115 73 3MB
Latin Pages [128] Year 1955
Table of contents :
Front Cover
La vertu et les vertus
PH DELHAYE
CAHIER 3
CAHIER 4
ANALECTA
MEDIAEVALIA
NAMURCENSIA
5
FLORILEGIUM
MORALE
OXONIENSE
Ms. Bodl. 633
PRIMA PARS FLORES
PHILOSOPHORUM
TEXTE PUBLIÉ ET COMMENTÉ PAR PH. DELHAYE PROFESSEUR A LA FACULTÉ DE THÉOLOGIE DE LILLE
ÉDIT. NAUWELAERTS 2, Place Cardinal Mercier Louvain
LIBRAIRIE GIARD 2, Rue Royale Lille
1955
B ANALECTA MEDIAEVALIA NAMURCENSIA
720 Collection de textes et d'études publiée par le Centre d'Etudes Médiévales 4, boulevard du Nord, Namur.
.A53
no.5
CAHIER 1 PH. DELHAYE DOCTEUR EN THÉOLOGIE ET PHILOSOPHIE UNE CONTROVERSE SUR L'AME UNIVERSELLE AU IX
SIECLE
CAHIER 2 C. LAMBOT
DOCTEUR EN THÉOLOGIE RATRAMNE DE CORBIE LIBER DE ANIMA AD ODONEM BELLOVACENSEM Texte inédit CAHIER 3 PH. DELHAYE GAUTHIER DE CHATILLON EST-IL L'AUTEUR DU MORALIUM DOGMA ?
CAHIER 4 JEAN DUGAUQUIER PIERRE LE CHANTRE SUMMA
DE
SACRAMENTIS
ET ANIMAE CONSILIIS Première partie Hors série PH. DELHAYE
L'ORGANISATION SCOLAIRE AU XII
SIECLE
Préface
Cette publication d'un florilège oxonien s'insère dans un' effort pour reconstituer l'histoire de la morale au XII siècle et je voudrais dire ici exactement quelle place elle y occupe. L'activité scientifique d'une époque est toujours liée de près ou de loin à l'enseignement. Rares sont les chercheurs qui ont le bonheur de pouvoir se livrer à leurs travaux et à leurs publications sans devoir sacrifier aux servitudes des programmes et de la pédagogie. Il importe donc si l'on veut faire un inventaire de la morale à une époque, de rechercher où et comment on y enseignait cette discipline. C'est ce que nous avons essayé de faire dans trois articles : L'organisation scolaire au XIIe siècle (Traditio, 1947, t . 5, p . 211-268) , La place de l'éthique parmi les disciplines scientifiques au XIIe siècle (Mélanges Arthur Janssen, Louvain , s . d ., p . 29-44) , L'enseignement de la philosophie morale au XIIe siècle (Mediaeval Studies , 1949, t . 11 , p. 7799) . Il est certes curieux de préciser la part que les théologiens et les canonistes ont donnée à la morale dans leurs Mais il paraît peut-être plus urgent et plus voir le sort que lui firent les professeurs de de nouveau philosophie. A vue de terrain, on peut ranger en trois ouvrages.
grandes classes les ouvrages qu'ils lui consacrèrent. Il y a tout d'abord une discussion des bases de la morale. On la retrouve principalement chez Abélard et Jean de Salisbury s'inspirant qui de saint Augustin, qui de Boèce , et par delà, du Platonicisme et du Stoïcisme pour poser la question du bien suprême. J'ai eu l'occasion d'écrire quelques
PRÉFACE pages à ce sujet : Un cas de transmission indirecte d'un thème philosophique grec (Scholastica ratione historicocritica instauranda , Acta Congressus scholastici internationalis Romae anno ... MCML celebrati, Rome, 1951 ) , Le bien suprême d'après le Policraticus de Jean de Salisbury (Recherches de théologie ancienne et médiévale, 1953, t. 20, p. 203-221 ) . C'est à cette veine que nous pouvons rattacher la première partie du florilège publié ici puisque, s'aidant d'Apulée, l'auteur y étudie le bien avant de préciser le rôle des vertus d'après Macrobe et Cicéron.
Un second genre d'ouvrages est constitué par des adaptations d'œuvres anciennes. Guillaume de Conches, Elred de Rievaux , Pierre de Blois reprennent des ouvrages cicéroniens, les adaptent au goût du jour, plus férus d'ordre et de système que de charme littéraire ; en même temps ils les revoient — à des degrés d'ailleurs très divers — au point de vue chrétien. Le lecteur aura peut-être jeté un regard à ce propos sur ces études : Deux adaptations du De Amicitia de Cicéron au XIIe siècle, Une adaptation du De Officiis au XII siècle, le Moralium dogma philosophorum (Recherches de thologie ancienne et médiévale, 1948, t. 15, p . 304331 ; 1949, t. 16, p . 227-258 ; 1950, t. 17, p . 5-28) .
