre, il fait de l'IPC un centre ouvert à la lutte et à la résistance politique, pour la prise en considération par l'AE des intérêts locaux des classes dominées qui y seraient représentées. En ce sens, l'IPC n'est, pas plus que les autres branches subordonnées de l'AE, un centre de pouvoir pour les classes dominées (cf. l'unité du pouvoir dans l'AE). Mais, du fait de son caractère élu, des représentations de ces classes peuvent y infléchir, par la lutte politique, l'orientation de la gestion urbaine. Au total, la réalisation des intérêts des classes dominées au travers de l'IPC passe secondairement par l'utilisation de la très faible autonomie administrative de l'institution, principalement par la lutte politique pour l'infléchissement de ce cadre et des décisions ponctuelles de ΓΑΕ central. Ce caractère électif autonome fait par ailleurs de l'IPC un lieu d'organisation de pouvoir dans l'urbain, dans les limites d'un fonctionnement à la démocratie bourgeoise.

Le système

d'acteurs

Le « système d'acteurs » que l'IPC constitue — conseillers municipaux, adjoints, maire — reflète ce double caractère politique. Ses membres sont à la fois agents de l'AE central et représentation de la classe régnante sur la scène politique locale. Leur pratique relève de l'articulation entre ces deux termes. Le caractère politique de ce système d'acteurs se trouve toutefois fortement occulté : la perception idéologique du maire, comme gestionnaire du bien public, comme technicien, spécialiste de l'aménagement urbain, par ailleurs comme défenseur des intérêts généraux des habitants de la commune, voire comme « père » des citoyens-résidents, résulte de l'effet des idéologies technico-économiques et juridico-politiques dominantes. Une 3. C'est ce décalage qui est souvent idéologiquement présenté en termes d'inadaptation ou de disfonctionnement technique. En fait, il concerne essentiellement l'importance que prend dans l'IPC la modalité proprement politique et l'idéologie juridico-politique.

182

Institution

communale et pouvoir

politique

juste lecture de sa pratique impliquait en conséquence une rupture avec cette lecture idéologique. En effet, situer le système d'acteurs municipal en termes politiques signifie que ses interventions, qu'elles concernent la gestion économique, idéologique ou proprement politique de l'unité urbaine, sont analysées par rapport aux intérêts politiques mis en jeu.

La pratique de la Municipalité Cette pratique se trouve reliée aux rapports sociaux politiques locaux, tels qu'ils sont structurés sur la scène politique locale. Les contradictions qui existent sur cette scène sont surdéterminantes dans la pratique de la Municipalité par rapport à celles qui sont traitées dans le domaine d'intervention considéré. Les rapports du système d'acteurs municipal à la scène politique sont organisés par la démocratie bourgeoise et s'expriment principalement en termes de luttes électorales. Il était nécessaire pour l'analyse de produire une lecture sociale des enjeux que recouvrent ces luttes, c'est-à-dire de mettre à jour les contradictions traitées et les rapports de force existants. L'analyse de la scène politique apparaît donc capitale pour saisir la pratique concrète du système d'acteurs municipal. On a tenté ici une première application de ce mode d'investigation, mais on retiendra surtout que son principe s'est trouvé confirmé par l'éclairage donné aux interventions elles-mêmes. Il en ressort en effet que la connaissance de la gestion de l'unité urbaine échappe à une analyse des logiques internes des diverses modalités d'intervention : plus, un tel schéma teinté d'économisme tendrait à reproduire le masque idéologique qui recouvre le système d'acteurs municipal, en « dépolitisant » sa pratique, en la réduisant à une démarche économique, même de classe. Une telle analyse ne dispense pas, au contraire, de l'appréhension des contradictions traitées dans chaque secteur d'intervention de l'IPC, des enjeux internes à ces secteurs, de la signification sociale du résultat de la pratique municipale sur ce secteur. Mais cette appréhension n'est plus linéaire et permet de localiser les effets contradictoires, par exemple, d'une logique politique appliquée à un domaine qui ressort de la reproduction économique ou idéologique du cadre urbain.

