Images rupestres du Maroc: Etude thématique 9782343104201, 9954874100, 2343104204

Ce livre présente les aspects principaux de l'art rupestre marocain, depuis les images anthropomorphes, le plus sou

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Images rupestres du Maroc: Etude thématique
 9782343104201, 9954874100, 2343104204

Table of contents :
AVERTISSEMENT
AVANT-PROPOS
Chapitre 1
Chapitre 2
Chapitre 3
Chapitre 4
Chapitre 5
Chapitre 6
Chapitre 7
Chapitre 8
Chapitre 9
Chapitre 10
Chapitre 11
Chapitre 12
Chapitre 13
PERSPECTIVES
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXE
TABLE DES MATIÈRES

Citation preview

Alain Rodrigue

Images

rupestres du Maroc Étude thématique

Images rupestres du Maroc

Alain Rodrigue

Images rupestres du Maroc Étude thématique

Du même auteur L'art rupestre du Haut Atlas marocain, L'Harmattan, 1999. Préhistoire du Maroc, La Croisée des Chemins, Rabat, 2002. Images gravées du Maroc. Analyse et typologie, Kalimat Babel, Rabat, 2006. Gravures rupestres de la province d'Es-Smara, Marsam, Rabat, 2008 (en collaboration avec A. Al Khatib et M. Ouachi). L'art rupestre du Maroc : les sites principaux. Des pasteurs du Dra aux métallurgistes de l'Atlas, L'Harmattan, 2009. La Seguia El Hamra. Contribution à l'étude de la Préhistoire du Sahara Occidental, L'Harmattan, 2011.

© L’Harmattan, 2016 5-7, rue de l’Ecole-Polytechnique, 75005 Paris http://www.harmattan.fr [email protected] ISBN : 978-2-343-10420-1 EAN : 9782343104201

AVERTISSEMENT Ce livre reprend l'essentiel d'un texte ainsi que les illustrations d'un livre publié au Maroc par les éditions Kalimat Babel en 2006 (Dépôt légal 2522/2006, ISBN 9954-8741-0-0), sous le titre Images gravées du Maroc. Une distribution en France avait été prévue. Quelques mois après sa publication, ce livre connut le destin peu glorieux du piratage : il fut intégralement scanné et distribué dans tout le Maroc, au grand dam (et aux frais !) de l'éditeur et de l'auteur, qui perdaient ainsi tout espoir de voir se concrétiser au moins une de leurs attentes : distribuer le livre en France. L'opération frauduleuse, grandement facilitée par les prouesses de l'informatique et contre laquelle éditeur et auteur avaient bien peu de recours, pour ne pas dire aucun, a eu l'avantage, si l'on peut dire, de me faire reprendre le texte pour l'alimenter, le corriger, en un mot : le refondre. Les maladresses d'appels des figures dans le texte ont été corrigées. Le vocabulaire a été simplifié et, lorsque cela m'a semblé nécessaire, expliqué. Certaines assertions ont été actualisées. Les annexes ont été allégées, certaines d'entre elles étant jugées redondantes et peu utiles. Avec l'accord des Éditions Kalimat Babel, c'est donc un nouveau livre qui est proposé aujourd'hui, même si, dans ses grandes lignes, le texte ainsi que les problématiques qu'il pose, illustrés par des planches de dessins inchangées, restent les mêmes.

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AVANT-PROPOS L'étude des gravures et des peintures que nos lointains ancêtres ont effectuées sur les parois des profondes cavités, les surfaces protégées des auvents, les dalles rocheuses à l'air libre, cette étude est, depuis une vingtaine d'années, en pleine expansion. Partout, de la Mongolie à la Patagonie, de la Sibérie à l'Amérique du Sud, les chercheurs découvrent, sporadiquement, les traces de cette expression picturale très ancienne que l'on appelle « art rupestre », manifestation humble et émouvante d'un souci autre que celui de simplement survivre. Il n'est pas une revue qui ne fasse régulièrement état de la formidable et bouleversante découverte de gravures ou de peintures dans des zones où nul n'avait préjugé de leur existence. Ces découvertes, ainsi que les profondes remises en question qu'elles peuvent entraîner, lorsqu'elles chahutent des hypothèses aussi fragiles qu'éphémères, aussi bien au sein du monde des pariétalistes, des préhistoriens de l'art, que parmi le grand public, sont de plus en plus médiatisées. Les archéologues ne sauraient s'en plaindre : ils ne sont plus les doux rêveurs, vaguement explorateurs et coureurs de trésors, que le cinéma a complaisamment dépeints. Dans tous les cas, la vulgarisation des connaissances, dans le sens noble du terme, est fortement souhaitable. Mais la médiatisation, pas toujours bien canalisée ou maîtrisée, a aussi, parfois, de bien funestes conséquences : destructions, pillages, commerce illicite. Par ailleurs, l'intérêt grandissant pour les déserts, qu'il faut peut-être considérer comme un corollaire au désarroi du citadin moderne, mais peut-être aussi comme un appât bassement pécuniaire pour les trésors archéologiques que ces déserts contiennent, n'est pas allé au même rythme que les mesures prises par les organismes étatiques pour protéger et valoriser leur patrimoine. Ce que je viens de formuler quant à la répartition de l'expression rupestre dans le monde, de l'« image rupestre », puisque c'est le terme que je vais utiliser dans cet ouvrage, conduit, quoi qu'il en soit, à une première constatation : cette manifestation de l'intelligence et de l'habilité des hommes préhistoriques est universelle et non le privilège de quelque groupe humain, dans un quartier du monde bien localisé. L'image rupestre, cette pulsion qui a conduit des « artistes » à reproduire les mondes réels et imaginaires qui étaient les leurs, est apparue en plusieurs points du globe, sous des aspects et à des moments différents. Dans de vastes contrées et pendant des dizaines de siècles, l'art rupestre s'est résumé à de très discrètes incisions, plus ou moins répétitives, plus ou moins rythmées, sur des parois, des fragments d'os ou d'ivoire. Bien plus tard, l'expression rupestre a littéralement explosé en fresques polychromes

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monumentales. Des lieux célèbres viennent à l'esprit, ces « capitales » de la préhistoire qui jalonnent la zone franco-cantabrique. Les pariétalistes vont se pencher, avec la même sollicitude, sur des signes anarchiques et incompréhensibles qu'avec nos critères d'hommes modernes nous jugeons peu esthétiques, aussi bien que sur les peintures saisissantes de réalisme et qui font l'unanimité pour leur gigantisme, leur charge émotionnelle, leur mystère... Mais quelle que soit l'image, les préhistoriens de l'art sont mis en présence de thèmes appartenant aux mythes universaux des débuts du monde aussi bien que des expressions de comportements sacralisés et tout autant d'images qui relatent des évènements familiers et anecdotiques. Dans tous les cas, on doit se garder de donner aux différents aspects de l'expression rupestre préhistorique des gradations qualitatives ou émotionnelles qui ne peuvent être que subjectives : ce serait une erreur de considérer que les peintures des grottes de Dordogne seraient les premières et les seules qui pourraient se targuer de passer pour l'expression de comportements religieux, initiatiques ou chamaniques, selon les différentes hypothèses en vogue ou les convenances de chacun. Les pariétalistes d'expérience, sinon de renom, n'en sont plus là, heureusement. C'est avec une grande prudence, dont je me suis moi-même efforcé de faire preuve pendant mes années de recherches sur l'expression rupestre, qu'il faut aborder les images du Maroc. À la lecture d'un corpus, au détour d'un article paru dans une revue spécialisée, sur le terrain même, celui (ou celle) qui serait mis en présence de l'image rupestre marocaine serait immédiatement tenté par le jeu des comparaisons... et serait probablement déçu en confrontant cette image avec les gravures monumentales du Sahara Central ou les peintures polychromes de Dordogne. Très vite aussi, sous l'emprise d'un tropisme bien naturel, l'intérêt risquerait de se porter sur les gravures élégantes et parfois étranges, exécutées en grands traits polis, plutôt que sur les plages piquetées minuscules et répétitives au sujet desquelles l'observateur serait, de plus, tenté de réfuter toute éventuelle référence mythique ou sacrée. Voilà la raison même de mon avant-propos : l'image rupestre marocaine est... marocaine, si l'on veut bien me passer ce truisme élémentaire, en ce sens que cette expression rupestre est d'une totale originalité, même si elle demeure culturellement profondément maghrébine, saharienne, dans le choix des sujets traités. Cependant (et le lecteur le découvrira bien souvent), je serai amené à opérer des rapprochements stylistiques et thématiques non seulement avec les autres pays du Maghreb et le Sahara, mais aussi avec l'Europe. C'est bien là le très grand intérêt de l'image rupestre marocaine. Dans toute la zone sud-maghrébine qui a très probablement joué le rôle de refuge 8

pour les pasteurs venus des pâturages perdus au cœur de ce qui devenait le plus grand désert du monde, les conditions géologiques, topographiques, hydrographiques du Maroc, constituent, en se conjuguant, une opportunité d'expression picturale d'exception. Le Sud marocain, et plus exactement la bande transatlasique étroite qui s'étend de Figuig à Assa, est certainement l'endroit du Maghreb qui a vu les derniers éléphants, les derniers rhinocéros, les dernières girafes ayant vécu sur la rive septentrionale de l'actuel désert du Sahara. Au nord de cette zone, les contreforts de l'Atlas sont quant à eux l'unique endroit du Maghreb qui puisse témoigner avec autant d'évidence de l'extraordinaire aventure de la métallurgie, directement importée d'Europe. Mais tout a une fin : cédant peut-être le pas à l'écriture, peut-être bannie par de nouvelles mythologies aniconiques, la pratique de l'image rupestre disparaît. Pour les images qu'ils laissaient derrière eux, les graveurs et les peintres n'ont laissé aucune notice explicative, le sens de la plupart de leurs dessins restant à jamais crypté. Comme toutes les images rupestres du monde, les gravures et les peintures du Maroc sont des squelettes auxquels les préhistoriens de l'art tentent de redonner quelques chairs en les scrutant, les inventoriant, les classant... mais en continuant d'ignorer les raisons profondes de leur existence.

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Chapitre 1 OBJECTIFS ET MÉTHODES

Dès les premiers instants où j'ai entrepris le présent travail sur les images rupestres du Maroc, mon intention n'a pas été de fournir un corpus ou une monographie exhaustive sur l'art préhistorique de ce pays. Une vie de préhistorien n'y suffirait probablement pas. Par le passé, je me suis adonné à cet exercice sur les stations de l'Oukaimeden et du Yagour (Haut Atlas), tâche relativement limitée mais qui m'a tout de même occupé pendant plusieurs années (Rodrigue, 1999). Celles qui suivirent me permirent de constater, un peu comme je le pressentais, que mes prospections et mes inventaires se soldaient par d'inévitables omissions. Mes travaux universitaires entraient dans un cadre prédéfini et dont je ne pouvais pas trop m'écarter. Ils concernaient une région bien circonscrite et une période bien précise, les âges des métaux. Pour mes études comparatives, j'ai été amené à m'intéresser à d'autres gravures ainsi qu'à d'autres thèmes et d'autres périodes. J'ai alors constaté qu'aucune synthèse sur l'« art » rupestre du Maroc, même succincte, n'avait été entreprise. Les images rupestres marocaines ont été découvertes, pour la plupart, dans la décennie 1930-1940 et les découvertes sont essentiellement le fait de militaires français en poste dans les zones frontières. À l'exception de quelques tentatives d'études régionales publiées dans des revues spécialisées, il faut attendre 1977 et le Catalogue des sites rupestres du Sud marocain (Simoneau, 1977) pour avoir accès, publiquement, à une certaine connaissance du sujet. Ce premier inventaire, publié par un ministère d'État, est cependant resté peu diffusé. Auparavant, un premier corpus des gravures rupestres du Haut Atlas avait été publié par Malhomme (1959 et 1961). L'auteur travailla pendant de longs mois sur les hauts plateaux et sa quête ne fut interrompue que par la maladie. On ne peut reprocher à Jean Malhomme son manque de rigueur dans la « lecture » des sujets gravés, en revanche on peut être surpris (comme je le fus) du nombre très élevé de gravures qui n'avaient pas été signalées ou relevées. Enfin, et pour en finir avec les inventaires, un effort louable est à mettre au crédit des auteurs d'un guide très utile, Gravures rupestres du Haut Atlas (Searight et Hourbette, 1992), qui donne une idée assez juste de l'environnement patrimonial de la haute montagne marocaine. 11

Fort de ces différents essais et de mes propres résultats, mon projet a été de proposer une vision plus globale des types de gravures, des thèmes les plus fréquents, de tenter une analyse des sujets représentés, afin d'offrir aux lecteurs non informés une analyse aisée de l'image rupestre et aux spécialistes une somme de documents pouvant déboucher sur des études comparatives ou critiques. Je fais donc ici référence à plus de neuf cents gravures, réparties sur cinquante-cinq sites rupestres, chaque « sujet » (l'image représentée seule et non en corrélation avec d'autres représentations) ayant été soigneusement choisi pour venir à l'appui de mon propos qui se cantonne à une analyse (soit une lecture) et une typologie des principaux thèmes. On pourra certes me reprocher cette méthode pour sa subjectivité mais ma longue expérience du terrain et mon corpus personnel me permettent de mettre en exergue les types principaux et de choisir, parmi un lot, la gravure-type. Je ne vois qu'un intérêt secondaire à préciser, par exemple, que le site du Ram Ram, près de Marrakech, comprend plus de trois cents cavaliers du type de la figure 77, 4, mais qu'il est peut-être plus intéressant d'en relever certains, comportant plus de détails ou se trouvant dans des situations remarquables. Certains sites rupestres sont dits ici « secondaires » (sans aucune nuance péjorative), comme celui d'Aglagal, près d'Akka, qui ne comprend que quelques gravures. Il a cependant fourni de très intéressantes images (Fig. 2, 2 ; Fig. 81, 4) qu'il est très utile de reproduire. Le site d'Aït Ouazik, « poids lourd » dans l'inventaire national, par le style remarquable et le nombre de ses gravures, se subdivise en trois foyers principaux. Je n'ai pas jugé utile de préciser, lorsque j'évoque l'un de ces documents, qu'il s'agit d'Aït Ouazik nord, sud ou centre. Autre exemple et je n'insisterai pas davantage : le site du Yagour, au sud de Marrakech, comprend au moins douze foyers d'images distincts, d'importance très inégale, mais chacun, à sa façon, est d'un intérêt crucial pour la compréhension de l'imprégnation du métal dans la haute montagne marocaine. Dans la lecture des images, le lecteur constatera que je me suis gardé d'affirmer : ce n'est pas, de ma part, faire preuve de pusillanimité. La plupart des images rupestres peuvent être interprétées par tout un chacun, mais une masse importante de dessins ne trouve aucune référence dans notre monde actuel. Au Maroc, la gravure qui illustre le mieux cette impuissance des pariétalistes à « expliquer » un signe est celle dite de la « nasse », sorte de dessin gourdiforme (en forme de gourde, néologisme plaisant forgé par R. Wolff, préhistorien familier du Maroc), en trait poli (Fig. 79). C'est avec la même prudence qu'il faut interpréter le bestiaire rupestre : certaines espèces animales ne figurent jamais à l'inventaire. Il n'y a aucune image d'hippopotame connue et dûment répertoriée, l'animal ayant probablement disparu des contrées concernées à l'époque des graveurs. Mais 12

rien n'est moins sûr et demain, dans six mois ou dans dix ans, un irréfragable hippopotame sera découvert sur un site inexploré. Tous les documents présentés ici ont été relevés par mes soins, à l'exception de l'image de la figure 22 (Fig. 22, 1) qui est une reproduction d'un dessin de Lhote (Lhote, 1970) et qui est donnée à titre comparatif dans l'analyse d'un sujet précis. Je donne aussi des reproductions de relevés d'inscriptions (Fig. 92, 1 et 2) dus à mon regretté collègue et ami Pichler (Pichler, 2003a). Enfin, j'ai reproduit par deux fois le petit personnage du Yagour, tel qu'il a été donné par Malhomme (1961) et tel que je l'ai relevé, plusieurs années plus tard, presque totalement détruit (Fig. 93, 8 et 9). De nombreuses images données ici sont inédites. D'autres ont été publiées par moi-même à l'occasion de publications, particulièrement celles qui proviennent du Haut Atlas, d'Akka ou de Fam el Hisn. D'autres ont été publiées il y a des décennies par des préhistoriens, sous la forme de dessins ou de photographies. De nouveau, j'ai estimé qu'il n'était pas nécessaire de référencer ces images, le procédé risquant de devenir rapidement fastidieux pour le lecteur. En revanche, lorsqu'un commentaire aura été porté sur une image particulière, je donnerai les titres des publications s'y référant. Un certain nombre d'images publiées ici n'existent plus. Elles ont été détruites ou subtilisées. L'exemple que je donnerais, parmi tant d'autres, est celui du « lion qui donne la patte » (Fig. 54, 1), ainsi qu'avec un groupe de préhistoriens et de géologues nous avions baptisé cette remarquable gravure, exécutée sur un bloc amovible et qui disparut quelque temps après notre découverte. On l'a compris, je n'ai pas la prétention d'« expliquer » l'expression rupestre. La plupart des signes gravés échappent à la lecture directe : les dessins de la figure 84 ont été gravés en traits piquetés ou polis avec une incomparable maîtrise. Mais que représentent ces grandes croix qui ont nécessité, à l'évidence, plusieurs heures d'un labeur aussi patient que précis ? Que dire de ces cercles, ornés en leur centre de cupules (Fig. 88, 13) ? Sontils des boucliers, des soleils, des roues de char, des visages ? Les signes en pi (Fig. 88, 1) sont-ils une représentation humaine schématisée à l'extrême ou des animaux, en l'occurrence des oiseaux ? Mon souci sera donc d'apporter quelques clés de lecture. Il sera aisé à chacun de lire dans l'image de deux éléphants une femelle suitée (Fig. 32, 4). Il sera plus difficile de distinguer si un rhinocéros est « blanc » ou si il est « noir », mais on comprend la portée d'une telle distinction, si l'observation attentive le permet : un rhinocéros noir n'a pas le même biotope ni la même éthologie qu'un blanc, données qui peuvent être mises en corrélation avec le climat et la vie des hommes à l'époque de la gravure. Je serai ainsi amené à dire que tel dessin « rappelle » tel autre, éloigné de plusieurs centaines de kilomètres et appartenant à une échelle chronologique différente et qui, lui, a 13

pu être précisément analysé. Je ne veux pas dire que le premier dessin est la même chose que le second, mais que les éléments pertinents de l'un peuvent être appliqués à l'autre. Le nouveau document se voit explicité et peut, de ce fait, être interprété plus aisément. L'inventaire des thèmes est uniquement illustré de dessins. C'est incontestablement un parti-pris, je l'admets et je cours le risque de me voir reprocher de ne pas avoir illustré mon texte de photos. Tous les documents du Haut Atlas que je propose proviennent de relevés directs sur feuilles plastiques. Ces dessins ont été réduits pour être publiables et sont par conséquent moins sujets à des incertitudes inhérentes à des relevés sur photos ou sur diapositives projetées, comme c'est le cas pour d'autres documents présentés ici. Bien sûr, il y a les incertitudes de la main dans le premier cas et celle de l'œil dans le second. Mais, de nouveau, puis-je me targuer de ma longue expérience et affirmer que ma lecture s'est efforcée d'être la plus objective possible, sans chercher à solliciter une interprétation qui flatterait mon propos ? Sur mes planches de dessins, les images en traits polis profonds ont été rendues par un trait continu, plus ou moins épais (qui restitue ainsi la largeur et généralement aussi la profondeur de l'incision), le résultat étant un trait ombré qui restitue le relief (par convention, la lumière provient d'en haut et à gauche). La surface du support est parfois signalée par une trame en pointillés (Fig. 1, 6), la dalle support étant quelques fois délimitée (Fig. 1, 11 ; Fig. 2, 6). Les gravures obtenues par piquetage de la roche ont été rendues par une trame de pointillés, plus ou moins ombrée afin de restituer le dénivelé (Fig. 13, 1). Le lecteur n'aura aucune difficulté à différencier un trait piqueté (Fig. 13, 4) d'une surface piquetée (Fig. 14, 4). Les images en incisions fines (Fig. 2, 6) ne sont pas ombrées, de même que les images de gravures piquetées puis polies, procédé fréquent dans le Haut Atlas (Fig. 3, 1 à 3). Un trait continu plus épais signale quelques images de petites dimensions, exécutées en traits polis très fins (incision, Fig. 12, 6 et 8). Enfin, la différence de densité de trame permet de distinguer deux sujets traités par piquetage profond et un sujet en piquetage léger et plus lâche (Fig. 13, 3, félin et personnage d'une part, bovidé d'autre part). L'échelle donnée pour chaque sujet est de dix centimètres, sauf indication contraire. Pour une même aire rupestre et pour des sujets à rapprocher typologiquement, l'échelle est commune (Fig. 3). La référence à l'échelle a toute son importance lorsqu'il s'est agi de restituer des images de dimensions exceptionnelles (Fig. 5, 3), comme c'est le cas pour les bovidés « géants » du Haut Atlas (Azib n'Ikkis). Mon commentaire des sujets sélectionnés est très variable. Certaines images entraînent des remarques d'ordre éthologique que le graveur a, volontairement ou pas, fait naître. Ces commentaires n'ont généralement fait 14

l'objet d'aucune contestation après leur publication. D'autres ont été longuement repris dans la littérature et sont encore le sujet de vifs débats parmi les préhistoriens de l'art. Je ferai part de ces différentes opinions, à chaque fois qu'elles présenteront un intérêt pour la recherche. La lecture de l'image rupestre marocaine est généralement aisée. Les compositions monumentales sont rares et regroupent rarement plus de cinq sujets. Dans le Haut Atlas et sur certains sites du Sud, des scènes concentrent sur quelques mètres carrés plusieurs dizaines de cavaliers en arme. Il est tentant alors, comme cela a été fait par le passé, d'avancer l'hypothèse d'une bataille rangée. Je ne me risque pas à souscrire à une telle hypothèse : une observation rigoureuse montre que les cavaliers n'ont pas été gravés par le même lapicide et que certains sujets semblent plus anciens que d'autres. Cependant et pour faciliter la lecture, j'ai représenté en situation des sujets qui ont, volontairement semble-t-il, été mis en connexion, en association, ou qui se trouvaient superposés (cas de surcharge). Un exemple de « scène » nous est donné par la girafe de l'Oued El Kebch (Mrimima) qui est entourée de personnages montés sur des bœufs (Fig. 39, 2) et non des chevaux, comme il serait tentant de le lire. Il est nécessaire de considérer cette composition comme une association, absolument évidente sur le terrain (même technique, même style, même patine) pour écarter résolument l'éventualité d'une scène de chasse. La frise d'éléphants de l'Oukaimeden (Rodrigue, 1987) comprend plusieurs pachydermes, l'un d'eux faisant face à deux petits personnages. J'ai sélectionné cet affrontement (Fig. 14, 4) dans le paragraphe qui concerne l'image de l'homme plutôt que restituer la frise dans sa totalité. L'image est reprise dans le paragraphe concernant les inscriptions (Fig. 92, 10) puisque ce même éléphant est surchargé par une ligne de signes alphabétiques. Le sujet pouvait même être choisi au moins trois fois : l'une pour l'animal, l'autre pour les hommes, la dernière enfin pour les inscriptions. Dans le même ordre d'idée, je me suis efforcé d'éviter les redites de figures de même style : l'abri des éléphants de l'Oukaimeden comprend plusieurs images, visiblement très semblables et du même graveur. Je n'en présente qu'une seule (Fig. 29, 8) suffisante à mon sens pour donner une idée satisfaisante d'un style par ailleurs vraiment original. Si ce livre n'est pas un corpus, ce n'est pas non plus un inventaire des sites rupestres du Maroc. Pour cette raison, j'ai choisi de présenter les images rupestres par thème et non par site. Chacun aura pu lire par ailleurs que depuis le début de cet ouvrage je parle d'« art » rupestre en enfermant le mot dans des guillemets, préférant la formule « expression rupestre ». J'ai moimême parlé par le passé d'art rupestre (Rodrigue, 1999, 2002). J'estime aujourd'hui qu'il est un peu téméraire de vouloir octroyer aux « artistes » de la préhistoire une volonté arrêtée d'esthétisme, dans le sens où celui-ci est 15

compris aujourd'hui. Tous les préhistoriens de l'art en conviennent : l'expression rupestre préhistorique dépasse la simple pulsion de représentation. Cette expression obéit à des impératifs sociaux, religieux, rituels, se plie à des tabous et des codes et nous parvient à travers des filtres culturels.

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Chapitre 2 LE DOMAINE RUPESTRE MAROCAIN

Le domaine rupestre du Maroc s'étend sur deux grandes zones : le domaine pré-saharien et le domaine montagnard. Si l'on tient compte de toutes les données qui caractérisent le vrai désert (hydrographie, température, pluviométrie, végétation...), celui-ci est atteint au Maroc dès l'Anti Atlas franchi, pour ce qui concerne la façade atlantique (la zone du Sous et le Haouz de Marrakech, bien que quasi sahéliens, ne sont pas strictement désertiques). Lorsqu'on s'éloigne vers l'est, la limite remonte vers le nord, l'influence océanique diminuant, mais nulle part, bien que la pluviométrie et la végétation confèrent au décor un aspect désertique, les conditions extrêmes qui peuvent être celles des ergs sahariens ne sont atteintes. L'oasis de Figuig marque, à l'est, le début de la zone à gravures et peintures rupestres au Maroc. Elle prolonge les stations de l'Oranais, en territoire algérien. À l'ouest, c'est le village d'Assa qui marque la fin de la zone, bien que de nouveaux foyers semblent exister un peu plus au sudouest, dans le Jbel Ouarkziz. Il n'est pas de notre propos d'inclure ici les images rupestres du territoire contesté du Sahara Occidental. Au sud du Jbel Sarhro et de l'Anti Atlas, les sites rupestres se situent aux débouchés des oueds venus des contreforts et qui accèdent à des plaines ouvertes ou fermées (les feija). Dans ce dernier cas, les sites sont localisés aux cluses des oueds (les foums ou fams, terme arabe qui signifie bouche et que l'on retrouve dans la toponymie Foum Chenna ou Fam el Hisn), lorsque ceux-ci franchissent les dernières rides hercyniennes et se dirigent vers le sud et leur collecteur, l'Oued Dra. D'est en ouest, on aborde tout d'abord les stations de Taouz, au sud de Rissani, excentrées et isolées par rapport aux autres foyers. Puis, en suivant une ligne sensiblement orientée nord-est/sud-ouest, les stations d'Alnif, Aït Saadane et Tazzarine, ce dernier centre comprenant plusieurs concentrations entre les rides jumelles du Bani. La vallée du Dra, entre Agdz et Zagora, abrite les foyers de Tinzouline. Dans les environs de Foum Zguid et jusqu'à l'oasis de Tissint, une série de sites a livré un grand nombre de documents inédits jusqu'à ces dernières années.

