Figures d'Alexandre a la Renaissance (Alexander Redivivus) (French Edition) 9782503543314, 2503543316

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Figures d'Alexandre a la Renaissance (Alexander Redivivus) (French Edition)
 9782503543314, 2503543316

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L’HISTOIRE ANCIENNE JUSQU’À CÉSAR OU HISTOIRES POUR ROGER, CHÂTELAIN DE LILLE

ALEXANDER REDIVIVUS Collection dirigée par Catherine Gaullier-Bougassas Margaret Bridges Corinne Jouanno Jean-Yves Tilliette

L’Histoire ancienne jusqu’à César ou Histoires pour Roger, châtelain de Lille, de Wauchier de Denain

L’histoire de la Macédoine et d’Alexandre le Grand Édition critique de Catherine Gaullier-Bougassas

Édition critique du texte de Wauchier de Denain Édition critique du remaniement franco-italien du codex 2576 de Vienne Le Premier Volume d’Orose, Antoine Vérard, 1491, Texte

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Cet ouvrage a bénéficié d’une aide de l’Agence Nationale de la Recherche portant la référence ANR-O9-BLANC-0307-01 et s’inscrit à l’intérieur du programme de recherches sur la création d’un mythe médiéval d’Alexandre le Grand dans les littératures européennes médiévales que je dirige et qui est hébergé à la MESHS –Maison européenne des Sciences de l’Homme et de la Société (CPER 2009-2010, ANR 2009-2013). Il a ainsi également été publié avec le soutien de l’Université de Lille 3, de la Maison européenne des sciences de l’homme et de la société – MESHS (USR 3185), du CNRS et de la Région Nord-Pas-de-Calais. Un accueil en délégation auprès du CNRS, à la MESHS (USR 3185), de septembre 2010 à mars 2012, m’a donné le temps précieux nécessaire pour pouvoir réaliser ces éditions. Que le CNRS, la MESHS et sa directrice, madame le professeur Fabienne Blaise, en soient vivement remerciés.

© 2012, Brepols Publishers n.v., Turnhout, Belgium. All rights reserved. No part of this book may be reproduced, stored in a retrieval system, or transmitted, in any form or by any means, electronic, mechanical, photocopying, recording, or otherwise, without the prior permission of the publisher. ISBN 978-2-503-54331-4 D/2012/0095/34 Printed in the EU on acid-free paper

Introduction Wauchier de Denain, originaire du nord de la France – Denain se situe tout près de Valenciennes –, écrit au début du xiiie siècle pour la cour de Flandre et aussi pour le châtelain de Lille, Roger IV. À cet auteur polygraphe sont attribuées des traductions de textes religieux et surtout de récits hagiographiques – des adaptations en prose des Vies des Pères et de plusieurs livres du Dialogue de Grégoire, une Vie de sainte Marthe –, l’histoire universelle qu’est l’Histoire ancienne jusqu’à César ou Estoires Rogier, Histoires pour Roger, châtelain de Lille1, ainsi que la Seconde Continuation du Conte du Graal de Chrétien de Troyes2. Les trois mécènes que nous lui connaissons sont Philippe de Namur, le châtelain de Lille Roger IV et Jeanne, comtesse de Flandre. Son Histoire ancienne jusqu’à César a joui d’une diffusion considérable : nous en avons pour preuves le très grand nombre de manuscrits conservés, leur réalisation en France, à Saint-Jean-d’Acre et en Italie, les deux réécritures françaises d’ensemble qu’elle a suscitées aux xive et xve siècles (traditionnellement appelées seconde et troisième rédactions), les impressions à la Renaissance, sa traduction italienne ainsi que les emprunts que lui ont consentis de nombreux auteurs. Ses longs développements sur la Macédoine constituent le plus ancien récit en prose française de l’histoire d’Alexandre, de ses ancêtres et de ses successeurs. Wauchier de Denain innove en adaptant pour la première fois les Histoires d’Orose et en tentant de concilier leur témoignage sur Alexandre avec celui de deux dérivés du Roman d’Alexandre du Pseudo-Callisthène, l’Epitomé de Julius Valère et l’Epistola Alexandri ad Aristotelem. Si nous disposons de plusieurs études et de plusieurs classements des manuscrits de l’Histoire ancienne jusqu’à César et de leurs illustrations3, du texte 1. Ce sont deux titres modernes, le premier attribué à l’œuvre par P. Meyer dès son étude pionnière de 1885 (« Les premières compilations françaises d’histoire ancienne », Romania, 14 (1885), p. 1-81, p. 59-62 sur la question du titre), le second par M. de Visser van Terwisga (dans son édition des sections « Assyrie, Thèbes, le Minotaure, les Amazones, Hercule », Histoire ancienne jusqu’à César (Estoires Rogier), Orléans, 1999, t. 2, p. 225-226). La première rubrique du manuscrit BnF fr. 20125 est en effet : « Ci commence li prologues ou livre de estories Rogier et la porsivance. » D’où, pour le titre de l’œuvre, le choix de M. de Visser van Terwisga de Estoires Rogier, que nous avons traduit Histoires pour Roger. 2. Le plus récent recueil d’études qui lui ait été consacré est édité sous la direction de S. Douchet, L’Écriture polygraphique au début du xiiie siècle : le cas de Wauchier de Denain, à paraître en 2013 aux Presses de l’Université d’Aix-Marseille. 3. Voir plus loin la note 78.

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lui-même n’est publié à ce jour que son début, soit les sections « Genèse », « Assyrie, Thèbes, Le Minotaure, les Amazones, Hercule » et « Troie4 ». Nous proposons ici la première édition de son récit sur Alexandre et la Macédoine, en espérant mieux faire connaître son œuvre d’historiographe, ses choix et ses innovations dans son interprétation de la destinée d’Alexandre, en espérant aussi faciliter les études de l’influence que ce récit a pu exercer sur des histoires universelles et des compilations historiques de la fin du Moyen Âge, dont beaucoup restent encore inédites : nous pensons notamment, pour la littérature française, à la Chronique dite de Baudouin d’Avesnes ou à la Fleur des histoires de Jean Mansel, aux compilations des Neuf Preux et parmi elles le Traité des Neuf Preux et des Neuf Preuses de Sébastien Mamerot. Cette édition critique a été réalisée à partir du manuscrit de Paris, BnF fr. 20125, qui, daté de la fin du xiiie siècle, est depuis longtemps reconnu par tous les savants comme le meilleur représentant de l’état ancien du texte et, en conséquence, déjà choisi par M. Coker Joslin, M.-R. Jung et M. de Visser van Terwisga dans leurs éditions des sections « Genèse », « Assyrie, Thèbes, Le Minotaure, les Amazones, Hercule » et « Troie ». Le texte du manuscrit BnF fr. 20125 a été contrôlé à partir de quatre manuscrits qui forment avec lui un ensemble très homogène, comme la critique l’a aussi établi : ce sont, nous y reviendrons, les trois manuscrits réalisés à Saint-Jean-d’Acre dans la seconde moitié du xiiie siècle (Bruxelles, Bibliothèque royale 10175  ; Dijon, Bibliothèque municipale 562 ; Londres, British Library, Ms. Add. 15268) et une copie de l’un d’entre eux, le manuscrit de Paris, BnF fr. 9682. Nous avons accompagné l’édition de la section «  la Macédoine et Alexandre » de Wauchier de Denain de celle de son remaniement francoitalien que conserve le codex 2576 de Vienne (Österreichische Nationalbibliothek, ÖNB) et qui est l’œuvre d’un rédacteur / de copistes italiens du xive siècle. Ce remaniement est en effet le témoin d’une réception singulière de l’Histoire ancienne jusqu’à César en Italie et offre d’assez nombreuses et intéressantes innovations dans son évocation de la vie d’Alexandre. 4. La section « Genèse », éd. M. Coker Joslin, The Heard Word : a Moralized History (the Genesis Section of the Histoire ancienne in a Text from Saint-Jean-d’Acre), University of Mississippi, 1986 ; les sections « Assyrie, Thèbes, Le Minotaure, les Amazones, Hercule », éd. M. de Visser van Terwisga, L’Histoire ancienne jusqu’à César (Estoires Rogier), Orléans, 1999, 2 t. ; la section « Troie », éd. M.-R. Jung, La Légende de Troie en France au Moyen Âge, Bâle et Tübingen, 1996, p. 334-430. Est à paraître chez Classiques Garnier l’édition de Prose 5, le Roman de Troie de la seconde rédaction de l’Histoire ancienne jusqu’ à César, par A. Rochebouet.

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Enfin, au cours de ce travail, nous avons découvert le premier imprimé d’Antoine Vérard en 1491, publié sous le titre Le Volume d’Orose, et nous avons finalement décidé de transcrire son récit sur Alexandre. En effet, alors qu’au xive siècle la seconde rédaction de l’Histoire ancienne jusqu’à César a supprimé la longue section sur les Macédoniens et Alexandre5, l’imprimé de 1491 réécrit librement le récit sur le conquérant macédonien de Wauchier de Denain, qui était d’ailleurs toujours copié, à l’intérieur de la première « rédaction », dans de nombreux manuscrits au xve siècle. Cet imprimé lui assure alors une nouvelle vie, puisque, au-delà de la modernisation de la langue qui conduit à une réécriture complète, son auteur amplifie la narration et ajoute de longs développements qui modifient sensiblement la signification. Les plus nombreux proviennent, non pas des Histoires d’Orose comme le titre le laisserait attendre, mais d’une œuvre française à succès du xve siècle, d’origine orientale, les Dits moraux des philosophes de Guillaume de Tignonville.

Wauchier de Denain, la cour de Flandre et le châtelain de Lille Roger IV Depuis Philippe d’Alsace, comte de Flandre de 1168 à 11916, la cour de Flandre s’est affirmée comme un centre littéraire de premier plan, qui réunit des trouvères, des romanciers qui s’inspirent de la matière de Bretagne et des auteurs de textes religieux ou didactiques. Au xiiie siècle, elle donne une impulsion décisive à la naissance de l’historiographie en langue vernaculaire, sans doute en relation avec l’affirmation politique de l’aristocratie du nord de la France et aussi avec l’histoire des croisades, auxquelles cette dernière a 5. Un manuscrit fait exception, le manuscrit de Chantilly, musée Condé, 727. 6. R. R. Bezzola, Les Origines et la formation de la littérature courtoise en Occident (5001200), t. 2, Les cours de France, d’Outre-Mer et de Sicile au xiie siècle, Paris, 1963, p. 406 et suivantes ; R. L. Wolff, « Baldwin of Flandres and Hainaut, First Latin Emperor of Constantinople : His Life, Death, and Resurrection, 1172-1225 », Speculum, 27 (1952), p. 281-322 ; M. D. Stanger, « Literary Patronage at the Medieval Court of Flanders », French Studies, 11 (1957), p. 214-229 ; O. Collet, « Littérature, histoire, pouvoir et mécénat : la cour de Flandre au xiiie siècle », Médiévales, 38 (2000), p. 87-110 ; F. van Oostrom, dans Histoire de la littérature néerlandaise : Pays-Bas et Flandre, dir. H. Stouten, J. Goedegebuure et F. van Oostrom, Paris, 1999, p. 40-44 sur Jacob van Maerlant ; J. van der Meulen, « La cultura fiammingha », dans Lo spazio letterario del medioevo 2 : Il medioevo volgare, vol. I, La produzione del testo, t. 2, éd. P. Boitano, M. Mancini et A. Vàrvaro, Rome, 2001, p. 545-572 (« Fiandre, Olanda e Brabante », p. 550-553, « Inaffidabili poeti francesi », p. 556-560, « Jacob von Maerlant », p. 560-562).

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participé activement. Dans le contexte des conflits avec Philippe Auguste, le mécénat littéraire et l’exploitation de récits historiques en français semblent manifester la volonté qu’ont ces nobles d’imposer leur pouvoir, alors même que la royauté française reste très attachée à l’historiographie en latin et, avant les Grandes Chroniques de France, n’encourage que très rarement le choix du français7. Les comtes de Flandre et les seigneurs qui les entourent ont en effet favorisé l’usage du français à la fois comme langue du pouvoir politique et de la justice et comme langue de la culture savante, ainsi qu’une écriture nouvelle en prose, qui nourrit parfois une polémique contre les textes en vers8. Non seulement les plus anciennes chartes et le plus ancien recueil officiel de lois en langue française viennent du nord de la France, mais aussi les plus anciennes proses historiographiques et hagiographiques9. Wauchier de Denain a alors joué un rôle pionnier majeur, puisque, d’après les textes conservés, nous lui devons les premières vies de saint en prose française et aussi la première histoire universelle en prose française, qui comporte le long récit de la vie d’Alexandre que nous éditons. Dès la fin du xiie siècle et dans les vers bien connus du prologue du Conte du Graal, Chrétien de Troyes dédie son roman à Philippe d’Alsace et le flatte en le comparant à Alexandre le Grand, qu’il dépasserait par une libéralité ordonnée autour de la vertu chrétienne de charité (v. 11-57). Le recueil de sentences Li Proverbe au Vilain, qui bénéficie très vite d’une large diffusion et que cite Wauchier de Denain dans son récit de la vie d’Alexandre, est aussi composé, entre 1174 et 1191, à la cour de Flandre, autour de laquelle gravitent également des trouvères, parmi lesquels sans doute Huon d’Oisy et Conon de Béthune, tous deux apparentés à la maison de Flandre. Philippe d’Alsace meurt à Acre en 1191. Auparavant, nous savons qu’il a été le tuteur de Philippe Auguste, à qui il a marié sa nièce Isabelle, fille de sa sœur Marguerite et de Baudouin V de Hainaut, en lui donnant comme dot l’Artois. N’ayant pas d’enfant, il désigne comme son successeur son beau-frère Baudouin, avant qu’il n’entre en conflit avec le roi de France et ne se brouille avec Baudouin, 7. G. Spiegel, Romancing the Past, the Rise of Vernacular Prose Historiography in ThirteenthCentury France, Berkeley, Los Angeles et Londres, 1993 ; S. Lusignan, La Langue des rois au Moyen Âge. Le français en France et en Angleterre, Paris, 2004 ; pour un point de vue contraire, O. Collet, art. cit. 8. B. Woledge et H. P. Clive, Répertoire des plus anciens textes en prose française, Genève, 1964, p. 9-44. 9. Voir pour la liste des grands seigneurs mécènes, B. Woledge et H. P. Clive, op. cit., p. 24-27 ; G. Spiegel, op. cit., p. 11-14, 53-54 ; et pour l’écriture des chartes, S. Lusignan, op. cit. ; l’écriture du plus ancien recueil officiel de lois est commandée par le comte Baudouin IX.

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puis qu’il n’épouse en secondes noces Mathilde de Portugal, à laquelle il offre un douaire important. En 1191, Baudouin V de Hainaut succède donc à Philippe d’Alsace, sous le nom de Baudouin VIII de Flandre (1191-1194) et s’emploie à reprendre le contrôle sur un comté affaibli. Dans la continuité d’une tradition de la maison de Flandre, depuis longtemps soucieuse de l’écriture latine de sa généalogie10, il semble s’être intéressé à l’historiographie et, par rejet des mensonges des chansons de geste en vers, aurait envoyé l’un de ses clercs chercher une copie de la chronique latine du Pseudo-Turpin, copie qu’à sa mort sa sœur Yolande, comtesse de Saint-Pol, et son époux Hughes de Saint-Pol font traduire en français11. À la promotion de l’historiographie latine succède alors l’écriture d’un des premiers textes en prose française et le prologue de cette traduction de la chronique du Pseudo-Turpin contient l’une des plus anciennes, et souvent citée, condamnations des vers au profit de la prose : Maintez genz en ont oï conter et chanter, mes n’est si mensongie non ço qu’il en dient et chantent cil jogleor ne cil conteor. Nus contes rimés n’est verais. Tot est menssongie ço qu’il en dient, quar il non seivent rien fors par oïr dire12.

Selon Jacques de Guise, Baudouin VIII aurait aussi fait rédiger une compilation en langue vernaculaire de l’histoire de sa famille13. Enfin, Gautier d’Arras termine à la cour de Hainaut son Roman d’Éracle, commencé pour Thibaut de Blois puis Marie de Champagne. L’œuvre se clôt par le récit de ce qui est interprété comme une préfiguration de la croisade, la reconquête de la Sainte-Croix par Éracle sur le Perse Chosroès, puis par un éloge de Baudouin V de Hainaut (v. 6529-656814). À la mort de Marguerite d’Alsace en 1194, alors que Baudouin VIII de Flandre et V de Hainaut est encore en vie, le comté de Flandre revient à leur fils Baudouin, qui devient Baudouin IX de Flandre (ou VIII car le mari de Marguerite n’a pas toujours été compté dans la liste des comtes de Flandre), puis en 1195 Baudouin VI de Hainaut. Ses premières années sont occupées à la défense du comté contre le roi de France et à son alliance avec Richard Cœur 10. R. R. Bezzola, op. cit., p. 408-411. 11. B. Woledge et H. P. Clive, op. cit., p. 27. Voir aussi G. Spiegel, op. cit., p. 70-71. 12. B. Woledge et H. P. Clive, op. cit., p. 27. 13. Mais il n’est pas certain que ce texte ait existé, il s’agit peut-être d’une confusion avec la Chronique dite de Baudouin d’Avesnes, voir R. L. Wolff, art. cit., p. 283. 14. C. Pierreville, Gautier d’Arras, l’autre chrétien, Paris, 2001 ; C. Gaullier-Bougassas, La Tentation de l’Orient dans le roman médiéval. Sur l’imaginaire médiéval de l’Autre, Paris, 2003, p. 213-218.

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de Lion. L’affrontement aboutit à sa victoire sur Philippe Auguste et au traité de Péronne en 1199 : le roi français est contraint de redonner au comté de Flandre une partie de l’Artois. Baudouin se marie avec une fille du comte Henri de Champagne, Marie, de laquelle il a deux filles, Jeanne et Marguerite. Avant son départ à la croisade, Jean Renart lui dédie l’Escoufle (v. 9062-9071), dont le début célèbre une expédition de croisade, sans doute pour flatter le comte de Flandre dans ses rêves orientaux15. En 1202, Baudouin IX s’engage en effet dans la quatrième Croisade et est élu empereur de Constantinople, avant d’être capturé en 1204 par les Bulgares et de mourir en 1206 pendant son emprisonnement. Dans l’Histoire ancienne jusqu’à César et la moralisation en vers qui suit le récit de la mort d’Alexandre (§ 93), Wauchier de Denain mentionne Baudouin IX, empereur de Constantinople, et sa mère Marguerite de Flandre et il regrette que leur souvenir ait été si vite oublié, comme celui d’un roi français qui honora l’Église et dont il ne révèle pas le nom. Au-delà de l’interprétation délicate de ces vers au regard du contexte historique, sur laquelle nous reviendrons, cette intervention de l’auteur suggère une mise en perspective implicite, par le titre commun d’empereur et la conquête d’un empire oriental, de Baudouin de Constantinople et d’Alexandre le Grand. Pendant le séjour de Baudouin IX en Orient et jusqu’en 1212, lorsque sa fille aînée, Jeanne, mariée à Ferrand de Portugal, devient comtesse de Flandre, la régence est assurée par son frère Philippe, comte de Namur. Or nous savons que Wauchier de Denain a commencé à travailler à la cour de Flandre pour Philippe de Namur, durant sa régence. Ses mises en prose des Vies des Pères sont entreprises pour le comte avant 1212, date de sa mort16. Dans le prologue de la Vie de saint Paul, qui selon P. Meyer serait néanmoins postérieur à 121217, il évoque ainsi la commande de « Philippes, marchis de Namur, qui fu fil 15. C. Gaullier-Bougassas, ibidem, p. 218-220, et sur le roman qui sera écrit au xve siècle sur Baudouin, empereur de Constantinople, « Temps romanesque et temps historique dans le Livre de Baudouin de Flandre et Saladin », dans Dire et penser le temps au Moyen Âge. Frontières de l’histoire et du roman, éd. E. Baumgartner et L. Harf, Paris, 2005, p. 165-199. Voir l’édition récente de ce roman par E. Pinto-Mathieu, Baudouin de Flandre, Paris, 2011. 16. P. Meyer, « Versions en vers et en prose des Vies des Pères », Histoire littéraire de la France, 33 (1906), p. 254-292. « Sous le titre de Vitae patrum […], on désignait au Moyen Âge les histoires de plusieurs saints personnages ayant mené dans la Thébaïde la vie ascétique, celles de saint Paul l’ermite, de saint Hilarion, du moine Malchus, par saint Jérôme, de saint Antoine, par saint Athanase, évêque d’Alexandrie. En un sens plus large, on donnait le même nom à des compilations où à la suite de ces légendes prenaient place celles de femmes qui, dans la même contrée, s’étaient soumises à une dure pénitence […] et d’autres récits édifiants relatifs aux anachorètes du désert, tels que l’Historia monachorum de Rufin d’Aquilée, les Verba seniorum attribués également à Rufin […] (ibidem, p. 254). » 17. Ibid., p. 191.

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Baudoïn, le bon conte de Flandre et de Haino, et la bonne contesse Margarite18 ». Il adapte aussi en prose des livres du Dialogue de Grégoire et dans l’un d’entre eux, inscrit son propre nom, Wauchier de Denain, qu’on retrouve sous la forme « Gauchiers » dans sa translation des Dialogues sur saint Martin, avec une nouvelle référence au comte de Namur19. C’est le manuscrit de la Bibliothèque de Carpentras (ms. 473) qui rassemble la plupart de ses écrits religieux : La Vie de saint Paul l’ermite, La Vie de saint Antoine, La Vie de saint Hilarion, La Vie de saint Malchus, La Vie de Paul le Simple, les livres I et III du Dialogue de saint Grégoire, l’Historia monachorum de Rufin d’Aquilée, les Verba seniorum de Rufin d’Aquilée20. P. Meyer lui attribue aussi « la traduction des vies de saint Jérôme, de saint Benoît (livre II du Dialogue de Grégoire le Grand), de saint Martin, de saint Brice et enfin celle des Dialogues de Sulpice Sévère sur saint Martin21. » Quant à la Vie de sainte Marthe, selon les termes du prologue, elle lui a été commandée par sa « dame », qu’il dit être la fille du comte de Flandre et empereur de Constantinople22. Comme Baudouin IX de Flandre a eu deux filles, Jeanne et Marguerite, successivement comtesses de Flandre de 1212 à 1244 et de 1244 à 1280, tout laisse supposer que Wauchier de Denain a été au service de Jeanne de Flandre (après 1212). Or, selon toute vraisemblance, la comtesse s’intéressait également au Conte du Graal, et, dans le souvenir probable de Philippe d’Alsace, aurait commandé la troisième continuation du Conte du Graal, la continuation de Manessier, comme ce dernier l’affirme23. C’est l’une des raisons pour lesquelles on a supposé que Jeanne de Flandre aurait aussi inspiré l’écriture de la seconde continuation du Conte du Graal, en faisant appel à Wauchier de Denain. Aux vers 31421-423, l’auteur de cette continuation se nomme en outre Gauchier de Dondain et un manuscrit offre le nom Gaucier de Donaing24. 18. Cité par P. Meyer, ibid., p. 261. 19. P. Meyer, ibid., p. 271, 286. 20. Ibid., p. 259 ; voir l’édition de L’Histoire des moines d’Égypte et de La Vie de saint Paul le Simple, par M. Szkilnik, Genève, 1993. 21. Ibidem, p. 278. 22. P. Meyer, ibid., p. 289 ; et aussi P. Meyer, « Vie de sainte Marthe, ms. bibl. nat. fr. 6447 », Notices et extraits des manuscrits de la Bibliothèque nationale et autres bibliothèques, 35 (1896), p. 500-505. 23. The Continuation of the Old French Perceval of Chrétien de Troyes, éd. W. Roach, Philadelphie, 1983, t. 5, v. 42641-656. 24. P. Meyer, « Versions en vers et en prose des Vies des Pères », art. cit., p. 290 et C. Corley, « Wauchier de Denain et la deuxième continuation de Perceval », Romania, 105 (1984), p. 351-359, p. 355. La continuation de Wauchier de Denain, inachevée, est à son tour conti-

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En revanche, le nom de Wauchier de Denain n’apparaît pas dans l’Histoire ancienne jusqu’à César. Cette dernière lui a été attribuée depuis les études de P. Meyer25, essentiellement en raison des ressemblances qui existent entre ses moralisations en vers et celles que nous lisons dans ses textes pieux en prose, et aussi de l’importance accordée à la Flandre dans son prologue et la moralisation en vers qui suit le récit de la mort d’Alexandre le Grand (§ 93). Les derniers chapitres de l’Histoire ancienne jusqu’à César célèbrent en outre la résistance contre César des villes du nord de la Gaule. Dans l’un des exemples homilétiques qu’il développe sur Alexandre le Grand, Wauchier de Denain trace enfin un parallèle avec les vies de saint où son lectorat trouve des modèles à suivre. Nous pouvons y lire un rapprochement implicite de son travail d’historien et de son travail d’hagiographe : Certes, sachés de fi et de verité que encor feroit il plus grans miracles por nos si nos si prodome et si loial estions com nos devrions estre, si com vos porriés entendre et oïr es vies des sains qui sa loi veraiement tindrent et a sa volonté faire adés de toz lor pooirs obeïrent. (§ 59)

Celui qui selon P. Meyer serait « un clerc séculier ou un de ces chapelains vivant dans ce monde, que les seigneurs avaient habituellement dans leur mesnie26 », écrit cette histoire universelle en langue française pour le châtelain de Lille Roger IV, qu’il nomme dans un prologue en vers que conservent seulement deux manuscrits, le manuscrit BnF fr. 20125 et le manuscrit de Vienne 2576 : Longue en iert assés la matire Qu’en pensee ai contier a plain Por qu’il plaise le chastelain De Lisle, Rogier, mon segnor Cui Deus doint santé et honor, Joie, Paradis en la fin. (v. 260-265) nuée par Manessier. Sur le mécénat de Jeanne de Flandre, voir Jeanne de Constantinople, comtesse de Flandre et de Hainaut, dir. N. Dessaux, Paris et Lille, 2009, et notamment O. Collet, « La littérature en Flandre et en Hainaut au xiiie siècle », p. 125-133, S. Douchet, « Sainte Marthe et Perceval : deux figures entre exemple et divertissement, ou les œuvres littéraires écrites pour Jeanne de Flandre », p. 135-143, A. Stones « L’enluminure au temps de Jeanne de Constantinople et de Marguerite de Flandre », p. 177-189. 25. P. Meyer, « Versions en vers et en prose des Vies des Pères », art. cit., 1906, p. 289-290 (« Assurément il n’appartenait pas à un ordre religieux : l’opinion défavorable qu’il exprime au sujet des moines ne laisse guère de doute sur ce point », p. 290) ; F. Lot, « Compte rendu de Jean Frappier, Étude sur la Mort le roi Artu », Romania, 64 (1938), p. 119-122. 26. P. Meyer, ibidem, p. 291.

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Or, Roger IV exerce la charge de châtelain de Lille de 1208 ou 2011 (deux dates possibles pour sa majorité) jusqu’en 1229-1230 (sa mort). Nous savons peu de choses sur sa personne et sa carrière. C’est un membre de l’aristocratie qui aurait été proche à la fois des comtes de Flandre et du roi de France, dans un contexte politique très troublé27. Rappelons-en les grandes lignes, car il a sans nul doute influencé l’écriture de Wauchier de Denain au cours de son Histoire ancienne jusqu’à César. Alors que Philippe de Namur assure la régence, Philippe Auguste lui impose de disposer de la tutelle, du droit de garde et de mariage sur les deux sœurs, Jeanne et Marguerite, ce que Philippe de Namur accepte, semble-t-il avant tout pour servir ses intérêts personnels. Après leur mariage à Paris en 1212, Jeanne de Flandre et le neveu de Mathilde du Portugal, Ferrand du Portugal, sur leur trajet de retour en Flandre, sont emprisonnés à Péronne par Louis, fils de Philippe Auguste, qui s’empare des villes d’Aire et de Saint-Omer. Louis les contraint à prêter hommage au roi de France et à lui rendre tout ce que Baudouin IX avait gagné en 1199. Ferrand affronte alors aussi l’hostilité de certains de ses vassaux, puis forme une alliance contre la France avec Jean sans Terre et Otton IV. La suite est bien connue : ce sont la victoire française de Bouvines en 1214 et l’emprisonnement de Ferrand en France jusqu’en 1227, Jeanne gouvernant alors la Flandre. 1212-1214 sont donc des années de guerre dans le comté de Flandre, avec une succession de pillages, de dévastations et d’incendies commis des deux côtés28. En 1213, le roi de France se rend maître de Bruges et de Gand, dévaste Lille, comme le chante Guillaume le Breton dans la Philippide : Les fureurs de Vulcain, excitées par le souffle d’Éole, suffisent pour punir les rebelles ; la flamme les poursuit plus cruellement que le fer des guerriers… La ville de Lille tout entière fut détruite, et l’on vit périr sous les débris de leurs foyers ceux dont la faiblesse ou les infirmités de l’âge ralentissaient les pas. On ne peut compter ceux qui furent mis à mort. Tous les prisonniers furent vendus comme serfs par l’ordre du roi, afin qu’ils s’inclinassent à jamais sous le joug. Il ne resta point une seule pierre qui pût servir d’abri29. 27. Voir E. Warlop, The Flemish Nobility before 1300, Courtrai, 1974-1976, 4 t., sur les châtelains de Lille, t. 1, p. 134-135, t. 2, p. 407 et t. 3, p. 934-957 pour des tableaux généalogiques qui montrent les liens de Roger iv avec de nombreuses familles du nord de la France. L’un de ses frères était templier, c’est, selon M.-R. Jung, l’une des explications possibles de la diff usion de l’Histoire ancienne jusqu’à César en Palestine (op. cit., p. 354). 28. L. A. Warnkoenig, Histoire de la Flandre et de ses institutions civiles et politiques jusqu’à l’année 1305, Bruxelles, 1835, t. 1, p. 219-234 ; voir aussi les synthèses de J. Baldwin, Philippe Auguste, Paris, 1991, p. 269-284 et G. Spiegel, op. cit., p. 23-54. 29. Cité et traduit par J. M. B. C. Kervyn de Lettenhove, Histoire de la Flandre, Bruxelles, 1847, t. 2, p. 184, et plus généralement voir p. 1-247. Pour l’ensemble du passage de la Philip-

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Quel rôle a joué Roger IV de Lille ? Nous savons qu’au moment du mariage de Jeanne avec Ferrand du Portugal et de son retour en Flandre, c’est aux côtés du parti français qu’il a apporté son appui à Ferrand pour qu’il devienne comte de Flandre30. En lui servant de caution lors de son hommage à Philippe Auguste, il s’est engagé à se séparer de lui si Ferrand violait les termes du traité et menait la guerre contre son suzerain, le roi français. Ainsi lui est-il juridiquement impossible, en 1213 et 1214, de combattre aux côtés des Flamands et il doit se contenter d’assister impuissant au sac de Lille31. On peut supposer que, châtelain de Lille, il a partagé l’effroi des Lillois face à ces destructions et à toutes les autres qui avaient précédé la victoire de Bouvines. Son attachement à la Flandre trouve sans doute un écho dans le prologue de l’Histoire ancienne jusqu’à César, lorsque Wauchier de Denain formule le projet de célébrer l’histoire de la Flandre : « Des quels gens Flandres fu puplee / Vos iert l’estoire bien contee, / Com se proverent, quel il furent, / Com il firent que fere durent (v. 243-246). » Ce serait même l’aboutissement de l’histoire universelle, au cours de laquelle le prosateur affirme plusieurs fois suivre les directives de son mécène. L’influence probable de ce contexte politique sur la commande du châtelain de Lille et l’écriture de Wauchier de Denain a ainsi été exploitée pour la datation de l’Histoire ancienne jusqu’à César. Si P. Meyer proposait les années 1223-1230, la critique estime maintenant qu’elle aurait été écrite entre 1208 ou 1211 (deux dates possibles pour la majorité du mécène, Roger IV) et 1213 (sac de la ville de Lille par Philippe Auguste32) ou 1214 (bataille de Bouvines33). pide, voir Guillaume le Breton, La Philippide, trad. F. Guizot, Clermont Ferrand, 2004, p. 236-238. 30. D’après les documents d’archives, il a aussi été, aux côtés du parti français, témoin des actes relatifs aux villes d’Aire et de Saint-Omer (M. de Visser van Terwisga, éd. cit., t. 2, p. 221-226, 241-244, et notamment p. 225 ; voir aussi G. G. Dept, Les Influences anglaise et française dans le comté de Flandre au début du xiiie siècle, Gand et Paris, 1928, p. 87-94 « Le mariage de Jeanne de Flandre et le rôle des partis »). 31. « Having bound himself as a pledge for the count of Flanders, he was barred from joining his Flemish compatriots in the fight against the invading French army. He was, in fact, forced to stand by and watch helplessly as Philip Augustus put the torch to Lille before his eyes » (G. Spiegel, Romancing the Past, op. cit., p. 44 ; « Roger IV de Lille was legally prohibited from participating in the struggle against the French, though, as mentioned above, he was forced to witness the burning of Lille », ibidem, p. 48). 32. C’est la date qu’a établie Guy Raynaud de Lage dans « L’Histoire ancienne jusqu’à César et les Faits des Romains », Le Moyen Âge, 55 (1949), p. 5-16. Datation reprise par M.-R. Jung, La Légende de Troie en France au Moyen Âge, Tübingen, 1996, p. 335. 33. Datation de M. de Visser van Terwisga, éd. cit., t. 2, p. 224, et pour la discussion générale p. 217-224.

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Comment expliquer l’arrêt en 1213 ou 1214 de la composition de cette chronique, qui reste inachevée en plein récit de la carrière de César, lorsque ce dernier conquiert la Gaule Belgique en 57 avant Jésus-Christ ? G. Raynaud de Lage a invoqué, dès 1949, le sac de Lille en 1213 et l’invraisemblance de l’écriture, après ces exactions, des éloges de la paix que nous lisons à la fin de l’Histoire ancienne jusqu’à César. Il a aussi estimé que Wauchier aurait été victime de la concurrence d’une nouvelle œuvre, écrite dans les années 12131214, les Faits des Romains, qui auraient compromis la poursuite de sa section romaine34. Néanmoins, il a été montré depuis que les Faits des Romains ne jouissent vraiment d’un grand succès qu’à partir de la fin du xiiie siècle35 : c’est alors seulement qu’ils commencent à être copiés dans de nombreux manuscrits à la suite de l’Histoire ancienne jusqu’à César. Bien que les Faits des Romains soient anonymes, rien n’indique non plus qu’ils aient été composés dans le nord de la France, ils semblent plutôt émaner d’Ile de France. Il est donc peu vraisemblable qu’ils aient pu, dès leur écriture, arrêter le projet de Wauchier. L’explication la plus convaincante de cet inachèvement, déjà invoquée sous des formes différentes par G. Raynaud de Lage et M. de Visser van Terwisga, est d’ordre politique, bien que les lacunes de nos connaissances historiques sur Roger IV et Wauchier de Denain empêchent d’apporter des preuves certaines. Elle est à relier aux conflits entre le roi de France et les comtes de Flandre, qui deviennent d’une violence extrême durant les années 1212-1214 jusqu’au sac de Lille en 1213 et la victoire de Bouvines en 1214. Dans les derniers folios de l’Histoire ancienne jusqu’à César, du moins dans le manuscrit de Paris, BnF fr. 20125, la célébration du courage des Soissonnais et la référence à sa persistance au temps présent (fol. 373 r), déjà relevées par G. Raynaud de Lage36, pourraient être une allusion à leur héroïsme lors de la bataille de Bouvines : c’est pour cette raison que M. de Visser van Terwisga date l’arrêt de l’écriture de 1214, juste après la bataille de Bouvines, mais sans qu’elle développe alors l’argumentation sur cette interruption « de l’ouvrage qui devait chanter la gloire de la Flandre37 ». Il est en effet très frappant de constater que Wauchier de Denain s’interrompt au cœur de la conquête de la Gaule Belgique par César, avec l’évocation 34. Voir aussi F. Lot, art. cit., p. 121. 35. B. Guenée, « La culture historique des nobles : le succès des Faits des Romains (xiiiexve siècle) », dans La Noblesse au Moyen Âge, xie -xve siècle, dir. P. Contamine, Paris, 1976, p. 261-288. 36. « L’Histoire ancienne jusqu’à César et les Faits des Romains », art. cit., p. 10. 37. Ibidem, p. 224.

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de la reddition de plusieurs villes du Nord et un portrait peu flatté de César, derrière lequel se cache peut-être une critique de Philippe Auguste. L’Histoire ancienne jusqu’à César montrerait alors comment cette nouvelle historiographie en prose française, commandée par un seigneur du nord de la France, prend origine dans son ambition probable de s’imposer en impulsant l’écriture d’une œuvre novatrice, la première histoire universelle en langue française, et en l’orientant vers un éloge de la Flandre. Mais elle révèle aussi que ce désir vient se heurter à l’actualité, aux défaites infligées au comte de Flandre et aux malheurs des habitants des villes du Nord et notamment de Lille. Si l’éloge des régions du Nord et de leur résistance à un souverain envahisseur – César – évoquait la mainmise de Philippe Auguste sur la Flandre, Wauchier de Denain pouvait sans doute difficilement continuer son récit en prenant le parti des Belges contre César, surtout si son mécène était encore, peut-être malgré lui, lié au parti français. Lorsque d’après les derniers folios du ms. BnF fr. 20125, il s’affranchit de ses deux autorités principales, Orose et Eutrope, les commentaires géographiques et toponymiques sur la Gaule Belgique qu’il introduit (fol. 373 r-375 v), l’insistance sur la valeur guerrière et le goût pour la liberté des Gaulois, les marques d’une volonté de minimiser les victoires de César38 semblent bien trahir une résistance à l’avancée de la royauté française, mais dans le contexte troublé il eût été néanmoins périlleux de l’exprimer plus ouvertement. La continuation de l’entreprise historiographique aurait par ailleurs imposé de terminer le récit de la conquête des Gaules et de l’irrésistible montée au pouvoir de César, ce qui pouvait susciter les réticences de Wauchier ou de son mécène. Malgré la distance prise à l’encontre de César, l’œuvre ne se nourrit néanmoins pas d’un a priori anti-monarchique, puisque l’auteur, dans la section sur la Macédoine qui nous concerne, dresse un portrait dans l’ensemble positif d’Alexandre le Grand.

Le passé d’Alexandre et le présent de l’écriture : La mort du conquérant macédonien et le devenir de la Flandre Le récit sur Alexandre contient en outre quelques données intéressantes, bien qu’imprécises, pour replacer dans son contexte le travail d’écriture de 38. Voir notre article, « Trois variations sur deux figures du pouvoir, Alexandre et César : histoires savante, morale ou « renardienne » au Moyen Âge (L’Histoire ancienne jusqu’à César et les Faits des Romains, Le Livre de la Mutacion de Fortune de Christine de Pizan, Renart le Contrefait) », La Figure de Jules César au Moyen Âge et à la Renaissance (II), dir. B. Méniel et B. Ribémont, Cahiers de Recherches médiévales, 14 spécial (2007), p. 7-28.

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Wauchier de Denain : l’allusion aux vies de saint, c’est-à-dire peut-être à ses propres œuvres hagiographiques (§ 59), ses moralisations en prose et son exploitation du passé païen pour élaborer des exemples homilétiques (§ 34-38, 57-59) – nous y reviendrons – et aussi une intervention en vers, après le récit de la mort d’Alexandre (§ 93). L’inquiétude devant le devenir très incertain et douloureux de la Flandre à son époque se lit en effet dans cet étrange commentaire versifié, que nous préférons évoquer ici, avant d’introduire la section sur Alexandre. Wauchier de Denain rappelle les morts du comte de Flandre Baudouin IX, empereur de Constantinople, et de sa mère Marguerite de Flandre, ainsi que celle d’un roi de France qu’il ne nomme pas et dont il précise seulement l’attachement à l’Église. La critique a tenté, sans grand succès, d’exploiter ces vers pour dater l’œuvre. C’est en pensant que ce roi de France représentait Philippe Auguste ou Louis VIII que P. Meyer avait proposé une datation des années 1223-1230, mais F. Lot a fait remarquer que l’éloge de ces deux souverains comme serviteurs de l’Église serait plutôt surprenant et qu’en outre l’ordre chronologique de présentation était ascendant : ce roi de France pourrait donc être plutôt Louis VII39 et Wauchier de Denain ferait peut-être allusion à sa croisade. Cette question de la croisade nous semble déterminante au vu de l’engagement de l’aristocratie du nord de la France en Orient, à commencer par la famille de Bouillon depuis la première Croisade. D’autant bien sûr que le commentaire en vers évoque l’accès d’un comte de Flandre au titre prestigieux d’empereur de Constantinople, malgré les circonstances de la quatrième Croisade et les suites tragiques pour Baudouin IX. Si Wauchier de Denain fait allusion à Louis VII, connu effectivement pour sa piété, il pense ici la deuxième Croisade, durant laquelle le roi a séjourné à Constantinople. Nous pourrions alors formuler l’hypothèse que la moralisation retrace implicitement le passage de la mission de croisade du roi de France au comte de Flandre, avec le transfert de pouvoir et de prestige qu’il implique, surtout qu’à l’échec de Louis VII succède l’accès au titre d’empereur de Constantinople de Baudouin IX. Les comtes de Flandre auraient ainsi finalement atteint leur plus grande gloire avec Baudouin IX, comme les Macédoniens avec Alexandre, ce qui expliquerait leur rapprochement par Wauchier de Denain. Les conquêtes d’Alexandre, qu’il a longuement relatées, devaient en effet évoquer les croisades et flatter les ambitions des comtes de Flandre. Au xiie siècle, les récits en vers sur Alexandre, le Fuerre de Gadres d’Eustache, puis le Roman 39. Il propose alors comme date de rédaction les années 1215-1220, sans justifier ce choix (art. cit., p. 121).

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d’Alexandre d’Alexandre de Paris, ont déjà amplifié en ce sens l’évocation de ses campagnes proche-orientales40. Wauchier de Denain en avait connaissance, puisqu’il emprunte à Alexandre de Paris le saut légendaire d’Alexandre sur les murailles de Tyr (§ 2241). Mais au-delà de cette question de la croisade, le commentaire en vers justifie explicitement le rapprochement du comte de Flandre avec Alexandre par le commun oubli qui les aurait frappés après leur mort, tous deux victimes, avec Marguerite de Flandre et un roi de France, de l’ingratitude et la cupidité de leurs héritiers. C’est une moralisation inattendue, qui ne porte pas sur la destinée du conquérant, mais sur l’attitude de ses proches. À quelles interprétations le lecteur pouvait-il en effet s’attendre ? Dans la continuité du texte d’Orose et aussi de nombreuses moralisations en vers du prosateur français42, c’étaient une dénonciation de l’ambition effrénée, de l’avidité et de l’orgueil du roi, ainsi qu’une déploration de la vanité des biens et des puissances terrestres. Wauchier de Denain leur substitue la condamnation des héritiers du roi et de la convoitise qui les pousse à s’entredéchirer et à ruiner l’héritage. À travers ce discours moralisateur, Wauchier de Denain viserait-il des cibles précises ? S’il écrit entre 1209 et 1213-1214, ce n’est sans doute pas Jeanne de Flandre, trop jeune, qu’il accablerait ainsi, d’autant plus s’il est l’auteur de la Vie de sainte Marthe, écrite pour la comtesse. On penserait plus volontiers à Philippe de Namur, souvent accusé en Flandre de déloyauté et même de trahison envers ses deux nièces Jeanne et Marguerite, qu’il laisse Philippe Auguste prendre en otages. Mais le comte est, jusqu’en 1212 semble-t-il, le mécène de Wauchier de Denain. Serait-ce plutôt Philippe Auguste, qui s’acharne sur les deux jeunes héritières, pour démembrer le comté de Flandre et tenter de se l’approprier ? En effet, la moralisation évoque les héritiers au sens large. Ou bien au contraire Ferrand du Portugal, dont son mécène avait été la caution et qui s’était laissé emporter dans une violence démesurée ? Si Wauchier écrit en 1214, parmi les multiples dissensions alors existantes, on trouvait aussi le grand conflit familial qui voit le jour après le mariage de Marguerite de Flandre et de Bouchard d’Avesnes en 1213, et les premières revendications de Bouchard à une part de l’héritage de Baudouin IX43. L’insistance sur l’oubli de Baudouin semble en tout cas confirmer que la chronique était bien écrite avant l’arrivée 40. C. Gaullier-Bougassas, Les Romans d’Alexandre. Aux frontières de l’épique et du romanesque, Paris, 1998, p. 279-297. 41. Voir la note de notre édition à ce paragraphe. 42. M. de Visser van Terwisga les a réunies et éditées (éd. cit., t. 2, p. 291-308). 43. Pour une synthèse à ce sujet, voir R. L.Wolff, art. cit., p. 293-294.

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en Flandre de l’imposteur qui usurpe son identité et vient dangereusement raviver sa mémoire, puisqu’il prétend s’approprier son comté en 122544. Soulignons en outre que Wauchier de Denain est le premier auteur à relater en français le démantèlement de l’empire d’Alexandre par ses lieutenants : les continuateurs du Roman d’Alexandre d’Alexandre de Paris, qui écrivent aussi dans le nord de la France à la fin du xiie siècle, voire au début du xiiie siècle, Jean le Nevelon et Gui de Cambrai, ont préféré inventer, dans leurs Vengeance Alexandre et Vengement Alixandre, des guerres contre les deux meurtriers du roi et leur châtiment. Wauchier de Denain privilégie la question de l’éclatement de l’empire et sa moralisation en vers se justifie sans doute par la nécessité de sonner l’alerte devant la menace d’un démantèlement des possessions des comtes de Flandre. Ainsi son long récit des guerres des diadoques semble-t-il lancer un avertissement face aux conséquences politiques des campagnes militaires de Flandre et peut-être aussi de la guerre familiale, qui après les combats contre le roi de France, aboutira à la séparation du Hainaut et de la Flandre. Les mariages de Marguerite de Flandre avec Bouchard d’Avesnes et Gui de Dampierre sont en effet suivis de querelles violentes entre les Dampierre et les d’Avesnes, que tranchera Louis IX en attribuant en 1256 le Hainaut aux Avesnes et la Flandre aux Dampierre. À la fin du xiiie siècle, c’est par ailleurs l’un des deux fils de Bouchard d’Avesnes et Marguerite de Flandre, Baudouin d’Avesnes qui semble avoir commandé la deuxième histoire universelle écrite en français que nous ayons conservée, la Chronique dite de Baudouin d’Avesnes45.

La première histoire universelle en langue française : Le rôle et l’importance du regnum d’Alexandre Un engouement pour l’historiographie en langue vernaculaire s’est ainsi emparé de l’aristocratie du nord de la France au xiiie siècle. Différentes formes de l’écriture de l’histoire l’attestent, que ce soient les adaptations françaises de la chronique du Pseudo-Turpin, la chronique de la ive croisade de Robert de Clari, les deux histoires universelles que sont l’Histoire ancienne jusqu’à 44. Jeanne de Flandre, la mécène de Wauchier de Denain, sera alors accusée par les partisans de cet usurpateur d’avoir « oublié » son père et d’être coupable de parricide (G. Lecuppre, « Jeanne de Constantinople face au fantôme du père », dans Jeanne de Constantinople, comtesse de Flandre et de Hainaut, op. cit., p. 33-41). 45. Dans la seconde moitié du xiiie siècle, la cour de Gui de Dampierre devient un grand centre littéraire, auquel est notamment attaché Adenet le Roi.

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César et la Chronique dite de Baudouin d’Avesnes, ou plusieurs chroniques de la royauté anglaise ou plus souvent française qui semblent bien émaner d’auteurs du nord de la France : nous pensons ici à l’Histoire des ducs de Normandie et des rois d’Angleterre et à la Chronique des rois de France de l’anonyme de Béthune, ainsi qu’à une chronique en prose du règne de Philippe Auguste, écrite sans doute pour Gilles de Flagi, châtelain de Sens, dont nous ne conservons que le prologue en vers, comparé à celui de l’Histoire ancienne jusqu’à César par P. Meyer46, puis à la Chronique rimée de Philippe Mousket. C’est peut-être aussi la Chronique des rois de France, anonyme, des manuscrits de Chantilly et du Vatican, qui aurait été commandée par Michel de Harnes. C’est enfin, même si l’œuvre ne correspond pas à la conception moderne de l’écriture de l’histoire, le Roman de César de Jean de Thuin, qui trahit d’ailleurs l’influence du Roman d’Alexandre d’Alexandre de Paris47. Tout en assurant une large diffusion à ces œuvres grâce à l’écriture en français, les auteurs et leurs mécènes entendent sans doute montrer leur maîtrise prestigieuse du passé, un passé qui n’est plus seulement le passé de leurs généalogies familiales et de leur région, mais celui des rois de France et des grands seigneurs féodaux, celui des croisades, et bien au-delà celui de toute l’humanité depuis la Création. Ainsi comprenons-nous que, volontairement, ils ne se soient pas limités à la promotion du nord de la France48, mais aient voulu s’approprier l’histoire universelle et aussi celle de la royauté française, pour mieux servir les grandes ambitions politiques des comtes de Flandre et des seigneurs du Nord. À la fin du xiiie siècle, si la monarchie française met en chantier la composition en français des Grandes Chroniques de France, ce n’est en revanche qu’au début du xive siècle qu’elle s’intéresse, de plus loin, à l’écriture d’histoires universelles en français, avec la traduction du Speculum historiale de Vincent de Beauvais par Jean de Vignay dans son Miroir historial et le Manuel d’histoire dit de Philippe de Valois. Wauchier de Denain cherche donc à adapter pour un large public de laïcs le modèle prestigieux de l’histoire universelle latine. C’est le projet qu’explicite son prologue, dans les deux manuscrits de Vienne, ÖNB 2576, et de Paris, BnF fr. 20125, qui le conservent. Il annonce l’entrelacement de l’histoire sacrée 46. P. Meyer, « Prologue en vers d’une histoire perdue de Philippe Auguste », Romania, 7 (1877), p. 494-498. 47. Pour la liste de tous ces textes, voir G. Spiegel, Romancing the Past, op. cit. et O. Collet, « Littérature, histoire, pouvoir et mécénat : la cour de Flandre au xiiie siècle », art. cit., particulièrement p. 87-97. 48. Comme le remarque O. Collet, en y lisant néanmoins une remise en cause de la thèse de G. Spiegel.

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et de l’histoire profane, avec le déroulement de toute l’histoire de l’humanité depuis la Création. Loin des condamnations de la versification que contiennent d’autres œuvres en prose du xiiie siècle, l’Histoire ancienne jusqu’à César est ensuite jalonnée de moralisations en vers, qui permettent à l’historien de tirer la leçon chrétienne des faits relatés49. Même si le prologue n’inscrit pas le nom de l’historien latin, le premier modèle de Wauchier de Denain, ce sont les Histoires d’Orose50. K. F. Werner a écrit une synthèse très éclairante sur la conception par Orose de « l’historia comme prolongation de l’Histoire sainte  », dont nous citerons ici un extrait : Orose veut montrer, contre les païens, la véritable histoire du monde dirigée par Dieu seul, montrer comment les malheurs des hommes sont des signes divins exprimant souvent un jugement divin, l’action vindicative du Dieu de l’Ancien Testament frappant les princes, les royaumes, les provinces ou les villes ayant péché. Tout l’art est de reconnaître l’intention de Dieu dans les événements, et les maîtres de cette science sont évidemment les prophètes qui avaient déjà su interpréter la main de Dieu dans les épidémies, dans les batailles ou dans les miracles (signa !). Avec Justin, l’Ancien Testament a donc été le modèle le plus important et l’inspiration essentielle d’Orose, de telle façon que son histoire, qui se trouve au début de toute l’historiographie chrétienne, nous apparaît tout simplement comme une sorte de continuation de la Bible, mais la Bible comprise comme une histoire, la seule histoire vraie du monde qui, lui, continue évidemment à vivre sous la direction de Dieu51.

Wauchier de Denain pouvait certes connaître d’autres histoires universelles en latin, car le genre vit un grand essor, surtout à partir du xiie siècle en France52. L’empreinte de l’Historia scolastica de Pierre le Mangeur est ainsi perceptible, surtout dans la première partie de l’œuvre, et aussi, plus ponctuel49. Sur ses « moralisations en vers », voir R. Blumenfeld-Kosinski, « Moralization and History : Verse and Prose in the Histoire ancienne jusqu’à César (BnF fr. 20125) », Zeitschrift für romanische Philologie, 97 (1981), p. 41-46, M. Szkilnik « Écrire en vers, écrire en prose : le choix de Wauchier de Denain », Romania, 107 (1986), p. 208-230, M. de Visser von Terwisga, « Récits mythiques et moralisations dans l’Histoire ancienne jusqu’à César », dans Europaïschen Literaturen im Mittelalter, Mélanges Wolfang Spiewok, Greifswald, 1994, p. 143-153. 50. Orose, Histoires, éd. et trad. M.-P. Arnaud-Lindet, Paris, 3 t., Paris, 1991. 51. K. F. Werner, « Dieu, les rois et l’Histoire », dans La France de l’an Mil, dir. R. Delort, Paris, 1990, p. 264-281, et p. 268-269 pour la citation. 52. Sur l’histoire et le succès de cette forme d’écriture, voir K. H. Krüger, Die Universalchroniken, Turnhout, 1976 ; B. Guenée, Histoire et culture historique dans l’Occident médiéval, Paris, 1980.

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lement, celles des chroniques d’Eusèbe-Jérôme et de Justin, ainsi que, selon M. Coker Joslin, de Fréculphe de Lisieux dans la section « Genèse 53 ». Le modèle de l’histoire universelle latine n’est néanmoins pas le seul dont Wauchier de Denain s’inspire dans l’Histoire ancienne jusqu’à César, comme le montre la liste des sections qui la composent, identifiées et numérotées par P. Meyer, puis M.-R. Jung54 : -prologue : fol. 1 r-2 v (numéros des folios du ms. de Paris, BnF fr. 20125) -section 1 : Genèse, fol. 3 r-83 r -section 2 : l’Orient assyrien, fol. 83 r-89 r -section 3 : Thèbes, fol. 89 r-117 v -section 4 : Grecs et Amazones, fol. 117 v-123 v -section 5 : Troie, fol. 123 v-148 r -section 6 : Énée, fol. 148 r-179 r -section 7 : Rome, de la fondation de la ville jusqu’aux guerres contre les Gaulois et les Samnites, fol. 179 r-199 r -section 8 : l’Orient perse, fol. 199 r- 220 v -section 9 : la Macédoine et Alexandre le Grand, fol. 221 r- 258 v -section 10 : suite de l’histoire de Rome sous les consuls et aussi de l’histoire de l’Orient et de la Macédoine, fol. 258 v-369 v -section 11 : conquête de la Gaule par Jules César, fol. 369 v-375 v

Orose marque de son empreinte avant tout les récits sur l’Orient assyrien, Rome (sections VII et X), l’Orient perse et les Macédoniens, même si d’autres autorités y complètent souvent son témoignage, par exemple Justin ou Eutrope. Dans les sections 3, 4, 5 et 6, Wauchier de Denain s’écarte en revanche du texte d’Orose, car il puise avant tout au Roman de Thèbes français, puis aux textes latins de Darès et de Virgile, pour privilégier une histoire antique profane qui a déjà nourri les romans d’Antiquité en vers français du xiie siècle. Dans son récit de la vie d’Alexandre, il exploite autant l’Epitomé de Julius Valère et l’Epistola Alexandri ad Aristotelem que les Histoires d’Orose. Progressivement il s’éloigne ainsi d’une vision de l’historiographie qui cherche à déchiffrer la volonté et l’action de Dieu derrière tous les événements, même s’il continue à écrire quelques discours de moralisateur chrétien. Après la première section, l’histoire de la Bible et du peuple juif est en effet très peu présente, comme l’a déjà noté M.-R. Jung55 : on relève, au cœur de 53. Historiae, I, 4, 23. Ses Historiae datent du début du ixe siècle ; elles sont en outre la première histoire universelle qui évoque dans le récit sur Alexandre les mirabilia de l’Epistola Alexandri ad Aristotelem. 54. P. Meyer, « Les premières compilations françaises d’histoire ancienne », art. cit., p. 38-49 ; M.-R. Jung, La Légende de Troie en France au Moyen Âge, op. cit., p. 337-339. 55. Ibidem, p. 336-337.

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l’histoire perse, les récits sur Judith et Esther, puis dans la section Alexandre, ceux de la visite d’Alexandre à Jérusalem et de son enfermement des tribus juives maudites. Wauchier justifie parfois cette absence en s’abritant derrière la volonté de son mécène, qui préférerait l’histoire profane. M. de Visser van Terwisga et M.-R. Jung ont ainsi relevé les principales annonces de récits sur l’histoire des Hébreux qui ne seront jamais écrits56. Elles se multiplient dans la section X, sans que le clerc apparaisse mal à l’aise comme il semblait l’être dans les premières sections. Cet écart majeur avec l’histoire ecclésiastique latine ne cesse donc de se creuser, et c’est dans le récit sur Alexandre qu’apparaissent les derniers et brefs développements sur le peuple juif. Ainsi, lorsqu’il évoque dans la section romaine le devenir des successeurs d’Alexandre, Wauchier de Denain ne retrace-t-il pas précisément l’histoire du royaume de Jérusalem, occultant, notamment, la révolte des Maccabées contre Antiochus Épiphane. Cet affranchissement du modèle de l’histoire universelle ne se retrouvera pas ainsi dans la Chronique dite de Baudouin d’Avesnes. Par ailleurs, le prologue de Wauchier de Denain n’annonçait pas l’histoire des premiers rois de Macédoine, de Philippe, puis d’Alexandre le Grand. Il insistait, dans la continuité immédiate de la guerre de Troie, sur la fondation de Rome, ses consuls puis la succession de ses empereurs, l’avènement du christianisme et le devenir de l’Occident médiéval et de la Flandre (v. 161-250). C’est néanmoins en pleine conformité avec le livre III d’Orose que la section macédonienne intervient à l’intérieur du récit sur Rome. Impossible de voir en elle une digression, même si elle en prend les apparences. En effet Wauchier de Denain respecte l’ordonnancement du texte d’Orose et le principe de l’histoire universelle et de ses synchronismes, qui impose de relater successivement les événements qui se sont produits dans les grands royaumes du monde. Et surtout il rend ainsi compte de la théorie de la translatio imperii et des quatre regna qui informe les Histoires d’Orose et dans laquelle le regnum d’Alexandre est celui qui assure le transfert du pouvoir d’Orient en Occident, avant la mise en place de l’empire romain, nécessaire à l’avènement du christianisme. Avant d’en revenir à cette théorie des regna, remarquons néanmoins deux transformations de l’ordre du récit qu’il s’autorise : dans les Histoires d’Orose, l’évocation des rois perses ne précède pas immédiatement celle des Macédoniens comme dans le texte français ; elle intervient plus haut, dans le récit sur Rome du livre II, sans qu’Orose rappelle le souvenir de Judith et d’Esther ; puis, dans le livre III, Orose entrecoupe le récit sur Alexandre de plusieurs séquences sur 56. M. de Viser van Terwisga, éd. cit., t. 2, p. 222, 228 et note 88, p. 231 et M.-R. Jung, op. cit., p. 335-336.

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Rome, alors que Wauchier de Denain ne reprend pas cette technique de l’entrelacement. Quelques mots maintenant sur cette vision de la succession des quatre empires selon Orose, inspirée du Livre de Daniel. Alors que dans les visions du prophète, les quatre bêtes et aussi les parties de la statue du colosse 57 symbolisaient les quatre ennemis des juifs, les royaumes babylonien, mède, perse et macédonien, le quatrième royaume devient celui des Romains dans des écrits d’origine juive des débuts de l’empire romain et aussi dans l’Apocalypse de Jean. Le Commentaire au Livre de Daniel de Jérôme reprend ensuite cette succession des quatre empires babylonien, médo-perse, macédonien et romain. Comme le montre M.-P. Arnaud-Lindet58, « rompant avec cette classification des empires, née en terre hellénistique à la suite de la révolte contre la politique séleucide d’unification et d’assimilation, Orose construit un système dynamique romano-centriste, qui ne comprend plus que deux empires universels : celui de Babylone, le premier de l’Histoire, et celui de Rome, préparé et préfiguré par le premier, et qui durera jusqu’à la fin du monde : entre les deux se situent deux empires de transition : celui des Macédoniens au septentrion, et celui des Carthaginois au midi 59». Wauchier de Denain accorde lui aussi une importance très grande à Rome, bien qu’il s’arrête à la guerre des Gaules de César. Mais si, dans la section sur l’Assyrie, sa distinction des quatre royaumes assyrien, carthaginois, macédonien puis romain60 reste fidèle à Orose, son histoire universelle retrouve ensuite plutôt la succession des Assyriens, des Médo-Perses, des Macédoniens et des Romains, et les guerres Puniques sont relatées sans que Carthage devienne vraiment un regnum à part entière. Wauchier de Denain modifie aussi la vision du devenir historique selon Orose en développant les sections sur Thèbes, Troie et Énéas61, et en privilégiant davantage que l’historien latin la Macédoine 57. Daniel, 2, 7-8. 58. Nous reprenons ici les grandes lignes de sa synthèse dans l’introduction à son édition et sa traduction des Histoires d’Orose, op. cit., p. xlv-lviii. 59. Ibidem, p. XLVIII-XLIX. Voir le prologue des Histoires, 1-16, et le début du livre II, notamment le paragraphe 1, 5-6 sur la succession des regna. 60. § 7, p. 4 de l’édition de M. de Visser van Terwisga. 61. Orose n’évoquait que très rapidement Thèbes (livre I, ch. 12, 7-9, « J’omets Œdipe, meurtrier de son père, mari de sa mère, frère de ses fi ls, qui fut son propre beau-père. Je préfère qu’il soit tu qu’Étéocle et Polynice se jetèrent l’un contre l’autre à grand effort, de peur que l’un d’eux ne fût parricide. (ch 12, 9) »), Troie (livre I, ch. 17, 1-3, « Dans cette guerre menée de façon très sanglante pendant dix ans, que de nations, combien de peuples enveloppa et coucha au sol la même tourmente ! Homère, illustre au premier rang des poètes, l’a dévoilé dans un poème très brillant et nous n’avons pas maintenant à le développer dans l’ordre, parce

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et Alexandre. Surtout, il ne semble garder de cette succession des regna que son déroulement temporel et effacer la conception de l’histoire qu’elle induit, son interprétation théologique, d’autant qu’il ne retrace pas l’avènement du christianisme. Si, aux charnières de certaines sections, plusieurs de ses interventions déroulent la succession des empires, c’est avant tout pour donner des points de repère aux auditeurs. Elles annoncent ainsi plusieurs fois celui des Macédoniens, soulignant bien son importance. La section sur Énée se termine avec une liste des rois assyriens et l’évocation du transfert du regnum d’Assyrie en Médie (fol. 177-178), puis ce chapitre : Qu’en celui tans comensa la segnorie et li regnes de Macedonie. Ensi com vos oés furent li Assiriein desconfit et destruit et li non d’aus et la segnorie dou regne et le nons tresposés et portés as Medieins et en Mede, mais li Caldeu qui de la grant ancienté avoient Babilonie et la segnorie ne laisserent mie le non perdre, encor en fust la dignités et la tres grans hautece cheüe, ains voudrent qu’il eüssent le non dou regne por acroistre le renon d’aus et si repuplerent la cité puis aprés ore et par la volenté des Medieins sous cui treüt il estoient. Or regna ensi com vos oés premerains rois en Mede Arbacés .xxviii. ans en grant segnorie et mout essauca son roiaume et tuit estoient sous sa segnorie qui sous les rois des Assiriens soloient estre. Et Prochas regna ausi adonques en Itale, c’est en Albe et en Laurente, et adonc ausi en celui tans comensa la segnorie de Macedone, si’n fu rois premerains Caranus  qui .xxviii. ans en maintint et acriut durement par sa proece le roiaume. Segnor, cil regnes de Macedone qui adonques a primes comensa fu puis de grant renom et de grant segnorie, si com vos porrés oïr avant et entendre. Adonques en celui tans prophetisoient en la terre de Judee Isaias, Jonas, Amos et Ozes. Et en Egypte regnoit Osorton qui .viii. ans i tint la corone, et as Lacedemoniens Thalcamenes et en Athenes Agamestor et donc aprés ce peut de tans faillirent li roi en Corinte, quar Automenes en fu rois un an qui tant i fist desloiautés et malaventures que cil de la cité ne voudrent plus avoir roi aprés lui, ains firent princes d’an en an et establirent qui le pueple gardassent et qui la cité deffendissent. Ci comence l’estorement de la cité de Rome. (fol. 178 v-179 r)

La section VIII commence alors avec le récit de la fondation de Rome et se déroule jusqu’aux guerres des Romains contre les Gaulois et les Samnites au ive siècle. À sa toute fin, alors que la chronologie des faits qu’il vient de relaque cela allongerait notre ouvrage et que tout le monde le sait. (ch. 17, 2) ») et les guerres d’Énée en Italie (livre I, ch. 18, 1, « […] cela a été gravé en lettres de feu dans notre mémoire, à nous aussi, par l’enseignement de l’école élémentaire. »).

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ter a dépassé l’époque de la mort d’Alexandre, Wauchier de Denain explique à ses auditeurs que la nécessité s’impose à lui d’un retour en arrière, car les « fais merveillous », les exploits extraordinaires, des rois de Mède et des rois macédoniens, avant tout Alexandre le Grand, ne sauraient être oubliés : Que li Galois revindrent sor les Romains por vengier lor damages. Que des conceles et des Romains laira ore li livres, si dira des Mediens qui donc erent de grant poissance. En celui tans que je vos conte que Rome avoit tant de meslees et de ba-[fol. 199 r]-tailles et que cil concele qui adonques i estoient en la poesté avoient si grant paine de la cité guoverner si com vos m’oés retraire, estoit Alixandres li rois de Macedonie ja trespassés de vie, cil qui aprés lui demoré estoient por avoir les honors et les segnories [se combatoient ensemble]. Cis Alixandres qui rois fu de Macedonie fu de grant segnorie et de mout grant poissance et si destruist le regne de Perse qui avoit duré par .xiii. rois tres le tans Cyrus qui ot ausi conquis le regne de Mede qui par .viii. rois avoit duré, si com li veraie estoire conte des Medieins et des Persans et des Macedonieins. Seroit bien raisons ce me samble que je mention vos en feïsse ansois que je le tans que il furent trop durement trespassasse, quar ce ne seroit mie raisons que je de lor fais merveillous aucune choze ne vos desisse et de sous quels rois li regne perdirent lor nons et as autres regnes furent aclin et obeïrent. De ce vos voill je ore conter ains que plus die des Romains ne de Pirrus roi d’Epire qui fu de la lignee le bon roi Achilles, si com les estories racontent. Mais bien sachés, vos qui oés et entendés, que ce ne fu mie cil Pyrrus qui fu fills Achilles dont l’estorie de Troies raconte, quar mout ot de tens entre lui et l’autre. Mais cis Pyrrus fu de cele lignee et si se combati as Romains dont je vos dirai bien l’ochoison certaine quand je revenrai avant a l’estorie des Romains. Ci comence des rois de Mede et des autres rois la genealogie, qui tote Assir tindrent. (fol. 198 v-199 r)

Au-delà de ces annonces, dans la section X qui suit le récit sur Alexandre, le lecteur est ensuite frappé par l’importance que Wauchier de Denain accorde aux Macédoniens, successeurs d’Alexandre et de ses lieutenants, et à leurs relations avec les Romains. Ils interviennent en effet dans environ 50 folios de la section X du manuscrit de Paris, BnF fr. 20125. Nous transcrivons ici, à partir de ce manuscrit, les passages les plus importants de cette section X, toujours inédite comme le sont aussi les sections VIII et VII. Les Macédoniens apparaissent comme alliés, dans ses combats contre les Romains, de Pyrrhus, le roi d’Épire qui intervient déjà à la fin de la section « La Macédoine et Alexandre » (fol. 259 v-263 v). Un commentaire sur les habitudes antiques du décompte des morts après les batailles fait écho aux campagnes d’Alexandre contre Darius :

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Des chivaliers Pirrus ne de ses homes ne conte pas l’estorie quans en i ot ocis ne pris, quar costume estoit a ceaus qui les fais anciens escrivoient sa en ariere qu’il ne tenoient conte de la perte celui qui venquoit son anemi se n’estoit ensi que si trespetit eüst d’ocis en la partie celui qui estoit venquere avers les desconfis c’om le peüst tenir a droites merveilles, si com vos avés oït ariere en la premeraine bataille d’Alixandre encontre le roi Daire de Perse, ou li rois Daires perdi .xl. mile homes, petit s’en failli qui tuit i furent mort et ocis, et Alixandres de tote sa grant gent n’i perdi que .ix. homes a pié, ce raconte la veraie estorie. Por ce poés vos croire que Pirrus i perdi assés de sa gent, encore n’en die on le nombre, mais tot ce qu’il perdi ne proisa il guaires por la victorie qu’il avoit eüe, ains en ot grant joie et si dist que tote ceste honor li avoient li deu faite et par autrui n’avoit il mie la bataille vencue. (fol. 261 r)

Le long récit des guerres Puniques ne cesse ensuite de revenir à la Macédoine et de faire intervenir les Macédoniens, du folio 267 r au folio 311 v, soit donc sur 44 folios. Un retour en arrière à l’époque du siège de Tyr par Alexandre évoque la naissance d’une amitié entre Hamilcar et Alexandre (fol. 267 r) : Aprés ce cil de Cartage sorent et entendirent que li rois Alixandres de Macedonie avoit prise a force la cité de Tyr et cunfundue, qui estoit li comencemens de lor lignee, il cremirent que quant il se departist de la que il ne venist sor aus et en Aufriques. Por ce envoierent il Hamilcar qui mout estoit sages et bien parlans aprés Alexandre por enquerre et por savoir a quel part Alixandres torneroit et qu’il avoit enpensé a faire, mais tantost com Amilcar ot aprochees les os le roi Alixandre qui de la destruction de Tyr estoient ja parties, il fu pris par Meniorem qui faisoit l’ariere guarde et qui cuida que ce fust uns de ceaus de la cité qui s’en fuist por avoir guarandise. Et quant il fu pris, on le vit si preu de cors et si bien parlant et si sage que li rois Alixandres le retint de sa maisnie avec sa bone chivalerie. Et tant com il fu avec le roi, ce fu tant com li rois vesqui, mandoit il et faisoit savoir en Cartage par une taveletes et deseure l’escriture de cire covertes por ce qu’il n’en fust parcevance, ce que li rois voloit faire. Et quant li rois Alixandres fu mors, cis Amilcar qui mout estoit vaillans et preus et hardis revint ariere a Cartage. Et cil de la cité por tos les biens qu’il lor avoit fais ne le receurent nient autrement que s’il eüst au roi Alixandre toz jors lor cité vendue et traïe, ains le pristrent, si l’ocistrent entr’aus par cruel envie. (fol. 267 r)

Puis Wauchier de Denain souligne le rôle joué par Philippe V, roi de Macédoine, qui promet de l’aide à Hannibal contre les Romains si ce dernier le secourt contre les Grecs : les Romains interceptent le message et envoient des hommes combattre en Macédoine (fol. 290 v). Suit une alternance de trêves et de combats entre Macédoniens et Romains, jusqu’à la paix (fol. 295 v

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-303 v). L’historien explique alors qui est Philippe V et le situe la lignée des successeurs du père d’Alexandre : Ci recomence des Macedonois la bataille encontre ceaus de Rome. Aprés ce droiturerement l’an .v. cens et .xlvi. que la cités ot premerainement esté fundée par Romulus et estoree, recriut as Romains grans paine et merveilleuse, quar li rois Phelippes de Macedonie les comensa a guerroier ne ne vout tenir la pais a aus que li Macedonien i avoient devant tenue et bien sachés que ce Phelippes ne fu mie li rois Phelippes, li peres Alixandre le grant dont je vos ai reconté ariere, ains ot entre celui Phelippe et cestui .xi. rois qui tuit tindrent la terre li uns aprés l’autre o longement o petit de termine et si ne m’iert mie paine que je lor nons ne vos nome et die briement quans ans chascuns regna et puis aprés resivrai l’estorie. Li rois Phelippes, li peres le grant Alixandre, regna .xxvi. ans si come je vos ai reconté ariere et aprés lui ses fils Alixandres .xii. ans dont si grans fu la renommee. Et aprés regna en Macedonie Phelippus Aridés .vii. ans qui fu frere Alixandre, et puis aprés cestui i regna Cassander .xix. ans qui fu mout preus et plains de grant vasselage. Ou tans cestui estora Seleucus Nicanor la cité d’Antioche, au dousime an qu’il ot primes corone portee. Aprés Cassander regnerent en Macedonie Antigonus et Alexander .iii. ans tant soulement et puis aprés i regna Demercius .vi. ans qui lor toli le regne. Et aprés i regna Pirrus .vii. mois et .vi. ans aprés Limascus et puis aprés Limascum i regna Teramus, qui Tolomeus fu aussi només, .ix. mois tant soulement de sa vie et puis aprés Meleagrus .ii. mois et Antipater aprés .xlv. jors de son eage. Aprés cestui regna Sostenes .ii. ans et en Macedonie et puis aprés i regna Antigonus Jonatas .xxxvi. ans en force et en segnorie. Et puis aprés Demetrius ses fiz .x. ans et aprés Demetrius i regna Antigonus .xv. [fol. 302 v] ans. Et puis Philippus .xlii. ans dont je vos conte. Aprés i regna Perceus ses filz .x. ans, cui li Romain tolirent l’onor et la corone. Et a celui prist fin le regnes de Macedonie, quar li Romain le sousmistrent a lor poesté qui l’orent en lor baillie et si en retindrent chascun an le treüage. (fol. 302 r et v)

Philippe V de Macédoine intervient ensuite lors de la révolte d’Antiochus de Syrie contre les Romains, avec l’aide d’Hannibal. Soucieux d’éviter des confusions à ses auditeurs, Wauchier de Denain présente les différents Antiochus (fol. 304 r), d’où une nouvelle longue liste des successeurs du lieutenant d’Alexandre jusqu’à Philippe V, sur lequel les Romains conquirent la Macédoine : Qui cil Antiocus fu qui as Romains s’aati de bataille. Et bien sachés, segnor et dames que cis Antiochus qui s’aati vers les Romains de combatre ne fu mie cil Antiochus qui de la maisnee fu le grant Alixandre et s’il ne vos devoit anoier, je vous diroie quans Antiochus i ot et qui il furent

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assés briement por ce que vos miaus peüssiés entendre par les sornons dou quel on parleroit quant on vos en conteroit les estories, quar bien sachés qu’il i ot pluisors Antiochus qui tindrent Asie et Sire dusques a tant que Philippus fu rois de Sire, cui Tabinus li conceles de Rome prist et toli le regne et si le sousmist a la segnorie de Rome et a rendre treüage. Tot premerainement regna en la plus grant partie d’Asie Antiochus, que li pluisor noment Antigonum. Et Seleucus Nicanor en Sire qui adonques a primes comensa a estre roiaumes. Antiochus regna .xviii. ans et Seleucus .xxxii. ans de son eage. Aprés Antiochus tint Asie Demetrius Poliorcetes .xvii. ans. Cis Demetrius se combati tant a Seleucum come il pot, mais en la fin l’assist Seleucus en un chasteau en Sesile et la le destranist tant Seleucus a force que Demetrius li rendi lui et son regne por sa volenté faire et Seleucus tantost come il l’ot pris il ne li rendi mie sa terre, ains fist dou roiaume d’Asie et dou roiaume de Sire un soul regne et si en tint la segnorie. Et adonques ausi estoit rois d’Egypte Tholomeus Philadelphus qui fist translater la loi des Hebrius et les saintes escritures en grigois language si com vos porés avant oïr et entendre en l’estorie des Hebrius mout miaus s’il vos plaist, et aprés Seleucum Nicanor tint le regne d’Asie et de Sire Antiochus Sother ses filz .xvii. ans et dou nom cestui Antiochus fu premerainement Antioche dite et nomee, quar si com je vos ai dit arriere Seleucus Nicanor l’avoit adonques premerainement comencee et fondee. Et bien sachés quel tans que cil Antiochus tint Asie et Sire que nous apelomes Surie, furent li premerain denier d’argent fait et figuré en Rome qui onques i eüssent esté fait en nulle maniere. [développements contre la convoitise] [fol. 305 r] Qui cil furent qui aprés Antiocus Sother regnerent. Aprés Antiochus Sother qui regna en Sire et en Asie .xvii. ans, si come je vos ai dit ariere, i regna Antiochus Theos .xv. ans et tint sa segnorie. Aprés i regna Seleucus Gallinicus .xx. ans de son eage. Et puis aprés i regna Seleucus Geraunus .iii. ans et puis aprés i regna Antiochus li grans .xxxvi. ans. C’est cis a cui li Romain se combatirent. Aprés cestui regna en Sire Seleucus Filapator .xii. ans et aprés i regna Seleucus Epiphanes .xi. ans. ou tans cestui prist fin li regnes de Macedoine [fol. 305 v] si com vos avés oït ariere. Aprés cestui regna en Sire Antiochus Aupator et en Asie .ii. ans en grant segnorie. Et puis aprés cestui i regna Demetrius Sother .xii. ans et puis aprés i regna Alexander le fiz Epiphanes Antiochi .ix. ans et .x. mois. Et aprés i regna Demetrius .iii. ans et aprés i regna Antiochus ses freres qui Sechtes fu sornomés .ix. ans. Cestui ocist Arsaxés li rois des Turs, mais il n’en ot mie le regne. Aprés i regna Demetrius .iiii. ans tant solement de sa vie et puis i regna Antiochus Griphus .xii. ans. A cestui se combati Antiochus Cizicenus et si li toli le regne qu’il tint .xviii. ans. Et puis li retoli Antiochus Griphus par bataille. Aprés i regna Philippus .ii. ans cui li Romain tolirent le regne.

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Qu’en l’estorie des Ebrius sera miaus des pluisors l’uevre contee. Ensi com vos poés entendre orent a nom li rois d’Asie et de Sire tres le tans d’Alixandre dusques au tans que li Romain destruistrent le nom dou roiaume qui totes les terres et les cités sousmistrent a lor segnorie. Et bien sachés qu’en l’estorie des Hebrius qui avant vos sera dite et contee, porés vos oïr et entendre mout miaus des pluisors coment il esploitierent et coment il perdirent et coment il guaaignerent mout miaus que vos ne faites ores quar je voill suir la droite voie des conceles romains que je ai entreprise et suir l’estorie briement quar mout j’ai a faire ansois qu’elle soit tote a droite menee. (fol. 304 v-305 r) 

Philippe de Macédoine vient aider les Romains contre Antiochus (fol. 306 r-308 v). Lui succède son fils Persée, dont les combats contre les Romains sont relatés jusqu’à sa mort : il est le dernier des Antigonides (fol. 308 v- 311 v), même si d’ultimes conflit entre la Macédoine et Rome sont relatés (fol. 314 v - 315 v). Wauchier de Denain se tourne alors vers l’Égypte et la dynastie des Lagides. Il relate la mort du Ptolémée qui régnait à cette époque et, à nouveau pour bien le différencier du Ptolémée lieutenant d’Alexandre, il remonte au temps du grand conquérant macédonien pour ensuite dérouler la succession des rois d’Égypte : [fol. 329 v] Que li rois Tolomeus moru en celui tans. En celui tans meïsmement que ces choses avindrent, morut li rois Tholomeus de male mort, qui tenoit la cité d’Alixandre et la terre d’Egype. Et bien sachés que ce ne fu mie Tholomeus qui aprés le grant Alixandre i regna, ains fu oitismes aprés celui et si fu plains de grant felonie, quar il ot une seror qu’il tint grant piece en soignentage premerainement. Et puis aprés solonc sa loi la prist il en mariage. De celi ot il un fill et une fille qui mout fu bele. Et tantost com elle fu de tel grandor qu’ele se pot conoistre, ses peres chasa en sus de lui sa mere et si la prist et retint a feme. Encore dou roi Tolomer et de ses felonies. Et aprés totes ces males aventures ocist il un sien frere qu’il avoit de sa mere et son fill aussi qui estoit freres a sa fille qu’il tenoit a feme. Por ces grandes habominations le chacerent cil d’Alixandre fors de la cité et s’il le peüssent avoir tenut, il li eüssent tolue la vie. Et por ce que je vos ai faite mension de cestui Tholomeus, vos dirai je les nons des rois qui regnerent en Alixandre qui estoit li chiés dou regne d’Egypte puis la mort Alixandre et a assés brief parole por ce que quant vos en orés parler que vos par les sornons reconoissiés les nons qui tuit un estoient, quar si com je vos ai dit arriere dou premerain Tholomeus, orent tuit li autre a non Tholomé qui regnerent en Egypte trosques a la roïne Cleopatras a cui Cesar Augustus toli le regne et la corona

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si com vos porrés avant s’il vos plaist oïr et entendre, quant la parole sera trosques la venue. Qui li rois furent d’Alixandre en Egypte. Aprés le roi Alixandre regna premierement en Egypte Tholomeus li fils Lagi, qui en ot la corone et la segnorie .xl. ans. Cis fist mout de mal as juis en Jerusalem et en la contree quar il les prist par traïson et si en mena en Egypte en servage et adonques estoit evesques et sires des juifs Onias dont vos orés en l’estorie des Hebrieus les biens et les proueces retraire. Aprés cestui Tholomeum regna Tholomeus Philadelphus .xxxi. an et .viii. ans. Cis Philadelphus remist a franchise tos les juis qui en son regne estoient et si renvoia al evesque de Jerusalem qui Eleazarus estoit només les vaisseaus d’or et d’argent que ses peres avoit pris et ravis ou temple et si fist translater si com je vos ai dit ariere les devines escritures de la loi ebriu en grizois language. Aprés cestui regna Tholomeus Evergetes .xxvii. ans en Egypte et Alixandre. Aprés [fol. 330 r] regna Tholomeus Philopator .xvii. ans. Cestui venqui li grans Antiochus, si li toli la terre de Judee qu’il acompaigna a la soie et a sa segnorie. Aprés regna Tholomeus Epiphanes .xxiiii. ans. Cis reconquist Judee et pluisors autres cités sor le roi Antiochus ou regne de Sire. Aprés regna Tholomeus Philometor .xxxv. ans. Ou tans cestui fu Judas Machabeus si com li pluisor content et dient. Aprés regna en Alixandre et en Egypte Tholomeus Evergetes .xxvi. ans de son eage. Aprés regna Tholomeus Fiscon .xvii. ans. C’est cis qui fu chaciés dou regne por ses grandes felonies et por ses grandes malaventures. Cis s’en fui en Cypre, la fu il .viii. ans tant que Tholomeus Alexander qui aprés lui regna .ix. ans tint le regne et adonc revint il, si regna puis .viii. ans de sa vie. Aprés regna Tholomeus Drionisius .xxx. ans et puis la roïne Cleopatras .xxii. ans, dont vos orés encore avant plus plenierement l’estorie. Ce furent .xii. rois qui regnerent en Egypte puis le tans Alixandre, ansois que li regnes perdist le nom de roiaume, c’est que li Romain l’eüssent sousmis a lor segnorie. (fol. 329 v-330 r) 

Les folios 358 v et 359 r évoquent de nouvelles batailles en Macédoine62. L’histoire de la Macédoine déborde donc largement la section IX, dont le récit sur les premiers rois de Macédoine, Philippe, Alexandre et les diadoques occupe déjà 38 folios sur les 375 du ms. de Paris, BnF fr. 20125, soit environ 10%. En ajoutant les 50 folios sur les 131 de la section X (30 %63), qui relatent le transfert du pouvoir de la Macédoine à Rome, nous arrivons à 90 folios sur 375, soit environ 24 % de l’ensemble du texte.

62. Il faudrait étudier plus précisément les relations entre les Macédoniens et les Romains dans la section X, tantôt adversaires redoutables, tantôt alliés. 63. Même s’ils ne sont pas bien sûr intégralement consacrés aux Macédoniens.

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Le premier récit en prose française de la vie d’Alexandre : Le portrait de l’empereur par l’historiographe Wauchier de Denain est le premier auteur à écrire un récit en prose française de la vie d’Alexandre et à l’inscrire dans le continuum d’une histoire universelle, montrant alors, comme dans les autres sections de l’œuvre, son travail de traducteur et de compilateur. Le lieu n’est pas ici de présenter en détail « l’entrée » d’Alexandre dans la littérature française au xiie siècle et l’écriture, abondante et complexe, des Romans d’Alexandre en vers qui précèdent l’Histoire ancienne jusqu’à César. Rappelons simplement qu’une succession de textes continentaux voit le jour, depuis l’œuvre pionnière d’Albéric (vers 1100) jusqu’à celle d’Alexandre de Paris (entre 1184 et 1190), en passant par les récits, conservés sous forme de remaniements, de l’Alexandre décasyllabique (1155-1160), du Fuerre de Gadres et de l’Alexandre en Orient de Lambert le Tort (vers 1170). Ces textes continentaux bénéficient d’une diffusion plus large que l’Alexandre anglo-normand ou Roman de toute chevalerie, rédigé en Angleterre vers 1175 par Thomas de Kent. Tous puisent aux dérivés latins du Pseudo-Callisthène, avec des stratégies de réécriture très différentes. Le terme « roman » est d’abord employé au sens médiéval d’« écrit en langue vernaculaire », même si certains, surtout celui d’Alexandre de Paris, trahissent aussi un infléchissement vers le romanesque au sens moderne. Dans son Roman d’Alexandre, qui s’impose très vite comme une autorité et suscite de multiples continuations, Alexandre de Paris met en cycle et remanie en profondeur les textes français continentaux antérieurs64. Rivalisant avec les pratiques savantes de l’écriture en latin et optant pour une autre conception de l’exemplarité du personnage historique, Wauchier de Denain privilégie presque exclusivement des sources latines, même s’il connaît l’existence des récits français du xiie siècle65. Deux emprunts apportent en effet la preuve de sa connaissance du Roman d’Alexandre d’Alexandre de Paris : 64. Nous renvoyons ici à notre étude sur les textes du xiie siècle, Les Romans d’Alexandre. Aux frontières de l’épique et du romanesque, op. cit., et pour une vue d’ensemble rapide de la tradition française, à notre article « La fortune du Roman d’Alexandre d’Alexandre de Paris : continuations et création d’un cycle (xiie -xve siècle) », Anabases, 2 (1985), p. 147-159. 65. Au xiie siècle et à la différence d’Alexandre de Paris, Thomas de Kent travaille lui aussi exclusivement à partir de textes latins et selon un idéal de la compilation qui se veut proche d’une écriture plus objective de l’histoire, mais il affirme une autre conception de l’exemplarité historique que Wauchier de Denain (C. Gaullier-Bougassas, Les Romans d’Alexandre, op. cit., p. 178-203, 217-227 et « Écrire en prose sur Alexandre le Grand au xiie siècle : les choix de l’historiographe Wauchier de Denain », dans l’Écriture polygraphique au début du xiiie siècle, op. cit., à paraître en 2013).

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la motivation de l’assassinat de Nectanabus par Alexandre, sa honte devant les rumeurs de sa bâtardise (§ 18) ; puis, au cours du siège de Tyr, le saut héroïque du roi sur les murailles de la cité, à partir d’un beffroi, une tour mobile (§ 22). On pourrait aussi relever la mention du mot « serfs » pour désigner les meurtriers d’Alexandre, mais elle n’apparaît que dans une rubrique du ms. de Paris, BnF fr. 20125 (§ 9266). En dépit de ces rares emprunts, la polémique que Wauchier de Denain lance une seule fois contre l’idéalisation d’Alexandre (§ 41) semble bien viser les auteurs de récits français antérieurs. Par ailleurs et dans sa structure d’ensemble, l’Histoire ancienne jusqu’à César montre un éloignement progressif des romans d’Antiquité en vers du xiie siècle. Wauchier de Denain a ainsi relaté l’histoire de Thèbes à partir du Roman de Thèbes en vers français, mais, pour celles de Troie et d’Énée, qu’Orose avait presque écartées, il s’est détourné des textes français, au profit de Darès et de Virgile. Et pour Alexandre, même s’il ne condamne pas l’écriture en vers et en français de ses prédécesseurs, s’il n’introduit pas davantage un discours métalittéraire sur ses propres méthodes de traduction et de compilation, son choix se porte presque exclusivement sur des textes latins, comme si le « retour » à la langue savante signifiait son ambition de retrouver la vérité historique. L’historien latin qu’il revendique comme source principale sur la Macédoine et Alexandre est Orose, une autorité très prestigieuse et aussi très critique à l’encontre d’Alexandre, dépeint dans ses Histoires comme l’un des fléaux les plus épouvantables de l’Antiquité. Orose est en effet plus virulent dans ses attaques que sa source principale, elle aussi connue au Moyen Âge, l’Abrégé des histoires philippiques de Trogue Pompée par Justin67. Nous relevons plusieurs inscriptions du nom d’Orose dans la section sur la Macédoine et Alexandre de Wauchier de Denain. La plus significative est celle du § 41, avec la brève polémique ci-dessus évoquée68 : Segnor et dames, li pluisor content et dient que totes bones teches d’onor et de dousor et de largece et de cortesie furent en Alixandre, mais Orosies dit et tesmoigne, cui on en doit mout bien croire, qu’il n’estoit mie mains crueaus ne mains felons a ses freres ne a ses amis ne a ses parens que il estoit a ses anemis estranges […]. 66. Sur les autres emprunts possibles, plus menus, voir nos notes au texte édité. 67. Pour une synthèse au sujet des connaissances historiques sur Alexandre disponibles dans l’Europe médiévale, voir C. Gaullier-Bougassas, «  L’historiographie médiévale d’Alexandre  : héritages, renouvellements et débats  », dans L’Historiographie médiévale d’Alexandre le Grand, dir. C. Gaullier-Bougassas, Turnhout, 2011, p. 5-34. 68. Voir les autres mentions, pour des détails concernant les chiffres des soldats, aux § 23 et 87.

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Elle précède le rappel de certains des crimes perpétrés par Alexandre, que Wauchier de Denain est le premier auteur à relater. Ses prédécesseurs en vers du xiie siècle, très soucieux d’assimiler le héros antique aux valeurs politiques et chevaleresques médiévales, avaient en effet soigneusement occulté ces violences. Wauchier de Denain énumère les victimes du conquérant, son cousin Amintas, Parménion, Philote, Pausanias, Euryloque et Attale, Cleitos, puis Callisthène, avec une évocation de la coutume de la prosternation qu’Alexandre avait tenté d’imposer à ses hommes et contre laquelle le neveu d’Aristote, réinventé plus tard comme l’auteur du roman grec, s’était indigné (§ 41-42). Il porte aussi pour la première fois à la connaissance d’un large public, bien que brièvement, la prise de Gordion (§ 23), puis l’incendie de Persépolis (§ 32-33). Tout se passe comme s’il souhaitait ainsi révéler les différentes facettes du personnage historique et donner de lui un portrait plus complet et juste. C’est bien une ligne de rupture qu’il trace alors avec les Romans d’Alexandre français antérieurs, mais très vite elle se révèle moins franche que le paragraphe 41 et plus haut son sévère récit du règne de Philippe, fidèle à Orose, ne le laissent attendre. À la faveur d’une autre pratique de l’adaptation et de la compilation, la charge sur Alexandre s’affaiblit en effet très sensiblement, voire disparaît. Nous tracerons ici les grandes lignes de son travail, et pour des références précises aux différentes sources, renvoyons aux notes de notre édition69. Pour relater la destinée d’Alexandre, l’auteur français s’accorde en effet de grandes libertés dans sa traduction d’Orose. Certes, sa recherche d’une vérité historique et son respect de l’altérité du héros antique lui interdisent la pratique de l’anachronisme qui marque les romans en vers du xiie siècle. Mais il pioche à son gré dans le texte d’Orose : il abrège ou au contraire amplifie selon ses désirs, sans se justifier, et au fil des retouches, le réquisitoire sans appel de l’historien latin contre le tyran sanguinaire, le brigand qui anéantit des terres et des peuples entiers, s’estompe et même se renverse. 69. Dans un article pionnier (« The History of Macedon in the Histoire ancienne jusqu’à César », Classica et Mediaevalia, 24 (1963), p. 181-231), D. J. A. Ross a identifié les principales sources de Wauchier dans cette section. Nous avons poursuivi l’analyse de leurs réécritures à travers nos articles « Le mythe d’Alexandre le Grand dans l’Histoire ancienne jusqu’à César (BnF fr. 20125) », dans Vérité poétique, vérité politique, mythes, modèles et idéologies politiques au Moyen Âge, éd. E. Gaucher, J.-Ch. Cassard et J. Kerhervé, Brest, 2007, p. 193-207 et « Écrire en prose sur Alexandre le Grand au xiiie siècle : les choix de l’historiographe Wauchier de Denain », art. cit., et dans les notes de cette édition.

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Le choix des autres textes que Wauchier de Denain compile et l’ampleur des passages qu’il leur reprend, la hiérarchie qu’il établit de fait entre ses autorités, contribuent encore davantage à modifier en profondeur la signification de la destinée d’Alexandre. Le prosateur exploite en effet longuement les deux dérivés latins du Pseudo-Callisthène, l’Epitomé de Julius Valère et l’Epistola Alexandri ad Aristotelem, comme l’ont déjà fait les auteurs des romans en vers du xiie siècle. Quelques emprunts, quoique moins nombreux, à l’Historia scolastica de Pierre le Mangeur s’avèrent essentiels, d’autant qu’ils lui servent de supports à de petits sermons en prose : le récit de la visite d’Alexandre à Jérusalem et celui de son enfermement des tribus juives maudites. Son originalité est alors de chercher à concilier ces trois traditions, soit trois interprétations a priori contradictoires : le portrait orosien d’un despote sanguinaire, l’idéalisation du bon roi et du conquérant explorateur selon les dérivés du Pseudo-Callisthène, et celle d’un serviteur du dieu des juifs selon Pierre le Mangeur. Si nous pouvons parler d’originalité, gardons bien à l’esprit néanmoins qu’elle s’affirme dans l’espace littéraire en langue française, car un tel assemblage, bien que selon des équilibres différents, n’est pas inédit dans l’historiographie en latin et sera encore longtemps pratiqué, dans des œuvres très diffusées, à commencer par le Speculum historiale de Vincent de Beauvais. Qu’un auteur qui revendique des ambitions historiographiques puise aux dérivés latins du Pseudo-Callisthène ne peut en effet surprendre qu’un lecteur moderne. L’Epitomé de Julius Valère et l’Epistola Alexandri ad Aristotelem ont été lus comme des textes historiques durant la majeure partie du Moyen Âge et exploités par de très nombreux historiens des différentes littératures européennes, tant en latin que dans les langues vernaculaires70. C’est sans doute en tant que tels que les réécrivent aussi les auteurs des Romans d’Alexandre en vers du xiie siècle, même si certains d’entre eux, surtout Alexandre de Paris, les transforment librement dans une perspective « romanesque » à nos yeux. Mais une historiographie latine abondante se les approprie au Moyen Âge, depuis, en terre germanique, Frutolphe de Michelsberg71 et, plus tard dans le nord de la France, Hélinand de Froidmont. Ce dernier écrit en effet sa chronique au début du xiiie siècle, sans doute dans les années 1220, soit légèrement après l’Histoire ancienne jusqu’à César. Dans le Speculum historiale, Vincent de Beauvais s’inspire abondamment de son long récit sur

70. L’Historiographie médiévale d’Alexandre, op. cit., p. 5-34. 71. Son récit est précédé par la plus rapide tentative de Fréculphe de Lisieux, évoquée plus haut.

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Alexandre le Grand72. Aucune rupture ne sépare à cet égard la chronique latine d’Hélinand de celle, française, de Wauchier de Denain, sinon que l’auteur qui écrit en français semble plus circonspect au sujet du lien d’Alexandre avec Nectanabus. Jamais il ne mentionne l’existence de l’Epitomé en tant que texte, alors qu’il rappelle plus loin l’écriture de l’Epistola par Alexandre (§ 42). Bien plus, il ne s’approprie qu’avec réticence son récit de l’union de l’Égyptien Nectanabus et d’Olympias, alors que Hélinand de Froidmont et Vincent de Beauvais l’acceptent facilement. Comment ses doutes se manifestent-ils ? D’abord lorsqu’il suggère que cette conception illégitime du héros serait une rumeur. Néanmoins il ne va pas jusqu’à la dénoncer comme une fable et n’inscrit aucun discours critique, comme s’il ne souhaitait pas amorcer un débat sur cette question (§ 17-18). Son récit finit d’ailleurs très vite par apporter implicitement sa caution à la filiation d’Alexandre avec Nectanabus : la légende était-elle trop connue et diffusée pour être repoussée, bien qu’elle contredise le témoignage d’Orose ? Il reste que l’abrègement drastique du portrait de Nectanabus en astrologue-magicien et en séducteur, la suppression de toutes les péripéties de l’adultère trahissent bien son souhait de ne pas contribuer à la diffuser. La motivation donnée à l’assassinat de Nectanabus par Alexandre, reprise au Roman d’Alexandre d’Alexandre de Paris et non à l’Epitomé, révèle aussi implicitement le sens de cette suspicion : le rejet de la tache que constituerait la bâtardise du héros. La suture difficile entre les Histoires d’Orose et l’Epitomé se manifeste, aussi, par son écriture de deux récits « concurrents » du meurtre de Philippe par Pausanias, le premier selon Orose (§ 15), à l’intérieur du récit du règne de Philippe, le second selon l’Epitomé (§ 20), inscrit au milieu des enfances d’Alexandre. Ils apportent des explications différentes au crime et le dernier pose la question des infidélités supposées d’Olympias73. N’était-il pas conscient des contradictions ? Ou n’a-t-il pas voulu choisir entre les deux motivations supposées du meurtrier ? Est-ce une maladresse ou la volonté de concilier des témoignages divergents ? Quoi qu’il en soit, il ne compare ni ne 72. Après avoir été trouvère à la cour de Philippe Auguste, Hélinand s’est retiré vers 1182, très jeune, à l’abbaye cistercienne de Froidmont dans le Beauvaisis et y est mort en 1229. Son Chronicon n’est pas encore édité. Les rubriques de son récit sur Alexandre sont l’objet de l’article de M. Paulmier-Foucart, « Hélinand de Froidmont. Pour éclairer les dix-huit premiers livres inédits de sa chronique. Édition des titres des chapitres et des notations marginales d’après le ms. du Vatican, Reg. lat. 535 », Spicae, Cahiers de l’Atelier Vincent de Beauvais, 4 (1986), p. 81-254. 73. Pour de plus amples détails, voir les notes de notre édition à ces deux paragraphes.

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relie ces deux versions, et son silence contraste avec ses fréquentes interventions dans la suite du récit. Mais ces dernières ont une teneur moralisatrice et la parole autoritaire du sermonnaire sera toujours préférée à la critique des sources. Dans le codex 2576 de Vienne, que nous introduirons plus loin, le remanieur italien du xive siècle et aussi plus tard le rédacteur de l’imprimé d’Antoine Vérard ont en revanche tenu à supprimer les contradictions de Wauchier de Denain pour ne garder qu’un seul récit de la mort de Philippe. Quant à la suite de l’Epitomé, une fois les deux pères d’Alexandre disparus, Wauchier de Denain l’exploite plus longuement et parvient bien mieux à la concilier avec le témoignage d’Orose sur le déroulement des campagnes militaires contre Darius, en dépit du rappel des meurtres évoqués plus haut. Seules sont entièrement effacées les victoires sur les cités grecques, retracées d’ailleurs aussi bien dans l’Epitomé que par Orose, peut-être parce que leur ressemblance aux exactions de Philippe, qu’il venait de condamner, les rendait d’autant plus compromettantes. Puis Wauchier de Denain s’attelle à une traduction assez précise de l’Epistola, qui illustre sa fascination devant la figure du conquérant et de l’explorateur. Ainsi valorise-t-il son désir de voir les merveilles et sa curiosité, même s’il n’amplifie pas la description de l’Orient à l’aide de fragments d’encyclopédies comme c’est le cas au xiie siècle dans l’Alexandre anglo-normand de Thomas de Kent ou au xiiie siècle dans le Chronicon d’Hélinand de Froidmont. On relève néanmoins quelques ajouts qui lui sont propres et qui actualisent des données concrètes : le travail de l’ivoire (§ 66), le commerce du poivre (§ 80). Il développe enfin particulièrement le récit autour des arbres du Soleil et de la Lune, ainsi que celui de la rencontre – non amoureuse – avec la reine Candace. Quant aux fragments qu’il traduit de l’Historia scolastica de Pierre le Mangeur, Wauchier de Denain les met bien en valeur en les accompagnant de petits sermons en prose, avant qu’il ne livre sa réinterprétation originale de la mort d’Alexandre dans l’unique moralisation en vers que contient la section macédonienne. Nous l’avons évoquée plus haut pour sa mise en perspective avec les guerres de Flandre. Il recourt ainsi aux techniques de la prédication pour transformer en exemples homilétiques74 le récit de la visite d’Alexandre à Jérusalem (§ 34-38) et celui de l’enfermement de tribus juives maudites 74. J. Berlioz, « L’exemplum homilétique », dans Comprendre le xiiie siècle. Mélanges M.-T. Lorcin, Lyon, 1995, p. 87-96, et sur les rapports de l’exemple homilétique avec l’exemple rhétorique, J.-Y. Tilliette, « L’exemplum rhétorique : questions de défi nition », dans Les Exempla médiévaux : nouvelles perspectives, dir. J. Berlioz et M. A. Polo de Beaulieu, Paris, 1998, p. 43-65.

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(§ 57-59). L’originalité de son interprétation consiste en une conciliation inattendue d’un rappel insistant du polythéisme païen du héros et d’un l’éloge de son humilité, de sa vertu et des « services » qu’il rend au dieu des juifs. À la différence de l’Alexandre en prose du xiiie siècle, l’adaptation française légèrement postérieure de l’Historia de preliis J2, aucune conversion ou pré-conversion au monothéisme n’est ici envisagée, mais sans que le roi antique en soit discrédité. L’auteur de la seconde « rédaction » de l’Alexandre en prose du xiiie siècle insiste en effet sur l’adoration du dieu des juifs par Alexandre, en rappelant assez longuement la prophétie de Daniel sur les quatre empires pour légitimer les ambitions du Macédonien et les intégrer à une vision providentielle de l’histoire75. Loin des condamnations d’Alexandre par Orose et les théologiens, Pierre le Mangeur, pour l’épisode de Jérusalem, avait déjà donné l’impression de reprendre à son compte la légende de sa conversion au monothéisme juif76. Au nom de la vérité historique, Wauchier de Denain maintient au contraire comme un fait indiscutable l’altérité antique et païenne du roi : « Crestiein somes apelé aprés lui qui Jhesus Crist a nom » (§ 37), « [Alexandre] fu sarrasins toz les jors de sa vie (§ 59). » Loin de le dénigrer, il tire argument du paganisme du héros pour mieux célébrer la puissance de Dieu et donner une leçon et un espoir aux fidèles chrétiens. S’affirmant ici comme l’une des finalités de l’écriture historique77, le discours du sermonnaire vient expliquer l’enseignement chrétien que donne la vie d’un païen. Par-delà le pouvoir de Dieu, qui récompense ses fidèles serviteurs, même non convertis, ce que le prosateur français met alors en avant, ce sont le libre arbitre et l’exemplarité personnelle du souverain antique, qui éclipsent à ses yeux la question de sa prédestination divine à succéder à Darius ou celle de son rôle eschatologique. En récompense de ses actes vertueux, que peut-il espérer après la mort ? La construction politique qu’il a bâtie s’effondre rapidement. Si les réalisa75. Der altfranzösische Prosa-Alexanderroman, éd. A. Hilka, Halle, 1920, 26-28, p. 63-70. Jean Wauquelin réécrit une grande partie de son texte et s’approprie sa pré-christianisation d’Alexandre au xve siècle (C. Gaullier-Bougassas, « Alexandre héros païen ou héros préchrétien : Deux stratégies opposées de réécriture à la fin du Moyen Âge », Le Moyen Français, 51-53 (2002-2003), p. 305-326). 76. Historia scolastica, Patrologie latine, 198, ch. IV, col. 1495-1498. 77. Pour des analyses plus précises, C. Gaullier-Bougassas, « Histoire et moralisation : interpréter la vie Alexandre dans les histoires universelles françaises du xiie au xve siècle (l’Histoire ancienne jusqu’à César, la Chronique de Baudouin d’Avesnes, le Miroir historial et la Bouquechardière)  », dans L’Historiographie médiévale d’Alexandre le Grand, op. cit., p. 244-251.

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tions terrestres montrent une nouvelle fois leur caractère éphémère, c’est moins la conception chrétienne du contemptus mundi qu’exprime ici Wauchier de Denain qu’un regard négatif sur la corruption de l’humanité, enfermée dans l’individualisme et l’appât du gain. L’attitude d’Alexandre en faveur du peuple juif montre en effet que l’action politique n’est pas toujours vaine : loin de dévaloriser par principe les puissants, Wauchier de Denain loue les rois qui se mettent au service des représentants du sacré, qui subordonnent leur pouvoir temporel au pouvoir spirituel. Dans la moralisation qui suit le récit de sa mort, non seulement Alexandre n’est pas condamné, mais le prédicateur se réfère au Jugement dernier, en annonçant l’entrée au paradis de tous ceux qui auront servi Dieu. Alors qu’il l’a célébré plus haut sans ambiguïté comme un serviteur exemplaire, qu’il le met ici en perspective avec des personnages à la vertu irréprochable selon lui (Baudouin IX, Marguerite de Flandre, un « bon » roi de France), Alexandre pourrait donc espérer le paradis. Le patronage revendiqué d’Orose se révèle ainsi être un leurre, tant le récit de Wauchier de Denain s’écarte de la condamnation violente d’un tyran impie, fléau de Dieu, à son insu, contre Darius. Le prosateur français se fraie une voie originale en refusant de pratiquer l’anachronisme et d’assimiler le souverain antique aux valeurs politiques et religieuses médiévales. Il célèbre l’exemplarité personnelle et librement consentie du roi, sans invoquer une instrumentalisation par le dieu des juifs ni une conversion au monothéisme, mais en suggérant audacieusement son possible accès au paradis.

Les manuscrits de l’Histoire ancienne jusqu’à César et la diffusion de l’œuvre Nous conservons de très nombreux manuscrits de l’Histoire ancienne jusqu’à César, réalisés durant la seconde moitié du xiiie siècle, dans le nord de la France et en Orient, à Saint-Jean-d’Acre, puis à partir du xive siècle à Paris et aussi en Italie. Le texte de Wauchier de Denain a suscité au xive siècle et à la cour de Naples une réécriture, qui, traditionnellement appelée « seconde rédaction », jouit ensuite d’un grand succès auprès de la cour de Charles V, avant que ne soit rédigée une « troisième rédaction », qui emprunte à la Chronique dite de Baudouin d’Avesnes. Mais le texte de Wauchier de Denain est toujours copié dans de nombreux manuscrits au xve siècle et constitue la base de l’imprimé d’Antoine Vérard, le Volume d’Orose.

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Les listes de manuscrits données par P. Meyer, D. Oltrogge, M.-R. Jung, M. de Visser van Terwisga, M.-L. Palermi et A. Rochebouet78 font état de 73 manuscrits du texte de Wauchier de Denain, soit de la « première rédaction » de l’Histoire ancienne jusqu’à César, dont 9 fragments. 48 contiennent le récit de la vie d’Alexandre le Grand. Il convient d’ajouter le manuscrit 2331 de la Bibliothèque municipale de Rennes (xve siècle), qui, dans sa section macédonienne, conserve la moralisation en vers après la mort d’Alexandre (fol. 253 v -254 r). Aucun manuscrit du début du xiiie siècle ne nous est parvenu. Parmi les premiers manuscrits que nous conservions, plusieurs sont réalisés dans le nord de la France, sans doute dans les années 1260-1270 : ce sont les manuscrits de La Haye / s’Gravenhage, Koninklijke Bibliotheek 78 D 47 ; Londres, British Library Ms. Add. 19669 ; Pommersfelden, Schloss Bibliothek 295. On peut leur adjoindre le ms. de Paris, BnF fr. 17177, de la fin du xiiie siècle79. Supprimant le prologue et la plupart des moralisations en vers, effaçant de nombreuses adresses aux auditeurs, ils ne reflètent néanmoins pas l’état le plus ancien du texte. De cet état ancien sont sans nul doute plus proches les manuscrits réalisés à Saint-Jean-d’Acre dans la dernière moitié du xiiie siècle – Bruxelles, Bibliothèque royale 10175 ; Dijon, Bibliothèque municipale 562 ; Londres, British Library, Ms. Add. 15268 –, ainsi que la copie en France et au xive siècle de l’un d’entre eux, le ms. de Paris BnF fr. 9682. Se rattache aussi à eux le ms. de Paris BnF fr. 20125, sur l’origine duquel, Saint-Jean-d’Acre ou la France, deux opinions s’opposent80. 78. Nous mentionnerons ici la majorité des manuscrits des xiiie et xive siècles, mais ne reprendrons pas l’intégralité de la liste. Pour l’établissement de cette dernière, voir P. Meyer, « Les premières compilations françaises d’histoire ancienne », art. cit., p. 49-51 ; D. Oltrogge, Die Illustrationszyklen zur Histoire ancienne jusqu’à César (1250-1400), Francfort, Berne, New York et Paris, 1989, « catalogue et description des manuscrits antérieurs à 1400 », p. 229-327 ; M.-R. Jung, La Légende de Troie en France au Moyen Âge, Bâle et Tübingen, 1996, p. 353-357 ; M. de Visser van Terwisga, éd. cit., t. 2, p. 11-31 ; M.-L. Palermi, « Histoire ancienne jusqu’ à César  : forme e percorsi  », Critica del Testo, 7 (2004), p. 213-256 et A. Rochebouet, « D’une pel toute entiere sans nulle cousture ». La cinquième mise en prose du Roman de Troie de Benoît de Sainte Maure. Édition critique et commentaire, thèse de l’Université de Paris IV, 2009, «  Relevés des manuscrits et pièces complémentaires  », p. 199-206. 79. Voici les numéros des folios consacrés à la Macédoine et Alexandre : La Haye / s’Gravenhage, Koninklijke Bibliotheek, 78 D 47, fol. 110 v-132 v ; Londres, British Library, Ms. Add. 19669, fol. 139 v-168 r ; Pommersfelden, Schloss Bibliothek 295, fol. 127 r-153 r ; BnF fr. 17177, fol. 124 v-146 r. 80. Voici les numéros des folios consacrés à la Macédoine et Alexandre : Bruxelles, Bibliothèque royale 10175, fol. 207 r-237 v ; Dijon, Bibliothèque municipale 562, fol. 162 r- 189 v ;

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Un troisième groupe émane, semble-t-il, d’un atelier parisien qui s’est constitué dans le second quart du xive siècle : Bruxelles, Bibliothèque royale, ms. 9104-05 (fol. 115 v-140 r); Kobenhavn, Kongelige Bibliothek, ms. Thott 431, 2e (fol. 120 r-143 v) ; Londres, British Library, Ms. Add. 12029 (fol. 83 r -108 r) ; British Library, Ms. Add. 19669 (fol. 139 v-168 r) ; Paris, BnF fr. 246 (fol. 100 r-117 r) ; BnF fr. 251 (fol. 118 v-141 r). Plusieurs manuscrits sont aussi réalisés en Italie à la fin du xiiie siècle et surtout au xive siècle, et parmi ceux qui contiennent la section sur Alexandre, le manuscrit de Chantilly, musée Condé, ms. 726, fol. 86 bis r-107 r (dernier quart du xiiie siècle) ; celui de Vienne, Österreichische Nationalbibliothek ÖNB, codex 2576, fol. 92 r-103 r (Venise, milieu du xive siècle) ; ceux de Paris, BnF fr. 686, fol. 257 v-298 r (Bologne vers 1330), BnF fr. 821, fol. 269-290 (Italie du Nord, début du xive siècle) ; BnF fr. 1386, fol. 92 r-122 r (première moitié du xive siècle, sans doute Italie du Sud) ; celui de Venise, Biblioteca nazionale Marciana, fr. II (223), réalisé à Mantoue pour Francesco Gonzaga à la fin du xive siècle (fol. 146 v-175 r). La seconde « rédaction » de l’Histoire ancienne jusqu’à César, elle aussi réalisée en Italie, à la cour angevine de Naples, sans doute vers 1330-134081, supprime le long récit sur Alexandre et privilégie Troie et Rome82. Dans le ms. de Paris, BnF fr. 301, la première partie du récit sur Rome, après les guerres contre les Samnites et les Gaulois, se termine ainsi : En cel temps que je vous conte que Rome avoit tant de meslees et de batailles et que cil consules qui adonc estoient en la poesté avoient si grant poine de la cité gouverner, si com vous me oez retraire, estoit Alixandres li roys de Macedoine si trespassez de ceste vie. Et cil qui aprés lui demourez estoient pour avoir les honneurs et les seigneuries se combatoient ensemble. Cil Alixandres, qui fu roys de Macedoine, fu de si grant seigneurie et de molt grant puissance et si destruit le regne de Perse qui avoit duré par .viii. roys, si come la vraie hystoire raconte. Des Mediens et des Persiens et de Macedoine seroit bien raison ce me semble que je mencion vous feisse et dessoubz queilx roys les [fol. 208 v] regnes perdirent, leur noms, et aus autres regnes furent enclinez et obeïrent. De ceulz vous veil je ore conter ains que je ore plus vous die des Londres, British Library, Ms. Add. 15268, fol. 193 r-225 r ; Paris, BnF fr. 20125, fol. 221 r- 258 v et fr. 9682, fol. 201 v-234 v. 81. F. Avril, « Trois manuscrits napolitains des collections de Charles V et de Jean de Berry », Bibliothèque de l’École des Chartes, 127 (1969), p. 292-328. 82. Le manuscrit original de la seconde version serait celui de Londres, de la British Library, Royal 20. D. I. Nous avons consulté pour notre part le ms. de Paris, BnF fr. 301. Un manuscrit de cette seconde rédaction, le manuscrit de Chantilly, musée Condé 727, relate néanmoins la vie d’Alexandre.

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Romains ne de Pyrus [le roi d’Epire] qui fu de maison le roy Achilles. Mais bien sachez, vous qui oez et entendez que ce ne fu mie cil Pyrus qui filz Achilles fu, dont l’ystoire de Troie raconte, car moult ot de temps entre l’un et l’autre. Mes cil Pyrus fu de celle lignie et se combati aus Romains, dont je vous diray avant pour quoy en l’ystoire romaine. Ci fine le fondement de la cité de Rome Ci commence la guerre de Tarante et de Rome, dont furent maintes batailles. (fol. 208 r et v)

Mais le récit ne relatera pas l’histoire d’Alexandre (ni celle des rois perses), même s’il évoque ensuite les démêlés des Romains avec les Macédoniens au temps des guerres Puniques et se livre alors à quelques brefs rappels83. La première rédaction de l’Histoire ancienne jusqu’à César continue néanmoins à circuler jusqu’à la fin du Moyen Âge, à nouveau copiée dans de nombreux manuscrits. D’après les listes établies, nous conservons ainsi 20 manuscrits du xive siècle réalisés en France, 23 du xve siècle et un du xvie siècle. La grande majorité contient la section sur Alexandre. Les titres que les copistes donnent à la compilation évoluent, comme l’avait déjà montré P. Meyer : par exemple « le Tresor des ystoires » dans Londres, British Library, Ms. Add. 19669 ; « les Queroniques de la Bible » dans Bruxelles, Bibliothèque royale 99104-05, « les Croniques que Orosius compila de la Bible » dans Paris, BnF fr. 64 ; « le Livre d’Orose » dans les ms. du xive siècle, BnF fr. 250 et fr. 677. Ce n’est que tardivement que le nom d’Orose s’impose dans les rubriques initiale ou terminale84. Enfin, l’Histoire ancienne jusqu’à César a été imprimée plusieurs fois par Antoine Vérard, en 1491, 1503 et 1509, avec des modifications et pour titre Le Premier Volume / Le Second Volume d’Orose, puis par Michel le Noir en 1515 et Philippe le Noir en 152685. La grande diffusion de la première « rédaction » de l’Histoire ancienne jusqu’à César lui a permis d’exercer une influence sur de très nombreux textes, mais ce rayonnement, vu l’absence d’édition de l’œuvre dans son intégralité, n’est encore que très partiellement étudié, notamment pour Alexandre.

83. Voir par exemple fol. 243 v. 84. P. Meyer, « Les premières compilations françaises d’histoire ancienne », art. cit., p. 59-62, et aussi M. de Visser van Terwisga, éd. cit., t. 2, p. 225-226. 85. Voir D. J. A. Ross, « The History of Macedon in the Histoire ancienne jusqu’à César », art. cit., p. 181. Dans le premier volume de l’édition de 1491, l’histoire d’Alexandre se lit aux feuillets 185-228 (consultable sur le site Gallica de la BnF (Le Premier Volume d’Orose : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k111296p.r=orose.langFR ).

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Dès sa première « rédaction », l’adaptation française de l’Historia de preliis J2, l’Alexandre en prose du xiiie siècle, s’approprie mot pour mot et en guise d’épilogue, le récit de Wauchier de Denain sur les guerres des diadoques86. À la fin du xiiie siècle, la Chronique dite de Baudouin d’Avesnes s’inspire davantage de Justin que d’Orose sur Alexandre, mais la fin de son récit de la destinée du conquérant reprend aussi très fidèlement de longs passages de l’Histoire ancienne jusqu’à César (fol. 129-131 dans le ms. BnF Arsenal 5077). Au xve siècle, Christine de Pizan utilise longuement l’Histoire ancienne jusqu’à César dans son Livre de la Mutacion de Fortune, mais pour relater la vie d’Alexandre, elle préfère s’inspirer de l’Alexandre en prose. Que Jean de Courcy imite dans la Bouquechardière les moralisations de l’Histoire ancienne jusqu’à César, comme l’écrit M. de Visser van Terwisga87, ne peut en revanche être affirmé, tant leurs techniques d’écriture sont différentes et tant leurs biographies d’Alexandre divergent88. Dans la seconde moitié du xve siècle, Sébastien Mamerot puise en revanche au texte de Wauchier de Denain pour le récit sur Alexandre que contient son Traité des Neuf Preux et des Neuf Preuses89. La liste des emprunts au récit de Wauchier de Denain reste encore très ouverte. Nous venons ainsi récemment d’en découvrir un dans la mise en prose bourguignonne du Florimont d’Aimon de Varennes (BnF fr. 12566, fol. 257 v). Quant à l’influence de l’Histoire ancienne jusqu’à César sur d’autres littératures étrangères, nous avons la certitude que l’œuvre a été très diffusée en Italie. Les manuscrits copiés par des scribes italiens et la composition de la « seconde rédaction » à la cour de Naples en donnent des preuves, comme nous allons y revenir plus longuement en présentant le codex 2576 de Vienne, ainsi que l’existence de volgarizzamenti, de traductions en italien90. 86. Le Roman d’Alexandre en prose, éd. Ch. Ferlampin-Acher, H. Fukui et Y. Otaka, Osaka, 2008, p. 227-232 ; éd. A. Hilka (deuxième rédaction), op. cit., p. 261-268 pour l’épilogue repris à Wauchier de Denain. 87. Éd. cit., t. 2, p. 252. 88. C. Gaullier-Bougassas, « Histoire et moralisation », art. cit., p. 244-269. 89. Voir A. Salamon, « Alexandre le Grand dans les compilations des Neuf Preux en France au xve siècle », dans L’Historiographie médiévale d’Alexandre le Grand, op. cit., p. 195-213, particulièrement p. 197-202. Voir aussi la thèse de doctorat d’A. Salamon, soutenue à l’Université de Paris IV en 2011, Écrire les vies des Neuf Preux et des Neuf Preuses à la fin du Moyen Âge. Étude et édition critique partielle du Traité des Neuf Preux et des Neuf Preuses de Sébastien Mamerot. 90. Voir, p. 66-71.

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Des annotations en provençal ou en catalan ont par ailleurs été relevées sur le ms. de Paris, BnF fr. 20125 (dans d’autres sections que celle sur Alexandre), et elles signalent sa présence à un moment donné dans le sud de la France, le nord de l’Italie ou dans l’espace ibérique. Ces inscriptions semblent dater de la fin du Moyen Âge91. L’Histoire ancienne jusqu’à César a néanmoins exercé une influence sur la General Estoria d’Alphonse X, soit une œuvre du xiiie siècle, comme plusieurs articles de P. Gracia l’ont étudié, notamment pour sa section thébaine92. Le récit sur Alexandre de la General Estoria s’inspire en revanche essentiellement de l’Historia de preliis J2, avec aussi des emprunts au Libro de los buenos proverbios et à l’Alexandreis de Gautier de Châtillon93. Un autre espace auquel nous pourrions penser est la littérature néerlandaise. En effet, pour l’usage des langues vernaculaires, la Flandre est un territoire bilingue, où l’on parle et écrit le français et le néerlandais et où, à partir du xiiie siècle, sont adaptés en néerlandais des textes français, notamment le Roman de Renart, peut-être d’ailleurs, au moins indirectement, sous le patronage de Jeanne de Flandre94. Quant aux textes en néerlandais sur Alexandre le Grand, ils datent de la seconde moitié du xiiie siècle et émanent de la cour de Hollande, proche des cours de Flandre et du Hainaut. C’est en effet pour

91. M. de Visser van Terwisga, éd. cit., t. 2, p. 24-25, 66-67 (note 6. 2). 92. P. Gracia Alonso, « Singularidad y extrañeza en algunos lugares de la Estoria de Tesas (General estoria, parte II), a la luz de la Histoire ancienne jusqu’à César », Bulletin hispanique, 105 (2003), p. 7-17 ; « Hacia el modelo de la General estoria. París, la translatio imperii et studii y la Histoire ancienne jusqu’ à César », Zeitschrift für romanische Philologie, 122-1 (2006), p. 17-27 ; « Menolipo y Meleagro, ¿fratricidas? : a propósito de un episodio de la segunda parte de la General estoria y de su fuente en la Histoire ancienne jusqu’à César », dans Le Français face aux défis actuels : histoire, langue et culture, éd. R. López Carrillo et J. Suso López, Grenade, 2004, t. 2, p. 263-270 ; « A vueltas con el modelo subyacente o lo que los originales franceses pueden aportar a la edición de sus derivados españoles : el caso de la sección tebana de la II parte de la General Estoria », dans La fractura historiográfica : las investigaciones de Edad Media y Renacimiento desde el Tercer Milenio, éd. J. San José Lera, F. Javier Burguillo López et L. Mier Pérez, Salamanque, 2008, p. 331-340. 93. General estoria, cuarta parte, éd. I. Fernández-Ordóñez et R. Orellana, Madrid, 2009, t. 2. 94. L’adaptation en néerlandais du Roman de Renart est réalisée par Guillaume de Boudelo, administrateur des domaines de Jeanne et de Marguerite (R. Malfliet, « La comtesse Jeanne de Constantinople et l’histoire de Van den vos Reynaerde », dans Jeanne de Constantinople, comtesse de Flandre et de Hainaut, op. cit., p. 145-149). Sur la division du comté de Flandre en deux zones linguistiques et l’emploi des langues vernaculaires, voir W. Prevenier et T. de Hemptinne, « La Flandre au Moyen Âge. Un pays de bilinguisme administratif », La Langue des actes, éd. O. Guyotjeannin, ELEC, Éditions en ligne de l’École des Chartes, 2005.

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la cour de Hollande que Jacob van Maerlant écrit ses traductions-adaptations de l’Alexandreis de Gautier de Châtillon, du Secret des secrets et aussi du Speculum historiale de Vincent de Beauvais. Il compose Alexanders Geesten, sa réécriture de l’Alexandreis, sans doute en tant que précepteur du jeune Floris, futur comte de Hollande, alors que sa tante, Alix de Hainaut-Hollande, sœur de son père Guillaume de Hollande et veuve de Jean I d’Avesnes, assure la régence : c’est à elle qu’il dédie son texte95. Lui qui connaît pourtant la littérature en langue française et réécrit par exemple le Roman de Troie de Benoît de Sainte-Maure, il préfère ici des œuvres latines aux Romans d’Alexandre français en vers. L’hypothèse qu’il ait pu connaître et exploiter ponctuellement l’Histoire ancienne jusqu’à César n’est peut-être pas totalement à exclure, mais la critique ne semble pas l’avoir encore explorée.

Manuscrits de base et de contrôle de l’édition de la section « La Macédoine et Alexandre » du texte de Wauchier de Denain Pour l’édition de la section « La Macédoine et Alexandre », le choix du manuscrit de base et celui des manuscrits de contrôle s’imposaient après les nombreuses études sur les manuscrits et les éditions des premières sections de l’Histoire ancienne jusqu’à César. Aux raisons essentielles déjà invoquées par P. Meyer, M.-R. Jung, M. Coker Joslin et M. de Visser van Terwisga et aussi par D. Oltrogge, s’ajoutent plusieurs arguments spécifiques à la section « La Macédoine et Alexandre » dans le groupe de manuscrits considéré. Nous avons donc pris comme manuscrit de base de notre édition le manuscrit de Paris, BnF fr. 20125 (fol. 221 r-258 v), déjà choisi par M.-R. Jung, M. Coker Joslin et M. de Visser van Terwisga pour les premières sections de l’Histoire ancienne jusqu’à César, et comme manuscrits de contrôle, après là aussi M.-R. Jung et M. de Visser van Terwisga, les quatre manuscrits suivants : Bruxelles, Bibliothèque royale 10175, fol. 207 r-237 v ; Dijon, Bibliothèque municipale 562, fol. 162 r- 189 v ; Londres, British Library, Ms. Add. 15268, fol. 193 r-225 r ; Paris, BnF fr. 9682, fol. 201 v-234 v.

95. F. van Oostrom, op. cit., et A. Reynders, « La traduction en moyen néerlandais des Vœux du Paon et ses réécritures », dans Les Vœux du Paon de Jacques de Longuyon. Originalité et rayonnement, dir. C. Gaullier-Bougassas, Paris, 2011, p. 209-220, et plus particulièrement p. 212-215.

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Présentation des manuscrits96 -Paris, BnF fr. 20125 (P) Manuscrit de 375 folios, écriture sur deux colonnes. Le récit sur la Macédoine et Alexandre se lit aux fol. 207 r-237 v et le manuscrit contient les XI sections de l’Histoire ancienne jusqu’à César, le prologue et toutes les moralisations en vers. Deux opinions divergent sur son lieu de réalisation et sa date précise : à Saint-Jean-d’Acre, comme les manuscrits de Bruxelles, Dijon et Londres (voir ci-dessous), et à la fin des années 1280 selon J. Folda, ou bien, selon D. Oltrogge, dans le troisième quart du xiiie siècle et en France. J. Folda le rattache en effet aux manuscrits du scriptorium de Saint-Jeand’Acre du dernier quart du xiiie siècle. Après une première étude précise des manuscrits réalisés dans cet atelier par leur peintre principal – le maître de Saint-Jean-d’Acre, d’origine française –, il en a conclu que l’illustrateur du BnF fr. 20125 était un élève de ce maître et il a daté le ms. BnF fr. 20125 de 1287 (en raison de sa grande proximité avec le ms. de Londres, British Library, Ms. Add. 15268, qui serait antérieur et daterait de 128597). Après la publication de l’avis différent de D. Oltrogge, sa seconde étude réaffirme la réalisation du manuscrit à Saint-Jean-d’Acre, vers 128798. Invoquant des éléments communs avec le style d’une Bible moralisée réalisée en France à la fin du xiiie siècle, D. Oltrogge estime de son côté que le manuscrit aurait été enluminé en France. Ses arguments nous semblent moins nombreux et moins convaincants que ceux de J. Folda99. -Bruxelles, Bibliothèque royale 10175 (B) Manuscrit de 333 folios, écriture sur deux colonnes, double foliotation. Selon la première foliotation (xve siècle), le récit sur la Macédoine et Alexandre se lit aux fol. 188 r-218 v, et selon la deuxième foliotation, moderne, aux fol. 207 r-237 v. Il contient les XI sections de l’Histoire ancienne jusqu’à César. 96. Nous remercions la Bibliothèque nationale de France, la Bibliothèque royale de Belgique et la Bibliothèque municipale de Dijon de nous avoir autorisée à consulter leurs manuscrits. Pour le manuscrit de la British Library, nous n’avons pas eu l’opportunité de nous rendre à Londres et avons travaillé à partir de reproductions numériques. 97. J. Folda, Crusader Manuscript Illumination at Saint-Jean-d’Acre, 1275-1291, Princeton, 1976, p. 95-102 ; H. Buchthal évoque rapidement ce manuscrit, qu’il estime réalisé en France (Miniature painting in the Latin Kingdom of Jerusalem, Oxford, 1957, p. 70). 98. J. Folda, Crusader Art in the Holy Land, from the Third Crusade to the Fall of Acre, 1187-1291, Cambridge, 2005, p. 429-433. 99. D. Oltrogge, op. cit., p. 302-307.

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Le manuscrit a été réalisé à Saint-Jean-d’Acre entre 1270 et 1280 selon H. Buchthal100, entre 1275 et 1300 selon D. Oltrogge101. Les vingt premiers folios, consacrés à une table des matières, datent du xve siècle, ainsi que la première miniature du cycle de la Genèse. Nous lisons un explicit au fol. 332 v : « Cest livre escrit Bernart d’Acre », puis au fol. 313 v une inscription relative à la famille de Lusignan. Le manuscrit a dû être réalisé pour la famille royale chypriote de Lusignan. Sur le dernier feuillet de garde sont écrites à Chypre en 1432 et en 1433, sans doute de la main du fils naturel du roi Janus de Chypre, Phoebus de Lusignan, les notes suivantes, que nous citons d’après l’édition de P. Meyer : Le giosdi a .iiie. gours de gunet .m. iiii. de Crist, a oure de tierce enfanta ma feme dam’ Ouzabia Babina .i. filie, laquele a en soun noum Gaca de Lezenian. Amen. Le mardi a .xxvi. gours dou mos d’agoust l’an de .m. iiii. xxxii. de Crist fu batizé ma filie Gaca de Lezinian en la chapele dou roi moun ceniour, e la batiza le roi Gaian, madame Ana, le counte de Triples, Poilou de Vival (?), le counçoul des Goannouvos (?), Frelois de Luzenian, S. Gac de Çafran, Oguet Çoudan, S. Gian Frangier (?), S. Gorge Gobert, le vesque des Grieus, la dame de Barut, la feme de S. Pier de Carpas e le mestre… S. Cava (?). Amen. Le lioundi a .xxviii. gours dou mos de cetenbre, l’an de l’incarnacioun nostre Ceignour Jezucrist .m. iiii. xxxiii. a oune oure dou gour, enfanta ma feme dam’ Ouzabia Babina .i. filie laquele a eu noum Linnor de Luzegnian. Amen102.

Selon H. Buchthal, les enluminures du manuscrit sont une production du scriptorium d’Acre fondé par Louis IX vers 1250 et elles ont un caractère byzantin très prononcé. Le manuscrit se trouvait encore entre les mains de la famille royale de Chypre dans le premier tiers du xve siècle. Avant 1498, il est entré dans la bibliothèque des ducs de Savoie. -Dijon, Bibliothèque municipale 562 (D) Manuscrit de 275 folios, écriture sur deux colonnes. Le récit sur Alexandre se lit aux fol. 162 r-189 v. C’est l’un des plus anciens de l’Histoire ancienne jusqu’à César, il a été copié à Saint-Jean-d’Acre, entre 1260 et 1270 selon

100. Op. cit., p. 69-70 ; J. Folda, Crusader Art in the Holy Land, from the Third Crusade to the Fall of Acre, 1187-1291, op. cit., p. 408-412. 101. Op. cit., p. 234-238. 102. P. Meyer, « Les premières compilations françaises d’histoire ancienne », op. cit., p. 49.

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H. Buchthal, durant le troisième quart du xiiie siècle selon D. Oltrogge103. Il contient les XI sections. -Londres, British Library, Ms. Add. 15268 (L) Manuscrit de 314 folios, écriture sur deux colonnes. Le récit sur la Macédoine et Alexandre se lit aux fol. 193 r-225 r. Ce manuscrit contient les sections I à X de l’Histoire ancienne jusqu’à César et date du dernier quart du xiiie siècle selon D. Oltrogge104. H. Buchthal estime que cet exemplaire de luxe aurait été réalisé pour une cérémonie particulière et il pose l’hypothèse que ce serait le couronnement de Henri II de Lusignan roi de Jérusalem à Tyr en 1186105. -Paris, BnF fr. 9682 (Pa) Manuscrit de 339 folios, écriture sur deux colonnes. Le récit sur la Macédoine et Alexandre se lit aux fol. 201 v-234 v. Selon H. Buchthal, le manuscrit est une copie française d’un manuscrit réalisé à Acre et il date de 1300 environ ; D. Oltrogge lui assigne aussi une origine française mais le date du deuxième quart du xive siècle106. Il contient les XI sections de l’Histoire ancienne jusqu’à César et ajoute une section XII sur l’Exode.

Justification du choix du manuscrit de base et des manuscrits de contrôle Le manuscrit de Paris, BnF fr. 20125, s’impose comme le meilleur représentant de l’œuvre de Wauchier de Denain pour des raisons déjà invoquées par P. Meyer dès 1885, puis, dans leurs éditions, par M. Coker Joslin, M.-R. Jung et M. de Visser van Terwisga107 : il nous transmet le texte de Wauchier de Denain sous sa forme la plus complète et son récit est selon toute vraisemblance proche de l’état ancien de l’œuvre.

103. H. Buchthal, op. cit., p. 69 ; D. Oltrogge, op. cit., p. 246-250. 104. D. Oltrogge, op. cit., p. 261-266. 105. H. Buchthal, op. cit., p. 86-87, et plus largement sur ce manuscrit et ses illustrations, p. 79-87. Voir aussi J. Folda, ibidem, p. 419-424. 106. H. Buchthal, op. cit., p. 70 ; D. Oltrogge, op. cit., p. 24-25, 292-295. 107. P. Meyer, « Les premières compilations d’histoire ancienne », art. cit., p. 52-53 ; M. Coker Joslin, éd. cit., p. 24-26 ; M. de Visser van Terwisga, éd. cit., t. 1, p. iii-iv, t. 2, p. 39-41 ; M.-R. Jung, op. cit., p. 348, 353-357.

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Il contient en effet le long prologue en vers, que nous ne connaissons qu’à travers deux manuscrits, le deuxième étant le codex 2576 de Vienne, et qui évoque le milieu d’écriture de Wauchier de Denain et son mécène Roger IV de Lille. Il offre aussi toutes les moralisations en vers connues de l’Histoire ancienne jusqu’à César, alors que les autres manuscrits les suppriment, en partie ou en totalité. Il présente enfin toutes les sections de l’Histoire ancienne jusqu’à César et notamment la section XI et ses ultimes chapitres sur César et la Gaule Belgique, qu’on lit aussi, sauf le dernier ou les deux derniers d’entre eux, dans les deux autres manuscrits de Bruxelles, Bibliothèque royale 10175, et de Paris, BnF fr. 9682. La section XI a en effet été supprimée dans les manuscrits qui, à partir du xive siècle, associent les Faits des Romains au texte de Wauchier de Denain. Ce manuscrit très soigné, copié d’une seule main, présente en outre un texte presque toujours compréhensible et il appelle assez rarement des corrections. Le respect de la déclinaison et des autres règles de l’ancien français commun montre un état de langue conforme à celui du xiiie siècle. Avec ses assez nombreux traits dialectaux du nord de la France, il semble en outre porter la trace du texte écrit à Lille par Wauchier de Denain108. Les manuscrits de contrôle forment un ensemble homogène par leur date et leur lieu de réalisation (deuxième moitié du xiiie siècle et Saint-Jean-d’Acre, avec une copie en France et au début du xive siècle, le ms. BnF fr. 9682) et ils transmettent un texte vraiment très proche de celui du BnF fr. 20125. Tous les cinq sont aussi liés par leur programme iconographique et parmi les différents cycles d’illustrations dégagés et décrits par D. Oltrogge, ils forment le cycle D : Die in Akkon illustrierten Handschriften BBR 10175, Dijon und British Library Add. 15268 gehören einer vierten Bildredaktion an (D). Der gleiche Illustrationszyklus findet sich auch in BnF fr. 9682 und BnF fr. 20125 sowie mit einigen Veränderungen in den beiden bolognesischen « Histoires », BnF fr. 168 und BnF fr. 686109.

Dans la section sur la Macédoine et Alexandre, les variantes, pour leur écrasante majorité, sont minimes : ce sont des différences dans les graphies et les formes grammaticales, car les quatre manuscrits de contrôle reflètent un état de langue un peu plus récent, avec d’abord un moindre respect de la déclinaison, ainsi que de plus rares formes picardes. Les variations sémantiques 108. Voir notre introduction grammaticale, p. 53-60. 109. Op. cit., p. 54-61, p. 54 pour la citation, et p. 122-124.

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sont presque inexistantes. Il est absolument impossible de parler de « remaniements d’un texte qui ne s’accordait plus avec une société en transformation rapide », comme le fait M. de Visser van Terwisga pour ces manuscrits dans leur ensemble110. La seule modification importante que présentent ces quatre manuscrits de contrôle est la suppression de la moralisation en vers après le récit de la mort d’Alexandre, mais les moralisations en prose, plus nombreuses, et notamment celles que suscitent la visite d’Alexandre à Jérusalem et l’enfermement des tribus impies, sont conservées. Les adresses aux seigneurs du ms. BnF fr. 20125 ne sont pas supprimées, les copistes font disparaître les seules références au public féminin. Parfois le découpage des chapitres et les rubriques changent aussi111. Des quatre manuscrits de contrôle, c’est le texte du manuscrit de Paris, BnF fr. 9682, qui est le plus proche de celui du BnF fr. 20125 dans la section sur Alexandre. Mais la copie est peu soignée et peu respectueuse des règles de l’ancien français commun du xiiie siècle. Quant aux manuscrits de Dijon et de Londres, ils ont chacun une lacune dans le récit de la vie d’Alexandre. Dans le manuscrit de Dijon, manquent les § 81 (sauf la rubrique), 82, et 83 (sauf le dernier membre de phrase112). Le manuscrit de Londres a perdu deux folios : le premier après la rubrique du § 17  ; le second après une partie du § 31 (après rendroit tot le tresor de Perce et le). Parmi ces quatre manuscrits de contrôle, le manuscrit de Bruxelles, Bibliothèque royale 10175, offre ainsi le meilleur texte, mais il est écrit dans un état de langue plus récent que celui du ms. BnF fr. 20125 et ne comporte pas la moralisation en vers après le récit de la mort d’Alexandre.

Principes d’édition Nous avons suivi le manuscrit BnF fr. 20125 le plus fidèlement possible, ne le corrigeant que lorsque nous l’avons jugé absolument nécessaire pour le sens, soit très peu souvent. Les graphies n’ont pas été harmonisées, pas plus que n’ont été corrigées les très rares atteintes à la déclinaison ou les confusions entre que et qui, se, si et ce, ses et ces. Les quelques erreurs d’accord de nombre entre le sujet et le verbe ont néanmoins été rectifiées, car elles nous ont semblé 110. Éd. cit., t. 1, p. iv. 111. Nous renvoyons ici à la liste des principales variantes. 112. Le folio 182 v se termine sur la rubrique du § 81 et le folio 183 r reprend avec le dernier membre de la dernière phrase du § 83 (grant veneracion por ce que elle amoit mot le roi).

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nuire à la compréhension (7, 8, avoit, pour avoient, 45, 24, s’entrecuelloient, pour s’entrecuelloit). Nous avons aussi corrigé quelques lettres ou barres de nasalité oubliées, quelques répétitions et quelques erreurs de terme. Les leçons rejetées sont toujours placées en bas de page et nous indiquons quand la correction se fonde sur les manuscrits de contrôle. Le copiste a quelquefois aussi, mais rarement, oublié des mots ou des membres de phrase nécessaires à l’intelligibilité du texte : certains ont été ajoutés par une seconde main entre les lignes ou dans la marge du manuscrit, nous les avons édités en le mentionnant en note. D’autres, peu nombreux, ont été restitués d’après les manuscrits de contrôle. À la suite du texte édité sont répertoriées les variantes les plus significatives de ces derniers, qui portent essentiellement sur des graphies ou sur des formes grammaticales. Les omissions des manuscrits de contrôle sont aussi répertoriées. Comme il est d’usage, nous avons distingué i de j, u de v. Très souvent, mais pas toujours, le copiste inscrit un petit trait oblique au-dessus du i, auquel il semble donner la fonction d’un signe diacritique. En effet, quand ce trait est présent, c’est toujours lorsque le i est au contact de petits jambages avec lesquels la confusion est aisée, il vient donc faciliter la lecture. Pour les futurs 1 et 2 d’avoir et de savoir, nous avons édité avec la lettre v : avroit / savroit. Parfois il est difficile de distinguer u et n, par exemple pour le verbe couvenir /convenir et les substantifs de sa famille, mais étant donné que les graphies avec ou dominent, nous avons édité couvenir. L’abréviation mlt a été résolue en mout, car c’est ainsi que le mot est écrit lorsqu’il n’est pas abrégé. Il est de même pour Jherusalem. Les chiffres romains sont conservés, en petites capitales romaines, excepté .i., édité un ou uns selon les cas, et aussi .m. édité mile, car, très fréquemment, mile n’est pas abrégé dans les notations de chiffres et qu’il est ainsi graphié. La ponctuation et les majuscules ont été ajoutées selon les usages modernes. Nous avons respecté le découpage du texte en chapitres, chacun d’entre eux étant précédé par une rubrique et commençant par une grande majuscule. Nous avons édité en gras ces grandes majuscules de début de chapitre (mais non les petites majuscules qui se trouvent à l’intérieur des chapitres). Le copiste emploie trois signes de ponctuation, le point, souvent associé à la majuscule, le point élevé (sorte de point virgule inversé) et le point d’interrogation (un point surmonté d’une sorte de s basculé). Nous avons relevé en note les emplois du point élevé et du point d’interrogation, mais non les emplois, trop nombreux, du point et des majuscules auxquelles les points sont associés à l’intérieur des chapitres.

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Pour les signes diacritiques113, un accent aigu a été placé sur le e tonique, pour le distinguer du e atone, uniquement dans la syllabe finale et dans des mots se terminant par –e ou –es. Dans les monosyllabes en –es, e tonique a parfois été accentué pour distinguer les homographes et faciliter la lecture, notamment dans des mots sémantiquement chargés : nés (« navires »), nés (« né »), mais nes (« ne les ») ; trés (« tente »), mais tres (« très »), tres (« depuis »)… Le tréma a été ajouté sur une voyelle quand il s’agit de marquer une diérèse, dans les mots dont les hiatus ne sont normalement pas encore réduits au xiiie siècle, par exemple aleüre, armeüre, entailleüre, meür, vesteüre, aïré, roïne, traïtre, treü…, ainsi que les infinitifs, participes passés, imparfaits du subjonctif : asseïr, seïr, veïr, veü, deüst… Néanmoins, les formes de passé simple en « eu », eut, peut, peurent, seurent, qui alternent avec les formes en « o », ne sont pas éditées avec un tréma, car certaines des moralisations en vers de Wauchier de Denain montrent un compte des syllabes équivalent avec les formes en « o », alors qu’elles attestent la diérèse pour les formes de subjonctif imparfait, de participe passé et d’infinitif. C’est par exemple le cas dans les vers suivants, extraits du prologue : S’il a eü vrai cuer et fin, (v. 6) Car ne font pas ce qu’il deüssent. Crestïein furent apelé Quant il furent regeneré Ens es sains fons, si com il deurent, E l’uile et la cresme receurent. (v. 38-42) Ce n’i sera mie teü ; (v. 188)

ou ceux de la moralisation en vers qui suit le récit de la mort d’Alexandre : On peut veïr maintenant ore (v. 2) De les armes feïssons oirs De tant por Deu del iretage Qu’eles n’i eüssent domage (v. 50-52)

Le tréma permet aussi de distinguer des homographes : pais (« paix »), païs (« pays »). 113. Nous avons cherché à respecter les règles indiquées par M. Roques, A. Foulet et M. Spear (M. Roques, « Règles pratiques pour l’édition des anciens textes français et provençaux », Romania, 52 (1926), p. 243-249 ; A. Foulet, M. Spear, On Editing Old French Texts, Lawrence, Regents Press of Kansas, 1979), et par O. Guyotjeannin, P. Bourgain et F. Vielliard (Conseils pour l’édition des textes médiévaux, fascicule I, Conseils généraux, Paris, 2001 ; fascicule III, Textes littéraires, Paris, 2002).

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La langue du manuscrit de Paris, BnF fr. 20125 ( fol. 220 v-258v114) Dans les folios 220 v-258 v, le manuscrit BnF fr. 20125 offre un texte très soigné et très respectueux des règles du français commun du xiiie siècle, tout en présentant certaines particularités de la scripta du nord de la France, pour lesquelles nous renverrons principalement à la grammaire de Ch.-Th. Gossen115.

Graphies Consonnes 1. b, entre m et l, entre n et l : ce b épenthétique est en général noté : samblance 12, 5-6 ; ensamble 7, 11… ; il est rarement absent, humle 62, 12. 2. d épenthétique entre n et r, l et r : souvent noté prendent 80, 21 ; prendoient 69, 16 ; vendroit 8, 5 ; voudroit 18, 7 ; 45, 16 ; 86, 5 ; 110, 17 ; voudroient 52, 15 ; gendre 15, 24, mais parfois aussi absent, venroit 27, 15 ; 79, 3 ; couvenroit 73, 37 ; genre 110, 2 … 3. c / ch / k / qu : °emploi fréquent de c, pour noter le son [k], avec la graphie c’ à la place de que : c’, entrues c’, tant c’om. °emploi de qu pour noter le son [k] : quar 1a, 9… (car 56, 12) ; requellirent 4, 18 (recuellirent 6, 12) ; aconqueillies 10, 12… °emploi de k pour noter le son [k] : ki 93, 57 ; kalende 67, 32 ; kaure 24, 4 ; 47, 4 ; Karogarus 84, 2 ; kareptes 110, 21…

114. Les numéros que nous indiquons sont celui du paragraphe de notre édition, puis de la ligne. 115. Ch.-Th . Gossen, Grammaire de l’ancien picard, Paris, 1970 et son compte rendu par Cl. Régnier, « Quelques problèmes de l’ancien picard », Romance Philology, 14 (1961), p. 255-272 ; G. Zink, « Étude d’une scripta dialectale : les picardismes du Lancelot en prose », L’Information grammaticale, 24 (1984), p. 9-15 (nous renverrons désormais aux paragraphes et aux pages de ces études sans reprendre leurs titres). Pour la morphologie verbale, nous nous référons aussi à P. Fouché, Morphologie historique du français. Le verbe, Paris, 1967 et à N. Andrieux et E. Baumgartner, Systèmes morphologiques de l’ancien français. Le verbe, Bordeaux, 1983. Pour la syntaxe, notre ouvrage de référence sera celui de Ph. Ménard, Syntaxe de l’ancien français, Bordeaux, 1994. Nous utilisons enfin les trois dictionnaires de Godefroy (Dictionnaire de l’ancienne langue française de F. Godefroy), de Tobler Lommatzsch (Altfranzösisches Wörterbuch d’A. Tobler et E. Lommatzsch) et le FEW (Französisches etymologisches Wörterbuch de W. von Wartburg).

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°rares graphies picardes, reflets de l’absence ou de la faiblesse des palatalisations dans le Nord : -c, k qui notent [k] et l’absence de palatalisation ; à la différence de la graphie ch de l’ancien français commun qui note la palatalisation (produit de [k] + [a] latin, [k] + [i] dans les emprunts aux langues germanique ou arabe, Gossen, § 41 ; Zink, p. 10) : cauves soris 55, 8 ; alasquie 68, 26 ; encanteres 17 ; kaure 24, 4… (alors que le français commun a chauves soris, alaschie, enchanteres, chaurre) -ch, qui correspond à une faible palatalisation dans le Nord, alors que le français commun aurait la graphie c ou s pour noter le son [s] (produit de [k] + [e] ou [i] latin à l’initiale et intérieurs derrière consonne, [k] + yod, [t] + yod derrière consonne, Gossen, § 38 ; Zink, p. 9-10) : chauchoient 68, 21 (chassoient en français commun et notamment dans le ms. B116) ; Foches 5, 1 (en alternance avec Foces 4, 14) 4. cui /qui Souvent la graphie cui semble équivalente à qui (réduction de [w¨i] à [i], très fréquente au xiiie siècle), d’où les nombreux emplois du pronom relatif ou interrogatif cui à la place de qui (voir syntaxe) et aussi la graphie cuite quite 93, v. 32 pour l’expression attestée dans d’autres textes sous les graphies quite quite (FEW, 2-2, 1471-1476, quietus, et part. 1473), ou qite qite dans le passage correspondant du manuscrit BnF fr. 686 de l’Histoire ancienne jusqu’à César (fol. 291 v). 5. g /gu °alternance gu et g : guoverner, governer 2, 2-3 ; 2, 15 °gu + a : esguarder, 6, 28 ; guarder, 7, 5 ; guardes, 8, 13 ; guaitier, 10, 24 ; gualie, 10, 26 ; deguasta, 9, 6 ; guaaign, 25, rubrique ; guaires, 28, 13 ; guarnir, 5, 23 ; 7, 14 ; guarandise, 6, 24 ; guaitier, 10, 24 °g + e : longe, 12, 5 ; 45, 4 ; longece, 48, 5 ; longement, 14, 12 ; 79, 14 °gu + e : viguerousement, 22, 17 6. emploi de g pour marquer la diérèse dans assegurés 7, rubrique, en alternance avec asseürés 3, 3 ; 98, 18 7. h, en début de mot : habiter 10, 4 ; habundance 24, 11-12 ; haïr 10, 4 ; haut 10, 6 ; hardie 13, 21 ; honors 14, 10 ; homes 15, rubrique ; houtoir 57, 2 ; 116. Chauchoient présente le mélange d’une graphie du français commun (ch de chau-) et d’une graphie picarde pour la seconde syllabe (-choient).