Conclusion

183

La spécificité du cas roannais Le « cas roannais » n'est pas spécifique sur ce plan. Si le caractère politique de l'IPC a été mis en avant, cela ne relève pas d'un particularisme quelconque de cette ville, mais de la mise à jour de la réalité sociale qu'autorisent les outils conceptuels utilisés ici. La spécificité du cas roannais se situe au niveau de la configuration particulière que prennent les rapports sociaux locaux. Les caractères économiques de l'unité urbaine, sa place dans la formation sociale, laissent la moyenne bourgeoisie en position économiquement dominante ; son idéologie juridico-politique règne sur la scène idéologique ; l'IPC joue son rôle centralisateur pour l'entente municipale entre cette fraction de la bourgeoisie et la petite bourgeoisie traditionnelle. Cette dominance se heurte pourtant à une exacerbation des contradictions sur tous ces plans, du fait de l'hégémonie nationale du capitalisme monopoliste. La contradiction secondaire entre fractions de la bourgeoisie devient première dans la conjoncture locale par rapport à la contradiction principale entre classe ouvrière et bourgeoisie. La lutte politique locale se réfère principalement à la contradiction entre pouvoir central et pouvoir local et, dans ce cadre, le conflit entente de troisième force — ou entente de gauche — se pose comme alternative de représentation des « intérêts locaux » face au pouvoir central.

L'enrichissement de la connaissance la lutte interne à la bourgeoisie

d'une conjoncture

marquée

par

L'étude du cas roannais, rapportée aux principes généraux d'analyse des rapports sociaux, éclaire plus généralement la lutte politique entre bourgeoisie monopoliste et moyenne bourgeoisie, dans une formation sociale marquée par la dominance économique et l'hégémonie politique de la première. La dominance économique du monopolisme est déterminante au sens où, dans le champ de la lutte économique inter-capitaliste, la moyenne production est dans l'impossibilité d'imposer des conditions de production et de reproduction qui lui soient favorables 4 . Une résistance principalement économique de sa part s'avère donc 4. Cela ne signifie pas que la moyenne production ne joue plus de rôle économique dans une formation sociale monopoliste : elle a encore un rôle important dans certains secteurs, non encore investis par la production monopoliste. Mais au stade impérialiste actuel, cette contradiction tend à s'exacerber.

184

Institution

communale et pouvoir

politique

inefficace. La survivance d'une moyenne production industrielle dépend dès lors de l'intervention économique de l'appareil d'Etat. Deux termes contradictoires interviennent dans la définition de cette politique économique. D'une part, la bourgeoisie monopoliste, en tant que fraction hégémonique du bloc au pouvoir, cherche à représenter politiquement cette moyenne bourgeoisie, et se doit donc de proposer sur la scène politique la prise en considération de ses intérêts : l'UDR notamment, en tant que parti du pouvoir, se doit d'intégrer dans ses campagnes électorales les intérêts de cette fraction. D'autre part, cette politique économique tend à réaliser les intérêts propres à la fraction hégémonique, et donc à ne pas traduire dans les faits les intérêts de la moyenne production qui lui sont contradictoires : en particulier quant à la dominance d'une moyenne production dans des secteurs investis par des capitaux de taille monopoliste, ou, inversement, quant au soutien de branches ou régions économiques non concernées par la politique d'industrialisation et de développement régional. La lutte de cette fraction de la bourgeoisoie est donc politique : il s'agit d'arracher une prise en considération réelle de ses intérêts par le bloc au pouvoir. Cette lutte passe dans un premier temps par la constitution de sa propre organisation partisane. Mais ici le problème posé par le régime de la Ve République dans la conjoncture actuelle est que le pouvoir central ne dépend que très secondairement des lieux où ces organisations partisanes sont situées : Assemblée nationale, alors que le Gouvernement est essentiellement relié à la Présidence de la République ; IPC alors que, d'une part, celle-ci ne participe plus à l'élection du Président de la République et que, d'autre part, le schéma maire-député ne conduit plus à la branche centrale d'exercice du pouvoir. Dès lors, l'alternative politique de la moyenne bourgeoisie est, dans la mesure où la prise en charge de ses intérêts par la fraction hégémonique du bloc au pouvoir reste formelle, la constitution d'une entente de troisième force en vue d'un changement d'hégémonie dans ce bloc. L'IPC se présente alors, dans une conjoncture où cette entente n'arrive pas à s'imposer au niveau national, comme un lieu refuge de résistance politique.

ANNEXES

Annexes

187

CHAPITRE 1/Annexe 1

E v o l u t i o n des c a t é g o r i e s s o c i o - p r o f e s s i o n n e l l e s c o m m u n e de R o a n n e , de 1 9 6 2 à 1 9 6 8

1962

pour

1968

Industriels et gros commerçants

1,5

1,4

Professions libérales et cadres supérieurs

3, 6

3,4

Cadres moyens

6,9

7,6

Artisans et petits commerçants

8, 1

7,1

Employés

12,5

13,8

Contremaîtres et ouvriers qualifiés

22,1

20,5

O. S. et manoeuvres

23,4

22,7

Personnel de service

3,9

3,7

17,8

19,6

Retraités

la

188

Institution

communale et pouvoir

politique

CHAPITRE 11/Annexe 1 Elections

législatives- Résultats

au n i v e a u

de la

ville

étudiée,

1936 1er 2e Tour Tour

1945

1 946 Juin Novembre

1951

PCF

13, 8

-

37,6

33, 6

35, 8

32,9

SFIO

51,5

61,4

14, 5

10, 9

Radicaux

3,0

1,8

Bloc des gauches, Union des gauches (SFIO, Radicaux)