Troisièmement, il faut étudier les ouvrages qui groupent les extraits d'auteurs classiques dans le but d'améliorer les mœurs. Le genre est extrêmement répandu à l'époque qui nous occupe et il n'est pas toujours aisé de ramener à un commun dénominateur des traités qui se contentent d'aligner les citations , ceux qui les commentent, ceux enfin qui groupent une documentation en vue d'une thèse bien précise. J'ai cité plus loin certains de ces ouvrages qu'il faudra bien étudier quelque jour et je me permets de renvoyer le lecteur à un travail sur Le dossier antimatrimonical de l'Adversus Jovinianum et son influence sur quelques écrits latins du XIIe siècle que les Mediaeval Studies ont bien voulu publier en 1951 , t . 13, p . 65-86 ainsi qu'à une étude
PRÉFACE
7
sur un petit florilège moral conservé dans un manuscrit bruxellois qui doit paraître dans les Mélanges Nardi. C'est à ce genre qu'appartient la seconde partie du florilège d'Oxford qu'éditera bientôt M. C. H. Talbot du Warburg Institute. Il s'est fait, en effet, que ce même ouvrage nous avait attiré l'un et l'autre et qu'à son propos chacun de nous avait réuni une documentation et amorcé une transcription. Nous avons pensé l'un et l'autre faire œuvre utile en nous divisant la besogne sans d'ailleurs nous interdire pour autant de nous intéresser au travail de l'autre . Aussi suis-je heureux de remercier ici le savant, auquel l'ordre cistercien a confié l'édition des œuvres d'Elred, des conseils et des renseignements qu'il m'a fournis avec compétence et obligeance . Je tiens à remercier aussi M. Hunt, conservateur des manuscrits occidentaux à la Bibliothèque Bodléenne . Non seulement il m'a reçu avec la dernière gentillesse dans ce lieu de travail si riche mais il a bien voulu me révéler Oxford, cité médiévale et cependant si vivante, réservée mais toujours si accueillante, studieuse et lettrée et plus encore pleine d'un humanisme chrétien dont la densité se rencontre rarement. M. Klibansky, professeur à Mc Guill University
(Toronto)
enfin
a bien voulu m'encourager
dans mon travail si proche de ses recherches personnelles sur la continuité de l'influence platonicienne.
PREMIÈRE PARTIE PRÉSENTATION DU TEXTE
CHAPITRE I
Introduction littéraire
1 Le manuscrit
Son contenu. Son origine
Le texte auquel nous donnons ici, pour faire bref, le titre de Florilegium morale oxoniense est extrait d'un volume de mélanges conservé à la Bibliothèque Bodléenne d'Oxford sous la cote 633 (1966, 654) ( 1 ) . D'anciennes cotes NEB. 21 , 4 B 26 se réfèrent peut-être au classement du monastère cathédral de Worcester d'où vient le recueil et où il acquit probablement son unité actuelle. Sept manuscrits , copiés à la fin du XIIe siècle ou au début du XIII , le composent et nous livrent neuf pièces différentes détaillées en deux tables des matières datant des XIV et XVe siècles. La première, due à une main du XIV , et placée au folio 1 ' est ainsi libellée :
Bernardus de precepto et dispensatione. Item epistole eiusdem. Item de gratia et libero arbitrio, 173. Item ymnorum et collectarum. Item epistole Bacharii, fol. 153 (2) . ( 1 ) Cfr F. MADAN and H. H. E. CRASTER, A summary catalogue of Western munuscripts in the Bodleian Library at Oxford, vol. 2. part 1 , Oxford, 1922 , p. 136-137 ; C. H. TURNER, Early Worcester Manuscripts, Oxford, 1916. (2) L'indication fol. 153 est d'une main plus récente. Elle est d'ailleurs inexacte .
10
INTRODUCTION LITTÉRAIRE
Item epistole Senati prioris Wigorniensis, fol. 197 ( 1) . Item tractatus de horis diei et noctis.
Item supra canonem misse. Sur le plat de la reliure, on trouve cette autre table des matières, du XVe siècle semble-t-il : † Bernardus de precepto et dispensatione . Epistole eiusdem. Item de gratia et libero arbitrio . Quedam carmina Oracii, Lucani, Ouidii, Catonis et aliorum. Quidam liber imnorum et collectarum. Liber epistolarum sancti Bacharii. Epistole Senati prioris Wigorniensis. Tractatus de horis diei et noctis. Tractatus super canon misse et de indumentis sacerdotis.
Comme on le voit, ces deux tables ne coïncident pas parfaitement. Notamment, le texte qui nous intéresse , ici intitulé Quedam carmina Oracii, Lucani, Ouidii, Catonis et aliorum, n'apparaît que dans le second index . On peut se demander s'il n'a pas été annexé au recueil au XVe siècle seulement, en tout cas après la rédaction de la première table . Evidemment, on ne peut exclure absolument l'hypothèse que le rédacteur de la première liste ait été distrait ou négligent. Mais il n'en reste pas moins que ce florilège philosophique est peu à sa place dans un recueil de pièces qui concernent l'ascèse ou la liturgie. En tout cas, on le remarquera, les pecie qu'il contient sont numérotées d'une manière totalement indépendante. On enregistre en effet cette séquence : I fol . 28', II fol . 16', III fol. 24 , IV fol. 32', V fol . 40', VI fol. 48" pour les textes de saint Bernard et I fol. 56', II fol. 64 , IV fol. 76' pour notre florilège ( 2) .