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hisdouse 65, 5… (mais aussi onor 31, 13 ; omes 48, 23) ; h pour marquer la diérèse : esbahirent 66, 10 ; ahoit 11, 19 ; roher 65, 25 8. redoublement fréquent de l à la finale, apareill, conseill, fill, gentill, null, oill, orguoll, orguoill, perill, soleill, travaill, vermeill, viell, voill… 9. r : interversion de r : re > er dans berbis 68, 17 ; réduction de rr à r : norist 78, 25 ; norir 5, 26 10. s ° s final se rencontre très fréquemment à la place de z du français commun, signe d’une réduction des affriquées, attestée très tôt dans les textes du nord de la France : fors 5, 4 ; gens 5, 1 ; vaillans 5, 4 ; tos 6, 7 ; galios 7, 5 (Gossen, § 40), mais aussi toz 5, 21 ; fiz 5, 25 ; 16, 12… °Confusions en position intervocalique ss et s : assailli 22, 32 ; asaillirent 88, 8… °Confusions graphiques entre s et c : c’il pour s’il 47, 13 ; 70, 10 ; 108, 12 ; se pour ce 85, 8 ; 87, 1 ; ses pour ces 3, 3 ; 56, 14 11. t final dans la graphie pour les participes passés masculins alumet 53, 5 ; beüt 47, 13 ; cheüt 13, 25 ; corociet 67, 30 ; endurcit 14, 6 ; enfoït 110, 9 ; envoiet 86, 7 ; 97, 25 ; eüt 51, 15 ; 81, 7 ; 88, 8 ; fuit 6, 23 ; iret 82, rubrique ; oït 112, 5 ; partit 7, 8 ; perdut 109, 88 ; perit 69, 7 ; 110, 8 ; perdut 88, 3 ; traït 50, 36 ; vencut 32, 7 ; venut 88, 8 ; veüt 30, 1 ; pour quelques adjectifs agut 78, 17 ; preut 103, 22 et quelques substantifs escut 98, 20 ; espiout 28, 18 ; occeant 40, 6 (ajout du t) ; treüt 3, 10 ; 20, 7 ; 31, 8 et une fois pour l’adverbe ent, 79, 17 (Gossen, § 46). 12. v ° v marque la diérèse dans espaventables 63, 21 ; espaventer 69, 2 ; paverousement 35, 14 ; trauvé 22, 37, en alternance avec trauees 73, 18 ° v en finale pour plentiv 52, 11 ; ententiv 65, 18 (pour plentif, ententif) ° v à l’initiale pour volpill 56, 10 (pour golpil) 13. z, rarement employé, vu la réduction des affriquées, est parfois substitué à s pour noter [z] à l’intérieur d’un mot : choze 4, 13 ; 19, 19… ; Bizance 10, rubrique ; Amazone 40, rubrique. En finale il est présent principalement pour l’indéfini toz 3, 29… (plus rarement tos 3, 28), le substantif fiz ou filz 5, 25... et quelquefois le participe passé desconfiz 3, 3…

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Voyelles 14. alternance a / e devant nasale : tans 1a, 10, 1a, 14 ; 1b, 2 ; 1b, 5… ; tens 10, 15 ; 10, 16 ; 14, 6… ; entalenté 108, 16 ; entalanté 14, 4 ; plenté 47, 5 ; 53, 10 ; planté 5, 7 ; 46, 21… (Gossen, § 15) 15. a initial à la place de e : ascouterent 76, 6 ; manasses 77, 9 ; partuis et pertuis 63, 13 (Gossen, § 29) 16. a initial, parallèlement à o : achoison 12, 1 ; ochoison 3, 13 17. Rares alternances ai / e (Gossen, § 6) : mais (conjonction de coordination) 13, 16 ; 13, 17 ; 13, 20…, plus rarement mes 17, 5… ; toujours jamais 6, 29 ; 11, 14… 18. Présence constante de aus 2, 17 ; 2, 23 ; 5, 3… pour eus, ceaus 20, 3 ; 22, 4 ; 22, 15… pour ceus 5, 22 (Gossen, § 12 b) 19. Rarement présence de au à la place de ou : trauvé 22, 37 ; trauees 73, 18 (Gossen, § 2) 20. réduction de iee à ie : alasquie 68, 26 ; anoncies 63, 1 ; herbergie 28, 10 ; malbaillie 49, 2 (Gossen, § 8) 21. Alternance eu / o dans seure 17, 12 ; 53, 9 ; deseure, 1a, 17 / sor 3, 1 ; 4, 6 ; sore 13, 11 ; 51, 18 (Gossen, § 26) 22. Alternance o /ou : aoroient 18, 3 / aouré 38, 1 ; bosnes 90, rubrique / bousnes 90, 4 ; covient 80, 11 / couvenoit 10, 2 ; doutoit 16, 1 ; sofire 58, 8 / souffire 36, 4 ; estoper / estouper 57, rubrique ; 58, rubrique… 23. Graphies soul 10, 27 ; 32, 22 ; 52, 18…, soulement 1a, 12 ; 1b, 9 ; 1b, 24 ; 1b, 25…. 24. Quelques graphies particulières, pious 22, 38 ; espious 24, 25 ; abuenirent 13, 37 ; buens eürés 3, 27 ; bones eürees 79, 13 ; sains pour sans 104, 38 et 19, 17 ; inguel 67, 15 ; ingualment 67, 17 25. Rareté des graphies relatinisantes : champ 14, 14

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Morphologie Noms et adjectifs 26. La déclinaison des substantifs et des adjectifs est très largement respectée, nous avons relevé de rares erreurs, certaines sont l’oubli d’un s par le copiste : an pour ans (1b, 7, .li. an), les dolor (110, 23, les grans dolor) ; un cas régime pluriel est employé à la place d’un cas sujet pluriel : les buisines pour li buisine (24, 19, li cor et les busines sonerent). La différence est ici sensible avec les manuscrits de contrôle, qui offrent de très fréquentes atteintes à la déclinaison. Voici l’exemple du début du § 74 : Ms. BnF fr. 20125, § 74 : Que li rois Alixandres creoit a paines ce que li prestres indieins disoit. Ceste merveille que li prestres disoit creoit a paines li rois Alixandres, quar miaus li sambloit estre mensonge et fantosme que verités que li arbre parlassent a lui […] Bruxelles, Bibliothèque royale 10175, fol. 208 v : Coment le roy Alixandre creoit a poines ce que le prestre li disoit. Ceste merveille que le prestre disoit creoit a poines le roy Alixandres, car meaus il sembloit estre mensonge et fantosme que vérités que les arbres parlassent a lui […]

27. Nombreuses réfections analogiques des formes féminines de l’adjectif épicène grant, qui côtoient les formes anciennes : grande et grandes 2, 22 ; 18, 20 ; 19, 2 ; 19, 9 ; 22, 13 ; 24, 4 ; 28, rubrique ; 28, 12 ; 30, 14…, et sur le modèle des adjectifs épicènes, des indéfinis tel et quel : tele et teles 23, 10 ; 42, 27 ; 65, 25 ; 66, 30 ; 80, 6 ; 111, 21, queles 94, rubrique ; 95, 24 ; les queles 9, 9. 28. Finales latines des noms propres parfois conservées  : 1b, 4, Sardanapallum (avoit […] Sardanapallum), 1b, 23, Archalaum (aprés Archalaum), 3, 30, la roïne Olimpiadam (li rois Phelippes ot la roïne Olimpiadem sa seror esposee), 18, 17, Neptanabum (adonques bouta Alixandres Neptanabum), 18, 28, Amonis (la semblance Amonis), 27, 7, temple Amonis, 84, 21, rendi a Candeolo…

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Déterminants et pronoms 29. Pour l’indéfini tot, la forme tuit du cas sujet pluriel domine, contrairement aux manuscrits de contrôle, qui privilégient tous. 30. La forme ancienne cui du pronom relatif et interrogatif est très présente et utilisée avec différentes fonctions, voir syntaxe, p. 61. 31. Emplois de la forme nuilui pour le pronom nul au cas régime singulier masculin : 22, 35, si n’atendoient de nuilui, 38, 6, sans avoir de nuilui paor ne cremance, 50, 2, qui nuilui ne veoient qui, 75, 4, la ne leisoit a nuilui, 77, 10, que les respons des arbres a nuilui… 32. Rares emplois de l’indéfini pluriel : unes letres 61, 10 ; 95, 23 et 81, 11-12, pour désigner un troupeau : unes sauvages bestes, grandes et oribles, dont chascune avoit en mi le front 33. Quelques emplois de li quels, pronom composé, relatif ou interrogatif : relatif, 95, 23-24, unes letres […] es queles il commanda, 98, 23-24, encontre Antigonum […], li quels voloit destruire ; interrogatif, 88, 1-2, mout fu en grant doute longement de la bataille li quel en avroient la victorie 34. Quelques formes picardes : °Emplois de l’article défini li au cas sujet féminin singulier, par analogie du masculin (Gossen, § 63) : li choze 95, 26 ; li dolors 92, 20 ; li fins 77, 22 ; li franchise 14, 10 ; li malissie 16, 10-11 ; li naissence 95, 26 ; li partie 104, 7 ; li pluevie, 68, 24 °Rares emplois de l’article défini le au féminin singulier (Gossen, § 63) : le choze 68, 38 ; le main 85, 7 °Un emploi du pronom personnel régime atone le au féminin, à la place du la commun (Gossen, § 63) : 20, 11 ° Emplois du pronom personnel régime de la troisième personne aus 2, 17 ; 2, ,13 ; 5, 3 ; 5, 14 ; 5, 25 ; 6, 29… °Aucune forme picarde du démonstratif avec ch- à l’initiale, mais pronom pluriel ceaus 20, 3 ; 22, 4 ; 22, 15…

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Verbes Les formes de l’ancien français commun dominent. Nous relevons néanmoins quelques formes picardes. 35. Emploi de formes d’infinitif dues à l’attraction de la conjugaison en –ir (Gossen, § 17) : veïr 19, 9 ; 29, rubrique ; 45, 16 ; 46, rubrique ; 46, 3… (en alternance avec veoir 24, 20 ; 61, rubrique ; 85, 2…, et aussi vooir 69, 6 ; 85, 9) ; asseïr 22, 13 ; 29, 8 (asseoir 53, 4) 36. Une graphie picarde -c à la finale de la première personne singulier du passé simple du verbe veoir : vic 35, 24 (Fouché, § 91, 137 ; Gossen, § 75 ; Andrieux-Baumgartner, p. 59, 109-111) 37. Parfaits en –eu, pour les formes fortes issues des parfaits latins en –ui, en alternance avec les formes en –o ou en –u du français commun (Fouché, §154-166, Gossen, § 72, Andrieux-Baumgartner, p. 161) : eut 3, 6 ; 10, 21 ; 28, 24 ; ot 1b, 1 ; 2, 20 ; 3, 21… ; eurent 87, 15 ; orent 3, 3 ; 5, 4 seurent 8, 6 ; 9, 1 ; 21, 9 ; 68, 23 ; 104, 1 ; 107, 18 ; sorent 5, 22 peut 26, 7 ; 50, 32 ; 68, 24 ; 85, 19 ; 99, 1 ; pot 2, 20 ; 28, 19 ; peurent 3, 14 ; 15, 22 ; 32, 16 ; 68, 3… ; porent 3, 15 ; 4, 19 ; 14, 12… dut 92, 18 ; durent 44, 4; 69, 10… perceut 33, 3 ; perceurent 28, 36 ; receut 87, 4 ; teurent 77, 11 38. Quelques formes du nord de la France de parfait en –iut : criut 47, 3 ; esliut 15, 7 ; esliurent 1b, 8 ; 5, 13 ; giut 89, 12 ; giurent 28, 27 ; siut 112, rubrique (Fouché, § 161, p. 319-320) 39. Parfaits et imparfaits du subjonctif sigmatiques (Fouché, § 139-153, Gossen, § 76, Andrieux-Baumgartner, p. 173-175). Dans le nord de la France, maintien très fréquent des formes sigmatiques (verbes faire, prendre, dire, metre, querre… avec aussi des formations analogiques) jusqu’au xve siècle, alors que dans le français commun la chute de l’s intervocalique aux personnes 2, 4, 5 commence dès le xiie siècle. Le manuscrit BnF fr. 20125 présente ici un mélange de formes du français commun et de formes du nord de la France. Pour ces dernières : fesist 75, 6 ; 81, 17 ; fesissent 76, 3 ; mesist 56, 7 ; mesissent 63, 12 ; 73, 27 ; remesist 67, 9 ; presist 81, 15 ; 84, 15 ; entrepresist 64, 8-9 ; represist 108, 14 ; vousist 4, 9 ; 25, 5 ; 50, 3 ; 60, 14 ; vousissent 3, 2 ; 6, 20 ; 14, 14 …

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On peut leur rattacher les formes envaïesist 100, 15 ; esjoiesist 96, 7 et eslesissent 105, 8 (esleürent dans les autres manuscrits). Mais on trouve aussi des formes réduites : feïst 25, 5 ; 47, 11 ; 81, 37 ; feïssent 1b, 10 ; 2, 8 ; 6, 30 ; 58, 5 ; 65, 24 ; 66, 1 ; meïssent 1b, 10 ; 28, 30 ; 90, 5 ; preïssent 28, 30 ; 60, 13 ; 65, 24… 40. Par analogie avec les parfaits sigmatiques en -st, présence, à la troisième personne du singulier de rares formes de parfait en -ut, d’un s en position implosive : peust 78, 15 (et non édité peüst) ; fust 105, 18 (pour fu) 41. Changement de conjugaison: refroidassent 48, 9 42. Rares occurrences de la personne 4 du présent de l’indicatif en –omes, à la place du –ons des formes communes (Fouché, § 95, p. 191, Gossen, § 78, Andrieux-Baumgartner, p. 75, 110) : 71, 7 disomes, 95, 13 apelomes Mais pour le verbe estre, 93, 34, sons à la place de somes 43. Graphie picarde vious, 71, 6, pour la personne 2 du présent de l’indicatif du verbe voloir (Gossen, § 23, p. 76) 44. Quelques absences de consonne épenthétique entre n et r : venroit 27, 15 ; 79, 3 ; venra 112, 6 ; couvenroit 73, 37 ; tenroit 108, 13 45. Quelques formes avec d dans la conjugaison de prendre, attesté surtout dans le Nord (Fouché, § 50, p. 107) : prendent 80, 21 ; prendoient 69, 16 ; prendroit 91, 26 ; porprendoit 95, 6; prendront 37, 12-13 46. Participes passés avec maintien de t final : alumet 53, 5 ; beüt 47, 13 ; cheüt 13, 25 ; corociet 67, 30 ; endurcit 14, 6 ; enfoït 110, 9 ; envoiet 86, 7 ; 97, 25 ; eüt 51, 15 ; 81, 7 ; 88, 8 ; fuit 6, 23 ; iret 82, rubrique ; oït 112, 5 ; partit 7, 8 ; perdut 109, 88 ; perit 69, 7 ; 110, 8 ; perdut 88, 3 ; traït 50, 36 ; vencut 32, 7 ; venut 88, 8 ; veüt 30, 1 (Gossen, § 46) 47. Participes passés en oit : cheoites 77, 19 (à côté de cheü); conquelloit 80, 16 ; queilloite 109, 8 (Fouché, § 193) 48. Participes passés féminins en –ie (réduction de –iee à –ie) : alasquie 68, 26 ; anoncies 63, 4 ; herbergie 28, 10 ; malbaillies 49, 2 (Gossen, § 8)

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Syntaxe : 49. La forme ancienne du pronom relatif cui est très présente et remplit différentes fonctions dans la subordonnée relative qu’elle introduit : °cui complément d’objet indirect, introduit sans préposition, 20, 13, le roi Phelippe cui il mist en la main, 35, 25, cest home cui je […] porte honor…, ou avec préposition, 60, 18, cil a cui il le demandoit ; 54, 10, a cui il les couvint combatre plus d’une ore d’espasse… °cui complément de nom, 35, 17-18, le deu […] cui nom, 85, 14, le roi Porrum cui fille, 86, 4-5, Porrum avoit ocis cui fille, 111, 6, Tholomeus cui seror Lisimacus avoit en mariage… °cui sujet, 20, 14-15, celui cui li avoit la mort donee °cui attribut du sujet, 15, 11, Alixandres […] cui il avoit fait roi de Epyre °cui complément d’objet direct (équivalent de que), 5, 15, Phelippe de Macedonie cui il soloient si haïr; 5, 26, Alixandres cui la roïne Olimpias faisoit norir ; 15, 21, li Deu cui il avoit sovent aïré ; 20, 4, roi Nicolas cui il venqui ; 20, 6, la cité de Mathome cui il sousmist ; 20, 19, chivaliers cui il fist assambler ; 22, 7, Egypte cui il conquist ; 24, 2, la montaigne du Tor cui il trespassa ; 28, 16, Macedonois cui il avoit ocis ; 35, 5, l’evesque cui il acola mout ; 35, 7-8, si haus hom estoit et de si riches et de si grant poissance et cui aoroient et enclinoient toutes les gens ; 40, 2, celui cui ele fait chanter; 41, 3, Orosie dit et tesmoigne, cui on en doit mout bien croire ; 45, 12, roi Porrus cui il avoit vencu ; 60, 14, dou roi Alixandre cui il vousist volentiers entreprendre ; 91, 4, grant flum qui Indus est apelés et de cui non Inde est nomee ; 100, 19, Cassandum cui ele avoit eslevé 50. Cui pronom interrogatif, dans une interrogative indirecte : 18, 10, il s’en esmerveilla mout de cui ce pooit estre 51. Un emploi de qui relatif pour cui en fonction de complément de nom : 7, 1, ses freres qui poissance il doutoit 52. Quelques emplois de que relatif en fonction sujet, à la place de qui : 23, 3, une letres plaines d’orguoll et de menaces que disoient ; 49, 7, tels i avoit que l’olie assaoient ; 73, 26, prestre que li dist ; 100, 9, Antigonum que plus le haoit ; 110, 26, que tuit furent de la maisnee 53. Un emploi de qui relatif à la place de que ou de ou : 69, 6, au quart jor qui le solaus lor aparu

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54. Un emploi de ou relatif à la place de que : 48, 21, chars ou chival traoient 55. Un emploi du pronom personnel complément le à la place de li : 18, 16, si le mist a non 56. Quelques emplois de si comme conjonction de subordination, à la place de la forme plus ancienne se : °pour introduire une subordonnée interrogative indirecte, 26, 3-4, por savoir et por esprover si ja consentroit Fortune que °pour introduire une subordonnée circonstancielle de condition, 59, 4-6, esguardés en vos meïsmes que Deus feroit por nos qui crestien somes si nos ses ovres faisions ; 59, 9-10, encor feroit il plus grans miracles por nos si nos si prodome et si loial estions ; 68, 20, si fuscent eles si ne fussent li chevalier… 57. Emplois de si à la place de se pronom personnel réfléchi : 40, 17, si clamassent ; 61, 5, si chaufoit ; 69, 8, si traistrent ; 78, 18, si gisoient ; 82, 8-9, si combatroit ; 84, 19, si faisoit apeler ; 87, 1, si departi ; 95, 44-45, si retraistrent ; 100, 6, si reguardassent 58. Autres exemples de confusion entre se et si : 108, 4-5, se si traist (on attendrait si se traist) ; se pour l’adverbe si : 83, 22-23, se li tailla ; 101, 4, ele se fist (on pourrait aussi penser à une confusion avec ce, mais B et L ont si) 59. Exemples de confusion entre se et ce démonstratif  : 85, 8, et 87, 1 aprés se 60. Exemples de confusion entre ses et ces démonstratif : 3, 3, ses gens, 56, 14 ses soris 61. Quelques emplois de ses pour si les : 1b, 9 ; 2, 8 ; 50, 30 ; 60, 12 ; 107, 9 62. Exemples de graphie c’il pour s’il : 47, 13, c’il en eüst beüt devant aus, lor soif en fust tote doblee ; 70, 10, si lor demanda c’il savoient, c’il ne la veoit […] a paines creiroit qu’ele fust veritable ; 108, 12, c’il l’avoit ocise si com il fist et il ses freres pooit ausi ocire, il tenroit mais en pais tote la terre de Gresse 63. Un emploi d’un subjonctif imparfait de souhait avec sujet exprimé : 23, 5, mais il seüst

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64. Exemples de tmèse : 20, 10-11, por ce / que, 109, 14, ansois / que 65. Nombreux exemples de subordonnées concessives : ° construction en parataxe et au subjonctif, pour marquer l’alternative (Ménard, § 269) : 58, 3-4, vousissent o ne vousissent ° construction en parataxe et au subjonctif (Ménard, § 269), -avec en tête l’adverbe temporel encore : 5, 12, encore en i eüssent il grans dommage ; 13, 8, encore eüst il de sa gent grant force ; 38, 11-12, encore eüst il la terre d’Orient conquise ; 78, 4-5, encor donques n’eüst il talent de mangier ; 79, 15, encor soit ce choze que tu doies vivre par brief termine ; 98, 18-19, encor fust li os des Macedonois de la dessegee ; 100, 15, encor soit la haine grande -avec en tête l’adverbe temporel ja : 91, 9, ja fust ce chose que… -avec en tête l’adverbe d’intensité tant : 22, 5, tant fust fort fermee ; 22, 10, tant eüst grant force ne grant segnorie ; 33, 11, tant fust haus hom ne poissans ; 40, 19, tant eüssent ne force ne aïes ; 65, 6, tant fust trenchans ne afilee ° relatives concessives indéterminées au subjonctif introduites par que que ou quelque… que, quel c’onques (Ménard, § 78, 79 et 30) : 103, 3, que que nus vos die de la poesté des .xii. rois ; 68, 4, a quelque paine qu’il i eüssent ; 87, 9, quelque paine il li eüssent faite ; 96, 12, al cui c’onques qu’il se tenissent  Le tour quelque… que est moins fréquent en ancien français que le tour quel… que, il s’impose surtout à partir du moyen français. ° relative concessive au subjonctif, 67, 27, par armes ne par bataille qu’il peüssent faire ° ellipse d’une proposition consécutive après une proposition négative introduite par ja, qui équivaut à une concessive (Ménard, § 205) : 23, 24, ja si ne se savroient defendre : […] li rois Daires ravoit grans gens assamblees et grans richeces por lui envaïr et por sa gent ocire et prendre ja si ne se savroient defendre : « quelle que soit leur défense » (littéralement « ils ne sauraient pas se défendre tant et si bien qu’il ne les envahisse pas ») 66. Emplois de quiconques, quelconques (Ménard, § 30) et quanconques pour marquer l’indétermination, « toute personne qui », « tout », « tout ce que /qui » : °quiconques : 105, 18, quiconques cheoit fors des bors des nés

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°quelconques : 39, 1-2, en quelconques liu gens manoient et habitoient (« dans tous les lieux où […] », on est proche d’une concessive : « quels que soient les lieux où ils habitent ») ; 55, 9, en quelconques membre les atagnoient (« sur tous les membres qu’elles atteignaient », « quels que soient les membres qu’elles atteignent ») ; 104, 27, en quelconques parties il s’apareille de bataille °quanconques / quancunques : « tout ce que, tout ce qui », 43, 8, quanconques il pooient, 46, 18, quanconques besoins seroit a lui et a sa gent, 107, 16, quancunques il en pot avoir 67. Propositions subordonnées temporelles construites en parataxe et introduites par si, après une principale négative, avec le sens de « avant que… », « jusqu’à ce que… »  (Ménard, § 202) : 3, 5, ne puis le jor que il l’ot assise premerainement ne s’en parti, si l’eut a force prise ; 4, 4-5, onques ne s’en vout partir por sa mescheance, si l’eüst prise a force ; 22, 19, il ne s’en torneroit por nulle paine, si l’avroit a force prise ; 95, 42, ja ne s’en fussent torné, si l’eüssent pris par force 68. Comparatives construites avec la conjonction com et non avec que (à la différence des manuscrits de contrôle : autant com 32, 4 ; 92, 5 ; tant com, tant […] com 32, 4 ; 107, 18 ; 108, 2 ; si grant com 57, 1-2. 69. Expression de la proportionalité : 50, 20, que plus… tant.. plus ; 107, 19-20, plus fu grande … de tant fu plus grande… 70. Emplois de quelques conjonctions de subordination encore peu fréquentes au xiiie siècle, sans ce que 15, 18 ; aprés ce que 2, 9 ; 3, 8-9 ; 6, 10 ; 15, 4-5 ; 68, 26 ; fors que tant que 28, 21 71. Emplois de l’adverbe mar pour exprimer un impératif négatif (Ménard, § 315) : 30, 6, li distrent que ja mar de ce fust en doutance que il ne fussent apareillé a sa volenté obeïr et a faire ; 100, 5, ja mar autrement en nulle maniere ne s’i reguardassent

Ponctuation dans le manuscrit Le copiste emploie trois signes de ponctuation : le point, souvent associé à la majuscule pour marquer une pause forte ou parfois plus faible ; le point élevé, sorte de point virgule inversé, qui indique une pause faible, équivalant

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à une virgule moderne, et le point d’interrogation (un point surmonté d’une sorte de s basculé117). Pour donner des exemples de leurs emplois, nous transcrivons ici quelques passages en respectant les signes de ponctuation et les majuscules du manuscrit, sans ajouter aucun signe moderne. Les majuscules sont souvent employées, mais pas toujours, en début de phrase. Elles sont alors généralement précédées d’un point : Quant ce orent dit li arbre li prestres parla au roi Alixandre et si li amonesta et dist qu’il issist dou bois. et de devant les sains arbres quar lor larmes et lor plorement les coroussoient mout tres durement. Adonc s’en parti li rois Alixandres et si revint a ses compaignons qui defors l’encloseüre l’atendoient et as .ii. viellars qui la amené l’avoient si lor dist qu’il erraument retornassent en la fasitiene Inde. Et tantost com il prist congié au prestre et com il ot ses compaignons amonestés que ce qu’il avoient oï bien celassent a tote creature il se mistrent a la voie. (fol. 247 v)

Le point équivaut néanmoins assez souvent aussi à une virgule, comme plusieurs fois dans les lignes suivantes, qu’il soit ou non suivi d’une majuscule : Ensi estoit adonques toz li mons en dolor et en grant paine. quar en quelconques liu gens manoient et habitoient. estoient il esmeü d’aucune partie en bataille. Poi estoient adonques seür li haut home por lor richeces et ne por lor proeces. quar mout soventes fois avenoit que quant il estoient eslevé en la tres plus grant gloire de lor noblece. Fortune pesme et crueuse retornoit sa roie si les metoit en vilté et en destrece et si lor toloit ce que lor avoit promis et doné c’est les vaines richeces de cest siecle et avec la vie. (fol. 233 v)

Très souvent le point précède et : En la grant Phrige s’en ala Antigonus li fiz Phelippe qui li fu asignee. et Nearchus s’en ala en Pamphile. et en Lisce dont il fu rois et sire. et Cassander a la terre de Cariam et tote la contree. Et Menander ot Lide. et Leones la menor Phrige. et Lisimachus ot Trasse et tote la terre jouste la marine et Eumenidus s’en ala en Capadosse et Paflagonie qui li estoit donee. (fol. 252 v)

Le point d’interrogation a sa valeur moderne, tandis que le point élevé semble souvent l’équivalent d’une virgule : Ensi et de totes paroles parloient entr’aus la gens Alixandre. mais n’i avoit celui qui l’en osast araisnier ne faire nulle samblance fors que uns trestos sous Parmenius avoit a nom. cil parla au roi assés paverousement et si li dist. O 117.

M. de Visser, éd. cit., t. 2, p. 167-172.

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(point élevé) tu bons rois honorés et cremus sor tote creature por quoi as tu aoré cest evesque (point d’interrogation) qui n’est pas de ta loi. ne tos tes deus ne croit ne aore (point d’interrogation) li rois li respondi et dist l’evesque n’aore je mie. mais le deu en cui honor et en cui samblance il est ensi atornés. et cui nom je voi escrit en cele table. et por le deu porte je honor a cest home qui le sert. et qui l’aore. Quar quant je estoie au regne de Macedonie. il s’aparu a moi en tel samblance et en tel forme com cis evesques est ore devant moi en avision la ou je demoroie. et si me promist et dist que je sires seroie de mout de regnes que je conquerroie. il me dist verité plus grande que nos deu n’ont maintes fois faite. et si m’en est sovenu pluisors fois en mon corage. ne puis qu’il s’aparut a moi en avision (point élevé) ne vic je mais creature nulle de sa samblance fors cest home cui je por lui porte honor et reverence. (fol. 232 v)

La réception franco-italienne de l’Histoire ancienne jusqu’à César d’après le codex 2576 de l’Österreichische Nationalbibliothek de Vienne Le codex 2576 de l’Österreichische Nationalbibliothek de Vienne nous offre un témoin précieux et très intéressant de la réception de l’Histoire ancienne jusqu’à César en Italie et dans la région de Venise, au milieu du xive siècle. Parmi toutes les œuvres françaises diffusées en Italie, particulièrement en Italie du Nord, et réécrites, à des degrés divers, dans ce que l’on a appelé le « franco-italien118 », les textes sur Alexandre sont en effet bien présents au xive siècle. Nous conservons deux manuscrits italiens du Roman d’Alexandre continental de Lambert le Tort et Alexandre de Paris : le manuscrit de Venise (Museo Correr, 1493) et le manuscrit de Parme (Biblioteca nazionale, 1206). Le manuscrit de Paris, Bibliothèque de l’Arsenal 3472, montre aussi l’intervention, plus minime, d’un scribe italien119 et il convient d’ajouter le fragment 118. P. Meyer, « De l’expansion de la langue française en Italie pendant le Moyen Âge », dans Atti del Congresso internazionale di Science storiche, Rome, 1904, p. 3-46 ; Les Langues de l’Italie médiévale, dir. O. Redon, Turnhout, 2002 ; G. Holtus et P. Wunderli, Les Épopées romanes, Franco-italien et épopée franco-italienne, Grundriss der romanischen Literaturen des Mittelalters, t. 1 /2, fascicule 10, Heidelberg, 2005 ; C. Bologna, « La letteratura nell’Italia settentrionale del Trecento », dans Letteratura italiana, storia e geografia, éd. A. Asor Rosa, Turin, 1987, t. 1, p. 512-600. 119. Les deux associent l’Alexandre décasyllabique à un remaniement du texte de Lambert le Tort, à quelques emprunts à Alexandre de Paris ainsi qu’à des développements originaux. Le manuscrit de l’Arsenal comporte deux folios ajoutés par un scribe italien. Voir Le Roman d’Alexandre des manuscrits de Venise et de l’Arsenal, éd. M. S. La Du, The Medieval French

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d’un quatrième manuscrit du Roman d’Alexandre, celui de la Bibliothèque de Lugo120. L’Alexandre en prose et le Secret des secrets ont aussi été copiés en Italie respectivement dans le manuscrit BnF fr. 1385 et le manuscrit BnF fr. 821121. Et surtout de plus nombreux manuscrits italiens transmettent l’Histoire ancienne jusqu’à César d’après sa première « rédaction », celle de Wauchier de Denain, avant que la seconde « rédaction » ne soit réalisée à la cour angevine de Naples. Certes, à la différence de la matière des chansons de geste, qui, très appréciées en Italie du Nord, constituent la part la plus importante des textes franco-italiens, à la différence aussi d’autres pans de l’histoire ou des légendes antiques – pensons à l’Entrée d’Espagne ou à Aquilon de Bavière, ou pour l’Antiquité au Roman d’Hector et Hercule ou à la Pharsale de Nicolas de Vérone –, la vie d’Alexandre n’a pas suscité la naissance d’œuvres nouvelles, mais elle occupe une place non négligeable, bien que peu étudiée, dans cette littérature franco-italienne122. Quant aux récits de la vie d’Alexandre écrits dans les langues vernaculaires italiennes, ils datent de la fin du xiiie siècle et surtout des xive et xve siècles et ce sont avant tout de nombreux volgarizzamenti de l’Historia de preliis J2 et J3, qui vont supplanter les textes français en Italie123. Les œuvres françaises Roman d’Alexandre, t. 1, Text of the Arsenal and Venice Versions, Princeton, 1937 ; fac-similé du manuscrit de Venise, Le Roman d’Alexandre, Riproduzione del ms. Venezia, Biblioteca Museo Correr, Correr 1493, dir. R. Benedetti, Udine, 2000. 120. Voir P. Meyer, « De l’expansion de la langue française en Italie », art. cit., p. 14. Ce fragment appartient au récit du fourrage de Gadres. 121. Sa version du Secret des secrets a été éditée par A.-M. Babbi (« Di Aristotele a Alessandro », Quaderni di lingue e letterature, 9 (1984), p. 201-269) et le Roman d’Hector et Hercule qu’il contient par J. Palermo (Genève, 1972). 122. G. Holtus et P. Wunderli parlent de l’« une des grandes lacunes des recherches francoitaliennes » (op. cit., p. 163 ; voir aussi p. 161-164, 188-189). La liste des manuscrits qu’ils donnent contient des erreurs et des oublis nombreux sur l’Histoire ancienne jusqu’à César et le Roman d’Alexandre en prose. Ce qu’ils appellent le Roman d’Alexandre en prose correspond à la section sur Alexandre de l’Histoire ancienne jusqu’à César et non à l’adaptation de l’Historia de preliis. Le manuscrit de Dijon, Bibliothèque municipale 562, dont ils donnent l’ancienne cote 323, n’est pas d’origine vénitienne comme ils l’affirment (p. 163), mais nous avons vu que H. Buchthal a établi dès 1957 sa réalisation à Saint-Jean-d’Acre. Le BnF fr. 688 ne comporte pas de récit sur Alexandre et a dû être confondu avec le BnF fr. 686 (p. 163). Enfin, p. 188, la liste des manuscrits italiens est très incomplète et ne mentionne pas le codex de Vienne. 123. Depuis le livre de J. Storost, Studien zur Alexandersage in der älteren italienischen Literatur, Untersuchungen und Texte, Halle, 1935, très peu d’études ont été consacrées à ces textes pour la plupart encore inédits : voir R. Morosini, « The Alexander Romance in Italy », dans A Companion to Alexander Literature in the Middle Ages, éd. Z. D. Zuwiyya, Leyde et Boston, 2011, p. 329-363, et les analyses de M. Campopiano, à paraître chez Brepols dans La

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sur Alexandre ne semblent pas avoir été adaptées en italien, si l’on excepte l’Histoire ancienne jusqu’à César avec sa section macédonienne. De même que les Faits des Romains, qui lui succèdent dans certains manuscrits, l’Histoire ancienne jusqu’à César a en effet été traduite en italien. Dès son article pionnier de 1885124, P. Meyer l’a découvert, en mentionnant un manuscrit italien du xive siècle, le manuscrit 121 du fonds Canonici de la Bodleian Library d’Oxford. Il précise que la traduction conservée est partielle, puisque les 55 premiers folios du manuscrit manquent et peut-être la fin : elle commence avec l’histoire de Thèbes et se termine par l’annonce du récit du règne de Philippe. Il note également que plus tard le récit sur Troie de la seconde rédaction de l’Histoire ancienne jusqu’à César a été traduit en italien125. Puis L.-F. Flutre126 a indiqué d’autres témoins d’une adaptation italienne de l’Histoire ancienne jusqu’à César. Les études menées récemment par G. Ronchi ont établi une liste plus longue de manuscrits contenant un volgarizzamento de l’Histoire ancienne jusqu’à César, avec comme exemple du texte complet le manuscrit VI. 144 de la Biblioteca Marciana de Venise, qui date du xive siècle 127. Mais c’est aussi en langue française, ou plus exactement dans des formes de « franco-italien » relativement peu italianisées, que l’histoire universelle de Wauchier de Denain connaît le succès en Italie. Les manuscrits suivants de l’Histoire ancienne jusqu’à César en portent le témoignage et nous sélectionnons ceux qui contiennent la section sur Alexandre, en totalité ou en partie (parfois le tout début seulement) : -Carprentras, Bibl. Inguimbertine 1260 : fin du xiiie siècle-début xive siècle : sections I-VIII, début IX: localisation incertaine, Naples, Gênes ou Pise

Création d’un mythe d’Alexandre dans les littératures européennes (xie-xvie siècle), dir. C. Gaullier-Bougassas. 124. « Les premières compilations françaises d’histoire ancienne », art. cit., p. 62-63. 125. Ibidem, p. 77-81. 126. L.-F. Flutre, Li Fait des Romains dans les littératures française et italienne du xiiie au xvie siècle, Paris, 1932, p. 192-193. Il indique aussi le ms. 10 du fonds de Saint-Pantaléon de Urbe de la bibliothèque Victor-Emmanuel de Rome, ainsi qu’une traduction abrégée dans le Magliab. II, IV, 107 intitulé Fioretto della Bibbia. 127. G. Ronchi, « Un nuovo volgarizzamento dell’Histoire ancienne attribuito a Zucchero Bencivenni », La Parola del Testo, 8 (2004), p. 169-194 et eadem, « I volgarizzamenti italiani dell’Histoire ancienne. La sezione tebana », dans Studi su volgarizzamenti italiani due-trecenteschi, éd. P. Rinoldi et G. Ronchi, Rome, 2005, p. 99-165 (avec l’édition de la section thébaine).

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-Chantilly, Musée Condé 726, fin du xiiie siècle, sections I-X, Italie du Sud ou du Nord -Paris, BnF fr. 686, vers 1330 à Bologne, sections I-XI -Paris, BnF fr. 821, début du xive siècle, nord de l’Italie, sections IV, VI-début VII, IX -Paris, BnF fr. 1386, xive siècle, Italie du Sud, sections III-X -Vatican, Vat. Lat. 5895, fin du xiiie siècle, Italie, sections I-VII, début IX -Venise, Biblioteca Nazionale Marciana fr. z II (223), entre 1389 et 1394, Mantoue, sections I-X128 -Vienne, Österreichische Nationalbibliothek, codex 2576, Venise, milieu du xive siècle, sections I-XI

D’autres manuscrits de la première « rédaction » de l’Histoire ancienne réalisés en Italie sont incomplets et ne comportent pas le récit sur Alexandre129. Quant à l’origine italienne du manuscrit 2576 de Vienne, elle ne soulève plus de doutes. En 1936, H. J. Hermann130 avait certes affirmé que le texte aurait été copié dans le sud de la France, en Provence et à la fin du xive siècle, mais il avait déjà relevé un certain nombre d’inscriptions en italien dans les marges, près des illustrations131, et souligné les points communs de ces dernières avec l’art italien du Trecento. Dès 1943, O. Pächt132 a réfuté les analyses pionnières de Hermann sur l’origine provençale, en montrant pour la première fois les liens étroits des enluminures de la section de la Genèse du manuscrit 2576 avec le cycle iconographique de ce que l’on a appelé la « Cottongenesis133 », qui aurait vu le jour à Alexandrie au vie siècle ; il a supposé que l’illustrateur se serait inspiré d’un manuscrit qui présentait ces illustrations, alors qu’elles 128. Il a été réalisé pour Francesco Gonzaga entre 1389 et 1394, voir F. d’Arcais, « Les illustrations des manuscrits français des Gonzague à la Bibliothèque de Saint-Marc », dans Essor et fortune de la chanson de geste dans l’Europe et l’Orient latin, Modène, 1984, p. 585-616. 129. Selon la liste d’A. Rochebouet (thèse citée, p. 200-204), ce sont les manuscrits de Paris, BnF fr. 168 (Bologne vers 1375-1385, sections I-début VI), BnF fr. 9685 (fin xiiie siècle, début xive siècle, sections I-VIII), BnF fr. 12599 (seconde moitié du xiiie siècle, Toscane, fragment de X), de Tours, Bibliothèque municipale 953 (fin xiiie siècle- début du xive siècle, sections V-VI, fin incomplète), de Florence, Ricc. 3982. 130. H. J. Hermann, Die Westeuropäischen Handschriften und Inkunabeln der Gotik und Renaissance, Leipzig, 1936, t. 7-2, 1936, notice 2576, p. 168-176. 131. C’est essentiellement dans la section sur la Genèse : angnelli, fol. 19 r ; fradelli di Joseph, fol. 34 r ; damixelle, fol. 23 v ; merchadante, fol. 34 v ; so fiolli, fol. 34 v ; lo paneter, fol. 37 r et 37 v. 132. O. Pächt, « A Giottesque Episode in English Medieval Art », Journal of the Courtauld and Wartburg Institute, 16 (1943), p. 51-70. 133. Du nom de l’ancien possesseur, Robert Cotton, du manuscrit de la British Library, Ms. Cotton Otho, B VI, en partie détruit par un incendie.

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avaient déjà servi de modèle pour les mosaïques de la basilique Saint-Marc à Venise et qu’un tel manuscrit de la « Cottongenesis » devait toujours être disponible dans la région de Venise au xive siècle. La présentation matérielle du codex, avec la place assignée aux illustrations dans les marges inférieures des folios, sans encadrement, va aussi dans le sens de son origine italienne. En 1970, la thèse de K. Koshi a analysé plus en détail les caractéristiques du Trecento que comportent ces enluminures et leur très grande proximité, dans la section sur la Genèse, avec les mosaïques de la basilique Saint-Marc134, apportant des preuves supplémentaires de la réalisation du manuscrit dans la région de Venise135 : In Italien, wohin die Handschrift vor allem aus philologischen Gründen lokalisiert werden kann, ist Venedig der Ort, wo die Cottongenesis-Rezension direkt nach einem spätantiken Miniaturenbuch in grossem Umfang mehr oder weniger getreu kopiert wurde, nämlich in der Vorhalle von San Marco. Als die Wiener Histoire universelle entstand, lag in der Lagunenstadt die monumentale Kopie des spätantiken Genesiszyklus schon vollendet vor, und der Prototyp derselben könnte sogar nochmals dort in seiner Umgebung existiert haben136.

La présence dans le texte de caractéristiques du franco-italien et d’italianismes conforte cette origine, bien qu’aucune étude de la langue du manuscrit n’ait encore été réalisée137. Après avoir édité son récit de l’exploration sousmarine et de l’ascension céleste d’Alexandre, qui constitue une innovation du 134. K. Koshi, Die Wiener Histoire universelle (Cod. 2576) unter Berücksichtigung der sogenannten Cottongenesis-Rezension, Vienne, 1970, thèse dactylographiée consultée à la bibliothèque de Vienne (p. 7-13, p. 17), partiellement publiée sous le titre de Die Genesisminiaturen in der Wiener Histoire universelle (Cod. 2576), Vienne, 1973. 135. « Die bisherige Literatur setzt fast einstimmig unsere Handschrift ins 14. Jahrhundert und in der Tat sind die trecentesken Eigenschaften sowohl im Stil der Miniaturen, als auch in der modischen Tracht und in der Architekturdarstellung, sowie im Schriftschrakter unverkennbar (thèse citée, p. 17). » Puis elle analyse les motifs qui dans les enluminures se retrouvent dans d’autres œuvres vénitiennes du xive siècle (ibidem, p. 20-21). Suit une étude très précise des liens étroits avec la « Cottongenesis » et les mosaïques sur la Genèse de Saint-Marc à Venise (ibid., p. 22-76 et sa conclusion p. 168-173). Voir aussi son livre Die Genesisminiaturen in der Wiener Histoire universelle (codex 2576), Vienne, 1973, p. 4-7, suivies par des analyses précises et comparées des scènes de la Genèse représentées dans le codex et sur les mosaïques de la basilique Saint-Marc. 136. Op. cit., p. 169. Quand un élément, non attesté dans la « Cottongenesis », est présent dans les mosaïques, très souvent on le retrouve dans le codex de Vienne. 137. M. de Visser, t. 2, p. 28-29 ; elle rappelle l’opinion de H. J. Hermann sur l’origine provençale du manuscrit et évoque très brièvement la question de l’origine italienne (t. 2, p. 13, 29), sans mentionner les résultats des analyses de O. Pächt et de K. Koschi. Au t. 2, p. 39,

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copiste italien, J. A. Ross a relevé deux italianismes : fose (« embouchure d’un fleuve », italien foce) et kase (italien casa 138). Le texte de Wauchier de Denain est en effet remanié dans une forme de franco-italien, même si les traits linguistiques de cette langue sont moins accentués que dans d’autres œuvres écrites en Vénétie à la fin du xiiie siècle ou au xive siècle. Ce que l’on appelle le franco-italien est une langue écrite – et non parlée –, que nous connaissons à partir de manuscrits rédigés par des Italiens en langue française, principalement en Italie du Nord, dans la seconde moitié du xiiie siècle et au xive siècle139. Cette langue purement écrite et donc largement artificielle se caractérise par des interférences entre l’ancien français, le moyen français et les langues italiennes, et par l’invention de formes hybrides qui n’appartiennent parfois ni au français ni à l’italien. Le texte du manuscrit de Vienne reflète ainsi un état de langue complexe, au croisement de plusieurs influences, et nous confronte aux spécificités de l’édition d’un texte franco-italien, qui comme l’a montré G. Holtus, ne peut pas toujours suivre les mêmes règles que celle de l’édition d’un texte en ancien ou en moyen français, car il est important de conserver les formes hybrides et les traits italianisants, sans chercher à les « corriger » par des formes d’ancien ou de moyen français140. Les mains de plusieurs copistes se succèdent en outre elle le dit « d’origine inconnue ». Elle ne consacre que quelques lignes aux italianismes (t. 2, p. 29). 138. D. J. A. Ross, « The History of Macedon in the Histoire ancienne jusqu’ à César », art. cit., p. 228-229. 139. Voir G. Holtus et P. Wunderli, Franco-italien et épopée franco-italienne, op. cit., p. 74 : « Il ne faut pas oublier que le franco-italien ne fut jamais une langue parlée, mais qu’il est un produit littéraire artificiel basé sur des emprunts à l’ancien et au moyen français tout en étant lié à la tradition des variétés haut-italiennes. La recherche d’une réalité phonétique-phonologique est donc une fausse piste, puisqu’il s’agit, dans notre cas, non pas de la mise par écrit d’une variété linguistique bien définie, mais de la création spontanée d’un instrument d’expression littéraire qui utilise comme sources linguistiques (de même valeur) de multiples variétés romanes (plus ou moins étroitement) apparentées. Il s’agit donc de l’exploitation graphique d’équivalents lexicaux et morphologiques par les auteurs, rédacteurs et copistes en fonction de leur compétence plurilingue et pluridialectale individuelle. » Voir aussi, outre leurs nombreux articles cités dans la bibliographie de ce volume du Grundriss, G. Holtus, Lexikalische Untersuchungen zur Interferenz  : die franko-italienische Entrée d’Espagne, Tübingen, 1979 ; idem, « Langues artificielles à base romane. IV, le franco-italien », dans Lexikon der romanistischen Linguistik, éd. G. Holtus, M. Metzeltin et C. Schmitt, t. 8, 1998, p. 705-756 ; son édition La versione franco-italiana della Bataille d’Aliscans, codex Marcianus fr. VIII (252), Tübingen, 1985 et l’édition de P. Wunderli, Raffaele da Verona, Aquilon de Bavière, Tübingen, 1982 -2007, 3 t. 140. G. Holtus, « Les problèmes posés par l’édition de textes franco-italiens. À propos de quelques leçons problématiques de V 4, V 8 et d’autres manuscrits », dans Au carrefour des

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dans le codex 2576 de Vienne et nous ignorons s’il a existé (un peu avant ou en même temps) un remanieur qui aurait eu un regard d’ensemble sur le texte. Tout en éditant les sections « Assyrie, Thèbes, Minotaure, Amazones, Hercule » du codex 2576 de Vienne, M. de Visser van Terwisga ne l’inscrit pas dans le contexte de la littérature franco-italienne. Elle n’analyse pas la langue du copiste et caractérise le manuscrit comme « très lacunaire et fort corrompu à bien des endroits141 », ce que fait ressortir la présentation synoptique avec le texte du ms. BnF fr. 20125. Ces deux notions de faute et de lacune n’ont pas ici de pertinence à nos yeux et le manuscrit de Vienne mérite d’être étudié moins parce qu’il garde des liens étroits avec le texte de Wauchier de Denain et permet ainsi de contrôler le prologue et certaines des moralisations du manuscrit BnF fr. 20125142 que parce qu’il illustre une réception particulière du texte en Italie. Il s’agit donc de l’envisager dans sa spécificité. Bien sûr le copiste abrège parfois, mais l’abréviation est signifiante. Il réécrit aussi et ajoute quelques développements qu’aucun autre manuscrit de l’Histoire ancienne jusqu’à César du xiiie siècle et du xive siècle ne semble contenir. Nous avons ainsi décidé de ne pas présenter les deux textes en regard l’un de l’autre, pour rendre justice au remaniement italien, mais de les éditer successivement. L’édition de la section « Alexandre et la Macédoine » du manuscrit de Vienne nous a amenée à corriger le texte bien davantage que celui du manuscrit BnF fr. 20125 et à opérer des choix, partagée que nous avons souvent été entre la volonté de rendre compte des spécificités linguistiques du manuscrit et de ses marques de « franco-italien » et la nécessité d’éditer un texte intelligible. Parmi ces choix, mentionnons d’emblée les principaux, en indiquant que toutes les corrections sont indiquées dans les notes de bas de page143. Nous avons le plus souvent corrigé : -les absences d’accord (singulier-pluriel) entre sujet et verbe, alors que c’est sans doute un trait caractéristique du franco-italien144, mais elles nous ont semblé compromettre la compréhension du texte.

routes d’Europe, Senefiance, 21 (1987), p. 675-696. 141. éd. cit., t. 1, p. iv ; t. 2, p. 39 « copie de qualité très médiocre ». 142. C’est ainsi que l’exploite M. Coker Joslin, sans l’éditer, dans son édition de la section « Genèse » d’après le BnF fr. 20125 (op. cit., p. 24). 143. Nous adoptons un système de notes différent de celui utilisé pour le texte de Wauchier de Denain, puisque nous regroupons en bas de pages toutes les notes, et pas seulement celles qui portent sur les corrections. 144. Voir plus loin, p. 80.

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-les formes atones des pronoms personnels masculins compléments, car le copiste emploie fréquemment la forme li comme une forme polyvalente, qui vient remplacer le, lor, les, ou le pronom sujet il. Lor employé à la place du els /eus français n’a en revanche pas été corrigé, car il ne pose pas de problème d’intelligibilité. Quant aux conventions relatives aux emplois de la cédille et du tréma dans l’édition d’un texte en ancien et en moyen français, rappelons ici encore que « le franco-italien n’a aucune realtà dialettale en tant que parlato (mais sans doute comme scritto), et que la scripta franco-italienne présente un caractère largement artificiel145 », et que les graphies, variables pour un même mot, pouvaient souvent être susceptibles de plusieurs prononciations selon l’origine des lecteurs. Dans les folios édités, le copiste utilise plusieurs fois la cédille selon les pratiques italiennes. Il était indispensable d’en rendre compte et nous avons édité ces cédilles italiennes, comme c’est la règle dans les éditions des textes franco-italiens. Conformément aux usages italiens, le ç est l’équivalent d’un z ou d’un g français146. Bien que très importants comme preuves de l’origine italienne du scribe, les emplois de cette cédille italienne restent néanmoins peu nombreux, et donc relativement marginaux. Fallait-il par ailleurs recourir aussi à la cédille utilisée – ajoutée artificiellement – par les éditeurs de textes français selon l’usage français moderne, devant a, o, u, quand on veut donner à la lettre c la valeur phonétique d’un [s] ? Dans un premier temps, nous n’avons pas souhaité éditer à la fois la cédille telle que le scribe italien l’emploie et la cédille telle qu’un éditeur moderne l’introduit. C’est la position qu’a adoptée P. Wunderli dans son édition de Aquilon de Bavière de Raffaele da Verona, qui date du tout début du xve siècle : Dans tous les cas où l’on rencontre le signe ç [dans son édition], celui-ci se trouve déjà dans le manuscrit […]. Ceci nous empêche d’introduire ç dans un certain nombre de cas devant u/o/a où, d’après les données phonétiques du moyen français, on aimerait l’employer pour marquer le caractère fricatif du phonème correspondant (cf. par ex. apercuit etc.). Étant donné que le statut phonologique et phonétique de ces cas est peu certain (nous avons affaire à une langue littéraire purement livresque !), cette situation a pourtant l’avantage de ne préjuger en rien quant à l’interprétation grapho-phonématique147 !

145. G. Holtus, « Aspects linguistiques du franco-italien », dans Essor et fortune de la chanson de geste dans l’Europe et l’Orient latin, Modène, 1984, p. 802. 146. Voir plus loin, p. 81. 147. Éd. cit., t. 1, p. xlix.

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Néanmoins l’italianisation de la langue du codex 2576 est beaucoup moins forte que dans Aquilon de Bavière. Par ailleurs, les termes où l’on peut introduire la cédille selon les usages de l’édition des textes en français sont peu nombreux. Certains apparaissent en outre quelquefois – certes rarement – avec la graphie en s, qui témoigne d’une prononciation en [s] : ansois, 3, 2 ; 5, 66 ; 7, 94 ; 8, 60 ; recomensa, 12, 30 ; aparseurent, 10, 122. Pour ces termes, nous avons alors finalement choisi d’éditer le c avec la cédille française, tout en étant consciente du caractère arbitraire d’un tel choix, puisque la valeur de la cédille italienne médiévale est différente de celle de la cédille française moderne. Nous avons systématiquement signalé en note de bas de page les emplois italiens du ç qui sont présents dans le manuscrit. Les conventions relatives à l’usage des trémas nous ont aussi posé des questions. Alors que pour un texte en prose écrit en moyen français, en raison de la réduction progressive des hiatus à partir du xive siècle, les éditeurs n’éditent généralement pas avec le tréma les graphies du type armeure, veu, feist…, nous avons décidé, après réflexion, de marquer ici les diérèses, en utilisant le tréma. Nous maintenons aussi l’usage du tréma pour distinguer des homographes (pais, « paix » ; païs, « pays »). Nous avons certes cherché si les folios contenaient des graphies qui témoigneraient d’une réduction des hiatus et nous en avons trouvé quelques-unes. Mais ce sont de très rares occurrences de formes verbales réduites, qui peuvent en outre parfois résulter de confusions : […] comande as dus de l’ost qu’il prisent toz les bestes de l’ost, qu’il lé meïssent […] (§ 7, 158) Lor li dist li rois Purus qu’il n’eüsent nulle doutance de celle beste, mes qu’il prysent triges […] (§ 10, 96) Donc demanda le roy Alexandre a cels que o li estoient que li disent […] (§ 10, 144) (mais peut-être est-ce ici une confusion avec une forme de subjonctif présent) car tantost con nul i meïst li piés keoit mort (§11, 65) : meïst forme de subjonctif imparfait employée alors que l’on attendrait un passé simple (mist).

En revanche, nous ne relevons aucune occurrence pour les substantifs du type armeüre d’une graphie armure et nous lisons une fois truage (7, 18 et non treuage). La grande rareté des graphies refaites et l’écrasante domination des graphies avec les deux voyelles n’apportent certes pas de preuves certaines. Mais l’Histoire ancienne jusqu’à César étant jalonnée d’interventions de l’auteur en vers, nous pouvons aussi nous référer au compte des syllabes dans les

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vers réécrits par le / les scribes italiens. Or, nous constatons que le prologue conserve les hiatus, alors même que le scribe réécrit et transforme légèrement certains vers148. Même si comparaison n’est pas raison, nous avons aussi regardé à ce sujet la moralisation en vers qui suit la mort d’Alexandre dans un autre manuscrit copié en Italie du Nord vers 1330, le BnF fr. 686 (fol. 291 r et v) : les hiatus sont y conservés. Il en va de même dans la majorité des œuvres franco-italiennes en vers du milieu du xive siècle, et notamment l’Entrée d’Espagne, le Roman d’Hector et Hercule ou la Bataille Aliscans franco-italienne149. En effet, cette langue littéraire artificielle qu’est le franco-italien ne connaît pas toutes les évolutions du moyen français et conserve certains traits de l’ancien français150. En outre, si l’on se réfère aux études sur le moyen français, les hiatus sont très loin d’être réduits dans tous les textes du milieu du xive siècle et la situation est toujours très incertaine pour les textes en prose, dans un sens comme dans l’autre151. Par ailleurs, il est impossible de savoir à partir de quel manuscrit le remanieur (ou les scribes) italien travaillait. Nous pouvons néanmoins être assurés qu’il connaissait l’un des manuscrits du texte sous sa forme la plus ancienne, avec son prologue et des traits linguistiques du nord de la France152. De tous les manuscrits que nous conservons, seul le manuscrit de Paris, BnF fr. 20125, s’ouvre aussi sur ce prologue, où Wauchier de Denain nomme son mécène, le châtelain de Lille, évoque son projet d’histoire universelle et sa volonté de dérouler tout le temps historique juqu’à l’histoire de la Flandre de son époque. Dans le remaniement franco-italien sur Alexandre, nous constatons ainsi de très nombreux passages très proches du texte du ms. BnF fr. 20125 : Quant Alixandre ot ensi conquisse Persse come vos oés et entendés et li treü assis a sa volenté par lé castelz et par lé cités, et [devisé] coment cascuns paieroit, il porta corone en cele meïsme cités a grans honor et grans los, e puis s’en torna au roiaume de Jerusalem en Judee por metre a sa segnorie. Adonques en estoit Joadus sire qui governoit la tere e le pople. Tantost come Joadus li vesque 148. Par exemple : « Car ne font pas ce q’il deüsent » (v. 38) ; « Crestïen furent apelé » (v. 39), « E si l’ot mis en Paradis / Ou il eüst esté toz dis / Se pasé n’eüst son comant » (v. 59-61). 149. L’Entrée d’Espagne, éd. A. Thomas, Paris, 1913, 2 t. ; Le Roman d’Hector et Hercule, éd. J. Palermo, Genève, 1972 ; Bataille Aliscans, éd. G. Holtus, op. cit. 150. Voir plus loin, p. 76-78. 151. Ch. Marchello-Nizia, La Langue française aux xive et xve siècles, Paris, 1997, p. 69-75. 152. Les textes écrits dans le nord de la France, et notamment des épopées, sont en effet nombreux à avoir été diff usés en Italie.

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soit que li rrois Alixandres venoit sor li, il en ot molt grans paor, il si asenbla les ancians homes de la cités por consoil quere et demander qu’il pooit faire contre Alixandre le rois […] (codex 2576 de Vienne, § 8, 1-8). Quant Alixandres ot ensi com vos oés tote Perse conquise et les treüs assis a sa volenté par les chastiaus et par les cités, que il chascun an li soudroient et paieroient, il s’en revint ariere en la terre de Judee por Jherusalem prendre et deguaster et les juis sousmetre a sa segnorie. Adonques en estoit Joaddus evesques et sires qui en guovernoit la terre et le pueple. Tantost que Joaddus sot que Alixandres li rois de Macedonie venoit sor les juis, il en ot mout grant paor, si assambla les anciens homes de la cité por conseill querre et demander qu’il porroit faire contre Alixandre le roi de Macedonie (BnF fr. 20125, § 34, 1-8).

Le manuscrit de Vienne conserve de nombreux traits linguistiques du nord de la France au xiiie siècle. Certains apparaissent même encore plus fréquemment que dans le manuscrit BnF fr. 20125. Les plus visibles concernent l’absence ou la faiblesse des palatalisations, alors que la lettre k est rarement employés dans les textes franco-italiens153 : Cant li jor de la bataille fu asis, il vindrent en une place de tere qui estoit devisees, armés molt rikemens come rois sor li keval covert de drap de soye et tantost coment il s’entrevirent, il brokerent les kevaus des esperons sans plus dire. Donc ferit li rois Purus li rois Alexandre en son escu sans luy esparaner, si que li speca sor li son espleu, mes ne li toka mie la kar […] (codex 2576 de Vienne, § 9, 34-38). Et quant li jors de la bataille fu acis, il vindrent en la piece de terre qui i estoit devisee, si richement armé come roi et sor les chivaus covers de dras de soie et tantost com il s’entrevirent, il poinstrent lor chivaus des esperons sans longes paroles faire. Li rois Porus feri le roi Alixandre haut amont en l’escu si que li persa al espiou trenchant qui aresta sor le clavain qui mout fu fors et tenables. Et li rois Alixandres qui bien se tint ne cheï mie dou destrier, ains feri le roi Porrus bas jouste l’orle de la roiele […](BnF fr. 20125, § 45, 1-7).

Nous relevons aussi des emplois de l’article féminin le pour la selon l’usage picard (le cités, 14, 75 ; le partie, 20, 7 ; le meslee, 20, 78…), ainsi que des formes de parfait bien attestées dans le Nord, mais dont certaines sont absentes du BnF fr. 20125 (verbes avoir et savoir, oit, 6, 62 ; hoit, 7, 186 ; soit, 8, 6 ; 21, 83). Dans le même temps, nous savons que le franco-italien tel qu’il est écrit en Italie du Nord au xive siècle reste souvent proche de certaines graphies de 153.

G. Holtus et P. Wunderli, Franco-italien et épopée franco-italienne, op. cit., p. 75.

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l’ancien français et ne reflète pas toujours l’évolution du moyen français en France, bien que des traits de cette dernière puissent aussi apparaître. Le manuscrit 2576 de Vienne et ses folios sur la Macédoine et Alexandre l’illustrent par bien des aspects. -Les graphies relatinisantes qui caractérisent le moyen français n’apparaissent quasiment jamais (deux fois temps, 3, 23 ; tenps, 4, 52 ; toujours conter et jamais compter…). -On constate le maintien très fréquent du o qui a évolué en ou en moyen français. Certes les graphies en ou ne sont pas absentes, mais les graphies anciennes en o dominent largement : atornés, 5, 153 (atourner absent) ; boche, 9, 95 (bouche absent) ; corage, 7, 97 (courage absent) ; dotance, 7, 190 (mais aussi doutance, 10, 10), dotoient, 9, 216 (mais aussi douta, 7, 85) ; jors, 7, 86 (jour absent) ; loez, 9, 87 (louer absent) ; mostré, demostrer, 6, 31 ; 6, 12 (une fois moustrans, 7, 47-48) ; poroit, 2, 19 (jamais pouroit)  ; portant, 4, 29 (pourtant absent)  ; torner, 4, 51 (tourner absent) ; domination des formes tot / toz (présence néanmoins de formes toutes)… (néanmoins novele n’est jamais présent alors que nouvele est attesté 7, 84). G. Holtus et P. Wunderli expliquent ainsi ce trait caractéristique du franco-italien : Spontanément, on pourrait croire que o est tout simplement un trait archaïque repris de l’ancien français et imputable à la lecture assidue de textes en ancien français de l’époque classique. Mais une telle interprétation se trouverait en contradiction avec d’autres phonèmes qui prouvent une bonne connaissance du français parlé de l’époque. En y regardant de plus près, on constate que les graphies contenant un o se retrouvent avant tout dans les mots que l’italien (et particulièrement, le toscan) prononce habituellement [o]. La situation est donc bien plus compliquée que l’on ne le supposerait au premier coup d’œil : la tradition phonétique-graphique de l’ancien français, la phonie contemporaine des variantes italiennes parlées et les habitudes graphiques italiennes coïncident et poussent à une claire préférence du o154.

- De même nous trouvons majoritairement les graphies o là où l’on attendrait eu en moyen français : presque toujours lor (4 occurrences de leur, 7, 71 ; 7, 134 ; 9, 29 ; 9, 98) et segnor / seignor (une occurrence Seigneur, 8, 19) ; toujours la graphie segnorie (jamais se(i)gneurie) ; toujours (h)onor (jamais (h) oneur), meilor… : 154.

Ibidem, p. 75.

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[En franco-italien], la terminaison nominale en -or (-eur) est l’exemple le plus typique : segnor, meillor, menor, monsegnor, auctor, impereor, honor… Ce phénomène se retrouve aussi en dehors de cette terminaison nominale, p. ex. dans lor, dans les pronoms démonstratifs cestor et cellor, ainsi que pour de nombreux autres cas, où l’on attendrait à la graphie eu : pros, corozos, dos, merveilos… Dans quasiment tous ces cas, l’italien et ses variétés haut-italiennes prononcent [o] représenté graphiquement par o. Il semble bien que là aussi ce soit à cause de la coïncidence de la tradition phonético-graphique italienne et la tradition scripturale classique de l’ancien français que la graphie o domine pratiquement sans réserve155.

-Parmi ces traits conservateurs, nous rangeons aussi le maintien problable des hiatus. Comme nous l’avons mentionné plus haut, il est attesté dans les textes franco-italiens en vers qui sont écrits dans l’Italie du Nord au milieu du xive siècle, et aussi dans les moralisations en vers que comporte le manuscrit de Vienne (même si elles ne sont pas toutes de la main du même copiste). Dans sa section sur la Macédoine et Alexandre, les graphies restent très majoritairement celles de l’ancien français. Rares sont celles qui attestent d’une réduction des hiatus. Pour cette raison et pour celles développées plus haut, nous avons conservé l’usage du tréma156. Quant à la morphologie, les folios édités du manuscrit de Vienne illustrent plusieurs évolutions par rapport à l’ancien français qui ne correspondent pas à celles du moyen français et qui pour beaucoup se retrouvent dans les textes franco-italiens de la fin du xiiie siècle et du milieu du xive siècle. - L’une des plus importantes concerne l’usage pour les substantifs, les adjectifs et les articles, des cas sujet et des cas régime. Alors que l’on attendrait un effacement des cas sujet au profit des cas régime (une progressive disparition de la déclinaison qu’attestent d’ailleurs les manuscrits de contrôle exploités pour l’édition du texte de Wauchier, dont la plupart datent de la seconde moitié du xiiie siècle), ici la désarticulation de la déclinaison, si profonde 155. Ibid., p. 76. 156. Dans son édition d’Aquilon de Bavière, P. Wunderli se refuse à « mettre un tréma dans les cas où deux signes vocaliques entrent en contact direct, qui pourraient – du moins théoriquement – appartenir à deux syllabes différentes », car « ayant affaire à une langue artificielle purement livresque et en outre à un texte en prose, nous ne disposons d’aucun critère opératoire qui nous permettrait de distinguer entre cas de synérèse et cas de diérèse », et que « pour les mêmes raisons il est souvent difficile de distinguer entre une suite de deux graphèmes vocaliques autonomes et un diagraphe » (éd. cit., p. l) ; mais Aquilon de Bavière est une œuvre plus tardive, du début du xve siècle, et entièrement écrite en prose.

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soit-elle, ne s’opère pas toujours au profit du cas régime. Les cas sujet sont souvent maintenus pour les termes en fonction sujet et des formes de cas sujet apparaissent aussi assez souvent à la place de cas régime, particulièrement pour les articles mais aussi pour les substantifs : […] une grans malladie sorprist li rois Daires (§ 4, 56). […] l’en peüst oïr merveillose noise et veoir resplandexir les armes contre li soleil. Les batailles comencent mortel, donc sermonent li .ii. rois lé gent de bien faire (§ 7, 103-105). […] ill s’en ala […] vers toz li pueple […] (§ 8, 72) […] que lle fuec lor feïst aÿe et lor fust forteresces contre li serpens et contre toz les autres bestes sauvages […] (§ 9, 70-71). Quans Alixandre vit venir li prestres et li vesque des blankes vesteüres revesti et li evesque Jodas […] (§ 8, 15). […] aprés s’en ala il en Inde qui aprés la mort le roy Alexandre estoit revelee contre li sire qu’il avoit leysié ( § 20, 61-62). Quant li rois Alixandre ot toz environés parmi li fluns d’Ynde […] (§ 15, 1), quant la nés ot pasés la fose dou fluns […] (§ 15, 10), il comença de cliner li porcels vers li oisel grifons […] (§ 15, 36).

G. Holtus et P. Wunderli ont insisté sur l’emploi fréquent de l’article li au cas régime dans les textes franco-italiens : « Si en Haute-Italie li domine […] dans toutes les positions, […], cela est vraisemblablement dû à la ressemblance de la forme li avec l’article il dominant en italien157. » -La mise à mal du système de la déclinaison  se manifeste aussi par de fréquents ajouts d’un s final à des formes de singulier et au cas régime : Quant li rois Alexandre ot toz cele gens desconfites et mortes et s’en vint a le cités qu’il trova fetes de murs et de nobles forteresces et le trova bien garnie de jens dedens la cités e nulz ne se mostroit as murs. Adons fist li rois droicier une esciele et monta sur le murs et si saili dedens la cités […] (§ 14, 74-77). […] toz ses jens seroient prisses o mortes in tel maineres que petiz en scanperent […] (§ 18, 35-36).

-Nous relevons très souvent l’emploi de li pronom personnel complément atone comme une forme polyvalente, à la fois pour li /lui, le, les ou lor et aussi pour le pronom sujet il : La li [pour le] reçurent cil dou regne benignement et le onorerent, mes si li [pour les] atorna toz insi con il fist lé Tebeniens et lé Tessaliens. Quant il cuidorent estre plus seür et avoir de le [pour lui ou li] force et aÿe, il prist le

157. Op. cit., p. 77.

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roy por traïxon e por mençogne et li aus barons avec luy et li [pour les] fist trestoz ocire e puis mist il toz cel regne a sa subecion et a sa segnorie (§ 5, 6-11). Adonc vindrent a luy Tesaliens et li [pour le] prierent qu’il li [pour les] aidast contre cil de Foce et i lor promist et dist qu’il ne combatisent mie sens li et quant ce sorent cil de Foce s’apristrent aveuc lors [pour els] lé Ateniens et li Lacedemoniens, si manderent au rroy Fillips, si lli prierent et promistrent avoir qu’il n’i aidast li Tabeniens. Donc li [pour lor] en promist qu’il concorderoit et feroit droite paix ensenblle (§ 5, 35-40).

G. Holtus et P. Wunderli ne mentionnent pas un tel phénomène parmi les traits majeurs du franco-italien. Même si c’est ici une caractéristique de la langue du copiste, nous avons en général corrigé les confusions autour de li parce qu’elles perturbent la lecture, tout en l’indiquant chaque fois en note, ce qui permet au lecteur de voir les divers usages de li. Lor est aussi très souvent employé après une préposition à la place du els / eus /aus attendu en français (si resenblerent aveuc lor, 4, 31 ; par mesconosaince d’entre lor et les Grés, 4, 76-77). Nous n’avons pas jugé ici nécessaire de corriger. -Les formes féminines des adjectifs épicènes ne sont pas refaites (une occurrence de grandes, 9, 103). -D’incessantes erreurs de genre et de nombre vont bien au-delà de la mise à mal du système de la déclinaison. Très fréquemment c’est l’accord de nombre entre le sujet et le verbe qui n’est pas respecté. De telles absences d’accord sont un trait caractérique des textes franco-italiens et, pour P. Wunderli, une marque de l’influence de l’italien et plus exactement du vénitien : [Dans l’Aquilon de Bavière, le] nombre considérable de confusions justifie la supposition que la différenciation entre singulier et pluriel est superficielle et ne concerne que le niveau graphique […]. Spontanément, on pense à une influence vénitienne, car en vénitien, les deux formes sont souvent réunies sous la seule forme du singulier. Cependant, on ne doit pas oublier qu’en moyen français, pour la plupart des paradigmes, les formes de la troisième personne du singulier et celles du pluriel ne se différencient pas au niveau phonique parce que –nt a cessé d’être prononcé. Là encore, il se pourrait bien que la situation en français parlé de l’époque ait en quelque sorte servi de plate-forme à la généralisation du syncrétisme vénitien158. 

Néanmoins, nous avons en général jugé nécessaire de corriger ces absences d’accord, pour rendre le texte plus intelligible.

158.

G. Holtus et P. Wunderli, op. cit., p. 79.

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Parmi les autres traits partagés avec textes franco-italiens, les folios édités montrent quelques usages de traditions scripturaires du nord de l’Italie159. -La lettre ç est utilisée plusieurs fois  par le scribe160 : -comme l’équivalent d’un g ou d’un j en français : le çeuc que fesoient li liçer bakallez, 5, 139 ; ençigners, 9, 219 ; coraços, 18, 23 ; coroçoient, 13, 11 (voir note 401 de notre édition). -comme l’équivalent d’un z : Amaçoynes, 8, 63. Elle reste marginale, à la différence de ce qu’attestent d’autres textes franco-italiens écrits en Vénétie au milieu du xive siècle, comme l’Entrée d’Espagne ou la Bataille Aliscans, mais elle est bien entendu très caractéristique de l’écriture italienne. Nous l’avons éditée telle quelle, en mentionnant en note sa présence dans le manuscrit, pour la distinguer de la cédille ajoutée selon les usages français, comme indiqué plus haut. -La lettre x est beaucoup plus souvent employée à la place du s français, ce qui apparaît comme la marque d’une influence de la langue vénitienne161: akeixon, 18, 54 ; axie, 9, 154 ; avixion, 8, 32 ; buxines, 9, 172 ; conduxoit, 11, 26 ; demandaxon, 12, 2 ; deprixonés, 17, 33 ; devixés, 5, 82 ; dexier, 3, 12 ; dexiré, 9, 152 ; exposee, 3, 24 ; fexoit, 14, 205 ; mexaisse, 9, 154 ; orixons, 10, 188 ; ouxelz, 13, 15 ; plaixir, 4, 15 ; prixon, 17, 30 ; raixon / reixon, 14, 26 ; 18, 45 ; traïxon / traÿxon, 5, 9 ; 18, 63 ; uxage, 7, 226 (nous ne notons que les premières occurrences de chacun des termes)

-Redoublement du l (premières occurrences notées seulement) : de lla cités, 1b, 8 ; ne lla, 9, 65 ; que lla, 6, 15 ; lly freres, 2, 2 ; llor droiturel seignors, 4, 7 ; que lles aidast, 4, 34 ; que lles autres voysines, 5, 34. -Emplois de g à la place d’un c : engeinte, 6, 34 (enceinte, 6, 39) ; gages (pour cages), 15, 40 ; glof, 6, 26 ; perges, 10, 111. 159. Voir la liste donnée par G. Holtus et P. Wunderli, op. cit., p. 73-80 ; par G. Holtus dans son article du Lexikon der romanistischen Linguistik, art. cit., p. 733-750 ; voir aussi les précises analyses linguistiques de G. Holtus dans son édition de La versione franco-italiana della Bataille d’Aliscans, op. cit.,, ainsi que celles de P. Wunderli dans son édition de Aquilon de Bavière, op. cit., et les études plus anciennes de A. Thomas, introduction à son édition de l’Entrée d’Espagne, op. cit., p. lxxxiv-cxxii et de W. Meyer, « Franko-italienische Studien », Zeitschrift für romanische Philologie, 9 (1885), p. 597-640 ; 10 (1886), p. 22-55, 363-410. 160. Voir Les Langues de l’Italie médiévale, op. cit., p. 48-50. 161. A. Thomas, introduction à son édition de l’Entrée d’Espagne, op. cit., p. ci.

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-Très rares emplois de z pour j : zieus, pour jieus, 8, 45, et zavelot, 9, 185 (selon une tradition scripturale du vénitien162). -Absence de voyelle prothétique : -un e devant s  : scanper (pour escanper), 13, 36  ; scrit, 8, 17  ; spaventable, 10, 60-61 ; spee, 5, 102 ; smeraudes, 13, 31 ; smovoir, 7, 161 ; sperance, 4, 19 ; spesement, 11, 53 ; spices, 11, 37 ; stranges, 7, 20 ; stroitement, 13, 23. Elle correspond ici souvent à l’italien. -un e devant d, t : defices, 9, 92 ; Tiope, 14, 9 -un a devant b, k, l, s : bosmés, 13, 75 ; kater, 10, 9 ; keyson, 18, 53 ; lumés, 10, 240 ; sailir, 4, 64 ; senbla, 18, 54

-Un i à la place du e en français dans la première ou la seconde syllabe : continemens, 7, 186 ; firerent, 7, 106 ; ligerement, 18, 9 ; norimens, 9, 163 ; primerain, 1b, 1 ; primerement, 3, 5-6 ; vestimens, 10, 17-18. -Un a à la place du ai français : fasoit, 2, 8 ; fat, 4, 37 ; mantenant, 6, 47 ; mantenir, 10, 6 ; mantes fois, 1b, 12 ; plasoit, 5, 91 ; sane, 12, 47 ; sans, 11, 45 ; sovrane, 12, 08. -Un e à la place du ei français : ben, 9, 8 ; plens, 9, 156. -Un a à la place d’un e français : ancianemens, 5, 119 ; comandamant, 4, 7 ; començament, 5, 44 ; faroit, 5, 12 ; seramens, 5, 45 ; saremens, 11, 19. -Un o pour oi français : jons, 3, 16 ; pongant, pongit, 7, 146-148 ; pongoient, 9, 185 ; pont, 7, 189. -Le h très souvent absent en initiale : abitee, 13, 32 ; ait, 9, 218 ; aitiés, 13, 68 ; aus barons, 5, 9 ; autement, 6, 55 ; erberger, 10, 166 ; oilous, 11, 56 ; onte, 14, 28 ; ontosement, 10, 26 ; umaine, 10, 127 ; urterent, 14, 2 ; ydosse, 9, 115… -Pas de règle pour l’usage des deux graphies et et e pour la conjonction et. -Absence de e à la finale de certains infinitifs : bruir, 10, 103 ; dir, 7, 61 ; fer, 4, 86 ; 7, 39 ; 10, 156 ; 16, 5 ; deconfir, 7, 195 ; occir, 13, 8.

162.

G. Holtus et P. Wunderli, Franco-italien et épopée franco-italienne, op. cit., p. 74.

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-Amuïssement de la finale t de la troisième personne du singulier : poüs, 5, 77 ; remis, 8, 64 ; amuïssement de la finale s de la deuxième personne du singulier : poé, 14, 42. -Quelques formes de passé simple en uit, à la place du français ut (les formes en ut sont aussi présentes) : aperçuit, 6, 54 ; puit, 2, 18 ; 4, 59 ; 7, 132 ; reçuit, 18, 4. -Confusions entre par et por : par smovoir, 7, 161 ; par mantenir, 15, 61… -Créations pré-fixales : aloger, agrever, egrever, amaistrer… -Initiales in à la place du français en (les formes françaises sont aussi présentes) : incontre, 7, 84 ; 17, 35 ; 18, 44 ; infens, 7, 7 ; ingin, 7, 66 ; inoia, 12, 21 ; inorta, 19, 4 ; insenble, 7, 108 ; insi, 5, 7 ; insint, 4, 48 ; insus, 5, 90 ; intalenté, 5, 114. -Quelques termes de vocabulaire qui ne semblent connus ni ancien français ni en italien sous la graphie que le copiste leur donne : glof, escribé, ginge, coroger au sens de cuire, seguir, das… Certains sont très proches du latin : bakallez, congitus, trige, fuge, naquiseles, tende, perde, brufels, sagite, doumiser, sepelir…, et aussi de l’italien pour bakallez, fuge, liste, naquiseles, tende. Enfin apparaissent quelques formes italianisantes plus nettes. -Parmi ces dernières, il convient de renoter les termes proches de l’italien mentionnés ci-dessus  : bakallez, fuge, liste, naquiseles, tende, ainsi que les formes du verbe « faire », fasoit, faroit et certains des mots en s sans le e prothétique. -L’emploi de quelques termes qui semblent empruntés plus directement encore à l’italien : -Les substantifs cantonee au sens d’ « angle », 14, 81 ; fose au sens d’ « embouchure d’un fleuve », 15, 10 ; kase au sens de « construction », 15, 7. -Des prépositions : con, avec le sens italien de « avec », 11, 25 ; da, « de », 7, 120 ; 9, 56 ; 17, 34 (voir aussi das, 13, 69, interférence entre l’italien da et le français des (de les)) ; enfra au sens de « à l’intérieur de », 7, 122 ; in, 1b, 3 ; 4, 58 ; 4, 73 ; 4, 87 ; 5, 4 ; 5, 30 ; 5, 34 ; 5, 52 ; 5, 62 . -Les inscriptions lo re Felipo près de l’enluminure du fol. 93 v ; re Felipo près de l’enluminure du fol. 94 r.

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-Finales en a de substantifs : aventura, 12, 42 ; comandisa, 20, 11 ; d’article : una, 7, 82 ; d’un verbe à l’impératif : repaira, 13, 18. Ces traits italianisants sont certes moins nombreux que dans d’autres textes franco-italiens. Le remanieur italien s’adresse manifestement à un public qui connaît la langue française et qui lui reconnaît un grand prestige. Enfin, le remanieur (ou les copistes) italien modifie-t-il sensiblement le récit de Wauchier de Denain et son portrait d’Alexandre et quelles pratiques de réécriture adopte-t-il ? Son texte trahit bien une relecture qui infléchit le sens de la destinée du roi macédonien, par des suppressions mais aussi quelques ajouts163. Il a généralement tendance à abréger, mais de manière inégale selon les épisodes. La condensation du récit s’accompagne de la diminution très importante du nombre de « chapitres » et de rubriques, avec le regroupement de plusieurs aventures. 20 rubriques remplacent les 112 du manuscrit BnF fr. 20125. Les épisodes les plus abrégés sont l’affrontement du bestiaire oriental, la mort d’Alexandre et le partage de ses terres entre ses lieutenants. Le remanieur met aussi fin aux contradictions de Wauchier de Denain sur la mort de Philippe. Au double récit contradictoire de l’auteur lillois se substitue un seul récit (§ 5) : conformément aux Histoires d’Orose, le meurtre se produit lors du mariage d’Alexandre d’Épire avec Cléopâtre, la fille de Philippe. L’ajout d’une référence à Sodome et Gomorrhe vient identifier la « tres basse vilaine amor » qui aurait uni Philippe à Alexandre d’Épire (§ 5, 135). Quant au meurtrier de Philippe, le remanieur lui donne un autre nom, Upafna, et lui prête une nouvelle motivation : venger son père que Philippe a assassiné. Plus loin, après la soumission de Bucéphale par Alexandre, il se contente d’un rappel de la mort de Philippe : « A cele meïsme festes fu li rois Felips mors, si con je vos contay ariere (§ 7, 12). » Le remanieur supprime aussi les moralisations de Wauchier de Denain. L’intervention en vers après l’évocation de la mort d’Alexandre disparaît, et avec elles les références à l’histoire de la Flandre, qui ne devaient plus faire sens. Les petits sermons en prose que Wauchier de Denain avait inscrits au cœur du récit de la visite d’Alexandre à Jérusalem et après celui de son enfermement des tribus impies sont aussi quasiment supprimés (§ 8, 9). Du premier 163. Nous ne tracerons ici que quelques-unes des grandes lignes de sa réécriture et développons son étude dans un article, à paraître.

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ne reste qu’une phrase (« Et sakés que Nostre Sire fist grans merveille quant il se fist aorer Alixandre qui onque n’avoit Deu creü ne aoré et ce doit estre un grans exenples as cristiens d’aorer le lor Sauveor », § 8, 37-39) et du second une proposition (« mes nos devons certainement croire que Notre Sire peut faire toz quant qu’il li plest », § 9, 230-231). Ainsi le remaniement italien reste-t-il très en retrait par rapport à l’écriture moralisatrice de Wauchier de Denain et à son exploitation de l’histoire antique comme support de quelques exemples homilétiques. En conséquence, son auteur ne célèbre plus autant l’humilité d’Alexandre et son dévouement en faveur du dieu des juifs. Pourtant le récit du codex 2576 trace un portrait très positif d’Alexandre. D’autres abréviations, nombreuses, témoignent d’un souci de gommer des critiques que Wauchier de Denain avait reprises à Orose. Le paragraphe 41 du ms. BnF fr. 20125 et son rappel des meurtres commis par Alexandre est ainsi supprimé. Des crimes d’Alexandre n’est gardé que l’assassinat de Callisthène, avec un changement de sa motivation et la suppression du rappel de la proskynèse (§ 8, 80-83). Le récit occulte plus haut la visite d’Alexandre au temple d’Amon et la corruption de l’évêque dans l’objectif de mettre fin à la rumeur de l’adultère d’Olympias (Wauchier de Denain, § 27). Très souvent aussi le remanieur ne se contente pas d’abréger. Il relate des épisodes sous une forme assez différente pour que deux hypothèses s’offrent : soit il connaît une autre version du récit, soit – et c’est le plus probable – il s’affranchit volontairement du texte de Wauchier de Denain dont il reste pourtant proche dans d’autres séquences. Ainsi le paragraphe 9 offre-t-il l’exemple d’une nette reformulation pour les épisodes de l’eau qu’un soldat offre à Alexandre, puis de l’approche de l’île aux hippopotames (§ 9, 74-140 ; Wauchier de Denain, § 47-50). Une autre séquence atteste d’une légère amplification. Au récit du premier combat contre Daire, le remanieur ajoute l’évocation de la lettre de réponse d’Alexandre à l’empereur perse, puis la mention des trois compagnies dirigées par Tolomeus, Cassander et Stolation (§ 7, 51-55, 67-72 ; Wauchier de Denain, § 23). Puis il propose une explication de la présence des femmes perses auprès de l’armée que ne formule pas Wauchier de Denain : Daire souhaitait galvaniser ses troupes en les convainquant qu’il n’abandonnerait jamais le champ de bataille, pour ne pas laisser sa famille aux mains de l’ennemi (§ 7, 91-95). Plus loin, Alexandre découvre l’empereur mort, alors que dans le récit de Wauchier de Denain il est encore vivant et implore sa grâce pour ses « femmes » (§ 7, 216 ; Wauchier de Denain, § 33). Lors de la visite d’Alexandre déguisé à Porrus, le souverain indien lui pose aussi une question différente de celle que mentionne le texte de Wauchier de Denain,

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puis le remanieur évoque plus précisément comment Alexandre lit sa lettre aux Macédoniens (§ 10, 23-26 ; Wauchier de Denain, § 61 et 62). Tout au long du récit, nous découvrons par ailleurs de très nombreuses données sur les circonstances et les personnages que le remanieur n’a pas puisées au texte de Wauchier de Denain. Ce sont parfois des détails, du moins en apparence : Philippe est de la « nation de Troie » (§ 5, 59), un dragon a engendré Bucéphale, qui crache du feu (§ 7, 1-3), les Romains offrent à Alexandre une « nois » et un sceptre (§ 7, 26-28), Alexandre fait dorer avec de l’or les statues d’Hercule qu’il a mises en pièces puis restaurées (§10, 5658), les Thessaliens sont de bons archers (§ 10, 99). Les arbres du Soleil et de la Lune ont été sanctifiés par « Nostre Sire au tens d’Adan » (§ 11, 14-15), le prêtre monstrueux garde la porte de leur enclos (§ 11, 53-55), que le remanieur ne compare néanmoins pas au paradis terrestre (Wauchier de Denain, § 73, 35). Si les explications de l’auteur lillois sur le commerce du poivre ont disparu, l’évocation des Sères développe un élément nouveau, leurs habitudes conjugales (§ 13, 44-51). Enfin, des ajouts plus conséquents infléchissent le portrait d’Alexandre et contribuent à son idéalisation en roi savant et explorateur. Plusieurs lui prêtent une maîtrise des langues étrangères que Wauchier de Denain ignorait : nous apprenons ainsi qu’il comprend le persan lorsqu’il rend visite à Daire sous sa tente (§ 7, 180-181), qu’à Jérusalem il sait lire l’hébreu (§ 8, 15-18), qu’il peut s’exprimer en indien face aux arbres du Soleil et de la Lune (§ 12, 15-16). Mais surtout deux aventures essentielles sont introduites et célèbrent sa curiosité scientifique. Ce sont les deux exploits célèbres de son voyage céleste et de sa descente sous-marine. En effet, les deux dérivés latins du Pseudo-Callisthène, l’Epitomé de Julius Valère et l’Epistola, ne les relatent pas. Wauchier de Denain les ignore, comme après lui l’auteur de la Chronique dite de Baudouin d’Avesnes ou Jean de Vignay dans son Miroir historial. Les « historiographes » français des xiiie et xive siècles ne font pas usage de l’Historia de preliis J2 ou J3, à la différence des auteurs des Romans d’Alexandre, depuis Thomas de Kent, Lambert le Tort et Alexandre de Paris. De quels textes le remanieur a-t-il donc pu ici s’inspirer, puisque bien entendu il n’invente pas ces légendes ? Ce peuvent être soit l’Historia de preliis J2 ou J3 ou leurs volgarizzamenti, soit les Romans d’Alexandre français. Nous savons combien l’Historia de preliis J2 et J3 ont été diffusées en Italie164. Elles 164. Historia de preliis J 2 , éd. A. Hilka, Halle, 1920 (Der altfranzösische Prosa-Alexanderroman), p. 229-233 pour les deux explorations ; Historia de preliis J 3 , éd. K. Steffens, Meisenheim am Glan, 1975, p. 180-182.

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ont même sans doute été écrites sur la péninsule, comme avant elles la Nativitas et Victoria Alexandri de Léon de Naples, puis y ont suscité un très grand nombre de volgarizzamenti et aussi l’épopée en vers latin de Quilichinus de Spolète165. La narration du remanieur italien est ici proche de l’Historia de preliis J2 et J3, même si elle procède selon un ordre différent, puisqu’elle commence par la descente sous-marine, et contient quelques données nouvelles. L’une dérive d’un épisode antérieur, la traversée de la vallée Jordea, pour le récit duquel le scribe italien ajoute une évocation des griffons qui combattent les serpents aux émeraudes et invente la capture par les Macédoniens de deux d’entre eux, enfermés dans des cages. D. J. Ross166 a indiqué que cette capture des griffons constitue un point commun avec le ms. de Paris, BnF fr. 789, mais dans ce remaniement du Roman d’Alexandre d’Alexandre de Paris, c’est Philippe qui a enfermé des griffons dans une cage, avant qu’Alexandre ne songe à les utiliser et à les affamer préalablement. En outre, dans le ms. BnF fr. 789, les deux aventures de l’ascension du ciel et de l’exploration des abysses appartiennent aux exploits d’enfance d’Alexandre et deviennent les supports de rebondissements romanesques – tempête, naufrage, procès des maîtres d’Alexandre – dont aucun écho n’apparaît dans le codex de Vienne167. Nous n’avons d’ailleurs aucun témoignage de la diffusion en Italie de ce manuscrit BnF fr. 789, réalisé dans le nord de la France à la fin du xiiie siècle. Enfin, les quelques emprunts au Roman d’Alexandre français que nous avons notés dans le texte de Wauchier de Denain n’apparaissent pas dans le remaniement italien du codex de Vienne : ce sont avant tout le saut d’Alexandre sur les murailles de Tyr depuis une tour mobile, la honte que provoque en lui la rumeur de l’adultère de sa mère avec Nectanabus. Pour la mort de Nectanabus, présente chez Wauchier de Denain, le remanieur italien du codex de Vienne retrouve

165. Voir les analyses d’A. Cizek et de M. Campopiano dans La Création d’un mythe d’Alexandre dans les littératures européennes (xie-xvie siècles), dir. C. Gaullier-Bougassas, à paraître chez Brepols. 166. Art. cit., p. 228-231. 167. La première branche de ce ms. est éditée dans The Medieval French Roman d’Alexandre, t. 3, Version of Alexandre de Paris, Variants and Notes to Branch I, éd. A. Foulet, Princeton, 1949, p. 101-154. L’ascension céleste est relatée aux laisses 18-21 et l’ascension sous-marine aux laisses 22-35. Sur les innovations du récit de ce manuscrit, voir notre article, « Entre retour à l’ancien, fictions inédites et continuation nouvelle : l’originalité du manuscrit de Paris, BnF fr. 789 dans la tradition manuscrite du Roman d’Alexandre », à paraître dans Le Moyen Français.

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d’ailleurs un récit plus proche de l’Historia de preliis, avec la demande qu’Alexandre adresse à Nectanabus sur l’heure de sa mort (§ 6, 40-46168) Dans son récit des explorations céleste et sous-marine, le remanieur italien s’est plus vraisemblablement inspiré aussi d’un manuscrit de l’Historia de preliis, tout en introduisant des données nouvelles et en effaçant l’intervention divine qui, selon l’Historia de preliis, vient assombrir le ciel et contraint Alexandre à la descente. D’après le codex 2576 de Vienne, rien ne condamne le désir de voir qui anime Alexandre ni ne lui pose des limites. Ainsi s’affirme une célébration sans ambiguïté de sa curiosité et de sa soif de découverte de nouveaux espaces, ainsi qu’une conception de la vérité historique différente de celle de Wauchier de Denain. Le remanieur italien ne voit aucun obstacle à intégrer ces explorations à « son » histoire universelle, comme si elles ne relevaient pas pour lui de la fiction169. Ainsi que l’indique déjà D. J. A. Ross, nous ne pouvons exclure l’hypothèse qu’il ait exploité un volgarizzamento de l’Historia de preliis. Du premier d’entre eux, un volgarizzamento de l’Historia de preliis J3 qui date de la fin du xiiie siècle170, nous ne gardons néanmoins que des fragments, qui ne comportent pas les épisodes concernés. Quant au volgarizzamento de l’Historia de preliis J2 que G. Grion a publié sous le titre I nobili fatti di Alessandro Magno, il daterait de la fin du xive siècle ; proche de l’Historia de preliis, il relate d’abord l’ascension céleste et, comme dans le codex de Vienne, n’évoque pas l’intervention céleste qui impose la chute, puis il en vient à l’exploration des abysses171 : Et quando Alessandro s’ebbe fatto portare alli grifoni nell’aria, elli disse, che volea cercare il fondo del mare, dove più cupo fosse. Allora comandò che la legassono con catene di ferro. E cosi com’ elli comandò, fu fatto. Allora montò Alessandro in una nave, et missesi in alto mare, poi intrò nella gabbia, e fecesi calare intro il profondo del mare alli suoi cavallieri, di quelli di cui più si fidava. E quivi vidde Alessandro di diverse maniere pesci, e di diversi colori, e molt che si assimigliavano a bestie terrene, e andavano per lo fondo del mare quelle bestie, venleno ad Alessandro, poi fuggivano immantenente. E anche vi vidde 168. Historia de preliis, J 2 , éd. cit., p. 31-32. 169. Dans les littératures germaniques et hispaniques médiévales, ces deux aventures sont aussi souvent intégrées à des histoires universelles, ce qui n’est jamais le cas dans l’historiographie médiévale en langue française. 170. A. Hilka, « Die Berliner Bruchstücke der ältesten italienischen Historia de preliis », Zeitschrift für romanische Philologie, 41 (1922), p. 234-53. 171. I nobili fatti di Alessandro Magno, éd. G. Grion, Bologne, 1872, p. 159-160 pour l’ascension céleste et p. 160-161 pour l’exploration des abysses.

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altre maravigliose cose, che io non voglio dire, imperciocchè non sarabbono credevoli alli nomini E quando ebbe tutto questo veduto, si si fece tirare su incontanente che crollò la catena : e quando fu su, si n’andò alla sua oste in terra, che molto ebbono gran gioia, quando il viddono172.

Nous remarquons l’emploi du verbe calare pour traduire le latin descendere de l’Historia de preliis. Or le remanieur italien du codex 2576 de Vienne emploie le verbe caler (§ 15, 13), tandis que l’adaptateur français de l’Historia de preliis préfère le verbe avaler173. Le verbe crollare évoque aussi le verbe corler du manuscrit de Vienne (§ 15, 19174). Mais il n’est pas fait mention ici de l’embouchure d’un fleuve comme dans le codex de Vienne. I nobili fatti di Alessandro Magno mentionnent plus haut la présence de griffons dans la vallée aux émeraudes et le combat des Macédoniens contre eux, mais sans introduire ce qui constitue alors l’originalité principale du remaniement du codex de Vienne, la capture par Alexandre de ces monstres175. D’autres ajouts, non signalés par D. J. A. Ross, viennent aussi transformer le récit de l’adultère d’Olympias avec Nectanabus. Nous constatons la présence de péripéties que Wauchier de Denain avait éliminées et qui se trouvaient aussi bien dans l’Epitomé de Julius Valère que dans l’Historia de preliis. C’est la métamorphose de Nectanabus en oiseau, puis l’évocation de l’œuf duquel sort un petit serpent qui fait le tour de la coquille avant d’échouer à rentrer à l’intérieur (§ 6, 19-27). Le remanieur innove alors avec une narration qui diffère de celle des dérivés latins du Pseudo-Callisthène et que nous n’avons trouvée nulle part ailleurs, puisqu’il réunit les deux épisodes. C’est désormais l’oiseau en lequel Nectanabus s’est métamorphosé qui pond l’œuf duquel naît le petit serpent. L’œuf tombe sur les genoux de la reine et la vision des mouvements du serpent doit la convaincre de la venue du futur maître de l’univers. Quant au discours d’Alexandre aux ambassadeurs perses sur l’oiseau qui pondait jusqu’alors un œuf d’or par jour et qui cesse d’offrir ce trésor aux Macédoniens après la naissance d’Alexandre (§ 6, 60-63), il ne se lit pas non plus dans le texte de Wauchier de Denain, mais c’est un emprunt à l’Historia de preliis : 172. Éd. cit., p. 160-161. 173. Éd. A. Hilka, op. cit., p. 231. 174. Qu’Alexandre secoue la chaîne pour remonter n’est pas mentionné dans le texte latin ni dans les textes français (Alexandre de Paris parle d’un signe que fait Alexandre, mais sans préciser lequel, br. III, l. 25). 175. Éd. cit., p. 155-156, uccelli grifoni, p. 155.

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Videns autem eos Aleander dixit eis : « Ite, dicite Dario imperatori vestro quia, quando Philippus non habebat filium, gallina generabat ei ova aurea, nunc autem, nascendo Philippo filius, ipsa gallina facta est sterilis. » Audientes autem hoc ipsi missi Darii mirati sunt valde super prudentiam et sermonem Alexandri et reversi sunt ad Darium176. 

L’auteur des Fatti di Alessandro Magno l’adapte aussi précisément177. Tout se passe donc comme si le remanieur italien du codex de Vienne avait complété le récit français qu’il réécrivait en ajoutant quelques séquences héritées de l’Historia de preliis qu’il jugeait importantes et qu’il a parfois légèrement transformées. Enfin, les suppléments qu’il apporte ne proviennent pas tous de l’Historia de preliis. Son récit du règne de Philippe présente en effet un long ajout sur les guerres Médiques, à propos du passage de Philippe aux Thermopyles (§ 4, 40-91). C’est un retour en arrière sur les combats de Darius Ier contre les Athéniens et leur stratège Miltiade, lors de la bataille de Marathon, ceux de Xersès et de Léonidas aux Thermopyles, puis de Xersès et de Thémistocle à Salamine, jusqu’au départ de l’empereur perse sur le conseil de Mardonius178. Aux Thermopyles, Philippe jouerait le rôle des Perses dans son agression des Grecs, avant que son fils Alexandre ne se fasse le vengeur des Grecs contre les Perses. Deux relectures du remaniement du texte de Wauchier de Denain par le scribe italien apparaissent aussi dans le codex 2576 de Vienne, par le biais de corrections et d’ajouts qui datent, semble-t-il, du xive siècle. La première de ces relectures se manifeste par des corrections entre les lignes, la seconde par des ajouts, plus ou moins longs, dans les marges. Rappelons que nous n’avons intégré au texte de notre édition que les premières, très courtes, en les signalant en note : elles concernent en général l’oubli d’un mot, d’une syllabe ou d’un court membre de phrase. Les plus longs ajouts en marge, qui émanent d’une autre main, nous les avons transcrits dans les notes sans les intégrer au texte. Ils réintroduisent des éléments de l’œuvre de Wauchier de Denain que le lecteur a jugés nécessaires à la compréhension : le plus important est la récapitulation sur les années de règne d’Alexandre et sur la fondation des villes (§ 20). Ces ajouts sont proches du texte de Wauchier de Denain, ce qui montre bien que le relecteur disposait encore d’un manuscrit de la première rédaction de l’Histoire ancienne jusqu’à César. 176. Historia de preliis, J2 , éd. A. Hilka, op. cit., p. 19. 177. Op. cit., p. 23. 178. Combats relatés aux folios 211 v-215 v du ms. BnF fr. 20125 (voir Orose, II, 8-11).

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Enfin, après la longue section romaine qui suit le récit sur Alexandre, le manuscrit introduit la formule d’explicit suivante179 : Ici fine[nt] les livres des estoires dou comencement dou monde. C’est d’Adanz et de sa lignie et de Noé et de la sue lignie et d’Abraam et de ses .xii. filz Israël et de la destrucion de Thebes et dou comencement dou regne de Femenie et l’estoire de Troie et d’Alixandre li grant et de son pere et dou comencement de la cité de Rome et des batailles que li Romain firent jusque a la naisance Nostre Seignor Jesucrist qu’il conquistrent tot le monde (fol. 154 r).

Alors que le prologue n’annonçait pas le récit sur les Macédoniens, ce colophon l’inscrit en bonne place. Suivent alors, jusqu’à la fin du manuscrit au folio 155 v, des développements sur les Amazones (« Ci comença dou regne de Mazoine et du roi d’Egipte qui tot le monde vost conquere », fol. 154 r). Nous savons en outre que le même colophon se retrouve dans le plus ancien témoin de la seconde rédaction de l’Histoire ancienne jusqu’à César, le ms. de Londres, British Library, Royal, 20 D I, alors même que son auteur, qui écrit à la cour angevine de Naples, supprime la section sur la Macédoine et Alexandre. Le manuscrit de Vienne a ainsi peut-être joué un rôle pour l’écriture de cette seconde rédaction, dont un manuscrit, le manuscrit de Chantilly, musée Condé 727, conserve d’ailleurs le récit macédonien180.

179. Nous remercions vivement la Bibliothèque nationale d’Autriche de nous avoir autorisée à consulter le codex 2576. 180. M.-L. Palermi, « Histoire ancienne jusqu’à César : forme e percorsi del testo », art. cit. , p. 218-219, 256.

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Le Premier Volume d’Orose, imprimé d’Antoine Vérard en 1491 Le Premier et le Second Volumes d’Orose, imprimés en 1491 par Antoine Vérard, se terminent ainsi : Cy finist Orose. Imprimé a Paris ce .xxie. jour d’aoust mil quatre cens quatre vingt et onze pour Anthoine Verard, libraire, demourant sur le pont Nostre Dame a l’ymaige Saint Jehan l’Evangeliste ou au pallais en la grant salle au premier pillier devant la chapelle ou on chante la messe de messeigneurs les presidens (Second Volume, fol. 127 v, Paris, BnF, RES-G-682).

La longue histoire universelle est suivie d’un traité intitulé Senecque des motz dorez, des quatre vertus en françoys, adaptation par Jean Courtecuisse de la Formula honestae vitae écrite par Martin de Braga malgré sa fréquente attribution à Sénèque. Les deux Volumes d’Orose ne sont pas eux-mêmes la traduction des Histoires d’Orose, mais une réécriture de l’Histoire ancienne jusqu’à César, qui, par sa diffusion et les transformations qu’elle apporte, lui assure une nouvelle vie. L’ordre des sections de Wauchier de Denain est respecté et après l’histoire biblique des commencements du monde, sont relatés les histoires de Thèbes et de Troie, la vie d’Énée, les premiers temps de Rome, les règnes des empereurs perses, puis ceux des rois macédoniens et d’Alexandre. Vient ensuite la dernière section romaine, qui, très développée, s’interrompt au retour à Rome de Pompée triomphant. Cette réécriture de l’Histoire ancienne ne « s’avoue » néanmoins pas comme telle, puisque le prologue cherche à l’imposer comme une traduction d’Orose : […] me suis ingeré de translater en mon gros et maternel langage au mains mal que j’ay peu le livre que composa ung notable clerc et grant hystoriographe nommé Paul Orose par le comandement du divin pere et sainct docteur en la foy catholique monseigneur saint Augustin, ou quel livre sont contenues les miseres du monde par plusieurs fois en diverses regions ou devant de l’advenement du filz de Dieu, le benoist Jesucrist ainsi que la cause intencionelle du dit Orose le touche au proesme de son livre. Et la cause principalle pourquoi j’ay faicte ceste translacion a esté pour presenter au trescrestien et bieneuré roy de France Charles VIII de ce nom pour prendre en lysant ou ouyant lyre celui livre aucune recreaction. (prologue, non folioté)

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L’œuvre a jadis, par erreur, été attribuée à Claude de Seyssel, bien connu pour des traductions de textes antiques et pour des ouvrages politiques181. Parmi ses traductions, mentionnons, en rapport avec Alexandre, celles de l’Abrégé des histoires philippiques de Trogue Pompée par Justin, de quelques livres de la Bibliothèque historique de Diodore de Sicile et des Guerres des Romains d’Appien, qu’il réalise entre 1505 et 1510 et qui, d’abord manuscrites, sont imprimées après sa mort. En même temps que la traduction, le prologue du Volume d’Orose revendique une pratique de la compilation : l’auteur a sélectionné des fragments d’œuvres d’autres « historiographes », « desquelz a [son] pouvoir [il a] recuillies les opinions et faictes concorder a l’oppinion dudit docteur Orose ». Outre une profonde reformulation, la réécriture de l’Histoire ancienne jusqu’à César passe en effet souvent par l’amplification, à l’aide d’emprunts à Justin, à Orose ou à d’autres historiens, ainsi qu’avec des développements propres à l’auteur, notamment ceux qu’annoncent des rubriques « Le translateur ». La table des matières est aussi d’emblée suivie par les ajouts de la « rescription que monseigneur saint Augustin envoya a Romme en collaudant la persone de Oroze », du « proesme de Orose » et d’une description du monde associée à l’évocation de sa création. Dans la longue section sur Alexandre et la Macédoine182, l’auteur se réfère très souvent à Orose et à des « hystoriographes » dont il ne donne généralement pas l’identité. C’est seulement une seule fois, pour chacun d’entre eux, qu’il inscrit les noms de Justin (§ 69), Plutarque (§ 21), Tite-Live (§ 21) et Appien (§ 68). À plusieurs reprises, par exemple sur les circonstances de la mort de Philippe (§ 6) ou sur la question de savoir si Nectanabus a révélé sa vraie identité à Olympias (§ 8), il juxtapose des points de vue divergents, avant de parfois donner le sien. Le portrait qu’il trace d’Alexandre est dans l’ensemble très élogieux. Quelques-unes des critiques que Wauchier de Denain a formulées, bien que ce dernier ait déjà affaibli la condamnation d’Orose, disparaissent. L’abrègement du chapitre sur les meurtres le conduit à contester la réputation

181. Voir notamment Claude de Seyssel, Les Louenges du roy Louys XIIe de ce nom (1508), éd. P. Eichel-Lojkine et L. Vissière, Genève, 2009 ; P. Eichel-Lojkine (dir.), Claude de Seyssel. Écrire l’histoire, penser le politique en France à l’aube des temps modernes, Rennes, 2010. 182. Dans l’exemplaire de l’imprimé de 1491 que possède la BnF : RES-G-682 (1 et 2), l’histoire d’Alexandre se lit aux feuillets 185-228 du vol. 1 (consultable sur le site Gallica de la BnF (Le Premier Volume d’Orose  : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k111296p. r=orose.langFR ).

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de tyran sanguinaire dont l’avait accablé Orose. Après avoir introduit la reine des Amazones, l’auteur de l’imprimé indique que : […] ainsi que dit nostre present docteur Orose, Alexandre estoit autant beau de personnage que l’en sceust souhaister, gracieux et honourable quant il lui plaisoit, mais aucunes fois tant felon et tant cruel que homme ne l’osoit regarder. Et ceste chose est bien apparente en aucuns de ses faitz, comme nous lysons qu’il fist occire ung sien cousin nommé Amiracus pour ung mot desplaisant qu’il luy dist. Nous lysons aussy de ung autre nommé Cluicon, ancien chevalier, mais quelque malice ou fureur qui fust ou roy Alexandre les autenticques historiographes le tiennent et reputent plus vertueux sans comparaison que vicieux. Et est assez vraysemblable que ainsi fut veu les fins de ses euvres et aussy consideré que en son jeune aage il avoit esté instruit de si grant clerc et vertueux homme et, disent Plencareque et Livius, deux hystoriens qui parlent des faitz de lui, que des son jeune aage il adoroit Dieu le createur, et lui enseigna son maistre Aristote a laisser le sacrifice et cult des ydoles, disant que ung seul dieu estoit a adorer, duquel toutes bonnes choses procedent, par qui toutes bonnes choses se font et a qui toutes choses doibvent tendre et avoir regart. Pour ce disent aucuns que le premier cry que fist faire le roy Alexandre quant il vint a regner que ce fut que on n’adorast point les ydolles mais Dieu le createur. (§ 21)

Il ne rappelle donc que deux de ses meurtres et surtout minimise leur portée en inscrivant pour la première fois dans son œuvre l’image d’un roi philosophe, élève d’Aristote. Cette image, il la reprend non pas à Plutarque, mais aux Dits moraux des philosophes de Guillaume de Tignonville, et la célébration de sa science, de sa sagesse et de sa piété suppose alors une conversion au monothéisme (§ 21, 22). Pourtant les deux épisodes de la visite à Jérusalem et de l’enfermement des tribus impies restent fidèles aux commentaires de Wauchier de Denain. Nous y retrouvons la mise en avant de l’altérité païenne du héros, associée à l’éloge de son humilité et de son abnégation, récompensées par Dieu. Les interventions du prédicateur Wauchier de Denain sont seulement réécrites et synthétisées (§ 19, 30, 31). Quelques ajouts apparaissent dans le récit : à Jérusalem, c’est maintenant le nom de Jésus-Christ qui est inscrit sur la bannière de Jaddus ( §18) ; pour enfermer les tribus, Dieu envoie un ange (§ 31). Plus loin, désespéré par les épreuves dans les déserts orientaux, Alexandre adresse ses prières à Hercule, qu’il craint d’avoir offensé. Une oraison versifiée, ajout original de l’auteur de la fin du xve siècle, est alors enchâssée dans la narration. Elle manifeste la reconnaissance par Alexandre de ses erreurs, sa soumission et sa dévotion (§ 38). Néanmoins le narrateur intervient pour souligner qu’Alexandre fut « deceu […] de folle credence » (§ 38). Plusieurs fois

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il condamne ailleurs le paganisme des Macédoniens, en l’assimilant à une action du diable, mais ce n’est alors jamais Alexandre qu’il vise183. Ce qui modifie sensiblement le portrait du roi et l’oriente vers une interprétation inverse de celle d’Orose et très différente de celle de Wauchier de Denain, c’est surtout la compilation de nombreux fragments d’une œuvre écrite en français au début du xve siècle, les Dits moraux des philosophes de Guillaume de Tignonville184. Ce prévôt de Paris, conseiller de Charles VI, compose ses dits vers 1402, en adaptant un traité latin, le Liber philosophorum moralium antiquorum. Ce dernier résulte de la traduction d’une œuvre hispanique, Bocados de oro, qui elle-même remonte à un texte arabe, la Collection de dits sages de l’auteur égyptien al-Mubaššir (xie siècle185). Le texte de Guillaume de Tignonville, qui a déjà été largement repris par Jean de Courcy dans sa Bouquechardière186, idéalise Alexandre comme un roi-philosophe, savant et pieux, converti au monothéisme par Aristote. Sa mission est de conquérir le monde pour mettre fin au culte des idoles et propager le monothéisme. L’auteur du Volume d’Orose en insère de longs fragments à trois moments de sa narration : aux paragraphes 21 et 22, pour reléguer dans l’ombre les crimes d’Alexandre, comme nous l’avons déjà vu ; après le récit de sa mort (§ 53-61) et enfin juste avant celui de l’assassinat d’Olympias, lorsqu’elle reçoit la lettre de consolation de son fils et organise un banquet (§ 66). Le plus long passage (§ 53-61), du feuillet 218 r au feuillet 223 v, amplifie le texte de Guillaume de Tignonville en évoquant, après la mort de Philippe, le discours d’Alexandre sur sa piété et son sens du bien public, en relatant son élection par les Macédoniens qui reconnaissent sa valeur personnelle  et mettent en avant sa conversion au monothéisme. Puis viennent sa rencontre avec les Brahmanes et leur demande ironique d’immortalité (§ 54, 55), la soumission du roi de Chine (§ 56), l’évocation du procès entre deux plaignants qui refu183. C’est ainsi un « deable parlant en forme de l’ymage » qui apprend à Philippe ce que deviendra le vainqueur de Bucéphale (§ 10) 184. Guillaume de Tignonville, Les Dits moraux des philosophes, éd. R. Eder, « Tignonvillana inedita », Romanische Forschungen, 33 (1915), p. 851-1022.  185. Bocados de Oro, éd. M. Crombach, 1971 ; Liber philosophorum moralium antiquorum, éd. E. Franceschini « Il Liber philosophorum moralium antiquorum », Atti del reale istituto veneto di scienze, lettere ed arti, 91 (1931-1932), p. 393-597. 186. Voir notre article, « Alexandre et la lutte contre l’idolâtrie selon la Bouquechardière de Jean de Courcy : idole religieuse et idole amoureuse », à paraître dans les actes du colloque de l’Université de Lausanne, « Actualiser le passé : figures antiques au Moyen Âge », organisé par J.-C. Mühlethaler en mai 2011.

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sent un trésor (§ 57, 58), la rencontre du peuple qui, dans l’attente de la mort, creuse une fosse devant chaque maison (§ 59), puis surtout la lettre de consolation que le roi adresse à sa mère (§ 61). La découverte de la sagesse orientale approfondit son initiation au mépris des biens terrestres et à l’amour de Dieu. À la fin du récit, un emprunt à Appien et à ses Guerres des Romains renforce la célébration d’Alexandre, en soulignant sa connaissance du futur, ses « pronostications » et sa prise de conscience des guerres à venir des diadoques187. Voici comment l’auteur de l’imprimé explique, au paragraphe 53, pourquoi il n’a pas entrelacé à son texte principal le second récit qu’il exploite, celui de Guillaume de Tignonville : En la description dessusdicte des faictz du roy Alexandre le grant, nous ne avons pas interposé aucuns faictz particuliers entre les matieres, combien que ilz y fussent coïncidens. Et ce a esté pour garder le sens des histoires qui par interposition d’autres choses se fust peu changer ou perdre. Mais maintenant, l’hystoire finie, nous les mettons pour cause qu’ilz sont louables et dignes de memoire.

Il ne précise pas combien il eût été difficile de créer entre eux une continuité, tant leur portrait d’Alexandre diverge, et le choix de leur simple succession lui évite tout débat. Le bilan du règne d’Alexandre qui suit le récit de sa mort introduit brutalement des critiques que la narration ne permet pas d’étayer et qui entrent en contradiction avec le témoignage de Guillaume de Tignonville (§ 61). Le rappel du jugement d’Orose et de sa condamnation de la tyrannie d’Alexandre explique en effet la mort d’Alexandre par un châtiment divin et réaffirme la morale du contemptus mundi, très loin de la « sanctification » d’Alexandre dans les Dits moraux des philosophes, très loin aussi de l’interprétation originale de Wauchier de Denain et de son hypothèse audacieuse d’une entrée au paradis du roi antique188.

187. Appien a été traduit en latin par Pier Candido Decembrio en 1455. La traduction en français de Claude de Seyssel date de 1510. Voir le chapitre VII du livre XI. 188. In fine, la modification du sens de l’inscription sur les citées fondées par Alexandre confirme ce rappel (§ 72).

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Argument de l’histoire de la Macédoine et d’Alexandre dans l’Histoire ancienne jusqu’à César de Wauchier de Denain Généalogie des rois de Macédoine Le règne de Philippe II Arrivée au pouvoir de Philippe II, guerres et début de la conquête de la Grèce, meurtre de ses frères, siège de Byzance, guerre contre les Scythes et leur roi Atéas, guerre contre Athènes Naissance et enfances d’Alexandre Exil de Nectanabus, roi d’Égypte, en Macédoine, ses amours adultères avec Olympias, l’épouse de Philippe, naissance d’Alexandre, soumission de Bucéphale, mort de Philippe et couronnement d’Alexandre, hommage des Romains Expédition au Proche-Orient et en Perse Départ pour l’Orient, prise de Tyr Échange de lettres avec Daire, première bataille contre Daire et défaite du roi perse, prise de Rhodes, soumission de l’Égypte, visite au temple d’Amon Deuxième et troisième batailles contre Daire, précédées de l’entrée d’Alexandre dans la tente du roi perse, défaite de Daire, son appel à l’aide au roi Porrus, puis son assassinat Arrivée d’Alexandre à Jérusalem, qui s’agenouille devant Jaddus, moralisation en prose du narrateur, sacrifice d’Alexandre à Jérusalem Soumission de la reine des Amazones ; meurtres d’Amintas, de Parménion, de Philote, de Pausanias, d’Euriloque, d’Attale et de Cleitos, puis de Callisthène Expédition en Inde Entrée en Inde, attaque de Porrus et de ses éléphants, duel entre Alexandre et Porrus, défaite et hommage de Porrus, visite du palais de Porrus, partage des trésors Exploration des déserts indiens, souffrances de la soif, périls de l’île aux hippopotames, découverte d’une source, attaques du bestiaire Enfermement des tribus juives aux monts de Sciapos, miracle du rapprochement des montagnes à la suite de la prière d’Alexandre, moralisation en prose du narrateur

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Trahison de Porrus, déguisement d’Alexandre et visite au roi indien, combat entre Alexandre et Porrus, grâce d’Alexandre Nouveau départ pour une exploration de l’Orient, arrivée aux bornes d’Hercule près de l’Océan, attaque de la bête à deux têtes, attaques des éléphants, retour en arrière d’Alexandre, cataclysmes atmosphériques, rencontre des vieillards qui le conduisent aux arbres oraculaires du Soleil et de la Lune, portrait du prêtre indien, oracles successifs, retour en arrière, découverte des serpents aux émeraudes, des champs de poivre, intervention du narrateur sur le commerce du poivre, rencontre des Seres Trahison de Porrus, duel et mort de Porrus Naissance de l’amour de la reine Candace, commande d’une statue à l’image du roi ; intervention chevaleresque d’Alexandre qui sauve l’épouse de Candeolus, l’un des fils de Candace, rencontre d’Alexandre et de Candace Soumission de la reine des Amazones et de nouveaux peuples orientaux, siège d’une cité et blessure d’Alexandre, vision nocturne d’une herbe qui guérit du poison des flèches de l’ennemi, édification de bornes sur l’Océan La mort du roi à Babylone Arrivée à Babylone, réception des ambassades du monde entier, empoisonnement et mort d’Alexandre, intervention versifiée du moralisateur sur l’oubli rapide dans lequel tombent très vite les défunts sur terre et sur les récompenses que Dieu accorde dans l’au-delà à ses serviteurs Guerres des diadoques Guerre entre Perdiccas et Euménidus, Perdiccas et Tholomé, Euménidus et Antigonus, retour d’Olympias en Macédoine et mort infamante de la reine Évocation des quatre rois vainqueurs  : Tholomé, Arrideus Philippus, Seuluchus Nichanor, Antigonus Victoire de Cassander et Tholomé sur Antigonus, combats d’Antigonus et Démétrius contre Tholomé, défaite de Tholomé, mort d’Antigonus, conflits entre Démétrius, Seleucus, Tholomé et Lisimacus, victoire de Pirrus sur Démétrius, conquête de la Macédoine par Pirrus Transition avec l’histoire des Romains : évocation rétrospective des années de règne d’Alexandre et des douze cités qu’il a fondées

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Listes des rubriques Liste des rubriques de la section « Alexandre et la Macédoine » dans le ms. de Paris, BnF fr. 20125 1. Des rois de Macedonie qui regnerent trosques a Alixandre. 2. Dou roi Phelippe, le pere Alixandre, coment il vint a terre. 3. Que li rois Phelippes venqui et conquist mout de gens par sa grant force. 4. Que li rois Phelippes conquist si tote Gresse que petit s’en failli que tuit ne li rendirent treüage. 5. Des grans batailles que li rois ot vers ceaus de Foches. 6. Que mout estoit dolans li rois Phelippes qu’il tote Gresse ne pooit conquerre. 7. De ce que li rois Phelippes fu mout assegurés quant il ot fait ocire ses freres et ses barons. 8. Que totes les orguoillouses cités requistrent pais au roi Phelippe. 9. De c’onques li rois Phelippes ne tint foi ne sairement a nulle creature. 10. Que li rois Phelippes assist Bizance qui ore est dite Contantinoble. 11. Que li rois Phelippes remena ses os de Bizance ou regne de Scithe. 12. Que li rois Atheas de Scithe rassambla ses gens por combatre contre le roi Phelippe. 13. Coment li rois Phelippes et ses fills Alixandres desconfirent le roi Atheas. 14. Que li rois Phelippes renvaï ceaus d’Athaines. 15. Que adonques fist li rois Phelippes ocire mout des haus homes de Gresse. 16. Que mout fist li rois Phelippes, li peres Alixandre, de maus et de felonies. 17. De Neptanabus le roi d’Egypte qui fu peres Alixandre si come li pluisor content et dient. 18. Que li rois Phelippes s’esmerveilla mout quant il sot que sa feme estoit ja grosse d’enfant. 19. Coment Alixandres conquist son chival Bucifal par sa fierté. 20. Que li rois Alixandres porta corone aprés la mort son pere Phelippe et si n’avoit que .xx. ans. 21. Que li Romain envoierent a Alixandre une corone d’or. 22. Coment Alixandres prist Tyr et tote la contree. 23. Coment Alixandres repaira en Syre o li rois Daires li envoia ses letres. 24. Coment li rois Alixandres se combati au roi Daire de Perse. 25. Que li rois aprés la desconfiture repaira as loges por le guaaign qu’il i trova. 26. Que li rois Daires se reporchaça d’aïes por combatre ou le roi Alixandre. 27. Que li rois Alixandres prist Rodes et autres terres assés entrues que Daires queroit aïes ses barons et devant ses princes. 28. De la tres grande bataille qui fu entre le roi Daire et le roi Alixandre. 29. Par quel maniere Alixandres ala veïr le roi Daire a sa tente. 30. De la tierce bataille qui dura trois jors entre les gens Alixandre et Daire. 31. Que li rois Daires fu vencus sor le flum Granicum. 32. Que li rois Daires requist socors au roi Porrus d’Inde.

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33. Que Alixandres plora por le roi Daire de Perse. 34. Que li rois Alixandres repaira ariere en Jherusalem. 35. Que Alixandres s’agenoilla contre le non Deu. 36. Que mout se doivent humilier li crestiein vers Deu. 37. De ce meïsmement encore por demoustrer example. 38. Coment Alixandres entra en Jherusalem. 39. Que par tot le monde avoit adonques estors et mortalités et batailles. 40. Que la roïne d’Amazone vint a Alixandre. 41. Que li rois Alixandres fu mout fel et mout crueaus en totes manieres. 42. Que li rois entra en Inde ou Porrus li rois l’envaï de bataille. 43. Que cil qui estoient sor les olifans les grevoient mout. 44. Que la bataille fu departie et trive donee. 45. Que li rois Alixandres et li rois Porus se combatirent cors a cors. 46. Que li rois Porrus mena Alixandres veïr ses grans richeces. 47. Que li rois Alixandres entra es dessers d’Inde. 48. Que li rois et tote l’os avoient grant destrece d’aigue. 49. Encor est ce de la grant destrece qu’il avoient. 50. Que li Indien qui le ost devoient mener les desvoierent. 51. Des ipotamiens dont li rois fu mout irés qui sa gent li orent tolue. 52. Que li rois et sa gent troverent aigue douce. 53. Que li rois s’assist au mangier et sa chivalerie. 54. Des grans paines et des grans paors que li serpent lor firent. 55. Que la beste que li Indiein clamoient dent tirant vint al estanc boivre. 56. Que les gens Alixandre envaïrent cele beste. 57. Que li rois vint as mons de Scapios, si les vout estouper. 58. Que Nostre Sires oï la proiere Alixandre d’estoper la montaigne. 59. Que Alixandres se merveilla mout dou miracle que Deus li mostra. 60. Que li rois Porrus qui remés estoit en Bactre si pensa qu’il se recombatroit a Alixandre. 61. Que li rois changa tot son abit et si ala veoir le roi Porrus. 62. Que Porrus se combati a Alixandre et si fu vencus et puis li perdona Alixandres son maltalent. 63. Que li rois Porus mena Alixandre es parties d’Orient. 64. Que Alixandres voloit la endroit entrer en l’occean por cerchier le monde. 65. Que la beste a .ii. testes lor coru sore. 66. Que li olifant envaïrent l’ost et que tant en i ot ocis qu’encore pert la plentés. 67. Que li rois Alixandres se remist devers Occident. 68. Des grans paines que li rois ot en Occident, c’est en l’une partie d’Inde. 69. Que li rois fist enseveillir ses gens qui mort estoient par la grant nege. 70. Que li rois se departi de la, si retorna ariere. 71. Que li rois Alixandres oï les noveles des arbres. 72. Que li rois Alixandres se departi de sa gent por aler as arbres. 73. Que li prestres indois qui les arbres gardoit s’aparut au roi. 74. Que li rois Alixandres creoit a paines ce que li prestres indieins disoit.

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75. Que la vois parla oiant Alixandre et si sambloit qu’ele fust es arbres. 76. Que li rois Alixandres fist regarder et querre qu’el bois entor les arbres n’eüst aucune decevance. 77. Que la vois del arbre dist a Alixandre que jamais n’entreroit en sa terre. 78. Que li rois se departi des arbres dolans et tristes. 79. Que li rois Alixandres rala autre fois as arbres. 80. Des merveilles qu’Alixandres trova en Inde tantost com il se fu departis des arbres. 81. Encore conte li livres des merveilles d’Inde et des paines que li rois i ot et sa chivalerie. 82. Que li rois Porus d’Inde fist Alixandre iret samblant. 83. Que li dui roi vindrent tuit armé ensamble. 84. Que li rois Alixandres rendi Candeolus sa feme et si pendi celui qui li avoit tolue. 85. Que la reine Candace reconut Alixandres par l’imagene dont ele l’avoit fait contrefaire. 86. Des riches presens que la roïne Candace d’Etyope dona a Alixandre. 87. Que li rois Alixandres prist Amazone et mainte autre terre. 88. Que li rois Alixandres desconfi en bataille les pueples sor l’occean. 89. Que li rois Alixandres fu navrés d’une saiete trenchant et ague. 90. Que li rois Alixandres fist bosnes metre sor l’occean o il avoit esté. 91. Que li rois Alixandres s’en ala en Babilonie la riche. 92. Que li rois Alixandres perdi la vie par le venim que li serf li donerent a boire. 93. Que chascuns hom se doit pener de bien faire que l’en rende le merite. 94. En queles terres aprés la mort Alixandre si baron se departirent. 95. Por quel ochoison il s’entrehaïrent. 96. Des grans batailles qui furent entre les barons Alixandre. 97. Encore de ce meïsmement des estors et des batailles. 98. Des batailles le roi Perdicas et le roi Tholomer d’Egypte. 99. Des batailles entre Eumenidus et le roi Antigonus. 100. Que li home Eumenidus le pristrent en traïson et si le rendirent a Antigonum. 101. Que la roïne Olimpias repaira d’Epire en Macedonie. 102. Coment la roïne Olimpias fu ocise. 103. Li quel furent li .iiii. maistre roi qui toz les autres venquirent. 104. Ensi com Cassander et Tholomeus venquirent Antigonum. 105. Que Antigonus et ses fils Demetrius se combatirent en mer a Tholomeus. 106. Que Tholomeus fu desconfis en la mer. 107. Que Tholomeus requist socors et aïes contre Antignonum. 108. De la descordance qui fu entre ceaus qui avoient ocis Antigonum. 109. Que par le roi Pirus fu desconfis Demetrius, li fiz le roi Antigonus. 110. Que Lisimacus fu ocis et que la bataille dou remanant Alixandre fu definee. 111. Quans ans Alixandres regna et quantes cités estora. 112. Ci avant siut la couvenance des Roumains. Si lait d’Alixandre.

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Liste des rubriques de la section « Alexandre et la Macédoine » dans le codex de Vienne, Österreichische Nationalbibliothek 2576 1. Ci comence des rois qe regnent en Macedoine jusque al Alixandre. 2. Dou roi Phelipe, pere le roi Alixandre, coment il vint a terre. 3. Que li rois Phelipe vainqui les Assiriens et aprés les Laziens et puis les Tesaliens. 4. Que li rois Phelippes ot si tote Grece que petit s’an faili que tuit ne li randissent treüages. 5. Que molt estoit dolans li rois Phelippes qui tote Gresse ne pooit conquere et coment il asist Bisance que ore est dite Constantinople et il renvaï ceus d’Atenes et aprés coment il morut. 6. De Neptabus li rois d’Egipte qi fu peres Alixandres si com li pluisor content et dient. 7. Que Alixandres conquist son chival Bucifal et aprés la mort son pere porta corone et n’avoit que .xii. an, et coment il prist Tir et tote la contree et aprés coment par pluisors foiz se conbati au roi Daire et le vainqui, et aprés le rois quist aïe au roi Porus. 8. Que li rois Alixandres repaira ariere en Jerusalem e puis coment il se parti d’ilec por aler en Ynde et coment la roïne de Amasoine vint a lui e por coi. 9. Que li rois Alixandre entra en Ynde et Porrus l’envaï de bataille et aprés que il conbatirent cors a cors et Porrus fu venchus et coment Alixandre puis entra es desers ou il sofrirent grans ennui por defaute d’aigue et por moltes merveilleuses et diverses bestes et serpans et oisiaux qu’il troverent et coment Nostre Sire oï la priere d’Alixandre de encloire les Hebreus es montaignes. 10. Que Alixandre se mut por revenir en Bactre et se conbati autre foiz a le roi Porus et le vainqui et il devint si home et puis amena Alixandre as parties d’Oriant et de les granz poines que puis i ot en Occident. 11. Que Alixandre se parti d’iluec et vint ou li arbres del Soleil et de la Lune estoient. 12. Que la vois des arbres parla a Alexandre et puis coment il s’en parti dolans et tristes. 13. Que Alexandre ala autre foiz as arbres et des mervoiles qu’il trova tantost qu’il fu partiz des arbres et coment li rois Porrus fist au roi Alexandre mavés senblant. 14. Que Alixandre se conbati au roi Porus et l’ocist et coment la roïne Candace conut Alexandre et li fist rices presanz et coment il prist Amazonie et lai fu feruz d’une saiete. 15. Que Alixandre se fist avaler el fons de la mer et aprés se fist porter en l’air as grifons et puis s’en vint en Babilone et la conquist. 16. Que li rois Alixandres perdi la vie por le venim que li serf li donerent a boivre. 17. En qiex terres aprés la mort le roi Alixandre si baron se departirent. 18. De les granz batailles qui furent entre les jenz Alixandre et ses barons. 19. Que la roïne Olinpie repaira d’Epir en Macedoine et coment ele fu occise. 20. Li quel furent li .iiii. rois qui toz les autres vainqirent qui lor furent et des batailes qu’il firent.

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Listes des enluminures

Liste des enluminures du ms. BnF fr. 20125 -fol. 232 r : Alexandre adore le nom de Dieu à Jérusalem -fol. 233 v : Alexandre et Fortune (figure 2) -fol. 235 r : Combats contre les éléphants (figure 1) -fol. 239 r : Monstre à trois cornes (figure 3) -fol. 242 r : Monstre à deux têtes (figure 4) -fol. 249 r : Duel entre Porrus et Alexandre

Liste des enluminures du codex 2576 de Vienne189 -fol. 93 v : Le meurtre de Philippe et sa vengeance -fol. 94 r : La soumission de Bucéphale ; une lettrine, avec à l’intérieur de la lettre B une représentation de Nectanabus couronné -fol. 95 v : Alexandre agenouillé devant Jaddus à Jérusalem (figure 5) -fol. 96 v : Le combat d’Alexandre et de Porrus -fol. 97 r : Un Macédonien dévoré par un hippopotame (figure 6) -fol. 98 r : Le combat avec le monstre à deux têtes (figure 7) -fol. 99 v : Alexandre consulte les arbres du Soleil et de la Lune (figure 8) -fol. 101 r : L’expédition sous-marine et l’ascension céleste d’Alexandre (figure 9)

189. Elles sont décrites dans la thèse de K. Koshi, op. cit., p. 103-113.

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Bibliographie190 Éditions d’autres sections de l’Histoire ancienne jusqu’à César -la section « Genèse », éd. M. Coker Joslin, The Heard Word : a Moralized History (the Genesis Section of the Histoire ancienne in a Text from Saint-Jean-d’Acre), University of Mississippi, 1986 -les sections « Assyrie, Thèbes, Le Minotaure, les Amazones, Hercule », éd. M. de Visser van Terwisga, L’Histoire ancienne jusqu’à César (Estoires Rogier), Orléans, 1999, 2 t. -la section « Troie », éd. M.-R. Jung, La Légende de Troie en France au Moyen Âge, Bâle et Tübingen, 1996, p. 334-430 -le Roman de Troie de la seconde rédaction de l’Histoire ancienne jusqu’à César, par A. Rochebouet (Le Roman de Troie en prose. Édition critique de « Prose 5 »), à paraître chez Classiques Garnier

Textes sur Alexandre -Alexandre de Paris, Le Roman d’Alexandre, The Medieval French Roman d’Alexandre, t. 2, Version of Alexandre de Paris, Text, éd. E. C. Armstrong, D. L. Buffum, B. Edwards et L. F. H. Lowe, Princeton, 1937 ; t. 3, Version of Alexandre de Paris, Variants and Notes to Branch I, A. Foulet, Princeton, 1949 ; t. 5, Version of Alexandre de Paris, Variants and Notes to Branch II, F. B. Agard, Princeton, 1942 ; t. 6, Version of Alexandre de Paris, Introduction and Notes to Branch III, A. Foulet, Princeton, 1976 ; t. 7, Version of Alexandre de Paris, Variants and Notes to Branch IV, B. Edwards et A. Foulet, Princeton, 1955 - Chronique dite de Baudouin d’Avesnes, ms. Paris, BnF Arsenal 5077, fol. 117 v – 132 r ; ms. Bibliothèque municipale de Cambrai 683, fol. 82 v – 102 v - Epistola Alexandri ad Aristotelem, éd. W. W. Boer, Meisenheim am Glan, 1973 - Epitomé de Julius Valère, Julii Valerii epitome, éd. J. Zacher, Halle, 1867 -Hélinand de Froidmont, Chronique, ms. Bibliothèque apostolique du Vatican, Reginensi latini 535, livre XVII, ch. XIX-XLVII et livre XVIII, ch. I-LXVIII - General estoria, cuarta parte, éd. I. Fernández-Ordóñez et R. Orellana, Madrid, 2009, t. 2 - Guillaume de Tignonville, Les Dits moraux des philosophes, éd. R. Eder, « Tignonvillana inedita », Romanische Forschungen, 33 (1915), p. 851-1022 - Historia Alexandri Magni (Historia de preliis), Rezension J1, éd. A. Hilka - K. Steffens, Meisenheim am Glan, 1979

190. Nous ne mentionnerons pas ici les études linguistiques sur le franco-italien dont les références ont été données plus haut dans les notes.

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- Historia Alexandri Magni (Historia de preliis). Rezension J2 (Orosius-Rezension), éd. A. Hilka, Meisenheim am Glan, t. 1, 1976, t. 2, 1977 et éd. A. Hilka, avec en regard le texte français, Der altfranzösische Prosa-Alexanderroman, Halle, 1920 - Historia Alexandri Magni (Historia de preliis). Rezension J3, éd. K. Steffens, Meisenheim am Glan, 1975 - I nobili fatti di Alessandro Magno, éd. G. Grion, Bologne, 1872 -Jean de Vignay, Miroir historial, ms. Paris, BnF fr. 316, fol. 179 v – 211 v ; BnF fr. 312, fol. 161 r – 189 r ; édition de M. Cavagna et L. Brun en préparation -Julius Valère, Iuli Valeri Res gestae Alexandri Macedonis translatae ex Aesopo graeco, éd. M. M. Rosellini, Stuttgart-Leipzig, 1993 ; Roman d’Alexandre, trad. J.-P. Callu, Turnhout, 2010 -Justin, Abrégé des histoires philippiques de Trogue Pompée, éd. et trad. E. Chambry et L. Thély-Chambry, Paris, 2 t., 1936 -Orose, Histoires, éd. et trad. M.-P. Arnaud-Lindet, Paris, 3 t., Paris, 1991 -Pseudo-Callisthène, Roman d’Alexandre, trad. A. Tallet-Bonvalot, Paris, 1992 ; trad. G. Bounoure et B. Serret, Paris, 1994 -Le Roman d’Alexandre, Riproduzione del ms. Venezia, Biblioteca Museo Correr, Correr 1493, dir. R. Benedetti, Udine, 2000 - Le Roman d’Alexandre en prose, éd. Ch. Ferlampin-Acher, H. Fukui et Y. Otaka, Osaka, 2008 (première « rédaction ») - Le Roman d’Alexandre en prose, Der altfranzösische Prosa-Alexanderroman, éd. A. Hilka, Halle, 1920 (seconde « rédaction ») -Volgarizzamento de Historia de preliis J3, éd. A. Hilka, « Die Berliner Bruchstücke der ältesten italienischen Historia de preliis », Zeitschrift für romanische Philologie, 41 (1922), p. 234-53

Études -Avril, F., « Trois manuscrits napolitains des collections de Charles V et de Jean de Berry », Bibliothèque de l’École des Chartes, 137 (1969), p. 291-328 -Baldwin, J., Philippe Auguste, Paris, 1991 -Bezzola, R. R., Les Origines et la formation de la littérature courtoise en Occident (500-1200), t. 2, Les cours de France, d’Outre-Mer et de Sicile au xiie siècle, Paris, 1963 -Blumenfeld-Kosinski, R., «  Moralization and History  : Verse and Prose in the Histoire ancienne jusqu’à César (BnF fr. 20125)  », Zeitschrift für romanische Philologie, 97 (1981), p. 41-46  -Bologna, C., «  La letteratura nell’Italia settentrionale del Trecento  », dans Letteratura italiana, storia e geografia, éd. A. Asor Rosa, Turin, 1987, t. 1, p. 512-600 -Buchthal, H., Miniature Painting in the Latin Kingdom of Jerusalem, with Liturgical and Paleographical Chapters by Francis Wormald, Oxford, 1957, p. 68-87 « The histoire universelle »

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-Cizek, A., « Ungeheur und magische Lebewesen in der Epistola Alexandri ad magistrum suum Aristotelem de situ Indiae », dans Third international Beast Epic, Fable and Fabliau Colloquium, éd. J. Goossens, Cologne, 1981, p. 78-94 -Collet, O., « Littérature, histoire, pouvoir et mécénat : la cour de Flandre au xiiie siècle », Médiévales, 38 (2000), p. 87-110 -Corley, C., «  Wauchier de Denain et la deuxième continuation de Perceval  », Romania, 105 (1984), p. 351-359 -Croizy-Naquet, C., Écrire l’histoire romaine au début du xiiie siècle, Paris, 1999 -Dept, G. G., Les Influences anglaise et française dans le comté de Flandre au début du xiiie siècle, Gand et Paris, 1928 -Dessaux, N. (dir.), Jeanne de Constantinople, comtesse de Flandre et de Hainaut, Paris et Lille, 2009 -Douchet, S. (dir.), L’Écriture polygraphique au début du xiiie siècle : le cas de Wauchier de Denain, à paraître en 2013 aux Presses de l’Université d’Aix-Marseille -Flutre, L.-F., Li Fait des Romains dans les littératures française et italienne du xiiie au xvie siècle, Paris, 1932 -Folda, J., Crusader Manuscript Illumination at Saint-Jean-d’Acre, 1275-1291, Princeton, 1976 -Folda, J., Crusader Art in the Holy Land, from the Third Crusade to the Fall of Acre, 1187-1291, Cambridge, 2005 -Fourquin, G. et Trénard, L, Histoire de Lille, 2 t., Lille, 1970 -Gaullier-Bougassas, C., «  Alexandre et Candace dans le Roman d’Alexandre d’Alexandre de Paris et le Roman de Toute Chevalerie de Thomas de Kent  », Romania, 112 (1991), p. 18-44 -Gaullier-Bougassas, C., Les Romans d’Alexandre. Aux frontières de l’épique et du romanesque, Paris, 1998 -Gaullier-Bougassas, C.,« Alexandre héros païen ou héros pré-chrétien : deux stratégies opposées de réécriture à la fin du Moyen Âge », Le Moyen Français, 51-53 (2002-2003), p. 305-326 -Gaullier-Bougassas, C., « Le mythe d’Alexandre le Grand dans l’Histoire ancienne jusqu’à César (BnF fr. 20125) », dans Vérité poétique, vérité politique, mythes, modèles et idéologies politiques au Moyen Âge, éd. E. Gaucher, J.-Ch. Cassard et J. Kerhervé, Brest, 2007, p. 193-207 -Gaullier-Bougassas, C., « Trois variations sur deux figures du pouvoir, Alexandre et César : histoires savante, morale ou « renardienne » au Moyen Âge ( L’Histoire ancienne jusqu’à César et les Faits des Romains, Le Livre de la Mutacion de Fortune de Christine de Pizan, Renart le Contrefait) », La Figure de Jules César au Moyen Âge et à la Renaissance (II), dir. B. Méniel et B. Ribémont, Cahiers de Recherches médiévales, 14 spécial (2007), p. 7-28 - Gaullier-Bougassas, C. (dir.), L’Historiographie médiévale d’Alexandre le Grand, Turnhout, 2011 -Gaullier-Bougassas, C., « Histoire et moralisation : interpréter la vie Alexandre dans les histoires universelles françaises du xiie au xve siècle (l’Histoire ancienne jusqu’à

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L’HISTOIRE ANCIENNE JUSQU’À CÉSAR ou HISTOIRES POUR ROGER, CHÂTELAIN DE LILLE

de Wauchier de Denain Histoire de la Macédoine et d’Alexandre

Texte

Texte (ms. de base, Paris, BnF fr. 20125)

1a. Qui regna en Perse aprés cestui Assuerus de sa lignee.

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Ne vos dirai plus dou roi Assuerus ore, ains vos dirai qui regna en Perse si com l’estorie raconte et tesmoigne et l’escriture qui bien en retient la memorie. Aprés Assuerum regna Artarxersés qui Ochus estoit ausi apelés .xxvi. anz en sa segnorie. Cis destruit Neptanabum le roi d’Egypte et si li toli son regne et chassa a force en Ethiope. Cis Neptanabus sot mout de l’art de nigromance si com li pluisor content et dient et si cuident que il fust peres Alixandres et que Olimpiadem la feme le roi Phelippe de Macedonie et mere Alixandre eüst par l’art de nigromance deceüe. Cis Ochus fist moult de batailles es .xxvi. ans que il regna en pluisors contrees quar il destruist Sydonie qui ore est Saiete dite et tote la terre sousmist a sa segnorie. Ou tans cestui fu nés Alixandres dont puis fu si grans la renomee com vos porés encore avant oïr1 et entendre. Aprés Ochum regna Arsamus ses fils en Perse .iiii. ans tant soulement et puis aprés ses fiz Daires cui Alixandres venqui en bataille si com vos avés oï dire pluisors fois. Cis Daires ne regna que .vi. ans, quar en son tans fu destruis li regnes de Perse. Ensi com vos oés prist fin li regnes de Perse qui ot esté de grant renon et de grant segnorie si com vos avés oï ariere et si comensa li regnes de Macedonie a eslever en grant poesté et sovraine deseure toz les autres regnes par Alixandre qui dedens .xii. ans qu’il regna conquist .xii. roiaumes, mais ansois que je de lui plus vos die ne de son pere vos nomerai je les rois qui regnerent en Macedonie por ce que vos sachés dont il vint et de quel lignee.

1b. Des rois de Macedonie qui regnerent trosques a Alixandre. [Fol. 221 r] Li rois qui premerains fu de Macedonie si ot a non Charanus, si com je vos ai dit et conté ariere. Cis regna en Macedonie ou tans que Prochas Silvius regna en Laurente et Arbacés en Mede, qui destruit avoit le regne d’Assire et ocis Sardanapallum. Cis Charanus regna .xxviii. ans en Macedonie. 1. oïr ajouté.

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Aprés regna Cynus .xii. ans2 et aprés i regna Thurimas .xxxviii. ans. Ou tans de cestui funda premierement Romulus Rome. Aprés regna quars rois Perdicas .li. an  en Macedonie. Aprés regna Argeus ses fiz .xxxviii. ans ens ou regne. El tans cestui ne voudrent cil d’Ataines plus avoir rois, ains esliurent des homes de la cité .viiii., ses nomerent princes por justicier la vile un an tant soulement et se il bien ne feïssent, au chief de l’an il les ostassent et meïssent autres. Aprés Argeus regna en Macedonie Philippus .xxxviii. ans en grant segnorie, mais ce ne fu mie Philippus li peres Alixandre dont vos avez oï maintes foiz. Ou tans cestui Philippe destruist li rois Nabugodonosor tot le regne de Jherusalem et prist le roi Joachim et fist mener en Babilonie. Aprés cestui regna en Macedonie Acropas .xxvi. ans et aprés regna Alcetas .xxxviiii. ans et ou tans cestui destruist li rois Cyrus de Perse le regne de Mede si com vos avés oï ariere. Aprés regna en Macedonie Amintas .l. ans. Cis fu ou tans que Tarquinus Superbus regna a Rome. Aprés regna disimes rois Alixandres .xl. et .iii. ans. Ou tans cestui fu une partie de la cité d’Athaines arse par la gent le roi Xerxis qui a grant estorie de gent et de navie estoit entrés en Gresse. Aprés cestui i regna Perdicas ses filz .xxviii. ans, et puis Archelaus dousimes rois .xxiiii. ans. Ou tans cestui fu Socrates mout honorés en Gresse par sa bone eloquence et par sa bone clergie. Aprés Archalaum regna Orestes ses filz .iii. ans tant soulement de sa vie et aprés regna quatorsimes rois Archelaus .iii. ans et Amintas aprés un an tant soulement et puis Pausanias un an tant soulement rois sessimes. Et puis regna .vi. ans aprés Amintas et puis Algeus .ii. ans et aprés uns autres Amintas .xviii. ans rois disenuevismes. Et aprés regna Alixandres .v. an et aprés Tholomeus rois de Macedonie .iiii. ans tant soulement de sa vie et aprés Perdicas .vi. ans et aprés li rois Phelippes .xxvi. ans, qui fu pere le roi Alixandre qui aprés lui tint Macedonie et conquist Perse, Egypte et Babilonie. Mais ansois que je rien de lui vos die, vos dirai je dou roi Phelippe son pere et de ses oevres une partie et de sa mere Olimpias, feme le roi Phelippon et de quel terre ele fu nee et de quel lignee.

2. Dou roi Phelippe, le pere Alixandre, coment il vint a terre. [fol. 221 v] Au tans tot droiturerement que il avoit .cccc. ans que Rome avoit esté fundee et faite, entreprist le regne de Macedonie Phelippes a guoverner, li fils Amintas et freres Alixandre qui aprés Amintas regna, mais de toz ses freres fu il li plus jovenes et por ce en tint il a daarrains la segnorie. Cis 2. Aprés regna Cynus .xii. ans, ajouté d’après B, D, L. Pa off re Cyrus.

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Felippes si com je vos di fu freres Alixandre qui ne regna que un an, quar sa mere Euridices le fist ocire par sa grant desloiauté et par sa grant malaventure et un autre sien fil aprés lui por l’avoutire dont ele estoit covoitose que il a li meïsme feïssent. Et quant il ne li plaisoient o il sa volenté faire ne voloient, ses faisoit par venim ocire. Et aprés ce que ses barons fu mors, fist ele une soie fille veve de son baron que ele vout avoir ou li en compaignie. Aprés totes ces malaventures, Felippes qui avoit esté .iii. ans apris et enseignés a Thebes ou ses freres Alixandres l’avoit mis en ostages au roi Epaminundan, qui fu sages philosophes et hardis de corage, por ce que il ne revelast vers lui3, vint a terre bien apris et bien ensegnés de celui roi o il ot esté en ostages, quar li pueples le remanda par grant besoigne por tenir et por governer le regne. Et tantost com il i fu venus, li corurent sus li anemi dou regne de totes parties por ce que il voloient que il ja ne creüst en force contre aus ne en poissance. Ensi fu primes li rois Phelippes acuellis de guerre en son venir de ses voisins qui mout le greverent. Mais tantost com il ot sa gent assamblee et porquise au miaus que il pot la ou il sot que il porroit avoir aïe, il envaï premerement les Atheniens por ce qu’il pis li faisoient et plus li grevoient. Maint estor i ot et mainte grande bataille, mes en la fin furent vencu li Athenien et si mené que il sousmistrent aus et lor cité a la poesté et a la volenté le roi Phelippe de Macedonie et si li promistrent qu’il toz jors li aideroient tant com il seroient en vie.

3. Que li rois Phelippes venqui et conquist mout de gens par sa grant force.

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Aprés ce mena il ses os mout grans sor les Asilliriens que il conquist a grant force et mout i ot de lor gent ocise ansois que il vousissent venir a faire la volenté dou roi Phelippe. Et quant il ses4 gens ot desconfiz et il asseüré l’orent de lui aidier et dou treü rendre5, il assist la nobile cité de Larisse qui riche estoit d’avoirs et de bones gens plentive, ne puis le jor que il l’ot assise premerainement ne s’en parti il, si l’eut a force prise. Ensi acrust li rois Phelippes en grant poesté et en grant segnorie et en grant renon par tote la terre de Gresse plus que n’avoient esté tuit li roi qui devant lui avoient regné en Macedonie. Aprés ce que il la cité de Larisse ot prise, fist [fol. 222 r] il ses os et ses gens apareillier por envaïr ceaus de Thessalie, ne mie tant por avoir victorie ne por le treüt 3. Signe point élevé. 4. Confusion avec la graphie ces. 5. Signe point élevé.

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conquerre com por la bone chivalerie du païs traire et metre en sa compaignie, quar il savoit bien certainement que se il o lui les avoit, sa force en seroit mout durement acreüe. Por ceste ochoison envaï il le plus les Thessaliens qui si furent souspris quant il vint en lor terre qu’il ne se peurent porquerre d’autres gens avoir socors ne aïe. Mais neportant il se defendirent tant com il porent com hardies gens et poissans contre le roi de Macedonie et bien se cuidassent estre delivré se il soupris ne fussent o il li eüssent fait de sa gent trop desmesuré damage. Totes hores en la fin les desconfi li rois Phelippes et si les sousmist a sa poesté et si ajoinst lor grans chivaleries et lor vaillans gens a pié o ses compaignies. Par ce si ot si grant os et si tres fortes gens ensamble et tant d’avoir avec que il ne doutoit nulle creature. Quant ensi com vos oés ot li rois Phelippes conquis les Atheniens et les Illiriens et les Thessaliens et ajointes lor os avec les os de Macedonie, il oï dire que li rois de Molossore qui Auruba estoit apelés avoit une seror tant bele et si gente de tote faiture que por nient queïst on ou monde si tres bele creature. Cele damoisele estoit Olimpias apelee. Li rois Phelippes la fist demander au roi Auruba que il li donast a feme et il li otroia mout volentiers por ce que il se pensa que il seroit buens eürés se il pooit avoir amistié et aliance au roi de Macedonie, et si en seroit il et ses regnes mais tos tans a repos toz les jors de sa vie. Mais par ceste pensee fu il deceüs, quar petit aprés ce que li rois Phelippes ot la roïne Olimpiadem sa seror esposee, li toli il sa terre et l’en envoia il en issill ou il enveilli et en povreté et en paine fina il sa vie.

4. Que li rois Phelippes conquist si tote Gresse que petit s’en failli que tuit ne li rendirent treüage.

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Aprés ce li rois Phelippes assist la cité de Commothonam ou il ot mout grant paine au prendre et de sa gent mout ocise et grant domage de lui meïsme, quar il i ot un oill crevé d’une saiete dont il mout enpira, si ne fu pas merveille. Mais en la fin prist il la cité et destruist tote, quar il onques ne s’en vout partir por sa mescheance, si l’eüst prise a force. Adonc conquist il petit s’en failli totes les cités de Gresse qui ne voloient avoir ne ne degnoient sor eles null segnor se6 ceaus non de lor viles que eles a lor volenté i metoient et ostoient et totes celes qui entreguerroier se voloient7 atorna si li rois Phelippes que eles movoir ne s’osoient et se il en i avoit nulle qui par son orguell se vousist mesler 6. de avec un s de correction sur le d (B, D, L, Pa ont se). 7. si soloient, corrigé d’après B, D, L, Pa.

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encontre l’autre8, li rois [fol. 222 v] esguardoit les plus febles, si9 lor livroit aïes par quoi il erent si maté et desconfit qu’il puis remuer ne s’osoient et en la fin ot il la segnorie de tote Gresse plenierement et si vos dirai en quel maniere. Il avint choze que cil de Thebes qui mout estoient orguoullos et poissant de grans richeces se combatirent as Lacedemoniens et a ceaus de la cité de Foces et tant firent li Thebaniein que il en ocirent et pristrent tant com il lor vint a plaisir et a talent et si les sousmistrent si a lor poesté qu’il distrent que il lor donroient avoir. Dont il lor demanderent si grant somme que il paier ne peüssent ne soudre en nulle maniere et por ceste besoigne requellirent lor gens ensamble cil de Foces et li Lacedemoniein quanqu’il porent por combatre vers les Thebaniens en tel esperance com dou tot estre ocis o delivré dou servage et de la grant somme d’avoir qu’il lor estoit comandee.

5. Des grans batailles que li rois ot vers ceaus de Foches.

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Ensi rassemblarent lor gens cil de Foches et si firent prince et duc de lor bataille de Philomelo qui mout estoit preus et hardis et sages de chivalerie. Avec aus lor vindrent en aïe li Lacedemonien et li Atheniensien qui mout orent grans gens ensamble, fors et hardis et mout vaillans a armes. Quant lor batailles furent ordenees, il envaïrent les Thebaniens et tant se combatirent cel premerain jor que il les renbatirent es loges a force10 et si lor en tolirent mout et pristrent de ceaus des plus vaillans et grant planté de lor avoirs et de lor proies. Mais aprés ce requellirent li Thebanien cuer11 et aïes, si se recombatirent a lor anemis o il ot si tres grant bataille que mout en i ot ocis de l’une et de l’autre partie. Et meïsment Philomelus li dus de Foces i fu si navrés d’un espiout trenchant par mi le cors que il en perdi la vie. Mais por ce ne s’esmaierent mie cil de la cité de Foches, encore en i eüssent il grans dommage, ains esliurent a duc Enomaum qui mout estoit preus et hardis et sages et si rassemblerent avec aus tant de gent et d’aïes que li Thebanien et li Thessaliein traistrent au roi Phelippe de Macedonie cui il soloient si haïr que il se penoient de lui oster de la segnorie de tote Gresse. Si li proierent de lor gré que il lor aidast encontre lor anemis qui les agrevoient et si fust sires de lor avoirs et de lor gens que il avoient assamblees. Li rois Philippes dist qu’il lor aideroit o sa grant chivalerie de Macedonie. Adonc n’i ot faite longe demorance. Li rois Philippes 8. Signe point élevé. 9. li, corrigé d’après B, D, L, Pa. 10. forces, corrigé d’après D et L. B a Foces ; Pa ignore l’expression. 11. cuers, corrigé d’après B, D, L, Pa.

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o l’aïe des Thebaniens et des Thessaliens qui ensamble se tenoient envaï ceaus de Foces et tant se combati que petit s’en failli que toz nes ot ocis et a toz tolues les vies. Et tantost com li Atheni- [fol. 223 r] -ein sorent l’aventure que a ceus de Foces estoit avenue il guarnirent les montaignes ou cil de Perse furent desconfit si com vos avés oï ariere, por ce que li rois Phelippes n’entrast en Gresse la sovraine et que il ne destruist et aus et la cité d’Ataines et ja estoit nés ses fiz Alixandres cui la roïne Olimpias faisoit norir par grant diligense.