13,0

UDSR-RGR

18,0

11,9

17,4

36, 6

26, 8

25, 2

9, 6

10, 8

Gauche sociale et démocrate Union de la gauche s o c i a l . , Union des forces d é m o c r a t . , PSU (FGDS) MLP I n d é p . , Front républ. et de Déf. paysanne MRP Républ. Indép.

34,7

38,6

Indép. de gauche Liste d'union n a t . MRPUDSR-Indép. paysans

24,8

Rassemblement des forces R é p . RPF UNR-UDR Républ. Sociaux UDCA

27,2

Annexes

36 à

189

1968

1952 1er 2e Tour Tour 35, 6

38,5

4,5

-

1956

1958 1er 2e Tour Tour

1962 1er 2 Tour Tour

1967 1er 2e Tour Tour

1 968 1er 2e Tour Tour

26, 3

20,3

24, 6

32, 0

26, 8

21,0

23,5

12.5

8,2

3,5

5,9

-

12, 6

37, 1

38,7

21,1 4,1 5,2

1,5 18, 9

1,2

13,0 22,5 9,2

6,7 56,0 -

18, 1 1,7

36,1

44, 4

38,4

47,0

29,1

23,0

21, 8

22,9

31,7

23,2

20,8

31,5

39,7

38, 5

4,7

-

13,2

2,7 12,8

61, 3

190

Institution communale

et pouvoir

politique

CHAPITRE II/Annexe 2 Elections

municipales- Résultats

de 1 9 4 5 à 1 9 7 1

1 945 Liste républicaine pour l'application du programme du CNR

1 947

1 953

Liste unique, élue

PCF

32,5

5 785 voi 10 èli

SFIO

17,5

3 440 voi; 6 élus

Radicaux

1 298 voü 2 élus

Union démocratique (PCF-SFIO-PSU) Union pour une municipalité de gauche (PCF-PSU) Union des forces démocratiques MRP

15,2

Indépendants Rassemblement républicain d'action municipale RPF - UNR - UDR

Suffrages exprimés * Voix réunies par le candidat de la liste le mieux placé.

34, 1

6 840 voi* 12 élus 1 841 vob 3 élus 19 432 voi>

Annexes

1959 1er Tour 2 e Tour

6 042 voix*

l 9 6 5

1971 1er Tour 2 e Tour

8 652 voix*

2 782 voix

38,2

25,9

18,9

34,2

41, 6

39,8

39,4

1 179 voix

1 269 voix 6 779 voix

2 096 voix

18 762 voix

11 535 voix

-

19 909 voix

61, 8

192

Institution communale et pouvoir

politique

CHAPITRE ΠΙ/Annexe 1 E m p l o i - T a u x d ' a c t i v i t é (en

pourcentage) Taux féminin d'activité

Taux global d'activité 1962 1968

39 38**

47,3* 46,8

* Taux moyen des villes de plus de 50 000 habitants : 43, 2 %. * * Taux le plus élevé de Rhône-Alpes. Source : Pio jet de Livre Blanc.

CHAPITRE m / Annexe 2 M o y e n n e des s a l a i r e s a n n u e l s pour 1 9 6 3 Lyon Saint-Etienne Roanne

interprofessionnels

9 000 F 7 500 F 6 500 F

Source : enquête CFDT.

CHAPITRE ΙΠ/Annexe 3 La r é g r e s s i o n du t i s s a g e dans l a r é g i o n de 1 9 5 4 à 1 9 6 4

Cadres Ouvriers . hommes . femmes Total des effectifs

Roanne-Thizy

1954

1964

Différence

%

1 058

1 102

+ 44

+ 4

3 401 4 958 9 417

1 963 2 743 5 808

- 1 438 - 2 215 - 3 609

-42, 3 -46, 6 - 38, 3

Source : Revue Industrie cotonnière.

Annexes

193

CHAPITRE ΠΙ/ Annexe 4

La c r i s e

de 1 9 6 S e n

chiffres

1. Tableau du nombre moyen des allocataires ASSEDIO de 1963 à 1969

Femmes

Hommes

Total

1963

44

28

72

1964

18

28

46

1965

92

65

157

1966

86

92

178

1967

154

180

334

1968

348

311

659

1969

277

246

523

2. L'évolution de l'emploi industriel de 1963 à 1969 pour l'agglomération roannaise

Emplois totaux

Mécanique

Tissage

1963

28 739

2 792

4 111

1969

28 076

3 479

1 940

1969/1963

- 663

+ 687

- 2 171

Pourcentage

- 2, 36

+ 24

- 52

Source : ASSEDIO de Roanne.

