Figures de l'utopie dans la pensée d'Ernst Bloch [[Nouv. éd.]. ed.] 9782705668563, 270566856X

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Figures de l'utopie dans la pensée d'Ernst Bloch [[Nouv. éd.]. ed.]
 9782705668563, 270566856X

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Figures de l'utopie dans la pensée d'Ernst Bloch

Collection Hermann - Philosophie dirigée par Roger Bruyeron et Arthur Cohen

Une première version de ce livre est parue en 1985 aux éditions Aubier.

ISBN : 978 2 7056 6856 3 © 2009 Hermann, 6 rue de la Sorbonne, 75005 Paris - France www.editions-hermann.fr

Toute reproduction ou représentation de cet ouvrage, intégrale ou partielle, serait illicite sans l'autorisation de l'éditeur et constituerait une contrefaçon. Les cas strictement limités à l'usage privé ou de citation sont régis par la loi du 11 mars 1957.

Arno Munster

Figures de l'utopie dans la pensée d'Ernst Bloch

HERMANN

Philosophie

Depuis 1876

Préface à la présente édition

De tous les « témoins du futur » - nous nous permettons de reprendre cette formule chère à Pierre Bouretz - nés entre 1842 et 1900, Ernst Bloch est sans nul doute celui qui a affronté les défis d'un xx e siècle (déchiré entre les tentations de réaliser les plus audacieuses utopies politiques et les expériences du « pire ») de la manière la plus radicale possible, en résistant, avec son « optimisme militant » et sa pensée utopique de l'espérance, « à la perspective d'un nihilisme au triomphe depuis longtemps annoncé.1 » Il est aussi celui qui de tous les penseurs critiques convertis dans les années vingt du dernier siècle au marxisme, est le plus imprégné, pratiquement au même degré que son « frère » et compatriote Walter Benjamin, par la théologie ou du moins par une religiosité qui plonge ses racines profondes non seulement dans le judaïsme, mais aussi dans certains courants mystiques chrétiens (Jakob Bôhme...). Mais, à la différence de Benjamin qui nous rappelle, dans ses Thèses sur le concept de l'Histoire, non sans une certaine résignation, que le concept du progrès devrait être fondé sur celui de la catastrophe, Emst Bloch, non content de rassembler, dans Le Principe Espérance, « tout ce que la culture universelle peut comprendre de témoignages en faveur du futur et d'un monde suprasensible, pour les faire vibrer dans une langue illuminée d'éclats messianiques et nourrie par la pensée du Souverain Bien »2, nous esquisse aussi, à partir de sa théorie de la « conscience anti1. Pierre Bouretz, Témoins du Futur.(Philosophie Gallimard, Paris, 2003, p. 628. 2. Op.cit., p. 629.

et

messianisme),

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ripante », une pensée de la praxis combattante qui articule directement les images de souhait et les rêves éveillés avec le concept de possibilité et de transformation du monde pour le meilleur qui rejoint, dans ses conclusions, le rappel à l'ordre marxien3 - contre Feuerbach - que la tâche des philosophes est non pas de méditer abstraitement sur le monde mais de le transformer. L'adhésion sans réserve d'Emst Bloch à ce mot d'ordre de Marx fait en effet de l'auteur de L'Esprit de l'Utopie et de la trilogie du Principe Espérance l'architecte et le défenseur d'une nouvelle philosophie de la praxis où agir signifie avant tout « dégager, libérer les tendances », ce qui peut aussi avoir la fonction concrète de la "réalisation d'idéaux où « l'essence non encore réalisée devient idéal et l'essence non encore réalisée est la tendance » 4 , mais où l'action (individuelle ou collective) est toujours guidée par un pré-apparaître (Vorschein) utopique rendant possible une future utopisation et transformation du monde vers le meilleur. En s'appuyant à ce propos sur un matérialisme ouvert et « à fonction utopique » qui défie radicalement toutes les conceptions réductionnistes et dogmatiques d'un matérialisme vulgaire et dogmatisé (stalinisme) et qui accorde aussi une légitimité à certains motifs d'une métaphysique tout à fait idéaliste (ce qui a probablement autorisé Jurgen Habermas à qualifier Emst Bloch de « Schelling marxiste » !), Ernst Bloch s'efforce ainsi de jeter un pont « du concept d'utopie, scientifiquement et philosophiquement éprouvé, à savoir, d'un concept d'utopie qui a cessé d'être une insulte (et qui représente une anticipation objective et tout à fait possible) vers le substrat dialectique-matériel du devenir et de l'événement, donc de la matière.... » 5 Cette matière « proto-utopique », nous enseigne Bloch, est inachevée, elle est a priori « matière-enavant » et elle est matière ouverte ayant devant elle une carrière imprévisible dans laquelle nous, les humains, sommes d'ailleurs inclus ; elle est donc la substance du monde. Mais le monde est à priori une expérimentation que la matière fait avec nous, et avec 3. Cf. Karl Marx, Les XI Thèses sur Feuerbach (1848). 4. Emst Bloch, Tendenz-Latenz-Utopie, Francfort, Suhrkamp, 1978, p. 264. 5. Emst Bloch, op.cit., p. 278.

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elle-même ; elle est de par son essence même « dynameion » (êtreen-possibilité), selon la définition donnée par Aristote, dans le Livre Thêta de la Métaphysique, et cela signifie concrètement que la réalité objective est non seulement un état de notre demi-savoir subjectif de quelque chose, mais, essentiellement, un état réel où sont présents des procédés et des contenus qui germent encore dans le monde et qui peuvent être extériorisés, concrétisés. Autrement dit : « Ce qui est objectivement, réellement, possible, c'est ce qui est partiellement conditionné, mais il lui faut, souligne Bloch, "un facteur subjectif" pour que le "possible" soit désigné de plus près par les conditions qui lui manquent encore pour la réalisation (....), donc, un "non-encore-conscient" (subjectif) auquel correspond, du côté objectif, un "non-encore-devenu", dialectiquement enchevêtré avec "l'être-en-possibilité", le dynameion, la matière elle-même n'étant que Fhypokeimenon, c'est-à-dire, rien d'autre que le support (matériel) des conditions selon lesquelles quelque chose peut arriver ou non. » 6 En effet, la critique de la métaphysique traditionnelle et en même temps la volonté de sauvegarder certains concepts théologiques, pour une vision du monde à la fois matérialiste et messianique, unissaient sans nul doute Emst Bloch et Walter Benjamin dans l'effort commun d'affronter, sur le front philosophique, à la fois le néokantisme, la philosophie positiviste des sciences, le vitalisme, le relativisme (nietzschéen et simmelien) ainsi que tous les courants irrationalistes de la pensée conservatrice de son époque (Spengler, Klages, Bàumler, etc.) et de défier aussi en même temps les tendances dogmatiques et réductionnistes au sein même du marxisme, évoluant dangereusement, par exemple, en Union Soviétique, sous Staline, vers une canonisation dogmatique du matérialisme historique et dialectique qui faisait de plus en plus disparaître le vrai visage humain et révolutionnaire de la dialectique de Marx. Il est indéniable que l'effort biochien destiné à rénover la pensée matérialiste (marxiste) est surtout consacré à l'effort de réhabilitation, au sein

6. Op.cit., p. 280- 281.

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même de la discussion socialiste et marxiste, des utopies ( y compris des approches des représentants français du socialisme utopique (Saint-Simon, Fourier, Proudhon...) que Marx et Engels avaient vivement critiqués, au nom de leur propre idéal d'un « socialisme scientifique »), dans le but évident de « récupérer » la fonction « subversive » et révolutionnaire, non seulement des utopies politiques et sociales mais aussi de toutes les autres réalisations utopiques, dans le domaine de l'architecture, de la peinture, de la littérature, de la médecine, de la culture, de la musique, etc., pour ce nouveau projet de transformation du monde qui se veut à la fois socialiste, révolutionnaire, utopique et humaniste. Apparemment, c'est en vue de ce but qu'Emst Bloch a voulu non seulement sauvegarder l'esprit utopique pour la philosophie du marxisme, mais intégrer aussi toutes les puissances de l'utopie à une philosophie matérialiste, critique et utopique dont le fondement est une véritable ontologie utopique et dont un des concepts-clé est la « conscience anticipante » des images de souhait. C'est pour mieux comprendre que le concept biochien d ' « utopie concrète » ( opposé à celui de « l'utopie abstraite », se contentant de projeter tout simplement le désir vague d'un monde autre, meilleur et plus juste dans une sphère extra-mondaine ) se déploie, pour l'essentiel, dans l'œuvre de Bloch, sous une triple dimension éthique, politique et esthétique, dont chacune revendique la concrétisation du rêve d'un monde meilleur, d'une vie autre, sans exploitation, sans domination, sans aliénation, sans maître et sans esclaves, et d'une société vraiment juste et fraternelle. Dans le domaine esthétique, notamment, cette volonté utopique est étroitement associée, par exemple dans le chapitre du Principe Espérance consacré aux « utopies architectoniques », à une volonté d'art nouvelle qui ne peut être que celle de l'imagination utopique. En évoquant, par exemple les peintures architecturales de Pompéi ou les dessins des loges de constructeurs du Moyen-Âge qui sont à l'origine de la construction des cathédrales gothiques, en France, Bloch souligne à juste titre qu'avant toute exécution « il y avait toujours une image utopique de l'édifice qui les guidait dans le travail en vertu de sa

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perfection. »7 La construction était alors toujours « celle de la construction basée sur des canons de perfection, en considération d'un modèle symbolique auquel on croyait. Et ce modèle guidait l'exécution de l'ouvrage et non seulement, comme l'archétype, son rêve et son projet ante rem, il constituait la Règle des règles magistrales elles-mêmes. » Et dès lors, affirme Bloch, « la grande volonté d'art architectonique (celle qui conduisait aussi précisément aux projets des cités radieuses, A.M.) était dans chaque cas particulier la même que l'intention symbolique traditionnellement à l'œuvre dans l'idéologie du vieil artisanat de la construction. » 8 C'est cette même volonté utopique qui est aussi à l'œuvre, selon Bloch, dans les grandes créations de la musique classique et romantique, par exemple dans la musique de Beethoven vibrant dans le staccato historique imposé par la Révolution Française, et exprimant en même temps, par exemple avec Fidélio, cet opéra exaltant la fidélité conjugale, un hymne solennel à la liberté et à l'émancipation politique. Comme l'avait souligné, entre autres, Oskar Negt, lors des funérailles du philosophe, le 9 aôut 1977, à Tiibingen, pour Bloch, « le signal de trompettes du Fidélio n'est pas seulement un symbole esthétique ; il est plutôt l'expression de l'espérance d'un homme particulier d'être libéré de la prison, de la violence et de l'oppression ; et il est en même temps l'impératif catégorique du seul et possible comportement politique digne de l'homme, à savoir, de la résolution de renverser toutes les conditions dans lesquelles l'homme est un être humilié, asservi, abandonné et méprisable. C'est cet « optimisme militant », cette orientation a priori vers une praxis œuvrant à la transformation du monde et à sa libération de toutes les formes d'oppression et d'aliénation, qui distingue l'espérance utopique d'Emst Bloch de l'espoir en tant qu'attente passive

7. Emst Bloch, Le Principe Espérance, tome II, trad. F. Wuilmart, Gallimard, Paris, 1981, p. 323. 8. Op.cit., p. 325. 9. Oskar Negt, « Der produktivste Ketzer des Marxismus », in, Bloch (K.arola)/Reif (Adelbert), « Denken heisst uberschreiten. In memoriam Emst Bloch (1885-1977) », EVA, Cologne-Francfort, 1978, p. 282.

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du « nouveau » ou en tant que consolation fataliste telle qu'elle apparaît fréquemment dans le discours théologien chrétien. À ce discours religieux de la consolation et de la résignation, Bloch - ce grand « athée-religieux » - oppose en effet l'audace et le courage militant du théologien de la révolution Thomas Miintzer10 qui, avec ses sermons inspirés des enseignements des prophètes de l'Ancien Testament, ne cessait d'inciter les paysans allemands gémissant sous le joug des seigneurs féodaux à la révolte. Incontestablement, Ernst Bloch est de tous les philosophes néo-marxistes du xx e siècle celui qui, sans nier son athéisme de principe, prête le plus son oreille aux religions et aux phénomènes de la croyance religieuse (juive et chrétienne), en allant même jusqu'à valider la dimension utopique dans les manifestations diverses de la foi. La connaissance et la réception positive des enseignements de Marx ne l'empêchent apparemment pas de réfléchir sérieusement, notamment dans le volume III du Principe Espérance (dont la parution avait été explicitement longuement retardée par les autorités de l'ex-RDA.) sur les multiples formes aptes à imaginer un accès au « mystère religieux », y compris les formes d'introspection mystiques (Jakob Bohme, la Kabbale...). Et il va à ce propos jusqu'à formuler le paradoxe que « seul un athée peut être un vrai chrétien et seul un chrétien un vrai athée »' 1 ! Or, sa lecture critique de la Bible n'est en réalité rien d'autre qu'une « herméneutique non conformiste de la sphère religieuse », mettant en relief une « véritable herméneutique de la subversion, débusquant et réactivant les intentions de révolte qui traversent la Bible et qui ont été étouffées par les clercs » ; si bien que « pour Emst Bloch comme pour Marx « la misère religieuse est tout à la fois l'expression de la misère réelle et la protestation contre la misère réelle. La critique de la religion est donc en germe la critique de la vallée de larmes dont la religion est l'auréole » (G.Raulet). Comme nous nous 10. Cf. Emst Bloch, Thomas Miintzer - théologien de la révolution, traduit de l'allemand par Maurice de Gandillac, Paris, Julliard, 1964, UGE, « 10-18 », 1968. 11. Emst Bloch, Athéisme dans te christianisme, trad. de l'allemand par E. Kaufholz et G. Raulet, Gallimard, Paris, 1978.

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efforçons de le mettre en évidence, dans cet ouvrage, cet appel à la révolte, à l'action utopique libératrice, à la sauvegarde de la dignité humaine et à l'émancipation s'articule, dans la pensée biochienne, avec un appel à la réorientation urgente de la stratégie marxiste dans le sens précis de la nécessité de développer davantage ce que Bloch dénomme le « courant chaud » 12 au sein même du marxisme, à savoir sa dimension éthique, au détriment précisément d'une vision trop « froide » (celle qui, malheureusement, prédomine dans le néo-marxisme contemporain, et notamment dans le courant explicitement antihumaniste althussérien), focalisant exclusivement sur la critique « détectiviste » de l'économie politique. Cette vision à la fois messianico-utopique (proche de celle que Jacques Derrida dénomme une « messianicité » sans messianisme) et humaniste n'est bien sûr pas sans aucun rapport avec la vision éthico-humaniste du socialisme défendue, entre autres, par Hermann Cohen et, en ce qui concerne l'austro-marxisme, par Max Adler. Comme le note Emmanuel Lévinas dont on peut retenir le mérite d'avoir prononcé le premier, en Sorbonne, en 1976, l'année même de la publication par Gallimard, en traduction française, du premier volume du Principe Espérance, une conférence consacrée à ce grand penseur marxiste de l'utopie, Emst Bloch, « en prenant à son compte la formule "Bouleverser toutes les relations où l'homme reste humilié, asservi, déclassé et méprisé", récupère les modes valables de la civilisation humaine - philosophie, art et religion. Ils représentent pour lui l'expression de / 'espérance humaine, anticipation de l'avenir où il existera une humanité aujourd'hui absente. Anticipation dont le marxisme serait la formulation adéquate et rigoureuse rendant seulement possible l'interprétation en esprit et en vérité des œuvres du passé, encore abstraites et plus pauvres. Le marxisme délaisse le ciel pour parler le langage de la terre. » 13

12. Cf. Emst Bloch, Le Principe Espérance, 1.1 .Gallimard, Paris, 1976, p. 248 sq. 13. Lévinas, Emmanuel, De Dieu qui vient à l'idée, Paris, Vrin, 1986, p. 63.

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Si, dans la France d'aujourd'hui - celle de la « restauration » néolibérale qui est la nôtre et qui semble être résolue à enterrer, pour des raisons qui ne sont pas à expliquer ici, les utopies pour se tourner vers d'autres problèmes plus « terre à terre » qui sont directement conditionnés par la « mondialisation » du capitalisme et les crises écologiques, sociales et politiques qu'elle a engendrées - la pensée biochienne est toujours - malgré tout, pourrait-on dire, et contre vents et marées - d'une certaine « actualité », cela est essentiellement dû aux incidences écologiques de sa pensée utopique ; car, en préconisant (en conservant un certain héritage « schellingien » renvoyant directement à la philosophie de la nature du jeune Schelling), non seulement la conciliation de l'homme avec la nature, mais aussi l'alliance productive (« Mit-Produktivitat ») de l'homme avec la nature, Bloch a substantiellement contribué au rapprochement du marxisme et de / 'écologie politique, en postulant notamment l'unité possible et future de l'homme et de la nature dont l'objectif ultime sera « la naturalisation de l'homme et l'humanisation de la nature ». Tout en s'inspirant de la définition schellingienne de la nature comme processualité et fermentation constante, Bloch s'efforce de mettre en évidence les images chiffrées à la fois utopiques et réelles de cette nature en mouvement qui est en même temps un mouvement vers un but. « L'inquiétude », affirme Bloch, « est dialectique, elle ne cesse de renverser les figures dans lesquelles elle s'exprime, elle ne peut faire autrement que de contredire ce qui est devenu parce qu'il n'a pas encore abouti, n'a pas encore réussi. Le noyau qui entraîne l'évolution est donc bel et bien la subjectivité, celle qui propulse d'une façon qu'on ne peut ignorer l'histoire humaine, qui la met en mouvement et oriente ce mouvement vers une tentative d'être-pour-soi. Mais il ne reste pas moins que lui répond, même s'il demeure par la force des choses hypothétique, un noyau subjectif dans la nature, désigné et interpellé depuis des siècles sous le nom g de natura naturans [...]. S'il existe une dialectique dans la nature, c'est qu'elle est elle aussi un processus, un champ tout particulièrement irrésolu et inachevé. Le mouvement dialectique est en tant que

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tel celui du Nouveau : par une contradiction immanente du sujet il ne cesse de faire surgir du Nouveau, aucune des formes déjà acquises du sujet ne le déterminant et ne le qualifiant définitivement et adéquatement. C'est pourquoi la philosophie de la nature ne cesse de reposer la même question insistante : y a-t-il - correspondant au sujet travaillant qui est le producteur de l'histoire - un sujet de la nature dans lequel on pourrait voir l'élément moteur de la dialectique naturelle ? Il est clair que ce sujet n'est pas seulement ajouté à la nature par la pensée ; il ne se manifeste pas aussi nettement que le sujet de l'histoire, mais c'est lui qui se cherche et se donne à entendre à travers les relations dialectiques du sujet et de l'objet dans la nature. Il est réellement la tête du Sphinx en train de se dresser ; c'est du reste qu'il n'est pas constatable dans le quantum mécanique mais seulement dans la dialectique de la nature. » 14 Et ainsi se dessine chez Bloch (qui n'hésite pas à se référer à ce propos à Paracelse ou à l'Adam Kadmon de la Kabbale) « une nature qui désigne, sous forme de chiffre, précisément par ses figures qualitatives, un Humanum non encore manifeste [...] dont toute figure cristalline n'offre encore qu'un modèle par trop clair et statique, sûrement pas l'élucidation ni la solution » 15 . Comme Ernst Bloch l'a souligné, entre autres, dans sa célèbre conférence faite, à l'occasion du cent cinquantième anniversaire de la naissance de Karl Marx, au théâtre municipal de Trêves, la ville natale de l'auteur du « Capital », le 18 mai 1968, cet « humanum », ce « vrai humanisme a pour corollaire ce "paradoxe pour tous les empiristes" qui s'appelle "l'utopie concrète". Il s'agit d'un « fondement de l'utopique dans le concret-ouvert de la matière de l'histoire, dans la nature-matière elle-même ; en tant que possible objectif-réel qui entoure le réel existant d'une énorme latence, en attribuant la vraie potentialité du monde à la puissance de l'espérance humaine. En ce sens précis, souligne Bloch, « / 'utopie concrète implique, dans le matérialisme dialectique, le "novum" d'un maté14. Emst Bloch, Experimentum Mundi (Question, catégories de praxis), trad. G. Raulet, Payot, Paris, 1981, p. 209-210. 15. Op.cit., p. 214.

l'élaboration,

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rialisme utopico-dialectique, afin qu'il ne ferme pas, contre toutes les promesses données, les perspectives du but. C'est un champ assez large qui est habité par la matière en tant qu'être-en-possibilité et en tant que potentialité en gestation envers de nouveaux modes d'être tendant vers la "naturalisation de l'homme" et "l'humanisation de la nature", comme le note Marx, dans les Manuscrits économicophilosophiques de 1844, au sujet des buts lointains. » 16 Dans le présent ouvrage nous nous efforçons de décrire et d'explorer le topos utopique de cet Humanum biochien dont l'utopie naturelle n'est qu'une de ses composantes, en mettant en évidence jusqu'à quel point il est vraiment aussi constitutif pour une pensée messianico-utopique très orientée vers / 'expérimentation du monde, vers l'horizon du « Nouveau » et vers une praxis à la fois humaniste et révolutionnaire, ayant pour but la construction d'une société qui mettra fin à toutes les formes d'oppression où « l'homme n'est qu'un être méprisé, exploité et humilié » et qui s'identifiera à l'avènement du Royaume de la Liberté fondée sur la vraie démocratie^1. « Prométhée, - c'est avec ces paroles qu'Ernst Bloch avait conclu son discours de Trêves - disait le jeune Marx, c'est le saint le plus noble dans le calendrier philosophique ; ce qu'il voulait dire, c'est qu'il ne serait plus cloué encore une fois au rocher ou à la croix ; au contraire : quod erit demonstrandum, ce qui devra être prouvé. » 1 8 Amo Munster Paris, le 13 janvier 2009.

