Force des anges: rites, hiérarchie et divination dans le Christianisme Céleste (Bénin) 2503528899, 9782503528892

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Force des anges: rites, hiérarchie et divination dans le Christianisme Céleste (Bénin)
 2503528899, 9782503528892

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LA FORCE DES ANGES RitES, hiéRARChiE Et DiviNAtiON DANS LE ChRiStiANiSmE CéLEStE (béNiN)

bibLiOthèquE DE L’éCOLE DES hAutES étuDES

SCiENCES RELiGiEuSES

vOLumE

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illustration de couverture : Jeunes choristes du Christianisme Céleste, Cotonou (bénin), 2000. Cl. C. henry

Christine henry

LA FORCE DES ANGES RitES, hiéRARChiE Et DiviNAtiON DANS LE ChRiStiANiSmE CéLEStE (BéNiN)

F

H

La Bibliothèque de l’École des Hautes Études, Sciences religieuses La collection Bibliothèque de l’École des Hautes Études, Sciences religieuses, fondée en 1889 et riche de plus de cent-trente volumes, reflète la diversité des enseignements et des recherches menés au sein de la Section des sciences religieuses de l’école Pratique des hautes études (Paris, Sorbonne). Dans l’esprit de la section qui met en œuvre une étude scientifique, laïque et pluraliste des faits religieux, on retrouve dans cette collection tant la diversité des religions et aires culturelles étudiées que la pluralité des disciplines pratiquées : philologie, archéologie, histoire, philosophie, anthropologie, sociologie, droit. Avec le haut niveau de spécialisation et d’érudition qui caractérise les études menées à l’EPhE, la collection Bibliothèque de l’École des Hautes Études, Sciences religieuses aborde aussi bien les religions anciennes disparues que les religions contemporaines, s’intéresse aussi bien à l’originalité historique, philosophique et théologique des trois grands monothéismes – judaïsme, christianisme, islam – qu’à la diversité religieuse en inde, au tibet, en Chine, au Japon, en Afrique et en Amérique, dans la mésopotamie et l’égypte anciennes, dans la Grèce et la Rome antiques. Cette collection n’oublie pas non plus l’étude des marges religieuses et des formes de dissidences, l’analyse des modalités mêmes de sortie de la religion. Les ouvrages sont signés par les meilleurs spécialistes français et étrangers dans le domaine des sciences religieuses (chercheurs enseignants à l’EPhE, anciens élèves de l’école, chercheurs invités…). Directeur de la collection : Gilbert Dahan Secrétaire de rédaction : Francis Gautier Secrétaire d’édition : Cécile Guivarch Comité de rédaction : Denise aiGle, mohammad Ali amir-moezzi, JeanRobert armoGathe, Jean-Daniel Dubois, michael houseman, Alain le boulluec, marie-Joseph Pierre, Jean-Noël robert

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D/2008/0095/72 iSbN 978-2-503-52889-2 Printed in the E.u. on acid-free paper

transcription des termes vernaculaires Les populations du Sud-bénin parlent des langues appartenant au groupe kwa, et relevant soit du sous-groupe gbe (comme le fon), soit du sous-groupe ede (comme le yoruba). Dans cet ouvrage, quand un terme est donné sans indication particulière, il l’est en fOngbè, la langue des fOnnù, du peuple fon, qui est la langue véhiculaire utilisée à Cotonou, la capitale économique du pays. À Porto-Novo, les gunnù parlent le gungbè, une langue très proche du fOngbè. En dehors des citations où nous avons respecté la graphie des auteurs, nous avons suivi le système de transcription du dictionnaire des Pères basilio Segurola et Jean Rassinoux (2000) où les tons sont indiqués par des accents : le ton haut par un accent aigu, le ton bas par un accent grave et le ton modulé par un accent circonflexe renversé. Citations bibliques Les chrétiens célestes lisant le français utilisent La Sainte Bible, éditée par l’Alliance biblique universelle, d’obédience protestante, dans la version traduite par Louis Segond. C’est cette version qui est citée dans cet ouvrage. Par ailleurs, nous utilisons également le Nouveau Testament en fOngbè, Alénuwema yoyo, édité par l’Alliance biblique du bénin en 1993, et la bible en gungbè, Biblu wiwe lo, éditée en 2002 par la Société biblique au bénin.

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AvANt-pROpOS

Ce n’est pas par coquetterie postmoderne qu’il me faut commencer cet ouvrage sur le Christianisme Céleste par quelques explications sur l’itinéraire qui m’a conduite à choisir cet “objet” de recherche et sur la succession de hasards et de choix qui a dicté mon comportement sur le “terrain”. mon précédent travail avait été accompli dans cette Afrique des villages, en l’occurrence une île de l’archipel des bijagos (Guinée-bissau) où, en dépit de la globalisation censée uniformiser la planète et n’en déplaise à ceux qui célèbrent périodiquement la mort des “ethnies”, des communautés paysannes s’efforcent de persévérer dans leur être. Le Sud-bénin m’offrait le spectacle d’un monde bien différent. À Savalou, la petite ville que j’avais choisie pour mes premières enquêtes, cohabitent des populations d’origines, de langues et de religions diverses, brassées par d’anciennes et de récentes migrations. Dans toutes les rues de la cité se donnent à voir les juxtapositions étranges de la tradition et de la modernité. L’usine de traitement du coton s’élève en face d’un couvent vod&un 1, une église pentecôtiste flanque un estaminet. Les cantiques se mêlent aux chansons des “clips” que diffuse la télévision et cette cacophonie n’empêche pas le musulman qui tient boutique à côté de dérouler sa natte et de se prosterner à l’heure de la prière. Lors de mon premier séjour, pour faire passer une voie pavée près du palais royal, comme dans la nouvelle de Jean Pliya, on avait abattu l’arbre à l’ombre duquel s’asseyaient les joueurs de tambour quand les vod&uns`I 2 viennent danser devant le roi, mais, contrairement à ce qui se passe dans la fiction, hevioso n’avait pas envoyé sa foudre pour venger le sacrilège, et la modernisation de la ville se menait à grand train. Je commençai mon travail en dressant un inventaire des lieux de culte et recours religieux qui s’offraient aux Savalounu. tel jour j’assistais à une sortie d’ég&ung&un 3, tel autre à une cérémonie dédiée à l’un des vodun honoré dans la ville, le lendemain je suivais les possédés d’un culte Tron 4 et pouvais encore le soir me rendre à une réunion du Renouveau Charismatique, tous les dimanches me voyaient à la messe dans l’une des nombreuses églises de la place. un jour que j’étais chez une vieille vod&uns`I malicieuse, elle me demanda, lorsque j’aurais fini mon enquête, de venir lui dire quelle était la meilleure religion. Puis elle ouvrit son album de photos et me montra celles de ses nombreux enfants et petits-enfants, tous adeptes d’églises et de cultes différents. À la suite de cette aventure, le découragement commença à me gagner. Dès lors que je voulais maintenir un point de vue holiste, je ne voyais pas comment rendre compte de la complexité de cette ville ni du foisonnement désordonné de ses manifestations religieuses. C’est sans doute ce désarroi qui me rendit sensible aux personnes qui comme moi, bien que pour d’autres raisons, erraient d’un lieu de culte à un autre. Je me fis alors un temps spécialiste des trajets de conversion et reconversion en tout genre, je traquais les indécis totaliseurs et les transfuges, et suivais le mouvement brownien des malheureux à la recherche de soulagement. un

1. Dans la suite de l’ouvrage, nous écrirons « vodun » ce terme, entré dans le vocabulaire français. 2. Adepte d’un culte. 3. Masques représentant les ancêtres. 4. Culte anti-sorcellerie.

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Avant-propos de mes interlocuteurs qui avait fui un couvent de Sakpata pour une église évangélique, malgré les représailles que les vod&unn`On 5 avaient exercées à son égard, puis qui, après avoir hésité au seuil d’une mosquée, avait finalement opté pour le Christianisme Céleste, m’avait dit : « Si tu rejoins un groupe, c’est pour te sentir bien ». Je compris que, moi aussi, pour me “sentir bien”, il fallait que je cesse d’errer comme un électron libre dans le champ religieux, pour m’attacher à une communauté, chercher à comprendre quels adeptes elle attirait et ce qu’elle avait à leur offrir pour les retenir. De tous les groupes religieux que j’avais fréquentés, un m’avait séduite plus que les autres. était-ce parce que le chef local des Chrétiens Célestes est un personnage haut en couleur, bavard et sympathique que je me sentais plus attirée vers cette église que vers d’autres cultes ? était-ce parce que leur paroisse est toujours ouverte et que je pouvais y passer sans prendre rendez-vous ? était-ce parce qu’en ce lieu, il y avait toujours soit un rite à voir soit des malades ou des fidèles de permanence avec qui discuter ? Deux autres raisons me rendaient cet endroit plus agréable que d’autres, je n’y étais pas assaillie d’extravagantes demandes d’argent comme dans les cultes traditionnels ou néotraditionnels, ni critiquée a priori comme appartenant à cette race de blancs forcément impies et dépravés, comme il m’arrivait de l’être dans certaines églises pentecôtistes. Je pourrais faire état de motivations d’ordre plus intellectuel, mais je ne suis pas sûre qu’elles aient été les plus importantes. Je décidai donc de me concentrer sur l’étude de cette communauté et, puisque j’avais choisi de travailler en milieu urbain, de l’étudier à Cotonou. Je dus pourtant différer cette recherche car lors de la première mission que j’avais décidé d’y consacrer je fus accompagnée d’un autre chercheur qui venait étudier la même dénomination. Pour ne pas trop faire interférer nos travaux respectifs, je me consacrai à l’étude de différentes petites églises créées par des dissidents du Christianisme Céleste. Néanmoins, je l’accompagnais parfois sur la paroisse de Sikècodji que nous avait fait connaître un autre chercheur installé depuis longtemps au bénin. Paul Gonçalves, le responsable de cette paroisse, nous recevait toujours avec attention, il aimait à évoquer une prédiction du défunt fondateur de l’église, disant que les étrangers qui voudraient étudier sa religion n’en connaîtraient le fond qu’en venant se renseigner à Sikècodji. il se montrait toujours disposé à répondre aux questions et à nous aider. il me parut d’autant plus prêt à comprendre les exigences d’un chercheur qu’il fit miroiter devant nos yeux un gros document sur l’église qu’il avait lui-même rédigé, sans toutefois offrir de nous le prêter. J’eus l’occasion de longuement parler de mon projet à Paul Gonçalves, il savait que je m’intéressais au Christianisme Céleste en ethnologue et non en théologienne venue décerner des certificats de bon ou mauvais christianisme. À sa demande, je lui fis part des différentes manières dont est interprétée la prolifération des églises en Afrique et du manque dont me paraissaient souffrir plusieurs de ces analyses qui se donnent rarement le temps d’étudier la vie de ces communautés. Je lui expliquais que je voulais comprendre quelles sortes de liens se créent au sein d’une paroisse, ce que venaient y chercher les fidèles et de quelle manière s’accomplit en ces lieux un “travail” qui les “fabrique” comme Chrétiens Célestes. il m’assura qu’il collaborerait de son mieux à un tel projet. J’ai consacré à l’étude de cette

5. Chef d’un couvent vodun.

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Avant-propos paroisse les trois mois de la mission suivante, puis plus tard une grande partie des deux années du séjour que j’ai effectué au bénin. travailler dans ce type de communautés pose différents problèmes, je n’en évoquerai qu’un ici, dont le fond est commun à tout travail de terrain et tient à la place que l’ethnologue arrive plus ou moins bien à négocier, pris qu’il est entre, d’une part, son désir contradictoire d’être “intégré” tout en conservant sa liberté, et d’autre part la position que ses hôtes lui attribuent. Si la communauté est une église et pour peu que le chercheur y fasse durer son séjour et se montre “participant”, l’enjeu sera de le convertir. De cette pression à la conversion, j’avais longtemps réussi à me préserver par un discours sur la nécessité de la neutralité dans la recherche scientifique ou par une résistance passive, toujours plus difficile à tenir au fur et à mesure que le temps passait. J’acceptai un jour de porter une robe de prière, soi-disant pour faciliter le passage de la frontière alors que nous allions au Nigeria participer à une cérémonie. Je n’avais guère réfléchi que si les personnes qui m’avaient poussée à porter la robe savaient que je n’étais pas baptisée, d’autres me voyant en uniforme crurent que je l’étais. ils s’attendirent donc à ce que je me comporte comme telle, et je continuai à porter ma robe. Pour différentes raisons, j’avais l’habitude de suivre les cultes, assise parmi les choristes qui sont installés sur une mezzanine dominant la nef du temple. un jour, le président de la chorale me fit l’honneur de me tendre le camail des choristes, il me fallut apprendre les cantiques. La phase suivante consista en une forme de chantage de la part de ceux qui dans une stratégie toute pascalienne m’avaient incitée à revêtir la robe de prière. ils me dirent que si cela venait à se savoir que je portais la robe sans être baptisée, et pire encore le camail des choristes considéré comme une sorte d’objet saint, le blâme retomberait sur leur tête. Au bout d’un moment, puisque je m’étais mise en position de laisser croire à tout le monde que je croyais, il me parut plus économique psychologiquement d’accepter le baptême que d’être accusée de mettre en péril le renom de certains. J’ai d’abord été honteuse de mentir à ceux avec qui j’avais noué des liens affectifs sur un sujet aussi important pour eux que la foi, mais la rapidité avec laquelle je me suis accommodée de la situation m’a donné à réfléchir. La première fois que j’avais porté cette robe, beaucoup de personnes m’avaient manifesté leur joie et je ne peux nier que leur joie m’avait fait plaisir, ce qui était assez paradoxal puisque je savais qu’elle se fondait sur un mensonge. Si je pouvais bien comprendre leur plaisir, pour eux je cessais d’être une sorte de surveillante ou d’espionne, mais devenais une des leurs dans un engagement qui confortait le leur, mon propre contentement de leur plaisir, qui resta longtemps pour moi un point opaque, aurait dû m’apparaître plus tôt comme l’un des rouages du mécanisme de la “conversion”. J’avais suivi assez de personnes migrant d’une église à une autre, d’une église à un culte, pour savoir que la croyance en tel ou tel point de doctrine n’était pas la cause principale de leur adhésion. Par contre, pour celui qui entre dans une communauté, se sentir comme les autres et se sentir aimé de montrer cette similitude qui étaye celle de tous les autres, peut faire partie des éléments entraînant tout à la fois le mieux-être, l’obéissance et la dépendance.

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iNtRODuCtiON Cet ouvrage traite du Christianisme Céleste, une église fondée à Porto-Novo (Dahomey) en 1947, par Samuel bileou Joseph Oshoffa (1909-1985), qui était méthodiste de formation. Son ambition est de donner à voir une communauté paroissiale céleste telle qu’on peut l’observer aujourd’hui à Cotonou, capitaleéconomique du bénin et, au-delà, de donner à comprendre la “célestitude”. La littérature sur les églises africaines est considérable, celle sur cette église particulière commence à atteindre un volume respectable 1. Nous aurons l’occasion au cours de ce livre de citer et parfois de discuter certaines des interprétations de leurs auteurs. Nous n’évoquerons pas ces textes systématiquement dans cette introduction car nous ne voulons pas entrer dans la discussion des orientations théoriques dans lesquelles ils s’inscrivent. Raymond massé 2 remarque que l’anthropologie de la religion est partagée « entre deux mandats qui peuvent apparaître inconciliables », d’une part « une phénoménologie du vécu religieux » et « une microsociologie de la pratique religieuse », d’autre part l’anthropologue « se trouve interpellé par les enjeux plus globaux, sociétaux, soulevés par les adhésions massives à ces “nouvelles églises” ». À propos des communautés fondamentalistes protestantes aux Antilles, massé examine le concept de “résistance” qui est au fondement de beaucoup d’interprétations du développement de ces dénominations. En citant quantité d’auteurs 3, Raymond massé montre que, si certains y voient des lieux d’expression d’une résistance à l’acculturation et d’une réactualisation des valeurs traditionnelles, d’autres au contraire voient dans ces mouvements les lieux d’une acculturation à la modernité et d’une désaffection des référents traditionnels. « Résistance culturelle et lieu d’acculturation deviennent, alors, les pôles extrêmes d’une grille d’analyse qui ramène la participation à ces églises à des enjeux sociétaux définis totalement en dehors du vécu religieux individuel » 4. il rappelle qu’un « risque de surdétermination du sens guette ceux qui élèvent des théories exogènes d’interprétation au rang de concepts explicatifs réifiés » 5, et s’inscrit ainsi dans un mouvement critique engagé par harri Englund et James Leach 6, auteurs qui dénonçaient déjà la subordination de l’ethnologie à une « méta-narration de la modernité » et à la mode de ses catégories conceptuelles telles que « globalisation »,

1. À ce jour seulement deux ouvrages publiés sont consacrés à cette église : a. u. aDoGame, Celestial church of Christ, The politics of Cultural Identity in a West African Prophetic Charismatic Movement, Peter Lang, Francfort 1999, et A. de surGy, L’Église du Christianisme Céleste, un exemple d’Église prophétique au Bénin, Karthala, Paris 2001, mais il existe quantité de thèses et d’articles (principalement en anglais) qui dans la bibliographie sont marqués d’un astérisque, quand leur titre n’indique pas de manière explicite qu’ils traitent du Christianisme Céleste. 2. R. massé, « Les églises fondamentalistes protestantes aux Antilles : les défis pour une anthropologie critique », dans R. massé et J. benoist (éd.), Convocations thérapeutiques du sacré, Karthala, Paris 2002, p. 307-326. 3. Sont cités entre autres : P. Pels, A. mary, i. m. Lewis, Y. Droz, P. Fry, G.E. Simpson, J. Comaroff et J. Comaroff, A. mbembe, J. P. bastian, L. hurbon, D. martin, D. Stoll. 4. R. massé, op. cit., p. 313. 5. R. massé, op. cit., p. 316. 6. H. enGlunD and J. leach, « Ethnography and the meta-Narratives of modernity », Current Anthropology 41/2 (2000), p. 225-248.

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Introduction « marchandisation », « rupture », « discontinuité », qui font obstacle à la connaissance anthropologique plus qu’elles ne la facilitent. Le Christianisme Céleste fait partie de ce type d’églises que les chercheurs ne s’entendent pas à qualifier (indépendante, indigène, charismatique, spirituelle, prophétique, de guérison, etc.), mais à propos desquelles la plupart s’accordent à penser qu’elles se distinguent des églises pentecôtistes qui ont déferlé sur l’Afrique particulièrement depuis les années 1980. Généralement plus anciennes localement, les premières reconduiraient d’une façon ou d’une autre les valeurs “traditionnelles” tandis que les secondes résolument orientées vers la “modernité” seraient en totale opposition avec elles. C’est en particulier l’opinion de birgit meyer à propos du champ chrétien ghanéen 7. Au bénin, cette position se soutient d’autant plus facilement qu’elle est également celle des dirigeants locaux des églises évangéliques, toujours prompts à voir le bout de la queue du diable (des dieux autochtones) derrière une liturgie différente de la leur et qui consacrent une grande énergie et nombre de brochures et pamphlets à dénoncer la manière dont les églises qui ne relèvent pas de leur obédience s’éloignent de la parole biblique pour puiser dans le répertoire rituel païen. Notons, de prime abord, que toutes les églises africaines, dans la mesure où elles prétendent à la guérison spirituelle, ont à traiter avec des représentations et des entités locales considérées comme causes ou vecteurs de la maladie ou du mal-être et principalement avec les sorciers. Sans qu’on puisse les réduire à cette fonction, le Christianisme Céleste, comme les églises pentecôtistes, sont des institutions auprès desquelles les fidèles viennent se prémunir contre l’ensorcellement. Sous cet aspect, ils entrent en concurrence avec d’autres institutions qui s’assignent également cette tâche : les cultes anti-sorcellerie. Ces cultes se sont répandus au bénin dans les années 1940, ils sont connus sous l’appellation générale de culte tron ou vodun de la cola (g$olo vod&un) 8, mais diffèrent beaucoup les uns des autres selon leur origine et les influences qu’ils ont subies pendant leurs pérégrinations, car la plupart d’entre eux proviennent du Nord-Ghana. ils ont été achetés par des Akan du Sud-Ghana, toujours en quête de protection plus puissante contre les sorciers, puis se sont répandus en Côte-d’ivoire 9, au togo,

7. mais s’opposer à la tradition est encore une façon d’avoir affaire à elle et b. meyer montre que les églises pentecôtistes, en se référant constamment à la religion traditionnelle comme étant le royaume de Satan, à travers les prières de délivrance qui libèrent leurs adeptes de l’emprise du démon, permettent à leurs fidèles de « composer activement avec ce complexe fascinant ». b. meyer, « Les églises pentecôtistes africaines, Satan, et la dissociation de “la tradition” », Anthropologie et Sociétés 22/1 (1998), p. 63-84 (p. 78). Pour une décapante critique de ces conceptions, on peut lire J. tonDa, La guérison divine en Afrique centrale (Congo, Gabon), Karthala, Paris 2002. 8. Tron ou tro est un terme équivalent de vod&un en ewe, g$oro (ou g$olo) signifie « noix de cola » en fon. 9. L’origine de certains de ces cultes n’est pas toujours facile à situer. Lucy mair remarque « il n’est pas sans ironie que tandis que m. J. Field découvrait au Ghana des sanctuaires de “divinités” – des objets qu’on disait avoir été apportés de Côte-d’ivoire –, le culte tetegba que Denise Paulme étudiait dans ce dernier pays, était allégué être venu du Ghana ». L. mair, La sorcellerie (“L’univers des Connaissances”), trad. de l’anglais par Patrice Rondard, hachette, Paris 1969, p. 164. En outre, Jean-Pierre Dozon remarque qu’en Côte-d’ivoire, les cultes familiaux et locaux « n’étaient pas exclusifs d’autres cultes dont le rayonnement et la réputation s’étendaient à de vastes régions et pour lesquels s’organisaient de très coûteuses transactions (on achetait et on importait des répliques ou des exemplaires partiels de tel fétiche réputé), et parfois des pèlerinages ». J.-P. Dozon, La cause des prophètes. Politique et religion en Afrique contemporaine, Seuil, Paris 1995, p. 21.

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Introduction au Dahomey et jusqu’au Nigeria. Selon hans Werner Debrunner 10, au NordGhana, les puissances autour desquelles ils se sont constitués sont souvent des objets “trouvés” dans la brousse, une pièce de bois de forme étrange, une carapace de tortue, etc. À la suite d’un rêve ou d’une divination, le propriétaire comprend que l’objet est une puissance qu’il doit installer et à laquelle il doit rendre un culte pour obtenir richesse, fertilité et protection contre les sorciers. Jusqu’à une période récente, ces cultes “voyageurs” ont également été décrits comme éphémères car, après une période d’usage, ils étaient souvent délaissés pour des cultes nouveaux réputés plus “forts”. mais au bénin, comme au togo, ces cultes se sont sédentarisés. Leurs détenteurs dirigent des communautés d’adeptes souvent possédés par les puissances, pratiquent la divination (par le Fa ou le jet de cauris), le sacrifice ou l’offrande de cola à leurs divinités auxquelles ils ont souvent adjoint des vodun traditionnels que possédait leur lignage. Ces maisons sont des sortes de répliques modernes des couvents vodun et sont aujourd’hui en passe de les supplanter 11. La sorcellerie En fon, sorcier se dit azèt&O (de az$e : maléfice, t&O : père, maître) et revoie à différentes conceptions du mal qui ont en commun d’être ambivalentes. traditionnellement et selon les régions, la sorcellerie anthropophagique, dont n’étaient accusées que les femmes, se distinguait d’une magie agressive agissant à l’aide de sorts et d’objets divers. Aujourd’hui, ces deux conceptions sont confondues. Les pages que Germain de Souza, béninois, catholique et professeur de philosophie, consacre à la sorcellerie dans son ouvrage Conception de vie chez les Fon, sont révélatrices de l’indétermination morale, de la séduction et de l’effroi que suscite l’ambivalente nébuleuse sorcière. Elles nous semblent un bon résumé de la doxa citadine béninoise en matière de sorcellerie. Cet auteur ne fait pas la distinction entre une sorcellerie spécifiquement féminine et une autre, mais envisage différents stades d’engagement dans la confrérie des sorciers. La sorcellerie « se présente comme une société secrète où l’on entre par un rite d’initiation. […] Ce rite […] comporte plusieurs étapes qui sont d’ailleurs fonction de la hiérarchie à laquelle on veut appartenir, de ce pourquoi on se fait sorcier » 12. Car tous n’entrent pas dans la société pour les mêmes raisons. Certains n’y viennent que « pour se protéger ainsi que leur famille. ils assistent aux réunions et connaissent ainsi les membres et sont au courant des actions maléfiques de ceux-ci. Faisant partie de la secte, il n’est donc pas possible qu’on leur nuise. Ce qui implique qu’il existe au moins une autre catégorie de gens dont le nombre n’est pas moindre et qui a pour dessein arrêté de nuire à autrui. ici l’agressivité atteint son paroxysme. C’est un véritable sadisme. On prend plaisir à faire souffrir autrui, à lui envoyer tous les maux possibles » 13. 10. H. W. Debrunner, Witchcraft in Ghana, Prebyterian book Depot Ltd, Accra 1959. 11. Pour le bénin, cf. K. tall, « De la démocratie et des cultes voduns au bénin », Cahiers d’Études Africaines 137/XXXv-1 (1995), p. 195-208 (1995, 2005) et « Stratégies locales et transnationales des chefs de cultes au sud-bénin » dans Entreprises religieuses transnationales en Afrique de l’Ouest, Karthala, Paris 2005, p. 267-284. Pour le togo, J. rosenthal, Possession, Ecstasy, and Law in Ewe Voodoo, university Press of virginia, Charlottesville 1998. 12. G. de Souza, Conception de vie chez les Fon, éditions du bénin, Cotonou s.d., p. 72. 13. G. de Souza, op. cit., p. 74

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Introduction Germain de Souza s’interroge sur les motifs des ces agissements : Le premier est la jalousie, on envie celui qui réussit et sous le premier prétexte venu on le met en difficulté. Les sorciers qui agissent ainsi sont souvent « de vieilles personnes qui sont sans ressources, ou des gens qui sont socialement malheureux », ils recherchent une compensation à leur infériorité « car ceux qu’ils font souffrir et qui sont plus heureux qu’eux doivent en leur payant tribut reconnaître ainsi qu’ils ne peuvent rien sans eux, qu’ils leur doivent considération, respect […]. Aussi ne refuse-t-on jamais rien au sorcier […]. C’est ce qui explique les fréquents dons qu’il faut faire à tous les membres de la famille. Car il y a toujours une vieille tante, une vieille cousine parfois une sœur affiliée à la secte. […] les marâtres sont jalouses des enfants de leur coépouse qui réussissent et souvent par le biais de la sorcellerie cherchent à leur nuire, parfois il en est de même des enfants entre eux » 14. Germain de Souza constate tristement que la plus grande partie du salaire d’un travailleur doit être consacrée à ces dons « si l’on veut sauver sa vie », de plus il faut également faire de nombreux saara « qui consistent à inviter les gens et à leur donner gratuitement à manger. Ainsi on vous prendra pour un homme large, un homme de bien, et aux réunions des sorciers il s’en trouvera toujours un pour prendre votre défense ». L’auteur comprend sans peine ceux qui s’exilent à l’étranger, loin de leur famille, pour jouir tranquillement du fruit de leur travail et échapper « à l’ambiance de peur, de suspicion » qui règne, au pays, dans « nombre de secteurs économiques et de services » 15. il y a également des gens qui se font sorciers par orgueil. « Cela leur permet de s’affirmer, de se faire craindre et respecter. Dans ce cas, la sorcellerie sert bien à manifester leur volonté de puissance, leur désir de domination sur les autres ». Ayant ainsi défini les raisons qui peuvent pousser à devenir sorcier et dont on aura remarqué qu’elles concernent tout un chacun – car le désir de protection, le malheur ou l’orgueil sont les choses les mieux partagées du monde –, Germain de Souza évoque différents modes d’action du sorcier. Parmi la multitude de procédés dont un sorcier peut user pour nuire à sa victime figure la possession d’un oiseau, généralement un hibou, qui « colporte les maux et les répand dans les maisons désignées » 16. Non sans complaisance, l’auteur nous décrit le rite par lequel on s’attache un si précieux acolyte. Le sorcier a beaucoup d’autres moyens d’action dont plusieurs nous sont également expliqués avec toutes les recettes correspondantes qui font grand usage de feuilles, de noix de cola, de sang de cochon, de cœurs d’oiseaux et de pattes d’araignées. G. de Souza nous apprend également que les sorciers se réunissent toutes les semaines, le lendemain du marché d’Adjara, entre 23 heures et le chant du coq, ils discutent du choix des prochaines victimes ou mangent celles qui ont été attrapées. La fascination de l’auteur pour son sujet se traduit par les interrogations dont il parsème son exposé : « une question surgit sur les lèvres. Comment se prépare cette nourriture mystérieuse ? » « mais comment se réalise cette curieuse métamorphose ? ». Cet habitus communautaire du sorcier qui l’engage dans le circuit de la dette peut être brisé quand un sorcier a tué 41 personnes. Ce nombre « donne

14. G. de Souza, op. cit., p. 74 15. G. de Souza, op. cit., p. 74. 16. G. de Souza, op. cit., p. 75.

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Introduction le brevet de compétence. il dispense celui qui l’a atteint de se rendre aux réunions. Car arrivé à ce stade il n’a plus besoin des autres pour agir » 17. Le sorcier n’est pas un impie : « il a son dieu qu’il adore ». Ce vodun, Kinninsi, se présente sous différentes formes car « on peut ériger sa statue soit dans une jarre à caloulou [une sauce], soit dans une calebasse, soit dans un pot spécial ». Là aussi nous sont précisées les fournitures nécessaires et les actions rituelles qui aboutiront à la fabrication de chacune de ces sortes de vodun. Le dieu, convenablement honoré, favorisera les entreprises du sorcier et sera aussi « un puissant remède contre les sortilèges », ce qui vaudra à son propriétaire « des clients qui viennent chargés de présents implorer la guérison d’un parent, d’un ami » 18. Le sorcier est donc aussi contre-sorcier, mais avec une limite car s’il voit sa clientèle diminuer, d’autres charmes maléfiques sauront lui ramener les chalands. On voit que pour Germain de Souza, la sorcellerie est surtout un trajet qui conduit tant les puissants que les misérables dans la quête toujours inachevée d’un surcroît de pouvoir, parcours où une chose est toujours susceptible de devenir son contraire, la dette et le don, la maladie et la guérison, le désir de se protéger et celui de nuire. Sorcellerie et églises une des études récentes les plus intéressantes parmi celles qui ont tenté de renouveler l’analyse de la sorcellerie est celle d’Alain marie. Cet auteur constate que les représentations de la sorcellerie, telles que celles que nous venons d’exposer, « constituent en fait une théorie de l’individualisme, de ses dangers et de sa neutralisation. En effet, le sorcier n’y est rien d’autre que la figure emblématique de l’individualiste 19, acharné à poursuivre ses objectifs particuliers, à satisfaire ses penchants égoïstes, à obéir à ses irrépressibles pulsions d’agressivité » 20. La théorie de la sorcellerie dit à la fois que « l’individualisme est la chose du monde la mieux partagée, la plus banalement omniprésente » (nul n’étant à l’abri du soupçon) et « une source de malheurs et de désordre social ». Elle constitue ainsi « un puissant dispositif idéologique de refoulement de la pulsion individualiste ». Alain marie rappelle les processus, souvent analysés par les anthropologues, qui produisent un « sujet communautaire » : le principe lignager qui l’inscrit dans une lignée d’ancêtres et le soumet à l’autorité de ses représentants, les anciens, incarnation d’une tradition que les nouvelles générations sont censées reproduire fidèlement ; les conceptions de la personne selon lesquelles la personne est plurale, constituée de diverses composantes héritées dans des lignées différentes ou déterminées du dehors par divers événements qui sont interprétés par l’entourage, la définition de la personne est ainsi constamment soumise aux interprétations des autres ; les processus de socialisation qui dès la prime enfance inculquent le sens du partage

17. G. de Souza, op. cit., p. 79. 18. G. de Souza, op. cit., p. 86. 19. v. W. turner (1969) notait déjà « l’individualiste est souvent considéré comme un sorcier ». v. W. turner, Le phénomène rituel. Structure et contre-structure (‘‘Ethnologies’’), trad. de l’anglais Gérard Guillet, PuF, Paris 1990, p. 127. 20. A. marie, « Du sujet communautaire au sujet individuel. une lecture anthropologique de la réalité africaine contemporaine », dans A. marie (éd.), L’Afrique des individus. Itinéraires citadins dans l’Afrique contemporaine (Abidjan, Bamako, Dakar, Niamey), Karthala, 1997, p. 53-110 (p. 65).

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Introduction et de l’appartenance à une collectivité hiérarchisée. Ce que met en place l’ensemble de ces processus est « un habitus communautaire, structuré par les principes de la solidarité, de la hiérarchie, de l’identité collective et de la répression corrélative des pulsions individualistes » 21. La société communautaire peut produire de fortes individualités, et peut même encourager l’émergence des personnages hors du commun, mais au nom de sa logique dominante, elle les assignera à jouer des rôles prédéterminés : le grand chasseur ou le chef de guerre, le guérisseur, le voyant, ou dans certains cas le sorcier. Cette logique est si prégnante qu’elle reste au cœur même du système de représentation (la sorcellerie) qui permet de penser et de rejeter l’individualisme. En effet, le sorcier, cet individualiste effréné, est encore un sujet communautaire, il appartient à une société où se pratiquent le partage, le don et le contre-don et la hiérarchie. il reste soumis à la loi de toute société communautaire : celle de la dette. L’accélération de la modernisation et ses impératifs, qui conduisent entre autres à la scolarisation des cadets, c’est-à-dire à la possibilité pour ces derniers de sortir de l’idéal communautaire, n’ont fait qu’exacerber l’imaginaire de la sorcellerie. « Non seulement comme instrument intériorisé d’une répression de la tentation individualiste à laquelle est perpétuellement soumis le jeune homme que sa réussite accomplie mettrait en position de s’émanciper des obligations de la dette, d’une part ; mais aussi comme menace permanente que les tensions intracommunautaires font peser sur ceux qui s’engagent sur les chemins de cette réussite en service commandé, car cela les expose aux menées sorcières de tous ceux que cela indispose » 22. Enfin, dans un dernier paradoxe, la sorcellerie « est ce par quoi l’on en vient à remettre en cause, non pas directement le principe de la dette en lui-même, mais ses modalités et son extension, partant, par voie de conséquence, le principe lui-même en tant que principe catégorique » 23. Alain marie voit dans ce dernier aspect la raison principale qui pousse beaucoup de citadins vers les églises et les sectes chrétiennes qui « leur offrent un point d’appui et un refuge contre la sorcellerie et leur permettent d’opposer au principe structural inquestionné de la dette sans fin ni limite ni conditionnalité à l’égard de leur communauté tout entière, le principe subjectif d’une dette raisonnée, définie, limitée, sélective et conditionnelle » 24. Ainsi, conclut cet auteur, sans bafouer l’éthique d’une solidarité communautaire, mais en rejetant « au nom d’une croyance toujours vivace en sa réalité, la sorcellerie comme pratique condamnable et mutilante, les citadins s’engagent dans une démarche d’autonomisation subjective et de prise de responsabilité négociée vis-à-vis d’autres individus, précisément identifiés comme tels » 25. C’est à une vision moins optimiste du rôle joué par les églises et les prophétismes chrétiens dans la propagation de la sorcellerie que nous invite Joseph tonda (2002). Cet auteur souligne que c’est aux églises chrétiennes qu’il faut imputer « l’extension de la sorcellerie au-delà du possible et du pensable préchrétiens et précapitalistes » 26. il qualifie de « théodicée » toutes les analyses portant sur les

21. A. marie, op. cit., p. 70 22. A. marie, op. cit., p. 107 23. A. marie, op. cit., p. 108. 24. A. marie, op. cit., p. 109 25. A. marie, op. cit., p. 109 26. J. tonDa, op. cit., p. 27

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Introduction « conversions africaines » ou la « guérison divine », qui soutiennent que, face aux ravages de la sorcellerie, les églises rempliraient une fonction d’intégration, « suggérant ainsi en filigrane une extériorité radicale de la sorcellerie et des églises » et aboutissant à exclure le Dieu chrétien « des structures de causalité du malheur en Afrique ». À l’opposé, Joseph tonda soutient la thèse « selon laquelle le Dieu Civilisateur et le Génie Sorcier, en tant que significations imaginaires sociales, et donc marquées par l’ambivalence, ne se définissent pas dans un rapport d’extériorité irréductible en Afrique ». Selon lui, « c’est une seule et même puissance que symbolisent Dieu, le Génie sorcier et la coalition de forces qui le soutiennent […], c’est-à-dire le système capitaliste et chrétien » 27. Cette puissance « à savoir : la science, la technique, l’état, le capital, le Dieu chrétien, le blanc, le Noir, le génie sorcier », Joseph tonda propose de l’appeler le « Souverain moderne », et soutient que les figures qui le constituent sont en relation dialectique, « appartenant à des temporalités en décalage ou contradictoires, mais aussi “complices”, faites de connivences complexes, de la tradition, de la modernisation et de la globalisation, mais relevant de la même contemporanéité » 28. Les recherches de tonda sont menées en Afrique centrale, mais ces concepts sont largement applicables à la situation du bénin, pays qui comme le Congo a connu une période marxiste et un parti unique qui s’est impliqué dans la chasse aux sorciers (lors de la sécheresse de 1976). Le témoignage fait en 2000 sur les ondes de Radio-maranatha, une station évangéliste, par un ancien Chrétien Céleste devenu pasteur d’une église de cette mouvance montre bien que tous les béninois, de quelque obédience qu’ils soient, partagent un même univers de représentations où se côtoient les sorciers, Jésus, mami Wata, les voyants, le diable, les divinités vodun, les anges, etc. Ce témoignage extrêmement malveillant, qui s’est prolongé sur deux émissions, a scandalisé les Célestes pourtant habitués à être diabolisés par les born again. Si nous le citons longuement, ce n’est pas pour prétendre qu’il éclaire la religion que nous étudions, c’est, d’une part, pour montrer l’hybridité de l’univers du possible et du pensable contemporain béninois ; d’autre part, pour donner une idée de la manière dont les adversaires des Célestes les stigmatisent. Dans le champ chrétien, les églises évangéliques usent contre les églises charismatiques des mêmes arguments qu’utilisent tous les chrétiens contre les adeptes du vodun. ils ne nient pas leurs pouvoirs mais aiment à penser qu’ils sont uniquement engagés dans des actions maléfiques. Le pasteur Prudencio Dako est originaire des environs d’Abomey. Au moment où il fait ce témoignage, il a 48 ans, il se propose d’expliquer comment il est devenu visionnaire du Christianisme Céleste et pourquoi il a quitté cette religion. Son enfance est marquée par de nombreux deuils. Plusieurs de ses frères et sœurs meurent à la suite d’attaques en sorcellerie. il est particulièrement marqué par la mort de sa petite sœur dont il se sent plus ou moins responsable. il était en train de creuser un trou pour les toilettes quand sa mère, pour calmer la fillette qui s’agitait, lui donne une patte de la perdrix qu’elle était en train de cuisiner. Prudencio, qui a alors une dizaine d’années, lui arrache le mets et s’enfuit. En le poursuivant, sa

27. J. tonDa, op. cit., p. 39 28. J. tonDa, « économie des miracles et dynamiques de “subjectivation/civilisation” en Afrique centrale », Politique africaine 87 (2002), p. 20-44 (p. 25).

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Introduction petite sœur tombe dans le trou qu’il était en train de creuser et en meurt quelque temps après. C’est ensuite son père qui est atteint de maladie et meurt. Lors de l’enterrement, son oncle paternel « qui comprenait tout ce qu’il y a dans la sorcellerie » l’appelle pour lui montrer l’endroit où se trouvent ses parents décédés. il pose devant lui un canari contenant des poudres dissoutes dans de l’eau, s’y lave les mains puis lui lave ensuite le visage. immédiatement Prudencio voit tous ses parents décédés et d’autres encore dont son oncle lui annonce que leur mort est proche. Son oncle lui lave à nouveau le visage avec l’eau du canari et il cesse de voir. Le pasteur Dako commente : « C’est incroyable, mais c’est vrai ». Raconter cet événement lui rappelle que précédemment, alors qu’il avait environ huit ans, il avait séjourné avec sa mère chez un oncle maternel. Dans la journée, sa mère s’absentait pour aller vendre du riz au marché. il sortit un jour de la concession dans l’idée d’aller la rejoindre, mais il s’égara et s’endormit la nuit au bord de la route. un homme qui passait le vit, l’amena chez lui et lui posa mille questions, mais comme il parlait gun, l’enfant ne comprit pas ce qu’il lui demandait. L’homme lui proposa à manger, mais il refusa car sa mère lui avait bien expliqué qu’il ne devait accepter de nourriture de personne. Le lendemain matin, l’homme le déposa dans une paroisse du Christianisme Céleste ; comme il avait faim, il mangea des fruits qu’il trouva là. il comprendra plus tard qu’il avait mangé des fruits exposés à l’autel par les visionnaires lors du culte du vendredi. À seize ans, il quitte Abomey pour Cotonou dans le souci d’apprendre un métier et s’installe chez un ami qui l’accompagne un jour jusqu’à une paroisse céleste. il rencontre là des femmes visionnaires qui l’accueillent, l’appellent par son nom alors qu’elles ne le connaissaient pas et lui expliquent tous ses problèmes. il est vite convaincu par ces accortes “mamans” qu’il serait bon pour lui de suivre cette voie et de se faire baptiser. Au moment où on le plonge dans l’eau, il tombe en transe. il dit : Je ne sais plus dans quel monde je me trouvais, on aurait dit que je souffrais d’une attaque. Les devanciers ont été obligés de me ramener le plus vite possible à l’église. Je ne comprends même pas comment j’ai pu quitter ce lieu, mais une chose est certaine, je me souviens qu’au cours de mon baptême, j’ai vu quelque chose ressemblant à un homme. Cette chose avait une tête humaine, mais le reste de son corps était transparent, on aurait dit un miroir.

quand il reprend conscience, le lendemain matin, il est allongé dans le temple entouré de bougies ; des fidèles sont autour de lui qui écrivent fébrilement. Comme il leur demande ce qu’ils font, il apprend que dans son “sommeil” il n’a pas cessé de parler. il s’avère que tout ce qu’il a annoncé se produit, il est donc intégré sur le champ dans le corps des visionnaires. vers sa vingtième année, il dit qu’il lui est arrivé une chose « mauvaise et bonne » qui a rallongé sa vie car normalement il devrait déjà être mort. Ses mamans avaient décidé de lui faire connaître « le grand patron » et, un vendredi matin, l’accompagnent chez « un vieux », dit-il. il est conduit au bord de la mer, à Sèmè. On lui a dit d’emporter avec lui sa bougie de baptême. On lui demande de s’allonger dans un cercle dessiné dans le sable, puis les officiants allument sept bougies à sa tête, sept bougies à droite, sept bougies à gauche, et dessinent dans le sable des croix du côté de ses pieds. Puis ils mettent derrière sa tête une noix de coco et un œuf. il perd conscience et ne se réveillera que le lundi suivant. Au cours de son “sommeil”, il voit les choses suivantes : 20

Introduction […] à un moment, je vis un vieux souriant qui retourna ensuite dans la mer. il revint à nouveau, mais cette fois il avait pris le visage et le corps que j’avais vu pendant mon baptême, je l’ai reconnu et je l’ai appelé. Alors j’ai entendu cette parole : « Ce n’est pas mon nom, on m’appelle Jerimoyamah ». C’était une femme, une mami Wata, car elle avait des seins. Elle me dit d’avoir du courage et de prendre patience car d’autres étrangers allaient venir me voir. Le visiteur que j’ai eu était un serpent qui avait sept têtes, il était si long que je ne voyais même pas la fin de sa queue. Ce serpent cherchait par tous les moyens à me mordre. Je l’évitai car je me disais que j’étais une puissance. Nous luttions quand ma main est tombée sur son front, aussitôt six des têtes sont devenues immobiles, il ne lui restait qu’une seule tête mobile. J’ai essayé de garder cette tête sans faiblir. il m’a ensuite demandé de le lâcher, je l’ai fait. il me dit son nom que j’ai oublié. il me dit qu’il a des enfants dans le monde que l’on peut reconnaître par un signe : un point au milieu des deux yeux. On les appelle emere en yoruba ou abìkú en fon, ce sont des enfants très beaux qu’il ne faut jamais offenser. 29

il revient à lui, les personnes qui l’ont accompagné sont toujours à ses côtés et lui demandent de leur raconter ce qu’il a vu. Elles en concluent qu’il vient d’obtenir une « puissance de vie » (un allongement de sa vie) et lui recommandent de bien se comporter. En suivant les conseils de Jerimoyamah il devient un visionnaire très réputé. il explique : Jerimoyamah m’avait recommandé d’avoir des rapports sexuels avec deux sœurs issues de même père et même mère. Jerimoyamah m’avait dit de rester dans mon habit blanc d’église en ayant ces rapports. Grâce à son aide, j’ai pu rencontrer deux sœurs d’Avakpa près de Porto-Novo. Dans la nuit du jeudi au vendredi, je me suis rendu au bord de la mer, à Sèmè, avec l’habit blanc dont j’étais habillé quand j’avais eu ces rapports sexuels. Jerimoyamah est venue mettre sa main sur ma tête, puis m’a arraché l’habit.

Prudencio courtisait une jeune fille dans le but de l’épouser « et non d’avoir des relations sexuelles avec elle », précise-t-il. À la suite d’un malentendu, le couple se dispute et la jeune fille va se plaindre de son attitude au chef de la paroisse. Ce dernier convoque la jeune fille chez lui. En se dissimulant, Prudencio la suit jusqu’à la maison du chef et l’attend. quatre heures plus tard, il la voit, légèrement vêtue, sortir de la maison et se diriger vers la douche. « Ce n’est pas possible, j’étais perdu », commente-t-il. il se précipite chez les trois mamans visionnaires qu’il considère comme ses guides dans l’église. Les deux premières mamans lui disent que c’est une habitude de ce chef, quant à la troisième, elle lui conseille de ne pas faire d’éclat. mais il n’est pas homme à accepter ce qu’il considère comme un affront : Je me suis posé la question de savoir s’il y a des travaux spirituels pour faire le mal et s’il y en a, je ferai tout pour éliminer le chef qui a cherché mon amie. Le problème était de savoir comment l’atteindre vu son grade.

29. Dans le chapitre ii, nous traitons longuement de cette représentation qui impute aux allées et venues d’un même esprit malin les morts successives d’enfants d’une même mère.

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Introduction il va s’exposer 30 dans le temple et appelle Jerimoyamah qui, elle aussi, lui conseille de laisser tomber cette affaire. mais il persiste dans son désir de vengeance et un jour qu’il croise le chef, il lui dit : « tu as l’habitude de faire ça à tout le monde, mais moi je saurai bien te l’interdire ». Le chef en souriant lui répond qu’avec seulement une demi-bougie il va lui régler son compte. il rentre chez lui et commence à se sentir mal, il a des vertiges, des troubles visuels, il ne peut plus tenir debout. il est obligé de consulter Jerimoyamah qui lui indique la marche à suivre. Après un culte conduit par le chef, ce dernier frappera les fidèles avec sa sangle. quand viendra son tour, il doit le regarder de haut en bas, il verra derrière la tête du chef un rameau de palmier qu’il prendra et ira déposer sur le chemin qui mène à la maison de son adversaire. il exécute fidèlement toutes ces instructions et peu de temps après le chef est grièvement blessé dans un accident. De la petite enfance du pasteur, il faut comprendre que son oncle paternel est un sorcier et que, entre les trois frères restés vivants, il a élu Prudencio pour lui transmettre ses pouvoirs, pour cette raison il le fait voir dans l’eau d’un canari. Cet événement, Dako le lie au fait que précédemment il a mangé des fruits chez des visionnaires célestes. Ce premier événement a révélé un pouvoir déjà inscrit dans sa destinée et que décèle son oncle. Lors de son baptême, il voit un être au corps de miroir, objet lié à la divination, et commence à prophétiser. Ses protectrices le conduisent chez un “grand patron”. il ne s’agit pas d’Oshoffa, le fondateur de l’église, car Dako en parle ultérieurement en l’identifiant clairement. De nouveau au cours de la cérémonie où on le traite, il tombe dans un état de catalepsie. il revoit le personnage qui lui était apparu lors de son baptême qui lui dit s’appeler Jerimoyamah. il l’identifie comme une mami Wata. il n’y a pas unanimité chez les Célestes sur l’identité de Jerimoyamah, Jerimoyamah est un des noms sacrés de Dieu qui ont été révélés à Oshoffa, mais certains pensent que c’est un ange. Ce terme signifierait « lumière et splendeur, source de fécondité » 31. Le cantique qui invoque Jerimoyamah doit être obligatoirement chanté comme dernier cantique du culte dominical et évoque la joie des anges qui, au ciel, chantent pour louer le Seigneur. Au cours d’une de ces visions, Dako voit un serpent à sept têtes qu’il ne nomme pas, mais que l’on peut identifier comme étant une occurrence du vodun Dan Arc-en-ciel, dispensateur de puissance et de richesse. La suite du témoignage décrit divers rites de guérison célestes et en attribue l’efficacité au démon, il s’arrête sur les circonstances de sa reconversion. Le pouvoir dont disposait Prudencio Dako a été anéanti par une jeune femme, fidèle d’une église évangélique, ce qui a prouvé à notre pasteur la puissance inégalable du Christ quand il est adoré dans la bonne église. Le témoignage s’achève sur l’évocation de divers miracles accomplis cette fois par la force du sang de Jésus. L’assimilation qui est faite dans ce récit des Célestes et des adeptes de mami Wata, déesse moderne de la mer, n’est pas particulière au pasteur Dako, il s’agit d’une opinion assez largement répandue au bénin. Ce parallèle se fonde sur l’utilisation d’éléments symboliques communs (cérémonie à la plage, couleur blanche, utilisation de l’eau, de parfums, et de denrées sucrées au cours des rites), mais est également fonction de dérèglements supposés dans la sexualité de leurs adeptes

30. Forme de prière et de travail spirituel en usage chez les Célestes qui consiste à rester allongé dans le temple couvert d’un pagne miraculeux. 31. A. u. aDoGame l’indique comme nom d’un ange.

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Introduction respectifs, dont le témoignage de Dako donne une idée. mami Wata, comme déesse de la mer, au teint clair, aux longs cheveux bouclés et au corps de sirène, dispensatrice de richesses est connue dans toute l’Afrique de l’Ouest et jusqu’en Afrique centrale. Dans certains pays, comme au bénin, des cultes se sont développés autour d’elle, dans d’autres elle n’existe que dans l’imaginaire social. Alors que pour ses adeptes, mami Wata est une divinité qui apporte fécondité et protection contre les sorciers, pour les autres, elle est la femme voluptueuse et dangereuse qui n’accorde la richesse qu’en frappant de stérilité celui qui passe contrat avec elle. Sous ce dernier aspect, elle est stigmatisée par les églises chrétiennes et en particulier par les Chrétiens Célestes qui en font une de leurs plus courantes étiologies du malheur. Organisation de l’ouvrage bien que le Christianisme Céleste résulte d’une vision reçue par son fondateur et que l’église se prétende “unique” et “primitive”, il a été créé à l’imitation de l’Ordre Sacré des Chérubins et des Séraphins, une des plus anciennes églises du mouvement aladura, une forme de Christianisme née dans la région de Lagos. Dans le premier chapitre de ce livre, nous retraçons l’histoire de ce mouvement et plus particulièrement celle des Chérubins et Séraphins, en soulignant les emprunts qu’y a fait le Christianisme Céleste et la spécificité du contexte dans lequel ce dernier est né. La plupart des auteurs anglophones qui ont étudié le Christianisme Céleste au Nigeria expliquent le succès de cette dénomination par le charisme de son fondateur, bien que ceux qui ont connu le personnage (décédé au Nigeria en 1985) se montrent bien incapables d’expliquer en quoi exactement Oshoffa était “charismatique”. Le travail d’un des auteurs qui assoie le plus fortement cette thèse (Adogame 1999) oscille constamment entre l’acception chrétienne du terme “charisme” et son acception weberienne, dans un raisonnement qui prend parfois pour prémisses ce qu’il faudrait démontrer. La multiplication des prophètes en cette partie du monde, qu’évoquent non sans cruauté plusieurs pièces de théâtre de Wole Soyinka 32, invite à prendre quelque distance avec la notion weberienne et à chercher à comprendre de quelle manière le personnage et la réputation d’Oshoffa ont

32. W. soyinka, The trials of Brother Jero, dans iD., Five plays, Oxford university Press, 1964 [W. soyinka, Les Tribulations de Frère Jéro (trad. de l’anglais élisabeth Janvier) dans iD., Les gens des marais, L’harmattan, Paris 1979]. Le début des Tribulations de frère Jero est révélateur de la manière dont Soyinka envisage le prophétisme. Le frère Jero s’y exprime ainsi : « Je suis un prophète. Prophète de naissance et par inclination. vous avez déjà dû voir des quantités de mes collègues dans les rues ou dans leur chapelle quand ils en ont ; on en rencontre des quantités sur la côte et dans l’intérieur, des quantités qui mènent des processions, ou qui cherchent des processions à mener, des quantités qui guérissent les sourds ou qui ressuscitent les morts. mais attention, il y a œuf et œuf. C’est la même chose pour les prophètes. moi je suis né prophète. Je crois que mes parents avaient remarqué que j’avais en naissant les cheveux d’une épaisseur et d’une longueur inhabituelles. ils me descendaient jusqu’aux yeux et jusqu’au bas de la nuque. ce fut pour eux un signe indubitable : j’étais désigné par la nature pour être prophète. Et ma foi en grandissant j’ai pris goût au métier. À l’époque, c’était un métier très respectable, et la concurrence restait loyale. mais depuis quelques années, la plage est devenue un endroit tellement couru qu’on s’arrache littéralement les emplacements et la profession a bien perdu de sa dignité ».

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Introduction été construits. C’est ce à quoi nous consacrons le second chapitre qui retrace la vie du prophète et les principaux miracles et prodiges que ses fidèles lui attribuent. une autre des thèses de ces auteurs anglophones est que le Christianisme Céleste est une synthèse du message biblique, de formes liturgiques chrétiennes et de conceptions religieuses et rituelles yoruba. bien que le fondateur de l’église soit d’origine yoruba, ait emprunté la “doctrine” d’une église née en pays yoruba, et qu’il ait passé à Lagos les dernières années de sa vie, le développement simultané du Christianisme Céleste au bénin, en Côte-d’ivoire et au Nigeria engage à ne pas surestimer l’apport “yoruba” que comporte cette religion. L’idée que cette religion sortirait d’une « matrice culturelle yoruba » avait été exposée par benjamin Ray dans son article « Aladura Christianity : a Yoruba Religion » 33 qui emprunte la majorité de ses exemples au Christianisme Céleste. Le point de départ de l’article de Ray est que, bien que les fondateurs des églises aladura aient rejeté toutes les croyances “païennes” qui caractérisaient leur environnement, ils en ont retenu deux éléments fondamentaux : la croyance en des forces spirituelles invisibles (spécialement des forces nuisibles) et celle en l’efficacité de l’action rituelle. Ray a le mérite de reconnaître, en conclusion de son article, que cette manière de penser et cette forme de christianisme n’existent pas que chez les Yoruba, mais cette relativisation a été quelque peu oubliée par ses successeurs. Dans une autre perspective, Albert de Surgy, qui étudie le Christianisme Céleste au bénin, prétend qu’il ne peut être bien compris « qu’à la lumière des conceptions traditionnelles demeurant toujours présentes à l’arrière-plan » 34 et fait de fréquentes allusions à ses propres recherches menées chez les Ewe, en considérant que la commune origine aja des Gun, des Fon et des Ewe justifie le rapprochement. Si ce que le Christianisme Céleste est censé incorporer d’éléments “traditionnels” peut se retrouver aussi bien dans la pensée des Ewe que dans celle des Yoruba, et quels que soient les points communs que ces deux groupes peuvent présenter, on peut se demander si ce type d’analyses ethnocentrées est capable de rendre compte de la spécificité de cette église. La croyance en des forces invisibles et la confiance en l’efficacité rituelle n’appartiennent pas plus à la culture yoruba qu’à celle des Ewe, elles caractérisent toutes les communautés, en Afrique ou ailleurs, qui ne sont pas totalement inféodées au rationalisme de la science occidentale, à commencer par les communautés chrétiennes. Dans le troisième chapitre de ce livre nous présentons une histoire de l’église et de son organisation qui met en évidence sa dimension internationale. bien que l’église soit fortement hiérarchisée et centralisée, les cellules de base de son organisation que sont les paroisses possèdent une large autonomie et apparaissent comme ses microcosmes. Le quatrième chapitre traite de l’organisation d’une paroisse et de la manière dont la hiérarchie est vécue au quotidien. une église étant avant tout une manière de rendre un dieu présent parmi les hommes, le cinquième chapitre présente l’espace rituel et l’ordinaire du culte dominical, le sixième le système de guérison céleste. Enfin les septième et huitième chapitres traitent l’un des rites qui ponctuent le cycle de vie, l’autre de l’année liturgique. Au cours de ces chapitres sur les rites, nous essayons de montrer qu’ils mettent en place une esthétique qui doit plus au catholicisme qu’aux religions vernaculaires.

33. B. C. ray, « Aladura Christianity : a Yoruba Religion », Journal of Religion in Africa 23/3 (1993), p. 264-291. 34. A. de Surgy, op. cit., p. 59.

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ChApitRE i LA NAiSSANCE D’uN mOuvEmENt pROphétiQuE Le Christianisme Céleste est une église née en 1947, à Porto-Novo (Dahomey), suite aux visions d’un modeste charpentier nago, Samuel biléou Joseph Oshoffa, alors âgé de 38 ans. Le père d’Oshoffa était méthodiste et s’était efforcé de faire donner de l’instruction à son fils qu’il destinait depuis sa naissance au travail clérical. L’échec de ce projet conduisit le fils à reprendre le métier de son père et à se détacher des méthodistes pour fréquenter une église d’origine nigériane qui venait de s’implanter à Porto-Novo : l’Ordre Sacré éternel des Chérubins et des Séraphins. Cette église, l’une des plus anciennes du mouvement aladura, est une forme de christianisme née dans la région de Lagos (Nigeria) pendant les années vingt. Oshoffa fut renvoyé de cette église et quelques années plus tard fonda sa propre dénomination, dont la doctrine, la liturgie et l’organisation sont fortement inspirées de celles des Chérubins et Séraphins. trois ans après sa fondation, le Christianisme Céleste a été introduit en Côte-d’ivoire et au Nigeria. Dans ce dernier pays, retrouvant le terreau qui avait été celui de son modèle, il s’y est développé au point d’y être considéré comme « la plus attractive, la plus dynamique et la plus influente des églises aladura » 1. À la fin des années soixante, l’église a également pris son essor au bénin, et dépasse aujourd’hui, par le nombre de ses membres, l’église méthodiste, la première et la plus importante (par son effectif) des églises protestantes missionnaires implantées dans le pays. Elle est la seconde dénomination chrétienne après l’église catholique 2. Portée par des noyaux de migrants béninois, ivoiriens et nigérians, l’église a essaimé en diverses parties du monde en convertissant des populations indigènes là où elle s’installait 3. On peut en conclure que la copie a dépassé le modèle, au point d’ailleurs que la duplication arrive à totalement oblitérer sa source. En effet les Célestes, qu’ils soient nigérians, béninois ou autres, pensent que leur église est « unique », directement « descendue des cieux », « primitive » puisqu’elle n’est pas née de la scission d’une autre église mais d’une révélation. Cette originalité du Christianisme Céleste est pourtant difficile à soutenir, particulièrement au Nigeria où continuent à prospérer les différentes branches des Chérubins et Séraphins qui, bien avant le Christianisme Céleste, se prétendaient également une église révélée et « descendue des cieux ». Dans ce chapitre, nous esquisserons une brève histoire du mouvement aladura, et plus particulièrement de l’église des Chérubins et Séraphins, en soulignant à la fois les emprunts que le Christianisme Céleste a fait à ce mouvement et le contexte différent dans lequel il est né.

1. J. A. omayojowo « the Aladura Churches in Nigeria since independence », dans Fasholé-luke et al. (éd.), Chistianity in Independent Africa, indiana university Press, bloomington/Londres 1978, p. 96-110, (p. 96). 2. Selon le dernier recensement (2002) la population totale du bénin est de 6 769 954 personnes. On dénombre 1 833 283 catholiques, 214 222 méthodistes et 336 631 Chrétiens Célestes. 3. Le Christianisme Céleste est implanté en Afrique de l’Ouest (togo, Ghana, Niger, burkina-Faso, Sierra Leone, Sénégal), en Afrique centrale (Congo, République du Congo, Gabon, Cameroun), en Europe (France, Grande-bretagne, Allemagne, italie, Autriche, Suisse, Pays-bas, belgique), au Canada et aux états-unis, en Guyane et aux Antilles (martinique, Guadeloupe).

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Chapitre i i. Le mouvement aladura Selon John Peel 4, les lointaines racines du mouvement aladura (terme qui signifie “les orants”5) remontent à 1892, année de la conquête de la ville d’ijebu Ode par les Anglais. Les premiers missionnaires convertirent facilement un grand nombre d’ijebu qui adoptèrent le nouvel ordre des choses et envoyèrent leurs enfants à l’école des missionnaires 6. Dans les années 1920, nombre d’entre eux étaient enseignants ou cadres du gouvernement. À cette époque, la région de Lagos, en rapide changement social, fut durement touchée par une série d’épidémies (grippe espagnole en 1918 et peste en 1925-1926) qui conduisit à la dépression économique et à la famine (1932). Dans ce contexte, des prêcheurs, qui s’étaient lancés sur les routes à la suite d’un appel divin, parcouraient la région pour répandre la bonne Nouvelle. ils appelaient à une foi exclusive en Dieu, soutenaient l’idée que seule la prière pouvait sauver et condamnaient tout recours aux ressources thérapeutiques de la tradition. Des efforts de ces prêcheurs itinérants naquirent les deux premières églises aladura : la Precious Stone Church (aujourd’hui Christ Apostolic Church) fondée en 1920 et celle des Chérubins et Séraphins fondée en 1925. 1. La Christ Apostolic Church En 1918, quand la ville d’ijebu fut la proie de l’épidémie de grippe espagnole, les églises fermèrent mais des croyants continuèrent à prier dans la maison de Joseph b. Sadare, orfèvre de son métier. Ce dernier reçut des visions qui confirmèrent l’utilité de ces réunions. À la même époque une jeune institutrice, Sophie Odunlami, eut la vision de Dieu envoyant une pluie salvatrice. Elle se mit à voyager pour prêcher et rencontra Sadare. ils fondèrent, en 1920, un groupe de prière (la Diamond Society aussi appelée Precious Stone Society) dont l’objectif était de soigner au nom de Jésus-Christ. La mort de plusieurs enfants des membres du groupe fut interprétée à la suite d’une vision comme la conséquence négative de leur baptême. L’évêque anglican de Lagos louait la haute moralité du groupe mais critiquait leur rejet de la médecine cosmopolite, leur insistance à prêcher que seule la foi pouvait guérir, leur refus du baptême des enfants et leur confiance dans les visions comme guide de leur vie. On fit comprendre à Sadare qu’il serait préférable qu’il quitte la CMS 7. Par l’intermédiaire d’un autre ijebu, David Odubanjo, Sadare eut des contacts avec une secte fondamentaliste américaine, la Faith Tabernacle, qui préconisait la guérison par la foi. Sadare, suivi par une soixantaine de personnes fonda alors en 1923, la Diamond Society of Faith Tabernacle. La réputation du groupe allant croissant, il diffusa ses idées dans toute la région yoruba et attira divers autres prédicateurs indépendants. Ainsi Joseph babalola le

4. J. D. Y. Peel, Aladura : A Religious Movement among the Yoruba, Oxford university Press, iAi, Oxford/Londres 1968. 5. Le terme aladura vient de l’arabe dura qui signifie « prière individuelle d’intercession ». Comme beaucoup d’autres termes arabes, il est passé en yoruba par l’intermédiaire des Songhay. En 1850, quand il traduisit la bible en yoruba, le Révérend Crowther pour traduire “prière” préféra choisir adura que irun, terme qui, en arabe, désigne la prière collective. 6. Les informations sur les Aladura proviennent essentiellement de J. D. y. Peel (op. cit.) et J. a. omayajowo, Cherubim et and Seraphim : The History of an Independent Church, Nok Publishers, New York 1982. 7. La CmS (Church Missionary Society) est une émanation de l’église anglicane.

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La naissance d’un mouvement prophétique rejoignit-il en 1929. Né en 1904, élevé dans la religion anglicane, Joseph babalola était employé des travaux Publics quand il reçut, en 1928, la mission de répandre la bonne Parole et de prêcher que la prière et l’eau bénite pouvaient guérir toutes les maladies. En 1930, à l’occasion d’un meeting de “réveil”, les dirigeants de la Faith Tabernacle rencontrèrent des représentants de l’Apostolic Church, un groupe pentecôtiste anglais (fondé en 1916) auquel ils se joignirent. À la suite de divers conflits doctrinaux portant sur l’usage de la médecine, Odubanjo et babalola se séparent du groupe en 1941 pour former la Christ Apostolic Church. D’autres prédicateurs qui avaient pendant un moment suivi la Faith Tabernacle prirent également leur indépendance pour fonder leur propre église. Ainsi en 1939, Josiah Oshitelu, après avoir longtemps résisté à l’appel divin, fonda la Church of the Lord. Parallèlement, en 1925, un prédicateur itinérant, moses Orimelade, et une jeune fille, Abiodun Akinsowon, fondèrent la société des Chérubins et Séraphins. 2. Les « Chérubins et Séraphins » moses Orimolade est né à ikare, en 1879 croit-on. Selon sa biographie officielle, des événements mystérieux marquèrent son enfance et même sa vie prénatale. On dit que sa mère, alors qu’elle était enceinte de moses et s’occupait à ramasser du bois, l’entendit lui donner des conseils sur la manière de charger son fagot. Elle raconta l’aventure à son mari, tunolase, et ils décidèrent de consulter un oracle qui déclara que l’enfant à venir serait un saint et prêcherait la parole divine, ce qui est d’autant plus étonnant que les missionnaires chrétiens n’étaient pas encore arrivés dans leur village. quand il naquit, il manifesta à nouveau ses étranges capacités en se levant pour faire quelques pas. La femme qui aidait à l’accouchement appuya fortement sur le bébé, tandis que le père embarrassé récitait des incantations dans l’idée qu’elles calmeraient le nouveau-né. quand les missionnaires parvinrent à ikare, moses fut l’un des premiers à se convertir. Peu de temps après, il fut terrassé par une maladie inconnue et resta alité sept ans, son état allait en empirant au point que tous croyaient qu’il allait mourir. Selon certains de ses biographes, sa maladie était due aux traitements malheureux qui lui avaient été infligés à sa naissance. il ne fut partiellement guéri (il devait rester boiteux) que par la force de ses prières et à la suite d’une vision qui lui commandait de se baigner dans une eau puisée dans une rivière voisine. Devenu alors prêcheur itinérant, la puissance de la prière était un thème constant de ses prédications. Proche de l’église anglicane, il préférait néanmoins rester libre de toute affiliation officielle bien que de nombreux pasteurs, impressionnés par la manière dont il citait la bible alors qu’il était quasiment illettré, eussent aimé l’enrôler dans leur troupe. il prêcha dans tout le pays et acquit la réputation d’être un saint homme. il vivait très modestement, s’habillait d’une robe blanche et ne se coupait plus les cheveux depuis qu’il avait commencé à prêcher. il n’avait pas d’épouse, transportait son maigre bagage dans un simple panier et refusait tout argent pour les nombreux miracles et guérisons qu’il accomplissait, seule la charité de ses hôtes lui permettait de subvenir à ses besoins. En 1924, il s’installa à Lagos. Ses sermons en plein air, ses discussions publiques avec des maîtres musulmans, les cantiques inspirés qu’il chantait pendant ses prières, les nombreux miracles qu’il accomplissait le rendirent vite célèbre dans toute la ville. La vie d’Abiodun Akinsowon ne fut pas en ses débuts marquée par d’aussi étranges événements que celle d’Orimolade. Elle est née le 25 décembre 1907 à 27

Chapitre i Porto-Novo où son père avait été nommé agent d’une firme commerciale et s’était marié avec Elisabeth Smith. Le couple, d’origine saro 8, était chrétien, le père avait été organiste de l’église méthodiste avant de rejoindre l’United Native African Church. Abodiun reçut une éducation chrétienne au Nigeria, fréquentant d’abord une école catholique, puis un cours méthodiste et enfin une académie baptiste. À la fin de sa scolarité, elle aida sa tante à tenir son commerce. En mai 1925, elle fit sa confirmation dans l’église anglicane, et commença alors à se sentir transformée et à avoir des visions. Pendant les deux premières semaines de juin 1925, elle voyait constamment un ange. Le 18 juin 1925, elle se rendit avec deux amies sur une place de Lagos pour regarder les catholiques qui célébraient la Fête-Dieu. Alors qu’elle fixait les yeux sur le calice que l’évêque tenait entre ses mains, elle le voit se transformer en la représentation vivante de son ami l’ange. Elle se sent malade et demande à ses amies de la raccompagner chez elle, l’ange les suit. Durant la semaine suivante, l’ange la suit partout et l’accompagne même à la boutique de sa tante, au point qu’elle finit par se plaindre à lui et par l’insulter en le traitant de Satan. L’ange lui répond en lui demandant si elle voit des cornes sur sa tête et une queue sous sa robe pour l’appeler Satan. il lui dit également que bientôt le monde entier saurait que Dieu l’avait envoyé pour lui demander d’accomplir son œuvre sur terre, puis il s’en fut. une nuit de la même semaine, elle tombe dans une transe profonde. Abiodun dira avoir été elle-même transportée au firmament. Après avoir passé cinq portes, elle entre dans un jardin où une foule d’anges en robe blanche, chacun tenant un livre de cantiques, est en train de chanter. Elle est déçue de ne pas voir son ami et on lui dit qu’il sert devant le trône Suprême. Les anges qu’elle a questionnés le font venir, et elle le voit arriver dans une robe magnifique toute recouverte d’étoiles brillantes. il lui dit que les mortels n’ont pas le droit de venir chez les anges et qu’elle va devoir passer un examen de 43 questions avant de pouvoir retourner sur sa planète. il lui assure qu’il se tiendra derrière elle pour l’aider à réussir l’épreuve. Les examinateurs sont trois anges, le premier lui pose 40 questions, le second deux et le troisième la dernière et plus difficile question. Après diverses autres aventures, au cours desquelles elle apprend les prières pour guérir et pour bénir l’eau, elle voit son propre corps gisant sur le lit de sa chambre. L’ange lui apprend qu’elle ne pourra le réintégrer et rester vivante que si l’homme que l’on a fait appeler prononce les noms sacrés de Dieu et les bonnes prières. quand elle retrouve ses sens, moses Orimolade, que son oncle a fait venir, se trouve à son chevet. bien qu’il soit venu sous une pluie battante, il n’est pas mouillé. Orimolade répond de manière satisfaisante aux questions que lui pose Abiodiun, puis il prie, chante un cantique et déclare que l’Esprit Saint est dans la maison 9. Abiodun, tout à fait remise, reçoit de nombreuses visites qui finissent par tellement troubler la vie familiale que son oncle demande à Orimolade de l’accueillir à son domicile. moses et Abiodun étaient souvent en prières pour les nombreuses personnes qui venaient régulièrement les voir, et finirent par décider de créer un groupe de prière qui au début ne reçoit pas de nom. trois mois plus tard,

8. Les Saro sont d’anciens esclaves libérés en Sierra Leone et revenus s’installer au pays. 9. Les deux fondateurs de l’église des Chérubins et des Séraphins se sont séparés peu de temps après la création de l’église, comme le signale J. D. Y. Peel (op. cit.) ; selon la tendance consultée, ces récits de fondation varient et donnent le beau rôle à l’un ou à l’autre fondateur.

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La naissance d’un mouvement prophétique Orimolade appelle tous les membres à respecter trois jours de jeûne et de prière afin que Dieu nomme la société. À l’issue des trois jours, ils se communiquent les rêves qu’ils ont faits. une femme révèle qu’elle a vu les lettres « SE » dans le ciel mais que le reste du mot était caché par un nuage. un autre membre dit qu’il a vu les lettres « RA ». Plusieurs noms sont alors suggérés mais ils ne font pas l’unanimité et Orimolade disperse l’assemblée en disant qu’il leur faut prier encore avant de prendre une décision. Le lendemain, ils se réunissent à nouveau et un membre du groupe déclare que les visions précédentes se rapportent au mot « SERAFu » (séraphin). Orimolade se place au milieu de la pièce, se tourne successivement vers les quatre coins et déclare qu’au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit le groupe doit être nommé SERAFu 10. Si nous contons longuement les circonstances de cette nomination c’est que, selon Peel, cette décision allait contribuer à orienter le dogme de la future église et lui conférer les quelques traits originaux qui le distinguent de la doctrine anglicane. L’idée que le culte doit être l’imitation sur terre de ce que les anges font au ciel – ce en quoi consiste l’originalité doctrinale des Chérubins et Séraphins –, a été entièrement reprise par le Christianisme Céleste. La société des Séraphins, à cette époque, ne s’est pas détachée des églises officielles et est fréquentée par nombre de personnes ayant des responsabilités chez les anglicans ou les méthodistes. quelque temps après la nomination, Orimolade propose que la société se donne un chef. Les noms de plusieurs personnes importantes de Lagos sont prononcés mais ils ne sont pas retenus. une petite fille a une vision, elle dit qu’elle a vu que l’on nommait l’archange michel chef de la société, et Jah Jehovah fondateur. Au moment où elle raconte sa vision, un nuage rouge apparaît à l’est et se déplace vers l’ouest. Ce phénomène est interprété comme un signe que Dieu approuve la proposition et Orimolade proclame l’Archange michel, capitaine du groupe. un cantique des Chérubins et Séraphins immortalise l’événement, il dit : « michel, michel, michel est le “Capitaine” de la société des Séraphins. Jah Jehovah, lui-même, en est le fondateur. Elle n’a pas été fondée par un homme ». Ce choix provoque des attaques contre la société, certains critiquent le parallèle explicite que les membres font entre eux et les séraphins du ciel. Des responsables ecclésiastiques se sentent menacés par le prestige et l’autorité grandissante que prend Orimolade. Néanmoins la société resserre encore les liens qu’elle entretient avec les hôtes des cieux quand un membre, madame Johnson, raconte qu’elle a vu en rêve un chérubin plaidant que le nom de la société ne devait pas seulement référer aux séraphins mais également aux chérubins car au ciel, explique-t-elle, ils sont comme des jumeaux et ne doivent pas être séparés. Comme la société attirait de plus en plus de membres, Orimolade eut l’idée de créer avec les plus actifs d’entre eux une équipe d’élite pour l’assister dans ses tâches de guérison et dans son travail de guide spirituel. La praying band comptait 70 membres, choisis par vision. D’autres efforts d’organisation furent faits dont Peel dit qu’ils restèrent confus 11, ainsi fut créé un ordre de patriarches dont la fonction précise n’était pas exactement formulée. La création de la praying band suscita chez ceux qui n’avaient pas été choisis pour en faire partie des jalousies qui

10. Au Nigeria, les membres des Chérubins et Séraphins sont toujours appelés familièrement les “Seraph” ; d’une façon générale, les aladura, qui se distinguent des autres chrétiens par le port d’un habit de prière blanc, sont appelés, les “white garment”. 11. J. D. Y. Peel, op. cit., p. 75.

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Chapitre i furent la première manifestation des conflits qui allaient bientôt survenir et diviser le groupe. Néanmoins la popularité de la société allait croissant à Lagos et plusieurs antennes existaient dans différentes villes du pays yoruba. Au Dahomey, par le canal des relations qu’y comptait Abiodun, les idées du groupe faisaient également leur chemin. Les membres de la communauté appartenaient à diverses églises de la place et Orimolade, qui ne cherchait qu’à leur faire comprendre les bénéfices d’une vraie foi, ajouta à son enseignement par la prière et la vision une école biblique qui fonctionnait le dimanche après-midi. Fin 1928, un premier conflit éclata entre les deux fondateurs : Orimolade, plus souvent nommé baba Aladura, et Abiodun, appelée Captain Abiodun. Les causes profondes en restent obscures mais il semble que l’importance prise auprès de baba Aladura par une jeune fille qu’il avait guérie et qui s’était attaché à le servir, joua un rôle non négligeable. Captain Abiodun craignit de voir Orimolade tomber sous l’influence de la jeune fille et de perdre ainsi son rôle unique d’ “enfant spirituel” du prophète. Les divers groupes et personnalités qui intervinrent pour les réconcilier ne firent qu’envenimer les choses. Chacun des deux fondateurs avait ses partisans qui jetèrent de l’huile sur le feu au point que la séparation devint inévitable. En 1929 elle fut officielle, Orimolade nomma son groupe Ordre Sacré Éternel des Chérubins et des Séraphins tandis que Abiodun nommait le sien Société des Chérubins et Séraphins. D’autres conflits suivirent le premier et chacune des sociétés éclata en plusieurs groupes qui revendiquèrent leur indépendance et déposèrent des constitutions. C’est à la suite de ces conflits que les différentes tendances se posèrent comme des églises et non plus comme des groupes de prière. En 1933, Orimolade décédait, tandis que Abiodun connaissait tous les problèmes d’une femme se revendiquant chef d’une église. D’autres conflits de pouvoir entraînèrent d’autres scissions. Les Chérubins et Séraphins sont aujourd’hui une constellation de petites églises qui, néanmoins, reconnaissent leur filiation avec les deux fondateurs. Celle qui fut installée à Porto-Novo en 1933 relevait de la branche d’Orimolade. Ces églises, comparées à celles qui descendent du côté d’Abiodun, sont plus hiérarchisées et centralisées. 3. L’innovation aladura il faut souligner que les groupes de prière aladura n’ont pas donné naissance à des églises par la volonté de leur fondateur mais parce que les innovations qu’ils apportaient étaient rejetées par les autorités des églises en place, celles des églises missionnaires protestantes (anglicane, baptiste, méthodiste) comme celles des églises nées de rupture avec les précédentes mais conservant leur dogme et leur liturgie (United Native African Church, United African Methodist Church, etc.). En quoi consistaient les innovations des aladura ? quelles étaient les pratiques qui les rendaient suspects aux yeux des églises missionnaires et des églises africaines issues des premières ? Les aladura ont repris l’intégralité de la doctrine chrétienne telle que la CMS la diffusait et s’élèvent avec encore plus de rigueur que les autres chrétiens contre toutes les compromissions avec la religion traditionnelle. ils mettent l’accent sur quatre thèmes : l’importance de la prière, la pureté, les révélations par rêves et visions, et la guérison spirituelle. Comme le souligne Peel, l’efficacité de la prière n’était pas une idée nouvelle pour les yoruba chrétiens, qui demandaient souvent à Dieu la santé et la prospérité, 30

La naissance d’un mouvement prophétique mais les aladura spécifiaient les conditions d’une prière efficace. Les Chérubins et Séraphins pensent que la prière adressée à Dieu par leur canal est plus efficace car leur église a été établie sur terre par volonté divine et est récipiendaire d’une grâce spéciale, – conception qui sera intégralement reprise par le Christianisme Céleste. Les aladura utilisent des techniques comme le jeûne, la récitation des psaumes, l’usage de saints noms de Dieu révélés à leur prophète pour rendre leurs prières plus puissantes. La Church of the Lord est une des églises aladura qui fait le plus grand usage des saints noms de Dieu, tels qu’ils furent révélés à son fondateur, Oshitelu. La raison pour laquelle ce dernier fut exclu de la CMS, alors qu’il en était catéchiste, est qu’il ne voulut pas renoncer à les invoquer pendant les cultes. Entendre Oshitelu psalmodier « Ollahhumhhumjarrar » ou « Anomonolnollahhuhah » en était trop pour les oreilles anglicanes, même la jeune fille qu’il devait épouser l’abandonna quand il refusa de revenir à l’orthodoxie liturgique 12. L’insécurité, due aux épidémies, qui régnait à l’époque où les églises aladura se sont formées peut expliquer la multiplication des prophètes, l’engouement que leurs révélations suscitaient, et le désir pour beaucoup d’obtenir les mêmes dons de vision. Peel suggère qu’en ces temps troublés, il était facile de croire que ces maladies, qu’aucune sorte de médecine ne parvenait à enrayer, étaient le signe de la colère divine devant la méchanceté des hommes. Le pouvoir (agbara), la victoire sur l’adversité, qui font partie des thèmes chers aux aladura, ne pouvaient être obtenus que dans une obéissance parfaite à la divinité et donc dans le rejet de toutes les médecines traditionnelles. Cette exclusion de tout recours autre que celui de Dieu allait pour la Christ Apostolic Church jusqu’à exclure la médecine occidentale. Dans un compte rendu des livres de Peel et de turner, humphrey Fisher 13 reproche à ces deux auteurs d’avoir négligé l’islam, à la fois comme élément du contexte régional et dans les ressemblances qu’il note entre les conceptions des aladura et celles des musulmans. il signale des correspondances en ce qui concerne l’importance accordée à la prière, aux rêves et visions, à la pureté et à la sanctification. Le premier lien entre les chrétiens et les musulmans est l’emprunt que les premiers ont fait au vocabulaire des seconds. Nous avons déjà signalé le terme adura pour la prière ; le terme woli, qui désigne le prophète, vient du terme arabe wali qui signifie saint. beaucoup des noms sacrés de Dieu utilisés par la Church of the Lord lui semblent avoir des racines arabes et évoquent l’importance des « beaux noms » de Dieu dans l’islam. Les aladura recommandent de prier toutes les trois heures, ce qui ressemble aux cinq prières quotidiennes de l’islam. La posture observée pour certaines prières par les Chérubins et Séraphins est analogue à la prosternation des musulmans. La prière “contre” quelqu’un ou pour se défendre contre une attaque que pratiquent les aladura est un fait également connu dans l’islam africain. L’usage intensif que les aladura font des Psaumes est similaire à la fascination que ces derniers exercent sur les musulmans. L’oratoire en plein air réservé à certaines prières de la Church of the Lord, adopté également par les Chérubins et Séraphins (et repris par le Christianisme

12. h. W. turner, African Independent Church : the Church of the Lord, 2 vol., Oxford Clarendon Press, Oxford 1967. 13. h. J. Fisher, « independency and islam : the nigerian aladuras and some muslim comparisons », Journal of African History 11/2 (1970), p. 269-277 (p. 273).

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Chapitre i Céleste), est très similaire à celui que l’on trouve dans les mosquées de la place. Les Chérubins et Séraphins accordent beaucoup d’importance à la sanctification (iyasimimo en yoruba, litt. se tenir à part pour être pur ou saint) et prennent beaucoup de précautions rituelles pour préserver leur pureté. ils ont des pièces spéciales pour prier, se déchaussent avant d’y entrer, en éloignent les femmes en menstrues, n’y font pas entrer les cadavres, ils observent des restrictions alimentaires (interdit de l’alcool, du tabac et du porc). toutes ces observances (qui seront aussi reprises par le Christianisme Céleste) sont également respectées par les musulmans mais plus que ces pratiques rituelles, il semble à Fisher que c’est l’idée même de “se tenir à part”, notion profondément enracinée dans l’islam, que l’on trouve également chez les aladura. Fisher note également un parallèle entre les aladura et les musulmans dans certains comportements sociaux : les deux communautés acceptent la polygamie et s’élèvent contre les dépenses excessives faites lors des mariages et des funérailles. En notant les ressemblances des pratiques islamiques et aladura, Fisher se demande si elles proviennent du fait que les mêmes influences locales se sont exercées sur les deux religions ou si les aladura ont fait des emprunts à l’islam. un chapitre d’un récent livre de John Peel, Religious encounter and the making of yoruba 14, qui est consacré à la rencontre des missionnaires protestants avec l’islam, peut nous aider à préciser ce point. Peel note que lorsque les missionnaires arrivèrent en pays yoruba, dans les années 1840, il était impossible de parler d’une religion “traditionnelle” comme d’une pure création indigène, totalement indépendante de l’islam. il souligne qu’il est assez ironique que la divination par ifa, qui prouve des influences musulmanes anciennes, en soit venue à être considérée comme « le porte-drapeau de la religion traditionnelle non islamique » 15. Dans les années 1840, les yoruba musulmans étaient déjà nombreux et, partout où ils allaient, les missionnaires en rencontraient. Le lexique des musulmans yoruba s’était diffusé dans une population encore largement non musulmane. Certaines de leurs idées avaient pénétré la société, la plus importante d’entre elles était la conception d’un Dieu créateur distinct de tous les autres êtres, une autre était la notion d’un séjour différent dans l’au-delà pour les bons et les méchants. Peel montre que l’influence religieuse, éthique et cosmologique de l’islam a servi de « tête de pont conceptuelle » 16 au christianisme. En particulier, lorsque le Révérend Crowther traduisit la bible en yoruba et qu’il eût à choisir entre des termes musulmans ou “païens”, il opta pour les premiers. Nous avons déjà signalé les termes adura et woli qu’il choisit pour traduire “prière” et “prophète”. Pour traduire “prêtre”, non seulement le prêtre de la bible mais aussi le pasteur ou le prêtre chrétien, il adopta le terme alufa de préférence à aworo qui désigne le servant d’un orisha. Pour désigner le Diable, contrairement à tant d’autres traducteurs, Crowther ne choisit pas Eshu (Legba) mais le terme tulasi emprunté au haoussa et signifiant “trouble, ennui” ; il lui substitua, dans une édition ultérieure, bilisi (satan en haoussa). Pour en revenir aux aladura, on peut penser que cette stratégie des premiers missionnaires, qui consistait à reconnaître l’existence d’un front commun des

14. J. D. Y. Peel, Religious Encounter and the Making of the Yoruba, indiana university Press, bloomington 2000. 15. J. D. Y. Peel, Religious Encounter…, op.cit., p. 194. 16. J. D. Y. Peel, Religious Encounter…, op.cit., p. 194

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La naissance d’un mouvement prophétique deux monothéismes contre l’idolâtrie, a été réitérée lorsque, un siècle plus tard, il s’est agi pour les nouveaux prophètes de réformer un christianisme qui, à leurs yeux, pactisait trop avec le paganisme. Si les chrétiens échouaient à obtenir ce qu’ils demandaient dans leurs prières, n’était-ce pas parce qu’ils couraient chez les devins au sortir de l’église ? C’est à nouveau par des emprunts à des formes et à des concepts islamiques que les aladura ont tenté de régénérer leur christianisme et de le rendre plus efficace. Comme dans l’islam, l’attention accordée aux rêves et aux visions permettait, sans recours aux devins traditionnels, de se prévenir contre le mal, tandis que l’adoption de techniques de prières similaires à celles des musulmans (état de pureté, nombre fixe de prières quotidiennes, invocation des noms sacrés de Dieu, posture de prosternation) devait rendre sa puissance à un instrument affaibli par le laxisme des fidèles des églises missionnaires. Peel considère que le christianisme aladura est un mouvement d’origine urbaine, né dans un contexte de rapide changement social et de crise économique et qui, dans ses années de formation, a essentiellement attiré des jeunes gens relativement instruits. Le Christianisme Céleste est né dans un contexte bien différent où le christianisme dominant est catholique (les protestants ne sont qu’une minorité dans le Dahomey de l’époque). bien que fondé à Porto-Novo, le Christianisme Céleste a, dans ses débuts, essentiellement recruté les Gun des villages toffins. La région de Porto-Novo ne traverse pas une crise économique telle que celle qu’a connue Lagos quelques décennies auparavant et son élite commence à accéder à la direction du pays 17. ii. porto-Novo Au début du xxe siècle, Porto-Novo 18, capitale de la colonie du Dahomey, est essentiellement peuplée par les Gun, petits paysans, artisans et négociants orga-

17. En 1946, le décret-loi moutet crée un conseil général élu de trente membres « qui délibère sur le budget de la colonie et en réalité sur toute la vie interne, le fonctionnement propre du Dahomey » (R. cornevin, La république populaire du Bénin. Des origines dahoméennes à nos jours, maisonneuve et Larose, Paris 1981). 18. La ville de Porto-Novo, capitale de la colonie du Dahomey, a été fondée vers 1730, par les lignages royaux d’Allada fuyant leur ville à la suite de sa prise par le roi d’Abomey. Avec l’aide du royaume d’Oyo, ils s’installèrent près de la lagune, attirèrent des lignages vassaux de diverses origines et constituèrent une petite cité royaume qui devint le principal port de traite d’Oyo. Au début du xixe s., le royaume d’Oyo s’effondre sous les coups de l’empire peul de Sokoto, et l’abolition de la traite est votée par les Anglais. Le royaume de Porto-Novo doit se chercher de nouvelles alliances pour lutter contre les attaques d’Abomey et les opérations des navires anglais pourchassant les négriers. La ville est alors peuplée outre les Gun de nombreux Yoruba, originaires d’Oyo, et de quelques Portugais qui assurent le transit des esclaves. Après l’abolition de la traite au brésil, de nombreux Afro-brésiliens, esclaves libérés, s’y installent et prennent part à l’essor commercial de la ville. Petit à petit la traite des esclaves disparaît et les négociants s’emploient à commercialiser d’autres ressources, principalement les palmistes et l’huile de palme. En 1863, toujours en butte à l’hostilité du royaume d’Abomey et également menacée par les Anglais installés à Lagos qui cherchent à contrôler les ports environnants, Porto-Novo obtient la protection de la France. En 1892, béhanzin, le nouveau roi du Danhome, envoie des troupes attaquer Porto-Novo, l’incident est mis à profit par les Français pour partir à la conquête du royaume d’Abomey. En 1894, Abomey est occupée, son roi déporté et la colonie du Dahomey déclarée. Les premiers fonctionnaires envoyés s’installent à Porto-Novo qui devient la capitale de la nouvelle colonie. La royauté de Porto-Novo, dont le pouvoir était déjà fortement entamé par les nombreux

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Chapitre i nisés en lignages patrilinéaires qui restent, pour la plupart, attachés aux cultes animistes ; par des commerçants yoruba le plus souvent musulmans et par les Afro-brésiliens (ou aguda), métis ou descendants des esclaves libérés revenus au pays, dont certains sont musulmans et d’autres chrétiens, ayant été convertis au brésil. Estimée à environ trois mille membres au début du siècle, la communauté musulmane a longtemps vu s’opposer les yoruba et les “brésiliens”19, mais dans les années cinquante, les conflits se sont apaisés et son effectif a beaucoup augmenté. Claude tardits 20 estime à une dizaine de milliers le nombre des musulmans de Porto-Novo en 1952, soit le tiers des habitants de la ville. un autre tiers est chrétien. Les missionnaires méthodistes et catholiques sont présents dans la ville depuis le milieu du xixe siècle 21. L’œuvre catholique confiée à la Société des missions de Lyon connaît un développement régulier et reçoit une impulsion particulièrement importante dans le domaine de l’enseignement grâce au R.P. Francis Aupiais (1877-1945), arrivé en 1903 au Dahomey. La réputation de “quartier latin” de l’Afrique qu’a longtemps eue ce pays est en partie le résultat de ses efforts. Francis Aupiais, un breton d’origine modeste, entré en 1900 aux missions Africaines de Lyon, ordonné prêtre en 1902, est affecté au vicariat du Dahomey en 1903. Entre 1915 et 1918, il est mobilisé à l’hôpital de Dakar où il fait la connaissance de maurice Delafosse et de Georges hardy. Le premier, administrateur colonial, animait avec Arnold van Gennep l’institut Ethnographique international de Paris qu’il venait de créer. Au contact de ces deux hommes, Delafosse et hardy, Aupiais acquiert la conviction que l’ethnographie est le moyen de pénétrer les cultures africaines, l’outil privilégié pour mener une politique coloniale éclairée et former une élite indigène 22. La carrière d’Aupiais se déroulera désormais sur deux fronts : son travail de missionnaire et son travail d’ethnographe. Là où beaucoup d’autres missionnaires ne voyaient que “féticheries” et diableries, le père reconnaît dans le culte des vodun une religion à part entière. il parle la langue de ses ouailles et passera sa vie à tenter de les réhabiliter contre le racisme européen qui les fait considérer comme des sauvages. C’est en constatant à quel point les indigènes sont « graves, déférents et même solennels » que le père élabore la notion de “cérémonialisme”. Le terme exprime « une stylisation, une idéalisation de certains gestes communs à la vie courante et à la religion ou spéciaux à la religion » 23. En mettant au service

entrepreneurs commerciaux qui assuraient la richesse de la ville, décline définitivement. Nommé par l’administration française, le “roi” n’est plus qu’un fonctionnaire chargé de servir d’intermédiaire entre la population et les colons. m.-J. Pineau-jamous, « Porto-Novo, royauté, localité, parenté », Cahiers d’Études africaines 104/XXvi-4 (1986), p. 547-576. 19. P. marty, Études sur l’Islam au Dahomey. Le Bas-Dahomey, le Haut-Dahomey, E. Leroux, Paris 1926. 20. C. tarDits, Porto-Novo. Les nouvelles générations africaines entre leurs traditions et l’Occident, mouton & Co, Paris/La haye 1958. 21. Les quelques lignes qui suivent n’ont pas la prétention de retracer l’histoire du christianisme dans cette région ; sur ce sujet, on peut consulter J. C. allaDaye, Le catholicisme au pays du vodun, éditions du Flamboyant, Cotonou 2003 ; J. Faure, Histoire des missions et Églises protestantes en Afrique occidentale des origines à 1884, éditions Clé, Yaoundé 1978 ; m. balarD, Mission catholique et culte vodun. L’œuvre de Francis Aupiais (1877-1945), missionnaire et ethnographe, Presses universitaires de Perpignan, Perpignan 1998 ; b. salvainG, Les missionnaires à la rencontre de l’Afrique au xixe siècle (Côte des esclaves et pays yoruba, 1840-1891), L’harmattan, Paris 1994. 22. m. balarD, op. cit., p. 62. 23. Correspondance hazoumé/Aupiais, 24.3.1931, citée dans m. balarD, op. cit., p. 174.

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La naissance d’un mouvement prophétique de son travail d’évangélisation ses connaissances ethnographiques, Aupiais imagine des cérémonies susceptibles de rendre le catholicisme plus attrayant 24. Pour lutter contre la polygamie, il met au point une “fête des mariages”. Pour l’épiphanie et le jour de la Sainte Jeanne d’Arc, il organise des fêtes théâtrales auxquelles participe toute la population, y compris le roi et sa cour 25. Parallèlement, il fonde en collaboration avec ses anciens élèves et en particulier avec Paul hazoumé, l’un des plus doués d’entre eux, une revue, La reconnaissance africaine, qui publie les jeunes auteurs dahoméens. L’objectif de la revue était de contribuer « à dissiper l’équivoque par laquelle on fait une supériorité absolue de la différence qui existe entre l’état dit “civilisé” et l’état dit “primitif ” au service du premier ». Elle offrait aux lecteurs à côté d’informations sur la colonie et la vie paroissiale, des articles de géographie, de linguistique et d’ethnologie dahoméenne. thomas mouléro et Gabriel Kiti, deux prêtres, anciens élèves d’Aupiais, y écriront, le premier une histoire de la ville de Kétou, le second une étude sur les rites funéraires gun. Paul hazoumé y publiera une première version de son Pacte de sang. Couronnement de la carrière du père Aupiais, l’élite qu’il a formée le sollicitera afin qu’il se présente comme député du Dahomey ; il est élu en 1945 mais ne put siéger car il mourut la même année. L’installation des méthodistes 26 s’est, dit-on, accompagnée d’une vague de guérisons miraculeuses 27. malgré les réticences du gouvernement colonial à leur égard et le manque de cadres 28 qui limitent l’ampleur de leur action, ils ont réussi à ouvrir de nombreuses écoles. C’est l’une d’elles que fréquentera longtemps Samuel Oshoffa. Des conflits entre méthodistes gun et yoruba au sujet de la langue à utiliser pour les cultes furent la cause de la fondation, en 1901, de l’église boda Owa qui se rattacha à l’United Native African Church nigériane. D’autres conflits entre méthodistes au sujet de la polygamie aboutiront en 1930 à la scission d’un autre groupe qui fondera l’église méthodiste africaine Eleja, en se rattachant à une église nigériane du même nom. malgré leur séparation, ces deux églises ont conservé le dogme et la liturgie méthodistes. En 1932, un autre groupe de méthodistes dissidents demande l’autorisation d’ouvrir une “église évangélique africaine” qui leur est refusée. ils implantent alors, en 1933, une antenne des Chérubins et Séraphins. Selon Albert de Surgy 29, Gabriel Loko est président du bureau de cette nouvelle église qui, en 1935, se voit refuser une reconnaissance officielle. Comprenant que les églises d’origine africaine auront toujours des problèmes avec l’administration coloniale, Loko fonde alors un groupe de prière indépendant qu’il rattache, en

24. Aupiais s’inspire également des fêtes que les catholiques afro-brésiliens avaient rapportées du brésil. 25. La kantata togolaise ou l’opera yoruba, scènes de la bible jouées dans les églises évangéliques, qui, selon A. Ricard, ont donné naissance au théâtre dans cette région de l’Afrique, apparaîtront bien après ces “fêtes” (A. ricarD, L’invention du théâtre. Le théâtre et les comédiens en Afrique Noire, L’âge d’homme, Lausanne 1986). 26. La première mission méthodiste à Porto-Novo a été installée par thomas marshall, un gun de badagry, en 1862. On doit également aux méthodistes la première traduction de la bible en gun. 27. Le roi Sodji assistait souvent au culte méthodiste et un de ses ministres, Gogan Sotin, devint chrétien et abandonna ses fonctions politiques, incompatibles avec sa nouvelle religion. 28. vers 1924, pour répondre à l’engouement que suscite l’appel de W. harris, beaucoup de missionnaires sont envoyés en Côte-d’ivoire (R. cornevin, op. cit., p. 434). 29. A. de surGy, op. cit.

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Chapitre i 1938, à l’église Christique Primitive que vient de fonder à Paris un guérisseur catholique gagné aux idées spirites, Nicolas Strati, dont Loko avait fait la connaissance lors d’un séjour en France. L’église Christique Primitive de Loko ressemble beaucoup aux Chérubins et Séraphins en faisant une place plus grande à l’accueil des malades et à leur guérison spirituelle 30. Samuel Oshoffa a fréquenté ces deux églises qui, comme nous l’avons déjà dit, l’influenceront profondément quand il créera la sienne. En ce qui concerne les cultes vodun, Claude tardits signale que l’expansion du christianisme a tari le recrutement des initiés que l’on va maintenant chercher dans les branches rurales des lignages porto-noviens. il précise que sur la trentaine de couvents vodun que comptait la ville, un seul organise encore les sacrifices annuels mais, ajoute-t-il, cela « n’indique pas que l’animisme soit purement et simplement en train de disparaître […] les pratiques religieuses animistes personnelles peuvent être encore fort vivaces » 31. tardits ne le signale pas mais on peut penser que pour beaucoup ces pratiques ont comme nouveau cadre les cultes anti-sorcellerie dont nous avons parlé dans l’introduction. Pour d’autres, et en particulier pour les élites, elles cohabitent avec un catholicisme officiel. Le Christianisme Céleste qui se construit contre ce « concubinage religieux », s’il s’inscrit dans le mouvement général qui veut rendre aux Dahoméens les rênes de leur destin, est aussi une critique des catholiques.

30. A. de surGy, op. cit. 31. C. tarDits, op. cit., p. 52.

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ChApitRE ii SAmuEL OShOFFA (1909-1985) Et LA FONDAtiON Du ChRiStiANiSmE CéLEStE

Alors le monde tissait autour de nos vies une toile de destin ben Okri, La route de la faim, 1991

quand les Chrétiens Célestes s’expriment à propos du fondateur de leur religion le mot “mystère” revient souvent. « Sa vie a été mystère et étonnement et ne cesse de l’être après sa mort. mystère elle l’a été à tous ceux qui ont approché l’homme », écrit Romain Codjo 1. « Le prophète Samuel biléou Joseph Oshoffa est un personnage mystérieux », constate Christophe Akodjetin 2. Ce mystère semble si profond qu’il rend ceux qui ont pourtant bien connu et longuement côtoyé le prophète presque incapables de parler de l’homme et de sa personnalité. Pressé de dire quelque chose du pasteur auprès duquel il a travaillé pendant plus de quatorze ans comme chauffeur, de parler de « sa manière de travailler, son comportement », Expédit voudounon ne trouve rien d’autre à répondre que le pasteur est semblable au Christ. il y a seulement une différence qui est là. Si le pasteur ne prenait pas de femme et n’avait pas mis des enfants au monde, nous allons dire que c’est le Christ 3.

La raison du mystère qui entoure le personnage tient, pour ses fidèles, à l’élection divine qui l’a projeté hors de la sphère de la commune humanité. La vie d’Oshoffa, comme celle sans doute de tous les saints et prophètes, ne peut être considérée qu’en fonction de la révélation qui la transforme en destin. Pour Samuel Oshoffa, il s’agit de deux visions, l’une qui « le change profondément », l’autre qui lui ordonne de fonder une nouvelle église. En dehors des quelques renseignements qu’il a lui-même donnés sur sa jeunesse et ses origines, il est difficile de réunir des informations sur la vie du prophète. Comme il l’avait fait de son vivant, ceux qui l’ont connu font preuve d’une remarquable discrétion et préfèrent laisser dans l’ombre les traits qui pourraient ternir son image ou seulement donner à penser qu’il n’était pas tout entier défini par sa vie spirituelle. Pour exposer la vie de Samuel Oshoffa, nous nous servirons essentiellement d’une interview qu’il a accordée à la télévision nigériane 4 et du récit officiel de la fondation de l’église. il existe deux versions de ce récit. L’une se trouve dans un opuscule appelé Lumière sur le Christianisme Céleste 5 qui a été rédigé par un fidèle du nom d’Apollinaire Adetonah. L’idée de la rédaction de cette brochure lui était venue à la suite d’un article paru, en 1968, dans la Croix du Dahomey

1. R. CoDjo, « Oschoffa le prophète du xxe siècle, un exemple de foi pour le monde noir », La Dernière Barque 2 (1994), p. 4. 2. C. akoDjetin, Pasteur Oschoffa, sa vie et son œuvre, Cotonou s.d. 3. Entretien avec Jonas Ahoyo, 1997, sur le site http://www.egliseduchristianismeceleste.com. 4. La copie de cet entretien télévisé que nous avons eu entre les mains n’était pas datée mais nous pensons qu’il s’agit de l’entretien qu’Oshoffa a accordé à l’OGtv en 1985, quelques mois avant sa mort. 5. Dans la suite de cet ouvrage, cette brochure sera simplement désignée par Lumière.

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Chapitre ii (un journal catholique), qui était intitulé « Document complet sur les sectes au Dahomey ». Cet article parlait du Christianisme Céleste et, selon les Célestes, contenait beaucoup d’erreurs. Adetonah a insisté auprès du prophète pour user du droit de réponse et lui a ensuite demandé l’autorisation d’écrire une brochure pour éclairer l’opinion publique sur l’église. Cette brochure a été éditée pour la première fois en 1972 6. Les parties de Lumière qui concernent la vie d’Oshoffa et la fondation de l’église sont écrites à la première personne comme si elles étaient les paroles mêmes du prophète. L’autre version que nous possédons de ce récit de fondation se trouve dans la Constitution de l’église nigériane. il s’agit d’une brochure en anglais sous une couverture bleue (souvent pour cette raison appelée la Constitution bleue), qui est aux Célestes nigérians ce que Lumière est aux Célestes béninois 7. Ce document est plus tardif puisque sa première publication date de 1980 mais le récit qui nous intéresse se présente comme la traduction en anglais de propos que le pasteur aurait tenus en yoruba en guise de prédication d’un culte du soir, en janvier 1969 à la paroisse de makoko (Nigeria). Figure également dans la Constitution nigériane un « supplément de l’historique de l’église du christianisme céleste raconté par le Pasteur » qui est la transcription de paroles prononcées lors d’une réunion du conseil d’administration à Ketu (Lagos), le 22 mai 1976. Dans ces deux documents, le béninois et le nigérian, qui diffèrent d’ailleurs sur divers points, le merveilleux occupe une place importante : miracles, signes et prodiges y abondent. Dans le chapitre suivant, nous présenterons l’histoire de l’église, ici nous essaierons de présenter l’homme Oshoffa et la nature du monde spirituel que la religion qu’il a créée propose à ses fidèles. i. Origine et jeunesse du prophète Samuel Oshoffa est né en 1909 à Porto-Novo 8. D’après les renseignements sur sa famille qu’il a lui-même donnés lors de l’interview à la télévision nigériane précitée, son grand père, Ojokpola, était né à Abeokuta (Nigeria) et s’était installé à tré près de Dassa Zoumé (Dahomey) 9 pour cultiver la terre avec son épouse, Koshina, et ses trois garçons, Oshoffa, téni et iléou. Alors que le père et ses fils étaient au champ, les enfants attirèrent l’attention de guerriers qui passaient à proximité. Le père réussit à s’enfuir mais les enfants furent enlevés et vendus à des négriers. Oshoffa, le père de Samuel, étant chétif et de santé fragile, son maître ne put le revendre comme il l’escomptait et l’abandonna à Porto-Novo. il fut recueilli par une mission méthodiste et élevé dans cette foi. il vécut ensuite dans une famille yoruba musulmane et apprit le métier de menuisier. Samuel Oshoffa parle de cette

6. Cette version des faits est contestée par Paul Gonçalves qui assure qu’une nuit le plan de cette brochure lui apparut en rêve. Oshoffa informé se serait alors écrié que c’était là le plan qu’il proposait lui-même depuis longtemps et aurait chargé Adetonah et une commission formée pour la circonstance de hâter son exécution pratique. 7. Le prophète a très tôt fait de fréquents et longs séjours au Nigeria, il s’y est installé définitivement en 1976. 8. Certains auteurs indiquent le 18 mai comme date de sa naissance sans signaler la source d’une exactitude aussi étonnante. 9. Dassa Zoumé est située dans le département du Zou, c’est l’ancienne capitale d’un petit royaume nago. Les gens de Dassa parlent l’idatcha, une langue proche du yoruba.

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Samuel Oshoffa et la fondation du Christianisme Céleste famille comme de ses parents mais nous n’avons pas réussi à savoir si son père avait été adopté ou s’il avait retrouvé des membres de sa véritable famille 10. bien que le prophète affirme à plusieurs reprises que son père était très pieux, il ne l’était pas au point de rester monogame comme l’exige la confession méthodiste puisqu’il eut six épouses. Chacune lui avait donné plusieurs enfants qui tous moururent, à l’exception d’élisabeth, une fille de sa première épouse. C’est la raison pour laquelle son père supplia Dieu de lui accorder un garçon, ajoutant que s’il était exaucé il vouerait cet enfant au service de Dieu. Fohoun Alake iyafo fut l’épouse qui donna naissance à ce garçon tant désiré. Elle était fille d’une esclave d’imeko (Nigeria) et pratiquait le métier de vendeuse de tissus, ce qui l’amenait à voyager entre son pays et Porto-Novo 11. Avant d’épouser Oshoffa, elle avait déjà été mariée et avait de cette première union une fille, Adjaï, qui, selon le prophète, possédait un don de guérison. quand l’enfant naquit, il fut d’abord prénommé Joseph puis plus tard reçut les noms de Samuel, référence biblique à l’enfant d’Anna et Elqana (Samuel, 1, 1-20) 12, et de bileou, début de la phrase yoruba : bileaiye bawu kogbe sugbon mo mo wipe mo ti toro re lodo olorun, qui signifie « si tu veux vivre dans ce monde reste, dans le cas contraire pars mais je sais que je t’ai spécialement demandé à Dieu ». La manière de raconter l’événement renvoie uniquement à la bible mais il faut noter qu’une pratique identique existe dans la coutume où il est courant qu’un enfant obtenu grâce à l’intervention d’un vodun lui soit voué. Le choix de la devise qui commande le prénom bileou renvoie, elle, sans équivoque, aux enfants dits ab`Ik&u. Dans la région du golfe du bénin, une suite de décès d’enfants en bas âge peut être interprétée comme les allées et venues d’un même esprit perturbateur, un ab`Ik&u, qui a pris la place de l’enfant dans la matrice de la mère. Ab`Ik&u en yoruba peut se traduire par « nous avons enfanté la mort » ou « né pour la mort ». Les igbo les nomment ogbanje : voyageur. La psychologue thérèse Agossou signale que les ab`Ik&u suscitent l’angoisse de leur entourage et qu’ils sont souvent considérés comme autistes ou psychotiques. Ces enfants « font naître le fantasme qu’ils peuvent quitter à n’importe quel moment le monde des vivants pour choisir une mort définitive » 13. Dans leur petite enfance, ils sont souvent négligés ou maltraités pour qu’ils sachent à quel point leur comportement erratique fait souffrir leurs parents. melville Jean herskovits, en analysant les contes dahoméens, associe les ab`Ik&u aux jumeaux, hòx&ovi, et aux orphelins de mère, nOcy&Ov$I, car les uns et les autres sont sous la protection des esprits de la forêt, azizà. il signale que « la logique de leur existence n’a aucune justification en termes humains […] leur existence témoigne de l’immensité de l’univers dont le monde des hommes n’est qu’une petite partie » 14. Certains pensent qu’ils sont des messagers de mawu et

10. Selon des informations recueillies par Jean-Claude barbier, Oshoffa (père) aurait été adopté par cette famille musulmane. 11. La mère d’Oshoffa était apparentée à Olusegun Obasanjo, le chef d’état nigérian. 12. Sauf indication contraire, les références bibliques renvoient à la traduction de Louis Segond qui est celle utilisée par les protestants béninois. 13. t. aGossou, « La mort, la naissance, la filiation : un itinéraire nécessaire et structurant. L’exemple des cultures africaines », dans J. Guyotat (éd.), Mort/naissance et filiation, études de psychopathologie sur le lien de filiation, masson, Paris 1980, p. 105-115 (p. 113). 14. m. J. herskovits, F. S. herskovits, Dahomean Narrative, Northwestern university Press, Evanston 1958, p. 30.