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La plus grande concentration de foyers rupestres se situe entre les villes de Tata et Akka, avec le site de Tigane (malheureusement presque entièrement détruit aujourd'hui), l'Oued Meskaou, Metgourine, Mlaleg. Un grand centre rupestre est celui de Fam el Hisn (aussi orthographié Foum el Hassan), regroupant de nombreux sites, très proches les uns des autres, se confondant parfois, remontant au nord le long de l'Oued Tamanart, mais aussi vers le sud, jusqu'au confluent avec le Dra. Au vu d'une carte du Maroc (en annexe), chacun peut constater qu'il existe de grands blancs où aucun centre rupestre n'a a été signalé. Cette absence s'explique parfois : entre Figuig et le Tafilalet s'étend la hamada du Guir. Cet immense plateau, sec et dénudé, est en aucun cas favorable à la gravure et il est même certain qu'il a dû jouer un rôle répulsif à l'égard des populations nomades d'alors. En revanche, des prospections seraient certainement nécessaires entre Taouz et Aït Saadane et peut-être même plus au sud, entre Tamgrout et Taouz. Le deuxième grand domaine rupestre du Maroc est la zone de haute montagne. Plus question ici de paramètres désertiques, on s'en doute, mais les conditions sont tout aussi rigoureuses. Les foyers de l'Oukaimeden, du Yagour et du Rat sont tous situés sur la façade atlantique, à plus de mille cinq cents mètres d'altitude. Ces zones étaient inaccessibles pendant plusieurs mois de l'année, peut-être pas pour des chasseurs téméraires, mais certainement pour les bouviers et leur bétail. Ce sont aujourd'hui des zones de transhumance et il est probable que ces hauts plateaux ont été les derniers refuges des pasteurs, avant que les conditions climatiques interdisent définitivement l'élevage de grands troupeaux de bœufs au sud de l'Anti Atlas. Oukaimeden est un plateau assez étroit, constitué de deux ressauts de grès, au pied d'un sommet très fréquenté aujourd'hui par les amateurs de sports d'hiver et les excursions d'été. Pour ces raisons principalement, les gravures y sont en grand danger de destruction. Le Yagour se trouve dans une situation sensiblement équivalente, bien que les sites soient plus nombreux, plus dispersés, plus difficiles d'accès et donc un peu mieux protégés. Le Rat, enfin, au sud de la ville de Demnate, semble être un panachage des deux premiers sites, avec des concentrations secondaires dispersées, mais des distances entre les stations moins importantes qu'au Yagour. À ces foyers principaux s'ajoutent des foyers secondaires, Telouet et Tainant, sur le versant sud de l'Atlas. Toutes ces stations de haute montagne ont en commun d'être situées sur des plateaux constitués d'un grès particulièrement propice à la gravure, où les pâturages sont riches et les sources pérennes. Ce sont ces conditions exceptionnelles qui ont favorisé les contacts des pasteurs avec les premiers « importateurs » de métaux venus de ce qui sera plus tard l'Espagne.

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Le Haut Atlas offre une dimension très différente des espaces ouverts du Sud marocain. La montagne est partout présente, avec des sommets qui atteignent et dépassent même parfois les 3000 m. Ces pics enneigés pendant plusieurs mois de l'année surplombent les dalles de grès gravées. D'aucuns ont voulu voir dans cette disposition l'expression d'un comportement de révérence, d'hommage, voire un culte des sommets, ces « hauts lieux » qui rapprochent les hommes des dieux. Une littérature, parfois fantaisiste, pour ne pas dire délirante, a associé un culte solaire à des représentations supposées sacrificielles, établissant des relations assez faiblement étayées avec les cultes scandinaves. Il est vrai que j'ai moi-même proposé de voir dans les idoles en violon de l'Oukaimeden (Fig. 95) les figurations schématisées à l'extrême des cultes méditerranéens, introduits par les mêmes routes que le métal ! Je précise pour ma défense que ces « idoles », qui n'existent nulle part ailleurs au Maghreb ou au Sahara, ont leurs répliques, sous la forme de statuettes, dans les Îles Canaries. D'autres sites existent au Maroc, tous étant situés au sud du trentedeuxième parallèle. Les sites les plus septentrionaux sont ceux du Ram Ram, dans la banlieue nord de Marrakech, stations qui disparaissent aujourd'hui sous des monceaux d'ordures, et ceux des Skhour des Rehamna, entre Marrakech et Settat. D'autres stations sont à signaler dans l'Anti Atlas, telles celles d'Igherm, elles aussi passablement détériorées. Les sites du Ram Ram, des Skhour et d'Igherm sont des foyers d'« âge » et de style libyco-berbère, avec des nuances : les gravures de chars, présentes à Igherm, n'existent ni au Ram Ram ni dans les Skhour.

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Chapitre 3 TECHNIQUE ET STYLE

Par définition, une gravure est « gravée » dans la roche, suffisamment pour que le trait et la surface excavée traversent les siècles sans dommage. Pour excaver ou simplement inciser une roche, l'homme préhistorique a très tôt compris, par pragmatisme, qu'il n'existait que deux méthodes : la percussion ou le frottement. La percussion ne peut être violente, le graveur devant être précis dans la localisation de ses impacts. Aussi parle-t-on plutôt de piquetage. La percussion régulière entraîne la formation de minuscules cupules qui, par coalescence, donnent des traits ou des surfaces excavées. La roche peut donc aussi être creusée par frottement. Les mêmes impératifs de précision dans le trait ont conduit les graveurs à exercer un frottement lent et méthodique que les préhistoriens de l'art appellent polissage, bien que le terme fasse double emploi avec le polissage des haches. Lorsque le trait est très étroit et peu profond, on parle d'incision. À peu près partout dans le monde, les graveurs ont amélioré la technique du piquetage en régularisant les traits piquetés par un polissage. Très tôt aussi, l'homme a fait l'expérience de la qualité de la roche sur laquelle il souhaitait graver. Le support idéal, pour la région qui nous concerne, semble avoir été le grès tendre, peu métamorphisé et qui, à l'instar de celui du Sud marocain, est assez gras pour être profondément entamé sans s'effondrer ou s'effriter. Le calcaire est trop tendre, tandis que les roches plutoniques ont été évitées (mais non totalement bannies), car beaucoup trop dures. Les données géologiques sont donc primordiales lorsqu'on étudie la localisation des sites rupestres et les techniques de gravure. Peut-on considérer le seul critère technique sans faire intervenir le style ? Autrement dit : la technique du polissage est-elle plus ancienne que celle du piquetage ? En ce qui concerne le Maroc, il serait tentant d'extrapoler : les gravures des rives du Dra, qui, pour les raisons que nous verrons plus loin, pourraient passer comme les plus anciennes, sont polies. Les gravures qui illustrent les thèmes les plus récents, comme les chevaux et les dromadaires, sont piquetées. Tout est-il aussi simple ? S'il en va ainsi, où situer chronologiquement la girafe piquetée du Glab Sghrir (Fig. 40, 8), qui a toutes les caractéristiques d'un style ancien ou l'éléphant piqueté d'Aït Ouazik (Fig. 30, 5), de style naturaliste et donc plutôt ancien, dans le contexte général du site qui est majoritairement composé de gravures 21

polies ? La station de l'Oued Meskaou, dans la région d'Akka, offre de très typiques exemples de gravures polies, que l'on pourrait, avec l'appui d'autres critères dont je reparlerai, considérer plutôt comme anciennes. Ce site offre aussi, parmi d'autres images, la gravure piquetée d'un éléphant « à roulettes » (Fig. 30, 8) que ni le style ni la technique invitent à considérer comme ancienne. Au Maroc, comme sur pratiquement tous les sites rupestres de plein air du monde, il n'existe pas de station qui soit « pure », comprenons qu'elle a été fréquentée à différentes époques, montrant de ce fait des thèmes et des styles différents. D'autres observations, beaucoup plus contraignantes, sont là pour troubler la quiétude du pariétaliste : comment expliquer que certains thèmes, pourtant très fréquents dans le quotidien des graveurs, comme les sangliers ou les oiseaux -hormis les autruches- n'aient jamais été représentés ? Tabous, interdits rituels, que le pariétaliste a autant de difficultés à expliquer que la surabondance de certains sujets ? Mais j'ai anticipé. Revenons à la technique de gravure : nous constatons que la gravure n'est jamais une condition suffisamment contraignante pour qu'elle dispense le graveur d'une réelle réussite : l'éléphant de Taghjijt (Fig. 28, 7), saisi dans une phase de son galop, dans des proportions et une attitude d'un grand réalisme et qui font en cela penser aux productions sahariennes, est exécuté en traits piquetés réguliers et peu profonds. De la même façon, un trait poli fin ne dispense pas tel autre graveur d'un naturalisme d'une grande fidélité dans la représentation d'une antilope Oryx, à Hassi Tafenna (Fig. 46, 5), quand bien même quelques traits parasites ne trouvent pas toujours leur raison d'être. En revanche et comme je l'ai rapidement exposé, une contrainte semble récurrente, c'est la nature pétrographique du support. Les granites ou les gabbros n'ont jamais été polis. Les grès relativement tendres du Haut Atlas (moins tendres cependant que ceux des rives du Dra) ont pu être indifféremment piquetés ou polis. La technique « piqueté-puis-poli » a donné, dans le Haut Atlas, des résultats assez brillants : les personnages, dans le style très original propre à l'âge du Bronze atlasique, comportent des détails (bouclier, flèche, carquois) que la technique mixte fait apparaître plus clairement que le simple piquetage (Fig. 3, 1, Yagour). Les grès très tendres du Sud marocain ont quant à eux permis toutes les techniques. Celle du polissage a été particulièrement bien venue lorsqu'il s'est agi de mettre l'accent sur des caractères anatomiques tels que la longueur des cornes ou éthologiques, tels que le dynamisme d'une espèce animale (Fig. 45 et 46). Même lorsque le dessin se réduit à une extrême schématisation (Fig. 8, 4, Telouet), le trait de gravure est sans reprise ni bavure. Si l'on a parfois des difficultés à lire une gravure, on les doit aussi aux facteurs météoriques, tout autant aggravants dans la haute montagne (Fig. 4, 2, Oukaimeden) que dans 22

le désert. Cette érosion détruit une gravure au point que la restitution correcte de l'originelle devienne impossible. Le trait est parfois imprécis, comme tremblé (Fig. 30, 5, Aït Ouazik), mais la correction véritable n'a pas eu lieu. Sur plus de neuf cents images que j'ai sélectionnées, je ne compte guère plus d'une dizaine de réels repentirs. Le trait est repris pour épaissir une cuisse (Fig. 16, 2, Metgourine), donner plus de volume à une tête (Fig. 18, 3 Ouaouglout ; Fig. 38, 3, Imaoun), reprendre un profil dorsal (Fig. 36, 6, Fam el Hisn ; Fig. 6, 43, Ouzdine ; Fig. 56, 2, Yagour ; Fig. 89, 4, Meskaou), alourdir un ventre (Fig. 54, 1, Aït Ouazik). Rien ne permet d'ailleurs d'affirmer que ces ajouts sont le fait du graveur d'origine. Ce type de reprise intéresse moins les lapicides de la haute montagne. Nous ne connaissons qu'un seul poignard dont le manche a été repris pour lui donner plus de symétrie (Fig. 59, 4, Oukaimeden). Parfois, une retouche peut prendre l'aspect d'une « signature » (Fig. 30, 3, Meskaou), lorsque le graveur, visiblement le même pour les deux sujets, porte la correction absolument identique -et en fait pas vraiment utile- au même endroit (double ligne pour les pattes postérieures). On peut affirmer ici qu'il s'agit bien d'une scène. Quels ont été les outils des graveurs ? Au temps des bronziers du Haut Atlas et a fortiori celui des cavaliers, des outils de métal (alliages cuivreux dans un premier temps) ont pu être utilisés. On aurait rationnellement tendance à considérer qu'un métal encore difficile à obtenir et plutôt réservé à des usages « nobles », notamment la fabrication des armes, n'a pas été utilisé. Au cours de mes recherches sur les gravures rupestres du Haut Atlas, j'ai expérimenté plusieurs techniques avec des outils de cuivre plus ou moins acérés, mais aussi avec des percuteurs de pierres dures de différentes origines pétrographiques, en percussion lancée ou avec intermédiaire. Je n'ai pas été réellement surpris de constater que les meilleurs résultats -ceux qui ressemblaient le plus à un piquetage d'époque- étaient obtenus à l'aide de percuteurs de pierres dures en percussion posée avec intermédiaire (avec un ciseau et un marteau, dirions-nous plus simplement). Pour ce qui est des grès du Sud marocain, très tendres, des traits peuvent être profondément creusés à l'aide de bois ou d'os. Les expériences ont montré que l'adjonction d'eau et de sable concourt à faciliter le polissage. De la même façon que l'on parle d'écoles en peinture, rattachant des générations de peintres à des courants artistiques, la notion de style est souvent invoquée en ce qui concerne l'expression rupestre. Au Maroc, le style de Tazina est particulièrement remarquable. Cette « école », remarquée pour la première fois sur le site éponyme algérien, est en fait présente dans tout le Sahara (Muzzolini, 1988). La gravure en style de Tazina (dont on a fait le néologisme « tazinien ») est un technomorphe, c’est-à-dire qu'elle résulte de la conjonction de plusieurs impératifs conjuguant la nature du support (grès tendre le plus fréquemment), la technique (polissage exclusivement), la morphologie de l'image, le thème enfin. J'ai déjà abordé 23

les deux premiers impératifs. Considérons la morphologie de l'image : les extrémités des membres, les cornes, les cous, les corps mêmes parfois, sont prolongés au-delà de tout réalisme (Fig. 44 à 51). Les membres surnuméraires sont une constante (Fig. 45, 4, Meskaou ; Fig. 46, 9, Tiouririne) tandis que les traits parasites, dont la fonction reste énigmatique, sont fréquemment ajoutés (Fig. 47, 7). Dans le Tazina du Maroc, les thèmes sont exclusivement animaliers, les gazelles représentant plus de 45% des sujets traités (cinq sites sélectionnés). Puis viennent dans l'ordre, les bovidés, les autruches, les rhinocéros, les éléphants, les félidés (Pichler et Rodrigue, 2003b). Quelques rares images d'anthropomorphes ont été traitées en style Tazina (Fig. 1, 5, Ouaouglout ; 6, Hassi Tafenna). L'image de ce qu'on appelle communément piège ou nasse (Fig. 78 à 82) est elle aussi exécutée en style de Tazina. Le résultat ne manque pas d'élégance (Fig. 48, 1, Tibasksoutine) et même si les proportions sont le plus souvent fantaisistes, les détails anatomiques permettent d'éventuelles identifications. Il a été un temps avancé que le style de Tazina pouvait être un chronotype, c’est-à-dire que le style lui-même garantissait une époque particulière, celle-ci étant, au Maroc, la plus ancienne. La découverte de gravures d'armes incontestablement métalliques en style et en contexte tazinien (Fig. 80, 4, Ouaouglout ; Fig. 81, 5, El Gtara) rend cette « école » beaucoup plus récente qu'on le pensait. Un autre style, lui aussi aisément identifiable, dit « libyco-berbère », intéresse tout le Maghreb. Les critères ne sont pas aussi restrictifs que ceux de Tazina. La gravure est toujours piquetée, elle mesure moins de dix centimètres, elle met en scène des cavaliers montés sur des chevaux ou sur des dromadaires (Fig. 21). Les cavaliers luttent contre d'autres cavaliers ou des guerriers à pieds ou sont montrés à la chasse à l'autruche, le plus fréquemment, mais aussi à l'antilope ou au lion (Fig. 12, 1, Foum Chenna). Dès lors, avec les représentations libyco-berbères, la notion même de style devient ambigüe : des gravures piquetées de moins de dix centimètres, montrant des petits personnages, des autruches, des antilopes, sans figurer pour autant un seul cavalier, ne pourraient-elles pas être considérées comme libyco-berbères ? L'individualisation des styles est plus complexe qu'il n'y paraît. Cependant, l'implication du cheval dans cette école peut être posée comme un facteur pertinent d'individualisation, sa représentation étant un repère chronologique efficace, auquel on peut ajouter les inscriptions (Fig. 92), encore aujourd'hui difficilement calées dans le temps mais quoi qu'il en soit postérieures au Bronze atlasique. Existe-t-il un style atlasique ? Une observation attentive des grands personnages en armes et magnifiés (Fig. 3 et 4, Yagour et Oukaimeden) permet de relever certaines constantes propres à la zone considérée (hommes montrés de face, bras étendus ou en orant) mais c'est principalement par la 24

récurrence des thèmes (armes spécifiques) que le style du Haut Atlas se caractérise le mieux. Ainsi voit-on clairement apparaître l'interférence, difficile à maîtriser, du critère « thème » avec celui de « style ». Le style des images rupestres du Maroc est peu narratif. Les compositions stylistiques fréquentes au Sahara, comme les calembours graphiques, sont très rares ici. Je ne connais que deux vraies compositions (Fig. 54, 7, Meskaou) où la queue du premier animal constitue en même temps la corne du second et où la ligne de patte du second se confond avec la ligne de dos du troisième animal. Quant aux deux animaux de la figure 56, 9 (Aït Ouazik), se partagent-ils les mêmes pattes ? Les cornes des deux animaux de la figure 48, 3 (Mlaleg) sont-elles confondues ? Dans le même ordre d'idée, les graveurs semblent avoir fait peu cas de certains détails que nous trouvons caractéristiques : pour tout le Sud marocain, je ne connais qu'une seule image où les taches de la robe de la girafe ont été figurées (Fig. 40, Imaoun). Les panthères ont sûrement été nombreuses au temps des graveurs du Haut Atlas. Les images de félins y sont d'ailleurs très fréquentes, mais trois d'entre elles seulement signalent les ocelles remarquables (Fig. 53, 10 ; Fig. 56, 1 et 3, Yagour). Cette absence du détail pertinent entretient parfois le doute quant aux espèces animales représentées : bien que certaines images puissent le suggérer (Fig. 57, 5, Aït Ouazik), la présence du zèbre n'est toujours pas avérée dans le bestiaire marocain. L'image rupestre reste préférentiellement individuelle. Dans les cas de comportement de groupe, comme pour les éléphants, on s'attendrait à relever ici ou là quelques représentations de hardes. C'est l'image de la bête qui a été préférée, l'idée d'éléphant, en quelque sorte, avec quelques exceptions cependant : éléphant et éléphanteau (Fig. 29, 5, Hassi Tafenna), groupe de quatre animaux (Fig. 32, 1, Anou n'Tidardourene). Pour deux espèces animales, les graveurs ont restitué leur comportement grégaire : groupe de cinq gazelles (Fig. 42, 4, Aït Ouazik), sept (Fig. 45, 3, Mlaleg) et même huit bêtes en frise (Fig. 45, 2, Tigane). L'autruche est montrée en couple, en groupe, en famille, composée de deux ou trois adultes et onze autruchons (Fig. 51, 4, Foum Chenna). C'est le bœuf domestiqué qui apparaît le plus fréquemment en troupeau de plusieurs têtes, comme sur le site d'Ighir Ighnaïn, où l'on peut supposer que la frise appartient à une seule et même « école », voire un unique lapicide (Fig. 17, 4 et 5). L'homme est quant à lui souvent représenté associé à un autre sujet. Les petits personnages en traits polis brandissent des armes (Fig. 1, 2, Hassi Tafenna), ceux du Haut Atlas, en traits piquetés, des outils (Fig. 1, 10, Yagour) ou des armes (Fig. 8, 5, Telouet). L'homme est chasseur, traquant des fauves (Fig. 9, 3, Taheouast ; Fig. 12, 6, Aït Ouazik), mis en présence 25

d'animaux sauvages dans un souci peut-être propitiatoire (Fig. 2, 6 et Fig. 12, 5, Meskaou), ou encore accompagnant des bœufs (Fig. 6, 1, Meskaou). Mais l'homme est aussi vu associé à des signes énigmatiques (Fig. 2, 2, Aglagal) ou brandissant des objets qu'il est difficile d'identifier. Je n'entrerai pas plus avant dans les considérations générales d'analyse stylistique ou thématique des sujets gravés, car il va de soi qu'une vision globale, synthétique, de l'expression rupestre du Maroc va de pair avec une longue confrontation avec ces sujets sur le terrain. Et dans cette optique, on pourrait presque dire qu'il existe un « style marocain », comme il existe un « style Bégo » dans la représentation des armes, notamment, tandis que les images du Sud offrent des thèmes originaux et sans équivalence au Maghreb ou au Sahara, sans être vraiment d'un style individualisé. Il n'est pas rare de relever des gravures qui auraient pu être effectuées par un même artiste, celui-ci « signant » son œuvre, comme je l'ai dit supra, par un détail, une facture qui lui est propre. Est-ce le même lapicide qui a gravé ces deux personnages à grandes oreilles, si particuliers et uniques dans leur genre (Fig. 8, 4 et 5, Telouet) ? N'est-il pas curieux de retrouver la même image à plus de cent kilomètres de là, sur l'autre versant de l'Atlas, au Rat (Fig. 8, 7) ? Cette autre « astuce » stylistique qui consiste à croiser les pattes antérieures, aussi bien sur les images d'éléphants (Fig. 28, 3 et 4) que sur celles des bœufs (Fig. 16, 19), ne constitue-t-elle pas la marque d'un seul et même graveur, sur plusieurs sites de la plaine de Taghjijt ? Quelle plus grande unité stylistique pourrait-on trouver que celle des « idoles » du Haut Atlas (Fig. 95), étranges figurations vaguement anthropomorphes relevées à l'Oukaimeden, en dix exemplaires seulement et sur ce site uniquement ? Mon propos est de montrer que l'étude du style des images gravées du Maroc va dans le sens d'un constat de « démocratisation », si l'on me permet cette incongruité terminologique : l'art rupestre préhistorique aurait été accessible à tous et je n'ignore pas que je heurte peut-être certaines convictions en désacralisant ainsi cette forme de communication : par simple et très personnel sentiment matérialiste, qui n'a rien de scientifique, je l'admets, je ne pense pas que l'expression rupestre ait été le domaine réservé de quelque graveur attitré, passé es-maître en image, ou encore de quelque sorcier, seul à même de solliciter des dieux ou des esprits l'apanage de la gravure. Exécutée par tout un chacun, l'image passait à la postérité en étant la propriété de tous, l'individu, le groupe, la tribu.

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Chapitre 4 L'HOMME

Au Sahara, dans des zones où il est aujourd'hui très difficile de vivre, l'image de l'homme et de ses activités pastorales ou cynégétiques est certainement la plus émouvante qui soit. C'est la raison pour laquelle je la choisis en priorité. Cette image n'est pas, loin s'en faut, la plus fréquente dans toute la zone méridionale du pays. Elle est même fort discrète. Dans le style de Tazina et sur cinq sites majeurs sélectionnés, l'image de l'homme ne représente que 4% de l'ensemble gravé. La plupart du temps, la représentation humaine est minimisée : parmi un troupeau de bovins qui chacun mesure plus d'un mètre, le petit personnage en trait poli peu profond, à peine lisible, de Metgourine (Fig. 1, 7) ne mesure guère plus de cinq centimètres. En revanche, dans le Haut Atlas, les images de l'homme sont magnifiées. Le guerrier, accompagné de ses armes, frôle parfois les dimensions anatomiques réelles. Il est certain que ces paramètres sont à considérer, dans un premier temps, pour évaluer l'importance de chaque thème suivant les zones riches en gravures. S'il fallait classer l'image de l'homme dans l'« art » rupestre du Maroc suivant une typologie stricte, en prenant en compte son aspect général, ses dimensions, la technique de gravure, le thème et son contexte... la confusion deviendrait vite totale. Plusieurs préhistoriens de l'art s'y sont essayés et j'ai moi-même tenté une typologie des images d'anthropomorphes du Haut Atlas... sans réelle efficacité. De toutes ces observations, il ressort que cette image ne se différencie strictement qu'à partir de deux aspects seulement : l'homme dessiné de profil et celui vu de face. L'homme vu de profil est dans la position dite « du skieur » : les genoux sont fléchis, le personnage est penché vers l'avant (Fig. 1, 6, Hassi Tafenna) ou semble basculer vers l'arrière (Fig. 6, 10, Oued el Kebch). Lorsqu'ils ne brandissent pas un objet ou une arme, les bras sont ramenés vers le bas (Fig. 6, 9, Mlaleg ; Fig. 8, 1, Imgrad Tayaline) ou sont en W (Fig. 2, 6, Meskaou ; Fig. 7, 2, Taghjijt ; Fig. 11, 1, Imi n'Tart). L'image, qu'elle soit piquetée ou polie, est schématique lorsque le personnage est représenté hors contexte (Fig. 6, 9, Mlaleg ; Fig. 7, 2). Mais elle s'enrichit de quelques détails anatomiques, comme le sexe (Fig. 1, 5, Ouaouglout ; Fig. 5, 7, Hassi Tafenna ; Fig. 6, 6, Asguine) ou de détails vestimentaires, telle une queue postiche (Fig. 7, 1, Anou n'Ouamerzemlal). Certains de ces chasseurs sont représentés avec leur panoplie complète, arc et carquois ou arc et bouclier (Fig. 5, 1, Targant ; Fig. 9, 1 et 6, Metgourine). 27

Fig. 1

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Fig. 2

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Une attention particulière doit être portée à des images de chasseurs approchant des animaux sauvages ou semblant protéger leur bétail. Bien que ces images soient piquetées et de petites dimensions, elles fournissent des informations d'un grand intérêt : les hommes se sont représentés chassant des girafes (Fig. 9, 3, Taheouast), d'autres disposent d'un équipement original : arc et bouclier triangulaire à Metgourine (Fig. 9, 6), bouclier que l'on retrouve au bout du bras du minuscule personnage d'Ighir Ighnaïn (Fig. 14, 1). Les gravures de Taheouast (Fig. 9, 3 et 7) sont certainement les plus représentatives quant à l'aspect que pouvait avoir le chasseur : arc court à simple courbure, carquois, queue postiche ou pagne bifide, que l'on retrouve à Metgourine (Fig. 9, 1), petit bonnet pointu et plume. Les objets manipulés ne sont pas toujours aussi clairement identifiables : grande lance à oriflamme (Fig. 8, 3, Imi n'Tart), hache (Fig. 8, 6, Mlaleg) ? Je reviendrai dans un autre paragraphe sur les relations que l'homme entretient avec les bovidés, lorsque certaines images laisseraient à penser que le chasseur tourne son arme vers du bétail (Fig. 5, 1, Targant ; Fig. 9, 5, Imgrad Tayaline). Lorsque les personnages sont mis en présence d’armes, de signes ou d'autres personnages, il n'est pas toujours démontrable que ces associations soient contemporaines. L'objet qui ressemble fortement à une bêche n'est pas à proprement parler « dans » la main du personnage du Yagour (Fig. 1, 8) mais l'image (et donc le geste) est confirmée par une autre gravure, sensiblement équivalente et qui plus est, voisine (Fig. 1, 10). Le rapport que l'homme peut entretenir avec un objet ou une arme se charge de sens lorsque l'arme est magnifiée (Fig. 5, 2, Glab Sghrir), mais le sens de ce rapport devient carrément ésotérique lorsque l'homme est associé à des signes (Fig. 2, 2, Aglagal). J'ai noté à Tamzrart (Fig. 9, 2) l'image de deux personnages semblant s'affronter directement : au-dessus d'un groupe d'animaux (autruches et chèvres ?), deux hommes en érection brandissent leur arc. S'agit-il d'un authentique duel ? Le rapport que l'homme vu de profil entretient avec les animaux peut représenter celui de la chasse : chasse à l'autruche (Fig. 12, 2, Ouardast), au bouquetin (Fig. 12, 3, Imi n'Tart), à l'éléphant (Fig. 13, 4, Taghjijt). Mais autant ces images traduisent potentiellement des activités cynégétiques concernant ces animaux, autant les scènes de chasse à l'antilope ou à la gazelle sont rares. Les techniques étaient peut-être différentes, ce qui se traduirait par le nombre élevé de « signes », comme autant de représentations de pièges qui sont associés à ce gibier.