Ces tables ne nous révèlent d'ailleurs qu'imparfaitement les caractères du recueil et il nous faut examiner chacune
( 1 ) Cette note fol. 197, exacte cette fois , est due à la même main que la précédente . (2) Je n'ai pas relevé d'autres indications de pecie dans le volume.
LE MANUSCRIT
11
des pièces qui le compose, tout au moins d'une manière succinte. Un premier manuscrit est consacré exclusivement aux œuvres de saint Bernard. Il comprend deux traités et quatre lettres. Les premiers ne peuvent nous donner aucun renseignement : il s'agit du Liber de precepto et dispensatione (fol. 1 )
(1 ) et du Tractatus de baptismo aliisque
quaestionibus (fol. 37') (2) . Mais les lettres sont peut-être plus significatives. Trois d'entre elles, en effet, ont trait à la sésession d'une douzaine de bénédictins membres de la communauté de Sainte-Marie d'York qui passèrent à la vie cistercienne et fondèrent l'abbaye de Fountains (3) . L'une est adressée au prieur d'York, chef des rebelles , devenu abbé de Fountains Ad Ricardum abbatem de Fontibus et ad ceteros de ecclesia sancte Marie Eboracensis exeuntes, Bernadus abbas Clarevallis (fol . 33')
(4) . Deux
autres ont pour destinataire l'abbé d'York, Geoffroy, qui protestait évidemment contre le schisme : Ad Gaufridum abbatem ecclesie sancte Marie Eboracensis (fol . 34′ ) (5) ; Ad eundem Gaufridum Eboracensis ecclesiae abbatem (fol. 36 ) (6) . Dès lors une hypothèse naît à l'esprit : ce recueil n'aurait-il pas été constitué tout d'abord par les intéressés , à York ou à Fontaines ? Et plus probablement dans ce dernier monastère car celui d'York n'aura peut-être pas spécialement cherché à perpétuer le souvenir d'un épisode douloureux ou à donner une place privilégiée à l'enseignement de saint Bernard . Le contenu de l'autre lettre Ad Lugdunenses canonicos de conceptione sancte Marie (fol.
( 1 ) Cfr P. L., t. 182, col. 883. (2) Cfr P. L., t. 182, col. 1031 . (3) Cet épisode monastique est étudié par Dom D. KNOWLES , The Monastic Order in England, Cambridge, 1949, p. 231 ss. (4) Inc. Quanta audivimus et cognovimus ... Cfr P. L., t. 182 , col. 229, ep. 96. (5) Inc. Placuit Reverentiae tuae ... Cfr P. L., t. 182, col. 518, cp. 313. (6) Inc. Consilium expetistis a me... Cfr P. L., t. 182, col. 226 , ep. 94.
12
30
INTRODUCTION LITTÉRAIRE
( 1 ) ne ruine pas cette hypothèse, au contraire. Elle
fournissait aux cisterciens des arguments contre les dévôts de la Vierge qui leur reprochaient de ne pas accepter la nouvelle fête de l'Immaculée Conception (2) . Nous parlerons plus loin du deuxième manuscrit qui contient notre florilège (fol . 49- 101 ) . Venons- en tout de suite au troisième (fol. 101 - 127) qui, lui, provient presque certainement du monastère de Worcester. Il contient des hymnes et des prières à usage monastique. L'une d'elles précisément
est rédigée en l'honneur de saint Oswald
patronus noster (fol. 126) . Or ce saint fut évêque de Worcester ; il en est un des patrons . Qui plus est, Sénatus, prieur de Worcester, a écrit une biographie de ce saint ainsi qu'il le rappelle dans une des lettres qui sont reproduites plus loin . C'est là une convergence d'indices qu'oǹ ne peut négliger. Les quatrième et cinquième manuscrits nous ' livrent moins de renseignements historiques mais ils contiennent des œuvres qui pouvaient parfaitement se trouver dans une bibliothèque de cathédrale monastique . Le quatrième donne le texte du De ordine creaturarum souvent attribué à saint Isidore de Séville (fol . 127 ) (3 ) et le Liber Sancti Bacharii qui traite de la réconciliation des pénitents (4 ) . Nouvelle coïncidence, les lettres de Sénatus montrent que la pratique pénitentielle posait des problèmes à ce prieur
(1 ) Inc. Inter ecclesias Galliae ... Cfr P. L., t. 182, col. 332, cp. 174. ( 2 ) Cfr A. W. BURRIDGE, L'Immaculée Conception dans là théologie de l'Angleterre médiévale dans Revue des questions historiques, 1936, t. 32, p. 585 ss ; J. LecLERCQ, Dévotion et théologie mariales dans le monachisme bénédictin dans Maria, études sur la Sainte Vierge sous la direction d'HUBERT DU MANOIR, t. 2, Paris, 1952, p. 559. (3) Cfr P. L., t. 83 , col . 913. Le texte date de la fin du XIIe s . mais plus tard, au XIVe semble - t-il, un copiste a voulu donner un titre à cette pièce. Il s'est malheureusement trompé et a cru voir ici la pièce suivante. Il a donc écrit Epistole Bacharii. (4) Cfr P. L., t. 20, col. 1037, Bacharii ad Januarium liber. de reparatione lapsi.