16. Emst Bloch, Karl Marx, aufrechter Gang, konkrete Utopie, in, du même auteur, Ober Karl Marx, Francfort, Suhrkamp, 1968; Cf. aussi : Amo Munster, L'utopie concrète d'Ernst Bloch, Une biographie, Kimé, Paris, 2001, p. 24-25. 17. Cf. Emst Bloch, Le Principe Espérance, t. III (Les images-souhaits de l'instant exaucé), trad. F. Wuilmart, Gallimard, Paris, 1991, p. 560. 18. Emst Bloch, Ober Karl Marx, p. 177; Amo Munster, L'utopie concrète d'Ernst Bloch, p. 25.

Figures de l'utopie dans la pensée d'Ernst Bloch

INTRODUCTION

En nous mettant inlassablement en garde contre une pensée se servant de clichés, Adorno a souligné, dans un article écrit à l'occasion du soixantième aniversaire de Herbert Marcuse, qu'une pensée vraie se caractérise par sa capacité de « se renouveler en permanence dans l'expérience de son objet qui est pourtant déterminé par lui-même.1 » Une conséquence de cet état de fait est, toujours d'après Adorno qu'aucune pensée philosophique de valeur ne se laisse facilement résumer et qu'elle n'accepte pas la distinction scientifique courante entre « procès » et « résultat2 » (qui, pour Hegel, n'étaient que les manifestations d'un même moment.) Aucune autre formule ne serait mieux apte à caractériser l'essence de l'œuvre d'un penseur comme Emst Bloch que cette constatation d*Adorno; car aucun autre penseur allemand du XX e siècle a, apparemment, placé si radicalement sa pensée sous le signe du « devenir », de la « processualité » (qui ne connaît que des phases de réalisation (et de manifestation) inachevées) et de la critique permanente d'un univers (dominé par la réification) en se réclamant constamment d'une vérité autre que celle de l'idéologie dominante et en renouvelant constamment sa légitimité et ses postulats au nom de l'espérance d'un but qui, en tant que totum (de cette métaphysique) mobilisera constamment toutes les images et figures de l'utopie. Même si Adomo, en écrivant ces lignes, ne visait pas directement Bloch - auquel il reprocha d'ailleurs « l'obsession de concevoir l'imaginaire comme un étant » voire « l'étant comme

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imagination » ainsi qu'un « réductionnisme » s'exprimant dans la « manie de rattacher partout aux phénomènes de l'inconscient des « intentions symboliques3 » (Symbolintentionen), il saisit, avec ces réflexions, presque malgré lui un trait caractéristique de la pensée d'Emst Bloch en soulignant l'importance d'une pensée philosophique qui raisonne « par intermittances » et qui admet même d'être « troublé » par qc. qui est extérieur à sa pensée 4 . « Une pensée emphatique de ce genre », dit Adomo, « exige beaucoup de « courage5 » dans le sens d'une résistance contre la pensée préétablie. Ernst Bloch a - comme Herbert Marcuse, comme Walter Benjamin, comme Adomo lui-même — dès ses premiers écrits (qui sont encore marqués par l'héritage du néoAcantisme6 et de la philosophie vitaliste) manifesté ce courage en faisant preuve, d'une manière exemplaire et originale, de cette « liberté de pensée » dont Friedrich Nietzsche était le représentant par excellence à la fin du siècle dernier et dont se réclame aussi Adomo lorsqu'il s'insurge contre l*hybris de « l'idéalisme qui a tendance à déformer ce qui est propre à la pensée philosophique7 » en prétendant que la vérité soit identique à sa vérité, à sa solution des apories philosophiques et lorsqu'il va jusqu'à nous peindre l'image utopique du triomphe final de cette liberté de pensée qui sera un jour « vraie là où elle sera libérée de la malédiction du travail et où elle pourra se reposer dans son objet. 8 » Prédestiné par l'époque, par sa formation intellectuelle à ce tournant significatif et spectaculaire qu'opère la pensée allemande, sans pouvoir nier l'héritage d'un Nietzsche, d'un Kierkegaard, d'un Schopenhauer ou de l'omni-présente école néokantienne de Heidelbeig et de Marbourg, Emst Bloch a incontestablement réussi à ériger, pour ainsi dire, son hérésie — sa triple hérésie contre le néo-kantisme, le positivisme et le néohégélianisme — en système, mais à la nuance près que le système hégélien s'y trouve conservé/aboli (aufgehoben) en « système ouvert » ' , non clos (préférant la dynamisation expressioniste des catégories spatio-temporelles aux déterminations causales du logicisme), et en devenant même, après sa « conversion » au marxisme, de nouveau « hérétique » — cette fois-ci à l'égard du marxisme vulgaire et de l'orthodoxie stalinienne. En brisant délibérément le cadre conceptuel de la philosophie de « l'a-priori de la conscience » (se limitant à la « We-

Introduction

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sensschau »/ - intuition essentialiste - déterminée, selon Husserl, par la « conscience pure »), en perçant l'horizon de la connaissance en vue d'y faire émerger les anticipations utopiq u e s , en renversant même les prémisses théoriques de la théorie de la connaissance kantienne par la mise en cause du tabou kantien de la « chose-en-soi » (se trouvant au-delà d'une limite absolue qui n'est plus scrutable par notre appareil de perception), Emst Bloch a incontestablement contribué à la genèse d'une pensée qui préfère la spatialisation, le saut dans l'imaginaire, voire le « rêver-en-avant » sur le parcours d'une imagination libre (mais pleine de potentialités non encore découvertes) à la réflexion philosophique raisonnant dans des termes de « l'être à la finitude », de « données (objectives) de la conscience » ou, tout simplement, de déterminations logiques causales. Méfiant à l'égard de tous les courants irrationalistes10 de la philosophie et de la psychologie moderne (de Klages, de Spengler, de Bâumler, de C.G. Jung et de tous les autres apologistes philosophico-intellectuels du nazisme), Emst Bloch n'a cependant pas hésité à lancer simultanément son propre défi à l'égard de l'ultra-rationalisme moderne d'obédience néocartésienne et néo-kantienne, en défendant l'héritage de certains courants mystico-révolutionnaires11 (en rupture théologico-politique ouverte contre l'aristotélicisme de la scolastique et sa légitimation du système féodal) contre un rationalisme « froid », calculateur et ultra-scientifique qui semble être prêt à sacrifier le sujet, avec toute sa richesse d'âme, ses capacités d'aimer et de rêver en avant, de rêver des « épures d'un monde meilleur » — au discours et à la pratique d'une raison instituante, planifiante et pseudo-humaniste voulant exterminer même les germes d'une transcendance imaginaire-utopique qui, pour Bloch, est primordiale voire la condition préalable d'un possible essor de « l'obscur de l'instant vécu » (du sujet) vers un «r devenir-autre-en-possibilité >,a. Force est cependant de constater que « l'obscur du moment vécu » biochien n'a pas le moindre lien de parenté avec l'humeur (« Stimmung ») heideggerienne qui s'identifie à un « état confus, stagnant et déprimé de l'existence, de l'être-dans-lemonde se manifestant comme un fardeau » ; car, à l'inverse de Heidegger, pour qui il ne s'agit que de la conceptualisation d'un sentiment diffus de la grisaille quotidienne guère différent de l'état de dépression et du désespoir, Ernst Bloch considère « l'obscur du moment vécu » comme un état préliminaire du

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rêve éveillé où l'on décèle déjà la trace des futurs « images souhaits » 1 3 . Ce qui caractérise en effet la pensée biochienne — comme sa méthode et la langue qui la véhicule — c'est — Adorno l'a bien observé dans son essai consacré aux « Traces » — cette « volonté de transpercer le bloc que le sens commun intercale d'habitude entre la conscience et la chose-en-soi. La consécration de cette limite est même mis [par Bloch] sur le compte de l'idéologie comme expression de la résignation de la société bourgeoise devant le monde réifié qu'elle a créé, devant son monde, le monde de la marchandise.14 » Nul doute que cette articulation profonde de la pensée d'Emst Bloch avec la dimension du « dépassement » soit aussi, « silencieusement », comme le remarque à juste titre Adomo 1 5 , héritière de la critique de Kant par Hegel culminant dans l'affirmation que le seul fait de poser des limites impliquerait déjà le dépassement. Mais les racines de cette pensée arrachant si violemment les bornes de la théorie de la connaissance kantienne sont apparemment trop profondes et trop multiples pour qu'elles puissent être réduites à ce seul aspect. Constatons d'abord que, malgré la « démolition » du système épistémologique kantien, déjà timidement entamée lors de la rédaction de la Thèse sur Rickert (en 1908), Emst Bloch ne met pas radicalement en cause le concept même de système, mais seulement — nous l'avons déjà dit plus haut — celui de système clos, fermé, achevé. En tant que théoricien d'un « système ouvert », Bloch ose se rebeller ouvertement, tout en vénérant Hegel en tant que.maître de la dialectique, contre le « panlogicisme » de ce dernier sans cependant vouloir rejoindre directement Kierkegaard dans l'opposition catégorique d'une « subjectivité de l'intériorité » (non médiatisée avec l'extériorité du monde objectif du réel) à l'objectivité hégélienne de la subjectivité (de l'esprit) médiatisée. Mais -en définissant toutes les manifestations de l'esprit, toutes les objectivations contre les formes de réflexion delà matière, la tâche traditionnelle de la philosophie, à savoir l'éclaircissement des formes et des contenus de la conscience, acquiert une signification nouvelle, comme le remarque, à juste titre, dans ce contexte aporétique, H.H. Holz. « Elle devient réflexion de la réflexion de la matière, c'est-à-dire de la forme d'existence suprême de la matière active. 1 ' » « Le matérialisme dialectique et historique s'enchevêtrent; la conscience anticipante

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peut être fondée dans la structure tendancielle du substrat matériel du monde » ; (et) cette « phénoménologie de la conscience anticipante décrit une partie du processus matériel du monde, au niveau de l'existence historique qui se réalise par la réflexion. Un monisme métaphysique tout-puissant épouse la multiplicité des phénomènes, la dialectique originaire de l'Un et du Tout se déploie dans l'idée de l'auto-réalisation de la matière, de la différenciation et de la qualification de l'Un vers le Multiple - conformément à la « Dialectique de la Nature » d'Engels dans laquelle sont intégrées toutes les traditions de la gauche aristotélicienne.17 » En définissant la catégorie de « possibilité réelle », le corollaire des images-souhaits de la conscience anticipante, en tant que « matière dialectique », Bloch s'inspire directement de la conception aristotélicienne de la matière définie non plus en tant que « KOtm 70 Suvaerw » (Kata to dynaton), à savoir comme le spécifiquement déterminé d'après le degré du possible —, mais en tant que Suvanecov1* (Dynameion), c'est-à-dire comme « l'être-en-possibilité », donc: comme source inépuisable où naissent toutes les formes et figures du réel. Il nous semble légitime de considérer la conception biochienne de la matière fondée sur la « dynamis » d'Aristote et la conception de l'étant en tant que puissance, potentialité, processualité en permanence, dans son articulation avec les images-souhaits de la conscience anticipante, comme la clef de la pensée philosophique d'Ernst Bloch ; car cette pensée est inséparablement liée à la conception de la « processualité » (du réel, de l'étant) qui s'appuie essentiellement sur la conception de la « médiation » avec les multiples possibilités du présent, du passé (non encore approprié) et, avant tout, de l'avenir. « Tout le réel devient possible au front processuel, et tout ce qui est partiellement déterminé est possible, comme détermination non complète ou non (encore) achevée.19 » Ce qui caractérise la totalisation de ce concept de la « matière dialectique » dans la philosophie biochienne, c'est qu'elle s'applique en tant que substrat réel d'un étant en potentialité (puissance) conformément à 1' « omne possibile exigit existere » de Leibniz, aussi bien à la physis qu'à l'esprit, à la nature qu'à l'histoire et à l'ontologie. « Anthropologie et philosophie de l'histoire, donc la doctrine de l'humain, et philosophie de la nature, à savoir la doctrine de la matière, y sont inséparablement enchevêtrées. Il n'y a pas de philosophie de la nature sans rapport à l'homme et à

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son histoire, pas de philosophie de l'histoire sans fondement dans la nature matérielle, pas d'ontologie... sans détermination qualitative de la matière d'où peut naître l'intentionalité humaine. 20 » L'ontologie du non-encore-étre que Bloch nous propose dans le « Principe Espérance » est précisément construite sur cette hypothèse de l'existence, dans l'étant, d'un nombre infini de potentialités non encore découvertes, de déterminations du « possible » non encore réalisées dans la matière qui constitueraient le champ d'horizon de la conscience, de la vie et de la praxis humaines. Et si la perspective de cette ontologie est justement l'inverse de celle de « l'être ontique » de Heidegger (sombrant dans la « Stimmung11 » et destiné à la fînitude et à la mort), elle fonde son originalité, — certes, suspecte aux yeux des partisans de l'existentialisme ontique — sur l'hypothèse de l'existence d'un lien dialectique permanent entre les affects d'attente (modes psychiques du « non-encore »), l'utopie et la praxis. La médiation entre ces trois instances est primordialement assurée selon Emst Bloch, par cette irrésistible puissance de l'imaginaire (qui est le propre de l'anticipation des images utopiques dans la conscience anticipante) capable de se transformer, dans l'espérance des individus et des classes opprimées, en une puissance tendancielle intervenant dans le champ de la praxis historique. Dans la mesure où ces images ne sont pas des « images de consolation » (Trostbilder) ni de contemplation, mais anticipations d'un but salutaire (dans le sens théologique, mais aussi profane, social et politique du terme...), la» captation de ces images-tendances pour la conscience anticipante devrait transformer celle-ci en conscience utopique révolutionnaire. Cela présuppose, en effet, un pré-concept de l'image utopique en tant Qu'archétype ou en tant que « rêve éveillé » du bonheur qui se distingue de l'archétype jungien par sa définition en tant que « résidu catégoriel imaginatifobjectif » apte à devenir, le vecteur d'un nouveau sens, d'une nouvelle espérance utopique22. Dans la définition biochienne, ces archétypes ressemblent beaucoup - à la différence du sens que leur attribuent Jung et Klages — aux allégories et aux symboles dont la transparence n'est pas moins l'objet de l'effort analytique biochien que de la réflexion benjaminienne 23 consacrée à la découverte des « chiffres » et du « sens caché »

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de ces mêmes configurations symboliques et imaginaires. Pour Bloch, souligne à juste titre H. H. Holz 24 , ces archétypes ne résident pas exclusivement dans la mythologie; ils peuvent aussi revêtir la forme de l'espérance utopique millénaire, - celle de « l'omnia sint communia » de Thomas More (qui était une forte puissance stimulatrice dans la révolte des paysans allemands du X V I é siècle - attisée, sur le plan théologico-politique, par Thomas Mûnzer —2S) ou, dans le domaine de la musique, le motif de la trompette dans le « Fidélio » de Beethoven annonçant la libération de Florestan et la victoire populaire sur la tyrannie1*... En soulignant ainsi la signification de la dimension du rêve anticipateur, de l'utopie, des images-souhait et des archétypes qui les engendrent, pour le « Principe Espérance » (travaillant patiemment, dans le cadre des médiations partielles du « possible », à la transformation, à la ré-humanisation du monde), Bloch ne peut, bien entendu, aucunement sacrifier dans la dialectique qu'il nous propose, le concret-réel à une abstraction imaginaire voire une praxis utopico-imaginaire qui survole seulement le réel comme un flux d'images des rêves d'un monde meilleur qui traverse, à des intervalles irréguliers, la conscience « éveillée », sans déboucher pourtant sur une pratique concrète ; il rejoint plutôt Gramsci27 dans la conviction que le marxisme en tant que pratique d'une philosophie matérialiste doit, pour être efficace, absolument être traduit dans la situation concrète de l'histoire, non pas schématiquement, mais dans une unité dialectique processuelle de la théorie et de la pratique. Cette unité dialectique ne serait rien d'autre qu'un « acte critique » se déployant dans les diverses étapes concrètes de la praxis critique, impliquant, à la fin de ce processus, la conquête du pouvoir économique et étatique par une nouvelle force hégémonique constituée par le « bloc historique » du prolétariat, de l'intelligentsia révolutionnaire et l'avant-garde politique 1 '. Bloch semble être-fasciné — autant que Gramsci — par la « dynamique se manifestant dans l'interaction permanente de la philosophie marxiste avec la réalité sociale, et il développe cet aspect, sans pourtant se réclamer expressément de l'œuvre de l'éminent théoricien marxiste italien, dans le sens de l'esquisse théorique d'une « dialectique » se manifestant à plusieurs niveaux (« mehrschichtige Dialektik ») qui entend réviser, ou plutôt « rectifier » la définition marxiste-orthodoxe du rapport théorie-praxis dans le sens précis que la vraie praxis (mar-

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xiste) d'aujourd'hui devrait déjà être structurée d'après l'anticipation du but utopique lointain (« Fernziel » ) î 9 . Les buts proches (« Nahziele ») de cette nouvelle pratique (qui ne peut être qu'humaniste et révolutionnaire) doivent déjà contenir, ne serait-ce que d'une manière imparfaite et fragmentaire, affirme Bloch, les germes utopiques du but lointain, si la praxis ne doit pas courir le danger de devenir elle aussi, mécaniste, dogmatique, inefficace ou pervertie. Le défi lancé ainsi par Emst Bloch contre le marxisme vulgaire, le pragmatisme social-démocrate et le stalinisme implique aussi, outre la mise en cause d'un nouveau fétichisme d'Etat dérivé du néo-hégelianisme de Lassalle et du « léninisme » pétrifié de Staline, la découverte d'une nouvelle dimension sociologique à laquelle cette nouvelle dialectique (marxiste) d'une théorie-praxis rénovée et « dynamisée » déviait être appliquée : la quotidienneté. En effet, Emst Bloch a été le premier philosophe marxiste de notre siècle qui, dans les « Traces » (1930) 30 aussi bien que dans «Héritage de ce Temps» (1935) 31 , a souligné - bien avant la découverte de la même dimension par Henri Lefebvre 32 , en France — l'impact de la conscience quotidienne des masses, sous le capitalisme moderne, pour l'analyse concrète d'une situation économico-politique concrète dont le marxisme - qui était politiquement représenté par les deux partis de gauche dominants en Allemagne (à l'époque de la République de Weimar), le parti communiste allemand (KP.D.) et le - S.P.D. — aurait eu absolument besoin pour affronter, si possible ensemble, le danger de la peste brune. Faire une telle analyse concrète, signifie, d'après Bloch, tenir compte des phénomènes de la « non-contemporanéité 33 » (dissimultanéité) (« Ungleichzeitigkeit ») se réflétant dans cette même conscience quotidienne des masses; assumer, dans la perspective d'une instrumentalisation pour les objectifs politiques et culturels du marxisme, toutes les contradictions de cette dissimultanéité afin de tenter la sursomption / conservation(l'Aufhebung) dialectique de tout ce qui y est arriéré et rétrograde d'apparence (sans l'être peut-être vraiment, dans le fond) et dialectiser, si possible, tous ces aspects d'un héritage culturel diffus afin de pouvoir créer ainsi les possibilités réelles pour gagner les couches sociales caractéristiques de ce phénomène, ainsi que la grande masse de la population des villes et des campagnes à la cause du socialisme: d'un socialisme ne se présentant plus comme une

