Histoire critique de l’ultragauche [2e édition revue et augmentée. ed.]
 9791090906037

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Histoire critique de l'ultragauche 'Deuxième édition, revue et augmentée

Transcriptions des exposés de ROLAND SIMON

Textes établis et annotés par les C H E M I N S NON TRACÉS

ISBN :

979-10-90906-03-7

Éditions SENONEVERO, avril 1015 ARHIS, 8, rue Chateauredon, 13001 Marseille http: //www.senonevero. net Les Chemins non tracés BP 259, 84011 Avignon cedex 1 [email protected]

Nous ne sommes pas responsables de l'utilisation que les médias, la police et les institutions en général font ou ont fait du terme ultragauche.

Préface Mai 68, année théorique, etc. ous CONSIDÉRONS l'ultragauche comme une chose absolument passée1. Ce livre est un bilan, bilan critique et non exhaustif, bilan cependant. Pour effectuer ce bilan, il fallait qu'au travers des luttes de la « période 68 », puis durant les années 1 9 7 0 - 8 0 , émerge par bribes, de façon heurtée, par des impasses et des critiques successives, un nouveau paradigme théorique de la lutte de classe et de la distinction de genre, de la révolution et du communisme, que nous qualifions comme celui de la communisation2. Il fallait que l'on ne soit plus en situation de se référer à l'ultragauche comme à un ensemble de positions dans lesquelles nous puiserions tel élément en rejetant tel autre. Il fallait être en mesure de définir l'ultragauche, tant théoriquement que pratiquement, comme une problématique, c'est-à-dire lui conférer un sens global. C'est l'émergence de ce nouveau paradigme au travers d'un nouveau cycle de luttes et de l'accomplissement de la restructuration du capital amorcée dans les années 1970 qui est l'objet de cette préface à la seconde édition de ce livre.

N

1.

À plusieurs reprises, ce texte s'inspire plus ou moins librement de François Danel, « Production de la rupture », préface à Hfipture dans la théorie de la révolution, Textes 196$ — 197s, Ed. Senonevero, 2003.

2.

Dans un premier temps, nous aborderons ce concept par touches successives selon les aléas du dépassement de la problématique de l'ultragauche, puis de façon plus synthétique dans la dernière partie de cette introduâion. Précisons cependant très brièvement tout de suite de quoi il s'agit : dans le cours de la lutte révolutionnaire, l'abolition de l'État, de l'échange, de la division du travail, de toute forme de propriété, l'extension de la gratuité comme unification de l'aâivité humaine, c'est-à-dire l'abolition des classes, des sphères privées et publiques, des catégories d'hommes et de femmes, sont des « mesures » abolissant le capital, imposées par les nécessités mêmes de la lutte contre la classe capitaliste, dans un cycle de luttes spécifiquement défini. La révolution est communisation, elle n'a pas le communisme comme projet et résultat. On n'abolit pas le capital pour le communisme mais par le communisme, plus précisément par sa produâion.

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Restructuration et identité ouvrière La restructuration du mode de production capitaliste qui a accompagné la crise de la fin des années i960 au début des années 1980 a été une défaite ouvrière, la défaite de l'identité ouvrière, quelles que soient les formes sociales et politiques de son existence (des partis communistes à l'autonomie ; de l'État socialiste aux conseils ouvriers). Toutes les caractéristiques du procès de production immédiat (travail à la chaîne, coopération, production-entretien, travailleur collectif, continuité du procès de production, sous-traitance, segmentation de la force de travail), toutes celles de la reproduction (travail, chômage, formation, welfare, famille), toutes celles qui faisaient de la classe une détermination de la reproduction du capital lui-même (service public, bouclage de l'accumulation sur une aire nationale, inflation glissante, « partage des gains de productivité »), tout ce qui posait le prolétariat en interlocuteur national socialement et politiquement, tout cela fondait une identité ouvrière, confirmée à l'intérieur même de la reproduction du mode de production capitaliste, à partir de laquelle se jouait le contrôle sur l'ensemble de la société comme gestion et hégémonie. Cette identité ouvrière qui constituait le mouvement ouvrier et structurait la lutte des classes, jusqu'à la division de l'accumulation mondiale avec le « socialisme réel », reposait sur la contradiction entre, d'une part, la création et le développement d'une force de travail mise en œuvre par le capital defaçon de plus en plus collective et sociale et, d'autre part, lesformes apparues comme limitées de l'appropriation par le capital de cette force de travail dans le procès de production immédiat et dans le procès de reproduction. Voilà la situation conflictuelle qui se développait comme identité ouvrière, qui trouvait ses marques et ses modalités immédiates de reconnaissance (sa confirmation) dans la « grande usine », dans la dichotomie entre emploi et chômage, travail et formation, dans la soumission du procès de travail à la collection des travailleurs, dans les relations entre salaires, croissance et productivité à l'intérieur d'une aire nationale, dans les représentations institutionnelles que tout cela implique, tant dans l'usine qu'au niveau de l'État, et lait but non leaSl dans la légitimité et la fierté sociale et culturelle d'être ouvrier. L'identité ouvrière était le fondement du cycle de luttes s'étendant durant la première phase de la subsomption réelle du travail sous le capital, des années 1920 à la fin des années i960. Il y avait bien autoprésupposition du capital, conformément au concept de capital, mais la contradiction entre prolétariat et capital ne pouvait se situer à ce niveau, en ce qu'il y avait production et confirmation à l'intérieur même de cette autoprésupposition d'une

