Faire le ciel sur la terre: Les images hagiographiques et le décor peint de Saint-Eutrope aux Sall [1 ed.] 2503526160, 9782503526164

Fondée sur le décor peint remarquable et jusqu'ici méconnu de l'église Saint-Eutrope des Salles-Lavauguyon, la

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Faire le ciel sur la terre: Les images hagiographiques et le décor peint de Saint-Eutrope aux Sall [1 ed.]
 2503526160, 9782503526164

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Faire le ciel sur la terre Les images hagiographiques et le décor peint de Saint-Eutrope aux Salles-Lavauguyon (XIIe siècle)

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Culture et société médiévales Collection dirigée par Edina Bozoky

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Cécile VOYER

Faire le ciel sur la terre Les images hagiographiques et le décor peint de Saint-Eutrope aux Salles-Lavauguyon (xiie siècle)

Préface d’Éric Palazzo

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© 2007, Brepols Publishers n.v., Turnhout, Belgium. All rights reserved. No part of this publication may be reproduced stored in a retrieval system, or transmitted, in any form or by any means, electronic, mechanical, photocopying, recording, or otherwise, without the prior permission of the publisher. D/2007/0095/165 ISBN 978-2-503-52616-4 Printed in the E.U. on acid-free paper

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À mes parents

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REMERCIEMENTS

Je tiens en premier lieu à exprimer ma reconnaissance à mon professeur Éric Palazzo pour ses conseils avisés, son soutien constant et son jugement critique, qui ont été déterminants dans l’orientation de mon travail. Qu’il en soit, ici, grandement remercié. Je souhaite également adresser de vifs remerciements à Marie-Thérèse Camus qui m’a transmis la passion du Moyen Âge et m’a fait découvrir les peintures qui sont devenues l’objet de cet ouvrage. Se plonger dans les méandres de ce sujet et se prendre au jeu des recherches en se laissant guider par les tribulations et les ambitions des chanoines des Salles-Lavauguyon s’est avéré passionnant. Ma gratitude va également à Daniel Russo et à Claude AndraultSchmitt qui ont relu le texte de ce livre et dont les suggestions et les critiques bienveillantes ont largement contribué à son amélioration. Les remarques de Jean-Claude Schmitt ont aussi été décisives dans mon cheminement intellectuel. Ce travail aujourd’hui abouti leur doit beaucoup. J’aimerais également remercier Edina Bozoky qui a accepté d’accueillir ce livre dans la collection qu’elle dirige aux éditions Brepols. La Région Poitou-Charentes a soutenu la publication de cet ouvrage en octroyant une prime d’aide : nous ne l’oublions pas. Ce livre a pu être écrit grâce aux recherches menées dans la sérénité au CESCM : le personnel de la bibliothèque et de la photothèque y ont largement contribué. Aurélia Bolot, responsable de la photothèque du Centre, a considérablement facilité mon travail et je lui en sais gré. Quelques mots ne suffiront pas pour témoigner de ma dette à l’égard de mes amis : Nicolas Marjault pour son esprit de synthèse, sa disponibilité et ses critiques constructives, Éric Sparhubert pour nos discussions stimulantes sur le milieu canonial en Limousin, Anne Autissier pour ses conseils judicieux, Matthieu Périnaud pour nos parcours photographiques et Michaël Piat pour sa dextérité à manier les logiciels de cartographie. Mes remerciements vont aussi à Valentino Pace, Claudine Landry, Pascale Brudy qui m’ont confié certaines de leurs photographies. Je tiens également à exprimer ma profonde gratitude à Françoise Voyer pour ses relectures minutieuses et maintes fois répétées (merci

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remerciements

encore) et à Jean-Philippe Le Lann qui lui aussi s’est consciencieusement acquitté de sa lourde tâche de correcteur. Les erreurs subsistantes relèvent de mes seules limites. Mes pensées se tournent enfin vers Michel, Françoise, Mélanie, Charles et Renaud qui par leurs encouragements constants ont permis à ce livre d’exister.



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SOMMAIRE

Préface . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

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Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

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Première Partie L’IMAGE DANS LE TEMPS Chapitre I : Des saints et des images Les cycles hagiographiques aux Salles-Lavauguyon Des saints et des saintes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Le cycle de saint Étienne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . La lapidation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Étienne en odeur de sainteté . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . L’inhumation de saint Étienne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Les cycles de saint Étienne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . La passion de saint Laurent . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Le martyre de saint Christophe . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Le martyre de sainte Valérie Le cycle de la protomartyre d’Aquitaine . . . . . . . . . . . Le miracle de céphalophorie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . La passion de sainte Agathe . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Un cycle de sainte Catherine aux Salles ? . . . . . . . . . . . . . . Une variation sur le même thème : l’iconographie martyriale . . . . . . . L’image du martyre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Le thème martyrial aux XIe-XIIe siècles . . . . . . . . . . . . . . .



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Les rythmes de la narration Les techniques narratives et la temporalité des cycles hagiographiques Les techniques narratives aux Salles-Lavauguyon . . . . . . . Une expérimentation permanente . . . . . . . . . . . . . . . . . . . La mise en images de la matière hagiographique (Ve-IXe siècles) . . . . . Entre constances et innovations : les techniques narratives au Moyen Âge Le déroulé continu des grands cycles hagiographiques . . Entre narration et abstraction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

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sommaire

Chapitre II : Image et culte . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 217 La fonction de l’image dans le culte des saints . . . . . . . . Vivre et croire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Le fidèle et le saint . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Les images cultes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

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L’image hagiographique aux Salles, reflet de la dévotion d’un diocèse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 231 Deuxième partie L’IMAGE DANS LE LIEU Chapitre I : Place(s) de l’image L’image hagiographique dans le réseau d’images . . . . . . . Le décor peint de la nef des Salles-Lavauguyon Les figures de l’Ancien Testament . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Les chanoines des Salles Lavauguyon . . . . . . . . . . . . . . . . . Les scènes de la Genèse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Le cycle de l’Enfance du Christ . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Une scène des Enfers et la promesse du Paradis par le don Le réseau d’images et l’intericonicité La promesse de la Rédemption par le sacrifice . . . . . . . . . La liturgie funéraire et les saints intercesseurs . . . . . . . . . . La Charité, le don et l’intercession des saints . . . . . . . . . . . Le commerce avec l’Au-delà . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Les images hagiographiques et les thèmes génériques . . . . . . . . . . . . . Saint-Hilaire de Poitiers, une image de la Toussaint . . . . . Saint-Aignan-sur-Cher, une image de la Rédemption . . . . L’emplacement des images . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . La structuration de l’espace sacré aux Salles-Lavauguyon. Une opposition « sexuée » dans l’espace de l’église . . . . . L’emplacement des images des saintes : la définition d’une sainteté féminine . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . La structuration par les images de l’espace sacré à SaintEutrope . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Les espaces spécifiques dans les églises pour le culte des saints Les chapelles de la nef au Salles, une singularité . . . . . . . . Les chevets et les cryptes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .



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sommaire

Les images hagiographiques et les lieux de transition Le revers de la façade de l’église Saint-Eutrope : un espace de transition 333 Les décors des portails des églises à reliques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 341 Chapitre II : L’image en perspective La scénographie du sacré La construction spatio-temporelle de l’espace ecclésial aux Salles-Lavauguyon . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 361 La mise en scène du culte des saints . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 364 La recherche de cohérence L’orchestration du sacré . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 376 L’église et son décor : une construction hagiographique . . . . . . . . . . . 383 Troisième partie L’IMAGE DANS L’HISTOIRE Chapitre I : Le pouvoir spirituel La marque des commanditaires L’identité du chapitre des Salles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Une question d’interprétation : l’église comme lieu d’affirmation de l’identité d’une communauté religieuse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Le prieuré Saint-Pardoux d’Arnac . . . . . . . . . . . . . . . . . . . La Madeleine de Vézelay . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . L’abbaye de Saint-Benoît-sur-Loire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . L’abbaye Saint-Menelée à Saint-Menat . . . . . . . . . . . . . . . .

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La mission de la communauté religieuse Une mission au sein de l’Ecclesia . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 435 La construction d’une mémoire particulière . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 439 Chapitre II : Le pouvoir temporel Des ambitions, des motivations Auprès de l’évêque… . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 447 Auprès des populations… . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 452 Des tensions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 457 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Table des documents iconographiques et des crédits . Index . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Planches . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .



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PRÉFACE « Lord Henry haussa les épaules : “Mon cher ami, l’art médiéval est charmant, mais les émotions médiévales sont désuètes. Certes, on peut y avoir recours dans un roman. Mais justement, les seules choses dont on se sert dans un roman sont celles dont on a plus l’usage.” » (O. Wilde, Le portrait de Dorian Gray)

Le livre que l’on s’apprête à lire constitue la version largement remaniée de la thèse présentée et soutenue à l’université de PoitiersCESCM (UMR 6223) par Cécile Voyer en octobre 2003. Qu’on me permette de dire d’emblée que Cécile Voyer, dont la soutenance de thèse avait déjà révélé les fruits et la grande richesse d’un fort beau travail universitaire, livre avec le présent volume de la collection « Culture et société médiévales » dirigée par Edina Bozoky, une remarquable somme qui devrait rapidement s’imposer comme un ouvrage de référence et incontournable pour les historiens de l’art spécialistes du Moyen Age et, de façon plus large, auprès des médiévistes en général. Le livre est bâti en trois parties comprenant chacune deux chapitres. Les titres respectifs donnés par Cécile Voyer à ces parties révèlent déjà, de façon synthétique, les grandes lignes de l’approche de l’ensemble peint de l’église des Salles-Lavauguyon proposée par l’auteur : « L’image dans le temps », « L’image dans le lieu », « L’image dans l’histoire ». Ces titres annoncent clairement au lecteur qu’il devra avec Cécile Voyer considérer l’objet d’étude dans sa double dimension spatio-temporelle et historique. Les cycles hagiographiques des peintures de l’église Sainte-Eutrope sont analysés à partir des rythmes de la narration, de la fonction de l’image dans le culte des saints ainsi qu’au sein d’un vaste réseau d’images vétéro-testamentaires. Cécile Voyer s’intéresse de près à la place des images monumentales dans l’édifice et à la façon dont l’organisation iconographique contribue à la structuration d’un espace sacré où sont harmonieusement combinés plusieurs espaces rituels. Ici, l’auteur fait apparaître l’existence d’espaces de transition, d’espaces-reliquaires notamment dont l’orchestration cohérente est menée à partir de la mise en place d’une véritable « scénographie du sacré ». Enfin, Cécile Voyer s’intéresse de 

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près aux circonstances historiques de la réalisation de ce riche ensemble et en révèle toute la portée historique en relation avec l’affirmation de l’identité canoniale, considérée également dans sa relation à l’épiscopat. D’un point de vue méthodologique, Cécile Voyer s’inscrit pleinement dans ce qu’il est déjà convenu d’appeler une double tradition de l’historiographie récente dans le domaine de l’étude du décor monumental roman et conjointement dans celui de l’iconographie hagiographique. Depuis une bonne vingtaine d’années, certains historiens de l’art médiévistes – tels Marcia Kupfer, Herbert Kessler ou bien encore Jérôme Baschet – ont permis un regard nouveau sur le décor monumental de l’église chrétienne du Moyen Âge et en particulier des grands ensembles peints de l’époque romane. Dans bon nombre de travaux qui ont fait date – et il faudra à partir de maintenant compter aussi avec ce livre – ces auteurs ont tenté de définir le « lieu rituel » comme un « lieu d’images ». Dans ce cadre, les grands ensembles peints déployés à l’intérieur des églises constituent la dimension visuelle du rituel liturgique et contribuent fortement à la structuration du lieu à partir des images et des différents espaces rituels dans lesquels on les trouve. Dans son beau livre, Cécile Voyer s’approprie avec beaucoup d’intelligence et de perspicacité cette idée tout en la développant à partir de l’étude du cas particulier que constitue l’ensemble peint de l’église Saint-Eutrope des Salles-Lavauguyon découvert au début des années 1980 et jusque-là seulement connu d’une poignée de spécialistes. À propos de l’étude de l’image médiévale, Cécile Voyer a également su tirer le plus grand profit des réflexions et idées nouvelles relatives à « l’image » médiévale, considérée tant du point de vue de sa matérialité, de l’objet qu’elle constitue – selon la définition de « l’image-objet » énoncée par Jérôme Baschet – que de celui de sa signification polysémique si l’on prend en compte la « culture de l’imago » telle que Jean-Claude Schmitt l’a démontré. Sans jamais rien négliger d’une approche « classique » de l’histoire de l’art médiéval, Cécile Voyer réussit le tour de force de réconcilier des approches a priori inconciliables mais qui, je crois, correspondent pleinement à la « réalité » du discours visuel de la culture médiévale. La réussite de l’entreprise tient sans doute pour une large part à la rigueur méthodologique dont fait preuve Cécile Voyer tout au long de l’enquête dont elle nous offre le résultat dans son livre, comme dans l’intelligence et la finesse du regard qu’elle porte sur cette documentation visuelle. En effet, Cécile Voyer est une médiéviste au sens plein du terme. Elle s’intéresse à tous les aspects 

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de la culture médiévale et, à ce titre, propose une véritable réflexion épistémologique sur la place de l’image dans l’église du Moyen Âge. L’autre grand domaine dans lequel Cécile Voyer s’illustre brillamment à travers ce livre est celui de l’étude de l’iconographie hagiographique de l’époque romane. Dans ce domaine aussi, de nombreux chercheurs se sont attachés ces dernières années à renouveler l’approche des images des saints dans la culture du Moyen Âge occidental. Je pense en particulier aux importantes recherches de Piotr Skubi­ szewski appliquées au cycle hagiographique du manuscrit de la vie de sainte Radegonde conservé à la Médiathèque de la ville de Poitiers et auxquelles se réfère souvent et à bon escient Cécile Voyer. Mais, là encore, l’auteur a su tirer parti de nouveautés méthodologiques développées par d’autres, se les approprier et surtout proposer sa propre contribution qui sera à son tour utilisée et citée comme exemple d’une approche fine, précise et savante d’un ensemble peint au cours duquel l’hagiographie joue un rôle de première importance. Enfin, et ceci me paraît être une caractéristique majeure du beau travail présenté dans ce livre, Cécile Voyer se révèle être une historienne au sens plein du terme. Dans son étude de l’iconographie des peintures de l’église Saint-Eutrope des Salles-Lavauguyon, elle propose une approche très fortement contextualisée de l’ensemble peint traité. En effet, dans cette église limousine, « le bâtiment et ses images définissent la vie régulière canoniale », comme l’écrit l’auteur avec un sens certain de la formule ainsi qu’on s’en apercevra tout au long du livre. Tout dans l’architecture de l’édifice comme dans la plupart des choix opérés pour l’iconographie des peintures dénote les nouveaux besoins liturgiques des chanoines des Salles-Lavauguyon après la réforme romaine de 1059 tout en constituant une forte affirmation de l’identité des chanoines réguliers et de leur statut. En même temps, Cécile Voyer démontre parfaitement et avec grande clarté que l’élaboration du programme architectural avec son ensemble peint où l’hagiographie locale « ritualisée » occupe une place centrale, marque la volonté des chanoines d’appartenir au cercle cultivé du pouvoir épiscopal siégeant à Limoges. Au final, Cécile Voyer nous donne sans cesse à penser et à repenser la notion de programme iconographique peint dans une église médiévale. Elle nous offre aussi une véritable leçon de méthode parfaitement appliquée à l’objet de son étude et pleinement considérée dans sa dimension historique. Je l’ai dit au début de cette préface et j’aime à le répéter au moment de conclure, le livre de Cécile Voyer, remarquable à tous égards, est destiné à s’imposer dans la littérature spécia 

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lisée comme auprès des médiévistes en général et deviendra rapidement un ouvrage de référence. Éric PALAZZO Professeur à l’Université de Poitiers Directeur du CESCM



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Introduction

Au point de départ, un projet ambitieux aux multiples champs d’investigations : étudier les fonctions de l’image hagiographique dans l’église à la période romane. Moins explorées que les peintures narratives des manuscrits, les œuvres visuelles monumentales offrent pourtant matière à une réflexion foisonnante où se mêlent les interrogations sur l’adaptation du texte au support, sur leur rôle dans la mise en scène du culte des saints, sur la théâtralisation du sacré dans l’église et sur son orchestration par les communautés religieuses. Des images autour desquelles se nouent donc de nombreuses questions au seuil de cet ouvrage. Traiter un tel sujet est un enjeu méthodologique de taille puisque les images ne peuvent être analysées qu’au sein du décor monumental auquel elles appartiennent. Elles doivent être également associées à d’autres sources, notamment théologiques et liturgiques en fonction d’un contexte donné. Pour aborder les problématiques liées à ce thème d’études, l’option retenue n’a pas été celle de l’exhaustivité – si tant est que l’on puisse y prétendre – et de l’accumulation documentaire. Il fallait opérer un choix dans l’abondant corpus des images hagiographiques médiévales. Toutefois, il s’agissait de trouver « un lieu d’images » qui puisse être considéré pour cette recherche comme un document total ; autrement dit, un site qui offrait la possibilité de couvrir les différentes facettes du sujet. L’attention s’est rapidement portée sur le décor peint d’une petite église du Limousin occidental, un prieurécure, qui ne comptait pas moins de six cycles hagiographiques conservés. Plusieurs critères de sélection ont présidé à ce choix : les peintures de l’église de Saint-Eutrope des Salles-Lavauguyon sont méconnues et donc très peu étudiées en raison de leur découverte récente, au début des années 1980. L’enlèvement des badigeons a permis de mettre au    On doit à Marie-Thérèse CAMUS, alors professeur d’histoire de l’art à l’université de Poitiers, la découverte des peintures des Salles. Marie-France de CHRISTEN et Gabor MESTER DE PARADJ ont publié un court article : « Découverte de peintures murales dans l’église Saint-Eutrope des Salles-Lavauguyon », Bulletin Monumental, CXLV, 1987, p. 109-113. Ils tentent d’identifier les thèmes et de faire une approche stylistique des peintures du revers de la façade. Certaines de ces identifications sont aujourd’hui remises en cause, notamment la présence de la Trinité lors de la Création d’Adam et Ève, l’illustration des Vices au troisième registre et la vie de saint Martial ou saint Hubert au quatrième registre de la façade. Marie-Thérèse CAMUS a consacré trois articles aux images peintes des Salles-Lavauguyon : deux articles sur les peintures des Salles-Lavauguyon et le résumé d’une conférence paru



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introduction

jour plus de 250m2 de peintures exceptionnelles durant une campagne de restauration qui s’est déroulée de 1986 à 1993. D’autre part, ce monument et son décor constituent avec les brèves mentions de la Chronique d’Étienne Maleu, chanoine de Saint-Junien, l’un des témoignages les plus concrets et les plus précieux de l’histoire du lieu. Les sources écrites concernant l’histoire de Saint-Eutrope et de sa communauté de chanoines sont, en effet, inexistantes. Toutefois, il s’est avéré indispensable d’ouvrir le questionnement à d’autres sites en raison de l’objet d’étude initial mais aussi de l’importance du culte des saints au Moyen Âge. Il était, en effet, impératif de confronter l’exemple des Salles-Lavauguyon à celui d’autres édifices non seulement pour étayer certaines hypothèses, mais également pour offrir une réflexion plus large sur l’image hagiographique dans l’église. Le défi a consisté à opérer des choix justifiés au regard du « lieu d’images » qui sert de noyau à cette étude. L’exercice était, certes, périlleux puisqu’il fallait examiner chaque édifice comportant un nombre important d’images hagiographiques, puis mettre en valeur sa spécificité tout en dégageant des points communs pour pouvoir replacer les images des Salles dans un contexte documentaire cohérent. La pertinence de la comparaison devait apparaître clairedans le Bulletin de la Société nationale des antiquaires de France (« Les peintures de Saint-Eutrope des Salles-Lavauguyon », Bulletin de la Société nationale des Antiquaires de France, 1989, p.351356). Dans un premier article,  l’auteur, par une description des différentes scènes, a identifié les sujets de la plupart des peintures et a proposé également des hypothèses, ouvrant des pistes de réflexion pour des recherches ultérieures. Voir « Programme iconographique des peintures de Saint-Eutrope des Salles-Lavauguyon », C.C.M., XXXIII, 1990, p. 133-150. En 1994, à partir des identifications proposées, Marie-Thérèse Camus a approfondi l’étude de certaines scènes hagiographiques dans un article « Le cycle des saints de Saint-Eutrope des Salles-Lavauguyon », dans Le culte des saints aux IXe-XIIe siècles, C.C.M., 1994, p. 11-25.    Elles ont été dégagées puis restaurées à partir de 1986 par Marie-France de Christen, restaurateur des Musées Nationaux, agréée par le service des Monuments Historiques.    Chronique de Maleu, chanoine de Saint-Junien, mort en 1322, publié par l’abbé Arbellot, SaintJunien/ Paris, 1847. Chanoine à Saint-Junien au début du XIVe siècle, Étienne Maleu rédige une chronique qui relate l’histoire du chapitre et de sa collégiale. Le texte de la chronique est connu par des copies : Paris, BNF, ms. lat. 12764, f° 331-547 (copie de Dom Estiennot) ; et Arch. Dép. de la Haute-Vienne, I SEM 13 (1), f° 160-208 (copie Legros). Jean-Loup Lemaître a fait une analyse de l’édition de l’abbé Arbellot qui tend à prouver que celle de l’abbé devrait être améliorée. Cependant, à ce jour, le texte d’Étienne Maleu n’a pas fait l’objet d’une nouvelle édition critique. La chronique du chanoine, même éditée par Arbellot, reste essentielle et précieuse car les archives médiévales de Saint-Junien ont disparu. De surcroît, on ne retrouve pas traces de celles de Saint-Eutrope. Voir Jean-Loup LEMAÎTRE, « Note sur le texte de la Chronique d’Étienne Maleu, chanoine de Saint-Junien », Revue Mabillon, tome LX, n°289, juillet-septembre 1992, p. 175-191.   Les images hagiographiques des Salles ont bien évidemment dicté la constitution du corpus, centré sur les images narratives. Les décors faisant la part belle à l’un des membres du collège apostolique ont été également écartés.



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ment dans la démonstration. D’autre part, l’approche comparatiste nécessitait l’étude d’églises ayant des fonctions différentes de celles de Saint-Eutrope pour essayer de comprendre comment le culte des saints, « pièce maîtresse du dispositif idéologique et institutionnel de l’Église d’Occident », est mis en scène dans l’espace sacré. Ainsi, les églises de pèlerinage, les églises funéraires ont permis d’éclairer un peu plus la connaissance du décor de Saint-Eutrope. Les images de certaines abbatiales ont également été considérées pour tenter d’appréhender la spécificité canoniale et plus étroitement la singularité des peintures des Salles. Autrement dit, il convenait de quitter le prieuré et de dépasser sa clôture pour mieux l’approcher. Saint-Eutrope des Salles-Lavauguyon est une église située aux marges du diocèse de Limoges, presque limitrophe de celui d’Angoulême. Son histoire est dans l’ensemble mal connue. Toutefois, une chronique rédigée en latin sur l’histoire du chapitre de la collégiale de SaintJunien (Haute-Vienne), par le chanoine Étienne Maleu, mort en 1322, nous renseigne sur les liens entre Saint-Eutrope et Saint-Junien. La donation de l’église des Salles-Lavauguyon, le 18 septembre 1075 par les nobles Aymeri et Henri, peut-être seigneurs de Rochechouard, au chapitre canonial de Saint-Junien en fait une de ses filiales régulières. Le prévôt de Saint-Junien devait participer à l’élection du prieur des Salles et l’intégrer au chapitre de la puissante collégiale par l’octroi d’une prébende.   Nous empruntons l’expression à Jean-Claude SCHMITT, « Présentation », dans Les saints et les stars, Le texte hagiographique dans la culture populaire, Études réunies par Jean-Claude Schmitt, Paris, 1983, p. 6.   Sur Saint-Junien, voir la thèse en cours d’Éric SPARHUBERT et du même auteur, « Un exemple de programme architectural à l’époque des conciles de Latran III et IV : l’allongement du chevet de la collégiale de Saint-Junien (Haute-Vienne) », dans Cinquante années d’études médiévales. À la confluence de nos disciplines. Actes du colloque organisé à l’occasion du cinquantenaire du CESCM, Poitiers, 1-4 septembre 2003, Turnhout, Brepols, 2006, p. 251-258.    « Hujus vero reverendi patris domini Guidonis Episcopo et venerabilis viri domini Amelii Praepositi temporibus, XIV Kal. Octobri, anno Domini MLXXV, quidam viri nobiles, Aymericus et Auricus, construxerunt Ecclesiam de Salis ; et eam sic constructam cum suis adjacentibus Comodoliacensi Ecclesiae donaverunt – volueruntque ut ad Praepositum et Capitularum Comodoliacensia, nunc et in posterum spectet jus eligendi Priorem, qui Ecclesiam ipsam de Salis feliciter regat ; et servitoribus ipsius Ecclesiae de Salis spiritualia et temporalia subministret », (Chronique de Maleu, op. cit., p. 34) soit : « À l’époque de ce vénérable père, maître Guidon, l’évêque, et de cet homme respectable, maître Amelius, prévôt, 14 jours avant les calendes d’octobre, année du Seigneur 1075, des hommes nobles, Aymeri et Henri, construisirent l’église des Salles et ils donnèrent celle-ci, une fois bâtie, avec ses dépendances à l’église de Saint-Junien et ils voulurent qu’au prévôt et au chapitre de Saint-Junien, maintenant et à l’avenir, se rapportent le droit d’élire un prieur qui dirige de façon heureuse cette église des Salles et qui fournisse aux serviteurs de l’église des Salles elle-même les biens spirituelles et temporelles ». 



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Dans l’acte de donation, il est précisé que l’église sera confiée à Saint-Junien « une fois bâtie». Cependant, il ne peut s’agir de l’église actuelle qui ne possède pas les caractéristiques d’un édifice du XIe siècle. La nef à quatre travées est aujourd’hui juxtaposée à un chevet plat à bas-côtés repris à l’époque gothique. Or, son examen archéologique contredit, en effet, l’assertion d’Étienne Maleu : le bâtiment revêt des particularités propres au XIIe siècle. Le vaste berceau brisé de la nef est épaulé par les berceaux transversaux des étroits collatéraux. Des passages cintrés permettent la communication d’une travée des bas-côtés à l’autre. L’ensemble forme visuellement un vaisseau unique, typique du goût limousin du XIIe siècle, qui s’inspire ou que l’on retrouve dans certaines églises cisterciennes. La construction de la nef et de la façade est homogène et témoigne de la volonté de hiérarchiser les espaces tout en marquant la latéralité de l’édifice. La présence de pièces sculptées importées de l’Angoumois – les reliefs sur la façade occidentale et les chapiteaux des baies du gouttereau nord – et le parti architectural de la nef permettent de proposer une datation comprise entre 1130 et 1150. La campagne de peintures a vraisemblablement été engagée dès l’achèvement de la nef. Les nombreuses inscriptions qui émaillent le décor ont fourni des indications précieuses : la forme des lettres renvoie au plus tard au milieu du XIIe siècle10. Quant au langage formel des peintures, il invite plutôt à pencher pour une datation un peu plus tardive s’étirant entre les années 1150 et la fin des années 1170. Le décor de Saint-Eutrope présente un ensemble unique de cycles hagiographiques. En plus des trois épisodes de la mort d’Étienne qui figurent sur le registre inférieur du revers de la façade, il subsiste encore six des huit cycles martyriaux qui ornaient initialement les murs de la nef11.  Le chevet et le transept datent du XIIIe siècle, et plus précisément des années 12001230.   Sur l’architecture, voir Claude ANDRAULT-SCHMITT, Les nefs dans les églises romanes de l’ancien diocèse de Limoges, Rythmes et volumes, thèse de 3e cycle (dactyl.) dirigée par Carol Heitz, Poitiers, 1982, et en dernier lieu, Éric SPARHUBERT, Les constructions canoniales en Limousin : la question de la commande architecturale au XIIe siècle, mémoire de DEA (dactyl.), sous la direction de Claude Andrault-Schmitt, Poitiers, 2000, p. 70-73. Pour une réflexion plus approfondie, voir sa thèse en cours, Constructions et ambitions canoniales à l’époque 1200 : les programmes architecturaux des collégiales limousines, Poitiers, sous la direction de Claude Andrault-Schmitt. 10  L’étude épigraphique a été réalisée à notre demande par Jean MICHAUD dont nous saluons, ici, la mémoire. 11   Chaque travée collatérale a été vraisemblablement ornée d’un cycle martyrial si l’on en juge par la disposition des images conservées dans la nef. 



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La démarche adoptée tout au long de ce livre plaide pour l’approche contextuelle des images en changeant d’échelles au fur et à mesure du questionnement. L’élargissement progressif du champ de réflexion permet de croiser les différentes méthodes d’analyse de l’œuvre visuelle et d’user des outils herméneutiques proposés pour son étude. La première étape de notre démarche est celle de l’observation de « l’image-objet », terme défini par Jérôme Baschet pour rendre compte des catégories différentes que recouvre la notion d’image au Moyen Âge12. Cependant, l’image médiévale n’a pas son sens plein et entier en elle-même. Le sens contenu dans la structure même de l’œuvre n’apparaît que dans sa confrontation avec les autres. Replacer l’image hagiographique au sein d’une série permet d’en saisir les traits singuliers, l’originalité. Ce type d’analyse vise à souligner la créativité des concepteurs d’images au Moyen Âge13 . Or, cette inventivité a été trop souvent ignorée : les images n’étaient regardées que par le prisme déformant des stéréotypes et de la répétition. Certes, l’imitation des modèles est inhérente à la culture médiévale. Elle est même érigée comme un principe de création, voire sa genèse même. Les écrits de Guigues le Chartreux (1083-1136) sont sans ambiguïté à ce propos : « Vois : quand tu peins ou fais quelque autre chose de ce genre, tu prends pour modèle un autre objet déjà vu ou présent »14. Cependant, c’est dans la régularité qu’il faut étudier les « gammes de variations », « les combinatoires de variantes » et « explorer le champ des possibilités figuratives »15. Pour autant, sur une période relativement courte, XIe-XIIe siècles, il ne s’agit évidemment pas de percevoir   Jérôme BASCHET, « Introduction : l’image-objet », dans L’image. Fonctions et usages des images dans l’Occident médiéval, Actes du 6e « International Workshop on Medieval Societes », Centre Ettore Majorana (Erice, Sicile, 17-22 octobre 1992) sous la direction de Jérôme Baschet et de Jean-Claude Schmitt, Paris, 1996, p. 7-26. 13  Il convient de préciser que nous désignons par le terme conventionnel de « concepteur des images », les auteurs ou les commanditaires des images tant les sources manquent pour apprécier le rôle, voire les initiatives laissées aux peintres et aux sculpteurs au Moyen Âge central. Cela ne nie en rien la part d’inventivité qui préside à la création des œuvres visuelles à l’époque médiévale. 14   GUIGUES le CHARTREUX, Méditations (Recueil de pensées), éd. M. Laporte, (SC 308), Paris, 1963, p. 236-237 ; Les Méditations du bienheureux Guigues de Saint-Romain cinquième prieur des Chartreux (1109-1136), trad. Fr. G. Hocquard, (Analecta Cartusiana n° 112), Salzbourg, 1984, p. 146. 15   Voir sur cette méthode d’analyse des images, Jérôme BASCHET, « Inventivité et sérialité des images médiévales, pour une approche iconographique élargie », Annales H.S.S., janvierfévrier, 1996, p. 93-133 ; du même auteur, Le sein du père, Abraham et la paternité dans l’Occident médiéval, Paris, 2000, p. 25-26. 12



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des transformations révélatrices d’une évolution culturelle et sociale à travers l’image de tel ou tel saint16. Une autre approche des cycles hagiographiques met en exergue la créativité de leurs concepteurs : la mise en images de la matière narrative. Comment les concepteurs traduisent-ils par des œuvres visuelles, en langage inarticulé, le récit hagiographique ; comment s’approprient-ils la légende et son rythme, quels procédés utilisent-ils à ces fins ? Outre son mode narratif, comment le programme pictural séquentiel est-il structuré ? Les images hagiographiques sont particulièrement malléables, adaptables à un discours qui peut s’affranchir de la vita qu’il est censé illustrer. D’autre part, la matière hagiographique offre une grande variété de légendes aux anecdotes et situations multiples qui permettait aux concepteurs des images d’y puiser pour élaborer un discours particulièrement subtil. Si l’on part du postulat que les images peuvent forger un discours, on admet alors l’existence « d’une pensée figurative » qui, aux SallesLavauguyon, acquiert son expression pleine et entière dans l’analyse du réseau d’images17. Cet angle d’approche constitue la deuxième étape de la contextualisation telle que nous l’entendons. Les images des saints sont, en effet, incluses dans un vaste système qui nourrit le sens de chacune d’elles. Les cycles hagiographiques doivent être étudiés à l’aune des thèmes qui sous-tendent l’ensemble du lieu d’images. Le décor peint fonctionne avant tout comme un réseau où se nouent des connexions transversales d’une image à l’autre. Ce système n’est absolument pas fermé, ce qui d’ailleurs lui confère toute sa complexité. Renoncer à tenter d’en saisir des bribes réduirait l’image hagiographique à un simple motif. À Saint-Eutrope, les cycles hagiographiques s’insèrent dans un réseau d’images où un cycle de la Genèse uniquement centré sur Adam et Ève voisine avec un cycle de l’Enfance du Christ sur le revers de la façade et les écoinçons (pl. 1). Une représentation du monde infernal et une scène de donation occupent également l’un des registres du revers de la façade. Des personnages en pied ou en majesté, figures de l’Ancien Testament et effigies de prieurs des Salles-Lavauguyon, situés sur les registres supérieurs des murs de la nef, complè  En ce sens, l’approche des images adoptée ici n’est qu’une partie de l’analyse sérielle proposée par Jérôme Baschet, adaptée à un corpus thématique sur une longue période et envisagée d’un point de vue anthropologique. 17   Nous préférons ce terme à celui de programme iconographique qui nous semble fort éloigné de la réalité médiévale. 16



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tent les images narratives. L’analyse systémique du réseau d’images que l’on propose tend à inclure l’image étudiée dans une gamme thématique de possibles en essayant d’en envisager le plus grand nombre. Autrement dit, le sens d’une image comme celui du lieu d’images, saturé de significations, n’est ni immédiat ni univoque. Les images « pensent » avec leur logique propre. Le lieu d’images est le produit d’une création née de la réflexion d’un commanditaire à un moment donné. C’est pourquoi nous défendons l’idée que cette pensée ne s’appuie pas forcément sur un support théorique ou exégétique écrit précis. Vouloir à tout prix expliquer un « programme iconographique » – comme une image d’ailleurs18 – en le contraignant dans un carcan textuel précis, c’est sans doute se priver d’une partie de sa richesse sémantique en jetant un voile sur l’objet étudié. Loin de nous le rejet de la recherche des sources textuelles, théologiques, liturgiques et exégétiques, nous en refusons seulement la systématisation… L’image a aussi son lieu, concept éprouvé par Jérôme Baschet sous la désignation « d’image-lieu ». Si elle se définit dans l’espace de l’église, en retour elle le structure. Ainsi, la troisième étape de la contextualisation de nos images est de les comprendre dans le fonctionnement du lieu sacré. D’autre part, il ne faut pas dissocier l’image de l’effet qu’elle produit dans son lieu. L’effet est aussi un véhicule du sens. Orner la maison de Dieu pour en faire un temple de couleurs n’est pas dénué d’intentions émotionnelles. Aux Salles, il subsiste tout un vocabulaire ornemental dans la nef : un décor de faux marbres sur les fûts des colonnes, des bandes décoratives qui soulignent les redents. L’intrados de l’arc doubleau conserve d’importants fragments d’entrelacs formés de trois lacets tressés. Sur celui des baies, des éléments décoratifs sont encore visibles : animaux, végétaux… Des oiseaux et autres mammifères sont peints dans des surfaces délimitées par des lacets19. De fausses draperies recouvraient le soubassement des murs de la nef. Seules les voûtes semblent n’avoir pas reçu de décor, elles 18   Outre la négation de la créativité des concepteurs d’images, parfois une pratique non intellectualisée peut expliquer l’existence même d’une image. Voir Jean-Claude SCHMITT, « La culture de l’imago », Annales H.S.S., janvier-février 1996, n°1, p. 3-36 et notamment p. 18. L’auteur y note à propos du culte du crucifix ou des statues reliquaires que ces pratiques « n’avaient pas besoin d’autres justifications que celles que donnaient les récits de miracles et les rêves. Les justifications théologiques ne sont venues qu’après, pour l’essentiel au XIIe siècle ». 19   Ces motifs évoquent indubitablement ceux des émaux limousins du XIIe siècle.