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science dominée par des statistiques, des calculs économiques et des chiffres, mais comme une véritable alternative au quotidien du capitalisme impliquant le resouvenir et le droit à l'utopie du bonheur et une véritable émancipation créant des rapports autres — de solidarité et de fraternité fondée sur une nouvelle éthique — entre les hommes et les femmes. Ce travail de dialectisation des contradictions implique même, d'après Bloch, un effort tendant à rationaliser au maximum l'irrationnel 34 , à savoir les multiples strates de l'irrationnel que l'idéologie conservatrice, et, de prime abord, le nazisme, a su si habilement mobiliser et utiliser à ses propres fins de propagande alors que la propagande marxiste — incapable, dans les années 20 et 30, en Allemagne, de saisir le sens profond et la dimension réelle de la conscience des masses, malgré sa théorie scientifique omniprésente dans les manuels de formation du parti allemand (K.P.D.) - , aurait pu, si elle avait gardé le sens de la dialectique en accord avec un élan certain et un sens de la tactique politique, s'en servir pour conquérir la conscience des larges masses35 . Certes, il est légitime d'adresser à Emst Bloch le reproche d'avoir, avec la formulation d'un tel théorème, volontairement ou involontairement « minimisé » l'ampleur de la « misère allemande » dont la principale caractéristique est précisément (avec le fanatisme protestant de l'ordre, du travail et de la discipline) ce penchant vers l'irrationnel - constante plus ou moins inguérissable du comportement de la grande masse des Allemands à travers les siècles (surtout au cours du XIXe et du XXe siècle!) selon Georges Lukacs: celui-ci, dans la « Destruction de la raison » 3 ( , a fait, pour ainsi dire, l'inventaire des porte-paroles intellectuels et philosophiques de cet irrationnalisme en Allemagne, depuis 1800 jusqu'à Klages, Jung, Spengler, Bâumler, Krieck et Rosenberg. Mais serait-ce vraiment nager à contre-courant que d'accorder à Emst Bloch (qui contribue cependant substantiellement à démasquer les tendances pro-fascistes des mêmes auteurs qu'évoque Lukacs pour cette apogée de la pensée irrationnaliste en Allemagne, dans la première moitié du XX e siècle) le droit d'analyser profondément un aspect qui a été complètement négligé par la plupart des sociologues, politologues et philosophes qui se sont consacrés à l'analyse du phénomène du fascisme (y compris Lukacs) ? Au moins devrait-on admettre que Bloch apporte des preuves irréfutables à l'appui de ses thèses et que le débat sur la technique démagogique « populaire » du fascisme (nazisme) et sur les

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erreurs de la gauche face à ce phénomène a été considérablement enrichi par ses réflexions sur la « Ungleichzeitigkeit3 7 » et leun incidences socio-politiques-idéologiques. Presque quarante ans après la première parution d ' « Héritage de ce temps », Emst Bloch a voulu développer davantage l'aspect praxéologique de sa philosophie de la théorie-praxis en publiant « Experimentum Mundi » 3 8 — ouvrage presque exclusivement consacré & la problématique de la médiation au sein de cette nouvelle conception de la dialectique matérialiste. Evoquant la thèse beiyaminienne de la présence d'éléments du futur dans le passé et de leur possible (et nécessaire) dialectisation, il dit : < Il reste que seul un marxiste est en mesure, en médiant la théorie et la pratique, d'entretenir avec le premier plan temporel un rapport qui se heurte plus à un brouillage insurmontable, même s'il est bien sûr encore très loin de venir à bout de la proximité: il trouve seulement dans le marxisme les présupposés qui lui permettent de se familiariser avec cette énigme métaphysique tout à fait essentielle et de la maîtriser. A ses yeux le premier plan immédiat se trouve du moins relié avec le passé et le futur dans un même processus; largement médié avec eux, il ne lui apparaît plus comme actualité aveugle mais comme une tranche connaissable de l'histoire: comme le front présent de l'histoire. C'est pourquoi Marx - grice à une prise de parti qui est léfléchie et non occultée, ou du moins ignorée, comme c'est le cas chez les historiens bourgeois — est en mesure de porter sur le « Dix-huit Brumaire de Louis Bonaparte » et sur les luttes de classes en France un regard nettement moins brouillé. A l'opposé, le désarroi qui est celui du bourgeois contemplatif lonqu'il tente de comprendre le présent immédiat qui l'entoure a toujours été on ne peut plus manifeste. Les bévues commises par des historiens bourgeois par ailleurs fort sagaces au cours ou à propos des deux guerres mondiales ne proviennent pas seulement, en ce sens, des effets corrupteurs de leun intérêt de classe « nationaliste » et si ces raisons ont assurément joué, les carences générâtes qui affectent toute vision contemplative lorsqu'elle se porte, par intérêt de classe, sur les événements immédiats sont bien plus décisives. Précisément, parce que l'historien bourgeois, fort de sa foi (ou de sa superstition) dans le caractère soi-disant impartial de la pure contemplation, de l'observation, succombe à la contamination de l'espace mixte. Et cette situation vient conforter sans aucun doute la complaisante myopie des vues idéologiques qui brouillent toujours l'intérêt effectif, actuel, de la classe dominante et en favorisent l'occultation... C'est pourquoi seule une rotation par leregardopérée de façon non contemplative est en mesure de supprimer ou du moins d'atténuer le brouillage propre à l'espace contaminé, elle seule cesse d'être aliénée à ce qui est deve-

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nu, sans se donner l'apparence d'une objectivité plus grande à mesure que son objet s'éloigne, qu'il s'identifie à un moment écoulé dans le temps et que s'accroît la distance qui le sépare dufluxdes événements actuels. Seule cette démarche non contemplative, à la fois léftexive et partisane dans l'objectivation, parvient à ne pas sacrifier le sujet en même temps qu'elle surmonte l'obscurité de l'instant qui se vit, à ne pas sacrifier au dépassement de l'intériorité obscure de l'en-soi l'activité et la vitalité qui en jaillissent et qui reconnaissent comme leur ce qui se passe sur le front du présent le (dus actuel.39 » Selon Bloch, le « diffus indifférent de l'espace « contaminé » (schâdlich) ne peut donc être surmonté que par l'essor du regard non-contemplatif au-dessus de la surface de l'action, au-dessus de la factualité propre, et simultanément à ce mouvement, l'intériorité du sujet étant « en soi » devrait être médiatisée avec l'intervention active du sujet au « front du temps ». L'empirisme positiviste de lliistoricisme bourgeois est ainsi aussi radicalement réfuté que la théorie du reflet du matérialisme vulgaire dont le principal défaut est, comme Marx l'avait déjà montré dans sa première « Thèse sur Feuerbach », que « l'objet, la réalité, la sensualité est exclusivement analysé sous la forme de l'objet et de la contemplation, et non pas sous la forme de l'activité humaine, sensuelle et subjective, en tant que praxis » 4 0 . Ernst Bloch a, pensons-nous, entre autres, le grand mérite d'avoir éneigiquement souligné, par le recours aux thèses du jeune Marx, qu'il est absolument nécessaire, pour le renouveau d'un matérialisme dialectique qui entend reprendre à son compte les contenus d'avenir et d'horizon, « de ne pas se désintéresser de la subjectivité, mais de n'ignorer non plus la sphère du matériel en la traitant mécaniquement, comme un « bloc » 41 (Klotzmaterie). « Toute matière », dit-il dans « Experimentum Mundi », qui n'est pas pour le facteur subjectif un substrat et une aide est une matière inerte, un bloc inanimé, une extériorité morte. Aussi la matière doit-elle être abordée sur le front de l'histoire en termes non mécanistes — non comme caput mortuum. Par ce front de l'histoire nous entendons la présence du facteur subjectif dans toute sa profondeur, son inquiétude réfléchie.42 » Dans un entretien avec Fritz Vilmar consacré aux « problèmes non résolus de la théorie socialiste », Emst Bloch dit que la philosophie utopique devrait intervenir, dans un premier temps, précisément à l'horizon de cette dimension « frontique »,

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« en conservant des vestiges de la civilisation humaine du passé ce qui en est toujours valable et en le transformant dans le « possible réel utopique » de l'avenir. 43 » L'imagination utopique peut aussi saisir les hommes qui n'ont atteint qu'un degré superficiel de saturation, d'une insatisfaction énorme qui serait capable de déclencher ce processus. Bloch souligne que cette attitude « existentielle-révolutionnaire » des hommes doit nécessairement devenir une attitude politique au fur et à mesure que l'imagination socialiste leur enseigne que leur misère existentielle est principalement due au fait qu'ils vivent dans un monde capitaliste qui ne leur offre pas la chance objective de concrétiser les possibilités objectives de la liberté 44 . Mais, de toute façon, il ne suffirait pas de leur ouvrir les yeux sur les possibilités d'accomplissement et de réalisation; car il faudrait « leur apprendre en même temps quelles sont les forces politiques, économiques et sociales objectives qui les empêchent de devenir eux-mêmes.41 » Dissipons tout de suite un malentendu: en formulant le postulat de la souhaitable convergence du saut imaginaire subjectif contre l'aliénation et de la révolte contre les conditions économico-politiques objectives qui maintiennent les hommes dans la servitude, Bloch n'entend pas substituer complètement au socialisme scientifique un socialisme « existentiel utopique ». Ce qu'il vise c'est plutôt l'interaction permanente entre la sphère de la production et de la reproduction (idéologique) et de ce qui se manifeste, dans la tension dialectique latence-tendance, comme un « invariant » d'une « vie et d'un monde meilleur » dans l'avenir 46 . L'imagination utopique telle qu'elle est définie par Emst Bloch se réfère toujours à l'horizon d'un réel-étant dans sa qualité prospective. « Là où l'horizon prospectif est le point le réel apparaît tel qu'il est in concreto: dialectiques se déroulant dans un monde monde qui ne serait pas transformable sans que constitue la possibilité réelle en lui. 47 »

de mire .permanent, tissu de processus inachevé, dans un cet immense avenir

Prospective, possibilité réelle et utopie concrète sont donc médiatisées, dans cette pensée, par le couple conceptuel « latence/ tendance » dans un processus en progression permanente et d'adéquation ouverte. A la lumière du renouveau du matérialisme dialectique par le biais de ces catégories, le marxisme devient une « doctrine

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scientifique des tendances », une science de la recherche systématique des possibilités d'avenir du réel dont le « point d'Archimède » est — comme Bloch le dit très clairement dans le chapitre sur les « 11 Thèses de Marx sur Feuerbach » dans le tome I du « Principe Espérance » 4 t , de ne plus articuler le savoir exclusivement avec l'analyse du passé, mais avec l'avenir. Avec cette orientation explicite du savoir vers l'avenir, vers les potentialités d'avenir de l'étant, impliquant un refus catégorique du « là n rjy rirai » d'Aristote, Bloch est en mesure de définir le marxisme en tant que « nouvelle science des tendances » : « Seul l'horizon de l'avenir dans lequel s'installe le marxisme et pour lequel l'horizon du passé n'est qu'une antichambre, confère à la réalité sa dimension réelle.49 » Est-il encore nécessaire de souligner à quel point cette redéfinition du marxisme, par Ernst Bloch, en tant que « science de l'avenir du réel-étant plus les possibilités objectives réelles en lui 50 » — qui ne doit pas être confondue avec la « futurologie », dans le sens courant du terme ! - est importante voire substantielle pour la sauvegarde de l'authenticité de la pensée de Karl Marx — devant le fond historique d'une dégénérescence tragique du marxisme à l'Est en une science de légitimation de la dictature bureaucratique des partis dits « ouvriers » sur le prolétariat et la population tout entière ? Dans ce contexte, Emst Bloch pose une série de questions qui méritent un examen critique et attentif : 1° Contre quelles formes de dégénérescence de sa doctrine Marx ne s'est-il pas suffisamment protégé lui-même, par avance51 ? 2° Quels ont été les facteurs objectifs du « blocage » du marxisme en tant que praxis théorique (historique) qui sont responsables du fait que la « téléologie du but d'humanisation du monde (implicitement présente dans le marxisme) » n'a pas pu se déployer, pratiquement nulle part dans le « socialisme réellement existant » " ? 3 e Pourquoi le « second acte » - celui du resouvenir de l'héritage utopique — n'^-t-il jamais succédé, jusqu'à maintenant, au premier acte : celui de la révolution des rapports économiques*3 ? Bien entendu, Emst Bloch pose ces questions dans une perspective complètement différente à celle des « nouveaux philosophes » qui ont tendance à exploiter l'existence de certaines lacunes ou contradictions dans la pensée

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de Karl Marx (ou plutôt du marxisme après Marx) dans le sens d'une mise en cause — démagogique — de la substance émancipatrice de la pensée de Marx dont l'image est grossièrement déformée en architecte potentiel des Goulags. Car, à l'inverse d'un Bernard Henry-Lévy ou d'un André Glucksmann, Bloch à qui les écrits du jeune Marx ont fourni la clef de sa propre conception de la nature et pour ce qui pourrait être une nouvelle anthropologie marxiste sous le signe de l'humanisation de la nature et de la résurrection de la nature dans l'homme (libéré des chaînes de l'aliénation capitaliste) — sait très bien faire la distinction entre contradiction partielle, intention réelle et interprétation fausse et abusive de l'œuvre de Marx (et surtout du concept de « dictature du prolétariat ») de la part de ceux qui ont voulu transformer la doctrine de Marx en un système clos, répressif et autoritaire qui est celui du marxisme d'Etat centralisé de type stalinien. L'expérience historique de la prolifération de cette nouvelle forme de pouvoir post-capitaliste fondé sur un capitalisme d'Etat extrêmement centralisé révèle, dit Bloch, un déficit significatif dans la réflexion et la discussion du concept de « dictature de prolétariat » dans le siècle d'après Marx — déficit s'expiimant avant tout dans le manque d'une analyse précise des concepts de démocratie, de dictature et d'Etat dans le marxisme post-marxien, alors que ce problème n'a pas pu être analysé dans toute sa profondeur par les pères-fondateurs du socialisme scientifique. Cest la raison principale pour laquelle, d'après Emst JBloch, les prémisses d'une critique radicale de l'Etat — qui, en France, avait une certaine tradition anarchiste et anarcho-syndicaliste à savoir la question : « Comment puisse sauver l'individu du molochisme d'Etat dans /'après-capitalisme (qui n'est cependant pas encore forcément le communisme) dans la phase de la « dictature du prolétariat 4 » - n'ont pas été assez sérieusement analysées par les théoriciens marxistes de la première moitié du XX® siècle (à l'exception peut-être de Rosa Luxemburg) - un fait qui a substantiellement contribué à la perte de la notion de « liberté individuelle » dans les pays dominés par le marxisme soviétique qui a aussi, selon Emst Bloch, le tort de passer sous silence le souvenir de la prise de la Bastille (avec ce qu'elle contient comme pathos de liberté et d'émancipation des opprimés) et de censurer, pour ainsi dire, la mémoire collective des utopies libertaires. Un autre vecteur de ce déficit du marxisme officiel des pays

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du « socialisme réellement existant » apparaît d'après Emst Bloch, dans le manque de prise en considération, par le marxisme dogmatique, du droit naturel de gauche (linkes Naturrecht) pour la concrétisation de l'idée de la libertés s. Si Emst Bloch souligne avec autant de fermeté et d'enthousiasme les traditions progressistes du droit naturel et leur impact sur les utopies libertaires de type humaniste et socialiste, il n'ignore pas pour autant qu'il y avait aussi, pendant le XIXe et au début du XX e siècle, des tentatives de légitimation de la raison d'Etat de droite par le recours au droit naturel. (Le fascisme allemand, par exemple, s'est servi du droit naturel pour légitimer son régime de terreur, et la théologie du catholicisme officiel du Vatican en a fait une sorte de pierre angulaire de son éthique fondée sur les conceptions du droit naturel de la scolastique du Moyen Age.) C'est en attaquant cette récupération du droit naturel par les forces conserva tri ces-traditionnalistes et en le réclamant pour la philosophie du marxisme et du socialisme utopique, qu'Emst Bloch entreprend, dans « Droit Naturel et Dignité Humaine » (1961 ; Payot, 1976) la reconstruction de l'historique du lien secret qui unissait pendant plusieurs siècles les conceptions du droit naturel (lesquelles développaient déjà, comme par exemple Grotius et Thomasius, le concept du droit naturel à la résistance contre la tyrannie et le pouvoir étatique) aux utopies de l'émancipation56. Pour Emst Bloch, la reconstruction de cette tradition oubliée est une tâche primordiale contribuant à sauver la vraie image du socialisme qui, selon lui, ne devrait dans aucun cas renoncer, malgré toutes les tentatives monistes et totalitaires, à se réclamer de l'héritage glorieux de 1789 sans lequel la mise en route de l'étape historique suivante (celle du socialisme) n'aurait aucun fondement 5 7 . Au sein même du « camp socialiste », Emst Bloch a été fréquemment - surtout entre 1956 et 1960 - , l'objet de dures attaques de la part des théoriciens dogmatiques et staliniens qui, comme O.R. Gropp 58 (professeur de philosophie à Leipzig et membre du S.E.D.), reprochaient à Emst Bloch l'articulation d'une pensée matérialiste avec une pensée mystico-religieuse « en contradiction totale avec le socialisme scientifique » (!) D est indéniable qu'il existe, chez Ernst Bloch — comme le souligne, entre autres, Leszek Kolakowski —, « un assez grand intérêt pour les traditions hermétiques de l'occultisme, pour la gnose et pour d'autres formes d'une religiosité non-codifïée, non dogmatique s'inspirant souvent des légendes mystiques de

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l'est» 5 9 , mais aussi des hérésies chrétiennes du XV® et du XVI e siècle qui se rébellaient simultanément contre la hiérarchie ecclésiastique et contre l'ordre féodal 60 . Dénoncer cet intérêt réel d'Emst Bloch pour la théologie et les croyances religieuses des opprimés (qui peuvent aussi être les premiers éléments annonciateurs de « l'athéisme dans le christianisme ») comme signes d'une apologie illicite du religieux (en tant que support d'une idéologie conservatrice) comme le fait par exemple le marxisme officiel de la R.D.A., nous semble, de ce fait, grossièrement injuste et erroné. Car, tout en se réclamant de ces traditions hérétiques, par exemple du « millénarisme » de Joaquin de Fiore, comme des traditions de la mystique juive et protestante, Bloch ne renonce absolument pas à son athéisme, à sa volonté de « dé-théocratiser » " , d'anthropologiser et d'humaniser le phénomène du religieux en général. Ce qui stimule l'actualisation de la pensée chrétienne hérétique et mystico-eschatologique par Emst Bloch, ce n'est pas la réception de la religion en tant que mythe statique et apologétique, mais son messianisme eschatologique humain (contestataire et révolutionnaire). La lecture critique de la Bible par Emst Bloch ne vise donc aucunement la dé-mythologisation de la religion, dans le sens de Rudolf Bultmann, mais plutôt le réveil de la conscience eschatologique du monde allant de pair avec la dé-théocratisation de la foi. Cest prioritairement cette attitude-là qui motive par exemple sa défense rigoureuse de Job — accusateur désespéré d'un Dieu incompréhensible décidant arbitrairement du sort des hommes. « Athéisme dans le christianisme » a donc, chez Emst Bloch, la signification très précise d'un parti pris pour ce cri de désespoir de Job dans le sens d'un messianisme eschatologique révolutionnaire 61 . Les apories philosophiques résultant de cet attachement d'Emst Bloch à l'idée eschatologique du « Royaume », à la pensée apocalyptique du messianisme juif et du millénarisme chrétien et à la métaphysique d'un destin salutaire du monde, comme aux perspectives de l'anthropologie marxienne, ont déjà été brillamment analysés par Rudi Dutschke 63 dans un article consacré au « Thomas Muntzer — théologien de la Révolution » de Bloch. En faisant allusion à cet enchevêtrement de deux traditions radicalement différentes (métaphysicoreligjeuse et matérialiste) dans la pensée biochienne, Dutschke y constate, entre autres: « Dans la pensée d'Emst Bloch alternent toujours deux types

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de révolution : une vision politico-économique et une autre de type religieux-métaphysique. Mais quelle est cette dernière ? Ne transgresse-t-elle pas la conception matérialiste de l'histoire, n'est-elle pas — automatiquement — soupçonnée d'idéalisme ? Ou bien Bloch pense-t-il à la « révolution dans la Révolution, la révolution culturelle, pendant indispensable de la révolution économico-politique ? 64 » Certes, Bloch semble parfois s'éloigner de la conception matérialiste « classique » du marxisme — si l'on compare par exemple la position biochienne à celle de K. Korsch ou de Gramsci - là où l'aspect proprement dit théologico-spéculatif de la philosophie biochienne de l'histoire prime la dimension matérialiste à tel point que l'espace du « Royaume de la Liberté » conçu par Emst Bloch rayonne très souvent à la lumière d'un messianisme utopique dont la dimension ne peut plus être élucidée par les catégories d'une conception exclusivement matérialiste. Mais si Emst Bloch peut constamment et impunément opérer cette transgression, cela est avant tout possible parce que le concept de la matière sociologique du marxisme n'est plus capable de saisir la totalité des dimensions de la société dans toute sa profondeur. En faisant ainsi, à l'aide des concepts empruntés à la métaphysique, à la religion, une percée dans cet espace d'une dialectique multi-dimensionnelle, la philosophie matérialiste de l'histoire reçoit, pour ainsi dire, une énorme « charge » utopico-religieuse supplémentaire comme conséquence de l'introduction de la dimension religieuse-utopique de l'avenir et de l'espérance. Cette charge est si grande, si présente qu'elle menace de briser les limites de l'approche matérialiste — non-spéculative —, concentrée sur l'analyse des contradictions socio-économiques. Nous sommes bien contraints de retourner vers l'œuvre du jeune Marx afin de découvrir le lien et les articulations de cette version spécifique de la philôsophie de l'histoire avec la méthode dialectique-matérialiste d'exploration des possibilités objectives du progrès historique. Et ceci nous renverra immédiatement aux « Manuscrits économico-philosophiques » de 1844 où le jeune Marx, citant Schelling et certains aspects de la philosophie de la nature (mystique/théosophique) de Franz von Baader formule la vision anthropologique de la « résurrection de la nature » humaine au telos de l'histoire où la « naturalisation de l'homme » coïnciderait nécessairement avec « l'humanisation de la nature »6 s.