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Chapitre ii que cette divinité les autorise, uniquement pour leur propre plaisir, à passer quelque temps dans le monde des hommes 15. quand un enfant est reconnu comme ab`Ik&u, ses parents accomplissent de nombreux rites pour le retenir sur terre mais ces cérémonies restent sans effet s’ils ne réussissent pas à trouver et à détruire les objets magiques cachés par l’enfant ou à lui faire avouer le nom qu’il porte dans le monde des esprits ; dans l’un ou l’autre cas, il s’agit de rompre son lien avec l’autre monde. Certains pensent qu’un ab`Ik&u, même quand il a été fixé en ce monde, conserve toujours une personnalité hors du commun et des capacités surnaturelles. ulli h. beier note que la croyance en l’existence des enfants-esprits est partagée par des chrétiens et des musulmans et même par des personnes ayant reçu « un haut degré d’éducation européenne » 16. De nombreux écrivains nigérians (Amos tutuola, Chinua Achebe, ben Okri) ont utilisé le thème de l’ab`Ik&u dans leurs romans. Amos tutuola, écrivain, natif d’Abeokuta, dont l’œuvre est entée sur les contes et mythes yoruba, présente une conception de l’ab`Ik&u qui le rapproche des “enfants terribles” des contes. il fait parler ainsi un esprit ab`Ik&u qu’il appelle « fantôme cambrioleur » : [l’enfant] plaît beaucoup à tous, notamment à la femme qui l’a mis au monde, en tant que bébé très beau et même supérieur. quand il a atteint ce stade charmant, il commence à faire semblant d’être tout le temps malade et, comme il plaît tellement à cette femme, elle dépense beaucoup d’argent pour le soigner et fait aussi des sacrifices à toutes sortes de dieux. Comme ce faux bébé possède un pouvoir invisible ou surnaturel, alors il s’approprie tout l’argent dépensé pour lui et aussi les sacrifices et emmagasine tout cela dans un endroit secret grâce à son pouvoir invisible. mais lorsque la femme a dépensé tout ce qu’elle avait et est devenue pauvre, alors, une nuit il fait semblant de mourir, de façon à ce que la femme qui l’a mis au monde en tant que superbébé, sa famille et les amis disent ainsi « Ah ! Ce beau bébé est mort ! » mais ils ne savent pas qu’il n’est pas un superbébé. Alors, ils l’enterrent en tant que bébé mort mais les personnes humaines ignorent qu’il n’est pas mort et qu’il a simplement cessé de respirer. Et après avoir été enterré, à minuit, il sort de sa tombe et va tout droit à l’endroit secret où se trouvent l’argent et les sacrifices – moutons, chèvres, pigeons et volailles, tous vivants et bien gardés par son pouvoir invisible –, et emporte le tout à sa ville. Ainsi donc, humain, si tu retournes dans ta ville humaine et si tu entends dire qu’une femme met au monde des bébés qui meurent à chaque fois, alors, crois-moi, c’est nous qui sommes ces bébés et c’est pourquoi tous les humains appellent ce genre de bébé “Naît et meurt”17.

ben Okri qui a écrit une trilogie romanesque dont le héros est un ab`Ik&u qui a choisi de rester sur terre le fait parler ainsi : Nous étions des esprits toujours en souffrance ou en partance, refusant d’affronter la vie. Nous avions le pouvoir de choisir le moment de notre mort. Nous étions liés par nos pactes […]. Nos bouches profèrent d’obscures prophéties. Nos esprits

15. m. J. herskovits, Dahomey. An Ancient West African Kingdom, 2 vol., Northwestern university Press, Evanston 1967 (19381), p. 260. 16. h. u. beier, « Spirit Children among the Yoruba », African Affairs Liii/213 (1954), p. 328-331 (p. 331). 17. A. tutuola, Ma vie dans la brousse des fantômes, trad. R. queneau, belfond, Paris 1988, p. 53 [A. tutuola, My life in the Bush of Ghosts, Faber and Faber, New York 1954].

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Samuel Oshoffa et la fondation du Christianisme Céleste sont envahis par des visions de l’avenir. Nous sommes des étrangers car la moitié de notre être appartient toujours au monde des esprits […]. Alors le monde tissait autour de nos vies une toile de destin […] Notre rébellion cyclique nous attirait le ressentiment des autres esprits et de nos ancêtres. Peu appréciés dans le monde des esprits et stigmatisés parmi les vivants, notre réticence à demeurer sur terre affectait toutes sortes d’équilibres 18.

Le fait que Samuel ait été considéré comme un ab`Ik&u expliquerait, d’une part, certaines attitudes très protectrices de son père, d’autre part, le fait que luimême pouvait se penser dans un lien privilégié et particulièrement fort avec le surnaturel. La mère de Samuel mourut alors qu’il était encore jeune. Dans l’entretien précité, il raconte que sa grand-mère maternelle, mécontente que son petit-fils soit élevé à Porto-Novo, vint le chercher pour l’amener à imeko (Nigeria). Son père le cacha et la grand-mère fut obligée de repartir. mais quelque temps après, prétendant qu’elle était très malade, elle envoya un message à sa fille lui mandant de venir la voir sans tarder. La mère de Samuel se rendit à imeko mais arrivée là-bas, c’est elle qui tomba malade et mourut. Pour accomplir la promesse qu’il avait faite de le vouer à Dieu, son père le confia, à l’âge de sept ans, à un catéchiste méthodiste, moïse Yansunnu, afin qu’il reçoive une éducation religieuse. Oshoffa dit que l’homme était sévère et le frappait souvent au point que son père, mécontent des mauvais traitements que subissait l’enfant, le reprit chez lui. il habitait alors Adjara où l’enfant suivit quelque temps les classes d’une école catholique 19. Cette surprotection dont le père semble entourer l’enfant (refus de l’envoyer chez sa grand-mère, refus qu’il soit battu par son éducateur) peut être attribuée à sa nature supposée d’ab`Ik&u. Samuel fut ensuite confié de nouveau à un pasteur méthodiste, David hodonou Loko. il a alors treize ans. Durant six ans, il fut interne chez le pasteur et suivit les cours de l’école protestante jusqu’au Cm2, sans réussir l’examen final. Le révérend Loko avait été remplacé par un expatrié, le pasteur Garner, venu de Londres, qui appliquait une discipline plus rude que son prédécesseur. il demanda un jour à ses élèves de fabriquer des briques de terre, tous les adolescents refusèrent et furent, à la suite de cette rébellion, renvoyés chez leurs parents. Le père de Samuel le ramena chez le pasteur en le suppliant de garder son enfant car il l’avait voué au service de Dieu mais le pasteur se montra inflexible et refusa de le reprendre 20. Le jeune homme a alors dix-neuf ans. On peut en déduire qu’il n’était pas un élève très brillant mais il se montrait habile musicien et avait appris à jouer de la guitare, de l’orgue, de la trompette et de l’accordéon. Durant sa scolarité, il était tombé amoureux d’une

18. b. okri, La route de la faim, Laffont, Paris 1997, p. 15. [b. okri, The famished road, Jonathan Cape Ltd., Londres 1991]. 19. O. obaFemi, Samuel Bilewu Joseph Oshoffa, don du xxe siècle de Dieu à l’Afrique, trad. fr. Ayeboua-Aduayom E. P., Jones Printing Press, Abeka s.d. [O. obaFemi, Pastor S. B. J. Oshoff. God’s 20th Century gift to Africa, Lagos 1986]. 20. Lumière ne raconte pas la rébellion des jeunes gens ni leur renvoi mais fait dire à Samuel Oshoffa : « Je n’avais pas la force physique qu’il fallait pour continuer et m’évadai pour rejoindre mon père ». Faut-il voir là simplement une ignorance du scripteur ou la volonté de montrer Samuel Oshoffa en rébellion contre le pouvoir institué ?

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Chapitre ii jeune fille, Christiana, qui fréquentait la même école et faisait comme lui de la musique 21. Après son renvoi, son père se résolut à le mettre en apprentissage pour qu’il apprenne le métier de menuisier. il obtient sa libération à vingt-trois ans, au bout de quatre années d’apprentissage, et commence à travailler dans l’atelier de son père. Le commentaire que lui prête Lumière est le suivant : « J’avais donc fui la force pour la force ». La manière dont Oshoffa présente son métier de menuisier est assez ambiguë. Dans l’interview télévisée comme dans Lumière, il dit qu’il a consenti à la volonté de son père sans enthousiasme car la menuiserie est un métier dur pour quelqu’un qui comme lui n’avait pas beaucoup de force physique 22. tandis que dans la Constitution nigériane, il nous dit : Je devins un menuisier compétent. J’excellais à fabriquer les charpentes, à raboter le bois et à travailler l’ébène que j’achetais régulièrement à un ami. Je restais ainsi heureux de mon travail de menuisier […] (article 14).

malgré son départ de l’école méthodiste, il fréquentait toujours Christiana qu’il était résolu à épouser. il s’était juré à l’époque qu’il n’aurait pas plusieurs épouses. Son père s’opposa à ce mariage, car la jeune fille était beaucoup plus jeune et plus instruite que Samuel ; or avançant en âge, il désirait voir son petit-fils avant sa mort. Dans ce but, le père prit langue avec Zannou Yansunnu, un frère cadet de moïse Yansunnu, et demanda pour Samuel la main de sa fille. La jeune femme était alors enceinte des œuvres d’un jeune homme qui l’avait abandonnée et que Samuel et ses amis connaissaient bien. Samuel s’oppose fermement à cette union mais son père amène la jeune femme sous son toit. Fidèle à son amour pour Christiana qu’il tient au courant des événements, il résout de ne pas s’approcher de cette femme et de la renvoyer dès son accouchement. trois mois après la naissance de l’enfant, il la renvoie mais quelque temps après Christiana meurt. Samuel en éprouve un si grand chagrin que pendant trois ans, il reste inconsolable. il passe son temps à hanter les lieux où il rencontrait Christiana en chantant les chansons qu’ils aimaient. Son père s’inquiète pour lui et insiste pour qu’il se marie et reprenne la femme qu’il avait renvoyée, Samuel finit par accepter l’idée du mariage mais refuse la jeune mère. il se dit qu’il ne doit plus courtiser une intellectuelle comme Christiana car il risquerait à nouveau de la perdre 23 et fait sa cour à Loko, une vendeuse de poissons. il la demande en mariage, paye la compensation matrimoniale et se soumet à tous les usages de sa famille. Cette union ne fut guère heureuse car Loko était légère et infidèle, en plus d’être stérile. C’est vers la même époque que Samuel Oshoffa s’engage dans une évolution religieuse que ni lui ni ses biographes officiels ne mentionnent mais qui est signalée par michel Guéry 24 et par d’anciens chrétiens célestes gagnés à une autre confes-

21. toutes les informations concernant la vie sentimentale ou conjugale de Samuel Oshoffa proviennent soit de l’entretien télévisé soit de sources extérieures. Le récit officiel de sa vie que ce soit dans Lumière ou dans la Constitution ne fait aucune mention de ces faits. 22. Oshoffa se dépeint toujours dans sa jeunesse comme faible physiquement alors qu’il était très grand et comme nous le verrons plus tard faisait preuve d’une grande résistance à la fatigue, cette faiblesse qu’il s’attribue tient sans doute à sa nature d’ab`Ik&u. 23. une jeune fille ayant reçu de l’éducation pouvait susciter la jalousie et donc l’attaque en sorcellerie. 24. m. Guéry, « Notes de travail sur le Christianisme Céleste », texte ronéoté, 1973.

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Samuel Oshoffa et la fondation du Christianisme Céleste sion 25. Au début des années trente, la région de Porto-Novo est gagnée par l’effervescence religieuse dont la région de Lagos (Nigeria) avait déjà été le théâtre. En 1933, un groupe de méthodistes auquel appartient Gabriel Loko, cousin du David Loko chez qui était resté Oshoffa, implante une paroisse de l’Ordre Sacré des Chérubins et des Séraphins mais la nouvelle église n’arrive pas à obtenir l’agrément du gouvernement colonial. Ce même Gabriel Loko fonde alors en 1938 une antenne de l’église Christique Primitive 26. Samuel Oshoffa a fréquenté ces deux églises qui l’influenceront profondément quand il créera la sienne. En 1939, le père de Samuel meurt. Sur son lit de mort, il appelle son fils et prie à son intention en lui disant : « tu seras établi en argent, tu seras établi en enfants, les hommes seront à ton service ». Cette prière/prophétie surprend d’autant plus Samuel qu’à l’époque, il a trente ans, il n’a pas encore d’enfants, il exerce un métier qui n’est pas réputé enrichir ni donner du pouvoir sur les hommes (Constitution : art. 89). L’inébranlable certitude du père que son fils était promis à un grand destin a certainement aidé ce dernier à s’engager dans une vie de prophète et peut être perçue comme une des sources de sa confiance en son destin. Après la mort de son père, il abandonne le métier de menuisier et cherche à gagner sa vie comme musicien, il est, entre autres, trompettiste dans la fanfare municipale de Porto-Novo. mais il voit que la profession est précaire et s’oriente vers le commerce du bois. il dit : À cette époque ma sœur aînée vivait toujours. Je me rendais dans le village où elle vivait pour aller chercher du bois d’ébène, d’acajou, de tek, toujours pour mon travail de menuiserie. Je fabriquais toutes sortes de choses avec. (interview)

Après la mort de son père, des changements interviennent également dans sa vie matrimoniale. Au cours de l’entretien télévisé que nous suivons, Samuel Oshoffa raconte qu’un de ses amis a conseillé des tisanes pour aider le couple à avoir des enfants. un ami de son père lui rend visite alors que Loko est en train de préparer les infusions, il demande qu’on fasse appeler le conseiller herboriste. quand ce dernier arrive, l’ami du père se met en colère, casse les jarres contenant les infusions et dit à l’arrivant, qu’au lieu de prescrire des tisanes, lui qui a plusieurs filles, ferait mieux d’en donner une à Samuel. L’ami vexé rentre chez lui mais quelques jours plus tard il fait venir Samuel, appelle une de ses nièces, Joséphine tchanou, et lui demande si elle veut épouser le jeune homme, elle accepte. Oshoffa commente : vraiment ça a été un grand choc pour moi […] mais je n’avais pas eu d’enfant jusqu’à cet âge, mon père n’avait pas eu la chance de voir son petit-fils, tout ça m’a poussé à accepter […] c’est là que je suis devenu un homme à deux femmes.

De ce mariage naquirent plusieurs enfants qui moururent en bas âge. il n’aura pas d’enfant non plus de sa troisième femme qu’il épouse dans des circonstances quelque peu scandaleuses. En effet, il est accusé d’adultère avec Félicienne, née Kpossou, dite Yaman, femme de Daniel Chaffé, un de ses amis, membre comme lui des Chérubins et Séraphins. C’est elle qui aurait reconnu avoir eu des relations sexuelles avec Oshoffa et qui l’aurait avoué à son mari. Son mari la répudie et

25. m. et m. alokPo, La Bible et le Christianisme Céleste, Centre de Publications évangéliques, Abidjan 1988. 26. A. de surGy, op. cit.

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Chapitre ii tous deux sont exclus de l’église. Oshoffa niera toujours les faits et dira que les témoins se sont rétractés par la suite 27. Levi Yansunnu nous a présenté une autre version de ces événements. Oshoffa était ami du couple Chaffé. quand il commença à chercher du bois pour le revendre, Daniel Chaffé lui proposa de suivre sa femme, Yaman, qui se rendait souvent dans la vallée de l’Ouémé pour aller vendre différentes petites marchandises. Ainsi commença à naître entre eux beaucoup d’amitié. Petit à petit, des commérages et insinuations commencèrent à courir sur les relations qu’Oshoffa entretenait avec Yaman mais dans un premier temps le mari n’y porta pas attention. Par ailleurs, ceux-là mêmes qui faisaient courir ces bruits profitaient sans vergogne de la légèreté de Loko, l’épouse d’Oshoffa. Cette situation choquait profondément Yaman. quand son mari, cédant à la force des commérages, commença à la soupçonner, elle se rebella et le quitta en disant que ce que jusque-là elle n’avait pas fait elle allait le faire et qu’elle deviendrait l’épouse d’Oshoffa. Ce qui fut d’autant plus facile que, peu de temps après, le mari eut un accident d’automobile et décéda. Yaman, présentée comme la première épouse du prophète par les biographes officiels, était plus âgée que lui. Stérile, elle ne pourra donner d’enfants à Oshoffa mais se montrera très dévouée et bonne conseillère, elle le fera bénéficier de son expérience religieuse acquise chez les Chérubins et Séraphins. Elle se coiffera toujours du petit voile porté par les femmes de cette confession et non de la toque prescrite par les visions de son mari aux femmes célestes. Elle sera portée aux plus hauts honneurs de l’église et en sera considérée comme la mère ainsi qu’en témoigne l’inscription portée sur sa tombe. On peut penser que c’est à la suite de cette exclusion qu’Oshoffa rejoint l’église Christique Primitive où il obtient rapidement le grade d’évangéliste, il prêche fréquemment à Agongue où son travail l’emmène à faire de fréquents séjours. mais à la suite d’événements mal éclaircis 28 il se querelle avec Gabriel Loko et quitte également cette église. À trente-huit ans, Oshoffa n’a donc plus aucune attache avec les églises qu’il a précédemment fréquentées, le destin clérical auquel l’avait voué son père semble définitivement dans l’impasse 29. Néanmoins, il nous dit qu’il est resté très pieux et qu’il ne se déplace jamais sans emporter sa bible. ii. La première vision Nous sommes en mai 1947. Oshoffa, pour son commerce de bois, est allé en forêt accompagné d’un piroguier qui est soudain pris de violentes douleurs intestinales. Oshoffa prend sa bible, lui impose les mains et prie, aussitôt le piroguier se sent mieux et lui avoue qu’il lui avait dérobé de la nourriture, il ajoute que Samuel doit être un homme bizarre pour que son acte ait été immédiatement sanctionné par des douleurs. Après avoir dit cela, apeuré, le piroguier s’enfuit laissant Oshoffa seul dans la forêt et condamné à attendre du secours car il ne sait pas pagayer. il errait dans la forêt depuis trois jours quand se produit une éclipse de soleil 30, il

27. m. Guéry, op. cit. 28. Selon certaines versions, il aurait été accusé d’avoir volé de l’argent d’une paroisse, selon d’autres versions c’est une histoire de femme qui serait à la source de sa querelle avec Gabriel Loko. 29. L’échec marque souvent les débuts de carrière des prophètes. C’est le cas entre autres de Simon Kimbangu. Cf. G. balanDier, Sociologie actuelle de l’Afrique Noire, PuF, Paris 1971 (19551), p. 428. 30. il s’est effectivement produit une éclipse totale de soleil observable de cette région le 20 mai 1947, Lumière indique le 22 mai comme jour de cet événement.

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Samuel Oshoffa et la fondation du Christianisme Céleste se jette à genoux pour prier, les yeux fermés, et entend une voix qui lui dit « Luli, Luli », et qui lui dit également que cela signifie « la grâce de Jésus-Christ ». il ouvre les yeux et voit alors que l’être qui a prononcé ces mots est un singe blanc ailé comme une chauve-souris, possédant deux dents à la mâchoire supérieure et deux à la mâchoire inférieure. il voit également un oiseau au bec et aux pattes jaunes, qui ouvrait de temps à autre une queue colorée semblable à celle d’un paon ; enfin il voit près de lui à sa droite un petit serpent marron au cou gonflé qui semblait prêt à le mordre. Oschoffa dit que sans peur d’être mordu, il le saisit, le caresse et le relâche tranquillement. Puis l’un après l’autre, le serpent en dernier, ces animaux disparurent à ses yeux et il expérimente alors qu’un grand changement s’est produit en lui. Oschoffa n’a donné qu’un commentaire très elliptique de cette vision dans l’interview précitée : C’est de la bouche du singe que j’ai entendu « luli », ce qui veut dire « la grâce de Dieu ». Le serpent : son explication est la trahison, comme nous le savons tous c’est le serpent qui a trahi Adam et Eve dans le jardin d’éden. Pour plus d’explication, il s’est enroulé et s’est déplacé de cette manière et non normalement en rampant sur le tronc. Le paon veut dire l’orgueil au plus haut niveau, tel que celui qui a fait chuter Adam. voilà l’explication que j’ai eue par le Saint-Esprit.

Les Chrétiens Célestes sont peu portés à l’exégèse de la geste de leur prophète, aucun ne semble connaître cette explication qui d’ailleurs est presque aussi mystérieuse que la vision elle-même. À notre connaissance, le seul commentaire émanant d’un Céleste est celui de Simon houenou 31. L’auteur rapproche la vision d’Oshoffa d’autres visions d’animaux qu’on peut trouver dans la bible. La première est celle du prophète Daniel (Daniel, 7, 1-18) : « Les quatre vents du ciel soulevaient la grande mer, quatre bêtes énormes sortirent de la mer, toutes différentes entre elles ». il est fourni à Daniel une explication de sa vision, ces quatre bêtes sont quatre royaumes, quatre peuples dont les premiers recevront le royaume de Dieu et le dernier, qui résistera à la loi divine, sera détruit. La seconde est celle de Pierre (Actes des Apôtres, 10, 3-15). Pierre s’était retiré sur une terrasse pour prier, il a faim et demande qu’on lui apporte à manger, c’est alors qu’il a la vision d’une grande nappe qui du ciel ouvert descend vers la terre, et dans laquelle il y a tous les quadrupèdes et tous les reptiles de la terre et tous les oiseaux du ciel. une voix lui dit : « Allons, Pierre, immole et mange » et Pierre répond : « Non Seigneur, car je n’ai jamais rien mangé de souillé ou d’impur », et la voix lui rétorque : « Ce que Dieu a purifié, toi, ne le dis pas souillé ». Plus tard, Pierre comprend qu’il ne doit pas seulement baptiser les juifs mais aussi toutes les races de païens. Dans ces deux visions, il y a l’idée que les animaux représentent différents peuples ou différentes communautés, c’est ce que notre auteur applique à l’interprétation de la vision d’Oschoffa et il commente ainsi : – Le singe blanc ailé […] représente la race des saints hommes désolés repoussés par Dieu et repris par Satan […] – Le serpent représente la race des mauvais hommes, la race des vipères […] – Le paon, ce joli oiseau est le symbole de la race des gens vivant dans l’aisance et choisis pour rehausser l’étendard de cette église universelle afin de recevoir le salut.

31. S. houenou, « La vision du prophète pasteur », La dernière Barque 20 (1997), p. 5.

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Chapitre ii La suite du commentaire prouve que le commentateur projette ses soucis d’aujourd’hui sur la vision du prophète 32. Si l’on applique la même méthode mais en essayant de se replacer à l’époque de la vision, et si ces animaux désignent bien des communautés humaines, le singe blanc ailé qui apparaît comme une caricature d’ange, pourrait représenter l’église des Chérubins et des Séraphins ou plus largement les chrétiens de toute dénomination (méthodistes et catholiques) – en quelque sorte des imitations, des approches inachevées de vrais chrétiens –, toutes communautés par lesquelles Oshoffa se plaindra plus tard d’avoir été persécuté mais dont il ne peut nier que ce sont elles qui l’ont introduit à la connaissance de Dieu et de la bible. Le serpent prêt à mordre est interprété par Oshoffa lui-même comme le symbole des traîtres. La manière dont Oschoffa l’attrape, le caresse et le relâche, signifierait que la force et la puissance qui viennent de lui être conférées par Dieu lui permettront le triomphe facile sur cette engeance. L’oiseau, symbole d’orgueil, pourrait représenter les puissants ou les autorités, envers lesquels, comme on va le voir bientôt, Oshoffa a plutôt une attitude de demande de reconnaissance que de critique. La présence du paon sur cette scène pourrait signifier que les puissants se montreront favorables à son égard. La religion d’Oshoffa n’est en elle-même porteuse d’aucun message révolutionnaire ou de contestation sociale. Enfin, il faut noter que dès cette première vision apparaît un mot dans une langue inconnue dont néanmoins la signification est donnée à Oshoffa. Dans des visions ultérieures, ce fait se reproduira, cette langue sera reconnue comme celle des anges 33.

32. Joël Noret signale une autre interprétation céleste d’origine nigériane, mais la discrédite également. Pour sa part, J. Noret cherche à interpréter ces animaux en fonction d’informations sur les royautés de la région données par m. Palau-marti (1964,1993). Le serpent protège l’oba ou est directement associé à sa personne ; J. Noret semble oublier que les serpents qu’on associe aux rois sont des pythons et non le petit serpent dont parle Oshoffa. Pour poursuivre son explication, il est obligé de transformer le « singe ailé comme une chauve-souris » en simple chauve-souris, animal qui, dans la royauté de Save, servait de messager entre la terre et les hommes. J. Noret commet ici une autre erreur quand il nous dit qu’Oshoffa était originaire de Save, confondant le royaume de Save et celui de Dassa. Enfin pour expliquer l’oiseau/paon, il fait référence au costume d’un Egungun plus particulièrement associé à l’idée de majesté. que l’organisation de cette église donne à Oshoffa la place d’un chef traditionnel est incontestable mais cette interprétation semble prématurée compte tenu de l’époque à laquelle se situe cette vision. (J. noret, « L’église invisible. Deuil, souci et statut des morts chez les Chrétiens célestes du Sud-bénin », mémoire de licence en anthropologie, université libre de bruxelles, 2001). Par ailleurs, les ennemis d’Oshoffa ne se sont pas privés d’interpréter cette vision comme une inspiration du diable. Le pasteur Sambiéni écrit dans son introduction au pamphlet d’Alokpo : « on ne peut que s’interroger au sujet des animaux bizarres vus en vision par le fondateur Samuel Oshoffa. Parmi eux, un serpent joue avec lui et conclut ainsi un pacte avec lui. Ce serpent ne rappelle-t-il pas étrangement celui qui a interpellé et séduit ève dans le jardin d’éden ? Or dans la bible, le serpent symbolise le diable. La question qui se pose alors : d’où venait la révélation que Oshoffa a reçue ? » (m. et m. alokPo, op. cit., p. 8). 33. Ce fait est assez fréquent dans les églises indigènes africaines. Par exemple, l’église musama Disco Christo du Ghana possédait un langage céleste, osor kasa (K. A. oPoku, « La religion en Afrique pendant l’époque coloniale », dans Histoire générale de l’Afrique, t. vii, chap. xx, Présence africaine, Edicef, unesco, Paris 1989, p. 351-367 : p. 365).

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Samuel Oshoffa et la fondation du Christianisme Céleste Pendant trois mois, Oshoffa continue à errer dans la forêt, il se nourrit uniquement de reste de fruits que les oiseaux laissent tomber à terre et de miel d’abeilles dont il enfume les essaims, il boit l’eau des flaques. Selon le récit de la Constitution, il arrive à une colline appelée Fagbe (près de la ville de Zinvié) où il rencontre un homme (qui rejoindra ensuite l’église) et un grand nombre d’enfants. il s’enfonce à nouveau dans la forêt à la recherche de sa pirogue. La rivière étant en crue, il monte dans son embarcation et s’abandonne au courant. Des serpents tombent du haut des arbres dans la barque mais il les saisit avec les mains et les jette dans le fleuve 34. De cette période, Oshoffa ne gardait pas une claire conscience, il confie à Olu Obafemi 35 : la seule et unique chose que j’ai mémorisée fut mes constantes et régulières prières. quelque temps après je retrouvai mes sens et une fois encore, je commençai par sentir et agir comme à l’accoutumée. ma première observation fut liée à l’état de mes cheveux hirsutes et touffus. ma couverture localement tissée à la main, qui était un cadeau de mon père, était aussi sale. mes habits étaient bien sûr aussi très sales et déchiquetés comme ma couverture. Ce fut l’état de ces vêtements et de ma chevelure qui me donna le premier signe que malgré mon bon état physique, j’étais dans cette forêt depuis un bon bout de temps et qu’entre-temps quelque chose m’était arrivé. Et comme j’observais mon entourage, j’eus la conviction que les choses ne pourraient plus être ce qu’elles étaient auparavant. Le SbJ Oshoffa d’antan n’existait plus, l’Oshoffa actuel est une nouvelle créature. Je réalisai que je fus immédiatement transformé après le départ du serpent et que je n’arrivais pas à recoudre convenablement les événements après mon retour à la conscience 36.

il finit par arriver à Agongue où il rencontre une de ses connaissances de Porto-Novo, Yesufu, qui prend peur en le voyant car on le croyait mort après sa disparition de plus de trois mois. Dans une maison proche de la sienne à Agongue, Koulihoun, un jeune méthodiste, gisait sur sa couche, mourant, le corps tout enflé. Oschoffa se présente dans la maison et prie en lui imposant les mains. Au grand étonnement de tous les assistants, l’homme éternua, secoua ses membres et s’assit sur sa couche. Oshoffa reste quelques jours à Agongue pendant lesquels Yesufu retourne à Porto-Novo et annonce aux parents d’Oshoffa qu’il était revenu, qu’il paraissait étrange « avec des cheveux longs, mal soigné, un accoutrement grossier et débraillé tel un fou » et qu’il ressuscitait les morts. La famille répond que « la raison de son apparence débraillée ne pouvait être que la paresse ». À son retour à Porto-Novo, il est l’objet d’une grande curiosité et reçoit beaucoup de visites. trois jours après son retour, sa sœur aînée, élisabeth, vient le voir et en pleurant lui annonce que son fils, Emmanuel mawunyon Guton, venait de mourir. il se rend au domicile de sa sœur et y rencontre les nombreux guérisseurs traditionnels

34. Au cours d’un entretien avec le pasteur bada (1998), alors que je lui demandais de me parler de l’homme Oshoffa (et non du guide spirituel) il me répondit que ce qui l’avait toujours étonné chez Oshoffa était qu’il n’avait pas peur des serpents, quand il lui arrivait d’en croiser, il les prenait dans ses mains et les rejetait de côté. 35. Nous ne possédons qu’une assez mauvaise traduction française du livre d’Obafemi. Nous nous permettrons dans les citations qui suivent de corriger la grammaire et l’orthographe déficientes du traducteur. 36. O. obaFemi, op. cit., p. 77.

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Chapitre ii qui avaient vainement essayé de guérir le malade et se livraient encore à des pratiques occultes. il leur demande de sortir de la chambre et prie en imposant la main sur son neveu qui ressuscite. L’inspiration biblique de l’ensemble de ce récit est évidente 37 : Oshoffa vit une traversée du désert, une épreuve initiatique au sortir de laquelle, profondément changé et grandi, il peut affronter son destin. Notons que le désert biblique n’est pas forcément une étendue de sable mais plutôt un lieu inculte, sauvage, peu propice à l’habitat sédentaire. Ce lieu qui impose l’isolement et l’austérité de vie est le site idéal de la retraite spirituelle. Et ce récit fait bien penser à différentes figures de prophètes bibliques, particulièrement à Elie qui, sur l’ordre de Dieu, s’était retiré au désert près d’un torrent. il assiste à une sécheresse extraordinaire et en sortant de cet endroit, rend la vie au fils de son hôtesse. On peut penser aussi à Jeanbaptiste qui prêchait dans le désert et ne mangeait que du miel, à moïse qui fut abandonné aux flots et qui devait être ensuite choisi par Dieu pour renouveler l’alliance conclue avec Abraham. L’expérience mystique dont Oshoffa fait l’épreuve évoque également les paroles de marc (16, 17-18) : Et voici les miracles qui accompagneront ceux qui auront cru ; par mon Nom ils chasseront les démons, ils parleront en langues, ils prendront des serpents dans leurs mains, et s’ils boivent quelque poison mortel, ils n’en éprouveront aucun mal ; ils imposeront les mains aux malades et ceux-ci seront guéris.

Albert de Surgy signale sans développer que l’aventure en forêt d’Oshoffa « est étrangement semblable à la retraite initiatique qui s’impose à certains futurs chefs de culte traditionnels lorsqu’ils se trouvent mystérieusement égarés par des génies de brousse » 38. michel Guéry notait déjà que la “transformation” d’Oshoffa faisait penser à celles des guérisseurs qui disent tenir leur pouvoir d’un passage au pays des morts. Joël Noret établit un parallèle entre cet épisode de la vie du prophète et la réclusion initiatique des adeptes du vodun 39. Sans contester ces analogies, il nous semble que cette partie du récit d’Oshoffa doit surtout être rapprochée des contes qui mettent en scène des chasseurs 40. un type de contes narre les aventures d’un chasseur pauvre qui part en brousse et sauve un homme et trois animaux (parmi lesquels il y a toujours un serpent) tombés dans un piège. Le chasseur est mis en danger de mort par la traîtrise de l’homme qu’il a sauvé et ne doit son salut puis le rehaussement final de sa situation qu’aux animaux reconnaissants qui l’aident à ressusciter le fils ou la fille d’un roi 41. Abiola irele rappelle que le personnage du chasseur représente l’idéal masculin, « un héros “d’office” dans l’imagina-

37. Adogame, op. cit., p. 24 (note 27) signale qu’une période de retraite semble toujours nécessaire aux fondateurs des églises Aladura et rapproche Oshoffa de J. Oshitelu, fondateur de la Church of the Lord, et de moses Orimolade, des Chérubins et Séraphins. 38. A. de surGy, op. cit., p. 21 (note 15). 39. m. Guéry, op. cit., p. 26 ; noret, op. cit., p. 37. 40. Le père d’Oshoffa était un chasseur. une délégation de chasseurs traditionnels participa aux funérailles du pasteur. Cf. R. i. J. hackett, « thirty Years of Growth and Change in a West African independent Church : a Sociological Perspective », dans R. i. J. hackett (éd.), New Religious Movements in Nigeria, Edwin mellen, New York 1987, p. 161-177 (p. 177). 41. Pour une analyse de ce type de conte cf. D. Paulme, La mère dévorante. Essai sur la morphologie des contes africains, Gallimard, Paris 1976.

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Samuel Oshoffa et la fondation du Christianisme Céleste tion yoruba » 42. Le chasseur est l’homme supérieur par excellence parce qu’il est amené à franchir constamment les frontières entre le village et la brousse, entre le monde des hommes et celui des esprits, il tire sa puissance sur la nature de la fréquentation continue des esprits de la forêt, les azizà, grands pourvoyeurs de charmes (b$o). N’oublions pas que, depuis huit ans, Oshoffa se rend régulièrement en forêt pour cette forme de chasse qu’est la recherche de bois, son aventure solitaire de trois mois n’est que l’acmé d’une longue relation avec cet univers. il aimait luimême souligner que c’était en brousse, alors que ses « seuls compagnons étaient des serpents, des crocodiles et des oiseaux » que sa transformation avait eu lieu 43. bien qu’il attribue son salut aux prières qu’il prononçait constamment, on peut penser aussi que le fait de se concevoir comme un ab`Ik&u a joué un rôle important dans son aventure. Les esprits ab`Ik&u, en tant qu’ils sont les habitants naturels de la forêt, n’ont rien à craindre de leurs compagnons ordinaires : les animaux sauvages et les génies de la forêt. iii. La seconde vision Oshoffa avait un ami, Frédéric Zevounou, qui était transporteur. Peu de temps après son retour à Porto-Novo, ce dernier vint le voir et lui annonça que, lors d’un accident de la route, il avait involontairement tué une personne et était convoqué par la police. Oshoffa se met en prière et lui dit que Dieu le délivrera. Frédéric Zevounou se rend à la convocation et, à sa grande surprise, apprend que l’affaire est abandonnée et qu’il ne sera pas poursuivi. Le 29 septembre 1947, Frédéric Zevounou et sa femme marie lui rendent visite, ils croisent en chemin une procession des Chérubins et Séraphins qui fêtent la Saint michel, ils proposent alors à Oshoffa une séance de prière pour remercier Dieu des grâces qu’ils ont obtenues par son intermédiaire. Alors qu’il est en prière, les yeux fermés, Oschoffa voit un rayon de lumière semblable à celui que pourrait produire un phare d’automobile. il décrit ainsi la suite des événements : Je vis alors une créature ailée dont le corps était comme du feu et les yeux minuscules, elle volait vers moi derrière un faisceau de lumière, au fur et à mesure que cette créature s’approchait de moi, le faisceau de lumière diminuait d’intensité, jusqu’à ce qu’elle se tînt à peu près à un mètre de moi (Constitution : 7). J’eus peur et tremblai de tout mon être. mais l’homme me dit : « N’aie pas peur, le Seigneur de toute la création veut te charger d’une mission. De tout temps, les hommes m’adoraient mais tous n’entraient pas dans mon royaume car dans les épreuves (maladie, inquiétudes, troubles, difficultés de toutes sortes, etc.) ils recouraient aux œuvres sataniques (idoles, magie, gris-gris, charlatans, devins, etc.) et quand ils mourraient, je ne les recevais plus car ils avaient bu aussi bien dans la coupe de Dieu tout-puissant que dans celle de Satan. Cela fait pitié mais pour éviter dorénavant

42. A. irele, « tradition and the Yoruba writer : D.O. Fagunwa, Amos tutuola and Wole Soyinka », Odu 11 (1975), p. 82, cité d’après C. E. belvauDe, Amos Tutuola et l’univers du conte africain, L’harmattan, Paris 1989. 43. Entretien avec F. Olorunisola publié dans Drum Magazine en janvier 1980, cité par J. K. oluPona, « the Celestial Church of Christ in Ondo : A Phenomenological Perspective », dans R. i. J. hackett (éd.), New Religious Movements in Nigeria, op. cit., p. 45-73.

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Chapitre ii pareil sort à mes adorateurs, je te charge, toi Samuel Oschoffa de fonder une religion dont les membres n’adoreront que Dieu. Le monde ne croira pas que le Seigneur s’est révélé à toi mais je serai avec toi et mes anges aussi et j’accompagnerai œuvres de prodiges, de signes, de miracles afin qu’il croie ; oh fils d’homme, sois confiant, ne crains rien, sache que nous sommes dans les derniers jours. Cette église sera la dernière barque pour amener les hommes au salut car je reviens bientôt » (Lumière : p. 15).

quand il ouvre les yeux, marie Zevounou semble stupéfaite, elle a également eu une vision qu’elle raconte ainsi à Oshoffa : J’ai vu […] un gros bois en forme de croix. Sur cette croix, je vis un homme qui portait une couronne d’épines ; de ses mains et pieds ainsi que de son côté gauche suintait du sang. Et chose étrange encore, il descendit du bois, te prit par la main et te conduisit dans une belle et splendide chambre que je ne puis décrire, te revêtit d’une robe blanche parsemée d’étoiles scintillantes. tes yeux brillaient tellement qu’on dirait le soleil au Zénith (Lumière : 15-16).

très étonnés de leur vision respective, ils se séparent sans plus de commentaires. La duplication de la vision du prophète par une autre vision qui la confirme ou par un autre événement qui souligne la réalité des faits révélés par la première est un procédé narratif visant à produire un effet de vérité que le prophète utilise constamment dans son récit. toute la nuit, Oshoffa continue à voir des anges qui lui donnent des ordres et lui dictent des révélations qu’il écrit. Le lendemain, douze jeunes gens qui avaient l’habitude de se réunir près de la maison des Zevounou pour jouer aux dominos, et qui avaient été informés par eux des choses merveilleuses qui s’étaient produites la veille, se rendent chez Oshoffa pour s’informer. Aussitôt arrivés, sept d’entre eux tombent en extase et, emplis du Saint-Esprit, délivrent différents messages qui confirment les visions de la veille. Parmi eux se trouvait Emmanuel mawunyon Guton (son neveu qu’il avait ressuscité). Les cinq autres retournent dans leur quartier et répandent la nouvelle des miracles. Ceux qui les entendent accourent chez Oshoffa pour avoir confirmation des faits. Au cours de la semaine plus de deux cents personnes défilent ainsi chez lui dont certaines tombent également en transe. Des voix parlent presque constamment à Oshoffa lui ordonnant à nouveau de fonder une nouvelle église et de commencer immédiatement dans sa maison. un matin, une femme en extase entonne un chant en gun qui est le premier cantique donné à l’église. toute l’assemblée reprend aussitôt le chant : Oh bien chers frères croyants Levez donc haut la tête ! Et prêtez oreille à ce que dit Jéhovah Savez-vous pourquoi vous êtes dans cette grande église ? que la Sainte marie vienne nous accompagner Et qu’ensemble, tous les Saints puissent nous accompagner 44.

44. Cantique n° 230 du volume des cantiques gun, n° 239 de la traduction française de Lévi Yansunnu.

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Samuel Oshoffa et la fondation du Christianisme Céleste Le même jour, dans l’après-midi alors qu’il est seul dans l’une des chambres de la maison, Oshoffa entend une voix qui lui ordonne de prendre une courte latte. il raconte : Je sortis et coupai un bout de branche du premier arbre que je trouvai. étant charpentier, je la rabotai proprement et la gardai avec moi. La voix me demanda de déposer la latte quelque part parce que lui, Christ, voulait faire un pacte avec moi et j’allais être lié comme par des fiançailles et un mariage avec Christ. Je vis alors une main qui indiquait le signe de croix. Je reçus instruction d’utiliser la tige coupée d’une feuille (recueillie dehors), de l’encre violette pour faire le signe de croix, en souvenir de Christ. J’entendais dire « Ceci est le symbole du pacte d’alliance entre toi et moi ».. Je plongeai trois fois mon doigt dans l’encre que nous utilisions et il me fut demandé de prier pour le plus merveilleux et le plus insondable pouvoir du Saint-Esprit (Constitution : 24).

Oshoffa se pose ici comme un nouveau moïse 45, à ceci près que le pacte n’est pas conclu entre Dieu et le peuple mais entre le Christ et le prophète et qu’il est présenté comme un mariage, ce qui évoque autant le vodunsi, l’épouse du vodun, que les face à face de Dieu et de certains prophètes bibliques comme Jérémie par exemple (Jérémie 20, 7). Son neveu Emmanuel mawunyon Guton (le ressuscité) arriva ce soir-là en chantant un cantique dans une langue inconnue mais qui devait bientôt être identifiée comme la langue même des anges. mawunyon dicta sous l’inspiration du Saint-Esprit la description de plusieurs objets de culte : le tabernacle (mattah en langue des anges) dans lequel devaient être entreposés la croix et le bâton, signes de l’alliance entre Oshoffa et le Christ, le chandelier à sept branches, les paniers de quête (pajaspa toujours dans la même langue). il indiqua de quelle manière devaient s’ordonner diverses séquences du culte et donna plusieurs autres cantiques en langue des anges. Peu après, pendant la nuit, Oshoffa est en extase, éveillé mais les yeux fermés. il se voit dans l’espace, en train de monter les marches d’un escalier vers le ciel. Au sommet, il voit une table suspendue, derrière laquelle se tient le Christ. Oshoffa se met à genoux devant la table et le Christ lui donne la communion et le fait boire dans sa main. Oshoffa se rend soudain compte qu’il est suspendu dans l’espace, il est sur le point d’être pris de frayeur mais il lui pousse des ailes qui lui permettent de voler jusqu’à la terre. Le matin suivant, une femme lui dit qu’en se levant la nuit pour aller aux toilettes, elle l’avait vu avec des ailes et que son corps et ses yeux rayonnaient d’une ardente lumière. il faut remarquer que, contrairement à d’autres prophètes africains, c’est dès ses premières expériences mystiques qu’Oshoffa reçoit la mission de fonder une nouvelle église. Si l’on s’en tient aux “ordres” reçus par le fondateur, la nouvelle religion est moins destinée à gagner les animistes à la cause du christianisme qu’à offrir une voie nouvelle aux chrétiens égarés qui continuent à avoir recours aux pratiques traditionnelles. Comme les autres églises aladura, la religion d’Oshoffa se construit contre les églises missionnaires et leurs carences et vise à rendre aux chrétiens indigènes la direction de leur destin, même si pour ce faire il reproduit la

45. On peut penser aussi à ézechiel (37,15-16) : « La parole de l’éternel me fut adressée en ces mots : Et toi, fils de l’homme prends une pièce de bois et écris dessus… »

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Chapitre ii diabolisation missionnaire des coutumes. Dès ses premières semaines d’existence, la nouvelle religion reçoit une liturgie et une langue spéciale qui pourrait évoquer celle des couvents vodun mais dont l’usage uniquement liturgique donne plutôt à penser qu’elle est directement imitée du latin des catholiques et de l’arabe des musulmans. Elle reçoit également son nom. Alexandre Yanga, un des sept jeunes gens qui étaient tombés en transe dans la maison d’Oshoffa, alors qu’il était depuis sept jours sous l’influence du Saint-Esprit, demande un morceau de craie et écrit sur le mur « Christianisme Céleste » en français et selon un arc de cercle. Sur terre, l’église doit rendre à Dieu un culte semblable à celui que les anges célèbrent au ciel, commente le nouveau prophète en reprenant ainsi l’idée centrale de la doctrine des Chérubins et Séraphins. iv. Relation avec les autorités et les autres églises Constamment tenu en éveil par des voix et visions, ne pouvant se reposer à cause de toutes les personnes qui envahissent sa maison, Oshoffa finit par se sentir très fatigué et pour se débarrasser de tous les visiteurs, il envoie un ami, Dominique Adandé, prier le commandant de cercle d’envoyer des agents de police pour disperser la foule. À la suite de cette demande, le commandant convoque Oshoffa, qu’il connaissait comme trompettiste de la fanfare municipale. Ce dernier raconte tous les événements au commandant qui, à sa grande surprise, lui répond qu’il ne pouvait rien faire. Les paroles du commandant sont relatées ainsi dans Lumière : Je ne peux accéder à ta demande. Je te trouve tout transformé. À ta vue moi-même j’ai peur. On dirait qu’une force surnaturelle émane de toi. il ne m’appartient pas d’intervenir dans cette affaire. Au contraire je te conseille plutôt d’inviter les gens par circulaire à venir écouter tes visions.

Ainsi est-il fait, des tracts sont préparés pour avertir la population et huit jours plus tard une foule nombreuse se presse devant sa concession. La version de Lumière raconte qu’Oshoffa est inquiet mais qu’une vision le rassure, l’être ailé qui lui était déjà apparu lui ordonne de préparer une table, d’y disposer un crucifix, d’allumer trois bougies et de s’entourer de deux jeunes gens choisis parmi ceux qui avaient eu des visions dans sa maison. Cette version insiste sur la forme du crucifix. Alors qu’Oshoffa en ancien méthodiste pense devoir mettre une croix simple, la vision lui ordonne de choisir « une croix réelle avec le Christ couronné, le côté percé, et l’inscription hébraïque ». La version de la Constitution bleue indique seulement : « Je fus spirituellement guidé d’ouvrir une bible devant moi sans la lire et d’allumer trois bougies devant moi, ce que je fis aussitôt ». Dans les deux versions, il décrit de manière précise la manière dont il était guidé dans ses réponses : Pendant que la première personne m’interrogeait, je l’entendais très bien mais d’une seule oreille car la seconde était bouchée et bourdonnait. Puis elle s’ouvrit subitement et j’entendis la voix qui me dicte la réponse. C’est de cette manière que je répondis à tout un chacun du début jusqu’à la fin.

On ne saurait mieux décrire le type de “vision” que les Célestes appellent le « téléphone spirituel ». Parmi toutes les questions qui lui ont été posées, Oshoffa en rapporte deux dans la Constitution. La première interrogation vient d’un membre de l’église des Chérubins et Séraphins : Alex dit qu’il avait compris que moïse Orimolade (pasteur des Séraphins et des Chérubins) avait été envoyé comme précurseur par Dieu et qu’il avait accompli

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Samuel Oshoffa et la fondation du Christianisme Céleste toutes sortes d’actions spirituelles et que maintenant je venais à mon tour, proclamant que c’est Dieu qui m’envoie ; alors lequel d’entre nous devait-il croire et accepter ? Aussitôt l’oreille bourdonnante devint calme et j’entendis le message suivant : à propos de votre question, Jean-baptiste vint avant Jésus-Christ. vous devez savoir que les Chérubins et les Séraphins sont des anges qui veillent et adorent notre Seigneur Jésus-Christ. L’église du Christianisme Céleste est l’église du Christ, alors que l’église des Chérubins et Séraphins appartient aux anges de Dieu et n’est qu’un précurseur pour préparer le chemin de l’église du Christianisme Céleste. que le monde le veuille ou non, sa gloire sera bientôt connue de toute l’humanité.

La seconde question est posée par un catholique : un Catholique dit que tout le monde savait que Saint Pierre et Saint Paul avaient mis l’église catholique à Rome et que c’était par l’autorité de Jésus. Est-ce que c’est le même Jésus qui m’envoyait comme je le proclamais et qui devrait-il suivre ? Pendant qu’il parlait mes oreilles entrèrent en action, l’oreille bourdonnante produisait son bruit de haute tonalité, pendant que l’oreille silencieuse écoutait le message suivant : « jeune homme nous t’avons donné un kobo 46 à garder et tu l’as gardé, maintenant nous te demandons et te disons de rejeter le kobo et d’accepter deux kobo parce que la gloire de deux kobo est plus grande que celle d’un kobo. mais si tu refuses d’abandonner un kobo à temps, quand dans l’avenir tu arriveras à voir la gloire de deux kobo, tu voudras revenir sur tes pas et en prendre possession mais il sera trop tard parce que d’autres auront pris ta place ».

De ce que certains Célestes nigérians considèrent non sans humour comme le premier “revival” de leur religion, il faut retenir qu’il fut organisé à l’instigation du commandant de cercle. Oshoffa s’est toujours plaint d’avoir été maltraité par les représentants des différentes religions mais il n’a jamais mis en cause les autorités politiques. Au contraire, à chaque fois qu’il les fait intervenir dans son récit, il les montre sinon favorables à son projet du moins agies comme malgré elles par la puissance divine qui les force à se montrer respectueuses envers lui et son église. Ainsi, en 1958, au Nigeria, après avoir déposé la demande de reconnaissance de l’église, les proches d’Oshoffa se montraient inquiets car aucune église d’origine africaine ne l’avait obtenue. Oshoffa se montrait confiant car il pensait que JésusChrist se révélerait au gouverneur. Et, en effet, quand il envoya quelqu’un s’inquiéter des suites données à leur demande, cette personne eut l’agréable surprise de constater que tout était prêt et le papier signé. On lui rapporta que le gouverneur avait vu en rêve un homme blanc, de grande taille, avec de longs cheveux séparés par une raie centrale, qui lui ordonnait de signer le certificat d’enregistrement du Christianisme Céleste parce que cette église était la sienne 47. Oshoffa continue son récit en disant que toute cette agitation et tous les prodiges qui se produisaient suscitèrent de nombreux commérages. On l’accuse d’avoir « commandé et acheté la magie » (Constitution : 27). Cette manière de s’exprimer suggère que la magie en question n’est pas celle de la tradition mais plutôt les talismans, amulettes et autres recettes de réussite que des charlatans occidentaux proposaient sur catalogue et qu’il fallait donc “commander”. il poursuit : « toutes les

46. Petite pièce de monnaie nigériane valant un centième de naira. 47. Le récit officiel ne raconte pas qu’au Dahomey, l’administration coloniale mettra cinq ans pour lui accorder la reconnaissance.

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Chapitre ii églises étaient désorientées, l’église méthodiste était ébranlée à la base et tout ce qu’elle trouvait à dire était que j’étais en rapport avec les puissances des ténèbres ». (Constitution : ibid.). Selon lui, cette opposition des représentants des autres religions se fait si forte qu’il préfère quitter Porto-Novo et aller évangéliser les villages de pêcheurs toffins. il semble, en fait, que l’intérêt qu’avait soulevé à Porto-Novo la rumeur des prodiges qu’accomplissait le nouveau prophète déclina rapidement. L’évangéliste Oshoffa qui se consacre maintenant uniquement au développement de son église a bien du mal à subsister des aumônes de ses rares fidèles au point qu’il préfère quitter la ville et, avec Yaman et quelques proches, dont sa sœur et son neveu, aller évangéliser les villages toffins du bord de l’Ouémé. Ses tout premiers collaborateurs sont des personnes « de condition très modeste » comme le signale un rapport de la police de Porto-Novo. il s’agit de petits artisans (ferblantier, tailleur, blanchisseur, bijoutier) ou de modestes employés (commis de bureau, magasinier). La vie d’évangéliste de brousse n’est pas très facile si l’on en croit les souvenirs qu’évoque Levi Yansunnu. Au village d’Awomey Gblon : … nos parents pendant l’évangélisation dans ces contrées devaient se contenter d’une petite case qu’ils partageaient avec les animaux domestiques du chef bobani. Comme c’était un temps où l’on arrêtait ceux qui ne payaient pas l’impôt (amlonkuê), la population avait peur de s’approcher de la maison du chef, donc des nôtres 48.

À Djeffa : Croyez-moi ce ne fut pas facile du tout. Car les autochtones, dans leur grogne et leur résistance à la pénétration et à l’implantation de l’église « des sans chaussures » sur leur territoire, sont allés jusqu’à assiéger la toute petite case qui nous servait de paroisse et de logement, un dimanche après-midi, appuyés par une horde de “zangbéto” fantômes (soi-disant fétiche gardien spirituel des nuits). Ce jour-là, un fils du terroir, un ancien militaire de l’Armée française […] intervint in extremis pour parer au pire 49.

Outre qu’Oshoffa accomplit de nombreux prodiges et renforce sa réputation de puissance, son séjour chez les toffins eut pour conséquence que l’église adopta le rythme de leur tambour dédié à la divinité Dan. Rebaptisé ahwangb`ah$un (tambour de combat), le dành$un (tambour de Dan) des toffins « déloge et fait fuir à ses sons les sorciers et les forces du mal » 50. Nous présenterons la suite de l’histoire de l’église dans le chapitre suivant, notre projet ici est d’étudier l’homme Oshoffa et d’analyser le charisme dont il était porteur. Nous romprons donc dorénavant avec l’ordre chronologique pour présenter divers prodiges et miracles qui s’accomplirent à travers Oshoffa ainsi que les diverses apparitions du Christ et de la vierge dont il fut gratifié.

48. L. yansunnu, Recueil de chants en français, t. i, traduit et préfacé par Levi Yansunnu, Cotonou s.d, p. 27. 49. L. yansunnu, op. cit., p. 33. 50. L. yansunnu, op. cit., p. 60.

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Samuel Oshoffa et la fondation du Christianisme Céleste v. prodiges, signes et miracles Les actions extraordinaires accomplies par l’entremise d’Oshoffa sont si nombreuses qu’il serait fastidieux d’en exposer la totalité. Nous sélectionnons plusieurs de ces récits à la fois parce que le prophète les a racontés avec plus de détails et parce qu’ils relèvent de genres différents. Dans la vision fondatrice, l’envoyé de Dieu avait dit : « J’accompagnerai tes œuvres de prodiges, de signes, de miracles afin que [le monde] croit ». Au-delà de ce but principal, ces récits poursuivent des finalités secondaires : démontrer la supériorité du Christianisme Céleste sur d’autres religions et accréditer Oshoffa comme l’instrument choisi par Dieu. Le récit du sauvetage de la ville de Grand Popo envahie par la mer illustre bien le premier aspect. un autre événement important se produisit dans la ville de Grand Popo où la mer était sortie de son lit en causant de sérieux dégâts. À cause des échos qui lui parvenaient, à propos des miracles que le Seigneur Jésus-Christ accomplissait à travers ma modeste personne, le chef de la ville m’envoya chercher avec un message disant que la mer a envahi la ville et détruit toutes leurs maisons […]. Lorsque nous arrivâmes à la mer, à Grand Popo, je vis un père catholique européen, portant un bâton courbe de berger et se tenant devant la mer mais chose curieuse, la mer le repoussait malgré le fait qu’il priait avec son bâton. quand j’arrivai à mon tour, à ce niveau, Celui qui m’a envoyé m’apprit que le monde entier était comme un œuf et que pareillement la mer était comme une aiguille. Je fus instruit par le Saint-Esprit que je devais d’après cela, introduire une aiguille dans un œuf sous les yeux de tous les habitants de Grand Popo et jeter l’œuf avec l’aiguille dans la mer qui les emporterait. Je fis ce qui m’avait été dit exactement car ce n’était pas ma volonté mais celle de Celui qui m’a envoyé. Après cela, le Christ manifesta son miracle : la mer se retira complètement (Constitution : art. 38 et 39).

Le récit suivant est significatif de la manière dont, à travers ces récits, Oshoffa s’efforce de prouver que sa puissance résulte du fait qu’il est l’instrument choisi par Dieu et non, comme ses adversaires l’en accusaient, qu’elle découle de puissances magiques qu’il aurait achetées. il vient de ressusciter son ami moïse Suru Afoyan en posant sur le cadavre une pièce de son vêtement. J’y retournai le lendemain, moïse Suru dit qu’il était très désireux de me raconter ce qui s’était passé. il dit qu’il avait vu un vieil homme avec une chevelure et une barbe toute blanche qui se tenait au balcon d’une maison à étage 51. Le vieil homme me fit venir pour me montrer à lui et lui demanda s’il me connaissait. il dit avoir répondu par l’affirmative. Le vieil homme lui dit qu’il [moïse] était déjà mort mais que grâce à moi et par honneur pour moi, il allait le rendre à la vie et plus encore qu’il n’allait pas mourir avant d’avoir vu le bâtiment à étages que celui qui l’avait relevé des morts construirait (Constitution : 12).

La victoire sur les sorciers est le moindre des prodiges que peut accomplir le prophète :

51. il faut noter que dans aucune des visions d’Oshoffa n’apparaît Dieu le père, tel que le voit ici moïse Suru, sous une forme qui rappelle l’imagerie catholique. Oshoffa connaissait mieux la bible que son ami et savait que l’homme ne peut voir la face de l’éternel et vivre (Exode 33, 20).

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Chapitre ii […] nous étions dans ce village quand en plein jour un hibou vint planer sur la tête d’un jeune garçon qui revenait de la pêche avec ses provisions de poissons. L’oiseau rapace s’empara soudain d’un des poissons et alla se percher sur un fromager. Revenu à la maison, le garçon fut pris d’un mal subit et mourut aussitôt. C’est alors que nous apprîmes que ledit fromager est un arbre consacré aux sorciers ; le hibou étant par ailleurs considéré comme l’emblème de la sorcellerie et des forces occultes. Dès lors, je m’approchai de l’arbre, allumai quatre bougies que je plaçai tout autour du fameux fromager qui effrayait tous les villageois et priai Dieu de le détruire pour toujours. L’éternel exauça mes prières et au grand étonnement de tous un feu mystérieux éclata au sommet du fromager et l’embrasa de la cime aux racines. Le feu brûla durant sept jours et sept nuits et consuma entièrement l’arbre fétiche (Lumière : 20).

Le prodige suivant n’est pas conté par le prophète lui-même mais il fait partie de sa geste et tous les Célestes le connaissent. Nous suivons ici le récit qu’en fait Levi Yansunnu. En 1967 (d’autres auteurs disent en 1965 52), le pasteur tomba gravement malade, tous les remèdes administrés à la suite des révélations spirituelles furent impuissants à le guérir. il gardait le lit car ses jambes ne pouvaient plus le porter et il avait commencé à donner des instructions sur la direction de l’église à ses plus fidèles compagnons appelés à son chevet. Dans la cour de sa concession, près d’une cuisine, deux fous, que l’on avait amenés là sans doute pour que le pasteur les guérisse, étaient enchaînés à un tronc d’arbre 53. Alors, un ange apparu à Oshoffa et lui dit ceci : « Si tu peux te lever et aller détacher l’un des deux fous attachés au milieu de ta maison, le Seigneur de toute la création t’accordera vingt ans de vie en plus ». Le prophète se leva titubant, et s’accrochant à tout ce qui pouvait l’aider à se tenir debout, il marcha jusque dans la cour. Plusieurs de ses épouses et d’autres femmes qui se trouvaient là se mirent à crier mais négligeant leurs lamentations le pasteur parvint près des fous. Puis il se baissa et au hasard toucha l’une des chaînes qui céda comme par enchantement. La folle délivrée entonna alors un chant : « Restons tous unis pour louer le Père », dont le refrain dit : Pour la dernière église descendue Crie hosanna, chante hosanna À l’éternelle Sainte trinité.

Après avoir entonné lui-même le chant : Oui, moi, Jésus, je viens moi, le Guérisseur divin C’est un don de mon Père Pour œuvrer avec justice,

le pasteur rentra dans sa chambre et recouvra rapidement la santé.

52. Le récit de Lévi Yansunnu date l’événement de 1965 pour faire correspondre la promesse divine et la date de la mort du prophète en 1985. 53. Pratique commune à tous les guérisseurs traditionnels de la région. Cf. K. tall, « L’anthropologue et le psychiatre face aux médecines traditionnelles », Cahier des Sciences Humaines 28/1 (1992), p. 67-81.

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Samuel Oshoffa et la fondation du Christianisme Céleste bien qu’Oshoffa soit devenu relativement vite un fondateur d’église reconnu et honoré par de nombreux fidèles, il semble qu’il ait toujours eu besoin de se rassurer dans sa légitimité vis-à-vis des blancs. En témoigne cette vision de la vierge qu’il eut le 15 juillet 1977. il se voit en train de monter un grand nombre de marches jusqu’à atteindre une surface pleine de feuilles mortes où il voit une belle dame blanche, vêtue d’un habit bleu et se tenant comme si elle lui cachait quelque chose. il redescend ensuite les marches jusqu’à voir une église d’où sort un Révérend Père qui se prosterne plusieurs fois devant lui pour lui rendre hommage. Puis il remonte et la « belle dame » lui fait voir qu’elle cachait un bébé dans ses bras. Elle parle puis répète les mêmes paroles en chantant : voici Jésus-Christ il est saint en esprit il est saint en âme il est la vie éternelle Dis aux gens que ceux qui voudront l’adorer Doivent marcher sur le chemin de la pureté spirituelle.

Oshoffa se rend compte qu’il est devant la vierge. Elle poursuit en lui disant qu’il ne devait pas être gêné par la couleur de sa peau car la race n’a rien à voir avec les choses de l’Esprit, puis elle ajouta : « C’est à cause de ton âme pure que nous nous appuyons sur toi » 54 (Constitution : art. 99). Le plus souvent le doute n’effleurait guère l’esprit d’Oshoffa, persuadé qu’il était d’être l’instrument de Dieu. Le miracle suivant se passe à la paroisse de makoko. un dimanche, au moment où le culte allait commencer, un jeune homme membre de l’église vient le voir pour lui annoncer la mort d’une jeune femme, Olusola, et lui demander de la ressusciter. Oshoffa l’ignore. Le culte se termine à quinze heures, le jeune homme réitère sa demande mais Oshoffa ne lui répond pas. Comme il insiste encore, le prophète finit par demander à l’évangéliste bada d’aller déposer sur la morte une de ses soutanes et de demander aux parents d’apporter le corps à la paroisse dès qu’il bougera. À cinq heures et demi, le corps qui s’était retourné est apporté et déposé dans le vestiaire des femmes. un autre jeune homme, un chrétien d’une autre église, faisait partie de ceux qui avaient accompagné la morte, voyant que l’on restait des heures sans s’occuper d’elle, il s’approche d’Oshoffa pour lui conseiller de prier au lieu de rester sans rien faire. Je lui répondis que je n’étais pas celui qui devait ramener Olusola à la vie et qu’il devait faire attention de ne pas approcher le cadavre. Je lui dis que s’il le faisait, il

54. quelque temps après cet événement, Oshoffa tomba malade et reçut une révélation spirituelle : l’église devait reconnaître la vierge et célébrer une fois par an le souvenir de son apparition au pasteur. Cette vision de 1977 n’est pas la première incursion de la vierge dans l’univers du prophète. Le premier cantique donné à l’église, dès les premiers jours de son existence, faisait référence à marie (voir supra). En 1954, lors d’une apparition du Christ (voir infra), la mère de Jésus était également présente. il faudra donc une seconde vision, une maladie et une injonction spirituelle pour qu’Oshoffa concède un jour de culte à la vierge, le premier vendredi du mois de juillet. Le modeste culte qui lui est consacré est semblable à celui d’un dimanche ordinaire. L’ordre des cultes et des cérémonies publié par l’église se sent même obligé d’ajouter un nota bene à sa brève description : « Jésus-Christ est le seul intercesseur entre Dieu et les hommes. Nous avons recours à lui seul dans nos prières. Ceci n’est qu’un hommage rendu à marie, la mère de notre Seigneur Jésus-Christ ». il faut sans doute voir là le résultat d’une influence catholique qui vient contrarier la formation protestante d’Oshoffa.

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Chapitre ii devait accepter la responsabilité de tout ce qui lui arriverait. mais il ne voulut pas écouter. il continuait à aller et venir. Finalement vers minuit, il vint vers moi en courant, l’air effrayé, et raconta qu’il avait vu un homme revêtu de blanc avec la chevelure séparée en deux qui se tenait debout au chevet du cadavre. Je lui rétorquai que je l’avais averti de ne pas s’approcher du corps. il s’enfuit et j’allai dormir. La mère d’Olusola alla également dormir. Je ne me souciai pas du cadavre. Ces miracles ne sont pas accomplis par ma propre puissance, je ne suis que le serviteur de Celui qui m’a envoyé. C’est pour cela que je n’ai pas besoin de me livrer à des assauts de prières, de veiller toute la nuit, de jeûner ou de m’infliger une quelconque ascèse (Constitution : art. 56).

Le lendemain, la mère d’Olusola constate que sa fille est toujours sans vie et que son corps couvert de fourmis commene à se corrompre. Elle vient auprès d’Oshoffa pour demander qu’on lui permette d’emporter le corps afin qu’on puisse le mettre en bière. Pendant qu’elle disait cela son pagne tomba. Cela suscita ma sympathie et je me levai pour la suivre là où reposait le cadavre de sa fille. Je lui demandai le nom de sa fille et elle me répondit que son nom était Olusola. Je frappai le corps et j’appelai « Olusola ». La jeune fille morte répondit « monsieur ». Je la frappai de nouveau et dis : « Au nom de Jésus-Christ, lève-toi et marche ». immédiatement la jeune fille se leva et marcha (Constitution : art. 57).

il y a beaucoup d’éléments dans ce récit qui, quoi qu’en dise le prophète, pourraient faire douter de son humilité comme de sa charité. il montre assez que les deux jeunes hommes qui interviennent en faveur de la morte l’agacent, et ce n’est que quand il voit la nudité de la mère qu’il se décide à intervenir. quant au final de son récit il dément presque ce qu’il cherche à prouver puisque c’est bien quand il frappe et appelle Olusola qu’elle ressuscite et non au moment où le jeune homme voit le Christ auprès d’elle. mais, plus important, ce récit nous renseigne sur la conception qu’Oshoffa se faisait de son pouvoir spirituel. quand il affirme qu’il n’a pas besoin de veiller, de prier avec excès, de jeûner, etc. – toutes actions qui visent à se sanctifier, à “être en esprit” comme disent les Célestes –, il considère que l’opération qui a fait de lui un instrument de Dieu l’a changé dans sa nature profonde, de manière soudaine, permanente et irréversible, que la sanctification est devenue l’état ordinaire de son être. Ce fait n’est pas étranger à l’univers du prophétisme de l’Ancien testament. André Neher parlant de la ruah, cette notion hébraïque que les Grecs ont traduit par pneuma et que nous rendons par esprit, écrit : La révélation prophétique est révélation de ruah : le prophète est un ich a-ruah, un homme de l’esprit. tantôt la ruah est une grâce permanente et le prophète en fait un usage régulier et presque inconscient ; tantôt elle explose soudainement et reste limitée à l’expérience d’un instant éblouissant 55.

Comme exemple du premier cas de figure, la ruah comme grâce permanente, André Neher cite Samuel, un prophète qu’Oshoffa avait toutes les raisons de bien connaître et à qui son destin l’appelait à s’identifier 56.

55. A. neher, Prophètes et prophéties (“Petite bibliothèque Payot”), Payot, Paris 1995, p. 86. 56. il faut rappeler l’importance, dans les conceptions locales, de la dation du nom. Chez les Yoruba, comme chez les Gun ou les Fon, un des noms attribués est souvent le début d’une devise qui rappelle

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Samuel Oshoffa et la fondation du Christianisme Céleste Début janvier 1976, Oshoffa qui, à tort ou à raison, craignait d’être personnellement menacé par le durcissement du régime marxiste 57, part s’installer au Nigeria et n’en reviendra pas. Néanmoins, le pèlerinage qui rassemble à Noël tous les Chrétiens Célestes sur la plage de Sèmè (près de Porto-Novo) devait avoir lieu normalement et l’autorisation du gouvernement avait été obtenue. Nous racontons la suite de cette affaire dans la version que nous en a donnée Paul Gonçalves, qui était à l’époque des faits inspecteur général des impôts et qui, à ce titre, avait ses entrées au “Petit Palais”. Début décembre, le prophète lui fait parvenir un message lui demandant d’aller prévenir les autorités que le pèlerinage devait être annulé, car une révélation spirituelle lui avait annoncé que, profitant de l’afflux des pèlerins et dissimulés parmi eux, des mercenaires envahiraient le pays. Reçu par le ministre de l’intérieur, il doit affronter son incrédulité : quel intérêt pousserait des mercenaires à venir dans un petit pays comme le bénin ? Au cours de l’entretien, Gonçalves a l’occasion de voir qu’Oshoffa a écrit que si l’on s’obstinait à tenir le pèlerinage, le pays serait entièrement détruit, alors que si le pèlerinage n’avait pas lieu, les mercenaires viendraient plus tard et que l’armée de Saint michel (les anges) les vaincrait facilement. il est ensuite reçu par le président Kérékou qui lui dit que les Célestes n’ont qu’à maintenir leur pèlerinage, qu’eux sauront bien garder les frontières. Gonçalves insiste en disant qu’il faut faire ce qu’a dit le pasteur, que si des travaux spirituels pouvaient suffire à endiguer le péril, l’église les aurait faits sans même déranger les autorités. Après réflexion, Kérékou appelle son chef de cabinet et lui demande de préparer une lettre pour Oshoffa que Gonçalves ira lui porter. Le chef de cabinet se moque de Gonçalves et de son pasteur en lui disant : « On est dans un régime marxiste-léniniste et ton pasteur veut prédire la fin du monde ! » vexé, Gonçalves se retire. Peu après Kérékou appelle son chef de cabinet pour savoir si ses instructions ont bien été suivies, le chef de cabinet s’affole, on retrouve Gonçalves et on finit par lui confier une lettre pour Oshoffa ainsi que tous les ordres de mission afin qu’il puisse gagner facilement le Nigeria et en revenir rapidement. Arrivé devant Oshoffa, il lit la lettre de Kérékou qui remercie le prophète de son avertissement et lui signale qu’avec la sécheresse qui règne actuellement, le pays a bien besoin de ses prières. Gonçalves revient avec la réponse d’Oshoffa, avant même qu’il n’arrive à Cotonou la pluie commence à tomber. On connaît la suite, le 16 janvier 1977, des mercenaires conduits par bob Denard font une tentative de putsch. ils sont facilement mis en déroute par les troupes de l’armée béninoise… 58, victoire qui selon les Célestes ne fut possible que parce qu’elles étaient secondées par celles de Saint michel.

un aspect de l’ancêtre, dont un des principes de la personne s’est réincarné dans l’enfant, et oriente de manière significative sa destinée. Selon G. Guédou chez les Fon, « le nom est l’individu, il le crée et lui donne son statut social » : G. A. G. GuéDou, Xo et Gbe, langage et culture chez les Fon (Bénin), SELAF, Paris 1985, p. 324. 57. Kérékou a été porté au pouvoir par un coup d’état en 1972. Le régime révolutionnaire devient marxiste-léniniste en 1974 et instaure l’unipartisme en 1975. En 1976, le pays connaît une sécheresse anormale dont on accuse les prêtres vodun, les sorciers et les réactionnaires de tout poil. Oshoffa a quitté le pays dans l’après midi du 7 janvier 1976, le matin même il avait été interrogé au ministère de l’intérieur. 58. La suite du récit de Gonçalves, qui décrit l’attaque et la défense de Cotonou, donne un rôle important et héroïque à Lucien tiamou, aide de camp du Président (autre Céleste important pour l’histoire de l’église).

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Chapitre ii Parmi les divers signes et prodiges qui accréditent Oshoffa comme un véritable élu de Dieu, les apparitions du Christ occupent une place de choix. La première apparition du Christ eut lieu une semaine après la fête des moissons de la paroisse de makoko, en 1954 59. Depuis trois mois, des messages spirituels reçus par les visionnaires annonçaient la venue du Seigneur, demandant à chacun d’être prêt à l’identifier dès son arrivée. Le jour même, depuis trois heures du matin et deux heures et demi durant, Oshoffa, empli du Saint-Esprit, prononçait continuellement les mots suivants en yoruba : « Jésus, Jésus, toi dont les yeux sont comme ceux du lionceau et dont la lumière rayonne du bout des doigts ». À cinq heures trente du matin, la maison fut secouée jusqu’à ses fondations. Laissons maintenant la parole au prophète : Le Seigneur arriva sous l’aspect d’un aveugle. il apparut marchant vers l’église à peu près à neuf heures du matin. il parla d’abord à ma femme Christine et lui demanda du tabac. Elle répondit qu’elle n’en avait pas. Alors il lui demanda des cigarettes et de nouveau elle répondit qu’elle n’en avait pas. il lui demanda alors des noix de cola, ce sur quoi elle répondit qu’on devait la laisser tranquille, particulièrement parce que ces trois choses qu’il lui avait demandées sont interdites aux membres de l’église du Christianisme Céleste ; d’où la légère colère de ma femme dans ses réponses. À ce moment Yaman qui était à côté, intervint et lui offrit de l’argent pour s’acheter tout ce qu’il avait demandé et qu’il n’avait pas pu obtenir de ma femme. il déclina l’offre et la bénit en lui disant qu’elle ne manquerait jamais d’argent. Néanmoins, il recommanda à Yaman d’avertir sa fille, Christine, de faire attention parce que le monde est délicat. Puis il les laissa. bien entendu j’étais absent de tous ces événements car j’étais dans une autre maison située à 45 mètres de celle dans laquelle se trouvaient Christine et Yaman. tout d’un coup, je vis un homme venant vers moi. il était de grande taille et d’allure gracieuse et habillé d’une seule pièce de tissu blanc enroulé autour de son corps de la tête aux orteils. Soudain, comme il s’approchait, je vis spirituellement un rayonnement de lumière devant lui et reconnu aussitôt qu’il était le Seigneur dont la venue avait été annoncée. J’allai à sa rencontre. il était aveugle, le point noir habituel de l’œil était totalement absent de ses globes oculaires qui étaient entièrement blancs. Je demandai alors « mon Seigneur, d’où viens-tu et où vas-tu ? » il répondit : « Le fils de l’homme ne vient de nul endroit particulier pas plus qu’il n’a aucune destination mais il va là où le vent le conduit ». « très bien mon Seigneur mais ne voudrais-tu pas venir avec ton fils dans sa maison ? » il répondit tout en marchant avec moi : « N’es-tu pas prophète ? il t’a été donné de me connaître grâce à ton aimable bonté. J’irai avec toi dans ta maison ». Pendant que je marchais, je mis la main à la poche et lui offris de l’argent pour l’aumône. il déclina l’offre et dit : « Ce qui est à moi ce n’est pas l’argent mais l’amour. qu’il en soit ainsi pour toi aussi ». Nous marchions ensemble, moi sur la gauche et lui à ma droite. il y avait en ce temps-là, un caniveau creusé non loin de l’entrée de la paroisse et qui servait à l’évacuation vers la lagune, des eaux souterraines qui suintaient par-ci par-là. Arrivé devant le caniveau, je dis : « mon Seigneur, fais attention au caniveau, laisse-moi prendre ta main pour que tu puisses traverser en toute sécurité ». il répondit : « Pas

59. Cette fête est célébrée le premier dimanche du mois d’août.

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Samuel Oshoffa et la fondation du Christianisme Céleste du tout, le fils de l’homme peut ne pas avoir d’yeux visibles mais il a les yeux de l’esprit qui voient mieux que les tiens ». Avant qu’il n’eût fini, il avait déjà adroitement franchi le caniveau avant moi. Nous marchâmes ensemble et entrâmes dans la maison. Lorsque nous fûmes installés dans la maison, il me demanda de l’eau et je la lui apportai dans un bol. il demanda du sucre. makoko n’était pas aussi développé qu’aujourd’hui, ce n’était qu’une bourgade. Je trouvai là une occasion de lui plaire. il n’avait pas accepté d’aumône de ma part mais peut-être je pouvais lui faire plaisir en lui offrant un paquet de sucre. malheureusement je cherchais en vain du sucre dans tout makoko. Je revins lui dire que je n’avais pas pu trouver de sucre. il me répondit que les sept morceaux de sucre qui se trouvaient dans ma chambre suffiraient. J’allai dans ma chambre, cherchai et naturellement, je trouvai les sept morceaux de sucre que je lui apportai. il me demanda de les mettre dans l’eau et me dit « À partir d’aujourd’hui qu’il y ait toujours du sucre dans ta maison ». il remua l’eau avec sa main, en but sept gorgées et me donna le reste en me disant : « Les hommes accourront chez toi avec divers problèmes… » et il continua en fournissant des explications sur les différentes vertus de l’eau. Je bus aussi sept gorgées et gardais le reste de l’eau que je conserve jusqu’à ce jour. il demanda un tissu assez grand pour envelopper un cadavre. Je regardai autour de moi et pus seulement trouver un mètre de tissu blanc auprès de ma femme Christine. Je l’enveloppai dans du papier et comme je m’approchais de lui par-derrière, il me demanda : « Cela peut-il suffire à couvrir tout mon corps de la tête aux orteils ? » Déconcerté, je retournai rendre le tissu. mais il me dit : « Comme tu avais l’intention de m’en faire cadeau, ne l’emporte pas. Laisse-le et va chercher quelque chose de plus grand ». Alors l’évangéliste bada qui se trouvait à côté de nous attira mon attention sur une nouvelle pièce de tissu blanc en coton doux avec laquelle on avait habillé l’autel, à l’occasion de la fête des moissons du dimanche précédent. Soudain notre Seigneur coupa notre conversation et dit : « Oui cela sera suffisant pour me couvrir de la tête aux orteils ». Alors j’allai dans l’église, ôtai le tissu de l’autel, l’enveloppai dans un papier et lui apportai. il dit : « Oui, cela sera ma part de la fête des moissons de cette année ». il ne le prit pas mais me demanda de l’envelopper avec le premier tissu. il parla de plusieurs choses avec moi, entre autres il me confirma : « tous vos cultes à Dieu et toutes les œuvres de l’église sont agréés par le Père. Dis à tous les membres de l’église d’être assidus dans l’adoration car l’adoration sera l’ultime salut de l’humanité. L’amour de l’argent sera la ruine des hommes qui aspireront au royaume des cieux ». il me dit de fixer mes yeux sur lui autant que je le pouvais car je n’aurai plus l’occasion de le voir tel que je le voyais et de lui parler de cette façon. il me dit que j’allais sûrement le revoir mais qu’il ne pouvait pas encore me dire comment cela se ferait. Cela fait référence au moment où moi-même j’ai failli quitter ce monde. il se proposa de prendre congé de nous mais nous pria de ne pas annoncer son départ. L’évangéliste bada qui était resté présent tout ce temps nous rejoignit en disant : « qui peut manquer de voir la gloire de ce soleil brillant ? » Ce à quoi notre Seigneur surpris répondit : « Comment ? » Alors, bada répéta : « Père, qui peut manquer de voir la gloire de ce soleil brillant de félicité ? » Alors Notre Seigneur psalmodia sept fois Alléluia. L’évangéliste Nathanaël Yansunu de Porto-Novo (il n’était pas encore chargé paroissial) dormait dans une autre chambre à proximité de chez moi. il avait une jambe

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Chapitre ii paralysée mais aussitôt qu’il entendit parler à côté, il se leva et étendit sa jambe en se redressant en même temps. Je rappellerai ici que ce Nathanaël Yansunu était le fils de moïse Yansunu avec qui j’étais quand j’avais l’âge de sept ans. Le Seigneur dit qu’il était venu me parler parce qu’il y avait beaucoup à dire et que je devais marcher avec lui un peu, juste nous deux. Nous quittâmes la maison, laissant les autres derrière. il me demanda d’apporter les deux pièces de tissu que je lui avais données. Je les pris avec moi. Nous marchions le long de la rue de l’église en plein jour et nous ne rencontrions âme qui vive sur le chemin du pont de makoko. il me parla et me donna des explications et des instructions particulières sur bon nombre de sujets ayant trait à l’église. une de ses instructions était que nous devrions désormais célébrer la Sainte Cène à notre assemblée annuelle de Noël à Porto-Novo, qu’il serait lui-même présent et qu’il y participerait. […] À l’époque, des rondins de palmiers étaient placés de chaque côté du pont, afin de soutenir la route et d’empêcher que celle-ci soit emportée ou détériorée par le courant. Nous nous tenions debout sur l’un des rondins de palmiers qui se trouvait à droite et nous étions tous les deux face à l’ouest. il me demanda de sortir les tissus et de les étaler par terre sur la boue. Après avoir exécuté ses instructions, il posa son pied gauche sur les tissus, pendant que son pied droit restait sur le rondin de palmier. Alors avec son pied gauche toujours sur les tissus ballonnants, il s’adressa à moi en me disant : « Fils de l’homme, c’est ici que nous nous séparons, va et ne te retourne pas ». Je fis demi-tour et commençai à m’en aller. Après avoir fait trois pas, je fus curieux de savoir comment il ferait pour partir puisqu’apparemment il n’y avait pas d’issue vers là où il regardait. Je me retournai et ne le vis nulle part. il avait disparu. (Constitution : 18-20).

il faut avouer que ce récit est assez déconcertant. Parmi la panoplie de prodiges que peut accomplir un prophète, l’apparition est l’exercice le plus difficile puisqu’il ne s’agit pas seulement de voir quelque chose et de le dire mais qu’il faut faire partager à toutes les personnes présentes la conviction qu’ils sont tous en train de voir la même chose extraordinaire. En l’occurrence, les personnes ne sont pas si nombreuses puisqu’il y a seulement deux épouses d’Oshoffa qui ne reconnaissent pas le Christ, un évangéliste qui est dans une autre pièce et qui n’éprouvera la présence divine qu’à travers un miracle : la guérison de sa jambe et l’évangéliste bada qui est finalement le seul témoin conscient du prodige. La manière dont bada énonce qu’il a lui aussi reconnu le Seigneur montre d’ailleurs que le Christ n’est pas venu pour se faire reconnaître de tout un chacun mais qu’il est venu uniquement pour parler avec Oshoffa. Jésus-Christ arrive sous la forme d’un homme aveugle. Cela ne doit pas nous surprendre puisque la suite du récit va nous montrer qu’une des leçons à tirer de sa visite est la supériorité de l’esprit sur la chair, les longs développements sur le franchissement du caniveau sont là pour nous faire éprouver concrètement ce point du dogme. Le Christ l’explicite lui-même à ce moment-là et même dès sa réponse à la première question d’Oshoffa quand ce dernier lui demande d’où il vient et où il va. La réponse du Christ est une réminiscence de Jean 3,8 : « Le vent souffle où il veut, et tu entends le bruit ; mais tu ne sais d’où il vient ni où il va. il en est ainsi de tout homme qui est né de l’Esprit ».

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Samuel Oshoffa et la fondation du Christianisme Céleste L’omniscience dont fait preuve le visiteur, en sachant combien il y a de morceaux de sucre dans la chambre, en comprenant les propos qu’échangent loin de ses oreilles Oshoffa et bada, semble curieusement en défaut quand il se trouve avec les épouses et qu’il s’adresse à Yaman en lui parlant de Christine comme de sa fille, alors qu’elle est une autre des épouses d’Oshoffa. Oshoffa ne pouvant douter de la sapience du Christ, cet incident nous est raconté pour rendre hommage à sa “première” épouse et engager tout le monde à la considérer comme une mère, la mère de l’église du Christianisme Céleste. mais l’aspect le plus surprenant de ce récit est qu’il passe très rapidement sur les enseignements que le Christ vient apporter, ce qui pourrait sembler l’important, et qu’il développe interminablement des points qui en paraissent d’autant plus dérisoires, à savoir les demandes du Christ de sucre et de tissu, les difficultés qu’Oshoffa éprouve à se procurer ces denrées, la manière dont le Christ va quitter ce bas monde. il faut signaler qu’Oshoffa était extrêmement jaloux de son pouvoir spirituel et n’admettait pas que l’on puisse s’essayer à l’égaler 60. Lors d’une réunion du Comité directeur de l’église à Porto-Novo, en 1975, visant des devanciers qui prétendaient opérer des guérisons miraculeuses et en étaient tombés malades 61, A. Ganmadoualo fait remarquer que personne ne doit chercher à outrepasser ses dons spirituels. Oshoffa renchérit aussitôt en rappelant que ceux qui avaient cherché à imiter saint Paul avaient dangereusement échoué dans cette voie, il poursuit en disant : J’ai été appelé, ils ne l’ont pas été avec moi, c’est moi qui les ai appelés à mon tour. J’ai été le seul à passer trois mois en brousse et seul j’ai vu et écouté ce qui m’a été révélé. Seul aussi, j’ai suivi et entendu le Christ qui m’était apparu. que chacun se contente donc de ce qui lui est donné et l’exerce dans son cadre précis sans chercher à extrapoler… 62

une des raisons pour lesquelles le récit de cette apparition est si pauvre en enseignements christiques vient du fait qu’Oshoffa ne cherche pas à faire partager un savoir qui lui aurait été communiqué mais qu’il vise à établir qu’il est l’interlocuteur du Christ et le seul. D’autre part, bien que le Christ refuse l’argent qu’à deux reprises on lui offre, il formule des demandes – du sucre et du tissu –, et les accepte comme des dons. Notons que ces deux denrées ne sont pas locales (pour cette raison, elles sont difficiles à trouver à makoko) et qu’elles sont doublement blanches : par leur couleur et par leur origine occidentale. Oshoffa se met donc en position d’offrir au Christ, blanc 63 éminent s’il en fut, des marchandises désirables venues du monde des blancs. Faut-il comprendre qu’Oshoffa cherche à se rassurer quant à sa compétence : c’est auprès de lui, un Noir, que le Christ vient chercher

60. Oshoffa avait néanmoins institué un rite qui visait à faire partager son pouvoir spirituel à ses fidèles. À chaque onction, qui marque la montée en grade dans la hiérarchie de l’église, l’oint en reçoit une parcelle. 61. idée commune à la tradition locale et à la chrétienté : si le “soignant” n’est pas plus fort que le sorcier ou le démon qu’il cherche à extirper du malade, il devient à son tour sa victime. 62. Procès-verbal de la séance du 15 février 1975. Ces paroles évoquent max Weber : « il ne faut pas oublier un instant que Jésus appuyait entièrement sa propre légitimation sur le charisme magique qu’il ressentait en lui, sur sa prétention que lui, et lui seul, connaissait le Père… » : m. weber, Économie et Société, Plon, Paris 1971, p. 465. 63. tellement blanc que même ses yeux sont deux globes blancs.

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Chapitre ii les biens des blancs ? Ou faut-il voir dans cette scène l’expression déguisée du désir d’Oshoffa pour ces biens des blancs que le Christ qu’il vient d’obliger lui « rendra au centuple » (comme ont coutume de le dire les Célestes quand on leur fait un don) ? En tout cas, ce récit montre, comme le soutient Joseph tonda, que ces églises ne sont pas dans une relation spéculaire avec la tradition mais bien avec le monde des blancs et ses marchandises. La seconde apparition du Christ eut lieu sur la plage de Lagos, quelques mois après la première, alors que plusieurs membres de l’église étaient réunis pour assister à l’onction de certains d’entre eux. vers midi, pendant que nous étions sur la plage pour l’onction, un bateau apparut soudain, gisant loin hors de la mer. En un clin d’œil, il s’approcha à une distance d’environ deux cents mètres de la plage. quelque temps après, nous vîmes un homme couché sur la plage avec un morceau de tissu bleu autour des reins, ce qui me rappela son image sur la croix. Son corps trempé démontrait qu’il venait de sortir de l’eau. il avait à son côté, une vieille bible fatiguée et attachée par une ficelle, un exemplaire du Coran et quelques langoustes séchées. Je sus qu’il était Notre Seigneur JésusChrist et j’allai vers lui. il me parla et me donna d’autres instructions et explications sur beaucoup de choses. Particulièrement il m’interdit de pratiquer la vision pour qui que ce soit. Pendant ce temps, une femme habillée simplement tournait autour de lui, sans trop s’approcher, pour l’examiner attentivement, puis s’éloignant encore, elle le fit de manière répétée. Je sus que c’était marie, la gracieuse mère du Christ. Le soleil était haut et nous avions cherché à nous rassembler sous l’ombre des arbres qui existaient encore à l’époque. En marchant vers Lui, le sable brûlait sous mes pieds mais j’arrivai immédiatement près de lui et tout devint frais comme sous une ombre. Après avoir conversé avec lui, je retournai vers l’assemblée des membres de notre église et je leur révélai que Celui dont j’étais le prophète était arrivé et se reposait là. Les membres présents se ruèrent vers lui et il parla à plusieurs d’entre eux. On remarquait particulièrement une dame, madame Adedoyin Adeyoka, qui était magnifiquement habillée en costume yoruba. Lorsqu’elle nous raconta sa propre aventure, elle nous dit que notre Seigneur Jésus-Christ lui avait demandé pourquoi elle était nue. Cela l’étonnait. À ce moment, Yaman l’interrompit en indiquant que cela était dû au fait qu’elle ne portait pas de soutane comme les autres. Des membres d’autres églises spirituelles, qui étaient aussi en train de prier à la plage ce jour-là, le virent de même et plusieurs d’entre eux en extase spirituelle, se roulèrent dans le sable en creusant des trous avec leurs mains, témoignant de Son identité et de Sa présence. Divers poissons, des cachalots et d’autres animaux marins faisaient des sauts hors de la mer en guise de salutations. Nous poursuivîmes nos prières et pendant tout ce temps, je gardai un œil ouvert sur lui afin d’être sûr qu’il ne disparaîtrait pas à mon insu. Au moment de rendre grâce à Dieu, nous fûmes tous obligés de fermer nos yeux. Après avoir rendu grâce, nous ouvrîmes les yeux et à notre grande surprise, nous constatâmes que le Seigneur Jésus-Christ, marie et le bateau avaient disparu (Constitution : 70).

ici, un procédé narratif inverse de celui du récit précédent est utilisé. Pour produire un effet de vérité, une multitude de témoins, et jusqu’aux animaux, sont convoqués. À nouveau, un discret hommage est rendu à la sagacité de Yaman, l’épouse principale. À nouveau, Jésus-Christ communique d’importantes explica-

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Samuel Oshoffa et la fondation du Christianisme Céleste tions à Oshoffa qui ne nous seront pas révélées, à part l’injonction de ne pas dévoyer son don de prophétie en pratiquant de vulgaires divinations individuelles. Le Christ apparaît porteur d’une vieille bible attachée d’une ficelle, sans doute parce qu’elle perd ses pages à force d’être lue. L’infatigable lecteur porte aussi un exemplaire du Coran. Rappelons que les parents du prophète étaient musulmans et que, malgré son éducation méthodiste, Oshoffa devait considérer le Coran comme un livre saint. Le personnage de mahomet, en tant qu’illettré et néanmoins grand prophète, devait certainement le fasciner 64. Plusieurs des séquences rituelles célestes rappellent fortement le culte musulman. Enfin qui a vécu dans une maison habitée par des musulmans peut difficilement échapper à la magie obsédante de la récitation des sourates. Daniel Sibony écrit : … le vieux message hébreu, […] le Coran l’exprime en langue arabe, dans une symbiose de rythmes, d’harmonie, d’incantation telle que la langue du Coran en vient presque à s’identifier, pour ceux qui y sont nés, à la langue divine, celle de la vraie croyance, de la révélation, de l’invocation transcendante… 65

La majorité des cantiques et phrases rituelles célestes en “langue d’ange” n’a pas été révélée à l’église par Oshoffa mais par son neveu mawunyon, néanmoins nous pensons que l’origine de ce langage est à chercher dans la séduction qu’exerce sur l’auditeur l’arabe coranique. Oshoffa prenait manifestement plaisir à faire des citations approximatives des sourates. Dans la Constitution bleue, on trouve deux occurrences de “l’arabe” d’Oshoffa. La première fois, il cite la réaction de ses parents musulmans alors qu’il a fait apporter un cadavre dans la maison (pour le ressusciter) : « I-lahila, hilalawu ! qu’est-ce que ce garçon a encore fait ? Apporter ici un cadavre ! » (Constitution : 34). La seconde fois, il s’agit de la visite du grand imam de Lagos qui, sur le chemin d’une nouvelle mosquée qu’il doit inaugurer, s’arrête pour déterminer « si oui ou non le nom de Anobi Yisa (Jésus Christ en arabe) pouvait opérer des miracles ». Comme il était à prévoir, Oshoffa accomplit un nouveau miracle, alors « sa suite et lui [l’imam] s’exclamèrent en arabe : Lahaila hilalawu ! Ce qui signifie “Dieu seul est puissant” » (Constitution : 50). vii. portrait de prophète en majesté Comme nous l’avons déjà signalé, il est très difficile d’obtenir des informations sur l’homme qu’était Oshoffa. Pourtant de nombreux fidèles ont pris la plume pour vanter ce « don de Dieu à l’Afrique », « sa vie, son œuvre » ; parmi eux, seul le Nigérian Olu Obafemi cherche à « donner à voir » qui était le prophète sur un ton autre que celui de la pure hagiographie : … ceux qui ont eu le privilège de le voir de près ont pu observer une personne géante dominant en taille tous ses lieutenants. il inspirait la confiance, habillé comme un monarque, il avait la démarche emplie de grâce d’un prêtre officiant. Si vous

64. Oshoffa était presque illettré, douze années d’études chez les méthodistes n’avaient réussi qu’à le mener en Cm2 mais il était très fier de ce fait et jusqu’à sa mort est resté convaincu que c’était une des raisons pour laquelle Dieu l’avait choisi (cf. R. i. J. hackett (éd.), New Religious Movements in Nigeria, op. cit., p. 161). L’exemple de mahomet faisait certainement beaucoup pour étayer cette fierté. 65. D. sibony, Les trois monothéismes. Juifs, Chrétiens, Musulmans entre leurs sources et leurs destins, (“Points”), Seuil, Paris 1997, p. 22.

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Chapitre ii l’approchiez, vous étiez surpris par son sens de l’humour : il était capable de rires joyeux. vous n’avez pas besoin d’être chrétien céleste pour découvrir son caractère d’humoriste. 66

Lors de son premier contact avec le prophète, en 1980, Obafemi n’a aucun mal à le reconnaître : il était différent des autres. il avait une démarche dégagée et son habillement et ses pas cadencés distinguaient clairement le “Roi” des membres de sa suite. De la place où je me trouvais, je ne pouvais rien entendre de leur discussion. mais brusquement il éclatait de rire et envoyait quelques blagues à ses lieutenants qui à leur tour se mettaient à rire. Ceux qui l’ont approché disent qu’il était un plaisant compagnon. On dit de lui qu’après une réprimande administrée à quiconque, il reprenait immédiatement la situation sous forme d’une exhortation. En compagnie des enfants, il trouvait la meilleure occasion d’exhiber son amour. il les dorlotait, chantait, jouait avec eux et s’assurait que chacun d’eux eût trouvé satisfaction avant de les quitter.

Selon Obafemi, Oshoffa était connu pour sa grande capacité de travail. Sa journée commençait vers cinq heures du matin. « Après ses prières, il se lavait et engageait de petites consultations avec ses femmes ». Après son petit-déjeuner, il recevait ses nombreux visiteurs. À ceux qui venaient pour recevoir une aide financière, il trouvait toujours quelque chose à donner. Ces consultations duraient jusque vers quinze heures. Lorsqu’il n’avait pas de problèmes à régler avec ses lieutenants ou avec les corps constitués de l’église, « à 16 heures, il était encore disponible pour les visiteurs, guérissait les malades, conduisait des cultes spéciaux dans son grand salon conçu pour la circonstance. il ne quittait cette place qu’audelà de minuit ». il faisait preuve d’une grande qualité d’écoute et savait conseiller ses visiteurs. quel que soit votre état d’âme, il vous calmera et vous demandera d’exposer votre problème qu’il écoute attentivement, il se met à sourire une fois que vous avez fini. il vous donne sa solution. Parfois il use d’une allégorie ou d’une parabole pour vous faire comprendre que la solution que vous préférez n’est pas la meilleure. Le point qu’il aimait souligner était qu’avec un peu d’amour, de patience et de tolérance, vous surmonteriez cette crise par le pardon ou par simple ignorance de l’offenseur, tout en remerciant Dieu de vous avoir donné l’occasion d’être un être humain meilleur 67.

Le docteur talabi dit que, outre une extraordinaire humilité, l’autre qualité que possédait à un point extrême Oshoffa était de savoir désarmer ses interlocuteurs : Si vous vous êtes énervé contre lui et que vous avez décidé […] de venir faire des caprices devant sa face, le temps de le réaliser, vous êtes déjà désarmé et avant de le quitter vous êtes heureux. il désarmait les personnes irritées et les transformait en amis sans aucune exception 68.

L’histoire de l’église montre qu’Oshoffa ne savait pas toujours calmer les irrités et s’en faire des amis. Plusieurs fidèles s’élèveront contre sa gestion trop personnelle des fonds de l’église, contre son autoritarisme, sa morale hédoniste et son laxisme

66. O. obaFemi, op. cit., p. 89. 67. O. obaFemi, op. cit., p. 93. 68. O. obaFemi, op. cit., p. 19.

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Samuel Oshoffa et la fondation du Christianisme Céleste vis-à-vis de certains membres qui ne respectaient pas l’éthique de l’église. Ce sera le cas par exemple de Jean Kpakpavi qui, en 1962, avait introduit l’église au togo. Néanmoins la plupart des personnes qui ont connu le prophète même quand elles ont rejeté l’église reconnaissent qu’Oshoffa possédait un incontestable charisme. michel et monique Alokpo, anciens Chrétiens Célestes reconvertis à une église évangélique, et auteurs d’un pamphlet contre le Christianisme Céleste, écrivent : « Samuel bileou Oshoffa a su drainer des foules après lui parce qu’il était un leader charismatique » 69. Comme le souligne Adogame 70 pour les critiques d’Oshoffa, le fond du problème ne tient pas à la question de savoir s’il avait ou non des pouvoirs spirituels extraordinaires, tous s’accordent pour dire qu’il en avait, mais de savoir d’où il les tenait, si ce n’était de Dieu, cela ne pouvait être que du diable. Outre la nature supposée magique de ses pouvoirs, Obafemi nous signale qu’une autre des raisons pour lesquelles « le caractère sacré de la mission du Pasteur » a été mis en doute tient au fait qu’il était polygame. « Des rumeurs ont couru disant que le Pasteur aurait plus de quarante femmes. Alors que le nombre exact des femmes du Pasteur n’est pas connu ». Obafemi argue que la question n’est pas de savoir combien de femmes avait le Pasteur mais de savoir si la polygamie correspond à la doctrine du christianisme. Nous n’entrerons pas dans cette discussion familière à tous les Chrétiens Célestes, partisans ou adversaires de la polygamie, où les versets bibliques contradictoires s’échangent entre les camps opposés plus vite que la balle d’une partie de ping-pong. Nous avons vu que lorsque Samuel Oshoffa était encore dans l’idéal de sa jeunesse méthodiste il se voulait monogame mais que les dures réalités de l’existence – la stérilité de sa première femme – l’avaient poussé à en épouser une seconde, puis une troisième. Dans l’entretien télévisé que nous avons cité précédemment, Oshoffa dit : « Avant l’église, j’avais trois femmes et aucun enfant. Aujourd’hui j’ai plusieurs femmes et plusieurs enfants. mais puis-je dire que ces enfants m’appartiennent ? Le jour où je mourrai, celui qui m’enterrera, celui-là pourra se dire mon enfant ». Expédit voudounon, le chauffeur d’Oshoffa, interrogé sur le comportement matrimonial du prophète répond : « Sa vie est trop remplie, il n’y a plus de place pour une femme », tandis que le prophète constate : « Les femmes sont après-tout nos mamans mais dangereuses, elles vous sourient et vous laissez tomber vos défenses » 71. Christophe Akodjetin, excommunié pour avoir osé critiquer la polygamie du prophète, soutient qu’Oshoffa avait 17 épouses et une quarantaine d’enfants, ce qui nous a été confirmé de diverses sources. Au cours d’une conversation avec Akodjetin, il nous expliqua que plusieurs des épouses du prophète étaient des femmes qu’il avait ressuscitées et que leur famille avait données à Oshoffa et il ajouta : « qui pourrait avoir envie de continuer à vivre avec une femme qui est passée par le pays des morts ? » C’est une explication du même ordre que nous a donnée Levi Yansunnu à propos de deux des épouses du prophète. L’une était vouée à devenir vod&uns`I mais son père qui s’y opposait eut la révélation qu’elle ne serait en sécurité que si elle allait se réfugier définitivement chez Oshoffa. une autre aurait

69. m. et m. alokPo, La Bible et le Christianisme Céleste, op. cit., p. 16. 70. A. u. aDoGame, op. cit., p. 55. 71. Cité par A.-h. emmanueli, L’histoire est un témoignage. Samuel Bileou Joseph Oschoffa, Prophète Pasteur et fondateur du Christianisme Céleste (“Religion et dossiers d’actualité mondiale”), J’ai lu, 1992, p. 25.

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Chapitre ii été guérie par le prophète d’une maladie déclarée incurable par tous les médecins consultés, en remerciement, ses parents l’auraient donné en mariage à Oshoffa. Lévi Yansunnu nous dit également que le pasteur n’aimait pas que l’on se mêle de sa vie privée ; pourtant lorsqu’en 1957 le pasteur revint d’un voyage au Nigeria avec une nouvelle épouse dénommée Flores (ou Florence), dont le comportement « caractériel et excentrique » de « colérique primaire » choqua profondément l’entourage du prophète, au point que certains devanciers s’abstinrent de participer au culte, il fut obligé d’en tenir compte et de renvoyer Flores « dans des conditions floues ». De tous ces dires, il ressort qu’Oshoffa n’avait pas forcément recherché toutes ces épouses, elles venaient à lui ou lui étaient données parce qu’il était puissant comme un roi sacré. D’ailleurs, il ne leur accordait pas une confiance aveugle. Obafemi nous signale qu’il ne mangeait jamais de la nourriture préparée par ses épouses mais uniquement les plats que lui préparait un cuisinier qu’il avait engagé ou des mets qu’il faisait acheter chez les vendeuses de rue. Laissons la conclusion de cet aspect de la vie du prophète à Obafemi : Au sujet de la question du mariage, il [Oshoffa] n’endossa pas seulement la croyance des traditions africaines sur la polygamie, en plus il trouva son support dans la bible et en fit l’un des aspects les plus attractifs de l’église du Christianisme Céleste. […] Si ce point avait été une sérieuse erreur, des années avant que l’église fût sérieusement établie, une instruction divine l’aurait contredit. 72

L’humilité et la modestie sont des traits du caractère d’Oshoffa que ces écrits mettent constamment en avant. michel Guéry écrit : Le fondateur accueille avec beaucoup de simplicité tous ceux qui se présentent à lui, quel que soit l’objet de leur visite. Lorsqu’il se présente, il insiste toujours sur le fait qu’il n’est rien de lui-même, et que ce qui se passe ne cesse de l’étonner : « de moi-même, je ne suis rien, je suis charpentier, je n’ai pas étudié, je ne suis rien ». Et il insiste beaucoup dans ses conseils spirituels sur la nécessité de « l’humiliation », de la « petitesse » 73.

Ce goût de la “petitesse”, Oshoffa ne le possédait pas naturellement mais le reçut également de Dieu. il raconte qu’au début de l’église, quand lui fut révélé qu’il devait porter une soutane blanche et marcher constamment pieds nus, il en conçut une grande honte. un jour, il est invité à une sortie d’enfants à la paroisse méthodiste où lui-même avait été baptisé. il poursuit : me voilà en habit blanc comme un cadavre ambulant et pieds nus. mon père avait un vélo que j’avais gardé après sa mort. Je roulais souvent avec. Chose amusante, ce vélo avait une sonnette à l’arrière et dès que je commençai à pédaler, elle faisait du bruit derrière moi. Ce jour-là donc, j’étais sur mon vélo dans mon habit blanc et pieds nus, je vous dis, je n’osais même pas regarder à droite, à gauche ou en arrière tant que je ne suis pas arrivé à l’église. mais chose curieuse quand j’ai mis le pied dans l’église, on dirait que quelque chose est venu me débarrasser de cette grande honte, je me suis senti un courage de fer. Dès cet instant, la honte a été finie pour moi et c’est devenu un plaisir d’être habillé ainsi. (interview)

72. O. obaFemi, op. cit., p. 100. 73. m. Guéry, op. cit., p. 25.

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Samuel Oshoffa et la fondation du Christianisme Céleste Ces constantes déclarations d’humilité, toujours retournées en orgueil d’être « l’élu », celui en qui « l’esprit de Dieu vivant demeure », sont assez ambiguës. Au tout début de l’église, Oshoffa se donnait le simple titre d’évangéliste mais ses visions l’autorisent vite à porter celui de pasteur (epastoral en langue des anges), bientôt transformé en Révérend-Prophète-Pasteur-Fondateur. La tenue sacerdotale du pasteur est des plus magnifiques et rivalise sans peine avec les pompeux manteaux des évêques catholiques. quand l’occasion se présente, par exemple lors du vingt-cinquième anniversaire de l’église, il n’hésite pas à parader dans une somptueuse voiture décapotable d’où il bénit la foule. un pagne est imprimé pour la circonstance dont le motif est un portrait d’Oshoffa entre un œil et un crucifix. À Ketu (Lagos) dans les petites boutiques de produits sacerdotaux qui bordent la rue menant à sa demeure, les dévots peuvent acheter des portraits du prophète, des cartes postales, des horloges, des casquettes, des sacs, tout un bric-à-brac frappé de l’effigie d’Oshoffa. Ce statut de monarque que ses fidèles lui ont conféré se donne à voir dans toute son ampleur au moment de ses funérailles. un journaliste du Sunday Punch dans l’article qui annonce la mort du prophète s’exprime ainsi : « il vécut comme un roi. il mourut comme un roi […] comme celle d’un roi, sa mort a été gardée secrète durant quelques jours » (Sunday Punch du 15-9-1985). Le dimanche 1er septembre 1985, sur l’autoroute Lagos-ibadan, sa voiture dont un pneu éclate fait un tonneau. Dans la voiture, en plus du chauffeur du prophète, Expedit vodonou, se trouvaient son interprète, un cameraman et Goodwill Abiassi, un compagnon de la première heure. une voiture s’arrête et emmène le pasteur étourdi mais qui semble indemne et son chauffeur qui est blessé vers ibadan, Oshoffa ignore alors que son interprète et le cameraman ont été tués sur le coup. ils croisent la voiture d’une fidèle, le pasteur lui demande de les amener à Lagos, car il entend une voix qui lui dit qu’il mourra si on l’amène à ibadan. Après avoir déposé vodonou à l’hôpital, et reçu des soins pour les blessures superficielles qu’il présentait, le pasteur est raccompagné chez lui. De nombreux fidèles qui ont entendu parler de l’accident se sont massés près de l’hôpital et autour de sa résidence de Ketu. Le lendemain, comprenant qu’il a besoin d’examens complémentaires et d’un repos qu’il ne trouvera pas si les fidèles savent où il se trouve, il se fait transporter secrètement dans un autre hôpital. bien qu’il soit fortement choqué quand il apprend la mort de ses compagnons de voyage, il semble se remettre. il fait enregistrer un message à l’intention des fidèles et organise même une action de grâces sur la terrasse de l’hôpital, le dimanche 8 septembre. il rend l’âme, le mardi 10, vers six heures du matin, à l’âge de 76 ans. L’information ne sera diffusée officiellement que le soir du 13 septembre par le siège international de Ketu (Lagos). Les funérailles commencèrent le 17 octobre au soir, des milliers de participants assistent à un culte interconfessionnel célébré à Lagos. Le lendemain, les hauts dignitaires de l’église et les membres de la famille se rendent à la morgue. Le corps est ensuite transporté dans le hall de l’hôtel de ville. On raconte que devant l’hôtel de ville se trouvaient un bassin et des jets d’eau qui depuis longtemps étaient hors d’usage. À peine le corps du prophète était-il arrivé que l’eau jaillit à nouveau, la lumière produisant un arc-en-ciel dans les jets d’eau. Le cercueil est ensuite transporté sous escorte policière jusqu’à imeko. tout au long du parcours des foules de fidèles viennent rendre un dernier hommage à leur Pasteur. Au cours de l’enterrement digne de celui d’un chef d’état, un nouveau phénomène extraordinaire est

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Chapitre ii observé. Alors qu’il fait jour, la lune apparaît près du soleil, sept étoiles entourent les deux astres, tandis qu’au nord apparaît un nouvel arc-en-ciel 74. On ne peut qu’admirer le parcours qui a mené cet obscur charpentier de PortoNovo jusqu’à ces royales funérailles de “Pasteur-Prophète-Fondateur” d’une église connue dans une grande partie du monde. Au début de ce chapitre, nous avons mentionné qu’Oshoffa était un « mystère » pour ses fidèles, tandis que les chercheurs attribuent la réussite du personnage à son « charisme ». Après avoir tenté de reconstituer ce que l’on sait de la vie d’Oshoffa et narré les actions prodigieuses qu’on lui prête, nous sommes maintenant en mesure de nous demander si la notion de “charisme” peut éclairer le personnage que nous étudions. La sociologie doit à max Weber le concept de “charisme” qu’il définit comme « une qualité extraquotidienne attachée à un homme (peu importe que cette qualité soit réelle, supposée ou prétendue) […] “Autorité charismatique” signifie donc : une domination […] exercée sur des hommes, à laquelle les dominés se plient en vertu de la croyance en cette qualité attachée à cette personne en particulier ». La légitimité de cette domination « repose sur la croyance et l’abandon à l’extraordinaire, à ce qui dépasse les qualités humaines normales et qui pour cela même se trouve valorisé (comme surnaturel, à l’origine) » 75. Clifford Geertz remarque que « le concept de charisme souffre d’un système de référence incertain : désignet-il un phénomène culturel ou psychologique ? » 76 S’intéressant aux relations entre “charisme” et sacralité du pouvoir, Luc de heusch constate, à son tour, que la définition weberienne est ambiguë, « trop large pour être efficiente » 77. Néanmoins, pour cet auteur, le charisme, cette « mystérieuse qualité […] dont nous avons tous l’intuition tout en éprouvant de grandes difficultés à l’analyser », ne saurait tenir aux seules caractéristiques psychologiques de son porteur, même si ces dernières ne sont pas négligeables. il rappelle l’étude de l’historien ian Kershaw sur hitler, qui tout en analysant longuement les circonstances historiques et sociologiques qui ont permis la transformation de ce « médiocre », de cet « agitateur de brasserie […] qui n’avait rien de particulièrement brillant » en leader charismatique, prend en compte « un certain nombre de traits qui méritent d’être qualifiés d’ “exceptionnels” » 78. Ces traits sont ceux que l’on prête le plus souvent aux personnalités dites charismatiques : l’assurance et la certitude, les dons oratoires, la capacité à entraîner les foules, la force de séduction. Roger Caillois, analysant le même personnage, explique que hitler, s’étant aperçu que son auditoire usait de son esprit critique et résistait à son éloquence quand il l’écoutait l’esprit dispos, « décide alors de parler le soir et le plus tard possible, quand le corps et l’intelligence fatigués ont le moins de défense […]. Peu à peu il perfectionne la technique. il ajoute aux effets de la fatigue ceux d’une préparation sonore et ceux d’une mise en scène

74. L’arc-en-ciel est un des symboles de l’église. il provient du fait que celui qui a donné le nom de l’église avait écrit les mots en arc de cercle. Dans la tradition, l’arc-en-ciel est associé au vodun Dan, ce qui a alimenté la thèse des détracteurs de l’église sur la nature fétichiste et magique de cette dernière. 75. m. weber, Sociologie des religions, textes réunis et traduits par J.-P. Grossein, Gallimard, Paris 1996, p. 370. 76. C. Geertz, Savoir local, savoir global (trad. de l’anglais par Denise Paulme), PuF, Paris 1986 (19831), p. 154. 77. L. de heusch, Charisme et royauté, Société d’ethnologie, Nanterre 2003, p. 7. 78. L. de heusch, op. cit., p. 24.