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identité ouvrière par laquelle se structurait, comme mouvement ouvrier, la lutte de classe. L'extraction de plus-value sous son mode relatif, aussi bien au niveau du procès de production immédiat qu'à celui de la reproduction d'ensemble, est le principe de développement et de mutation de la subsomption réelle. À ces deux niveaux (production/reproduction) apparaissent, durant la première phase de la subsomption réelle, les obstacles à la poursuite de l'accumulation telle que l'extraCtion de plus-value sous son mode relatif avait elle-même struCturé cette accumulation. Il s'agissait de tout ce qui était devenu une entrave à la fluidité de l'auto présupposition du capital3. On trouve d'une part toutes les séparations, protections, spécifications qui se dressent face à la baisse de la valeur de la force de travail, en ce quelles empêchent que toute la classe ouvrière, mondialement, dans la continuité de son existence, de sa reproduction et de son élargissement, doive faire face en tant que telle à tout le capital. On trouve d'autre part toutes les contraintes de la circulation, de la rotation, de l'accumulation, qui entravent la transformation du surproduit en plus-value et capital additionnel. Avec la restructuration achevée dans les années 1980, la production de plus-value et la reproduction des conditions de cette production coïncident. C'est la façon dont étaient architeCturées d'une part l'intégration de la reproduction de la force de travail, d'autre part la transformation de la plus-value en capital additionnel et enfin l'accroissement de la plus-value sous son mode relatif dans le procès de production immédiat, qui étaient devenues des entraves à la valorisation sur la base de la plus-value relative. 3.

« Le procès de production capitaliste reproduit donc de lui—même la séparation entre travailleur et conditions du travail. Il reproduit et éternise par cela même les conditions qui forcent l'ouvrier à se vendre pour vivre, et mettent le capitaliste en état de l'acheter pour s'enrichir. Ce n'est plus le hasard qui les place en face l'un de l'autre sur le marché comme vendeur et acheteur. C'est le double moulinet du procès lui-même, qui rejette toujours le premier sur le marché comme vendeur de sa force de travail et transforme son produit toujours en moyen d'achat pour le second. Le travailleur appartient en fait à la classe capitaliste, avant de se vendre à un capitaliste individuel. Sa servitude économique est moyennée et, en même temps, dissimulée par le renouvellement périodique de cet a£te de vente, par la fi&ion du libre contrat, par le changement des maîtres individuels et par les oscillations des prix de marché du travail. Le procès de production capitaliste considéré dans sa continuité, ou comme reproduction, ne produit donc pas seulement marchandise, ni seulement plus-value ; il produit et éternise le rapport social entre capitaliste et salarié. » (Marx, jÇe Capital, Ed. Sociales, t.3, pp. 19-20)

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Cette non-coïncidence entre production et reproduction était la base de la formation et confirmation dans la reproduction du capital d'une identité ouvrière ; elle était l'existence d'un hiatus entre production de plus-value et reproduction du rapport social, hiatus autorisant la concurrence entre deux hégémonies, deux gestions, deux contrôles de la reproduction. Elle était la substance même du mouvement ouvrier. Dans ses trois déterminations définitoires (procès de travail, intégradon de la reproduction de la force de travail, rapports entre les capitaux sur la base de la péréquation du taux de profit) l'extraction de plus-value sous son mode reladf implique la coïncidence entre production et reproduction et corollairement la coalescence entre la constitution et la reproduction du prolétariat comme classe d'une part et d'autre part sa contradiction avec le capital. C'est la substance même du cycle de luttes qu'initia la restructuration de la fin des années 1970. £a contradiction entre le prolétariat et le capital a alors pour contenu essentiel son propre renouvellement : dans sa contradiction avec le capital qui le définit comme classe, le prolétariat se remet lui-même en cause. Cette restructuration comportant cette redéfinition de la contradiction entre le prolétariat et le capital signa la caducité du programmatisme et la défaite des luttes de la « période 68 ».