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Fig. 3

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Fig. 4

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Ce rapport homme-animal prend un aspect particulier dans deux cas : celui que les hommes semblent avoir entretenu avec les éléphants et le rapport qui a pu exister avec le principal animal domestique, le bœuf. Un petit groupe a été dessiné en faux profil : le corps est figuré de profil, les bras sont levés, la partie supérieure du corps fait face à l'observateur. C'est le cas du personnage de Taghjijt (Fig. 7, 2), du chasseur d'Aït Ouazik (Fig. 12, 6) et aussi celui du jovial bonhomme de l'Oukaimeden (Fig. 3, 4). Enfin, quelques personnages encore ont une position légèrement fléchie, mais ils sont présentés de face (Fig. 12, 4, Tamsahelt). Considérons maintenant les hommes vus de face : ces dessins sont assez schématiques, dans la plupart des cas. Le personnage du Yagour (Fig. 1, 3) montre des doigts, des pieds (et des orteils !), un petit sexe, le tout en style filiforme pour le moins expéditif. Les hommes de la zone méridionale du pays (Dra et ses rives, affluents) ont un corps généralement « fermé » (Fig. 1, 11, Metgourine) : ils sont définis par une surface piquetée (Fig. 6, 10, Oued Kebch) ou par un trait limitant les contours du corps (Fig. 1, 11). On retrouve certes cette image dans le Haut Atlas (Fig. 5, 5, Yagour), mais les hommes des stations atlasiques ont généralement le corps « ouvert » (Fig. 1, 9, Oukaimeden ; Fig. 7, 7, Rat) : le trait délimite le contour de la tête et ce même trait porte les jambes. Paradoxalement, c'est dans le Haut Atlas que l'on recense les images les plus élaborées. Non seulement l'homme se présente avec ses armes -poignard, arc, flèche et carquois (?), poignard et hallebarde, bouclier (Fig. 3, 1 à 3 ; Fig. 4, 3, Yagour ; Fig. 6, 5, Oukaimeden)- mais encore il nous fournit d'intéressants détails : franges d'un vêtement (Fig. 3, 1 à 3), fibule ou pectoral (Fig. 3, 1 ; Fig. 4, 1, Oukaimeden), ceinture à boucle ou en perles (Fig. 4, 2, Oukaimeden ; Fig. 4, 3, Yagour). Les deux personnages très schématiques d'Akka Issif (Fig. 7, 3) représentent peut-être un couple in coitu. À Taghjijt, la femme serait à gauche, légèrement cambrée, l'homme se tiendrait à droite, beaucoup plus longiligne. La convention graphique réserverait donc une certaine rondeur au bas du corps pour les images de femmes (Fig. 6, Tibasksoutine). C'est un couple qui est figuré à Imaoun, dans un rapport identique de corpulence, le sexe de l'homme étant par ailleurs bien visible (Fig. 5, 4). Le profil callipyge, clairement indiqué sur les peintures du Sahara, n'apparaît pas aussi nettement dans l'expression rupestre du Maroc. Une seule image est peutêtre à classer dans cette catégorie : petite femme (avec les seins sous les bras !) dansant (?) au milieu de ses chèvres (Fig. 7, 6, Taghjijt), délicate gravure qui fait penser aux Faunes de Picasso. Dans le Haut Atlas, les images ne prêtent à aucune équivoque, que ce soit dans la représentation des sexes, nettement codifiée, ou dans le rapport homme-femme. Le sexe de la femme est un V, sous lequel est placé un point. 33

C'est une femme (détail supplémentaire des ovaires ?) qui est figurée au Yagour (Fig. 4, 4). Un enfant mâle se réfugie dans son giron (d'aucuns ont voulu voir une scène d'accouchement, ce qui est peu probable, l'enfant n'étant pas dessiné la tête vers le bas). Chez l'homme, le sexe est apparent (rien de plus normal), souligné par trois points en triangle. L'image du Yagour (Fig. 4, 1) prend alors tout son sens : le coït est évident, la femme étant représentée avec un vêtement serrant sa poitrine, peut-être arbore-t-elle des tatouages sur le visage. L'homme porte un vêtement à frange et un pectoral. C'est cette répartition particulière que j'ai relevée sur plusieurs stations du Haut Atlas, gravures qui avaient échappé aux prospections antérieures. Le rapprochement entre les deux personnages du Yagour, de dimensions différentes et en contact non conventionnel, pourrait-on dire (Fig. 4, 3), ne relève peut-être pas d'une représentation à connotation sexuelle, les protagonistes étant asexués. Les images d'enfants sont très rares. Ces images sont incontestables lorsque l'enfant est figuré auprès d'adultes. C'est le cas de l'homme de l'Oukaimeden, brandissant un poignard et semblant protéger sous son bras un enfant mâle (Fig. 4, 2). Dans la zone sud, à Imgrad Tayaline (Fig. 8, 1), une image semble représenter un adulte en attitude de skieur, arborant une tête en champignon et précédant un enfant. On remarquera ici les proportions réalistes de la tête et du corps de ce dernier.

L'homme et le bœuf L'image du bœuf est omniprésente dans toute l'expression rupestre marocaine. Les rapports entretenus entre l'homme et l'animal sont assez particuliers pour qu'un chapitre leur soit consacré. Ce rapport est assez surprenant lorsque l'homme est montré dirigeant une arme vers un bovidé (Fig. 2, 1, Aglagal), que tout donne à penser comme un animal domestique. Il peut s'agir de l'image d'un sacrifice, celui-ci pouvant être pratiqué à la hache ou à l'aide d'un arc, moins probable cependant (Fig. 5, 1, Targant). Cette représentation peut aussi suggérer le rôle éminemment protecteur du « chasseur-pasteur » toujours armé, prêt à décocher la flèche qui abattra le fauve menaçant, bien que non figuré (Fig. 9 ; Fig. 5, 8, Glab Sghrir). L'image la plus fréquente, la plus paisible, pourrait-on dire, est encore celle du bouvier auprès de ses bêtes (Fig. 5, 3, Yagour), gigantesque gravure d'un homme armé d'un poignard de poitrine et d'un bovidé à cornes torsadées, reprises par polissage. On retrouve cette image dans le sud du Maroc, à Imaoun (Fig. 6, 1), à Taghjijt (Fig. 10, 1), à Aglagal (Fig. 10, 2).

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Fig. 5

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Fig. 6

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Depuis longtemps, le bovidé qui est représenté en compagnie des hommes n'est plus un fauve. L'homme se glisse sous l'animal (Fig. 11, 3, Imi n'Tart), se suspend à ses fanons (Fig. 11, 4, Imgrad Tayaline), le tire par une longe (Fig. 11, 6, Imaoun). Dérivé d'images du Sahara, le concept de jeux, de pirouettes par-dessus le dos de l'animal (Le Quellec, 1998a), peut certainement être appliqué à certaines images du Sud marocain (Fig. 1, 12, Ouardast ; Fig. 10, 3, Taghjijt ; Fig. 11, 1, Imi n'Tart), l'homme étant montré, dans cette dernière image, comme flottant à l'arrière du bœuf. Les images rupestres du Maroc montrent, aussi bien dans le Haut Atlas que dans les zones méridionales, des bœufs porteurs, l'image de l'homme étant d'ailleurs fréquemment réduite à un minuscule bâtonnet (Fig. 6, 2, Oued el Kebch), un signe schématique (Fig. 10, 5, Ighir Ighnaïn) ou une croix (Fig. 10, 4, Metgourine). Des images beaucoup plus explicites montrent l'homme chevauchant un bœuf et le dirigeant à l'aide d'une longe ou d'une baguette (Fig. 10, 6, Metgourine). Les bouviers juchés sur des bœufs de Taouz (Fig. 10, 7) prennent une amusante forme de diabolos planant au-dessus de l'animal, éclairant très utilement les ectoplasmes de Taghjijt (Fig. 11, 7) ou de Metgourine (Fig. 18, 5). Dans le Haut Atlas, deux groupes de gravures ont souvent été donnés comme des « cavaliers poursuivant un éléphant ». Il est peu probable que l'éléphant n'ait jamais été chassé à cheval, d'une part, mais l'analyse est, quoi qu'il en soit, erronée. Car ce sont bien des bœufs montés qui accompagnent des éléphants au Yagour (Fig. 14, 3 et 5) et non des chevaux. Il ne saurait alors être question de « chasse », encore moins de « poursuite », une telle opération étant totalement irréaliste. C'est la représentation de la longue tradition saharienne du bœuf porteur comme moyen de locomotion et de transport qui est donnée ici et qui perdurera jusqu'à l'avènement du cheval. L'image du bœuf porteur existe aussi dans le Sud marocain, bien que plus rare (Fig. 32, 2, Metgourine), sur un bloc très dégradé et menacé de destruction. Ces compositions, bien que discrètes et peu fréquentes, donnent une indication chronologique précieuse, confirmant l'absence du cheval domestique au temps des graveurs.

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Fig. 7

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Fig. 8

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L'homme et l'éléphant Il nous faut insister sur cette association d'images entre l'homme et le pachyderme. Lorsque l'image est incontestablement une composition, l'homme peut se présenter dans une attitude de chasseur, stéréotypée, on l'a vu. S'approche-t-il subrepticement de la bête, par l'arrière, pour lui trancher les jarrets (Fig. 8, 6, Mlaleg) ? L'image de l'homme désarmé s'approchant de l'animal (Fig. 12, 7, Oued Meskaou) est-elle représentative d'une pratique cynégétique inconnue ? L'homme d'Asguine (Fig. 6, 8) affronte un éléphant avec pour toute arme un bâton coudé, tout comme celui d'Akka Issif (Fig. 13, 6) ou encore celui de l'Oukaimeden (Fig. 14, 6), tous deux armés d'un boomerang. Deux autres personnages de l'Oukaimeden (Fig. 14, 4) font face à un éléphant en brandissant un objet non identifiable (arc ou boomerang ?). La composition d'Ighir Ighnaïn (Fig. 14, 1) comprend bien un chasseur s'opposant, hache brandie, à un groupe comprenant un éléphant mais aussi deux bœufs et deux probables félidés. La hache individualisée est par ailleurs représentée devant un éléphant (Fig. 72, 1, Akka Issif), derrière un bovidé à l'Oued Meskaou (Fig. 72, 2), derrière des rhinocéros à Fam el Hisn (Fig. 72, 5 et 7), derrière des bœufs enfin à Imgrad Tayaline (Fig. 72, 3) ou à Taghjijt (Fig. 72, 4 et 6). Que conclure de ces observations ? C'est ici l'image de l'arme idéalisée, sorte de démonstration de mainmise sur le métal tout-puissant qui s'impose aux fauves, beaucoup plus que la mise en scène réaliste d'une partie de chasse. Il n'est pas de mon intention d'affirmer que l'éléphant n'a jamais été chassé. Je n'ai pas, pour ce faire, le moindre argument convaincant. D'autres gravures montrent d'ailleurs des éléphants associés à ce que les préhistoriens de l'art maghrébins et sahariens considèrent comme d'éventuels systèmes de piégeage (Fig. 32, 3 et Fig. 81, 9, Oued el Kebch ; Fig. 81, 6, Tiouririne), cette méthode de chasse étant beaucoup plus réaliste. Je préfère considérer certaines images et particulièrement celles du Haut Atlas (Fig. 14, 3 à 6) comme l'expression d'un comportement de révérence, réel ou propitiatoire : les petits personnages de l'Oukaimeden semblent à cet égard plus en posture d'orants que de chasseurs. Il est difficile de croire que ces hommes aient pu affronter et venir à bout d'éléphants à l'aide de boomerangs ou même d'arcs et de flèches. Ils sont à rapprocher en cela de l'homme de Taghjijt, en contact avec un éléphant (Fig. 13, 4) et peut-être aussi du gracieux personnage de l'Oued Meskaou (Fig. 2, 6), tous deux montrés sans arme. Parmi les images relatant ce rapport particulier que l'homme semble avoir avec l'éléphant, nous devons tenir compte d'une gravure, unique à ma connaissance, pour l'instant, au sein des gravures rupestres du Maroc, celle d'une approche a tergo d'un éléphant dans un simulacre de coït (Fig. 12, 9, Taheouast). On sait que ces types de scènes sont courantes au Sahara (Le 40

Quellec, 1993) et qu'elles ne se limitent pas à leur aspect « bestial » irréaliste mais qu'elles comportent une dimension éminemment rituelle. Il reste à considérer un certain nombre d'images de l'homme qui restent assez étranges ou qui sont extrêmement schématisées. Il en va ainsi de l'être asexué de Ouaouglout (Fig. 1, 1), exécuté en traits incisés fins et qui dispose d'une curieuse tête carrée ; du personnage de Mrimima (Fig. 1, 4), qui est muni de hanches en arceau et dont on retrouve la copie fidèle à des centaines de kilomètres plus au nord, à l'Oukaimeden (Fig. 1, 9). La silhouette difforme qui se tient derrière des bœufs à Akka Issif est-elle celle d'un homme ? L'intention de réduction à l'essentiel est-elle la même dans l'extrême schématisation d'un personnage gravé à l'Oued Meskaou (Fig. 2, 3) ou dans l'exercice stylistique en traits polis de Tazount (Fig. 2, 4) ? Si les proportions fantaisistes d'un personnage du Yagour (Fig. 5, 5) peuvent être mises sur le compte de la maladresse, il n'en va pas de même du curieux prolongement en double zigzag du personnage d'Hassi Tafenna (Fig. 5, 6) : couvre-chef ou étendard ? Est-ce volontairement ou simplement parce qu'il est resté inachevé que le personnage (macrocéphale et doté d'oreilles internes !) de l'Oukaimeden (Fig. 6, 4), inédit jusqu'à mes relevés, se limite à une tête et deux bras ? Cet autre anthropomorphe de la montagne marocaine (Fig. 6, 3) sert-il de transition entre l'image de l'homme et celle du lézard (Fig. 91, 1 à 3) ? Faut-il encore ranger dans la catégorie « images de l'homme » la curieuse gravure de Mrimima (Fig. 7, 8) ? L'image de l'homme la plus extravagante est certainement celle du Rat (Fig. 7, 4). Le personnage semble ouvert, ce qui n'a pas manqué de favoriser les lectures d'un homme écartelé ou éventré. L'effet est accru par le dispositif de cercle dans lequel le personnage semble enfermé. Mais il s'agit bien d'un homme, dont on distingue les bras, les côtes (à moins qu'il ne s'agisse de la représentation d'un vêtement), les jambes et le sexe. Le tout est obtenu en traits polis profonds, ce qui est inhabituel dans le Haut Atlas. L'homme est parfois associé à d'autres animaux : autruche à Metgourine (Fig. 14, 2), félidé à Taghjijt (Fig. 13, 5) dans des situations pas toujours interprétables. L'homme de Metgourine (Fig. 13, 3), en contact avec le mufle d'un félidé, n'est peut-être pas la victime que l'on suppose. On l'a vu tout au long de ce chapitre, les liens qui pourraient relier les images du Sud marocain avec celles du Haut Atlas sont ténus. À première vue, nous serions en présence de deux mondes différents : celui que l'on avait coutume d'appeler les « chasseurs-pasteurs » dans les zones méridionales et celui des « pasteurs-métallurgistes » dans la haute montagne. Ces deux dénominations sont des passe-partout : les pasteurs sont restés foncièrement des chasseurs, de la même façon que les pasteurs étaient opportunément des métallurgistes, accessoirement des chasseurs. Tout l'art rupestre du Maroc est, en fait, celui des « chasseurs-pasteurs-métallurgistes » ! 41

Fig. 9

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Fig. 10

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Ainsi, l'intrusion du métal dans l'expression rupestre des chasseurs méridionaux, avec des images de haches (Fig. 62, 5, 8 à 13) ou de poignards (Fig. 58, 4 et 7, Ouaouglout) traduit des mouvements de population, sinon de transferts de techniques, dans les deux sens, sud-nord et nord-sud. La pratique de monte des bœufs est connue partout. Le bœuf lui-même, son omniprésence et sa valeur probable de patrimoine sont certainement le fil rouge, pour utiliser une formule moderne, une expression commune aux deux zones rupestres. Quant aux images qui montrent des méthodes de chasse, elles sont interchangeables. On l'a vu avec l'image de l'homme aux hanches en arceaux de Mrimima, la représentation anthropomorphique est difficilement circonscriptible à une seule et même zone. Pour illustrer notre propos, qui est l'interpénétration des deux mondes, nous donnons l'image de l'homme d'Aït Ouazik, en zone pré-saharienne (Fig. 2, 5) qui, bien qu'exécutée en traits incisés fins et dans un style qui n'est pas loin de rappeler celui de Tazina, n'a rien à envier aux images du Haut Atlas (Fig. 3, 1). Pour clore ce chapitre, il est utile d'insister sur un dernier point : il faut se garder de voir dans l'image de l'homme ithyphallique l'expression de quelque priapisme primitif et grossier. Certes, érotisme et sexualité, l'ethnologie nous le rappelle, ont, de tout temps, fait partie intégrante des préoccupations sociales. Mais d'autres motivations, plus intellectualisées, sont aussi à considérer. Pour expliquer - pour tenter d'expliquer - cette récurrence de l'image de l'homme en érection, plus fréquente en fait que les scènes explicites de coït, plusieurs lectures sont proposées, l'une d'elles étant la représentation d'étuis péniens, pratique magico-religieuse encore en usage dans bien des parties du monde. Les gravures d'Ouaouglout (Fig. 1, 5) ou d'Anou n'Ouamerzemlal (Fig. 7, 1) iraient assez bien dans ce sens. Mais de nombreux détails, sans ambiguïté, particulièrement dans le Haut Atlas (Fig. 3, 3, Yagour ; Fig. 8, 5, Telouet), cette dernière image montrant le méat urinaire et un jet d'urine ou de sperme, vont plutôt dans la lecture du sexe nu. La convention graphique du sexe emphatisé doit être tenue comme celle de l'image de la puissance génésique, indispensable à l'ordonnancement de la vie et à sa perpétuation.

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Fig. 11

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Fig. 12

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Fig. 13

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Fig. 14

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Chapitre 5 LE BOEUF

Dans la lecture de l'image du bœuf dans l'« art »rupestre marocain, la première difficulté réside bien dans l'identification : s'agit-il d'un bovin, c'est-à-dire un bœuf, une vache ou un taureau domestique ou est-ce un bovidé, soit un taureau sauvage mais aussi un buffle, de l'espèce encore vivante aujourd'hui ou de l'espèce disparue (buffle antique) ? Le problème de lecture se complique lorsqu'on constate que certaines images peuvent aussi représenter de grandes antilopes, comme c'est le cas à Imaoun (Fig. 15, 1). Le problème d'identification est d'autant plus ardu lorsque les images ont été gravées en style de Tazina ou, comme on l'a vu, l'animal est montré menacé par une arme. Certains détails secondaires dans la gravure vont devoir être mis à contribution pour tenter d'y voir plus clair : l'animal d'Anou n'Tidardourene (Fig. 14, 4), en surface très soigneusement piquetée (en partie détruit), comporte de larges cornes vers l'avant, une barbiche (pendeloques ou fanons ?), une tache sur la robe, une ébauche de sexe, des proportions particulières, autant d'indices qui suggèrent fortement l'image d'un taureau domestique. En revanche, l'animal de Tiouririne (Fig. 15, 4), en style de Tazina, est bossu, ne comporte ni tache ni fanon. Ces proportions feraient plutôt penser à un animal sauvage. Il est lui-même très proche de l'animal d' Azigza Oubrahim (Fig. 15, 7) qui, avec ses grandes cornes en arc de cercle, n'a décidément rien d'une brave vache domestique. Il y a, certes, beaucoup de fantaisie dans le style de Tazina, mais l'animal gravé de Bou Kerkour (Fig. 15, 6), avec son large poitrail, sa queue courte et ses longues cornes droites, qui plus est figuré en posture dynamique, « canon » représentatif généralement réservé aux fauves, n'a rien en commun avec le paisible bovin de l'Oued el Kebch (Fig. 16, 3). Sans préjuger des rees chronologiques que j'aurai l'occasion de mieux étayer autrement que par le postulat qui va suivre, on peut se demander si, à l'époque des graveurs, au deuxième ou au milieu de troisième millénaire, il existait encore des bovidés sauvages. Si tel est le cas, quels étaient-ils et ontils pu vivre conjointement avec des bovidés domestiqués ? Autant de questions auxquelles des synthèses aussi volumineuses que celle de Muzzolini (1986) ne parviennent pas à répondre.

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Fig. 15

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Fig. 16

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Nulle part au Maroc n’apparaît l'image de bovidé muni de cornes « en crochets » (sauf peut-être à Mlaleg, encore que la seconde corne, tournée vers le haut, a probablement été ajoutée plus tard, Simoneau, 1969), se refermant devant les yeux, dispositif qui serait, pour certains préhistoriens de l'art du Sahara, le trait caractéristique d'animaux sauvages. Pour pouvoir être lue dans ce sens, la gravure doit donner une perspective, la tête étant vue en faux profil. Peut-on inclure dans cette catégorie l'image de Taghjijt (Fig. 23, 1) ou encore celle de Meskaou (Fig. 19, 1), montrant un bovidé associé à la gravure de ce qui pourrait être un piège ? Peut-on décemment se fier à la seule allure générale pour distinguer, parmi le cheptel assez répétitif et codifié des bœufs domestiqués, des animaux assez impressionnants, porteurs de cornes majestueuses, souples et dynamiques et qui auraient pu être sauvages (Fig. 22, 8, Aït Ouazik ; Fig. 23, 2, Tiouririne et 4, Azigza Oubrahim), un site rupestre offrant même parfois des images nettement différentes les unes des autres (Fig. 19, 3, Tiouli ; Fig. 23, 3, Tiouririne) ? Les cornes (Fig. 15, 8, Ouzdine) ou la tête (Fig. 23, 5, Aït Ouazik et 7, Bou Kerkour) d'animaux très fantaisistes ne changent rien à leurs proportions, toujours remarquables. Il reste difficile d'affirmer cependant, au vu des seules évaluations statistiques, que, conjointement à des bovidés domestiques aient pu exister, au temps des graveurs, des bovins sauvages de l'espèce Bos. Ces dernières images sont peut-être simplement celles de taureaux. Le bœuf domestique est quant à lui le plus souvent dessiné de profil, les deux pattes antérieures et postérieures confondues deux à deux (Fig. 16, 3, Oued el Kebch). L'animal est toujours statique. La tête est assez fine, la queue est longue et pend contre la cuisse (Fig. 16, 1 à 3). Le mufle est parfois plus lourd (Fig. 16, 10, Taghjijt). Dans les cas de profil absolu, les cornes sont représentées incurvées vers l'avant, plus ou moins longues (Fig. 16, 1, Anou n'Tidardourene ; 7, Taghjijt, 8, Imgrad Tayaline), parfois disproportionnées (Fig. 16, 5, Akka Issif). Les faux profils permettent de laisser libre cours à la fantaisie quant à la représentation des cornes. Les cornes démesurées et irréalistes de Taouz (Fig. 16, 4) se retrouvent au Yagour (Fig. 19, 4) ou à Taghjijt (Fig. 17, 3), la disposition « en lyre » pouvant prendre plusieurs aspects suivant l'ouverture des cornes (Fig. 16, 3, Oued el Kebch ; Fig. 17, 2, Taghjijt ; 6, Ighir Ighnaïn ; Fig. 19, 7, Akka Izam), celles-ci pouvant aller jusqu'à se refermer en crochet, mais cette fois, au-dessus de la tête (Fig. 18, 6, Metgourine). Ces variations, finalement peu nombreuses, permettent toutefois d'opérer une distinction utile entre les bœufs et des animaux qui ont les proportions des bovidés mais disposent de cornes courtes et rectilignes. Pour quelques cas cependant, l'identification reste problématique : les animaux de Bou Kerkour (Fig. 20, 4 et 6) sont-ils des bovidés ou de grandes antilopes de type gnou ou bubale ?

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Fig. 17

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Fig. 18

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Il existe quelques cas, rares au Maroc, où les cornes de referment audessus de la tête (Fig. 19, 6, Taouz ; Fig. 19, 8, Fam el Hisn ; Fig. 89, 2, Metgourine). Ces exemples viennent s'ajouter à la longue liste des images d'animaux à « coiffes » ou à « attributs céphaliques », découverts dans tout le Sahara (Huard, 1961). On ne peut affirmer pour autant si l'intention de faire figurer un signe solaire ou une quelconque coiffe à connotation rituelle est réelle. Il peut aussi s'agir d'une particularité stylistique, voire d'une maladresse du graveur. Au Sahara, des gravures et peintures très explicites montrent des dispositifs de bâts de cornes. C'est peut-être une charge de ce type qui est indiquée sur des bœufs, à Taghjijt (Fig. 17, 2) ou à Metgourine (Fig. 18, 2). Enfin, il faut noter quelques cas de cornes asymétriques (Fig. 17, 7, Taghjijt), ballantes (Fig. 19, 5, Anou n'Ouamerzemlal) ou tordues (Fig. 16, 9, Taghjijt), indiquant cette fois la pratique pansaharienne, toujours vivace, de la torsion volontaire des cornes des bœufs. La différenciation des sexes n'est que rarement marquée. Il est possible que tous les bovidés que la lecture restitue comme asexués soient en fait des femelles ou des bœufs. Le sexe est parfois tout juste ébauché (Fig. 15, 4, Anou n'Tidardourene). L'animal d' Imgrad Tayaline (Fig. 8, 1) montre des cornes en lyre, des pendeloques sous-jugulaires, une robe compartimentée, des sabots bisulques, un fourreau pénien et des testicules, tout comme les deux animaux de Metgourine (Fig. 18, 8). Ailleurs, ce sont des petites protubérances qui marquent le sexe des mâles (Fig. 10, 2, Aglagal ; Fig. 11, 4, Imgrad Tayaline ; Fig. 17, 4, Ighir Ighnaïn ; Fig. 18, 5 et 6, Metgourine) mais ceux-ci ne sont quoi qu'il en soit jamais montrés en érection. Quant aux pis, ils sont parfois très avantagés (Fig. 17, 6, Imgrad Tayaline), la volonté de démonstration d'opulence devenant même totalement irréaliste, particulièrement dans le Haut Atlas (Fig. 19, 4, Yagour). Les autres détails sont secondaires : sabots, on l'a déjà vu à Glab Sghrir (Fig. 5, 2), à Imaoun (Fig. 5, 4) ; queues en tridents, dans le Haut Atlas mais aussi dans le Sud (Fig. 5, 8 Glab Sghrir ; Fig. 11, 4, Imgrad Tayaline ; Fig. 11, 5, El Gtara). Les graveurs ont restitué les détails des robes, tels que taches (Fig. 11, 4, Imgrad Tayaline ; Fig. 16, 6, El Gtara ; Fig. 17, 7), bigarrures (Fig. 17, 5 et 6, Ighir Ighnaïn), très complexes techniques de réserve (Fig. 19, 4, Yagour), rayures verticales, assez peu réalistes (Fig. 16, 8, Imgrad Tayaline, ou horizontales, plus fréquentes (Fig. 11, 1, Imgrad Tayaline ; 2, Azigza Oubrahim) ou encore à Anou n'Tidardourene (Fig. 20, 1) et à l'Oued Meskaou (Fig. 20, 2), en style de Tazina suffisamment exubérant pour que l'identification devienne problématique. Il est intéressant de noter que l'image du bovin en troupeau est peu fréquente. Si l'on peut objectivement considérer que les regroupements de plusieurs têtes comme étant ceux d'un même graveur dans le Haut Atlas, on 55

peut aussi remarquer la rareté d'une telle image dans le Sud, à l'exception de la frise d'Ighir Ighnaïn, où plusieurs animaux, de différents types, sont tous orientés dans la même direction, semblant pénétrer dans l'étroite vallée. Notons la composition de deux animaux (Fig. 16, 5, Akka Issif ; Fig. 17, 1, Taghjijt), parfois trois (Fig. 20, 7, Taghjijt) et plus (Fig. 6, 2, Oued el Kebch ; Fig. 20, 8, Glab Sghrir), ce dernier exemple montrant vraisemblablement des adultes et des jeunes. La très élégante gravure de ce site (Fig. 18, 1), en style de Tazina typique, est peut-être une tentative très habile pour restituer l'image de plusieurs bêtes alignées dont on ne verrait que les dos et les queues. Sur le même site, un mâle est dressé derrière une femelle, en position de copulation (Fig. 20, 5). Dernière remarque pour clore cette analyse : certaines images sont considérées ici comme celles de bovins, même si elles sont très fantaisistes (Fig. 17, 8, Taghjijt (Fig. 17, 8, Taghjijt) ou carrément schématiques (Fig. 18, 4, Taghjijt). Le bœuf est le seul animal qui soit visible sur à peu près tous les sites rupestres du Maroc, quels que soient les styles et les époques. Il apparaît dans le style de Tazina, au milieu du bestiaire sauvage, dans le Haut Atlas, où il côtoie toutes sortes d'armes métalliques et jusque sur les stations libyco-berbères (Fig. 21, 7, Foum Chenna), bien que sa présence se raréfie au profit des chèvres et des dromadaires. Mais il n'y a pas de bovins sur les stations tardives du Ram Ram, au nord de Marrakech. Les bouviers du Dra sont les lointains descendants des pasteurs du cœur du Sahara et ils ont transmis, génération après génération, la culture pastorale qu'ils avaient héritée, basée sur le bœuf, leur seul et authentique patrimoine. Aujourd'hui, les Massais du Kenya révèrent leurs vaches, en exploitant le lait et le sang. Ils croient qu'une providence divine a magnanimement placé ces bêtes sur la Terre pour leurs besoins exclusifs. L'omniprésence des bœufs dans les images rupestres du Maroc traduirait-elle une forme de pensée similaire ?