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étaient blanchies à la chaux et ont manifestement conservé leur enduit d’origine. L’ornement qui impose une hiérarchie dans le lieu d’images concourt à sa sacralité20. Le langage formel comme la matérialité des œuvres est également à considérer, sans opérer l’habituelle dichotomie fond/forme. Le décor peint du prieuré Saint-Eutrope est singulier à plus d’un titre. La technique employée pour le réaliser renforce son caractère exceptionnel. Les peintures sont toutes exécutées selon la technique à fresque, ce qui est rare pour la région et la période. Les scènes du registre supérieur du revers de la façade témoignent d’une exécution particulièrement bien maîtrisée21. L’analyse des pigments révèle la présence de rubans bleus horizontaux, disparus aujourd’hui, qui composaient les bandes narratives des cycles. L’impact visuel était donc très différent à l’époque de celui produit actuellement. Autres caractéristiques majeures des peintures des Salles : l’emploi de couleurs extrêmement vives, remarquables dans la région et le cerné noir des sujets, inhabituel dans les images romanes où il est dessiné à l’ocre rouge. Ces particularités témoignent de la nature unique de ce lieu d’images. C’est pourquoi sa singularité invite à se pencher sur la marque en creux laissée par son commanditaire, la communauté canoniale et à se demander comment les chanoines se sont pensés dans l’espace de l’église et comment ils se sont définis à travers les images ? Après avoir envisagé le rapport des images hagiographiques dans leur série, leur rapport au sein du réseau d’images, puis dans l’espace de l’église, nous nous attacherons dans un dernier angle d’approche aux pratiques sociales qui entourent ces images. L’histoire contextuelle des œuvres visuelles est un objet complexe qui mérite d’être manié avec une infinie précaution. Le contexte ne doit être appréhendé ni comme une toile de fond ni comme la source de la création. Les images ont leur dynamique propre. Dominick LaCapra résume admirablement les enjeux de cette méthode : « même si l’on accepte la métaphore selon laquelle l’interprétation est la 20   Voir Jean-Claude BONNE, « De l’ornement à l’ornementalité. La mosaïque absidiale de San Clemente de Rome », dans Le rôle de l’ornement dans la peinture murale du Moyen Âge, Actes du colloque international tenu à Saint-Lizier du 1er au 4 juin 1995, sous la direction de John Ottaway, Poitiers, 1997, p. 103-118. 21   Dans son rapport technique de restauration, Marie-France de CHRISTEN écrit : « ces scènes sont réalisées dans une excellente technique à fresque sur un ‘‘intonaco’’ lissé, posé sur un ‘‘arricio’’ de sable grossier », Rapport de restauration, Haute-Vienne, Les Salles-Lavauguyon, église, peintures murales, 1986, p. 3.



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‘‘voix’’ du lecteur historique dans le ‘‘dialogue’’ avec le passé, il faut positivement reconnaître que le passé a ses propres ‘‘voix’’ qui doivent être respectées surtout lorsqu’elles résistent ou impriment des nuances aux interprétations que nous aimerions leur imposer »22. Toutefois, négliger l’histoire contextuelle lorsque la preuve irréfutable – la source écrite – ne peut être apportée revient à se priver, nous semble-t-il, d’une partie de la compréhension des images médiévales car elle permet sans doute de répondre à un certain nombre de questions. Pourquoi par exemple un saint est-il à l’honneur dans une église alors qu’il n’en est pas le saint patron ? Pourquoi ce saint plutôt qu’un autre pourtant mentionné comme lui dans le sanctoral de la communauté est-il présent dans le décor? Qu’apporte la figure d’un saint ou un épisode particulier de sa vie dans le réseau d’images ? Qu’est-ce qui a présidé au choix de telle anecdote de sa légende ? Grâce aux œuvres visuelles et à leur cadre architectural, nous allons tenter d’écrire l’histoire d’une communauté de chanoines à un moment donné de sa vie. À ce titre, l’image hagiographique n’est qu’une voie parmi d’autres pour y prétendre. Cependant, une telle entreprise n’a d’intérêt qu’en s’inscrivant dans une perspective historique d’un ordre plus général. Prendre pour objet d’étude un prieuré et son décor revient à ouvrir un dossier aux problématiques nombreuses, aux ramifications et aux enchevêtrements subtils et complexes. Il touche, en effet, à la géographie canoniale du diocèse et à son articulation avec les réseaux monastiques, à la politique épiscopale, à la réforme canoniale, à l’instruction et à la culture spirituelle, aux enjeux de territoire, de pouvoir et d’autorité. Il permet peut-être de mesurer un peu plus l’influence d’une communauté religieuse dans une aire géographique donnée à travers la mission qu’elle s’est donnée. Nous aimerions persuader à la lecture de ce livre que la monographie thématique la plus singulière peut contribuer à sa manière à enrichir notre connaissance des mentalités médiévales.

  Dominick LaCAPRA, « Rethinking Intellectual History and Reading Texts », dans Rethinking intellectual History : Texts, Contexts, Language, Ithaca (N.Y.), 1983, p. 64, cité également par Jeffrey F. HAMBURGER, Peindre au couvent. La culture visuelle d’un couvent médiéval, Paris, 2000, p. 3. Voir également la préface de l’ouvrage de Jeffrey F. HAMBURGER où il se livre à un magistral plaidoyer pour l’histoire contextuelle de l’art, p. 1-4. 22



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Chapitre I

Des saints et des images

À l’exception du cycle d’Étienne peint au revers de la façade (fig. 1), les scènes relatives à la vie des saints se déroulent toutes du côté sud de l’édifice, à la droite du fidèle qui prie dans l’église, au contraire des scènes relatives à la vie des saintes situées à sa gauche (fig. 2). Il est d’ailleurs intéressant de noter qu’à part Valérie, les saintes Agathe et Catherine (?) ne sont pas nimbées, alors que les saints Étienne, Pierre, Laurent et Christophe le sont. Les cycles hagiographiques aux Salles-Lavauguyon

Des saints et des saintes Le cycle de saint Étienne À notre connaissance, le cycle roman peint consacré à Étienne sur le revers de la façade de l’église Saint-Eutrope des Salles-Lavauguyon est unique en France. Il est composé de trois images : la lapidation, la protection du corps du saint par les animaux sauvages et l’inhumation. En raison de la popularité du protomartyr durant tout le Moyen Âge, son dossier iconographique, bien que lacunaire, est relativement fourni. Il appartient, en effet, au groupe des quelques saints dont le succès peut se mesurer directement à proportion des images qui leur sont consacrées. Ainsi, à l’aide d’une approche comparatiste, il est possible de saisir la singularité des images des Salles, ce qui rend leur étude particulièrement stimulante. Outre les images, d’autres signes tout aussi éloquents permettent de considérer la ferveur dont Étienne fut l’objet  : en France, une multitude de villes et de villages porte son nom ; de nombreuses églises et chapelles lui sont dédiées ; dix cathédrales dont celle de Limo   Comme le souligne François Boespflug, « la popularité d’Étienne n’est plus à démontrer, tant elle est évidente durant tout le Moyen Âge ». François BOESPFLUG, « ‘‘Voici que je contemple les cieux ouverts... ’’ (Ac 7, 55s), Sur la lapidation d’Étienne et sa vision dans l’art médiéval (IXe-XVIe siècles) », Revue des sciences religieuses, 1992, p. 265.



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V.

Adoration des Mages Scène d’offrandes alimentaires Vie de St laurent (martyre)

Création Création d’Adam d’Eve

A.

Lapidition de St Etienne

Annonce aux bergers

Nativité

Scène Cornu noir de damnés Magna Menetrix torturés Etienne en odeur de sainteté

L’inhumation de St Etienne

Vie de Ste Valérie (condamnation?)

V. = Visitation A. = Annonciation

Fig. 1 - Revers de la façade de Saint-Eutrope des Salles-Lavauguyon, emplacement des images

Fig. 2 - Nef de Saint-Eutrope des Salles-Lavauguyon, emplacement des images



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ges sont placées sous son patronage. Sa popularité remonte au Ve siècle, en 415, date de l’invention de ses reliques, découvertes grâce à la triple apparition de Gamaliel au prêtre Lucien. Il semble que le succès du saint ait été rapide tant en Orient qu’en Occident. À n’en pas douter, son statut de premier martyr n’est pas étranger à son succès, ce que confirme saint Augustin : « Bienheureux et ordonné le premier des diacres après les Apôtres et par les Apôtres, ayant reçu avant eux la couronne ». De surcroît sa passion étant rapportée par les Actes des Apôtres, elle est marquée, bien plus que les autres martyres, du sceau du sacré et bénéficie d’une aura particulière. Pour cette raison, Étienne semble bien plus proche du Sauveur que les autres saints. D’autre part, sa fête est célébrée le 26 décembre, soit un jour après la Nativité, ce qui renforce symboliquement son lien avec le Christ. Cette proximité est d’ailleurs soulignée très tôt par les théologiens qui, comme saint Augustin, expliquent qu’Étienne « était frappé à coups de pierres, lui qui mourait pour la Pierre ; comme en témoigne l’Apôtre : la Pierre était le Christ ». Les exégètes nourrissent leurs réflexions d’éléments parfois très éloignés des deux passions réciproques pour tenter de les rapprocher un peu plus : « Ce en quoi Étienne est humble, en cela le Christ est sublime ; ce que le premier fit en s’inclinant vers la terre, le Christ l’a fait suspendu au bois (du supplice)». Aux Salles-Lavauguyon, les raisons de la présence du cycle stéphanien au revers de la façade sont multiples. Parmi les principales, on peut évoquer la proximité iconographique liée au calendrier liturgique (la Nativité et la fête du saint) avec le cycle de l’Enfance figurant sur le premier et le deuxième registre ainsi que l’appartenance de l’édifice au diocèse de Limoges.

  François BOESPFLUG, op. cit., p. 265-266.  AUGUSTIN, Sermones de sanctis, sermo 317,1, De Stephano martyre, P.L., 38, col. 1437 : “Beatus et primus post Apostolos ab Apostolis diaconus ordinatus, ante Apostolos coronatus ».   AUGUSTIN, Sermones de sanctis, sermo 317, 4, 5, De Stephano martyre, P.L., 38, col. 1437 : « Petris lapidabatur, qui pro Petra moriebatur ; dicente Apostolo : Petra autem erat Christus ».   AUGUSTIN, Sermones de sanctis, sermo 315, 5, 8, In solemnitate Stephani martyris, P.L., 38, col. 1430 : « Quod Stephanus humilis, Christus sublimis ; quod ille ad terram inclinatus, hoc Christus in ligno suspensus ». Augustin souligne à de nombreuses reprises les comparaisons entre le Christ et Étienne (Sermones de sanctis, sermo 315, 1, 2, In solemnitate Stephani martyris , P.L., 38, col. 1426 ; Sermones de sanctis, sermo 319, 4, 4, De Stephano martyre, , P.L., 38, col. 1441, « Secutus est vestigia pastoris sui, tamquam bona ovis : bonus agnus secutus est agnum, cujus sanguis tulit peccatum mundi. », soit « Il a suivi les pas de son berger, comme une bonne brebis. Un bon agneau a suivi l’Agneau dont le sang a lavé le péché du monde ».   



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La lapidation  À Saint-Eutrope, la lapidation qui ouvre le cycle d’Étienne montre Saül, futur saint Paul, debout, assistant au martyre d’Étienne (pl. 2-3). Conformément aux Actes des Apôtres, il semble tenir les manteaux que les lapidateurs lui ont laissés pour avoir plus d’aisance en lançant les pierres (VII, 58). Répartis en deux groupes, les bourreaux exécutent tous le même geste pour marquer leur communion de sentiments et d’action : ils brandissent les pierres de la main droite tandis que, de la main gauche, ils retiennent un pan de leur vêtement qui leur sert de réserve de projectiles. La tension qui les anime et l’effort qu’ils produisent sont suggérés par leurs jambes légèrement pliées. Quant au jeune diacre tonsuré, enveloppé dans sa dalmatique bleu clair, il regarde vers le ciel en position d’orant et jambes fléchies. La position de ses mains traduit à la fois l’extase et la prière qu’il adresse à Dieu pour ses ennemis. Les bras ouverts symbolisent l’altruisme ultime du saint à l’égard de ses bourreaux, résumant ainsi le texte : « Et tandis qu’on le lapidait, Étienne faisait cette invocation : ‘‘Seigneur Jésus, reçois mon esprit.’’ Puis, il fléchit les genoux et dit, dans un grand cri : ‘‘Seigneur, ne leur impute pas ce péché.’’ Et, en disant cela, il s’endormit » (Ac., VII, 59-60). Le corps du saint est entièrement tendu vers Dieu dans un retournement extatique. Le visage levé vers le ciel, Étienne regarde la main de Dieu. Son ravissement est renforcé par le traitement des manches de la dalmatique ornée d’orfrois qui, en s’envolant, forment, selon les mots de Marie-Thérèse Camus, « une demi-mandorle ouvragée »10. L’image combine et synthétise la vision du saint et la lapidation dans  La passion de saint Étienne est peinte au revers de la façade, au registre n°4.   Deux d’entre eux se tiennent à gauche tandis que trois sont représentés en profondeur (« triple silhouetté »).    Dans le texte, Étienne est vêtu de la dalmatique car, selon la tradition, il était diacre.    Connu en Occident dans l’art monumental dès l’époque carolingienne, le motif de la chirophanie est utilisé, par exemple, dans la lapidation de la crypte de Saint-Germain d’Auxerre. François Boespflug fournit un certain nombre d’autres exemples de chirophanie dans la lapidation. Selon l’auteur, l’exemple le plus ancien serait la mosaïque de SaintPaul-hors-les-murs au Ve siècle, puis un fragment de reliure d’évangéliaire en ivoire daté des environs de 850 où saint Étienne, couché sous un amas de pierre, regarde une main de Dieu bénissante. Une inscription précise l’identité du personnage et commente : « HIC STE(phanus) ORAVI(t) P(ro) SECUTORI (bus) D(eum) », (Voir Adolph GOLDSCHMIDT, Die Elfenbeiskulpturen, t.1, Berlin, 1914, n°77, pl. XXXI). François BOESPFLUG, op. cit., p. 272. Elle apparaît également dans la miniature du sacramentaire de Drogon où une énorme main sort du ciel. 10   Marie-Thérèse CAMUS, « Programme iconographique des peintures de Saint-Eutrope des Salles-Lavauguyon », op. cit., p. 139.  



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sa tension finale. Elle reflète clairement ce passage des Actes des Apôtres en le magnifiant grâce à la beauté des gestes du saint. À travers la position d’Étienne s’incarne l’idée que la vraie victoire est celle de la victime, qui pardonne, « s’endort » et naît à la vraie Vie, celle de Dieu. Il est indéniable que la lapidation des Salles-Lavauguyon est empreinte d’une grande finesse. Néanmoins pour révéler pleinement son contenu sémantique, il faut confronter ses principaux motifs à ceux d’autres images avec lesquels ils présentent des analogies. Il s’agit donc de cibler les éléments du réseau figuratif qui donnent à l’image des Salles sa singularité première. En comparant ces motifs, il sera possible de mesurer la richesse de cette lapidation dans « la dialectique des régularités et des écarts » chère à Jérôme Baschet11. Par le biais de cette approche, nous essayerons d’appréhender les pratiques sociales et le contexte culturel qui ont entouré la conception de l’image12. Au préalable, il convient de mentionner et d’analyser les plus anciennes images conservées de la lapidation pour appuyer notre étude sur d’éventuels précédents et pointer les occurrences. La première image de notre corpus date de la période carolingienne et a été peinte dans la crypte de Saint-Germain d’Auxerre13 (fig. 3). Elle appartient à un cycle constitué d’épisodes sans équivalent à la période romane. Étienne est, en effet, figuré comparaissant devant le Sanhédrin (Ac.,VI, 12-15)14, puis en extase (Ac., VII, 55-57)15. Comme aux Salles-Lavauguyon, mais avec d’autres procédés plastiques, la dernière 11   Dans le cadre de notre étude, il ne s’agit donc pas d’établir une famille iconographique dont la lapidation des Salles serait issue, mais de dégager son originalité et l’inventivité de son concepteur au regard d’un contexte donné. Sur ces questions de méthode, voir Jérôme BASCHET, « Inventivité et sérialité des images médiévales, pour une approche iconographique élargie », op. cit., p. 93-133. 12   Dans le cadre de notre étude, nous n’entreprenons pas un classement par catégorie des lapidations romanes qui en raison de leur grande variété relève de la gageure. François BOESPFLUG, op. cit., p. 270 notamment, a tenté de classer les images de la lapidation en sept grandes catégories en prenant comme critère la combinaison lapidation-vision. 13   Voir à ce propos, E.S. KING, « The Carolingian Frescoes of the Abbey of Saint-Germain d’Auxerre », The Art Bulletin, 11, 1929, p. 359-375 ; Christian SAPIN, La Bourgogne pré-romane, Paris, 1986, p. 56-57 ; Alain LABBÉ, « Dans les cryptes de Saint-Germain d’Auxerre (II) : Les fresques de la passion de saint Étienne et le texte des Actes des Apôtres », Bulletin de la Société des Fouilles Archéologiques et des Monuments Historiques de l’Yonne, n°7, 1990, p. 13-26 et aussi Peindre à Auxerre au Moyen Âge (IXe-XIVe siècles). 10 ans de recherches à l’abbaye Saint-Germain d’Auxerre et à la cathédrale Saint-Étienne d’Auxerre, sous la direction de C. Sapin, C.N.R.S, Université de Bourgogne, 1999, p. 104-125. 14  Scène inscrite dans la lunette sud de la première travée de l’oratoire Saint-Étienne. 15  Scène située dans la lunette occidentale de la première travée de l’oratoire SaintÉtienne.



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Fig. 3 - La lapidation de saint Étienne, crypte, abbaye Saint-Germain, Auxerre

scène du cycle, la lapidation16, vise à une transcription fidèle des idées majeures du texte : le don de soi, l’élan de la foi... Étienne, vêtu d’une dalmatique, semble être proche de l’effondrement, ses jambes fléchissent tandis que deux bourreaux le lapident. Ses bras tendus, proches de la prière, se dirigent vers la main de Dieu qui sort des cieux. Le saint regarde l’apparition divine et s’offre à elle dans un élan. Reprenant les précisions narratives rapportées par les Actes des Apôtres, le cadre géographique du martyre est souligné : il se déroule à l’extérieur de Jérusalem, ville qui a été soigneusement représentée selon les modèles iconographiques de l’Antiquité tardive (une enceinte fortifiée de plan polygonal comportant quatre tours, disposées dans les angles en perspective plongeante)17. En revanche, le concepteur de l’image a omis de mentionner la présence de Saül… Les gestes des bourreaux sont en tout point similaires à ceux de la lapidation de Saint-Eutrope. Ce geste « typique » des scènes de lapidation a été fixé assez tôt dans l’iconographie chrétienne puisqu’il se retrouve sur une mosaïque datée du Ve siècle montrant Moïse lapidé (Nb., 14, 10) dans l’église Sainte-Marie-Majeure18. Ce schéma iconographique, illustrant de manière simple et lisible l’action, qui circule  Scène occupant la lunette septentrionale de la première travée de l’oratoire SaintÉtienne. 17   Peindre à Auxerre au Moyen Âge (IXe-XIVe siècles), op. cit., p. 111. 18   Exemple donné par Alain LABBÉ, Dans les cryptes de Saint-Germain d’Auxerre, op. cit., p. 23, fig. 3. 16



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Fig. 4 - La lapidation de saint Étienne, Sacramentaire de Drogon, Paris, BNF, ms. lat. 9428, f° 27r°

depuis le Haut Moyen Âge apparaît dans une peinture de la lapidation du sacramentaire de Fulda de l’époque ottonienne19 ou bien sur une miniature datant de la fin du Xe siècle ou du début du XIe siècle dans un cycle consacré à sainte Agathe20. À Auxerre, ce geste est enrichi par la position des bourreaux qui traduit la prise d’élan, expression même de leur violence, et il imprime dans leur corps le sceau du péché. La composition joue également sur les tensions contradictoires qui traversent les personnages : le corps des bourreaux en extension et qui est pourtant irrémédiablement attiré vers le bas et celui du saint qui, tout en s’affaissant, s’étire vers Dieu dans un ultime effort. Comme aux Salles-Lavauguyon, l’image combinée de la vision et du martyre augmente la dimension dramatique de la scène. La combinaison vision-lapidation est davantage accentuée dans l’image du Sacramentaire de Drogon (f° 27r°) datée du milieu du IXe siècle21 (fig. 4). L’illustration qui s’inscrit dans une initiale, le D de   Göttingen, Universitätsbibliothek, cod. theol. 231, f° 14v°. Voir à ce propos, Éric PALAZZZO, Les sacramentaires de Fulda. étude sur l’iconographie et la liturgie à l’époque ottonienne, Münster, 1994, p. 81-82. 20   Paris, Bibl. Nat., ms. lat. 5594, f° 68r°. Voir à ce propos, Magdalena Élisabeth CARRASCO, « An Early Illustrated Manuscript of the Passion of St. Agatha (Paris, Bibl. Nat., ms. lat. 5594) », Gesta, XXIV/1, 1985, p. 19-32. 21   Paris, BNF, Sacramentaire de Drogon, ms. lat. 9428, f° 27 r°. 19



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Deus montre le diacre22 lapidé par quatre bourreaux, hors de la ville, figurée dans le ventre de la lettre23. Agenouillé en prière, il regarde la main de Dieu escortée de trois anges qui sort du ciel. Dans le jambage de la lettre, au-dessus du saint, le Christ en pied tenant un livre et l’étendard de la croix est tourné vers la chirophanie. Une colombe en marge de la lettre semble voler vers le Christ. Elle fait pendant à un autre oiseau, figuré posé au niveau d’Étienne. La formule visionlapidation proposée par le concepteur de l’image est beaucoup plus précise que celle d’Auxerre ou de Saint-Eutrope puisqu’elle reprend de manière quasiment littérale la vision du Fils de l’homme décrite par les Actes : « Ah ! dit-il, je vois les cieux ouverts et le Fils de l’homme debout à la droite de Dieu » (Ac., VII, 56). L’image livrerait presque ce que François Boespflug nomme une représentation de la vision stéphanienne enrichie, si ce n’est que la présence de Dieu est évoquée par sa main. Devant l’originalité de cette image, le chercheur propose de voir une figuration de la Trinité (la chirophanie, le Christ et la colombe) inspirée par l’expression dextra Domini contenue dans le texte des Actes24. Cependant cette hypothèse, aussi séduisante soit-elle, ne prend pas en compte le second oiseau qui, par sa présence, brouille l’image trinitaire. Le concepteur de l’image a-t-il pu utiliser le même motif en lui donnant un sens différent au sein d’un même réseau figuratif ? Ne pourrait-il pas s’agir d’une opposition entre le monde terrestre et le monde céleste : la terre étant alors symbolisée par l’oiseau posé et le martyre d’Étienne et le ciel par la colombe volant et la divinité du Christ ? La jonction entre le céleste et le terrestre est d’ailleurs signifiée par les nuées qui s’ouvrent en forme de parenthèses inversées. De surcroît, en raison de l’emplacement marginal des volatiles dans la composition, le concepteur des images a plus vraisemblablement suggéré une Binité, plus proche du texte rapporté par les Actes des Apôtres. Les deux images carolingiennes de la lapidation ont pour trait commun de ne pas mentionner la présence de Saül lors du martyre d’Étienne. Son absence dans les images invite à s’interroger sur la possible répugnance à figurer le futur saint Paul sous les traits d’un bourreau, même passif.

  Étienne est vêtu d’une dalmatique.   Pour une description détaillée, voir François BOESPFLUG, « “Voici que je contemple les cieux ouverts ...” », op. cit., p. 279-280, Éric PALAZZO, Les sacramentaires de Fulda, op. cit., p. 81, Peindre à Auxerre au Moyen Âge (IXe-XIVe siècles), op. cit., p. 113. 24   François BOESPFLUG, « ‘‘Voici que je contemple les cieux ouverts ...’’ », op. cit., p. 280. 22 23



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Fig. 5 - La lapidation de saint Étienne, Göttingen, Universitätsbibliothek, cod. theol. 231, f° 14v°

Malgré un héritage carolingien indéniable et des similitudes importantes, cette omission ne se répète pas dans la miniature de la lapidation du sacramentaire de Fulda, à la période ottonienne (fig. 5). Placée en tête du formulaire de la fête d’Étienne25, l’image du martyre se divise en deux registres. Sur le bandeau inférieur, le protomartyr, un genou à terre, prie dans l’attitude de l’orant. De multiples pierres l’atteignent tandis qu’à gauche un groupe de trois bourreaux continue de le lapider. Saül, à droite, bien isolé du groupe des bourreaux, assiste à la scène. Comme dans les lapidations carolingiennes, la ville a été figurée au second plan pour rappeler qu’Étienne a été supplicié loin de ses murs. Étienne lève son visage vers le ciel pour contempler le Christ en gloire escorté par trois anges et entouré du cortège des justes. Éric Palazzo note, non sans raison, que la vision de la théophanie et la présence de Saül, rares dans la lapidation, « apparaissent à la même période dans le tropaire d’Autun26, réalisé entre 1005-1006 et 1024, dont le cycle iconographique est très imprégné de sources carolingiennes »27. La combinaison lapidation-vision théopha  Göttingen, Universitätsbibliothek, cod. theol. 231, f° 14v°. Voir à ce propos, Éric PALAZZO, Les sacramentaires de Fulda, op. cit., p. 81-82. 26   Paris, Bibliothèque de l’Arsenal, ms. 1169, f° 6v et 7r. 27   Éric PALAZZO, Les sacramentaires de Fulda, op. cit., p. 82. Voir également du même auteur, « Confrontation du répertoire des tropes et du cycle iconographique du tropaire d’Autun », La tradizione dei tropi liturgici, Atti dei convegni sui tropi liturgici, Parigi (15-19 ottobre 1985)25



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nique, ainsi que le motif de la ville trahit donc sans le moindre doute l’influence de modèles carolingiens28. Toutefois, par rapport aux images carolingiennes conservées, des variations singulières ont été introduites dans la composition : les élus à la droite du Christ portent des globes qu’ils viennent de recevoir ou qu’ils s’apprêtent à lui remettre. L’ange à la tête du cortège semble lui présenter le sien, les mains voilées. Soit les globes symbolisent le pouvoir conféré aux premiers justes par le Sauveur dans l’au-delà, soit ils sont utilisés pour illustrer la cérémonie durant laquelle ils sont remis au Christ en témoignage de l’entière soumission des élus, qui lui restituent le pouvoir qu’Il leur a confié. Ces motifs soulignent alors la dimension cosmique et universelle du pouvoir du Christ. La répétition de ce symbole pourrait être surprenante si une connivence formelle ne s’établissait pas entre la partie droite du registre supérieur et la partie gauche du bandeau inférieur : les globi mundi tenus par l’ange et les justes répondent aux pierres brandies par les bourreaux. L’analogie formelle entre les projectiles et les globes, entre le geste inversé des lapidateurs et des anges renforce le lien entre le terrestre et le céleste préfigurant la béatitude d’Étienne dans l’au-delà. Chacun des deux registres se reflète dans l’autre : par sa composition, la lapidation trouve un écho dans la vision céleste et inversement. Le geste de Saül accentue encore le lien entre les deux niveaux. Ce n’est pas Saül, mais le futur Paul qui figure dans l’image : il n’est pas le complice des bourreaux dont il se démarque clairement, mais il désigne la théophanie sans pour autant la regarder. Sa conversion à venir est annoncée, mais si elle est pressentie, il ne peut pas encore contempler Dieu face à face. À l’instar de Saül, un ange, situé dans la partie gauche de la composition, montre la divinité selon le jeu de miroir déjà évoqué. Il pointe son index sur le livre montré par le Christ ostensiblement hors de l’espace de la mandorle. Par ce détail, il est rappelé qu’Étienne meurt pour avoir diffusé la parole du Verbe, Dieu incarné, et témoigné de sa Résurrection. Au total, les images du Haut Moyen Âge offrent une définition très intellectualisée de la lapidation. La subtilité qui a présidé à leur conception se retrouve aux Salles-Lavauguyon dans le traitement plastique de l’extase, de la charité d’Étienne, ou plus généralement de la vision. Cependant, la force dramatique de la lapidation de SaintPerugia (2-5 settembre 1987), sous la direction de C. Léonardi et E. Menesto, Spolète, 1990, p. 95-125. 28   Éric PALAZZO, Les sacramentaires de Fulda, op. cit., p. 82.