194

Institution

communale

et pouvoir

politique

CHAPITRE IV/Annexe 1 L ' â g e du p a r c d e l o g e m e n t s ration roannaise

en 1 9 6 8 d a n s

Immeubles Nombre

l'agglomé-

Logements

dont logements

%

Nombre

%

collectifs

Avant 1871

1 483

12, 7

4 116

14, 1

2 760

De 1871 à 1914

3 629

31, 1

10 060

34, 4

6 700

De 1914 à 1948

3 479

29, 9

6 768

23, 1

3 072

De 1948 à 1961

1 705

14, 6

4 064

13, 8

2 504

Après 1962

1 358

11, 7

4 276

14, 6

3 016

Total

11 654

100

29 284

100

18 052

Source : SDAU Logement, janvier 1971.

CHAPITRE IV/Annexe 2 C o m p a r a i s o n entre Roanne, Lyon, S a i n t - E t i e n n e , Gren o b l e , de l ' â g e du p a r c des r é s i d e n c e s p r i n c i p a l e s ( s i t u a t i o n en 1 9 6 2 , e n p o u r c e n t a g e s )

Agglomérations

Avant 1871

De 1871 à 1914

De 1915 à 1948

Après 1948

Lyon

24,9

32,5

22,2

20,4

S aint-Etienne

27,1

40,5

16,2

16,2

Grenoble

13,8

18, 1

29,2

38,9

Roanne

17,7

43,6

22,9

15, 8

Source : SDAU Logement, janvier 1971.

195

Annexes

CHAPITRE IV/Annexe 3 Le p e u p l e m e n t d e s r é s i d e n c e s p r i n c i p a l e s s e l o n l e s n o r m e s du m i n i s t è r e de l ' E q u i p e m e n t ( e n p o u r c e n t a g e s )

Roanne

Valence

Bourges Bourg

Agglomérations de moins de 100 000 habitants

Surpeuplement critique

10,7

7,2

9,7

8,2

9,, 9

Surpeuplement courant

16,7

13,6

15,5

14, 3

13,, 9

peuplement normal

43,6

43,7

42,4

-

42, 3

Sous-peuplement 2 2 , 8 modéré

26,9

24

-

23,,2

6,2

8,6

-

10,,7

Sous-peuplement accentué

8,4

Source : SDAU Logement, janvier 1971.

CHAPITRE VI/ Annexe 1 Effectifs

scolaires -

E n s e i g n e m e n t du 2 ° d e g r é

Année

Public

Privé

Total

1963-1964

5 008

1 110

6 118

1970-1971

5 918

1 868

7 786

Augmentation 1963-1970 (%)

+ 18

+ 68

Sources : A partir d'études du CRESAL et de "Connaissance de la Loire", Bulletin trimestriel de statistiques et d'information économique de la Préfecture de la Loire.

Bibliographie

I.

OUVRAGES ET ARTICLES GÉNÉRAUX CITÉS

Althusser, L. « Idéologie et appareils idéologiques d'Etat : note pour une recherche sur la reproduction des conditions de reproduction », La Pensée, juin 1970. Pour Marx. Paris, Maspero, 1971, 258 p. Althusser, L. ; Balibar, E. Lire Le Capital. Paris, Maspero, 1965, 408 p. Bettelheim, C. Calcul économique et formes de propriété. Paris, Maspero, 1970, 144 p. Biarez, S. ; Kukawka, P. ; Mingasson, C. Les élus locaux et l'aménagement urbain dans l'agglomération grenobloise. Grenoble, Centre de recherches de l'Institut d'études politiques, 1970, 192 p. Castells, M. « Vers une théorie sociologique de la planification urbaine », Sociologie du Travail (4), 1969. La question urbaine. Paris, Maspero, 1972, 447 p. Clark, T.N. Community Structure and Decision Making : Comparative Francisco, Chandler, 1968.

Analysis.

San

Cottereau, A. « Les débuts de la planification urbaine dans l'agglomération parisienne », Sociologie du Travail (4), 1970. Delayre, H. ; Dessane, C. ; Godard, F. ; O'Callaghan, C. La rénovation urbaine à Paris. Paris/La Haye, Mouton, 1973, 150 p. Delilez, J.-P. Les monopies : essai sur le capital financier et l'accumulation Paris, Editions Sociales, 1970, 210 p.

monopoliste.