Le programmatisme et sa caducité Dans l'élan de la grève ^ masse de mai-juin 1968 et, tandis que l'automne chaud italien de 1969 et le soulèvement polonais de décembre 1970 succédaient au printemps français, que les conflits souvent violents et sans revendications se multipliaient aux États-Unis et que toutes les instances de la reproduction de la force de travail et de la nécessité du renouvellement de son rapport au capital étaient remise en cause, on pouvait penser que le réformisme ouvrier, l'emprise des partis communistes et des syndicats sur la classe, et le grand battage gauchiste n'en avaient plus pour longtemps, que toutes ces luttes encore limitées annonçaient un nouvel « assaut prolétarien » débouchant à court terme sur la lutte finale. Mais les limites des luttes de la période apparaissant à mesure qu'elles se développaient, des questions décisives durent être posées, portant à la fois sur le bilan des révolutions passées, sur l'analyse des luttes en cours, sur les perspectives de développement du mode de production capitaliste, et sur la conception générale du communisme.

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De notre point de vue aftuel, parce qu'a disparu, dans la restructuration qui a suivi cet assaut, toute affirmation du prolétariat, on peut aujourd'hui comprendre toute l'avion historique du « vieux mouvement ouvrier » et de la « période 68 » sous le concept de programmatisme. De façon générale, on peut dire que le programmatisme repose sur une pratique et une compréhension de la lutte des classes dans laquelle une des classes, le prolétariat, trouve, dans sa situation à libérer, les fondements de l'organisation sociale future qui devient un programme à réaliser. Dans la lutte des classes entre le prolétariat et le capital, le prolétariat est l'élément positif qui fait éclater la contradiction, la révolution est alors l'affirmation du prolétariat : dictature du prolétariat, conseils ouvriers, libération du travail, période de transition, État dégénérescent, autogestion généralisée, « société des producteurs associés », etc. La résolution de la contradiction est donnée comme un des termes de la contradiction. Le prolétariat est alors investi d'une nature révolutionnaire qui le fait être contradictoire au capital, et qui se module selon des conditions historiques plus ou moins « mûres ». Le programmatisme n'est pas seulement une théorie, il est avant tout la pratique du prolétariat dans laquelle la mont^p en puissance de la classe dans le mode de production capitaliste (de la social-démocratie aux conseils ouvriers) est positivement le marchepied de la révolution et du communisme. Il est la pratique du prolétariat depuis le début du XIXe siècle, jusqu'à la fin des années i960. Cependant, lié de façon essentielle à la période de subsomption formelle du travail sous le capital, il se « décompose » sous la forme spécifique de l'identité ouvrière dans la première phase de la subsomption réelle à partir des années 1920. Avec la subsomption formelle dont le mode absolu d'extraction de la plus-value est le fondement, la domination du capital se résout en une contrainte au surtravail, sans que le travail lui même soit entièrement spécifié comme travail salarié. En effet la distinction entre le travail créateur de valeur et le travail créateur de plus-value ne s'effectue pas dans le procès de production, mais par le premier moment de l'échange : l'achat-vente de la force de travail. Dans le procès de production, l'extraction de plus-value sous un mode absolu implique que produire plus de plus-value c'est forcément produire plus de valeur, ce qui n'est plus le cas avec l'extraction de plus-value sous son mode relatif. De plus, en subsomption formelle du travail sous le capital, le procès de travail n'est pas un procès de travail adéquat au capital, c'està-dire, dans lequel l'absorption du travail vivant par le travail mort est le fait du procès de travail lui même (développement de la machinerie) ; les forces sociales du travail (coopération, division du travail,

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science) ne sont pas objectivées dans le capital fixe ; la reproduction de la classe n'est pas intégrée dans la reproduction spécifique du capital (consommation, modes de vie, reproduction sociale de la force de travail). Le capital n'a pas fait sienne, dans son cycle propre, la reproduction collective et sociale des travailleurs. Le capital, dans son rapport au travail, se pose lui même comme une puissance extérieure. La révolution est alors, pour le prolétariat, sa propre libération, son affirmation. La lutte de classe a pour contenu l'affirmation du prolétariat, son érection en classe dominante, la production d'une période de transition, la formation d'une communauté ouvrière fondée sur le travail productif. Le prolétariat est déjà, dans la contradiction qui l'oppose au capital, l'élément positif à dégager. Le prolétariat est en effet, alors, à même d'opposer au capital ce qu'il est dans le capital, c'est-à-dire de libérer de la domination capitaliste sa situation de classe des travailleurs, et de faire du travail la relation sociale entre tous les individus, leur communauté, de libérer le travail productif, de prendre en main les moyens de production, de se libérer de l'anarchie marchande capitaliste, de la propriété privée. Cela revient à vouloir faire de la valeur, dans sa substance de travail abstrait, un mode de production. C'est tout ce contenu là, théorique et pratique, de la lutte de classe du prolétariat que nous appelons programmatisme.