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Fig. 6 - La lapidation de saint Étienne, bas-relief, tour-porche, Saint-Benoîtsur-Loire

Eutrope réside surtout dans le geste extatique d’Étienne. Or, à l’étude du corpus stéphanien, il semble que cette position d’orant soit relativement rare. Ce geste très expressif se retrouve au début du XIe siècle sur la plaque sculptée de la tour porche de Saint-Benoît-sur-Loire (fig. 6). La lapidation se déroule sur le registre inférieur de la composition. Étienne qui n’est pas situé au centre de la scène est en train de tomber sous les coups répétés des pierres près d’un Saül, passif, figuré à l’extrême droite. Les deux tiers de l’image sont occupés par six bourreaux saisis d’une agitation frénétique. L’effervescence hostile est traduite par la diversité des positions et des attitudes de la foule : certains se sont constitué d’énormes réserves de pierres contenues dans un pan de leur tunique, l’un d’eux lance un projectile tout en prenant un caillou tendu par un homme assis, un autre de face – à l’extrême gauche – s’apprête à jeter un énorme bloc qu’il brandit à deux mains au-dessus de sa tête. Au moment de son agonie, les mains ouvertes, tendues vers le ciel, Étienne supplie le Christ d’accorder le pardon à ses bourreaux. Les manches de sa dalmatique s’envolent comme aux Salles soulignant la beauté du geste. Au-dessus du groupe du martyr et de Saül, la main divine apparaît marquant l’élection d’Étienne et préfigurant la conversion du futur saint Paul. La place de ce dernier dans la composition et le geste d’Étienne témoignent du pardon dont il fait déjà l’objet. Ici, l’imploration du saint ne

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concerne pas les bourreaux dont il se détourne, mais Saül, à qui le concepteur des images rend sa dignité par anticipation. Cette impression est renforcée par l’image du registre supérieur. Dans leur axe, entouré de nuées, le Christ en buste, accompagné d’une représentation du soleil, désigne Étienne de la main droite29. Le concepteur de l’image a adopté une composition à deux registres pour opposer monde céleste et monde terrestre, mais le lien entre ces deux niveaux est assuré par le saint qui se situe à une place intermédiaire. La passerelle entre ciel et terre s’effectue, en effet, horizontalement et verticalement, par le corps et la position des bras du saint, mais également par son image en gloire au registre supérieur30. Le diacre martyr imberbe est sculpté au centre de la composition, dans une mandorle soutenue par deux anges. Sa position d’orant met en valeur les manches de la dalmatique et le vêtement lui-même, établissant une correspondance formelle avec la figure du saint au registre inférieur31. Néanmoins, le christomimétisme est ici indéniable, l’attitude d’Étienne dans sa gloire étant comparable à celle du Christ lors de l’Ascension. L’artiste s’est livré à une interprétation plastique des commentaires des exégètes qui rapprochent la lapidation de l’Ascension : « Parce que Notre Rédempteur est monté au ciel et maintenant il juge tout, et en dernier lieu il vient en juge de toute chose, Marc raconte qu’après son Ascension, il siège car après la gloire de son Ascension, il apparaîtra à terme comme un juge. Étienne, en vérité, dans la douleur de la lutte a vu debout Celui qui l’a soutenu, Celui qui a combattu pour   À notre connaissance le premier exemple du corpus où le Christ est représenté en buste. Les exemples antérieurs de la période carolingienne, l’enluminure du sacramentaire de Drogon et l’enluminure du sacramentaire de Fulda montrent le Christ debout. Néanmoins dans ces deux exemples, Étienne voit l’apparition divine. La Vision est pleinement figurée. À Saint-Benoît-sur-Loire, le propos est différent. 30  Il a été avancé que l’image de Saint-Benoît serait une représentation de la vision trinitaire du saint avant sa mort en raison du Christ en buste, de la main de Dieu et d’un personnage ailé – très mutilé – désignant la tête du saint agenouillé en dessous. Il semble difficile de souscrire à cette hypothèse : la main céleste marque ici l’élection du saint et l’ange accueille sans doute l’âme du martyr aux cieux. Les motifs iconographiques sont bien trop confus ou ambigus pour que l’on puisse affirmer qu’il s’agit d’une représentation de la Trinité. De surcroît, la position même d’Étienne laisse planer un doute sur l’évocation, ici, de la Vision. Bien que l’axe vertical entre le Lapidé et la christophanie puisse entretenir cette interprétation (lapidation-vision), le saint semble, en effet, ignorer les diverses manifestations divines. Contrairement à l’image d’un sacramentaire de Fulda, daté de 975, (Göttingen, Universitätsbibliothek, cod. theol. 231, f° 14 v°) ou bien celle des Salles, il ne contemple pas l’apparition divine. Voir à ce propos Éliane VERGNOLLE, Saint-Benoît-sur-Loire et la sculpture du XIe siècle, Paris, 1985, p. 109. Voir son analyse de la plaque sculptée, p. 109-110. 31  La dalmatique a une importance de premier plan dans la composition : elle est à la fois la manifestation de l’identité du saint, mais également un des moteurs de la sainteté. 29



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Fig. 8 - La lapidation de saint Étienne, chapiteau, église Saint-Étienne, Tauriac

Fig. 7 - La lapidation de saint Étienne, sacramentaire de Limoges, Paris, BNF, ms. lat. 9438, f° 20v°

lui du ciel avec sa grâce afin qu’il vainque sur terre l’infidélité des persécuteurs »32. Le pardon qu’offre Étienne à Saül, la charité dont il fait preuve illustrent le combat victorieux qu’a mené Étienne sur terre. L’infidélité de Saül est vaincue et le futur saint Paul est déjà à l’ombre de la main de Dieu. Le geste du protomartyr semble se teinter d’une signification très particulière au sein du réseau figuratif. Sur une enluminure de la lapidation du sacramentaire de SaintÉtienne de Limoges33, Étienne est représenté les bras ouverts (fig. 7). Cependant son geste a beaucoup moins d’ampleur qu’à Saint-Eutrope ou à Saint-Benoît : les manches de la dalmatique ne se déploient pas pour mettre en valeur l’extase et la charité. C’est pourquoi l’intensité du drame qui se joue n’émane pas de la figure d’Étienne avec autant

  Éliane VERGNOLLE, Saint-Benoît-sur-Loire…, op. cit., p. 109, cite Grégoire le Grand : « Quia ergo Redemptor noster assumptus in coelum et nunc omnia judicat, et ad extremum judex omnium venit, hunc post assumptionem Marcus sedere describit, quia post Ascensionis suae gloriam judex in fine videbitur. Stephanus vero in labore certaminis positus stantem vidit, quem adjutorem habuit, qui ut iste in terra persecutorum infidelitatem vinceret, pro illo de coelo illius gratia pugnavit », In ascensione Domini, Homelia XXIX, P.L., t. 76, col. 1217. 33   Paris, BNF, ms. lat. 9438, f° 20 v°. Voir Danielle GABORIT-CHOPIN, Le décor des manuscrits à Saint-Martial de Limoges et en Limousin du IXe au XIIe siècle, Paris-Génève, 1969, pl. 163. 32



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d’acuité qu’aux Salles-Lavauguyon. L’intention du concepteur de la miniature est en réalité très différente puisqu’il a choisi une composition divisée en deux registres distincts. Le bandeau inférieur est consacré à la lapidation où Étienne, à la sortie de la ville, est martyrisé par deux bourreaux tandis que la moitié supérieure de l’enluminure est occupée par sa Vision. L’importance de l’apparition divine dans la composition ne nécessitait pas d’insister sur le ravissement dont Étienne est l’objet. Il regarde le Christ, sortant des nuées, debout dans sa mandorle. Dans l’art monumental, nous n’avons trouvé qu’un seul autre exemple du geste d’imploration d’Étienne dans une image particulièrement surprenante d’un chapiteau très endommagé de l’église de Tauriac (fig. 8). La scène semble dénuée d’intention narrative et pourtant fixe de manière impressionnante le moment ultime du supplice. À l’angle gauche du chapiteau, Étienne nimbé est debout dans une tunique longue que rien ne différencie de celle des bourreaux. Il est figuré de face, les bras levés vers le ciel dans la position antique de l’orant. Malgré les six pierres qui l’atteignent à l’abdomen, il est figé dans une attitude hiératique. Le récit des Actes précisant la posture d’Étienne lors de la scène de la lapidation, la station debout qui caractérise l’image de Tauriac est, pour cette raison, rarement représentée. D’autre part, la position à genoux exprime davantage la souffrance d’un homme lapidé qui va mourir. L’originalité de cette image est renforcée par le geste d’orant, mais qui par sa dimension antiquisante n’est en rien comparable à celui des Salles. Il n’évoque pas le pardon, mais la prière de l’homme qui se remet à Dieu. Par ailleurs, l’absence de signe divin semble palliée par l’expressivité du geste et sa référence à la tradition paléochrétienne qui suggère le sacré. Cependant, sur le tailloir, également très détérioré, deux anges soutiennent ou encadrent un personnage en buste dans une mandorle. Ce motif ne peut être interprété comme un signe d’élection puisqu’il ne se situe pas au-dessus d’Étienne, mais sur la face principale du tailloir. Plutôt qu’une chirophanie en buste, il pourrait s’agir du saint porté au ciel dans une gloire soutenue ou simplement accompagné par deux anges. La corbeille et son tailloir associent l’image du martyre du saint à sa gloire34.  Un des chapiteaux du cloître de Moissac montre le martyre des saints Fructueux, Euloge et Augure, sur le côté sud de la corbeille, associé à leur gloire sur la face ouest. La mandorle est réservée aux apparitions divines de quelques visionnaires durant le premier millénaire. André GRABAR, Les voies de la création en iconographie chrétienne, Antiquité et Moyen Âge, Paris, 1979, rééd., 1994, p. 200, explique que des visionnaires prophétiques ont vu des théopha34



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Fig. 9 - La lapidation de saint Étienne, chapiteau, église Saint-Étienne, Vaux

L’accent porté sur la dalmatique dans la scène de Saint-Eutrope n’est pas anodin et ce motif compte parmi les plus signifiants dans l’image. Si cette donnée est directement appréciable, il convient, pour en mesurer réellement la portée dans le réseau figuratif, de vérifier la manière dont le vêtement est utilisé dans les autres lapidations. Dans l’église Saint-Étienne de Vaux-sur-Mer, un chapiteau de la visionlapidation, d’une assez belle qualité, montre le saint en tenue de diacre (fig. 9). Occupant l’angle de la corbeille, il contemple la main de Dieu qui sort du ciel tandis que les bourreaux le lapident35. Le vêtement enveloppe le saint d’une gangue protectrice tandis qu’il prie debout. La finesse du corps d’Étienne soulignée par sa longue dalmatique et son statisme contraste avec l’agitation des bourreaux en bliaud. La verticalité de sa figure, qu’accentue l’habit, témoigne du nies : « cette idée fut exprimée de deux façons : soit en figurant le visionnaire devant sa vision, soit en isolant la vision, le surnaturel du reste de l’image, au moyen d’un disque ou d’une auréole de lumière. Dans le langage de l’époque, cela équivalait à dire que l’apparition était étrangère au monde perceptible qui nous entoure, et accessible au seul visionnaire ». Ce motif s’est par la suite vulgarisé aux alentours de l’An Mil. Par un glissement iconographique, la glorification des saints s’est progressivement imposée. Les prémices de ce motif apparaissent dans la tour porche de Saint-Benoît-sur-Loire sur le chapiteau de saint Martin, et trouvent une plus grande affirmation sur la plaque sculptée du martyre de saint Étienne sur la façade. Voir également, Noureddine MEZOUGHI, « Recherches sur l’iconographie des ‘‘mandorles’’ du premier millénaire », Cahiers de Saint-Michel-de-Cuxa, 1975, p. 229-274. 35   Contrairement à la majorité des images de lapidation, dont celle des Salles, les lapidateurs ne sont pas figurés faisant provision de pierres dans les pans de leur tunique.



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Fig. 10 - La lapidation de saint Étienne, tympan, cathédrale Saint-Étienne, Cahors

Fig. 11 - La vision de saint Étienne, tympan, cathédrale Saint-Étienne, Cahors



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lien reliant le ciel à la terre par le corps saint. La dalmatique devient l’axe, le pont entre le terrestre et le céleste. Ce vêtement, aussi important soit-il puisqu’il révèle le statut du saint, n’a cependant pas la même force visuelle qu’aux Salles36. Étienne est également revêtu de sa tenue de diacre dans la scène de la lapidation visible sur le tympan du portail nord de la cathédrale de Cahors, daté des premières décennies du XIIe siècle37 (fig. 10). Cette image appartient à un cycle découpé en trois temps qui se déroule sur deux registres de part et d’autre du motif central de l’Ascension38. La lapidation combinée de la vision enrichie est située sur la partie droite du tympan et occupe les deux registres. Un genou à terre, Étienne prie les mains jointes face aux bourreaux qui le criblent de coups39. Son visage est clairement tourné vers le ciel pour regarder le Christ qui siège à la droite du Père (fig. 11). Au-dessus de lui, à la frontière des deux registres, la main de Dieu bénissante sort des nuées. Elle est figurée dans un lieu intermédiaire, de contact, de limite entre le ciel et la terre et elle témoigne de la rencontre ultime des deux sphères au moment de la mort d’Étienne, à l’instant même où une pierre l’atteint à la tête. Outre la vision enrichie proposée par le concepteur de l’image, la singularité de cette scène tient à la présence d’un lapidateur dans le bandeau végétal qui entoure les reliefs historiés. Tandis que deux bourreaux s’affairent à leur triste besogne en faisant face au saint, un troisième sur la droite, à peine dissimulé dans les entrelacs de la bordure, le lapide dans le dos. Il est hors du champ de l’image, dans la bordure censée fonder l’autonomie de la représentation. Il se peut que ce tortionnaire incarne la « folie de la multitude » dont parle le texte. Dans une société devenue chrétienne, le comportement de cette foule en proie à l’hystérie ne peut être que marginalisée40. Le désordre, symbolisé par cet homme, semble être 36  La spécificité de cette image réside plutôt dans la figuration des deux derniers bourreaux qui tendent d’une main leur manteau à Saül, représenté sur la face occidentale de la corbeille. Saül saisit dans chacune de ses mains les deux manteaux tandis que le saint est déjà lapidé. Le futur saint Paul est sculpté à une échelle inférieure à celle des bourreaux. 37   Voir Elke BRATKE qui a consacré une étude au portail, Das Nordportal der Kathedrale SaintÉtienne in Cahors, Fribourg-en-Brisgau, 1977. 38   À gauche, au registre inférieur, Étienne discourt devant le Sanhédrin tandis qu’un membre de l’assemblée se bouche les oreilles. Au registre supérieur, il est poussé hors de la ville par les faux accusateurs. 39  Les bourreaux lapident le saint dans leur position accoutumée : projectile dans une main et réserve de pierres dans un pan de leur tunique. 40   Voir, à propos des images dans les marges, l’étude de Michael CAMILLE, Images dans les marges, Aux limites de l’art médiéval, traduction de Béatrice et Jean-Claude Bonne, Paris, 1997.



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rejeté à l’extérieur du tympan. L’homme inférieur qu’est le bourreau est peut-être relégué à la périphérie de l’image… À Cahors, la dalmatique pourtant mise en valeur par le geste de prière – les manches sont joliment évasées – est simplement la manifestation de l’identité du saint et reflète le souci du concepteur du tympan de conformer ses images au texte des Actes. La présence de Saül dans la scène, assis à la sortie de la ville et gardant les manteaux, répond à la même exigence. Comme aux Salles, le concepteur n’a pas cherché à interpréter et à formuler plastiquement l’idée de la conversion à venir. Il a pensé le cycle stéphanien et l’image de la lapidation-vision en reprenant strictement les descriptions textuelles. François Boespflug souligne que la grande originalité du relief de Cahors est d’être une illustration fidèle de la vision d’Étienne décrite dans les Actes en proposant de montrer Dieu le Père et le Christ côte à côte41. Le saint voit, en effet, très clairement l’image du registre supérieur : la direction de son regard laisse peu de place au doute et elle fait très nettement le lien entre les deux registres. Comme le suggérait déjà la main de Dieu, l’invisible vient dans le visible. Le regard d’Étienne, comme la chirophanie qui est à la marge des deux mondes, sort des limites de la représentation, du cadre formel des deux sphères42. Seul le bandeau nettement figuré et hiérarchisant les deux lieux – céleste et terrestre – permet une transgression qui est d’ordre spirituel. La vision est, en effet, offerte au regard du spectateur qui assiste à la rencontre de deux temps bien différents : le temps des hommes et le Temps Universel. Or, seule la transgression permet d’exprimer la dimension extraordinaire et inexplicable de ce qui nous est donné à voir. La bordure est donc pensée comme une limite, comme le bord de la représentation qui délimite un lieu, le lieu où se déroule l’histoire, celle de la lapidation. Dès que l’on pose une limite, la transgression devient possible : le regard d’Étienne et la main de Dieu appartiennent chacun à un locus particulier et transgressent les frontières établies. Sur le registre supérieur, le Fils de l’Homme est debout à la droite de Dieu en majesté43. François Boespflug note que « le Christ semble arriver auprès du trône de   François BOESPFLUG, « “Voici que je contemple les cieux ouverts.” », op. cit., p. 281.   Ces réflexions ont été inspirées par une conférence de Daniel ARASSE, « Fonctions et limites de l’iconographie, Sur le cadre et sa transgression », dans Die Methodik der Bildinterpretation, Les méthodes d’interprétations de l’image, Deutsch-französische Kolloquien 1998-2000, t. 2, Göttingen, 2002, p. 551-578. 43  L’apparition du Christ en pied est, à notre connaissance, le seul exemple existant encore dans l’art monumental à la période romane. Cependant, ici, l’image transcrit le texte des Actes, ce qui explique ce détail. 41 42



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Dieu, immédiatement ‘‘après’’ son Ascension »44. Bien que figurée sur le compartiment inférieur, la direction du regard d’Étienne marque son appartenance aux deux sphères à la fois. La singularité de cette image provient de sa conformité au texte. Néanmoins, le jeu des transgressions pour traduire plastiquement l’idée de la vision et combiner deux temps de l’histoire en une seule image est un véritable tour de force qui est sans équivalent dans la masse documentaire étudiée. Sur la châsse de Gimel, un Fig. 12 - La lapidation de saint Étienne, reliquaire limousin daté des châsse de Gimel années 1170-1175 45, Étienne subit le martyre dans son habit de diacre (fig. 12). Agenouillé, le saint est en prière tandis que les pierres l’atteignent de toute part. Pour illustrer l’idée de la supplication, ses mains jointes sont levées vers le ciel alors que la main de Dieu – pourvue d’un nimbe crucifère – sort des nuées en marquant ainsi

  François BOESPFLUG, « “Voici que je contemple les cieux ouverts ...” », op. cit., p. 282. Marcel DURLIAT, reprenant l’hypothèse soutenue par Elke Bratke, pense que la réunion du Père, du Fils et de la main de Dieu offre une vision du Dieu trinitaire (voir « La cathédrale SaintÉtienne de Cahors, architecture et sculpture ». Dixième colloque international de la Société Française d’Archéologie, Cahors 13-14 octobre 1978, Bulletin monumental, 137 /4, 1979, p. 322). François Boespflug nuance considérablement cette proposition en suggérant que la main de Dieu symbolisant le Saint Esprit doit figurer le don et qu’aucune représentation de la main divine dans l’art ne permet de soutenir sans la moindre hésitation qu’il s’agirait de l’Esprit Saint (op. cit., p. 284). De surcroît, les Binités sont relativement fréquentes dans l’art médiéval : de nombreuses miniatures le confirment du XIIe au XIVe siècle. L’art monumental n’échappe pas à la règle : aux Salles-Lavauguyon, la Binité intervient lors de la création d’Adam sur le revers de la façade comme nous le verrons. Même si le récit des Actes des Apôtres mentionne la présence de l’Esprit Saint, il est plutôt à interpréter comme source de grâce et non de vision (Ac., VII, 55). L’artiste s’est conformé au texte où la Binité est seule l’objet de la Vision. 45   Cette châsse dite de Gimel est conservée dans le trésor de l’église paroissiale Saint-Pardoux de Gimel-les-Cascades (Corrèze). Volée en 1991, elle est réinstallée en 1994 dans l’église. Voir à ce propos, Marie-Madeleine GAUTHIER, émaux méridionaux, Catalogue international de l’œuvre de Limoges, l’époque romane, t. I, Paris, 1987, p. 94-97, pl. LXXIV, LXXXI. 44



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Fig. 13 - La lapidation de saint Étienne, façade, cathédrale Saint-Trophime, Arles

son élection46. Comme à Vaux, la dalmatique est la manifestation de l’identité du saint et spécifie son statut d’homme d’Église. D’autre part, cette image s’inscrit dans un cycle rythmé par le vêtement à pois du saint qui sert de référence visuelle. Replacé dans le réseau figuratif, le motif de la dalmatique n’est pas mis en valeur pour lui-même, mais permet de détacher nettement la figure du saint dans chaque scène. Aux Salles, si la dalmatique sert également d’écrin au saint, elle possède une valeur symbolique indéniable. Sans pour autant servir les mêmes intentions, l’habit clérical a souvent une importance de premier plan dans les images stéphaniennes 46  Saül assis garde les manteaux des sept bourreaux. Il semble s’adresser à l’un d’eux à la porte de la ville et lui indiquer le lieu du martyre. La composition générale du martyre d’Étienne sur la châsse de Gimel est relativement proche de celle de Saint-Eutrope des Salles, ce qui tend à prouver qu’un modèle iconographique commun a pu servir à l’élaboration des deux scènes. Le siège épiscopal de Limoges était déjà au titre du Protomartyr avant le VIe siècle ; il apparaît donc vraisemblable qu’une tradition imagée ait été fortement établie dans la région.



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qui, parfois, jouent sur la dialectique nu/vêtu inscrite dans une perspective nettement eschatologique. Cette dimension est flagrante sur un haut-relief, daté de la dernière décennie du XIIe siècle47, situé du côté sud de la façade occidentale de la cathédrale Saint-Trophime d’Arles48. L’image se divise en deux registres séparés par un bandeau, le registre inférieur étant occupé par la lapidation (fig. 13). Le jeune diacre est encadré par deux bourreaux barbus qui brandissent une pierre dans chacune de leurs mains. L’une d’elles vient de l’atteindre au front alors qu’il est agenouillé en prière, vêtu de sa dalmatique. Un de ses pieds nus et son étole glissent le long du socle qui sert de bordure à la scène : il s’affaisse doucement en rendant son dernier soupir. L’idée de l’agonie finale est d’ailleurs clairement affirmée puisqu’il aide son âme – petit personnage nu – à s’échapper de sa bouche, en la poussant par les talons. Dans la partie supérieure de la composition, deux anges la tirent à eux et l’aident à revêtir la tunique des élus, des Justes, celle qui a été lavée dans le sang de l’Agneau. Le saint ayant reçu le baptême du sang est habillé du manteau d’éternité. L’image évoque les oraisons funéraires qui supplient Dieu de parer l’âme « des vêtements célestes » et de « la robe de l’immortalité »49. Les plis de la tunique en bouillonnant suggèrent à la fois les cieux qui s’ouvrent au saint et une mandorle, écho de la gloire d’Étienne. L’âme fait le lien entre les deux registres. Strictement dans son axe, au-dessus d’elle, une apparition théophanique grandiose est figurée : le visage du Christ jaillit d’une nuée circulaire, circonscrite elle-même par les ailes angéliques qui accentuent l’effet de puissance50. Bénissant de la main droite, le Sauveur désigne la lapidation et accueille en même temps l’âme du martyr qui, après sa mort, siège immédiatement 47  Les hypothèses de datation successives proposées sont rappelées dans l’article de Jacques THIRION, « Saint-Trophime d’Arles », Congrès archéologique de France, 134e Session, 1976, Pays d’Arles, Paris, 1979, p. 466-467. 48   Cette cathédrale a été placée sous le vocable de Saint-Étienne jusqu’au XIIe siècle. Puis durant la première moitié du XIIe siècle, on lui a associé le vocable de Saint-Trophime qui finit par le supplanter au cours de ce même siècle. À ce propos, voir Jacques THIRION, op. cit., p. 360-479 et notamment p. 361. 49   « Veste quoque coeli et stola immortalitatis indui.. », H. Philippeau, Repertorium euchologicum ecclesiae latinae…, Chelles, 1961, n°118, cité par Cécile TREFFORT, « Du mort vêtu à la nudité eschatologique (XIIe-XIIIe siècles) », dans Le nu et le vêtu au Moyen Âge (XII-XIIIe siècles), Actes du 25e colloque du CUERMA, Sénéfiance n°47, Aix-en-Provence, 2001, p. 359. 50  La représentation du Christ dans les images de la lapidation est un modèle iconographique connu dès l’époque ottonienne dans les images simples de la lapidation, c’est-à-dire offrant une Vision réduite (le Christ, la main...) comme dans la miniature du sacramentaire de Fulda (Göttingen, Universitätsbibliothek, cod. theol. 231, f°14v°), et non la Vision décrite par les Actes.



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Fig. 14 - La lapidation de saint Étienne, chapiteau, cathédrale Saint-Lazare, Autun

auprès de Lui. Ainsi, la prépondérance de l’axe céleste est marquée par l’alignement vertical d’Étienne, de son âme et du Christ. Bien qu’il y ait un espace entre « l’âme-Étienne »51 et le Dieu Incarné, sa main descend vers eux créant un lien indéfectible entre le ciel et la terre à travers le corps du martyr. Cependant, seuls les anges apparaissent comme des intermédiaires entre le Christ et les hommes. L’originalité de cette image réside également dans la transgression de son champ par les différents motifs qui la composent. La pointe des ailes des anges, la nuée-mandorle et le nimbe du Christ sortent du cadre et empiètent sur le bandeau végétal. En ce sens, ils ne se différencient pas des statues-colonnes du portail qui, elles aussi, sortent du champ de l’image. Cependant, la position d’Étienne dont la jambe et l’étole transgressent le lieu de l’histoire semble avoir été dictée par une autre intention. Le concepteur de l’image sacrifie à un certain réalisme pour signifier le lent glissement d’Étienne vers la mort – la jambe reposant sur le socle mouluré – mais il insiste également sur l’écharpe sacerdotale qui sort franchement du champ de l’image. Il met littéralement en exergue la dignité du saint, l’étole devenant l’expression magnifiée de son identité cléricale. Grâce à ces franchissements de limites, le saint se détache du support et surtout   Étienne et son âme forment une seule et même entité : l’âme n’est pas encore complètement détachée du corps. 51



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du lieu de l’histoire. À l’instar de l’image du Crucifié, celle du Lapidé appartient à l’atemporalité. Cependant, ce statut ne lui est conféré que par sa fonction au sein de l’Ecclesia. Ainsi, Étienne occupe-t-il une place privilégiée au sein du portail qui le désigne clairement comme le saint patron de la cathédrale52. Dans l’image de Saint-Trophime, la nudité est un instrument de passage vers la vie éternelle, mais elle est immédiatement cachée dans l’au-delà par le vêtement de la gloire éternelle. Il est alors intéressant de voir émerger dans le corpus stéphanien des images du Lapidé nu au moment de son martyre, un parti pris radicalement différent de celui des Salles. La nudité d’Étienne lors de la lapidation a été choisie par le concepteur du programme sculpté de la cathédrale Saint-Lazare d’Autun (fig. 14). Au centre de la composition, Étienne nu, les jambes fléchies, implore le ciel tandis que trois pierres l’atteignent à la tête en formant une sorte de nimbe. Ici, la nudité préfigure la résurrection des chairs avant que le protomartyr ne revête l’habit de lumière. Ce corps nu offert au sacrifice est indéniablement un écho à celui du Christ, le Dieu Incarné, et évoque ici-bas l’innocence paradisiaque du martyr. Par ailleurs, le sol sur lequel l’action se déroule est constitué de volutes ondulantes, préfigurant peut-être l’imminente béatitude d’Étienne. En outre, sa nudité est aussi celle de l’athlète de Dieu, glorieuse et héroïque. L’atrocité de son supplice et sa résistance face à la douleur sont d’ailleurs exprimées par l’effort violent suggéré par la position dynamique des bourreaux53. La tête renversée en arrière, le saint contemple en l’invoquant le Christ en buste qui bénit la scène. Les mains des deux figures se rejoignent presque, les visages présentent des similitudes comme pour signifier que le martyre d’Étienne est l’éternelle répétition du Sacrifice du Sauveur. La nudité du saint apparaît alors comme allant de soi54. 52  Trophime, figure hiératique, est présent parmi les apôtres du côté droit du portail. Il porte les attributs de l’épiscopat. Deux anges lui déposent sur la tête une mitre. Il tend à cette période à supplanter Étienne comme saint patron de la cathédrale. 53   Du côté droit de la corbeille, un personnage, peut-être Saül, assiste à la scène qu’il domine par sa taille. 54   Dans l’église Notre-Dame de Beaune, un chapiteau semble avoir été inspiré clairement par celui d’Autun. La composition présente, en effet, des similitudes, mais avec un manque de lisibilité lié à la multiplication des personnages, la foule des faux témoins. Le concepteur de l’image n’a peut-être pas saisi pleinement l’œuvre de Gilbertus d’où son embarras évident pour la reproduire. Il est intéressant de constater que cette image cite Autun, référence et modèle, construit à l’apogée de la période romane (1120-1130) alors que Beaune symboliserait sa fin (1165-1170). Sur cette remarque, voir Éliane VERGNOLLE, « L’ancienne collégiale Notre-Dame de Beaune, Les campagnes des XIIe et XIIIe siècles », Congrès archéo-



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Fig. 15 - La lapidation de saint Étienne, chapiteau, portail nord, église Saint-Just, Valcabrère

À l’évidence, le corps vêtu ou nu et le rapport du spectateur au corps du martyr sont un élément incontournable et constitutif de l’iconographie de nombreuses lapidations. Dans certains cas, le traitement particulier du corps d’Étienne n’est vraisemblablement pas sans lien avec la possession de reliques, l’image « donnant corps » au « corps absent » du saint pourtant très présent par la matérialité de ses reliques. La figure d’Étienne se détachant de son support à SaintTrophime s’enrichit peut-être d’une signification supplémentaire si l’on considère que la présence d’une relique, le crâne du saint portant les traces de la lapidation55, a influencé la structure de l’image. Pour compléter notre réflexion dans ce sens, il convient de mentionner une lapidation datée de la fin du XIIe siècle, visible sur un chapiteau du portail nord de l’église Saint-Just de Valcabrère (fig. 15). Étienne est figuré à l’angle de la corbeille, vêtu d’une tunique longue, peut-être une dalmatique. Il est barbu, dans la force de l’âge, ce qui logique de France, 152e session, 1994, Côte-d’or, Dijon et Val de Saône, Paris, 1997, p. 179-201 et notamment p. 193-194. 55   Voir à ce propos, Jacques THIRION, op. cit. , p. 454.



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contraste avec les représentations plutôt juvéniles du personnage dans la majorité des images. Le saint n’est pas en prière comme dans la plupart des cas, mais semble signifier l’acceptation ou la résignation56. Le geste des bourreaux offre une variante de la position traditionnelle des lapidateurs : le bras droit en extension et la main crispée sur une pierre pour la lancer. Avec beaucoup de dynamisme, les tortionnaires tiennent relevé un pan de leur tunique pour servir de sac à leurs pierres. Devant la porte fortifiée de la ville57, un homme jette une énorme pierre au saint qui lui tourne le dos. Cependant, le trait le plus singulier de cette sculpture provient de l’interprétation formelle donnée par l’image au verbe « lapider ». Les pierres s’accumulent aux pieds d’Étienne l’obligeant à exécuter une sorte de fente au-dessus du monticule de cailloux. Derrière son dos, le tas de projectiles est tel que le saint semble vaciller. Ses jambes fléchissent non seulement sous les coups répétés de ses bourreaux mais également sous le poids des pierres qui l’ensevelissent. Les projectiles finissent par se confondre avec la figure d’Étienne et font littéralement corps avec elle. L’insistance sur les pierres de lapidation suscite des interrogations, notamment dans une mise en scène où elles sont directement en contact avec le corps saint. Or, il est attesté que l’église de Valcabrère possédait des reliques d’Étienne sans préciser quelle en était la nature58. Est-il possible que la relique abritée par l’église soit une pierre, instrument du supplice, sanctifiée au contact d’Étienne ? Saint-Just détenait également une relique de la Vraie Croix dont l’Invention est illustrée sur un autre chapiteau du portail. La Croix n’apparaît pas dans l’image, mais elle est tenue par sainte Hélène, la statue-colonne qui soutient le chapiteau historié. La relique d’Étienne est-elle une relique-objet comme « la relique-objet » par excellence ? Il est difficile d’aller plus avant dans l’interprétation… 56  L’apparition du Sauveur à Étienne n’est pas figurée sur le chapiteau, mais sur le tympan. La vision du Christ, en Majesté, entouré des quatre évangélistes présentant leur symbole, complétée par la présence de deux anges thuriféraires, y était suffisamment grandiose pour ne pas être répétée dans la scène de la lapidation. Ainsi, l’absence du signe divin s’explique sans doute, ici, par l’insertion de l’image stéphanienne dans un ensemble plus vaste où la théophanie occupe une place importante et primordiale. Voir François BOESPFLUG, « “Voici que je contemple les cieux ouverts ...” », op. cit., p. 270-271. 57   Conformément au texte sacré. Cependant, ce souci s’arrête là : la présence de Saül a été pudiquement omise. 58  L’acte de consécration de l’autel majeur, daté de 1200, précise que : « Anno ad incarnatione Domini M° C°C° regnante Philippo rex Francorum, mensis octobris, hoc majus altare est consecratum in honore Sancti Stephani protomartyris… ». Cité par Marcel DESHOULIÈRE, « Valcabrère, église Saint-Just », Congrès archéologique de France, XCIIe session, Toulouse, 1927, Paris, 1930, p. 325.