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Samuel Oshoffa et la fondation du Christianisme Céleste également savante » 79. Dans nos sociétés, le leader charismatique est un produit fabriqué pour séduire et entretenir la ferveur, d’où son ambiguïté : les effets qu’il produit sont pris pour les causes de son pouvoir. Pour cette raison, nous ne saurions totalement partager le raisonnement de Luc de heusch quand il propose de distinguer « la qualité extraordinaire des personnages révolutionnaires doués d’un rayonnement personnel exceptionnel, de celle censée être acquise par un rituel qui sacralise le dépositaire du pouvoir », deux phénomènes différents que Weber aurait tenté à tort de relier 80. il nous semble, au contraire, que Weber ne s’intéresse pas tant à la manière dont la « qualité extraordinaire » du leader est acquise – il souligne d’ailleurs, répétons-le, « peu importe que cette qualité soit réelle, supposée ou prétendue » –, mais plutôt au type de légitimité qu’elle entraîne : cette légitimité repose donc sur la croyance en la magie, en une révélation ou en un héros, croyance qui a sa source dans la “confirmation” de la qualité charismatique par des miracles, des victoires et d’autres succès, autrement dit par des bienfaits apportés aux dominés ; c’est pourquoi cette croyance s’évanouit ou risque de s’évanouir en même temps que l’autorité revendiquée, dès que la confirmation fait défaut et que la personne dotée de la qualité charismatique paraît abandonnée par sa force magique ou par son dieu 81.

La mise à mort rituelle des chefs sacrés, quand leurs forces s’affaiblissent, ou quand ils échouent d’une façon ou d’une autre à exercer le contrôle mystique sur la nature que le rituel d’intronisation leur a conféré, relève bien de cette logique de la nécessaire “confirmation”. Ce que Weber laisse ouvert à la spéculation, c’est la manière dont le leader rend ostensible sa « qualité extraquotidienne » et réussit à susciter le consensus autour de lui, question qui ne se pose pas si elle lui est conférée par un rituel, mais ce cas particulier donne à penser que le charisme est toujours socialement construit. Le sociologue a élaboré le concept de “charisme” essentiellement à partir de la notion chrétienne de don spirituel – charisme dans le sens ordinaire du terme –, et de l’exemple des prophètes bibliques. il y a donc une certaine circularité dans le raisonnement des chercheurs qui, tel Adogame, tentent d’expliquer la réussite d’Oshoffa par son “charisme” alors que justement il cherchait, comme tous les prophètes, à faire montre de charisme au sens chrétien du terme (don de prophétie, de guérison, etc.). Nous avons essayé de montrer que, tant par les circonstances de sa naissance que par les noms qui lui avaient été attribués, autant de facteurs orientant sa destinée prénatale, Oshoffa était voué à une relation avec les forces surnaturelles et au “travail de Dieu”. Ayant échoué à atteindre ce but par le simple moyen de l’éducation, il y parvient par une expérience que l’on peut dire de “liminarité”, en reprenant la notion élaborée par victor Witter turner 82. L’épreuve de l’isolement en forêt, marquée par une éclipse de soleil (un des symboles de la liminarité selon turner), dont le prophète sort vivant, ne peut que l’avoir « changé profondément » selon ses propres mots, et doté de pouvoirs extraordinaires selon ceux qui vont le rencontrer et propager à Porto-Novo la nouvelle non seulement qu’il est ressuscité

79. R. caillois, Instincts et société, Essais de sociologie contemporaine, Gonthier, Paris 1964, p. 167. 80. L. de heusch, op. cit., p. 9. 81. m. weber, op. cit., p. 370. 82. v. W. turner, Le phénomène rituel, op. cit.

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Chapitre ii d’entre les morts mais aussi qu’il ressuscite les morts. L’importance de ces “seconds rôles” dans la construction d’une réputation charismatique n’avait pas échappé à Weber. quand le porteur de charisme est un prophète, « si sa prophétie rencontre le succès, [il] gagne à lui des auxiliaires permanents [qui lui sont attachés] par des liens purement personnels […], qui collaborent activement à sa mission et qui sont eux-mêmes, la plupart du temps, dotés, d’une manière ou d’une autre, d’une qualification charismatique » 83. que faut-il comprendre par une « prophétie qui rencontre le succès » ? L’histoire du christianisme fourmillant de prophéties millénaristes dont l’infirmation n’a pas découragé les adeptes qui suivent ces prophètes 84, nous pensons qu’il faut entendre par ces termes simplement qu’une parole prophétique ne peut être entendue que si elle vient répondre à une demande de ceux qui l’écoutent ou combler chez eux un besoin. « Le meneur vient lier les désirs sociaux antérieurement déliés, et les porter à cette existence sociale qui leur était jusqu’alors refusée, à l’instant précis où il s’en fait le représentant », écrit Christian Geffray 85. À l’époque de la fondation du Christianisme Céleste, il existait bien dans la communauté que fréquentait Oshoffa le désir d’une église légitime, reconnue par les autorités, et en même temps proprement africaine, c’est-à-dire offrant à ses fidèles les ressources de la divination et de la guérison spirituelle. En témoignent les efforts de Gabriel Loko pour établir successivement une église évangélique africaine, une antenne des Chérubins et des Séraphins et finalement l’église Christique Primitive. En quoi le Christianisme Céleste, copié sur ces dernières, vient-il mieux que les précédentes répondre localement à cette demande, si ce n’est justement parce que son fondateur, au contraire de Loko qui n’installait que des “succursales”, s’est présenté comme porteur d’une grâce divine 86 et donc d’une efficacité neuve ? La confiance qu’Oshoffa avait en son propre destin n’aurait sans doute pas suffi à en faire un grand prophète si elle n’avait été étayée par une expérience de liminarité, interprétée par ses proches, en fonction de schèmes de pensée aussi bien traditionnels que bibliques, comme une élection. La grâce qu’on lui prêtait était en quelque sorte contagieuse ; nous avons dit que, dans les premiers jours, ceux qui s’approchaient d’Oshoffa tombaient à leur tour en extase, prophétisaient et avaient des visions. Ainsi s’est constitué le premier cercle des “auxiliaires permanents” qui pour plusieurs appartenaient à la famille-même du prophète ou étaient de ses amis. Au-delà, nous dit Weber, « on trouve un cercle d’adeptes » qui soutiennent matériellement le prophète et « attendent leur salut de sa mission ». ils forment un « groupement communautaire [qui est le] produit d’une quotidianisation, quand le prophète lui-même ou ses disciples assurent la pérennité de leur prédication […], et quand ils sauvegardent par-là durablement l’existence économique de la distribution de la grâce et de ceux qui l’administrent » 87. L’histoire de la formation de ce groupement communautaire est l’objet du chapitre suivant.

83. m. weber, op. cit., p. 168. 84. Le travail de L. Festinger, h. Riecken, S. Schachter, L’échec d’une prophétie, PuF, Paris 1993 (19561) analyse ce type de situation et cite en son premier chapitre de nombreux exemples de “messies déconcertés” mais pas découragés par l’échec de leur prophétie. 85. C. GeFFray, Le nom du Maître. Contribution à l’anthropologie analytique, Arcanes, Paris 1997, p. 106. 86. Rappelons qu’au moment où le groupe de Loko installe une paroisse des Chérubins et des Séraphins à Porto-Novo, m. Orimolade était mort. 87. m. weber, op. cit., p. 168.

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ChApitRE iii hiStOiRE DE L’éGLiSE Du ChRiStiANiSmE CéLEStE Et DE SON ORGANiSAtiON

L’ambition et les désirs charnels, l’amour de l’argent, la recherche de l’honneur et de la gloire liée à l’occupation du siège pastoral, voilà les maux qui minent l’Église. Owodunni, La Dernière Barque 1

L’histoire du Christianisme Céleste se caractérise par le fait que l’église, dès ses premiers pas, s’est développée simultanément dans plusieurs pays, et principalement au bénin, au Nigeria et en Côte-d’ivoire. L’équilibre entre les deux pays où le pasteur a vécu (bénin et Nigeria) n’a jamais été trouvé. De son vivant, le fondateur a maintenu dans l’ombre maint problèmes de prééminence, qui ont ressurgi après sa mort et ne sont pas encore résolus à ce jour. Dans ce chapitre, nous suivrons les étapes de l’organisation de l’église, nous ferons la chronique des événements qui ont mené à l’actuel éclatement de sa direction et au développement de « tendances nationales ». Enfin, en ce qui concerne le bénin, nous essaierons de montrer la nature du lien entre l’église et le politique. Nous avions laissé Oshoffa et le cercle de ses premiers adeptes évangélisant les villages toffins de la vallée de l’Oueme. De retour à Porto-Novo, Oshoffa ouvre une première paroisse et adresse au gouvernement, en novembre 1954, une demande de reconnaissance officielle. À cette époque, l’église est déjà installée en Côted’ivoire où Nathanaël Yansunnu (1904-1970), alors en poste à la RAN (Régie du chemin de fer Abidjan Niger) d’Abidjan, fonde en 1950 la première paroisse et la dote d’une chorale bien organisée car avant de se convertir au Christianisme Céleste, Nathanaël A. Yansunnu avait été maître de chœur chez les méthodistes. un de ses frères fonde, à Dimokro, à l’intérieur du pays, la seconde paroisse céleste ivoirienne. i. Les débuts de l’église au Nigeria En 1950, plusieurs pêcheurs toffins qui avaient l’habitude d’aller et venir entre le Dahomey et le Nigeria installent une antenne de leur paroisse de Gbaji sur la plage de makoko (une banlieue de Lagos). La paroisse n’est au début qu’une baraque de palmes, fréquentée par des pêcheurs et des commerçants gun, mais elle finit par attirer madame Comfort Johnson qui possédait la double origine gun et yoruba et pouvait donc assurer la traduction pour les quelques yoruba qui se hasardaient jusqu’à la nouvelle église. Le groupe se développant, il envoie un message à Oshoffa afin qu’il vienne les soutenir. Ce dernier hésite beaucoup avant de se décider à faire le voyage, il dit : étant le seul et unique garçon survivant de mon père, je craignais le Nigeria à cause de la mauvaise renommée qu’avait ce pays 2.

1. La Dernière Barque 3 (3 juillet 1994). 2. Constitution : art. 43.

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Chapitre iii il ne se laisse convaincre que lorsque moïse Ajovi, leur émissaire, promet de rester continuellement à ses côtés. il effectue son premier voyage à Lagos pendant la semaine de Pâques en 1951. À peine arrivé, il guérit une jeune femme de la folie. La nouvelle de ce miracle se répand au point que plusieurs responsables de diverses églises demandent à le rencontrer. une réunion est organisée à Yaba où on lui demande d’accomplir des prodiges pour convaincre les participants. il accepte et fait allonger deux femmes sur le sol puis recouvre chacune d’elle d’une pièce de ses vêtements. Rien ne se passe jusqu’à ce qu’il entonne un cantique, le Saint-Esprit descend alors dans l’assemblée et inspire des visions aux participants sceptiques, ils voient alors que les deux femmes étaient impures, l’une pour être en période menstruelle, l’autre pour avoir eu des rapports sexuels. il accomplit encore divers miracles et prodiges qui laissent les assistants ébahis. Lors du même séjour, ses prières permettent le rétablissement des affaires d’une riche femme musulmane qui en remerciement lui fit don du terrain sur lequel est aujourd’hui édifiée la paroisse de makoko Yaba 3. Devant le succès de ce premier voyage, Oshoffa prit l’habitude d’aller régulièrement à makoko pour soutenir les efforts d’évangélisation de la nouvelle paroisse. madame Comfort avait attiré à l’église la deuxième épouse de son frère, madame Funmilayo, qui ne parvenait pas à concevoir. Dans l’année de son intégration elle accoucha d’un garçon. une co-épouse de madame Fumilayo avait un frère, Samuel Ajanlekoko, dont une des épouses avait un problème similaire ; cette dernière parvint à convaincre son époux de l’accompagner jusqu’à cette paroisse où s’accomplissaient des miracles. Ce dernier fut fort surpris de voir qu’aucune route ne menait à l’église et que cette dernière n’avait que des murs de paille. Pendant que le couple attendait que le culte commence, ils furent attaqués par quantité de moustiques. La patience d’Ajanlekoko commençait à être mise à rude épreuve et les nombreuses révélations sur son passé qui lui furent faites pendant le culte par des visionnaires ne le calmèrent guère car il pensait qu’elles provenaient des bavardages de madame Comfort. Néanmoins quand les prophètes lui révélèrent des événements qu’il était seul à connaître, il commença à changer d’opinion. Enfin il lui fut dit que sa femme serait enceinte, si tous les deux se convertissaient à l’église. Ajanlekoko était catholique et n’envisageait pas de changer de religion. Né en 1907 à ijebu-Ode, de parents de lignage royal, il avait reçu une stricte éducation catholique. Expert-comptable de métier, il travaillait aux brasseries Nigérianes. il avait cinq femmes et de nombreux enfants. C’étaient les problèmes de sa quatrième épouse qui l’avaient conduit jusqu’à cette paroisse. Sa femme se mit à suivre régulièrement le culte céleste et quelques mois plus tard elle fut enceinte, bien que son mari ne l’eût pas suivie dans sa conversion. Oshoffa apprit ces événements et lors d’un nouveau voyage fit appeler Ajanlekoko. il lui raconta de quelle façon l’église lui avait été révélée et lui demanda s’il voulait assumer à plein-temps la responsabilité de la branche nigériane de l’église. il lui expliqua que la grande mobilité des pêcheurs et leur ignorance du yoruba étaient des obstacles à la croissance de l’église au Nigeria. Ajanlekoko répondit qu’il ne pouvait abandonner ni sa foi ni son travail et recommanda pour tenir ce rôle un homme qui venait des Chérubins et Séraphins. Oshoffa refusa lui opposant que cet homme ne resterait pas Céleste et il insista encore auprès d’Ajanlekoko. La prophétie se vérifia car trois mois plus tard

3. Constitution : art. 52.

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Histoire de l’Église du Christianisme Céleste et de son organisation cette personne abandonna l’église. Ce type d’événements, la continuelle manifestation de pouvoirs dans l’église, finirent par convaincre Ajanlekoko, qui accepta de s’occuper de la branche nigériane pendant ses temps libres car il refusa toujours d’abandonner son activité aux brasseries 4. un autre employé des brasseries, Alexander Abiodun bada, s’était converti à la même époque (1952) et faisait montre d’un grand zèle religieux, il perdit son emploi et avait de ce fait beaucoup de temps à consacrer à l’église. il fut bientôt distingué par Oshoffa qui, en août 1955, lui confia la responsabilité de l’église nigériane et l’employa à plein-temps 5. Alexander Abiodun bada (1930-2000) est né le 4 décembre 1930 à Lagos, son père était originaire d’Abeokuta et sa mère était née à ijebu-Ode, de parents musulmans ; elle se convertira au christianisme lors de son mariage. Son père était ingénieur, il fut l’un des premiers présidents de la cour de justice coutumière de Lagos, il était également organiste d’une paroisse anglicane. bada fut élevé dans cette tradition, et fit ses études secondaires dans un collège anglican, avant d’entrer aux brasseries Nigérianes. C’était un homme travailleur, énergique, dynamique, doué d’un grand sens de l’organisation. Selon que l’on interroge ses détracteurs ou ses partisans, il est présenté comme un ambitieux cherchant à monopoliser le pouvoir ou, au contraire, comme un partisan de la collégialité de l’autorité. il est incontestable qu’il possédait du charme et qu’il avait su se faire aimer de la plus grande partie des fidèles. ii. L’organisation de l’église À Porto-Novo, en 1956, Oshoffa envoie de nouveau une demande de reconnaissance au commandant de cercle. Comme dans les premières demandes, la société religieuse est nommée à la fois “union de la Sainte trinité” et “église du Christianisme Céleste”, la première appellation sera abandonnée par la suite. La société est dirigée par un comité directeur élu et renouvelable tous les deux ans, composé d’un président, de deux vice-présidents, d’un secrétaire et son adjoint, d’un trésorier et son adjoint, de quatre conseillers, quatre commissaires, et quatre commissaires adjoints, toutes fonctions donnant droit à une rétribution (dans la mesure des ressources de la société). Dans ce premier comité directeur présidé par Oshoffa et composé des fidèles de la première heure, on remarque comme deuxième vice-président Alexandre Yanga (le jeune homme à qui le nom de l’église avait été révélé), comme secrétaire adjoint Emmanuel Gouton, ce neveu qu’Oshoffa avait ressuscité, comme trésorier Jean Agbaossi, comme premier commissaire Pierre Agbaossi (les frères de benoît Agbaossi, l’actuel pasteur de la branche béninoise). quatre femmes (dont la sœur et l’épouse d’Oshoffa) figurent dans ce comité aux fonctions de commissaires adjoints. un effectif des membres est joint aux statuts. Dans le cercle de Porto-Novo, onze paroisses sont recensées comptant 1 054 membres, la première paroisse de Porto-Novo ne compte que 200 fidèles, dans le cercle de Cotonou 18 paroisses se partagent 1 058 fidèles. Les deux paroisses de Côte-d’ivoire ont 170 membres, et les cinq paroisses du Nigeria 520 membres. Le total est de 2 802 membres. Cette demande reçoit enfin une réponse positive des

4. A. u. aDoGame, op.cit., p. 31 (note 47). 5. O. obaFemi op.cit., p. 68-71 ; A. u. aDoGame op.cit., p. 28-32.

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Chapitre iii autorités administratives coloniales, la nouvelle société religieuse est homologuée le 5 octobre 1956. bien que l’expansion du Christianisme Céleste à l’étranger résulte plus du hasard de l’histoire que d’une volonté délibérée, il faut noter qu’Oshoffa a toujours présenté son église comme ayant une vocation universelle, et n’étant pas destinée à un groupe ethnique ou à un pays particulier. il faut sans doute attribuer à sa situation de nago en milieu gun cette sensibilité particulière que n’ont pas eue d’autres fondateurs d’églises aladura qui, si elles sont aussi sorties de leurs frontières, sont néanmoins restées majoritairement ancrées dans la diaspora yoruba ou nigériane. Nous avons vu que l’implantation de l’église au Nigeria est due à la mobilité des pêcheurs toffins, son expansion en Côte-d’ivoire a été servie par le grand nombre de béninois qui allaient chercher du travail dans ce pays plus riche et par l’activisme de Nathanaël Yansunnu (1904-1970). Celui-ci, né le 21 avril 1904 à Porto-Novo d’une famille gun, a été élevé dans la religion méthodiste en même temps qu’Oshoffa par son père moïse. Employé de la Régie du chemin de fer (Abidjan-Niger), Nathanaël A. Yansunnu voua sa vie au développement de l’église fondée par son ami. Ses efforts d’organisation particulièrement en matière financière ne furent pas toujours compris par certains devanciers qui profitaient du désordre et du laxisme d’Oshoffa et, vers la fin de sa vie, divers malentendus l’avaient quelque peu séparé du prophète. Oshoffa a toujours encouragé la diffusion internationale de sa religion à condition que les nouvelles branches créées à l’étranger restent sous sa coupe et s’acquittent de la part de cotisation qui revenait au pasteur. michel Guéry explique qu’au début « le petit groupe se gouverne de lui-même ; mais l’augmentation du nombre des membres et la dissémination des paroisses vont obliger le fondateur à certains actes de gouvernement. Ceux-ci resteront très réduits jusqu’en 1967, et se présenteront sous forme de circulaires où sont mélangés des points de règlement intérieur et des conseils spirituels, en particulier sur l’attitude à avoir visà-vis des visionnaires ou par rapport à certaines déviations jugées “fétiches” » 6. Guéry signale qu’à partir de 1967, de nombreux fonctionnaires, cadres moyens ou même supérieurs, rallient l’église. Alors qu’avant l’église recrutait essentiellement en milieu rural, elle commence un développement urbain qui entraîne « une exigence de rationalisation », dit Guéry. Le premier règlement interne du 1er septembre 1967 n’est pas encore très marqué en ce sens, il ne comporte que trente articles répartis en cinq chapitres : 1 – Rapport entre hommes et femmes 2 – Les cultes et l’ordre des cultes 3 – Les annonces 4 – La prédication 5 – Les visions À notre sens, ce n’est pas seulement le nombre grandissant de fidèles et leur appartenance urbaine qui entraînent une nécessité de rationalisation, mais l’entrée même de ces cadres dont on peut d’ailleurs se demander pour quelles raisons ils se tournent vers cette église. Depuis l’indépendance, la vie politique du pays est marquée par une grande instabilité. Les partis fortement régionalisés de trois

6. m. Guéry op. cit., p. 31.

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Histoire de l’Église du Christianisme Céleste et de son organisation leaders (maga, Apithy, Ahomadegbe) se disputent le pouvoir. Leurs éphémères gouvernements sont régulièrement déposés par des coups d’état militaires. Fin 1965, le général Christophe Soglo prend le pouvoir et lance un programme d’austérité financière qui est très mal reçu de la population. Le plan comprenait entre autres dispositions une taxe de solidarité de 25 % sur tous les salaires des employés que, devant le mécontentement général, le président sera obligé d’abroger. Fin 1967, les jeunes cadres de l’armée conduits par maurice Kouandété renversent le régime de Christophe Soglo et organisent des élections qui sont boycottées par la population. ils décident alors de confier le pouvoir au Docteur émile Zinsou. Comme les autres leaders Zinsou est un catholique fervent mais plus que les autres il bénéficie du soutien officiel de l’église catholique 7. La politique de Zinsou souffre des mêmes travers que celle de ses prédécesseurs et les aggrave encore d’une dérive totalitaire. Le programme d’austérité économique avec « le vingt-cinq », taxe de solidarité ainsi nommée par la population, est rétabli. Les liens de dépendance à la France, qui menace de couper ses subsides, sont renforcés. un parti unique est organisé, les opposants sont arrêtés et emprisonnés. malgré les exactions auxquelles se livre le régime, le clergé catholique soutient le gouvernement et dénonce le manque de patriotisme des nombreux mouvements de protestation. Dans ce climat, on peut comprendre que de nombreux cadres perdent confiance en l’église catholique et se tournent vers le Christianisme Céleste. Les années 1970 vont voir l’arrivée de Kérékou au pouvoir et le renouvellement des élites dirigeantes. Les akowé, les intellectuels qui ont gagné l’indépendance, vont être écartés au profit d’une nouvelle classe d’origine plus modeste qui n’a pas acquis sa position par la naissance mais par son mérite et qui, tout en voulant se distinguer des précédents, a grand besoin de légitimité culturelle. En entrant dans le Christianisme Céleste, ils y apporteront leur goût pour la bureaucratie et les procédures de contrôle administratif semblables aux examens de l’instruction Publique qu’ils parviendront même à introduire au cœur de l’expression des charismes 8. iii. Des mécontents Nous avons signalé au chapitre précédent qu’en 1967, Oshoffa tomba gravement malade. Dans une lettre adressée à Jean Kpakpavi qui installa l’église au togo, Oshoffa écrit : « en 1967, nous étions au seuil de la mort quand nous fûmes rétablis afin de poursuivre la mission divine à nous confiée, cela pour prévenir un schisme éventuel au sein de l’église » 9. En effet, en même temps que croissent les effectifs de l’église, croît le mécontentement de certains membres qui critiquent l’autoritarisme du prophète et la gestion trop personnelle qu’Oshoffa fait des fonds de l’église. Les statuts déposés en 1956 prévoyaient que « le Pasteur évangélique assiste aux séances du Comité Directeur à titre de président d’honneur mais n’a pas voix délibérative » mais comme toutes les autres dispositions démocratiques prévues, cet article n’était pas respecté et Oshoffa décidait de tout dans l’église. Plusieurs devanciers (dont Alexandre Yanga) qui réclamaient une direction plus

7. j.- c. allaDaye, op. cit., p. 245. 8. Sur la bureaucratisation des paroisses voir le chapitre suivant, sur le contrôle administratif des charismes voir le chapitre vi. 9. Lettre pastorale du 6 janvier 1973.

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Chapitre iii collégiale s’organisent en association sans en référer à Oshoffa et sont tentés par la scission et la création d’une nouvelle église, mais des querelles en leur sein feront avorter le projet. En 1968, Do béhanzin avait ouvert une paroisse à houimé. Son abord chaleureux, ses dons musicaux et le grand charisme de guérison qu’on lui prêtait attiraient de nombreux fidèles. un visionnaire l’informe un jour que, pendant toute une nuit, il avait été tourmenté par une vision lui montrant Oshoffa empoisonnant Do béhanzin lors d’une Eucharistie. Ce dernier cesse de se rendre à Porto-Novo et quand Oshoffa lui rend visite pour prendre de ses nouvelles, les deux hommes se disputent. Do béhanzin accuse Oshoffa de vouloir l’empoisonner et détruit le panneau qui signalait sa paroisse. Par la suite le groupe de prière que maintint Do béhazin se transforma en une église orthodoxe du bénin. En 1970, un conflit éclate entre Oshoffa et Jean Kpakpavi, le propagateur de l’église au togo. Le point de départ de l’affaire est une histoire d’adultère dont est accusé Assogba, un des responsables béninois de l’église togolaise. Ce dernier tente de faire croire à Oshoffa qu’il est victime d’un coup monté et le fondateur essaie de le défendre. Les devanciers togolais sont outrés par le laxisme d’Oshoffa à qui plusieurs cas du même type avaient été soumis et qui ne faisait rien pour régler les problèmes. L’affaire Assogba va jusqu’à la police et Oshoffa est placé en garde à vue. Après avoir été fouillé, il est reconduit à la frontière 10. misant sur le mécontentement des togolais, Kpakpavi cherche à rendre l’église togolaise moins dépendante de la direction de Porto-Novo ; à cet effet, sans en informer Oshoffa, il rédige et dépose, pour reconnaissance officielle, un projet conférant un statut particulier à l’église togolaise. quand Oshoffa l’apprend, il répond par la lettre citée précédemment qui condamne l’action de Kpakpavi. Oshoffa argue que « c’est en vain que l’homme chercherait à changer ce qui est établi par Dieu », que l’église du Christianisme Céleste est « une Entité Universelle et de ce fait ne saurait tolérer en son sein l’insubordination et les actes abjects et rétrogrades qui frisent l’hérésie et le schisme » 11, que seul le pasteur-prophète pourrait décider d’une modification des statuts. Enfin, il rappelle qu’avant d’être Célestes, les signataires du projet incriminé appartenaient à d’autres églises qu’ils avaient quittées « sans chercher à en modifier les statuts ou règlements intérieurs. Pourquoi ne peuvent-ils pas alors adopter la même attitude à l’égard du Christianisme Céleste ? » 12. Le mécontentement d’Oshoffa envers les togolais, leurs tendances au schisme, puis, en 1978, l’interdiction de l’église (en même temps que toutes les autres dénominations considérées comme des “sectes”) feront qu’au togo l’église ne connaîtra pas un développement aussi important que celui qu’elle a connu au bénin et au Nigeria 13.

10. Certains disent qu’avant de quitter le pays, Oshoffa aurait ramassé une poignée de terre togolaise et l’aurait maudite, et expliquent ainsi le déclin du togo sous la férule d’Eyadéma. 11. Les italiques correspondent à des passages soulignés dans le texte. 12. Lettre pastorale du 6 janvier 1973. 13. Du vivant d’Oshoffa, plusieurs anciens Célestes se sépareront pour fonder leur propre église. Ont été ainsi fondées : église de la Parole du Christ au monde (1969), église évangélique universelle, église Céleste de Jérusalem (1983), église de Péniel Christ (1983), église de bethléem étoile brillante du matin (1984).

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Histoire de l’Église du Christianisme Céleste et de son organisation iv. Lumière sur le Christianisme céleste Au bénin, l’église poursuivant son développement, ses paroisses de plus en plus nombreuses, ses cultes bruyants et ses fidèles très visibles dans leur robe blanche deviennent un sujet d’inquiétude pour les catholiques qui la cataloguent comme une secte et la font figurer dans leur « Document complet sur les sectes au bénin » qui paraît dans La Croix du Dahomey du 30 juin 1968. Apollinaire Adetonah obtient du pasteur le droit de répondre à cet article et est chargé de rédiger un livret qui présentera l’église et son règlement. Lumière sur le Christianisme Céleste paraît en 1972 à l’occasion du 25e anniversaire de l’église. Le premier chapitre de la brochure présente le fondateur, les circonstances de sa vision fondatrice et les miracles et prodiges qu’il a accomplis. Le deuxième chapitre s’intitule : « Les œuvres du Christianisme Céleste » et la simple liste des titres de ses différentes sections donne une bonne idée de son contenu : Le Christianisme Céleste est basé sur la bible tout le monde peut-il lire et comprendre la bible ? Le Christianisme Céleste a pour chef Jésus-Christ Aussi le Christianisme Céleste marche-t-il dans la voie des prophéties Le Christianisme Céleste possède le don de guérison Le Christianisme Céleste baptise Le Christianisme Céleste célèbre la Sainte Cène Le Christianisme Céleste célèbre le mariage Le Christianisme Céleste assure les obsèques de ses membres.

Le troisième chapitre débute par la hiérarchie au sein de l’église, se poursuit par le règlement intérieur et se termine par des exhortations. La description qui est faite de la hiérarchie ne correspond pas exactement aux catégories qui fonctionnaient effectivement au moment de la publication de la brochure ni à l’évolution que cette hiérarchie a connue par la suite ; en particulier, elle crée une classe de “pasteurs” qui n’a jamais existé du vivant du fondateur. Nous reviendrons longuement dans le chapitre suivant sur cette hiérarchie et sur son évolution ; nous présenterons seulement ici les principaux ordres et grades. Le fidèle baptisé peut, au terme de deux années de présence active dans l’église, recevoir une première onction (appelée aussi confirmation dans cet opuscule) et devenir dehoto (également nommé aladoura), puis une seconde onction et devenir alagba (ou agunto). S’il a le don de prêcher, il peut ensuite évoluer dans l’ordre des leaders (prédicateur), s’il a reçu le don de vision, il peut évoluer dans l’ordre des woli (visionnaires). En l’absence de ces dons, il peut continuer à évoluer dans l’ordre des doyens et devenir successivement senior alagba et vénérable senior alagba. L’échelle des visionnaires comporte les grades suivants : assistant woli, woli, senior woli, vénérable senior woli. Celles des leaders : assistant leader, leader, senior leader, vénérable senior leader. Parmi les vénérables seniors leaders, le pasteur fondateur peut choisir des évangélistes qui constituent un quatrième ordre hiérarchiquement supérieur aux trois premiers 14. Les évangélistes évoluent selon cette échelle : assistant évangéliste, évangéliste, senior évangéliste. L’ordre des pasteurs était supérieur à celui des évangélistes et comprenait deux grades : assistant pasteur et pasteur. il

14. À cette époque, ni les alagba, ni les visionnaires ne pouvaient devenir évangélistes, ce qui sera modifié par la suite, et des passerelles seront créées entre les divers ordres.

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Chapitre iii concernait les dignitaires responsables d’un district (département) ou d’une région. Lumière ne porte pas la signature d’Oshoffa et l’on trouve autant de témoignages disant qu’il l’approuvait totalement, que de témoignages qui soutiennent que le pasteur y avait vu une trahison de sa pensée. La vérité est probablement entre les deux, on rapporte qu’il aimait à dire qu’il avait reçu mission de rassembler et qu’organiser devait être le travail de ses seconds. Leur ayant laissé cette tâche, il devait s’accommoder de leurs vertus comme de leurs défaillances mais il ne leur facilitait pas le travail en prenant souvent des décisions par-dessus leur tête et contraires aux règles qu’ils s’efforçaient d’établir. Le règlement intérieur de l’église se compose de 90 articles répartis en trois titres intitulés : des lois, des règlements, des affaires administratives. Cette dernière partie traite de l’organisation intérieure. une paroisse est dirigée par un comité paroissial composé en principe de 33 membres. michel Guéry, dans ses Notes de travail, écrit que les membres de ce comité sont élus par les paroissiens mais rien n’indique clairement dans le texte qu’il doive en être ainsi. Au niveau de chaque pays est prévu un comité directeur qui dirige l’église localement, et fait exécuter les directives du comité supérieur. Là aussi, rien n’indique de quelle manière sont choisis les membres de ce comité directeur. Le comité supérieur est l’instance suprême de l’église, il se situe à Porto-Novo. Le pasteur-prophète en est le président. Guéry écrit que le pasteur en choisit lui-même les membres, et c’est effectivement ce qui devait se passer, mais cette procédure ne figure pas en tant que telle dans le règlement. v. La période marxiste-léniniste béninoise Le coup d’état militaire de 1972 porte mathieu Kérékou au pouvoir, le régime révolutionnaire instaure des comités révolutionnaires locaux, la formation idéologique est obligatoire. En 1974, les anciens chefs de village sont écartés et de nouveaux représentants sont élus, le régime devient officiellement marxiste-léniniste et les principes du socialisme scientifique inspirent tous ses actes. Les grandes entreprises privées sont nationalisées. malgré le principe de liberté religieuse inscrit dans la Constitution, les écoles religieuses sont interdites et sont remplacées par “l’école nouvelle” qui dispense son enseignement révolutionnaire, les jours fériés de fêtes religieuses tant chrétiennes que musulmanes sont supprimés. C’est dans ce climat, en 1975, qu’Oshoffa organise à Porto-Novo une réunion du comité directeur supérieur « élargi aux délégués des paroisses de l’Ouémé et de l’Atlantique ». Près de quarante paroisses ont envoyé chacune six délégués. Le compte rendu de cette réunion montre à quel point Oshoffa était absent du bénin et travaillait surtout au développement de l’église au Nigeria. Oshoffa, désigné comme le Révérend-Pasteur-Prophète, prend la parole pour présenter un bilan des activités de l’église. il rappelle qu’à la suite des persécutions dont il a fait l’objet de la part des catholiques : j’ai dû me réfugier au Nigeria où en paix, je m’étais attaché à l’organisation de l’église telle qu’elle me fut révélée, ce qui tend à faire croire jusqu’alors que la Religion est née au Nigeria. C’est sur l’exemple du Nigeria que l’organisation de l’église du Dahomey a été réalisée (voir Lumière sur le Christianisme Céleste).

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Histoire de l’Église du Christianisme Céleste et de son organisation Or les règlements et principes contenus dans la brochure sont loin d’être respectés par nos paroisses. 15

Faire respecter le règlement et réorganiser le comité supérieur afin qu’il soit plus représentatif des paroisses sont les objectifs de la réunion. Ce nouveau comité supérieur est censé inspirer « plus de confiance aux divers comités paroissiaux tout en attirant la sympathie des autres comités directeurs nationaux ». C’est dire à quel point l’autorité du comité supérieur devait être battue en brèche par les paroisses béninoises et méprisée par les autres pays. Oshoffa insiste sur la nécessité absolue de respecter la hiérarchie et d’éviter les actes individuels et anarchiques au niveau des paroisses. Donnant des indications sur l’usage qui devait être fait après sa mort de divers terrains qu’il possédait à Porto-Novo, dont l’un doit devenir “terre Sainte”, le Révérend, se montrant fort peu prophète, s’exclame : Point de peur du lendemain : tout est prévu en ce qui concerne l’avenir du Christianisme Céleste, aucune inquiétude donc après ma mort ! […] De toute façon la paix et le bonheur régneront éternellement sur le Dahomey : il n’y aura jamais de calamités, jamais de désastres au Dahomey, car ce sera désormais une terre sainte, un pays de pèlerinage pour tous continents. 16

Le pasteur rappelle que, au Nigeria, un tiers de toutes les cotisations réunies par chaque paroisse lui est envoyé, ce tiers servant à rétribuer le pasteur, les proches qui l’aident et ceux qui sont envoyés dans les paroisses. il rappelle qu’au Nigeria tous les responsables de paroisses sont susceptibles d’être mutés, et de ce fait ne peuvent pas considérer les paroisses comme leur chose. Le pasteur insiste pour que la même organisation soit adoptée au bénin, malgré l’échec d’une première tentative. un des participants évoque l’enquête que les pouvoirs publics mènent au niveau de chaque paroisse, non pour s’inquiéter de cette ingérence mais pour fustiger les devanciers qui établissent des paroisses sur des terrains privés. Le pasteur répète que la création de paroisses sur des parcelles privées est dorénavant absolument prohibée et que, les paroisses proliférant à Cotonou, toute nouvelle création y est interdite jusqu’à nouvel ordre. Et il ajoute : le temps d’ailleurs approche où nous mettrons l’organisation matérielle de notre église sous l’autorité de l’état qui nous aidera désormais à faire respecter strictement la réglementation en vigueur dans la matière.

On ne peut guère se montrer plus aveugle sur l’évolution de la politique du gouvernement marxiste… Néanmoins le secrétaire de séance se réjouit du bon déroulement de la réunion, il constate que « le Révérend Pasteur s’y était conduit en véritable Prophète par des interventions émaillées de paroles prophétiques souvent émouvantes et pathétiques dans leur révélation » et conclut en souhaitant que l’église du Christianisme Céleste puisse apporter « son grain de sable » à « la parfaite réussite de cette Société Socialiste où il fera bon vivre ! » huit mois après cette réunion, le Dahomey devient la République Populaire du bénin, le régime continue à se durcir et brise les tentatives de grève par la violence. En 1976, le pays connaît une période de sécheresse alarmante, les adeptes des

15. Procès-verbal de la réunion du comité directeur supérieur du 15 février 1975, p. 2. 16. Ibid, p. 4.

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Chapitre iii vodun, considérés comme des sorciers, sont accusés de retenir la pluie. Les arrestations et les dénonciations se multiplient. La répression s’étend à d’autres communautés, les témoins de Jéhovah sont interdits. C’est dans ce climat qu’Oshoffa est convoqué en janvier 1976 au ministère de l’intérieur. À la sortie de son interrogatoire, il prend la route du Nigeria et ne reviendra plus au bénin 17. Officiellement, il est parti en tournée d’évangélisation et a laissé l’église béninoise sous la responsabilité spirituelle de benoît Agbaossi. Pour éviter que les relations entre le gouvernement et l’église ne deviennent encore plus difficiles, un devancier, toussaint Kiki, conseille au pasteur de nommer Lucien tiamou, un militaire récemment converti au Christianisme Céleste, comme représentant de l’église auprès des autorités. Lucien tiamou était alors aide de camp du président Kérékou et, comme ce dernier, natif du Nord. il est nommé le 25 janvier 1981, quelques mois plus tard, début août 1981, Oshoffa lui adresse des conseils. il lui écrit : Le bénin est faux. il trompe des gens. il faut faire beaucoup d’attention […] J’ajoute encore qu’ils sont faux les béninois. Je te demande de les surveiller afin que notre église ne soit pas politisée, car la politique est à part et la religion est à part […] Notre église est beaucoup plus surveillée par les autres églises que par les autorités. C’est à ce but que nous devons faire attention. Ce sont ces églises qui donnent de faux renseignements aux autorités contre notre église parce qu’elle est puissante 18.

La nomination de tiamou ne servira pas à empêcher l’interdiction du Christianisme Céleste, le 12 août 1981. On reproche aux Célestes d’émousser « la sensibilisation et la prise de conscience effectives des militants pour les tâches de production et de construction nationale », de prêcher « leur religion dans tous les villages et quartiers de la ville », « la prolifération des constructions d’églises et autres lieux de culte » 19. De nombreux actes de vandalisme marquent l’exécution de la mesure d’interdiction diffusée par la radio. Certains temples sont mis à sac, des autels sont profanés, des menaces sont adressées à certains responsables religieux et les maisons de certains sont pillées. malgré l’interdiction, les Célestes continuent à se rassembler dans les maisons privées, un dignitaire nous dit qu’à cette époque « la maison de chaque fidèle était devenue une chapelle ». De nombreuses interventions tentent de faire lever l’interdiction, elles restent sans effet jusqu’en mai 1983. À cette date, l’église est autorisée à reprendre ses activités mais certaines limites lui sont imposées. Le nombre de paroisses est réduit et limité à huit à Cotonou, les jours et horaires des cultes sont dûment fixés, les paroisses ne doivent plus héberger de malades et les soins qui leur sont apportés doivent être soumis à une autorisation médicale. il est interdit de porter les robes de prière dans la rue, l’affichage public comme les processions et rassemblements extérieurs doivent être soumis à l’autorisation des autorités locales.

17. Le bruit a couru et court toujours, surtout au Nigeria, que si le pasteur était resté au bénin, il aurait été emprisonné. D’autres prétendent, au contraire, que Kérékou avait beaucoup d’estime pour le pasteur. 18. Lettre de S. b. J. Oshoffa du 4 août 1981. 19. Cité d’après la Lettre des responsables nationaux de l’église au camarade ministre de l’intérieur et de la Sécurité Publique du 27 août 1981.

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Histoire de l’Église du Christianisme Céleste et de son organisation vi. L’expansion au Nigeria Au Nigeria, sans qu’il soit procédé à des efforts raisonnés d’évangélisation, par le biais de la mobilité des fidèles (souvent des fonctionnaires mutés), l’église sort de la région yoruba et se répand dans tout le pays. Avec le soutien d’Ajanlekoko et de bada, Oshoffa continue d’organiser l’église et fait mettre en chantier une Constitution qui sera publiée le 29 mars 1980. Dans ce texte, la paroisse de Ketu (quartier de Lagos où le pasteur a une maison) est déclarée “siège international”, et celle de makoko, “siège du diocèse nigérian”, tandis que Porto-Novo est déclaré “siège suprême”. Alors qu’avant l’interdiction au bénin, Oshoffa s’efforçait de garder l’équilibre entre les branches béninoise et nigériane de l’église, il devient clair que la balance penche maintenant en faveur du Nigeria. Le titre de “siège suprême” donné à Porto-Novo paraît surtout honorifique puisque Oshoffa dirige tout depuis Ketu et que rien n’explique dans ce texte de quel pouvoir spécifique disposerait Porto-Novo. La Constitution reconnaît la supériorité et la nature incontestable de l’autorité d’Oshoffa mais aussi celle des futurs pasteurs qui lui succéderont, elle spécifie en son article 108 : Le Pasteur, en tant que l’ultime chef spirituel de l’église du Christianisme Céleste dans le monde est seul investi de l’autorité ultime et absolue sur tous les sujets concernant la vie de l’église que ce soit en matière de planification, d’organisation, de définition et propagation de la doctrine, d’éducation et de discipline, nonobstant les dispositions de cette Constitution.

L’organisation est conçue ainsi : dans chaque paroisse, il y a un représentant du pasteur, le chargé paroissial, nommé par le pasteur. un comité paroissial élu par les fidèles de la paroisse est responsable de l’administration quotidienne, il est dirigé par un président. Pour ce qui ne relève pas de sa compétence, le comité paroissial en réfère à un comité général composé du pasteur, du chef de diocèse et de son adjoint, des membres du conseil d’administration (board of trustee) et de tous les évangélistes du diocèse. Les membres du conseil d’administration sont nommés par le Pasteur. En 1980, les administrateurs sont les suivants (article 145) : 1 – Le Révérend Prophète Pasteur Fondateur S.b.J. Oshoffa (Président), 2 – Suprême évangéliste A. A. bada, 3 – Supérieur Senior évangéliste S. O. Ajanlekoko, 4 – vénérable Senior Leader O. A. Adefeso, 5 – vénérable Senior Leader J. K. Owodunni, 6 – vénérable Senior Leader O. O. Ogunlesi, 7 – vénérable Senior Leader S. O. banjo. Cette hiérarchie est si importante que le dernier article de la Constitution (article 200) y revient. il stipule que, bien que les quatre derniers membres ne travaillent pas à plein-temps pour l’église (parce qu’ils ont une activité professionnelle), ils sont depuis longtemps élevés au grade d’évangéliste et sont en cela supérieurs à tous les membres qui auraient été oints assistants évangélistes ou évangélistes pendant la période d’onction 1979-1980. Lors des cultes, les fidèles entrent dans le temple ou en sortent suivant l’ordre hiérarchique, le plus gradé entrant et sortant le dernier. L’article 200 souligne que ces quatre membres du conseil d’administration s’aligneront derrière tous les assistants évangélistes et évangélistes mais 83

Chapitre iii qu’ils seront placés devant ceux qui, lors de cette période, ont été promus senior évangélistes. Le conseil d’administration, le trustee (comme il est nommé d’habitude même par les francophones) a, comme son nom l’indique, un rôle administratif, il est le « gardien de toute propriété foncière », de « tout bien, mobilier ou immobilier », il représente l’église dans ses relations avec l’état et les autres communautés religieuses. Le Conseil pastoral constitue la plus puissante instance de décision. il est composé du pasteur, du chef de diocèse et de son adjoint, des membres du trustee et de tout membre non permanent que le pasteur peut périodiquement demander au conseil de coopter. Le Conseil pastoral a le pouvoir de décider en dernier ressort sur tous les sujets de l’église relatifs au diocèse, entre autres le maintien de la discipline ou l’interprétation de la doctrine. La Constitution reste ambiguë sur la définition d’un diocèse. L’article 107 dit : Diocèse : Se réfère à toute l’église à l’intérieur du Nigeria, avec son siège national […] il comprend aussi, pour le moment, les paroisses se trouvant à l’extérieur du Nigeria (par exemple celles des états-unis d’Amérique, du Royaume-uni, en Europe occidentale, etc.) qui sont administrées du Nigeria.

On peut se demander si, dans l’esprit d’Oshoffa, cette Constitution était censée s’appliquer au seul Nigeria ou à l’ensemble de l’église (qu’il administrait depuis le Nigeria), en quel cas son application rendait nulle l’ancienne organisation prévue par Lumière. il faut noter qu’Oshoffa n’a jamais nommé de chef de diocèse mais des “responsables” ; on peut penser qu’en agissant ainsi il repoussait le moment d’expliciter le statut de l’église béninoise et de Porto-Novo, simple diocèse ou siège suprême. Entre 1976 et 1982, le pèlerinage à la plage de Sèmè, près de Porto-Novo, au cours duquel avaient lieu les onctions, est supprimé et Oshoffa donne l’onction à Ketu (Nigeria). Les années suivantes, alors même que l’église béninoise est à nouveau officiellement autorisée, il organise le pèlerinage à imeko (état d’Ogun, Nigeria), village natal de sa mère, où il a décidé de créer une “cité céleste”, il y posera la première pierre d’une immense cathédrale en 1983. En octobre 1982, il envoie à Phillip Ajose, Nigérian de badagry, qui depuis 1980 le représentait auprès des paroisses d’outre-mer (Europe, états-unis et Canada), une lettre l’informant qu’il le nomme supérieur évangéliste et qu’il fait partie de la “haute instance” qui dirige l’église dans le monde. il souligne qu’ils sont trois placés juste au-dessus de lui par ordre d’ancienneté : le suprême évangéliste bada, le supérieur évangéliste Agbaossi, le supérieur évangéliste Ajanlekoko. Pour assurer la réorganisation de l’église béninoise, le 30 juin 1984, Oshoffa confirme et nomme quatre responsables nationaux : le supérieur évangéliste benoît Agbaossi est confirmé comme responsable spirituel, le senior évangéliste Lucien tiamou comme représentant de l’église auprès des autorités politiques du bénin, l’honorable assistant évangéliste Paul Gonçalves est nommé secrétaire national et l’honorable assistant évangéliste théophile Govi est nommé secrétaire national adjoint. L’histoire ne retiendra pas le dernier de cette liste. quant aux trois premiers, plus souvent désignés comme “les trois nationaux” ou “le conseil des trois”, ils vont former un attelage mal assorti et conflictuel qui mènera l’église béninoise à la scission. benoît Agbaossi est né en 1931 à Porto-Novo. il a fréquenté l’école jusqu’au certificat d’études primaires, puis a exercé le métier de blanchisseur. il vivait avec 84

Histoire de l’Église du Christianisme Céleste et de son organisation ses frères, dans un logis en location dans la même maison qu’Oshoffa, et quelques mois après il les suivit dans leur conversion à la nouvelle religion créée par leur voisin. il a reçu le baptême à seize ans et, à l’âge de trente ans, il s’est consacré totalement à l’église. En 1964, malgré son jeune âge, Oshoffa le choisit pour succéder à hounvenou comme chargé paroissial de la paroisse mère de Porto-Novo. C’est un homme simple, dévoué, effacé, prudent et méfiant. Faible et influençable, fuyant l’affrontement avec l’adversaire, son manque d’instruction, de fermeté et d’autorité en fait facilement le jouet de son entourage. Lucien tiamou est né en 1929, à boukoumbé, près de Natitingou. il est élevé dans la religion catholique et devient catéchiste. il est recruté dans l’armée et est affecté successivement au Niger, au Sénégal et en France. il est chef de brigade à malanville quand il est affecté en 1972 au poste d’aide de camp à la Présidence. il n’est entré dans l’église qu’en 1974 mais y a été rapidement promu en fonction des avantages que laissait supposer sa proximité avec le président Kérékou. C’est un homme ambitieux, faible et changeant. Paul Gonçalves est né en 1933 à Allada, dans une famille catholique. il fait des études brillantes, entre à l’ENA (France) et, à son retour au pays, devient inspecteur général des impôts. Plus tard, il exercera comme chargé de cours à l’université. Dans sa carrière civile, il gagne une inaltérable réputation d’intégrité. C’est un homme d’appareil qui se fait une haute idée de l’état et qui ne s’est pas laissé gagner par la tentation politique. Ce n’est que quand il entre dans l’église en 1969, qu’il trouve une structure où déployer son ambition. Grâce à sa position sociale et à ses capacités intellectuelles, il monte rapidement en grade. Pour avoir voulu imposer la dîme alors que cette pratique n’avait pas été révélée au fondateur, il sera pendant une période en disgrâce auprès du pasteur. Connu pour son sens de l’intrigue, sa vanité, son habitude d’agir dans l’ombre, c’est un personnage très controversé de l’église. L’ivoirien A.-h. Emmanueli le décrit ainsi avec un certain bonheur de langue : avec l’habileté d’un tourneur de film, le devancier Gonçalves est capable de placer une tête de singe à un corps de cheval et le monter avec aisance. C’est ainsi qu’il sait constituer des documents tous azimuts habilement agencés pour soutenir des thèses bien préméditées par lui. […] il est maintenant un expert dans l’art de diviser pour régner 20.

vii. Les troubles de la succession Dans les premiers jours de l’église, alors qu’Oshoffa et quelques proches priaient dans sa maison, ils avaient été rejoints par marie Zevounou qui, en extase, déclara : Ce jour est un jour sacré, dit l’éternel, je vous montrerai tout à l’heure un signe. Priez toujours et fixez vos regards sur la bougie allumée.

ils virent alors une fourmi qui tournait autour de la bougie, puis sauta dans la flamme et mourut. une autre survint, tourna longtemps autour de la bougie puis comme la première sauta dans la flamme. marie Zevounou fournit alors cette explication :

20. A. h. emmanueli, op. cit., p. 52.

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Chapitre iii C’est de cette manière que votre Pasteur Samuel Oschoffa finira sa course, un autre pasteur va lui succéder, finira de la même manière et ainsi de suite jusqu’à la fin des temps 21.

En réalité, rien n’allait être aussi simple et la mort soudaine d’Oshoffa, le 10 septembre 1985, allait ouvrir une crise qui n’est pas encore résolue à ce jour. Lumière ne fait qu’une allusion discrète mais claire à la succession du pasteur : « son remplaçant sera désigné au moment opportun par lui-même selon la puissance du Saint-Esprit » 22, déclaration qui va dans le même sens que l’article 111 de la Constitution : Le successeur au poste de Pasteur et Chef spirituel de l’église peut être de n’importe quel rang dans la hiérarchie de l’église et devra, au moment choisi par Dieu pour le révéler à celui qui occupera alors le poste de Pasteur, être nommé et proclamé comme successeur.

À plusieurs reprises, en des circonstances diverses, Oshoffa avait répété que son successeur pouvait être de n’importe quel rang hiérarchique, et qu’il le désignerait sous l’inspiration du Saint-Esprit 23. qu’il soit mort sans l’avoir fait rendait l’article de la Constitution inapplicable, dès lors comment lui désigner un successeur ? Pour beaucoup de Célestes au Nigeria et dans le monde, dans une communauté très attachée à la hiérarchie, il paraissait normal que Alexander Abiodun bada soit désigné, sinon comme le nouveau pasteur au moins comme le nouveau chef. bada était le plus gradé, le seul suprême évangéliste, le plus proche compagnon d’Oshoffa, celui qu’il envoyait en mission officielle à l’étranger quand il ne voulait pas se déplacer. Alors que le corps d’Oshoffa se trouvait à la morgue et que tous s’activaient à la préparation de l’enterrement prévu le 19 octobre 1985, un homme du nom d’Amu, qui n’était pas membre du Christianisme Céleste, se fit connaître et raconta qu’il marchait en brousse, quand il avait vu Oshoffa dans un buisson. Ce dernier lui avait demandé de faire savoir à toute l’église que bada était le successeur qu’il avait choisi. L’apparition d’Oshoffa lui avait également remis des objets : une croix en bois, trois cauris et une bougie. Cette déclaration fut dans l’ensemble bien accueillie des devanciers qui se trouvaient au Nigeria et quand bada jura sur une bible qu’il n’avait jamais entendu parler de cet homme avant sa déclaration, il fut clair pour la majorité et en particulier pour le Trustee, que bada était bien le nouveau Pasteur. Les béninois, qui depuis longtemps se sentaient floués par les Nigérians, les accusant entre autres d’empêcher le retour du pasteur au bénin, faisaient partie de ceux qui n’étaient pas convaincus par cette apparition, et avant même que la question de la succession soit officiellement posée, ils engagèrent les hostilités en récla-

21. Lumière (1972), p. 18. 22. Ibid, p. 58. 23. À l’inverse, beaucoup de Célestes, qui ont été proches du pasteur, soutiennent qu’il affirmait que son successeur n’était pas de ses proches et que le Saint-Esprit le désignerait sans contestation possible. C’est également ce qu’il dit lors de l’interview à la télévision nigériane que nous avons citée précédemment. Le journaliste lui demande s’il a fait un testament ou choisi son successeur. Oshoffa répond : « vous savez, il y a plusieurs personnes autour de moi, ce n’est pas nécessairement celui qui est proche de moi qui me succédera. C’est l’Esprit de Dieu qui révélera mon successeur, peut-être une personne qui a intégré l’église il y a neuf ans, il y a 6 ans ou 5 ans ou 20 ans. Puisque c’est l’Esprit de Dieu qui a fait venir l’église, de la même manière c’est l’Esprit de Dieu qui choisira mon successeur ».

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Histoire de l’Église du Christianisme Céleste et de son organisation mant la dépouille d’Oshoffa pour l’enterrer à Porto-Novo, ville natale du pasteur. bien qu’ils soient allés ainsi totalement à l’encontre des souhaits d’Oshoffa, ils réussirent à intéresser à leur problème le gouvernement béninois qui dépêcha une délégation à Lagos. À l’issue de pourparlers qui durèrent onze heures, la délégation béninoise échoua et dut se retirer. L’église béninoise boycotta les funérailles et le bruit courut pendant l’enterrement que des béninois risquaient de chercher à enlever le cercueil. un détachement de forces policières suivit la cérémonie, prêt à intervenir au moindre désordre. Au pèlerinage de Noël 1985, à imeko, Ajanlekoko présente bada comme le nouveau pasteur. bada est acclamé par la foule des fidèles, ce qui lui confirme qu’il sera bien accepté comme le successeur d’Oshoffa et il commence à agir comme tel, bien qu’il fût entendu qu’il ne serait officiellement intronisé qu’en 1987. En 1967, Dieu avait accordé vingt ans supplémentaires à Oshoffa pour accomplir sa mission, nul ne pouvait donc prendre sa place avant que ce délai soit écoulé. Le 8 février 1986, bada envoie une lettre circulaire à tous les diocèses, les informant du nouvel organigramme mondial de l’église : 1 – La personne choisie par Dieu à travers le Révérend Prophète Pasteur Fondateur comme successeur du Révérend Oshoffa, comme Pasteur et berger de l’église dans le monde est le Révérend Alexander Abiodun bada. 2 – La personne qui vient en second après le Révérend bada est : le Supérieur évangéliste benoît Agbaossi qui est aussi chef du diocèse du bénin, 3 – la troisième personne est : le Supérieur évangéliste, Samuel Olatunji Ajanlekoko qui est aussi Chef du diocèse de la République fédérale du Nigeria… Sont nommés de la même manière et dans cet ordre : Philippe hunsu Ajose, chef du diocèse d’Outre-mer (Amérique et Europe) ; Godwill Abiassi, secrétaire du siège international de Ketu, blien Jacob Ediemu, chef du diocèse de Côte-d’ivoire, Kayin, chef du diocèse du Ghana.

La lettre est signée : « Révérend A. A. bada, Pasteur de l’église du Christianisme Céleste dans le monde entier ». Le 25 juillet 1986, bada convoque à Abidjan un congrès mondial auquel l’église béninoise refuse de se rendre. Le congrès se tient à l’hôtel ivoire, Ediemou fait acclamer bada par les fidèles comme le nouveau pasteur. La coupe est pleine pour l’église béninoise qui réagit, le 31 juillet 1986, par une lettre ouverte adressée au “suprim” bada. Les “trois nationaux” lui reprochent de s’être unilatéralement proclamé pasteur et d’avoir, sans consulter les béninois, organisé le pèlerinage de Noël 1985 à imeko (et non à Sèmè) et un congrès mondial à Abidjan. tout en reconnaissant que bada en tant que suprême était le mieux placé pour prendre la direction d’une équipe qui aurait liquidé les affaires courantes de l’église, les scripteurs stigmatisent la précipitation de bada, la duplicité d’Ediemou, le choix d’un hôtel pour tenir un rassemblement religieux. ils l’accusent d’être l’instigateur du scénario monté par Amu et lui récusent tout caractère de révélation divine. ils rappellent que Amu avait annoncé que, le 17 décembre 1985, le pasteur Oshoffa apparaîtrait en personne au public pour parler de vive voix mais que le jour du rendez-vous, au lieu fixé, la foule avait vainement attendu, preuve qu’on ne pouvait croire cet individu « plein d’imaginations galopantes ». Enfin ils incitent bada à « se revêtir d’humilité » pour comprendre la nécessité de se dépouiller du titre de pasteur dont il est « incontestablement usurpateur » et l’informent qu’à cette 87

Chapitre iii condition, soucieux « de la nécessaire unité de l’église dans le monde entier », ils sont prêts à le rencontrer pour « de concert continuer l’œuvre gigantesque entreprise par le Regretté Pasteur Prophète Oshoffa ». Courant octobre 1986, Josiah Kayode Owodunni, qui allait être l’instigateur d’un autre mouvement contestant la légitimité de bada (voir infra), fait diffuser le message reçu par une visionnaire de sa paroisse. Cette visionnaire dit qu’elle a été conduite en esprit en un lieu d’une grande beauté où se trouvaient des anges. Là, elle a vu Oshoffa que les anges appelaient “Papa”, une voix lui a dit qu’elle allait être possédée par l’Esprit pendant sept jours. Au cours des sept jours suivants qu’elle passe à sa paroisse, elle délivre, devant toute l’assemblée, le message que lui dicte une voix disant que bada n’est pas l’élu, qu’il n’est pas celui qui doit diriger l’église, qu’il le sait car trois fois le pasteur fondateur lui est apparu et le lui a dit. trois ans auparavant celui qui doit devenir pasteur a été choisi, il est en sécurité dans une paroisse jusqu’à ce que sa complète transformation spirituelle soit accomplie. Enfin la voix, dit la visionnaire, commande à tous les Célestes de refuser que bada pose sa main sur leur tête pour l’onction. La visionnaire, accompagnée de quelques anciens de sa paroisse, se rend à la convocation que lui a adressée bada, ils sont reçus par un groupe de membres du Trustee. bada lui demande d’accepter de passer un test afin d’établir la véracité du message et le fait qu’elle n’est pas sous influence satanique. il lui dit d’invoquer le Saint-Esprit et de lui dire ensuite ce qui se trouve dans un plat couvert qu’il a placé devant lui. La visionnaire répète le message qu’elle a déjà délivré sur sa paroisse et comme bada insiste pour qu’elle dise ce qui se trouve dans le plat, elle lui répond de ne pas mettre Dieu à l’épreuve. Comme il persiste dans sa demande, elle dit : « Je vois quatre anges venus des quatre coins du monde et portant le plat, plus près, de plus en plus près, et maintenant ils enlèvent le couvercle et me montrent ce qu’il y a là : des clefs ». bada confirme que ce sont bien des clefs qu’il a placées dans le plat et les soulève afin que tous les voient. « Alléluia » crient tous les présents. « que la volonté de Dieu soit faite » conclut bada en raccompagnant ses hôtes. Est-ce à la suite de cette vision venant peu de temps après la lettre des “trois nationaux” béninois que bada accepte d’aller au bénin pour rencontrer une délégation béninoise ? quoi qu’il en soit, au cours d’une réunion organisée à la plage de Sèmè, le 15 novembre 1986, à laquelle assiste également en tant qu’observatrice une délégation ivoirienne, bada accepte de renoncer au titre de pasteur. une nouvelle rencontre est prévue à Ketu pour la semaine suivante afin de régler divers problèmes d’organisation. Lors de cette réunion, le 21 novembre 1986, bada fait savoir que pour la sauvegarde de l’unité de l’église il a annoncé publiquement au Nigeria qu’il renonçait au titre de pasteur et était revenu à son titre de suprême, il rappelle que, lors des cérémonies de la Noël 1984, Oshoffa avait proclamé devant tous les fidèles qu’il n’était pas seulement suprême du Nigeria mais des Célestes du monde entier et avait présenté les supérieurs Agbaossi et Ajanlekoko comme ses adjoints. il revient également sur la lettre qu’Oshoffa avait envoyée à Ajose portant rappel des dignitaires qui, avec le pasteur fondateur, constituaient « la plus haute instance de l’église ». Puis il donne lecture de la composition d’un comité mondial, créé dans la continuité de cette “haute instance”, dont il est président et qui intègre divers membres du Trustee mais également plusieurs dignitaires béninois et ivoiriens et reste ouvert à d’autres membres venus de tous les diocèses. Différents problèmes viennent à l’ordre du jour dont l’organisation du pèlerinage 88

Histoire de l’Église du Christianisme Céleste et de son organisation de Noël 1986 : la date étant trop tardive pour changer les dispositions prévues, le pèlerinage aura lieu à Sèmè et à imeko ; mais bada annonce qu’à partir de l’année suivante le pèlerinage se tiendra uniquement à Sèmè, « le bénin étant et demeurant le berceau et le Siège mondial du Christianisme Céleste ». Le 8 décembre 1986 se tient une autre réunion, à Ketu, où les mêmes assistants établissent un calendrier officiel des fêtes célestes internationales. Si le bénin obtient le pèlerinage de Noël, l’anniversaire de la naissance de l’église (29-9), l’anniversaire de l’enterrement du pasteur (19-10), le lavement des pieds (samedi des Rameaux) restent organisés au Nigeria. Enfin, il est prévu d’organiser une nouvelle réunion en janvier 1987 pour régler les querelles intestines qui divisent l’église ivoirienne. Dans le compte rendu de ces réunions, les secrétaires de séance se félicitent : le succès de ces trois réunions marque « la victoire de la lumière sur les ténèbres ». « Puisse l’exemple peu commun d’humilité et de sagesse spirituelle donné par le Suprim bada servir de sujet de méditation quotidienne à tous les Chrétiens Célestes ! » Ces comptes rendus triomphalistes ne doivent pas occulter le fait que de nombreux problèmes demeurent. bien qu’il soit président du Comité mondial et chef de l’église, bada ne dirige vraiment que l’église nigériane et ses extensions anglophones, la partie francophone déjà déchirée par des dissensions internes au bénin comme en Côte-d’ivoire l’utilise et manipule son ignorance du terrain, comme le montre l’affaire de la destitution de Ediémou blin Jacob. Le 24 janvier 1987, à Porto-Novo, se tient une réunion à laquelle n’assiste pas bada mais qui regroupe presque tous les membres du comité mondial et les responsables de l’église ivoirienne, sauf le principal intéressé, le chef de diocèse Ediémou. Ce dernier est déclaré responsable de tous les troubles qui agitent l’église ivoirienne, il est exclu du comité mondial, déchu de son titre de chef de diocèse, dépouillé de tous ses grades spirituels et réduit au rang de simple fidèle baptisé. Dans une interview accordée au journal La Dernière Barque (n° 4, 1994), bada raconte cette affaire comme suit : En 1987, Porto-Novo nous a informés qu’Ediemou sème le scandale en Côted’ivoire, qu’il est non seulement coupable d’adultère mais auteur de plusieurs cas d’avortements. Nous avons alors confié le règlement de ce problème à une commission composée d’une délégation du Nigeria et d’une délégation du bénin que présidait le Supérieur Agbaossi. ils y sont allés et m’ont amené le rapport qui disait qu’Ediemou ne leur a pas accordé la moindre attention. ils ont décidé de rétrograder Ediemou au rang de simple fidèle. Le document signé par le Supérieur Agbaossi m’était envoyé et je l’ai visé. À la suite de la décision, Ediemou était allé me voir pour me supplier, je lui avais répondu que je n’en étais pour rien et qu’il ferait mieux d’aller voir Agbaossi à Porto-Novo. Je faisais tout ceci dans le but de maintenir l’entente et l’unité de l’église or c’était du faux qu’on traitait avec moi. Peu après, Agbaossi se fit ami avec Ediemou et le prit sous son couvert. Pour ce qui est de cette messe de requiem pour Papa Oshoffa 24, Agbaossi m’a dit qu’il ne pourra pas assister à cette messe parce que Ediemou y sera et qu’il pourrait se servir des photos prises à l’occasion pour discréditer Porto-Novo et montrer aux siens la légèreté de la sanction qui le frappait. Lorsque nous avons appris cela, nous nous sommes dit ici qu’en allant à ijesha-tedo chez Owodunni nous serions en porte-à-faux vis-à-vis de

24. Owodunni organise sur sa paroisse une messe de requiem pour Oshoffa.

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Chapitre iii Porto-Novo. En réalité Porto-Novo était allé à cette messe avec sa chorale. J’appris alors qu’à cette messe, Porto-Novo représenté par Agbaossi a été bien présent avec Ediemou, et seul moi n’avais pas répondu à l’appel de Owodunni et étais pris pour l’ennemi de ce dernier.

En février 1987, bada vient à Porto-Novo et donne l’onction sur la “terre Sainte” à ceux qui ne se sont pas rendus à imeko au pèlerinage de Noël, Agbaossi lui tient la coupe d’huile. Au moins en apparence, il semble qu’un équilibre ait été trouvé. Néanmoins, ceux qui pensent que le problème de la division est essentiellement une question d’argent expliquent que c’est à cette époque que la situation s’est définitivement dégradée, certains béninois auraient été sidérés par la masse d’argent qu’ils avaient vu manipuler à imeko lors du sacrement de l’onction et n’auraient pu se résoudre à laisser échapper cette manne, tandis que d’autres se seraient “vendus” à bada en échange d’un grade supérieur à celui qui aurait normalement dû leur échoir (Gonçalves et Soglo ont sauté un grade en passant d’assistant évangéliste à senior évangéliste). viii. La conspiration de Ketu Le 5 septembre 1987 a lieu à Ketu une réunion à laquelle assistent les membres du comité mondial, de nombreux dignitaires béninois et une forte délégation venue de Côte-d’ivoire car la séance est en partie prévue pour régler les problèmes ivoiriens. À l’ordre du jour, figurent également les dispositions à prendre pour l’intronisation de bada comme chef de l’église, la célébration du quarantième anniversaire de l’église et d’autres questions mineures. Le problème ivoirien est traité en premier lieu et se résout par la formation d’une nouvelle commission chargée de remettre de l’ordre dans ce diocèse. La seconde partie débute par ce que le procès-verbal de la réunion appelle « une innovation dans la hiérarchie des grands dignitaires de l’église » faite par le diocèse du bénin. Jean-Louis Soglo prend la parole pour rappeler qu’à la dernière rencontre des membres du comité mondial, il était entendu que le problème de nomination d’un Pasteur était qu’affaire du Siège mondial de l’église du Christianisme Céleste. il affirme qu’après concertation et conseil des Anciens, notre vénéré Devancier, le Suprim Alexander bada, nous apparaît comme le Devancier incontestable que nous pouvons porter au grade de Pasteur. Nous proposons ensuite Sèmè-plage au bénin, lieu saint, lieu historique pour servir de cadre aux cérémonies d’intronisation au lieu d’imeko proposé par le Nigeria.

Soglo passe ensuite la parole à Paul Gonçalves qui va expliquer « les raisons profondes de la volonté actuelle des dirigeants du bénin d’avoir un pasteur à la tête de l’église ». La première raison évoquée est que l’appellation de “suprême” n’est pas universellement connue, ce qui serait gênant dans la correspondance avec le monde extérieur. Les appellations plus courantes sont “Pape”, “Pope”, “Pontife”, “Khalife”, “Pasteur”. Deuxièmement, l’organisation de la cérémonie d’intronisation à Sèmè permettra de mieux faire connaître le chef de l’église aux autorités politiques et administratives du bénin. Enfin bada, en acceptant de se dépouiller du titre qu’une partie de l’église lui reconnaissait, a montré son humilité, il a prouvé qu’il était “un véritable homme de Dieu”. La proposition est acceptée et soutenue par les représentants de la Côte-d’ivoire, du togo, du Ghana et bien sûr du Nigeria. Adefesso, porte-parole du Nigeria, déclare que ce moment 90

Histoire de l’Église du Christianisme Céleste et de son organisation est « le plus pathétique de l’existence de l’église ». Le chef de diocèse du Ghana n’ayant pu venir, son message de soutien est lu par un béninois, bernard Zonon, ce qui montre bien que toute l’affaire était soigneusement organisée à l’avance. il faut bien comprendre qu’il ne s’agit pas d’une question de mot comme Gonçalves, souvent mieux inspiré dans ses argumentations, essaie de le faire croire avec ses “pontife’’ et ‘‘khalife”. bada intronisé comme suprême n’aurait été que le chef de l’église, l’introniser pasteur, c’est reconnaître qu’il est bien celui que désigne le Saint-Esprit, celui qu’avait choisi Oshoffa et qu’il en reprend le charisme. La suite des événements va montrer que le reste de la délégation béninoise, et particulièrement tiamou et Agbaossi, n’était en rien d’accord avec cette proposition et que la situation du 5 septembre 1987 résulte d’un de ces montages dont Gonçalves est coutumier. il est difficile de comprendre ce qui l’a fait changer à ce point d’avis depuis la lettre des “trois nationaux” de 1986 dont il est le principal auteur, il faut seulement remarquer que lorsque Gonçalves décide de son seul chef qu’une chose est bonne pour l’église, il l’impose par manigances et coups de force sans s’inquiéter des réactions qu’auront les personnes qu’il réussit momentanément à manipuler. L’histoire de l’église qui, depuis ce moment, est devenue l’histoire de la recherche de « l’unité de l’église », est jalonnée de ces « victoires sur les ténèbres de la division » mitonnées par Gonçalves qui toujours retombent comme des soufflés mal cuits. même bada, pourtant le grand bénéficiaire de l’opération, constatera : « les multiples rencontres que nous avions eues jusque-là avec la délégation béninoise étaient basées sur de la tromperie » 25. un des dignitaires les plus modérés de la branche béninoise suggère que Gonçalves a agi ainsi parce que le bruit courait que les Nigérians introniseraient bada à imeko comme pasteur et non comme suprême. Gonçalves aurait insinué que si les béninois prenaient l’initiative et amenaient les Nigérians sur leur terrain (à Sèmè), ils maîtriseraient la situation et pourraient ensuite surseoir à la cérémonie. Ce sage en tire la conclusion qu’en matière spirituelle, on ne peut pas agir en usant de la ruse et de la tromperie. D’autres pensent que Gonçalves a “vendu” le retour du pèlerinage de Noël à Sèmè contre le titre de pasteur. quoi qu’il en soit, en sous-estimant les réactions des personnes qu’il avait entraînées contre leur gré ou qu’il avait mises devant le fait accompli, en supposant qu’Agbaossi était trop timoré pour réagir, on peut conclure que Gonçalves a bien été l’ouvrier de la division entre les branches béninoise et nigériane qui allait découler de cette décision. Presque deux mois après cet événement et après que Agbaossi, conformément aux décisions du comité mondial, eut dirigé la commission qui était allée en Côted’ivoire, l’église béninoise se réunit à Porto-Novo le 31 octobre 1987. Lucien tiamou prend la parole et proclame dissous le comité des trois nationaux et le comité mondial, il propose qu’Agbaossi soit intronisé pasteur de l’église mondiale à Sèmè pour la Noël. La proclamation qui sera diffusée à la suite de cette réunion est plus modérée. Elle déclare : – Le comité mondial est dissous. Au bénin : – L’institution dite des “trois nationaux” ainsi que toutes les structures administratives que sont l’assemblée consultative et son comité restreint sont dissoutes.

25. interview de bada, La Dernière Barque 4 (1994).

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Chapitre iii – Le supérieur Agbaossi est et demeure le seul responsable de notre église. il choisira ses proches collaborateurs comme bon lui semble. – Le Supérieur Agbaossi est désigné par l’église tout entière par le biais de la paroisse mère comme régent de ladite église. Au Nigeria : Le comité mondial étant dissous, le Suprim bada n’est plus chef mondial de l’église, par conséquent n’est plus habilité à donner l’onction. En Côte-d’ivoire : – Le comité ad hoc mis en place par le comité mondial est dissous. – Le Senior évangéliste Ediemou reste et demeure le chef du diocèse de l’église.

La proclamation est signée par tiamou, elle porte la mention manuscrite « lu et approuvé » suivie de la signature de benoît Agbaossi. La division entre béninois et Nigérians était consommée, elle devenait également interne au bénin puisqu’un petit nombre de paroisses opta pour la fidélité aux engagements pris envers bada et le comité mondial. Gonçalves et sa paroisse de Sikécodji, la paroisse Sainte Cécile dirigée par émile Adjovi, pour citer les plus importantes, optèrent pour la direction nigériane. Par contre, Jean-Louis Soglo, qui avait pourtant joué un grand rôle dans la conspiration de septembre 1987, rejoignit la majorité derrière Agbaossi. bada fut intronisé pasteur à imeko, le 25 décembre 1987. Au Nigeria, bada avait également affaire avec une opposition née de ses propres rangs. Le 2 octobre 1987, Josiah Kayode Owodunni porte plainte devant une cour de Justice pour contester la décision de l’église d’installer bada comme pasteur à la Noël. Débouté de cette plainte, le 14 octobre 1987, il intente un procès devant la haute Cour de justice de Lagos contre bada et le Trustee. Son argumentation appuyée sur l’article 111 de la Constitution déclare que le Trustee n’a aucun pouvoir pour nommer un pasteur, que la nomination de bada est nulle et non avenue ainsi que tous les actes posés par lui depuis le 24 décembre 1985. bada et le Trustee contre-attaquèrent en disant qu’ils étaient les dépositaires des biens de l’église et donc de la paroisse d’Owodunni et portèrent plainte contre lui afin de l’empêcher d’intervenir de quelque manière que ce soit dans les droits dont ils disposaient sur ces biens. Selon ses dires, Owodunni était guidé par l’Esprit Saint car il avait fait un rêve dans lequel on lui demandait de « défendre la Constitution ». Sous le rêveur légaliste ne tarda pas à percer l’ambitieux qui convoitait le poste de pasteur. Owodunni fit bientôt savoir qu’il était le successeur choisi par Oshoffa, il ne demandait pas à être nommé pasteur car il savait que, le moment venu, le Saint-Esprit le révélerait à la face de tous. il appuyait sa prétention sur divers faits. un jour, Oshoffa l’avait fait entrer dans sa chambre et asseoir sur son lit et, après avoir prié, lui aurait dit qu’à partir de ce moment, ils étaient égaux. un autre jour, après une réunion des Trustees, Oshoffa les avait conviés à manger avec lui. ils mangèrent tous dans le même plat et Oshoffa commanda ensuite qu’on apporte de l’eau. il l’offrit en premier à Ajanlekoko (n° 3 dans la hiérarchie) qui refusa et dit que c’était à leur père à tous de boire en premier, Oshoffa lui répondit de le laisser faire selon ses désirs et de boire. Oshoffa but à sa suite et offrit ensuite le récipient à bada (n° 2). il le passa ensuite à Adefeso (n° 4), puis à Ogunlesi (n° 6) et enfin à Owodunni (n° 5) en lui disant de finir l’eau. Owodunni but et Oshoffa s’exclama : « tout a pris fin avec toi.

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Histoire de l’Église du Christianisme Céleste et de son organisation tu es le Joseph 26 ! » Les hommes de loi qui avaient pris conscience du nœud gordien qu’était cette affaire enjoignirent l’église de reprendre la Constitution pour faciliter la succession mais Owodunni s’opposait à tout changement tant qu’un nouveau pasteur n’aurait pas été désigné par l’Esprit, arguant que s’il était l’élu comme il le pensait, la Constitution n’avait besoin d’aucun amendement. Le jugement de la haute Cour tomba le 10 janvier 1992. La nomination de bada comme Pasteur était déclarée inconstitutionnelle, nulle et sans effets. il était interdit à bada de se revêtir des habits et attributs attachés au rang de pasteur de l’église. Owodunni était débouté dans sa prétention de succéder au poste de pasteur, sa demande étant jugée inauthentique et fabriquée après coup. Owodunni ne comptait qu’un nombre restreint de partisans. La décision de la Cour souleva une vague d’indignation. bada reçut un grand nombre de manifestations de soutien venues tant des Célestes du monde entier que de personnalités nigérianes ou de leaders d’autres églises (anglicane et aladura). Les Trustees firent appel et déposèrent également une plainte en préjudice contre l’exécution du jugement. Cette dernière fut acceptée le 7 mai 1992, ce qui permit à bada de poursuivre légalement ses activités en tant que pasteur. Le 2 août 1994, la cour d’appel de Lagos prononça son jugement et décréta que la plainte d’Owodunni était irrecevable, ce dernier n’ayant pas le statut juridique lui permettant de mener une telle action. Les partisans de bada triomphèrent. évidemment insatisfait, Owodunni poursuivit son action auprès de la Cour de Cassation de Lagos, cette dernière ne devait faire connaître sa décision qu’en 2000. Dans tous les diocèses, des tendances internes à la division, qui étaient déjà présentes du vivant d’Oshoffa, furent considérablement accrues par la scission du bénin et par la bataille juridique menée par Owodunni qui mettaient en évidence les faiblesses de l’autorité centrale et posaient la question de sa légitimité. En Côted’ivoire, avant même les événements dont nous avons fait état précédemment, un conflit opposait Ediemou à Antoine Dahouet. Après la création des premières paroisses par les frères Yansunnu et suite à l’expulsion des étrangers en 1958, l’église ivoirienne avait été dirigée par Philibert Sylvaniélo. Oshoffa avait envoyé ensuite son neveu Daniel Gouton, puis maurice Sinkpon pour mettre l’église en bonne voie. Ce dernier, béninois d’origine, bien que naturalisé ivoirien, sera mis sur la touche au moment où naît un mouvement d’ivoirisation des responsables de paroisse. C’est à cette époque que commence la rivalité entre Ediemou et Dahouet. Jacob blin Ediemou est né en 1945 à Grand bassam ; attaché de cabinet au ministère du commerce, il est sauvé d’un destin de sorcier par Oshoffa qui le baptise en 1975. il est très aimé par le pasteur, qui l’instruit de tout ce qui concerne l’église 27 et lui donne une promotion rapide. À la demande d’Oshoffa, il renonce à son activité professionnelle et succède à Philippe Sylvaniélo comme responsable de l’église ivoirienne. il a pour proche collaborateur Louis Zagadou, qui sera secrétaire général, puis vice-président du comité directeur national. La forte personnalité d’Ediemou et sa promotion rapide lui ont suscité beaucoup d’ennemis. Lors des élections à la présidence du comité directeur de l’église en Côte-d’ivoire, les

26. Nous avouons que nous ne comprenons pas cette boutade, est-ce un jeu de mot sur Josuah – le prénom d’Owodunni – et Joseph, l’enfant préféré de son père, dont l’histoire clôture la Genèse ? 27. Oshoffa avait coutume de dire aux ivoiriens : « J’ai tout donné à Ediemou, suivez-le et vous verrez ».

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Chapitre iii fidèles lui préfèrent Dahouet. Après sa destitution par le comité mondial qu’Ediemou attribue à l’action de Gonçalves 28, il fonde avec ses supporters, en mai 1987, l’église Oshoffa, dite église du Christianisme Céleste autonome de Côte-d’ivoire. Elle regroupe « les vrais chrétiens célestes de Côte-d’ivoire qui savent que leur frère Ediemou blin Jacob a effectivement tout reçu du Prophète avant sa mort […] et sont décidés à ne marcher que sur les institutions laissées par Papa Oshoffa ». Après la mort d’Antoine Dahouet, bada le remplacera par Zagadou. Comme Ediemou, Zagadou est entré dans l’église en 1975. Comme Ediemou, il a beaucoup d’accointances avec le milieu politique, commissaire-priseur de profession, il a été vice-président de l’Assemblée nationale. C’est également une personnalité contestée de l’église, on l’accuse de plus aimer l’argent que Dieu et de rançonner les chargés de paroisses. Les Célestes ivoiriens qui suivent la tendance de Porto-Novo ont été successivement dirigés par Denis Agossou, Nicolas moulod et Germain Konan. Cette valse des chefs de diocèse a fait beaucoup pour discréditer Agbaossi et accroître la tendance à la segmentation de l’église ivoirienne. une histoire similaire pourrait être racontée à propos de tous les diocèses où préexistaient des querelles à propos de la direction des paroisses le plus souvent entre les fondateurs immigrés et les nationaux désireux de prendre les rênes ou entre des fondateurs immigrés de différentes nationalités ou entre les nationaux eux-mêmes. Le schisme entre le bénin et le Nigeria est venu offrir une sorte de cadre “officiel” et supranational où couler les divisions locales. Cette insertion rigidifie les conflits qui se réalimentent des nominations faites par l’un ou l’autre chef. tandis que Owodunni et Ediemou, dans leur rejet tant du pasteur nigérian que du régent béninois, et leur prétention à être les seuls vrais fidèles à la pensée d’Oshoffa, offrent une troisième voie aux indécis dans une forme d’indépendance nationale, car il n’y a pas de structure internationale représentant les “Oshoffistes”, comme ils furent dès lors nommés. Les oshoffistes ne distribuent pas l’onction, car ils estiment que la monétarisation de ce sacrement est la principale cause de la crise de l’église. iX. Les tentatives de réconciliation Au bénin, le groupe très minoritaire qui n’avait pas suivi Agbaossi et dont Gonçalves était la tête pensante, commença immédiatement après la scission à agir pour une réunification de l’église en faisant intervenir le pouvoir politique. La lettre que Gonçalves, en tant que secrétaire du comité mondial de l’église, adresse en 1988 au “camarade Président” dénonce tiamou comme auteur d’un « putsch crapuleux » qui isole l’église béninoise. il insinue que les actes de tiamou, qui brandit sans cesse son titre d’aide de camp du Président, pourraient être attribués à une volonté du Président Kérékou, et le supplie d’intervenir en organisant une rencontre des délégations béninoises et nigérianes au ministère de l’intérieur. La rencontre se résume à une convocation des deux factions béninoises, au cours de laquelle le ministre leur recommande de se réconcilier entre eux d’abord et avec le Nigeria ensuite. En 1990, une révélation divine ordonne que se rencontrent les

28. « Dans ce coup bas, Paul Gonçalves était le grand metteur en scène » dit-il dans un entretien avec un journaliste de La Dernière Barque en février 1997.

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Histoire de l’Église du Christianisme Céleste et de son organisation ex-trois nationaux, à l’occasion d’une cérémonie de sortie d’enfant 29. Agbaossi accepte et choisit la paroisse de Godomey mais il ne vient pas au rendez-vous ; néanmoins à cette occasion tiamou et Gonçalves se réconcilient et tiamou se joint au parti du comité mondial 30. Différentes autres tentatives de réconciliation avec Agbaossi connaissent la même issue, Agbaossi accepte de venir et finalement ne se présente pas. De son côté bada, désireux de regagner à sa cause les fidèles béninois, fait également des efforts : en février 1990, il informe Agbaossi qu’une révélation spirituelle commande de tenir un pèlerinage à Agongue (bénin) pendant sept ans, le premier dimanche de mars, et l’invite à y participer. Agbaossi ne répond pas. Début 1991, accédant enfin aux demandes de Gonçalves, Kérékou invite bada à Cotonou. Agbaossi, invité à se joindre à la suite en tant que chef de diocèse du bénin, brille par son absence. Fin 1992, la situation se durcit. vers la Noël, les paroissiens de Zoungbomey dans le quartier d’Akpakpa à Cotonou, qui sont du côté du comité mondial, sont attaqués par des personnes tirant des coups de feu, ils identifieront plus tard leurs agresseurs comme des partisans d’Agbaossi. À la demande d’Agbaossi et de Jean-Louis Soglo, la police intervient et les paroissiens de Zoungbomey sont conduits au commissariat central, puis à la prison de Cotonou où ils passeront Noël et le jour de l’An. ils ne seront libérés que fin janvier. Après avoir fait mener une enquête, bada décide de sévir et suspend Agbaossi de ses fonctions de chef de diocèse, le 3 novembre 1993. Ses responsabilités sont désormais confiées à un “comité national de coordination des paroisses du diocèse de la République du bénin affilié au comité mondial” dont émile Adjovi assure la direction. Cette décision ne change pas grand-chose aux positions sur lesquelles chacune des parties est figée. Gonçalves continue à s’agiter pour la réunification en s’adressant au nouveau gouvernement de Nicéphore Soglo qui, depuis mars 1991, dirige le pays. En octobre 1994, le ministre Séverin Adjovi s’offre comme intermédiaire pour dénouer la crise de l’église. En décembre de la même année, à PortoNovo, une rencontre entre les représentants des deux factions aboutit de la part d’Agbaossi à la création d’une commission mixte de réconciliation dirigée par J.-L. Soglo. En février 1995, le Président Nicéphore Soglo organise une rencontre entre bada et Agbaossi, ce dernier ne vient pas. il devient de plus en plus clair que la communication entre les partisans de bada et ceux d’Agbaossi a tourné au dialogue de sourds. Les événements de 1996 vont le prouver. En juillet, Gonçalves annonce qu’un congrès mondial des diocèses francophones présidé par le pasteur bada se tiendra au siège de Porto-Novo, lequel siège fait immédiatement savoir par plusieurs lettres qu’il s’oppose à la tenue d’un tel congrès. Le miSAt (ministère de l’intérieur, de la sécurité et de l’administration territoriale) convoque pour information les deux factions et décide qu’il ne peut autoriser une réunion qui risque de troubler l’ordre public. Néanmoins Gonçalves maintient ses invitations. Le 3 septembre, une fois bada et les congressistes étrangers arrivés, il intervient auprès du Président Kérékou (entre-temps revenu au pouvoir en chrétien fervent) qui accepte de recevoir bada et Agbaossi en audience le 5 septembre, et autorise la tenue du congrès, le samedi 7 au hall des Arts à

29. Pour la description de ce rite, voir le chap. vii (i. La sortie d’enfant) du présent ouvrage. 30. tiamou ne restera pas longtemps de ce bord car en 1992 il rejoindra le clan d’Agbaossi, en 1996 il retournera à nouveau sa veste.

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Chapitre iii Cotonou. Du jeudi 5 au dimanche 8, tous les soirs, à la paroisse mère de PortoNovo, les deux délégations se rencontrent et essaient de trouver un terrain d’entente. Des discours tenus pendant la réunion au hall des Arts, à laquelle assistent deux ministres, on ne peut rien déduire d’autre que la volonté affichée des deux parties de parvenir à la réconciliation. Au soir du 7 septembre, le comité mondial diffuse un communiqué final triomphant, qui exprime sa gratitude au Président Kérékou, déclare que l’unité est retrouvée au sein de l’église, que « le Révérend Agbaossi a reconnu l’autorité de son éminence le Pasteur A. A. bada comme son Aîné et le Chef mondial de l’église du Christianisme Céleste » et recommande la tenue d’une Convention mondiale à imeko pour débattre de tous les problèmes d’organisation de l’église. Ce communiqué ne porte pas la signature de bada ni celle d’Agbaossi mais est paraphé par plusieurs chefs de diocèses francophones partisans de bada. Le 14 septembre, Agbaossi organise un synode extraordinaire pour décider des suites à donner aux derniers événements. Le communiqué final, après de longs remerciements aux autorités politiques, souligne que le révérend bada a mis en exergue sa volonté de choisir définitivement imeko comme lieu unique du pèlerinage de Noël et de maintenir le comité mondial, instance non prévue par les textes fondamentaux rédigés sur instruction du prophète-pasteurfondateur, en conséquence de quoi le synode réitère que le Siège de l’église dans le monde demeure Porto-Novo et que Sèmè est le seul lieu du pèlerinage de Noël. il déclare la dissolution pure et simple du comité mondial. Le synode déclare benoît Agbaossi pasteur à compter de ce jour, et reconnaît à bada le droit de porter également ce titre mais ne lui reconnaît pas celui de chef mondial de l’église du Christianisme Céleste. Le synode décide que le fauteuil du pasteur Oshoffa, présent dans le lieu saint de toutes les paroisses, doit en permanence demeurer vide et que deux fauteuils destinés aux deux Pasteurs doivent être disposés dans toutes les paroisses. Le synode félicite bada d’être venu à la paroisse mère et l’encourage à revenir quand il le souhaitera en toute quiétude. Le synode souhaite que les deux Pasteurs réhabilitent Ediemou, et rencontrent Owodunni afin d’aplanir les difficultés. bref le synode s’efforce d’institutionnaliser un bi-pastoralisme qui existe de fait. Les agbaossistes se montrent assez habiles dans la lutte qui les oppose au parti de bada, étant donné la faiblesse de leurs arguments “légaux” par rapport à ceux de leurs adversaires. En effet, si on ne prend en considération que les textes écrits du vivant du pasteur-fondateur, les agbaossistes ne disposent que de Lumière qui, outre qu’elle n’a pas été contresignée par le pasteur, qu’elle est manifestement dans l’erreur sur certains points et vague sur d’autres, se montre lacunaire sur plusieurs sujets importants. En particulier, elle n’envisage le rôle du pasteur qu’en faisant référence à Oshoffa mais sans rien dire de son successeur, et ne parle pas du pèlerinage de Noël qui, comme on l’a vu, est un des points sensibles de la querelle. Au contraire, la Constitution, contresignée par Oshoffa, écrite plus tard que Lumière donc donnant à penser que le fondateur a pu changer d’avis sur certains points, est très claire en ce qui concerne le rôle du pasteur. L’article 4 rappelle la révélation du fondateur qui l’a amené à porter le titre de pasteur et ajoute : « Le nom Pasteur se rapporte non seulement à l’actuel Pasteur mais aussi à ses successeurs dans l’éternité des temps ». L’article 109 stipule : « L’église du Christianisme Céleste aura un seul chef qui sera appelé le Pasteur ». L’article 111 en son alinéa 2 indique : « Après la transition de son prédécesseur, le nouveau Pasteur doit occuper le fauteuil de Pasteur se trouvant à l’autel intérieur ». L’article 9 dit : « Le Pasteur 96

Histoire de l’Église du Christianisme Céleste et de son organisation ordonne que le lieu sur lequel sera située sa tombe soit considéré comme terre Sainte et Lieu de Pèlerinage ». La carence de la Constitution est qu’elle ne prévoit pas le cas ou le Pasteur mourrait sans désigner son successeur. En l’absence d’une manifestation du Saint-Esprit si évidente qu’elle ne pourrait laisser place à aucune contestation, il est clair que bada pense que l’ordre hiérarchique est ce qui doit venir remplir le vide. De plus, contrairement à Agbaossi qui tient le rôle en attendant le “vrai” pasteur désigné par le Saint-Esprit, bada pense que le sacrement fait l’homme, de même que l’onction distribue une partie de la puissance que détenait Oshoffa, l’intronisation le fait pasteur à l’égal d’Oshoffa. Pour cette raison, bada fera des guérisons miraculeuses, exercice auquel Agbaossi ne s’est jamais livré. On est en fait en face de deux conceptions du pouvoir. Deux conceptions différentes s’affrontent également dans les luttes pour acquérir le pouvoir ; alors que les anglophones portent leurs querelles devant la justice, les francophones font intervenir le pouvoir politique, en se servant des relations personnelles que certains d’entre eux entretiennent avec ses représentants. Comme l’avait prévu le congrès mondial de Cotonou, le 18 octobre 1996 se tient la convention d’imeko. Son communiqué final, réponse du berger à la bergère, adopte le même style juridique que le communiqué final du synode d’Agbaossi. La convention, considérant les articles de la Constitution cités précédemment, condamne le bi-pastoralisme, relève Agbaossi de ses fonctions de chef de diocèse et lui laisse un délai de trois mois pour rejoindre les rangs. Au-delà de ce délai, il perdra aussi sa place de second dans la haute hiérarchie de l’église, qui en fait « le successeur naturel du Révérend Pasteur A. A. bada ». tiamou est promu chef de diocèse du bénin et doit résider à la paroisse mère de Porto-Novo. La convention décide que le pèlerinage de Noël 1996 se tiendra à Sèmè et que bada y donnera l’onction. Elle reconnaît que « le Siège mondial de l’église du Christianisme Céleste demeure incontestablement le bénin, berceau de l’église du Christianisme Céleste conformément au testament Spirituel du Prophète-Pasteur-Fondateur S.b.J. Oshoffa ». La plus large diffusion est donnée à ce communiqué et à l’annonce qu’à Noël le pasteur bada donnera l’onction à Sèmè. Le miSAt, qui pressent des troubles, réunit l’ancien trio. Agbaossi ne renonce pas à organiser son pèlerinage ordinaire mais accepte qu’un second autel soit érigé sur une plage proche de Sèmè, au PK 10, pour accueillir les nombreux fidèles, partisans de bada, dont tiamou et Gonçalves annoncent la venue. Le pèlerinage du PK 10 est un échec retentissant. Les fidèles sont peu nombreux (les Nigérians sont allés à imeko comme à leur habitude), ils attendent interminablement qu’un de leurs devanciers vedettes apparaisse mais tiamou et Gonçalves sont invisibles. Le pasteur bada, pourtant attendu le 24 pour célébrer le culte de veillée de Noël, ne se présente que le lendemain à midi. Après le tapage médiatique organisé par Gonçalves, le coup est rude pour les partisans béninois de bada qui prennent une claque publique. Le PK 10 sonne le glas des grandes tentatives de réconciliation. À partir de ce moment, les branches béninoises et nigérianes de l’église s’éloignent l’une de l’autre, non sans se faire une petite guerre quand l’occasion se présente, en particulier à l’occasion des visites pastorales dans les diocèses étrangers, où le jeu consiste à faire interdire la frontière au pasteur de l’autre camp mais sans plus chercher de terrain où mener la bataille finale qui ferait triompher la lumière de l’unité. Au Nigeria, la Cour Suprême rend enfin son verdict concernant l’appel d’Owodunni. Le 30 juin 2000, cette cour déclare fondée l’action d’Owodunni et 97

Chapitre iii revient donc au jugement de 1992 en déclarant nulles et non avenues la nomination de bada et toutes les actions qu’il a menées depuis 1985. Dès l’annonce du jugement, Owodunni se proclama pasteur et chef de l’église 31. À nouveau, une multitude de témoignages vient assurer bada d’une indéfectible fidélité. Pour répondre, il achète une page du Guardian, un des quotidiens de Lagos, et remercie tous ceux qui l’ont soutenu. il prend acte du fait qu’aucun successeur au prophète-pasteurfondateur ne pouvait être choisi sans amender la Constitution et qu’il fallait donc sans tarder agir en conséquence. il affirme sa profonde conviction qu’il a été choisi par le Christ et que ce dernier, restant aux commandes de l’église, saura la faire triompher de ses ennemis. (Le Guardian du 12 juin 2000). trois mois plus tard, le 8 septembre 2000, bada meurt dans un hôpital de Londres, ville où, depuis deux ans, il passait de plus en plus de temps pour se soigner. il est enterré à imeko, le 29 septembre suivant, en présence de milliers de fidèles venus adresser un dernier adieu à leur cher “daddy”. X. La succession de Bada Dès que la mort de bada fut connue, le bruit courut qu’il avait laissé un testament faisant de Phillip Ajose son successeur. Ce document, qui se présente comme une déclaration pastorale datée du 1er septembre 2000, fut mis sous le boisseau le temps que le conseil pastoral modifie la Constitution. tous les actes de bada ayant été déclarés inconstitutionnels par la Cour Suprême, sa désignation d’un successeur tombait sous le coup du même jugement. Aux nombreuses questions que posaient tant les fidèles que les journalistes, les dignitaires nigérians répondaient que le seul souci de l’église était d’enterrer dignement le grand pasteur qu’avait été bada 32, néanmoins nul n’était dupe et tout le monde attendait la nomination d’Ajose. Ce choix respectait la logique hiérarchique que bada avait toujours soutenue : puisque Agbaossi s’était lui-même évincé par sa rébellion, que Ajanlekoko était mort, Ajose restait le seul représentant de cette “haute instance” qu’avait instituée Oshoffa. La déclaration, outre la nomination d’Ajose, recommande qu’à l’avenir le Nigeria ne monopolise pas le titre de pasteur. Elle confirme Gilbert Jesse comme chef de diocèse du Nigeria et commande que plusieurs dignitaires du rang de most senior évangélistes soient élevés au grade de supérieur, et des senior au grade de most, il procède à diverses autres promotions et crée un grade d’assistant most senior évangéliste pour vingt-cinq senior évangélistes dans le monde. Le choix d’Ajose réjouit les responsables du diocèse béninois affilié au comité mondial, qui depuis le PK 10 se sentaient quelque peu marginalisés par bada que leur incapacité à ramener Agbaossi dans le droit chemin et leurs incessantes querelles internes avaient fini par lasser. Ajose, natif de badagry, parlait gun, et les béninois pouvaient discuter avec lui sans l’intermédiaire d’interprètes. Entre Cotonou et la maison d’Ajose à imeko, les tractations allèrent bon train pour des montées en grade irrégulières 33.

31. Owodunni se dit pasteur depuis le 5 octobre 1997 mais sa victoire lui permet de réitérer cette position. 32. Cf. Shadow d’octobre 2000 33. Par exemple, le testament de bada prévoit d’élever Gonçalves au rang de most et il est devenu Supérieur.

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Histoire de l’Église du Christianisme Céleste et de son organisation L’annonce de sa nomination fut faite officiellement lors du pèlerinage de Noël 2000, Ajose conduisit le culte et il fut annoncé qu’il serait intronisé, le 24 février 2001. il donna l’onction, Jesse lui tenant la coupe d’huile sainte. Dès que l’annonce fut faite et malgré le fait que la Constitution avait été amendée, Owodunni entama une action en justice contre Ajose et le Trustee. Philip hunsu Ajose est né en 1932 à badagry, il a été élevé dans la religion méthodiste. Après ses études primaires, il est admis dans la marine où il reçoit une formation d’ingénieur en mécanique. En 1951, il est engagé à la ECN (compagnie d’électricité nationale). En 1953, il se convertit au Christianisme Céleste, à la paroisse de makoko où il était venu dans l’espoir de guérir de migraines persistantes. Affecté en différentes villes du Nigeria de par sa profession, il ouvrira de nombreuses paroisses dont celle de badagry et celle de benin City. En 1976, il quitte son emploi et se consacre uniquement à l’église. En 1980, Oshoffa l’envoie à Londres comme son représentant auprès de l’église d’outre-mer. il assumera cette fonction de chef du diocèse d’outre-mer jusqu’à la mort de bada. il a perdu la vue en 1998 à la suite des complications d’un diabète. il est connu pour être un bon prédicateur et un homme affable, disponible et dynamique. Les relations entre Ajose et bada n’avaient pas toujours été sereines. En passant au-dessus de l’autorité d’Ajose, bada faisait des nominations en outre-mer qui ne seront pas reconnues par Ajose. La manière dont bada favorisait la progression de Jesse donnait à penser que ce dernier pourrait avoir l’ambition de supplanter Ajose, d’où un conflit latent entre les deux hommes. Pour contrer l’influence grandissante que Jesse avait acquise au Nigeria, Ajose, avec l’accord de trois membres du Trustee (Adefeso, banjo et Ogunlesi), prit la décision de diviser le Nigeria en six diocèses. Lors de l’intronisation du nouveau pasteur, le climat était tendu. Outre le mécontentement que manifestait Jesse dont on venait de casser le royaume, beaucoup de Célestes se référant à un verset du Lévitique 34 critiquaient le choix d’un aveugle comme pasteur. Le règne d’Ajose ne s’annonçait pas facile mais à la stupeur générale, six jours après son intronisation, il décéda. il fut inhumé à imeko, le 30 mars 2001, dans un tombeau élevé près de ceux d’Ajanlekoko et de bada. À la consternation succéda une période d’attente et de réflexion : que signifiait la mort subite du pasteur, une semaine après son intronisation ? Parmi les bruits qui couraient, deux explications avaient la faveur de l’opinion : l’agression magique et la justice divine. Soit Ajose avait succombé à un “empoisonnement”, et certains d’affirmer qu’ils avaient vu le suspect répandre des poudres sur le siège d’Ajose pendant l’intronisation, soit Dieu avait fait connaître qu’Ajose n’était pas celui qui devait s’asseoir sur le siège du Pasteur. quoi qu’il en soit, cette vacance du pouvoir laissa le champ libre à Jesse qui commença à rameuter ses troupes. Gilbert Jesse est né en 1937 à mahin (état d’Ondo), dans une famille de pêcheurs. il fait ses études dans une école primaire catholique, puis au collège de Yaba (Lagos). il travaille comme employé de bureau dans des institutions fédérales et démissionne en 1972, pour se livrer au commerce d’abord de matériel électronique et ensuite de voitures. il entre dans l’église en 1953, à la paroisse de makoko, où il se fait vite remarquer par ses dons de prédicateur. il est nommé chargé paroissial dans diverses paroisses. En 1988, il se consacre entièrement à

34. Lévitique 21,17-24 interdit à l’homme qui a « un défaut corporel », « aveugle, boiteux, ayant le nez camus ou un membre allongé » de s’approcher de l’autel « pour offrir l’aliment de son Dieu ».