Dos Santos, f. ; Marié, M. «Migrations et force de travail», Espaces et Sociétés (4), décembre 1971. Gremion, P. ; Worms, J.-P. Les institutions régionales et la société locale. Paris, Editions du CNRS, 1968, 262 p.

198

Institution

communale

et pouvoir

politique

Herzog, P. Politique économique et planification en régime capitaliste. Paris, Editions Sociales, 1971, 285 p. Kukawka, P. « Structure sociale et structure du pouvoir local en milieu urbain », Communication au VII e Congrès mondial de sociologie, Varna, 1970. Kukawka, P. ; Mingasson, C. ; Roig, C. Recherche sur la structure du pouvoir local en milieu urbain. Grenoble, Centre de recherches de l'Institut d'études politiques, 1969, 90 p. (ronéo). Lefebvre, H. La pensée marxiste et la ville. Paris, Castermann, 1972, 157 p. Mao Tsé-Toung Quatre essais philosophiques. Pékin, Editions en langues étrangères, 1967, 152 p. Mingasson, C. « Institution communale, appareil d'Etat et classes sociales », Communication au Colloque international du CNRS sur l'analyse interdisciplinaire de la croissance urbaine (Toulouse, 1971), Paris, Ed. du CNRS, 1972. Piotte, J.-M. La pensée politique de Gramsci. Paris, Anthropos, 1970, 299 p. Poulantzas, Pouvoir N. politique et classes sociales. Paris, Maspero, 1970, 398 p. Fascisme et dictature. La Troisième Internationale face au fascisme. Paris, Maspero, 1970, 400 p. Preteceille, E. La production 172 p.

des grands ensembles.

Paris/La Haye, Mouton, 1973,

Vidal, D. Essai sur l'idéologie. Le cas particulier des idéologies syndicales. Paris, Anthropos, 1968, 322 p. « Formation sociale et mouvements sociaux », Sociologie et Sociétés (Montreal) 2 (11), novembre 1970. « Note sur l'idéologie », L'Homme et la Société (17), 1970.

I I . OUVRAGES, ARTICLES ET DOCUMENTS UTILISÉS POUR LA RECHERCHE

CONCERNANT

ROANNE

ET

AYANT

ÉTÉ

1. Généralités Association pour l'établissement du Schéma directeur de l'agglomération de Roanne (AESDAR) Présentation résumée de l'étude des relations de Roanne avec son environnement. 1970. L'économie de l'aire du SDAU de Roanne: premières analyses. 1971. Eléments d'économie de l'aire urbaine de Roanne. 1971.

Annexe : bibliographie

199

Chambre de commerce de Roanne Plaquette de présentation de Roanne. 1971. Centre de recherche économique et sociale de la Loire (CRESAL) Relations internes et externes de la région roannaise. Saint-Etienne, 1970 (1™ partie : « Relations issues de la fréquentation des communes et des services » ; Τ partie : « Relations issues de la fréquentation de l'industrie »). Crétin, C. « Roanne, une ville moyenne », in : La vie urbaine dans le département de la Loire et ses abords. Saint-Etienne, Centre d'études foréziennes, 1969. Estienne, P. ; et autres Villes du Massif Central. Clermont-Ferrand, Faculté des lettres et sciences humaines, Institut de géographie, 1963, 85 p. Groupe de travail roannais du Comité d'expansion du département de la Loire La région roannaise. I : Découverte des structures de base. 1958, 40 p. + cartes). II : Analyse des structures de base. 1961, 48 p. + cartes). La région roannaise. Actualisation CRESAL, 1969, 39 p.

des précédentes études. Saint-Etienne,

Jeune Chambre économique de Roanne Roanne et sa région. Plaquette de présentation. 1966. Labasse, J. « Quelques aspects de la vie d'échange en pays roannais », Annales Géographie 63 (334), mai-juin 1954.

de

Union des jeunes pour le progrès Livre Blanc pour Roanne en l'an 2000. 1968, 17 p. (ronéo). Union régionale des syndicats CFDT du Roannais Situation économique de la région roannaise. 1966, 27 p. (ronéo). 2. Etudes ou documents

sectoriels

Association pour l'établissement du Schéma directeur de l'agglomération de Roanne (AESDAR) La démographie des communes du SDAU de Roanne. 1971, 14 p. (ronéo). L'économie

agricole roannaise. 1971, 23 p. (ronéo).

Les migrations alternantes dans l'agglomération (ronéo).

de Roanne.

1971, 20 p.