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À ce stade de l’analyse, l’approche comparatiste permet de cerner davantage l’image de la lapidation des Salles. Le souci du détail et de l’anecdote par exemple est souvent le signe d’une volonté narrative59. Le concepteur de l’image choisit, en effet, de raconter l’histoire du martyre d’Étienne en prenant soin de citer plastiquement le texte des Actes. À Saint-Eutrope, la présence de Saül montre que l’on a privilégié la source biblique. Le concepteur du cycle n’a pas cherché à commenter la participation de saint Paul au supplice du protomartyr. Sur ce point précis, son interprétation est celle du constat : Saül n’est pas pardonné par anticipation et sa conversion n’est pas davantage suggérée60. Le visage d’Étienne rejeté vers le ciel traduit l’extase de la Vision et combine alors deux séquences de la passion. Pareillement, les gestes de ses mains ont une signification extrêmement précise et marquent très nettement deux temps du récit : le saint en prière, mains jointes, remet son âme à Dieu tandis que les mains ouvertes du saint symbolisent la prière pour les pécheurs. Le sens de l’image en est alors complètement modifié : dans l’une, il s’agit du recueillement d’un homme qui va mourir, dans l’autre, d’un saint qui appelle à la miséricorde pour les pécheurs. En fonction du réseau figuratif, le pardon peut être exclusif, autrement dit, dirigé vers une seule personne comme à Saint-Benoît-sur-Loire ou bien l’imploration concerne l’ensemble des pécheurs comme aux Salles. Dans cette église, la figure majestueuse d’Étienne, illuminé et auréolé de la Gloire divine, devient emblématique de sa passion et se suffit à elle-même : le protomartyr contemplant Dieu, face à face, incarne la Charité absolue. Éloignés de la source textuelle, la nudité ou le vêtu confèrent aux lapidations une dimension supplémentaire. Aux Salles-Lavauguyon, la dalmatique tient une place non négligeable dans la composition. Il conviendra dans un deuxième temps de considérer et de prendre la mesure du contexte social qui a vraisemblablement orienté la conception de l’image. D’autre part, la suite du cycle stéphanien confirme cette intuition première : la dalmatique occupe le devant de la scène. L’étude comparatiste permet d’envisager, avec prudence toutefois, que la mise en valeur du corps du saint n’est pas étrangère à la pré  En revanche, lorsque l’image de la lapidation se réduit à sa plus simple expression, elle s’apparente à l’image du Crucifié et véhicule les mêmes signifiants. 60  La présence ou l’absence de Saül n’est jamais fortuite : certains concepteurs d’images avaient très certainement de la répugnance à montrer le futur saint Paul parmi les persécuteurs et complice du meurtre d’Étienne. 59



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sence de reliques dans l’art monumental. À Saint-Eutrope, les deux autres épisodes du cycle hagiographique mettent d’ailleurs en scène le sort réservé à la dépouille mortelle du saint toujours revêtu de sa tenue de diacre… Étienne en odeur de sainteté La seconde scène peinte au revers de la façade montre le saint figé dans la pose qu’il avait en mourant, autrement dit, il est agenouillé (pl. 4). Cependant, la douce inclinaison de sa tête vers la gauche et sa main posée sur la joue évoquent l’endormissement éternel. De son index droit, il désigne la scène suivante. À ses côtés, un chien blanc, assis, semble monter la garde tandis que trois oiseaux, deux blancs et un noir, plongent vers lui en piqué. La dalmatique revêt encore une importance capitale dans la composition : l’intégralité du corps du saint est contrainte par l’enveloppe textile. Les bandes d’orfroi des manches rejoignent celle du col en un motif continu qui souligne à la fois le repli au sein de l’enceinte textile, mais également la prédominance de l’axe vertical reliant le terrestre au céleste. La dalmatique protège donc en premier chef le corps du saint, le vêtement et le corps constituant une sorte de pont entre terre et ciel. Les Actes des Apôtres rapportent qu’à la suite de la lapidation, le saint s’est endormi (Ac., VII, 60). Le terme de mort n’apparaît d’ailleurs à aucun moment dans le texte car elle ne touchait pas les « amis de Dieu » comme les chrétiens ordinaires. Fondée en réalité sur un déni de mort, elle n’entraînait aucun des effets inhérents au décès. Le corps de « ces défunts très spéciaux », selon la belle expression de Peter Brown61, ne connaît, en effet, ni la putréfaction, ni la décomposition. Il se conserve tel qu’il était du vivant du saint rayonnant ainsi de la sainteté du mort. Ainsi les saints qui avaient renoncé à leur corps leur vie durant et qui avaient désiré mourir au monde pendant toute leur existence, montraient à travers leur enveloppe charnelle la plénitude dans laquelle ils vivaient dans l’autre monde. Ils étaient d’une certaine manière, dans leur mort, encore plus « vivants » que sur terre. C’est ce qui est traduit formellement aux Salles où saint Étienne est figuré « comme endormi », mort en état de grâce, en odeur de sainteté.   Peter BROWN, Le culte des saints, son essor et sa fonction dans la chrétienté latine, Paris, 1984. 61



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Le miracle est renforcé, ici, par la présence des animaux qui gardent le cadavre abandonné alors qu’ils étaient censés le dévorer62. Si le corps d’Étienne est sous la protection de Dieu, le saint commande et agit néanmoins sur la faune. En jugulant le sauvage, il domine la Création. À travers ce miracle, il s’agit surtout d’affirmer la puissance du saint dans le contexte d’une époque où le monde de la forêt représentait l’inconnu et l’insécurité, le lieu de toutes les angoisses63. Cependant si les Actes des Apôtres mentionnent l’endormissement du saint, ce miracle n’y est pas relaté. Il provient d’un écrit du Ve siècle, la lettre du prêtre Lucien qui rapporte les visions à l’origine de l’invention des reliques d’Étienne. Les événements seraient survenus sous le dixième consulat d’Honorius et le sixième de Théodose le Jeune, soit en 41564. Cette lettre s’est rapidement diffusée en Occident grâce à la traduction latine qu’en fit Avitius, prêtre espagnol, établi en Palestine. Par la suite, elle aurait été transmise à l’évêque de Braga par Paul Orose. Selon la traduction d’Avitius, Gamaliel serait apparu en rêve à Lucien et lui aurait indiqué la sépulture d’Étienne. En suivant les consignes de Gamaliel, Lucien découvrit la tombe et annonça sa découverte à l’évêque Jean de Jérusalem qui fit ouvrir le sarcophage et transporter le corps à l’église de Sion. Le récit de Lucien correspond à la scène représentée sur le revers de la façade « ... où il (Étienne) demeura un jour et une nuit sans sépulture, afin de devenir, selon l’ordre impie des princes des prêtres, la proie des bêtes sauvages. Les bêtes sauvages, les oiseaux de proie et les chiens respectèrent ces restes précieux »65. L’image semble directement inspirée du récit du prêtre ou bien de cette anecdote reprise   Dans de nombreuses vitae, le corps abandonné des martyrs surveillés par des bêtes sauvages est un topos largement utilisé. Le corps de saint Vincent est, par exemple, abandonné à l’air libre sous l’ordre du préfet Dacien et a été protégé par des aigles envoyés par Dieu. Un chapiteau évoque indirectement le martyre de Vincent dans la cathédrale Saint-Lazare d’Autun. Il s’agit du corps de saint Vincent protégé par deux aigles. Dacien, n’ayant pas réussi à vaincre le saint avant sa mort, décide de le vaincre après en abandonnant sa dépouille aux bêtes sauvages. Les animaux, au lieu de dévorer le corps, le protégèrent. Les deux rapaces posés sur le cadavre du martyr, l’un sur les genoux, l’autre sur l’épaule, montent la garde. Le saint, nu, est figuré dans une position harmonieuse. Le corps présente une légère torsion, la tête et le torse sont de face, tandis que l’abdomen et les jambes sont représentés de profil. Vincent se tient délicatement l’avant-bras . 63   Dans les récits de chevalerie de Chrétien de Troyes, la forêt est présentée comme un lieu initiatique mais aussi comme le creuset de toutes les peurs, de toutes les angoisses. Voir à ce propos, Jacques LE GOFF, La civilisation de l’Occident médiéval, Paris, 1964, p. 169-171. 64  Texte latin, P.L., 41, col. 805-806, traduction dans le D.A.C.L., t. V, 1, Paris, 1929, col. 646. 65   D.A.C.L, t. V, 1, Paris, 1929, col. 642. L’intégralité du récit de Lucien, d’après la traduction latine d’Avitius, est traduite col. 642-646. 62



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et véhiculée par une autre légende relatant également l’invention des reliques d’Étienne. En fait, la traduction latine de la lettre est connue depuis longtemps en Occident puisqu’elle a été publiée parmi les œuvres de saint Augustin66. Elle était vraisemblablement fidèle à l’original grec, aujourd’hui perdu67. On peut donc présumer que ce texte a connu une certaine diffusion en Occident puisqu’il est lié à la découverte des reliques d’un saint dont le culte était particulièrement vif. Bien qu’assez rarement représenté dans l’art monumental, l’épisode miraculeux du corps protégé par les animaux est illustré sur un ancien vitrail de la cathédrale du Mans daté du XIIe siècle. Une inscription permet l’identification de la scène : UBI S. STEPH(ANUS) PRO(J)ICITUR BESTIIS68. Le corps du saint est abandonné à même le sol tandis qu’un lion, deux ours et trois oiseaux l’encerclent pour le défendre. Les trois volatiles, deux clairs et un foncé, descendent en piqué au-dessus de lui. La main de Dieu bénit le cadavre tout en l’irradiant de rayons protecteurs. La mort du saint est signifiée par sa position, typique des défunts, et sa dalmatique l’enveloppe tel un suaire. L’inhumation de saint Étienne Saint Étienne, en odeur de sainteté, invite à regarder la dernière scène du cycle. L’action se situe dans un édifice surmonté d’un dôme qui fait office de chambre mortuaire ou de mausolée (pl. 5). Le corps du martyr, identifiable à sa dalmatique69, est mis au tombeau par deux hommes, l’un d’âge mûr et l’autre plus juvénile. Le plus âgé, arborant une barbe blanche, lui soutient la tête et les épaules pour le déposer dans le sarcophage tandis que le plus jeune, imberbe, lui tient les jambes. Bien qu’ils aient soulevé le défunt pour l’ensevelir, le plus jeune n’est pas encore entièrement engagé sous l’édicule. Le traitement du corps du saint retient particulièrement l’attention. Si Étienne est de trois quarts, vêtu de sa dalmatique, les mains

  D.A.C.L., t. V, 1, Paris, 1929, col. 632.  Une lettre d’Avitius explique les circonstances de la traduction du récit de Lucien. Lucien aurait écrit ses visions en grec, sur son invitation et il l’aurait traduit par la suite, D.A.C.L., t. V, 1, Paris, 1929, col. 632. 68   Marie-Thérèse CAMUS, « Le cycle des saints de Saint-Eutrope des Salles-Lavauguyon », op. cit., p. 20. Louis GRODECKI, Le vitrail roman, Paris, 1977, p. 67, fig. 54. 69  La présence de la dalmatique qui habille le défunt autorise à penser qu’il s’agit bien de saint Étienne et non de saint Martial. 66 67



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croisées sur la poitrine70, il a surtout le visage recouvert d’un suaire, timbré d’une croix. L’inhumation souligne le caractère victorieux de la mort du saint : la croix rappelle la Victoire du Christ sur la mort, mais également celle de son serviteur qui, par son martyre, réitère la Passion. Le concepteur de l’image a encore choisi de mettre en valeur la dalmatique d’Étienne, ce qui, ici, est conforme à la tradition : les rois, les nobles et les gens d’Église ont pris l’habitude d’être inhumés habillés alors que les gens ordinaires reposent nus sous un linceul71. Au XIIIe siècle, Guillaume Durand, dans son manuel des divins offices, précise que les clercs doivent être enterrés dans leurs habits sacerdotaux72. Cependant, les images médiévales de l’inhumation montrent différentes pratiques : soit le mort est entièrement recouvert par un suaire – lâche ou l’emmaillotant avec des bandelettes –, soit le cadavre est entièrement caché par le linceul ne laissant que le visage découvert, soit le mort, noble ou clerc, est inhumé dans les vêtements qui marquent son identité. Danièle Alexandre-Bidon note que dans l’inhumation habillée du moine, les parties exposées de son corps sont parfois masquées : les manches retombent sur les mains et le cuculle dissimule en partie le visage73. Aux Salles, l’accent porté sur la dalmatique d’Étienne se justifie entre autres par la pratique d’enterrer les clercs dans leurs vêtements liturgiques pour insister sur leur fonction sacrée dont l’habit est le symbole manifeste. Si la visibilité de la dalmatique s’explique aisément, l’originalité de cette image réside dans la dissimulation du visage du diacre par le suaire timbré de la croix. La stricte identification du saint par sa seule dalmatique est un schéma iconographique sans précédent. D’une manière générale, les inhumations hagiographiques qui sont calquées sur la Mise au Tombeau du Christ présentent toutes le même modèle iconographique : deux hommes déposent le corps du saint dans un tombeau. Seuls les modes d’inhumation – habillés, nus – et le type de linceul utilisé varient. Contrairement aux Mises au Tombeau du Christ qui n’ont pas forcément un cachet liturgique, les inhumations des saints sont souvent accompagnées d’images de rituels propres à l’en Les bras croisés sur la poitrine sont une position fréquente dans la représentation des défunts. 71   Danièle ALEXANDRE-BIDON, « Le corps et son linceul », dans À réveiller les morts, La mort au quotidien dans l’Occident médiéval, sous la direction de Danièle Alexandre-Bidon et Cécile Treffort, Lyon, 1993, p. 195. 72   Ibid., p. 197. 73   Ibid., p. 197. 70



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Fig. 16 - L’inhumation de saint Maur, Troyes, Bibl. Mun., ms. 2273, f° 73v°

Fig. 17 - L’inhumation de saint Be­noît, Vatican, Bibl. Apostolica, lat. ms. 1202, f° 80r°

terrement. Sur la châsse d’ivoire de San Millan de la Cogolla, réalisée vers 1060, par exemple, le corps de saint Émilien entièrement emmailloté de bandelettes est mis au tombeau. Sur la porte en bronze du XIIe siècle de la cathédrale de Gniezno en Pologne, une scène représente l’inhumation de saint Adalbert : son corps est recouvert d’un linceul, Fig. 18 - La découverte du corps de seule sa tête coiffée d’une mitre saint Cuthbert, Londres, British est exposée. En réalité, l’essentiel Library, ms. 26, f° 77r° des images illustrant la mort du saint et son inhumation provient des cycles enluminés. Ainsi, le cycle du manuscrit peint de la bibliothèque de Troyes met en scène la mise au tombeau de Maur dont le corps est entièrement recouvert d’un linceul qui laisse apparaître ses mains en transparence74 (fig. 16). Dans le célèbre manuscrit du MontCassin, Benoît est figuré dans son tombeau, vêtu de son habit monastique, les bras croisés sur sa poitrine75 (fig. 17). L’enluminure de la découverte du corps incorruptible de Cuthbert76 montre un moine

 Troyes, Bibl. Mun., ms. 2273, f° 73v°.   Rome, Bibl. Apostolica Vaticana, lat. ms. 1202, f° 80r°. 76  Londres, British Library, Yates Thompson, ms. 26, f° 77r°. 74 75



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qui dévoile le saint dans ses habits sacerdotaux en soulevant le linge déposé dans le tombeau77 (fig. 18). Aux Salles-Lavauguyon, l’absence de références, même allusives, aux rites liturgiques évoque la Mise au Tombeau du Christ, mais la combinaison dalmatique-suaire complique l’interprétation de l’image puisqu’elle ne s’appuie sur aucun précédent iconographique. Toutefois, masquer le visage d’Étienne sous un suaire est peut-être la traduction de son humilité. Certains ecclésiastiques se faisaient en effet enterrer nus sous un simple linceul, par humilité, comme le Christ. Si ce n’est l’association dalmatique-suaire, la présence de la croix n’est pas surprenante : dans d’autres exemples de mise au tombeau comme sur la châsse de saint Martial, le mort, entièrement emmailloté, a le visage recouvert d’un suaire timbré d’une croix78. Une pratique funéraire répandue consistait, en effet, à coudre ou à broder des croix sur les linceuls qui ainsi portaient « la marque du sacré, la marque de la Passion »79, cependant déterminer précisément la signification de ce marquage reste difficile. Si l’on se reporte aux constatations de Danièle Alexandre-Bidon, le fait de voiler le visage du saint ne peut être dépourvu de sens : « la place impartie au visage est un des points sur lesquels les images apportent un témoignage majeur. Au Haut Moyen Âge, dans les pays méditerranéens au moins jusqu’au XIVe siècle, les défunts portent un linceul laissant le visage apparent. (...) si dans l’Europe du nord-ouest, le fidèle ordinaire est inhumé à visage couvert, en revanche à la fin du Moyen Âge, les saints, les membres du clergé et parfois les puissants montrent à la foule des fidèles leur visage apaisé » 80. Les Actes des Apôtres signalent que « des hommes pieux ensevelirent Étienne et firent sur lui de grandes lamentations » (Ac., VII, 8), sans donner plus d’informations sur leur identité ni sur les conditions d’inhumation du saint. Le prêtre Lucien rapporte la vision dans laquelle Gamaliel lui explique comment il a organisé le transport du   Danièle Alexandre-Bidon mentionne que le corps du défunt, entouré ou non d’un linceul, est déposé dans un second linge qui sert aux fossoyeurs à déposer le cadavre dans le caveau, op. cit., p. 199. 78   Paris, Louvre, Atelier de Limoges, cuivre doré, émail champlevé, des environs de 11701180. Une Mise au Tombeau montre le corps du Christ enroulé dans un linceul dont le tissu au niveau du visage est décoré d’une croix (Évangiles d’Angers, IXe siècle, Angers, Bibl. Mun., ms. 24, f° 8r°). 79   Danièle ALEXANDRE-BIDON, op. cit., p. 205. Généralement, ces croix étaient localisées sur la tête et, plus souvent au Bas Moyen Âge, sur la poitrine. L’auteur note également que les croix sont pattées du IXe au XIIe siècle. 80   Ibid., op. cit. , p. 203. 77



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corps et les funérailles du martyr : « Là je lui fis des funérailles qui durèrent quarante jours, et je le fis déposer dans le monument que je m’étais fait faire à cet endroit, dans la case située du côté de l’Orient... »81. Il lui indique également que son fils Abibas, Nicodème et lui-même sont ensevelis dans le tombeau que Lucien doit découvrir. La lettre ne comporte en revanche aucune allusion à l’enterrement en lui-même. Or, la scène peinte nous montre clairement deux hommes d’âge différent. Si d’autres légendes relatives aux reliques d’Étienne ont pu circuler au Moyen Âge, elles ne nous sont plus connues. Peut-être La Légende Dorée, qui fournit davantage de détails, se fait-elle l’écho de l’une d’entre elles : « saint Gamaliel et Nicodème, qui tenaient pour les chrétiens dans tous les conseils des juifs, l’ensevelirent dans un champ de ce même Gamaliel, et firent ses funérailles avec un grand deuil »82. L’image illustre donc Gamaliel dans le tombeau qu’il s’était fait construire, accompagné de son neveu Nicodème enterrant Étienne. Or, les légendes hagiographiques transcrites par Jacques de Voragine, au XIIIe siècle, faisaient déjà l’objet d’une diffusion orale séculaire. Au XIIe siècle, cet épisode s’était probablement agrégé à la légende du Protomartyr sans nécessairement qu’il faille chercher une source écrite. La composition de la scène, citation explicite de la Mise au Tombeau du Christ, se comprend mieux à l’aune de la légende dont elle s’inspire. Le parallèle entre les deux mises au tombeau est cultivé par une ambiguïté concernant l’identité du neveu de Gamaliel. Nicodème, en effet, est le nom de l’un des protagonistes de l’inhumation du Sauveur. En outre, le rapprochement entre Étienne et le Christ est entretenu par la date de la Nativité et celle de la mort du saint, le 26 décembre. Les cycles de saint Étienne Bien que singuliers dans leur traitement, les épisodes de la légende d’Étienne à Saint-Eutrope s’inscrivent, pourtant, dans une thématique commune aux rares cycles stéphaniens conservés du XIIe siècle. À deux exceptions près83, la lapidation combinée ou non avec la vision,   D.A.C.L., t. V, 1, col. 642.   Jacques de VORAGINE, La Légende Dorée, I, traduction J.-B. M. Roze, Paris, 1967, p. 79. 83  Il s’agit d’un cycle de quatre images se déroulant sur le tympan du portail nord de la cathédrale Saint-Étienne de Cahors : Étienne devant le Sanhédrin, Étienne chassé de la ville par la foule, la lapidation et la Vision. Une image du cycle figuré sur un chapiteau du cloître de Moissac montre Étienne discourant devant le Sanhédrin, puis chassé hors de la ville. 81 82



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Fig. 19 - L’inhumation d’Étienne, voussure du portail occidental, église Notre-Dame, Échillais

Fig. 20 - L’inhumation d’Etienne, voussure du portail occidental, église Notre-Dame, Échillais

le corps en odeur de sainteté, l’enterrement, l’invention des reliques et la gloire du saint sont les seules scènes représentées dans l’art monumental roman. En d’autres termes, les commanditaires des images semblent s’être concentrés sur le sort réservé au corps du saint, ce qui vraisemblablement traduit leur intérêt profond pour ses reliques et le culte qui leur est rendu. L’inhumation d’Étienne figure par exemple dans un cycle sculpté particulièrement dégradé, datant des années 1120-1150, sur le portail occidental de l’église Notre-Dame d’Échillais. L’édifice a sans doute porté le vocable de Saint-Étienne jusqu’au XIIe siècle, ce qui explique la part importante réservée aux images du martyr dans le décor sculpté84. Sur la voussure interne, à l’extrémité nord, deux personnages déposent un cadavre dans une cuve de sarcophage ornée de strigiles (fig. 19). Il s’agit peut-être d’une allusion aux funérailles d’Étienne par Gamaliel – le grand personnage de face – et son neveu Nicodème, le personnage de trois-quarts. Un encensoir est encore visible à proximité du corps conférant une dimension liturgique à l’image (fig. 20). Au-dessus de cette scène, selon un schéma tradition Il n’y a aucune mention de l’église avant le XVe siècle. Nous pouvons supposer qu’elle a été dédiée à saint Étienne jusqu’au XIIe siècle, époque où le culte marial a pris son essor. Progressivement, le vocable a glissé d’Étienne à Notre-Dame. Il se peut que les scènes de la légende d’Étienne sur les voussures témoignent du vocable originel. 84



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Fig. 21 - La lapidation de saint Étienne, voussure du portail occidental, église Notre-Dame, Échillais

nel, l’âme du saint monte au ciel dans une gloire soutenue par deux anges. Un homme et un groupe de deux personnes sont également représentés sans que l’on puisse les identifier ou établir un lien avec le martyr85. Ces images sonnent comme une conclusion à la passion du saint qui se déroule sur la voussure médiane (fig. 21). Figuré à son sommet, Étienne est agenouillé en prière, sans que l’on puisse toutefois déterminer, en raison de la dégradation des sculptures, si ses mains sont jointes ou ouvertes en signe d’offrande. Il regarde le bourreau campé devant lui qui s’apprête à lui lancer une pierre en serrant dans son autre main un second projectile. Un autre lapidateur, dans une position identique, lui fait suite. Trois autres se tiennent derrière le martyr et sont armés de pierres que l’un d’entre eux a accumulées dans un pan relevé de sa tunique86. À droite, un troisième personnage représenté de face, sans doute Saül, se distingue nettement de la foule des tortionnaires. Le schéma iconographique de l’image semble donc relativement classique : le groupe des bourreaux encercle le saint agenouillé et Saül légèrement en retrait assiste au martyre87. Au sommet de la voussure supérieure et dans le même axe qu’Étienne lapidé, la

85  Sur cette voussure, d’autres images liées à saint Étienne ont peut-être été figurées, mais elles sont pratiquement illisibles. 86  L’artiste a essayé de représenter la foule des lapidateurs : ils ne sont pas sculptés les uns sous les autres mais en plans successifs. Toute la difficulté était d’adapter un modèle iconographique connu à ce type de support. 87  L’illustration de cette scène est simple, d’une grande économie de moyens. Cependant, la sobre éloquence des gestes, la force de narration sont autant de preuves de la qualité originelle de ces sculptures.



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Fig. 22- La translation des reliques de saint Étienne, chapiteau, cloître, abbaye Saint-Pierre, Moissac

scène du martyre semble enrichie par la représentation du Christ88. Pourtant, il ne peut s’agir de l’image de la vision car le saint qui n’a pas la tête relevée regarde très nettement le bourreau89. En revanche, la prépondérance de l’axe vertical souligne la hiérarchie entre le Christ et le saint dont la vie est une imitatio Christi90. L’absence de sources ne permet pas d’expliquer par la présence de reliques d’Étienne le choix de figurer les funérailles du saint sur le portail. Néanmoins, au sein du réseau d’images, l’inhumation et la glorification entretiennent la comparaison entre le saint et le Sauveur luimême enterré puis glorifié par son Ascension. Outre l’inhumation, l’épisode de la translation des reliques apparaît dans des cycles monumentaux. Il est sculpté par exemple sur la face sud d’un chapiteau consacré au martyre du diacre dans la galerie méridionale du cloître de Moissac (fig. 22). À l’aide d’une civière, deux hommes portent la dépouille d’Étienne, dissimulée sous un linceul, pour la déposer dans un sarcophage. Sur la cuve du tombeau, une inscription indique l’identité de celui qui va s’y retrouver : BEATI ST[E]PH[ANI] et sur le biseau de son couvercle est précisé qu’il s’agit du : SEPULCRU[M]. Dans l’axe central, la main de Dieu bénit la

88  Le Christ, identifié par une inscription IESUS, tend le bras droit vers un personnage à sa gauche. Il pourrait s’agir d’un couronnement mais l’on ne peut l’affirmer. 89   Cette hypothèse est celle de l’Abbé BARBOTIN. Voir de l’auteur, Échillais et ses seigneurs, Saintes, 1913, p. 23. 90  La gloire du saint sur la voussure inférieure est décalée par rapport à cet axe.



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Fig. 23 - Étienne devant le sanhédrin, chapiteau, ­cloître, abbaye Saint-Pierre, Moissac

scène. L’image commémore la translation au Ve siècle du corps du saint, le 26 décembre. Les autres scènes du cycle relatent la passion du saint : son discours devant le Sanhédrin entouré d’une foule hostile91, puis sa marche forcée hors de la ville et enfin son supplice. Dans le premier épisode du cycle, l’attitude et les gestes des personnages sont particulièrement expressifs : les positions des protagonistes indiquent que les paroles du saint vont l’entraîner à la mort (fig. 23). Toute la composition tend, en effet, à signifier le drame qui se noue : de l’éloquence d’Étienne qui vient de se lever de son siège pour parler à la position des membres de l’assemblée qui évoque celle des lapidateurs92 – ils devraient conformément aux Actes se boucher les oreilles (Ac., VII, 57) – ou bien, celle de l’homme qui désigne la scène de l’arrestation. Sur la face nord, en effet, Étienne, arrêté, est poussé hors de la ville par la foule, incarnée par deux personnages93. La marche forcée d’Étienne s’effectue vers la droite, si l’on en juge par la position des pieds et le mouvement de son manteau (fig. 24). En conclusion de ces deux premières séquences, la lapidation est sculptée sur le côté ouest du chapiteau (fig. 25). Dans l’attitude de la prière, le saint est atteint par une pierre tandis que d’autres projectiles s’accumulent à ses pieds. Saül ne semble pas avoir été figuré parmi les bourreaux qui l’entou Ac., VII, 1-54.  Les vrais lapidateurs sont situés sur la face ouest du chapiteau. 93  L’un d’eux lui tient la main selon le geste caractéristique de l’arrestation. Le second le tient par l’épaule. 91 92



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Fig. 24 - Saint Étienne arrêté, chapiteau, cloître, abbaye Saint-Pierre, Moissac

Fig. 25 - Étienne lapidé, chapiteau, cloître, abbaye Saint-Pierre, Moissac

rent94. Si, dans cette scène, l’élection d’Étienne n’est pas clairement affichée, l’épisode de la translation des reliques resitue l’ensemble du cycle dans une perspective nettement eschatologique. À partir du 26 décembre, les restes du saint ont été dispersés dans la chrétienté. C’est pourquoi l’illustration de cet événement ajoute une connotation liturgique aux autres images du chapiteau : Étienne, protomartyr et proche du Christ, devient une réalité palpable, concrète grâce à ses reliques. Reliques dont la puissance est réveillée à chaque déplace-

94   Maria Cristina Correia Leandro Pereira suggère que le personnage sculpté dans l’axe central de l’image pourrait être Paul : « nous connaissons l’importance de cet emplacement dans la grammaire visuelle de Moissac, [ce personnage] a la main gauche baissée et l’autre pourrait être en train de saisir une lance ou un bâton, d’après les traces laissées sur la pierre. Il est le seul à porter une épée. ». Voir Maria Cristina CORREIA LEANDRO PEREIRA, Une pensée en images, les sculptures du cloître de Moissac, thèse de doctorat (dactyl.), sous la direction de Jean-Claude Schmitt, EHESS, 2001, p. 583.