6. Que mout estoit dolans li rois Phelippes qu’il tote Gresse ne pooit conquerre.

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Quant li rois Phelippes vit et sot certainement que il ne porroit entrer en Gresse ne ses anemis sousmetre a sa poesté ne a sa segnorie – c’est ceaus d’Athaines et de Lacedemonie – il coru sor les Thebaniens et les Thessaloniens qui en sa compaignie estoient et en s’aïe, et lor cités qui petit devant ce li estoient amies et apareillees a portes overtes envaï il crueaument  par batailles et si les destruist et desconfi totes par batailles et si fu si li amistés et li compaignie en sa conscience obliee que il les femes et les enfans vendi tos tost et maintenant denier a denier12 et mist en servage et si destruist les temples et viola en tel maniere que il en prist l’or et l’argent et la vaisselemente o on faisoit le sacrefice et les dras toz de soie. Aprés ce que il ot ensi mors et desconfiz ceaus qui en lui avoient fiance, il passa tant terres et mer tant que il vint en Capadosse. La le recuellirent il ausi benignement cil dou regne et le voloient honorer de quanqu’il pooient et de quanqu’il savoient. Mais il les atorna tot ausi com il ot fait les Thebaniens et les Thessaloniens, quar quant il cuiderent estre plus asseür et de lui avoir force et aïe il prist les rois par traïson et par boisdie et les haus barons, si les fist toz ocire. Et puis aprés ce sousmist il tot le regne de Capadoce a sa segnorie et a la poesté de Macedonie. Aprés ces grans occisions et aprés ces grans arsins et aprés totes ces malaventures qu’il ot faites en chasteaus et en cités et en viles, se pensa il que il ociroit ses freres dont il avoit .iii. de par son pere, por ce que il ne vousissent avoir de son regne une partie. Si com il le pensa ensi le fist il, quar il en ocist l’un et li dui s’en fuirent en la montaigne d’Olimpi o il avoit une riche cité assise qui Olimpe estoit ausi nomee. Tantost que li rois Phelippes sot que la estoient fuit si frere por avoir guarandise, il envaï la cité qui riche estoit et noble et de grant renomee adonques. Tantost com il l’ot a force prise par grans assaus et par grief paine, il traist fors ses freres et si les fist de cruel mort morir et avec toz ceaus 12.

denier et denier, corrigé d’après B, D, L, Pa.

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de la cité, homes et femes et enfans, et la cité tote fundre et ardoir et les murs et les tors abatre. Aprés ce esguarda il les plus haus barons de son regne por ce que il n’eüst jamais d’aus paor ne dou- [fol. 223 v] -tance que il vers lui traïson ne porpensassent ne feïssent si com il vers les autres porpensoit et faisoit, si les fist toz detrenchier et ocire par sa grant felonie.

7. De ce que li rois Phelippes fu mout assegurés quant il ot fait ocire ses freres et ses barons.

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Quant il ot ensi ocis ses compaignons et ses amis et ses freres qui poissance il doutoit, ses cuers fu eslevés en grant orguell et en si grant deverie que il cuidoit bien que il li leüst et que il peüst faire tot ce que il porpensoit et por ce que il ne fust nulle felonie ne nulle malaventure que il n’aemplist en son corage13, mist il galios sus mer por le mer guarder et entreprendre et si s’en ala en Trassie por la miniere d’argent entreprendre et avoir et la miniere d’or ausi en Thessale. Et quant il vint en Trassie, il avoit .ii. rois freres jovenceaus qui le regne entr’aus deus partit avoient14, mais il estrivoient andoi ensamble de lor parties tant que en la fin le mistrent il ou jugement dou roi Phelippe. Et il i vint ausi com por aus apaisier a droit et si amena sa gent tote armee et ausi com por bataille ordenee et tantost envaï il les .ii. freres, si lor toli ensamble et le regne et les vies. Li Atheniensiein qui premerainement encontre lui furent et qui l’entree de Grece li orent defendue et deveee par les montagnes que il orent guarnies, revindrent tot de lor gré a sa pais. Et si l’amonesterent et requistrent les destrois des voies passer qui mout estoient perillouses qu’il li avoient defendues.

8. Que totes les orguoillouses cités requistrent pais au roi Phelippe.

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Totes les autres cités de Gresse en la forme de pais se sousmistrent totes a sa segnorie et por ce meïsmement le plus que li une eüst pais envers l’autre et que les batailles voisines qui mout erent perillouses definasent. Et adonc vindrent a lui li Thessaliein ausi, si li proierent que il envers ceaus de Foces lor aidast et venist avec aus en bataille et il lor ot en couvenent qu’il i vendroit a 13. Signe point élevé. 14. avoit. C’est, dans les folios édités, un rare exemple de verbe au singulier alors que le sujet est pluriel.

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totes ses os, mais guardassent que il sans lui ne se combatissent mie. Et quant ce seurent cil de Foces, il pristrent avec aus les Atheniensiens et les Lacedemoniens, si traistrent au roi Phelippe, si li prierent tant et promistrent avoir15 que il les Thessaliens ne aidast mie, qu’il lor promist et jura que il les metroit a pais et a concordance et que ja por ce de lui n’avroient grevance. Ensi com vos oés et com vos poés entendre, fist tant li rois Phelippes par ses engiens et par boisdie que il guarni les destrois des montaignes et si mist es chasteaus ses guardes por avoir la force et la segnorie de tote Gresse.

9. De c’onques li rois Phelippes ne tint foi ne sairement a nulle creature.

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Adonques a primes seurent certainement cil [fol. 224 r] de Foces et tote Gresse qui tant estoit orguoillouse et poestive d’avoir et de chivalerie que ele estoit sousmise a la volenté faire le roi Phelippe et a sa comandise. Et tot ou comencement envaï il ceaus de Foces si c’onques n’i reguarda sairement ne loi qu’il lor eüst juree ne faite, ains les destruist et ocist et livra toz a grant discipline et aprés deguasta si totes les autres cités que quant il ne le veoient, si le cremoient il ausi com s’il fust en lor presence. Et quant il fu repairés en son regne de Macedonie, il demenoit a son plaisir ses pueples et totes les cités de Gresse et guastoit les queles cités qu’il voloit et qu’il li venoit a plaisir. Et repuploit les queles cités que il voloit et si donoit et retoloit a sa volenté et a son plaisir les segnories.

10. Que li rois Phelippes assist Bizance qui ore est dite Contantinoble.

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Ensi com vos oés, estoit adonques Gresse en grant chaitiveté et en grant malaventure, quar la ou li rois Phelippes estoit en Macedonie, les couvenoit toz obeïr et faire a sa comandise. Les uns envooit es estranges contrees encontre lor anemis habiter et manoir qui haïr les soloient. Les autres envooit habiter et manoir es darraines parties de lor regne por ce qu’il ne se coneüssent a avoir force de lignee ne de lor iretage et les plusiors qui haut home et fort soloient estre envooit il et remuoit de lor lius, si les envoioit es cités confondues et destruites por ce que il ne peüssent amonter ne croistre en richeces dont il vers lui s’eslevassent ne revelassent si com il soloient faire. Ensi fu 15.

Signe point élevé.

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Gresse adonques abaissee qui soloit estre si noble et si enforcee de richeces. Et quant il l’ot ensi sousmise a son comandament et a sa volenté faire et totes les richeces mises ensamble a son oes et aconqueillies, il se pensa que la nobile cités de Bizance li seroit bone et convegnable por ses avoirs assambler et por avoir son repaire et par mer et par terre. Ceste cités Bizance avoit esté faite et fondee devant ce grant tens d’un roi de Sparte qui Pausonias estoit apelés et puis aprés ce grant tens ot ele a non Costantinoble de Costantin le premerain crestiein empereor de Rome, fil la roïne Helaine, qui tant fu bone dame et renomee et est encore. Cele cités estoit tres adonc enrichie mout de riches avoirs et de grans marcheandises et si iert li sieges esleüs de tot le regne et si estoit si li chiés d’Orient de totes les cités qui adonques i estoient. Cele cité assist a force adonques li rois Phelippes de Macedonie, mais il ne l’eut mie tost prise, ains i despendi grans avoirs a tenir les sergans et les chivaliers et por celui avoir reconquerre que il en celui siege despendoit que mout li anuioit que [fol. 224 v] il ne pooit sa volenté faire16, mist il la endroit galios sor mer por guaitier les nés qui i venoient d’avoir et de grans richeces chargees et il en i prist par les roubeors de ses gualies .c. et .lxx. nés totes comblees de riches avoirs et de marcheandises et si en repaisa et recria un soul petit sa pensee dou despens que il faisoit al siege de Bizance. Et por ce que lui sambloit que il avoit poi encore rapaié son corage dou despens que il et sa gens faisoient, departi il s’ost, si en ala l’une partie en fuere et l’autre remest devant la vile. Avec cele partie qui ala en fuere ala il meïsmes et si destruist mainte cité et guasta ains que il repairast ariere. Et en la fin s’en ala il en Scite et avec lui ses fiz Alixandres qui ja estoit tels qui ja pooit bien chivauchier por la proie de la terre a force prendre et conquerre.

11. Que li rois Phelippes remena ses os de Bizance ou regne de Scithe.

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En Scithe avoit adonques un roi qui Atheas estoit apelés par non, qui mout estoit vaillans chivaliers et poissans d’avoir et de gent en sa contree. Cis rois Atheas avoit guerre contre le roi des Histrianiens qui mout l’appressoient et destregnoient par lor bones chivaleries et por ce que il auques lor prouchain voisin estoient. Por ceste destregnance et por ceste grant paor que li rois Atheas avoit des Histrianiens, vint il encontre le roi Phelippe si tost com il en sot la novele et si li dist et pria que il li fust en aïe encontre ces gens qui le guerreoient et qui le damagoient de sa terre et de sa gent et de sa proie. Et s’il 16.

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li voloit aidier tant que il en fust delivrés, esguardast a sa volenté des avoirs de son regne et il li donroit or a presence et si seroit toz jors en sa force et en s’aïe por faire sa comandise. Ceste couvenance otria et acreanta li rois Phelippes de Macedonie et tantost tornerent les os sor les Histrianieins qu’il venquirent et desconfirent et ocistrent le roi et le plus de lor chivalerie. Quant li rois Atheas vit que il estoit deslivrés de ses anemis et que jamais envers lui n’avroient poissance en tote sa vie, il se retraist ariere en ses fortereces et si noia au roi Phelippe totes les couvenances qui faites estoient entr’aus deus et devisees. Quant ce vit li rois Phelippes, il en ot mout grant ire et lors remanda totes ses os qui seoient devant Bizance, si lor fist deguerpir le siege por venir en Scithe et por combatre contre le roi Atheas cui il ahoit durement et menassoit por la couvenance que il li avoit defaillie.

12. Que li rois Atheas de Scithe rassambla ses gens por combatre contre le roi Phelippe.

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Ensi com vos oés et par ceste achoison assambla li rois Phelippes et ses fiz Alixandres lor gens et lor grant os ou regne de Scithe et li rois Atheas ne se oblia mie, ains rassembla [fol. 225 r] la soe gent par amor et par proiere et par force tant que il n’en ot mie le mains que cil de Macedonie. Et adonques n’i ot faite mie longe demorance que il n’assamblassent a bataille par tel samblance que il s’entr’ocioient et afoloient as saietes d’acier et as armes esmolues.

13. Coment li rois Phelippes et ses fills Alixandres desconfirent le roi Atheas.

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Dont fussent17 bien vengié cil de Scithe des Macedoniens par ce que il avoient eü tant de gent et ausi grans forces se ne fussent li engien le roi Phelippe et les grans boisdies dont il estoit plains par quoi il les sousprist et fist lor gent traire ariere. Quar il manda au roi Atheas qu’il sa gent retraissist ensamble et il feroit ausi la soe gent faire, si se desarmassent et reposassent de combattre et il seroit bien conseilliés de devenir ses amis et de deguerpir la couvenance qui entre aus .ii. estoit faite. Li rois Atheas, qui doutoit mout en son corage 17. furent, corrigé car on attend un subjonctif et donc une forme fussent, fucent ou fuscent, comme dans B, D, L et Pa.

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les Macedoniens, encore eüst il de sa gent grant force, loa bien ceste chose a faire qui puis li torna a grant malaventure, quar si tost com il ot sa gent de la bataille tornee et il furent refroidié et destalanté de combatre et li pluisor desarmé de lor armeüres, li rois Phelippes lor recorut sore o ses Macedoniens qui atalanté et aduré estoient de combatre. La fu li rois Atheas ocis et sa gens morte et desconfite et ses païs confondus et maumis et les grans proies de pluisors bestes prises, et si ot pris .xx. mile que enfans que femes si com les estories content, qui en furent mené et vendu par pluisors contrees et livré a servage. Mais d’or et d’argent n’i ot trové nulle chose, quar cil de Scithe del assambler n’en avoient cure. Mais des bestes i ot tant pris que on en pooit agarder les grans fous a merveilles. Et li rois en fist mener .xx. mile ives gentills et beles en Macedonie por des chivaus avoir et norir a oes les vaillans chivaliers de la contree, mais la o il s’en repairoit ariere o totes grans proies que je vos conte et devise, li vindrent a l’encontre li Triballien, une gens hardie et mout viguorouse et si l’envaïrent a bataille en tel maniere que il li firent de sa gent grant domage et il meïsmes fu ausi navrés d’un espiou par mi la cuisse a droiture que ses chivaus fu ocis desous lui et il toz sanglens abatus a terre18, et tantost com sa gent le virent cheüt et mout angoissous et navré, il cuiderent que il fust mors, si se desconfirent et lors maintenant le leverent sor un chival, si s’en tornerent atot lui, si deguerpirent la grant proie que il avoient amenee et tote la perdirent. Ne onques li rois Felippes ne lor sot tant dire quant il fu revenus de pasmisons qu’il n’avoit garde que il les peüst remetre ensamble ne faire retorner ariere. Ains l’en couvint [fol. 225 v] ensi adonques repairier en Macedonie et adonques se reposa il tant en pais que il fu guaris de sa plaie. Et tantost com il fu guaris, il refist ses os somondre et rassambler, si revint en Gresse. Et quant il i fu venus, il envaï ceaus d’Athaines por ce qu’il encontre lui revelé estoient et gent avoient mise ensamble et quises aïes por combatre se il revenoit en la contree si com on li ot fait entendre. Adont envoierent por aïes cil d’Athaines as Lacedemoniens qui lor anemi soloient estre. Et tant s’abuenirent li un vers les autres por cele paor que il firent lor pais ensamble et confermerent et que il furent en une acordance. Et adonques aussi renvoierent cil d’Athaines par totes les cités de Gresse que comunalment s’assamblassent a totes lor forces avec aus por le comun anemi de la terre envaïr et por chacier fors de la contree. Les pluisors des cités se traistrent as Atheniens et tindrent, et les pluisors por la paor de la bataille au roi Phelippe.

18. ocis devant lui, desous lui et toz sanglens abatus a terre, corrigé d’après B (ses chevaus fu mort dessous lui et il tout sanglant abatus a terre, leçon très proche dans D).

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14. Que li rois Phelippes renvaï ceaus d’Athaines.

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Quant les os furent totes assamblees et d’une part et d’autre et trestotes venues lor aïes19, mout orent grans gens ensamble cil de Macedonie. Mais plus orent assés grans gens cil d’Athaines et plus de chivaliers dedens et defors la vile. Adonc furent les batailles ordenees et devisees et mout furent entalanté et d’une part et d’autre de lor anemis confondre et vaincre, mais li Macedoniein qui aduré estoient de bataille et mout durement endurcit de lonc tens venquirent en la fin ceaus d’Athaines. Mais bien sachés c’onques mais en Gresse devant ceste bataille n’avoit eüe20 nulle si dure ne si crueuse ne ou tant se fussent tenu li un contre les autres et ce fu por ce que celui jor i gisoit tote li honors de Gresse a conquerre et li franchise qu’il soloient tenir ancieine, mais celui jor i fu ele definee et abatue et por ce si contretindrent tant li un et li autre com il porent et assés plus longement que il mais fait n’avoient et por ce i ot mout mors des Atheniens et de ceaus qui lor estoient en aïe ansois que il se vousissent dou champ torner qui lor vies et lor cors et lor avoirs et lor franchises defendoient. De tot ce perdirent mout en la fin en ceste bataille, quar li rois Phelippes les desconfi et sousmist a sa volenté faire, qui mout i ot ausi de sa gent perdue.

15. Que adonques fist li rois Phelippes ocire mout des haus homes de Gresse.

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Aprés ceste crueuse bataille, li rois Phelippes prist les haus princes des cités de tote Gresse et des Thebaniens et des Lacedemoniens que il avoit ausi conquis a force, si en fist as pluisors coper les testes et les plui- [fol. 226 r] -sors en prison metre et a trestous tolir lor avoirs et lor grans richeces. Et aprés ce que il ot ensi a son voloir tote Gresse vencue, il en assambla .cc. mile sergans a pié et .xv. mile chivaliers avec totes les gens que il avoit meïsmement assamblees de Macedonie por aler en Asye. Et si esliut trois dus de sa gent – Athalum et Amintam et Parmenionem – por envoier en Perse. Et entrues que on assambloit les avoirs de tote Gresse por aler en cele chivauchee, Alixandres qui estoit freres Olimpiadem sa feme et qui puis fu ocis en la cité de Luque par les Sabiniens et cui il avoit fait roi de Epyre por le loier de la tres vilaine amor que il avoit a lui, dou vilain peché, ort et orible, dont les cités fondirent, dona sa 19. Signe point élevé. 20. Signe point élevé.

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fille qui Cleopatras estoit apelee et si en vout et apareilla grans noces et comanda grant feste faire et le jor devant ce que les noces furent li demanda on, la o il estoit a respos et a joie, quel fin li hom devoit miaus covoitier et desirer a avoir de sa vie. Il respondi que cele fins estoit tres bone devant totes les autres et gloriouse al home qui fors et haus estoit de lignee quant il avoit ses mesestances et ses guerres afinees et il guovernoit en pais sa terre sans ce que il eüst nulle paor de nulle creature en son corage et adont estoit ocis soudainement si que il ne s’en donoit guarde. Et ensi com il ot adonc devisé li avint en assés brief termine. Et li Deu cui il avoit sovent aïré et lor temples brisiés et lor autiers et lor ymagenes ne le peurent destorner que il n’eüst la mort que il tant avoit loee et par parole desiree. Quar l’endemenain la o il estoit as gius entre les .ii. Alixandres, son fill et son gendre, o il avoit grans presses por esguarder les gius que li jovenceau faisoient, fu il ferus par mi le cors en la presse d’une espee a Pausania qui jovenceaus estoit et de la lignee Orestes de par sa mere.

16. Que mout fist li rois Phelippes, li peres Alixandre, de maus et de felonies.

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Ensi fina li rois Phelippes, li peres Alixandre, com vos poés entendre, qui tant fist de malaventures et de batailles et de desloiautés en .xxvi. ans que il tint le regne de Macedonie et guoverna. A cestui et as autres haus rois et as contes et as dus et as haus barons qui adés estoient eschaufé et entalanté de mal faire puet on example prendre a quels fins21 et a quels merites a daarrains il en venoient. Quar des .xxvi22. ans que il regna ne fina il onques o de cités ardoir o d’assambler batailles o de destruire contrees o d’omes ocire o d’assambler grans avoirs et grans richeces par rapine o de vendre chaitis o chaitives en servage o de faire boisdies vers freres et vers serors, et traïson faire vers tote creature. Et en la fin ne li valu mie granment [fol. 226 v] ne profita tot li malissie qu’il avoit fait, quar il en fu ocis par traïson et perdi la vie, mais ansois que il parmorust le fist venger de sa main meïsme ses fiz Alixandres, si com je vos ferai ja oïr s’il vos plaist23 et briement entendre.

21. a quels fins et a quels fins 22. .xxv. 23. plai

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17. De Neptanabus le roi d’Egypte qui fu peres Alixandre si come li pluisor content et dient.

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Dit vos ai ariere que li pluisor cuidoient et cuident encore que cis Alixandres estoit fiz au roi Neptanabus d’Egypte et si vous dirai por quoi il le cuidoient et disoient et dient encore. Cis Neptanabus estoit sages encanteres et si savoit mout de l’art d’astronomie. Haus hom estoit24 d’Egypte mais rois n’estoit mie de nassion de lignage, mes par l’art de nigromance avoit aquise la segnorie et si en estoit mout doutés par ce que il en avoit fait noier et perillier en la mer pluisors princes d’Orient qui ou grant gent sor la terre d’Egypte venoient. Ensi guoverna il et tint une grant piece en pais le regne. Mais aprés ce petit de tans que il estoit apaisés ens ou roiaume, li Indiein et Arablois et li Turc et cil de Fenice et cil de Scithe et li Assiriein et li Alan et cil qui habitoient vers les mons de Cauliasos et li Hiberiein et li Agriophagirin, totes ses gens li corurent seure. Por la paor de ceaus n’osa Neptanabus demorer en Egypte, ains se mist en mer et ala tant qu’il vint en Macedonie. La vit il la roïne Olimpiadem qui tant bele estoit que griés choze seroit a raconter sa beauté et sa faiture.

18. Que li rois Phelippes s’esmerveilla mout quant il sot que sa feme estoit ja grosse d’enfant.

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Adonques estoit li rois Phelippes en ost si com il avoit sovent usé par acostumance et Neptanabus enama la roïne de tres grant amor por la beauté dont ele estoit enluminee. En la terre de Lybe et en Macedonie aoroient adonques les foles gens un deu – Amon estoit apelés – dont li ymagene estoit en guise de mouton taillee et faite. En cele forme de celui deu s’en vint cil Neptanabus a la roïne en ses chambres et si l’aresna tant si com cil qui bien le sot faire et promist ce que ele voudroit et coveiteroit a avoir que ele avroit sans faillance et tant que ele fist ses volentés et si demonstra lui et sa samblance a la dame et la fu engendrés Alixandres si com li pluisor cuident. Et quant li rois Phelippes revint a la roïne et il la trova ensainte, il s’en esmerveilla mout de cui ce pooit estre et la dame respondi et dist au roi c’onques nus hom n’avoit avec li esté puis que il estoit partis de li et de sa chambre, ne nulle autre creature humaine se ses damoiseles non et Amon li poissans deus de Libe qui [fol. 227 r] l’avoit reconfortee maintes fois et solacee. Adonc cuida li rois Phelippes 24. haut estoit, corrigé d’après B, D, Pa (L folio manquant).

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certainement qu’ele fust ensainte dou deu et si le creï fermement. Et tantost com ele en fu delivree, si le25 mist a non Alixandre et quant Alixandres fu tant creüs que il ot .xii. ans de son eage, il avint une nuit que entre lui et Neptanabum issirent fors des sales por esgarder par l’art d’astronomie en l’air et ou cors des estoiles. Adonques bouta Alixandres Neptanabum si que il ne s’en dona guarde en une fosse qui derriere lui estoit plaine de pierres dures et grandes et ce fist il por ce que li pluisor le gaboient et disoient que c’estoit ses peres, si en avoit grant vergoigne et si ne le creoit il ne ne cuidoit mie. Neptanabus qui fu botés en la fosse en tel guise com vos m’oés dire ot le cou si desloié et la teste si defroissee que il le couvint morir prouchainement et perdre la vie. Et quant il vit que il n’en porroit mie eschaper et Alixandres l’ot retrait dou fossé et il l’ot sovin couché a terre26, Neptanabus parla et si li dist coment il estoit fuis d’Egypte en Macedonie et par quel art il l’avoit engendré en la roïne en la semblance Amonis, le deu de Libe. Et tantost com il ot ces paroles dites et contees a Alixandre qui mout s’en esmerveilloit, il moru en meïsme l’ore.

19. Coment Alixandres conquist son chival Bucifal par sa fierté.

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Et Alixandres qui sot certainement que c’estoit ses peres le fist enseveillir et ardoir le cors come roi et faire trop riche sepouture, haute amont, grande et eslevee. Adonques avoit ou regne de Macedonie un chevau nori de merveillouse faiture que il ou regne Bucifal apeloient et tant estoit cil chivaus fiers et oribles que nus ne l’osoit aproismer ne sus monter ne metre frain ne sele. Et ou tans que Alixandres ot .xiiii. ans, oï li rois Phelippes a ses deus respons et prist que quiconques sor celui chival porroit monter et mener a sa volonté, il conquerroit tot le monde por sa poesté et en seroit sires. Alixandres oï parler de ceau chival et tantost com il en oï la novele, il ala por veïr la grande merveille, quar li chivaus estoit dessemblans a autre chival de tant que il avoit crigne et coe leonine et le chief et les oils espoentables et le cors et les membres de chival fais ausi et formés com ce fust fait a souhait27 o riche entailleüre. Lors que Alixandres le vit, il ne le redouta mie, ains ala vers lui grant aleüre et li chivaus qui ne se laissoit mie aproismer de nulle creature s’umelia vers lui ausi com s’il l’eüst nori toz les jors de sa vie et Alixandres li mist le frain et la sele, si monta isnelement sans nulle demorance et poinst le chival a sa volenté 25. Confusion avec li (B, D, Pa). 26. Signe point élevé. 27. fins souhait, corrigé d’après B, D, L, Pa.

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et com sans nulle contre arestance [fol. 227 v] et sans frain et sains28 sele le coru il assés devant le roi Phelippe et devant tote sa chivalerie et torna et retorna tost et isnelement le chival tot a sa volenté. Ce fu la choze dont cil qui le virent trop durement s’esmerveillerent.

20. Que li rois Alixandres porta corone aprés la mort son pere Phelippe et si n’avoit que .xx. ans.

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Et quant li rois Phelippes le vit et il vint a l’encontre, si le salua si hautement come le segnor de tot le monde et quant Alixandres ot .xv. ans, il s’en ala combatre a ceaus d’Epile que il venqui par l’aïe de sa bone gent et par sa grant proëce et en aprés ce se combati il au roi Nicholas cui il venqui en bataille si com vos avés oï pluisors fois conter et dire. Et aprés envaï il la cité de Mathonie cui il sousmist au comandament le roi de Macedonie et si en fist il as gens de la cité paier le treüt a sa volenté et a sa devise. Aprés ce repaira il en Macedonie, si racorda sa mere la roïne Olimpias au roi Philippe que il avoit laissee por Cleopatra et l’ochoisons si fu dou laissier por ce que Pausonias amoit Olimpiadem et li l’avoit ravie et por ce Pausonias en navra le roi Phelippe a mort que il le voloit detenir et avoir a feme. Mais Alixandres, en meïsme l’ore que li rois Phelippes fu navrés si com vos avés oï ariere, prist Pausoniam, si l’amena devant le roi Phelippe cui il mist en la main une mout bone espee tote nue et si li dist que il s’en vengast a sa volenté si come de celui cui li29 avoit la mort donee. Et li rois Phelippes tantost ocist Pausoniam si qu’il perdi tot maintenant la vie. Adonques fu coronés a roi Alixandres de Macedonie et si avoit tant soulement .xx. ans d’eage. Et lors fist il desfermer et ovrir les riches tresors le roi Phelippe son pere por departir et por doner as vaillans chivaliers cui il fist assambler et venir a lui de Macedonie et de mout diverses contrees.

21. Que li Romain envoierent a Alixandre une corone d’or. Des Macedoniens ot il avec lui a pié armes portans .xv. mile et .viii. mile chivaliers et .ii. mile et .vii. cens d’autres contrees et .vii. cens dou regne de Trasse mout vaillans as armes. Et quant il ot tote s’ost assamblee, il en ot en28. Graphie de sans, attestée aussi au paragraphe 104. 29. il, corrigé d’après B, D, L, Pa. Cui a ici la valeur d’un qui sujet.

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samble .lx. et .xiiii. mile et .vi. cens toz hardis et coraujos de sa besoigne faire. Adonc fist il ses os arouter et chivauchier ensamble tant que il entra en Trasse et esra tant le regne et le terre ala conquerant tant que il ot la cité de Lyconie assise et a force prise. De la s’en ala il en Sesile que il conquist a force et venqui les gens par grevouses batailles et aprés entra il en Itale qui ore est Lombardie dite. Et tantost com li Roumain le seurent, il li envoierent une co- [fol. 228 r] -rone d’or et .xl. ponceaus d’argent et .ii. mile chivaliers en s’aïe. Et adonques estoit conceles a Rome Manlius Torquatus et rois en Perse Daires li fils Arsami dont vos avés oï ariere et dont vos orés avant encore.

22. Coment Alixandres prist Tyr et tote la contree.

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Quant Alixandres se fu ensi concordés vers les Romains qui li orent envoié ces riches presens et promisses totes lor forces et lor aïes, il fist rapareillier sa navie por entrer en mer et por trespasser ou roiaume de Lybe. Et quant il fu entrés en la terre, li renons de lui ot si espoenté ceaus dou regne qu’a paines i ot cité, tant fust fort fermee et meïsmement Cartage, que il n’i ot celi qui n’obeïst a sa volenté faire. Et de la quant il ot tote la terre conquise, s’en vint il en Egypte cui il conquist ausi a force et a grans batailles oribles et perillouses et la oï il parler de la riche cité de Tyr qui ore est Sur apelee, quar ele estoit tant forte qu’ele guardoit de mer les destrois et les passages et qu’ele n’obeïssoit ne cremoit ne redoutoit ne rendoit treü a nulle creature ne a roi terrien, tant eüst grant force ne grant segnorie. Li rois Alixandres qui oï et entendi ces noveles deguerpi Egypte que il ot a ses comandamens sousmise et si s’en vint o ses grandes os par le regne de Syre por la cité de Tyr asseïr par mer et par terre et por prendre a force se il rendre ne li voloient. Mais quant il i fu venus, il sot bien la volenté de ceaus de la cité por ce que il fermerent encontre lui les portes et si s’apareillerent bien et hardiament tuit armé et ordené sor les aloirs des murs cretelés por aus viguerousement defendre. De ceste choze ot li rois Alixandres mout grant desdaing et mout grant ire et si dist bien certainement que il ne s’en torneroit por nulle paine, si l’avroit a force prise et les murs abatus et les tors fors et espesses confundues et les gens qui dedens habitoient et qui contre lui par lor orguell le detenoient ocises et maumises. Lors assist Alixandres la cité de Tyr et par mer et par terre et cil de la cité qui contre lui estoient s’apareillerent mout bien dou defendre au miaus qu’il porent si com il furent. Mais en la fin les prist li rois Alixandres par sa force et si destruist la cité tote et si fist les murs et les tors et les fortereces abatre et si en ocist homes et femes et viaus et jovenes tot comunement si c’onques n’en laissa se poi non

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en vie. A ceste cité prendre content li pluisor et dient que li rois Alixandres fist faire un berfrois sor nés qui sormontoit les murs un petit de hautece et quant il fu fais il fist les nés pres des murs assacher et atraire et adont monta Alixandres sor le berfroi, si sailli sor les murs entre ses anemis et aprés lui chivalier qui le socorurent. Ensi dient li pluisor que la vile fu prise [fol. 228 v], tels i a qui dient que quant Alixandres i ot sis .viii. jors et assailli as murs et as portes, cil dedens pristrent conseill entr’aus que il feroient de ce que il n’avoient mie assés viandes dedens la vile por aus contretenir a lonc tans contre le roi de Macedonie et si n’atendoient de nuilui ni socors ni aïe. Por ceste paor furent cil de la cité si esbahi, li pluisor et non mie tuit, qu’il en furent mout amati dou defendre et si en furent les portes depecees et lor mur trauvé et desrompu par engiens et a pious30 d’acier et a cognees.

23. Coment Alixandres repaira en Syre o li rois Daires li envoia ses letres.

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Quant Alixandres ot ensi la cité de Tyr guastee et confundue com vos poés entendre, il s’en repaira ariere en Syre et la envoia li rois Daires de Perse a lui une letres plaines d’orguoll et de menaces que disoient qu’il demenoit trop grant bobance et que il cuidoit trop grant folie faire quant par son orguell cuidoit tot le monde conquerre. Mais il seüst bien certainement que il li seroit a l’encontre o ses grans esfors que il li monstreroit ains que il entrast ou regne de Perse. Tantost com Alixandres oï et entendi ces noveles, il se mist en Arabie por envaïr le roi Daire et si dist Orosius et conte que Alixandres n’avoit adonques en s’ost que .xxxii. mile homes a pié et .iiii. mile chevaliers et .v. cens sergans a chival et .c. et .lxxx. nés : tele estoit sa compaignie. Quant li rois Daires oï dire que li rois Alixandres venoit sor lui, il rassambla ses gens tost et isnelement tant que il en ot .vi. cens mile et adonc s’aproismerent tant li Persant et li Macedonien que il se combatirent, mais par l’engien Alixandre furent vencu li Persant plus que par force que il i eüst de gent adonques. La ot grant occision de ceaus de Perse faite et de la gent Alixandre n’i ot ocis que .vi. vins chivaliers et .ix. homes a pié par droiturer conte. De ceste bataille eschapa li rois Daires, si s’en repaira ariere o lui tant de gent com il ot de remanance et jura bien ses deus en cui il creoit que encore se il pooit feroit il Alixandre anui et grevance. Alixandres qui desconfi avoit le roi Daire, aprés ce qu’il ot les avoirs et les proies a sa gent departies et donees, il s’en ala a Gordien, 30.

Biff ure, ou, correction ajoutée au-dessus du texte.

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une cité de Frige qui ore est Sardis apelee, si l’assist o sa chivalerie et pris a force. Et quant il l’ot a sa volenté soumise et murs et fortereces31 destruites32, noveles li vindrent que li rois Daires ravoit grans gens assamblees et grans richeces por lui envaïr et por sa gent ocire et prendre ja si ne se savroient defendre.

24. Coment li rois Alixandres se combati au roi Daire de Perse.

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[fol. 229 r] Quant Alixandre oï ces paroles, il douta les destrois o il estoit de la montaigne dou Tor cui il33 trespassa o sa gent si isnelement qu’il en un jor en alerent .xv. liues trosques a la cité de Tarse. Et quant il vint, il se baigna par la grant kaure que il avoit dou grant travaill et de la grande lasté que il avoit eüe en une mout tres froide aigue que cil de la contree Cidnom apeloient. En cele aigue prist Alixandre si grans froidure aprés la kaure desmesuree que li pluisor de ses gens cuidoient qu’il deüst morir par les membres qui tuit li enroidirent. Entretant que li rois Alixandres guari de ceste choze, li rois Daires le sivi o grant apareill de bataille et si ot en sa compaignie sa mere et sa feme et ses serors et ses .ii. filles, et si ot .ccc. mile homes a pié34 et de ceaus a chival cent mile. Quant ce sot Alixandres que li rois Daires venoit o si grant habundance de gens a lui por combatre, il le douta en son corage, mais il n’en fist onques samblant et ce li fist avoir fiance du roi Daire venquir et desconfire qu’il a si poi de gent com il ot en la premeraine bataille le desconfi et Daires avoit35 de sa gent .vi. cens mile. Adonc fist apareillier ses gens li rois Alixandres et si sachés bien que il assés avoit plus de gent qu’il a la premere fiee n’avoit, quar de la terre d’Akaïe et de pluisors cités l’en estoient venu en aïe .c. et .lxx. mile36. Quant les batailles furent ordenees et devisees et d’une part et d’autre et li cor et les busines sonerent por les os assambler, vos peüssés oïr merveillouse noise et veoir grant resplandor contre le soleill des armes resplendissans, d’or et d’argent faites et enluminees. Les batailles comencerent morteus et perillouses et li dui roi somonoient lor gens quanque il pooient de bien faire por lor anemis desconfire et les grans avoirs d’or et d’argent lor prometoient. En cele bataille jousterent cors a cors Alixandres et Daires sor les riches destriers et si se ferirent si des espious brunis sor les escus reluisans d’or et de pierres 31. 32. 33. 34. 35. 36.

murs et de fortereces, corrigé d’après B, D, L, Pa. Signe point élevé. cuil il a pié, inscrit dans la marge. Daires avoit, rétabli d’après L ; dans B, D, Pa, on lit : il avoit. Dans B, D, L, mile homes.

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preciouses qu’il s’entrenavrerent et si fu li rois Daires portés a terre. A lui socoure qu’il ne perdist la vie ot mout grant bataille des Persans et des Macedoniens ensamble, mais en la fin quant rescous fu li rois Daires s’esbahirent si sa gent des Macedoniens ensamble qui tant aigrement les envaïssoient et ocioient qu’il ne s’en pooient defendre. La fu li rois Daires desconfis et sa gens mise a la voie sans recouvrer et a la fuite et li rois Daires ausi qui onques ne repaira vers les tentes por guarandir ses avoirs ne les dames ne les damoiseles que il avoit amenees, ains laissa ens ou champ de la bataille de sa gent a pié morte et ocise .lxxx. mile et de ses chivaliers .x. mile et .lx. mile en i ot pris qui tuit re- [fol. 229 v] -menerent a la volenté faire le roi de Macedonie et des gens le roi Alixandre a pié i ot ocis .vi. vins et .x. tant soulement et des chivaliers ausi i orent perdu .c. et .l. les vies.

25. Que li rois aprés la desconfiture repaira as loges por le guaaign qu’il i trova.

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Quant Alixandres ot cele bataille vencue et le roi Daire chacé et sa gent une grant piece, il repaira ariere as loges et as tentes des Persans ou il trova mout grant habundance d’or et d’argent et d’autres richeces et si i trova la mere le roi Daire et sa feme et ses serors et ses .ii. filles qui mout plus li valussent d’avoir, se il raenson en vousist prendre, que ne feïst tote l’autre richece que il avoit conquise. De ceste victorie fu mout eslevés li cuers Alixandre en grant orguell et en grant cremance envers toz ceaus qui en avoient oïes les paroles et les noveles. Et li rois Daires qui tant i ot perdu en fu si dolans et tant abosmés qu’il ne savoit que il en peüst faire, mais entre toz ces damages ne plaignoit il tant nulle creature com les dames et les damoiseles que il avoit perdues. Et por ceste dolor rasouagier envoia il au roi Alixandre ses messages et se li manda humilment et proia que se il li voloit rendre sa mere et sa feme et ses anfans et ses serors et lor damoiseles, il li donroit et guerpiroit tot plenierement la moitié de son regne. De ce ne vout nient faire Alixandres, ains dist et respondi as messages que les dames ne les damoiseles ne li rendroit il mie por ceste couvenance, ains37 avroit encore se il pooit dou regne la meillor partie.

37. ains, ajouté d’après B, D, L, Pa.

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26. Que li rois Daires se reporchaça d’aïes por combatre ou le roi Alixandre.

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Quant li message de Perse orent ces paroles entendues dou roi Alixandre et il les orent au roi Daire dites et racontees, li rois en ot mout grant ire et lors se porpensa que encore se combatroit il au roi Alixandre por savoir et por esprover si ja consentroit Fortune que prendre en peüst vengance et que il en peüst esclairier son cuer et son corage de la honte que il li avoit faite. Adonc ne s’atarga mie li rois Daires de somondre sa gent et de querre ses aïes tot la o il les peut avoir par riches dons et par amor et par proieres et as haus homes qui aidier li venoient faisoit querre soucors et gens a lor voisins et a lor amis et tot la o il avoir les pooient.

27. Que li rois Alixandres prist Rodes et autres terres assés entrues que Daires queroit aïes.

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Entrues que en tel maniere se porqueroit li rois Daires quanque il pooit d’avoir soucors et aïe38, vindrent au roi Alixandre pluisor haut home qui a lui rendirent lor cors et lors terres a sa volenté et a sa co- [fol. 230 r] -mandise et il les pluisors fist venir avec lui et les pluisors osta de lor terres et envoia en autres terres por guarder ses fortereces et as autres pluisors en toli il les vies et aprés ce envaï il Rodes et prist a force et puis s’en rala en Egypte qu’il donta et sousmist ausi tote a sa comandise et adonc ala il au temple Amonis por ce que il voloit le blasme de lui et de sa mere abatre de ce que li pluisor de ses plus haus barons disoient et creoient que li rois Phelippes n’avoit pas esté ses peres et que il mescreoient sa mere de l’avoutire dont vos avés oï parler ariere. Et bien disoient encore li pluisor celeement c’on ne savoit certainement qui avoit esté ses peres. Por abatre cest blasme et ceste doutance ala il au temple et quant il i fu venus, il parla al evesque qui devant l’imagene faisoit le sacrefice et si li endita ce que il voloit oïr et bien li comanda et proia qu’il autre choze ne respondist ne deïst que ce que39 il li demandast a l’endemain quant il venroit ses sacrifices faire et oïr les respons dou deu devant ses barons et devant ses princes.

38. Signe point élevé. 39. por ce que : au-dessus de por, on note la correction que, qui correspond à la leçon des manuscrits de contrôle.

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28. De la tres grande bataille qui fu entre le roi Daire et le roi Alixandre.

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Ensi fu la parole prise et devisee entre le roi Alixandre et l’evesque dou temple qui bien aempli et fist sa comandise tote. Et quant li rois se departi dou temple, il estora et fist la cité d’Alixandre en Egypte que il enrichi mout et pupla de gens et d’argent et d’or que il40 fist assambler et atraire et lors li vindrent les noveles que Daires li rois persans avoit ensamble mis .cccc. mile homes a pié et .iiii. mile toz fors et aidables et portans armes et cent mile chivaliers preus et ardis por a lui combatre et si se traoient ja vers Tharse por estre contre lui quant il isteroit d’Egypte. Quant ce sot Alixandres, il atorna ses chozes et ses affaires et si se mut o ses grans os, si trespassa par mi Mede et si ala tant que il trova le roi Daire o sa gent herbergie jouste le flum d’Egypte. Et tantost come les os s’entrevirent, i ot si grant noise faite de cors et de tabors et si grant criee qu’a paines fu onques oïe nulle si grande noise en tot le monde. Adont assemblerent les oz41 et d’une part et d’autre, si com mortel anemi sans point d’espargnance. Ou premerain estor vint uns chivaliers de Perse apoignant sor un riche destrier, armés mout richement des armes un Macedonois cui il avoit ocis, por ce que on ne le reconeüst mie. Cil se mist entre la gent le roi Alixandre et quant il vit son liu, il poinst le destrier des esperons poignans, si feri le roi Alixandre del espiout trenchant contre le cuer deriere por ce que il le cuida abatre et tolir la vie, mais tant fu fors li haubers que il n’en pot fauser maille ni estendre. N’onques li rois ne guerpi estrief ne ne se mut des arsons por le roit coup fors que tant que il s’aclina un poi avant sor l’arson de sa sele. Et cil brocha le [fol. 230 v] destrier qui s’en cuida aler et passer outre a guarandise, mais uns Macedonois li fu al encontre qui le roi ot veü ferir, cil l’abati dou destrier a terre dont il ne se releva onques, si eut perdue la vie. Adonc comensa la bataille fiere et merveillouse qui onques ne prist fin trosques a tant que la nuis fu venue. Ce les fist departir adonques et traire ariere. La nuit giurent tuit armé et li Persant et li Macedonois dusques a la matinee qu’il assés par tans rassamblerent les archiers et les autres gens ou champ de la bataille. Li rois Alixandres ot la nuit devisé et comandé as dus de l’ost et as conestables que il totes les bestes de l’ost preïssent et meïssent ensamble. Dont i avoit si grant habundance que nus ne seüst ne peüst dire le nombre et si comanda qu’a 40. enrichi mout et pupla de gens et d’argent et d’or que il : une ligne et demie supplémentaire ajoutée en bas du folio pour compléter la phrase, après en Egypte que il, qui termine la dernière ligne de la colonne. 41. oz, mot ajouté entre les lignes.

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lor cornes et a lor testes lor loiast on rains d’arbres haut amont levés et a lor coes ausi por esmovoir la poudriere, por ce que cil de Perse cuidassent que de tant de gent fust lor os acreüe et que ce fussent conrois ordenés 42 qui si grant poudriere esmeüssent et si firent il sans faille, quar tantost com li Persant perceurent et virent les grans gens et les grans chivaleries qui devant venoient et les grans torbes des bestes deriere qui la grant poudre encontre le ciel eslevoient, il cuiderent que ce fussent tuit chivalier et gens armee qui sor aus venissent, si en furent si esbahi que il se retraistrent ariere. Et Alixandres fist logier sa gent sor le flum qui lassé estoient de veillier et de combatre et les gens le roi Daire repasserent le flum a lor loges et a lor tentes qui d’autre part l’aigue estoient.

29. Par quel maniere Alixandres ala veïr le roi Daire a sa tente.

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Par ceste maniere les espoenta li rois Alixandres et esbahi que ainc puis envers lui volentiers ne se combatirent. Et quant logié se furent li Macedonois sor le flum ensi com vos poés entendre, Alixandres monta sor un chival autre que Bucifal et o lui uns sergans, si trespassa le flum changees ses roiaus vesteüres, si ala tant qu’il vint a la tente le roi Daire et la descendi il dou chival et si le bailla a un sergant a guarder et dist au roi et fist entendre que il estoit messages le roi Alixandre de Macedonie. Entrues que Daires li faisoit grant feste et grant honor por son segnor et que il le voloit faire asseïr au mangier avec lui en sa tente, uns chivaliers de Perse – Pafarges avoit a non – reconut le roi Alixandre et si dist au roi Daire que se lui plaisoit ore avroit il bien sa guerre finee, quar bien seüst sans doutance que c’estoit li rois Alixandres de Macedonie qui estoit en sa presence. Tantost com Alixandres entendi celui qui reconeü l’avoit, il n’ares- [fol. 231 r] -ta guaires en la tente, ains vint a celui qui son chivau tenoit, si l’ocist de s’espee por ce qu’il ne l’encombrast de nulle choze. Et lors monterent as chivaus li pluisor des gens le roi Daire, si l’enchaucerent grant aleüre, mais par la nuit qui fu auques prouchaine et par le flum o il se feri le perdirent il et Alixandres repaira a ses gens et a ses tentes, toz moilliés et tos apessés de l’aigue, dont li haut prince mout le blasmerent.

42. ordenee en conrois, corrigé d’après B, D.

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30. De la tierce bataille qui dura trois jors entre les gens Alixandre et Daire.

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Ensi passa la nuis et li rois Alixandre qui veüt ot le couvine le roi Daire de Perse et ses gens et ses princes et ses barons dont il avoit si grant habundance que onques graindre ne fu veüe, dist a ses barons que il ne s’atargassent mie que l’endemain au point dou jor ne fussent lor batailles ordenees et apareillees por passer le flum et por combatre a ceaus de Perse. Il li respondirent et distrent que ja mar de ce fust en doutance que il ne fussent apareillé a sa volenté obeïr et a faire. A l’endemain passerent le flum li Macedonois et li Persant dont tant i avoit qu’a paines en pooit nus savoir le nombre. Cil establirent ausi lor batailles et ordenerent et si lor comanda li rois Daires et dist que il viguorousement se combatissent, quar se il pooient les Macedonois torner dou champ et vaincre, il les enrichiroit de terres, de grans avoirs quant il repairé seroient au regne de Perse. Ensi s’aatirent et d’une part et d’autre de bien faire li Persant as Macedonois et li Macedonois as Persans. Et lors comensa la bataille si grande et si orible qu’a paines en ot en nule bataille dariers tant de sanc espandu ne tant de gent ocise, quar li Macedonien erent fort et aduré tot adés de lor anemis vaincre et li Persant erent plus gens assés et preu et hardi, si amoient miaus a morir et estre tuit ocis qu’il les Macedonois ne venquissent. Par ceste fierté et par cest orguell qui estoit et d’une part et d’autre dura la bataille trois jors et l’occisions si crueuse.

31. Que li rois Daires fu vencus sor le flum Granicum.

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En la fin se traistrent les gens le roi Daire sor le flum de Granicum et la furent il desconfi et li rois Daires par le conseill de ses homes s’en est tornés de la bataille. La ot grant destruccion des Persans, quar li pluisor s’en ferirent ou flum qui tuit i noierent et les autres enchaucerent li Macedonien et sivirent a pié et a chivau tant que petit s’en failli que toz nes ocirent. En cele bataille cheïrent poi s’en failli totes les forces d’Asye et des cités d’Orient et dou regne de Perse si que tuit furent sousmis a la poesté le roi Alixandre et rendirent treüt et chevage. Es trois batailles que Alixandres fist vers le roi Daire [fol. 231 v], le segnor de Perse, ot il ocis de Persans et de lor aïes .xxv. cens mile chivaliers et des gens Alixandre cent mile .x. cens mains si com l’estorie raconte. Adonques quant cele darraine bataille fu vencue, Daires li rois de Perse, qui partis s’en estoit dolans et corrociés por sa gent dont il avoit tant perdue et por s’onor ausi et por sa tres grande mescheance, se pensa il en lui meïsme que

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niens seroit jamais de gens rassambler por combatre contre Alixandre. Ensi ot tote sa bone esperance perdue et por ce fist il letres faire que il envoia au roi Alixandre et si li manda que il de sa mere et de sa feme et de ses serors et de ses fils et de ses filles eüst merci et il li rendroit et li donroit tot le tresor de Perse et le tresor de Mede, o il avoit d’or et d’argent et de pierres preciouses mout tres grant habundance, mais Alixandres meïsmes li remanda par ses letres propres qu’a ce ne s’atendist mie, quar ja43 ne li rendroit ne ja ne les raveroit en toz les jors de sa vie.

32. Que li rois Daires requist socors au roi Porrus d’Inde.

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Quant ce oï Daires et entendi, tant dolans fu qu’il ne sot que faire mais qu’il se pensa qu’il en iroit a un riche roi qui en Inde manoit. Porrus estoit apelés par nom, grans chivaliers et fors de cors et de menbres et hardis et prous as armes autant com nulle humaine creature, et si li prieroit que il li venist en aïe encontre le roi Alixandre de Macedonie qui li avoit sa gent morte et confondue et grant partie de sa terre tolue. Entretant Alixandres et sa gens, qui le roi Daire avoit vencut et desconfit et sa gent enchaucee et ocise, repairerent as loges et as tentes des Persans ne onques en .xxxiiii. jors toz continueus ne finerent des grans avoirs assambler ne des grandes proies dont tant en i ot com on44 les pooit aguarder a fines merveilles. Et si fist ses chivaliers et ses gens qui ocis estoient en l’estor querre et ardoir et les cors metre en cendre. Quant tot ce fu fait, Alixandres li rois o ses grans os chivaucha tant qu’il vint devant Persepolim, la plus riche cité et la plus renomee et la plus plentive qui fust en tot le monde adonques et qui dame estoit et chiés de tote Perse. Si l’assist et envaï tant que il la prist a force, quar onques cil de la cité dou roi Daire ne d’autrui ne peurent avoir socors ni aïe. Et quant il l’ot prise et sousmise a sa segnorie en tant qu’ele li fu tributaire et qu’il grans avoirs en ot receüs a presence, il fist sa gent appareillier por suir le roi Daire qui s’apareilloit et mis s’estoit ja a la voie por aler au roi d’Inde por socors quere et aïe. Mais il n’ot mie granment alé quant si home meïsmement le pristrent, si le mistrent en buies d’or en prison tot navré a mort al prendre por livrer a Alixandre. Et entrues que il soul l’avoient laissé [fol. 232 r] agrevé mout de ses plaies, Alixandres qui devant tote s’ost chivauchoit o .vi. mile chivaliers le trova si navré que poi i avoit mais de vie. 43. je, corrigé d’après B, D, Pa (L folio manquant). 44. Dans B, D, Pa, nous lisons la leçon que on (L folio manquant).

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33. Que Alixandres plora por le roi Daire de Perse.

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Ci content li pluisor et dient que Alixandres plora por le roi Daire qu’il trova ensi mené par ses sers, qui ja ot esté de si grant force et de si grant segnorie, et tantost com Daires perceut que s’estoit li rois Alixandres, il li tendi ses mains jointes et si pria merci de sa mere et de sa feme et de ses .ii. filles et tantost li issi li arme dou cors devant le roi de Macedonie. Li rois qui pitié en ot et misericorde vaine, quar trop fu tardive, il l’en fist porter en la cité de Persepolim et si le fist enseveillir et appareillier si come roi45 a la costume et a la loi de Perse. Et ceaus qui l’avoient ocis qui mout cuidoient estre a lui bienvenu et avoir riches gueredons fist li rois prendre et si les fist morir par griés tormens et finer lor vies. Et si dist li rois Alixandres que ja traïtres ne devroit estre en cort honorés tant fust haus hom ne poissans, ains le doit on mout poi presier et de mout vil mort ocire.

34. Que li rois Alixandres repaira ariere en Jherusalem.

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Quant Alixandres ot ensi com vos oés tote Perse conquise et les treüs assis a sa volenté par les chastiaus et par les cités, que il chascun an li soudroient et paieroient, il s’en revint ariere en la terre de Judee por Jherusalem prendre et deguaster et les juis sousmetre a sa segnorie. Adonques en estoit Joaddus evesques et sires qui en guovernoit la terre et le pueple. Tantost que Joaddus sot que Alixandres li rois de Macedonie venoit sor les juis, il en ot mout grant paor, si assambla les anciens homes de la cité por conseill querre et demander qu’il porroit faire contre Alixandre le roi de Macedonie. Li pluisor respondirent que il alast encontre ansois qu’il a la cité parvenist ne qu’il l’eüst assise et si li proiast merci dou pueple et de la vile qui tuit estoient apareillé a sa volenté faire et a sa comandise. Ensi le fist Joaddus li evesques, quar il fist toz ses prestres dou temple revestir en blanches vesteüres et il meïsmes se revesti ausi et si fist devant lui porter une table d’or mout bien faite et haut amont levee, ou li nons Nostre Segnor estoit escris en ebriu language. [Enluminure : Alexandre agenouillé devant Jaddus]

45. si come roi est inscrit dans la marge.

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35. Que Alixandres s’agenoilla contre le non Deu.

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[fol. 232 v] Quant Alixandres vit venir l’evesque tot revestu de blanches vesteüres devant toz les autres et qui mout grant paor avoit46 et quant il vit ausi le nom Nostre Segnor escrit en la table d’or qui estoit amont47 levee, il descendi a terre dou chival et si s’agenoilla devant le nom Nostre Segnor et devant l’evesque cui il acola mout et fist mout grant feste. De ce s’esmerveillerent trop tuit li haut baron et li haut prince qui o lui estoient et si disoient entr’aus que mout avoit fait li rois grant merveille qui si haus hom estoit et si riches et de si grant poissance et cui aoroient et enclinoient totes les gens d’Orient et li roi et les roïnes et tuit cil de Perse et de Gresse et de Macedonie et de pluisors autres roiaumes, et il devant un povre home s’estoit agenoilliés qui contre sa loi meïsmement estoit, que il ne deüst faire. Ensi et de totes paroles parloient entr’aus la gens Alixandre, mais n’i avoit celui qui l’en osast araisnier ne faire nulle samblance fors que uns trestos sous, Parmenius avoit a nom. Cil parla au roi assés paverousement et si li dist : « O48 tu bons rois honorés et cremus sor tote creature, por quoi as tu aoré cest evesque49, qui n’est pas de ta loi ne tos tes deus ne croit ne aore50 ? » Li rois li respondi et dist : « L’evesque n’aore je mie, mais le deu en cui honor et en cui samblance il est ensi atornés et cui nom je voi escrit en cele table et por le deu porte je honor a cest home qui le sert et qui l’aore, quar quant je estoie au regne de Macedonie, il s’aparu a moi en tel samblance et en tel forme com cis evesques est ore devant moi, en avision la ou je demoroie, et si me promist et dist que je sires seroie de mout de regnes que je conquerroie. Il me dist verité plus grande que nos deu n’ont maintes fois faite et si m’en est sovenu pluisors fois en mon corage ne puis qu’il s’aparut a moi en avision51 ne vic je mais creature nulle de sa samblance fors cest home cui je por lui porte honor et reverence. »

46. 47. 48. 49. 50. 51.

Signe point élevé. amon Signe point élevé. Signe de ponctuation qui marque l’interrogation. Même signe de ponctuation qui marque l’interrogation. Signe point élevé.

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36. Que mout se doivent humilier li crestiein vers Deu.

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Segnor et dames, or poés oïr et entendre que Alixandres li rois de Macedonie qui onques de Deu n’avoit oï parler ne il tornés n’estoit a sa creance et qui fiers estoit et de si grant puissance qu’il cuidoit que toz li mons li fust petis por a lui souffire, s’umelia tant que il aora et enclina l’evesque des juis por ce que il Deu servoit qui en vision li avoit honor promise. Et vos segnor, por deu, qui crestiein estes et qui la loi Deu tenés qui vos est donee et otroiee par la grace de Deu en l’aigue dou saint babtisme et qui bons pleges i avés mis de maintenir la loi et la creance que il nos a donee et comandee [fol. 233 r], esgardés coment vos l’onorés et servés tuit ou comencement et de com fin corage, et si esguardés por Deu coment vos honorés ses ministres qui nuit et jor le servent por la soie amor et por la soie doutance.

37. De ce meïsmement encore por demoustrer example.

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Crestiein somes apelé aprés lui qui Jhesus Crist a nom, si le devons amer et cremir come le creator qui nos a fais et desfera a sa volenté par sa grande poissance et si devons honorer toz ceaus qui le servent et de lui se reclaiment. Mais certes petit l’en font cil qui le devroient meaus faire, quar si les ont diable soupris en mauvaises oevres et aperecis en lor corages que quant il voient le sauveor de tot le monde porter a son ministre a celui qui en a besoigne52, il ne font mie tant cil qui l’encontrent que il lor cuers i humelient ne a lor genous l’aorent ne enclinent, ains trespassent ausi outre que il ne lor en chaille et si ne fait il sans faille, quar a lor samblances et a lor oevres puet on conoistre l’umelité et la douce amor que il i ont en lor corages. N’en dirai plus ore, mais qui de Deu honorer et servir a esté necligens par ignorance chastoit soi meïsme, si avra prou en .ii. manieres, quar il fera ce qu’il devra faire et si prendront example li pluisor qui en amenderont lor afaire : Face chascuns tos tans le bien, Tost muert chascuns, ce voit on bien.

38. Coment Alixandres entra en Jherusalem. Quant Alixandres ot le nom Deu aouré et l’evesque mout honoré, il entra en Jherusalem, si ala au temple et si sacrefia a l’onor Deu en la maniere que li 52.

Signe point élevé.

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eveques li ensegna qu’il le devoit faire. Et aprés ce si dona al evesque et as prestres assés de riches dons et de ses beaus presens et si comanda qu’il .vii. ans fussent quite et delivré de lor treüage et si tenissent lor loi en pais et fermement et si servissent lor deu sans avoir de nuilui paor ne cremance. Ensi esploita adonques li rois Alixandres envers la cité de Jerusalem et envers les juis qui la loi Deu tenoient et quant il ot ce fait, il se remist a la voie por tot le païs a fait prendre si com il s’en devoit aler de Perse por trespasser vers Inde, et ne cuidés mie, vos qui oés et entendés dou roi Alixandre, qu’il tant soulement guerroiast ne espandist sanc humain par le monde, encore eüst il la terre d’Orient conquise et sousmise a sa segnorie ne li Romain ausi adonques en Itale qui por ces batailles ne se laissoient mie a combatre, ains se combatoit ausi Hagides li rois de Sparte et li rois Alixandres d’Epire encontre les Lucaniens o il ot grant occision faite quant il les desconfirent et Zephirion li prefes ausi et encontre ceaus de Scithe. Hagides qui rois estoit de Sparte et de Lacedemonie se combatoit contre toz cels [fol. 233 v] de Gresse dont Antipater estoit adonques guovernere et entre la grant mortalité qui i fu et des uns et des autres faite as trenchans armes esmolues i fu li rois Hagides ocis et desconfis ensamble tote sa maisnie et Zophirion ausi qui a tot .xxx. mile homes toz armes portans s’en ala en Scithe por le regne conquerre, mais il perdi lui meïsme et sa gent tote et ses grans richeces.

39. Que par tot le monde avoit adonques estors et mortalités et batailles.

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Ensi estoit adonques toz li mons en dolor et en grant paine, quar en quelconques liu gens manoient et habitoient estoient il esmeü d’aucune partie en bataille. Poi estoient adonques seür li haut home por lor richeces et ne por lor proeces, quar mout soventes fois avenoit que quant il estoient eslevé en la tres plus grant gloire de lor noblece, Fortune pesme et crueuse retornoit sa roie, si les metoit en vilté et en destrece et si lor toloit ce que lor avoit promis et doné, c’est les vaines richeces de cest siecle et avec la vie. [Enluminure : la roue de Fortune]

40. Que la roïne d’Amazone vint a Alixandre. En Fortune ne doit nus avoir fiance ne atendance, quar ce qu’ele a doné a la matinee retout ele a la vespree. Et celui cui ele fait chanter et esjoïr a la

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vespree fait ele sovent a nient plorer et doloir a la matinee. Ne dirai plus de Fortune ore a ceste fiee et si en porroit on assés conter et dire, ains dirai d’Alixandre le roi de Macedonie qui mis s’estoit a la voie par le regne de Perse por conquerre Inde et tote la terre o gent habitent dusques au grant occeant qui tot le monde avirone, mais ansois qu’il parvenist as montaignes d’Inde se combati il as Irkaniens et as Mandiens, .ii. pueples mout crueaus qu’il conquist a force et fist treü rendre, et ansois qu’il de cele bataille se fust departis vint a lui la roïne Alestris a tot .ccc. damoiseles, por ce que ele desiroit mout que ele fust de lui ensainte et que ele eüst de si vaillant roi et de si renomé oir fill ou fille par quoi ele acreüst sa lignee et si rendi la roïne Halestris o Minothea – ensi estoit ele nomee – a Alixandre li53 et le regne d’Amazonie por faire sa comandise. Aprés ce Alixandres envaï les Turs par fiere bataille, qui tant se defendirent contre lui por guarandir aus et lor regne que petit s’en failli que il ne furent tuit mort et lor cités et lor fortereces totes abatues, ansois qu’il vencut si54 cla- [fol. 234 r] -massent ne qu’il treü vousissent rendre. Et bien sachés que ce furent les gens qui plus agreverent Alixandre et sa gent par crueaus batailles que nulles autres gens, tant eüssent ne force ne aïes, et por ce les couvint a Alixandre le roi trestoz destruire et planer ansois que il les peüst sousmetre a sa comandise. Et quant il ceaus ot vencus, il en ala as Dranceiens et as Evergeteiens et as Parimeiens et as Arpieiens et a toz les pueples qui habitoient et manoient es piés de la montaigne de Cauquassi, si se combati tant a aus a grant travaill et a grief paine et a grant domage de sa gent et de sa chivalerie qu’il les venqui a la pardefin trestoz et sousmist a sa segnorie. Et quant il ot ce fait, il ferma et funda illuec une cité sor le flum de Thanais qui de son nom noma et fist apeler Alixandre.

41. Que li rois Alixandres fu mout fel et mout crueaus en totes manieres.

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Segnor et dames, li pluisor content et dient que totes bones teches d’onor et de dousor et de largece et de cortesie furent en Alixandre, mais Orosies dit et tesmoigne, cui on en doit mout bien croire, qu’il n’estoit mie mains crueaus ne mains felons a ses freres ne a ses amis ne a ses parens que il estoit a ses anemis estranges et si le monstre par l’exemple d’un sien cousin germain – Amintas estoit només – cui il fist ocire et ses freres ausi et sa marastra et Parmenium 53. Signe point élevé. 54. Confusion entre si et se.

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ausi et Philote et pluisors autres haus princes de Macedonie qui poissant home estoient et riche, dont li uns fu Pausanias et li autres Eurilochus et li tiers Attalus qui fu peres Eumenidus qui mout fu vaillans as armes. Et si ocist la o il seoit au mangiers Clitum qui estoit mout anciens hom d’aage et ses amis por ce qu’il loa plus le roi Phelippe de fais et de chivaleries que il ne fist lui et por ce le feri li rois Alixandres d’un espiou par mi le cors si que il esanglenta la table o il seoit et les riches viandes. Ensi n’estoit onques a aise Alixandres se il n’espandoit sanc humain o de ses anemis o de ses compaignons o de sa noble maisnee.

42. Que li rois entra en Inde ou Porrus li rois l’envaï de bataille.

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Puis aprés ce ansois encore qu’il entrast en Inde, envaï il unes gens crueuses et fieres qui onques encore n’avoient esté dontees par nulle creature  : Chorasmos et Dahas les apeloient cil qui nomer les voloient et savoient. Et si se combati tant a aus qu’il les desconfi et venqui et prist lor avoirs et si lor fist grans treüs et merveillous rendre. Et adont avoit il un maistre philosophie, Callistenen estoit només : cil avoit esté son compains en escole sous Aristocle son maistre. Celui fist il ocire et pluisors princes avec lui, por ce qu’il ne l’aoroient ausi com il faisoient Deu, si laissassent ester la costume dou saluer [fol. 234 v] que il li faisoient. De totes ces malaventures que vos oés et entendés estoit plains Alixandres li rois de Macedonie et de mout encore des autres dont mout grans anuis et mout longe choze seroit de retraire. Aprés ce assist il la cité de Nisam et si envaï la roïne Cleofilis et son regne qu’il conquist a force, mais il le rendi a la roïne a tenir por ce que ele s’abandona a sa volenté faire et de son cors et de ses richeces. Et la roïne estoit tant bele et tant plaisans a tote creature que par sa beauté rachata ele dou roi Alixandre son regne si que ele n’en perdi mie sa segnorie ne sa corone. Aprés ce se mist il ou regne d’Inde dont Porus estoit rois et sires, li plus riches hom d’or et d’avoir et d’argent qui fust adonques ne c’on peüst trouver en null regne. Tantost com Porus li rois sot que Alixandres estoit entrés en sa terre55, il assambla ses grans os et ses grans gens si com por lui et por sa terre defendre. Et bien sachés que Porus li rois d’Inde ot en s’aïe, si com li rois Alixandres meïsmes le tesmoigna par ses letres qu’il envoia a Aristocle son maistre, .cccc. olifans toz chargiés de tors de fust faites dont chascuns en portoit une appareillee mout bien et defensable et chivaliers en chascune toz armés et appareillés si com por aus defendre et 55.

Signe point élevé.

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assaillir ceaus qui seroient par la bataille. Et si ot .vi. mile chars et .viii. cens ausi richement appareilliés ou ens home haut56 et poissant de chivalerie estoient et avec aus avoit dars et espious por lancier et autres armeüres teles com besoignables lor estoient. De l’autre chivalerie et des gens a pié que li rois Porus ot assamblés est a paine nus hom qui en seüst le nombre dire.

43. Que cil qui estoient sor les olifans les grevoient mout.

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A tot si grant apareill de bataille com vos poés entendre et des bestes qui braoient et muioient de pluisors manieres, si grant resson avoit en totes parties et si grans criees que a paines i pooit on entendre nulle creature. Et quant les batailles furent assamblees, trop i ot grant occision et crueuse des dolantes gens qui sans nulle espargnance s’entr’ocioient. Cil des tors des olifans faisoient grant domage des Macedoniens avec les dars agus et avec les espious bien esmolus que il fortment lor lansoient. Mais li Macedonien avec les ars et avec les saietes quanconques il pooient encontre ceaus se defendoient. En cele grande bataille ot mout de haus homes et riches barons et d’une part et d’autre navrés et ocis et Alixandres meïsmes li rois de Macedonie i enchaussa tant toz ses anemis por ses homes aidier et socoure que li rois Porrus li vint a l’encontre et si [fol. 235 r] [Enluminure sur la largeur des deux colonnes : combat entre Alexandre et Porrus] si57 combati tant a lui que il li ocist son chivau Bucifal dont li rois Alixandres fu mout dolans quant il se senti a terre. Et bien sachiés que la eüst il esté ocis se il n’eüst eü si tost socors de ses homes et Porrus ausi fu mout plaiés et grevés. Par ce departirent et d’une part et d’autre les batailles.

44. Que la bataille fu departie et trive donee. Et quant il departirent li un des autres, trives furent donees et afiees entre les .ii. rois et entre lor gens de .xx. jors por guarir lor navrés et por les mors solonc lor costumes ardoir et metre en cendre. Dedens ces trives quant orent fait ce qu’il durent faire de lor cors enseveillir et mettre en sepoutures, li rois 56. haut, mot presque effacé, correspond à la leçon des autres manuscrits. 57. Confusion entre si et se.

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Porrus et li rois Alixandres pristrent bataille cors a cors par tel devision li uns envers l’autre que cil qui vaincroit avroit la segnorie sor celui qui vencus seroit et sor sa gent tot comunement. Ceste couvenance acreanta mout volentiers li rois Porrus por ce que il estoit plus grans assés que li rois Alixandres et plus fors ausi par samblance.

45. Que li rois Alixandres et li rois Porus se combatirent cors a cors.

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Et quant li jors de la bataille fu acis, il vindrent en la piece de terre qui i estoit devisee, si richement armé come roi et sor les chivaus covers de dras de soie et tantost com il s’entrevirent, il poinstrent lor chivaus des esperons sans longes paroles faire. Li rois Porus feri le roi Alixandre haut amont en l’escu si que li persa al espiou trenchant qui aresta sor le clavain qui mout fu fors et tenables. Et li rois Alixandres qui bien se tint ne cheï mie dou destrier, ains feri le roi Porrus bas jouste l’orle de la roiele si qu’il li persa le clavain et li mist del espiou plus de demi pié en l’ainne et si l’abati dolerous et dou bon destrier a terre tot navré. La fu pris li rois Porrus qui au roi Alixandre [fol. 235 v] jura et creanta a faire tote sa comandise. Et adont fist faire li rois Alixandres .ii. cités, l’une qu’il apela Nisiam en la remenbrance58 dou roi Porrus cui il avoit vencu et l’autra Bucephalem en la remembrance de son chival qu’il tant durement avoit amé et qui avoit esté ocis en la bataille. Et trestuit cil de la contree en la remenbrance dou roi macedonois apelerent ces cités et nomerent chascune par son nom Alixandre. Et quant tot ce fut fait, li rois Alixandre dist au roi Porrus qu’il voudroit qu’il avec lui venist en Inde, quar il voloit aler veïr les merveilles qui i sunt dusques au grant occean qui tot le mont avirone. Adonc en mena li roi Porrus le roi Alexandre en sa cité o il avoit la plus tres riche sale faite que nus hom peüst ne conter ne descrire, quar il i avoit .xl. colombes que totes erent de fin or espessement covertes et les basses et li capiteau ausi de mout grande hautece et les maissieres ausi erent totes couvertes de tables d’or d’un doit d’espessesse et qui mout estoient de grant richece ovrees et bien faites et si ot une vigne d’or et d’argent faite qui entre les colombes s’entrecuelloit59 et aloient les branches de l’une colombe a l’autre haut amont, dont les fuelles estoient d’or et li roisin es crapes entaillié de cristal et 58. remenbrande 59. entrecuelloient, corrigé (rare exemple d’un verbe au pluriel avec un sujet singulier, vigne).

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d’esmeraudes si belement et de si merveillouse nature qu’il sambloit tot certainement qu’il i fussent venu et crié par droite norreture.

46. Que li rois Porrus mena Alixandres veïr ses grans richeces.

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Trop estoit la vigne riche et esmerveillable et faite mout sotilment et ouvree et mout l’esguarda li rois Alixandres mout plus por l’uevre subtil et merveillouse que por la grant richece que bien faisoit a veïr et a mout grant merveille. Et si avoit en cele sale chambres ausi tote a fin or60 ovrees et faites, ou li lit estoient mout cler et resplendissant d’or et de marguarites et de charbuncles et d’autres pierres preciouses de pluisors manieres et li huis en totes parties et les fenestres estoient fait de blanc ivoire et li carnel de ciprés et les roieles par quoi li huis tenoient as linteus sunt d’or qui mout forment resplandissoient. Et si avoit par pluisors lius de la sale ymagenes d’or faites de trop riche faiture et aornees de riches pierres preciouses de diverses manieres. Et tant i avoit d’autres richeces pures d’or et d’argent et esmerveillables que trop porroit anuier au raconter et au descrire. Quant Alixandres li rois de Macedonie ot veüs ses riches tresors qui tuit li erent abandoné a sa volenté faire et il en ot departi et doné a ses barons et a ses princes et a ses homes tant com lui vint a plaisir, il dist au roi Porrus que [fol. 236 r] il voloit aler en la moiene Inde et mener sa gent et Porus li dist que il livreroit a lui et a sa maisnee quanque mestiers li seroit et tels gens qui bien savroient et mener et conduire et quanconques besoins seroit a lui et a sa gent envoieroit il aprés lui si que ja n’i avroit il de nulle rien defaillance. Et adonques si com li pluisor content et dient, si departi li rois Alixandres dou roi Porus, si en fist porter o lui grant planté de viandes et mener mout grant habundance de bestes vives por mangier quant il besoing en avroient et si mena o lui .c. et .l. homes dou regne qui les destrois savoient des voies et si lor promist grans avoirs a doner et grans honors a faire se il seürement le menoient et lui et sa gent tant que il venissent ou regne de Bactre. Mais li Indien qui mener devoient le roi Alixandre par les droites voies mains perillouses le desvoierent et si le menerent par grandes desertines o il tant troverent serpens et bestes sauvages crueuses que li rois Alixandres comanda tote sa gent que il s’armassent, mais il avoient tant or et tant argent et pierres preciouses avec aus aportees que il en estoient si chargé que il ne savoient qu’il peüssent faire, quar il avoient de platines d’or tant avec aus et de lor armes estoient si durement 60. or, ajouté entre les lignes.

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chargié que mout lor faisoient grant pesance et des robis et d’esmeraudes et de safirs et de margarites ausi dont l’os estoit tote clere et resplendissable.

47. Que li rois Alixandres entra es dessers d’Inde.

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Entre ces destreces ou il estoient des desertines grandes et de la serpentaille et de l’espessetume des armes riches et des avoirs qu’il enchargiés avoient, lor criut sus plus grans anuis dont il ne se donoient guarde, quar il alerent le jor, tote jor, a la grant kaure dou soleill desmesuree qu’il ne troverent flum ne estanc ne fontaine dont il ne li grans plentés des bestes qu’il menoient peüssent lor signe rapaisier ne boivre. En cele grant destrece o l’os estoit adonques et en cele grant dolor dou soif si grant que il ne savoient qu’il peüssent faire, vint uns chivaliers – Zeverus estoit només par nom – au roi Alixandre et si li aporta aigue douce en un haume que il avoit trovee en une crues d’une pierre et si amoit meaus que li rois estinsist sa soif et alegast sa mesestance que il ne feïst a la soie meïsme que il avoit mout grande. Et tantost com li rois Alixandres tint le haume ou li aigue estoit qui adonques estoit mout preciouse, il la respandi et geta a terre voiant tote s’ost por ce que c’il en eüst beüt devant aus, lor soif en fust tote doblee. Mais or se penserent il et distrent que [fol. 236 v] bien devoient soffrir lor mesaises quant li rois meïsmes les soufroit, ne por ce se li rois ot l’aigue respandue n’en ot mie mains de gré ne de gueredon Zeverus, ains l’en loa mout li rois et tuit si home et si l’en rendi dignes dessertes et grans honors por le merite.

48. Que li rois et tote l’os avoient grant destrece d’aigue.

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Et adonques ala li os avant et li rois toz premerains qui mout desiroit que il trovast aigue dont il et ses gens et la grans bestiaille avoient grant destrece, mais n’orent mie granment alé quant il troverent un flum parfont et large en une grant desertine. Et sor la rive de celui flum tot environ avoit rosseaus mout gros come pins o come sap et si avoient .lx. piés de longece et tant61 fort estoient et tant durable que totes lor choses et lor edifisses en faisoient trestuit cil de la contree. Sor cel flum comanda li rois Alixandres ses tentes a tendre a toz ceaus qui devant aloient por ce que li cheval et li home et les bestes a cel flum beüssent et refroidassent lor cors et alegassent de la grant paine et de la 61.

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grant kaure que il avoient eüe et souferte. Et entrues c’on tendoit les tentes, li rois Alixandres meïsmes descendi dou chival sor le flum, si assaia tos premerains l’aigue dont il voloit rapaisier sa soif, mais tantost com il l’ot en la boche, il la senti plus amere que ce ne fust aloisne et plus de mauvaise savor que nulle autre creature. Tant senti li rois cele aigue de mauvaise nature que beste ne hom n’en pot en nulle fin gouster sans grant torment sofrir et mout grief paine. Et bien sachés que plus les grevoit ceste destrece por les mues bestes62 que por aus meïsmes, quar li hom est plus raisnables a sofrir paine a la destrece et plus durables que n’est la mue beste. Et des bestes i avoit si grant habundance que onques si grande n’en fu veüe, quar il i avoit mil olifans de trop merveillouse grandece qui or et pierres preciouses portoient et si avoit .cccc. chars ou chival traoient. Et si i avoit mil et .cc. bouges que soumier portoient. Et si avoit .xx. mile chivaliers qui les grandes batailles menoient sor les chivaus et les grans estors ordenoient. Et si avoit .cc. et .l. milliers d’omes a pié et autrement de mules qui les harnois portoient et .ii. mile chameaus et .l. et avec .ii. mile bués mout grans et parcreüs qui avec les chameaus les fromens et les farines portoient. Et avec tot ce sivoit li grans bisseaus que li chivalier et li sergant de l’ost mangoient chascun jor dont nus n’estoit qui en seüst conte rendre ne dire.

49. Encor est ce de la grant destrece qu’il avoient.

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[fol. 237 r] Totes ces bestes dont vos ci poés oïr et entendre estoient si malbaillies et si malmenees de soif qu’a paines pooient eles durer en nulle maniere, quar eles n’avoient nulle recreance de quoi eles peüssent avoir de la soif ne de la kaure nesune alegance. Mais li chivalier et li sergant boutoient a la fiee en lor boches les froides ferreüres si come les pans de lor haubers et les pomeaus de lor espees et autres ferreüres froides que il sussoient et lechoient por alegier lor grant soif et tels i avoit que l’olie assaoient63 et avaloient en lor cors par la tres grande destrece. Et de tels i avoit assés qui n’avoient mie honte de boivre celui tant de petit d’orine qu’il faisoient. Ce fu la choze qui plus greva Alixandre quant il le sot por la pitié que il ot de sa gent qui le servoient a sa volenté faire et si grans sofraites avoient et en cele grant dolor o il estoient adonques fist faire Alixandres son ban et par tote l’ost crier que qui armés ne

62. Signe point élevé, qui n’est pas du tout ici l’équivalent d’une virgule. 63. assaioent

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seroit adés par la grande desertine que il perdroit o vie o menbre, ja ne l’en espargneroit hautece ne noblece.

50. Que li Indien qui le ost devoient mener les desvoierent64.

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De ce s’esmerveillerent tuit cil de l’ost mout fort por quoi li rois faisoit cele comandise faire et quels besoins estoit de l’ost ensi aler armee qui nuilui ne veoient qui mal lor vousist porchacier ne faire et qui si tres durement estoient agrevé de soif et de kaure. Mais tot ce faisoit li rois faire por ce que il ne fussent soupris par aventure ne ocis es desers lius o il savoit bien par ceaus qui le conduisoient que les voies ou il devoient aler et passer estoient plaines de serpens de mout diverses samblances et de bestes sauvages grandes et crueaus et fieres mout fortment. Ensi com vos oés et a tel paine ala li os jouste le flum qui si estoit amers trosques a l’ore de none tant que ele vint a un chasteau qui de ces rosseaus dont je vos ai parlé devant estoit fais en une isle en mi cele aigue qui tant estoit amere et tant estoit fors li lius c’om n’i pooit avenir ne a pié ne a chival en nulle maniere et l’aigue lee et parfunde a desmesure entor l’isle qui estoit reonde et ne mie grande. Cil de l’ost reguarderent mout la forterece, si virent ne sai quans home indiens toz nus petit s’en failloit et sans vesteüre et cil tantost com il virent l’ost et la gent armee s’amusserent es habitacles que il avoient fais dedens lor forterece ne ainc puis avant a nuilui ne s’aparurent. Li rois Alixandres, qui mout les desiroit a veïr por demander et por enquerre s’il savoient point de douce aigue illuec a pres en nulle partie dont l’ost peüst estre resaisiee65, [fol. 237 v] lors fist traire saietes en lor forterece por aus tant espoenter qu’il avant venissent. Et que plus i traist on et fist samblant de ceaus a force prendre, tant s’amusserent il plus et celerent. Et li rois fist .cc. chivaliers armer de legieres armes, si les fist entrer en l’aigue por noier trosques a la forterece et por ceaus qui dedens estoient prendre et amener avant a force et por veïr le liu et la edification qui la estoit faite. Ensi entrerent li Macedonois ou flum par le comandament le roi Alixandre et quant il en orent noé la quarte partie66 et il ja la forterece aprouchoient67, une mout griés aventure et mout pesme lor avint voiant le roi et sa chivalerie, quar unes bestes de mout merveillouse samblance qui dedens l’aigue estoient nories, 64. desvooient, corrigé d’après B, L et Pa (D a desvoient). 65. Signe point élevé. 66. Signe point élevé. 67. Signe point élevé.

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plus grandes d’olifans de cors et de faiture – hypotamiens les apeloient cil de la contree – lor vindrent dou fons de l’aigue. Tantost com il les sentirent, ses68 pristrent trestoz vis et mangerent et englotirent. De ce fu li rois Alixandres si dolans por ce qu’il aidier ne lor peut et si les veoit devant lui trestoz devorer et destruire que il meïsmes en plora et li haut prince ausi qui o lui estoient. Et por ce fist il cent et .l. des Indieins qui le conduisoient geter en l’aigue as hypotamiens qui tantost les orent devorés com il les sentirent, quar li rois savoit bien que il l’avoient deceü et traït et desvoié quant il illueques l’avoient amené69, quant il ne li avoient dist la grant destrece et la desertine et la defaillance de la douce aigue et la tres grant habundance de la grande serpentine.

51. Des ipotamiens dont li rois fu mout irés qui sa gent li orent tolue.

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Et tantost com li hypotamiein orent trestos les chivaliers le roi Alixandre devorés et mangiés et trestos les Indieins, il comencerent desoure l’aigue a venir et a noer a mout grans torbes ausi com por querre lor proie. Et li rois comanda a soner totes ses buisines por l’ost ariere traire dou flum quar la nuis estoit ja aprouchee et il ne voloit mie que ses gens se combatissent par nuit as bestes dou flum ne as monstres dont il avoit de pluisors manieres. Et avec tot ce que lor peüst il profiter ne aidier a demorer sor le flum dont il gouster ne pooient70 ? Ensi firent la nuit au miaus que il porent et quant vint a l’endemain, il virent homes indieins en naceles reondes de rosseaus faites qui nagoient par l’aigue. A ceaus demanderent il en indiein language o il poroient trover en la plus prouchaine partie aigue douce por boivre. Il respondirent et distrent que assés pres d’aus troveroient il un estanc d’aigue douce mout grant et large et la les devoient mener meïsmement cil qui les conduisoient et qui par les [fol. 238 r] desertines les voies perillouses les avoient amenés. Ensi ala li os qui tote la nuit avoit eüt assés de malaventure71 et mainte envaïe de lions et d’ors et de tigres et de lupars et de maintes autres bestes crueuses et sauvages qui des bois issoient quant il sentoient la flairor des bestes et le resson des chivaus et sore lor corroient. 68. B, D, L, Pa off rent si les. 69. Signe point élevé. 70. Signe de ponctuation qui correspond à un point d’interrogation. 71. maleventure

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52. Que li rois et sa gent troverent aigue douce.

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A la pardefin, a l’eure de none tot droiturerement parvindrent il al estanc de la douce aigue et la estoient si mené de la grant lasté et de la tres grant soif que por poi que il ne defailloient d’aus meïsmes et que les bestes mesmement ne recreoient, mais quant il i parvindrent grant joie i ot, ce poés vos bien croire. Si en burent li chivalier et li sergant et les bestes ausi qui mout durement la desiroient. Et quant tuit orent beü et il furent auques resasié de lor soif et refroidé, il furent si aisé qu’a paines lor sovenoit des grans mesaises que il avoient sofertes. Et por ce lor estoient lor aisses mout creües et doblees72 que il avoient les mesaises eües. Et de ce dist li vilains son proverbe qui dist : « Ne seit qu’est aise qui mesaises n’a sofertes. » Entor cel estanc de douce aigue avoit un bois anciein, bel et plentiv de fruis de mout diverses manieres. Jouste celui bois comanda li rois Alixandres ses tentes a faire tendre et si comanda li rois c’on le trenchast tot et abatist trosques au flum tant com les tentes avoient de largece d’entrepressure, por ce que plus aisé peüssent aler a l’aigue del estanc cil qui aler i voudroient et se nulle choze lor avenoit de destorbance c’on les veïst tost et isnelement et peüst socorre, quar cil qui savoient dou païs la maniere avoient dit au roi Alixandre que en tote la contree n’avoit plus de forés que celi soule ne d’aigue douce. Et por ce i avoit il a trait noreture de divers serpens qui estoient de pluisors samblances et des bestes ausi et d’oiseaus de diverses figures et por la poor de ces serpens fist li rois Alixandres entre les tentes les olifans et les chivaus et les bestes de l’ost totes herbergier et mout grans fus alumer et faire tot entor les tentes, por ce que s’aucune aventure lor avenist en la nuit qui estoit ja auques aprochee qu’il s’entreveïssent et que li fus lor fust forterece et defendance contre les serpens et contre totes les bestes sauvages.

53. Que li rois s’assist au mangier et sa chivalerie.

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Et quant les os furent logees si com li rois Alixandres ot comandé et il lor chozes orent mout tres bien atornees et ordenees si come por reposser en pais la nuit de la grant lasté qu’il avoient eüe, li rois Alixandres comanda a soner ses cors et ses buisines por asseoir au manger [fol. 238 v] et tote l’os ausi et tote la chivalerie. La ot mout riche luminaire alumet sor les chandeliers d’or dont il i avoit .ii. mile devant le roi et devant les barons de l’ost et devant toz les 72.

Signe point élevé.

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princes, mais n’orent mie granment mangié quant la lune leva bele et clere et tantost lor vindrent serpent a longes coes agues en som et a aguillons poignans que tuit cil de la contree scorpions apeloient, si lor corurent tantost seure et si en i avoit grant plenté et mout grant habundance qui au flum aloient por boivre. Et aprés ce vindrent ceraste a grant planté de diverses colors et de pluisors manieres, quar li un estoient vermeill et li autre avoient les escailles blanches et li pluisor noires et li pluisor les avoient a or samblans, totes resplendissables, et si demenoient si grant noise au siffler qu’il entr’aus faisoient qu’il sambloit que la contree en resonast tote et qu’ele en fust tote plaine.

54. Des grans paines et des grans paors que li serpent lor firent.

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De ce orent li Macedonien grant paor, qui mout tost et viguorousement corurent as armes et si firent fortereces des escus entor les tentes por73 les serpens arester et si les estechoient as glaives dont il les poignoient et ocioient et si en ardoit mout es fus ausi qu’il fais avoient. Ensi se combatirent il encontre ces serpens deus ores de la nuit a grant paine et adonc les guerpirent li serpent, si alerent boivre de l’aigue a l’estanc, si s’en repairerent a lor fosses en la tres grande forest ariere. De ce orent les gens le roi Alixandre grant joie, quar adonques cuiderent il reposer la nuit en pais seürement et a grant aise, mais quant vint a la tierce hore de la nuit, serpent cresté lor vindrent des montaignes qui venim getoient par les boches, a cui il les couvint combatre plus d’une ore d’espasse. Cist serpent lor firent grant damage quar il ocirent de lor sergans mout grant plenté par le venim qu’il lor getoient dont il toz les envenimoient. Et li rois Alixandres lor prioit et disoit qu’il ne s’esmaiassent mie des averses aventures qu’il lor venoient, ains sofrissent et fussent de ferm corage et il si furent, quar mout viguorosement et mout hardiement se defendirent contre les serpens crestus qui les assailloient. Aprés ce lor vindrent serpent samblant a caucatris qui totes les escailles avoient si dures c’om ne les pooit entamer de nulle armeüre : cancres les apeloient cil de la contree. Cil lor firent mout de mal por ce qu’il avoient les escailles si dures, mais par l’ardor74 dou fu en furent auques li Macedonois delivré et par l’estanc o il dedans se retraistrent et adonc se retraistrent cil serpent arieres, si ralerent es lius dont il venu [fol. 239 r] estoient.

73. tentes et por 74. l’ardordor

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55. Que la beste que li Indiein clamoient dent tirant vint al estanc boivre.

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Adonques cuiderent cil de l’ost mout bien a pais estre et asseüré, quar ja estoit bien la quinte pars de la nuit alee. Si sonerent li cor et les busines por senefiance que li os s’i reposast et aseürast et mais ne fust en doutance. Mais tantost lor sorvindrent blanc lion grant come tor, mout fort et orible. Ceaus acuellirent li Macedonien as espious trenchans, si en ocirent mout a aus defendre. Et aprés lor vindrent sengler de mout tres grande forme et tygres et panteres qui mout grans estors et perillous lor livrerent. Et aprés lor vindrent75 cauves soris ausi grandes de cors come colon sunt par samblance. Celes soris lor voloient en mi le visage et as dens que eles avoient ausi grans come li home ont et de tel forme les mordoient si aigrement en quelconques membre les atagnoient que eles les afoloient petit s’en failloit o ocioient. Aprés ce lor vint [Enluminure : représentation du dent tirant] une beste mout merveillouse, grande et orible et d’autre maniere que il onques mais nulle n’en avoient veüe. Graindre estoit d’un olifant et samblans estoit auques a chival de faiture et si ot la teste tote noire que ele avoit armee de trois cornes longes et agues si que ele ne cremoit nulle creature.

56. Que les gens Alixandre envaïrent cele beste.

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Cele beste estoit trop crueuse, si l’apeloient dent tirant cil d’Inde qui le conoissoient par veüe et qui toz autres serpens et totes autres bestes sauvages li avoient veü chacier par sa grant poësté et par sa grant felonie. Quant ceste beste ot beü a l’estanc et ele fu rassasiee de sa grant soif, ele reguarda les loges et les tentes et les Macedonois qui a merveilles l’esguardoient et qui grant noise demenoient, si lor corru tantost seure ne onques ne redouta ne aus ne le fu ne la flame que ele ne se mesist par mi a droiture et cil de l’ost l’envaïrent as espious et as lances tant qu’a mout grandes paines l’abatirent a terre et ocirent, mais ele ot ansois .l. homes navrés et .xxvi. getés fors de lor vies. Aprés ce se mistrent soris endienes es loges et es tentes qui ausi grandes estoient com volpill par samblance. Celes lor firent mout de mal et de paine ansois que il fors des loges les peüssent metre ne cha- [fol. 239 v] -cier, car eles entre les chivaus et les autres bestes se tenoient et tantost com eles les mordoient et sans en issoit fors d’aus, tantost se moroient. De tel nature estoient ses76 soris. Mais li home et les femes ne moroient mie quant eles les mordoient. 75. vindre 76. Exemple de confusion entre ses et ces.

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57. Que li rois vint as mons de Scapios, si les vout estouper.

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Aprés ce tot droiturerement a la jornee lor vindrent un oiseau ausi grant come houtoir qui de bleue color estoient. Ceaus apeloient li Indois niticorax en lor language et si avoient les biés noirs et les piés ausi et les ongles. De ceaus i vint si tres grans habundance que il porpristrent et covrirent tote la rive del estanc, mais il ne nuisirent a ceaus de l’ost nulle rien ne ne greverent, ains pristrent des poissons del estanc a lor ongles trenchans, si com il soloient faire. Si s’en repairerent tot en pais ariere ne onques cil de l’ost vers aus ne s’esmurent ne ne les assaillirent au lancier ne au traire en nulle maniere. Ensi com vos oés et poés entendre ot li os le roi Alixandre soffert tote nuit mout griés travaus et mout griés paines. Et quant li jors fu esclarcis, totes ces merveilles qu’il avoient veües, serpent, oiseau, furent retrait et bestes en lor lius par la forest et par les montaignes et es grans desertines. Et li rois Alixandres fist prendre ceaus qui le conduisoient par les desers et qui les piors voies adés a lor essient les menoient, si lor fist brisier les bras et les jambes et la laissier trestos chois por ce que li serpent la nuit les mangassent trestos et devorassent. Et lors se mut li rois Alixandres et tote li os, si se mistrent vers Orient encontre les mons de Scapios que il aprochoient. Et quant li rois vit les montaignes hautes et grandes vers les ciels estendues, il demanda quels gens outre ces montaignes habitoient et manoient. Cil li respondirent et distrent, qui la verité en savoient, que outre cele montaigne habitoient unes gens que li deus des Hebrius par lor felonies et par lor mavaistés avoit la comandés a estre por ce que ja mais n’en ississent toz les jors de lor vies. Li rois demanda par ou il i estoient entré quant il i alerent et on li dist et conta qu’il n’i avoit c’une sole entree en nulle partie et cele estoit tant estroite et si forte que il ne doutoient qu’il i entrast nulle creature.

58. Que Nostre Sires oï la proiere Alixandre d’estoper la montaigne.

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Quant li rois oï ce, il s’en esmerveilla mout forment et si dist, puis que li deus des Ebrius haoit ces gens et que il voloit qu’il la fussent et que jamais ne s’en remuessent, il li aideroit tant s’il pooit que jamés, vousissent o ne vousissent, n’en [fol. 240 r] istroient. Lors comanda li rois a ses maistres engigneors qu’il ciment feïssent si tres fort et si tenable por estoper l’entree de cele montaigne que nulle creature ne le peüst derompre ne desconfire quant il seroit endurcis en nulle maniere. Li maistre engigneor77 le roi virent l’uevre qu’il lor 77.

engneor

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comanda a faire, si li distrent que travaus d’ome humain ne porroit mie sofire a estoper la trencheüre de .ii. montaignes que cil dedens n’en ississent a quelque paine se il voloient et se cil78 qui defors seroient le consentoient. Quant ce oï li rois Alixandres, il tendi ses mains vers le ciel et si fist s’orison a Deu et si dist que se il avoit si grant poissance com li juif disoient et voloit que ces gens n’ississent jamais d’outre ces montaignes que il les enclosist si apertement trestous ensamble que il issir ne peüssent. Et tantost com Alixandres ot ce dit et proié a Deu, les montaignes se traistrent ensamble et serrerent sans aparance de nulle jointure.

59. Que Alixandres se merveilla mout dou miracle que Deus li mostra.

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De ce s’esmerveilla mout li rois Alixandres quant il vit le miracle coment ce pooit estre por ce qu’il n’avoit onques mais la grant poissance de Deu veüe ne coneüe por qu’il l’eüst entendue. Et por ce creï il mie en lui ne ne fist ses ovres, ains fu sarrasins toz les jors de sa vie. Por Deu, segnor et dames, or esguardés en vos meïsmes que Deus feroit por nos qui crestien somes si nos ses ovres faisions et nos ses comandamens tenions quant il tant por Alixandre le roi fist, qui sarrasins estoit et sa loi ne tenoit mie, qu’il .ii. montaignes si hautes et plus que celes de Mongiu ne sunt en fist serrer et venir ensamble79. Certes, sachés de fi et de verité que encor feroit il plus grans miracles por nos si nos si prodome et si loial estions com nos devrions estre, si com vos porriés entendre et oïr es vies des sains qui sa loi veraiement tindrent et a sa volonté faire adés de toz lor pooirs obeïrent.

60. Que li rois Porrus qui remés estoit en Bactre si pensa qu’il se recombatroit a Alixandre.

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Quant li rois Alixandres ot ensi ovré, il se remist a la voie por revenir en Bactre ou regne le roi Porus, qui mout estoit terre riche et plentive d’or et d’argent et de pierres preciouses et d’autre devices. Et quant li ost ot alé .iiii. jornees de voie, les noveles vindrent au roi Alixandre que li rois Porus avoit sa gent assamblee por lui contreguaitier et por combatre a sa gent, quar il cuidoit 78. et cil qui defors seroient, ajout de se. 79. Signe point élevé.

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qu’il en eüst mout perdu es grans desers d’Inde et que cil qui eschapé en estoient fussent si agrevé de la lasté et de la forte voie qu’il mais ne se peüssent [fol. 240 v] contretenir a lui en estor ne en grant bataille. Et tantost com li rois Alixandres le sot, il fist ses os logier et reposer .xx. jors por recovrer lor forces. Et li rois Porus qui iluec assés pres avoit ses loges et ses tentes tendues fist par tote l’ost le roi Alixandre crier hautement et dire que tuit cil qui voloient achater viandes venissent as tentes de ses homes, ses80 achatassent et preïssent plenierement sans nulle doutance et tot ce faisoit Porus por savoir la couvenance de l’ost et dou roi Alixandre cui il vousist volentiers entreprendre et chacier s’il peüst a deshonor de son regne. Et por ce enquerre et demander seoit il mout sovent a l’entree des tentes, si encerchoit et demandoit a ceaus de l’ost des Macedoniens que li rois Alixandres faisoit et coment il se maintenoit et il et si home et cil a cui il le demandoit81 ne li respondoient certe choze del estat le roi Alixandre ne de ses ovres. Et quant il repairoient ariere au roi macedenois, il li redisoient et faisoient entendre totes ses paroles et sa contenance.

61. Que li rois changa tot son abit et si ala veoir le roi Porrus.

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Tant ala ensi la choze que li rois Alixandres changa et mua son abit, si s’apareilla a la loi de mercheant qui alast achater viandes et si avint par aventure que li rois Porrus l’aresta et araisna et si li demanda qu’Alixandres faisoit ne de quel eage il pooit estre. Et li rois meïsmes li respondi qu’Alixandres estoit ja de tel eage qu’il si82 chaufoit ausi come uns viaus hom maintes fois en sa tente. Quant Porrus oï ce, il li dist ausi com par orguell : « Et por quoi ne prent il dont guarde de son eage83 ? » Li rois li respondi qu’il ne savoit que li rois Alixandres avoit enpensé a faire, quar il estoit uns povres chivaliers dou regne de Macedonie. Lors promist li rois Porrus au roi Alixandre grans dons por ce que il portast a Alixandre le roi de Macedonie unes letres sans nulle faillance et li rois Alixandres meïsmes li jura que se il li bailloit ne doutast mie que il ne les rendist seürement au roi Alixandre.

80. ses équivaut à si les (B, D, L, Pa). 81. demandoient, corrigé d’après B, D, L, Pa. 82. confusion entre se et si ; B, D, L et Pa ont s’eschaufoit. 83. Signe de ponctuation qui correspond à un point d’interrogation.

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62. Que Porrus se combati a Alixandre et si fu vencus et puis li perdona Alixandres son maltalent.

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Adonc bailla li rois Porus au roi Alixandre les letres et li rois s’en repaira ariere a ses tentes, qui entre ses compaignons en demena la vespree et la nuit mout grant joie. Et quant vint a la matinee, li rois Alixandres fist sa gent ordener et armer si com por bataille et fist soner cors et buisines a si grant planté que tote en resonoit et retentissoit la contree. Ceste novele sot tost li rois Porrus qui sa gent amonesta et proia mout de combatre viguorosement contre ceaus dou regne [fol. 241 r] de Macedonie et sans plus faire de devises furent les os tost assamblees et d’une part et d’autre, mais li Indois ne li Boctrien ne durerent guaires contre les esfors des Macedoniens qui aduré estoient des armes porter et de sofrir estors et batailles. Ains desconfirent le roi Porrus et sa gent ausi dont mout ocirent et lui rendirent pris au roi Alixandre por faire sa comandise. Porrus qui desconfis estoit et pris fist mout humle samblant devant le roi Alixandre. Et por ce que li rois li fist liee84 chiere et que il li rendi son regne et sa vie tot ensamble et que il li pardona son meffait par sa grande franchise, li fist Porrus aporter tos ses tresors qui si grant estoient com on les pooit aguarder a merveilles, si les85 departi et dona au roi et a sa compaignie et tel planté en ot chascuns d’or et d’argent et de pierres preciouses qu’il furent tuit riche et si dist au roi qu’il le feroit mener es darraines parties d’Orient o il n’avoit encore mie esté, o Hercules et Liber furent et o il mistrent les bounes que la avant n’avoit onques esté nulle humaine creature. Et c’estoit assés pres dou grant occean et des darraines parties de Inde. Quant ce oï li rois Alixandres que li rois Porrus li prometoit et disoit86, il en ot mout grant joie et il li rendi tot plainement s’onor et tote sa terre. Et li rois Porrus l’en fist homage et l’en promist a servir a sa volenté tot son eage.

63. Que li rois Porus mena Alixandre es parties d’Orient. Adonc n’i ot plus d’atendance qu’il aprés ce petit de termine ne se mesissent a la voie Porrus et grant partie de sa gent o le roi Alixandre et o les Macedonois por aler es darraines parties d’Orient por veïr les merveilles que Porrus li rois lor avoit anoncies. Quant tant orent alé totes les os droitureres 84. lee, corrigé d’après B, D, L, Pa. 85. li, corrigé d’après B, D, L, Pa. 86. Signe point élevé.

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voies par ceaus qui les menoient droiturerement qu’il vindrent es darraines parties d’Orient87, il troverent .ii. ymagenes d’or que Hercules et Liber avoient faites en la memorie d’aus meïsmes et en lor ramenbrance de ce qu’avant iluec endroites n’avoit onques esté nule creature humaine et que iluecques avoient esté li deu Hercules et Liber qui les avoient faites. Quant Alixandre i parvint, il les esgarda mout et loa la faiture des .ii. ymagenes et quant il les ot assés esguardees, il vout savoir se eles estoient massices por l’esmerveillable grandece dont eles estoient. Et tantost com il les vit totes massices par partuis que il fist faire en chascune, il fist remplir tos les pertuis d’or d’autel samblance com cil estoit dont celes estoient faites et puis aprés fist ses sacrefices a la loi et a la costume indiene as deus [fol. 241 v] en cui formes ces ymages estoient faites por ce que eles ne se corrousassent. Quant ce ot fait li rois Alixandres et il ot les deus apaisiés, il vout passer outre por savoir se il ja poroit veïr autre creature nulle merveillose qu’il n’eüst veüe. Mais li païsan de la contree li distrent et conterent que la endroit dusques al grant occean n’avoit se desertines non et selves et montaignes plaines de serpens et d’olifans et d’autres bestes crueuses et espaventables.

64. Que Alixandres voloit la endroit entrer en l’occean por cerchier le monde.

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Adonc dist Alixandres qu’il voloit aler a l’occean por veïr s’il ilueques poroit ses nés ens metre por cerchier et por navier tot environ le monde et por esguarder les darraines parties de totes les terres si com eles ou grant occean88 s’ahurtent. Mais li Indois li respondirent et distrent, qui les darraines parties del Orient savoient et les fins ilueques endroit des terres, que la ne porroit il mie entrer a nef el grant occean, quar trop erent les terres basses et tenebrouses et obscures des grans bruines ne n’i avoit onques avant passé Hercules et Liber, li deu qui si vaillant estoient, ne n’estoit pas raisons que morteus hom entrepresist a faire ce que li deu ne voudrent ne oserent entreprendre. Totes ores passa avant Alixandres outre les bounes por ce que il ne les creoit mie bien, mais quant il vit les terres desertes et desvoiables a tote creature, il retorna ariere, si enclina les deus et honora – c’est les .ii. ymages – et quant il ot ce fait89, il dist a sa gent et as Indiens qu’il voloit aler en la senestre partie d’Inde 87. Signe point élevé. 88. occean, inscrit dans la marge. 89. Signe point élevé.

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por ce que nulle choze esmerveillable ne digne de veïr li fust celee ne reprise. Tot ce loa bien Porrus por ce qu’il ne vout mie que li rois cuidast qu’il li vousist celer nulle chose en son regne qui fust bone ne digne de veïr ne de raconter en autres contrees.

65. Que la beste a .ii. testes lor coru sore.

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Adonc s’esmut tote li os le roi Alixandre por aler a senestre partie en Inde, mais n’orent mie granment alé en cele senestre partie quant il troverent un palu grant et braieus, mais que auques estoit sechés par la grant ardor dou soleill et estoit plains de rosseaus et d’autres herbes grandes de la contree. De cel palu issi une beste grans et hisdouse et de merveillouse maniere, quar ele avoit le dos si dur qu’ele ne cremoit nulle arme90 esmolue, tant fust trenchans ne afilee, et si avoit .ii. testes, l’une samblant a hypotamien et l’autre a calcatrix, ambes estoient enarmees de grant denteüre. Cele beste lor ocist .ii. chivaliers tot esrant que [Enluminure : la bête à deux têtes] [fol. 242 r] il l’aproucherent. Quant li rois Alixandres vit qu’il empirer ne le poroient as espious trenchans ne as glaives ne as saietes91, il la fist envaïr as maus d’acier et de fer et a ce fu ele acravantee et conquise a grant force et a grant paine et quant il l’orent ocise, li rois et tuit li autre l’esguarderent a merveilles quar onques mais n’avoient si faite choze veüe. Aprés ce qu’il outre ces palus et outre ces basses terres furent passé, il vindrent as darraines forés d’Inde sor un flum que Buemar apeloient cil de la contree. La comanda li rois Alixandres a tendre ses loges et ses tentes et a herbergier totes ses gens sans demorance et entrues qu’il estoient plus ententiv au logier, li avant coreor qui estoient alé a la buisse et a la peuture a oes les chivaus revindrent tost corrant a l’ost et si noncierent a haute vois et crierent que trestuit corussent tost as armes et isnelement, quar si grans habundance issoit d’olifans de la forest que ja en seroient totes plaines les loges et les herbergeries. Adonc dist li rois Porrus au roi Alixandre que de ces bestes n’eüssent nulle paor ne nulle doutance, mais qu’il preïssent truies qu’il feïssent groner et ruire vers les olifans et il tantost se metroient a la fuite, quar lor costume estoit tele qu’il plus doutoient le roher des pors que nulle autre creature.

90. nulle esmolue, le mot arme est ajouté d’après B, D, L ; Pa a nulle armeüre 91. Signe point élevé.

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66. Que li olifant envaïrent l’ost et que tant en i ot ocis qu’encore pert la plentés.

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Quant ce sot et entendi li rois Alixandres, il comanda as chivaliers de Thessale qu’il sor les chivaus montassent et si feïssent devant avant92 tos les pors de l’ost amener et ruire et braire, si alassent vers les olifans qui de la forest issoient et s’en retenissent et oceïssent quanqu’il peüssent. Meïsmes li rois Alixandres et li rois Porrus alerent avec por veïr les bestes et lor chivaliers aidier, dont les pluisors des olifans avoient les dos noirs et blans et tels i avoit noirs et vermeaus et tels i avoit de diverses colors totes vaires. Tantost com les gens le roi Alixandre virent des olifans les tres grans foucaignes, il firent des pors faire merveillouse ruiere et si firent soner les cors de tote l’ost et les buisines tot a une bouche. De ce s’esbahirent tant li olifant por la grant noise que il s’i mirent a la voie por repairer ariere, mais li Thessalien [fol. 242 v] qui sor les riches destriers fors et remuans seoient et l’autre chivalerie les sivirent si viguorosement et retindrent par les gharés93 qu’il lor trenchoient .viiii. cens et .lxxx. par droiturer conte et li rois Alixandre lor fist totes les cornes et les dens traire des boches, dont puis fu tote Gresse et tote Macedonie enrichie et enbelie d’ivoire qui la fu conquis a cele fois. Et encore dient li pluisor et content, mais je de verité ne le sai mie, qu’encore ore maintenant n’uevre on de nul autre ivoire c’on tiegne por fin ne por loiau que de celui que li rois Alixandres et sa gent conquistrent adonques. Et quant li rois Alixandres ot les olifans desconfis si com vos poés oïr et entendre, il repaira ariere as tentes et si fist tos les escus de l’ost entor les loges pendre et les aubers ausi a perches por estre forterece de la nuit que li olifant ne les bestes sauvages ne lor feïssent moleste ne felonie, mais la nuis lor fu coie et paisible et si se reposerent tot seürement trosques a l’ajornee que li solaus fu aparus clers et beaus qui ses rais envoia tot aval la contree. Tantost fu li os atornee qui ala et chivaucha une grant partie d’Inde, mais n’orent mie granment chivauchié ne alé quant il vindrent en une campaigne plaine o il troverent homes et femes qui .ix. piés avoient de hautece et si erent tuit nu et tuit velu ausi com bestes sauvages – ceaus apeloient li Indien Faunos en lor language – et si vivoient miaus en aigue que a terre et si ne mangoient se poissons non tos crus tant soulement, tele estoit lor nature. Mais tantost com il virent la gent le roi Alixandre qui les aprouchoient et qui mout tres volentiers a aus parlassent se il peüssent, il nes

92. avat 93. Le mot jarrez est inscrit, comme une correction, entre les deux colonnes.

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attendirent mie94, mais il se ferirent tantost ou parfont flum, si se repostrent si que ainc puis a null d’aus ne s’aparurent.

67. Que li rois Alixandres se remist devers Occident.

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Aprés ce troverent il une forest plaine de Cenophaliens grans a merveilles qui seure lor corurent, mais tantost qu’il sentirent les cous des saietes que li Macedonien lor traoient, il s’en fuirent et retraistrent ariere, ne ainc puis ne s’apareillerent d’aus envaïr ne de mal faire. Aprés cele forest ou li Cenophalien estoient troverent les gens Alixandre grans desertines et lors vindrent li Indois au roi et si li distrent que outre ces desers qui grevous et perillous estoient a passer a tote humaine creature n’avoit nulle chose qui fust digne a esguarder trosques au grant occean qui tot le monde avirone. Et lors comanda li rois Alixandres que li os se remesist devers Occident dusques a une rivere qui lor estoit a .vi. liues prouchaine ou les loges et [fol. 243 r] tentes seroient tendues por abevrer les homes et les bestes et por conreer les viandes. Adonques se murent tuit por le comandament le roi Alixandre faire. Et quant vindrent au liu o il les loges et les tentes tendirent, il n’aresterent guaires d’aus herbergier, si com li rois Alixandres lor en ot faite la comandise. La ou les tentes furent tendues ot la tres plus bele plaigne et la plus inguel qui fust es darraines parties d’Inde, quar de l’une tente premeraine pooit on veïr l’autre darraine, si estoient eles ingualment assises. Et lors qu’il furent tuit logié et atravé es loges, espristrent il les fus grans et merveillous par devant les loges et devant les aucubes por cuire les viandes que il durement desiroient, mais en meïsme l’eure que il les fus alumés orent assés grans por le haster dont il lor estoit besoigne, uns si tres grans vens lor vint devers la mer que les cordes des trés trestotes desrompirent et totes les loges verserent et les aucubes cheïrent et li chival et totes les bestes de l’ost en furent mout travaillees, quar li grans force dou vent qui les loges avoit desrompues menoit sor les bestes les tisons tos ardans et les flamesches embrasees. De ceste choze orent li chivalier mout grant paor et tuit li autre de l’ost por ce que par nuit lor estoit avenue si tres cruaus aventure de tempeste dont il ne se pooient, par armes ne par bataille qu’il peüssent faire, defendre. Li rois Alixandres demanda a ceaus de la contree qui o lui estoient que il li deïssent se il savoient se li deu estoient envers lui corociet, qui si faite tempeste de vent li avoient envoiee, et il respondirent95 94. il nes attendirent mie, ajouté d’après B, D, L, Pa. 95. respondi, corrigé d’après B, D, L, Pa.

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que par l’ire ne par le corroucement des deus n’estoit ce mie, ains estoient les kalendes d’oitovre entrees, si en estoit la samblance que li temporaus en avoit remuance.

68. Des grans paines que li rois ot en Occident, c’est en l’une partie d’Inde.

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Quant ce entendi Alixandre, il fist par tote l’ost crier que tuit recuellissent les tentes isnelement et tost et a ce faire ot mout grant paine, quar li merveillouse force dou vent les destraignoit si qu’a paines le peurent il faire, mais a quelque paine qu’il i eüssent les recuellirent il au meaus qu’il peurent. Et lors se partirent il de la, si alerent tant qu’il vindrent en une valee plaisant et bele et delitable. Et tantost com il furent venu96, li vens lor cessa et failli qui lor avoit fait mout grant grevance et ne mie tant soulement as chivaliers ne as sergans, mais ausi a totes les bestes mues. La comanda li rois a tendre les tentes et les aucubes et cil si firent qui bien en estoient acostumé et qui grant joie avoient dou vent et de la tempeste qui lor estoit apaisee. Et quant tot fu atorné, il s’asis- [fol. 243 v] -trent au mangier par l’ost chivalier et sergant qui grant mestier en avoient, quar mout travaillé estoient. Et quant vint aprés ce a la vespree, il comensa si tres froit a faire c’onques mes en lor vies, ce lor sambloit, si grans froidures n’avoient sentues. Et tantost comencerent les fus a alumer si grans et si oribles c’om les pooit aguarder a merveilles, mais mout petit aprés ce comensa durement a neger si merveillous flocons de noif que ce sambloient bien estre viaure de berbis la o il descendoient devers les nues. De cele nege lor vint si grans habundance que petit s’en failloit que tuit li fu n’estegnoient par l’ost et que les tentes et les herberges n’en estoient totes acomblees et si fuscent eles si ne fussent li chevalier et li sergant qui ariere les ruffloient et qui les chauchoient a lor piés et as bestes qui entor les tentes parmenoient. Et bien sachés que mout en i eüst de mors et de peris par cele nege desmesuree si ne fust une tres grans pluevie qui aprés vint si soutainement qu’il ne seurent coment ce peut estre. Mais si grande descendi adonques li pluevie devers les nues et a si grant habundance que la nege en fu tantost en un soul moment tote remise. Et aprés ce que la nege fu defaillie et la pluevie tote alasquie, une tres noire nuee, grande et esmerveillable, lor vint devers Occident et de cele nuee lor descendirent nuees petites ausi com tison ardant qui tot environ les loges esprirent la campaigne et si en venoit le fus tot ardant vers les loges. De 96.

Signe point élevé.

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ceste chose furent esbahi cil de l’ost mout durement et en grant paor por ce que les loges ne il meïsme n’espresissent et arsissent, mais li rois lor fist prendre dras et lor vesteüres ausi meïsmement por estriver encontre le fu que il ne ferist ens es herberges et si demandoit a ceaus meïsmes dou païs se ces crueuses aventures lor avenoient par la costume de la contree o par l’ire que li deu vers nos eüssent et il li resoignoient a dire que ce n’estoit pas par la costume de la contree, ains estoient li deu Hercules et Liber corrocié por ce que il que hom estoit avoit trespassees les bousnes et alé plus parfont qu’il n’avoient fait en la daarraine Inde, mais en la fin quant li rois sot le choze, il fist ses orisons as deus et promist sacrefices faire por ce que il a lui ne s’aïrassent mie et tantost furent estaint li fu et totes les pestilences secerent et la nuit lor revint bele et serie.

69. Que li rois fist enseveillir ses gens qui mort estoient par la grant nege.

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Adonc comanda li rois les fus a alumer par les tentes et il si firent et si s’asistrent au mangier cil qui hardi estoient, quar li coart erent si espaventé des grans merveilles qu’il avoient [fol. 244 r] veües que talens ne lor en pooit prendre. La fu li rois et l’os logee97 trois jors tot entirement c’onques solaus ne lor aparu ne ne luisi, ains i faisoit si grant niulece et si obscure qu’a paines pooient vooir li uns l’autre. Et quant vint au quart jor qui le solaus lor aparu et lor rendi et clarté et lumere, li rois fist enseveillir .l. chivaliers qui perit estoient par les grans neges dont je vos ai conté ariere. Et tantost fist remuer les loges et les tentes de cele valee, si alerent tant qu’il virent les grandes montaignes qui durent d’Etyope dusques ou grant occean et si troverent en une roche bisse la fosse ou Hercules et Liber aresterent un grant tens tant com il furent en Inde et lors si traistrent li Indien au roi et si li distrent qu’il nul de ses homes ne laissast entrer en celui saint liu la ou li deu habité avoient, quar bien estoit certaine chose que cil qui i entreroient dedens le tiers jor sans faille morroient. Li pluisor ne voudrent mie croire la parole des Indiens, ainsi i perdirent les vies, quar tantost com il dedens estoient lor prendoient fievres dont il le tiers jor moroient. La fist li rois Alixandres ses orisons as deus qu’il lui qui rois estoit de tote terre otriassent a repairer ariere en Macedonie a la roïne Olimpiadem sa chere mere. Mais ceste proiere fu vaine quar il n’i repaira mie si com vos porés avant oïr et entendre.

97. Signe point élevé, qui n’est pas ici l’équivalent d’une virgule.

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70. Que li rois se departi de la, si retorna ariere.

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Quant li rois ot ses orisons faites et definees, il demanda se outre ces montaignes avoit nulle choze por veïr esmerveillable qui fust digne de raconter ne de metre en memoire. Li Indien qui o lui estoient li respondirent et distrent que il n’i avoit nulle choze dont on deüst faire guaires mension ne parole. Quant ce entendi li rois, il comanda l’ost apareiller et les harnas98 a trosser por repairer ariere en Inde la fasitiene. Tantost com li rois l’ot comandé, fait fu isnelement et lors se mistrent a la voie et li conduseor indien al miaus et le plus seürement qu’il savoient les adressoient, mais n’orent mie granment alé quant dui viell home d’Inde lor vindrent a l’encontre. Ceaus araisna li rois Alixandres et si lor demanda c’il savoient en cele region nulle chose digne d’esguarder ne esmerveillable. Il li respondirent et distrent que dedens .x. jors poroit venir en tel lue o il verroit aucune choze que c’il99 ne la veoit qu’a paines creiroit qu’ele fust veritable. Mais trop par estoit la voie grevouse par defaute d’aigue por mener si grant gent com il avoit et si grant bestiaille, mais a tot. xl. mile homes i poroit il miaus aler se il voloit, quar mout erent destroit li sentier et plain de ser- [fol. 244 v] -pens de diverses figures.

71. Que li rois Alixandres oï les noveles des arbres.

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Quant li rois Alixandres oï les viellars ensi parler, il fu mout liés en son corage et si les comensa mout doucement a aparler por ce qu’il ne li celassent mie la merveille qu’il li avoient anonciee et si lor dist : « Vos dui ancien home, dites moi, quels choze est ce qui est si grande que vos m’avés en couvent a moustrer et qui tant est haute et tant doit estre loee100 ? » Adonc li respondi li uns des viellars et si li dist : « Rois Alixandres, si tu vious aler la o nos te disomes, tu verras .ii. arbres sacrés en l’onor dou soleill et de la lune et si parleront a toi en indois et en grizois language et si poras aprendre et savoir les biens et les maus qui te doivent avenir en ta vie. » Quant li rois Alixandres oï ceste choze si merveillouse as .ii. viellars conter et dire, il cuida que il le vousissent deceivre, si dist : « Mout sui ore menés a merveillouse decevance quant je ai alé tres Orient dusques en Occident par ma force et par ma grande poesté esré les grans desers d’Inde et or me veulent dui ancien home tuit degrepi par 98. Une correction au-dessus de la ligne en harnois. 99. Graphie c’il pour s’il. 100. Signe qui marque l’interrogation.

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grande veillece101 par lor fause decevance sousdure. » Li veillart li repondirent et distrent et afermerent par lor sairemens quanqu’il porent qu’il mensonge102 ne fauseté ne li faisoient entendre, ains porroit oÿr et entendre103 se il li plaisoit a brief termine que il verité li disoient sans nulle mensonge104.

72. Que li rois Alixandres se departi de sa gent por aler as arbres.

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Quant ce oïrent li haut baron et li haut prince qui o le roi Alixandre estoient, il li prierent tant et distrent que li rois fist sevrer de l’ost .xl. mile homes hardis et combatans et legiers a armes por o lui mener as arbres que li veillart indien li avoient conté et o il mener les devoient et totes les autres gens et les bestes et le roi Porrus meïsmement fist li rois Alixandres retorner ariere en Inde la fasitiene et si lor comanda et dist que la l’atendissent il, quar il repaireroit au plus tost qu’il porroit ariere. Ensi se departirent et li rois Alixandres a tote l’esleüe chivalerie de tote s’ost se mist es desers par le conseill des .ii. veillars indiens qui le conduisoient et il le menerent tot si com il li orent devisé et dit par les grans desvoiabletés ou li rois et sa gent eüssent eü grant soufraite et grans besoignes d’aigue se il ne se fussent porquis devant et il avec aus ne l’eüssent portee. Ensi ala li rois Alixandres et sa gens par la grant desertine o il troverent tant de serpens de diverses manieres et de bestes sauvages que il n’est nus hom qui le nombre en seüst raconter ne dire et si n’i avoit celui qui n’eüst son propre non en [fol. 245 r] indien language. Mais de ce n’est mie grans mestiers a descrire ne de dire, ne grans profis a ceaus qui n’en ont que faire.

73. Que li prestres indois qui les arbres gardoit s’aparut au roi.

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Tant menerent li dui viellart le roi Alixandre et sa gent qu’il al dissime jor vindrent en la partie d’Inde ou li dui arbre estoient. Mout estoit beaus li lius en cele contree et larges et si i avoit un bos ancien de mout estrange beauté dont li arbre estoient de tel nature que cil qui i habitoient en cele contree cuilloient l’encens et le bausme et les autres chieres espesses dont il mangoient 101. tuit degrepi par grande veillece, inscrit en marge. 102. mesonge 103. ains poroit oÿr et entendre, absent, ajouté d’après B, D, L et Pa. 104. mesonge

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et vivoient. Et quant Alixandre vint la jouste celui bos qui tant ert precious et riches, il i vit homes et femes indiens qui vesteüres avoient de peaus de bestes que on apele pantheres et de peaus de tygres tachees de diverses colors et vairees et bien sachés que les vesteüres n’estoient mie a lor maniere ne taillees ne cousues, ains estoient covert de peaus totes entieres devant et deriere sans costure et sans tailleüre. Li rois Alixandres lor fist demander qui il estoient et il respondirent a ceaus qui lor demanderent et distrent que il erent indien et qu’il en cele contree habitoient et manoient. A ce que li rois Alixandres entendoit a ces gens qui li racontoient lor nature en indien language, li prestres qui guardoit les .ii. arbres que li rois Alixandres requeroit et qui en cele forest estoient lor aparut et si avoit plus de .x. piés de longece et plus noirs estoit petit s’en failloit que nulle pois remisse et si dent erent lonc, agut et reont ausi com de chien par semblance et si avoit les oreilles trauees o li anor105 li pendoient de pierres preciouses et si n’avoit autre vesteüre que de peaus dont sa chars estoit coverte. Et tantost com il vit le roi Alixandre, il le salua en son language et solonc sa costume et si li demanda qu’il ilueques estoit venus requerre. Et li rois li respondi et dist qu’il estoit venus por veïr les sains arbres dou soleill et de la lune et c’estoit la covoitise de la voie que il avoit entreprise. Et li prestres li respondi et dist : se il chastes estoit, adonc porroit il entrer ou saint liu ou li arbre estoient. Entor le roi Alixandre estoient bien .ccc. chivalier des plus privés de sa maisnee, la o il parloit al prestre que li dist qu’il et tuit si compaignon qui ilueques estoient mesissent fors de lor dois lor aniaus d’or et si ostassent lor vesteüres et si se deschaussassent et il les enmenroit pres d’ilueques ou bois au liu o li saint arbre estoient. Li rois fist ce que li prestres li comanda por ce qu’il vout a lui obeïr et as deus en cui hanor li ar- [fol. 245 v] -bre sacré estoient. Ensi les enmena li prestres en la forest trosques au liu qui enclos estoit de riche closeüre ou li dui arbre estoient et mout i faisoit bel estre et delitable, quar li bausmes i decoroit des rains des arbres a grant habundance, qui rendoit si tres douce odor que li rois s’en esmerveilloit et tuit cil qui o lui estoient, quar onques Deus ne fist liu delitable fors paradis terrestre ou si tres douce odors fust sentie ne veüe. Li prestres dist au roi Alixandre que il li couvenroit illueques atendre la vespree et la matinee, quar as premerains rais de la lune qui en l’arbre ferroient qui a li estoit sacrés et dediés porroit il oïr les respons que il si forment desiroit et voloit entendre et ensi a la matinee del arbre dou soleill quant la premeraine clartés de lui i seroit venue.

105. Le substantif anor existe au sens de « pendant d’oreille », il dérive du latin inauris (FEW, 4, 617).

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74. Que li rois Alixandres creoit a paines ce que li prestres indieins disoit.

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Ceste merveille que li prestres disoit creoit a paines li rois Alixandres, quar miaus li sambloit estre mensonge106 et fantosme que verités que li arbre parlassent a lui et respondissent a ce que il lor demanderoit par les rais dou soleill et de la lune, mais totes voies li rois atendi si com li prestres li ot ensegné tres basse none dusques a la vespree que la lune envoia ses rais par le comandament de Deu par tote la contree et entretant esguarda mout li rois le bos et la closure dou liu qui mout estoit merveillouse et si esguarda les .ii. arbres a merveilles quar chascuns avoit .c. piés de hautece. Ces apeloient li Indien et nomoient Hebrionas. Et tant avoit entor aus grant habundance de bausme qu’Alixandres cuidoit et demandoit au prestre se ce pluevies estoient que dou ciel fussent descendues. Li prestres li respondi et dist que onques en cel liu ne fu pluie veüe ne oiseaus ne serpens ne nulle beste sauvage, ains avoient ces .ii. arbres li ancien saint home d’Inde sacrés au soleill et a la lune par lor grandes deïtés qu’il n’i pooit avoir choze qui fust a nulle creature grevable.

75. Que la vois parla oiant Alixandre et si sambloit qu’ele fust es arbres.

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Quant li rois Alixandres oï ensi parler et dire le prestre, il s’apareilla por faire ses ofrandes et ses sacrefices en l’onor des deus en cui guarde et en cui segnorie cil arbre estoient, c’est au soleill et a la lune, mais li prestres li defendi et si li dist que la ne leisoit a nuilui encens ardoir ne fu alumer ne beste ocire por faire null sacrefice, mais baisast tant solement les brenches des arbres qui a terre estoient cheües et puis si fesist s’orison au soleill et a la lune et il li responderoient verité de ce dont il [fol. 246 r] lor demanderoit sans nulle doutance. Quant li rois Alixandres oï ce et il devoit faire ce que li prestres li ensegnoit, il li demanda si li arbre li respondroient en indois o en grizois language. Li prestres li dist que li arbres dou soleill pronunsoit ce que a venir estoit en l’un et en l’autre language et li arbres de la lune comensoit en grizois sa parole et en indois la definoit. Entrues que li rois et li prestres parloient ensi, une clartés lor aparu devers Occident de tel samblance com li rais dou soleill, se feri en la somete des arbres et tantost parla li prestres au roi Alixandre et a ses compaignons qui o lui estoient et si lor dist : « Hauciés tot contremont 106.

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les visages et si regardés en haut en la clarté des arbres et si pense107 chascuns tot coiement en lui meïsme ce qu’il veut savoir et puis aprés tot apertement le demant et li arbre tot maintenant lor en feront demostrance. »

76. Que li rois Alixandres fist regarder et querre qu’el bois entor les arbres n’eüst aucune decevance.

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Adonc reguarda li rois et si chivalier premerainement tot entor lui por ce qu’en l’especece dou bois n’eüst aucune decevance o gens o autres creatures qui li fesissent grevance, mais quant il virent et sentirent bien certainement que il n’i avoit nule traïson ne nulle boisdie, il tornerent toz lor visages a reguarder la hautece des arbres et les branches et les fuelles qui si de tres grant beauté estoient entreprises. Tuit ensamble ascouterent mout ententivement por oïr les devins respons des arbres et li rois, qui plus pres en estoit aprochiés et plus ententivement esguardoit en l’arbre ou li clartés estoit descendue, se porpensa premerainement si com li prestres li avoit enseigné et puis demanda a basse vois se il en Macedonie a sa mere Olimpiadem repaireroit ja mais et a ses serors en santé et en vie, quant il avroit de tot le monde conquise la segnorie. Tantost com il ot ce pensé, li arbres li respondi basset en indien language o li vois qui estoit en l’arbre et si dist :

77. Que la vois del arbre dist a Alixandre que jamais n’entreroit en sa terre.

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« Rois Alixandres qui onques ne fus vencus en bataille, saches bien de ce dont tu te porpenses certainement que tu seras sires de totes terres ains que tu voises a la fin de ta vie, mais jamais n’entreras vis en ta contree ne ne verras tes serors ne ta mere. » Tantost com li rois Alixandres oï ce108, il s’esmerveilla mout forment et si fu trop esbahis dedens son corage et mout li poisa et anuia de ce qu’il tant de chivaliers ot amenés avec lui as sains arbres, quar si ami et si compaignon qui o lui estoient ploroient durement et grant [fol. 246 v] duel demenoient por ce qu’il triste le veoient de la vois del arbre qu’il avoient oïe, mais li rois Alixandres les repaisa par promesse109 et par manasses qu’il nulle 107. pensés, corrigé d’après B, D, L, Pa. 108. Signe point élevé. 109. Le mot promesses est au pluriel dans les autres manuscrits.

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dolor ne demenassent et que les respons des arbres a nuilui ne deïssent ne ne descovrissent. Atant se teurent tuit par le comandament le roi qui se traist ariere por ce que si compaignon ausi ariere se traisissent et il a mie nuit se reprocheroit des arbres, quar adonques li avoit dit li prestres que li lune leveroit et si poroit oïr les respons al arbre de la lune por plus certainement entendre et savoir son afaire. Et quant la mie nuis fu aprochee, li rois Alixandres prit o lui trois de ses plus feels compaignons, Perdican et Phylotan et Clitonan. Si s’en revint devant les sains arbres et si fist ses orisons si com il devant les avoit faites – c’est qu’il baisa les branches et les fuelles des arbres qui a terre estoient cheoites – et adonc pensa li rois Alixandre en lui meïsmes et demanda as arbres o il morroit et en quele contree. Tantost com la premeraine clartés de la lune feri en l’arbre, la vois de l’arbre respondi en grizois au roi Alixandre et si dist : « Li fins de ton eage aproche, quar au chief d’un an et de .ix. mois sans faillance morras tu en Babilonie et si t’ociront par venim cil cui tu ne cuides mie qu’il te doivent ocire. » Quant Alixandres oï cele vois ensi apertement parler et dire cele grande merveille, il comensa mout tres durement a plorer et si troi ami qui o lui estoient ausement comencerent mout tres durement a plorer et grant dolor a demener por la vois qu’il avoient oïe, quar il amoient le roi Alixandre mout doucement par samblance. Et li rois ne se doutoit nient d’aus ne d’ome qu’il eüst qu’il le deüssent ocire par malvaise descovenue, ains cuidoit qu’il tuit deüssent morir por lui se besoigne li corust seure ne nulle grande mescheance.

78. Que li rois se departi des arbres dolans et tristes.

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Atant se departi li rois des arbres et si revint la ou si compaignon l’atendoient, qui mout furent lié quant il revenir le virent et mout furent dolant de l’autre partie quant il le virent souple et samblant faire de tristece, mais por ce ne remest110 mie que li rois ne comandast a metre les tables, encor donques n’eüst il talent de mangier, mais si plus privé ami qui de son conseill estoient et sa grande dolor plus certainement savoient li proierent et distrent qu’il ne se desconfortast mie ne ne se laissast mie empirer par geüner por ceste aventure. Por cest reconfortement manga li rois Alixandres un poi contre sa volonté, quar [fol. 247 r] il n’en avoit mie grant talent, qui sa mort avoit oïe deviser si prouchaine, et aprés mangier se coucha il tos chauciés et toz vestus por ce qu’il fust tost a la jornee apareillés por raler as arbres et oïr encore s’il 110. remes, corrigé d’après B, L, Pa.

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aucune choze porroit entendre qui plus li fust reconfortable. Ensi se coucha li rois qui guaires ne dormi et s’estoit ja plus de la mie nuit passee, ains pensoit mout forment de s’aventure qui mout li sambloit pesme et esmerveillose. Et tantost com li premeraine traine de la jornee peust111 estre aperceüe par oill humain se leva li rois Alixandres, si apela ses compaignons et fist lever qui encor dormoient et avec lui avoient esté al respons des arbres en la vespree et si esveilla le prestre qui si112 gisoit encore toz estendus et covers de peaus de bestes sauvages, quar il n’avoit null drap ne de lin ne de laine, ne desos ne deseure autre creature que peaus de bestes dont il avoit ensamble coverture et vesteüre et encore estoit devant lui sa table ou sus il avoit mangié la vespree et sus uns coutiaus tos d’ivoire – c’est le manche et l’alemele –, quar en cele contree ne sevent nient ne de fer ne d’acier ne de plom ne d’arain, mais de fin or i a grant abundance, ne en cele contree n’ahane cherrue ne ne labore nulle creature humaine ne n’i norist feme ni hom nulle beste ne par besoigne ne par usage, ains vivent tuit d’encens et de bausme et de preciouses espesses113 et si ne boivent ne vin ne claré ne cidre ne autre boivre que clere aigue qui lor sort d’une montaigne ilueques prochaine jouste le grant occean qui tot le mont avirone. Ne nus hom ne nulle feme n’i gisoit sor coutre ne sor cossin ne sor nulle autre chose que sor peaus de bestes sauvages et de ce meïsmes ont il vesteüres por covrir lor menbres. La vivent li home et les femes .ccc. ans par eage et petit mains en lor force et aidable.

79. Que li rois Alixandres rala autre fois as arbres.

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Quant Alixandres ot le prestre esveillé, il rentra dedens l’encloseüre as sains arbres qui fait estoient de riches entableüres de precious arbres, por savoir qui cil estoit par cui il devoit mort receivre et a quel fin sa mere Olimpias venroit et ses serors qui tant par erent beles. Tantost com il fu venus et il ses orisons et ses afflictions ot faites solonc la costume que il les soloit faire114, li arbres li respondi et si li dist en grizois language : « Rois Alixandres, se je ceaus qui te covoitent ocire te nomoie et demoustroie, tu t’en poroies guarder legierement et si en seroient remuees les destinees qui avenir doivent. Saches bien que ce ne voill je mie faire, mais au chief d’un an et de .ix. mois, morras tu en Babilo111. Confusion avec peut. 112. Confusion entre si et se ; se selon B, D, L, Pa. 113. Corrigé en espices dans la marge. 114. Signe point élevé.

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[fol. 247 v] -nie et ne mie par fer ne par acier si com tu cuides ne par or ne par argent ne par null metal, mais par venim perdras tu la vie. Ta mere finera laidement ne ja li cors de li n’avra sepouture, ains sera sa chars abandonee as oiseaus et as bestes sauvages a cui ele sera viande. Tes serors seront bones eürees et longement vivront en lor grans honors et en lor grans segnories, et si saches bien que encor soit ce choze que tu doies vivre par brief termine, tu seras rois et sires de trestote terre qui ou monde est. Or te guarde bien que tu nulle rien plus ne nos demandes ne n’areste plus ci ne en nos forest, mais repaire t’ent au roi Porrum et a ta compaignie qui t’atent en Inde la fasitiene. » Quant ce orent dit li arbre, li prestres parla au roi Alixandre et si li amonesta et dist qu’il issist dou bois et de devant les sains arbres, quar lor larmes et lor plorement les coroussoient mout tres durement. Adonc s’en parti li rois Alixandres et si revint a ses compaignons qui defors l’encloseüre l’atendoient et as .ii. viellars qui la amené l’avoient, si lor dist qu’il erraument retornassent en la fasitiene Inde. Et tantost com il prist congié au prestre et com il ot ses compaignons amonestés que ce qu’il avoient oï bien celassent a tote creature, il se mistrent a la voie. Li Indien qui sentoient la tres douce odor des dras le roi Alixandre, del encens et del bausme o il tant avoit demoré disoient que c’estoit un deus qui dusques la avoit esté o onques n’avoit esté nulle creature humaine de nulle aliene contree. Alixandres qui ce ooit et entendoit lor en rendoit graces et mout liés estoit de ce qu’il ensi disoient et qu’il ensi le looient.

80. Des merveilles qu’Alixandres trova en Inde tantost com il se fu departis des arbres.

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Puisqu’il se furent mis a la voie, il n’orent mie granment alé plus qu’a la ore de tierce qu’il vindrent en une valee qui Jordea estoit apelee o il avoit serpens qu’il troverent qui en lor cous avoient esmeraudes preciouses. De ces serpens estoit cele valee tote habitee et si estoient cil serpent si crueus que nus hom ne s’i pooit enbatre qui en portast la vie et si vivoient tuit de blanc poivre qui croissoit en ces montaignes et es soutainetés de ces valees. Et si est tele lor nature que il se combatent entr’aus entrues qu’il sunt jovene et por ce en perist mout et perdent la vie. Outre les montaignes de ces valees o cil serpent habitoient, dient li plusor et content que li poivres croist envers le grant occean qui tot le mont aclot et assaint et que li Indien de [fol. 248 r] ces darraines parties le cuellent la en ces valees ou tans qu’il est meürs. Et si lor covient la grant serpentaille qui la habite es crues des montaignes et sous les arbres qui le poivre portent destraindre par fu et par flamme tant qu’il celui poivre qui

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est meürs et groés par terre aient recuelli, dont il i a mout grant habundance quar la terre est seche de la tres grant ardor dou soleill, si n’i puet empirer tant n’i puet remanoir en nulle maniere. Et quant il l’ont assamblé et conquelloit ensi, il ont faites hautes piramides de pierre o il montent les nuis tant com il sunt en ces valees por ces serpens et si reposent et mainent tote la saison qu’il i doivent et115 vuelent estre. Et lors qu’il se sunt repairé ariere, il le vendent et livrent as Ethyopiens et li Etyopien as Caldiens et as Persans qui le renvoient116 as Babiloniens et a ceaus d’Egypte et la le prendent li mercheant de Damiete et d’Alixandre, si l’en amainent par le flum dou Nil trosques en lor cités que je vos ai nomees et de la s’en vient il par haute mer salee et as riches marcheans crestiens qui le renvoient par maintes contrees. Ce en content li pluisor et dient que vos ci m’en oés retraire. Et qui miaus en savroit parler par plus grant verité provee, bien feroit a entendre.

81. Encore conte li livres des merveilles d’Inde et des paines que li rois i ot et sa chivalerie117.

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En cele valee Jordeam fu li rois Alixandres et sa gens qui o lui estoient et si en aporterent mout riches esmeraudes qu’il a ces serpens dont je vos ai parlé tolues avoient. De la trespasserent tant montaignes118 et valees perillouses que il vindrent en une contree o uns pueples habitoit : Seres les apeloient cil qui nomer les savoient. Ces gens estoient totes les meillors gens que on peüst trover en tot le munde et totes les plus droitureres, quar en tote la contree n’avoit onques homecide eüt ne parjure ne foi mentie ne ivroigne ne fait adultere. De pain et d’aigue vivoient tant soulement et d’erbes119. Ces gens menerent le roi Alixandre par devant les portes des mons de Scapios dusques a Porrum le roi en Inde la fasitiene, mais ansois qu’il i parvenist virent il maint serpent de diverse nature et unes sauvages bestes, grandes et oribles, dont chascune avoit en mi le front une soule corne longe et ague a samblance d’espee et por ce si com je croi les nome l’escriture par lor plus propres nons unicornes. Ces bestes assaillirent le roi Alixandre et si vindrent sor aus ausi com tor sauvage, les testes avant mises, et tantost com eles venoient as chivaliers, eles 115. 116. 117. 118. 119.

et ajouté entre les lignes. revoient, corrigé d’après B, D, L, Pa. chivalie motaignes tant soulement et d’aigue, d’erbes : la redite et d’aigue a été supprimée.

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faisoient lor [fol. 248 v] cornes passer outre par mi lor escus plus isnelement que autre creature fesist nulle arme esmolue. Ces bestes greverent mout le roi Alixandre et tote sa gent, mais en la fin en ocistrent il .viii. mile et. cccc. et .l. Et puis s’en tornerent les gens le roi Alixandre, si alerent tant qu’il revindrent au roi Porrum qui les atendoit o grant avoir et o grant chivalerie. La ot grant feste faite ensamble quant il furent revenu. Porrus demanda mout au roi Alixandre et a sa gent de lor noveles et des merveilles qu’il en la parfunde Inde avoient veües. Assés l’en distrent quar assés l’en porent conter, mais li rois n’estoit pas si haitiés com il soloit estre por les noveles qu’il avoit des arbres oïes. De cel deshaitement120 que li rois Alixandre avoit estoit Porrus en mout grant paine a savoir, mais il ne trovoit qui li vousist dire ne faire entendre. Il savoit bien que li rois parlé avoit as arbres et qu’il li avoient pronunciee aucune tristece. De ce parla Porrus a ses homes et si lor dist que li rois Alixandres avoit tels noveles oïes qui ne li plaisoient mie et que s’il li looient qu’il a lui se combatroit encore et que bien tost en porroit avoir la victorie. «  Ja li rois Alixandres, fait Porrus, si abosmés ne fust por nulle creature qu’il peüst avoir entendue se ne fust por ce, fait Porrus a sa gent, que il a entendu qu’il iert menés a desconfiture et nus, fait il, ne li porroit tant grever ne nuire121 com je porroie qui bien le devroie faire se je pooie, quar il a ma terre deguastee et trestos mes tresors saisis que je li cuit encore mout chier vendre se vos le me loés », fait li rois Porrus a ses homes. Cil qui au conseill estoient li respondirent et distrent qu’il a sa volenté en feïst et il tres bien li otrioient. Tres celui jour en avant comensa Porrus a messervir le roi Alixandre et sa gens vers la gent le roi et a estre mout plus vers aus orguoillous qu’il ne soloient estre.

82. Que li rois Porus d’Inde fist Alixandre iret samblant.

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De ce s’aperceü bien li rois Alixandres qui grant desdaign en ot en son corage et qui bien pensoit en soi meïsme dont au roi Porrus estoit venue si grans posnee. Tant ala ensi la chose que li rois Alixandres, qui mout estoit fiers et orguoillous, descovri au roi Porrus son corage et si li dist c’onques ne fust de nulle rien en souspeçon envers lui, mais s’il se voloit envers lui combatre cors a cors o gent a gent ne queïssent mie longe atendance, quar il se combatroit mout volentiers a lui sans nulle atargance. Porrus, qui mout estoit preus

120. haitement ; des ajouté entre les lignes. 121. nusre, corrigé d’après Pa ; absent dans B, L (dans D le paragraphe manque)

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et hardis et coragous et formés de cors et de membres, dist qu’il si122 combatroit a lui soul cors a cors sans faillance. [fol. 249 r] Ensi s’aatirent de la bataille et pristrent jor que ele seroit faite. Ensi se parti Porrus et sa gent dou roi Alixandre et si manda sa gent tote de Bactre et de Inde por esguarder et por veïr la bataille qui estoit devisee entre le roi Alixandre et le roi Porrus.

83. Que li dui roi vindrent tuit armé ensamble.

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Au jor qui denomés estoit revindrent li dui roi ensamble, Alixandres et Porrus, armé de mout riches armes sor les riches destriers por la bataille faire et mout fu bien la chose devisee de lor gens et d’une part et d’autre que ja que lor avenist ne biens ne maus ensamble ne se movroient en nulle maniere. Et quant ceste choze fu bien devisee, il hurterent les chivaus des esperons, si assamblerent as lances premerainement de grant ravine et puis aprés as trenchans espees. [enluminure : combat entre Alexandre et Porrus] Mais en la fin conquist li rois Alixandres Porrum et ocist, qui volontiers eüst merci demandee, se li rois Alixandres li vousist avoir otroiee et donee. Adonc primes ot le rois tote Inde et conquise et sousmise a son comandament, o il prist tant argent et or et pierres preciouses et autres richeces que il n’est nus hom ou monde qui le seüst raconter ne dire. Et quant il ot ses guardes mises es riches chasteaus et es grans fortereces assises, il s’esmut por revenir vers Ethyope et a la roïne Candace qui d’Inde tenoit une grande partie et qui tant bele estoit de tote figure qu’a paines ou monde peüst on trover plus belle creature. Ceste roïne Candace avoit oïe del roi Alixandre la grande renomee, si l’ot mout amé en son corage. Et por ce ot ele envoié aprés le roi, la ou il estoit en Inde, un mout sage tailleor d’imagenes et si li ot comandé qu’il le roi Alixandre esguardast tant et veïst en ses fais et en ses contenances qu’il le peüst contrefaire en samblant figure. Cil qui sages estoit et mout bons maistres de tel ovre faire fu en l’ost le roi grant piece et mout porvisa bien la samblance de lui et tote la contenance et puis repaira ariere a la roïne Candace, se123 li tailla tant proprement l’ymagene le roi Alixandre de vis et de faiture et de contenance et de color et de vesteüre que ou monde n’avoit home vivant ne fe- [fol. 249 v] -me qui par l’imagene ne reconeüst le roi Alixandre por ce qu’il le quel que soit eüst veü et puis aprés eüst veü l’autre. Cele ymagene tint la 122. Confusion avec se. 123. Confusion avec si.

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roïne Candace en grant chierté et en grant veneration por ce que ele mout amoit le roi en cui samblance ele estoit faite.

84. Que li rois Alixandres rendi Candeolus sa feme et si pendi celui qui li avoit tolue.

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Ceste roïne Candace avoit .ii. fiz. Li uns avoit a non Candeolus, qui li ainsnés estoit, et li autres plus jovenes avoit a non Karogarus, et amdui li fill avoient femes. Candeolus avoit a feme une haute damoisele, si li avoit tolue uns haus princes qui tenoit grant terre entre Etyope et Inde, et Caragarus avoit ausi une des filles le roi Porrus a feme. Adonques quant li rois Alixandres se revenoit ensi de la parfunde Inde, vint Candeolus a lui en l’ost por plaindre de sa feme qui li estoit tolue et ravie. Le premerain chivalier qu’il encontra trova il le roi Alixandre, et si li demanda ou li rois Alixandres estoit et qu’il par sa debonaireté li ensegnast et si li dist por quoi il le venoit requerre. Li rois Alixandres meïsmes li dist qu’il le menroit la o il le verroit et qu’il i porroit bien sa besoigne faire. Lors l’en mena devant Eumenidum et si li dist que c’estoit Alixandres et si li conta meïsmement tote la besoigne Caldeolus et que bien devroit oïr sa proiere et prendre de tel orguoill et de tel meffait sa vengance. Eumenidus se contint par samblant a guise de roi et si dist a son segnor qu’il presist gent a sa volenté, si vengast le jovenceau de la honte que on li avoit faite et si li rendist sa feme. La se noma li rois Alixandres Antigonum et si s’en ala avec Candeolum a cui il ot bien enquis et demandé et de sa terre et de sa contree tote la poissance. Tant ala li rois Alixandres qui Antigonum si124 faisoit apeler o grans gens que il vint a la cité o cil estoit qui la dame Candeolus avoit tolue et ravie. Il l’assailli tant par sa grant force125 qu’il ot prise la cité et si rendi a Candeolo sa feme et celui meïsme pendi il a sa porte qui li avoit tolue.

85. Que la reine Candace reconut Alixandres par l’imagene dont ele l’avoit fait contrefaire. Aprés ce Candeolus, qui mout l’amoit et qui cuidoit tot certainement dou roi Alixandre que ce fust Antigonus, l’en mena veoir la roïne Candace sa mere 124. Confusion avec se. 125. Signe point élevé.

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qui contre lui estoit ja une grant piece venue. Et tantost que ele le vit et ses fiz li ot dit que c’estoit Antigonus, uns des chivaliers le roi Alixandre, ele sot bien que c’estoit mesonge et si sot bien tot certainement par s’imagene que c’estoit li rois Alixandres. [fol. 250 r] Lors l’en mena la roïne Candace en sa riche cité et en ses riches sales par le main et aprés en ses riches chambres tot soul a soul et si li monstra l’ymagene qui en sa samblance estoit faite, et puis aprés se126 li dist : « Rois, or poés vos vooir et bien certainement savoir que je de vos estoie en grant soloit et d’a vos parler mout covoitouse quant ensi vos fis contrefaire en ma presence qui en nulle maniere plus n’en pooie faire, et vos qui tot le monde avés en vos baillie et en vos subjection127, estes ore en la moie baillie et si n’en aiés nulle vergoigne et si vous pri que vos n’en aiés ne paor ne doutance de nulle creature, encor aiés vos ocis le roi Porrum cui fille mes mainsnés fiz a a femme, quar la foi et la grant honor que vous avés portee Candeolum mon fill vos gueredonerai je et garderai a mon pooir tos les jors de ma vie. » Li rois Alixandres esguarda l’ymagene a grant merveille et mout s’esmerveilla de la grant beauté la roïne qui vers lui s’umelia de tot son pooir a la volonté le roi de quant qu’elle peut faire.

86. Des riches presens que la roïne Candace d’Etyope dona a Alixandre.

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Aprés ces paroles, la roïne Candace mena le roi Alixandre fors de ses chambres en ses sales ou les tables mises estoient et si s’asistrent au mangier a mout grant joie. Et la ou il mengoient en bien et en pais, Carogarus, li fiz a la roïne, dist a sa mere que ce estoit li rois Alixandres meïsmes qui Porrum avoit ocis cui fille il avoit, mais il en voudroit s’il pooit prendre la vengance. La roïne sa mere li dist que ce ne pensast onques, quar ce n’estoit mie li rois Alixandres, ains estoit Antigonus, uns siens chivaliers cui il avoit envoiet por son frere socoure de la honte et de la desconvenue qui li estoit faite de sa feme. Aprés toutes ces paroles, la roïne qui son fill Carogarum ot apaisié de sa fole pensee et aprés ce qu’il des tables levé se furent, la roïne Candace parla au roi Alixandre assés soul et soul et priveement de sa volenté et de ses afaires et quant ele ot li et sa terre sousmise a la volenté le roi et a sa segnorie et ele sot qu’il s’en voloit raler sans plus atendre, ele lui dona mout riches presens d’or et d’argent et de pierres preciouses et si li dona .ccc. et .l. oliphans et .vi. lupars privés et .iiii. 126. Confusion avec ce. 127. Signe point élevé.

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.xx. chiens et . x. et .iiii. pantheres et mout d’autres bestes privees qui mout estoient de grant cruauté entrues que eles estoient sauvages et de merveillouse nature.

87. Que li rois Alixandres prist Amazone et mainte autre terre.

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Aprés se si departi li rois de la roïne Candace et si s’en torna il et ses grans os vers Amazonie por ce qu’il vo- [fol. 250 v] -loit faire le regne a soi et a sa segnorie tributaire si com il fist sans nulle doutance, quar la roïne dou regne qui de lui avoit oÿe128 la grant renomee vint contre lui et si receut de lui sa terre qu’il li rendi par si que ele l’en rendist treüage, mais ansois qu’il la fust parvenus ot il vencus par batailles les Arestiniens et les Gangariens qu’il tos desconfi par sa bone gent hardie et batillouse. Et quant il vint as Cofideniens, il i trova mout grant gent ansamble, quar bien en i avoit .ii. mile qui grant estor li rendirent, mais en la fin furent il vencu quelque paine il li eüssent faite. De ceaus s’en ala li rois Alixandres au flum que l’escriture Agesinem apele et se fist en celui flum sa navie metre, si venqui et desconfi les Gessoniens et les Siboiens et lor cités que Hercules avoit fermees et si coru trosques au grant occean a navie en celle partie et li Mandrien et li Subagrien qui sor le grant occean en ces parties habitoient assemblerent totes lor gens ensamble por combatre contre le roi Alixandre. Et si eurent .iiii. vinz mil homes a pié toz a armes et .lx. mile a cheval, si com Orosius tesmoigne.

88. Que li rois Alixandres desconfi en bataille les pueples sor l’occean.

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A ces se combatirent li Macedonien longement et mout fu en grant doute longement de la bataille li quel en avroient la victorie. Mais li Macedonien l’orent en la fin qui mout chier l’orent achatee, quar tant i ot perdut de lor gent que grant paor en durent avoir li rois Alixandres et trestuit si baron qui les conduisoient. Et quant cele grans bataille fu desconfite et li rois ot lor grans avoirs et les grans proies prises, il s’en vint a tote s’ost devant lor cité qu’il trova close de riches murs et de noble forterece, mais il cuida qu’ele fust soule de gens et desgarnie por ce que tant en avoit eüt et venut en la bataille desmesuree. Li rois qui cuida qu’ele fust voide ensi com je vos di et conte, fist drecier 128.

eüe, corrigé d’après B, D, L, Pa.

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au mur une eschiele et si monta tos sous sor les murs sans compaignie, si sailli en la vile entre ses anemis qui se coisoient et atapisoient. Et tantost com il fu entr’aus saillis, l’asaillirent il si durement de totes parties129 qu’a paines porroit nus hom croire coment il se pot encontre aus tant defendre ne coment il pot sofrir les cos des dars ne des espious que il li lancerent et coment il n’ot grant paor de la grant noise et de la grant criee qui entor lui estoit demenee et coment il se pot defendre de tant de milliers d’omes com la l’assailloient. Mais quant il se vit si avironé de gent, il s’adossa contre un mur, si se defendi [fol. 251 r] contre aus tant longement que si chivalier orent les murs perciés et confundus qui li vindrent en aïe par la grant noise et par la grant criee qu’il avoient entendue.