Les échecs révolutionnaires en héritage C'est d'une accumulation d'expériences toutes marquées par l'échec des révolutions prolétariennes passées qu'héritaient les communistes au début des années 1970. Ils héritaient en même temps d'un système de questions gravé dans le même programmatisme qui avait été l'âme de ces révolutions et de leur échec. La révolution et le communisme ne sont pas des choses connues depuis l'origine du mode de production capitaliste et encore moins une tension humaine à la communauté, mais une production historique de chaque cycle de luttes ayant scandé l'histoire de ce mode de production et de la lutte des classes. Le communisme n'est pas une norme permettant de juger chaque phase révolutionnaire selon le degré où elle s'en serait approchée et expliquant son échec par le fait qu'elle ne l'aurait pas accomplie. La production du communisme comme dépassement du capital est une production historique réelle de la seule histoire qui existe, celle du mode de production capitaliste, qui n'est rien d'autre que la contradiction entre le prolétariat et le capital. Lorsqu'à partir de la restructuration du capital et de ce cycle de luttes,

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le communisme se présente comme communisation, il ne s'agit pas de croire P a r i s , S p a r t a c u s , 1 9 7 9 , p . 8 -, « Une suffit pas de manifeSter contre le blotants. «

ET LES DÉBUTS DE L'ULTRAGAUCHE EN FRANCE

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le gouvernement républicain). L'UC attache une grande importance aux événements de Barcelone de mai 1937, qu'elle considère comme l'écrasement du dernier mouvement prolétarien qui aurait pu empêcher la marche à la guerre, ou du moins la généralisation de l'Union sacrée. C'est la fin de tout espoir. SUR LA QUESTION SYNDICALE

Tout en reconnaissant leur intégration, l'UC est favorable au travail à l'intérieur des syndicats contre les réformistes et les staliniens86 :

Or ce mot d'ordre [redressement de la CGT] est l'expression d'une illusion nocive. £a CÇT ne pourra pas être redressée. Si le courant révo lutionnaire parvenait à menacer l'emprise des dirigeants actuels sur l masses, ils recourraient à la scission, comme Jouhaux le fit en 1921. £e syndicats ne subsisteront que s'ils s'adaptent à leur rôle dans la phase déclin du capitalisme : collaborer avec la classe exploiteuse et s'intég toujours d'avantage dans l'État capitaliste. "Probablement même devro ils faire place à de nouvelles organisations comme les corporations fasci ou le front du travail hitlérien, si la bourgeoisie française l'exige un jour. Gaston Davoust, JÇ.Internationale, n° 40, 21 décembre 1938. Aucun redressement des syndicats n'est possible, même en cas de renouveau de la lutte des classes. Davoust critique néanmoins le mot d'ordre allemand « sortir des syndicat », car il est pour lui nécessaire « d'y être » pour orienter l'aCtion des travailleurs vers l'aCtion direCte87.

Il apparaît bien que les organisations de masse crées par les travailleu dans leur lutte contre le pouvoir bourgeois [les organismes de masse, les comités de grève, les conseils, les soviets], ne peuvent coexister avec des eus [ d e l ' E s p a g n e ] , ilfaut lutter contre ceux qui l'organisent [ l e F r o n t p o p u l a i r e ] et ceux qui se font leurs complices ». J e a n C f . R a b a u t , op. cit., p . 2 1 1 . 8G. « Ttyus étions en grande majorité des « militants », syndicaux aussi, quoi que parfaitement conscients de l'intégration des syndicats que nous dénoncions au fur et à mesure qu'elle se réalisait au travers du Tront Topulaire, de l'Unité syndicale, etc. » C h a z é H e n r y . , l e t t r e a u P I C , 5 m a i 1 9 7 5 , d a n s Jeune taupe, n ° 6, j u i l l e t 1 9 7 5 . D e s m e m b r e s d e l ' U C a n i m a i e n t le cercle syndicaliste L u t t e d e classes f o r m é e n 1 9 3 7 p a r des s y n d i c a l i s t e s r é v o l u t i o n n a i r e s a u sein d e la C G T . Ils p u b l i e n t le

syndicaliste d o n t 87

Héveil

D a v o u s t est secrétaire d e r é d a â i o n .