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Chapitre iii l’église et devient chef évangéliste de l’état d’Ogun. En 1990, bada le fait revenir à Lagos et l’affecte à la paroisse tejuosho. À partir de la mort d’Ajanlekoko, en 1997, bada lui confie graduellement les responsabilités de chef de diocèse du Nigeria et le confirme à ce poste par la déclaration du 1er septembre 2000. il a beaucoup œuvré pour améliorer la condition des chargés de paroisse et parmi ces derniers nombreux sont ceux qui le soutiennent. Xi. La succession d’Ajose En vertu des pouvoirs que la Constitution donne au chef de diocèse, Jesse organise à makoko, le 8 juin 2001, une réunion des chargés de paroisse du Nigeria. Le groupe déclare qu’il n’autorisera aucun changement dans les structures du diocèse nigérian qui doivent rester telles que les avait conçues le pasteur Oshoffa. il condamne l’action des trois membres du Trustee (Adefeso, banjo, Ogunlesi) qui ne respectent pas la Constitution, dilapident les fonds de l’église et la jettent dans la tourmente. Les chargés de paroisse déclarent que le diocèse du Nigeria doit rester « un et indivisible » et qu’ils supportent sans restriction l’action de leur chef, le Révérend G. Jesse, dans toute action qu’il voudra bien mener pour la recherche de l’unité de l’église. Le 8 août 2001, le Trustee introduit une action en justice contre Jesse. Au bénin, Gonçalves a repris son bâton de pèlerin de l’unité mais il l’a changé d’épaule. En effet au cours des prédications qu’il fait à la suite d’une révélation, qui lui a demandé d’aller prêcher dans sept paroisses en finissant par la paroisse mère de Porto-Novo, il s’interroge sur le sens à donner à la mort d’Ajose dans la perspective du problème de l’union de l’église. il argue qu’Ajose savait qu’il allait mourir 35 et que pourtant il n’a pas nommé son successeur. Pourquoi ? Parce que s’il l’avait fait, la division allait se perpétuer entre la branche de l’église affiliée au comité mondial et celle d’Agbaossi. Dieu a fait retomber sur les épaules d’Agbaossi la lourde tâche de réunifier l’église, il est en effet le seul survivant de la “haute instance”. Selon que Gonçalves expose son raisonnement devant des agbaossistes ou devant des “mondialistes” (les fidèles gagnés au comité mondial), les réactions qu’il suscite sont différentes. quelle que soit la manière contournée dont Gonçalves présente l’affaire, tous comprennent très bien qu’il s’agit de reconnaître Agbaossi comme le nouveau pasteur mondial mais les premiers répondent qu’eux sont déjà du bon côté et que Gonçalves et sa troupe, qui ont causé la division, n’ont qu’à revenir dans le droit chemin. Les seconds se demandent pourquoi, après leur avoir présenté Agbaossi comme un affreux rebelle, on leur demande de se jeter à ses pieds. Agbaossi, qui a donné son autorisation à Gonçalves pour qu’il prêche dans des paroisses de sa tendance, refuse qu’il vienne prêcher à la paroisse mère de Porto-Novo et même simplement de le rencontrer, lui ou ses émissaires. Gonçalves fait publier une brochure présentant son argumentation et la diffuse largement en commençant par le président Kérékou, tout en continuant par ailleurs, devant la mauvaise volonté d’Agbaossi, à chercher une alternative. il rencontre, à PortoNovo, Emmanuel Oshoffa, le fils aîné du fondateur, alors chef du diocèse de France, et lui demande s’il accepterait d’être pasteur ; ce dernier répond que, tant

35. On dit qu’une ancienne vision avait révélé à Ajose qu’il mourrait s’il retournait vivre en Afrique.

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Histoire de l’Église du Christianisme Céleste et de son organisation qu’Agbaossi était vivant, il ne pourrait accepter une telle proposition 36. La suite des événements montrera que ce qu’il ne pouvait accepter, en fait, c’est d’être fait pasteur par Gonçalves. Si Agbaossi refuse de rencontrer ce dernier, il reçoit par contre des délégations nigérianes conduites par Jesse. Le 21 septembre 2001 se tient à makoko une réunion du conseil pastoral à laquelle ni Jesse ni Gonçalves ne sont présents. Adefeso informe le conseil qu’il a reçu une lettre de Jesse, qui, suivant une directive spirituelle, invitait les Trustees à une rencontre de paix. La réunion était prévue le 14 à midi et il a reçu l’invitation le 13 à 17 heures, de plus il a appris qu’au même moment Jesse était en route pour Londres. il se demande si Jesse veut vraiment la paix dans l’église ! Le délégué du Ghana annonce que Jesse prépare la nomination d’un chef de diocèse au Ghana mais que toutes les dispositions sont prises pour l’arrêter à la frontière si jamais il venait au Ghana. Le chef de diocèse du togo annonce que Jesse veut élever le togolais A. bellow au grade de most mais qu’il lui a fait savoir qu’il n’avait aucun droit d’agir ainsi tant que le fauteuil pastoral restait vide. tiamou fait savoir que, au bénin, Jesse a rendu visite à un visionnaire et lui a demandé de prier pour qu’il devienne le prochain Pasteur en lui promettant de lui acheter une voiture s’il était exaucé. Le prophète a refusé. il informe ensuite le conseil que Gonçalves mène une campagne en faveur de la nomination d’Agbaossi comme Pasteur, et qu’il veut convoquer une réunion du comité mondial ; il souligne que Gonçalves a pris toutes ces décisions sans en avoir au préalable référé aux hautes autorités de l’église. Le secrétaire du conseil répond qu’il a écrit à Gonçalves pour lui demander s’il avait informé son chef de diocèse avant d’appeler à une réunion du comité mondial, et que de toute façon le conseil pastoral avait prévu une réunion de trois jours de prières à imeko à cette date et que la rencontre devait donc être repoussée. Le conseil pastoral entérine la formation d’un comité de paix chargé d’informer les fidèles et d’assurer la circulation de l’information entre eux. quels que soient les efforts déployés par le conseil pastoral, il semble que le rapport de force tourne en faveur de Jesse. Au pèlerinage de Noël 2001, à imeko, le programme prévu par le conseil n’est pas respecté. une brève réunion des partisans de Jesse se tient aux abords de la tombe d’Oshoffa momentanément interdite d’accès aux simples fidèles, pendant qu’au Palais des Congrès sont terrés les dignitaires qui s’opposent à Jesse. À l’issue de cette réunion, Jesse conduit le culte de la veillée de Noël et aucune des manifestations prévues par le programme des Trustees n’a lieu. Dans ce climat lourd, le 29 décembre 2001, tiamou trouve opportun de s’autoproclamer pasteur, depuis son fief de Parakou (Nord bénin). Le 25 janvier 2002, une nouvelle réunion du conseil pastoral est organisée. À l’arrivée à imeko des représentants des diocèses francophones, la police, convoquée par Jesse, leur interdit l’accès de la ville et ils sont obligés de rentrer à Cotonou. Le lendemain, ils tiennent une réunion à Sikècodji, la paroisse de Gonçalves. Le compte rendu de la réunion déclare que les signataires sont profondément choqués par la façon dont ils ont été traités par la police nigériane. ils déplorent l’attitude de tiamou qui s’est autoproclamé pasteur, offrant ainsi un prétexte à Jesse pour les chasser de la terre Sainte d’imeko. En effet, Jesse a prétendu qu’il leur interdisait l’accès d’imeko parce qu’ils étaient venus introniser officiellement tiamou. La réunion

36. Emmanuel Oshoffa a un lien d’alliance avec Agbaossi qui a épousé une des filles d’Oshoffa.

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Chapitre iii condamne totalement l’action de tiamou, déplore la mauvaise organisation des conseils pastoraux et l’anarchie qui règne dans l’église nigériane en général et, en particulier, le désordre du pèlerinage de Noël. Les délégués recommandent la tenue urgente, à Cotonou de préférence, d’un conseil pastoral qui déciderait l’organisation d’un congrès mondial extraordinaire « en vue de régler définitivement la crise constitutionnelle et institutionnelle qui mine l’église ». Le 27 janvier 2002, Jesse rétablit Ediemou à son ancien poste de chef de l’église ivoirienne. il tient une conférence de presse le samedi 2 mars à Abidjan, où il explique qu’il a reçu la mission de réconcilier l’église avec son Dieu. Dans ce but, il rétablit l’ordre qu’avait institué Oshoffa, la réparation des injustices devant mener à la réconciliation. il se prépare à agir de même au togo où il a nommé A. bellow nouveau chef de diocèse. Patrice Aworodéma, le chef de diocèse en titre, n’apprécie pas d’être destitué au profit de son vice-président et parvient à faire interdire par les autorités le séjour de Jesse au togo. Ediemou est réinstallé officiellement par Jesse lors d’une cérémonie célébrée le 21 avril 2002. une forte délégation envoyée par Agbaossi assiste à la fête. Le ministère de l’intérieur s’inquiète des troubles soulevés par les opposants d’Ediemou et convoque, le 29 mai, une réunion des quatre délégations représentant les quatre tendances affichées par l’église ivoirienne : les agbaossistes sont représentés par Germain Konan, Zagadou et Ediemou représentent les tendances nigérianes – ancienne et nouvelle manière –, le Révérend pasteur Gnamien Gbocho ignace se déclare le nouveau pasteur révélé. ils sont reçus par A. Dogou, le directeur des affaires politiques, qui demande à chacun d’expliquer les règles de succession de l’église et l’origine des différentes tendances. Les arguments avancés par les uns et les autres ne convainquent pas Dogou qui décide de revenir à la situation d’avant la récente nomination d’Ediemou. Chaque chef de tendance doit diriger les paroisses qui le soutiennent et s’abstenir d’accaparer celles des autres par la force. Xii. L’éphémère réconciliation Est-ce la peur d’être débordé par Jesse et par tous les nouveaux pasteurs qui se lèvent ici et là ? Est-ce l’argumentation de Gonçalves qui porte ses fruits ? il est difficile de comprendre quelles sont les raisons exactes qui font que le conseil pastoral envoie à Agbaossi une lettre l’invitant à une rencontre en vue de l’unité, le 31 juillet 2002, à la paroisse d’ibukun à Akpakpa (Cotonou). Par une lettre datée du 24 juillet, ils informent le président Kérékou qu’ils ont également invité à cette rencontre Owodunni et tiamou et lui demandent d’envoyer une délégation qui le représenterait. Le 12 août, Agbaossi envoie une lettre circulaire à tous les dignitaires de l’église dans le monde pour les informer que, au cours de cette rencontre à laquelle assistaient entre autres banjo, Adefesso et Ogunlessi du Nigeria, Zagadou et Konan de Côte-d’ivoire, des dignitaires du Gabon, du togo, du Cameroun et tous les dignitaires du bénin dont Gonçalves, « Dieu a réconcilié ses fils qui ont unanimement décidé de former un seul troupeau ayant pour guide, un seul berger en la personne du Révérend Pasteur benoît Agbaossi ». Différentes réunions sont prévues pour réorganiser l’église et résoudre les problèmes particuliers. L’une d’elles, tenue le 11 septembre, concerne les problèmes de l’église ivoirienne. À la suite de cette réunion, Agbaossi envoie une lettre aux paroisses de Côte-d’ivoire pour les informer qu’il leur rendra visite entre le 20 et le 23 septembre. il les invite « à pren102

Histoire de l’Église du Christianisme Céleste et de son organisation dre toutes dispositions utiles en concert avec (leur) chef de Diocèse le Supérieur Senior évangéliste Ediemou blin Jacob ». Le 13, Ediemou adresse une invitation à Zagadou afin qu’ils se rencontrent le 16 pour préparer l’arrivée d’Agbaossi. Le 15 septembre, Zagadou convoque ses partisans à une réunion extraordinaire, à laquelle il invite également Konan (l’ancien chef de diocèse des agbaossistes). La réunion débute par une présentation de la situation faite par Zagadou. il rappelle que le 11, Agbaossi leur a demandé de classer tous les dossiers et de faire la paix. Le lendemain s’est tenu une réunion du conseil pastoral mondial à laquelle assistait Jesse. Les Trustees lui ont reproché d’agir en Pasteur alors qu’il ne l’est pas, de donner des grades et de promouvoir des gens radiés. Jesse a répondu qu’il était chef de diocèse du Nigeria, qu’Ajose et bada n’avaient jamais été Pasteurs et qu’ils n’avaient agi qu’en leur qualité de chef du diocèse du Nigeria. Les Trustees ont ensuite demandé à Agbaossi pourquoi il ne disait rien et ont voulu sortir de la salle. Zagadou ajoute que lui-même et Ediemou ont cherché à les calmer. Ce jour-là Agbaossi ne leur a pas dit qu’il voulait venir en Côte-d’ivoire. maintenant il vient et dit qu’il ne peut aller contre les décisions de Jesse. qu’allons-nous décider ? demande Zagadou aux assistants. tous tombent d’accord pour condamner l’action d’Agbaossi, pour l’empêcher de venir en Côte-d’ivoire et pour dire qu’il « n’est pas digne du rang de pasteur mondial ». Les événements politiques qui eurent lieu le 19 et le 20 septembre et le chaos qui s’en suivit allaient de toute façon empêcher son voyage mais la fièvre qui s’est emparée du pays semble avoir aussi gagné l’église ivoirienne. Le 22 septembre, Zagadou propose une nouvelle réunion extraordinaire pour rendre compte de son voyage au bénin. il commence par rappeler qu’ayant été informé en rêve des événements qui allaient se produire en Côte-d’ivoire, il avait pris le temps d’aller prévenir la Présidence de la République et avait donc raté son avion et était arrivé en retard à la réunion. « Cette rencontre était encore une machination d’Agbaossi qui nous réunissait dans le but de nous demander de retirer la plainte contre Jesse » 37. Les Nigérians étant déjà partis, il a l’occasion de présenter dans tous les détails son dossier contre Ediemou et Jesse mais Agbaossi persiste dans sa position. Zagadou se rend alors à Lagos où il participe à deux réunions du conseil pastoral ; « tout le monde est indigné », rapportet-il. À l’issue de ces réunions, les Nigérians ont décidé d’adresser à Agbaossi une note lui demandant d’annuler son voyage en Côte-d’ivoire. Effectivement, par une lettre du 19 septembre, banjo, Ogunlesi, Adefeso et Oshin (nouveau chef du diocèse de Lagos) déclarent qu’ils sont choqués d’apprendre qu’ Agbaossi se réfère à Ediemou comme chef de diocèse de la Côte-d’ivoire et lui rappellent qu’il dirigeait la commission qui, en 1987, a jugé ce dernier coupable de graves manquements contre les lois de l’église et l’a démis de ses fonctions. ils évoquent le fait que si, le 31 juillet 2002, ils ont tous accepté d’oublier le passé, c’était pour que l’unité et l’amour reviennent dans l’église. ils rappellent que Zagadou est le seul authentique chef de diocèse de la Côte-d’ivoire, ce dernier s’étant toujours montré à la hauteur de sa tâche. Sous sa direction, le nombre de paroisses en Côte-d’ivoire est passé de 80 à 440. il n’y a donc aucune raison de l’exclure, surtout si cette éviction est décidée par Jesse qui n’a aucune compétence pour agir ainsi. ils affirment que dans l’intérêt de la nouvelle unité qui est en train de se forger, Agbaossi doit remettre son voyage en Côte-d’ivoire et s’opposer à la

37. Procès-verbal de la réunion du 15 septembre 2002.

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Chapitre iii réinstallation d’Ediemou, qui ne peut amener que le chaos, et justifier les actes de Jesse qui a maintenant ouvertement rejeté la paix. Outre ses décisions maladroites, Agbaossi présente un autre défaut pour les Célestes nigérians : il élude toujours la question de sa venue à imeko 38. Le procès-verbal de la réunion extraordinaire des ivoiriens demande au conseil pastoral de « traiter avec plus de fermeté la question du supérieur Agbaossi […] qui démontre par ses agissements qu’il ne peut pas être Pasteur mondial » et « de jouer franc jeu avec leur frère Zagadou ». Les signataires déclarent qu’ils sont persuadés que sans les événements politiques Agbaossi serait venu, et qu’il viendra dès que les choses rentreront dans l’ordre pour introniser Ediemou, ce qu’ils ne peuvent accepter à aucun prix. Enfin, sachant que le conseil pastoral, sur injonction spirituelle, a appelé les fidèles à deux jours de prières et de jeûne, à imeko, les 28 et 29 septembre, ils prient Dieu « d’inspirer le conseil afin qu’il choisisse un Pasteur mondial, le 29 septembre 2002 ». Xiii. Deux nouveaux pasteurs Pendant les deux journées de prières et de jeûne, de nombreuses visions furent révélées. Conformément aux nouvelles dispositions de la Constitution qui stipulent qu’en l’absence d’instruction spirituelle laissée par le pasteur défunt les membres du conseil pastoral peuvent constituer un collège électoral pour choisir un nouveau pasteur, le conseil se réunit les 21, 22 et 24 décembre pour examiner avec l’aide d’un comité de prophètes les quarante-trois messages reçus. il en conclut que le nouveau pasteur révélé est le supérieur évangéliste Emmanuel Oshoffa, fils aîné du regretté fondateur. La proclamation qui est immédiatement diffusée porte la signature de vingt-deux personnes (alors que le conseil pastoral compte soixante membres), aucun béninois ne figure parmi les signataires qui, en dehors des chefs de diocèse de Côte-d’ivoire (Zagadou), du Ghana, du togo et du Gabon, sont tous nigérians. Le 25 décembre, Oshoffa junior qu’on était allé prévenir à Porto-Novo, fut présenté aux fidèles comme le nouveau pasteur et il conduisit le culte de Noël à imeko. Emmanuel Oshoffa est né le 25 décembre 1948 à Porto-Novo. il a fait ses études supérieures à Paris et a obtenu un diplôme de biologie et d’ingénieur agronome. il vivait à Nancy (France) depuis 1968, et était responsable de l’église de France depuis 1987. À la suite de l’échec d’une opération de la cataracte, il est devenu presque aveugle. Sa présentation à imeko ne se fit pas dans le calme, car un pasteur choisi par les Trustees ne pouvait pas être facilement admis par les partisans de Jesse. Ces derniers se réunirent entre le 13 et le 15 février 2003 à l’hôtel Gateway à Lagos, ils rejetèrent la nomination d’Emmanuel Oshoffa et désignèrent Jesse comme pasteur et chef mondial de l’église. Emmanuel Oshoffa fut intronisé à imeko le 23 février. bien qu’il semble qu’au Nigeria ses partisans soient moins nombreux que ceux de Jesse, ils tiennent en main les lieux saints d’imeko et les paroisses historiques de Ketu et de makoko. Pendant qu’Emmanuel Oshoffa entamait une tournée pastorale en Europe et aux états-unis, les agbaossistes, comme sourds à ce qui se passait au Nigeria, se

38. Certains disent qu’Agbaossi est sous le coup d’une malédiction d’Oshoffa qui le ferait mourir s’il se rendait sur sa tombe.

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Histoire de l’Église du Christianisme Céleste et de son organisation réorganisaient « dans l’esprit de réconciliation de l’unité retrouvée du 31 juillet 2002 ». Le 15 mars 2003, ils faisaient connaître la composition du comité supérieur mondial, sorte d’enfant monstrueux né de l’accouplement du comité supérieur (Porto-Novo) et du comité mondial (Ketu). Agbaossi en est bien sûr le président, il est secondé par sept vice-présidents, le premier qui a le grade d’assistant pasteur 39 est Christophe Oke (bénin). Les suivants élevés au grade de suprême évangéliste et choisis avec un éclectisme déconcertant sont dans cet ordre : Gilbert Jesse, Lucien tiamou, Emmanuel Oshoffa, Jacob Ediemou, Pierre Guedegbe (bénin) et Adefeso. On ne s’étonnera pas de trouver Gonçalves comme “secrétaire mondial”. Le secrétaire administratif est le senior évangéliste P. Kpanou, il est également chef de diocèse du bénin. Les nombreux comités et commissions panachent fidèles (de la première et de la dernière heure) et hérétiques (du moment). trouvent ainsi leur place Owodunni, Zagadou, Ogunlesi, banjo, pour ne citer que ceux dont nous avons abondamment parlé ici. D’une manière générale, cette organisation compte une forte majorité de francophones issus essentiellement du bénin. Le 10 mai 2003 a eu lieu la cérémonie officielle d’installation de ce comité, bien que le compte rendu nous apprenne que les nominations ne sont pas définitives et peuvent être modifiées en fonction des observations que feront les diocèses. Parmi les interventions faites lors de cette journée, celle du Nigérian Femi Koker est à noter car elle reflète bien l’incohérence du raisonnement qui consiste à vouloir trouver une continuité entre le dessein d’Oshoffa et les événements actuels. Koker 40 tient d’abord à signaler qu’il ne prend pas la parole au nom du diocèse du Nigeria et qu’il n’engage que lui seul (et pour cause, la plupart des dignitaires nigérians qui ne sont pas ralliés à Emmanuel Oshoffa le sont à Jesse). il rappelle ensuite qu’Oshoffa a voulu l’église « une et indivisible dans le monde entier sous un seul berger » et qu’à cette fin, il avait créé la “haute instance” avec bada, Agbaossi, Ajanlekoko, Ajose. il argue qu’aujourd’hui tous sont morts à part Agbaossi, en conséquence de quoi il est le seul à pouvoir se prévaloir du titre de chef mondial de l’église. Se référant de nouveau à Oshoffa, il dit : « tous ceux qui diviseront mon église ou œuvreront à sa division se verront divisés, toute leur vie divisée, leur famille divisée, leurs entreprises divisées […] tant que papa Agbaossi sera vivant, tous les autoproclamés se retrouvent inéluctablement sous le coup de cette malédiction », et ajoute que c’est ce qu’il avait dit à Ajose et que le verdict divin ne s’est pas fait attendre. Sans doute Koker entend-il par là que Agbaossi précédant Ajose dans la hiérarchie de la “haute instance”, Ajose ne pouvait pas lui prendre la préséance. mais en ce cas, on pourrait se demander pourquoi il n’est rien arrivé à Agbaossi quand il s’est proclamé pasteur du vivant de bada qui le précédait dans la hiérarchie. Da Silva, présenté comme l’envoyé de Jesse, ne se pose pas la question, il déclare qu’en écoutant Koker « la lumière a jailli ». « Papa Agbaossi est l’élu de Dieu. […] tous les autoproclamés sont d’une manière ou d’une autre frappés de malédictions ou de malheurs mais le siège du Pasteur Agbaossi est affermi et il le sera pour toujours ». Peut-être parlait-il ainsi parce que le bruit courait que Jesse était gravement malade ? En effet, Jesse meurt d’un cancer le

39. La graine semée dans Lumière et qu’avait rejetée le fondateur a fini par germer. 40. Femi Koker a toujours été proche des béninois, il était en relation d’affaires avec J.-L. Soglo, et a fait partie du groupe, qui, sous la direction de Gonçalves, a ourdi, en 1987 la promotion de bada au pastorat, lors même que celui-ci venait de renoncer au titre (cf. supra).

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Chapitre iii 7 octobre 2003 à Lagos. il est remplacé, quelques jours plus tard, par le supérieur senior évangéliste prophète, Paul Suru maforikan, qui a rejoint l’église en 1948 à Porto-Novo. D’origine béninoise 41 mais vivant depuis longtemps au Nigeria, il était chef évangéliste de l’état d’Oyo et avait été appelé par Jesse comme second chef de diocèse du Nigeria en octobre 2001. La succession d’Ajose, qui pouvait offrir une chance à l’unité, a donc été une occasion manquée. L’église compte aujourd’hui trois pasteurs principaux (Oshoffa, maforikan, Agbaossi) et quatre de moindre importance (Owodunni, tiamou et deux petits pasteurs ivoiriens). Cette multiplication récente des pasteurs semble indiquer que le Christianisme Céleste s’installe dans une fragmentation qui caractérise des églises similaires et en particulier les églises aladura comme les Chérubins et Séraphins ou la Church of the Lord. tout en continuant à encourager leurs fidèles à rêver de l’unité, les différents Pasteurs s’efforcent, chacun de leur côté, de réformer l’église et de consolider leur empire respectif. Emmanuel Oshoffa, qui est d’une autre génération et plus instruit que les anciens Agbaossi et maforikan, joue la carte de la modernité et du réformisme. il voyage beaucoup en outre-mer (en Occident) et laisse miroiter la gratuité de l’onction, mais rien ne permet de dire s’il saura juguler le désordre croissant de l’église nigériane où se lèvent beaucoup d’ambitions pastorales nouvelles, particulièrement dans le milieu universitaire des jeunes Célestes. Agbaossi s’efforce de se concilier les ambitieux en distribuant le titre de « Pasteur de fonction » à ceux qui veulent bien le reconnaître comme « Révérend-Pasteur ». il a ainsi donné ce grade, qui s’accompagne du droit de distribuer l’onction, à Christophe Oke, béninois, exassistant pasteur et le successeur pressenti du révérend, à Patrice Lachimi, béninois responsable de l’Afrique centrale, orientale et méridionale, à Ediemou, responsable de la Côte-d’ivoire et des Sénégal, Ghana et Guinée Conakry, à Adéogun, qui dirige la seule paroisse londonienne affiliée à Porto-Novo, responsable de l’Europe continentale, à maforikan auquel il est prêt à confier la responsabilité des étatsunis – jusqu’à présent terra incognita pour les agbaossistes –, du Nigeria et de la Grande bretagne, et à Emmanuel Oshoffa à qui il laisserait généreusement la direction du diocèse du Canada 42 ! La multiplication des hauts grades est une politique commune aux deux pasteurs. Agbaossi reconnaît maintenant au-dessus de supérieur évangéliste : suprême évangéliste, assistant pasteur, pasteur, et se montre fort généreux dans la distribution de ces grades. Du côté d’Emmanuel Oshoffa, la nouvelle échelle des grades des évangélistes est la suivante : assistant évangéliste, évangéliste, senior évangéliste, most senior évangéliste, most vénérable senior évangéliste, assistant supérieur évangéliste, supérieur évangéliste, most supérieur évangéliste, mais leur attribution est sévèrement réglementée. Les grades distribués par les pasteurs “rebelles” ne sont pas reconnus. il semble que du côté de maforikan et d’Owodunni on soit

41. Ce qui fait dire à certains fidèles que finalement les trois Pasteurs actuels sont tous béninois. maforikan est entré très tôt dans l’église, il était tailleur et c’est lui que le fondateur avait appelé pour qu’il coupe selon ses instructions les uniformes dont il avait reçu la révélation. 42. Décision pastorale du 27 mars 2004.

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Histoire de l’Église du Christianisme Céleste et de son organisation moins préoccupé de ces hochets honorifiques que de la conquête des paroisses riches 43. Les paroisses sont la source principale des revenus de l’église. Elles doivent reverser au siège pastoral le tiers de l’ensemble des revenus provenant de la dîme, du denier du culte, des donations diverses, la moitié de ce qu’elles obtiennent de la fête des moissons et de sa vente de charité, et l’intégralité des frais de baptême et d’onction et des appels de fond spéciaux que le siège peut demander. Ces sommes sont utilisées pour faire fonctionner la machine administrative de l’église, rétribuer les travailleurs de l’église, entretenir les familles de quelques hauts dignitaires, faire construire certains édifices (cathédrale, centre biblique, etc.). Dans l’état actuel des choses, les sièges pastoraux mondiaux ne sont pas en mesure de financer les comités directeurs des différents diocèses (ou pays), ni de rétribuer leurs cadres. Du vivant d’Oshoffa, quand un problème se posait sur une paroisse, les fidèles allaient directement solliciter la justice du fondateur en court-circuitant les autorités intermédiaires. Aujourd’hui, alors que l’église s’est considérablement étendue dans l’espace et par le nombre de ses membres, une situation comparable prévaut, les structures intermédiaires entre la paroisse et le siège pastoral, dépourvus de moyens, sont inefficaces. Pour être quelqu’un qui compte dans l’église, il faut avoir ses entrées au siège pastoral et tenir les rênes d’une paroisse 44 riche.

43. L’article « Celestial crises », sur le site internet américain de l’église (www.celestialchurchofchrist. com), fait état des dernières luttes juridiques et policières pour la conquête des paroisses, au Nigeria. 44. Dans le monde céleste, le terme « paroisse » n’a pas le sens de portion de territoire qu’il a ordinairement en français mais désigne le lieu circonscrit, nanti d’un caractère sacré où est édifiée l’église. il y a donc autant de paroisses qu’il y a d’églises ou de temples.

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ChApitRE iv pAROiSSE Et hiéRARChiE interrogé par un journaliste céleste, le most senior évangéliste Depri, chef de diocèse adjoint de France récemment nommé, répondait que le premier et principal objectif de son exercice serait de « faire en sorte que les créations de paroisses se fassent selon les règles » 1. il existe effectivement dans Lumière et dans les différents documents qui l’ont amendée, comme dans la Constitution bleue, un règlement (apparemment rarement suivi) qui codifie la création et le fonctionnement de ces cellules de base de l’organisation céleste. Les deux maux principaux que ces textes s’efforcent de prévenir sont la création anarchique des paroisses et leur appropriation par une personne 2. Lors d’une session de formation des responsables organisée en 1998 à PortoNovo, les participants étaient invités à réfléchir sur différents thèmes dont plusieurs concernaient la création et le fonctionnement d’une paroisse. L’un d’eux était ainsi formulé : vous êtes sur une paroisse où vous ne vous entendez pas avec certaines personnes. vous réussissez à gagner la confiance d’un groupe de personnes et vous essayez d’acquérir une parcelle pour créer une paroisse. Par quelles étapes devez-vous passer pour être autorisé à créer cette paroisse ?

Les participants ne manquèrent pas de noter que le thème proposé semblait « être un piège pour tester la compréhension des faits qui se produisent au sein de l’église » et répondirent qu’en qualité de fidèles, ils devaient « tout mettre en œuvre pour créer une ambiance d’amour, d’union et d’harmonie » sur leur paroisse. Si le conflit ouvert ne pouvait être évité, les responsables hiérarchiques devaient « mettre leur autorité spirituelle en jeu pour ramener la cohésion et la compréhension au sein des fidèles ». un autre thème proposait : Des fidèles viennent vous proposer l’ouverture d’une nouvelle paroisse. Comment réagissez-vous par rapport à cette information en votre qualité de responsable de région ou de diocèse ?

Les réflexions des participants peuvent se résumer en quatre points. Premièrement, il faut connaître la paroisse d’origine et le mobile de l’ouverture (afin d’éviter la situation évoquée par le premier thème cité). Deuxièmement, l’implantation de la nouvelle paroisse doit respecter une distance d’au moins deux kilomètres avec toute autre paroisse. troisièmement, la convention d’achat de la parcelle sur laquelle doit être édifiée la nouvelle paroisse ne doit pas être établie au nom d’un individu mais au nom de l’église. Au cas où cette parcelle serait le don d’un fidèle, ce dernier doit comprendre qu’il ne sera pas nécessairement le responsable de la paroisse, et un acte de donation à l’église doit être régulièrement établi chez un notaire. Enfin, quand toutes ces conditions sont réunies, un dossier de demande d’ouverture de paroisse sera rempli et suivra la voie hiérarchique :

1. Le Cep (octobre 2003). Le Cep est un périodique céleste français. 2. La création de paroisse ne résulte pas d’une politique raisonnée d’expansion des sièges pastoraux mais se fait à la suite d’initiatives d’individus ou de groupes, souvent à la suite d’une vision.

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Chapitre iv comité de zone, comité de région, comité directeur national, comité supérieur. Ce dernier, en fonction des commentaires livrés par les instances précédentes, délivrera ou non l’autorisation d’ouvrir la paroisse. bien que les documents béninois ne soient jamais aussi clairement formulés que les nigérians, on peut tenir pour acquis les principes suivants : – La direction d’une paroisse est assurée par un chargé paroissial qui est le représentant du pasteur. Ce dernier peut affecter à son gré un chargé sur telle ou telle paroisse ; – la gestion administrative et la discipline d’une paroisse sont assurées par un comité paroissial élu par les paroissiens. Ce comité paroissial se compose d’un président et de deux vice-présidents, d’un secrétaire et de deux secrétaires adjoints, d’un trésorier et de deux trésoriers adjoints, de douze conseillers (six hommes et six femmes), de douze commissaires (six hommes et six femmes). Si la paroisse est petite, le nombre de ces membres peut être réduit. La paroisse de Sikècodji, qui nous servira de modèle pour la description qui va suivre, ne se conforme guère à ces règles, elle n’est pas pour autant moins représentative qu’une autre de ce type d’espace social. Elle est même un bon exemple de certaines de ces “déviations” que peuvent régulièrement déplorer les dignitaires célestes parce qu’elles sont beaucoup plus fréquentes que l’idéal dessiné par les règlements. Avant de présenter son organisation, donnons quelques indications générales qui permettront de mieux se représenter le lieu qu’est une paroisse 3. une paroisse citadine, surtout à Cotonou où l’espace à bâtir commence à manquer, se présente généralement comme une parcelle de terrain close de murs et de bâtiments divers. Le portail qui l’ouvre sur la rue est surmonté d’un panneau qui porte le nom de la paroisse et l’emblème de l’église. Sans ce panneau ou la croix qui surmonte parfois l’un des bâtiments, il serait difficile de savoir que cet ensemble de bâtisses en ciment, souvent vilaines et inachevées, est une église. quel que soit le jour, quelle que soit l’heure, ce lieu est ouvert et, même la nuit, il s’y trouve toujours au moins quelques fidèles pour accueillir un éventuel visiteur. Dans la journée, même en dehors des heures de culte, des paroissiens dans leur robe blanche vaquent à leurs activités spirituelles, des visiteurs attendent leur tour pour consulter les visionnaires ou faire exécuter leur “ordonnance” de travaux spirituels, des malades, qui vivent momentanément dans la paroisse, sont assis ou allongés de-ci de-là, les parents qui prennent soin d’eux vont et viennent, puisant de l’eau, apportant des repas ou les préparant sur place. Les fidèles organisent entre eux des tours de permanence pour que soient toujours présentes différentes équipes : l’une assurera l’entretien du lieu, une autre, composée de visionnaires, recevra les consultants, une autre exécutera les prières recommandées. un secrétaire viendra ouvrir le courrier, répondre au téléphone, composer des tableaux indiquant les horaires des cultes et les noms des officiants commis à leur conduite. un responsable d’un grade plus élevé tiendra tout ce petit monde à l’œil, visera les “ordonnances” établies par les visionnaires et résoudra les problèmes s’il s’en pose. Ce foyer d’activités permanentes suscite la venue de colporteurs qui passent proposer leurs marchandises, et l’établissement aux abords de vendeuses qui proposent riz, boules d’akassa et sauce ou vendent fruits, gâteaux et bonbons. Les

3. La paroisse en tant qu’espace rituel sera présentée au chapitre v.

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Paroisse et hiérarchie étals de ces vendeuses – souvent apparentées à de fidèles et complaisants témoins de tout ce qui se passe à la paroisse –, sont aussi les comptoirs où s’échangent nouvelles, ragots et potins. Outre les équipes de permanence, une paroisse attire un certain type de personnes momentanément ou définitivement désœuvrées ou déboussolées qui font de ce lieu le centre de leur existence et y vivent ou viennent y passer toutes leurs journées. Robert est veuf, il a la mine grave, l’âme austère et la dévotion triste. Des enfants s’amusent devant la paroisse, il les gourmande. On échange des plaisanteries devant lui : « Êtes-vous venus prier ou vous divertir ? » un choriste s’entraîne à jouer de son instrument : « A-t-on idée de faire un tel bruit et de déranger ceux qui prient ? » Des papiers jonchent le sol, il s’enquiert du nom des femmes qui ne sont pas venues assurer leur permanence de ménage. il est assis dans un coin, on le croit absorbé dans une pieuse méditation mais rien n’échappe à l’inquisition de son esprit chagrin. Le président du comité paroissial téléphone-t-il ? il lui fera un rapport complet des présences et des absences, des manquements et des écarts. Est-ce l’heure de la prière ? il la conduit, il est le seul devancier présent, sans lui l’Esprit aurait vite fait de déserter la paroisse. vous pouvez croiser la vieille bélise sans la remarquer tant elle est discrète. Dans sa tenue de pagne, un linge sur la tête, elle s’affaire comme une fourmi. Elle passe avec une pelle à la main, elle repasse avec un seau d’eau, la voilà qui lave des linges sacerdotaux, la revoilà qui balaie devant la paroisse. un enfant pleure, elle le console. un visiteur entre, elle sort un chiffon et lui présente une chaise bien nettoyée. bélise a élevé beaucoup d’enfants, elle en a gardé le goût de la dévotion. Dimanche, vous ne la reconnaîtrez pas, en grande tenue, toute belle dans son surplis jaune d’or, elle rayonne. Gérard est jeune, il n’est pas sans travail, il s’occupe entre le travail qu’une maladie lui a fait perdre et celui que votre aide va lui procurer. il a peu de mérite mais il connaît des gens qui en ont beaucoup ; il n’est pas habile mais il a une langue qui peut servir de truchement et des pieds qui peuvent le porter d’un lieu à un autre 4. il n’y a pas d’homme plus serviable que lui. Avez-vous un problème ? il connaît le visionnaire le mieux à même de vous tirer d’affaire, il peut vous conduire à sa maison, il peut y aller pour vous. il a ses entrées chez les grands comme chez les petits. il croit savoir que telle personne vous intéresse, il la connaît, il vous raconte sa vie et ce qu’on mangeait chez elle hier soir. vous lui reprochez son manque de discrétion, il se récrie, il n’y a qu’à vous qu’il parle et accorde sa confiance ! De toute affaire, il connaît le fond. La moindre information lui est un trésor, il la colporte, il la rapporte, il la transforme, il l’amplifie, il l’embellit. que voulez-vous ? il était là quand les choses se sont passées. il n’y a pas d’homme plus charitable que lui, ne passe-t-il pas ses journées à courir pour le bien des malades immobilisés à la paroisse ? Faut-il prévenir des

4. Nous nous permettons d’emprunter sans guillemet cette phrase à La bruyère. Le portrait de Celse dont nous l’extrayons pourrait s’appliquer sans en changer une ligne à plusieurs mouches du coche célestes de notre connaissance.

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Chapitre iv parents ? il y court. A-t-on besoin d’argent pour acheter des remèdes ? il est au mieux avec un riche qui sait se montrer généreux. Les malades guérissent. qui plus que lui a eu part à cette bonne fortune ? ils meurent. N’avait-il pas vu en rêve que leur cas était désespéré ? i. La paroisse de Sikècodji 1. Histoire La paroisse de Sikècodji a été fondée par un petit groupe qui s’était détaché de la paroisse de Cadjéhoun sous l’impulsion de Paul Gonçalves. Ce groupe, plus jeune et plus “intellectuel” que celui des dirigeants de la paroisse de Cadjéhoun, s’opposait à ces derniers sur divers points et critiquait le manque de formation et d’autodiscipline des devanciers. il préconisait également le paiement systématique de la dîme, pratique qui n’avait pas été révélée au pasteur Oshoffa et que les responsables de la paroisse de Cadjéhoun se refusaient à généraliser. Ce petit groupe de dissidents en rejoignit un autre, détaché quant à lui de la paroisse Saint Jean, et qui suivait un jeune et brillant visionnaire : Gontran marcos. En 1974, ils fondèrent ensemble la paroisse Saint michel de Sikècodji (nom du quartier où elle se trouve) qui se donna la devise suivante : « Amour, travail, Discipline », commentée ainsi « Avec l’Amour, on peut tout : le travail dans l’Amour et la Discipline s’avère nécessairement efficace et fructueux » 5. À l’époque, Lumière était le seul texte de référence disponible ; comme nous l’avons déjà signalé, cet écrit manque de clarté sur divers points. il stipule que le “leader en charge” (aujourd’hui nommé “chargé paroissial” ou “chargé spirituel”) dirige une paroisse ; si les différentes qualités qu’il doit posséder sont longuement détaillées, aucun article ne précise comment il est nommé ni quels liens il entretient exactement avec le comité paroissial. En jouant des silences de Lumière, en mettant en avant son prestige social de haut fonctionnaire et son âge, Paul Gonçalves se désigna président du comité paroissial de Sikècodji et imposa la conception bureaucratique qu’il se faisait d’une paroisse. À côté du comité paroissial, dont il nomma lui-même les membres, il incita à la création de nombreux sous-comités (sous-comités des femmes, d’organisation générale, des relations interparoissiales et extérieures, des visionnaires, chorale) dont il désigna les responsables. Les paroissiens furent vivement encouragés à participer sans limite à ces divers sous-comités : « aucun fidèle de la paroisse Saint-michel ne peut et ne doit rester inactif au sein de la paroisse ». Dans le document que nous citons, l’énoncé de la devise de la paroisse est suivi d’un rappel des articles du règlement intérieur de l’église relatifs aux sanctions qu’un comité paroissial peut prendre contre les contrevenants aux règles. Dans le trio « Amour, travail et Discipline », il semblait bien que « Discipline », entendue comme obéissance aveugle aux directives du président du comité paroissial, s’apprêtait à mener la danse. Alors que la paroisse se voulait exemplaire, une « paroisse phare », le modèle de ce que des « intellectuels » pouvaient mettre sur pied, elle fut au fil du temps désertée par ses personnalités les plus brillantes qui s’accommodaient mal de

5. Document interne : « Formation du comité paroissial et de groupements paroissiaux d’activités » du 6-4-1974

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Paroisse et hiérarchie l’autorité hégémonique de son président 6. un des anciens membres fondateurs raconte : Paul Gonçalves était le président du comité paroissial […] Appelons-le un président accepté, ce n’est pas que nous l’ayons choisi, que nous l’ayons nommé ou que nous ayons voté pour lui […] Aucun de nous n’était intéressé par des postes. L’essentiel pour nous était que la chose tourne, que l’on voit là une paroisse des intellectuels, une paroisse modèle. Nous voulions être un point d’attraction des intellectuels, surtout des pays francophones, parce qu’on ne faisait pas de prédication en français ailleurs. Chaque fois qu’il y avait des étrangers, c’est moi qu’il [le président] appelait pour faire la prédication s’il ne voulait pas la faire lui-même. C’est dommage. Nous avons perdu. C’était notre vœu mais nous n’avons pas été ce point d’attraction des intellectuels…

échec que notre locuteur attribue au « caractère omnipotent » de Paul Gonçalves et à sa manière obscure d’intriguer pour éliminer ceux qui faisaient ombrage à son image et à son pouvoir. D’autres attribuent cette “fuite des cerveaux” à des raisons différentes : La rigueur et l’intégrité du président Gonçalves ont fait converger vers la paroisse des gens de qualité mais quand beaucoup d’intelligences se réunissent, il y a des éclairs dans l’air… parce que personne ne veut laisser prise. Chacun de son côté fouille et pense que l’autre veut l’aliéner, donc il devient réticent et il se dit : reculer c’est mieux que de continuer à composer. quelque part il y a ce qu’il faut accepter et ce qu’il ne faut pas accepter, c’est ainsi dans l’homme. Donc c’est difficile de gérer des gens… je ne dirai pas superbes en intelligence mais c’est difficile de gérer des gens qui ne veulent pas s’humilier.

Après l’interdiction du Christianisme Céleste (1981-1983), la réouverture fut autorisée à condition que l’église respecte certaines conditions dont l’une était la réduction du nombre des paroisses. Sikècodji, qui faisait partie des paroisses autorisées, connut un nouvel afflux de fidèles. Certains étaient d’anciens paroissiens partis fonder d’autres paroisses et leur retour relança d’anciens conflits. Dans la nécessité de respecter plus strictement le règlement, Sikècodji se dota d’un chargé spirituel. il faut noter la longévité à ce poste d’Eugène Amoussou qui fut chargé paroissial de 1986 jusqu’à sa mort en 2000. L’existence d’un second pôle de pouvoir sur une paroisse aussi fortement marquée par l’autorité de son créateur ne manqua pas de créer des tensions. Les différends entre chargé spirituel et président paroissial sont récurrents sur toutes les paroisses célestes. Ce thème était proposé à la sagacité des participants à la session de formation de 1998 selon la formulation suivante : Le chargé spirituel et le président du comité d’une paroisse de votre région ou de votre diocèse entretiennent entre eux un différend très sérieux. Chacun de ces responsables amène certains fidèles à désobéir à l’autre. Comment pouvez-vous ramener la paix sur cette paroisse ?

6. En ce qui concerne le conflit entre Gonçalves et Gontran marcos, on peut consulter C. henry, « Du vin nouveau dans de vieilles outres : parcours d’un dissident du Christianisme Céleste (bénin) », Social Compass 48/3 (2001), p. 353-368.

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Chapitre iv Après avoir souligné la complémentarité qui devrait exister entre les rôles du président et du chargé, et insisté sur le fait que toute décision importante sur une paroisse devrait être prise après concertation des deux personnages, les groupes de réflexion sont obligés de constater que « les textes sont muets en ce qui concerne le rôle du chargé spirituel », qu’il est nécessaire que « le Pasteur renforce l’autorité du chargé spirituel ». une des commissions se distingue en évoquant la prédication du pasteur Agbaossi, en date du 29 septembre 1997, au cours de laquelle il a abordé ce problème et le citant déclare : toute activité sur une paroisse relève de l’autorité du chargé spirituel. Le président du comité paroissial est sous son autorité car le respect dû au Pasteur est celui qu’on doit au chargé. 7

À Sikècodji, le conflit entre Eugène Amoussou et Paul Gonçalves est toujours resté larvé. Le second ne pouvait pas facilement se débarrasser du premier, car le respect que les paroissiens portaient à leur chargé et son statut social rendaient inopérantes ses stratégies habituelles. Eugène Amoussou, en sa qualité d’enseignant, pouvait se revendiquer aussi “intelligent” que Paul Gonçalves ; étant frère d’un ministre son réseau de relations politiques valait largement celui du président. Avec son épouse, il avait développé un lien d’amitié avec le pasteur bada. Le couple jouissait de la confiance de ce dernier qui leur avait attribué diverses responsabilités au niveau du diocèse du bénin. Les enfants Amoussou sont des Célestes zélés alors que les enfants de Gonçalves ont abandonné l’église quand ils se sont libérés de la tutelle de leur père, argument non négligeable pour une communauté portée, selon l’éthique biblique, à juger l’arbre selon ses fruits. À la mort d’Amoussou, Gonçalves confia le poste de chargé spirituel au père de son actuelle épouse, homme dont, en raison de son âge très avancé et de leurs liens d’alliance, il n’a pas à craindre l’opposition. 2. L’organisation Comme aux premiers temps de sa création, la paroisse de Sikècodji se caractérise aujourd’hui par le grand nombre de sous-comités qui l’organisent. Ce type de groupes appelés “association” dans Lumière est non seulement autorisé par le règlement interne de l’église mais également très favorablement considéré dans la mesure où il limite l’appartenance des fidèles à des groupes extérieurs, incontrôlables et susceptibles de se transformer en nouvelles paroisses ou, pire, en nouvelles églises. Chaque sous-comité à l’image du comité paroissial se dote d’un règlement particulier et d’un bureau comprenant président, secrétaire, trésorier, commissaires et conseillers. Les sous-comités sont censés se réunir régulièrement et leurs secrétaires sont tenus de rédiger des procès-verbaux de ces réunions. il en résulterait, si le système fonctionnait vraiment, une quantité industrielle d’archives, mais la nonchalance des uns et le désordre des autres, l’humidité, les cafards et les souris se chargent de réduire cette masse de papier. Chacun de ces sous-comités recueille des cotisations de ses membres, elles alimentent un fonds de solidarité propre au sous-comité qui permet d’aider ceux qui sont dans le besoin (naissance, maladie, deuil). C’est au niveau du sous-comité que l’on s’inquiétera de l’absence d’un membre et que des visites seront organisées pour s’informer du manquant et

7. Synthèse, 1998 : 22

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Paroisse et hiérarchie l’aider s’il en a besoin. Les difficultés rencontrées pour réunir les cotisations sont l’un des leitmotivs des comptes rendus des réunions de sous-comité. beaucoup de paroissiens appartiennent à plusieurs sous-comités et doivent donc verser autant de cotisations, en plus de celles réclamées au niveau général de la paroisse. La manière dont l’aide est distribuée est également souvent critiquée, les membres des bureaux sont fréquemment accusés d’utiliser les fonds uniquement pour leurs relations familiales ou amicales au détriment des autres fidèles. La paroisse, qui compte environ 300 paroissiens, ne comporte pas moins de 16 sous-comités. Ces groupes sont fondés sur des principes différents. Certains regroupent tous les membres d’un même grade (les non oints, les dehoto 8) ou d’un même ordre (les femmes, les visionnaires, les leaders), d’autres, les personnes qui exercent la même fonction sur la paroisse – ces fonctions étant l’objet d’un choix volontaire du paroissien (reporter, maître d’autel, surveillant, choriste) –, d’autres encore confient à ceux qui sont choisis pour en faire partie des responsabilités nécessaires au fonctionnement de la paroisse (enseignement des cours bibliques, conseil de discipline, encadrement des enfants). On pourrait penser que l’existence de ces sous-comités démocratise le fonctionnement de la paroisse mais il n’en est rien dans la mesure où leurs dirigeants sont le plus souvent choisis par le comité paroissial (c’est-à-dire par son président) et que toutes leurs actions et décisions restent sous sa surveillance. Régulièrement certains sous-comités sont accusés d’être des états dans l’état, décapités et dotés de nouveaux cadres plus dociles. Les devises préférées du président sont : « Dieu n’est pas un Dieu de désordre », « Dieu n’est pas démocrate » ou « La maison de Dieu n’est pas une démocratie ». que le président Gonçalves soit le seul habilité à discerner parmi les voies impénétrables du Seigneur quelle est la meilleure façon d’organiser sa demeure est un dogme que tout paroissien de Sikècodji doit accepter. L’actuel vice-président, seul rescapé du groupe des membres fondateurs de la paroisse, commente : […] quand on nomme un chef, du vivant du chef, toi, tu ne seras pas chef […] c’est notre coutume en Afrique mais les blancs, les Français, savent ça aussi, du vivant de Louis Xiv, est-ce que tu peux être roi ? Le président […] il a ses défauts […] vous en tant que chrétien, vous allez essayer de gérer, de supporter.

3. Les sous-comités Nous donnons la liste de ces sous-comités en nous servant de documents produits à l’occasion de réorganisations successives de la paroisse. Plusieurs de ces sous-comités, dont les attributions sont pourtant longuement détaillées par ces textes, sont en réalité des coquilles vides. Leur non-fonctionnement vient du fait qu’ils doublent des attributions qui sont déjà celles du comité paroissial. ils sont néanmoins présidés par une personne qui pourrait les réactiver si le besoin s’en faisait sentir. On ne peut s’empêcher de penser que l’idée qui a présidé à leur création pourrait s’exprimer par la devise : diviser pour régner. il en est ainsi des deux premiers sous-comités que nous citons.

8. ∂`Exot&O (∂E : bénédiction, xo : frapper, t&O : celui qui) : celui qui prie, l’orant. Dans le texte nous avons laissé les termes désignant les grades tels que les écrivent les Chrétiens Célestes en français.

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Chapitre iv • Sous-comité d’organisation générale Les attributions et rôles de ce sous-comité sont « quantitativement et qualitativement d’une importance capitale », ils correspondent aux responsabilités qui sont attribuées aux commissaires dans le règlement intérieur de l’église, c'est-àdire la surveillance et la discipline. • Sous-comité des relations interparoissiales et extérieures Ce sous-comité a été créé « dans le cadre de la dynamisation et de la diversification [ ! ] des Activités au sein de l’église ». Ses missions sont de favoriser le brassage interparoissial, d’assurer l’évangélisation, de promouvoir la solidarité entre chrétiens, de consolider les rapports de la paroisse de Sikècodji avec les autres paroisses et les structures religieuses, administratives ou politiques. Peuvent faire partie de ce comité toutes les personnes « ayant une certaine maturité d’esprit et bénéficiant des fruits de l’Esprit Saint tels que charité, tolérance, discipline et disponibilité » et qui auraient acquitté la somme de 1 000 FCFA pour obtenir leur carte. • Sous-comité des dehoto Les dehoto dispensent les prières pour les malades et plus généralement pour tous les paroissiens. Leur sous-comité doit organiser la permanence des dehoto afin qu’ils s’en trouvent toujours sur la paroisse et également veiller à instruire ses membres, les former à la prière et leur inculquer les règles de la liturgie. • Sous-comité de l’enseignement biblique Organiser, diriger et dispenser les cours bibliques est le rôle principal de ce sous-comité. il doit également organiser un entraînement à la prédication pour les leaders et des séances d’explication des enseignements contenus dans Lumière pour les non oints et les dehoto. Les cours bibliques sont organisés en français et en fon. • Sous-comité d’éducation religieuse et spirituelle des enfants de la paroisse Comme son nom l’indique, ce sous-comité dispense une éducation religieuse aux enfants, il les encadre, organise le culte du dimanche matin réservé aux enfants et leur fête annuelle. • Sous-comité de la chorale Ce sous-comité doit organiser les classes de chant des enfants et des adultes, les entraînements aux divers instruments de musique utilisés par la chorale, composer des cantiques destinés aux cérémonies particulières et aux actions de grâce. • Sous-comité des femmes Le but de cette équipe est « la prise de conscience et détermination du rôle de la femme chrétienne au sein d’une communauté religieuse ». L’énoncé des différentes attributions de ce comité montre qu’on n’attend pas des femmes qu’elles se distinguent par elles-mêmes. En effet, elles sont censées réfléchir sur le rôle de la femme chrétienne et étudier leurs problèmes particuliers « en vue de suggestions utiles au comité paroissial », elles doivent surtout veiller à l’ordre, l’entretien et à la propreté de la paroisse. Enfin, le comité est censé « susciter, étudier, organiser et actualiser des scénettes et autres séances récréatives » en relation avec les divers autres sous-comités intéressés en la matière, c’est-à-dire s’occuper de procurer des activités aux enfants. • Sous-comité des maîtres d’autel Les maîtres d’autel sont chargés de l’entretien de l’autel, de l’encensement de l’église et des fidèles à l’entrée des cultes, de l’allumage des bougies et de la sur116

Paroisse et hiérarchie veillance de leur combustion pendant les cultes. Ce sous-comité regroupe ceux qui exercent cette fonction, leur bureau organise leur présence sur la paroisse et veille à l’instruction des nouveaux nommés. Les femmes et les non oints n’ayant pas accès à l’autel, ce groupe est réservé aux hommes à partir du grade de dehoto. • Sous-comité des surveillants Les surveillants maintiennent l’ordre pendant les cultes, interdisent entre autres les allées et venues intempestives, ils veillent à disposer les fidèles selon l’ordre hiérarchique à l’entrée et à la sortie des cultes, accueillent les étrangers et les placent dans le temple. La fonction de surveillant demandant d’être disponible pendant le culte, elle ne peut donc être exercée ni par les choristes, ni par les visionnaires et reporters. • Sous-comité des reporters Les reporters notent (en français) les paroles émises par les visionnaires. Leur sous-comité est responsable de la formation des personnes qui prétendent à l’exercice de cette activité et doit organiser la présence des reporters formés afin qu’il s’en trouve toujours quelques-uns sur la paroisse. • Sous-comité des projets Ce sous-comité a pour mission de prendre contact avec les fournisseurs pour étudier et discuter le prix des matériaux ou marchandises nécessaires aux travaux de construction ou autres projets lancés sur la paroisse. • Conseil de discipline Ce comité statue sur tous les actes d’indiscipline commis par les paroissiens et suffisamment graves pour n’avoir pas été réglés par les sous-comités auxquels appartiennent les contrevenants. • Sous-comité des non oints Ce sous-comité encadre les baptisés afin qu’ils progressent dans la foi et dans la connaissance des écritures et puissent se présenter à la première onction. • Le collège des leaders Ce sous-comité regroupe tous les paroissiens appartenant à cet ordre hiérarchique et a pour mission de les aider à approfondir leur savoir biblique et leur connaissance de la liturgie et à les soutenir dans leur rôle d’encadrement des paroissiens. Pour des raisons que nous verrons ultérieurement, ce collège a fini par disparaître tandis que naissait un comité des sages. • Sous-comité des visionnaires Ce sous-comité doit veiller à l’éducation et à l’entraînement des visionnaires, organiser des séances explicatives de rêves et de visions, diriger les cultes de sanctification du vendredi (13 heures). • Sous-comité de La trinité Cette association regroupe les sous-comités des choristes, des visionnaires et des reporters. Ses statuts stipulent que « cette union vise à intégrer les trois souscomités dans une vie plus commune où l’esprit de corps et d’équipe doit s’imposer et où chacun sera au service de l’autre ». Créée récemment sur l’impulsion d’un secrétaire adjoint du comité paroissial, sa mise en place vise surtout à exercer un contrôle plus grand sur les visionnaires qui échappaient, dans une certaine mesure, à la surveillance de l’ambitieux secrétaire.

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Chapitre iv Le comité paroissial, le chargé spirituel et les bureaux des sous-comités forment le “gouvernement” de la paroisse. Les membres des bureaux sont normalement choisis parmi les fidèles les plus disponibles, actifs, motivés ou compétents pour telle ou telle tâche spécifique et sont aussi souvent de ce fait les plus gradés mais pas nécessairement. Cette structure recoupe donc, non sans tension, une autre hiérarchie d’ordre spirituel qu’il nous faut décrire maintenant pour mieux comprendre le fonctionnement de la machinerie céleste. ii. La hiérarchie céleste L’église est organisée hiérarchiquement en une pyramide dont la base est constituée de tous les “frères” et “sœurs” simples baptisés et dont le pasteur est l’apex. Douze grades (répartis en une haute et une basse hiérarchies, et en quatre ordres dans la basse hiérarchie) permettent de progresser de la base vers le sommet. On monte d’un grade à un autre en recevant le sacrement de l’onction. Du vivant d’Oshoffa, donner l’onction était son apanage car c’était sa propre “force” qu’il redistribuait. Au début de l’église, Oshoffa demanda à Dieu de permettre à quiconque serait oint par lui, d’être doté d’une portion du pouvoir du Saint-Esprit qui lui avait été donné, « afin de favoriser en son absence, le pouvoir et la gloire de Dieu » (Constitution : art. 199). La Constitution ajoute que cela se traduit par le fait que, chaque fois qu’une personne ointe fait une prière dans un but spécifique, l’Esprit Saint, reconnaissant la marque de l’onction, descend exécuter au nom de Jésus-Christ la demande qui a été faite. Comme toutes les pratiques célestes, le sacrement de l’onction reçoit aussi une justification scripturaire, on évoque moïse oignant Aaron, l’onction des rois d’israël et le Christ oint avant même d’être né (matthieu 2,1). Donner l’onction est resté l’exclusive du pasteur, successeur d’Oshoffa. Le sacrement qui est payant se déroule normalement une fois par an, à l’occasion du pèlerinage de Noël : ce qui explique l’importance spirituelle et économique que revêt, dans les querelles de succession au Pastorat, le droit d’un lieu ou d’un autre (imeko ou Sèmè) d’être la destination légitime du pèlerinage. Si l’onction attribue une part d’une force que Oshoffa possédait de façon totale et permanente, elle n’est pas donnée au hasard ou à la seule ancienneté, le fidèle doit la mériter. La hiérarchie céleste prétend être une méritocratie spirituelle. Comme la progression dans la communauté, l’entrée dans l’église céleste est marquée par un rite. 1. Les rites de passage invité à faire une conférence devant les auditeurs du cours biblique de makoko, le 4 avril 1987, le pasteur bada expliquait qu’aucune condition préalable n’était requise d’une personne voulant entrer dans l’église mais, citant la parole de Jésus à Nicomède : « Si un homme ne naît d’eau et d’esprit, il ne peut entrer dans le royaume de Dieu » (Jean 3,5), il ajoutait que, pour marquer une césure nette (clean break) entre l’ancien et le nouveau mode de vie, il était nécessaire de procéder par étapes, dont les trois principales sont la sanctification, le baptême, l’onction. Sous l’appellation “sanctification”, il classait trois types de rites, la sanctification (d’un nouveau venu dans l’église), la purification (d’une femme impure) et la consécration (l’entrée dans la prêtrise, dans la haute hiérarchie des évangélistes).

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Paroisse et hiérarchie La première sanctification Le candidat à la sanctification doit apporter une bougie, un savon et une éponge. La cérémonie n’a pas lieu dans le temple mais dans un coin approprié de l’espace de la paroisse. La personne à qui l’on a donné un seau d’eau se met à genoux, la bougie à la main, devant elle sont posés le seau d’eau, le savon et l’éponge. L’officiant allume la bougie, se place face au néophyte, chante un bref cantique, par exemple : Ô éternel de béthel ! Nous, pêcheurs, sommes devant toi. Puisse le sang sacré de ton Saint Fils Coulé au Calvaire nous purifier. (cantique 170 gun)

il prononce ensuite une prière de purification, puis prend la bougie et l’éteint en la plongeant dans l’eau et l’y laisse tomber. il invite alors la personne à aller se laver dans les douches de la paroisse. La personne ainsi traitée peut entrer dans sa nouvelle vie de chrétien. Au terme d’une année de présence active sur la paroisse, elle pourra se présenter au baptême. Les femmes qui reviennent à la paroisse après la semaine d’éloignement qu’elles ont observée pendant leurs règles ou après les quarante jours qui ont suivi leur accouchement doivent se soumettre au même rite que celui précédemment décrit. La “sanctification” est une notion qui revient souvent dans le discours et la pratique des Célestes 9. Les termes vernaculaires par lesquels ils la désignent ne se distinguent pas de ceux par lesquels ils nomment la purification. Le fait que le rite que nous venons de décrire s’applique aussi bien à celui que l’on place “hors de ce monde” pour le vouer à une vie en Christ qu’à la purification d’une femme montre que la sanctification n’est pas acquise une fois pour toutes, ni réductible au moment d’un rite séparateur mais qu’elle demande au contraire un effort constant. un des cantiques le plus souvent chanté commence par cette phrase : m`I waaz$O na lèw$E gbibg`O m$It`On tOn, « travaillons pour la sanctification de nos âmes ». Le respect des interdits de l’église, la réitération des rites de purification et l’obéissance à Dieu sont les voies qui conduisent à la sanctification et à la vie éternelle. Le baptême Les Chrétiens Célestes aiment à démontrer que leurs rites suivent parfaitement les prescriptions bibliques, et accessoirement que les rites catholiques ne le font pas. Ainsi, l’auteur de Lumière, au chapitre intitulé « Le Christianisme Céleste baptise », s’efforce de démontrer à l’aide de citations scripturaires que le baptême exige une immersion, un ensevelissement (matthieu 3, 16) et une résurrection (Colossiens 2, 12). « L’aspersion ne s’accorde donc pas avec l’image biblique du baptême, c’est pourquoi nous faisons le baptême par immersion. Nous baptisons donc nos fidèles dans l’eau, en les immergeant dans l’eau et en les émergeant de

9. Cette importance accordée à la sanctification est certainement un héritage du méthodisme. Opposé à l’idée de la prédestination calviniste, Wesley a élaboré une doctrine de la sanctification qui tout en reprenant la doctrine luthérienne de la justification par la foi y réintégrait la notion d’œuvre telle que la conçoit l’éthique catholique de la sainteté. Ces subtilités théologiques n’intéressent en rien les Célestes qui, en gun, traduisent par des variations sur un même terme w$e, (litt. être blanc, pur) les notions de sainteté wiw$e, de purification lEw$e (litt. laver pour être pur) et de sanctification (wiw$e ou lEw$E selon les contextes).

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Chapitre iv l’eau. ils sont ainsi ensevelis avec Christ par le baptême et ressuscités avec lui par la foi en la puissance de Dieu qui a ressuscité Christ des morts » (Lumière, 29). Chaque paroisse a généralement trouvé un lieu relativement tranquille au bord de la lagune (pour Cotonou) où elle procède au baptême des nouveaux fidèles. Ces derniers ont fréquenté la paroisse pendant plusieurs mois et sont censés connaître par cœur le Credo, le Notre-Père et le psaume 51 (« O Dieu ! Aie pitié de moi dans ta bonté »). C’est généralement le chargé paroissial qui procède à la cérémonie mais il peut être remplacé par un autre officiant à condition que ce dernier ait atteint le grade d’assistant évangéliste. L’officiant doit se faire accompagner au moins d’un assistant qui portera le crucifix. il a été demandé à tous les candidats de se munir d’une bougie. En approchant des lieux, le groupe forme une procession dont le porte-croix prend la tête. Arrivé au bord de l’eau, l’officiant plante le crucifix en terre puis fait agenouiller les fidèles. il chante un cantique de circonstance qui est souvent celui-ci : Comme Jésus t’appelle, viens à Lui. viens, pécheur, viens ! Jésus priera pour toi. viens, pécheur, viens ! Oui Jésus saura guider tes pas. viens, pécheur, viens ! Sous le joug pesant qui t’accable. viens, pécheur, viens ! Car Jésus saura t’en décharger. viens, pécheur, viens ! À présent il faut que tu Le suives. viens, pécheur, viens ! (Cantique 106 gun).

L’officiant prononce une prière demandant la rémission des péchés, puis il rappelle aux candidats les interdits de l’église et leur demande s’ils sont prêts à renoncer à toutes les pratiques fétichistes pour s’en remettre à Dieu seul. Les néophytes jurent qu’ils acceptent en levant le bras droit au ciel. L’officiant leur fait réciter le credo, puis leur demande de se déshabiller. Après avoir retroussé ses manches et sa robe de prière, il entre lui-même dans l’eau, y plante le crucifix dans la direction de l’est, puis sanctifie l’eau par un signe de croix tracé aux quatre points cardinaux. il entonne un nouveau cantique, puis invite le premier néophyte qui tient toujours sa bougie à venir le rejoindre. il lui demande son nom, ou celui qu’il s’est choisi pour entrer dans sa vie chrétienne, et le fait plonger dans l’eau en lui pesant sur la nuque. En même temps, il dit : « Aujourd’hui tu es enseveli avec le Christ », il le tire de l’eau et dit : « tu es ressuscité avec le Christ ». il répète toute l’opération trois fois, puis trace un signe de croix sur le front du fidèle et le renvoie sur la rive. il agit de même pour tous les candidats. quand tous sont passés, la croix est à nouveau plantée sur la rive, les baptisés qui ont repris leurs vêtements, viennent s’agenouiller devant. L’officiant entonne un nouveau cantique, généralement celui-ci : L’éternel te dit : Je ne te laisserai pas Et je reviendrai en ce grand jour, Exaucer la prière de tous les pécheurs

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Paroisse et hiérarchie maintenant et à jamais. (Cantique 243 gun).

il prononce ensuite une prière de bénédiction, puis tous crient « alléluia » en se tournant successivement vers les quatre points cardinaux. Puis le groupe rentre à la paroisse où une dernière prière est dite. Le soir, chez lui, le baptisé allume sa bougie au chevet de son lit. Le songe qu’il fait pendant la nuit indique la mission que Dieu lui donne à accomplir dans l’église, il racontera son rêve au chargé paroissial ou à un visionnaire qui saura l’interpréter et le conseiller. L’église nigériane a beaucoup développé le rite baptismal. L’officiant accomplit à quelques détails près les mêmes gestes que ceux que nous avons décrits mais la séquence est englobée dans un véritable culte comportant une lecture biblique et une prédication. Pour être complet sur les rites qui jalonnent la carrière du fidèle dans l’église, il faudrait décrire ici l’onction qui marque son avancée sur l’échelle des grades. Nous la décrirons quand nous parlerons de Noël et des fêtes calendaires de l’église. 2. Les grades Après son baptême, le nouveau doit porter une robe de prière blanche. Celle des hommes est droite, à col montant, fermée par quatre boutons sur l’épaule gauche, aux manches longues sans poignet. Les femmes portent une robe à encolure ronde loin du cou, recoupée et froncée à la taille, aux manches dont l’ampleur est reprise dans un poignet fermé ; elles doivent aussi cacher leurs cheveux sous une coiffe blanche qui a la coupe d’une toque de chef ou de pâtissier mais qui n’est pas empesée et donc retombe plus ou moins sur le cou ou sur le côté de la tête selon la façon dont elles la posent 10. Au terme de deux ou trois années de présence active sur une paroisse, si la personne baptisée possède une bible et s’efforce de la lire, si elle suit les différents enseignements dispensés, si elle fait preuve de dévouement à la cause de l’église et se montre disciplinée, elle pourra recevoir, sur proposition du comité paroissial, sa première onction. Cette onction l’élèvera au grade de dehoto en gun, ou aladura en yoruba, l’un et l’autre terme signifiant « orant ». La principale tâche des dehoto est de recevoir les malades ou les simples consultants, de prier pour eux et d’exécuter les travaux spirituels prescrits par les visionnaires. ils peuvent également remplir certaines fonctions comme maître d’autel, surveillant ou reporter. Le président du comité des non oints de Sikècodji explique : Les non oints ont une tâche réduite sur la paroisse, parce qu’ils n’ont pas accès à l’autel, ni à certaines prières. N’étant pas consacrés par l’onction de l’éternel, ils ne peuvent pas affronter certains mauvais esprits, il leur manque une délégation de l’éternel pour ces responsabilités, surtout pour les prières de combat […] Celui qui a reçu l’onction, affronter les mauvais esprits, affronter un certain nombre de difficultés, ça n’est plus un problème pour lui, spirituellement il est armé d’une protection invisible de l’éternel.

Les dehoto ajoutent à leur robe de prière une ceinture (amure), blanche brodée à ses extrémités d’une croix bleue pour les hommes et jaune brodée d’une croix

10. Les tenues sacerdotales, dans leur moindre détail de coupe, ont été révélées au fondateur par vision et il est strictement interdit de les modifier en quoi que ce soit.

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Chapitre iv blanche pour les femmes. Cette longue et large pièce de tissu, que les Célestes en français appellent “sangle”11 plutôt que “ceinture”, doit être attachée d’une façon particulière de manière à évoquer une épée pendant au côté gauche. Le nœud luimême doit présenter une coque assez large qui rappelle la garde de cette arme. La sangle est en effet une épée spirituelle, l’arme de saint michel terrassant le dragon, qui permettra au dehoto de vaincre les forces diaboliques. La robe de prière est aussi conçue comme un vêtement “de force” qui protège son porteur parce qu’elle a été exposée à l’autel après sa confection et que son propriétaire la préserve de toute impureté en prenant diverses précautions 12. Elle crée autour de celui qui la revêt une sorte d’enceinte sacrée, une petite “terre sainte” mobile et, pour cette raison, le port de chaussures est incompatible avec celui de la robe de prière. Au terme de trois nouvelles années pendant lesquelles le fidèle doit avoir fait ses preuves, le dehoto peut à nouveau recevoir une onction et monter dans la hiérarchie selon différentes lignes. Si pendant son “noviciat” de dehoto, une personne (homme ou femme) a fait montre du don de vision, elle continuera à monter dans la ligne des woli (visionnaires). Si un homme a fait preuve du don de prédication et progressé dans la connaissance des écritures, il peut entrer dans la ligne des leaders (prédicateurs). Celui qui n’a fait preuve ni de l’un ni de l’autre de ces dons pourra néanmoins continuer à progresser dans la ligne des alagba (ancien, doyen en yoruba), tandis que les femmes qui ne se sont pas montrées visionnaires progresseront dans la ligne des mamans (des sisters dans la branche nigériane). Ces ordres (woli, leader, alagba et maman) constituent la basse hiérarchie. L’existence de ces différentes lignes est justifiée par le texte paulinien : « Dieu a établi dans l’église premièrement des apôtres, secondement des prophètes, troisièmement des docteurs, ensuite ceux qui ont le don de guérir, de secourir, de gouverner, de parler diverses langues » 13. En distribuant à tous la même onction, les Célestes se conforment à la pensée de Paul : « il y a diversité de dons mais le même Esprit » 14. En gun, Esprit Saint se dit gbibg`Owiw$e 15, les Chrétiens Célestes se désignent euxmêmes par le même terme. Albert de Surgy écrit très justement que l’église « se présente comme une institution destinée à capter et à mettre en circulation la force de l’Esprit Saint » 16. De nombreux cantiques appellent cette force (hl`Onhl&On en fon et gun, agbara en yoruba) à descendre parmi la communauté : Ô Saint-Esprit, descends parmi nous. Nous t’espérons, nous t’attendons. Ô Saint-Esprit, viens nous donner la force. Avec laquelle nous combattons. tu es toujours fidèle à ta parole. Souviens-toi donc de ta promesse. (cantique 90)

11. Le choix du mot est en lui-même assez évocateur de la contrainte qui s’exerce sur le corps du dehoto distingué par l’onction mais aussi “sanglé” – attaché, tenu – par elle. 12. Par exemple, on doit laver sa robe après avoir assisté à un enterrement car un cadavre est impur, une femme qui a ses règles ne doit pas la laver ou la toucher, on ne la laisse pas sécher en un endroit où des gens fument ou boivent de l’alcool, etc. 13. 1 Corinthiens 12, 27-28 14. Ibid. 12, 4 15. de gbibg`O : souffle, et wiw$e : blanc (et par ext. : pur, saint). 16. A. de surGy, op. cit., p. 75.

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Paroisse et hiérarchie une puissance spirituelle (hl`Onhl&On wiw$e) Est descendue des sept cieux. C’est une grande force, La véritable force ! une puissance spirituelle Est descendue des sept cieux : C’est pour nous une force de combat. (cantique 125)

Si toute force vient du Saint-Esprit, il n’y a pas qu’un ministère et il n’y a pas non plus autant de ministères qu’il y a de charismes. Le charisme de guérison auquel l’église accorde pourtant une grande place n’a pas suscité la création d’une ligne spécifique. il reste subordonné à celui de la vision, les visionnaires étant ceux qui indiquent l’étiologie des maux à guérir et la nature des “travaux spirituels” à accomplir pour l’apaisement du souffrant. michel Guéry et, après lui, tous les auteurs qui ont étudié le Christianisme Céleste synthétisent les complexités de la hiérarchie en distinguant deux lignes : une hiérarchie “de gouvernement” et une hiérarchie des visionnaires. Oshoffa lui-même encourageait cette interprétation, qui avait coutume de dire qu’il pouvait nommer un leader mais qu’il ne pouvait pas désigner un visionnaire 17 car seul Dieu peut donner le don de prophétie 18. Le fait que, dans les premiers temps de l’église, seuls les leaders pouvaient accéder à la haute hiérarchie des évangélistes indique que, pour la bonne marche de l’église, Oshoffa avait pris conscience de la nécessité de créer un corps de clercs auxquels il pouvait confier la responsabilité des diverses communautés, mais qu’il ne désirait pas y faire participer des visionnaires. Est-ce parce qu’ils auraient capitalisé comme lui deux formes de pouvoir et auraient pu constituer une menace pour ses propres privilèges ? Ou est-ce parce qu’il les considérait investis d’une autre mission que le gouvernement des fidèles ? C’est peut-être aussi en ce sens qu’il faut comprendre son affirmation selon laquelle celui qui lui succéderait pourrait être de n’importe quel rang hiérarchique. Pensait-il alors choisir un visionnaire à l’époque nécessairement moins gradé que les plus hauts dignitaires ? beaucoup de Célestes partagent l’opinion qu’une église charismatique comme la leur ne pourrait être bien dirigée que par un prophète. quoi qu’il en soit, ces deux lignes apparaissent comme complémentaires, ce que la Constitution nigériane reconnaît clairement quand elle édicte que si le chargé spirituel d’une paroisse est un visionnaire, son adjoint devra être issu de la ligne des leaders ou des évangélistes et vice versa, afin qu’entre ces deux types de pouvoir l’équilibre soit maintenu. Le pouvoir du leader et celui du visionnaire sont deux modalités ou deux facettes d’une même réalité : le verbe divin, le visionnaire l’exprimant directement et comme à son insu en tant que médium, tandis que le leader l’extrait de la bible par l’étude et la réflexion et propage la bonne Nouvelle grâce à son propre don de la parole, par la prédication. Le règlement du sous-comité des leaders de Sikècodji dit en son article 1 :

17. Cf. entretien avec C. Oke, Échos célestes 1 (2002). 18. On pourrait objecter que, soit Dieu donne tous les dons et Oshoffa ne fait que les reconnaître par l’onction, soit Oshoffa à travers l’onction distribuait son pouvoir – comme nous le dit le texte céleste –, alors pourquoi ne pouvait-il pas donner celui de prophétie qu’il avait reçu comme les autres ? Les raisonnements théologiques célestes débouchent souvent sur ce genre d’aporie.

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Chapitre iv Le leader (de l’anglais to lead : mener, conduire, guider) signifie le Conducteur, le guide ou le chef. Aussi le leader est le serviteur de Jéhovah doté des dons spirituels de conduire, de guider et de gouverner le Peuple de Dieu (du latin gubernare : diriger, conduire, instruire, administrer) dans la voie tracée par celui-ci et selon ses prescriptions. il a pour aboutir à cet objectif, la Parole de Dieu (la bible) comme instrument primordial, fondamental et essentiel de travail.

une grande part du règlement intérieur de l’église s’emploie à codifier les prises de parole. D’abord en interdisant la simple parole trop humaine : converser pendant les cultes est interdit comme il est interdit d’adresser la parole aux officiants montés aux pupitres pour prêcher, faire les annonces ou les lectures bibliques. Nous verrons ultérieurement que les actions les plus réprimées sont les discussions bruyantes ou cancanières aux abords de la paroisse. La codification d’une séquence aussi simple que celle des annonces faites pendant le culte dominical par un secrétaire dont c’est le rôle spécifique ne demande pas moins de sept articles. Celle de la prédication en demande évidemment bien plus dont nous extrayons les items suivants : • Les prédicateurs sont les porte-parole de Dieu. • Les prédications doivent être saines. Elles ne doivent revêtir aucun caractère polémique ni comporter des idées ou paroles étrangères à celles de l’évangile. • il est interdit à tout prédicateur de critiquer durant la prédication le secrétaire aux annonces, que celles-ci soient quelque peu erronées ou complètement dénuées de tout fondement (Lumière p. 65-66).

En quelque sorte, dans le temple, seule la voix divine (sous la forme de la vision ou de la prédication) doit se faire entendre sur un chœur de voix humaines désincarnées toutes vouées à la prière et à la louange. Rappelons que les Célestes conçoivent leur culte comme la réplique sur terre de celui qu’au ciel les anges rendent à Dieu. Dès le départ d’Oshoffa au Nigeria, la liturgie de l’église béninoise et celle de l’église nigériane ont commencé à différer, les Nigérians adoptant toutes les innovations que le pasteur y apportait sous leur influence, les béninois en restant le plus souvent à ce qu’ils avaient acquis lorsque le pasteur vivait au bénin. quand les ritualistes pointilleux (que sont souvent les Célestes) faisaient remarquer ces différences à Oshoffa, ce dernier, s’il n’était pas d’humeur à s’énerver contre l’irrévérence des béninois, formulait cette réponse : « que chacun fasse selon ce qu’il a reçu ». Ces différences n’ont fait que s’accroître avec le schisme, en particulier, dans les grades et les costumes qui leur sont liés. La basse hiérarchie Après être resté trois ans au grade de dehoto, un fidèle méritant, sur proposition du comité paroissial, reçoit une deuxième onction qui l’élève au grade d’assistant alagba. La tenue de ce dernier se distingue de celle du dehoto par une petite pèlerine, ouverte devant, tombant au coude, ajoutée sur la robe de prière. C’est à partir de ce grade que s’opère la bifurcation entre l’ordre des leaders et celui des alagba.

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Paroisse et hiérarchie • Les alagba et les mamans il est plus facile de définir négativement que positivement ces deux ordres car y appartiennent les personnes qui n’ont pas fait preuve des deux dons les plus prisés de l’église, celui de vision et celui de prédication. Les hommes qui restent alagba n’ont pas l’ambition de conduire les autres ou de les instruire. ils sont souvent euxmêmes peu instruits ou par modestie ne désirent pas s’impliquer dans la gestion administrative ou financière de l’église. Progressant en sagesse et en savoir, ils peuvent néanmoins accroître leur capital de prestige en montant dans leur hiérarchie. un assistant alagba, en recevant sa troisième onction, devient alagba. il doit alors ajouter une frange jaune à sa sangle. une quatrième onction le fait devenir senior alagba, son costume le distingue par une dentelle ajoutée à la pèlerine et par la sangle brodée de trois croix bleues. À ce stade, s’il a fait preuve d’un travail assidu et que le don de prêcher s’est éveillé en lui, le fidèle peut bifurquer vers la ligne des leaders. En accédant au grade de vénérable senior alagba, il est autorisé à porter sur la tenue précédente un surplis jaune ample et bordé de dentelle blanche, il a atteint le sommet de sa hiérarchie et ne peut plus ni évoluer ni changer de ligne. Ce n’est pas la modestie ou des capacités limitées qui confinent les femmes à la basse hiérarchie mais leur infériorité native d’ “enfant malade et douze fois impur”. quel que soit son grade ou son âge, une femme ne peut accéder à l’autel, ni conduire un culte, ni prendre la parole pour prêcher, faire la lecture des textes bibliques au pupitre ou lire les annonces 19. Néanmoins c’est une femme que l’on désignera pour dire la prière de combat lors de la séquence des trois prières du culte dominical et c’est également une femme, la plus gradée présente dans le temple, qui dira la prière finale de ce même culte. une femme en période de menstruation doit observer une relégation de sept jours et ne revient sur la paroisse qu’après une purification. une femme qui relève de couches devra observer une interdiction de quarante jours et également se purifier à son retour. malgré les incapacités inhérentes à la condition féminine, il est largement fait appel au dévouement des femmes pour assurer la propreté de la paroisse, préparer les repas de fête, s’occuper de la surveillance et de l’instruction des enfants, aider à la préparation de la fête des moissons ou assurer les activités cultuelles extérieures telles que la visite des prisonniers ou des malades à l’hôpital. La deuxième onction fait passer une dehoto au grade d’assistante maman, sa robe de prière s’orne d’une pèlerine qui diffère de celle des alagba en ce qu’elle n’est pas ouverte devant. La troisième onction la fait maman, à sa sangle jaune elle ajoute une frange blanche. Puis elle passe au grade de senior maman et ajoute une dentelle à sa pèlerine et trois croix blanches à sa sangle. une cinquième onction marque l’accès au grade de vénérable maman qui acquiert le droit de porter un surplis jaune et court sur sa robe. Avec une sixième onction, une femme atteint le sommet de sa hiérarchie et le grade de vénérable senior maman et ajoute une dentelle blanche à son surplis jaune. Au Nigeria, il existe un grade féminin supplémentaire, avec une septième onction une femme devient “lace superior elder sister”. • Les visionnaires étant donné l’importance que tient la vision dans l’église – un des chapitres suivants lui est consacré –, nous nous contenterons ici de présenter brièvement

19. La première épître aux Corinthiens est évoquée pour justifier cette mise à l’écart.

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Chapitre iv l’ordre hiérarchique des visionnaires qui est mixte. un fidèle peut recevoir ce don à n’importe quel moment de son parcours dans l’église, parfois dès son baptême. même dans ce cas de figure, ce n’est qu’après avoir accompli une période en tant que dehoto et en recevant une deuxième onction qu’il sera vraiment reconnu woli (visionnaire). Les woli portent une robe de prière qui ne se distingue de celle de leurs confrères ou consœurs que par une encolure carrée. De trois ans en trois ans et en recevant une nouvelle onction, le visionnaire peut progresser en montant soit dans la ligne des wolija soit dans la ligne des wolider (terme le plus souvent contracté en wolida) si le don d’interpréter les rêves s’ajoute à son don de vision. il atteindra les grades d’assistant wolija puis de wolija, ou d’assistant wolider puis wolider. Selon le même principe qui commande l’uniforme des alagba et des mamans, un assistant wolija/wolider ajoute une pèlerine fermée à sa robe et se ceint d’une sangle bleue brodée d’une croix blanche. Le wolija/wolider ajoute une franche blanche à sa sangle et porte sur sa robe un surplis blanc court. En recevant une cinquième onction, ils deviendront senior wolija ou senior wolider. L’un et l’autre pourront alors ajouter une dentelle blanche à la pèlerine de leur robe et à leur surplis et broder leur sangle de trois croix. une sixième onction fait accéder au sommet de cet ordre soit comme vénérable senior wolija soit comme vénérable senior wolider. L’un et l’autre porteront alors sur leur robe un surplis bleu bordé d’une dentelle blanche. un fidèle qui reçoit le don de vision alors qu’il a déjà reçu plusieurs onctions et progressé dans une autre ligne revient à la case d’assistant wolija et doit remonter tous ses grades dans la hiérarchie des visionnaires, bien qu’il puisse profiter d’une promotion accélérée. • Les leaders un assistant alagba qui montre une bonne connaissance des écritures et de la conduite des cultes recevra une troisième onction et deviendra assistant leader. Sa tenue se composera alors d’une robe de prière, d’une sangle blanche brodée d’une croix bleue en ses extrémités et frangée de jaune, d’un surplis blanc court. À partir de ce grade, avec au moins trois ans effectués à chaque échelon, l’assistant leader devient leader, puis senior leader et enfin vénérable senior leader. La tenue d’un leader se compose d’une robe de prière qui n’a plus les manches droites mais des poignets mousquetaires, d’une sangle blanche brodée de trois croix bleues et frangée de jaune, d’un surplis blanc plus long que celui de l’assistant leader (mais qui ne tombe pas aux pieds). Le senior leader porte la même tenue mais son surplis est bordé de dentelle. Le surplis d’un vénérable senior leader est jaune bordé de dentelle blanche. Le vénérable senior leader porte en bandoulière sur son surplis une étole bleue frangée de blanc. tous les procès-verbaux des réunions du collège des leaders de Sikècodji déplorent « la léthargie sans précédent » dans laquelle végète le collège, « la négativité » de ses actions, « le caractère défaillant de son bureau » et « la négligence notoire des uns et des autres ». Les résolutions proposées pour « redynamiser » le collège dessinent en positif les manquements ordinaires de ses membres : – choisir obligatoirement un jour de permanence de nuit ; – assister obligatoirement au cours biblique ; – être à l’heure aux différents cultes de la semaine ; – être présents aux sorties d’enfants et aux cultes des morts organisés sur notre paroisse (procès-verbal 1994).

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Paroisse et hiérarchie Clabauder et jaboter, activités les plus mal considérées et pourtant des plus communes, sont encore plus strictement réprouvées de la part d’un leader. L’article 23 du règlement de leur collège stipule : tout leader doit éviter de se mettre en colère, de se quereller et de se bagarrer sur la paroisse ou en dehors ; il doit se débarrasser de toutes les attitudes néfastes à une vie communautaire chrétienne que sont : les calomnies, les diffamations, les médisances et les animosités, etc. ; il doit savoir maîtriser sa langue, contrôler et limiter ses rapports avec autrui.

Parmi les doléances des leaders figure le fait que le secrétariat de la paroisse ne leur attribue pas souvent la prédication lors des cultes dominicaux, « d’autres relèvent de problèmes quasi stériles à propos des onctions et des subtilités de langage de certains grands devanciers » 20. Entendons par là des irrégularités dans la proposition aux onctions dont profitent ceux qui sont bien vus du comité paroissial et dont sont écartés les autres, et le mépris que certains grands devanciers manifestent envers leurs inférieurs, mais l’ambiance des réunions de sous-comités n’incite pas à l’accusation des autres, elle est plutôt favorable à l’auto-flagellation : Les bancs sont toujours vides chaque fois qu’un avis de réunion est adressé aux leaders. Sans exagération extrême, le collège est composé de personnes qui souffrent d’un manque notoire d’intérêt pour l’église et pour les frères et sœurs en Christ qui ne sont pas dans leur groupe, car il faut le reconnaître, il y a trop de groupes ici et là. […] Le collège est centrifuge car ses membres sont centrifuges. L’orgueil, l’air hautain, l’égoïsme, l’individualité, l’esprit de clan et de connaissance, voilà les maux dont souffre le collège des leaders. On s’entretient bien entre amis, frères germains, consanguins ou utérins mais entre frères en Christ : non. (1991)

L’inertie “totale” du collège est attribuée à « certaines contingences sociales, organisationnelles et religieuses » que résume ainsi un participant à une réunion du collège : tous les problèmes du collège se trouvent à la base de sa formation, c’est au départ que tout a été faussé. Aujourd’hui le rôle du leader dans l’église est dépassé avec la pléthore d’évangélistes dans l’église. En effet, le premier rôle du leader est le contrôle des activités cultuelles, spirituelles et de l’enseignement de la bible. Leaders et évangélistes devraient avoir le même rôle. Si la base est faussée alors tout le reste s’en suit. (procès-verbal 1995).

La haute hiérarchie des évangélistes Alors que la montée dans la basse hiérarchie s’effectuait (et s’effectue toujours) sur proposition des comités paroissiaux, entrer et s’élever dans la haute hiérarchie dépendait du bon vouloir d’Oshoffa. il choisissait parmi les leaders ceux à qui il voulait confier des responsabilités dont il déterminait lui-même la nature et l’étendue. Aujourd’hui encore le pasteur a ce privilège. Avec l’expansion de l’église, la pression pour accéder à l’ordre des évangélistes s’est faite plus forte, le pasteur

20. Dans le langage céleste, toute personne qui vous précède par le grade ou par une entrée antérieure à la vôtre dans un même grade est votre « devancier » mais en pratique le terme désigne plutôt les dignitaires les plus gradés d’une paroisse.

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Chapitre iv ne pouvant plus garder un étroit contrôle de tout, ce sont généralement les chefs de diocèse qui proposent les nouveaux évangélistes. Le pasteur se garde le droit d’accepter et se réserve le droit de choisir les plus hauts dignitaires. Le nombre des évangélistes se multipliant plus vite que les hautes fonctions qu’ils étaient amenés à remplir, les évangélistes en sont venus, sur les paroisses, à tenir le rôle qui jadis était dévolu aux leaders, d’où le malaise des leaders de Sikècodji dont nous venons de faire état. Le premier grade de cet ordre est assistant évangéliste, l’impétrant y accède par sa septième onction. La tenue d’un assistant évangéliste se compose d’une robe de prière à poignets mousquetaire, d’une sangle blanche, frangée de jaune, brodée de trois croix bleues à chaque extrémité et, en son centre, de trois croix bleues sur un socle en escalier évoquant un autel, d’un long surplis gris fendu devant. Après au moins quatre ans effectués à ce grade, le devancier peut devenir évangéliste. Sa tenue sacerdotale se compose d’une robe de prière, d’une soutane blanche à col montant boutonné devant, d’une sangle et d’un surplis semblable à ceux de l’assistant mais sur lequel il porte une bandoulière bleue frangée de blanc. Avec une neuvième onction, il passe au grade de senior évangéliste. La tenue est la même que celle d’évangéliste mais le surplis est bleu foncé et l’étole jaune frangée de jaune. À la mort d’Oshoffa, il n’y avait que douze senior évangélistes dans toute l’église, les grades suivants de supérieur évangéliste et de suprême évangéliste ne comptaient que trois membres pour le premier et un seul pour le second. La situation a bien changé et l’inflation des évangélistes est un des maux que dénoncent régulièrement les esprits critiques. Pour essayer de contenir ce flot montant, les successeurs d’Oshoffa ont établi un grade intermédiaire. Après le senior évangéliste vient le vénérable senior évangéliste dans la branche béninoise et le most senior evangeliste dans la branche nigériane. Le costume d’un vénérable ne se distingue de celui du senior que par la couleur du surplis qui est marron avec une bandoulière grise dans l’église béninoise et rose avec une bandoulière pourpre dans l’église nigériane. un supérieur senior évangéliste porte une soutane à pèlerine violette, un surplis violet et une bandoulière beige. Les suprêmes évangélistes portent une bandoulière bleue frangée de violet. un évangéliste est censé consacrer tout son temps à l’église, il doit porter continuellement sa robe de prière et marcher pieds nus. Néanmoins pour pouvoir nommer ou faire monter en grade des personnes ayant une activité professionnelle et que leur fonction ou leur richesse rendaient utiles à l’église, il a été créé une branche d’honorables pour les trois grades d’assistant évangéliste, d’évangéliste et de senior évangéliste. Les costumes des honorables assistants évangélistes, des honorables évangélistes, et des honorables senior évangélistes diffèrent de ceux des permanents de grade équivalent par la seule couleur du surplis. bien que la ligne des honorables ait été instituée du vivant d’Oshoffa, certains Célestes critiquent cette innovation qui leur paraît incompatible avec le dévouement total à l’église auquel s’engage l’évangéliste. D. boko écrit : « La restriction “honorable évangéliste” n’a aucune signification. Elle relève ou bien de l’orgueil ou bien de l’hypocrisie. “ils ne savent pas ce qu’ils font…” avait dit Jésus sur la croix. Le prestige que l’on veut s’attribuer en acceptant l’offre d’honorable évangéliste est une malédiction que l’on se garantit soi-même tout le reste de sa vie… » Et l’auteur d’exhorter le pasteur à « freiner l’allure de fabrication anarchique d’évangélis-

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Paroisse et hiérarchie tes incultes et sans occupation spirituelle, véritables goulots d’étranglement pour l’église » 21. Les différentes positions hiérarchiques ne se marquent pas uniquement par des différences dans les costumes mais engendrent toute une étiquette. un temple présente trois entrées, une grande centrale et deux plus petites à droite et à gauche. Lors d’un culte, les plus grands devanciers entrent et sortent les derniers par la porte centrale, les femmes entrant et sortant par la porte de gauche, les moins gradées en premier, les hommes faisant de même par la porte de droite. La place dans le temple est également dictée par la position dans la hiérarchie. Les évangélistes s’assoient dans le chœur face à l’assistance, les plus gradés des leader et les vénérables senior alagba à l’extérieur du chœur, contre la balustrade qui le sépare de la nef et, comme les évangélistes, face au reste de l’assistance ou perpendiculairement à lui ; les moins gradés s’asseyant dans la nef plus ou moins près du chœur selon leur rang, les femmes à gauche, les hommes à droite, face à l’autel. Comme pour toutes les pratiques de l’église, la disposition des sièges dans le chœur résulte d’une révélation. L’article 94 de la Constitution déclare : il est important ici de souligner que cette disposition eut lieu par l’intermédiaire d’une visionnaire qui, inspirée du Saint-Esprit, en fit la démonstration avec des oranges et cela se passa le vendredi 5 octobre 1947 dans la brousse.

Les différences hiérarchiques se notent également dans la façon dont les fidèles se saluent, un “petit” s’incline plus ou moins profondément selon le grade du devancier et s’agenouille devant les plus gradés de sa paroisse et bien sûr devant le pasteur. Le vêtement céleste qui, d’un point de vue extérieur, peut être considéré comme un uniforme gommant les différences sociales au profit de la seule identification comme “Céleste” ne fait que renforcer les différences internes à la communauté. Par ailleurs, par mille et un indices, il indique la position sociale de celui qu’il vêt : la différence dans la coupe, dans le tombé et la qualité des tissus employés, la prestance avec laquelle on le porte, le nombre de robes que l’on possède (en avoir plusieurs est le seul moyen d’être toujours impeccable) et leur état (immaculée/ douteuse, repassée/fripée) sont autant de signes de la richesse ou de la pauvreté du paroissien. On peut s’étonner qu’une église qui se veut si proche de l’évangile et qui engage tous ses croyants dans le sacerdoce, comme à l’époque de l’église primitive, génère dans le même temps une hiérarchie complexe que l’on a plutôt tendance à associer aux vieilles églises cléricales et plus particulièrement à l’église catholique romaine. Le fait est d’autant plus étonnant qu’il vient de l’ancien méthodiste qu’était Oshoffa. il faut d’abord remarquer que l’église catholique était plus prestigieuse et influente au Dahomey que la méthodiste et qu’Oshoffa lui a fait de nombreux emprunts 22. On peut également noter que l’idée de hiérarchie est inhérente à la socialité dahoméenne et particulièrement aux cultes vodun. Parlant

21. La Dernière Barque 12 (1996), p. 6 22. En particulier les rites funéraires, cf. chapitre vii. La séduction que pouvait exercer sur Oshoffa la pompe de l’église catholique n’est sans doute pas étrangère au faste et à la pourpre des costumes des grands devanciers.

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Chapitre iv de cette forme particulière de pouvoir qui circule dans ces cultes, l’ac`E honorat Aguessy écrit : chacun d’eux comporte en son sein un responsable suprême investi de tout le pouvoir disponible, dans le cadre de son vodun (divinité) et chargé de le distribuer et de le communiquer à ses adjoints et adeptes proportionnellement à leurs grades. C’est dire qu’il y a un rapport matériel et symbolique du pouvoir contrôlé par la direction du groupe. C’est à force de respecter les interdits et principes d’entretien du symbole de l’acE que, par sa fidélité, l’adepte recevra une promotion suivant son ancienneté, et verra son pouvoir s’exercer sur un domaine de commandement plus grand 23.

h. Aguessy remarque que, s’il est vrai que l’on peut définir l’ac`E comme énergie vitale, on ne peut le réduire à cette catégorie. il souligne que l’ac`E « ne se possède pas mais s’exerce », qu’il n’est pas la « propriété passive d’une strate sociale » mais qu’il se reçoit et se transmet, et peut également se perdre : « il y a toujours un risque de “déforcement” par entropie de l’ac`E, qui appelle toujours le “renforcement” permanent » 24. La hiérarchie céleste combine cette vision dynamiste du pouvoir avec l’idée chrétienne d’ascension spirituelle, de vertu en vertu et de degré en degré, telle que toute une tradition l’a développée à partir de la vision de Jacob (Genèse 28). mais il est sans doute plus réaliste de penser qu’elle a été mise en place pour répondre aux désirs des nombreux fonctionnaires entrés dans l’église, qui voulaient retrouver au sein de l’église les valeurs qui justifiaient leur parcours dans la société globale. Par certains de ses aspects, la hiérarchie est aussi un fait de structure lié à la centralisation du pouvoir et à l’internationalisation de l’église. Décidant de tout, ne voulant laisser aucune liberté ou initiative aux églises locales, n’autorisant aucune forme de “déviation” par rapport à ce qui lui avait été révélé mais en même temps ne pouvant tout contrôler, il ne restait à Oshoffa qu’à créer un corps de clercs (les évangélistes), nommés par lui et dont l’avancement ne dépendait que de lui, pour qu’ils exercent localement une partie de ses pouvoirs liturgiques et qu’ils surveillent la conformité des pratiques aux règles qu’il édictait. bien que de son vivant le nombre de ces dignitaires ait été limité, le système a commencé à dériver vers un clientélisme que son autorité et son prestige pouvaient encore faire admettre aux fidèles de la base. Après sa disparition, ses successeurs – pour assurer leur légitimité discutée et/ou parce qu’ils avaient un esprit plus collégial – ont multiplié les nominations créant une bureaucratie sans véritable emploi autre que la course aux honneurs, qui frustre de leur prestige ceux qui travaillent effectivement au niveau des paroisses. Si l’origine très modeste des premiers compagnons d’Oshoffa ne les a pas empêchés de parvenir au sommet de la hiérarchie, le chemin est beaucoup moins libre aujourd’hui. De nos jours, un riche disposant d’un réseau de relations n’est pas le chameau biblique s’efforçant en vain de passer par le chas d’une aiguille, il a beaucoup plus de chance que d’autres de parvenir aux grades élevés. D’où la tentation pour les plus entreprenants parmi les laissés-pour-compte de se créer des poches de pouvoir particulières soit en accaparant une paroisse, soit en créant une officine de vision

23. h. aGuessy, « L’Ace et le Sû chez les Fon », dans Sacralité, pouvoir et droit en Afrique, 1978, cité d’après la reprise de cet article dans Cultures vodun, institut de développement et d’échanges endogènes, Cotonou s.d., p. 198. 24. h. aGuessy, op. cit., p. 199.

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Paroisse et hiérarchie privée, la majorité se contentant des hochets qui jalonnent leur laborieuse progression sur l’échelle céleste. iii. Des conflits Outre l’organisation nécessaire au bon déroulement des cultes et des enseignements dispensés, le rôle des bureaux des sous-comités consiste essentiellement à régler les conflits qui opposent leurs membres. Pour donner une idée du type de problèmes qui, au fil des jours, se posent dans une paroisse, nous allons en décrire certains en nous servant d’anciens procès-verbaux. Durant notre séjour, nous avons eu connaissance de problèmes très similaires mais sans pouvoir assister aux séances des divers sous-comités qui en ont débattu. Ces séances ne sont pas ouvertes et le secret des débats est la règle, si une sanction est prise elle est rendue publique au cours des annonces du culte dominical. Les problèmes qui agitent une communauté paroissiale tiennent essentiellement à la sexualité et à l’argent, ce qui n’est pas bien sûr spécifique de ce genre de groupes. Nous en parlons pour montrer que ces espaces paroissiaux sont semblables à d’autres, et non les lieux d’une sociabilité dégagée du soupçon, les foyers d’une solidarité chaude et rassurante, d’un « sentiment exaltant de libération » que décrivent certains chercheurs 25. L’usage chez les Célestes, comme dans beaucoup d’autres églises africaines, de s’interpeller en tant que “frère”, “sœur”, “papa”, “maman” conduit l’observateur pressé à en inférer que ces communautés créent de nouveaux liens et de nouvelles solidarités, ce qui est en partie vrai, mais il oublie que les familles (et les paroisses) sont aussi les lieux où l’on s’entre-déchire d’autant mieux que l’on se connaît bien. Les faits que nous allons citer peuvent paraître anecdotiques mais ils montrent la propension de l’église à s’immiscer dans les moindres événements de la vie des fidèles pour peu qu’elle en ait connaissance. bien des conflits ne viennent jamais officiellement au jour, soit parce qu’ils concernent des devanciers d’un statut trop élevé pour qu’on étale publiquement leurs affaires, soit parce que personne ne se plaint. Si un problème se pose c’est d’abord parce qu’une des personnes concernées fait du bruit aux abords de la paroisse et en agresse une autre, ou se lamente auprès de tout un chacun, ou va se plaindre à un devancier. Nous exposerons en premier lieu une affaire de vol qui a été traitée par le souscomité des femmes. quand ce sous-comité se réunit, dans un but qui n’est pas seulement de traiter de questions de routine, deux “encadreurs” masculins lui sont adjoints. 1. La fin des haricots L’affaire oppose la vénérable senior maman Francine à une simple fidèle, élise. La vénérable senior maman fabrique des beignets de haricots et envoie sa fille Josiane les vendre dans le quartier. Abusant de la jeunesse et de la naïveté de Josiane, dame élise lui soutire tous les jours des beignets et une somme de 50 F sous le fallacieux prétexte de lui constituer une tontine. La mère de Josiane prétend que depuis 9 mois, elle a perdu 500 F par jour sur ce commerce. L’accusée, qui

25. Cf. A. de surGy, op. cit., chap. x.

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Chapitre iv reconnaît avoir pris 300 F, s’est déclarée dans l’impossibilité de les rembourser et a ainsi suscité la colère de la sœur de Josiane qui a ameuté le quartier, menacé élise et qui finalement lui a pris en gage : un bol, une hache et une bassine. Diverses interventions de voisines ou de devancières de la paroisse pour qu’élise rembourse la somme sont restées vaines. Les parties exposent à tour de rôle leur version des faits, y compris le mari d’élise qui dit que, pour des raisons personnelles, il ne s’est pas mêlé du conflit, se contentant de réclamer sa hache. il se montre très courroucé contre son épouse et ajoute « que la lettre de répudiation de sa femme est prête depuis la semaine dernière et que rien ne garantit que cette dame restera son épouse jusqu’à la fin de cette année ». Les conseils donnés aux protagonistes sont résumés ainsi par le procèsverbal : – À la fille Josiane, il est reproché de s’être « comportée en fille insouciante, dangereuse pour sa mère sur le plan pécuniaire » dont ce commerce représente la seule source de revenus. Elle doit rapidement changer de comportement et se débarrasser de toute idée cupide. – À la mère de Josiane, l’assemblée adresse ses regrets mais estime qu’elle a manqué de vigilance et qu’elle aurait dû se rapprocher plus tôt de la coupable au lieu « d’ameuter les fidèles contre l’accusée au vestiaire des femmes comme il a été lamentablement constaté ». – À l’époux de la coupable, il est reproché de ne pas se comporter de manière responsable, d’étaler aux yeux du monde une fausse fierté alors qu’il mange avec l’argent que sa femme vole. il doit se reprendre et mieux tenir son ménage. – À élise, il est conseillé de se repentir promptement et d’essayer de vivre en vraie chrétienne. “qu’elle se montre sage en s’anéantissant en Christ par la prière et les œuvres spirituelles pour trouver des solutions à ses problèmes”.

Les encadreurs concluent la séance en déplorant ce « soulèvement satanique », ils déconseillent à l’époux de répudier sa femme et décident de mettre sur pied une commission qui aidera le couple à se réconcilier « et à vivre vraiment en Christ » 26. 2. La trousse volée L’affaire suivante a été soumise au comité paroissial restreint, instance supérieure au comité de discipline. maman éliane s’est plainte de ce que maman Zonon l’accuse injustement de lui avoir volé de l’argent. invitée à prendre la parole devant le comité, elle explique qu’elle est en amitié avec maman Zonon. un dimanche, elle lui a rendu visite et l’a aidée à balayer sa chambre. Après son départ, maman Zonon s’est aperçue qu’il lui manquait une trousse contenant la somme de 31 000 F, depuis maman Zonon la diffame en prétendant que c’est elle qui a pris l’argent. maman Zonon prend la parole et reconnaît qu’éliane est venue chez elle et l’a aidée à balayer. Elle a cherché en vain l’argent puis a consulté un visionnaire qui lui a dit de prendre patience, que l’argent n’avait pas été volé. un frère de maman éliane est ensuite venu la voir, l’a menacé en lui disant que “des gens mourraient”. maman Zonon dit qu’elle n’a pas accusé éliane, elle insiste en

26. Document du 5-11-1989.

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Paroisse et hiérarchie disant qu’elle n’a pas “publié” son nom, qu’elle a seulement fait savoir que son argent avait disparu. Entre le moment où se passent les faits rapportés et la réunion, maman Zonon a retrouvé son argent, il ne s’agit donc que de juger s’il y a eu diffamation. L’évangéliste Samuel qui préside la séance exhorte les participants à avoir plus de foi. il reproche à maman Zonon de n’avoir pas écouté les conseils du visionnaire qui avait vu que l’argent n’était pas perdu, puis il explique que ce “problème provient de la tentation de Satan”, en effet maman éliane était en état d’impureté le jour où elle a rendu visite à maman Zonon. il conclut en exhortant les deux femmes à se montrer plus patientes à l’avenir. 3. Un ami si serviable Au contraire des procès-verbaux uniquement destinés aux archives, le document suivant, qui nous fournira un autre exemple d’un cas de vol, a été largement diffusé sur la paroisse. Destiné à l’édification, il ne donne aucune précision sur le déroulement des différentes séances qu’il mentionne. il débute ainsi : malgré les multiples exhortations du Comité paroissial à l’endroit des fidèles afin qu’ils adoptent à tout instant et en toute occasion, un comportement digne du renom de la paroisse de Sikècodji, il a été malheureusement constaté […] que certains parmi eux se livrent au sein de la paroisse à des entreprises fortement reprochables dont l’abus de confiance et l’escroquerie. Le comble, c’est que ces fidèles indignes se permettent même de commettre ces actes odieux sur des fidèles étrangers, hôtes de la paroisse.

La déclaration se poursuit par l’exposé des faits suivants. Le président du comité paroissial a reçu une lettre du frère Pierre, vénérable leader de la paroisse de bouaké (Côte-d’ivoire), se plaignant des agissements de l’assistant alagba Paul Allada. Ce dernier « connu pour son zèle en matière d’affaires ou de transactions a tôt fait de gagner la confiance du frère Pierre » qui lui confie les sommes de 80 000 F pour l’achat d’un poste radio et de 35 000 F pour l’achat d’une tenue de vénérable. Convoqué par le conseil de discipline, Paul reconnaît avoir reçu 80 000 F et déclare n’avoir pas encore pu acheter le poste radio. Le conseil a alors demandé que Paul lui restitue la somme ou dépose le poste entre ses mains. Le frère Paul a plusieurs fois reporté le délai. Finalement convoqué par le comité restreint, il a avoué être dans l’incapacité momentanée de rendre l’argent mais s’est engagé à le faire plus tard. Lors de cette réunion, le comité a enregistré « le compte rendu de plusieurs actes de filouterie commis sur la personne de certains supérieurs et autres fidèles de la paroisse auprès de qui il a encaissé d’importantes sommes d’argent pour des services à leur fournir qui n’aboutissent jamais ». Le comité restreint a « longuement flétri ces actes abominables et ignobles qui sont de nature à salir l’image de marque de la paroisse de Sikècodji » et après avoir examiné les différentes sanctions proposées par le conseil de discipline a décidé de réduire l’assistant alagba au rang de simple fidèle. « En cet état, il est interdit de toute activité spirituelle. mais il est tenu d’être au culte » (Décision du comité restreint du 7 mai 1988). 4. Nos mamans : ces dames L’affaire suivante oppose la vénérable senior maman Chantal à plusieurs autres mamans dont la vénérable senior maman Juliette qui était, à l’époque, présidente du comité des femmes. La séance est une réunion extraordinaire du sous-comité 133

Chapitre iv des femmes demandée par leur encadreur, l’évangéliste Samuel. Après la prière qui débute (et clôture) toute réunion paroissiale, il explique qu’il y a quelques jours maman Chantal est venue à son domicile pour se plaindre de plusieurs mamans de la paroisse, puis il l’invite à reformuler sa plainte devant l’assistance. maman Chantal expose qu’elle avait dû effectuer quelques jours de sécurité 27 chez Papa h. et qu’au milieu de la nuit, un visionnaire l’avait réveillée puis apostrophée en la traitant de « sorcière ». Elle était alors partie prématurément et en arrivant à la paroisse, elle avait entendu maman Juliette la traiter de sorcière et colporter à qui voulait l’entendre « une sale histoire » sur son compte. Avant de donner la parole à la maman ainsi accusée, l’encadreur remarque : C’est en fuyant les soulèvements sataniques du monde que nous sommes venus à cette église. il est donc inconcevable qu’en notre sein, nous enregistrions encore des vices comme la haine, la jalousie, la calomnie, la médisance, la colère, la rancune, car nous sommes appelés et si nous reconnaissons que nous sommes appelés, il faut que nous fassions l’effort d’être parmi les élus.

maman Juliette expose qu’un jeune homme, dont le frère avait d’abord été interné en sécurité sur la paroisse puis conduit pour traitement chez Papa h., s’était mis à raconter dehors, près de la vendeuse de moyo 28, tous les détails de l’histoire « faisant de maman Chantal, la sorcière démasquée chez Papa h ». Elle reconnaît qu’ils étaient plusieurs (paroissiens ou kos`I 29) à écouter le récit du jeune homme. Le débat qui suit met en lumière que de la rancœur existe depuis longtemps entre les deux femmes. une participante rappelle que quatre ans plus tôt, au moment des nominations au bureau, maman Chantal avait déclaré que tant que maman Juliette serait présidente « il ne manquerait jamais d’avoir des ténèbres sur cette paroisse », elle constate que les travaux spirituels mis en œuvre à l’époque pour les réconcilier avaient échoué. La parole est de nouveau donnée aux plaignantes pour qu’elles « vident leur sac » et expriment tout ce qu’elles ont sur le cœur. maman Chantal explique qu’à un moment donné maman Juliette a préféré la compagnie de maman Catherine pour l’assister dans les travaux de surveillance et que, quand elle cherchait à se rapprocher de maman Juliette, cette dernière l’évitait très ostensiblement ou manifestait très ouvertement son mécontentement. Les deux mamans mises en cause se récrient bruyamment et disent qu’elles n’ont jamais agi ainsi ni rien fait qui puisse frustrer maman Chantal. maman Juliette dit, que bien au contraire, à la demande du chargé spirituel, elle a été forcée de suspendre la plupart de ses activités sur la paroisse pour protéger la santé de maman Chantal qui avait confié au chargé que son état s’aggravait chaque fois que maman Juliette s’approchait d’elle. Elle ajoute que cette situation lui a gravement nui, car ces sanctions l’ont discréditée au point que bien des gens se plaisent à « l’indexer comme une sorcière ». une participante intervient pour dire qu’il serait nécessaire que le comité paroissial « mette fin à cette propagande de sorcière » dont elle-même et plusieurs autres mamans ont fait les frais. il est demandé ensuite à maman Chantal de préciser l’identité de ceux ou celles qui pensent que c’est

27. Rite céleste consistant à effectuer une retraite (voir le chapitre vi). 28. Sauce à base de tomate. 29. Ce terme, repris du vocabulaire du vodun, où il désigne les non-initiés, est employé ici dans le sens de ‘‘non baptisés’’.

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Paroisse et hiérarchie maman Juliette qui propage l’information qu’elle est une sorcière, car il semble plutôt que cette histoire circule de bouche à oreille et qu’il serait injuste d’accuser la seule maman Juliette. D’ailleurs maman Chantal ne porte-t-elle pas une responsabilité dans cette affaire ? Elle aurait dit, en revenant de chez Papa h. : « moi, la sorcière, je suis là, après avoir mangé mon petit-fils, et comme je n’ai pas pris l’enfant des autres, c’est déjà bon ! » L’encadreur se sent dépassé par la tournure prise par les événements et déclare que deux faits sont maintenant préoccupants : la suspension des activités religieuses de maman Juliette et l’accusation de sorcellerie concernant maman Chantal, il conclut que ces deux questions sont si épineuses qu’elles requièrent « l’énergique intervention du comité paroissial » 30. Sans doute parce qu’une des plaignantes est la belle-sœur du président, le comité paroissial préféra d’abord ne pas intervenir et laisser s’embourber le conflit. Différents textes émanant du sous-comité des femmes demandent de manière pressante que soit organisée une assemblée générale « compte tenu de l’impérieuse nécessité de regrouper les Femmes pour envisager avec elles la solution à un certain nombre de problèmes » 31. Le comité paroissial ne répond pas à cette demande mais prend la décision de renvoyer maman Juliette, la présidente du sous-comité. un document, rédigé le 27-6-1989, par la secrétaire du sous-comité, dresse le bilan et constate que, depuis le renvoi de leur présidente, on observe parmi les femmes « une léthargie inquiétante », « des désistements plus ou moins inavoués », « des fuites de responsabilités parfois prononcées ». La plupart des mamans trouvent mille et un prétextes pour ne pas assister aux réunions, au point que les vice-présidentes ont pris la décision de surseoir à toute séance tant que le comité paroissial ne remplacerait pas officiellement la présidente, les vice-présidentes déclarant « qu’elles ne sont pas habilitées à assurer l’intérim dans ces conditions ». Néanmoins, « cédant aux supplications de la secrétaire », elles ont organisé une réunion extraordinaire. « Cette rencontre de conscientisation (spirituelle) du dimanche 21 juin 1989 a enfin arraché le voile que Satan se plaît à mettre sur le visage de la plupart des mamans ». À l’issue de cette réunion, les devancières présentes (9 sur les 17 convoquées) formulent plusieurs recommandations visant à rendre son efficacité au sous-comité. Parmi leurs souhaits, nous en relèverons un : « que les femmes reconnues “dirigeantes” aient la possibilité de rééduquer les fidèles qui seraient en train d’enfreindre le Règlement intérieur de la paroisse sans courir le risque d’être rabrouées voire injuriées par des jeunes fidèles privilégiées qui comptent fermement sur l’appui de certains Devanciers », allusion très directe aux amours illégitimes des devanciers et à la morgue de leurs jeunes maîtresses. bien que la condamnation de l’adultère fasse l’objet du premier article du règlement interne de l’église, aucune affaire de ce genre quand elle implique un devancier ne vient jamais devant les “tribunaux” paroissiaux. Par contre si de simples frères en sont les acteurs, la paroisse n’hésitera pas à se mêler du problème. Nous allons exposer deux cas de cette sorte mais auparavant, essayons de mieux comprendre le souci de nos mamans. Nous avons déjà dit que le terme fon désignant le sorcier, az`et&O, renvoyait à différentes conceptions du mal qui ont en commun d’être ambivalentes. Le fait

30. Document du 8-12-1989 31. Document du 20-7-1989

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Chapitre iv que dans l’histoire qui nous occupe les protagonistes sont des femmes, et que l’une d’elles parle d’ « avoir mangé son petit-fils », évoque une première conception de la sorcellerie que l’on pourrait formuler ainsi : si une femme a perdu plusieurs enfants (ou petits-enfants), il y a fort à penser que c’est parce qu’elle les a « mangés », donc c’est une sorcière. Ces femmes possèdent une calebasse contenant un oiseau, exécuteur de leurs crimes, elles peuvent elles-mêmes se transformer en oiseau et organisent des réunions nocturnes pour consommer le sang de leurs victimes. quand on évoque ce type de sorcière, plutôt qu’az`et&O, on les appelle m$InOna, ce que l’on pourrait traduire par “nos mères : ces grandes dames” (mi = notre, nO = mère, n`a est un terme honorifique dont on se servait à la cour d’Abomey pour s’adresser aux filles du roi ou aux mères des héritiers possibles de la royauté 32). Ce même terme m$InOna est une des manières dont on désigne le sexe féminin. il serait facile, en mettant à contribution les patientes reconstitutions d’ethnologues qui ont précédé, de montrer que ces représentations trouvent peut-être leur origine dans les mythes de la création du monde et des activités des divinités vodun, tels que les donnent à lire les contes du Fa 33. mais plutôt que de faire état d’un savoir qui n’est plus celui des personnes qui continuent pourtant à manier ces notions, contentons-nous de noter que le terme m$InOna connote de manière ambivalente un pouvoir de vie, retourné en pouvoir de mort, inhérent aux femmes. L’église est un foyer actif de la propagation de l’imaginaire sorcier. Si les fidèles croient que leur appartenance à une religion censée posséder la “force” les met à l’abri des désirs sorciers de leur famille ou de leurs relations, ils ne sont pas préservés de la jalousie qui s’exerce à l’intérieur de la communauté paroissiale 34 qui peut, elle aussi, s’interpréter dans le langage de la sorcellerie. Se montrer trop brillant, être nommé à un poste qui vous met en valeur, vous expose. Pour accepter ces positions, il faut être “fort”, il faut être un peu “sorcier”. Les deux mamans dont nous évoquons le conflit ont joué, dans ce registre, à savoir qui des deux serait la plus forte. Aucune n’a gagné. L’une et l’autre ont quitté la paroisse. 5. L’alibi Le problème suivant a été traité par le conseil de discipline et opposait la sœur mélanie, son mari le frère Jean et la sœur Sarah. L’attention des responsables a été attirée par les bruyantes discussions tenues aux abords de la paroisse par les deux sœurs incriminées, comportement fortement réprouvé par les autorités. il ressort de l’interrogatoire des coupables que Sarah et mélanie sont amies ; la seconde a aidé la première à déménager et, comme Sarah doit effectuer une sécurité à la paroisse, mélanie lui a demandé si elle pouvait rester dans sa chambre, son mari étant parti en voyage sans lui laisser d’argent. Arrangement que Sarah a accepté. Pendant qu’elle était chez Sarah, mélanie a vu son mari tourner autour de cette maison et l’a soupçonné d’avoir une liaison avec son amie. Elle constate ultérieurement que quand son mari rentre au foyer, il lui dit souvent qu’il a rencontré Sarah. Elle est convaincue que son mari la trompe avec cette dernière.

32. b. seGurola, Dictionnaire Fon-Français, 2 vol. multigraphié, Procure de l’Archidiocèse, Cotonou 1963. 33. Cf. P. verGer, « Grandeur et décadence du culte de iyami Osoronga (ma mère la sorcière) chez les Yoruba », Journal de la Société des Africanistes 35/1 (1965), p. 141-243. 34. Sur ce thème voir aussi le chapitre vi.