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Fig. 26 - La lapidation de saint Étienne, chapiteau, chevet, église Saint-Étienne, Lubersac

Fig. 27 - Saint Étienne en odeur de sainteté, chapiteau, chevet, église Saint-Étienne, Lubersac

ment, à chaque translation et à chaque procession en son honneur, le 26 décembre, le lendemain de la Nativité. Le cycle stéphanien qui éclaire sans doute le mieux les choix opérés aux Salles-Lavauguyon est visible au chevet de l’église Saint-Étienne de Lubersac. Trois chapiteaux y illustrent la lapidation, l’invention des reliques et le transport du sarcophage contenant les restes saints du Protomartyr95. Outre la proximité thématique de leur cycle, les deux édifices appartiennent au diocèse de Limoges et baignent dans le même contexte hagiographique. Or, l’histoire de l’église de Lubersac et de ses reliques est mieux connue que celle des Salles. Entièrement centré sur les reliques du saint, ce cycle exceptionnel semble se conformer avec précision au récit du prêtre Lucien. Il com  À ce propos, voir Évelyne PROUST, La sculpture romane en Bas-Limousin, Un domaine original du grand art languedocien, Paris, 2004, p. 288. 95



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Fig. 28 - L’invention des reliques d’Étienne, chapiteau, chevet, église Saint-Étienne, Lubersac

Fig. 29 - L’invention des reliques d’Étienne, chapiteau, chevet, église Saint-Étienne, Lubersac

mence par la lapidation : le saint contemple le ciel tout en s’affaissant le long du bâton sur lequel il tente de s’appuyer (fig. 26). Derrière lui, un bourreau brandit dans sa main droite une grosse pierre tandis qu’il tient de l’autre une sorte de massue. Cette scène est complétée par un second épisode à droite : Étienne est figuré en odeur de sainteté96 (fig. 27). À l’exception de la main posée sur le ventre, le corps est resté figé dans la position dans laquelle la mort l’a saisi. Les deux autres chapiteaux ont pour sujet la destinée post-mortem du corps d’Étienne. Le premier illustre la découverte du corps. Deux clercs soulèvent le couvercle du sarcophage à l’intérieur duquel se distingue la dépouille du martyr (fig. 28). Une certaine frénésie agite les différents acteurs de la scène : derrière le tombeau, un jeune diacre brandit une croix, un clerc manipule un cierge, tandis qu’un autre attrape le pan du manteau de celui qui le précède ; le dernier tient, quant à lui, un objet circulaire au-dessus de sa tête (fig. 29)… Les nombreux végétaux figurés sur la corbeille font allusion sans doute « aux roses rouges de sang » de la seconde vision de Lucien, emblèmes du martyre d’Étienne, qui permirent de localiser précisément l’em-

  Évelyne PROUST suggère que ce personnage soit une double représentation du saint en raison des similitudes entre les deux figures. Elle pense que cette image est peut-être une erreur d’interprétation faite par le sculpteur à partir d’un modèle mal compris, op. cit. p. 288. 96



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Fig. 30 - La translation des reliques d’Étienne, chapiteau, chevet, église Saintétienne, Lubersac

Fig. 31 - La translation des reliques d’Étienne, chapiteau, chevet, église Saint-Étienne, Lubersac

placement de la sépulture, en évitant ainsi la confusion entre le corps du saint et ceux de Nicodème et d’Abibas, son fils97. Le second chapiteau figure la translation des reliques du protomartyr. Sur la face principale de la corbeille, quatre clercs tonsurés portent une châsse posée sur des brancards (fig. 30). Les porteurs du second plan désignent le ciel, car la pluie commence sans doute à tomber : « La translation de ses reliques (Étienne) s’est faite le 26 décembre. À cette époque régnait depuis longtemps une sécheresse désolante, mais à l’heure même de la translation, la pluie tomba en abondance et abreuva la terre »98. En avant du cortège, un clerc brandit à deux mains une croix de procession. Fermant la marche, un homme de grande taille muni d’une crosse, peut-être l’évêque Jean, désigne le ciel pour louer la pluie providentielle (fig. 31). Ainsi, comme aux Salles, le cycle de Lubersac s’inspire de la lettre du prêtre Lucien. En premier lieu et comme à Saint-Eutrope, sa qualité de saint patron du diocèse peut expliquer qu’Étienne soit honoré dans cette église. Toutefois, l’histoire de l’église de Lubersac permet d’approfondir non seulement l’analyse de ce cycle mais également celui des Salles. Ce prieuré clunisien était voué initialement aux saints Gervais  Texte latin, P.L., 41, col. 805-806, traduction dans le D.A.C.L., t. V, 1, Paris, 1929, col. 643. 98   Ibid., col. 646. 97



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et Protais dont il abritait les insignes reliques : le chef de chacun des martyrs99. Leur existence est d’ailleurs encore attestée en 1763100. Le vocable d’Étienne semble avoir été ajouté à la fin du XIIe siècle, après la réalisation des chapiteaux101. Le changement de vocable conjugué à la thématique du cycle – le corps en odeur de sainteté, l’invention et la translation des reliques – et à la distribution, au XIIe siècle, des reliques du Protomartyr dans le diocèse invite à penser que le prieuré pouvait en avoir acquis. Néanmoins pour ce cas précis, il vaut sans doute mieux raisonner à l’échelle clunisienne plutôt qu’à l’échelle locale. L’autel de la puissance abbatiale abritait non seulement les reliques de Pierre et Paul mais aussi celles du protomartyr parvenues dès les années 1040 en Bourgogne depuis la Palestine102. Ainsi, les restes corporels du diacre abrités à Lubersac témoignaient de l’inclusion du prieuré dans la nébuleuse clunisienne. Le cycle qui met en scène ses reliques pourrait authentifier celles qui étaient conservées dans le prieuré limousin. Au XIIIe siècle, Bernard Gui confirme qu’un culte était rendu au protomartyr ainsi qu’aux saints Gervais et Protais à Saint-Étienne103. Au regard de cet exemple, peut-être nous est-il permis d’entrevoir les raisons qui ont pu dicter le thème des images des Salles-Lavauguyon. Un autre parallèle s’établit entre Lubersac et Saint-Eutrope. Des liaisons se nouent entre les images de l’intérieur et de l’extérieur de l’édifice du Bas-Limousin. Évelyne Proust a mis en évidence la connexion entre les chapiteaux de la Crucifixion et de la Descente de Croix, disposés à l’entrée du chevet, et ceux de saint Étienne, patron de l’église, qui illustraient l’histoire de ses reliques. Une inscription comme le récit de Lucien offrent une clé de lecture pour comprendre la relation entre les images de l’intérieur et de l’extérieur du chevet. Sur le chapiteau montrant Jésus parmi les docteurs, Gamaliel qui a   Cartulaire de Cluny, éd. A. Bruel, V, Paris, 1894, n°3672, p. 25-27. Cité par Évelyne PROUST, op. cit., p. 282. 100   Procès-verbal aux archives départementales de la Corrèze à Tulle, G.14. Cité par Évelyne PROUST, op. cit., p. 282. 101  Le nouveau vocable apparaît dans une charte de 1171. Cartulaire d’Uzerche (Xe-XVe siècles), éd. J.B. Champeval, Paris-Tulle, 1901, n°387, p. 228. Référence donnée par Évelyne PROUST, op. cit., p. 282. 102   Voir Dominique IOGNA-PRAT, Ordonner et exclure. Cluny et la société chrétienne face à ­l’hérésie, au judaïsme et à l’Islam, 1000-1150, Paris, 1998, p. 174. 103  Le changement de vocable n’a pas mis un terme au culte des reliques des saints Gervais et Protais. Au XIIIe siècle, les trois saints étaient toujours honorés à Lubersac, Bernard Gui précisant que les chefs des deux martyrs y faisaient encore l’objet d’un culte fervent. Voir l’édition de Philippe Labbé, Nova bibliotheca, II, p. 635. Cité également par Évelyne PROUST, op. cit., p. 282. 99



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enseveli Étienne est assimilé à l’un d’eux par une inscription : GAMALIEL104. Le même Gamaliel est également présenté comme le maître de saint Paul, spectateur, avant sa conversion, du martyre d’Étienne : « Je suis Gamaliel, qui ai élevé Paul, l’apôtre du Christ, et lui ai enseigné la loi à Jérusalem »105. Nicodème, agent de la Déposition (Jn., XIX, 39), est aussi représenté dans la scène de la Descente de Croix. Dans le prologue de sa lettre, Lucien rapporte sa triple vision où le lien entre ces différents personnages est précisé : « de la part de Dieu, au sujet de la révélation des reliques du bienheureux et glorieux protomartyr Étienne, premier diacre du Christ, de celles de Nicodème, dont il est parlé dans l’Évangile, ainsi que de Gamaliel, mentionné par les Actes des Apôtres »106. La mise en connexion des images de l’intérieur et de l’extérieur du chevet trouve sa cohérence à travers l’identité ambiguë de Gamaliel et Nicodème107. Aux Salles-Lavauguyon, la représentation de ces deux personnages était inévitable puisque le cycle s’inspire en grande partie du récit de Lucien, cependant le commanditaire du décor ne pouvait ignorer les liens qui les unissent au Christ. Le statut d’Étienne, premier diacre du Christ, est fortement affirmé dans les images du revers de la façade, notamment par l’utilisation de références formelles à la Mise au Tombeau dans la scène de l’inhumation du saint. Annonçant de manière condensée les grands cycles dans les vitraux du XIIIe siècle108 ou ceux des Bibles moralisées109, le cycle des SallesLavauguyon est d’une qualité exceptionnelle tant dans sa conception que dans le choix des motifs iconographiques. Le concepteur du programme peint a adapté l’iconographie stéphanienne afin non seulement de l’insérer dans le réseau d’images, mais aussi pour l’inscrire à l’échelle locale dans l’histoire du culte des reliques.   Évelyne PROUST, op. cit., p. 117. Voir également Robert FAVREAU et Jean MICHAUD, Le corpus des inscriptions de la France médiévale, t. IV, Limousin, Poitiers, 1978, p. 49-50. 105   D.A.C.L, t. V, 1, col. 641. 106   D.A.C.L, t. V, 1, col. 641. 107  Il est possible que la mise en connexion des images autour de l’identité de Gamaliel et Nicodème et les liens avec les apôtres trouve son explication dans le récit clunisien du songe de Gunzo et dans les deux miniatures qui le figurent (notamment, Paris, BNF, ms. lat. 17716, f° 43 r°). Elles mettent en scène autour de Gunzo endormi les saints Pierre, Paul et Étienne. Voir à ce propos, Anne BAUD, Cluny, un grand chantier médiéval au cœur de l’Europe, Paris, 2003, p. 138-139. 108  Les vitraux de Chartres ou de Laon par exemple. 109   Voir à titre d’exemple, le cycle contenu dans une Bible moralisée : Londres, BL, Harley 1527, f°63 et f°64. 104



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La passion de Laurent110 Étienne bénéficie d’un statut particulier dans la cour céleste en sa qualité de protomartyr. Premier des diacres martyrs, il est fréquemment associé par les images à Laurent, autre diacre célèbre. Souvent en pendant l’un de l’autre dans une représentation hiératique, ils sont aussi unis par leurs emplacements respectifs au sein d’un réseau d’images : à Saint-Eutrope des Salles-Lavauguyon, les trois épisodes de la passion de Laurent sont peints sur les murs sud et ouest de la nef à la première travée à proximité immédiate du cycle stéphanien. La première scène du cycle du saint est très endommagée (pl. 6). Le jeune diacre, nimbé et tonsuré, porte une magnifique dalmatique rouge amplement déployée. Ainsi, sa qualité est-elle clairement affirmée en écho avec celle d’Étienne dont l’habit liturgique de couleur bleue se détache nettement sur le revers de la façade. Un homme en habit séculier saisit en signe d’arrestation le poignet du saint dont l’attitude est très hiératique. Le soldat désigne Laurent qui vient vraisemblablement d’être capturé après avoir évoqué publiquement l’existence des trésors de l’Église. D’une grande économie de moyens, cette image permet d’expliquer et d’introduire simplement et immédiatement l’idée de la passion, le cycle n’étant composé que de trois épisodes. Elle est donc dénuée de tout apport anecdotique et elle est finalement composée comme un portrait narratif. L’effigie solennelle du saint est accompagnée, à titre explicatif, du soldat tout aussi hiératique qui procède à son arrestation. Les autres images de la capture de Laurent sont rarement dénuées d’intention narrative : l’arrestation est le point de départ – et non une explication – d’une description détaillée des événements qui aboutiront à la mort du saint. La scène du cycle de l’église Saint-Nicolas de Nogaro montre Laurent arrêté et jeté en prison, comme le suggèrent les gestes des geôliers et la porte ouverte de la cellule111 (pl. 7). Cependant, à Saint-Eutrope, le concepteur disposait de trois images pour résumer la passion de Laurent.  Laurent, mort en 259, archidiacre de Sixte II, martyr, fêté le 10 août. A.A.S.S., Août, II, p. 518-519 ; Sandro CARLETTI, « Lorenzo » dans B.S.S., VIII, col. 108-129. Les actes de son martyre ayant été perdus, le premier à évoquer sa légende est saint Ambroise dans son ouvrage, De officiis (De officiis 1, 41, 204 ; 2, 28, 140, P.L., 16, col. 84-85) ; Ambroise évoque le saint également dans un hymne (Hymni, hymno 74, De S. Laurentio, v. 21-24, P.L., 17, col. 1217) et dans une lettre (Epistolarum, epistola 36-37, P.L., 16, col. 1093). Flodoard l’évoque dans un poème, De Christi triumphis apud Italiam, v. 4, P.L., 135, col. 685-688, ainsi que Prudence, Peristephanon liber, II, P.L., 60, col. 294-340. 111  Un cycle extrêmement important de saint Laurent a été découvert récemment dans l’absidiole nord de Saint-Nicolas de Nogaro. L’image la plus célèbre de Laurent ne semble 110



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Cette contrainte imposait des choix synthétiques complètement étrangers au cycle de Nogaro qui est composé de huit séquences narratives. La deuxième scène du cycle des Salles fait preuve d’originalité dans l’iconographie de Laurent (pl. 8). Dans un édifice couvert d’un dôme, le « portrait » du diacre, de face et portant sa dalmatique rouge, domine largement la composition. Le saint est accompagné d’un personnage, habillé d’une tunique blanche et d’un manteau ocre à bordure bleue, difficile à identifier. Il peut s’agir d’un soldat, converti ou non, introduisant Laurent auprès de Dèce112. L’homme ne regarde pas Laurent, mais en direction du troisième épisode de la Vita qui se déroule sur le mur occidental. Sous la fenêtre, complétant la deuxième scène, trois personnages dont les bliauds indiquent leur appartenance au peuple ont été peints à une échelle inférieure à celle des deux autres. Laurent saisit le poignet de l’un des hommes qui le regarde en lui tendant la main, paume tournée vers le ciel. Le deuxième personnage est malheureusement en partie effacé. La scène illustre vraisemblablement l’épisode où Laurent présente à Dèce – figuré dans la dernière image du cycle – les pauvres, les infirmes et les malades qui sont qualifiés de trésors de l’Église « car ils ne diminuent jamais ». Selon la légende, le saint explique alors à Dèce que ce sont leurs mains qui ont porté les trésors dans le ciel. L’importance accordée à la main du pauvre fait allusion à la distribution de l’or des églises aux nécessiteux et au discours symbolique formulé à Dèce par Laurent : « Hi sunt Thesauri Ecclesiae »113. Sur une bande, une longue inscription confirme l’identification : ...AU..NCIUS.........TESAURI ECCLESIE O ..., puis près du visage du saint, ...AU..ENCIUS114. À notre connaissance, il n’existe dans l’art monumental français que les images de Nogaro et de Panjas qui illustrent cet épisode. Leur composition, plus narrative, les rend plus directement compréhensipas avoir été figurée ou du moins n’était pas représentée dans l’absidiole. En revanche, le supplice est évoqué lors d’une séance de torture. 112  Il pourrait éventuellement s’agir d’Hippolyte. Laurent était placé sous la garde d’Hippolyte. Ce dernier au contact du saint s’est converti au christianisme. 113  Saint Ambroise s’en fait l’écho dans son ouvrage, De officiis, 2, 28, 140, P.L., 16, col. 141. Il l’évoque également dans un hymne (Hymni, Hymno 74, De S. Laurentio, v. 21-25, P.L., 17, col. 1217 ; Voir également AUGUSTIN, Sermones, Sermo 302, 8 ; 303 ;1, In solemnitate martyris Laurentii, P.L., 38, col. 1389-1394 ; PIERRE CHRYSOLOGUS, Sermones, Sermo 135, In D. Laurentium, P.L., 52, col. 566 ; FULGENCE, Sermones, Sermo 60, De S. Laurentio, P.L., 65, col. 931. 114   Marie-Thérèse CAMUS, « Le cycle des saints de Saint-Eutrope des Salles-Lavauguyon », op. cit., p. 16.



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bles que celle des Salles beaucoup plus synthétique. Dans l’église Saint-Nicolas de Nogaro par exemple, Laurent semble introduire la foule qu’il désigne auprès d’un Dèce siégeant sur un trône particulièrement massif (pl. 9). Deux personnages se détachent nettement du groupe : un pèlerin muni d’un bâton, d’une besace et coiffé d’un couvre-chef épinglé d’une coquille Saint-Jacques et un second appuyé également sur un bourdon. Le saint semble signaler le sac du pèlerin à Dèce, allusion à peine voilée aux trésors de l’Église. À Panjas, le schéma iconographique est en tout point similaire, même s’il est difficile de l’analyser en détails en raison des repeints du XIXe siècle (pl. 10). Le supplice de Laurent sur le gril, l’image la plus emblématique de sa légende et donc la plus représentée, a été peint sur le mur occidental de Saint-Eutrope (pl. 11). La tradition iconographique est telle qu’elle est la seule du cycle à recevoir un traitement narratif. L’épisode se déroule à Rome – les toits des habitations de l’Urbs ont été soigneusement détaillés – où, selon sa vita, Laurent a été martyrisé. Le « palais ouvert » laisse apparaître Dèce, barbe et cheveux blancs, trônant tandis qu’il ordonne les tortures infligées au saint115. Deux bourreaux, en effet, enfoncent des fourches à deux dents dans le corps du martyr étendu, nu, sur un gril. Avec précision, le concepteur de l’image a figuré les flammes qui lui lèchent les chairs. À l’angle de la façade occidentale et du mur sud, le soldat, identifiable à ses vêtements, répond par un jeu de miroirs à son image dans la scène précédente en désignant l’épisode de la présentation des trésors de l’Église. La répétition de ce personnage assure la transition entre l’épisode qui mènera le saint au martyre et le martyre lui-même. Ce motif est donc utilisé pour assurer une liaison entre les deux moments du cycle qui sont peints sur des murs différents. Par ce jeu d’écho, le rythme de la narration s’accélère : le soldat montre les conséquences de la bravade de Laurent à l’égard de Dèce et explique en retour ce pourquoi le saint est supplicié. Le martyre de Laurent occupe une place importante dans le cycle tant dans son traitement que par la surface qui lui est réservée. Pourtant, l’épisode de la présentation des trésors de l’Église, évocation de la charité et du don, a été privilégié par l’emplacement qui lui a été  Une inscription l’identifiant a aujourd’hui disparu. Selon Marie-Thérèse Camus, « Il y avait une inscription DEC. Que j’ai vue moi-même avant les travaux et qui est maintenant perdue », dans « Le cycle des saints de Saint-Eutrope des Salles-Lavauguyon », op. cit., p. 16. 115



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donné. Il était, en effet, plus lisible par les fidèles qui se tenaient dans la nef lors des offices. Il est vrai néanmoins que les cycles des saints semblent se dérouler de gauche à droite contrairement à ceux des saintes qui se lisent dans le sens inverse. Néanmoins, dans tous les autres cycles, les scènes de martyre ont été mises en valeur sur les murs gouttereaux. Laurent incarne, pourtant, le martyr par excellence et c’est sans doute à ce titre qu’il est figuré à côté du protomartyr. Saint universel, il bénéficie d’une aura particulière qui fait de lui un exemple incontournable pour les chrétiens. Il est présenté comme un modèle dans de nombreux sermons dont ceux de Maxime de Turin : « Alors l’exemple du bienheureux Laurent nous invite au martyre, nous donne l’ardeur de la foi, nous enflamme à la dévotion » 116. L’exemplarité de la figure martyriale de Laurent a été magnifiquement exposée dans le mausolée de Galla Placidia à Ravenne, au Ve siècle. Outre sa profondeur, l’image est conçue à la manière d’un portrait narratif. Or, aux Salles-Lavauguyon, seul le martyre a échappé dans le cycle à ce type de traitement. Bien qu’évoquant le supplice de Laurent, l’image du mausolée ravennate a une dimension théologique que les simples images narratives n’ont pas. Le saint, portant la Croix, marche vers l’instrument de son supplice, un gril à roulettes dévoré par les flammes. Cet engin de torture a intrigué les spécialistes qui en ont donné diverses interprétations117. La raison de cette originalité provient d’un sermon anonyme dans lequel le gril à roulettes devient symboliquement le véhicule, le char à quatre roues (carruca) qui conduit Laurent au Paradis118. Pierre Courcelle donne une explication très convaincante de cette image : « Le martyr, témoin du Christ, compte en retour sur le témoignage du Sauveur. Une figuration symbolique pouvait-elle mieux rendre cette idée qu’en traduisant le martyre par l’instrument du supplice et le témoignage du Christ par son Testament : les quatre   MAXIME DE TURIN, Sermo 70, De natalis S. Laurentii levitae et martyris, P.L., 57, col. 675 : « Beati igitur Laurentii exemplo provocamur ad martyrium accendimur ad fidem, incalescimus ad devotionem ». 117   Voir Pierre COURCELLE, « Le gril de saint Laurent au mausolée de Galla Placidia », Cahiers archéologiques, III, 1948, p. 29-39. 118   PSEUDO-FULGENCE, Sermo LX., P.L., 65, col. 931. Cité par Pierre COURCELLE, op. cit., p. 38 : « Christum latro sequitur ad paradisum, una carruca, et beatus Laurentius a patre Xisto peruenit ad craticulam. Ignea carruca quam praecedunt officia pretiosa, non chlamydati, non scutati et sericati, sed caeci illuminati, pauperes ditati et miseri satiati... Occurret illi Christus in aere, qui eum adiuuit in igne : quia ipse cum tribus pueris in fornace dignatus est apparere (Dan., III, 92). Dabit carrucam nubis post craticulam ignis ardentis. Craticula habebat rotas flammeas ; nubes habebunt amoenas guttas et frigidas pluuias. ». 116



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Fig. 32 - Martyre de saint Laurent, médaille en plomb, Museo sacro, Rome

Évangiles (contenus dans une armoire) ? La mosaïque, lue de droite à gauche, suggère donc l’idée que le martyr, par le véhicule du gril, s’achemine vers l’accomplissement de la Promesse »119. Bien que l’image du mausolée de Galla Placidia n’ait vraisemblablement pas été connue à Saint-Eutrope, elle prouve que les scènes de martyre peuvent également être élaborées sans intention narrative. Or le peintre-hagiographe des Salles savait concevoir les portraits narratifs d’une essence évidemment très différente de celui du Haut Moyen Âge. Il a pourtant choisi d’introduire une rupture dans son cycle en y incluant une image narrative. Comme nous l’avons déjà souligné, l’existence d’une longue tradition iconographique peut en partie expliquer ce changement d’écritures formelles. Il semble que le culte de Laurent ait bénéficié dès l’Antiquité tardive d’une production d’images qui atteste non seulement de sa célébrité précoce, mais également des encouragements pour le promouvoir. Son iconographie s’est, en effet, fixée dès les IVe et Ve siècles, les images du saint martyr étant apparues peu de temps après la conversion de Constantin. Le Liber Pontificalis fait d’ailleurs état d’une image de Laurent que l’empereur aurait offerte au sanctuaire San Lorenzo120. En raison des honneurs qui lui étaient rendus à Rome,   Pierre COURCELLE, op. cit., p. 39.   Liber Pontificalis, éd. L. DUCHESNE, texte, introduction et commentaire, I, Paris, 18861955, p. 181. 119 120



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l’image, à caractère narratif, s’est, semble-t-il, de son martyre diffusée assez tôt. La plus ancienne représentation narrative du supplice de Laurent figure sur une médaille de plomb, datant du premier quart du Ve siècle121 (fig. 32). Étendu sur le ventre, entièrement nu, Laurent est posé sur le gril au-dessus d’un brasier. Un bourreau lui tient les jambes tandis que l’empereur, accompagné de l’un de ses fidèles, assiste au supplice. Alors que l’âme du saint, sous la forme d’une jeune orante, Fig. 33 - Martyre de saint Laurent, s’échappe de son corps, la main Sacramentaire de Drogon, Paris, BNF, divine tend au martyr la cou- ms. lat. 9428, f° 89r° ronne célébrant sa victoire et son élection. L’empereur semble réagir à cette vision. Une légende accompagne l’image : SVCESSA VIVAS. Dans le champ, les lettres alpha et oméga encadrent le chrisme : le martyre du saint est placé sous le signe du Christ, réitérant celui du Sauveur122. Toutes les images les plus anciennes du martyre de Laurent présentent cette même ambition narrative. Ainsi, dans le sacramentaire de Drogon daté des années 845-850, la scène du supplice s’inscrit dans la lettre D, première lettre de l’oraison de l’office de saint Laurent123 : « Donnez-nous, nous vous en prions, Dieu tout-puissant, d’éteindre les flammes de nos vices, vous qui avez accordé au bienheureux Laurent de triompher des flammes de ses souffrances... »124 (fig. 33). Au centre de la composition, un gril aux proportions impressionnantes est suspendu au-dessus du brasier par un système de chaînes et de   D.A.C.L, t. VIII, col. 1926-1927.  Le revers représente la confessio élevée sur le tombeau de saint Laurent. Un fidèle s’en approche et fait offrande d’un cierge pour le repos de l’âme de Sucessa. Une inscription identique à celle de l’autre face accompagne également cette image. Le sépulcre est présenté, ici, comme garant de la vie éternelle du fidèle, son salut étant attaché directement aux reliques du saint. À ce sujet, voir André GRABAR, Martyrium, Recherches sur le culte des reliques et l’art antique, t. II, Iconographie, Londres, 1972, p. 14. 123   Paris, BNF, Sacramentaire de Drogon, ms. lat. 9428, f° 89r°. 124   D.A.C.L., t. VIII, col.1930, « Da nobis, quaesumus, omnipotens Deus, vitiorum nostrorum flammas extinguere, qui beato Laurentio tribuisti tormentorum suorum incendia superare... ». 121 122



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Fig. 34 - Le martyre de saint Laurent, Utrecht, Rijksuniversiteit, ms. 32, n°484, f° 19

Fig. 35 - Le martyre de saint Laurent, Göttingen, Universitätsbibliothek, cod. theol. 231, f° 98r°



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montants. Laurent est étendu sur le dos, vêtu d’un simple pallium. Deux bourreaux tirent sur des chaînes attachées à l’extrémité de ses membres contraignant son corps à s’étirer au maximum sur le gril incandescent. Un personnage assis, peut-être un juge, veille à l’exécution de la sentence et stimule les bourreaux, qui pour deux d’entre eux, sont chargés d’entretenir et d’alimenter le brasier125. L’abondance des détails et les nombreux personnages donnent un caractère très réaliste à la scène, réalisme perdu progressivement dans les compositions ultérieures qui ne conservent que l’essentiel. Cette tendance est déjà perceptible aux environs de 820 dans une illustration du psautier d’Utrecht qui montre le supplice de Laurent réduit à sa plus simple expression126. Le martyr qui n’est pas nimbé est couché sur un gril maintenu par deux bourreaux (fig. 34). Un ange assiste au supplice pour accompagner le saint au moment de sa mort triomphale. L’intervention des anges pour porter secours aux martyrs et les louer est un motif fréquent qui est rappelé par Jean Chrysostome entre autres : « Les martyrs montent au ciel précédés par les anges et escortés par les archanges »127. Les quatre images de Laurent datant de la période ottonienne, conservées dans les sacramentaires de Fulda, offrent des compositions qui alternent entre souci de l’anecdotique et simplification. Elles sont placées en tête du formulaire de la fête de saint Laurent128. L’enluminure du sacramentaire de Göttingen montre le saint, tonsuré et nu, sur un gril vertical faisant face à Dèce129 (fig. 35). L’un des bourreaux le maintient contre le gril en lui tenant le poignet, l’autre bourreau brandit une pique et la lui enfonce dans le torse. Le saint semble encore affronter son juge puisqu’il pointe en sa direction un index accusateur. Au second plan, six gardes, à moitié dissimulés dans le palais de l’empereur, assistent au martyre de Laurent. Le premier d’entre eux, muni d’une lance et d’un bouclier, désigne la scène. La position verticale du gril et les bras en croix de Laurent évoquent la Crucifixion. Ce rapprochement formel suggère que le saint est associé au Christ par son martyre : il est uni au Sauveur dans la foi et la mort puisqu’il réitère sa victoire. Si cette définition du martyre est relative La partie supérieure de l’enluminure montre le diacre distribuant l’argent de l’Église aux pauvres. 126  Utrecht, Rijksuniversiteit, ms. 32, aevum medium scriptores ecclesiast. n°484, f°19. 127   JEAN CHRYSOSTOME, P.G., 50, col. 709-710, cité par Suzy DUFRENNE, Les illustrations du Psautier d’Utrecht, sources et apports carolingiens, Paris, 1978, p. 150. 128   Voir Éric PALAZZO, Les sacramentaires de Fulda, op. cit. , p. 91-92. 129   Göttingen, Universitätsbibliothek, cod. theol. 231, f° 98r°. 125



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Fig. 36 - Le martyre de saint Laurent, Lucca, Biblioteca governativa, ms. 1275, f° 21v°

ment commune dans la pensée des théologiens, elle est souvent moins explicite dans les images qui jouent davantage sur la suggestion : la main de Dieu ou les anges sortent des nuées pour témoigner de cette union dans la mort et la victoire. Dans l’illustration du sacramentaire de Göttingen, l’association du martyre de Laurent et de celui du Christ est directement lisible et, en cela, elle est unique. Une image bien plus complexe du martyre de Laurent appartient au manuscrit de Lucca130 dont les peintures, qui pourtant témoignent d’une certaine exubérance, respectent les grandes lignes des schémas iconographiques ottoniens131 (fig. 36). La scène se déroule à l’intérieur d’une ville pour laquelle le peintre a fourni une multitude de détails. La composition est nettement divisée : du côté gauche, les bâtiments et Dèce trônant ; à droite, Laurent et les bourreaux. Deux tourmenteurs s’acharnent sur le diacre, allongé de tout son long sur le gril, en lui plantant respectivement une fourche dans les jambes et une dans le torse. L’un des deux tortionnaires se retourne pour s’adresser à un personnage qui n’est pas entièrement figuré dans la composition. Deux autres bourreaux s’activent près du brasier : le premier muni d’un énorme soufflet attise les flammes tandis que le  Lucca, Biblioteca governativa, ms. 1275, f° 21v°.   Éric PALAZZO, Les sacramentaires de Fulda, op. cit., p. 92.

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Fig. 37 - Le martyre de saint Laurent, Bamberg, Staatliche Bibliothek, ms. lit. 1, f° 114r°

second alimente le feu. Le personnage au soufflet est hirsute, signe de sa folie et de son comportement condamnable ; le second complètement désarticulé évoque l’aveuglement et la folie des païens. Si leurs gesticulations reflètent leur désordre intérieur, l’ensemble de la composition suggère le chaos. Cette impression visuelle est accentuée par les mouvements désordonnés des personnages, l’envolée du manteau de Dèce mais également par l’architecture des bâtiments : le mur crénelé est représenté en biais derrière les deux tortionnaires qui s’occupent du feu. La ville décrite dans cette image est négative et incarne le désordre, comme Babylone. Juchée sur une tour, une idole aux mèches de cheveux flammées tient l’étendard de la ville132. La connotation démoniaque est ici indéniable. La ville, lieu de l’histoire, est sous la domination du Mal, dont le pouvoir s’exprime sous les traits de Dèce, ordonnateur du martyre de Laurent. Cependant, le Mal est tenu en échec et « l’équilibre » du lieu maléfique rompu. Le Bien triomphe sous l’aspect de l’impassible Laurent : la lumière divine l’éclaire de mille feux. Des rayons descendent sur lui en provoquant la déstructuration du lieu : la ville semble ébranlée. Un des murs est en train de s’écrouler, entraînant dans sa chute l’un des deux préposés au feu. Ces deux personnages sont d’ailleurs très nettement situés en marge de la composition, figurés derrière le mur d’enceinte. Considérés comme bien trop vils, ils ne peuvent être représentés dans le  Un rapace, tourné vers Dèce, est posé sur une tourelle.

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Fig. 38 - Le martyre de saint Laurent, Udine, biblioteca Capitolare, cod. 1, f° 53v°

même espace que le saint. Ainsi, l’aveuglement et la folie des païens invitent le spectateur à contempler l’excellence figée – Laurent – dans un monde de désordre. La victoire du saint participe de celle du Christ sur le Mal. Le concepteur a très nettement fait de son image du martyre une lutte entre le Bien et le Mal, un combat perpétuel mené par le saint pour rétablir l’équilibre et l’ordre dans le monde. Les enluminures des sacramentaires de Bamberg133 et d’Udine134 offrent des images simplifiées du martyre de Laurent, ce qui les rapproche du modèle iconographique prépondérant de la période romane. La position du saint par exemple est conforme au schéma le plus courant de son martyre. Dans le cas de l’image de Bamberg, un unique bourreau, obéissant aux injonctions de Dèce, lui plante une pique dans le cou pour tenter de le retourner (fig. 37). Au second plan a été figuré un bâtiment derrière lequel six personnages sont cachés, comme dans l’image du manuscrit de Göttingen. En revanche, aucun détail ne permet cette fois de les identifier. À droite de la composition, une foule, que l’on imagine haineuse, assiste au supplice du saint. Dans la scène du sacramentaire d’Udine, trois bourreaux s’acquittent de leur triste tâche (fig. 38). Au second plan, deux d’entre eux lui enfoncent une fourche à deux piques, respectivement dans le   Bamberg, Staatliche Bibliothek, ms. lit. 1, f° 114r°.  Udine, biblioteca Capitolare, cod. 1, f° 53v°.

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Fig. 39 - Saint Laurent devant Dèce, chapiteau, cloître, abbaye Saint-Pierre, Moissac

torse et les jambes. Au premier plan, le troisième attise les flammes en remuant les braises. Trônant de face, Dèce, couronné et muni d’un sceptre, ordonne le martyre. Par rapport aux enluminures des sacramentaires de Göttingen et Lucca, la simplification ici n’est pas seulement formelle, elle est aussi sémantique. Cependant, la représentation strictement narrative et simplifiée du martyre se suffit à elle-même : l’image de Laurent sur son gril ne nécessite pas plus de commentaires que celle de la Crucifixion et n’en acquiert pas moins de force. Il serait cependant réducteur de considérer que toutes les images romanes figurant saint Laurent sur son gril usent de l’économie de moyens que l’on retrouve dans la scène des Salles-Lavauguyon. À ce titre, l’analyse de l’image romane la plus ancienne du martyre de Laurent en offre une démonstration exemplaire. Elle fait partie, à notre sens, des images que Jérôme Baschet qualifie de « limite » tant sa richesse sémantique dépasse le propos de la légende hagiographique. Si le chapiteau du cloître de Moissac présente sur ses quatre faces le martyre du saint, il ne s’agit pourtant pas d’un récit séquencé dont les césures seraient signifiées par chaque face de la corbeille. Ainsi la face nord est entièrement consacrée au pouvoir qui a condamné le saint et assiste à son martyre (fig. 39). Situé dans l’axe du chapiteau, Dèce est adossé à un bâtiment qui peut symboliser une ville, le tribunal ou le palais de l’empereur135. Tourné vers la face est, un soldat 135  La représentation d’un bâtiment derrière l’empereur apparaît déjà dans les peintures ottoniennes des sacramentaires. Il est fort probable que l’empereur lui-même ait été figuré, trônant et tenant un long sceptre à la main, suivant le modèle iconographique ottonien. Bien que la sculpture soit fort détériorée, Maria Cristina Correia Leandro Pereira croit distinguer les traces d’une couronne sur la pierre : Une pensée en images, op. cit., p. 351-352.