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Bien que l'évolution philosophique de Maix ait culminé dans la définition dialectique-matérialiste des catégories de l'économie politique et l'exploration scientifique de la logique de l'essence du « Capital », il est indéniable que dans les écrits de 1844 les catégories de l'économie apparaissent déjà sous la forme conceptuelle de la production et de la reproduction de la vie humaine et sont donc instrumentalisées pour une < représentation ontologique » de l'être social sur une base matérialiste, comme l'a remarqué, à juste titre, Georges Lukacs". Même là où ces catégories n'émergent que dans un contexte purement économique — elles ont bien la valeur et la fonction de « formes de l'être » et de « déterminations de l'existant », ce qui transcende et dépasse leur simple définition — restrictive — en tant que catégories économiques. C'est précisément dans le contexte et dans l'horizon d'une telle rectification de la problématique ontologique marxienne par Georges Lukacs67 que l'oeuvre et la dialectique blochiennes trouvent leur place d'honneur dans la mesure où le matérialisme dialectique atteint - avec le « Principe Espérance » - la plus grande distance possible par rapport au marxisme (matérialisme) vulgaire tout en se renouvelant constamment par cet agrandissement de l'aspect ontologique et utopique dans la pensée de Marx, en contradiction absolue avec les tendances philosophico-idéologiques du marxisme dogmatique et du stalinisme. Mais, alors que chez Marx68 la dimension ontologique est soumise à l'aspect du métabolisme des forces naturelles de l'homme avec les formes d'objectivation des forces productrices (au fur et à mesure qu'il considère ce métabolisme comme la base naturelle de la reproduction de la vie humaine et de l'existence humaine en général, indépendamment des formes d'organisation sociale) l'ontologie biochienne se développe et se définit plutôt, comme nous l'avons déjà indiqué plus haut, sous le primat de la théorie de la connaissance et des concepts « d'utopie », « d'anticipation » et de « praxis ». « L'utopie se fraie son chemin », dit Bloch explicitement dans le « Principe Espérance », à la fois par la volonté du sujet comme dans la tendance-latence du monde processuel derrière l'ontologie éclatée (zersprungene Ontologie) d'un être-là prétendument achevé 69 . La volonté transformatrice du sujet en tant que praxis et action tend donc, selon E. Bloch, à nier l'ontologie même, et - selon Bahr - « action et ontologie s'enchevêtrent et se

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prédéterminent mutuellement « afin d'éviter la réification de l'utopie » 7 0 . « Ontologie et utopie ont tendance à s'abolir ( a u f h e b e n ) mutuellement, chez Emst Bloch, dans leur réalisation; car, autrement sans cette « Aufhebung », l'ontologie ne serait que la justification des rapports de domination existants. Leur réalisation est leur suppression et leur suppression est celle des rapports de domination qui constituent une tendance en tant que contrainte. 71 » Nous avons déjà fait allusion, plus haut, au grand travail de critique idéologique que comporte l'œuvre d'Emst Bloch non seulement dans sa dimension proprement sociologique — dans le cadre de son analyse de la genèse des mentalités fascistes et des causes de la montée du nazisme 72 et de la défaite de la gauche allemande sous la République de Weimar —, mais aussi dans le cadre de sa tentative de sauver des traditions oubliées, refoulées (non seulement progressistes, porteuses de l'Aufklârung, mais aussi d'ordre mystico-religieuses) pour la re-vitalisation, le renouveau d'un marxisme non dogmatique. Jûrgen Habermas a été le premier à constater, à ce propos, qu'Emst Bloch se limiterait volontairement, dans son effort de « sauvegarder dans sa critique de l'idéologie, la tradition de l'objet de sa critique », au déchiffrement (des symboles et des allégories) du mythe et de la religion, de la littérature et de la musique. 73 » Et, en comparant sa méthode dialectique à celle de Feuerbach (qui procède plutôt à une critique idéologique anhistorique), Habermas rend expressément hommage à Emst Bloch d'avoir tenté systématiquement de forger partout lui-même les dimensions de l'utopie, de sauvegarder leurs images pour les générations futures et de sauver les VTaies idées qui sommeillent dans les idéologies afin de pouvoir « sauver au sein de la fausse conscience la vraie » 7 4 . Et Habermas continue : « Jusqu'ici toute grande civilisation est la manifestation d'une léussite, pour autant qu'elle pouvait s'édifier dans des images et des pensées à la hauteur des vues de l'époque. « Même la critique de la religion que Marx résume dans ses Thèses sur Feuerbach reçoit ainsi rétrospectivement son sens. Dieu est mort, mais son lieu lui a survécu; l'espace dans lequel l'humanité a imaginé Dieu et les dieux subsiste en quelque sorte, après l'écroulement de ces hypostases, comme un espace vide ; les « sondages » qu'on y fait, c'est-à-dire ceux qu'entreprend l'athéisme enfin conçu, révèlent les grandes lignes d'un règne futur de la liberté.

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L' « excédent culturel », la vérité encore chiffrée dans les mythologèmes, Bloch les arrache à l'économisme d'un Marx ajusté au matérialisme dialectique, en faisant un clin d'ail à Leibniz qui de son côté transposait un thème de Locke :rienn'est dans la superstructure qui ne soit aussi dans la base, si ce n'est la superstructure elle-même. Une orthodoxie à la Salomon, ici comme partout. Mais il ne s'agit pourtant pas, comme il pourrait le sembler d'un recul de Marx vers Hegel. S la comparaison est permise, la phénoménologie de l'espérance ne poursuit pas, comme celle de l'esprit, les figures révolues de cehii-ci. Pour Bloch, les figures de l'esprit tirent au contraire l'objectivité de leur apparence de la « valeur d'expérimentation » d'une nouveauté projetée à l'avance. Jusqu'ici la philosophie n'a pas éventé son incognito, la possibilité objective d'un règne de la liberté : « Ce fut finalement toujours la chape que l'anamnése platonicienne pose sur l'Eros ouvert à la dialectique qui a enfermé jusqu'ici la philosophie, Hegel compris, dans l'esprit de la contemplation et de la tradition. Dans l'esprit de la tradition - parce qu'elle travestit l'avenir en passé depuis lontemps révolu ; dans l'esprit de la contemplation — parce qu'une genèse projetée de cette manière de son terme encore à venir dans son commencement réserve illusoirement à lareproductionthéorique ce qui ne devrait être accompli que par une pratique responsable et après une préparation critique75. Parce que les travaux et les recherches philosophiques d'Emst Bloch sont marqués par cette grande concentration sur la problématique de la superstructure, les représentants du marxisme orthodoxe ont souvent reproché à Ernst Bloch d'avoir ainsi « mutilé Marx de sa dimension économico-politique. Dans ce reproche se reflète apparemment le fait que la réception traditionnelle de l'œuvre de Marx — dans la première moitié du XXe siècle — a été marquée, jusqu'à la découverte des écrits du jeune Marx par Rjazanov en 1932, par une interprétation de l'œuvre de Karl Marx qui considérait la forme-marchandise et la forme de la valeur76 (liée à l'échange du travail salarial avec les formes objectivées du processus de travail capitaliste) comme les catégories principales de son œuvre économique et philosophique - ce qui amenait un grand nombre de chercheurs et de spécialistes à limiter leurs recherches à cet aspect. Par contre, la réception de l'œuvre de Karl Marx par Ernst Bloch est profondément caractérisée par l'effort visant à libérer la réception des analyses marxiennes des mains des économistes, de cette fixation sur la problématique exclusivement économique ou plutôt économico-politique, et de concentrer les recherches marxistes de l'avenir plutôt sur la substance philosophique de l'œuvre de Marx ainsi que sur l'analyse dialectique des phénomènes super-structurels.

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Mais cela n'entraîne dans aucun cas comme conséquence que Bloch ignorerait la dimension de l'aliénation que Marx a découvert, par le renversement de la dialectique de l'idéalisme objectif hégélien, dans la forme du travail salarial des producteurs à l'époque de l'industrie capitaliste moderne, — comme le démontre, entre autres le commentaire à la XI e Thèse de Marx sur Feuerbach dans le Tome I du « Principe Espérance » où Bloch dit expressément : « Le point d'Archimède (pour l'histoire) est dans le marxisme l'homme travaillant. Les divers modes sociaux de la satisfaction des besoins, 1' « ensemble des rapports sociaux » tel qu'il a remplacé l'abstraction humaine de Feuerbach, le processus social d'échanges avec la nature elle-même : tout cela fut reconnu comme étant la seule base réelle et pertinente, sur le plan de l'histoire et de la culture. Base qui était en même temps matérielle et dont le caractère matériel était bien plus accusé que celui des processus atomistiques invisibles; et c'est parce que cette base était matérielle, parce qu'elle était historiquement déterminante qu'elle n'occultait pas les phénomènes et les caractéristiques historiques. Au contraire elle les éclairait pour la première fois de sa lumière authentique qui découvrait par la même occasion le point d'appui d'archimède, c'est-à-dire la relation des hommes avec la nature. 77 » Ce que Bloch essaie de faire émerger tout au long de son itinéraire à travers les utopies et les idéologies du passé, c'est cette poussée tendancielle vers un avenir meilleur, fermentant dans un monde processuel ouvert, inachevé et gros de qualités utopiques non encore manifestées — qui, afin de pouvoir se réaliser, a constamment besoin de la convergence des intentions projectives de la volonté subjective avec les tendances objectives de la matière (utopique). Force est cependant de constater que, pour Bloch, cette croyance dans l'avenir utopique, — cette espérance — ne signifie nullement confiance aveugle dans le sort, dans la fatalité dont l'équivalent métaphysique est la foi religieuse diffuse dans un au-delà meilleur; car il oppose, en tant qu' « athée-religieux », à cette dimension d'un au-delà dans la métaphysique de l'espérance des religions et de l'église, une orientation vers le réel-existant dans la perception lucide de toutes ses contradictions économico-politiques, sociales et super-structurelles. L'espérance, dans sa liaison étroite à un savoir et une analyse marxiste médiatisée par les contradictions des déterminants économico-politiques, doit ainsi devenir une puissance révolu-

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tionnaire (dans le plein sens du matérialisme philosophique de l'histoire), — une puissance portant « sur ses ailes » l'idée du bonheur et permettant, comme il est dit à la fin des réflexions biochiennes relatives aux « XI Thèses de Marx sur Feuerbach », le « changement du monde en foyer » 7S (Heimat). Ainsi Bloch déchire-t-il le voile nébuleux de la métaphysique pour poser un signe constructif à l'espérance. Comme le concept de « matière », le concept de « l'espérance » est donc, dans la pensée d'Ernst Bloch, l'objet d'un élargissement quasi « cosmologique «-universel dans la mesure où il est défini comme un principe transcendant les limites de la conscience subjective, transformant dans sa mouvance les multiples formes et horizons de l'étant qui sont définis, eux, comme des formes et des entéléchies d'une matière utopique en processualité, laquelle selon Bloch, est la condition préalable sine qua non de l'apparition du « nouveau » (novum) et de l'articulation du « nouveau positif » avec les « lumières de l'utopie ». En soulignant en même temps l'importance de l'acte purement subjectif-mystique de la projection du moi désirant, tendu vers un « être-autre » meilleur dans un monde de l'accomplissement, du possible, du devenir-vrai de l'idée de l'espérance, cette philosophie de l'espérance, qui se situe exactement au point de croisement entre l'horizon d'attente psychique du moi désirant (brisant le cercle de « l'obscur du moment vécu ») avec l'espérance marxienne fondée sur l'analyse matérialiste-dialectique concrète des données du réel, ne peut donc absolument pas être confondue avec la futurologie moderne (se limitant aux pronostics des possibilités technologiques futures) ; puisque l'horizon biochien des représentations et des réalisations de l'espérance utopique s'articule exactement avec les dimensions du futur dans la matière, à savoir les tendances immanentes de l'étant à la réalisation d'un monde meilleur, plus humain. Mais ce serait profondément méconnaître le sens de la philosophie biochienne si on la réduisait, seulement à cause de la présence de cet élément mystique, à la signification d'une philosophie marxiste de la religion et Bloch lui-même à un prophète mystique errant dans le champ du marxisme sans y avoir vraiment une « patrie. » Car, il y a, au centre de cette pensée à maints égards « hérétique » et « synchrétique », une philosophie de la praxis arti-

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culée avec une « ontologie du non-encore-étre » qui considère comme indispensable que les « catégories de la réalisation », à savoir les catégories « front », « novum » et « utopie » aient une incidence directe sur le champ de la pratique. Le noyau métaphysique de la philosophie biochienne a donc un corolaire direct avec une praxis transformatrice, avec une option sur le « principe créateur », le principe « jeunesse » et le principe « aurore » ; et l'articulation de cette philosophie de la praxis avec les motifs de rébellion d'une religiosité hérétique et mystique ne peut que renforcer sa dynamique (Sueajuf) transcendante. « Le lendemain est vivant dans le présent de ce jour; on tend toujours vers lui. Les visages qui regardaient en direction de l'utopie étaient toujours différents à chaque époque, autant que ce qu'ils entendaient y reconnaître dans le détail, d'un cas à l'autre. 0 y existe pourtant une parenté générale avec la direction qui est toujours la même, même là où le but est caché; elle apparaît comme la seule invariante de l'histoire. Bonheur, liberté, désaliénation, Age d'or, pays de cocagne, l'étemel féminin, le signal de trompette du « Fidélio » et la christologie du jour de la Résurrection : ce sont autant d'images et de témoins divers, tous évoqués autour de ce qui paiie pour soi-même en se taisant D faut que la direction de cet intelligible (à la fois matériel et logique) soit invariante; c'est perceptible à chaque endroit où l'espérance se manifeste et essaie dis s'y reconnaître. 0 n'y a pas le moindre doute qu'une espérance non éclaircie, mal dirigée nous amène facilement à la dérive, car l'horizon vrai ne s'étend pas au-delà de la connaissance des réalités, mais précisément cette connaissance, si elle est marxiste et non mécaniciste, révèle la vraie nature « horizontique » de la réalité et l'espérance informée comme la réalité qui lui correspond. Le but reste encore caché, le « pourquoi » de la volonté et die l'espérance n'est pas encore trouvé. Dans le moment actif de l'existant, la lumière de son « objectivité » (Washeit; quodditas), de son essence, de son contenu intentionnel ne s'est pas encore épanouie, et, cependant, le « nunc stans » du moment de « propulsion », de la poussée (en avant)rempliede son contenu, occupe clairement - utopiquement le devant de la scène. « Terminus », dit Abélard, cereprésentantsi inquiet de la scolastique, « est Illa civitas, ubi non prevenit rem desidarium nec desiderio minus est praemium. » Le but est la communauté où la nostalgie (le désir) n'anticipe plus sur l'objectif envisagé, et où l'accomplissement est moins grand que le désir.79 » Aid.

Paris, le 7 janvier 1984

AVERTISSEMENT

Compte tenu du bit que l'auteur a déjà conotai un ouvrage destiné exclunvement à l'ouvre de feuneae d'Emit Bloch - Cf. à ce propoi notre livre : « Utopi JUMMBMII und ApokdyptetonFràhwerk von Emit Bloch », Francfort, Suhr

kamp, 1982 - , la dimension et lei (paries de < L'etprlt de l'utopie » (1918/23) ne

•ont que tris périphériquement abanlés danf cette étude consaaée pmque exclusivement à t'ouvre de maturité. Seuil le* chapitiei VII et VIII font encore allusion à cette première période, uni être pour autant la traduction littérale des chapitres respectifs de l'ouvrage précédent

AJ4.

Le texte du chapitre 6 « Le messianisme Juif dans la peuée d'Emit Bloch > est identique i celui de mon article publié, soui le- même titre, dans la revue « Archiva det Science/ Sodalei det Religioni », Pari», 1982; celui du chapitre VIII « Emst Blodi et Walter Benjamin: éléments d'analyre d'une amitié difficOe » était destiné à la publication dans le n° 69-70 de la revue t L'Homme et la Société » (1983). « Une esthétique de l'anticipation » (ch. VI) a été écrite pour le n° 9 de la « Revue Esthétique » (Privât, Toulouse, 1984Xn0 spécial: Adomo). Nous remercions les directeurs responsables des revues pour l'autorisation de reproduction.

CHAPITRE PREMIER

ERNST BLOCH DANS LE SIECLE: LA CRITIQUE DU VTTALISME ET DU NEO-KANTISME

Dans son étude sur le « Messianisme juif et les utopies libertaires en Europe Centrale (1905-1923) » ' , Michael Lôwy classe Emst Bloch - avec Emst Tôlier et Georges Lukacs — dans le groupe des «juifs assimilés, athées-religieux, anarcho-bolchéviques » dont le messianisme reste, selon lui, profondément marqué par l'enchevêtrement des sources juives (la Bible, la Cabale, le Hassidisme) et chrétiennes (l'Evangile, notamment l'Apocalypse selon saint Jean ; les courants hérétiques et millénaristes : les cathares, les Albigeois, les anabaptistes, les Hussites, Thomas Mûnzer, etc.), dont la tradition constitue « l'histoire souterraine de la révolution » et dont la dimension messianique resurgirait aujourd'hui à nouveau, dans la lutte contre « la peur, l'Etat, l'incroyance . Même si le concept de groupe doit être utilisé avec une extrême prudence, dans la mesure où, à notre avis, il ne permet pas de rendre compte de la totalité d'une œuvre littéraire et philosophique qui est avant tout le reflet du travail de synthèse d'un individu dans un contexte biographique et socio-historique précis, cette classification nous apporte une première caractérisation tout à fait juste et précieuse de l'œuvre de Bloch. Celle-ci prend naissance en effet à un moment déterminé de l'histoire de la pensée occidentale, marquée par une forte poussée du judaïsme utopique, par la prédominance de la philosophie vitaliste (G. Simmel, W. Dilthey, H. Bergson) en même temps que par les combats théoriques du (néo)kantisme et l'élan d'un marxisme accélérant beaucoup sa percée par les événements de Russie et l'écroulement des derniers empires monarchiques en Europe centrale.