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Paroisse et hiérarchie Sarah explique que le mari de mélanie fréquente la fille du propriétaire qui la loge et que, quand il rentre chez lui, pour expliquer sa présence dans les parages de sa chambre, il prétend que c’est à elle, Sarah, qu’il a rendu visite, afin que son épouse ne se doute pas qu’il la trompe avec cette jeune femme. Le mari fait le niais et prétend qu’il ne comprend rien à ce qu’on lui reproche au point qu’un devancier lui dit : « Frère Jean, faites un effort pour rassembler vos idées. Après avoir écouté les déclarations de nos deux sœurs j’ai compris qu’il n’y a rien d’autre qui les oppose que le frère Jean. mon frère, corrige-toi et fais tous tes efforts pour rattraper ta femme, elle a trop de griefs contre toi et c’est toi qui es le nœud du problème ! » un autre dit : « Nous sommes en présence d’une question de jalousie et c’est un faux problème. Je parle en connaissance de cause, je sais qu’il suffit pour la femme que son mari sorte pour qu’elle le soupçonne de tout. voilà, Jean sort et va pour ses affaires dans la maison où loge Sarah et à son retour il dit à sa femme qu’il est allé chez Sarah. Le nom de Sarah est utilisé par Jean pour se couvrir ». quand on lui demande ce qu’il pense, le frère Jean répond : « Je demande à mes devanciers de m’aider à calmer cette affaire parce que je ne comprends rien, je suis très surpris ». Après avoir délibéré à huis clos, le conseil de discipline prend les mesures suivantes : Sarah est lavée de tout soupçon mais on lui recommande de mieux savoir choisir ses amies à l’avenir ; le couple est invité à présenter des excuses publiques à Sarah. En outre, proposition sera soumise au comité paroissial d’exclure le frère Jean pendant six mois et la sœur mélanie pendant trois mois. La conduite de Jean n’est pas considérée comme un adultère dans la mesure où la femme qu’il fréquente n’est pas mariée. De plus, sa maîtresse ne faisant pas partie de la communauté, le tribunal est porté à une certaine indulgence. L’exclusion qui est envisagée pour le frère Jean ne vient pas sanctionner sa légèreté mais le fait qu’il ne sait pas “tenir” sa femme et s’invente des alibis qui ternissent la réputation d’une innocente. quant à l’épouse, en plus d’être trompée, elle sera punie de s’en être plaint ! Le sexisme de l’église ne fait que refléter celui de la société où elle s’insère. Comparée aux autres églises aladura, elle est celle qui limite le plus l’accès des femmes aux responsabilités en arguant de leur impureté et ce n’est sans doute pas la moindre raison de sa popularité 35. 6. Chant d’amour Le second cas a été soumis au sous-comité de La trinité, les principaux acteurs étant Laurent, choriste, et Paula, choriste et visionnaire. Avant d’exposer les faits, il faut signaler que, dans beaucoup de paroisses célestes, la chorale est souvent considérée comme un foyer de problèmes et les choristes comme “des casse-pieds”. Différentes raisons peuvent justifier ce jugement. La chorale regroupe essentiellement des jeunes dont beaucoup sont dans l’église pour obéir à leurs parents plus que par choix. Le chœur étant organisé de manière à mettre en valeur les différentes voix, l’obligation de séparer les femmes et les hommes n’y est pas respectée. Les femmes comme les hommes peuvent jouer des différents instruments de musique et être appelés à exercer la fonction de maître de chœur. L’esthétique

35. Sur ce thème, on peut consulter D. h. crumbley, « impurity and power : women in aladura churches », Africa 62/4 (1992), p. 505-522.

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Chapitre iv venant au service de l’adoration – « chanter c’est louer Dieu sept fois » – et des mouvements de danse ou de mime accompagnant le chant, on met volontiers en avant les plus jolies soprani. Les intrigues amoureuses des choristes sont souvent source de problèmes, soit parce qu’elles se produisent entre choristes – la chorale sera alors accusée d’être le lieu de toutes les fornications –, soit parce que les grands devanciers séduisent les jeunes choristes, ce qui induira la rébellion des jeunes gens qui s’estimeront frustrés de leurs compagnes naturelles. La chorale, parce qu’elle doit intervenir à des moments précis du culte et à la moindre sollicitation du conducteur, se considère comme un groupe d’élite en matière spirituelle. il faut reconnaître que c’est bien souvent elle qui réveille le paroissien endormi et qui, charmant le fidèle, l’induit à mettre la main à la poche pendant les quêtes qu’elle anime de ses chants. La réussite d’un culte est en grande partie entre ses mains et elle en tire un légitime orgueil qui offusque le reste des paroissiens. maman Catherine, mère de Paula, se plaint de l’attitude scandaleuse du frère Laurent à l’égard de sa fille et des menaces que sœur marie, femme de Laurent, adresse à Paula. Selon maman Catherine, sœur marie menace Paula de mort avant la fin de l’année si elle ne met pas fin à ses relations avec son mari. Sœur marie fait courir le bruit qu’elle a surpris à plusieurs reprises sœur Paula « en intimité » avec son mari, à son propre domicile et même sur la paroisse. Afin qu’elle se détourne de son mari, elle aurait confié le prénom de Paula à plusieurs paroisses, pour qu’y soient dites des prières de détachement. Selon la mère de Paula, c’est Laurent qui ne laisse pas sa fille en paix, il est toujours présent dans sa maison et empêche Paula de poursuivre ses études dans la paix et la sérénité. L’affaire ne date pas d’hier et le père de Paula a déjà eu l’occasion de se plaindre. une réunion précédemment organisée par le sous-comité de la chorale a cherché à confronter les protagonistes. Sœur marie s’est alors rétractée et a nié avoir eu à se plaindre de Paula. Elle a affirmé qu’elle n’avait parlé à personne de relations entre son mari et Paula. À l’issue d’une réunion qui a duré cinq heures, sœur marie et son mari ont juré sur la bible que tout ce qu’on leur reprochait était mensonge. mais, dès le lendemain, les rumeurs ont repris avec encore plus d’ampleur, les menaces de sœur marie sont « devenues plus ouvertes, fréquentes et spectaculaires ». « informée de cette grave situation qui porte atteinte à l’honorabilité de la chorale […] La trinité a mené pendant près d’un mois ses enquêtes, puis après concertation a décidé de réunir les personnes mises en cause et les parents de la sœur Paula en vue de trouver une solution adéquate à cette déconcertante situation ». Chaque acteur de l’affaire est invité à prendre la parole. Laurent, invité à parler le premier dit : La trinité m’a invité ici. Elle a certainement eu une plainte contre moi concernant la sœur Paula. Je ne sais pas de quoi elle veut parler, il faut qu’elle m’explique l’affaire en question. il faut m’éclairer, après quoi je peux parler.

Paula déclare : Le bureau des visionnaires m’a convoquée un jour à Zoungbomey pour me reprocher un certain nombre de choses comme mon absence aux jours de permanence, ma paresse spirituelle, mon manque de dévouement au travail. Je leur ai dit que tout ce qu’ils me reprochent est dû à la maladie et que dès que je me sentirai mieux je reprendrai mon travail avec plus de zèle. J’ajoute que, depuis il y a plus d’un an de cela, la femme de Laurent m’accuse d’être la concubine ou l’amie de son mari. Le 2 avril, elle a vu mon frère et lui a formulé la même accusation. Elle est arrivée

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Paroisse et hiérarchie dans mon collège faire du tapage, après la réunion tenue avec le bureau de la chorale où elle a eu à nier tout ce qu’elle a dit à mon père et autres sœurs et mamans sur la paroisse et au-dehors. Depuis plusieurs mois, elle ne fait que me menacer de tout. mon père dut alors rencontrer Laurent pour lui dire de mettre sa femme en garde avant qu’il ne prenne lui-même des dispositions mais les menaces redoublent. Entretemps (juin-juillet je ne me souviens pas de la date) Laurent m’a fait des avances que j’ai acceptées. Depuis ce jour, nous avons commencé à nous rencontrer. il m’a amenée une fois à l’hôtel Gbeffa. Je résolus à faire ce que j’ai décidé avec lui mais les menaces de sa femme m’inquiètent. La désapprobation de mes parents pèse sur moi. que faire ? Je ne sais plus.

Laurent, invité à répondre, reconnaît que tout ce que Paula a dit est vrai et il ajoute : J’ai été interpellé devant la paroisse par le père de Paula. il me dit que ma femme a repris ses menaces envers sa fille et qu’il est maintenant prêt à prendre ses dispositions contre elle et qu’il pourrait aller jusqu’à battre ma femme. Je lui ai demandé de m’accorder encore un peu de temps pour voir clair dans cette affaire et la traiter. que si je ne réussissais pas, il pourrait alors prendre ses dispositions et mettre à exécution ce qu’il a l’intention de faire. Après l’avoir quitté, j’ai vu ma femme pour la mettre en garde et l’informer du danger qu’elle court en proférant des menaces contre la sœur Paula à qui j’ai eu entre-temps à déclarer mon amour. En fait je ne voulais pas avoir d’intimité avec Paula. C’est ma femme qui m’a obligé. Au moment où elle m’accusait, je ne faisais encore rien avec la fille mais quand j’ai senti que les choses se compliquaient à son niveau je me suis résolu à le faire. J’étais innocent et pourtant pour les uns et les autres je faisais tout. il vaut mieux le faire maintenant de façon officielle. J’ai dit à ma femme que si elle ne reste pas tranquille, je ferai ce dont elle m’accuse et que j’irai même loin, jusqu’à épouser Paula. D’ailleurs si elle continue elle ne mettra plus pied sur la paroisse. Dès que j’ai dit ceci, elle s’est rebellée contre moi et m’a menacé. Alors je lui ai dit que je prendrai Paula en mariage. Suite à cela j’ai appris beaucoup de choses. Longtemps après, ma femme m’a dit que le bureau des visionnaires l’avait appelée un dimanche pour lui poser des questions sur cette affaire. Ce jour-là elle est rentrée à une heure très tardive. J’ai dit après à Paula que si elle est disposée à m’épouser, je verrai ses parents. Elle m’a dit oui. J’ai commencé alors à nouer des contacts pour aller vers mes parents. J’ai vu le président de la chorale et je l’ai averti de mon projet. J’ai vu mes propres parents à cet effet. Le président de la chorale m’a dit qu’il y a trop de problèmes à ce niveau, d’aller bien réfléchir. mes parents, mes frères choristes, ils m’ont donné des conseils pour la réussite d’une telle entreprise. mais un jour, ma femme a attaqué Paula sur la paroisse pour la battre mais Dieu soit loué, hormis les injures, il n’y a rien eu de grave. À part Dieu, personne n’a plus droit sur la manière dont je dois guider ma vie. une femme n’a pas le droit dans un ménage de prendre le gouvernail du bateau. […] Paula est venue me dire que son père l’a renvoyée de la maison. La tante de Paula m’a appelé chez elle et m’a posé des questions sur ce qui se passe. Je lui ai donné tous les détails et lui ai dit que c’est ma femme même qui m’a fait la proposition d’épouser Paula […]. La tante me demanda si je veux épouser Paula, je lui ai dit oui. Sur ce dernier mot le père de Paula ouvrit le portail et entra, j’étais surpris. Après avoir demandé Paula, il dit à la tante : « Ce type veut me détruire mais avant qu’il ne le fasse, je vais déployer sur lui tout ce dont je suis capable. il ne faut plus lui permettre l’accès à cette maison ». il est parti avec Paula. il fut un temps, je sortais avec une

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Chapitre iv fille […] ma femme m’a dit qu’elle ne veut plus me voir avec cette fille et qu’à sa place elle aurait préféré la sœur Paula. Je ne peux pas continuer à un être un jouet pour ma femme. J’ai dû me résoudre à prendre une décision et ça m’engage.

Le père de Paula prenant ensuite la parole déclare : Je m’inscris en faux contre toutes les déclarations du frère Laurent. il ment purement et simplement. J’ai été saisi de cette affaire le 2 avril par la femme de Laurent, à l’église, un dimanche. J’ai été obligé de l’arrêter pour ne pas me mettre en chair, afin de bien participer à ce culte. Après le culte, j’ai informé un responsable de la chorale. La femme de Laurent a eu à me dire ce jour-là que Paula aurait été surprise dans le lit conjugal avec son mari […]. Par lettre adressée au président de la chorale, j’ai informé tout le bureau de la chorale d’une si grave accusation. Je n’ai pas pris à la légère une telle dénonciation de la femme de Laurent, parce que le 28 mars, lors d’une prière avec un groupe de prière à la plage, un visionnaire du groupe en extase demandait à Paula avec quel alagba elle sortait. Elle n’a pu répondre, elle était ébahie. Peu de temps après que j’avais écrit à la chorale, la femme de Laurent s’est plainte à moi, elle est arrivée dans mon service pour me demander de retirer ma plainte de la chorale pour éviter à son mari d’être renvoyé de la chorale. Pour tout mettre sans dessus dessous, elle est allée dire à son mari que je lui ai fait la cour. Lors de la réunion à la chorale pour le règlement de cette affaire, cette femme a tout nié. quand j’ai posé la question à ma fille, elle répondit que Laurent lui a fait la cour et que Laurent lui a même trouvé un maître d’études dans la maison de l’un de ses amis. Au moment où je continuais mon enquête, ma fille est revenue me voir pour dire que tout ce qu’elle avait dit était faux et que c’est la peur qui lui avait dicté ses déclarations. Je l’ai battue. Entre-temps à la chorale, le frère Laurent aussi avait tout nié et a même juré sur la bible qu’il n’a aucune intimité avec Paula. un jour, la femme de J. K. m’a téléphoné pour me dire : « qu’est-ce que ta fille Paula trouve de bon en Laurent ? Dis-lui de cesser de sortir avec Laurent qui a une femme menaçante sinon… ». J’ai alors vu Laurent et je lui ai dit de faire attention. il m’a dit qu’il prendra ses dispositions. J’ai été informé que la chorale avait sept jours de sécurité. Au cours de cette sécurité, beaucoup de choses déplorables se passaient. Et les menaces de la femme de Laurent, leurs querelles devant la paroisse m’ont obligé sur les conseils d’un devancier à retirer Paula de la sécurité le mardi 28 novembre. Je ne peux pas laisser ma fille vivre une telle situation, elle n’a que 18 ans, elle n’a pas réussi son bEPC l’année passée, elle a fait trois fois la classe de quatrième. Je consens beaucoup d’argent pour ses études et sa maladie […]. J’ai vu Laurent chez ma belle-mère avec Paula. Je lui ai dit qu’il veut me nuire mais qu’il ne va pas réussir et que d’ailleurs je ne lui permettrai pas. quand je retournais à la maison avec ma fille, elle a tout avoué. Elle a dit que Laurent sortait avec elle, qu’il l’a amenée à l’hôtel où il a couché avec elle. J’ai compris que Laurent entraînait ma fille dans la fornication. Comment peut-on amener une fille qu’on veut épouser à l’hôtel ? Laurent est très rusé. il a gagné ma confiance. il dépannait tous mes appareils avec zèle, il me rendait tous services et je fréquentais son foyer. C’est par ce truchement qu’il est en train de réussir à détourner ma fille. mes devanciers ! Les filles de la chorale ne sont pas en sécurité, Laurent n’est pas à son début. il va forniquer avec toutes les filles et pour qui va-t-il les laisser ? Je m’oppose à tout mariage de Laurent avec l’une quelconque de mes filles. ma fille Paula ne peut pas vivre dans une telle atmosphère, d’ailleurs Laurent n’est pas capable de prendre soin de ma fille : il est logé par sa femme. Je vais dire franchement

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Paroisse et hiérarchie que je m’en irai de Sikècodji si vous ne trouvez pas la bonne solution à cette affaire impudique. Je souhaite que Laurent s’en aille de la chorale […]. Laurent est une gangrène pour la chorale, il doit partir de là pour laisser la paix aux filles et aux femmes d’autrui afin qu’elles continuent leurs œuvres.

La mère de Paula qui prend la parole ensuite n’apporte pas d’informations nouvelles sinon que plusieurs femmes qui ont pris le parti de marie l’insultent et la provoquent. J’ai désormais peur des Chrétiens Célestes car il me semble que Laurent a envoûté ma fille Paula pour qui je suis devenue une mauvaise mère qui ne veut pas son bien.

Les membres du bureau de La trinité sont ensuite invités à donner leur avis. Le premier intervenant confirme que les choses se sont passées comme l’a expliqué le père de Paula. Le second explique qu’il a conseillé à Laurent « de prendre ses distances vis-à-vis de la sœur Paula si vraiment il n’a rien avec elle. mais s’il sait qu’il a lien avec elle, qu’il soit clair dans ses relations avec elle devant tout le monde ». Laurent lui a répondu qu’il voulait épouser Paula. Je lui ai dit que si c’est à cause des bruits de ta femme que tu veux le faire, c’est inutile. mais si c’est parce qu’il ressent un amour pour la fille c’est possible, mais qu’il sache que l’abandonner après serait préjudiciable à sa vie. Je pense qu’il peut appeler la dame marie et lui faire des mises en garde, car là où il y a le véritable amour, personne ne peut s’y opposer. Je pense que même si on renvoie Laurent de la paroisse, les deux vont se rencontrer ailleurs.

La maman qui prend ensuite la parole constate que la situation s’est compliquée par la faute de Paula qui n’a pas dit très tôt la vérité à ses parents. Elle juge, d’une part, que Paula s’est très mal conduite vis-à-vis d’eux et, d’autre part, que si Laurent veut faire un second mariage, il doit d’abord « prendre ses dispositions avec sa femme ». L’intervenante suivante pose cinq questions à Paula : — Laurent te supporte-t-il financièrement ? — Non. — veux-tu épouser Laurent ? — tout dépend des conclusions de la présente assise. — Compte tenu de la position de tes parents dans cette affaire, peux-tu encore épouser Laurent ? — Non. — As-tu une fois avorté une grossesse de Laurent ? — Non. — quelle solution trouves-tu maintenant à cette affaire déshonorante pour tes parents ? — Au début, je voulais épouser Laurent mais maintenant je suis troublée. Je ne sais ce que je vais dire.

La maman conclut en disant qu’il serait bon qu’on laisse une huitaine de jours à Paula afin qu’elle puisse mieux réfléchir. La parole est redonnée à Laurent pour qu’il dise ce qu’il pense maintenant, il dit :

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Chapitre iv Je ne peux plus me tirer, je n’ai pas le droit d’abandonner la fille car je l’ai connue déjà. Je dois me faire le devoir de l’épouser quelle que soit l’opposition de ma femme.

Le rédacteur du procès-verbal ajoute que, « sans pudeur et sans respect », Laurent dit encore : « J’ai couché la sœur Paula déjà, je ne peux plus la laisser ». Le procès-verbal signale : « À ces mots, le père de Paula dépassé et submergé par ces flots d’impudicité se leva pour rentrer ». On le retient, il se rassied et déclare : ma fille manque d’expérience de vie. Elle n’est pas consciente. Laurent continue de tirer sur la ficelle. il n’aura jamais la victoire mais il prendra la charge de toutes les conséquences de cette affaire.

La séance continue avec l’intervention d’autres membres du bureau. Le secrétaire général de La trinité, auteur du procès-verbal que nous suivons, lui-même de chair faible et grand pécheur devant l’éternel 36, dit : Le frère Laurent manque de pudeur et de respect même devant les parents de Paula. il prétend qu’il ne peut plus laisser Paula parce qu’il l’a connue. A-t-il épousé toutes les filles avec lesquelles il s’est couché ? Je ne sais pas pourquoi il insiste alors que les parents s’opposent à son projet.

Puis s’adressant directement à Laurent : tu as le devoir impérieux de laisser la sœur Paula continuer ses études, car elle ne peut pas réussir à la fois ses études et le sexe, deux choses qui ne sont pas conciliables. À la limite, tu mérites d’être arrêté et enfermé avec les menaces de ta femme car tu as été l’instigateur de tout ceci. tu es même décidé à détruire la chorale puisque cette sale affaire brouille toute la chorale au sein du bureau comme parmi les choristes. En tant que l’un des responsables, tu devrais te prendre plus au sérieux, tu ne peux pas user de ce manteau pour faire ce que te dicte ta chair avec la sœur Paula ou avec les filles de la chorale. Déjà que nous n’avons pas une bonne renommée à la chorale, nous ne devons plus exposer… ou permettre à ceux qui nous accusent de voir ce qu’ils nous reprochent. Laurent, tu nous as éclaboussés, non seulement à la chorale mais aussi à La trinité. Aujourd’hui tu as intérêt à voir la réalité en face, il faut sortir de tes hallucinations, ce que tu fais n’a pas de mérite. Paula n’est pas la seule fille au monde, une femme te plaît, tu en as d’autres. Les parents de Paula te refusent déjà la main de leur fille. il ne faut pas les forcer ni forcer leur fille dont la vie est en danger dans la main de ta femme marie.

un autre frère exprime sa tristesse de ce que les intéressés ont cherché à semer la confusion « oubliant que nous sommes dans la lumière de Dieu ». il constate que la sœur Paula s’est montrée insolente envers ses parents et dit à propos de Laurent que « c’est une honte de chercher à prendre une seconde femme quand on est encore logé et nourri par sa première femme ». il déplore que la chorale ait failli. « Cette chorale regorge de tout ce qui est déplorable », dit-il. La parole passe à un autre participant qui est visionnaire. il dit : J’ai peur car ce que l’ange me montre et que je vois est horrible. Devant Dieu, devant les hommes, j’ai vu les deux intéressés remplis d’obscurité. J’ai vu le frère Laurent avec une femme et celle-ci a un enfant. quelques instants après je n’ai plus vu la femme et l’enfant, et la maison qu’ils ont quittée a été recouverte d’herbes. Après

36. Ce secrétaire sera renvoyé de la paroisse ultérieurement pour une affaire de vol.

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Paroisse et hiérarchie j’ai encore vu une autre femme avec un autre enfant dans une chambre sombre. Elle aussi est partie avec son enfant. Puis encore j’ai vu une autre femme portant un autre enfant dans ses bras, dans une chambre dont la porte est entrebâillée. Laurent, tu auras beaucoup de difficultés dans ta vie conjugale. il faut que tu pries beaucoup. maintenant si je quitte le monde des révélations spirituelles, je vais te dire que tes propos sont d’une impudicité déroutante et que ta conduite est irrespectueuse. tu n’as même pas réfléchi aux conséquences de tes actes sur la chorale dont tu es un des responsables, sur La trinité et sur la paroisse. Pour toi, c’est ton intérêt qui compte, tout le reste, même l’œuvre de Dieu est à terre. tu n’as pas du tout le sens des responsabilités.

D’autres interventions suivent encore qui n’apportent rien de plus à ce qui a déjà été rapporté. Puis les intéressés se retirent pendant que La trinité délibère. Elle prend les décisions suivantes : – Laurent doit signer l’engagement qu’il ne récidivera pas. – Laurent est suspendu de ses activités à la chorale de ce jour jusqu’à nouvel ordre. – marie sera mise en garde par La trinité pour avoir menacé Paula. – une autre sœur qui avait pris le parti de marie et insulté Paula et sa mère sera appelée par le bureau de La trinité et recevra un avertissement pour ses propos injurieux. Précédemment, en citant le témoignage du pasteur Dako, nous avons fait état de la réputation sulfureuse dont souffrent les Chrétiens Célestes en matière d’exercice de la sexualité et de la facilité avec laquelle l’opinion les associe à l’imaginaire de mami Wata. malgré son obsession de la pureté et le dressage des corps et des esprits que l’église met en œuvre, elle s’expose à la réprobation des autres chrétiens en acceptant la polygamie, c’est-à-dire les diverses formes de concubinage et d’irresponsabilité masculines qui se dissimulent aujourd’hui sous cette pratique. il faut reconnaître qu’en ces matières, l’église se montre extrêmement conformiste et véhicule à grand renfort de citations pauliniennes une vision très sexiste de la femme. Dans les diverses affaires que nous avons présentées, la duplicité masculine n’est pas ce qui fait problème, sauf si elle entache l’honneur d’un autre homme. mais ce que l’on reproche surtout aux protagonistes, c’est d’éclabousser la réputation de la communauté, ce pourquoi les femmes – quand bien même elles sont les premières victimes de ces histoires –, sont sanctionnées de les avoir rendues publiques. bien que les Chrétiens Célestes commentent souvent dans leurs prêches les passages bibliques qui commandent de s’aimer les uns les autres, comme les autres chrétiens, ils ont beaucoup de mal à mettre ce principe en œuvre. Nous avons dit que les conflits personnels sont bien souvent ce qui motive le départ d’un groupe et la fondation d’une nouvelle paroisse. beaucoup de fidèles se montrent très critiques envers leurs dirigeants et stigmatisent le favoritisme et le clientélisme dont ces derniers font preuve particulièrement dans la distribution des aides financières et dans la promotion hiérarchique. Sans nier le fait que les paroisses sont des lieux où une personne s’insère dans un nouveau réseau de relations qui peut représenter une alternative aux liens familiaux et professionnels, elles sont loin d’être des lieux édéniques qui fourniraient un soutien permettant de pallier les carences de l’état et la faillite des solidarités 143

Chapitre iv lignagères. Les fréquenter engendre même de nouveaux problèmes de relation qui expliquent la mobilité d’une paroisse à une autre (voire d’une l’église à une autre) de certains fidèles. Néanmoins d’autres paroissiens restent là où ils sont parce qu’ils pensent que l’herbe ne sera pas plus verte ailleurs. « quelle que soit l’église que tu fréquentes, il y aura toujours des brebis galeuses », disent-ils. « moi, je viens ici adorer mon Dieu et je ne m’occupe pas des autres » est une réflexion que l’on entend souvent. beaucoup se montrent très attachés aux modalités particulières de leur culte qu’ils jugent supérieures à celles d’autres dénominations : « Dans cette église, il y a vraiment la “force” » et pour cette raison continuent à porter leur croix et la bannière céleste.

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ChApitRE v L’éGLiSE DESCENDuE DES CiEuX

Les Célestes conçoivent leur église comme une nef (la dernière barque pour le salut) descendue des cieux. Les rites que l’on y pratique copient ceux que les anges rendent à Dieu au ciel, et l’on attend de ces célestes créatures qu’elles viennent assister leurs imitateurs humains durant les cultes. Si tous les Célestes s’accordent sur ces quelques propositions, l’accord ne se fait pas quant à la façon d’interpréter tel ou tel élément de la liturgie, ni même sur la manière exacte d’exécuter certains rites. La bible et les révélations reçues par Oshoffa sont les deux sources qui viennent justifier les pratiques mais le fondateur étant mort, aucune autorité n’est assez affermie aujourd’hui pour trancher entre les divergences que font apparaître les versions successives de l’ordre du culte ou ses versions nigérianes et béninoises. Le sentiment de détenir la bonne façon de faire est des mieux partagés et se fonde sur divers arguments. Certains se légitiment d’avoir connu le pasteur et de l’avoir longuement côtoyé. Certains, réinventant une forme de “tradition”, pensent que plus la version de l’ordre du culte est ancienne, meilleure elle est. À l’inverse, d’autres pensent que les versions récentes rectifient les erreurs que contenaient les anciennes. D’autres font ce qu’ils ont toujours vu faire et pensent que si la pratique d’une paroisse ou d’un officiant était erronée, une révélation reçue par un visionnaire viendrait le signaler. Les commentaires sur les objets et les pratiques rituels, qu’ils soient livrés de façon artificielle en réponse aux questions de l’ethnologue, ou spontanément lors des prédications ou des différents cours organisés par la paroisse, varient suivant que le locuteur est ancien ou nouveau dans l’église, proche ou éloigné de l’autorité pastorale, qu’il était auparavant catholique ou protestant, qu’il est porté ou non aux spéculations théologiques ou ésotériques, qu’il a accès ou non à une littérature religieuse autre que la bible. Certains détails rituels font l’objet de discussions passionnées : dans tel culte, faut-il dire un Gloria ou deux ? Le dire avant ou après telle autre séquence rituelle ? D’autres discussions engagent plus avant dans des choix éthiques et cherchent à clarifier certains points du canon sur lesquels l’église se montre ambiguë, la polygamie par exemple. D’autres, enfin, témoignent d’une tension entre deux courants de pensée dans l’église. L’un défend une conception ritualiste et se montre très attaché aux “travaux spirituels” (les prescriptions des visionnaires), l’autre dénonce les excès du premier et soutient une conception plus intériorisée qui fonde l’obtention du salut sur l’obéissance aux lois divines, telles qu’elles furent révélées à Oshoffa et telles que les visionnaires peuvent encore les délivrer aujourd’hui pour chacun, cette seconde tendance n’est donc pas une critique de la divination mais une critique du rôle que certains lui font jouer. Dans ce chapitre, nous décrirons dans une première partie l’organisation de l’espace d’une paroisse, et dans une seconde le culte dominical en suivant, en ce qui concerne les lectures, le choix des cantiques et la prédication, la messe célébrée le dimanche 18 février 2001, à Sikècodji.

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Chapitre v i. L’espace rituel Dès que l’on entre dans l’espace d’une paroisse (churchi kp&am`E 1), il faut se déchausser. Souvent un panneau apposé au portail vous en donne l’ordre et la raison : « Ôte tes souliers de tes pieds, car le lieu sur lequel tu te tiens est une terre sainte » (Actes vii, 33 ; Exode 3, 5). Les concessions où s’élèvent les paroisses diffèrent sensiblement par leur taille et la disposition des bâtiments mais on y trouve toujours le temple et son parvis, un jardin de prière et son autel. Divers autres bâtiments plus ou moins nombreux et spacieux abritent une salle de vision, une sacristie, des vestiaires (le plus souvent trois : pour les hommes, pour les femmes et pour les devanciers), des douches et des toilettes, une salle pour le culte dominical des enfants, des bureaux, différentes pièces qui servent pour l’accueil des malades, la répétition de la chorale, les cours et les réunions 2. Rosalind hackett écrit que « la liturgie céleste est une tentative consciente de construire une oasis de salut, “une poche de pureté”, au milieu d’un monde corrompu et plein de péchés » 3. Cet effort commence par la clôture de l’espace, toujours ceint de murs ou d’une palissade qui le séparent du monde extérieur et de ses dangers. 1. Le temple Le temple est un bâtiment de forme rectangulaire, le mur du fond contre lequel est construit l’autel doit être, si la configuration du terrain le permet, orienté à l’est 4. Le choix de cette orientation résulte d’une révélation faite à Oshoffa 5. Le chœur, appelé “le lieu saint” ou plus couramment “le saint”, est séparé du reste du temple par une rampe basse traversant toute l’église et comportant trois entrées, une centrale, large, et deux plus petites de chaque côté. Des sièges sont installés dans cet espace où seuls peuvent venir s’asseoir les fidèles masculins ayant atteint un certain grade dans la hiérarchie de l’église. L’espace de l’autel, appelé “le saint des saints”, est construit une ou deux marches plus haut que le reste du chœur et en est séparé par une nouvelle rampe, en forme de u, comportant une large ouverture centrale. Au milieu du mur du “saint des saints” se trouve le grand autel. C’est une table ou un buffet entièrement recouvert d’une nappe qui descend jusqu’au sol, trois croix sont cousues sur ce linge selon la technique du tissu appliqué ainsi que l’inscription wiw$e wiw$e wiw$e (saint). Parfois, les croix sont remplacées par un logo représentant les trois lettres JhS entrelacées. Au bénin, tous les fidèles pensent que ce sont les initiales de Jésus, Sauveur, homme et le traduisent soit par Jésus, homme et Sauveur, soit par Jésus, sauveur des hommes 6. Jeffrey Carter rapporte qu’au Nigeria beaucoup de fidèles pensent que ce sont les initiales des

1. kp&am`E signifie « enclos », de la même façon, on parlera de h`un kp&am`E pour le sanctuaire vodun. 2. La maison du chargé paroissial peut se trouver aussi dans cet espace mais c’est rarement le cas dans les villes où la place est comptée. 3. R. i. J. hackett (éd.), New Religious Movements in Nigeria, op. cit., p. 170. 4. Les Chérubins et Séraphins orientent leur temple à l’est. Les églises des missions chrétiennes sont orientées vers Jérusalem, les musulmans se tournent vers La mecque pour prier. 5. Cf. article 177 de la Constitution. 6. Ce sigle est inspiré du monogramme ihS qui est l’abréviation du nom de Jésus en grec, le h étant un êta majuscule mais il est souvent interprété comme venant du latin Iesu Hominum Salvator (Jésus, sauveur des hommes). Ce sigle dont on marquait souvent les hosties s’est largement répandu dans tout le monde chrétien.

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L’Église descendue des cieux prénoms d’Oshoffa (JbS) ou de l’expression Holy Spirit of Jesus et que seules les personnes parvenues au plus haut niveau de la hiérarchie interprètent correctement le sigle 7. Sur le mur auquel s’adosse l’autel est pendu un crucifix de style catholique (avec la représentation du corps du Christ et l’inscription iNRi 8). Au-dessus sont peints les emblèmes de l’église : un arc-en-ciel, dans lequel est écrit le nom de l’église en français et en deux autres langues (à Cotonou, le plus souvent en gun et en yoruba) 9, une couronne et un œil. Des variantes sont possibles. À Sikècodji, la croix est en tube fluorescent, la représentation du Christ en croix étant intégrée dans le grand chandelier. Le nom de l’église n’est pas inséré dans un arc-en-ciel mais dans l’image d’une sangle, à l’imitation du dessin qui illustre la couverture de Lumière. Les quatre éléments de cet emblème : couronne, arc-en-ciel, œil, croix 10, ont été révélés à Oshoffa (ou à d’autres prophètes des premiers temps) mais reçoivent également une justification scripturaire. La tradition céleste nous dit que l’église fut nommée à la suite d’une révélation reçue par A. Yanga, un des sept jeunes hommes qui tombèrent en transes chez Oshoffa dans les tout premiers jours de l’église. il aurait demandé une craie et inscrit “Christianisme Céleste” en demi-cercle sur un mur. Le premier commentaire prêté à Oshoffa est que le culte de la nouvelle église devait, sur la terre, être semblable à celui qu’au ciel les anges rendent à Dieu. idée qui était déjà celle qui fondait l’église des Chérubins et Séraphins. un demicercle et le terme “céleste” suggèrent presque naturellement l’idée d’arc-en-ciel. Pour le grand connaisseur de la bible qu’était Oshoffa, l’arc-en-ciel évoque immédiatement Noé et l’alliance entre Dieu et la terre. « Et Dieu dit : c’est ici le signe de l’alliance que j’établis entre moi et vous et tous les êtres vivants qui sont avec vous, pour les générations à toujours : j’ai placé mon arc dans la nue et il servira de signe d’alliance entre moi et la terre » (Genèse 9, 12-13). mais, dans cette région, l’arc-en-ciel ne peut pas ne pas faire penser également à la divinité Dan Arc-enCiel, le serpent géant dont l’ombre colorée se projette sur le ciel quand il sort de sa retraite. En s’enroulant sur lui-même, il empêche la terre de s’enfoncer dans la mer. Selon bernard maupoil, « Dan remplit une fonction de relation entre le ciel et la terre », principe de bonheur et de prospérité, il entretient la vie et participe aux nouvelles naissances, car il apporte les âmes des enfants du ciel sur la terre 11. On se trouve donc ici en présence d’un symbole doublement satisfaisant qui, dans la coutume comme dans la bible, évoque un lien positif entre la terre et le ciel. On dit que le jour de l’enterrement d’Oshoffa, par deux fois un arc-en-ciel apparut, une fois dans l’eau à nouveau jaillissante d’une fontaine que l’on savait tarie, puis à nouveau au moment de la descente du cercueil au tombeau. En juillet 1999, alors que bada se trouvait en tournée pastorale en France, on lui fit savoir que, dans sa

7. J. D. carter, « the Celestial Church of Christ : Syncretism, Ritual Practice and the invention of tradition in a New Religious movement », thèse, université de Chicago, 1997, p. 174. 8. iNRi sont les initiales de Jésus de Nazareth roi des Juifs (en latin). 9. La traduction de « Christianisme Céleste » en gun est ag`un w&ew`e o l$On t&On (assemblée sainte du ciel). 10. Les Célestes ne sont pas d’accord sur l’ordre à donner à ces différents éléments, l’église de PortoNovo les ordonne ainsi du haut vers le bas : la couronne, l’arc-en-ciel, l’œil, la croix, tandis que l’église nigériane inverse la place de l’œil et de la couronne. 11. b. mauPoil, La Géomancie à l’ancienne Côte des Esclaves, institut d’Ethnologie, Paris 1981 (19431), p. 73.

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Chapitre v maison de Ketu, un arc-en-ciel était apparu au-dessus d’un bac recueillant les eaux de pluie et que des fidèles présents s’étaient partagé cette eau jugée miraculeuse. bada se montra très ému de la nouvelle et y vit un signe supplémentaire qu’il était bien le légitime successeur d’Oshoffa et le pasteur choisi par le Saint-Esprit. il est fort possible que pour un Céleste venu du vodun et fraîchement converti l’arc-enciel évoque plus Dan que Noé et l’alliance du Dieu de l’Ancien testament avec les hommes, mais il n’en va pas de même pour des Célestes venus d’autres horizons culturels. On voit comment, à partir d’une notion empruntée aux Chérubins et Séraphins – le culte que les anges rendent à Dieu –, et à l’aide d’une image connotée par la tradition vodun mais réinterprétée à travers le message biblique – l’arcen-ciel –, est obtenu un symbole fort pour le Christianisme Céleste, celui de l’église descendue des cieux par la grâce de l’alliance entre Dieu et Oshoffa. La couronne est la couronne de vie éternelle, la couronne de gloire promise à ceux qui accéderont au salut (Apocalypse 2, 10 ; 4, 3-4 ; 2 timothée 4, 8) 12. De nombreux cantiques font référence à la couronne de vie 13 : mettez-vous à l’œuvre, vous les saints, vous qui êtes disciple du Christ, Car la sainte couronne sera vôtre Dans une grande allégresse céleste ! (3e couplet du cantique 32 gun) Peuples, prosternez-vous Pour recevoir la couronne de vie que Jésus nous a promise. Couronne du Roi de Gloire Couronne, Couronne du roi de Gloire ! (2e couplet du cantique 40 gun) La puissance du ciel descend Pour nous aider à œuvrer. Ceux qui te consacreront leur vie Recevront la couronne. (2e couplet du cantique 173 gun)

Certains chercheurs ont souligné le fait que les aladura sont plus préoccupés par la recherche du bonheur en ce monde que de sauver leur âme, mais les nombreux cantiques célestes qui font allusion au salut, et la couronne qui figure dans leur emblème, suffiraient à démontrer que dans le cas des Chrétiens Célestes l’imbrication entre ces deux aspirations est plus complexe.

12. « Sois fidèle jusqu’à la mort et je te donnerai la couronne de vie », « Autour du trône je vis vingtquatre trônes et sur ces trônes vingt-quatre vieillards assis, revêtus de vêtements blancs et sur leurs têtes des couronnes d’or », « Désormais la couronne de justice m’est réservée ; le Seigneur, le juste juge, me la donnera dans ce jour-là et non seulement à moi mais encore à tous ceux qui auront aimé son avènement ». 13. La couronne est nommée en gun et en fon : j`Egb`ak&un, (de : j$E = perle et gb`ak&un = chapeau, coiffe)

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L’Église descendue des cieux L’œil est l’œil de Dieu (cf. 2 Chroniques 16, 9 ; Job 34, 21 ; Proverbes 15, 3) 14 qui symbolise son omniscience. Grande est la tentation d’interpréter l’œil comme un symbole de la vision qui a tant d’importance dans l’église mais ce n’est pas l’idée que s’en font les Célestes. Le commentaire qui est généralement fourni à propos de leur emblème est que dans l’église descendue des cieux (arc-en-ciel), en portant sa croix (le fardeau de sa vie) sous l’œil de Dieu, le fidèle obtiendra la couronne de gloire, la vie éternelle. Au centre de l’autel est posé un tabernacle, surmonté d’un chandelier à sept branches, à gauche se trouve une petite lampe à huile qui reste constamment allumée (cf. Exode 27, 21) 15, et à droite un encensoir neuf dont jamais on ne se sert. Le chandelier, l’encensoir et le tabernacle résultent d’une révélation reçue par mawunyon, le neveu d’Oshoffa. La Constitution bleue raconte ainsi cette vision : 81. Ce fut mawunyon qui prophétisa que nous devions prier avec sept bougies. il prit un morceau de bois et dessina la forme du chandelier à sept branches. En relation avec cela et toujours rempli du Saint-Esprit, il entonna une chanson puissante qu’il semble que nous avons oublié plus tard, il la chanta en yoruba comme suit : Awon agba tan fitila meje Wa gbadura wa (que l’ange qui allume les sept lampes vienne nous ceindre de cette force) […] 83. Ce fut mawunyon qui nous indiqua comment au ciel un pot d’encens était en train de se balancer et la chanson suivante accompagnait ce mouvement : Yah rah sah rah Yah rah sah mattah (bis) qui signifie traduit en yoruba : E tan fitila Mimo latorun wa (Allumez les lampes saintes du ciel). il révéla la même nuit que ce cantique devait être suivi par celui-ci : Yah rah mah Hi yah rah mah Yah rah mah Yah rah Yah rah man qui signifie traduit en yoruba : Wa ka lo Sodo Oluwa Wa ka lo

14. 2 Chroniques 16, 9 : « Car l’éternel étend ses regards sur toute la terre, pour soutenir ceux dont le cœur est tout entier à lui » ; Job 34, 21 : « Car Dieu voit la conduite de tous, il a les regards sur les pas de chacun » ; Proverbes 15, 3 : « Les yeux de l’éternel sont en tous lieux, observant les méchants et les bons ». 15. « […] pour que les lampes brûlent du soir au matin en présence de l’éternel. C’est une loi perpétuelle pour leurs descendants et que devront observer les enfants d’israël ».

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Chapitre v Sodo Oluwa (Allons vers le Seigneur, Allons vers le Seigneur). mais il dit qu’avant de reprendre ce cantique, nous devions construire une boîte que nous appellerions “mattah”. Au fond devait être conservés la croix et le bâton 16 qui sont le symbole de l’alliance entre le Christ et moi, dessus nous devions poser les bougies utilisées à l’autel.

Nous ne savons pas si une paroisse conserve la croix et le bâton fabriqués par Oshoffa, les tabernacles ordinaires sont toujours vides. On conserve des bougies dans des boîtes posées sur l’autel ou en dessous. En plus des objets cités, une bible (parfois sur un lutrin) est conservée sur l’autel. Des vases contenant des fleurs artificielles le décorent. Sur le sol recouvert de nattes, devant l’autel, est posée une cloche dont on se sert durant les cultes. À droite de l’autel se trouve un fauteuil beaucoup plus élaboré que les autres sièges qui se trouvent dans le chœur. il est réservé au pasteur de l’église, souvent un portrait d’Oshoffa y est posé. À gauche de l’autel se trouvent deux autres sièges qui sont réservés aux deux personnes les plus gradées après le pasteur. Dans la plupart des paroisses, tous les sièges qui sont à l’autel sont recouverts de pagnes miraculeux, linges blancs sur lesquels sont cousues trois croix bleues et qui ont été sanctifiés par une prière. L’autel étant l’endroit le plus saint du temple, souvent on remise dessous une bassine en émail blanc pleine d’eau, des bougies, un flacon de parfum et un d’huile sainte afin que ces objets bénéficient des saintes effluves du lieu. Devant le chœur, du côté gauche, c’est-à-dire face aux femmes, se trouve un pupitre généralement surélevé destiné au prédicateur. Le grand autel n’est utilisé que lors de certains cultes dont celui du dimanche matin et du premier jeudi de chaque mois. Pour les autres cultes, un petit autel démontable recouvert d’une nappe, sur lequel on pose des fleurs, une cloche, une lampe à huile et un chandelier à sept ou à trois branches, est disposé au centre de l’espace qui sépare la rambarde de l’autel du premier rang de sièges. Selon Jeffrey Carter 17 cet usage remonte à 1965 et vient d’une révélation reçue par des visionnaires de la paroisse de makoko. ils virent que, durant les services du mercredi et du vendredi soir, l’autel était occupé par des anges. Oshoffa donna alors l’ordre de conduire ces cultes à partir d’un petit autel pour ne pas déranger les anges qui gardaient le grand. un temple possède trois entrées, une entrée centrale large et deux plus petites à droite et à gauche. De part et d’autre de la grande entrée sont fixés des bénitiers. Au début de l’église, le temple ne possédait pas de sièges pour les fidèles qui s’asseyaient au sol sur des nattes mais à leur demande, Oshoffa intercéda auprès de Dieu et il fut accordé aux simples fidèles le droit de s’asseoir sur des chaises. Celles-ci sont disposées en rangées avant les cultes et restent empilées le long des murs en dehors des services. Certains cultes, tel que celui du premier jeudi du mois, prohibent l’usage des chaises, les fidèles s’assoient alors sur des nattes. quand les chaises sont installées, une large allée est laissée libre au milieu du temple qui

16. Cf. chap. ii 17. J. D. carter, « the Celestial Church of Christ : Syncretism, Ritual Practice and the invention of tradition in a New Religious movement », thèse de Philosophie, université de Chicago, 1997, p. 180-181.

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L’Église descendue des cieux conduit de la porte centrale à l’autel, à gauche s’assoient les femmes et à droite les hommes 18. Les femmes entrent dans le temple par la petite porte de gauche, les hommes par la petite porte de droite ; le conducteur, la chorale et les devanciers entrent par la porte centrale selon un ordre sur lequel nous allons revenir lorsque nous décrirons le culte dominical. Les murs sont généralement peints de couleurs claires, crème, bleu pâle ou jaune pâle. Si la paroisse est riche, le sol en est carrelé, souvent des carreaux de couleur différente dessinent des groupes de trois croix similaires à ceux dont les linges sacerdotaux sont frappés. On trouve encore dans un temple une horloge et des tableaux de bois sur lesquels sont indiqués les numéros des cantiques du jour. Devant le temple se trouvent un espace couvert (appelé le porche) puis un espace découvert (le parvis) où se déroulent certaines séquences rituelles. 2. Le jardin de prière En plus du “saint” du temple, une paroisse compte un autre lieu considéré comme sacré, il s’agit d’un oratoire, nommé “jardin de prière” ou “désert”. En fon et en gun, il est appelé z`ungb&om`E (z`un = forêt, gb&o = grande, m`E = dans). Ce lieu qui figure un morceau de nature enchâssé dans l’espace de la paroisse est un autre des emprunts fait par le Christianisme Céleste aux Chérubins et Séraphins 19. C’est un espace rectangulaire à ciel ouvert, ou abrité d’une frêle toiture, dont le sol est totalement ensablé. il est ceint de blocs de pierre s’il n’est pas partiellement clos par des murs et présente sur le côté faisant face à l’autel une barrière ouverte d’une ou de deux portes. Si la disposition des lieux le permet, il est ombragé par des arbres et bordé de plantes vertes. un autel plus petit que celui du temple, généralement maçonné, également orienté à l’est, y est construit, un chandelier à sept branches y est posé. Contrairement à l’espace du grand autel, tous les baptisés, hommes ou femmes, peuvent entrer dans z`ungb&om`E mais les femmes ne doivent pas s’approcher de l’autel, de même qu’elles ne doivent pas toucher à l’eau qui y est conservée dans un fût. Le culte du vendredi, plus particulièrement célébré pour ceux qui demandent les dons de l’Esprit Saint, est conduit depuis cet autel, ainsi que la cérémonie du lavement des pieds qui a lieu pendant la semaine sainte. Les Célestes assimilent z`ungb&om`E au désert où Jésus fut tenté par Satan pendant quarante jours. Cet espace où la présence de l’Esprit Saint et des anges se fait fortement sentir est plus particulièrement considéré comme l’espace des visionnaires, pour cette raison certains auteurs évoquent à son sujet f&az`un (la forêt du Fa), cette clairière en forêt où se déroule une phase du rite d’initiation des bok&On`O (devin). Nous pensons que si cet espace, comme son nom l’indique, peut référer à une forêt, c’est plutôt à celle où Oshoffa vécut sa transformation que penseraient les Célestes. Les anciens disent que z`ungb&om`E n’a pas toujours existé dans les paroisses et qu’au début de l’église ils se rendaient en brousse pour certains travaux spirituels (ce que d’ailleurs ils font toujours), la croissance de l’église en zone urbaine et la

18. C. Roussé-Grosseau note que « l’usage dans les missions catholiques était de séparer les hommes et les femmes : “les hommes du côté de l’évangile, les femmes du côté de l’épître”, comme dans les paroisses rurales de France au siècle dernier ». C. roussé-Grosseau op. cit., p. 278. Les Célestes ont repris l’usage mais ont inversé la position des hommes et des femmes. 19. une autre église aladura, la Church of the Lord, possède également un espace de ce type (h. W. turner op. cit.).

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Chapitre v volonté d’Oshoffa que toutes les activités de l’église soient cantonnées à l’espace des paroisses auraient poussé à l’adoption de cette “brousse” interne, “révélée” au pasteur mais dont les Chérubins et Séraphins fournissaient déjà le modèle. 3. La pierre de saint Michel Le troisième élément remarquable d’un enclos paroissial est la pierre dédiée à l’archange du combat. Sa place varie selon les paroisses mais elle doit se situer à l’extérieur du temple comme du jardin de prière. C’est sur cette pierre que l’on va brûler ou casser les objets qui, ayant servi lors de travaux spirituels, se sont chargés des forces maléfiques qui faisaient souffrir les patients que l’on a traités. Lorsqu’on crée une nouvelle paroisse, c’est le premier élément qui y est rituellement installé. La cérémonie dite de la pose d’une première pierre peut se faire après une messe d’action de grâces ou être célébrée seule. Dans ce dernier cas on demande seulement l’animation d’une chorale. En dehors de l’espace où sera construit ultérieurement le temple, un trou sera creusé où un tiers de la grosse pierre choisie viendra se loger, on prépare également du mortier. telles sont les recommandations de l’ordre des cultes mais dans le cas d’une cérémonie à laquelle nous avons assisté, la pierre a été posée dans une sorte de grande coupe sur pied en ciment. La chorale, les devanciers et les assistants se rassemblent en un large cercle autour de la pierre. La chorale chante plusieurs cantiques. quand l’animation cesse, l’officiant du culte se place devant la pierre face à l’est et fait le signe de croix en disant un Gloria : « Gloire soit au Père, au Fils et au Saint-Esprit ». L’assistance répond « comme il était au commencement, maintenant et toujours aux siècles des siècles. Amen ». Le conducteur prononce alors une prière de louange à Dieu et expose les circonstances de la réunion. il récite ensuite le Notre Père, puis la chorale chante un Gloria et un cantique de louange. Le célébrant prononce alors trois fois le saint nom Eli Him Jah, l’assistance répond à chaque fois wiw$e (saint). Le conducteur lit un passage biblique qui est souvent Zacharie 6,12-13. La pierre est placée dans son logis, le conducteur jette du mortier devant la pierre, à droite et enfin à gauche de la pierre. il invite les devanciers et les invités de marque à déposer également du mortier dans le trou. un devancier dit une prière de remerciement et de rehaussement. La chorale chante un nouveau cantique de louange. un Notre Père est à nouveau récité, suivi d’un Gloria. un devancier supérieur donne la bénédiction. Et l’assemblée crie « Alléluia » sept fois, avant de se séparer. Cette cérémonie est la seule de la liturgie céleste où l’assemblée se dispose en cercle, manifestant ainsi que l’espace n’est pas encore orienté, c’est le geste que fait le conducteur quand il jette le mortier qui détermine les orients et fonde la nouvelle église. Cette équivalence entre fonder et orienter l’espace est à nouveau réaffirmée lors du culte de fondation d’un temple. La paroisse peut depuis longtemps fonctionner avec un baraquement en guise de temple. Cette cérémonie se célèbre au moment où le bâtiment va être construit en dur et où les fondations ont déjà été creusées. Nous n’avons jamais assisté à cette cérémonie. Les ordres de culte béninois et nigérian diffèrent quant à la manière de la célébrer, les Nigérians n’accomplissant qu’une seule cérémonie là ou les béninois en font deux (celle-ci et celle précédemment décrite) mais le principe reste le même, il s’agit d’enterrer cinq pierres et cinq bougies (à chaque angle du bâtiment et au centre) pour les béninois, quatre pour les Nigérians qui ne marquent le centre que par trois bougies allumées. Les pierres sont enfouies à l’issue d’un culte qui suit les grandes lignes du culte dominical. 152

L’Église descendue des cieux il semble qu’une pierre soit également présente sous le grand autel. un fidèle, maître d’autel, nous raconte qu’il a assisté à la construction d’un temple à Abomey : Donc quand on a fini de construire la chapelle à Abomey, pour le grand autel, on a creusé un trou assez profond et on a placé une grosse pierre dedans, on a allumé sept bougies autour, on a versé de l’huile sainte comme pour sanctifier, à l’image de ce que Jacob a fait quand il allait chez son oncle Laban. il a pris une pierre, il a versé l’huile là-dessus et il a appelé le lieu « béthel ». Donc devant moi, on a mis de l’encens, on a mis du parfum sur la pierre et on a allumé comme pour sanctifier la pierre. Après ça on a choisi sept devanciers ; comme il n’y avait pas sept devanciers, j’ai prié avec eux ce jour-là, et puis on a lu un passage de la bible et après on a prié. On a dit : « Dieu c’est toi qui as fait descendre l’église céleste par les mains de notre prophète Oshoffa et tu nous as dit que là où deux s’assemblent en ton nom, tu es au milieu d’eux. Et tu as dit à Pierre, que sur cette pierre tu bâtirais ton église. voici ton église en ce lieu aujourd’hui, descend en ce lieu et exauce nos prières, exauce les promesses que tu as faites à ton serviteur Oshoffa, que les anges qui ont travaillé avec lui dans la brousse descendent en ce lieu ! ». Après on a fermé et les maçons sont venus pour cimenter le lieu. On a fait ça un jeudi et le dimanche qui a suivi on a célébré le culte […]. maintenant qu’est-ce qui est arrivé ? C’était dans la brousse, au beau milieu de la brousse. Le soir on était assis dans la chapelle quand brutalement un serpent est entré. L’autel doit être séparé ; nous, avec une craie, on avait fait un trait blanc comme séparation. Donc on était assis quand le serpent est entré. Aussitôt il s’est dirigé vers l’autel. Arrivé au niveau du trait blanc, la chose l’a arrêté, il ne pouvait plus continuer, il faisait des tours et des tours et finalement on l’a tué. L’autel, c’est vraiment un lieu très sacré !

Dans l’espace de la paroisse, constamment purifié par des aspersions d’eau bénite et par la fumée des encens, le Saint-Esprit assisté par les anges peut descendre communiquer sa force (hl`Onhl&On) aux fidèles. Les anges sont des intermédiaires entre le ciel et la terre. ils viennent avertir, instruire, encourager les humains. Les Célestes pensent qu’il y a une infinité d’anges mais n’en nomment que cinq : les quatre archanges et Jimata, un ange qui est invoqué lorsqu’on bénit de l’eau ou en d’autres occasions comme le montre ce cantique : Je vous demande l’intégrité, vous, les prophètes de l’église Céleste Ôtez toutes vos mauvaises habitudes, Pour vous approcher de Dieu. Ce message vient de saint Jimata qui vous demande de vous réjouir De vous purifier également Pour vous approcher du Christ. (cantique 104)

Conformément aux écritures, michel est considéré comme l’archange du combat, le chef de l’armée des anges, et Gabriel, comme un messager et l’archange du bonheur. Le premier est associé à l’Est et le second à l’Ouest. Les Célestes nomment également uriel qu’ils associent au Nord et Raphaël qu’ils associent au Sud. Certains Célestes, plus savants que d’autres, font des recherches dans les textes

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Chapitre v théologiques et connaissent le nom des trois autres archanges 20 que l’on associe aux quatre précédemment cités pour atteindre le nombre sacré de sept. ii. Le culte dominical Oshoffa recommandait de célébrer les cultes dans la langue vernaculaire des fidèles. Les cantiques ou formulations reçus en langue des anges, les saints noms de Dieu ne sont évidemment pas traduits, bien que pour les cantiques l’usage soit de chanter les couplets successivement en langue des anges et en langue locale. En milieu gun (ou yoruba), le culte est entièrement prononcé en gun (ou en yoruba), sauf s’il a été décidé de le dire en français (ou en anglais) pour honorer des invités étrangers par exemple 21. À Cotonou, où le fon sert de langue véhiculaire entre les citadins, le problème est plus complexe car il n’existe pas de traduction fon ni de l’Ancien testament ni des cantiques. À Sikècodji, les lectures bibliques sont faites en gun et en français, les annonces sont faites en fon et en français, les cantiques sont chantés en gun. Selon que l’officiant est d’origine gun, fon, yoruba ou mina, il conduira le culte dans l’une ou l’autre de ces langues ; le prédicateur choisit également de parler dans une de ces langues et souvent se répète en français 22. 1. Rites d’entrée Le culte du dimanche commence à 10 heures mais il est vivement recommandé d’arriver plus tôt. Pour certains fidèles c’est même obligatoire car ils font partie des équipes qui doivent nettoyer la paroisse, faire la mise en place des chaises dans le temple et installer la sonorisation de la chorale, du chœur et du pupitre 23. Ceux qui ont un rôle particulier à jouer au cours du culte, c’est-à-dire le maître d’autel, le conducteur, les lecteurs, le prédicateur, les quêteurs qui ont été prévenus la semaine précédente par les annonces ou par le tableau d’affichage doivent non seulement être à l’heure mais s’être aussi préalablement sanctifiés. Les devanciers qui s’assoient à l’autel doivent s’être abstenus de relations sexuelles depuis 48 heures et celui qui conduit le culte doit avoir observé une abstinence de 72 heures. Normalement, pour le culte dominical, tous les fidèles doivent porter leur uniforme complet avec tous les insignes de leur grade. La paroisse de Sikècodji a innové en rendant cette directive obligatoire seulement le premier dimanche de chaque mois, et elle a été suivie par toutes les paroisses béninoises. vers 9 heures 30, le chef des visionnaires ou un autre responsable prononce une prière de sanctification au jardin de prière à laquelle assistent ceux qui le désirent, puis commence la mise en place. Le maître d’autel encense tout le temple en commençant par l’autel puis vient prendre sa place à l’entrée principale du temple, où se recueille déjà le conducteur. Les fidèles se rassemblent sur le parvis ou dans la cour et s’ordonnent pour former une procession dont la chorale prend la tête.

20. Selon les traditions, les noms de ces trois archanges varient. 21. À Cotonou, une paroisse organise tous les cultes en français pour les étrangers. 22. il y a intercompréhension entre le gun et le fon. 23. L’ordre du culte nigérian précise que cette mise en place doit se faire après la prière du matin ; une première sanctification du temple est faite par l’allumage de sept bougies aux quatre coins, sur les côtés et une à l’autel, par encensement et aspersion d’eau bénite, puis le temple est “fermé” avec de grands crucifix posés en diagonale dans les encadrements des entrées.

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L’Église descendue des cieux Le conducteur fait le signe de croix et commence un Gloria : « Gloire soit au Père, au Fils et au Saint-Esprit » que l’assistance termine : « Comme il était au commencement, maintenant et toujours aux siècles des siècles. Amen ». Le conducteur poursuit par une courte prière demandant généralement la sanctification de l’assistance. La chorale entonne alors un cantique d’entrée qui est souvent un des derniers chants qu’elle vient d’apprendre. Elle entre dans le temple par la porte centrale, précédée du maître d’autel qui tient son encensoir, et gagne sa place. Elle est suivie du conducteur qui entre également par la porte centrale et s’avance jusqu’au chœur. Par l’entrée latérale droite, entrent les hommes, par la gauche les femmes. Les fidèles non oints entrent les premiers suivis par les dehoto, puis tous les autres par ordre hiérarchique croissant, le temple se remplissant ainsi par le fond. Les senior alagba, les senior leaders et les évangélistes entrent par la porte centrale toujours en respectant l’ordre hiérarchique, les plus gradés entrant les derniers. Le maître d’autel encense le lieu saint puis le saint des saints. La chorale surveille le maître d’autel. quand ce dernier dépose son encensoir à droite de l’autel pour procéder à l’allumage des bougies, la chorale entonne le cantique Yara Sarah, Yara Samata (« allumez les lampes saintes du ciel »). Elle le chantera le plus souvent en plusieurs langues (gun, français, yoruba) pendant tout le temps que dureront l’allumage des bougies et l’installation des devanciers dans le chœur. Au moment où l’entrée dans le temple a commencé, la bougie centrale la plus haute était déjà allumée. Le maître d’autel enlève cette bougie, la remplace par une bougie neuve et l’allume. il allume ensuite la bougie la plus basse à droite, puis celle de même niveau à gauche et remonte jusqu’à la septième bougie en procédant toujours de la droite vers la gauche. Lorsqu’il a terminé, il se prosterne devant l’autel, et gagne sa place d’où il surveillera pendant tout le culte la consumation des bougies, en veillant à les remplacer avant qu’elles ne s’éteignent. Le conducteur entre alors à l’autel et les devanciers gagnent leur place et y restent debout. quand ils sont tous entrés, la chorale entonne le cantique Yah Ramah I Yah Ramah (« Allons vers le Seigneur ») et les fidèles se mettent à genoux. À la fin de ce cantique, le plus grand silence doit régner. Les portiers ont fermé les entrées du temple en disposant de grands crucifix dans la diagonale de leur embrasure. Le conducteur donne alors trois coups de clochette. Chacun se prosterne front au sol et répond : « Saint, saint, saint est l’éternel des Armées ». Le conducteur répète trois fois l’opération pendant que les fidèles restent prosternés et lui répondent. La Constitution bleue indique que cette partie du culte fut révélée à Oshoffa sept ans après la naissance de l’église : 85. Cela vint par moi sept ans après la naissance de l’église. vous vous souvenez, Suprême évangéliste bada, que lorsque je fis part de cette révélation à la congrégation de makoko, je tenais à la main une bible comme témoin. Alors que j’étais en transe, je vis une maison sans mur ni toiture solides. il y avait des gens à l’étage supérieur et nous nous étions à l’étage inférieur. Les deux étages n’étaient pas solides mais comme suspendus dans l’espace. Cependant comme une cloche sonnait trois fois ceux qui étaient en haut et nous qui étions en bas nous mîmes à genoux, prosternés, la face contre le sol en disant en yoruba : Mimo, Mimo, Mimo si Oluwa Olorun awon omo ogun, ce qui veut dire : « Saint, Saint, Saint est l’éternel des Armées ». La cloche sonnait trois fois et nous répondions aussi trois fois. Dans ma vision, c’est après que nous commencions le service. Cela fait maintenant partie de notre culte de l’église du Christianisme Céleste (Constitution, p 26).

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Chapitre v Cette innovation ne fut pas facilement acceptée à Porto-Novo. O. Smith relate : À Porto-Novo, quand Papa Oshoffa a annoncé au comité supérieur qu’on lui a révélé que maintenant on va faire une série de trois coups de cloche, les gens de Porto-Novo ont dit : — Papa, non, non, ça suffit maintenant. tous les jours tu ajoutes un peu, un peu. Ça suffit maintenant, on n’est pas catholique. Ce sont les Catholiques qui sonnent la cloche, tu amènes des choses des Catholiques. Papa s’est levé et il est parti, il n’a pas dit : « C’est moi le prophète », il s’est levé et il est parti. Celui qui était chaud [qui avait le plus discuté] à cette réunion est venu le lendemain matin, c’était un dimanche, il est venu et a dit : — Je suis venu tôt ce matin parce qu’on doit sonner les trois coups de cloche avant de faire le culte. Les gens lui ont dit « non », il a répondu : — quel non ! On doit les sonner parce que moi je ne veux pas mourir. Cette nuit j’ai rêvé et j’ai vu un ange, excusez-moi je ne veux pas injurier les anges mais il était très vilain, avec le front long et juste un œil au fond là ; de ma vie, je n’ai jamais vu une créature aussi vilaine. il m’a réveillé pour me dire : « C’est toi qui dis de ne pas sonner les trois séries de clochette ? Si on ne les sonne pas aujourd’hui pour faire le culte, et bien toi tu vas mourir ! » Donc en voyant cela, le matin de bonne heure, il a couru pour venir à la paroisse et dire : « Devant dieu devant les hommes, je n’ai pas vu Oshoffa depuis hier, ce n’est pas que j’ai été faire des combines avec lui, voilà ce que j’ai vu ». C’est comme ça, qu’au bénin, l’église a eu les trois coups. Si Dieu n’était pas intervenu lui-même pour l’obliger, tous les pays auraient les trois clochettes et le bénin ne les aurait pas.

La série de trois coups de clochette marque le véritable début du culte. élisée Agré commente ainsi ce moment : 347. Et comme cela a été démontré par les visions et prophéties divines, au troisième coup de clochette, toute l’Armée céleste descend par les sept esprits de Dieu. C’est ainsi qu’on entend des cris de joie, des prophéties. Amen. 348. […] que c’est beau d’assister à l’arrivée de l’Armée céleste. Amen. Comme une foudre qui se produit dans un lieu bas, l’Archange micaël descend premièrement ensuite uriel puis Raphaël puis Gabriel. immédiatement le temple prend feu comme s’il s’agit d’un incendie. micaël prend l’angle gauche de l’autel, Gabriel l’angle droit de l’autel ; uriel prend l’angle gauche côté de l’entrée des femmes et Raphaël prend l’angle droit du côté de l’entrée des hommes 24.

En effet dès que le culte commence, plusieurs agités et visionnaires entrent par moments en transe 25. Si les agités sont nombreux, si leurs cris, leurs râles et leurs ahans sont bruyants, on dira que beaucoup d’anges sont venus, que l’Esprit Saint est vraiment dans l’église. Durant les phases de la messe (lectures bibliques, annonces, prédication) où l’on écoute une autre forme de parole divine revient un calme relatif. D’une façon générale, un culte dominical n’est pas un temps de

24. é. aGré, Les principes de l’Église du Christianisme Céleste, Les éditions de la Pierre Angulaire, Côte d’ivoire, 1995, p. 49. 25. voir chapitre vi

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L’Église descendue des cieux recueillement mais plutôt le moment d’expression d’une joie bruyante exprimée par le chant et la danse. 2. Demande de rémission des péchés Après la prosternation, l’officiant commence à nouveau un Gloria que l’assistance termine, puis il dit Eyiba, les fidèles répondent « saint », il le fait trois fois de suite. Le conducteur et l’assistance récitent ensuite le psaume 51, qui est une prière de rémission des péchés, puis ils enchaînent avec la récitation du psaume XXiv 26. Le terme Eyiba par lequel est introduite la récitation du psaume 51 est un des saints noms de Dieu qu’évoquent les Célestes au cours des cultes. On dit que ces noms ont été révélés à Oshoffa, ils introduisent le plus souvent la lecture d’un psaume ou d’un passage particulier de la bible. Parlant de la provenance et de la signification des saints noms, michel Guéry écrit : « un hasard m’a fait découvrir qu’un certain nombre d’entre eux provenaient de la bible : la version yoruba, traduite de la version anglaise, n’avait pas traduit certains des Noms donnés par les Patriarches à Dieu ; effectivement certains fidèles connaissaient l’arrière-fond biblique de certains de ces noms » 27. Néanmoins, cet auteur n’en donne ni la liste ni la signification. L’ordre des cultes de Porto-Novo publie le texte de plusieurs psaumes et passages bibliques “usuels” et donne les noms sacrés qui leur sont liés, dix noms sont ainsi indiqués, pour certains, la signification est précisée : Eyiba (Dieu clément et miséricordieux) / psaume 51, Eli Bamah Yabah (Dieu souffle de vie, michael) / psaume XX, Jehovah Lass (Dieu de sagesse et des intelligences) / psaume 72, Eli Yah (Dieu créateur) / psaumes 136, 118, 27, 128, Aga Jah Dual (éternel des armées, roi des combats) / psaume 103, Jehovah Jecorami (Roi de l’abondance) / Deut. 28,1-14, Jerimo Yamah (psaume 113), Jehovah Jireh (Luc 2, 21-32), Alfaji Ara Hach (Juge suprême, Dieu du trône) / psaume 90, Jehovah Rahaman (Dieu miséricordieux) / psaume 38. À cette liste, on peut ajouter Eli Him Jah qui est invoqué lors des fondations de bâtiment et qui introduit généralement Zacharie 6, 12-13, et Jah que l’on entend lors des prières de combat. Ce dernier nom, qui est présenté par certains commentateurs comme la contraction de Jehovah 28, est également utilisé par les chérubins et les séraphins qui lui donnent la signification de ‘‘Dieu tout puissant’’29.

26. Cette séquence est différente dans l’ordre du culte nigérian. Après les sons de cloche, les Nigérians chantent le cantique « Ô mon Christ, ô mon roi », tandis qu’au bénin, ce cantique n’est chanté qu’en certaines occasions. Levi Yansunnu dit qu’Oshoffa lui confia que ce chant lui avait été donné : « pour confirmer l’appartenance de soi à Christ dans cette église dont il est le Chef Absolu. il ne doit être entonné que les premiers jeudis du mois […], les premiers dimanches du mois, les jours de fête, le dimanche des Rameaux, le Jeudi Saint, le vendredi Saint et le dimanche de Pâques » (XXXvi). Après la récitation du psaume 51, les Nigérians introduisent le psaume XXiv par la triple invocation du saint nom Jehova Ramah. 27. m. Guéry, op. cit., p 77. 28. Cette interprétation est douteuse car on entend parfois dire “Jah Jehovah”. 29. J. A. omayojowo, « the Aladura Churches in Nigeria since independence », dans Fasholé-luke et al. (éd.), Christianity in Independent Africa, indiana university Press, bloomington et Londres 1978, p. 96-110 (p. 94).

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Chapitre v La signification donnée à ces noms varie avec les informateurs. un certain accord se fait autour de Eyiba (Dieu de miséricorde) et de Eli Yah (Dieu source de vie). Jehovah Jireh, Dieu pourvoira, est le nom donné par Abraham au site où l’ange de l’éternel l’empêcha de sacrifier son fils (Genèse 22,14). La Constitution bleue indique plusieurs de ces noms en son article 31 et les traduit en yoruba (mais pas en anglais). Nous citons la traduction qu’en donne Jeffrey Carter : Eyiba : seigneur miséricordieux ; Eli Yah : seigneur céleste ; Eli Bamah Yabah : seigneur des êtres spirituels - michel ; Agashadual : roi de la victoire. Nous indiquons en note différentes interprétations données par différents auteurs 30. Cette utilisation de noms saints dans les prières est commune à plusieurs églises aladura. Les Chérubins et Séraphins comme la Church of the Lord en utilisent. On peut y voir la double influence des “beaux noms” de Dieu dans l’islam et des “noms forts” (nyi sy&Ensy&En) des rois que, à la cour du Danxomè, le kpanlig&an (crieur de sentence du roi) devait réciter tous les matins devant les portes du palais. bernard maupoil écrit : « Le nom honorifique souligne le respect et la reconnaissance : énumérer les “grands noms” d’une divinité ou d’un être constitue un rite de conciliation » 31. La même pratique existe dans le monde yoruba, benjamin Ray note que la récitation des oriki « a une influence considérable sur les personnes ou les divinités auxquelles on s’adresse » et souligne la parenté de cette coutume avec l’usage performatif que les aladura font des saints noms de Dieu 32. Après la lecture du psaume XXiv, la chorale chante un Gloria. Le conducteur prononce une prière de rémission des péchés et de sanctification. Pendant toutes les prières dites par l’officiant ou par une autre personne, les fidèles ponctuent ses paroles, par des interjections. quand il nomme la divinité, ils répondent wiw$e (saint), s’il affirme fortement, ils répondent m`O w&E (c’est ça), s’il louange, ils disent alléluia ou ponctuent avec lui par un n&I c`E (amen). toute l’assistance récite ensuite le Notre Père. Puis tous se lèvent et chantent le premier cantique. Au cours du culte, outre les cantiques (toujours les mêmes) qui marquent l’entrée à l’autel, l’allumage des bougies, la sortie, doivent être chantés sept cantiques appartenant au corpus des chants révélés par l’Esprit Saint. ils doivent être choisis en relation avec la partie du culte qu’ils viennent animer. Ainsi le premier cantique doit être un chant de remerciement, de louange ou de gloire 33. Les cantiques révélés sont réunis dans un recueil édité par l’église 34 qui les

30. Selon Carter : Jehovah Ramah : Dieu de clémence Jehovah Lass : pouvoir du Saint-Esprit Selon Agré : Eyiba : dieu de miséricorde Jehovah Ramah : Dieu de sanctification : Rahmah (ville devenue sainte au temps de Saül) Eliyah : Dieu qui donne la vie Jehovah Lass : Dieu de justice Eli Bama Yaba : Dieu source de bénédiction, père de grâce. 31. b. mauPoil, op. cit., p. 20. 32. b. ray, op. cit., p. 282. 33. L’ordre du culte nigérian indique de chanter un cantique de repentance, ce qui nous semble plus en accord avec la phase rituelle qui vient de se dérouler. 34. il en existe donc deux, un nigérian en yoruba, un béninois en gun, et des éditions anglaises et françaises de ces recueils. Le recueil en yoruba est le plus complet.

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L’Église descendue des cieux répartit en différents chapitres pour faciliter le choix. Les huit parties sont les suivantes : 1) chant d’entrée, 2) allumage des bougies, 3) prosternation et adoration, 4) actions de grâce et remerciements, 5) rémission des péchés et force de l’Esprit Saint, 6) combat et bénédiction, 7) chants funèbres, 8) animation et action de grâces 35. Comme pour beaucoup d’autres listes et écrits que nous aurons l’occasion d’étudier ultérieurement, la répartition semble plus faite au hasard que selon un principe logique. Pour les maîtres de chœur qui resteraient indécis, l’église communique un calendrier indiquant les numéros des cantiques pour chaque dimanche. Dans une autre publication sont indiquées les lectures bibliques pour tous les jours de culte. Si l’église était unie et si les officiants respectaient vraiment l’ordre du culte, le dimanche matin, tous les Célestes de par le monde accompliraient les mêmes gestes rituels au même moment, entendraient les mêmes versets de la bible et chanteraient les mêmes chants. Selon la vision d’Oshoffa précédemment citée, les anges seraient en train de faire la même chose au ciel. Cette image d’une communauté d’enfants de Dieu où s’abolissent les frontières entre les nations, entre le visible et l’invisible, entre la terre et le ciel, est l’idéal vers lequel tendent les Célestes. Les sept cantiques révélés doivent être chantés sans autre accompagnement que celui d’un orgue (ou plutôt d’un clavier électrique réglé sur la tonalité de l’orgue pour les paroisses qui possèdent ce genre d’instrument moderne) et d’une cloche de fer sur laquelle est battu le rythme. De même les Gloria doivent être ceux de l’église (dont le manuel indique la transcription musicale) 36 et chantés sans accompagnement autre que celui de l’orgue. Le premier cantique chanté, ce 18 février 2001, fut celui-ci : élevons nos voix et chantons, vers l’éternel notre Roi. que le Roi Saint daigne nous sauver Dans cette église Céleste. que le Roi Saint daigne venir nous sauver, qu’il nous envoie du secours, qu’il nous délivre de nos fautes Et qu’il nous les pardonne. (cantique 24 gun extrait de la partie “action de grâces, remerciement”)

3. Phase d’adoration (série de prières) et de remerciement à Dieu Après le cantique, les fidèles se mettent à genoux. L’officiant prononce le saint nom Eli Yah, les fidèles répondent saint, ils le font trois fois de suite. Le conducteur lit alors le psaume XXvii, ou 118 ou 136. La chorale chante un Gloria, le conduc-

35. Le recueil en français établi par L. Yansunnu classe les chants plus rationnellement en 16 chapitres : 1) Procession et allumage des bougies, 2) Cantiques chantés à genoux, 3) Rémission des péchés, purification et sanctification, 4) Remerciement, louange et gloire, 5) Esprit Saint, force et Pentecôte, 6) Adoration et prière, 7) Combat et délivrance, 8) Guérison et protection, 9) Rehaussement, bonheur, moisson, 10) union, amour, Noël, 11) Enfants, Rameaux, Pâques, 12) mort, résurrection, ascension, 13) Foi et œuvres, 14) Exhortation, 15) Promesse et imploration, 16) Appel au ciel, retour du Christ, jugement. 36. La musique de ces Gloria a été reprise de l’église méthodiste, la règle sert juste à empêcher que les maîtres de chœur composent leur propre Gloria.

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Chapitre v teur prononce une prière de remerciement et demande la force de l’Esprit Saint. tout le monde se lève de nouveau et la chorale entonne le deuxième cantique révélé qui doit être choisi parmi les chants de force ou d’adoration (de remerciement selon l’ordre des cultes nigérian). En ce dimanche qui nous sert de référence, la chorale chanta : — il nous faut repentir, pécheurs, Pour que Jésus-Christ puisse descendre parmi nous. (bis) — Où nous rassembler pour pouvoir rencontrer Jésus ? C’est bien à l’église que nous Le verrons. (bis) — Jésus-Christ venu, prosternons-nous Et le Grand michel descendra parmi nous. (bis) — michel venu et nous à genoux Demandons la rémission de nos péchés. (bis) (cantique 111 gun, rémission des péchés, force de l’Esprit Saint)

L’assistance se remet à genoux et le conducteur dit trois fois Jehovah Lass 37 puis lit le psaume 72 (Ô Dieu, donne tes jugements au roi et ta justice au fils du roi !) il demande ensuite la prière de trois personnes. Les trois personnes qui ont été désignées à l’avance, un homme, une femme, un homme qui leur est supérieur en grade, parleront successivement. Le premier doit prier pour demander la force du Saint-Esprit et l’avancement de l’église ; la seconde fait une prière de combat pour la protection et la victoire de l’église et du pays ; le troisième demande la bénédiction divine. À l’issue de la troisième prière, l’assistance se lève et entonne le troisième cantique choisi parmi ceux de force, de combat ou de délivrance. Celui chanté le 18 février est fort long et nous n’en donnons que le premier couplet. que tombe la pluie de l’Esprit Saint ! Oui qu’elle tombe sur nous ! (bis) Elle tombera (bis) Pour nous pacifier. que tombe la pluie de l’Esprit Saint ! Oui qu’elle tombe sur nous ! (bis) (171 gun combat bénédiction)

Les fidèles s’agenouillent et le conducteur annonce la prière silencieuse. C’est une phase du culte ou chacun prie pour lui-même dans le recueillement et le silence et demande à Dieu ce qu’il désire dans le fond de son cœur. Après environ trois minutes, l’officiant prononce le saint nom Eli Bama Yaba, puis il récite le psaume XX (que l’éternel t’exauce au jour de la détresse), qu’il complète d’une courte prière allant dans le même sens que le psaume. La congrégation se relève et entonne le quatrième cantique choisi parmi ceux de bénédiction, d’amour, d’union (de louange dit l’ ‘‘Ordre du culte nigérian’’). Comme pour le cantique précédent, nous ne donnons qu’un des couplets (le dernier) de celui chanté le 18 février : tu exauças les pleurs d’élisabeth ! Les femmes aussi t’implorent :

37. Chaque saint nom est prononcé trois fois et chaque fois l’assistance répond saint. Nous ne le signalerons plus dans la suite du texte.

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L’Église descendue des cieux Daigne leur donner des enfants sages, Dieu, ô Roi généreux ! Ô Jésus, ô grand Roi guérisseur divin ! viens et guéris les tiens Pour qu’avec de doux chants, nous te louions Dans ton église du Christianisme Céleste, Ô Père, grande source de joie ! (cantique 167 gun combat bénédiction)

Le conducteur gagne alors le siège qui lui est réservé à l’autel et tout le monde s’assied, la phase d’évangélisation va commencer. 4. Phase d’évangélisation Les deux lecteurs 38 (si la lecture est faite en deux langues), choisis pour le jour se sont levés et avancent ensemble vers l’autel, ils s’y prosternent et gagnent le pupitre de lecture s’il y en a un. En aucun cas, ils ne peuvent monter au pupitre de prédication. Le premier texte est toujours tiré de l’Ancien testament, il est lu en français puis en gun 39. ésaïe 58, 1-14, qui traite du jeûne auquel Dieu prend plaisir, a été la première lecture de notre jour de référence. La chorale entonne ensuite un Gloria puis le conducteur revient devant l’autel, l’assistance se lève et chante le cinquième cantique. Les cantiques qui suivent les lectures doivent en illustrer la morale. voici le refrain de celui chanté ce dimanche : La sainte église est venue ! Christ appelle le pécheur ! Les adeptes de satan, Leur barque ira échouer en enfer. (253 gun, paroles de Dieu)

L’assistance s’assied. Le second couple de lecteurs s’avance. Leur démarche est empreinte de détermination, ils font attention à marcher du même pas et à se prosterner puis à se relever exactement ensemble comme s’ils exécutaient un ballet. tous les officiants agissent de même et sont conscients que la messe est aussi un spectacle. La même opération recommence pour la seconde lecture toujours choisie dans le Nouveau testament. En ce dimanche, il s’agissait de marc 2, 13-28. Le texte rapporte les réponses de Jésus aux questions des Pharisiens. il contient ces trois célèbres aphorismes : « Je ne suis pas venu appeler des justes mais des pécheurs », « Personne ne met du vin nouveau dans de vieilles outres », « Le sabbat a été fait pour l’homme et non l’homme pour le sabbat ». Après le second texte, la chorale entonne à nouveau un Gloria et enchaîne sur le sixième cantique : Oui ce monde déjà chancelle Et le satan rôde partout. Pécheur, hâte-toi vers cette dernière barque Pour ne pas être porté disparu.

38. Les lecteurs sont toujours des hommes, les femmes n’ayant pas le droit de s’adresser à l’assemblée selon le texte paulinien. 39. Le linguiste, t. Y. tchitchi, fait remarquer que le statut de langue liturgique du Christianisme Céleste a ajouté au caractère de langue véhiculaire du gun. (t. Y. tchitchi, Aspects du foodo et du gbè, éditions du Flamboyant, Cotonou 1997, p. 8).

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Chapitre v L’amour du Père tire à sa fin, il n’entendra plus les prières. Les divisions, maladies, souffrances Et misères envahiront le monde. (premier et deuxième couplets de 250 gun, paroles de Dieu)

L’assemblée s’assied pour écouter les annonces qui sont faites par le secrétaire du comité paroissial ou par un secrétaire adjoint particulièrement commis aux annonces. il s’avance, se prosterne devant l’autel, et s’installe au même endroit que les lecteurs. À Sikècodji, elles sont toujours faites en fon et en français, par deux personnes : le secrétaire aux annonces et le premier secrétaire adjoint. Le règlement interne de l’église codifie strictement toutes les prises de parole et particulièrement celle-ci. Les annonces ne doivent pas durer trop longtemps (entre 15 et 30 minutes) et doivent normalement avoir été supervisées par le chargé paroissial. Elles sont surtout consacrées à la programmation des tâches et à l’énumération des divers officiants choisis pour les différents cultes de la semaine à venir. Elles comprennent également des informations pouvant venir du siège pastoral ou du chef de diocèse, des informations sur les fidèles et leur famille (naissances et décès), des communications concernant des décisions prises par le comité paroissial ou le comité de discipline. Les fidèles doivent écouter les annonces silencieusement, les “murmures et chuchotements” sont passibles de sanction. Si le secrétaire se permet des annonces non fondées provenant « de sources douteuses ou d’idées fantaisistes », il s’expose aux mêmes sanctions que les fidèles bruyants. bien que le règlement insiste sur le fait qu’en aucun cas les annonces ne doivent « prendre la forme d’une prédication », rares sont les secrétaires qui résistent à la tentation de mettre une touche personnelle dans leurs informations. Les annonces de décès se transforment vite en panégyrique du mort, les décisions du conseil de discipline en lamentations sur le triste état moral de la paroisse. bien que cela soit totalement réprouvé, beaucoup de paroissiens profitent de ce moment pour aller prendre le frais et bavarder devant la paroisse, boire un verre de cakp&al`o 40 ou manger une boule d’abl$o 41 qu’ils achètent aux étals des vendeuses particulièrement nombreuses le dimanche. quand le secrétaire a terminé, le conducteur reprend sa place devant l’autel et toute l’assemblée récite y$Is&e 42, le credo. Le credo des Célestes est le symbole des apôtres, dont seule l’expression « en la sainte église catholique » a été remplacée par « en la sainte église du Christianisme Céleste » 43. Le prédicateur gagne l’ambon, prononce une courte prière pour demander l’inspiration divine, puis il prêche. malgré les nombreuses règles qui régissent l’exercice de la prédication, la performance varie beaucoup selon le prédicateur. En principe, il s’agit de trouver un lien entre les deux lectures, de l’expliciter pour l’assistance et d’en montrer l’actualité dans la vie des fidèles ou de la communauté dans le souci d’instruire et d’édifier. Le raisonnement ne se fait pas sans recours à de nombreux versets bibliques, autres

40. bière de maïs sucrée. 41. Pâte de maïs levée, légèrement sucrée, qui a un goût de gâteau. 42. y$Is&e, verbe utilisé pour rendre « croire », peut se traduire par « accueillir favorablement la parole ». 43. Les catholiques n’utilisent plus cette forme du credo.

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L’Église descendue des cieux que ceux du jour, dont l’orateur demande la lecture en donnant seulement leur référence, montrant par là sa connaissance du Livre et sa virtuosité. quelquefois le prédicateur demande qu’on lui lise un des versets de la lecture et improvise sa prédication sur le verset choisi par le fidèle. En pratique, le prédicateur est quelqu’un à qui est donnée une occasion de s’exprimer, il peut vouloir en profiter pour donner son opinion sur un point qui lui importe, même si ce dernier n’a pas grand rapport avec le contenu des versets qui ont été lus. Ainsi, une fois, sans que rien dans les lectures ne le suggérât, nous avons entendu une longue condamnation de l’adultère qui, sans jamais le désigner explicitement, visait les mœurs légères d’un devancier précis. À une autre occasion, le prédicateur exposa la doctrine de la prospérité qui n’était pas présentée comme l’idéologie particulière d’un certain courant du christianisme mais comme la vérité même. La prédication est le canal par lequel certaines interprétations ou innovations doctrinales se répandent de façon larvée. Ceux qui auront été séduits par l’argumentation la reprendront et la répéteront à leur tour quand ils prêcheront ou quand ils discuteront avec leurs “frères en Christ”. Ceux qui ont la réputation d’être de bons prédicateurs sont invités par d’autres paroisses célestes et parfois dans d’autres communautés chrétiennes car l’ostracisme entre Célestes et évangéliques qui prévaut au niveau du discours général n’est plus aussi rigide quand on considère les réseaux particuliers d’une personne. Nous allons résumer la prédication entendue ce 18 février. Le prédicateur fait partie des membres fondateurs de Sikècodji, il en est parti pour fonder une autre paroisse. il a longtemps vécu au Nigeria. Au moment où il parle, il est revenu depuis peu au bénin. Le prédicateur commence par rappeler brièvement dans quelles circonstances il a quitté le bénin puis y est revenu. Son récit est ponctué de phrases soulignant la volonté divine : « vous voyez que Dieu gouverne les hommes dans tous les domaines […]. Je le dis pour que vous connaissiez le Dieu que vous adorez et sachiez que vous devez faire sa volonté, quoi que cela vous coûte ». il remercie ceux qui l’ont encouragé pendant qu’il « traversait le désert » et conclut par une citation biblique, Romains 8, 28 : « toutes choses concourent au bien de ceux qui aiment Dieu ». Puis il en vient aux lectures bibliques du jour, à la première (ésaïe 58,1-14) qui sera en fait la seule qui servira de support à son prêche. Le premier verset dit : « Crie à plein gosier, ne te retiens pas, élève ta voix comme une trompette et annonce à mon peuple ses iniquités, à la maison de Jacob ses péchés ! » Dieu me demande un travail, commente le prédicateur, il me dit de crier à plein gosier et de faire connaître au Christianisme Céleste, à la paroisse de Sikècodji, ses iniquités, ses péchés. Ça veut dire nos iniquités et nos péchés. C’est ce que je vais faire avec l’aide de l’éternel, car c’est lui qui prêche. Le prédicateur, c’est JésusChrist, c’est lui la Parole.

il signale qu’on lui a appris que des senior évangélistes avaient quitté l’église : C’est triste de voir quelqu’un franchir les marches, rentrer dans le clergé et partir : c’est une tristesse. mais nous ne pouvons pas les blâmer non plus. quel genre de senior évangélistes sont-ils ? qui les a formés ? qui leur a appris l’église ? qui les a guidés quand ils sont arrivés ? quand j’apprends maintenant que quelqu’un a été baptisé, je tremble au lieu d’être heureux. Je tremble parce que je me dis : sur quel loup va-t-il tomber ? ils vont le manger… cru. tout le problème est là aujourd’hui.

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Chapitre v il existait déjà avant mais en ce temps-là Papa Oshoffa existait, donc on avait une pierre de référence. Aujourd’hui, on n’en a plus. Chacun présente l’église comme il l’entend. Le Révérend Ajose, le 19 octobre dernier, prêchait à imeko pour le culte de l’anniversaire de maman Oshoffa. il a dit une phrase qui a fait rougir tous les devanciers qui étaient à l’autel, ils sont devenus tous gros comme ça mais ils ne pouvaient rien dire, c’était leur chef qui parlait, et les fidèles qui assistaient au culte applaudissaient parce que tout ce qu’il disait était vrai. il disait : « c’est triste mais j’ai constaté que, dans l’église du Christianisme Céleste, les devanciers sont tous devenus des menteurs ». C’est Ajose lui-même qui disait ça et il ajoutait : « citezmoi et dites qui a dit ça ». il a fait une comparaison qui a fait rire tout le monde, il disait : « leurs joues sont rondes, pleines de mensonges comme des crabes pleins d’œufs… » C’est tristement qu’Ajose est arrivé à cette conclusion car il a ajouté : « si c’était encore pour des choses de valeur qu’ils mentaient, je comprendrais ». Ça veut dire que c’est pour de viles choses qu’ils s’appliquent à mentir.

Le prédicateur prend un autre exemple, celui d’une visionnaire qui avait reçu la révélation que les devanciers de l’église sont des menteurs. Accompagnée par des devanciers de sa paroisse, elle va consulter Oshoffa. Ce dernier lui demande si la voix lui a dit : « le devancier de l’église » ou « les devanciers de l’église ? » Elle répond : « les devanciers de l’église ». Et Oshoffa de lui dire : madame, la révélation est vraie. Si on t’avait dit « le » devancier de l’église, c’est moi, Oshoffa, le devancier de l’église mais « les » devanciers de l’église, c’est ceux-là qui t’entourent, ils sont faux, il ne faut pas les écouter. Si tu les écoutes, tu es perdue. Alléluia ! vous pensez que l’homme a changé depuis Oshoffa ? Non ! Nous n’avons pas changé. Nous sommes demeurés faux. maintenant, mieux, nous nous cultivons dans la fausseté et le mensonge, c’est-à-dire au lieu d’être inspirés par Dieu nous sommes inspirés par Satan et nous nous glorifions ! Et Satan est fier, il dit : ceux-là, ce sont mes brebis […]

Ensuite, après avoir demandé que faire quand on est entouré de loups-garous, il demande la lecture de Jérémie 6, 16. Les prédicateurs célestes ont l’habitude, après avoir demandé une lecture, de répéter les versets après celui qui lit en y apportant parfois une légère modification pour l’adapter à la situation, comme ici : le lecteur lit : « Ainsi parle l’éternel », le prédicateur répète : « Ainsi parle l’éternel » le lecteur : « Placez-vous sur les chemins » le prédicateur : « Placez-vous, vous célestes qui êtes venus, sur les chemins », etc.

Ainsi, poursuit le prédicateur, le moment est venu de nous ressaisir : « Je tremble quand je vois la responsabilité de la paroisse de Sikècodji dans le déluge que subit l’église de Christianisme Céleste ». il fait ensuite relire les versets 1 à 3 d’ésaïe 58, les commente brièvement et conclut par une question : « qu’est-ce que vous appelez ‘‘jeûne’’ ? qu’appelez-vous ‘‘carême’’ ? C’est ça dont nous parlerons aujourd’hui. […] Jeûner, c’est quoi ? » il s’ensuit le dialogue suivant avec les fidèles (P. est le prédicateur) : X. — Se fortifier. P. — Oui, se fortifier, en faisant quoi ? X. — S’abstenir de manger. P. — S’abstenir de manger et après ? Y. — Prier.

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L’Église descendue des cieux Z. — Jeûner et prier P. — Jeûner et prier, c’est bien. Oui, mon frère h., parle ! il y a longtemps que je voulais entendre ta voix. h. — En s’abstenant de tout plaisir. P. — tu seras malheureux sur la terre et Dieu va t’abandonner ! [rires] une jeune choriste — Le vrai jeûne, c’est faire la volonté de Dieu. P. — que Dieu te bénisse, c’est la conclusion, c’est fini. ma fille, tu connais la bible, tu connais Dieu. Jeûner c’est faire la volonté de Dieu, la prédication est terminée. Je peux descendre. tu es en esprit…

il se pose ensuite la question : « mais qu’est-ce que la volonté de Dieu ? » Je n’arrive pas là encore. Je veux simplement vous dire que vous qui jeûnez en vous abstenant de manger, vous allez développer l’ulcère. L’ulcère va vous tuer. Dieu ne va pas vous recevoir, il va jeter votre âme et vous allez dire que Dieu est injuste, et il va vous frapper encore. [ rires ] Alléluia ! Non seulement vous ne vous reconnaissez pas pécheurs mais vous osez encore accuser Dieu. C’est là le crime. Avant nous, israël a fait pareil.

il demande la lecture de Zacharie 7, 4-7 qui va dans le même sens que le texte d’ésaïe et le commente d’une façon qui amuse l’assistance. Puis il constate : […] alors, vous allez me dire : on n’y comprend plus rien. Jésus-Christ lui-même a jeûné 41 jours, moïse a jeûné 41 jours, élie 41 jours et puis on nous dit maintenant si vous mangez, vous mangez pour vous-même. Alors Dieu se contredit ? C’est pas ça ? Le Christianisme Céleste ce n’est pas attacher les bougies ! Ce n’est pas amener les gens à la plage pour faire les bains ! Le Christianisme Céleste, ce ne sont pas des cérémonies auxquelles vous êtes agrippés comme un singe à l’arbre 44. Le Christianisme Céleste : c’est un enseignement, un enseignement divin.

Puis il rappelle qu’Oshoffa a reçu de l’ange la mission d’apprendre au monde comment on adore Dieu, le Chrétien Céleste a hérité de cette mission. Seul le Chrétien Céleste a reçu la révélation et seul donc il est à même de comprendre le texte biblique. Puis il affirme que les Chrétiens Célestes ont une arme terrible que Dieu leur a donnée, c’est “Luli”. « C’est quoi “Luli” ? » demande-t-il. « La grâce », répondent les fidèles. vous avez tous échoué avec mention. “Luli”45, c’est la grâce de Jésus-Christ, ce n’est pas la grâce seulement c’est la grâce de Jésus-Christ, et qu’est ce que ça veut dire ? C’est la compréhension de la loi. C’est ça qu’on a donné à Oshoffa à Agongue. On lui a dit « Luli » et il a dit : « dès qu’on m’a dit ça, j’étais transformé ». La compréhension de la loi, c’est ça qu’on lui a donné et on lui a dit : « va l’enseigner aux autres ». mais personne n’est parti voir Oshoffa pour lui dire : « quel enseignement devons-nous recevoir ? » tous ceux qui sont partis voir Oshoffa, c’est sur deux sujets : « Papa, ils ont cherché ma femme ! », « Papa, je suis arrivé à l’église avec ma femme et ils l’ont prise, Papa, il faut me faire justice », « Papa, ils ont bouffé tout l’argent de la caisse ! » […] quelle misère morale, je veux dire spirituelle ! Et vous êtes là agrippés à des choses qui n’existent pas, au lieu de voir l’essentiel, au lieu de

44. Le prédicateur évoque les “travaux spirituels”, les rites de guérison que les Célestes exécutent pour les malades (cf. chap. v). 45. Luli est le mot qu’entendit Oshoffa lors de sa première vision (cf. chap. ii).

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Chapitre v voir Dieu. il y a des gens qui sont arrivés à l’église jusqu’à ce jour ils ne connaissent pas Oshoffa, je ne dis pas Oshoffa physique, il est parti. Je parle de l’enseignement d’Oshoffa. […] Si je te dis « qu’est-ce que le jeûne ? » […] tu ne connais pas ça et tu es céleste ? Le jeûne, je vais donner une explication avant de parler des difficultés du peuple et des péchés de notre église.

il explique alors qu’il y a deux sortes de jeûne, celui de ceux qu’il appelle des « sources » et le jeûne des fidèles. Les « sources » sont moïse, élie, ceux qui ont précédé “la” source : Christ. Le jeûne de moïse comme celui d’élie ont été voulus et préparés par Dieu. il demande lecture de Exode 24, 9-11 et de 1 Rois 19, 5-8 et explique longuement qu’avant de jeûner moïse et élisée ont été nourris d’un repas qui les a enveloppés de la gloire de Dieu et leur a conféré des capacités extrahumaines. Ces capacités, un homme ordinaire ne les possède pas. il évoque un frère qui jeûnait très souvent et qui, un jour, s’était mis en tête de jeûner pendant 21 jours. Après le septième jour, il était endormi, […] un ange est venu le voir pour lui dire : « mon frère, il faut donner des ordres à ta maison, parce que tu es tellement pur et saint maintenant que tu ne peux plus vivre parmi les hommes. Je suis venu pour t’emporter dans le ciel ». C’est vrai, ce n’est pas une histoire que je raconte. « Alors, poursuit l’ange, donne des ordres à ta femme et à tes enfants et on va t’emporter ». « mais mon jeûne ce n’est pas pour la mort, c’est pour faire des miracles », a dit le frère. Alors il s’est réveillé, il a appelé sa femme […]. il a dit : « La sauce d’hier est-ce qu’il en reste ? » La femme de lui dire : « mais tu jeûnes, non ? » il a dit : « quel jeûne, je ne jeûne plus ». […] il s’est levé, il a mangé la nuit-là pour dire à l’ange : « Je ne suis plus saint, je n’irai pas avec toi ». Et depuis il ne jeûne plus, même si on dit qu’il y a jeûne pour tout le monde, il dit : « Non ! moi je suis à part, je ne jeûne plus ! » (rires).

En ce qui concerne le jeûne des fidèles : « quand on jeûne, on ne reste pas à jeun, on mange mais on ne mange pas comme d’ordinaire ». il demande lecture de Exode 12, 15, qui ordonne que durant le carême on mange du pain sans levain, « ça veut dire que vous ne devez avoir en vous rien de mauvais, rien qui fasse monter, rien qui vous fasse gonfler, qui élève votre orgueil ». il fait lire Daniel 10, 3 et explique que lorsqu’on jeûne, il faut s’abstenir de manger jusqu’à 13 heures ou bien jusqu’à 15 heures ou 18 heures selon ses capacités et la volonté de Dieu qui vous ôte le sentiment de faim jusqu’à telle ou telle heure. il conclut : « Le jeûne, ce n’est pas le fait de ne pas manger, c’est faire la volonté de Dieu » et enchaîne en posant la question : « ici à Sikècodji, faisons-nous la volonté de Dieu ? » Après un silence théâtral, il répond non et affirme que Sikècodji, au lieu de respecter les directives d’Oshoffa, les a changées. C’est nous qui avions commencé ces changements, nous, j’étais là, j’ai assisté, j’étais d’accord pour qu’on change. Aujourd’hui, je viens enlever ma part […] parce que si je n’enlève pas ma part, quand le bâton va frapper il va me frapper aussi.

il développe successivement le fait que ce sont les paroissiens de Sikècodji qui ont commencé à ne plus porter la tenue d’apparat tous les dimanches mais seulement le premier dimanche du mois, qu’ils ont changé l’ordre du culte des messes de Requiem. il explique qu’Oshoffa, après une visite à la paroisse, pour les encourager, les avait dispensés de payer la part pastorale cette année-là et qu’ils en ont gardé l’habitude, et que de même ils ne reversent pas sa part au chargé paroissial.

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L’Église descendue des cieux Si vous affamez votre chargé paroissial, eh bien c’est foutu. Et Sikècodji a brillé par ça. Nous avons toujours affamé nos chargés paroissiaux depuis le vieux qui était là jusqu’à Amoussou qui vient de partir. Et comment voulez-vous être béni ? Sikècodji ne fait pas la fête des moissons. On m’a dit de crier à plein gosier, on m’a dit de dire nos iniquités pour qu’il y ait réforme, afin que nous commencions à vivre bien à Sikècodji. Lisez-moi Exode 22, 29 […] « tu ne différeras point de m’offrir les prémices de ta moisson et de ta vendange ». mais vous, est-ce que vous ne différez pas les fêtes de moissons de Dieu ? Est-ce que Sikècodji ne diffère pas les fêtes de moisson ? Est-ce que vous les faites ? vous n’avez même pas le droit de changer la date. ici, ce n’est pas que vous changez la date, vous annulez carrément. Et vous voulez des bénédictions !

Dans la foulée de ses admonestations, il reproche à la chorale d’avoir, au cours du culte, oublié de chanter un Gloria, à tous d’être des menteurs et de flatter le président du comité paroissial pour obtenir des postes. quelques fidèles crient « alléluia », la chorale entonne spontanément le chant « Si tu piétines dans le péché, la porte restera fermée ». Le prédicateur fait lire Deutéronome 28, 1, puis 9 et 10. tous les peuples verront que tu es appelé au nom de l’éternel et ils te craindront. Aujourd’hui le chrétien céleste n’est plus craint. vous formez des groupes de prières par-ci par-là, vous priez pour des gens mais vous n’êtes pas craints. On vient chez vous comme on va chez le féticheur, chez le charlatan, c’est tout. vous n’êtes pas craints. Je vais vous donner un exemple. il y a beaucoup de gens qui prient pour les candidats à la présidence 46. Est-ce qu’un chrétien céleste doit faire cela ? […] ici sur cette paroisse, toi, tu supportes Napoléon, l’autre supporte Dupont, un autre tel, et eux tous luttent pour la même place ? qui est le fumiste ? C’est vous célestes qui êtes fumistes puisque vous priez pour eux […]. mais chacun de vous prend sa part et bouffe et puis il prie. vous priez qui ? Dieu ? Non ! Non ! Ce n’est pas le Christianisme Céleste ça, avant on disait : « Nous allons vers le voyant et on vient au voyant avec respect », aujourd’hui c’est le voyant qui passe de maison en maison pour chercher ceux qui veulent venir à lui. Alléluia !

il fait ensuite une mise au point en disant qu’il n’est pas oschoffiste 47 et termine en affirmant que « tout ce qui va contre ce qu’Oshoffa a dit est de la rébellion ». un fidèle entonne le cantique « Donne-moi la gloire » que la chorale reprend. Après avoir béni l’assistance, le prédicateur regagne sa place. Après la prédication, le conducteur revient à l’autel, la congrégation s’agenouille, l’officiant demande un moment de silence et de méditation pour que chacun puisse réfléchir sur la prédication, puis prononce une prière sur la prédication ou confie cette tâche à un autre devancier. Puis tout le monde s’assied.

46. À cette époque, le bénin était en campagne électorale présidentielle. Plusieurs groupes de paroissiens militaient activement pour différents candidats. À l’instigation du président du comité paroissial, les « permanents » de la paroisse reçurent de l’argent pour prier pour la victoire de Nicéphore Soglo. Les élections reconduisirent le président sortant mathieu Kérékou. 47. Les oschoffistes sont un groupe dissident qui ne reconnaît l’autorité ni de Porto-Novo ni de Ketu mais se réclament uniquement de la pensée d’Oshoffa (cf. chap. iii).

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Chapitre v 5. Phase des offrandes Les quatre paroissiens (deux femmes, deux hommes) qui ont été désignés pour la quête s’avancent dans l’allée centrale jusqu’au niveau de la première rangée de fidèles, et s’agenouillent. Le conducteur leur tend les paniers pour la quête qu’ils saisissent de la main droite et leur donne une bougie 48. il allume les bougies en commençant par celle de l’homme du premier rang, puis celle de la femme, puis le second rang toujours en commençant par l’homme, il les bénit et les sanctifie d’un large signe de croix. Les quêteurs se lèvent et commencent à passer dans les rangs, les hommes du côté des hommes, les femmes du côté des femmes. Ce sont souvent des jeunes peu gradés qui font la quête, ils doivent adopter une attitude modeste et faire une génuflexion devant chaque personne plus gradée qu’eux à qui ils tendent le panier. Pendant la quête, la chorale doit mener à une animation qui mettra les fidèles de bonne humeur et les disposera à se montrer généreux. Lors du culte dominical, c’est l’un des moments où elle peut chanter d’autres chants que les cantiques révélés, montrer son savoir-faire et s’accompagner d’autres instruments que l’orgue (guitare, basse, trompette et batterie, ou tambours, tambourins et hochets sont utilisés). À cette occasion, on peut entendre des cantiques protestants, des chansons religieuses à la mode (composées par des vedettes du monde évangélique) serinées à longueur de journée par Radio maranatha 49 ou les propres compositions de la chorale. Les Célestes sont réputés pour leur musique et plusieurs vedettes de variété (ou de chants religieux) sont sorties de ces pépinières musicales que sont leurs chorales. À Cotonou, il n’est guère de grande paroisse où les maîtres de chœur ne soient pas aussi compositeurs et/ou chanteurs solistes. C’est le cas de la chorale de Sikècodji qui compte dans son encadrement plusieurs compositeurs tant en musique “moderne” qu’en musique du pays, le fameux ahw`angb&ah$un. Les paroles de ces divers chants, tout en restant extrêmement pieuses, sont beaucoup plus libres que celles des cantiques révélés. Elles font parfois preuve d’une tolérance qui appartient plus aux religions de la coutume qu’à celles du Livre, comme le montre, par exemple, la traduction de ce chant ahw`angb&ah$un composé par un Céleste d’une paroisse d’Abomey Calavi : Chacun pour soi, Nous nous sommes croisés à cause de la sainte bible. qui va vous écouter pour abandonner le sien ? Adore le tien et j’adorerai le mien, Chacun pour soi. voilà pourquoi nous sommes là. Le fou a croisé le z`angb`et&O 50 dans la nuit.

48. Les paniers de quête sont des sacs de tissu bleu cousus sur un rond de fer fixé à l’extrémité d’un long manche. D’après les révélations reçues dans les premiers jours de l’église ces paniers, appelés pajaspa en langue des anges, doivent comporter sur le manche un emplacement pour la bougie mais devant le péril que faisait courir cette bougie baladeuse aux robes (généralement en tissu synthétique) des fidèles, l’habitude a été prise de remettre la bougie au quêteur. 49. Radio évangélique fondée en 1998. Le Christianisme Céleste a également, depuis 2003, sa propre longueur d’onde. 50. Les z`angb`et&O (de z$an = nuit, gb`et&O = chasseur) portent des masques qui les font ressembler à une meule de paille. ils sont membres d’une confrérie fondée à Porto-Novo qui assure la surveillance nocturne de la communauté. ils chassent les voleurs et surveillent les chemins.

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L’Église descendue des cieux Le z`angb`et&O lui a demandé ce qu’il cherche dans la nuit. Le fou lui a répondu que la nuit leur appartient à tous les deux. Nous sommes venus individuellement, Adore le tien et j’adorerai le mien.

quand les quêteurs ont terminé, ils reviennent s’agenouiller dans l’allée centrale, le conducteur reprend les paniers dans le même ordre que pour la distribution et va les poser à l’autel. tout le monde se met à genoux pour écouter la prière sur la quête faite par le conducteur ou un autre devancier. Les quêteurs regagnent leur place. Après la quête principale, plusieurs autres collectes peuvent être organisées, pour les frais d’entretien de la paroisse, ou pour venir en aide à telle ou telle personne. À cet effet, deux plateaux (un pour les hommes, un pour les femmes) sont disposés dans l’allée centrale à la hauteur de l’ambon. Les fidèles se lèvent et viennent y déposer leur obole en dansant au son des chants de la chorale qui continue l’animation. quand toutes les quêtes sont terminées, le secrétaire vient annoncer le nombre des actions de grâces et l’ordre dans lequel elles se dérouleront. Les fidèles se lèvent et empilent les chaises le long des murs, puis ils sortent et se rassemblent sur le parvis. Les devanciers se lèvent et viennent s’aligner devant la barrière du chœur. Le donateur, parfois entouré d’amis ou de membres de sa famille, portant dans un plateau ce qu’il offre, se présente à l’entrée du temple. La chorale entonne un chant d’action de grâces. Le donateur et les fidèles massés derrière lui avancent en dansant dans la nef jusqu’à se trouver devant les devanciers. un officiant reçoit l’offrande et la pose devant les devanciers. La chorale entonne le cantique qui est toujours chanté à ce moment précis de l’action de grâces. Nous disons merci au Père céleste. tant que le soleil et la lune luiront, L’être humain n’aura aucune force Contre cette sainte église. C’est du saint Père qu’elle est venue. Aussi tous les anges se réjouissent ils se réjouissent en Christ. (cantique 16 gun)

L’assemblée se met à genoux devant les devanciers, le plus gradé d’entre eux prononce une prière puis la bénit. Le groupe reste à genoux et crie sept fois « alléluia » puis se prosterne. La chorale entonne un nouveau chant, le groupe se relève, se retourne et sort du temple en dansant comme il est entré. On recommence les mêmes opérations pour chaque action de grâces prévue au programme. Les actions de grâces sont faites soit à la suite d’instructions données par des visionnaires, ces derniers ont alors indiqué ce qui devait être offert, soit à l’initiative d’un fidèle qui a envie de remercier Dieu. Dans ce dernier cas, le don peut être une simple bougie. Faire une action de grâces, c’est démontrer à la face de tous que tout va très bien dans votre existence et que vous n’avez qu’à vous louer des faveurs divines. il nous a souvent semblé que certains procédaient à cette action rituelle autant pour narguer leurs adversaires et montrer que leurs attaques ne sauraient les atteindre que pour remercier Dieu.