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Fig. 40 - Personnage nimbé, chapiteau, cloître, abbaye SaintPierre, Moissac

souffle dans un cor pour annoncer l’exécution de la sentence. À l’angle avec la face ouest, un personnage, de face et habillé à l’antique, lève les bras à la manière d’un orant (fig. 40). Il tient délicatement entre son pouce et son index un disque timbré d’une croix136. Bien que le personnage soit face à l’empereur, ses pieds sont tournés vers la scène suivante pour servir de transition entre la représentation de l’empereur qui ordonne et celle du supplicié. « L’orant » échappe pour l’instant à une identification certaine. Certains chercheurs ont proposé d’y voir Laurent exhibant une pièce de monnaie symbolisant le trésor de l’Église, d’où la présence de la Croix137. Cependant, la corbeille de ce chapiteau n’est pas traitée à la manière d’un récit composé de plusieurs séquences narratives où figurerait la scène du trésor, mais comme une seule et même scène réunissant en un temps unique plusieurs protagonistes. La tête du personnage brandissant l’objet a été martelée et nous ne pouvons plus y distinguer de nimbe mais il semble être le pendant, dans une parfaite symétrie, du personnage nimbé figuré sur la face est. Selon Adrien Lagrèze-Fossat, ce personnage serait Romain, un soldat converti après l’arrestation du saint138. L’hypothèse est séduisante mais Romain a été mis à mort avant le martyre du saint. En poursuivant dans le sens de cette hypothèse, il pourrait s’agir d’Hippolyte, soldat baptisé par le saint et qui lui a survécu. À Saint-Eutrope Voir également à ce propos, Pierre SIRGANT, Moissac, Bible ouverte, Montauban, 1996, p. 277 ; Thorsten DROSTE, Die Skulpture von Moissac : Gestalt und Funktion romanischer Bauplastik, München, 1996, p. 88. 136  S’agit-il d’une hostie ? 137   Pierre SIRGANT, op. cit., p. 277 ; Thorsten DROSTE, op. cit., p. 88. 138  Adrien LAGREZE-FOSSAT, Études historiques sur Moissac, Paris, 1870-1874, t. 3, p. 299.



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Fig. 41 - Le martyre de saint Laurent, chapiteau, cloître, abbaye Saint-Pierre, Moissac

des Salles-Lavauguyon, Laurent est également accompagné d’un homme, peut-être Hippolyte, qui est présent dans la scène de la présentation du trésor de l’Église à Dèce et lors du supplice du saint. Si tel était le cas, la scène de Moissac serait alors une image de triomphe : le disciple de Laurent, quelle que soit son identité, brandit le symbole de sa nouvelle Foi et tient de ce fait Dèce et le paganisme qu’il incarne en échec. Malgré la mort du saint, une petite victoire momentanée pour le païen, le christianisme sort victorieux du combat, et ce, à plusieurs titres. Sur la face sud, Laurent nu est allongé sur le gril, en dessous duquel des flammes symétriques comparables à des vagues témoignent de l’ardeur du brasier139 (fig. 41). Situés de part et d’autre du gril et encadrant le saint, les deux bourreaux sont munis d’un énorme soufflet pour attiser le feu. Cependant, ils sont mis en marge de la scène du supplice, en occupant respectivement l’axe médian des faces ouest et est de la corbeille. Ils sont donc parfaitement tenus à l’écart de l’image du triomphe du martyre. Dans la partie supérieure de la composition, deux anges, en totale symétrie et sortant des nuées, agitent au-dessus de Laurent un flabellum et un encensoir. Ces objets liturgiques confèrent à la scène une  La figure de Laurent est particulièrement dégradée. Maria Cristina Correia Leandro Pereira se demande si le corps n’est pas représenté calciné, op. cit., p. 350. Nous pensons que la dégradation est seule responsable de l’état du corps du saint. À la période romane, les concepteurs des images répugnaient à montrer la souffrance physique de manière aussi poussée. La victoire du saint s’inscrit aussi dans l’intégrité de son corps après les tortures (à l’exception de la décapitation). Quelques gouttes de sang sont parfois consenties lors de supplices particuliers, comme dans les images de la crypte martyriale de Saint-Savin, mais le concepteur de l’image ne va pas au-delà de ce type de détails. 139



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dimension singulière parfaitement signifiée par Marcel Durliat140. L’ange au flabellum qui cherche à lutter contre la chaleur des flammes est une transposition de la mission du diacre consistant à se tenir à la droite de l’autel pour ventiler au-dessus des saintes espèces. L’autre ange agite un encensoir pour embaumer l’air au-dessus du « corps eucharistique » de Laurent. Ainsi, l’image de son martyre est-elle associée indéniablement au sacrifice de l’autel, un autel dont le gril devient l’évocation évidente. Ainsi, le type de supplice subi par Laurent se prête admirablement bien au jeu des correspondances formelles avec le rite eucharistique. Le message ne peut être plus explicite : Laurent, le martyr par excellence, et, par extension, tous les martyrs participent du Sacrifice du Calvaire réitéré quotidiennement sur la table d’autel. Derrière le bourreau au soufflet de la face est, un personnage nimbé, pendant de « l’orant », fait un geste de bénédiction en direction du supplice. Il tenait dans sa main gauche un objet qui a totalement disparu, ce qui rend impossible son identification141. Il semble que ce personnage devait occuper une fonction analogue à celle de son homologue de la face ouest. Leur identité ou plus exactement leur statut est vraisemblablement étroitement lié au rôle qu’ils remplissaient dans l’exercice des rites liturgiques. La scène du martyre ayant une forte connotation liturgique, ces deux personnages ne peuvent être anecdotiques. De part et d’autre de l’image évoquant le sacrifice de l’autel, ils devaient être au service de la célébration liturgique. Si l’on admet cette hypothèse, l’image du martyre de Laurent est alors quasiment dépourvue d’intention narrative. Elle résume et donne corps à l’abstraction qui définit le martyre des saints comme le renouvellement du sacrifice du Sauveur, réitéré quotidiennement sur l’autel. Laurent, incarnant le martyr par excellence, symbolise d’une certaine manière l’ensemble des martyrs. Mais ce saint n’a pas été choisi par hasard par les moines de Moissac ; en effet, la nature même de son supplice permet l’association visuelle entre le martyre et le sacrifice eucharistique. Saint univer-

  Marcel DURLIAT, La sculpture romane de la route de Saint-Jacques, De Conques à Compostelle, Cahors, 1990, p. 140. 141  Selon Maria Cristina CORREIA LEANDRO PEREIRA, « il pourrait s’agir d’une autre image de saint Laurent avant son emprisonnement alors qu’il accomplit des miracles ou des conversions. Cette hypothèse s’appuie également sur d’autres images dans le cloître, où les martyrs sont comme ‘‘ présentés ’’ au spectateur avant d’être saisis par les bourreaux, comme c’est le cas du chapiteau d’Étienne et de celui des trois saints espagnols », op. cit., p. 354. 140



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sel, bénéficiant d’un culte important, il a le privilège, ici, d’incarner l’idée du Sacrifice suprême. Le statut très particulier de Laurent n’a sans doute pas échappé aux chanoines des Salles-Lavauguyon. Le martyre de saint Christophe Christophe est un autre saint très populaire au Moyen Âge qui bénéficie d’un hommage appuyé à Saint-Eutrope. Les épisodes de sa légende sont peints sur le mur sud de la quatrième travée de la nef : le saint y est reconnaissable à sa grande taille et l’identification du cycle est confirmée par l’inscription DAG(US), soit Dagnus, le persécuteur du martyr. Les images des Salles sont uniques et précieuses car elles constituent le plus ancien cycle connu de la légende de saint Christophe. La lecture des trois scènes de son cycle est rendue difficile en raison des lacunes et des dégradations des fresques. Cependant elles présentent une organisation qui témoigne de l’inventivité des concepteurs d’images. À gauche de la baie, le roi Dagnus et sa cour se tiennent dans la salle voûtée « d’un palais ouvert », situé au cœur d’une ville. La reine susurre à l’oreille de son époux les funestes desseins qu’elle nourrit à l’encontre du saint (pl. 12). L’objet de leur conversation est clairement signifié par le roi qui le montre du doigt. D’autre part, l’ensemble de la cour est tourné vers le géant qui se présente à l’entrée de la ville (pl. 13). Bien que la figure du saint soit très abîmée, on perçoit encore la beauté et la qualité des images peintes aux traits de son visage, empreint d’une douce sévérité (pl. 14). La légende de Christophe est introduite par une scène chargée d’une valeur morale négative qui n’est pas sans évoquer certaines compositions illustrant la Parabole du pauvre Lazare et du mauvais riche. Ce transfert de topos iconographique biblique vers l’hagiographie s’observe par exemple dans l’image peinte sur le mur septentrional du chevet de l’église Saint-Martin de Vicq : le pauvre se tient à la porte du riche qui festoie avec ses convives tout en le désignant. Il apparaît, en effet, que les festins décrits dans le Nouveau Testament pouvaient avoir soit une connotation positive, comme par exemple les Noces de Cana, soit une signification négative, tel le repas d’Hérode142. Or, l’hagiographie a été marquée par la vision duelle du ban  Voir Magdalena Elizabeth CARRASCO, « Spirituality in context : The Romanesque Illustrated Life of St Radegund of Poitiers (Poitiers, Bibl. Mun. Ms. 250) », The Art Bulletin,

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Fig. 42 - Venceslas tenu à l’écart lors d’un banquet, Wolfenbüttel, Herzog August Bibliothek, cod. Guelf. 11.2 August. 4°, f° 20v°

quet néotestamentaire. Dans de nombreuses images hagiographiques de banquet, on retrouve, en effet, une composition qui distingue et isole le protagoniste principal des autres participants : ainsi, Venceslas, debout, séparé de son mauvais frère et de ses soldats143 (fig. 42), ou bien saint Aubin à l’écart dénonçant les mariés incestueux144 (fig. 43). Si aux Salles-Lavauguyon, l’épisode ne met pas en scène le refus d’hospitalité ou l’exclusion du saint au cours d’un festin, il s’inscrit pourtant dans cette catégorie d’images. Par cette scène introductive, le saint fait immédiatement face à un environnement hostile qui le conduira au martyre. La suite de la légende s’inscrit dans cette logique : Dagnus fit arrêter et conduire Christophe en prison, puis envoya deux prostituées le séduire. À son contact, elles se convertirent et furent martyrisées publiquement devant une foule rassemblée au temple. Cet épisode est juste suggéré par la scène très altérée sous la baie. Les deux courtisanes richement vêtues sont figurées devant le roi qui a saisi le poiLXXII, 1990, p. 420. 143   Wolfenbüttel, Herzog August Bibliothek, cod. Guelf. 11.2. August. 4°, f° 20v°. 144   Paris, BNF, ms. nouv. acq. lat. 1390, f° 1 v°.



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Fig. 43 - Saint Aubin dénonce les époux incestueux lors d’un banquet, Paris, BNF, ms. nouv. acq. lat. 1390, f° 1v°

gnet de la première d’entre elles145 (pl. 15). Les jeunes femmes semblent effrayées puisqu’elles ont non seulement échoué dans leur mission, mais aussi trahi leur souverain en se convertissant. Par son geste, Dagnus annonce le châtiment qu’il leur réserve tandis que simultanément, il ordonne à un archer d’exécuter le saint. Le bourreau tourne déjà les talons et bande son arc. En fait, le persécuteur et l’exécutant appartiennent également à la scène de droite où trois archers, situés sur des plans différents, tirent sur Christophe (pl. 16). L’un d’eux, d’une échelle supérieure aux deux autres, est vêtu d’habits luxueux. Le géant nimbé voit les flèches, représentées par de fins traits ocres, partir dans sa direction sans pour autant l’atteindre. Ses bras sont ouverts en signe d’acceptation du martyre. Cependant un détail renvoie à l’image du roi trônant et ordonnant. L’une des flèches destinées à tuer le saint se retourne contre le roi et lui crève l’œil : une partie du dard fiché dans l’œil du roi se distingue encore. La scène figurée est en tout point conforme à la légende qui relate l’extraordinaire anecdote en précisant que la blessure fut fatale au roi.  Les deux femmes sont habillées d’une robe dont les manches se terminent en galons flottants. 145



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Fig. 44 - Le cycle de saint Christophe, Saint-Eutrope des Salles-Lavauguyon

Ainsi, Dagnus trônant sert de pivot à quatre épisodes du récit : le roi condamne de la main gauche les courtisanes converties et de la main droite, il ordonne l’exécution du saint à un archer, enfin, la figure royale assiste au supplice et elle y est mortellement blessée (fig. 44). Le récit se déroule donc de manière linéaire et fluide, mais la succession du temps est signifiée par une technique narrative particulière. Le temps de la narration s’articule et se superpose autour d’une même figure qui permet de condenser selon la technique du feuilleté quatre épisodes de la légende. Le concepteur a choisi la contraction du récit plutôt que l’enchaînement classique et linéaire des images. Bien qu’il ait synthétisé plusieurs épisodes en une seule image, il n’a négligé aucun des détails qui rendent intelligibles sa composition. Il n’existe, à notre connaissance, en France, qu’un seul épisode conservé d’un cycle roman de Christophe datant de l’extrême fin du XIIe siècle dans l’église de Couddes (pl. 17). Figuré à l’extérieur du palais, le géant nimbé, tout en détournant son regard du roi trônant, fait le geste de l’acceptation146. Un petit démon chuchote à l’oreille de Dagnus qui, par ses gestes, montre son scepticisme. Trois bourreaux de profil conseillent également le roi : l’un d’eux tient déjà une

 Le siège du roi, réplique du mobilier antique, se termine par des têtes de lion.

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épée sur son épaule147. Il est probable que cette image s’insérait dans un cycle recouvert par le décor gothique postérieur. La rareté des représentations romanes de Christophe mérite qu’on s’y attarde un peu. Son culte se répand pourtant dès le Haut Moyen Âge en Occident. Les nombreux villages et églises qui portent son nom témoignent, en effet, de la popularité du saint au VIIe siècle en Italie, en France et en Espagne148. L’iconographie du géant semble ne s’être développée qu’à la fin du XIIe siècle grâce à l’épisode le plus célèbre de sa légende : le portement de l’Enfant. Or, cette anecdote n’apparaît pas dans les vitae les plus anciennes. Ainsi, la longue passion métrique de l’époque carolingienne le décrit comme un géant de douze coudées de taille mais ne mentionne pas sa rencontre avec le Christ. Au XIe siècle, dans un sermon qu’il lui consacre, Pierre Damien évoque son martyre mais ne fait ni mention de sa grande taille ni même du portement149. Le portement de l’Enfant est une création littéraire occidentale, vraisemblablement postérieure à la production de l’image et qui n’apparaît pas avant le XIIe siècle150. C’est le nom de saint (Porte-Christ) qui inspira sans doute le fameux épisode. Dominique Rigaux explique que l’image est née d’un jeu de mots, car Christophe déclarait dans les plus anciennes Passions : « Avant mon baptême, je m’appelais le Réprouvé, mais aujourd’hui je me nomme le Porte-Christ, Christophe »151. L’iconographie du saint portant le Christ-Enfant se diffuse donc à partir de la moitié du XIIe siècle, soutenue ensuite par la Légende Dorée de Jacques de Voragine qui reprend à la passion carolingienne le détail de la grande taille152. L’image de   Outre la représentation infamante de profil, la laideur des bourreaux est accentuée – nez aquilin ou camus, dents manquantes – pour montrer leur laideur intérieure. 148   Voir Jean Dom DUBOIS, « Christophe » dans Histoire des saints et de la sainteté chrétienne, 2, Paris, 1987, p. 104-107 ; G.D. GORDINI, « Cristoforo », Bibliotheca sanctorum, 4, 1964, col. 349-364 ; Dominique RIGAUX, « Une image pour la route, L’iconographie de saint Christophe dans les régions alpines (XIIe-XVe siècles) », dans Voyages et voyageurs au Moyen Âge, XXVIe Congrès de la S.H.M.E.S, Limoges-Aubazine, mai 1995, Paris, 1996, p. 235-266. 149   PIERRE DAMIEN, Sermon XXXIII, P.L., 144, col. 680-687. Il faut noter également que le portement de l’Enfant ne se retrouve pas dans les Acta Sanctorum, Juillet, VI, p. 146-149. 150   Hans Friedrich ROSENFELD, Der Hl. Christophorus. Seine Verehrung und seine Legende. Eine Untersuchung zur Kultgeographie und Legendebildung des Mittelalter, Leipzig, 1937. Voir également, Hippolyte DELEHAYE, Cinq leçons sur la méthode hagiographique, Bruxelles, 1934 (Subsidia Hagiographica, 21), p. 142-146. 151  A.A.S.S., Julii, t. VI, p. 125-149. Voir également Dominique RIGAUX, « Une image pour la route, l’iconographie de saint Christophe dans les régions alpines (XIIe-XVe siècles) », op. cit., p. 237. 152   Robert FAVREAU, « L’inscription de saint Christophe à Pernes-les-Fontaines, Un apport à l’histoire du sentiment religieux », dans Études d’épigraphie médiévale, Limoges, 1995, p. 75. 147



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Christophe en pied se développe et se répand amplement à la période gothique, toujours située dans des lieux de passage ou dans une partie extrêmement visible de l’église. Qui voyait cette image, en effet, se protégeait de la mort subite, la Male Mort, tant crainte au Moyen Âge. À la charnière entre le cycle des Salles et l’image apotropaïque, la figuration de Christophe, à Saint-Junien dans la collégiale éponyme, permet de suivre l’évolution de l’iconographie. Datée de la fin du XIIe siècle, la magnifique peinture qui montre le saint en pied, sans l’Enfant, est située dans un lieu de passage. Le martyre de sainte Valérie Le cycle de la protomartyre d’Aquitaine La passion de sainte Valérie devait se découper en trois séquences narratives. On peut à juste titre considérer que les quelques fragments de fresques que l’on discerne sur le mur occidental appartiennent au cycle de Valérie. Deux bustes sont encore visibles dont celui de la sainte, identifiable à sa robe (pl. 18). La sainte désigne avec force – des deux mains – quelque chose ou quelqu’un qui a entièrement disparu. Un homme l’accompagne : son futur bourreau peut-être... La scène se déroule dans la salle d’un « palais ouvert », similaire à celle qui sert de cadre au supplice de Laurent. Cet épisode introductif pourrait être la condamnation de Valérie par Tève, le duc. Souvent représenté dans les cycles martyriaux pour introduire le supplice, il figure toujours sur les châsses émaillées illustrant la passion de la sainte. Sur le premier registre de la première travée de la nef, à l’ouest de la baie, sainte Valérie subit le martyre (pl. 19). Dos courbé, elle offre sa nuque gracile au bourreau qui s’apprête à la décapiter à l’aide d’une longue épée, tout en lui tirant les cheveux153. La minceur de la sainte contraste avec la corpulence de l’homme, ce qui accentue encore l’impression de fragilité qui se dégage de sa silhouette. Le petit corps de Valérie tombe, déjà sans vie, sous la puissance du coup qui lui est porté. Par ce jeu d’oppositions, le concepteur des images non seulement exprime l’horreur de la scène, mais également il montre implicitement la force de la martyre. Sa minceur n’entrave ni son endurance ni sa résistance à la souffrance. En somme, elle est bien plus forte que le colosse qui lui donne la mort.  Le visage du bourreau est entièrement de profil. La représentation de profil exprime le caractère négatif de la personne et son infériorité. 153



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L’aboutissement du miracle de céphalophorie constitue, à l’est de la baie, la seconde scène du cycle (pl. 20). Conformément à la vita, la sainte décapitée apporte sa tête à saint Martial, premier évêque de Limoges, alors qu’il célèbre la messe dans la cathédrale. Dans l’église « ouverte » qui laisse apparaître l’autel et le calice, Martial en habits épiscopaux – une mitre à deux pans154, un pallium et une étole – tend ses bras pour recevoir le chef de la sainte. La martyre est en mouvement, elle pénètre dans le sanctuaire portant sa tête contre son ventre et s’agenouille devant l’évêque155. L’attitude de la sainte n’est pas sans évoquer les modèles iconographiques de l’ordination comme celle de Gertrude de Nivelles sur la châsse du XIIIe siècle de la collégiale éponyme156. Comme la protomartyre, la sainte est agenouillée face à l’évêque qui se tient devant un autel sur lequel un calice et une croix sont figurés157. La référence à l’ordination ajoute à l’image une dimension supplémentaire : en offrant sa tête, Valérie s’offre elle-même à Dieu et devient par le rite qui la consacre l’Épouse du Christ au même titre que les moniales. La marche miraculeuse, la céphalophorie si caractéristique de la vie de Valérie, n’est pas l’objet d’une image particulière. Pour le concepteur du cycle, il ne s’agissait pas d’insister sur le caractère exceptionnel du miracle et donc sur la puissance de la sainte, mais plutôt sur sa qualité de martyre. La présence de cette sainte limousine, protomartyre d’Aquitaine, aux Salles-Lavauguyon n’a pas de quoi surprendre, car sa légende est intimement liée à l’histoire du duché. De plus, Valérie occupait une place privilégiée dans la liturgie qui était en usage à Limoges dès le Xe siècle158. Sa vita est née, à l’origine, d’un épisode de la légende de 154  Selon Françoise Piponnier et Perrine Mane : « La mitre change de forme ; le bonnet hémisphérique s’élève et développe au XIe siècle deux protubérances latérales. Celles-ci sont ensuite placées devant et derrière, formant les deux pointes de la mitre triangulaire, qui aux XIVe- XVe siècles, prend une hauteur qui ne variera plus guère. », Se vêtir au Moyen Age, Paris, 1995, p. 141. 155  La tenue de la jeune femme est celle d’une élégante de la fin du XIe siècle. 156   Châsse de sainte Gertrude, Nivelles, collégiale Sainte-Gertrude. 157  Les représentations d’ordinations féminines de la période romane sont rares. Les plus anciens exemples conservés sont datés du XIIIe siècle, à l’exception de l’ordination de sainte Radegonde dans le manuscrit enluminé de la bibliothèque de Poitiers. Voir à ce propos, Piotr SKUBISZEWSKI, sur le décor du manuscrit de la vita Radegundis, dans La vie de sainte Radegonde par Fortunat, Poitiers, Bibliothèque Municipale, Manuscrit 250 (136), sous la direction de Robert Favreau, Paris, 1995, p. 166-170. 158   Voir à propos du culte des saints limousins, Jean-Loup LEMAîTRE, « Les saints limousins dans la légende dorée du Limousin », dans Les saints de la Haute-Vienne, catalogue d’exposition, Paris, 1993 (Cahiers du patrimoine n°36), p. 39-64. De plus, sainte Valérie apparaît dans les litanies d’un ordinaire en usage à l’abbaye Saint-Martial de Limoges (Paris, BNF, ms.



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Fig. 45 - La condamnation de Valérie, châsse, British Museum, Londres

saint Martial159. Cependant, elle est ignorée par Grégoire de Tours qui accorde, pourtant, beaucoup d’intérêt au fondateur de l’Église d’Aquitaine160. La légende de la sainte n’apparaît qu’à la fin du Xe siècle, à l’époque du renouveau du pèlerinage, pour individualiser sa vie et ses miracles161. La singularité des images des Salles-Lavauguyon tient au fait qu’elles constituent, avec celles de la tribune de l’ancienne abbatiale SaintLéger à Ébreuil162, le plus ancien témoignage monumental de l’iconographie de la sainte. Les manuscrits conservés contenant sa légende ne sont pas enluminés si bien que les plus anciennes illustrations que nous possédons sont celles de deux châsses émaillées à fond lat. 1320, f°150-166), voir Jean-Loup LEMAÎTRE, La commémoration des morts et les obituaires à Saint-Martial de Limoges du XIe-XIIIe siècles, Paris, 1989, p. 215. 159   Vita sanctae Valeriae virginis et martyris, éd. F. Arbellot, dans Congrès scientifique de France, 1859, II, p. 197-199. 160   GRÉGOIRE DE TOURS, Hist. eccl. Franc., I, 28, P.L., 71, col. 175-176 ; De gloria confessorum, XXVII, P.L,. 71, col. 849-850. 161   Marie-Madeleine Gauthier signale qu’une copie écrite à la fin du Xe siècle (Paris, BNF, ms. lat. 2768) présente la légende à son stade de développement le plus complet, y compris la céphalophorie, dans « La légende de sainte Valérie et les émaux champlevés de Limoges », extrait du Bulletin de la société archéologique et historique du Limousin, LXXXVI, 1955, p. 18. 162  Les peintures du mur ouest de la tribune de la collégiale Saint-Léger d’Ébreuil datant du premier quart du XIIe siècle.



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Fig. 46 - La décapitation de Valérie, châsse, British Museum, Londres

Fig. 47 - La mort du bourreau devant Tève, châsse, British Museum, Londres

vermiculé : l’une à Londres, l’autre à Saint-Pétersbourg163, datées des environs 1170-1180164 (fig. 45-51). L’inventivité des concepteurs est perceptible lorsque l’on étudie les images de Valérie : le modèle iconographique de la décapitation

  Marie-Madeleine GAUTHIER, Émaux du Moyen Âge occidental, Fribourg, 1992, p. 93.   Ibid., p. 93-96.

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Fig. 48 - La céphalophorie, châsse, British Museum, Londres

Fig. 49 - L’aboutissement du miracle de céphalophorie, châsse, British Museum, Londres

utilisé sur les châsses reliquaires de Londres165 et Saint-Pétersbourg166 est différent de celui Saint-Eutrope. Sur les deux châsses, le glaive du bourreau n’a pas fini de s’abattre que la tête de la sainte tombe dans ses propres mains (fig. 46, 51). L’aboutissement de la céphalophorie sur les deux reliquaires est également éloigné de celui des SallesLavauguyon. Sur le premier, la sainte, guidée par un ange, est age  Châsse historiée de Valérie, datant des années 1170-1172, conservée au British Museum. 166   Châsse historiée de Valérie, datant des années 1170-1180, conservée au musée de l’Ermitage à Saint-Pétersbourg. 165



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Fig. 50 - La condamnation de Valérie, châsse, Musée de l’Ermitage, Saint-Petersbourg

nouillée et offre son chef à Martial (fig. 49). Pour le recevoir, l’évêque, qui officie en présence d’un diacre, se détourne de l’autel sur lequel sont disposés un calice, une patène et un chandelier. Sur le second, Valérie, toujours soutenue par un ange, se met à genoux sur les degrés du chevet pour remettre sa tête à l’évêque. Sur les deux reliquaires, la façade d’une cathédrale est représentée. Les deux châsses s’inspirent visiblement d’un modèle commun, étranger à Saint-Eutrope. Dans les deux cycles qui reprennent un schéma similaire, l’accent a été mis sur le miracle de céphalophorie, noyau central de la vita (fig. 48). Or, à Saint-Eutrope, la marche miraculeuse, la présence de l’ange ont été omises par le concepteur des images. Sa source d’inspiration et son propos sont manifestement assez différents de ceux des émailleurs des deux châsses. En revanche, un reliquaire postérieur à nos peintures, daté du second quart du XIIIe siècle, la châsse de Meilhac, offre des similitudes iconographiques avec les fresques des Salles167 (fig. 52). La position de la sainte lors de sa décapitation est très proche de celle de Saint-Eutrope. Le bourreau la tire par les cheveux de la main gauche tandis que, de la droite, il lui tranche le cou sur l’ordre d’Étienne, duc et fiancé éconduit de la martyre. Sous la violence du coup, le corps de Valérie s’affaisse doucement, les bras en avant pour réceptionner sa tête qui n’est pas encore détachée du tronc. Lors de la remise du chef à saint Martial, l’attitude des person La châsse de Meilhac, en Haute-Vienne, est conservée au Musée Municipal de Limoges.

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Fig. 51 - La décapitation de Valérie, châsse, Musée de l’Ermitage, Saint-Petersbourg

Fig. 52 - Le martyre de sainte Valérie, châsse de Meilhac, Musée municipal, Limoges



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nages est proche de celle de notre église. Le diacre n’apparaît plus, Valérie est agenouillée et tend sa tête à Martial qui se penche légèrement pour la saisir. Tout élément architectural a disparu, seul subsiste l’autel sur lequel sont posés un calice et une croix à double branche. Comme aux Salles-Lavauguyon, l’autel semble avoir une place prépondérante. Occupant dans les deux cas un tiers de l’image, il apparaît donc comme l’élément actif du miracle168. La fonction liturgique de l’autel est particulièrement intéressante dans cette scène de l’aboutissement du miracle de la céphalophorie. Elle établit un parallèle entre la liturgie céleste et la liturgie terrestre : la sainte s’offre elle-même en sacrifice à l’issue de la céphalophorie devant la table d’autel où trône le Sauveur. Elle se donne à son Maître, présent lors du sacrifice de la messe sur l’autel. Ainsi, un autre lien se crée entre la Passion du Sauveur, réitérée quotidiennement lors de la consécration du pain et du vin, et le martyre de la sainte qui répète le Sacrifice du Calvaire. L’émailleur de la châsse de Meilhac s’est peut-être inspiré de la même source que l’artiste des Salles-Lavauguyon, néanmoins les neuf autres châsses gothiques étudiées par Marie-Madeleine Gauthier proposent un nombre important de variations sur le même thème169. Un thème, d’ailleurs, qui est réuni en une scène, la décapitation et l’aboutissement du miracle de céphalophorie, sur la châsse de Munich conservée au Musée national bavarois. Comme nous l’avons déjà mentionné, il n’a été conservé qu’un autre cycle monumental de sainte Valérie, antérieur à celui des Salles, puisqu’il est daté des premières décennies du XIIe siècle. Il est visible dans la tribune occidentale de l’ancienne église abbatiale de Saint168  Sur les deux châsses romanes, l’autel occupe une place importante dans l’image mais les personnages étant multipliés autour de lui, il domine moins la composition. Aux SallesLavauguyon, comme sur la châsse de Meilhac, la remise de la tête de Valérie à Martial est réduite à sa plus simple expression, l’autel est donc mis en valeur. L’autel est le lieu le plus sacré du culte, symbole du Sauveur, de l’Église, du Sacrifice du Calvaire, de la Croix... Grégoire le Grand a affirmé très fortement l’idée, reprise amplement par la suite, de la descente de l’Esprit Saint sur la table d’autel au moment où le pain et le vin deviennent Corps et Sang du Christ : « Par là pensons, quel est pour nous ce sacrifice qui pour notre pardon imite toujours la Passion du Fils Unique. Qui donc parmi les fidèles pourrait douter qu’à l’heure précise de l’immolation les cieux s’ouvrent à la voix du prêtre, qu’à ce mystère de Jésus-Christ, les chœurs des anges sont présents, le très haut s’unit au très bas, le céleste et le terrestre se rejoignent, le visible et l’invisible se fondent en un ? » (GRÉGOIRE LE GRAND, Dialogues, III, (livre IV), éd. et trad. A. de Vogüe et P. Antin, Paris, 1980, p. 202-203). Ainsi est réaffirmée la présence du Sauveur lors de la messe. L’autel est également le trône du Christ, signe de la réalité de sa présence sur terre. 169   Marie-Madeleine GAUTHIER, « La légende de sainte Valérie et les émaux champlevés de Limoges », op. cit., p. 50-63.