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Notre première tâche sera donc d'analyser les conditions spécifiques de la genèse de la pensée d'Ernst Bloch en vue d'une tentative de reconstruction du cheminement intellectuel, politique et philosophique d'un penseur dont l'œuvre et la vie couvrent pratiquement un siècle de l'histoire de la philosophie moderne. Les toutes premières tentatives d'Ernst Bloch de formuler et de systématiser sa pensée remontent aux dernières années de lycée du philosophe. Cest à l'âge de 16 ans qu'il étudie, à la Bibliothèque Royale du château de Mannheim, les premiers écrits de Kant et l'esthétique de Hegel. Un an plus tard, il rédige son premier essai philosophique, « De l'essence de la puissance » (Uber die Kraft und ihr Wesen)3, qui contient déjà, sous une forme embryonnaire, l'idée centrale de sa pensée future, à savoir, l'identification de la « chose-en-soi » à « l'imagination objective ». Bien que la tentative de définition du domaine de 1' « imagination objective » soit encore limitée à la nature, à l'histoire (négligeant le moment de la subjectivité créatrice si important pour son futur système philosophique), nous y trouvons déjà la marque d'une certaine volonté de l'auteur de rompre avec les schémas conceptuels du néokantisme et de mettre l'accent sur le concept — hérité d'Aristote — de « dynamis » et d'energeia dans l'analyse dialectique de la processualité de l'histoire et de la nature. « La philosophie de la puissance », écrit Bloch dans ce manuscrit de 1902, «non seulement transforme toute la matière et tous les éléments en énergie comme les sciences de la nature, interprète non seulement la « chose-en-soi » comme volonté énergétique générale qui a manqué sa vocation et tourne sans but éternellement dans le même cercle, mais elle pose, en outre, que l'essence du monde est l'esprit gai et l'élan créateur » 4 . Avec cette nouvelle définition de l'essence de l'objet de notre connaissance, le jeune Bloch ne se contente pas de défier l'énergétisme de l'époque (dont Ostmann était un des représentants les plus éminents en Allemagne) qui poussa l'extension des prémisses des sciences physiques dans le domaine de la philosophie si loin qu'il prétendit pouvoir subsumer la conscience sous le concept général de l'éneigie : la théorie de la créativité, immanente au processus de l'être. On voit ici émeiger la conception du monde en tant qu' « expérience permanente », « laboratoire du salut commun » et l'interprétation du monde en tant que question permanente, et « inconstructible », parce que liée dans son « objectivité » à un sujet

Emst Bloch dans le siècle 33

qui n'a pas encore trouvé son attribut (S + P). Remarquons ici que ce « pas encore » trouvera plus tard une place importante dans le nouveau système des catégories que Bloch met en place dans la définition d'une « ontologie du non-encoreêtre », dans le « Principe Espérance »5. La façon dont sont privilégiés, dans ce premier texte, les concepts d'expérience, de créativité, d'essence en prenant ses distances à l'égard d'une « psychophysique » (très en vogue à l'époque) qui prétendait pouvoir mesurer les divers degrés des états de conscience en « termes d'intensité » conformément aux lois de la physique mécaniste, pose, bien entendu, la question de savoir dans quelle mesure le jeune Bloch ne s'inspire pas ici - d'une manière directe ou indirecte — de Bergson à l'œuvre duquel il fait d'ailleurs parfois allusion dans ses œuvres principales, — mais toujours d'une façon extrêmement discrète. Certes, le jeune Bloch ne pouvait pas encore, au moment où il rédigea ces lignes, avoir une bonne connaissance des écrits de Henri Bergson. « L'évolution créatrice » ne parait, en traduction allemande, qu'en 1912. Il est cependant probable sinon certain que Bloch ait lu dans l'original les deux premiers ouvrages du fondateur français de la philosophie vitaliste, à savoir : « L'essai sur les données immédiates de la conscience » (1889) et surtout «Matière et mémoire» (qui connut sept rééditions depuis sa première publication, en 1898, et dont le traducteur en allemand fut W. Windelband (professeur de philosophie à l'université de Heidelberg avec lequel Bloch avait des échanges épistolaires depuis l'année 1902). Même si Bloch exprime certaines réserves à l'égard du dualisme de la théorie de la connaissance de la philosophie bergsonnienne qui établit une distinction radicale entre les deux sphères de la réalité (la matière — soumise aux lois mécaniques de la physique et de l'espace —, et la vie, régie et déterminée par la durée de la conscience conçue comme un processus ininterrompu d'immédiatetés liées à l'expérience intérieure de l'intuition), il est apparemment très attiré par la place accordée dans cette philosophie aux catégories du vécu, du devenir et de Yavenir. Il en tentera l'approfondissement dans le sens d'une mystique et d'une nouvelle théorie de la connaissance s'articulant sur une dialectique entre l'intériorité et l'extériorité, tout en restant sensible, à l'encontre de Bergson, aux exigences du matérialisme marxiste. Dans 1' « Essai sur les données immédiates de la conscience » on trouve en effet trois concepts qui deviendront plus tard des

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concepts-clés sinon des catégories-guides de la future dialectique biochienne: les concepts de « l'avenir », du « possible » et même celui de « l'espérance » 6 . Y apparaît aussi la notion du rêve — dimension et phénomène de la vie psychique inconsciente que Bergson analysera en détail dans un autre écrit publié en 1901 : « Le rêve ». Même si Bloch manifestera plus tard — dans les années 20 — la volonté ferme de dépasser l'horizon de la philosophie « vitaliste » pour s'orienter vers une théorie de la connaissance, une ontologie et une esthétique de l'utopie (concept absent chez Henri Bergson, Dilthey et Simmel) force est de constater que le jeune Bloch s'est apparemment inspiré de ces premiers leitmotivs pour jeter les fondements d'une pensée philosophique qui intégrera, dès ses débuts, certains éléments de la pensée beigsonienne tout en les menant vers la synthèse à une dialectique de l'avenir puisant ses sources aussi dans la mystique juive (la Kabbale), la pensée eschatologique juive et millénariste chrétienne, le messianisme et l'utopie émancipatrice de Marx. Un autre texte de Bloch datant de l'année 1903 révèle aussi à quel point le jeune philosophe conçoit le processus d'un « non-encore » tendant vers une objectivation utopique comme une tension dans laquelle s'expriment le désir, les émotions, la nostalgie..., en bref, toutes les manifestations affectives, tout en manifestant en même temps la volonté inébranlable de dépasser la perspective de la nostalgie romantique tournée vers la glorification d'un passé féérique ou nébuleux, en soulignant que ce « désir obscur » d'une immédiateté serait chargé de la certitude d'atteindre un but. Prenant comme point de départ de sa réflexion le constat de Platon que « l'étonnement » est le début de toute philosophie, Bloch poursuit : « Toute interrogation tend vers une réponse, même là où il ne reste comme résultat que le doute, on répond encore. Et même plus particulièrement dans ce cas, où l'on répond que nous ne pouvons rien connaître... L'interrogation a son corollaire affectif, qui ici permettrait d'éclairer ce problème sur certains points. Car la nostalgie - c'est d'elle en effet dont il s'agit ici - , ne perd pas de vue ce dont elle est la nostalgie, même si elle reste dans l'incertitude de ce que c'est. Mais elle ne dit pas non plus qu'elle sait qu'elle ne pourra jamais le savoir. Elle laisse de même la question ouverte et continue de prouver le sentiment nostalgique. Tout en étant dans la plus totale incertitude quant à son contenu, elle est elle-même la plus haute certitude, la forme la plus aiguë de la conscience et du même coup, la seule marque de la constitution honnête de l'homme. En continuant de s'interroger et en refusant de se laisser paralyser par les apparences d'une certitude

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sceptique, le questionnement peut apprendre quelque chose de luimême et des équivalences des affects dans la nostalgie. Tout, avant d'être sûr, peut être incertain, et la nostalgie de quelque chose de non encore existant (nicht Zuhandenem) est encore ce qui est le plus certain. Oui, et elle reste, même si elle se manifeste d'une façon accomplie, car le désiré ne se montre jamais dans sa totalité, dans toutes ces manifestations.7 » Bien entendu, ces concepts d' « interrogation », d ' « étonnement », de « nostalgie », de « résidu » et de « tension vers un but » qui trouveront plus tard leurs place dans l'architecture d'un système de pensée plus complexe, n'ont qu'une signification limitée dans l'œuvre du jeune Bloch ; ce ne sont que des « signaux » qui indiquent vaguement la direction, le sens vers lequel sa pensée évoluera. Toutefois, avant d'analyser plus explicitement le passage de ces premières interrogations philosophiques à l'élaboration d'un système de pensée fondé sur les catégories du « devenir », de « l'anticipation », de la « potentialité » et de « l'imagination utopique », il reste encore à présenter brièvement, sur le plan historique, les premières confrontations de la pensée d'Ernst Bloch avec le courant philosophique prédominant de son époque: le « néo-kantisme ». Ce qui caractérisait les différentes tendances de la renaissance du kantisme vers 1900 était le recours commun aux apories kantiennies dans la théorie de la connaissance et la réfutation du matérialisme dialectique et historique. Le néokantisme était avant tout décidé à empêcher que les tendances matérialistes en philosophie progressent et s'approprient aussi le terrain des sciences. Prônant la nécessité d'une distinction méthodologique totale entre la manière d'analyser les sciences exactes et les sciences sociales, le néo-kantisme — et son prolongement théorique, le néo-criticisme - , avaient tendance à considérer l'approche matérialiste (marxiste) dans les sciences humaines comme une approche « anti-scientifique ». Qu'il se soit agi là avant tout d'une renaissance idéologique et « réductionniste » du kantisme, cela se révéla dans le fait que cette réinterprétation de l'œuvre de Kant négligea délibérément le côté « révolutionnaire » de l'idéalisme kantien, à savoir les implications de l'impératif catégorique pour une nouvelle pratique et une éthique tendant à dépasser l'égoïsme de l'individu en donnant un statut égalitaire à l'exigence de « notre propre perfection » et « du bonheur des autres » (I. Kant, « Métaphysique des

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mœurs », Oeuvres, t. VI, p. 379 sq.). Mettant, au contraire, l'accent sur le côté subjectif dans la métaphysique transcendentale kantienne et sur le côté « anti-empirique » de sa théorie de la connaissance, le néokantisme parvient à en faire un formalisme dans lequel un grand nombre de postulats kantiens qui sont de première importance pour l'éthique et la praxis, sont vidés de leur sens. Qu'il soit permis ici de rappeler l'excellente critique des ambiguïtés de l'école néokantienne et de ses conséquences politiques plutôt fatales formulée par Lucien Goldmann dans son « Introduction à la philosophie de Kant », Gallimard, 1967, p. 232 sq., texte où il souligne l'importance du « Je dois » dans la philosophie kantienne de la morale. En affirmant que « l'éthique nous donne « une matière », « une fin de la raison pure » qui pour l'homme est en même temps un devoir »* de sorte que sur le plan pratique « le devoir de l'homme est de prendre la totalité du contenu comme seule et unique directive et d'agir comme si la réalisation de celleci ne dépendait que de son action actuelle » 9 , Lucien Goldmann conclut, visant manifestement les défaillances et les déformations théorico-politiques des néo-kantiens du début de ce siècle : « Comment cependant l'enthousiasme pour la morale kantienne dont font profession un certain nombre de professeurs allemands peut-il se concilier avec la « Gleichschaltung » d'un grand nombre d'entre eux aux moments décisifs de l'histoire récente depuis 1914 ? 1 0 » C'est exactement le même reproche qu'Emst Bloch formula à l'égard de ses professeurs de philosophie, à la veille de la première guerre mondiale. Au sein du « néo-kantisme », l'école de Marbourg comportant des personnalités comme Hermann Cohen, Natorp, E. VorlSnder et E. Cassirer, occupait une place significative et importante. Ce qui la caractérisait, c'était l'effort de vouloir transformer le kantisme en « idéalisme de la logique » en prônant la primauté absolue de la méthodologie scientifique dans le domaine de la philosophie et en réduisant la pensée philosophique à la rationnalité pure d'opérations conceptuelles (mathématisables) 11 . A l'inverse, à là différence de ce courant, l'école néo-kantienne du sud-ouest de l'Allemagne représentée par W. Windelband, Rickert, Emil Lask et Bauch s'efforçait de développer une nouvelle méthodologie « sub specie ethicae » en s'inspirant des principes kantiens dans l'impératif catégorique. Ce n'est plus l'étant en soi, mais « l'étant-comme-il-devraitêtre » (selon une perfectibilité éthique préconisée) qui figure au

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centre des préoccupations de cette école12 (qui refuse, en outre, le « logicisme abstrait » de l'école rivale de Marbourg). Malgré ces divergences, les deux écoles coïncident cependant dans l'affirmation de la nécessité d'une différenciation rigoureuse, du point de vue méthodologique, entre sciences naturelles et sciences sociales (Cf. à ce propos la distinction épistémologique faite par Windelband 13 , entre les sciences « généralisantes » et « nomothétiques » de la nature et le caractère « idéographique » des sciences humaines). C'est comme tendance particulière au sein du « criticisme » néo-kantien que se manifeste, également vers 1900, l'empiriocriticisme qui, prenant comme modèle de référence la théorie de la connaissance des sciences physiques entendit esquisser un système de « l'expérience pure » limitant le champ de la connaissance théorique à la perception et à l'exposition des « faits purs » 1 4 . La confrontation avec les théories de l'empiriocriticisme fait aussi partie des « années d'apprentissage » du jeune Bloch dans la mesure où celui-ci fréquenta, au moins pendant deux semestres, au cours de ses années d'études munichoises, les cours magistraux et le séminaire de Théodor Lipps, un des plus éminents représentants de cette école en Allemagne. Or, tout en étant pour le reste très proche des théories de « l'école du SudOuest de l'Allemagne », Lipps15 mettait l'accent sur l'importance du moment subjectif psychologique dans la connaissance ; il exerçait aussi une assez grande influence sur les positions théoriques de la « Denkpsychologie » (psychologie de la pensée) dont un des principaux représentants était son disciple Oswald Kûlpe 16 . Ce dernier qui considérait le « Cours général de psychologie » (Leitfaden der Psychologie) de Lipps comme un ouvrage de première importance pour la transgression des limites dans lesquelles Cohen, Natorp et Cassirer avaient voulu garder la théorie kantienne de la connaissance (en la formalisant in extremis) a, par ses recherches, beaucoup contribué au dépassement du criticisme formaliste de l'Ecole de Marbourg vers le « réalisme critique ». Kûlpe a fondé les principaux théorèmes et énoncés de son « réalisme critique » sur les résultats de sa méthode psychologique-expérimentale analysant le comportement du sujet cognitif par une méthode d'auto-observation très sophistiquée. Le résultat de ces observations ont motivé Kiilpe à faire valoir - à la fois contre les « formalistes » de Marbourg et contre les positivistes (Lamprecht, Mach, James et Riehl) — l'importance du facteur psychologique individuel et des déterminants socio-psychologiques dans la genèse de la conscience.

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La thèse qu'Emst Bloch soutient en 1908 à l'université de Wûrzbourg et qui sera consacrée à « Rickert et le problème de l'épistémologie moderne » (Rickert und das Problem der modemen Erkenntnistheorie) 17 — thèse soutenue sous la direction d'Oswald Kûlpe — révèle clairement une certaine influence de KOlpe et de Lipps. Cette influence se manifeste de prime abord dans le refus commun de l'approche théorique d'Ostmann et de Driesch qui, partisans d'un positivisme oiganiciste, s'efforçaient de réduire la vie psychique et les formes de la conscience à de simples reflexes de l'énergie nerveuse, puis dans la réfutation de la vision du monde mécaniciste-déterministe des sciences exactes, et enfin dans l'effort de surmonter définitivement le mécanisme organiciste par une épistémologie qui soulignait à nouveau la primauté du sujet et les déterminants psychologico-individuels de la connaissance. Cette identité partielle de vue ne signifiait cependant pas que le jeune Bloch adhérait entièrement et sans réserves aux doctrines élaborées par W. Wundt 18 et D. Kûlpe; car ces derniers, malgré leur « déviation » de la ligne officielle de l'école de Marbourg et de l'école du sud-ouest de l'Allemagne — qui s'exprimait avant tout dans la formulation d'une théorie du rôle significatif que jouent pour la formation de la conscience les éléments situés hors du schéma de représentation « classique » restaient cependant étroitement liés, dans la substance de leur pensée, au kantisme. Emst Bloch, par contre, — qui avait pourtant la plus grande estime pour les conceptions kantiennes dans le domaine de l'éthique et de l'esthétique — s'orientait vers une mise en cause plus radicale du dualisme kantien dans le domaine de la théorie de la connaissance. Il s'attaque ouvertement au relativisme kantien s'exprimant dans la thèse que notre appareil de perception ne permet de reconnaître que l'apparence des choses dans l'espace, à cause de l'a-priori de notre capacité de représentation spatiale, mais pas les choses elles-mêmes. Récusant la conception kantienne de la limite infranchissable qui sépare nos possibilités de connaissance subjective de la connaissance objective de la « chose-en-soi » (Ding an sich) (noumenon), Bloch va effectivement jusqu'à l'affirmation (qui ne pouvait que scandaliser tous les kantiens orthodoxes) que « la chose en soi » de Kant est identique à « l'imagination objective » (objektive Phantasie). Rien ne démontre mieux la manière dont Bloch s'écarte successivement des prémisses et des postulats de l'épistémologie kantienne que cette attribution surprenante d'une

Emst Bloch dans le siècle 39 q u a l i t é appartenant exclusivement à l'activité du sujet connaissant à la dimension d'une sphère qui, pour Kant, restait, par définition, inintelligible et hors du champ des possibilités de connaissance du sujet. Ce dépassement du kantisme et du néo-kantisme dans le domaine de la théorie de la connaissance révèle aussi à quel point le jeune Ernst Bloch a été simultanément influencé par la philosophie de Fichte et par l'idéalisme objectif de la philosophie transcendantale de Schelling. Fichte avait beaucoup radicalisé la théorie épistémologique kantienne partant de l'unicité du moi pur dans l'apperception transcendentale, en considérant non seulement les synthèses des contenus (de l'apperception transcendentale), mais les contenus même comme produits directs de l'activité intellectuelle du sujet connaissant. Cela l'amène à formuler le postulat de l'existence du monde dans le moi. Selon Fichte 19 , le moi est lui-même à l'origine de l'émergence du non-moi, et la limitation mutuelle du moi et du non-moi conditionnerait la naissance du monde en tant que représentation (phénomène). Ayant ainsi défini la totalité du monde de la représentation comme déterminée par le moi, Fichte prétend pouvoir déduire - également du moi, et du moi seul — la totalité du contenu de ces représentations. Ce qui fascinait Bloch dans la pensée de Fichte était la volonté manifeste de l'auteur de la « Doctrine des sciences » (Wissenschaftslehre) et des « Discours à la nation allemande » de faire converger les déductions de principes purs du droit avec l'utopie sociale. L'utopie du « Freier Handelsstaat » de Fichte 20 est principalement fondée sur le droit de la raison, et non, comme par exemple chez Hobbes et Grotius, sur le « Droit naturel ». Selon Bloch, le mérite de Fichte consiste expressément dans le fait d'avoir ainsi libéré l'utopie rationnelle des fictions pré-historiques. « Fichte, avec sa haine profonde de la nature, ne reconnaît aucune liberté réalisée dans ou par la nature. L'existence dans l'ordre social des animaux ou de l'homme primitif n'est pas arcadienne, mais contraignante et despotique ; seule la vie sociale permet de penser la liberté. Le but élysien est envisagé, non pas comme un fait préétabli et donné, mais - conformément à la philosophie idéaliste » d'action « de Fichte — comme un objectif à créer, à construire ». Certes, l'apologie de la liberté par Fichte est historiquement liée à l'essor du capitalisme, au principe moteur d'une société basée sur la concurrence, le libre commerce et le libre échange, mais dans la primauté accordée par Fichte à

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l'éthique dans l'action des individus, Bloch semble avoir découvert une dimension proto-socialiste dans l'idéalisme d'action fichtéen. Par contre, pour formuler sa propre théorie de la nature et de la matière « en processualité », c'est de Schelling que Bloch — lecteur de Jakob Bôhme — s'inspire. Schelling31 qui, à l'inverse de Fichte, voit l'origine de tout être dans le fond (« Urgrund ») métaphysique de la nature et qui prétend que les deux formes primaires de l'être, l'esprit et la nature, sont issues de la dissolution de l'unité identitaire originelle qui régnait dans ce « Urgrund ». C'est la définition de la nature en tant que productivité permanente par Schelling qui réémerge chez Ernst Bloch sous le théorème de la co-productivité d'un sujet de la nature possible dans le travail constructeur de désaliénation utopique du monde ; et Bloch se sert apparemment de cet aspect dynamique et qualitatif dans la conception schellingienne de la nature pour fonder son concept de la « nature médiatisée » (vermittelte Natur) 22 qu'il oppose au concept de la nature maîtrisée et jugulée chez Hegel. Pour revenir à la critique du néo-kantisme proprement dite, il serait erroné de penser que l'ouvrage précité d'Emst Bloch sur Rickert (sa Thèse de Wurzbourg) se limite exclusivement à la réfutation des approches théoriques de l'Ecole néo-kantienne du sud-ouest de l'Allemagne, dans le domaine de la théorie de la connaissance. D comporte aussi, outre l'analyse de la genèse de la conceptualité des sciences, une critique des thèses néo-kantiennes relatives à la philosophie de l'histoire. Rickert 23 s'efforçait, comme Windelband24, d'analyser le matériau historique donné en vue d'en dériver des valeurs et des déterminations axiomatiques. Rickert lie le problème de la connaissance de la réalité objective des faits historiques au complexe de la connaissance individuelle (socio)-psychologiquement déterminée, en rattachant le réel à la sphère de la conscience critique, de sorte qu'il puisse formuler la thèse que dans la genèse des concepts historiques le contenu de représentation individuelle serait identique à la valorisation individuelle et à la relation de valeur sélective. La réception (critique) biochienne de ces conceptions est déjà marquée par un certain hégélianisme ; cet hégélianisme se manifeste clairement dans la manière dont Bloch insiste sur l'unité dialectique du sujet et de l'objet relative à la méthode de recherche qui lui devrait être appliquée. Si Bloch refuse, en outre, le dogme néo-

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kantien de la séparation méthodologique absolue des sciences exactes, des sciences de la civilisation et des sciences de l'histoire, ce n'est qu'une conséquence logique de cette critique initiée. En instaurant ce dogme, Rickert a, selon Bloch, détruit le « réalisme conceptuel » dans le domaine des sciences de l'histoire. «Cette étude inventée des sciences de la civilisation », dit Ernst Bloch dans sa critique de Rickert, « (me) semble être moins déterminée par l'étude des grandes œuvres de l'histoire que par la restauration des théorèmes positivistes qui émeige ici d'une façon indéniable. Le fait que Lask par exemple souligne à tel point l'empirisme sous-jacent dans la philosophie de l'histoire de Fichte ne peut pas être expliqué par l'attitude ordinaire du néo-kantisme à ce sujet; et que Rickert exige, outre les sciences exactes, une « science du réel » en prenant énergiquement la défense du factuel contre toute généralisation « étouffante », laisse supposer un certain agnosticisme... Nous avons ainsi atteint une double vérité. Mais dans quelle mesure le matériau se transforme-t-il par la sélection historique ? Cela reste complètement vague et indéterminé.25 » La critique biochienne s'applique aussi, avec non moins de radicalité, au concept rickertien de la causalité. L'application de ce concept n'entraînerait, d'après Bloch, par voie de conséquence, sur le terrain de la philosophie de l'histoire qu'un nivellement dangereux quant à la perception et la définition des transformations qualitatives significatives (et particulièrement à l'égard du « nouveau » !), et elle priverait aussi l'analyse historique de la réflexion sur l'efficacité — éventuelle — d'objectifs et de buts non encore atteints 26 . Simultanément, Ernst Bloch annonce déjà - certes, d'une manière extrêmement discrète —, au cours de cette critique des thèses rickertiennes, sa future position marxiste (exprimée publiquement pour la première fois dans son ouvrage sur Thomas Munzer) en critiquant (prudemment) chez Rickert le manque de réflexion fatal du « rôle des masses » dans le processus historique 27 . Il n'est pas moins significatif que dans ce premier écrit (dont la parution, en 1908, passa presque inaperçue dans les milieux officiels de la philosophie allemande de l'époque) émergent déjà un certain nombre de notions et de concepts qui deviendront les concepts-clefs de ses futurs ouvrages qui connaîtront un succès beaucoup plus grand, deux décennies plus tard. C'est le cas, par exemple, du concept de « dissimultanéité », ici employé dans le contexte de la détermination d'un ordre de valeurs