89. Que li rois Alixandres fu navrés d’une saiete trenchant et ague.

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En cele bataille fu Alixandres navrés d’une saiete sous la mamele mout durement, mais par la grant ire qu’il en ot s’enbati il entre ses anemis et si ocist celui qui la plaie li avoit faite. Ensi furent il tuit desconfi et tote la cités pelfie130 si qu’il n’i remest creature nule qui ne fust morte o destruite. De la se departi li rois Alixandres o sa grande navie, si esra tot soulonc le grant occean qu’il vint a une riche cité forte et puplee et bien guarnie de tors et de murs haus et espés, assis sor falisse. De cele cité estoit rois et sires Ambira qui la gent et tote la contree avoit a sa segnorie. Cele cité assist li rois Alixandres qui mout li fist de paines et de domages ansois qu’il la peüst prendre, quar cil qui dedens habitoient et qui la defendoient traoient a ceaus de l’ost saietes envenimees dont il tantost moroient com il navré en estoient. Li rois Alixandres qui ne savoit que faire giut une nuit en son lit et si li fu une herbe demonstree et enseignee en vision de songe par quoi sa gens contre cele envenimeüre porroit avoir guarandise. Et tantost com ce vint a la matinee, li rois fist l’erbe querre et metre ens ou boivre que li nafré usoient et il tantost guarissoient. Par ceste choze tint tant li rois Alixandres le siege devant la cité qu’il l’ot prise a force, quar sa gent ne redoutoient les saietes que cil de la cité lor traoient envenimees.

129. Signe point élevé. 130. pelfie, barré et corrigé dans la marge en perie ; mais la leçon pelfie, présente aussi dans B, D, L, Pa, est meilleure.

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90. Que li rois Alixandres fist bosnes metre sor l’occean o il avoit esté.

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Quant li rois Alixandres ot ensi tote Inde avironee et par les grans flums des contrees nagié dusques ou grant occean qui tot le mont avirone et il ot totes les diverses gens conquises et sousmises a sa segnorie si com vos avés oï et entendu ariere, il comanda a ses provos des darraines contrees qu’il bousnes en samblance de colombes d’or meïssent es darraines terres qu’il avoit conquises et outres ces bousnes que Hercules et Liber i avoient assises et si fist escrire tote la memorie de ses fais et tote l’uevre qu’il avoit faite en Inde.

91. Que li rois Alixandres s’en ala en Babilonie la riche.

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Quant li rois Alixandres ot ensi la terre d’Orient et tote Inde dusques en Occident et dusques ou grant occean avironee et les estranges nacions et les gens barbarienes totes conquises si com vos poés oïr et entendre, il se remist ou grant flum qui Indus est apelés et de [fol. 251 v] cui non Inde est nomee et dite Inde. Si s’en revint o ses grans os venqueres et sires de .xii. regnes dont il avoit conquises totes les poestés et les segnories. Adonques n’i ot point de demorance qu’il mout ne couvoitast a aler en Babilonie la grande por ce que li sambloit que c’estoit li chiés de tot le monde par ancieneté et par noblece, ja fust ce chose131 qu’il .xii. cités eüst estorees totes et faites et totes de son non Alixandre apelees et nomees et si les ot fait totes fermer de haus murs et de riches tors et de merveillouse forterece. En Babilonie quant il i fu venus et la cités li fu rendue a sa volenté faire et a sa comandise, totes les gens dou monde o il n’avoit esté le redouterent tant por sa grande fierté et por sa grande poissance que il envoierent a lui en Babiloine132 lor messages des regnes et des cités et des terres lointaines. Cil de Cartage i envoierent lor messages et si li manderent qu’il de tot a sa volenté seroient et a sa comandise, et ausi firent cil des cités de tot le regne d’Aufrique et de tote Espaigne et de tote Gualle et des pluisors lius de Lombardie ausi et cil de l’isle de Sardaigne133 et tuit cil de Sesile. Si grans paors dou roi Alixandre avoit entrepris tos ceaus d’Orient et toz ceaus d’Occident et de totes les autres parties des134 gens dou monde que 131. 132. 133. 134.

ja fusse chose, corrigé d’après B, D, L, Pa. en Babiloine, inscrit en note dans la marge. cil de l’isle et de Sardaigne, corrigé d’après B, D, L, Pa. les, corrigé d’après B, L, D, Pa.

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li chemin erent chargé des messages qui a lui en Babilonie aloient si espessement qu’a paines le poroit croire nulle creature qui fust raisnable. Li rois Alixandres qui le cuer ot eslevé en mout grant glorie manda trestos ses haus barons por tenir grant cort et grande feste faire et por demonstrer sa grant poesté et sa grant richece et por savoir se nulle cités ne nus regnes estoit en tot le monde qui ne fust obeïssans a lui, si en prendroit la vengance. Et bien sachés qu’adonques n’avoit il mie oblié les respons des arbres qui sa mort li avoient pronunciee et dite. Mais il cuidoit certainement que li deu li deüssent tresmuer sa destinee et que nus hom n’osast entreprendre par sa felonie ne ne peüst a lui tolir la vie. Et neportant parmi tot ce cremoit il durement la mort qui li estoit denomee, mais n’en faisoit mie granment de samblance. Ains avoit assamblés tos ses amis et tos ses barons por haute cort tenir et por plus estre a grant seürtance.

92. Que li rois Alixandres perdi la vie par le venim que li serf li donerent a boire.

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En celui jor que li rois Alixandres plus doutoit a perdre la vie soulonc la parole que il avoit oïe et entendue as arbres, comanda il a ses plus chiers amis et a ses plus haus barons cui il plus amoit qu’il servissent devant lui a [fol. 252 r] table et il si firent. Mais Antipater, cui il tote Gresse avoit a guarder chargee et a sa segnorie sousmise, et Divinuspater, cui il amoit autant com nulle creature et cui il cuidoit eslever en hautes segnories de regnes et de corones, li donerent celui jor boivre venim par quoi il perdi la vie. Mais ansois qu’il fust deviés assigna il a ceaus qui servi l’avoient terres et regnes et il s’en maintindrent entr’aus aprés sa mort mout malaventurousement, quar onques li uns n’ama l’autre puis la mort le bon roi Alixandre ne pais ne s’entreporterent, ains toli li uns a l’autre, se il onques pot, sa terre tote et avec la vie, si com vos porrés avant oïr se il vos plaist des pluisors et entendre, mais tot premerainement vos dirai qui cil furent qui s’entreguerroierent et quels terres il tindrent. Quar de la mort le roi Alixandre ne vos voill je ore plus descrire ne de la dolor que si baron en demenerent se tant non soulement que assés le plainstrent et plorerent et durement regreterent ses valors135 et ses grans proeces. Et ses serors le plainstrent mout ausi et sa mere Olimpias sor tos les autres tant com li cors fu ars et mis en la sepouture136 qui tant fu riche sans plus dire com ele dut 135. ses valors et ses valors, répétition supprimée. 136. sepoututure

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estre d’or et d’argent et de pierres preciouses. Et puis que li cors fu repus et ensevelis en la sepouture, li grans dolors demora, si s’en ala chascuns tost et isnelement en la contree qui li estoit devisee.

93. Que chascuns hom se doit pener de bien faire que l’en rende le merite.

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Segnor, ensi fait on encore : On puet veïr maintenant ore Que ja tant riches ne sera Li hom ni tant de bien n’avra Fait en tos les jors de sa vie Qu’aprés sa mort ait nus envie De trop grant dolor entreprendre Faire por lui, quar a entendre A chascuns tant a son afaire Que ne puet on tant dolor faire. Obliés fu tost Alixandres, Ausi est li bons cuens de Flandres, Bauduins, qui fu emperere De Costantinoble et sa mere Qui nomee fu Marguarite Et tant fu bone dame eslite, De ce raconter est enfance. Obliés est li rois de France Qui mout honora Sainte Iglise, – Et Deus qui les bons loe et prise En sa plus haute mansion L’en rende si haut gueredon Com il fist a la Magdelene Qui de pechés est monde et saine – Et toz ceaus ausi qui honorent Sainte Glise et qui la socorrent Quant ele est en perversité, Deus les destort d’aversité Au jor qu’il mestier en avront, C’iert quant li angle trambleront, Que chascuns avra sa merite Quar donc n’iert mie cuite quite [fol. 252 v]

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Des tors, des maus que fais avons Ne des vils pechiés o nos sons Par fais, par dis et par pensees Qui ne seront mie celees. Por ce le di que bien doit faire Chascuns qui pense a son afaire, Voire des biens que Deus li preste, Quar graindre n’est nulle conqueste Qu’estre avec Deus ens en la vie Dont diables nos porte envie, C’est lassus ou saint Paradis. Obliés somes a toz dis Puis que nos cors sunt mis en terre. De nos avoirs entrent en guerre Et nos ami et nos parent. Bien seroit drois mon essïent En tant com nos avons pooirs De les armes feïssons oirs De tant por Deu del iretage Qu’eles n’i eüssent domage Et que ne fussent obliees La ou eles sunt alivees Au voloir Deu, quar mout tost sunt Cors, armes, oblié ou mont Des oirs ki’n ont137 la grant richece. Mal est moilliés qui ne se seche. N’en dirai plus mais tot a fait Est obliés qui bien ne fait.

94. En queles terres aprés la mort Alixandre si baron se departirent.

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Ausi fu li rois Alixandres, quar tantost com les cendres qui de son cors erent faites furent mises en la haute sepouture qui tant estoit et riche et noble, se departirent tuit si baron et ala chascuns en la contree qui li estoit otroiee et donee. Tholomeus en ala en Egypte la premeraine et si tint d’Afriqua et d’Arabie une grant partie. Philotas en ala en Cilisse et Mithileneus en l’autre Egypte 137. dont

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qui prouchaine estoit a la terre que Tholomeus tenoit en l’une partie d’Arabie. Et Philopater en ala en la terre des Illiriens, qui mout estoit bone et plentive. Et Atropatus s’en ala en Mede la plus grande et en la menor s’en ala li sivres Perdicas qui en tint la segnorie. Et Scinus s’en ala as gens susanienes qui mout erent hardies. En la grant Phrige s’en ala Antigonus, li fiz Phelippe, qui li fu asignee, et Nearchus s’en ala en Pamphile et en Lisce dont il fu rois et sire, et Cassander a la terre de Cariam et tote la contree. Et Menander ot Lide et Leones la menor Phrige et Lisimachus ot Trasse et tote la terre jouste la marine et Eumenidus s’en ala en Capadosse et Paflagonie qui li estoit donee. Et Cassander fiz Antipatris fu sires des sergans le roi et de sa maisnee o grans terres qu’il tindrent et il ausi grant regne et grant segnorie. Et Seuluchus li fiz Anthiochi tint Alixandre sor le flum Granicum o Alixandres ot ses herberges et ses tentes tendues quant il venqui le roi Daire de Perse.

95. Por quel ochoison il s’entrehaïrent.

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En Bactre la darraine et en Inde ausi remerent segnor cil cui li rois Alixandres i avoit laissés [fol. 253 r] en baillie et si tindrent les terres et les segnories. Taxilles ot la terre qui est entre les .ii. flums Hidaspem et Indum ou les gens habitent qui Seres sunt nomees, dont je vos ai parlé ariere, que Alixandres li rois trova de si bone maniere. Phyton, li fiz Agenoris, ot la cité de Colone qui en Inde estoit fundee qui porprendoit les terres et grans segnories. Oxfracés s’en ala as Parapameniens, ce sunt unes gens qui habitent vers la fin dou mont de Cauchassi et mainent, c’est une gens qui mout est hardie et bataillouse. Et Sibirtus ot les Aracossiens et les Cedrosiens, cis pueples est ausi de mout crueuse maniere et Amintas ot ausi la segnorie sor les Dranceiens et sor les Areiens et sor les Atrianiens dont il par droiture se devoit bien vers ses voisins defendre se il li corroient seure ne il l’assailloient. Sicheus ot les Socdianiens et Licanor ceaus de Parte que nos Turs apelomes qui mout sunt hardie gent et crueuse et Phelippes ot les Hyrcaniens qui gens estoient vaillans et amanevie. Fratafernés ot les Armaniens et tote la contree. Thepotemus ot les Persans et Peucestes ceaus de Babilonie, Archous et Pelassor et Archelaus orent tote la terre de Mesopotamie qui lor fu devisee chascun en sa partie. Perdicas ot la terre le roi Alixandre, c’est de Macedonie la plus tres grande partie. Tuit cist que vos ci oés nomer et Antiochus avec qui tot le regne avoit que on apele or Ermenie se descorderent ci aprés la mort le roi Alixandre com vos ja porés entendre par lor felons cuers et par lor grans envies et si vos dirai

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tot premerement por quoi la descordance mut dont il se combatirent et la grans haine qui onques ne fu rapaisee. Et tot ce fu par unes letres que li rois Alixandres fist faire ansois qu’il partist de ceste vie, es queles il comanda que tuit cil qui en prison estoient fussent quite et desprisoné et remis en franchise. Ce fu li choze et li naissence premerainement des grans batailles, quar li haut home des cités de Gresse cremirent que cil qui en prison estoient, quant il avroient lor franchise138 recovree, c’est qu’il seroient revenu en lor contrees dont il fors chacé estoient, ne se porpensassent de prendre vengance des maus et des felonies qui lor estoient faites, si com il firent. Quar tot ou comencement revelerent cil d’Ataines qui lor gent orent mises ensamble, dont il erent bien .xxx. milliers et .cc. nés, et si orent quis aïes par Demostenem cui il envoierent as Sychioniens et a ceaus d’Arges et de Corinte et a pluisors autres cités qui lor vindrent en aïe, si s’en [fol. 253 v] alerent contre Antipatrum qui tote Gresse avoit en baillie et en l’aler qu’il firent encontrerent il Leonie cui Antipater avoit mandé por socors avoir de lui et aïe et qui li amenoit grans gens dou regne de la Menor Frige. A celui se combatirent li Athenien et a sa gent cui il desconfirent et tolirent lor grans richeces et lors grans avoirs et les grans proies qu’il avoient amenees et si fu meïsmement ocis li rois Leonies, ce fu li comencemens de la premeraine bataille. Li Athenien qui de ceste choze furent mout enorgueilli assistrent Antipatrum en un fort chasteau sien jouste la mer assis ne ja ne s’en fussent torné, si l’eüssent pris par force, se ne fust une aventure qui lor avint de lor duc qui Leostenes estoit només par nom, qui fu ocis al assaut par une saiete que cil dedens la vile li traistrent, par ce si139 retraistrent li Athenien ariere.

96. Des grans batailles qui furent entre les barons Alixandre.

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Entretant envaï Perdicas la cité de Capadoce et si en venqui le roi qui de par Eumenidus la tenoit qui estoit ou regne de Pafaglonie, mais Perdicas ne conquist guaires en la cité prendre d’onor ne de victorie et si fu il en grant perill de plaies qui li furent faites au prendre, quar quant cil de la cité virent qu’il pris seroient et qu’il durer n’i porroient, il boterent le fu meïsmement en lor vile, et si ardirent aus meïsmement et lor avoirs et lor bestes et lor richeces por ce qu’il ne voudrent que li rois Perdicas trop ne s’esjoiesist ne es138. frachise 139. Confusion avec se.

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leessast d’aus avoir en lor baillie ne en sa subjection ne de lor avoirs a sa volenté prendre ne destruire. Aprés ce leva grans bataille et orrible entre Perdicas et Antigonum, qui andui estoient segnor dou regne de Macedonie. Et si destruistrent, ansois qu’il assamblassent lor gens ensamble por combatre, mainte riche cité et mainte isle de mer li uns sor l’autre, por ce qu’al cui c’onques qu’il se tenissent li autres lor coroit seure.

97. Encore de ce meïsmement des estors et des batailles.

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Ensi dura ceste chose mout durement longement et fu mout en doutance chascuns d’aus .ii. o il assamblaroient por combatre, o en Asye o en Macedonie. Et en la fin s’en torna Perdicas a tote s’ost en Egypte, mais Tholomeus, qui l’avoit en sa baillie, assambla totes ses gens et tos ceaus de la cité de Cyrenense, si s’apareilla mout bien d’aler contre Perdicas a bataille tantost com il seroit entrés en son regne. Ensi mut la grans guerre et la haine grans et desmesuree entre Perdicas et Antigonum les .ii. segnors de Macedonie. Entre ces choses Neoptholemus et Eu- [fol. 254 r] -menidus rassamblerent lor gens por l’un sus corre l’autre si com il firent et tant se combatirent entr’aus que lor gens fu que pres tote morte et ocise. Mais plus i perdi Neoptholemus de sa gent que ne fist Eumenidus, quar li gens Neoptholemus i fu si morte et si desconfite qu’il l’en couvint fuir en Gresse a Antipatrum por soucors querre et aïe. Et si li proia et dist qu’il ne li fausist mie ore a ceste besoigne encontre Eumenidum qui l’avoit chacié de bataille et sa gent confundue. Et il meïsmement Eumenidus estoit si vencus et sa gens si plaiee et ocise que se il aidier li voloit mout tres legierement en porroit avoir la victorie. A ce s’acorda Antipater, si assambla tote sa gent et Neoptholemus rassambla tote la soie por Eumenidum prendre et ocire en aucune maniere se il onques pooient. Mais quant Eumenidus qui mout estoit vaillans de cors et de corage sot certainement qu’il ensi sor lui venoient, il rassambla sa gent tote et si les contraguaita si en lor venir et en tel maniere qu’il les desconfi et ocis de lor gent une grant partie et si jousterent ensamble il et Neoptholemus si qu’il s’entrebatirent des chivaus et fu Eumenidus navrés mout durement a cele jouste. Mais il ne moru mie et Neoptholemus ot tels plaies et si durement fu navrés qu’il en perdi la vie. En cele bataille fu ocis Polipercon, cui Antipater avoit envoiet ou sa gent qui mout estoit prous et hardis et plains de grant chivalerie. Entretant envaï Perdicas le roi Tholomer d’Egypte par mout grande bataille, quar grans gens porent metre ensamble de lor gens et de lor pooirs.

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98. Des batailles le roi Perdicas et le roi Tholomer d’Egypte.

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Entre ces .ii. rois ot grans estors et merveillouses meslees desmesurees, mais en la fin fu Perdicas desconfiz et ocis et sa gens ausi dont li rois Tholomeus ot grans avoirs et grans proies. Aprés ceste bataille fu nuncié en Macedonie que Eumenidus et Alcheta, li freres Perdicas, et Phyton et Illirius estoient lor anemi et si se porqueroient de mal faire a aus. Encontre ceaus assambla Antigonus trestos ceaus de Macedonie, si chevaucha contre Eumenidum qui grans gens et grans avoirs avoit ensamble mises. La ot grant bataille desmesuree faite et tant i ot des gens Eumenidus ocises que il s’en parti a force de la bataille et si se mist en un si fort chasteau a guarandise que il ne douta mie qu’il pris deüst estre a force, mais neportant la l’assist Antigonus o sa grant gent de Macedonie. Eumenidus qui bien vit qu’Antigonus ne guerpiroit mie le siege, manda socors a Antipatrum qui mout estoit fors [fol. 254 v] en la contree de Gresse. Et si li manda que se il le socoroit encontre Antigonum qui assis l’avoit en un chasteau par sa desmesurance qu’il ne li faudroit jamais tos les jors de sa vie. Par ceste couvenance le socorut Antipater ou mout grans gens desmesurees et tantost com li message en furent venu a Antigonum, il deguerpi le siege por la grant habundance de gent qui sor lui venoient. Mais par tot ce ne fu mie Eumenidus asseürés, encor fust li os des Macedonois de la dessegee, ains en ala as Giraspidiens, ce estoient unes gens qui avec Alixandre avoient esté tot adés en guerres et en batailles et por ce que lor escut et totes lor armes et cotes a armer et les covertures estoient totes sorargentees140, estoient il apelé et nomé Argiraspidiein. Ceste gens estoit mout hardie et mout chivalerouse et por ce ala a aus Eumenidus et si lor proia et dist que il encontre Antigonum lor fussent en aïe, li quels voloit destruire lui et sa gent et tote sa terre. Cil li respondirent et distrent que il mout volentier lor aideroient de lor pooirs de quanqu’il aidier li porroient.

99. Des batailles entre Eumenidus et le roi Antigonus.

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Adonques rassambla Eumenidus o ces gens ce qu’il peut avoir de la soie, mais Antigonus qui plus ot poissance lor coru seure o sa gent bien ordonee de combatre. La ot fier estor et fait mout d’armes ansois que li dus Eumenidus et li Giraspidien fussent torné dou champ a force et mout en i ot mort ansois de l’une part et de l’autre. Mais en la fin fu li dus Eumenidus desconfis et cil 140. Signe point élevé.

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o lui qui venu li estoient en aïe, qui perdirent et lor femes et lor enfans et quanqu’il avoient guaaigné et conquisté en la compaignie le bon roi Alixandre.

100. Que li home Eumenidus le pristrent en traïson et si le rendirent a Antigonum.

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Quant la choze fu si malement demenee, li Agiraspidien envoierent a Antigonum lor messages et si li manderent que se il lor voloit rendre lor femes et lor anfans et lor autres proies, il le serviroient ne jamais a null jor ne seroient en sa grevance. Antigonus lor remanda que se il Eumenidum li voloient prendre et rendre141, il lor feroit ce qu’il li requeroient ne ja mar autrement en nulle maniere ne si reguardassent142. Il li remanderent par tels messages en cui il bien se fioient que il sa volenté feroient et lors esploiterent il tant et firent qu’il Eumenidum le vaillant prince et qui lor sires estoit pristrent par vilaine traïson, si le rendirent a Antigonum que plus le haoit que nulle creature. Ceste [fol. 255 r] traïsons fu trop laide et trop desmesuree quant il ensi livrerent celui qui lor dus estoit et en batalle les conduisoit tot loié et enchaené a celui qui li toli la vie. Segnor et dames, por ce et por autres chozes doit on haïr les traïtors, quar on ne se seit d’aus coment guarder ne il ne menassent mie. Mais ceaus qui manassent doit on amer quar on se puet d’aus garder en mout de manieres o venir a acorde, encor soit la haine grande. Entretant que ces batailles estoient grandes et desmesurees entre Eumenidus et Antigonum143, ne cessoient mie li autres, ains se combatoient en son regne chascuns en diverses parties. Et la roïne Euridices, feme le roi Arridei qui grant partie tenoit des Macedoniens, faisoit mout de mal par Cassandrum cui ele avoit eslevé en grant poissance por l’amor que ele avoit a lui et il Cassander par ce qu’il la tenoit et que ele le voloit confundi mainte cité en Gresse et destruist mainte gent et sousmist a sa segnorie et tint en servage.

141. Signe point élevé. 142. Confusion de si et de se. 143. Signe point élevé.

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101. Que la roïne Olimpias repaira d’Epire en Macedonie.

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Adonques ausi droiturerement estoit Olimpias en Pire144, mais li rois Eacida de Molosore la voloit prendre et metre en prison si com il eüst fait o ocire145 se ne fust Polipercuncta qui li enorta que ele revenist en Macedonie et ele se146 fist. Mais tantost com ele i fu venue, la roïne Euridice li manda que ele issist fors de sa terre et que ele n’i demorast mie. De ce ot la roïne Olimpias grant dolor, si fist sa gent assambler por vengier ceste outrecuidance et ele si fist mout bien, quar li Macedonien meïsmement qui contre lui devoient estre li aiderent et si furent contre le roi Arrideum qui d’aus devoit avoir la segnorie, quar il le aoient por la cruauté de la roïne sa feme. La fist prendre la roïne Olimpias, qui fu mere le bon roi Alixandre, le roi Arrideum et la roïne Euridicem, si les fist andeus ocire, mais ele en ot mout tost le merite, si com vos porrés ja oïr et entendre147, quar tantost com Cassander sot qu’ensi estoit la choze alee et que la roïne Olimpias demenoit sa grant segnorie en Macedonie, il assambla grans gens por li envaïr, mais tantost com la roïne Olimpias le sot, ele n’ot mie veraie fiance es Macedoniens, si se mist en une cité que cil de la terre Pydnam apeloient et o li sa brus Roxa et Hercules ses niés qui fu fis Alixandre.

102. Coment la roïne Olimpias fu ocise.

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Tantost com Cassander le sot, il ala a la cité et si la prist a force et lor fist prendre la roïne Olimpiadem, si la fist de mout cruel mort ocire et le cors qui mainte honor avoit eüe [fol. 255 v] fist il geter as chiens et as oiseaus por ce qu’il ne voloit mie qu’ele eüst sepouture et le fill Alixandre o sa mere fist Cassander en mout felone prison metre en la grant tor de Phipolitanie. Ensi fu la roïne Euridices por sa desloiauté vengee a grant malaventure et la roïne Olimpias, mere le grant roi Alixandre, morte et ocise. Et bien sachés que Perdicas et Alcheta et Polipercon et pluisor autre qui contre Cassandrum et contre Tholomeum qui ensamble se tenoient148 se combatirent por ceste ochoison, furent tuit mort et ocis et lor gens totes confundues. Mais trop seroit longe chose a dire et a raconter les aguais que il s’entrefirent ne les ba144. 145. 146. 147. 148.

Signe point élevé. ocise, corrigé d’après B, L. Confusion avec si (B, L). Signe point élevé. Signe point élevé.

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tailles ne les meslees ansois que tant de bon chivalier preu et hardi fussent mort ne conquis a force. Por ce si en lairai ester la parole.

103. Li quel furent li .iiii. maistre roi qui toz les autres venquirent.

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Adonques en celui tans dont je vos di et conte, que tant i avoit ocis dou remanant le bon roi Alixandre, estoit Antigonus mout eslevés en grant poissance et en grant segnorie. Et bien sachés, que que nus vos die de la poesté des .xii. rois que li bons rois Alixandres corona et dona les .xii. roiaumes qu’il ot conquis en .xii. ans qu’il regna, tindrent li .iiii. roi sor tos les autres la segnorie tote. Tholomeus en fu li uns qui tint tot Egypte et li autres fu Arrideus Philippus, freres le roi Alixandre – cis tint Macedonie vers Occident et tot le regne si com il s’estent vers Orient –, et li tiers fu Seuluchus Nichanor, cis regna petit s’en failli par tote la partie d’Asie. Et li quars fu Antigonus qui regna devers Septentrion meïsmement en cele partie. Cist .iiii. furent les .iiii. cornes dont Daniel li prophete parole en sa prophetie et li .iiii. vent ausi dont cil qui a lui parloit li fist mension et memorie. Et bien sachés ausi que puis s’entrehurterent ensamble mout durement cist .iiii. vent poissant149 : ce sunt cist qui tos les autres avoient petit s’en failloit conquis o ocis o sousmis a lor comandises. Antigonus si com je vo di estoit en celui tans mout poissans150, mais encor adonques covoitoit il et desiroit mout durement a avoir plus grant poissance et si deüst bien par droite raison la soie sofire, mais ce ne pot mie estre, ains se pensa qu’il a force metroit fors de prison Herculem le fill Alixandre, cui Cassander avoit enprisoné si com je vos ai dit ariere, et s’il avoit Herculem, adonc primes avroit il certaine ochoison de conquerre Macedonie tote et plus encore, quar il covoitoit a avoir aprés ce le regne d’Egypte qu’il covoitoit a doner a un sien fill jovenceau [fol. 256 r] mout preut et mout hardi de son eage, Demetrius estoit apelés par nom.

104. Ensi com Cassander et Tholomeus venquirent Antigonum. Quant Cassander et Tholomeus seurent ceste chose, il parlerent a Seulucum et a Lisimacum et si s’acorderent si a estre a un acort et a une compaignie qu’il 149. Signe point élevé. 150. Signe point élevé.

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assamblerent totes lor gens et deviserent lor batailles et par mer et par terre por corre sus Antigonum en quelconques parties il s’apareille de bataille. Antigonus qui tot ce proisa petit assambla a aus et si se combati o ses grans os, mais poi li profita cele bataille quar il i fu vencus et ses fils ausi Demetrius151 et li plus grans partie de lor gens mortes et ocises, mais il en eschaperent a force, et avec aus de lor gent une partie. Et Cassander et Tholomeus qui vencus et desconfis les orent departirent entr’aus les proies et les avoirs dont il i ot grant habundance, et puis s’en rala Tholomeus en Egypte et Cassander s’esmut d’autre part por aler a Polloniam. Mais en cele voie encontra il les Aveniatiens, une gent hardie et combateuse et dont il i avoit mout grant habundance, qui por la trop grande plenté de raines et de soris qui estoit habundee en lor terre deguerpissoient lor contrees et lor anciens iretages et si queroient liu o il peüssent herbergier et habiter paisiblement sains152 esmovoir guerre ni bataille.

105. Que Antigonus et ses fils Demetrius se combatirent en mer a Tholomeus.

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Quant Cassander ot ces gens encontrees et il vit d’aus la plus grande plenté et il sot et vit et conut lor grant force, il cremi qu’il por la besoigne qu’il avoient et por le regne qui estoit auques desconseillés n’envaïssent Macedonie et que il ne le grevassent durement et maumenassent, quar mout erent gent ensamble. Por ceste choze les acuelli Cassander en compaignie et si lor dona et livra terre por habiter en l’une des darraines parties de Macedonie. Et adonques avoit primes .xiiii. ans Hercules, li fiz le roi Alixandre, et Cassander qui cremi que li Macedonien ne l’eslesissent a roi por ce que il estoit lor droiturers sire153, le fist il ocire tot coiement et avec lui sa mere, la o il les tenoit en prison si com je vos ai dit ariere. Ensi com vos oés et entendés, croissoit adés plus et plus la desloiautés ou monde et la malaventure. Adonques lores meïsment requistrent grans gens et aïes Demetrius et ses pere Antigonus por combatre contre Tholomeum par mer et a navie. Et Tholomeus qui bien sot tos lor affaires rassambla tote sa gent d’Egypte, si se mist en mer encontre aus, si com cil qui bien savoit qu’il volentiers li feroient damage [fol. 256 v] et anui s’il onques pooient. Et tantost com il s’entrevirent en la mer, il s’entr’aproucherent a l’aïe des vens et des voiles tant que les nés vindrent ensamble. La ot grant 151. Detremetrius 152. Graphie pour sans. 153. Signe point élevé.

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bataille et perillouse, quar quiconques cheoit fors des bors des nés fust154 navrés o sains noiés estoit sans faillance. Noiens estoit dou relever ne del avoir la endroit socors ne aïe.

106. Que Tholomeus fu desconfis en la mer.

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Tant dura la endroit la bataille si com je vos di, crueuse et desmesuree, que Tholomeus fu desconfis et tote sa gens o lui, si s’en refui en Egypte, mais mout i ot ansois sofert travaill et paine et enduré et mout grant perte receüe de ses nés et de ses homes et des grans avoirs que il perdirent. De ceste bataille dont Antigonus ot la victorie et ses fiz Demetrius, furent toz jors mais roi apelé quar c’estoit bien droiture. Tholomeus qui mout ot le cuer dolant et triste de ceste desconfiture, manda Cassandrum et Seleucum et toz les autres princes qui o lui marchoient et si lor dist que male choze estoit155 qu’Antigonus les demenoit si malement ensi et Demetrius et cil ausi qui en lor aïes estoient. Lors se conjurerent ensamble d’estre tuit a une acordance et que il trestotes lor gens et lor grans pooirs assamblerent a un jor qu’il deviserent por combatre a Antigonum qui lor avoit fait maint grant domage.

107. Que Tholomeus requist socors et aïes contre Antignonum.

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Tot ensi com il le deviserent le firent il, mais quant vint au jor que il orent mis des os faire movoir, Cassander n’i pot mie estre por essoines loiaus qu’il avoit des fins de sa terre o il estoit en guerre contre ceaus qui i habitoient, mais il i envoia Lisimacum qui mout estoit preus et hardis avec une grant partie de sa gent qui bien estoient entalanté de faire la besoigne. Seleucus i amena mout grant gent dou regne d’Asye la grande. A cestui n’avoit onques mais eüe guerre Antigonus, quar il avoit tant esté essoniés aillors et a ses voisins qui si compaignon devoient estre qu’il n’i peüst entendre. Quar tot al comencement se combati il as Babiloniens et ses prist a force, et puis aprés les Bactriens qu’il donta a grant paine et sousmist a sa segnorie. Et puis aprés s’en ala en Inde qui puis la mort le roi Alixandre estoit revelee envers les provos qu’il i avoit laissiés. Si les avoient ocis li Indien, mais Seleucus Nichanor les venga par Androcotum qu’il i laissa aprés grans batailles qu’il vers les Indiens orent faites 154. Confusion avec fu. 155. Signe point élevé.

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et si se concorderent si Seleucus et Androcotus que Seleucus s’en repaira ariere et Androcotus remest ou regne et en la segnorie. [fol. 257 r] Tholomeus rassembla sa grant gent quancunques il en pot avoir si com por vengier son honte et son domage. La ot grans gens ensamble mises, quar Antigonus et Demetrius qui bien seurent devant l’ochoison por quoi il venoient requistrent tant gent com il onques porent et ce fu mout, quar il orent mout d’aïes, mais que plus fu grande lor poissance, de tant fu plus grande lor ruine et lor mescheance, quar en cele bataille furent, mout petit s’en failli, totes destruites lor forces de Macedonie – c’est li haut home et li vaillant chivalier – quar Antigonus i fu meïsmes ocis qui chiés en estoit et adonc i ot mout ocis des autres, ce poés vos bien savoir et croire, et bien sachés que li fins de cele bataille fu recomencemens d’une autre, si vos dirai assés briefment en quel maniere.

108. De la descordance qui fu entre ceaus qui avoient ocis Antigonum.

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Quant Antigonus fu mors et desconfis et sa gens vencue156 et Demetrius s’en fu partis o tant de gent com il ot de remanance, Seleucus et Tholomeus et Lisimacus se descorderent157 si malement ensamble des grans avoirs et des grans conquestes158 qu’il s’entre departirent par mal et dessevrerent et se si159 traist Seleucus a Demetrium et Tholomeus et Lisimacus se tindrent ensamble. Entre ces choses fu mors Cassander et Philippus ses fis tint aprés lui s’onor et son regne. Tot ensi160 com vos oés recomencerent ausi com tot de noveau entr’aus les meslees et les batailles. Entretant qui tuit cist qui vos oés s’entreguerroient, Antipater ocist sa mere qui Thessalonice estoit nomee et qui mout proia a son fill qu’il ne l’oceïst mie, mais rien ne valut sa proiere ne les larmes qu’ele devant lui en avoit espandues. Ceste dame fu feme Cassandri, mais Antipater se pensoit que c’il l’avoit ocise si com il fist161 et il ses freres pooit ausi ocire, il tenroit mais en pais tote la terre de Gresse tos les jors de sa vie. Et por ce ocist il sa mere premerement et tot por ce qu’ele ne represist baron par cui il perdist tote s’onor et sa vie, et d’autre choze n’estoit il en doutance. Mais 156. 157. 158. 159. 160. 161.

Signe point élevé. s’acorderent, corrigé d’après B, D, L, Pa. Signe point élevé. Confusion avec si se. tot ensi et ensi, corrigé d’après B, D, L, Pa. Signe point élevé.

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quant la dame fu ocise, Alixandres, uns siens fils, fu mout durement entalentés de vengier la mort de sa mere et d’ocire son frere. Por ce faire et por avoir force et aïe, ala il a Demetrium qui mout bien li ot en couvent que il li aideroit, mais cele aïe li fu mout desloiaus et mauvaise, quar la o Alixandres se fioit plus en Demetrium et il miaus cuidoit de lui estre162, l’ocist Demetrius en traïson et li toli la vie.

109. Que par le roi Pirus fu desconfis Demetrius, li fiz le roi Antigonus.

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[fol. 257 v] Entretant li rois de Trace Condorus envaï de grant guerre Lisimacum et por ce failli il qu’il ne se pot combatre a Demetrium qui de Gresse et de Macedonie avoit ja si conquise la poesté qu’il se pensa qu’il s’en iroit en Asie et si atorna tot son afaire si com de sa gent assambler et avoirs aquerre. Mais Seleucus, qui de lui s’estoit departis et qui ce sot, et Tholomeus et Lisimacus, qui devant ce s’estoient descordé si com vos avés entendu et avoient grans batailles faites163 ensamble, se racorderent ensamble et pristrent compaignie, et quant il orent lor gent queilloite et lor grans avoirs assamblés, il se murent por ce qu’il voloient s’il pooient Demetrium par ceste ochoison chacier et oster fors de Macedonie. Tote li cure de cele bataille fu mise sor Pirrus et il s’en entremist si durement que quant li estor furent assamblé o il ot mout vaillant chivalier ocis et geté fors de vie que par l’esfors de lui et de sa gent fu Demetrius desconfis et chaciés de la bataille, mais bien sachés qu’il ansois i ot mout perdut qu’il s’en tornast, et homes et richeces.

110. Que Lisimacus fu ocis et que la bataille dou remanant Alixandre fu definee.

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Aprés ceste desconfiture envaï Pirrus le regne de Macedonie qu’il conquist a grant paine et a force. Entretant ocist Lisimacus Antipatrum son genre, por ce qu’il li fu conté et dit que Antipater l’aguaitoit por ocire, et un sien fill, Agathoclem164, ocist ausi Lisimacus por qu’il le haoit outre humaine maniere. Entrues que ces malaventures estoient si grandes et si apertes, fist si grant 162. Signe point élevé. 163. et grans batailles faites, ajout de avoient pour le sens. 164. un sien fi ll ausi, Agathoclem

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crosle de terre en Gresse que la cités de Limasie fundi si trestote qu’il n’i remest murs ni tors ne maisons ne forterece qui tot ne fust cravanté a terre. Et tuit cil de la cité, homes et femes et enfant et bestes, i furent trestuit si perit et dampné qu’il furent tot ausi com enfoït desous les maissieres et desous les trastres des riches sales, ne n’en furent onques osté par nulle humaine creature, ne la cités puis habitee ne restoree. Por tot ce n’aresta mie Lisimacus des grans malices a faire, si com de ses enfans ocire et ses neveus et ses nieces et les estranges meïsmement quant il miaus de lui cuidoient estre. Et por ce le deguerpirent si compaignon trestuit, si s’en alerent a Seleucum et si li distrent et proierent qu’il Lisimacum envaïesist par bataille et il li aideroient mout volentiers, si porroit ensi bien conquerre le roiaume. Seleucus les en creï bien et si dist qu’ensi le voudroit il faire. Lors rassemblerent lor gens et d’une part et d’autre. Ceste bataille qui [fol. 258 r] mout fu grande fu la darraine faite entre les compaignons le roi Alixandre et si fu laide choze mout que dui roi si riche et si viell covoitoient li uns a tolir l’autre son regne et sa segnorie et lor gens metre ensamble por combatre, quar Lisimacus avoit .lxxiiii. ans d’eage et Seleucus .lxxvii. et si voloient encore porter armes, mais ceste bataille ne fu, si com je croi165, se por esguarder non et veïr les grans dolor166 et les grandes miseres de cest siecle et les tres grans covoitises, si vos dirai coment si vos i volés entendre. Ja avoit tant alé la choze que tuit estoient mort et destruit, .xxxiiii. que roi que duc que conte, que tuit furent de la maisnee le roi Alixandre. Et tant avoient fait cist dui que totes les terres et tuit li regne petit s’en failloit erent venu167 a aus et si ne lor sofisoit mie avec tot ce qu’il erent en la grant viellece, ains voloit et covoitoit li uns a avoir la segnorie a l’autre. Et por ce assambla ceste bataille crueuse et grande o mout ot ocis de gens par lor grande deverie, quar ce n’estoit mie proece. Devant ceste bataille avoit Lisimacus que perdus que ocis .xv. fils et si perdi il meïsmes a daarrains la vie, quar il i fu ocis et sa gens tote morte et vencue.

111. Quans ans Alixandres regna et quantes cités estora. Ensi com vos oés fu Lisimacus la fins de la bataille macedoniene qui .xiiii. ans avoit duré puis la mort le roi Alixandre entre ses compaignons qui aprés lui demorerent et bien sachés que Seleucus Licanor ne se pot guaires esleecier 165. Signe point élevé. 166. Oubli du s final de dolors. 167. n’erent venu, suppression de la négation pour le sens (d’après Pa).

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de ceste grant victorie qu’il ot eüe, quar encor eüst il tant conquis et .lxxvii. ans de age, ne fina il mie en pais sa vie ne en meüre mort qu’il tant avoit atendue, quar Tholomeus cui seror Lisimacus avoit en mariage l’aguaita tant qu’il l’ocist et qu’il li toli la vie. Or poés avoir oï et entendu quels loiers et quels gueredons s’entrerendirent li pere et li fill et li frere et les serors et li cousin et li compaignon qui aprés Alixandre demorerent, tant ot en aus de fiance et de foi et de verité et de religion humaine com vos poés entendre. Xii. ans regna li rois Alixandres et porta corone et .xx. ans avoit il tant seulement de age au jor qu’il fu primes coronés. Ce furent .xxxii. ans qu’il vesqui tant seulement. Ces .xii. ans qu’il regna conquist il .xii. roiaumes et si estora .xii. cités qu’il totes de son non apela et noma Alixandres. Il i fu Alixandres qu’il fist la o ses chivaus Bucifaus fu ocis et si fu Alixandres montuosa et Alixandres la ou Porrus fu ocis et Alixandres in Scithia et [fol. 258 v] Alixandres jouste Babilonie et Alixandres as Massagecheiens et Alixandres en Egypte et Alixandres en Galam et Alixandres sur le flum Granicum ou Daires fu vencus, li rois de Perse, et Alixandre a Troadam qui mout fu riche et Alixandres sur le flum Tigridem et Alixandres en Escante. Ceste fu la dousime et en chascun mur de ces .xii. cités fist il faire par sa grant segnorie .v. kareptes grijoises teles com vos ci poés veïr a presence : ΠΒΓδ Н. Ce dit et senefie : « Alixandres roiaus lignee me fist », et lui, cui fers ni aciers ne pot sormonter ne vaincre en tot le monde168, ocist venins meslés ensamble vin et toli la vie, l’an tot droiturerement que li siecles ot esté comenciés a faire .iiii. mile et .ix. cens et .x.. Ensi comensa a regner devant la naissence Nostre Segnor Jhesus Crist en terre .ccc. ans et .xlviii. si com l’estorie tesmoigne.

112. Ci avant siut la couvenance des Roumains. Si lait d’Alixandre.

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Ne vos dirai ore plus d’Alixandre ne des Macedoniens a presence et si seroit il encore adonques bien raisons que je de Tholomé le roi d’Egypte vos deïsse et de Demetrium qui fu fiz Antigonum o Antiocum, quar li pluisor dient que Antigonus fu Antiocus, mais de ce enquerre n’ai ge mie granment a faire. Cestui Demetrium desconfi Pirrus si com vos avés oït arriere et si li toli Macedonie. De ce le lairai je ore et quant ore venra et tans et lius, g’en reparlerai mout bien et de lor oirs qui d’aus issirent si com raisons iert et mesure. 168.

Point élevé.

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Ce iert en l’estoire des Ebrius cui il mout de maus firent si com vos porrés entendre quant la ert revenue la matere. Mais ore a presence vos dirai de Pirrus et des Roumains la ou je le laissai quant je comensai a parler des rois persans et des Macedoniens dusques au tans le roi Alixandre, quar ce me couvient il continuer et faire.

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Choix de variantes Nous relevons ici les variantes des quatre manuscrits de contrôle quand elles présentent des particularités sémantiques ou linguistiques, ou bien quand elles offrent une leçon plus claire ou différente de celle du manuscrit de base, ce qui est très rare. Les variantes significatives des noms propres ont été notées. Nous indiquons aussi les omissions des manuscrits de contrôle, les divergences qui concernent les rubriques et l’organisation des paragraphes et mentionnons la présence des enluminures. 1b/ rubrique : Des rois de Macedoine qui (B, D, L, Pa) ; 4-5, cist Charanus regna .xxviii. anz en Macedoine et aprés regna Cynus .xii. anz et aprés regna Thurimas (B, D, L ; Pa a Cyrus à la place de Cynus) ; 8, ains eslurent des (B, D, L, Pa) ; 15, Aprochas . xxvi. anz et aprés y regna Alochas / Alocas (B, D), Aprochaz .xxvi. anz et aprés y regna Alochaz (L) ; Acropas .xxvi. ans. Aprés i regna Alocras (Pa) ; 19, Xercès (B, D, L, Pa) ; 20, a grant estoire de nés et de navies (B, D) ; 30-31, conquist tout le monde (B, D, L). 2/ 1, droitement (B, D, L) ; 7, un autre sien fiz aprés lui par la volonté dont elle estoit covoitouse qu’il a lui meïsmes geüst (L)  ; 12, Eupamindan (B), Eupaminidam (D, L), Apayminidam (Pa) ; 16, les henemis (B) ; 21, li faisoient / fesoient pis et plus legierement (B, D). 3/ 3, et quant il ot ces genz desconfites (D, L) ; 6, si l’ot a force prise (B, D, L, Pa) ; 10, ceaus /ciaus de Thessaille / Thesaille (B, D, L, Pa) ; 13, les Thessailliens (B), les Thessailliyens (D), les Thessailiyens (L) ; 14, qu’il ne se porent porquerre (B, D, L) ; 17-18, trop grant dommage (B, L), trop grant doumage (D) ; 20-21, Par ce si ot si grant os et si tres fortes gens ensamble et tant d’avoir avec que il ne doutoit nulle creature : manque dans B, D, L, Pa ; 23, Aruba (L) ; 23, le roy / roi de Malosore (B, D, L, Pa) ; 27, boneürous (B), beneürous (D, L), boneüriés (Pa) ; 30, le roy / roi Phelipe / Phelippe ot a feme Olimpiadem sa seror (B, D, L). 4/ 1, Commothenem (B, D), Conmothenem (L), Comothonem (Pa) ; 3, car il ot trait un hueill d’une seete (L) ; 5, jusques il l’eüst prise a force (B, D, L, Pa) ; 6-7, qui ne voloient avoir ne deignoient sur eles nule seignorie se celes non de leur viles (B), qui ne voloient ne deignoient avoir sur elles nulles seignories se cil / celles non de leur villes (L, D), qui ne voloient ni ne daignoient

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avoir sur elles seignories se celles non de leur villes (Pa) ; 8, toutes celes qui entreguerroier / entregueroier se voloient (B, D, L, Pa) ; 11, par quoi li autre erent si maté (Pa) ; 15, les Thebeniyens (B, D, L), li Thebanien (Pa) ; 18, recueillirent il lor gens / genz ensemble cil de Foces et les Thebeniyens en tel esperance (B, D), recuillirent lor genz ensemble cil de Foces contre les Thebeniyens en tel esperance (L), recuillirent il lor gens ensemble cil de Foces et li Lacedomonien quanqu’il porent vers les Thebaniyens en tel esperance (Pa). 5/ 1, Ensi rassemblerent lor gens / genz cil de Foces (B, D, L, Pa) ; 2, Philomeno (B, D, L, Pa) ; 6, les embatirent es loges a Foce (B), les embatirent es loges a force (D, L), les embatirent es loges (Pa) ; 6-7, si lor ocistrent et pristrent moult des plus vaillanz (L) ; 16, si li proierent de lor gré : manque dans B, D, L, Pa ; 16-17, qu’il lor aydast / aidast encontre lor henemis / annemis qu’il les agrevast et si fust sires (B, D), qu’il lor aidast contre lor henemis si qu’il les agrevast et si fust sires (Pa), qu’il lor aidast encontre leur annemis qui lor agrevoient et si fust sires (L)  ; 19-22, le roy Phelipe o l’aÿe des Thebaniyens et des Thessailliens / Thessailiyens qui ensemble se tenoient envahirent cil de Foces et tant se combattirent / combatirent que petit s’en failli que tous nes ocistrent et tolirent les vies (B, D, L), que petit s’en failli que tous nes orent occis et a tous tollues les vies (Pa) ; 24-25, en Grece la souveraine (B, L), en Grece la suveraine (D). 6/ 1-2, entrer en Grece la soveraine (L, Pa) ; 8, denier a denier (B, D, L, Pa) ; 18, aprés ces grans arsons (B), aprés ces granz arsors (D, L), aprés ces grans larressins (Pa) ; 30, si come il vers les autres porpensoient et faisoient / fesoient (B, D). 7/ rubrique : fu mout asseürés (B, D, L, Pa) ; 1-2, cui puissance il doutoit (B, D, L, Pa) ; 2, en si grant orgueil / orgueill et en si grant seignorie (B, D, L) ; 3, cuidoit bien que il deüst et peüst (B, D, L), cuidoit bien qu’il eüst et peüst (Pa) ; 6, en Trace (B, D, L, Pa) ; 7-8, qui le regne avoient parti entre aus / entriaus (B, D, L, Pa). 9/ 7, si le doutoient il ausi come (B, L) / si le doutoient il aussi come (D). 10/ rubrique : Constantinople (B, L), Costantinople (D) ; 12, a son eus (B, D, L, manque dans Pa); 23, siege qui molt li annuioit / annuoit (B, D, L), siege qui moult li henuioit et qu’il ne pooit sa volenté faire (Pa) ; 27, resasia un soul petit (L) ; 32-33, qui ja estoit tels qui ja pooit bien chivauchier : manque dans B et L.

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11/ 1, ores a presence (B, D, L) ; 17-20, quant ce vit li rois Phelippes, il en ot mout grant ire et lors remanda totes ses os qui seoient devant Bizance, si lor fist deguerpir le siege por venir en Scithe et por combatre contre le roi Atheas cui il ahoit durement et menassoit por la couvenance que il li avoit defaillie : en début du § 12 dans B, D, L. 12/ 4, mie mains / meins que (B, D, L, Pa). 13/ 1, Molt fucent bien vengés (B, D, L, Pa) ; 18, jumens gentil et beles (B, L), jumenz gentils et belles (D), jumentes (Pa) ; 19, a eus les vaillans / vaillanz (B, D, L), as vaillans (Pa) ; 24, ses chevaus fu mort dessous lui et il tout sanglant abatus a terre (B), ces chevaus fu abatu dessouz lui et il tot senglant abatuz a terre (D), ses chevaus morut dessous lui et tantost come sa gent (L), ses chevaus occis dessous lui et tous senglans abatus a terre (Pa) ; 30, ains li couvint (B, L, Pa), ainz li covint (D) ; 37, s’abonasserent / s’abonacerent les uns vers (B, D, L, Pa) ; 41-42, les plusors / pluisors des terres se trestrent as Atheniiens / Atheniens et les plusors por la paor de la bataille se tindrent au roy Phelippe (B, D, L). 15/ 13, si fist et apareilla grant noces (B, D, L, Pa). 16/ 10-11, toute / tote la malice (B, D, L, Pa). 17/ rubrique : Ci / si comence l’estoire d’Alixandre le grant, roy de Macedoine qui conquist tout le monde (B, D, L), Ci comense l’estoire Alixandre et dit de Neptalibus li rois de Egypte qui fu ses peres si come li pluissors content et dient (Pa). Juste après la rubrique, une enluminure dans D (Alexandre couronné à cheval, avec deux compagnons à gauche et quatre à droite). Après la rubrique il manque un folio dans L. 2, Neptalibus (Pa) ; 4, haut home estoit (B, D, Pa) ; 6-7, noier et perir (B, D, Pa) ; 10, les Alani (B, D) ; 11, cil qui abitoient vers les mons de Caucasos et les Hebriex / Ebrieus et les Agriofagien / Agriofagiyen (B, D), cil qui habitoient vers les mons de Causazos et li Ebrieu et li Agriofagien (Pa). 18/ rubrique  : Ci / si devise la naissance d’Alixandre et coment il ocist Neptanabum / Neptanabus (B, D), Que Neptalibus jut o la mere Alixandre dont elle fu ensainte et que molt se mervoilla li rois Phelippes quand il le sot (Pa) ; 4, dont l’ymage estoit (B, D, Pa) ; 7-8, promist ce qu’ele vodroit a avoir

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qu’ele averoit sans faillance tant qu’elle fist ses volentés (B), promist ce qu’elle vodroit a avoir qu’elle averoit sanz faillance qu’elle fist ces volentés (D), promist ce que ele voudroit et coveiteroit a avoir que ele auroit sans faillance mais qu’elle feïst ses volontés (Pa) ; 15, si le crut fermement (B, D, Pa) ; 19, 1-3, Alixandres qui sot certainement que c’estoit ses peres fist ensevelir et ardoir le cors come roy et faire trop riche sepulture en haut amont, grant et eslevee : à la fin du § 18 dans B, D, L, Pa ; ardoir le corps honorablement si come a roi appartenoit et par la coustume qui adonques estoit (Pa). 19/ par sa fierté : absent dans la rubrique de B, D, L ; 5, nus / nul ne l’osoit aprochier (B, D) ; 6-7, el tens que Alixandre ot .xiiii. anz, prist le roy / roi Phelipe et ot a ses diex /dex respons que qui onques (B, D) / ot le roi Phelippe pris respons a ses dex que qui (L) ; 10, estoit semblant / assemblant a autre cheval de tant qu’il (B, D, L, Pa) ; 12, come se ce / ce ce fust fait / fet a sohait o /ou riche entailleüre (B, D, L) ; 16-18, nulle demorance. Mes ansois / ansoiz poinst il le cheval a sa volenté sans nule / nulle contre arestance et court / corut assés sans / sanz frain et sans / sanz selle devant le roy Phelipe (B, D, L). 20/ 8-9, au roy Phelipe qui l’avoit laissee / lessiee por Cleopatra (B, D, L, Pa) ; 10-11, por ce que Pausonias en navra / nafra le roy Phelipe a mort qu’il la voloit (B, D) ; 9-11, por Pausonias qui l’avoit ravie et avoit nafré le roi Phelippe a mort por ce qu’il la voloit (L) ; 14-15, si come de celui qui li avoit la mort donee (B, D, L, Pa). 21/ 6, la cité dou / del Coine (L, Pa), la cité de Licoine (D) ; 7, de la s’en ala en Cilice (B, D, L, Pa) ; 8, en Itaille / Ytaille (B, D, L, Pa) ; 11, Arsani / Arzani (B, D, L, Pa). 22/ 1, qu’il li orent envoié (B, D, L) ; 13, par le regne de Scire (B, L) / de Syrie (Pa) ; 17, murs crenelés (B, D, L, Pa) ; 26, viels / vieills et juenes tout / tot erraument si c’onques (B, D, L) ; 29, si fist les nés sur quoi il estoit fait traire pres des murs (L) ; 33-34, qu’il feroient qu’il n’avoient mie assés (B, D), qu’il feroient, car il n’avoient mie assés (L) ; 35-36, por ceste paor furent les pluisors de la cité si esbaÿés qu’il (L), si esbahis et ne mie tous que il (Pa) ; 37, lor murs traués (B, D, L), li murs traué (Pa) ; 38, a pic d’acier (B, Pa) , a pic d’acier et a martels (L). 23/ 3, une letres plaines / pleines d’orgueull / orgueill et de menaces qui disoient (B, D, L, Pa) ; 5-7, mes bien seüst certainement qu’il li seroit e l’encontre

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o ses grans esfors qu’il li mostreroit ains qu’il entrast el regne de Perce (B, D, L), mais seüst il bien certainement qu’il li seroit a l’encontre o ses grans esfors et si li mostreroit sa folie ains qu’il fust el regne de Perce (Pa) ; 20, a Gordion (L) ; 24, ja si ne si sauroit deffendre (B, D), ja ne si sauroit deffendre (L), ne ja si ne se sauroit deffendre (Pa). 24/ 2, montaigne del Tor qu’il trespassa (B, D, L, Pa) ; 4, por la grant chalor (B, D, L), chalour (Pa), la grant lasseté qu’il avoit eue en une molt tres froide eue / aigue que cil de la contree Adnon apeloient (B, D, L, Pa) ; 8-9, le roy Daire le siut (B, D, L) ; 17, de la terre d’Acaÿe / Acaïe (B, D, L) ; 17, .c. et . lx. mile homes (B, D, L) ; 30-32, et sa gent mise a la voie sans recovrer et le roy Daires si se mist ausi a la fuie c’onques ne repaira / repera vers les tentes por garder ses / ces avoirs (B, D), et sa gent mise a la voie sans recovrer et il aussi se mist a la fuie c’onques ne repaira vers les tentes por regarder ses avoirs (L), et sa gent mise a la voie sans recovrer. A la fuite se mist li roi Daires aussi c’onques ne repaira vers les tentes por guarder ses avoirs (Pa). 25/ rubrique : gaaing (B), gain (D) ; coment le roi Alixandre repaira as tentes le roi Daires ou il trova grant richeces (L) ; coment li rois Alixandres repaira aprés la desconfiture as loges por les gens qu’il trova (Pa) ; 7-9, de ceste victoire fu molt eslevés le nom Alixandre en grant cremance vers tuit cil qui en avoient oÿes les noveles (L) (une variante significative pour le sens) ; 12, humblement (B, D, L, Pa) ; 26, 1-5, Quant les messages de Perce orent ces parolles entendues et il les orent au roi Daires dites et racontees, il en ot molt grant ire et lors se porpensa qu’il se combatroient encores au roi Alixandre por savoir et esprover se ja consentiroit Fortune qu’il en peüst prendre venjance et que il en peüst esclarzir son cuer et son corage de la honte qu’il li avoit faite : en fin du § 25 dans L. 26/ rubrique : Coment le roy Daire se porquist aÿes por combatre au roy Alixandres (B, D, L) / Que li rois Alixandres prist Rodes et autres assés entant que Daires queroit aÿes (Pa, erreur du copiste qui reproduit ici la rubrique du § 27) ; 5, esclarzir son cuer (B, D, L, Pa) ; 6, ne se tarza (B, D, L, Pa). 27/ absence de cette rubrique et de ce paragraphe dans L (réunion des § 26 et 27) ; 13, devant l’ymage faisoit (B, D, L, Pa) ; 15, ne deïst que ce qu’il li demandast (B, D, L, Pa) ; 28, 1-8, ensi fu la parole prise et devisee entre le roy Alixandre et l’evesque del temple qui bien aempli et fist tout son comandement et quant le roy se departi del temple, il estora et fist la cité d’Alixandre en Egypte qu’il

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enrichi molt et peupla de gent et d’or et d’argent qu’il fist assembler et trere et lors li vindrent noveles que Daires le roy persant avoit mis ensemble .iiii. c. mile homes a pié et .iiii. mile tous forz et aidables et portant armes et . c. mile chevaliers prous et hardis por a lui combatre et si se treoient ja vers Trace / Tarse por estre contre lui quant il istroit d’Egypte : en fin du § 27 dans B, D, en fin des § 26 et 27 réunis dans L. 28/ 10, si erra tant (B, D, L, Pa) ; 10, le roy Daires o sa grant herbergerie jouste le flum de Graniton (B), le flum d’Egypte (D, L, Pa) ; 13-14, sans point d’esparaignance (B, D, L, Pa) ; 20-21, n’onques le roy ne guerpi estrier ni ne se mut por le ruiste cop (B, D, L) / ne onques li rois ne guerpi estriers ne arssons ne ne se mut des arsons por le ruiste cop (Pa) ; 26-27, la nuit jurent (B, D, L, Pa) ; 34, que ce fucent conrois ordenés (B, D), que ce fucent conrois esmeüs et ordenés (L), que ce fucent gent ordené en conrois (Pa) ; 35-36, tantost come les Persans aparsurent (B, D, L), parsurent (Pa). 29/ rubrique : Coment le roy / roi Alixandre ala veoir le roy Daires (B, D, L) ; Parfages (B, D, L, Pa) ; 18, tout apresseis / apreseis del eue (B, D), tot apreissiés del aigue (L), tous apesseis del aigue (Pa). 30/ 9-10, dist qu’il se combatissent / combaticent vigorousement car s’il / c’il pooit les Macedoniens (B, D, L), dist qu’il vigoreusement se combatiscent quar c’il i pooit les Macedoniyens (Pa) ; 14-15, en nule bataille devant tant de sanc (B, L). 31/ Un folio manque dans L après  : rendroit tot le tresor de Perce et le (17-18). 32/ 9-10, dont tant en y ot que on les pooit esgarder a fines merveilles (B, D, Pa) ; 13, Persepolin (B, D, Pa) ; 18, por sivre le roy Daire (B, D), por sievre le roi Daires (Pa) ; 21, en prison / prisson en bues d’or (B, D, Pa). 33/ rubrique : Coment le roy / roi Alixandre plora por l’amor le roy Daire de Perce (B, D) ; 3, Daires aparsut et sot que (B, D, Pa) ; 5, tantost li issi la vie dou corps (Pa) ; 7, ensevelir et apareillier si come roy a la costume (B, D, Pa). 34/ 2-3, qu’il li sauveroient et paieroient chascun an (B, D, Pa) ; à la fin du paragraphe, enluminure aussi dans B, D, Pa : Alexandre agenouillé devant Jaddus.

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35/ 14, assés paorousement / paorosement (B, D, L, Pa) ; 20, il s’aparut a moi en tel semblance et en tel forme en avision la ou je dormoie come cest evesques est ores devant moi (B, D), il s’aparut a moi en avision / en l’avission la ou je dormoie en tel semblance et en tel forme com cest evesques est ores devant moi (L, Pa) ; 22, il me dist plus grant verité que nos diex / dex n’aient mainte / meinte fois / foiz fet / faite (B, D, L, Pa) ; 24-25, je ne vi mes nule / nulle (B, D, L, Pa). 36/ 1, Seignors, or poés oÿr (B, D, L, Pa) ; 7, en l’eve dou saint baptesme / batesme (B, D, L, Pa). 37/ pas de rubrique dans B, D, L : réunion des § 36 et 37 ; 4, mes sertes / certes petit le font cil qui le deveroient (B, D, L) ; 6-7, il ne font mie tant cil qui l’encontrent qui / qu’il lor cuers y humilient (B, D), qu’il y humelient leur cuers (L) ; 8, trespassent ausi outre come c’il ne lor en chausist (B, D, L) ; 9-10, conoistre l’umité (D) ; 11-12, chastie soi meïsmes (B, D, L) ; dans B, D, L et Pa, les deux vers finaux ne sont détachés typographiquement de la prose sur deux lignes comme dans BnF fr. 20125. 38/ 15, Zophirion (B), Zofirion (L). 39/ À la fin du § 39 dans D et Pa, comme dans BnF fr. 20125, une enluminure représente la roue de Fortune. Dans L, le contenu de ce § est intégré au § 38 (La rubrique Que par tot le monde avoit adonques estors et mortalités et batailles n’existe donc pas). 40/ Avant la rubrique du § 40, une enluminure dans L représente Alexandre et les Amazones qui se soumettent à lui ; 7-8, se combati il as Yrcaniiens et as Mediens (B), se combati il as Yrcaniyens et as Mediyens (D, L, Pa) ; 20, destruire et plasner (Pa) ; 21-23, s’en ala as Dranceiyens et as Evergeteiyens et as Parmeneyens et as Arpeyens et a tous les peuples qui abitoient et manoient es piés de la montaigne de Caucasis (B), s’en ala as Dranceiyens et as Evergeteiyens et as Parimeiyens et as Arpeiyens et a toz les peuples qui abitoient et manoient es piés de la montaigne de Caucasis (D), s’en ala as Dranceyns et as Evergetiyens et as Parmeniyens et as Arpeiyens et as tos les peuples qui abitoient et manoient es piés de la montaigne de Causasis (L), s’en ala as Dranceniyens et as Arpeiyens et a tous les pueples qui habitoient et manoient es piés de la montaigne de Caucasi (Pa) ; 25, il les venqui trestous a la parfin (B, D, Pa), a la fin les venqui tos (L).

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41/ 1, Segnors, les plusors (B, D, L, Pa) ; 2, Orosius (B, D), Orisius (L) ; 8-9, dont l’un fu Pausonias et l’autre Eurilichus et le tiers Athalus qui fu peres Euminidus (B), dont li uns fu Pausonias et l’autre Eurileus et le tiers Athalus le pere Euminidus (L) ; 10, au mangier Cliton (B, D, L, Pa) ; 12, qu’il ensanglenta (B, D, L, Pa) ; trois phrases du § 42 sont placées en fin du § 41 dans L : Et si avoit un maistre philosophe, Callistenem estoit només, qui avoit esté ses compains en escolle sous Aristote son maistre. Celui fist il ocirre et pluisors princes avec lui, por ce qu’il ne l’aoroient si com il faisoient Deu, si laissacent ester la costume dou saluer que il li faisoient. De totes ces malaventures que vos oés et entendés estoit plains le roi Alixandre de Macedoine et encores de molt autres dont grans annui seroit dou retraire. 42/ 3, Corasmos et Dahas (B, D, L, Pa) ; 5, un maistres / mestre philosofes / philosphes, Calistenem estoit (B, D), un philosophe, Calistenem estoit (Pa) ; 6-7, sous / souz Aristote son maistre / mestre (B, D, Pa) ; 12, la roÿne Cleophilis (B, Pa), le regne Cleophile (L) ; 25, .xvi. mile chars (B, D, L, Pa) ; après le § 42, une enluminure dans B, D, Pa représente une scène de combat (dans B et D combats contre les éléphants et leurs tours où se tiennent des archers perses) ; dans L, l’enluminure occupe, au milieu du § 42, la largeur des deux colonnes. 43/ 1-2, entendre et de gens et de bestes qui braoient et muoient de plusors manieres (B), entendre et des qui braoient et muoient de pluisors manieres (D), entendre et de genz et de bestes de pluisors manieres (L), entendre et des bestes qui bruoient et muoient de pluissors manieres (Pa) ; 5, sans nule esparaignance (B, D, L), sans nule espargnance manque dans Pa ; 7, qu’il lor lansoient (B, D, L, Pa) ; 8, as seetes quanqu’il pooient (B, D, L, Pa) ; 7-8, li Macedonois quanqu’il pooient as ars et a seettes encontre (Pa) ; 10, Alixandres meïsmes chassa (B, D, L). 44/ rubrique : Coment Porus et Alixandre se combatirent corz a corz (L) ; 1, donees et otroiees (B, D, L, Pa). 45/ pas de rubrique ni de nouveau paragraphe dans L ; 1, le jor de la bataille fu assis (B, D, L, Pa) ; 1-2, en la praee qui estoit devisee (Pa) ; 6, le roy Alixandre se tint si qu’il del destrier ne cheÿ / chaÿ mie (B, D, L, Pa) ; 7, joste l’orle del escu (B, D, L, Pa) ; 8, plus de demi pié en l’aingre (Pa) ; 12, l’autre Bucifalem (B, D, L) ; dans B, D, L, le § 46 commence après merveilles qui i sunt dusques au grant occean qui tout le monde avirone, avec la rubrique : Coment le roy Porus mena le roy / roi Alixandre veoir ses / ces riches tresors ; les baces /

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basses et les / li chapitel (B, D, L, Pa) ; 23-24, une vigne d’or et d’argent fete que entre les colombes aloient et sailloient les branches (B, D), une vigne d’or et d’argent dont les branches aloient et sailloient d’une colone a l’autre (L) ; 25, roisins / raissinz es grapes (B, D, Pa) ; 27, venu et creü par droite norreture /noreture (B, D, L), venu par droite norreture (Pa). 46/ 5-6, de marguerites / margerites et d’escharbocles / escharboucles (B, D, L, Pa) ; 7, les creneaus / crenels de cyprés (B, D, L, Pa) ; 8, tenoient a lintiers (B, D, L) ; dans B, D, L, le § 47 commence après : nule / nulle riens defaillance, avec la rubrique : Coment Alixandre entra es desers d’Ynde ; 32, grant pesanture (B, D, L) ; 30-32, car il avoient tant de platines d’or et lor armeüres et les riches preciouses, dont l’ost estoit cler et resplendisant, que molt durement lor faisoit grant pesanture (L). 47/ dans B, D, L, le paragraphe 46 se termine par si qu’il n’i averoit ja de nule riens defaillance / si que ja n’avroient /avroit de nulle riens defaillance et le paragraphe 47 commence par adonques si come li pluisors content et dient ; de la serpentaille et de la pesanture des riches armeüres (B, D, L, Pa) ; 2-3, lor corut sus (B, D, L Pa) ; 3-4, car il errerent le jor toute jor a la grant chalor desmesuree dou soulaill / souleill (B, D, L, Pa) ; 5-6, peüssent boivre ne leur grant soif rapaier (B, D, L, Pa). 48/ 4, sur la riviere de cel flum avoit roisiaus tout environ (B, D) ; 9-10, refroidissent et alegassent lor cuers de la grant soif qu’il avoient eüe et souferte (B), refroidacent et alejacent leur cors de la grant soif qu’il avoient eüe et souferte (D), refroidicent et alejassent lor cuers de la grant soif qu’il avoient eüe et souferte (L, Pa) ; 13, plus amere que ne fust suye (Pa) ; 21, chars que chevaus / chevals treoient (B, D, L), chars que chevaus traioient (Pa) ; 26, sivoit le grant bestiaill (B, L), sivoit le grant bissiaus (D), sivoit li grans bisiaus (Pa). 49/ 6, poimeaus de leur espees et autres froides choses qu’il (B, D, L, Pa) ; 7, qui l’uile / l’uille essaioient / essaoient (B, D, L), qui l’uille essuioient (Pa) ; 11, et si grant souffraite / soufrete avoient et il nel pooit amender (B, D, L, Pa) ; 12, fist faire Alixandre crier son banc par tout / par tot / par toute l’ost (B, D, Pa) ; dans L : et en celle grant doulor ou il estoient adonques fist Alixandres son banc crier par tot que qui armés ne seroit adés par la grant desertine qu’il perdroit o vie ou menbre, ja ne l’en esparaigneroit hautece ne noblece est en début du § 50.

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50/ 5, ocis es dezers / desers leus (B, D, L, Pa) ; 15-16, se repostrent es abitacles (B, Pa), se repoustrent es abitacles (D, L) ; 20-21, et come plus y / i trest on et fist semblant d’eaus / iaus a force prendre, tant se / ce repostrent il plus et celerent (B, D, L) ; 26-27, une moult grief aventure et molt pesant (Pa) ; 32, les veoit devant lui trestous vis devorer (B, D, L, Pa) ; 34, por son ire rapaisier / rapesier fist il .c. et .l. des Yndiens (B, D, L) ; 36-37, qu’il l’avoient deceü et tant desvoié qu’il l’avoient amené (B, D, L), qu’il l’avoient deceü et tant desvoié quant il l’avoient amené (Pa). 51/ rubrique : Coment le roy Alixandre fu molt dolans / dolens des ypotamiens qui sa gent li orent tolue (B, D, L), Coment li Alixandre fu moult dolant des ypotamiens qui sa gent li orent tollue et destruite (Pa) ; 8, ainsi furent la nuit (L, Pa) ; 13-14, qui les conduisoient et qui savoient par les desertines les voies perillouses (B, D, L), qui les conduissoient par les desertines les voies perillouses (Pa). 52/ 7, refroidi, il furent si a aise (B, D), refroidi et resasié de lor soif, il furent si a aise (L), refroidié, il furent si aisse (Pa) ; 11, plaisans / plaissanz de fruis (B, D), plaisant de fruis (L), plenté de fruis (Pa) ; 19-20, oysiaus de merveillouse figure (B, D, L), oissiaus de mervoillouses figures (Pa). 53/ 8, serpens a longues coes agues ensemble (B) ; 9, cil de la contree escorpions (L) ; 9, cerastres (B, D, L, Pa) ; 13-14, a or semblables toutes resplendissans (B), a or semblables totes resplendissanz (D), a or semblables totes resplendisanz (L), a or semblans toutes resplendissans (Pa) ; 14, noise / noisse au subler (B, D, L), si grant noize au suffler (Pa). 54/ 3, ataichoient as glaives (B), atachoient as glaives (L, D, Pa) ; 9-11, serpens o crestes qui venim jetoient de leur bouches lor corurent sus des montaignes a qui il lor covint combatre plus d’une ore d’espace (B), serpenz crestés qui venim getoient de leur bouche lor corurent des montaignes a qui il lor covint combatre plus d’une orre d’espace (L, D), serpent crestees qui venin getoient de leur bouches lor acorurent des montaignes a cui il les covint combatre plus d’une ore d’espace (Pa) ; 14-15, il si firent (B, D, L, Pa) ; 16-17, serpens semblant a coquatrix (B), serpenz semblant a quocatrix /coquatris (L, D), serpens samblans a quoquastris (Pa). 55/ pas de rubrique ni de nouveau paragraphe dans L, qui réunit donc les § 54 et 55 ; rubrique, dantirant (B, D) ; 8, come sont coloms (L, D), come colump

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sont (Pa) ; 10-11, en quelconques menbres qu’eles ataignoient que eles les afoloient petit s’en failloit et ocioient (B, D, L, Pa) ; dans B et L, l’enluminure qui représente le dentirant est à la toute fin du § 55. L’enluminure occupe la largeur des deux colonnes dans L. Dans D, l’enluminure est après la rubrique du § 56 en haut du folio 176 r. 56/ 1, dantirant (B, D, L, Pa) ; dans Pa, le § 56 commence après a droiture, introduit par la rubrique :  Coment la gent le roi Alixandre envaÿrent celle cruouse beste et le occistrent, qui est elle-même précédée d’une enluminure représentant le dentirant ; 10, soris yndienes (B), soris indienes (L, D, Pa) ; 10, ausi grant come goupils (B), aussi granz come goupillz / s (L, D), aussi grandes estoient come goupil (Pa). 57/ 1-2, grant come voltors / voutors / votors (B, D, L, Pa) ; 4-5, toute / tote la riviere del estanc (B, D, L, Pa) ; 14, quois (B, D, L), cois (Pa). 58/ 2-3, que ja mes / ja mais ne se remuassent (B, Pa), que ja mes ne se remuacent (D, L) ; 6, ne le peüssent rompre ne deffaire / deffere (B, L, Pa), ne le peüst rompre ne deffere (D) ; 9-10, que cil dedens n’en issicent a quelque poine s’il voloient et cil qui dedens seroient le consenticent (B), que cil dedenz n’en issicent a quelque poine c’il voloient et cil qui dedenz seroient le consenticent (D), que cil dedenz n’en issicent a quelque poine cil vosicent et cil qui dedenz seroient le consenticent (L), que cil dedens n’en yssicent a quelque poine s’il vosicent et cil qui defors seroient le consentissent (Pa) ; 15, les montaignes se retrestrent arrieres (B), les montaignes se traistrent arrieres (Pa). 59/ 3, por ce ne crut il mie (B, D, L, Pa) ; 4-5, ains fu païen toz les jors (B, D, L) ; por Deu, seignors, esgardés (B, D, L, Pa) ; 5-6, crestiens, se nos feissiemes / feyssiemes ses /ces euvres et ses comandemens tenissiemes quant il (B, D, L, Pa) ; 10, si loyal / loial fussiemes come nos /noz deveriemes estre si come (B, D, L), si loial estiemes comes nous deveriens estre si come (Pa).  60/ rubrique : Coment le roy Porus se porpensa qu’il se combatroit au roy Alixandre (B, L), Coment le roy Porus se porpensa qu’il se combatereit au roy Alixandre (D) ; 1-2, en Batre (B) ; 12, si les achetassent (B), si les achetacent (D, L) ; 13-14, por savoir la covine de l’ost (B, D, L, Pa) ; 18-19, ceaus / ciaus a cui il demandoit ne li respondoient nule certe chose / nulle certaine chose / nulle certeinne chose de l’estat le roy / roi Alixandre ne de ses /ces euvres (B, D, L, Pa).

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61/ 5, qu’il s’eschaufoit (B, D, L, Pa) ; 10-11, sans nule /sanz nulle defaillance (B, D, L). 62/ 4-5, auner et ordener aussi come pour (Pa) ; 8, mais les Yndiens / Indiyens ne les Bactriyens / Bactriens (B, L, Pa)  ; 11-12, lui rendirent pris au roy Alixandre por sa volenté faire (B, D), lui rendirent pris a la volenté faire dou roi Alixandre (L), et lui rendirent pris au roi Alixandre por faire sa volenté (Pa) ; 15-16, si grans que on les pooit esgarder a merveilles (B, D), que l’en les pooit esgarder a merveilles (L) ; 19-20, bonnes / bones et que la avant n’avoit onques esté (L, Pa) ; 20-21, assés pres de la grant mer de occean (Pa). 63/ 1-2, termine ne se meïssent / meïscent (B, D, L, Pa) ; 7, faites en la maniere d’eaus meïsmes (B), fetes en la maniere d’iaus meïsmes et en lor remenbrance (D), faites en la maniere et en la remembrance d’iaus meïsmes (L) ; 11, tantost come il vit et aparsut que eles estoient massices / massisces (B, Pa), come il ot veü et aperceü que elles estoient masises (L, D) ; 16, por ce qu’il ne se corressacent (B), por ce qu’il ne se coressacent (L, D) ; 19-20, jusquez a la grant mer de occean (Pa). 64/ rubrique : Coment Alixandres la endroit vost entrer en la mer d’occean por cerchier le monde (Pa) ; 1, por serchier / cercher et por nagier (B, D, L), por nagier et pour cerchier (Pa) ; 8, qui si vaillant et si poissant dex estoient (Pa) ; 8-9, que nul mortel home enpreïst / enpreÿst a faire (B, L), que nul mortel home entrepreïst a fere (D), que mortels homs entrepreïst a faire (Pa) ; 14, por ce qu’il ne voloit que nule chose esmerveillable ne digne de veoir li fust celee ne reposte (B, D, L, Pa) ; à la fin du § 64, une enluminure dans B, L, Pa représente la bête à deux têtes ; dans D, l’enluminure se trouve après la rubrique du § 65. 65/ 3, un palus grant et braious mais / mes auques estoit sechié (B, D, L, Pa) ; 6, ne cremoit nule arme esmolue (B, D, L), ne cremoit ne doutoit nulle armeüre, tant fust trenchant ni esmollue (Pa) ; 7-8, l’autre a coquatrix et amdui estoient (B), l’autre a quocatrix / quoquatrix et amdui estoient (L, D), l’autre samblant a coquatrix, abdui estoient (Pa) ; 11-12, as mails d’acier (B), as maills d’acier et de fer (D), as mailles d’assier (L), as maills de fer et d’acier (Pa) ; 18, plus ententif au logier (B, D, L, Pa) ; 19, alés a la busche (B, D, L), alé a la buche et a la pauture (Pa) ; 24, truies et les feïssent governer et ruire (B), truies et les feïscent gronner et ruire (D), truies et les feÿscent groignier et ruire (L), truies qu’il feïssent grouner et ruire (Pa) ; 25, lor costume qu’il ne doutassent plus

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le rulier des pors que de nule autre creature (B), lor costume qu’il doutoient plus le rolier des pors que nulle autre criature (D), lor costume qu’il doutoient plus le rolier des pors et des truies que de nulles autre criature ( L). 66/ rubrique : Coment les gens / genz de l’ost Alixandre envaïrent les olifans / olifanz dont tant y ot ocis que encores y / i pert la planté (B, D), coment la gent Alixandre envaÿrent et ocistrent molt des olifanz (L) ; 1-2, chevaliers de Thessaille (B, D, L, Pa) ; 4-6, meïsmement le roy / roi Alixandre et le roy / roi Porrus alerent aveuc o leur chevaleries por veoir les bestes dont les pluisors (B, D, L, Pa) ; 8, le tres grant fouc des olifans (B, D, L), les tres grans fous des olifans (Pa) ; 9-10, merveilleuse ruerie et si firent soner a une voiz / vois tous / toz les cors et les boisines / boissines de tout l’ost (B, D), merveillous ruire et si firent soner a une vois tos les corz et les boisines de tot l’ost (L), mervoillouse ruierie et si firent tous les cors et les boissines de toute l’ost soner a une vois (Pa) ; 11, il se mistrent a la voie (B, D, Pa) ; 12-13, les sivirent si vigorousement et envaïrent si durement qu’il en ocistrent et retindrent par les jarés qu’i / qu’il lor trenchoient (B, D, L), les sivirent si vigoreusement et envaÿrent si durement qu’il en occistrent et retindrent par les jarrés qu’il lor trenchoient (Pa); 23, la nuit lor fu quoie (B) ; 23-24, tout seürement jusques a la matinee (B, D, L) ; 29, ceaus apeloient li Indien Faunos en lor language : manque dans B, D, L, Pa ; 32-34, parlassent / parlacent c’il peüssent. Il ne les / nes atendirent mie, mais tantost se ferirent el parfont flum, si se repostrent si que onques / onc puis nul d’eaus / d’iaus ne s’aparut (B, D, L, Pa). 67/ 1, Cenofaliyens (B, D, L), Cenofalien (Pa)  ; 9, que l’ost se remeïst / remeÿst (B, D, L, Pa) ; 15, la tres plus bele plaigne et la plus ygual / yguel / igual qui fust (B, D, L, Pa) ; 17, ygaument / igaument / yguaument assises (B, D, L) ; 17, et atravé es loges : manque dans B, D, Pa ; 17, et lors qu’il furent tuit logié et atravé es loges : manque dans L ; 30-31, li avoient envoié / envoiee. Cil li respondirent que par l’ire (B, D, L), li avoient envoiee et il li respondirent que par l’ire (Pa) ; 31, n’estoit mie ceste chose avenue (B, D, L, Pa) ; 31-32, estoient les kalendres d’octovre, si en estoit semblant que le tens avoit remuance (B, L), estoient entrees les calendes d’octovre, si en estoit semblant que le tens avoit remuance (D), estoient entrees les calendes d’octobre, si en estoit samblant que li tens eüst remuance (Pa). 68/ 23, une tres grant pluie qui aprés lor vint si soudainement qu’il ne sorent coment ce pooit estre (B, D, L, Pa) ; 26, et aprés ce que la nege fu toute remise et la pluie toute alaschee (B, D) / tote relaschiee (L) ; 30-31, por ce que les

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loges ne eaus meïsmes ne espreïssent et ardissent (B), por ce que les loges et eaus meïsmes n’espreÿscent / n’espreïscent et ardicent (D, L), por ce que les loges et yaus meïsmes ne se espreïssent et ardicent (Pa) ; 40, les pestilences cesserent (B, D, L, Pa). 69/ 2, li coar / les coars estoient si espoenté/s (B, D, L, Pa) ; 5, y faisoit / fesoit si grant nuble et si obscure (B, L, Pa) ; 10-11, en une roche basse (B, L) ; 17-18, a diex qu’il otreoient a lui qui roys estoit de toute terre a repairer (B), as dex qu’il otroiacent a lui qui rois estoit de tote terre a repairier / reperier (D, L), as dex qu’il otroiassent a lui qui rois estoit de toute terre a repairier (Pa). 70/ 5, apareillier et les hernois a trover por repairer (B), appareillier et le hernois a troucer / trosser por repairier (L, D, Pa) ; 14-15, mais a tot. xl. mile homes i poroit il miaus aler se il voloit : manque dans L. 71/ 6-7, si tu veaus / veus aler jusques la ou nos te disons (B, L), si tu viaus aler jusques la ou noz te disson (D) ; 8, a toi en yndien / indien et en grezois lenguage (B, D, L) ; 10-11, il cuida qu’i le deüssent dessoivre (B), il cuida qu’il le vosicent dessoivre (D), il cuida qu’il le volsiscent descoivre (Pa) ; 13-14, tout deguerpi par grant veillece par leur fauce decevance sousduire (B), tuit decrepi par grant veillece me veulent par leur fauce decevance souduire (Pa), or me veulent dui tot decrepi par grant veillece par leur fausse decevance sousduire (D) ; 15-16, qu’il ne li faisoient entendre mensonge ne fauceté, ains poroit veoir, oÿr et entendre s’il / cil li plaisoit a brief termine qu’i / qu’il disoient verité sans nule mensonge (B, D, L, Pa). 72/ 7-8, le roy Alexandre a l’eslevee chevalerie de tout s’ost se mist (B, D), le roi Alixandre o l’eslehvé chevalerie de tot son ost se mist (L), li rois Alixandres a toute l’eslevee chivalerie de toute s’ost se mist (Pa). 73/ 8, piaus de tygres vairees de diverses colors (L) ; 17, que nule poiz remise (B, L, Pa), que nulle pois remise (D) ; 18, les oreilles pertuises (B), les oreilles pertuissiees (D), les oreilles pertuisies (L), les oreilles pertuisiees (Pa) ; 27, qui ilueques estoient meïssent (B), qui la estoient meÿscent / meïscent (L, D, Pa). 74/ 4-5, de la basse none / de basse none jusques a la vespree (B, D, L, Pa) ; 8-9, ces apeloient et nomoient les Indiens en lor lengage Ambronias (L).

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75/ rubrique  : Coment le roy Alixandre / li rois Alixandres demanda au prestre en quel lenguage les arbres li respondroient / responderoient (B, L, D) ; 4, dist qu’il ne laissast la nul encens ardoir (B, L), dist qu’il ne lessast la nul encens ardoir (D), dist que la ne laissoit a nul encens ardoir (Pa) ; 13-14, devers Occident d’autel semblance come le ray / rai dou soulaill et se feri (B, D, L, Pa) ; 14, se feri el somet des arbres (L). 76/ 2-3, n’eüst aucune seduction / ceduction reposte ou gens ou autre creature qui li feïssent / feÿscent grevance (B, D, L), n’eüst aucune seduction resposte ou autre creature qui li feïssent grevance (Pa) ; à la fin du § 76, une enluminure sur la largeur des deux colonnes dans L représente Alexandre et les arbres du Soleil et de la Lune ; dans D, l’enluminure est à la fin du § 76, sur une seule colonne. 77/ rubrique : Coment la vois de l’arbre dist au roy Alixandre que jamais n’entreroit en sa terre, dont il fu molt tristes en son corage (Pa) ; 4-6, il se merveilla trop forment et molt li enpesa et ennuia / anuia / annuia de ce qu’il (B, D, L) ; 18-19, qui a terre estoient cheües (B, D, Pa), qui a terre estoient estendues (L) ; 22, au chief d’un an et . viii. mois (B, L). 78/ 3, il le virent simple (Pa) ; 7, par geüner : manque dans L et D ; 9-10, il n’en avoit mie grant talent por ce que sa mort avoit oÿe deviser (Pa) ; 15, tantost come la premeraine trainne de la jornee pot estre aperseüe par eull (B), tantost come la premeraine traine de la jornee pot estre aparceüe par hueill (L, D), tantost come la premeraine trainnie de la jornee pot estre aparceüs par oill humain (Pa). 79/ 1-2, l’enclostreüre des sains arbres qui estoit faite de riche entailleüre des precious arbres (B), la closture des sains arbres qui estoit faite de riche entailleüre de precious arbres (L), la closture au sains arbres qui estoient fait de riche entailleüre de precious arbres (Pa) ; 3, il devoit mort ressevoir / recevoir (B, D, L) ; 9, au chief d’un an et .viii. mois (L). 80/ 10, qui tout le monde enclost et avirone (Pa) ; 14, meürs et getés par terre (B) ; 16-17, et quant il ont assemblé et cuilli ensi (B, D) ; 20-21, la le prenent les marcheans de Damiate et d’Alixandre (B, D, L). 81/ rubrique : Encores des merveilles d’Ynde / Inde et des poines que le roy Alixandre ot et sa chevalerie (B, D, Pa), Encores des merveilles d’Inde (L) ;

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7-8, ne fait avoltire (B, L, Pa) ; 8, De pain et de eue / aigue et de herbes vivoient tant soulement (B, L, Pa) ; 27-28, promis aucune tristece (B, Pa), prononsie aucune tristece (L) ; 33-34, nul, fait il, ne li peüst tant grever come je feroie qui bien le deveroie / devroie faire se je pooie, car il a ma terre (B, L), nuls, fait il, ne li porroit tant grever ne nuire come je porroie qui bien le doi faire se je peüsse, quar il m’a ma terre (Pa)  ; tout le  § 81 manque dans D (sauf sa rubrique). 82/ Le § 82 manque dans D ; rubrique : Coment Porus s’en / se parti mau du roy Alixandre (B, L), Coment la bataille fu tres bien devisee et ordenee entre les due rois, c’est le roi Alixandres et le roy Porus (Pa) ; 5-6, mais s’il se vosist envers lui combatre cors a cors ou gent a gent ne queïst mie longue atendance (B), mais c’il se vosist a lui combatre corz a corz ou gent a gent ne queÿst mie longue atendance (L), mais si se vosist a luy combatre corps a corps ou gent a gent ne queiist mie longue atendance (Pa) ; 8, corajous et forni de corz (L), corajous et fornis de corps (Pa) ; 9, ensi s’ahatirent de la bataille (B, L, Pa) ; à la fin du § 82, une enluminure représente le combat entre Alexandre et Porrus, sur la largeur de deux colonnes dans L et d’une colonne dans Pa. 83/ 3-4, que ja que que lor avenist, bien ne mau ensemble, ne se moveroient en nule maniere (B), que que que lor avenist bien ne mau ensemble ja ne se moveroient en nulle maniere (L), que ja quel que lor avenist, ne bien ne mau ensamble, ne se moveroient en nulle maniere (Pa) ; 18, un molt sage entailleor d’ymages (B, L), un molt sage tailleour d’ymages (Pa) ; 21, molt par avisa bien la semblance (B, L, Pa) ; 25-26, por qu’il eüst veü le quel que fust et puis aprés eüst veü l’autre (B, L), por qu’il eüst veü le quel que soit et puis aprés eüst veü l’autre (Pa) ; le § 83 manque presque entièrement dans D, à l’exception de l’ultime membre de la dernière phrase grant veneration por ce que elle mout amoit le roi en cui samblance ele estoit faite. 85/ 14, encores avés vos ocis (B) ; 16, vos guerdonerai / guerredonerai je toz les jors de ma vie (B, L), voz gueredonerais je toz les jors de ma vie (D) ; 18-19, s’umelia de tout / tot son pooir a sa volenté faire (B, D, L). 86/ 11-12, priveement de sa volenté le roy et sa seignorie et ele sot (B), parla assés priveement soul a soul au roi Alixandre et livra son regne a sa volonté et a sa seignorie et quant ele sot (L) ; 16-17, cruauté en tant qu’eles estoient sauves et de merveillouse nature (B, D).

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87/ 4, qui de lui avoit oÿe la grant renomee (B, D, L, Pa) ; 6, les Arestiyens et les Gangariiens (B), les Aresteniyens et les Gangariyens (D), les Arestiniens et les Gongariyens (L), les Arestiniyens et les Gangariyens (Pa)  ; 7, as Clofideiyens (B, D, L), as Aclofidiyens (Pa)  ; 10, que l’escripture appelle Agesmon (Pa) ; 11-12, les Gessoniyens et les Siboyens (B), les Gesoniyens et les Syboiyens (L), les Gessoniyens et les Siboiyens (D, Pa) ; 13, les Mandriyens et les Subagriyens (B, D, L), li Mandrien et li Subagriyen (Pa). 88/ 11, henemis / anemis qui se couchoient et atapissoient (B, D, L), qui se musoient et atapissoient (Pa). 89/ 7, assis sur la faloise (B, D, L), assis parsus la faleise (Pa) ; 12, que faire / fere se gisoit une nuit (B, D, L), que faire jut une nuit (Pa) ; 17, car ses gens ne redoutoient mais les seetes envenimees que cil de la vile lor treoient (B, L), car ces genz ne redoutoient mes les seetes envenimees que cil de la ville lor treoient (D), quar sa gent ne dotoient noient ne seettes envenimees que cil de la ville leur treoient ne nulle autre chose qu’il faire peüssent (Pa). 91/ 3, les gens barbarines (B, D, L, Pa) ; 9, ja fust ce chose qu’il (B, D, L, Pa). 92/ 7-8, ansois qu’il fust deviés assena il a ceaus / ciaus qui (B, D, L) ; 19-20, puis que le cors fu repost et ensevelis (B, D, L, Pa). 93/ La moralisation en vers manque dans B, D, L, Pa. 94/ 1, Seignors, tantost come / com le roy Alixandre fu trespassés de ceste vie et les cendres qui (B, D, L, Pa) ; 9, Et Ascanius (L) ; 10, En la grant Frige s’en ala (B, D, L, Pa) ; 11, Nearcus s’en ala en Panfile / Pamfile et en Lice / Lisce dont (B, D, L) ; 12, Menander ot Lice et Leones la menor Frige et Lisimacus ot Trace (B), Menender ot Cilice et Leones la menor Frige et Lisimacus ot Trace (L), Menander ot Lide et Leones la menor Frige et Lisimacus ot Trace et tote la terre les la marine (D), Menander ot Lide et Leones la menor Frige et Lysimacus ot Tarce (Pa) ; 14, en Capadoce et en Palfagoine / Palfagonie (B, D, L, Pa) ; 16-17, Seulucus le fiz Antiocus tint (B, D, L), Seulecus le fis Antiocus tint (Pa). 95/ La rubrique du § 95 est placée au milieu du paragraphe 95 dans Pa, après : Perdicas ot le terre le roi Alixandre, c’est de Macedoine la plus grant partie.

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1, ausi remestrent seignors (B, L, Pa) ; 3, Talixes ot la terre (B, D, L) ; 5-6, la cité de Colonie (B, L), Philoton li fis Agenorius ot la cité de Colonne (Pa) ; 9, Sibrucus ot les Aracosiyens et les Sedrosiens (B), Siburtus ot les Aracosiyens et les Sedrosiyens (L), Sibirtus ot les Aracosiyens, cest pueples est (Pa) ; 10-11, la seignorie sur les Dransoiyens et sur les Areiens et sur les Atrianiens (B), la seignorie sur les Drancoyens et sur les Arcyens et sur les Atrianiens (L), la seignorie sur les Dranceiyens et sur les Areiyens et sur les Atreaniyens (Pa) ; 12-13, Sicheus ot les Zocdianiens (B) ; 15-16, ot les Armeniyens et toute lor contree. Thepotemus ot les Persans et Pseustes cil de Babiloine. Arceus et Pelassor (B), ot les Armeniyent et tote leur contree. Thepotemus ot les Persans et Peustes cil de Babiloine. Archeus et Pelassor (L), ot les Armeniyens et toute leur contree. Theponemus ot les Persans et Peuste cil de Babiloine. Artous et Pelassor (Pa) ; 26, ce fu la cause premerainement de la naissance des grans batailles (B, D, L), ce fu la cause premeraine en la naissance des grans batailles (Pa)  ; 33, envoierent as Sicionienes et a cil d’Arges (B), envoierent as Scicionienes et a cil d’Arges (D), envoierent as Ciciomenes et a cil d’Arges (L), envoierent as Scisioniens et a cil de Cartage (Pa) ; 44-45, par ce se remistrent arieres li Athenien (Pa), par ce se retrerent arieres les Atheniens (D). 96/ 7-8, Perdicas ne s’esjoïst trop d’eaus (B, D), Perdicas s’esjoÿst ne eslieessast (L), ne s’esjoïst ni esleschast (Pa) ; 12-13, por ce que au quel cui onques il se tenissent /teniscent (B, D), por ce que auquel qui onques il se tenicent (L), por ce que au quel cui onques il se tenoient (Pa). 97/ 4, ceaus de la cité de Sirenence (B) ; 8, Neptholomus (B, D), Neptolomus (L, Pa) ; 25, fu ocis Polipersen (B, D, L, Pa). 98 / rubrique : Encores de ce mesmes (L) ; 4, Phiton et Illirus (B, D, L) ; 9-10, en un sien fort chastel a garant qu’il ne le douta mie qu’il deüst (B, D), si se mist a garant en un sien fort chastel qu’il ne douta mie qui deüst (L), en un si fort chastel a guarant qu’il ne douta mie qu’il deüst (Pa) ; 18, Eumenidus assegurés /asegurés (B, D, L) ; 18-19, encores fust l’ost des Macedoniens de la dousiegé (B), encores fust l’ost des Macedoniyens de la dessiegé (D), encores fust l’ost des Macedoniyens deslogiez (L), encores fust li ost des Macedoniens de la desseigiés (Pa) ; 22, només Agiraspidiens (B, L). 99/ rubrique : Coment Antigonus desconfi Euminidus (D, B), Coment les homes Euminidus le pristrent en traÿson et le rendirent a Antigonus (L) ; 3-4, La ot fier estor et mout fait d’armes ansois que li dus Euminidus fust desconfis

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(B, L) ; 7, quanque il avoient gaaigné / guaaignié en la compaignie (B, D, L, Pa). 100/ pas de rubrique ni de nouveau paragraphe dans L, qui réunit donc les § 99 et 100 ; 5-6, ne ja mar autrement en nulle maniere ne se gardacent (B, D, L), ne ja mar autrement en nulle maniere ne s’en engrevacent (Pa) ; 12, seignor / seignors, por ce (B, D, L, Pa) ; 17-18, la roÿne Eurides (B, D, L), la roÿne Euricles (Pa) ; 19, faisoit grans merveilles por Cassandrum (B, L), fesoit grant merveilles por Cassandrum (D). 101/ rubrique : Coment la roÿne Olimpias repaira en Macedoine et fu ocise (L) ; 1-2, li rois Eacida de Molostre (Pa) ; 3, se ne fust Polipercunta (B, L, Pa), se n’en fust Polipercunta (D) ; 15-16, cil de la terre Pidiram / Pydiram apeloient (B, L, Pa). 102/ pas de rubrique ni de nouveau paragraphe dans L, qui réunit donc les § 101 et 102 ; 5, tor de Phipolitamie (B, D, L, Pa). 103/ 7-8, cestui tint Macedoine vers Orient et tout le regne si come il s’estent vers Occident, le tiers fu Seleuchus Nicanor (B, D, L) ; 8, Seulichus Nicanor (Pa) ; 18, qu’il a force metroit fors d’Egypte Hercules (B, D, L). 104/ 9, departirent entre eaus / entriaus les prisons / prissons et les avoirs (B, L) ; 11, les Avenanciens (B, L), les Avenatiens (D, Pa). 105/ 8, que les Macedoniens / Macedoniyens ne l’esleüssent (B, D, Pa, L avec dans L absence de la finale t de esleüssent). 106/ 7-8, princes qui a lui marchissoient (B, D, L, Pa) ; 9-10, lors s’entrejurerent ensemble d’estre a une acordance (B, L, Pa), lors s’entrejurent ensemble d’estre a une acordance (D). 107/ 7, avoit tant esté essoignés / essoigniés a ses /ces voisins (B, D, L), avoit tant esté essoignous a ses voisins (Pa) ; 9-10, les Bactrisiens qu’il donta (B) ; 13-14, aprés grans batailles qu’il avoient faites. Et si comanderent si Seleucus et Androcotum que Seleucus s’en repairast (Pa) ; 15-16, rassembla sa grant gent quanque il en pot avoir (B, D, L, Pa) ; 19-20, come il onques porent et ce fu molt bien fait, car il orent mout d’aÿes et com fu plus grant lor puissance (B), come il onques porent et se fu molt, car il orrent molt d’aÿes et com fu plus

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grant lor puissance (D, L), come il onques porent et ce fu molt, quar il orent molt d’aÿes et com plus fu grant leur poissance (Pa). 108/ 3, Lisimacus se descorderent si malement (B, D, L, Pa). 109/ 8, quant il orent lor gens /genz cuillies (B, D, L), quant il orent leur gent cuillie (Pa). 110/ 9-10, enfoÿ dedens les maissieres / maisieres et desous les terraces / teraces des riches salles (B, D, L) ; 15, qu’il envaïst / envaÿst Lisimacus (B, D, L, Pa) ; 16, Seleucus les en crut bien (B, D, L, Pa) ; 23, se non por esgarder et veïr / veoir les grans dolors (B, D, L, Pa). 111/ 1, fu Lisimacus / Lisimacuz la fin de la bataille (B, D, L), fu Lisimacus a la fin de la bataille (Pa) ; 3, Seleucus Nicanor (B, Pa), Seleucus Nichanor (D), Seleuceus Nichanor (L) ; 15-22, Alixandre mortuosa et Alixandre la ou Porus fu ocis et Alixandre in Sithia et Alixandre jouste Babiloine et Alixandre as Mesageteiyenz et Alixandre en Egypte et Alixandre en Galam et Alixandre sur le flum Granitum ou Daires le roy de Perce fu vencus et Alixandre a Troadam qui molt fu riche et Alixandre sur le flum Tygridem et Alixandre en Scante – ceste fu la dousime – et en chascun mur de ces .xii. cités fist il faire par sa grant seignorie .xii. karactes grezoises telz come vos poés veoir ci maintenant a presence : ΠΒΓδ Н. (B) ; Alixandre mortuosa et Alixandre la ou Porus fu ocis et Alixandre en Scithia et Alixandre joste Babiloine et Alixandre as Messagetiyens et Alixandre en Egypte et Alixandre en Galam et Alixandre sur le flum Granitum ou Daires le roi de Perce fu vencuz et Alixandre a Troadam qui molt fu riche et Alixandre sor le flum Trigridem et Alixandre en Scante – ceste fu la douzime – et en chascun mur des ces . xii. cité, fist il fere par sa grant seignorie .xii. careptes grezoise, tels come voz poez veoir si maintenant a presence : ΠΒΓδ Н. (D) ; Alixandre mertuosa et Alixandre la ou Porus fu ocis et Alixandre in Sithia et Alixandre joste Babeloine et Alixandre as Megeetiyens et Alixandre en Egypte et Alixandre en Galam et Alixandre sur le flum Granitum ou Daires le roi de Perce fu vencus et Alixandre a Troadam qui molt fu riche et Alixandre sur le flum Trigridem et Alixandre en Esconee – ceste fu la douzeime, et en chascun mur de ces .xii. cités fist il faire par sa grant seignorie .v. careptes gresoizes telz come vos poés veoir ci a presence : ΠΒΤδ Н. (L) ; Alixandre mortuosa et Alixandre la ou Porus ocis et Alixandre in Scithia et Alixandre joste Babiloine et Alixandre as Messagitryens et Alixandre en Egypte et Alixandre en Galam et Alixandre sur le flum

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Granitum ou Daires li rois de Perce fu vencus et Alixandre a Troadam qui molt fu riche et Alixandre sur le flum Tigridem et Alixandre en Scante – ceste fu la douzime, et en chascun mur de ces .xii. cités fist il faire par sa grant seignorie .v. careptes gressoises tels come vos si poés veoir ci a presence : ΠΒΓδ Н. (Pa) ; 25, .iiii. mile et .viii. cens et .x. (B), .iiii. mile et .viiii. cenz et .x. (D), .iiii. mile et .vii. cens et .x. (L). 112/ rubrique : Ci fine l’estoire le roy Alixandre (B), si fine l’estoire le roi Alixandre (D), ci laist l’estoire a parler du bon roi Alixandre et de ses homes (Pa).

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Notes au texte de Wauchier de Denain - BnF fr. 20125 1a. Ce paragraphe constitue la transition entre la section sur l’Orient perse et la section sur les Macédoniens et Alexandre. Il introduit Nectanabus, roi d’Égypte, chassé de son royaume par Artaxersès III Ochos. Sur Nectanabus, voir la note du § 17. 1b. Cette généalogie des rois de Macédoine s’inspire très probablement de l’Interpretatio chronicae Eusebii Pamphili de Jérôme (Patrologie latine, 27, Hieronymi Opera, t. 8, col. 82-83 ; 341-467). Wauchier de Denain pouvait y trouver, dans le même ordre, la liste de tous les rois qu’il mentionne. Il transforme en Acropas le nom du roi Europus d’Eusèbe-Jérôme. Seul « manque » dans le manuscrit de Paris, BnF fr. 20125, le deuxième roi, Coenus, alors que Perdiccas Ier est dit le quatrième souverain de Macédoine, selon l’ordre d’Eusèbe-Jérôme. Nous avons corrigé à partir des manuscrits de contrôle, dont le texte évoque le deuxième roi Coenus sous le nom de Cynus ou Cyrus. Sur Arbacès, le général et gouverneur mède qui transfère l’empire de l’Assyrie à la Médie selon la théorie de la translatio imperii, et Procas Silvius, souverain mythique des Latins qui serait à l’origine de Rome, Orose a écrit au livre II, 2, 1-3 de ses Histoires : Chez les Assyriens, le premier roi qui put s’élever au-dessus des autres fut Ninus. Après le meurtre de Ninus, son épouse Sémiramis, reine de toute l’Asie, restaura la ville de Babylone et décida qu’elle serait la capitale du royaume assyrien. Le royaume des Assyriens se dressa longtemps avec une puissance inébranlée, mais quand Arbate, que d’autres appellent Arbace, préfet des Mèdes et lui-même d’origine mède, eut tué à Babylone son souverain Sardanapale, il transféra aux Mèdes le titre royal et le pouvoir suprême. Ainsi le royaume de Ninus et de Babylone fut détourné au profit des Mèdes cette année où, chez les Latins, commença à régner Procas, père d’Amulius et de Numitor et grand-père de Rhéa Silvia qui fut la mère de Romulus.

Orose trace un synchronisme entre la chute de Babylone et l’ « ensemencement » de la puissance romaine : « Donc Babylone fut déchue, sous le préfet Arbate, l’année où, sous le roi Procas, Rome fut à proprement parler ensemencée (III, 2, 9). » La naissance de la royauté macédonienne coïncide aussi, selon Wauchier de Denain, avec ce moment. Plus haut dans son histoire universelle, Wauchier de Denain a évoqué le transfert de l’empire d’Assyrie en Médie par Arbacès et annoncé juste après le début de la puissance macédonienne (Paris, BnF fr. 20125, fol. 178 r et v ; voir introduction, p. 25 ).

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2. Sur le règne de Philippe (jusqu’au § 16), Wauchier de Denain suit Orose (Histoires, III, 12-14). Les récits des guerres contre les Athéniens, les Illyriens, les Thessaliens, les Phocéens, puis à nouveau les Athéniens, les Thébains sont légèrement amplifiés. Au début du paragraphe 8, conformément à Orose, Wauchier évoque rapidement les méfaits attribués à la grand-mère d’Alexandre, Eurydice (Histoires, III, 12, 3). 3. Comme dans le texte d’Orose, Olympias est la sœur d’Arybas, roi des Molosses. Dans la réalité historique, Olympias était la fille du roi des Molosses Néoptolème et elle avait pour oncle Arybas (Orose, III, 12, 8, éd. cit., note 6, p. 153). Les Molosses étaient un peuple de l’Épire, région au sud-ouest de la Macédoine. Voir la note du paragraphe 109 sur l’évocation par Justin des origines de l’Épire. Le mariage de Philippe II et l’Olympias fut célébré en 357 av. J.-C. 4. Selon Orose et déjà Justin (VII, 6, 14), la cité que Philippe assiège s’appelle Mothone. C’est la ville macédonienne de Méthoné, située entre Pella, la capitale des souverains macédoniens, et Pydna. Le siège et la prise de Méthoné eurent lieu en 355 et 354 av. J.-C. 4. Ligne 5 , « si l’eüst prise a force » : après une principale négative, une nouvelle proposition juxtaposée et introduite par l’adverbe si équivaut à une proposition subordonnée temporelle avec le sens de « jusque » ou « avant que » (Ph. Ménard, Syntaxe de l’ancien français, op. cit., § 202). En général son verbe est à l’indicatif et non au subjonctif comme ici. Les autres manuscrits de contrôle présentent une subordonnée introduite par la conjonction « jusques » (B, D, L, Pa). 5. « Les montaignes ou cil de Perse furent desconfit si com vos avés oï ariere » sont les défilés des Thermopyles, où eurent lieu plusieurs batailles des Grecs contre les Perses pendant les guerres Médiques, notamment celle de Léonidas, roi de Sparte, contre Xersès (vers 480). Wauchier de Denain a relaté ces guerres dans la section précédente sur l’Orient perse. 6. Wauchier de Denain s’approprie le portrait à charge de Philippe par Orose (III, 12, 16-17), en ajoutant quelques précisions à son lecteur, notamment les noms des cités et des peuples. La mention de la Cappadoce, pays d’Asie Mineure, est néanmoins une erreur qui vient de Justin et que transmet Orose. Dans la réalité historique, c’est la Thrace que Philippe soumit en 354, 353 et 352 av. J.-C. (Orose, III, 12, 18, éd. cit., note 14, p. 155). Ses trois frères, qu’il

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assassine, sont Archélaos, Arrhidée et Amintas. La ville d’Orinthe qu’évoque Orose (cité de Chalcidique) devient Olympie (cité d’Élide) dans le texte français. La fin du paragraphe 6 amplifie le texte d’Orose en ajoutant aux fratricides les meurtres de puissants Macédoniens. 7. Le début du paragraphe offre une violente condamnation de l’orgueil et de la folie de Philippe qui n’apparaît pas à cet endroit dans le texte d’Orose. Voir la note du paragraphe 9. 8. Les « destrois des montaignes » sont toujours les défilés des Thermopyles, que Philippe franchit et fortifie (Orose, III, 12, 27). 8. Ligne 7, « que il les Thessaliens ne aidast mie » : nous comprenons le « que » au sens de « pourvu que ». 9. Wauchier de Denain abrège ici le texte d’Orose, qui contient une condamnation de Philippe plus développée et plus violente : Dès qu’il revient dans son royaume, à la manière des bergers qui mènent en cercle leurs troupeaux, tantôt dans les pâtures d’été, tantôt dans celles d’hiver, il déplace selon son bon plaisir les populations et les villes selon que des sites lui paraissaient devoir être occupés ou abandonnés. On observait partout un spectacle à faire pitié et la plus abominable espèce de malheur : endurer la destruction sans invasion, la captivité sans guerre, l’exil sans chef d’accusation, la domination sans vainqueur. Au milieu du tourment des injustices une chape d’épouvante oppresse les malheureux et la douleur s’accroît par sa dissimulation même, une douleur d’autant plus profondément enfouie qu’il convient moins à ceux qui craignent de l’avouer, de peur que les larmes elles-mêmes ne soient prises aussi pour de la rébellion. Philippe installe en face des territoires ennemis des peuples arrachés à leurs demeures ; il en établit d’autres aux confins extrêmes du royaume ; par jalousie pour leurs forces, il divise certains peuples et les répartit en complément dans des villes exsangues afin qu’ils ne soient pas capables de ce dont ils étaient crus capables. Ainsi, la liberté ayant d’abord été étouffée, il mutile ce corps si plein de gloire de la Grèce, jadis florissante, en moignons nombreux et déchiquetés (Orose, III, 12, 29-33).

Wauchier de Denain reformule néanmoins en partie cette diatribe au paragraphe 10, mais sur un ton moins exalté. 10. Wauchier de Denain reprend à Orose, qui lui-même la reprend à Justin, la légende de la fondation de Byzance par le roi des Spartiates Pausanias (Orose,

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III, 13, 2). Il ajoute la référence à Hélène, mère de Constantin. Le siège de Byzance par Philippe en 340 et 339 avant J.-C. se solda par un échec. 11. La campagne contre les Scythes a lieu en 339 avant J.-C. Comme chez Orose, elle est justifiée par la déloyauté du roi Atéas, qui, après avoir profité de l’aide militaire de Philippe, rompt tous ses engagements. 13. Wauchier de Denain écrit un récit de la guerre contre les Scythes sensiblement plus long que celui d’Orose. Est-ce parce que c’est une guerre qu’il a présentée comme légitime et qu’il essaie ainsi de nuancer le portrait à charge de Philippe par Orose ? 14. Le texte français amplifie aussi le récit de l’ultime guerre de Philippe contre les Athéniens, qui correspond à la bataille de Chéronée en 338 avant J.-C. : le roi macédonien y soumet les cités grecques. 15. Wauchier de Denain reprend à Orose l’évocation des exactions commises par Philippe. Il ne traduit pas en revanche le passage où Orose décrit la politique « machiavélique » de Philippe, qui, pour mieux assurer son pouvoir sur les cités grecques, y fait revenir tous ceux qui avaient été exilés par leurs concitoyens et les établit juges et gouverneurs (Orose, III, 14, 1-2). Historiquement Philippe décida l’expédition contre la Perse en 337 avant J.-C. Alexandre, dit Alexandre le Molosse, frère d’Olympias et oncle maternel d’Alexandre le Grand, reçoit l’Épire de Philippe en 342 avant J.-C., lorsqu’Arybas est chassé. Philippe le marie en 336 av. J.-C. à sa fille Cléopâtre, sœur d’Alexandre le Grand (Cléopâtre épouse donc son oncle maternel). Alexandre, roi d’Épire, combat ensuite en Italie et est tué en Lucanie en 331 av. J.-C. (Orose, III, 11, 1). Orose évoque plus loin ses combats (III, 18, 1) et précise qu’il voulait rivaliser avec Alexandre le Grand en Occident. D’où tire Wauchier de Denain ses ajouts sur la « vilaine amor » et que désigne-t-il ? Serait-ce une allusion à une liaison homosexuelle ? Justin, très bref sur le mariage d’Alexandre d’Épire et de Cléopâtre, ne dit rien sur la relation passée de Philippe et d’Alexandre d’Épire (IX, 6, 1). Orose affirme que « Philippe l’avait établi roi d’Épire pour prix de la violence perpétrée contre lui (III, 14, 4) ». Le remaniement italien du codex 2576 (§ 5) et aussi l’imprimé d’Antoine Vérard de 1491 (§ 6) précisent l’allusion en invoquant le « péché » qui a provoqué la destruction des villes de Sodome et Gomorrhe.

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C’est lors de ce mariage entre Alexandre d’Épire et Cléopâtre, en 336 av. J.-C., que Philippe II est assassiné. Wauchier de Denain écrit ici, en suivant Orose, son premier récit de la mort d’Alexandre. Un deuxième récit, différent car inspiré de l’Epitomé de Julius Valère, se lit au § 20. L’auteur français ajoute que Pausanias, le meurtrier de Philippe, serait de la lignée d’Oreste, s’inspirant sans doute de Pierre le Mangeur (Historia scolastica, Patrologie latine, 198, Liber Esther, ch. IV, col. 1496). Mais, comme l’historien latin, il reste muet sur les motivations de Pausanias. Orose a en effet supprimé l’explication que Justin donne du meurtre de Philippe : Pausanias, victime d’un viol collectif, crime perpétré par Attale et tous ses compagnons lors d’un banquet, avait demandé justice à Philippe, qui s’était moqué de lui et avait élevé Attale au rang de général (IX, 6, 3-8). Justin évoquait aussi les soupçons qui pesaient sur Olympias et même son fils Alexandre : refusant sa répudiation, elle aurait pu, avec Alexandre, commanditer le meurtre de Philippe ; elle excitait contre son époux tant son frère que son fils. Selon Justin, après le meurtre de Philippe, l’affrontement se termine par la pendaison de la princesse Cléopâtre que Philippe avait préférée à Olympias et par l’égorgement de sa propre fille, prénommée elle aussi Cléopâtre (IX, 7). Orose a préféré supprimer ces conflits familiaux sanguinaires. Wauchier de Denain évoque la répudiation d’Olympias au § 20. 16. Wauchier de Denain substitue au commentaire d’Orose (III, 14, 8-10) son propre jugement de Philippe et l’avertissement qu’il lance aux puissants de ce monde. Alors qu’ensuite Orose revient aux guerres de Rome contre les Samnites (III, 15, 1-10), l’auteur français relate aussitôt après la naissance d’Alexandre. 17. Wauchier de Denain passe ici des sources historiques (Eusèbe de CésaréeJérôme, Orose) à un dérivé latin du Pseudo-Callisthène. L’évocation de « li pluisor » qui « cuidoient et cuident encore que cis Alixandres estoit fiz au roi Neptanabus d’Egypte » renvoie en effet au récit de l’Epitomé de Julius Valère, qu’il choisit d’abréger très fortement (Epitomé, éd. J. Zacher, Halle, 1867, I, 2-3). Tout en prenant ses distances par rapport à ce qu’il présente d’abord comme une rumeur, et non comme un témoignage écrit, il rapporte brièvement le récit de l’adultère d’Olympias avec Nectanabus. Lorsqu’il appelle ses lecteurs à se reporter « ariere » dans son livre, nous devons retourner au paragraphe qui précède immédiatement la généalogie des rois de Macédoine (§ 1a). Nectanabus a été le dernier pharaon d’Égypte indépendant, finalement contraint à l’exil par les Perses. Il se réfugie en Éthiopie (comme le dit le § 1a)

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et non en Macédoine. Très vite des légendes sur son destin sont nées en Égypte (B. E. Perry, « The Egyptian Legend of Nectanabus », Transactions and Proceedings of the American Philological Association, 97 (1966), p. 327-333). C’est le Roman d’Alexandre grec du Pseudo-Callisthène qui a assuré la plus large diffusion au récit fabuleux de ses amours avec Olympias, dont serait né Alexandre (voir C. Jouanno, Naissance et métamorphoses du Roman d’Alexandre. Domaine grec, «  Le roman et l’Égypte  », Paris, 2002, p. 57-125). 18. Ce paragraphe est un rapide condensé des chapitres 4 à 16 de l’Epitomé de Julius Valère sur la conception et la naissance d’Alexandre (historiquement en 356 av. J.-C.). Wauchier de Denain « censure » sa source et ses fictions, en occultant toutes les pratiques astrologiques et magiques de l’Égyptien Nectanabus, en écourtant les scènes amoureuses avec Olympias, ainsi que l’évocation de la naissance d’Alexandre et des doutes de Philippe. On constate aussi la suppression de la liste des maîtres donnés à Alexandre, que Wauchier de Denain ne cherche pas à célébrer comme un roi savant. L’auteur français conserve néanmoins l’assassinat de l’astrologue par Alexandre et le motive par une donnée absente de l’Epitomé, la volonté qu’a Alexandre de faire taire les rumeurs sur l’adultère de sa mère et sa propre bâtardise : c’est un emprunt vraisemblable au Roman d’Alexandre d’Alexandre de Paris, bien que l’auteur du xiie siècle ait refusé de reprendre à son compte la légende de la filiation entre Alexandre et Nectanabus (br. I, l. 16, v. 364-368). Plus loin, Wauchier de Denain relate la découverte par Alexandre de la statue de Nectanabus en Égypte (Epitomé, II, 34). 19. Pour la soumission de Bucéphale, Wauchier de Denain a supprimé toute l’onomastique antique, ainsi que la référence à Pégase de l’Epitomé (I, 13, 15-17). 19. Lignes 6-7, « oï li rois Phelippes a ses deus respons et prist que » : « Prist » a le sens de « aprist ». Les manuscrits B, D et L attestent « prist », mais dans des leçons un peu différentes : « prist le roy / roi Phelipe et ot a ses diex / dex respons que qui onques […] (B, D), « et ot le roi Phelippe pris respons a ses dex » (L). 20. Wauchier de Denain abrège à nouveau drastiquement l’Epitomé pour l’affrontement avec Nicolas, un personnage de fiction déjà présent dans le PseudoCallisthène : il supprime toute référence aux jeux du quadrige et à la joute verbale entre les deux opposants, conservée dans l’Epitomé (I, 18). Dans

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l’unique phrase du récit français sur cet épisode (« en aprés ce se combati il au roi Nicholas cui il venqui en bataille si com vos avés oï pluisors fois conter et dire »), l’absence d’une narration circonstanciée est justifiée par l’abondance des récits antérieurs. En effet, l’auteur de l’Alexandre décasyllabique, puis Alexandre de Paris ont choisi de très longuement amplifier cet épisode. Voir à ce sujet C. Gaullier-Bougassas, Les Romans d’Alexandre. Aux frontières de l’épique et du romanesque, Paris, 1998, p. 287-288. Sans se soucier de concilier ses deux sources principales, les Histoires d’Orose et l’Epitomé, Wauchier de Denain suit ensuite l’Epitomé (I, 20-22, 24) pour écrire son second récit de la mort de Philippe. Il a déjà relaté son assassinat, en s’inspirant d’Orose, au paragraphe 15. Dans cette seconde narration, les motivations prêtées à Pausanias, le meurtrier d’Alexandre, ont changé, elles sont reliées à la répudiation d’Olympias par Philippe et à son remariage avec Cléopâtre (alors qu’au § 15 selon Orose, Alexandre mariait sa fille Cléopâtre) : c’est maintenant l’amour que Pausanias porte à Olympias qui le pousse à tuer Philippe, après que ce dernier a répudié Olympias justement parce qu’il la soupçonne d’adultère avec le Macédonien. Wauchier de Denain ne traduit pas le récit de la scène d’affrontement, très violente, lors du remariage de Philippe. La première arrivée des messagers perses (Epitomé, I, 23), n’est pas non plus relatée. Selon les données historiques, Philippe a effectivement répudié Olympias pour épouser Cléopâtre, la nièce d’Attale, l’un de ses généraux, en 337 av. J.-C. 20. Lignes 8-9, « racorda sa mere la roïne Olimpias au roi Philippe que il avoit laissee por Cleopatra » : nous n’avons pas corrigé, mais, à cause de la séparation de la relative «  que il avoit laissee  » de son antécédent «  la roïne Olimpias », la syntaxe est moins claire que dans les manuscrits de contrôle (B, D, L, Pa : « au roy Phelipe qui l’avoit laissee / lessiee por Cleopatra »). 20. Ligne 10, « por ce Pausonias en navra le roi Phelippe a mort que […] » : exemple de tmèse, séparation de « por ce » et « que ». 21. Epitomé, I, 26, 29. Le récit de la soumission de Rome, très court, supprime la mention à Émile, qui remet la couronne à Alexandre. En revanche, en s’inspirant sans doute des concordances d’Eusèbe (Patrologie latine, 27, Hieronymi Opera, t. 8, col. 473-474) et en renvoyant plus haut à son récit sur Darius, Wauchier ajoute les références à Manlius Torquatus et à Darius. 22. Alors que Wauchier de Denain a jusqu’ici toujours abrégé l’Epitomé, il amplifie son récit du siège et de la prise de Tyr, sans doute l’un des exploits les plus célèbres d’Alexandre au Moyen Âge, car il évoquait directement les ba-

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tailles des croisés devant ladite cité. Alexandre de Paris surtout a très longuement relaté l’épisode en s’inspirant librement des Histoires de Quinte-Curce et aussi sans doute de récits de croisade. La référence au beffroi que fait construire le roi antique pour sauter sur les murs de la cité est un emprunt au Roman d’Alexandre d’Alexandre de Paris (br. II, l. 82-84). Sur (Sour) est le nom arabe de Tyr. Historiquement Alexandre a assiégé Tyr en 332 av. J.-C. 23. Le paragraphe 23 regroupe tout ce qui a trait à la première bataille contre Darius (Epitomé, I, 36-41). L’échange des lettres qui la précède n’est que rapidement mentionné et l’auteur français ne rappelle pas les cadeaux envoyés et leur symbolisme, que l’Epitomé avait pourtant conservés. L’ajout des nombres des combattants est un emprunt à Orose, comme il le revendique lui-même (Orose, III, 16, 3-5). La mention rapide de la prise de Gordion et l’assimilation de cette cité à Sardes viennent aussi d’Orose (III, 16, 5), sans que l’historien relate l’épisode du nœud gordien tranché par Alexandre. La première bataille historique avec Darius a lieu en 334 av. J.-C., soit avant le siège de Tyr, sur les bords du fleuve Granique, en Asie Mineure. Alexandre conquiert l’Asie Mineure et notamment la ville de Sardes. En 333 av. J.-C., il est à Gordion, où il tranche le nœud du joug du char du roi Gordios. Nous remarquons ici la confusion entre les deux cités de Sardes (en Lydie) et de Gordion (en Phrygie), déjà attestée chez Orose. 23. Ligne 3, « une letres plaines d’orguoll et de menaces que disoient », emploi de « que » complément à la place de « qui » sujet. 23. Ligne 5, « Mais il seüst bien », exemple d’un subjonctif de souhait avec l’expression du sujet « il ». 23. Lignes 23 et 24, « li rois Daires ravoit grans gens assamblees et grans richeces por lui envaïr et por sa gent ocire et prendre ja si ne se savroient defendre » : nous analysons cette phrase en supposant l’ellipse d’une proposition consécutive après la proposition négative introduite par ja (« ja si ne se savroient defendre) ; la proposition introduite par ja équivaut à une concessive (Ph. Ménard, Syntaxe de l’ancien français, op. cit., § 205) : « quelle que soit leur défense » (littéralement « ils ne sauroient pas tant se défendre qu’il ne les envahisse pas »). 24-25. En 333 av. J.-C., Alexandre conquiert la Cilicie et sa capitale, Tarse, après être passé par les Portes ciliciennes pour franchir les monts Taurus. Il tombe malade suite à un bain dans le fleuve Cydnos. Pour cette conquête de la Cilicie et le récit de la seconde bataille contre Orose, la bataille d’Issos en Cilicie (333 av. J.-C.), Wauchier de Denain retourne aux Histoires d’Orose (III,

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16, 5-10). Rien n’est en revanche repris des conflits d’Alexandre contre les Thébains et les Athéniens, dont le récit, dans l’Epitomé, venait arbitrairement interrompre celui des campagnes contre Darius (I, 46-47, II, 1-7). Orose évoque rapidement les affrontements contre les cités grecques (III, 16, 1-2). 25. La mention de l’orgueil d’Alexandre est ajoutée par Wauchier de Denain au texte d’Orose. 25. Lignes 6-8, « De ceste victorie fu mout eslevés li cuers Alixandre en grant orguell et en grant cremance envers toz ceaus qui en avoient oïes les paroles et les noveles. » Nous comprenons qu’Alexandre eut le cœur soulevé par l’orgueil et par la pensée de la crainte qu’il inspirait à ceux qui en avaient appris les nouvelles. La variante du ms. L supprime la mention de son orgueil : «  de ceste victoire fu molt eslevés le nom Alixandre en grant cremance vers tuit cil qui en avoient oÿes les noveles ». 26. Amplification par Wauchier de Denain de la dernière phrase d’Orose, III, 16, 10. 26. Ligne 4, « por esprover si ja consentroit Fortune », emploi de « si » à la place de la conjonction « se ». 27. L’épisode de la visite au temple d’Amon en Égypte, inspiré d’Orose (III, 16, 12-13), permet à Wauchier de Denain de renvoyer son lecteur à son bref récit de l’adultère d’Olympias avec Nectanabus (§ 17-18). La scène établit donc un lien entre les deux textes dont il s’inspire jusqu’ici, l’Epitomé et les Histoires d’Orose. Comme dans le récit d’Orose, nous ignorons le nom du père qu’Alexandre demande au prêtre de proclamer : Philippe ou Amon ? La visite d’Alexandre à l’oasis de Siwah, pour interroger l’oracle d’Amon (Orose, III, 16, 12-14), a eu lieu en 332 av. J.-C. 28-32. Pour la troisième campagne d’Alexandre contre Darius, la bataille de Gaugamèles en 331 av. J.-C., Wauchier de Denain unit le texte de l’Epitomé à celui des Histoires d’Orose, ce qui lui permet d’amplifier assez longuement le récit très bref d’Orose (III, 17, 1-5). Il multiplie ainsi le nombre de combats, qui selon lui durèrent plusieurs jours. Le terme « bataille » nous semble à comprendre au sens de « campagne militaire », et si Wauchier de Denain augmente le nombre des combats, il reste bien fidèle à celui des campagnes qu’il trouve chez Orose. L’entrelacement de ses sources, qu’il maîtrise assez bien, assure ici un triomphe des fictions héritées du dérivé du PseudoCallisthène. Dans son récit de la première bataille de cette troisième campagne (28), il reprend à l’Epitomé (II, 9 et 15) la scène autour du Perse qui revêt

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l’armement d’un Macédonien pour frapper Alexandre, puis le stratagème des branchages accrochés aux bêtes pour soulever de la poussière et effrayer les Perses. Puis, au paragraphe 29 et dans son récit de la visite d’Alexandre à Darius dans sa tente, il s’inspire de l’Epitomé, tout en l’abrégeant et en supprimant le vol de la coupe (Epitomé, II, 13). La deuxième grande bataille de cette troisième campagne est relatée au paragraphe 30 et se termine par la défaite de Darius au fleuve Granique (§ 31) : la référence au Granique révèle une confusion avec le premier affrontement contre Darius (§ 23). Le paragraphe réunit la demande d’aide que Darius adresse à Porrus (Epitomé, II, 19), la prise de Persépolis (Orose, III, 17, 5) et l’assassinat de Darius par les siens (Orose, III, 17, 6). 30. Lignes 5-6, « distrent que ja mar de ce fust en doutance », l’emploi de « mar » équivaut à un impératif négatif (Ph. Ménard, op. cit., § 315) au style direct : « ne doutez pas le moins du monde que nous nous préparions à obéir pleinement à votre volonté ». 32. Ligne 18, « suir », forme d’infinitif bien attestée en ancien français à côté de « suire », formée par interversion à partir de « siure / sivre ». 33. Aussi bien Orose, dans son bref récit (III, 17, 7, « inani misericordia », adapté en « misericorde vaine » par Wauchier de Denain) que l’Epitomé (II, 20-21) évoquent la pitié d’Alexandre pour Darius. Si l’auteur français s’inspire de l’Epitomé, en l’abrégeant, pour le châtiment des assassins, il ne lui reprend néanmoins ni le nom des deux meurtriers Besas et Ariobarzanes, ni la supplique de Darius à Alexandre. 33. Ligne 2. L’emploi du mot « serfs » pour désigner les meurtriers de Darius est peut-être un écho au Roman d’Alexandre d’Alexandre de Paris (br. III, laisses 8-15). À la rubrique du § 92, nous retrouverons le terme « serfs » pour désigner les traîtres qui ont empoisonné Alexandre. Voir la note du § 92. 34-38. Le long récit de la visite d’Alexandre à Jérusalem est absent aussi bien de l’Epitomé que des Histoires d’Orose. Wauchier de Denain travaille ici sans nul doute à partir de l’Historia scolastica de Pierre le Mangeur (Patrologie latine, 198, Liber Esther, ch. IV, col. 1495-1497), tout en y ajoutant ses commentaires de moralisateur. La légende de cette visite du roi macédonien à Jérusalem et de sa générosité à l’égard des juifs remonte à Flavius Josèphe et à ses Antiquités juives (XI, ch. VIII). Elle a été très largement diffusée au Moyen Âge, d’abord et avant tout à travers l’Historia scolastica. Wauchier de Denain occulte ici le songe que le dieu des juifs aurait envoyé à Alexandre pour lui annoncer sa conquête de la Perse, ainsi que la mention du livre et des prophé-

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ties de Daniel, qu’il lisait chez Pierre le Mangeur : « Et ingressus est urbem Alexander, et in templo sacrificavit Deo, secundum sacerdotis ostensionem, et attulerunt ei Danielem, in quo scriptum erat, quemdam Graecorum perditurum Persarum potentiam, et arbitrans de se scriptum esse gavisus est (col. 1497). » La mise à l’arrière-plan de la prédestination d’Alexandre à abattre la puissance perse s’accompagne de l’ajout d’un discours de sermonnaire sur l’humilité d’Alexandre (voir l’introduction, p. 37-38 ). 34. Lignes 2-3, « que il chascun an li soudroient et paieroient », relative disjointe de son antécédent « treüs ». 38. Wauchier de Denain tire d’Orose (III, 18, 1-4) les références aux guerres qui se déroulent au même moment que les campagnes d’Alexandre contre Darius : celles du roi de Sparte Agis III en Grèce, celle d’Alexandre d’Épire en Lucanie, celle de Zopyrion en Scythie. Il supprime néanmoins l’évocation de la mort d’Alexandre d’Épire, qui selon Orose « cherchait en Italie à obtenir le pouvoir sur l’Occident en rivalisant avec Alexandre le Grand ». 39. Ce paragraphe sur les pouvoirs et les méfaits de Fortune, la déesse du hasard, permet une transition avant un portrait plus à charge d’Alexandre et le rappel de ses meurtres. L’enluminure représente la déesse avec la roue. Alexandre, couronné et assis tout en haut, tient une pomme d’or dans ses deux mains. À droite, renversé et sans couronne, mais encore habillé, il tombe. En bas, il s’accroche toujours à la roue, largement dévêtu. À gauche, il remonte en ayant retrouvé une partie de ses vêtements. 40. Nouvelles conquêtes d’Alexandre, pour lesquelles Wauchier de Denain traduit très précisément Orose (III, 18, 5-7). Conformément au texte latin, l’évocation de la venue de la reine des Amazones et de son désir de concevoir un enfant avec Alexandre est très rapide. Aucune condamnation de la luxure d’Alexandre n’apparaît. Les auteurs français des romans en vers du xiie siècle avaient développé le récit de la rencontre d’Alexandre avec les Amazones, mais en écartant toute union sexuelle. 41-42. Wauchier de Denain est le premier auteur à relater en français quelquesuns des meurtres d’Alexandre, il en a bien conscience, comme l’indique le début polémique de ce paragraphe. Conformément à Orose (III, 18, 8-11), nous apprenons donc brièvement les principaux actes sanguinaires qui se succèdent à partir de 330 av. J.-C. En 330, c’est le procès de Philotas, chef de la cavalerie et fils de Parménion, après sa mise en accusation comme auteur d’un complot contre la vie d’Alexandre : le procès se termine par sa torture et sa

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lapidation. Alexandre tue son compagnon Cleitos /Kleitos, dit le Noir, au cours d’un banquet en 328-327 av. J.-C., parce qu’il lui avait reproché de s’attribuer toutes les victoires et d’oublier les succès de son père Philippe. En 327 av. J.-C., Callisthène, le neveu d’Aristote, s’oppose publiquement à l’adoption par Alexandre de la coutume de la proskynèse, de la prosternation, et le paie de sa vie. Justin offre un récit plus développé (XII, 5-7). 42. Ligne 7, « si laissassent ester la costume dou saluer que il li faisoient » : ce subjonctif imparfait nous semble marquer l’imminence contrecarrée (« et ils auraient abandonné […] », « et ils allaient abandonner […] »). 42-46. Pour le récit de l’affrontement d’Alexandre contre Porrus (selon les données historiques, Alexandre combattit le roi indien du Panjab, en 326 av. J.-C.), Wauchier de Denain mêle le récit d’Orose à celui de l’Epitomé et commence aussi à exploiter l’Epistola Alexandri ad Aristotelem, comme il l’indique lui-même (« si com li rois Alixandres meïsmes le tesmoigna par ses letres qu’il envoia a Aristocle son maistre »). Orose passe très rapidement sur le conflit avec Porrus (III, 18, 3-4). L’Epistola (8) fournit à Wauchier de Denain des informations sur l’armée du roi indien et l’Epitomé (III, 3-4) un récit du premier combat. La description du palais de Porrus et de sa vigne dionysiaque dérive de l’Epistola (9-10). Le désir qu’exprime Alexandre à Porrus de voir les merveilles de l’Inde peut rappeler le prologue de l’Epistola, certes non repris par Wauchier de Denain, mais aussi le Roman d’Alexandre d’Alexandre de Paris. À partir de l’entrée dans les déserts et jusqu’à l’ultime affrontement avec Porrus (§ 86), Wauchier de Denain suit l’Epistola, avec un ajout important, le récit de l’enfermement des tribus impies. Au fol. 235 r (§ 43), l’enluminure, de la largeur de deux colonnes, représente à droite les Macédoniens et à gauche les Indiens, qui, installés dans les tours que portent deux éléphants, leur décochent des flèches. 52. Le recueil des Proverbes au Vilain, écrit à la cour de Flandre entre 1174 et 1191, a été très diffusé au Moyen Âge (éd. E. Rattunde, Li Proverbe au Vilain, Untersuchungen zur romanischen Spruchdichtung des Mittelalters, Heidelberg, 1966 ; voir aussi E. Schulze-Busacker, « Au carrefour des genres : les Proverbes au Vilain », dans Tradition des proverbes et des exempla dans l’Occident médiéval, éd. H. O. Bizzarri et M. Rohde, Berlin, 2009, p. 81-104). À l’ouverture de son premier roman Érec et Énide, Chrétien de Troyes inscrit déjà la parole du Vilain : « Li Vilains dit an son respit / Que tel chose a l’an an despit / Qui molt valt mialz que l’an ne cuide (éd. M. Roques, Paris, 1990, v. 1-3).  »

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D. J. A. Ross (« The History of Macedon in the Histoire ancienne jusqu’à César », art. cit., p. 201) a noté que le proverbe que cite Wauchier de Denain en l’attribuant au Vilain, « Ne seit qu’est aise qui mesaises n’a sofertes », n’apparaît pas dans son recueil, mais qu’il est proche d’un autre proverbe, répertorié par J. Morawski, Proverbes français antérieurs au xve siècle (n° 1356, Paris, 1925), « Ne set que c’est biens que n’essaie qu’est maus ». 53-54. Les cérastes sont des vipères à corne, les cancres des crabes. Sur les «  mirabilia  » dans l’Epistola, voir A. Cizek, «  Ungeheur und magische Lebewesen in der Epistola Alexandri ad magistrum susum Aristotelem de situ Indiae », dans Third international Beast Epic, Fable and Fabliau Colloquium, éd. J. Goossens, Cologne, 1981, p. 78-94. 55. Le « dent tirant », « tyran denté (Odontotyrannus), paraît désigner le rhinocéros, qu’Élien (Histoire des animaux, XVI, 20) décrit, sans doute d’après Mégasthène, sous le nom local de Cartazônos (G. Bounoure et B. Serret, Le Roman d’Alexandre du Pseudo-Callisthène, Paris, 1992, note 19 à leur traduction de l’Epistola, p. 263)  ». Sur cette créature, voir aussi R. Goossen, qui voit en lui un monstre indien, roi des serpents («  L’odontotyrannos animal de l’Inde », Byzantion, 4 (1927-1928), p. 29-52). 57. Les niticoraces, qui représentent sans doute des oiseaux de nuit proches des hiboux, sont ici comparés à des autours, oiseaux de proie utilisés pour la chasse, alors que les manuscrits de contrôle B, D, L, Pa, les rapprochent des vautours. 57-59. Le récit de l’enfermement des tribus juives impies s’inspire de l’Historia scolastica de Pierre le Mangeur (Patrologie latine, 198, Liber Esther, ch. V, col. 1498, « De reclusione decem tribuum, et morte Alexandri »). Wauchier de Denain lui ajoute néanmoins des développements personnels, par lesquels il transforme la séquence en un petit sermon homilétique. Son commentaire se construit à partir d’une interrogation que Pierre le Mangeur prêtait à Flavius Josèphe : « Et, ut ait Josephus, Deus quid facturus est pro fidelibus suis, si tantum fecit pro infideli ? » Nous constatons à nouveau ici, après l’épisode de la visite à Jérusalem, combien Wauchier de Denain s’attache à concilier une célébration de l’humilité d’Alexandre envers le dieu des juifs avec un rappel de son polythéisme païen. C’est le mot « sarrasins » qu’il emploie, au sens de païen, bien attesté en ancien français, alors que les scribes des manuscrits de contrôle B, D, L, Pa, préfèrent « paien ».

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Comme dans le texte de Pierre le Mangeur, Alexandre enferme des tribus juives maudites par leur dieu, et non les peuples impurs Gog et Magog. Ces deux légendes, d’abord distinctes, ont vite été confondues au Moyen Âge (voir notamment A. R. Anderson, Alexander’s Gate, Gog et Magog and the Inclosed Nations, Cambridge, 1932). Les romanciers français du xiie siècle ont préféré confronter Alexandre à Gog et Magog (Alexandre de Paris, Roman d’Alexandre, br. III, laisses 124-128 ; Thomas de Kent, Roman d’Alexandre anglo-normand ou Roman de toute chevalerie, l. 387-410). Notons que Wauchier ne rappelle pas le péché commis par ces tribus, leur adoration des veaux d’or. Plus haut, dans la première section romaine, il avait annoncé l’exploit d’Alexandre en évoquant son rôle eschatologique (fol. 196 r et v) : Et en ces meïsmes jors fu nés Alisandres que nos apelons grant roi de Macedonie et en celui tans ausi desconfi Ochus, qui Artaxersés estoit sornomés, la terre d’Egypte. Et si fist les .x. lignees des juis par son commandement et par sa force aler et habiter outre les mons de Scapuyos et si lor commanda qu’il ne fussent ja si hardi que il en ississent et il si ne firent quar il i sunt enserré encore ore. Mais si com li pluisor dient, il en isseront encore. Et quant il en istront, il feront grant ocision de gens et grant destruccion (fol. 196 v).

Wauchier de Denain traduit par « monts de Sciapos » les « montes Caspios » de Pierre le Mangeur. Quant à la référence des montagnes de « Mongiu » du § 59, elle renvoie à l’univers des chansons de geste : « Montjoie » est en effet dès la Chanson de Roland le cri de ralliement de Charlemagne. Selon les recherches de A. Lombard-Jourdan, le mot prendrait son origine dans le toponyme « mundgawi » donné à un tumulus situé entre Paris et Saint-Denis (A. Lombard-Jourdan, « Montjoie et saint Denis ! » Le Centre de la Gaule aux origines de Paris et de Saint-Denis, Paris, 1989). 59. Lignes 9-12 : la mise en perspective avec les vies de saints est très intéressante, d’autant que Wauchier de Denain pourrait ici renvoyer à ses propres textes hagiographiques. Il tracerait ainsi une continuité entre son œuvre historiographique et son œuvre hagiographique, tout en rapprochant implicitement Alexandre des saints. 59. Lignes 5-6 et 9-10 : deux exemples d’emploi de si à la place de se comme conjonction de subordination servant à introduire des subordonnées circonstancielles de condition («  si nos ses ovres faisions », «  si nos si prodome et si loial estions »). 60-62. Bactres, la cité de Porrus, est la capitale de la Bactriane, contrée d’Asie centrale qui correspond au nord de l’Afghanistan actuel. Alors que Wauchier

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de Denain a déjà relaté plus haut l’affrontement entre Alexandre et Porrus en s’inspirant de l’Epitomé et d’Orose, il puise ici au récit du même duel selon l’Epistola (33-35), pour présenter ce qui devient dans le texte français une deuxième campagne contre le roi indien, précédée par la visite que lui rend Alexandre déguisé. Nous avions déjà constaté une amplification comparable des scènes guerrières contre Darius. La défaite de Porrus est à nouveau suivie par le pardon d’Alexandre et une avancée dans les déserts indiens, alors que selon le récit de Julius Valère et son Epitomé (III, 4) leur duel se termine par la mort du roi indien. 63. La tradition antique offrait deux groupes de bornes ou de colonnes d’Hercule, l’un à l’Extrême-Occident, correspondant au détroit de Gibraltar, et l’autre à l’Extrême-Orient. Comme dans l’Epistola (35), Hercule est associé à Liber, soit au dieu Dionysos. Ces limites orientales du monde fixées par les dieux renvoient aux légendes sur leurs voyages d’exploration (M. Cary et E. Warmington, Les Explorateurs de l’Antiquité, Paris, 1932). Selon la tradition historique, Alexandre lui-même aurait revendiqué Hercule et Dionysos comme ancêtres (Hercule appartenait d’ailleurs depuis longtemps à la généalogie mythique des rois de Macédoine) et comme modèles à imiter et à dépasser. Sur l’identification historique d’Alexandre à Dionysos et sa tentation dionysiaque, voir P. Goukowsky, Essais sur les origines du mythe d’Alexandre, t. 2, Alexandre et Dionysos, Nancy, 1981. 66. L’Epistola (38) mentionne très rapidement qu’Alexandre ordonne de prélever les défenses et les dents des éléphants. Wauchier prétend s’inspirer d’un autre témoignage pour affirmer qu’à son époque encore l’ivoire le plus beau que l’on travaille remonte à cette prise d’Alexandre : « encore dient li pluisor et content, mais je de verité ne le sai mie. » Nous n’avons pas identifié le texte qu’il aurait pu utiliser comme source à ce sujet. Les Faunos sont les Ichtyophages, les mangeurs de poisson (Epistola, 40). 67-68. Les Cenophaliens sont les Cynocéphales, ces hommes à tête de chien, qui appartiennent depuis l’Antiquité aux monstres de l’Orient. Sur cette tératologie orientale, les études sont nombreuses. Signalons R. Wittkower, L’Orient fabuleux, Paris, 1991 (Ière édition anglaise 1977), p. 10-100 ; J. B. Friedman, The Monstrous Races in Medieval Art and Thought, Cambridge, Massachusetts, et Londres, 1981 ; J. Baltrusaitis, Le Moyen Âge fantastique, Paris, 1981 ; C. Lecouteux, Les Monstres dans la littérature allemande du Moyen Âge. Contribution à l’étude du merveilleux médiéval, Göppingen, 1982, t. 1.

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Stupéfait devant les manifestations atmosphériques violentes qui bloquent la progression de l’armée, Alexandre interroge ses guides. Wauchier de Denain apporte à cette scène célèbre des transformations signifiantes. Selon l’Epistola, les Macédoniens expriment leur crainte de la colère des dieux, conscients qu’ils sont de la faute que constituent le dépassement des bornes d’Hercule et de Liber et la quête des secrets de la nature. Alexandre cherche à les rassurer en refusant leur interprétation surnaturelle des météores et en lui préférant une explication physique : Les soldats redoutaient que la colère des dieux ne nous accable, parce que j’avais entrepris, tout homme que j’étais, d’outrepasser les traces d’Hercule et de Liber. Alors j’exhorte les soldats en leur expliquant que ce n’était pas la colère des dieux, mais parce que c’était l’époque de l’équinoxe, que les tempêtes se déchaînaient au mois d’octobre et durant l’automne (41, trad. G. Bounoure et B. Serret, op. cit., voir note 56).

À supposer que Wauchier de Denain ait eu à sa disposition un manuscrit qui offrît le texte complet de l’Epistola, son récit montre qu’il cherche à épargner Alexandre. Le roi ne s’arroge plus le droit d’interpréter lui-même, il s’en remet à ses guides, qui préfèrent dans un premier temps l’explication rationnelle (67). Le paragraphe 68 montre aussitôt que c’est une erreur, mais à la différence de l’Epistola, Wauchier de Denain attribue cette méprise aux guides et non à Alexandre. Il amplifie alors l’évocation des cataclysmes en imaginant qu’Alexandre adresse à ses guides une seconde fois la même question et reçoit une réponse inverse, qui lui apprend la colère des dieux. Les prières personnelles du roi apaisent alors les éléments et se substituent aux prières collectives, brièvement évoquées, de l’Epistola (« nos prières nous ramenèrent ensuite une nuit claire », 43). À une époque de grande diffusion des écrits d’Aristote et notamment de ses Météorologiques, il est frappant de voir l’élève d’Aristote se heurter à des phénomènes surnaturels qui vont à l’encontre de la conception physique et rationnelle de la nature par Aristote (voir à ce sujet nos analyses à paraître chez Brepols dans La Création d’un mythe d’Alexandre dans les littératures européennes (xie-xvie siècle)). 68. Lignes 20 et 22-23, « si » est employé comme conjonction de subordination, à la place de « se », pour introduire des subordonnées circonstancielles de condition (« si ne fussent… », « si ne fust une tres grans pluevie… »). 68. Ligne 35, « nos » est la trace d’un discours direct.

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69. Avec cette grotte, Alexandre découvre un autre phénomène surnaturel contre lequel sa raison vient buter. L’expérience tentée n’émane pas ici de lui, contrairement à ce qu’invente Alexandre de Paris, qui met davantage en avant sa quête de rationalité (Roman d’Alexandre, br. III, laisse 186). 70. « L’Inde la fasitiene » semble être le royaume de Porrus autour de sa capitale Fasiacè. Chez Julius Valère, durant le périple indien, Prasiaca est la « ville pivot » ( J.-P. Callu, Le Roman d’Alexandre de Julius Valère, op. cit., introduction, p. 19) et « une localisation à l’est de l’Indus paraît généralement probable (idem, note 323, p. 249) ». L’Epistola lui substitue le pays et la cité de Fasiacè : « Fasiacè (pays qui doit puiser son origine dans le nom du fleuve Phase que la légende des Argonautes a fait connaître) remplace ici Prasiakè, le pays des Prasiens qui s’étend au bord du Gange, et qu’Alexandre n’a pu connaître (G. Bounoure et B. Serret, Le Roman d’Alexandre du PseudoCallisthène, op. cit., note 6, p. 262). » 71-79. Wauchier de Denain relate longuement les trois visites d’Alexandre aux arbres oraculaires du Soleil et de la Lune. Il adapte alors précisément l’Epistola, tout en synthétisant un peu et en supprimant quelques notations : la sexualisation des arbres – le guide dit dans l’Epistola que « celui du Soleil est mâle, l’autre, celui de la Lune, femelle » (48) – et l’invocation par le prêtre des trois Parques Cloto, Lachésis et Atropos, qui s’opposeraient à la révélation du nom du futur meurtrier d’Alexandre (65). Il n’efface pas l’altérité païenne de ces arbres consacrés à deux astres, dont le gardien, depuis le PseudoCallisthène grec, est un homme à l’apparence animale effrayante et qu’Alexandre découvre dans un site paradisiaque, proche du pays des Bienheureux (Epistola, 51, 55, 64, 68). Wauchier de Denain ajoute à la description de leur vie une comparaison explicite avec le paradis terrestre (« onques Deus ne fist liu delitable fors paradis terrestre ou si tres douce odors fust sentie ne veüe », § 73), puis cherche à subordonner l’oracle de la Lune à la volonté de Dieu, le dieu de l’auteur, soit le dieu chrétien (« la lune envoia ses rais par le comandament de Deu », § 74). Au xive siècle, le remanieur du manuscrit de Vienne écrit aussi que « li .ii. aubre […] furent saint par Nostre Sire au tens d’Adan (§ 11) ». Vers 1300, la mappemonde d’Ebstorf représente de part et d’autre de la tête du Christ et avec des éléments de symétrie frappants, le paradis terrestre (les deux arbres, la source et la naissance des quatre fleuves, Adam et Ève) et les deux arbres du Soleil et de la Lune (avec la mention « oraculum » et entre eux un homme qu’on peut identifier à Alexandre). Voir la reproduction dans

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Die Ebstorfer Weltkarte, éd. H. Kugler, Berlin, 2007, t. 1, p. 36-37 et les analyses de P. Gautier-Dalché, « Quatre notes sur Alexandre et la cartographie médiévale », dans Le Voyage d’Alexandre au paradis : Orient et Occident, regards croisés, dir. M. Bridges et C. Gaullier-Bougassas, Brepols, à paraître en 2013. Enfin, mentionnons que Wauchier de Denain traduit l’exigence de chasteté que formule le prêtre, en effaçant toute mention de la bisexualité ou de l’homosexualité du héros : « se il chastes estoit (§ 73) » se substitue à « si tu es pur de tout commerce avec les garçons et de tout contact avec les femmes (Epistola, 53) ». 75. Ligne 4, « li dist que la ne leisoit » : « leisoit » peut être une forme d’imparfait du verbe « leisir / loisir » ou du verbe « leissier / laissier ». Les autres manuscrits de contrôle présentent le verbe « laissier » (Pa a la forme d’imparfait de l’indicatif « laissoit » ; B, D et L la forme d’imparfait du subjonctif « laissast / lessast »). 77. Wauchier de Denain a déjà relaté l’assassinat de Philotas et Cleitos par Alexandre (§ 41). 79. L’annonce du destin de sa mère et de ses sœurs reste aussi vague que dans l’Epistola (66). Plus loin (§ 102), Wauchier de Denain relate la fin misérable d’Olympias d’après Orose (son meurtre par Cassandre en 336 av. J.-C.), mais ne nous révèle rien sur ses sœurs, qui contrairement à la prophétie de l’oracle connaissent aussi un destin tragique (Cléopâtre est tuée en 308, Thessalonice en 296). Dans la version ancienne du Pseudo-Callisthène, l’oracle annonçait la mort de ses sœurs (Le Roman d’Alexandre du Pseudo-Callisthène, trad. A. Tallet-Bonvalot, Paris, 1994, p. 133). 80. L’évocation des serpents qui portent des émeraudes à leur cou vient de l’Epistola (69). Wauchier ajoute ensuite un assez long développement sur la récolte et le commerce du poivre de l’Orient à l’Occident, jusqu’aux « riches marcheans crestiens » de son époque. En dépit d’une référence très allusive à un témoignage dont il s’inspirerait (« li pluisor ») et de la difficulté d’identifier une source précise, D. J. A. Ross (art. cit., p. 207) établit un rapprochement avec les Étymologies d’Isidore de Séville, XVII, viii, 8 et la Lettre de Pharasmes (éd. E. Faral « Une source latine de l’histoire d’Alexandre : la Lettre sur les merveilles de l’Inde », Romania, 43 (1914), p. 199-215, et part. 205). La Lettre du Prêtre Jean contient un assez long développement sur le poivre, mais il présente de nombreuses différences (éd. M. Gosman, Groningen, 1982, v. 265-310). 80. Ligne 26, « bien feroit a entendre » : périphrase qui permet de signifier le mérite (« cela mériterait d’être entendu »).