« Tricher la désertion des syndicats ? Tfyn, car cela signifierait pousser à l'inorganisation et à la débandade. Tréconiser la scission et la constitution de syndicats rouges ? Ce n'eSt pas mieux, car l'expérience a prouvé que la classe ouvrière divisée ne peut rien surtout lorsque les réformistes ont toute liberté de pratiquer le sabotage des batailles revendicatives ». C a m o i n R o b e r t , op. cit., p . 7 2 .

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organismes de ce pouvoir que dans la tris courte période de guerre civile. (JMais aucune coexistence pacifique n 'est possible sans altération du caractire révolutionnaire et même de classe des organisations ouvrières, altération allant progressivementjusqu a leur transformation et leur intégration plus ou moins directe et totale dans le système de domination capitaliste. Ja situation en ^France nous le démontre clairement quant aux syndicats.

Gaston Davoust, ^Internationale, n° 40, 21 décembre 1938. On voit ici la forte influence germano-hollandaise88 (pour le GIC par exemple «aucun organisme ne peut subsiïler après la lutte »), mais les positions de Davoust ne sont pas celles de l'ensemble de l'UC. L'UC n'a toutefois jamais dépassé la vision d'un mouvement ouvrier victime de « trahisons », de l'action de « traîtres » (elle emploie toujours le terme de « trahison Stalinienne »). A cause de la mobilisation, les membres de l'UC se trouvent dispersés à partir de 1939, mais les contacts sont rapidement renoués. En 1941, Davoust écrit un texte intitulé la futte de classe continue, dans lequel il dénonce la résistance et « son pendant », la collaboration. Il est arrêté en octobre 1941 puis déporté. Après la guerre, on le retrouve dans de nombreux groupes : FFGC, S ou B, etc. Un groupe appelé « Spartacus » René Lefeuvre (membre du PCF jusqu'en 1934, puis de la Gauche socialiste avec Marceau Pivert et Daniel Guérin) fonde la revue c"Masses dont le premier numéro paraît en janvier 193389. Cette année-là, le soutien de la revue à Victor Serge90 provoque sa rupture avec le PCF 88.

« Sur la nature et le rôle contre-révolutionnaire de l'UH^S, nous avions au moins dix ans de retard par rapport à nos camarades hollandais [...] et à ceux de la gauche allemande. En ce qui concerne l'inSlitutionnalisation et l'intégration des syndicats, à peu pris le même retard. Sur le rôle du parti révolutionnaire, idem. » H e n r y C h a z é , Chronique... op. cit., p. 7.

89.

l'idéal commun » q u i r é u n i s s a i t l e g r o u p e p r o d u i s a n t l'idéal révolutionnaire socialiste, et une maniire commune d'aborder les problèmes que pose ce qui les entoure : l'utilisation de la méthode d'inveSHgation forgée par conscience », est un aspe£t de fa Société du Speàacle qui est rarement souligné ; on frise l'idéalisme (je suis gentil). En philosophie, l'idéalisme ne réside jamais dans l'objet étudié mais dans la méthode qui est utilisée (on peut parler de conscience sans être idéaliste, et parler de moyens de production sans être matérialiste, on peut en parler d'une façon historique, d'une façon téléologique, etc.). L'idéalisme qui s'exprime dans cette dialectique de la conscience c'est la pratique révolutionnaire du prolétariat en tant que conscience opérant sur la totalité de son monde : une pra80,

Référence aux années que Marx passe dans la salle de ledhire du 'British

fes Javanais, Paris, Phébus, 1998, 238 p. ; Soren Kierkegaard : Toi et Taradoxe, Paris, UGE, 1971, 322 p. ; Tlanète sans visa, Paris, Phébus, 1999, 556 p. ; Ce nommé /ouis cAragon ou le patriote professionnel, Paris, Syllepse, 1998, 59 p.

MATTICK Paul (1904-1981) À l ' âge de 14 ans, il adhère au mouvement spartakiste et devient délégué des apprentis au Conseil ouvrier de l'usine Siemens de Berlin. Agitateur et organisateur du KAPD et de l'AAUD, il participe à de nombreuses actions et se trouve à plusieurs reprises arrêté. A partir de 1925, il commence à publier des textes littéraires et politiques dans la presse radicale. Il émigré aux USA en 1926, adhère aux IWW au sein duquel se forme un groupe unioniste et devient rédacteur du journal Chicagoer (_Arbeiter-^eitung. Il se lance alors dans l'étude des textes de Marx. Il est également très actif dans le mouvement des chômeurs. Il rejoint ensuite un groupe en relation avec les conseillistes hollandais qui va publier successivement International Council Correspondent (1934-1937), Civing (JMarxism (1938-1941) puis T^eu> essays (1942-1943). Tout en travaillant en usine, il est (avec Karl Korsch) le principal animateur de ces revues et, par là même, l'un des principaux théoriciens de l'ultragauche. y