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Fig. 22

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Chapitre 6 LE BESTIAIRE DOMESTIQUE

Un second animal, commensal de l'homme, apparaît parmi les images rupestres du Maroc. Il s'agit de la chèvre. Elle a été rarement signalée et aucun inventaire n’en fait un décompte exhaustif. Cette représentation reflète une dégradation du climat ou tout au moins des conditions de pâturage moins favorables aux bœufs. Lorsque les caprins sont dessinés en style de Tazina, il est difficile de distinguer s'il s'agit de chèvres, de bouquetins ou de mouflons. Ainsi, à Mlaleg (Fig. 2, 7), un personnage semble docilement suivi d'un animal acère, à queue relevée sur l'arrière-train et muni de ce qui pourrait passer pour des pis généreux. Sur un site de Taghjijt (Fig. 7, 6), l'animal dressé près du personnage est certainement une chèvre, dans une attitude qui lui est familière. La représentation la plus convaincante est sans doute la frise de plus d'un mètre vingt de longueur de Metgourine (Fig. 9, 1), où un personnage armé mène un troupeau parmi lequel on compte quatre animaux munis de détails instructifs : cornes plus ou moins longues et torsadées, barbiches, queues courtes et qui « rebiquent ». Les animaux ont des pelages tachetés ou zonés. Entre les deux inélégants personnages ithyphalliques de Tamzrart (Fig. 9, 2) sont figurés trois animaux qui disposent de critères identiques. La composition irait-elle jusqu'à évoquer des rapports équivoques que les pasteurs auraient pu entretenir avec leurs bêtes ? Enfin, dernier détail qui pourrait faciliter une identification sont les pis doubles (Fig. 21, 16, Guelta Oukas). C'est le seul exemple que je connais au Maroc. Lorsque les caprins n'accompagnent pas des hommes, en troupeaux, les animaux à queues et cornes courtes sont difficiles à identifier. Les proportions peuvent faciliter la lecture : ainsi, les images de Taheouast (Fig. 21, 3), de Taghjijt (Fig. 21, 4) ou d'Imi n'Tart (Fig. 21, 15) représentent bien des chèvres. La distinction se fait sans difficulté avec les images de la figure 52 qui montrent des ovicaprinés à grandes cornes incurvées ou divergentes et qui peuvent représenter des bouquetins ou des mouflons.

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En contexte libyco-berbère, apparaît le dromadaire (Fig. 21), monté le plus souvent, mais ne souffrant d'aucune contestation quant à son identification. L'image du Yagour (Fig. 21, 8) est peu convaincante, mais s'il s'agit bien d'un dromadaire, la représentation pose un problème chronologique certain. On sait en effet (Camps, 1996) que les camélidés sauvages n'existaient pas au Néolithique en Afrique, que les « chameaux » y ont été introduits tardivement et seraient parvenus au Maghreb aux environs du 3e ou du 4e siècle apr. J.-C. C'est peut-être un dromadaire qui est gravé à Telouet (Fig. 21, 6). L'animal est montré isolément (Fig. 21, 2, Tighermt ; Fig. 21, 3, Ouaramdaz ; Fig. 21, 5, Foum Chenna) ou monté à Foum Chenna (Fig. 21, 1) ou à l'Assif Wiggane (Fig. 21, 4). Sur ce site, l'animal est montré en troupeau, associant curieusement des bouquetins et des autruches, deux espèces animales qui appartiennent bien au contexte libyco-berbère. L'indication du cavalier, réduit à une minuscule croix juchée au sommet de la bosse (Fig. 93, 5, Foum Chenna), n'est pas sans rappeler l'image des hommes extrêmement schématisés, chevauchant des bœufs, images que nous avons déjà évoquées. Les images de chiens, tout au moins celles qui sont incontestables, n'apparaissent qu'au sein des gravures libyco-berbères. Au Sahara, les images de chiens sont anciennes (Espérandieu, 1994). Parmi les rupestres du Maroc, il semble qu'il y ait deux sous-espèces : un chien assez massif, au poitrail large, à queue épaisse et relevée sur le dos (Fig. 21, 11, Telouet) ou dressée (Fig. 93, 5, Foum Chenna), dans une composition qui place le gardien de la méharée en tête. Cet animal ne serait pas sans rappeler la race actuelle, dite Aïdi du Haut Atlas, chien de berger au poil épais, à oreilles courtes et rondes, à la queue très fournie et en massue ; un second sous-type, plus longiligne, représenté sur les gravures du Ram Ram (Fig. 21, 9 et 12), à museau fin et allongé, à queue enroulée sur l'arrière-train. Cet animal évoque cette fois le lévrier (sloughi), chien de chasse particulièrement bien adapté aux grands espaces désertiques. Il serait d'introduction tardive, peut-être importé du Moyen-Orient par les Phéniciens. Les chiens sont parfois montrés dans des scènes de chasse, à la poursuite d'une gazelle, comme à Amtoudi (Fig. 76, 6). La question a souvent été posée de savoir si au Sahara ou au Maghreb il y avait eu tentative de domestication de l'autruche. Les images du Sud marocain sont beaucoup trop douteuses et rares pour aller dans ce sens. Les deux volatiles de Ouardast (Fig. 12, 2) ont plutôt l'air d'être menacés par des hommes armés. À Fegoussat (Fig. 13, 1), un homme fait face à un groupe d'autruches, le tout étant circonscrit dans ce qui pourrait être un enclos. Au Glab Sghrir (Fig. 20, 8), un personnage chevauche une autruche au milieu d'un troupeau. Jeu ou défi « sportif » ? Les fréquentes images où les autruches sont associées à des bœufs (Fig. 18, 7, Aït Herbil ; Fig. 48, 4 et Fig. 49, 3, Metgourine) sont peut-être plus indicatives d'une certaine familiarité, à michemin de l'apprivoisement. 64

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Chapitre 7 LA FAUNE SAUVAGE

Rappelons, si besoin est, que les images de la faune du domaine rupestre marocain sont celles d'un bestiaire et non celles représentatives des animaux qui ont réellement vécu dans ces zones à l'époque des graveurs. Pour des raisons que nous ignorons, certaines espèces animales familières et contemporaines des lapicides n'ont jamais été représentées, ceci étant particulièrement notable pour le sanglier. Mais nous n'avons pas non plus d'images d'oiseaux (autres que des volatiles posés ou en course) ni d'insectes (hormis quelques rares arthropodes, scorpions notamment), encore moins de fleurs ou de plantes, tandis que d'autres espèces animales ont été surreprésentées. Par ailleurs, les images peuvent être polysémiques : un serpentin est peutêtre l'image d'un serpent, mais il peut aussi être un symbole ou un signe. Enfin, l'identification ne peut dépasser le stade de l'espèce : une gazelle sera reconnue comme telle (forme des cornes, posture, détails de robe...) mais il sera difficile de faire la distinction entre une gazelle de savane et une gazelle de montagne. De fait, le bestiaire s'avère beaucoup plus diversifié qu'il n'y paraît et les derniers récolements enrichissent la liste d'oiseaux, de reptiles, de girafes ou d'animaux en localisation inattendue (récente découverte de rhinocéros dans le Haut Atlas). Il ne semble exister (pour l'instant) qu'une seule image douteuse- de hyène, un seul crocodile, un seul -très probable et très inattendu- oryctérope, quelques rares poissons. J'insiste (une dernière fois !), il va de soi que l'inventaire peut s'enrichir à tout moment à la suite de nouvelles découvertes.

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Le buffle antique Des images du Sud-Ouest algérien ont montré, dès les premières prospections des « pionniers » français dans le pays, les images d'un animal inconnu. Ces gravures venaient à l'appui de la découverte, en 1872, des restes osseux d'un buffle aux cornes gigantesques et qui fut baptisé Bubalus antiquus. L'animal avait vécu, jusqu'à la fin du Néolithique, dans tout le Sahara et le Maghreb. Il fut dénommé tour à tour Bubalus antiquus, Homoïoceras pelorovis et il n'est pas certain que la dénomination actuelle Buffalus antiquus fasse l'unanimité. Elle a l'avantage de faire la distinction avec le bubale (Alcelaphus buselaphus) qui est un antilopiné vivant actuellement au sud du Sahara (Le Quellec, 1998a). Les relevés du Sud-Oranais (Lhote, 1970) montrent un animal trapu, haut de poitrail, portant à la manière des buffles actuels des cornes annelées, divergentes et d'envergure impressionnante. Ce n'était pas un artifice stylistique puisqu'on sait que les cornes ont pu atteindre trois mètres cinquante d'envergure. La tête est petite et portée bas, avec un mufle pointu et une bosse au chanfrein. Un toupet de poil orne la tête et une barbiche complète une représentation que l'on pense assez fidèle à la réalité. L'arrièretrain fuyant se termine par une queue courte et très fréquemment rabattue sur la fesse (Fig. 22, 1, d'après Lhote, 1970). J'ai entrepris le récolement des images marocaines qui se rapprochent le plus de leurs archétypes algériens. Elles sont peu nombreuses, si l'on écarte les représentations qui pourraient être celles de taureaux domestiques (Fig. 22, 8, Aït Ouazik). Les relevés de Tiouririne (Fig. 22, 2), d'Ouzdine (Fig. 22, 3), d'Anou n'Ouamerzemlal (Fig. 22, 4) sont beaucoup plus convaincants, bien que sur ce dernier exemple la fracture bien mal venue de la dalle nous prive de l'image des cornes. La disposition particulière de ces dernières est montrée à Aït Ouazik (Fig. 22, 5) ou à Bou Kerkour (Fig. 22, 6). Ces deux exemples sont très hypothétiques car, malgré la disposition des cornes, les proportions anatomiques ne sont pas respectées (Fig. 22, 7, Asguine ; Fig. 23, 6, Hassi Tafenna). Faisons grâce aux artistes de Tazina ! Je donne donc comme très probable l'image du buffle antique dans le bestiaire rupestre marocain. Les exemples sont certes peu nombreux et cette rareté de l'image traduit peut-être une situation réelle, celle du destin déjà très précaire de l'animal vivant dans le sud du pays. Plusieurs remarques s'imposent : ces éventuels buffles ne sont jamais associés à des hommes ou à d'autres animaux. Ils ne sont jamais figurés piégés ou menacés par des chasseurs ou des armes, à l'encontre des représentations du Sud-Oranais où les bêtes sont associées à des hommes en posture dite d'« orant » et aussi d'armes (haches probablement métalliques). Par ailleurs, les buffles antiques du Maroc ont tous été gravés en traits polis de style Tazina : si l'animal est l'un des premiers à disparaître dans cette 70

zone, son image, exclusivement traitée en style de Tazina, est peut-être à corréler avec un indice chronologique, quant à l'ancienneté dudit style. Mais je ne l'ignore pas : une seule image de buffle antique en piqueté dans la zone du Bani-Dra suffirait pour mettre à bas le maigre indice échafaudé ci-dessus. L'éléphant Les images d'éléphants sont très nombreuses dans le bestiaire rupestre marocain. L'animal est partout présent, jusque dans le Haut Atlas. Il n'y a que dans le style libyco-berbère qu'il n'apparaît rigoureusement pas. Je ne connais qu'une seule image (encore est-elle douteuse) d'un animal où sont figurés un dos arrondi, une queue courte, un œil et une protubérance qui pourrait passer pour une trompe en contexte libyco-berbère, à Ouaramdaz (Fig. 30, 2). Il est vrai que les graveurs de cette époque ont négligé de représenter les autres animaux, hormis ceux dont ils faisaient leur quotidien à la chasse, les mouflons, les oryx et les autruches. Le pachyderme a été contemporain des Romains en Afrique du Nord et il a survécu dans des zones refuges jusque dans l'Histoire, dans les premiers siècles de l'ère chrétienne. L'image est très variée, du réalisme quasiment naturaliste au schématisme le plus grossier. Les représentations en style de Tazina existent dans tout le sud du pays (Fig. 25, 1 et Fig. 30, 4, Oued Meskaou ; Fig. 26, 7, Hassi Tafenna ; Fig. 27, 7 et 8, Mlaleg ; Fig. 29, 2, El Gtara), ce style se permettant, comme pour les autres thèmes, de généreuses fantaisies picturales : animal avec des pattes surnuméraires (Fig. 24, 2, Tazount), traits parasites inexplicables (Fig. 25, 5, Azigza Oubrahim), proportions inexactes (Fig. 25, 7, Asguine), tête inexistante (Fig. 26, 8, Azigza Oubrahim). Différentes techniques ont été exploitées : trait piqueté fin et peu profond (Fig. 24, 3, 5 et 6, Metgourine), gravures semblant être de la même main, ou encore Oued el Kebch (Fig. 26, 2), trait piqueté large et profond (Fig. 24, 9 et Fig. 30, 6, Akka Issif), trait « tremblé », irrégulier (Fig. 27, 2, Taheouast ; Fig. 30, 5, Aït Ouazik). La silhouette familière du pachyderme apparaît aussi en gravure endopérigraphique (Fig. 24, 4, 7 et 11, Metgourine).

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Une analyse plus poussée de l'image de l'éléphant conduit à l'observation selon laquelle l'animal est caractérisé, en quantités à peu près égales, soit par sa trompe uniquement, soit par sa trompe et ses défenses (Fig. 31, 2, Metgourine ; 3, Taghjijt ; 4, Fam el Hisn). La trompe semble être l'attribut le plus fréquemment signalé, en quelque sorte, le critère qui, aux yeux des lapicides, individualisait le mieux la bête. Les immenses pavillons auditifs, si spectaculaires dans la réalité, sont rarement indiqués et le plus souvent de façon fantaisiste (Fig. 25, 2, Oued Meskaou, 7, Asguine), connue sous l'appellation d'« oreilles en ailes de papillon », que je préfère appeler « oreilles de Mickey » (Fig. 31, 5, Yagour, 7, Oukaimeden ; Fig. 26, 6, Glab Sghrir). Je ne connais qu'une petite dizaine d'exemples où l'animal est dessiné avec ses oreilles, sa trompe et ses défenses : d'une part parmi les gravures particulièrement réalistes de Taghjijt (Fig. 28, 4, 5 et 7), d'autre part parmi celles du Haut Atlas, assez surprenantes (Fig. 29, 8 et Fig. 31, 7, Oukaimeden ; Fig. 31, 5, Yagour) ainsi que celles de l'Oued el Kebch (Fig. 32, 3). Ainsi, l'image de l'éléphant est le plus souvent une silhouette, immédiatement identifiable, par ses volumes et ses proportions (Fig. 24, 8,Tamzrart), même si ces dernières ne sont pas toujours respectées (Fig. 26, 3, Imgrad Tayaline ; Fig. 31, 8, Taghjijt). L'animal est parfois réduit à une ligne de dos et de tête ou à un protomé, graphisme suffisant pour restituer la morphologie générale, traduisant une grande maîtrise des graveurs dans une volonté assumée d'abstraction (Fig. 24, 1, Tazzarine ; Fig. 27, 2, Taheouast ; Fig. 29, 4, Hassi Tafenna). Les autres détails anatomiques apparaissent plus sporadiquement. Le graveur a parfois signalé l'œil (Fig. 25, 6, Tigane ; Fig. 27, 4, Taheouast ; Fig. 28, 4, Taghjijt ; Fig. 30, 2, Ouaramdaz), le diocularisme étant exceptionnel (Fig. 31, 7, Oukaimeden). Remarquons encore le détail de la trompe préhensile (Fig. 26, 5, Imi n'Tart ; Fig. 28, 5, Taghjijt), des mamelles en localisation anatomique exacte (Fig. 13, 4, Taghjijt), ou symbolique (Fig. 26, 1, Ouaouglout), du sexe (Fig. 26, 4, Oued el Kebch ; Fig. 30, 7, Oued Meskaou ; Fig. 32, 3, Oukaimeden), toujours discret, bien qu'en réalité l'érection chez cet animal soit particulièrement spectaculaire. L'image de l'éléphant s'est prêtée au dispositif dit « pattes à roulettes », détail stylistique bien connu au Sahara et donné comme « récent » (Le Quellec, 1993). Les graveurs ont aussi indiqué la sole (Fig. 25, 6, Tigane ; Fig. 28, 7, Taghjijt ; Fig. 29, 7, Hassi Tafenna ; Fig. 30, 7 et 8, Oued Meskaou), peut-être aussi l'empreinte.

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Le thème de l'éléphant dans l'expression rupestre marocaine montre de nouveau que les graveurs ont privilégié l'image de l'animal individualisé, l'attitude la plus fréquente étant celle du pachyderme avec les pattes antérieures légèrement déportées sous le ventre (Fig. 24, 10, Tigane ; Fig. 25, 4, Hassi Tafenna ; Fig. 27, 5, Mlaleg ; Fig. 28, 1, Taghjijt), pattes antérieures et postérieures ayant parfois tendance à se rapprocher (Fig. 26, 9, Tamsahelt ; Fig. 26, 10, El Gtara). Il y a très peu de représentations de groupes, ce qui est loin de refléter la réalité, l'éléphant se déplaçant le plus souvent en harde de douze têtes en moyenne (bien que les vieux mâles mènent leur vie en solitaire) : deux animaux à Metgourine (Fig. 24, 7), deux encore à Taheouast (Fig. 27, 4) et à l'Oued el Kebch (Fig. 32, 3), quatre à Taghjijt (Fig. 28, 2) et Anou n'Tidardourene (Fig. 32, 1). Par deux fois, j'ai relevé l'image d'un adulte accompagné d'un éléphanteau (Fig. 29, 5, Hassi Tafenna ; Fig. 32, 4, Fam el Hisn). L'éléphant accompagne des bœufs dans le Haut Atlas et dans le Sud (Fig. 32, 5, Metgourine). Les éléphants du Haut Atlas ont la particularité de comporter une cupulette sous la queue (Fig. 14, 4 et Fig. 29, 8, Oukaimeden). Ces cupules pourraient être la représentation, parfaitement identifiée et explicite au Sahara, des bouses, que les chasseurs récupéraient comme combustible. Mais cette « lecture » n'est pas aussi évidente lorsqu'elle concerne des félidés (Fig. 55, 2, Yagour, panthère probable) ou des rhinocéros (Fig. 33, 2, Oukaimeden). Ces images du pachyderme, parfois fort discrètes, dans la haute montagne, sont toujours surprenantes. Il est permis de concevoir que les éléphants, qui sont les seuls mammifères incapables de sauter mais qui sont d'excellents grimpeurs, ont pu vivre sur les hauts pâturages de l'Atlas. Les représentations de contacts entre les rhinocéros et les éléphants semblent violents, ce qui correspondrait bien à une observation réaliste, les deux géants se livrant à de titanesques combats de territoire. Un rhinocéros fonce dans la patte d'un éléphant à Taheouast (Fig. 25, 3) et à Taghjijt (Fig. 28, 6), deux animaux s'affrontent à Asguine (Fig. 29, 3) et à El Gtara (Fig. 36, 8). Les volumes, les détails anatomiques, parfois même les comportements de l'éléphant, ont visiblement plu aux graveurs qui se sont contentés parfois de le représenter par une simple silhouette, à peine ébauchée. Ils se sont laissés aller à une grande liberté stylistique, quelles que soient les techniques employées, pour restituer une image immédiatement reconnaissable (Fig. 27, 3, Tamsahelt, 6, Taheouast, 8, Mlaleg ; Fig. 29, 1 et 6, Asguine).

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Le rhinocéros On doit à Simoneau (1976) le premier récolement exhaustif des images de rhinocéros dans le Sud marocain. Des sites bien fournis, comme Mlaleg, Oued Meskaou ou encore Metgourine, ont été soigneusement inventoriés. La présence d'ossements de l'espèce actuelle est allée de concert avec la découverte des gravures l'illustrant. Aujourd'hui, même s'il n'est pas aussi fréquent que l'éléphant, on peut estimer à au moins deux cents les images de l'animal, sur à peu près tous les sites rupestres du pays. Ces représentations ont été un temps cantonnées au sud de l'Anti Atlas, mais après mes prospections (Rodrigue, 1996), quelques gravures ont été identifiées à l'Oukaimeden (Fig. 33, 2) et au Yagour (Fig. 33, 4). Pour restituer l'animal, les graveurs ont fait preuve de la même liberté de style que pour les éléphants. Les critères d'identification sont par ailleurs assez éloquents. Le rhinocéros est gravé en style de Tazina (Fig. 34, 2, Mlaleg, 7, Maarda ; Fig. 36, 2, Oued Meskaou ; Fig. 37, 5 et 10, Aït Ouazik ; Fig. 38, 4, Tamsahelt), mais aussi en traits polis fins (incisions) où les paramètres taziniens ne sont pas aussi évidents (Fig. 35, 7, Ouaouglout ; Fig. 38, 6, Tamsahelt). Tous ces animaux disposent d'une nette protubérance sur le mufle, reproduisant la corne, plus ou moins réaliste, sinon de deux (Fig. 33, 3 et 11, Taghjijt ; Fig. 34, 4, Metgourine, 6, Taghjijt). C'est le formidable et spectaculaire attribut de l'espèce qui est parfois exagéré jusqu'à la disproportion (Fig. 37, 6, Oued Meskaou ; Fig. 38, 4, Tamsahelt). Simoneau avait signalé des rhinocéros tricornes mais je ne les ai pas retrouvés. Bien que rares, les rhinocéros tricornes existent dans la nature, de la même façon que certains d'entre eux naissent sans pavillons auditifs. Certaines images, réputées inachevées, sont peut-être simplement le fait d'une fidèle observation de la part des graveurs (Fig; 35, 1, Taghjijt). Les petits rhinocéros démunis de corne pourraient être des jeunes (Fig. 35, 7, Ouaouglout ; Fig. 37, 8, Aït Ouazik). Il existe de nos jours deux sous-espèces de rhinocéros en Afrique, l'un dit « blanc », l'autre dit « noir ». Il n'est guère possible de distinguer les espèces respectives d'après les images rupestres, bien que l'animal à tête basse et nuque proéminente de Metgourine (Fig. 33, 10 ; Fig. 34, 4), d'Ighir Ighnaïn (Fig. 34, 3), de Bou Kerkour (Fig. 36, 5), dans une moindre mesure celui de Tiouririne (Fig. 37, 7) puissent être des rhinocéros « blancs ». Cet animal de savane et essentiellement brouteur aurait donc vécu dans le sud du Maroc jusqu'aux alentours du premier millénaire av. J.-C. et aurait pu perdurer audelà. Quelques images confortent cette hypothèse : lorsque l'animal est montré accompagné d'un petit (Fig. 34, 8, Taghjijt ; Fig. 35, 6, Tigane), ce dernier est figuré devant l'adulte, comportement de protection propre au rhinocéros « blanc », les prédateurs attaquant par l'arrière en milieu de savane. Les autres images de rhinocéros à tête haute, à bosse de garrot moins 80

marquée ou absente, seraient celles de rhinocéros « noirs » (Fig. 33, 5 et 8, Metgourine ; Fig. 34, 9 et 35, 3, Taghjijt ; Fig. 36, 7, Imaoun). Cette sousespèce est phyllophage, se contentant, dans les moments de forte disette, de feuilles d'acacias. Elle est donc mieux adaptée à des conditions de savane sèche. Pour les « blancs » comme pour les « noirs », les bains de boue réguliers sont cependant absolument nécessaires. Dans la nature, le rhinocéros est un animal solitaire, chaque individu ne portant qu'un intérêt tout à fait secondaire à ses congénères. Dans le bestiaire du Maroc, l'animal est accompagné de jeunes (Fig. 33, 9, Metgourine ; Fig. 35, 8, Akka Issif) mais je ne connais qu'une seule image regroupant deux individus (Fig. 34, 2, Mlaleg). Le pachyderme se retrouve parfois au milieu de gazelles (Fig. 37, 2, Azigza Oubrahim), dans un exubérant style de Tazina, quelques fois aussi parmi des bœufs (Fig. 33, 9, Metgourine ; Fig. 35, 8, Akka Issif), ce qui n'a rien d'extravagant, le rhinocéros « blanc » paissant en réalité parmi des bovins domestiques, ce qui n'enlève rien à son caractère imprévisible, le rhinocéros s'attaquant même aux espèces les plus placides (Fig. 35, 4, Aït Ouazik). Curieusement, les images de rhinocéros restituent dans leur majorité des animaux asexués. Lorsqu'il est mentionné, le sexe est fort discret (Fig. 33, 1, Mlaleg ; Fig. 36, 1, Oued el Kebch). C'est un mâle, assurément, qui précède un jeune à Metgourine (Fig. 33, 6), rendus tous deux en une excellente technique de contour piqueté et un léger piquetage endopérigraphique. La corpulence de l'animal semble avoir été un critère beaucoup plus pertinent pour les lapicides, ces derniers insistant sur le ventre lourd, quand bien même l'image reste schématique (Fig. 33, 4, Yagour). Les graveurs ont même parfois repris cette ligne ventrale, la jugeant insuffisamment réaliste (Fig. 34, 7, Maarda). Comme pour les éléphants, un protomé (Fig. 33, 7, Metgourine ; Fig. 36, 8, El Gtara ; Fig. 37, 7, Mlaleg) ou un contour assez rapide et peu appuyé (Fig. 36, 4, Tamsahelt) ont été considérés par les graveurs comme suffisamment démonstratifs pour évoquer l'animal. Les différentes techniques et les styles de gravure très variés montrent des graveurs habiles à représenter le fauve chargeant (Fig. 36, 1, Oued el Kebch) ou encore les proportions rigoureuses et le détail des onglons (Fig; 72, 7, Fam el Hisn). En revanche, chez d'autres graveurs, le souci de restitution naturaliste a visiblement été secondaire (Fig. 34, 5 et 37, 1, Oued Meskaou ; Fig. 35, 9, Oued el Kebch ; Fig. 36, 3, Imgrad Tayaline ; Fig. 37, 9, Aït Ouazik ; Fig. 38, 2, Taheouast), l'inventaire incluant des animaux inachevés (Fig. 35, 2, Tiouririne) ou difficiles à identifier (Fig. 35, 5, Aït Ouazik ; Fig. 38, 5, Tamsahelt).

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Une attention particulière doit être portée aux associations de rhinocéros et de haches. L'homme brandissant l'arme est parfois indiqué, on l'a vu (Fig. 12, 6, Aït Ouazik, 8, Tazzarine), mais d'autres images montrent un rhinocéros suivi de haches, lorsque ces dernières ne sont pas appliquées sur la fesse (Fig. 72, 5 et 7, Fam el Hisn). L'observation attentive des techniques de gravure ainsi que des patines montre bien que les différents sujets sont bien d'une même main et constituent uniment un contexte, une scène. Les explorateurs anglais ont jadis décrit les chasseurs Ayagils d' Éthiopie qui provoquaient les rhinocéros de face, attendant que la bête charge pour s'esquiver et trancher les tendons des pattes postérieures. La girafe Les gravures de l'animal qui doit son nom à l'Arabe (zurafa, qui signifie aimable) ont longtemps été données comme rares au Maroc. L'inventaire de Simoneau (1977) regroupait un peu plus d'une vingtaine d'images sur douze stations. Mes prospections ont permis d'ajouter à cette liste quelques exemplaires, jusque là inédits, sur différents sites (Rodrigue, 1993). Qui, mieux que la girafe, de par ses proportions, l'allongement de ses pattes et de son cou, pouvait se prêter au style de Tazina ? Cependant, ce thème est peu usité dans ce style, sinon pour en donner des représentations disproportionnées, voire disgracieuses (Fig. 41, 6, Asguine). De même, il est surprenant de constater que la splendide robe de l'animal n'a été qu'exceptionnellement indiquée : je n'en connais que deux images, l'une près de la station de Glab Sghrir (inédite), la seconde à Imaoun (Fig. 40, 7). En revanche, que ce soit en trait poli fin (Fig. 38, 7, Mlaleg), en trait ou surface piquetée (Fig. 39, 1, Oued el Kebch ; Fig. 40, 3, Fam el Hisn et 4, Oued Meskaou), un détail récurrent s'impose, c'est celui de la longueur et du positionnement de la queue. Dans la nature, la queue de la girafe est longue, la touffe de poils noirs terminale atteint presque le sol. L'animal redresse cet appendice très au-dessus de l'arrière-train lorsqu'il fuit. C'est cette image qui a paru pertinente aux graveurs, dans un effort de reproduction réaliste (Fig. 39, 7 et 8, Taghjijt), jusqu'à l'emphase (Fig. 39, 1, Oued el Kebch ; Fig. 40, 2, Mlaleg) et l'exagération délirante (Fig. 39, 2, Oued el Kebch). Les graveurs ont restitué volontiers les protubérances crâniennes (Fig. 39, 3, Imgrad Tayaline, 5, Taghjijt ; Fig. 41, 6, Asguine), à moins qu'il ne s'agisse des pavillons auditifs, remarquablement développés chez cet animal (Fig. 39, 1, 2 et 4, Oued el Kebch). Notons encore que la girafe n'est jamais sexuée et qu'une seule fois, à ma connaissance, apparaît le détail de la crinière, assez naturaliste, courte et drue (Fig. 41, 1, Imgrad Tayaline).