Les constructions récentes de locaux industriels dans le périmètre du SDAU de Roanne. 1971. Les migrations définitives dans l'agglomération roannaise. 1971, 12 p. (ronéo). Le textile et les industries annexes dans la région roannaise. 1971. Présentation résumée de l'étude des transports de marchandises. 1970, 15 p. (ronéo). Le logement. 1971, 27 p. + annexes (ronéo). Le logement dans l'ensemble urbain de Roanne. 1971, 28 p. (ronéo).

200

Institution

communale

et pouvoir

politique

Association nationale pour l'étude de la communauté de la Loire et de ses affluents (Commission de la Loire Supérieure) ; Chambre de commerce et d'industrie de Roanne ; Comité d'expansion économique du département de la Loire De la Loire navigable au canal : la vocation portuaire de Roanne. 1962, 13 p. + annexes. Association pour l'emploi dans l'industrie et le commerce (ASSEDIC) de la région Rhône-Alpes L'emploi de 1966 à 1971. Statistiques Rhône-Alpes. 1972, 80 p. Centre de recherche économique et sociale appliquée de la Loire (CRESAL) Relations internes et externes de la région roannaise. Saint-Etienne, 1971 (2e partie : « Relations issues de la fréquentation de l'industrie »). La demande solvable de logement dans l'agglomération roannaise. SaintEtienne, 1969. Les équipements collectifs. Besoins de l'agglomération roannaise. SaintEtienne, 1965, 40 p. Chambre de commerce et d'industrie de Roanne Liste des établissements industriels, commerciaux et divers de l'arrondissement de Roanne. Sans date, 76 p. Aménagement et accueil des entreprises. 1971, 10 p. Damussier La bonneterie roannaise. Lyon, 1960 (Mémoire de géographie ; Institut d'études rhodaniennes, 132). Hosatte, E. Les industries métallurgiques à Roanne. Lyon, 1970 (Mémoire de géographie ; Institut d'études rhodaniennes, 408). Houssel, J.-P. « Ville moyenne, développement de l'agriculture régionale, agriculture de banlieue : l'exemple de Roanne », Revue de Géographie de Lyon 45 (4), 1970. « Les petites villes textiles du Haut-Beaujolais. De la tradition manufacturière à l'économie moderne », Revue de Géographie de Lyon 46 (2), 1971. Marsault L'emploi industriel dans la région roannaise. Lyon, 1960 (Mémoire de géographie ; Institut d'études rhodaniennes, 240). Société d'équipement du département de la Loire Fiches d'opérations annuelles et bilans annuels de l'opération de rénovation urbaine « Roanne RN 7 ». Dossier de création d'une ZAC. Rénovation du quartier de l'Hôtel de Ville. Saint-Etienne, 1971, pag. mult. Ville de Roanne Zone d'habitation du Parc des Sports. Dossier programme FDES. 1969, pag. mult. Récapitulatif des principales acquisitions Roanne depuis 1955. Affectations. 1971.

immobilières

de la Ville

de

Annexe : bibliographie

201

3. Informations sur les appareils de gestion de l'urbain Association pour l'établissement du Schéma directeur de l'agglomération de Roanne (AESDAR) Comptes rendus du Conseil d'administration. 1970 et 1971. Rapport d'activités. 1971, 4 p. Compte rendu de la réunion des groupes de travail « Cadre de vie et urbanisme». 1971. Projet de rapport de la commission « Urbanisme ». 1971, 15 p. Rapport de la commission «Environnement ». 1971, 7 p. Projet de plan détaillé du Livre Blanc de Roanne (deuxième esquisse). 1971, 26 p. (ronéo). Livre Blanc de l'agglomération de Roanne. 1972, 97 p. Caisse d'allocations familiales de Roanne Fonctionnement, commissions, budget, personnel, d'usagers pour l'année 1970.

nombre de familles

et

Chambre de commerce et d'industrie de Roanne Délégués consulaires auprès de la CCI élus en 1970 pour les années 19711972-1973. Comité inter-jeunes Liste des principaux 1967.

clubs et associations de l'agglomération

de

Roanne.

Formation des hommes - Education nationale Connaissance de la Loire : bulletin trimestriel de statistiques et d'informations économiques, 15 février 1971, 317 p. + tableaux, photogr. Maison des jeunes et de la culture - Foyer de jeunes travailleurs Comptes rendus des Assemblées générales, 1970. 1972. Statuts, 1970. Ministère de l'équipement. Groupement d'urbanisme de Roanne Plan d'urbanisme directeur. 1967. 33 p. + annexes (ronéo). Sous-Préfecture de Roanne Etude sur un regroupement 1971, 62 p. (ronéo).

de communes

de l'agglomération

roannaise.