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81. Les merveilles que selon l’Epistola (70-75) Alexandre découvre après les serpents aux émeraudes et avant la rencontre des Sères sont absentes du texte français. Les Sères sont un peuple de Bienheureux, qui connaît des conditions de vie paradisiaques et qui a été plus tard identifié aux Chinois. Au xiie siècle, l’anglo-normand Thomas de Kent, qui adapte lui aussi l’Epistola, a amplifié leur description en s’inspirant des Collectanea rerum memorabilium de Solin (éd. Th. Mommsen, Berlin, 1895, § 50, p. 182) et il les a aussi idéalisés comme « bons overurs de dras de seie » (Alexandre anglo-normand ou Roman de Toute Chevalerie, éd. cit., v. 482-483). Ici aucune référence à la soie n’apparaît. Les « portes des mons de Scapios » où les Sères reconduisent Alexandre sont les portes Caspiennes dans l’Epistola (§ 77). Les portes Caspiennes « constituent, dans le nord de la Perse, le passage naturel entre la Médie et l’Hyrcanie ; selon Pline VI, 15, 45, ce col de Sirdarra fut le cardo des itinéraires d’Alexandre ( J.-P. Callu, Le Roman d’Alexandre de Julius Valère, op. cit., note 329, p. 249) ». 81-83. Ce dernier affrontement contre Porrus n’est pas relaté dans l’Epistola, qui se termine par le retour d’Alexandre et des Macédoniens auprès de Porrus dans la ville de Fasiacé, puis l’érection par Alexandre d’une double série de colonnes (77-78). Il n’apparaît pas non plus dans le récit de Julius Valère ni son Epitomé, où Alexandre a tué Porrus plus haut, lors de leur duel (III, 4). Les auteurs des Romans d’Alexandre du xiie siècle, Alexandre de Paris et Thomas de Kent, retracent en revanche cette ultime confrontation après le retour d’Alexandre des arbres du Soleil et de Lune et, comme l’Alexandre anglo-normand a joui d’une diffusion plus limitée, Wauchier de Denain s’inspire ici sans doute du Roman d’Alexandre continental de Lambert le Tort et d’Alexandre de Paris, tout en écrivant un récit beaucoup plus bref (Roman d’Alexandre, br. III, l. 217-240). 81. Lignes 28-30, « dist […] que s’il li looient qu’il a lui se conbatroit encores » : le deuxième « que » est une reprise, après la subordonnée circonstancielle de condition, du premier « que » qui introduit la complétive. 84-86. L’Epitomé avait conservé un récit de la rencontre d’Alexandre avec Candace (III, 19-23), dont Wauchier de Denain reste très proche. D. J. A. Ross (art. cit., p. 212-213) a mis en avant quelques emprunts au Roman d’Alexandre d’Alexandre de Paris : la pendaison du ravisseur de la femme de Candeolus et le nom Candeolus, alors que l’Epitomé a Candeules (tous les manuscrits ne présentent néanmoins pas la même graphie), mais ces emprunts sont rares et menus. Surtout, Wauchier de Denain ne s’approprie pas la réinterprétation de la rencontre avec Candace en une aventure érotique à laquelle Alexandre

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de Paris a cherché à donner une couleur courtoise (voir notre article, « Alexandre et Candace dans le Roman d’Alexandre d’Alexandre de Paris et le Roman de toute chevalerie de Thomas de Kent », Romania, 112 (1991), p. 18-44). Une phrase donne pourtant à entendre qu’il la connaissait : « Ceste roïne Candace avoit oïe del roi Alixandre la grande renomee, si l’ot mout amé en son corage (§ 83). » Elle rappelle en effet de près les vers d’Alexandre de Paris : « Candace la roïne oï la renomee, / Tant l’ama en son cuer a poi n’en est desvee (br. III, v. 4435-4436). » Cette réminiscence pouvait signaler à ses lecteurs qu’il souhaitait se démarquer du roman en vers. Enfin, rappelons que Candace était à l’origine le titre que portaient les reines éthiopiennes. La localisation imprécise et fausse de l’Éthiopie en Inde (« vers Ethyope et a la roïne Candace qui d’Inde tenoit une grande partie », § 83) est très fréquente tant dans l’Antiquité qu’au Moyen Âge (F. de Medeiros, L’Occident et l’Afrique (xiiie-xve siècle). Images et Représentations, Paris, 1985). Aucune référence n’est ici donnée à Méroé, la capitale du royaume nubien de Kousch, déjà absente de l’Epitomé. 87. L’Epitomé rappelait en une phrase la soumission des Amazones (III, 25) et Wauchier de Denain ne l’évoque guère plus longuement. Il ajoute simplement la soumission volontaire de la reine, impressionnée par la renommée du roi. L’influence du Roman d’Alexandre d’Alexandre de Paris, supposée par D. J. A. Ross, ne nous semble pas alors établie. L’auteur français revient ensuite au texte d’Orose (III, 19, 4) et à son récit des victoires d’Alexandre sur les peuples indiens, comme il l’indique lui-même en citant le nom de l’historien latin. Orose venait d’évoquer brièvement les venues auprès d’Alexandre de deux reines des Amazones, Halestris (III, 18, 5) et Cléophyle (III, 19, 1), admiratives de sa valeur et, pour Halestris, désireuse d’obtenir de lui un enfant : Wauchier a déjà traduit ces deux passages aux paragraphes 40 et 42. Quant aux noms des peuples indiens, repris à Orose, ils sont « déjà trop corrompus chez Justin (XII, 8, 9) pour permettre une identification sûre » (Histoires d’Orose, éd. cit., t. 1, note 5, p. 171). 88-89. Siège de deux cités indiennes. La première est une cité des Mandres, où Alexandre s’illustre en sautant seul sur les murailles avant d’être blessé par une flèche : l’exploit, relaté par Orose (III, 19, 7-10) et aussi par Quinte-Curce (IX, IV, 26-33) a vraisemblablement inspiré Alexandre de Paris dans son invention du saut d’Alexandre sur les murs de Tyr (voir plus haut la note au § 22). La deuxième cité indienne appartient au roi Ambira selon Orose, qui

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mentionne la vision d’Alexandre sur l’herbe qui guérira les blessés des flèches empoisonnées (III, 19, 11). 90. Wauchier de Denain reprend à l’Epistola (77) ces quelques données sur l’érection de bornes d’Alexandre au-delà des bornes d’Hercule et de Liber, ainsi que sur les rives du fleuve Océan qui entoure la terre. 91. Le retour des Macédoniens de l’Inde jusqu’en Mésopotamie et à Babylone n’est que très brièvement évoqué, comme dans le texte d’Orose qui lui consacre une seule phrase (III, 20, 1), et Wauchier de Denain s’intéresse davantage aux ambassades du monde entier et particulièrement de l’Occident, qui viennent prêter hommage à Alexandre. Il semble important de montrer qu’Alexandre aurait pu vaincre tout l’orbis terrarum, non seulement le ProcheOrient et l’Orient asiatique, mais aussi l’Afrique et l’Europe (sur l’exploitation de ces ambassades dans les romans du xiie siècle, voir notre article, « Alexandre le Grand et la conquête de l’Ouest dans les Romans d’Alexandre du xiie siècle, leurs mises en prose au xve siècle et le Perceforest (première partie) », Romania, 118 (2000), p. 83-104). Plus haut et d’après l’Epitomé, Wauchier de Denain a déjà relaté la soumission des Romains et la conquête de la Sicile (§ 21). Au § 91, les mentions particulières de l’Italie, de la Sicile et de la Sardaigne, ainsi que de l’Espagne et de la Gaule, sont très signifiantes : si, selon la théorie de la translatio imperii, l’empire macédonien doit être abattu par la puissance romaine bien après la mort d’Alexandre, il s’agit ici de montrer qu’Alexandre, de son vivant et même sans user des armes, aurait dominé Rome et ses possessions occidentales. Les derniers chapitres de l’Histoire ancienne jusqu’à César dressent en outre un portrait assez peu flatteur de César dans sa conquête de la Gaule (voir l’introduction, p. 15-16). 91-92. L’évocation de la peur qu’éprouve Alexandre au souvenir des prophéties du Soleil de la Lune et la mention des déplorations d’Olympias et des sœurs d’Alexandre ne peuvent venir bien sûr d’Orose, qui ignore l’épisode légendaire des arbres oraculaires et relate la mort d’Alexandre en une seule phrase (III, 20, 4). On ne les lit pas non plus dans l’Epitomé. D. J. A. Ross (art. cit., p. 216-7) y a vu des emprunts au Roman d’Alexandre d’Alexandre de Paris (br. IV, laisses 5-9). Mais là encore les textes sont trop différents pour que la réécriture soit certaine. Ce qui nous semble en revanche très frappant, c’est que Wauchier de Denain, à la différence d’Alexandre de Paris, choisit la brièveté pour cet épisode majeur. À nos yeux, lorsqu’il affirme qu’il ne développera pas l’évocation des planctus, nous pouvons entendre la volonté de s’écarter de

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l’esthétique littéraire de son devancier. Alexandre de Paris a en effet déroulé deux longues séries parallèles de planctus (br. IV, laisses 34-59, aucune déploration n’est en revanche attribuée à Olympias ni aux sœurs du roi). Le mot «  serf  » dans la rubrique du § 92 rappelle certes la condamnation par Alexandre de Paris des meurtriers d’Alexandre au nom de leur infériorité sociale et de la bassesse morale qu’elle implique : Mais li serf de put aire, qui nel veulent amer Et que il pensoit molt hautement honorer, Ont aporté l’entosche por lui envenimer. Hé ! las, por coi le firent ? com l’oserent penser ? Ja mais si bon segnor ne porront recouvrer ; (br. IV, laisse 8, v. 133-137)

Mais dans le manuscrit BnF fr. 20125, l’emploi de ce terme ne peut être attribué qu’au rubricateur. Même si Wauchier de Denain n’exprime jamais une idéologie aristocratique comparable à celle de l’auteur du xiie siècle, son récit épargne Alexandre au détriment des deux traîtres Antipater et Divinuspater. Orose fait en revanche suivre sa brève mention de la mort du roi d’un long commentaire qui condense avec une violence accrue son portrait à charge (III, 20, 5-13). Tandis qu’Antipater est un personnage historique, un général de Philippe puis d’Alexandre, nommé gouverneur de la Macédoine par Alexandre pendant ses expéditions, l’existence de Divinuspater n’est pas attestée par les historiens. C’est l’auteur de l’Epitomé qui introduit ce personnage énigmatique  : « Occasio igitur illius mortis haec fuit. Mater eius scripserat ad eum de simultatibus Antipatris et Divinopatris, praemonuitque insidias eorum cavendas (III, 31). » C’est semble-t-il à la suite d’une méprise sur le texte de Julius Valère qu’il l’a créé. Voici ce qu’indique Julius Valère : « Ergo occasio illi moriendi talis fuit. Mater eius ad eum scripserat super Antipatri et Diuinopatris simultatibus petebatque uti ob id ipsum ad Epirum ire contenderet (III, 31) », et que J.-P. Callu traduit : « Les circonstances de sa mort furent donc les suivantes. Sa mère lui avait relaté la mésentente entre Antipater et celle qu’il maltraitait  ; pour cette raison, elle demandait à partir rapidement pour l’Épire. ». Selon J.-P. Callu, « Diuinopatris transmis par le latin paraît une mélecture d’un participe grec signifiant « ayant terriblement souffert » (op. cit., note 445, p. 261) ». Rien n’est dit sur le lieu choisi pour la sépulture d’Alexandre. La crémation du corps n’est indiquée ni par l’Epitomé ni par Orose ni par Alexandre de Paris. Nous ignorons si Wauchier de Denain a inventé cet élément ou s’il pouvait disposer d’un témoignage en ce sens. Les données historiques indi-

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quent qu’à partir du ive siècle avant J.-C., la crémation est une pratique fréquente de l’élite macédonienne. 93. Si l’on prend en compte les copies de l’Histoire ancienne des xiiie et xive siècles, cette moralisation en vers sur la mort d’Alexandre n’apparaît que dans les manuscrits BnF fr. 20125 et BnF fr. 686 (fol. 291 r et v, ms. réalisé en Italie). Elle est donc absente de nos manuscrits de contrôle, ainsi que du manuscrit de Vienne 2576. On la trouve néanmoins dans un manuscrit du xve siècle, le ms. 2331 de la Bibliothèque municipale de Rennes (fol. 253 v-254 r). Dans les deux manuscrits BnF fr. 20125 et fr. 686, ainsi que dans celui de Rennes, la disposition typographique la fait ressortir, comme c’est le cas pour les moralisations en vers des autres sections, car le copiste a écrit un octosyllabe par ligne. Wauchier de Denain met ici en perspective l’histoire d’Alexandre avec celle de la Flandre, en rappelant le souvenir – oublié selon lui – de Baudouin IX de Flandre, empereur de Constantinople et de sa mère Marguerite. Sur les implications de ces références à l’histoire de la Flandre et à un roi de France non identifié, ainsi que sur la libre réinterprétation de la mort d’Alexandre par Wauchier de Denain, voir notre introduction p. 16-18 . v. 20-28. Les vers 20-24 introduisent une parenthèse qui a trait au roi de France. Le subjonctif de souhait « l’en rende » du vers 23 (« qu’il lui en rende [au roi de France] ») est suivi d’un deuxième subjonctif de souhait au vers 28 « Deus les destort » (« que Dieu les protège [« toz ceaus ausi qui honorent / Sainte Glise »] »). v. 32. « Quar donc n’iert mie cuite quite » : le manuscrit BnF fr 686 offre la graphie « qite qite ». L’expression signifie « sans qu’il n’y ait plus aucune obligation envers l’autre, ni d’un côté ni de l’autre ». Voir FEW, 2-2, 14711476, quietus, et part. 1473, « quite quite », « à compte balancé, se dit quand deux personnes ne se doivent plus rien l’une à l’autre ». v. 57. « Ki’n ont la grant richece ». Le manuscrit de la Bibliothèque municipale de Rennes présente ce même sens, avec une leçon hypermétrique : « Des hoirs a qui demeure la grant richece (fol. 254 v) ». 94-110. Pour le long récit de la guerre des diadoques, non relaté dans l’Epitomé ni d’ailleurs dans le Roman d’Alexandre d’Alexandre de Paris, Wauchier de Denain en revient au texte d’Orose (III, 23, 7-65). De nombreux personnages historiques et notamment plusieurs des grands généraux de Philippe et d’Alexandre – Antiochus, Antigone, Eumène, Perdiccas, Séleucus – apparaissent ici pour la première ou la seconde fois dans la section sur Alexandre, alors que selon l’Histoire ils ont bien sûr joué un rôle très important dans ses

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conquêtes. Wauchier de Denain n’intervient néanmoins pas pour donner des points de repère à ses auditeurs. Après la mort d’Alexandre, Perdiccas reçut la « régence » de l’empire. La Macédoine et la Grèce revinrent à Antipater, l’Égypte à Ptolémée, la Thrace à Lysimaque, la Phrygie et la Lycie à Antigone, la Babylonie à Séleucos, la Cappadoce à Eumène. L’autorité de Perdiccas fut aussitôt contestée et il fut tué en 321, alors qu’il se dirigeait en Égypte contre Ptolémée. Antipater lui succéda pour peu de temps, car il mourut en 319. Polypercon prit sa place mais ne fut accepté par aucun des diadoques. Antigone déclara la guerre à Séleucus en Asie, puis, avec son fils Démétrius, à Ptolémée en Égypte. Après une série de victoires et de défaites, les diadoques s’allièrent contre lui. Antigone fut vaincu et tué à la bataille d’Ipsos en 301. Séleucus vainquit ensuite Démétrius, le fils d’Antigone, et Lysimaque, avant d’être à son tour assassiné. L’empire d’Alexandre fut finalement partagé en trois royaumes, que dominèrent les descendants de Ptolémée, Séleucus et Antigone. 94. Wauchier de Denain donne ici à Laomédon de Mitylène, l’un des amis d’Alexandre, le nom altéré de Mithileneus, il appelle Philopater le Macédonien Philon, puis introduit Atropatus, un Mède rallié à Alexandre, le Macédonien Scinus, satrape de Susiane, Néarque, un amiral d’Alexandre, Cassandre, le fils aîné d’Antipater, Ménandre, un compagnon d’Alexandre, Leones / Lénonatos d’après Orose, un ancien garde du corps de Philippe II, puis Séleucus, le fils d’Antiochus. 95. Nous découvrons les personnages de Taxilles (un prince indien allié d’Alexandre), de Phyton (satrape en Inde et fils d’Agénor), d’Oxfracès (un prince indien de Sogdiane, père de Roxane, nommé Oxyartès par Justin), Sibirtus / Sibyrtès, Amintas, Itacanor de Sichée (nom déformé en Sicheus), Frataferne / Phrataphernès (un satrape perse rallié à Alexandre), Tlépolème (un satrape de la Carmanie), Peucestès (un amiral d’Alexandre), Archous et Pelassor (un seul personnage chez Orose : Archous Pellassos) et Archélaos. 97. Néoptolème est le fils d’Alexandre d’Épire et de Cléopâtre (la sœur d’Alexandre). Il est donc le neveu d’Alexandre le Grand et devient roi des Molosses. 98. Lignes 13 et 14, « li manda que se il le socoroit […] qu’il ne li faudroit […] », le deuxième « que » est un « que » de reprise, après la subordonnée circonstancielle de condition, du premier «  que  » qui introduit la complétive. 99-100. Eurydice a épousé le demi-frère d’Alexandre, Philippe Arridée (Philippe III). Elle était la fille d’Amyntas et la petite-fille de Perdiccas.

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100. Lignes 5-6, « ne ja mar autrement en nulle maniere ne si reguardassent »: l’adverbe « mar » permet d’exprimer un impératif négatif (« il ne fallait pas qu’ils se préoccupassent d’autre chose »). 101-102. Wauchier de Denain présente ici pour la première fois Roxane et le fils qu’elle a eu avec Alexandre, Hercule. Dans son édition d’Orose, M.-P. Arnaud-Lindet signale que dans ce même passage apparaît la forme « Roxa » et non « Roxane », ce qu’elle impute à une erreur d’Orose ou des copistes des manuscrits (éd. cit., t. 1, note 41, p. 184). Cassandre assassine Olympias en 316 avant J.-C, après qu’elle a elle-même fait tuer Philippe Arridée et Euridice. L’évocation du sort ignoble de la dépouille de la reine, privée de sépulture et livrée aux oiseaux et aux chiens, rappelle la prophétie des arbres oraculaires. L’intervention du narrateur sur la brièveté recherchée se trouve déjà chez Orose (III, 23, 33). Le récit des combats va pourtant rebondir avec le récit de l’attaque d’Antigone. 103. Wauchier de Denain présente les quatre grands vainqueurs des guerres, en les reliant pour la première fois aux prophéties de Daniel : Ptolémée qui reçoit l’Égypte et fonde la dynastie des Lagides, Philippe Arridée, le demifrère d’Alexandre qui hérite de la Macédoine, Séleucus Nicanor, qui règne sur la majeure partie de l’Asie, et Antigone, qui reçoit d’abord le nord de l’Asie. Cette récapitulation et le lien établi avec le Livre de Daniel sont absents du texte d’Orose. D. J. A. Ross (art. cit., p. 222) détermine comme sources possibles l’Historia scolastica (éd. cit., col. 1498) et les Commentaria in Danielem de Jérôme (Patrologie latine, 25, col. 530). Quant au Livre de Daniel, il évoque quatre vents avant les quatre bêtes monstrueuses (VII, 2). La quatrième bête, figuration d’Alexandre, possède dix cornes, qui représentent la dynastie des Séleucides (VII, 7-8). Parmi ces dix cornes s’élève une petite corne agressive, figuration d’Antiochus Épiphane. Cassandre élimine Hercule, le fils d’Alexandre, et sa mère Roxane en 310 avant J.-C. 107. Androcottos est «  le roi Chandragupta, fondateur de la dynastie indienne des Maurya, dont le nom est déformé est Sandracottus par Justin (XV, 4, 13) (Histoires d’Orose, éd. et trad. M.-P. Arnaud-Lindet, t. 1, note 55, p. 229) ». 108. Du mariage de Cassandre, le fils d’Antipater, et de Thessalonice, la demisœur d’Alexandre le Grand, naissent trois fils, Philippe, Antipater et Alexandre. Après la mort de son père, Philippe règne brièvement sous le titre de Philippe IV, puis Thessalonice exerce la régence et, à la suite de querelles de succession entre ses deux fils Antipater et Alexandre, est assassinée vers 294 avant J.-C.

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par Antipater. Wauchier de Denain donne à Antipater une motivation qu’il ne lit pas chez Orose : il redoute qu’elle ne se remarie. 109. Comme dans le récit d’Orose, aucune explication n’est ici apportée sur Pyrrhus, fils d’Éacide et roi d’Épire. Justin était beaucoup plus « pédagogue » et expliquait la raison du recours à Pyrrhus, qui selon lui émanait de Ptolémée. Il montrait aussi que Pyrrhus accepta d’intervenir pour servir ses ambitions contre les Romains : « [Ptolémée] n’oublia pas non plus Pyrrhus, roi d’Épire, qui devait être un puissant appui pour celui des deux partis auquel il s’unirait. Comme Pyrrhus désirait lui-même les dépouiller tous, il se faisait valoir auprès de tous les partis. Aussi, comme il devait porter secours aux Tarentins contre les Romains, il emprunta des vaisseaux à Antigone pour transporter son armée en Italie, de l’argent à Antiochus qui était mieux pourvu de richesses que de soldats, et à Ptolémée un renfort de troupes macédoniennes (XVII, 2, 12-13). » Justin retraçait alors l’origine de l’Épire et de son royaume, dont Olympias, la mère d’Alexandre était une princesse. Son récit expliquait pourquoi Olympias revendiquait Achille parmi ses ancêtres (ce que Wauchier de Denain ne dit jamais) : Mais puisque nous sommes venus à parler de l’Épire, il faut donner quelques détails sur l’origine de ce royaume. Les premiers maîtres de ce pays furent les Molosses. Plus tard, Pyrrhus, fils d’Achille, ayant perdu par son absence au temps de la guerre de Troie le royaume de son père, s’établit en ces lieux. Ses peuples portèrent d’abord le nom de Pyrrides, puis celui d’Épirotes. Mais Pyrrhus, étant allé au temple de Jupiter à Dodone pour consulter l’oracle, y enleva Lanassa, petite-fille d’Hercule, et de ce mariage il eut huit enfants. Il donna quelques-unes de ses filles en mariage aux rois voisins et, grâce à ces alliances, il accrut beaucoup sa puissance. Puis, reconnaissant la singulière activité d’Hélénus, fils de Priam, il lui céda le royaume de Chaonie et lui donna pour femme Andromaque, veuve d’Hector, qu’il avait épousée lui-même, après qu’elle lui fut échue dans le partage du butin fait à Troie. Mais peu de temps après, Pyrrhus périt à Delphes, assassiné au pied des autels du dieu par Oreste, fils d’Agamemnon. Il eut pour successeur son fils Pialès. Puis l’ordre de succession fit passer la couronne à Tharyba. Comme il était mineur et qu’il restait seul de cette illustre famille, le peuple tout entier s’intéressa d’autant plus vivement à sa conservation et à son éducation et lui donna des tuteurs. On l’envoya même étudier à Athènes, et il fut d’autant plus aimé du peuple qu’il était plus instruit que ses ancêtres. Le premier, il donna à l’Épire des lois, un sénat, des magistrats annuels et un gouvernement régulier, et, si ces peuples durent à Pyrrhus leur établissement, ce fut Tharyba qui les civilisa. Il eut pour fils Néoptolème, qui fut le père d’Olympias, mère d’Alexandre le Grand, et d’Alexandre, qui fut roi d’Épire après lui, et qui, ayant fait la guerre en Italie,

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périt chez les Bruttiens. Après sa mort, son frère Éacide lui succéda sur le trône. Mais fatiguant ses sujets par des guerres continuelles contre la Macédoine, il se rendit impopulaire, et pour cette raison fut envoyé en exil. Il laissa dans le royaume son fils, Pyrrhus, qui n’était encore qu’un petit enfant âgé de deux ans. Comme le peuple, en haine du père, recherchait aussi l’enfant pour le mettre à mort, il fut dérobé secrètement et porté en Illyrie, où il fut remis à Béroa, femme du roi Glaucia, issue elle-même du sang des Éacides, qui se chargea de l’élever. Là, le roi, touché de pitié pour ses malheurs, ou charmé de ses caresses enfantines, le protégea longtemps contre Cassandre, roi de Macédoine, qui le réclamait sous menace de guerre, et il poussa la complaisance jusqu’à l’adopter pour mieux le défendre. Émus de ses dangers, les Épirotes, passant de la haine à la pitié, rappelèrent sur le trône l’enfant alors âgé de onze ans et lui nommèrent des tuteurs, pour veiller sur le royaume, jusqu’à ce qu’il atteignît l’âge adulte. Parvenu à la jeunesse, il entreprit beaucoup de guerres et il acquit par ses succès une telle réputation qu’il parut seul capable de défendre les Tarentins contre les Romains. » (XVII, 3, 1-22)

Justin relate ensuite les guerres de Pyrrhus en Italie contre les Romains, alors qu’il a été appelé par les Tarentins, les Samnites et les Lucaniens, et notamment ses victoires très sanglantes d’Héraclée (vers 280 avant J.-C.) et d’Ausculum (vers 279 avant J.-C.). C’est un récit des mêmes événements qui suit la section sur Alexandre dans le texte d’Orose (IV, 1, 1-23 et 2, 1-7) et dans l’Histoire ancienne jusqu’à César. Pyrrhus a envahi la Macédoine vers 288 avec Lysimaque, mais il en a été chassé vers 285. C’est alors qu’il est parti en Italie. 109. Lignes 9 et 10, « il s’en entremist si durement que quant li estor furent assamblé o il ot mout vaillant chivalier ocis et geté fors de vie que par l’esfors de lui et de sa gent fu Demetrius desconfis » : le deuxième « que » est une reprise, après la subordonnée circonstancielle temporelle, du « que » qui introduit une subordonnée circonstancielle de conséquence. 109. Lignes 13 et 14, « bien sachés qu’il ansois i ot mout perdut qu’il s’en tornast », exemple de tmèse (« ansois » séparé de « que »). 110. La bataille où Lysimaque a trouvé la mort en 281 av. J.-C. est la bataille de Couropédion, en Phrygie, qui l’opposa à Séleucus et qui permit ensuite à Ptolémée de s’emparer de la Macédoine. 111.Wauchier de Denain n’a pas apporté de grandes modifications à la liste des Alexandrie fondées par Alexandre. Voici le texte de Julius Valère (III, 35) : […] civitates condidit duodecim, omnes nomine suo scilicet nuncupatas, quae sunt hae : Alexandria quae condita est nomine Bucephali equi, Alexandria montuosa, Alexandria apud Porum, Alexandria in Scythia, Alexandria

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Babylonis, Alexandria apud Massagetas, Alexandria apud Aegyptum, Alexandria apud Origala, Alexandria apud Granicum, Alexandria apud Tigridem fluvium, Alexandria apud Troadam, Alexandria apud Xanthum, cui quinque primorum, ut dictum est, elementorum idcirco sunt data nomina ut in hisce elementorum nominibus legeretur : Alexander Imperator Genus Jovis Condidit.

Jean-Pierre Callu le traduit ainsi : […] il fonda douze cités, toutes dénommées, bien sûr, de son nom, à savoir : l’Alexandrie fondée en l’honneur du cheval Bucéphale, l’Alexandrie-ès-Montagnes, l’Alexandrie de Porus, l’Alexandrie des Scythes, l’Alexandrie de Babylone, l’Alexandrie des Massagètes, l’Alexandrie d’Origal, l’Alexandrie du Granique, l’Alexandrie-sur-le-Tigre, l’Alexandrie de Troade, l’Alexandrie du Xanthe, l’Alexandrie d’Égypte, à laquelle, on l’a dit, furent affectés les noms des cinq premières lettres, si bien que sous ces noms correspondant aux lettres se lisait : « Fondée par le roi Alexandre, le fils de Jupiter » (op. cit., p. 217),

estimant que «  seraient localisables les Alexandries Bucéphala, Nicée, de Babylone, d’Égypte et de Troade (en fait, fondation ultérieure d’Antigone) ; les Alexandries du Tigre et d’Origala pourraient être Charax et Merw ; le reste, comportant d’éventuels doublons, suscite l’interrogation : A. montuosa= A. du Caucase ; A. de Scythie=A. ad Tanaim ; A. des Massagètes confondue avec A. du Xanthe= A. Eschaté ; A. du Granique= A. d’Arie ? (op. cit., note 474, p. 264) ». L’Epitomé de Julius Valère, après la liste des cités, inscrit les lettres grecques (éd. J. Zacher, III, 35) : « Insignivit ergo muros earum primorum quinque graecorum elementorum characteribus, uti legeretur in eis : Alexander rex genus Jovis fecit : A Β Γ Δ E. » Wauchier de Denain ou du moins le copiste du ms. BnF fr. 20125, puis ceux des manuscrits de contrôle ont modifié certaines lettres. Cette inscription est déjà présente dans le Roman d’Alexandre grec du Pseudo-Callisthène, mais à propos de la fondation d’Alexandrie (trad. A. Tallet-Bonvalot, Paris, 1994, p. 62). Wauchier de Denain choisit de terminer enfin son récit en donnant pour la première fois deux dates, celle de la mort d’Alexandre et celle du début de son règne. Des deux systèmes de datation qu’il adopte, l’un par rapport à la Création du monde, l’autre par rapport à l’Incarnation, le second est le plus novateur, d’autant que cette date de 348 avant J.-C, absente de l’Epitomé, est assez peu erronée, puisqu’Alexandre devint roi vers 336. Selon M. SchmidtChazan et M. Paulmier-Foucart (« La datation dans les chroniques universelles françaises, du xiie au xive siècle  », Comptes rendus des séances de

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l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 126 (1982), p. 778-819), Eusèbe de Césarée, comme un chronographe, « avait mis en concordance les faits historiques du monde païen et ceux de l’histoire sainte ; son travail d’harmonisation avait abouti à un système complexe de datation, indiquant les durées de règne des souverains dans les différents royaumes connus. Au fur et à mesure que ces royaumes se fondent dans l’obédience romaine, il ne reste à la fin de la chronique que les années depuis la création du monde, l’année impériale romaine et l’année olympique (art. cit, p. 780). » Il faut attendre en France le ixe siècle pour qu’apparaisse « pour la première fois de façon systématique dans une chronique universelle une datation par année de l’Incarnation, pour les événements concernant les Carolingiens (ibidem, p. 781) ». Sigebert de Gembloux, qui continue la chronique d’Eusèbe-Jérôme, date précisément en donnant l’année de règne de l’empereur, l’année de règne de différents rois et en marge l’année de l’Incarnation (de dix ans en dix ans dans le manuscrit autographe). À partir de la moitié du xiie siècle, les copistes ont « redaté de toutes les années de l’Incarnation le texte de Sigebert, comme d’ailleurs étaient redatées les chroniques d’Eusèbe-Jérôme et de Prosper (ibid., p. 784) ». Il resterait à voir si la date de la mort d’Alexandre apparaît dans l’un des manuscrits. D. J. A. Ross note qu’une note chronologique similaire apparaît dans la section sur Alexandre du Liber Floridus de Lambert de Saint-Omer (art. cit., p. 224). 111. Ligne 1, « fu Lisimacus la fins de la bataille » : c’est la leçon que présentent aussi les manuscrits de contrôle B, D et L ; Pa a « fu Lisimacus a la fin de la bataille » ; nous comprenons « Lysimaque finit le conflit […] ». 112. Wauchier de Denain donne plus loin de plus amples explications sur les confusions possibles entre Antigone et Antiochus. Nous les lisons au folio 304 r : voir l’édition du passage dans l’introduction, p. 28-30 et aussi p. 22-23 sur les annonces de l’histoire des Hébreux. 113. Voici le début du paragraphe qui suit le récit sur Alexandre : Que cil de Tarente se pristrent par lor folie as Romains de bataille. Dit vos ai et conté quel tans que Dolobella et Domisius furent concele furent li Roumain desconfit par les Galois et par lor aïes – c’est par cels a cui il orent prise compaignie – et que por cele honte vengier fu encontre aus envoiés Cecilius pretor et maint autre haut baron de Rome qui tuit i furent desconfit et mort.

L’HISTOIRE ANCIENNE JUSQU’À CÉSAR Un remaniement en franco-italien du xive siècle, Vienne, Österreichische Nationalbibliothek, codex 2576 Histoire de la Macédoine et d’Alexandre

Texte

1a. [fin du récit sur Assuerus et Esther et transition avec la section Alexandre1]

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Ne vos dirai plus dou roi Assuerus ore, ainz vos dirai qui regna aprés lui en Perse, si con l’estoire raconte. Aprés Assuerus regna Artaxersés .xxvi. ans qui Ochus estoit ausi apelez. Cil distruit Neptanabum le roi d’Egipte et si li toli son regne. Cil Neptanabum sot molt de l’art de nigromancie si con li pluisors dient et si cuident qu’il fust peres Alixandres et Olinpiaden, la fame le roi Phelipe de Macedoine et mere le roi Alixandre, eüst par l’art de nigromance deseüe. Cil Ochus fist molt de batailles en .xxvi. ans que il regna en plusors contrés. El tens cestui fu nez Alixandre li grans. Aprés Ochum [fol. 92 r] regna Arsemis ses filz en Perse .iiii. ans et puis ses filz Daries cui Alixandre vainqi. Cil Daires ne regna que .vi. ans, car en son tens fu destruit et prist fin le regne qui ot esté de grant renom et si comença le regne de Macedoine desor toz les autres regnes. Alixandre qui dedenz .xii. ans que il regna conquist .xii. roiaumes. Mes ançois que de lui plus vos die ne de son pere, vos nomerai les rois qui regnerent en Macedoine, por ce que vos sachiez dont il vint et de quel ligniez.

1b. Ci comence des rois qe regnent en Macedoine jusque al Alixandre.

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Li rois qui primerain fu de Macedoine, Caramus, si con je vos ai conté ariere, cist regna en Macedoine en le tens que Procas Silvius regna en Laurente et Enbarcés in Mede, qui destruit avoit li regne d’Asire et ocis Sardanapalum. Cist Caramus reigna .xxviii. ans en Macedoine. Et aprés si reigna Cinus .xii. ans et aprés si reygna Churimas .xxvii2. ans. El tens de cestuy fonda primeremens Romolus Rome et aprés reigna quars rrois Perdicas .li. ans  en Macedoine et aprés reigna Aergeus ses fis .xxxviii. ans ens le reigne. El tens de cestuy ne voudrent cil d’Artines3 plus rois, ains eslirent .viii. home de lla cités, cist nomerent princes por justisser la ville un an tant soulement et se il bien ne feÿsent, au cief de l’an ostasent et meÿsent un autre. Aprés Argeus reigna en Macedoine Fillipes .xxxviii. ans en grans seignorie, mais ce ne fu mie Fillipes li peire Alixandre dont vos avez oÿ mantes fois. Au tens cestuy Fillipes des1. Ces lignes du paragraphe 1a sont copiées d’une main différente de celle qui a écrit le récit sur Alexandre. 2. Correction dans la marge : at .xviii. 3. Altération du nom d’Athènes.

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truist li rois Nabugodonosor le regne de Jerusalem et prist li rois Joachim et fist mener en Babiloine. Aprés cestuy regna en Macedoine Acropas .xxvi. ans. Aprés regna Alochas .xxxviiii. ans. El tens de cestuy destruist4 li rois Cirus a Persse li regne de Mede, si con vos avés oÿ arieres. Aprés reigna en Macedoine Amitaus5 .l. ans. Cil fu ou tens que Tarquinus Superbus regna a Rome. Aprés reigna desismes rois Alixandre .xliii. ans. Au tens de cestuy fu une partie de cil d’Atenes arsse por la gent le rois Xerssés qui a force intra in Grese. Aprés cestuy reigna Perdicas ses fils .xxviii. ans et Arcellaus, dexismes rrois .xxiii. ans. El tens cestuy fu molt Socrates honorés en Grece par sa bone eloquence et par sa bone clergie. Aprés Arkelaus reigna Orestes ses fils .iii. ans tant soulement de sa vie. Aprés reigna .xiiii. eme6 rois Arkelaus .iiii. ans et Amintas aprés un ans tant soulement rois secismes et puis regna .vi. ans aprés Aminitas et puis Algeus .ii. ans et aprés un autre Aminitas .xliii. ans rrois disenovismes. Et aprés regna Alixandres .i. an et aprés Tolomeus rrois de Macedoine .iiii. ans tant soullement de sa vie et aprés Perdikas .vi. ans et li rois Felipes .xxvi. ans, qui fu pere li grans roy Alixandre qui aprés luy tint Macedoine et conquist Persse, Egypte et Babiloine. Mes ançois que je de luy rien vos die, vos diray je des euvres li roys Felipes son pere une partie et de sa mere Olinpias, feme li rois Felipes et de quel tere ele fu nee et de quel lignee.

2. Dou roi Phelipe, pere le roi Alixandre, coment il vint a terre.

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Au tens toz droit qui avoit .iiii. cent ans que Rome avoit esté fondee et faite, entreprist li rois de Macedoine Fellipes a governer, li fis Amitaus7, lly freres Alixandre qui aprés Amitaus reigna, mais de toz ses freres li plus jeunes, e plus en tint au deraim la seignorie. Icil Felips que je vos di fu freres Alixandre qui ne regna que un an, quar sa mere Eurecides le fist oucire par sa grans desliouté et par sa grans male aventure et un autre son fils aprés luy por avoltire dont ele estoit covoitisse que il meïsmes feÿsent et quant il ne lor8 plassoit ou il sa volenté faire ne voloient, si les9 fasoit por venin oucire. Aprés ce que son baron fu mors, fist elle une sue fille veve de son baron qu’elle voust avoir avec elle en conpaigne. Aprés toutes ces malaventures, Felips qui avoit esté .iii. ans apris et ensaignés a 4. 5. 6. 7. 8. 9.

reigna, corrigé pour le sens d’après P. Correction dans la marge : at Aminatas .xiiii. ans eme Correction dans la marge : at Aminatas lli li

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Tebes ou ses freres Alexandre l’avoient mis en ostage10 au roy Epaymidan, qui fu sages filosophes et ardis de corage, por ce qu’il ne revelast vers luy, vint a sa11 tere bien apris et bien ensaignés de tiel roy ou il ot esté en ostages12, car li pueples le13 remanda par sa grans besoigne por tenir et por governer li regne et tantot con il fu venus, li corurent sus li enemis dou regne de toz parties por ce qu’il ne voloient que il creüst ja en force encontre aus ne en puysance. Ensi fu primes li rrois Fellipes acolli de guerre en son venir de ses voysins qui molt les greverent. Mes tantost con il ot sa jens asemblee et porquist au miaus que il puit14 la ou il sot qu’il poroit avoir aÿe, il envaÿ primerainement li Atenien por ce que il pis li fasoient et pllus le15 grevoient. Maint estors i ot et maintes grans batailles, mes en la fin furent vencu li Atenien et si mené qu’il se mistrent eus et lor cité en la volonté et en la poesté li rois Felipes de Macedoine, si li promistrent que a toz jors l’aideroient tant con il seroient en vie.

3. Que li rois Phelipe vainqui les Assiriens et aprés les Laziens et puis les Tesaliens.

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Aprés ce mena il ses ost molt grans sor les Asiriens qu’il conquist a grant force et molt i ot de lor gent oucises ansois qu’il vousisent venir a faire la volenté dou roy de Macedoine. Et quant il ses gens ot desconfites et cil aseürés l’orent de luy aidier et de treü rendre, il asist la noblle cité de Larisse qui rike estoit d’avoir et de bone gens plantive, ne puis li jor qu’i l’ot asisse primerement ne s’en parti il si l’ot a force prisse. Et si acrut li rois Felipes en grant poesté et en grans seignorie et en grans renom par toz la contree de Grece plus qu’avoit esté nul autre rroy de Macedoine qui devant li eüst renom. Aprés ce que il ot pris la cité de Larisse, fist il ses ost apariller por venir sor cels de Thesailles, ne mie tant por conquester treü ni avoir victorie con16 il fist por avoir la bone chivalerie du païs et metre en sa conpaigne. Donc lor vint il sore en tel maniere sans dexier qu’il vint jusque a la cité que cil de la cité ne si 10. ou ses freres l’avoient mis Alexandre en ostage, changement de l’ordre des mots pour le sens. 11. sa, ajouté entre les lignes. 12. n’ot esté de ostages, corrigé d’après P. 13. li 14. Forme de passé simple en uit, à la place du français ut, fr équente dans les textes franco-italiens. 15. li 16. ni avoir con ; ajout de victorie d’après P.

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aveirent si que il ne poroient avoir nule ayde et por tant il se combatirent au miek qu’il purent17, mes a la fin lé18 conquist [fol. 92 v] li rois Felips et lé mist en sa subecion. Quant le rois ot conquistés les Ateniens et Lariens et lé Tesaliens et les ot toz jons19 avec ses ost de Macedoine, il oït dire que li rois de Malorosso20 qui Aruba21 estoit apellés avoit une molt belle suer et molt gent de toutes faiçons que por noient veïst l’en au monde plus belle fame. Cele damoysselle que je vos di estoit Olimpias apellee. Donc fist le roy Felips demander au roi Eruba qu’il la voloit a feme et li rois Eruba li la outroia molt vollenters por ce qu’il pensa qui22 bien li seroit avenu s’il pooit avoir amisté avec le roy de Macedoyne, a toz tens mais en seroit ses regnes plus en pais. Mes de ceste pensee fu il engignés, car aprés molt petit de temps que li rois Felips ot la roïne Olinpia sa suer espoxee, li tolli il sa terre et l’envoya en exil ou il enveilli en dollor et fina sa vie.

4. Que li rois Phelippes ot si tote Grece que petit s’an faili que tuit ne li randissent treüages. Aprés ce avint que lli rrois Felips envoia son ost et s’en vint sor la cité de Comotum et la fist tant jusque qu’il la prist, mes ançois qu’il la prist en ot il 17. sans dexier qu’il vint jusque a la cité qu’il ne si aveirent si que cil de la cité ne poroient avoir nule ayde que por tant qu’il se combatirent au miek qu’il purent  ; la phrase est difficilement intelligible, nous avons ici anticipé le sujet cil de la cité dans la proposition qu’il ne si aveirent, puis supprimé la dernière subordination d’après P, dont le texte est plus clair : Por ceste ochoison envaï il le plus les Thessaliens qui si furent souspris quant il vint en lor terre qu’il ne se peurent porquerre d’autres gens avoir socors ne aïe. Mais neportant il se defendirent tant com il porent com hardies gens et poissans contre le roi de Macedonie et bien se cuidassent estre delivré se il soupris ne fussent o il li eüssent fait de sa gent trop desmesuré damage. Totes hores en la fin les desconfi li rois Phelippes et si les sousmist a sa poesté et si ajoinst lor grans chivaleries et lor vaillans gens a pié o ses compaignies (§ 3). Por tant que suivi de l’indicatif a en effet généralement un sens causal qui ne convient pas ici (Ph. Ménard, op. cit., § 233). Il peut aussi introduire une subordonnée hypothétique au subjonctif (Ph. Ménard, op. cit., § 263), ce qui n’est pas non plus le cas ici. Le scribe employant toujours le x pour s, dexier doit être une forme de desier, qui signifie « désir » (d’après le sens ce ne peut pas être le verbe devier). Pour aveirent, nous pensons à une forme du verbe averer au sens de « réaliser » (et le référent du il serait déjà cil de la cité), ce qui rendrait compte de l’idée de suprise qu’énonce clairement le texte de Wauchier de Denain. 18. li 19. Participe passé de joindre. 20. Correction dans la marge : at de Malesore 21. Correction dans la marge : at Auruba 22. Confusion entre qui et que.

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molt grans poyne, quar il fu navrés d’une saiete an l’oills en tel mainere qu’il en perdi la veüe et furent molt de ses jens mortes, mes par tot cist mesaisse ne se parti il mie, ains i demora tant qu’il la prist et mist trestout les gens a destrucicions. Adonc conquist il cais23 toz les cités de Gresse si qu’elles furent toutes a son comandament que onque n’en orent autre seignor que llor droiturel seignors et toutes celes qui lli soloient gueroier torna le rois Felips a son comandement si que ne se ousoient movoir contre li et s’il en oüst nulle que par son outrage se vousist mesler contre l’autre, li rois Felips regardoit la plus foiblle, si li livroit aÿe par quoy li autre erent si maté qu’il ne s’osoient plus movoir et tant fist que a la fin ot la seignorie de toz Grece, es vos dira24 en quel mainere. Il avint cose que cil de Tebes que molt estoient orgoilos et puisant de grans rikece se combatirent a Lecedemeniens et a cels de la cité de Foce et tant firent li Tebenien qu’il en oucistrent tant con lor vint a plaixir et les mistrent en tiel mainere a la lor poesté qu’il lor distrent qu’il lor25 doroient avoir et cil demanderent si tres grans some qu’il ne la pooient païer et por ceste reixon rasenblerent il lor consoill de Foce et li Lacedomeniens contre lé Tebeniens ot celle sperance dou tot estre ocis ou delivrés26 dou servage et de la grans some d’avoir qui lor estoit comandé a païer27 et ensi rasenblerent lor consoil de Foces et firent prince de lor batailles Philament28 : cil estoit molt sages et hardis, por armes vailans. Cant lor batailles furent ordenés, il envaïerent li Tabeniens et tant se conbatirent cist primerain jor29 qu’il les abatirent en lor loges par force et si lor en tolirent molt des plus vailans qu’il eüsent et grans plantés de lor avoir et de lor proies. Mes aprés ceste cosse recoilirent li Tabenien cuer et aÿe, si se conbatirent autre feis ot lor enemis, donc i ot si grans bataille que molt en i ot d’oucis d’une part et d’autre et meïsmemens Filimenus le dus de Foce i fu navrez d’une lance tranchans par mi li cors en tiel mainere qu’il en perdi la vie. Mes portant ne s’esmaient mie cil de la cités de Foces, encore i eüssent receüs grans doumages, ançois eslirent tantost Enuronans30 a dus31 qui molt estoit 23. Cais nous semble avoir le sens de «  pour ainsi dire  ». Cais est en eff et un adverbe modalisateur qui remonte au latin quasi avec le sens de « presque, à peu près, pour ainsi dire » (FEW, 2-2, col. 1428-1429). Cais existe aussi comme forme de l’adverbe de lieu ça (« ici, de ce côté », Tobler Lommatzsch, 1, 754-755). 24. Forme de première personne du futur en a, au lieu de ai, fréquente en franco-italien. 25. lors 26. delivrer 27. pener 28. phi, ajouté entre les lignes. 29. cist premerain (jor ajouté d’après P) 30. Correction dans la marge : at Enomans 31. a dus, ajouté entre les lignes.

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pros et ardiz et sages. Si resenblerent aveuc lor32 tant de jens que li Tabenien et li Tesalen se traistrent au roy Felips de Macedoine qu’il soloient si haïr qu’il se penoient de luy hoster et movoir de lla seignorie de toute Grece. Si li prierent de toz sa guere et que lles aidast contre lor enemis et qu’il les egrevast et qu’il fust sire de lor avoir et de lor gens qu’ill i avoient asenblés. Donc lor en promist li roy Felips et dist qu’il les aideroit a toz sa chivalerie de Macedoine. Donc n’i ot fat33 longe demorance. Le rois Felips ot l’aÿe des Tabeniens et de Tesaliens qui ensamble se tenoient envaïerent lé Fociens, si se combatirent tant que molt petiz en failly que toz ne li oucistrent et maintenant que lli Atenien sorent l’aventure que a cil de Foce estoient avenue, il garnirent les montaignes34. Cil de Perse furent desconfit et mors si que en petit en escanperent ne en mer ne en tere, ce fu au tans35 li rois Daires vint primerainement en Grece ot tant navie que toz le mer ou il aloit senbloit qu’il fust covers de voilles et vint en Grece encontre d’Atenes et cil d’Atenes et de Grece firent lor escielles et garnirent les montaignes et firent le duc Mecellias d’Athenes duc sor toz els et se conbatirent primerement as Perssans qui estoient tant de jent qu’il ne se pooient conter36 et cil de Grece ne estoient mie que .viii. mille chevaliers et .xxxvi. mille home a piés. Insint se combati li duc Meliciadés d’Atenes au roy Dayre de Persse par .iii. jors et par .iii. nuis dedens celles montaignes et tant y furent mors des Persans que nul ne li poroit dire ne conter37. Adonc se remist en mer li rois Daires por retorner arieres, mes cil de Grece l’asalirent et firent la gregnors bataille en mer que fust onque veüe a celuy tenps. La fu esconfis li rrois Daires en tiel mainere que petiz en escanperent des Perssans aveuc li et s’en retorna en Persse et tantost con il fu revenus il fist rasenbler toz ses gens por paser une autre fois en Grece et quant toutes ses gens furent asenblés, une grans malladie sorprist li rois Daires dont il morut et maintenant fu coronés un suen fills qui avoit nom Xersés et tantost entra li rois Xerssés en mer ot les grans ost que ses peires avoit asenbllés et s’en vint de Persse in Grece. Ileuc estoit li rois 32. lor employé à la place de els. 33. fat, forme du participe passé du verbe fare, graphie franco-italienne du verbe faire. 34. Présence ici d’un signe, un v à l’envers surmonté d’un petit rond, qui est repris dans la marge avec l’inscription suivante : por ce que li rois Phelipe n’entrast en Grece la soveraine et qu’il ne distruist ausi les cités dou roiaume et ja estoit nés ses fi ls Alixandre cui la roine Olinpias faisoit norir por grant deligiance en cel tens. 35. auquant 36. contrer 37. C’est une évocation de la première guerre Médique et de la bataille de Marathon contre Darius Ier. Mecellias / Meliciadés sont des altérations du nom de Miltiade, l’un des stratèges athéniens (Orose, II, 8, 7-12).

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Leomedés38 et rasenbla tant de jent con il puit39 de sa cité et ce furent .iiii. mille homes a keval et .xx. mille a pié et se mistrent es destreis de ces meïsmes montaignes por defendre le pas as Perssans et manderent par aide par toz Grece con40 Laomedés estoit molt vailans chivaliers. Cant li Perssan entrerent en lé montaignes, il ne purent mie trespaser en un jors, donc s’alogerent et quant furent alogé, li rois Laomedés lé sailit41 par Denus- [ fol. 93 r] -da42, un kief qui toz la nuit ne fist outre que oucire Persans as arc et as javelos et tans en ocist que ce fu grans mervoille et quant vint l’endemain, il se traist a seürtés as montaignes et conbati toz le jors aveuc li Persan et tant se conbati toz le jors que lli Persans ne purent aler que .ii. lieues avant toz cel jors par les montaignes, et toz la nuit e l’autre jors e puis la nuit et le tiers jors ne refinerent de conbatre et d’oucire Perssans, mes quant vint a la quinte nuit, il fist traire a une part toz ceaus qui en s’ayde estoient venus et s’en vint outre la sue gens que lli estoit remisse et tuit cist n’estoient que mille chevaliers et .vi. mille homes a piés et cele nuit s’abandona de conbatre43 as Perssans. In celle nuit i fist il si tres grans ocission des Persans que ce fu tres grans merveille et tant s’abandona que si hom ne remistrent que .vi. cent homes a keval et .ii. mille a piés. Mes li Perssan orent receü si tres grans domages qu’il s’entre oçoient par mesconosaince d’entre lor44 et les Grés que45 lé46 ocioient qu’il furent mort plus de la moitiés. Adonc estoit venus li dus d’Atenes – Testomides47 avoit nom – et avec luy avoit molt belle conpagnie de gens et quant vint a l’endemain que le rois48 de Persse se vit ses jens mortes et vit encore lé montaignes de ses enemis, il se deslogna d’els et se prist retorner a sa navie, donc comanda li rois a toz ses homes d’Atenes et li rois Leomedés le segui49 por ces aventures des montaignes et en oucistrent toz le jors molt des Persans, mes il estoient si tres grans gens 38. Forme altérée de Léonidas. Le récit transmet ici le souvenir de la bataille des Thermopyles. 39. Voir la note 14. 40. Con semble ici avoir un sens causal (Ph. Ménard, op. cit., § 235, 430). 41. sailit pour asailit : nombreux exemples dans le texte d’initiale vocalique manquante (spee, sperance… ; voir introduction, p. 82) 42. Denusda apparaît ici comme un nom propre, mais nous n’avons pas identifié ce personnage. 43. conbater 44. lor employé pour els. 45. Confusion entre que et qui. 46. li 47. forme altérée sans doute de Thémistocle et évocation de la bataille de Salamine. 48. jens 49. Le verbe seguir est fr équemment attesté dans les textes franco-italiens (G. Holtus, Lexikalische Untersuchungen zur Interferenz  : die franko-italienische Entrée d’Espagne, Tübingen, 1979, p. 439-440).

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qu’il ne senbloient venir a meins. Li rois de Persse aveuc ses gens ala a sa navie, donc comanda li rois a toz ses homes qu’il se entrasent en mer et qu’il voloit fer la bataile en mer aveuc li Grizois. Donc se parti li roy par consoil d’un suen princes50 qui Mardoncus51 estoit apellés et s’en retorna in Persse ot une partie de sa navie et de ses homes. Por acu sonsil fust, n’esconsast qu’il perdist le regne de Persse52. Donc remist cil Mardoncus prince de la bataille qui puis fu esconfis en mer por les gens en tel mainere que molt petit en escanperent de vis qui se retornasent en Persse.

5. Que molt estoit dolans li rois Phelippes qui tote Gresse ne pooit conquere et coment il asist Bisance que ore est dite Constantinople et il renvaï ceus d’Atenes et aprés coment il morut.

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Quant li rois Felips sot sertainement que lli Ateniens orent prisses et garnie lé montaignes et qu’il conut qu’il ne poroit entrer en Grece ne ja venus soumetre53 a sa seignorie – ce estoient li Atenien et li Lacedoniens –, il vint tantost sor lé Tabeniens et sor les Tesaliens in qui conpagne il estoit et en oucist trestoz et destruit andos lé cités – ce fu Tebes et Tesaille – et lé mist a sa segnorie et lé mist toz en servages et prist l’avoir. Aprés si vint il en Capadoce. La le reçurent54 cil dou regne benignement et le onorerent, mes si les55 atorna toz insi con il fist lé Tebeniens et lé Tessaliens. Quant il cuidorent56 estre plus seür et avoir de luy57 force et aÿe, il prist le roy por traïxon e por mençogne et li aus barons avec luy et les58 fist trestoz ocire e puis mist il toz cel regne a sa subecion et a sa segnorie. Encores aprés toz ces coses59 qu’il faisoit se porpensa 50. preces 51. Forme altérée pour Mardonius. 52. Por acu sonsil fust, esconsast qu’il ne perdist le regne de Persse, ces propositions posent un problème. En estimant que sonsil est une graphie de consil et en changeant la place de la négation dans le deuxième terme, nous proposons le sens suivant : « si subtil fût le conseil, il ne lui aurait pas évité la perte du royaume de Perse ». Xersès perd en effet ensuite le pouvoir, comme il a été relaté plus haut dans l’Histoire ancienne jusqu’à César. 53. soumet 54. li reçururent 55. li 56. quant il le uidorent 57. le 58. li 59. coses, ajouté.

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qu’il faroit oucire .iii. ses freres60 qu’i avoit de par son pere, por coy il avoit doute qu’il ne li tolisent li regne, mes quant il s’aparçurent que li rois lé caçoit de trover oceison sor els, il s’escanperent a une molt rike cités que Lonpe61 estoit nomee et maintenant que li rrois Felips sot qu’il estoient foïs en celle cité que riche estoit e noble et de grant renomee, adonc vint il et la prist par force et quant il l’ot a force prisse par grans asaut et por grans poyne, il traist fors62 ses proikans parans et les63 fist de cruosse mort ocire aveuc toz cil de lla cités, et homes et femes et enfans, et la cités fist il fondre et li murs et lé tors abatre. Aprés toz ce regarda il les aus barons de son regne, fist il destruire por ce qu’il ne faÿsent a luy nulle traÿson. Cant il ot en tiel mainere oucis ses amis et ses parans, si s’enorgoilli molt de grans mainere. Il fist metre galies armés en mer por prendre l’or et l’argant qu’il troverent e puis tantost il s’en alla en Texailles64 et quant ill i vint, il avoit .ii. freres jeunes qui le regnes avoient parti entre els en deus pars. Cist .ii. freres avoient entre els la discorde et en celle discorde se mistrent il en le roy Felip qu’il lé concordast. Donc vint li rois Felip ausi come por els concorder a droit et mena avec luy65 ses gens toz armés et ordenés ausi come por bataille et maintenant qu’il vint, il envaï lé .ii. freres et lor touli la vie et prist li regne. Li Ateniens qui primerement furent contre li in Grece qu’il li avoient defendue la montaigne qu’il avoit garnies, revindrent tant de lor gré a sa pais et a sa volenté et le amonesterent66 et cil prist tantost les voyes des destrois por paser, qui mout estoit perillouse qu’il avoient defendus. Puis somist il a sa seignorie toz les autres cités de Grece in forme de pais e por ce que l’une eüst pais vers l’autre et que lles autres voysines qui mout erent perilouse defendisent. Adonc vindrent a luy Tesaliens et le67 prierent qu’il les68 aidast contre cil de Foce et i lor promist et dist qu’il ne combatisent mie sens li et quant69 ce sorent cil de Foce s’apristrent aveuc lor70 lé Ateniens et li Lacedemoniens, si manderent au rroy Fillips, si lli prierent et promistrent

60. Freres est une correction après grattage. Le terme est suivi du mot parans, que le copiste relecteur a barré. 61. Correction dans la marge : at Olinpe. 62. il se traist s. 63. li 64. correction dans la marge : at en Tarsie. 65. mena avec luy mena il ses 66. les amonerent, corrigé d’après P. 67. li 68. li 69. quant ajouté entre les lignes. 70. lors (lor employé à la place de els).

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avoir qu’il n’i aidast li Tabeniens. Donc lor71 en promist qu’il concorderoit et feroit droite paix ensenblle. Einssi come vos oés et poés entendre, por l’ordenement cil de Foce et cil de Grece fist il tant qu’il garni lé destrois des montaignes et se mist es castiaus ses gaites por avoir la segnorie de tote Grece qui tant estoit orgoilose et poestive et rike d’avoir et de chevalerie qu’elle estoit sousmisse a la72 volenté dou rroy Fellips. Toz au començament envaït il cil de Foce si que onques n’i regarda seramens ne liautés qu’il lor eüst juré73, ains lé oucist et destruist et livra a mesaisse. Aprés ce fist il meïsmemens en tel mainere a les autres cités tant que toutes cremoient por li des grans grevances qu’il veoient qu’il avoit faites par toz li tens qu’il avoit eü seignorie et puisance. Insi soumist il toz Grece a sa segnorie e soz li regne de Macedoine, en tel mainere signerit il lé cités et lé gens de Grece et donoit la seignorie dou regne a cui74 il voloit a son plaisir et ensi come vos avés oÿ et entendu, estoit adonques toz Grece en grans haine et in grans male aventure car ou li rois Felip estoit en Macedoine, les75 covenoit toz jor obeïr et faire toz son comandament. Donc les uns envoioit encontre76 lor enemis et en deraine parties de lor regne por ce qu’il n’i peüsent avoir nul secors de lor amis, et meïsmement les autres77 envoioit il en lé cités destruites por ce qu’il ne peüsent avoir grans rikeces dont il se pusent contre li relever ensi come il soloient faire. E ensi fu Grece abaxie [fol. 93 v] et onie qui soloit estre si noble et si enforcie de rikece et de france chevalerie par tel Fellipe qui fu de la nation de Troie. Quant i les ot ensi somist a sa volentés et toz lé rikeses mis enseblles, se porpensa en son cuer qu’il feïst la noble cités de Biscens kief de son regne si le pooit conquester. Ceste cités de Bisance78 estoit poplé de gens qui ysirent de Troye, mes puis in aprés fu elle apellee Costantinoplle79, mes ançois tint la roÿne Eleyne celle cités qui molt ot grans renom et grans seignorie par toz li Levant80 et si estoit chief de son 71. li 72. sa 73. si que onques seramens ne liautés, ains lé oucist ; n’i regarda et qu’il lor eüst juré ont été ajoutés d’après P. 74. cu 75. li 76. les uns envoioit encontre : ajouté pour donner un sens à la phrase incomplète, d’après P. 77. les envoioit il ; autres ajouté d’après P. 78. Une barre oblique entourée de deux points est inscrite ici et renvoie à l’ajout de la marge : avoit esté fondee et faite devant ce grant tens dou rois parte qui Paumas estoit apelez. 79. Deux petits ronds sont figurés ici et renvoient à un nouvel ajout dans la marge : de part Constantin le prince cristien empereor de Rome, fi l la roïne Elene. 80. Présence ici de deux barres obliques entourées de deux points, qui renvoient à une inscription dans la marge : et encore cele cité est molt riche d’avoir et de grant marcandises.

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reigne et d’Oriant81, Cele cités asist li rrois Felips, mes il ne lla prist mie ensi ligierement, ansois despendi il molt grans tresor por retenir les gens et li chevaliers qui demorerent plus de .ii. ans en toz, et por cel avoir rekater et li trexor qu’il avoit despendu in cil siege fesoit il aler corseors et robeors de mer en galies por mer qui prendoient toz les nés qu’il pooient avoir et portoient au rroy Felips. Ancor fist il plus que il meïsme se parti ot la moitié de sa chevalerie qui aloient roubant toz celle contree en jusque Siche82, la tere dou rroy Atons83. Cist rrois Atons estoit asés rik d’avoir et de tere et de gens et guerioit ot li rois de Istrianiens84 qui molt l’apresoit et destruioit par sa bone chevalerie et por ce qu’il estoit ses prokains voysins. De cest destruimens et por la grans paor que li rois Atons ot85 encontre li rois Felip si tost con il le sot li nouvelles, si le pria de foy qu’il li feïst aide encontre cele gens que lle gueroient ou s’il li poüst86 venger de ses enemis, il li donroit de son avoir et si87 atendroit il88 sa gré tant qu’il li pleroit et feroit toz jors mes a son comandement. Cist couvant otroia li rois Filip. Tantost corut sor les Stremoniens et lé89 venquirent et oucistrent90. Quant li rois Atons vit qu’il estoit delivrés de ses enemis et que jamés n’avroit vers li puisance au jor de lor vies, il se retraist arieres et renoia91 au roy Felip92 ses couvins qu’il avoient fais li un a l’autre et devixés. Quant ce vit li rois Fellips, il en ot mout grant ire et maintenant il envoya par toz son ost qui estoit devant Bisance, si lor fist leysier li siege por venir en Siche93 sor li roy Atons, cui94 il aoit duremens par li couvens qu’il avoit faillis, mes li rois Thoas fist tantost apariller toz ses gens por venir encontre li Macedoniens. Donc comença la bataille et sakés que li rrois Toas fust maintenus molt bien 81. et d’Oriant, ajouté entre les lignes. 82. Siche, ajouté entre les lignes. 83. Correction entre les lignes : at Ateas. Et après Atons, présence d’un v inversé surmonté d’un petit rond, qui renvoie à une note dans la marge : et avec lui ses fi lz Alixandre qui estoit ja tiex qu’il pooit bien cevaucer por la proie et la terre prendre a force. 84. Ministroniens ; mais correction entre les lignes : at Istrianiens. 85. Ajout d’une barre horizontale coupée par deux barres obliques, pour renvoyer à un ajout : des Istrianiens vint. 86. poüs, amuïssement du t final de la troisième personne, corrigé. 87. li 88. li 89. li 90. Passage d’un verbe au singulier (corut) à deux verbes au pluriel, soit implicitement du sujet « Alexandre » au sujet « les Macédoniens ». 91. renoia est une correction entre les lignes de dona. 92. au roy au roys Felip 93. en Siche, ajouté entre les lignes. 94. car, corrigé d’après P.

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si ne fust li grans rroy Felip et l’engiens que li rois Felips porpensa, car il fist dire qu’il voloit devenir ses amis et qu’il voloit oisir de sa tere et layser toz li couvans ester. Et Toas li rois le95 crut et fist ses gens traire insus, donc li manda li rois Felips que la sue pais li plasoit de grans mainere et qu’il s’en volloit retorner en Macedoine. Entre ceste parolles les gens le rois Thoas furent96 refredi dou combatre et une grans partie desarmé, donc lor corut sus li rois Felips ot li Macedonien et lé97 enorta qu’il lé98 envaïssent cruelsment qu’il seroient maintenant vencus et enssi firent. La fu li rois Toas ocis et ses gens mortes et desconfites et toz ses païs confondus et si prist bien .xx. mille homes et mult des enfans et fames qui furent tuit vendus et donés en servages99 par molt contrés100. Si com l’istoire raconte en amena il plus de .xx. mille bestes, que bos que brufels101, mes quant il si revenoit, si li vindrent a l’encontre une molt fiere gent qui estoit apelés les Baliens102. Cil firent grans bataille au rroy Felips et as Macedoniens, la bataille fu grans e periolosse si que li rroys Felips i fu navrés en tel mainere por la cuysse d’une spee trankant qui li pasa de l’autre part e fu ses civaus mors et abatus soz luy. Quant si chevaliers le virent, l’aiderent et cuyderent qu’il fust mors, et tantost le pristrent si chevaliers et le103 traistrent fors de la presse et se mistrent a la fuge104 et onques tant ne lor put dire li rrois Felips qu’il se vousisent retenir. Adonc perdirent il la proie qu’il avoient gaagnés et plusors de ses chivaliers. Donc perdi li rois Felips cele ba95. li 96. fu ; corrigé pour l’accord. 97. li 98. li 99. Sous le mot servages, présence d’une barre oblique entourée de deux points, qui renvoie à une inscription dans la marge : at jumentes gentils et beles en Macedoine por chivaus avoir et norir por les vailans chevalier de la Grece. 100. par es contrés 101. Que bos que brufels est un ajout du remanieur. Alors que son texte ne reprend pas d’Orose l’évocation des juments (voir l’ajout en marge transcrit à la note 99), il précise que ces animaux sont des bœufs ou des buffles (voir FEW, 1, 580, bubalus, buffle ou bœuf sauvage). Le terme brufels n’est pas attesté dans les dictionnaires d’ancien français (ils mentionnent bouffle, buffle ou busfle) ni dans le Grande Dizionario della lingua italiana de S. Battaglia, Turin, 1961 ; le Diccionari etimológic i complementari de la llengua catalana de J. Coromines, Barcelone, 1980, t. 2, p. 288-289 atteste la forme brufol : « una espècie de bou més brau i gros que aquest, avui animal exótic », d’après l’étymon bufalus. 102. correction dans la marge : at Rubamen. 103. li 104. Fuge est absent des dictionnaires de l’ancien français (Godefroy et Tobler Lommatzsch), le mot est très proche du latin fuga et de l’italien fuga. L’ancien français connaît les mots fuie, fuite.

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taille, puis s’en retorna en Macedoine et demora tant qu’il fu bien garis et sans105 de sa plaie. E puis tantost fist il rasenbler son ost et s’en vint in Grece et envaï106 li Ateniens por ce qu’il estoient revelé contre li. Donc furent molt grans jens ensenble. Entretant que li rois Felips estoit in ost, s’en vindrent a li molt de lé cités de Grece por li aider et ce fesoient il plus por paor que por amor, mes la grignor partie se tindrent aveuc a cil d’Atenes. Quant les ost furent ensenble et furent lé batailes ordenés, molt107 furent intalenté e l’une e l’autre partie de confondre lor enemis, mes cil de Macedoine qui estoient jens molt adurés de batailles, venquirent108 en la fin li Atenien et bien sakés que en toz Grece n’avoit si cruosse bataile et ne fu onques retenue o une ou l’autre partie se ne fust por ce que toz l’onor de Grece i gisoit et la francisse qu’il soloient avoir ancianemens, mes in cel jors fu ele fenie et abatue et por ce s’estoient il tant contretenue li uns as autres et por ce ot molt mors des Ateniens de la sue part, kar tuit s’i laserent luiter a mort et a martire por defendre lor frankise et lor cités et lor avoir et lor vies, mes dou toz furent il deserités, kar li rrois Felips les109 destruit toz et fu sire de lor110 et de sa cités et fist a molt des aus barons de Grece couper la teste, et bien vos di que li rrois Felips i perdi grans partie de sa bone chevalerie et quant il ot toz cist vencus, il s’en vint sor Tabeniens et sor toz les autres Grés qui lli avoient esté en aÿe et les111 soumist toz a sa segnorie e puis manda il toz lé grans prince en exil et prist lor avoir et ostages et lor fist pis qu’il n’en avoit fait a ses enemis. Aprés ce, quant il vit qu’il avoit enssi toz Grece vencue et soumisse a sa segnorie, fist il asenbler de cil de Grece .ii. c. mile serjans et .xv. mille chevaliers aprés cil de Macedoine por aler en Aysse et si eslut112 trois dus de ses gent – Talamons, Amikan et Parmenionum – por envoier en Perse. Endementiers qu’il asenbloit toz l’avoir de Grece por aler in celle voye, Alixandres qui frere de sa mere estoit et qui puis fu ocis entrues en la cité de Luque113 par les Sabiens, cuy il avoit fet rroi d’Egipte por le loier114 de la tres basse vilaine amor qu’il avoit a li d’un vilz peciés, laide e puanz, dont la cités de Sodoma et Gomore furent 105. 106. 107. 108. 109. 110. 111. 112. 113. 114.

graphie pour sains. envint ordenés et molt furent, suppression de et. de batailles et venquirent, suppression de et. li lor employé à la place de els. li esbat, corrigé d’après P. de Luque, ajouté entre les lignes. por desloier

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peries, lui avoit doné une sue fille a fame qui estoit només Cleopatras. Il fist a cel jor faire molt grans noces et quant vint aprés manger, il s’en aloient veoir le çeuc que fesoient li liçer bakallez115 desor l’[deux mots effacés] et de une part li aloit Alixandres ses fils qui avoit presque .xii. ans et d’[autre part116] ses gendres Alixandres cui il avoit fet [Enluminure dans la marge inférieure du fol. 93 v : à gauche, Upafna tuant Philippe, à droite Alexandre brandissant son épée, et derrière lui un groupe d’hommes] [fol. 94 r] novels rroy. Si avoit molt grant presse de gens. Adonc vient Upafna117 a cuy il avoit fet oucire son pere, si lli mist une spee par mi li ventre dont il morut, mes Alixandre si le ferit maintenant de sa spee parmi la teste e l’oucist devant ses peires118.

6. De Neptabus li rois d’Egipte qi fu peres Alixandres si com li pluisor content et dient119.

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Bien120 avés entendu coment li rrois Felips fu mors, mes ançois qu’il fust mort bien .xii. ans et plus, au tens qu’il seoit sor la cités de Bisance ou il demora plus de .ii. ans entiers et que par .xiiii. ans devant n’avoit finé de guere faire a toz ses voysins de Grece et en toz celle contree – et par .xii. ans aprés ne refina jusque que il fu mors en tel mainere come vos avés entendus –, avint 115. Exemples de deux ç italiens, qui équivalent ici à un g ou un j (jeuc, geuc ; liger) ; bakallez est une forme de bachelier (*baccalaris, FEW, 1, 198), avec absence de palatalisation. 116. Mots effacés, on peut supposer qu’il s’agit de « autre part ». 117. At Aupasoniam, correction ajoutée au dessus. Upafna, altération de Pausanias. Présence aussi de deux barres obliques suivies d’un petit rond, qui renvoient à une inscription dans la marge : qi jovenciaux estoit et de la lignie Orestes de par sa mere. 118. Peires suivi d’un v inversé surmonté d’un petit rond, qui renvoie à une inscription dans la marge : Ensi fi na li rois Phelipe de Macedoine peres Alixandre e qi tant fist de males aventures et de bataille e de desloiauté en .xxvi. anz qu’il tint et regna le regne de Macedoine. A cestui et les autres rois et contes et duc et barons qui adés estoient entalenté et eschaufé de mal faire, puet hom asenple prandre, a quiex honors et merites au dereain il en avenoient, car de .xxvi. anz qu’il regna ne fina il onques de cités ardoir ou d’asenbler batailles ou destruire contrés ou d’omes occire ou d’assenbler granz avoirs et granz richeces par rapine ou par vandre homes et femes en servage ou de faire traïson vers ses freres et vers ses serors. En la fin ne li vaut tote la malice que il avoit, car il fu ocis par traïson et en perdi la vie. 119. Le § 16 du ms. Paris BnF fr. 20125, avec la rubrique « Que mout fist li rois Phelippes, li peres Alixandre, de maus et de felonies », est absent du manuscrit de Vienne. 120. Le manuscrit présente ici une lettrine, avec à l’intérieur de la lettre B un personnage couronné qui est sans doute Nectanabus.

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cosse que un rrois d’Egipte qui Netabuz avoit nom et que cil de Persse et de Scite et de Mede estoient121 cors sus sa tere se parti d’Egipte et s’en vint en Macedoine. Cil Netabuz estoit molt sages, de toz les ars de nigromancie savoit tant que ce estoit merveille et quant il vint en Macedoine il vint molt pobremens, ensi come cil qui estoit descacés de son regne. Adonc soumis li rois de Persse toz Egypte en sa subecion et en fist un autre rroy. Come cil qui ne voloit demostrer qu’il fust demoré en la mayson le rroy toz coiemens, tantost122 com il vit la rroïne Alinpiades qui molt estoit belle de grans maniere, il s’enamora molt en li en tiel maynere qu’il dit a soy meïsme qu’il convendroit morir ou il l’avroit. Adonc se porpenssa que lla roÿne avoit un petiz temple en suen pallais d’un suen dieus que elle apeloit Amon et Amon avoit senblance d’un moutons. Cil se porpenssa que il meïsme feroit en tel mainere de nigromantie que de nuit a senblance de celuy mouton iroit a la roïne et en tel mainere la poroit il avoir a sa volonté. Et ensi fist il que il alla en celle senblance meïsme et tant li dist de part cel deu qu’il covenoit jesir123 avec li et cil124 concevroit filz qui toz li mont conqueroit et si il125 s’en vint en guisse d’un oysel volant un soir sor une fenestre et la roïne gisoit desous celle et estoit en grans pensee de cel deu que si sovant li aparisoit et qu’elle li requiroit qu’elle feroit. Dont li fist li oisels un ouf en son sein et tantost ciet du sein en la paivament de sa canbre et tantot se brisa et tantost en esit un serpentis que avrona l’ouf dont il estoit ysus et quant vint qu’il voust retorner en son loc126 dedens li glof127 de l’ouf, il morut. De ceste cosse se merveilla molt la rroïne et maintenant s’en alla li oysels e puis tantost revint Netabuz en guisse dou moton de son deu Amon en celle meïsme senblance qu’il estoit venus l’autre nuit. Donc li conta Olinpias de l’oysels qui lli estoit aparus et li conta toz l’afaire coment li estoit avenus et cil dist que lli dieu lui avoient mostré cil signe por akeyson qu’elle128

121. de Mede qu’il estoient ; suppression de qu’il. 122. toz coiemens et tantost ; suppression de et. 123. yesir 124. Emploi de la forme masculine cil à la place de cele (la reine). 125. s’il 126. Graphie pour le mot lieu. Le FEW, 5, 392, mentionne, dans l’article locus, une forme loc dans la langue du Rouergue. 127. Le terme glof n’est pas attesté dans les dictionnaires de l’ancien français de Godefroy et de Tobler Lommatzsch. Comme dans le manuscrit de Vienne le g équivaut parfois à un c (voir peu après engeinte pour enceinte), nous y lisons une forme du terme clef, au sens large de  « ce qui donne accès, ici la coquille de l’œuf » (FEW, 2-1, 764, clavis). 128. elli

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creïst veraiement que de lli ensyroit129 un fils qui toz le mont avironeroit et seroit sire et quant il retorneroit en Madecoine il moroit. A celle parolle le130 crut la royne et se consenti a sa volonté. Maintenant fu la roÿne engeinte131 et li demanda que ce pooit estre li rois Felips. Lors li conta la dame et dist que onques a nuls hom karnels ne avoit estés, mes ses deus132 Aimon avoit aveuc li esté que133 li avoit dit que de lli devoit naistre un fils qui devoit estre sire de toz li monde et que au revenir en Macedoyne il moreroit. Adonc crut maintenant li rois Felips que ce fust verités et qu’elle fust enceinte de ses deus Amon. Et tantost come ele fu delivree, ele le fist nomer Alixandre par amor son frere que Alixandre avoit a nom et quant vint que Alixandres fu tant creüs qu’il avoit .xii. ans enters et qu’il s’en aloit aveuc Netabuz – a maistre l’avoit doné –, une soir par sor lé murs dou palais son pere en Macedoyne que Netabuz li avoit mostrés les cors des estelles, maintenant134 li fist Alixandre un demandaxon et li dist de quell mort devoit il morir et par cuy main e li maitre ne li voloit dire. Adont di Alixandres qu’il le covenoit dire en toz maineres ou il l’oceroit mantenant. Adonc di Netabuz ses mestres que ses peres estoit et que il moroit de main d’un suen fils et tantost come Alixandre l’oÿ ce dire, il le buta jus des murs et cil keÿ molt d’aut en lé fossés de la cité. Adonc se debrixa Netabuz en tel mainere qu’il couvint morir, mes ançois qu’il fust mors li dist que ses aÿs135 li faloient, mes cil ne faloient mie, et li conta coment il estoit ses fils et li conta toz l’afaire. Donc s’en vint tantost Alixandre a la rroïne et li demanda se ce pooit estre verités que Netabuz li disoit. Adonc s’aperçuit136 la roïne que ce pooit bien estre. Donc fist Alixandre prendre li cors Netabus et le fist sepelir autement come rrois. A ce meïsme tens que ce fu, avint que li rrois Daires de Perse envoya ses messages au rroi Felips que li 129. Une correction au-dessus du mot, entre les lignes : deux mots effacés. Le verbe ensyr est fréquent dans les textes franco-italiens (G. Holtus, Lexikalische Untersuchungen zur Interferenz : die franko-italienische Entrée d’Espagne, Tübingen, 1979, p. 300). 130. li 131. Graphie g à la place de c. 132. des 133. Exemple de confusion entre que et qui. 134. estelles et maintenant ; suppression de et. 135. Dans ce qui est un ajout du scribe italien, nous pouvons penser que le mot aÿs est l’équivalent de aÿe « aide », bien que ce mot prenne ailleurs toujours un e final dans les folios édités. Notons néanmoins que selon l’article aquila du FEW, 25, 72, il existe une forme ay dans certains dialectes (Doubs, Béarn), avec le sens d’ « aigle » et que les aigles pouvaient évoquer des pratiques de divination. 136. Forme de passé simple en uit, à la place du français ut, fr équente dans les textes franco-italiens.

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deüst rendre li treü que ses peres et si freres li avoient rendu a son tens. Quant Alixandre oït que ses ancestres avoient rendu treüs au roy de Persse, dist a son pere que cist treüs ne seroit jamés rendus et que il voloit respondre as mesages a sa volentés. Adonc respondi as mesages que si ancestres avoient eü une ouson137 qui llor fesoit cascuns jors un ouf d’or. « Mes puis que je nasqui jamés ne fist nuls et de cel tresor n’en oit 138 paiés li treüs et sakiés que depuis que li ouf d’or failli, failli li treü ysement. » Celuy mesage desfia139 tantost le rroy Felips de part le rroy Daire et li dist que procainemens li venroit140 dedans sa contré meïsmes et li respondi qu’i ne li seroit besoing venir tant avant quar prokainemens le troveroit en le regne d’Egipte sans demores.

7. Que Alixandres conquist son chival Bucifal et aprés la mort son pere porta corone et n’avoit que .xii. an, et coment il prist Tir et tote la contree et aprés coment par pluisors foiz se conbati au roi Daire et le vainqui, et aprés le rois quist aïe au roi Porus.

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E a celuy tens avoit un molt grans keval noir et de141 molt orgoilous façon in Macedoyne que l’en disoit qui estoit engendrés d’un dragon et sakés que quant il estoit corociés, li eysoit par le naris flanbe de fuec ardans. Toz jors estoit tenus en kaenes molt durement ne onques n’avoit si hardi home in le regne qui l’osast aprosmer ne li osast metre ne frein ne selle. Ançois que cist mesages se partist de Macedoine, a142 une grans feste que li rois Felips feysoit, monta l’infens Alixandre sor cist [ fol. 94 v] ceval que Bucifas estoit apellez, a cuy li ceval s’estoit umilliés, et le mena a sa volonté et si n’avoit que .xii. ans enters et sakés que li rrois Felips avoit respons de sses deus143 que cil qui cil keval poroit deminer et cevaucer demineroit toz le monde entor, mes adonc s’aperçut li rois Felips que Alixandres demineroit toz ensi con sa feme li avoit 137. C’est une exploitation de l’Historia de preliis : voir l’édition d’A. Hilka de l’Historia de preliis J2 , Der altfranzösische Prosa-Alexanderroman, Halle, 1920, p. 44 (le texte latin évoque une gallina). 138. Oit. Alors que la forme commune du verbe « avoir » à la troisième personne du parfait est ot, il existe une forme dialectale oit, plutôt attestée dans le nord de la France et formée à partir de la première personne oi (Fouché, § 164). Voir plus loin hoit et aussi soit. 139. Desfierent, correction pour l’accord de nombre. 140. li veroit, oubli de la barre de nasalité. 141. noir et molt orgoilous ; ajout de de. 142. de Macedoine une grans ; ajout de a. 143. des

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dite. A cele meïsme festes fu li rois Felips mors, si con je vos contay ariere. Maintenant que le rrois Felips fu sepelis, fu Alixandres coronés et puis s’en ala o toz son ost a Pille que lli estoit revellee por la mort que il avoit oÿ du rroy Felip. O toz l’aÿe de ses gens, i les venqui et torna en sa subecion. Aprés se combati au rroy Nicholas e le144 venqui et si n’avoit que .xvi. ans. Aprés ce vaït145 il la cités de Montone e la somist a sa segnorie et mist grans truage a toz ceaus qui lli estoient revelés e puis tantost fist il abandoner li tresor son pere et fist crier grans ost de tant de gent con il pora mener et aler por les stranges contrees conquester. Des Macedoniens ot il .lxxv. mile homes a pié d’armes portans et .viii. mile chivaliers a keval et de cil de Grece et de stranges contrés ot il .lxx. mile homes a pié et .x. mile a keval. Ensi furent en some .c. et .lviii. mile que a piés que a keval bien armés. Adonc se vint il o toz ses grans ost en Trace et ocist la cités qui Nikolie estoit apelez et tant que il la prist a force et d’iluec s’en alla il en Cecille, si la conquist a force et venqui cele gens por grevosse bataille. Aprés intra il en Itaylle et quant li Romain le sorent, il envoyerent une corone d’or a pieres preciosses et un rike nois146 que147 a. xl. poncels d’argent et un rike setre148 de roy et .ii. mile chivaliers en s’aÿe. Et ensi s’acorderent bonemens qu’il ne fist nul esforz en Itaille por amors des Romains. Adonc149 estoit consulles en Rome Valius Torquatus et rois in Persse Dariaus. Cant Alixandres se fu ensi acordés as Romains qui lli avoient promis aÿe a sa volontés, il prist toz la navie de Rome et toz cele qu’il trova en cele contree e puis s’en vint en Secille et conquist toz Cecille qui onques n’avoit fait ne tant ne quant por nul seignors fors c’a par son droiturel seignors et iloc fist il asenbler toz sa navie et s’en paserent en Libie. Et quant il fu entrés in la tere de Libie, li renoms de li estoit si grans c’a poyne i ot cités tant fort ni tant amuré e meïsmemens Cartages qui estoit le kief dou regne qui ne150 li obeÿ a fer sa volenté et quant il ot toz celle terre conquise, s’en vint puis en Egypte qu’il conquist a molt grans batailles et oribles et iloc n’i151 ot il plus de Tyr et de Sidoyne qui estoient molt onorables cités et anciene et si lé152 asist. Et 144. 145. 146. arme. 147. 148. 149. 150. 151. 152.

les vaït, pour envaït Nois peut désigner la partie mobile sur l’arbrier d’une arbalète, ou peut-être une autre Confusion entre que et qui. Setre désigne un sceptre. adon qui ne ajouté. Iloc i ot ; ajout de la négation. l’

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Sidoyne li fu rendue et si fu Tyr isemens cuy il asist molt longuemens et tant lé combati que a la fin se rendirent il por mois et por puis a sa volenté et a sa merci e puis fist les grans murs et les fort tors abatre et prist toz l’avoir et de llé gens enmena il asés en servage. Et quant Alixandre ot ensi gasté la cité de Tyr come vos poés oïr et entendre, puis s’en repaira153 il in Scice154 et iloc li envoia Daire155 une letre de grans orgoill, pleyne de grans boubans et moustrans et disans qu’il estoit le plus grans roy du monde et cil qui plus de gens avoit et li manda qu’il s’en retornast en sa tere. Se il ce ne fesoit et ne li rendroit le treü que si ancestre li soloient rendre, il venroit sor li et destrueroit li e toz ses gens. Donc li manda Alixandre une autre letre qui disoit qu’il n’estoit esmeüs de son regne mes por veoir la garentisse de Persse, et que li deu voloient que selle156 grans rikesses fusent des vailans homes de Macedoyne et qu’il venroit157 in Persse prokainemens et il158 poroit veoir se il poroit atendre et maintenant fist il movoir son ost et s’en vint en Arabie por envaïr Daire le roy. Et sakés que Alixandre n’avoit ot luy que .iiii. mile et .v. cent chevaliers macedoniens159 et .xii. mile homes a pié armés et de gens a keval de Grece .xx. mile – ce estoient lé jens en cuy il s’en fioit – que n’estoient tuit que .xxxvi. mile et d’autre gens qu’il avoit conquistés bien .lxxxiii. mile. La some de toz les gens que Alixandre avoit en sa conpagne furent .c. xx. miliers. Coment li rois Daire oÿ dir que Alixandre venoit sor li, il asenbla ses gens tost isnelement et quant il furent ensenble plus de .vi. cent milers, donc s’aprokerent tant li Macedoniens qu’il se combatirent avec celles gens et si n’estoient que .xxxvi. mile et .d. cent en cuy s’en fioit Alixandre qui se conbatirent, car a celle fois ne se conbatirent mie li strange chevaliers, mes soulemens li Macedoniens et cil de Grece. Adonc furent vencus li Persent plus por l’ingin Alixandre que par force, car il fist de ses gens .iii. escielles. En la premere eschiele mist il toz lé Macedoniens et cil de Grece, et en fust Tolomeus sire, et li remenans de toz les autres gens de toz les autres contrés fist il espandre et demorer par toz la contree et de lé gens estoient plus de .lxxx. mile qui furent ja comandé a Casandre et a Stolation et comanda leur qu’il ne deüsent ferir sans li congitus160 li rroy Alixandre. Adonc se devissa Alixandre qu’il ne fust 153. 154. 155. 156. 157. 158. 159. 160.

repairal Il s’agit de la Syrie. Le sujet Daire est ajouté. Confusion entre s et c. ver li chevaliers de macedoniens Mot absent des dictionnaires d’ancien français, sens de « accord ».

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coneüs et tant firent et tant se conbatirent les .iii161. escielles que lla bataille dura jusque au vespre. Adonc i ot tant des Persans mors que toz li canp en estoit covers. A la vespre comanda Alexandre que cele gens qui estoient remisses en la coste desindent por venir a la bataile et tantost fist il soner162 les buisines et desendre sa grans baniere aussi aval et quant ce virent li Persans, il se mistrent a la fuge et furent esconfit et veincu ly rrois Daires. Iloc fu fait grans ocison, iloc escanpa li rois Daires in Persse a toz de jent con il ot et maintenant recoilli il tant de jent con il put avoir et s’en retorna encontre Alexandre. Et quant Alexandre ot vencu li canp, il se retorna vers Gordian, una cité de Frisse, si l’asist ot sa chevalerie tant qu’il la prist a force et quant il l’ot a sa volenté, si fist destruire maintenant murs et forteresces et tantost li vindrent nouveles que li rois Daires li venoit a l’incontre ot molt grans jens. Quant Alixandre oÿ ceste nouveles, il douta les destrois des montaignes ou il estoit et tantost se parti et s’en vint un jors par montaignes .xv. liues jusqu’en la cité de Tarsse et quant il vint si s’en baigna por le grans calor qu’il avoit eü. Icelle aigue estoit molt [fol. 95 r] froide, lé gens de celle contree l’apeloient Eyo. En cele aigue prist Alixandre si grans froidure aprés la desmesuré calor que tuit li menbre li ardoient tant que plusor cuiderent qu’il deüst morir. Entretant con Alixandre gari de ceste chose, li rrois Daires s’en vint aparoilés de la bataile et se murent ot quant qu’ill purent amener des gens et si mena meïsmemens sa mere et sa fame et ses .ii. belle filles por plus aseürer ses princes qu’il163 n’escanperoit de la bataile en nule mainere, qu’il voloit ansois morir et si ot avec li .iiii. cent mile homes a pié et .c. mile a keval et quant Alixandre sot que li rois Daires li venoit a l’encontre ot si grans chevalerie por conbatre contre li, il douta en son corages et si ne fist onques senblant. Adonc fist il ses gens s’apariler et sakés qu’il avoit asés plus de gens a cele fois qu’il ne avoit a l’autre devant, car de la cités d’Archades et de plussor autres cités li estoient molt de jens venue en aÿe et tant qu’il avoit bien jusque .clx. mile homes a piés que a keval. Cant lé batailles furent ordenés et devisés d’une part et d’autres et li cors et lé buxines sonerent, l’en peüst oïr merveillose noise et veoir resplandexir les armes contre li soleil. Les batailles comencent mortel, donc sermonent li .ii. rois lé gent de bien faire. En cele batailes josterent a cors a cors Alixandre ot li rois Daires et se firerent sor les escuz des espeus trancans. A cele joste fu portés li rois Daires a tere et a luy rescore fu molt grevosse meslee des Persans 161. .ii. 162. sons 163. princes et qu’il

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et des Macedoniens insenble, mes quant li rois Daires fu rescos, li Macedonien desbaraterent ensi cil de Perse et tant aigrement les envaÿrent et ocient qu’il ne se porent desfendre tant que a la fin fu esconfiz li rois Daires et ses gens misses en fuge sans recovres et li rois Dayres s’en fuit qui onques ne retorna a ses tentes por garder son avoir ne ses dames ne ses damoyseles, ançois leysa trestoz au kanp, si ot plus de .lxx. mile homes a pié mort et de chevaliers plus de .x. mile e plus de .xl. mile en furent pris. Quant Alixandre ot vencut ceste bataille et li rois Daires cacés plus d’une liue, il repaira arieres as loges et as tendes164 des Persans. La trova il grans abondance d’or et d’argent et d’autres rikeces. Si trova la mere et la feme le roy Daires et ses .ii. files que li vaudront asés plus d’avoir que ne firent toz les autres rikeses qu’il avoit conquisse et sakés que de ceste rikesses fu molt esleüs li cors165 Alixandre et en crut ses renons en grans grandeze et en grans crieme da cels que n’avoient oÿ plus. Le rois Daires qui tant ot perdu en fu si dolans qu’il ne veoit ce qu’il peüst faire, mes enfra toz cist domages n’en aprissoit tant nul avoir ne nulls autre domage coment il fasoit les dames e les damoyseles qu’il avoient perdues. E por cist dolor envoia il au roy Alixandre que se il li voloit rendre ses dames e ses damoyseles, il li donroit la moités de son regne et la guerpiroit mantenant, mes de ce ne voust rien faire Alixandre et li dit que sans cist cuidoit ill veincre toz le regne de Perse et metre a force en sa subicion. Cant li messages orent ces paroules entendues, il s’en retornerent au rroy Daires in Persse et li conterent ce que Alixandre li avoit respondu. De ceste parolle ot li rois Daires grans ire et dist qu’il se combatroit encor la tierce fois a li por savoir e por prover s’aventure et qu’il en prendroit volenters venjance s’il pooit. Donc ne se tarda il de quere aÿe et de rasenbler cant il puit de gens et endementers que li rrois Daires requeroit aïe a ses voisins et amis, si acrut encores plus grans aÿe au roy Alixandre de plusors aus homs que166 rendirent a luy lor cors et leur teres a sa volenté et il en fesoit plusors venir de lor tere et lé envoia167 en autre partie et remanir aveuc soy168. Adonc s’en revint il en Egipte et fist edefikier Alixandre une cité en Egipte noble, cuy il noma de son propre nom, Alixandrie, et molt le popla et enrichit d’avoir et lors li vindrent nouvelles que li rois Daires avoit 164. Nous trouvons dans les folios édités les deux graphies tentes et tendes, la deuxième étant proche du bas latin *tenda et de l’italien tenda. 165. Cors est employé au sens de « personne ». P a cuers et contient une dénonciation de l’orgueil d’Alexandre qui est ici absente. 166. Confusion entre que et qui. 167. l’envoia 168. Le texte n’est pas très clair. Nous lisons dans P : les pluisors fist venir avec lui et les pluisors osta de lor terres et envoia en autres terres por guarder ses fortereces.

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asenblé bien .iiii. c. mile homes a pié et .c. mile a keval et avoit fait eslire entrestoz ses chevaliers .iiii. mile li plus vailans et li plus prissés de conbatre propremens encontre cil de Macedoine et qu’il se trairoit envers Tarse por estre contre luy quant il istroit d’Egipte et tantost come lé ost169 s’entrevirent, il ot si grans noises fait de cor et de busines et de tanbors, si grans ce c’a poyne fu oïs onques une si grans noyse en toz le mont. Donc s’asenblerent les ost et d’une et d’autre partie come mortel enemi. Al primerains estor vint uns chevaliers de Tarse pongant170 sor un rike destrer, armés rikemens as armes de Macedoine, car i les avoit gaagnés as autres batailles et se mist dedens lé gens de Macedoine ne il n’estoit mie coneüs et quant il vit son leu, il pongit lé destrers des esperons, si ferit Alixandre d’une spee contre le cors derieres por ce qu’il cuyda abatre et tolir171 la vie, mes tant fu l’auberg fort qu’il ne put maille fauser ne onques li rois ne guerpi l’estref ne ne se mut d’arçon mes qu’il s’enclina un petit sor l’arçon devant. Cil brouka le destrer que il cuyda outre paser, mes un Macedonien le feri si qu’il l’abati de son destrer a tere, qu’il avoit veü ferir donques. Il ne se releva onques puis qu’il en perdi la vie. Adons comenssa la bataille grans et cruosse que onques ne refina jusque a la nuit qui lé parti. La nuit jurent tuit li Persans et li Macedoniens172 tuit armés en jusque a la maitenee il s’esenblerent173 asés tost a la bataille. Li rrois Alixandre ot devisé la nuit et comandé as dus de l’ost qu’il prisent toz les bestes de l’ost, qu’il lé meïssent ensenble. Dont il i avoit asés abondance que nulz ne le puet nonbrer et comanda que toutes fusent liés par li cors174 as rains de ses aubres qui d’iloc sont175 par desoz els176 a grans planté et par smovoir177 la poudre, por ce que il cuydasent que de tant de jens fust lor ost creüe et que ce fusent gens ordenés en conroy et en escilles qui si grans poudriere esmeüsent, et cuyderent sans failes, car si tost con li Persans virent la grans chevalerie et lé grans jens qui devant venoient et le grans conpagnie des bestes derieres que178 la grans poudrere envers le ciel esmurent179, il cuyderent que trestoz fusent 169. l’ost 170. graphie pour poignant ; voir juste après : il pongit. 171. torli 172. Macedonies 173. la maitenee il s’esenblerent ; la relative il s’esenblerent est construite en parataxe (P : la matinee qu’il assés par tans rassemblerent). 174. Ce sont les cornes. 175. est, corrigé pour l’accord. 176. de haut amont levés dans P 177. smovoir pour esmovoir ; confusion entre par et por. 178. Confusion entre que et qui. 179. esmuent

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chevaliers et gens qui sor els venisent, si en furent si esbaÿ qu’il se traistrent [fol. 95 v] arieres et Alixandres fist logier sa gent sor les fluns, car il estoient las dou veiler et dou conbatre. En ceste mainere lé espaventa180 Alixandre que onques puis encontre li ne conbatirent volenters et quant li Macedonien se furent logé sor le fluns, Alixandre monta sor un keval autre que Bucifal et un serjans avec li. Si li canga le roi al vesteüres, donc ala il tant qu’il vint jusque les tendes le roy Daire et iloc desendi il de son keval et le baila a son serjans, et fist entendre au roy Daire qu’il estoit mesage au rroy Alixandre. Endementers que le rrois Daires le fesoit grans feste por son seignor qu’il voloit fere seoir en sa tente avec luy, un chevaliers de Persse, Pafarages avoit nom, reconut le rroy Alixandre et tantost s’en vint au roy Daire et li dist que se il li plaist or avoit bien sa guere finee et bien seüst sans faille que ce estoit Alixandre li rois de Macedoniens qui estoit en sa presence. Tantost coment Alixandre entendi celuy en cui il avoit bien entendus in persois et que181 bien l’avoit reconeü, ysit fors des tentes et vint a son keval et monta, puis se mist a la voye. Lor monterent a keval molt des Persans et le enkaucerent a grant aleüre. Mes por la nuit qui fu auques oscure et por le fluns ou il ferit le perdirent. Alixandre repaira a ses tentes molt molés et apesantis de l’aigue, dont si aut prince le182 blasmerent molt. Ensi pasa cele nuit et li rois Alixandre, qui veüs hoit183 li continemens184 le roy Daires185 de Perse et de ses gens et de ses barons dont il i avoit outre mesure, dont dit li rois Alixandre186 a ses barons qu’il ne se tardasent mie que l’endemayn au pont187 dou jor ne fusent lor batailes ordenés por paser li fluns et por conbatre a cil de Persse et il li respondent que jamais ne fust en dotance qu’il ne fussent188 aparoillés a ssa volonté faire. Quant vint a l’endemain, paserent li fluns li Macedoniens et li Persans aussi, establirent lor batailles dont il i avoit tant k’a poine en peüst on savoir le nonbre. Li rois Daires lor comanda qu’il se conbatisent vigorossement, car s’il pooient li Macedonien rretorner arieres dou kanp et deconfir, i les enrikiroit de teres et d’avoir. Adonc comença 180. l’espaventa 181. Confusion entre que et qui. 182. li 183. hoit, forme de ot, voir note 138. 184. Une barre de nasalité en trop sur le o de continemens. 185. Alixandre 186. Le sujet li rois Alixandre, déjà exprimé plus haut (ensi pasa cele nuit et li rois Alixandre), est ici repris. 187. Graphie pour point. 188. fust, corrigé pour l’accord.

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la bataille si orible c’a poyne i ot en nule bataille tant de sanc espandue ne tant de jens mortes, car li Macedonien ierent189 fort et adurés de lor enemis veintre, mes li Persans estoient asés plus de gens, si estoient pros et ardis, si amoient mieus morir que li Macedonien li venquisent et por cist orgoil qui estoit d’une part et d’autre dura la bataille et l’ocison .iii. jors et a le fin se traistrent les gens le roi Daires sor li fluns de Graniton et iloc furent il desconfit et li rois Daires por le consoil de ses barons s’en retorna de la bataille. La si ot grans destrucions des Persans, car li pluisors s’en finerent envers le fluns qui se noierent tuit et li Macedoniens encaucerent les autres et lé finerent tant que pou en escanperent de vif. En cele bataile fu cheü190, molt petiz en fali, li toz l’esforz d’Aise et des cités d’Oriant et dou regne de Persse, que tuit furent soumis a la poesté li rroy Alixandre et li191 rendirent treüs. Ou lé trois batailes qui192 firent li rois Alixandre et le roy Daire furent mort de li rois Daires .c. xx. mile homes et de cels193 le roy Alixandre .lxxx. mile homes, si come l’estoyre le raconte. Adonc quant la deraine bataille fu vencue, li rois Daire, qui partis s’en estoit dolans et corocés de ses gens et de son avoir et de son regne qu’il perdoit en tel mainere et qu’il ne pooit plus recovrer host por conbatre, il194 se pensa en son cuer qu’il s’en yroit au roy d’Inde et li demanderoit aÿe. Endementers qu’il s’en aloit par le kemin d’Inde, si vindrent .iiii. de ses serf et l’envaÿrent et le navrerent a mort. Et quant Alixandre195 le vit en tel maynere gesir a tere, il ne se pot sostenir qu’il ne plorast et tantost fist crier par toz l’ost que cil qui mort l’avoit venist avant, qu’il l’auroit par son bon ami ensi con il devoit estre et li donroit tresor asés tant coment il sauroit demander. Adonc vindrent avant cil qui mort l’avoient et quant il furent venus, li rois Alixandre lor fist dons asés d’avoir a grans plantés e puis les196 fist pendre et trainer por toz l’ost et quant il ot ce fait, il fist prendre197 trestoz le tresor de les tentes – il’n avoit a grans planté – et enrecit toz ses chevaliers e puis s’en vint en Persse a une cité qui avoit nom Polin198, qui estoit la mestre cités dou regne, et cil se rendirent 189. 190. 191. 192. 193. 194. 195. 196. 197. 198.

iert, corrigé pour l’accord. cheü, ajouté pour le sens (d’après P : cheïrent). le Exemple de confusion entre qui et que. cel Pronom il de reprise du sujet déjà exprimé, li rois Daire. il li pendre Déformation de Persepolis.

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a sa volenté et puis tantost fist il ensevelir le rroi Daires autemens come royal uxage de Persse et toutes les gens qui estoient mort a la batailes et lé siens et les autres metre en cendre et si en orent asés a faire bien par .xxxiii. jors.

8. Que li rois Alixandres repaira ariere en Jerusalem e puis coment il se parti d’ilec por aler en Ynde et coment la roïne de Amasoine vint a lui e por coi.

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Quant Alixandre ot ensi conquisse Persse come vos oés199 et entendés et li treü assis a sa volenté par lé castelz et par lé cités, et devisé coment cascuns paieroit200, il porta corone en cele meïsme cités a grans honor et grans los, e puis s’en torna au roiaume de Jerusalem en Judee por metre a sa segnorie. Adonques en estoit Joadus sire qui governoit la tere e le pople. Tantost come Joadus li vesque soit201 que li rrois Alixandres venoit sor li, il202 en ot molt grans paor, il si asenbla les ancians homes de la cités por consoil quere et demander qu’il pooit faire contre Alixandre le rois et li plusors li respondirent qu’il alast encontre li ançois qu’il venist a la cités et qu’il la preïst203, si li priast204 merci dou peuple de la ville que tuit estoient aparoillés a sa volenté faire. Et ensi le fist Joadus li vesque e fist revestir toz li prestres205 dou templle de blances vesteüres et il meïsme se revestit et fist devant li porter une table d’or mout bien fait, en aut levee, ou li nom Nostre Sire206 estoit207 escris en ebreu lengage. Quans Alixandre vit venir li prestres et li vesque des blankes vesteüres revesti et li evesque Jodas devant toz qui molt grans paor avoit e li nom208 de Nostre Seignors scrit209 en tables en ebreu lengage que bien le set lire, il210 desendi tantost de keval a tere et se jenoilla devant le nom Nostre 199. 200. 201. 202. 203. 204. 205. 206. 207. 208. rois. 209. 210.

oïs et coment cascuns paieroit ; ajout de devisé pour le sens. Forme de sot (voir note 138). el feïst, corrigé pour le sens. si lor pria, corrigé d’après P. li vesque, corrigé d’après P. Esire estoient, corrigé pour l’accord. paor avoit vit Alixandre le rois e li nom, suppression de la répétition de vit Alixandre le scrit pour escrit. et il ; et enlevé.

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Seigneur211 et devant li vesque cuy il acola molt et fist grans joie. De ce s’emerveilent molt li aut barons et li prince qui iluec estoient et distrent d’entre els que molt avoient grans merveille de ce que li rois, cuy tant princes et rois et roïnes et autres jens enclinoient, avoit fait tant [Enluminure dans la marge inférieure du fol. 95 v : Alexandre couronné à genoux devant Jadus] [fol. 96 r] d’onor a si povres homes come cist evesque estoit212 et ensi i parloient les uns vers les autres, mes il en avoit nul qui a luy osast rien dire fors solemens un suen prince qui avoit nom Parmenus, cil en parlla asés paorosemens213 et li dist : « O, tu, bon rrois honorés et cremus sor toz creatures, por coy as tu encliné ore a cist vesque qui tes deus ne croist214 ne honore ? » Alixandre li respondi : « Li vesque ne adoray mie, mes li deu en chu senblance il estoit si atornés et215 cuy nom il estoit escrit en celle table216 et por le deu portay je honor a cist home qui217 li serf et qui le ore, car cant je estoie ou regne de Macedoine il aparut a moy en tel senblance et en tiel forme come cist vesque estoit ore devant moy en avixion, con je dormoye en mon lit. In dormant il m’aparut et me promist que je seroie sire de molt regne que je conqueroie et il me dist miaus verité que n’avoient fet mantes fois li men218 deu. Si m’en souvint maintes feis en mon corage, mes puis qu’il aparut a moy ne vi jamais nule219 creature de sa senblance, fors cist home par cuy je port honor et reverence. » Et sakés que Nostre Sire fist grans merveille quant il se fist aorer Alixandre qui onque n’avoit Deu creü ne aoré et ce doit estre un grans exenples as cristiens d’aorer le lor220 Sauveor. Et quant Alixandre ot le nom Deu adorés e li evesque molt adorés et ill entra en Jerusalem, si entra ou temple, si aora a 211. devant le Nostre Seigneur 212. et li prince qui iluec estoient et distrent d’entre els que molt avoient grans merveille de ce que li rois avoit fet et cuy tant princes et rois et roïnes et autres jens enclinoient qu’il avoit fait tant d’onor a si povres homes come cist evesque estoit. Pour éviter la répétition, nous avons supprimé avoit fet et (dans de ce que li rois avoit fet et cuy), et qu’il (dans enclinoient qu’il avoit fait). Cuy a la valeur d’un que (comme dans la phrase précédente). Nous aurions certes pu nous limiter à supprimer le et avant cuy (qu’il avoit fait tant d’onor a si povres homes come cist evesque estoit serait alors à comprendre comme une subordonnée causale). 213. provosemens 214. tes des acroist, corrigé d’après P. 215. en, corrigé d’après P. 216. bataile, corrigé d’après P. 217. home et qui, suppression du et pour le sens, conformément à P. 218. Graphies mantes et men pour maintes et pour mien. 219. anule 220. suen

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onor Deu en cele mainere que lli evesque li enseigna et con il devoit faire. Aprés si dona au vesque molt d’avoir, aprés ce si comanda qu’il fusent por .vii. ans livres221 de lor treü et tenisent lor loy fermemens et en pais et servisent a lor Deu seüremens et ne eüsent de nul home paor ne temence. En tiel mainere esploita Alixandre envers la cités de Jerusalem et envers lez zieus222 qui la loy Dieu tenoient et quant il l’ot ce fait, il se mist a la voie por prendre toz le païs e puis voloit paser en Ynde et sakés, chevaliers, a toz223 li monde estoient a ceu tens gueres et batailes et par Grece et par païenie et par Ytaille et par Thire et meïsmemens par li peuple de Sice et de Tharse, et ensi estoit adonc toz li monde en grans poyne et en dolor, car en toz lé leu ou jens abitoient, estoient224 esmeü d’aucuns leu guere ou bataille et petit estoient seür donque li aut barons et li aut home dou monde por lor avoir ne por lor rikesses ne por lor proesses, car maintes fois avenoit ce : quant il estoient en plus grans gloire et en fortesces, Fortune225 les226 metoit en destrucions et en poyne, si lor toloit ce qu’ele227 avoit doné et promis, c’est  228 lé vaine rikeces de cist monde. Et aprés ce, li rois229 Alixandre que230 toz le monde voloit avoir en sa balie – et si ot il en la fin en sa hobedence –, il231 se mist a la voye por aler en Inde, mes ançois qu’il fust, se conbati il as Ranians sor la montaigne d’Inde et as Medians, .ii. molt grans pueples et cruels qu’il conquist a force et li rendirent treü. Mes ansois qu’il y fust partis, vint la roÿne Alixores et ot o li .iii. cent damoyseles por ce que elle desiroit fort acontrer a luy et que ele fust de li enceinte232 et que elle de si vailant home come Alixandre estoit eüst enfant par cuy sa lignee s’acreüst, et si lli rendi treü la roïne Liestres des Amaçoynes233 ou Minothea – ce fu omenage – et remist234 a sa mandise. Aprés cist afaire, envaÿ le roy Alixandre les Turs ou molt fiere batailles, que235 tant se defendi221. 222. 223. 224. 225. 226. 227. 228. 229. 230. 231. 232. 233. 234. 235.

livres, graphie pour libres. Zueus ; on constate l’emploi du z à la place du j, voir plus loin zavelot. a toz, mots difficiles à lire, réécrits sur des termes grattés. abitoient et estoient, suppression du et. fortesces et Fortune, suppression du et. li il ceste, corrigé d’après P. aprés ce que li rois ; suppression de que. Exemple de confusion entre les relatifs qui et que. Reprise sous forme pronominale du sujet déjà exprimé, li rois Alixandre. enceninte ç italien avec la valeur d’un z. Remis, amuïssement du t final, marque de la troisième personne du singulier, corrigé. Exemple de confusion entre les relatifs que et qui.

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rent contre li por garder lor païs et lor vies que molt petiz en escanperent qui ne fusent mors e lor forteresces prisses et lor cités toz confondue et maumisse a la fin, et sakés que ce fu la gens que plus agreverent236 Alixandre et ses gens que nulle autre jens, et por ce li couvint qu’il preïst toz lor cités et lor fortereses ains qu’il les eüst237 a son comandement. Et quant ill ot les Turs toz vencus, ill s’en ala vers les Taciens et vers lé Vegetiens et vers Parmeniens et vers Apiens, vers toz li pueple qui abitoient au pié de la montaigne, et se combati tant avec aus qu’il en ot grans poine et grans travail et grans perde de ses gens et de sa chevalerie et a lla fin lé238 conquist et lé soumist a sa segnorie et quant il ot ce fait, il fist fonder une cités iloc239 sor li fluns qui estoit apellés Taneis, cuy il fist de son nom apeler Alexandrie la grans et puis aprés ce, ançois qu’il entrast en Ynde, envaÿ il les gens qui estoient apellés et Fers escribé240 et maintes autres gens qui n’estoient dominés encores par nule seignorie  : si avoient nom Ceramos et Dabus. Se conbati a aus tant que les venqui et desconfist et prist lor avoir et lor fist rendre grans treüs. Adont avoit il le241 mestre philosofes, Calestres estoit només, cil avoit estés ses conpains en escoles soz Aristotilles, cil fist il iloc ocire por ce qu’i li menti car il dist qu’il ne se combatist aveuc cele gens, car s’il se conbatist il li mesvendroit malemens. Aprés envaït il et asist il la cité de Yrissa et si envaït ausi il le regne la roïne Deÿfiles cuy il conquist a force, mes il li le242 rendi tantost, por ce que la roÿne abandona son cors asés a sa volentés et ses rikeces et la dame estoit tant belle et tant avenans a tous creatures que por sa beauté rekata elle son regne dou rrois Alixandre si que elle ne perdi la seignorie ne la corone ne sa francisse.

236. aguerent, corrigé selon P ; exemple de confusion entre les relatifs qui et que. 237. ains qu’il eüst, ajout de les d’après P. 238. li 239. eloc 240. les gens qui estoient apellés et fers escribé ; passage corrompu : Orose ne présente que deux peuples, les Chorasmes et les Dahes, qu’il dit jusqu’alors indomptés (indomitam gentem, III, 18, 9), ce que traduit Wauchier de Denain au paragraphe 42, unes gens crueuses et fieres qui onques encore n’avoient esté dontees par nulle creature. Ici un troisième peuple est inventé et il est présenté avant les deux autres. Fers semble être devenu un nom propre. Le FEW, 11, 331, à l’article scribere, mentionne une forme escriber en ancien béarnais. 241. la 242. li la

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9. Que li rois Alixandre entra en Ynde et Porrus l’envaï de bataille et aprés que il conbatirent cors a cors et Porrus fu venchus et coment Alixandre puis entra es desers ou il sofrirent grans ennui por defaute d’aigue et por moltes merveilleuses et diverses bestes et serpans et oisiaux qu’il troverent et coment Nostre Sire oï la priere d’Alixandre de encloire les Hebreus es montaignes.

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Aprés ce se mist il ou regne d’Inde dont Porus estoit rroys et sires et li plus rikes rrois d’or et d’argent qui onque fust ne que243 se peüst trover en nul reigne, et tantost come Purus sot que Alixandre estoit entrés en son regne, rasenbla il sa grans ost et ses grans jens si com por li et por sa grans terre defendre. Et sakés que Purus ot en s’aÿe, si come Alixandre testimoine meïsmes par ses letres qu’il invoya Aristotiles son mestre, .cccc. olifans o chastels de fust qui estoient cascuns defensable et bien aparoilés, en cascuns chevaliers toz armés por conbatre et si avoit encores .xv. mille kars et .viii. mille toz ben en bertesces244 et par desus [fol. 96 v] chevaliers vailans bien armés et bien aparoillés aveuc dars et espleu por lancer et autres armeüres qui estoient por l’autre chevalerie, et d’omes a piés que Purus avoit asenblés estoit tant245 c’a poyne nul en seüst dire le nonbre. A toz si grans apareilament de batailles come vos poés oïr vint Purus encontre Alixandre, et a toz si grans apareilament246 de bestes de maintes faiçons et de maintes guises qui braoient et menoient si tres grans fertés et si tres grans cris vers toz pres c’a poyne peüst l’en entendre nulle creature. Et quant les batailles furent toz asenblés, il ot fat si tres grans ocisons de gens et cruose que ce estoit merveille a veoir, car il ne s’esparagnoient mie. Cil desor lé liofans y fesoient grans domage de gens oucirre et les dars d’acer et lé espleus amolus que lor lansoient247 ocioient li Macedoniens. Mes li Macedonien se defendirent molt vigoroussemens ot lor force, ars et sagites248. En ceste bataille fu molt des aus barons d’une part et d’autre oucis et meïsmemens Alixandre se mist tant avant por si homes aider et secore que 243. Confusion entre que et qui. 244. ben et bertesces graphies pour bien et bretesces. 245. Estoit tant, ajouté pour la complétude et le sens de la phrase. 246. La syntaxe étant désarticulée (avec la dissociation de apareilament de batailles et de bestes), nous ajoutons la répétition de et toz si grans apareilament. 247. amolus que li ocioient ; phrase incomplète, oubli d’un verbe dans la relative et correction de li, d’après P. 248. Forme du mot saiete, qui désigne la flèche ; forme très proche du latin. Le FEW, 11, 58, mentionne les formes sagete et sageta pour l’ancien béarnais et le catalan.

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li rrois Purus li vint a l’encontre et se conbati a li tant qu’il li ocist249 Bucifar son bon keval. Donc li rois Alixandre fu molt dolens quant il se senti a tere. E bien sakés que iloc fust il ocis s’il ne fust secorus par ses omes et Purus fu aussi navrés et plaiés. Por ce se departirent d’une part et d’autre et se donerent li uns a l’autre trives a .xx. jors. Ensi furent afiés et jurés d’entr’els .ii. rois et d’entre lor gens por garir lé navrés et por li cors ardoir et metre en cendre selonc la leur costume. Dedens ceste trives pristrent li .ii. rois bataile por conbatre cors a cors par tiel devisse li uns envers l’autre250 que celuy qui vencroit avroit la segnorie sor celuy qui seroit vencus, et ceste couvenance acreanta molt volenters li rois Purus por ce qu’il estoit asés pllus grans que n’estoit li rois Alexandre et par senblance plus fors. Cant li jor de la bataille fu asis, il vindrent en une place de tere qui estoit devisees, armés molt rikemens come rois sor li keval covert de drap de soye et tantost coment il s’entrevirent, il brokerent les kevaus des esperons sans plus dire. Donc ferit li rois Purus li rois Alexandre en son escu sans luy esparaner251, si que li speca252 sor li son espleu, mes ne li toka mie la kar. Ançois se tint li rois Alixandre qu’il ne kiet253 mie et feri li rois Purus jus sor l’or de la selle a descovert en tel mainere qu’il li pasa l’espleu par mi l’auberg outre plus d’un pié, si l’abati doloros254 e navrés dou bon destrer a tere. La fu pris li rois Pirus que au rroy Alixandre jura e acreanta a faire son comandament. Donc comanda li roy Alixandre de faire li .ii. cités, l’une apela il Enfian en remenbrance dou rroy Purus qu’il avoit vencu et l’autre Bucifal en remenbrance de son keval qu’i avoit si fort amee e qui255 avoit esté ocis en la bataille. Et trestuit cil de la contree en remenbrance dou rroy Alexandre de Macedoyne apelerent par son nom kascune Alixandre. Et quant ce fut fait, li rois Alexandre dist a Purus qu’il voloit qu’il venist aveuc luy en Inde, car il voloit veoir des merveilles jusque au grans mer ocean qui toz le monde avirone. Dont li mena li roi Purus en sa cité. Dont il avoit la plus rike cité dou monde et salle qui avoit .xl. colones qui estoient trestotes rikemens covertes de fin or et de pieres preciouses, et si avoit entor li capitoille les murs d’or ovrés rikemens et avoit 249. l’ocist 250. les autres, corrigé d’après P. 251. Dans le paragraphe précédent, nous avons eu la forme esparagnoient, toujours pour le verbe espargnier. 252. Il s’agit sans doute d’une forme du verbe especier, qui signifie mettre en pièces. 253. Nous trouvons de nombreuses graphies du nord de la France dans ces lignes : rikemens, keval, brokerent, kevaus, toka, kar, kiet. 254. l’abati a tere doloros, suppression de a tere pour éviter la redite. 255. qu’il

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une liste d’entor256 d’or et d’argent ovrés a pieres preciousses molt rikemens qui entre lé colones s’entrelaçoit257 et l’une aloit dedens l’autre258 et les brances desendoient por entor d’or que ce estoit merveille de regarder. Molt tres merveilouses estoit la ginge259 da regarder et molt la regarda li rois Alixandre plus asés par l’euvre qui a mervaile estoit soutils que por la rikesse. Et si avoit en celuy palais maintes cambres qui estoient de tel ovres et encor plus belles et cele molt plus ou estoit le lis ovrés a pieres preciousses et d’or et d’esmeraudes et de carboucles et ensi estoient les portes et les fenestres reluysans de fin or et de pieres. Et puis li ouvre Purus une partie de son tresor qui estoit si tres grans que nul ne le poroit conter et adonc en prist Alexandre et en dona a ses chevaliers tant que kascuns se tint a paiés que plus n’en voloit. Adonc dist Alixandre qu’il voloit aler en Inde et Purus li envoia de ses jens qu’il les260 menasent por la droite voie et si li envoya kameaus a grant planté cargés de viandes et de toutes coses que mester li avoit, et si amena aveuc soy .cl. mile homes qui la voye savoient, qui estoient de celle contree, et261 lor promist adonc molt d’avoir et de faire molt d’onor. Mes li Endien qui devoient mener li rrois Alixandre par la droite voie le262 desvoierent par la plus perilousse voye et par le desert. La trova il molt de verm et de serpens et de males bestes sauvages et quant Alixandre vit ce, il comanda a toz ses gens qu’il s’armesent, mes il avoient tant d’or et d’argent et de pieres preciouses aveuc lor263 aportés qu’il en estoient si kargés qu’il ne savoient que faire, mes toz fois si firent il le comandament le rroy. Mes encor furent il plus agrevé d’une autre cosse qu’il alerent toz le jors qu’il ne purent aigue trover. Si aloient il encor par molt grans kalor dou soleill. Adonc estoient les homes et les bestes aseez en tel mainere 256. liste d’entor entor, répétition d’entor supprimée. Passage confus, semble-t-il mal compris par le remanieur, qui évoque une liste à la place de la vigne de l’Epistola Alexandri ad Aristotelem. Le mot liste désigne une bande, une baguette ou autre forme allongée, ou bien un décor de frises peintes ou sculptées (FEW, 16, 469). Le mot lista a aussi ces sens en italien (Grande Dizionario della lingua italiana, op. cit., 9, 146-148 ; Dizionario etimologico italiano de C. Ballisti et G. Alessio, Florence, 1950-1957, 3, 2249). Est-ce parce que le mot existe aussi en italien que le scribe l’emploie ? La locution adverbiale d’entor signifie « tout autour ». 257. s’entrelacoient, corrigé pour l’accord. 258. Dans l’Epistola il s’agit des branches de la vigne, mais ici elles n’ont pas encore été présentées, elles le sont immédiatement après. 259. C’est une forme possible du mot vigne /vingne (FEW, 14, 471-478, vinea) ; présence du g très fréquente en franco-italien. 260. li 261. qui, corrigé d’après P. 262. li 263. Nouvel emploi de lor à la place de els.

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que petit en failit qu’il ne morut toz de soy. Adonc avint que uns chivaliers trova un petit d’eive douce en une kave de piere et la prist en son iaume et la porta au rroy Alexandre. Cil chevalier avoit nom Cierus. Quant Alexander vit l’eive que cil chevalier li avoit aportee, qui264 avoit tres grans volenté de boyre, si265 apela adonc ses gens et prist l’aigue o tot le iaume et la verssa en tiel meïsme leu ou elle estoit et dist [Enluminure dans la marge inférieure du fol. 96 v : combat d’Alexandre et de Porrus] [fol. 97 r] que ja ne pleüst a Dieu que ses gens morisent et il escanpast. Adonc ses gens se porpenserent et distrent266 que bien peüsent soufrir le domages et le mesaisse que meïsmement le roy Alixandre sofroit. Mes portant ne remist il mie qu’il ne rendist grans gueerdon au chevalier que267 l’aigue li aporta et molt fu loez par toz les vailans homes de l’ost. Adonc alla l’ost avant et le rrois Alixandre toz primers que268 molt volenters l’aigue troveroit que molt grans mester en avoit. Ensi n’orent mie gransment allé qu’il consut269 un fluns grans et large en un boscage, e sur270 la rive de cel fluns avoit arbres si aut, molt gros come pins, qui avoient plus de .xl. piés de longesse et estoient si forz que toz les gens de la contree en fesoient lor euvres et lor defices271. Sor cel flun comanda li rois Alixandre metre ses tentes et resencier ses gens dou grans soy qu’il avoient eü. Endementers que cil tendoient les tentes, li rois desendi toz primers por esagier de l’aigue dou fluns, et tantost com il l’ot en sa boche, il la trouva plus amare et de plus mauvais savoir de nule autre cose et tant estoit mauvaisse que nule beste ne pooit goster et boivre et molt en sofrirent grans poyne. Et bien sakés que plus lor agrevoit por les bestes que por leur272 meïsmes, car les homes sont plus rasnables a durer mesaisses que ne sont les bestes. Et si avoit si tres grans habondance de bestes que onques ne fu tiel veüe, car il avoit mil olifans de trop merveilose grandesse qui or et pieres preciousses portoient et .ii. mille kameaus et .ii. mille bouf molt grans qui avec les cameaus portoient la viande et si avoit .lxxx. mille chevaliers qui les grandes

264. li avoit aportee et qui ; suppression de et, la relative qui avoit tres grans volenté de boyre est disjointe de son antécédent chevalier. 265. et si apela 266. Adonc ses gens se porpenserent les gens et distrent 267. Confusion entre les relatifs que et qui. 268. Confusion entre les relatifs que et qui. 269. Forme de parfait du verbe consivre, « atteindre ». 270. su 271. Graphie pour edefices. 272. Emploi de leur à la place de els.

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batailes movoient et si avoit .ii. cent et .l. mille homes a pié et autant de muls qui lé hernois portoient. Toz cestes bestes que vos avés oÿ nomer estoient si maubaliés et si maumenés dou grans soy c’a poyne pooient durer en nule mainere dou monde, car ele n’avoient nule cosse que les peüsent ne pous ne gaires resancer lor soy, mes li chevaliers et li sergant metoient asés fois en la bouce les froides coses ensi come li pans de lor auberg et lé pons de lor espés et autres froide cose por restendre la soy. Adonc fist crier le rroy Alexandre que tuit portasent lor armes et cil qui ne seroient armés perdiroient o vies ou menbres, et toz ce fist le rroy Alixandre, car il savoit bien toz seüremens que cil qui lles condusoient les condusoient par mauvaises voies et par serpentines et par mauvaises bestes et ydosses et por ce s’en aloit il joste le fluns toz armés et ala ensi jusque a none tant qu’il aconsurent un kastelz qui estoit en une yslle dedens cel fluns parfons. Cil estoit en tiel leu que hom n’i pooit venir mes par mi cel fluns, qui si parfont estoit273. Donc regarderent cil de l’ost et virent dedens cele petite yslle Endiens toz nus, pouvremens sans nule vesteüre, et cil tantost coment il virent l’ost et les gens armés, si se repoistrent en lor maysons ne onque puis ne se partirent. Li rrois Alexandre qui mout lé desiroit veoir par enquere d’eive douce por resaicier son ost, si fist traire saietes dedens lor forteresces por elz espaventer tant qu’il parllesent, tant com ill plus lor traoient, il274 plus se penoient et plus se celoient. Quant ce vit li rrois Alixandre, il fist armer de legieres armes .ii. cent chevalier de Macedoyne, si les275 fist entrer en l’aigue por noer outre la forteresce, por cil qui laiens estoient prendre276 par force et mener devant. Donc entrerent li Macedoniens ou fluns por comandament le roy Alexandre. Et quant il orent noés presque la moités, une merveilousse beste, grans et idose et noyre de cors plus de nul olifans – Ypotamiens les apelerent cil de la contree – ysit dou fons de cel aigue. Tantost come elle les senti277, en prist une grans partie et l’engloti et les autres escanperent, mes plus de la moités en perirent et nogerent, et les autres s’en retornerent arieres. Cant ce vit le roy Alexandre, si fu molt irés por ce qu’il ne li pooit aider, et les veoit toz vis devorer. Si en plura molt il et toz les autres princes et por l’ire apaier, fist il .cl. de ses Indiens geter en l’aigue qui les condusoient, e cele mauvayse bestes Ypotamien lé sen273. par mi cel fluns, qui trestoz estoit environés de cel fluns qui si parfont estoit ; suppression pour le sens de qui trestoz estoit environés de cel fluns. 274. traoient et il plus ; suppression de et. 275. li 276. forteresce por ce que cil de laiens estoient prendre ; correction pour le sens d’après P. 277. elle senti

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tirent et mantenant lé devorerent. Toz ce fist il por ce qu’il avoient mauvayssement guiés les Macedoniens por qu’il estoient mort e por ce fist faire li roy cele justisse des Indiens. Tantost con cist maufet ot mangé ceste jens, il s’en vint bufant sor l’aigue et soflant en tel maynere qu’il senbloit qu’il vousist manger toz cil de l’ost. Donc fist le rroi Alixandre soner toz lé busines por l’ost repairer ors dou fluns, car la nuis lor estoit aprosmés et li soleill au declin. Dont se logerent dou fluns plus d’une liue et ensi trespassa cele nuit et grant mesaisse et quant vint a l’endemain, il virent homes indiens qui nagoient por l’aigue ou naquiseles278 reonde. Il demanderent a cil homes en lor lenguage en quel leu porroient trover eive douce por boire au plus pres de ci, et il li respondirent que asés pres d’iluec troveroient il ung279 estans d’eve douce molt grans et molt larges et les devoient il meïsme mener qui les voies savoient por le desert. Ensi ala l’ost toz la nuit e toz le jor, qui avoient durés molt males aventures et molt travailes de lions et de serpens et de molt male beste et perilousse et de toutes fesoient aide et defendue por armes. Cil alerent en jusque a ore de none qu’il vindrent a li estang d’eve douce et quant il furent venus, il en burent asés et chevaliers et sergens et homes a piés et bestes aussi qui molt l’avoient dexiré. Et quant tuit orent beü tant qu’il furent restrangé280 de la soif et enfroydé, il furent molt a axie281 tant qu’a poyne li sovenoit de nul mexaisse qu’il eüsent duré et por ce lor estoit lor sens doblés et creüs. D’entor cil estaing avoit uns bois pleins de grant arbres, bel et grans et molt plens de fruit de diversses282 [Enluminure dans la marge inférieure du fol. 97 r : un Macédonien dévoré par un hippopotame] [fol. 97 v] maineres. Joste cest bois comanda li rois Alixandres faire tendre ses tentes et comanda qu’il fust trenkés et abatus jusque au fluns tant que lles tentes eüsent asés de largesse por ce qu’il peüsent asés plus largemens a l’estainc aler cil qui y voudrent aler et ce se nule cosse lor avenist de destorber qui283 l’en veïst tost isnelement et se peüst secore et aider, car cil qui savoient la mainere dou païs avoient dit au rroi Alexandre que toz le païs n’avoit plus de forest ne d’eyve douce. Et por ce si avoit si grans norimens de diverses 278. Le mot naquisele est absent des dictionnaires de l’ancien français de Godefroy et de Tobler Lommatzsch. Il est proche de l’étymon latin navicella (FEW, 7, 60-62) et aussi de l’italien navicella (Grande Dizionario della lingua italiana, 11, 257-258 ; Dizionario etimologico italiano, 4, 2556). 279. ug 280. Forme possible du verbe retranchier au sens de « supprimer », ici « soulager ». 281. Graphie pour le mot aise. 282. plens de fruit qui portoient fruit de diversses, suppression de qui portoient fruit. 283. Exemple de confusion entre qui et la conjonction de subordination que.

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mayneres de serpentis et de bestes sauvages et d’autre oysels de merveilouse figure, et por crimes de cist serpens fist le rois Alexandre entre les tentes les bestes284 de l’ost, olifans et kameaus et kavaus et toz autre bestes, erberger285 et molt grans fuec aluminer et faire toz entor por ce se aucune aventure lor avenist en la nuit qu’il se trovasent286 et que lle fuec lor feïst aÿe et lor fust forteresces contre li serpens et contre toz les autres bestes sauvages. Et quant l’ost fu alogé si come le rois Alexandre l’ot comandé et orent toz les cosses atornés si come por reposer en pais la nuis por la grans travaille qu’il avoient sostenue, li rois Alixandre comanda a soner ses cors et ses buxines por seoir a manger toz la chevalerie. La ot molt rike luminaire alumés sor les chandelers d’or dont il avoit .ii. mile devant le rroi et devant les barons de l’ost, mes il n’orent mie grantment mangé que lla lune leva bele et clere. Tantost li vindrent serpens – la gens de la contree l’apeloient scorpions –, cil avoient longes coes, si’n avoient grans habondance qui venoient a boivre en l’aigue et cil lor corurent sore, si lor firent molt grans bataille. Aprés cist en vindrent molt de diversses colors et de diversses maineres car li uns estoient vermoill et li autre blans et autres noir. E li plusors estoient blans come or et reluysans et si demenoient si grans noysse de sofler que d’entr’els faisoient287 qu’il senbloit que la tere et la contree en resonast toute et qu’ele en fust toz pleyne. De ce orent li Macedoniens grans paor et mantenant corurent molt vigoroussemens as armes et firent forteresces des escus entor les tentes por lé serpans arester et les enchaucerent ot dars et ot zavelot dont il se pongoient et ocioient, et si en ardoient molt au fuec qu’il avoient fait. Ensi se conbatirent il en cel serpens toz celle nuit et a la fois li serpens les288 lasoient, si aloient boyre a l’aigue et tant en venoient d’une et d’autre maynere. Ensi durerent en fin toz la nuit, mes quant vint que les .iiii. pars de la nuit furent pasees, si ynsirent de lé montaignes289 bestes sauvages a grans planté, ce estoient lions blanc et ors cebelet290 et onces engrés que291 firent molt grans estors et molt grans noyse molt grans 284. entre les tentes et les bestes, suppression de et. 285. erbergers 286. por ce aucune aventure ne lor avenist en la nuit qu’il se trovasent ; ajout de la conjonction se qui introduit la subordonnée circonstantielle de condition, suppression pour le sens de la négation ne dans cette hypothétique ; tmèse de por ce / que (qu’il se trovasent) ; nous retrouvons alors la syntaxe du ms. BnF fr. 20125 (§ 52). 287. sofloient, corrigé d’après P. 288. li 289. de lé bestes ; un mot manque après lé, nous avons restitué montaignes. 290. Cebelet est une forme possible pour chevelé, au sens de « à longs poils » (Le FEW, 2-1, 247-251, article capillus, mentionne des formes cabelut, cabelhut). 291. Confusion entre les relatifs que et qui.

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piece de la nuit et molt en furent mort chevaliers et serjans et de lé bestes ysement. E sakés que encore avant le292 jors en vindrent une maynere de sorz grans come kiens qui mordoient lé kevaus et les bestes et quant qu’il mordoient moroient tantost et encore devant le jors y sorvint une maynere de bestes grans come olifans en senblance de cevaus293. Si avoient toz noire la teste, si estoient plus fors de nule beste, si firent grans domage d’ome et de bestes e puis aprés s’en entrerent en bois. Adonc envers le jor ysirent dou bois une grans mainere d’oisels si grans come colons. Cil avoient nom Roner, cil lor294 voloient parmi la ciere, si lor feroit ot ses ongles et ot les bec qu’il avoient lonc et grans et lor295 fexoit grans mal. Puis quant vint envers li jors et l’aube aparut, vint un autre mainere d’oyselz qui avoient nom Nincoras et estoient si grans come ostors, si s’en vinrent en l’aigue de l’estaing et pristrent des poysons e ne firent nul mal a cel de l’ost ne cil de l’ost a els e puis aparssut le jors que le rrois et sa gens furent molt lié, si avoient la nuit duré grans mal et grans poyne et grans travailes. Quant li jors aparut biaus et clers, li rois Alexandre fist prendre cels qui lé menoient por le desert, si lor fist briser les bras et les ganbes et lé laiserent toz cois en cel loc por ce que le serpant lé devorasent. Et puis se mist le rois Alexandre o toz son ost a aler296 vers Orians encontre les mons de Kapios qu’il aprocoient. Et quant le rois vit les montaignes grans et autes envers le ciel estendues, il demanda queles gens manoient et abitoient outre cele montaignes. Cil qui bien en savoient la verité li respondirent et distrent que outre cele montaigne manoient une gens que le297 deus des Ebreus la li avoit comandés ester por lor mauvestiés et por lor felonies, por ce que jamais ne ysisent au jor de lor298 vie. Donc lor demanda le rois par ou il estoient entrés quant i alerent et hom li dist qu’il n’i avoit que sole une entree que si fors estoit que ne dotoient nulle creature. Cant li rois oït ceste parolles, si s’en merveilla molt et dist puis que li deus des Ebreus ait299 tant ceste gens, i les aideroit tant se il pooit que jamés, ou il vousisent ou non, n’ensiroient. Donc comanda li rois a ses mestres ençigners300 qu’il feÿsent si fors murs et tenable en cele contree de la montaigne que nulle creature ne

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de Il s’agit du Dent tirant dans l’Epistola et le manuscrit BnF fr. 20125. li lors Puis se mist le rois Alexandre o toz son ost et se mist a aller ; suppression de la redite. les sa Graphie de hait (verbe haïr). Exemple du ç italien employé à la place de g.

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les301 peüst desrompre ni desconfire. E li mestre li respondirent et distrent que ce ne poroit estre ne faire nulle humaine creature, car trop i estoit de longier et que cil dedens le peceroient302 et ensiroient se ne lor303 estoit contraire defors por autre gens. Adonc tendi li rois Alexandre ses mains a ciel et fist sa oreyson a Dieux et dist que s’il avoit si grans puysance come li juif304 disoient et305 n’i voloit que celle gens ysisent de ci jamés outre ceste montaygnes qu’il les clousist306 si apertemens trestotes ensenles qu’il n’en peüsent ysir. Tantost come Alixandre ot ce dit et faite sa priere, les montaignes se serent ensenble sens aparence de nulle humaine creature. De ceste cosse se merveilla molt le rrois Alixandre et tuit li autres aussi, mes nos devons certainement croire que Notre Sire peut faire toz quant qu’il li plest.

10. Que Alixandre se mut por revenir en Bactre et se conbati autre foiz a le roi Porus et le vainqui et il devint307 si home et puis amena Alixandre as parties d’Oriant et de les granz poines que puis i ot en Occident.

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Aprés ce se mist a la voye por revenir au regne le roy Purus car il estoit molt rikes et quant l’ost ot allé .iiii. jornees de voie, les nouvelles vindrent [fol. 98 r] au rois Alexandre que li rois Purus avoit ses gens aparillés et asenblees pour luy contrer et por conbatre a ses gens, car il cuydoit qu’il eüst mout perdu es grans desers d’Inde e que cil qui estoient escanpé fusent tant travaillé dou travail et de la fort voye qu’il ne pusent contre luy mantenir, et tantost come le rroy Alexandre entendi les nouvelles, il fist ses ost sejorner .xx. jors por recovrer la force. E li rroys Purus que assés pres d’iluec avoit son ost et ses loges tendues, il308 fist crier que tuit cil qui guaang voudrent kater309 venisent a l’ost por Purus contrer sens nule doutance. Et toz ce fesoit li rois Purus por savoir la contenance dou roy Alexandre qu’il vousist volenters entreprendre et kacer 301. la 302. dedens ne le peçoient, négation supprimée pour le sens et harmonisation au futur II avec ensiroient. 303. li 304. yuif 305. il, corrigé d’après P. 306. qu’il les clousist : ce que est une reprise du que de dist que. 307. et devint, ajout de il pour le sens. 308. il, pronom de reprise du sujet déjà exprimé li rroys Purus. 309. Graphie pour akater.

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de son regne s’il poüst. Et por ce enquere et demander estoit il mout volenters a l’entrés des tentes, enqueroit et demandoit molt volenters cil qui de l’ost des Macedoniens venoient ce que le rrois Alixandres fesoit et coment il se mantenoit et ses homes, et cil que il demanda310 ni li respondirent nule certaine parolle, car bien en estoient amaistrés dou roy Alexandre meïsme et quant le rrois Alexandre soit311 que le rrois Purus enqueroit de luy, il canja ses vestimens, s’aparilla a lor loy des marceant qui alast par viande akater et ala a l’ost le rois Purus. Donc s’aventure fu que le rrois Purus l’aresta et aresna et demanda ce que le rrois Alixandre fesoit et conbien de ses gens estoient peries ou desert et cil li dist qu’il en avoit asés perdues, mes encores avoit il asés de gens. Lor li pria le rroy Purus que li aportast une letre et cil la prist et s’en torna arieres a ses tentes. Adonc quant Alixandre fu venus d’entre ses jens, il lor comença lire les letres qui disoient et menaçoient molt qu’il esist de son regne et li rendist son tresor qu’il li avoit tolus, et s’il ce ne fesoit il se conbatroit a li et le caceroit de son reigne molt ontosement et laydement par force. Et quant vint a la maitinee, li rrois Alexandre fist armer ses gens et ordener par bataille et fist resoner ses cors et ses busines qu’il avoit a grans planté que la contree en resonoit. Ceste nouveles furent asés tost recontés a Purus qui molt semont ses gens de fort conbatre et de bien faire. Donc vindrent les ost ensenble d’une part et d’autre, mes li Endiens ne li Batien ne durerent gaires contre l’esfors de Macedoyne qui molt estoient aduré de porter armes et de sofrir l’estors et batailles312. Donc fu esconfis li rois Purus et de ses gens molt ocisses e li rois Purus pris, que ne fesoit nul senblant devant le roy Alexandre. Donc se remenbra li rois Alexandre de la letre que li dona a li meïsme, si fu tant debonaire que li pardona son meffet por sa grans frankisse e li rois Purus li fist aporter devant son grans tresor qui si estoit desmesurés. Donc le departi le rrois Alexandre entre ses gens en tel mainere que kascuns avoit tant or et tant argent et de pieres preciouses cant313 il pooit porter et Purus li promeci et dist au rroy Alexandre qu’i li faroit mener es deraines parties d’Inde et en Orient ou n’estoit encores estés, ou Hercules fu e Libier, ou il mistrent les boles ce314 d’iloc en avant n’en avoit estés nule creature e ce estoit asés pres dou grans mer ocean et des deraines parties d’Inde. Cant Alexandre oï315 ce que Purus li prometoit, 310. 311. 312. 313. 314. 315.

demanderent Forme de parfait du verbe savoir, voir note 138. l’efforz, l’estors et batailles Tant […] cant employé au sens de « tant […] que ». Ce est ici une graphie de que. Ot, correction avec le verbe oïr au parfait.

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il en ot grans joie et li rendi toz pleinerement sa terre. Donc li fist li rois Purus omenaje et li promist de servir a sa volenté toz li jors de sa vie. Adonc n’i ot plus d’atendance que il aprés ce molt petit de tens ne se meïst a la voye et Purus ot grans partie de ses gens se mist aveuc li rois Alexandre et les gens macedoniens por aler es deraines parties d’Oriant por veoir les grans mervoiles que Purus li avoit anoncés. Cant il orent allés por la droite voie por cels316 qui droitemens li menoient, il vindrent en jusque es deraines parties d’Oriant por veoir les merveilles. Il troverent .ii. ymages d’or que Erculles et Liber avoient faite, li deu, en remenbrance de lor317 meïsmes et en remenbrance ausi que d’iloc en avant n’avoit esté nule humaine creature. Quant Alixandre vint, si esgarda les ymages et molt lé loa et quant il les ot asés regardé, il voust318 savoir s’eles estoient masices d’or. Par pertuis qu’il fist faire en cascune, si lé trova bien masices, dont fist il raenplir les pertuis et daurer d’avec l’or con cil estoit et quant il ot ce fait, il voust outre paser, mes cil qui le guioit li dist que d’iloc en avant n’avoient riens fors desertine ou abitoient serpans et olifans et autre mauvaisse bestes sauvages, molt cruosse et spaventable. Donc dist Alexandre qu’il iroit molt volenters au mer ocean por veoir s’il poroit metre nef et por veoir s’il poroit trover les deraines parties dou monde. E li Endien distrent que por iloc ne poroit nus hom entrer an mer ocean, car trop estoit l’entree base et tenebrosse et ouscure et n’avoient ousé paser Ercules et Libier qui dieu estoient, por ce n’est mie reysons que nus mortel hom i trespast por faire ce que li deu ne voloient pas faire, mes toutes fois pasa Alexandre outre les boles por ce que ne les319 croit bien, mes il vit les teres desertines et nuiblosses, si torna arieres et enclina as deus et ora cele ymages. E quant il ot ce fait, il dist as Indyens qu’il voloit aler a la senestre partie d’Inde por ce que nule cosse merveilouse et digne ne li peüst estre celee ni reposte. Ce li loa bien Purus por ce qu’il ne cuydast que li vousist celer nulle cosse qui bone fust dedens son regne ne320 dignez de veoir ne de reconter en autre contree. Quant il ot ce dit, il fist movoir son ost por aler en la senestre partie d’Inde, mes n’orent mie gransment allé qu’il troverent un grans palus et mauvais, mes il estoit auques sekés por li kalor dou solleill. Cil esteit pleins de ruissel321 et 316. 317. 318. 319. 320. 321.

cel Nouvel exemple d’emploi de lor pour els. vo li en C’est une forme du mot roseau, raus, attestée dans le FEW, 16, 681-682.

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d’autres erbes marines. De cest palus ysit fors une beste mauvaisse et ydousse et grans. Cele avoit le dos si tres dur que ne cremoit nule armeüre, tant fust taylans ne molue. Cele avoit .ii. testes, l’une senbloit la male beste dou fluns que je vous dis qui empotamien estoit apellee et l’autre teste senbloit de kaukatris, ece dions nos cestor diac322 ot .ii. kief. Cele beste li ocist .ii. chevalier que de lli s’aprocerent que nulle armeüre qu’il portasent ne le put garentir. Donc comanda Alixandre trover grosses maces de fer et ferir sor li, donc y firirent tant d’une part et d’autre qu’il lla ocistrent, mes ançois morurent asés de lor gens de Alexandre. [Enluminure dans la marge inférieure du fol. 98 r : combat contre le monstre à deux têtes] [fol. 98 v] Cant elle fu morte, si le regarderent por grans merveille, car il n’avoient onque si fiere beste veüe. Aprés ce qu’il ot cist palu pasés, si vint es deraines partie d’Inde sor un fluns qui323 Buefmaus l’apeloient cil de la contree. Donc comanda li rois Alexandre tendre ses tentes et erberger toz ses jens sens demorance et endementers qu’il324 saloient li avant coreor qui aloient a la brusce325 et a la pasture por doner aveine326 as cevals, il vindrent molt crians a l’ost et crierent et distrent que tuit corasent as armes isnellemens car si tres grans habondance de males bestes sorvenoient a l’ost que maintenant seroient pleynes les loges. Lor li dist li rois Purus qu’il n’eüsent nulle doutance de celle beste, mes qu’il prysent triges327, si les feÿsent regir et irer vers lé olifans et tanttost se metroient a la fuge, car tiels est lor nature et lor costume que plus dotoient les rognirs des pors et des triges que nulle autre cosse dou monde. Quant il sot ce, il comanda a ses chevaliers de Texailles que bon arker estoient qu’il montasent a keval avec les armes et meÿsent devant les porc et lé feÿsent rognir et bruir devant lé olifans qui328 isoient et en ferisent et en tenisent tant con il pooient. Adonc i alerent li rois Alexandre e li roys Purus et ses princes aveuc els por veoir la bataille et lé olifans estoient de diverses colors et tantost con

322. Cestor est une forme de démonstratif. Diac semble être le nom de la bête, qui n’apparaît pas dans l’Epistola (§ 37). 323. Exemple de confusion entre les pronoms relatifs qui et que. 324. Il est un pronom d’anticipation du sujet exprimé après le verbe sous forme nominale li avant coreor. 325. Brusce est une graphie du mot busce, « bûche » ( FEW, 15-2, 24). 326. avinre 327. C’est ici la forme que prend le mot truie, proche de l’étymon triga. 328. qui, ajouté d’après P pour le sens.

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li chevalier virent lé329 olifans, il manderent encontr’els lé porc e lé triges rugant e firent330 resoner toz lé busines de l’ost et cil se mistrent tantost a la fuge et li chevaliers li sivirent as arcs et a saietes et en oucistrent et en retindrent331 en jusque .dcccclxxx. et li rois Alexandre lor332 fist toz lor cors et lor dens traire defors de lor boches, dont puis fu toz Grece enrikie et enbelie de cel noble avoir que iloc fu conquis a celle fois. Et quant il orent desconfit li liofans, si retornerent as tentes e Alixandre fist333 toz les escus de toz l’ost a pendre et toz li auberg ausi a perges334 por estre forteresces de l’ost de nuis que olifans ne nule autre beste sauvage ne lor peüst faire enuy. Mes cele nuit reposerent il toz coyemens en pais et seüremens en jusque au jors clers qui335 li soleil aparut et tantost fu l’ost levee et aparillee qui kevaukerent une grans partie d’Inde, mes n’orent mie gransment kevaukés qu’il vindrent en une molt bele plagne ou il troverent homes et femes qui avoient .xv. piés de longesse. Si estoient tuit nu et pelos si come beste sauvage. Cil apeloient li Endiens Faunos, si vivoient mieus en aigue que en tere, si ne mangoient se poyson non toz crus, tiel estoit lor nature e tantost com il virent les gens le roy Alixandre qui lles aprocoient por ce que volenters eüsent parllé a els s’il poüsent, et tantost se resistrent336 dedens le fluns et se repostrent si c’onques puis del suen n’en aparut. Et aparseurent une foreste ployne de Cophalions337 grans a merveilles qui sor els corurent, mes tantost coment il sentirent les cos de saietes, il s’enfuierent, il se traistrent arieres ne onques puis ne se aparilerent de l’envaïr ne mal faire. Aprés la foreste ou li Nephalion avoient trovés, il vindrent en la desertine et li Endien li distrent que outre cele desertine avoit nule cose que digne fust a esgarder. Molt estoit grevosse et perillouse par paser au umaine creatures. Et li rroy Alexandre fist retraire son ost en une planure base et pleyne devers Orient por alojer, qui duroit .xx. lieues jusque a la rivere lés grans ocean ou338 les loges et les tentes furent tendues por erberger ses homes et ses bestes et coroger339 lé viandes. Puis se murent tuit por li comandament li rois Alixandre.

329. 330. 331. 332. 333. 334. 335. 336. 337. 338. 339.

l’olifans fist rendirent, corrigé d’après P. li e fist toz, ajout de Alixandre. et perges, corrigé d’après P pour le sens. Exemple de confusion entre les pronoms relatifs qui et que. Resister a le sens d’ « aller en sens contraire ». Ce sont les Cynocéphales. ot Coroger a le sens de « cuire ». Le verbe n’est pas attesté dans le FEW.

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Et quant vindrent340 au luec ou il tendirent les loges et les tentes, si n’aresterent gaires de l’erberger, si come li rois Alixandres lor avoit comandé. Cele tentes furent tendues en une molt bele planure des deraines partie d’Inde, car de la primere tente pooit l’en veoir la deraine, si estoient ygalment asisses et quant furent tuit alogé, si firent grans feus et merveilous por corojer les viandes, mes quant il alumenoient le feu, si lor vint dou grans mer ocean si tres grans vent que341 lor342 verssa toz les tentes et les loges tant que li kival et toz l’autre beste de l’ost en furent molt travailés, car la grant force dou vent qui avoit toz lé grans tentes abatues e li feus qui lumés343 estoit enbruyssa le toyson344. De ce orent li chevaliers et li sergans grans paor que si faus tenpeste lor estoit sorvenue. Et sakés que de nule chose qui fust venu le jors Alexandre n’ot si grant paor come de celle. Donc demanda le roy Alexandre a cels que o li estoient que li disent se ses deu345 fusent envers luy corocés qui si tres grans tenpeste avoit346 eüe et cil li respondirent qu’il ne savoient, mes il cuydoient qu’il fust por l’acayson qu’il estoit dou mois d’otubre qui bien le souloit faire en cele contree. Quant ce oÿ Alexandre, il fist crier por toz l’ost que tuit anhuysent347 les tentes e lor loges molt isnelmens. A ce faire orent il molt grans travail por li grans vens qui n’estoit encores posé et lor se partirent de la348, si alerent tant qu’il vindrent en une349 molt bele planure et delitable et tantost con il furent venu, li vens restanca qui molt grans enuis lor avoit fait. Lor lor comanda li rois Alixandre tendre les tentes et cil le firent tantost qui molt orent grans joie de la grans tenpeste qui pasés estoit et quant il furent atornés350, il comencerent a manger par l’ost, car il estoient molt travaillés. Quant vint envers li vespre, il comença a faire une molt grans froydure tiel qu’il ne sentirent onques si grans, et tantost comença toz l’ost a fer grant fuec et merveilos, mes il ne demora gaires qu’il comença a nogier si tres duremens qu’il senbloit toysons 340. vint, corrigé pour l’accord. 341. Exemple de confusion entre les pronoms relatifs qui et que. 342. li 343. Graphie pour alumés. 344. Le sens est celui d’ « embraser les tisons ». 345. disent que se se est suivi d’une lettre grattée. Au-dessus de se, nous lisons la correction s deu. Nous avons supprimé le que, la subordonnée interrogative indirecte étant introduite par le seul se. 346. avoient, corrigé pour l’accord, l’antécédent du relatif sujet qui étant Alexandre (luy). 347. Le dictionnaire de Godefroy (3, 191) et le FEW (7, 438, ostium) attestent le verbe enhuchier / enhuscher au sens de « enfermer, mettre dans un coff re » 348. de li, corrigé d’après P. 349. en u 350. atorner

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de berbis con il keoit devers lé nues. De cele nef i venoit si tres grans habondance que pou faloit que toz li fuec ne s’estingoient si que lles tentes e les loges n’estoient toz acoydes351 et si fusent ele plus encore se ne fusent li chevaliers et lé sergant que arieres la [fol. 99 r] bucoient et molt en fusent mort homes et bestes se ne fust une si grant pluie qui vint aprés si soudamens qu’il ne purent penser coment ce pooit estre que lla nef deffist352 en un sol movoir. Aprés ce que lla nef fu faillie et la pluie arestee, si vint une si tres grans nue toz noyre devers Ocident et de celle nue desendi une autre petite nue ausi come un toysons toz ardans que toz entor les loges enbrasoit la canpagne, e si venoit li fuec toz ardans envers les tentes. De ceste cose furent molt esbaÿ par crieme que les loges et il meïsme n’ardisent. Donc li fist prendre le roy lor dras et vesteüres por contrailer le fuec qu’il ne ferist en lor erberges. Il demanda a cil meïsme dou païs se cele mauvaisse aventure lor venoit de la costume dou païs o por l’ire de ses dex, et cil li respondirent que ce n’estoit mie de la costume de la contree, ançoys estoient li deus Ercules et Liber353 por ce qu’il avoit trespassés les boles et estoit allés plus avant que els en la deraine Inde, mais en la fin quant le rois sot ces cosses, il fist ses sacrifices faire as dex por qu’il ne se corousasent encontre li et mantenant se restancherent li fues354 et la tenpeste et la nuit vint bele et sereine. Adonc comanda li rois Alexandre alumer li fuec en les tentes et il firent son comandament e puis s’asistrent a manger. Iloc demorent il .iii. jors toz enters c’onques soleil ne aparut, ançois estoit si oscur que a poine pooit veoir li uns li autre. Et quant vint au .iiii. jors que lli solaus relust bieus et clier et li rois fist remuer d’iloc ses tentes fors de cele valee, donc alerent il tant qu’il virent les grans montaignes qui duroient d’Ethiope jusque ou grans mer ocean. Si troverent en une roche basse ou Erchules et Libier aresterent un grant tens tant con il furent en Inde. Lor distrent li Endien au roy qu’il ne laisast entrer nul de ses homes en cel saint leu la ou li dieu abitoient, car ce estoit certaine cose car355 tuit cil qui dedens entrerent seroient mort dedens .iii. jors. Si en ot plusors que356 ne voustrent357 croire cele parolles des Endiens, 351. Nous pensons que cette forme se rattache au verbe accueillir (FEW, 24, 78-81, accolligere) et qu’elle signifie « abattues, effondrées ». 352. Deffaire a le sens de « disparaître ». 353. P est plus précis puisqu’il ajoute : estoient li deus Ercules et Liber corrocié. Mais l’ajout de corrocié n’est pas indispensable pour le sens. 354. Graphie pour feus. 355. Car peut être employé pour introduire une proposition subordonnée complétive (Ph. Ménard, op. cit., § 223). 356. Exemple de confusion entre les pronoms relatifs qui et que. 357. Voust, corrigé pour l’accord.