LE MANUSCRIT
13
qui exerçait aussi les fonctions d'archiprêtre ( 1 ) . Quant au cinquième manuscrit, il contient le De gratia et libero árbitrio de saint Bernard (fol. 173') (2) . "Les deux derniers manuscrits nous ramènent une fois de plus à la fin du XIIe siècle et à Worcester. Nous trouvons en effet tout d'abord le texte des six lettres de Senatus dont nous venons de parler (fol. 197 ) et en dernier lieu (fol. 225 ' ) une seconde copie de la troisième lettre du même auteur. Une brève analyse (3) de ce recueil épistolier nous montrera mieux les points de contact qui rapprochent ce sixième manuscrit du troisième et du quatrième. Elle nous expliquera aussi comment il faut comprendre le texte des tables à propos des traités sur les heures canoniales , le canon de la messe et les vêtements liturgiques. Dans sa première lettre
(fol . 197′) , en effet, Sénatus
s'adresse à son évêque Roger ( 1191-1193 ) . Il rappelle comment il a écrit les biographies de saint Oswald et de saint Wulfstan ; il traite de questions morales et de la pénitence (4) . La deuxième lettre (fol. 199") étudie les canons d'Eusèbe sur les Evangiles tandis que la troisième (fol. 202 ) , ainsi que le notent les tables, concerne la liturgie et commente le sens des heures du bréviaire et des vêtements ecclésiastiques ( 5) . La quatrième lettre (fol. 209′ )
( 1 ) Cfr Ph. DELHAYE, Deux textes de Senatus de Worcester sur la Pénitence, dans Recherches de théologie ancienne et médiévale, 1952, t. 19, p. 203-224. (2 ) Cfr P. L., t . 182, col. 1001. Le copiste qui a transcrit ce texte l'a attribué à Guillaume de saint Thierry (fol. 173′) . Il y a là une erreur qui se comprend d'ailleurs fort aisément si l'on songe que le titre complet de l'opuscule est Tractatus de gratia et libero arbitrio ad Guillelmum Sancti Theodorici abbatem. Pour peu que l'exemplar ait été détérioré à la première page, on aura cru lire le nom de l'auteur là où il s'agissait du destinataire. : (3 ) Une analyse plus étendue peut être trouvée dans Ph. DELHAYE, Deux textes de Senatus de Worcester sur la pénitence dans Recherches de théologie ancienne et médiévale, 1952, t. 19, p. 203-224. (4) Vitam. quoque beatorum pontificum Oswaldi et Vestani, etsi quo non decuit, quo tamen potui, stilo descripsi. Fol. 197". Cfr J. W. LAMB, Saint Wulstan, Londres, 1933. (5 ) C'est probablement par une allusion au second texte de cette troisième lettre que l'index du XVe siècle parle d'une étude sur les vêtements liturgiques .
14
INTRODUCTION LITTÉRAIRE
traite de la confession, des dispenses en droit naturel et du devoir conjugal. Une étude sur le canon de la messe constitue la cinquième pièce de cette correspondance (fol. 212 ) et, enfin, pour clôturer le recueil, on trouve une dissertation sur les Sentences de Pierre de Poitiers et la théologie trinitaire ( 1 ) .
Il nous reste à dire quelques mots au sujet du second manuscrit qui nous intéresse ici tout spécialement. Il forme un tout bien marqué : non seulement, en effet il donne un série de pecie autonome comme on l'a dit plus haut mais, de plus, il contient une seule œuvre qui tranche nettement sur les autres parties du recueil. Une courte analyse du prologue suffira à le montrer.
Tout d'abord il apparaît que l'ouvrage n'est pas monastique par son objet ou par son auteur comme toutes les autres pièces que nous trouvons dans le recueil. Il est destiné à un milieu canonial et dédié à un jeune chanoine régulier. Le prologue, en effet, lui donne les titres de canonicus, clericus, religiosus et nous fait voir qu'il vit dans un couvent, passant sa vie à chanter les louanges de Dieu. L'auteur appartient au même milieu puisqu'il se dit confrère du jeune chanoine, frater. Or ceci marque pour l'époque beaucoup plus qu'une nuance. A l'heure actuelle, la plupart des clercs et des laïcs voient peu de différence entre un moine et un chanoine régulier. Tous deux sont religieux vivant selon des observances qui les distinguent du clergé diocésain . Au XII' et au XIII° siècle, il n'en va pas de même. La différence se marque entre les moines d'une part, vivant selon la règle de saint Benoît et qui ne sont pas nécessairement revêtus des ordres sacrés, les clercs d'autre part, chargés essentiellement des fonctions du sacerdoce. Le fait qu'une partie de ces clercs observe ( 1 ) Cfr. R. W. HUNT, English learning in the late twelfth century, dans Transactions of the Royal Historical Society, 1936, 4 th series, t. 19, p. 29-30.