(JMarx et Kçynes, Paris, Gallimard, 1971 ; Intégration capitaliste et Hypture ouvrière, Paris, EDI, 1972, 292 p. ; Crises et Théories des crises, Paris, Champ libre, 1976, 246 p. ; Ce C"Marxisme hier, aujourd'hui et demain, Paris, Spartacus, 1983,160 p. ;

MITCHELL (Melis, dit Jehan, dit) ( 7-1945) Militant belge, il participe à la création de la LCI puis anime la Fraction proche des positions de la Fraction italienne. Contribue à la formation de la Fraction belge (1937) et participe activement à la revue 'Bilan. Il s'oppose à Vercesi sur la question de l'économie de guerre. Arrêté en 1940, il est déporté à Buchenwald et meurt d'épuisement en 1945 peu après sa sortie du camp. MOTHÉ Daniel (pseudo de Gautrat Jacques) (1924) Il commence à travailler à l'âge de 15 ans, successivement tapissierdécorateur à Bordeaux, mineur à Albi, couvreur à Marseille, docker,

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employé (grâce à de faux diplômes) et finalement tourneur-fraiseur chez Renault à Paris. Pendant la guerre, il fréquente les « groupes trotskisants » : en 1943, à Albi, il participe à la création d'un groupe qui publie Tront ouvrier (PCI) puis, à Mazanet au journal Demain, fabrique de faux papiers, etc. À Toulouse il participe à la création d'un groupe des Communistes révolutionnaires (proches des RKD) avant de rejoindre la FFGC. En 1949-19 50, il refuse le rapprochement avec S ou B. Après une courte fréquentation de la FA de Fontenis et la créadon d'un éphémère J[e libertaire "Renault, il rejoint finalement S ou B en 1952. Il crée en mai 1954 dans l'usine le journal Tribune ouvrière qu'il va animer avec Gaspard (ancien, bordiguiste membre de S ou B), Pierre Blachier (anarchiste) et, pour un temps, Pierre Bois (trotskiste du groupe Barta). Sa vision du journal (lieu d'expression ouvrière) étant minoritaire au sein de S ou B (pour un journal politique d'usine à destination des ouvriers), il quitte le comité de rédaction du journal mais continue à y écrire. En 1959, sans doute grâce au soutien de Pierre Vidal-Naquet, il publie Journal d'un ouvrier (1956-1958) aux Éditions de Minuit. Il adhère à FO en 1961, à la CFTC en 1964 (qui se déconfessionnalise cette année là) puis devient délégué syndical CFDT. Il rejoint le groupe de Castoriadis lors de la scission de 1963. En 1965, il publie au Seuil CMilitant chez "Renault, « témoignage, entre ethnographie et auto-analyse » et l'année suivant intègre la rédaction de la revue Esprit. À cette époque, il quitte S ou B. Il abandonne alors l'usine et entre à l'École pratique des hautes études où son diplôme est dirigé par Egard Morin. Il adhère au PS dans les années soixante-dix puis rallie le CNRS comme sociologue du travail. >

Journal d'un ouvrier, 1956-1958, Paris, Éditions de Minuit, 1959,

182 p.

MUNIS C. (Manuel Fernândez Crandizo Marti'nez dit) (1912-1989)

Au Mexique (où ses parents ont immigré), il contribue à la fondation clandestine de l'opposition trotskiste puis à celle de la section espagnole de l'Opposition de gauche (il a alors 18 ans). Il combat à Madrid dans les milices des Jeunesses socialistes à Madrid, et organise en 1936 la section bolchévique-léniniste d'Espagne qui édite J[a "Uoz Jeninifla, (trotskistes exclus du POUM en avril 1937). Accusé du meurtre d'un agent du GPU infiltré dans le POUM, il est emprisonné et torturé par les staliniens en février 1938, mais parvient à s'évader. Il se réfugie au Mexique où Trotsky le charge de diriger la section mexicaine de la IV Internationale et le groupe de réfugiés trotskistes espagnols. Il devient

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un proche collaborateur de Natalia Sedova Trotsky. Munis rompt avec la IV6 Internationale et le trotskisme en 1948, s'installe en France où il anime l'UOI. Entré clandestinement en Espagne dans le but d'y créer une organisation révolutionnaire, il participe à la grève des tramways de Barcelone en 1951 mais est arrêté (1952) et condamné à dix ans de prison. Libéré en 1957, il fonde deux ans plus tard le FOR qui publie la revue LAlarma. Expulsé de France, il vit quelques temps en Italie où il se lie avec Onorato Damen. Il revient ensuite s'installer en France. En 1966, il tente de reformer un groupe en Espagne. Il continue de militer au sein du FOR jusqu'à sa mort. y

Tard-état, Stalinisme, "Révolution, Spartacus, 1975,112 p. ; feçons d'une défaite, promesse de victoire. Critique et théorie de la révolution espagnole ipjo-ipip, Paris, Editions Science Marxiste, 2007, 600 p. ; et avec Benjamin Péret, fes Syndicats contre la révolution, Paris, Eric Losfeld, 1968, 96 p.