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Pour l'heure, la girafe n'est pas représentée en contexte libyco-berbère. Elle est, en revanche, montrée chassée par des archers (Fig. 9, 3, Taheouast). Elle est présente dans le Haut Atlas (Fig. 40, 6, Yagour), dans une surprenante composition qui a son équivalent à Aït Ouazik (Fig. 40, 1) : les animaux sont accolés flanc à flanc, tête-bêche, dans une attitude coutumière à l'espèce lorsqu'il s'agit de surveiller les alentours. On retrouve ce comportement parmi les gazelles et les antilopes, qui ont un grand nombre de prédateurs (Fig. 44, 6, Metgourine). Ces images d'animaux croisés ou superposés ont donné lieu à de bien étranges interprétations, empruntant au domaine symbolique du « monde des chasseurs ». Elle ressortit plus simplement, à mon sens, de l'observation attentive de la faune et du comportement des différentes espèces animales de la part des graveurs. Certaines images de girafes sont très fantaisistes (Fig. 39, 6, Taghjijt ; Fig. 41, 5, Azigza Oubrahim). Ainsi, on ne peut affirmer que l'animal qui est accompagné d'une autruche (Fig. 41, 3, Taghjijt) ou encore celui qui est associé à des bœufs (Fig. 41, 2, Tamzrart) soient des girafes. Les proportions du groupe de Taghjijt (Fig. 41, 7) pourraient suggérer la représentation de l'antilope girafe (Guerenouk ou Gerenouk) ou du Dibatag, deux grandes gazelles au cou démesuré et qui broutent les feuilles basses des arbres. Pourquoi la girafe est-elle si peu fréquente dans l'iconographie rupestre du Maroc ? Est-elle déjà en voie de disparition ? L'hypothèse est peu probable car des girafes étaient encore capturées au Maghreb au temps de Rome. La girafe est moindrement inféodée à l'eau que le rhinocéros, elle est par contre liée au couvert arbustif et particulièrement à l'acacia. L'aire de répartition des images, que l'on peut établir désormais grâce aux prospections récentes, montre une plus grande densité au sud de l'Anti Atlas que sur les stations du Bani et une fréquence encore plus grande au Sahara Occidental. La gazelle et l'antilope Les images de gazelles dans le sud du Maroc contribuent à démontrer la parfaite adéquation qui peut exister entre un thème (gazelle) et un style (Tazina). Cette combinaison est presque exclusive puisqu'il y a très peu de gazelles gravées par piquetage (Fig. 44, 1 et 6, Metgourine). La technique n'enlève rien à l'élégance et au réalisme de l'image. Je le rappelle, la gazelle est l'animal favori des graveurs taziniens (Pichler et Rodrigue, 2003), avec 58% à Mlaleg et 45% sur l'ensemble des sites de ce style au Maroc.

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Malgré quelques fantaisies stylistiques (Fig. 43, 5, Ouaouglout), les gravures gardent une relative exactitude dans la représentation. Ainsi, la gazelle est souvent montrée tête haute (Fig. 42, 2, Maarda, 6, Oued Meskaou ; Fig. 43, 1, El Gtara, 7, Hassi Tafenna, 10, Ouaouglout), dans une attitude de veille. Les graveurs ont restitué avec réalisme l'image de l'animal bondissant, lorsque, à l'apex du saut, les pattes se regroupent (Fig. 44, 4, Anou n'Ouamerzemlal ; Fig. 45, 3, Mlaleg). Les lapicides semblent s'être particulièrement complu à montrer des gazelles en groupe ou par paire, suivant une disposition qui consiste à placer un second animal, plus petit, sur le dos du premier ou derrière lui (Fig. 42, 2, Maarda ; Fig. 43, 8, Asguine ; Fig. 45, 4, Oued Meskaou). Ce thème de l'image doublée, que l'on retrouve avec les antilopes (Fig. 46, 4, Oued Meskaou ; Fig. 46, 6, Metgourine) est suffisamment récurrent pour n'être qu'une figure de style. Il pourrait s'agir de l'image d'une femelle suitée (Fig. 52, 4, Ram Ram), la plupart des représentations montrant cependant des bêtes adultes. Les gazelles rupestres sont rigoureusement asexuées. Je ne connais que deux exceptions (et l'on notera qu'il s'agit de gravures piquetées) : gazelle de Metgourine (Fig. 44, 1) et antilope (Fig. 46, 6) sur la même station. Malgré une très grande diversité dans la restitution dynamique de ces animaux, les images sont assez répétitives, les robes seules montrant quelques détails. Des traits peuvent marquer les teintes de pelage (Fig. 42, 7, Bou Kerkour ; Fig. 43, 10, Ouaouglout ; Fig. 44, 5, Tiouririne) ou des cornes différemment implantées. Ces indications suffisent-elles pour différencier des espèces ? Les cornes doublement incurvées (Fig. 42, 3, Aït Ouazik ; Fig. 43, 7, Hassi Tafenna, 10, Ouaouglout ; Fig. 44, 2, Asguine) semblent appartenir à la gazelle dorcas, animal de plaine. Les cornes plus longues, légèrement divergentes et plus rectilignes (Fig. 43, 6, Asguine ; Fig; 44, 3, Aït Ouazik) pourraient être arborées par la gazelle leptocère. Jusqu'au siècle dernier, trois grandes antilopes vivaient au Maghreb : le bubale (Alcelaphus boselaphus), l'oryx (Oryx gazella dammah) et l'addax (Addax nasomaculatus). Le bubale a été exterminé en Afrique du Nord, les deux autres antilopes survivent difficilement au sud du Sahara. Deux espèces de gazelles vivent actuellement au Maroc (pour combien de temps encore ?) dans les zones du Dra, la gazelle dorcas et la gazelle de Cuvier. Il est probable que d'autres gazelles, comme l'impala ou le rim (gazelle leptocère), ont vécu dans ces mêmes zones à l'époque des graveurs. On peut les reconnaître dans ces images de gazelles assez lourdes, à cornes longues et droites (Fig. 43, 6, Asguine ; Fig. 46, 8, Fam el Hisn ; Fig. 47, 2, Bou Kerkour). Les grandes cornes recourbées vers l'arrière seraient celles de l'oryx (Fig. 46, 1, Fam el Hisn), en trait poli fin ou en délicat trait piqueté (Fig. 46, 2, 3 et 10, Akka Izam ; Fig. 46, 6, Metgourine). Le détail de la barre d'épaule, destinée à restituer la bande de garrot rousse de l'animal (Fig. 46, 4, 92

Oued Meskaou ; Fig. 46, 5, Hassi Tafenna ; Fig. 46, 11, Tamsahelt) nous conforte dans cette hypothèse. C'est une antilope oryx que le petit cavalier de Foum Chenna poursuit (Fig. 46, 12). Quant au bubale, avec se tête allongée caractéristique et ses cornes en pivot et divergentes, il est identifiable à Taheouast (Fig. 47, 3) et aussi à Tazount (Fig. 47, 5) et Mlaleg (Fig. 47, 8). Les associations de gazelles ou d'antilopes avec d'autres animaux sont rares et il semble qu'elles n'aient jamais été montrées approchées par des hommes. Elles sont parfois associées à des autruches (Fig. 42, 6, Oued Meskaou ; Fig. 48, 4, Mlaleg ; Fig. 80, 1, El Gtara), dans un voisinage d'entraide, ainsi que cela est constaté dans la réalité. Elles sont montrées menacées par des félins, comme à Tibasksoutine (Fig. 48, 8) ou associées à des signes ou pièges, peut-être aussi des armes, qui auraient, dans ces images, un éminent rôle propitiatoire (Fig. 42,1, Oued Meskaou ; Fig. 45, 3, Mlaleg ; Fig. 47, 9, Aït Ouazik ; Fig. 80, 2, Aït Ouazik), cette dernière en compagnie d'une remarquable image de rhinocéros. À Tiouririne (Fig. 80, 5), un oryx est rattaché à ce que d'aucuns ont interprété comme une très improbable image de fleur. Une seule gravure, à ma connaissance, pourrait être celle d'un cervidé. Le cerf de Barbarie (Cervus elaphus barbaricus) vivait jadis dans tout le Maghreb. L'espèce est aujourd'hui cantonnée dans le Nord-Est tunisien. L'image (Fig. 43, 4, Taghjijt) montre un animal à l'arrière-train arrondi, à garrot large et puissant, à fanon pendant et mufle pointu. La tête est tournée vers l'arrière (attitude que l'on retrouve à Ouaouglout, Fig. 44, 7). Le cerf est un des animaux qui semble frappé d'un incontournable interdit à la représentation, alors qu'il était notoirement un animal familier des graveurs. Il a toujours posé problème sur les quelques gravures qui le représenteraient (Camps, 1975). Les lapicides ont de nouveau laissé libre cours à leur fantaisie, refermant les pattes en un contour circulaire (Fig. 42, 5, Bou Kerkour), suggérant un animal couché (Fig. 43, 3, Oued el Kebch), allongeant les membres (Fig. 43, 9, Asguine), les raccourcissant (Fig. 44, 8, Aït Ouazik) ou prolongeant des cornes interminablement (Fig. 46, 7, Anou n'Ouamerzemlal). De même, la technique du protomé ou de l'esquisse a été utilisée, moins fréquemment cependant que pour les autres espèces animales (Fig. 47, 1, Bou Kerkour ; Fig. 47, 4, Mlaleg), délicate -et minuscule !- image exécutée en trait incisé très fin d'une probable gazelle leptocère.

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Fig. 43

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Fig. 44

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Fig. 45

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Fig. 46

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Les oiseaux Il n'existe aucune image d'oiseaux en vol dans l'« art » rupestre du Maroc. On reconnaît généralement l'animal bipède, à long cou et tête en crochet (Fig. 50, 10, Oued Meskaou), comme une autruche. Elle est omniprésente, y compris -et en abondance- sur les stations du Haut Atlas (Fig. 50, Yagour), dans tous les styles (Fig. 48, 5, Taheouast ; Fig. 49, 10 et 11, Tigane) et toutes les techniques. Elle perdure parmi les images les plus récentes du style libyco-berbère (Fig. 48, 2 et 6, Ram Ram). C'est ainsi l'image la plus fréquente du bestiaire marocain. C'est encore le style de Tazina qui fournit l'inventaire le plus conséquent (Fig. 51, 1, Aït Saadane, 2, Oued Meskaou, 9, Ouzdine). L'attitude propre à l'espèce est bien rendue, lorsque l'animal en course rejette la tête en arrière ou lorsque le mâle parade (Fig. 49, 1, Metgourine, 4, Tazount ; Fig. 50, 5, Tamsahelt, 8, Aït Ouazik). Les graveurs ont insisté sur la protubérance du jabot (Fig. 49, 4, Tazount, 7, 10 et 11, Tigane), ces trois dernières gravures étant remarquablement semblables et l'œuvre d'un même lapicide ; sur le détail de deux doigts (Fig. 12, 2, Ouardast ; Fig. 13, 1, Fegoussat ; Fig. 49, 1, Metgourine ). Notons encore l'indication de la touffe de plumes uropygiales, particulièrement développée chez le mâle (Fig. 49, 2, Taghjijt ; Fig. 49, 4, Tazount ; Fig. 51, 3, Maarda). Exceptionnellement, l'aile est indiquée (Fig. 41, 3, Taghjijt ; Fig. 50, 6, Yagour), apparaissant comme ouverte parfois (Fig. 76, 9, Foum Chenna). Le comportement grégaire du volatile est restitué, dans des groupes qui montrent des adultes et des autruchons (Fig. 49, 5, Mlaleg ; Fig. 50, 4, Fegoussat ; Fig. 51, 4, Foum Chenna) ou un groupe menacé par un félin (Fig. 51, 8, Oued el Kebch). Le mâle, d'une taille supérieure, accompagne des femelles (Fig. 49, 5, Mlaleg ; Fig. 50, 3, Fegoussat). Une image, à Imaoun (Fig. 51, 5) est peut-être celle d'un mâle déroulant son pénis exsertile pour atteindre le cloaque de la femelle. Mais le bestiaire aviaire n'est pas constitué exclusivement d'autruches. Hormis le fait que ces dernières comportent parfois des détails irréalistes (trois doigts à l'immense volatile -3 mètres de hauteur- du Yagour, Fig. 51, 7), quatre pattes à l'oiseau d'Asguine (Fig. 51, 6), trois têtes à celui de Tiouririne (Fig. 50, 9), les proportions et les attitudes peuvent être celles d'autres oiseaux. Le corps bref et arrondi, les pattes courtes, sont peut-être les attributs de l'outarde houbara ou de l'outarde canepetière, certainement plus abondante au temps des graveurs qu'elle ne l'est aujourd'hui (Fig. 48, 7, Tibasksoutine ; Fig. 49, 9, Aït Ouazik ; Fig. 50, 2, El Gtara). On peu encore proposer, avec prudence et un peu d'imagination, des images de flamants (Fig. 48, 6, Ram Ram ; Fig. 49, 8, Anou n'Ouamerzemlal), de gruidés (Fig. 48, 9, Ram Ram, grue demoiselle ?), de râle d'eau (Fig. 49, 6, Oued Meskaou) ou de pélican (Fig. 50, 7, Oued Meskaou). 98

Fig. 47

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Fig. 48

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Fig. 50

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Tous ces oiseaux au sol, rarement montrés en mouvement (Fig. 49, 1, Metgourine ; Fig. 50, 5, Tamsahelt), mais posant de façon statique, se sont aisément prêtés au jeu du style épuré, conduisant progressivement aux symboles. Le bouquetin et le mouflon Quelques images, assez rares dans le Sud marocain, plus fréquentes dans le Haut Atlas, peuvent représenter le bouquetin de Nubie (Capra ibex nubiana) ou le mouflon à machettes (Ammotragus lervia). Le bouquetin vivait dans toute l'Afrique du Nord au Néolithique. Il est curieux qu'il n'ait jamais figuré à l'inventaire des restes fauniques en fouilles (Camps, 1990). On s'en explique par des filtres culturels (ou cultuels), mais cette absence totale est assez étrange, d'autant plus que les gravures le représentant sont assez réalistes : corps assez massif, arrière-train lourd et, surtout, grandes cornes puissantes, annelées et recourbées très en arrière vers l'épaule (Fig. 53, 3, Taghjijt ; Fig. 52, 5, 6 et 11, Yagour). L'identification reste cependant aléatoire, l'image étant très proche de celle de la chèvre domestique (Fig. 52, 1, Taghjijt ; Fig. 52, 9 et 14, Yagour), voire de la gazelle (Fig; 52, 8, El Gtara). Les quelques images qui pourraient être celles de mouflons ne sont guère plus convaincantes. C'est bien un étrange et inexplicable interdit qui semble concerner l'espèce, cette fois, car le mouflon était très commun au Maghreb il y a peu, l'espèce survivant aujourd'hui en haute montagne, dans des zones protégées. Alors qu'il apparaît fréquemment au Sahara, où il est aisément identifiable sur des fresques peintes, il n'existe guère plus de dix gravures, toutes localisées dans le Haut Atlas, qui pourraient représenter des mouflons, munis de remarquables cornes recourbées et divergentes (Fig. 52, 7, 10 et 14, Yagour). À Taghjijt (Fig. 52, 2), un lapicide a gravé le combat de deux animaux, front contre front. Les félidés Lorsqu'ils ont relevé des images de félidés parmi les gravures du Maroc, les préhistoriens ont parlé de lions. Dans tous les cas, il aurait été préférable de parler de lionnes (Fig. 53, 7, Oued el Kebch ; Fig. 53, 9, Oued Meskaou). Très rares sont en effet les images sur lesquelles semble évoqué l'attribut particulier du mâle, sa crinière. Est-ce une ébauche allant dans ce sens qui est tentée à l'Oued Meskaou (Fig. 54, 7), où un félidé à oreilles rondes est associé à trois gazelles ? Est-ce l'abondante et sombre crinière du lion de l'Atlas qui est évoquée sur une image du Yagour (Fig. 55, 10) ? Seuls, quelques discrets et contestables artifices de schématisation, notamment dans les proportions générales, permettent d'avancer l'hypothèse d'images de lions mâles (Fig. 53, 8, Taghjijt ; Fig. 54, 10, Akka Issif ; Fig. 55, 6, Asguine). 103

Cette constante se retrouve avec une flagrante régularité parmi les gravures rupestres du Sud-Oranais, où les félins sont nombreux mais où aucun ne peut sérieusement représenter un mâle (Lhote, 1970). L'image est quoi qu'il en soit assez stéréotypée, parfois très stylisée (Fig. 53, 3, Hassi Tafenna ; Fig. 54, 3, Bou Kerkour), en trait poli de style Tazina ou en trait piqueté (Fig. 53, 5, Metgourine). Les oreilles rondes figurent toujours en bonne place, même si elles sont parfois fort réduites (Fig. 55, 3, Hassi Tafenna ; Fig. 55, 4, Oued el Kebch ; Fig. 55, 7 et 8, Ram Ram), ces dernières images en contexte libyco-berbère. Le corps est assez svelte et élancé, les pattes courtes et la queue longue, en orbe le plus souvent et parfois terminée par un toupet de poils (Fig. 53, 2, Ighir Ighnain ; Fig. 55, 9, Oukaimeden ; Fig. 56, 8, Yagour). L'indication du sexe est exceptionnelle (Fig. 53, 6, Metgourine ; Fig. 54, 8, Mlaleg). Par une convention graphique que l'on retrouve dans le Sud-Oranais, les graveurs ont indiqué les griffes ou l'empreinte, cet artifice étant particulièrement présent dans le Haut Atlas (Fig. 53, 10, Fig. 54, 2 ; Fig. 56, 1 et 8, Yagour), se résumant en pattes boulées (Fig. 53, 7 ; Fig. 56, 6, Yagour) ou « à roulettes » (Fig. 55, 9, Oukaimeden). Parmi les gravures inédites de félins se compte un certain nombre d'images d'animaux tachetés. J'ai proposé la lecture de panthères (Panthera pardus), fauve qui peuplait les forêts de la montagne marocaine il y a quelques décennies, jusqu'à sa complète disparition. Hormis le Haut Atlas, les stations rupestres marocaines n'ont donné aucune image de félin tacheté, à l'exception de la gravure de Mrimima, peu convaincante (Fig. 54, 5). La panthère est assez bien restituée au Yagour (Fig. 53, 10 , Fig. 56, 1 et 3). La femelle allaitant cinq petits (Fig. 54, 4, Yagour), que Simoneau avait inexplicablement lu comme « félidés et lézards », pourrait être un guépard, schématisé à l'extrême, mais sur lequel on distingue une crinière courte et drue, propre à l'espèce. D'autres félidés apparaissent, porteurs de rayures ou de taches (Fig. 53, 1, Metgourine ; Fig. 54, 7, Meskaou ; Fig. 56, 5, Taghjijt). Il n'existe qu'une seule image de félins en groupe dans tout le Maroc (Fig. 53, 4, Taghjijt).

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Ainsi que le notait déjà Lhote, l'attitude du félin est très fréquemment celle de l'animal sur le qui-vive ou prêt à bondir, sinon en course (Fig. 53, 2, Ighir Ighnain ; Fig. 55, 3, Hassi Tafenna, 6, Asguine ; Fig. 56, 3, Yagour). Il est aussi associé, dans des confrontations qui sont autant de scènes de chasse, à toutes sortes d'animaux : girafe (Fig. 41, 4, Taghjijt ; Fig. 51, 8, Oued el Kebch ; Fig. 55, 5, Ouzdine) ; rhinocéros (Fig. 54, 6, Ait Ouazik) ; gazelle (Fig. 55, 2, Yagour) ; éléphanteau attaqué par l'arrière (Fig. 56, 7, Tiouririne) ; bovidés ( Fig. 54, 9, Akka Izam ; Fig. 55, 1, Yagour ; Fig. 56, 9, Ait Ouazik). Il semble même intervenir au milieu d'une scène de chasse, parmi des mouflons, des chasseurs et des chiens (Fig. 77, 9, Amtoudi). Le Haut Atlas le montre menacé, voire touché, par des armes métalliques (Fig. 54, 2 ; Fig. 56, 5, 6 et 8, Yagour). C'est bien une hostilité particulière, due peut-être à la férocité de la panthère, qui semble s'être traduite dans les représentations du félin. Sur une dalle horizontale du Yagour (Fig. 56, 4), où il est ainsi impossible de donner un sens de lecture, un homme est soit sur le point d'être dévoré, soit il frappe l'animal au flanc. Un deuxième animal (chien ?) assiste à l'évènement, tandis qu'un objet indéterminable, en forme de raquette, ajoute à la charge émotionnelle de la scène. Les équidés Comme partout ailleurs au Sahara et au Maghreb, l'identification des équidés dans le bestiaire marocain pose un problème insoluble (Camps, 1993). S'agit-il d'équidés sauvages et dans ce cas s'agit-il du zèbre ou du couagga ? S'agit-il encore d'asiniens ou de chevaux domestiques (Equus equus) ? Les sites du Maroc méridional offrent de remarquables images d'équidés, harmonieux et dynamiques (Fig. 57, 3, Anou n'Ouamerzemlal ; Fig. 57, 5, Ait Ouazik ; Fig. 89, 5, Asguine), avec, ici et là, les inévitables fantaisies dans le style (Fig. 57, 1, Ait Ouazik), remarquable image d'une femelle gravide (?) qui n'est pas sans rappeler les peintures des chevaux des abris franco-cantabriques. Il se peut que les graveurs n'aient pas signalé, comme pour les girafes, les caractéristiques particulières du pelage des zèbres. Les images d'équidés à rayures restent ainsi rares (Fig. 57, 2, Oued Meskaou). L'animal d'Asguine (Fig. 82, 10) est peut-être un zèbre. Quelques images d'équidés sont celles d'asiniens (Asinus africanus), de la sous-espèce atlanticus, qui vécu au Maghreb jusqu'au 3e siècle de notre ère. Sa représentation est moins fréquente dans le sud du pays (Fig. 57, 6, Ouaouglout) qu'elle ne l'est dans le Haut Atlas, au Yagour (Fig. 57, 4, 8, 9 et 10) ou à l'Oukaimeden (Fig. 57, 7). Tous ces animaux arborent un arrière-train ravalé, le dos n'étant pas ensellé (à la différence notoire du cheval et du zèbre), la crinière drue dûment signalée, ainsi que la croix d'épaule. Le sexe est parfois emphatisé (Fig. 57, 7, Oukaimeden, 9, Yagour) ce qui restitue assez bien les dispositions spectaculaires du mâle dans la nature. 109

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Ni le cheval sauvage ni le cheval domestique ne sont originaires d'Afrique. Le cheval a pu être introduit au Maghreb par la Méditerranée ou l'Afrique du Nord-Est, aux environs du 2e millénaire av. J.-C. Dans le Haut Atlas, la « conquête » du métal est largement plus commentée que celle du cheval. Une seule image, au Yagour (Fig. 76, 3), montre un homme muni d'un bouclier associé à un cheval qui est peut-être sellé. Ces observations m'amèneraient à considérer une arrivée tardive du cheval monté, pas avant le premier millénaire av. J.-C., dans le sud du pays et les zones transatlasiques. La faune rare Parmi les images d'animaux peu fréquents, tout au moins dans le bestiaire, un certain nombre était inédit jusqu'à mes prospections. Certaines espèces n'étaient tout simplement pas signalées. Les images de lézards, déjà relevées dans les travaux de Malhomme (1959 et 1961), n'existent, pour l'instant, que dans la haute montagne (Fig. 91, 1 et 2). Le dessin élémentaire, sorte de Croix de Lorraine qui peut aisément être confondue avec la représentation schématique d'un personnage (Fig. 2, 3, Oued Meskaou), existe aussi à l'Oukaimeden (Fig. 61, 3) et au Rat (Fig. 91, 4). J'ai découvert, sur le site rupestre d'Akka Issif, l'image assez schématique d'un animal vu de profil (Fig. 91, 5). La tête, allongée, se résume en une gueule béante, le dos est crénelé. Les pattes courtes et tendues redressent l'animal qui est montré en marche. J'ai, par le passé, proposé l'image d'un crocodile. Il est possible que ces reptiles aient pu vivre dans les rivières, alors pérennes, du sud du pays. On sait par ailleurs que des crocodiles survivent aujourd'hui dans des marigots exigus, remplis épisodiquement par des crues ou des pluies. Les autres reptiles pourraient être des salamandres (Fig. 91, 12 et 14, Yagour). Tout aussi exceptionnelle est l'image très probable d'une grenouille, reproduite cette fois vue de dessus (Fig. 91, 6, Yagour). Le graveur aurait même fait figurer les pustules qui couvrent le dos de l'animal. Malgré leur schématisme, deux tortues du Yagour (Fig. 91, 8), montrées de profil, sont parfaitement identifiables. D'autres tortues sont probables à l'Oukaimeden (Fig. 91, 7 et 11). Dans le même style et un contexte identique, un lièvre (ou un lapin) est assez bien rendu (Fig. 91, 10, Yagour). Signalons encore la gravure unique, à l'Oukaimeden (Fig. 91, 13) d'un animal à mufle carré, arrière-train fuyant et taches de pelage, qui pourrait être une hyène. Cet animal détesté, omniprésent et à toutes les époques, n'a jamais été formellement identifié parmi les rupestres du Maghreb. Il en existe quelques images maladroites et controversées au Sahara central. Les scorpions font leur apparition en contexte libyco-berbère à Foum Chenna (Fig. 91, 15).