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Chapitre v 6. Rites de clôture Après les actions de grâces, les devanciers retournent dans le chœur, s’agenouillent à leur place et prient silencieusement. Les fidèles reprennent place dans la nef, sans remettre les chaises. La chorale entonne alors le septième cantique révélé choisi parmi les chants de bénédiction. En ce jour, il fut chanté : Jésus, mon consolateur, qui d’autre ai-je en ce monde Si ce n’est toi, le saint Père ? Approche de moi ton Esprit ! – Je me prosterne devant toi – que je ne parte pas les mains vides. michel, gardien des lieux saints. Libère-moi de mes fardeaux Et délivre-moi, ange défenseur ! (cantique 172 combat bénédiction)

L’assemblée s’agenouille pour écouter la dernière prière qui est confiée à la femme la plus gradée de l’assemblée. On récite ensuite un Notre Père, la chorale chante un Gloria. Le chargé paroissial ou le devancier le plus gradé de l’assistance bénit les fidèles. L’assemblée se lève et crie une série de sept “alléluia”, une fois vers l’Est, une fois vers l’Ouest, une fois vers le Sud, une fois vers le Nord, puis se prosterne 51. L’assemblée sort en suivant le même ordre que lors de l’entrée dans le temple et se rassemble sur le parvis. Pendant la sortie des fidèles, la chorale entonne le cantique de sortie Jerimo Yamah : Jerimo Yamah ! (bis) Les saints anges sont dans la joie au ciel. Les anges chantent (bis) De vive voix pour louer le Seigneur. (cantique 1 gun)

Le chargé paroissial chante un bref cantique, fait une prière de remerciement, bénit la congrégation qui prononce de nouveau une série de sept alléluia en se tournant successivement vers les quatre orients. Le culte du dimanche est terminé, il est entre quinze et seize heures ; devant la paroisse, les fidèles se saluent, bavardent, échangent leurs impressions sur le culte qui vient de se dérouler, puis la majorité se disperse mais certains ont encore des tâches à accomplir. Les trésoriers comptent le montant des différentes quêtes. Des fidèles se rendent au secrétariat pour régler divers problèmes, par exemple, expliquer qu’ils ne peuvent pas assurer la fonction rituelle qui leur a été confiée la semaine suivante. Les devanciers s’empressent autour du président du comité paroissial et s’enquièrent des dernières nouvelles du Siège ou des actions engagées pour l’unité. Les visionnaires se réunissent dans l’oratoire et écoutent ce que leur

51. La Constitution bleue indique que l’hommage aux quatre points cardinaux résulte d’une vision reçue par un visionnaire nigérian. il avait vu une église sans murs ni toit « mais curieusement il y avait quatre entrées aux quatre points cardinaux et pendant qu’une cloche sonnait, il vit des gens de toutes les races de la terre accourir vers l’église depuis les quatre points cardinaux ». (article 86)

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L’Église descendue des cieux chef a à leur dire. La chorale écoute les remontrances que lui fait son président sur sa prestation du jour. Certains sous-comités ont prévu une réunion ou organisent des visites à l’hôpital ou au domicile d’un frère malade. Petit à petit, les abords de la paroisse se vident des voitures et des nombreuses motocyclettes qui y étaient garées, le calme revient jusqu’au prochain culte qui a lieu quelques heures plus tard. iii. Les cultes hebdomadaires Au cours de la semaine, tous les jours tôt le matin (vers 6 heures) et le soir (vers 21 heures) sont dits dans le temple des cultes courts qui ne comportent que des prières et des cantiques (sans lecture ni prédication). Le soir (19 heures) des mercredis, vendredis et dimanches sont célébrés des cultes plus courts et plus simples que le culte dominical du matin mais qui en suivent la trame. ils sont conduits du petit autel et ne comportent qu’une lecture biblique pour inspirer la prédication. Celui du vendredi soir se distingue des autres cultes du soir en ce qu’il est célébré sans chaises ni bancs ; les fidèles s’assoient au sol. Le mercredi matin (9 heures) a lieu un culte destiné aux femmes stériles et « autres nécessiteux », dit l’ordre du culte. Ces nécessiteux sont souvent des chômeurs et les élèves qui ont des difficultés dans leurs études. Le jeudi matin est célébré un culte pour les femmes enceintes. Le vendredi à 13 heures, a lieu au jardin de prière un culte pour les visionnaires et pour ceux qui demandent les dons de l’Esprit Saint. Ces trois cultes ont la particularité d’être suivis de “travaux spirituels”. Dans le chapitre suivant, consacré aux visionnaires, nous parlerons longuement des travaux spirituels et du culte du vendredi. Pour les cultes du mercredi et du jeudi, il est demandé aux fidèles d’apporter une bougie, une bouteille d’eau et trois sortes de fruits. Le culte de ces jours, célébré dans le temple mais sans l’installation de chaises, est beaucoup plus court que celui du dimanche. il ne comporte ni lecture ni prédication et est suivi d’une “exposition” des fidèles. Le conducteur fait d’abord agenouiller les participants qui ont déposé les fruits, l’eau et la bougie devant eux. il passe entre eux pour allumer les bougies, puis prononce une prière pour que Dieu accorde les bienfaits que demandent les assistants. il les fait ensuite s’allonger, les asperge d’eau bénite, puis les frappe à l’aide de sa sangle ou d’un pagne miraculeux pour chasser de leur corps toutes les influences maléfiques. Chaque personne est ensuite couverte d’un pagne miraculeux et reste ainsi “exposée” une demi-heure pendant laquelle elle doit s’endormir. quand le temps s’est écoulé, le conducteur revient dans le temple, enlève les pagnes miraculeux, fait s’agenouiller les fidèles puis prononce encore une prière. Chaque personne mange alors un des fruits qu’elle a apportés et laisse les autres dans le temple, elle retourne chez elle avec l’eau qu’elle boira ou dont elle aspergera sa chambre. Le reste des fruits est distribué aux enfants et aux paroissiens présents sur le lieu. iv. Le premier jeudi du mois Ce culte célébré dans la nuit du jeudi au vendredi est, après le culte du dimanche matin, celui qui est le plus fréquenté par les fidèles. il est réputé apporter les forces spirituelles qui permettront de bien passer le mois nouveau. il célèbre le souvenir de la prière que Jésus avait faite au jardin de Gethsémani, peu avant sa mort. C’est 171

Chapitre v mawunyon, le neveu d’Oshoffa, qui, dans les premiers temps de l’église, reçut en révélation le cantique qui le caractérise. La Constitution bleue explique : […] c’était ce cantique que notre Seigneur chantait prosterné, la face contre terre, à Gethsémani, lorsqu’il demandait à ses disciples de veiller pendant qu’il priait (par ce cantique il cherchait à les attirer dans sa prière d’adoration au Seigneur Dieu, ne sachant pas qu’ils s’étaient endormis). [paroles du cantique en langue des anges, en yoruba et en anglais] « Prosternez-vous devant le Seigneur Dieu ! Je me prosterne moi-même devant lui. » C’était Jésus qui parlait. Ce fut l’unique cantique qu’il chanta cette nuit-là. Comme il priait et chantait intensément, il se mit à suer si abondamment que les gouttes de sueur se mirent à ruisseler le long de son corps avec du sang, et une voix répondit à notre Seigneur Jésus : « Je t’ai glorifié sur la terre et dans le ciel » (article 88).

La bible ne dit pas si le Christ chanta lors de cette nuit passée au Jardin des Oliviers mais les trois évangiles synoptiques rapportent que Jésus éprouva « de la tristesse et des angoisses », qu’il se jeta face contre terre et pria son Père d’éloigner de lui cette coupe de souffrance mais se reprit et dit : « toutefois, non pas ce que je veux mais ce que tu veux » (marc 14, 35). Luc ajoute que sa sueur « devint comme des grumeaux de sang, qui tombaient à terre » et qu’un ange apparut « pour le fortifier ». Jésus réveilla ses disciples et leur recommanda de prier afin qu’ils ne succombent pas à la tentation et leur dit : « l’esprit est bien disposé mais la chair est faible ». Le rapport de synthèse de 1998 commente ce culte ainsi : Le premier jeudi du mois constitue un grand jour que Dieu a prescrit au Prophète Oschoffa et à son église pour combattre et vaincre tous nos ennemis mais surtout pour recevoir beaucoup de bénédictions. Aucun ennemi ne peut atteindre un bon chrétien qui pratique régulièrement et sincèrement au culte du premier Jeudi du mois. bien au contraire, il verra l’ennemi périr (voir ésaïe 66, 23-24).

Les versets d’ésaïe disent : 23. À chaque nouvelle lune et à chaque sabbat, toute chair viendra se prosterner devant moi, dit l’éternel. 24. Et quand on sortira, on verra les cadavres des hommes qui se sont rebellés contre moi ; car leur ver ne mourra point, et leur feu ne s’éteindra point ; et ils feront pour toute chair, un objet d’horreur.

Alors que l’église béninoise désigne ce culte simplement comme celui du premier jeudi du mois, l’église nigériane l’appelle même en anglais : culte de la Nouvelle Lune 52 et lui donne comme justification scripturaire ézéchiel 46, 1-3 qui rappelle que, aux jours de sabbat et aux nouvelles lunes, le peuple doit se prosterner devant l’éternel à l’entrée de la porte du temple. Le premier point commun de tous ces textes est la posture de prosternation sur laquelle insiste également le cantique. Et le culte invite bien les fidèles à imiter le Christ en accomplissant ce que n’ont pas su faire les disciples de Jésus : veiller et prier pour éloigner la tentation et la faiblesse de désirer autre chose que l’obéis-

52. Dans les langues de la région, comme dans beaucoup d’autres langues africaines, c’est le mot ‘‘lune’’ qui désigne le mois.

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L’Église descendue des cieux sance à la volonté divine. La vision de mawunyon avec son rappel de la sueur de sang du Christ s’inspire manifestement du texte de Luc, le seul également à parler d’un ange venu « fortifier » le Christ. malgré son nom, ce culte qui débute à minuit est en fait célébré dans les premières heures du vendredi, jour que les Célestes considèrent comme celui du pouvoir. En se soumettant à la volonté du Père, en se prosternant devant lui, les Célestes seront « glorifiés » comme Jésus et obtiendront un surcroît de force qui leur permettra de vaincre leurs ennemis. Le jeudi soir, la plupart des fidèles se rendent à la paroisse après dîner et se reposent ou y dorment avant que le culte ne commence. Chacun a apporté une bougie, une bouteille d’eau, trois sortes de fruit, et différents objets à sanctifier. tous ces objets sont rassemblés près de l’autel et entourés de sept bougies qui seront allumées quand commencera le rite. La cérémonie est conduite depuis le grand autel mais l’officiant n’y montera pas, il restera en bas des marches qui y conduisent. Les chaises ne sont pas installées dans le temple, seules des nattes y sont déroulées. vers 10 heures, les surveillants réveillent les fidèles. L’assemblée s’agenouille dans le temple et entonne « travaillons pour la sanctification de nos âmes » ; le chargé paroissial prononce une courte prière, puis pendant les deux heures qui suivent, la chorale et toute l’assistance chante et danse. À minuit, le temple et les fidèles sont aspergés d’eau bénite et encensés, les bougies du chandelier et celles qui sont au sol sont allumées. Le conducteur commence un Gloria auquel répond l’assistance. La chorale entonne alors un cantique qui, lui aussi, ne se chante que les premiers jeudis : Dieu [j`Ixwéy`Ehwe] 53, Dieu, Dieu, roi de la vie ! (ter)

En chantant ce couplet les fidèles lèvent les bras au ciel puis se courbent en appuyant leurs mains sur leurs genoux, ils le font trois fois pendant la triple répétition du chant. Saint, saint, saint, saint, Saint, saint, roi des anges ! (ter)

En chantant trois fois le second couplet les fidèles restent courbés les mains aux genoux. Pour chanter le troisième couplet, les fidèles se prosternent totalement à plat ventre (si la place le permet), front contre terre. Prosternez-vous, prosternez-vous, prosternez-vous, Pour le roi des vivants ! (ter) (cantique 7 gun)

L’assemblée reste prosternée et entonne le fameux cantique chanté par Jésus à Gethsémani, d’abord en langue des anges, puis en gun 54 : Yago yamari Ya ngari yeh ! Yagol yamari yeh (ter)

53. j`Ixwé y`Ehwe, ciel / esprit, est le mot que forgèrent les traducteurs méthodistes de la bible en gun pour traduire « Dieu ». 54. Cette séquence rituelle de prosternation est appelée par les fidèles “l’hommage au Seigneur”, elle fait irrésistiblement penser à la prière musulmane.

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Chapitre v Prosternez-vous Devant le Roi éternel ! Je me prosterne devant lui. (ter) (cantique 5 gun)

L’assemblée s’agenouille, le conducteur sonne trois séries de trois coups de clochette et le culte se poursuit comme un culte dominical avec quelques petites différences entre autres dans la lecture des psaumes. Le premier cantique chanté sera « Ô Christ, ô mon Roi » (cantique 4 gun). La prière de trois personnes sera remplacée par une prière de sept personnes. il n’y aura qu’une seule lecture biblique. Après les séries d’alléluia qui clôturent le culte, il n’y a pas de procession de sortie, les fruits sont partagés et consommés dans le temple. Les bougies sur lesquelles les fidèles ont prié et formulé des demandes particulières sont ramassées, elles seront utilisées au cours des cultes à venir pendant le mois et réitéreront en brûlant les requêtes dont elles sont porteuses. L’assemblée se disperse, chacun emporte chez soi sa bouteille d’eau et les objets sanctifiés (savons, parfums) dont l’usage permettra de surmonter les épreuves à venir. La liturgie céleste a fait de nombreux emprunts au catholicisme, à la fois dans la conception de l’espace rituel (en particulier celui de l’autel) et dans l’importance accordée aux objets de culte (chandelier, encens, eau bénite), mais la démarche n’est pas allée jusqu’à mettre l’eucharistie au cœur du rite, la trame du culte voué à la prière et à l’écoute de la parole biblique reste protestante dans sa conception. mais, dans un mouvement qui semble inverse de celui qui inspira la Réforme et qui n’est pas totalement étranger à l’univers du méthodisme, le Christianisme Céleste redonne une chair à l’ossature ascétique du culte protestant. Le corps du fidèle – levé, agenouillé, prosterné, agité, aspergé, encensé – retrouve une place dans une liturgie qui parle aux sens.

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ChApitRE vi LE viSiONNAiRE Et SON REpORtER Le charisme de prophétie 1 qui est à la racine de l’église a été soigneusement organisé et banalisé, au point que, dans toutes les paroisses, des visionnaires se tiennent à la disposition des personnes (célestes ou non) qui souhaitent les consulter. Ce service de divination permanent et gratuit est un des principaux attraits de l’église. Par ce moyen, elle draine un public nombreux parmi lequel se recrutent la majorité des nouveaux convertis. Son fonctionnement engendre toute une organisation bureaucratique qui divise le travail de cette clinique spirituelle qu’est, à cet égard, toute paroisse céleste. Les visionnaires diagnostiquent les maux dont souffrent les consultants et indiquent quels sont les “travaux spirituels” propres à les soulager. Les reporters transcrivent les paroles des visionnaires sur une “note de révélations spirituelles”. Les dehoto, ou d’autres fidèles de permanence à la paroisse, accueillent les consultants qui reviennent munis de leur “ordonnance” et exécutent les travaux prescrits 2. toutes ces tâches s’accomplissent sous la surveillance d’un évangéliste de permanence. L’une de ses responsabilités consiste à viser les ordonnances pour s’assurer qu’elles sont clairement rédigées et ne contiennent rien d’extravagant. i. transes, visions et divination Les visionnaires sont appelés woli. Ce terme, repris de l’église des Chérubins et Séraphins, est un mot yoruba qui dérive de l’arabe wali désignant un saint homme. Oshoffa faisait une distinction entre les simples visionnaires et les prophètes. Les seconds se distinguent des premiers en ce que leurs visions ont une portée plus lointaine et collective qui peut concerner le devenir de l’église, du pays ou du monde. Le visionnaire pouvant se faire prophète à ses heures et vice-versa, la distinction n’est pas clairement établie. Elle varie avec les locuteurs, qui ne cherchent pas à creuser le sujet qui les obligerait à aborder l’interdit biblique touchant la divination. D’une façon générale, elle exprime une nuance de supériorité : un prophète est plus qu’un visionnaire. On distingue également les wolijah des wolileader (ou wolida), les seconds, en plus de leur don de vision, savent interpréter les rêves. Ce pouvoir supplémentaire ne les distingue pas hiérarchiquement, wolijah et wolida suivent des grades parallèles. Certains établissent même trois catégories, ajoutant aux deux précédentes les visionnaires qui reçoivent des images mais ne savent pas en expliquer la signification.

1. Comme toutes les pratiques de l’église, celle de la vision trouve une justification scripturaire. Saint Paul (Corinthiens 12, 7-11 ; 14, 1-4 ; Ephésiens 4, 10-15) est cité pour expliquer la place dévolue au ministère des visionnaires, ainsi que la prophétie de Joël (2, 28-29) : « Je répandrai mon esprit sur toute chair. vos fils et vos filles prophétiseront. vos vieillards auront des songes et vos jeunes gens des visions ». N’oublions pas que le Christianisme Céleste se considère comme “la dernière barque” pour le salut et que la vision fondatrice d’Oshoffa renouvelait l’annonce de Jésus : « je reviens bientôt », ce qui permet de donner une actualité aux paroles de Joël. 2. Ce décalage entre la prescription et l’exécution s’explique par le fait que la plupart des travaux demandent l’acquisition de quelques objets, le consultant revient quand il a les moyens de les acquérir.

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Chapitre vi quand un visionnaire délivre son message, on dit qu’il « émet ». Lorsqu’il « émet », il est « en esprit » ou il « tombe en esprit ». Être « en esprit » n’est pas une prérogative du visionnaire, tout Céleste qui se sanctifie peut être dit « en esprit » sans pour autant prophétiser. Par exemple, le fidèle qui va donner la prédication se doit d’être « en esprit » ; de celui qui vient de faire une belle prière ou de proférer une parole particulièrement inspirée, on dira qu’il était « en esprit ». Être en esprit c’est être dans un état de sanctification et de pureté tel qu’il vous permet d’exprimer au mieux le charisme que vous avez reçu. Dieu (ou le Christ) dispose d’une force (hl`Onhl&On en gun, agbara en yoruba) qu’il transmet par l’intermédiaire du Saint-Esprit (ou des anges) sous la forme des dons charismatiques. À certains moments des cultes, cette force de l’Esprit Saint se fait si présente qu’elle induit chez de nombreux fidèles une petite transe, particulière à l’église, qui se traduit par un tressaillement et une sorte de hoquet, transe que les moqueurs imitent quand ils veulent se gausser des Célestes. tous ne sont pas également sensibles à cette présence du Saint-Esprit, certains la ressentent fortement et le manifestent par une transe plus violente. Des uns comme des autres on dira, en usant d’un vocabulaire biblique, que l’Esprit les « agite » ou les « secoue » C’est parmi cette population de personnes régulièrement « agitées » que les dirigeants de la paroisse s’efforcent de susciter de nouvelles vocations de visionnaires. 1. L’agitation L’agitation, quand elle ne s’exprime pas par ce tremblement et ce hoquet discrets, peut se traduire par des mouvements désordonnés des bras ou du corps entier, la personne se mettant alors à déambuler en heurtant ses voisins, ou à se traîner à genoux à travers le temple. il n’y a pas de comportement spécifique (tel le tressaillement et le hoquet) des transes “violentes”. Par contre, il apparaît clairement qu’une personne régulièrement agitée a toujours la même gesticulation qui la singularise. telle agite les bras comme un chef d’orchestre dirigeant un concert, telle autre raidit tout le corps, écarte les bras et tourbillonne en fauchant violemment les obstacles. tel fidèle tombe à genoux et avance rapidement droit devant lui jusqu’à heurter un mur, tel autre pirouette sur lui-même comme une toupie puis tombe au sol. L’agité peut être silencieux ou chanter un cantique, proférer des onomatopées, des glossolalies ou des exclamations du type : alléluia, wiw$e (saint), n&I c`E (amen), m`O w&E (c’est ça). Si l’agité est visionnaire, sa transe s’achèvera souvent (mais pas nécessairement) sur l’énonciation d’une vision, proférée à genoux, dans un registre particulier de la voix, en ahanant. Cette singularité de la gestuelle d’un agité peut être attribuée à ses anges. On m’expliqua un jour les gestes particulièrement violents d’une visionnaire en transe par le fait que ses anges étaient très “forts”, c’est-à-dire très combatifs. On ne cherche jamais à identifier les anges en question, néanmoins michel Guéry signale que certains attribuent les visionnaires agités à saint michel (l’archange du combat) et les calmes à saint Gabriel (l’archange de la douceur) 3. C’est aussi à travers les particularités de la gestuelle que les responsables peuvent soupçonner une agitation due à des esprits mauvais. une agitée qui remuait les bras d’une manière quelque peu sinueuse était soupçonnée se trouver sous l’influence d’une mami Wata. mais seul un devancier qui pos-

3. m. Guéry, op. cit., p. 40.

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Le visionnaire et son reporter sède le don de discernement peut se prononcer sur les cas litigieux d’une manière formelle. Les entités de la culture traditionnelle ou néo-traditionnelle sont toutes considérées comme des esprits diaboliques mais Dieu lui-même peut envoyer un esprit mauvais, tel celui que reçut Saül (1 Samuel 16, 14). C. Akodjetin s’exprime ainsi à propos de la transe : Définition : La transe c’est la conséquence du choc entre le corps immatériel – l’ESPRit – et le corps matériel de l’homme. mais toutes les transes ne viennent pas du Saint Esprit de Dieu. il existe 5 différentes formes de transe : 1 – tRANSE PAR LE SAiNt-ESPRit Dans 1 Corinthiens 6 :19 l’Apôtre Paul nous interroge : « Ne savez-vous pas que votre corps est le temps du St Esprit qui habite en vous et que vous ne vous appartenez pas à vous-même ? » L’Esprit est là écrit en majuscule et il peut mettre quelqu’un en transe. 2 – tRANSE PAR LE PEtit ESPRit (esprit avec un petit e) Dans Juges 13 :25 « Et l’esprit de l’éternel commença à l’agiter… » Remarquez là que c’est le petit esprit de Dieu (esprit avec petit e). 3 – tRANSE PAR LE mAuvAiS ESPRit DE DiEu 1er Samuel 16 :14 « L’Esprit de l’éternel se retira de Saül qui fut agité par un mauvais esprit venant de l’éternel ». 4 – tRANSE PAR L’ESPRit mALiN Luc 9 :39 « un esprit le saisit, et, aussitôt il pousse des cris, le fait écumer, et a de la peine à se retirer de lui, après l’avoir tout brisé ». 5 – tRANSE PAR LA ChAiR 2 timothée 3 :6 à 7 : « il en est parmi eux qui s’introduisent dans les maisons, et qui captivent des femmes d’un esprit faible et borné, chargées de péché, agitées par des passions de toute espèce… » Parmi ces 5 formes de transe […] il n’y en a que deux qui débouchent sur une vision venant de Dieu […] les 3 autres formes de transe […] donnent des visions diaboliques 4.

Daniel est céleste depuis dix-sept années. Lors des cultes dominicaux, quand l’Esprit le prend, il se prosterne, totalement allongé, devant le grand autel, il va et vient à travers le temple, puis se dirige comme aveugle mais d’une démarche rapide jusqu’à une personne (presque toujours une femme) dont il prend le visage entre les mains pour lui toucher le front de son front. il raconte qu’après avoir reçu le baptême, il était très intrigué par les personnes que l’Esprit agite comme par ceux qui prêchent et qui arrivent à retenir tant de versets par cœur. il se demandait comment ils parvenaient à faire de telles choses. une nuit, exactement un an après son baptême, il se réveille brusquement, le sommeil le fuit, il prend sa bible et commence à lire, quand il sent sa tête lourde « comme s’il y avait quelque chose dedans ». Le matin, il se rend au culte ; au moment où le conducteur l’asperge d’eau bénite, sa tête bouge d’un seul coup. il comprend que « c’est ça qui agite les visionnaires ». Au moment de l’action de grâces, quand la chorale commence à chanter, il se sent soulevé de terre puis il retombe, plusieurs fois de suite. quelques

4. C. akoDjetin, op. cit., p. 33-34.

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Chapitre vi mois plus tard, il observe une sécurité de trois jours à la paroisse, le jour qui suit est un dimanche, pendant le culte l’Esprit l’agite avec force : Ce jour-là je ne me possédais plus, l’Esprit m’entraînait partout, je vais dans le temple, je vais dehors, par-ci par-là et brutalement mon oreille a commencé à bourdonner et j’ai entendu une voix comme si quelqu’un me téléphonait. La voix disait : « Daniel, tu te poses des questions. […] c’est moi l’éternel qui agite les visionnaires et c’est moi qui donne l’intelligence de retenir les versets ».

La voix lui demande d’aller vers quelqu’un et de demander un “bic”, il le fait, vers un autre et de demander une feuille, à peine a-t-il posé le stylo sur la feuille que le “bic” commence à écrire un verset de l’Apocalypse. À partir de ce jour, il est régulièrement agité de la manière que nous avons décrite, dont il découvre le sens dans un verset biblique : « ils tombèrent sur leur visage et la gloire de l’éternel leur apparut » (Nombres 20, 8). C’est quand il se prosterne qu’il voit la personne vers qui Dieu veut l’envoyer, il ne sait pas exactement ce que Dieu lui fait faire, sauf si la personne concernée vient lui en rendre compte. Ainsi une femme qu’il avait touchée durant sa transe est venue lui dire le lendemain qu’elle souffrait de maux de tête violents qui avaient disparu après son attouchement. Les paroissiens le critiquent : […] parfois les gens viennent me voir pour me dire : « toi, là, pourquoi tu ne portes pas le col carré ? » mais moi je ne vois pas […]. quand je me prosterne, ils disent : « qu’est ce qu’il fabrique comme ça, et pourquoi il va embrasser la femme d’autrui ? »

On va même jusqu’à le soupçonner d’être agité par des esprits diaboliques mais l’hypothèse n’est pas retenue et on l’affecte au service de l’autel de z`ungb&om`E 5 afin de le rapprocher des visionnaires. L’un d’eux lui révèle qu’il devrait déjà être mort mais que les anges ont rallongé la durée de sa vie afin qu’il accomplisse “l’œuvre du Seigneur”, il lui dit aussi qu’il a vu un miroir. Daniel commente : « un miroir ça veut dire la vision, donc c’est une promesse que Dieu m’a faite. Ça veut dire que tôt ou tard je vais voir mais l’heure n’a pas encore sonné ». Ce récit nous renseigne sur trois points. Premièrement, c’est quand on prie beaucoup et quand on se sanctifie que l’on devient réactif à la force de l’Esprit Saint. Deuxièmement, il y a quelque chose de mécanique dans la manifestation de cette force, c’est quand il est touché par l’eau bénite qu’il a sa première “transe”. Ce phénomène s’observe couramment, rares sont les Célestes qui n’ont pas un petit tremblement-hoquet au moment ou ils reçoivent quelques gouttes d’eau bénite. On raconte souvent pour mettre en valeur le haut degré de spiritualité de Nathanaël Yansunnu que lorsqu’il passait devant une paroisse céleste, à l’intérieur, les fidèles se trouvaient pris de transe tout le temps de son passage, comme des herbes qui se couchent au passage du vent. Cette force peut donc être incorporée de manière quasiment permanente, ce qui était le cas d’Oshoffa comme nous l’avons vu précédemment, et se propager à l’insu de son possesseur. Enfin, bien qu’il entende la voix de Dieu (comme un prophète biblique et comme dans le cas de la vision céleste dite “par téléphone”) et que, sur les ordres divins, il soigne, Daniel n’est pas

5. Autel se trouvant dans le jardin de prière, espace plus particulièrement associé au Saint-Esprit (voir chapitre v).

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Le visionnaire et son reporter considéré comme un visionnaire, comme il le dit lui-même il ne « voit » pas. La capacité de prédire (ou de diagnostiquer) est donc bien ce qui fait le woli. Les Célestes entretiennent une opinion ambivalente sur l’agitation. D’un côté, ils la considèrent de manière positive car elle prouve que la force de l’Esprit Saint est présente dans l’église ; d’un autre côté les agités trop vifs perturbent le culte, on critique ceux qui ne parviennent pas à se maîtriser et se manifestent par exemple pendant la prédication ou ceux qui s’attardent au stade d’une agitation violente (inutile pour la communauté) sans passer à celui (utile) de la vision. quand un fidèle en transe dérange vraiment trop le culte ou si l’on craint que son agitation mette en péril son intégrité physique, on peut le “ramener en chair” en lui dessinant de la main un signe de croix sur le dos, il reprend alors ses sens. Certains visionnaires disent qu’ils craignent de tomber en transe à un moment inopportun, hervé raconte : Au début, j’ai peur même d’aller en ville de peur que l’Esprit me secoue parmi mes amis, ça me ferait honte. J’allais mais je faisais très attention. vous allez voir que l’Esprit de Dieu n’est pas un esprit de désordre. moi quand je suis parmi des gens, l’Esprit ne me secoue pas mais quand je sens que je ne prête plus attention, l’Esprit me secoue, et personne ne sait, c’est moi seul qui sens et je me dis : bon si c’est ça il faut que j’aille à l’église pour prier.

une opinion diffusée par certains chercheurs 6 veut que les transes violentes caractérisent les nouveaux agités qui ne sont pas encore familiarisés avec cette expérience, tandis que les anciens ne la manifestent que par le tremblement dont nous avons parlé. Nous ne la partageons pas, car il nous a été donné souvent de voir des visionnaires très expérimentés fortement agités. Cette opinion se soutient peut-être du désir d’interpréter la transe céleste dans une continuité avec la transe de possession vodun : “sauvage” pour le non-initié et “maîtrisée” pour l’initié. que le Christianisme Céleste se soit propagé dans plusieurs pays et parfois très loin de ses sources en conservant sa gestuelle, ne nous incline pas à penser la transe céleste dans cette continuité. La transe, comme « état altéré de la conscience », est un phénomène psychophysiologique susceptible d’être induit chez tout individu 7. La signification qui lui est donnée : possession par un dieu, voyage dans le monde des esprits, expression du moi profond, etc. est fonction des codes auxquels adhère celui qui s’y abandonne, ceux de sa société ou ceux d’une communauté plus réduite comme un groupe thérapeutique ou religieux. En même temps que des schèmes de pensée, le groupe offre un style gestuel que l’adhérent adopte par mimétisme. tel qui, aujourd’hui, chez les Célestes, tressaille et hoquette avec le Saint-Esprit, va demain baver et se contorsionner à terre pour expulser un esprit diabolique s’il adhère à une église pentecôtiste. Nous n’entendons pas par-là que le sujet de la transe chrétienne se livre à une simulation, bien au contraire, cette aptitude à se couler dans les moules tendus par un groupe religieux donne seulement la

6. Cf. A. mary, *« Culture pentecôtiste et charisme visionnaire au sein d’une église indépendante africaine », Archives de Sciences sociales des Religions 105 (1999), p. 29-50 ; A. de surGy, op. cit., p. 210. 7. Cf. à ce sujet les travaux de Jacques Donnars, en particulier J. Donnars, « Possession, transe et psychothérapie », Transe, chamanisme et possession, Actes des iie Rencontres de Nice, éditions Serre, Nice 1986, p. 7-16.

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Chapitre vi mesure du désarroi qui le pousse à chercher là un étayage de sa personnalité. il est d’autant plus fortement conduit à répondre aux canons du groupe qu’il a besoin pour guérir ou apaiser son mal être d’être soutenu et reconnu par ce groupe. bien que l’on pense que les agités, ceux qui entrent facilement en transe, ont plus de facilités que d’autres pour parvenir à la vision, la première expérience n’est pas une condition nécessaire pour obtenir la seconde. thérèsa était une catholique fervente qui dans sa jeunesse avait même pensé entrer au couvent. Elle a adhéré au Christianisme Céleste pour suivre son mari. Au moment où elle a été baptisée, l’évangéliste qui officiait a fait remarquer qu’elle serait visionnaire ; Oshoffa, présent, l’aurait alors corrigé pour dire qu’elle ne serait pas visionnaire mais prophète. quelques mois plus tard, alors qu’elle suit un culte conduit par un visionnaire très réputé, elle le voit avec le visage couvert de boutons. Elle le voit ensuite avec un enfant inanimé dans les bras, lui aussi a le visage boutonneux, elle voit encore d’autres images. Elle consulte alors un visionnaire de sa paroisse qui la renvoie en lui disant de ne pas l’importuner, que ses images ne sont pas des visions. Elle consulte alors plusieurs visionnaires d’autres paroisses qui lui expliquent la signification de ce qu’elle a vu. L’une d’entre eux est sa tante : Je suis allée la voir et je lui dis : « voilà ce que j’ai eu ». Elle me répond : « mais ça, c’est la vision ! » Je lui dis : « mais j’ai vu d’autres personnes et la première m’a renvoyée ». Elle me répond : « La vision que tu as est si forte que si tu travailles tu risques de le dépasser, alors il ne risque pas de t’expliquer, moi je suis contente pour toi ». Elle a proposé de m’aider. C’était une grande visionnaire qui avait tous les grades qu’on peut avoir. Elle m’a dit : « L’enfant de ce visionnaire va mourir. telle que tu as vu la chose, c’est pour dans quinze jours ». Et quinze jours plus tard, l’enfant décédait.

Elle a de plus en plus souvent des visions qui toutes se confirment et finit par être reconnue officiellement comme visionnaire. Elle raconte que ses visions étaient toujours très calmes, qu’elle n’était jamais “secouée”, qu’elle n’avait pas de transe. Pourtant un jour : J’étais allée à un culte de sanctification des visionnaires et je l’ai eue, je me suis vu folle, en rage et tout, alors j’ai dit : Seigneur, si c’est toi qui es là, il ne faudrait pas que ça se reproduise. Ou bien je ne suis pas prête, alors que l’Esprit ne descende pas sur moi, ou bien il y a quelque chose qui ne va pas mais si tu le permettais, Seigneur, que cela ne vienne plus ! Et ce n’est plus jamais venu. C’est une vision les yeux ouverts : je peux être avec vous, vous parler comme nous sommes en train de le faire, puis je vois comme un cliché, un film qui passe devant moi, soit en noir et blanc, soit en couleur. quelquefois, je vois des choses écrites mais plus souvent c’est une voix qui m’explique le film qui est en train de passer.

2. Voir : un pouvoir Le don de vision, en tant qu’il est une forme de pouvoir, est considéré comme une aptitude très désirable par nombre de Célestes et pour l’acquérir, certains sont prêts à faire beaucoup de sacrifices. François dit qu’il est entré dans l’église, non parce qu’il avait été malade mais uniquement parce qu’il avait été émerveillé par des visionnaires :

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Le visionnaire et son reporter Je peux dire que c’est à cause de la vision que je suis entré dans l’église […]. Le règlement intérieur, c’est qu’il ne faut pas boire d’alcool, qu’il ne faut pas chercher la femme, qu’il ne faut pas fumer, il ne faut pas faire gri-gri, tout ça… mais moi ce que je cherche, c’est autre chose, c’est la vision que je cherche. Je suis allé voir monsieur G. et je lui ai dit : « bon, je vais retourner à Abidjan mais ce que je veux maintenant avant d’aller, vous allez me donner la chose ». il me demande : « quelle chose ? » Je lui dis : « La vision là ». il me répond : « On ne la donne pas ». Je dis : « Oh, non, papa, on donne, bon, je vais rentrer chez moi mais ce soir je viendrai vous voir à la maison ». Le soir, je suis allé chez lui avec 50 000 F. J’ai enveloppé ça avec un papier, je luis dis : « tiens, papa ! » il me dit : « C’est pourquoi ça ? » Je dis : « C’est pour la vision ». il dit : « Reprends ton argent, la vision ne se vend pas, il faut que tu commences à venir tous les vendredis, et si dans ta vie tu as le don de vision, Dieu va te la donner ». C’est de là que j’ai commencé à arriver tous les vendredis et je ne vois rien. Le vendredi, on travaille pour les gens, les gens sont secoués, moi je ne fais rien, les gens tombent sur moi, moi aussi je cherche à tomber et rien ! On me dit de demander, de taper et de chercher Dieu 8. J’ai commencé à frapper, taper, chercher et je ne vois rien !

hervé a perdu sa mère alors qu’il était très jeune, d’abord élevé par une marâtre qui le maltraitait, il est recueilli par une de ses sœurs aînées et quand elle entre dans l’église avec son mari pour trouver une solution à des problèmes de sorcellerie, il la suit. Le jour du baptême, sa sœur est entrée en transe mais pas lui. il va consulter le mari d’une autre sœur qui est dans l’église depuis plus longtemps. « Pourquoi l’Esprit ne me secoue pas ? moi, je veux être visionnaire ! » qu’est-ce qu’il m’a répondu ? il dit : « Non, mon fils, on ne se désigne pas visionnaire. C’est Dieu qui désigne les visionnaires ». Je lui ai dit : « bon s’il en est ainsi comment je peux faire ? » il me dit : « mais je ne sais pas, si tu étais né visionnaire, par la prière Dieu va vite développer ta force et tu verras de quoi tu es capable dans l’église ». Je lui ai dit : « bon si c’est la prière seulement, s’il n’y a rien d’autre à faire, je vais m’en occuper ». Et j’ai commencé par faire la prière, je prie régulièrement sept fois par jour. Et je vous affirme qu’après deux ans, l’Esprit a commencé à me secouer. L’Esprit me secouait d’une manière qui étonnait tout le monde. Je ne manquais pas un culte du soir. il y a toujours un culte le soir les mercredis, les vendredis et les dimanches. Donc je ne ratais pas. Le dimanche matin aussi je ne ratais pas. Donc quand j’allai au culte, un mercredi, la chose m’a poussé devant, derrière, à droite, à gauche. J’ai dit : « bon voilà c’est l’Esprit Saint qui me dérange comme ça […] ». À tout moment je suis à l’église, ça dépasse maintenant sept fois par jour. Donc, je prie, je prie et la troisième année, qu’est ce qui s’est passé ? J’étais à l’église un mercredi soir et j’ai commencé par émettre. émettre, c’est quoi ? C’est que tu sors les révélations, tu parles, ça sort, tu fais la vision par émission. C’est ce qui va arriver que tu dis, c’est ce qui se passe que tu dis, c’est ce qui était passé et que personne ne sait qui sort de ta bouche. tu parles sans le savoir […]. Ça a fait la joie de toute la congrégation. On a constaté que Dieu a désigné un visionnaire.

8. Allusion à mathieu 7, 7-8 : « Demandez et vous recevrez, cherchez et vous trouverez, frappez et l’on vous ouvrira car quiconque demande reçoit, qui cherche trouve et l’on ouvre à celui qui frappe ».

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Chapitre vi L’évangéliste élisée Agré de Côte d’ivoire, en introduction à sa brochure Les principes de l’Église du Christianisme Céleste, relate : En février 1980, j’avais deux ans de vie chrétienne. Comme tout nouveau converti, je passais le clair de mon temps dans la prière surtout à la recherche du don de prophétie et de vision. Ainsi je jeûnais très souvent pendant sept jours, voire vingt et un jours. Et comme aucun signe du don du Saint-Esprit ne se manifestait en moi, un jour je résolus de jeûner quarante jours, ne buvant que de l’eau, le soir au coucher. Je réussis à jeûner vingt-huit jours ; mais le vingt-neuvième jour, je tombai gravement malade et le Saint-Esprit me demanda de ne plus continuer à mortifier ma chair, car la grâce du Seigneur est déjà sur moi. mais n’étant pas convaincu de cette révélation, je me jetais dans les cérémonies de prière… tous genres de cérémonies de prière ont été faites. Néanmoins après trois mois, je ne reçus toujours pas de manifestations spirituelles dans ma chair 9.

Ce pouvoir de vision que certains veulent tant acquérir, d’autres le redoutent. Jonas qui, avant d’entrer dans le Christianisme Céleste, appartenait à une église évangélique (église Apostolique de la Foi), ne fréquentait pas régulièrement les cultes car il avait beaucoup de problèmes. En particulier, il faisait de mauvais rêves. « Je voyais les egoun, les zangbeto qui me chassaient, je rêvais que je me battais aussi ». il va confier ses rêves à un devancier qui lui conseille de faire un circuit de paroisse. Alors qu’il est à la paroisse de Sainte-Rita, une visionnaire lui explique son problème : Elle me faisait comprendre que Dieu m’a confié une tâche et que moi je ne voulais pas la faire. Donc que si je n’accomplis pas cette tâche, quelle que soit la voie que je peux prendre dans ma vie, ça ne peut pas marcher. Ça sera l’échec, toujours l’échec, que je trouverai sur mon chemin, donc de retourner vite sur ma paroisse et de commencer par faire les œuvres de Dieu […]. C’est de là que je me suis ressaisi […]. On m’a dit que les agités par le Saint-Esprit, ils ont spécialement leurs travaux, et chaque jeudi j’y participe.

trois années de suite, il prend part aux épreuves de la Pentecôte à l’issue desquelles sont choisis les nouveaux visionnaires mais chaque fois il échoue. il est pris en charge par un visionnaire confirmé qui le conseille. il m’a dit : « Attention, si tu refuses de prendre le col carré cette année, tu auras des conséquences ». J’ai dit : « Non, il m’a déjà confié une œuvre, au sein de l’église, puisqu’il m’a pris comme maître d’autel ». Et puis, bon, moi, ça me déplaît d’avoir le col carré, et quand il me parlait de ça, j’hésitais toujours, puis au cours d’un rêve, les anges me mettaient en garde, si je ne prends pas le col carré cette année, c’est la mort pour moi.

invité à dire ce qu’il craignait, il répond : C’est à cause des critiques. Dieu t’a confié une tâche, effectivement toi tu l’as acceptée. mais il y en a d’autres qui sont dedans et qui ne veulent pas que tu progresses. il y a toujours des blocages. tu diras que tu es visionnaire mais ta vie sera très malheureuse […]. il y a aussi des devanciers qui cherchaient ce don et qui ne l’ont pas eu, c’est la jalousie, quoi. ils voient que tu les dépasses, alors il y a envoûtement, quoi !

9. é. aGré, op. cit., p. 9.

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Le visionnaire et son reporter une personne également visionnaire qui participe à la conversation précise : Par exemple, il y a un homme déjà marié qui couche avec la femme d’autrui, toi, tu es un jeune visionnaire et Dieu te montre ça. tu vas le dire à un responsable et on fera des remontrances à cet homme. quelque temps plus tard ce même homme vole au service, et Dieu montre ça encore au petit visionnaire. il va voir le monsieur et il lui dit : « J’ai vu que tu as volé à ton poste de travail ». Ça finit par énerver ce monsieur, il va dire : « Oh, là là, comment ce petit comme ça peut voir des choses pareilles ! » Et il va commencer par faire des mauvaises prières, par prier contre ce visionnaire. Alors la luminosité de sa vision va commencer à baisser, s’il ne prie pas très correctement, ses visions, ses rêves vont devenir flous. C’est pour cela qu’il dit qu’il a peur, il sait qu’il y a des gens qui prient contre les gens.

michel confirme l’existence des jalousies que suscite l’obtention de la vision. Le don de vision lui est venu brusquement pendant un culte, il était alors choriste, il tombe en transe et dès lors il voit « les choses claires et nettes ». il passe avec succès l’examen de la Pentecôte. Dieu me pardonne, c’est à ce moment-là que j’ai su que, dans l’église, il y a les loups, les lions et les panthères. […] on me disait d’aller voir les supérieurs, qu’ils vont m’aider mais quand j’y vais, la personne me tourne le dos parce qu’elle sait déjà ce que j’ai reçu et par jalousie elle ne veut pas que je reçoive cette force-là. Parce que Dieu m’a choisi parmi eux, certains ne sont pas contents […]. L’Esprit m’animait fortement, et un jour on me dit de faire tels et tels travaux. Je vais voir le devancier qui était chef des visionnaires à l’époque, il n’a pas voulu me les faire ! […] mais moi, je ne cache rien, si tu es un malfaiteur ou bien si ce que tu penses ne correspond pas à l’Esprit de Dieu, si tu as un comportement très mauvais, je te dénonce, même si tu es le plus grand, je te dénonce publiquement. J’étais jeune, je ne mâchais pas mes mots et ça a amené les jalousies, vraiment ça amène la mésentente. bon, Pierre ne me voit plus, Jean ne me voit plus, Albert ne me voit plus mais bon, ce qui est dit est dit !

3. La formation des visionnaires La vision est un don de Dieu et en tant que tel, elle ne s’apprend pas mais le visionnaire est un être humain perfectible, il existe donc, dans certaines paroisses, comme c’est le cas à Sikècodji, une véritable formation à la fonction de visionnaire à la fois pour aider les agités à transformer leur sensibilité à l’Esprit Saint en véritable vision, et pour inculquer à ceux qui voient déjà un code de conduite morale qui leur permettra d’exercer leur don pour le bienfait de la collectivité. À Sikècodji est organisé le jeudi un culte réservé aux agités. Plus court que le culte du vendredi, il ne comporte ni lecture biblique ni prédication, il est comme le premier suivi d’un traitement rituel particulier (cf. infra). un wolida réputé organise, chaque mercredi, des séances de prières à la plage auxquelles sont conviés tous ceux qui aspirent à recevoir le don de vision. Après les prières, les participants sont invités à dire de ce qu’ils ont vu. À ce stade les personnes, quand elles voient quelque chose, ne sont pas encore capables de l’interpréter, le wolida fournit donc l’explication des visions et par ses commentaires propose une grille de déchiffrement symbolique qu’au cours du temps les assistants intériorisent. il en est de même à la fin du culte du vendredi – culte particulièrement dédié à ceux qui recherchent les dons du Saint-Esprit –, les fidèles disent 183

Chapitre vi ce qu’ils ont vu et le visionnaire qui conduit le culte choisit quelques-unes de ces visions et en livre la signification. Joël raconte qu’il a eu ses premières visions alors qu’il n’était pas encore baptisé : il [le chef des visionnaires] disait que ce n’est pas seulement ceux qui sont en blanc qui peuvent avoir une vision. que la vision c’est pour tout le monde. même ceux qui sont en tenue civile, s’ils ont eu des visions, s’ils ont des signes ou bien s’ils ressentent quelque chose, ils n’ont qu’à prendre le micro et le dire ouvertement, même si au cours des prières, ils ont fait un rêve parce qu’on peut voir des choses même les yeux fermés. C’est de là que j’ai commencé à avoir des visions. [Lors d’un culte du vendredi] il commence par dire que quelque chose s’était passé au cours de la prière silencieuse, que celui qui va lui dire ce qui s’est passé, celui-là il va bénéficier d’une noix de coco mûre. bon, les gens ont levé le doigt, ils ont parlé, ce n’est pas ça, ce n’est pas ça. moi la vision que j’avais eue, c’est que j’ai vu quelqu’un sur un cheval, et la personne est entrée dans la chapelle. La personne avait une épée en main et il a commencé par inspecter tout le monde. Puis le cheval est ressorti et ensuite j’ai vu un hélicoptère qui est en train d’arroser tous ceux qui sont ici, quoi. On a vu tout le parvis qui est en fumée toute blanche. La fumée-là, c’est la bénédiction, quoi. il a dit : « il faut lui donner la coco ». bon, ça m’a encouragé et le vendredi suivant, je me suis concentré encore plus et j’ai commencé par tomber en transe.

La semaine de la Pentecôte est le couronnement de cet apprentissage, c’est l’époque où seront nommés les nouveaux visionnaires de l’année. tous les visionnaires et surtout ceux qui aspirent à le devenir sont conviés à observer une sécurité de sept jours. Durant ces journées, les participants, confinés dans l’espace de la paroisse, jeûnent et prient. Plusieurs fois par jour et également la nuit, des tests sont organisés pour les aspirants. Au cours de ces entraînements, ils doivent deviner ce que leurs encadreurs cachent dans une bassine ou un seau recouvert d’un linge. trop de mauvaises notes à ces épreuves les éliminent pour le test final qui a lieu la nuit du vendredi, solennellement, devant les devanciers conviés pour la circonstance. Les épreuves sont toujours organisées de la même façon, pour les tests préliminaires ce sont des objets qui sont cachés, tandis que pour le test final quelque chose est écrit sur un papier caché dans une bible. La plupart des participants ont une grande familiarité avec ces examens car certains d’entre eux les passent tous les ans depuis plusieurs années. Les examinés sont supposés rester en esprit pendant toute la semaine, souvent ils entrent en transe. quand on les interroge, le chef des visionnaires ou un de ses assistants prononce une prière, puis les laisse se concentrer à genoux devant l’énigme. Souvent ils font précéder l’énoncé de ce qu’ils voient par un cantique, un reporter note soigneusement tout ce qu’ils disent. Si ce qu’ils chantent a un rapport avec ce qui se trouve caché, même s’ils se trompent sur l’objet, ils amélioreront leur note. L’idéal est d’énoncer simplement le nom de l’objet caché mais le risque de se tromper est alors très grand. Certains comprennent qu’un énoncé métaphorique aura plus de chance d’englober ce qu’il faut deviner. Par exemple, celui qui dirait : « J’ai vu une grande lumière qui descendait sur l’autel et qui se répandait sur les fidèles » recevrait une note correcte que l’objet caché soit indifféremment une bougie, une ampoule électrique, une image du Christ, une photo du pasteur fondateur ou une bible. Les notes que donnent les responsables ne sont pas toujours très justifiées et il y a certainement du favoritisme mais les résultats finaux ne sont proclamés qu’à la suite d’une longue délibération qui regroupe tous les grands visionnaires et devan184

Le visionnaire et son reporter ciers de la paroisse. Pendant cette réunion, ce n’est pas seulement le résultat aux tests qui est jugé mais l’ensemble du comportement des candidats. Suivons les apprentis visionnaires dans quelques-unes de leurs épreuves de la Pentecôte 2000. Au terme de cette session où se présentaient quarante candidats, cinq visionnaires ont été nommés et cinq autres admis à exercer durant six mois, sous l’étroite surveillance de leurs responsables, période à l’issue de laquelle ils ont été confirmés ou appelés à repasser les examens. Pour le premier test, un calice est caché dans un seau. L’objet est rarement utilisé et la plupart des aspirants qui ne sont pas encore bien “rodés” ont eu zéro. ils sont notés sur 20. Certains pourtant ont réussi à se distinguer. béatrice chante « À toi la gloire, ô Ressuscité… vois le paraître, c’est Jésus, c’est ton maître, etc. », elle dit qu’elle a vu une fleur. Elle reçoit la note 10, sans doute parce que son chant évoque Jésus et son sacrifice. marcelline reçoit également la note 10, pourtant elle a chanté « Rendons grâce à Jéhovah » et dit avoir vu un papier blanc, une sangle à frange jaune et une soutane d’évangéliste. L’évocation d’un évangéliste, officiant de la communion, est peut-être ce qui lui a fait obtenir la moyenne. Francine voit un bol avec un couvercle, elle est notée 15. Augustine chante : « vous les fidèles de Jésus, soyez unis », elle voit un verre en bambou, elle reçoit la note 20. La double référence à Jésus et à un récipient lui vaut cette excellente note ; elle est aussi l’épouse d’un secrétaire du comité paroissial. Pour le test final, sur le papier caché dans la bible est écrit : « Oshoffa en visite à Sikècodji ». Nous citons les différents candidats dans l’ordre dans lequel ils ont été classés à l’issue de toutes les épreuves, la note indiquée concerne uniquement ce test. il faut également rappeler que Sikècodji suivait à l’époque la tendance nigériane de l’église et que son président est un ardent militant de l’unité de l’église. Le thème de l’union qui revient dans beaucoup de prédications, celles du président comme celles d’autres prêcheurs, est un des leitmotivs de la paroisse, aussi on ne s’étonnera pas de le retrouver dans nombre des visions ci-dessous. Notons également que, dans le jargon des visionnaires, dire qu’on voit une âme signifie que l’on voit le nom d’une personne écrit sur un papier. Augustine voit une âme dans la bible, elle voit une feuille de vision, sur cette feuille est écrit « quelque chose encadré par trois croix comme d’ordinaire ». Note : 18 Rosine voit une allumette, une bougie, un papier sur lequel est écrit « qu’est-ce que nous allons offrir en action de grâces le jour de la Pentecôte ? ». Note : 8. Céline chante « Les fidèles de la sainte église descendue des Cieux », elle voit une sangle et un papier blanc, puis, sur un papier blanc, un brin de frange de sangle. Note : 15. Jacqueline voit “une écriture” dans la bible, la voix lui dit « C’est l’union ». Note : 17. Jonas entend une voix qui dit aux âmes d’être dans l’union pour que l’œuvre de Dieu puisse prospérer dans sa maison. il chante « Publions le nom de Dieu ». Note : 12. hosanna voit un papier blanc sur lequel est écrit : « l’église du Christianisme Céleste de Sikècodji ». Elle chante « Jésus est le roi ». Elle voit les devanciers qui se tiennent par la main devant elle, une voix lui dit que ces devanciers doivent rester dans l’union pour œuvrer, ils chantent « Jésus est le roi ». Note : 17. Josiane chante :« vous les Saints anges du ciel », elle voit une grande lumière comme l’apparition de la lune, puis elle voit une voiture. Note : 18. 185

Chapitre vi Francine dit : « Œuvrez en union m’a dit la voix car vu les devanciers se donner les mains, vu plein de lumière dans le parvis, vu dans la bible un papier blanc sur lequel est écrit « église du Christianisme Céleste ». Devant Dieu, devant les hommes, ce sont des noms qui sont dans la bible pour l’union afin que l’œuvre de Dieu prospère ». Note : 16. marcelline voit une feuille sur laquelle sont écrits des noms, en haut est écrit « église du Christianisme Céleste », elle voit aussi un pétale de fleur. Note : 15. Nadine voit les devanciers qui prient, elle voit descendre une sangle bleue qui les attache ensemble, elle voit un globe qui peu après devient un arc-en-ciel, un papier blanc sur lequel est écrit « église du Christianisme Céleste ». Elle chante « Soyez unis dans un même amour ». Enfin elle voit la photo du pasteur Oshoffa. Note :19. En ce qui concerne ce test, et en dehors des deux personnes, l’une qui a vu le nom de la paroisse et l’autre une photo d’Oshoffa, nous avons échoué à trouver un rapport entre le thème caché, ce qui est vu et la note qui est donnée, si ce n’est, peut-être, que parler de l’union fait toujours bon effet. Ceux qui réussissent aux examens sont très fiers de leur succès et s’en vantent facilement quand on parle avec eux. Joël raconte : On prend le seau et, par exemple, on met une sangle dedans et après quatre personnes prennent le seau comme si c’était lourd, quoi, alors que c’est un pagne tout léger qui est dedans, quoi, pour tromper la vigilance des gens. En ce temps-là [en 1997], c’était tellement dur. C’était des examens très durs. ils sont même partis chercher un épi de maïs qu’ils ont mis dans le seau bien refermé. D’où vient l’épi de maïs dans une église comme ça ? il y a des bougies d’autel là, des croix là, il y a des encensoirs là. épi de maïs : on n’est pas aux champs ! mais chemin faisant, quand j’ai prié, j’ai vu qu’il y a du maïs dedans […]. Après ça, on a mis nos noms dans la bible […] quand on t’appelle, avant que tu viennes on enlève le nom de l’autre et on met le tien dans la bible. tu te mets à genoux, on te dit de faire la vision sur ce qui est dans la bible. C’est quand je suis rentré en esprit que j’ai vu une liste, et que j’ai vu un groupe de fidèles qui sont en train de prier dans une chapelle et puis Dieu a dit qu’à la fin de la prière il y aura la joie. Et puis j’ai vu que les choristes sont en train de danser, de crier, de remercier Dieu. Ça veut dire que Dieu dit que ce que nous sommes en train de demander sera exaucé, que les fidèles n’ont qu’à avoir de l’espoir, du courage. qu’au bout du rouleau, il y aura la joie, du succès, de rester en prière pour tous ceux qui sont au couvent. Or là où nous sommes c’est un temps de couvent. Après ça j’ai vu un fidèle qui est en train de s’efforcer de gagner un match. un match, c’est quoi ? C’est les examens qu’on est en train de faire. Et finalement, j’ai vu qu’il a gagné la coupe et puis les gens sont en train d’applaudir. Et puis Dieu a dit que ce qui est là-dedans c’est le nom d’un fidèle, et que ce fidèle-là n’a qu’à avoir le courage, qu’il aura la victoire.

Le lien fort que les Chrétiens Célestes font entre la transe et la vision indique plus une influence biblique – « l’esprit de Dieu le saisit et il prophétisa au milieu d’eux » (1 Sam 10, 10) –, qu’une continuité avec la divination traditionnelle ; les bok&On`O ou ceux qui pratiquent la divination par les colas ne se mettent pas en transe, les possédés vodun n’ont pas de fonction divinatoire 10. Par contre, l’idée

10. Dans les cultes néo-traditionnels, les possédés peuvent délivrer des messages.

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Le visionnaire et son reporter que la vision est un don que l’on possède en naissant, que Dieu activera si on lui en fait la demande par la prière, renvoie à la croyance en une destinée prénatale, conception qui n’existe pas seulement dans l’aire aja-yoruba mais qui est répandue dans toute l’Afrique de l’Ouest. Dans le monde fon, mawu réserve à chaque être une destinée (sè) 11 dont peuvent avoir connaissance ceux qui se font initier au Fa. Au cours de la cérémonie, le bok&On`O révélera à l’initiant son kpOl&I, le signe de Fa (d`u) sous lequel se place son destin. 4. Le contrôle du visionnaire Le règlement du sous-comité des visionnaires de la paroisse de Sikècodji nous renseigne sur la nature de la vision et sur le rôle que la communauté confère au visionnaire. Ce règlement précise « la discipline à observer par les visionnaires de la paroisse » et « vise entre autres à développer : la confiance entre chrétiens, augmenter l’amour fraternel, favoriser l’union entre frères et la croissance des visionnaires dans la grâce ». Son article un définit le visionnaire : Le visionnaire ou la visionnaire est celui ou celle choisi(e) par l’éternel qui reçoit sous plusieurs manifestations divines la parole de Dieu à savoir : – par image – par intuition – par “téléphone” et qui la transmet aux hommes. La vision est donc une arme ou une lumière puissante qui permet à l’église ainsi qu’à tous les fidèles d’avancer avec assurance dans la foi. Ainsi donc la créature qu’est l’homme peut consulter son créateur Dieu par l’intermédiaire du visionnaire ou prophète (Exode 33 : 7) 12.

Joël commente ainsi ces différentes sortes de visions : quand tu veux voyager avec ta voiture, par exemple, tu veux aller dans le Nord, par exemple, quelque chose te dit : Ne voyage pas mercredi-là. Si tu voyages ce soir-là, tu vas faire accident en chemin. Effectivement si tu t’entêtes, tu te mets en chemin, il y a accident. Ça c’est la vision intuitive, c’est ton intuition qui te dit : ne va pas, c’est l’Esprit Saint qui parle au sein de la personne, dans le cœur de la personne, c’est-à-dire la force-là te guide, quoi. maintenant il y a la vision-télévision, je prends toujours le même exemple. tu fais le programme de voyager vers le Nord et puis à travers un petit sommeil ou même les yeux ouverts comme ça, tu vois ta voiture se dérouter. hou, hou ! Le voyage-là, si je le fais il semble que je dois faire accident. il y a la vision-téléphone : quelque chose te parle rapidement dans les oreilles et dit : « tu as programmé de voyager aujourd’hui, est-ce que tu sais que tu vas faire accident aujourd’hui ? » tu entends une voix mais tu ne vois pas la personne. C’est ça la vision-téléphone.

une importante section du règlement est consacrée à la discipline et précise les points suivants :

11. un proverbe fon dit « sE& h$u mE », le destin est plus fort que la personne. 12. « moïse prit la tente et la dressa hors du camp à quelque distance ; il l’appela ‘‘tente d’assignation’’ ; et tous ceux qui consultaient l’éternel allaient vers la tente d’assignation qui était hors du camp ».

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Chapitre vi – un visionnaire doit obligatoirement assurer une permanence (d’au moins une journée) sur la paroisse (article 6) ; – s’il vient accompagné d’un consultant, ce dernier doit prendre la queue comme les autres ; – les pourboires et le clientélisme sont proscrits (article 6) ; – il est interdit d’intercepter « un consultant à la sortie de la salle de vision pour refaire la vision ou procéder à une contre vision » comme « de s’accrocher à un homme nanti par le biais des aides-prières mais dans le but inavoué de lui soutirer de l’argent » (article 7) ; – une tenue modeste est requise, ainsi sont interdits maquillages et « tresses exagérées », « les ports démesurés de perles » et les propos déplacés (article 8) ; – le calme et la discrétion sont requis dans la salle de vision ; – les révélations spirituelles seront données tour à tour du moins gradé au plus gradé. « Avant d’énoncer toute vision, le visionnaire doit adopter la position à genoux et jurer les mains levées “devant Dieu, devant les hommes”, cette énonciation est une règle sacrée dont l’omission entraînerait l’annulation pure et simple du message » (article 10) ; – « le visionnaire, si on peut le comprendre, est avant tout un simple messager de Dieu. Aussi a-t-il pour devoir impérieux de transmettre avec exactitude et fidélité et sans déformation les révélations que le Seigneur lui a confiées, sous peine de s’exposer à des châtiments divins très graves (Deutéronome 18, 20) » 13 ; – « la vision est sous certaine forme un secret révélé par Dieu. il serait alors plus indiqué qu’elle se fasse dans la plus grande discrétion. il est donc formellement interdit de rapporter la vision faite à une personne à autrui (qui n’est pas concerné) » (article 11) ; – « le responsable du jour est le seul habilité à viser les notes de révélations spirituelles, une autre personne quel que soit son rang spirituel ne peut le faire » ; – la participation au culte du vendredi est obligatoire (article 13). Durant ce culte « le visionnaire doit faire un effort de rester toujours en esprit […]. Les divagations ou les errements sont proscrits ». Pour être assisté par le Saint-Esprit une attitude correcte est requise, pendant l’exécution des travaux, le visionnaire doit « garder la position à genoux sans s’accroupir ni s’infléchir, garder les yeux fermés, garder les mains ouvertes » (article 15) ; – « la vision comme tout don spirituel, peut être comparée à un feu de charbons. quand on l’active il brûle bien. Par contre quand on l’abandonne il s’éteint progressivement » (article 15). Les visionnaires sont donc tenus de suivre toutes les sécurités de 3 ou 7 jours prévues « pour une redynamisation des esprits » ainsi que les 7 jours de sécurité de Pâques et de la Pentecôte. Dans le même but, sur révélation spirituelle, un culte de sanctification à la plage peut être organisé un vendredi par trimestre (article 21).

Cet étroit contrôle exercé sur le visionnaire vise, d’une part, à le maintenir dans un état de sanctification qui garantit que c’est bien le Saint-Esprit qui parle par lui et non un esprit diabolique, d’autre part à éviter qu’il se serve de ses dons pour en tirer un bénéfice personnel, un pouvoir sur les autres ou un avantage finan-

13. « mais le prophète qui aura l’audace de dire en mon nom une parole que je ne lui aurai point commandé de dire, ou qui parlera au nom d’autres dieux, ce prophète-là sera puni de mort ».

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Le visionnaire et son reporter cier. L’accumulation de ces dispositions tend à faire penser que fortes sont les tentations et nombreux ceux qui y succombent. Rares sont les visionnaires qui ne consultent pas chez eux ou au domicile du “client”, ils peuvent alors trouver certains accommodements avec les règles. L’un d’eux explique : Le visionnaire c’est quelqu’un qui doit se sacrifier pour tout le monde. maintenant pour les dons [cadeaux], tout ça là, les dons en nature, le visionnaire quand il travaille bien, les gens peuvent se souvenir de lui. Par exemple, moi, je voyage beaucoup, par Air Afrique, à cause de la vision. mon père n’a jamais pris l’avion, ma maman aussi jamais. Si on peut me dire « prends un billet et viens », c’est à cause de la vision. il y a des dons là-dedans mais tu n’as pas besoin de demander. Si tu fais bien, les autres auront besoin de toi, que ce soit au bénin, en Afrique ou en Europe. Donc le visionnaire, c’est comme ça, c’est comme s’il était en mission, dans une mission infinie.

un autre pense que l’on accuse injustement les visionnaires de prendre de l’argent, les sommes qu’ils demandent leur servent juste à acheter les objets nécessaires (les “aide-prières”) aux travaux spirituels, puis il ajoute : Dieu a dit : Je vous ai donné gratuitement, donnez aussi gratuitement mais ça ne veut pas dire qu’il faut que tu abuses du temps de ce monsieur-là [le visionnaire]. il se met à t’aider, à faire tout jusqu’à ce que tu sois satisfait, et après tu lui tournes le dos et tu continues ta route, tu es aussi un ingrat, non ? […] On dit qu’il y a des visionnaires qui prennent un million de francs… moi je dis que quand tu veux remettre un million à quelqu’un, tu dois juger que ça équivaut à un million de francs, ou si tu vois qu’il est en train d’abuser, tu ne vas pas lui remettre, tu le laisses et tu vas ailleurs. C’est ça, si tu me donnes un million, toi-même lorsque tu me remets l’argent, tu sais que ça vaut le coup, tu te dis : « il faut que je lui remette ça ». mais après il ne faut pas aller te plaindre et dire : « il m’a pris de l’argent ! »

ii. écrire le vu On peut penser que c’est en partie pour contrecarrer cette emprise du visionnaire sur celui qui souffre que les paroisses ont institué une division du “travail spirituel” : certains voient, d’autres prient et entre les deux le reporter écrit. Le “reportage”, ce “travail de Dieu”, n’a pas toujours existé dans l’église. Comme l’enseigne un responsable lors des cours de formation des reporters : Avant, une fois les révélations émises, les gens faisaient l’effort de les mémoriser et on exécutait les travaux par la suite […]. mais par oubli ou par incompréhension, les messages étaient mal interprétés et travestis, ainsi les travaux spirituels qui en découlaient étaient transformés et mal exécutés. Face à de telles pratiques, l’éternel Dieu, qui n’est pas un Dieu de désordre mais d’ordre, a lui-même par sa grâce instauré le reportage au sein de l’église.

En 1973, le premier jeudi du mois d’août, alors que les visionnaires de la paroisse de Cadjèhoun étaient réunis pour une sécurité, une maman reçut une vision. Elle voit, à côté d’un visionnaire en esprit, un fidèle à genoux tenant un “cartable” (carton muni d’une pince pour tenir des feuilles de papier) et prenant note des paroles et des prescriptions sur une feuille dont le format et la présentation lui sont clairement révélés. La feuille (de la taille d’une ordonnance de méde189

Chapitre vi cin) porte un en-tête écrit en demi-cercle : « église du Christianisme Céleste ». Dans l’espace ainsi formé se succèdent les symboles de l’église : l’œil de Dieu (Job 34, 21), la couronne de vie (Apocalypse 2, 10) et la croix (matthieu 16, 23). Sous ces emblèmes sont inscrits le nom de la paroisse et l’indication : « Note de révélations spirituelles ». Au bas de la feuille à gauche, dans un encadré, se succèdent les rubriques suivantes à remplir lors de l’utilisation : « prophète » ; « reporter » ; « évangéliste en charge » ; « date » ; « intéressé ». À la suite de cette vision, le reportage fut institué dans cette paroisse, des feuilles furent imprimées et des fidèles “lettrés” choisis pour accomplir cette fonction. toutes les paroisses adoptèrent rapidement une si heureuse innovation. À Sikècodji, cette activité fut encore plus développée, un système de notation en abrégé fut mis au point et un enseignement dispensé aux aspirants reporters. Signalons que si les visionnaires “émettent” dans leur langue maternelle, les ordonnances de travaux spirituels sont toujours rédigées en français, ce qui oblige les reporters à faire simultanément un travail de traduction. Les nouveaux reporters qui ont avec succès passé l’examen, reçoivent solennellement leur “cartable” lors des fêtes de la Pentecôte quand sont nommés les nouveaux visionnaires et les nouveaux choristes. Afin d’instruire les aspirants reporters et de recycler les anciens, un matériel didactique a été mis au point. il consiste en diverses listes généralement présentées en deux colonnes, l’une écrite en toutes lettres, l’autre dans cette écriture abrégée que les apprentis reporters doivent apprendre à maîtriser afin de passer leur examen. Ces listes récapitulent les « principales recommandations spirituelles, […] les expressions usuelles relatives aux travaux spirituels , […] les différentes prières » et présentent ainsi la somme des maux pouvant affecter une personne, celle des comportements permettant de les éviter et des mesures spirituelles à prendre une fois le malheur arrivé. Ces écrits exposent donc l’ensemble de la thérapeutique céleste. Avant de les présenter, nous étudierons le règlement du comité des reporters. Le règlement qui régit aujourd’hui le sous-comité des reporters a été mis au point et rédigé en 1990 par le bureau du sous-comité et abroge des versions antérieures proposées par le chargé paroissial. Le comité estime que « mûri de nombreuses expériences acquises à travers le temps et l’espace, le sous-comité des reporters est, à n’en plus douter, capable de s’auto-organiser, de s’auto-discipliner afin d’œuvrer de façon plus efficace et plus diligente pour l’avancement de la mission qui lui est assignée par le comité paroissial ». Néanmoins dans cette présentation nous ferons également mention d’un règlement antérieur intitulé Manifeste du reporter qui date de 1987. Le premier chapitre du règlement se compose de 13 articles et s’intitule “dispositions générales”. L’article premier définit le reporter, l’article second les qualités dont il doit faire preuve : 1 – Est reporter, tout fidèle régulièrement inscrit sur la paroisse de Sikècodji et ayant subi avec succès une formation (ou un test de sélection) ; il doit être doué de facultés psycho-morales et intellectuelles pouvant lui permettre de transcrire correctement les Révélations spirituelles émises par les visionnaires sans avoir à les interpréter ou à en modifier le sens. 2 – tout bon reporter doit être lucide, clairvoyant, pondéré et doit avoir le don de discernement, l’esprit d’abnégation et la maîtrise de soi.

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Le visionnaire et son reporter Le Manifeste du reporter ne s’exprimait pas de la même façon, il donnait pour définition du reporter : Le reporter est le fidèle interprète de Dieu entre le visionnaire et le Consultant pour la transcription des Révélations spirituelles. À ce titre, le Reporter a le devoir de prendre raisonnablement le message spirituel tel qu’il est libellé sans avoir à l’interpréter ou à le commenter autrement, l’interprétation revient au Wolija ou Wolida qui a le don de discernement spécifique.

Entre les deux documents, les reporters, ou du moins les meilleurs d’entre eux, se sont adjugé le don de discernement. Le manifeste poursuivait ainsi : En cas d’explications complémentaires sollicitées par l’usager, il faudrait que les quelques commentaires donnés par le Reporter, soient conformes au contenu du message recueilli et dépourvus de toute idée erronée et intéressée. Exemples : – Cas d’une jeune fille consultante dont la vie privée serait mise à nue par la vision et qui intéresserait le Reporter… – Cas d’un homme nanti auquel le Reporter serait tenté de s’accrocher par le biais des aide-prières mais dans le but inavoué de lui soutirer de l’argent…

La concupiscence et la cupidité : deux démons constamment dénoncés et repoussés mais qui renaissent avec la même vitalité que les têtes de l’hydre de Lerne. Pour éviter que les reporters succombent à ces tentations, qui guettent également les visionnaires, ils sont tenus comme eux de se sanctifier beaucoup plus que les autres fidèles. C’est l’objet de l’article 3 : Le Reporter est tenu de respecter les mêmes interdictions divines et règles de conduite recommandées par les Révélations spirituelles au même titre que les visionnaires.

La suite des articles de ce chapitre édicte diverses règles de conduite : obligation de porter sa robe de prière (et la sangle si le reporter est oint), d’assister à tous les cultes, d’assurer une permanence aux séances quotidiennes de vision, de faire son reportage à genoux, d’utiliser obligatoirement le style abrégé établi. En ce qui concerne ce dernier point, le manifeste commentait ainsi les avantages de cette sténo céleste : – Possibilité de prendre des notes rapidement et consciencieusement sans aucune omission. – Les notes prises revêtent un cachet quelque peu mystérieux, c’est-à-dire difficile à déchiffrer par le profane.

Les Célestes, qui aiment à se présenter comme persécutés par les fidèles des autres églises, hésitent souvent entre deux attitudes : la transparence, car tout ce qu’ils font « est biblique » ; la dissimulation, car mieux vaut ne pas prêter la corde pour se faire pendre. Le chapitre deux du Règlement organise le bureau du sous-comité et définit ses fonctions. Ce bureau ne comprend pas moins de 22 membres « désignés par le Comité Paroissial Restreint après proposition des Reporters réunis en Assemblée Générale ». Le chapitre trois traite des finances, chaque reporter est obligé de cotiser au minimum à hauteur de cent francs par mois. un trésorier, un trésorier adjoint et deux commissaires aux comptes sont chargés de veiller sur la caisse des reporters. 191

Chapitre vi Le chapitre quatre crée au sein du sous-comité un conseil de discipline de sept membres et rappelle les règles dont le manquement conduirait le fautif devant ses assises. Ainsi sont mentionnés : l’absence injustifiée, une conduite douteuse qui porterait atteinte à l’honneur du sous-comité, l’usage négligent de son cartable (le laisser traîner dans la paroisse), le gaspillage des coûteuses feuilles de révélations spirituelles que certains reporters inconscients utilisent comme feuille de brouillon « sous le fallacieux prétexte de mettre le message au propre » ou pire « pour d’autres besoins (papier à lettre, papier hygiénique, papier d’emballage, etc.) ». Le manifeste de 1987 insistait déjà sur l’économie de papier et recommandait : « Pour les feuilles de brouillon ou feuilles devant servir à des usages autres que le Reportage, le Reporter est instamment prié de prévoir sur lui du papier simple qu’il aurait pris le soin de glaner ailleurs ». Peu de temps après l’adoption de ce règlement, et comme pour en prouver l’urgente utilité, eut lieu une réunion du bureau des reporters qui consacra quelques moments aux « anomalies relevées dans les prestations de certains frères reporters ». Le président informa l’assemblée qu’un reporter était coupable d’actes d’escroqueries vis-à-vis des usagers de la paroisse. Ce « pécheur impénitent » facturait l’aide qu’il apportait aux consultants désireux d’acquérir des “aide-prières”, c’està-dire les objets (huile sainte, parfum, bougies, rameaux, etc.) qui sont demandés par les visionnaires pour l’exécution des travaux spirituels. La sanction d’une faute aussi grave ne pouvant relever de la seule juridiction du bureau des reporters, leur président refusa de donner le nom du fautif tant qu’il n’avait pas été traduit devant le conseil de discipline du comité paroissial mais affirma que c’était « un nerveux qui ne se soumettait pas aux conseils des membres du bureau ». il poursuivit en dénonçant « des actes d’indiscrétion constatés par la fuite et la diffusion des idées, suggestions et délibérations à cachet confidentiel émises au cours des assises du bureau » et invita chacun à se montrer plus responsable. Les cours que suivent les reporters leur expliquent qu’un reportage présente trois parties : la vision, les recommandations et les travaux spirituels. Les Célestes pratiquant une divination inspirée, nul ne peut prévoir de quoi sera faite la vision, quelles seront les images qui viendront à l’esprit du visionnaire. quand il s’agit de transcrire la vision, aucun autre conseil que celui d’être fidèle et d’essayer d’écrire en bon français ne peut donc être donné au reporter. Par contre les “recommandations” renvoient à un ordre moral, à un code de conduite, dont les items sont forcément en nombre limité. De même les travaux spirituels (des prières et/ou des actions rituelles) sont répertoriables et peuvent donc être récapitulés afin que les reporters aient un modèle de ce qu’ils auront un jour à écrire et puissent s’y exercer à l’avance.

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Le visionnaire et son reporter iii. Les recommandations spirituelles La liste des recommandations spirituelles se présente ainsi : Recommandations spirituelles (= interdits) éviter charlatanisme

sinon effets sataniques à vue

éviter pratiques occultes

sinon soulèvements sataniques à vue sinon égarement loin de la foi sinon baisse de la foi sinon emprisonnement à vue sinon mort subite à vue sinon maladies graves à vue sinon soulèvements sataniques à vue sinon coup mortel à vue

éviter balades nocturnes éviter loisirs malsains éviter mauvaises compagnies éviter sorties nocturnes éviter voyage pendant… éviter assister cérémonies familiales éviter dispute éviter querelles et rancune éviter avortement provoqué éviter tentative d’avortement éviter garde objets d’autrui (recel) éviter fraude éviter emprunt objet d’autrui éviter prêt bic, habit, chaussures éviter vente à crédit éviter tontine éviter bien en commun éviter fornication, concubinage, adultère éviter boissons alcoolisées éviter cigarettes éviter repas de groupe éviter excès de table évitez consommation huile rouge évitez sauce gluante éviter excès de piment éviter soucis Surveiller enfants évitez châtiments corporels sur enfants évitez frapper enfant

de peur de succomber sinon graves déconvenues sinon mort subite à vue sinon stérilité à vue sinon emprisonnement à vue sinon emprisonnement à vue sinon perte à vue sinon mésaventures à vue sinon envoûtement à vue sinon endettement à vue sinon faillite à vue sinon mésaventures à vue sinon graves troubles de ménage sinon empoisonnement à vue sinon maux de ventre à vue sinon douleurs abdominales à vue sinon troubles gastriques à vue sinon éloignement des Anges à vue sinon maladies à vue sinon austérité à vue sinon accident à vue sinon surprise désagréable sinon déconvenues graves

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Chapitre vi

Savoir parler Savoir se confier aux amis Ne faire confiance en personne Faire attention sur engin éviter faire vitesse éviter infidélité envers Dieu éviter désirs et actes impurs S’acharner aux études Persévérer aux études Obéir aux parents Surveiller relations de famille, de service Se méfier collègues service Savoir se comporter avec famille Se surveiller aux réunions familiales éviter ingérence affaires autrui éviter raconter sa vie aux gens éviter se confier aux gens éviter douter Puissance Divine

sinon compromission à vue sinon jalousie à vue sinon trahison à vue sinon trahison à vue sinon accident à vue sinon accident à vue sinon châtiments graves à vue sinon instabilité conjugale à vue sinon châtiments divins (austérité) sinon échec à vue sinon déboires à vue sinon échec à vue sinon malheur à vue sinon guet-apens à vue sinon révocation à vue (licenciement) sinon envoûtement à vue sinon graves conflits mortels à vue sinon coups fatals à vue sinon difficultés graves à vue sinon trahison à vue sinon désarroi à vue sinon soulèvements sataniques à vue sinon obscurité à vue

Comme on le voit, cette liste de “recommandations” est extrêmement hétéroclite, on y trouve aussi bien des conseils de bon sens comme « Faire attention sur engin [motocyclette] » que des conseils d’ordre moral : « éviter querelle et rancune », ou religieux : « éviter douter Puissance divine ». D’une façon générale, elle invite à une vie particulièrement ascétique dans un monde où l’homme est un loup pour l’homme, l’universelle méfiance qui y est prônée étant uniquement tempérée dans l’article : « Savoir se confier aux amis ». Elle est également très redondante, par exemple « évitez balades nocturnes » et « évitez sorties nocturnes », ce qui donne à penser qu’elle a été écrite au fil des associations de la pensée et non dans ce retour réflexif que permet l’écriture qui aurait invité à regrouper les items selon les différents domaines d’action évoqués. Cette liste est intitulée Recommandations spirituelles (= Interdits) d’où l’on peut inférer que les Célestes assimilent ce qu’ils appellent des “recommandations” et les interdits (sù en fon). On comprend dès lors que le non-respect d’une recommandation, telle la transgression d’un interdit, entraîne la sanction immanente correspondante. Les Célestes, comme tous les chrétiens, s’efforcent de suivre les dix commandements, ils respectent également douze interdits spécifiques que nous donnons tels que la brochure Sacrements, Ordonnances et Prescriptions les formule :

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Le visionnaire et son reporter 1 – Refus d’adoration des idoles, de pratique fétichiste, de magie, sortilège et autres enchantements ; 2 – Proscription de cigarette, de tabac et de toutes sortes de drogues ou stupéfiants ; 3 – Non-consommation de boissons alcoolisées et de toutes autres liqueurs enivrantes ; 4 – Non-consommation de viande de porc, d’animaux et nourriture offerts aux idoles ; 5 – interdiction du port d’habits noirs ou rouges sauf pour des raisons professionnelles ; 6 – interdiction du port de chaussures en soutane ou en robe de prière ; 7 – interdiction aux hommes et aux femmes de s’asseoir côte à côte dans le temple de Dieu (sauf dérogation spéciale les jours de fête des moissons) ; 8 – interdiction aux femmes en période menstruelle et à celles qui ont nouvellement accouché de fréquenter l’église avant leurs jours de purification ; 9 – interdiction aux femmes d’entrer à l’Autel ou de prendre la tête d’une réunion de culte ; 10 – Non-utilisation de bougies de couleur en dehors des bougies blanches ordinaires ; 11 – interdiction de fornication et d’adultère ; 12 – Effort constant visant à éviter la souillure du corps, de la pensée et de l’esprit. On peut considérer que le douzième interdit ne fait que résumer les onze premiers ; par ces prescriptions il s’agit de se maintenir en état de pureté, de se préserver de toutes souillures, d’abord en s’éloignant des pratiques dites “fétichistes” (1, 4, 5), ce qui est conforme à la vision fondatrice d’Oshoffa lui demandant de créer une église où seul Dieu serait adoré. De l’interdiction de toutes drogues (alcool, tabac et autres), qui est commune à toutes les églises évangéliques et pentecôtistes, il est donné comme justification (en plus des scripturaires) que les mauvaises odeurs des ivrognes et des fumeurs éloignent l’Esprit Saint et les anges. Les Célestes parlent souvent du tabac comme de “l’encens du diable”. ils englobent dans une même réprobation les ivresses des adeptes du vodun et celles des clients des boîtes de nuit à la mode occidentale. L’interdiction (6) de porter des chaussures en même temps que sa soutane rappelle que la robe de prière n’est pas un simple vêtement, elle est investie de force. De même que l’on doit se déchausser en entrant dans une paroisse « parce que ce lieu est une terre sainte », revêtir la robe blanche crée autour du porteur un espace sacré. marcher nu-pieds est également un signe d’humilité et une souffrance que l’on offre à Dieu. Oshoffa disait qu’en dehors de la Semaine sainte, il était inutile de jeûner, « notre jeûne est de marcher nu-pieds » (Paroles 1974). Les interdits (7, 8, 9) visent à écarter les femmes des hommes et des lieux les plus saints du temple, selon une conception du féminin universellement répandue qui veut que les femmes soient impures spécialement quand elles perdent du sang. Le dixième interdit se rapproche du cinquième, les bougies de couleur sont utilisées par les adeptes de mami Wata mais également par l’église des Chérubins et des Séraphins dont les Célestes ainsi se distinguent par un surcroît d’exigence dans la pureté (en gun le terme wiwe désigne le fait d’être de couleur blanche et, par extension, être saint et pur). Le onzième interdit ne fait que redoubler les septième et neuvième et participe de cette recherche de la pureté 195

Chapitre vi qui constitue un des objectifs principaux de l’église. Ce que visent les Célestes par cet « effort constant pour éviter la souillure du corps, de la pensée, de l’esprit » est l’état de sanctification. Selon leur conception, Dieu, par l’intermédiaire d’Oshoffa, a donné à l’église une force, une puissance que renouvelle la descente de l’Esprit Saint et des anges lors des cultes. Se sanctifier c’est cultiver cette force, garantir sa présence et son efficacité lors de l’exercice des charismes, tandis que se souiller c’est l’éloigner et l’affaiblir. Cette conception dérive tout autant des théories locales de la personne et du pouvoir que du discours biblique, particulièrement celui de l’Ancien testament. mais les Recommandations spirituelles ne s’adressent pas spécifiquement à des Célestes, ni même forcément à des chrétiens, puisque n’importe qui peut venir consulter les visionnaires. il existe une version plus ancienne de cette liste, qui ne se différencie de celle que nous donnons ci-dessus que par un nombre moindre d’items d’ordre religieux et par la préposition qui lie les deux colonnes. Les propositions de la première colonne telle « éviter vitesse » sont liées à celles de la deuxième colonne par la préposition « car », dans ce cas « Accident à vue ». La version plus ancienne suit une logique qui est d’abord celle de la divination. C’est parce que le visionnaire “voit” un accident, qu’il recommande d’éviter la vitesse. La seconde liste est également dans cette logique, ce que signale l’expression « à vue » mais avec l’emploi de « sinon » elle déplace l’accent sur l’impératif moral et la responsabilité du sujet : si tu continues à faire de la vitesse, tu auras un accident ; si tu prêtes ton “bic”, tu seras envoûté ; si tu manges avec d’autres, tu seras empoisonné, etc. On remarque que quand ils ne relèvent pas d’une relation évidente avec leur cause (excès de table = maux de ventre, vitesse = accident) les maux qui sanctionnent les comportements jugés inadaptés sont formulés de manière vague : effets ou soulèvements sataniques, envoûtement, graves déconvenues, mésaventures, échec, désarroi, obscurité, malheur. il est intéressant de rapprocher le flou de la seconde colonne de cette liste avec la précision hyperréaliste de celle « des vingt-deux formes de maladie que l’intelligence visionnaire peut discerner », telle que Oshoffa la communiquait à James W. Fernandez 14 : 1 – Femme avec tendance à ne pas mener sa grossesse à terme 2 – homme avec troubles de l’estomac 3 – Femme à la hanche estropiée 4 – homme avec une grosseur douloureuse à l’épaule 5 – Rhumatisme 6 – Paralysie – d’un côté ou de la face – et tremblement 7 – épilepsie 8 – Ceux qui sont sourds alors qu’ils peuvent entendre 9 – Ceux qui ne peuvent pas parler 10 – Ceux qui n’ont pas de chance avec leur employeur 11 – Ceux dont le négoce ne prospère pas 12 – un marchand qui voit disparaître son argent 13 – La tuberculose osseuse

14. J. W. FernanDez, « the cultural status of a west african cult group on the creation of culture », dans S. ottenberG (éd.), African religious groups and beliefs : papers in honor of William R. Bascom, Archana Publications for Folklore institute, meerut (india) 1982, p. 242-260 (p. 253).

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Le visionnaire et son reporter 14 – La toux persistante 15 – La folie : a – états de démence b – ceux qui souffrent par l’action d’un esprit diabolique 16 – Fatigue mentale et fatigue générale du corps 17 – impuissance 18 – Stérilité féminine par la sorcellerie 19 – toutes les sortes d’échecs 20 – maladie vénérienne 21 – étudiants préparant des examens 22 – Personnes en procès

iv. Les travaux spirituels Les travaux spirituels, qu’en fon les Célestes appellent vosisa 15 – terme qui désigne les sacrifices que le bok&On`O prescrit à son client –, sont de toutes les activités liturgiques célestes celles qui les exposent le plus à la critique des autres chrétiens (évangélistes et pentecôtistes) mais qui, parallèlement, pour un public plus soucieux d’efficacité que de théologie, fondent leur réputation en matière de guérison. Deux listes traitent de ces travaux à l’usage des reporters et les présentent, en une première colonne, écrits en toutes lettres et, en une seconde, en écriture abrégée. L’une est intitulée « quelques expressions usuelles relatives aux travaux spirituels », l’autre « Différentes prières ». bien qu’ils soient répertoriés sur deux listes différentes, tous les travaux spirituels sont considérés comme des prières. Nous avons vu que les objets manipulés lors des travaux sont appelés “aide-prières”. Christophe Akodjetin, explique dans son opuscule La prière, l’arme n° 1, que : notre insuffisance de foi et notre incapacité de “pondre” par nous-mêmes des prières sous l’inspiration du Saint-Esprit ont poussé le Seigneur à chercher à nous secourir par des AiDES. Ces aides sont surtout les PSAumES et LES CéRémONiES [les travaux spirituels]. Ces moyens intermédiaires sont de véritables coups de pouce mentionnés déjà dans l’ANCiEN et le NOuvEAu tEStAmENt 16.

Pour cet auteur, la prière « ce n’est pas louer Dieu, […] ce n’est pas faire une promesse ou une offrande à Dieu […]. En effet, prier, c’est demander quelque chose de précis à Dieu, avec l’espoir de l’obtenir » (Ibid. :7). En fon, le terme ∂E, qui sert à désigner la prière, signifie “parole forte, souhait”, le même terme peut désigner la malédiction, ∂E nya-nya (souhait de mal). Dans notre liste, presque toutes les prières sont nommées d’après ce qu’elles visent à obtenir, ainsi sont énumérées les prières : de longue vie, de victoire, de rehaussement, de guérison, de miracle, d’avancement, d’estime, de fermeté, de maudire les mauvais esprits, de persévérance, de ténacité, de tempérance, de

15. maupoil écrit que le vosisa est un sacrifice « qui tend à l’expulsion du mal et constitue un rite de renvoi » (b. mauPoil, op. cit., p. 333). 16. C. akoDjetin, La prière, l’arme n° 1, Cotonou s.d., p. 24.

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Chapitre vi pondération, de patience, de combat, de paix, d’apaisement, de pardon, de purification, de fécondité, d’union, de nombreuse progéniture, de prospérité, de bonheur, de repentance, de rémission des péchés. Seules deux prières sont nommées autrement : la prière personnelle, no ∂E mE, et la prière de congrégation, agun∂E. La première est celle que dit le sujet lui-même, en privé, dans le but qu’il désire. La seconde réunit la communauté de tous les fidèles présents à la paroisse qui se groupent debout de part et d’autre de celui pour qui la prière est dite qui se tient à genoux. La prière est conduite par le plus élevé en grade des assistants, tous les fidèles parlent à haute voix, chacun demandant à Dieu ce qu’il croit être nécessaire au sujet ; elle se conclut par sept « alléluia ». Pour qu’une prière, quand elle est un simple rite oral, soit efficace, elle doit obéir à certains canons. Elle doit débuter par la formule : Jéhovah, Jésus-Christ, saint Michel (souvent formulé en anglais : Holy Michael, par imitation des Yoruba et/ou par snobisme anglophile). Selon certains Célestes, l’énoncé de Jéhovah et Jésus-Christ suffit à invoquer la Sainte trinité, l’archange michel est invoqué en tant qu’il est l’archange du combat et le chef des anges qui convoquera son armée pour venir exécuter ce que demande la prière. C. Akodjetin donne l’explication suivante de la formule introductive : Jéhovah, c’est le nom du Père Céleste à qui s’adressent toutes les prières […]. JésusChrist, c’est le chemin unique qui mène à Dieu. il sanctifie d’abord toutes nos prières par Son Sang Sacré avant de les déposer dans la coupe du Père […]. Saint michel, c’est le Chef de l’Armée Céleste qui a fait précipiter Satan et son armée dans Apocalypse 12. invoqué au début des prières, il empêche le Diable et ses Démons de faire obstacle à nos prières […]. 17

é. Agré la commente ainsi : 1 – Jehovah (Dieu dans sa première alliance) en tant que Créateur. 2 – Jésus-Christ (Dieu dans sa seconde alliance) en tant que Sauveur. 3 – Saint micaël (Dieu dans la continuité de ses œuvres par son propre esprit de Dieu en tant que Défenseur). Amen. 18

La prière doit se poursuivre par une formule rendant gloire à Dieu, formule laissée à l’inspiration de celui qui prie, par exemple : Dieu d’Abraham, Dieu de moïse, Dieu d’Oshoffa, que ton nom soit loué ! La demande est ensuite formulée. La prière doit obligatoirement se terminer par la formule : « au nom de Jésus. Amen ! », en rappel de la parole de Jésus, « ce que vous demanderez au Père en mon nom, il vous le donne » (Jean 15, 16). Akodjetin commente ainsi : mais que signifie demander « au nom de Jésus » ? C’est demander uniquement des choses prévues au Plan de Dieu, réalisables au moins par miracles mais pas injustes ni abominables. Si, par exemple, vous demandez à Dieu, en prière, de vous aider à conquérir la femme de Paul ou de Pierre, cela est contraire au Plan de Dieu […]. Néanmoins, vous pouvez finir par être exaucé en forçant la main de Dieu car tout, absolument tout, sans exception est contenu dans sa main mystérieuse qui gouverne les Cieux et la terre. vous aurez peut-être ce que vous demandez. mais, ce sera, malheureusement un “exaucement” non accompagné de bénédictions : ce sera

17. C. akoDjetin, ibid., p. 11. 18. é. aGré, op. cit., p. 20.

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Le visionnaire et son reporter l’exaucement du diable, le père du mal […]. vous vous serez adressé au malin, au diable, croyant vous adresser à Dieu. toutes les demandes contraires au plan de Dieu sont automatiquement reçues par le diable 19.

Enfin, celui qui prie doit se tenir debout ou à genoux, les yeux fermés, les mains portées à la hauteur du coude, écartées du corps, paumes tournées vers le ciel. Dans le cas de la prière de congrégation, dont nous parlions précédemment, la main droite peut être étendue au-dessus de la tête de celui pour qui la prière est dite mais uniquement si ce dernier est votre inférieur hiérarchique. Lever la main sur la tête de votre égal ou de votre supérieur serait l’offenser. D’autres variations posturales sont possibles suivant la nature de la prière dont nous parlerons en étudiant les différents travaux spirituels. Nous avons vu, en étudiant la liste des recommandations spirituelles, que cet inventaire n’était pas établi selon un ordre mais cherchait seulement à balayer le champ des possibles, il en est de même des « Expressions relatives aux travaux spirituels » qui semblent énumérées au fil de la remémoration à laquelle se livre le scripteur. Nombre d’items recommandent des prières de différentes sortes, comme « Recevoir régulièrement la prière de Congrégation », « Prier constamment », « Faire la prière d’union », « Prière personnelle pendant 7 jours ». D’autres recommandent des actions spécifiques telles que s’exposer, attacher, mettre en sécurité, laver, fouetter, pouvant être associées à l’utilisation d’objet tels que l’eau, les rameaux, les bougies, le parfum, l’encens. L’important est que tous les mots possibles soient utilisés de manière que le reporter les mémorise et apprenne à les noter sous leur forme contractée. Ces items sont autant de syntagmes qui ne prennent tout leur sens que lorsqu’ils sont associés et ordonnés pour en faire un ensemble efficace, une “ordonnance”, un “travail”. Dans une première partie, nous présenterons les différents objets et la manière dont ils sont utilisés, dans une seconde les travaux spirituels les plus courants, en citant en exergue les items de notre liste s’y rapportant. 1. Les objets L’eau Boire régulièrement eau de zoungbomey – Lavage de tête (lavage de visage)– boire l’eau / faire le bain – une bassine blanche remplie d’eau – 1 bouteille d’eau de mer + parfum, sanctifier, asperger les chambres.

Nombre de travaux font intervenir différentes sortes d’eau en boisson, en ablution ou en aspersion. Angélique, une visionnaire virtuose en son art et qui n’a pas connu d’autre religion que le Christianisme Céleste, nous dit : Le bain, c’est pour purifier le corps et pour guérir l’âme aussi. une personne qui se baigne essaie de laver tout ce qu’il y a de mauvais sur son corps. tout ce que les sorciers ont fait de mauvais sur elle, quand elle se lave Dieu lui enlève en esprit. boire désaltère, l’eau : c’est la vie, un malade qui boit va revivre. Le lavage de la tête est souvent prescrit à ceux qui sont surmenés [qui souffrent de maladie mentale].

19. C. akoDjetin, La prière, l’arme n° 1, op. cit., p. 12-13.

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Chapitre vi Selon les révélations qu’il aura reçues un visionnaire pourra demander que soit utilisée l’eau de puits, l’eau qui ruisselle, l’eau stagnante (d’un lac ou d’une mare), l’eau de pluie, l’eau de rosée, l’eau recueillie dans le trou d’un tronc d’arbre ou d’un rocher, l’eau de mer, l’eau de la lagune, l’eau de z`ungb&om`E. Si tous les Célestes s’accordent à dire que l’eau est un don de Dieu, qu’elle est source de vie et qu’elle purifie, en citant ézéchiel 36, 25 20, peu sont capables d’expliquer la différence à faire entre les différentes sortes d’eau citées. quelques explications peuvent être données à propos de l’eau de mer qui est « puissante comme les marées et les vagues de l’océan » ou « a beaucoup de pouvoir, c’est là que vivent les mami Wata ». D’autres disent que l’eau qui ruisselle emporte avec elle les mauvaises choses qu’on lui abandonne, elle est donc recommandée pour les ablutions rituelles d’une personne qui a des soucis. L’eau de rosée, comme l’eau de pluie, vient directement du ciel, ses pouvoirs en sont d’autant plus grands. La simple eau du robinet peut devenir puissante également quand elle est transformée en eau bénite ou quand on l’a laissé reposer près de l’autel (eau de z`ungb&om`E). Cette dernière sorte d’eau a recueilli toute la force des anges qui descendent à l’autel. un fût plein d’eau reste toujours près de l’autel de z`ungb&om`E, il contient une eau particulièrement pure que seuls les hommes peuvent manipuler. L’eau bénite s’obtient par adjonction à de l’eau normale d’un peu de parfum ou d’encens pilé et par une prière adressée à l’ange Jimata. L’idée que, par un bain, on peut se laver des mauvais souhaits et des souillures, entraîne les visionnaires, par extension, à recommander pour un usage rituel l’utilisation de savon et d’éponges que l’on aura laissés quelque temps près de l’autel afin qu’ils s’imprègnent de la force des anges. Les bougies Donner les bougies et prendre bougies d’autel – 7 bougies, prières de rehaussement, force, avancement, allumer bougies à la même place – allumer bougies à l’autel.

Les Célestes font un usage immodéré des bougies blanches. La bougie en tant qu’elle est lumière représente le verbe divin qui éclaire votre chemin et en tant que feu le pouvoir purificateur de la divinité. Parce que sa flamme monte vers le ciel, elle conduit vos demandes vers Dieu. tous les Célestes font un lien entre les bougies et les anges. « Les bougies, ça représente les anges ». Comme les anges, les bougies sont des intermédiaires et le moyen de communiquer avec Dieu. Les bougies qui sont restées à l’autel sont plus puissantes que les autres. Celles qui brûlent à l’autel du temple conduisent plus sûrement vos prières vers Dieu, pour cette raison, sur instruction des visionnaires, on rapportera à la paroisse une bougie avec laquelle on a prié chez soi pour qu’elle soit « allumée à l’autel ». Rares sont les fidèles qui n’assistent pas au culte avec une bougie à la main ou qui, s’ils doivent voyager dans un but religieux, ne mettent pas une bougie dans la poche de leur soutane.

20. « Je répandrai sur vous une eau pure, et vous serez purifiés ; je vous purifierai de toutes vos souillures et de toutes vos idoles ».

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Le visionnaire et son reporter L’encens Fumer encens tous les soirs.

L’encens, à la fois parfum et fumée, a des vertus purificatrices. Son parfum plaît à Dieu et aux anges (Apocalypse 8, 4) et fait fuir les esprits diaboliques. Les Célestes se servent d’encens pour purifier les lieux et les personnes avant les cultes. il est également utilisé en poudre pour sanctifier l’eau. C. Akodjetin trouve des accents lyriques pour vanter les mérites de l’encens : Combien de fous, de drogués, de tuberculeux, de fumeurs, de possédés, de surmenés, l’odeur et la poudre d’encens (poudre à manger ou à mettre dans l’eau de bain ou de boisson) ont déjà délivré […]. L’odeur de l’encens purifie aussi les révélations spirituelles en empêchant le diable de glisser habilement ses messages à travers les visions, songes, prophéties et prédications 21.

L’encens utilisé par les Célestes est composé selon une recette spéciale révélée à Oshoffa et qu’il gardait secrète. tout encens devait donc être acheté auprès de lui ou plutôt auprès de plusieurs de ses épouses à qui il avait transmis les droits de diffusion. On dit également qu’il en avait confié la “recette” à un de ses amis, le supérieur Adjovi. Aujourd’hui encore, l’encens ne peut être acheté qu’auprès du pasteur en exercice, auprès des veuves d’Oshoffa ou chez le devancier cité. Pour la commodité des fidèles, un réseau d’intermédiaires s’emploie à approvisionner les paroisses. Le pouvoir que l’on prête aux parfums s’apparente à celui de l’encens. Les Célestes font grand usage de l’eau de Cologne française de la marque “Saint michel” (d’après le mont Saint-michel), dont le nom est une heureuse rencontre avec la doctrine céleste. Les Nigérians, qui n’ont pas la même facilité d’accès à ce produit français, ont commercialisé des parfums “holy michael”, “holy Gabriel”, “Oshoffa perfume”, “bada perfume”, aux senteurs beaucoup plus lourdes qui évoquent le moyen-Orient. Le mérite respectif de ces différentes fragrances est très discuté et donne lieu à un intense trafic de part et d’autre de la frontière nigeriobéninoise. L’utilisation de parfum n’est pas l’apanage des Célestes, certains cultes néotraditionnels (particulièrement ceux de mami Wata) en font également grand usage, et, durant les cérémonies, les participants et les assistants qui n’en peuvent mais sont copieusement aspergés. Les fruits Manger beaucoup de fruits – Prière Dona [bonheur en yoruba], fécondité, sur trois sortes de fruit dont noix de coco mûre.

Les travaux spirituels demandent souvent l’usage de fruits. Parce qu’ils sont sucrés et agréables au goût, ils symbolisent le bonheur. Sous l’influence de discours européens, beaucoup de Célestes expliquent les vertus des fruits en disant qu’ils sont “naturels”, pourtant seuls certains fruits sont utilisés au détriment d’autres tout aussi “naturels”. michel raconte qu’ayant beaucoup de problèmes il avait consulté un aluf&a`a de Porto-Novo qui lui avait dit qu’il devait cesser de chercher les gris-gris et conseillé de faire un saara soit en apportant de la bouillie à la mos-

21. C. akoDjetin, La prière, l’arme n° 1, op. cit., p. 40.

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Chapitre vi quée soit en apportant trois sortes de fruits chez les Célestes pour faire une action de grâces. À l’époque, il ne s’était pas encore converti. il choisit d’aller chez les Célestes et le fils de la personne qui le logeait lui indique une paroisse. il m’a dit de payer un panier et de payer des oranges, des bananes et un ananas. Ah ! Dieu tout Puissant connaît les siens qui sont dans l’obscurité ! moi, je suis allé au marché et j’ai payé du citron, du piment et des tomates, et j’ai mis ça dans le panier. Je suis parti à l’église Saint Samuel et j’ai demandé le secrétaire, je lui ai dit que je veux faire action de grâces […]. J’ai remis les choses, le secrétaire a dit : ah ! il a amené du piment, du citron, ah ! Des tomates, ah ! mais ces choses-là ne sont pas dedans ! il a enlevé tout et il a mis des fruits à eux, et tout le monde m’a accompagné, nous tous nous sommes allés en dansant à l’autel et après je suis sorti.

Parce qu’ils sont des “enfants” de l’arbre, les fruits sont liés aux enfants, à une nombreuse progéniture, à une bénédiction du ciel, aussi les utilise-on souvent pour les prières de bonheur et de prospérité. En ces circonstances, certains fruits ne seront pas utilisés, la papaye parce que le “tronc” du papayer est fragile, on ne peut pas y grimper ; la goyave qui, pour certains, symbolise l’adultère ; la canne à sucre car ce n’est pas vraiment un fruit mais une tige qui induirait une forme de confusion ; le citron trop acide. Ces mêmes fruits seront par contre les bienvenus dans les travaux ayant pour but de renvoyer les mauvais esprits. Le nom d’une personne qui cherche à vous nuire ou qui médit de vous glissé dans une papaye coupée en deux rendra ses projets ou ses propos fragiles et inconsistants. Pour délivrer une personne qui se trouve sous l’influence d’une mami Wata, le travail suivant peut être prescrit : dans un panier, contenant choisi parce qu’il ne retient pas l’eau, on place un citron, une papaye, des as&Onsw`En (petits fruits à la peau veloutée, marron foncé, dont on suce le noyau) considérés comme maléfiques parce qu’ils sont noirs et utilisés dans les cérémonies vodun, des bananes de la sorte de celles qui sont petites et soudées l’une à l’autre qu’on appelle bananes des jumeaux ou des singes ; le panier est recouvert d’un tissu blanc, placé sur la tête de l’envoûté qui ira le jeter dans la mer après une prière de combat (voir infra). Les oranges sont souvent utilisées dans les travaux visant à faire venir ou revenir l’amour entre un homme et une femme. Les bananes qui viennent en régime seront utilisées pour les prières de fécondité et de prospérité, l’ananas pour conférer la ténacité au travail et la victoire car il a une couronne et tient debout sur sa base. La noix de coco sert à demander l’intelligence car nul ne sait comment son eau est entrée à l’intérieur 22, la protection car sa coque est dure et difficile à casser. La noix de coco verte servira pour les travaux contre la stérilité car son eau et sa fibre molle deviennent dures comme le placenta se transforme en enfant. Les morceaux de sucre, les bonbons, les petits gâteaux, que leur douceur apparente aux fruits, peuvent également être utilisés dans les prières de bonheur, de paix et d’avancement. Le visionnaire pourra par exemple demander que la personne apporte ces denrées et qu’elle les distribue aux enfants après la prière. Pour en revenir au règne végétal, il faut signaler l’importance des rameaux de palmier. Ces frondes sont considérées comme des épées et des symboles de la victoire, ils évoquent à la fois l’archange michel et son pouvoir de défaire les démons

22. « Nul ne sait comment l’eau est entrée dans la noix de coco » est un proverbe.

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Le visionnaire et son reporter et Jésus en gloire. Pour cette raison ils sont utilisés aussi bien dans les prières de combat ou de rehaussement que lors des actions de grâce. 2. Les travaux L’exposition Exposition tous les mercredis à 9 heures à l’Église – Exposition à domicile – Exposition tous les mercredis à 13 heures avec fournitures scolaires – Exposition trois fois après les bains – Au réveil, manger les fruits qui sont à la tête.

La personne à qui ce travail est prescrit doit s’allonger au sol, sur une natte, souvent le corps recouvert d’un pagne “miraculeux”, étoffe blanche sur laquelle sont cousues trois croix de tissu bleu, qui est restée “exposée” à l’autel et a de ce fait emmagasiné la force divine. Angélique commente ainsi l’exposition : il faut que tu sois concentré, que tu t’oublies, si tu dors tu ne t’appartiens plus, les anges peuvent s’approcher de toi, […] quand tu dors, c’est comme une anesthésie spirituelle, alors Dieu ou les anges peuvent t’opérer, ils peuvent faire ce qu’ils veulent de toi. Si le visionnaire recommande l’exposition à l’église, c’est parce que la paroisse est plus pure que la maison. il y a plusieurs cas, l’ange qui va te guérir peut être à l’église ou alors tes parents à la maison n’aiment pas le CC, donc il vaut mieux rester à la paroisse. On fait une exposition à domicile quand le soulèvement satanique est fort, qu’il réside chez toi, on est souvent attaqué à la maison. Souvent les expositions se font avec des bougies, les bougies représentent les anges. quand on te demande de t’exposer avec quatre bougies, on sait que ça représente les points cardinaux, alors que les soulèvements viennent du nord, du sud, etc., tu seras protégé par ces anges.

un visionnaire peut recommander l’exposition avec des objets, par exemple, l’exposition d’un élève avec son matériel scolaire qui profitera alors comme lui de l’intervention des anges, ou l’exposition avec des fruits dont la consommation prolongera et renforcera les effets bénéfiques de la séance. La mise en sécurité Sécurité 7 jours.

Le senior évangéliste A. Kounou définit ainsi cette pratique : « La mise en sécurité est l’action de soustraire un être à son univers et habitat pour le protéger contre tout danger. Elle est aussi une retraite qu’observe un homme ou une femme afin de se rapprocher du Sauveur » (Échos célestes 8, 2002). La sécurité est prescrite durant 1, 3, 7 ou 21 jours aux personnes qui sont en butte aux attaques sataniques (des sorciers). Les Célestes n’ont pas manqué de trouver une justification biblique à cet accueil du malade qui est très pratiqué par tous les guérisseurs de la place, et l’on cite Joseph et marie se cachant pour soustraire l’enfant Jésus à la persécution (matthieu 2, 13), ou la fuite d’élie dans le désert (1 Roi 19, 9). un visionnaire qui recommande une sécurité doit d’abord en référer à son chargé paroissial. Si le patient est une femme mariée ou une jeune fille, le chargé lui demandera de montrer l’accord écrit de son mari ou de ses parents l’autorisant à rester à la paroisse. Cette pratique céleste, également appelée “couvent”, est en effet une des plus critiquées. Nous avons rencontré, à Cotonou, un Français qui avait été cadre dans une grande société internationale. À Abidjan, où il avait habité à une 203

Chapitre vi certaine époque, il vivait en concubinage avec une ivoirienne qui s’était convertie au Christianisme Céleste. Est-ce scrupule moral ? Est-ce le mécontentement de n’être pas épousée selon les règles ? quoi qu’il en soit, rentrant d’une tournée de plusieurs jours dans le pays, l’homme trouva le logis vide, la dame s’étant volatilisé avec armes et bagages. La cherchant partout en ville, il finit par la retrouver dans une paroisse céleste où elle effectuait une sécurité. il lui fut interdit d’entrer et il ne put exercer les représailles que pareil abandon dictait à son esprit irascible. il en devint un détracteur acharné du Christianisme Céleste. Les maris jaloux soupçonnent souvent les Célestes de séduire leurs épouses lors de ces séjours, d’où les précautions que prennent les responsables. Les Célestes ne s’opposent pas à l’usage des médicaments 23, et la mise en sécurité d’un malade n’empêche pas qu’il reçoive les soins médicaux que lui prodigue sa famille. Le “couvent” n’ayant pas toujours l’efficacité escomptée, certains malades dépérissent petit à petit, un décès à la paroisse n’étant pas envisageable, il arrive que l’on voie, au petit matin, un mourant discrètement évacué vers une autre paroisse ou vers un hôpital où il s’éteindra. un tel échec de la thérapie céleste ne suscite pas de commentaire quand le mourant était étranger à la paroisse mais s’il s’agit d’un paroissien, un blâme retombera sur le sous-groupe auquel il appartenait. On dénoncera les manquements des membres de ce groupe aux règlements de l’église ou aux lois divines et l’éloignement de l’Esprit Saint que de telles conduites induisent. La “sécurité” n’est pas uniquement recommandée aux malades, nous avons vu qu’elle est prescrite aux visionnaires pendant la semaine de la Pentecôte et à tous les paroissiens pendant la semaine pascale (voir infra) car elle est le meilleur chemin vers la sanctification. Le combat Passer les bougies sur le corps – Jeter dans le marais – Jeter dans la mer – Jeter dans la brousse – Jeter dans la lagune – Enfoncer la bougie inversée dans la boue – Enterrer inversé – Attacher le corps avec 7 feuilles et fouetter avec 7 feuilles de rameaux – Fouetter le corps – Attacher bougies et feuilles de rameaux.