PANNEKOEK Anton (1873-1960) Né en hollande, astronome de réputation mondiale, il adhère au Parti social-démocrate hollandais en 1900. En 1907, il rejoint son aile gauche, les Tribunistes (du journal De Tribune) qu'il anime avec Herman Gorter (tendance exclue en 1909). Il publie Divergences tactiques dans le mouvement ouvrier (1909). Devenant un des théoriciens anti-révisionniste les plus actifs et les plus lus, il rejoint l'Allemagne et enseigne dans une école du SPD la conception matérialiste de l'histoire. Il est l'un des premiers à affirmer que la révolution ne se fera pas en dehors des syndicats et des partis, ou même sans eux, mais contre eux (les syndicats sont « un élément nécessaire à la Habilité d'une société capitalise normale »). Il est également le premier, à partir de 1909, à poser la question de l'État et de sa destruction (cAftion de masse et révolution, 1912). Soutenant l'idée de la longue durée du processus révolutionnaire (et donc la vanité de chercher à en accélérer le cours), il s'oppose à Kautsky et Rosa Luxemburg. 1914 ne représente pas pour lui une « trahison » des socialistes, mais la continuité d'un processus d'intégration à la société capitaliste (il soutient le mouvement international de Zimmerwald). S'il prend une part active aux débats théoriques du GIC, il reste à l'écart des organisations politiques. Pannekoek, qui collabore à diverses revues (dont fiving marxisrri), entretient de 1952 à 1954 une correspondance avec Castoriadis de Socialisme ou barbarie. L'oeuvre maîtresse qui synthétise son travail, et demeure le grand classique du conseillisme est fes Conseils ouvriers (rédaction entamée en

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1941, publication en 1946 à Melbourne). >

fes Conseils ouvriers, Paris, Spartacus, 2 tomes, 1982, 224 p. et 179 p. ; jÇénine philosophe, Paris, Spartacus, 1970, 122 p. ; Pourquoi

Us mouvements révolutionnaires du passé ont fait faillite, Paris,

Échanges et mouvement, 1998, 54 p.

PAPPALARDI Michelangelo (1886-1940)

Professeur d'Allemand, il adhère en 1918 à la Fraction abstentionniste. S'expatrie en Autriche (1922) puis en Allemagne où il représente le PCI auprès du KPD. Il démissionne du PCI en 1923 mais reste en contact avec Bordiga. Lors du V Congrès du PCF, il diffuse une traduction des Thèses de Jjon. En désaccord avec Perrone sur les questions russe et syndicale, il forme en 1927 en France un groupe qui publie "Réveil communiste, puis J^'Ouvrier communiste (en contact avec Korsch et le KAPD). Malade, il abandonne peu à peu l'activité politique et semble avoir émigré en Argentine.

PÉRET Benjamin (Peralda pour pseudonyme) (1899-1959)

Poète, correcteur, journaliste. En 1920, il rejoint le mouvement Dada puis est un des fondateurs du mouvement surréaliste. Avec Pierre Naville, il assure la direction des deux premiers numéros de fa l^polution surréalité. Jusqu'à sa mort, Péret participera à toutes les entreprises du mouvement surréaliste. En contact avec le groupe Clarté (1925), Péret est l'un des premiers surréalistes à adhérer au PCF (1926). Il séjourne de 1929 à 1931 au Brésil où il participe à la création de la Ligue communiste (opposition de gauche) dont il est secrétaire pour la région de Rio de Janeiro ; il est emprisonné puis expulsé du pays comme « agitateur communiste ». Il cherche à rejoindre la Ligue communiste de France mais son adhésion est refusée en raison de ses activités surréaliste. Membre de l'ex-ij* rayon (1932-1933), puis de l'UC (1933-1934), il finit par rejoindre les trotskistes du POI (1936). Envoyé en Espagne pour y rencontrer les dirigeants du POUM, il collabore à la radio du parti, milite auprès de la section bolchévique-léniniste (où il rencontre Munis) et combat à plusieurs reprises dans le bataillon Nestor Makhno de la Colonne Durruti (de la CNT) ; il quitte l'Espagne en avril 1937. Arrêté en France en mai 1940, il est libéré contre une rançon versée aux autorités allemandes (grâce à l'aidefinancièrede Picasso) et se réfugie à Marseille. Il travaille un temps à la coopérative du Croque-fruit puis, en octobre de la même année embarque (grâce à Varian Fry) pour le Mexique où il fait la connaissance de Natalia