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Chapitre 8 LES ARMES

L'arc Les images rupestres des rives du Dra et de ses affluents montrent de nombreuses représentations d'arc. L'arme, tenue le plus généralement en extension du bras, ne souffre pas d'équivoque. C'est une arme qui semble de petite taille et à simple courbure. Une seule image, donc insuffisante, montre un dispositif peut-être différent (Fig. 9, 7, Taheouast). La corde est généralement indiquée. L'archer dispose parfois d'une deuxième flèche en réserve (Fig. 9, 3, Taheouast, 6, Metgourine). Dans ce dernier exemple, le geste est accompli, le bras est relevé en arrière, alors que le trait vient d'être décoché. La balistique de la flèche est également restituée par un trait qui va du tireur à la cible (Fig. 5, 1, Targant). L'arme équipe les chasseurs du Sud marocain, mais aussi, on l'a vu, les pasteurs du Haut Atlas (Fig. 3, 1 et 3, Yagour ; Fig. 7, 4, Rat). Dans l'exemple du Yagour, l'arc et la flèche sont très discrets, relativement au poignard, au carquois (j'aborde cet objet plus en détail infra) et même au bouclier rectangulaire. La courbure de l'arc est tournée vers l'extérieur, ce qui est une convention graphique connue par ailleurs. L'armature est du type évolué, à limbe métallique et ailerons récurrents. Les proportions soulignent la prépondérance du métal. L'arc est, depuis le Néolithique du Sahara central, l'arme par excellence (Lhote, 1989). Les traits sont alors armés de pointes de silex, d'une grande diversité de types et dont on a recueilli des milliers d'exemplaires dans des zones actuellement désertiques. Ces « flèches » en silex sont très rares au Maroc. Les flèches à ailerons très élaborées que l'on découvre sporadiquement au Maroc atlantique ont été importées d'Europe, très tardivement, au Campaniforme. Il semble que ce soit les armatures tranchantes qui marquent la transition entre armatures en silex et armatures en métal (cuivre tout d'abord). Ainsi, on l'a vu, c'est la matière elle-même que les graveurs ont magnifiée (Fig. 65) en y faisant figurer quelques détails techniques. L'arc disparaît totalement de la panoplie des cavaliers libyco-berbères qui vont adopter le javelot. Dans le sud du pays, conjointement à l'arc, les chasseurs brandissent des haches, indubitablement métalliques (Fig. 12). La suprématie du métal dans le domaine saharien du Maroc n'est alors pas encore totale et certainement pas définitive. 115

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Fig. 61

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Le poignard J'ai relevé cinq représentations de poignard en milieu saharien marocain et en style de Tazina : deux à Ouaouglout (Fig. 58, 4 et 7), deux à Ait Ouazik (Fig. 80, 4), accompagnées d'un piège surchargeant un bovidé, un poignard enfin à El Gtara (Fig. 81, 5), lui aussi associé à un piège. Il va de soi que cet inventaire est loin d'être exhaustif. Tous ces poignards sont de type ancien, suivant la typologie des armes métalliques du Maroc (Rodrigue, 1999). Les autres, nombreux et variés dans le Haut Atlas, fournissent 42% des images d'armes à l'Oukaimeden et 36% au Yagour. Les poignards atlasiques sont gravés individuellement, plus rarement associés à de grands personnages (Fig. 3), en panoplies. Depuis les premiers essais de typologie (Simoneau, 1968-1972) et les sériations plus systématiques (Chénorkian, 1988 ; Rodrigue, 1999), deux grands types de poignard peuvent être distingués, sans tenir compte des poignards à lame courbe, réputés d'importation arabe et associés ou non à des cavaliers (Fig. 58, 6 et 9, Tighermt n' Ouazdidene). - Type I : poignard à lame triangulaire dont il est difficile d'évaluer la longueur réelle d'après les seules images mais qui ne dépassait pas 30 cm (suivant les paramètres des artefacts recueillis en fouilles). Les tranchants sont rectilignes (Fig. 58, 11 et Fig. 59, 1, Yagour) ou légèrement convexes (Fig. 59, 2, Oukaimeden). Ce poignard, probablement importé d'Espagne puis copié par les métallurgistes du Haut Atlas, ne comporte pas de garde marquée, ce qui illustrerait assez bien la technique d'emmanchement en languette. Celle-ci, simple et large, est fixée à la poignée de bois par une série de rivets : trois à l'Oukaimeden (Fig. 59, 7), quatre au Yagour (Fig. 59, 5). D'autres rivets, qui ne peuvent qu'être décoratifs, complètent le dispositif (Fig. 59, 5 et 6, Yagour). Les lames sont le plus souvent lisses (Fig. 58, 12, Telouet) ou disposent d'une ou plusieurs nervures de renforcement (Fig. 58, 10, Oukaimeden ; Fig. 58, 13, Rat ; Fig. 58, 14, Yagour). - Type II : poignard sur lequel la garde est marquée (Fig. 58, 1 à 3, Rat). Les rivets apparaissent moins fréquemment (technique différente ou ostentation moins nécessaire ?). Un sous-type possède un pommeau en « chapeau de gendarme » (Fig. 58, 8, Telouet). La typologie réelle de cette arme en ferait un objet marocain, plus précisément encore, un objet atlasique, n'ayant pas d'autres exemples hors cette zone. Ces images de poignards illustreraient des armes plus récentes, autochtones, avant la production de poignards à lame courbe. Le rôle sensible de la civilisation d'El Argar (région d'Alméria, Espagne) dans la diffusion de la technologie métallique est encore plus nette avec la seconde arme considérée ici.

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La hallebarde Sous cette appellation imparfaite, mais désormais passée à la postérité, l'arme qui, au Maroc, a été recensée exclusivement dans le Haut Atlas, se compose d'une lame plus ou moins triangulaire fixée à un manche court (Fig. 59, 9, Yagour ; Fig. 59, 10, Telouet). L'objet réel devait se rapprocher beaucoup plus d'une hache que de la large lame, ajourée et au chantournement complexe des gardes suisses ! J'ai constaté que l'image, bien que relativement rare sur les stations de l'Oukaimeden et du Yagour, suscite toujours une grande curiosité de la part des observateurs. Parallèlement, on s'interroge toujours sur son efficacité et l'engouement, aussi puissant que bref, qu'elle a suscité chez les métallurgistes de l'époque. La hallebarde est bien connue par les découvertes archéologiques effectuées lors de fouilles en Europe et plus particulièrement, pour ce qui nous concerne, en Espagne méridionale. La lame, en alliage cuivreux, était typologiquement similaire à celle du poignard, fixée de la même façon, à l'aide de rivets. Le manche en bois avait une soixantaine de centimètres de longueur (moyenne déduite de la largeur des lames réelles). Deux types de hallebardes dûment identifiés en Espagne peuvent être reconnus parmi les images rupestres du Haut Atlas. Le premier type (type El Argar), qui serait le plus élémentaire et le plus ancien, consiste en une lame à bords rectilignes ou légèrement convexes, sans nervure. Sa morphologie et son système de fixation par un empattement large conditionnent un épaulement distal du manche, décrochement bien visible sur les gravures (Fig. 60, 1, Yagour ; Fig. 60, 2, Oukaimeden). Les rivets (trois ou quatre) sont parfois indiqués (Fig. 60, 7, 9 à 11, Yagour). Le deuxième type (type Carrapatas) est caractérisé par une lame à plusieurs nervures, plus courte et plus large, où l'épaulement du manche ne semble plus nécessaire. En revanche, ce dernier comporte un cabochon marqué (Fig. 60, 4, Yagour ; Fig. 61, 2 à 4, Oukaimeden). Les rivets sont plus nombreux (Fig. 61, 5 à 7, Yagour ; Fig. 61, 8, Oukaimeden). Les deux types de hallebarde se caractérisent par des détails picturaux qui devaient correspondre à des réalités ergonomiques, tels ces renflements du manche en extrémité proximale (Fig. 60, 3, Yagour ; Fig. 61, 10, Oukaimeden), pour une meilleure prise en main, mais aussi ces cabochons pour une plus grande force inertielle. Il est difficile de lire plus précisément d'autres techniques. Si l'effort purement esthétique est parfois évident (Fig. 59, 9, Yagour), gravure en traits polis profonds, la fantaisie est aussi de mise (Fig. 61, 9, Yagour), hallebarde à lame curieusement compartimentée (nervures transversales ?) et manche orné. Mais on ignore à quelle réalité correspond un manche en trois parties longitudinales (Fig. 59, 9 ; Fig. 61, 1 et 11, Yagour) ou si d'autres productions, relativement disproportionnées, avaient une chance d'efficacité 121

(Fig. 60, 5 et 6, Oukaimeden ; Fig. 60, 8, Yagour). Fantaisie (ou maladresse) du graveur ? La hallebarde (l'objet) est un excellent marqueur chronologique. On sait qu'elle est apparue en Espagne vers 1700 av. J.-C. et que les derniers exemplaires (type Montejicar, absent des représentations au Maroc) datent de 1100 av. J.-C. Les images ont pu perdurer quelques siècles encore, surtout si l'on considère, à l'instar de certains pariétalistes, que la hallebarde ne fut rien d'autre qu'une arme de prestige ! La hache Si, aussi curieusement que cela puisse paraître, la hallebarde n'est pas expressément montrée brandie par des hommes, bien qu'elle soit parfois associée à des représentations anthropomorphes (Fig. 4, 3, Yagour), la hache, sous ses différents aspects, est souvent représentée manipulée. L'homme lève une arme, très petite (Fig. 2, 1, Aglagal) ou immense (Fig. 5, 2, Glab Sghrir), en direction d'un bovidé, d'une autruche (Fig. 12, 2, Ouardast), de rhinocéros (Fig. 12, 6 et 8, Ait Ouazik) ou encore d'un éléphant (Fig. 8, 6, Mlaleg). Tout aussi fréquemment, la hache est associée à des animaux : bovidés (Fig. 8, 1, Imgrad Tayaline), généralement d'ailleurs à l'arrière de l'animal, à hauteur de la queue ou de la cuisse (Fig. 72), plus rarement le devançant (Fig. 72, 1, Akka Issif). Au vu de ces nombreux exemples, il semble donc que la hache, beaucoup plus aisément que la hallebarde ou le poignard, a été rapidement adoptée par les lapicides du Sud marocain. La gravure d'Imgrad Tayaline (Fig. 8, 1) qui, à l'usage, s'est imposée comme archétype pour définir le « type Metgourine », restitue l'image irréfragable d'une arme métallique, emmanchée jusqu'au redan (ricasso), très visible, dans un manche en bois à tête globuleuse. Le tranchant est large, plus ou moins en éventail et plus ou moins pédonculé. Ce type se trouve dans toute la zone pré-saharienne du Maroc : Ouaouglout (Fig. 62, 5), Oued Meskaou (Fig. 62, 8 et 12), Tamsahelt (Fig. 62, 9), Ait Ouazik (Fig. 62, 11), Fam el Hisn (Fig. 62, 10). D'autres exemplaires sont à décompter dans le Haut Atlas (Fig. 62, 4, Rat), hache associée à une grande pointe foliacée, des types proches se trouvant indifféremment dans le Sud (Fig. 62, 1, Imaoun ; Fig. 63, 1 et 2, Ait Herbil ; Fig. 62, 13, Ouaouglout) et dans le Haut Atlas (Fig. 62, 2 et 6, Yagour). Un type intermédiaire, à lame spatulée, peut être identifié dans la zone du Dra (Fig. 62, 7, Oued Meskaou ; Fig. 62, 10, Fam el Hisn) et dans le Haut Atlas (Fig. 62, 3 ; Fig. 63, 3, Yagour). Ce sont ces dernières images d'armes à lame métallique qui relancent épisodiquement la théorie, conçue par Malhomme et non (ou insuffisamment) fondée, de « casse-tête », de massues et autres baculos, même s’il est possible que certaines images représentent des bâtons, de jet ou non (Fig. 64, 9 à 11, Oukaimeden). 122

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Depuis les travaux de Malhomme (1959 et 1961), l'existence de ces haches à lame circulaire (Fig. 63, 6 et 14, Oukaimeden), ovale (Fig. 63, 4 et 7, Oukaimeden ; Fig. 63, 12, Yagour), ou plus ou moins rectangulaire (Fig. 64, 1 et 4, Yagour ; Fig. 63, 10 et Fig. 64, 3 et 5, Oukaimeden ; Fig. 64, 2, Telouet), typiquement atlasiques, a longtemps été contestée. Ma découverte de représentations de rivets, en nombre varié (Fig. 63, 5, 8 et 13, Yagour ; Fig. 63, 11, Oukaimeden) au point de fixation de la lame au manche en bois, conforte fortement l'option de la représentation de haches très originales et variées. Cette arme, parfois associée à des représentations anthropomorphes (Fig. 8, 5, Telouet), est typiquement atlasique. Une forme particulière, intermédiaire entre la hallebarde et la hache, existe en très faible quantité (Fig. 64, 7 et 8, Yagour). Enfin, d'autres objets, munis d'une lame métallique, ne sont peut-être pas des armes mais plus probablement des outils agricoles ou forestiers, tels que serpes (Fig. 64, 6 ; Fig. 1, 8 et 10, Yagour) ou bêches (Fig. 86, 7, Yagour). La pointe L'image attestée de la pointe métallique n'apparaît pas dans les gravures de style Tazina. Peut-on compter au rang de pointes des représentations aléatoires, très schématiques, associées à des animaux, tel un losange à trait médian (Fig. 42, 1 ; Fig. 50, 1, Anou n'Ouamerzemlal) ou une forme oblongue, entre des gazelles et un oiseau (Fig. 42, 6, Meskaou) ? Il est tout aussi hasardeux de proposer l'image de javelots figurant au bout du bras du personnage d'Hassi Tafenna (Fig. 1, 2) ou de celui du Yagour (Fig. 3, 2). La grande lance, à extrémité finement piquetée et ornée d'une oriflamme d'Imi n'Tart (Fig. 8, 3) est bien la seule que je connaisse en zone pré-saharienne. Dans l'aire atlasique et en contexte métallique, des pointes (armatures de flèches ou de javelots ?) menacent des fauves (Fig. 54, 2 ; Fig. 56, 6, Yagour). La grande lance à oriflamme ou banderole est l'apanage exclusif du cavalier libyco-berbère (Fig. 76, 5 et 7, Foum Chenna). La pointe métallique qui arme ces lances est triangulaire. Les banderoles (de trois à cinq) ornent les lances dirigées vers le gibier (Fig. 76, 5, Fig. 77, 5, Foum Chenna), vers un hypothétique ennemi (Fig. 77, 8 et 10 ; Fig. 77, 9, Foum Chenna) ou brandies pointes en l'air, comme à la parade (Fig. 76, 9, Assif Wiggane). Sur cette gravure, on notera les deux petits animaux indéterminables liés à la hampe. Sont-ce des trophées ? Un personnage et deux animaux complètent la scène.

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La pointe métallique a été relevée à profusion dans le Haut Atlas. Toutes les morphologies ont été exploitées, des plus rudimentaires (Fig. 65, 1 à 4, 7, Oukaimeden ; 5 et 6, Yagour), suggérant des tôles de cuivre martelées, à des types lancéolés plus complexes, à nervure ou à pédoncule en bouton ou en crochet (Fig. 65, 8, 12, 19, 21, Oukaimeden ; 9, 10, 11, 13 à 18, 20, 22, 23, Yagour). Quelques formes aberrantes sont à noter (Fig. 65, 24, Oukaimeden). Un type particulier, à fer triangulaire et qui rappelle la morphologie des lances de cavaliers, est peut-être attribuable à des populations plus récentes (Fig. 66, 7 et 8, Oukaimeden). La pointe est encore illustrée par la remarquable série de Tainant (Fig. 66, 10 à 13), inédite jusqu'à ma découverte, où cinq pointes, ont été disposées en panoplie. Elles évoquent fortement les productions italiennes de Remedello. Par deux fois -et deux fois seulement à ma connaissance- ces pointes semblent avoir été représentées avec leur hampe (Fig. 66, 9 et 14, Yagour). Dans tous les autres cas, les graveurs ont représenté la seule partie métallique, la partie noble, donc, de l'arme. La pointe atlasique type est une feuille nervurée à pédoncule d'emmanchement (Fig. 66, 4, 6 à 8, Oukaimeden ; 1 à 3, 5, Yagour), rappelant cette fois les types de Palmela (Portugal). Le boomerang Tout comme la hallebarde, le boomerang existe majoritairement dans le Haut Atlas. Il figure, très hypothétiquement, parmi deux groupes de l'Oued Meskaou (Fig. 42, 6, en haut et à droite) ou devant le museau d'une antilope (Fig. 81, 7). Dans le Haut Atlas, certaines formes peuvent être confondues avec des armes métalliques (Fig. 64, 12, Yagour ; 13, Oukaimeden). Les objets coudés (Fig. 67, 1, Oukaimeden ; 67, 4, Yagour), confectionnés en lattes de bois, n'ont jamais été recueillis en fouilles au Maghreb. Ils rappellent les bâtons de jet des pétroglyphes égyptiens découverts en Égypte pharaonique (Le Quellec, 1998a), sans que l'on puisse en déduire une quelconque filiation chronologique ou typologique pour autant. Ils apparaissent dans des scènes de chasse aux oiseaux dans les marais du Nil. Les deux seules images sur lesquelles des hommes manipulent ce qui peut être interprété comme des boomerangs sont curieuses. Dans deux images éloignées l'une de l'autre (Fig. 13, 6, Akka Issif ; Fig. 14, 6, Oukaimeden), un homme fait face à un éléphant en brandissant l'objet en question. Je me suis déjà exprimé sur le peu de réalisme de ces scènes. Il est tout aussi curieux que le boomerang soit représenté le plus souvent sous la forme de collections (Fig. 67, 6, Oukaimeden), de véritables séries (Fig. 67, 9, Oukaimeden), plutôt que comme partie intégrante d'une panoplie ou associé à l'armement d'un personnage.

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L'objet est assez stéréotypé (Fig. 67, 2, 3, 5, 8, Oukaimeden ; 10, Yagour). Ce dernier exemple, en trait poli très régulier, montre un galbe particulièrement harmonieux. D'autres détails illustrent en toute vraisemblance les aménagements ergonomiques apparaissant ici ou là (Fig. 67, 7, Oukaimeden ; 11, Yagour), mais qui sont peut-être autant de fantaisies graphiques. Le bouclier Pendant longtemps, après les travaux de Malhomme et de Simoneau, l'interprétation en tant que « symboles solaires » pour décrire les nombreux cercles plus ou moins ornés du Haut Atlas, a été peu discutée. Cette vision cosmogonique a été battue en brèche par Glory (1953) qui, beaucoup plus prosaïquement, voyait dans ces cercles des boucliers ornés. Aux mains des chasseurs, les boucliers qui peuvent être admis en tant que tels ne sont pas toujours circulaires. Ainsi, l'un de ces chasseurs (Fig. 9, 6, Metgourine) dispose d'un bouclier triangulaire, type que l'on retrouve manipulé par le minuscule personnage en incision fine d'Ighir Ighnain (Fig. 14, 1). L'arme défensive que constitue le bouclier est quoi qu'il en soit plus ancienne que le métal et appartient au fonds civilisationnel africain. Les deux autres types de bouclier, circulaire et quadrangulaire, se retrouvent au sein des ensembles rupestres atlasiques et parmi les gravures libycoberbères. L'hypothèse « solaire », vaguement égyptienne (ex oriente lux !), trouvait sa légitimité dans le fait qu'un certain nombre de cercles était entouré de pointillés ou de tirets, censés représenter les rayons du soleil (Fig. 68, 4 et 14, Fig. 69, 1, Oukaimeden ; Fig. 69, 8, Tainant ; Fig. 69, 5, Yagour). Il se trouve que ces cercles rayonnants sont fortement minoritaires, de même que les cercles sans décor (Fig. 68, 1, Yagour). Rien, certes (et c'est là le sophisme des ultimes défenseurs de la thèse solaire), ne ressemble plus à un soleil...qu'un cercle ! La référence avec les cultes nord-européens est tout autant sollicitée. Je préfère convenir, à la suite de Glory, que les décors internes évoquent plus probablement une sémantique clanique ou héraldique. Les « rayons » sont quant à eux acceptés à peu près unanimement aujourd'hui comme des lanières de cuir ou des chaînettes métalliques. Le décor des boucliers circulaires, que l'on peut imaginer peint sur des peaux, est très varié. Tout au long de mes prospections dans le Haut Atlas, je n'ai pas vu deux cercles ornés similaires, même si certains thèmes sont récurrents, notamment le décor en damier (Fig. 68, 8, Tainant ; 14, Oukaimeden). Les décors, qui vont du plus simple comme la cupule centrale évoquant la boucle (Fig. 68, 2, Yagour), au plus complexe (Fig. 68, 10, Tainant ; 12, Telouet ; Fig. 69, 5, Yagour), offrent une infinité de possibilités : arceau unique (Fig. 68, 3, Oukaimeden), arceaux multiples 131

(Fig. 68, 5, Oukaimeden ; 6, Yagour ; 7, Tainant), quartiers et arceaux (Fig. 68, 11, Yagour ; Fig. 69, 2, Oukaimeden) spirales, raquettes (Fig. 69, 3, Oukaimeden), torsades (Fig. 69, 6, Oukaimeden)... Tous les décors - et quelle que soit la technique de gravure utilisée restent strictement non représentatifs (Fig. 68, 13 ; 69, 4, 7 à 11, Yagour ; Fig. 69, 2, Oukaimeden), bien que les traits de gravure puissent parfois suggérer une image d'arme (Fig. 68, 6, Yagour) ou d'animal (Fig. 70, 1, Yagour). D'autres morphologies, plus rares cependant, existent pour les boucliers atlasiques, renforçant, si besoin était, l'option de la représentation d'armes défensives : bouclier cordiforme (Fig. 70, 1, Yagour), à échancrure (Fig. 70, 2, Yagour), ou encore « en tablier » (Fig. 70, 5, Yagour). Quant aux boucliers quadrangulaires, certains possèdent des redans (Fig. 70, 3, Yagour ; 5, Oukaimeden). Ceux-ci, s'appliquant non seulement aux angles mais encore sur les côtés (Fig. 70, 12, Yagour), décrivent probablement une technique particulière dans la confection du lattis ou un procédé de tension et de cohésion des éléments montés. Le décor des boucliers quadrangulaires est simple. Les motifs ondés ou compartimentés sont les plus fréquents (Fig. 70, 4, 10 et 12, Yagour), mais le décor semble comme imposé par la contrainte technique, se traduisant par des lattes emboitées aux angles (Fig. 70, 8, Oukaimeden ; 12, Yagour) ou sur leur largeur (Fig. 70, 7, Yagour). Les pointillés placés dans les réserves centrales montrent peut-être des dispositifs de cloutage (Fig. 70, 8 et 11, Oukaimeden). Ce sont des boucliers rectangulaires qui font partie de la panoplie des personnages du Haut Atlas (Fig. 3, 1, Yagour ; Fig. 8, 7, Rat). Ce dernier curieux personnage, au sexe incertain (seins sous les bras ?) montrant une double disposition des bras et rappelant les productions de Telouet (Fig. 8, 4 et 5), est associé à un bouclier carré avec redan clouté très original. Le bouclier quadrangulaire, derrière lequel s'abritent des hommes équipés de haches ou de poignards, armes de piéton, laisse progressivement la place au bouclier rond et à la lance, armes de cavalier (Fig. 77, 6, Assif Wiggane ; Fig. 77, 7, Telouet).

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Le « carquois » Typiquement atlasique lui aussi, bien qu'il apparaisse au moins une fois en zone pré-saharienne du Maroc (Fig. 2, 5, Ait Ouazik), un motif inconnu ailleurs, aussi bien au Maghreb qu'au Sahara, a longtemps intrigué les préhistoriens de l'art. La gravure, en s'inscrivant en complément dans la panoplie des grands personnages du Haut Atlas, devait être un élément important de cette dernière. L'image consiste, dans sa forme la plus simple, en une forme rectangulaire dont une extrémité est convexe, la seconde concave (Fig. 71, 2 et 3, Yagour), et se terminant parfois par deux petites excroissances (Fig. 71, 9 et 12, Yagour). Le compartimentage le plus fréquent est celui qui intéresse la partie convexe de l'objet (Fig. 74, 4 et 5, Yagour), suggérant ainsi l'existence d'un système de clapet. Les sections se multiplient (Fig. 71, 6, 7, 9, 12, Yagour ; 8 et 11, Oukaimeden), exceptionnellement dans le sens longitudinal (Fig. 71, 10, Yagour). L'aspect le plus accompli est une forme oblongue, compartimentée et affublée de tirets alignés sur les côtés, en nombre variable (Fig. 71, 13 et 14, Yagour), comme autant de franges dont les Berbères anciens étaient friands puisqu'ils en ornaient non seulement leurs vêtements mais aussi, on l'a vu, leurs boucliers. L'objet est inclus dans des panoplies (Fig. 71, 1, Oukaimeden). L'image comprend un bouclier, une hache, une seconde hache à tranchant circulaire et un poignard. Le plus souvent, l'objet est représenté isolément ou en bonne place au côté des anthropomorphes, quand il n'est pas directement apposé sur la poitrine (Fig. 3, 3, Yagour). C'est ce dernier exemple, inédit jusqu'à mes relevés, qui éclaire quelque peu la destination de l'objet. Il donne, dans un premier temps, le sens de lecture : l'extrémité arrondie est toujours disposée vers le haut, confortant l'hypothèse d'un clapet. L'homme montre des arceaux aux hanches, détail graphique typique, exhibe un petit poignard de bras, brandit un arc et porte, autour du cou, ce qui pourrait être considéré comme un carquois. Ainsi, le carquois aurait été, dans ces temps-là, un objet « socialement valorisé » au sein de la panoplie du chasseur. Avec les exemples du Sud, les archers en position de skieurs ne manquent pas de le signaler. Confronté aux armes métalliques, qu'il accompagne momentanément, cédant bientôt à leur suprématie, le carquois n'est plus représenté qu'en tant que tel, conservant, pendant longtemps encore, une forte charge symbolique. Peut-être ce symbole va-t-il perdurer jusqu'au temps des cavaliers (Fig. 86, 4, Foum Chenna) ?

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Chapitre 9 LE CHAR ET LE CAVALIER

S'il est bien une image qui puisse se targuer d'être pansaharienne, c'est bien celle du char, du Tibesti à la Mauritanie, des hauts plateaux algériens au Niger. Si ce moyen de transport lui-même, que l'on hésite encore à qualifier d'engin de guerre ou de prestige, n'est peut-être pas parvenu jusqu'aux rives de l'Atlas marocain, son image, elle, est omniprésente. Il n'est plus question de « route des chars » mais plutôt d'une « route de l'image du char ». Cette image se répartit en deux grands types (Lhote, 1982). Un type saharien, dit « au galop volant » : la plate-forme porte des personnages armés de sagaies. La représentation de chasse ou de course, de vitesse, est restituée habilement par le dessin des chevaux aux membres en extension. Le deuxième type, bien que le véhicule soit semblable à celui du Sahara, se cantonne sur les marges du désert, du Sud-Oranais à la Mauritanie. Aucun n'est incontestablement attelé à des chevaux. On retrouve les deux roues rayonnées en aplat, la plate-forme posée sur l'essieu, plus ou moins élaborée (Fig. 73, 4, 6 et 10, Yagour), arciforme ou curieusement rectangulaire (Fig. 73, 7 et 12, Yagour), parfois extravagante (Fig. 73, 8, Yagour ; Fig. 73, 11, Telouet). Le timon peut se terminer en T (Fig. 73, 5, Yagour), en Y (Fig. 73, 14, Yagour), ou encore en U (Fig. 73, 9, Yagour). Ce timon dispose parfois d'excroissances (Fig. 73, 3, Telouet ; Fig. 73, 3, Taghjijt ; Fig. 76, 1, Ouaramdaz), montrant des dispositifs particuliers du joug ou des guides. Les roues sont équipées de rayons, quatre ou plus. La simplicité du dessin et l'économie de détails ont amené certains préhistoriens de l'art à parler de chars « schématiques ». Il est vrai que les images sont dépouillées à l'extrême (Fig. 73, 1, 2 et 5, Yagour), quand elles ne sont pas totalement fantaisistes (Fig. 74, 1, 5 et 6, Taghjijt) mais aussi, plus simplement, inachevées (Fig. 73, 16, Yagour ; Fig. 74, 2 et 7, Taghjijt), le timon manquant le plus souvent dans ce dernier cas (Fig. 73, 1 ; 74, 4 et 8, Taghjijt). Les chars peints du Tassili, même lorsqu'ils sont affublés de roues en aplat, ont été assez fidèlement rendus pour que la vision en perspective subsiste. Au Maghreb, le char est une sorte de trottinette et c'est cette image récurrente, très simple et cependant étrange que l'on retrouve partout.