La prière de combat est la forme céleste de l’exorcisme. Elle peut être dite par trois ou quatre personnes et plus rarement par sept. Les formes les plus simples ne font appel qu’à des bougies (autant qu’il y a de personnes pour prier). La forme la plus commune est celle de quatre personnes. Le ou les bénéficiaire(s) se mettent à genoux face à l’est. quatre bougies, fichées au sol et allumées, les encadrent. Les quatre prieurs se placent autour de la personne, le plus gradé se met à l’est et dirige la prière. il commence par entonner un cantique de combat que tous reprennent. il s’agit souvent de ce cantique : Yah kirah hihi Jah, éternel combattant, viens vaincre nos ennemis ! Yah kirah hihi Jah, Rehausse ton église Dans l’Alléluia ! (n° 158 du recueil des cantiques traduits par. L. Yansunnu)

23. Ce que font d’autres églises aladura.

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Le visionnaire et son reporter Ce premier cantique est répété trois fois. Le conducteur peut choisir de chanter encore un ou deux chants qu’il choisira toujours parmi les cantiques de combat. Selon les révélations d’Oshoffa devraient être chantés autant de cantiques qu’il y a de prieurs (3, 4 ou 7) mais cette indication est rarement respectée. beaucoup de ces cantiques contiennent comme celui précédemment cité des paroles en langue des anges (cf. chap. ii). Citons en quelques-uns. Afidagué bawa afidagué Satan bawa afidagué Les ennemis bawa afidagué Les maladies bawa afidagué La mort bawa afidagué Les accidents bawa afidagué L’envoûtement bawa afidagué Les ennuis bawa afidagué Obscurité bawa afidagué Saint michel est notre vengeur : Afidagué. (cantique N° 179 Yansunnu) Ô Roi éternel, ô Roi de gloire, Dieu tout-Puissant ! Oui, Dieu tout-Puissant est le Roi des rois ! Satan, montre-toi, que l’épée de michel te découpe ! Oui, Dieu tout-Puissant est le Roi des rois ! (bis) Ô Roi des rois, ô Roi des rois ! Nous venons vers toi. Oui, Dieu tout-Puissant est le Roi des rois ! (cantique N° 186 Yansunnu) qu’au nom de Jah, tout s’écroule ! L’ange dit Jah et tout s’écroule. (Cantique N° 187 Yansunnu)

Après avoir chanté, les quatre prieurs lèvent le bras gauche, symbolisant une épée (la sangle qui est aussi symbole d’une épée pend au côté gauche), et prononcent ensemble la formule : Jah ! ida Oluwa, ida Michaël (Jah ! épée de Dieu, épée de michel), qu’ils répètent trois fois, puis parlant en même temps, chacun prononce une prière de combat selon son inspiration. Puis les prieurs se regroupent, font face aux récipiendaires et les bénissent (en levant la main droite sur eux, s’ils ne leur sont pas supérieurs). Enfin, chacun faisant face au point cardinal qu’il occupait précédemment, ils crient sept fois « alléluia ». Les bougies sont abandonnées sur place, à moins d’instructions autres du visionnaire qui peut avoir demandé que les bougies soient jetées dans tel ou tel lieu, ou enfoncées inversées en terre. Par l’action d’inverser la bougie, le mal qui est dirigé contre la personne, les mauvaises paroles qui lui sont adressées, seront également inversés et retourneront à leur envoyeur. Cette prière peut être faite sur un objet, les voitures ou les motos sont ainsi souvent désenvoûtées. À Noël, c’est la file de cars qui emmèneront les fidèles au pèlerinage qui est ainsi traitée. Selon les prescriptions du visionnaire, sur ce corps principal de la prière de combat peuvent se greffer des actions supplémentaires. Les plus pratiquées sont fouetter, passer une bougie sur le corps, et détacher. Les deux premières sont sou205

Chapitre vi vent associées. Pendant que l’on chante les cantiques de combat, on fouette (sans lui faire mal) le sujet avec une sangle ou avec des rameaux. Angélique nous dit « fouetter c’est te débarrasser des tes mauvaises pensées, les tiennes ou celles que les autres ont mises sur toi ». Ces mauvaises choses sont ensuite ramassées avec la bougie que l’on passe sur le corps et qui sera jetée là où il a été révélé de le faire. La même opération peut se faire en utilisant un œuf au lieu d’une bougie, l’œuf sera ensuite cassé sur la pierre de saint michel. Si le visionnaire a vu le consultant “ligoté” par des actions maléfiques, il peut prescrire la prière de combat avec un rite de “détache”. Après s’être agenouillé, le sujet est attaché avec une corde faite de sept (ou de vingt et une) feuilles de rameaux de palme nouées ensemble. Après la prière, les officiants coupent la corde à l’aide de bougies (le nombre indiqué par le visionnaire), lient les bougies utilisées avec la corde de rameaux et les abandonnent là où il aura été prescrit. même pour le plus blasé des spectateurs, les prières de combat ont toujours quelque chose d’un peu effrayant. Les Célestes savent y mettre une conviction, une force, qui font passer un frisson dans le dos. Les enfants qui veulent imiter les Célestes se redressent de toute leur petite taille, lèvent le bras en criant « Jah ! Jah ! Jah ! » Puis ils se roulent par terre de rire mais leurs contorsions témoignent assez du fait qu’ils ont été impressionnés. Changer la mort Travaux kudio = cérémonie de survie, de renaissance.

Le k&u∂y&O (k&u = mort, ∂y&O = changement), qui est la reprise d’un rite traditionnel 24, s’exécute toujours de nuit, à la plage. C’est un rite coûteux qui nécessite beaucoup d’ “aide-prières”. Angélique à propos du k&u∂y&O commente : « on fait ça quand une personne est gravement malade, de maladies qui ne sont pas naturelles, quand elle est attaquée en sorcellerie et que toutes les visions révèlent la mort. On joue ta mort puisque tes ennemis veulent que tu sois mort et enterré, ils vont croire que tu es enterré ». Selon ce que le visionnaire aura révélé, qui est fonction de la manière dont il voit l’attaque, le malade devra se munir au minimum d’un canari, de parfum, d’une petite pierre, d’un pagne blanc, d’un tronc de bananier et de bougies. Les officiants conduisent le malade à la plage, il doit être accompagné d’une personne qui l’aidera. une fosse est creusée dans le sable, le tronc de bananier y est installé. Le malade qui ne conserve sur lui que ses sous-vêtements se couche sur le bananier, on le recouvre du pagne blanc comme d’un linceul. Les officiants procèdent à une prière de combat, comme nous l’avons décrit ci-dessus. Assistée par son accompagnateur qui l’aide mais ne doit pas lui parler, la personne se relève et s’habille du pagne blanc. On apporte, à quelque distance de la “tombe”, le canari contenant de l’eau de mer à laquelle a été ajoutée de l’eau bénite, et les divers ingrédients prescrits (parfum, pierre, etc.) ; le malade se lave, puis abandonne dans le trou tout ce qu’il a porté, ses vêtements comme le pagne blanc. Son assistant lui apporte de nouveaux vêtements et un des officiants procède sur lui à une prière

24. Cf. b. mauPoil, op. cit., p. 363-364.

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Le visionnaire et son reporter de rehaussement avec une bougie pendant que les autres referment le trou en y laissant tout ce qui a été utilisé pour le rite 25. L’union Attacher avec amouré (sangle).

Ce travail est souvent exécuté pour réconcilier une personne avec son conjoint. Le fidèle qui fait le travail détache sa sangle et l’attache autour de la personne qui tient dans la main droite un papier portant le nom de son conjoint et un verre d’eau sucrée avec du miel. Ce travail peut être fait pour unir toute une paroisse. Dans ce cas, avant la fin du culte dominical par exemple, tous ceux qui portent sangle la détacheront. Elles seront toutes liées ensemble et le ruban ainsi constitué entourera tout le temple, le plus gradé prononcera la prière. Les visionnaires peuvent demander l’exécution des travaux une seule fois ou selon un rythme répétitif, faire telle chose tous les jours pendant sept jours, ou faire telle chose sur plusieurs paroisses différentes, ce dernier cas de figures est appelé un « circuit de paroisses ». Durant mon séjour, plusieurs fois la révélation “sortit” que la chorale devait faire un circuit de paroisses. une de ces occurrences demandait le balayage du temple et la prière de congrégation sur trois paroisses. Le balai est un autre de ces objets qui apparaissent souvent dans les ordonnances. C. Akodjetin écrit : En balayant la maison de Dieu ou les maladies de vos frères, un balayage spirituel s’opère d’office dans votre propre vie spirituelle, morale, affective, financière et physique. Le résultat est le même si vous offrez des balais à Dieu 26.

Comme nous l’avons signalé, Oshoffa s’est élevé à plusieurs reprises contre certains usages ayant cours dans les travaux spirituels qu’il considérait comme des déviations. Le règlement intérieur dans Lumière le mentionne, en son article 61. mais ces indications sont plus précises dans une petite publication éditée à Lagos, en 1974, qui s’appelle aussi Lumière sur le Christianisme Céleste 27 et qui est soustitrée Paroles essentielles prononcées par le Révérend Pasteur SBJ Oschoffa. Dans cette brochure, qui semble la version écrite d’un discours d’Oshoffa, le fondateur rappelle les débuts de l’église, puis il dit : Lorsque le Christianisme Céleste commença à Porto-Novo, la force divine y était telle, que le diable s’arma en conséquence pour lui barrer la route et pour semer en son sein la mauvaise semence (l’ivraie). Ceci se manifesta d’abord des mains d’un devancier de Porto-Novo dont je voudrais taire le nom ici. Ce dernier décida de changer beaucoup de choses de ma main ; mais je rends grâce à Dieu car la vérité a triomphé. C’est donc cette mauvaise semence que je suis en train d’arracher maintenant, et Dieu l’arrachera définitivement.

Après avoir rappelé le rite de purification auquel doit se soumettre une femme nouvellement convertie ou après sa période menstruelle, le fait que ne doivent être

25. bien que ce rite soit couramment pratiqué, Oshoffa l’avait formellement interdit tout comme d’autres travaux que nous avons cités qu’il considérait comme « des pratiques qui tiennent du paganisme » (Lumière, art. 61 du titre 2 du règlement). 26. C. akoDjetin, La prière, l’arme n° 1, op. cit., p. 43. 27. Pour cette raison les Célestes parlent souvent de ce texte en l’appelant Petite Lumière.

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Chapitre vi chantés que des cantiques révélés pendant les cultes, le fait que le Christianisme Céleste n’emploie pas les Psaumes (comme des incantations) ni ne pratique le jeûne en dehors de la semaine pascale, Oshoffa aborde le problème des travaux spirituels. il dit à propos de la plage : Pour les visites à la plage, je mets présentement un terme, car cela ne cadre pas avec notre règlement. il doit y avoir une différence entre les autres sectes et nous […]. Pour les sacrifices à la plage, je l’interdis complètement, qu’aucun esprit ne l’exige et que personne ne l’applique. Chaque paroisse possède son lieu de sacrifice et sa maison de prière à cet effet […].

À propos des rameaux : Pour ce qui concerne l’emploi de rameaux de palmier pour fouetter une personne pour qui l’on prie, cette pratique est contraire à nos lois, je ne l’ai jamais recommandée ni à une église, ni à un devancier […]. vous pouvez vous servir de votre bande de ceinture (amourè) ou du linge blanc de l’autel.

il poursuit en disant que des croix fabriquées à partir de rameaux peuvent remplacer un devancier absent ou des bougies manquantes quand on fait une prière de sept personnes. il interdit aux visionnaires qui fouettent les malades avec leur sangle d’en frapper ensuite le mur : « il faut que cela cesse car cette pratique est d’Antéchrist ». À propos de l’eau : qu’il s’agisse, aussi pour certaine prière, qu’il faille recueillir l’eau de la montagne ou au creux des arbres, qu’il s’agisse de l’œuf de poule que l’on casse sur une pierre ou sur un carrefour de trois routes, d’un régime de banane que l’on va enterrer, qu’il s’agisse de se mettre à genoux sur un linge blanc pour ces prières de combat, autant de choses contraires à nos voies et qui doivent prendre fin car le Christianisme Céleste n’est pas venu instituer des pratiques qui tiennent du paganisme.

Oshoffa continue en interdisant les bains nocturnes au carrefour ou en brousse, après lesquels on casse le récipient qui a contenu l’eau. Le Christianisme Céleste peut puiser l’eau dans une jarre (eau de puits, de rivière, de lagune, de mer) toutes ces eaux peuvent être employés pour le bain, selon ce que nous avons reçu et que je vous ai donné mais casser la jarre est irréligieux et doit disparaître.

Enfin il interdit l’usage de couteau (dit couteau de saint michel) 28 ou d’épée que l’on attache ou que l’on enterre au seuil de la porte pour se protéger de l’intrusion des mauvais esprits. On peut se demander pourquoi les Célestes qui sont si soucieux des instructions d’Oshoffa ne respectent qu’approximativement celles concernant les travaux spirituels. Notons d’abord que les pratiques admises et celles qui sont interdites par le fondateur ne diffèrent les unes des autres que par le fait que les premières lui ont été révélées et les autres pas. Plusieurs Célestes prétendent que beaucoup de travaux ne sont employés qu’avec des non convertis qui, peu tournés vers le spirituel, ont besoin d’objets pour croire à l’efficacité des prières qu’on leur prodigue. D’autres disent que l’on ne peut combattre les sorciers et les mami Wata

28. Les couteaux de saint michel sont utilisés par l’église des Chérubins et Séraphins.

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Le visionnaire et son reporter qu’en allant sur leur terrain, en brousse et à la plage, et avec leurs propres armes. Certains cherchent et trouvent des justifications bibliques à toutes leurs pratiques. Ainsi, le vénérable senior évangéliste marcellin Zannou rappelle dans un article des Échos célestes 29 : « C’est ainsi que dans la bible, pour détruire le prestige de ceux qui se rebellent contre la parole de Dieu, Dieu ordonna à Jérémie d’aller acheter un canari qu’il brisera comme nous le faisons aussi chaque fois que Dieu nous l’ordonne » (Jérémie 19, 1-11). il cite de même élisée jetant du sel dans les sources du fleuve pour en purifier les eaux (2 Rois 2, 19-22) et commente : « élisée pouvait prier simplement et Dieu allait exaucer ses prières mais Dieu a ordonné de poser un acte, il l’a fait, Dieu s’est manifesté et les eaux ont été assainies ». il remarque qu’on pourrait lui objecter que ce sont là des pratiques de l’Ancien testament et que Jésus est venu pour mettre fin aux pratiques des prophètes. il répond que Jésus a dit qu’il n’était pas venu pour abolir la loi mais pour l’accomplir (matthieu 5, 17), et ajoute que Christ aussi « a utilisé les mêmes pratiques pour faire des miracles ». Jésus a guéri un aveugle en lui passant sur les yeux de la boue qu’il avait fabriquée en crachant dans la poussière du sol et en lui ordonnant de se baigner dans les eaux de Silœ (Jean 9, 1-15). Zannou argumente : Nous n’avons pas à dicter à Dieu la manière dont il doit opérer ses miracles. il nous prescrit les actions et des pratiques, nous n’avons plus qu’à obéir […]. Nous ne disons pas pourquoi ou comment, nous disons simplement « c’est comme cela », c’est peut-être pourquoi Dieu opère les miracles en notre sein […]. Ainsi lorsque Dieu nous ordonne de faire quelque chose, nous le faisons. Si Dieu ordonne d’aller prendre un bain au bord d’un cours d’eau, nous le faisons. S’il révèle de faire un combat avec la pierre, les œufs, un canari pour sauver une vie nous le faisons.

Zannou n’est pas surpris des critiques des autres églises qui accusent les Chrétiens Célestes de laisser « une porte ouverte à mami Wata ou au diable pour rentrer dans la vie de ceux qui acceptent ces prières », il s’en déclare même heureux car Christ a dit : « heureux serez-vous lorsqu’on vous outragera, qu’on vous persécutera et qu’on dira faussement de vous toutes sorte de mal à cause de moi » (matthieu 5, 11). Pour terminer son article, il invite tous les médisants à venir juger par eux-mêmes dans les paroisses célestes du fait que l’on n’y obéit qu’à Dieu et à la bible. Et, en conclusion, il assène son argument final : un chercheur du C.N.R.S. Albert de Surgy est venu faire des recherches ! il a affirmé que l’église du Christianisme Céleste n’est pas une église syncrétique mais une religion chrétienne… [ ! ]

Les Célestes et les évangéliques ont une même vision du monde (et du mal). ils s’accordent pour voir des forces diaboliques à l’œuvre derrière les sorciers, les vodun et les mami Wata dont ils reconnaissent ainsi l’existence et le pouvoir. ils ne diffèrent que sur les moyens à employer contre ces forces, dont on peut d’ailleurs douter qu’ils soient si différents en nature. L’exorcisme, simple prière orale, avec rameaux ou sans rameau, avec ou sans canari cassé, reste un exorcisme, et les propos d’inspiration biblique de Zannou nous montrent que, sur un même thème, les variations de la pensée rituelle ne sont pas infinies. On peut également penser que l’exorcisme céleste opérant avec des objets médiateurs est plus respectueux

29. « Les pratiques de l’église du Christianisme Céleste à la lumière de la bible », Échos célestes 1 (2002), p. 5-6.

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Chapitre vi des corps souffrants que la pratique des prières de délivrance de certaines églises pentecôtistes où les corps malades se contorsionnent pour expulser les démons qui les possèdent. v. L’exercice de la vision Comme nous l’avons vu, les visionnaires sont censés exercer uniquement dans le cadre de la paroisse, donc sous contrôle ecclésial. mais en réalité, presque tous les visionnaires travaillent également à domicile 30, soit que les malades viennent spontanément les chercher dans l’urgence de leurs maux ou parce qu’ils ne veulent pas s’exhiber chez les Célestes, soit que les visionnaires l’aient délibérément choisi. Certains d’entre eux acquièrent au fil du temps une réputation qui sort du cadre de leur paroisse et finissent par diriger chez eux des sanctuaires de guérison qui s’apparentent à un cabinet de médecin ou à l’officine d’un guérisseur. Certains gardent des liens étroits avec une paroisse, d’autres les rompent totalement et font figure de “saint homme” dont les clients ignorent l’appartenance première. Les visionnaires dociles comme ceux qui restent liés à une paroisse sont soumis à diverses obligations. L’une est d’aider à la formation des nouveaux, l’autre est l’assistance aux cultes et particulièrement à celui du vendredi, qui est dédié aux visionnaires mais également à tous ceux qui recherchent les dons de l’Esprit Saint. Ce culte est célébré depuis l’autel du jardin de prière. il s’apparente aux cultes courts que nous avons déjà décrits, il ne comprend qu’une lecture biblique suivie d’une exhortation et comporte des travaux spirituels. Ces derniers varient suivant l’inspiration du visionnaire qui les organise et consistent, le plus souvent, en l’absorption d’un jus de fruit auquel a été ajouté du parfum de Saint michel et de l’encens, au fouettage des assistants avec une sangle, à l’aspersion d’eau bénite (surtout dans les yeux), à la consommation d’un œuf cru et parfois à une exposition des fidèles. Le moment considéré comme le plus important du culte est celui où les assistants sont invités à dire ce qu’ils ont vu pendant les prières. Parmi les interventions, l’officiant en choisit une ou deux qu’il commente. Donnons un exemple. une femme est invitée à prendre le micro, elle raconte qu’elle a vu le parvis plein d’éclairage et « couvert d’électricité ». Après cela elle a vu une bassine pleine de grains de maïs, dans laquelle poussait un pied de maïs. Elle a vu ensuite une autre bassine remplie d’arachides. À côté, il y avait une chaise tellement blanche que personne ne s’asseyait dessus. Le visionnaire qui officie explique ainsi la vision. il commence par énumérer les différents éléments et par leur attribuer une signification. « L’électricité et l’éclairage du parvis, c’est la lumière divine qui éclaire nos vies. Les bassines pleines, c’est le bonheur. une chaise toute blanche… […]. Pourquoi cette chaise est-elle blanche et pourquoi il n’y a personne dessus ? » demande-t-il. Pour se donner le temps de la réflexion, il revient aux bassines. « Les bassines pleines, ça veut dire que nous sommes comblés, Dieu nous a envoyé son aide, ceux qui vendent au marché auront des clients et trouveront de l’argent, ceux qui sont fonctionnaires toucheront leur salaire et ils seront à leur aise. Les céréales qui sont dans les bassines signifient le bonheur, les céréales c’est le bonheur, la pro-

30. À leur domicile ou au domicile de leurs patients.

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Le visionnaire et son reporter création, le bien vivre ». il revient à la chaise. « Ce qui inquiète, c’est la chaise blanche et vide, elle est blanche parce qu’elle a été envoyée par les anges. Psaume XXiv verset 3 : “qui pourra monter à la montagne de l’éternel ? qui s’élèvera jusqu’à son lieu saint ?”. La chaise blanche, c’est un trône céleste envoyé par Dieu mais il n’y a personne d’assis. La chaise, ce n’est pas fait pour les animaux, si personne ne s’y assoit, c’est que Dieu nous reproche quelque chose. Ça veut dire que nous devons demander à Dieu la rémission de nos péchés. Ça veut dire qu’il y a ici des gens qui font des choses en cachette. Luc 12, verset 2, Dieu a dit ce que vous ferez en cachette, je le dirai et tout le monde le saura. Nous devons tout faire pour nous repentir. il ne faudrait pas que nous quittions la lumière pour marcher dans l’obscurité ». Lorsqu’ils officient dans la salle de vision et reçoivent les consultants, les visionnaires ne font pas ce genre d’exposé dont la vertu est surtout pédagogique, ils essaient d’aller directement au problème du patient. voici la retranscription de deux consultations. La première a eu lieu un mercredi, à l’heure où est célébré le culte pour les femmes stériles. La consultante est une jeune femme. une première visionnaire dit : Devant Dieu, devant les hommes, Dieu te demande d’être en joie à tout moment, de bannir tes chagrins pour pouvoir recevoir la grâce divine. Dieu t’interdit de te plaindre auprès des gens, quand tu te plains, ils se moquent encore plus de toi, et ce n’est pas le fait de te plaindre qui va résoudre tes problèmes. Dieu te demande de prier beaucoup parce qu’il y a des mauvais esprits qui t’ennuient et qui font que tu te peines beaucoup mais que tu trouves peu.

La seconde visionnaire dit : Je pense que tu as bien compris ce que la maman t’a dit. De mon côté, Dieu te demande de te soumettre à ton mari pour qu’il y ait la paix, sinon tu feras un accouchement prématuré. Dieu te demande de cesser de pleurer à tout moment pour ne pas avoir de difficultés au cours de l’accouchement. Dieu dit de faire une prière d’union avec ton mari pour que la paix revienne entre vous. Ne fais pas tout le temps des histoires avec tes colocataires. Fais la paix avec tout le monde pour avoir la paix également.

Elle dicte ensuite les travaux au reporter tout en donnant des explications à la consultante : — quatre bougies, prière de combat contre les mauvais esprits, jeter dans la mer ; — une bougie, prière de rehaussement et de force, allumer à l’autel ; — un balai + une bougie, balayer le temple pendant trois jours… En balayant tu pries sur la bougie qui est dans ta main en demandant que Dieu te débarrasse de tous tes problèmes de la même façon que le balai rend propre l’endroit qu’il touche, que Dieu fasse pareil — troisième jour, allumer la bougie à l’autel ; — avoir huile sainte + encens + parfum dans un flacon, prière miraculeuse. tu passes ça sur ton ventre — une bassine d’eau + les trois nécessaires 31, bain ;

31. Les Célestes nomment « les trois nécessaires » le parfum, l’encens et l’huile sainte qui, ajoutés à l’eau en petite quantité, lui donneront ses vertus thérapeutiques.

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Chapitre vi — une bouteille d’eau + jus de citron et les trois nécessaires, faire exposition un mercredi et boire. il faut beaucoup prier pour ton mari et toi. tu as compris ? Dieu vous unira. il faut prier sur une bougie, hein ? tu sais Dieu m’a dit que tu n’as pas été intelligente. voilà pourquoi tu as ramassé tes effets. Ne l’abandonne pas. même si tu vas ailleurs, que tu le veuilles ou non, tu auras des problèmes de coépouse, donc ça n’est pas la peine. — un verre d’eau + trois gouttes de parfum, un peu de miel, trois morceaux de sucre, faire une prière d’union et boire ; — remettre les noms [de la consultante et de son mari] à trois alagba, demeurer en prière pour eux pendant trois jours, allumer les bougies à l’autel et faire le culte. Commence par boire régulièrement notre eau bénite. tu as vu le culte qu’ils sont en train de faire, c’est ça que tu vas faire aussi et tu auras la paix.

La consultante donne son nom au reporter et demande si, quand elle aura fait tout cela, elle sera tranquille. La visionnaire lui répond : bien sûr, ne t’en fais pas. Dieu n’est pas un homme, par sa puissance, il t’arrangera tout. Fais tous les travaux. Dieu m’a dit que c’est lui-même qui te demandera de le rejoindre.

La consultante sort, elle suit le reporter qui est allé faire signer la feuille de vision par l’évangéliste de garde. Le devancier explique à nouveau à la femme comment elle doit procéder pour faire exécuter les travaux et il ajoute : « toutes les choses s’achètent ici ». La majorité des visions sont de ce style. Certains visionnaires souffrent de cette médiocrité. Angélique nous dit : Dans la salle de vision, il ne suffit pas de faire une vision partielle et de se taire. il faudrait qu’on craigne le visionnaire devant qui l’on est […], il faudrait qu’il y ait des visions pertinentes. Les secrets de la personne : il faudrait que tu lui sortes ça […]. Je connais un reporter, il s’est fait confectionner la tenue des visionnaires et il fait la vision dans sa maison. il n’est pas visionnaire, l’Esprit ne l’agite même pas. Parce qu’il reste à la salle de vision, il sait comment ça se passe. quand une femme s’assoit, on sait déjà que c’est un problème de ménage, de commerce. il commence par parler, il dit à peu près ce que les femmes ont souvent. De nos jours, il y a plusieurs personnes qui font de ces visions-là. vision par expérience. Ou bien elles commencent par donner des conseils, soi-disant elles sont en train de faire la vision. moi, je n’appelle pas ça la vision […]. moi, il faudrait que si dix personnes viennent faire la vision auprès de moi, avant que les dix ne s’en aillent, il faudrait qu’au moins une de ces personnes quitte en tremblant de peur. il ne faut pas que je bavarde et que ceux-là se lèvent et s’en aillent comme ça se passe chez les charlatans. il faudrait que quand une personne me voit, qu’elle ait peur et qu’elle se dise : Attention, la damelà, elle voit bien ! Et je glorifie le Seigneur, et je le remercie parce que je sais que c’est en moi […]. tu pries correctement, tu dis à Dieu : Aujourd’hui, je veux marquer la différence et tu marques une différence. tu ne vas même pas chercher à regarder le nom écrit sur le bout de papier 32, la chose te le dira et va te le confirmer. Donc tu parles et tu dis : j’ai vu écrit le nom d’un nouveau-né, d’une petite-fille. voilà le bébé

32. quand la vision n’est pas faite pour le consultant, ce dernier écrit le nom de la personne pour qui il consulte sur un papier.

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Le visionnaire et son reporter est malade. quand tu vas commencer à parler avec une concentration forte, on te dira : La maladie, c’est la rougeole. Non, ce n’est pas une maladie naturelle, c’est parce que sa maman se querelle trop dans la maison que l’enfant est malade. moi, je regrette de ne pas être un homme parce qu’à mon niveau, si j’étais un homme, je serais parmi les chefs de z`ungb&om`E ! […] La vision, ce n’est plus comme autrefois, aujourd’hui tout le monde veut être chef, tout le monde veut être grand ! une simple personne qui vient juste d’entrer dans la salle de vision, il suffit qu’elle travaille deux mois avec une maman woli, pour qu’elle se dise : « qu’est-ce qu’elle peut voir de plus que moi ? Sa vision, qu’est-ce qu’elle a de plus que la mienne ? » Elle chute déjà sans le savoir. Elle dit : « La maman quand elle veut parler, elle parle de foyer, non ? Elle parle du ménage, non ? » Si c’est une femme, elle va commencer par lui parler de son mari, des femmes qui dérangent son mari, elle-même qui bavarde beaucoup, le commerce qui ne marche plus, et la personne fera son choix là-dedans. Ou bien elle commence par faire tant et tant de discours que celle qui est devant elle ne trouve plus rien à dire 33. tout ça ce n’est pas bon, c’est un péché, c’est la mort ! […] La vision c’est très difficile, ce n’est pas un jeu d’enfant, si on pouvait ne pas l’avoir ça serait mieux mais puisque Dieu nous l’a donnée, qu’il ait pitié de nous. Amen !

Le consultant est un jeune homme. La première visionnaire dit : Devant Dieu devant les hommes, vous êtes en train de demander l’avancement dans votre travail, ce que vous devez faire pour avoir la paix dans votre vie. C’est ça qui vous a amené ici, que Dieu vous aide dans ce sens ! À la suite, nous avons vu que le travail qu’on est en train de faire là où on va, ça s’est arrêté, et nous avons demandé ce qui a fait que le travail s’est bloqué. Dieu nous a dit que c’est par vos propres manières de faire que tout est bloqué. Nous avons vu une fille qui est à côté de vous, avec qui vous avez commencé par sortir et à la suite elle est tombée grosse, est-ce qu’on reste accroupi pour mettre l’enfant sur soi ? Au moment où la femme va tomber grosse, celle qui vous supporte, vous ne l’aurez plus. vous n’aurez plus d’aide, que Dieu vous aide et vous mette hors des difficultés ! Après ça nous avons vu des maux de ventre très graves sur vous, ça vient par moments et ça cesse et on nous a montré que, au moment où ça va s’aggraver, vous allez subir une opération chirurgicale, que Dieu enlève ça de devant vous ! Devant Dieu, devant les hommes, on nous montre que vous devez garder votre bouche, que vous devez savoir parler, sinon c’est le petit frère de votre père qui va tenter quelque chose contre vous, que Dieu vous aide et enlève ça de devant vous ! Ensuite on nous montre que là où vous êtes présentement, on est gêné et on veut quitter pour aller ailleurs, ce sont les idées qui vous viennent à la tête maintenant, au moment où vous allez déménager, il y aura plus de respect, il n’y aura plus personne pour vous surveiller et là on sera libre. que Dieu vous rehausse ! C’est le souci de votre avenir qui vous a amené ici, si ce n’est pas ça vous allez le dire et poser des questions. Le consultant : — Oui, j’ai déjà vu ce que je veux Le deuxième visionnaire : — il ne reste rien à demander ? S’il y a autre chose, il faut demander.

33. Dans la salle de vison, il y a toujours plusieurs visionnaires qui reçoivent en même temps le même consultant. Les moins gradés parlent avant les autres, si les premiers parlent trop, ceux qui suivent n’ont plus rien à dire.

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Chapitre vi Le consultant : — voila que nous sommes dans la salle de Dieu. Oui, des maux de ventre j’en ai par moments effectivement et surtout j’ai des maux de tête. On est parti faire la consultation chez les bok&On`O et ils ont dit qu’avec le temps je deviendrai fou, que les gens vont me rendre fou. Et effectivement même sans que je mange quelque chose, je tombe malade. Le deuxième visionnaire : — C’est tout ? Le consultant acquiesce. Le deuxième visionnaire : — il faut toujours garder votre bouche sinon les gens vont tenter de faire des choses sur vous. vous allez à la messe ? Le consultant : — Oui, je suis protestant. Le deuxième visionnaire donne les travaux suivants : — un œuf, une bougie, prière de combat, passer l’œuf sur le ventre, casser l’œuf sur la pierre de saint michel ; — une bougie, prière de rehaussement, allumer à l’autel. Lorsque les consultations se déroulent dans la salle de vision de la paroisse, le cadre se prête mal à une mise en confiance du consultant. L’attente avant la consultation, les nombreuses personnes présentes, les distractions que procurent celles qui vont et viennent aux alentours engagent peu le malade à se confier. Comme dans les exemples que nous avons donnés, les consultants restent souvent silencieux et n’expliquent pas les raisons qui ont motivé leur venue, il est difficile de croire que de telles « visions » satisfassent vraiment leur attente. Pourtant quand on recueille des récits de conversion au Christianisme Céleste 34, l’étonnement et l’attrait causés par la pertinence des visionnaires consultés sont des arguments qui sont toujours avancés pour expliquer l’adhésion. Parallèlement, les visionnaires qui parlent de leur discipline pratiquent volontiers l’autosatisfaction. Le pouvoir d’intervenir dans la vie des autres et de traiter avec les entités maléfiques, que leurs capacités confèrent aux visionnaires, les expose à plusieurs sortes de risques. Joël explique : Si on te donne la vision, il faut que tu améliores cela à travers les prières et le jeûne. Jeûner, prier, se comporter comme un saint, tu dois tout faire pour que ton comportement diffère de celui du commun des mortels. il faut que tu saches où mettre les pieds et où ne pas mettre, où aller et où ne pas aller, que faire et ne pas faire, que dire et ne pas dire. Le visionnaire ne doit pas être trop bavard, le visionnaire ne doit pas être rancunier, le visionnaire ne doit pas être un homme qui critique, non. Le visionnaire doit être un homme humble, soumis, non pagailleur. il doit en quelque sorte garder la sainteté, la pureté. C’est comme un élu de Dieu qui est venu sauver le monde. quand tu es venu sauver le monde, il faut te mettre au service du monde. Pour se mettre au service du monde, il faut que tu aies le bon comportement, pour que les gens puissent se dire celui-là il est venu pour nous aider, pour nous assister. C’est quelqu’un qui doit veiller souvent la nuit, il ne doit pas trop dormir. La vision c’est comme Jésus quoi, Jésus, il n’a pas dormi. il a dit à Pierre et aux apôtres, restez en éveil un peu avec moi. C’est comme le gardien, si tu dors au portail, les voleurs vont entrer dedans et voler et tu seras responsable. C’est pour te dire que le visionnaire c’est quelqu’un qui doit se sacrifier pour tout le monde.

34. Sur ce sujet, cf. C. henry, « Le discours de la conversion », Journal des Africanistes 68 (1-2) (1998), p. 155-172.

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Le visionnaire et son reporter Certains expriment leur peur de ne pas être à la hauteur de leurs responsabilités. Ainsi hervé raconte : J’avais peur, j’avais tellement peur, sans mentir. Pourquoi ? vous voyez, la chose même, tu ne la maîtrises pas et l’Esprit qui parle en toi tu ne le vois pas. Et quand tu vas dire, je m’en vais faire la vision quelque part, es-tu sûr que l’Esprit viendra te parler ? Ce n’est pas toi qui commandes en tant que tel. L’Esprit se manifeste volontairement en toi. J’avais peur que la honte n’arrive. Pourquoi ? Parce qu’arrivé là si je ne suis pas dans l’état de sanctification qui pourra permettre à cet ange de m’assister, les gens seront là assis, ils seront en train d’attendre que je dise quelque chose mais je ne pourrais rien leur dire et ce serait une honte. C’est comme ça que j’avais peur, au début, j’avais tellement peur. Et si tu as peur il est vraiment difficile que le Saint-Esprit fasse correctement sa volonté en toi. tu vois ? C’est comme si tu n’as pas la foi. Donc moi avec le temps, je me suis mis en prière, j’ai demandé à Dieu : enlève la peur de moi, parce que la peur aussi est un mauvais esprit, donc dégage cela de moi pour que je sois sanctifié, pour que je puisse faire correctement ton travail. Et maintenant, si je veux faire la vision, c’est comme si c’était moi-même qui commandais la vision. Je veux voir en toi, voir ta vie, je prie, j’invoque les anges et je saurai ce que tu es. Si tu es voleur ou si tu fais quelque chose, je saurai…

D’autres doutent parfois de la pertinence des instructions qu’ils reçoivent : il y a trois ou quatre mois comme ça, il y a un gars qui vomissait sans cesse, sans cesse il allait à la selle. C’est une maladie dont il souffrait depuis des années, si tu voyais le gars, il était maigre complètement. Alors il est parti voir un visionnaire et le visionnaire lui a demandé de l’argent. bon, au moment où le visionnaire lui parlait, je priais et Dieu m’a dit de prendre de l’eau du ruisseau qui est au bord de la voie-là, de prendre ça de prier là-dessus et de donner ça à boire au bonhomme. mes enfants qui avaient appris que l’autre lui avait demandé de l’argent l’ont amené ici. J’ai dit au bonhomme d’aller chercher l’eau lui-même et il est parti chercher l’eau avec sa femme. J’ai dit bon, je ne ferai pas ça chez moi, allons chez vous et on est parti là-bas. Je lui ai dit de payer de l’encens, ils ont payé l’encens, j’ai dit eux-mêmes n’ont qu’à l’écraser et ils l’ont écrasé bien proprement. moi j’ai donné du citron, parce que ma foi n’était pas vraiment convaincue, c’est comme Pierre qui disait à Jésus qu’il va le suivre sur l’eau mais quand il a commencé à marcher il s’est enfoncé. Je me demandais si je devais lui faire boire ça, parce qu’après si ça donne des problèmes avec la famille. La famille va dire : c’est lui qui lui a donné à boire de l’eau de ruissellement et après les complications sont venues, ou alors les docteurs vont dire : quoi l’eau du ruisseau ! vous voyez, quoi. C’est pour ça que j’ai mis du citron dedans, pour désinfecter, ce n’est pas qu’on m’avait dit de mettre du citron, non. Alors je l’ai fait, j’ai bien secoué, bien tamisé, l’eau était claire, bien propre, moi-même j’en ai bu plusieurs fois et j’ai donné au bonhomme devant sa femme et ses enfants. Je rends grâce à Dieu aujourd’hui ! maintenant le bonhomme a changé, il a trouvé la guérison. (michel)

Le visionnaire doit parfois se faire psychologue pour ne pas envenimer une situation déjà compliquée mais il ne réussit pas toujours. Ainsi hervé nous raconte comment il a essayé de réconcilier un couple de ses amis : moi, j’étais l’ami d’un couple. Je suis venu dans la maison, j’ai constaté que la femme a un homme au-dehors et que cet homme-là et la femme, ils sont très bien […] vous pensez que moi je vais entrer dans la maison et dire au mari que sa femme commet l’adultère. C’est moi qui vais dire ça, parce que Dieu m’a montré, je vais dire ça ?

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Chapitre vi Non. il y a une autre manière de dire la chose pour arranger la situation, pour ne pas diviser le foyer. il faut chercher une occasion, le mari n’est pas là et tu vois la femme seule. tu la salues bien et tu dis : « madame, je constate certaines choses que je veux te dire mais pas en présence de ton mari. tu fais telle chose, telle chose, c’est grave, ce n’est pas bon ». tu lui parles et tu lui fais peur davantage. hein, je vous dis que, nous les visionnaires, on endure beaucoup de choses ! Donc tu parles bien à la femme, elle te comprend bien, elle te livre son cœur, elle te dit tout ce que tu n’as pas vu, elle te livre tout mais c’est un secret qu’il faut garder, ça ne sort jamais. Son mari ne doit jamais l’apprendre.

mais comme tout mari trompé celui-là a l’intuition que quelque chose ne va pas dans son couple et il interroge hervé au sujet de sa femme. voilà que j’avais dit la vérité à la femme mais à l’homme je dois mentir, alors je dis : « ta femme va très bien, il n’y a pas de problème, ta femme est très correcte. Pourquoi tu dis ça ? Dis-moi un peu ». il me dit : « Oui, je t’ai posé cette question parce que je sens certaines choses, vraiment ça ne va pas […] ». Comme la femme est têtue, elle a continué dans ses erreurs, alors la chose a éclaté et en fin de compte c’est le divorce qui a suivi. Comme l’irréparable est déjà fait, le mari me dit : « hervé ! tu avais déjà vu tout cela mais tu ne voulais pas me le dire, tu m’as caché tout ça ». Je suis obligé de lui dire : « mais je ne pouvais pas te parler, sinon on va dire que c’est moi qui ai divisé votre foyer ».

S’il s’agit de reprendre les mauvais penchants d’un de vos supérieurs hiérarchiques, la diplomatie s’impose : Pour le cas d’un grand devancier qui puise dans la caisse de l’église et qui bouffe, je peux lui dire mais je vais embellir le problème. Parce que si tu vas voir le devancier pour lui dire : « toi, tu voles dans la caisse, ce n’est pas bon. Devant Dieu, devant les hommes, j’ai vu ça comme ça. Ce n’est pas bon ». Si tu lui parles comme ça, il va se fâcher. C’est comme si tu rencontres un sorcier qui vient à l’église et tu lui dis : « toi, tu es sorcier ». Est-ce qu’il sera content ? tu vois le voleur et tu lui dis : « toi, tu voles dans la caisse ». Est-ce qu’il sera content ? Non. C’est pourquoi, si tu es visionnaire, il faut recevoir encore de l’éducation, il y a certaines choses qu’il faut respecter […]. Le grand devancier, je vais lui dire : « mon frère, viens ! On va dans un coin, je vais te dire, est-ce que tu sais ce que j’ai vu en toi ? il faut faire très, très attention sinon on va crier ton nom. tu sais ce que j’ai vu ? J’ai vu qu’on t’a attaché les pieds et la main comme un voleur et on a amené la caisse de l’église devant toi. Est-ce que tu sais ce que ça veut dire ? ils vont te dire un jour ici que tu es en train de voler leur argent. Fais attention, méfie-toi ». tu comprends ? Est-ce qu’il peut se fâcher là ? mais en lui-même il sait déjà et il comprend déjà la chose. tu ne lui as pas dit qu’il est voleur mais tu lui parles et il sait que c’est vraiment une révélation. Attention, c’est lui seul qui comprend la vérité. toi-même qui lui parles là c’est tout comme si tu n’as rien vu. Donc, tu sais qu’il est train de voler mais tu lui as pas montré que tu as vu qu’il vole. maintenant, ni toi ni un autre, personne ne sait qu’il vole. mais lui seul sait qu’il vole et il sait que les anges l’ont vu, de la manière dont tu lui as dit qu’on l’avait attaché là, lui-même il a déjà compris la chose. (hervé)

On demande parfois au visionnaire d’exécuter des travaux qui sont contraires à la morale prônée par l’église : moi, quand on vient maintenant pour des cas comme ça, par exemple : « Louise est avec Jean, arrête ça, je ne veux pas qu’ils soient unis, fais que ça ne marche pas ».

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Le visionnaire et son reporter tu viens vers moi, tu dis ça, je dis : « Ah ! Ce travail-là, c’est vraiment difficile, moi je ne peux pas le faire ». Si je m’engage et je te dis que je vais faire ce travail-là, par exemple : « Paye trois paquets de bougies, bon, va me chercher la photo de Louise ou bien la photo du monsieur, amène ça, ça et ça ». Ou bien par exemple : « On va faire ça et puis tu iras l’enterrer au bord de l’eau ». C’est des travaux qu’ils font comme ça, c’est souvent des choses qu’ils vont enterrer ou bien éparpiller devant le portail de l’autre, ou bien sur leur chemin, ou là où leur conscience leur dicte. tu amènes tout ça, je fais, et si ça ne marche pas ? C’est pour dire que si l’homme veut te détruire et que Dieu n’a pas écrit que tu serais détruite à travers le travail qui est fait, cela n’aura pas de réponse […]. il y a des choses que quand on les amène chez toi, tu évites : je ne peux pas le faire. Si tu les fais et si par surcroît la personne apprend que c’est chez toi qu’on est venu le faire, ça te crée encore d’autres problèmes à l’église ou ailleurs […] Le céleste ne doit pas avoir l’habitude de détruire. il peut arranger à travers le dialogue, les conseils. Par exemple : « Ah ! tu as vu Louise avec Jean. ils sont en train de s’entendre pour faire la chose là. tu sortais avec Louise avant ? » tu lui poses la question directement. il n’est pas question de lui dire : « va acheter la bougie, va chercher le chapeau blanc de Louise ». « tu sortais avec Louise avant ? — Oui. — maintenant qu’est-ce qui s’est passé au point qu’elle commence par sortir avec Jean ? » il te dit : « vraiment je ne sais pas, hein. il y avait tel et tel problème ». bon voilà, c’est là où tu as été tamponné qu’il faut regarder, ce n’est pas là où tu as versé le bagage. il y a un proverbe qui dit ça. C’est là où le problème a commencé qu’il faut regarder. Ce que je vais lui dire c’est que si cette entreprise de Louise et de Jean vient de Dieu, ça va se réaliser. mais si ça ne vient pas de Dieu, Jean fera demi-tour […]. Pas question de dire : « Ah ! J’ai la force de détruire ! » Non ! toi qui détruis, tu seras aussi détruit. Si tu as l’habitude en tant que visionnaire de détruire, tu seras détruit. même si tu n’es pas détruit ouvertement comme ça, spirituellement tu seras détruit. tu fais des travaux aux gens, et ça ne marche plus. (Dorothée)

mais la grande affaire est de savoir s’y prendre avec les sorciers ou avec les victimes des sorciers car en arrachant leur proie aux sorciers, on déclenche leur vindicte. hervé nous raconte plusieurs cas de luttes contre les sorciers : La sorcière est venue, elle veut faire la vision. une sorcière, hein ! vrai, vrai, hein ! Elle est entrée, on lui a fait la prière, elle s’est assise. Les autres visionnaires ont commencé à parler d’autres choses, et j’ai arrêté tous les visionnaires. J’ai dit : « madame, où est ton mari ? Pourquoi tu as fait évader ton mari ? » Elle m’a dit : « C’est que euh… — tu as fait en sorte que ton mari prenne le chemin du monde qui ne connaît pas le retour. qu’est-ce qu’il t’a fait ? C’est sérieux comme ça ? » Pour répondre ça lui était très difficile, elle dit : « C’est vrai, c’est vrai, après on va en parler ». J’ai dit : « ta coépouse a perdu son premier enfant, deuxième enfant, troisième enfant. Pourquoi tu veux lui faire ça ? Pourquoi tout ça ? hein ! Est-ce que c’est bon ? » Elle a dit : « Continuez seulement et sauvez-moi ». Je dis : « toi-même qui es là, tu vois comme tu es malheureuse ? tu n’as pas d’enfant, tu n’as rien, tu vois comment tu souffres ? Alors si les enfants de ta coépouse étaient là, je suis sûr que ces enfants vont t’aider. maintenant tu n’as plus rien, tu n’as plus de mari, tu n’as plus personne. Et pourquoi tu déranges ainsi ta coépouse comme ça ? Laisse-la en paix ». vous voyez ? Est-ce que je ne lui ai pas dit qu’elle est sorcière indirectement ? mais je n’ai pas appelé le nom de la sorcellerie directement sur elle […]. J’ai dit à une

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Chapitre vi autre femme encore qu’elle est sorcière, indirectement encore. mais elle m’a dit : « Comment on va faire ? » Elle sait que je comprends tout d’elle, elle dit qu’elle ne veut rien me cacher puisque j’ai tout vu. que c’était son enfant qui était régulièrement malade, elle ne connaît plus de chemin que d’aller chez un charlatan qui était à côté d’eux. Et c’est ainsi qu’elle était partie un jour, l’homme lui a dit : « Avant que je ne puisse sauver ton enfant, il faut prendre ceci et l’avaler », et c’était une épingle qui était enfoncée dans une noix de cola blanche, et il lui disait de la mettre sous la langue. Le temps de mettre sous la langue, c’est rentré dans son ventre et elle s’est retrouvée parmi les gens de la nuit. que c’est comme ça qu’elle a eu la sorcellerie et c’est comme ça qu’elle se retrouve dans un monde chaque nuit au milieu des gens. que ce n’est pas elle-même qui a la volonté de prendre la sorcellerie, bon comment on peut faire pour lui enlever tout ça ?

il lui explique que ce n’est pas difficile pour lui de lui enlever la sorcellerie mais qu’il désire en parler d’abord au chargé paroissial, que les choses resteront entre eux trois et il lui donne une date pour qu’elle revienne afin qu’ils puissent faire la cérémonie. Elle ne se présente pas le jour dit mais il la rencontre plus tard dans la rue : Je lui ai dit : « mais pourquoi tu m’as joué ? Ce n’est pas ce qui avait été dit ». Elle me disait : « Fofo [grand frère], après on va se voir, il faut laisser tout ça après on va se voir ». tu vois ? tu vois comment elle a fait finalement ? Donc c’était sans doute lorsque je lui faisais la vision que les gens l’ont vu. Ces gens-là, les sorciers, comme ils nous ont vus et qu’ils la tenaient déjà, ils lui ont dit de faire attention… [ils l’ont menacée de mort si elle retournait voir le visionnaire].

Comme je lui demande pourquoi il n’a pas fait la cérémonie, la première fois qu’elle était venue, il me répond : tu crois que moi en voulant ôter la sorcellerie d’un sorcier, moi, je vais me présenter comme ça pour enlever la sorcellerie ? Non, moi, je vais consacrer quelques jours à la prière, à demander à Dieu et aux anges ce qu’il faut faire, comment faire et tout ça. Et vu mon expérience spirituelle, il y a certaines choses que je fais en plus de ce que Dieu va me dire de faire… Puisque Dieu m’a souvent révélé des cas comme ça, que j’ai déjà eu l’expérience, les anges m’ont dit : « Garde ça là, prochainement c’est comme ça que tu feras ». Donc j’ajoute cela à ce qu’on va me révéler […]. La sorcellerie même, c’est dans nos villages au bénin. un jour il y a une femme qui vient des états-unis, la femme était venue me voir par l’intermédiaire d’un ami et je lui ai fait la vision. Elle devait rentrer après quelques jours mais c’était impossible, elle ne pouvait plus partir alors que tous ses biens sont aux états-unis, avec ce que les gens ont mis sur elle, elle ne sait même pas ce qui bloque la situation. moi je lui ai fait la vision et j’ai vu que c’est les sorciers qui l’ont déjà entourée, elle ne doit plus partir. Et son oncle était à la base de tout ça. bon, je lui ai dit : « Je vais t’amener, on va te faire certaines prières de combat. il faut accepter qu’on fasse ces choses-là ». Elle est d’accord, elle a acheté tout ce qu’il faut acheter pour faire cette prière de combat. Parce qu’elle est possédée premièrement par mami Wata, d’abord il y a ça, deuxièmement il y a la sorcellerie même de sa famille. Pourquoi ? Parce que lorsque cette femme est venue au pays, elle a dit : « Non, la maison de mon père ne va pas rester comme ça ». Elle est partie construire dans le village, là ou son père reste régulièrement. C’est pour cela, si elle ne repart pas, est-ce qu’elle va trouver encore de l’argent pour venir faire des choses pareilles ? Donc, il faut lui bloquer le chemin.

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Le visionnaire et son reporter Le jour prévu pour la cérémonie, la femme ne se présente pas. Plusieurs mois plus tard, elle revient le voir et il apprend qu’elle a été voir son père pour le saluer : Et c’est son père qui lui a dit : « va voir ton oncle, je lui fais tellement confiance et puis il peut t’aider ». C’est pourquoi elle m’a laissé et qu’elle est partie. tu sais ce que son oncle lui a fait une fois arrivée là-bas ? L’oncle a dit : « Oh, oh, oh, on va te sauver ma fille ». Alors que c’est cet oncle-là que j’ai vu en vision qui est à la base de tous les problèmes. L’oncle lui a rasé tous les cheveux et lui a fait un fétiche, tous les jours elle doit mettre de l’huile rouge dessus et mettre des trucs-là autour de tout ça. Si elle ne fait pas ça, elle va mourir. Elle est revenue à Cotonou avec ce fétiche et tout ce que l’oncle lui a fait. J’ai dit : « bon c’est grave ; c’est grave ce que tu as fait. Ah ! tu as encore aggravé la situation ».

La femme accepte de nouveau que des cérémonies soient faites. Le jour où on devait enlever la mami Wata qui est autour d’elle, il y a déjà des choses qui se passent, ma voiture est gâtée, ma moto est gâtée. Elle était au rendez-vous, je devais aller la prendre en voiture : je ne pouvais pas, j’allais prendre ma moto : je ne pouvais pas. bon, il était nuit totalement, j’ai dit « Avortons ça, on va le faire après ». Deux ou trois jours après, la voiture ne pouvait pas être arrangée vite alors j’ai pris la moto pour la mettre dessus. On allait avec la moto quand tout ce qu’on a acheté pour la cérémonie s’est renversé sur la voie et une voiture est passée dessus, on n’a rien pu récupérer. Après j’ai dit à un ami de m’accompagner avec sa moto, on est reparti donc on a repris les choses et on a été faire la cérémonie. Elle est sauvée, puis j’ai fait la prière de combat contre la sorcellerie, tout ça et puis je l’ai protégée et elle a été sauvée. quelques mois après elle est revenue me voir et elle m’a dit : « Fofo, je suis vraiment sauvée, et avec tout ce que tu m’as fait, je vois un grand changement dans ma vie ».

On remarque qu’aujourd’hui dans l’église la grande majorité des visionnaires sont des femmes, ce qui n’a pas toujours été le cas. J. W. Fernandez, qui a étudié l’église en 1966, au bénin et au togo, remarque que les visionnaires hommes sont plus nombreux que les femmes car, lui dit-on, les femmes n’ont pas assez de force pour lutter contre les sorciers. malgré l’accroissement de leur nombre, cette opinion a toujours cours et on leur demande rarement de participer à une prière de combat. hervé commente ainsi la force des sorciers : il faut comprendre que les sorciers aussi ont une vision hein ! Les sorciers ont la vision, ils voient tout aussi. bon, eux-mêmes savent que ceux-là sont en train de traiter avec moi, avec un visionnaire, avec quelqu’un d’aussi puissant. Et ils sont en train de nous guetter, parce que ce que vous avez fait là ça va les gêner. tu veux faire les choses pour leur ôter leur proie. Eux autres, ils ont mis leur chose là pour bouffer, toi tu veux aller leur prendre ça. Supposons que toi, tu fais ton repas de midi, que tu le poses sur la table, c’est pour manger tout à l’heure et quelqu’un vient t’arracher ça. tu es contente ? Ah, non tu vas t’énerver d’abord. C’est le cas. La femme-là, un programme était déjà établi dessus et ils doivent bouffer la femme et toi tu viens les contrecarrer pour leur enlever ça. ils ne seront pas contents. il faut prier beaucoup pour ne pas te laisser atteindre. C’est comme ça. Sinon nous-mêmes nous rencontrons beaucoup de choses, des retours de force du mal qui reviennent tomber parce que vous aviez sauvé telle ou telle personne. il y a tout ça là qui nous suit mais c’est par la grâce de Dieu qu’on s’en sort. moi, j’ai été faire la prière de combat à quelqu’un et j’ai failli mettre ma femme et mon enfant là-dedans.

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Chapitre vi Le thérapeute céleste a en commun avec celui de la tradition de reconnaître que tous les malheurs de l’homme proviennent de ses relations avec les autres mais, loin d’inviter le patient à chercher à démêler dans le réseau de ses liens celui dont la rupture a provoqué le malaise, il le traite par un rite dont une partie de l’efficacité emprunte aux procédures de la médecine occidentale. muni de son “ordonnance”, le patient passif viendra recevoir une prière, boire de l’eau bénite ou s’allonger dans le temple comme il pourrait avaler un comprimé ou prendre place sur une table d’opération. Les rites auxquels on soumet le malade, qui visent principalement à le laver et à le “vider” de toutes les influences mauvaises 35 dont il est imprégné pour ensuite le “remplir” d’effluves divins, tendent certes à le “guérir” mais plus encore à le convaincre que s’il veut acquérir une véritable maîtrise de son destin, s’il ne veut plus être agi par les autres mais à son tour agir sur les autres et pour les autres, il doit rejoindre le rang des “purs”, des “oints”, le rang de ceux qui ont reçu la ‘‘force’’. À l’intérieur de la communauté, les relations que les fidèles entretiennent avec les visionnaires (en tant que devins ou thérapeutes) varient grandement selon les individus. Certains, considérant que l’assistance aux cultes et l’obéissance aux préceptes de l’église les mettent à l’abri de tout problème, se targuent de ne jamais faire appel aux visionnaires. Néanmoins, un woli pouvant toujours recevoir un “message” les concernant en dehors de toute sollicitation, ils auront à décider s’ils doivent ou pas en suivre les prescriptions. Dans ce cas, c’est bien souvent en considérant l’ordre hiérarchique et la réputation du visionnaire qu’ils en jugeront. D’autres, au contraire, ne prennent pas une décision sans avoir au préalable consulté plusieurs visionnaires. Par ailleurs, les woli les plus estimés et les plus expérimentés, de leur propre chef ou parce qu’ils sont sollicités, jouent souvent le rôle de guide spirituel pour de jeunes paroissiens, surtout quand ces derniers aspirent à devenir eux-mêmes visionnaires. Les conseils de ces “maîtres” ne se limitent pas à la conduite de la vie spirituelle mais peuvent influencer fortement la vie de leurs “disciples”, par exemple dans le choix d’un conjoint ou d’une orientation professionnelle.

35. qu’il soit considéré comme une victime ou comme la source du mal qui l’affecte, le patient est traité de la même façon, la thérapie céleste n’est pas culpabilisante.

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ChApitRE vii NAÎtRE Et mOuRiR EN ChRétiEN CéLEStE Comme les églises missionnaires, le Christianisme Céleste distribue des sacrements qui ponctuent le cycle de vie de ses fidèles. i. La sortie d’enfant Nommer un nouveau-né et le présenter à la communauté familiale font partie des rites auxquels les sociétés du sud bénin accordent une grande importance. Le détail des cérémonies coutumières varie selon les familles mais, chez les Gun, trois cérémonies principales sont en jeu. L’une est l’agbas&a qui est la recherche par la divination de Fa du j`Ot&O de l’enfant, c’est-à-dire de l’ancêtre ou du vodun qui l’a formé et lui a donné son destin particulier. Elle peut être célébrée avant même la naissance de l’enfant si des complications marquent la grossesse de la mère, en quel cas le prénom choisi pour l’enfant pourra rappeler la puissance formatrice, mais elle peut aussi ne prendre place que plusieurs mois ou plusieurs années après la naissance. La sortie de l’enfant (v$I∂et`On) s’accomplit, chez les Gun, le neuvième jour après la naissance pour un garçon, le septième jour pour une fille 1. Lors du v$I∂et`On, l’enfant est présenté à la communauté familiale, il reçoit des souhaits de bonheur et de prospérité, des nourritures lui sont présentées et portées à sa bouche. Elles sont ensuite jetées dans deux trous entre lesquels la mère et l’enfant sont assis. Ces excavations sont bouchées à la fin de la cérémonie pour conjurer la mort 2. C’est au cours de cette cérémonie que le père « énonce, explique et impose le nom qu’il a choisi pour son enfant » 3. Ce nom fait exister l’enfant qui « porte à son insu la marque que ce nom imprime, qui n’est au fond que l’empreinte sur sa personne du chemin s&ElI` par lequel son s&E est passé en vue de son existence » 4. Le troisième rite est la présentation de l’enfant à la lune (s`unk&unk&un), il permet à la mère et à l’enfant de sortir de l’espace de la maison, il s’exécute à la nouvelle lune qui suit la sortie de l’enfant et est parfois répété aux deux lunes suivantes. Les Yoruba procèdent à des cérémonies très similaires ; t. m. ilesanmi 5, qui les décrit rapidement, donne une liste des divers aliments qui sont présentés à l’enfant (eau, sel, miel, kola, huile de palme, vin, poisson) en même temps que l’on prononce son nom. il signale que des adaptations chrétiennes du rite de sortie d’enfant ont été faites qui n’en dénaturent pas l’esprit. Nous allons décrire le rite céleste de sortie d’enfant tel que nous l’avons vu pratiquer à Sikècodji. Généralement, la cérémonie est célébrée par le chargé spirituel. étant donné le grand âge du chargé de Sikècodji, cette fonction était confiée, le

1. P. saulnier, Noms de naissance. Conception du monde et système de valeurs chez les Gun au SudBénin, SmA, Lyon 2001. 2. P. saulnier, op. cit., p. 24. 3. m. Quenum, Au pays des Fons. Us et coutumes du Dahomey, maisonneuve et Larose, Paris 19833, p. 115. 4. b. t. kossou, SE et GBE. Dynamique de l’existence chez les Fon, La Pensée universelle, Paris 1983, p. 183. 5. t. m. ilesanmi, « Naming Ceremony Among the Yoruba », Orita Xiv, ibadan 1982, p. 108-119.

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Chapitre vii plus souvent, à un visionnaire devenu en quelque sorte un spécialiste en matière de sorties d’enfant. La cérémonie constitue un culte en elle-même et ne peut pas être intégrée au culte dominical ou à un autre culte régulier. Elle doit être impérativement célébrée le huitième jour suivant la naissance de l’enfant 6 et a donc souvent lieu dans l’après-midi d’un jour de semaine. Le fidèle qui la demande pour son enfant peut ainsi facilement juger, en fonction du nombre de personnes qui assistent au rite, de sa popularité ou de l’importance que les paroissiens lui accordent. bien souvent les devanciers ne sont pas assez nombreux pour que certaines séquences, telles que l’ordre du culte béninois les prescrit, soient convenablement exécutées. C’est en particulier le cas de la prière de sept devanciers qui était souvent omise dans les performances auxquelles nous avons pu assister. Enfin, le rituel célébré par l’église nigériane diffère sur plusieurs points de celui que nous allons décrire. Certaines différences ne sont que de détail mais une concerne la phase centrale du rite. Nous n’avons jamais assisté nous-même à ce rite au Nigeria, la description qu’en donne Afeosemine Adogame 7 diffère de celui que prescrit l’ordre du culte nigérian. Dans le rite béninois (version Sikècodji) le prénom de l’enfant, ou le plus souvent plusieurs prénoms sont choisis par les parents et communiqués au conducteur du culte (le visionnaire dont nous avons parlé). Au moment de la nomination qui est répétée trois fois, il peut advenir que le conducteur énonce les différents prénoms la première fois et pour les fois suivantes n’en dise plus qu’un. Ce fait sera interprété comme le signe que ce prénom est celui choisi par Dieu, et c’est celui que l’enfant portera dans le cadre de l’église mais pas forcément chez lui ou dans d’autres contextes, par exemple quand il ira à l’école. L’ordre du culte nigérian dit que l’enfant est nommé par sept devanciers qui, à un moment donné du culte, se lèvent pour annoncer les noms que l’Esprit Saint leur a communiqués. Adogame dit que l’enfant est nommé par le visionnaire qui porte l’enfant et qui se trouve alors “en esprit”. On pourrait penser que la manière nigériane de procéder désiste le père d’une de ses fonctions essentielles dans sa relation à l’enfant pour lui substituer l’autorité de l’église mais une telle considération doit être relativisée, car la plupart des enfants portent différents noms qui sont utilisés dans des cadres différents (chez lui, à l’école, à l’église, etc.). À l’heure choisie, la famille de l’enfant se présente à la paroisse. La mère restera à l’extérieur car elle est sous le coup de l’interdiction qui frappe pendant quarante jours les femmes qui relèvent de couches. il a été demandé à la famille d’apporter sept sortes de fruits, du sel, du miel et un paquet de bougies. La chorale a été convoquée car cette cérémonie doit être particulièrement joyeuse et animée. Dans le temple, une chaise a été disposée dans l’allée centrale au niveau du premier rang de sièges. Les fruits apportés par la famille sont posés à côté de la chaise, ainsi qu’une petite table sur laquelle sont disposés trois récipients contenant l’eau, le sel et le miel. un devancier dispose 7 bougies debout collées sur un plateau (ou dans une bassine) en émail 8 qu’il apporte à l’entrée du temple. Le conducteur va

6. L’ordre du culte nigérian signale que si l’enfant ne peut pas être amené au temple ce jour-là, la cérémonie doit quand même être célébrée, le nouveau-né sera représenté par une bougie entourée d’un linge d’autel blanc. 7. A. u. aDoGame, op. cit., p. 165-69 8. Certaines paroisses disposent d’un chandelier spécial rond et plat pour sept bougies, qui est posé sur le plateau ou dans la bassine.

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Naître et mourir en chrétien céleste à l’entrée du temple où attend la famille ainsi que les autres officiants. il asperge l’enfant avec de l’eau bénite puis l’encense et fait une courte prière de sanctification. il prend ensuite le bébé, qui a été revêtu d’une petite robe de prière, et le remet à une visionnaire 9. Le devancier qui va porter le plateau de bougies en allume trois sur les sept. une procession s’organise. Le conducteur en prend la tête. il est suivi du porteur de plateau de bougies, puis vient la visionnaire qui porte l’enfant, puis celui qui porte l’encensoir, suivent les fidèles et la famille. Sur un rythme enjoué, la chorale entonne le cantique suivant (n° 27 gun) : Rendons grâce à Dieu ! (quatre fois) refrain : Les bienfaits dont Dieu nous a comblés quel homme peut les énumérer ? (bis) Rendons grâce à Dieu !

Les couplets disent, selon la même structure enchâssant le refrain dans leur répétition : 2. tous ensemble, prions ! 3. Réjouissons-nous frères ! 4. mettons-nous à l’œuvre !

La procession entre dans le temple, la famille et la plupart des fidèles s’assoient, tandis que le conducteur, le porteur de plateau, le visionnaire, le thuriféraire et quelques fidèles font, en chantant et en dansant, sept fois le tour de la chaise. La visionnaire portant l’enfant s’assoit sur la chaise. Le responsable du plateau le pose à terre à côté de la chaise, et allume les quatre bougies restantes. Le conducteur entre à l’autel et le culte commence par la série de trois fois trois coups de clochette. La cérémonie suit les grandes lignes du culte dominical, et nous ne signalerons que les différences. Le psaume 24 n’est pas lu, à la place le conducteur lit le psaume 128 qu’il introduit par l’invocation du saint nom Eliya. Ce psaume célèbre l’homme qui marche dans les voies de Dieu et qui verra son travail prospère, sa femme féconde, et les fils de ses nombreux fils. Après un cantique, le conducteur invoque le saint nom de Jerimo Yama et lit le psaume 113 qui loue la divinité « qui donne une maison à celle qui était stérile » et en fait « une mère joyeuse au milieu de ses enfants ». il fait dire ensuite la prière par trois personnes qui demandent prospérité, sagesse et longévité pour l’enfant. Après un nouveau cantique, le conducteur invoque Jehovah Jireh et lit Luc 2, 21-32 (présentation de l’enfant Jésus au temple) puis il prononce une courte prière. il ne sera pas procédé à d’autres lectures bibliques, ce texte inspirera la prédication. Après la prière qui suit la prédication, le conducteur prononce trois fois le saint nom Jehovah Jeko Rami, puis lit Deutéronome 28, 1-14 10, et invite, si les devanciers sont assez nombreux, à une prière de sept personnes. Le conducteur s’approche de l’enfant pour la phase de nomination. il prend le bol d’eau, se tourne vers l’autel et présente le bol. il se retourne vers l’enfant,

9. Selon l’ordre du culte nigérian, le bébé doit être porté par un visionnaire du même sexe que l’enfant que le conducteur aura préalablement sanctifié en l’aspergeant d’eau bénite et en dessinant un signe de croix sur les paumes de ses mains. 10. Ces versets évoquent toutes les bénédictions qui combleront celui qui obéit aux commandements de Dieu.

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Chapitre vii trempe son index dans l’eau et en dépose une goutte sur les lèvres de l’enfant. il le fait trois fois de suite. En même temps il prononce le nom de l’enfant et dit une phrase de ce type : « (nom de l’enfant), l’eau est source de vie, ta vie sera douce et heureuse. Je te donne cette eau au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit ». il répète les mêmes opérations pour le sel et pour le miel. Le conducteur fait ensuite une prière pour le nouveau-né. Pendant que la chorale entonne un chant d’animation, les assistants se lèvent, forment une file qui passe devant l’enfant. Chacun goûte au sel et au miel, dépose une offrande d’argent dans un plateau déposé à cet effet et choisit un fruit. une devancière prononce la prière finale. Le devancier le plus gradé se place face à l’enfant et le bénit. L’assistance prononce sept “alléluia”. Le conducteur prend une bougie sur le plateau et la plonge dans le bol d’eau. L’eau et la bougie seront remises ultérieurement à la mère afin qu’elle expose l’enfant à la lueur de la bougie et qu’elle mêle un peu de l’eau à celle du bain de l’enfant. L’assistance sort de la paroisse, devant le portail la mère attend. La famille se place derrière elle, la mère se met à genoux, un officiant déverse le plateau d’argent dans un linge qu’elle tend devant elle, puis un autre prend l’enfant des bras de la visionnaire qui le portait et le rend à la mère. De nombreuses photos sont prises de l’enfant, de la famille et des fidèles. ii. Le mariage « Le Christianisme Céleste célèbre le mariage » déclare Lumière ; néanmoins c’est une cérémonie peu prisée et, durant nos différents séjours au bénin, nous n’avons jamais eu l’occasion d’assister à ce rite qui, s’il faut en croire Roger Koudoadinou, n’a été célébré que cinq fois depuis que l’église existe au bénin 11. La raison d’une telle désaffection est que, considéré comme un vœu de fidélité, le mariage religieux oblige celui qui s’y soumet à « se limiter strictement et rigoureusement au partenaire que l’on a choisi, et ceci, jusqu’à la mort ». Et l’auteur que nous citons de commenter : Ainsi, donc, les devanciers de l’église, qui en matière de mariage ne sont pas toujours des exemples, se soucient le moins du monde d’éduquer, d’inciter les fidèles vers ce sacrement. De leur côté, les fidèles ne se plaignent pas de cette liberté tacitement instaurée dans notre église en matière matrimoniale. Résultat : toute la congrégation (du sommet à la base) végète dans un libertinage matrimonial indescriptible.

L’église accepte en son sein monogames et polygames. Lumière commente : En effet, nous pensons que le contact avec la vérité évangélique rendra meilleurs aussi bien les uns que les autres. Car prétendre que la fidélité au vœu de mariage est essentielle alors que la plupart des mariés vivent en concubinage notoire avec d’autres femmes nous semble une hypocrisie (Lumière, p. 33).

Comme nous l’avons déjà signalé à propos de la polygamie de leur fondateur, tous les Célestes sont capables de citer les passages bibliques qui peuvent justifier la monogamie ou au contraire le fait d’avoir plusieurs épouses. Le droit coutumier qui, au bénin, coexiste avec le code civil, reconnaît le mariage religieux chrétien

11. R. kouDoaDinou, « un exemple à suivre », La dernière barque 9, Cotonou 1995, p. 7.

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Naître et mourir en chrétien céleste comme une union monogamique 12 et concède à l’épouse le droit de réclamer des dommages et intérêts si le mari prend une autre femme. Commentant ce point, l’historien Abdou Serpos tidjani, écrit : « Je ne sais si ce n’est pas aller à l’encontre du but proposé : il y aura moins d’unions religieuses un point c’est tout » 13. Au-delà de ce problème, il faut noter que, en dépit de l’évolution des mœurs, le mariage reste, plutôt qu’un contrat entre deux individus, une affaire qui lie deux familles et qui s’accomplit suivant un processus. Selon les “collectivités” familiales les règles suivies peuvent varier mais le mariage connaît au moins trois étapes : la “connaissance des familles”, la petite dot et la grande dot. Le mariage civil et/ ou religieux ne peut normalement intervenir qu’une fois ces trois seuils franchis, ce que les difficultés économiques ou les prétentions extraordinaires de certaines collectivités familiales en matière de dot retardent souvent 14. beaucoup de jeunes femmes qui cohabitent avec leur époux et en ont des enfants ne se considèrent pas véritablement mariées tant que la grande dot n’a pas été versée. Pour cette raison, au moindre problème survenant dans le couple, elles retournent vivre chez leurs parents. Si ces allées et venues se répètent, elles aboutissent souvent à des séparations définitives. À l’inverse, d’autres, qui ont en tête aussi bien les idées pauliniennes sur le couple que celles sur “l’amour” véhiculées par les feuilletons télévisés brésiliens, se croient mariées dès qu’elles ont une relation sexuelle et se trouvent très démunies quand leur partenaire en épouse une autre ou les abandonne parfois avec un enfant. D’une façon générale ni la loi ni l’opinion ne protègent beaucoup les femmes contre le machisme masculin. Des propos que tiennent tant les jeunes femmes que les jeunes hommes sur ce sujet se dégage souvent le sentiment d’une guerre des sexes généralisée où chacun s’efforce d’obtenir le maximum de l’autre en lui cédant le minimum 15. iii. Les rites funéraires Comme le mariage, les funérailles sont l’affaire d’une collectivité et engagent des individus et des familles dont les appartenances religieuses sont bien souvent diverses. Si l’église interdit strictement à ses membres d’assister aux funérailles traditionnelles et à plus forte raison de les organiser 16, il n’en va pas de même en ce qui concerne les rites célébrés par les autres dénominations chrétiennes. il s’en suit selon l’expression que Joël Noret emprunte à Anselm Strauss un “ordre négocié” des funérailles entre les divers partis en présence 17.

12. Le coutumier considère également comme renonciation à la polygamie le fait de spécifier dans l’acte de mariage civil le désir de constituer un ménage monogame. 13. A. serPos tiDjani, Notes sur le mariage au Dahomey, éditions Nouvelles du Sud, ivry-sur-Seine 1998, p. 55. 14. Récemment, il a été procédé à une réforme du droit de la famille. La loi du 24 août 2004 sur le « code des personnes et de la famille » combine dans un texte unique l’ancien droit d’origine occidentale et coloniale et les règles coutumières. Cette loi déclare que « la dot a un caractère symbolique ». 15. L’article de C. viDal « Guerre des sexes à Abidjan. masculin, féminin, CFA », Cahiers d’Études Africaines 65/Xvii (1978), p. 121-153, s’applique parfaitement au bénin d’aujourd’hui. 16. Ce fait peut poser de graves problèmes de conscience à un fils aîné dont le père meurt, surtout s’il est le seul à pouvoir conduire les funérailles. 17. Pour une analyse détaillée de ces questions, voir J. noret, op. cit., et J. noret, « Autour de ceux qui n’existent plus. Deuil, funérailles et place des défunts au Sud-bénin », thèse de doctorat en anthropologie uLb-EhESS, 2006.

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Chapitre vii Les Célestes béninois célèbrent les funérailles de leur mort en trois phases : l’enterrement au cimetière, une messe de huitaine et une messe du quarante et unième jour. Comme dans toutes les églises aladura, le cercueil n’est jamais introduit dans le temple, le cadavre étant considéré comme impur. Les troisième, cinquième et septième soirs suivant l’enterrement est organisée au domicile du défunt ou à la paroisse une veillée de prière. un an après l’enterrement, et à chaque fois qu’un fidèle ou plusieurs fidèles ensemble en manifestent le désir, peuvent être organisés des cultes de requiem pour les morts en question. La nature des rites montre une nette influence du catholicisme. Au Nigeria, où pourtant toutes les appellations des cérémonies ont été adaptées en yoruba, les cultes de requiem (qui sont identiques à la messe de huitaine et du quarante et unième jour) sont appelés amisa, du terme catholique “messe” dérivé du latin 18. Le catafalque, qui est l’objet central de ces cultes, est également appelé catafa. L’église nigériane ne suit pas le même schéma temporel que l’église béninoise. L’ordre du culte nigérian stipule que, deux ou trois jours avant l’enterrement, doivent être organisées au domicile du défunt des veillées (wake-keeping) ou “cultes de cantiques”. Après l’enterrement, pendant sept jours les fidèles allument une bougie et prient dans la chambre du défunt. L’ordre des cultes de requiem est donné sans qu’il soit indiqué de date ou de périodicité pour leur célébration. Jeffrey Carter écrit qu’un culte de requiem a lieu un dimanche, approximativement quarante jours après l’enterrement, et ensuite éventuellement tous les ans suivant le désir des familles 19. Afeosemime Adogame signale que des sorties de deuil (funeral outings) peuvent être organisées le huitième et le trente-neuvième jour, sans les lier au culte de requiem qu’il décrit par ailleurs 20. Ces différences montrent que le calendrier des rites funéraires est essentiellement modulé en fonction d’un contexte national et du poids respectif qu’y pèsent les différentes religions monothéistes. Ce fait doit inciter à la prudence dans l’interprétation de cette temporalité. La reconstruction à laquelle se livre Albert de Surgy, que nous citons ci-après, correspond peut-être – encore que nous en doutions fort –, aux conceptions de certains fidèles portés aux spéculations théologiques mais ne saurait être présentée comme celle de l’église : À l’issue des trois veillées qui, débutant le troisième jour en mémoire de la résurrection du Christ, ont célébré le franchissement du triple seuil de départ du mort vers l’au-delà, on cherche à célébrer, le huitième jour, la promesse d’entrée du défunt dans le royaume de Dieu, au moment où le voici installé définitivement dans la mort, puis, le quarante et unième jour, en mémoire de l’ascension du Christ, la réalisation de cette promesse à l’issue d’un cycle complet d’évolution (traditionnellement symbolisé par le nombre 40) autrement dit une certaine forme d’ancestralisation 21.

Pour différentes raisons, telle celle qui vient d’être citée, les auteurs qui traitent des funérailles chez les Chrétiens Célestes soulignent volontiers une forme de continuité entre les rites célestes et les rites funéraires traditionnels. Nous ne partageons pas cette opinion, bien au contraire nous pensons que ces rites manifestent une rupture profonde avec la coutume. Les cérémonies funéraires traditionnelles

18. J. Carter signale que beaucoup de fidèles nigérians s’imaginent que le terme amisa est un mot en langue des anges (J. D. carter, op. cit. p. 324). 19. J. D. carter, op. cit., p. 324. 20. A. u. aDoGame, op. cit., p. 172. 21. A. de surGy, op. cit., p. 129.

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Naître et mourir en chrétien céleste varient sensiblement selon la région d’origine et même selon les lignages d’une même région, mais toutes comportent un ensemble de séquences rituelles que l’on peut résumer ainsi selon leurs finalités : – traitement de la dépouille et de l’âme du mort différent selon le statut du défunt (âge, sexe, appartenances à divers cultes, etc.) et/ou la nature de son décès ; – traitement des affaires du mort ; – traitement des survivants (orphelins et veuves) ; – ancestralisation selon un processus qui se caractérise par sa complexité et sa longueur et qui aboutit à la création d’un autel (d’une nature variable). Aucun de ces traits ne se retrouve dans les funérailles célestes, ce qui ne veut pas dire qu’un certain nombre de croyances et d’attitudes traditionnelles envers les morts (ou envers la mort) ne continue pas à avoir cours mais en ce domaine ; il faut soigneusement distinguer les opinions individuelles (très variables selon le milieu dont est issue la personne) des positions de l’église telles qu’elles peuvent être dégagées de l’effectuation des rites. La paroisse du défunt organise les rites funéraires 22 et participe aux frais qui seront engagés, mais néanmoins la plus grande part de cette dépense échoit à la famille. Les Chrétiens Célestes, en principe, font partie de ces communautés qui désapprouvent l’excès d’ostentation et de frais engagés pour les funérailles, néanmoins, en pratique, ils sont les premiers à trouver de bons prétextes pour céder à cette escalade dans la pompe. Par exemple, peu de Célestes ignorent le prix qu’a coûté le cercueil de leur pasteur fondateur (offert par un fidèle américain) et tous s’en trouvent fiers. 1. L’enterrement Entre le moment du décès et celui de l’inhumation, il s’écoule une période de temps variable pendant laquelle, en milieu citadin, le corps est déposé à la morgue 23. très tôt le jour choisi pour l’enterrement, le corps est ramené à la maison mortuaire. Auparavant, à la morgue, il a été habillé avec les vêtements que les parents ont apportés, en l’occurrence la tenue céleste portant tous les attributs du grade du défunt. Avant l’entrée du cercueil dans la maison, une femme jette de l’eau sur le seuil 24. Le cercueil ouvert est déposé sur un lit ou un dispositif quelconque qui le surélève, dans une pièce qui va servir de chambre mortuaire et qui est décorée en conséquence. La pièce entière est souvent tendue de dentelle blanche ou de couleur pastel, la photo du défunt en pied 25 entourée de couronnes et de fleurs artificielles est posée devant le cercueil 26. Les devanciers qui vont conduire le culte allument deux bougies, l’une à la tête du mort, l’autre aux

22. Si le défunt était un personnage estimé ou important dans l’église, d’autres paroisses se trouveront engagées dans l’organisation des funérailles. 23. Sur ce sujet, on peut lire les excellentes analyses de J. noret, op. cit., et J. noret, « La place des morts dans le Christianisme Céleste », Social Compass 50/4 (2003), p. 493-510. 24. Si ce geste est toujours accompli, il ne fait pas partie des prescriptions de l’église. On l’exécute avant d’introduire dans la maison une personne qui pourrait y apporter le trouble afin que la maison reste en paix, “fraîche” comme l’eau. 25. Les Célestes arrivés à un certain âge se font souvent photographier debout, en grande tenue, une bible à la main dans un décor de fleurs en prévision de cette image d’eux-mêmes qu’ils présenteront le jour de leurs funérailles. 26. Ces dispositions ne sont pas spécifiques aux Célestes.

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Chapitre vii pieds. Elles symbolisent, dit-on, les deux anges qui annoncèrent la résurrection de Jésus aux femmes venues au sépulcre (Luc 24, 1-8). Deux fidèles sont chargés d’encenser le cercueil et la pièce et de les asperger d’eau bénite, ils resteront dans la pièce jusqu’au départ du cercueil et exercent une surveillance sur tout ce qui s’y passe. L’encensement et l’aspersion seront répétés plusieurs fois. Durant la matinée, arrivent petit à petit les personnes qui vont suivre l’enterrement. Par petits groupes ou individuellement, elles vont se recueillir dans la chambre mortuaire. L’arrivée de la chorale ou d’autres fidèles est l’occasion de prières, de chants accompagnés par une fanfare. Après une dernière prière, le conducteur du rite ferme le cercueil qui est chargé par les fidèles et porté dans le corbillard pendant que la chorale chante et danse. un défilé de voitures s’organise qui va suivre le corbillard jusqu’au cimetière. Devant le portail du cimetière, un cortège se forme face au conducteur du rite qui tourne le dos à l’entrée. En tête vient l’officiant qui porte le crucifix, à côté de lui prennent place celui qui porte l’encensoir et celui qui porte l’eau bénite. viennent ensuite quelques grands devanciers, puis le cercueil encadré par les choristes. La famille et le reste des fidèles suivent. Le conducteur lit un extrait de l’évangile de Jean : Jésus lui dit : Je suis la résurrection et la vie. Celui qui croit en moi vivra, quand même il serait mort ; Et quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais. Crois-tu cela ? (11, 25-26).

Puis le conducteur se place devant le cercueil et le cortège s’ébranle, la chorale entonne alors un cantique qui ne se chante qu’en cette occasion et qu’elle répétera jusqu’à l’arrivée devant la tombe, ne s’interrompant que lorsque le conducteur lit un passage biblique 27 de circonstance : Nous venons au marché, Nous venons au marché en ce monde ! (bis) (cantique 226 gun)

un chant funèbre traditionnel fon dit : L’au-delà est la grande demeure, Ce monde-ci est un lieu de passage, de visite. L’empire des morts est la grande demeure, Ce monde-ci, un lieu de passage, de visite.

Paul hazoumé, qui le cite, ajoute 28 : Le Dahoméen dit aussi : « Nous sommes dans ce monde comme des gens venus dans une foire : nous regagnerons notre demeure – l’au-delà – quand nous aurons épuisé nos marchandises ou conclu nos affaires et au plus tard à la tombée de la nuit ». Ce qui signifie à la fin de notre vie terrestre 29.

27. Jean 14, 1-3, Job 19, 26-27 ou 1, 21, timothée 6, 7. 28. Paul hazoumé se demande si ces conceptions dites « traditionnelles » ne sont pas déjà marquées par le christianisme et l’islam. 29. P. hazoumé, « L’âme du Dahoméen animiste révélée par sa religion », Présence africaine Xiv-Xv (1957). Cité d’après Vodun, Présence africaine, Paris 1993, p 77.

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Naître et mourir en chrétien céleste La célèbre cantilène du prince Kondo 30 évoque la vie comme un temps d’épreuves, le prince la compare à un chemin jalonné de vicissitudes, à un mont escarpé et glissant, le chant continue ainsi : La vie est encore semblable à un marché : Le marché se fait et se défait. Au marché, mon frère, n’achète que pour ton avoir. Au vendeur qui crie : « viens et achète » ! tu seras sage et tu vivras longtemps en répondant : « Je ne dépense pas au-dessus de ce que j’ai reçu ». Au marché si tu convoites tout ce que tes yeux rencontrent, tu contracteras des dettes, la convoitise te perdra ; tu raccourciras tes jours. À ta mort les hommes s’écrieront : « il est mort ! … mais il n’a pas assez vécu ! il n’a pas été malade ». ta maladie, c’est le mésusage que tu as fait de ton bien ; il t’a rappelé aux portes de la mort. Le Dégbôto [douanier] examinera tes pieds et tu seras puni. […] Pourquoi voudrais-tu t’abréger la vie ? Prolonge, prolonge ta vie et jouis de ton reste ! La vie est semblable à un marché il suffit que l’on n’y dépense pas follement 31.

Ces maximes et chants traditionnels rappellent que la vie est brève et que celui qui ne sait pas se conduire abrège encore ses jours. Ceux qui, au contraire, se comportent avec sagesse en suivant les préceptes laissés par les anciens, succombent d’une bonne mort, au terme de leur temps, et grâce à leurs fils qui conduiront leurs funérailles, deviennent des ancêtres, tandis que les imprévoyants, refusés par le gardien des portes du pays de la mort, deviennent des âmes errantes 32. Les Célestes ont conservé l’image de la vie comme “marché” (une épreuve) et de l’audelà comme “maison” mais lui donnent un sens différent. On reprochait aux premiers chrétiens qui refusaient de suivre les cultes impériaux d’être des « étrangers ici-bas », tous les chrétiens sont des étrangers sur terre car le royaume de Dieu n’est pas de ce monde, leur maison est celle du Père où une place leur est réservée. Lumière, sans en donner l’origine, cite une phrase que les Célestes répètent volontiers : « Nous sommes dans le monde mais nous ne sommes pas du monde » 33. un cantique également toujours chanté pendant les funérailles dit :

30. Fils de Glèlè qui deviendra le roi Gbèhanzin et régna entre 1889 et 1894 jusqu’à la reddition du royaume d’Abomey aux Français. 31. m. Quenum, op. cit., p. 54-55. 32. P. mercier fait état d’une idée proche systématisée dans certains groupes yoruba : « ils disent que la durée de la vie d’un homme est fixée à l’avance ; mais il peut mourir prématurément ; ne pouvant pénétrer dans le monde des ancêtres avant d’avoir achevé sa vie, son âme doit errer ou bien, ayant trouvé une autre enveloppe charnelle, aller se fixer en un autre lieu pour attendre le jour de sa véritable mort ». P. mercier, Civilisations du Bénin, Société Continentale d’éditions modernes illustrées, Paris 1962, p. 264. 33. Le style de la formule fait penser à la seconde épître de Jean mais nous n’avons pu y retrouver exactement cette phrase.

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Chapitre vii Chez mon Père là-haut au Ciel, Nombreuses sont les demeures qui y sont 34. Jésus est là-bas, les anges sont là-bas Chantant le cantique saint Alléluia. Alléluia saint, alléluia saint Alléluia, alléluia, alléluia. (232 gun, trad. Yansunnu 272).

un autre cantique souvent chanté pendant les animations des veillées funéraires (mais qui n’est pas un cantique révélé et dont nous ignorons l’origine) dit : Je porterai la couronne de gloire quand je serai à la maison. Je me libérerai de mon fardeau quand je serai à la maison. Dans l’habit de gloire je dirai Les miracles de l’éternel quand je serai à la maison. Refrain : quand je serai à la maison, quand je serai à la maison, tous mes amers chagrins disparaîtront, quand je serai à la maison.

L’allusion à la couronne de gloire donne à penser que le chanteur ne sera « à la maison » que lorsqu’aura eu lieu le jugement dernier. La question se pose alors de savoir où se tiennent les âmes avant cet événement. Nous allons revenir sur ce sujet. Arrivé devant la fosse, le cercueil est déposé. L’assemblée se regroupe autour comme elle peut, car les tombes sont serrées et la place étroite. Les officiants encensent les alentours et les aspergent d’eau bénite, tandis que la chorale entonne le chant : travaillons pour la sanctification de nos âmes [gbigb`O], Pour que le Seigneur demeure en nous ! travaillons pour l’église de Jéhovah En vue de la Sainte Demeure ! travaillons pour la sanctification de nos âmes En vue de la grande demeure céleste ! Puisse le Seigneur descendre parmi nous, Afin que nous soyons sanctifiés ! que saint michel vienne nous délivrer Des tentations de ce monde, Afin que nous puissions vaincre Satan (Legba) Et travailler en toute espérance. En vain les hommes livrent leur corps Aux plaisirs éphémères de ce monde. il nous faut tous ensemble travailler,

34. Allusion à Jean 14, 2 : « il y a plusieurs demeures dans la maison de mon Père ».

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Naître et mourir en chrétien céleste tel que le Christ nous le demande. C’est ce qui nous vaudra la couronne de Gloire, Dont il nous a fait la promesse 35. (232 gun)

Le conducteur prononce alors une prière de demande de miséricorde et de rémission des péchés. La chorale entonne un nouveau chant : Ô Père, prends pitié ! Ce monde est vanité. Père très saint, Daigne venir nous sauver ! (228 gun)

Le conducteur lit le psaume 90 qui parle de la fragilité de l’homme, de la brièveté de sa vie et lui enjoint d’appliquer son cœur à la sagesse. La chorale chante un nouveau cantique, le plus souvent « Le Père a ordonné du haut des cieux et l’univers entier tremble » (241 gun) qui évoque la puissance de l’église, la proximité du Jugement dernier et appelle au repentir. une lecture biblique 36 est faite. On procède ensuite aux annonces qui consistent généralement à rappeler les noms des officiants et la suite du programme des obsèques. L’assemblée récite le credo. un devancier fait une prière puis prononce une prédication. Les thèmes abordés dans cette oraison sont évidemment en relation avec les circonstances et la prédication comporte toujours un hommage aux qualités du défunt. un devancier fait une courte prière sur la prédication. Le conducteur procède à la purification de la tombe en l’aspergeant d’eau bénite puis en l’encensant. Le cercueil est descendu dans la tombe. Les membres de la famille sont alors invités s’ils le désirent à faire une déclaration avant que ne soit procédé à la séquence rituelle de l’ “absoute”. Sur un rythme lent et dramatique, la chorale entonne le cantique spécifique des absoutes, révélé en langue des anges, et le chantera une seule fois : Bèlele aono bonono Bèlele aono bonono Mon mi seroba, rosana Micheli Sonni Bèlèle, aono bonono

pendant que le conducteur, sans changer de place, encense le cercueil 37. Le balancement de son encensoir doit dessiner une croix dans l’espace au-dessus du cercueil. Dans les rites qui suivront l’enterrement, il sera procédé à l’absoute avec quelques différences, en particulier la chorale répétera le cantique plusieurs fois en alternant la version en langue des anges avec celle en gun. L’opinion de beaucoup de Célestes est que la traduction en gun ne donne qu’une pauvre idée de la puissance spirituelle contenue dans les paroles de ce chant :

35. Ce cantique toujours chanté pendant les cérémonies funéraires n’en est pas spécifique, les Célestes le chantent en toutes occasions et on peut presque le considérer comme leur hymne. 36. Elle est choisie parmi les versets suivants : Apocalypse 14, 6-13, Jacques 4, 10-17, 1 Corinthiens 15, 12-22, 1 thessaloniciens 4, 13-18. 37. Au Nigeria, le cercueil est encensé depuis les quatre points cardinaux comme dans les cérémonies qui suivent l’enterrement.

231

Chapitre vii Allons vers le Seigneur ! Allons vers le Seigneur, Là-haut dans les cieux ! vers l’archange saint michel Frères, allons vers le Seigneur ! (225 gun)

Puissance qui n’est pas mince en effet, car quand on le chante, les anges descendent dans l’espace rituel pour aider l’âme du mort dans son voyage vers l’au-delà. michel Guéry écrit que « la prière pour les morts fait une grande place aux anges qui doivent venir marquer dans la tombe le front de celui qui est mort par un signe de lumière 38. mais cela s’intègre dans la lutte entre les anges de Dieu et les anges de Satan. C’est pourquoi la tombe, lieu de cette lutte, est soigneusement sanctifiée » 39. Avant d’en venir à cette âme et à son voyage, finissons avec le rite d’enterrement qui est proche de sa fin. Après l’absoute, le conducteur dit encore une brève prière et fait réciter le NotrePère. un Gloria est dit, puis le conducteur (ou le devancier le plus gradé) prend une poignée de terre qu’il jette sur le cercueil en disant : « Le sable pour le sable, la poussière pour la poussière, l’esprit pour l’esprit, on se verra un jour devant l’éternel » 40, puis il lui donne une bénédiction. On invite les proches parents à jeter un peu d’eau bénite sur le cercueil, certains des assistants qui étaient des amis du mort s’approchent de la tombe et de la main gauche y jettent un peu de sable. Puis l’assemblée se disperse et retourne vers les voitures pour revenir à la maison mortuaire. Dans la maison, la chorale exécute un chant, le conducteur fait à nouveau réciter un Notre-Père, dit un Gloria et une bénédiction est donnée par le devancier le plus gradé. Les Célestes considèrent que cette dernière prière permet d’habiter à nouveau la pièce que la présence du cadavre avait souillée 41. Après le rite, la famille sert un repas à tous les assistants. Les officiants et la chorale souvent accompagnée de quelques fidèles retournent ensuite à la paroisse où ils diront une dernière prière après s’être aspergés d’eau bénite 42. 2. L’âme et son devenir quelles conceptions ont les Célestes de l’âme et de l’au-delà ? voilà une question à laquelle il n’est pas facile de répondre, tant les opinions semblent incertaines 43 et

38. Nous n’avons jamais recueilli ce commentaire mais les notations de Guéry sont précieuses car, parmi ceux qui ont étudié le Christianisme Céleste, il est l’un des seuls à avoir côtoyé le fondateur et à l’avoir interrogé sur des points de doctrine ou de rituel. 39. m. Guéry, op. cit., p. 113. 40. Cette séquence avec la phrase qui l’accompagne n’a pas toujours existé. L’église nigériane ne l’observe pas et, au contraire, interdit de jeter du sable sur le cercueil. 41. Le réinvestissement de cette pièce pour l’habitat ne sera pas fait immédiatement après l’enterrement. 42. Pour certains cette ultime purification ne sera pas considérée comme suffisante et ils ne remettront pas la soutane qu’ils portaient sans l’avoir lavée auparavant. 43. « Les représentations qui ont trait au sort de l’âme sont par nature vagues et flottantes ; il ne faut pas chercher à leur imposer des contours trop définis », écrivait R. hertz dans « Contribution à une étude sur la représentation collective de la mort » [1928] dans R. hertz, Sociologie religieuse et folklore, PuF, Paris 1970, p. 1-83 (p. 10).

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Naître et mourir en chrétien céleste varient suivant l’origine des locuteurs. Les auteurs qui ont cherché à rendre compte des conceptions traditionnelles sur ces sujets en signalent tous le caractère peu systématisé et variable selon les personnes auxquelles ils s’adressent. Néanmoins, ils s’accordent sur un certain nombre de points dont Paul mercier fournit une excellente synthèse : Donc l’âme humaine, selon le Fon, comprend d’abord le djoto [naître/père], qui est l’ombre ou l’âme d’un ancêtre, que l’homme vivant [gbEt&O : vie/père] représente sur terre, et qui est un peu comparable à un ange gardien. On dit que l’ancêtre, sur l’ordre du tohouyio [ancêtre divinisé fondateur du clan], recueille l’argile avec lequel est façonné le corps [agbaz`a] de l’homme. Le djoto ne suffit pas à animer cette enveloppe. il y faut le sè, la force de vie, dont on dit que c’est le dieu Dan qui l’apporte sur la terre. Cette force de vie est quelque chose d’individuel mais ce n’est que temporaire : après la mort, elle rejoint la grande force de vie qui anime l’univers. On dit qu’elle est une part du grand Sè, que certains identifient à mahou, divinité créatrice mais qui était peut-être conçue autrefois de manière plus impersonnelle. Le tableau de l’âme est complété par deux autres éléments. il y a le sèlindon, qui est la personnalité, les qualités propres à chacun, et aussi le siège des sentiments et le véhicule du destin ; on peut dire que le kpoli, cette destinée individuelle que nous avons vu révélée par le devin de Fa, en est la manifestation. il y a enfin le yè, qui est littéralement l’ombre, la partie indestructible de l’individu. Le yè, au moment de la mort, devient invisible, et quitte le corps mais il en garde toujours la forme. C’est le yè qui reviendra, en qualité de djoto, animer plus tard un autre individu. Puisqu’il garde la forme du corps, cela explique qu’un enfant puisse ressembler à un de ses ascendants. Car le yè se réincarne toujours dans le même groupe de parents. Ainsi est assurée perpétuellement, de la façon la plus profonde, l’union des vivants et des morts qui, à eux tous, constituent le lignage 44.

Certains auteurs parlent encore d’une autre âme : le wEnsagùn, qui est l’ombre opaque proche du corps, alors que le yè est l’ombre claire et longue. Le wEnsagùn disparaît avec le corps. Les missionnaires catholiques ont utilisé ce terme pour désigner l’ange gardien. À la mort (k&u), et pour peu que les survivants leur aient assuré des funérailles, les défunts gagnent un pays appelé k&ut&om`E (mort/ pays/dans), yEt&om`E (esprit/pays/dans), l$On (au-delà) ou l$Ond$on (au-delà/là-bas), où ils coulent une vie présentée selon les auteurs comme identique ou comme plus agréable que celle qui fut la leur ici-bas. Ce pays est fréquemment situé au-delà de la mer, raison sans doute pour laquelle on enterre les morts la tête orientée vers l’océan (vers le sud). Les ancêtres, c’est-à-dire les défunts pour lesquels ont été célébrés les rites d’ancestralisation, sont installés dans l’espace des vivants et les protègent s’ils s’acquittent de leurs obligations envers eux par le culte qu’ils leur rendent ou bien s’en vengent s’ils se montrent oublieux. Dans certains clans (d’origine yoruba ou marqués d’un long voisinage avec les Yoruba), les ancêtres se manifestent aux vivants sous la forme de masques (&eg&ung&un en yoruba, k&uv&It&O en fon). Personnages dangereux couverts d’étoffes bariolées, les “revenants” déambulent et paradent dans les rues en certaines occasions rituelles et lors des funérailles des membres de ces clans.

44. P. mercier, op. cit., p. 270.

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Chapitre vii Les Célestes se référant avant tout à la bible, il nous semble utile de rappeler quelques notions de l’écriture sur ces sujets et la manière dont elles sont traduites dans les langues locales. La première conception de l’âme que l’on y trouve est celle de la Genèse. Dieu forma l’homme de la poussière de la terre et lui « souffla dans ses narines un souffle [ruah en hébreu] de vie » pour en faire un vivant (néphèch en hébreu) (Genèse 2,7). La bible gun traduit ce verset en utilisant le mot gbigb`O pour “souffle”45. une deuxième conception apparaît dans les écritures qui caractérise le principe de vie (également appelé néphèch), distinct du souffle, comme expression de la personnalité, siège de la pensée et des sentiments. Job dit que Dieu « tient dans sa main l’âme de tout vivant et le souffle de toute chair d’homme », la bible en gun traduit ce verset en utilisant l$$Ind$On pour “âme”, “gbigb`O pour “souffle”. Par contre, dans le verset 12 d’hébreux 4 qui parle du tranchant de la parole divine capable de « partager âme et esprit », le gun traduit “âme” par ayixà 46 et “esprit” par gbigb`O, tandis que le Nouveau testament en fon oppose pour le même verset l$$Ind$On (âme) à y`E (esprit). D’une façon générale, là où le fon utilise y`E, le gun utilise gbigb`O 47, l’Esprit Saint se dit gbigb`O wiw$e en gun (litt. ‘‘souffle blanc’’) tandis que le fon le traduit par y`EsinsEn (litt. ‘‘ombre/esprit vénéré’’). Dans le verset suivant de la première épître aux Corinthiens : « Lequel des hommes en effet connaît les choses de l’homme, si ce n’est l’esprit de l’homme qui est en lui ? De même personne ne connaît les choses de Dieu si ce n’est l’esprit de Dieu », “esprit” est traduit par gbigb`O dans la bible gun et par y`E dans le Nouveau testament fon. Pour autant, le gun n’ignore pas le terme y`E qu’il utilise par exemple dans le nom donné à Dieu : j`Ixw&eyEhw`e (ciel/esprit) 48. Dans l’Ancien testament, les morts vont au Chéol, au pays des morts, que le gun et le fon traduisent par k&ut&om`E (mort/pays/dans). Ce pays est un lieu ténébreux où les morts, qu’ils aient été bons ou mauvais de leur vivant, végètent comme des ombres, bien que la poussière dont ils ont été tirés soit retournée à la poussière et leur souffle au Dieu qui le leur avait donné (Genèse). C’est un lieu dont on ne revient pas, bien que la pythonisse d’En Dor soit capable de faire apparaître Samuel (1 Samuel, 28, 3-25). À l’époque du Deutéronome, l’idée d’une rétribution dans l’au-delà n’existe pas, c’est sur terre que les justes, ceux qui suivent les commandements de Dieu, sont récompensés par toutes sortes de bienfaits : le prolongement

45. Le dictionnaire Segurola-Rassinoux (qui est un dictionnaire de fon) traduit gbigb`O par “souffle, respiration, vie” (b. seGurola et J. rassinoux, Dictionnaire Fon-Français, SmA, madrid 2000, p. 214), mais le terme ne figure pas dans le dictionnaire de Segurola de 1963 ; il est probable que le terme s’est répandu en milieu fon par l’intermédiaire des Célestes. 46. « En fon, ayixà a plutôt le sens de réflexion, pensée. C’est, par exemple, le terme qu’on emploiera pour traduire l’idée que quelqu’un a “de la présence d’esprit” » (b. seGurola et J. rassinoux, op. cit., p. 140). La bible gun traduit beaucoup d’expressions, où apparaît en français le terme “âme”, d’une manière différente, par ex. l’âme de “j’élève à toi mon âme” sera rendu par le terme signifiant “cœur”, etc. 47. une séquence des rites d’ancestralisation gun consiste à renvoyer les souffles (gbigb`O) des défunts en cassant des poteries. Cf. m.-J. jamous, « Fixer le nom de l’ancêtre (Porto-Novo, bénin) », Systèmes de pensée en Afrique noire 13 (1994), p. 121-157. une phase analogue des rites fon renvoie le yè. Cf. b. aDoukonou, « Pour une problématique anthropologique et religieuse de la mort dans la pensée Adja-fon », dans y. k. bamunoba et b. aDoukonou (éd.), La mort dans la vie africaine, Présence Africaine, unesco, Paris 1979, p. 118-335. 48. j`Ixw&eyEhw`e (litt. j`I = haut, xw&e = maison, y`E = esprit, hw`e = petit) Dans la langue courante j`Ixw&e désigne le ciel, yEhw`e désigne aussi bien un esprit (au sens de divinité), un saint ou la prière.

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Naître et mourir en chrétien céleste de leurs jours, les bonnes récoltes, la fécondité, tandis que les méchants qui se détournent de Dieu connaîtront la souffrance, la stérilité et la mort prématurée (Deutéronome 28). Au fil des écritures, le Chéol se différencie, les méchants y connaissent une existence particulièrement pénible tandis que les justes peuvent espérer la résurrection à une vie nouvelle. Le psalmiste affirme : « Dieu sauvera mon âme du séjour des morts car il me prendra sous sa protection » (Psaumes 49,16), verset traduit dans la bible gun en utilisant le terme ayixà pour “âme”. Le prophète Daniel prédit qu’aux temps messianiques « Plusieurs de ceux qui dorment dans la poussière de la terre se réveilleront, les uns pour la vie éternelle, et les autres l’opprobre, pour la honte éternelle » (Daniel 12, 2). Avec le Nouveau testament, l’homme est clairement doté d’un corps mortel et d’une âme immortelle (psyché en grec), le sort des bons et des méchants est nettement distingué. Ces derniers iront dans la géhenne, où avec « pleurs et grincements de dents », ils connaîtront le supplice d’un feu éternel. Le gun traduit “géhenne” par le terme l$Onzom`E (au-delà/feu/dans) ou par des images suggérant un feu éternel. Grâce au sacrifice du Christ, qui a racheté le péché originel, aux justes sont promises la résurrection et la couronne de gloire qu’ils connaîtront aux « derniers jours ». Les morts ne se tiennent pas toujours à leur place et peuvent venir effrayer les vivants, ainsi, les apôtres, voyant le Christ marcher la nuit sur les eaux ne le reconnaissent pas et le confondent avec un fantôme (matthieu 14, 26), quand Jésus leur apparaît après sa résurrection, ils croient voir un esprit (Luc 24, 37). Le texte biblique n’est guère explicite sur l’endroit où séjournent les bons morts en attendant le grand jour. il n’y a que la parabole du pauvre Lazare et du mauvais riche pour nous en informer (Luc 16, 19-31). À la porte d’un homme riche et menant joyeuse vie, le pauvre Lazare, couvert d’ulcères, vivait des miettes qui tombaient de la table du riche. Lazare mourut et « fut porté par les anges dans le sein d’Abraham ». Le riche mourut également et fut enterré. Dans le séjour des morts, le riche peut voir « de loin », en « levant les yeux », Abraham et Lazare reposant sur son sein 49. il supplie Abraham de lui envoyer Lazare enfin que de son doigt trempé dans l’eau il lui rafraîchisse la bouche. Abraham refuse et lui rappelle : « d’ailleurs, il y a entre nous et vous, un grand abîme, afin que ceux qui voudraient passer d’ici vers vous ou de là vers nous ne puissent le faire ». il refuse également d’envoyer Lazare sur la terre pour dire aux frères du riche de se repentir. C’est ce passage de la bible qui inspire la réponse des Célestes quand on leur demande où vont les âmes des morts. Pour eux, « les morts ne sont pas morts » 50, ils dorment sur le sein d’Abraham en attendant la résurrection. Comme beaucoup de béninois, les Célestes pensent qu’à la mort l’âme ne quitte pas immédiatement le corps et que jusqu’à l’enterrement il est encore possible de rencontrer le défunt sous son apparence de vivant. quand ils apprirent la mort de leur chargé paroissial qui advint en France et qui ne fut pas communiquée le jour même, plusieurs paroissiens de Sikècodji dirent qu’ils l’avaient aperçu dans la rue, à Cotonou, et qu’ils en avaient été très étonnés sachant qu’il était à l’étranger. Si les justes rejoignent le sein d’Abraham, ceux qui meurent dans le péché vont en enfer ou en

49. Dans l’iconographie chrétienne de la Cène, Jean, « celui que Jésus aimait », est souvent représenté affalé sur le Christ ou « couché sur son sein » pour utiliser ce vocabulaire biblique (cf. Jean 13, 23). 50. Cette phrase que l’on entend souvent au bénin est un vers du poème « Souffle » de birago Diop (b. DioP, Les contes d’Amadou Koumba, éditions Présence Africaine, Dakar 1961, p. 173-75).

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Chapitre vii courent le risque, ce pour quoi il est utile de prier pour eux afin que leurs péchés leur soient pardonnés. Le refrain d’un cantique dit : La sainte église est venue ! Christ appelle le pécheur ! Les adeptes de Satan, Leur barque échouera dans l’enfer (cantique 253 gun)

un autre cantique révélé au prophète lui-même dit : La dernière barque pour le salut, La dernière barque, La dernière barque pour le salut, Est la Sainte église. Et quiconque n’aura pas Pu s’y embarquer Dans la vase s’enfoncera.

Si le fait d’être Céleste peut être considéré comme une sérieuse option pour la couronne de gloire au point même que certains fidèles prétendent que les quatre cents premiers convertis sont sûrs de gagner le royaume de Dieu, cela n’empêche pas l’expression d’une angoisse à propos de ce qui attend l’homme dans l’au-delà. Les trois premiers couplets d’un cantique disent : Sommes-nous nés pour ne pas mourir ? quand le corps tombe à terre, que l’âme vole vers le pays que nous ignorons, qui sait si ce pays Est dans l’obscurité Le pays des morts où nous oublions tout ? quand je quitterai ce monde que m’adviendra-t-il ? Aurai-je la vie éternelle Ou la souffrance pour récompense ? quand la trompette sonnera, Je sortirai de ma tombe, Je verrai mon juge Avec son livre de jugement. Comment ressusciterai-je ? Dans la peur et la souffrance ? bon jugement ou mauvais ? Perdition ou bonheur ? Sont-ce les anges qui m’amèneront au lieu du jugement Ou le diable qui m’accompagnera Dans sa demeure pécheresse ?

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Naître et mourir en chrétien céleste Des cantiques célestes disent qu’il existe sept cieux 51, par exemple, le cantique 95 énonce : « une puissance véritable [l’église] est descendue des sept cieux », le cantique 46 bis parle de Dieu « qui créa les sept cieux ». Certains woli reçoivent des visions sur l’organisation de ce septuple firmament. Ces visions n’ont évidemment pas la même force de conviction que celles reçues par le fondateur ou que celles qu’il avait accréditées de son vivant. Néanmoins, elles alimentent les conceptions des proches de ces visionnaires et peuvent rencontrer une plus large audience quand elles sont rédigées et diffusées par les journaux célestes ou par les petites brochures que publient certains fidèles. L’un d’eux, Christophe Akodjetin, rapporte deux de ces visions 52, reçues par deux visionnaires différents, l’une en 1987, l’autre en 1994 53. Elles sont très similaires en substance, les sept cieux y sont des pays pour l’un, des maisons pour l’autre. Ces différents domaines régissent la vie de leurs habitants entre le malheur total et le bonheur parfait avec toutes les graduations qu’il y a entre les ténèbres de l’enfer et l’éclat étincelant du trône divin. L’un et l’autre visionnaires rencontrent Oshoffa quand ils visitent le cinquième degré car c’est le royaume des bienheureux et le fondateur y réside en compagnie d’Abraham et de moïse. L’archange Gabriel qui guide l’un d’eux lui explique le voyage de l’âme : quand l’âme « s’envole de la terre pour son lieu d’asile », elle doit traverser le royaume de Lucifer qui donne à ses “suppôts” l’ordre de l’attraper ; s’ils y parviennent, elle devient l’esclave de Lucifer. Certaines âmes sont escortées par des Anges qui les protègent mais, si une fois « arrivées devant les portes de Dieu, elles sont refusées, elles deviennent errantes entre cieux et terre jusqu’au jugement. D’autres par contre sont autorisées à rentrer dans le Royaume de Dieu. tous ceux qui habitent dans le royaume de Lucifer sont déjà condamnés d’office, il n’y aura plus de jugement pour eux. ils seront précipités dans la fournaise ardente avec leur chef » 54. On peut en conclure que, pour les Célestes, les sept cieux remplissent la même fonction que la partition ternaire de l’au-delà (enfer/purgatoire/ paradis) pour les catholiques. L’autre monde est un lieu où l’âme attend le jugement dernier, mais où s’est déjà produite une certaine forme de rétribution qui n’est pas définitive pour tous, les survivants peuvent dès lors améliorer le sort des morts en priant pour eux.

51. R. i. J. hackett indique que le fondateur parlait des sept ciels dans certains de ses sermons. (R. i. J. hackett, « Explanation, Prediction and Control. the raison d’être of a West African independent Church. the Celestial Church of Christ », mémoire de master, université de Londres, 1978, p. 114). La même conception existe dans l’islam. La bible ne mentionne qu’un troisième ciel où fut ravi Paul (2 Cor. 12, 2). L’ascension de l’âme à travers sept cieux était un thème commun à plusieurs religions orientales de la fin de l’Antiquité et s’était répandu dans le monde gréco-romain. Le christianisme médiéval, à partir de l’image de l’échelle de Jacob (Genèse 28, 10-22), a élaboré un rapprochement entre la topographie des cieux (souvent sept mais parfois quinze comme les marches du temple) et l’élévation spirituelle comme une progression selon des degrés. Cf. C. heck (op. cit.). 52. C. akoDjetin, Le cinquantenaire des forces et faiblesses de l’ECC, Cotonou s.d. 53. Cette seconde vision a été également diffusée par La dernière Barque 7 (1995), qui signale que la visionnaire concernée a reçu la mission de faire connaître son message sur 41 paroisses et qu’elle en a déjà visité de nombreuses. 54. C. akoDjetin, Le cinquantenaire des forces et faiblesses de l’ECC, op. cit., p. 63.

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Chapitre vii 3. Les veillées un des ateliers de la session de formation des responsables organisée, en 1998, à Porto-Novo, concernait l’organisation des veillées funèbres. Le vénérable Senior évangéliste A. Singbo introduit ainsi le compte rendu de son exposé : Les hommes ont de tout temps voulu honorer la mémoire de leurs parents disparus. Les veillées funèbres sont pour les humains une occasion pour manifester au mort leur amour, leur respect. Les veillées funèbres proviennent certainement d’une révélation spirituelle parce que nulle part dans la bible il n’est fait mention de cela. La veillée funèbre a fait son apparition avec l’église catholique. Et le Christianisme Céleste à l’instar de ses sœurs aînées organise aussi des veillées funèbres.