15
LE MANUSCRIT
la « règle de saint Augustin » ne change rien à l'affaire (1 ) . D'autre part, au XIIe siècle, les clercs réguliers ou séculiers sont beaucoup plus favorables que les moines aux études séculières et aux activités scolaires (2) . Pour la France, il suffit de citer Chartres ou Saint-Victor. En Angleterre, dans la seconde moitié du XIIe siècle, une bonne part, sinon la plus grande part des hommes d'étude sont des chanoines réguliers . Citons, par exemple, selon la liste de M. Hunt reprise par M. Dickinson ( 3) Pierre de Cornouailles, Guillaume
Guy de
de Vere,
Southwich, Robert
Guillaume
d'Herenfort,
de
Merton,
Clément
de
Leanthony, Alexandre Nequam. Précisément notre auteur fait montre de cet esprit large. S'il calme tout d'abord są conscience en mettant en garde le lecteur contre les danauteurs païens ( 4) , il n'en estime pas moins
gers des
possible et opportun de cueillir la rose au milieu des épines, l'herbe médicale cachée par la ciguë c'est-à-dire les sentences philosophiques conformes à la vérité chrétienne cachées dans les écrits païens . Et de fait, c'est uniquement aux classiques ou aux philosophes antiques qu'il s'adresse pour composer son recueil, instrument de recherche et d'étude qu'on aura toujours sous la main . On le voit donc, si notre florilège fut composé comme la plupart des autres pièces du recueil à la fin du XII siècle ou à la rigueur au début du XIIIe (5 ) , il n'en a pas ( 1 ) Cfr J. C. DICKINSON, The origins of the Austin canons and their introduction into England, Londres, 1950. ( 2 ) Cfr Ph. DELHAYE, L'organisation scolaire au XII ° siècle dans Traditio, 1947, t. 5 , p. 217. p. 217. (3) J. C. DICKINSON, The origins of the Austin canons. ( 4 ) C'est là un thème assez commun dans l'antiquité et au N moyen-âge on verra à ce sujet G. L. ELLSPERMAN , The attitude of the early Christian Latin writers toward pagan literature and ka e learning, Washington , 1949 ; A. Kopers ellung der relihaften , Di St giösen orden zu den Profanwissensc im 12 und 13 Jahrhundert, Fribourg ( Suisse ) , 1914 . (5 ) On peut penser que très probablement le florilège fut écrit à la fin du XIIe siècle. L'écriture ressemble parfaitement à celle d'une copie de l'Historia Scolastica de Pierre le Mangeur transcrite en 1183 (M. PROU, Manuel de paléographie latine et française, 4° édit. , Paris , 1924, p. 197 , Album, pl XI, nº 2 ) ou à l'Itinerarium peregrinationis sancti Petri copié à la même époque à Villers-enBrabant (Ch. REUSSENS, Eléments de paléographie, Louvain, 1899,
INTRODUCTION LITTÉRAIRE
16
moins une origine différente. Rédigé en dehors de Worcester, il aura sans doute été recopié ( 1 ) et utilisé ( 2) avant d'entrer dans la bibliothèque du monastère. Peutêtre à ce point de vue pourrait-on, comme je l'ai dit, retenir l'indice fourni par la différence entre les deux tables de matière .
En
conclusion,
si
nous
synthétisons
ces
différentes
remarques, nous serions enclins à distinguer un triple état du codex actuel. Il y a tout d'abord un fond qui est originaire de Worcester : les hymnes et les prières (manuscrit 3 ) , les 6 lettres de Sénatus (manuscrit 6) . Avant le quatorzième siècle et la rédaction de la table du folio 1 sont venus s'agréger pour une première reliure ou sous un dossier ouvert le recueil bernardin (manuscrit 1 ) qui vient directement ou indirectement de Fountains , ainsi que les textes d'Isidore , de Bacharius (manuscrit 4) et le De gratia (manuscrit 5) . Enfin au XVe siècle, avant la rédaction de la table inscrite au plat de la reliure définitive et sans doute avant celle-ci, on aura adjoint ici notre florilège
(manuscrit 2)
et le deuxième texte
de la lettre
troisième de Senatus (manuscrit 7) .