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Un type plus particulier se compose d'une plate-forme plus large et d'un double timon. Cette image, un temps cantonnée sur les seules stations de Taouz et Ouaramdaz (Wolff, 1982), se retrouve aussi à Imaoun (Fig. 75, 4, Ouaramdaz ; Fig. 76, 2, Taouz ; Fig. 75, 3, Imaoun). Elle représenterait des véhicules tractés par quatre bêtes (quadrige). Des chars simples, à un timon, sont parfois associés, de façon non significative, à des bœufs : à Taghjijt (Fig. 75, 1), où un char piqueté surcharge à la fois un félin et une vache et son veau à la tétée ; à Taghjijt encore (Fig. 75, 6), en une composition confuse où il est difficile d'affirmer qu'il existe un lien entre l'animal et le véhicule. Les gravures de Taouz sont les seules au Maroc, à ma connaissance, qui montrent des chars attelés (Fig. 75, 7). À la curieuse procession de « train de chars » de Taouz, s'ajoutent quelques représentations (Fig. 76, 2), où, visiblement, les proportions réalistes ont été le dernier souci du lapicide. Il reste donc très difficile d'affirmer que les équipages pouvaient se composer de bœufs. Wolff (1982) a proposé la lecture de fers (et donc de chevaux ?) dans les demi-cercles placés de part et d'autre des timons d'un char de Taouz (Fig. 76, 4), disposition que l'on retrouve dans le Haut Atlas, mais cette fois isolée (Fig. 86, 10, Oukaimeden). Dans son étude sur les chars et au sujet de ces mêmes images, Lhote (1982) distinguait « quatre bœufs, dont les cornes émergent au-dessus de la tête » (sic!). Les chars dits « schématiques » (les trottinettes) sont relativement récents et contemporains des cavaliers libyco-berbères. Les images répétitives et stéréotypées qui se multiplient du Sahara central à la Mauritanie permettent de proposer une hypothèse quant à cette représentation obsédante de ces chars sans attelage et dits schématisés : le véhicule (originaire d'Orient, de Grèce ?) est adopté au Sahara central soit pour la chasse, en terrain découvert, soit pour la guerre, soit pour des défis « sportifs ». C'est, quoi qu'il en soit, un objet de prestige, précieux et relativement fragile, attribut d'un chef, d'une dignité, signe distinctif du pouvoir, « socialement valorisé ». Ce véhicule-là, il semble que les pasteurs du Maroc et de la Mauritanie ne l'ont jamais connu. Aux alentours du 7e ou du 6e siècle, ils vont adopter un véhicule plus lourd, à deux timons, pour le transport lors de leurs migrations. Les bœufs ne résisteront pas longtemps aux conditions climatiques drastiques et, ainsi que le disait Camps (1974), « les véhicules à roues […] seront vite oubliés, le cheval devient dans le Nord du Sahara un animal de selle ». L'image du bige perdure pourtant, totalement détachée de sa réalité fonctionnelle et elle est reproduite, sous la forme d'un croquis expéditif, sur toutes les stations des pasteurs, se perpétue en milieu métallique, jusqu'au moment où sa valeur symbolique s'étiole définitivement, effacée par les préoccupations nouvelles des cavaliers. Ainsi, il est aisé de constater qu'au Maroc, il n'existe aucune image de char parmi les cavaliers libyco-berbères, l'image du char semblant exclure celle du cheval et réciproquement. 142

Fig. 75

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Fig. 76

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La représentation du cheval est, quant à elle, liée à celle du métal. Les armes des cavaliers sont en fer et non plus en cuivre ou en bronze. Le cavalier brandit de longues lances à fer large, négligeant de représenter les armes des métallurgistes du Haut Atlas. L'intérêt se situe ailleurs : il s'agit de se représenter à la chasse à l'oryx (Fig. 77, 1, Foum Chenna), au bouquetin (Fig. 77, 5) ou dans des duels (Fig. 76, 8, Foum Chenna ; Fig. 77, 2, Assif Wiggane), en des images minimalistes et que l'on a parfois du mal à déchiffrer (Fig. 77, 11, El Gtara). Une observation attentive permet de relever certains détails intéressants : selles à pommeau et troussequin (Fig. 76, 7, Rat ; Fig. 77, 2, Assif Wiggane) ou boucliers circulaires ornés (Fig. 77, 7, Rat). Progressivement, le panorama des cavaliers se charge d'images plus récentes (Fig. 77, 9, Amtoudi), parmi lesquelles apparaissent des armes nouvelles mais pas nécessairement introduites par les Arabes, comme cela a été souvent écrit, car dans ce cas, il faudrait attendre le 8e ou le 9e siècle pour dater les empreintes de pieds ou les poignards à lame courbe et double garde. Dans la région d'Agdz, les stations libyco-berbères à cavaliers prédominants s'enrichissent d'inscriptions, probablement contemporaines (Fig. 92, 2 et 6, Assif Wiggane). Avec les images de parures d'inspiration berbère, les cavaliers sont la dernière forme d'expression rupestre au Maroc. Ces dernières gravures, statiques et tabulaires, hâtivement piquetées, rarement incisées (Fig. 8, 2, Hassi Tafenna), sont certes très éloignées des compositions très esthétiques du Tazina en traits polis profonds. Elles conservent néanmoins un grand intérêt ethnographique.

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Chapitre 10 LES PIÈGES

Il est nécessaire de consacrer un chapitre à une image incontournable de l'inventaire rupestre du Maroc, celle du « piège » ou de la « nasse », image énigmatique et qui illustre un objet dont on ignore le fonctionnement et la destination, quand bien même il s'agirait d'un objet réel. Dans ce chapitre sera considérée une autre forme de piège, au dispositif avéré cette fois et que l'on désigne sous le vocable allemand de Radnetz, ou piège radiaire. La première image, que l'on retrouve partout dans le sud du Maroc et le Sahara -mais pas dans le Haut Atlas- se décline en style de Tazina, bien qu'il existe quelques exemplaires piquetés (Fig. 78, 1, Mrimima). Le dessin de base consiste en un ovale, plus ou moins allongé, en calebasse ou en goutte et qui se termine, à la partie la plus étroite, par deux « cornes » en trait simple (Fig. 79, 1, Tigane) ou double (Fig. 79, 6, Asguine). Les autres types dérivent de ce modèle de base, avec quelques constantes toutefois. Le trait inférieur qui sépare l'ovale dans sa longueur est le plus fréquent et il faut peut-être le lire comme un aménagement au procédé primitif (Fig. 79, 2, Tigane ; Fig. 79, 4, Ait Ouazik), les traits se multipliant parfois (Fig. 79, 7, Ouzdine ; Fig. 81, 1, Oued Meskaou) et envahissant l'intérieur des « cornes » (Fig. 79, 5, Ait Ouazik). D'autres dispositifs semblent fermer l'ovale au niveau des « cornes » (Fig. 78, 2, Asguine), celles-ci étant alors comme posées au niveau de la forme ovale (Fig. 78, 3, Ouaouglout). Mais peut-être s'agit-il d'un artifice graphique, tout comme la batterie de nasse (Fig. 79, 4, Ait Ouazik), technique d'une grande maîtrise et témoignant d'un indéniable sens esthétique ? L'ovale lui-même se complique parfois de compartimentages (Fig. 78, 5, Ouzdine ; Fig. 78, 9, Ouaouglout ; Fig. 79, 2, Tigane), transversaux ou longitudinaux (Fig. 79, 3, Anou n'Ouamerzemlal ; 5, Ait Ouazik). L'image est le plus souvent isolée, hors contexte (Fig. 86, 1, Tibasksoutine). Sur les parois verticales, les « cornes » sont vers le haut, donnant un sens prioritaire à l'objet. Quelques stations livrent des signes ovales, associés à des animaux (Fig. 80, 4, Ait Ouazik ; Fig. 81, 5, El Gtara), sans qu'il soit possible de préciser si ces associations ou ces surcharges sont le signe d'une appropriation du gibier ou que ces pièges sont les compléments indispensables et réels des armes. 147

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Fig. 78

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On doit à Wolff (1997) une synthèse dans laquelle la plupart des « nasses » sont inventoriées et analysées et où une hypothèse de lecture est proposée. Judicieusement, l'auteur fut le premier à observer que très fréquemment (« trop fréquemment pour qu'il ne s'agisse que du hasard ») les ovales étaient suspendus, les « cornes » étant étirées, parfois fort loin du corps, pour qu'au moins l'une d'elles atteigne le bord de la surface rocheuse (Fig. 78, 4, Ouaouglout ; Fig. 78, 5, Ouzdine ; Fig. 78, 6, Oued Meskaou ; Fig. 79, 7, Ouzdine). Cette observation abonde utilement l'hypothèse de « pièges-nasses » suspendus, mis en place par un système complexe de filins fonctionnant un peu à la manière de collets. L'objection, qui n'a rien d'inattendu, est qu'un tel dispositif ne serait d'aucune efficacité à l'encontre de grands mammifères (éléphants, rhinocéros) et que ces mastodontes auraient eu bien peu d'effort à faire pour se débarrasser de collets. Quoi qu'il en soit, l'hypothèse de « piège-nasse » est encore celle qui semble satisfaire le plus grand nombre, parmi les pariétalistes du Maghreb et du Sahara. On associe aux « pièges » classiques, c’est-à-dire « à cornes » des signes ovales simples (Fig.78, 8 ; Ouaouglout ; Fig. 80, 2, Ait Ouazik), parfois compartimentés dans la partie renflée, en forme de raquette (Fig. 47, 9, Ait Ouazik ; Fig. 78, 7, Asguine) et aussi montés en batterie (Fig. 80, 5, Tiouririne), cette dernière gravure associée à une antilope oryx. La démonstration d'un système de piégeage est cette fois plus aléatoire, mais l'évolution de l'image de l'objet vers sa représentation symbolique va peutêtre dans le sens d'une telle simplification (Wolff, 1998-1999). Ces formes sont notées sur d'autres stations (Fig. 27, 1, Bou Kerkour ; Fig. 81, Asguine ; Fig. 81, 3, Tamsahelt). L'objet attenant à la patte d'un animal (Fig. 81, 4, Guelta Oukas) ou la forme pectinée au-dessus du dos d'un éléphant (Fig. 81, 9, Oued el Kebch) sont-ils d'autres types de piège ? Que dire encore des discrets signes en V, simples (Fig. 81, 6, Tiouririne ; Fig. 81, 8, Taheouast), doubles (Fig. 80, 6, Tigane) ou en chevron (Fig. 42, 1, Oued Meskaou) qui accompagnent ces « pièges » ? Ils font bien souvent figure de pointes (flèches ou sagaies ?) et sont interprétés en tant que tels, particulièrement dans le cas où figure un archer (Fig; 81, 8, Taheouast). Le piège radiaire (Fig. 82, 5, Mrimima), que l'on nomme le plus fréquemment du vocable allemand Radnetz (Radnetzen au pluriel mais utilisé non décliné par l'usage en Français), considéré un temps comme l'expression d'un culte solaire, a été relevé dans tout le Sahara, avec une notable concentration dans le Messak libyen et jusque dans la péninsule arabique. Le motif le plus élémentaire se présente comme un double cercle concentrique, les deux cercles étant reliés par les rayons, en nombre variable (Fig. 82, 3 et 6, Oued el Kebch). Les rayons débordent parfois à l'extérieur (Fig. 87, 7, Mrimima), confortant l'hypothèse solaire. Une confusion est aussi possible avec des boucliers ornés (Fig. 82, 4, Telouet ; Fig. 68, 13, Yagour ; Fig. 82, 6, Oued el Kebch). 150

Fig. 79

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L'étude du contexte (Le Quellec, 1998b) permet de sélectionner des images plus réalistes. Dans la région de Tazzarine ont été signalés des cercles polis associés à des animaux (Simoneau, 1971). L'auteur semblait alors hésiter entre « cercles à rayons », « roues à rayons », sans que, semblet-il, l'investigation ait été poussée plus avant. Ces images (Fig. 82, 8, Oued Meskaou ; Fig. 82, Asguine) illustrent on ne peut mieux, avec l'image d'un animal (zèbre ?) pris dans les rayons ou encore à Ait Ouazik (Fig. 82, 11), le dispositif assez cruel mais redoutablement efficace du piège à épines concentriques (elles s'enfoncent dans la patte dès que l'animal tire pour se libérer), liées entre elles par un canevas tressé, technique encore en usage chez les Touaregs il y a cinquante ans (Lhote, 1951).

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Chapitre 11 ENTRELACS, SPIRALES ET CROIX

Progressivement, du char « schématique » mais encore identifiable à l'énigmatique signe en calebasse, en passant par le problématique carquois, nous en arrivons à considérer des images qui échappent totalement à quelle que tentative d'identification que ce soit. Ces nombreux dessins de traits, de lignes sinueuses, de signes foliacés, de cocardes...viennent grossir l'impressionnant registre des gravures énigmatiques du Maghreb et du Sahara, sans qu'il soit possible de faire appel au moindre récolement, tant ces dessins sont passés inaperçus, quand ils n'ont pas été écartés des corpus censés être exhaustifs... Sur les stations de l'Oukaimeden et du Yagour, que j'ai plus particulièrement étudiées, plus de 30% des images font partie de cette masse de gravure sans signification directe pour nous. On a cependant conscience que ces gravures relèvent d'une symbolique complexe et qu'elles sont des marqueurs civilisationnels. L'image de la spirale, simple (Fig. 82, 1, Ouardast ; Fig. 85, 2, Akka Issif), double (Fig. 82, 2, Rat), composite (Fig. 85, 1 et 10, Ouine el Khir ; Fig. 85, 4, Oued el Kebch) est donnée soit comme représentation symbolique de l'eau et par extension de la vie, soit comme un lien, un serpent ou un système de piégeage (cocarde et spirale sur les éléphants de l'Oued el Kebch, Fig. 32, 3). La répartition géographique remarquable dont j'ai parlé au début de ce livre inviterait à considérer plus attentivement le rôle que certaines stations ont pu jouer dans le contexte général d'un géosystème. Il est troublant de constater, par exemple, que les stations extrêmes orientales et occidentales de la plaine alluviale d'Akka (feija) soient toutes les deux constituées essentiellement de représentations fortement symboliques (Ouine el Khir à l'ouest et Imaoun à l'est), ce dernier site détenant une grande quantité de gravures originales, constituée de croix et de spirales (Fig. 84, 1, 5 et 7). Est-il un peu trop risqué de concéder à ces deux stations, aux deux extrémités d'une plaine fermée, un rôle particulier ? Cette répartition est-elle anodine ou compose-t-elle une organisation supérieure, spatiale et/ou spirituelle ? Et plus encore, existe-t-il, au sein même d'une station rupestre homogène, un emplacement privilégié apte à recevoir ces dessins ?

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Fig. 84

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Une représentation apparentée à la spirale est la « cocarde ». C'est ainsi que j'appelle ces cercles concentriques, très réguliers et parfaitement détourés (Fig. 85, 5, Oued el Kebch), avec appendice foliacé (Fig. 85, 6, Imi n'Tart), double cocarde en haltère (Fig. 85, 8, Metgourine), cocarde avec trait de contour, dispositif que l'on retrouve à Ouine el Khir (Fig. 85, 9) et à Tazount (Fig. 84, 6). Le thème de l'autruche a été exploité en vue de constituer l'une des images les plus intéressantes qui soient, dans cette catégorie de symboles. Ce sont en effet des têtes d'autruches astucieusement emboitées qui forment un monoglyphe (Fig. 83, 1, Ait Ouazik), fort similaire à une image du SudOranais (Camps-Fabrer, 1990). Les têtes d'oiseau, différemment disposées, sont encore reconnaissables dans un monoglyphe fermé (Fig. 83, 2, Ait Saadane), mais deviennent franchement schématiques dans une composition où elles sont attenantes à un volatile, lui-même fortement schématisé (Fig. 83, 2, Hassi Tafenna). Les quatre têtes d'oiseau deviennent bientôt un signe à quatre branches dextrogyres (Fig. 83, 7, Ait Ouazik) qui n'est rien d'autre qu'un svastika. Les différentes lectures se compliquent, interfèrent : l'image de Bou Kerkour (Fig. 83, 4) peut être prise comme une extrapolation de celle d'Hassi Tafenna (Fig. 83, 3), mais n'est pas sans rappeler aussi les représentations sérielles de haches à tranchant en éventail d'Imaoun (Fig. 62, 1). Les spirales se déroulent en rubans (Fig. 82, 9, Yagour) ; Fig. 83, 5, El Glab), accompagnées d'images d'objets tout aussi énigmatiques, se multiplient en traits parallèles du plus bel effet (Fig. 85, 3, Ouine el Khir), sur une longueur de 120 cm de développé, se referment en motifs de feuilles de fougère (Fig. 85, 7, Ouine el Khir). Le dessin des spirales atteint un haut degré esthétique lorsque les torsades se recoupent en entrelacs (Fig. 83, 6, Ouaouglout ; Fig. 83, 8, Ouzdine ; Fig. 83, 9, Tamsahelt), composition particulièrement délicate et que j'ai eu l'opportunité de relever et de photographier avant sa totale destruction par des carriers... ou des iconoclastes ignares. Le motif des spirales et des entrelacs, traditionnellement considéré comme appartenant au monde ancien, dit « des chasseurs », semble avoir eu longue vie au Maroc, puisqu'on le retrouve ornant les boucliers circulaires du Haut Atlas (Fig. 69, 3 et 5, Yagour, 6, Oukaimeden).

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Le dernier motif considéré dans ce chapitre est celui de la croix. Je connais au moins trois stations sur lesquelles ce dessin existe. Le procédé d'obtention est similaire : autour d'une simple croix à bras égaux (Fig. 84, 4, Aglagal), plusieurs contours successifs sont tracés et donnent progressivement du volume au dessin initial. Deux croix existent à l'Oued Meskaou, en trait piqueté et passablement détérioré (Fig. 84, 3), sur des surfaces verticales, offrant ainsi un sens de lecture. La croix d'Imaoun (Fig. 84, 1), en traits piquetés peu profonds, a été gravée sur une dalle horizontale. Un polissage léger et une patine totale complètent l'exécution. Par ses dimensions et la perfection de son élaboration, c'est une des gravures les plus esthétiques de l'inventaire marocain. Ce motif de croix est, pour l'instant, uniquement répertorié dans le sud du pays. Il n'apparaît pas dans le Haut Atlas, tandis que la littérature spécialisée n'en fait pas état au Sahara. Lhote signale, dans le Sud-Oranais, un « motif d'haltères croisées » sur la station d'Hadjar Berrick (Lhote, 1970), gravure qui n'est rien d'autre qu'une croix boulée, proche d'une image de l'Oued el Kebch (Fig. 86, 14).

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Chapitre 12 ÉNIGMES ET CHIMÈRES

Parmi la multitude de dessins gravés qu'il m'a été permis de voir, de photographier, de relever parfois, une quantité importante relève de l'énigme ou de la chimère. Dans le Haut Atlas, 30% des gravures inventoriées comme non identifiables se composent de traits, de demi-cercles (Fig. 86, 11, Oukaimeden, de quadrilatères ouverts (Fig. 87, 10, Yagour), de serpentins et autres volutes (Fig. 88, 11, Yagour). Ces dessins sont moins fréquents dans la zone méridionale du pays, bien que, on l' a vu, les spirales et les croix peuvent être rangées dans la catégorie des symboles obscurs (Fig. 86, 2, Oued el Kebch). Ces dessins, que j'appelle ici « énigmes », ont été le sujet, bien avant mes propres tentatives, d'un nombre incalculable d'extrapolations. Les énigmes La difficulté de lecture de ces images vient parfois tout d'abord... du lecteur, suivant l'orientation que l'on peut (ou que l'on veut !) donner au motif gravé. La lecture est ainsi sollicitée, mais on peut se demander aussi s’il ne s'agit pas d'un calembour de la part du graveur : suivant l'orientation, l'animal d'Akka Izzam (Fig. 19, 2) est soit une hyène assise, soit un bovidé curieusement proportionné. Les images qui nous parviennent n'ont pas toutes conservé leur intégrité. L'érosion a ainsi joué un rôle destructeur : le motif inclus dans un contour dentelé (et qui évoque un bouclier à franges !) n'est plus identifiable. Les dégâts dus au gel, en haute montagne, nous privent parfois d'images qui auraient pu étendre le domaine de l'analyse : que peuvent bien faire trois rivets sur ce qui ressemble fort à un manche d'outil (Fig. 86, 2, Oukaimeden) ?

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L'impossibilité de « traduction » de ces hapax, comme cette curieuse association de signes s'interposant entre un cavalier et un fauve (Fig. 86, 4, Foum Chenna) est d'autant plus contraignante quand on sait que ces associations ne sont pas fortuites mais éminemment signifiantes. Enfin, dans un registre particulier, je ne dirai jamais assez mon sentiment de révolte face à des destructions ineptes et inutiles, une gravure même partiellement détruite devenant le plus souvent non identifiable (Fig. 89, 8, Ouaouglout). Certaines images, longtemps restées sans signification satisfaisante, sont explicitées par d'autres, identifiées par ailleurs : les empreintes de sabots de Taouz sont identiques à celles du Yagour (Fig. 865, 10). Le signe élémentaire de l'Oukaimeden (Fig. 86, 5) est aujourd'hui universellement reconnu comme un signe taurin, à rapprocher de celui du Yagour (Fig. 88, 8). Les deux triangles de l'Oued Wiggane (Fig. 87, 13) trouvent leur équivalent à Tighermt (Fig; 87, 9) et s'avèrent être des fibules reliées entre elles par des chaînettes. Mais le cercle simple du Yagour (Fig. 87, 12) est-il un bracelet ? En revanche, certaines lectures hardies conservent une étrange longévité : parce qu'il allait dans le sens d'une hypothèse en vogue, l'objet du Yagour (Fig. 86, 8) restera, pour longtemps encore (et jusque dans des écrits récents) la gravure d'une hache bipenne, d'inspiration grecque, alors que l'image est celle des boucliers à redan relevés par ailleurs. Le « casque », ainsi dénommé par Simoneau, resté au stade d'hapax pendant de longues années (Fig. 88, 6, Yagour) a trouvé deux avatars inédits, l'un à l'Oukaimeden (Fig. 88,7), l'autre à l'Oued el Kebch (Fig. 88, 7). Gageons que ce terme de « casque » reparaîtra bientôt. À ce volumineux dossier, il faut ajouter un certain nombre d'images qui sont peut-être des armes ou des outils. J'ai proposé, pour des raisons de sacralisation du métal qui ne sont qu'hypothèses, la représentation exclusive de la partie « noble » des pointes. Peut-être peut-on étendre cette éventualité à une lame de hache (Fig. 86, 3, Yagour), à pédoncule d'emmanchement évasé, ou à une sorte de lame de pelle (Fig. 86, 9, Rat) ou encore à un poignard (Fig. 86, 6, Telouet)? Peut-on voir une image d'anthropomorphe dans les serpentins de l'Oued Nebech (Fig. 87, 1) ou des armes dans les traits à peine discernables de Taghjijt (Fig. 87, 11), de Taheouast (Fig. 88, 15) ou dans le curieux motif de Taghjijt (Fig. 88, 2)? De quel recours dispose-t-on lorsque le dessin est d'une parfaite netteté, le contour rigoureusement détouré et ne laissant guère de place à l'extrapolation (Fig. 86, 13, Foum Chenna)? Un animal (probable bovidé), une hache à tranchant en éventail, ce qui ressemble fort à un timon de char, un serpentin enfin, sont associés sur une gravure de Telouet (Fig. 88, 14). Dans tous les cas, il s'agit d'un défi scientifique, bien qu'il ne soit nullement question ici de vouloir à tout prix déchiffrer les dessins et leur donner un sens, démarche que de bienveillants « collègues » m'ont vertement reprochée. L'art rupestre conserve ainsi une part de son mystère et la recherche, de son côté, une partie de son intérêt. 168

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Mystérieuses, un peu inquiétantes aussi, seraient les qualificatifs que l'on pourrait attribuer à des images de personnages vaguement fantomatiques (Fig. 87, 3, Metgourine) ou à allure de diablotins. Ces silhouettes cornues et munies de queue se retrouvent dans le Haut Atlas (Fig. 87, 8, Yagour) et aussi dans les zones pré sahariennes (Fig. 13, 2, Metgourine). Bien connues au Sahara, ces images relèvent donc d'une longue tradition et se perpétuent peut-être même dans le contexte maghrébin des djinns. L'orientation d'une dalle sur laquelle une gravure a été portée impose la lecture soit d'un animal debout sur ses pattes postérieures, soit celle d'un diablotin (Fig. 87, 2, Taghjijt). La gravure d'Imi n'Tart (Fig. 11, 3) offre une séquence -une scène, en fait- qui pourrait aller dans le sens d'une diabolisation des personnages : elle restitue assez justement l'image de trois anthropomorphes (et d'un diablotin ?) ainsi qu'un signe, devant le bovidé, peut-être encore l'image minimaliste d'un « diablotin » (Fig. 87, 5 et 7, Yagour). La silhouette de l'Oued Kebch (Fig. 87, 6) a certainement quelque chose de simiesque mais le Maghreb des graveurs n'a jamais connu que des singes anoures ! Enfin, et pour clore ce chapitre des hypothétiques personnages, je rappelle la gravure du Yagour (Fig. 88, 3) qui évoque le signe de Tanit. Deux dessins que j'ai rapprochés intentionnellement (Fig. 88, 9, Imaoun, 10, Yagour), ce dernier en trait parfaitement poli, confinent plus aux signes alphabétiques qu'aux images traditionnelles. La technique de gravure en traits effilés fins, non taziniens, offre elle aussi un lot intéressant de gravures énigmatiques. Ces dessins sont discrets et toujours de petites dimensions. Le monoglyphe d'Hassi Tafenna (Fig. 88, 12) n'a pas trouvé d'équivalence et garde son mystère. La gravure d'El Gtara (Fig. 88, 6) en traits polis fins d'une extrême précision, pourrait être l'image, cette fois très convaincante, d'une tête de bovidé et peut-être même d'un buffle antique. L'image du protomé frontal ou bucrane est répandue au Sahara et jusque dans le Sud-Oranais (Le Quellec, 1993). Au Maroc, des images de bucranes de bouquetins existent en nombre sur la station de Tachokalt, au sud de Fam el Hisn. Je pourrais aisément abonder ce chapitre en une pléthore d'exemples, tant, comme je l'ai dit, les dessins énigmatiques sont nombreux, leur lecture ne faisant qu'alimenter notre perplexité. Je ne donnerai qu'un seul autre exemple : dans un premier temps, le dessin soigneux, en traits polis réguliers d'Ait Ouazik (Fig. 88, 5) ne m'avait rien suggéré. J'ai gardé la photographie dans mon inventaire, bien entendu, au cas où... Bien plus tard, j'ai rapproché cette image de la grande plume de la déesse Mâat, fille de Rê, plume qui était posée sur le plateau de pesage du cœur du défunt. Innocent exercice de lecture...

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Les chimères Une deuxième catégorie de gravures étranges peut être classée comme « chimère ». C'est ainsi que j'appelle les images qui montrent des animaux fabuleux, qui peuvent avoir été maladroitement exécutés ou qui sont réellement délirants. On peut encore reconnaître dans une gravure au trait piqueté assez imprécis, un éléphant (Fig. 95, Taheouast). Sur la même station, on peut admettre que l'étroitesse de la dalle ait contraint le graveur à faire figurer un autre pachyderme acéphale et muni de trois pattes (Fig. 90, 7). Est-ce encore un éléphant qui figure à Taghjijt (Fig. 31, 1), bien qu'il fasse penser à la représentation d'un tamanoir, ou à Tiouli (Fig. 90, 2), parmi des bovidés, ou encore à Guelta Oukas, qui offre un éléphant surmonté d'un bœuf (Fig. 90, 11) ? Précédant un animal indéfinissable (Fig. 89, 1), c'est peut-être un éléphant, en style de Tazina, qui est représenté à Asguine ? L'animal de l'Oued el Kebch tient à la fois du rhinocéros et de l'éléphant, tandis que celui de l'Oukaimeden (Fig. 90, 10) est réellement non identifiable. Cette ambiguïté se retrouve chez un animal d'Imgrad Tayaline (Fig. 89, 9), qui possède les proportions d'un équidé et qui porte des cornes en lyre. Il est de plus surmonté de deux signes dont l'un est vaguement zoomorphe. L'animal de Taghjijt (Fig. 89, 6) porte des griffes sur les pattes antérieures, celui de Taheouast (Fig. 90, 9), entre les pattes duquel a été gravé un éléphant miniature, est muni d'une crête dentelée. Le surprenant animal de l'Oukaimeden (Fig. 89, 3) fait immédiatement penser à un kangourou, totale impossibilité, bien sûr, pour l'Afrique tout entière. Sur une station du Yagour, deux images voisines peuvent être lues à la fois comme des antilopes (Fig; 52, 12) et/ou comme des bœufs montés (Fig. 52, 13). Dans l'image d'un curieux animal à queue courte et à l'allure ramassée (Fig. 89, 4, Oued Meskaou), on peut voir un lynx, mais aussi, ainsi qu'ils sont restitués plus traditionnellement, un lion ou une panthère, tout comme à Asguine (Fig. 90, 8), dans une remarquable gravure en traits polis de grandes dimensions. Cette même station se distingue nettement des autres sites de la région par la fréquence de ces représentations de « chimères », comme cet étrange félidé cornu attaquant un bœuf (Fig. 90, 1). Cependant, et bien qu'il semble saisir un bœuf au garrot, on ne peut affirmer que l'animal de Mrimima (Fig. 15, 2) soit un félin. La station de l'Oued el Kebch se distingue quant à elle par l'une des rares images de poisson connues au Maroc (Fig. 90, 3), si l'on veut bien identifier comme telle cette composition piquetée tout à fait inhabituelle.