Les veillées sont organisées soit au domicile du défunt quand la famille est également céleste, soit à la paroisse. Dans le premier cas, elles ont généralement lieu devant la maison, dans la rue parfois barrée pour les circonstances et où a été dressé un abri en toile de bâche. Dans cet espace est organisé un semblant de temple. une table disposée à une extrémité fait office d’autel, un crucifix y est posé, encadré de deux bougies. Face à l’autel, les chaises sont disposées de part et d’autre d’une allée, les femmes et les hommes s’y assoiront comme dans le temple. L’ordre du culte prévoit que les devanciers s’assoient avec les fidèles, le conducteur étant seul à l’autel, mais bien souvent les devanciers disposent des chaises près de l’autel et s’assoient face à l’assistance. une place est prévue pour la ou les chorale(s) qui interviendront durant le culte. L’espace est sanctifié par encensement et aspersion d’eau bénite. Les deux bougies sont allumées. L’ordre du culte prévoit que la veillée commence par un signe de croix que le conducteur accompagne de la formule du Gloria, immédiatement suivi par le chant « travaillons pour la sanctification de nos âmes » mais beaucoup de variantes sont possibles suivant les paroisses et le conducteur. Parfois le conducteur commence la veillée comme un culte dominical mais au lieu de faire résonner une clochette, il tape trois fois dans ses mains. il prononce ensuite trois fois le saint nom “Eyiba”, tandis que les fidèles, à genoux, répondent « saint ». Le culte de veillée se présente comme une alternance de prières et de chants encadrant la prédication. Par rapport à un culte dominical ordinaire, les phases de chant sont plus importantes et il n’y a pas de quête. A. Singbo écrit que deux sortes de prières sont faites lors des veillées : celles pour le mort et celles pour la consolation des survivants. À propos des premières, il commente : « on veut s’assurer qu’il n’y a pas d’obstacle sur le parcours du mort ou des difficultés pour lui dans l’au-delà. Pour cela on prie Dieu de lui pardonner ses péchés, de le purifier et de lui donner accès dans son royaume ». Au sujet de la prédication, il remarque que la veillée funèbre « est une occasion propice pour annoncer l’évangile » car les participants affectés par la mort d’un proche sont plus réceptifs. malheureusement, constate-t-il « beaucoup de sermons au cours des veillées dévient de leurs objectifs. Soit on passe le temps à faire l’éloge du mort ou à raconter sa vie sans aucun rapport avec les saintes écritures ». Selon lui, de semblables déviations affectent la prestation de la chorale qui doit effectuer une phase d’animation assez longue. Au lieu de chercher à consoler et à exhorter par des cantiques de louange, on chante des chansons tristes, « pour attrister plus, surtout quand le défunt est mort jeune ou d’une mort violente. Cela montre que l’on désapprouve la volonté de Dieu. Au lieu de louer Dieu et d’exhorter les frères, on loue le défunt ou les membres de la famille afin de collecter de l’argent ». En effet, pendant la phase d’animation, les 238

Naître et mourir en chrétien céleste choristes déposent près d’eux une assiette ou les assistants viennent mettre de l’argent. quand la prestation de certains choristes est particulièrement appréciée, les assistants leur collent des pièces de monnaie ou des billets sur le front. La chorale apporte généralement un soin particulier aux prestations des veillées, certes pour honorer le défunt mais surtout parce qu’elle dispose d’un auditoire qui n’est pas restreint aux seuls paroissiens, car en plus de la famille et des voisins, des passants s’arrêtent pour écouter. Des cantiques sont chantés dans la langue maternelle du défunt ; un chant le louant est parfois spécialement composé, mais ce que préfère l’auditoire sont les hymnes chantés sur des rythmes traditionnels : l’ahwangb`ah$un ou le zinli 55 d’Abomey, qui s’accompagne d’une danse considérée comme particulièrement difficile. L’exécution de ces rythmes permet aux assistants de danser eux aussi. Après la veillée, une collation de café et de pain ou de bouillie est servie à l’assistance. Les trois veillées sont conduites de manière identique mais la troisième, qui a lieu la veille de la messe de huitaine, connaît généralement une plus grande affluence. Leur organisation n’étant pas toujours faite par la même paroisse, le conducteur n’étant pas le même, on peut observer des variations liturgiques qui ne sont pas très significatives. 4. La messe de huitaine 56 Ce culte est organisé dans le temple et conduit depuis le grand autel. Avant qu’il ne commence, les officiants ont disposé un catafalque devant l’autel, perpendiculairement à l’allée centrale. C’est une structure de bois imitant la forme d’un cercueil, qui est orientée la tête vers la droite quand on regarde l’autel. il est entièrement recouvert d’une étoffe noire incrustée d’une grande croix blanche, ellemême recouverte d’un tissu blanc incrusté de trois croix bleues (que les Célestes appellent un pagne miraculeux). L’ordre du culte indique que ce recouvrement du tissu noir par un tissu blanc doit se faire lorsque le culte est célébré un dimanche, et prend donc la place du culte dominical ; mais nous avons toujours vu le catafalque recouvert d’un linge blanc quel que soit le jour de la semaine où est célébré ce culte ou les cultes identiques de requiem. Ce livret justifie ce recouvrement dans une parenthèse qui indique : « (symbole de l’image qu’on retrouve dans Zacharie 3, 1-7) ». Dans ces versets, Zacharie rapporte une vision. il a vu Josué 57, accusé par Satan, comparaître devant l’ange de l’éternel. Josué est « couvert de vêtements sales », l’Ange ordonne qu’on lui enlève ses vêtements et qu’on lui couvre la tête d’un « turban pur », puis lui dit : « vois je t’enlève ton iniquité, et je te revêts d’habits de fête ». Nous allons voir ultérieurement ce qu’il faut penser du rappel de cette image. Deux bougies disposées au pied et à la tête du catafalque rappellent,

55. Ce rythme était propre aux Amazones d’Abomey qui l’utilisaient entre autres pendant les rites funéraires. Dans le sud bénin, il en est venu à être caractéristique des funérailles et certains groupes musicaux spécialisés dans son exécution louent leur service pour animer ces cérémonies. 56. Nous avons déjà signalé l’origine catholique de ce culte ; les musulmans organisent également des prières et un saara le huitième jour et le quarantième jour suivant l’enterrement. Cette périodicité des cérémonies funéraires (veillée, enterrement, huitième jour, quarantième jour) tend à devenir un modèle interconfessionnel des monothéismes au bénin, s’en distinguent les églises évangéliques qui ne procèdent qu’à une veillée et à l’enterrement. 57. il ne s’agit pas du célèbre Josué, héros du livre du même nom, assistant et successeur de moïse mais d’un grand prêtre qui après l’exil revint à Jérusalem avec Zorobabel.

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Chapitre vii comme celles qui avaient été déposées auprès du cercueil dans la chambre mortuaire, les deux anges qui veillaient le sépulcre du Christ 58. Le culte débute comme celui du dimanche matin par le chant d’entrée et l’allumage des bougies 59. il se poursuit toujours en suivant la trame du culte dominical jusqu’au premier cantique révélé qui doit obligatoirement être choisi parmi les chants funèbres. Ensuite le conducteur à genoux prononce trois fois le saint nom “Jéhovah Rahman” et lit le psaume 38 : « éternel, ne me punis pas dans ta colère et ne me châtie pas dans ta fureur » où le psalmiste décrit la tristesse qui l’accable dans l’iniquité. La lecture du psaume est suivie d’un Gloria et d’une prière pour le défunt. La chorale entonne « Ô père, prend pitié ! » 60. Le conducteur invoque trois fois le saint nom “Alfadji Ara hach” puis lit le psaume 90. La chorale chante : « travaillons pour la sanctification de nos âmes », puis le culte se poursuit comme un culte dominical, avec pour différence que seulement quatre cantiques révélés (et non sept), choisis parmi les chants funèbres, seront chantés et que les psaumes, les prières, les lectures et la prédication qui suivront seront adaptés aux circonstances d’un décès. Après la quête et l’animation de la chorale, vient le moment de l’absoute. L’assemblée se lève. Le conducteur allume les deux bougies et retire le tissu blanc, faisant apparaître le noir, c’est-à-dire, si l’on s’en tient à la référence biblique fournie par l’ordre du culte, qu’il fait apparaître l’âme du mort dans son iniquité. En tenant l’encensoir, il se place devant le catafalque, face à l’autel, et esquisse une génuflexion. La chorale entonne Bèlele a ono Bonono, le conducteur en balançant son encensoir d’avant en arrière encense le catafalque tout le temps que dure le couplet. La chorale marque une pause, l’officiant contourne le catafalque en passant par la tête et s’arrête dos à l’autel. La chorale reprend son chant en entonnant cette fois la traduction en gun, avec le même geste d’avant en arrière le conducteur continue l’encensement. À la fin du couplet, le conducteur, toujours en le contournant par la tête, va se placer au pied du catafalque. La chorale reprend le chant en langue des anges pendant que continue l’encensement. À la pause, le conducteur, en passant par le côté situé vers les fidèles, se place à la tête du catafalque et encense pendant que la chorale reprend la version gun du cantique 61. tous ces détours du conducteur peuvent paraître compliqués ; pour simplifier disons que l’officiant, qui doit se placer successivement aux quatre points cardinaux, évite pour gagner sa place de traverser l’espace situé entre l’autel et le catafalque. Pendant toutes ces opérations qui s’exécutent de manière très solennelle, il est interdit de se déplacer dans le

58. Lors des messes de Requiem, la disposition est la même mais un papier portant le nom du mort (ou des morts) est déposé près du cercueil. 59. L’ordre du culte béninois indique que les deux bougies sont allumées après celles du grand chandelier mais nous avons toujours vu cette action se faire juste avant que ne commence l’absoute. 60. Les cantiques révélés convenant aux rites funéraires sont très peu nombreux, ainsi ce sont les mêmes que ceux chantés à l’enterrement qui seront entonnés en cette occasion. 61. L’emprunt au catholicisme est net. Cette séquence est identique à l’absoute catholique où le prêtre encense le cercueil pendant que le chœur chante le Libera. Dans le rituel romain ancien (avant 1951), le Jour des morts, quand la messe est célébrée à la cathédrale par un évêque, ce dernier encense un catafalque. J. Noret signale qu’au bénin, les catholiques utilisaient le catafalque (J. noret, « L’église invisible. Deuil, souci et statut des morts chez les Chrétiens célestes du Sud-bénin », mémoire de licence en anthropologie, université libre de bruxelles, 2001).

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Naître et mourir en chrétien céleste temple 62 ou même seulement d’empiéter sur l’allée centrale car c’est le chemin, diton, qu’empruntent l’âme du mort et les anges qui l’accompagnent vers l’au-delà. Les anges, selon une conception qui ne concerne pas seulement les rites funéraires, arrivant des cieux par l’autel – le lieu le plus saint du temple –, on comprend pourquoi le conducteur évite de multiplier les occasions de traverser leur chemin quand ils viennent assister l’âme du mort. Pour cette raison, dans certaines paroisses, les devanciers quittent leur place pendant l’absoute et se groupent de chaque côté du chœur en s’éloignant de l’espace libre devant l’autel. Le vénérable senior évangéliste m. Alokpo, qui traite des cultes de requiem lors de la session de formation que nous avons déjà évoquée, blâme cette attitude superstitieuse. il écrit : il faut rappeler aussi à tous nos devanciers qui s’installent à l’Autel et autour de l’Autel qu’ils doivent rester à leur place au cours de la cérémonie de l’absoute. En tant que chrétien, on ne doit pas avoir peur de la mort, car Dieu seul connaît l’heure de la mort de chacun de nous, et pourra nous rappeler quand il veut, et non au moment même de l’absoute.

Gilbert Rouget signale que dans cette région, des Ashanti (Ghana) jusqu’aux Edo (Nigeria), les rites funéraires coutumiers comportent une séquence d’érection d’un abri provisoire contenant des objets en rapport avec le défunt ou qui le représentent, suivie d’une destruction de cet ensemble avec l’expression de violences et parfois, comme chez les Gun, une sorte de « joie mauvaise » 63. Ces objets sont considérés comme dangereux, inspirent la peur, et les deuilleurs évitent de les toucher. La peur que provoque l’absoute chez les Célestes nous paraît de même nature : la présentification du défunt au cours du rite suscite la crainte d’un risque de mort. Après l’encensement, le conducteur dépose l’encensoir et revient s’agenouiller devant le catafalque où il prononce une prière pour le repos de l’âme du défunt ; il demande également la paix pour sa famille. un Notre-Père est dit, suivi d’un Gloria et d’une bénédiction. Le linge blanc est reposé sur le catafalque. Sept devanciers viennent ensuite se mettre devant la balustrade qui clôture l’espace de l’autel, tournés vers les fidèles, alignés comme lorsqu’ils reçoivent les actions de grâces lors d’un culte dominical. Les membres de la famille viennent s’agenouiller au centre de la nef devant le catafalque. Les devanciers, tous en même temps, prient pour eux. La chorale chante un nouveau cantique, une devancière dit la prière finale et le culte s’achève comme un culte dominical. Si le culte est célébré un dimanche les “alléluia” finaux sont dits normalement, sinon ils sont omis 64. La famille peut ensuite offrir une action de grâces, ce qui est plus courant lors des cultes de requiem ou du quarante et unième jour que pour la messe de huitaine, car ce don est une façon pour la famille de remercier la paroisse. Si on procède à une action de grâces, les “alléluia” seront dits à son issue. L’assemblée est ensuite conviée à consommer le repas qu’ont apporté les membres de la famille.

62. L’ordre du culte recommande de tenir les enfants. 63. G. rouGet, « brûler, casser, détruire, se réjouir (bénin) », Systèmes de pensée en Afrique noire 13 (1994), p. 9-41 (p. 23). 64. Selon l’ordre du culte nigérian, tous les “alléluia” sont dits et sept “alléluia” sont ajoutés après l’absoute.

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Chapitre vii Comme nous l’avons dit précédemment le culte du quarante et unième jour, puis celui de l’anniversaire de l’enterrement, puis tout culte de requiem qu’une famille trouvera bon de faire célébrer pour un défunt au cours des années suivantes sont exactement identiques à celui que nous venons de décrire ; pour cette raison, nous ne pensons pas que le thème essentiel de l’absoute soit le départ de l’âme du défunt. S’il s’agissait de s’assurer de son départ pourquoi la ferait-on revenir ainsi régulièrement dans l’espace du temple ? Le jeu de dévoilement/recouvrement du tissu noir par le tissu blanc, l’encensement prolongé qui dessine une croix dans l’espace, le chant exécuté indiquent que cette action rituelle est une demande de rémission des péchés de l’âme qui aura pour conséquence son accueil en “bonne place” dans l’au-delà. Le moyen par lequel est formulée cette demande, outre le chant Bèlele, est la purification du catafalque, métaphore de la sanctification de l’âme 65. un devancier, dans un tout autre contexte que celui des rites funéraires 66, nous commente les versets de Zacharie précédemment cités : C’est ce qui se passe quand l’homme meurt. Dès que tu meurs, chacun se présente avec sa tenue. mais dès que tu meurs, parce qu’il n’y a pas d’homme sans péché, Satan t’habille tout de suite d’habits sales pour dire que tu as péché, et il met ces péchés devant toi. « il a péché, donc il est à moi », tout pécheur est à Satan. Et l’ange de l’éternel vient, qu’est-ce qu’il dit ? « que l’éternel te réprime, Satan ! » C’est saint michel qui joue ce rôle, c’est pour ça que dans notre chanson Bèlele, on parle de saint michel. C’est saint michel qui vient rencontrer l’âme pour te délivrer ou te laisser à Satan, selon tes œuvres. […] Saint michel lui a fait enlever les habits sales et lui a donné des habits blancs, il l’a couronné d’un turban joli et lui a dit « je t’enlève ton iniquité », donc il n’est plus dans les mains de Satan : il est sauvé.

Joël Noret voit dans l’utilisation d’un catafalque et dans l’action rituelle de l’absoute une dialectique entre le schème de l’ancestralité et celui de la rédemption qui renverraient respectivement à la religion traditionnelle et au catholicisme missionnaire. Selon lui le catafalque, « en se transformant en réceptacle de l’âme des morts », serait « investi de traits qui évoquent directement les autels d’ancêtre, les schèmes et les catégories de pensée les plus traditionnels [car] l’âme vient dans le catafalque pour recevoir les bienfaits de la cérémonie [comme] les ancêtres reçoivent le sang, l’huile, l’eau ou l’alcool sur leurs autels » 67. Pour cet auteur, les Célestes hésiteraient entre une conception traditionnelle du “départ” de l’âme qu’il faut doter de “force” et une conception chrétienne de “paix” de l’âme et de son salut, ou feraient cohabiter ces deux logiques, aboutissant à une « double dialectique (force/paix : départ/salut) ». Cette analyse à laquelle, il est vrai, nous ne rendons pas tout à fait justice en la présentant de manière excessivement schématique, nous semble une surinterprétation fondée sur le désir de faire fonctionner

65. La célébration de l’absoute montre à quel point les Célestes accordent une valeur performative à leurs cantiques. L. Yansunnu rappelle : « Le Prophète (Paix à son âme) m’avait laissé entendre qu’on doit se garder d’entonner certaines de nos chansons n’importe comment et n’importe où. te souvienstu, me demanda-t-il, de l’histoire de l’enfant qui avait été frappé en plein fouet par un ange (et qui malheureusement avait succombé) quand la maman à ce dernier avait entonné la chanson : “yah kira hihi jah” [un cantique de combat] pour rien ? » (L. yansunnu, Recueil de chants en français, t. i, Cotonou s.d., p. XXXvii). 66. Ce fidèle voulait nous démontrer les fondements bibliques de la théorie de la réincarnation. 67. J. noret, op. cit., p. 501.

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Naître et mourir en chrétien céleste la théorie du syncrétisme et son « travail des schèmes » tels que les formule André mary. La façon dont les Célestes font revenir l’âme des morts dans l’enceinte du temple est aux antipodes de la coutume qui s’efforce au contraire, en renvoyant leur “souffle” et en brûlant leurs affaires, « d’effacer tout ce qui est susceptible de permettre un retour possible des morts » 68. Comparer le catafalque à un autel d’ancêtre, c’est méconnaître tout le travail de construction rituelle qui met en place l’entité nouvelle qu’est l’ancêtre. Joël Noret fait pourtant remarquer que les cultes de requiem célébrés en mémoire d’Oshoffa (seul personnage dont on pourrait dire que les Célestes lui prêtent quelques traits d’un ancêtre) sont célébrés sans catafalque, parce qu’aucun Céleste n’a l’audace de croire que le fondateur aurait des péchés à racheter et que tous pensent que ses œuvres l’ont mis en bonne place dans le sein d’Abraham 69. tout comme il signale que les autels d’ancêtres sont considérés comme des « biens inaliénables » du lignage, alors qu’un catafalque n’est qu’un objet démontable, dénué de valeur et qui sera remisé dans une resserre à la fin des rites funéraires. Pour démontrer que le thème central des rites funéraires est bien la rémission des péchés du mort et le second thème la demande de protection des survivants, il faudrait citer l’intégralité des prières dites durant ces cérémonies, ainsi que les prédications, ce qui serait bien fastidieux. À titre d’exemple, nous donnons le texte des prières dites pendant la phase de prière de trois personnes, à l’occasion de la messe de huitaine d’un paroissien. Le défunt était un vieil homme qui a laissé derrière lui femme et enfants. Première prière Jéhovah ! Jésus-Christ ! Saint michel ! Dieu créateur du ciel et de la terre ! Dieu éternel ! Dieu de biléou Oshoffa ! Par ta puissance, nous tes enfants pécheurs sommes devant toi ! Concernant ton fils qui nous a devancés d’un pas dans la mort, Dieu miséricordieux, en ce moment précis, le lieu où se trouve cette âme ne t’est point caché. toutes ses iniquités, tous les péchés qu’il a commis sur cette terre, daigne les lui pardonner ! Fils, daigne lui pardonner ! Esprit Saint, daigne lui pardonner ! Et que ton sang et l’eau qui ont coulé du calvaire le purifient ! Dieu miséricordieux, pardonne-lui ! Fils, pardonne-lui ! Esprit Saint, pardonne-lui ! Père miséricordieux, il t’a plu en cet instant qu’il abandonne ses enfants, sa femme, ses parents. Où qu’il soit à cette heure, daigne protéger tout ce qu’il a abandonné ! En l’absence du propriétaire, quel que soit ce que l’on fera aux enfants, à la femme, puisque c’est toi qui es le vrai propriétaire, éternel, daigne les protéger ! Déverse ton Esprit Saint sur les enfants ! que ta force spirituelle soit avec eux ! Aide-nous à accomplir la tâche que tu nous as confiée ! Ô Dieu miséricordieux ! que ceci ne soit pas un sujet de trouble pour notre communauté ! mets ta main sur notre paroisse ! que ceci ne soit pas un trouble pour la famille ! mets ta Paix sur la famille ! écoute toutes nos supplications au nom de ton bien-aimé Fils Jésus-Christ ! Amen ! Deuxième prière Jéhovah ! Jésus-Christ ! Saint michel ! Père infiniment miséricordieux ! Nous tes enfants sommes réunis ce soir au sujet de cette âme mais aucun de nous n’est pur. À

68. m.-J. jamous, op. cit. p. 148. 69. Néanmoins, l’un des visionnaires des sept cieux rapporte que c’est à cause de son excessive polygamie que Oshoffa n’a atteint que le cinquième ciel.

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Chapitre vii cause de moi qui prie en ce moment, ne dédaigne pas les prières que nous t’adressons, ni à cause des péchés de la famille ou de la paroisse ! mais à cause du sang précieux de ton Saint Fils Jésus-Christ, daigne nous pardonner ! que ton sang nous purifie tous ! Nous mettons l’âme de papa Faustin devant toi. tu le connaissais dans cette vie, il est venu œuvrer pour toi et enfin tu l’as rappelé à toi ! toutes ses offenses vis-à-vis de toi, je te prie, Jésus, daigne les lui pardonner ! Purifie sa tombe par ton eau et ton sang précieux ! Ô éternel des éternels, ouvre-lui des yeux spirituels et allège-lui les ailes pour qu’au son de la dernière trompette, il puisse voler dans le sein d’Abraham ! Ô Dieu de bonté, la promesse que tu as faite aux fidèles chrétiens, fasse qu’il en bénéficie ! il a abandonné son foyer, sa famille et tu sais que quand on quitte son chez soi, les malins commencent à rôder autour de la maison ! Seigneur, quelle que soit la personne qui se soulèvera contre cette maison, Jésus, combats pour cette maison ! La mort qui vient surprendre, combats-la pour cette famille ! tous les yeux envieux, combats-les pour cette maison ! épargne à cette maison de nouveaux deuils ! que ta paix soit avec les enfants, la femme, la famille, avec tout le monde ! que tous ceux qui sont venus ici en ce moment reçoivent ta Grâce ! Prie pour ton église ! mets les décès à l’écart de notre paroisse ! écoute nos cris et nos supplications au nom de Jésus-Christ, notre Sauveur ! Amen. troisième prière Jéhovah ! Jésus-Christ ! Saint michel ! Père, je te demande de descendre et de pardonner les péchés de nous tous qui sommes ici présents. Les péchés de ton fils, pardonne-les lui ! Purifie son âme où qu’elle soit à présent ! La force nécessaire pour venir vers ton fils Abraham, donne-lui cette force-là ! il a abandonné des enfants, une femme, fasse que ton Esprit Saint les domine partout où ils seront ! Sois avec ton église ! Ne nous honnis pas ! écoute notre prière au nom de Jésus-Christ, notre Sauveur ! Amen.

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ChApitRE viii DE QuELQuES FÊtES ChRétiENNES… CéLEStES Ceux qui n’ont jamais reporté leur cœur vers ces temps de foi, où un acte de religion était une fête de famille, et qui méprisent des plaisirs qui n’ont pour eux que leur innocence ; ceux-là, sans mentir, sont bien à plaindre. Chateaubriand 1

Comme toutes les églises chrétiennes, le Christianisme Céleste rassemble ses fidèles lors de fêtes qui rompent la succession des travaux et des jours. Au cours d’une année, les Chrétiens Célestes célèbrent les fêtes suivantes : • du 2 au 8 janvier : cultes d’action de grâces du nouvel An (tous les jours à 19 heures) ; • Fête des Rameaux ; • Du lundi saint au lundi qui suit : semaine sainte et fêtes de Pâques ; • Ascension (culte à 10 heures) ; • Pentecôte ; • Le 1er vendredi du mois de juillet : fête de la Sainte vierge (culte à 19 heures) ; • 10 septembre : culte de requiem en souvenir de la mort du pasteur Oshoffa (veillée le jour précédent et culte à 19 heures) ; • 29 septembre : anniversaire de la naissance de l’Église (culte à 22 heures) ; • 1er dimanche d’octobre : Fête des moissons de la paroisse mère de PortoNovo ; • 19 octobre : messe de souvenir de l’enterrement du pasteur Oshoffa ; • Du 18 au 25 décembre : Fêtes de Noël ; • 31 décembre : culte d’action de grâces de fin d’année (22 heures). Ces fêtes sont communes à l’église béninoise et nigériane. Sous l’influence des nombreux anciens catholiques qui ont rejoint ses rangs, l’église béninoise y a ajouté la célébration de la toussaint précédée la veille par une messe d’action de grâces (19 heures). L’église nigériane y ajoute les fêtes de moissons de ses paroisses principales (makoko, imeko, Ketu), la fête de moissons des enfants 2, les cultes de requiem d’Ajanlekoko, de bada et d’Ajose, ainsi que l’anniversaire de la pose de la première pierre de la cité céleste d’imeko. La plupart de ces fêtes sont célébrées par des cultes qui s’apparentent au culte dominical ou à des cultes déjà décrits. Nous ne parlerons donc que des fêtes qui diffèrent notablement de ce schéma soit parce qu’elles sont l’occasion de vastes rassemblements de la communauté céleste, international comme le pèlerinage de

1. F.-r. de chateaubrianD, Génie du Christianisme, Garnier-Flammarion, Paris [1802] 1966, vol. 2, p. 76. 2. Chaque paroisse choisit un dimanche pour sa fête des moissons en évitant les jours qui sont déjà pris par les grandes paroisses. Organisée à une date fixe (1er dimanche de juin) au Nigeria, la fête de moissons des enfants est laissée au choix des paroisses au bénin.

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Chapitre viii Noël ou régional comme le vendredi saint, soit parce qu’elles sont l’occasion de célébrer des rites spécifiques comme la Pentecôte. i. Noël La fête de la Nativité se prépare par sept veillées de prière (du 18 au 24 décembre) qui sont en fait des cultes matinaux célébrés à quatre heures du matin. ils suivent la trame des cultes courts (comportant une seule lecture) et se caractérisent par le fait que le conducteur est en même temps le prédicateur et qu’ils comportent une importante animation de la chorale. mais la grande affaire de Noël, c’est le pèlerinage au cours duquel les fidèles reçoivent l’onction. Selon leur affiliation (Porto-Novo ou Ketu) les paroissiens se rendent soit à Sèmè-Plage soit à imeko. L’idée d’un pèlerinage de Noël à la plage a été reprise des Chérubins et Séraphins 3 qui, au bénin, se rendent à Ekpè, une plage située à quelques kilomètres de Sèmè mais elle est présentée comme une révélation reçue par Oshoffa. Le choix de Sèmè résulte de la vision de marie Zevounou sur la succession des pasteurs, que nous avons déjà citée, Dieu pour prouver que c’était bien lui qui inspirait cette vision, lui dit : demain il n’y aura ni vent, ni pluie, ni soleil. La mer cessera de mouvoir. Pour vous en rendre compte envoyez quelqu’un à Sèmè-Plage. il vous prendra du sable du fond de la mer ! Avec ce sable vous pourrez ouvrir les yeux des aveugles 4.

quand Oshoffa quitta le bénin, le pèlerinage à Sèmè cessa d’avoir lieu et le pasteur distribua l’onction d’abord à Ketu, puis ensuite à imeko 5, le village natal de sa mère où il avait décidé de créer une cité céleste. Selon ses vœux, la cité a accueilli sa sépulture et est devenue lieu de pèlerinage. La cité céleste est située à la sortie de la petite ville d’imeko, sur un terrain d’une cinquantaine d’hectares dont certains disent qu’il fut donné à l’église par le roi d’imeko, d’autres que les diverses parcelles furent achetées à leurs propriétaires. Le choix de ce lieu a été dicté à Oshoffa par une vision que reçut, en 1973, le prophète Pa muri Adeoye qui fonda plus tard l’église Mount of Salvation. Ce prophète conta au roi d’imeko, en pointant son bâton vers la forêt d’ifa 6, que là il avait vu une échelle descendre des cieux ; d’innombrables anges y montaient et en descendaient ainsi qu’une multitude de gens en robe blanche. il ajouta que La mecque serait fermée, que Jérusalem ne compterait plus car maintenant Dieu était établi à imeko dans la direction qu’il indiquait de son bâton 7 (Adogame 1999 :157-58). Fonder sa cité sur ce nouveau

3. Plus généralement les Chérubins et Séraphins reconnaissent l’importance de certains lieux naturels remarquables, essentiellement des collines et des plages. moses Orimolade consacra la colline d’Olorunkole après qu’un de ses visionnaires y ait vu un ange, les fidèles y faisaient des retraites et c’est en ce lieu que les responsables de l’église recevaient l’ordination. Chaque centre important des Chérubins et des Séraphins choisit ainsi une colline qui est en quelque sorte son “mont des Oliviers.” La même signification était donnée aux plages et celle d’Ojkun ibeju était aussi importante que la colline d’Olorunkole pour les fidèles de Lagos. (Omayajowo 1982 :161) 4. Lumière p. 18. 5. imeko est situé au Nord-Ouest de l’état d’Ogun, à une trentaine de kilomètres de la frontière béninoise. 6. Les devins du Fa (fon) ou d’ifa (yoruba) sont initiés dans un bosquet sacré, chaque ville en possédait un. 7. En Europe, de nombreux monastères ont été fondés à la suite de semblables visions.

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De quelques fêtes chrétiennes… célestes béthel était pour Oshoffa à la fois triompher des forces sataniques des devins du Fa et s’inscrire dans la lignée de Jacob 8. Celui qui visite aujourd’hui la cité céleste a peine à croire qu’elle fut jamais une forêt. C’est un vaste terrain vague qui s’étend de part et d’autre d’une route, et qui contient, outre diverses constructions dont certaines sont les maisons des pasteurs et de divers autres notables de l’église, quatre éléments remarquables : la « terre sainte », la concession de la maison d’Oshoffa où se trouve aussi son tombeau, le centre de conférence et la cathédrale. Oshoffa a posé la première pierre de la cathédrale en septembre 1983 9. Aujourd’hui, elle est toujours en construction, elle se présente comme une immense plateforme de ciment bordée par les arches de quelques portions des murs extérieurs et dont émergent de nombreuses colonnes la majorité encore au stade de leur armature de fer à béton. À son extrémité orientale se trouve le chœur où s’assoient les devanciers et l’autel, cet espace est fermé par une rambarde cimentée. Le centre de conférence est un vaste bâtiment de deux étages en béton dont le gros œuvre est terminé mais auquel manquent toutes les finitions. On accède au terrain clos du centre de conférence en passant devant un petit pavillon d’entrée qui est surmonté d’une statue d’Oshoffa. Derrière le centre de conférence se trouvent les petites constructions qui abritent les tombes de bada, d’Ajanlekoko et d’Ajose. De l’autre côté de la route et plus près d’elle, la maison d’Oshoffa est située également au centre d’un terrain clos, c’est une bâtisse rectangulaire de deux étages, chacun entièrement cerné par un balcon, prolongée d’une villa en rez-de-chaussée. Dans cet espace se trouve un autre enclos qui contient la tombe de la mère d’Oshoffa et le pavillon vitré qui abrite le tombeau d’Oshoffa. Ce pavillon est cerné de larges gradins carrelés et d’une allée sablée, cet ensemble est également totalement clos de hauts murs. Le tombeau se trouve dans l’espèce de serre qu’est le pavillon, il est couvert de fleurs artificielles et surmonté d’un buste du fondateur figuré avec ses lunettes et sa barrette de pasteur. La « terre sainte » (appelée parvis en français) est un vaste jardin de prière, semblable dans sa conception à celui que possède chaque paroisse mais beaucoup plus grand. Ce jardin est clos de murs. une allée centrale cimentée sépare deux espaces sablés et plantés d’arbres et conduit à l’autel, une sorte de butte artificielle surmontée d’une croix où figure, sculpté et peint de manière très réaliste, un Christ noir en douleur. Au bas de cette colline herbeuse et parsemée de rochers, se trouve le chœur constitué de quelques gradins carrelés de bleu enclos d’une petite rambarde en fer décorée d’étoiles et de croix 10. Sous cette colline-autel se trouve une pièce, où Oshoffa avait coutume de se retirer quand il préparait l’encens ou l’huile sainte. il n’autorisait l’accès de ce site, considéré comme un endroit extrêmement saint, qu’aux plus hauts dignitaires de l’église. un sentier part de la porte de cette pièce et sinue jusqu’au mur arrière qui sépare la terre sainte du terrain de la concession d’Oshoffa. Du vivant du pasteur, une porte dans ce mur lui permettait de passer directement de sa parcelle à l’autel de la terre sainte, elle est maintenant bouchée

8. Dans la lutte entre Nigérians et béninois pour la destination du pèlerinage de Noël, on comprend à quel point imeko, lieu chargé de symboles, dépasse Sèmè qui n’est jamais qu’une plage. 9. En mai 1984, Oshoffa inaugura un corps spécial : le conseil des honorables évangélistes dont Owodunni fut nommé président, qui était chargé de coordonner en liaison avec le conseil pastoral le développement de la cité céleste. 10. C’est dans cet espace que les plus hauts dignitaires de l’église reçoivent l’onction.

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Chapitre viii par la construction qui abrite son tombeau. L’existence très discrète de cette pièce et de son accès alimente aujourd’hui la rumeur selon laquelle il existerait une pièce secrète sous le tombeau d’Oshoffa 11. bien que tout cet espace soit naturellement plat, le petit sentier qui va de la pièce sainte à la concession d’Oshoffa franchit un monticule aussi artificiel que la colline du crucifix. Le pasteur bada expliqua à Jeffrey Carter, qui l’interrogeait sur la raison d’être de ce tertre, qu’il symbolisait le fait qu’avant d’atteindre le confort de la maison il faut souffrir les tribulations du monde, que chacun doit porter sa croix pour être compté parmi les disciples du Christ, que la montée suivie de la descente signifiaient l’affrontement avec les forces sataniques et la victoire sur elles 12. Dans le coin sud-est de la terre sainte, derrière la tombe d’Oshoffa, un espace a été cimenté. trois figures sont gravées dans le sol, l’une est un demi-cercle qui représente la lune. La seconde est un cercle avec des rayons et représente le soleil, la troisième est un cercle contenant une étoile. Ces trois dessins rappellent que le jour de l’enterrement d’Oshoffa, la lune, le soleil et sept étoiles furent simultanément visibles dans le ciel. Selon que le visiteur se rend à imeko en période de pèlerinage ou en période “creuse”, la cité céleste offre un visage bien différent. Pendant la semaine que dure le pèlerinage de Noël, le lieu est envahi par des milliers de personnes qu’aucune structure sanitaire ou hôtelière n’accueille. Le terrain prend des allures de camp de réfugiés, des abris de toutes sortes y sont édifiés, les quelques bâtiments sont envahis par une foule qui s’y repose, y prie, y dort ou y mange. Le long des axes de circulation, où quelle que soit l’heure se pressent d’innombrables fidèles, des étals proposent des boissons, de la nourriture, et des articles religieux de toutes sortes : mobilier d’église, bougies, parfum, tissu de soutane, tee-shirt, casquettes et sacs frappés du logo de l’église, croix et chaînes dorées, chromos du Christ et de scènes bibliques, photos d’Oshoffa, cassettes de cantiques et cassettes vidéo de cultes conduits par les pasteurs, bibles, etc. Au fil des heures, les robes immaculées des fidèles, dont la blancheur avait déjà été mise à mal par le voyage sur les pistes de latérite, tournent aux cache-poussière. Le sol de la céleste cité, tout saint qu’il est 13, se couvre d’immondices et de déchets. Au milieu d’une cohue et d’un bruit indescriptible, se déroule cahin-caha le programme des activités. Les grands moments en sont les séances de guérison miraculeuse, les rencontres du pasteur avec les divers corps de l’église (les jeunes, les femmes, les chargés paroissiaux, les évangélistes de zone), le culte de Noël le 24 à minuit, le culte d’action de grâces le matin du jour de Noël et bien sûr l’onction que le pasteur distribue tout au long de la semaine, généralement sur le parvis, à des jours et à des heures précises pour les fidèles de telle ou telle région. Les fidèles béninois ne se rendent pas au pèlerinage dès le premier jour de son ouverture mais partent le matin du 24 décembre 14. très tôt avant que le jour ne soit levé, ils se retrouvent à la paroisse qui est envahie par des ivoiriens arrivés la

11. Cf. J. noret 2001, op. cit., et A. mary « Pilgrimage to imeko (Nigeria) : An African Church in the time of the “Global village” », International Journal of Urban and Regional Research 26.1 (2002), p. 106-120. 12. J. D. carter, op. cit., p. 191. 13. il faut marcher nu-pieds dès qu’on entre dans la cité céleste. 14. Nous avons assisté au pèlerinage d’imeko en 1998 (pasteur bada), en 2000 (pasteur Ajose) et en 2001 (sans pasteur et donc sans onction).

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De quelques fêtes chrétiennes… célestes veille au soir et qui font étape à Cotonou. Les ivoiriens partent tôt car leurs cars les attendent à proximité tandis que les paroissiens continuent à espérer l’arrivée de leurs moyens de transport 15. Si tout va bien, les cars n’arrivent pas trop tard et en bon état de marche apparent. quelques devanciers procèdent alors à leur sanctification et exécutent une prière de combat de quatre personnes à l’issue de laquelle ils demandent aux chauffeurs de déplacer légèrement leur véhicule afin que leurs roues écrasent les bougies qui ont servi au combat. Pendant ce temps, les fidèles se sont réunis dans le temple, ont chanté un cantique, prié et reçu la bénédiction du chargé paroissial. Les derniers différents en matière de paiement du voyage sont réglés par les secrétaires et l’assemblée s’embarque pour son périple. étant donné que, pour la majorité des paroissiens, la somme à débourser est relativement importante la plupart de ceux qui font le déplacement sont ceux qui doivent recevoir l’onction. Au terme d’un voyage qui ne dure pas moins de six heures, et qui ne va pas sans de nombreux aléas dont le principal est le franchissement de la frontière, les fidèles débarquent dans la cohue d’imeko. Après concertation avec des responsables, on leur indique un endroit où ils pourront “s’installer”. Leur principal souci est alors de savoir à quel moment est prévue l’onction pour les béninois, quand ils en sont informés, ils s’égayent dans toutes les directions et disparaissent dans la foule d’imeko. Les plus nombreux veulent se recueillir sur la tombe du fondateur et y exposer afin de les sanctifier divers objets qu’ils ont apportés dans leurs bagages (bouteille d’eau, savon, parfum). Certains qui viennent pour la première fois veulent visiter les lieux. D’autres qui ont des courses à faire, car ils ont été chargés par des amis restés à Cotonou de rapporter telle marque de parfum ou telle cassette de cantiques yoruba, commencent à marchander aux étals des vendeuses. Le soir du 24, une animation chorale a lieu à la cathédrale, où commencent à s’installer des milliers de fidèles guidés par des surveillants et des surveillantes reconnaissables à une chasuble jaune et courte pour les hommes et à une petite étole jaune portée en bandoulière pour les femmes. Des quantités de fruits apportés par les fidèles sont entassées entre eux et le chœur, ils seront distribués à l’issue du culte. vers minuit, précédant le pasteur, commence la longue procession des hauts dignitaires qui vont s’asseoir dans le chœur. L’événement est couvert par de nombreux journalistes et cameraman. D’énormes baffles distribuent le son, des batteries d’ampoules autour desquelles tourbillonnent des myriades d’insectes jettent çà et là des ronds de lumière. L’immensité des lieux fait qu’il est impossible de voir ce qui se passe à l’autel et c’est uniquement au son qui sort des enceintes acoustiques que les fidèles peuvent suivre le culte. voir ces milliers de fidèles en robe blanche, qui se lèvent, s’agenouillent, se prosternent tous ensemble communique à chacun le sentiment qu’il appartient à une grande église. Au moment de la prédication, le pasteur gagne une chaire qui a été installée devant le chœur, du côté des femmes. À côté se tiennent trois dignitaires qui vont traduire en anglais, en gun et en français, les paroles que le pasteur prononce en yoruba. Le culte conduit selon le schéma d’un culte dominical sera suivi de la communion. Le lendemain, à dix heures, un rituel presque identique recommence à la différence que les fidèles

15. En cette période de l’année, les entreprises de transport de Cotonou très sollicitées par les pèlerins (Chérubins, Célestes ou Renaissance en Christ) en profitent pour multiplier les voyages et sont rarement à l’heure aux rendez-vous fixés.

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Chapitre viii ne grelottent plus dans le vent nocturne mais cuisent sous le soleil que réverbère le ciment du sol. À la fin du culte, le pasteur sort du chœur et vient sanctifier un monceau d’objets hétéroclites que les surveillants ont rassemblés la veille et qui seront redistribués à leur propriétaire après la cérémonie. Arrive enfin le moment que tous attendent : celui de leur onction. Les fidèles d’une même nationalité (ou d’une même région du Nigeria) sont rassemblés dans le lieu où elle va se dérouler, auparavant les responsables du diocèse (ou des paroisses concernées) ont reversé les droits d’onction auprès du secrétariat du pasteur. En rangs serrés, les hommes d’un côté, les femmes de l’autre, les fidèles sont agenouillés une bougie à la main. Le pasteur prononce une brève allocution pour préciser le sens de l’onction et rappeler qu’elle engage les fidèles à mettre au service de l’église les pouvoirs spirituels qu’elle leur donne. L’assistance entonne : Ô Saint-Esprit descend parmi nous ! Nous espérons ta bienvenue. Ô Saint-Esprit viens nous donner la force Avec laquelle nous combattons ! tu es toujours fidèle à ta parole, Souviens-toi donc de ta promesse ! (cantique 90 gun)

Elle le chantera en boucle tout le temps que durera le rituel. Précédé d’un dignitaire qui recueille auprès de chaque fidèle un billet de 20 nairas 16, et d’un autre qui lui tient la coupe d’huile sainte, le pasteur, qui a retroussé sa manche droite, passe entre les rangs, plonge sa main dans la coupe, oint quatre ou cinq têtes, replonge les doigts dans l’huile, oint cinq têtes ou six têtes. il procède ainsi jusqu’au dernier postulant, en œuvrant avec une rapidité et une économie de geste qui évoque plus la performance sportive que la componction ecclésiastique 17. malgré les manières cavalières du clergé et l’ambiance de rançonnement qui plane autour du sacrement, les fidèles sont visiblement émus, certains tombent en transe, d’autres crient, d’autres entre deux soupirs exhalent des « Jésus ! Jésus ! ». Si le temps n’est pas trop compté, si une nouvelle vague de fidèles en attente d’être oint ne chasse pas la précédente, le pasteur invitera les nouveaux oints à se recueillir et à prier sur le sacrement qu’ils viennent de recevoir, il les engagera à rester sanctifiés (à éviter les rapports sexuels) pendant une semaine, tout en priant chaque jour avec la bougie qu’ils tiennent dans la main. Puis il dit une prière finale et les bénit. Les responsables qui ont accompagné les paroissiens ne pensent plus qu’à une seule chose : les regrouper pour le départ et prendre le chemin du retour. il y a toujours des égarés ou ceux qui à la dernière minute s’aperçoivent qu’ils ont oublié quelque chose de précieux, mais finalement chacun retrouve sa place et les cars s’éloignent en cahotant de la céleste cité.

16. 20 nairas représentent environs 500 FCFA. Cette somme est destinée à la construction de la cathédrale et est indépendante des frais d’onction qui eux s’élèvent à environ 3 000 FCFA. 17. Les hauts dignitaires sont oints dans le chœur de la terre sainte avec plus de pondération et d’apparat.

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De quelques fêtes chrétiennes… célestes ii. Les pâques La préparation de la fête de Pâques commence dès les Rameaux. Le samedi précédant le dimanche des Rameaux, chaque paroisse envoie son chargé paroissial (ou un délégué ayant au moins le grade d’évangéliste 18) auprès du pasteur (à makoko ou à Porto-Novo selon les affiliations) qui participe à la cérémonie du lavement des pieds. Au cours du culte du dimanche des Rameaux, les délégués recevront la communion des mains du pasteur et, en quittant le siège, emporteront les Saintes Espèces sous la forme de pain et de jus de fruits (un mélange de jus d’orange, d’ananas et d’eau de coco) afin de faire communier les fidèles de leur paroisse le jeudi saint. ils emporteront également un peu d’eau consacrée par le pasteur afin de la mêler à celle qu’ils utiliseront pour le lavement des pieds des paroissiens. Dans les paroisses, la liturgie du dimanche des Rameaux suit celle d’un culte dominical. La fête commémorant l’entrée de Jésus à Jérusalem salué par une foule brandissant des rameaux, chaque fidèle reçoit un rameau de palmier qu’il tiendra durant tout le culte, les lectures seront choisies en fonction des circonstances et la phase d’action de grâces sera particulièrement développée, car, avant l’austérité de la semaine qui va suivre, il faut se réjouir de l’arrivée de Jésus 19. À partir du lendemain des Rameaux et jusqu’au samedi saint inclus, le jeûne est prescrit à tous les fidèles du matin jusqu’au soir. Les lundi, mardi et mercredi, à 19 heures, un culte est organisé pour lequel les paroissiens apportent des fruits avec lesquels ils rompront le jeûne à la fin de l’office. Ce culte suit la trame des cultes du soir mais on ne fait pas résonner la clochette, on ne prononce pas les “alléluia”20 et la chorale doit rester sobre dans ses manifestations. Dans les premiers jours de la semaine, une certaine effervescence règne au secrétariat, car ne peuvent communier que ceux qui ont payé le denier du culte. Certains viennent donc s’acquitter de cette obligation et reçoivent en retour un petit carton qu’on leur demandera avant qu’ils s’approchent de l’autel pour communier, d’autres viennent plaider leur cause et cherchent à obtenir le carton “à crédit”. Le soir du jeudi saint a lieu le lavement des pieds et la communion. Les ordres de culte nigérian et béninois diffèrent quant à la manière d’ordonner les séquences rituelles. Des différences se notent également d‘une paroisse à l’autre, même

18. Le chef de diocèse peut représenter les petites paroisses qui n’ont pas les moyens d’envoyer un délégué. 19. La paroisse de Sikècodji célèbre la fête de moissons des enfants le dimanche des Rameaux et se prétend l’initiatrice de cette fête. Le samedi après-midi qui précède, des représentations de scènes bibliques sont jouées par les enfants dans l’enceinte de la paroisse. Pendant le culte du dimanche, ce sont les enfants qui assurent l’animation chorale, les lectures, les annonces (et dans d’autres paroisses même la prédication). À la fin du culte (célébré comme un dimanche ordinaire) les plus méritants d’entre eux reçoivent des prix (confiserie, cahiers, livres pieux, petits jouets). 20. J. Carter note, qu’au Nigeria, durant la semaine sainte les fidèles remplacent le terme “alléluia” interdit par “allelu-jah” qui évoque le saint nom “Jah” utilisé pendant les prières de combat. il signale que le fait résulte d’une révélation reçue par Oshoffa et que le pasteur bada lui commenta en disant que c’était une manière d’exprimer leur solidarité envers les souffrances du Christ. Carter ajoute qu’il ne connaît pas l’origine du mot “Jah” (voir supra chap. v) mais signale que le verbe yoruba “ja” signifie “combattre”.

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Chapitre viii quand elles sont d’une même tendance 21, nous décrirons la cérémonie telle que nous l’avons vu se dérouler à Sikècodji. vers 21 heures, les fidèles sont réunis au parvis, les hommes à droite, les femmes à gauche. un crucifix a été planté en terre à l’entrée du jardin de prière, devant sont disposées deux bassines d’eau encadrées de sept bougies. Après un chant qui est souvent « travaillons pour la sanctification de nos âmes », le chargé paroissial prend la parole pour expliquer la signification du lavement des pieds. il fait lire des versets de Jean 13, seul évangile qui rapporte que Jésus lava les pieds de ses disciples lors du dernier repas qu’ils prirent ensemble. il commente la nécessité de l’humilité et de la pureté et cite Exode 30, 21 : « ils se laveront les mains et les pieds afin qu’ils ne meurent point. Ce sera une loi perpétuelle pour Aaron et ses fils et pour ses descendants ». Le chargé ôte sa sangle, puis lave les pieds d’un devancier et ensuite d’une devancière. Cette devancière et le chargé 22 s’assoient ensuite sur des sièges bas, les bassines d’eau devant eux. Sans respecter l’ordre hiérarchique (ni l’inverser comme lors des entrées et sorties dans le temple) 23 l’assemblée se dispose selon deux files, les femmes devant la devancière, les hommes devant le chargé, et tour à tour présente un pied puis l’autre à l’officiant qui les lave et les essuie avec sa sangle. Le pasteur bada disait volontiers que le lavement des pieds était peut-être la cérémonie la plus importante du Christianisme Céleste et ceux qui ont reçu son enseignement le répètent après lui sans vraiment pouvoir expliquer en quoi consiste cette importance. il faut d’abord remarquer que, dans cette communauté extrêmement marquée par la hiérarchie, ce moment d’humilité prend un relief particulièrement saisissant. mais pour le pasteur bada, il y avait plus. Selon lui ce rite lève la malédiction jetée sur la postérité d’Adam en Genèse 3, 15 24 qui la livre à la tentation du diable. Pour illustrer ce fait il aimait raconter l’histoire d’un devancier qui depuis trois ans n’organisait plus le lavement des pieds dans sa paroisse. il tomba gravement malade et presque à l’article de la mort eut une vision. il voyait un très grand bateau blanc et une longue file de Célestes qui y entrait. il se hâta de les rejoindre et s’aperçut qu’il y avait une liste d’appel mais il n’entendit pas son nom. il protesta et dit que lui aussi était un Céleste. On lui demanda de prouver qu’il en était bien un, car ses pieds ne portaient aucune marque et on lui expliqua que s’il voulait monter dans le bateau, il devait courir à makoko et se faire laver les pieds. quand il reprit ses sens, on était en période pascale et il ne manqua pas de se rendre à makoko, avec toute sa famille et tous les membres de sa paroisse. Le pasteur bada ajoutait qu’après il se porta mieux mais qu’il mourut la même année. À 22 heures, quand tous ont fait laver leurs pieds, les fidèles sont invités à entrer dans le temple pour suivre un culte qui se déroule comme celui du 1er jeudi

21. Dans un article de La dernière barque (n° 19, 1997) P. Sagbo relève “d’énormes dysharmonies d’une paroisse à l’autre à l’intérieur d’une même ville” dans l’exécution du rituel pascal. Pour le Jeudi saint, il relève les différences liturgiques suivantes : allumage ou non des bougies de l’autel, port ou non de la sangle, culte ordinaire (dominical) ou culte du premier jeudi du mois, crucifix masqué d’un voile ou non masqué. 22. Au cours de la cérémonie, le premier devancier a avoir eu les pieds lavés prendra la place du chargé. 23. Selon J. Carter, au Nigeria, l’ordre hiérarchique est respecté. (Op. cit., p. 299) 24. Dieu s’adressant au serpent lui dit : « Je mettrai inimitié entre toi et la femme, entre ta postérité et sa postérité : celle-ci t’écrasera la tête et tu lui blesseras le talon ».

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De quelques fêtes chrétiennes… célestes du mois 25. Après la prière sur la quête a lieu la communion. Le conducteur se recueille silencieusement sur les plateaux de pain et sur le récipient contenant le “vin”. il goûte le pain et le “vin” et fait communier les deux ou trois devanciers qui vont l’aider. Ensuite la balustrade de l’autel est fermée et les fidèles sont invités par petits groupes à venir s’agenouiller devant elle, cette fois par ordre hiérarchique en commençant par les plus gradés. Les officiants leur mettent un morceau de pain dans la bouche et leur font boire un peu de jus de fruit en portant un calice à leurs lèvres. Après la communion un cantique est chanté, et le culte s’achève comme à l’ordinaire mais sans “alléluia” finaux. En principe, les Chrétiens Célestes célèbrent la communion, comme les méthodistes, quatre fois par an : le jeudi saint, à Noël, en juillet et en octobre 26. Se demandant si les Chrétiens Célestes croient en la transsubstantiation, michel Guéry constate que si Oshoffa professe ce dogme, d’autres font des interprétations théologiques différentes proches des positions protestantes. Nous nous permettons d’emprunter au texte de Guéry la citation des explications que le fondateur lui a données sur ce sujet : La Sainte Communion, c’est purement et simplement le corps de Jésus. La Sainte Communion de chez nous se prépare avec du pain et des jus de fruits. Avec du pain, on dit : vous prenez le pain, vous priez : Ceci est le corps de Jésus. toi, Jésus, fais descendre sur ce pain ta force, afin que ce pain soit transformé en ton corps. Dès que tes serviteurs se serviront qu’ils sachent qu’ils ont mangé ton corps, et qu’ils ont avec toi une alliance, d’être sûrs dans toute leur vie. Car quelqu’un qui mange ou bien goûte le sang de son prochain, ils se sont unis déjà, c’est une alliance. Alors, on prie Dieu sous la puissance de Jésus. On met cela devant l’autel. On présente ceci. Avant de le faire, on prie doucement sur le pain : “Sanctifie ce pain, afin qu’il devienne ton corps. quand tes fidèles s’en serviront qu’ils aient telle force, telle force.”. Au lieu de servir le vin, on nous a refusé cela. Car quand on prend du vin – c’est ce que l’on nous a dit – quand on permet une fois de boire du vin, alors on va au cabaret. Alors pour faire savoir qu’il faut s’arrêter complètement, on nous donne des jus de fruits naturels, soit orange soit ananas. On prie là-dessus. “tout ce qu’on demande en ton nom, tu le feras. qu’on change ceci en ton sang. quand tes enfants, tes fidèles, se serviront, qu’ils sachent qu’ils sont en alliance avec toi.” Avant qu’ils mangent cela, ils doivent faire une prière silencieuse d’abord pour demander le pardon de tous leurs péchés. Et puis on dit avant de donner : si quelqu’un sait qu’il est en colère envers quelqu’un, il doit d’abord demander pardon pour ne pas être condamné par la force qu’il doit manger. Avant de prendre, tu dis : je sais que je suis fautif. J’ai péché contre mes frères et contre mes sœurs, et contre toi, Jésus. Fais que, par ton sang, on puisse laver complètement mon péché. Dès que je mange cela, qu’il y ait un changement en moi. Aussi, une semaine avant la célébration de la Sainte Cène dans une paroisse, on l’annonce. On dit d’aller voir son prochain, et si tu avais affaire contre lui, d’aller

25. Le culte du premier jeudi du mois est justement célébré en souvenir de la prière de Jésus au jardin de Gethsémani. Cf. Chapitre v. 26. En pratique durant nos séjours au bénin, nous ne l’avons vu célébrer qu’à Noël et le jeudi saint.

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Chapitre viii s’arranger. On dit cela à l’avance pour que les gens puissent se réconcilier s’il y a quelque chose. Cela nous permet d’être comme des frères dans l’église 27.

Comme le remarque Albert de Surgy les querelles sur la présence réelle ou symbolique du Christ dans les Saintes Espèces « n’intéressent guère les Chrétiens Célestes » 28, mais il faut noter que pour Oshoffa le mystère de l’Eucharistie réunissait trois thèmes : l’alliance individuelle du fidèle avec le Christ, la fraternité nécessaire entre tous les membres de la communauté et la transmission d’une force. Le dernier trait, récurrent dans tous les rites célestes, est plus souvent associé à l’Esprit Saint. trois cultes sont célébrés le vendredi saint, au jardin de prière, à 10 heures, à 16 heures et à 19 heures et sont suivis, dans la nuit du vendredi au samedi, d’un culte nocturne. Les Célestes ne sont pas les seuls chrétiens béninois à investir beaucoup de temps dans la célébration de la passion du Christ, le vendredi saint, les catholiques font une procession qui parcourt Cotonou en marquant les quatorze stations du chemin de croix. Les cultes célestes de ce vendredi suivent le schéma du culte dominical simplifié. une seule lecture y est faite qui est généralement choisie dans les versets des évangiles relatant les circonstances de la mort de Jésus. À l’issue du culte de 19 heures, beaucoup de paroissiens choisissent de rester à la paroisse et de prier ou de s’y reposer en attendant minuit. Ceux qui ont préféré rentrer chez eux reviennent et se rassemblent dans la cour de la paroisse. Chacun s’est muni d’une bougie, les instruments de musique sont chargés sur des petites charrettes à bras, l’officiant qui va être chargé de porter le crucifix l’a voilé d’une étoffe blanche 29. Après que le chargé paroissial a prononcé une prière, les fidèles sortent dans la rue et s’organisent en un cortège dont le porte-croix prend la tête. En marchant rapidement et en observant le silence, la troupe prend la direction du cimetière d’Akpakpa. Au fur et à mesure qu’elle s’en approche, elle rejoint le flot d’autres cortèges célestes qui, comme elle, gagnent l’entrée du cimetière. une fois arrivée devant les murs du cimetière, chaque paroisse cherche dans la cohue un espace où s’installer. Le porte-croix plante le crucifix en terre et les fidèles s’assoient au sol en attendant que le culte commence. Devant les portes du cimetière, les officiants 30 ont installé un crucifix et allumé sept bougies qui sont disposées pour former un v renversé devant la croix. Le culte débute par un signe de croix que fait l’officiant. L’assemblée se lève et entonne « travaillons pour la sanctification de nos âmes ». Le culte suit la trame générale d’un culte ordinaire et se termine par la série de sept “alléluia” en direction des quatre points cardinaux. Chaque paroisse va alors regagner son temple mais cette fois en laissant éclater sa joie : « Christ est ressuscité ! » Les instruments sont sortis des charrettes, un joueur de tambour y reste avec son instrument, ses compagnons le poussent. Les cortèges se dispersent dans la cacophonie, car chaque paroisse entonne le chant de son

27. m. Guéry, op. cit., p. 103. 28. A. de surGy, op. cit., p. 59. 29. Contrairement aux catholiques, les Chrétiens Célestes ne voilent pas les crucifix de l’église pendant la semaine sainte. 30. Ce culte rassemble toutes les paroisses célestes d’une même région quelle que soit par ailleurs leur affiliation pastorale et est célébré par le responsable de zone. malgré le temps liturgique et la sainte union qu’il devrait inspirer, ce rassemblement n’a pourtant rien d’une réconciliation. Lors d’un de ces cultes, nous avons entendu le prédicateur du jour s’en prendre au pasteur bada.

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De quelques fêtes chrétiennes… célestes choix. En chantant et dansant derrière le porte-croix qui a dévoilé son crucifix, les fidèles regagnent le temple. quand ils arrivent à proximité de leur paroisse, ils allument leur bougie. Au passage du cortège illuminé, des citadins qui sont assis sur le pas de leur porte crient « Alléluia ! », « Christ est vivant ! », « Christ est ressuscité ! », d’autres ricanent de ces chrétiens “va-nu-pieds” qui se réjouissent. La bougie à la main, les fidèles entrent dans la paroisse 31, la chorale fait une animation, un devancier prononce une prière de clôture. L’assemblée récite le Notre-Père, on chante un Gloria, après une dernière bénédiction, les fidèles se dispersent. Le lendemain, le culte dominical comporte une animation musicale plus longue qu’à l’ordinaire et de nombreuses actions de grâces. Le lundi de Pâques, vers six heures du matin, les fidèles se rassemblent sur une place, proche de leur paroisse, qui symbolise pour elle la terre de Galilée. L’ordre des cultes béninois signale : « C’est là qu’on va à la rencontre du Seigneur Jésus tel qu’il a été proclamé dans mathieu 28, 7 ». Ce verset dit : « et allez promptement dire à ses disciples qu’il est ressuscité des morts. Et voici, il vous précède en Galilée : c’est là que vous le verrez. voici, je vous l’ai dit ». une croix est plantée à l’est ; devant sont disposées sept bougies, comme au cimetière. un culte court se déroule, suivi d’une animation de la chorale, puis l’assemblée regagne la paroisse en chantant et en dansant et se disperse après une action de grâces et une bénédiction. À 14 heures, les fidèles reviennent pour célébrer l’agape, un repas communautaire. ils apportent des mets qu’ils déposent sur une table. L’assemblée chante : Restez unis, restez unis Avec un grand amour Car il vous faut prier sans cesse Et vous soumettre au Seigneur, vous entraidant les uns les autres Dans la communion des saints. Préparez-vous dans l’union : L’église de Dieu est unique. Ne soyez pas dans l’orgueil Ni dans les désordres et les clans, Soyez humbles entre vous Dans le respect des saints. évitez les propos fâcheux Et les mauvaises pensées : L’église se fonde sur l’amour. Adorez le Seigneur avec amour ! Car c’est avec amour que les saints Servent le Seigneur. (cantique 240 gun)

31. Selon l’ancienne liturgie, les catholiques célébraient la résurrection du Christ par la bénédiction d’un feu nouveau (un brasier allumé devant l’église) et celle du cierge pascal. Les fidèles en procession portant des cierges éteints entraient dans l’église plongée dans l’obscurité et allumaient leur cierge au cierge pascal. Les cérémonies célestes de la veillée pascale sont imitées de celles que célèbrent les Chérubins et Séraphins qui se rendent également devant un cimetière mais nous ignorons si ces derniers les ont adaptés du rituel catholique ou s’il faut penser qu’une même symbolique a engendré des séquences rituelles très similaires.

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Chapitre viii Le chargé paroissial bénit le repas, puis quelques femmes se chargent de servir les fidèles, en commençant par les grands devanciers et en leur réservant les plats qui semblent les plus délicieux et les meilleurs morceaux de viande. Chacun consomme sa part sur place. Puis une prière est dite, la bénédiction donnée, sept “alléluia” criés et l’assemblée se disperse. Ainsi prennent fin les fêtes de Pâques. iii. La pentecôte Lors du dimanche précédent celui de la Pentecôte, les fidèles sont prévenus qu’à partir du lendemain et jusqu’au dimanche suivant, ils doivent se sanctifier et qu’un culte de prière aura lieu tous les soirs de la semaine. tous les visionnaires de la paroisse et les agités qui veulent se soumettre aux tests de la Pentecôte sont invités à observer une sécurité sur la paroisse au cours de laquelle ils jeûneront de la même manière que tous les fidèles le font durant la semaine sainte. Nous avons longuement décrit dans un chapitre précédent la manière dont se déroulaient les séances d’examen des visionnaires. Dans la nuit de vendredi à samedi le test final est organisé, dans la journée du samedi la proclamation officielle des résultats a lieu. Elle ne concerne pas seulement les visionnaires, les nouveaux choristes et les nouveaux reporters sont également présentés aux paroissiens à cette occasion. C’est aussi ce jour que le meilleur choriste et le meilleur reporter de l’année, choisis parmi les anciens, reçoivent un prix. Le dimanche de Pentecôte, ceux qui ont reçu l’onction lors de la Noël précédente acquièrent le droit de porter les vêtements liturgiques qui correspondent à leur nouveau grade et sont solennellement “habillés” au cours d’une cérémonie qui suit le culte dominical. La Pentecôte est l’anniversaire du jour où Dieu avait donné les tables de la Loi à moïse, on sait que les Apôtres réunis pour cette fête virent descendre sur eux l’Esprit Saint que Jésus leur avait promis pour leur donner la force de se lancer sur les routes afin d’aller proclamer la bonne Nouvelle. Pour les Célestes, la progression dans l’église comme les dons de voir, d’écrire les messages divins, de chanter, participent de la force de l’Esprit Saint et sont donc proclamés le jour où tous les chrétiens célèbrent cette entité. Nous allons décrire ces “cultes de consécration” comme les appellent les fidèles tels que nous les avons vus célébrés à Sikècodji. Ces rites ne figurent pas dans les ordres du culte de l’église et nous ne savons ni quand ils ont été créés ni même si toutes les paroisses les pratiquent. Leur première fonction est de présenter officiellement à l’ensemble des paroissiens ceux d’entre eux qui ont été promus dans l’année, la seconde semble être de redonner une consistance rituelle au sacrement de l’onction dont la banalisation et l’accroissement du nombre des fidèles ont vidé de toute pompe. Samedi, des chaises ont été disposées sur le parvis face au jardin de prière. En attendant que les fidèles et les familles de ceux qui vont être promus arrivent, la chorale mène une animation. L’ambiance est festive, un fidèle connu pour ses qualités d’animateur a pris la direction des opérations et organise ce qu’il appelle un “radio-crochet”, qui n’est pas un concours mais le simple fait que la chorale chante les cantiques que demande le public en écrivant leur titre sur des papiers que l’animateur tire au sort. Ceux qui vont être présentés ne sont pas dans l’assistance, ils attendent dans le temple et sont censés s’y recueillir. À 16 heures, les grands devanciers arrivent et vont s’asseoir à droite de l’autel dans le jardin de prière. Le culte peut commencer. C’est un culte court dont la lecture est choisie en 256

De quelques fêtes chrétiennes… célestes fonction de l’événement du jour. Elle est suivie d’une brève exhortation. Celui qui la prononce rappelle l’utilité de la vision et brode sur le thème de la vision comme lumière : une paroisse sans vision marche dans l’obscurité, la vision est notre lumière, elle éclaire notre chemin, etc. vient enfin le moment de la présentation des nouveaux. La chorale entonne un chant, une procession entre sur le parvis en dansant. Devant marche le porte-croix, suivent les nouveaux choristes. ils entrent dans le jardin de prière et s’agenouillent. Le chargé paroissial ou un autre grand devancier prononce une prière et les bénit. La chorale entonne un nouveau chant. toujours précédés du porte-croix arrivent les reporters qui eux aussi entrent dans le jardin de prière et sont bénis. un troisième chant accueille la procession des visionnaires. Le porte-croix marche en tête, suivent ensuite les nouveaux visionnaires entre lesquels s’intercalent des visionnaires confirmé(e)s qui sont les parrains (ou marraines) du nouveau qui les précède. En dansant la procession fait le tour du parvis et entre à son tour dans le jardin de prière. tous les nouveaux sont à genoux au centre du jardin, les hommes à droite les femmes à gauche, ils tiennent une bougie à la main. L’officiant dit une prière, un des devanciers prépare une coupe qu’il remplit de miel, un autre passe entre les nouveaux et allume leur bougie. L’officiant prend la coupe de miel, s’approche d’un nouveau, lui prend sa bougie des mains, en trempe l’extrémité non allumée dans la coupe de miel, l’approche de la bouche du candidat qui suce le miel, puis lui rend sa bougie. En même temps, il prononce cette prière : « Au nom de Jésus-Christ, nous mettons le miel dans ta bouche, que ton travail soit doux pour l’éternité. Amen ! » L’officiant procède de la même manière avec tous les nouveaux. La séquence rituelle, par son intention et sa gestuelle, tient à la fois de la communion et de l’onction. Comme pendant la communion le fidèle est “nourri”, ici non du corps du Christ mais du miel qui symbolise le travail que produira le don de l’Esprit (la bougie). Comme lors de l’onction cette force qui l’élève lui est transmise par un officiant qui incarne l’église et lui rappelle qu’il doit la mettre au service de l’église. Les choristes et les reporters s’écartent et vont s’asseoir sur les côtés laissant l’espace aux visionnaires qui se lèvent, les parrains et marraines s’approchent de leur filleul et leur attachent la ceinture bleue caractéristique de leur ordre. Puis ils laissent la place aux nouveaux choristes qui s’agenouillent au centre du jardin. Des devanciers ont pris les camails bleus bordés de jaune que portent les choristes et chacun s’approchant d’un nouveau lui enfile un camail 32. Les reporters sont ensuite mis à l’honneur et reçoivent un “cartable” empaqueté d’un papier cadeau des mains d’un devancier. Puis tous les nouveaux consacrés s’agenouillent à nouveau. Les devanciers s’alignent devant la rambarde de l’autel et tous ensemble prient pour les nouveaux. Après cette séquence, l’ambiance qui était au recueillement revient à la fête. L’animateur reprend le micro et annonce que l’on va voir ce que savent faire les visionnaires. Les nouveaux visionnaires sont appelés un par un et présentés à l’assemblée. À l’appel de son nom, le nouveau se place à

32. Comme les autres uniformes de l’église, la coupe et la couleur du camail des choristes résultent d’une vision du fondateur. il s’enfile par la tête grâce à une ouverture triangulaire. Contrairement aux autres uniformes de l’église, les choristes ne possèdent pas leur camail personnel. Les camails restent à l’église et sont distribués aux choristes avant les cultes, ils doivent l’enfiler à genoux. On dit qu’après avoir dessiné le camail des choristes, le fondateur aurait dit “voilà la plus grande tenue de combat que nous ayons jamais eue dans l’église” (yansunnu, op. cit., p. XLviii).

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Chapitre viii l’entrée du jardin de prière et fait face à l’assistance, la chorale entonne alors un des chants préférés du candidat qui se met à danser. Sa prestation entraîne rire ou admiration, acclamations et vivats. Parents et amis se lèvent, viennent féliciter le visionnaire et collent de l’argent sur son front ou le déposent dans une bassine que l’on a disposée à cet effet. quand tous ont accompli leur tour de danse, le président du comité paroissial prononce un discours pour féliciter tous les nouveaux et se réjouir de ce que l’Esprit Saint fait grandir la paroisse. Enfin un repas est distribué à l’assistance. Le lendemain, le culte dominical est particulièrement mouvementé, car la chorale mène plusieurs animations au cours desquelles nombreux sont les visionnaires et les agités qui tombent en transe manifestant ainsi que le Saint-Esprit est présent. Le culte se poursuit par une longue action de grâces offerte par les visionnaires, les reporters et les choristes qui ont été nommés la veille. Les nouveaux visionnaires vont à l’autel en portant chacun une bassine dans laquelle ont été allumées sept bougies 33, et les déposent devant l’autel. À la fin de l’action de grâces, ils reprennent leur bassine et se rendent dans le jardin de prière où le chef des visionnaires prie de nouveau pour eux puis leur donne des instructions pour les semaines qui vont suivre. Pendant ce temps dans le temple, les fidèles qui ont reçu l’onction à Noël sont présentés à l’assemblée. Le cérémonial qui commence avec les fidèles du grade le moins élevé se répète à l’identique pour chaque grade. Deux séries de chaises ont été alignées au centre de la nef, entre l’autel et la porte centrale. Le chargé paroissial, quelques devanciers et deux ou trois autres officiants se placent devant le chœur tournés vers les fidèles qui se sont massés sur les côtés. La chorale entonne un cantique. Par la porte centrale, tous les oints d’un même grade, vêtus de leur seule robe blanche, entrent en deux files dans le temple, les hommes d’un côté les femmes de l’autre. ils avancent entre les chaises. De l’autre côté des chaises, à droite avance la file des parrains et à gauche la file des marraines. Les consacrés entrent en chantant et en dansant derrière le porte-croix. ils tiennent une bougie à la main droite et leur sangle sur le bras gauche. quand les premiers arrivent à la hauteur de la première chaise, tous s’agenouillent. un officiant lit Esaïe 42,1-4 : voici mon serviteur que je soutiendrai, mon élu, en qui mon âme prend plaisir. J’ai mis mon esprit sur lui ; il annoncera la justice aux nations, il ne criera point, il n’élèvera point la voix, Et ne la fera point entendre dans les rues. il ne brisera point le roseau cassé, Et il n’éteindra point la mèche qui brûle encore s ; il annoncera la justice selon la vérité. il ne se découragera point et ne se relâchera point, Jusqu’à ce qu’il ait établi la justice sur la terre, Et que les îles espèrent en sa loi.

33. Cette bassine et ses sept bougies évoquent celle qui est utilisée lors des sorties d’enfants. Comme la nomination de l’enfant et sa présentation au temple lui donne une destinée, l’acquisition du don de vision donne une nouvelle personnalité à l’impétrant.

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De quelques fêtes chrétiennes… célestes Après la lecture, les devanciers qui sont devant l’autel prononcent une prière en parlant tous ensemble. Les consacrés se lèvent et leur parrain (ou marraine) leur attache leur sangle (ou leur passe les surplis et bandoulières qui marquent leur nouveau rang), puis les parrains et les marraines aident leurs filleul(e)s à s’asseoir sur la chaise qui est à côté d’eux comme s’ils étaient des enfants ne sachant pas le faire 34. Le chargé paroissial prend une bougie allumée et la fait passer au premier parrain qui allume la bougie de son filleul et la passe au parrain qui suit et ainsi de suite jusqu’au dernier. il opère de la même façon du côté des femmes. quand toutes les bougies sont allumées, les parrains et marraines s’écartent, la chorale entonne un nouveau chant, les consacrés se lèvent, avancent vers l’autel pour contourner les chaises, se retournent et sortent en dansant. il faut ajouter à ces trois grandes fêtes la fête des moissons 35 qui, pour chaque paroisse, les égale en importance et demande également une longue préparation. C’est un simple culte dominical qui sera suivi de nombreuses actions de grâces et d’une vente de charité ou d’un « bazar » – vente aux enchères d’une simple bougie. La paroisse célébrante lance de nombreuses invitations à d’autres paroisses et à tous les riches sympathisants qu’elle connaît. Les paroisses invitées envoient toujours une délégation à ces fêtes et offrent argent et objets divers. Avec la dîme, la fête des moissons constitue la principale source de revenu des paroisses.

34. Par ce bref geste, la logique initiatique fait une apparition dans le rite. 35. La fête des moissons a été reprise de la liturgie méthodiste. Dans d’autres églises évangéliques cette fête est parfois appelée fête de la reconnaissance.

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CONCLuSiON Récapitulant les explications le plus souvent avancées pour justifier l’attrait que suscitent les églises charismatiques1 au Ghana, Paul Gifford en dresse la liste qui suit. Ces églises seraient de nouvelles communautés qui se substitueraient aux structures traditionnelles défaillantes et rempliraient certaines de leurs fonctions (comme le mariage). Dans une société gérontocratique, ces églises donneraient aux jeunes l’opportunité d’exercer une autorité et redresseraient le déséquilibre entre les sexes. Elles procureraient une assistance matérielle, des opportunités d’emploi, une identité. Par leurs rites exubérants, elles mettraient de la couleur dans la vie terne des fidèles. Elles seraient une place où se sentir chez soi [a place to feel at home2], ou un foyer pour ceux qui en sont dépourvus3. tout en reconnaissant que, de diverses manières et à des degrés variés, ces églises remplissent ces rôles ou pourvoient effectivement à ces attentes, Gifford refuse d’y voir la raison principale de leur popularité4. Avec encore plus d’ironie, Rosalind hackett, dans la conclusion de sa thèse sur le Christianisme Céleste au Nigeria, écrivait : « D’un point de vue fonctionnaliste, l’église sert de bureau pour l’emploi, d’agence matrimoniale, de cabinet chirurgical, de clinique gynécologique, de music-hall, de société d’aide mutuelle et de club de rencontre. L’église peut répondre et répond effectivement à une diversité de besoins pour une diversité de personnes »5. Au-delà, pour cet auteur, dans un contexte de changements intellectuel, social et religieux, la “raison d’être” de l’église est qu’elle procure un système de croyances et d’explications qui prend en compte à la fois les concepts anciens et nouveaux, fournit un moyen de prévoir l’avenir qui induit sécurité et stabilité, et propose une orientation de l’action qui permet aux chrétiens célestes de contrôler leur environnement et les inévitables irrégularités et infortunes qu’il comporte6. Le problème que posent ces explications, qu’elles soient fonctionnalistes ou hortoniennes, est qu’elles peuvent s’appliquer à quantité d’églises nouvelles ou moins nouvelles, rendant ainsi mieux compte des raisons d’une christianisation croissante de la population que du succès d’une église particulière. bien que ces églises diffèrent sensiblement les unes des autres, lorsqu’on en éloigne le regard et que l’on cherche leur “raison d’être” — et

1. Ces églises dites “charismatiques” par les chercheurs anglo-saxons, mais que les Français nomment plus souvent “néopentecôtistes” sont également présentes au bénin. Au-delà de leurs différences, elles ont en commun de mettre fortement l’accent sur l’obtention du succès en ce monde. 2. Cette image qui revient souvent dans les écrits anglo-saxons provient de l’ouvrage de F.b. welbourn et b.A. oGot, A place to Feel at Home. A study of two independent churches in Western Kenya, Oxford 1966. A. Adogame qui, comme ces auteurs, envisage essentiellement le Christianisme Céleste comme une “politique de l’identité” écrit qu’il essaie « de montrer la christianité céleste comme un phénomène dynamique et créatif qui a été transformée et revivifiée non seulement comme religion (foi/tradition) en tant que telle, mais aussi comme “a place to feel at home.” » (A. u. Adogame, Celestial church of Christ…, op. cit., p. 208). 3. P. GiFForD, Ghana’s New Christianity. Pentecotalism in a Globalising African Economy, hurst & Company, Londres 2004, p. viii. 4. Pour Gifford, cette raison est que ces églises prétendent avoir une réponse aux problèmes existentiels des Ghanéens et spécialement au plus pressant d’entre eux : leur survie économique. 5. R. i. J. hackett (éd.), New Religious Movements in Nigeria, op. cit., p. 224. 6. R. i. J. hackett (éd.), New Religious Movements in Nigeria, op. cit., p. 226.

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Conclusion ce de quelque point de vue qu’on se place (fonctionnaliste, intellectualiste, théologique) —, il semble qu’elles se fondent toutes dans le même horizon d’une réponse à la “modernité insécurisée” pour emprunter l’expression de P.-J. Laurent7. Au Sud-bénin, comme en d’autres régions d’Afrique, les difficultés diverses rencontrées par les populations, mais tout aussi bien la réussite de certains groupes ou individus, sont interprétées, explicitement ou tacitement, en terme de sorcellerie, c’est-à-dire selon une pensée du pouvoir qui fournit une théorie pratique d’action. Les rapports sociaux sont des rapports de force où il s’agit de se méfier de l’autre, de se “blinder” contre son agression, de disposer d’armes offensives plus efficaces que lui. toutes les offres religieuses, qu’elles soient chrétiennes ou néotraditionnelles, se targuent d’être supérieures aux autres en ce domaine. Dans ce champ, les églises ont diabolisé le sorcier et enrôlé l’Esprit Saint. toutes partent combattre le premier sous la bannière du second, en ce sens toutes peuvent être qualifiées de “pentecôtistes”. Ce qui les différencie entre elles est, d’une part, les contingences historiques de leur implantation, d’autre part, la manière dont elles entendent protéger leurs fidèles et mettre à leur disposition la force du Saint-Esprit. C’est un lieu commun de constater “l’effervescence” religieuse de l’Afrique, mais une offre religieuse nouvelle ne peut être entendue sans une “structure de plausibilité” qui informe son émergence et son développement et explique son succès. Le Christianisme Céleste est né pendant la période coloniale et s’inscrit dans le mouvement général qui porte alors les Dahoméens à vouloir reprendre en main les rênes de leur destinée. L’élite sociale qui incarne ce courant dans le champ politique est majoritairement catholique, elle pratique un christianisme qui laisse cohabiter (joyeusement pour les aguda, de manière plus tendue pour les akowe)8 la liturgie officielle et le recours aux pratiques traditionnelles, selon une logique dont l’image « du climatiseur et de la véranda » utilisée par E. terray9 rend bien compte. Le Christianisme Céleste, qui propose de tenir ensemble la foi chrétienne, la divination et la protection contre les sorciers, dans une critique explicite de la religiosité éclatée des catholiques (et donc des élites), recrute alors dans une population modeste, essentiellement rurale. La période de la révolution “laxiste-béniniste” des années 1970 écarte les akowe et porte au pouvoir des « catégories sociales subalternes »10. C’est à cette époque que le Christianisme Céleste commence une expansion citadine, recrute des cadres et s’organise selon un modèle bureaucratique qui est aussi celui du parti unique alors au pouvoir. La nouvelle classe dirigeante qui n’a pas acquis sa qualification de naissance par son appartenance à un milieu favorisé, mais par “mérite”, a un rapport beaucoup moins détendu — moins “distingué”, pour utiliser un vocabulaire bourdieusien —, à l’instruction et à la culture occidentale que l’ancienne. L’usage et l’inflation des procès-verbaux, des règlements

7. Cf. P.- j. laurent, Les pentecôtistes du Burkina Faso. Mariage, pouvoir et guérison, iRD-Karthala, Paris 2003. 8. Les aguda ou brésiliens sont les métis et les descendants des esclaves revenus du brésil après l’interdiction de la traite esclavagiste. ils formèrent jusqu’au début de la colonisation une élite riche et instruite. Sous la colonisation, au fur et à mesure que l’instruction se répandait, les akowe (évolués), gens du pays, supplantèrent les aguda. (Cf. R. baneGas, La démocratie à pas de caméléon. Transition et imaginaires politiques au Bénin. Karthala, Paris 2003). 9. Cf. E. terray, « Le climatiseur et la véranda », dans Afrique plurielle, Afrique actuelle. Hommage à Georges Balandier, Karthala, Paris 1986. 10. Cf. les analyses de R. banéGas, La démocratie à pas de caméléon, op. cit.

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Conclusion internes, des procédures d’examen, des listes et des feuilles d’ordonnances qui marquent alors les pratiques célestes sont un écho de la quête de légitimité culturelle de la nouvelle classe gouvernante. Dans les années 1990, le retour à la démocratie, la crise économique, l’extension de l’imaginaire de la “mondialisation”, ont fait émerger d’autres figures de la réussite moins centrées sur l’instruction que sur la richesse et la médiatisation. Dans le champ religieux, cette époque voit apparaître des mouvements qui se développent surtout en milieu urbain, à l’initiative de jeunes instruits, nés dans un milieu social aisé : « Ces mouvements n’attirent en général pas les plus démunis, mais des jeunes relativement bien formés et ayant des ambitions de mobilité sociale »11. De cette tendance relève l’offre néopentecôtiste fortement axée sur l’obtention du succès. Pour le moment, il ne semble pas que le Christianisme Céleste ait beaucoup souffert de cette concurrence12, néanmoins on peut se demander de quelle manière il s’adapte à cette nouvelle donne. il faut d’abord noter que le parcours d’Oshoffa correspond particulièrement bien au nouvel imaginaire de la réussite. René bureau laisse entendre qu’il n’y a de bon prophète que mort : « L’institution est l’ennemie du prophète. Au cas où le prophète se laisse prendre à la tentation d’administrer sa “clientèle”, il lui arrive ce que Loisy13 disait du christianisme : “Jésus a prêché le Royaume, et c’est l’église qui est venue” »14. Oshoffa a réussi non seulement à être prophète et gestionnaire de l’église qu’il a créée, mais a su également utiliser les médias et devenir une véritable vedette à qui ont été rendues des funérailles nationales et œcuméniques. Les néopentecôtistes se réclament d’une forme de christianisme “mondialisé” et cultivent un style “américain” en s’habillant à l’occidentale, en chantant des gospels, en invitant des pasteurs anglophones. Au contraire, les célestes sont fiers de la traduction africaine que leur fondateur a su faire de la religion des blancs. ils la considèrent d’ailleurs comme une version infiniment supérieure dont ils pensent qu’elle finira par conquérir le monde entier. L’internationalisation effective du Christianisme Céleste est leur réponse aux processus exogènes du néopentecôtisme. toutes les institutions pentecôtistes ont à gérer la distribution des charismes et plus particulièrement à contenir le charisme de guérison. Ce dernier est le plus attirant pour les “clients”, le plus étroitement lié à la personnalité de celui qui l’exerce, il constitue ainsi un foyer potentiel de déviations et de dissidences. La manière dont est organisée la répartition des charismes est probablement ce qui distingue le plus ces églises les unes des autres et ce qui leur donne leur “style” particulier. beaucoup d’entre elles ont choisi de dédoubler leur espace, réservant le

11. R. marshall-Fratani et D. PéclarD, « La religion du sujet en Afrique », Politique Africaine 87 (2002), p. 5-19 (p. 9). 12. Les statistiques établies par le projet ARCEb (2001) montrent qu’entre 1990 et 2000, si les églises missionnaires ont accusé un net fléchissement, le Christianisme Céleste a continué son expansion. Celles du dernier recensement national de 2002 montrent que 56 % des célestes ont moins de 18 ans et que dans la tranche d’âge des plus de 18 ans, 62 % ont moins de 35 ans. Cette jeunesse de sa population n’est pas un phénomène propre à cette confession, mais il est particulièrement accentué dans son cas. On peut évidemment se demander si ces jeunes sont des nouveaux convertis ou plus simplement des personnes élevées dans cette religion. 13. Ecclésiastique catholique et exégète à la pensée moderniste (il fut excommunié en 1908) qui professa l’histoire des religions au Collège de France. 14. R. bureau, Anthropologie, religions africaines et christianisme, Karthala, Paris 2002, p. 286.

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Conclusion temple à l’écoute de la parole divine, aux témoignages des fidèles, à la liturgie ordinaire, et créant des espaces autres (les camps de guérison) où, sous la forme de l’exorcisme, s’exerce le charisme de guérison. Le Christianisme Céleste a fait un tout autre choix en constituant ses paroisses en “espaces totalitaires” où tout ce que l’on y fait, à commencer par le simple acte d’y entrer, est déjà un rite. La pratique de la guérison spirituelle y est divisée entre plusieurs charismes, les visionnaires posant le diagnostic et préconisant le traitement que les orants se chargent d’appliquer. L’exercice des divers charismes y est à la portée, sinon du premier venu, du moins des plus modestes de ses fidèles. La force du Saint-Esprit n’est pas mobilisée par le savoir-faire de quelques pasteurs. Son abondance est l’affaire de tous et découle, d’une part de la grâce spéciale dont avait été doté le fondateur, d’autre part de l’effectuation des rites. Pour faire descendre cette force des cieux, les chrétiens célestes se purifient, clôturent des espaces et les orientent, y placent des objets consacrés…, bref, célèbrent des rites qui les singularisent15. Nous avons montré que les paroisses célestes sont loin d’être des espaces édéniques qui, en plus de pallier tous les manques de l’état, autoriseraient une sociabilité dégagée du soupçon (de sorcellerie). Les fidèles en sont bien conscients qui les quittent souvent pour créer d’autres paroisses plus conformes à leur idéal ou pour rejoindre d’autres dénominations. Ceux qui restent dans l’église ne cultivent pas plus d’illusions que les premiers, mais sont attachés aux particularités de leur liturgie, faisant ainsi un choix qui est aussi esthétique qu’éthique.

Néret, décembre 2006

15. Parmi les auteurs que nous avons eu l’occasion d’évoquer au cours de ce travail, c’est Jeffrey Carter qui se montre le plus sensible aux enjeux de la ritualisation dans le Christianisme Céleste, mais voulant rendre compte tout à la fois de l’efficacité rituelle, du syncrétisme et de “l’invention de la tradition”, il étouffe la pertinence de son propos sous une périlleuse construction théorique.

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BiBLiOGRAphiE

À ce jour, seulement deux ouvrages publiés sont consacrés à l’église du Christianisme Céleste (a. u. aDoGame, Celestial church of Christ… et A. de surGy, L’Église du Christianisme Céleste…) ; mais il existe quantité de thèses et d’articles (principalement en anglais) qui, dans la bibliographie, sont marqués d’un astérisque, quand leur titre n’indique pas de manière explicite qu’ils traitent du Christianisme Céleste.

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DOCumENtS

Documents provenant de l’église du Christianisme Céleste — 12 octobre 1956 – Lettre de m. Ochoffa au commandant de cercle de PortoNovo déclarant la société religieuse de l’union de la Sainte trinité dite « église du Christianisme Céleste » (8 p.) — 6 janvier 1973 – Lettre de S. b.J. Oschoffa, Prophète, Pasteur et Fondateur du Christianisme Céleste à monsieur Jean Kpakpavi, Paroisse de tokoin (Lome, togo) (4 p.) — 15 janvier 1975 – Procès-verbal de la réunion du Comité directeur Supérieur de l’église, élargi aux délégués des paroisses de l’Ouémé et de l’Atlantique (16 p.) — 25 janvier 1981 – Lettre de S. b. J. Oschoffa à mon Frère et Ami, Evangéliste tiamou Lucien (1 p.) — 4 août 1981 – Conseils à mon représentant de l’église du Christianisme Céleste au bénin, l’évangéliste Lucien N. tiamou, par moi Révérend S. b. J. Oschoffa, Prohète Pasteur Fondateur de l’église du Christianisme Céleste en tournée au Nigeria (1 p.) — 27 août 1981 – Lettre des responsables nationaux de l’église au camarade ministre de l’intérieur et de la Sécurité Publique, Cotonou (21 p.) — 29 octobre 1982 – Lettre de S. b.J. Oshoffa, A. A. bada, S. O. Ajanlekoko au Supérieur évangéliste P. h. Ajose, Lagos, (lettre en yoruba accompagnée de sa traduction en anglais) (2 p.) — 5 mai 1984 – minutes of the meeting of honorary Evangelists presided over by the Pastor & Founder of the Celestial Church of Christ, diffusé par le Diocèse du Nigeria, sous forme d’une brochure intitulée His last meeting-His « Will », s.l.n.d. (22 p.). — 30 juin 1984 – Décision pastorale n° 02/SiK/84 portant nomination des responsables nationaux, Ketu (1 p.) — 17 août 1984 – Lettre de S. b.J. Oshoffa aux représentants de l’église du Christianisme Céleste. évangélisation du monde, Ketu (1 p.) — 8 février 1986 – Lettre circulaire du Révérend Pasteur bada à tous les Chrétiens Célestes du monde entier, Ketu, (lettre en anglais accompagnée de sa traduction en français) (3 p.) — 31 juillet 1986 – Lettre ouverte des responsables nationaux de l’église du Christianisme Céleste au bénin à Son Excellence le « Suprim » Alexandre Abiodun bada, responsable national de l’église au Nigeria, Cotonou (8 p.) — 5 octobre 1986 – Spiritual message for Celestial Church of Christ Worlwide given through Superior Prophetess t. Arowodola on Sunday 5th October, 1986, during the morning Devotional Service at ijeshtedo i Oluwaseyi Parish. Further Developments on the message of 5/10/86 (5 p.) — 8 décembre 1986 – Procès-verbal synthétique des trois réunions des délégations nigériane et béninoise, réunions tenues respectivement les 15 et 21 novembre et le 8 décembre, à la plage de Sèmè (R.P.b.) et Ketu-Lagos (Nigeria) (8 p.) et Composition du Comité mondial (2 p.) 273

Documents — s.d. [janvier 1987] – Note circulaire à tous les délégués de provinces et responsables de paroisses du Senior évangéliste Lucien tiamou, représentant de l’église du Christianisme Céleste auprès des autorités politico-administratives du bénin (2 p.) — 12 janvier 1987 – Réponse des délégués provinciaux de l’église du Christianisme Céleste à la lettre sans date du Senior évangéliste tiamou Lucien, Cotonou, (2 p.) — 24 janvier 1987 – Procès-verbal synthétique de la réunion du 24 janvier 1987 à Porto-Novo (R.P.b.) Siège mondial de l’église, Porto-Novo (6 p.) — 26 février 1987 – Engagement commun des Responsables Nationaux de l’Eglise adressé à la Présidence de la République du bénin, Cotonou (1 p.) — 16 mai 1987 – Statuts de l’église d’Oshoffa dite Christianisme Céleste Autonome de Côte d’ivoire et Procès-verbal de l’assemblée générale constitutive, Abidjan, (20 p.) — 5 septembre 1987 – Procès-verbal de la réunion du Comité mondial de l’église du Christianisme Céleste, tenue à cette date à Ketu-Lagos (Nigeria) (18 p.) — 31 octobre 1987 – Proclamation à toutes les paroisses chrétiennes célestes du monde entier faite à Porto-Novo par le Senior évangéliste Lucien tiamou (1 p.) — 27 janvier 1988 – Procès-verbal de la réunion des hauts dignitaires tenue à cette date à Porto-Novo (5 p.) — 3 juin 1988 – Fiche au camarade Président de la République, chef de l’état, Président du C.E.N. du Secrétaire national et mondial de l’église du Christianisme Céleste, Cotonou (3 p.) — 21 novembre 1988 – Fiche au camarade ministre de l’intérieur, de la Sécurité Publique et de l’Administration territoriale du Secrétaire mondial de l’église du Christianisme Céleste, Cotonou (5 p.) — 22 décembre 1990 – Lettre du vénérable évangéliste Lucien tiamou et du Senior évangéliste Paul Gonçalves à Son Excellence le Supérieur benoît Agbaossi, Cotonou (2 p.) — 3 novembre 1993 – Lettre du Pasteur A. A. bada, pasteur et chef suprême de l’église dans le monde entier au Supérieur évangéliste b. Agbaossi lui notifiant la suspension de ses fonctions de chef de diocèse, Ketu (1 p.) — 3 novembre 1993 – Lettre circulaire à tous les diocèses de l’église du Christianisme Céleste du monde entier. Décision pastorale à propos du Supérieur évangéliste benoît Agbaossi, Ketu (12 p.) — 10 décembre 1995 – Rapport d’activité du Comité mondial et la nouvelle administration du révérend Pasteur A. A. bada pendant la décennie, par le Senior évangéliste Paul Gonçalves, Cotonou (8 p.) — 14 septembre 1996 – Communiqué final du Synode extraordinaire de l’église du Christianisme Céleste, Porto-Novo (4 p. + 3 p. de signatures) — 18 octobre 1996 – Communiqué final, Convention mondiale extraordinaire de l’église du Christianisme Céleste, imeko (6 p.) — 18 octobre 1996 – Communiqué final de la Conférence mondiale de l’église universelle du Christianisme Céleste tenue le 18 octobre 1996 à imeko a partir de 10 heures et présidée par son éminence le Révérend Alexander Abiodun bada, Pasteur et Chef Suprême de l’église universelle du Christianisme Céleste, imeko (5 p.) 274

Documents — s.d. [mars 1998] Notes d’information de l’église du Christianisme Céleste à la presse, Porto-Novo (4 p.) — 30 juin 2000 – Judgment in the Supreme Court of Nigeria, holden at Abuja, between J. K. Owodunni and Registered trustees of Celestial Church of Christ, A. A. bada, J. O. Pase, E. O. Gbinigie (61 p.) — 1er septembre 2000 – CCC Pastoral Declaration/Policy Document, signé du Pasteur bada (2 p.). — 4 septembre 2000 – Lettre du board of trustees au most Senior Evangelist G. Jesse, signée des Senior Evangelist banjo, Ogunlessi, Adefeso, Ketu (1 p.) — s.d. [2000] – Lettre ouverte du Secrétaire mondial de l’église du Christianisme Céleste à messieurs les honorables membres de la Cour Suprême du Nigeria en réponse à leur verdict du vendredi 20 juin 2000, Cotonou (6 p.) — 1er novembre 2000 – Statuts et règlement intérieur, document adopté à PortoNovo au Siège mondial, le dimanche 16 juin 1996 et amendé par les Synodes des 14 avril et 1er novembre 2000, Porto-Novo. — 23 août 2001 – Lettre du Secrétaire Général du Comité mondial de l’église du Christianisme Céleste à Son Excellence le Président mathieu Kérékou, chef de l’Etat, chef du Gouvernement, Cotonou (2 p.) — 21 septembre 2001 – minutes of the meeting of the Pastor-in-Council held on 21st september, 2001 at the Celestial Church of Christ National headquarters, makoko Yaba Lagos (6 p.) — 1er octobre 2001 – Lettre du Secrétaire Général du Comité mondial de l’église du Christianisme Céleste à Son Excellence le Secrétaire Général du Conseil pastoral de l’église du Christianisme Céleste, Cotonou (8 p.) — 29 décembre 2001 – Communiqué final du Conseil des dignitaires de l’église du Christianisme Céleste portant proclamation du Supérieur Senior évangéliste Lucien tiamou en tant qu’unique Pasteur et Chef mondial de l’église du Christianisme Céleste, Cotonou (2 p.) — 26 janvier 2002 – Compte-rendu de la réunion informelle des responsables délégués de l’église du Christianisme Céleste des diocèses du bénin, de la Côte d’ivoire, du Gabon et du togo, Cotonou (4 p.) — 2 mai 2002 – Lettre du révérend Pasteur Lucien tiamou, chef mondial de l’église du Christianisme Céleste aux membres du Conseil Pastoral, Parakou (1 p.) — 29 mai 2002 – Compte-rendu de la réunion entre le directeur des Affaires Politiques et les 4 tendances de l’église du Christianisme Céleste en Côte d’ivoire, Abidjan (3 p.) — 24 juin 2002 – Lettre du ministre de l’intérieur de la Sécurité et de la Décentralisation du togo au Révérend Pasteur Evangéliste P. A. bellow de l’église du Christianisme Céleste du togo, Lomé (1 p.) — 8 juillet 2002 – Lettre des dignitaires de l’Eglise à Notre Père en Christ, benoît Agbaossi, injonctions spirituelles pour l’unité de l’église du Christianisme Céleste dans le monde entier, Lagos (2 p.) — 15 juillet 2002 – Lettre du Révérend Pasteur benoît Agbaossi aux dignitaires, membres du comité des trustees et du Conseil Pastoral, Porto-Novo (1 p.) — 24 juillet 2002 – Lettre des dignitaires de l’Eglise à Son Excellence monsieur mathieu Kérékou, Président de la République du bénin, Ketu (2 p.) 275

Documents — 12 août 2002 – Lettre pastorale du Révérend Pasteur benoît Agbaossi à tous les dignitaires et responsables de l’église du Christianisme Céleste. Paix et réconciliation dans la sainte église venue des Cieux, Porto-Novo (3 p.) — 12 septembre 2002 – Lettre du révérend Pasteur benoît Agbaossi à toutes les paroisses de Côte-d’ivoire, Porto-Novo (1 p.) — 13 septembre 2002 – Lettre du Supérieur Ediemou au Supérieur Zagadou Akeble L., Abidjan (1 p.) — 15 septembre 2002 – Procès-verbal de la réunion extraordinaire du dimanche 15 septembre 2002, Comité directeur national de l’église du Christianisme Céleste en Côte d’ivoire (7 p. + liste de présence) — 19 septembre 2002 – Lettre du board of trustees/Pastor in Council à Papa benoît Agbaossi, Ketu (2 p.) — 22 septembre 2002 – Procès-verbal de la réunion extraordinaire du dimanche 22 septembre 2002, Comité directeur national de l’église du Christianisme Céleste en Côte d’ivoire (9 p. + liste de présence) — 28 septembre 2002 – Press release, international headquarters, Ketu (2 p.) — 25 décembre 2002 – Proclamation du révérend Emmanuel Oshoffa Pasteur et chef mondial de l’église du Christianisme Céleste remplaçant du révérend Philippe hounsu Ajose, Conseil Pastoral (1 p.) — 6 janvier 2003 – Discours Programme du révérend Emmanuel Oschoffa, Pasteur et Chef spirituel mondial de l’église du Christianisme Céleste à la réunion des Chargés paroissiaux, tenue à cette date, au Siège international de Ketu, Lagos. — 15 mars 2003 – Décision pastorale N° 051/03/ECC/SS/CSm/Sm portant nomination des membres du Comité Supérieur mondial de l’église du Christianisme Céleste et de ses Commissions permanentes, Porto-Novo. — 10 mai 2003 – Compte-rendu de la cérémonie d’installation du Comité Supérieur mondial et ses commissions permanentes, Porto-Novo. Documents provenant de la paroisse de Sikècodji : tous les documents cités dans cette partie ont été rédigés à Cotonou. — 6 avril 1974 – Formation du comité paroissial et des groupements paroissiaux d’activités (5 p.) — 19 septembre 1983 – Schéma de l’appareil administratif et socioculturel de Sikècodji (11 p.) — 10 décembre 1983 – Règlement interne du sous-comité des femmes (10 p.) — 20 août 1987 – Le manifeste du reporter (3 p.) — 29 février 1988 – Compte-rendu de la réunion du conseil de discipline (4 p.) — 7 mai 1988 – Décision du comité restreint du comité de la paroisse de Sikècodji (2 p.) — 15 mai 1989 – Compte-rendu de la réunion du sous-comité des femmes tenue le 14 mai 1989 (3 p.) — 10 septembre 1989 – Compte-rendu de la réunion du comité paroissial restreint (4 p.) — 5 novembre 1989 – Réunion extraordinaire du bureau du sous-comité des femmes (5 p.) 276

Documents — 8 décembre 1989 – Réunion extraordinaire du sous-comité des femmes (5 p.) — 28 octobre 1989 – Règlement intérieur du sous-comité des surveillants (3 p.) — 5 mai 1990 – Compte-rendu de la réunion du comité paroissial restreint (4 p.) — 17 juillet 1990 – Rapport de la réunion du sous-comité des femmes (4 p.) — 20 janvier 1991 – Procès-verbal de l’assemblée générale ordinaire du collège des leaders de la paroisse de Sikècodji (5 p.) — 16 mars 1991 – Compte-rendu de la réunion du bureau du sous-comité des reporters (3 p.) — 14 juillet 1991 – Compte-rendu de l’assemblée générale du sous-comité des reporters élargie à l’équipe de vision et prophétie (5 p.) — 2 novembre 1991 – Règlement interne du sous-comité des reporters (8 p.) — 10 novembre 1991 – Compte-rendu de la réunion du bureau du sous-comité des reporters (4 p.) — s.d. [novembre 1991] – bilan d’activités du collège des leaders (3 p.) — 1991 [sans autre précision] – Statuts et règlement intérieur du collège des leaders (7 p.) — 18 mars 1992 – Compte-rendu de réunion du sous-comité des reporters (3 p.) — 25 avril 1992 – Règlement interne du sous-comité des visionnaires (34 p.) — 27 juin 1992 – bilan d’activités du sous-comité des femmes (5 p.) — 24 mars 1993 – Compte-rendu de la réunion du bureau du sous-comité des femmes tenue le dimanche 14 mars 1993 (3 p.) — 22 octobre 1995 – Procès-verbal de la réunion de travail du chargé paroissial avec le collège des leaders (8 p.) — 4 décembre 1995 – Procès-verbal de la réunion extraordinaire de la trinité pour traiter de la situation conflictuelle créée par la conduite malsaine du frère […]. et de la sœur […] (12 p.) — 12 février 1997 – Sous-comités et groupements assimilés (4 p.) — 1er juin 1997 – Règlement interne du sous-comité des relations inter-paroissiales et extérieures (6 p.) — 13 juillet 1997 – Règlement interne du sous-comité de la chorale Jesu Pego (9 p.) — 9 novembre 1997 – Compte-rendu de réunion de concertation du Président du comité paroissial et les maîtres d’autel (1 p.)

277

tABLE DES mAtièRES transcription des termes vernaculaires Citations bibliques

7 7

Avant-propos

9

introduction La sorcellerie Sorcellerie et églises Organisation de l’ouvrage

13 15 17 23

Chapitre i La naissance d’un mouvement prophétique

25

i. Le mouvement aladura ii. Porto-Novo Chapitre ii Samuel Oshoffa (1909-1985) et la fondation du Christianisme céleste i. Origine et jeunesse du prophète ii. La première vision iii. La seconde vision iv. Relation avec les autorités et les autres églises v. Prodiges, signes et miracles vii. Portrait de prophète en majesté Chapitre iii histoire de l’église du Christianisme céleste et de son organisation i. Les débuts de l’église au Nigeria ii. L’organisation de l’église iii. Des mécontents iv. Lumière sur le Christianisme céleste v. La période marxiste-léniniste béninoise vi. L’expansion au Nigeria vii. Les troubles de la succession viii. La conspiration de Ketu iX. Les tentatives de réconciliation X. La succession de bada Xi. La succession d’Ajose Xii. L’éphémère réconciliation Xiii. Deux nouveaux Pasteurs

26 33 37 38 44 49 52 55 65 73 73 75 77 79 80 83 85 90 94 98 100 102 104 279

Table des matières Chapitre iv Paroisse et hiérarchie i. La paroisse de Sikècodji ii. La hiérarchie céleste iii. Des conflits Chapitre v L’église descendue des cieux i. L’espace rituel ii. Le culte dominical iii. Les cultes hebdomadaires iv. Le premier jeudi du mois Chapitre vi Le visionnaire et son reporter i. transes, visions et divination ii. écrire le vu iii. Les recommandations spirituelles iv. Les travaux spirituels v. L’exercice de la vision Chapitre vii Naître et mourir en chrétien céleste i. La sortie d’enfant ii. Le mariage iii. Les rites funéraires Chapitre viii De quelques fêtes chrétiennes… célestes i. Noël ii. Les Pâques iii. La Pentecôte

109 112 118 131 145 146 154 171 171 175 175 189 193 197 210 221 221 224 225 245 246 251 256

Conclusion

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bibliographie

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Documents Documents provenant de l’église du Christianisme Céleste Documents provenant de la paroisse de Sikècodji

273 273 276

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BiBLiOthèQuE DE L’éCOLE DES hAutES étuDES, SCiENCES RELiGiEuSES vol. 105 J. Bronkhorst Langage et réalité : sur un épisode de la pensée indienne 133 p., 155 x 240, 1999, Pb, iSbN 978-2-503-50865-8 vol. 106 ph. Gignoux (dir.) Ressembler au monde. Nouveaux documents sur la théorie du macro-microcosme dans l’Antiquité orientale 194 p., 155 x 240, 1999, Pb, iSbN 978-2-503-50898-6 vol. 107 J.-L. Achard L’essence perlée du secret. Recherches philologiques et historiques sur l’origine de la Grande Perfection dans la tradition ‘rNying ma pa’ 333 p., 155 x 240, 1999, Pb, iSbN 978-2-503-50964-8 vol. 108 J. Scheid, v. huet (dir.) Autour de la colonne Aurélienne. Geste et image sur la colonne de Marc Aurèle à Rome 446 p., 176 ill. n&b, 155 x 240, 2000, Pb, iSbN 978-2-503-50965-5 vol. 109 D. Aigle (dir.) Miracle et Karæma. Hagiographies médiévales comparées 690 p., 11 ill. n&b, 155 x 240, 2000, Pb, iSbN 978-2-503-50899-3 vol. 110 m. A. Amir-moezzi, J. Scheid (dir.) L’Orient dans l’histoire religieuse de l’Europe. L’invention des origines. Préface de Jacques Le Brun 246 p., 155 x 240, 2000, Pb, iSbN 978-2-503-51102-3 vol. 111 D.-O. hurel (dir.) Guide pour l’histoire des ordres et congrégations religieuses (France, siècles) 467 p., 155 x 240, 2001, Pb, iSbN 978-2-503-51193-1 vol. 112 D.-m. Dauzet Marie Odiot de la Paillonne, fondatrice des Norbertines de Bonlieu (Drôme, 1840-1905) xviii + 386 p., 155 x 240, 2001, Pb, iSbN 978-2-503-51194-8

xvie-xixe

vol. 113 S. mimouni (dir.) Apocryphité. Histoire d’un concept transversal aux religions du Livre 333 p., 155 x 240, 2002, Pb, iSbN 978-2-503-51349-2 vol. 114 F. Gautier La retraite et le sacerdoce chez Grégoire de Nazianze iv + 460 p., 155 x 240, 2002, Pb, iSbN 978-2-503-51354-6 vol. 115 m. milot Laïcité dans le Nouveau Monde. Le cas du Québec 181 p., 155 x 240, 2002, Pb, iSbN 978-2-503-52205-0 vol. 116 F. Randaxhe, v. Zuber (éd.) Laïcité-démocratie : des relations ambiguës x + 170 p., 155 x 240, 2003, Pb, iSbN 978-2-503-52176-3 vol. 117 N. Belayche, S. mimouni (dir.) Les communautés religieuses dans le monde gréco-romain. Essais de définition 351 p., 155 x 240, 2003, Pb, iSbN 978-2-503-52204-3 vol. 118 S. Lévi La doctrine du sacrifice dans les Brahmanas xvi + 208 p., 155 x 240, 2003, Pb, iSbN 978-2-503-51534-2 vol. 119 J. R. Armogathe, J.-p. Willaime (éd.) Les mutations contemporaines du religieux viii + 128 p., 155 x 240, 2003, Pb, iSbN 978-2-503-51428-4 vol. 120 F. Randaxhe L’être amish, entre tradition et modernité 256 p., 155 x 240, 2004, Pb, iSbN 978-2-503-51588-5 vol. 121 S. Fath (dir.) Le protestantisme évangélique. Un christianisme de conversion xii + 379 p., 155 x 240, 2004, Pb, iSbN 978-2-503-51587-8 vol. 122 Alain Le Boulluec (dir.) À la recherche des villes saintes viii + 184 p., 155 x 240, 2004, Pb, iSbN 978-2-503-51589-2

vol. 123 i. Guermeur Les cultes d’Amon hors de Thèbes. Recherches de géographie religieuse xii + 664 p., 38 ill. n&b, 155x240, 2005, Pb, iSbN 978-2-503-51427-7 vol. 124 S. Georgoudi, R. piettre-Koch, F. Schmidt (dir.) La cuisine et l’autel. Les sacrifices en questions dans les sociétés de la Méditérrannée ancienne xviii + 460 p., 23 ill. n&b, 155 x 240. 2005, Pb, iSbN 978-2-503-51739-1 vol. 125 L. Châtellier, ph. martin (dir.) L’écriture du croyant viii + 216 p., 155 x 240, 2005, Pb, iSbN 978-2-503-51829-9 vol. 126 (Série “histoire et prosopographie” n° 1) m. A. Amir-moezzi, C. Jambet, p. Lory (dir.) Henry Corbin. Philosophies et sagesses des religions du Livre 251 p., 6 ill. n&b, 155 x 240, 2005, Pb, iSbN 978-2-503-51904-3 vol. 127 J.-m. Leniaud, i. Saint martin (dir.) Historiographie de l’histoire de l’art religieux en France à l’époque moderne et contemporaine. Bilan bibliographique (1975-2000) et perspectives 299 p., 155 x 240, 2005, Pb, iSbN 978-2-503-52019-3 vol. 128 (Série “histoire et prosopographie” n° 2) S. C. mimouni, i. ullern-Weité (dir.) Pierre Geoltrain ou Comment « faire l’histoire » des religions ? 398 p., 1 ill. n&b, 155 x 240, 2006, Pb, iSbN 978-2-503-52341-5 vol. 129 h. Bost Pierre Bayle historien, critique et moraliste 279 p., 155 x 240, 2006, Pb, iSbN 978-2-503-52340-8 vol. 130 (Série “histoire et prosopographie” n° 3) L. Bansat-Boudon, R. Lardinois (dir.) Sylvain Lévi. Études indiennes, histoire sociale ii + 536 p., 9 ill. n&b, 155 x 240, 2007, Pb, iSbN 978-2-503-52447-4 vol. 131 F. Laplanche, i. Biagioli, C. Langlois (dir.) Autour d’un petit livre. Alfred Loisy cent ans après 351 p., 155 x 240, 2007, Pb, iSbN 978-2-503-52342-2

vol. 132 L. Oreskovic Le diocèse de Senj en Croatie habsbourgeoise, de la Contre-Réforme aux Lumières vii + 592 p., 6 ill. n&b, 155 x 240, 2008, Pb, iSbN 978-2-503-52448-1 vol. 133 t. volpe Science et théologie dans les débats savants du xviie siècle : la Genèse dans les philosophical transactions et le Journal des savants (1665-1710) 472 p., 10 ill. n&b, 155 x 240, 2008, Pb, iSbN 978-2-503-52584-6 vol. 134 O. Journet-Diallo Les créances de la terre. Chroniques du pays Jamaat (Jóola de Guinée-Bissau) 368 p., 6 ill. n&b, 155 x 240, 2007, Pb, iSbN 978-2-503-52666-9