Trésorerie générale de la Loire Agglomération de Roanne. VI' Plan. Les capacités de financement dépenses d'équipement. 6 p. (ronéo)

des

Ville de Roanne Liste des équipements socio-culturels existant dans la commune. Dépenses de fonctionnement. Année 1970. Secteur socio-culturel. Subventions à diverses associations. Attributions 1967 (14 p., dactylogr.). Attributions 1970 (17 p., dactylogr.). Attributions 1971 (16 p., dactylogr.). Convention d'occupation. Maison des jeunes, Foyer de jeunes travailleurs. 1970, 5 p. (ronéo). Convention relative à la gestion des centres sociaux de la Caisse d'allocations familiales de Roanne. 1972.

202

Institution

communale

et pouvoir

politique

Liste des associations et institutions auxquelles participe de droit. 1972.

la Municipalité {ou le maire)

* * *

Profession de foi des candidats aux différentes rales publiées par les différents partis.

élections

et feuilles

électo-

de

l'agglomération

***

Programme de modernisation Roanne. 1971, 46 p. (ronéo).

et

d'équipement

de

* * *

Résultats des élections de 1945 à 1971.

I I I . JOURNAUX ET

municipales,

législatives et présidentielles

et

Connaissance du Roannais. Bulletin trimestriel de statistiques tions économiques (Sous-Préfecture de Roanne).

d'informations et

d'informa-

(Saint-Etienne). Edition de Roanne. Quotidien (dépouillé de 1961

Enfance et famille du Roannais. familiales de Roanne. L'Essor.

Roanne

PÉRIODIQUES

Connaissance de la Loire. Bulletin trimestriel de statistiques économiques de la préfecture de la Loire.

La Dépêche à 1971).

à

Bulletin mensuel

de la Caisse

d'allocations

Hebdomadaire catholique d'information (Saint-Etienne).

Le Pays roannais. Hebdomadaire (Roanne). Points d'appui pour l'économie régionale de l'INSEE).

Rhône-Alpes.

Situation économique et sociale dans la région (Roanne, Chambre de commerce et d'industrie).

Trimestriel (Lyon, Direction roannaise.

Annuel (ronéo)

Liste des principaux sigles utilisés dans l'ouvrage

AE AIE ASSEDIC BTP CA CCI CEE CFDT CGT CID-UNATI CIJ CIL CRESAL CSP CTA DAFU DATAR DDE DMC FES FGDS FFMJC FJT FO FOL GEP GU HLM ILN INSEE IPC MP MJC MPC MRP OPHLM OREAM PCF PLR PME PSU PSA RPF

Appareil d'Etat Appareil idéologique d'Etat Association pour l'emploi dans l'industrie et le commerce Bâtiment et travaux publics Conseil d'administration Chambre de commerce et d'industrie Communauté économique européenne Confédération française démocratique du travail Confédération générale du travail Comité d'information et de défense - Union nationale des artisans et travailleurs indépendants Comité inter-jeunes Comité interprofessionnel du logement Centre de recherche économique et sociale appliquée de la Loire Catégorie socio-professionnelle Compagnie des textiles artificiels Direction de l'aménagement foncier et de l'urbanisme Délégation à l'aménagement du territoire et à l'action régionale Direction départementale de l'équipement Dolfuss, Mieg et Cie Formation économique et sociale Fédération de la gauche démocrate et socialiste Fédération française des maisons de jeunes et de la culture Foyer de jeunes travailleurs Force ouvrière Fédération des œuvres laïques Groupe d'études et de programmation Groupement d'urbanisme Habitation à loyer modéré Immeuble à loyer normal Institut national de la statistique et des études économiques Institution politique communale Mode de production Maison des jeunes et de la culture Mode de production capitaliste Mouvement républicain populaire Office public d'habitations à loyer modéré Organisation régionale d'études d'aménagement de l'aire métropolitaine Parti communiste français Programme de logement à loyer réduit Plan de modernisation et d'équipement Parti socialiste unifié Parti socialiste autonome Rassemblement du peuple français

204

SDAU SEDL SFIO SIVM UDSR UDCA UGS UFD UDR UNR ZAC ZI ZI A ZI Β

Institution

communale

et pouvoir

politique

Schéma directeur d'aménagement et d'urbanisme Société d'équipement du département de la Loire Section française de l'internationale ouvrière Syndicat intercommunal à vocation multiple Union démocratique et socialiste de la résistance Union de défense des commerçants et des artisans Union de la gauche socialiste Union des forces démocratiques Union pour la défense de la république Union pour la nouvelle république Zone d'aménagement concerté Zone industrielle Zone industrielle de type A Zone industrielle de type Β

Table des matières

INTRODUCTION

1. Les 1.1. 1.2. 1.3.

5

questions de départ Quel pouvoir étudie-t-on ? Les classes sociales Empirie et théorie

5 5 8 10

2. La construction de l'objet : l'Institution communale comme centre de pouvoir et de lutte politique en milieu urbain 2.1. Le politique et ses modalités 2.2. La gestion politique de l'urbain 2.3. L'Institution politique communale comme centre de pouvoir et de lutte politique 3. La démarche d'investigation 3.1. Orientation générale 3.2. L'application à une situation urbaine particulière

SCÈNE

12 14 16 20

..