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Léger d’Ébreuil, seul témoignage d’une importante abbaye bénédictine bâtie sur les bords de la Sioule, dans le diocèse de Clermont170. Au sein de vestiges importants d’un décor peint, subsistent quatre scènes, situées sur le mur ouest, relatant la passion de la protomartyre d’Aquitaine. Cependant ces images ne présentent aucune concordance iconographique avec celles des Salles-Lavauguyon171. Les scènes historiées sont peintes sur le deuxième registre, tandis que le premier reprend un motif de draperie et le troisième des scènes de chasse. À gauche, Valérie nimbée est figurée à côté de Martial, l’évêque de Limoges, à l’origine de sa conversion (pl. 21). Brune et vêtue comme une élégante du siècle, Valérie arbore une robe de couleur ocre rouge dont le tissu est orné de motifs circulaires et de disques. Par ses gestes, la jeune femme semble d’ores et déjà accepter le sort qui lui est destiné et répond à Martial dont on distingue encore l’une des mains. Si la figure de l’évêque est lacunaire, son identité ne fait aucun doute en raison de ses vêtements liturgiques, mais surtout grâce à une inscription qui le nomme clairement. La scène suivante illustre le moment où la martyre va être décapitée172 (pl. 22). Exécutant le geste du consentement et vêtue d’une robe orangée ornée de disques jaunes, elle se penche pour offrir son cou au bourreau qui vient de retirer son épée du fourreau. L’acceptation de son martyre émane du soutien divin qui se manifeste à travers l’apparition de la main timbrée d’une croix. Sur la troisième scène, le bourreau remet à Tève l’épée du meurtre en pointant la scène du supplice pour montrer qu’il a accompli sa triste besogne173 (pl. 23). Témoin du miracle de céphalophorie, il fait part à son maître du prodige et tente de prouver sa bonne foi en lui remettant le glaive qui aurait dû anéantir la sainte. À ce moment précis, il est foudroyé par un éclair rouge représenté au-dessus de lui et meurt, selon la légende, aux pieds de Tève. La dernière scène du cycle figure le miracle de céphalophorie et son aboutissement imminent (pl. 24). Valérie, décapitée, marche en tenant sa tête sanguinolente à bout de bras pour la remettre à Martial. Dans la cathédrale, l’évêque, de face, est en train de célébrer   Voir Peter KURMANN et Éliane VERGNOLLE, « Ébreuil, l’ancienne église abbatiale Saint-Léger », Congrès archéologique de France, 146e session, Bourbonnais, Paris, 1991, p. 169190. 171   Elles sont plus proches des célèbres reliquaires de Londres et Saint-Pétersbourg que de celles de Saint-Eutrope des Salles. 172  Son nom est inscrit au-dessus d’elle. 173  La puissante autorité du duc est suggérée par son labarum, par ses riches vêtements et notamment par sa grande cape qui tombe en plis lourds et vient s’enrouler autour des pieds de son siège. 170



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la messe derrière un autel sur lequel sont posés un calice et une patène. Il n’a pas encore aperçu la sainte et accomplit les gestes de l’officiant. Sa main dépasse à l’extérieur de l’édifice, telle l’Église Universelle accueillant les martyrs en son sein174. Un détail de ce cycle mérite qu’on s’y arrête : il est rare de voir des motifs d’une telle ampleur sur les tenues, souvent relativement sobres, des saintes dans l’art monumental. Si Ébreuil présente à ce titre une exception, dans l’iconographie de Valérie, de tels atours se rencontrent dans l’art contemporain. Sur les châsses émaillées de Limoges consacrées à la sainte, elle apparaît, en effet, vêtue d’une robe à pois175. Outre les motifs du tissu, les ornements du sol, des vagues décorées de spirales, se retrouvent également sur les châsses à fond vermiculé déjà étudiées176. Les émailleurs du Limousin semblent avoir usé régulièrement de vêtements ornés de motifs : saint Étienne porte une dalmatique à pois sur la châsse dite de Gimel177. Ces similitudes tendent à prouver que l’iconographie des reliquaires a vraisemblablement inspiré l’artiste d’Ébreuil ou du moins qu’elle était connue de lui. Pourtant, les séquences narratives choisies sont différentes : sur les reliquaires, lors de la décapitation, le moment représenté est celui où la tête de la sainte tombe directement dans ses mains, transition évidente avec l’aboutissement du miracle de céphalophorie figuré ensuite. Les personnages y sont de trois-quarts, Martial devant son autel prend dans ses mains la tête de Valérie. À Ébreuil, c’est juste l’instant précédant le moment crucial qui a été privilégié. Il est étonnant que Valérie, sainte limousine, soit la seule parmi les saints à avoir fait l’objet d’un cycle à Ébreuil. Les autres saints sont, en effet, représentés de manière hiératique ou pour l’un d’entre eux dans une unique scène. Sur le mur sud, Austrémoine, évangélisateur de l’Auvergne, et le pape Clément à l’origine de la mission d’Austrémoine ont été figurés en pied, puis sont peints saint Pancrace lors de   Ce geste traduit peut-être l’accueil anticipé réservé à la sainte ou bien l’idée que l’espace de l’Église n’est pas circonscrit à l’édifice. Quoi qu’il en soit, le geste liturgique et la célébration de la messe par l’ampleur des mouvements de Martial sont mis en valeur. 175   Voir les illustrations des deux châsses historiées, celle conservée au British Museum à Londres et celle conservée au musée de l’Ermitage à Saint-Pétersbourg : fig. 46 et 51. Voir également dans l’ouvrage de Marie-Madeleine GAUTHIER, Émaux méridionaux, t. I, op. cit., pl. LXXVI ; pl. LXXXI. Il est intéressant de noter que ce motif devait se retrouver sur les tissus sépulcraux. Certains sarcophages sont, par ailleurs, sculptés de ces motifs. 176   Eadem, « La légende de sainte Valérie et les émaux champlevés de Limoges », op. cit., p. 63. 177   Châsse historiée de saint Étienne, datée de 1170-1175, Gimel, Corrèze, église paroissiale Saint-Pardoux. 174



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sa décollation et enfin, un saint assis tenant une crosse abbatiale. Ce décor peint est complété par trois scènes narratives sur le mur nord qui évoquent le rôle des archanges, le combat de Michel contre le dragon, l’Annonciation et Raphaël rendant la vue à Tobie. La présence d’Austrémoine, saint auvergnat par excellence, de Clément à l’initiative de l’évangélisation de l’Auvergne et de Benoît, père des bénédictins, se comprend sans difficulté comme celle des archanges, protecteurs de l’entrée de l’église et dont le culte se trouve naturellement localisé dans les tribunes occidentales178. La représentation de Pancrace est plus difficile à justifier, si ce n’est peut-être par l’hypothèse de la possession de ses reliques à Ébreuil… Les saints honorés dans l’édifice sont donc liés à l’histoire de l’Église locale et aux moines d’Ébreuil. Ils présentent des statuts différents : un saint considéré comme l’égal d’un apôtre, un pape à l’origine de l’évangélisation, le père des moines et un martyr... Si leur présence s’explique relativement aisément, il n’en est pas de même pour Valérie dans cette abbatiale du diocèse de Clermont. Le culte de cette sainte emblématique du Limousin, protomartyre d’Aquitaine, est nettement circonscrit à cette aire géographique. Pourtant, elle occupe une place prépondérante dans le décor peint de la tribune. Deux facteurs permettent peut-être d’avancer une explication quant à la dévotion dont la sainte est l’objet dans l’édifice auvergnat. Le premier est la proximité du diocèse de Limoges et le second, le nouvel essor de son culte dans la seconde moitié du XIIe siècle. Au moment de la réalisation de ces peintures, en 1165, une distribution des reliques assure au culte de Valérie un regain de popularité dans le diocèse de Limoges179. En raison de la vitalité de son culte en Limousin, les bénédictins d’Ébreuil ont sans doute éprouvé le besoin de se placer sous sa protection. Cette attitude est typique des mentalités médiévales : en considérant que la popularité de la sainte est liée à son efficacité, les moines de Saint-Léger ont voulu lui rendre hommage. L’abbatiale, en marge de son diocèse, possédait un martyrologe comportant certainement des emprunts à celui du diocèse voisin : Valérie s’y trouvait sans doute mentionnée. La position en marge de l’abbatiale justifie donc l’emprunt hagiographique au diocèse qu’elle borde. La présence de Valé-

  Peter KURMANN et Éliane VERGNOLLE, op. cit., p. 189.  La production de reliquaires à partir de la distribution des reliques de la sainte au XIIe témoigne de la ferveur de la dévotion dont la sainte est l’objet. 178 179



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rie à Ébreuil témoigne non seulement de sa fama au XIIe siècle en Limousin et Aquitaine, mais également au sein même de l’abbatiale Saint-Léger qui lui consacre un important développement dans son programme peint180. À ce titre, il est légitime de penser qu’Ébreuil abritait vraisemblablement des reliques de la sainte. L’abbatiale, éloignée du centre de création des vitae et de l’épicentre de son culte, a peut-être eu recours aux modèles iconographiques véhiculés par les reliquaires. Ainsi, il n’est pas étonnant de constater l’influence de l’art des émaux dans les images d’Ébreuil. En Limousin, la situation artistique est, de ce point de vue, très différente, les images de Valérie ont vraisemblablement connu une certaine fortune dans l’art monumental entraînant la circulation de modèles. C’est pourquoi les images des Salles sont relativement éloignées de l’iconographie des châsses émaillées181 et sont parfaitement adaptées à leur support. En raison de la rareté des œuvres monumentales conservées, elles semblent livrer une iconographie originale. Les deux scènes encore visibles de la vita de la martyre figurées à Saint-Eutrope sont d’une grande force narrative par leur simplicité. L’histoire de la protomartyre limousine est synthétisée pour rendre particulièrement lisibles les deux temps forts de sa passion (la décapitation et l’aboutissement de la céphalophorie). L’iconographie du cycle des Salles n’est singulière qu’au regard du corpus d’images de la sainte. Les motifs utilisés sont de véritables « topoi formels » : la décapitation de Saint-Eutrope use par exemple d’une formule typique de décollation de saint et comme nous l’avons vu, la remise du chef à Martial s’apparente aux scènes d’ordination. Il en est de même pour le traitement de la céphalophorie. Le miracle de céphalophorie Si la marche miraculeuse n’est pas illustrée à Saint-Eutrope, il y est néanmoins fait référence à deux reprises : Valérie récupère sa tête décapitée et la dernière image illustre l’aboutissement de son déplacement prodigieux. La particularité de la céphalophorie et la place qu’elle occupe dans le cycle martyrial de Valérie nécessitent de s’in Il ne s’agit pas ici d’analyser le réseau d’images de la tribune, mais les saints figurés, à l’exception de Benoît, ont en commun un lien avec la fondation de diocèses et les premiers temps de l’Église : Austrémoine et Clément pour l’Auvergne mais aussi Valérie, protomartyre d’Aquitaine. Les concepteurs du décor voulaient louer des saints remontant aux premiers temps apostoliques, aux premiers âges chrétiens. 181   À part avec la châsse de Meilhac, les rapprochements iconographiques entre les reliquaires et les images des Salles sont peu convaincants. 180



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Fig. 53 - La décapitation d’Aventin, chapiteau, portail sud, église Saint-Aventin, Saint-Aventin

terroger sur les schémas iconographiques de ce miracle dans l’art monumental. Par ailleurs, de nombreuses images lui sont consacrées, ce qui montre bien que la céphalophorie est un topos prisé dans la littérature hagiographique. Les hagiographes, en effet, usent du miracle de céphalophorie pour glorifier le martyr qui, ainsi, transcende sa mort. Ce phénomène et sa représentation en image suggèrent littéralement que la mort est en fait une victoire éclatante. Le saint se relève, saisit sa tête décapitée, et se met à marcher vers le lieu où il désire être inhumé, ou bien il fait don de sa tête à un tiers comme Valérie l’apportant à saint Martial. À Saint-Eutrope, par souci de lisibilité mais surtout par choix, l’image de la céphalophorie se conjugue avec le martyre. Au moment où le bourreau abat son épée, la tête de la sainte tombe entre ses mains, ce qui annonce le début de la marche miraculeuse. Cette formule iconographique offre une synthèse où la marche est seulement suggérée182. Dans l’église de Saint-Aventin par exemple, le fragment   Ce modèle iconographique se retrouve fréquemment sur les châsses historiées.

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Fig. 54 - La céphalophorie de saint Maurin en présence d’un ermite, chapiteau, ancienne abbatiale Saint-Maurin, Saint-Maurin

d’un relief présente le motif récurrent du martyre-miracle du saint éponyme pour évoquer la céphalophorie. Bien que le bas-relief soit très dégradé, le persécuteur, reconnaissable au fourreau de son épée, vient de décapiter Aventin qui rattrape sa tête entre ses mains. Ce motif est réutilisé sur le chapiteau de la passion du saint patron : sa tête tombe entre ses mains alors que ses pieds indiquent la marche (fig. 53). L’idée de la céphalophorie est illustrée sans intention narrative sur une des faces d’un chapiteau de la même église : Aventin tient simplement sa tête entre ses mains et semble marcher183. La céphalophorie en tant que telle est illustrée par un chapiteau du chevet de l’ancienne abbatiale Saint-Maurin. Maurin, tonsuré, tient sa tête entre ses mains et marche184 (fig. 54). La vita rapporte que le saint marcha jusqu’à la fontaine de Militanum, entre l’Agenais et le Quercy. Sur le côté gauche de la corbeille, un ange prévient un  Il s’agit de l’une des faces du chapiteau intérieur droit du portail méridional.   Maurin, martyr en Agenais, fêté le 25 Novembre. Pour sa vita, voir Catalogus codicum hagiographicorum latinorum antiquorum saeculi XVI qui asservantur in Bibliotheca Nationali Parisiensi, Bruxelles, 1889-1893, III, p. 377-386. 183

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ermite – retiré dans sa grotte – du miracle et en le tirant par le bras, cherche à l’entraîner à l’endroit où se trouve la dépouille sainte. Selon la légende, l’anachorète recueillit le corps et la tête de Maurin. Sur le côté droit du chapiteau, suppliant et glorifiant, il est agenouillé devant le saint céphalophore et s’adresse à lui avec ferveur. À l’arrière-plan, la grotte dans laquelle il va abriter les reliques est peut-être figurée185. Comme à Saint-Aventin où elle occupe la face centrale du Fig. 55 - Saint Lucien céphalophore, chapiteau, la marche miraculeuse chapiteau, église Saint-Lucien, Bury a fait parfois l’objet d’une attention particulière. La marche macabre de saint Denis est peinte dans la tribune de l’abbatiale de Saint-Savin-sur-Gartempe. L’image terriblement dégradée met en scène un groupe de personnes qui assiste médusé au déplacement du saint décapité portant sa tête nimbée à bout de bras. Des anges l’accompagnent dans sa course tout en désignant l’origine divine de la force qui le pousse à se mouvoir. La scène de céphalophorie à Ébreuil présente une composition originale car elle combine l’idée du mouvement – en reprenant la formule iconographique de la marche miraculeuse – et l’aboutissement du miracle – la sainte tend son chef à Martial, statique –. La céphalophore vient d’atteindre son but et s’apprête à remettre sa tête à Martial qui n’a pas encore conscience de sa présence. Si Valérie est encore à l’extérieur de la cathédrale, la suite du récit est suggérée : le geste de l’orant permet au concepteur de l’image de positionner la main de l’évêque sous le chef de la sainte. La réunion des différents motifs – marche, aboutissement, remise de la tête – offre une subtile combinaison visuelle qui joue sur les trois temps forts du récit. Contrairement aux images précédemment décrites, certaines sont dépourvues d’intention narrative mais sont, en revanche, conçues   Ce chapiteau faisait pendant à celui de la décapitation de Maurin occupant une corbeille entière, situé dans le chevet, du côté sud. 185



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comme des « portraits narratifs » dont la portée est parfois ecclésiologique. Le saint est, par exemple, figuré de manière frontale tenant son chef comme sur un chapiteau de la nef dans l’église Saint-Lucien de Bury (fig. 55). Sous des motifs architecturés formant des arcades, Lucien, statique, est entouré du bourreau et de saint Pierre. Sa fonction épiscopale est rappelée par la crosse posée contre une colonne et il est également souligné que le saint a reçu son pouvoir du Christ par l’intermédiaire de Pierre. Le saint évêque, successeur de l’apôtre, poursuit la mission du Christ. S’il n’est pas question d’orienter cette étude sur l’éclosion du thème littéraire et du motif iconographique de la céphalophorie, il convient néanmoins de rappeler les grands axes de la recherche qui a été consacrée à cette formule particulière. L’interrogation est d’autant plus pertinente que certains érudits se sont demandé si les images ne seraient pas antérieures aux textes. L’iconographie aurait donné naissance au topos par souci d’expliciter l’origine de la mort du martyr, autrement dit, la tête portée par un martyr dans les représentations indiquerait le type de mort qu’il a subi, c’est-à-dire la décollation186. Hippolyte Delehaye a souscrit dans un premier temps à cette hypothèse avant d’y renoncer, l’explication étant presque devenue un lieu commun. Il est, en effet, difficile parfois de déterminer le sens dans lequel une influence s’est exercée187. Le bollandiste finit néanmoins par conclure, dans le cas de la céphalophorie, à l’antériorité des textes sur les images188. Même si la production artistique a joué un rôle important dans la diffusion du thème littéraire, une mauvaise interprétation de certaines phrases dans d’anciennes vitae aurait pu susciter l’imagination des hagiographes postérieurs. Hippolyte Delehaye donne l’exemple de l’ancienne passion de saint Denis et de ses compagnons qui proclamaient si fort leur foi que leurs derniers soubresauts d’agonie semblaient prolonger leur confession : « bien que leurs têtes aient été coupées, leurs langues palpitantes continuaient à rendre témoignage à Dieu »189. Les hagiographes postérieurs y ont ajouté des commentaires, l’hyperbole est devenue un grand miracle : les têtes coupées parlent. Le thème s’est enrichi pour se développer pleinement : le chef ne pouvait rester gisant sur le sol ; le saint déca  Voir l’état de la question par Maurice COENS, « Un thème hagiographique : la céphalophorie », dans Recueils d’études Bollandiennes, Studia Hagiographica n°37, Bruxelles, 1963, p. 22-30. 187   Hippolyte DELEHAYE, Cinq leçons sur la méthode hagiographique, op. cit., p. 135. 188   Ibid., p. 137. 189   Ibid., p. 138. 186



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pité finit par se relever et le prend. Il fait ainsi corps avec lui lorsque la tête décapitée s’exprime et lorsque le corps mutilé se met à marcher. Les chercheurs paraissent souscrire actuellement à cette hypothèse, mais le débat reste ouvert. La formule de la céphalophorie ou les modèles qui la suggèrent varient en fonction du réseau figuratif dans lequel ils s’inscrivent. À Ébreuil, l’intérêt porté à la narration se traduit par la conception d’une image synthétique tandis qu’aux Salles-Lavauguyon, l’accent est mis non seulement sur l’idée du don à Dieu grâce la formule iconographique de l’ordination, mais également sur le thème du sacrifice puisque la tête est remise à Martial au moment même où il célèbre la messe. La passion d’Agathe Faisant suite au cycle de Valérie, des épisodes du martyre de sainte Agathe sont peints sur le mur de la seconde travée de la nef. Agathe a été martyrisée à Catane, en Sicile, le 5 février 251, sous l’empereur Dèce190. La première image du cycle est aussi la plus emblématique de la vita de la sainte puisqu’il s’agit de son supplice : le consul Quintien, coiffé du bonnet ou du casque à deux lanières des païens, ordonne aux bourreaux munis de tenailles de procéder à l’ablation des seins de la condamnée191 (pl. 25). La sainte dont la poitrine est dénudée est suspendue à un chevalet, une sorte d’échelle. À l’instar des saintes pénitentes192, Agathe a les cheveux dénoués, ce qui ne symbolise pas, ici, la séduction ou la tentation active193. Par 190  A.A.S.S., février, Paris, 1867, I, p. 599-629. Le récit écrit de sa passion date des premières années du VIe siècle. Le plus ancien des martyrologes latins, le hiéronien, rapporte qu’Agathe a été martyrisée le 5 février. Par ajout, son nom est dans les sacramentaires gélasien et grégorien. 191  Les deux bourreaux qui se tiennent à droite de la sainte sont figurés également de profil, comme celui qui exécute Valérie. Le consul a le visage de trois-quarts comme les personnes de rang supérieur. Les bourreaux sont de condition inférieure, ce qui explique cette représentation systématique de profil. 192  Le chapiteau de Marie l’Égyptienne du cloître Saint-Étienne de Toulouse, déposé au Musée de Toulouse, illustre parfaitement l’exemple du symbolisme de la chevelure chez une sainte. Belle courtisane, Marie, les cheveux tombant sur les épaules, finit par se retirer au désert et purifia ses cheveux dans le Jourdain. Devenue hideuse à force de pénitence, la sainte nue conserva sa longue chevelure. 193   En théorie, les cheveux dénoués des femmes sont un motif iconographique utilisé pour symboliser la séduction. L’allégorie de la luxure est représentée par une femme aux cheveux longs et défaits, les sirènes qui incarnent la séduction et la sensualité brossent leur longue chevelure, les damnées dans les scènes infernales comme sur le tympan de Conques ont les cheveux dénoués, ainsi d’ailleurs qu’Ève représentée les cheveux tombant sur les épaules.



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ce moyen, le concepteur des images pouvait traduire l’idée de la jeunesse et de la beauté puisque le désir inspiré à Quintien par la sainte est la cause de son martyre. Sa fidélité à l’Époux l’a fait résister aux avances du consul et l’a conduite au supplice. La nature même du châtiment barbare qui lui est infligé souligne bien que les attributs féminins de la séduction sont directement visés. Les détails qui manifestent la féminité de la sainte permettent de montrer sa vulnérabilité face à ses persécuteurs. Bien qu’humiliée par sa nudité et offrant le spectacle de la fragilité féminine, Agathe résiste aux bourreaux. Ses cheveux dénoués en viennent à signifier l’état « extraordinaire » qui enveloppe les saintes avant leur mort victorieuse. Ainsi, ce code symbolique habituel de la séduction féminine est ici inversé et devient un attribut supplémentaire pour mettre l’accent sur leur nature exceptionnelle, « extra-ordinaire »194. La scène suivante figure le miracle qui s’est produit dans la cellule de la prison où la vierge est enfermée après sa mutilation (pl. 26). La tour crénelée et les fortifications ouvertes laissent apparaître la martyre – les cheveux toujours défaits – tenant devant elle un petit pot qu’elle semble présenter aux spectateurs. Elle fait face à un saint Pierre d’âge mûr, nimbé et tonsuré qui vient de lui remettre le récipient. Le pot est clairement mis en valeur au centre de la composition. Il est le symbole du miracle à venir, le motif central de la narration : les onguents qu’il contient soulageront les plaies d’Agathe. Ses blessures disparaîtront de son buste comme si elle n’avait jamais subi le supplice. La robe ocre à longues manches évasées dont le peintre a vêtu la sainte dévoile largement sa poitrine évoquant ainsi l’horrible mutilation. Ces deux épisodes peints à Saint-Eutrope illustrent les deux temps forts de la passion de la sainte, la torture caractéristique de son martyre et le miracle qui s’est produit après son supplice. Comme le Sauveur fait intervenir saint Pierre pour la soulager, le miracle met donc l’accent sur la reconnaissance de la sainteté et l’élection d’Agathe. Il semble que deux autres scènes de sa légende occupaient le registre La connotation est donc négative. Selon la légende, la sainte avait fait voeu de chasteté, consacrant sa vie au Christ. Or, Quintien est décrit par la vita comme un homme concupiscent, qui désirait posséder la très belle jeune femme. Agathe est en quelque sorte victime de sa beauté, d’un pouvoir de séduction inhérent à sa personne, provoquant le désir de son futur bourreau. De plus, la légende rapporte que Quintien avait séquestré la sainte dans un lupanar en espérant que les prostituées l’influenceraient. Agathe était restée inébranlable entraînant la fureur du consul et les supplices qui s’en suivirent. 194   À ce propos voir Michel PASTOUREAU, Une histoire symbolique du Moyen Âge occidental, Paris, 2004, p. 19-22.



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supérieur du mur, rompant, ainsi, avec l’ordonnancement général du décor. Dans une salle, la sainte, identifiable à sa robe ocre-jaune, est accompagnée d’un autre personnage. Au regard de la dégradation de la fresque, il est impossible de déterminer s’il s’agit d’un épisode situé avant ou après la réalisation du miracle dans la prison. Quoi qu’il en soit, ce registre hagiographique au sommet du mur est étonnant. Les autres cycles sont exclusivement peints sur le registre inférieur de la paroi. Le mode narratif choisi pour la légende d’Agathe a-t-il déterminé cette particularité ? Cela semble pour le moins surprenant car le concepteur des images transcrivait extrêmement bien la matière narrative en images. La place réduite réservée au cycle de la sainte n’est donc pas une réponse satisfaisante. Le cycle de Saint-Eutrope est le seul cycle monumental de sainte Agathe qui nous soit parvenu, ce qui augmente considérablement son intérêt. Il ne subsiste qu’un autre cycle narratif relatant la passion de sainte Agathe, mais il est contenu dans un manuscrit daté de la fin du Xe siècle ou du début du XIe195. Dans l’étude qu’elle lui a consacrée, Magdalena Elizabeth Carrasco établit que les enluminures ont peut-être été réalisées à Autun, sous l’évêque Gautier, ou plus généralement en Bourgogne196. Elle a appuyé son hypothèse sur des rapprochements stylistiques avec le tropaire d’Autun197. Or, selon Éric Palazzo, les styles des deux manuscrits ne peuvent être rapprochés, la manière du peintre de la vita enluminée d’Agathe étant plus souple et caractérisée par des formes arrondies198. Néanmoins, ce manuscrit, s’il n’a pas été réalisé à Autun même, a été enluminé en Bourgogne ou dans la région de la Loire. Au folio 69v°, Quintien ordonne que les seins d’Agathe soient mutilés et coupés. Le texte qui accompagne les images ne spécifie pas comment la poitrine a été arrachée : « Ainsi, en colère Quintien ordonne que son sein soit torturé et il ordonne que celui-ci après

  Paris, BNF, ms. lat. 5594, la passion de sainte Agathe se trouve dans les marges basses des folios 67r°-70r°. 196   Magdalena Elizabeth CARRASCO, « An Early Illustrated Manuscript of the Passion of St. Agatha », Gesta, XXIV/1, 1985, p. 19-32. 197   Paris, Bibl. de l’Arsenal, ms. 1169. 198   Éric PALAZZO, « Confrontation du répertoire des tropes et du cycle iconographique du tropaire d’Autun », dans Atti dei convegni sui tropi liturgici, Parigi (15-19 ottobre 1985)Perugia (2-5 settembre 1987), sous la dir. de C. Leonardi et E. Menesto, Spoleto, 1990, p. 119-120. 195



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Fig. 56 - Sainte Agathe torturée, Paris, BNF, ms. lat. 5594, f° 69v°

d’assez nombreuses torsions soit arraché »199. Deux bourreaux s’appliquent donc à torturer la sainte avec deux barres de fer ou deux longues lames qu’ils frottent l’une contre l’autre comme des tenailles (fig. 56). L’enluminure finale au folio 70r° montre en trois temps l’intervention miraculeuse de saint Pierre dans la cellule d’Agathe. La première image figure saint Pierre secondé par un jeune homme s’approchant de la sainte blessée : le compagnon de l’apôtre, en tête, porte un candélabre, tandis que ce dernier en habit liturgique tient le petit pot (fig. 57). Ici, l’image est conforme à la vita qui précise que saint Pierre était accompagné par un jeune homme portant la lumière. Un deuxième épisode met en scène saint Pierre remettant littéralement le sein manquant sur le torse d’Agathe étonnée (fig. 58). Enfin, la dernière scène décrit les remerciements de la vierge prosternée devant l’apôtre du Christ, reconnaissable à la lourde clé qu’il porte. Il est d’ailleurs intéressant de noter qu’Agathe, dans le cycle du manuscrit, a les cheveux couverts d’un voile jusqu’à sa première séance de torture. Par la suite, elle est peinte torse nu et les cheveux dénoués. Dans les premières images du cycle, le concepteur définit   Extrait de la vita cité par Magdalena Élisabeth CARRASCO, op. cit., p. 22 : « Tunc iratus, Quintianus iussit eam in mamilla torqueri, et tortam diutius iussit abscindi ». 199



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Fig. 57 - Saint Pierre apparaissant à Agathe, Paris, BNF, ms. lat. 5594, f° 70r°

Fig. 58 - La guérison miraculeuse d’Agathe, Paris, BNF, ms. lat. 5594, f° 70r°



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d’emblée le statut de la jeune femme : il introduit par le voile l’idée de sa vertu. Par la suite, l’humiliation et le caractère infamant du traitement subi impliquaient l’introduction dans les images des cheveux dévoilés et l’inversion du code symbolique. Le cycle de la vita est plus développé que le cycle monumental de Saint-Eutrope : la mise en images de la matière narrative y est moins synthétique, les images hagiographiques étant plus proches du texte. En changeant de support, les images se modifient et dans le cas des Salles-Lavauguyon, les épisodes d’une même séquence narrative sont contractés en une seule image. À l’exception de ce manuscrit, il semble qu’en Occident, aucune représentation enluminée de la légende de la sainte n’ait été conservée avant le XIIe siècle200. Néanmoins, on peut vraisemblablement faire remonter la genèse de l’iconographie narrative d’Agathe au VIIe siècle. Un cycle a, en effet, probablement existé à Sainte-Agathe-desGoths et aurait pu servir de modèle201. Pour soutenir le culte de la sainte, Grégoire le Grand lui a confié le patronage de l’église des ariens, appelée plus tard Sainte-Agathe-des-Goths, et l’a également fait décorer de mosaïques et de fresques. Dans une lettre du pape Hadrien Ier (772-795) à Charlemagne, il est rapporté qu’ « ... à partir de plusieurs histoires, le bienheureux Grégoire en personne a fait peindre celle-ci, autant en mosaïque qu’en couleurs... »202. Hadrien mentionne dans sa missive « l’histoire peinte », ce qui permet de suggérer qu’il s’agit sans doute d’images narratives. Aucune trace de ces décorations ne nous est parvenue, mais dans les églises romaines – fruits du patronage papal – comme dans la basilique San’Agnese (625628), des images hagiographiques sont effectivement connues203. Cependant, il s’agit généralement de thèmes d’état, les seules images hagiographiques narratives conservées datant du VIIIe siècle. Cela n’exclut pas pour autant la possibilité qu’elles aient pu exister au VIIe siècle. D’ailleurs, Magdalena Elizabeth Carrasco pense que les images  Une des plus anciennes représentations de la passion de sainte Agathe provient d’un manuscrit byzantin daté de la fin du Xe ou du début du XIe siècle, le Ménologe de Basile II (Rome, Bibl. Vat., ms Vat. gr. 1613). Le folio 373 montre l’ablation des seins de la vierge et la sainte languissant en prison. 201   Magdalena Elizabeth CARRASCO, op. cit., p. 27 202   M.G.H, Epistolarum 5 : Epistolae Karolini Aevi 3, Berlin, réédition 1974, cité par Magdalena Elizabeth Carrasco, op. cit., p. 27 : « ... diversis historiis ipse beatus Gregorius pingi fecit eam, tam in musivo, quam in coloribus... ». 203  Il s’agit de la mosaïque de la conque absidale de la basilique où sainte Agnès est figurée entre deux papes dont Honorius Ier (625-638) qui présente à la sainte la maquette de son église. 200



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de Sainte-Agathe pouvaient être narratives en raison de l’intérêt que Grégoire portait aux histoires peintes sur les murs des édifices religieux204. Néanmoins, l’argument qu’elle développe pour renforcer son hypothèse n’est pas à retenir, car il repose sur la lettre de Grégoire à Sérénus, évêque de Marseille, qui a été rédigée dans un contexte particulier205. Toutefois, conformément à l’iconographie hagiographique du Haut Moyen Âge, la vierge martyre a été représentée à plusieurs reprises mais de manière hiératique206. Elle apparaît dans la procession des martyres sur le mur nord de la nef de l’église Saint-Apollinaire-le-neuf à Ravenne, puis à la fin du VIIIe siècle dans la lettre I du sacramentaire de Gellone207. Par la suite, elle est figurée dans la lettre B(eatissime) du lectionnaire de Limoges208 datant de la fin du Xe siècle ou du début du XIe siècle. Ce manuscrit contient des vitae des saints limousins et celle de Géraud d’Aurillac par Odon de Cluny209. Au-dessus de l’initiale, nous pouvons lire « PASSIO SCAE AGATAE VIRG ET MR... ». La représentation de la sainte dans ce lectionnaire montre l’implantation de son culte dans la région limousine aux Xe-XIe siècles et nous éclaire ainsi sur la présence des images d’Agathe aux Salles-Lavauguyon. Un cycle de sainte Catherine aux Salles ? Les peintures de la quatrième travée de la nef sont très dégradées. Il ne reste plus qu’un épisode de la vie de la sainte figurée sur ce mur, ainsi que le fragment illisible d’un second épisode. Si l’on en juge par la composition des autres vies de saints peintes dans l’édifice, cette autre scène devait compléter celle que nous pouvons encore voir  La célèbre lettre que le pape a adressée à Sérénus, évêque de Marseille, sert d’appui à son hypothèse. 205   Voir à ce propos les débats récents sur la fonction et le rôle de l’image dans la Chrétienté Occidentale, notamment, Danièle ALEXANDRE-BIDON, « Une foi en deux ou trois dimensions, Images et objets du faire croire à l’usage des laïcs », Annales H.S.S., novembre-décembre, 1998, n°6, p. 1155-1190, surtout p. 1155-1168 ; Jean-Claude SCHMITT, « Écriture et image : les avatars médiévaux du modèle grégorien », dans Théories et pratiques de l’écriture au Moyen Âge, Actes du colloque du Palais du Luxembourg – Sénat, 5-6 Mars 1987, Paris, 1987, p. 119-154. 206  Au XIIe siècle, il existe une image narrative du martyre de la sainte dans un passionnaire germanique : Agathe est suspendue à un chevalet rectangulaire tandis qu’un bourreau arrache son sein droit avec une pince (Stuttgart, Landesbibliothek, Cod. Hist. 57, f° 38v°). 207   Paris, BNF, ms. lat. 12048, f° 17v°. 208   Paris, BNF, ms. lat. 5301, f° 44r°. 209   Danièle Gaborit-Chopin, La décoration des manuscrits à Saint-Martial de Limoges, du IXe au XIIe siècle, op. cit., fig. 57. 204



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aujourd’hui. Néanmoins, le caractère lacunaire de l’image comme l’absence d’inscription rend difficile l’identification de la femme. La scène se situe dans un palais aux arcades supportées par des colonnes à chapiteaux corinthiens (pl. 27). Un prince païen, reconnaissable à sa toque, vêtu d’une robe et d’un manteau de vair, est assis sur un trône. Dans le geste typique du pouvoir et de l’autorité, il pointe l’index de la main droite vers la femme et s’adresse à l’homme, un bourreau, qui se tient près d’elle210. La jeune femme, brune aux cheveux longs, résignée – les mains jointes sur la poitrine –, se détourne ostensiblement du roi et du personnage qui l’accompagne211. Sa position est caractéristique du rejet et témoigne de son dédain et de sa répulsion pour le païen. Ce mouvement de recul très prononcé crée une rupture avec le monde qui l’entoure annonçant ses souffrances à venir, évoquées d’ailleurs par les ciseaux tenus par le bourreau dans sa main droite212. L’homme entraîne la sainte vers l’extérieur de la pièce indiquant ainsi que son sort est scellé. L’image est caractéristique de la comparution d’un saint devant son persécuteur, une formule iconographique extrêmement fréquente, imitant celle du Christ devant Pilate ou Hérode. Si l’image de comparution du Christ a été élaborée aux IVe et Ve siècles, il semble, selon Piotr Skubiszewski, que le milieu ottonien a fourni les premiers exemples de son utilisation massive dans les cycles christologiques du Moyen Âge213. Un magnifique exemple de 1095 est visible sur la porte en bronze de la cathédrale d’Hildesheim. Globalement, les compositions varient un peu et les gestes, les attitudes sont quasiment toujours les mêmes. Ici, l’idée d’un mariage forcé aurait également pu être émise, car de très nombreux martyres de saintes partent de ce topos qui présente les vierges vouées au Christ victimes de la pression sociale exercée par les païens. Le refus du mariage terrestre ou bien le mariage sous la contrainte constitue par exemple le début des passions des saintes Valérie, Agathe, Cécile ou Radegonde. Néanmoins, il nous semble difficile de voir la scène comme l’illustration d’un mariage forcé à   Comme pour les autres représentations de bourreaux, le visage de cet homme est entièrement de profil. 211   Vêtue d’une élégante robe bleue aux longues manches évasées, elle regarde dans la direction opposée des deux autres. 212  Il s’agit de ciseaux similaires à ceux que l’on peut les voir sur le chapiteau de Samson et Dalila de l’église Saint-Eutrope de Saintes. 213   Piotr SKUBISZEWSKI, « L’iconographie des miniatures », dans La vie de sainte Radegonde par Fortunat, op. cit., p. 146. 210



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Fig. 59 - La condamnation de sainte Foy, chapiteau, abbatiale Sainte-Foy, Conques

l’instar du folio 22v° qui met en scène Radegonde mariée sous la contrainte à Clotaire dans la Vita Radegundis214 (pl. 28). Dans le cas de la sainte inconnue, en effet, le jugement vient d’être rendu car l’homme, par un mouvement de jambes très accentué, entraîne la femme vers le lieu du supplice alors que l’enluminure montre les serviteurs de Clotaire l’entraînant vers son futur mari. Radegonde est amenée de force devant le roi, un des hommes de la cour royale lui saisit le poignet avec vigueur, geste de coercition par excellence. Poussée vers Clotaire par les serviteurs placés derrière elle, la sainte se tient devant lui, marquant ainsi le rapprochement contraint. Toute l’attitude de la future reine vise à exprimer son dégoût pour le mariage à venir. À Saint-Eutrope, le bourreau placé entre le prince et la sainte montre que nous sommes dans une autre dynamique. Nous pouvons rapprocher cette image de la scène du jugement de sainte Foy dans l’église abbatiale de Conques : Dacien vient de condamner la vierge Foy et remet l’épée du martyre à un bourreau (fig. 59). Un autre homme, figuré derrière lui, tient fermement la main de la martyre.   Poitiers, Bibl. Mun., Vita Radegundis, ms. 250 (136).