p. 216 et pl. XXVIII ) . De part et d'autre , on trouve l'écriture gothique commençante. Les sources auxquelles recourt l'auteur sont tout aussi révélatrices. Pour lui, il n'est d'autorité en philosophie que dans la tradition platonicienne : Platon , Plotin, Macrobe, Apulée. Par contre, l'auteur n'utilise pas Aristote. Il le connaît même si mal qu'il ne reconnait pas en lui l'auteur de la division ternaire des biens et la rattache à Cicéron. On peut donc penser De plus que l'ouvrage fut rédigé avant « l'invasion d'Aristote ». les classiques et les moralistes latins, Horace, Juvénal, Valérius Flaccus, Sénèque, Ennius, Maximianus, Lucain, Cicéron , Quintillien, Ovide sont sans cesse cités dans la partie littéraire du florilège. La « bataille des sept arts » n'a pas encore commencé et l'heure de la « retraite des classiques » n'a pas encore sonné. (1) Les très nombreuses erreurs et les décalages qu'on doit observer dans les sous-titres empêchent, entre autres indices , de voir ici un texte mis au net sous la dictée et le contrôle de l'auteur. (2 ) Dans les marges, on trouve de nombreuses notes dues, semble-t-il, en ordre principal à deux lecteurs, l'un du XIII (= L 1 ) l'autre du XIVe siècle ( = L 2 ) .
2 La structure du florilège
L'auteur du florilège a nettement divisé son œuvre en deux parties, d'ailleurs inégales en étendue , l'une philosophique (fol . 49-59) , l'autre littéraire ( fol. 59-99) .
Le
recueil
philosophique,
que
l'on
pourrait
appeler
Flores Philosophorum, est annoncé à la fin du prologue par ces paroles de l'auteur : « Nous comptons rapporter ici de nombreux textes qui concernent la morale. Aussi pensons-nous devoir exposer tout d'abord la nature de la vertu et celle du vice. Ainsi la suite de notre exposé en serat- elle éclairée » ( fol . 49' ) . Plus loin (fol . 59′) , au début de la seconde partie, nous lirons que tout ce qui a précédé doit être considéré comme une sorte de hors- d'œuvre (his hactenus pregustatis) . En fait, ce premier traité est extrêmement dense et apporte beaucoup plus qu'un exposé sommaire sur la vertu et le vice. Il constitue comme une sorte d'éthique fondamentale, base et fondement de la morale particulière et détaillée qui suivra . Cette étude est solidement charpentée et on peut aisément y distinguer cinq parties : 1. Le bien et le mal
2. L'âme humaine 3. La vertu et les vertus 4. Les vices 5. Les portraits du sage et du mauvais. C'est là, somme toute, un plan assez traditionnel chez les philosophes . Toutes les morales antiques commencent par une étude du bien, sans qu'on sache d'ailleurs toujours avec précision s'il s'agit d'un bien transcendant ou plus
18
INTRODUCTION LITTÉRAIRE
prosaïquement du bonheur humain . A partir de là une première question se pose : comment arrivera-t- on à participer à ce bien ou à acquérir ce bonheur ? On répond évidemment que ce ne peut être que par la vertu et que le vice est au contraire l'équivalent psychologique du mal . Il n'est pas rare qu'à ces considérations morales se mêlent quelques notions de psychologie puisqu'il s'agit de marquer comment le bien peut s'implanter dans l'âme et ses diverses « parties » . Enfin , faut- il le dire, les portraits du sage et du mauvais se rencontrent fréquemment sous la plume des auteurs anciens ? Cette ligne générale d'une éthique apparaît plus nettement dans les ouvrages succincts, dans les résumés et les manuels. Tous ces travaux n'ont-ils pas pour objet de dégager les pensées essentielles des exposés pleins de digressions et de recherches qu'ont laissés les maîtres ? Résumant à grands traits les morales de Platon et d'Aristote, Cicéron pose comme idées et thèses essentielles la prédominance du bien , l'étude de la nature de l'homme, la recherche de la justice et des autres vertus. En conclusion il souligne le bonheur toujours serein du sage ( 1 ) . Si l'on fait abstraction de la place plus grande faite au vice par l'anonyme d'Oxford, on ne peut que constater la similitude parfaite entre les plans des deux traités . Deux siècles après Cicéron , Albinos, s'inspirant d'Areios Didymos, propose un schema de la morale platonicienne très proche de celui de l'orateur latin , presque identique à celui de notre florilège. Le bien , la vertu et les vertus rattachées aux