I . PRÉSENTATION DE LA V I L L E

I I . LA

12

POLITIQUE

1. Cadre théorique pour l'analyse de la scène politique . . 1.1. Qu'est-ce que la scène politique? 1.2. Représentation partisane et classes 1.3. Le rapport de l'Institution politique communale à la scène politique locale 2. La scène politique locale : les trois phases de l'évolution des rapports de force sur la scène politique

20 22

25

31

31 31 34 36 40

206

Institution communale et pouvoir

politique

2.1. De la division de la gauche à la troisième force: 1945-1953 2.2. De la troisième force aux conséquences du changement de régime : 1953-1958 2.3. La lutte au sein d'une droite dominante : 1958-1971 3. La scène politique locale : analyse de la conjoncture actuelle à Roanne 3.1. L'affaiblissement d'ensemble des représentations partisanes « de gauche » 3.2. Conséquences de l'affaiblissement des représentations partisanes de gauche 3.3. Conclusion III.

L'INDUSTRIALISATION

1. Les zones industrielles comme enjeux économiques pour le capital industriel roannais 1.1. Le double niveau des enjeux 1.2. Les procès dominants dans la sphère de la production 1.3. L'articulation de ces trois évolutions dominantes de la sphère de la production dans la formation urbaine 2. Etude du processus de réalisation des zones industrielles 2.1. Préalable sur l'analyse d'une Chambre de commerce et d'industrie 2.2. La région économique de la scène idéologique locale : les deux phases 2.3. La crise de 1965 : les contradictions sur le terrain et sur la scène 2.4. L'intervention des appareils IV.

41 43 44 47 48 53 60 63

65 65 66 74 84 85 88 90 93

LOGEMENT ET RÉNOVATION

103

1. L'héritage

103

2. L'actualisation de l'héritage 2.1 .Préalable 2.2. Les termes de l'actualisation 2.3. Les trois macro-opérations de logement à Roanne

110 110 111 120

Table des

V.

L'ASSOCIATION POUR L'ÉTABLISSEMENT

207

DU SCHÉMA DIREC-

TEUR D'AMÉNAGEMENT E T D'URBANISME

129

1. L'Association comme enjeu

130

1.1. Nouvelles institutions de nagement urbain et scène 1.2. Nouvelles institutions de nagement urbain et enjeu

VI.

matières

planification politique planification économique

ou d'améou d'amé-

130 133

2. La création et l'organisation de l'Association 2.1. Un aménagement local d'un modèle national .... 2.2. La signification et les limites du réaménagement ..

137 137 139

3. Le Livre Blanc

147

L'IMPLANTATION D'UNE MAISON CENTRALE DES JEUNES DE

LA

ET

CULTURE

151

1. Cadre théorique pour l'analyse de la scène idéologique 1.1. Etude de la structure et du mode de fonctionnement particulier de l'instance idéologique et de l'idéologie dominante dans une formation sociale 1.2. Principes d'analyse de l'articulation entre appareil d'Etat et appareils idéologiques d'Etat 1.3. La scène idéologique comme lieu concret fixé aux rapports sociaux idéologiques 2. Les enjeux liés à l'implantation d'une Maison centrale des jeunes et de la culture

151

151 155 156 159

2.1. Approche et choix de la Maison des jeunes et de la culture comme objet d'étude 2.2. La scène idéologique

locale

2.3. La signification sociale de la Maison des jeunes et de la culture et les enjeux qu'elle représente .... 3. Les mouvements sociaux face aux interventions de l'Institution politique communale 3.1. Les tentatives de «revitalisation» interne de la scène idéologique face au projet d'implantation d'une Maison centrale des jeunes et de la culture . .

159 159 163 166

167

208

Institution communale et pouvoir

politique

3.2. Les luttes en rapport à la définition du mode de fonctionnement de la Maison des jeunes et de la culture

170

3.3. Les luttes à l'intérieur de la Maison des jeunes et de la culture CONCLUSION

175 179

ANNEXES

TABLEAUX

187

BIBLIOGRAPHIE

197

Achevé d'imprimer sur les presses de L'IMPRIMERIE CHIRAT 42540 Saint-Just-la-Pendue en juin 1973 Dépôt légal 1973 N° 1 087