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si entrerent dedens, si perdirent les vies. La fist li rois Alexandre ses orixons as deus358, qu’il le359 laisesent retorner a sa mere Olinpias en Macedoyne, mes cele orixon ne li valut riens ensi come vos porés oïr et entendre.

11. Que Alixandre se parti d’iluec et vint ou li arbres del Soleil et de la Lune estoient.

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Quant li rois ot fait ses orixons, il demanda ses Indiens qui o li estoient se outre cele montaigne estoit nule cosse merveilose qui a conter face360 et il distrent : « Nenil. » Quant ce entendi li rois, il comanda apariler le hernois por retorner en Inde et ce fu fait tantost et se mistrent a la voie li Endien qui les condusoient au miels qu’il savoient, mes il n’orent mie grantment alés qu’il contrerent .ii. veilars. Cil fist arester li rrois Alexandre et quant il les ot fait arester, i lor demanda s’il savoient in quelle region nule cosse digne de foy fust a esgarder ne merveilousse. Cil li respondirent et distrent qu’il poroit venir en tiel leu dedens .x. jornés. Il veroit tiel cosse que se il ne la veoit il ne la creeroit, fors que trop estoit la voye grevosse par defaite361 d’aigue de mener si grans jens ne si grans bestiaill. Bien poroit il aler ot .xl. mille homes et aporter de l’aigue por aucun leu a la fois ou il n’en troveroit362. Adonx fu li rois molt liés en son corage et dist as veilars et lor promist grans avoir et lor demanda que ce estoit et uns des veilars li respondi et dist que ce estoit li .ii. aubre qui furent saint363 par Nostre Sire au tens d’Adan et qu’il avoient tiel vertu qu’il donoient364 droit respons de toz cosses qui sont demandés en tel mainiere que ne li falut nule riens. Adonx dist li rois Alexandre encontre ses princes que soutil decevance avoient li veilarz porpenssé, dont respondirent li veilarz et distrent et jurerent lor saremens que ce estoit verités. Lor li distrent li prince que seürement pooit departir l’ost, car en tiel mainere estoit destruit laiens li rois Purus qu’i le365 vinceroit ot la moitié de ses gens quant il voudroit. Adont prist li rois Alexandre .xl. mile homes que a piés que a cival et leysa Tolemeus rois et sires et comanderes de toz li remanans, et li dist qu’il s’en retornast arieres en la cités que Montris estoit apelés, que kief iert de toz Inde 358. 359. 360. 361. 362. 363. 364. 365.

des li La périphrase faire a suivie d’un infinitif signifie le mérite (« qui mérite d’être relatée »). Graphie possible pour defalte (sens de « manque »). il ne troveroit aubre sant qui furent saint donoit li

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et qu’il atendist iloc. Et li rois Purus s’en retornast con366 li arieres et ensi se departi. Li .ii. veilars367 qui les conduxoient368 le menerent toz ensi come il orent devissé por le desert ou li rois Alexandre eüst eü grans sofraite d’aigue si ne fussent parvenus devant et ne le eüssent eü devant aporté369. Ensi ala li rrois Alexandre ot ses gens por la grans desertine, si troverent tant de serpens et de bestes sauvages de tantes maineres que nus ne le sauroit conter et dire et de cascune mainere savoient li .ii. veilars li nom au roys Alexandre dire et li conseient coment il et ses gens se defendisent et tant menerent li .ii. veilars li rrois Alexandre par lé parties d’Ynde. Et quant vint au .x. jors, il vindrent ileuc ou li .ii. aubre estoient. Molt estoit biaus et delitables ou li .ii. aubre sacrés estoient, si avoit presque une jornés de planure et de largesse. Si avoit molt des biaus arbres et de beaus bois d’espices et de molt maineres et si avoit homes que iloc demoroient que de cele spices mangoient et ne vistoient que pels de bestes de paterons et de licornes370 et d’autres bestes estranges. Li rois Alexandre fist demander que gens lors estoient et i lor respondirent que Endien estoient et que ill et toz lor371 lignee abitoient en cele contree et que onques n’estoient cele grans desertines pasés. Cil home que je vos di, si avoient bien .x. pié de longesse, si estoient plus noir que nule autre cosse du monde, si avoient li dens lonc e reons et agus come ciens et tantost come il virent le roy Alexandre, si le saluerent en lor lenguage et li demanderent qu’il estoit la venus quere et li rois li respondi qu’il estoit venus por veoir li sans372 aubres del Soleil et de la Lune, et ce estoit la covoitisse de veoir la voie qu’il avoit prisse. Adonc li dist373 li prestres s’il estoit [fol. 99 v] castez il pooit aler seüremens. Adonc s’en ala li rois Alexandre o toz .iii. cent chivalers de sa mesnee374, des plus aus homes qu’il avoit aveuc li, et tuit cil qui n’estoient kastez s’en covenoient retorner arieres et tuit cil qui aveuc luy estoient fist li prestez re-

366. Con, employé comme préposition au sens d’  « avec », est un italianisme. 367. Suppression de l’abréviation de et après veilars. 368. Conduxoit, correction au pluriel pour l’accord. 369. si ne fust parvenus devant et ne le eüst eü devant aporté, correction au pluriel pour le sens et d’après P. 370. libernes ; dans l’Epistola, ce sont des tigres. Le mot libernes est absent des dictionnaires d’ancien français, du FEW et aussi des dictionnaires italiens. Est-il une altération du mot tigres ou bien du mot licornes ? Nous avons choisi de corriger en licornes. 371. sa 372. Graphie pour sains. 373. demandat 374. masenee

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pondre375 lor376 anelz e puis amena li prestez li rois et ses conpagnons ou leuc ou li aubres estoient377, et cil leu estoit clos de beaus arbres pleins d’espices tant spesement que al mont n’avoit home ne feme ne nule beste qui en peüst paser se ce n’estoit parmi la porte que lli prestes guardoit. Cil leus estoit molt sains et delitables a merveilles, car dedens les rain des aubres ysoit le bausme qui fesoit un ruysels bels et grans et tant bien oilous et tant precious que ce estoit merveilles a noter et a goster. Donc dist li prestes au roy Alexandre qu’il convendroit li demorer au vespre et quant ce vendront au primer ray de la lune que sor l’aubre feroit378, donc poroit il demander ce qu’il voudroit, si avroit respons de ce que il desiroit et ausi meïsmemens a la maitinee au soleill levant, quant la prime clarté isiroit. Ceste merveiles que li prestre disoit au rois li paroit mençogne, mes toz fois atendi il jusque a ore de vespre que li prestes disoit que la lune levoit et espandoit ses rais par toz la contree et sakés que kascuns des aubres avoit .c. piés de longesse. En cel leu ne ceoit ne pluie ne tenpeste ne mauvais oyselz ni serpens ne male beste, car tantost con nul i meïst li piés keoit mort.

12. Que la vois des arbres parla a Alexandre et puis coment il s’en parti dolans et tristes.

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Quant le rois Alixandres oït en tel mainere parler as prestes, il s’aparila por faire sa demandaxon et li prestes li dist qu’il alast a bayser lé fueles des aubres et les brankes tant solemens qui a tere tokoient379, puis fist oreixon a ses dex dou soleill et de la lune. Si li respondroient380 ce qu’il li demanderoit sans nule doutance. Et li rois li demanda se li aubres li responderoient381 en lenguaje gregois ou endien et li prestes li dist en tiel lenguaje que il li demanderoit en tiel li responderoient382. Et endementers qu’il parloient en tel mainere, li rais de la lune aparut et ferit en la sovrane partie de l’aubre et tantost dist li preste au rois Alexandre et a .ii. ses conpagnons qui383 aveuc luy estoient tant soule375. 376. 377. 378. 379. 380. 381. 382. 383.

respondre ; repondre a le sens de « mettre à l’écart ». ses estoit feroient, correction pour l’accord ; exemple de confusion entre les relatifs que et qui. Brankes et tokier correspondent à des graphies picardes de branche et tochier. respondroit responderoit responderoit qui, ajouté pour le sens, d’après P.

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mens qu’il gardesent384 aut a la clarté des aubres et pensast ce qu’il li voloit demander et qu’il demandast et li aubres li responderoit. Et adonc regarda li rois entor l’aubre qu’il ne fust aucuns respost qui li repondist et qu’il ne fust en tel mainere deceüs et ne vit nule creature. Si se traist avant li rois Alexandre et si lor demanda s’il a sa mere Olinpiades et a ses seror retorneroit vif et s’il avroit la signorie de toz li monde ausi come il estoit endivinés et quant il ot ce dit en indien languaje, li aubres li respons et dist : « Rois Alexandre, que onques en bataile ne fus385 vencus ne ne seras, tu seras sire clamez de toz li monde et auras386 la segnorie ançois que soit li jors de la fin, mes387 tu n’entreras jamés vif en ta388 contree ne ne veras tes seror ne ta mere. » Et quant ce oït li rois Alexandre, si s’en merveila molt, si en fu molt esbaïs en son corage et mout l’inoia de ce qu’il n’estoit venus toz sol as aubres, car si ami et si conpagnon qui ot li estoient ploroient tendremens por ce qu’il le389 veoient ensi dolent de la vois de l’aubre qu’il avoit oÿe, mes li rois Alexandre lor dit et por promesse et por menace et lor comanda qu’il ne demenasent nul dolor ne ne deÿsent a nulz li respons de l’aubre ne ne descovrisent390. Puis se traist avant et dist ou il moroit et en quell maynere et la vois li dist en grejois por ce que en grezois l’avoit demandés : « Alexandre, la fin de ton aage aproke, car au kief391 d’un an et .viiii. mois moras tu sans faille en Egipte, si t’ociront392 ot venin cil cuy tu plus t’en fieras que en393 nul autre. » Quant Alexandre oït cele vois ensi apertement dire cele parolle, il recomensa molt tres durement a plurer et demener grans dolor por la vois qu’il avoit oÿe et si ami troy, Perdicas, Philotes et Holitinas, isemens en firent394 grans duel et le rois ne se dotoit riens d’elz ne d’on395 qu’il eüst que oucire le deüst par malle voliance. Ainçois cuydoit qu’il deüst por luy morir s’il fust besoing.

384. Le sujet du verbe « garder » est ici Alexandre et ses compagnons, tandis qu’à la ligne suivante le sujet de pensast et de demandast est seulement Alexandre, car il est le seul autorisé à poser des questions. 385. fust ; exemple aussi de confusion entre les relatifs que et qui. 386. aura, amuïssement du s de la seconde personne du singulier, corrigé. 387. me 388. entra 389. les 390. descrovisent 391. Là aussi aproke et kief correspondent à des graphies picardes. 392. t’ociroit 393. est 394. fist 395. Graphie pour home.

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Atant se parti li rois des aubres et vint la ou si conpagnon l’atendoient, qui mout furent dolans quant il le virent396 si doloros, mes por tant ne remist il mie qu’il ne fist metre por manger et ja n’eüst il volenté de manger, si manja il molt longuemens por reconforter ses conpagnons qu’il ne demenasent duel. Aprés ce que il ot mangé, se couka il toz vestuz et kaucés por ce que a la jorné fust tost aparilés por aler a l’aubre por oïr s’il avroit encor autre cose397 et poüst entendre que plus li fust reconfortable. Et bien sakiés398 qu’il ne dormit gaires celle nuit li rois Alexandre, ançois pensa molt a s’aventura qui molt li senbla cruelz. Tantost con li jors aparut, se leva li rois Alexandre, si apela ses conpagnons qui encore dormoient, qui aveuc luy avoient esté as respons de l’aubre a la vespre, et esveila li prestre qui encore gisoit toz estendus et sakés que en quel leu qu’il fust sans coverture il i rajenovrast399, car il vivoit d’espices et de basme et d’une bele aigue qui rencorsoit en cele contree et molt sane, por coy il vivoient d’aage sans nulle malatie .iii. .c. ans et plus vigorossement. Si n’avoient autres vesteüres ne autres coutres ne coysins por dormir, mes soulement les peles de lé bestes.

13. Que Alexandre ala autre foiz as arbres et des mervoiles qu’il trova tantost qu’il fu partiz des arbres et coment li rois Porrus fist au roi Alexandre mavés senblant.

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Quant Alexandre ot les prestes esveillés, il entra dedens li clostre de sains aubres, qui estoient enclost de molt biaus aubres, si aloit por savoir qui estoit cil por cuy il devoit recevoir mort et a quel fin sa mere et ses serors vendroient et tantost con il fu venus et ot fait ses orixons selonc la costume qu’il souloit faire, adonc estoit li solaus levés et comença a ferir ses rais al raim souvrains de l’aubre, et Alexandre demanda qui seroit cil qui l’ociroit et a quel fin sa mere Olinpias et ses seror vendroient et li aubre li respondi en lenguaje gresois : « Rrois Alexandre, se je400 ceus qui te covoitent a occir te nomoye et demostroie, tu t’en poras garder asés ligerement et si en seroit remué la destiné que venir devroit, mes ce ne [Enluminure dans la marge inférieure du fol. 99 v : Alexandre interrogeant les arbres du Soleil et de la Lune] 396. 397. 398. 399. 400.

quant il vindrent, corrigé pour le sens, d’après P. ajout du mot cose. Là aussi couka, kaucés, sakiés, correspondent à des graphies picardes. Les deux premières lettres du mot sont illisibles, nous les restituons. Après se je, nous lisons l’ajout dans la marge de te deÿse.

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[fol. 100 r] feroie. Ses tu por coy ? Car li deu se coroçeroient401, mais402 bien sakes que par venin t’ociront403 .iii. de tes homes que tu meus t’en fieras et ce sera au terme d’un an et .viiii. mois, ne ce ne pos tu ne por toy ne por autre trespaser en nule mainere. Ta mere finera laidemens ne ja li cors de li n’avra sepouture, ainçois sera ses cors abandonés as ouxelz sauvage cuy il sera viande. Mes tes404 serors seront bienoürés et viveront long tens en grant seignorie. Or te garde bien que tu ne me domandes plus, ne ne t’areste405 plus en nos forest406, mes mantenant repaira407 en Inde a li rois Purus et a tes gens qui t’atendent. » Et tantost dist li prestes au roys qu’il se partist e ne trespasast le comandament des sans aubres. Donc se parti li rois Alexandre et s’en vint a ses conpagnons qui defors l’atendoient et as .ii. veilars qui avec els estoient et prist congié des prestes et se mist a la voye por retorner en Inde et comanda bien a ses conpagnons stroitement qu’il celesent ce qu’il avoit oü408 as aubres. Li Endiens se traoient vers li rois, car volenters l’esgardoient et sentoient409 ses dras qui estoient plens d’odor et pensoient que onques nule creature humaine ni de strange païs n’avoit esté en celle contree et clinoient vers li ensi con il fust uns dex. De ce lor rendoit Alexandre grace e merci e molt li pleysoit la grans honorance que i li portoient410. Puis se mistrent411 a la voie li rois et ses conpagnons e si n’orent mie alés plus que ore de tierce qu’il vindrent en une valee qui Jorda412 estoit apelez ou il avoient serpens qui avoient en lor cols molt smeraudes molt grosses et bielles et por cil serpens estoit toz celle valee abitee d’oyselz grans. Cil oyselz estoient par senblance demi oyselz e demi lions, car il avoient et coe et crope e lé .ii. pié413 d’arieres de lion, e le cief e les alles e les .ii. pié d’avant avoient414 d’oyselz. Si abitoient en cele contree por cels grans serpens qui les ocioient et mangoient

401. coroçoient, graphie d’un ç italien pour [s]. Nous avons corrigé l’imparfait en futur II, en gardant la graphie en ç. 402. ma 403. t’ociroit 404. tes manque. 405. t’arester 406. plus de nostre force, corrigé d’après P. 407. Finale en a italianisante. 408. eü ; oü est une forme de participe passé de oïr. 409. et qui sentoient, suppression de qui. 410. portoit 411. mist, corrigé pour l’accord. 412. Jiorda 413. pié, mot ajouté entre les lignes. 414. avoit, corrigé pour l’accord.

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et de celz oysels n’avoit gaires venu415, mes tant fit416 Alexandre envers lé Indiens qu’il pristrent .ii. de cels oyselz e puis lé417 donerent au roy Alexandre que molt lé gueredona418 d’or et d’argent et puis lé prist et lé fist bien enkaener et lor fist faire .ii. cases de fust, et lé419 mist dedens et lors lé menerent ensi en Inde la moiene et cil d’Inde l’apeloient oyselz farnons, mes nos l’apelons oyselz grifons. Et sakés qu’il tant petit ains ore de none vint il a la montaigne ou naysoient420 les poivre421 blanc e meïsmemens li noir. La en aut en cele montaigne est si grans ardor, au tens d’iver que la froydure est en autre tere, que nus n’i puet arester por la grans serpentine qui est delés celle grant montaigne. Par la valee passa Alexandre et s’en vint en une contree ou abitoient une gens qui estoient apelées Sires : ceste gens estoient noir come more, si estoient molt bone gens, toz la meilors dou monde, car en toz la contree n’avoit nul homecide ni avoutres ne n’en avoit jamés cascuns que une feme et cele tenoit a jors de sa vie et se cele li moroit par aucune mesaventure, il ne prenoit jamés plus et toz ausi fesoit la fame, et vivoient tant solemens de kar et de bestes et de bones erbes que avoit asés en cele contree. De cele gens mena avec soy li rois Alexandre, que422 li enseignoit droitement la voie, et cil li menerent par la partie devers li mont de Scorpion en josques a Purus li rois en Inde la anciene. Mes ançois qu’il y parvenist vit il molt mainere de serpens et d’autres bestes sauvages et si trova une mainere de bestes qui estoient de façon de ceval, et de piés et de coes et de cors et de testes, mes en mi li front avoient un cor forz et aguz, si fort k’a poine pooit nule armeüre a li durer. Et por ce estoit il apellez Unicor. Donc conbati Alexandre ot toz ses gens contre cele beste qui venoient ot le kief enclinés devant, con se ce fust tour sauvages et si feroient en les escus des chevaliers et des serjans et lé pasoient ensi con s’il fust un glaive amolus, mes puis que li cors estoit asis ne se puet remuer, ensi estoient toz mort mantenant423. Si agreverent molt les gens Alexandre, mes a la fin morirent de celle bestes .viii. mille et. iiii. cent et .l. et puis s’en torna li rois Alexandre ot ses gens et tant alerent qu’il vindrent au rois Purus ot cuy les gens Alexandre estoient424 remises o 415. 416. 417. 418. 419. 420. 421. 422. 423. 424.

venu, mot ajouté entre les lignes. firent, corrigé pour l’accord. li guederdona ; exemple de confusion entre que et qui. lor naysoit, corrigé pour l’accord. porc, corrigé d’après P. Confusion entre que et qui. À partir du moment où la corne est enfoncée, on ne peut plus la remuer. estoit, corrigé pour l’accord.

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Tolomeu425 et quant furent venu, si orent grans feste faite et Purus demanda molt lé gens Alexandre et Alexandre meïsmes des merveiles et de nouveles qu’il en426 parfont partie avoient veüe d’Inde et si distrent asés kar asés en avoient veües, mes li rois Alexandre n’estoit mie si aitiés con il soloit par les nouveles qu’il avoit entendues das aubres ne oïes. De ce que li rois Alexandre estoit ensi desaités se mist Purus grans poyne por savoir, mes il ne trova qui lli vousist dire ne fere entendre. Li rois Purus savoit bien que ce estoit par les arbres qui lli avoient427 prononciés aucune cose de desconfort. De ce parlla Purus a ses homes et lor dist que li roy Alexandre avoit tel nouvelles eü que ne li plesoient428 mie et se il li loient qu’il se conbatroit429 encores ot li et que bien tost en poroit avoir la vitoyre, car li rois Alexandre ne fust ensi bosmés se ne ce fust qu’il a eü aucun respons des aubres qu’il sera desconfis en ceste regne. Et tantost il comença estre plus engrés envers les gens Alexandre et dist a ses homes : « Ja se Dieu plest ne portera430 mon tresor ne mon avoir defors431 mon regne. » Et de ce s’aparçut bien Alexandre que molt en i ot le cor felon et bien pensoit que por son mesaisse estoit venu au roys Purus ceste mauveysse pensee. Lor dist li rois Alexandre au rois Purus qu’il ne fust en nulle male suspicion de li et qu’il se conbatroit432 o li li cors a cors, ses gens a gens et que de ce ne queÿsent longue demorance. E Purus, qui estoit molt ardiz et fort, vit que li rois Alexandre estoit molt desconfortés433, si le434 cuyda il bien veincre. Donc dist il au roy Alexandre qu’il se voloit conbatre a li a cors a cors et qu’il ne voloit qu’il portast son tresor en tel mainere fors de son regne et ensi s’aresterent de la bataille et pristrent jors por conbatre et firent asenbler lor gens por veoir la bataile qui estoit [fol. 100 v] devisés. Lor jura li rois Alexandre ses dex que s’il ne pooit435 veincre Purus en cele bataille que ja ne scanpast436 sans mort. 425. o toz Tolomeu 426. es 427. avoit, corrigé pour l’accord. 428. pleisoit, confusion entre que et qui. 429. conbratoit 430. dist a ses homes que ja se Dieu plest ne portera mon tresor ; mélange de style indirect (que) et de style direct (futur I et possessif de la première personne) : nous avons corrigé en mettant au style direct. 431. dedens 432. conbratoit 433. reconfortés, corrigé pour le sens. 434. li 435. s’il pooit 436. que s’il ne pooit veincre Purus en cele bataille que ja ne scanpast : le deuxième que est une reprise après la subordonnée circonstancielle de condition du premier que qui introduit la

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14. Que Alixandre se conbati au roi Porus et l’ocist et coment la roïne Candace conut Alexandre et li fist rices presanz et coment il prist Amazonie et lai437 fu feruz d’une saiete.

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Quant vint au jor de la bataille, li .ii. roy vindrent bien armé et bien aparillié a lor mainere por conbatre et tantost con il s’entrevirent438, il urterent li ceval des esperons et se ferirent primerement des glaives molt duremens et aprés mistrent mains a llé spés trankans, si requirent molt li uns a l’autre, mes a la fin li rois Alexandre conquist Purus et l’oucist, qui volenters avroit merci trovés avec li rois Alexandre si la eüst otroié. Dont ot Alixandre toz Ynde misse a sa seignorie et prist l’or et l’argent et les grans rikeces qui estoient tantes439 que nus ne savoit dire ne conter et quant il ot ses gardes misses es cités et es castelz et es grans forteresces, il s’en vint vers Tiope a la roÿne Candace qui tenoit le regne de Tiope. Celle roïne estoit tant belle c’a poyne peüst l’en trover si bele creature. Ceste roÿne Candace avoit oÿ dire la grans renomee dou rois Alexandre, si l’avoit molt amés en son corage, por ce avoit ele envoyé un meistre molt bon taileor qui fist une ymage a celle meïsme senblance et en cele meïsme façon que li rois Alexandre estoit, et de ses contenances et de color et de vesteüres, en tel mainere que en toz le monde n’avoit nul home qui eüst veü li rois Alexandre qui ne le peüst conoistre par cele ymage a sa senblance in cele meïsme façon. E puis s’en retorna et dona l’image a la roÿne e la roÿne le regarda molt e molt li plot et bien le garda coment cele cosse qu’elle avoit fort kiere. Ceste roÿne Candace ot .ii. filz, li uns ot non Candiolus et li autres Garigarus. Cist .ii. enfans avoient andeus femes. Candiolius avoit feme une aute damoyselle, si li avoit tolue un aut prince440 qui tenoit grans tere ens Etyope et Ynde, et Garogarus avoit a fame une fille li rois Purus. Adont quant Alexandre s’en venoit par la profonde Ynde, si vint a li Candiolus en l’ost por plaindre a luy de sa feme qui li estoit tolue et ravie, et tantost conta au roy toz sa besogne, coment la cose estoit alee, et li pria qu’i li aidast et secorust. Dont dist li rois Alexandre qu’il estoit bien raixon qu’il li envoiast secors et que se li441 pleïst que il meïsme vendroit o tant de gent com il voudroit. Parmanides s’en vint a son seignors qu’il prendist jens et aidast le jovencels de la onte que complétive que ja ne scanpast  ; scanpast est une forme du verbe escanper, sans l’initiale vocalique. 437. lui 438. il s’etrevirent 439. Tant est ici employé comme adjectif et donc accordé. 440. si l’avoit tolue a un aut prince, corrigé pour le sens, d’après P. 441. il

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cil li avoit faite et si li rendist sa feme. La si apela li rois Alexandre Antigonum et si s’en ala avec Candiolus a cuy il ot enquis bien de ssa tere442 la puisance et de sa contree443. Tant ala li rois Alexandre qui Antigonus se fesoit apeler qu’il vint en la cités ou estoit cil qui la fame Candiolus avoit tolue. Si asist la cités tant qu’il la prist par force et quant il ot pris la cités, il rendi sa fame a Candiolus e meïsmemens prist celuy qui avoit tolu la fame. A la porte de la cité pendi li duc444. Aprés ce mena Candiolus li rois Alexandre en sa cité qu’il cuida que ce fust Antigonus et le mena veoir la roÿne Candace sa mere, qui contre li estoit venue une grant piece, et tantost come ele le vit et ses filz li ot dit que ce estoit Antiognus, uns des chevaliers le roy Alexandre, elle sot tantost que ce estoit li rois Alexandre. Lor le mena la roÿne Candaces por la main en sa cités et en ses rikes sales, puis le mena en ses rikes canbres tot sol a sol et li mostra l’image que ele avoit faite a sa senblance, puis li dist : « Rois Alexandre, ce poés445 vos veoir que je estoie molt covoitosse de parller a vos et de vos veoir quant je vos446 fis contrefaire en ma presence, car en nule mainere ne pooie plus faire et vos que447 toz le mont avés en balie vostre, ne vous celés mie vers moy qui suy vostre feme et qui suy tenue de guerdon448 rendre de la fame que vos avés a mon fils rendue, et si aiés nule dotance que je ay un fils qui la fille li rois Purus avoit a fame qu’il vos occist por cil meffait. » Donc regarda li rois Alexandre l’image a grans merveille e puis la roïne Candace, qui449 molt se merveila de sa grans beautés et qu’elle s’umilia a fere sa volenté et de li onorer, si se descovri et dist qu’il estoit Alexandre. Aprés ceste parolles la roïne Candaces mena Alexandre en ses sales par la main ou les tables estoient misses. Si se seÿ a manger ot grans joie et quant il mangoient et bien et en pais, Carogarus dist a sa mere que ce estoit meïsmes li rois Alexandre que Porus avoit ocis cuy file il avoit a feme, mes s’il pooit, il en pendroit la venjance. Dont li respondi li roÿne et dist que ce ne pensast onques car ce n’estoit il mie, mes estoit un sien chevalier qui Antigonus estoit apelez et quant ele ot ce penssee, ele fu primeremens a parlement avec le rois Alexandre et se mist ele et sa tere450 a sa volenté 442. 443. 444. 445. 446. 447. 448. 449. 450.

teir la puisance la contree, corrigé d’après P. pendi li duc, ajouté entre les deux colonnes par le copiste qui a écrit les rubriques. poé, amuïssement du s à la seconde personne du singulier, corrigé. je me vos Confusion entre que et qui. guederdon L’antécédent de qui est Alixandre. se mist ele a sa tere

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et quant vint a l’endemain que le rois s’en voloit aler, ele451 li dona de biaus donx d’or et d’argent et de pieres preciouses et li dona .cccl. olifans et .vi. olipars privés et .iiii. .xx. kiens molt bons et .cc. panteres et molt d’autres bestes privees qui molt estoient de cruosse nature cant eles estoient sauvages. Aprés se parti li rois Alixandre de la roÿne et s’en vint vers les Arestiniens et les Agogociens et les desconfist par sa bone chevalerie et ardie et en bataile usee. As Confien il trova grans gens asenblés, car il en ot bien .ii. cent mile qui rendirent molt grans estor, mes a la fin furent il desconfit a quel que poyne. D’iloc s’en alla li rois Alexandre au fluns et desconfist lé Geniens et lé Tebiens et lor cité que Keikules avoit fondee et puis corut jusque au grans ocean parmi cel flums a grans navie. Adons s’asenblerent totes les gens de cele contree qui bien furent .iiii. .xx. mile a piés et et .lx. mile a keval. O cels se conbatirent li Macedoniens longement et molt en furent mort et molt perdi li rois Alexandre de ses princes, mes a le fin furent tuit si home mort [fol. 101 r] et desconfit. Quant li rois Alexandre ot toz cele gens desconfites et mortes et s’en vint a le cités qu’il trova fetes de murs et de nobles forteresces et le trova bien garnie de jens dedens la cités e nulz ne se mostroit as murs. Adons fist li rois droicier une esciele et monta sur le murs et si saili dedens la cités entre ses enemis qui s’escondoient et tantost furent a li de toz pars et tant la combatirent c’a poyne pooit l’en croyre qu’il se peüst estre tant mantenus et coment il puet sostenir les cols des dars et des espleus qu’il li lançoient et tantost s’en vint Alexandre a une cantonee452 de mur et la grans453 crie qui entor luy estoit fu oÿe de cels defors et mantenant qu’il l’oïrent briser o itant, il li vindrent ayder454. Adonc fu prisse la cités e tantost fist ocire et depecier totes les gens et homes et femes et enfans et les murs abatre et enbraser la cités. D’iloc se parti li rois Alexandre ot grans navie et s’en vint au grant ocean, mes ançois qu’il i venist, trova il une grans cité de cuy estoit rois et sires Abira et de toz

451. le 452. Les termes cantone et canton existent en italien au sens d’ « angle » (Grande Dizionario della lingua italiana, 2, 664-665). Ils sont absents du FEW et le Tobler-Lommatzsch (2, 34-35) cite comme premières occurrences françaises du terme canton des exemples de deux auteurs italiens qui écrivent en français, Philippe de Novarre et l’auteur de l’Entrée d’Espagne. 453. cantonee de mur et que la grans, suppression de que. 454. On note ici une barre horizontale coupée par deux barres obliques, qui renvoie à une glose dans la marge : en cele bataile fu navrez Alixandre d’une saiete soz la mamele durement mes por grant ire qu’il ot s’enbati il encontre ses anemis et si occist celui qui la plaie li ot faite et si furent tuit desconfist cil de la cité.

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cele contree molt455 se deffendirent ot saietes enveninés qui ocistrent molt des gens Alexandre, mes li rois reconuit un qui fexoit boire456, donc venoient il et cil qui en bevoient erent tantost gari dou venin et ensi ne dotoient le venin. Adonc fist tant qu’il pristrent cele cités par force et mantenant fist destruire toz les gens et la cité et la contree.

15. Que Alixandre se fist avaler el fons de la mer et aprés se fist porter en l’air as grifons et puis s’en vint en Babilone et la conquist.

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Quant li rois Alixandre ot toz environés parmi li fluns d’Ynde et fu venus jusques au grans ocean qui toz le mont environe, e illoc toz lé diverses contrés conquisses et somise soz sa segnorie si come vos avés entendus ça arieres, il comanda qu’il fust fait une grant colone d’or et mise en la deraine tere d’Inde sor le mer par demostrance qu’il avoit jusques iloc conquis et soumis soz sa seignorie. Aprés ce comanda tantost li rois Alixandre qu’il fust fait une grans kase457 de voir et bele et cliere et grosse e fort et fust tant grans que uns hom peüst ester dedens o toz ses hernois a aisse et fist faire une grans caene ou la458 fist bien lier et fermer qui estoit longe .c. braces et plus, e puis comanda une de ses nés entrer au grans mer ocean et quant la nés ot pasés la fose459 dou fluns, si entrerent tant solement aveuc luy Tolomeus et Kasander et li mariner qui lla guioient. E puis s’en ala ens l’ocean jusques .ii. lieues en mer, donc entra Alixandre ens la casse de voir e puis se fist caler460 devers le mer tant com la caene estoit longe. Adonc vit il la grans habondance des poysons de diverses manieres et iloc prist il l’afaire des chevaliers, ce cant461 une mainere de poy455. contree e molt 456. Le récit est tellement elliptique qu’il en devient incompréhensible. Ce que découvre Alexandre, par le bénéfice d’un songe, c’est une herbe qui guérit du poison des flèches : voir le texte du manuscrit BnF fr. 20125, § 89. 457. Kase / case au sens de « construction » apparaît comme un italianisme (casa). Le mot est absent des dictionnaires de Godefroy et du FEW. Le Tobler Lommatzsch (2, 295) mentionne quelques rares emplois de chase au sens de « maison ». 458. li 459. Le mot fose, au sens d’ « embouchure d’un fleuve » apparaît aussi comme un italianisme. Il est attesté dans le Grande Dizionario della lingua italiana (foce, 6, 88). Le FEW (3, 439, faux) signale une forme fôs dans la langue de la région de Nice et aussi l’italien foce. 460. Caler peut signifier « descendre » en ancien français. C’est le sens de calare en italien. 461. Cant est une graphie de quant et la phrase évoque l’enseignement militaire que l’observation des poissons dispense à Alexandre. Prist a le sens d’aprist.

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sons aloit por conbatre as autres. Se une esciele ne poroit durer, l’autre la secoroit et ensi en venoient d’une part et d’autre tant con il estoient tant que une partie estoit esconfite et ensi demora jusques a la nuit. Et quant vint a la nuit, si corla462 la caene et maintenant fu levés sus et lor dist toz quant qu’il avoit veü en l’aigue, et puis se pensa il la nuit qu’il voloit veoir l’air et quant vint a l’endemain, si fist il sor la planure dou sablon qui sor la marine de l’Ocean estoit, qui estoit larges de kascune partie plus de .ii. jornees, donc fist faire un vaxel de fust biaus et larges tant qu’il poïst dedens entrer e puis fist prendre .ii. porcelés et lé fist lier as .ii. groses lances et fist faire .ii. kaenes et lier bien li vasel e cil vaxiaux estoit reons con un ouf, si avoit .ii. pertuis par out il mist les lances qui portoient li porcel, puis entra dedens li rois Alixandre e puis qu’il fu dedens il fist lier .ii. oysels grifons ot cele kaene grosse a cel vaxel. Cill grifons estoient molt afamés, donc lor mostra li rois Alixandre lé porcels e463 quant li oysel le virent qui grans faim avoient, il s’esmurent tantost a voler por prendre cel porcel qu’i voloient prendre et toz fois voloient en aus a plus a plus qu’il cuydoient atendre les porcels e si volerent il jusques ore de midi et quant vint a ore de midi que li soleil l’escaufoit molt duremens tant qu’il ne pooit plus durer e qu’il estoient tant monté en sus que ses gens ne le purent veoir et il ot molt veü et coneü de l’air et qu’il ne veoit ne montagnes ne planure ne nulle autre cosse fors li ciel et l’air, il comença de cliner li porcels vers li oisel grifons. Cant li oysel orent cel porcels pris, il se devalerent aval o toz lé porcels et le vaxel et vindrent toz droit entre les gens Alixandre et quant li oyselz furent yloc keü que464 mangé avoient li porcels, il se reposerent volentiers. Adonc vindrent cil qui a li oysel donoient a manger, si lé pristrent e lé retornerent en lor gages465 qu’il soloient ester et mantenant li rois ysit dou veysel qui molt en fu liés et si princes ausi qui menerent grans joie et puis tantost furent mises les tables por manger a grans desduit. Adonx fist il metre en escrit toz [Enluminure dans la marge inférieure du fol. 101 r : à gauche Alexandre dans les eaux et au-dessus de lui un navire et deux hommes qui tiennent son bathyscaphe par des cordes ; à droite, Alexandre couronné dans les airs, à l’intérieur de sa nacelle tirée par les griffons qui essaient d’atteindre les porcelets, sous le regard ébahi des Macédoniens]

462. Graphie pour crola, au sens d’« agita, secoua ». 463. donc lor mostra li rois Alixandre lé porcels as grifons e, suppression de as grifons pour éviter la répétition. 464. Confusion entre que et qui. 465. Graphie gages pour cages.

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[fol. 101 v] cestes mervoiles et toz quant qu’il avoit fait ne conquisté et quant il ot ce fait, il se mist en voye por retorner en Egipte et s’en vint ot sa grant host en Babiloine qui senbloit que ce fust la plus honorés cités dou monde466 et tantost li fu la cités rendue a sa volenté et toz les gens dou monde par sa grans renomee li mandoient en cele grans contree li treü et lor mesages et cil de Bisance et cil de Kartages et de Romes et de toz les princes dou monde, qui por paor qui por amor, et tant en venoient a Babiloine que toz le kemin en estoit couvert. Adonc fist il mander que si prince et si baron fusent au jors de la soe nativitez en Babiloine ot lor bieles conpagnies, car en cel jor vodroit porter corone et fere coroner .xii. de ses barons a roy. Il avoit doné .xii. de ses regnes qu’il avoit conquistés en le partie d’Orient, si avoit en kascune une cité edifiee qui de son nom avoit nom Alixandre et bien sakiés qu’il n’avoit mie adonc oblié li respons de l’aubre qui sa mort avoient devinee et dite, mes il cuydoit certainement que li deu li eüsent remué sa destinee e ne cuydoit que nul hom osast entreprendre par felonie ne porpenser de tolir li la vie et en467 cremoit il molt la mort qui li estoit devinee, mes par toz ce ne failoit il rien de sa noblece, ains avoit il asenblez toz ses amis et ses barons estranges et princes, par mantenir468 grans cort, la gregnors qui onques fust veüe en toz le monde.

16. Que li rois Alixandres perdi la vie por le venim que li serf li donerent a boivre.

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E a cel jors que li rois Alixandre doutoit plus a perdre la vie selonc la parolle qu’il avoit entendue des aubres, cil comanda ses gens et ses plus kier amis qu’il servisent devant li a table et i le firent volenter. Mes Antipater cuy il avoit enkargé toz Grece a garder et sosmisse a sa segnorie et Devinuspater cuy il molt amoit et lor469 avoit promis a cascuns de fer porter corone, li donerent en cel jor a boivre venin par qu’il perdi la vie. Mes ains qu’il fust mors, si firent jugement de cels que470 li donerent le venin et qu’il fusent doné as kiens a manger et puis fist venir devant soy ses barons et lor dona li regne qu’il avoit conquises a cels qui loiaument l’avoient servi et lé fist coroner et porter corone 466. Il s’agit donc ici explicitement de la Babylone d’Égypte, et non de la Babylone de Mésopotamie où il trouve historiquement la mort. 467. ne : nous corrigeons car il s’agit ici d’une confusion entre ne et en ; pour le sens ce ne peut être une négation (voir d’ailleurs le début du § 16). 468. princes et par mantenir, suppression du et, exemple de confusion entre par et por. 469. li 470. Exemple de confusion entre les relatifs que et qui.

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devant li ançois qu’il morist et puis comanda qu’il fust portés en Macedoine, ou il fu portés et durement plorés devant sa mere et de ses serors et puis fu fais ardre e puis fu mis li cors en cendre et [un mot illisible] li cors en une tres rike sepouture d’or.

17. En qiex terres aprés la mort le roi Alixandre si baron se departirent.

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Tolomeus fu li premers rois que Alixandre li roys fist coroner et le fist rois d’Alixandre la grans en Egipte, li premerain de Babiloyne, et le fist sire d’Aufrique et de Arabie. E Filotes fu coronés d’Alixandre en Felice et des Meogaciens, une gent molt rike et noble. Minceneiles fu coronés d’Artine d’Alixandre en l’autre Egipte qui est desore Babiloyne envers le mer Rouge. E Filopater fu coronés d’Alixandre en le roiaume qui estoit et de Sikies sor le fluns en cel leu ou Daires fu esconfis. Antipatrus fu coronés d’Inde et de Mede la grans ou estoit la grans rikese que nus ne le poroit dire et Alixandre la rike. Perdikas fu coronés d’Alixandre la menor en Mede, ou fu mort Bucifal li bon keval le rois Alixandre que Porus ocist. Ascanus fu coronés d’Alixandre en Persse qui est sor le grans fluns qui Dayres fu esconfis e mort. Antigonus fu coronés d’Alixandre la grans en Aufrique sor li fluns del Tigre E Heratus fu coronés d’Alixandre en Pasilen et en Sike la sotaine e Leoines ses freres d’Aufrique la menor. Feminader fu coronés d’Alixandre en Capadoce et en Pafagoine avec son frere Eumenidus. Arimatus fu coronés d’Alixandre en la menor jusque en Traces et Esculis ses freres fu aveuc luy. Kaxander fu coronés d’Alixandre en la tere de Karien en Perse et Antipatrus ses freres471 et ensi se departirent de toz lé jens li rois Alixandre in Macedoine et en Greces. A ses autres barons et chevaliers dona il o rike province o rike

471. Pour l’énumération de ces dons, nous avons adopté la disposition typographique du manuscrit de Vienne.

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cités et tant en dona quar472 trop en avroit que dire, mes il ne remistrent473 mie gransmens en pais, car kascun segneroit li uns l’autre et toz ce fu la premere okeyson que li rois Alixandre fist comandament ançois qu’il morist que tuit li prixon fusent delivrés et franc, car cuy devroient474 estre segnors de Greces475 cremoient que se li aut homes de lé teres fusent desprisonés qu’il se peneroient de lor ontes venger et si firent il propremens en Grece car cil d’Atenes qui furent desprixonés se releverent contre Antipatrus que tenoit476 toz Grece, si orent l’aïe de cel da Arges et de cels de Corintes et de plusiors autres cités de Greces qui477 li vindrent a l’incontre. Antipatrus avoit mandé por aÿe a Leoynes qui estoit sires en la menor Frige. A cels se conbatirent478 li Atenien et lé desconfirent et lor tolirent lor grans rikeces et lor grans proies qu’il avoient menés. Si fu ocis meïsmemens li rois Leioynes, ce fu li comencemens de la premere bataille. Li Atenien que de ceste desconfiture furent molt orgoilli desconfirent Antipatrun et puis l’asistrent en un sien kastel et ja ne fusent retornés arieres tant qu’il l’eüssent par force pris, si479 ne fust une aventure qui lor avint de lor duc qui Leoines estoit només, qui fu ocis par un asaut d’une saiete que cil dedens li chastel li traistrent, et por ce se retornerent arieres li Atenien.

18. De les granz batailles qui furent entre les jenz Alixandre et ses barons. Entretans envaït Perdikas la cité de Kapadoce, si venqui li rois qui Parmenides son freres tenoit en prixon, qui estoit480 au regne de Panfaglonie, mes Perdicas ne conquist gaires en la cité gueroier ne prendre d’onor ne de

472. Quar se substitue à que pour introduire une proposition subordonnée de conséquence (Ph. Ménard, op. cit., § 248). 473. Remist, corrigé pour l’accord. 474. Devroit, corrigé pour l’accord. 475. segnors et de Greces 476. Que tenoient, corrigé pour l’accord ; exemple de confusion entre les relatifs qui et que. 477. i 478. a cels qui se combatirent, qui enlevé pour le sens, en accord avec P. 479. Si est ici employé comme l’équivalent de se conjonction de subordination, pour introduire la proposition subordonnée de condition. 480. esto

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vitoire481 et si fu en grans perils [fol. 102 r] de plaies qu’il reçuit482, quar quant cil de la cité virent qu’il seroient pris et qu’il ne purent durer, il meïsme buterent le feu en lor viles meïsmes et ardirent lor meysons et lor bestes et lor rikeces por ce que li rois Perdikas ne meïst lor avoir en subecion, mes tantost se parti Perdicas et s’en vint en Grece que Antigonus estoit venus sor Macedoyne. Ançois qu’il se conbatisent, destruit il molt des cités de Macedoyne et molt en releverent et tornerent a Antigonun et por ceste cosse se torna Perdikas o toz son ost en Egipte, mes Tolomeus que483 le avoit en bailie asenbla toz ses gens et cil de la cités de Cernences s’aparilent d’aler encontre, mes Perdichas s’en torna in Mede et leysa li regne de Grece a Antigonum et entretant Tolomeus484 et Eumenides485 asenblerent lor gens por corre un sor l’autre et firent tant et se conbatirent entr’elz que lor gens s’oucistrent poumens ensenbles, mes plus perdi Tolomeus qui486 ne fist Eumenydus, car lé gens Tolomeus y furent si mortes et desconfites qu’il couvint fuir en Grece a Antipatrun por quere secors et aÿe et li proia et dist que ne li failist mie a cist besoing encontre Eumenidus qui l’avoit kacés de la batailes et ses gens confondues et Eumenidun i fu adolés et ses gens tant mort et navré487 que s’il voloit aider, ligerement poroit avoir vitoire. A ce s’acorda Antipatrum, si acorda toz ses gens por veincre Eumenidum et ocire, mes quant Eumenidum qui molt estoit vailans et coraços488 rasenbla toz ses gens489 et sot certainement qu’i le vencroit, i le contragaita in fort pasajes en tiel mainere qu’il desconfist et ocist une grans partie de ses jens et si josterent il et Netolomeus490 a cors a cors si qu’il s’entrebatirent491 de keval et Eumenidum fu molt duremens navrés, mes il ne morut mie et Neutolomeus ot si dures plaies et si duremens fu navrés qu’il en perdi la vie. En celle bataille fu ocis Polipercum, cuy Antipatrum avoit molt kier et l’avoit envoiés o ses gens qui

481. ne prendre ne de vitoire ; d’onor ajouté d’après P. 482. Forme de passé simple en uit, à la place du français ut, fr équente dans les textes franco-italiens. 483. Confusion entre que et qui. 484. Il s’agit chez Orose de Néoptolème (Neoptolemus). 485. Tolomeus et Eumenides, et ajouté. 486. Exemple de confusion entre qui et que. 487. adobés il et ses et tant mort et navré 488. Emploi du ç italien, équivalant ici à un g. 489. toz les vies 490. Le remanieur se rapproche ici du nom de Néoptolème. 491. s’etrebatirent

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molt estoit pros et ardis et pleins de chevalerie. Entretant envaït Perdikas li rois Tolomeus d’Egipte qui molt grans jens asenblés ot492. Entre cest .ii. rois ot un grans estor et merveilos meslee et desmesuré, mes a la fin fu Perdicas mort et desconfist d’une joste qu’il fist avec Tolomeus qui li mist li glaive parmi li costez tant qu’il pasa de l’autre part et tantost keÿ mort et toz ses jens seroient493 prisses o mortes in tel maineres que petiz en scanperent et Tolomeus ot les grans avoir et les bestes. Aprés ceste bataile asenblerent494 si grans jens Eumenides et Alcalacus, frere Perdicas, e Efitoalgris495 qui estoient496 mortel enemi. Antigonum et Antigonum asenblerent497 toz cels de Macedoyne et s’en vinrent498 contre Eumenidum. La ot grans bataile et desmesuree et tant i ot mors des gens Eumenidum qu’il se parti par force de bataile et se mist a garentir in fort castel qui ne dotoit mie qu’il deüst estre pris par force, mes quant vit499 que Antigonus ot ses gens de Macedoyne ne guerpoit li siege, il tramist a Antipatrum qui molt estoit fort a l’incontre de Grece et li manda que s’il le secoroit encontre Antigonus que ne li faudroit d’aÿe au jors de sa vie. Par ceste couvenances le secorut Antipatrum ot molt desmesuré gens et tantost com la nouvele li vint a Antipatrum qui sor li venoit, il deguerpi le siege par la grans habondance de jens qui sor lui venoit, mes portant ne fu mie Eumenides aseürés, ançois s’en alla as Graspidiens, unes gens que avoec Alixandre avoit estez in guere et en bataille. Por ce que lor armeüres estoit toz sorargentés, estoient il apelés Graspadiens. Ceste gens estoit mout ardie et kevalorouse et por ce ala a els Eumenidus, si lor pria et dist qu’i lor fusent en aÿe encontre Antigonus que500 li voloit destruire toz ses gens et toz sa tere sans nule droite keyson et cil li promistrent aide a lor pooir. Lor senbla501 Antigonus grans host ot l’ayde de ses gens por conbatre, qui plus ot puysance, si lor corut sus ot Macedoniens bien ordenés in bataile. La ot fier estor et molt fat502 d’armes, mes en la fin fu 492. ot ajouté pour le sens. 493. seroit, corrigé pour l’accord. 494. asenbla, corrigé pour l’accord. 495. nom altéré, Phyton et Illirius dans le manuscrit BnF fr. 20125 (§ 98), Python et Illyrius dans Orose, III, 23, 23. 496. estoit, corrigé pour l’accord. Tout le passage manque de clarté, voir le texte du manuscrit BnF fr. 20125, § 98. 497. asenbla, corrigé pour l’accord. 498. vint, corrigé pour l’accord. 499. vint 500. Exemple de confusion entre les relatifs que et qui. 501. senbla, élision de la voyelle initiale de asenbla. 502. Fat, pour fait.

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esconfit Eumenidus et cil qui avec luy estoient, qui en perdirent lor femes et lor enfans. Quant la cosse fu si malemens demenee por li Grispadiens, il envoierent a Antigonus lor mesages et si promistrent que s’il li rendoit503 lor femes et lor anfans et lor proies, si le504 serviroient ne jamés encontre li ne seroient. Donc lor manda Antigonus que s’il Eumenidus en voloient prendre et rendre, i lor feroit ce qu’il requeroient et tantost le505 pristrent il en traÿson et le rendirent a Antigonum. Ce fu une mauvaise traÿxon que cil qu’il avoient506 fait lor duc507 le508 rendirent a son enemi mortiel qui li toli la vie et cil lor rendi lor femes et lor enfans509 si com i lor promist et ensi fu Eumenidus li princes vailans par li siens meïsme traïs et mors, mes entretant que ceste bataile estoit a grans desmesuree entre Eumenidum et Antigonum, ne cesent mie li autres, ains se conbatirent en lor regnes par diverses parties.

19. Que la roïne Olinpie repaira d’Epir510 en Macedoine et coment ele fu occise.

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Olinpias, la mere Alexandre li roy, estoit regarie511 en Pire e por le roy Eucede de Melorose voloit estre traïde512 et prise, mes li rois ne put venir a kief de cele traÿxon e Polonperus, un grans prince de la contree de Macedoyne, li inorta qu’ele513 venist en Macedoyne, qu’il ne li faudroit d’aÿe et ele514 li vint. Tantost come la royne Eredice le sot, si li manda qu’ele515 ysist fors de sa tere et ne demorast mie, qui feme estoit li rois Eridon qui regnoit en Macedoine. De ce ot la roÿne Olinpias grans dolor et mantenant fist mander

503. rendoient, corrigé pour l’accord. 504. li 505. li 506. avoit, corrigé pour l’accord. 507. son 508. Le est un pronom de reprise du complément d’objet direct qui vient d’être exprimé, cil qu’il avoient fait lor duc. 509. ses femes et ses enfans 510. de Tir 511. Selon le Dictionnaire du Moyen Français, regari, participe passé du verbe regarir, signifie « éloigné » (voir aussi FEW, 17, 537). 512. Forme de participe passé du verbe traïr (*tradire). 513. qu’il 514. il 515. il

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par gens par516 aide a Polipenis et ot luy des bons chevaliers de Macedoyne et s’en vint vers li roy in la cité que li rois e la roÿne estoient et par ses jens meïsmes qui grans ire en517 avoient eüe fu il oci et pris en la cités meïsme a toz sa fame, mes ele’n ot molt tost la merite, car tantost come Caxander qui ses parens prokains estoit sot ceste nouvele, il asenbla molt de gens por elz envaïr, mes ele qui feme estoit ne l’ousa atendre. Ançois se fuy en une cité qui Pedura estoit nomee ou estoit sa brus Rosa518 et Hercules qui fu fils519 Alixandre son frere520. Mes tantost come Caxander le sot, il ala a la cités et la prist par force, puis prist la roïne Olinpias et la fist de cruel mort ocire et li sien cors qui molt avoit esté honorés fist il livrer as kiens et a oyxel a mangier, car il ne voust mie qu’il eüst sepouture. De ce fu il cruel que cruelment et laydement oucist la mere son seignors et ses nevos, li fis Alexandre, fist il prendre et metre en molt cruose prixon en la tor de Philipotanie, mes ce desplot molt a Perdikas et as autres barons que Caxander avoit fait. Si asenblerent molt des barons [fol. 102 v], meïsmemens Aheta e Politum et tans des autres qu’il furent molt ensenble por core sor Casander, mes il requist ayde a Tolomeu qui estoit sire d’Egipte et ses prokains parens. Si furent molt grans jens d’une part et d’autre, mes en la fin fu Perdikas et tuit si conpagnon desconfit et mort et molt fu fait grans ocixon en cele bataile, car molt grans gens estoient asenblés d’une part et d’autre, mes les gens Caxander et Tolomeu estoient plus adurés de bataile et meilors d’armes.

20. Li quel furent li .iiii. rois qui toz les autres vainqirent qui lor furent et des batailes qu’il firent. Bien sakés que toz les .xii. rois et les autres princes521 que li rois Alexandre corona en molt petiz de tens s’oucistrent en tel mainere por bataille qu’il ne remistrent que .iiii. rois. Li uns fu Tolomeus qui rois fu d’Egipte et cais de toz la tere d’Aufrique et devers Meridiens522. Caxander fu li autres qui traist

516. Exemple de confusion entre par et por (confusion très fréquente en franco-italien). 517. n 518. sa brius et Roxa 519. furent fols 520. Il s’agit d’une confusion du remanieur. Olympias a effectivement aussi un frère prénommé Alexandre (Alexandre d’Épire), mais selon la tradition Hercule est l’enfant de son fils Alexandre. 521. que toz les .xii. rois et des autres princes, corrigé pour la syntaxe et le sens. 522. meridies

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li filz Alexandre, li frere Olinpias523, de prixon et tuit Macedonien et toz li regne ensi come s’estent vers Ocident. Et li tiers fu Seylucus, cil reigna petitmens par toz le partie d’Aysse vers Oriant. Li quart fu Antigonus qui regna devers Septentrium524 et en toz cele partie. Cil .iiii. rois, dit l’en, furent525 les .iiii. cornes526 de coy Daniels parlla en sa profecies. Bien sakés que cil .iiii. rois meÿmes segneroierent molt et cil furent qui mistrent toz les autres a destrucions et a lor527 comandisa. Antigonus estoit li plus vailanz et plus covoitos. Encors avroit il plus grans puisance s’il528 trairoit de prixon Hercules, li fis Alexandre, li frere Olinpias529 la roïne, cuy Caxander avoit enprisonés et pensa530 que s’il avroit Hercules, donc avroit il certayne okeyson de conquere Macedoyne et plus encores, qu’il531 covoitoit aprés ce avoir le regne d’Egipte ou il voloit faire roy un sien fils qui Dimitrus estoit apelez. Quant Caxander et Tolomeus sorent ceste chose532, si firent parler Asculeum et Ausimacum533 et si s’acorderent de faire concorde et une conpagnie, puis s’asenblerent toz lor gens et deviserent lor batailes par mer et par tere por venir et por corer sor Antigonum. Si asenbla a els et se conbati ot ses gens a els, mes sa bataile ne li valut riens, car il et ses fis Dimitraus furent vencu et la grignor partie de ses gens mortes. Mes il scanpa ot une partie de ses gens, et Kaxander et Tolomeus qui lles orent venchu partirent entre lor534 l’avoir et la proie dont il ot grans habondance, puis se retorna Tolomeus en Egipte et Kaxander se vint d’autre part por aler a Polonie, mes en cele nuit encontra il les Aucidiens, une gens molt hardie. Si avoit molt tres grans habondance des raines et de ssoris qui estoient habondés en lor contree, deguerpoient lor païs et lor eritajes, si aloient querant ou il se pusent herberger en pais, sans esmovoir ne guere ne bataile. Quant Kaxander ot ceste gens encontrés et vit la grans plantés535 et en vit et 523. li fi lz Alexandre et li frere Olinpias 524. sentrium, corrigé d’après P. 525. dit l’en, qui furent, suppression de qui. 526. corones, correction d’après P. 527. sa 528. avoit il plus grans puisance qu’il, correction de la syntaxe pour le sens. 529. li fis Alexandre et li frere Olinpias 530. pensa, ajouté d’après P pour le sens. 531. Ce que a un sens causal. 532. Caxander et Tolomeus son, corrigé d’après P. 533. Dans le texte d’Orose et dans le manuscrit BnF fr. 20125, il s’agit de Seleucus et de Lysimacus. 534. Nouvel exemple d’emploi de lor à la place de els. 535. vint a grans plantés, corrigé d’après P, qui off re la leçon suivante, avec déjà la répétition de vit : Quant Cassander ot ces gens encontrees et il vit d’aus la plus grande plenté et il sot et

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sot lor grans force, il douta qu’il por la besoigne qu’il avoient et por le regne qui auques estoit desconsolez qu’il ne alasent en Macedoyne et qu’il ne grevassent536 duremens, car il estoient molt gens asenblés. Por ceste okeyson les acolut537 Kaxander en sa conpagnie et lor538 livra et dona tere por habiter en une des deraines parties de Macedoyne. Adonc avoit Herkules qui fius fu Alixandre, li frere Olinpias, .xiiii. ans, et Kaxander qui cuyda que li Macedoniens le tenisent por droiturel seignors le fist luy et sa mere539 ocire toz coiemens, qu’il tenoit en prixon. Adonque quistrent aÿe Antigonus et Dimitrius ses fius et asenblerent molt grans jens por combatre contre Tolomeum ot navie par mer. Et Tolomeus, qui bien sot lor affaires, rasenbla toz ses gens d’Egipte, si se mist contre els. Tantost com il s’entrevirent, il s’aprokerent tant que les nés vindrent ensenble. La ot grans bataile et perilouse. Tant dura la batayle crués et desmesurés que Tolomeus fu esconfiz o toz ses gens, puis s’en torna vers Egipte, mes molt’n ot grans perde de ses gens et de ses nef et de lor avoir et de ceste bataile out Antigonus ot la vitoire et ses fius Dimitrius furent a toz jors mes apelez rois, car ce estoit bien reixons et droiture, car il avoient540 estez preux et ardis en cele bataile outre mesure. Tolomeus, qui molt i ot li cors dolans de ceste desconfiture, manda a Kasandrum et a Esolecrium541 et a toz les autres princes qui ot lui markoient et lor dist que ce estoit molt tres grans male aventure que Antigonus et ses fius Dimitrius lé menoient si malement en mer. Lors jurerent toz ensenbles por acort qu’il asenblerent lors grans pooir un jors qu’il deviserent por conbatre a Antigonum qui lor avoit fait molt grans domage. Donc firent il ensi toz com il orent devisés, mes quant vint au jors qu’il orent devisé et ordené de faire movoir l’ost, Caxander n’i vint mie, por akeixon qu’il avoit guere en sa tere, mes il envoya Ausimacus qui molt estoit preus et ardis aveuc la grans partie de ses gens qui bien estoient entalenté de faire la besoigne. E Selecrius amena molt grans jens dou regne d’Ayse. A ceste gens n’avoit542 onque gueroié Antigonum, quar il avoit tant a faire ailors et a ses voysins qu’il ne put entendre. Car au començament se conbati il as Babiloniens et si lé543 prist a force vit et conut lor grant force (§ 105). 536. gravisent, corrigé d’après P. 537. les les acolut 538. lo 539. suere, corrigé d’après P. 540. avoit 541. Forme très altérée de Seleucum (BnF fr. 20125, § 106). 542. avoient 543. li

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e puis aprés as Batriens qu’il doumisa544 a grans poyne e soumist a sa segnorie e puis aprés s’en ala il en Inde qui aprés la mort le roy Alexandre estoit revelee contre li sire qu’il avoit leysié – si l’avoient545 ocis li Indiens – e si la conquist e mist a sa segnorie e Tolomeus rasenbla ses gens ysemans quant qu’il en put avoir si come par venger sa onte et son domage, mes Antigonus et ses fius Dimitrius qui avoient seü devant toz l’afaire, si quistrent toz les gens qu’il purent avoir, qui molt furent grans jens, mes por tant fu plus grans la mesceance, car en cele bataile furent cais toz la force de Macedoyne mort et destruit – ce est li vailans homes et hardis chevaliers –, car Antigonus meïsme y fu ocis, qui kief estoit de toz. Donc poés vos bien savoir que asés y fu oucis des autres et sakés que en la fin de cele bataile en fu recomencé une autre, si vos diray en asés brief termine en quel maynere. Quant Antigonus fu mors et desconfis et ses gens vencues et Dimitrius s’en fu partis o tant de jent con li estoient remese, Selecus et Tolomeus et Ausimacus s’acorderent si malemens ensenble des grans avoir et des conquist grans qu’il s’entre departirent par male desevrance. Si se traistrent546 ensenble Selecus et Dimitrium et Tolomeus et Ausimacus se vindrent [fol. 103 r] ensenble. En ceste afaire fu mors Kaxander et Filipeus ses fius tint puis aprés les honors e son reigne. Toz ensi come vos savés comencerent toz de novel le meslee e lé batailles. Entretant come tuit cist se gueroient, Antipatri que fil estoit Kasandri oucist sa mere qui Tesalonie estoit apelee, qui molt pria son filz qu’i ne la ouceïst, mes toz ce ne li valut riens, car il doutoit qu’elle ne se mariast et que ligeremens puis se poroit de ses freres delivrer547 et ocire et avoir toz sol le regne et tenir en pais toz li jor de sa vie. Mes ses freres Alexandre qui ceste cose soit548 fu molt dolens et fu molt entalentés de venger la mort sa mere et d’oucire son frere. Par ceste cose faire et metre a kief, s’en ala il a Dimitrium qui molt l’ot coneüs qu’il li aideroit. Mes cele aïe549 li fu molt desloial et fiere, car la o li enfens550 Alexandre s’en fioit plus en Dimitrium, qu’i cuydoit estre ses amis, il551 l’oucist et toli la vie. Entretans li rois de Trace Condoros envaït de guere Ausimacus et por ce falit il qu’i ne put conbatre a Dimitrum qui de Macedoine et de Grece avoit 544. 545. 546. 547. 548. 549. 550. 551.

Le verbe doumiser est proche du latin domitare, qui a donné l’ancien français domter. avoit traist, corrigé pour l’accord. delivres Forme de parfait du verbe savoir. aïe manque, restitué d’après P. car li enfens, ajout de la conjonction la o, pour le sens et d’après P . Il s’agit de Démétrius.

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ja si conquise552 la poesté e la segnorie qu’il dist qu’il s’en yroit en Aysse. Si atorna toz son afaire si come de ses gens asenbller, mes Teseus, qui de lui s’estoit partis, et Tolomeus et Ausimacus, qui devant ce estoient descordé ensi con vos avés entendus et avoient faite grans bataile553 ensenble, pristrent conpagnie et quant orent lor gens asenblés et mis lor grans avoir ensenble, il se mistrent en voie por ce qu’il voloient veoir s’il poroient554 kacer Dimitrum por ceste oceyson et oster de sa tere. La cure de toz ceste bataile si fu mise sor Pirus et il se tramist si duremens que quant li estor furent asenblee la ou il ot tant de bon chevaliers oucis que por l’efforz de li et de ses gens fist tant que Dimitrius fu esconfit et kacé de la bataille. Aprés ceste bataille envaït Pirus ses freres Antipar que555 sires estoit de Macedoyne, qui estoit li ainsnés, et a la fin l’oucist et oucist Seleus qui avoit doné une sue fille a son frere Antipar, et oucist un fils Seleus qui avoit non Gatecle et lor asenblerent li Macedoniens lor gens por envaïr li regne que Seleus avoit tenus et tantost fu levés a rroy un sien prokains parans qui estoit només Seleceum : cist avoit esté avec li es grans batailes. Alexandre si asenbla mantenant ses grans gens en ceste asenblé, car Lisimacus avoit .clxxiiii. mille omes et Seleceus avoit .clxxiii. mille et bien sakés que molt fu grans bataille que tuit furent venu ensenble et molt furent oucis de nobles chevaliers et de grans barons, mes a la fin fu esconfiz et morz Lisimacus et si filz aveuc luy et ensi come vos oés fu Lisimacus des conpagnons li rois Alexandre que tuit cais s’oucistrent ensenble. Si furent que .xxxiiii. mille, que rois que duc, cui il556 dona tere a sa mort et si avoit quant ceste bataile fu que li rrois Alexandre estoit mors .xiiii. ans557. Mes Tolomeus qui 552. ja si conquise manque, restitué d’après P. 553. et faite grans bataile, ajout de avoient pour le sens. 554. poroit, corrigé pour l’accord. 555. Confusion entre que et qui. 556. cu il 557. Au-dessus de ans, nous notons une barre oblique coupée de deux barres horizontales, qui renvoie à une longue inscription en bas de la page, sur les deux colonnes, au sujet des cités fondées par Alexandre : Or poez avoir oï et entendu qiex loiers et qiex guerrdons s’antredonerent li peres et li fi z et li freres et les serors et li cousin et li conpaignon qui aprés Alixandre demorerent. Tant ot entr’aus de foi et de verité com vos poez entendre. Xii. anz regna li rois Alexandre et porta corone et .xx. anz avoit il tant seulement d’aage au jor q’il fu premierement coronez. Ce furent .xxxii. an q’il vesqi tant seulement et es .xii. anz q’il regna conquist il .xii. roiaumes et si estora .xii. citez qe il totes de son non apela et noma Alixandre. Il i fu Alixandre q’il fist la ou ses cheval Bucifal fu ocis et l’autre Alixandre q’il fist en Ynde et Alixandre en Grece et Alixandre en Sitia et Alixandre joste Babilone et Alixandre en Mesopotamie et Alixandre en Egipte et Alixandre Origulam et Alixandre sor le flum Granicum ou Dares fu vaincuz li rois de Perse et Alixandre de Traconide qui fu molt riche et Alixandre sor le flum Tigridum et Alixandre en Exode. Ceste fu la deozime et en chascun

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avoit la suer Ausimacus l’agaita tant celeement que l’oucist, mes bien sakés que puis que Pirus ot esconfiz Antipar son frere et mort, il asenbla molt grans jens, si envaït Dimitrium et quant Dimitrium soit qu’il venoit sor li, il s’aparilla por defendre contre li. Si asenbla molt de gens de Grece et d’autres contrees ensenble et quant il orent grans gens asenblé, si s’entrecontrerent558 en une contree sur cités que Philipote estoit nomee et si furent iloc cais toz les bones gens d’Europe, ce cais la tierce partie dou mont estoit nomee et il fu in la fin esconfiz et mort ot lé jens et molt de bone chevalerie et Pirus remist sire de toz le regne. Or lairons ester des fais des Grezois, si tornerons as fais de Rome.

mur de ces .xii. citez fist il faire por sa grant seignorie .v. carache grezoises teles com vos poez ci veoir : ΠΒΓΛ Н. Ce dist et senefie : « Alixandres roiaus me fist », celui cui fers ne aciers ne pot sormonter ne vaincre en tot le monde, einz ocist venin meslez ensamble vin et toli la vie l’an tot droituriement qe li esiecles ot esté comenciez .iiii. mille et .xx. cent et .x. anz [correction en marge : at .iiii. mille et .x. ans]. Et si comença a regner devant la naisance Nostre Seignor Jesucrist en terre .iiii. cent anz et .xlviii. si con l’estoire tesmoigne. 558. s’entreconterent

Index des noms propres du texte de Wauchier de Denain Nous avons relevé tous les noms propres (habituellement au cas régime, sauf exceptions). Pour quelques noms très fréquents (Alexandre, Philippe, Grèce, Macédoine, Orient, Perse…), nous n’avons noté que les premières occurrences. Les astérisques renvoient aux notes. Acropas, Acropas, septième roi de Macédoine, 1b, 15 Afriqua, Afrique, 94, 4 ; voir Aufrique Agathoclem, Agathoclès, fils de Lysimaque, 110, 4 Agenoris, Agénor, 95, 5 Agesinem, fleuve Agésine, un affluent de l’Indus, 87, 10 Agiraspidien, les Argyraspides, guerriers aux armes couvertes d’argent, 100, 1 ; voir Argiraspidiein, Giraspidien Agriophagirin, les Agriophages, peuple fabuleux d’Éthiopie, 17, 11 Akaïe, Achaïe, région du nord-ouest du Péloponnèse, 24, 17 Alan,  les Alains, peuple de la Sarmatie européenne, 17, 10 Alcetas, Alcétas, huitième roi de Macédoine, 1b, 15 Alcheta, Alcétas, frère de Perdiccas, 98, 4 ; 102, 8 Alestris, Halestris, reine des Amazones, aussi appelée Minothea, 40, 10 ; voir Halestris et Minothea Algeus, Algeus, dix-huitième roi de Macédoine, 1b, 26 Alixandre, Alexandre I, dixième roi de Macédoine, 1b, 18 Alixandre, Alexandre II, vingtième roi de Macédoine, 1b, 28 ; 2, 3 ; 2, 5 Alixandre, Alexandre III, dit Alexandre le Grand, 1a, 6 ; 1a, 10 ; 1a, 13 ; 1a, 18 ; 1b, 30 ; 5, 26… Alixandre, frère de Philippe II, 2, 3 *Alixandre / Alixandre d’Epire, Alexandre d’Épire, frère d’Olympias, 15, 9 ; 38, 14… Alixandre, Alexandrie, nom des cités fondées par Alexandre, 91, 10 ; 111, 14 Alixandre, Alexandrie d’Égypte, 28, 3 ; 80, 22 ; 111, 17 Alixandre, Alexandrie sur le fleuve Tanaïs, 40, 26 Alixandre, Alexandrie sur le fleuve Granique, 94, 17 ; 111, 18 Alixandre, Alexandre, fils de Cassandre et de Thessalonice, meurtrier de sa mère, 108, 16 Amazone / Amazonie, pays des Amazones, 40, rubrique ; 40, 13 ; 87, rubrique ; 87, 2 Ambira, roi d’une cité indienne, 89, 7 Amintas, Amyntas, neuvième roi de Macédoine, 1b, 17 Amintas, Amyntas, quinzième roi de Macédoine, 1b, 25 Amintas, Amyntas, dix-septième roi de Macédoine, 1b, 26 ; 2, 3 ; 2, 12 Amintas, Amyntas, dix-neuvième roi de Macédoine, 1b, 2 ; 1b, 27 Amintam, Amyntas, général d’Alexandre, 15, 8 ; 95, 10

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Amintas, Amyntas, cousin d’Alexandre assassiné par lui, 41, 5 Amon /Amonis, le dieu Amon, 18, 13 ; 18, 28 ; 27, 7 *Androcotum / Androcotus, Androcottos, roi indien, 107, 13 ; 107, 14 ; 107, 15 *Anthiochi / Antiochus, Antiochus, général de Philippe II, père de Séleucus, 94, 17 ; 95, 19 (reçoit l’Arménie, est-ce le même ?), 112, 3-4 *Antigonum /Antigonus, Antigone, lieutenant d’Alexandre, 84, 16 ; 84, 17 ; 85, 2 ; 85, 4 ; 86, 7 ; 94, 10 ( fils d’un Philippe), 96, 10 ; 97, 7 ; 98, 6 ; 98, 11 ; 99, rubrique ; 99, 2 ; 100, rubrique ; 100, 2 ; 100, 4 ; 100, 9 ; 100, 16 ; 103, 2 ; 103, 9 ; 103, 15 ; 104, rubrique ; 104, 4 ; 104, 5 ; 105, rubrique ; 105, 12 ; 106, 5 ; 106, 8 ; 106, 12 ; 107, rubrique ; 107, 7 ; 107, 17 ; 107, 22 ; 108, rubrique ; 108, 1 ; 109, rubrique ; 112, 3 ; 112, 4. Antipater / Antipatris / Antipatrum, Antipater, gouverneur de Grèce, 38, 17 ; 92, 4 ; 94, 15 ; 95, 34 ; 95, 36 ; 95, 41 ; 97, 12 ; 97, 16 ; 97, 25 ; 98, 12 ; 98, 13 ; 98, 16 ; 98, 24 ; 110, 2 ; 110, 3 Antipater, fils de Thessalonice et de Cassandre, frère de Philippe et Alexandre, 108, 9 ; 108, 12 Arabie, Arabie, 23, 7 ; 94, 4-5 ; 94, 6 Arablois, les Arabes, 17, 10 *Arbacés, Arbacès, gouverneur de Médie, qui transfère l’imperium de l’Assyrie à la Médie, 1b, 3 Aracossiens, les Arachosiens, peuple de l’Archosie, province perse, 95, 9 Archelaum / Archelaus, Archélaos, douzième roi de Macédoine, 1b, 21 ; 1b, 23 Archelaus, Archélaos, quatorzième roi de Macédoine, 1b, 24 Archelaus, Archélaos, lieutenant d’Alexandre, 95, 16 Archous, Archous Pellassos selon Orose (III, 23, 13), Archon de Pella selon Justin, 95, 16 ; voir Pelassor Areiens, peuple des Aréens, peuple d’Afrique, 95, 11 Arestiniens, peuple indien des Arestiniens, 87, 6 Arges, cité d’Argos, 95, 33 Argeus, cinquième roi de Macédoine, 1b, 7 Argiraspidiein, les Argyraspides, 98, 21 ; voir Agiraspidien, Giraspidien Aristocle, Aristote, 42, 6 ; 42, 22 Armaniens, les Arméniens, 95, 15 Arpieiens, les Arpiens ? (dans Orose, ce sont les Adaspes, III, 18, 5), 40, 22 Arridei / Arrideum / Arrideus Philippus, Philippe III Arridée, demi-frère d’Alexandre, roi d’une partie de la Macédoine, 100, 18 ; 101, 8 ; 101, 10 ; 103, 6-7 Arsami / Arsamus, Arsamès, roi perse, père de Darius III, 1a, 12 ; 21, 11 Artarxersés, Artaxersès III Ochos, roi de Perse, successeur de Assuérus / Xersès, 1a, 3 ; voir Ochus Asie / Asye, Asie, 15, 7 ; 31, 6 ; 97, 2 ; 103, 9 ; 107, 6 ; 109, 4 Assire, Assyrie, 1b, 3 Asilliriens, les Illyriens, 3, 1 ; voir Illiriens Assiriein, les Assyriens, 17, 10 Assuerus / Assuerum, Assuérus, roi de Perse, nom biblique de Xersès, 1a, 1 ; 1a, 9

wauchier de denain : index des noms propres

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Ataines / Athaines, Athènes, 1b, 20 ; 5, 25 ; 6, 3 ; 13, 33 ; 13, 36 ; 13, 39 ; 14, rubrique ; 14, 3… Athalum, Attale, général de Philippe, 15, 7 Atheas, Atéas, roi de Scythie, 11, 1 ; 11, 3 ; 11, 13 ; 11, 19 ; 12, rubrique ; 12, 2 ; 13, rubrique ; 13, 4 ; 13, 7 Atheniens / Atheniensiens, les Athéniens, 2, 20 ; 2, 22 ; 3, 22 ; 5, 3 ; 5, 22 ; 7, 12 ; 8, 7 ; 13, 41 ; 14, 13… Atrianiens, les Atriens, 95, 11 Atropatus, Atropatos, général mède rallié à Alexandre, 94, 8 Attalus, Attale, prince macédonien, père d’Eumène, tué par Alexandre, 41, 9 Aufrique, Afrique, 91, 17 ; voir Afriqua *Auruba, Arybas, frère d’Olympias selon Wauchier et Orose, 3, 23 ; 3, 26 Aveniatiens, les Aviénates ? (Audariates selon Justin), 104, 11 Babilone / Babiloine, Babylone (Mésopotamie), 91, 14 Babilonie, région de Babylone, 1b, 14 ; 1b, 31 ; 77, 23 ; 79, 9 ; 91, rubrique ; 91, 6 ; 91, 11 ; 91, 21, 95, 16 ; 111, 17 Babiloniens, habitants de Babylone, 80, 21 ; 107, 9 Bactre, Bactriane, 46, 25 ; 60, rubrique ; 60, 2 ; 82, 11 ; 95, 1 Bactriens, habitants de la Bactriane, 107, 9 ; voir Boctrien Bauduins, le comte de Flandre, Baudouin IX, empereur de Constantinople, 93, 13 ; voir Flandres Bizance, Byzance, 10, rubrique ; 10, 13 ; 10, 14 ; 10, 28 ; 11, rubrique ; 11, 18 Boctrien, habitants de la Bactriane, 62, 8 ; voir Bactriens Bucifal / Bucephalem, Bucéphale, cheval d’Alexandre, 19, rubrique ; 19, 4 ; 29, 4 ; 43, 13 ; 45, 12 ; 112, 15 Buemar, fleuve indien, 65, 16 Caldeolus, fils de Candace, 84, 12 ; voir Candeolus Caldiens, les Chaldéens, 80, 20 Callistenen, Callisthène, philosophe tué par Alexandre, 42, 6 Candace, Candace, reine d’Éthiopie, 83, 14 ; 83, 16 ; 83, 22 ; 83, 27 ; 84, 1 ; 85, rubrique ; 85, 2 ; 85, 6 ; 86, rubrique ; 86, 1 ; 86, 10 ; 87, 1 Candeolus, fils de Candace, 84, 1 ; 84, 3 ; 84, 6 ; 84, 17 ; 84, 20 ; 84, 21 ; 85, 1 ; 85, 16 Capadosse, Cappadoce, 6, 12 ; 6, 17 ; 94, 14 ; 96, 1 Caragarus / Carogarus, fils de Candace, 84, 4 ; 86, 3 ; 86, 9 ; voir Karogarus Cariam, Carie (Asie Mineure), 94, 12 Cartage, Carthage, 22, 5 ; 91, 15 Cassander, Cassandre, fils d’Antipater, 94, 12 ; 94, 15 ; 100, 19 ; 100, 20 ; 101, 12 ; 102, 1 ; 102, 5 ; 102, 8 ; 103, 19 ; 104, 1 ; 104, 8 ; 104, 10 ; 105, 1 ; 105, 5 ; 105, 7 ; 106, 7 ; 107, 2 ; 108, 6 ; 108, 11 Cauchassi / Cauquassi (montaigne de), montagne du Caucase, 40, 23 ; 95, 8 Cauliacos (mons de), monts du Caucase  (Caucasos /Caucazos dans B, D et Pa), 17, 11

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l’histoire ancienne jusqu’à césar

Cedrosiens, les Gédrosiens, peuple de la Gédrosie, province de la Perse, entre la Carmanie et l’Inde, 95, 9 Cenophaliens, les Cynocéphales, 67, 1 ; 67, 4 Charanus, premier roi de Macédoine, 1b, 1 Chorasmos, les Chorasmes, peuple de Sogdiane, 42, 3 Cidnom, le fleuve Cydnos, en Cilicie, 24, 5 Cilisse, Cilicie, 94, 5 Cleofilis, Cléophyle, reine des Amazones, 42, 12 Cleopatra, Cléopâtre, fille d’Attale, l’un des généraux macédoniens, que Philippe II tente d’épouser après avoir renié Olympias, 20, 9 Cleopatras, Cléopâtre, fille de Philippe II et d’Olympias, sœur d’Alexandre le Grand, épouse d’Alexandre d’Épire, le frère d’Olympias, 15, 13 Clitonan, lieutenant d’Alexandre qui l’accompagne jusqu’aux arbres du Soleil et de la Lune, personnage différent de Clitos, 77, 16 Clitum, Clitos / Cleitos, lieutenant d’Alexandre, tué par lui, 41, 10 Cofideniens, peuple indien des Cofides (Orose, III, 19, 5), 87, 6 Colone, cité ainsi nommée d’après une incompréhension du texte d’Orose (III, 23, 13 : in colonias Indis conditas), 95, 6 Commothonam, ville de Méthoné en Macédoine, 4, 1 Condorus, roi de Thrace (Doros d’après Orose, III, 23, 52), 109, 1 Contantinoble / Costantinoble, Constantinople, 10, 16 ; 93, 14 Corinte, cité de Corinthe, 95, 33 Costantin, Constantin, 10, 16 Cynus, deuxième roi de Macédoine, Coenus selon Eusèbe-Jérôme, 1b, 5 Cyrenense, cité de Cyrène, 97, 4 Cyrus, Cyrus, roi de Perse, 1b, 5 Dahas, les Dahes, peuple de Sogdiane, 41, 3 Daire, Darius III, roi de Perse, 1a, 13 ; 1a, 14 ; 21, 11 ; 23, rubrique ; 23, 8 ; 23, 11… Damiete, Damiette (Égypte), 80, 21 Daniel, le prophète Daniel, 103, 11 Demetrius, Démétrius, fils d’Antigone, 103, 23 ; 104, 6 ; 105, rubrique ; 105, 12 ; 106, 5 ; 106, 9 ; 107, 17 ; 108, 1 ; 108, 5 ; 108, 18 ; 108, 20 ; 109, rubrique ; 109, 2 ; 109, 9 ; 109, 13 ; 112, 3 ; 112, 5… Demostenem, Démosthène, 95, 32 *Divinuspater, lieutenant d’Alexandre, complice d’Antipater, 92, 5 Dranceiens, les Dranches, peuple du Caucase, 40, 21 ; 95, 10 *Eacide, Eacida, Éacide, roi des Molosses, 101, 2 Ebrius, Hébreux, 58, 2 ; 112, 8 ; voir Hebrius Egypte, Égypte, 1a, 4 ; 1b, 31 ; 17, 2 ; 17, 4 ; 17, 8 ; 17, 13 ; 18, 27 ; 22, 7 ; 22, 12 ; 27, 6 ; 28, 8 ; 28, 10… Enomaum, Oenomaos, chef des Phocéens, 5, 13

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Epaminundan, Épaminondas, chef des Thébains, présenté ici comme un roi, 2, 12 Epile, Épile (dans l’Epitomé, Élis, ville du Péloponnèse), 20, 3 Epyre / Epire, Épire, 15, 11 ; 38, 14 ; 101, rubrique ; voir Pire Ermenie, Arménie, 95, 20 Escante, le Xanthe, fleuve d’Asie Mineure, 111, 20 Espaigne, Espagne, 91, 17 Ethyopiens / Etyopien, les Éthiopiens, 80, 20 Etiope, Etyope, Éthiopie, 1a, 5 ; 69, 10 ; 83, 14 ; 84, 4 ; 86, rubrique Eumenidum, Eumenidus, Eumène, secrétaire et lieutenant d’Alexandre, 41, 9 ; 84, 11 ; 84, 14 ; 94, 14 ; 96, 2 ; 97, 8 ; 97, 13 ; 97, 15 ; 97, 17 ; 97, 19 ; 97, 23 ; 98, 4 ; 98, 6 ; 98, 8 ; 98, 11 ; 98, 18 ; 98, 23 ; 99, rubrique ; 99, 1 ; 99, 3 ; 99, 5 ; 100, rubrique ; 100, 4 ; 100, 8 ; 100, 16 Euridices, Eurydice, grand-mère d’Alexandre, 2, 6 Euridices, Eurydice, épouse du roi des Macédoniens Philippe III Arridée (demi-frère d’Alexandre), 100, 18 ; 101, 4 ; 101, 11 ; 102, 6 Eurilochus, Euryloque, prince de Macédoine, tué par Alexandre, 41, 8 Evergeteiens, les Évergètes, peuple du Caucase, 40, 22 Faunos, Ichtyophages, 66, 29 Felippe, Philippe II, père d’Alexandre, 2, 5 ; 2, 11 ; voir Phelippe Fenice, Phénicie, 17, 10 Flandres (cuens de), le comte de Flandre Baudouin IX, empereur de Constantinople, 93, 12 ; voir Bauduin Foces / Foches, ville de Phocée (Asie Mineure), 4, 14 ; 4, 19 ; 5, rubrique ; 5, 1 ; 5, 10 ; 5, 12 ; 5, 21 ; 5, 23 ; 8, 7 Fortune, la déesse Fortune, 26, 4 ; 39, 5 ; 40, 1 ; 40, 4 France, France, 93, 18 Fratafernés, Phrataphernès, satrape perse rallié à Alexandre, 95, 15 Frige, Phrygie, 23, 21 ; 95, 37 ; voir Phrige Galam, Origala selon le récit de Julius Valère (III, 35) et son Epitomé (III, 35), 111, 18 Gangariens, peuple indien, les Gangarides chez Orose (III, 19, 4), 87, 6 Gessoniens, peuple indien des Gésones, 87, 11 Giraspidien, les Argyraspides, 99, 19 ; 99, 4 ; voir Agiraspidien *Gordien, Gordion, cité de Phrygie, assimilée ici à Sardes, cité de Lydie, 23, 20 ; voir Sardis Granicum, le fleuve Granique (Asie Mineure), 31, rubrique ; 31, 1 ; 94, 17 ; 111, 18 Gresse, Grèce, 1b, 20 ; 1b, 22 ; 3, 7 ; 4, rubrique ; 4, 6 ; 4, 12 ; 5, 16 ; 5, 24… Gualle, Gaule, 91, 17 Hagides, Agis III, roi de Sparte, 38, 14 ; 38, 16 ; 38, 19 Halestris, Halestris, reine des Amazones, aussi appelée Minothea, 40, 12 ; voir Alestris et Minothea

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l’histoire ancienne jusqu’à césar

Hebrionas, nom des arbres du Soleil et de la Lune (Brebiones dans l’Epistola, 55), 74, 9 Hebrius, Hébreux, 57, 20 ; voir Ebrius Helaine, Hélène, mère de Constantin, 10, 17 Hercule, le dieu Hercule, 62, 19 ; 63, 6 ; 63, 9 ; 64, 7 ; 68, 36 ; 69, 11 ; 87, 12 ; 90, 6 Hercule, Hercule, le fils d’Alexandre et de Roxane, 101, 16 ; 103, 18 ; 103, 20 ; 105, 7 Hiberiein, les Ibères, 17, 11 Hidaspem, Hydaspe, fleuve indien, 95, 3 Histrianiens, les Istriens, habitants de la cité d’Istriè (mer Noire), 11, 3 ; 11, 5 ; 11, 12 Hyrcaniens, les Hyrcaniens, peuple d’une région de l’Asie, au sud-est de la mer Caspienne, 95, 14 ; voir Irkaniens Illiriens, les habitants de l’Illyrie, partie septentrionale des Balkans, 3, 22 ; 94, 7 ; voir Asilliriens Illirius, selon Orose, Python l’Illyrien (III, 23, 23), 98, 4 ; voir Phyton Inde, Inde, 32, 2 ; 32, 19 ; 38, 9 ; 40, 6 ; 40, 7 ; 42, rubrique ; 42, 1 ; 42, 16… *Inde la fasitiene, royaume indien de Porrus, autour de la cité de Fasiacè, 70, 6 ; 72, 6 ; 79, 23-24 ; 81, 10 Indiein, les Indiens, 17, 9 ; 50, 34 ; 51, 2 ; 55, rubrique Indum / Indus, le fleuve Indus, 91, 4 ; 95, 3 Irkaniens, les Hyrcaniens, peuple d’une région de l’Asie, au sud-est de la mer Caspienne, 40, 8 ; voir Hyrcaniens Itale, Italie, 21, 8 Jherusalem, Jérusalem, 1b, 13 ; 34, rubrique ; 34, 3 ; 38, rubrique ; 38, 2 ; 38, 7 Jhesus Crist, Jésus-Christ, 37, 1 ; 111, 26 Joachim, Joachin, roi de Juda, renversé par Nabuchodonosor, 1b, 14 Joaddus, Jaddus, grand-prêtre de Jérusalem, 34, 4 ; 34, 5 ; 34, 11 Jordea, Jordeam, vallée indienne, 80, 2 ; 81, 1 Judee, Judée, 34, 3 Karogarus, fils de Candace, 84, 2 ; voir Caragarus Lacedemonie, Lacédémone (Sparte), 6, 3 ; 38, 17 Lacedemoniens, les habitants de Lacédémone (Sparte), 4, 14 ; 4, 19 ; 6, 3 ; 8, 8 ; 13, 36 ; 15, 2 Larisse, ville de Larissa, en Grèce (Thessalie), 3, 4 ; 3, 9 Laurente, Laurentum ou Laurente, ville des Latins, 1b, 3 Leones / Leonie, Lioine, nom de l’un des lieutenants d’Alexandre selon le Roman d’Alexandre d’Alexandre de Paris (Orose donne ici le nom de Leonnatus / Léonnatos, III, 23, 9), 94, 12 ; 95, 35 ; 95, 39 Leostenés, Léosthénès, chef des Athéniens, 95, 43 Libe / Lybe, Lybie, 18, 3 ; 18, 13 ; 18, 28 ; 22, 3 Liber, Dionysos, 62, 19 ; 63, 6 ; 63, 9 ; 64, 7 ; 68, 36 ; 69, 11 ; 90, 6

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Licanor, lieutenant d’Alexandre (Philippe, satrape de Bactriane, selon Orose), 95, 13 Lide, Lydie (Asie Mineure), 94, 12 Limasie, cité de Lysimachie ( fondée par Lysimaque en Chersonèse), 110, 6 Lisce, Lycie (Asie Mineure), 94, 11 Lisimachus / Lisimacum / Lisimacus, Lysimaque, général macédonien, roi de Thrace, 94, 13 ; 104, 2 ; 108, 3 ; 108, 5 ; 109, 2 ; 109, 5 ; 110, rubrique ; 110, 2 ; 110, 11 ; 110, 15 ; 110, 21 ; 110, 32 ; 111, 1 ; 111, 6 Lombardie, Lombardie, 21, 8 ; 91, 18 Lucaniens, peuple de Lucanie, en Italie, 38, 15 Luque, ville de Lucanie, 15, 10 Lybe, voir Libe Lyconie, Lycaonie (Asie Mineure centrale), 21, 6 Macedonie, Macédoine, 1a, 7 ; 1a, 17 ; 1a, 20 ; 1b, 30 ; 2, 2 ; 2, 23 ; 3, 8 ; 3, 16 ; 3, 23 ; 3, 28 ; 5, 15 ; 5, 19 Macedoniens, Macédoniens, 13, 1 ; 13, 8 ; 13, 11 ; 21, 1 ; 24, 28… Magdelene, Marie-Madeleine, 93, 23 Mandiens, les Mandes, peuple indien, 40, 8 Mandriens, les Mandres, peuple indien, 87, 13 Manlius Torquatus, consul romain au temps de la soumission de Rome à Alexandre, 21, 11 Marguarite, la comtesse Marguerite de Flandre, mère du comte de Flandre Baudouin IX, 93, 15 Massagecheiens, les Massagètes, peuple scythe, 111, 17 Mede, Médie, 1b, 3 ; 1b, 16 ; 1b, 17 ; 28, 9 ; 31, 18 ; 94, 8 Mathonie, ville de Mothone, en Thessalie orientale, 20, 5 Menander, Ménandre, seigneur macédonien, 94, 12 Mesopotamie, Mésopotamie, 95, 17 Minothea, Minothea, reine des Amazones aussi appelée Halestris, 40, 12 ; voir Alestris et Halestris Mithileneus, seigneur macédonien, corruption du nom de Laomedon Mitylenaeus, Laomédon de Mitylène selon Orose (III, 23, 7), 94, 5 *Molosore / Molossore, pays des Molosses, en Épire, 3, 23 ; 101, 2 *Mongiu (montaignes de), montagnes de Montjoie, 59, 8 Nabugodonosor, Nabuchodonosor, 1b, 13 Nearchus, Néarque, un des amiraux d’Alexandre, 94, 11 Neptanabus / Neptanabum, Nectanabus, roi d’Égypte, 1a, 4 ; 1a, 5 ; 17, rubrique ; 17, 2 ; 17, 3 ; 17, 12 ; 18, 2 ; 18, 6 ; 18, 17 ; 18, 19 ; 18, 22 ; 18, 26 Neoptholemus, Néoptolème, fils d’Alexandre d’Épire et de Cléopâtre, neveu d’Alexandre le Grand, roi des Molosses, 97, 8 ; 97, 11 ; 97, 17 ; 97, 22 ; 97, 24 Nicholas, le roi Nicolas, premier adversaire d’Alexandre (rex Acernanum, roi des Acarnaniens dans l’Epitomé), 20, 4

324

l’histoire ancienne jusqu’à césar

Nil, Nil, 80, 22 Nisam, cité de Nysa, entre la rivière de Kaboul et l’Indus, 42, 12 Nisiam, cité de Nicia fondée par Alexandre en mémoire de la victoire sur Porrus, 45, 11 Occident, Occident, 67, 9 ; 68, rubrique ; 68, 27 ; 71, 12… Ochus, Artaxersès III Ochos, roi de Perse, successeur de Assuérus / Xersès, 1a, 3 ; 1a, 8 ; 1a, 12 ; voir Artarxersés Olimpe, Olympie en Élide (vs. Olynthe, cité de Chalcidique chez Orose, III, 12, 19), 6, 22 Olimpi, montagne d’Olympie, 6, 22 Olimpias / Olimpiadem, Olympias, mère d’Alexandre le Grand, 1a, 7 ; 1b, 32 ; 3, 25 ; 3, 30 ; 5, 26 ; 15, 10 ; 17, 14 ; 20, 8 ; 20, 10 ; 69, 19 ; 76, 10 ; 79, 3 ; 92, 17 ; 101, rubrique ; 101, 1 ; 101, 5 ; 101, 10 ; 101, 13 ; 101, 14 ; 102, rubrique ; 102, 2 ; 102, 7 Oreste, treizième roi de Macédoine, fils d’Archalaum, ancêtre de Pausanias, 1b, 23 ; 15, 26 Orient, Orient, 10, 20 ; 17, 7 ; 31, 6 ; 35, 9… Orosius / Orosies, Orose, 23, 8 ; 41, 2 ; 87, 16 Oxfracés, prince indien de Sogdiane, qu’Orose nomme Oxyarchès (III, 23, 12), 95, 7 Pafarges, chevalier de Perse, 29, 9 Pamphile, Pamphylie (Asie Mineure), 94, 11 Paflagonie, Paphlagonie (Asie Mineure), 94, 14 ; 96, 2 Paradis, Paradis, 93, 43 Parapameniens, peuple des Parapamènes (Caucase), 95, 7 Parimeiens, peuple des Parimes (Caucase), 40, 22 Parmenionum / Parmenius, Parménion, général de Philippe, puis d’Alexandre, 15, 8 ; 35, 13 ; 41, 6 Parte (ceaus de), les Parthes, 95, 13 Pausanias, seizième roi de Macédoine, 1b, 25 Pausania, noble macédonien, meurtrier de Philippe II, 15, 26 ; voir Pausonias Pausanias, prince de Macédoine, tué par Alexandre, 41, 8 Pausonias, Pausanias, roi de Sparte, fondateur de Byzance, 10, 15 Pausonias, Pausoniam, noble macédonien, meurtrier de Philippe II, 20, 10 ; 20, 13 ; 20, 15 ; voir Pausania Pelassor, nom d’un lieutenant d’Alexandre formé à partir d’une confusion ; Orose mentionne Archous Pelassor (III, 23, 13), Wauchier crée deux personnages, Archous et Pelassor, 95, 16 Perdicas, Perdiccas Ier, quatrième roi de Macédoine, 1b, 6 Perdicas, Perdiccas II, onzième roi de Macédoine, 1b, 21 Perdicas, Perdiccas III, vingt-deuxième roi de Macédoine, 1b, 29 Perdican, compagnon d’Alexandre, qui l’accompagne jusqu’aux arbres du Soleil et de la Lune, peut-être Perdiccas, le général d’Alexandre, 77, 16 ; voir Perdicas Perdicas, Perdiccas, général d’Alexandre qui reçoit une partie de la Médie (selon Orose, c’est son beau-père, III, 23, 8) et devient régent de l’empire à sa mort, 94, 9 ; 95, 18 ;

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96, 1 ; 96, 2 ; 96, 7 ; 96, 9 ; 97, 3 ; 97, 5 ; 97, 7 ; 97, 26 ; 98, rubrique ; 98, 2 ; 98, 4 ; 102, 8 Persant, Perses, 23, 13 ; 23, 14 ; 25, 2 ; 28, 27 ; voir Perdican Perse, Perse, 1a, 1 ; 1a, 12 ; 1a, 15 ; 1b, 16 ; 1b, 30 ; 5, 23 ; 15, 8… Persepolim, Persépolis, 32, 13 ; 33, 7 Peucestés, Peucestès, amiral d’Alexandre, 95, 16 Phelippe, Philippe II, vingt-troisième roi de Macédoine, père d’Alexandre, 1a, 7 ; 1b, 29 ; 1b, 32 ; 2, rubrique ; 2, 2 ; 2, 18 ; 2, 23 ; 3, rubrique ; 3, 3 ; 3, 6 ; 3, 18 ; 3, 21 ; 3, 26 ; 3, 30 ; 4, rubrique ; 4, 1 ; 4, 8, 5, 15 ; 5, 18 ; 5, 19 ; 5, 24…; voir Felippe, Phelippon et Philippus Phelippe, satrape de Bactriane à la fin des campagnes d’Alexandre, 95, 14 Phelippon, Philippe II, père d’Alexandre, 1b, 33 ; voir Phelippe et Philippus Philippus, Philippe Ier, sixième roi de Macédoine, 1b, 11 Philippus, Philippe II, père d’Alexandre, 1b, 12 ; voir Phelippe Philippus, Philippe IV, fils de Cassandre et de Thessalonice, 108, 6 Philomelo / Philomelus, Philomèle, chef des Phocéens, 5, 2 ; 5, 10 Philopater, seigneur macédonien nommé Philon par Orose (III, 23, 7), 94, 7 Philote, Philotas, fils de Parménion et lieutenant d’Alexandre, assassiné par lui, 41, 17 ; voir Phylotan Philote, Philotas, un Macédonien qui reçoit la Cilicie à la mort d’Alexandre, 94, 5 ; voir Phylotan Phipolitanie, Amphipolis (cité de Macédoine), 102, 5 Phrige, Phrygie, 94, 10 ; 94, 13 ; voir Frige Phylotan, Philotas, Philotas, compagnon d’Alexandre, qui l’accompagne jusqu’aux arbres du Soleil et de la Lune ; personnage différent du Philotas fils de Parménion, peut-être le même que le Philotas qui reçoit la Cilicie, 77, 16 ; 94, 5 ; voir Philote Phyton, Python, fils d’Agénor, 95, 5 Phyton, Python dit l’Illyrien selon Orose (III, 23, 23), 98, 4 Pire, altération de Épire, 101, 1 ; voir Pire *Pirus / Pirrus, Pyrrhus, roi d’Épire, 109, rubrique ; 109, 11 ; 110, 1 ; 112, 5 ; 112, 9  Polipercon, Polypercon, successeur d’Antipater, 97, 25 ; 102, 8 ; voir Polipercuncta Polipercuncta, Polypercon, successeur d’Antipater, 101, 3 ; voir Polipercon Polloniam, Apollonie (ville d’Égypte), 104, 11 *Porrus / Porus, Porus, roi indien, 32, rubrique ; 32, 2 ; 42, rubrique ; 42, 17 ; 42, 18… Prochas Silvius, Procas Silvius, souverain mythique, quatorzième roi des Latins selon Eusèbe-Jérôme, 1b, 2 Pydnam, ville macédonienne de Pydna où se réfugie Olympias, 101, 16 Rodes, Rhodes, 27, rubrique ; 27, 6 Romain / Roumain, Romains, 21, rubrique ; 21, 9 ; 22, 1 ; 38, 12 ; 112, rubrique ; 112, 10… Rome, Rome, 1b, 6 ; 2, 1 ; 10, 17 ; 21, 11 Romulus, Romulus, 1b, 6

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l’histoire ancienne jusqu’à césar

Roxa, Roxane, femme d’Alexandre, belle-fille d’Olympias, 101, 16 Sabiniens, les Sabins, 15, 11 Saiete, Saïda, soit la cité phénicienne de Sidon, 1a, 9 ; voir Sydonie Sardaigne, Sardaigne, 91, 18 Sardanapallum, Sardanapale, 1b, 4 Sardis, Sardes, cité de Lydie, assimilée à la ville de Gordion, cité de Phrygie, 23, 21 ; voir Gordien *Sciapos (mons de), forme altérée du latin Caspios de Pierre le Mangeur, montagnes Caspiennes derrière lesquelles Alexandre enferme les tribus juives impies, 57, rubrique ; 57, 17 ; 81, 9 Scinus, Scyno, seigneur macédonien, 94, 9 Scite / Scithe / Scithia, Scythie, 10, 32 ; 11, rubrique ; 11, 18 ; 12, rubrique ; 12, 2 ; 13, 1 ; 13, 16 ; 17, 10 ; 38, 16 ; 38, 21 ; 111, 16 Seleucum / Seleucus / Seleuchus Nichanor, Séleucus, surnommé Nicator, fils de Antiochos, 106, 7 ; 107, 5 ; 107, 12 ; 107, 14 ; 108, 2 ; 108, 5 ; 109, 5 ; 110, 14 ; 110, 16 ; 110, 22 ; 111, 3 ; voir Seuluchus Septentrion, Nord, 103, 10 Seres, peuple vertueux d’Orient, souvent identifié aux Chinois au Moyen Âge, 81, 4 ; 95, 4 Sesile, Sicile, 21, 7 ; 91, 18 Seuluchus / Seuluchus Nichanor / Seulucum, Séleucos, surnommé Nicator, fils de Antiochos, 94, 14 ; 103, 8 ; 104, 1 ; voir Seleucus Siboiens, peuple indien des Sibes, 87, 12 Sibirtus, Sibyrtès, 95, 9 Sicheus, Sichée (dans Orose, Sichaeus Itacanor, Itacanor de Sichée, III, 23, 13), 95, 12 Socdianiens, les Sogdiens, peuple de Sogdiane, 95, 13 Socrate, Socrate, 1b, 22 Sparte, Sparte, 10, 15 ; 38, 14 ; 38, 16 Subagrien, peuple indien des Subagres, 87, 13 Sur, ville de Tyr (son nom arabe est Sour), 22, 8 ; voir Tyr Susanienes (gens), peuples de Susiane, province de l’empire perse, 94, 9 Sychioniens, les habitants de la cité de Sicyone, 95, 33 Sydonie, Sidon, cité phénicienne (Saïda), 1a, 9 ; voir Saiete Syre, Syrie, 22, 13 ; 23, rubrique Tarquinus Superbus, Tarquin le Superbe, dernier roi de Rome, 1b, 17-18 Tarse / Tharse, ville de Tarse, capitale de la Cilicie, 24, 3 ; 28, 7 Taxilles, Taxiles, prince indien allié d’Alexandre, 95, 3 Thanais (flum de), fleuve du Tanaïs, 40, 26 Thebes, Thèbes, 2, 11 ; 4, 13 Thebanieins / Thebaniens, habitants de Thèbes, 4, 15 ; 4, 20 ; 5, 5 ; 5, 8 ; 5, 14 ; 5, 20 ; 6, 3 ; 6, 14 ; 15, 2 Thepotemus, Tlépolème, satrape de la Carmanie, 95, 15

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Thessale /Thessalie, Thessalie, région de la Grèce septentrionale, 3, 10 ; 7, 7 ; 66, 2 Thessaliens, habitants de Thessalie, 3, 13 ; 3, 22 ; 5, 14 ; 5, 20 ; 8, 4 ; 8, 9 ; 66, 11 ; voir Thessaloniens Thessaloniens, habitants de Thessalie, 6, 3 ; 6, 14 ; voir Thessaliens Thessalonice, Thessalonice, demi-sœur d’Alexandre, épouse de Cassandre, mère de Philippe (Philippe IV), Antipater et Alexandre, 108, 9 Tholomeus, vingt et unième roi de Macédoine, 1b, 28 Tholomeus / Tholomer, Ptolémée, lieutenant d’Alexandre, roi d’Égypte, 94, 4 ; 94, 6 ; 97, 3 ; 97, 27 ; 98, rubrique ; 98, 2 ; 102, 9 ; 103, 6 ; 104, rubrique ; 104, 1 ; 105, 8 ; 105, 10 ; 105, 13 ; 106, rubrique ; 106, 2 ; 106, 6 ; 107, rubrique ; 107, 15 ; 108, 2 ; 108, 5 ; 109, 5 ; 111, 6 ; 112, 2 Thurimas, second roi de Macédoine, 1b, 5 Tigridem, Tigre, 111, 20 Tor (montaigne dou Tor), montagne du Taurus (Anatolie), 24, 2 Trasse/ Trassie / Trace, Thrace, 7, 6 ; 7, 7 ; 21, 3 ; 21, 5 ; 94, 13 ; 109, 1 Triballien, les Triballes, peuple thrace ou illyrien, 13, 21 Troadam, la Troade, région d’Asie Mineure, 111, 19 Turc / Turs, Turcs, 17, 10 ; 40, 14 ; 95, 13 Tyr, ville de Tyr, 22, rubrique ; 22, 8 ; 22, 13 ; 22, 22 ; voir Sur Xerxis, Xersès I, roi de Perse, qui envahit la Grèce pendant les guerres Médiques, 1b, 19 Zephirion / Zophirion, nom du préfet Zopyrion (Orose, III, 18, 1), 38, 15 ; 38, 20 Zeverus, chevalier qui apporte de l’eau à Alexandre, 47, 8 ; 47, 16

GLOSSAIRE du texte de Wauchier de Denain Les substantifs sont relevés au cas régime singulier, les adjectifs et les participes passés au cas régime masculin singulier, sauf quand ils n’apparaissent qu’au cas sujet, au féminin ou au pluriel seulement, et les verbes sont cités à l’infinitif. Quand les occurrences d’un même terme sont nombreuses, nous n’en relevons que quelques-unes. Les astérisques renvoient aux notes. Abréviations : adj. : adjectif ; adv. : adverbe ; conj. : conjonction ; loc. : locution ; loc. adv. : locution adverbiale ; loc. verb. : locution verbale ; part. pas. : participe passé ; part. prés. : participe présent ; prép. : préposition ; pron. : pronom ; s. m. : substantif masculin ; s. f. : substantif féminin. Dictionnaires utilisés : FEW : W. von Wartburg, Französisches Etymologisches Wörterbuch, Bâle et Nancy, 1928-2003 God. : F. Godefroy, Dictionnaire de l’ancienne langue française et de tous ses dialectes du IXe au XVe siècle, Paris, 1889-1896. T. L. : A. Tobler et E. Lommatzsch, Altfranzösisches Wörterbuch, Berlin et Wiesbaden, 1925-2002. aatir (soi), v., 30, 12, s’empresser ; 82, 9, se défier abosmés, adj., 25, 9, désespéré abuenir (soi), v., 13, 37, s’adoucir, devenir bon achoison, s. f., 12, 1, raison, motif acis, part. pas., 45, 1, établi aclore, v., 80, 10, entourer, enfermer acoler, v., 35, 5, prendre par le cou acombler, v., 68, 19, remplir, couvrir aconqueillies, part. pas., 10, 12, ramassées, rassemblées ; voir conquellir acravanter, v., 65, 12, abattre acreanter, v., 11, 11 ; 44, 7, promettre, assurer acueillir, v., 2, 18 ; 55, 5, attaquer ; 105, 5, réunir adresser, v., 70, 8, diriger aduré, adj., 13, 12 ; 14, 6 ; 30, 15 ; 62, 9, aguerri, endurci afier, v., 44, 1, promettre, jurer afiler, v., 65, 7, affûter afoler, v., 12, 6 ; 55, 11, blesser agrever, v., 5, 17 ; 32, 22 ; 40, 18 ; 50, 4 ; 60, 7, attaquer, accabler aguais, s. m., 102, 11, pièges aguaiter, v., 110, 3 ; 111, 6, tendre un piège

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l’histoire ancienne jusqu’à césar

aguarder, v., 32, 10, regarder ahaner, v., 78, 24, labourer ahir, v., 11, 19, haïr ahurter (soi), v., 64, 4, s’arrêter aidable, adj., 28, 6 ; 78, 32, fort aïe, s. f., 2, 20 ; 3, 15 ; 4, 10 ; 5, 3…, aide, renfort aigue, s. f., 24, 5 ; 24, 6 ; 28, 41 ; 29, 18 ; 36, 7 ; 47, 9 ; 47, 12 ; 47, 16 ; 48, rubrique ; 48, 2 ; 48, 12 ; 48, 14 ; 50, 11 ; 50, 12 ; 50, 18 ; 50, 22 ; 50, 28 ; 50, 30 ; 50, 34 ; 50, 38 ; 51, 2 ; 51, 10 ; 51, 11 ; 51, 12 ; 52, rubrique ; 52, 2 ; 52, 10 ; 52, 14 ; 52, 18 ; 54, 6 ; 66, 29 ; 70, 13 ; 72, 11 ; 78, 27 ; 81, 8, eau aïrier, v., 15, 21 ; 68, 39, mettre en colère aise, s. f., 41, 13 ; 52, 10 ; 54, 8, satisfaction, bien-être ajornee, s. f., 66, 24, lever du jour alasquier, v., 68, 26, relâcher, arrêter alemele, s. f., 78, 22, lamelle aliene, adj., 79, 29, étrangère aloisne, s. f., 48, 13, absinthe amanevie, adj., 95, 15, fougueuse amatir, v., 22, 37, abattre ambes, adj., 65, 8, les deux amdui, andeus, adj., 84, 2 ; 101, 11, les deux amonester, v., 7, 14 ; 62, 6 ; 79, 19 ; 79, 25, encourager, exhorter amusser (soi), v., 50, 15, se cacher angle, s. m., 93, 30, ange *anor, s. m., 73, 18, pendant d’oreille anui, s. m., 23, 19 ; 41, 11 ; 47, 3 ; 105, 15, peine, dommage anuier, v., 10, 23 ; 46, 12 ; 77, 5, causer du désagrément, de la peine aorer, v., 18, 3 ; 35, 8 ; 35, 15-17 ; 35, 19 ; 36, 4 ; 37, 8 ; 42, 7-8…, adorer aparecir, v., 37, 5, devenir paresseux apareill, s. m., 24, 9 ; 43, 1, équipements, troupes apareillier, v., 3, 9 ; 6, 5 ; 15, 13 ; 22, 16 ; 22, 23 ; 24, 15 ; 30, 4 ; 30, 6 ; 32, 18 ; 34, 10 ; 61, 2 ; 67, 4 ; 70, 5 ; 75, 1 ; 78, 11 ; 97, 5 ; 104, 4, préparer aparler, v., 71, 2, adresser la parole apertement, adv., 58, 13-14, habilement apertement, adv., 75, 17, clairement apertes, adj., 110, 5, visibles, évidentes apessés, part. pas. , 29, 18, alourdi apoindre, v., 28, 14-15, piquer appresser, v., 11, 3, accabler aproismer (soi), v., 19, 5 ; 19, 14 ; 23, 12, s’approcher arain, s. m., 78, 23, airain araisnier, v., 35, 13 ; 61, 3 ; 70, 9, adresser la parole

wauchier de denain : glossaire

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ardoir, v., 6, 27 ; 16, 7 ; 19, 2 ; 32, 11 ; 44, 3 ; 54, 4 ; 75, 4 ; 96, 6, brûler ; arse, part. pas., 1b, 19, brûlée aresnier, v., 18, 6, adresser la parole arme, s. f., 33, 5 ; 93, 50, âme arouter, v., 21, 5, rassembler pour mettre en route arsin, s. m., 6, 18, incendie arson, s. m., 28, 20, arçon ascouter, v., 76, 6, prêter attention, écouter assacher, v., 22, 29, amener assaindre, v., 80, 10, entourer assegurer, v., 7, rubrique, assurer asseïr, v., 3, 4-5 ; 4, 1 ; 6, 22 ; 10, rubrique ; 10, 21 ; 21, 7 ; 22, 13 ; 22, 21 ; 23, 21, assiéger ; 29, 8, asseoir assigner, v., 92, 8, attribuer atalanté, adj., 13, 12, désireux atapir (soi), v., 88, 11, se cacher atargance, s. f., 82, 7, retard atendance, s. f., 40, 1 ; 63, 1 ; 82, 6, attente, espoir atraver, v., 67, 17, loger dans une tente aucube, s. f., 67, 19 ; 67, 22 ; 68, 9, tente autiers, s. m., 15, 22, autels aventure, s. f., 5, 22 ; 50, 5 ; 50, 27 ; 52, 22 ; 54, 14 ; 67, 27 ; 68, 34 ; 78, 7 ; 95, 43, événement, événement soudain ; 3, 6 ; 78, 14, sort, destinée ; par aventure, par hasard, 61, 2-3 averses, adj., 54, 13, contraires, défavorables aversité, s. f., 93, 28, malheur avironer, v., 40, 7 ; 45, 17 ; 67, 8 ; 78, 29 ; 88, 17 ; 90, 1-2 ; 91, 2, entourer avoutire, s. m., 2, 7, inceste ; 27, 10, adultère babtisme, s. m., 36, 7, baptême bailler, v., 61, 11 ; 62, 1, donner baillie, s. f., 85, 12 ; 85, 13 ; 95, 2 ; 95, 35 ; 96, 8 ; 97, 4, pouvoir ban, s. m., 49, 12, proclamation publique, ordre barbarien, adj., 91, 3, barbare baron, s. m., 2, 9 ; 2, 10 ; 108, 14, époux ; 6, 16 ; 6, 28 ; 7, rubrique ; 16, 4…, grand seigneur basses, s. f., 45, 20, soubassements berbis, s. f., 68, 17, brebis berfroi, s. m., 22, 28 ; 22, 30, tour mobile pour le siège besoigne, s. f., 2, 15 ; 4, 18 ; 37, 6 ; 67, 21 ; 72, 11 ; 77, 30 ; 84, 12 ; 97, 13 ; 105, 2, besoin, nécessité ; 21, 4 ; 78, 25 ; 84, 11 ; 107, 5, travail, mission bestiaille, s. f., 48, 2 ; 70, 14, bétail biés, s. m., 57, 3, becs

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l’histoire ancienne jusqu’à césar

bisse, adj., 69, 11, gris brun bisseaus, s. m., 48, 26, bétail bobance, s. f., 23, 4, arrogance bouche (tot a une), loc., 66, 10, tous ensemble boisdie, s. f., 6, 16 ; 8, 12 ; 13, 3 ; 16, 9 ; 76, 4, ruse bones eürees, adj., 79, 13, heureux ; voir buens eürés bos, s. m., 73, 3 ; 73, 6 ; 74, 6, bois bosne, s. f., 90, rubrique, borne ; voir bousne et boune boter, v., 18, 23 ; 96, 5, mettre ; voir bouter bouge, s. m., 48, 21, petit coffre boune, s. f., 62, 19 ; 64, 10, borne bousne, s. f., 68, 37 ; 90, 4, borne bouter, v., 18, 19, frapper ; 49, 4, mettre ; voir boter braieus, adj., 65, 3, boueux braire, v., 43, 2 ; 66, 3, crier, hurler brocher, v., 28, 22, éperonner bruine, s. f., 64, 7, brume buens eürés, adj., 3, 27, heureux ; voir bones eürees bués, s. m., 48, 25, bœufs buies, s. f., 32, 21, chaînes buisse, s. f., 65, 19, morceau de bois busine / buisine, s. f., 24, 19 ; 51, 4 ; 53, 4 ; 55, 2 ; 62, 4 ; 66, 9-10, trompette calcatrix, s. m., 65, 7-8, crocodile ; voir caucatri cancre, s. m., 54, 18, crabe capiteau, s. m., 45, 20-21, partie supérieure, chapiteau carnel, s. m., 46, 7, créneau caucatris, s. m., 54, 17, crocodile cauve soris, s. f., 55, 8, chauve-souris celeement, adv., 27, 11, en cachette celer, v., 50, 21 ; 64, 14 ; 64, 16 ; 71, 2 ; 79, 25 ; 93, 36, (se) cacher ceraste, s. m., 53, 11, vipère cornue cerchier, v., 64, rubrique ; 64, 2, explorer chaitis / chaitives, s. m et s. f., 16, 8, prisonniers / prisonnières chaitiveté, s. f., 10, 1, infortune, captivité chaloir, v., 37, 8, importer chaoir, v., 13, 25 ; 31, 6 ; 45, 6 ; 67, 22 ; 75, 6, tomber ; voir cheoir charbuncle, s. f., 46, 5-6, escarboucle, pierre précieuse d’un très grand éclat chastoier, v., 37, 11, amender, corriger chaucher, v., 68, 21, repousser, chasser cheoir, v., 58, 11 ; 105, 18, tomber ; cheoites, part. pas., 77, 19 ; cheüt, part. pas., 13, 25 ; 75, 6, tombé ; voir chaoir cherrue, s. f., 78, 24, charrue

wauchier de denain : glossaire

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chevage, s. m., 31, 8, tribut, impôt annuel chief, s. m., 10, 25 ; 19, 11 ; 32, 14 ; 91, 8 ; 107, 23, tête, capitale, chef ; 1b, 10 ; 77, 22 ; 79, 9, bout chiere (liee faire), loc. verb., 62, 13, faire bon accueil chieres, adj., 73, 5, précieuses chois, adj., 57, 14, immobile clamer, v., 55, rubrique, appeler claré, s. m., 78, 27, vin mêlé d’épices et de miel clavain, s. m., 45, 5, pièce de l’armure qui couvre la tête, les épaules et le haut du dos closeüre, s. f., 73, 32, clôture coe, s. f., 19, 11 ; 28, 33 ; 53, 8, queue coi, adj., 66, 23, tranquille coiement, adv., 75, 17 ; 105, 9, tranquillement, dans le calme coiser (soi), v., 88, 11, se cacher et se taire colombe, s. f., 45, 20 ; 90, 23-24, colonne colon, s. m., 55, 8, pigeon comandise, s. f., 9, 3 ; 10, 3 ; 11, 11 ; 27, 7 ; 28, 2 ; 34, 11 ; 40, 14 ; 40, 21 ; 45, 10 ; 50, 2 ; 62, 12 ; 67, 14 ; 91, 12 ; 91, 16 ; 103, 15, autorité, commandement conceles, s. m., 21, 11, consul confondre / confundre, v., 10, 7-8 ; 13, 13 ; 14, 5 ; 32, 6 ; 22, 20 ; 23, 1 ; 88, 19 ; 97, 14 ; 100, 21 ; 102, 10, détruire conquellir, v., 80, 16, ramasser, réunir ; conquelloit, part. pas., 80, 16 ; voir aconqueillies et recuellir conquister, v., 99, 7, conquérir conreer, v., 67, 11, mettre en ordre, arranger conrois, s. m., 28, 34, corps de troupes conte, s. m., 23, 16 ; 48, 27 ; 66, 14, compte contenance, s. f., 60, 21 ; 83, 19, conduite, comportement contrefaire, v., 83, 20 ; 85, rubrique ; 85, 11, reproduire corage, s. m., 7, 5 ; 10, 29 ; 13, 7 ; 15-19…, cœur cors, s. m., 18, 18, cours coutre, s. m., 78, 29, matelas couvenance, s. f., 11, 11  ; 11, 16  ; 11, 20  ; 13, 6  ; 25, 16  ; 44, 7  ; 60, 14, accord, engagement couvenent, s. m., 8, 5, accord, engagement couvenir, v., 13, 30 ; 18, 24 ; 40, 20 ; 54, 10 ; 97, 12 ; 112, 11, falloir ; voir covenir couvent, s. m., 71, 4 ; 108, 18, promesse couvine, s. f., 30, 1, situation covenir, v., 80, 11, falloir ; voir couvenir covoitier / couvoitier, v., 15, 15 ; 79, 7 ; 103, 16 ; 103, 21-22 ; 110, 20 ; 110, 29, désirer covoitos, adj., 2, 7 ; 85, 10, désireux crape, s. f., 45, 25, grappe cravanter, v., 110, 7, abattre, écrouler

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l’histoire ancienne jusqu’à césar

creanter, v., 45, 10, jurer, promettre cremance, s. f., 25, 7 ; 38, 6, crainte cremir, v., 9, 7 ; 22, 10 ; 35, 15 ; 37, 2 ; 55, 15 ; 65, 6 ; 91, 30 ; 95, 27 ; 105, 2 ; 105, 8, craindre cresté / crestu, adj., 54, 17, à crête crosle, s. m., 110, 6, tremblement de terre crues, s. f., 47, 9 ; 80, 12, creux cuidier, v., 1a, 6 ; 3, 16 ; 6, 15 ; 7, 3 ; 13, 25 ; 17, 1 ; 17, 3 ; 18, 9 ; 18, 14 ; 18, 22 ; 23, 4 ; 23, 5 ; 24, 7 ; 28, 19 ; 28, 22 ; 28, 33 ; 28, 38 ; 33, 8…, croire, s’imaginer *cuite quite (estre), loc. verb., 93, 32, sans obligation ni d’un côté ni de l’autre ; voir quite daarrain / darrain, adj., 10, 5 ; 31, 11 ; 62, 18 ; 62, 21 ; 63, 3 ; 63, 5 ; 64, 3…, dernier ; a daarrains, 3, 4 ; 16, 5 ; 110, 32, à la fin dampner, v., 110, 9, détruire debonaireté, s. f., 84, 9, noblesse de caractère, bonté deceivre, v., 71, 11, tromper deceü, part. pas., 1a, 8 ; 3, 29 ; 50, 36, trompé decevance, s. f., 71, 11 ; 71, 14 ; 76, rubrique ; 76, 2, tromperie decorre, v., 73, 33, couler defaillance, s. f., 50, 19, manque defaillir, v., 11, 20, manquer, ne pas respecter ; 52, 3, tomber en défaillance defaute, s. f., 70, 13, manque defensable, adj., 42, 23, équipée pour la défense definer, v., 8, 3, finir degrepi, adj., 71, 13, décrépits deguaster, v., 9, 6 ; 34, 4 ; 81, 34, détruire deguerpir, v., 11, 18 ; 13, 6 ; 13, 27 ; 22, 12 ; 98, 16-17 ; 104, 14, quitter deïtés, s. f., 74, 3, divinités delitable, adj., 68, 6 ; 73, 33, agréable *dent tirant, s. m., 55, rubrique ; 56, 1, tyran denté departir, v., 10, 29 ; 20, 18 ; 23, 20 ; 46, 14 ; 62, 16 ; 104, 32 ; 108, 4, partager ; 28, 2 ; 28, 26 ; 40, 9, 46, 20 ; 70, rubrique ; 72, rubrique ; 72, 7 ; 78, rubrique ; 78, 1 ; 80, rubrique, 87, 1 ; 89, 1 ; 94, rubrique ; 94, 3 ; 109, 5…, quitter, se séparer ; 43, 16 ; 44, rubrique ; 44, 1, séparer, arrêter, interrompre desconfire, v., 3, 3 ; 3, 18 ; 4, 11 ; 5, 23-24 ; 6, 6 ; 6, 10-11…, vaincre descordance, s. f., 95, 22 ; 108, rubrique, querelle descorder (soi), v., 95, 20 ; 108, 3 ; 109, 6, se quereller deshaitement, s. m., 81, 25, inquiétude, angoisse despens, s. m., 10, 27, dépenses dessegier, v., 98, 19, lever le siège desserte, s. f., 47, 17, récompense dessevrer, v., 108, 4, séparer destalanté, adj., 13, 10, découragé de, dégoûté de destorbance, s. f., 52, 15, ennui, trouble

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destorner, v., 15, 22 ; 93, 28, détourner, écarter destraindre, v., 80, 13, poursuivre, tourmenter ; voir destrendre destregnance, s. f., 11, 5, oppression, tourment destrendre, v., 11, 4, oppresser, tourmenter ; voir destraindre destrois, s. m., 7, 15 ; 8, 12 ; 22, 9 ; 24, 1 ; 46, 23, défilés, détroits, passages difficiles desvoiable, adj., 64, 11, inaccessible desvoiableté, s. f., 72, 10, mauvais chemin desvoier, v., 46, 27 ; 50, rubrique ; 50, 36, égarer deveer, v., 7, 13, interdire deverie, s. f., 7, 2 ; 110, 31, folie devices, s. f., 60, 3, richesses devise, s. f., 20, 7, désir ; 62, 7, discussion deviser, v., 11, 16 ; 14, 4 ; 15, 20 ; 24, 18 ; 28, 1 ; 28, 29 ; 45, 2 ; 78, 10 ; 82, 12 ; 83, 3-4 ; 92, 21 ; 95, 17 ; 104, 26 ; 106, 11 ; 107, 1, ordonner, organiser, fixer, prévoir ; 13, 21 ; 72, 10, dire, raconter devision, s. f., 44, 5, décision, accord discipline, s. f., 9, 5-6, massacre, châtiment dolant, adj., 6, rubrique ; 25, 8 ; 31, 12 ; 32, 1 ; 43, 4 ; 78, 2 ; 106, 6, affligé doloir, v., 40, 3, souffrir donter, v., 42, 2 ; 107, 10, dompter, soumettre doutance, s. f., 27, 12, suspicion ; 29, 11 ; 87, 3 ; 97, 1, doute ; 30, 6 ; 36, 11 ; 55, 3 ; 60, 13 ; 65, 23 ; 75, 8 ; 85, 14 ; 108, 15…, crainte douter, v., 3, 21 ; 7, 2 ; 13, 7 ; 17, 6 ; 24, 1 ; 24, 12 ; 57, 24 ; 65, 25 ; 77, 29 ; 92, 1 ; 98, 9…, craindre droiturer, adj., 23, 16 ; 63, 4 ; 66, 14 ; 81, 6 ; 105, 8, droit, juste, légitime droiturerement, adv., 52, 1 ; 57, 1 ; 63, 5 ; 101, 1 ; 111, 24-25, tout droit, tout juste duel, s. m., 77, 7, souffrance durable, adj., 48, 6, résistant, solide enbatre (soi), v., 80, 5, s’enfoncer encanteres, s. m., 17, 3, enchanteur encercher, v., 60, 16, chercher à savoir enchaucier, v., 29, 15-16 ; 31, 4 ; 32, 7 ; 43, 10, chasser, poursuivre encombrer, v., 29, 14, faire obstacle, embarrasser encontrer, v., 37, 7; 84, 7 ; 95, 35 ; 104, 34 ; 105, 1, rencontrer enditer, v., 27, 14, dicter endroit (la / ilueques), adv., 63, 19 ; 64, rubrique ; 64, 5, là-bas endroites (iluec), adv., 63, 8, là-bas enforcee, adj., 10, 10, forte engien, s. m., 8, 12 ; 12, 2 ; 22, 38 ; 23, 13, intelligence pratique, ruse engigneors, s. m., 58, 4, constructeurs, ingénieurs enorter, v., 101, 3, conseiller, exhorter enroidir, v., 24, 7-8, devenir raide

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l’histoire ancienne jusqu’à césar

entableüre, s. f., 78, 2, entablement entailleüre, s. f., 19, 12, ciselure entalanté / entalenté, adj., 14, 4 ; 16, 4 ; 107, 5 ; 108, 16, désireux ententiv, adj., 65, 18, occupé, appliqué ententivement, adv., 76, 6, avec application, avec soin entrecueillir (soi), v., 45, 24, s’entrelacer entrenavrer (soi), v., 24, 26, se blesser mutuellement entrepressure, s. f., 52, 14, bâti entretant que, conj., 24, 8 ; 100, 15, pendant que entrues que, conj., 15, 8 ; 27, rubrique ; 29, 7 ; 32, 22…, pendant que envaïe, s. f., 51, 15, attaque envaïr, v., 2, 20 ; 3, 10 ; 3, 13 ; 5, 5 ; 5, 20; 6, 5…, attaquer erraument, adv., 79, 23, très vite esfors, s. m., 23, 6 ; 62, 9, troupes ; 109, 12, force esguarder, v., 4, 10 ; 6, 28 ; 11, 9 ; 15, 24 ; 18, 18 ; 36, 10 ; 46, 2 ; 56, 5 ; 59, 4-5 ; 64, 3 ; 65, 13…, regarder esjoïr, v., 40, 2 ; 96, 7, se réjouir esleesser / esleecier, v., 96, 7-8 ; 111, 3, se réjouir esleüe, adj., 72, 8, excellente esmaier (soi), v., 5, 11-12 ; 54, 13, s’inquiéter esmolu, adj, 12, 7 ; 38, 19 ; 43, 7 ; 65, 6 ; 81, 17, aiguisé esmovoir, v., 28, 33 ; 39, 2 ; 57, 7 ; 65, 1 ; 83, 13 ; 104, 38, mettre en mouvement, exciter, agiter espargnance, s. f., 28, 14 ; 43, 5, concession, modération espaventer, v., 69, 2, épouvanter especece, s. f., 76, 2, épaisseur ; voir espessesse espesses, s. f., 73, 5 ; 78, 26, épices espessesse, s. f., 45, 22, épaisseur ; voir especece espessetume, s. f., 47, 2, poids ? espiou / espiout, s. m., 5, 11 ; 13, 23 ; 24, 25 ; 28, 18 ; 41, 12…, épieu espoenter, v., 22, 4 ; 29, 1 ; 50, 20, épouvanter esrant, adv., 65, 9, vite esrer, v., 71, 13 ; 89, 5, cheminer, voyager essient (a lor), loc., 57, 3, en toute connaissance de cause ; a mon essïent, 93, 48, à mon avis essoine, s. f., 107, 2, empêchement, excuse essonier, v., 107, 7, excuser, empêcher estechier, v., 54, 3, piquer estindre, v., 47, 10, éteindre, étancher estoper, v., 58, rubrique ; 58, 5 ; 58, 9, clore, fermer ; voir estouper estor, s. m., 2, 21 ; 28, 14 ; 32, 11 ; 39, rubrique…, combat estorer, v., 28, 3 ; 91, 9; 111, rubrique, fonder, édifier estorie, s. f., 1b, 20, armée navale, flotte

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estorie, s. f., 1a, 2 ; 13, 15 ; 31, 10 ; 111, 27, récit historique estouper, v., 57, rubrique, clore, fermer ; voir estoper. estrief, s. m., 28, 20, estrier estriver, v., 7, 8 ; 68, 32, lutter faillance, s. f., manque, défaut ; sans nulle faillance / sans faillance, 18, 8 ; 61, 10-11 ; 77, 23 ; 82, 9 ; 105, 19, sans faute fait (a), loc. adv., 38, 9, aussitôt, entièrement faiture, s. f., 3, 24  ; 17, 15  ; 19, 4  ; 46, 10  ; 50, 29  ; 55, 14  ; 63, 10  ; 83, 23, aspect, apparence falisse, s. f., 89, falaise *fasitiene, adj., 70, 6 ; 72, 6 ; 79, 18 ; 79, 23 ; 81, 10, de la région de Fasiacè feels, adj., 77, 16, fidèles, loyaux fiance, s. f., 6, 11 ; 24, 13 ; 40, 1, confiance fiee, s. f., 24, 16 ; 40, 4 ; 49, 5, fois flum, s. m., 65, 16 ; 66, 33…, fleuve foucaignes, s. m., 66, 8, troupeaux fous, s. m., 13, 18, troupeaux franchise, s. f., 14, 10 ; 14, 14-15 ; 95, 25, liberté ; 62, 15, noblesse fu, s. m., 52, 22 ; 52, 24 ; 54, 4 ; 54, 19 ; 56, 6…, feu fuere, s. m., 10, 30-31, fourrage fundre, v., 6, 27, détruire gaber, v., 18, 21, se moquer galios, s. m., 7, 5 ; 10, 24, bateaux gendre, s. m., 15, 24, gendre gente, adj., 3, 24, beau gentills, adj., 13, 18, de bonne race gesir, v., 14, 9, se trouver ; 28, 27 ; 78, 18 ; 89, 12, dormir ; giurent, 28, 27, passé simple geüner, v., 78, 7, jeûner gharés, s. m., 66, 13, jarrets gius, s. m., 15, 23, jeux grevable, adj., 74, 14, préjudiciable grevance, s. f., 8, 10 ; 23, 19 ; 68, 7 ; 76, 3 ; 100, 4, dommage, préjudice grever, v., 2, 19 ; 43, rubrique ; 43, 15 ; 48, 16 ; 49, 10 ; 57, 5 ; 81, 17 ; 105, accabler, infliger des dommages grevous, adj., 21, 8 ; 67, 6 ; 70, 13, difficile, pénible grief, adj., 6, 25 ; 17, 14 ; 33, 9 ; 40, 24 ; 48, 15 ; 50, 27 ; 57, 9-10, difficile, pénible groer, v., 80, 14, secouer groner, v., 65, 24, grogner, pousser un cri guaaign, s. m., 25, rubrique, butin gualie, s. f., 10, 26, petit navire de guerre guarandir, v., 24, 32 ; 40, 15, protéger

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l’histoire ancienne jusqu’à césar

guarandise, s. f., 6, 24 ; 28, 22-23 ; 89, 14 ; 98, 9, sécurité, protection guarir, v., 24, 8 ; 44, 2 ; 89, 15, guérir guarnir, v., 5, 23 ; 7, 14 ; 8, 12 ; 89, 6, protéger, munir de dispositifs de défense guaster, v., 9, 9 ; 10, 31 ; 23, 1, dévaster gueredon, s. m., 33, 9 ; 47, 16 ; 93, 22 ; 111, 8, récompense gueredoner, v., 85, 16, récompenser guerpir, v., 25, 13 ; 28, 20 ; 54, 5 ; 98, 11, abandonner haitiés, adj., 81, 24, joyeux harnas / harnois, s. m., 48, 24 ; 70, 5, équipement d’un homme d’armes haster, s. m., 67, 20, précipitation, hâte herberge, s. f., 68, 19 ; 68, 33 ; 94, 17, campement herbergerie, s. f., 65, 22, campement herbergier, v., 52, 21 ; 65, 17 ; 67, 13 ; 104, 38, loger houtoir, s. m., 57, 2, autour huis, s. m., 46, 6, porte imagene, s. f., 27, 13 ; 83, 19 ; 83, 25 ; 85, rubrique ; 85, 5, statue ingualment, adv., 67, 17, de la même manière inguel, adj., 67, 15, plat irés, adj., 51, rubrique, en colère ire, s. f., 11, 17 ; 22, 18 ; 67, 31 ; 68, 34, colère ; 26, 2, souffrance et colère iretage, s. m., 10, 6 ; 93, 51 ; 104, 37, héritage isnelement, adv., 19, 16 ; 19, 19 ; 23, 12 ; 24, 2 ; 52, 16 ; 65, 21 ; 68, 2 ; 70, 7 ; 81, 16 ; 92, 21, rapidement issill, s. m., 3, 31, exil issir, v., 18, 18 ; 28, 8 ; 33, 5 ; 57, 21 ; 58, 9 ; 58, 13-14 ; 65, 5 ; 79, 20…, sortir ives, s. f., 13, 18, juments jouste, prep., 28, 10 ; 45, 7 ; 50, 8 ; 52, 11 ; 73, 6 ; 78, 28 ; 94, 13 ; 95, 41, à côté de kalendes, s. f., 67, 32, premiers jours du mois kareptes, s. f., 111, 21, lettres kaure, s. f., 24, 4 ; 24, 6 ; 47, 4 ; 48, 10 ; 49, 4 ; 50, 4, chaleur laborer, v., 78, 24, cultiver la terre lasté, s. f., 24, 4 ; 52, 2-3 ; 60, 7, épuisement lee, adj., 50, 12, large *leissier, v., 75, 4, laisser lié, adj., 62, 13 ; 71, 1 ; 78, 2 ; 79, 30, joyeux lier, v., 28, 32, lier, attacher linteus, s. m., 46, 8, linteaux

wauchier de denain : glossaire

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liu, s. m., 10, 7 ; 39, 2 ; 46, 9 ; 50, 5 ; 50, 11 ; 50, 24 ; 54, 21…, lieu, terre ; 28, 17, moment propice, occasion ; voir lue loer, v., 13, 8 ; 64, 15 ; 79, 30, conseiller ; 15, 23 ; 41, 11 ; 47, 16 ; 63, 10 ; 71, 5 ; 93, 20, faire l’éloge loges, s. f., 5, 6 ; 25, rubrique ; 25, 2 ; 28, 41 ; 32, 8…, tentes loiau, adj., 66, 18, de bonne qualité *loisir, v., 7, 3 ; 75, 4, être possible ; leüst, 7, 3, subjonctif imparfait lue, s. m., 70, 12, lieu ; voir liu luminaire, s. m., 53, 5, lumière lupars, s. m., 86, 14, léopards maus, s. m., 65, 12, masses mainsnés, adj., 85, 15, cadet maisnie / maisnee, s. f., 38, 20 ; 41, 15 ; 46, 16 ; 73, 26 ; 94, 15 ; 110, 26, compagnie, troupe, suite maissieres, s. f., 45, 21 ; 110, 9, murs malaventure, s. f., 2, 6 ; 2, 11 ; 6, 18 ; 7, 4 ; 10, 2 ; 13, 9 ; 16, 2 ; 42, 9 ; 51, 15 ; 102, 6 ; 105, 11 ; 110, 5, malheur malaventurousement, adv., 92, 9, malheureusement malbaillir, v., 49, 2, maltraiter malissie, s. f., 16, 10-11, mal maltalent, s. m., 62, rubrique, mauvaise intention mansion, s. f., 93, 21, demeure marcher, v., 106, 8, avoir des frontières communes avec margarite / marguarite, s. f., 46, 33, perle maumener, v. 105, 4, infliger des pertes merci, s. f., 31, 17, grâce merite, s. m. ou f., 16, 5 ; 47, 18 ; 93, 31 ; 101, 11, ce que l’on mérite, salaire, récompense ou punition mesaises, s. f., 47, 15 ; 52, 7 ; 52, 9-10, souffrances mescheance, s. f., 4, 5 ; 31, 13 ; 77, 31 ; 107, 20, infortune, malheur mesestance, s. f., 15, 17-18 ; 47, 10, misère, malheur mestier, s. m., 46, 17 ; 68, 12 ; 72, 16 ; 93, 29, besoin meüre, adj., 111, 5, apaisée, naturelle ? miniere, s. f., 7, 6, mine ministre, s. m., 36, 10 ; 37, 6, serviteur moleste, s. f., 66, 23, tort, dommage monde, adj., 93, 24, pure mue, adj., 48, 16 ; 48, 18 ; 68, 8, muette muire, v., 43, 2, mugir, crier naceles, s. f., 51, 9, petits bateaux nagier, v., 90, 2, naviguer

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nassion, s. f., 17, 5, naissance navie, s. f., 22, 3 ; 87, 11 ; 87, 13 ; 89, 5 ; 105, 13…, bateau, flotte navier, v., 64, 2, naviguer navrer, v., 5, 10 ; 13, 23 ; 13, 25 ; 20, 10 ; 20, 12 ; 32, 21 ; 32, 24…, blesser nef, s. f., 10, 25 -26 ; 22, 28-29 ; 23, 10 ; 64, 6 …, navire nier, v., 11, 15, renier, récuser niés, s. m., 101, 16, petit-fils nigromance, s. f., 1a, 8 ; 17, 5, magie niticorax, s. m., 57, 2, hibou, oiseau de nuit noer, v., 51, 3, nager noier, v., 50, 23, nager noif, s. f., 68, 16, neige noise, s. f., 24, 20 ; 28, 11-12 ; 53, 14 ; 56, 5 ; 66, 10…, bruit, clameur none, s. f., 50, 9 ; 52, 1 ; 74, 5, la neuvième heure, soit trois heures de l’après-midi norir, v., 5, 26 ; 19, 15, soigner, éduquer ; 13, 19 ; 19, 3 ; 78, 25, élever un animal ; 50, 28, vivre, grandir norreture, noreture, s. f., 45, 27, science ? ; 52, 18, groupes nuilece, s. f., 69, 5, nuage, brouillard, obscurité occision, s. f., 6, 18 ; 23, 15 ; 30, 19 ; 38, 15 ; 43, 4, massacre ochoison, s. f., 3, 13 ; 20, 9 ; 95, rubrique ; 102, 10 ; 103, 20 ; 107, 18 ; 109, 9, occasion, motif, raison oes, s. m., 10, 12 ; 13, 19 ; 65, 19, usage, avantage, profit oir, s. m., 40, 11 ; 93, 50, héritier oitovre, s. m., 67, 32, octobre olie, s. f., 49, 7, huile orison, s. f., 58, 11 ; 68, 38 ; 69, 17 ; 70, 1 ; 75, 6 ; 77, 17 ; 79, 4, prière orle, s. m., 45, 7, bordure ort, adj., 15, 12, ignoble os / ost /oz, s. m., 3, 9 ; 3, 20 ; 3, 22-23 ; 10, 29 ; 18, 1 ; 21, 3 ; 28, 13…, armée otrier, v., 69, 18, accorder, octroyer palu, s. m., 65, 3 ; 65, 5 ; 65, 15, marécage parcreüs, adj., 48, 25, grand, fort pardefin (à la), loc. adv., 40, 25 ; 52, 1, à la fin, finalement partir, v., 7, 8, partager ; 3, 6 ; 4, 4 ; 18, 12, quitter, partir partuis, s. m., 63, 13, trou paverousement, adv., 35, 14, dans la peur pelfir, v., 89, 3, piller perçoivre, v., 28, 36, voir ; parceurent, 28, 36, passé simple pertuis, s. m., 63, 13, trou peser, v., 77, 5, attrister pesme, adj., 39, 5 ; 50, 27 ; 78, 14, très mauvais, cruel

wauchier de denain : glossaire

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peuture, s. f., 65, 19, nourriture pious, s. m., 22, 38, pieux plaié, adj., 43, 15, couvert de plaies planer, v., 40, 20, aplanir, effacer planté, s. f., 5, 7 ; 46, 21 ; 53, 11 ; 62, 4 ; 62, 17, grande quantité ; voir plenté platines, s. f., 46, 31, plaques d’or plege, s. m., 36, 7, garantie, caution plenté, s. f., 47, 5 ; 53, 10 ; 54, 12 ; 66, rubrique ; 104, 36 ; 105, 1, grande quantité ; voir planté  plentiv, adj., 32, 13 ; 52, 11 ; 60, 2 ; 94, 7, riche pluevie, s. f., 68, 23-24 ; 68, 26 ; 74, 10, pluie poesté, s. f., 1a, 17 ; 2, 23 ; 3, 7 ; 3, 19 ; 4, 16…, pouvoir poignans, adj., 53, 8, piquants poindre, v., 28, 17 ; 45, 3 ; 54, 3, piquer pois, s. f., 73, 17, poix, matière visqueuse à base de résines et de goudrons végétaux ponceaus, s. m., 21, 10, poncel, unité de poids et de mesure utilisée dans le nord de la France porquerre, v., 72, 11, se procurer posnee, s. f., 82, 3, arrogance prefes, s. m., 38, 16, gouverneur presence, s. f., 9, 21 ; 29, 12 ; 85, 11, présence ; a presence, 11, 10 ; 32, 18 ; 111, 22 ; 112, 1, maintenant, alors presier / prisier, v., 33, 12 ; 93, 20 ; 104, 28, apprécier, estimer privés, adj., 73, 26 ; 78, 26, proches ; 86, 14, apprivoisés prodome, s. m., 59, 10, homme sage proie, s. f., 5, 8 ; 10, 33 ; 11, 8 ; 13, 3…, butin, richesses ; 51, 3, proie pronunser, v., 75, 10 ; 81, 27 ; 91, 28, dire avec autorité, proférer, annoncer prou, s. m., 37, 12, profit, avantage provos, s. m., 90, 4 ; 107, 11, prévôt quanconques / quancunques, pron, 43, 8 ; 46, 18 ; 107, 16, tout ce que quanque, pron., 4, 19 ; 6, 13 ; 24, 22 ; 27, 1 ; 66, 4 ; 71, 15 ; 98, 26, autant que ; 46, 17 ; 99, 7, tout ce que quant, adj., 50, 14 ; 111, rubrique, combien de queillir, v., 109, 8, réunir, rassembler ; part. pass. queilloite, 109, 8 querre, v., 3, 24 ; 13, 34 ; 26, 6 ; 26, 8 ; 32, 11…, chercher *quite, adj., 38, 5, libre ; loc. verb., 93, 32, cuite quite (estre), ne plus avoir aucune obligation envers l’autre ; voir cuite rain, s. m., 28, 32 ; 73, 33, branche raines, s. f., 104, 36, grenouilles rais, s. m., 66, 24 ; 73, 38 ; 74, 3 ; 74, 5 ; 75, 13, rayons raisnable, adj., 91, 22, raisonnable

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rapaier, v., 10, 29, calmer, adoucir rapine, s. f., 16, 8, vol, brigandage rasouager, v., 25, 11, adoucir, apaiser rassasier, v., 56, 4, rassasier ; voir resasier ravine (de grant), loc. adv., 83, 6, avec impétuosité, avec violence reconfortable, adj., 78, 12, réconfortant recouvrer, s. m., 24, 31, secours, ressource recreance, s. f., 49, 3, répit, réparation recrier, v., 10, 27, réconforter recroire, v., 52, 4, tomber d’épuisement recuellir, v., 6, 12, accueillir recuellir, v., 67, 1 ; 80, 14, rassembler, ramasser refroider, v., 52, 7, rafraîchir, calmer religion, s. f., 111, 10, conscience, sens du scrupule remanance, s. f., 23, 17-18 ; 108, 2, reste remanant, s. m., 103, 2 ; 110, rubrique, reste, restant remanoir, v., 10, 30 ; 60, rubrique ; 67, 9 ; 78, 4 ; 80, 16 ; 89, 4 ; 95, 1 ; 107, 15 ; 110, 6-7, rester remenbrance, s. f., 45, 11, souvenir, mémoire remise, adj., 68, 26, fondue, molle remuance, s. f., 67, 33, agitation repaire, s. m., 10, 14, lieu où l’on demeure et où on peut se réfugier repairier, v., 9, 21 ; 10, 32 ; 13, 20 ; 13, 30 ; 20, 7 ; 23, rubrique ; 23, 2 ; 23, 17 ; 24, 32 ; 25, rubrique ; 25, 2 ; 29, 17,…, revenir repaisier, v., 10, 27 ; 77, 9, apaiser repondre (soi), v., 66, 33, se cacher requellir, v., 4, 18 ; 5, 8, rassembler requerre, v., 7, 14-15 ; 8, rubrique ; 32, rubrique ; 73, 15 ; 84, 9 ; 100, 5 ; 105, 12 ; 107, rubrique ; 107, 18, demander resasier, v., 52, 6, rassasier ; voir rassasier resoignier, v., 68, 35, hésiter, avoir du souci pour resson, s. m., 43, 2 ; 51, 17, cri, bruit retolir, v., 9, 24 ; 40, 2, enlever retraire (soi), v., 11, 15 ; 13, 4 ; 18, 25 ; 29, 39 ; 54, 20 ; 54, 21 ; 57, 11 ; 67, 3 ; 95, 44-45, revenir, repartir retraire, v., 42, 11 ; 80, 25, dire, raconter reveler (soi), v., 2, 13 ; 10, 9 ; 13, 34 ; 95, 31 ; 107, 11, se révolter roher, s. m., 65, 25, lâcher, lancer roie, s. f., 39, 5, roue roiele, s. f., 45, 7, bouclier rond ; 46, 8, petite roue, petit objet en forme de roue qui sert à fixer les portes roit, adj., 28, 21, rude, vigoureux rosseaus, s. m., 48, 4 ; 50, 10 ; 51, 9 ; 65, 4, roseaux

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roubeors, s. m., 10, 26, voleurs ruffler, v., 68, 20, pousser avec une pelle ruiere, s. f., 66, 9, lâcher, lancer ruire, v., 65, 24 ; 66, 3, rugir, faire du vacarme saiete, s. f., 4, 3 ; 12, 6 ; 43, 8 ; 50, 19 ; 51, 9 ; 65, 4…, flèche saillir, v., 22, 30 ; 88, 10 ; 88, 12, sauter sains, prép. et conj., 19, 17 ; 104, 38, sans sairement, s. m., 9, rubrique ; 9, 4 ; 71, 15, serment, promesse samblance, s. f., 12, 5-6 ; 18, 8 ; 35, 17 ; 35, 20 ; 35, 35 ; 50, 7 ; 50, 28 ; 52, 19 ; 55, 8 ; 56, 11 ; 63, 14 ; 75, 13 ; 81, 12 ; 83, 22 ; 90, 5, forme, apparence extérieure ; 83, 29 ; 85, 8, apparence ressemblante, ressemblance ; 37, 9, manière d’être ; 35, 13, ne faire nulle samblance, ne pas montrer son avis ; 91, 31, faire samblance, montrer ce que l’on ressent ; 67, 32, signe, indice ; par samblance, 55, 8 ; 56, 11, selon leur apparence ; 44, 9 ; 77, 28, selon ce que l’on peut voir, en apparence seulement ? sap, s. m., 48, 5, sapin sarrasins, adj., 59, 4 ; 59, 7, païen savor, s. f., 48, 13, goût selve, s. f., 63, 20, forêt senestre, adj., 64, 13 ; 65, 1, gauche seoir, v., 41, 10 ; 41, 13 ; 60, 16 ; 66, 12, être assis ; 11, 18 ; 22, 31, être posté devant, assiéger serie, adj., 68, 40, sereine, calme seror, s. f., 3, 24 ; 3, 30 ; 16, 9 ; 24, 10 ; 25, 4 ; 25, 13 ; 31, 16 ; 76, 11 ; 77, 4 ; 79, 4 ; 79, 13 ; 92, 14-15 ; 111, 6 ; 111, 8, sœur sevrer, v., 72, 2, séparer signe, s. f., 47, 7, soif  sivre, v., 24, 9 ; 31, 4 ; 48, 26 ; 66, 12, suivre ; sivi, passé simple, 24, 9 ; sivirent, passé simple, 31, 4 sivres, s. m., 94, 8, seigneur solacier, v., 18, 14, consoler, divertir soloir, v., 5, 15 ; 10, 4 ; 10, 7 ; 10, 9-10 ; 13, 36 ; 14, 10 ; 57, 6 ; 79, 5 ; 81, 24, avoir l’habitude soloit, s. m., 85, 10, souci, préoccupation som, s. m., 53, 8, sommet somete, s. f., 75, 14, sommet soumier, s. m., 48, 21, bête de somme somondre, v., 13, 32 ; 26, 6, exhorter soris, s. f., 55, 8 ; 56, 10 ; 56, 14 ; 104, 36, souris soudre, v., 4, 18 ; 34, 2, payer soufraite, s. f., 72, 11, besoin souhait (a fin), loc., 19, 12, au mieux souple, adj., 78, 3, abattu, triste

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souprendre /sousprendre, v., 3, 14 ; 3, 17 ; 13, 3 ; 37, 4 ; 50, 5, prendre, envahir sousdure, v., 71, 14, tromper soutainement, adv., 68, 23, soudainement soutaineté, s. f., 80, 6, solitude sovin, adj., 18, 26 renversé, couché sur le dos sovrain, adj., 1a, 17 ; 5, 25, haut placé, supérieur suir, v., 32, 18, suivre ; voir sivre susanienes gens, s. f., 94, 9, peuples de Susiane tabor, s. m., 28, 11, tambour tailleor, s. m., 83, 19, sculpteur talent, s. m., 4, 16 ; 69, 3 ; 78, 5 ; 78, 9, désir teches, s. f., 41, 1, marques, qualités temporaus, s. m., 67, 32, espace de temps, saison tierce, s. f., 54, 9 ; 80, 2, troisième heure du jour, soit neuf heures du matin tolir, v., 1a, 4 ; 3, 30 ; 5, 6 ; 5, 21 ; 7, 11 ; 15, 4 ; 27, 5 ; 28, 19 ; 32, 6 ; 39, 6 ; 51, rubrique ; 81, 3 ; 84, rubrique ; 84, 3 ; 84, 7 ; 84, 20 ; 84, 22 ; 90, 30 ; 92, 11 ; 95, 38 ; 100, 12 ; 111, 7 ; 111, 24 ; 112, 5, enlever tor, s. m., 55, 4 ; 81, 14, taureau torbes, s. f., 28, 37 ; 51, 3, multitude traine, s. f., 78, 15, trace traire, v., 3, 11, attirer ; 5, 14-15 ; 8, 8 ; 13, 4 ; 13, 41 ; 28, 26 ; 31, 1 ; 69, 12 ; 77, 11-12 ; 108, 5, aller ; 6, 26 ; 48, 21 ; 50, 19-20, 57, 8 ; 95, 44, tirer ; 51, 4 ; 66, 15, retirer de ; se traire ensemble, 58, 15, se rapprocher trait (a), loc. adv., 52, 18, à loisir trastres, s. m., 110, 10, poutres trauer, v., 73, 18, trouer ; voir trauver trauver, v., 22, 37, trouer ; voir trauer travaill, s. m., 24, 4 ; 40, 24 ; 106, 3, souffrance travailler, v., 67, 23 ; 68, 12, épuiser, tourmenter, violenter trés, s. m., 67, 21, tentes treü / treüt, s. m., 3, 4 ; 3, 10 ; 20, 7 ; 22, 10 ; 31, 8 ; 34, 1, tribut treüage, s. m., 4, rubrique ; 38, 5, tribut tributaire, adj., 32, 17 ; 87, 3, redevable d’un tribut trive, s. f., 44, 3, trêve trosques, prép., 1b, rubrique ; 24, 3 ; 28, 25 ; 50, 9 ; 50, 23 ; 52, 13 ; 66, 24 ; 67, 8 ; 73, 31 ; 80, 22 ; 87, 12, jusque trosser, v., 70, 5, charger truie, s. f., 65, 24, truie vairees (vairé), adj., 73, 9, multicolores vaires, adj., 66, 7, multicolores et brillantes vaisselemente, s. f., 6, 9, vaisselle

remaniement franco-italien : glossaire

veïr, v., 19, 9 ; 29, rubrique ; 45, 16 ; 46, rubrique ; 46, 3 ; 50, 7…, voir venquir, v., 24, 13, vaincre vergoigne, s. f., 18, 85, honte viande, s. f., 22, 34 ; 41, 13 ; 46, 21 ; 60, 12 ; 61, 2 ; 67, 11 ; 67, 19 ; 79, 14, nourriture viaure, s. f., 68, 17, toison vis, adj., 77, 3, vivant voide, adj., 88, 9, vide voire, adv., 93, 39, en particulier volpill, s. m., 56, 10, renard ymage, s. f., 63, 16 ; 64, 12, statue ymagene, s. f., 15, 22 ; 18, 3 ; 46, 9 ; 63, 6 ; 63, 10 ; 84, 26 ; 85, 8 ; 85, 17, statue