diverses facultés, les actions mauvaises et les passions, la comparaison entre le sophiste et le philosophe en sont les points saillants (2) . Comme les ressemblances entre l'Epitome d'Albinos et le florilège d'Oxford ( 1 ) CICERON, De finibus bonorum et malorum, ed. J. MARTHA, Paris, 1930, lib. 5, nº 12 ss (souverain bien ) , nº 34 ss (nature de l'homme) , nº 64 ss ( la justice et les vertus ) , n° 73 (le sage ) . (2 ) P. LOUIS, Albinos, Epitome, Paris, 1945. On verra les chap . XXVII - XXVIII sur le bien , XXIX - XXX à propos des vertus et des facultés, XXXI - XXXII sur l'injustice et les passions. Après avoir parlé de l'amitié (XXXIII ) et de l'état (XXXIV) , Albinos trace
STRUCTURE DU FLORILÈGE
19
portent aussi sur certains textes dont le plus net est la définition de la vertu, on pourrait se demander si notre auteur n'a pas connu et utilisé l'œuvre du platonicien du second siècle. On en arriverait presque à mettre en doute l'opinion commune qui retarde jusqu'au XVe siècle la date à laquelle l'Epitome fut traduit en latin ( 1 ) . Mais il est inutile de chercher à vérifier cette hypothèse hasardeuse. Car les ressemblances et les analogies s'expliquent d'une autre manière . L'Epitome d'Albinos, en effet, a été démarqué et largement utilisé par un latin, Apulée, dans son De Platone et eius dogmate (2) . Et pour imiter ce procédé, l'auteur du florilège d'Oxford a reproduit de larges extraits de cette œuvre ainsi que nous l'indiquerons tout à l'heure. Sans doute le chanoine anonyme dont nous étudions le travail ne s'est-il pas contenté de copier son modèle. Il a su rester personnel (3) et passer au crible les éléments qu'il empruntait ainsi à la tradition platonicienne. Mais on ne voit pas en quoi il aurait pu se défier ou marquer d'ostracisme le plan général d'une œuvre qu'il avait sous les yeux. Lorsque nous trouvons chez Apulée une théorie du bien, une énumération des parties de l'âme mise en
le parallèle entre la philosophie et le sophiste ( XXXV) . On lira aussi R. E. WITT, Albinus and the history of middle Platonism, Cambridge, 1937. ( 1 ) La première traduction latine serait due à Pierre Balbus qui la dédia à Nicolas de Cuse. Sur les traductions médiévales d'œuvres grecques on verra J. T. MUCKLE, Greek Works translated directly into Latin before 1350 dans Medieaeval Studies, 1942, t. 4, p. 33 - 42 ; 1943, t. 5, p. 102 - 114. (2 ) Apulee, De Platone et eius dogmate ed . P. THOMAS , Coll. Teubner, Leipzig, 1908. Je remercie vivement M. Talbot des précieuses indications qu'il m'a données à cet égard. ( 3 ) Il faut le remarquer, en effet, l'auteur use de ses sources d'une manière beaucoup plus libre dans la partie philosophique du florilège que dans la section littéraire. Il ne se contente pas de citer mais parfois il amalgame et au besoin modifie les textes . Ailleurs il résume à sa manière ou livre au lecteur sa propre doctrine. On notera aussi la différence entre les procédés d'exposition. Apulée parle en homme de lettres et dans une forme classique. L'anonyme d'Oxford écrit en scolastique épris de définitions et de divisions bien nettes,
20
INTRODUCTION LITTÉRAIRE
relation avec les vertus, un relevé des fautes les plus communes et enfin une comparaison entre le philosophe et le méchant, nous pouvons bien penser que ce sont ces textes-là, dont plusieurs sont repris à la lettre dans le florilège, qui ont inspiré notre auteur. Ils lui assurent en même temps une place toute spéciale parmi ceux qui ont écrit sur la philosophie morale au XIIe siècle . Seuls en effet, comme nous le dirons tout de suite, les deux derniers livres du Policraticus de Jean de Salisbury et le Dialogus d'Abélard traitent eux aussi du problème du bien en général et du moyen d'y parvenir par la vertu . Le premier s'inspire de Boèce et de saint Augustin pour discuter du vrai et suprême bien de l'homme. Le second semble avoir pour but d'écrire un De finibus bonorum et malorum chrétien mais il dépend de saint Augustin plus que de toute autre source ( 1 ) , pour la doctrine tout au moins. Dans son ouvrage il parle lui aussi du bien suprême, de la vertu, du vice et du mal (2 ) . Faut-il le dire ? L'arrière-fond platonicien qui se découvre derrière ces trois ouvrages leur donne un air de parenté très net.