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Les filets Chez certains animaux, à l'Oued Meskaou (Fig. 89, 7), à Mlaleg (Fig. 90, 4), la tête se termine par un groupe de traits, ce que j'appelle des filets, qui pourraient être confondus avec des trompes et des museaux allongés. Ces traits sont à distinguer des pendeloques sous-jugulaires ou sousmentonnières qui sont portées par les bovidés. Unique parfois (Fig. 17, 3, Taghjijt), au nombre de deux (Fig. 11, 4, Imgrad Tayaline), le plus souvent par trois (Fig. 13, 5, Taghjijt ; Fig. 17, 5, Ighir Ighnain), ces pendeloques sont les attributs bien connus des bovidés domestiqués. Elles pendent parfois ou rebiquent comme de barbiches (Fig. 15, 4, Anou n'Tidardourene). Les filets considérés ici partent de la bouche et se prolongent vers le bas, en crochet (Fig. 15, 3, Ouzdine), seul exemple connu jusqu'à maintenant, ou rectilignes (Fig. 23, 5, Ait Ouazik), sur l'image très probable d'un buffle antique. Par quatre fois, ces traits ou filets sortent de la bouche d'un rhinocéros (Fig. 34, 1, Tigane ; Fig. 37, 3, Ait Ouazik, 4, Meskaou ; Fig. 54, 6, Ait Ouazik), par quatre fois encore (Fig. 44, 3, 9 et 10, Ait Ouazik ; Fig. 90, 4, Mlaleg), elles sortent de la bouche d'antilopes ou de gazelles, une seule fois (Fig. 56, 9, Ait Ouazik). Ces traits complètent, peut-être inutilement, les fantaisies du style de Tazina, jamais avare de traits parasites. C'est peut-être la gravure du Yagour (Fig. 56, 4) qui permet de proposer un sens à ces traits : le félin, touché au ventre (poignard, pointe ?), semble souffler, vomir son sang peut-être. Les filets partant de la bouche pourraient être la représentation du souffle de vie.

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Chapitre 13 INSCRIPTIONS, JEUX ET IDOLES

Les inscriptions Pendant longtemps, les inscriptions, les séquences de signes gravés reconnus comme étant des signes alphabétiques, ont été négligées ou sont même parfois passées totalement inaperçues et de ce fait n'ont pas figuré dans les inventaires. Les publications traitant du sujet sont par ailleurs peu nombreuses. Le désintérêt qui a marqué l'étude des petits cavaliers libycoberbères s'est aussi porté sur les inscriptions. Depuis peu, un engouement se fait jour, non sans parfois des arrières-pensées politiques, les alphabets anciens au Maghreb étant supposés être en partie dépositaires d'un « paléoberbérisme » ou d'un « pan-berbérisme » dont les liens linguistiques avec le monde berbère actuel sont loin d'être démontrés. Au Maroc, c'est la station de Foum Chenna qui semble détenir le plus grand nombre d'inscriptions. Découvert en 1942 par Reine (Glory, Allain et Reine, 1955), le site comporte au moins trente panneaux gravés avec cinquante-neuf lignes d'écriture et 341 signes (Pichler, 2000). Des stations voisines (Fig. 92, 2 et 6, Oued Wiggane) comprennent quelques lignes d'inscription. Certaines des inscriptions de l'Oukaimeden sont connues d'après les seules indications de Malhomme car elles ont été détruites avant mes propres relevés. Les quelques signes de la station de Ouaramdaz sont elles aussi en grand danger de disparition. Enfin, de nombreuses lignes d'écriture, parfois aussi quelques signes isolés, ont été découverts récemment, y compris parmi des gravures déjà répertoriées (Pichler et Rodrigue, 2003a). Il s'avère ainsi que la plupart des stations rupestres du pays renferment des inscriptions. Mais elles sont le plus souvent fort discrètes, toujours de petites dimensions, voire très petites (cinq à six signes sur cinq centimètres). Elles peuvent aussi échapper à l'observation lorsqu'elles sont finement incisées, au milieu de gravures piquetées. Une relecture de tous les sites rupestres du Maroc semble donc s'imposer.

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Fig. 91

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Fig. 92

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Après les inventaires de Pichler, brillant linguiste trop tôt disparu, les travaux de transcription étaient très avancés. Les patronymes des anciens Berbères apparaissent fréquemment et tissent un lien ténu mais réel entre les différents dialectes ou langues suivant les zones linguistiques. La majeure partie reste cependant à être décryptée. Les inscriptions sont connues dans tout le Maghreb et le Sahara. On sait qu'elles sont une ultime manifestation de l'expression rupestre dans ces zones. Elles surchargent sans vergogne des gravures anciennes monumentales et se distinguent par leur patine plus claire, signe de leur jeunesse d'exécution. Pour autant, les inscriptions n'accompagnent pas invariablement les autres sujets d'inspiration dite libyco-berbère : les stations du Ram Ram, au nord de Marrakech (Rodrigue, 1994), riches de centaines de cavaliers, n'ont pas fourni le moindre signe alphabétique. À Foum Chenna, les inscriptions sont toutes piquetées et ont été exécutées sur des parois verticales (Fig. 92, 3). La lecture s'effectue, dans ce cas, de bas en haut. Le dispositif en boustrophédon existe aussi dans les cas d'inscriptions horizontales (Fig. 93, 3 et 6). Des procédés originaux, comme des amalgames, ont été utilisés (Fig. 92, 2, 8). Le cercle est un signe alphabétique dans une ligne horizontale (Fig. 93, 1) et il est à la fois le boulier du petit cavalier. L'amalgame lui-même fait office d'animal (Fig. 93, 2 et 7). L'image accompagne parfois une ligne et semble compléter le discours (Fig. 92, 2 ; Fig. 93, 4 et 5). Il peut s'agir d'un calembour graphique mais l'image peut avoir été intégrée à dessein en tant que phonème, procédé proche des hiéroglyphes. Les inscriptions inédites en traits polis sont voisines de gravures en style de Tazina sur de nombreux sites déjà largement prospectés : il en va ainsi du remarquable cartouche d'Ait Ouazik, découvert par Pichler (Fig. 92, 1) ou encore du message dupliqué, peut-être un jeu de mots à Tiouririne (Fig. 92, 9), des trois lignes partiellement détruites d'Ikhf n'Ouaroun (Fig. 92, 7). Le voisinage d'inscriptions incisées en contexte tazinien pose un évident problème de chronologie. À l'Oukaimeden, deux lignes surchargent incontestablement des éléphants (Fig. 92, 4 et 10). Le personnage des Azibs n'Ikkis (Haut Atlas) a été, quant à lui, sujet d'âpres débats. Découvert par Malhomme (Fig. 93, 8, d'après son relevé), le personnage, conforme aux représentations anthropomorphes de la haute montagne marocaine, comporte une ligne d'inscription qui s'intègre dans l'un des trois bandeaux qui divisent le corps. Le personnage et la ligne d'inscription ne sont quasiment plus lisibles aujourd'hui, détruits par un acte de vandalisme aussi gratuit qu'inexplicable (Fig. 93, 9). Image et inscription semblent donc intimement liées. Certains préhistoriens ont exploité cette composition pour déduire une chronologie de l'ensemble des gravures du Haut Atlas et rajeunir considérablement l'expression rupestre des métallurgistes. 178

Fig. 93

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Fig. 94

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En contrepieds, d'autres préhistoriens en sont venus à considérer que l'écriture consonantique était, au Maroc, fort ancienne. L'adoption d'un alphabet, dérivé de celui des Phéniciens, dès le premier millénaire et sur les pas des techniques métallurgistes, s'accommoderait tout aussi bien de l'intrusion d'armes métalliques en milieu saharien (Fig. 92, 5, Oued Meskaou). Mais, depuis peu, cette ancienneté de l'écriture libyco-berbère au Maroc est remise en question. Sur le terrain, il n'est pas aussi évident que cela a été dit qu'anthropomorphe et écriture soient d'une même main. Une observation récente (Rodrigue & Pichler, 2011) montre en fait que les deux thèmes ont été habilement associés, sans être contemporains pour autant. Les jeux Cette fois typiquement marocains, exclusivement atlasiques même, des alignements de minuscules cupules (Fig. 94) ont été parfois considérés comme des tables divinatoires ou des bouliers. Il existe vingt et une de ces gravures à l'Oukaimeden et cinq au Yagour. Lhote (1971) signale deux alignements (dont un carré de vingt-cinq cupules) sur la station d'Hadjar Berrick (Sud-Oranais), mais ni ses inventaires des gravures du Tassili (1976) ni les récolements de Le Quellec (1993, 1998a) n'en font état au Sahara central. Dans le Haut Atlas, ces alignements, généralement calibrés (aucun ne dépasse 40 cm dans sa longueur) ont tous été effectués sur des dalles horizontales. Les cupules ont été obtenues par piquetage peu profond, l'objectif étant d'obtenir une petite cuvette pouvant retenir un objet quelconque. La composition la plus fréquente est une gravure de quatorze cupules sur trois rangs (Fig. 94, 3 à 6, 11, Oukaimeden ; 8 et 9, Yagour). D'autres combinaisons sont à noter : trois rangs de treize cupules (Fig. 94, 1, Oukaimeden), trois rangs de treize cupules plus deux cupules latérales (Fig. 94, 10, Yagour), une combinaison aberrante (Fig. 94, 2, Oukaimeden), une combinaison mixte (Fig. 94, 7, Oukaimeden), enfin une combinaison de quatorze cupules sur deux rangs (Fig. 94, 12, Oukaimeden). Tout cela nous ramène aux jeux en usage encore aujourd'hui en Afrique subsaharienne : awali, mancala ou keradet.

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Fig. 95

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Il est intéressant de noter que, dans le monde berbère actuel, ces jeux sont ignorés. Interrogés à ce sujet, des bergers saisonniers m'ont répondu qu'il s'agissait de jeux pratiqués par les Sénégalais et les Guinéens. Il est difficile de savoir si la réponse n'allait pas dans le sens d'un renseignement de complaisance. Les idoles Plus exclusivement atlasique encore que les jeux, la gravure n'existe qu'à l'Oukaimeden, sur une seule station et en dix exemplaires seulement. Il n'existe rien de semblable ou de vaguement approchant ailleurs au Maghreb ou au Sahara. L'idole, dite « en violon » (Fig. 95), est l'image d'un être étrange, au cou interminable et aux yeux de chouette, à deux énormes excroissances latérales et « jambes » en arceaux, au corps en calebasse ou en violon, terminé par des franges (Fig. 95, 1 et 6). Elles sont isolées et n'entrent pas en association avec un thème particulier, bien que par deux fois elles soient proches d'armes : premier cas remarquable (Fig. 95, 2), où la gravure d'une arme, une hache à tranchant ovale, a conduit à l'adaptation du dessin et sa transformation en idole, à moins que ce soit le contraire ; second cas (Fig. 95, 5), où l'idole est piquetée puis polie, les deux boomerangs étant piquetés et donc peut-être pas contemporains. Ces représentations, que Malhomme appelait « Grandes Déesses méditerranéennes », seraient les lointains avatars des idoles de type cycladique, à forte connotation rituelle. Ces curieux personnages rappellent en effet les idoles féminines callipyges en marbre, aux bras chétifs ramenés sous des seins volumineux, en position accroupie et les jambes repliées sous les fesses. Ces images, peut-être les plus anciennes des foyers rupestres du Haut Atlas, traduisent la longue persistance des cultes anciens, hérités, de nouveau, de l'Espagne voisine. Les idoles mobilières, telles celles de Los Millares (vers 2500 av. J.-C.), sont présentes dans toutes les cultures « énéolithiques » d'Europe et jusque dans les Îles Canaries, sous la forme de statuettes ou de stèles. Elles montrent l'attachement des graveurs du Haut Atlas au monde naturel et son agencement, avant que d'autres dieux, mâles, ceux-là et armés de pied en cap, viennent imposer leurs pratiques nettement moins matriarcales, censées représenter un indéniable progrès sur les mythes anciens !

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PERSPECTIVES Les recherches concernant l'expression rupestre au Maroc continuent. Elles seront probablement axées vers un complément d'inventaire en vue de relever, sur le terrain, les gravures qui ont échappé aux prospections passées, y compris les miennes. Certaines images seront d'un intérêt anecdotique tandis que d'autres pourront bouleverser les observations exprimées ici. L'objectif majeur des préhistoriens de l'art est l'établissement d'une chronologie raisonnée. Cette chronologie pourra être assurée lorsque toutes les images auront été relevées. Il m'est arrivé d'être assez pessimiste quant au devenir des témoins rupestres. Les annonces sporadiques de destruction ou de disparition de gravures au Maghreb ou au Sahara y contribuent grandement. À l'inverse des témoins archéologiques qui ne sont en place qu'une seule fois, les gravures rupestres sont durables et pourront être observées, mesurées, enregistrées, étudiées pendant longtemps encore. Encore faut-il qu'elles ne subissent que le seul outrage du temps. Mais au Maroc, comme partout ailleurs dans le monde, il y a urgence. C'est toujours avec une immense tristesse et une rage à peine contenue que j'ai retrouvé des gisements de gravures saccagés, parfois entièrement détruits, bien des années après les avoir vus intacts. Au moment de la découverte, mon émotion était à la mesure de mon intérêt scientifique. Combien sommes-nous, aujourd'hui, à tenter de quantifier la valeur émotionnelle et scientifique de ces signes d'une vie florissante passée, dans un environnement actuel d'une poignante désolation ? Sommes-nous entrés dans une ère d'iconoclastie irréversible ? Au-delà d'une nostalgie peut-être trop sensible, la connaissance du passé, à une époque qui prétend vouloir se projeter vers un futur meilleur avec une frénésie inquiétante, importe-t-elle si peu à nos contemporains ? Nous-mêmes, chercheurs, n'avons-nous pas inconsidérément contribué, par la publication de nos travaux, à la destruction et au pillage des sites, splendides îles désertes que nous n'aurions jamais dû porter sur les cartes ? Non, bien sûr. Il faut croire alors que c'est le prix à payer. Heureusement, surviennent parfois des événements aussi inattendus que surprenants. Le remarquable éléphant de Tiouririne (Fig. 81, 6) découvert par Simoneau, gravé sur une plaque de grès mobile, a erré de longues années autour de la colline. Je l'avais découvert, à mon tour, en place, sur le sommet. Puis il disparut. Quelques années après, il réapparaissait, au milieu du sable, au bas de la ride. Il restait là, sans que, miraculeusement, personne ne songe un instant à le subtiliser. Je dois avouer que mon envie était alors très grande de recueillir la dalle -très lourde !- et de la confier à l'Institut, à 185

Rabat, comme je l'avais fait pour d'autres plaques gravées mobiles, en grand danger d'évacuation. Il disparut de nouveau, définitivement, me lamentais-je alors... Il est aujourd'hui fixé sur une base de ciment, à l'entrée du camping de Tazzarine. Cet emplacement vaut-il celui d'un musée ou d'une réserve ? Cette gravure-là est sauvée, d'une certaine façon tout au moins. Les gravures rupestres sont des monuments historiques et patrimoniaux inviolables. Elles sont à observer et à étudier dans leur environnement. Une gravure rupestre en place n'est pas là par hasard. Elle s'inscrit dans un géosystème où chaque colline, chaque vallée, chaque point d'eau, le moindre poste d'observation, ont un rôle à jouer, même si cette conjonction n'est pas aussi évidente qu'elle le fût au temps des graveurs. Les stations rupestres ont été des lieux de vie intense et leur observation aujourd'hui ne livre qu'une partie infime du contexte qui a été le leur. Analyser une gravure rupestre, tenter de « lire » comme nous venons de le faire, reconnaître ici un rhinocéros, là un chasseur avec son arc, relève de l'exercice d'identification d'ombres chinoises. L'intention du graveur, son rôle même au sein de la communauté, le contenu du message -si message il y avait- qu'il était censé faire passer, l'harmonie qui en résultait peut-être pour lui-même et pour les siens... sont autant de niveaux de compréhension qui nous sont à jamais inaccessibles. L'étude des images rupestres n'est pas vaine pour autant : aurions-nous négligé d'étudier la civilisation égyptienne sous le prétexte qu'un lexique faisait défaut pour « traduire » les images d'anthropomorphes à tête d'ibis, de lions à tête humaine, pour comprendre la fonction symbolique primordiale du scarabée ? L'étude de l'« art » rupestre au Maroc, malgré l'absence de cette clé magique qui est l'écriture, nous conduit à d'intéressants constats. L'étude comparative, à l'aide de synthèses sur les images rupestres (Le Quellec, 1993), permet de replacer cette expression rupestre dans son contexte. On peut ainsi convenir d'une origine essentiellement saharienne et assister à une diffusion de l'image, du cœur du Sahara vers les marges septentrionales, le Sud-Oranais d'abord, le Sud marocain ensuite. L'image de la « femme ouverte », expression que je trouve malheureuse et que je remplacerais volontiers par « femme eidoscopique » (femme qui donne à montrer), ainsi que le préconise Hugot (1999), en est un parfait exemple. Au Sahara central, cette image de la femme jambes levées et exhibant son sexe, est celle de la fécondité, c'est tout au moins le message sous-jacent que l'on veut y voir, audelà du sens premier de l'expression érotique vitale (l'eros des philosophes). Ces images sont assez nombreuses et très variées au Sahara et donnent un grand nombre de niveaux de lecture qu'il n'est pas de mon propos d'exposer ou de commenter ici. On constate que quelques images de femmes éidoscopiques ont été gravées dans le Sud Oranais (Lhote, 1970), mais elles sont nettement plus schématisées et minimisées et de ce fait donnent moins 186

d'informations. Dernière constatation : cette image est totalement absente sur les stations riveraines du Dra. Tout ce serait donc passé comme si un concept (magico-religieux, sacré, rituel... peu importe le niveau d'abstraction qui lui sera attribué) et sa représentation codifiée étaient nés au Sahara, avaient atteint l'Atlas algérien, mais s'étaient épuisés pour être totalement moribonds aux abords des contreforts de l'Anti Atlas. Les thèmes qui touchent au domaine de la chasse et du bestiaire, y compris les images de bovins, tiennent leur origine du Sahara, comme les arcs et les vêtements, les plumes de tête, les pièges et autres spirales : il existe, dans l'Akakus (ou Akukas, Libye) l'image d'un homme portant des arceaux iliaques, à la manière des grands anthropomorphes atlasiques (Fig. 3), arceaux rappelant les « pantalons » bouffant des guerriers de l'Aïr (Niger). Proposons donc ce scénario : un foyer civilisationnel brillant, constitué de pasteurs (et à la fois chasseurs), que les peintures tassiliennes restituent dans des fresques polychromes somptueuses, s'étend sur tout le Sahara à la fin du Néolithique. Son destin est déjà scellé. Il se meurt lentement, vaincu par l'aridité qui gagne inexorablement. Le Sahara central et les anciens parcours sont déjà un désert lorsque les pasteurs fréquentent les refuges encore verdoyants des monts des Ksours (Algérie) et les versants méridionaux des Atlas, entre le 3e et le second millénaire. Les pratiques pastorales et cynégétiques sont encore vivaces, ce que semblent bien montrer les images, mais le char, qu'il ait été de guerre, de prestige ou d'agrément, est au Maroc un engin utilitaire, tiré par des bœufs, avant de se perpétuer par le biais d'une représentation symbolique, minimaliste et répétitive. De leurs foyers d'origine, ces pasteurs ont emmené avec eux l'art de représenter. Ainsi, le style de Tazina ne serait-il qu'un épigone du monumental style poli du Messak libyen ? En de nombreux traits supplémentaires souvent anarchiques, le dessin poli perd de son naturalisme, s'édulcore et ne semble plus être qu'un exercice de style, certes spectaculaire mais froid, où le souci de représenter, de prolonger la vie par le biais d'une image, n'est plus qu'anecdotique : les petits personnages en style de Tazina du Sud marocain gardent bien cette attitude particulière des chasseurs, dite « du skieur », leur présence n'est plus synonymes d'activités quotidiennes mais prend valeur de références symboliques. L'appauvrissement des thèmes est particulièrement notable au niveau des images du bestiaire. La sacralisation fortement présumée des animaux qui se traduit, au Sahara, par une surreprésentation du bœuf et un catalogue conséquent d'êtres divins, fantastiques, mi-hommes, mi-animaux (théromorphes et théranthropes), est élevée au rang d'authentique zoophanie. Cette sacralisation est perceptible au Maroc, mais, de nouveau, de façon nettement atténuée. Le bœuf est magnifié, certes, il est omniprésent et fait 187

indéniablement figure de patrimoine culturel, matériel, mais il n'entre pas en compétition avec les mythes du monde sauvage, comme si ces derniers avaient perdu de leur vitalité en chemin. Les petits « diablotins » du Sud marocain, rares et discrets, égarés au milieu des bœufs de belle dimension, sont les rejetons des théromorphes du Sahara. Peut-être vers le deuxième millénaire, des images nouvelles, non sahariennes, font une intrusion remarquée dans l'inventaire de l'expression rupestre marocaine. Le Néolithique marocain, jusqu'aux environs de Rabat, voire plus au sud encore, montre l'existence de contacts sporadiques, d'échanges commerciaux, d'adoptions de techniques communes, des deux côtés du détroit de Gibraltar. Avant l'arrivée des métaux, quelques pointes de silex et de la céramique ont été importées d'Espagne. Avec l'épanouissement du Campaniforme et de la civilisation de Los Millares, puis d'El Argar, vers 1800 av. J.-C., ce sont les armes de métal, bientôt les techniques métallurgiques elles-mêmes, qui empruntent des routes identiques. Dans le Haut Atlas, la sacralisation du métal, élevée au rang d'hoplolâtrie, se traduit par la multiplication des images d'armes, sans que cette sacralisation soit pour autant synonyme d'une société particulièrement belliqueuse. La variété des armes et le nombre de représentations (les anciennes venues du Sahara, comme le boomerang, côtoyant les nouvelles venues d'Espagne, comme la hallebarde) sont le signe d'une très grande souplesse d'adaptation et d'innovation des populations de l'Atlas. Le bœuf, image immuable du patrimoine hérité des pasteurs du Sahara, est associé à des armes, le poignard et la hache le plus fréquemment, cette dernière association pouvant être la représentation de sacrifices. La faune sauvage, quant à elle, recule, face à l'efficacité des armes nouvelles, ceci étant particulièrement sensible dans l'association armes/félidés. La montée en puissance des armes, relayées bientôt par le cheval, la formidable machine de guerre que l'on sait, pour de longs siècles à venir, va de pair avec la disparition lente et inéluctable de la grande faune sauvage. La girafe, que l'on voit associée parfois à des cavaliers, s'est peut-être mieux adaptée à une sécheresse relative dans l'Anti Atlas et au Sahara occidental, encore humides des apports océaniques, mais le buffle antique a déjà disparu de ces zones au premier millénaire, probablement victime d'une conjonction de facteurs climatiques et cynégétiques. Il est plus difficile d'envisager un repère chronologique pour le rhinocéros, quelle que soit l'espèce, tandis que l'éléphant se maintiendra jusqu'aux premiers siècles de l'ère commune. Il va de soi que les images seules ne « racontent » pas ce scénario tel qu'il serait trop facile de l'écrire. L'abondance des armes dans le Haut Atlas ne décrit pas une civilisation sanguinaire, je l'ai dit ; les pasteurs qui agrémentaient leur quotidien alimentaire de quelque viande fraîche avaient plus souvent à leur tableau de chasse des gazelles et des lapins que des 188

girafes ou des éléphants. L'iconographie codée représente plus souvent l'enfant Jésus comme un adorable bambin joufflu dans les bras de sa mère que comme un garnement pataugeant au caniveau. Par ailleurs, un panneau gravé ne relate pas nécessairement un seul et même événement synchrone. Deux poignards typologiquement identiques ont pu être gravés séparément par deux lapicides, à plusieurs décennies (de siècles ?) d'écart. Une gravure peut se lire en deux temps : un bœuf magnifié peut ultérieurement se voir surmonté d'un personnage, en signe d'appropriation. Les repères chronologiques que nous avons donnés, à titre indicatif, convergent vers une échelle raisonnable : l'expression rupestre au Maroc a duré très peu de temps, les dernières gravures datant peut-être du 4e ou du 5e siècle. Certains observateurs ont établi des chronologies dites longues, relativement aux phases stylistiques du Sahara. Ces chronologies ne sauraient s'appliquer au Maghreb, car au vu des connaissances actuelles, l'expression rupestre au Maroc peut difficilement être antérieure à la moitié du troisième millénaire. En quelques trois mille ans (bien peu en regard des temps préhistoriques), les images rupestres du Maroc nous renvoient, tel un écho atténué, celles, monumentales, nées au Sahara. Tout est allé en s'amenuisant, la mémoire de pierre des hommes s'effaçant doucement, au rythme lent des bœufs, exprimant un dernier éblouissement dans les cavalcades effrénées des cavaliers libyco-berbères, pour s'éteindre dans le silence minéral du désert.

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ANNEXE Carte du Maroc – Principales stations rupestres.

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TABLE DES MATIÈRES Avertissement.................................................................................................. 5 Avant-propos ................................................................................................... 7 Chapitre 1 – Objectifs et méthodes............................................................... 11 Chapitre 2 – Le domaine rupestre marocain ................................................. 17 Chapitre 3 – Technique et style .................................................................... 21 Chapitre 4 – L'Homme ................................................................................. 27 Chapitre 5 – Le bœuf .................................................................................... 49 Chapitre 6 – Le bestiaire domestique ........................................................... 61 Chapitre 7 – La faune sauvage ..................................................................... 67 Chapitre 8 – Les armes ............................................................................... 115 Chapitre 9 – Le char et le cavalier .............................................................. 139 Chapitre 10 – Les pièges ............................................................................ 147 Chapitre 11 – Entrelacs, spirales et croix.................................................... 157 Chapitre 12 – Énigmes et chimères ............................................................ 165 Chapitre 13 – Inscriptions, jeux et idoles ................................................... 175 Perspectives ................................................................................................ 185 Bibliographie .............................................................................................. 191 Annexe ........................................................................................................ 195

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L’HARMATTAN ITALIA Via Degli Artisti 15; 10124 Torino [email protected] L’HARMATTAN HONGRIE Könyvesbolt ; Kossuth L. u. 14-16 1053 Budapest L’HARMATTAN KINSHASA 185, avenue Nyangwe Commune de Lingwala Kinshasa, R.D. Congo (00243) 998697603 ou (00243) 999229662

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L’HARMATTAN CAMEROUN BP 11486 Face à la SNI, immeuble Don Bosco Yaoundé (00237) 99 76 61 66 [email protected] L’HARMATTAN CÔTE D’IVOIRE Résidence Karl / cité des arts Abidjan-Cocody 03 BP 1588 Abidjan 03 (00225) 05 77 87 31 [email protected] L’HARMATTAN BURKINA Penou Achille Some Ouagadougou (+226) 70 26 88 27

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Images rupestres du Maroc

Ce livre présente les aspects principaux de l’art rupestre marocain, depuis les images anthropomorphes, le plus souvent discrètes, jusqu’aux panoplies des âges des métaux, en passant par un bestiaire d’une richesse et d’une variété insoupçonnées. S’appuyant sur quatre-vingt-quinze planches de dessins, regroupant ainsi plus de neuf cents images, ces thèmes sont successivement présentés et analysés. D’une lecture accessible, privilégiant le sujet gravé plutôt que les aires rupestres, bien que révélant des liens inattendus entre ces dernières, l’ouvrage offre un panorama plaisant aux néophytes et apporte aux spécialistes de précieux indices.

Alain RODRIGUE est diplômé de l’École des hautes études en sciences sociales et Docteur en préhistoire. Ses prospections dans le Haouz de Marrakech, le Haut Atlas et le Grand Sud du pays l’ont conduit à la découverte de nombreuses stations préhistoriques. Il s’est spécialisé dans l’expression rupestre et dans la typologie lithique. Il est l’auteur de plus de deux cents notes, articles et mémoires ainsi que de six livres sur la préhistoire du Maroc.

En couverture : Le lion qui donne la patte. Station d’Aït Ouazik. Cette gravure a disparu.

ISBN : 978-2-343-10420-1

21,50 €