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Glossaire du remaniement en franco-italien (Vienne, ÖNB 2576) Les substantifs sont relevés au cas régime singulier, les adjectifs et les participes passés au cas régime masculin singulier, sauf quand ils n’apparaissent qu’au cas sujet, au féminin ou au pluriel seulement, et les verbes sont cités à l’infinitif. Quand les occurrences d’un même terme sont nombreuses, nous n’en relevons que quelques-unes. Les astérisques renvoient aux notes. Abréviations : adj. : adjectif ; adv. : adverbe ; conj. : conjonction ; loc. : locution ; loc. adv. : locution adverbiale ; loc. verb. : locution verbale ; part. pas. : participe passé ; part. prés. : participe présent ; prép. : préposition ; pron. : pronom ; s. m. : substantif masculin ; s. f. : substantif féminin. Dictionnaires utilisés : DEI : C. Battisti et G. Alessio, Dizionario etimologico italiano, Florence, 1950-1957 DMF : Dictionnaire du Moyen Français, version 2010. ATILF - CNRS & Université de Lorraine. Site internet : http://www.atilf.fr/dmf FEW : W. von Wartburg, Französisches Etymologisches Wörterbuch, Bâle et Nancy, 1928-2003 GDLI  : S. Battaglia, Grande Dizionario della lingua italiana, Turin, 1961-2002  God. : F. Godefroy, Dictionnaire de l’ancienne langue française et de tous ses dialectes du IXe au XV e siècle, Paris, 1889-1896. T. L. : A. Tobler et E. Lommatzsch, Altfranzösisches Wörterbuch, Berlin et Wiesbaden, 1925-2002. abandoner (soi), v., 4, 73-74, se livrer sans retenue à ; 7, 18, distribuer ; 8, 85, donner abaxie, adj., 5, 57, abaissée acayson, s. f., 10, 146, raison ; voir akeixon, keyson, oceyson et okeyson acoler, v., 8, 19, se jeter au cou acolir, v., 2, 17 ; 20, 33, attaquer aconsivre, v., 9, 116, atteindre ; voir consivre acontrer, v., 8, 61, rencontrer *acoydes, adj., 10, 160, effondrées, abattues adolés, adj., 18, 20, accablé aduré, adj., 5, 116 ; 7, 197 ; 10, 33 ; 19, 27, aguerris aer, v., 5, 85, haïr agrever, v., 8, 68 ; 9, 74 ; 9, 98 ; 13, 61, infliger des dommages ; voir grever

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aguz, adj., 13, 56, pointu aide, s. f., 4, 61 ; 5, 76, aide ; voir aïe, aÿe et ayde aïe, s. f., 7, rubrique ; 7, 133 ; 17, 34 ; 20, 86, aide ; voir aïe, aÿe et ayde aitiés, adj., 13, 68, joyeux akater, v., 10, 18, acheter akeixon / akeyson, s. f., 6, 31 ; 20, 54, raison, motif ; voir acayson, keyson, oceyson et okeyson alle, s. f., 13, 34, aile aloger / alojer, v., 4, 63-64 ; 10, 129, loger aluminer, v., 9, 167, alumer amaistrer, v., 10, 16, enseigner amolus, adj., 9, 19 ; 13, 60, trenchant amonester, v., 5, 31, encourager andos, andeus, adj., 5, 5 ; 14, 20, les deux *anhuyser, v., 10, 147, mettre dans des coffres, ranger, replier aorer, v., 8, 37, adorer ; voir orer apareilament, s. m., 9, 12, équipement apariler / apariller (soi) / aparoiller, v., 3, 9 ; 3, 86 ; 7, 91 ; 7, 98 ; 7, 191 ; 8, 10 ; 9, 7 ; 9, 10 ; 10, 3 ; 10, 18 ; 10, 114 ; 10, 124 ; 11, 3 ; 12, 1 ; 12, 40 ; 14, 1-2 ; 18, 12 ; 20, 116-117, se préparer, équiper apertement, adv., 12, 30, distinctement, clairement apresser, v., 5, 73, oppresser, accabler aprissier, v., 7, 122, donner de la valeur aprosmer, v., 7, 5 ; 9, 141, approcher ardoir, v., 1b, 19 ; 7, 90 ; 9, 28 ; 9, 186 ; 10, 168 ; 16, 12 ; 18, 6, brûler aresnier, v., 10, 19, interpeller aseer, v., 9, 76, frapper par la soif atorner, v., 5, 7, traiter ; 8, 29, habiller ; 9, 171, disposer auberg, s. m.,7, 150 ; 9, 40 ; 9, 110-111, haubert aut, adj., 7, 185 ; 8, 20 ; 8, 52…, haut, noble ; d’aut, 6, 49, de haut ; en aut, 8, 13, en haut avaler, v., 15, rubrique, descendre *aveirer, v., 3, 13, réaliser, comprendre aventura, s. f., 12, 42, destin aventure, s. f., 4, 40 ; 4, 82 ; 9, 167 ; 17, 41-42, événement soudain ; 7, 130 ; 10, 19, destin ; 10, 170, mauvaisse aventure, malheur ; 2, 6 ; 5, 52 ; 9, 148 ; 20, 49, male aventure, malheur ; voir malaventure et mesaventure avoltire, s. m., 2, 6, adultère ; voir avoutres avoutres, s. m., 13, 50, adultère ; voir avoltire ayde, s. f., 3, 13 ; 4, 71 ; 18, 54 ; 19, 23, aide ; voir aïe, aÿe et aide aÿe, s. f., 2, 19 ; 4, 11 ; 4, 25 ; 4, 37 ; 5, 9…, aide ; voir aïe, aide et ayde aÿs, s. m. ou s. f. ?, 6, 51, aides ou aigles ? axie, s. m., 9, 154, aise

remaniement franco-italien : glossaire

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*bakallez, s. m., 5, 139, jeunes hommes balie / bailie, s. f., 8, 56 ; 14, 45 ; 18, 12, pouvoir baron, s. m., 5, 10 ; 5, 20 ; 5, 124 ; 7, 187-188 ; 7, 202 ; 8, 20, grand seigneur ; 2, 8-9, époux bertesces, s. f., 9, 9, fortifications mobiles besogne / besoigne, s. f., 2, 14 ; 14, 25 ; 20, 30, besoin, nécessité ; 20, 56, mission besoing, s. m., 18, 19, moment crucial ; 6, 65 ; 12, 34, besoin, nécessité bienoürés, adj., 13, 18, heureux, qui a une bonne destinée boles, s. f., 10, 42 ; 10, 67 ; 10, 173, bornes bouf /bos, s. m., 5, 99 ; 9, 102, bœuf bosmés, adj., 13, 75, accablé boubans, s. m., 7, 47, arrogance brace, s. f., 15, 9, unité de mesure équivalant à la longueur des bras étendus brokier / broukier, v., 7, 152 ; 9, 36, éperonner *brufels, s. m., 5, 99, buffles bruir, v., 10, 101, faire du bruit, grogner *brusce, s. f., 10, 91, bûche bucier, v., 10, 161, frapper bufer, v., 9, 139, souffler buter, v., 6, 49, jeter ; 18, 5-6, mettre caene, s. f., 15, 8, chaîne ; voir kaene *cais, adv., 4, 6 ; 20, 3 ; 20, 67 ; 20, 111 ; 20, 119-120, presque, environ, à peu près *caler, v., 15, 13, descendre *cantonee, s. f., 14, 81, angle, coin capitoille, s. m., 9, 52, chapiteau, partie supérieure *case / casse, s. f., 13, 39 ; 15, 13, construction, cage, vaisseau ; voir kase castez, adj., 11, 47, chaste ; voir kastez *cebelet, adj., 9, 190, à longs poils celeement, adv., 20, 114, en cachette celer, v., 9, 124 ; 10, 70-71 ; 13, 23 ; 14, 45, cacher ceoir, v., 6, 24 ; 11, 64, tomber ; voir cheoir, keoir cestor, démonstratif, 10, 81, celui-ci *çeuc, s. m., 5, 139, jeu cheoir, v., 7, 205, tomber ; voir ceoir, keoir chief, s. f., 5, 64, capitale ; voir kief clergie, s. f., 1b, 22, savoir cliner, v., 13, 24 ; 15, 35, incliner cloure, v., 9, 227, clore, enfermer coe, s. f., 9, 176 ; 13, 33, queue coiemens / coyemens, adv., 6, 12 ; 10, 113 ; 20, 37, en cachette colons, s. m., 9, 199, pigeons comandisa, s. f., 20, 11, pouvoir confondre, v., 5, 96 ; 5, 115 ; 8, 67 ; 18, 20, détruire

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conquist, s. m., 20, 74, conquête conquister, v., 3, 15 ; 15, 44 ; 15, 54, conquérir conroy, s. m., 7, 163, corps de troupe conseier, v., 11, 32, conseiller  consivre, v., 9, 89, atteindre conter, v., 4, 47, compter ; 1b, 1 ; 4, 50 ; 6, rubrique ; 6, 29-30 ; 6, 35…, relater continemens, s. m., 7, 186, comportement contrailer, v., 10, 169, résister à cor, s. m., 7, 160 ; 10, 107 ; 13, 56, cornes coraços, adj., 18, 23, courageux corler, v., 15, 19, secouer coroger / corojer, v., 10, 131 ; 10, 136, cuire corseors, s. m., 5, 68, corsaires coutre, s. m. , 12, 49, matelas couvant / couvin, s. m., 5, 78 ; 5, 82, accord couvenance, s. f., 9, 31 ; 18, 45, accord covoitisse, s. f., 11, 46, désir covoitisse, adj., 2, 7, désireuse cremer, v., 5, 47 ; 10, 78 ; 15, 59 ; 17, 31, craindre cremu, part. pas. du verbe criembre, 8, 26, craint crieme / crime, s. f., 7, 120 ; 10, 168, crainte cure, s. f., 20, 97, soin da, prép., 7, 120 ; 9, 56 ; 17, 34…, de das, 13, 69, équivalent du français des (interférence entre l’italien da et le français des) daurer, v, 10, 57, dorer debonaire, adj., 10, 36, généreux defaite, s. f., 11, 10, manque deceü, part. pas. du verbe decevoir, 12, 13, trompé ; voir deseü decevance, s. f., 11, 18, tromperie defendue, s. f., 9, 150, défense defices, s. m., 9, 92, édifices deguerpir, v., 18, 47 ; 20, 27, abandonner delitable, adj., 10, 150 ; 11, 34, agréable demandaxon, s. m. et f., 6, 45 ; 12, 2, demande deminer, v., 7, 10, dominer departir, v., soi departir, 9, 26 ; 11, 26 ; 17, rubrique ; 17, 25, se séparer ; 10, 38, partager ; 11, 21, séparer ; s’entre departir, 20, 74, se partager deraim /derain, adj., 2, 4 ; 5, 54 ; 7, 211 ; 10, 41 ; 10, 44, dernier desaités, adj., 13, 69, triste desbarater, v., 7, 109, mettre en déroute desconfire, v., 3, 3 ; 4, 41 ; 5, 96 ; 7, 201 ; 8, 79 ; 9, 221 ; 10, 109 ; 13, 76, vaincre desconfort, s. m., 13, 72, accablement, désespoir

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desconfortés, adj., 13, 84, accablé desconsolez, adj., 20, 31, détruit desduit, s. m., 15, 42, plaisir deseü, part. pas. du verbe decevoir, 1a, 7, trompé ; voir deceü destorber, s. m., 9, 159, difficulté, attaque destreis / destrois, s. m., 4, 60 ; 5, 32 ; 5, 41 ; 7, 85, défilés desevrance, s. f., 20, 75, querelle, rupture desliouté, s. f., 2, 5, déloyauté desvoier, v., 9, 69, égarer devaler, v., 15, 36, descendre deviner, v., 15, 56, prophétiser deviser / devixer, v., 20, 19, organiser ; 5, 82 ; 7, 72 ; 7, 102 ; 8, 2 ; 9, 35 ; 11, 27 ; 13, 88 ; 20, 51, fixer ; 7, 158, réfléchir devisse, s. f., 9, 30, accord *dexier, v., 3, 13, désir dexirer, v., 9, 152, désirer *diac, s. m., 10, 81, nom du monstre à deux têtes ? doter / douter, v., 7, 85 ; 7, 97 ; 9, 216 ; 10, 97 ; 12, 32 ; 14, 89 ; 18, 41, craindre dotance / doutance, s. f., 7, 190 ; 10, 95 ; 14, 47, crainte ; 10, 10 ; 12, 5, sans nule doutance, certainement doute, s. m, 5, 13, crainte doumiser, v., 20, 60, dominer droiturel, adj., 4, 7-8 ; 7, 35 ; 20, 36, légitime duc, s. m., 4, 45 ; 17, 42 ; 18, 64, chef militaire egrever, v., 4, 34, infliger des dommages empotamien, s. m., 10, 80, hippopotame enbraser, v., 10, 166 ; 14, 84, embraser ; voir enbruysser enbruysser, v., 10, 140, embraser ; voir enbraser ençigners, s. m., 9, 219, ingénieurs, artisans endiviner, v., 12, 15, prédire enforcie, adj., 5, 58, plus forte, plus puissante enfra, adv., 7, 122, à l’intérieur de, dans engiens, s. m., 5, 88, ruse, habileté ; voir ingin engignés, part. pas. du verbe engigner, 3, 23, trompé engrés, adj., 9, 191 ; 13, 77, agressif enkarger, v., 16, 4, charger *ensir / ensyr, v., 6, 32 ; 9, 219, sortir entalenté, adj. 20, 56, désireux entor (d’), loc. adv., 9, 53, tout autour enui, s. m., 10, 151, dommage esagier, v., 9, 95, essayer

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escanper, v., 4, 41 ; 4, 53 ; 4, 90 ; 5, 14 ; 7, 94 ; 7, 205 ; 8, 68 ; 9, 131, échapper ; voir scanper esciele, s. f., 14, 77, échelle esciele / escille /eschiele, s. f., 7, 67-68 ; 7, 163, corps de troupes *esconser, v., 4, 88, faire disparaître, éviter escondre (soi), v., 14, 78, se cacher esconfire, v., 4, 52 ; 4, 90 ; 7, 78 ; 7, 110 ; 10, 34, vaincre *escribé, part. pas. d’un verbe escriber, 8, 77, écrit esfors / esforz, s. m., 7, 29 ; 7, 32, violence, troupes esir, v., 6, 25 ; 10, 24, sortir ; voir isir esmaier (soi), v., 5, 11-12, s’effrayer esmovoir, v., 7, 52 ; 7, 163 ; 8, 53, (se) mettre en mouvement ; 20, 28, susciter esparagner / esparaner, v., 9, 17-18 ; 9, 37, épargner espleu, s. m., 9, 10 ; 9, 19 ; 9, 38 ; 9, 40…, épieu estor, s. m., 2, 20 ; 7, 145 ; 9, 160 ; 9, 190…, combat estref, s. m., 7, 151, étrier eysir, v., 7, 3, sortir farnons, s. m., 13, 40, griffons fare, v., faire : 5, 12 ; 10, 41, faroit, futur II ; 7, 123, fasoit, imparfait fat, part. pas. du verbe fare (pour faire), 4, 37 ; 9, 16 ; 18, 56, fait fer, v., 4, 86 ; 7, 39 ; 10, 156 ; 16, 5, faire ; voir fare flanbe, s. f., 7, 3 flamme fondre, v., 5, 19, abattre *fose, s. f., 15, 10, embouchure (d’un fleuve) fossés, s. m., 6, 49, fossé franc, adj., 5, 58 ; 17, 30, libre francisse / frankise / frankisse, s. f., 5, 118 ; 5, 122 ; 8, 88 ; 10, 37, liberté *fuge, s. f., 5, 105 ; 7, 78 ; 7, 111 ; 10, 97, fuite fust, s. m., 9, 7 ; 13, 41 ; 15, 23, bois gages, s. f., 15, 40, cages gaites, s. m., 5, 42, guetteurs galies, s. f., 5, 69, galères, petits navires de guerre longs et étroits garder, v. , 8, 66 ; 13, 9 ; 16, 4, protéger ; 7, 112 ; 14, 18, conserver ; 13, 19, se garder de garder, v., 12, 10, regarder garentir, v., 10, 82 ; 18, 41, (se) protéger garentisse, s. f., 7, 52, défense garnir, v., 4, 40 ; 4, 44 ; 5, 1 ; 5, 30 ; 5, 41…, fortifier, placer des dispositifs de défense gaster, v., 7, 45, dévaster gesir / gisir, v., 6, 22 ; 7, 216 ; 12, 45, être couché ; 5, 118, être ; voir jesir *ginge, s. f., 9, 56, vigne *glof, s. m., 6, 26, coquille (de l’œuf )

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grevances, s. f., 5, 47, destructions grever, v., 2, 17 ; 2, 20 ; 20, 31-32, infliger des dommages ; voir egrever grevosse, adj., 7, 26 ; 7, 107 ; 10, 127 ; 11, 10, dangereuse, difficile guaang, s. m., 10, 9, nourriture guerdon /gueerdon, s. m., 9, 86 ; 14, 46, récompense, contre-don guerpir, v., 7, 125 ; 18, 43, abandonner hernois, s. m., 9, 105 ; 11, 4 ; 15, 8, équipement, bagages hobedence, s. f., 8, 57, obéissance hoster, v., 4, 33, enlever image, s. f., 4, 17, statue ; voir ymage in, prép., 1b, 3 ; 4, 58 ; 4, 73 ; 4, 87 ; 5, 4 ; 5, 30 ; 5, 34 ; 5, 52 ; 5, 62…, en incontre (a l’), loc. adv., 7, 84 ; 17, 35 ; 18, 44, à l’encontre infens, s. m., 7, 7, enfant ingin, s. m., 7, 66, ruse, habileté ; voir engiens inoier, v., 12, 21, contrarier, affliger inorter, v., 19, 4, exhorter insi / insint, adv., 4, 48 ; 5, 7 ; 5, 48, ainsi insus, adv., 5, 90, en arrière intalenté, adj., 5, 114, désireux ; voir entalenté isir, v., 10, 101 ; 11, 61, sortir isnelmens / isnelement, adv., 7, 62 ; 9, 161 ; 10, 148, rapidement jesir, v., 6, 20, avoir des relations sexuelles ; voir gesir / gisir jons, part. pas. du verbe joindre, 3, 16, associés juif, s. m., 9, 225, juifs ; voir zieus kaene, s. f., 7, 4 ; 15, 24 ; 15, 27, chaîne kar, s. f., 13, 52, viande ; 9, 38, chair kar, s. m., 9, 8, char *kase, s. f., 15, construction, vaisseau ; voir case kastez, adj., 11, 49, chaste ; voir castez kater, v., 10, 9, acheter kaukatris, s. m., 10, 88-89, crocodile kave, s. f., 9, 78, creux keoir, v., 6, 49 ; 9, 39 ; 10, 158 ; 11, 66 ; 15, 38 ; 18, 34, tomber ; voir ceoir, cheoir keyson, s. f., 18, 53, cause ; voir acayson, akeixon, oceyson et okeyson kief, s. f., 12, 28 ; 19, 3 ; 20, 85, extrémité (venir a kief, metre a kief : venir à bout, achever) ; 4, 65 ; 20, 69, chef, guide ; 5, 61 ; 7, 38 ; 11, 24, capitale ; 10, 81 ; 13, 58, tête ; voir chief kier, adj.,14, 19 ; 16, 2 ; 18, 29, cher lai, adv., 14, rubrique, là-bas

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largesse, s. f., 11, 163, largeur *liçer, adj., 5, 139, léger, souple, agile lié, adj., 9, 205 ; 11, 13 ; 15, 41, heureux ligerement / ligeremens / ligierement, adv., 5, 66 ; 13, 9 ; 18, 21 ; 20, 81, facilement *liste, s. f., 9, 53, baguette, bande, décor de frises peintes ou sculptées livres, adj., 8, 45, libres loc, s. m., 6, 26 ; 9, 208, lieu loer, v.,  10, 71 ; 13, 74, conseillier ; 9, 87 ; 10, 55, faire l’éloge de loges, s. f., 4, 23 ; 7, 115 ; 10, 8…, tentes loier, s. m., 5, 135, récompense longesse, s. f., 9, 91 ; 10, 116 ; 11, 42 ; 11, 64, longueur longier, s. m., 9, 223, écart, distance los, s. m., 8, 3, gloire lumés, part. pas., 10, 140, alumé malatie, s. f., 12, 48, maladie malaventures, s. f., 2, 10, malheur ; voir mesaventure et aventure malle voliance, s. f., 12, 33, malveillance mander, v., 5, 90 ; 15, 56 ; 18, 44 ; 18, 61, faire savoir ; 7, 49 ; 19, 5, commander ; 5, 38 ; 17, 35 ; 19, 7 ; 20, 47 envoyer des messages ; 4, 61 ; 5, 127 ; 7, 51 ; 10, 104 ; 15, 48, faire venir, envoyer mandise, s. f., 8, 64, pouvoir markier, v., 20, 48, être limitrophe maubaliés, part. pas., 9, 106, maltraitées maufet, s. m., 9, 138, diable mesaisse / mexaisse, s. m., 4, 4 ; 5, 46 ; 9, 85 ; 9, 99 ; 9, 142 ; 9, 153 ; 13, 82, malheur mesaventure, s. f., 13, 51, malheur ; voir malaventure et aventure mesceance, s. f., 20, 66-67, malheur mester, s. m., 9, 66, besoin molés, adj., 7, 184, mouillé molu, adj., 10, 79, aiguisé more, s. m., 13, 46, habitant de l’Afrique, « sarrazin » nager, v., 9, 143, naviguer *naquiseles, s. f., 9, 144, petits bateaux naris, s. m., 7, 3, narine navrer, v., 4, 3 ; 4, 28 ; 5, 102 ; 7, 216 ; 9, 26 ; 9, 28 ; 9, 41 ; 18, 21, blesser nef, s. f., 10, 158 ; 10, 163-164, neige nef, s. f., 5, 69 ; 10, 62 ; 20, 44, navire nigromance / nigromancie, s. f., 1a, 4 ; 1a, 6 ; 6, 8, magie noer, v., 9, 125, nager nogier, v., 10, 157, neiger *nois, s. m., 7, 27, arme ?

remaniement franco-italien : glossaire

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noger, v., 9, 132, noyer none, s. f., 9, 115 ; 9, 150 ; 13, 42, neuvième heure, soit environ 3 heures de l’après-midi norimens, s. m., 9, 163, familles, foules nuiblos, adj.,10, 68, obscur oceison / oceyson, s. f., 5, 14 ; 20, 97, occasion, moment ; voir acayson, akeixon, keyson et okeyson ocison / ocission / ocixon, s. f., 4, 74 ; 7, 79 ; 7, 200 ; 9, 17 ; 19, 26, massacre oills, s. m., 4, 3, œil oilous, adj., 11, 56, huileux oissir, v., 5, 89, sortir ; voir issir okeyson, s. f., 17, 29 ; 20, 32, cause, motif ; 20, 14, occasion, opportunité ; voir acayson, keyson et oceyson olipars, s. m., 14, 61, léopards omenage / omenaje, s. m., 8, 64 ; 10, 46, hommage onces, s. f., 9, 191, lynx oreixon / orison / orixon / oreyson, s. f., 9, 225 ; 10, 188 ; 10, 190 ; 11, 1 ; 12, 3 ; 13, 4, oraison, prière orer, v., 8, 39-42, adorer ors, prép., 9, 141, hors ors, s. m., 9, 190, ours ostors, s. m., 9, 202, autours ouf, s. m., 6, 24-25 ; 6, 27 ; 6, 61 ; 6, 63 ; 15, 25, œuf ouson, s. f., 6, 60-61, petite oie out, pr. relatif, 15, 26 ; 20, 44, où outrage, s. m., 4, 10, excès, orgueil ouxelz, s. m., 13, 15, oiseaux oysel / oyxel, s. m., 6, 21 ; 6, 28 ; 6, 30 ; 9, 164 ; 9, 202 ; 11, 65 ; 13, 32-37 ; 19, 17, oiseau palus, s. m.,10, 75, marécage pans, s. m., 9, 110, parties tombantes panteres, s. f., 14, 61, panthères partir, v., 5, 24 ; 20, 23, partager ; (soi) partir, 3, 6 ; 4, 5 ; 4, 86 ; 5, 70 ; 6, 7 ; 7, 6 ; 7, 86 ; 7, 211 ; 8, rubrique…, s’en aller ; 7, 156, séparer paterons, s. m., 11, 38, panthères pecier, v., 9, 223, mettre en pièces, détruire pelos, adj., 10, 117, velu perde, s. f., 20, 43, perte perge, s. f., 10, 111, perche pertuis, s. m., 15, 56, trou petitmens, adv., 20, 6-7, un peu ; voir poumens pensser, v., 14, 57, arranger plagne, s. f., 10, 115, plaine

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planté, s. f., 4, 24 ; 7, 161 ; 7, 221 ; 9, 65 ; 9, 190 ; 10, 28 ; 20, 29, grande quantité planure, s. f., 10, 128 ; 10, 134 ; 10, 150 ; 11, 35 ; 15, 21 ; 15, 35, plaine, étendue plate poindre, v., 7, 146 ; 7, 148 ; 9, 185, éperonner, piquer pont, s. m., 7, 189, point du jour pons, s. m., 9, 110, garde de l’épée porcel, s. m., 15, 26, porcelet porcelés, s. m., 15, 24, porcelets poumens, adv., 18, 16, durant peu de temps ; voir petitmens privees, adj., 14, 62, apprivoisées proie, s. f., 4, 25 ; 5, 106 ; 17, 37 ; 18, 60 ; 20, 23, butin prononcier, v., 13, 72, proférer propremens, adv., 17, 32, exactement quant que, pr. relatif, 9, 194 ; 9, 231 ; 15, 19 ; 15, 44 ; 20, 63, tout ce que quere / querre, v., 7, rubrique ; 7, 132 ; 8, 7 ; 11, 45 ; 18, 18 ; 20, 37 ; 20, 65, rechercher rai, / ray s. m., 11, 58 ; 11, 63 ; 12, 7 ; 15, 5, rayon raim / rain, s. m., 7, 160 ; 11, 55 ; 13, 5, branche raines, s. f., 20, 26, grenouilles rajenover, v., 12, 46, rajeunir rasnables, adj., 9, 99, raisonnables recoilir, v., 4, 25 ; 7, 80, rassembler, retrouver *regarie, part. pas. du verbe regarir, 19, 1, éloignée regir, v.,10, 96, rugir ; voir rugir rekater, v., 5, 67, racheter relever soi, v., 5, 57 ; 7, 154 ; 17, 33 ; 18, 10, se soulever remander, v., 2, 14, faire revenir remanir, v., 4, 50 ; 4, 72 ; 4, 75 ; 4, 89 ; 7, 75-76 ; 7, 136 ; 8, 64 ; 9, 85 ; 13, 34 ; 13, 64 ; 17, 27 ; 20, 3 ; 20, 73 ; 20, 121, rester rencorser, v., 12, 47, grossir repairier, v., 9, 141 ; 13, 18 ; 19, rubrique, revenir repondre, v., 9, 120 ; 10, 121 ; 11, 50-51, cacher, se cacher repost / respost, part. pas. de repondre, 10, 71 ; 12, 12, caché resaicier, v., 9, 124, satisfaire, étancher la soif resancer / resencier, v., 9, 93 ; 9, 108, satisfaire resister, v., 10, 120-121, aller en sens contraire restancier / restanchier, v., 10, 151 ; 10, 175, diminuer, mettre fin à, disparaître restendre, v., 9, 111, diminuer restranger, v., 9, 153, apaiser, étancher la soif reveler, v., 2, 12 ; 5, 110 ; 7, 14 ; 7, 18 ; 20, 61, se rebeller, se révolter robeors de mer, s. m., 5, 68, pirates rognir, s. m., 10, 98, grognement rognir, v., 10, 100, grogner

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rouber, v., 5, 71, piller rugir, v., 10, 105, rugir *ruissel, s. m., 10, 76, roseau ruysels, s. m., 11, 55, ruisseau *sagite, s. f., 9, 21, flèche ; voir saiete saiete, s. f., 4, 3 ; 9, 122 ; 10, 108 ; 10, 125 ; 14, rubrique ; 14, 87 ; 17, 43 , flèche ; voir sagite sailir, v., 14, 77, sauter sane, adj., 12, 47, saine sans, adj., 5, 109 ; 11, 45 ; 13, 20, saint scanper, v., 13, 89 ; 18, 36 ; 20, 22, fuir du champ de bataille, s’échapper ; voir escanper scrit, part. pas., 8, 17, écrit segnerer, v., 17, 28 ; 20, 10, dominer ; voir signerer seguir, v., 4, 82, suivre senblance, s. f., 6, 16 ; 6, 18-19 ; 6, 29 ; 8, 28 ; 8, 31 ; 8, 36 ; 9, 33 ; 9, 196 ; 13, 33 ; 14, 13 ; 14, 16 ; 14, 42, apparence senblant, s. m., 10, 35, faire nul senblant, ne rien laisser paraître sepelir, v., 6, 55 ; 7, 13, ensevelir setre, s. m., 7, 28, sceptre signerer, v., 5, 50, dominer ; voir segnerer smeraude, s. f., 13, 31, émeraude smovoir, v., 7, 160, agiter ; voir esmovoir soif, s. f., 9, 153, soif ; voir soy soloir, v., 4, 8 ; 4, 32 ; 5, 57-58 ; 5, 119 ; 7, 50 ; 13, 68 ; 15, 40, avoir l’habitude sorargentés, adj., 18, 50, couvertes d’argent sorz, s. f., 9, 193, souris sotaine, adj., 17, 18, peu fréquentée, méconnue souvrains, adj., 13, 5, élevé sovrane, adj., 12, 8, élevée soy, s. f., 9, 77, soif ; voir soif spaventable, adj., 10, 60-61, épouvantable spee, s. f., 5, 102 ; 5, 143-144 ; 7, 149, épée specier, v., 9, 38, mettre en pièces sperance, s. f., 4, 19, espérance spesement, adv., 11, 53, de manière dense, étroitement spice, s. f., 11, 37, épice strange, adj., 7, 20-21 ; 7, 65 ; 13, 26, étranger stroitement, adv., 13, 23, étroitement, strictement, sérieusement subecion / subicion, s. f., 3, 15  ; 5, 10  ; 6, 11  ; 7, 15  ; 7, 127  ; 18, 7, soumission, domination taileor, s. m., 14, 13, sculpteur

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taylans, adj., 10, 79, trenchant temence, s. f., 8, 46, crainte *tende, s. f., 7, 173, tente tokier, v., 9, 38 ; 12, 3, toucher tolir/ toulir, v., 1a, 3 ; 3, 24 ; 4, 24 ; 5, 13 ; 5, 29 ; 7, 150 ; 8, 54 ; 10, 25 ; 14, 21 ; 15, 58…, enlever tour, s. m., 13, 59, taureau toysons, s. f., 10, 157, toisons toyson, s. m., 10, 140 ; 10, 166, tison traïde, part. pas. du verbe traïr, 19, 2, trahie traire, v., 9, 122 ; 10, 108 ; 17, 43 ; 20, 12, tirer, retirer ; 5, 17 ; 5, 105 ; 20, 4 ; 20, 12, sortir, faire sortir ; se traire ensenble, 20, 75, se rapprocher ; 7, 167, se traire arieres, reculer ; 12, 13 ; 12, 25, se traire avant, s’avancer ; 4, 66 ; 4, 70 ; 4, 132 ; 7, 141 ; 7, 200, se diriger vers ; 5, 90, traire insus, reculer trametre, v., 10, 124 ; 18, 43, envoyer ; soi trametre, 20, 98, agir, s’employer à travail, s. m., 8, 73 ; 10, 6 ; 10, 148, souffrance travaile / travaille, s. f., 9, 149 ; 9, 171 ; 9, 205, souffrance travailer / travailler, v., 10, 5 ; 10, 139 ; 10, 154 ; imposer des souffrances *trige, s. f., 10, 96 ; 10, 98 ; 10, 104, truie vasel / vaxel, s. m., 15, 23 ; 15, 23, vaisseau sous-marin ; voir veysel veincre / vencre, v., 7, 126 ; 9, 30-31 ; 13, 84 ; 13, 88 ; 18, 22 ; 18, 24, vaincre ; voir vincre veysel, v., 15, 41, vaisseau sous-marin ; voir vasel / vaxel viande, s. f., 9, 66 ; 9, 103 ; 10, 18 ; 10, 131 ; 10, 136 ; 13, 17, nourriture vif, adj., 4, 91 ; 7, 205 ; 9, 133 ; 12, 14, vivant vincre, v., 11, 21, vaincre ; voir veincre vistir, v., 11, 37, vêtir voir, s. m., 15, 7, verre ymage, s. f., 10, 52 ; 10, 55 ; 10, 69 ; 14, 13 ; 14, 16, statue ; voir image ysir, v., 5, 62 ; 6, 26 ; 7, 181 ; 9, 130 ; 9, 198 ; 9, 214 ; 9, 226 ; 10, 77 ; 11, 55 ; 15, 40 ; 19, 5, sortir zieus, s. m., 8, 47, juifs ; voir juif

LE PREMIER VOLUME D’OROSE Histoire de la Macédoine et d’Alexandre

Imprimé de 1491, Antoine Vérard Paris, BnF, RES-G-682 (1), feuillets 185-228 Texte

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1a. [fol. 190 v] Et ce pour present nous suffist quant a l’intention de nostre docteur, par quoy plus ne parlerons en ce lieu des roys de Perse en particulier et determineement mais confusement en laissant l’ystoire de Assuerus et nommant tant seulement qui furent les roys qui regnerent aprés luy jusques a ce que Alexandre le grant en conquist la seigneurie. Premier aprés le decés de Assuerus regna Atraxersés l’espace de .xxvi. ans, auquel temps il conquist plusieurs terres et contrees et puis fu occis par ung enchanteur macedonien nommé Neptanabus. Aprés Atraxersés regna son filz Arphanus quatre ans, lequel eut ung filz nommé Dare, lequel tint le royaume et sur luy le conquist Alexandre macedonien dont nous parlerons cy aprés et fut translatee la seigneurie de Perse a ceux de Macedoine, mais affin que mieux congnoissons la lignee de cestuy Alexandre qui fut roy de Macedoine et par la force et puissance submist douze royaumes a sa subjection, nous nommerons selon l’oppinion d’aucuns docteurs hystoriographes, lesquelz roys premier regnerent en Macedoine affin de congnoistre dont il descendit. Premier regna ung roy nommé Cananus l’espace de .xxviii. ans et fut au temps que Procas Silvius regnoit en la cité de Laurence et Arbatés en la terre de Mede, qui occis avoit Sardinapalus, comme nous avons devant dit. Aprés Cananus regna Turnius l’espace de .xviii. ans. Au temps de cestui fonda premierement la cité de Rome Romulus qui en fut le premier roy ainsy que nous avons dit. Aprés cestuy regna ung autre roy nommé Perdicas ou Perdical cinquante et ung an, lequel eut ung filz nommé Argius, auquel demeura la couronne aprés la mort de son dit pere et regna .xxxviii. ans. Et aprés cestuy Argius regna Philipe, dont Alexandre fut dit filz putatif, lequel commença a regner aprés la fondacion de Rome troys cens ans droitement.

1b. Des faitz du roy Philipe de Macedoine.

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Selon que disent les hystoriens, le roy Philipe de Macedoine fut filz d’une cruelle royne nommee Erudices, laquelle estoit tant perverse [fol. 191 r] que par sa crudelité et malice elle fist occire plusieurs de ses enfans et ne luy en demeura que ung, c’est a ssavoir Philippe, lequel ung sien frere aisné avoit mys en la cité d’Athenes avec ung sage philosophe pour estre instruit en science. Et aprés ce que Erudices sa mere, laquelle avoit fait mourir ses enfans par pouesons, fut morte, les Macedoniens allerent querir cestuy Philipe pour venir estre leur roy, mais les princes et seigneurs voisins du royaume en furent si mal contens que a son advenement ilz se leverent en armes contre luy et n’eust esté la science qui estoit en luy avecques la vaillantise, jamais n’eussent souffert Histoire de la Macédoine et d’Alexandre Turnhout, 2012, (Alexander Redivivus, AR. 4) pp. 355-457 © FHG DOI 10.184/M.AR-EB.1.xxxxxxxxxxx

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qu’il fust entré en possession de son royaume. Et specialement celle guerre lui menoient les Atheniens avecques lesquelz il avoit demeuré, mais toutesfois en la fin les vainquit il et submist a sa seigneurie et luy firent serment qu’ilz luy aideroient tant qu’ilz pourroient en tous ses besoings et affaires qu’il auroit. Aprés ce luy creut le couraige et s’en alla avecques tous ses grans hosts en la terre d’Assirie la ou il eut de grandes et diverses batailles, toutesfois en la fin eut il victoire et submist les Assiriens a luy rendre tribut et faire service en tout ce que bon luy sembleroit, et puis ce fait, il s’en alla assieger une moult riche cité, laquelle estoit nommee la cite de Larose, devant laquelle il fut longuement ains que l’avoir, mais en la fin la conquist il a force et les fist submettre a sa voulenté. Quant ce fut fait et qu’il congneut que par les conquestes qu’il avoit faites sa puissance estoit grandement creue, il ouÿt dire que les Thessaloniens estoient gens le plus chevalleureux et vaillans aux armes qu’on sçauroit trouver, pourtant eut le roy Philippe voulenté de leur mener guerre et les conquerir s’il povoit, non pas par envye d’avoir leur richesse et seigneurie, mais affin qu’ilz fussent subgetz a luy et qu’ilz luy donnassent secours se besoing en avoit, car vaillans gens estoient et puissans, et n’eust esté que le roy Philipe les surprint en desarroy tellement qu’ilz n’eurent pas loisir de se pourchasser de aide, a grant peine les eust il eus sans grant occision de gens, mais touteffois en fut il maistre en la fin combien qu’ilz se deffendirent vaillamment ains que se rendre. [gravure : scène de combat] Ainsy fut le roy Philipe seigneur de Macedoine, de Athenes, de Assirie et de Thessalonie, et fut le plus puissant prince qui pour lors regnast sur la terre.

2. Comme le roy Philippe1 se maria a la seur du roy de Molose.

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Quant le roy Philipe eut ainsy conquis et mis en sa subgetion tant de terres comme dit est et fut creu en seigneurie et puissance tant que en toutes pars il estoit craint et doubté, on luy dist que le roy de Molose avoit une seur nommee Olimpias, tant belle, tant honneste et gracieuse que plus belle n’eust on pu trouver en toute la terre. Et pour les belles preminences qui en elle estoient fut amoureux le roy Philipe de elle et envoya une embassade vers son frere, le roy de Molose, luy priant qu’il luy donnast sa seur en mariage et de ce faire fut le roy de Molose moult joyeux, esperant avoir aliance avecques le roy Philipe de [fol. 191 v] Macedoine qui tant avoit de puissance, mais quelle affinité qu’il y 1.

Philppe

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eust, il en fut frustré de son intention. Car aprés peu de temps que Philipe eut espousé sa seur Olimpias, noise sourdit entre eux telle que Philipe mena son ost en Molese et en expulsa son beau frere, lequel il envoya en exil et luy tollut son royaume. Aprés ce s’en alla le roy Philippe assieger une autre forte cité de Grece, nommee la cité de Montana, devant laquelle il fut longtemps et y fut fort dommagé tant en son corps que en ses gens. Car luy mesmes y eut ung œil crevé, mais non pourtant il ne laissa point son entreprise, car oncques son siege ne voulut lever jusques a ce qu’il eust prinse et destruiste celle cité, et ainsy de jour en jour croissoit sa puissance, et finablement ledit Philipe conquist presque toutes les cités de Grece, car une maniere avoit en luy que quant il y avoit aucune cité qui menoit guerre a l’autre, il enqueroit celle qui estoit la plus puissante, et puis envoioyt secours a la plus foible. Par ainsi avoient ilz plus grande resistence les ungs contre les autres tellement qu’ilz ne se osoient entre assaillir. Car en celluy temps devant que le roy Philippe venist a terre tenir, les Grecs ne vouloient avoir aucun seigneur fors eux qui2 par chascune cité ilz eslisoient a leur voulenté, par ce avoient aucunesfois les cités guerre ensemble, mais par l’ordonnance que Philippe y mist, force leur fut d’avoir paix. Car il subjuga presque toute la terre par une guerre que les Thebaiens menerent a ceux de la cité de Fosses et aux Lacedemoniens, par laquelle les Thebaiens qui estoient grans gens et chevalereux convainquirent leurs ennemys de Fosses et de Lacedemonie et les firent submettre a leur voulenté, mais par ung excessif tribut qu’ilz leur vouloient faire paier plus que leur puissance. Ceux de Fosses et de Lacedemonie se rassemblerent par le conseil d’ung duc qu’ilz avoient nommé Philomenus, lequel fist tant par priaires, dons et promesses aux Atheniens qu’ilz furent de leur aliance et allerent assaillir les Thebaiens desquelz destruisirent moult et aussi perdirent ilz moult de leur gens, et principalement leur duc Philomenus y fut occis, qui leur fut grant perte nonobstant que le cueur et le couraige pour ce ne leur affoiblist comme de rien, car incontinent ung autre roy nommé Belomanus fut mis en son lieu, lequel conduisit si bien leur armee que les Thebaiens et les Thessaloniens qui estoient ensemble furent presque vaincus quant ilz se adviserent de se rendre au roy Philipe affin qu’il leur donnast aide et secours, et de ce furent les Atheniens bien tost advertis et leur dist on que les Thebaiens et Thessaloniens se estoient rendus au roy Philippe, lequel avecques toute sa grande chevalerie devoit leur donner secours. Adonc furent les Atheniens tout esbahis, car trop doubtoient la puissance du roy Philipe, pourtant3 prindrent ilz congié de ceux 2. 3.

Confusion entre qui et que. « pour cette raison ».

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de Fosses et s’en allerent garnir leur cité et les montaignes de Grece et empescher les destroitz affin que Philipe n’y entrast et conquist la grande terre de Grece. Ainsy furent ceux de Fosses affoiblies et vint le roy Philipe contre eux a l’aide des Thebaiens et Thessaloniens en si grande puissance que ceux de Fosses et de Lacedemonie y furent presque tous occis. [gravure : scène de combat]

3. Comme les Thebaiens et les Thessa-[fol. 192 r]-loniens se rebellerent contre le roy Philipe.

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Quant le roy Philipe eu4 ainsi desconfit ceux de Fosses et qu’il eut pris la possession de leur cité, ceux de Thebes et de Thessalie a qui il avoit donné secours, voyans que les Atheniens avoient empesché les destroitz que le roy Philipe ne leur courust sus, se allierent avecques eux et denyerent au roy Philipe le tribut que ilz luy avoient promois. Pourtant leur courut il sur par telle puissance et vigueur que avant qu’ilz eussent peu estre armés, il entra a force dedens leur cité et destruisit leurs temples, pilla, roba et viola tout ce qu’il peut, avecques ce les vendit, hommes, femmes et enfans, denier a denier, et les mist tous piteusement en servage tellement que plus miserable douleur n’eust on peu veoir qui fut alors. Puys de la se partit et tant de terre et de mer passa qu’il vint au royaume de Capadoce, la ou les Capadociens le receurent benignement, cuydans avoir aide et secours de luy, mais ce ne leur profita rien quelque gracieuseté qu’il leur monstrast, car quant il les eut receus doulcement et qu’ilz cuyderent estre bien en sa grace et asseurés de luy, par traïson et mauvaitié dont il estoit plain fist il prendre le roy de la terre et les haults princes et seigneurs, lesquelz il fist tous occire et leurs villes, cités, chasteaux, temples et maisons, atourna tout ainsi qu’il avoit fait des Thebaiens et Thessaloniens, car tant mauvais homme et inhumain estoit que toute sa felicité n’estoit que en tirannie, et de lors estoit Alexandre le grant, son filz putatif né et desja grant, car la royne Olimpias sa mere l’avoit fait soigneusement nourrir. Aprés toutes ses grandes fureurs et crudelités faites, le roy Philippe voiant sa seigneurie estre fort creue et augmentee, par tentation du dyable qui luy embrasoit le cueur de paour que aucun de ses freres dont il avoit troys ne luy voulust oster aucune partie de son avoir, il proposa en luy mesme de les faire mourir, et de fait luy mesmes en occist l’ung et les deux autres s’enfouyrent en une forte et riche cité nommee Olimpi, la ou ilz se cuyderent garantir, mais 4.

Absence de la finale t.

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leur cruel frere Philipe, voyant qu’ilz y estoient fouys, les alla assieger et par force print la cité, fist metre a mort ses deux freres, tous les seigneurs et autres gens, hommes, femmes et enfans, qui estoient en la cité, [gravure : Philippe et ses hommes assiègent la cité] laquelle cité il fist abatre, bruller maisons et destruire tout ce qui y estoit. Encore ne suffisit pas au roy Philippe cette tres grande inhumanité d’avoir fait mourir ses greres, mais oultre pourpensa en luy mesme qu’il feroit mourir les plus grans et puissans barons et seigneurs qui fussent en son royaume, affin qu’ilz ne feissent aucunes aliances contre luy et ainsy que en son entendement le pensa fut fait. Par ce luy fut il advis qu’ilz estoit bien asseuré et que aucune personne ne luy pourroit porter grevance, mais tant estoit son cueur remply de traïson et mauvaitié que toutes les persecutions et felonnies devant dites ne luy suffirent pas et ne fut pas content de ce qu’il avoit destruit de gens et de païs par terre s’il n’en destruisoit par mer, pourtant fist il mettre gallees sur la mer et tant naga5 [fol. 192 v] avecques sa grande puissance qu’il vint en la terre de Thessalie, la ou il avoit deux freres qui estoit en debat pour partir6 le royaume qui leur estoit escheu. Arriva le dit roy Philipe sur ces deux freres, faignant les voulloir mettre d’accord, mais il veit qu’il eut le dessus de eux, il fist occire les deux roys avecques les plus grans seigneurs de la terre et mist tout a sa subjection. Quant les Atheniens sceurent que le roy Philipe faisoit telles choses, ilz furent moult espouventés et craignirent moult sa fureur, pourtant envoyerent ilz par devers luy supplier qu’il les voulsist recepvoir a aliance et qu’ilz estoient prests et appareillés de faire toute sa voulenté. Ceux de Fosses aussi et de Lacedemonie qui se estoient rassemblés contre les Thessaloniens vindrent a luy pour luy demander secours, les Thessaloniens aussi pareillement, et a tous promist qu’il les mettroit bien d’accort et aussi fist il, car puis qu’il eut une foys gaignié les destroitz des passages entre les montaignes, il les fortiffia si bien que les Grecs depuis n’y eurent aucune puissance. Adonc courut il sus a tous ceux a qui il avoit promis aliance et destruisit eux et leurs cités tant que oncques telle pitié ne fut veue et ainsy destruisit le roy Philippe les villes et les forteresses du païs de Grece qui tant estoit chevalereuse et terre plaine de richesses. Car pour neant se venoient mettre a sa mercy ; quelque chose qu’i leur promist, il n’en tenoit, mais toutes les cités et places de Grece indifferentement qui luy venoient a voulenté faisoit destruire et confondre7, tellement que la ou il estoit en son païs le doubtoient ceux qui jamais ne 5. 6. 7.

« navigua ». « partager ». « détruire ».

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l’avoient veu, mais avoient ouÿ parler de sa grant mauvaistié dont il estoit plain. Car a autre chose ne prenoit il plaisir que a faire traïsons, sang espandre et faire toutes crudelités.

4. Comme le roy Philipe assiega la cité de Constantinnoble.

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Par les tirannies et fureurs devant dites que faisoit le roy Philipe en celluy temps dont nous avons parlé, estoit Grece en grant captivité, car force leur estoit de obeïr totalement a son plaisir et voulenté, et quant bon luy sembloit envoyoit les ungs hors du pays entre leurs ennemis, les autres chassoit de leurs heritages et affinités et les envoioit es derniers parties de la terre en lieux a eux incongneus. Les riches et puissans mettoit hors de leurs seigneuries et richesses, puis les envoyoit demeurer aux cités et places destruites, affin que jamais n’eussent povoir ne puissance contre luy. Et bref, tant de maux leur faisoit et de tirannies que douleur seroit et chose bien difficille de toutes les descrire et raconter, et ce permettoit Nostre Seigneur pour les grans mauvaitiés et infidelités qui regnoient adoncques, et pour rabaisser l’orgueil de Grece qui tant estoit eslevé par les grans honneurs et richesses en quoy elle habondoit plus que autre terre. Aprés ce regarda Philipe les richesses innumerables qu’il avoit conquises et considera que bon luy seroit de conquerir la cité de Besance qui depuis a esté nommee Constantinnoble, laquelle pour lors estoit la plus belle et la plus noble cité de toutes les autres, pourtant la vouloit avoir le roy Philippe, mais ce n’estoit pas peu de chose a faire de conquerir une telle cité, et aussy affin d’y retirer luy et ses avoirs, et ainsi fut le roy Philippe devant icelle tant et si tres longuement que moult estoit appetissés ses grans biens, car il les avoit donnés et dispersés pour souldoier ses gens. Toutesfois une adventure luy vint qu’on luy dist que une merveilleuse flote de Gallees estoit sur la mer qui apportoient en la cité de Constantinnoble tant de biens et de richesses que c’estoit une chose innumerable. Quant le roy Philipe sceut celle ve-[fol. 193 r]-nue, il fist bouter ses galles8 pleines de larrons sur mer entre les roches en embusche la ou les autres debvoient passer tellement, que quant vint au passage, les gallees de marchandise qui de rien ne se doubtoient furent de si pres prinses aux destroitz et tellement surprises qu’ilz ne sceurent ou fouyr. Et en emmenerent les gens du roy Philipe cent soixante et dix toutes chargees de richesses, finances, draps d’or, de soye, de laine, de biens, de vivres et d’autres choses. 8.

« petits navires de guerre ».

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[gravure : scène de combat maritime] De laquelle destrousse9 fut le roy Philippe aucunement relevé de son avoir qu’il avoit despendu, par quoy il eut de quoy entretenir ses gens tousjours en ost et les souldoier comme devant.

5. Comme le roy Philipe et son filz Alexandre allerent en Siche.

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Quant le roy Philipe veit que tant il avoit esté devant la cité de Besance sans la pouvoir avoir, il print une partie de ses gens avecques luy et son filz, le grant Alexandre, qui ja estoit fort et puissant pour se trouver aux armes, et s’en allerent destruisant et gastant le pays partout ou ilz passoient en tirant vers la terre de Siche, et l’autre partie de l’ost demeura a tenir siege tousjours devant la cite de Besance, autrement dite Constantinnoble. Quant Philippe, son filz et leurs gens eurent tant chevauché en destruisant le pays que ce fut horreur et qu’ilz arriverent auprés de la terre de Siche, nouvelles en furent portees au roy qui avoit nom Antheas, lequel avoit grand freeur de la venue au roy Philipe, et non sans cause, car moult estoit elle a doubter. Pour ceste cause envoya il avecques luy embassadeurs luy supplier qu’il luy pleust a luy donner aide et secours contre le roy des Ystraniens qui luy menoit guerre en sa terre de Siche, et que en ce faisant celluy Antheas feroit venir devant le roy Philippe tous les riches navires et vessiaux de sa terre pour en prendre ce qui luy en plairoit. Avecques ce promettoit icelluy Antheas donner aide et secours audit Philipe tant qu’il vivroit, de son corps et de ses biens. Et par ce moyen fut content le roy Philipe et luy aida tant et si bien qu’en peu de temps ilz eurent vaincu les Ystraniens, si que Antheas ne fut plus en crainte de eux. Adonc voulut avoir Philippe ce qui luy estoit promis, mais quant Antheas fut au dessus de ses besongnes, il ne luy chalut plus du roy Philipe et se retira en ses forteresses et chasteaux avecques ses gens en disant au roy Philipe que de lui rien n’auroit. Adonc cuyda le roy Philipe enrager de despit et jura par tous ses dieux que jamais de la ne partiroit tant qu’il auroit destruit le roy Antheas et toute sa terre, pourtant envoya le roy Philipe hastivement a ceux qui tenoient siege devant Besance et leur manda que sans plus attendre incontinent ilz levassent le siege et s’en allassent vers lui en la terre de Siche contre le roy Antheas qui luy avoit fait desplaisir. Adonc partirent tous de Besance ou Constantinnoble et s’en allerent en Siche.

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« razzia, brigandage ».

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D’autre part le roy Antheas faisoit sa pourveance et amas de gens tant qu’il en povoit avoir tellement qu’ilz ne furent guaires moins d’une part que d’autre. Et de fait les Sichiens eussent destruit en la fin les Macedoniens se n’eust esté la [fol. 193 v] fausseté et traïson du roy Philipe lequel, soy voiant avoir du pire, manda au roy Antheas qu’il fist retirer ses gens et que les siens se retireroient aussy pour se refreschir et reposer en esperant de traicter aucun appointement. A ce faire s’acorda le roy Antheas qui doubtoit que finablement la malechance ne tournast sur luy et aussi fist elle, car aussi tost qu’il eut fait retirer ses gens et que les plusieurs furent desarmés, Alexandre avecques les siens leur vint courir sus sans dire guaire tellement qu’ilz furent tous desconfitz en peu d’heure par cause qu’ilz avoient esté prins en desarroy. [gravure : scène de combat] La fut occis le roy Antheas et ses gens aussi, toutes ses places furent destruites, abatues, robees et pilees, .xx. mil personnes tant hommes que femmes et enfans prins, vendus et menés en servage. Quant est a parler d’or et d’argent ne trouva on guaires en la terre, car les Sichiens n’avoient point de tresor d’argent, mais de bestiaux avoient ilz tant que merveille fut de veoir les grans monceaux que le roy Philipe en fist mener en la terre de Macedoine. Vingt mil jumens y avoit grandes et belles a merveille que le roy fist mener en son païs pour porter de grans chevaulx a monter les vaillans chevaliers de la terre, mais ainsy qu’ilz s’en retournoient avecques tous leurs grans butins, une autre maniere de gens nommés Cribaliens leur vindrent a l’encontre en si grande habondance et multitude que le cheval du roy Philippe luy fust tué soubz luy et luy mesme fut navré a la cuisse tellement qu’il cheut a terre tout sanglant et cuyderent ses gens qu’il fust mort, dont ilz furent moult desconfitz et ne sceurent autre chose que faire fors le monter sur ung autre cheval, s’enfouyr et habandonner toutes les bestes qu’ilz menoient. Et tant furent espoventés que oncques pour chose que le roy leur sceust dire ilz ne voulurent oncques retourner, et ainsi s’en alla la compaignie et ce qui en reschappa. Et aprés ce fut le roy Philipe en son royaume de Macedoine jusques a ce qu’il fust guari.

6. Comment le roy Philipe retourna sur les Atheniens. [gravure : scène de combat] En ce temps pendant que le roy Philipe fut en Siche en son royaume malade du cop que les Cribaliens lui donnerent, ceux de Athenes, de Fosses et de Lacedemonie se ralierent ensemble, machinerent et appointerent de soy rebeller [fol. 194 r] contre le roy Philippe et qu’ilz se mettroient hors de sa

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servitude et ne luy paieroient jamais tribut, et avecques ce amonnesterent toutes autres cités de Grece qu’il avoit conquises de ce faire. A quoy les unes se acorderent et les autres non qui doubtoient tousjours la male fortune. Ceste rebellion sceut le roy Philippe dont il eut grant despit en son cueur et jura par ses haulx dieux que jamais ne cesseroit tant qu’il eust submise toute Grece a sa domination. Lors commanda il a ses connestables, prevostz et lieutenans qu’ilz luy assemblassent de chascune de ses terres toutes gens qui pourroient armes porter, et ainsi le firent et les assemblerent qu’ilz furent tous prestz du jour que le prince fut determiné de partir. Les Atheniens aussi et leurs alliés firent leur pourveance au mieux qu’ilz peurent tellement que quant les deux armees s’entre rencontrerent et de puissance frapperent les ungs sur les autres tant et tellement que c’estoit chose merveilleuse. [gravure : scène de combat] Longuement dura ceste bataille plus que aucune autre qui eust esté en Grece, car les Macedoniens estoient tous gens adurcis aux assaulx et faitz en bataille. Les Grecs semblablement avoient grant courage pour tirer tousjours a soy mettre hors de captivité et servage. Laquelle chose ilz ne firent pas, car ilz furent plus serfs que jamais, parce que finablement ilz perdirent la journee, et lors fut mise toute Grece a la subjection des Macedoniens, et par le despit que le roy Philipe, qui tirant estoit cruel et merveilleux, eut de ce qu’ilz se estoient rebellés contre luy, il fist prendre tous les princes et grans seigneurs qui avoient esté cause de la male façon et conspiration, c’est a dire de la rebellion, et leur fist couper les testes aux ungs et aux autres il leur tollit tous biens, meubles et heritages, les autres il fist emprisonner, les autres envoya en exil. Et generalement a tous ceux qu’il peut congnoistre avoir este causes de l’entreprinse, il leur monstra signe de rigueur et vengance si grande que tous les autres y prindrent exemple. Aprés ceste derniere conqueste faite, le roy Philippe eut voulenté d’aller en la terre de Aise, et pour ce faire assembla il du païs et des autres pays a lui tributaires deux cens mil hommes a pié, quinze mil a cheval, sans les Macedoniens qui avecques luy estoient en si grant nombre que merveille. En celluy temps aussi fut marié son filz Alexandre et furent tous les grans tresors de Grece assemblés pour en aller aux nopces. Avecques ce disent aucuns que Philipe luy mesme se remaria a la fille du roy Alexandre d’Egipte, laquelle eut a nom Cleopatre. Les autres disent que ce fut Alexandre le grant, lequel estoit filz de Olimpias, qui l’espousa. Les autres disent que ce fut ung second Alexandre qui fut frere de Philipe, et disent que le roy d’Egipte luy donna pour la cause du villain pechié sodomite, mais la plus sainne oppinion tient que ce fut a Philipe et qu’il laissa sa femme Olimpias pourtant qu’il l’avoit trouvee encainte et qu’il sçavoit bien que ce n’estoit pas a luy ne de son ou-

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vraige, ainsi que l’oppinion d’aucuns est que celluy Alexandre n’estoit que filz putatif de Philipe, mais vray fils de Neptanabus l’enchanteur. [fol. 194 v]

7. De la mort du roy Philipe de Macedoine.

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Grant exemple nous est monstré en la mort du roy Philipe de Macedoine et se doibvent bien y myrer les roys et seigneurs du temps present, car en .xxvi. ans de temps qu’il regna oncques ung an ne fut en paix qu’il ne menast tousjours guerre a quelque ung et toute sa felicité estoit de destruire gens et cités, faire traïsons et mauvaitiés. Et aussi selon la vie de quoy il fut, la fin fut telle, car en une response que ses dieux luy donnerent il lui fut signifié la mort de quoy il mourroit, c’est a ssavoir que par coup de fortune et sans y avoir regart il mourroit entre ses amis. Et aussi disent les hystoriographes que en la cité de Luque, en regardant ungz jeux, luy estant entre les deux Alexandre, c’est a ssavoir son filz et son frere, ung jeune gallant nommé Pausonias Sabanien luy bailla d’ung espieu parmy le corps, duquel coup il mourut et fina ses jours en misere ainsy qu’il avoit desservy.

8. S’ensuyvent les faitz du roy Alexandre le Grant et qui il fut. [fol. 195 r]

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S10elon que nous avons dit devant l’oppinion d’aucuns est que Alexandre fut filz naturel d’ung enchanteur nommé Neptanabus, lequel fut debouté de Egipte la ou par sa science et art nigromantique il avoit regné une grant piece. Et par mer aprés son expulsion s’en vint au royaume de Macedoyne, la ou la roygne Olimpias demeuroit. Ceste dame moult pleut a cestuy Neptanabus. Mais bien ymaginoit que sa voulenté ne eust peu faire d’elle fors que par grande deception. Pourtant dit on que il se transfigura par son art magique en la semblance d’ung dieu nommé Amon, lequel ceux du pays adoroient qui estoit fait comme ung mouton. Et ainsi que a ung vespre Olimpias estoit toute seulle en sa chambre, cestui Neptanabus en espece de ce mouton et semblance du dieu Amon s’aparut a elle et luy dist que s’elle voulloit faire a son appetit, il luy donneroit toute telle chose que elle luy demanderoit, ou sinon que jamais ne luy aideroit. Quant la dame ouÿt ceste voix parlant a elle, cuidant fermement que ce fust son dieu Amon, non osante desobeïr, luy respondit que bien 10.

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estoit rayson puis qu’il estoit son dieu qu’il feist d’elle a sa voulenté. Et ainsi disent que Neptanabus eut la compagnie de Olimpias mais aprés que ce fut fait il se manifesta a elle. Les autres disent qu’il ne se manifesta point et que fermement elle creut quant elle se sentit encainte que ce eust fait le dieu Amon qui lui eust engendré quelque dieu, et ce est assez vraysembable, attendue et consideree l’infidelité qui estoit en eux. Car quant le roy Philipe, son mari, revint de la guerre, la ou il avoit esté bien l’espace de deux ans sans la veoir et il la trouva grosse, il fut moult esbahy et luy demanda dont ce venoit et quel homme luy avoit fait cel enfant. Et elle respondit et jura par son serment que depuis qu’il l’avoit laissee, aucune creature n’avoit hanté ne habité avec elle fors ses [fol. 195 v] damoiselles et le dieu Amon qui l’avoit aucunesfoiz visitee et reconfortee quant elle avoit quelque couroux. Ceste folle opinion creut le roy Philipe et y adjouxta foy et cuida que le dieu Amon eust fait a sa femme ung enfant, lequel deust estre heritier de sa deïté. Et pour ce on peut assez ymaginer que Neptanabus ne se manifesta pas a elle. Avecques ce peut on considerer que pour ce ne la laissa pas le roy Phelipe, mais ainsi que la plus certaine opinion le dit, ce fut en despit de Pausonias, lequel la ravit et a l’occasion d’elle en tua le roy Phelipe entre son frere et son filz. Et ainsi que met celle mesme oppinion, Alexandre voyant son pere mort, il prit Pausonias par la main et le mena devant le roy Phelipe qui tiroit a la fin et lui presenta une espee tranchant et la mist en sa main en luy disant : « Seigneur, voyez cy celluy qui t’a frappé, pren vengance telle qu’il te plaira de luy. » Adonc Phelipe voiant son ennemy mortel devant soy luy frappa l’espee dedens le corps, dont il mourut. Et ainsi furent mors tous deux. Mais pour retourner aux faitz de Neptanabus, ainsi que disent les hystoriographes, durant la vie du roy Phelipe il communiquoit tousjours la maison11 pour la science de astronomie et de nigromance dont usoit, a quoy le roy prenoit playsir. Or est ainsi que aucun murmure estoit qu’il eust engendré Alexandre, dont celluy Alexandre avoit despit. Par quoy ung jour ainsy que cellui Neptanabus saillit hors, pour aller veoir aux estoilles de la disposition du temps, Alexandre le suivit et ainsi qu’il passoit auprés d’une grande fosse pleine de pierres, le bouta et fist tumber dedans si rudement qu’il le rompit ou desnoua le coul en telle façon qu’il en mourut. L’opinion d’aucuns est que a l’heure Neptanabus, soy voyant estre blecé a mort, luy dist : « Alexandre, mon amy, sçaches que je suys ton propre pere charnel et par tel moyen te engendre en Olimpias ta mere. » Et leur rayson assignent12, car aprés sa mort 11. 12.

Terme d’astrologie. « montrent la cause ».

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fist prendre Alexandre son corps et le fist bruller et ensevellir honnestement ainsi que le corps d’ung roy.

9. Comme Alexandre print le Bucifal durant la vie de son pere.

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Aprés la mort de Neptanabus environ deux ans ou temps que Alexandre n’avoit que quatre ans, estoit en Macedoine ung cheval le plus grant et le plus merveilleux, le plus beau et le mieux formé que on sceust demander. Mais tant estoit cellui cheval divers et merveilleux que homme n’estoit au monde, tant fust hardi, qui osast approcher de lui pour lui mettre selle ne bride. Et de cellui cheval le roy Phelipe fist priere a ses dieux qu’ilz luy vousissent desclarer que segnifioit cestuy cheval qui tant estoit merveilleux et horrible. Le deable parlant en forme de l’ymage luy respondit que cella luy segnifioit que quiconque pourroit monter dessus celluy cheval et le mener a sa voulenté seroit une foiz seigneur de tout le monde et le pourroit conquerir a sa voulenté par proesse et vaillantise. Quant Alexandre qui jeune estoit ouÿt parler de cestui cheval, il desira a le veoir pour sçavoir s’il estoit ainsi terrible que l’on disoit. Adonc le mena l’en au lieu ou le cheval se tenoit. Quant Alexandre le veit, nonobstant qu’il fust merveilleusement grant, divers, diforme et dissemblable a tous autres chevaux, non pourtant ne fist il aucune difficulté d’en approcher. Et aussitost qu’il approcha le cheval, se humilia devant luy comme s’il le cogneust. Et lui13 brida selle14 et monta dessus Alexandre sans aucune crainte, et le chevaucha amont et aval devant toute la seigneurie, aussy doulcement que s’il l’eust toute sa vie nourry. Et adonc le roy Phelippe, voyant son filz Alexandre ainsi fayre de ce cheval, souvenant de ce que ses dieux lui avoient dit, vint a son filz et le salua comme roy de tout le monde. Lors commença Alexandre a estre honoré de tous [fol. 196 r] chevalliers et ung an aprés15 avecques aucunes gens que son pere luy bailla s’en alla mener guerre a ceux de Pille, lesquelz subjuga a sa seigneurie et plusieurs autres cités. Aprés ce Alexandre s’en retourna et fist l’appointement de sa mere de son pere qui l’avoit lessee par le desplaisir de Pausonias comme dit est. Et depuis ne vesquit le roy Philippe que quatre ans et fut son filz Alexandre couronné roy en l’aage de vingt ans.

13. 14. 15.

le sella apris

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10. Du commencement du regne du roy Alexandre.

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Premierement quant le roy Phelippe fut mort et son filz Alexandre eut esté couronné roy, voullut voir tous les vaillans chevalliers et gens d’armes qui de luy tenoient par homimaige. Lesquelz se trouverent bien en armes .xv. mille de la terre de Macedoine tant seullement, desqueux y avoit .viii. mille a cheval qui se disoient chevalliers, du royaume de Thrace .vii. cens et des aultres parties diverses y avoit tel nombre que ilz se trouverent bien tous en armes tant a pié que a cheval au nombre de .lxxiiii. mille et .vi. cens, tant d’ungz que d’aultres, tous gens de eslite, hardiz et couraigeux, auxqueux fist Alexandre grant chere et fist ouvrir les grans et riches tresors de son feu pere et en departit a chacun selon son estat une quantité dont ilz luy rendirent graces et merci. Aprés ce les ordonna Alexandre par16 batailles et bailla a chacune bataille certains capitaines et conduteurs pour les tenir en ordre, puis se mist a chemin et fist chevaucheir son armee parmy la terre de Trasse tant qu’ilz vindrent devant la cité de Lycaonie, laquelle ilz assiegerent et prindrent a force. Et puis s’en allerent en Secille la ou ilz eurent de grandes et diverses batailles, mes finablement dominerent ilz sur toutes et firent obliger et soubmettre tous ceux de la terre aux loys et ordonnances du roy Alexandre. Et receut tribus de eux et hommaiges de tous17 cieux qu’il voullut. En aprés de la entra dedans la terre de Ytalie qui maintenant est dite Lombardie. Mais il n’y fist auchun mal, car les Romains qui saiges estoient et bien advertis de la puissance au roy Alexandre ne attendirent pas qu’il leur feist auchune force. Mais envoierent au devant de lui deux mille chevalliers avecques aucuns des saiges de la ville qui lui presenterent une couronne d’or et quarante pos d’argent avecques les dessusdis chevalliers que les Romains luy envoient pour soy servir et ayder, en offrant de plus en bailler se plus en volloit et de fayre tout ce qu’il voudroit. Quant Alexandre veit la grant courtoysie et obeïssance des Romains et comme de leur franche voulenté ilz lui fasoient presens si honnorables et submetoient eux et leur puissance pour lui faire service, donner aide et secours en tout ce que il voudroit, il reputa ce pour victoire et fut autant content de eux que s’il les eust conquis a force de bataille. Et alors estoit Manllus Torquatus conseiller de Rome, et regnoit en Perse pour l’heure Dare, le filz de Ascanius.

16. 17.

per hommaiges tous ; ajout de de.

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11. Comme le roy Alexandre alla assieger la cité du Tyr.

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Aprés que le roy Alexandre eut ainsy fait toutes ses premieres victoires et venu18 de chascune a son intention et par espicial des Romains qui sur toutes gens estoient renommez, il fist mettre ses navires en mer et en fist tant fayre et assembler que tous ses gens y peurent pour passer en la terre de Libe, laquelle il conquist assez facillement, car si tost que toutes les citez furent adverties qu’il estoit descendu, si forte n’y avoit et mesmement Carthage, laquelle fut de si grande renommee, qui ne venist au devant de lui pour luy demonstrer signe de obeïssance, tant que toute la terre fut toute subgette a [fol. 196 v] lui. Aprés s’en alla en Egipte, laquelle il assiega mais non pas sans grandes et diverses batailles. Toutesfoiz en fin en eut il la seigneurie et se submirent les Egiptiens de fayre a sa voulenté, car autrement les eust il destruiz. Et la lui furent apportees les nouvelles de la cité du Thyr, en luy disant que c’estoit la plus riche, la plus forte, la plus franche qui fust ou monde, que c’estoit celle qui ne tenoit d’aucun prince tant fust puissant au monde et si estoit assise comme en ung lieu imprenable plus en mer qu’en terre. Quant Alexandre ouÿt parler de ceste riche cité, il fut moult joyeux, car il ne voulloyt point employer sa puissance contre ung peu de chose qui ne fust point digne de memoyre et pour laquelle expugner on ne peult acquerir ne honneur ne gloyre. Pour ce fist il disposer ses gens tant comme il en peut avoir et les passa parmi le royaume de Syre, et lors en mist les uns en la mer pour assaillir par mer et les autres mena par terre, affin que se par ung lieu n’estoit eue par l’autre ne fust espernee. Et aussi d’autre part ceux de la cité, qui bien sçavoient la venue de Alexandre, se pourveurent et garnirent leur ville au mieux qu’ilz peurent. Et si ne doubtoient guaires celle venue, car tant fors riches et puissans estoient que il ne leur estoit pas avis que aucune persone les peust grever. Toutesfoiz leur presenta Alexandre le siege par telle rigeur que finablement ilz se trouverent convaincus, plus par subtillesse que par force. Car quant Alexandre veit que on ne les povoit avoir en aucune maniere et que ilz estoient resoluz de non soy vouloir mettre en aucune servitude, voyant aussi que chose trop difficille eust esté de l’avoir prise par le costé des terres qui trop estoit fortiffié, il fist assembler une grant multitude de navires ensemble junctivement19 et bien liez les uns aux autres. Puis sur iceux navires fist asseoir une maniere de tour plus haulte que les murailles de la ville n’estoient aucun peu, si que au moins on pouvoit facillement d’icelle tour ruer et veoir dedens la 18. 19.

Ce verbe ne se construit pas avec l’auxilliaire avoir mais l’auxiliaire être n’est pas exprimé. « bien liés ».

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ville. Quant ceste tour, laquelle estoit de gros boys, fut ainsi faicte, ains que l’aprocher aux murs de la cité contre lesquelz batoit l’eaue de la mer, le roy Alexandre manda a ceux de dedens qu’ilz venissent a aucune obeïssance. Et par leur orgueil ilz respondirent que non. Pourtant en celle heure jura le roy Alexandre que jamais n’en partiroit tant que il auroit icelle cité destruitte, rasé murs, tours, forteresses et maisons, occis et desconfit tous ceux et celles qui contre luy estoient. Toutesfoiz ceux de dedens se fortiffioient tousjours au mieux que ilz pouvoient et ne leur estoit pas avis que ainsi leur advenist comme il fist. Car sans plus attendre fist le roy Alexandre aborder toute la flote des navires sur laquelle estoit fondée celle tour jusques au rés de20 la muraille, et specialement jusques a la maistresse porte. Et puys quant tout fut bien approprié, le roy Alexandre monta avecques les plus vaillans archiers qu’il eust et menerent si dure guerre par l’espace de six jours a ceux de dedens la ville qu’ilz ne sçavoient et n’osoient approcher de la porte. Par ainsi la rompirent les gens de Alexandre avecques pics et beches tant que finablement la cité fut prise. [gravure : scène de combat maritime] Et commanda le roy Alexandre comme qu’il fust que on tuast tout ce qu’on trouveroit sans prendre a merci homme quel [fol. 197 r] qu’il fust, femme ne enfant, vieil ne jeune, avecques ce que les tours fussent abatues et la muraille abbatue rés21 pié et aussi fut fait, si que ce fut la plus grande desconfiture que on peust veoir, tant que le bruyt en fut par toutes les regions voysines. Et dist on que Alexandre de Macedoyne avoit intention de subjuguer toutes les parties du monde et les fayre obeïr a sa voullenté. Et aprés ceste grande destruction faicte avecques toutes les grandes et nobles richesses qui y furent trouvees, s’en retourna le roy Alexandre en la terre de Siche, laquelle il mist en sa subjection. Et la luy manda le roy Dare de Perse unes lettres par lesquelles il sourdit une merveilleuse guerre et discention entre eux.

12. Les lettres que envoya Dare roy de Perse au roy Alexandre.

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Quant Dare, roy de Perse, fils d’Ascanius, ouÿt dire que Alexandre de Macedoyne venoit si bien au dessus de toutes ses enteprises, et que sa voulenté estoit de conquerir toute la seigneurie du monde, sçavant qu’il estoit en la terre de Siche, il luy envoya unes lettres villipendes22 et plaines de rigeur et menaces, disans comme ainsi : « Alexandre, filz putatif de feu Phelipe de 20. 21. 22.

« au niveau de ». « au niveau de ». « injurieuses ».

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Macedoine, trop folles entreprises fais et trop haultes pour ung avoultre, filz d’enchanteur, comme tu es, de vouloir entreprendre avoir la seigneurie de tant et si gens de bien qu’il y a au monde, et sçaches que mal t’en prendra et ne fust que quant a ma part, car je te segniffie si ta folle audace te amaine une foiz vers mes appartenances, je te monstreray si bien que tu ne le doys pas fayre que a tout jamais memoyre en sera et perdras par aventure ce que autre ne te faroit recouvrer, c’est la vie. Pourtant corrige ta folleur et te garde bien d’offenser. » Quant Alexandre eut veues les lettres diffamatoires que Dare luy envoyoit, il fut moult irrité. Pourtant jura il que mieux ameroit mourir que celle chose il laissast impugnie. Lors prepara tous ses gens et leur departit tous les tresors et richesses qu’il avoit conquis en la cité du Tyr, en les priant que de tout leur pouvoir s’emploiassent contre Dare, le roy de Perse, et que vrayement si aucuns buttins y avoit, il leur donneroit tout entierement. Et par ce leur creut le courage, car plusieurs y alloient plus pour la lucrative23 que pour l’honneur du prince. Et ainsy se mist a chemin le roy Alexandre pour s’en aller en Perse. Les nouvelles de ceste venue furent portees au roy Dare et luy dist on combien le roy Alexandre menoit de gens et de navires. Quant Dare le sceut, avis luy fut que c’estoit peu de chose et que assez en trouveroit davantage plus que on ne luy disoyt, et aussi fist, car il en avoit bien troys ou quatre mil plus que Alexandre. Non obstant quant vint a l’assault qu’ilz s’entre rencontrerent, le roy Alexandre avoit si bien instruit ses gens et avecques ce par engins subtilz qu’il fist fayre que en la fin ilz furent maistres de leur ennemis. Et y eut une si grande occision que merveilles tant d’une part que d’autre, si que le nombre des mors fut anombré a cent et neuf mil tant a pié que a cheval et n’eust esté que le roy Dare eschappa subtillement et s’en alla avecquez ce que plus il avoit de gens, il y fust demeuré. Et adonc fut il moult courossé d’avoir esté vaincu en si belle compagnie comme il avoit mené. Neanmoins ce jura il que derechief il assembleroit encore gens et y retourneroit en faisant veu a ses dieux en quoy il croioit que s’il pouvoit, il en auroit vengance et feroit a ses ennemis desplaisir et ennuy, ou il mourroit en la peine. Adonc envoya il par tout la ou il peut ymaginer qu’il pourroit avoir gens, tant par priayres, promesses et amours que autrement. Et Alexandre qui eut l’honneur de la victoire aprés ce qu’il eut recuilly les butins et richesses que le roy Dare et ses gens avoient abandonnees pour s’en fuyr, il departit tout a ses gens, ainsi qu’il leur avoit promis. Puis s’en al-[fol. 197 v]-lerent en Frige, la ou ilz assaillirent une cité nommee Gondam, laquelle ilz prindrent a force, et en fist le roy Alexandre abatre les murs et les forteresses. Et icelluy temps pendant luy vindrent nouvelles que le roy Dare 23.

« amour du gain ».

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avoit rassemblé des gens en si grande compagnie que a peine y pourroit resister le roy Alexandre se ils le venoient assaillir.

13. Comme le roy Alexandre eut la seconde bataille au roy Dare.

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Quant le roy Alexandre fut adverty que le roy Dare venoit sur luy a si grande compagnie, il manda aux citez qui luy avoient fait hommage qu’ilz venissent a son ayde avecques tant de gens en armes qu’ilz pourroient, et aussi firent ilz, tant que le roy Alexandre avoit plus de gens beaucoup24 que a la premiere foiz. Adonc fist cheminer Alexandre ses gens a grant diligence, car il craygnoit estre surpris parmy les destroiz de Frige, la ou il estoit. Et tant cheminerent qu’ilz vindrent au lieu ou le roy Alexandre les fist arrester auprés d’une belle riviere en laquelle le roy Alexandre se baigna pour se refreschir, car tant avoient sué et travaillé ce jour que tous estoient lassez. Et aussi ilz avoient fayt quinze lieux de païs parmy desers, montaignes, vallees et pays si penible que c’estoit doulleur. Pour ceste cause se voullut baigner Alexandre, mais mal luy en print, car l’eaue de la riviere estoit si tres froide que elle luy endormit tous les membres et fut ainsy que paralitique, tant que ses gens cuyderent qu’il en deust mourir. Toutesfoiz, ses medecins pourveurent a son cas si bien que en un peu de temps il fut restauré. Et ce temps pendant, le roy Dare, qui avecques ses grandes batailles le poursuivoit, arriva. Laquelle chose fut rapportee au roy Alexandre, dont il eut aucunement doubté, pour ce que on luy disoit que les Persains estoient en si grant nombre que c’estoit une chose fort merveiieuse. Toutesfoiz, il se rasseura en lui mesme sans en fayre aucun semblant a ses gens, de peur qu’il ne les espouventast, et considera en luy mesme que a la premiere foiz avecquez peu de gens les avoit desconfiz et que aussi bien les pouvoit il desconfire, qui plus avoit de gens que devant. Ainsy furent ordonnees les batailles d’une part et d’autre, tant riches et triumpphantes que chose merveilleuse estoit de veoir reluyre les fins harnois couvers d’orfaverie et de pierres precieuses. Et lors commencerent a ferir de si grande vigeur les uns sur les autres que chose abhominable estoit de veoir25 l’effusion de sang et l’occision merveilleuse que ilz fasoient les uns sur les autres, sans aucunement s’entre espergner26. [gravure : scène de combat maritime] 24. 25. 26.

beaucop veoirs espergnez

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En ceste bataille jouxterent les deux roys, c’est a sçavoir Alexandre et Dare l’ung contre l’autre, en telle façon qu’ilz s’entre navrerent, et fut le roy Dare geté par terre, dont ses gens furent moult desconfiz, et y eut une merveilleuse tempeste et occision a le relever, car ses gens luy aydoient selon leur puissance et les Macedoniens leur empeschoient en tant qu’ilz pouvoient. Toutesfoiz en la fin le roy Dare fut retiré de la bataille, et demeurerent ses gens tant espouvantez que oncques puys n’eurent aucune puissance contre leurs ennemys. Et ainsi furent tous convaincuz et oncques puis n’osa en quel-[fol. 200 r27]-que maniere que ce fust retourner vers ses tentes, ains s’en fuyt au plus tost qu’il peut, car bien sçavoit s’il eust esté attrappé que jamais n’en fust eschappé. Or est ainsi que le roy Dare avoit avecque lui amené sa femme, sa mere, ses seurs et ses deux filles, lesquelles demeurerent dedens les tentes. Et y avoit plus de regret le roy Dare que a toutes les autres choses lesquelles il avoit perdues. En ceste maniere gaigna le roy Alexandre la victoire contre le roy Dare et luy fist perdre et mettre a mort de ses hommes a pié quatre mille, de ses chevalliers neuf cens, et quarante mil tant d’ungs que d’autres qui furent pris. Et si n’y perdit le roy Alexandre que cent cinquante chevalliers et quatre vints et dix autres. Aprés ceste grande desconfiture s’en alla le roy Alexandre aux tentes du roy Dare, la ou il trouva d’argent, d’or et de richesses tant que ce fut une chose infinie, et outreplus y trouva la femme du roy Dare, sa mere, ses seurs et ses deux filles, lesquelles lui eussent plus vallu que tout l’or et l’argent qui jamais y fut, s’il les eust voulllu prendre a ranson. Et pour ceste victoyre fut le roy Alexandre sans comparaison plus que devant redoubté envers tous ceux qui en oÿrent les nouvelles. Le roy Dare aussi en fut tant courossé que plus ne sçavoit que fayre et speciallement pour sa femme, sa mere et les deux autres damoiselles qui estoient demeurees et que le roy Alexandre tenoit prisonnieres. Pour lesquelles delivrer le roy Dare envoia messagers devers le roy Alexandre et lui manda le plus gratieusement que possible lui fut et en lui suppliant que luy renvoiast les dames qu’il avoit et que en ce faysant le roy Dare luy donneroit la moytié de son royaume. Adonc se remembra Alexandre des lettres diffamatoires que autresfoiz lui avoit envoiees le roy Dare. Et pour ce dist il aux messagiers que ilz s’en retournassent et que ils deissent a leur maistre que le roy Alexandre ne rendroit point les dames, et si avoit empensé que le roiaume de Perse ne seroit point departi, mais luy seul en auroit la seigneurie et possession, ains que jamais de mener guerre cessast. Lors s’en retournerent les messagers a leur maistre et lui dirent ce que le roy Alexandre leur avoit respondu, dont il fut tant courossé que plus ne pouvoit. Toutesfoiz 27.

Il y a ici une erreur dans la numérotation des pages de l’imprimé.

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pourpensa il en lui mesme que encore se combatroit au roy Alexandre28 pour essayer a venger son deshonneur, delivrer29 sa femme, sa mere, ses seurs et ses filles, et veoir se fortune luy permettroit point de convaincre le roy Alexandre qui tant lui avoit fait de mal et de travail.

14. Comme le roy Alexandre conquist l’isle de Rhodes en Egipte.

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Ce temps pendant que le roy Dare fasoit ses alliances et queroit gens de toutes pars et en tant de manieres qu’il en pouvoit avoir devers le roy Alexandre qui tant fut redoubté, vindrent plusieurs princes et seigneurs de diverses contrees qui luy midrent leurs terres en sa seigneurie et a fayre tout ce qu’il vouldroit. Desquelz il print les uns a mercy et les retint de sa compagnie. Aux autres, il leur osta leurs terres et pocessions et les envoia aux estranges forteresses lesquelles il avoit conquises, et aux autres qui avoient esté contre luy en guerre, il leur fist oster la vie. Aprés ce, il se mist sur mer et s’en alla en l’isle de Rhodes, laquelle il conquist par force d’armes et puis de la s’en alla en Egipte, laquelle il conquist et submist a sa seigneurie et domination avecque plusieurs autres places et forteresses, comme chasteaux, tours et autres lieux de deffence. Et peut on bien parfaitement entendre que il n’y eut ne ville ne forteresse30 en Egipte de quoy il ne fust le seigneur, combien qu’il ne asseist pas siege devant toutes, car les plus hauls des forteresses lui apportoient les clefs jusques ou il estoit. [fol. 200 v] Aprés ce pourtant que encore murmure secrette estoit de luy entre les chevalliers de sa compagnie qu’il n’estoit point filz de roy, il imagina une subtillesse pour recouvrer l’honneur de luy et de sa mere et fayre croyre qu’il fust vray filz de roy et que ce qu’on disoit estoit menterie. Pour ceste cause entra il en ung temple de Egipte, la ou il trouva l’evesque qui estoit auprés de l’autel faisant ses sacrifices devant les dieux. A cellui evesque parla secrettement le roy Alexandre et luy dist que comme qu’il fust quant le lendemain il viendroit a l’eglise pour faire inquisition aux dieux qui estoit son pere, que31 l’evesque, lequel pour les dieux respondoit, deist que celluy avoit esté le roy Phelipe de Macedoine et qu’il se gardast bien de dire autre chose. A ce fayre s’accorda l’evesque, craignant que s’il eust dit du contraire le roy Phelipe l’eust fait mourir, ou peut estre que ce fut par les dons et promesses 28. 29. 30. 31.

Enlexandre delivrez fortreresse C’est un que de reprise du premier que qui introduit la complétive (luy dist que).

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que le roy Alexandre luy fist. Ainsi quant vint le lendemain au matin, le roy Alexandre dist devant tous ses seigneurs qu’il voulloit aller sacrifier aux temples et fayre orayson aux dieux pour sçavoir s’il estoit vray filz de roy ou non32, et si les injures que on disoit tous les jours de Olimpias, sa mere, estoyent vrayes. Lors s’en alla au temple comme il l’avoit devisé et ordonné en luy mesme, non pas devant aucuns de ses gens mais devant les plus grans barons et chevalliers qu’il eust en sa compagnie, et fist ses devotions en telle maniere comme il lui pleut. Lesquelles faictes, l’evesque qui aussi faygnit avoir faict les siennes pour ceste cause luy respondit que le roy Phelippe de Macedoine avoit esté son propre pere et non autre, ainsy que les dieux luy avoient revelé, lesquelz ilz creoient parfaitement en icelluy temps estre vrays annunciateurs et revellateurs des choses futures et a venir, lesquelles revellations competent33 et appartiennent au vray Messias, saulveur du monde. Par ce fut le scandale abbatu et creurent tous que ce fust chose veritable. Adonc fist le roy Alexandre commencer la cité de Alexandrie en Egipte, [gravure : construction de la cité] laquelle fut depuys fort riche et bien peuplee. Et ce temps pendant, on vint luy dire que le roy Dare de Perse ravoit assemblé merveilleusement grande compagnie de gens et venoit pour le combatre.

15. Des autres grandes batailles qui furent entre le roy Alexandre et le roy Dare.

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Tantost que le roy Alexandre fut adverty de la venue au roy Dare de Perse, il n’atendit pas qu’il fust venu jusques a lui, mais fist partir ses ordonnances et allerent au devant de luy tant qu’ilz s’entre rencontrerent et aperceurent les uns les autres sur ung fleuve qui par Egipte passe nommé Granitus. D’une part de se34 fleuve estoient les tentes du roy Dare tendues et ja avoient passé le fleuve pour venir contre le roy Alexandre. La y eut ung si grand cry que merveille35, et commença la bataille par ung Persain, lequel a ung escart courut sur ung Macedonien et le tua, aprés couvrit ses armes et se mist en la compagnie des Macedoniens, faignant estre des leur et puis quant il veit son coup adressa sa lance et s’en vint frapper le roy Alexandre par desriere. Mais son harnois estoit 32. 33. 34. 35.

nom « reviennent à ». Emploi de se pour ce. cry et que merveille

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si fort [fol. 201 r] et si puissant qu’il ne luy fist aucun mal, fors seullement que Alexandre se ploya ung peu sur l’arson de sa selle. Et aprés ce cop fut le chevallier persain navré tant et tellement que il mourut en la place. Et lors commença la bataille tant horrible et cruelle que ce fut pitié et dura toute jour sans departir jusques a la nuyt, que force leur fut de soy retirer chascun a ses tentes, la ou ilz reposerent tous armez jusques a lendemain au matin. Toutesfoiz le roy Alexandre qui subtil estoit et ingenieux fut tousjours en pensee de son cas et comme il pourroit convaincre ses ennemis. Et pour ce fayre ordonna celle nuit que le lendemain au matin les gouverneurs de l’armee prenissent toutes les bestes qu’ilz avoient, comme cameaux, vaches, buffles, beufz, dromadares qu’ilz avoyent en grande habondance, et que ilz leur liassent aulx testes chacun une grande branche d’arbre fouillue et autant a la queue qui traignast a terre pour esmouvoir la pouldre et puis, quand viendroit a assembler les armees, qu’ilz meissent les hommes armez a pié devant et les chevalliers et que derriere eux on chassast icelles bestes ainsi en point que dit est et ainsi fut fait. Adonc quant les Persains qui avoient passé le fleuve pour venir sur leurs ennemis veirent la grant multitude de chevalliers et autres gens d’armes macedoniens venir vers eux, et aprés eux veirent une si grande poudriere mouvoir que tout l’air en estoit troublé, ilz cuyderent que fussent gens d’armes que emeusent les poudres en cest estat. Pourtant furent ilz espouvantez et se retirerent arriere de l’autre parti du fleuve pour soy guarantir en leurs loges. Et ainsi pour ceste cause fut la bataille rompue et alla le roy Alexandre loger ses batailles jusques au plus prés de la riviere et la fist tendre ses tentes et ses pavillons pour reposer ses gens qui estoient fort lassez de veiller. Ce temps pendant que ces choses se faisoient ainsy que dit est, le roy Alexandre se desguisa, monta sus ung autre cheval que le sien, et avecques ung sien familier s’en alla en l’ost du roy Dare, et mesme en la loge de luy, et en le saluant luy dist et faignit qu’il fust des serviteurs au roy Alexandre. Par ce luy fist grant chere le roy Dare, car quelque guerre qu’ilz eussent ensemble, le roy Dare estoit gratieux et honnorable. Et aussi partant qu’il veoyt la contenance de Alexandre qui estoit fort honneste, il luy playsoit et le voulloit faire asseoir sur son precieux siege auprés de lui. Et en ce faisant, entra dedens la tente ung chevallier lequel cogneut le roy Alexandre et dist a aucuns qu’il avoit traÿson, dont le roy Alexandre bien apercevoit que l’autre l’avoit congneu. Lors partit d’aprés le roy Dare et vint a celluy qui tenoit son cheval et, affin qu’il ne criast ou deist quelle part ilz estoient allez, son homme et luy, tira son espee et luy couppa la teste. Et sans plus tarder donna des esperons a son cheval et fuyt tant qu’il peut vers ses gens,

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dont36 bien mestier luy estoit, car par ce que dist le chevallier persain fut la chose congneue. Et coururent aprés plusieurs Persains cuydans l’attaindre et mettre a mort, mais le roy Alexandre et son homme firent si bonne diligence qu’ilz eurent passé le fleuve au devant que leurs ennemys les eussent aconsuyviz. Et arriva le roy Alexandre en son ost tant moullé de l’eaue du fleuve par ou il avoit passé a grant cours de cheval tant que il n’avoit sur luy aucune chose de sec. Et de ce le blasmerent fort ses barons et chevalliers, disans que l’entreprise estoit folle et outrecuidee. Toutesfoiz, quelle que elle fust, merveilleusement bien luy en prist, car par ce congneut il que le roy Dare voulloit fayre et combien il avoit de gens et par quelle maniere estoit son armee appointee et en ce peut on manifestement congnoistre la grant subtillité et cautelle dont il estoit plain, lesquelles choses sont necasseirement requises a ceux qui frequantent la guerre, autrement ne viendroient a bon effect de leur entreprise. [fol. 201 v] Par ce quant celle nuit fut passee, il dist a ces gens que incontinent le jour venu ilz fussent tous prestz et en armes pour assaillir leurs ennemis, car son intention estoit qu’a celle heure leur livreroient tel assault que ilz seroient tous desconfiz. A ce fayre ce37 disposerent tous les gens du roy Alexandre, si que le lendemain passerent le fleuve et marcherent sur leurs ennemys plus avant que jamais n’avoient fait. Quant le roy Dare veit que ses ennemis estoient tant de luy prochains, il vint a ses gens et leur pria que bien se portassent vaillans en deffendant leur honneur et que si ainsi estoit qu’ilz eussent la victoyre de la bataille. Lui retourné en son païs, il les pourvoieroit tous d’avoirs et seigneurie, si bien qu’ilz s’en loueroient a tousjours. Le roy Alexandre aussi de l’autre part admonnestoit ses gens aussi de bien fayre en leur promettant que si la force estoit a eux, il leur donneroit tous les butins et richesses qu’ilz pourroyent conquester. Par ceste cause avoyent les uns et les autres grande affection en la bataille, laquelle fut si grande que de toutes celles qu’ilz avoient eues ne fut aucune si horrible et ou38 y eut tant de sang respandu, car les Persains, voyans que c’estoit l’extermination de leur prince et que s’ilz perdoient celle bataille ilz seroient livrez en servage, eslisoient autant ou mieux mourir que soy rendre en celle bataille. De l’autre part estoient les Macedoniens qui avoient ung prince subtil et magnanime le plus du monde et si estoyent tous gens faitz adurciz et adonnez en bataille tant que gresve chose leur eust esté de non39 avoir noyse a aucun. Par ce fut la bataille grande tant que l’espace de trois jours sans interruption elle dura. Mesme la nuyt ou ilz se pouvoient 36. 37. 38. 39.

donc Confusion entre ce et se. u nom

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entre trouver et congnoistre, ilz courroient sur les uns les autres, tant que finablement force fut aux Persains de soy retirer sur le fleuve de Graniton ou Granitum selon les Latins. Et la furent tous desconfiz, tant que plusieurs en fuyant et cuydant sauver leurs pouvres vies furent noyez ou fleuve dessusdit qu’ilz cuydoyent passer et se boutoient aux lieux dangereux sans sçavoir ou. Des Macedoniens aussi mesme qui suivoient les autres y en entra plusieurs qui furent tous noez et perduz et en ceste maniere fut la bataille des Persains confondue et fut force au roy Dare de s’en fuyr ou il eust esté occis ainsi que les autres.

16. Comme le roy Dare fut occis.

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De cestes grandes et merveilleuses batailles fut le roy Dare moult esbahy. En quoy il avoit bien perdu es trois rencontres quinze mille hommes tant a pié comme a cheval. Pour ce juga il en luy mesme que rien ne luy vauldroit fayre plus aucune assemblee contre le roy Alexandre et comme par honte et desplaisance s’en partit avecques peu de gens pour s’en aller a son adventure, et selon que disent aucuns estoit son intention d’aller vers le roy Pirrus40, qui regnoit en Inde. Quant les Persains veirent que leur roy estoit esvanoÿ et que la force n’estoit pas a eux, ilz laisserent leurs tentes, toutes richesses et avoir qu’ilz avoient apportees et se retirerent au plus tost qu’ilz peurent vers les forteresses lesquelles a eux appartenoyent, pour soy garantir. Mais ce ne leur vallut aucune chose, car aprés que le roy Alexandre eut assemblé et fait assembler toutes leurs richesses qu’ilz avoient habandonnees en leurs tentes pour s’enfuyr, la ou il fut bien l’espace de trente et quatre jours avant qu’il peust avoir tout, et puys aprés qu’il eut esté la ces trente quatre jours, assembla le plus de gens qu’il peut et avecquez toute son armee s’en alla au royaume de Perse pour assaillir la plus forte, la plus riche, noble et puissante cité qui fust adoncques en icelle contree, combien qu’il y en eust de fort belles, et la maistresse de tout le roiaume, nommee [fol. 202 r] Persapolim par excellence comme maistresse si que tout le royaume de Perse. Quant le roy Dare fut aucun peu esloingné de ses gens et il sceut que le roy Alexandre luy degastoit ainsi son pays, il luy manda et fist prier humblement qu’il luy pleust de le laisser en paix, que il luy rendist sa femme, sa mere, ses seurs et ses enfans, et que en ce faisant il luy donneroit tous les riches tresors du royaume de Perse, de Mede et des autres terres a luy subgettes, et seroit a tousjours son serviteur 40.

On attendrait bien sûr Porrus.

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et amy. Mais pour quelque doulce supplication qu’on feist a Alexandre, il ne se voullut amollier a l’occasion de la souvenance des vituperables lettres qui avoyent autresfoys esté envoyees et dist resolutoirement que rien n’en seroit, mays destruiroit tout le royaume de Perse ou il le subjugueroit. Ainsi s’en retournerent les messagers du roy Dare, et ce temps pendant Alexandre conquist la noble cité devant qui il estoit et furent tous ceux du royaume de Perse subgetz a luy et luy rendirent tribut tel qu’il le demandoit. Adonc quant il veit qu’il avoit tout convaincu fors le roy Dare qui s’enfuyoit vers le roy Pirrus pour avoir secours, le roy Alexandre commanda a ses gens aller aprés en la plus grande diligence qu’ilz pourroient pour le prendre. A ce faire se disposerent tous, et mesme les Persains qui se estoient renduz a lui, et pour faire des vaillans chevaucherent tant qu’ilz attaignirent Dare leur maistre principal et droicturier, lequel ils navrerent en le prenant tant que finablement il en mourut. Et aprés ce qu’ilz l’eurent ainsi navré, le retirerent en une place sur le chemin par ou le roy Alexandre qui les suyvoit debvoit passer et quant il arriva luy presenterent, cuydans qu’il en fust tout joyeux. Mais ainsi que disent aucuns sages historiographes, le roy Alexandre, voyant le noble roy Dare qui tant avoit esté puissant ainsi navré par ses gens propres et pres de la mort, eut pitié et ne se peut tenir de plourer. Disent41 ainsi que quant le povre homme, roy de Perse, veit le roy Alexandre devant luy, il se adressa vers luy joignant les mains en lui criant mercy, priant et requerant qu’il luy pleust avoir pitié et misericorde de sa femme, sa mere, ses seurs et ses enfans. A ce respondit le roy Alexandre par grande pitié que aussi feroit il et lui dist : « Sire roy Dare, mon amy, prenez patience. Il me poyse que en vostre plaine santé il ne vous a pleu avoir amitié avecques moy. Et non obstant toutes malles voulentez qui y aient esté, quant je vous eusse trouvé ou aucun de mes gens, nous ne vous eussions pas ainsi navré a mort comme vos gens propres qui a vous se sont renduz. » Et aprés telles paroles dittes rendit le roy Dare son esperit et le fist le roy Alexandre porter en sa contree, ardre son corps et ensepulturer tres honnorablement ainsi comme il apartenoit a roy. Avecques ce fist prendre les ceux lesquelz l’avoient mis a mort, considerant42 de pure mauvaytié leur venoit pour se monstrer vaillans plus qu’ilz n’estoient, tuerent leur propre prince naturel, lequel ilz deussent avoir secouru jusques a la mort. Et pour ceste cause les fist pendre le roy Alexandre en les reputant pour traistres, disant qu’ilz estoient traistres et que ung traistre ne debvoit estre en aucune maniere soustenu parmis les autres quelque prouffit qu’il feist. 41. 42.

disant On attendrait un que après considerant et un que avant tuerent.

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17. Le translateur.

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En la maniere que dit est mourut le roy Dare de Perse, lequel fut le plus grand prince et puyssant qui se peust trouver au devant du roy Alexandre duquel les historiographes parlent. Maiz par la supersticiosité de luy et qu’il voulut aultruy deprimer, c’est a sçavoir le vaillant roy Alexandre, en luy mandant lettres et libelles diffamatoires, luy furent donnees les grandes povretés et misere infinies qu’il eut. Car si jamais [fol. 202 v] les lettres qu’il envoya n’eussent tant concité43 le roy Alexandre a fureur, jamais ne luy eut fait les crudelitez qu’il luy fist et pour ce est ce une grande folie a une personne de voulloir autruy diffamer car si puissant n’y a qui sache ce qui luy peut advenir.

18. Comme le roy Alexandre voullut aller vers la cité de Jerusalem.

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Quant le roy Alexandre eut ainsi conquise toute la terre de Perse et mis tout a sa subgection, en recepvant tribut de eux et en asseoyant en chacune ville et forteresse garnison de gens d’armes afin de les garder a sa voulenté, si que chascun an ses tribuz et revenue luy estoient envoyez ainsi qu’il les avoit ordonnez, il leva son armee et fist mettre ses gens en point le plus vaillamment qu’il peut pour aller en la terre de Judee, assaillir la cité de Jerusalem pour la subjuguer a sa voulenté ou la destruire totallement ainsi que il avoit fait plusieurs autres places. Por quoy quant ceux de Jerusalem en ouÿrent les nouvelles, ilz se assemblerent devant Jonadas qui estoit leur roy et souverain evesque, luy disant qu’il ne debvoit point attendre la souveraine puissance du roy Alexandre qui tant estoit renommé, craint et redoubté par toutes terres. Adoncques leur dit Jonadas que ilz se meissent tous en jeunes, priaires et devotions envers Dieu, requerans qu’il luy pleust de sa grace les preserver que le roy Alexandre ne leur monstrast si grande fureur qu’il avoit fait a d’aucunes citez ou il avoit esté. Et ainsi le firent les juifz que leur evesque leur enseygna. Ainsi quant ilz sceurent certainnement que le roy Alexandre venoit vers eux, Jonadas, l’evesque, se vestit tout de blanc et fist vestir les prestres et clercs de la cité tous des armes ecclesiastiques, et puis print une baniere en laquelle estoit escript le nom de Jesucrist et s’en allerent en procession au devant du roy Alexandre. Quand le roy Alexandre veit celluy evesque vestu tout blanc, portant celle baniere en laquelle estoit escript le nom de Dieu, il descendit de sur 43. « poussé à ».

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son cheval et se mist a genouz en adorant le nom de Dieu, dont ses gens furent moult esbahiz, veu ce qu’il estoit sarrazin, comment il adoroit ung esveque juif. Et ne luy en osoient parler fors ung qui s’enhardit, lequel avoit a nom Parmenus et dist au roy : « Sire, nous sommes tous esbahiz de vous qui estez si grant seigneur, riche, puissant, craint et redoubté, a qui toutes gens portent honneur et vous adorent, comme vous avez voulu descendre de sur vostre cheval et vous humilier tant devant l’evesque des juifz, qui a genouz l’avez adoré, avecques ce que c’est contre vostre loy. » A ce respondit Alexandre et dist : « Sachez, seigneurs, que l’evesque des juifs je ne adore pas, mais cellui dieu tout puissant duquel il porte le semblant, car une foiz en mon dormant, le dieu des juifs s’apparut a moy tout en tel habit et figure que cestuy evesque est maintenant et me dist et promist, selon qu’il me sembla en mon advision, que je seroie seigneur de moult de royaumes et de terres que je conquerroye par ma puissance et proesse, laquelle chose je sçay et cognoys maintenant estre veritable. Par quoy je confesse celluy dieu tres puissant plus puissant que les nostres et jamais ne lui avoye porté aucun honneur jusques a ceste heure presente que j’ai veu l’evesque en la semblance que je le vy avecque le nom de lui escript en celle baniere. Et pour ceste cause je l’ai adoré, et celluy aussy qui de lui l’enseigne porte, non pas pour la persone du porteur, mais pour l’honneur de celluy dont il est serviteur. » Et par ceste responce furent contens tous ses chevalliers et ne sceurent plus que dire a l’encontre.

19. Le translateur.

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Par l’adoration que fist Alexandre, [fol. 203 r] qui devant l’evesque des juifz portant le nom de dieu s’aclina, monstrant façon contraire a sa loy, par ce en bien reprove44 le miserable vouloir des crestiens ingratz qui ne portent aucun honneur aux gens d’eglise qui ont dignité si grande que par leur seule parolle pevent consacrer le corps du vray filz de Dieu, car de tieux en est qui sont si villains ou si presumptieux que mesmement devant le corps de Dieu ne se veulent pas descouvrir et humilier, laquelle chose est bien reputee ville et infame quant a Dieu et aux bons, car si les sarrazins qui n’ont point la loy de Dieu luy portent honneur et reverence, ainsy que nous avons veu par si45 devant du roy Alexandre, par plus forte raison nous qui sommes crestiens le debvons bien faire. 44. 45.

« blâme, condamne ». avons par si ; ajout de veu.

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20. Comme le roy Alexandre entra dedens la cité de Hierusalem.

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Quant Alexandre roy de Macedone eut ainsy adoré le nom de Dieu et l’evesque qui le portoit, il entra dedens la cité de Jerusalem, la ou il fut receu en grant honneur et en grant reverence, et puys le mena l’evesque dedens le temple, la ou Alexandre sacrifia en l’honneur de Dieu et fist ses oraisons ainsy que l’evesque luy enseigna. Puis departit au temple a l’evesque et aux presbtres de ses grans et riches tresors. Avecques ce commanda que les citoiens de Hierusalem tenissent leur cité en paix en servant leur dieu selon leur loy, sans avoir empeschement ou destourbier d’autruy, et qu’i fussent francs et quittes de tous tribus et payages l’espace de ung an, et quant il eut ce faict, il s’en alla hors de la cité pour conquerir le pays de l’environ et les regions voisines. La il eut de grans occisions, car en celluy temps estoient les gens tant parvers et plains de miserable voulenté que les ung ne povoient endurer des autres et quant aucun avoit quelque bonne fortune et qu’il estoit eslevé en honneur, il vouloit les autres supediter46, par tant avoient ilz a toute heure ensemble noises et discensions. Mais toutesfois, le roy Alexandre se monstra si vaillant et si chevalereux que finablement il fut maistre de toute la terre de Judee, et puis aprés qu’il eut ainsi tout conquis, s’en retourna parmy le royaume de Perce pour aller conquerir les Yndes et toute la terre jusques a la grant mer qui tout le monde avironne, mais au devant qu’il venist aux montaignes de Ynde, il se combatit et mena guerre aux Hilliriens et aux Mayniens contre lesquelz ilz fut longuement. Mais toutesfois en la fin eut il la victoire et les submist a sa voulenté de luy payer tribut par chascun an tel qu’i demanderoit.

21. Comme la royne de Amazone vint au roy Alexandre.

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En ce temps que le roy Alexandre menoit les batailles devant dites, la royne de Amazone en ouÿt parler, laquelle doubtant que Alexandre ne luy fist guerre vint au devant de luy avecques troys cens damoiselles pour luy demander paix et luy rendit le royaume de Amazone pour en faire a sa voulenté sans aucune bataille attendre, et selon ceux qui ceste oppinion tiennent estoit icelle royne de Amazone nommee Alestus. Les autres disent qu’elle estoit appellee Mechea et que la cause pour quoy elle rendit son royaume si gracieusment47 au roy Alexandre fut pour ce qu’elle avoit ouÿ dire tant de biens et de perfections du 46. 47.

« dominer ». crascieusment

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roy Alexandre que jamais homme n’en eust peu plus avoir, et que voluntiers elle eust traicté qu’il l’eust prinse a mariage affin de avoir ung enfant de luy, car, ainsi que dit nostre present docteur Orose, Alexandre estoit autant beau de personnage que l’en sceust souhaister, gracieux et honourable quant il lui plaisoit, mais aucunes fois tant felon et tant cruel que homme ne l’osoit regarder. Et ceste chose est bien apparente en aucuns de ses faitz, comme nous lysons qu’il fist occire ung sien cousin nommé Ami-[fol. 203v]-racus pour ung mot desplaisant qu’il luy dist. Nous lysons aussy de ung autre nommé Cluicon, ancien chevalier, mais quelque malice ou fureur qui fust ou roy Alexandre les autenticques historiographes le tiennent et reputent plus vertueux sans comparaison que vicieux. Et est assez vraysemblable que ainsi fut veu les fins de ses euvres et aussy consideré que en son jeune aage il avoit esté instruit de si grant clerc et vertueux homme et, disent Plencareque et Livius48, deux hystoriens qui parlent des faitz de lui, que des son jeune aage il adoroit Dieu le createur, et lui enseigna son maistre Aristote a laisser le sacrifice et cult des ydoles, disant que ung seul dieu estoit a adorer, duquel toutes bonnes choses procedent, par qui toutes bonnes choses se font et a qui toutes choses doibvent tendre et avoir regart. Pour ce disent aucuns49 que le premier cry50 que fist faire le roy Alexandre quant il vint a regner que ce fut que on n’adorast point les ydolles mais Dieu le createur.

22. Des belles vertus et sciences qui furent au roy Alexandre.

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Pour plus amplement congnoistre les faitz d’Alexandre, une des premieres apparences qu’on eust sa sagesse fut au temps qu’il estoit a l’escole en son jeune aage, soubz Aristote avecques aucuns autres filz de roy. Ung jour fut que leur maistre les appella a part et demanda a l’ung d’iceux quel bien il luy feroit quant il seroit roy, et celluy respondit qu’il luy donneroit tout le gouvernement de son royaume et autant de puissance comme a lui mesme. Semblablement fist Aristote celle demande a ung autre, lequel respondit : « Mon maistre, je vous donneray la moytié de mon royaume totallement, car je y suis bien tenu. » Tiercement le demanda Aristote a Alexandre lequel respondit differentement des autres, disant : « O mon maistre qui tant es sage,

48. 49. 50.

Sans doute Plutarque et Tite-Live. Il s’agit de Guillaume de Tignonville. « proclamation publique ».

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tu me demandes une frustrature51 demande et dont a peine te sçauroye response rendre, car il me semble soubz ta correction que a peine aujourd’uy te respondroye de la chose que demain je doy apprendre en tant que je ne la sçay. Ainsi est de ce tu m’as demandé52, c’est que je te donneray quant je seroy roy. Sçaches combien que filz de roy je soye et attende sa succession, si ne sçay je se je vivray tant que je l’aye, mais se Dieu et Fortune me laissent tant vivre et qu’en cellui honneur je soye mys, adonc te pourray je rendre responce de ce que tu m’as demandé. » Quant Aristote eut ouÿ ce que Alexandre lui respondit, il fut moult esbahy de ce que ung si jeune enfant avoit tant de prudence et estoit si pourveu de responce et fut une des premieres congnoissances qu’on eust de son sens. L’autre apparence que l’en eut fut que une autre foys Alexandre et ung de ses compaignons qui plus grant que lui estoit eurent noise ensemble et avoit cellui compaignon tort, mais pourtant que plus aagé et plus fort estoit, il batit Alexandre et lui donna du poing, dont Alexandre se plaindit a Aristote et lui dist : « Maistre, tel m’a offensé, je te prye, donne m’en vengance et que celle injure ne demeure point impugnie tant qu’elle puisse causer aucune vieille rancune entre mon compaignon et moy. Nous sommes tes subjectz, tu es nostre prince, et nous ont mis nos parens en ta tutelle affin que tu amendes nos deffaultz par quoy tu nous doibz faire justice. Je congnois que je suis offensé de mon compaignon et y a discord entre noz deux, lequel par ta justice tu peux rapaiser et nous remettre amis, sinon tu pourras estre cause de ce commencement de hayne qui demeurera en noz cueurs, et finablement en l’aage de force et de perfection pourrons estre ennemis, et moy qui me sens oprimé me pourray rememorer de l’extorcion a moy faicte, laquelle je oublieray si maintenant en faitz con digne satisfacion. » Quant Arristote oÿt ainsi parler sagement Alexandre, il s’esmerveilla grandement comme si jeune enfant avoit [fol. 204 r] desja la congnoissance que c’estoit de justice et vouloit assister en droit. Considerant Aristote que celluy enfant avoit desja cueur de prendre vengance de ses ennemys, appela celluy compaignon filz de roy qui avoit blessé Alexandre et devant tous le pugnit, laquelle pugnition faicte, Alexandre acolla son compaignon et luy dist : « Mon compaignon, mon amy, pren a pacience, car aujourd’uy a justice mis la paix entre noz deux de hayne qui une fois eust peu estre cause de destruire toy et moy avecques les royaumes ausquelz nous pretendons succeder. » Ainsi fut l’amour d’Alexandre et de son compaignon confermee et fut congneue la grande sapience qui estoit en luy. D’autres choses vertueuses fist le roy Alexandre que ce fut merveille, lesquelles nous verrons en certains passages de la deduction de ses faitz par icy aprés. 51. 52.

« vaine ». Construction de la relative en parataxe.

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23. Comme le roy Alexandre partit de Amazone.

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Aprés que le roy Alexandre eut ainsi esté receu honnorablement ou royaume de Amazone comme dit est, il print congié de la royne et de toutes ses damoiselles pour s’en aller en Ynde ainsi qu’il avoit entreprins, mais au devant qu’il y parvenist, il passa par le royaume de Turquie et assaillit les Turcs pour les voulloir subjuguer, et eux se defendirent, craignant qu’ilz ne fussent vaincus tellement que devant que le roy Alexandre en fust maistre, force luy fut et contraincte de les mettre presque tous a mort, et aussy ce furent les gens sur tous les autres qui plus le greverent. Pourtant leur fist il destruire toutes les villes et forteresses de leur royaume et quant il eut faict, il s’en alla mener guerre aux Doeniens, aux Eugeteniens, aux Sparmeniens, aux Sarpiens et a toutes les gens qui habitoient aux pié de la montaigne de Caucasi, la ou il fist tant de batailles et de effusions de sang que ce fut chose abhominable des gens qui y moururent, tant d’une part que d’autre. [gravure : scène de combat] Mais toutesfoys le roy Alexandre en fut maistre, puys y fonda une riche cité sur le fleuve de Tanay, laquelle il nomma Alexandrie de son nom, ainsy qu’il avoit faict l’autre en Egipte. Aprés ce faict, encore au devant qu’il entrast en Ynde, il assaillit deux cités dont le peuple estoit tant fier et tant merveilleux que jamais homme n’en avoit peu avoir la seigneurie, dont l’une estoit appellee Thoamos et l’autre Thabas, qui estoient cités tant loingtaignes que a peine les povoit on nommer, et en la fin, par grandes et diverses batailles en fut maistre le roy Alexandre. En celluy temps fist occire le roy Alexandre ung sien compaignon d’escolle, grant philozophe et moult prudent, qui autresfoys avoit esté avecques luy a l’escolle soubz Aristote, pour la cause que celluy philosophe ne luy portoit pas assez grant honneur a son apetit. Aprés s’en alla Alexandre devant la cité de Ysam dont53 Cleofilus estoit roy et le fist occire Alexandre et lui tollir son royaume, mais ainsi que disent auncuns, il le rendit a la fin pour avoir la compaignie de la royne qui tant estoit belle que chose merveilleuse estoit54.

53. donc 54. Incompréhension de l’épisode, puisque Cléophile est une reine des Amazones et que c’est à elle qu’Alexandre rend son royaume.

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24. Comme le roy Alexandre entra en Inde. [fol. 224 v]

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Quant le roy Alexandre fut ainsi approché de la terre de Inde et vaincu les grandes et cruelles batailles devant dictes55, il entra dedens avecques toute son armee et de ce furent portees nouvelles au roy de Inde nommé Porrus, lequel estoit adonc le plus riche roy qui fust sur la terre. Quant Porrus fust adverti que le roy Alexandre venoit contre lui pour mener guerre, il fist assembler ses gens tant et en si grant nombre qu’il peust. Avecques ce fist faire trois cens tourelles, lesquelles furent assises sus troys cens bestes merveilleuses et horribles nommees elephans. Pareillement aussi avoit il quinze mille et huyt cens chariotz richement ornés sur lesquelz estoient hommes armés puissans, hardis et bien embastonnés de beaux dars de picques et de gavellos, ainsy qu’ilz avoient coustume de porter56 en celluy temps. D’autres gens tant a pié comme a cheval avoit le roy Porrus en sa compaignie tant et en si grande habondance que a peine les eust on sceu anombrer, pourtant quant les batailles assemblerent d’une part et d’autre, la cryee fut sy tres horrible des elephans et autres bestes qui la estoient, avecques les cors57 et busines dont ilz sonnoient, qu’il sembloit que la terre deust fondre. [gravure : scène de combat] En ceste bataille s’entre rencontrerent le roy Porrus et le roy Alexandre de si grant roideur et de si grant force que d’ung cop de lance que le roy Porrus bailla au grant cheval Bucifal, sur quoy estoit le roy Alexandre, qu’il abatit home et cheval, et eust esté occis le roy Alexandre se hastivement ses gens ne luy fussent venus donner secours. Pareillement aussy y fut fort playé le roy Porrus et tant de ses gens que force leur fut de demander treves les ungs aux autres, qui furent acordees l’espace de vingt jours pour guerir les navrés et ensevelir les mors, ainsy qu’ilz avoient de coustume de faire en celluy temps. Aprés ce que les treves furent ainsy acordees, le roy Porrus et le roy Alexandre firent ung apointement ensemble de combatre corps a corps par telle condicion que celluy qui gaigneroit la bataille demeureroit le maistre et auroyt les seigneureries et possessions de l’autre, et a ce faire se accorda voulentiers le roy Porrus, car il lui estoit advis que facilement il auroit domination du roy Alexandre et aussi a veoir les personnages de l’ung et de l’autre, on eust creu que Porrus eust eu l’avantage, car il estoit le plus grant et le plus fort se sembloit. 55. Le deuxième verbe ne se construit pas avec l’auxilliaire être mais l’auxilliaire avoir n’est pas exprimé. 56. avoient de coustume porter 57. corps, confusion entre corps et cors.

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25. Comme le roy Alexandre et le roy Porrus jousterent corps a corps.

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Aprés que les vingt jours de treves furent passés, le roy Alexandre et le roy Porrus se mistrent en armes le plus triumphantement qu’ilz purent, tant de harnoys que de chevaux, et vindrent au lieu determiné pour celle jouste faire, et la coururent l’ung contre l’autre, a force de puissans chevaulx, la lance en l’arrest tellement que l’ung greva fort l’autre. Mais toutesfoys le roy Porrus fut abatu et demeura Alexandre le maistre et victorien. Ainsi fut la jouste finee et l’onneur de la victoire donné au roy Alexandre, en signe de quoy il fist faire en celluy lieu deux cités, dont l’une fut nommee Funera et l’autre Bucifalem, en memoire du [fol. 205 r] grand cheval Alexandre que tant il amoit qui fut tué. Mais ceux du pays ont depuis nommé les deux dictes cités alexandrines ou nom de Alexandre qui les avoit fondees. Aprés que la bataille devant dite fut finie, le roy Porrus soy voiant convaincu bailla son ceptre royal au roy Alexandre en lui disant que de luy et de son royaume fist tout a sa voulenté, car raison estoit, mais le roy Alexandre ne le voulut pas recepvoir et dist que nonobstant qu’il eust gaigné la bataille et que par les convenances faictes entre eux toutes les seigneuries du roy Porrus lui appartenissent, sy ne vouloit il pas lui oster son royaume, mais trop bien en vouloit avoir des richesses pour donner et departir a ses gens. Adonc le remercia Porrus et le mena en sa noble cité, la ou il avoit ung pallays tant riche et tant magnifique que prolixe chose seroit et ennuyante de en descripre tant seulement le sumptueux artifice et façon ingenieuse, car au monde ne fut veu plus beau et n’estoient rien l’or, l’argent et les pierres precieuses dont il estoit fait au regart de l’ouvraige de la riche entailleure. D’autres richesses et tresors monstra le roy Porrus au roy Alexandre desquelles il print ce qu’il lui pleut et les departit a ses gens, et puis aprés dist le roy Alexandre au roy Porrus qu’il vouloit aller en Ynde la minor et vers le cité de Bactrie, laquelle estoit es dernieres parties du monde vers la grant mer qui tout le monde avironne et prya au roy Porrus qu’il luy tenist compaignie. Mais le roy Porrus se excusa et lui dist qu’il ne lui despleust et que sa complection58 ne pourroit porter les grans travaulx qui estoient a passer les desers, mais que de ses gens il bailleroit assés et qui bien seroient59 les adresses des desers pour les passer sans dangier, avecques ce bailleroit de vivres, de bestial, de bledz, de vins, de viandes, adveine pour les chevaulx et autres choses neces-

58. 59.

« état physique ». pour sauroient.

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saires, il le pourvoiroyt tant et en si grande habondance qu’il vouldroit. Et de ce fut content le roy Alexandre.

26. Comme le roy Alexandre et ses gens entrerent aux desers.

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Comme dit est se disposa le roy Alexandre de aller en Ynde la mynor et passer les desers horribles, merveilleux et plains de serpens qui la estoient et, ainsi que disent plusieurs, luy bailla le roy Porrus viandes et toutes choses necessaires a porter avecques luy tant comme il en voulut, avecques ce cent et cinquante hommes du royaume bien armés et apointés qui autresfois avoient passés les desers et disoient bien cognoistre le chemin. Mais quant vint au fort des desers, ilz se forvoierent aussi bien que se jamais n’y eussent entré et se trouverent Alexandre et ses gens en si grande necessité pour la puanteur et infection de serpens que plus ne povoient durer et encore, qui pis leur fut, avecques ce qu’ilz estoient lassés de porter leurs armeures et butins qu’ilz avoient conquester, la chaleur du soleil estoit si tres vehemente et les pressoit si fort que les plusieurs mouroient de soief et en estoient si fort agraventés que contrainte leur estoit souventes foys de boyre l’eaue orde60 et infaicte qu’i trouvoient aux pas des chevaulx et autres ordes bestes qui passoient par le chemin. Car ils estoient en haultes montaignes loing de toutes eaues et mesmement estoit le roy Alexandre tant agravé de soif que il fut presque mort quant ung noble chevalier nommé Spirrus luy aporta en son heaume de l’eaue clere, laquelle il trouva en la conquavité de une grande pierre et y estoit chuete des pluyes, et ama mieux le gentil chevalier endurer necessité pour porter icelle eaue a son prince que la boire. Mais une chose merveilleuse fut de la voulenté au roy Alexandre, car quant le chevalier lui eut presenté l’eaue, tenant le heaume en sa main, considerant que se il buvoit icelle eaue dont il y avoit bien peu, [fol. 215 v] ses gens en le voiant boyre, par avidité qu’ilz eussent eue, eussent doublé leur soif, pourtant ama mieux le noble roy Alexandre endurer la grant et merveilleuse soif qu’il avoit et la douleur comme eulx et getta l’eaue devant tous eux sur la terre sans boyre, combien que le bon roy Alexandre n’en sceut pas moins de gré au vaillant chevalier qu’il luy avoit apportee. Et adonc quant les gens d’armes du roy Alexandre veirent et congneurent que leur maistre n’avoit pas voulu prendre particulierement du bien pour lui, ilz dirent l’ung a l’autre en maniere que bien debvoient avoir necessité puis que leur maistre l’enduroit, et en ceste douleur et povreté que les ungs et les autres 60.

ordre ; orde signifie « répugnante ».

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estoient cheminerent tant qu’ilz vindrent auprés d’ung grant estang noir et parfond, avironné de roseaux si grans, si merveilleux et fors que les ceux du pays en faisoient leurs maisons ainsi que de boys. Quant le roy Alexandre veit celle eaue, il fut tout resjouÿ, cuydant qu’elle fust bonne a boire et que ses gens en fussent rassasiés. Pourtant fist il tendre ses tentes sur le bort de l’eaue et a l’environ pour se reposer, mais au devant que aucune personne goutast de l’eaue voulut le roy Alexandre en goutter. Et le dit roy Alexandre trouva qu’elle estoit si tres amere et merveilleuse a boire que impossible estoit a homme humain boire ne avaller de ceste eaue, pareillement n’y avoit beste qui en eust peu boire ne avaller. De laquelle chose furent le roy Alexandre et ses gens merveilleusement couroussés et plus en partie pour leurs bestes que pour eux, car les creatures raisonnables qui ont judicative de raison prennent mieux a pacience aucune necessité que ne font les bestes irraisonnables qui n’ont que apetit sensitif. Avecques ce les hommes n’estoient pas si grevez que les bestes, car ilz avoient entendement de prendre aucune recreation pour mitiguer leur douleur, comme en mettant les fers de leurs lances, les pommeaux de leurs espees ou aucune chose froit en leurs bouches pour oster l’alteration, et de fait en si grande necessité se trouverent que telz y avoit que par rage de soif n’avoient point honte de boire tant peu de urine comme ilz faisoient et de ceste chose eut le noble roy Alexandre si tres grant pitié que plus ne peut, considerant en soy mesme la douleur en quoy les povres gens estoient en acomplissant son vouloir et le servant a ses affaires ; pour ceste cause commanda il sur peine de perdre la vie et de confiscation de biens que tout homme qui seroit en l’ost pour porter armes se tenist armé nonobstant la destresse et necessité en quoy ilz estoient. Et de ce commandement furent moult esbahis tous ceulx de l’armee comme le roy les contraignoit a cheminer et chevaucher tous armés, qui tant avoient enduré de maulx, de malles fortunes et persecutions soustenus et portez.

27. Comme le roy Alexandre fist noyer cent et cinquante hommes qui le menoient, et comment bestes horribles qui sourdirent du fons d’une eaue devorerent deux cens chevaliers.

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La cause pour quoy le roy Alexandre fist le commandement dessus dit a ses gens fut pour ce que bien voyoit que les Yndiens qui le debvoient conduire l’avoient fait forvoyer et doubtoit qu’ilz ne le voulsissent trahir, pourtant vouloit il que ses gens fussent tousjours armés affin qu’on ne les prensist a despourveu et fussent destruitz et mis a mort en ces lieux sauvaige et incon-

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gneuz en quoy ilz estoient et tant cheminerent jouste les rives dudit fleuve qu’ilz arriverent auprés d’ung chasteau fort et merveilleux, lequel estoit assis en une hille61 d’icelle eaue et tant estoit fort celluy chasteau que on n’en povoit approcher a pié ne a cheval, car l’eaue estoit tout alentour large et profonde merveilleusement. Quant le roy Alexandre veit ce chasteau, il [fol. 206 r] fist regarder tout a l’environ. Et aperceurent aucuns hommes sans vesteure lesquelz s’en fuyoient dedens la forteresse comme s’ilz eussent paour d’avoir veu l’armee arriver. Et affin de les fayre sortir hors pour sçavoir quelz gens c’estoient et ou il y avoit eaue doulce, le roy Alexandre commanda a ses archiers qu’ilz tirassent a force de leurs arcs dedens la forteresse. Mais tant plus ilz tiroient, les autres plus se mussoient. Ainsi quant le roy Alexandre veit qu’ilz ne sortiroient point dehors pour chose que on leur feist, desirant veoir quelz gens c’estoient et enquerant de eux ou ilz pourroient trouver eaue, fist armer deux cens de ses gens de legeres armeures, lesquelz sçavoient la façon de nager, et leur commanda qu’ilz se meissent en l’eaue pour la passer a naige et aller veoir l’edification de la forteresse et quelz gens y abitoient. Ce fait entreprindrent les deux cent chevalliers, dont maleur vint, car quant ilz eurent nagé environ la tierce partie de l’eaue, une flotte de bestes horribles et monstrueuses sourdirent du fons de l’eaue, lesquelles devorerent et transglottirent les deux cens chevalliers. Et nomment ceux du pays icelles bestes ypotanees, qui sont grandes comme elephans et vivent en l’eaue. De ceste adventure merveilleuse furent le roy Alexandre et ses hauls princes tant courrossez que ce fut douleur et non sans cause, car bien mal leur fasoyt et grant pitié avoient de les avoir veu devorer ainsy cruellement devant eux, sans leur pouvoir donner secour. Et selon que disent aucuns, en pleura le roy Alexandre et jura qu’il feroit destruire cent et cinquante Indiens qui avoient la charge de les conduyre, disans qu’ilz sçavoient bien le chemin et les adresses des desers et ilz l’avoient fait si lourdement forvoyer62 sans luy dire les dangers et la faulte d’eaue qui y estoit. Et adoncques commanda il a ses gens qu’ilz les prenissent et les getassent en l’eaue aux ypotanees qui ses gens avoient devorez. Aprés ce, quant vint vers la vespree, ceux dedens la forteresse sortirent dehors et entrerent sur l’eaue avecques de petites nacelles rondes faictes de ces roseaux devant ditz. Ceux apperceurent les gens du roy Alexandre, qui moult estoient espovantez pour l’orribleté que ilz avoient veue, et leur demanderent en langage yndien la ou ilz pourroyent eaue doulce trouver pour eux refreschir et leurs bestes. Et ceux des nacelles respondirent que assez pres de la trouveroient ung estanc grant et 61. 62.

Graphie pour le mot « île ». lourdement de fourvoyer

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large de bonne eaue et doulce. Et incontinent ces parolles dictes se retirerent dedens leur forteresse. Et bien tost aprés ainsi que Alexandre et ses gens parlamentoient ensemble de leurs affaires, une grant turbe63 des ypotanees devant dictz sourdit, si tres grande et merveilleuse qu’ilz en furent tous espovantez, car ilz sembloient estre tous enragez et voulloir sortir de l’eaue pour courir sur aux gens. Pour ceste cause commanda Alexandre son ost a desloger, car il ne voulloit pas attendre le danger et que ses gens fussent contrains de combatre par nuyt avecques icelles bestes merveilleuses et ainsi furent contrains de cheminer toute la nuyt parmy les boys et les desers plains de lyons, dragons, ours, tigres et autres bestes monstrueuses, qui estoient saillies hors des boys et des montaignes pour l’oudeur des gens et des bestes qu’ilz sentoent, et leur firent beaucop de gref. Toutesfoiz en eschapperent ilz a force d’armes et cheminerent tant que l’endemain au matin, environ l’heure de midi, ilz trouverent l’estanc d’eaue doulce qu’on leur avoit dit, dont ilz furent moult joyeux, car en peu de temps refectionnerent ilz si bien les appetiz de eux et de leurs bestes que en bref terme il ne leur souvint de leurs douleurs precedentes. Et pour mieux se reposer a leur aise, fist le roy Alexandre tendre ses pavillons sus le rivage de l’estanc et a l’environ, car c’estoit ung beau lieu plaisant et delectable. Et aussi l’eaue du fleuve estoit souverainement bonne et a ce prenoient grant plaisir, car adoncques ilz avoient ce dont64 long-[fol. 206 v]- temps avoient eu grant necessité en passant les desers.

28. Des malles adventures qui survindrent au roy Alexandre sur l’estanc.

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Selon que disent auncuns historiographes parlans du roy Alexandre65, cestuy estanc sur quoy il se aresta estoit en ung pays sauvage et merveilleux et n’y avoit eaue doulce que la a cent lieux en ront. Par quoy au tour d’elle y avoit plusieurs nourritures tant de bestes domestiques que sauvages, et de toutes pars la nuyt y accourroient toutes bestes horribles et crueuses pour boyre et passer leur soef, l’une a une heure et l’autre a l’autre, lesquelles choses firent moult d’ennuy au roy Alexandre et a ses gens. Et n’eust esté la pourveance qu’ilz avoient faicte de jour, ilz en eussent eu plus grant meschef66. Mais avant 63. 64. 65. 66.

« troupeau ». donc Alxandre « malheur ».

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que la nuyt fust venue, le roy fist abatre tous les arbres qui estoyent autour de l’estanc et retirerent les bestes ou derriere des tentes vers la forest et puys fist allumer grans feuz tout autour des tentes si que de l’ung endroit on veoit jusques a l’autre. Et ainsi aprocha la nuit que les viandes furent appareillees pour la refection de l’ost. Le roy voulant se asseoir fist sonner ses cors et busines, allumer67 fagotz et grans luminaires pour fayre a sçavoir parmy tout l’ost que sayson estoit de souper, mais ainsi qu’ilz furent a table pour cuider repaistre en patience, environ la premiere heure de la nuyt, la lune se leva belle et claire. Et lors virent arriver sur eux68 une grande vollee de serpens orribles et merveilleux, dont les uns estoient rouges, les autres estoient tachetez de blanc, les autres de noir et les autres de jaune, lesquelz en arrivant sur le fleuve menerent si grant tempeste et noise qu’il sembloit que toute la terre en retentist. Et ainsi furent Alexandre et ses gens moult perturbez en leur soupez et n’eust esté les grans feuz qu’ils avoient et aussi qu’ilz coururent aux armes diligentement et firent de leurs escuz murailles et taudeys69, les serpens leur eussent donné grant empeschement. Toutesfoiz aprés qu’ilz eurent esté environ de deux heures en celle peine et travail, les serpens se retirerent dont ilz estoient venuz. Mais bien tost aprés leur en sourvint une autre maniere qui portoient unes grandes crestes sur la teste, qui gettoient venin et infection par la bouche tant que plusieurs des gens Alexandre en perdirent la vie, et ainsi se passa une partie de la nuit. Tantost aprés leur revindrent une autre maniere de serpens nommez coquatriz ou semblables, qui avoient les peaux si dures et si espesses qu’il n’estoyt ferrement, tant fust trenchant, qui les sceust percer, et firent moult de maulx aux Macedoniens. Mais pour la chaleur du feu se retirerent finablement iceux serpens au lieu dont ilz estoient partiz.

29. De la grant beste merveilleuse qui seulle assaillit les Macedoniens. Quant vint environ la quinte heure de la nuyt, Alexandre et ses gens cuydoient bien estre delivrez de toutes leurs malles adventures, aprés ce que ilz eurent convaincu70 les serpens de diverses manieres qui leur avoient fait tant de ennuy toute la nuyt et esperoient de prendre aucun peu de repos, et fist le 67. 68. 69. 70.

allumez vindrent arrivez sur eux « abri fortifié ». « vaincu ».

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roy Alexandre sonner ses cors et busines pour notifier a ses gens qu’ilz se pouvoient bien reposer et que les dangers estoient passez, mais non estoient. Car tentost aprés leur vindrent grans tropeaux de sangliers grans et merveilleux, qui venoient boyre en icelle eaue et firent grant peur aux gens Alexandre pour le bruyt et tempeste qu’ilz demenoient en courant impetueusement parmi les buissons de la forest, non obstant qu’ilz ne blesserent aucun de l’ost, mais neanmoins en eurent ilz grant peur. Aprés ce leur vindrent une autre maniere de serpens volans semblables [fol. 207 r] de corps et de grandeur a ung71 coullon, lesquelz ceux du pays appellent chauves, et firent grant mal aux gens Alexandre, en volant parmi leurs visaiges et les attaignant de leurs aelles et piedz venimeux. Toutesfoiz ne firent ilz que passer et aller boyre en l’eau et puis retourner dont ilz estoient venuz. Aprés les serpens dessus dictz, descendit par devers les montaignes une grande beste horrible et merveilleuse le plus qu’ilz eussent encore veu, car plus grande estoit que ung elephant et estoit faicte en maniere de cheval, excepté que elle avoit la teste armee de deux grandes cornes longues et agues dont elle se defendoit si orgueilleusement que, par la confidence qu’elle avoit en l’ayde que ses cornes luy fasoient, elle ne craignoit aucune creature. A l’eaue alla ceste terrible beste pour espancher sa soef, la ou elle fut longuement avant qu’elle eust assez beu. Et adonc estoient Alexandre et ses gens moult esmerveillez de veoir celle beste, car jamais n’en avoient veu de si horrible ne de si espovantable. Mais pour ce que elle estoit seulle la doubtoient ilz moins, nonobstant qu’elle leur fist beaucop de dommage, car de telle nature estoit ceste beste que quant elle avoit beu et refraint son alteration72, sa force luy croissoit de la moytié et devenoit sans comparaison plus orgueilleuse et fiere que devant. Pourtant quant elle eut sa soef estanchee et beu a son appetit, ouÿant le bruyt et la tempeste que demenoient ceux de l’ost Alexandre, voyant aussi a la luyeur du feu leur tentes et pavillons, sans fayre aucune dificulté se alla frapper parmi tous eux et, si hastivement ilz ne se fussent mis en defence contre elle aux haches, espieux et espees, elle les eust villennez73. Mais si vaillamment se defendirent contre elle que finablement ilz la desconfirent et midrent a mort. Toutesfoiz, avant que ce fust fait, elle leur avoit occis et mis a mort cinquante hommes avecques ses cornes et trente six qu’elle fist saillir en l’eaue. Aprés la desconfiture et occision de la dicte beste, ne furent pas encore totallement ceux de l’ost en paix, car une maniere de souris indiennes, grandes come regnars, se frapperent ou lieu la ou 71. 72. 73.

unu « soif ». « maltraités ».

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estoient leur bestes et quant aucune de ses74 souris mordoit une beste et le sang en sailloit, sans aucun remide icelle beste mouroit, mais ilz n’avoient pas ceste puissance sur les gens, par quoy ils feirent mains de dommages car au mains ne tuerent ilz que des bestes.

30. Comme le roy Alexandre fist mettre a mort les Indiens qu’il avoit avecques luy.

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En la maniere que dit est, sans aucun repos passerent le roy Alexandre et ses gens icelle nuyt si que sans interruption il ne fut heure qu’ilz n’eussent nouvelle adventure et affliction et encore quant vint au point du jour, une autre merveille leur advint par une vollee d’oiseaulx grans comme butors de blanche couleur, fors les piedz, les ongles et le bec qui estoient noirs. En my le dit estanc, voyant Alexandre et tous ses gens, descendirent iceulx oiseaulx en si grande abundance que toute la rive et une partie de l’eaue en estoit couverte et ne feirent aucun mal ne aucun signe fors que avecquez leurs grans piedz et ongles agus ilz pescherent du poisson de l’estanc qu’ilz emporterent avecquez eulx ainsi qu’ils avoient a coustume. Quant toutes les choses dessus dictes furent passees et retraittes chascun en son lieu, Alexandre et ses haulx princes parlamenterent ensemble, considerant les grans dangiers ou ilz avoient esté, les grans paines qu’ilz avoient eues et par qui ilz estoient venues et finablement fut l’oppinion de plusieurs que se75 avoit esté par la deffaulte des conduiteurs indiens qui par iceulx lieux mauvais et dangereux les avoient amenez, affin de les forvoier et les mettre en tieulx si grand dangiers. Adonc commanda le roy Alexandre que tous les Indiens qui estoient en sa compaignie fussent prins, descartellez [fol. 207 v] et mys en pieces, gettez sur l’estanc et parmy les chemins, affin que les bestes cruelles et merveilleuses les mengassent et ainsi fut fait. Laquelle chose faite, le roy et ses gens partirent et acheminerent leur ost vers orient, tant qu’ilz vindrent jusques auprés des montaygnes de Capios ou Capi, lesquelles sont si tres haultes que elles semblent toucher au ciel. Quant le roy Alexandre veit celles montaignes de si grant haulteur, il fut tout esbahy, si demanda quelles montaignes c’estoient et comme on les appelloit. Et aucuns vieulx et sages hommes qui autresfoiz en avoient ouÿ parler lui respondirent que c’estoient les montaygnes de Capios et que c’estoit

74. 75.

Confusion de ses et de ces. Exemple de confusion entre se et ce.

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le lieu la ou le peuple des Ebreux demeuroit et les y avoit chassez et deboutez leur dieu, affin que jamais n’en sorteissent pour leur grant mauvaistié.

31. Comme le roy Alexandre pria Dieu qu’il clouist les montaignes de Capios.

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Moult voulentiers eust conquis le roy Alexandre les montaignes de Capios ou de Capi si n’eust esté qu’on lui dist que le dieu des Ebreux y avoit mis son peuple, mays il ne voullut point entreprendre sur la voulenté de Dieu. Ains pour la confermer enquist et demanda quel pays c’estoit que icelles montaignes et par ou on y entroit, et on lui respondit que c’estoit ung lieu terrible et merveilleux duquel on ne pouvoit approcher et estoit impossible de y entrer que par une petite voye haulte et estroitte et estoit entre les deux montaignes. Adonc dist Alexandre a ses chevalliers : « Seigneurs, puys que il est ainsy que le dieu des Ebreux a determiné cel lieu merveilleux pour son peuple, lequel il y a envoyé comme en une prison pour y demeurer76 perpetuellement, je ne veulx point entreprendre sur icelluy ne en expulser son peuple. Mays lui veil ayder a ma puissance a les y enfermer si bien et si serreement que jamays n’en sorteissent. » Lors fist assembler le roy Alexandre tous les artificiens qui estoient en sa compagnie en grant habondance et de tous mestiers et leur demanda se possible seroit avec force de cyment et autres fortes massonneures estouper la voye d’entre les deux montaignes si bien que jamais n’en sorteissent. A ce respondirent77 les artificiens78, massons, charpentiers et autres, que impossible seroit par quelque maniere que ce fust estouper icelle voie en telle maniere que ceux qui seroient dedens ne les rompissent et en yssissent quant ilz voudroient. Quant le roy Alexandre veit que naturellement et par science d’homme ne povoit venir a son intention et fermer les deux montaignes, il se mist a genoulz, tendant les mains vers le ciel, et pria Dieu que se il avoit si grant puissance comme les juifs disoient et il voulloit que le peuple qui estoit entre les deux montaignes n’en parteist jamais, il lui pleust de sa grace miraculleusement fermer et serrer les deux montaignes l’une a l’autre. Et adonc Nostre Seigneur, pour monstrer sa puissance infinie, envoya ung de ses anges, lequel print ces deux montaignes et les assembla l’une a l’autre. De ce miracle grant et admirable se esmerveillerent moult le roy Alexandre et ses gens, 76. 77. 78.

demeurez respondidirent « artisans ».

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comme Dieu a la voulenté d’ung sarrazin si grant chose avoit voulu fayre et en ce, nous qui sommes crestiens, debvons prendre un79 grant exemple de Dieu servir et honnorer, car si ainsi est a80 l’apetit81 des sarrazins qui ne tiennent point sa loy mais tant seulement en devotion le reclament82, par plus forte rayson a la priere de nous qui sommes crestiens et tenons sa loy debvroit il aucune chose faire si bien nous le servions.

32. Comme le roy Alexandre s’en retourna en la terre du roy Porrus.

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Quant le roy Alexandre eut ainsi acomply toutes ces choses comme dit est qu’il ne voullut point passer outre les [fol. 208 r] montaignes de83 Capi, il commanda a ses capitaines qu’ilz fissent retourner tout l’ost en la terre du roy Porrus, pourtant que c’estoit une bonne terre plantureuse, fertille et habondante de tous biens, et ainsy se misrent a chemin, mais ilz ne sçavoient pas les nouvelles qui deux jours aprés leur furent aportees, car le roy Porrus qui autresfoys avoit esté vaincu par le roy Alexandre c’estoit84 rebellé et avoit relevé armee grande et puissante pour mener guerre au roy Alexandre et garder que jamais n’enstrast en sa terre. Ceste armee mist le roy Porrus sur champs et specialement es desers et es troys passages affin de confondre le roy Alexandre et son ost s’il povoit, si que prestz furent d’assembler quant ung messagier vint au roy Alexandre qui lui dist l’entreprise que Porrus avoit faicte contre luy. Adonc fist le roy Alexandre arrester son armee et tendre ses tentes pour reposer luy et ses gens, si que l’espace de .xx. jours ilz furent a repos, mais ce temps pendant le roy Porrus, desirant savoir en quel estat estoient le roy Alexandre et ses gens, se mist en habit de marchant et se vint seoir a l’entree des tentes de l’ost du roy Alexandre et demandoit a ceux qui venoient de l’ost comme le roi Alexandre et ses gens faisoient, s’ilz estoient bien pourveux de vivres et ou ilz avoient enpencé d’aller. Mais toutesfois les gens du roy Alexandre estoient si bien advisez qu’ilz ne luy en donnoient aucune responce certaine. Nonobstant aucuns85 des Macedoniens le congneurent et sceurent de verité 79. 80. 81. 82. 83. 84. 85.

une si ainsi est que a ; suppression du que. « désir ». « appellent à l’aide par des prières ». outre les de Capi, ajout de montaignes. Exemple de confusion entre c’ et s’. nonobstant que aucuns ; suppression du que.

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que c’estoit le roy Porrus qui la estoit en habit dissimulé pour les venir espier, laquelle chose ilz raporterent au roy Alexandre leur maistre, lequel subtil et advisé, dissimula pareillement son habit come avoit fait le roy Porrus et vint au lieu ou celluy roy Porrus estoit sans faire semblant d’aucune chose, et quant le roy Porrus le veit ignorant qu’il estoit, selon que disent aucuns, il l’arresta et luy demanda des nouvelles de l’ost aux Macedoniens. Et le roy Alexandre, faignant estre ung simple homme marchant transsitif, lui respondit qu’il n’en savoit rien. Lors le roy Porrus cuidant ce estre vray luy dist : « Mon amy, se tu me veulz porter unes lettres aux Macedoniens telles comme je te bailleray, je te donneray ce que tu vouldras. » Et le roy Alexandre respondit que voulentiers les porteroit et les bailleroit a qui il vouldroit, car il congnoissoit le roy Alexandre et tous les Macedoniens. Adonc interroga le roy Porrus de la personne du roy Alexandre a lui mesme qui estoit en habit dissimulé et, come bien congnoissant, le roy Alexandre lui respondit bien sagement, faignant ne le congnoistre et disant ainsi : « Mon amy, tu me demandes du roy Alexandre, je le congnois, il est desja vieil et descrepit, il se chauffe auprés du feu tout gouteux86 et plain de necessitez. Ce sçai ge bien, car je l’ay veu. Oultre plus tu me demandes la ou il a enpensé d’aller. Sçaches que je n’en sçay rien et croy qu’il ne soit point encore determiné la ou il yra, mais se tu me veux bailler aucunes letres adressantes a lui ou a ses gens, voulentiers je les porteray. » Ce dit escripvit le roy Porrus, selon que disent aucuns, unes lettres pour les envoyer au roy Alexandre, lesquelles luy mesme receut ainsi desguisé que dit est, et puis retourna en son ost.

33. Comme le roy Porrus et ses gens furent desconfitz.

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Quant le roy Alexandre fut retourné en ses tentes voiant les lettres du roy Porrus qu’il avoit, en quoy estoit escript la plus part de sa voulenté, il fut moult joyeux et fist grant chiere a ses gens, puis leur commanda qu’ilz fussent tous en armes et prestz de combatre a l’eure que les cors et busines sonneroient. Et aussi firent ilz. Quant ce vint environ le point du jour, le roy Alexandre en armes se leva avecques ses capitaines ausquelz il avoit dit et ordonné ce qu’il vouloit faire. Puys commanda que on sonnast [fol. 208 v] cors et busines en si grande habondance et par telle façon qu’il sembloit que toute la terre tremblast, et adonc furent prestz tous ceux de son ost, partirent et s’en allerent sur les gens du roy Porrus et leur livrerent l’assault si vigoureusement que en peu 86.

« malade de la goutte ».

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de temps ilz furent desconfitz avec grande occision d’une part et d’autre specialement des gens au roy Porrus, car les Macedoniens estoient plus adurcis et faitz en bataille que les autres n’estoient. [gravure : scène de combat] En ceste bataille fut convaincu le roy Porrus, lequel fut moult honteux quant il se trouva prins et amené au roy Alexandre devant lequel il se mist a deux genoulz, disant ainsy : « Sire, je vous requier mercy, plaise vous moy pardonner ce que presumptieusement et par mon oultrecuydance j’ai attenté faire contre vostre voulenté ou prejudice de vostre seigneurerie, ce qu’il ne me appartenoit. » Quant le roy Alexandre veit le roy Porrus ainsi humilié devant luy, considerant en luy mesme que ce n’estoit pas de merveille se le roy Pourrus estoit couroussé de perdre sa terre et estre subject a autre seigneurie, il lui pardonna et luy dist : « Sire roy Porrus, vous sçavez que autresfoys a force d’armes et par appointement faict entre vous et moy, vostre seigneurie m’apartenoit et apartient vous aussi de franche voulenté, fustes a ce consentant et de ma liberalité consenti, ains que passer les desers, que vous eussiés la garde de vostre royaume et la seigneurie aussy pareillement que devant, laquelle m’apartenoit ; avecques ce en signe de hommaige et subjection en partant de vostre pays et vous laissant en vostre cité de Bactaire, vous me baillastes gens, selon ce que vous disiés, congnoissans les passages et suffisans a me conduire pour passer par my perilleux desers, lesquelz ainsy comme gens non congnoissans m’ont mené par voyes obliques par les lieux plains de serpens et bestes mortiferes, si que grant partie de mes gens y ont perdu la vie, et moy et les autres y avons esté tant vexés et travaillés que a peine suffiroit langue humaine a descripre les necessités et miseres que nous y avons eues. Et debvez considerer, veu la folle entreprinse et rebellion que maintenant avez faicte contre moy, je puis plus ymaginer que ce que vous m’avez faict le temps passé a esté plus pour me nuyre que me aider, nonobstant ne vueil pas user de rigueur envers vous et vous faire ce que bien je pourroye en fureur, mais suis content que vous ayés la possession de vos terres ainsy que vous avez eue autresfois, par celle condicion que vous m’en rendrés tribut et hommage raisonnable. » Quant le roy Porrus eut ouÿ les profundes parolles et haulte sapience du roy Alexandre, il commença a plorer, disant : « Seigneur, je vous requier mercy. Vray est que je vous ay offencé plus que ne debvoie et ne me monstrés pas la rigueur que bien monstrer me pourriés, dont je vous remercie et me submetz s’il vous plaist que soie en vostre compaignie, combien que soye indigne de vous mener et acompaigner avec tant de gens comme je pourray jusques aux dernieres parties du monde, soit par terre ou par mer affin que vous puissés veoir le lieu ou les premiers dieux, c’est a ssavoir Liber et Hercules,

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planterent leur bonnes en signifiant que oultre icelles bonnes ne debvoit homme passer, car c’estoient lieux inhabitables. » De ceste chose se esbahit moult le roy Alexandre, lequel estoit grant philosophe et [fol. 209 r] avoit esté clerc d’Aristote, qui87 fust vray que au monde fussent lieux naturelz inhabitables et dist que pour mourir se possible estoit il les verroit. Pour ceste cause fut il plus enclin de laisser le roy Porrus en son honneur affin qu’i le conduisist et menast par les lieux sauvages et desers tant qu’ilz peussent parvenir aux lieux dessusditz, c’est a ssavoir des Yndes vers la mer orientalle la ou les bonnes de Liber et Hercules sont plantees. Combien que aucuns disent que ce ne soit que oppinion de poethe et fiction de dire que possible ayt esté de planter ou profond de la mer chose tenable, mais la verité hebraïque est que en une hille de mer qui est ainsy que les dernieres parties du monde, la ou terre puisse estre trouvee, nommee Sagonne, Liber et Ercules88, qui furent deux hommes chevalereux, allerent jusques en celluy lieu et, voiant que plus oultre ne povoient passer et trouver terre habitable sus icelle roche de mer, ils planterent troys pilliers, en signifiant a tous ceux qui se89 verroient que oultre n’avoient peu passer et leur estoit lieu incongneu. Pour ceste cause, les sotez gens qui adonc estoient cuiderent que Liber et Herculles fussent dieux et eussent mis en la mer et limité certains termes que les hommes ne deussent ne osassent passer90, et que se aucun d’aventure se fust ingeré91 de les passer et il fust pery que ce eust esté par la pugnission des dieux. Une autre oppinion est que les bonnes que on dit que Liber et Hercules firent faire, c’estoient troys grans ymages d’or lesquelz ils firent faire en leur vivant a la semblance et facture de leur corps, le plus magnifiquement et industrieusement taillés que possible fut, et les laisserent es dernieres parties des Yndes, quant ilz veirent que plus oultre ne peurent passer pour la diversité des lieux tenebreux, plains de serpens, de bestes sauvages et monstrueuses, si que impossible eust esté a homme humain y vivre et endurer les fumosités92 venimeuses qui y couroient.