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général groupant plusieurs époques historiques, concept qui, vingt-sept ans plus tard, sera systématiquement défini et développé dans « Héritage de ce temps » 2 8 (Erbschaft dieser Zeit). Les concepts de « Royaume utopique » (tout à fait significatif pour le messianisme de « L'Esprit de l'utopie ») et le terme « espérance » subiront le même sort. Même des concepts tels que « puissance historique » et « dépendance téléologique » figurent déjà dans ce premier écrit d'Ernst Bloch 29 , même s'ils n'y jouent qu'un rôle marginal. Mais la thèse sur Rickert aborde aussi - dans sa troisième et dernière partie —, bien que d'une manière non systématique et fragmentaire, une problématique que Bloch ne développera que dix ans plus tard dans « L'esprit de l'utopie ». On pourrait citer comme exemple la thèse du caractère « énigmatique de l'individu » que Bloch oppose, en tenant compte des critiques formulées par Scheler contre l'épistémologie husserlienne, dans le cadre d'une discussion du problème de « l'individuation » dans la philosophe de l'histoire 30 . En soulignant l'impulsion émanant de l'individu « énigmatique » et plein de potentialités, il met en cause l'a-priori husserlien de la conscience pure et annonce déjà le leitmotiv mysticoreligieux de « L'esprit de l'utopie » en définissant le sens de cette impulsion en tant que « stimulation sur le chemin de l'union intérieure de l'âme connaissante avec les choses du Royaume de la nature et de la grâce (divine) ». Qui n'y reconnaîtrait pas déjà le leitmotiv cabalistico-mystique de l'unité contemplative du sujet (moi) avec la nature, le motif boehméen de l'unité mystique du moi avec Dieu dans le « Urgrund » ? Le motif de la fusion du sujet avec la nature et le cosme par une individuation processuelle-naturelle ? Le théorème du « chemin de la connaissance du monde menant nécessairement vers l'intérieur » déjà prôné par Fichte 31 et Schelling? L'idée biochienne de résoudre ainsi, en se tournant vers la richesse, intérieure du sujet, dans un sens proche de Kierkegaard, le problème de l'adéquation ouverte du sujet à un monde qui est simultanément question, interrogation et processus inachevé ? « Puis l'homme », dit-il dans la thèse sur Rickert, « se définirait luimême comme question et le monde comme réponse et la problématique, l'énigme se résoudrait par le caractère mystérieux de toutes les choses pressenties intérieurement. Cela entraîne comme conséquence qu'il existe, au lieu de l'obscurité du moment vécu, un état du souvenir non plus conscient voire d'une mission non encore cons-

Emst Bloch dans le siècle 43 dente de la pensée philosophique capable de promouvoir l'identité consciente (vécue) de tous ces états et de transformer l'engagement sur les chemins cosmiques de l'intériorité en méthode destinée à résoudre la problématique théorique.31 »

On ne peut citer les énoncés ci-dessus reproduits que comme preuves d'une évolution constante et inéluctable du jeune Bloch, à travers la critique du néo-kantisme, vers une nouvelle métaphysique qui engloberait non seulement la problématique de la vision du monde en général, mais qui serait tenue d'approfondir le temps du présent vécu vers un savoir total comportant en soi aussi bien l'obscur des premiers moments que les conseils de l'issue mystique vers laquelle les choses s'orientent dans leur « processualité ». Nul doute ne peut subsister que cette affirmation contient déjà les germes d'un aspect important des idées et du programme philosophique exposé par Ernst Bloch dans « L'esprit de l'utopie » dans la mesure où elle se réfère déjà explicitement au moment eschatologique dans sa pensée, à savoir à la conception du monde conçu en tant que processus de restauration de l'identité perdue, restauration salutaire rendue possible par le telos de la rédemption immanent à ce processus. Au moment où Emst Bloch achève sa thèse sur Rickert, il ne peut qu'esquisser vaguement l'horizon de ce nouveau système métaphysique qui culminera, dix ans plus tard, dans la théorie de la rencontre de - soi-même » (Selbstbegegnung), pierre de voûte de sa nouvelle « métaphysique de l'intériorité » 3 S , laquelle, de par son alliance étroite avec une vision du monde eschatologique-apocalyptique profondément enracinée dans le judaïsme, s'oppose à l'intériorité cloîtrée, complètement... fermée vers l'extérieur du « pré-existentialisme » de Kierkegaard. A constater aussi que presque simultanément avec l'achèvement des «Considérations critiques sur Rickert...» 34 , Bloch fait, dans la même année 1907, une découverte philosophique importante : la découverte de la catégorie de « non encore ». Comme Emst Bloch affirmait presque 60 ans plus tard, dans la seule ébauche d'un curriculum qui existe de lui-même, il avait d'abord conçu de concept comme une catégorie psychologique définissant un « non-encore-su » exclusivement subjectif; mais le corollaire avec un « non-encore-devenu » objectif - visant l'utopie concrète — aurait déjà été vaguement envisagé 35 . C'est précisément cette catégorie qui deviendra le principal

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pilier de l'Ontologie du non-encore-être sur laquelle Emst Bloch fondera, trente ans plus tard, son système des « rêves d'un monde meilleur » : « Le principe Espérance »3 (Bloch, op. cit., p. 98.) 54. Op. cit., p. 101 (nous avons rectifié no us-même la traduction quelque peu déformée de cette citation d'Emst Bloch dans le tome II du Principe Espérance.) 55. Cf. op. cit., p. 103. 56. Cf. op. cit., p. 147. 57. a . op. cit., p. 147. 58. Op. cit., p. 149. 59. Op. cit., p. 148. 60. Op. cit., p. 150. 61. Op. cit., p. 139. . 62. Op. cit., p. 139-140. 63. Op. cit., p. 140. 64. Op. cit., p. 140. 65. Cf. Blanqui Auguste: La Critique sociale, Paris, Alcan 1885, tome I et tome II ; et, du même auteur : Écrits sur la Révolution. Textes politiques et lettres de prison. Préfacés et annotés par Arno Mbnster, Paris, Êd. Galilée, 1977 (Introduction), p. 26-27. 66. Op. cit., p. 140. 67. Cf. M. Beer: Attgemeine Geschichte des Soziatsmus, Berlin, 1929, p. 516. 68. Cf. Ernst Bloch : Le Principe Espérance, tome II, p. 141. 69. Op. cit., pp. 141-142. 70. En ce qui concerne les affinités de pensée entre Gustav Landauer et le jeune Emst Bloch Cf. notre ouvrage: « Utopie, Messianismus und Apo-

Notes 199 kalypse im Frûhwerk von Ernst Bloch * (Utopie, messianisme et apocalypse dans l'œuvre de jeunesse d'Emst Bloch), Francfort, Suhrkamp, 1982, pp. 124 sq. 71. Ces articles témoignant d'un engagement politique d'Ernst Bloch au côté des démocraties républicaines occidentales contre l'hégémonisme du Reich allemand sous Guillaume II ne figurent pas dans les Oeuvres complètes d'Ernst Bloch (publiées par les éditions Suhrkamp) - à l'exception de cinq de ces artides (< Das falsche Geleise Zimmerwalds », < Schuldfrage und môgliche Régénération »L « Schadet oder hilft Deutschland eine Niederlage seiner Militfirs ? > et < Uber einige Friedensprogramme in der Schweiz » (De quelques programmes pacifistes en Suisse) reproduit dans le tome XI des Oeuvres complètes (< PoUtische Messungen, Pestzeit, Vormàrz » (Mesurations politiques, temps de la peste, t Vormârz >) Francfort 1970, pp. 26-59. La publication de F intégralité de ces articles a cependant été annoncée, par les éditions Suhrkamp, pour l'année prochaine (elles seront éditées par Martin Korol qui a fait, à ce sujet, d'importants travaux d'archives en Suisse.) Cf. à ce sujet aussi mon ouvrage: Utopie, Messianismus und Apokalypse im Frûhwerk von Ernst Bloch, Francfort 1982, pp. 99-105. 72. Cf. Ernst Bloch: Le Principe Espérance, tome II, pp. 150-157 (« Les utopies de F individualisme et l'anarchie: Stirner, Proudhon, Bakounine. ») 73. Cf. op. cit, p. 152. 74. Ibid. 75. Op. cit., p. 153. 76. Op. cit., p. 153. 77. Op. cit., p. 154. 78. Ibid. 79. Op. cit, p. 155. 80. Ibid. 81. Op. cit., p. 156. 82. Op. cit., p. 156-157. 83. Op. cit., p. 157. 84. Op. cit, p. 157. 85. Ibid. 86. Cf. Engels Friedrich : < Herrn Eugen Dtthrings Umwfilzung der Wissenschaft » (Anti-Dûhring), in:M.E.W., voL 20, Berlin-Est, 1975, p. 262. 87. Cf. Lénine: L'État et la Révolution, in: Oeuvres choisies. 88. Op. cit., p. 157. 89. Cf. Karl Marx: Misère de la philosophie - Réponse à la philosophie de la misère de M. Proudhon (Texte intégral), Paris, U.G.E., 1964, pp. 309-492. 90. Cf. F. Engels, op. cit., p. 262. 91. Cf. Emst Bloch: op. cit., p. 211-216 (Sous-chapitre: « Marxisme et anticipation concrète >). 92. Cf. op. cit., p. 166. 93. Op. cit., p. 166. 94. Ibid. 95. Cf. à ce sujet aussi le chapitre de cet ouvrage consacré à < Ernst Bloch et les 11 Thèses de Karl Marx sur Feuerbach > ! . 96. Op. cit., p. 167.

1S 0 Figures de l'u topie dans la pensée d'ErnstBloch 97. Op. cit., pp. 167-168. 98. Cf. L'Esprit de l'Utopie, Gallimard, 1977, pp. 297-334 (< La véritable Idéologie du Royaume » / < Le visage de la volonté ») Cf. aussi: E.B. : Abschied von der Utopie ? Francfort, 1980, pp. 60-64. 99. Abschied von der Utopie, p. 60. 100. Cf. op. cit., p. 62. 101. Ibid. 102. Op. cit., p. 63. 103. Op. cit., p. 63 (La citation de cet ouvrage de Bloch — qui n'existe qu'en allemand — a été traduite par l'auteur de cet ouvrage. A.M.) 104. Cf. Experimentum mundi, éd. allemande, Francfort 1975, p. 223. 105. Cf. Abschied von der Utopie ?, p. 64. 106. C'est Michael Lôwy qui, dans son étude sur le < Messianisme juif et les utopies libertaires en Europe Centrale », range Ernst Bloch dans la catégorie des intellectuels révolutionnaires juifs athées-religieux — qualification aussi valable pour le jeune Lukàcs. (L'article cité est publié dans les « Archives des Sciences Sociales des Religions » n° 51/1, 1981). 107. Cf. Notre ouvrage : Utopie, Messianismus und Apokalypse im Frùhwerk von Ernst Bloch (Utopie, Messianisme et Apocalypse dans l'œuvre de jeunesse d'Ernst Bloch), Francfort, Suhrkamp, 1982. 108. Cf. Mannheim (Karl): Ideologie und Utopie, Berlin, 1929. 109. Cf. Abschied von der Utopie ?, p. 66. 110. Cf. op. cit., p. 67. 111. Op. cit., p. 69. 112. Ibid. 113. Op. cit., p. 70. 114. Cf. op. cit., p. 70. 115. Cf. Engels, Friedrich: Die Entwicklung des Sozialismus von der Utopie zur Wissenschaft (L'évolution du socialisme de l'utopie à la science), in: M.E.W., vol. 19, Berlin-Est, 1976, pp. 181-228. 116. Cf. Bloch: Abschied von der Utopie, p. 71. 117. Cf. Althusser (Louis): Pour Marx, Paris, Maspero, 1965, p. 175 sq. 118. Cf. Althusser (Louis), op. cit., pp. 25 sq. 119. Cf. Althusser (Louis): Eléments d'autocritique, Paris, 1974, pp. 70-82. 120. Cf. Bloch, op. cit., p. 71. 121. Cf. Wittgenstein (Ludwig): Tractatus logico-philosophicus, Gallimard, 1972. 122. Cf. Bloch, op. cit., p. 71-72. 123. Op. cit., p. 72-73. 124. Op. cit., p. 72. 125. Cf. op. cit., p. 73; cf. aussi: Ernst Bloch: Âsthetik des Vorscheins (Esthétique de l'anticipation), éd. par G. Ùeding, 2 vol., Francfort 1974. 126. Cf. Adomo: Théorie esthétique, trad. de l'allemand par Marc Jimenez, Paris 1974. 127. Cf. Adomo: Philosophie de la nouvelle musique, Paris 1971. 128. Cf. Emst Bloch: Le Principe Espérance, tome 1, Paris, 1976, pp. 338; Cf. aussi: Emst Bloch: Tendenz-Latenz-Utopie (Tendance-latence-utopie), Francfort, 1978, p. 417. - Je tiens à souligner les trois dernières phrases du dernier article d'Emst Bloch rassemblé dans ce volume :

Notes 201 « Darum eben ist Marxismus nicht keine Utopie, sondent das Novum des aktuell vennittelten Nah- wie Endziels einer konkreten Utopie. Ohne abstrakte Schwârmerei, aber mit Phantasie in erforschter Nâtae und zugleich praktisch betriebenem Endziel. Ohne Reue nachher, mit TheoriePraxis eines dauemden Humanum und dem Ding an sich als Ding fur uns. » («.C'est pourquoi le marxisme n'est pas une non-utopie, mais le novum du but proche et du but lointain d'une utopie concrète médiatisée dans l'actualité; sans exaltation abstraite, mais avec de l'imagination dans la proximitée recherchée et un but final envisagé par la pratique. Sans repentir ultérieur et avec la pratique théorique d'un humain permanent et de la chose-en-soi en tant que chose-pour-nous. ») (Op. cit., p. 417.) 129. Cf. Aristote : Métaphysique, Livre 8, 1, tome II, commenté par J. Tricot, Paris, J. Vrin, 1964, pp. 481 sq. 130. Cf. Bloch, Abschied von der Utopie, p. 71; Le Principe Espérance, tome III (éd. allemande), Francfort 1959, p. 1 109. 131. Cf. Emst Bloch: Experimentum Mundi, traduit de l'allemand par G. Raulet, Paris, 1981. 132. Bloch: Philosophische Grundfragen zur Ontologie des Nochnicht-Seins (Questions philosophiques fondamentales au sujet de l'ontologie du non-encore-étre), Francfort 1961, p. 17-18. 133. Cf. Le Principe Espérance, tome I, Paris 1976, pp. 272 sq. 134. Cf. op. cit., pp. 142 sqq. («La découverte du non-encoreconscient ou de l'aube vers l'avant >, etc.) 135. Cf. Bahr (Hans-Dieter) : Ontologie und Utopie (Ontologie et Utopie), in : Schmidt, B. (éd.), Materialien zu Emst Blochs < Prinzip Hoffnung », Francfort 1978, pp. 291-305. 136. Bahr, op. cit., p. 292-293. 137. Bahr, op. cit., p. 296. 138. Bahr, op. cit., p. 295. 139. Bahr, op. cit., p. 295-296. 140. Cf. Emst Bloch: Le Principe Espérance, tome I, Paris, 1976, P. 87 sq. 141. Cf. op. cit., tome I, p. 360. 142. Cf. Bloch: Philosophische Grundfragen..., p. 19. 143. Cf. Bloch : Le Principe Espérance, tome I, p. 363. 144. Cf. Heidegger Martin : L'Etre et le temps*, Gallimard, 1964. 145. E. Bloch: Le Principe Espérance, p. 378; Bloch explique clairement que < le contenu essentiel de l'espérance n'est pas l'espérance ; c'est justement par son refus de voir celle-ci déçue qu'il est Etre-là non distancé, qu'il est présent. L'utopie n'est à l'œuvre qu'en considération du présent qu'elle veut atteindre, et le présent ultime qui est la non-distance recherchée en fin de compte, rayonne à l'horizon de toutes les utopies encore lointaines. » (Op. cit., pp. 377-378).

* traduit de l'allemand par Rudolf Boehm et Alphonse de Waelhens.

202 Figures de l'utopie dam la pensée d'Emst Bloch

Chapitre III 1. Cf. Le Principe Espérance, tome I, pp. 248 sq. 2. Bloch souligne que la « possibilité réelle » a toujours comme corrélatif < la matière dialectique ». « La possibilité réelle n'est que l'expression logique de la conditionnalité matérielle suffisante d'une part, de l'ouverture matérielle (la matière étant un giron non épuisé) d'autre part. » (Op. cit., p. 249). 3. Cf. Bloch, op. cit., pp. 75 sqq. - Bloch reproche à Jung, entre autres, d'avoir recouvert la libido de Freud d'une sorte de « patine mythique » (Cf. op. cit., p. 75). 4. Quant i la critique des théories d'Alfred Adler pour qui « le ressort pulsionnel fondamental dans l'homme est sa volonté de puissance, qui se fonde sur une base bisexuelle: la volonté primaire de l'homme... de vaincre et de dominer », Cf. Bloch, op. cit., p. 75-76. 5. Cf. Bloch, op. cit., p. 56-58. 6. Cf. Bloch, op. cit., p. 45. 7. Cf. op. cit., p. 87. 8. Cf. op. cit., p. 33. 9. L'introduction à « Experimentum Mundi » commence presque par la même formule : « Qu'en est-il 7 Je suis. Mais je ne me possède pas. Du même coup nous ne savons nullement ce que nous sommes: tout est encore trop plein de ce quelque chose qui nous manque. » (Op. cit., p. 8). 10. Cf. op. cit., p. 61. 11. Cf. op. cit., p. 62. 12. Op. cit., p. 64. 13. Op. cit., p. 63. 14. Op. cit., p. 63. 15. Cf. Freud Sigmund : Trois Essais sur la théorie sexuelle, Ges. Werke (Oeuvres complètes éd. allemande), voL V, p. 67. 16. Ibid. 17. Un aspect important de la critique biochienne de la psychanalyse freudienne est la mise en cause du concept freudien du lien entre le « Ça et la Libido ». A ce sujet Bloch remarque: « Quant à la psychanalyse, elle est * l'instrument qui doit permettre au Moi de conquérir progressivement le Ça. » Ce qui équivaut une fois encore à relâcher la bride à la libido, à lui reconnaître une fois encore son caractère de pulsion fondamentale que ni les refoulements n'ont réussi i tempérer, ni les liens nouveaux avec l'Idéal du Moi ne sont parvenus à mater. Ce que Freud veut, c'est amener la raison à jeter la lumière sur le refoulé, l'inconscient, purgeant de la sorte l'homme de ses résidus d'hypocrisie dans lesquels serait enfouie la cause véritable de toute névrose. Mais le jour qui doit alors se lever, ne luira que dans les limites d'une libido privée et du « malaise » d'une culture à laquelle rien ne semble manquer, si ce n'est le souffle assainissant de la psychanalyse. » (E. Bloch : Le Principe Espérance, tome I, p. 71.) 18. Cf. op. cit., p. 74. 19. Cf. Freud Sigmund: Der Witz und seine Beziehungzum Unbewussten (La blague et son rapport avec l'inconscient), éd. allemande, S. Fischer, Francfort 1958, p. 180. 20. Bloch, op. cit., p. 145.