** C'est aussi, somme toute, sur un thème platonicien que se structure le florilège littéraire . Ne se présente-t- il pas tout d'abord et en ordre essentiel comme une étude des quatre vertus principales de prudence, tempérance, force et justice ? Ce qui s'y ajoute est bien pauvre et se réduit à une page sur les avantages de la vertu en général . Il est vrai qu'une table ( fol . 59) annonçait deux parties ultérieures concernant l'usage des biens du corps et de la fortune. Mais, chose curieuse, notre texte ne nous fait pas connaître ces chapitres . L'auteur s'est-il arrêté avant d'avoir ( 1 ) Cfr Ph . DELHAYE , Un cas de transmission indirecte d'un thème philosophique grec dans Acta Congressus Scolastici internationalis 1950, Rome, 1951 , p. 144 ss. ( 2 ) ABELARD, Dialogus inter philosophum, iudaeum et christianum, Huius, ut arbitror, disciplinae ( ethica) in hac tota colligitur summa quod summum bonum sit et qua illuc via nobis sit perveniendum aperiat, P. L., t. 178 , col . 1637 ,
21
STRUCTURE DU FLORILÈGE
terminé son ouvrage ? Le copiste s'est-il découragé avant d'avoir reproduit son modèle ? Il est difficile d'en décider. Sur ce thème fondamental des quatre vertus platoniciennes, en tout cas, nous allons voir se grouper en une vaste tapisserie, les
citations
des
classiques
et notam-
ment des poètes. On pourrait évoquer ici bien des pages du Moralium dogma où Guillaume de Conches a groupé traits de mœurs , conseils et préceptes
( 1 ) . On songera
aussi au Florilegium Gallicanum qui , tout aussi ouvert à la morale, a préféré classer les citations non par matières mais par auteurs. Et il en est tant d'autres que l'on pourrait rappeler : les Aphorismata philosophica de Guillaume de Doncaster (2) , les Flores victorines (3) , le Cartula (4) et, à d'autres époques, le Liber scintillarum de Defensor de Ligugé ( 5) , le florilège de Saint- Gatien (6) , ceux de Vincent de Beauvais (7) , Jean de Galles ( 8) , de Guibert de Tournai ( 9 ) ou le Liber philosophorum moralium antiquorum (10) . ( 1 ) J. HOLMBERG, Das Moralium dogma philosophorum des Guillaume de Conches, Uppsala, 1929 . ( 2 ) M. GRABMANN, Die Aphorismata philosophica des Wilhelm von Doncaster dans Liber Floridus, St Ottilien, 1950, p. 303 - 318. (3) Ms Paris B. N. lat. 15155, Incipiunt mores actorum, nomine flores. (4) Cartula nostra tibi portat Rainalde salutes, Paris B. N. lat. 3549. 8023, 8460, 8491 , 11344, 14176, Charleville 106. Paris B. N. lat. 15155 englobe aussi ce florilège . ( 5 ) H. M. ROCHAIS , Le liber scintillarum attribué à Defensor de Ligugé dans Revue Bénédictine, 1948, t. 58 , p . 77 - 83 ; Pour une nouvelle édition du « Liber scintillarum dans Etudes mérovingiennes. Actes des journées de Poitiers, 1 - 3 mai 1953, p . 257 - 268. ( 6) A. WILMART, Le florilège de Saint-Gatien dans Revue Bénédictine, 1936 , t . 48 , p. 3 - 40 , 147 - 181 , 235 - 258. (7 ) Cfr Ph . DELHAYE, Un dictionnaire d'éthique attribué à Vincent de Beauvais dans le ms Bâle B. XI. 3 dans Mélanges de Science Religieuse , 1951 , t. 8, p. 65 ss. (8 ) Sur cet auteur de ses œuvres, on verra P. FERRET, La faculté de théologie de Paris et ses docteurs les plus célèbres, t . 2 , Paris, 1898, p. 371 ss. (9) Cfr GILBERTO DI TOURNAI, De modo addiscendi, Introduzione e testo inedito a cura di E. Bonifacio, Turin, Pontificium Athenaeum Salesianum, 1953 , 320 p . ( 10) Cfr E. FRANCESCHINI, Il « Liber philosophorum moralium antiquorum » (testo ) dans Atti del R. Istituto Veneto di Scienze, Lettere ed Arti, 1931 - 1932, t. XCI, part. 2 , p . 393 ss ; du même auteur, Il « Liber philosophorum moralium antiquorum » dans Memorie della R. Academia ... dei Lincei, Classe di scienze morali, storiche & fililogiche, 1930, série 6 , vol . 3, fasc . 5. La première traduction anglaise de cette œuvre a été publiée par C. F. BUHLER, The Dicts and Sayings of the Philosophers, Oxford , 1941 .
CHAPITRE II
Introduction
doctrinale
1 Le bien et le mal
La première section du florilège philosophique, avonsnous dit, est essentiellement consacrée à l'idée du bien et pour une partie moindre, par contraste en quelque sorte, au mal. Sans aliéner sa liberté, l'auteur s'y inspire avant tout d'Apulée et de Cicéron. Mais si ce second auteur est explicitement cité, le premier n'est désigné que d'une manière indirecte, par un appel à la tradition platonicienne. Il est vrai qu'il n'y a pas loin de son secundum Platonis traditionem au De Platone et dogmate eius d'Apulée .
L'intuition fondamentale et première du système platonicien est la valeur du bien . Cette idée, comme il est dit en un passage fameux de la République ( 1 ) , est au-delà de l'essence, c'est-à- dire de toute nature déterminée et elle l'emporte beaucoup sur elle en dignité et en puissance. Si, en un sens, on peut l'identifier à l'Un , elle transcende nettement l'Intelligence et le démiurge divin . C'est elle qui valorise ce dernier et s'en sert comme d'un instrument pour construire le cosmos selon ses exigences. Il est vrai que lorsqu'on parle du Dieu de Platon, on a presque le sentiment qu'il faudrait biffer ce que l'on vient d'écrire et de parler autrement
(2) . Platon a sans doute voulu
cacher sa pensée profonde à ce sujet et il est impossible d'arriver à une conception ferme ou à une idée claire ( 1 ) PLATON , République, VI , 509b. (2) Cfr O. REVERDIN, La religion de la cité platonicienne, Paris, 1945, p. 39 ss.
LE BIEN ET LE MAL
23
quand on veut synthétiser tous les exposés qui concernent les