87. 88. 89. 90. 91. 92.

Confusion entre qui et que. Arcules Confusion entre se et ce. ne deust ne osast passer « autorisé à ». « vapeurs ».

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34. Comme le roy Alexandre et le roy Porrus partirent pour aller aux Yndes.

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Les troys ymages dessusdites nommés les bonnes de Liber et Herculles parla le roy Porrus au roy Alexandre et lui mist en couraige de les aller veoir. Pour ceste cause preparerent ilz leur ost, se garnirent de vins, de viandes, de bestial de toutes sortes en grande habondance pour passer les desers et tant allerent qu’ilz vindrent ou estoient les trois ymages dessusdites, ausquelz regarder le roy Alexandre print grant plaisance, car ilz estoient tous de fin or, grans a merveilles et bien entaillés. Toutesfois pour la grandeur d’iceux doubta le roy Alexandre qu’ilz ne fussent pas massifz, pour ceste cause fist il faire de petis pertuis et puis quant il veit que c’estoit tout or et qu’il n’y avoit rien creux, il les fist remplir d’aussi bon or comme ilz estoient. Aprés ce que le roy Alexandre eut fait remplir les pertuis qu’il avoit fait faire aux ymages, voulant passer plus oultre affin que les dieux lui voulsissent estre en aide, lui et le roy Porrus firent leurs oblations devant iceux ymages et leurs oraisons, ainsi qu’ilz avoient de coustume et leur ydolatrie et folle credence. Ce fait commanda le roy Alexandre que tous les païsans des dernieres parties d’icelle terre lui fussent amenés pour leur enquerir des voies et adresses de la terre, mais quant ilz furent venus tous devant lui, ilz lui disrent que folle entreprinse seroit a luy de vouloir passer oultre icelle terre ou ilz estoient, car les dieux Liber et Hercules n’y avoient oncques peu passer pour l’orribleté des lieux car il n’y avoit que desers, terres inhabitables, abismes et lieux tenebreux, et leur sembloit, puysque les dieux n’avoient osé entreprendre a passer iceux passages, a homme humain n’apartenoit de ce faire, car mal luy en pourroit prendre. Nonobstant ce le roy93 Alexandre desirant aller jusques a la grant mer orientalle pour y mettre des navires et circuir94 le monde, dist qu’il yroit oultre et essairoyt a faire plus fort que Liber et Hercules. Si fist acheminer tout son ost pour aller avant [fol. 209 v] et le roy Porrus avecques luy qui voulentiers luy eust conseillé le contraire, mais n’osoit affin que le roy Alexandre ne deist qu’il lui voulsist celler aucune chose qui fust en son royaume. Et ainsi cheminerent tant qu’ilz vindrent bien avant aux desers si que les lieux furent tant tenebreux et abhominables qu’ilz n’oserent passer plus oultre. Lors eut le roy Alexandre paour en son coeur, craignant avoir offensé les dieux et qu’ilz ne se courroussassent a lui. Pourtant fist il retourner son ost au lieu ou les iymages estoient et leur vint crier mercy, fayre oblations et prier qu’il ne leur despleust de ce 93. 94.

nonobstant ce que le roy « faire le tour de ».

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qu’il avoit entreprins et que ce n’avoit pas esté pour desroguer95 a leurs puissances, mais en affection seulement de veoir les choses merveilleuses du monde. Quant le roy Alexandre veit qu’il ne pouvoit passer plus oultre vers celle destre partie orientalle, il pria au roy Porrus qu’il le menast vers l’autre partie, car il lui sembloit qu’il y avoit plusieurs merveilles dignes de veoir. A ce faire se accorda voulentiers le roy Porrus, non voulant desobeïr au noble roy Alexandre96 en aucune façon ne lui celler aucune chose qui fust en son royaume.

35. De la grant beste a deux testes que trouverent le roy Aleandre et ses gens.

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Le chemin prindrent le roy Alexandre et le roy Porrus pour s’en aller vers la senestre partie des Yndes avecque tout leur ost et tant allerent qu’il trouverent ung grant pallu parfons et merveilleux, plain de roseaux et d’herbes, duquel, par la vehemente ardeur du soleil, l’eaue estoit presque toute assaichee, et de celui pallu sortit une grande merveilleuse beste et monstrueuse laquelle avoit deux testes, l’une en façon d’ipotanee, l’autre en façon de quoquatrix, et assaillit deux chevaliers qui tournoient entour le pallu et de fait ceste beste les occist. Adonc ce voiant, le roy Alexandre, fort courroussé d’avoir perdu ses chevaliers, fist saillir sur icelles bestes en armes avecques haches, espieux, daggues et espees, mais tant avoit le cuir dur et espés que oncques avecque ferrement qu’ilz eussent, tant fust trenchant, ne le peurent entamer, et ne sceut onc le roy Alexandre trouver moyen de combatre et convaincre icelle beste, fors que par prendre gros mailletz de fer et plomb, desquelz en si grande habondance il fist fraper dessus que finablement elle fut agraventee et demeura morte, et ainsi en furent deslivrés. Adonc le peurent regarder tous ceux de l’ost et veoir sa figure, laquelle estoit merveilleuse, car onc telle n’avoient veue. Aprés ce que cellui pallu et icelles terres basses furent passees, ilz arriverent sur ung autre fleuve, bel et gracieux, que ceux du pays appelloient Bryemar ou Briennar. Sur ce fleuve commanda le roy Alexandre qu’on tendist ces loges et pavillons pour reposer, repaistre et refaire les hommes et les bestes de la grande soef et ardeur qu’ilz avoient eue, car ilz estoient si prés de la region haulte et voisine du soleil que a peine povoient trouver eaue sur terre de la grande secheresse qui y estoit et specialement leur povres bestes qu’ilz menoient, che95. 96.

« porter atteinte à ». Alexan

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vaulx, jumens, asnes, beufs, vaches, pourceaux et autres bestes domestiques, utiles et necessaires pour leur usage. Sur celluy fleuve furent tendues les tentes en ung beau lieu spacieux et commanda le roy Alexandre a aucuns de ses gens qu’ilz allassent en maniere d’avancoureurs autour de l’ost, les ung d’ung costé et les autres de l’autre, pour sçavoir s’ilz verroient ou orroient aucune chose profitable ou prejudiciable pour eux. Mais ceux qui estoient allés vers le chemin par ou le roy Alexandre debvoit passer s’en revindrent soudainement, disant au roy que sans plus arrester il fist mettre tous ses gens en armes, car ilz avoient veue la plus grande compagnie d’elephans et bestes sauvages que jamais ilz avoient veues. Lors furent le roy Porrus et le roy Alexandre moult espoventés. Mais le roy Porrus le rassura et lui dist : « Sire, ne vous soussiés, je congnoys la maniere des elephans et leur coustu-[fol. 210 r]-me de venir boyre en ce fleuve, mais nous les retournerons bien. » « Comment, dist le roy Alexandre, les retournerés vous ? » Respondit le roy Porrus : « Sire, vous ferés mettre toutes vos bestes mues et specialement les pourceaux audevant du passage par ou les elephans doibvent passer et puys ferés donner quelque cop ou quelque affliction a ung grant pourceau, lequel crira tellement que tous les autres pourceaux se assembleront autour de luy et criront si fort que du grant grommissement l’air et la terre retentiront si fort que les elephans en seront tous espouventés et se retourneront en leurs lieux et cavernes dont ilz sont partiz. » Ainsy que Porrus ordonna furent les choses faictes, les bestes mues les unes devant les autres, c’est a ssavoir les pourceaux devant, qui menerent si grand tempeste que les elephans de paour qu’ilz en eurent s’en fouirent et retournerent dedens les desers, mais toutesfois, ainsy que disent aucuns hystoriographes, quant Alexandre et ses gens veirent les elephans ainsy espoventés, ilz les poursuivirent tant que plusieurs en tuerent et en si grande habondance que de leurs dens qui est fine yvoyre et que97 le roy Alexandre fist apporter en Macedone et en Grece fut le pays depuys moult enrichy.

36. Des grans hommes sauvages que le roy Alexandre trouva.

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Quant le roy Alexandre eut ainsy convaincu les elephans comme dit est, voiant que ses gens estoient travaillés de les avoir poursuyvis et arrachees les dens, il fist preparer les viandes pour repaistre, dont ilz firent grant chiere et reposerent paisiblement toute celle nuyt jusques au jour ensuyvant que le roy Alexandre commanda son ost a desplasser et cheminerent tant qu’ilz vindrent 97.

yvoire que, ajout de et.

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en une grande champaigne, la ou ilz trouverent de grans hommes et de grandes femmes qui avoient neuf piedz de hault. Tous nus estoient et vellus comme bestes et estoyt leur nature de vivre en eaue plus que en terre, rien ne mengoient que poesson, mais aucunes fois sortissoient de l’eaue pour aller par maniere de recreation sur terre et les appeloient ceux du pays Phaunes. De veoir telz gens sauvaiges et merveilleux fut le roy Alexandre moult esbahy et voulentiers eust parlé a eux, mais quant ilz le veirent approcher de eulx, ilz se retirerent dedens ung fleuve parfons tant qu’on ne les veit plus et ne se monstrerent oncques puys. Aprés ce passa oultre le roy Alexandre et entra avecques son armee dedens une grande forest ou il trouva une maniere de beste faictes en maniere de loups, cervins crueux et ravissables, lesquelz coururent sus aux gens et voulloient devorer tout. Mais quant les archiers qui devant alloient leur eurent ung peu tiré de leurs fleches, icelles bestes se retirerent si que oncques puis on ne les veit et appelloient icelles bestes Coephalles en leur langaige, mais au nostre ce sont liepars ou loups cervins. De la passerent le roy Alexandre et ses gens oultre et entrerent en une desertine, horrible et merveilleuse, tirant sur la grant mer. Lors vindrent a luy les Yndiens qui le conduisoient et luy disrent : « Sire, vous estes maintenant entré en ung lieu horrible et perilleux et tant plus irés en avant et tant plus y aura de dangier, car nous tirons vers la grant mer et vers les abismes profuns qui sont lieux obscurs et tenebreux, specialement vers la partie orientalle et nous semble que le plus utille seroit de retirer vers occident affin de trouver eaues doulces pour abrever les bestes, netier98 les viandes et rafroichir vos gens. A .xv. lieux99 d’icy est une belle riviere et doulce en ung beau lieu et spacieux, nostre conseil seroit que vous y menassés vostre armee pour se reposer. » Sage homme estoit le roy Alexandre et ne vouloit pas entreprendre chose dont il ne peust venir a bonne fin, pourtant par le conseil d’iceux Yndiens qui cognoissoient les adresses du pays, fist il cheminer son ost vers occident la ou estoit la dite riviere [fol. 210 v], laquelle luy pleut moult et la fist tendre ses pavillons pour se reposer.

37. De la malle fortune qui leur advint celle nuyt. Tantost aprés que les tentes furent tendues, que les bestes furent pensees, les hommes repeus et qu’ilz se cuyderent reposer, une tempeste de vent marin leur sourvint, si tres grande et horrible que les cordes de leurs tentes rompirent 98. 99.

« nettoyer ». Confusion avec lieues.

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et furent toutes abatues ; tant estoit le vent impetueux et soudain que les tisons de boys qui estoient au feu gettoit tous ardans sur bestes et sur gens si que specialement le povre bestial qui n’avoit pas le sens de soy garantir fut fort travaillé. Quant le roy Alexandre veit ceste chose merveilleuse, il eut paour en son cueur, craignant que les dieux ne fussent couroussés a luy et ce luy envoyassent par fureur et vengance. Pourtant appella il les Yndiens du pays et leur demanda dont ce venoit et se ilz avoient point veu autresfoys courir tel temps ou selon leur advis si ce provenoit point par la fureur des dieux qui fussent courroussés a luy, et les Yndiens luy respondirent : « Sire, ne vous esbahissés point de ceste chose, car elle ne procede point de la fureur des dieux. Autresfois avons nous veu le cas semblable advenir en ce temps et avons de coustume que tous les ans aux callandes de novembre, lesquelles sont maintenant, ce vent marin qui tant est merveilleux et souffle si impetueusement nous vient, par quoy selon nostre oppinion, affin de le quitter il seroit bon et utille que vous feissés retirer vostre ost en une vallee qui est icy prés, la ou nous serons a couvert et ne nous pourra grever ce vent pour l’opposicion de la montaigne qui sera entre deux. » Ce conseil creut le roy Alexandre et commanda a ses gens qu’ilz recuillissent leurs tentes au plus tost qu’ilz pourroient, a laquelle chose faire tous s’emploierent et ilz eurent de grans travailz, car il n’y avoit celluy, tant fust puissant, qui n’eust grant peine de soy tenir surbout100 pour la vehemence du vent. Toutesfois, a quelque peine que ce fust, les recuillirent ilz et lors par le commandement du roy Alexandre partirent et allerent tant qu’ilz vindrent en celle vallee que les Yndiens leur avoient dite et la tendirent leurs tentes bien diligentement et a grant joye, car il leur estoit avis qu’ilz estoient cheus en grant repos et aussy estoient ilz, si n’eust esté la malle fortune qui depuis leur advint, car aprés qu’ilz eurent esté une espace de temps en celle vallee, une froidure si grande et si merveilleuse les print qu’il n’y avoit si bien habitué ne couvert qui ne fust tout transsy de froit. Pour ce commanda le roy Alexandre abattre tout le boys qui fut autour de la vallee et fist faire sy grans feux que ce fut chose merveilleuse et la se reschauferent au mieux qu’ilz peurent et reprindrent couraige en eux, cuydans estre eschapés et delivrés d’icelle malle adventure, mais non estoient, car assés tost aprés commença a naiger101 si tres horriblement que naige chayoit a gros monceaux comme s’ilz se fussent grosses toisons de brebis. Tant et tellement en cheut que leurs feuz furent presque tous destaincts et eussent esté enclos dedens la naige, sy n’eussent esté les hommes et les bestes qui par la chaleur de la laine leur fai100. 101.

« debout ». nager

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soient fondre autour des tentes. Avecques ce assés tost aprés commença a plouvoir une pluye sy grande et sy diverse qu’il sembloit qu’on la gettast par despit, laquelle fist en bien peu de temps remettre la naige qui estoit cheue.

38. Comme les gens au roy Alexandre mourrurent.

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Long temps dura celle pluye sans cesser depuys environ le minuyt jusques a l’endemain midy qu’elle cessa. Mais une merveilleuse chose leur [fol. 211 r] advint102, car une grande nuee noyre et obscure sourdit qui couvrit toute la terre ou ilz estoient et obfusca103 la clarté du soleil, si qu’il sembloit que tenebres fussent sus terre ou que la nuyt fust venue. Avecques ce, de celle nue partirent autres petites nues qui gettoient foudre et feu ardant a grans brandons, tant que les tentes et pavillons du roy Alexandre en furent presque tout esprins, si n’eust esté que a force de draps mouillez et de leurs vesteures ilz resisterent contre le feu. De ceste chose fut moult esbahy le roy Alexandre. Il appella ceux du pays et si leur demanda que ce pouvoit estre et se ilz avoient de coustume de veoir advenir telles choses. Et ilz respondirent que non, mais croyoient que ce fussent les dieux Liber et Hercules qui fussent courossez a eux et leur envoiassent icelle fortune par vengeance, en despit de ce que le roy Alexandre avoit passé leurs bonnes et voulut fayre plus fort qu’ilz n’avoient. Adonc se repentit le roy Alexandre, crya merci aux dieux et fist ses oraysons en leur supliant que de leur grace il leur pleust de luy pardonner s’il avoit commis ou entrepris de fayre aucune chose qui ne fust pas a leur gré, en promettant en faire reparation a leur voulenté. Et tantost furent cessez la foudre et bruyneuses cadences104 du ciel. Et revint la clarté du soleil, belle et luysante comme paravant. Mais nonobstant moururent plusieurs des gens du roy Alexandre, car l’espace de quatre jours avoient ilz esté sans veoir le soleil, en si grans tenebres et obscurité que a peine povoient veoir l’ung l’autre, tellement que apetit de boyre ne de menger ne les prenoit, tant estoient espouventez des choses horribles et merveilleuses qu’ilz avoient veues. Aprés ce quant vint le quart jour que le soleil fut luysant, ilz regarderent parmy leurs tentes et trouverent cinquante des meilleurs chevaliers tous mors, dont le roy Alexandre fut moult couroucé et pour ceste cause commanda a remuer ses tentes et les mettre en ung autre lieu, a laquelle chose fayre se employerent tous en grant 102. 103. 104.

leur leur advint, suppression de la répétition. « masquer ». « chutes ».

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diligence, car ilz avoient une grande voulenté d’estre en lieu ou ilz peussent reposer en tant que longtemps y avoit qu’ilz n’avoient reposé. Et ainsy cheminerent tant que ilz vindrent jusques auprés des montaignes d’Estioppe, la ou ilz trouverent ung lieu merveilleux en taille de pierre bise comme grés, la ou, ainsy que disoient ceux du pays, les dieux Liber et Hercules autresfoiz avoient conversé ensemble. Et disoient les Indiens que c’estoit ung lieu saint et sacré, la ou homme humain qui n’estoit de la lignee des dieux ne debvoit entrer et conseillerent au roy Alexandre qu’il n’y entrast ne feist entrer aucun de ses gens, car leur estimation estoit que tout homme qui entroit dedens icelluy lieu estoit soudainnement frapé de fiebvre et mouroit dedens trois jours. A ce dit ne voullurent adjouxter aucune foy plusieurs des gens au roy Alexandre et entrerent presumptieusement en icellui lieu, la ou les fiebvres les prenoient et mouroient soudainement. Et de ce fut le roy Alexandre moult esbahy et cuida certainnement que les dieux fussent couroussez contre luy. Pour ceste cause fist il fayre ung autel et dresser ung ymage dessus a la semblance de Hercules, devant lequel il se mist a genoulz pour fayre la ses oraysons, disant en ceste maniere : « Vroys dieux puissans, celestes, glorieux Qui les hauls cielz gouvernez105 et le monde, Si j’ay commis aucun fait vicieux Devant vos yeux comme presumptieux, Dieux glorieux en qui tout bien habonde, A vous me rens de voulenté proffunde, Pure et monde, requerant humblement Que me veuillez pardonner humblement. Se je vers vous quelque chose mesfait, De mon mesfait je demande pardon A vous, Liber, souverain dieu parfait, Sus tous loué tant par dits que par fait. A vous me rens par priayre et par don, Mes gens aussi affin que me106 perdon Vostre grace et bon vouloir aussi. Vroy dieu puissant, prenez nous a merci, [fol. 211 v] Se faulte a de quoy vous aiez deul. C’est a moy seul que debvez pardonner, 105. 106.

gouverner ne

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Car offencé vous estes par moy seul, Qui suis puissant des autres gouverner. Se j’ai voulu les conduire et mener Outre les lieux que vous avez signez En presumant plus outre cheminer, Nous vous prions que vous nous pardonnez. O Hercules, frere du dieu Liber, Qui passates les Indes une foiz, A vous me viens humblement exhiber En requerant grace de mes mesfaiz. Se j’ay failly soit en dicts ou en faitz Vers vous, haulx dieux et tres saintes persones, Pardonnez moy, oubliez mes forfaitz. J’ay offencé d’avoir passé vos bounes. Je recongnois vous avoir offencez, Mais nonobstant vostre misericorde, Vers moy pecheurs doulcement adressez A celle fin qu’avecques vous m’acorde. Ne souffrez pas que dure mort me morde, Si durement que par aucun arroy Le roiaume une foiz je n’aborde De la terre dont mon pere fut roy. Helas ! s’il fault que je meure en ce cas Hors de mon pays en douleur si amere, Que direz vous ma mere Olimpias ? Vous en ferez moult doloreuse mere. Pourtant, Liber, souverain dieu et pere, Tres humblement vous prie en ceste place, Et Hercules, le hault dieu vostre frere, Que me veillez faire pardon et grace. » Moult devotieusement fist le roy Alexandre ses oraisons devant les dieux affin qu’ilz lui vousissent pardonner et specialement lui donnassent grace de retourner en son païs et veoir encore une foiz sa mere Olimpias. Et en ce fut aucunement deceu Alexandre de folle credence et cuida que Liber et Hercules eussent aucun povoir ou ciel, pourtant les pria il comme deceu. Ceste oraison faicte demanda le roy Alexandre aux Indiens qui avecques lui estoient quelles terres et quelles regions estoient au dela des montaignes d’Estiope auprés desquelles estoit son armee. Et ilz respondirent qu’il n’y avoit point de terre

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habitable, mais estoient tous desers, lieux horribles et merveilleux. Et au dela estoit la grant mer qui par ses vappeurs et fumositez excecrables offusquoit toute la terre voisine si que impossible estoit a homme humain de la sçavoir cheminer.

39. Comme le roy Alexandre eut nouvelles des arbres du Soleil et de la Lune.

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Quant le roy Alexandre eut passé les fortunes et miseres devant dittes et, par la relation des Indiens qui le conduisoient, il sceut que plus outre passer ne povoit en celle partie ou il estoit, il commanda a ses gens recuillir leurs tentes et pavillons pour s’en aller une autre part et tant cheminerent et allerent en tirant tousjours vers les parties occidentalles qu’ilz vindrent en ung pays lointaing et merveilleux, la ou ilz trouverent ou par my d’une grande champaigne de vielz hommes fort aagez, auxquelz le roy Alexandre demanda et enquist les adresses107 et conditions du pays, quelles choses dignes de veoir y estoient et ou l’en les trouveroit. Au roy Alexandre respondirent les deux vieillars tres gratieusement ainsi : « Sire, vous nous demandez quel c’est icy et quelles choses il y a, parce que vostre delectation et plaisance singuliere est de veoir choses admirables et dignes de memoyre, sçachez que en ce pays icy y a plusieurs choses merveilleuses et specialement entre les autres sont deux lesquelles impossible seroit ou fort difficile a humain entendement de conprendre s’il ne les avoit veues. » Quant le roy Alexandre ouÿt ainsi parler les deux veillars, considerant que ceux estoient gens qui avoient veu plusieurs choses, il les adjura par leur loy, disant ainsi : « Vous deux vieillars, qui estes gens aagez et selon droit sages et entenduz, je vous commande108 par la loy que vous tenez et pour rien ne debvez froisser109 que vous me110 diez les choses merveilleuses que vous sçavez en ce païs et la ou ilz sont et par espicial ces deux tant merveilleuses. » « [fol. 212 r] Dans les desers111 de ceste terre sont deux arbres dont l’ung est reclamé en honneur du soleil et l’autre en l’honneur de la lune. Telle vertu ont iceux arbres que toute persone qui va vers eux pour enquerir de ses desti107. 108. 109. 110. 111.

« chemins ». commanda froissez ne merveilleuses. Les desers.

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nations, ilz luy en disent la verité, c’est a sçavoir quelles fortunes il aura, combien il vivra et de quelle mort il mourra, mais croyez seurement, sire, que le chemin de cy la est tant perilleux et horrible que impossible seroit que vous y allassez avecquez tant de gens comme vous avez, mais trop bien avecques certaine partie garnis de vivres et speciallement de eaues doulces y pouroiz vous aller. » Moult esbahy fut le roy Alexandre et bonnement ne pouvoit ajouster credence a ce que les vieillars lui disoient, mais cuidoit qu’ilz le deissent pour le decepvoir, disant a luy mesmes : « Moult seroie a blamer maintenant se par telle credence j’estoie deceu, qui par mon sens, puissance et hardiesse suis venu de la partie orientalle jusques en occident en conquerant tous païs et veoir les choses merveilleuses qui y sont. Tant de desers ai je passé, tant de adversitez ai je portees112 et eschappé de tout, par quoy maintenant, en ma vieillesse, ce me seroit plus grant deshonneur et vitupere113 que deux vieillars de mon aage me eussent deceu par leurs faintes parolles et faulz donner a entendre. » Pourtant appella il les deux vieillars et leur dist : « Vieillars, vous m’avez dit ainsi que en ceste terre sont telles choses et telles et de si grant admiration qui est incredible a tout homme s’il ne l’a veu. Je ne sçay si vous le faictes pour me decepvoir ou autrement. Si je sçavoie que pour ceste cause vous le feissiez, je m’en vengeroie comme il appartient, mais aussi se la chose est telle comme vous me la dictes et vous me la peussez monstrer sans grant prejudice de moy et de tous mes gens, je suis celluy qui bien le recongnoistroye. » Lors respondirent les vieillars : « Sire, sauf vostre honneur et reverence, ne soiez en aucune doubte de ce que nous vous avons dit, car c’est roialle verité et vous promettons, par la foy et serment que nous debvons aux dieux, de vous mener jusques au lieu ou icelles choses sont, se il vous plaist y aller et nous accepter en vostre compagnie. »

40. Comme le roy Alexandre partit d’avecque le roy Porrus pour aller aux arbres.

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Quant le roy Alexandre eut ainsy ouÿ parler les vieiliars que dit est, voiant qu’ilz se submettoient a aller avecques lui et exposer leurs corps aux dangers se aucuns y avoit, il fut asseuré et fist preparer vins, viandes, eaues doulces et tout ce qu’il fut necessaire pour lui et quarante mille hommes, puis bailla la charge du demeurant de ses gens au roy Porrus et lui dist qu’il entretenist tout 112. 113.

Tant de desers je passé, tant de adversitez je portees, ajout des deux auxillaires avoir. « honte ».

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jusquez a ce qu’il fust revenu et que le plus tost qu’il pourroit retourneroit. Ainsi partit le roy Alexandre avecquez quarante mille hommes et les deux vieillars qui les conduisoient par my les desers et voies desvoiables, la ou le roy Alexandre et ses gens eussent eu beaucop de necessitez et affaires si n’eussent esté les vieillars qui bien les conduisoient et adressoient114 par les voies seures et sans danger. Nonobstant ilz115 veirent plusieurs choses merveilleuses comme bestes sauvages et monstrueuses, lesquelles avoient chascune son nom en langage yndien, ainsi que les dicts vieillars le disoient, mais pour se116 que trop longue chose seroit de narer et descrire tous les noms, les genres, espesses, proprietez et qualitez d’icelles bestes, a cause de brevité nous les laissons pour venir a l’intention principalle de l’ystoire, c’est a sçavoir des deux arbres dessusdites auprés desquelz le roy Alexandre et ses gens arriverent justement le dixiesme jour ainsi que les vieillars avoient dit. Moult estoit beau lieu et delicieux, plain de beaux arbres anciens, de diverses espesses, portans fruitz variables et divers comme espices, mirre et ensens, dont ceux de la contree avoient coustume de vivre. D’iceux arbres aussi procedoit le fin basme tant odoriferant [fol. 212 v] que toute la contree en estoit redollente117. Quant le roy Alexandre fut en cellui lieu, sentyt les bonnes odeurs dont il estoit plain. Il fut esmerveillé, mais encore ne le fut il pas moins quant118 il vit les hommes et les femmes de la terre qui estoient vestues de peaux de bestes de diverses coulleurs, que ceux du pays appeloient pantheres, et si n’estoient pas leurs vestures taillees en habit de façon selon le corps, mais estoient affublez de la peau saiche telle qu’elle venoit de sur la beste. Grant amiration119 eut le roy Alexandre de veoir icelles gens et leur fist demander qui ilz estoient et comme on apelloit leur pays. Ilz respondirent qu’on l’apelloit120 Inde et eux Indiens. Et ainsi que le roy Alexandre faisoit enquerir icelles gens, le prestre qui gardoit les arbres du Soleil et de la Lune aperceut la compagnie dont il n’eut pas peur quant a luy, mais doubta que presumptieusement ilz n’entrassent dedens le lieu saint, car il luy sembloit bien et croioit fermement que s’ilz y fussent entrez en estat desordonné que on avoit de coustume de y entrer, les dieux se fussent courrossez a eux et leur en fust prins mal, pourtant alla il au devant de eux vestu d’une grande peau comme les autres et entre les troys cens chevalliers 114. 115. 116. 117. 118. 119. 120.

« guidoient ». Nonobstant qu’ilz Confusion entre se et ce. « parfumée ». mais encore ne le fut il pas quant « émerveillement ». l’apeliot

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vint saluer le roy a la coustume du pays et en langage indien luy demanda qu’il queroit et pour quoy il venoit. Quant le roy Alexandre ouÿt le dit prestre, lequel en grandeur avoit par estimation commune bien le hault de dix piedz, il fut tout esbahy et non sans cause, car si la grandeur de lui estoit haulte et excessive, encore estoit la semblance et coulleur de son corps aussi admirable : tout noir estoit entierement fors ung peu seulement au dedens des yeux et unes grandes dens longues, rondes et agues qu’il avoit si que quant il ouvroit la bouche pour parler et on veoit la blancheur de ses dens par mi la grant noirsure du visage, il n’y avoit si asseuré qui ne se esmervelliast121.

41. Comme le prestre enseigna au roy Alexande la maniere de parler aux arbres.

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Aprés ce que le roy Alexandre eut esté grant temps a regarder cest homme et qu’ilz eurent salué l’ung l’autre, le dit homme demanda au roy Alexandre pour quelle cause lui qui estoit estranger alloit en ce pays la, et le roy Alexandre respondit qu’il n’y alloit pas pour mauvaise voulenté, mais seulement en affection de veoir les saints arbres consacrez ou nom du Soleil et de la Lune, et non en intention de voulloir aucune chose mal faire ne par aucune ardeur de avarice pour vouloir aucun alliener quelque chose y soit. Adonc respondit le prestre : « Sire, en ceste intention bien soyez venu, car en celle voullenté et non autre pourrez vous veoir les saints arbres que vous demandez, entrer ou lieu sacré et avoir des arbres les responces telles que vous demanderez, mais au devant que vous y entrez, vous ne vos gens, il fault que vous ostez les verges122 qui sont en vos dois. » Ce fist le roy Alexandre et fist faire a ses gens comme le prestre eut commandé, a qui Alexandre vouloit obeïr, combien qu’il fut en hesitation de ce que le prestre disoit, cuidant que ce fust mensonge, et ce fait que tous eurent ousté leurs aneaux des doiz, le prestre les mena en my la forest qui estoit toute plaine de beaux arbres, entre lesquelz estoit une closture faicte d’or et de pierres precieuses ou par my de laquelle estoient deux arbres hauls de cent piedz, dont l’ung estoit appelé l’arbre du Soleil et l’autre l’arbre de la Lune. Quant le roy Alexandre et ses gens furent entrez en ce lieu, ilz furent moult esbahiz pour la grant odeur et redollance123 qui y estoit, pour veoir la grant magnificence d’iceux arbres dont liqueur de basme emanoit en si grant 121. 122. 123.

esmervelilast « anneaux ». « parfum ».

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habondance que les ruisseaux en couroient tout a l’entour, aussi clers comme eaue de roche, et demanda le roy Alexandre si c’estoit eaue ou non, et le prestre respondit : « Sire, sachez certainement que c’est vraye huille de basme qui descent de ces arbres, lesquelz pour la dignité de eux furent anciennement consacrez par les saints hommes et inspiration des dieux en l’honneur du Soleil et de la Lune [fol. 213 r] a ceulx qui devotement en l’honneur des dieux honneurent et reclament iceux arbres en bonne intention, mais il y a certaines heures pour optenir responce de eux. C’est a ssavoir de celluy du Soleil au matin, a l’eure propre que la premiere raye du soleil frape sur l’arbre, et de celluy de la Lune par nuyt, a l’eure qu’elle commence a luyre dessus. Et pourtant sire, se vous voulés avoir aucune responce de eulx touchant vos destinacions et de voz gens aussy, il est requis que vous attendés les heures determinees comme je vous ay devant dit. » Adonc demanda le roy Alexandre au dit prestre la maniere de sacrifier aux arbres et s’il estoit requis faire occision et incencion124 de bestes ainsi qu’ilz avoient de coustume en leur pays, oultre plus lui demanda en quelle maniere on debvoit enquerir iceux arbres, comment on en cognoissoit la responce et en quel langaige ilz parloient. A toutes telles demandes respondit le prestre particulierement et dist : « Sire, quant au regart des sacrifices qu’on doibt faire aux arbres, ce n’est pas comme aux dieux de vostre pays, car il n’est point requis que on y tue aucunes bestes ne que on y face aucuns feuz, mais tant seulement que ceux qui veullent a eux sacrifier viennent devant eux en devotion, se enclinent humblement en baisant les branches de eulx qui sont cheuttes a terre, les adorent. Oultre quant a la maniere de les enquerir, ceux qui de eux veulent sçavoir aucune chose, sans parler doibvent ramentevoir en leur courage et pencer secretement ce dont ilz veulent estre advertis125, et adonc parlent les arbres en divers langaiges, car cellui du Soleil commença sa responce en yndien et la finist en grec, cellui de la lune a l’opposite. » Quant le prestre eut fait et enseigné toutes les choses dessus dites, en attendant les heures convenables, le roy Alexandre et ses gens, conduitz par icelluy prestre, s’en allerent visiter la forest et les lieux solacieux126 qui y estoient, dont il se esmerveilla moult, specialement pour les fruitz qui y estoient, et enquirent le roy Alexandre et ses gens de plusieurs choses qui y estoient, c’est a ssavoir de la condition du païs et des gens qui y habitoient. Le prestre respondit que la region estoit souverainement bonne, que jamais n’y couroit yver, 124. 125. 126.

« cuisson ». veulent advertis « agréables ».

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pluye ne mauvais temps, que jamais bestes venimeuses, serpens ne autres choses ordes n’y estoient trouvees, mais toutes choses bonnes et delicieuses. Quant au regart des gens du pays, il leur dist que c’estoient gens robustes et de grosse condicion, qui ne vivoient tant seulement que de la manne qui leur descendoibt du ciel, des fruitz des arbres, comme orenges, grenades, citrons, lymons, olives, clous de girofle, canelle et autres bons espiceries dont ilz avoient en grant habondance, et ainsy passerent le temps le roy Alexandre et ses gens avecques le dit prestre, en enquerant de toutes les choses merveilleuses du pays jusques ad ce que la nuyt fut venue qu’ilz se misrent a reposer et ne allerent point aux arbres pour ce qu’il estoit conjuncion127 de lune et povoit donner clarté dessus les arbres pour tendresse et debille luyeur de elle qui encore estoit trop nouvelle, par quoy ils attendirent jusques a lendemain au matin que le soleil rendit sa clarté.

42. Comme le roy Alexandre et ses gens allerent adorer l’arbre du Soleil.

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Quant le roy Alexandre et ses gens eurent reposé celle nuyt, au matin devant que le soleil rendist sa clarté, vindrent au lieu sacré ou estoit le prestre qui leur ouvrit le lieu et se enclinerent tous devant l’arbre en baisant les fueilles et branches qui de lui estoient chuttes a terre, puis s’approcha le roy Alexandre a deux genoulz, levant les yeux en hault, pensant en son cueur si la promesse qui autresfois lui avoit esté faite d’estre roy de tout le monde estoit vraie. Pensoit aussi si longuement il vivroit en bataille ou non, et en ceste pensee ne fut pas longuement que le soleil ne rendist sa premiere clarté sur l’arbre, lequel commença a parler en langaige yndien et finissant sa proposicion en grec, disant ainsi : « Alexandre, sçaches que tu seras par la predestination des dieux une foys roy de tout le monde, mais [fol. 213 v] sçache que se128 ne sera pas longuement, car dedens ung an et neuf moys tu mourras et si ne sera pas en bataille, car se ainsy estoit que en bataille tu mourusses, la promesse que les dieux t’ont faicte seroit faulce, en tant que par ung tien ennemy dont tu n’avoys pas la seigneurie seroies vaincu, et ainsy ne seroys pas roy de tout le monde, mais croy de verité ta mort estre prochaine, aprés que tu auras vaincu plusieurs batailles ou tu auras tres grant travail sans mourir, mais aprés que tu 127. Terme d’astrologie, « situation de deux ou plusieurs astres qui ont la même longitude par rapport à un point de la terre ». 128. Confusion entre se et ce.

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cuyderas estre en ton repos, te pourchasseront la mort ceux que tu estimes les plus loyaux amys. » Quant le roy Alexandre ouÿt ceste responce, il fut moult esbahy et luy bessa la chiere grandement non sans cause, car s’estoient129 piteuses nouvelles. Ces130 gens aussi, qui la responce avoient ouÿe, piteux et dolens de perdre leur maistre ainsy qu’il estoit denoncé, commencerent a plorer et mener grant desconfort, laquelle chose voiant le roy Alexandre, combien que fort marry et doubteux fust, les reconfortoit et leur disoit : « Mes amis, mes enfans, ne menez point tel desconfort. Je prens a gré, vous y debvez bien prendre, car se ainsi est que ceste responce soit vraye et les dieux l’ayent determiné, nous n’y porrions resister, par quoy en vain en prenons desconfort. » Ainsi partirent le roy Alexandre et ses gens hors du lieu sacré et s’en allerent en la forest la ou leurs tentes estoient repestre131 et se reposer en attendant le nuyt pour avoir responce de l’arbre de la Lune, et ce temps pendant estoit le roy Alexandre bien pensif, combien qu’il n’en montrast pas semblant a ses gens de paour de les courousser et ainsy se passa a la journee jusques a la nuyt que le roy Alexandre envoya querir le prestre qui gardoit les arbres pour sçavoir a quelle heure la lune leveroit et qu’i seroit heure d’aller faire ses oraisons, et quant le prestre fut venu et il y eut ce demandé, il lui respondit que jusques environ mynuyt ne leveroit la lune, mais que a celle heure la le roy Alexandre se trouvast au lieu sacré et il auroit nouvelles et certaine responce de ce qu’il demanderoit.

43. Comme le roy Alexandre avecque troys de ses chevaliers alla a minuyt vers l’arbre.

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En grant soucy fut le roy Alexandre toute celle nuyt pour attendre l’heure que le prestre lui avoit dit et, doubtant avoir aussi mauvaise responce qu’il avoit eue a la premiere foys, affin que tous ses gens ne le sceussent, il leur commanda que tous se tensissent dedens leurs tentes et ne allast aucun avecques lui, fors troys chevaliers bien familliers qu’il avoit, c’est a ssavoir Philotte, Clicon et Licanor, lesquelz il mena avecques lui, et entra dedens le lieu sacré en baisant les fueilles et branches de l’arbre, leva les yeux en hault et pensa en luy mesmes touchant la premiere responce qu’il avoit eue. Puis que ainsi estoit que sa mort estoit si prochaine et que ses amis mesmes le debvoient mettre a 129. 130. 131.

Confusion entre s’estoient et c’estoient. Confusion entre ces et ses. « se nourrir ».

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mort, pensa comment et quel lieu se seroit. Tantost aprés rendit la lune sa clarté sur l’arbre, lequel respondit : « Alexandre, tu as ouÿ une foys de l’arbre du Soleil que ta mort est prochaine et fineras tes jours par tes amys qui secretement te empoisonneront en la cité de Babilloine. » Adonc commença le roy a plorer et mener plus grant desconfort que par avant, voyant que lesditz des deulx arbres correspondoient l’ung a l’autre. Lors dist aux trois chevaliers qui estoient avecquez luy, en plorant : « Mes chers amys et familliers, vous avez ouÿ les piteuses responses qui me ont esté faites. Je vous supply que ne le veuillez reveler a aucune creature pour quelque chose que ce soit, car peult estre que par ce ceulx a qui vous le diriés prendroient dissidence en eulx et se faindroient de moy servir, par quoy il n’est point de necessité qu’ilz en sçaichent aucune chose. » Et ainsi s’en retournerent le roy Alexandre et ses gens a leurs compaignons la ou ilz les attendoient, lesquelz apperceurent bien que le roy Alexandre132 estoit fort courroussé, combien qu’i ne leur dist rien et en fist le moins de [fol. 214 r] semblant qu’il povoit. Avec ce, de paour de le courousser, ilz ne luy en osoient mot dire ne demander aucune chose. Et ainsi se passa la nuyt jusques a lendemain soleil levant que le roy Alexandre ne dormit pas, mais vouloit avoir responce et congnoissance de ceux qui debvoient mettre a mort, sçavoir aussi se verroit jamais sa mere Olimpias laquelle estoit en Macedoine avecques ses seurs et de quelle mort elle mourroit. Pour ceste response avoir s’en alla le roy Alexandre vers le lieu sacré devant qu’il fust jour, pour sçavoir que le prestre faisoit, lequel il trouva dormant et ne l’osa esveiller pour ce qu’il n’estoit pas encore jour, mais s’en retourna a ses gens qui reposoient et tout vestu sur la terre se coucha, car oncques celle nuyt ne despouila ne ne dormit du grant soucy en quoy il estoit ainsi. Quant l’aube du jour apparut, soudainnement s’en alla Alexandre tout seul devers les arbres et trouva le prestre tout seul qui luy ouvrit le lieu, entra dedens et s’en alla ainsy qu’il avoit fait les autres foys, a genoulz baisant les branches et les fueilles, en pensant ce qu’il voulut penser droittement au ray du soleil, et lors commença l’arbre a parler et dire : « O Alexandre, moult de choses enquiers que tu ne doibs pas enquerir. Premierement quant a la determination de ceulx qui te feront mourir que nous ne te dirons point, car si nous te les disions, tu y pourroyes obvier et seroit la predestination des dieux faillie, par quoy nous ne te dirons rien. Quant au regart de ta mere et de tes seurs, jamais tu ne les reverras, et si sçaches de verité que ta mere Olimpias mourra de villaine mort et si n’aura point son corps sepulture, mais sera gettee par pieces aux bestes cruelles, chiens et oyseaux, pour devorer. Quant au regart de tes seurs, ilz se gouverne132.

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ront bien et honnestement et prospereront en longuanimité de vie, convalescance de sancté et de biens, et ce te suffist sans plus en enquerir, mais t’en va hors de ce lieu vers roy Porrus qui te attent, car tu es en dangier d’avoir bien a besongner a luy. » Adonc fut le roy Alexandre tout couroussé que plus ne peut et lui dist le prestre des arbres que sans plus arrester s’en allast affin que les dieux ne se couroussassent a luy, et mal lui en prensist, et ainsy s’en partit le roy Alexandre, print congié du prestre et s’en alla la ou ses gens et les deux viellars l’atendoient et leur dist que incontinent ilz recueillissent leurs tentes et prensissent le chemin vers Ynde la frisicienne, la ou le roy Porrus les attendoit. Et ainsi firent les Yndiens ce que le roy Porrus leur commanda.

44. Comme le roy Porrus arriva en la vallee ou on prent le poyvre.

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En celle partie de Inde qui est entre le lieu ou les arbres de la Lune et du Soleil sont, est ainsy que disent aucuns une vallee nommee Jorda, en laquelle estoient grans serpens cornus et merveilleux, qui au bout de leurs cornes portoient esmeraudes et pierres precieuses. Avecques ce, en celle vallee vivoient iceux serpens de poivre blanc qui y croissoit et estoit le lieu si tres chault que le poyvre n’y empiroit jamais combien qu’il y fust et aussy la maniere que ceux du païs avoient pour cuillir celluy poivre estoit de faire en celle vallee grans feux et merveilleux, tant que force estoit aux serpens de s’enfouyr, et adonc faisoient ceux du pays grandes pyrates sur les montaignes, la ou de nuyt ilz se retrayoient et portoient leur poyvre, lequel aprés ce qu’ils l’avoient cuilly, ilz vendoient a ceulx de Ethiope qui depuis le vendoient aux Persains, les Persains aux Grecs et les Grecs aux Veniciens qui l’envoient aux parties occidentales et ainsy selon aucuns en sommes fournis. En ceste vallee aussi estoient plusieurs sortes de pierres precieuses, dont ceux du pays estoient riches infiniment. Et affin de veoir icelle terre pleine de tieux biens commanda le roy Alexandre aux viellars qui le conduisoient que par la le menassent, et aussy firent ilz [fol. 214 v] tant que choses merveilleuse fut des riches pierres precieuses que ilz en apporterent. De la passerent en une autre vallee, la ou les meilleures gens de Inde habitoient, appellés Seires, lesquelz ne vivoient que de pain et d’eaue, et tant gens de bien estoient que le pire de la terre n’eust osé dire ung mot qui n’eust esté veritable, faire chose deshonneste, jurer, parjurer, adultairer, tollir, embler ou faire aucune chose sinistre, mais du tout estoit leur voulenté donnee a justice et equité. A ceux gens se enquist le roy Alexandre des agetz du païs et les chemins pour aller en Inde la frisecienne, et iceux lui enseignerent bien et justement en lui monstrant droitement qu’il n’eust sceu faillir a aller jusques au dit lieu, mais audevant qu’ilz y parvenissent eurent ilz plusieurs peines et

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trouverent plusieurs choses merveilleuses, specialement ilz trouverent de grandes bestes merveilleuses qui au devant de la teste portoient une grande corne pointue a merveille, tant que quant Alexandre et ses gens arriverent pres icelles bestes, elles leur couroient sur avecques la corne devant tellement que a plusieurs rompoient harnois et escu. Mais en la fin Alexandre et ses gens les convainquirent et en misrent a mort huyt mil quatre cens cinquante et appeloient ceux du pays icelles bestes unicornes pourtant qu’ilz n’avoient que une corne, et est ce que encore disent les Latins. Aprés ce passerent les Macedoniens oultre tant qu’ilz vindrent en Inde la frisecienne, la ou ilz trouverent le roy Porrus qui les attendoit, lequel voiant que le roy Alexandre ne faisoit point si bonne chiere qu’il avoit de coustume juga en luy mesme que le roy avoit trouvé quelque chose nuysible ou ouÿ quelque responce qui n’estoit point a son profit, car il avoit a coustume quant le roy faisoit bien son plaisir en ses entreprinses qu’il estoit joyeux, plaisant et faisant bonne chiere, mais alors il estoit tout triste, melencolieux et pensif, par quoy le roy Porrus jugoit qu’il avoit mal fait son cas, mais n’en osoit enquerir affin que le roy Alexandre ne se couroussast par desplaisir.

45. Comme le roy Porrus ymagina de mener guerre contre le roy Alexandre.

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Quant le roy Porrus eut ainsi consideré en luy mesme le desplaisir du roy Alexandre, il appella clandestinement aucuns Indiens a qui il se confioit et leur dist : « Seigneurs, je vous pry comme mes bons amys que vous regardés ung peu les contenances et manieres du roy Alexandre. Il me semble qu’il ne soit point a son aise et croy que les arbres du Soleil et de la Lune lui ont annuncé quelque malle adventure pour luy qui le met en tel soucy, car se ainsy n’estoit, il me semble, veu les condicions de lui que nous avons congneues par si devant, il ne feroit point si mate chiere. » Ceste opinion coroborerent les Indiens a leur roy Porrus, disant que bien s’en apercevoient, et disoient entre eux que ce n’estoit pas de merveille, veu les haultes entreprises du roy Alexandre, lesquelles selon ce qu’il leur sembloit ne devoit homme entreprendre, et que juste chose estoit que mal luy en deust advenir. Avecques ce disoient plusieurs Indiens a leur roy Porrus : « Sire, vous congnoissés les grandes injures et extorsions que vous a faites le roy Alexandre. Se les dieux vous monstrent signifiance de sa malle fortune, laquelle selon nostre oppinion luy a esté denuncee la ou il a esté, c’est pour vous monstrer que vous en debvez

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prendre la vengeance et que a ceste fois vous aurés la victoire sur luy aussy bien qu’il a eue autresfois sur vous. » Quant le roy Porrus ouÿt ce que ses hommes luy conseilloient, desplaisant d’estre en subjection d’aultruy et que son royaume fust ainsy pyllé par gens estranges qui n’y avoient nul droit, il leur dist : « Seigneurs, vous sçavés bien les grans maulx et extorcions que le roy Alexandre m’a faitz et a vous aussy. [fol. 215 r] Se maintenant les dieux nous donnoient la puissance de repulser ceste maniere de gens qui nous tiennent en leur subjection comme gens captis et en servage, bien debverions tirer a ce avancer. Et quant a ma part, si vous estes tous d’ung accord et me aidez le mieux que vous pourrez, je vous promet que je m’y employeré133, tellement que au plaisir des dieux nous aurons la victoire sur eux qu’ilz ont sur nous. » Ceste chose accorderent les Indiens a leur roy Porrus et lui promidrent que tant que l’ung d’eulx fust en vie, ilz ne lui faudroient. Adonc firent assemblees secrettes les uns aux autres et ordonnerent que de la en avant ne fussent plus si obeïssans aux Macedoniens qu’ilz avoient esté et ne leur feissent plus tant de services comme ilz avoient fait. Et aussi ne firent ilz, mais tous d’une mesme aliance se rebelloient a tous propos contre les Macedoniens et ne vouloient fayre aucune chose pour eux et en ce congneurent bien les Macedoniens que les Indiens avoient contre eux une mauvaise voulenté et pensoient faire aucune rebellion, de laquelle chose ilz advertirent le roy Alexandre et lui dirent comme les Indiens leur tenoient rudes termes et leur denioient tous les services que faire leur souloient ouparavant.

46. Comme le roy Alexandre demanda a Porrus s’il voulloit combattre a lui.

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Quant le roy Alexandre sceut ceste chose que dit est, voiant que le roy Porrus differoit et n’osoit bonnement descouvrir sa voulenté et faire ce qu’il avoit entrepris, il vint a luy et luy dist : « Vien sa134, Porrus, on m’a adverti que toy et tes gens vous voullez mouvoir contre moy, jamais n’en fu suspectionneux. Tu scez comme par deux journees et jouxtes que nous avons eues, toy et moy, je t’ay receu a merci la ou je t’eusse peu faire du mal et du desplaisir beaucop, nonobstant je te diray : si tu sçays que ton prouffit y soit et que tu penses avoir le meilleur de te combattre a moy, ne m’esperne pas, je ne te 133. 134.

Graphie é, à la place de ai. Confusion entre sa et ça.

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doubte soit corps a corps ou gent a gent, tout ainsi comme tu voudras. Ne porte point une chiere fainte devant moy, je suis bien adverti de ce qui te meut. Mais pour cella ne te retarde en rien, il ne m’en chault. Ou si tu te tiens avecques moy et je m’aperçoipve de cy en avant d’aucune rebellion que face aucun de tes gens contre les miens, croy que sans aucune remission je le feray mourir, tant soit grant seigneur et fusse tu toy mesme. » Adonc le roy Porrus qui estoit fier et orgueilleux ainsi comme par desespoir respondit que mieux amoit se combattre corps a corps au roy que mettre ses gens en danger. Lors partirent les deux roys l’ung d’avecques l’autre et demanda Porrus tous ses hauls barons et leur dist ce qu’il avoit entreprins contre le roy Alexandre, considerans en eux mesmes que mieux valloit que les deux personnages qui la guerre mouvoient entreprenissent135 le danger que autres. Et aussi celluy n’y avoit qui ne doubtast l’adventure. Et ainsi se disposa le roy Porrus pour venir a la journee le mieux en point qu’il peut, tant de cheval que de armeures, le roy Alexandre aussi de son costé, lequel ne doubtoit pas perdre, car bien sçavoit par la relation et responce des arbres que pas ne mourroit en bataille. Pourtant se tenoit il plus sceur. Ainsi quant le jour eleu pour celle bataille faire fut venu, les deux roys en armes comparurent en ung lieu determiné, la ou le cry de la convenance fut leu et fait commandement a tous gentilz hommes, chevalliers et autres, que il n’y eust cellui si hardi ne si courageux pour quelque chose que son prince eust de ne pas soy mouvoir136 pour lui aider. Adonc commencerent les deux roys a courir l’ung a l’encontre de l’autre a toute puissance, non pas comme deux autres simples gentilz hommes ou chevalliers, mais tellement et de si grande puissance que en peu d’heure chascun des deux eut [fol. 215 v] rompu sa lance et prindrent leur espees d’armes dont ilz s’entrebatirent longuement. [gravure : Alexandre s’apprête à couper la gorge de Porrus] En ceste bataille donnerent de divers coups les deux roys l’ung a l’autre, mais finablement fut vaincu Porrus, lequel se fust voulentiers mis a merci si Alexandre luy eust voulu recepvoir, mais affin que jamais debat ne lui feist, lui coupa Alexandre la gorge et ainsi demeura seigneur total de toutes les Indes et mist gardes aux chasteaux et forteresses du pays a son apetit de tes gens137 que bon lui sembla. Avec ce fist cuillir l’or et l’argent du pays, les pierres precieuses et autres richesses dont il y avoit tant que impossible seroit de toutes les nombrer.

135. 136. 137.

enteprenissent eust de soy mouvoir tes pour tels.

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47. Comme le roy Alexandre partit pour aller en Ethiope contre la royne Candace.

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Aprés la mort du roy Porrus et que le roy Alexandre eut disposé du roiaume a son appetit, il fist preparer son ost afin d’aller en Ethiope contre la royne Caudace, qui en estoit dame et tenoit une partie des Indes. De celle venue fut la dite royne advertie et lui dist on que le roy Alexandre alloit en sa terre, on ne sçavoit pour quoy. Or avoit ceste royne bien ouÿ parler des faictz chevalereux du roy Alexandre et comme entre les autres hommes du monde il estoit beau et de belle aparence. Pourtant envoia elle ung paintre tailleur industrieux, le meilleur que on peust trouver, pour veoir la façon et contenance du roy Alexandre et lui dist que bien y prensist garde affin de luy en tailler un semblable. Ce faire entreprint cellui artificien et s’en alla en Inde la ou estoit le roy Alexandre pour le veoir. Et le trouva comme il fasoit preparer son ost et garnir de vivres pour aller en Ethiope. Tant bien print garde celluy tailleur a la figure du roy Alexandre et si bon ouvrier estoit qu’il n’y avoit homme si subtil qui sceut discerner ne mettre difference entre le personnage de Alexandre et l’ymage, tant resembloient bien l’ung a l’autre. Tant sembla cellui ymage beau a la royne Candace qui jeune dame estoit, la plus belle et la plus triumphante qu’on peust trouver, que pour la beauté qu’elle y veoit elle fut amoureuse du roy Alexandre a la semblance duquel il avoit esté fait, combien que jamais ne l’eust veu. Ceste royne Candace avoit deux enfans dont l’ung avoit a nom Candeolus et l’autre Carearus, tous iceux deux filz estoient mariez, mais ung seigneur avoit osté par force la femme de l’aisné, c’est a sçavoir de Candeolus, et la tenoit avecques lui concubine. Avecques ce tenoit par force une partie de Ethiope laquelle appartenoit au mari d’elle, lequel en estoit fort courossé et pour prendre la vengance d’icelle injure ymagina qu’il s’en yroit vers le roy Alexandre, dont la renommee courroit parmi le pays, et luy remonstreroit la honte et villiennie que l’autre lui avoit faicte en luy en requerant vengeance. Adonc partit Candeolus et s’en alla en la basse Inde, la ou le roy Alexandre se tenoit, et le premier homme que Candeolus trouva en armes fut le roy Alexandre, auquel, comme ignorant qui il fust, il demanda aprés plusieurs belles et honnorables salutations, ou ce estoit que le roy Alexandre se tenoit et ou il estoit, et luy pria que il lui pleust de le luy monstrer. Quant le roy Alexandre ouÿt ainsi parler Candeolus, voiant qu’il ne le congnoissoit point, [fol. 216 r] considerant en lui mesme que celui avoit aucune chose a fayre, pourtant cella il son nom et lui dist : « Seigneur, vous me demandez le roy, pourquoy esse avez vous affaire a luy? » « Certainement, dist Candeolus, je me viens mettre a sa grace et luy prier que de sa coutoysie

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il me veile donner secours a prendre vengeance d’ung homme qui contre droit m’a osté ma terre et violentement a ravy ma femme, qui plus me desplaist qu’autre chose. » Quant138 Alexandre ouÿt la complainte du gentil homme, il lui dist qu’il le meneroit au roy et si lui prieroit pour luy de luy donner secours. Lors partirent le roy Alexandre et Candeolus pour aller vers l’ost ou estoyent les chevalliers macedoniens, desquelz appela Alexandre ung nommé Emedus de Archade, auquel il fist signe, puis luy dist en faignant parler au roy : «  Sire, vecy ung gentil homme de Ethiope lequel vient devers vous pour ung grant besoing, car, ainsi qu’il dit, ung certain homme du pays lui a a force139 tollu sa terre et plus encore luy a tollu sa femme en la tenant deshonnestement avecques luy pour faire injure a cestui gentil homme, lequel se complaint a vous et vous prie que vous lui donnez aide a soy venger de ce tort fait. Et il me semble que vous le debvez fayre et je vous en prie. » Adonc Emedus, qui bien entendoit le signe que le roy lui avoit fait, se maintint ainsy que le roy et luy respondit : « Seigneur chevallier, puisque la chose est telle et que vous me requerez de donner aide a celluy qui est oprimé, je le veul bien. Et vous donne la charge et puissance de prendre de mes gens d’armes tant que vous voudrez, ainsi que bon et convenable vous semblera, et luy aller140 donner secours. » Lors se nomma le roy Alexandre Antigonus et print grant habundance de gens d’armes avecques lui et aprés plusieurs inquisitions faictes a Candeolus, ilz prindrent chemin et s’en allerent assieger la cité ou ceux estoient qui tenoient la femme de Candeolus. Et si vigoreusement l’assaillirent qu’ilz la prindrent a force et firent pendre cellui qui la terre tenoit a la porte de la cité, laquelle le roy Alexandre rendit a Candeolus avecques sa femme.

48. Comme la roigne Candace congneut le roy Alexandre par l’ymage.

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Quant le roy Alexandre eut ainsi rendu a Candeolus sa femme et sa terre, pour le grant plaisir qu’il lui avoit fait, Candeolus le pria d’aller veoir la roigne Candace sa mere, cuidant tousjours que celluy ne fust que ung simple chevalier nommé Antigonus. Et le roy Alexandre qui tel se faignoit luy accorda et s’en allerent ensemble avecques toute leur armee et la roigne qui de leur venue fut bien advertie vint au devant de eux et si tost que Candeolus vit sa mere, il alla 138. 139. 140.

quanz lui a force tollu allez

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a elle et lui dist que le chevallier qui estoit avecque luy on appelloit Antigonus et estoit le plus vaillant qu’on sceut trouver. Mais Candace, qui bien veit a la semblance que141 il estoit, combien que aucun semblant n’en fist, sceut bien que son filz estoit mal adverti. Lors baiserent le roy Alexandre et la roigne Candace l’ung l’autre et firent grant acueil, puis s’en allerent en la chambre de la roigne, la ou elle leur fist grant chere et leur avoit appareillé bien a boire et a menger pour eux et leurs gens. Aprés le disner print la roigne Candace le roy Alexandre par la main et le mena en la chambre paree, ou estoit l’image qu’elle avoit fait faire a la semblance de Alexandre. Et puis lui dist : « Sire roy tres noble et puissant, qui tout le monde tenez en subjection, voiez cest ymage et considerez la grande et parfaicte voulenté que j’avoie de vous veoir, quant pour l’honneur de vostre personne j’ay fait tailler cest image a la semblance, auquel regarder j’ay pris souvent felicité en faulte de ce que je ne vous povoie veoir. Or maintenant vous voy et estes a ceste heure en ma domination, non pas que vous veille supediter142, mais du [fol. 216 v] tout rens moy et mon royaulme a faire toute vostre voulenté. Outre, sire, combien que je sçache qui vous estes, sçachez que ja ne le reveleré143 a homme qui vive, car je craindroye que mon filz Careolus, frere de Candeolus, a qui vous fait tant de playsir, ne vous voulleist opprimer, a cause de ce que vous avez mis a mort le roy Porrus, dont144 mon dit filz a la fille prise a femme. Mais ce ne doubtez, car par la foy que je doy aux dieux, je aroye plus cher estre morte que vous soufrir fayre aucun desplaisir, car vous m’avez fait plaisir et a mon filz aisné, dont je vous rens graces et suys tenue de vous amer, servir et honnorer tant que je vivray. » Douces parolles gratieuses et amiables dist la roygne Candace au roy Alexandre, lequel prenoit grant plaisir a veoir cellui ymage, considerant que sans grant ardeur d’amour n’avoit pas fait icelle dame fayre celluy ymage. Et opinent aucuns que il eut habitation charnelle par tant que ilz furent seul a seul si longuement ensemble.

49. Comme Carearus voulut affaiblir le roy Alexandre. Grant chere fist la roygne145 Candace au roy Alexandre pour l’honneur que il avoit fait a son filz Candeolus. Mais Carearus, l’autre filz, qui avoit la 141. Confusion entre que et qui. 142. « dominer ». 143. Finale é à la place de ai. 144. donc 145. le roy

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fille du roy Porrus, congnoissant par la semblance de l’ymage le roy Alexandre, meu en courage pour la souvenance de la mort au roy Porrus, pere de sa femme, vint a sa mere et luy dist : « Dame, vous faictes chiere et beau semblant a cestui homme que je hay, c’est le roy Alexandre lui mesme qui a mis a mort mon beau pere. Et sçachez, dame, puisque je le tien en ma puissance, je luy monstreray le desplaisir que en ce m’a fait et en prendray vengance. » Quant la roygne ouÿt ainsi parler son filz, elle lui dist : « Mon filz, mon filz, refraignez vous. Ce n’est pas celluy que cuidez. Cestui a nom Antigonus, ung des chevalliers Alexandre, lequel souventefoiz va en bataille pour luy, et le print146 pour lui mon tailleur que je envoyé147 pour fayre son148 image, de ce suis je bien advertie. Pour ce je vous deffens expressement que a lui vous ne facez aucun outrage, mais tout honneur et service, car nous y sommes bien tenuz, veu le plaisir qu’il a fait a vostre frere Candeolus. » Ainsi rappaisa la roygne Candace la fureur de son filz, aprés ce ne voullut plus arrester le roy Alexandre, mais print congé de la dame, laquelle lui donna plusieurs grandes richesses et choses nouvelles de son païs, specialement lui donna troys cens elephans grans et merveilleux, puissans a porter tours et chasteaux de boys, grans a loger cinquante ou soixante hommes avecques leur armes. Avec lui donna cinquante et six liepars privez, trente et quatre pantheres et quatre vingts chiens grans et merveilleux. Et lors print congé le roy Alexandre de la roygne Candace en la remerciant comme sage et prudent homme de la bonne chere et des grans dons qu’elle luy avoit fait. Elle aussi et son filz Candeolus le remercioient de l’honneur et ayde qu’i leur avoit faicte ouparavant contre cellui qui tenoit la femme de Candeolus. Et ainsy print le roy Alexandre chemin pour s’en aller en Amazoine, dont il avoit voulenté d’avoir la seigneurie, car tous roiaumes renommez ou peu en falloit lui avoient rendu hommage et se estoient mis a sa subgection fors cellui la, mais au devant qu’il y venist, eut il merveilleusement de peine et de travaux, car premierement lui vindrent a l’encontre deux manieres de gens, nommez les uns Aristiniens et les autres Gongariens, qui tous furent desconfiz en peu de temps par la puissance de Alexandre et de ses gens qui estoient prompts, hardiz et adurcis en bataille. De la passa outre le roy Alexandre jusques en la terre des Confindiniens, la ou il trouva bien cent mille hommes tous en armes, lesquelz lui livrerent ung divers assault. Mais tou-[fol. 217 r]-tesfoiz en la fin eut il de eux la victoire et subjuga leur pays a sa voulenté. Aprés s’en alla en la terre d’Amazoine dont la royne qui redoubtoit fort sa 146. prins 147. Finale é à la place de ai. 148. mon

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venue vint au devant de luy et luy presenta son royaume pour en faire a sa voulenté. Adonc le roy Alexandre voiant l’umilité d’elle qui se mettoit en obeïssance ne lui voullut point oster son roiaume, mais tant seulement ordonna qu’il auroit tribut annuel dessus d’aucunes sommes d’argent.

50. Comme le roy Alexandre monta sus mer pour aller en Surie.

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Quant le roy Alexandre eut fait les choses dessusdites, il partit du royaume des Siboiens149, lesquelz il desconfist et une autre maniere de gens que on appeloit Gonoyens. Et de la descendit en la grant mer par ou il entra en la terre des Suriens, lesquelz leverent une grant armee merveilleusement contre lui, car quant ilz sceurent la venue, ilz manderent aux Maridiens qui se assemblerent avecques eux en si grant nombre que quant ilz furent tous assemblez, ainsi que dit nostre present docteur Orose, ilz estoient bien cinquante mil a cheval sans les hommes a pié, qui estoient tant que a peine le pourroit on nombrer et determiner. Ceux se combatirent moult aux gens Alexandre et en firent grande occision, tant que les plus puissans de l’armee aux Macedoniens eurent grant peur que la malle chance ne tournast sur eux. Toutesfoiz le roy Alexandre eut a la fin la victoire et demeura maistre de trestous ceux qui en l’ost estoient. Mais encore ne fut pas tout vaincu, car il y avoit une grande cité en quoy estoient demeurez plusieurs chevalliers et autres gens d’armes qui estoient leans enfermez et ne se monstroient en aucune façon plus que s’il n’y eust eu ame dedens. Pour ceste cause fist le roy Alexandre dresser une eschelle et monta lui mesme contremont et, voiant que sur les murailles n’estoit aucune personne qui se monstrast, entra luy seul dedens la ville, mais si tost qu’il y fut entré tous les autres commencerent a saillir sur lui avecquez leurs glaives et bastons invasibles150 tellement que a peu qu’il ne fust desconfit, mais comme vaillant et chevallereux, il se adossa contre ung mur et se deffendit vaillamment jusques a ce que ses gens lui venissent a secours, lesquelz, ouÿans la noyse et tempeste que ceux de la ville fasoient en combatant contre luy, apporterent hastivement eschelles contre mont la murailie, par ou ilz monterent et le allerent secourir le plus tost qu’ilz peurent. Quant le roy Alexandre veit ses gens en grant habondance entrer dedens la ville pour luy aider, le courage lui creut 149. partit du royaume lesquelz ; nous restituons le nom du peuple manquant, les Siboiens, d’après l’épisode correspondant dans le texte de Wauchier de Denain (§ 87 ; voir Orose, III, 19, 6). 150. « qui permettent d’attaquer ».

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et se combatit plus hardiement que paravant. Nonobstant fut il navré d’une flesche qui le frapa soubz la mamelle, dont il eut si grant despit que incontinent qu’il eut sentu le cop, onquez ne cessa tant que il eust trouvé celluy qui lui eut baillé et le tua. Finablement furent Alexandre et ses gens victoriens et desconfirent la cité tellement que tous furent mis a mort, et les tresors et richesses d’elle pillees et emportees.

51. De la miserable adventure laquelle advint aux gens Alexandre devant la cité de Amsa.

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Aprés la desctruction de la cité dessusdite, partirent le roy Alexandre et ses gens pour en aller assaillir une autre, forte merveilieusement, avironee de grosses montaignes sur quoy estoient fortes tours de pierre plaines de gens cruelz et hardis, qui aussi estoient subtilz et ingenieux a moult de malices, specialement a trouver poysons et intossiquer les gens. Devant celle cité s’en allerent Alexandre et ses gens et firent tant que a quelque peine que ce fust ilz en approcherent et l’assigerent, mais ce ne fut pas sans grande occision de gens, car une maniere avoient ceux de la cité et qui estoient aux forteresses de empoysonner les ferremens de leurs flesches et autres bastons, tellement que depuis que une personne estoit frappé, jamais n’en eschappoit mais mouroit tout soudainnement, et par ce perdit le roy Alexandre moult de ses gens, car les autres estoient en grant nombre et si se deffendoient fort, dont le roy Alexandre fut moult esbahi, qui plus ne sçavoit que faire. Quant a une nuyt, ainsi qu’il estoit en ses tentes tout seul pour prendre aucun peu de repos, selon que disent aucuns, le deable qui n’avoit pas assez fayt fayre de mal, craignant que le roy Alexandre ne se departist point de la bataille, a cause de ses gens qui mouroient ainsi soudainnement si tost qu’ilz avoient esté frapez d’ung de ces fers envenimez, lui monstra et enseigna une herbe pour les garantir de celle poyson affin qu’ilz eussent meilleur courage de combatre et ne se faindre point pour crainte des poisons. Celle herbe fist cuillir le roy Alexandre et en donnoit a boire a ses gens incontinent qu’ilz estoient navrez et tantost estoient guaris. Pourtant tenoient ilz le siege plus seurement et tellement le tindrent que finablement ilz vainquirent leurs adversaires et destruisirent la ville, pillerent et desnuerent de tous biens. Puis quant le roy Alexandre veit que plus ne sçavoit ou aller et qu’il avoit circui et avironné toutes les Indes et fait plus fort que jamais n’avoient fait Liber et Hercules qui dieux estoient reclamez, il appella ses capitainnes et ordonna a ceux qui gardoient les forteresses soubz luy que aux derenieres parties et plus loingtainnes ou il eust esté ilz feissent mettre

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gros pilliers et bounes en segnefiance de luy et de ses haults faictz. Aprés ce remonta en ses navires sur le fleuve de Indus duquel Inde prent son nom, qui passe par my Grece, affin de s’en aller en sa noble et riche cité de Babilloine la grant, laquelle il tenoit pour la plus suffisante du monde, combien qu’il en eust fait faire douze qui toutes portoient son nom et soublz luy estoient appellees Alexandrie, lesquelles estoient moult riches et excellentes, mais toutesfoiz a son opinion estoit Babiloine la plus excellente.

52. Comme le roy Alexandre eut les hommages de tous les roiaumes du monde.

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Quant le roy Alexandre eut ainsi fait toutes ses conquestes comme dit est et submis a sa seigneurie toutes les Indes et la partie d’orient, il se retira en sa noble cité de Babiloine, la ou ceux de tous les pays et roiaumes du monde lui vindrent faire hommage et payer tribut de leurs terres, c’est a sçavoir de Lombardie, de Cartage, de Cecille, de Gaulle, d’Espaygne et de tous autres lieux, si que l’espace de ung an les chemins ne rompirent oncque de gens qui vers luy venoient avecques richesses, tresors et dons magnifiques que ilz lui apportoient, si que devant la fin de l’an, il n’y eut royaume en tout le monde qui ne fust mis en son obeïssance et submis a faire sa voulenté. Aprés ce remembra Alexandre de la responce laquelle les arbres luy avoient faicte et du terme que ilz lui avoient assigné de sa vie estoit en doubte, combien que advis luy fust, veu la grant puissance et auctorité en quoy il estoit, que les dieux luy remueroient sa predestination et ne luy ousteroient pas si tost la vie. Neanmoins se doubtoit il, pour ce manda il trestous les plus grans seigneurs et amis que il eust en toute sa terre qu’ilz venissent par devers lui pour leur enquerir s’ilz sçavoient aucune terre ou region qui ne lui eust rendu hommage, affin de y aller incontinent mener guerre, car il vouloit et d’ardante convoitise desiroit que tout le monde fust en sa subjection et tenu de luy. Quant ceux gentilz hommes furent as-[fol. 218 r]-semblez en conseil devant le roy et il eut demandé ce qu’il eut voullu touchant les hommages des royaumes, ilz lui respondirent que tout estoit bien et que il n’y avoit terre aucune qui ne luy eust rendu hommage, ainsi qu’il appartenoit. Lors le roy Alexandre, comme tout joyeux, invita iceux seigneurs a faire grant chere avecques lui ung jour qu’il leur assigna et ordonna que deux, les meilleurs amis qu’il pensoit avoir, le serviroient au boyre et au menger celluy jour et non autres, lesquelz estoient nommez Antipater et Divinuspater, auxquelz le roy Alexandre avoit donné

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puissance sur tout le roiaume de Grece, mais finablement se monstrerent bien ennemis, car par l’envie du deable qui leur embrasa le cueur ce furent ceux qui luy pourchasserent la mort et promidrent l’ung a l’autre de l’empoysonner en lui baillant venin a boire. Et a ce faire disposerent toutes leurs intentions si que, quant le jour du convy151 fut venu qui estoit le derenier jour du terme de l’an et neuf moys que les arbres avoient baillé au roy Alexandre pour vivre, ou le penultime, quant le roy Alexandre fut assis a table, ses deux Cironomans a qui il se confioit lui donnerent poysons et venin en ses ferculles152, si que a celle heure il sentit bien son cueur estre feru a mort et le jour estre prouchain qu’il debvoit rendre d’esperit. Lors par maniere de testament en grant festination ordonna gouverneurs en son pays et devisa ses terres a qui il lui pleut. Puis fina ses jours selon que disent aucuns en grant misere et en grant regret, considerant les grans peines et vexations qu’il avoit prises en son temps, les grans dangers ou il se estoit mis, les grandes persecutions de peuple dont il avoit esté cause et que jamais n’avoit eu aucun repos pour acquerir le bien qui si peu luy duroit, car depuis que le derrenier hommage lui fut rendu et que il n’y eut plus terre en my tout le monde dont il n’eust la domination, il ne vesquit que l’espace de vingt et quatre heures tant seulement qu’il ne rendist son esperit.

53. Des autres faictz du roy Alexandre dignes de memoire.

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En la description dessusdicte des faictz du roy Alexandre le grant, nous ne avons pas interposé aucuns faictz particuliers entre les matieres, combien que ilz y fussent coïncidens. Et ce a esté pour garder le sens des histoires qui par interposition d’autres choses se fust peu changer ou perdre. Mais maintenant, l’hystoire finie, nous les mettons pour cause qu’ilz sont louables et dignes de memoire. Et premier pourtant que153 tout roy venant a regner fait aucune entree solennelle, nous debvons noter selon aucuns hystoriographes que aprés la mort du roy Phelippe, Alexandre, son filz putatif, vint a regner et les receurent moult honnorablement les suagetz et vassaux de sa terre. Lui aussi pareillement de sa part envers eux se monstra comme sage prince, honneste, gratieux et bien instruit, en leur disant : « Seigneurs barons, chevalliers, nobles hommes et autres subjects de ceste terre de Macedoine, vous voiez comme 151. 152. 153.

« repas ». « plateaux pour porter le service de table ». « parce que ».

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mon pere, vostre feu roy, est decedé de ce cicle duquel nous convient tous deceder, et n’y a cellui qui y soit permanent. Maintenant je, qui suys son filz selon le droit naturel, luy vien a succeder et tenir le royaume aprés luy. Mais toutesfoiz, quelque droit paternel que je aye, si ne veil je pas y estre receu se je ne suis decent et suffisant pour avoir si grant dignité. Mais je vous prye que regardez celluy d’entre nous qui sera le plus convenable, cellui de nous que vous verrez plus obeïssant a dieu le createur, ou quel nous debvons tous croyre, celluy qui mieux sçaura penser au bon estat du commun peuple, qui sera plus debonnayre et misericordieux aux povres, qui mieux gardera justice et le droit du fieble contre le fort, qui mieux exposera son corps au pro-[fol. 218 v]-fit du bien publique, qui par aucunes delectations ne sera paresseux de garder et deffendre le royaume, si que les povres gens y puissent vivre en paix et estre deffendus de tout mal, cellui qui plus hardiement employra son corps aux dangers et perilz de mort pour la tuition154 du roiaume, car tel homme doit on eslire a telle dignité et seroit difficille que autrement peust estre ung si grant royaume comme cestui bien gouverné. Par ce, mes seigneurs et mes amis, si vous voiez que je ne soye assez de ce faire suffisant et homme pour bien regimer155 et gouverner la communité, ung autre156 eslisez que moy, car si ainsi est que l’honneur me appartiene, je ne veil avoir aucune seigneurie sur vous de arrogance, mais veul estre comme simple compaignon et comme l’ung des mendres et avoir aggreable tout ce que vous ferez, amer tous ceux lesquelz vous amerez et haïr ce que vous haÿrez, obeïr du tout a ce que mes bons barons, conseilliers et chevalliers me conseilleront, et du tout faire pour le bien publique selon que ilz ordenneront. » Quant les seigneurs et hauls princes du royaume de Macedoine eurent ainsi prudentement ouÿ parler le roy Alexandre, qui tant estoit sage, veue et consideree la jeunesse de lui, qui n’avoit encore que peu d’aage, ilz furent moult esmerveillez et jugerent en eux mesme que il estoit ung homme inspiré de Dieu lequel une foiz viendroit a grande perfection par ses belles oeuvres vertueuses qui tant en luy flourissoient, et lui dirent : «  Seigneur Alexandre, nous avons ouÿes tes sages parolles et la bonne voulunté laquelle tu as au bien du royaume. Et est chose bien veritable que a si grant honneur obtenir il est bien necessaire de avoir ung homme vertueux, ainsi qualifié de vertu, que tu nous as devant descript. Et nous semble, avecque le droit paternel que tu as ceste chose157 que au monde ne sçarions trouver, 154. 155. 156. 157.

« défense, protection ». « diriger, gouverner ». communité, que ung autre ; suppression du que. tu as a ceste chose ; suppression de a.

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choisir ne elire homme plus suffisant ne plus digne a ce que toy et que toutes les belles preminences lesquelles ung hault prince doit avoir, tu les as accomplies. Par quoy nous te prions et requerons, tu qui es et sera nostre roy, que tu faces au prouffit et utillité du bien publique et a l’honneur de toy ce que convenable sera, car tu scez bien que quant le chef et le principal d’une communité se gouverne mauvaisement et progidallement ou qu’il est du tout failly158, il fault que les membres chaient et tumbent a bas. » Et en ceste maniere fut couronné le roy Alexandre en grande triumphe et honneur. Et se midrent en orayson tous les seigneurs en priant Dieu le createur qu’il lui pleust de sa grace confermer la bonne voulenté du roy Alexandre avecques ses subgets en bonnes operations et en paix. Laquelle orayson faicte, le roy Alexandre, en remerciant les seigneurs macedoniens, dist : « Seigneurs macedoniens, j’ay ouÿ vostre oraison que pour moy avez faicte envers Dieu et ay veu comme de vouloir bon et courtois m’avez couronné roy, dont je vous remercie, priant Nostre Seigneur, Dieu le pere, createur du ciel, de la terre et de tous les elemens, a qui toutes choses inferiores et superiores, terrestres et celestres, sont subjectes, qu’il luy plaise confermer l’amour de moy en vos courages, si que chose ne puisse faire qu’il ne soit a vous proffitable et a moy honorable. » Et parlamentoit le roy Alexandre si eloquentement et si pauseement que trestous les haults princes en estoient tous esmerveillez. Mais la cause qui le fasoit ainsi audatieux, l’une, si est que lui et tous les autres le cuidoient estre filz du roy Phelipe. L’autre cause, si est que quant le cheval nommé Bucifal regnoit, il fut revelé a son pere putatif que cellui qui chevaucheroit icelluy cheval seroit roy de tout le monde, que son pere lui revela, par quoy il se pensoit bien que autre que lui ne seroit roy. Lors fist venir Alexandre ses messagers, auxquelz il fist bailler mandemens pour aller publier son couronnement par toute sa terre, et ainsi que dit est, [fol. 219 r] commandement fut que sur toutes choses on adorast Dieu le createur et qu’on ne adorast plus les ydolles et fut telle la teneur des mandemens qu’il envoya : « Alexandre de Macedoine, a tous noz subjetz et bien amez, salut de par le dieu tout puissant qui est mon maistre et le vostre, createur du ciel et de la terre, des estoilles, des montaignes, de la mer, des anges, des hommes, des bestes et toutes choses qui ont estre, que toutes choses doibvent craindre, servir et honnorer, lequel a mis en mon couraige159 vraye congnoissance de luy et m’a estably a ses services, obligé a la garde de son peuple et m’a mis des mon enfance au plus hault estat de noblesse temporelle que je puisse avoir en ce monde, dont je luy rens graces et mercis, luy 158. 159.

« coupable de manquements, mauvais ». Couraige a le sens de « cœur ».

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suppliant que ce160 le commencement en a esté bon que aussi soient le moyen et la fin. Vous sçavez que noz peres et les vostres ont aourees les ydoles qui ne pevent nuyre ne ayder, veoir ne ouÿr, qui n’ont raison ne entendement, lesquelles ydoles nous avecques eux avons jusques cy aourees, qui est une grande honte a nous et a eux, quant les ymages que de leurs propres faisoient ilz ont adourez, et seroit encore plus grant honte a nous de maintenir celle adoracion, veu que par les doctrines et enseignemens des sages, avecques ce par raison naturelle, nous povons bien congnoistre que ce n’est que abusion et toute vanité. Par quoy d’icy en avant comme vostre prince je vueil et commande que ne adorez aucun, sinon celluy dieu souverain qui a puissance de nous donner soit bien ou mal, ainsy que nous desservirons161 ou, se autrement le faites, pour vostre ennemy me tenez. » Aprés ce que Alexandre eut ainsi envoyé ses mandemens universaulx, il en envoia de particuliers a ses haulx barons, chevaliers, seigneurs, legislateurs et autres gouverneurs de peuple, esquelz il leur prioit, mandoit et commandoit que justice fust tousjours bien gardee et que raison fust equallement faicte a chacun, et par ceux mandemens particuliers congneurent les seigneurs de la terre de Macedoine la voulenté et intention de leur prince, laquelle ilz louerent et approuverent grandement.

54. Des autres faitz de sagesse du noble roy Alexandre.

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On lit en plusieurs livres, tant hystoriques, poetiques, de croniques que autres, des faitz du roy Alexandre et treuve on qu’i fut souverainement sage en science naturelle, bien attrempé en tous ses faitz, meur en langaige, moriginé162 ainsi qu’il appartenoit, par quoy grant honneur luy estoit deu en son regne, et touchant cecy, aucuns sages hommes, voians que Alexandre estoit plus obeÿ, honnoré, craint et redoubté sans comparaison de ses subjectz que n’avoit esté Philippe son pere ne ses autres predecesseurs, demanderent a Aristote, qui estoit ung grant clerc, dont ce procedoit que les seigneurs macedoniens estoient plus inclins a obeïr au roy Alexandre qu’ilz n’avoient esté aux predecesseurs de lui. Aristote respondit que c’estoit partant qu’il avoit en luy bonne meurs, qu’il gardoit bien justice, qu’il estoit de bonne et honneste conversacion et menoit ung tres excellent gouvernement. Aprés ce demanderent ce163 c’estoit chose utille que les vassaulx fussent si obediens a 160. Confusion entre ce et se. 161. desserviron 162. « éduqué ». 163. Confusion entre se et ce.

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leur seigneur, et Aristote respondit que jamais regne ne peut durer en paix si n’est par obedience du peuple et justice du prince. On lit en aucunes croniques que le roy Alexandre estant en la terre de Inde, dont le roy Porrus fut seigneur, les Indiens d’une partie nommee Berthemos ouÿrent dire que leur roy Porrus estoit desconfit et que le roy Alexandre estoit a chemin pour aller contre eux, si se misrent en voye aucuns sages hommes de la terre et vindrent au devant du bon roy Alexandre auquel [fol. 219 v], aprés toutes honneurs, salutations et reverences faitz, ilz disrent : « Sire, nous avons entendu que tu veux venir en nostre terre pour la conquerir, dont nous sommes moult esbahis, car nostre terre est povre et n’y a chose que par bataille tu n’y puisses conquerir. » Adonc Alexandre qui les eut ouÿs parler leur demanda quelle chose ilz avoient en leur pays et ils respondirent : « Sire, nous n’avons que sapience, laquelle Dieu nous a donnee et si tu la veux avoir, demande luy, il te la donnera, car autrement, quelque force en bataille que tu aies, ne la peux tu avoir. » Lors Alexandre, considerant le dit d’iceux gens, dist qu’il vouloit veoir la terre seulement sans y mener grant excercite164, si print Alexandre aucuns des gens plus notables de son armee, lesquelz il mena avecques lui en ladite terre et se fist conduire par iceux hommes par tous les lieux, la ou Alexandre s’esmerveilla moult, car il veit les hommes et les femmes de la terre tous nudz, cueillans des herbes et des racines pour vivre, car ilz ne mengeoient autre chose. Aprés enquit Alexandre165 la nature du pays et demanda pour quoy ilz ne labouroient pour assembler des biens et ilz disrent qu’ilz avoient suffisance. Adonc Alexandre leur dist : « Mes amis, je loue fort et approuve vostre condicion qui est moult noble, mais si vous me voulez demander aucune chose, content suis de la donner. »

55. De la demande que firent les Berthemos au roy Alexandre.

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Quant les Berthemos eurent ouÿ le roy Alexandre qui leur offroit a donner ce qu’ilz luy vouldroient demander, ilz allerent ensemble a leur conseil pour oppiner ensemble ce qu’ilz luy demanderoient, si que par l’oppinion de l’ung fut conclut qu’ilz yroient par devers luy et lui demanderoient perpetuité de vie pour sçavoir s’il seroit sage homme et se bien il congnoistroit que au monde n’a rien perpetuel. Lors s’en allerent aucuns des plus sages desditz Berthemos vers Alexandre et luy disrent : « Sire, nous congnoissons pour 164. 165.

« armée ». Alexanxandre

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certain que de ceste heure tu es le plus grant qui soit en temporalité et qui peut le plus. La tienne grace, par ta bonté et grant courtoisie, tu nous as offert a donner laquelle chose que nous te vouldrons demander. Quant est des biens temporelz, nous sommes contens de ce que nous en avons et nous suffist. Mais se tu povoies et il te plaisoit nous donner vie perpetuelle et que nous ne mourussons jamais, c’est que nous veudrions requerir. » Ceste demande moult nota le roy Alexandre, pensant en lui mesme qu’elle procedoit d’une haulte sapience, venante de Dieu pour luy monster que il n’estoit rien au monde perpetuel, pourtant respondit il : « Seigneurs, vous me demandez une chose grande166 et impossible, que moy qui suis mortel et ne sçay l’heure que je doy mourir vous donne perpetuelle vie quant a moy mesme ne la puis pas donner. » Adonc dist l’ung des sages Berthemos : « Sire, veu que tu congnois certainement que tu n’es pas perpetuel et que l’eure de mort te est incertaine autant que au moindre du monde, nous nous esbahissons comme tu as le couraige de tant travailler ton corps, faire faire tant de maulx pour acquerir le bien de ce monde qui ne sces combien il te doibt durer. » Ad ce respondit le roy Alexandre : « Mes amys, je suis tout ainsy que la mer, laquelle ne gette aucunes inundations et n’est agitee sinon par la vehemente des vens qui la demainent en ce point. Ainsy suis je pareillement, je congnoys bien que quant j’auroye mys tout le monde en ma subjection qu’il ne m’en fault plus que au plus povre de tous, en la fin je congnois que du ventre de ma mere qui est la terre suis venu et que nu y retourneré167, de ce suis je bien certain et pour vray, quant n’eust esté que pour ma personne, je ne me fusse ja meu de mon lieu de Macedoine qui suffisoit assez pour moy. Mais [fol. 220 r] ainsi que le vent comme dist est agite et demaine les undes de la mer, aussi fait la voulenté de mon dieu, moy, lequel veult que je circuye le pays et abolisse les ydolatries et vanités qui regnent pour exalter et magnifier la gloire de son nom. » Ceste response faicte, Alexandre demanda quelles terres il y avoit auprés de la. On lui respondit que la terre de Signe y estoit, qui estoit une moult riche terre et puissante. Vers celle terre voulut aller Alexandre, mais au devant qu’il y venist, le roy de la terre lui envoya une embassade de gens en luy rescripvant certaines lettres dont la teneur s’ensuyt.

166. une grande ; ajout de chose. 167. Finale é à la place de ai.

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56. La teneur des lettres que envoya le roy de Signe au roy Alexandre.

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« A toy Alexandre le plus noble de meurs, le plus vertueux et le mieux heuré de ce monde, ton humble vassal et serviteur indigne, roy de Signe, salut et reverence. Comme ainsy soit que de ton hault nom tout le pays resplendisse et soit ta haulte et incomparable renommee tonante par my tout le monde, vraye est qu’on nous a raporté que toy avecques grande armee veux venir en celle terre de Signe. Mais il nous semble que simplesse seroit et lasche couraige a ung sy hault et puissant prince comme toy de vouloir acquerir avecques bastons de force ce que par amour tu peux avoir, ainsy que nostre terre, laquelle submettons du tout a ta voulenté et en signe de vraye obedience te envoyons la couronne royalle appartenant aux seigneurs de ceste terre, s’il te plaist la recepvoir, et nous semble que bien eureux serons se nous sommes conduitz par si noble et puissant seigneur que tu es. Avecques ce, pour hommaige te rendre aucunement tel168 qui te appartient, nous te envoyons mil et cinq cens livres d’or, cent mil livres d’argent, des vesseauls d’or pesans, deux cens livres des pierres precieuses les plus riches que nous ayons en nostre terre. Nous te envoyons aussi pour le fait de la guerre cent espee richement garnies, cent chevaulx les plus beaux et les mieux en point que possible nous a esté trouver. Oultre te envoyons des pellices dont les riches fourreures ce font pour faire cent pennes, te envoyons aussi cent pommes de ambre, le pesant de deux mil livres de musc, deux cens livres de bois d’alloys, mille haubregons et autant de heaulmes, te prians qu’il te plaise nous faire cest honneur de nous recepvoir pour tes subgetz et que nous puissons nous gloriffier d’avoir ung si noble seigneur, en priant le souverain Dieu, auquel, ainsi qu’on dit, tu croys bien parfaitement et le veux adorer, te doint169 prosperer en ce monde triumphantement et de bien en mieux si que, si le commencement de ton regne a esté bon, soit encore la fin meilleure. » Quant Alexandre eut ouÿ les lettres du roy de Signe qui tant se humilioit, il receut tous les joyaux excepté la couronne, laquelle il luy renvoya et lui manda que plus luy plaisoit la grant obedience de luy que la jouissance de la terre, de laquelle il ne vouloit oster la seigneurie particuliere a celluy a qui elle apartenoit, mais luy suffisoit seulement d’en avoit eu l’hommaige. Luy renvoya sa couronne et luy manda que tousjours voulsist maintenir son royaume en bonne justice et ne fouller point le povre pour soustenir le riche, et surtout 168. 169.

aucunement non tel ; non supprimé. Proposition subordonnée complétive au subjonctif construite en parataxe.

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que parmy son pays il abbatist toutes les ydolatries et fist seulement adorer le nom de Dieu le createur. Aprés ce partit le roy Alexandre, passa oultre et s’en alla vers le pays d’orient pres de Turquie, la ou il ediffia plusieurs belles villes et cités, lesquelles il nomma Alexandrie de son nom, et puis de la partit quant il eut beaucoup de pays conquesté pour s’en aller en occident.

57. Des condicions au roy Alexandre.

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Les anciens docteurs, hystoriographes et croniqueurs qui du roy Alexandre parlent disent qu’il avoit plusieurs condicions differentes des autres hommes. L’une estoit qu’il ne creoit pas de ligier tout ce qu’on luy raportoit de ses subjectz, fust bien ou mal, s’il n’en avoit meilleure experience que par ouïr dire. Pourtant avoit il ceste condicion en luy de souvent hanter entre ses gens en habit dissimulé tel qu’on ne le congnoissoit et veoit ainsi que ung autre et ouÿoit tout ce que de lui on disoit, ainsi qu’en l’une de ses villes ou jamais n’avoit entré, on lui dist qu’il y avoit ung juge le plus equitable qu’on sceut trouver et les gens les plus raisonnables. Pour laquelle chose esprouver, Alexandre fist faire ung habit nouveau que jamais n’avoit porté, faignant s’en aller hors de celle cité, ce qu’il ne fist pas, mais ainsy desguisé qu’il estoit tout seul s’en alla tournoier170 la dicte ville et specialement se adressa au lieu ou le juge dont on luy avoit fait si bon rapport tenoit son consistoire171 et la veit Alexandre le juge assis en son siege et deux contendans devant luy, dont l’ung dist au juge en se complaignant : « Seigneur, j’ay achaté une maison de ceste ville icy, laquelle cest homme icy m’a vendue, dont je l’ay totalement contenté ainsi que la convention fut faicte entre nous, par quoy la maison est veritablement mienne, mais une chose me remort en ma conscience. C’est que, depuis la dite vendition, en faisant certain ediffice en ladite maison j’ay trouvé ung grant tresor caché en terre qui plus monte l’argent que de la maison j’ay payé. Je congnoys bien que celluy tresor n’est pas moy et que le maistre a qui est la maison ne me l’eust pas donnee s’il eust eu congnoissance dudit tresor se je n’en eusse payé plus largement que je n’ay fait, par quoy je voulu172 garder justice de moy mesmes et faire a autruy ce que je vouldroie a moy estre fait, suis allé a mon venditeur et lui ay presenté celluy tresor comme sien, mais il ne l’a voulu prendre, si l’ay fait convenir devant vous pour ordonner ce que dudit tresor doibt estre fait. » 170. 171. 172.

« tourner autour de ». « audience ». Absence de la finale s, comme plus loin dans je conclu.

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L’autre respondit et dist : « Sire, vray est que la maison dont il parle je la luy ay vendue et la fis une foys faire en la place ou elle est assise, laquelle place estoit ung lieu commun auquel gettoit toutes immundices et n’y avoient ouparavant mes predecesseurs eu aucun droit, mais me fut le lieu baillé par les anciens de la ville en payant aucun tribut pour le bien de la communité. Or est ainsy que cestuy tresor que mon adverse partie dit y avoir trouvé n’est pas a moy, bien apparest, car mes predecesseurs n’y eurent oncques rien. Avecques ce je ne luy ay pas mis, mais luy ay vendue la maison tout ainsy qu’elle se compartoit et se173 qu’il m’en appartenoit, par quoy il me semble que se je prenoye celluy tresor lequel il me offre je prendroie ce qui ne seroit pas mien, dont je conclu qu’on ne me doibt selon justice et raison a ce compeller174. » Quant les deux contendans eurent ainsy proposé leurs causes devant le juge, il leur demanda, veu que a nul de eux le tresor ne appartenoit, qu’il estoit licite d’en faire. Les deux contendans tous d’ung acord requirent au juge qu’il prenist ledit tresor et en fist tout ce que bon lui sembleroit. Et le juge respondit : « O mes amys, vostre requeste n’est pas raisonnable, car puysque ainsy est selon raison que l’ung de vous ne veult accepter le dit tresor estre sien, par plus forte raison je ne le doy pas accepter estre mien, qui suis ung homme estrangier, seulement commis a garder justice en ceste cité, et ne ouÿ jamais parler d’icellui tresor jusques a ceste heure, par quoy mal fait se175 seroit a moy d’y demander aucun droit. Mais dites moy tous deux si vous avez nulz enfans. » L’ung respondit qu’il avoit un beau filz et l’autre une [fol. 221 r] belle fille preste de marier. Adonc le juge ordonna que des deux enfans seroit fait ung mariage et leur seroit donné en acroissement de leurs biens celluy tresor. Et ainsi fut fait. Ceste chose voiant, le roy Alexandre, sans monstrer qui il fust, dist au juge : « Seigneur, j’ay cogneu la grande prudence qui est en toy et la grande equité de ton peuple. Je ne cuidoie pas que en tout le monde fussent gens si equitables ne gens qui si bien gardassent justice que en ceste terre. »

58. Comme le juge se enquist au roy Alexandre si on fasoit justice partout le monde ou non. Quant le juge eut ainsy ouÿ le roy Alexandre, il dist en ceste maniere : « Comment, seigneur, est il des terres au monde ou l’en ne fait point de jus173. 174. 175.

Confusion entre se et ce. « forcer ». Confusion entre se et ce.

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tice ? » Alexandre dist que ouy plusieurs, et est a noter par maniere de incident que icelluy juge avoit grande affection de tenir et observer justice. Et combien que justice soit une vertu constante et perpetuelle, laquelle ne peut estre parfaitement en aucune creature mais seulement en Dieu le createur, toutesfoiz peut elle estre inparfaitement en nature humainne et est deuement faicte et acomplie quant on rend ou fait rendre a chascun ce qui est a luy et que on ne fait a autruy que on ne voulsist avoir esté faite a soy mesme. Et pour revenir a nostre principalle intention, le juge comme par admiration demanda a Alexandre si la terre fructifioit et le soleil luisoit, se la pluie cheoit aux regions esquelles justice n’estoit point gardee, comme se il voulsist dire : « Je ne croy pas que Dieu qui est chief de justice doyve donner la clarté du soleil ne arouser la terre de ceux la qui ne gardent justice. » Lors se partit Alexandre, disant en soy mesme : « Sire Dieu qui es tout puissant, moult est ta vertu a louer, qui as donné si noble et vertueux courage a ce peuple icy de tant bien garder et observer justice. Je croy que ceux sont les dignes et precieuses pierres dont la terre est fermee et le ciel soustenu. »

59. Des maisons equalles que le roy Alexandre veit aprés qu’il fut sorti de la ville en laquelle se fasoit si bonne justice.

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De celle cité ou justice estoit si bien gardee se partit le roy Alexandre et s’en alla en une autre belle cité assez prochaine de la, en laquelle il veit deux choses, lesquelles estoient bien merveilleuses et dignes de memoire. La premiere, ce furent les maisons de la dicte cité, lesquelles toutes estoient d’une haulteur et d’une grandeur176 en toutes dimensions. La seconde, ce fut que a l’entree de une chascune d’icelles maisons estoit une merveilleusement grande fosse. Celles choses regarda le roy Alexandre, ymaginant en soy mesme que ce pouvoit segnifier, mais oncques ne le peut conprendre tant qu’il alla aux citoiens auxquelz il demanda et enquist pourquoy ce estoit ainsy fait. Lors les citoiens qui pour son habit faint et dissimulé ne le congnoissoient, cuidans que ce fust aucun homme estrange, lui respondirent que en l’outrageuse haultesse des maisons de une cité ne pouvoient bonnement regner amour et justice, car quant l’ung des citoiens voudroit suppediter l’autre, par quelque presumption il pourroit faire de sa richesse aucune haulte maison qui pourroit estre prejudicialle a son voisin. Et ainsi estoit leur loy ordonnee que jamais l’ung n’aroit plus grande ne plus magnifique maison que l’autre, affin de gar176.

Une a ici valeur de numéral : « une même et une seule ».

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der et observer entierement justice et eviter les grans discors qui de ce pourroient ensuyvir et aussi affin que il n’y ait aucune domination l’ung sur l’autre. A ces choses demanda le roy Alexandre que les dessusdites fosses faites aux portes [fol. 221 v] de chascune maison signifoient. Et ilz respondirent que c’estoient leurs propres maisons ou ilz avoient bref a aller et le plus longtemps a demeurer, laquelle chose estoit l’une des causes pour quoy ilz ne prenoient point de playsir a faire magnifiques maisons, puisque finablement leur convenoit pour toute maison avoir une fosse en terre de la grandeur de leur corps. Outre ce leur demanda le roy Alexandre s’ilz avoient point de justiciers dedens leur cité. Et ilz lui respondirent que non, car de eux mesme ilz fasoient justice et n’y avoit cellui qui l’autre voulsist oprimer, mais gardoient totallement equité les uns aux autres. Adonc se partit Alexandre et s’en alla en une autre cité, la ou sept roy avoient regné, et demanda s’il y avoit plus de roy. On luy respondit que non, fors ung jeune filz du derrenier roy trepassé, lequel ne se dementoit aucunement de tenir estat royal, mais estoit a toute heure en my ung cymitiere pensif comme ung homme solitaire. Voir cest enfant alla le roy Alexandre et lui dist : « Beau filz, je m’esbahis de toy, veu que tu es de si noble lignage, que tu n’as vouloir de tenir estat royal ainsi que tes predecesseurs. » Le jeune filz respondit : « Seigneur, je n’ay pas lasche courage, mais je differe a prendre estat royal jusques a ce que j’aye fait une chose que je pretens a faire. » Et Alexandre lui demanda que c’estoit. Le jeune filz respondit que c’estoit qu’il eust trouvé les os de son pere et des autres roys qui avoient esté ensepulturez en cellui cymitiere pour les separer et ouster de avecque ceux qui n’avoient point porté de habit royal, mais dist en effect que il ne les congnoissoit les uns des autres. Adonc fut content le roy Alexandre de ce que il ouÿt le jeune filz respondre si sagement et se appensa qu’il rescriroit a son maistre d’escole Aristote des choses merveilleuses lesquelles il avoit veues. Et appella ung sien homme sage et entendu, auquel il commanda qu’il allast rediger par escript toutes les choses dignes de memoire que ilz avoient veues tant par terre que par mer et que il en feist certain codicille pour envoier a Aristote. Cestui sage escrivain et redigeur alla faire ce livre ainsi que Alexandre lui ordonna, puis fut envoié a Aristote, le bon et notable philozophe, lequel par contemplation de philozophie avoit eues de grandes et merveilleuses admirations touchant les choses admirables de ce monde. Mais encore fut il plus esmerveillé quant il eut le livre en quoy Alexandre luy rescrivoit avoir veu roiallement tout ce que le dit philosophe Aristote pensoit en son ymagination.

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60. Des autres vertus, prudences et preminences lesquelles furent ou roy Alexandre.

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On list en aucunes croniques parlantes du roy Alexandre que a l’heure qu’il alla commencer la guerre contre le roy Dare dont nous avons devant parlé, que on lui vint rapporter que seurement pouvoit aller contre le roy Dare et qu’il avoit en sa compagnie troys cent vingts et trois mille hommes de guerre tous armes portans, sans les gens de pié lesquelz estoient necessaires a l’armee. Et Alexandre respondit : « O mes amis, ne nous glorifions point ou grant nombre de nos gens, car ung bon boucher ou ung bon cuisinier ne se doit point esbahir de veoir plusieurs moutons et plusieurs veaux devant soy, aussi ung bon homme de guerre ne se doit point esbahir de veoir plusieurs gens en armes au devant de luy, car autrement il n’est homme de guerre, tant soit chevallereux, quant il se trouve a donner aucun assault qui puisse avoir ne obtenir la victoire et doit on tousjours presumer de en avoir du meilleur. » On trouve semblablement que le roy Alexandre estoit fort courtois de donner et avoit de coustume ainsi comme le superior, chascun jour de se seoir dedens [fol. 222 r] ung certain lieu la ou il recepvoit les suplications de chascun qui aucune chose luy venoit demander. Or fut ung jour qu’il se alla mettre ou dit lieu et cellui jour passa totallement qu’on ne lui vint rien demander. Pour celle cause ordonna le roy Alexandre que cellui jour ne seroit point nombré entre les autres jours de son regne, comme s’il voulsist dire que il ne voudroit point avoir vescu le jour de son regne qu’il n’eust fait aucun bien. En cestui lieu ou il tenoit ses requestes entra ung homme bien eloquent a merveilie, lequel sans parler par bouche d’autruy ou bailler par supplication escripte se vint presenter devant le roy Alexandre, et estoit icellui homme tant pouvrement vestu que merveille. Son propos fist devant le roy Alexandre, lequel voulentiers l’escouta pour la beauté de parler qui estoit en lui et puis lui dist : « Or sa, mon amy, je me esbahis de toy qui tant est beau langager et bien orné comme tu n’as une autre robe meilleure. » Et le bon homme dist : « Sire, j’ay bien en moy celle puissance de apprendre a beau parler, non pas de acquerir une bonne robe, laquelle tu me peux bien donner s’il te plaist. » Lors le roy Alexandre fist apporter une de ses bonnes robes et la donna au bon homme pour l’honneur du beau langage qui fut en luy. De autres vertus et dons de sapience eut Alexandre en lui que tout le monde de ses faitz refulsit177.

177.

« devient plus fort ».

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61. Des lettres que envoya Alexandre a sa mere quant il deut mourir.

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Aprés que Alexandre eut ainsi acomply son temps et esté le seigneur de tout le monde, comme dist est, et que il congneut semblablement le terme qu’il debvoit mourir ainsi comme la response des arbres l’avoit predestiné quant luy et toute sa compagnie s’en allerent devers iceux arbres pour les grandes nouvelles qui en estoient comme il a esté dit devant, on dit que il rescripvit a sa mere Olimpias unes lettres dont la teneur s’ensuit : « Alexandre, serf, filz de serf, a toy, ma tres chere mere avecque laquelle je ne repose oncques en ce monde, salut. Mere, je te requier et prie humblement que tu ne veilles pas ressembler en foiblesse et en fragilité de cueur aux autres femmes du monde, plus que ton filz Alexandre a voullu ressembler aux hommes. Saches que je suis pres de ma mort et t’en rescri affin de t’en reconforter, te priant que tu la portes plus patientement que ne font pas les autres femmes de leurs enfans. Bien sçay que de bref viendras aprés et se bien penses a ta mort je suis bien certain qu’il ne te souviendra de la mienne. J’ay beaucop vescu en ce monde et employé de mon temps en beaucop de mondanitez, lesquelles me portent peu de prouffit, et ne sçay ou ne quelle part je doy aller. Je n’ay pas regret a ma mort, puis que c’est le playsir de Dieu, car je congnois que toutes choses ont generation et corruption et que nulle personne de quelque estat ou condition qu’elle soit ne goute de vie qui ne goute de mort. Par quoy, mere, je te prye que tu te monstres forte, discrette et attrempee en vertu de patience quant de ma mort seras acertenee178, affin que chacun puisse louer ta discretion. Outre plus, aprés ma mort fay faire ung grant convy. Tu assembleras tous les grans seigneurs et vassaulx de la terre de Macedoyne et de Asie et puis, quant ilz seront tous convenus et assis a table, prestz de boyre et de menger, fay crier sur peine de mort que aucun ne soit si hardi de boyre et de menger, fors ceux qui jamais ne furent courossez ne troublez pour aucune adversité qui leur advenist. » Et ceste article fut la fin des lettres et lui mist Alexandre tout a propos comme nous verrons par aprés en parlant de sa mere Olimpias et en ceste maniere fina Alexandre ses jours. [fol. 222 v] Par les hauls faictz du roy Alexandre doibvent toutes gens et specialement les hauls princes prendre exemple en eux mesmes, et considerer que ce monde miserable n’est que peu de chose. Pourtant est ce grant ignareté179 a ceux que l’ennemy tente si fort de vouloir et desirer exerciter tant de maulx, tant de 178. « certaine ». 179. « ignorance ».

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mesfaitz execrables perpetrer sur les creatures humaines en espicial qui ont si peu de vie. Moult de choses fist Alexandre en son temps dignes de louenge, comme de l’adoration qu’il fist devant le nom de Dieu, quant Joadas evesque alla au devant de luy, et de la reverence qu’il fist a Dieu du ciel createur de toutes creatures devant les mons de Capi ou de Campios, lesquelz Nostre Seigneur Dieu assembla a la petition et requeste dudit Alexandre. Mais aussi en fist il tant d’aultres inhumains faictz et sans raison, plus tiranniques que autrement que selon l’oppinion d’aucuns sages, Nostre Seigneur Dieu qui tout avoit permis et enduré, le voiant au plus hault et au plus grand estat de ce monde dont il estoit seigneur obeÿ, il le mist au plus miserable qu’il peut devenir et sans glayve fut vaincu cellui qui par aucunes armes, par bestes horribles et monstrueuses, par ses amis propres, par ses ennemis ne l’avoit peu estre180. Et est ce que nostre present docteur Orose sur ce point conclud que en cellui temps estoient plus mal avertis et se conduisoient plus miserablement qu’ilz n’ont fait depuis l’advenement du filz de Dieu, mais est allee la loy tousjours en amendant. En ceste mort de Alexandre aussi nous est monstré la confidence que nous debvons avoir en ce monde qui est tant decepvable, bien y appert, quant ceux du monde a qui le roy Alexandre avoit fait plus de bien et a qui plus il avoit esperance furent qui le midrent a mort. Et pour ce mieux lui vaulsist avoir mis son cueur a Dieu servir et esperer en lui que tant avoir fait de tirannie pour exalter ceux qui le destruisirent. En ce aussi sont reprins les riches orgueilleux qui se glorifient en leurs richesses et en font leurs beatitudes, cuidans que il ne soit point d’autre gloire. Et puis en ung moment par ung soudain jugement de Dieu occulte sont frappez a mort et perist la memoire de eux avecque le son. Leurs biens et possessions qu’ilz avoient et auxquelles acquerir ilz avoient tant mal usé leur temps, ilz ne les emportent point mais viengnent gens estranges et incongneuz qui en possedent et ne leur souvient de ceux qui les ont acquises. Et le plus souvent pour la partition des biens du riche mal acquis sourdent noises, haines et dissentions entre les successeurs, dont maulx infinis ensuivent, ainsi que pour la succession de Alexandre ceux qui en son service durant sa vie avoient esté amis, aprés sa mort pour ses successions furent hauls ennemis, et eurent haynne grande et perpetuelle entre eux dont maulx infinis ensuivirent comme nous verrons par aprés.

180.

par ses amis propres celluy qui ne l’avoit peu estre par ses ennemis

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62. Comme les grandes guerres commencerent entre les successeurs de Alexandre aprés sa mort.

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Quant le roy Alexandre eut poié le tribut de nature ainsi que dit est et que il eut devisé ses terres ainsi comme il luy pleut, que son corps fut ensepulturé richement ainsi que la coustume estoit de faire des hauls princes en celluy temps, les seigneurs a qui les terres et roiaumes avoient esté donnees s’en allerent chascun en la sienne. Mais le deable qui avoit perdu son grant executeur quant au monde et au corps de l’ame, c’est au jugement de Dieu, voiant que le monde estoit en aucun estat de paix alla embraser de couvoitise les courages des princes qui les successions de Alexandre tenoient. Et selon que disent aucuns, meurent les premieres noises par une ordonnance que le roy Alexan –[fol. 213 r]-dre fist a sa mort, c’est a ssavoir que tous les captifz de son royaume et de tout le monde en quelque terre qu’ilz fussent eussent delivrance, laquelle chose faire ne voulurent aucuns qui es cités qu’ilz tenoient pour leur part avoient aucuns prisonniers, considerans et disans a eux mesme que si par aventure ilz mettoient leurs prisonniers hors de servage, iceux prisonniers pourroient avoir memoire du mal qu’on leur auroit fait et en vouldroient prendre vengance. Ainsi furent plusieurs qui ne voulurent delivrer leurs prisonniers. Pourtant sourdit noises et discencions innumerables, car ceux d’une terre voyans qu’on tenoit leurs amis en l’autre prisonniers contre l’ordination du prince se mouvoient et y alloient faire guerre, ainsi que ceux d’Athenes qui furent les premiers levans guerre aprés la mort du roy Alexandre, ainsy que l’istoire tesmoigne qui dit que Antipater, celluy a qui le roy Alexandre se fioit sur tous et a qui il avoit donné la plus belle piece de terre qu’il eust, c’estoit Grece, tenoit plusieurs seigneurs atheniens en prison dont leurs amis qui dedens la cité d’Athenes habitoient estoient marris et luy manderent comme qu’il fust que sans differer il delivrast les captifz ou autrement ilz luy meneroient la guerre. Or estoit de celle partie de Grece ou Athenes est assise seigneur Divinuspater, le compaignon d’Antipater, ausquelz deux Alexandre avoit donnee Grece durant sa vie, et furent ceulx qui l’empouesonnerent comme dit est et qui en sa mort avoient plus de confederation181 et d’amitié ensemble en tant que d’ung mesme consentement ilz firent mourir le roy Alexandre. Et aussi furent ilz les premiers ennemis, car Antipater qui estoit fier et orguilleux ne voullut rendre les prisonniers de Athenes qu’il tenoit a son compaignon Divinuspater et ainsi vint la noyse, car les Actheniens ceste refuse voyans assemblerent leurs gens et quirent leurs alliances par tout ou ilz 181.

« alliance, pacte ».

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peurent tellement qu’ilz se trouverent bien sur mer trente mil deux cens navires plains de gens, d’armeures et de vivres pour s’en aller assaillir Antipater, lequel se tenoit en ung fort chasteau sur la mer. D’autre party aussi Antipater, qui de leur entreprise estoit bien adverty, manda au roy Licanor, qui tenoit Frige la minor, qu’il luy venist aider avecques tant de gent comme il pourroit. De ce faire fut tres joyeux le roy Lichanor qui en grande diligence assembla tant de gens comme il peut, garnit ses navires et se mist sur la mer pour aller vers Antipater, mais avant qu’il y fust parvenu, s’entrerencontrerent les Atheniens et luy sur mer, la ou ilz eurent si grande et si horrible bataille que ce fut pitié de veoir la grande occision qui y fut. Toutesfoys furent les Atheniens maistres. [gravure : combat maritime] En ceste bataille fut desconfit Lichanor et y perdit la vie avecques les grandes richesses qu’il avoit amenees, que les Atheniens eurent qui aprés leur conqueste s’en allerent devant le chasteau ou estoit Antipater, lequel ilz assaillirent de grande puissance et jamais n’en fussent partis tant qu’ilz l’eussent engaigné, sy n’eust esté une malle aventure qui leur advint d’ung de leurs principaux capitaines qui fut navré d’une fleche de ceux du chasteau tant qu’il en mourut, dont les Atheniens furent si couroussés que force leur fut de soy retirer et laisser celluy [fol. 213 v] chasteau.

63. Des autres guerres qui sourdirent entre les princes.

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En celluy temps que les Atheniens avoient guerre ensemble, Perdicas, qui une partie du regne de Macedoine tenoit devers Egipte, assembla sa gent pour aller contre ung roy d’une cité nommée Capadoce, en laquelle estoit celluy roy constitué nouvellement de par le roy Emenidus de Archade a qui elle appartenoit, mais pour ce que loing de lui estoit il donna a ung chevalier pour la garder et l’en fist particulier seigneur et roy en luy payant aucun tribut. De ceste chose eut despit le roy Perdicas pourtant que celle cité estoit prochaine de ses terres et ymaginoit que le roy Emenidus celle chose avoit fait et mis capitaine en sa cité de Capadoce pour trouver moyen d’entrer sur ses terres. Pour ceste cause alla Perdicas assaillir icelle cité et y fut longtemps, mais quant ceux de dedens veirent qu’ilz n’estoient pas assez fors pour resister a si grande puissance de gens comme estoit Perdicas, ilz aymerent mieulx se destruyre eux, leurs biens et leur cité, que se submettre a la voulunté de Perdicas. Et pour ce bouterent ilz le feu en leurs maisons et furent brulés eux et leurs biens. Par ce n’y conquist rien Perdicas que hayne et discention, car quant Antigonus sceut

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celle entreprinse, il eut despit pour quoy Perdicas l’avoit fait plus tost que luy a qui il apartenoit aussi bien de le faire, car Antigonus et Perdicas estoient tous deux seigneurs de Macedoine, l’ung par devers Egipte et l’autre par devers Aise. Et ainsi sourdit grande bataille entre Antigonus et Perdicas tellement que l’ung faisoit destruire les terres et forteresses de l’autre partout ou il pouvoit. Lors esmeut le diable, qui ne desire que meurdres, les courages des aultres princes voyans que Antigonus et Perdicas avoient noyse ensemble tellement que plusieurs assemblerent leurs gens pour aller sur eulx, mais on ne sçavoit si c’estoit pour assaillir le royaulme d’Aise ou de Macedoine. Et de fait pour garder son pays se retira Perdicas devers Egipte dont estoit roy Tholomeus, lequel aussi bien esmeu que les aultres assembla les gens la cité du Tyr, dite la cité Tyrenense, laquelle estoit a luy pour combatre a Perdicas s’il entroit sur la terre d’Egipte, et ainsi estoient desja plusieurs meux les ungz contre les autres. En celluy temps aussi et durant les dittes guerres le roy Emenidus d’Archade et ung autre roy de lui prochain, nommé Neptolinus ou Neptolonius, se meurent l’ung contre l’autre par si grande et horrible façon que toute leur gent fut presque destruicte, mais plus y perdit Neptolonius que Emenidus et luy fut force de s’enfouyr et retirer en Grece vers Antipater pour avoir de luy secours contre le roy Emenidus qui sa gent avoit occise. Quant Neptolonius eut fait sa supplication a Antipater et remonstré comme facillement on pourroit destruire Emenidus qui toute sa gent avoit perdue ou peu en failloit, Antipater s’accorda de lui donner secours et ainsy assembla ses gens et Neptolonius les siens, cuidans bien venir a leur intention et destruire le roy Emenidus, lequel estoit fort chevalier et puissant homme, congnoissant et entendu es faitz de guerre, car toute sa vie et des sa jeunesse avoit servy le roy Alexandre et esté aux assaulx avecques luy. Quant cestuy Emenidus sceut que Neptolonius estoit ainsy allé querir aide et aliance avecques Antipater et que eux venoient contre luy, il assembla tant de gens comme il peut trouver de sa subjection et vint attendre Neptolonius au lieu ou il pensoit bien qu’il debvoit venir. De Grece partirent Neptolonius et les gens Antipater, lesquelz il avoit baillés a ung vaillant chevalier grec nommé Polibenon et l’en avoit fait capitaine. Et tant allerent qu’ils trouverent Emenidus et ses gens qui les attendoient tous en armes. La eut une [fol. 214 r] diverse182 bataille et merveilleuse tant d’une part que d’autre. [gravure : scène de combat] En ceste bataille combatirent les deux roys Emenidus et Neptolonius tellement qu’ilz getterent l’ung l’autre a terre de leurs chevaulx et fut Emenidus183 182. 183.

une une diverse Emeniradus

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fort navré, mais toutesfois demeura184 il victorien et copa la gorge a Neptolonius. Ainsi quant Polibenon de Grece veit que Neptolonius fut mort, il n’osa plus combattre, nonobstant qu’il fut vaillant chevalier, mais s’en retourna sans plus mot dire ainsi comme desconfit et demeura Emenidus victorien. En celluy temps mesme entra le roy Perdicas en la terre d’Egipte et la eurent luy et Tholomeus grande guerre et merveilleuse, mais en la fin demeura Tholomeus le maistre et fut Perdicas mis a mort par Tholomeus et par ses gens qui par diverses batailles et assaulx gaignerent moult de richesses et d’avoir sur Perdicas et sur ses gens dont ilz eurent la seigneurie.

64. Des guerres qui furent entre Antigonus et Emenidus d’Archade.

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Grandes discentions merveilleusement et guerres mortelles avoient adoncques les princes successeurs de Alexandre entre eux par l’enflamation de envie qu’ilz avoient les ung sur les autres, ainsi que met l’escripture qui dit que aprés la mort de Perdicas fut noncé aux Macedoniens, dont Antigonus estoit le principal seigneur, que Emenidus, Philotes et Ylitus estoient en armes aliez ensemble et se declaroient leurs ennemys. Contre ceux assembla le roy Antigonus grant nombre de Macedoniens et leur mena si grande et si merveilleuse guerre que en la fin aprés grans et divers assaulx force fut au roy Emenidus de soy retirer en ung fort chasteau pour se garantir car pour lors avoit il du pire et dedens celluy chasteau l’assiega Antigonus tant que impossible eust esté qu’il en fust sailly sans estre prins se le siege de ceulx de Macedoine se fust peu tousjours tenir devant. Mais Emenidus voiant que fort estoit pressé envoia messagiers en Grece prier au roy Antipater qu’il luy voulsist faire secours contre le roy Antigonus qui l’avoit assiégé en ung chasteau. Quant Antipater eut receu la supplication de Emenidus, il manda ses gens a grant puissance et envoya une grande armee merveilleusement contre le roy Antigonus qui tenoit siege devant le chasteau ou estoit Emenidus. Mais audevant qu’ilz fussent venuz jusques au lieu furent portees les nouvelles a Antigonus que les Grecs venoient secourir Emenidus avec si grant puissance que merveilles. Pour ceste cause fist Antigonus desplasser et laisser le siege, si que les Grecs n’y trouverent rien et peut saillir Emenidus et ses gens hors du chasteau et s’en alla vers une maniere de gens qu’on appeloit Pidiens, lesquelz avoient autresfois esté en bataille avecques le roy Alexandre et avoient coustume de porter leurs armeures en batailles toutes couvertes d’orfaverie par 184.

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triumphe en signe de gens puissans et vaillans. Ceste gent alla veoir Emenidus et leur pria qu’ilz luy donnassent aide et secours contre le roy Antygonus qui trop lui faisoit de desplaisir. Et a ce faire s’accorderent par les dons et promesses qu’il leur fist. Adonc rassembla Emenidus sa gent et eut une grande armee qu’il mena con-[fol. 214 v]-tre Antigonus, lequel avoit esté adverti des aliances que Emenidus faisoit et s’y bien pourveut a son cas, car riche homme et puissant estoit que quant Emenidus et ses gens furent venuz au lieu de bataille si dur assault leur fut livré que en peu de heure furent desconfitz et mys en fuyte.

65. Comme les gens Emenidus le rendirent a Antigonus et des grandes lamentacions que fist la bonne dame Olimpias.

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Icy par maniere de incident debvons noter que en celluy temps que Antigonus et Emenidus avoient guerre ensemble, la coustume des gens d’armes qui adonc estoient et specialement des Pidiens, que Emenidus avoit avec luy, estoit de mener la ou ilz alloient leurs femmes et leurs enfans pour ensevelir leurs corps si d’aventure ilz mouroient. Or est ainsy que les Pidiens avoient amené les leur quant ilz vindrent en aide a Emenidus, et furent icelles femmes et enfans perduz et prins des gens Antigonus quant la bataille fut si grande que force fut a Emenidus et ses gens de tourner le dos. Pour ceste cause quant les Pidiens veirent que leurs femmes et enfans estoient en captivité, ilz manderent au roy Antigonus que s’il leur vouloit rendre leurs femmes et enfans qu’il avoit prins, ilz trouveroient moyen de luy livrer son ennemy Emenidus. Ceste requeste accorda Antigonus, car sur tout il hayoit Emenidus et ne desiroit autre chose que de le superer185. Pour ce manda il aux Pidiens qu’ilz fissent ce qu’i lui avoient mandé et qu’il feroit ce qu’ilz avoient demandé. Lors chercherent les Pidiens tant de moyens et d’oportunités qu’ils prindrent en traïson le roy Emenidus et le menerent comme traistres au roy Antigonus, qui estoit son mortel ennemy et fut tout joyeux quant il le tint. Et en cecy debvons nous considerer que c’est peu de chose que l’amour du monde et folle fiance que en homme, quant Emenidus qui du tout se fioit a l’aide et au secours des Pidiens et iceux mesmes186 le livrerent, par quoy mieux luy vaulsist avoir esperé en Dieu que en eux, ainsi que dit le psalmiste « Mieulx vault se confier en Dieu qu’en homme qui soit sur terre et esperer en luy plus 185. 186.

« dominer, vaincre ». Une rupture de construction.

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qu’en tous les princes du monde.  » En cestuy temps pareillement que Emenidus et Antigonus avoient guerre ensemble, estoit une royne nommee Erudices187, laquelle amoit ung chevalier nommé Cassander, lequel elle avoit eslevé en grant puissance, et par celluy Cassander faisoit la dite Erudices mener guerres ou nom d’elle et conquerir pays partout ou elle povoit. Mais mal luy en print en la fin, ainsy que nous verrons cy aprés, car ainsy que disent les hystoires, ceste royne Erudices188 avoit esté femme du roy Arideus, qui une partie de Macedoine tenoit, et a l’occasion se vouloit nommer la dite Erudices189 royne de Macedoine. Or est ainsy que adonc estoit la royne Olimpias, mere du roy Alexandre, demeurante au royaune de Pise et lui fut conseillé d’en partir et retourner en Macedoine dont elle estoit, pour ce que ung roy nommé Caciadès la menaçoit de luy faire desplaisir et la mettre en prison. Pour ceste cause conseilla ung chevalier nommé Polipar a la royne Olimpias qu’elle retournast en Macedoine, et ainsi le fist. Mais tantost qu’elle y fut entree et la royne Erudices190, qui fiere et orgueilleuse estoit, le sceut, elle luy manda qu’elle s’en retournast et vuydast la terre. Adonc fut la royne Olimpias merveilleusement couroussee, et non sans cause, de veoir que une personne estrange la voulsist mettre hors du pays qui luy appartenoit et ou elle avoit eu si grande seigneurie et dominacion. Lors commença incontinent a regreter merveilleusement son filz Alexandre en disant en ceste maniere : « O Alexandre, mon chier filz, que ne es tu icy maintenant ! Se tu fusses encore vivant, on ne me fist pas l’injure et la grant villenie que on me fait. » Tant de grandes lamentations fist la bonne dame [fol. 215 r] Olimpias que l’on peut ymaginer en ce cas, mais toutesfoiz la reconforterent aucuns seigneurs qu’elle avoit en sa compagnie, en luy disant que ja tant ne se desconfortast mais mandast les Macedoniens, desquelz elle estoit vraye dame, affin qu’ilz luy voulsissent donner secour contre la royne Erudices et son connestable Cassander qui la vouloient mettre hors de son heritaige. Ainsi fut la royne Olimpias resconfortee et manda les Macedoniens auxquels elle pria doulcement qu’ils fussent a son aide. Et aussi furent ilz si bien que la royne Olimpias convainquit Erudices et luy fist occire son mary, de laquelle chose mal luy en print a la fin, car Cassander, qui les nouvelles sceut que la royne Olimpias estoit retournee en Macedoine et y menoit plus grande sei187. loin. 188. 189. 190.

Erudites. Nous corrigeons car la forme Erudices, plus proche de Euridice, apparaît plus Erudites Erudites Erudites

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gneurie que jamais n’avoit fait, assembla tant de gens comme il peut pour aller mener guerre a la dite Olimpias, laquelle ouÿant les nouvelles de l’assemblee que Cassander faisoit contre elle, diffidente191 des Macedoniens et craignant que ilz ne se retournassent contre elle, s’en alla en la cité de Britoxa, laquelle ses predecesseurs avoient autresfoiz fait faire. Et la retira la royne Olimpias son estat, c’est a sçavoir elle, la femme et l’enfant de son filz Alexandre qui eut a nom Hercules.

66. Comme la royne Olimpias receut les lettres de son filz.

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Ainsi que nous avons devant dit, Alexandre le grant, voiant la mort estre de luy prouchainne, fist faire lettres adressantes a sa mere pour la reconforter192 de sa mort. Et lui furent presentees icelles lettres lors que elle se retira en cité de Britoxa et est bien a considerer que quant elle les tient il y eut de grandes et merveilleuses lamentations, non sans cause, car celle douleur qui a celle heure la vint exceda toutes les autres que jamais elle avoit eues. Et par celle furent toutes les autres renouvellees et reduites a memoire. Et demenerent la royne Olimpias et la vesve de Alexandre, son dit fils, si tres grant et merveilleux desconfort que doloreuse chose fut de les veoir. Toutesfoiz pour acomplir ce qui en icelles lettres estoit contenu, la royne Olimpias envoya ses messagers par toutes ses terres prouchainnes faire inviter tous les nobles hommes et les nobles femmes du païs pour venir a ung convy, lequel elle avoit intention de faire. A ce convy se assemblerent tous les gentilz hommes et femmes du pays et furent appareillez vins, viandes et toutes choses exquises se plaisance y eust esté, mais elle n’y peut estre, car bien souvint a Olimpias de ce que son dit filz Alexandre avoit mis en la derniere article de ses lettres. C’est que elle feist faire ung cry193, aussi tost que tous les invitez au convy seroient assis a table, que sur peine de la mort aucune ne osast boire ne menger fors ceux qui jamais n’avoyent esté courossez ne troublez de fortune qui leur fust advenue. Et ce commandement ainsi estre fait ordonna Alexandre pour excuser sa mere que bien sçavoit estre fort courossee de sa mort, affin que s’elle ne pouvoit tenir sa doulleur couverte que chascun la supportast194. Quant le cry dessusdit fut fait, tous commencerent a regarder l’ung l’autre par amiration 191. 192. 193. 194.

« méfiante ». reconfortez « proclamation publique ». « aidât ».

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et n’y avoit celluy qui mengast ne beust en tant que cellui n’y avoit qui n’eust eue quelque affliction ou couroux. Lors commença la royne Olimpias devant tous a dire en plorant : « O vous seigneurs, dames et damoiselles icy presens, vous ne vous debvez pas esmerveiller se maintenant je souspire et lamente qui n’eu195 jamais que tristesses et pleurs. Et alors que j’en cuidoye estre hors, je y suis cheue plus durement que jamais. Car au derrenier m’est venue la plus grande et importable douleur laquelle me peust advenir, car j’ay perdu entierement ce en quoi j’avoye toute mon esperance. Je cuidoye estre dame et maistresse des autres par l’auctorité de mon [fol. 215 v] filz et je voy maintenant qu’il m’en faudra estre serve, par quoy je doy bien increper196 et maudire qui tant me guerroye asprement. » Et ainsi lamentoit la royne Olimpias en ramenant a memoire toutes les adversités et infortunes qu’elle avoit eues toute sa vie, lesquelles assemblees ne lui sembloient rien au regart de la derniere. Toutesfoiz par le reconfort des seigneurs et sages hommes qui furent la, elle se rapaisa et beurent et mengerent trestous197 ensemble bien et honnestement. Puis se departirent et les seigneurs prindrent congié de la royne Olimpias et de Alexandra198, femme de son filz Alexandre, s’en retournerent chascun en sa maison et demeura la royne Olimpias dedens la dite cité de Britoxa, la ou elle n’eut puis que tristesse et miserablement assez tost aprés y fina ses jours ainsi que nous verrons cy aprés.

67. Comme la royne Olimpias fut occise a grant doulleur.

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Quant Cassander eut ainsi assemblé ses gens tant comme il peut en avoir, il s’en vint en Macedoine la ou il trouva que la royne Olimpias avoit fait mourir la royne Erudices199, sa dame par amours. Lors fut moult courossé et jura par tous ses dieux que jamais ne cesseroit tant qu’il en auroit prins vengance si cruelle que a tousjours nouvelle en seroit. Adonc alla il assieger la cité en quoy se estoit retiree la royne Olimpias. Et tant fist par force et divers assaulx qu’il la gaigna et fist prendre la royne Olimpias, depecer en pieces et la getter aux chiens et aux oyseaux affin de lui faire plus grant deshonneur et qu’elle n’eust point de sepulture. Aprés que la royne Olimpias fut ainsi cruellement 195. 196. 197. 198. 199.

Absence du s final de la première personne du singulier. « blâmer, réprimander ». tertous L’auteur invente un nouveau prénom pour l’épouse d’Alexandre ! Erudites

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mise a mort, Cassander fist prendre la femme du roy Alexandre avecques son filz Herculles, lesquelz il fist mettre en une prison horrible et obscure, cuydant les y faire mourir. Et ainsi finerent les deux roynes leurs dolentes vies, c’est a sçavoir Erudices200 et Olimpias, qui de plusieurs maulx et inconveniens avoyent esté causes en leur temps. Et furent la povre femme vesve de Alexandre et l’enfant orphenin, son filz, sans desserte201 mis en prison et tenus en captivité par Cassander, lequel fier estoit et orgueilleux. Mais Nostre Seigneur qui congnoist l’extortion que on fait aux justes finablement l’en poya bien ainsi que nous verrons par aprés. En celluy temps aussi menoit Perdicas guerre contre Tholomeus et contre le dit Cassander qui ensemble estoyent allez, et par leurs mauvaises entreprises furent destruitz et mis a mort plusieurs notables gens et vaillans chevalliers qui miserablement y finerent leur jours. Pareillement ainsi estoient adonc les cuers des hommes tant embrasez de convoitise et de malle voulenté les uns contre les autres que non pas seulement en ung lieu avoient ilz guerre, mais generallement par tout. Et ainsi estoit le monde miserablement conduit et gouverné, car ceux qui le deussent avoir tenu en paix estoient ceux mesme qui le mettoient en perplexité202. Mais pour ce que trop prolixe et ennuieuse chose seroit d’escrire particullierement toutes les batailles qui adoncques regnoient, nous les laissons a cause de bresveté, fors les principalles par lesquelles est mieux manifestee et declaree la misere en quoy le monde a autresfoiz esté, touchant l’intention de nostre present docteur Orose.

68. Des quattre roys lesquelz tindrent par entre eux les quatre parties du monde.

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Selon que disent les docteurs ecclesiastiques, aux propheties de Daniel est fait mention de quatre couronnes203 et de quatre vens qui hurtoient l’ung a l’autre. Et en ce nous sont figurez les quatres roys qui eurent la seigneurie du [fol. 216 r] monde aprés la mort Alexandre et eurent plusieurs grandes et diverses batailles, ainsi que nous verrons par aprés. Le premier d’iceux roys fut Seleuchus Nichanor, lequel tint une partie d’Aise vers Orient, le second fut Antigonus qui tint l’autre partie d’Aise vers Septentrion. Le tiers cy fut 200. 201. 202. 203.

Erudites « faute commise ». « confusion, souff rance ». Wauchier de Denain, s’inspirant du Livre de Daniel, parle de cornes.

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Arideus Philippus qui fut frere de Alexandre qui tint Macedoine. Et le quart fut Tholomeus qui tint Egipte et les parties adjacentes. Plusieurs autres roys ordonna le roy Alexandre en sa mort quant il departit les douze royaumes qu’il avoit conquis durant sa vie204. Et a l’occasion pour quoy Alexandre devisoit son royaume qui estoit a l’heure une seule monarchie contenante tout le monde, selon que dit ung hystoriographe grec nommé Apianus, fut affin que aprés sa mort ne se peust dire pareil a lui. Dit outre cellui Apianus que Alexandre en departant son royaume en tant de parties vaticina205 les tourments, persecutions, effusions de sang, guerres, haynes, dissentions qui aprés sa mort seroient entre les successeurs et met que Alexandre mesme estant ou lit funeral dist en maniere de pitié : « Advis m’est que je voy plouvoir feu et sang parmy tout le monde et les estoilles du ciel principalles combatre et mener guerre l’une contre l’autre et en la tenebrosité du soleil qui est obfusqué206 et ne rent plus de clarté. » Et entendoit adonc par la pluye de feu et de sang qu’il veoit les meurdres de hommes et combustions de villes, chasteaux, maisons et belles places qui depuys furent. Par le debat des planettes, il entendoit la discention des douze roys lesquelz il ordonnoit a gouverner le monde et reluyre sur tous, ainsi que les planettes fichees dedens le firmament. Par la tenebrosité et offuscation du soleil qu’il veoit, il entendoit sa mort et l’heure que luy qui des autres le soleil estoit debvoit estre offusqué et perdre sa lumiere. Dit outre le dit Apius hystoriographe parlant des prevoiances vaticinienes de Alexandre que une foiz ainsy comme en sa bonne convalescence il chevauchoit parmy le pays, Seleucus Nicanors, qui fust207 un de ses successeurs, chevauchoit aprés lui et comme lassé et travaillé appuia sa main sus le derriere du cheval Alexandre, lequel regiba si soudainnement que l’espee de Alexandre avoit a son costé frapa Seleucus par le visaige tellement que il y eut une grande plaie qui fort seigna. Quant Alexandre veit celluy Seleucus ainsi navré, il fut fort mari, car il l’amoit grandement. Et voyant Alexandre qu’il n’avoit de quoy faire une tente208 et estancher la dicte playe, lui mesme print son chapeau royal et l’en essuya tant que elle estancha. Aprés ce considera en soy mesme le roy Alexandre que celle adventure segniffioit et dist : « Cestui homme blessé de mon glayve et essuié de mon chapeau royal me denote que une foiz blessé sera de mon glayve, c’est a dire de mon acquisition, et portera 204. 205. 206. 207. 208.

L’auteur n’énumère pas les dons. « prophétisa ». « couvert d’obscurité ». dont il fust « faisceau de charpie qu’on enfonce dans une plaie ».

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chapeau roial, lequel obtenir ne pourra sans grande effusion de sang et que209 lui mesme qui sera chef et principal des autres ne soit blessé ainsi que son chef l’a esté. » Laquelle vaticination et prophetie fut acomplie par après, car quant Alexandre fut mort, ung roy vint batailler a l’encontre de Seleucus et s’entr’asallirent en telle maniere que les deux roys hurterent les uns contre les autres tellement que par leur folles entreprises tous les autres par succession de temps furent destruis. Et demeura la seigneurie tousjours aux quatre. Mais encore ne furent pas leurs cueurs conveteux contens ne assuffis210 et les admonesta le deable tellement que guerre prindrent l’ung a l’autre et voulut chascun tirer tout a soy, ainsi que l’hystoire recite. Premierement Antigonus, lequel tenoit la partie septentrionalle et estoit affluant en richesses autant ou plus que l’ung des autres se meut a l’encontre des autres, disant que s’il pouvoit pour quelque finance qu’i lui deust couster, il seroit principal et superiore de tous les autres. [fol. 216 v] Et affin de avoir meilleur occasion de movoir guerre et commencer, ymagina que il iroit delivrer Hercules et sa mere, lesquelz Cassander tenoit en prison, disant ainsi que chose juste n’estoit211 de tenir le filz du roy Alexandre en prison, lequel par raison naturelle debvoit succeder a la succession de son pere et estre roy aprés lui. C’estoit la premiere cause et occasion de mener bataille que Antigonus prenoit. L’autre si estoit de dire que si Cassander avoit fait mourir Hercules et sa mere justement, par212 raison il leur pourroit mener guerre et venger l’extortion faicte aux ditz Hercules et sa mere. Or est ainsi que Cassander estoit fort ami de Tholomeus et l’avoit secouru en plusieurs grandes necessitez, et pour ce consideroit Antigonus que en mouvant guerre a l’ung, l’autre se mouveroit pour le deffendre et ainsi seroit la guerre commencee. Ce consideré envoia Antigonus par toute sa terre pour assembler gens a puissance affin d’aller la ou il avoit empencé, et de ceste motion furent Cassander et Tholomeus advertis, qui firent alliance o deux autres princes c’est a sçavoir Semicus et Tizimacus, mirent leurs gens ensemble et deviserent leurs batailles par mer et par terre au mieux qu’ilz peurent a l’encontre de Antigonus. Et ainsi furent les batailles des deux costez assemblees et errerent les uns contre les autres tellement qu’ils peurent combatre corps a corps et y eut grant assault

209. 210. 211. 212.

que a le sens de « sans que ». « comblés, satisfaits ». chose juste estoit ; ajout de la négation. justement et par, suppression de et.

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[gravure : scène de combat] En ceste bataille furent occis et mis a mort plusieurs notables chevalliers et autres hommes de guerre tant d’une part que d’autre, mais toutesfoiz en eut Antigonus du pire et luy fut force de s’enfuir avecques ce qu’il peut sauver de ses gens et habandonner toutes richesses et tresors que il avoit fait porter en l’ost, lesquelles Cassander, Tholomeus et les autres capitainnes departirent par entre eux et prindrent chascun sa portion ainsi qu’il appartenoit. Lors se departirent Cassander et Tholomeus de ensemble pour s’en retourner chascun en son pays. Mais avant que Cassander fust ou sien, plusieurs fortunes et adversitez lui advindrent. Speciallement lui voulurent empescher le passage une maniere de gens nommez Elaciens, auxquels il eut moult a besoigner et lui occirent moult de ses gens, car ilz estoient gens hardiz et aventureux qui, pour la grande superfluité de genz qu’ilz estoient en si grande habondance que leur terre ne suffisoit pas a les entretenir, estoient contrains de vuider le pays et querir autres regions pour habiter et pourtant se monstroient ilz plus vaillans et plus fors affin de paix conquerir et tellement presserent Cassander que contraint fut de faire paix a eux, les recuillir et leur donner certainne portion de terre pour demeurer et ainsi furent d’accort.

69. Des conditions que eut le roy Antigonus.

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Pourtant que nous avons parlé de Antigonus, successeur de Alexandre, qui fut le premier moteur de guerre aprés la mort du dit Alexandre, en tant que on dit que la pire roe du chariot est celle qui le fait verser et aussi que le plus mauvais esmeut la noise, nous debvons noter, veues les operations de Antigonus, que il n’estoit guaire bon et aussi n’estoit il ainsi que Justinus grant hystoriographe dit, et n’avoit aucune des conditions [fol. 227 r] de Alexandre combien que son frere fust, mais estoit homme despit, felon et orgueilleux, plain de noises et de discencion, prest de commover213 tout a meschanseté et ordure, et aussi estoit il signé au corps, car il n’avoit que ung oeul tant seulement, et est ce que disent aucuns philozophes naturelz que voulentiers ung homme signé en son corps est signé en son ame, soit bien soit mal, et met Justinus en parlant de son vice que tant belliqueus estoit que aussy tost que son frere Alexandre fut mort, il commença a prendre noise aux autres et premier a ung nommé Perdicas, homme d’honneur et de grant façon, par envye que celluy Antigonus avoit sur lui parce que le roy Alexandre luy avoit en son

213.

« pousser à, soulever ».

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trespassement baillé son signet royal, c’est a dire l’aneau qu’il portoit en la main, dont Antigonus eut despit tellement qu’il le mist a mort en traïson, pour laquelle chose Eumenes, frere du dit Perdicas, avecques ung autre chevalier nommé Polipercuncta, avecques plusieurs autres nobles hommes furent indignés contre luy, si que plusieurs noises et discencions meurent entre eux tant que Antigonus par sa traÿson fist tuer les ditz Eumenes, Parlipercuncta et plusieurs autres, dont discentions meurent si tres grandes et les haynes si merveilleuses que tant de maulx s’en ensuyvirent214 que ce fut douleur infinye. Et oppine Justinus, hystoriographe devant dit, que ce fut une des principalles occasions pour quoy Tholomeus, roy d’Egipte, se alia avecques Cassander a faire guerre contre le dit Antigonus, considerant que s’ilz lui permetoient faire les choses qu’il commençoit, il les vouldroit tous suppediter215 et leur courir sus en la fin.

70. Comme Antigonus rassaillit Tholomeus en bataille par mer.

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Quant Tholomeus s’en fut retourné en son païs d’Egipte et Antigonus sceut qu’il estoit tout seul et que Cassander et les autres s’en estoient retournés chascun en son pays, Antigonus se voulant venger de sa douleur rassembla tant de gens come il peut et fist faire navires en grant habondance pour retourner en guerre par mer contre son adversaire Tholomeus, lequel en sceut bien tost les nouvelles et assembla tant de gens comme il peut et mist tous ses navires en mer, car bien sçavoit que Antigonus avoit grant desir de lui faire du pis qu’il pourroit et ainsy s’entre rencontrerent les adversaires en peu de temps sur mer, la ou ilz eurent de grans et divers assaulx. [gravure : combat maritime] En ceste bataille perdirent Antigonus et Tholomeus plusieurs de leurs gens, car depuys que aucun tumboit hors le bort, il n’y avoit plus de remede, il estoit noyé. Mais toutesfois en la fin fut Tholomeus desconfit et lui fut force s’enfouyr et retourner en sa terre d’Egipte, la ou Antigonus l’assiega. Adoncques Tholomeus, voiant sa desconfiture, triste et desplaisant en son cueur, pour venger ce fait envoya messagiers par toutes les terres de lui prochaines, requerant aux princes secours, et manda a Cassander, son grant amy, comme Antigonus le ravoit assailly et luy avoit fait tant de mal. Quant Cassander sceut et entendit les nouvelles, il manda a Tholomeus qu’il [fol. 227 v] ne luy des214. 215.

s’ensuyvrent « dominer ».

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pleust et que pour celle heure ne le povoit secourir a l’occasion d’aucunes autres guerres qu’il avoit a ses voisins. A celle heure aussi comme disent aucuns, Cassander fist secretement mettre a mort Hercules et sa mere en prison comme dit est, et ce faisoit affin que les Macedoniens ne voulissent eslever cellui Hercules en dignité sur eux comme leur seigneur naturel et droiturier, filz du roy Alexandre, et ainsi ne alla point Cassander pour celle heure au secours de Tholomeus, mais assez d’autres y vindrent et en sy grant nombre que quant les batailles furent assemblees, en peu de temps furent Antigonus et ses gens desconfitz et mesmement y perdit la vie et aussi eust fait son filz Demetrius s’il n’eust trouvé moyen d’eschaper et s’enfouyr. Et ainsy fina Antigonus qui par envie et avarice d’avoir avoit commencé la guerre soubz umbre de vouloir secourir l’enfant orphenin et la vesve, c’est a ssavoir Hercules et sa mere qui estoient en prison, mais tout ainsi que le commencement en fut mauvaiz, aussi fut la fin miserable et dolente.

71. Comme le discort meut entre Tholomeus et ses aliez.

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Aprés la desconfiture de Antigonus et de ses gens, Tholomeus et ses aliez eurent discort pour partir les butins, car Sanuchius ou Synichius qui tenoit la haulte partie d’Aise disoit en tant qu’il avoit seul amené autant de gens comme les autres tous ensemble que la moytié ou greigneure porcion des butins lui appartenoit, et Tholomeus et Lizimachus disoient que non et vouloient que tout fust party equalement autant a l’ung comme a l’autre. Ainsy departirent a discord et s’en alla Synichius devers Demetrius, le filz de Antigonus, et l’amonnesta de retourner venger la mort de son pere et le desplaisir que Tholomeus lui avoit fait, et pour ce faire promettoit le dit Synichius aller avec Demetrius et mener tant de gens comme il pourroit et par ce moyen recommença la guerre, plus grande et plus terrible qu’elle n’avoit esté paravant, car Demetrius grant dueil avoit de la mort de son pere et de la perte qu’il avoit eue, pourtant fut il plus aisé a conseiller et leva son armee pour mener contre Tholomeus et Lizimachus qui estoient aliez ensemble. Mais mal en print au dit Demetrius car des la premiere bataille, ung chevalier nommé Pirrus, qui avoit toute la conduite de l’ost a Tholomeus, le tua en bataille et desconfist sa gent. En cellui temps aussi comme disent aucuns docteurs hystoriographes, Antipater occist sa mere, esperant occire tous ses freres, mais l’ung d’iceux, dolent de celle occision, pour en prendre vengance, s’en alla vers Demetrius qui pas n’estoit encore mort. Mais Demetrius le tua en traïson, mais non pourtant ne demeura Antipater impugny, car Lizimachus, duquel il avoit es-

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pousé la fille, le tua pour ce qu’on lui avoit dit qu’elle guettoit pour le mettre a mort. Pareillement aussi fist occire Lezimachus l’enfant de sa fille et de Antipater pour la cause dessus dite. Et ainsi estoient tous adonnez a mal faire les ungs aux autres et regnoit toute malice et perversité entre les gens. En celluy temps et aprés toutes les dessus dites malles adventures, par la voulenté divine leur fut monstré ung signe merveilleux et horrible, car la terre trembla en Egipte tellement que la cité de Limazie fondit en abisme, homes, femmes216, bestes, maisons et edifices, tant qu’on ne sceut que tout devint, mais non pourtant ne cessa Lizimachus qui en estoit prince a excercer ses mauvaises et iniques operations ainsi qu’il avoit a coustume, car ainsi que disent les hystoriographes, tant mauvais et pervers estoit qu’il ne luy suffisoit pas occire les estranges, mais ses propres parens, filz, filles, niepces et autres, et alors que plus en sa grace cuydoient estre, les faisoit occire. Pour ceste cause le haÿrent plusieurs de ses amys et grans seigneurs de son païs, lesquelz pour la perversité de luy habandonnerent toutes leurs terres et s’en allerent en Aise, vers ung nommé Sanuchus et [fol. 228 r] luy remonstrerent la tirannie et ferocité de leur prince Lizimacus, en luy monstrant la maniere de le mettre hors de son royaume et promettant que s’il se vouloit entreprendre, ilz lui aideroient. Quant Sanuchus ouÿt ainsy parler les gens de Lizimacus, avecques l’amonition du dyable qui le temptoit d’avarice considerant la rebellion et irritement d’iceux seigneurs contre leur prince, il respondit que bien content estoit de ce faire, combien qu’il fust desja fort, vieil et foible pour telle chose entreprendre. Les autres luy respondirent que pour sa vieillesse ne debvoit differer et qu’ilx ne faisoient aucune doubte de le superer facilement par le moyen de son aide, car ainsy qu’ilz disoient ilz sçavoient les adresses du païs si bien que difficille chose eut esté a les grever. Et ainsy furent les deux princes a discort, car aussi tost que Lizimachus ouÿt dire que Sanuchus faisoit armee contre lui et que les barons de son païs s’estoient aliez avecques Sanuchus, Lizimachus envoya soudainement par toute sa terre pour assembler gens tant comme il peut. Sanuchus aussi assembla les siens et approcherent les batailles les unes des autres tellement que leurs assaulx furent si grans et si terribles que a peine sçauroit on descrire les meurdres et occisions qui se y firent. Toutesfoyz en la fin fut Lizimachus occis, avecque ce quinze filz qu’il avoit, lesquelz furent tous prins ou occis et ainsy peut on assez ymaginer que avant que ce fust fait furent les assaulx grans et merveilleux d’une part et d’autre, et fut ceste bataille la derniere qui fust entre les compaignons du roy Alexandre, lesquelz depuis sa mort qu’ilz commencerent a regner n’eurent oncques paix ne amour ensemble, mais tousjours discorde. 216.

emmes, oubli du f.

histoire de la macédoine et d’alexandre

461

72. Le translateur.

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En l’ystoire devant descripte, selon nostre present docteur Orose, povons manifestement congnoistre la miserableté de ce monde qui tant est variable, premierement par les bonnes adventures que eut le roy Alexandre, qui en douze ans tant seulement conquist la seigneurie de tout le monde, mais bien petit lui profita, car en fin fut il mys a mort par ses principaux amys, en qui il avoit plus de fiance. Semblablement aussi le povons veoir de la mort de Neptanabus que aucuns disent avoir esté son pere et lui mesme le tua, ainsi que devant avons dit ; en aprés de la mort Olimpias, mere du dit Alexandre, de sa femme et de son filz ; finablement des discors, noises et grans batailles qui furent entre les compaignons ausquelz Alexandre en ses derniers jours avoit laissé et departy tous ses royaumes pour vivre en paix, mais oncques ne peurent. Ainsi donc comme nous avons dit, regna le roy Alexandre puis la mort de son pere .xii. ans et .xxii. qu’il avoit quant il fut couronné. Ce furent trente quatre ans qu’il vesquit et commença son regne aprés la creation du monde quatre mil .ix. cens et dix ans, devant la nativité de Jesucrist troys cens quarante huyt ans, et celluy temps qu’il regna ne doibt on pas entendre que ce fust paisiblement, mais en conquerant païs, car rien que l’espace de .xxiiii. heures ne vesquit aprés qu’il eut tout conquis. Oultre disent aucunes hystoires que en douze royaumes qu’il conquist en la partie de Inde, fist il faire en chacun une cité nommee Alexandrine de son nom et en chascune d’icelles fist mettre en grosses lettres d’or ung caractere escript en grec et n’y avoit a chascun caractere que cinq lettres comme cy : NEEAM217. Et vallent les dessus dites lettres en grec autant a dire come : « Alexandre le mauvais seigneur me fist faire, que fer ne acier ne peurent surmonter en tout le monde. » Et ce suffise pour present des Macedoniens et de leurs miserables adventures. Icy finist le premier volume d’Orose.

217. Ce ne sont plus des lettres grecques comme dans les manuscrits étudiés de l’Histoire ancienne jusqu’à César, et la signification de l’inscription est transformée avec l’évocation du « mauvais seigneur ».

Table des matières

463

Table des matières INTRODUCTION Wauchier de Denain, la cour de Flandre et le châtelain de Lille Roger IV

7

Le passé d’Alexandre et le présent de l’écriture : la mort du conquérant macédonien et le devenir de la Flandre

16

La première histoire universelle en langue française : le rôle et l’importance du regnum d’Alexandre

19

Le premier récit en prose française de la vie d’Alexandre : le portrait de l’empereur par l’historiographe

32

Les manuscrits de l’Histoire ancienne jusqu’à César et la diffusion de l’œuvre

39

Manuscrits de base et de contrôle pour l’édition de la section « La Macédoine et Alexandre » du texte de Wauchier de Denain (fol. 221 r-258 v)

45

La langue du manuscrit de Paris, BnF fr. 20125 (fol. 221 r-258 v)

53

La réception franco-italienne de l’Histoire ancienne jusqu’à César d’après le codex de Vienne, ÖNB 2576

66

Le Premier Volume d’Orose, l’imprimé d’Antoine Vérard de 1491

92

Argument de l’histoire de la Macédoine et d’Alexandre dans l’Histoire ancienne jusqu’à César de Wauchier de Denain

97

Listes des rubriques

99

Listes des enluminures

103

Bibliographie

104

L’HISTOIRE ANCIENNE JUSQU’À CÉSAR ou HISTOIRES POUR ROGER, CHÂTELAIN DE LILLE,

de Wauchier de Denain, Histoire de la Macédoine et d’Alexandre Texte (ms. de base, Paris, BnF fr. 20125)

113

464

Table des matières

Choix de variantes (4 ms. de contrôle)

197

Notes

218

L’HISTOIRE ANCIENNE JUSQU’À CÉSAR, Remaniement en franco-italien du XIVe siècle, Vienne, Österreichische Nationalbibliothek, codex 2576 Histoire de la Macédoine et d’Alexandre Texte

247

INDEX des noms propres du texte de Wauchier de Denain

317

GLOSSAIRE du texte de Wauchier de Denain

329

GLOSSAIRE du remaniement en franco-italien (Vienne, ÖNB 2576)

347

LE PREMIER VOLUME D’OROSE, Histoire de la Macédoine et d’Alexandre, Imprimé de 1491, Antoine Vérard Texte

359

TABLE DES MATIÈRES

463

ILLUSTRATIONS

465