Notes 203 21. Cf. Freud Sigmund: L'interprétation du rive, Paris, P.U.F., 1980 (5e éd.). 22. Cf. Bloch, op. cit., pp. 99-142. 23. Cf. op. cit., p. 142. 24. Cf. op. cit., p. 148. 25. Cf. op. cit., p. 151. 26. Cf. op. cit., p. 152 sqq. 27. Cf. op. cit., p. 155 sqq. 28. Ibid. 29. Op. cit., p. 155-156. 30. Op. cit., p. 158. 31.0p. cit., p. 156. 32. Çf. op. cit., pp. 156-157. 33. a . op. cit., pp. 161-163. Chapitre IV 1. Le texte de cette conférence est intégralement reproduit in : Ernst Bloch: liber Karl Marx, Francfort, éd. Suhrkamp, 1971, pp. 163-177. (Ce texte d'Ernst Bloch n 'est pas encore traduit en français !) 2. Op. cit.,pp. 165-166(ladtationd'ErnstBlochaété traduite parl'auteur). 3. Cf. op. cit., p. 165. (Apparemment, E. Bloch a prononcé ces phrases sous le choc des événements tragiques en Tchécoslovaquie, en août 1968.) 4. Cf. Rudi Dutschke : Versuch, Lenin auf die Fûfle zu stellen. (liber den halbasiatischen und den westeuropfiischen Weg zum Sozialismus), Berlin-Ouest, 1974. (Essai de mettre Lénine sur ses pieds. Sur la voie semiasiatique et occidentale au socialisme). 5. Op. cit., p. 166-167. 6. MEW, vol. 1, Dietz, Berlin (RDA), 1964, pp. 378-391. (Zur Kritik der Hegelschen RechtsphÂosophie). 7. Karl Marx, op. cit., p. 391. 8. Emst Bloch: Ûber Karl Marx, p. 169. 9. E 3 . op. cit., p. 172. 10. E.B., op. cit., p. 172. 11. Cf. Emst Bloch: Tendenz-Latenz-Utopie (tome supplémentaire aux Oeuvres complètes en XVI volumes), Francfort, 1978. 12. Cf. Ernst Bloch: Le Principe Espérance, tome I, Paris, Gallimard, 1976, pp. 270-300. 13. Cf. Henri Lefebvre -.Métaphilosophie, Paris, Éd. de Minuit, 1965. 14. E. Bloch, Ûber Karl Marx, p. 176. 1 S. Pour cette critique d'E. Bloch à l'égard de F. Engels cf. Uber Karl Marx, p. 172. 16. E. Bloch, op. cit., p. 73. 17. E. Bloch, op. cit., p. 173. 18. op. cit., p. 173. 19. Op. cit., p. 173. 20. Op. cit., p. 173. 21. Se référant explicitement à l'écrit d'Engels < L'évolution du Socialisme de l'utopie à la science », E. Bloch reprochait à plusieurs reprises à son auteur d'avoir trop accentué la progression de la méthode du matéria-

1S 0 Figures de l'u topie dans la pensée d'Ernst Bloch Iisme historique et dialectique fondée par Marx et Engels vers la science (rationaliste) en occultant ses autres sources et composantes (non-scdentifiques). (Cf. E. Bloch, op. cit., p. 175 ; Le Principe Espérance, Tome III (édition allemande), Francfort 1959, p. 1 109.) 22. E. Bloch, op. cit., p. 174. 23. Op. cit., p. 174-175. 24. Cf. Herbert Marcuse : Vers la libération. (Au-delA de l'Homme unidimensionnel), Paris, Denoël-Gonthier, 1970. 25. Cf. Henri Lefebvre: Manifeste différentialiste, Paris, Gallimard, 1970. 26. E. Bloch, op. cit., p. 175. 27. Cf. Le Principe Espérance, Tome I, Paris, Gallimard, 1976, pp. 301345. 28. Cf. Le Principe Espérance, Tome I, pp. 330-338. 29. Op. cit., p. 316. 30. Cf. op. cit., pp. 316-322. 31. Cf. op. cit., pp. 322-330; pp. 330-338. 32. Cf. op. cit., p. 322 sqq. 33. Op. cit., p. 327. 34. Op. cit., p. 330. 35. Cf. Arno M&nster: Utopie, Messianismus und Apokalypse im Frûhwerk von Ernst Bloch (Utopie, messianisme et apocalypse dans l'oeuvre du jeune Bloch), Francfort, Suhrkamp, 1982, pp. 124 sqq. 36. Cf. Gustav Landauer: La Révolution (Die Révolution), Berlin, 1907 ; L'Appel au Socialisme (Aufruf zum SoziaUsmus), Berlin 1911. 37. Le Principe Espérance, Tome I, p. 334. 38. Op. cit., p. 342. 39.0p. cit., p. 337. 40. Op. cit., p. 338. 41.0p. cit., p. 338. 42. Cf. Lotus Althusser: Pour Marx, Paris, Maspero, 1965, pp. 186-197; dans le chapitre « Processus de la pratique théorique », Althusser définit la pratique théorique comme nouvelle pratique scientifique apte i « renverser la problématique d'une idéologie quelconque », et sa réalité serait la « discontinuité qualitative intervenant ou apparaissant entre les différentes généralités (I, II, III) dans la continuité même du processus de production des connaissances » (op. cit., p. 192). 43. Cf. Ernst Bloch: Der Wissenschaftsbegriff des Marxismus (f Le concept marxiste de « science » »), in: « Philosophische Aufsâtze zur Objektiven Phantasie » (Essais philosophiques sur l'imagination objective), Francfort, 1969, pp. 345-355. (=Tome X des Oeuvres complètes) (Les « Essais philosophiques d'Ernst Bloch n'ont pas encore été traduits en français !) Cf. aussi: Amo M&nster: Marxismus als Tendenzwissenschaft im Werk von Emst Bloch (Marxisme en tant que science des tendances dans l'œuvre d'Ernst Bloch) Conférence prononcée en juin 1982 au Colloque « Grundlinien und Perspektiven einer Philosophie der Praxis » (Fondements et perspectives d'une philosophie de la praxis), à Cassel (ILF.A), reproduite dans les Actes de ce Colloque Kasseler Philosophische Schriften 7 (1982), pp. 55-79. 44. Cf. Le Principe Espérance, tome I, pp. 270-300. 45. Op. cit., p. 338.

Notes 205 Chapitre V 1. Cf. Bloch Emst: L'Esprit de IVtopie (1923), Gallimard 1976, p. 15 sq.; Cf. aussi: Steinacker-Berghâuser, Klaus-Peter: Das Verhâltnis der Philosophie Ernst Blochs zur Mystik, Marburg, 1973, p. 248. 2. Pour Schelling (Cf. Les Ages du monde version première) l'autoconstriction de Dieu a la valeur d'un principe générateur universel. < L'origine est dans l'attraction. Tout, l'étant, est contraction » dit-il dans les Ages... Comme le montre Habennas dans le chapitre consacré à l'analyse de la philosophie de Schelling de < Théorie et Pratique », cette autoconstriction divine a la signification suivante: à l'origine (du monde) se trouve l'Absolu d'un Dieu enfermé sur son propre être — une espèce de première création de Dieu par lui-même. La seconde création du monde (celle qui engendrera le monde dans son « idéalité ») ne se fera que lorsque la lutte entre les principes qui éclate & cause de la contradiction de Dieu devient décisive. Comme les auteurs de la Kabbale, Schelling explique cette capacité auto-constrictive divine par la colère de Dieu ; car, < comme l'homme n'est pas fait que par l'amour, Dieu ne l'est pas non plus. Si Dieu est amour, il est aussi colère, et c'est cette colère en tant que puissance propre de Dieu qui garantit l'amour ». (Schelling, Oeuvres, éd. allemande, vol. IV, p. 331). Pour Schelling, cette puissance constrictive devient le principe fondateur de toute existence. (Cf. Jûrgen Habennas: Théorie et Pratique (Theorie und Praxis), Francfort, 1978, p. 187.) 3. Cf. Steinacker-BergMuser (Klaus-Peter) : Das Verhâltnis der Philosophie Emst Blochs zur Mystik, Marbourg, 1973, p. 249. 4. Cf. Anton F. Christen : Emst Blochs Metaphysik der Materie, Bonn, 1979, p. 9. 5. Anton F. Christen : op. cit., p. 36-37. 6. Christen, op. cit., p. 36-37. 7. Christen, op. cit., p. 36-37. 8. Cf. Michael Lôwy : Messianisme juif et utopies libertaires en Europe centrale (1905-1923), in < Archives de Sciences Sociales des Religions » n° 51/1 - 1981, p. 32. 9. Christen: op. cit., p. 37-38. 10. Gustav Landauer (1878-1919): Skepsis und Mystik, Berlin (1903); — Aufruf zum Sozialùmus (Berlin, 1911) (.Appel au socialisme)-, Der werdende Meruch (L'Homme en devenir), Postdam, 1921); Die Révolution (Francfort 1907) (La Révolution) (rééditée an 1974 avec une préface d'Harry Pross et l'essai biographique d'Erich Mûhsam c Der revolutionare Mensch Gustav Landauer » (Gustav Landauer — homme révolutionnaire) aux éditions Karin Kramer - Berlin-Ouest. 11. Cf. fiuber, Martin: Confessions extatiques, Berlin s.d.: Vom Geist des Judentums (De l'Esprit du judaïsme. Discours. Leipzig 1918; Sehertum (Le visionnaire) (Cologne/Olten, 1955); Le socialisme utopique (Der utopische Sozialismus) (Cologne 1967); Gustav Landauer. Sein Leberu werk in Briefen, Gustav Landauer, biographie épistolaire) (2 vol., Francfort 1929). 12. Cet essai d'Emst Bloch a été republié - sous le titre modifié < Uber einige Friedensprogramme in der Schweiz » (1918) (A propos de quelques programmes pacifistes en Suisse) in: Emst Bloch: Politische Messungen,

206 Figures de l'utopie dam la pensée d'Emst Bloch Pestzeit, Vormin - Oeuvres complètes. Tome II, Francfort 1970, p. 46 i 50) (Mensurations politiques, Temps de la peste, Vormfirz). 13. Cf. Ernst Bloch: Thomas Mûnzer - Théologien de la Révolution (traduit par Maurice de Gandillac), Paris U.G.E. ( 10/18), 1968. 14. Cf. à ce propos: G. Heinecke: Frûhe Kommunen in Deutschland (Les premières communautés en Allemagne), 1978 (L'ouvrage comporte l'historique de ce mouvement communautaire inspiré par Gustav Landauer). 15. Cf. Emst Bloch: Le Principe Espérance (traduit par Françoise Wuilmart, Paris, Gallimard 1978), Tomel, p. 345-372 (dernière partie (résumé) du chapitre < La conscience anticipante »). 16. Cf. le chapitre «Philosophie de la musique» in: L'Esprit de L'Utopie (trad. par Anne-Marie Lang et Catherine Piron-Audard, Gallimard, 1977, p. 32 sq. 17. Défendant contre les tenants d'une pure métaphysique de l'intériorité, le principe d'une dialectique intériorité/extériorité, Bloch constate expressément dans L'Esprit de l'Utopie -. « Mais justement à ces profondeurs on ne fait rien tout seul. L'instinct tel qu'il se saisit et se relance doit être désintéressé et communautaire. Il lui faut se transposer dans la chose commune et, partant de là, percevoir le mouvement et la clarté naissante. Le Moi égoïste reste enfermé en lui-même, mais pour l'étincelle logée en nous, pourvu seulement que nous nous portions vers elle, la vie pure, supérieure, devient pleinement impérative et lumineuse ». (Op. cit., p. 247). 18. L'Esprit de l'Utopie, p. 327-328. 19. Cf. Irving Wohlfahrt: sur quelques motifs juifs chez Beqjamin, in: Revue esthétique (nouvelle série) n° 1 ; 1981, p. 141 sq. 20. Cf. Walter Benjamin: « Ùber den Begriff der Geschichte », IX, in: Illuminationen (Ausgewfihlte Schriften), Francfort, 1977, p. 255. 21. Cf. L'Esprit de l'Utopie, Gallimard, 1977, chapitre « Karl Marx, la Mort et l'Apocalypse », sous-chapitre « La véritable Idéologie du Royaume », p. 297 sq. 22. Cf. Walter Benjamin, Thèses philosophiques de l'histoire (Ûber den Begriff der Geschichte), Thèse V et VI, in : W.B. Oeuvres I, Poésie et Révolution (Préface de Maurice de Gandillac), Paris, éd. Lettres Nouvelles/ Denoêl, Paris, 1971, pp. 279-280. 23. Cet entretien a été reproduit dans le livre « Gesprâche mit Ernst Bloch » (Entretiens avec Emst Bloch) éd. par Rainer Traub et Harald Wieser, Francfort, Suhrkamp, 1975, p. 176). 24. E. Bloch: Du sens de la Bible. (Entretien avec Berad Stappert) op. cit., p. 177. 25. E. Bloch, op. cit., p. 179. 26. Cf. E. Bloch, op. cit., p. 181. 27. E. Bloch, op. cit., p. 181. 28. E. Bloch, op. cit., p. 182. 29. E. Bloch, op. cit., p. 182. 30. E. Bloch, op. cit., p. 183 (Traduction de la citation d'Emst Bloch de l'allemand par l'auteur de cet ouvrage, A.M.). 31. Ibid. (traduction de la citation par l'auteur de cet ouvrage, A.M.). 32. E. Bloch, op. cit., p. 183 (traduction de la citation par l'auteur de cet ouvrage, A.M.). 33. Cf. Scholem (Gershom) : De l'origine de la Kabbale ( Vom Ursprung

Notes

207

der Kabbala) Studia Judaica III, Berlin, de Gruyter 1962, p. 3. 34. Le livre d'Adolphe Franck est ici cité d'après G. Scholem, op. cit., p. 3. 35. Cf. Tholuck: De ortu cabbalae, Hambourg 1837, cité d'après G. Scholem, op. cit., p. 4. 36. G. Scholem, op. cit., p. 4. 37. Le livre de Graetz (Histoire des Juifs), vol. 7, Leipzig 1908, est ici cité d'après G. Scholem, op. cit., p. 5. 38. Gmetz cité ici d'après Scholem, op. cit., p. 5. 39. Cf. G. Scholem, op. cit., p. 6. 40. Cf. G. Scholem, op. cit., p. 6. 41. G. Scholem, op. cit., p. 32. 42. G. Scholem, op. cit, p. 16. 43. G. Scholem, op. cit., p. 12. 44. Cf. Emst Bloch: Das Materialismusproblem, seine Geschichte und Substanz (L'Histoire du matérialisme, son histoire et sa substance), Franfort, 1972, p. 264. 45. E. Bloch, op. cit., p. 264. 46. E. Bloch, op. cit., p. 264. 47. Dans Le Principe Espérance, tome III, p. 1 33S (cité d'après l'édition allemande (le IIIe tome du principal ouvrage d'Emst Bloch n'a pas encore été tTaduit en français», Emst Bloch cite, entre autres, ce paragraphe du Livre Zohar qui décrit le rassemblement des âmes autour du roi céleste dans une espèce de < château d'amour » ; « Im geheimnisvollsten und erhabensten Raum des Himmels ragt ein Schloss der Liebe ; dort geschehen tiefe Wunder; dort sind die geliebtesten Seelen des himmlischen K&nigs versammelt ; dort wohnt der himmlische Kônig und vereint sich mit den heiligen Seelen in den Kûssen der Liebe. » (« A l'endroit le plus mystérieux et le plus magnifique du ciel se dresse le château de l'amour où de grands miracles ont lieu, là se rassemblent les âmes les plus aimées du roi céleste ; c'est là qu'habite le roi céleste et c'est là qu'il célèbre l'union avec les âmes sacrées dans les baisers de l'amour. ») (Traduction par l'auteur de cet ouvrage, A.M.). 48. Cf. Le Principe Espérance, tome II (édition allemande) (Francfort, Suhrkamp, 1970, p. 750). 49. Cf. E. Bloch: L'Esprit de l'Utopie, Gallimard, 1977, p. 16-17 sq. 50. Cf. Emst Bloch, op. cit., p. 325 sq. 51. Voir: G. Scholem, op. cit., p. 250-251. 52. Cf. L'Esprit de l'Utopie, p. 279 sq., p. 321-330. 53. Jakob Boehme: SàmtUche Schriften (Oeuvres Complètes), rééditées d'après l'édition originale de 1730, en 11 volumes par W.E. Peuckert, Stuttgart 1955 sqq. ; du même auteur: De electione gratiae (1620) (Oeuvres complètes, voL 6) Stuttgart 1957; de signature rerum (1622) (S.W./ Oeuvres complètes, vol. 7 et 8), Stuttgart 1958; Sexta puncta mystica (1628), in: S.W. (Oeuvres complètes, voL 4, Stuttgart 1957) et: Sexta puncta theosophica (1628), in: S.W. (Oeuvres complètes, voL 4, Stuttgart 1957. 54. Cf. L'Esprit de l'Utopie (1923) trad. de l'allemand par Anne-Marie Lang et Catherine Piron-Audard, Paris, Gallimard, 1977, p. 329. 55. Cf. Walter Benjamin: Thèses sur la philosophie de l'histoire in: W.B.: Oeuvres, II: Poésie et Révolution (Essais) (trad. de Maurice de Gan-

208 Figures de l'utopie dam la pensée d'Emst Bloch

dillac) éd. Lettres Nouvelles/Denoël, 1971, p. 270 sq. 56. L'auteur de cet article a pu consulter cette correspondance encore inédite dans les Archives d'Ernst Bloch à TUbingen et au LukàcsArchivum/ Budapest. (Il tient à remercier M. Sziklai, directeur des Archives hongroises pour l'aide qui lui a été apportée à ce propos.) 57. Cf. Lettre d'Emst Bloch à Georg Lukàcs datée du 31 août 1911. (cité ici d'après LukAcs-Archivum/ Budapest). Je cite de larges extraits de cette lettre, entre autres, dans mon ouvrage: Utopie, Messianismus und Apokalypse im Frûhwerk Ernst Bloch, Francfort, éd. Suhrkamp, 1982, p. 65-66. 58. Cf. Raulet Gérard: Utopie-Marxisme selon Emst Bloch (présentation), Paris, Payot, 1976, pp. 9 à 35. Certes, G. Raulet n'ose pas nier complètement la dimension religieuse-eschatologique dans l'œuvre d'Ernst Bloch ni les « contenus religieux..., dialectiquement repris par une philosophie de l'histoire conçue à des fins pratiques » (op. cit., p. 23), mais, en reprenant largement à son compte la thèse de J. Habermas c selon laquelle la forme sécularisée d'une religion de la rédemption (le matérialisme historique) n'aurait aucun sens tant que n'aurait pas été pensé le processus même de la sécularisation » (V.J. Habermas : Théorie et Pratique, Payot, 1975, tome II, p. 193), il a toujours tendance à ramener l'apport important de l'eschatologie et de la mystique juives (pour la métaphysique biochienne) à un simple < messianisme théorique » se donnant pour tâche de théoriser la possible intervention des contenus religieux dans l'histoire (Raulet, op. cit., p. 24). Il n'est donc pas trop étonnant que cette présentation du « messianisme biochien » qui s'inspire de certaines conclusions du chapitre final de L'Esprit de l'Utopie et du Principe Espérance (Tome I et II) écarte complètement, sans vouloir ignorer pourtant l'importance des lectures bibliques d'Ernst Bloch (cf. « Athéisme dans le christianisme », Gallimard, 1978), l'aspect herméneutique des lectures talmudiques et cabbalistiques de ce dernier en réduisant au strict minimum la dimension judaïque dans l'œuvre du philosophe dont l'œuvre de jeunesse reste cependant profondément marquée par les concepts-clé de la mystique juive. 59. Cf. Arno Munster: Utopie, messianisme et apocalypse dans l'œuvre de jeunesse d'Erst Bloch (Utopie, Messianismus und Apokalypse im Friiwerk Ernst Blochs), Francfort, éd. Suhrkamp, 1982, pp. 90 sq. 60. Cf. Ernst Bloch: Atheisme dans le christianisme (Trad. de l'allemand par Eliane Kaufholz et Gérard Raulet, Paris, Gallimard, 1978 (préface) (pp. 9 à 16). 61. L'Esprit de l'Utopie, Paris, Gallimard, 1977, p. 334. Chapitre VI 1. Cest en 1908 qu'Ernst Bloch soutient sa Thèse, chez Oswald Kttlpe, à Wûrzbourg, sur l'œuvre du néo-kantien Rickert: « Rickert und das Problem der modemen Erkenntnistheorie » (Rickert et le problème de la théorie de la connaissance (de l'épistémologie moderne), — thèse dans laquelle il essaie de mettre en relief les limites et les failles de l'épistémologie néo-kantienne et de lui opposer aussi une autre conception de la philosophie de l'histoire — plus « hégélienne ». (Des extraits significatifs de ce premier texte philosophique cohérent d'Ernst Bloch ont été publiés