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H I S T O I R E CRITIQUE D E L'ULTRAGAUCHE

Sedova et retrouve Munis. Ayant rompu avec la IV Internationale en 1948, il participe à la création de l'UOI et collabore, à partir de 1951, au libertaire. Il participe également à 14 juillet (revue d'opposition au nouveau régime installé par de Gaulle). En 1959, il fonde avec Munis le FOR, fréquente S ou B et entre en contact avec Ifyir et "Rouge (il fournit un article à la revue). Sur sa tombe, au cimetière des Batignolles, figure cette épitaphe : « Je ne mange pas de ce pain-là ». >

Ce "Déshonneur des poètes, Paris, Mille et une nuits, 1996, 66 p. ; Œuvres complètes, t. "V, Textes politiques, Paris, José Corti, 1989, 394 p. ; et avec Munis, /es Syndicats contre la révolution, Paris, Eric Losfeld, 1968, 96 p.

PRUDHOMMEAUX André (1902-1968)

Né au familistère de Guise (dont son grand-oncle était le fondateur). Collabore à la revue Clarté (1927) puis fréquente le groupe d'Albert Treint "Redressement communiste (1928). Ayant perdu son emploi (ingénieur agricole et chimiste) du fait de ses activités politiques, il ouvre en 1928 avec sa compagne Dora Ris la « librairie ouvrière » (67, boulevard de Belleville) qui devient un centre de rencontre et de débat pour les proches de la Gauche italienne. Prudhommeaux fait alors partie, de 1929 à 1930, du groupe de Pappalardi qui publie jQOuvrier communiste. Durant l'été 1930, André et Dori voyagent en Allemagne, rencontrent des militants d'ultragauche (KAPD et AAUD) et recherchent de la documentation ; le résultat en est la publication de la revue Spartacus (1931) avec Jean Dautry et des immigrés allemands. Ayant fermé sa librairie, André devient laveur de vitres, chauffeur... puis s'occupe de /a /laborieuse, une imprimerie coopérative nîmoise. En 1932, il publie /é Soviet (un seul numéro) où il fait ses « adieux au marxisme » pour l'anarchisme puis, de septembre 1932 à juin 1933, la revue Correspondance internationale ouvrière (avec Dautry). Son engagement passionné en faveur de Marinus Van der Lubbe provoque une rupture avec jÇe libertaire dans lequel il écrit également. Il anime ensuite plusieurs périodiques : Terre libre (organe de la Fédération Anarchiste Francophone en 1934), XjEspagne antifasciste à Barcelone (1936) puis /jEspagne nouvelle en France (dans ces deux dernières publications il s'oppose au ministérialisme des anarchistes espagnols). Réfugié en Suisse pendant la guerre, il se réinvestit dans le mouvement anarchiste à la Libération. Collaborateur du libertaire, il s'oppose à Fontenis et participe à la reconstruction de la FA en 1953 (rédacteur au C"Monde libertaire, secrétaire aux relations internationales à partir de

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1956). Il fonde aussi le journal Tages libres, et l'on retrouve sa plume dans de nombreuses publications (.ÇUnique, Contre courant, "Défense de l'homme, etc.). y

jCfffbrt libertaire, t. I, fe "Principe d'autonomie, Paris, Spartacus, 1978, iz8 p. ; avec Dori Prudhommeaux, Spartacus et la Commune de "Berlin, 1918-1919, Paris, Spartacus, 1977,130 p.

RUBEL Maximilien (1905-1996)

D'origine roumaine, il s'installé à Paris en 1931, et c'est sous l'occupation qu'il découvre Marx. En 1942, il est membre du GRP de Paris (qui devient UCI en 1944), et rejoint plus tard la FFGC/GCE À partir de 1951, il anime un cercle de réflexion qui prendra en 1958 le nom de Groupe communiste de conseils et éditera les Cahiers de discussion pour le socialisme des conseils (1962-1969). Tout en préparant sa thèse de doctorat (qu'il soutiendra en 1954), il publie ses premiers textes choisis de Marx, ce qui lui vaut des attaques venimeuses de la part des staliniens. Le groupe qu'il anime est un lieux de passage important de ce « territoire théorique » de l'ultragauche. Maître de recherche honoraire au CNRS, directeur de la revue études de marxologie (Cahiers de l'ISMEA), il est le maître d'oeuvre de la publication des œuvres de Marx dans la collection de la Pléiade (avec la collaboration de Bricianer, Malaquais, Janover et Evrard). y