Notes 209 dans le volume supplémentaire aux Oeuvret complètes d'Ernst Bloch en XVI volumes (chez Suhrkamp- Tendenz-Latenz-Utopie, Francfort, 1978, pp. SS-107.) En ce qui concerne l'analyse de la Thèse d'Ernst Bloch sur Rickert, cf. aussi: Amo Miinster, Utopie, Messianismus und Apokalypie im Frùnhwerk von Ernst Bloch, Francfort, Suhrkamp, 1982, pp. 45-52 ! Chez Walter Benjamin, la grande partie de sa Thèse < Sur le concept de critique d'art dans le romantisme allemand » (Der Begriff der Kunstkritik in der deutschen Romantik) (W.B., Ges. Schr., I, 1 (éd. par R. Tiedemann et H. Schweppenhiuser), Francfort, 1974, p. 7-122) consacrée à l'épistémologie - et en particulier au concept de < l'auto-réflexion > chez Fichte et chez Schlegel - témoigne également du grand attachement de W. Benjamin à l'héritage du kantisme. (Cf. W.B., op. cit., pp. 20/21 sqq) 2. Cf. l'évocation constante des concepts philosophiques de l'art de Schlegel dans la Thèse de W. Benjamin: « Sur le concept de critique d'art dans le romantisme allemand », Ges. Schr. T. I, pp. 37 sqq. En se référant explicitement à Novalis, Ernst Bloch intitule le dernier sous-chapitre de la deuxième grande partie de L'Esprit de l'Utopie - « La forme de la question inconstructible » - « L 'apparition à Sais » j et dans le chapitre précédent consacré à la « Métaphysique de la tragédie » de G. Lukàcs, le nom de Novalis est encore une fois cité à l'occasion d'une réflexion philosophico-littéraire sur le caractère tragique. (Cf. Ernst Bloch, L'Esprit de l'Utopie, Gallimard 1977, pp. 271-275. op. cit., p. 266.) 3. Les concept de la « schechina » du « Tikkoun » et du « Kiddush haschem » sont régulièrement évoqués par Ernst Bloch, dans L'Esprit de l'Utopie (Cf. E. B., op. cit., p. 262 sqq.). - Cf. aussi le chapitre « Symbole - les Juifs » (Symbol die Juden), in: L'Esprit de l'Utopie (éd. allemande, 1ère édition, 1918) et, in: Durch die Wûste /La traversée du désert) [Berlin, 1923], Francfort, 1977, pp. 122-148. 4. Cette « conversion au marxisme » a été provoquée, chez Ernst Bloch, par la confluence d'événements historiques tels que : la victoire des bolchéviques en Russie, la révolution de novembre, Spartakus et la Révolution des conseils de Munich, en Allemagne. Il avait des sympathies pour Gustav Landauer qui était un des principaux responsables de la République des Conseils de Bavière. 5. Chez Benjamin c'était la rencontre avec Asja Lacis qui dirigeait un théâtre révolutionnaire-prolétarien pour enfants à Léningrad qui provoqua, selon ses propres témoignages, son intérét et son passage à des positions proches du matérialisme historique et dialectique. Cf. W. Benjamin : Moskauer Tagebuch (Journal de Moscou), Francfort, éd. Suhrkamp, 1980, p. 164 sqq.) 6. Cf. W. Benjamin: «Sur le concept de l'histoire» et t Fragment théologico-politique », in: « Dluminationen », Francfort, 1977, pp. 251-263. Dans le premier paragraphe du < Fragment théologico-politique », W. Benjamin rejoint l'argumentation d'Ernst Bloch — exprimée dans le chapitre « Karl Marx, la mort et l'apocalypse » dt L'Esprit de l'Utopie — que le Royaume de Dieu ne serait pas te Telos de la dynamis historique, mais sa Fin et que la conception messianique-religieuse de la finalité de l'histoire serait incompatible avec une interprétation théocratique . (Cf. W.B., op. cit., p. 262). 7. D'après Ernst Bloch, la première rencontre avec W. Benjamin aurait

1S 0 Figures de l'u topie dans la pensée d'Ernst Bloch eu lieu en automne hiver 1918, i Berne, en Suisse (Cf. T.W. Adorno, E. Bloch, Max Rychner, G. Scholem, Jean Selz, H.H. Holz, Ernst Fischer: ï/ber Walter Benjamin, Francfort, 1968, p. 161) ; mais d'après les souvenirs de Gershom Scholem, cette rencontre aurait eu lieu bien plus tard en mais/avril 1919. < Ce fut par entremise de Hugo Bail », écrit-il, « que Benjamin fit, en mars ou avril 1919, la connaissance d'Ernst Bloch qui vivait alors à Interlaken et qui avait également collaboré à la Freie Zeitung pendant la guerre. > (G. Scholem : Walter Benjamin : Histoire d'une amitié, Paris, Calman-Lévy, 1981, p. 97). Cette date étant en contradiction avec les indications données par Ernst Bloch, nous estimons qu'il est légitime d'admettre l'erreur chez Bloch, car Scholem est en mesure de justifier la date de cette rencontre par une note dans son journal à la date d'avril 1919 indiquant que Benjamin lui aurait raconté avoir fait la connaissance de Bloch < il y a quelques semaines » — c'est-à-dire en mars 1919. (Cf. G. Scholem, op. cit., p. 97). 8. Cet article a été republié, sous le titre « Uber einige Friedensprogramme in der Schweix », dans le voL XI des Oeuvres complètes d'Ernst Bloch: e PoUtische Messungen, Pestzeit, Vormârz » (Mesurerions politiques, temps pestiférés Vormfrz (= l'avant-quarante-huit) », Francfort, 1970, pp. 46-59. 9. Les articles devraient être publiés prochainement, aux éditions Suhrkamp, sous le titre t Kein 1917 ohne 1789 » (pas de 1917 sans 1789 !), par les soins de Martin Korol. 10. Cf. Walter Benjamin: Correspondance (trad.: Guy Petitdemange), Paris, Aubier-Montaigne, 1979, tome I (191 (M 928), p. 202. 11. Cf. W. Benjamin: Correspondance, tomel, Paris, 1979, p. 202. 12. Cf. les affirmations très élogieuses d'Emst Bloch sur Walter Benjamin in: Tagtrâume vom aufrechten Gang. (Rêves diurnes...) éd. par A. MOnster, Francfort, Suhrkamp, 1977, pp. 48-51. Ernst Bloch y fait allusion à ses entretiens en commun, sur le romantisme allemand, pendant ses rencontres avec W. Benjamin, en Suisse et en Italie (Positano), à < L'Origine du drame baroque « allemand » et à « Sens Unique ». Ernst Bloch y fait quand même un peu allusion au < caractère » grotesque et excentrique « de son ami, à son « désespoir » et à son suicide qui aurait été une < solution très proche de sa vie ». (E.B., op. cit., p. 52). 13. Cf. le manuscrit de jeunesse d'Emst Bloch < liber die Kraft und ihr Wesen » (Puissance et Essence 1902) reproduit in : Philosophische Aufsâtze (Essais Philosophiques), Oeuvres complètes, tome X, Francfort, 1969, p. 5 ; Cf. aussi: Tagtrâume..., Francfort 1977, pp. 28-29. 14. Cf. Lettre de W.B. à G. Scholem du 13 février 1920, Correspondance, tome I, p. 216 ! 15. Op. cit., p. 216. 16. Op. cit., p. 216-217. 17. Op. cit., p. 216-217. 18. G. Scholem : Walter Benjamin : Histoire d'une amitié, Paris, Calman-Lévy, 1981, pp. 98-99. 19. Cf. G. Scholem, op. cit., p. 95 sqq. - comme le souligne G. Scholem, cet ouvrage de Martin Buber était très important pour l'idéologie de la jeunesse sioniste de l'époque (op. cit., p. 95). 20. G. Scholem, op. cit., p. 98-99. 21. Cf. L'Esprit de l'Utopie, ch. « Karl Marx, la mort et l'apocalypse »,

Notes 211 (1923), trad.: Anne-Marie Lang et Catherine Piron-Audard, Paris, Gallimard, 1977, p. 322. 22. Cf. G. Scholem: W. Benjamin, Histoire d'une amitié, p. 97. 23. Allusion au < Système d'une philosophie axiomatique en 4 volumes dont Ernst Bloch parle dans sa lettre à Georges Lukàcs du 24 avril 1911 et qui devrait avoir la disposition suivante : 1 ) Sagesse de la vie (actuelle) ; 2) Philosophie de l'histoire (philosophie de la nature/philosophie de l'histoire de la philosophie de la nature); 3) Le Seigneur et l'ordre de Dieu ou : l'étant axiomatique de la substance ; 4) Le salut et le royaume du sens artistique en tant qu'esthétique de l'idée. » Cette lettre inédite de la correspondance Emst Bloch-Lukàcs est citée dans mon ouvrage: Utopie, Messianismus und Apokalypse im Frûhwerk von Ernst Bloch, Francfort, éd. Suhrkamp, 1982, p. 77. 24. Ce projet d'une collaboration n'a jamais été réalisé. 25. Cf. G. Scholem, op. cit., p. 98. 26. Cf. G. Scholem, op. cit., p. 98. 27. Emst Bloch, Durch die Wfiste..., p. 125. 28. E. Bloch, op. cit., p. 126. 29. E. Bloch, op. cit., p. 124. 30. E. Bloch, op. cit., p. 135. 31. E. Bloch, op. cit., p. 137. 32. E. Bloch, op. cit., p. 138. 33. Le terme < centre » utilisé par E. Bloch - et difficilement compréhensible dans ce contexte — ne peut être interprété aue comme allusion au milieu chrétien environnant, au christianisme. [A.M.]. 34. W. Benjamin, Correspondance, tome I, p. 218. 35. Cf. G. Scholem, W. Benjamin - Histoire d'une amitié, p. 7-9. 36. Cf. G. Scholem, àp. cit., p. 9. 37. Walter Benjamin: Correspondance, tome I, p. 216. 38. Cf. surtout le chapitre « Hiéroglyphes du XIXe siècle » in : Héritage de ce temps, trad. : Jean Lacoste, Paris, 1978, pp. 352-358. 39. Cf. Ernst Bloch: Héritage de ce temps, Paris 1978, pp. 353-354. Bloch y évoque, comme W. Benjamin, l'évolution des forces productrices en France, après 1830: le machinisme,... des < tentatives surprenantes qui utilisent le verre, le fer, un espace aéré et sans limites », il cite Giedeon, évoque € l'anarchie des styles dans l'omementalisme du XIXe siècle, etc. etc. (Cf. op. cit., pp. 353-354). 40. Cf. Benjamin: Dos Passagen-Werk: Ges. Schriften V 1-2, éd. par Rolf Tiedemann, Francfort, 1982. 41. Cf. W. Benjamin: La tâche du traducteur, Ges. Schr., vol. IV, 1, p. 7 sqq. ,, 42. Rolf Tiedemann : Studien zur Philosophie Walter Benjamins. Francfort, 1973, p. 130. 43. R. Tiedemann, op. cit., p. 130. 44. Cf. R. Tiedemann, op. cit., p. 130. 45. Cf. Manfred Frank : Der kommende Gott. Vorlesungen ûber die neueMythologie, Francfort, Suhrkamp, 1982, p. 28. 46. Frank, op. cit., p. 28. 47. Cf. Ernst Bloch: Héritage de ce temps (traduction: Jean Lacoste),

1S 0 Figures de l'u topie dans la pensée d'Ernst Bloch

Paris, Payot 1978, p. 150-152. 48. Op. cit., p. 152. 49. Op. cit., p. 152. 50. Rolf Tiedemann : Introduction aux « Passages parisiens > : Das Passagen-Werk, Ces. Schriften, V, 1, Francfort 1982, p. 19. 51. R. Tiedemann, op. cit., p. 18. 52. R. Tiedemann, op. cit., p. 18. 53. Cf. Ernst Bloch: Le Principe Espérance, tomel, Première partie, ch. 14: «La distinction fondamentale entre les rêves éveillés et les rêves nocturnes. — La réalisation dissimulée de souhaits anciens dans le rêve nocturne, la fabulation et l'anticipation dans les rêves éveillés. « Op. cit., trad. française: Françoise Wuilmart, Paris, Gallimard, 1976, pp. 99-142. 54. Cf. Ernst Bloch: Le Principe Espérance, tome III; Das Prinzip Hoffnung, voL III (éd. allemande), Francfort 1959, pp. 1 616 - 1 622 : sous-chapitre « Traum nach vorwirts, Nûchternheit, Enthusiasmus und ihre Einheit » (Rêve-en-avant, sobriété, enthousiasme et son unité) du chapitre < Karl Marx und die Menschlichkeit » (Karl Marx et l'humanité). (Le tome III du Principe Espérance n'a pas encore été traduit et publié en langue française !). 55. Rolf Tiedemann, op. cit., p. 18. 56. Tiedemann, op. cit., p. 17. 57. Cf. Ernst Bloch: Le Principe Espérance, tomel, trad.: Françoise Wuilmart, Paris, Gallimard 1976, chap. 15 ; « La découverte du , op. cit., pp. 142-216. 58. Cf. Le Principe Espérance, Tome I, chap. 18 : « Les différentes couches de la catégorie de la possibilité », pp. 270-300. 59. Cf. Le Principe Espérance, tome III, éd. allemande, pp. 16161 628.

60. « L'Éternité par les astres » de Blanqui est évoquée i plusieurs reprises par W. Benjamin dans les « Passages Parisiens ». Cf.W.B., Das Passagen-Werk, Ges. Schr., Francfort 1982, pp. 169-189. Page 169 il caractérise cet écrit du vieux Blanqui de la façon suivante : « In dieser Schrift ist der Himmel ausgespannt, an dem wir Menschen des 19. Jahrhundert die Steme stehen sehen. » (Dans cet écrit s'étend le ciel où les hommes du XIXe siècle verront les étoiles.) « D me semble significatif que W. Benjamin fait immédiatement le rapprochement avec Charles Baudelaire qui, dans les < Litanies de Satan (Baudelaire : Oeuvres, éd. Le Dantec, voL I, Paris 1931, p. 138) a sans aucun doute voulu faire allusion au personnage héroïque de « l'Enfermé » en écrivant : « Toi qui fait au proscrit ce regard calme et haut. » Benjamin commente : « In der Tat gibt es ja von Baudelaire eine aus dem Gedichtnis vollfttlute Zeichnung, die den Kopf von Blanqui darsteUt. » (Il existe en effet un dessin de Baudelaire où, s'inspirant de sa mémoire, il fait le portrait de Blanqui.) (Cest moi-même qui traduits ces affirmations de W.B. - A.M.) Dans sa post-face à la réédition de < L'Eternité par les Astres > - faite, en 1972, par les soins de la < Société encyclopédique française et les Editions de la Tête des Feuilles » — Miguel Abensour souligne le mérite de W. Benjamin d'avoir « fait sortir Blanqui des catégories où blanquistes et antiblanquistes prétendaient le ranger. » Sans se référer aux « Passages », Abensour remarque aussi que < l'ombre de Blanqui < apparaît en-

Notes 213 core < en filigrane > dans le dernier texte de Benjamin, « Sur le concept d'Histoire » et que, « praticien du collage, Benjamin fait comme s'il détournait les armes forgées par Blanqui contre le positivisme afin de porter ses propres coups à ceux qui s'épanchent au bordel de l'historicisme ». (in: Blanqui: Instruction pour une prise d'armes. - L'Éternité par les astres. Paris, 1972, p. 206.) 61. Cf. « Sur le concept de l'histoire », in: W.B., Ges. Schr. I, p. 701703. 62. W.B., Das Passagen-Werk, Ges. Schr. V, 2, p. 1 034. 63. W.B., op. cit., Ges. Schr. V, 2, p. 1 035. 64. Cf. à ce propos: Louis-Auguste Blanqui: Écrits sur la Révolution. Oeuvres complètes, Tome 1 : Textes politiques et lettres de prison, présenté et annoté par Amo Mtinster, Paris, Éd. Galilée, 1977, pp. 63 sqq. 65. Le texte original de « L'Eternité par les astres », est conservé dans le Fonds Blanqui de la Bibliothèque Nationale dans les Nouvelles Acquisitions Françaises (N.A.Fr.) 9 585. La liasse où figure cette « hypothèse costnogonique » comporte, outre ce texte célèbre, un grand nombre de notes et de fragments relatifs à la cosmogonie de Laplace et à l'astronomie en général qui seront publiés dans l'édition des Oeuvres de Louis-Auguste Blanqui en 8 volumes devant paraître aux éditions de la Documentation Internationale. 66. Cf. Le Principe Espérance, tome I, ch. 17, sous-chapitre «optimisme militant, les catégories « front », « novum », « ultimum », op. cit., pp. 239-247. 67. Ct. L'Esprit de l'Utopie, Gallimard 1977, pp. 234-250. 68. Cf. Le Principe Espérance, tome I, Paris 1976, chap. 19: « La transformation du monde ou les onze thèses de Marx sur Feuerbach », pp. 301345. 69 .Le Principe Espérance, tome III, éd. allemande, Francfort 1959, p. 1 332-1 333. 70. Héritage de ce temps, Paris, 1978, p. 353. 71. Q . W.B., Das Passagen-Werk, Ges. Schr. V,2, pp. 745-763 ; pp. 892897 ; p. 955; - W. Benjamin ne cite jamais Blanqui selon les manuscrits conservés à la Bibliothèque Nationale, mais le plus souvent d'après la biographie de Gustave Geoffroy (« L'Enfermé », Paris 1897) et les études et travaux sur Blanqui et le blanquisme de Maurice Dommanget. 72. Ernst Bloch: Le Principe Espérance, éd. allemande, tome II, pp. 1 108 sqq. 73. Cf. la critique de la stratégie blanquiste (et néo-blanquiste) par Rosa Luxemburg, in: R.L., Ecrits politiques (Politische Schriften), tome III, Francfort, 1968, pp. 62 sqq. Dans cet article — dirigé contre les néo-blanquistes russes et contre les membres du parti bolchévique qui étaient sympathisants du blanquisme, Rosa Luxemburg s'en prend surtout à la « foi en la toute-puissance du politique... et en la toute-puissance en la supériorité physique pure: barricade, échafauds... » qui sont, à ses yeux, caractéristiques de la vision blanquiste de la Révolution Sociale. (Cf. R.L., op. cit., p. 76-77). - Cf. à se sujet aussi notre introduction/présentation à L.-A. Blanqui: Écrits sur la Révolution. Textes politiques et lettres de prison (Oeuvres complètes, tome 1), Paris, Galilée, 1977, p. 46-48. 74. Walter Benjamin: Correspondance (traduction: Guy Petitdemange), Paris 1978, tome II, pp. 151-152. 75. W. Benjamin, op. cit., p. 169.

Chapitre VU 1. Cf. Lôwith Karl : Von Hegel zu Nietzsche. Der revolutionâre Bruch im Denken des 19 Jahrhunderts (De Hegel à Nietzsche. La rupture révolutionnaire dans la pensée du XIXe siècle), F. Meiner, Hambourg 1978, p. 190. 2. Cf. Lôwith, op. cit., p. 182-183. 3. Cf. Lukics Georg: Der junge Hegel, Berne, 1948; G.L.: Le jeune Hegel, Paris, Gallimard, 1981. 4. Cf. Bloch Ernst : Sujet-Objet. Eclaircissement sur Hegel. Trad. de l'allemand par Maurice de Gandillac, Gallimard, Paris, 1979. 5. Lôwith Karl: op. cit., p. 190. 6. Kojève Alexandre: Introduction à la lecture de Hegel (Leçons sur la c Phénoménologie de l'Esprit»), Paris, Gallimard, 1947, p. 445/446. 7. Cf. Kojève, op. cit., p. 446. 8. Cf. Kojève, op. cit., p. 446. 9. Cf. Kojève, op. cit., p. 447. 10. Cf. Kojève, op. cit., p. 447. 11. a . note 3. 12. Cf. note 4. 13. Cf. Glockner Hermann: Hegel, Berlin 1929: et, du même auteur, Vom Wesen der deutschen Philosophie (De l'essence de la philosophie allemande), 1941. 14. Cf. Kroner Richard: Von Kant bis Hegel (de Kant à Hegel), Stuttgart, 1921 -1924; Cf. Lukics, op. cit., p. 59. 15. Cf. Haym Rudolf: Hegel und seine Zeit (Hegel et son époque), Berlin, 1857. 16. Cf. Hâring Theodor: Hegel, sein Wollen und sein Werk, eine chronolog. Entwicklungsgeschichte der Gedanken und der Sprache Hegels, 2 vol., (1) Leipzig 1929, (2) 1938; Cf. Lukics, op. cit., p. 60. 17. Cf. Lukàcs Georg : op. cit., p. 60. 18. Voir à ce sujet les travaux de Hermann Cohen, de Natorp et de Cassirer (pour l'école néo-kantienne de Marbourg) et les ouvrages de Windelband, de Rickert et de Lask (pour l'école néo-kantienne du sud-ouest de l'Allemagne, celle de Heidelberg) ! 19. Cf. Hegels theologische Jugendschriften, édités par Hermann Nohl, TQbingen, 1907. 20. Cf. aussi : Lasson Georg : Beitrige zur Hegelforschung (Contributions aux études hégéliennes), 1909; du même auteur: M/as heifk Hegelianismus ? (1916), et: Hegel als Geschichtsphilosoph (Hegel en tant que philosophe de l'histoire), 1920. 21. a . G.F.W. Hegel: Jenenser Logik, éd. par G. Lasson. Leipzig 1923. 22. Cf. G.F.W. Hegel: Die Jenenser Realphilosophie hsg. von Hoffmeister, Leipzig, 1931 ; et: Hoffmeister: Dokumente zu Hegels Entwicklung (Documents relatifs à l'évolution de Hegel), Stuttgart, 1936. 23. Cf. Lukàcs Georges: Le jeune Hegel Sur les rapports de la dialectique et de l'économie ; traduit de l'allemand par Guy Haarscher et Robert Legros (2 voL), Paris, Gallimard, 1981, vol. I, p. 82 sqq. 24. Cf. Lukàcs Georges: op. cit., vol. I, Gallimard 1981, pp. 79 sq., p. 82 sq.

Notes 215 25. Cf. Bloch Emst: Sujet-Objet. Éclaircissements sur Hegels, trad. de l'allemand par Maurice de Gandillac, Paris, Gallimard, 1977, p. 35 sq. 26. Cf. Bloch Ernst : op. cit., p. 37. 27. Cf. Bloch Ernst : op. cit., p. 38. 28. Cf. Bloch Ernst: Préface de décembre 1947 à l'édition allemande de Sujet-Objet, Berlin 1948, rééd. Francfort, Suhrkamp, 1962. 29. Cf. Heidegger Martin : La