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La sainte est sculptée à un angle de la corbeille tandis que Dacien occupe l’autre angle. Ils sont diamétralement opposés comme dans une initiale ornée du manuscrit de Sélestat215. Foy, d’ailleurs, ne regarde pas la scène, elle est le seul personnage en position frontale. À Conques, comme aux Salles-Lavauguyon, les bourreaux séparent les persécuteurs de la martyre. La quasi-disparition de l’autre épisode de la légende de la sainte inconnue, qui devait mettre en scène son martyre ou du moins une scène de sa passion, aurait sans doute permis, par la spécificité du supplice, de l’identifier : seule une femme voilée se distingue encore (pl. 29). En prière ou suppliante, elle fait face à un personnage vêtu d’une tunique rouge. Nous ne distinguons que le bas de son corps, mais visiblement le personnage désignait quelque chose. Ses mains étaient peut-être entravées, ou bien une sorte de bracelet lui ceignait le poignet. Si ce personnage est entravé, il ne peut s’agir du bourreau, pourtant vêtu de rouge comme dans la scène précédente. Si ce n’est pas le cas, ce personnage pourrait être le tortionnaire face à une femme convertie par la sainte. Il pourrait alors s’agir d’une reine ou d’une impératrice, implorant pour sauver la vie de son guide spirituel comme cela apparaît dans la vie de sainte Catherine. L’existence d’un oratoire dédié à la sainte, docteur de la foi et martyre, dans l’église Saint-Eutrope pourrait conforter cette hypothèse d’identification, mais cette mention est particulièrement tardive et suppose une continuité dans l’exercice des dévotions entre le Moyen Âge et la période moderne216.

Une variation sur le même thème : l’iconographie martyriale À l’exception d’Étienne, les saints figurés aux Salles-Lavauguyon sont essentiellement des martyrs du IIIe siècle, période des grandes persécutions. Ce choix n’est pas surprenant : le titre de martyr étant le plus prestigieux dans la hiérarchie des saints, il fallait rendre hommage à ceux qui en étaient parés, en les représentant dans l’acte le plus héroïque qui soit, en montrant la plus belle victoire. C’est pour215   Dans une initiale ornée du manuscrit de Sélestat du Liber miraculorum sancte Fidis, Foy est séparée de Dacien par Caprais. La jeune femme d’ailleurs ne le regarde pas (Sélestat, Bas-Rhin, Bibl. des Humanistes, ms. 22, f° 5v°). 216  Archives Départementales de Haute-Vienne, Fonds Champleval 7F84 : « 1705 : il y a une chapelle Sainte-Catherine aux Salles ». La mention est pour le moins lapidaire et ne permet pas de pousser plus loin les hypothèses. Je remercie Éric Sparhubert de m’avoir indiqué ce document.



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quoi dans les cycles figure la scène la plus emblématique de leur passion. Les scènes de martyre sont, d’ailleurs, les images hagiographiques les plus nombreuses dans l’art monumental roman. L’image du martyre L’image du martyre qui glorifie le saint revêt plusieurs significations : l’héroïsme du témoin, son élection par Dieu et sa récompense immédiate, et enfin l’accès à une dimension qui échappe à l’expérience humaine. Elle témoigne de la puissance du saint qui partage la Gloire de Dieu. Dans l’iconographie hagiographique, cette image va prendre plusieurs formes : la décapitation, étape ultime de la passion ou bien un supplice, emblématique de la passion du saint. Dans le premier cas, le bourreau, après avoir expérimenté les supplices les plus raffinés, renonce à faire fléchir le saint dont la détermination n’est pas entamée. La décapitation sonne comme la défaite des persécuteurs. Ayant accompli sa mission, le saint accepte la mort et la couronne qui lui est offerte. La décollation apparaît symboliquement comme le seul moyen de tuer le saint puisqu’il a renoncé à son corps. La dualité âme-corps s’exprime alors pleinement dans le supplice qui triomphe de la résistance des martyrs. Mais en réalité, l’image de la décapitation est un symbole de victoire, victoire du saint sur les persécuteurs et victoire du saint sur la mort. Le corps est détruit, mais l’âme atteint l’éternité. Dans la seconde catégorie d’images, le martyre est évoqué par un supplice tellement particulier qu’il devient l’emblème, voire l’identité du saint. Le martyre de nombreux saints est symbolisé par un type de torture ou son instrument : le gril de saint Laurent, les seins arrachés d’Agathe, la roue de sainte Catherine217, les flèches de saint Sébastien218... Ce procédé d’individualisation du saint apparaît progressivement entre le XIe et le XIIe siècle : il s’amorce doucement pour 217   Pour l’époque romane, voir le tympan du portail latéral nord du couvent Santa-Barbara de La Corogne en Espagne. Avec l’essor de son culte à partir du XIIIe siècle, cette image s’est multipliée. 218  Une image sur un chapiteau de l’église de Saint-Nectaire (Puy-de-Dôme) illustre le martyre d’un saint dont il est impossible de préciser l’identité. Sur la face principale de la corbeille, le saint nimbé, dans l’attitude de l’orant, est figuré en gloire. Sur le côté droit du chapiteau, un archer le vise tandis que sur le côté gauche un bourreau tient un fouet. Il est impossible de déterminer si cette corbeille figure le martyre de Sébastien ou de Christophe qui ont subi tous les deux ce type de supplice. Ainsi, l’identification du saint est complexe lorsqu’aucune autre indication ne vient l’appuyer.



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devenir majoritaire à partir du XIIIe siècle. Cependant, si des exemples existent bien à cette période, notamment pour Laurent dont l’iconographie et le culte sont bien ancrés, les décapitations demeurent les images les plus nombreuses du corpus. Le décor des SallesLavauguyon s’en démarque puisqu’en raison des saints choisis, la décapitation n’apparaît jamais comme une fin en soi. Il semble que les images de supplices emblématiques se soient multipliées au tournant du XIIIe siècle. Aux XIe et XIIe siècles, en effet, les saints associés à « leur instrument de torture » sont relativement rares. Les images évoquant directement la torture ou le supplice restent donc, à notre connaissance, majoritairement narratives ou bien elles perdent progressivement leur matière narrative pour devenir des « portraits narratifs ». À la période étudiée, les thèmes d’état symbolisant le martyre reprennent les symboles paléochrétiens de la couronne219 ou de la palme220. Les images de martyre ne glorifient pas uniquement le saint, même si elles légitiment la confiance que les fidèles lui portent. Par sa mort le martyr reçoit le baptême du sang qui lui permet de siéger auprès de Dieu. Il renouvelle la Passion et participe, de ce fait, à l’économie du Salut assuré par le Fils. Chaque martyre renvoie à la condamnation du Sauveur, à sa Passion et à sa victoire sur la mort. À cet égard, un superbe exemple de cette vision du martyre nous est offert dans le mausolée de Galla Placidia (fig. 60). La mosaïque de saint Laurent résume et exprime magnifiquement, dès l’Antiquité chrétienne, tout le concept du martyre chrétien. Le martyr est représenté en marche vers sa passion qui comme pour « tous les martyrs répète et complète la passion du Christ : c’est ce que souligne la grande croix que le saint porte sur l’épaule en imitant le geste de Jésus sur le chemin du Calvaire » 221. Selon André Grabar, la croix portée sur l’épaule du saint a valeur de symbole et s’inspire de l’iconographie impériale : comme l’empereur qui triomphait lors de la victoire de ses généraux, les exploits des saints reviennent à la victoire du Christ sur la mort222. C’est pourquoi le saint à l’image du Christ porte la  Les saints sont couronnés dans la crypte de l’abbatiale de Saint-Savin-sur-Gartempe ; Catherine est couronnée dans la crypte de Notre-Dame de Montmorillon, saint Sébastien est couronné parmi les saints peints sur les soubassements du mur de l’abside de la Chapelledes-moines de Berzé-la-Ville... 220   À Saint-Junien, le grand saint Christophe en pied, peint dans le bras nord du transept, tient la palme du martyre, unique évocation de sa passion. 221  André GRABAR, Martyrium, op. cit., p. 35. 222   Ibid., p. 35. 219



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Fig. 60 - Laurent marchant vers son martyre, mausolée de Galla Pladidia, Ravenne

Croix, symbole de la victoire unique. La présence du gril dévoré par les flammes valide cette hypothèse : la croix a une valeur exclusivement symbolique entre les mains du saint tandis que le gril évoque la dimension historique de son supplice. La croix apparaît également comme un modèle qui le guide et qui l’inspire. Les quatre évangiles contenus dans une bibliothèque et la Bible tenue par le saint sont une allusion directe au témoignage que le saint a rendu s’appuyant sur les textes sacrés, témoignage qui l’a conduit au martyre. Cette image résume le concept du martyre. Pour André Grabar, elle est « l’équivalent iconographique des expressions martyr et martyre » 223. L’image du mausolée de Galla Placidia est particulièrement didactique et dogmatique. Le XIe et le XIIe siècle n’offrent pas d’exemples comparables. Les images évoquant directement le martyre du saint sont beaucoup plus narratives. Cependant, elles restent également empreintes du concept fondamental énoncé clairement dans le mausolée ravennate. Les textes des théologiens ne laissent aucun doute à ce sujet. Cette définition du martyre est inhérente à l’hagiographie dont elle est le cœur et la base. C’est pourquoi le christomimétisme, très visible dans la littérature hagiographique, l’est également dans l’iconographie y ayant trait. La grandeur du saint associé dans la mort à la Passion du Christ est bien sûr exaltée, mais c’est surtout la puissance de Dieu qui se manifeste lors du martyre du saint mû par la   Ibid., p. 35.

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force divine. Par ses souffrances, le martyr porte le témoignage de la victoire et de la résurrection du Sauveur, une idée admirablement mise en images dans le cycle peint de la crypte-reliquaire de SaintSavin-sur-Gartempe. Il est probable que les images de martyre aient été considérées comme des modèles à suivre : le martyre est un moment de rencontre intense de la perfection humaine et de la dimension divine. Autrement dit, les images célèbrent l’union dans la foi. Le martyr, modèle pour les hommes, et l’image de son agonie symbolisent l’espérance du Salut. Les images de supplice sont donc indissociables du discours eschatologique. Les saints, par leur martyre, étaient les serviteurs de Dieu par excellence, mais par la proximité entretenue avec les autres hommes dont ils connaissent les faiblesses, ils pouvaient intercéder auprès du Juge Suprême en leur faveur. Ils avaient le pouvoir de relier à Dieu les autres hommes : témoins de la promesse du Salut, ils porteraient en eux-mêmes, pour les hommes, le Salut224. Hormis des épisodes précis et très particuliers dans la vie de certains saints qui nécessitaient la création de formules spécifiques, la plupart des grandes étapes des légendes hagiographiques (naissance, baptême, miracles, repas, dispute, arrestation, jugement, voire enterrement) pouvaient s’inspirer des images christologiques, et même s’y assimiler. L’assimilation par l’art hagiographique de ces formules connues, outre leur valeur d’identifiant visuel immédiat, avait une signification symbolique et théologique. Le saint place sa vie sous celle du Christ qu’il tente d’imiter. Cet effort d’imitation désirée ardemment par le saint se traduit concrètement dans les images. Comme le Christ avant lui, le saint est jugé, humilié, supplicié... Le christomimétisme, en effet, qui peut apparaître dans un cycle hagiographique comme dans une image hagiographique isolée est un référent visuel porteur d’un sens chrétien universel. Ainsi, la vie du saint et son action s’inscrivent pleinement dans le dessein divin. Dans l’art hagiographi-

  Peter BROWN écrit dans son ouvrage, Le culte des saints, son essor et sa fonction dans la chrétienté latine, Paris, 1984, p. 83 : « ... Augustin a commencé à écrire le stupéfiant livre X de la Cité de Dieu. C’était un livre consacré à la redéfinition de la nature des intermédiaires véritables entre Dieu et les hommes. À la différence des anges rebelles, ces êtres (les saints) reliaient les hommes à Dieu tout en le servant eux aussi, et donc ils avaient pour mission de faire avancer sa volonté parmi les hommes, serviteurs de Dieu comme eux. Ces hommes avaient montré en tant que martyrs qu’ils étaient de vrais serviteurs de Dieu, pouvant attacher à Dieu les autres hommes, plus étroitement que ne le pouvaient les anges.... appartenant à un autre ordre que la race humaine ». 224



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que, le christomimétisme a clairement valeur de symbole, la vie de chaque saint participant à l’Histoire Universelle, à l’Ordo divin225. Cependant, le respect de la matière narrative de chaque légende permet la création d’images hagiographiques spécifiques, comme c’est le cas pour les longues passions des saints : les tortures décrites par les hagiographes révèlent une certaine inventivité et l’ultime supplice n’est jamais celui d’une crucifixion comparable à celle du Christ. Outre les décapitations qui reprennent à quelques détails près le même schéma iconographique, le supplice emblématique d’un saint symbolisant son martyre est une création à part entière de l’iconographie hagiographique. Le thème martyrial aux XIe-XIIe siècles Aux Salles-Lavauguyon, chacun des cinq cycles martyriaux conservés suit un schéma qui lui est propre. Bien que toutes les vitae soient empreintes des mêmes topoi : arrestation, comparution, torture, mort par décapitation, le choix des épisodes constituant la passion du saint varie d’un cycle à l’autre. Nous excepterons le cycle d’Étienne dont la thématique générale est différente. Le cycle de Laurent se décompose en trois épisodes : son arrestation, l’équivalent de sa comparution et l’image la plus emblématique de son martyre. Celui de Christophe est plus complexe : son arrivée devant le palais de Dagnus combinée avec une première condamnation, l’ordre donné par le roi de l’exécution imminente du saint et l’exécution proprement dite. Le cycle de Valérie commence vraisemblablement par la confrontation de Valérie et de Tève dans le palais de ce dernier, puis se poursuit par la décapitation de la sainte et enfin par le miracle de céphalophorie. Celui d’Agathe se déroule vraisemblablement en quatre temps, mais il ne reste de clairement identifiable que la scène de torture emblématique et le miracle de guérison. Le dernier cycle conservé montre une comparution-condamnation. Comme chaque cycle propose une trame narrative différente, nous avons pris le parti de confronter chacune de ces images à l’ensemble des images du corpus présentant des thèmes analogues. En général, les scènes de martyre sont figurées seules ou bien accompagnées soit de l’épisode précédent, la comparution-condamnation,   C’est ce qu’exprime sous une autre forme l’image de Laurent dans le mausolée de Galla Placidia. 225



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Fig. 61 - L’arrestation de saint Volusien, chapiteau déposé, abbaye Saint-Volusien, Foix

Fig. 62 - L’arrestation de saint Volusien, chapiteau déposé, abbatiale Saint-Volusien, Foix

soit de celui qui suit la mort du saint, la glorification. Comme aux SallesLavauguyon, les scènes de martyre ou emblématiques de la passion concluent la majorité des petits cycles hagiographiques. Plus rares sont les scènes uniques d’arrestation, de comparution ou de conduite au supplice, comme nous pouvons en voir un exemple sur un chapiteau, aujourd’hui déposé, de l’ancien cloître de l’abbaye Saint-Volusien (fig. 61). Il montre sur la même face l’attaque d’une ville et « l’arrestationconduite au supplice » de Volusien226. Volusien, reconnaissable à ses vêtements épiscopaux et à sa mitre, est encadré par deux soldats (fig. 62). Il a les mains entravées, une corde autour du cou sur laquelle tire l’un de ses geôliers. Pour affirmer sa domination sur Volusien, l’autre 226   Volusien de Foix, mort en 496, évêque de Tours et martyr, fêté le 18 janvier. Voir D. LACOUDRE, La vie de saint Volusien, évêque de Tours et martyr, patron de la ville de Foix, Limoges, 1722, p. 99-103 ; 2e éd., Foix, 1893.



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Fig. 63 - Le martyre de saint Clément, façade occidentale, église Saint-Clément, Cabariot

garde a la main posée sur son épaule. Enlevé de son siège épiscopal de Tours par Alaric, roi des Wisigoths, Volusien fut conduit à Toulouse pour être ensuite mené en Espagne. L’image montre très vraisemblablement le début de son calvaire et de sa marche forcée vers la mort puisqu’arrivés à Foix, les soldats lui tranchèrent la tête227. À gauche, des soldats, très dégradés, attaquent une ville, symbolisée par ses remparts, dont la défense est assurée par les assiégés du haut de la muraille. Il s’agit soit de l’attaque de Tours par les troupes d’Alaric pour enlever Volusien soit de l’assaut des fortifications de la ville de Toulouse que Clovis attaqua en représailles à la suite de l’enlèvement et de l’exécution de l’évêque... L’emplacement de cette image à la gauche de l’arrestation du saint privilégie la première hypothèse. Une formule similaire est proposée sur un bas-relief situé sous une arcade de la façade occidentale de l’église Saint-Clément de Cabariot : l’image illustre le moment précédant la mort du saint éponyme (fig. 63). La scène se déroule en pleine mer : Clément228 se tient sur le pont d’un navire, encadré par trois personnages de profil et vraisemblablement nus. Les flots ont été minutieusement sculptés ainsi que l’ancre qui pend sur la coque du navire. La main de Dieu sort des  L’abbaye Saint-Volusien de Foix conservait précieusement les reliques du saint.   Clément, mort en 100, pape et martyr, disciple de saint Pierre, fêté le 23 novembre ; GRÉGOIRE DE TOURS, Liber in gloria martyrum, 35-36, P.L., 705 ; FLODOARD, De Christi triumphis apud Italiam, P.L., 135, col. 613-634. 227 228



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Fig. 64 - L’arrestation et le supplice de saint Pasteur, chapiteau, portail nord, église Saint-Just, Valcabrère

nuées pour signifier l’élection divine du martyr. Selon l’hagiographie, alors même qu’il était en exil, Clément, par ses miracles et son charisme, poussait à la conversion des foules de païens. Apprenant cela, Trajan envoya un général avec l’ordre de le faire périr. Ce dernier fit précipiter le saint dans la mer. Une formule plus traditionnelle consiste à montrer la comparution du saint devant le véritable responsable de sa mort. Les cycles de Catherine, de Christophe et vraisemblablement de Valérie proposent cette image pour introduire leur passion. Ce schéma a été retenu, à Conques, sur la face principale d’un chapiteau illustrant la condamnation de Foy par Dacien. La scène suggère l’imminence de son martyre : Dacien conseillé par un démon remet au bourreau l’épée, symbole du martyre de la vierge. Un bourreau-geôlier lui tient fermement le poignet tandis qu’elle montre par ses gestes l’acceptation du sort qui lui est promis. La force de surmonter cette épreuve lui est transmise par un ange qui la soutient. Dans le cycle de Laurent aux Salles-Lavauguyon, l’arrestation est suivie de la passion. Cette juxtaposition se retrouve sur un chapiteau du portail nord de l’église Saint-Just de Valcabrère où deux scènes, l’arrestation et les tortures subies, résument la passion de saint Pasteur229 (fig. 64). Sur une des faces de la corbeille, Pasteur, vêtu à l’an  Pasteur d’Acola de Hénarés, toujours associé à saint Just, martyr du IVe siècle, fêté le 6 août. A.A.S.S., Août, II, p. 154.

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Fig. 65 - L’arrestation et le martyre d’Aventin, chapiteau, portail sud, église SaintAventin, Saint-Aventin

tique, est arrêté par un homme en tunique courte qui lui intime l’ordre de le suivre230. Si le soldat regarde toujours son prisonnier, ses jambes sont figurées en mouvement dans le sens inverse. Le saint est arrêté et conduit vers son supplice. Sur la face principale de la corbeille, Pasteur, toujours en tunique longue, est attaché à un poteau de torture et encadré par deux bourreaux. Le premier présente au saint les deux armes qu’il tient fermement : l’équivalent d’une masse ou d’un gourdin et un couteau, un petit glaive. Le second porte sur son épaule un énorme coutelas à la lame recourbée comme celle d’une faux. Entre leurs mains, le saint va endurer de nombreux supplices. La diversité des tortures qu’il subit fait de lui un champion du Christ, un héros de la foi chrétienne qui ne pliera pas malgré les souffrances. Ce chapiteau vise à glorifier le saint ou plutôt les saints car Just et Pasteur arrêtés ensemble ont supporté les mêmes tortures et mourront décapités. Le chapiteau qui lui fait pendant sur le portail montre d’ailleurs la décollation des deux saints.

  Pasteur fait le geste caractéristique de l’acceptation.

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Un petit cycle de saint Aventin, saint céphalophore, sculpté sur un des chapiteaux du portail sud de l’église éponyme illustre également son arrestation et son martyre231 (fig. 65). La figure d’Aventin, barbu et nimbé, habillé à l’antique, évoque indubitablement celle du Christ. L’association visuelle Christ-martyr, ambiguïté volontairement provoquée, souligne d’une part la grandeur d’Aventin, saint célébré et glorifié dans cette église, et d’autre part son rôle dans l’économie du Salut puisqu’il renouvelle la Passion du Sauveur. La première image est celle de son arrestation. Venant à la rencontre du saint, un soldat, casqué et revêtu d’une cotte de maille, s’apprête à l’arrêter en saisissant son poignet dans le geste devenu caractéristique de cette situation232. Un second soldat, présentant un moignon prolongé d’une jambe de bois, regarde la scène et s’en détourne. Le détail de la mutilation est singulier et doit avoir une signification : le concepteur de l’image a peut-être cherché à exprimer le désordre moral du païen à travers son apparence. Pour les philosophes antiques et pour les théologiens du Moyen Âge, comme Hugues de Saint-Victor, l’apparence physique et les gestes sont, en effet, le reflet de l’âme de l’individu. Or, on constate que les païens ou les peuples refusant l’Évangile sont parfois figurés sous une apparence difforme ou avec des infirmités physiques. Par exemple, sur le linteau du portail intérieur de Vézelay sont sculptés des Pygmées, des Géants, des Grandes Oreilles... Citant Jean Adhémar, Marcel Durliat donne une très jolie interprétation de cette image du soldat mutilé : « le païen est devenu l’homme qui ne marche pas droit »233. En ménageant une transition entre deux scènes, la figure du soldat estropié, muni d’un bouclier, évoque la conduite du saint sur son lieu de supplice. Il suggère aussi le passage, la transition entre l’état de sainteté incarné par Aventin arrêté et le statut de martyr figuré par ce dernier sur l’autre image. Déjà saint, il s’apprête à devenir un martyr. La composition du chapiteau est complexe, les scènes s’enchaînent les unes aux autres, formant un tout. La seconde image présente quelques difficultés d’interprétation. Sur le côté droit de la corbeille,  Aventin, martyr du VIIIe siècle, fêté le 13 juin. Aucune source connue.  Selon Michel PASTOUREAU, cette image est celle de l’arrestation du Christ. Il est vrai que le soldat s’approche très près du visage de la sainte figure et ce pourrait être une évocation du baiser de Judas. Cependant plusieurs détails laissent perplexe : le nimbe n’est pas crucifère et le martyre d’Aventin, lui-même barbu, est proche. Les deux images sont sur un chapiteau double. Voir Michel PASTOUREAU, Frank HORVAT, Figures romanes, Paris, 2001, p. 126. 233   Marcel DURLIAT, Pyrénées romans, Zodiaque, 1969, p. 61. 231 232



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Fig. 66 - La décapitation de saint Blaise, abside, Chapelle-desMoines, Berzé-la-Ville

le bourreau, d’un geste assez ample, vient de décapiter le saint dont la tête tombe entre ses mains. Un homme, derrière le saint, le ceinture pour qu’il ne s’affaisse pas 234. Il agit sous l’influence d’un ange qui descend du ciel et lui chuchote à l’oreille. Assiste-t-on à la conversion d’un païen, qui touché par le martyre d’Aventin, devient chrétien et l’aide dans sa mort ? Derrière lui, un homme barbu, en tunique courte, le tient à la taille. Une petite figure très endommagée, dans la partie supérieure de la corbeille, le désigne en brandissant vers lui son index. Est-ce un païen, qui guidé par un démon, tente de retenir celui qui vient de se réveiller à la Vraie Vie ? En l’absence de sources, il est délicat de spéculer davantage sur le rôle dévolu à ces deux personnages. Si l’arrestation et le supplice sont très souvent liés dans les cycles présentant deux séquences narratives illustrant une passion, plus rares sont les images couplant le martyre du saint et une scène, unique, emblématique de sa légende comme à Berzé-la-Ville par exemple. Les deux images tirées de la légende saint Blaise235 se superposent. Au registre supérieur, de sa prison, le saint bénit une femme qui lui offre la tête et les pieds d’un porc. L’offrande, présentée les mains voilées, était destinée à le remercier d’avoir permis miraculeusement la restitution de cet animal qu’un loup avait ravi. Au registre inférieur, la tête du saint roule sur le sol tandis que son corps s’affaisse (fig. 66). Le   Cet homme est figuré à l’angle de la corbeille.   Blaise de Sébaste, mort en 316, évêque et martyr, fêté le 3 février. A.A.S.S., Février, I, p. 336-339 ; 3e éd., p. 340-343.

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bourreau brandit encore l’épée qu’il a sortie du fourreau. Les scènes du miracle du porc restitué à sa propriétaire et de l’offrande qui s’en suit sont vraisemblablement les plus importantes de la légende du saint ou, du moins, celles qui étaient le plus facilement retenues par les concepteurs des images et les commentateurs. La seule autre image connue de Blaise en France est celle de la remise du porc à la femme désemparée236. À Berzé-la-Ville, l’association des deux images est loin d’être dénuée de sens. En recevant le don de la femme, Blaise, en effet, la remercia en ces termes : « Jamais tu ne manqueras plus de nourriture. De plus, si quelqu’un, imitant ton exemple, me rend les honneurs que tu m’as rendus, je prie le Seigneur, auteur de tous les biens, de le rémunérer sur la terre et de lui donner la vie éternelle dans l’autre monde »237. La phrase prononcée par Blaise témoigne du lien qui l’unit à la femme, le lien du don et du contre-don qui relie d’ailleurs traditionnellement le saint au fidèle. L’association de ces deux images fournit la définition la plus complète du concept chrétien du don. Elle est renforcée visuellement : la tête du porc et celle décapitée du saint sont situées strictement dans le même axe. Le parallèle entre les deux dons, de nature très différente, est exprimé avec force ; dons qui appellent d’ailleurs nécessairement des contre-dons. Par le biais de la composition et de la juxtaposition des images, il est rappelé que si le saint offre sa vie à Dieu, le martyr l’offre concrètement. Il lave sa robe dans le sang de l’Agneau et de ce fait, participe à l’économie du Salut. Son geste rejaillit sur l’humanité qu’il contribue à sauver. À Berzé, ces deux images servent une magnifique démonstration. Il serait tentant de vouloir lire dans le cycle d’Agathe des Salles, associant la scène du supplice et la remise du pot d’onguents, la même construction intellectuelle. En réalité, les deux séquences peintes s’inscrivent strictement dans la trame narrative de la vita où les deux épisodes se suivent. Le choix opéré, à Saint-Eutrope, est bien celui de la narration. La juxtaposition d’images comme à Berzé a permis au concepteur de dépasser le propos narratif en présentant ainsi un thème original. D’autres procédés plastiques ou sémantiques ont été utilisés pour livrer une interprétation parfois enrichie du martyre des saints. À cet égard, les chapiteaux du cloître de Moissac sont exemplaires tant dans 236   Cette image se situe sur le mur du bras nord du transept de l’église Saint-Thomas de Strasbourg. 237   Cité par Éric PALAZZO, « L’iconographie des fresques de Berzé-la-Ville dans le contexte de la réforme grégorienne et de la liturgie clunisienne », Les Cahiers de Saint-Michel de Cuxa, Juillet 1988, n°19, p. 178.



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la composition que dans le détournement spirituel de la matière hagiographique. La personnalité hors du commun du concepteur des images n’est plus à démontrer. Un chapiteau est consacré par exemple au martyre de l’évêque Fructueux et de ses deux diacres, Augure et Euloge, tous identifiés par leur nom238. Sur la face nord du chapiteau, l’évêque et ses deux diacres sont figurés dans l’accomplissement de la mission pastorale239 (fig. 67). La face orientale de la corbeille illustre la condamnation des saints par le proconsul Émilien240. Sur le côté droit de l’image, le proconsul, assis sur un siège curule, ordonne la condamnation des trois saints241 (fig. 68). Un joueur de lyre se tient derrière lui, identifié par l’inscription [F]ID[I]CEN. Émilien condamne les trois saints au bûcher qui, sur la face méridionale, sont figurés consumés par les flammes (fig. 69). Au centre de la composition, dans la position hiératique d’un orant, Fructueux – reconnaissable à sa mitre – est le seul à être figuré en pied, offrant son corps nu aux flammes242. Ses pieds sortent du « lieu de l’histoire » pour s’appuyer sur l’astragale. Il est déjà, visuellement et symboliquement, au-delà de son corps qui bien qu’au milieu des flammes semble d’ailleurs en être protégé. Les diacres ont reçu un traitement différent : leur corps nu est à moitié dévoré par le feu. Ils ne lèvent que leur bras droit vers le ciel pour s’en remettre à Dieu dont la main sort des nuages en leur présentant une croix, symbole de leur martyre et de leur élection. Le récit de leur passion rapporte que les saints furent libérés de leurs liens grâce aux flammes et qu’ils purent ainsi mourir à genoux

 Saint Fructueux de Tarragone, évêque et les diacres Augure et Euloge, fêtés le 21 janvier. A.A.S.S., Janvier III, p. 340, 3è éd., p. 704-705 ; J. TAMAYO SALAZA, Martyrologium hispanium Amannesis sive commemoratio omnium Sanctorum hispanorum, Lyon, 1951-1959, tome I, 1, p. 202203 ; Martyrium Gesta, 21, Fructuosi, Augurii et Eulogii, 5e éd., Angel FABREGA GRAU, Passionario Hispanico (siglos VII-XI), Madrid : instituto P.E. Florez, 1953, t. 2, p. 184-186 ; PRUDENCE, Peristephanon liber, VI, P.L., 60, col. 411-424. 239  L’évêque tient la crosse épiscopale et bénit de la main droite. Il est entouré de ses deux diacres qui, revêtus de l’étole et du manipule, présentent des livres liturgiques : Augure tient son livre ouvert, Euloge, fermé. 240  Une inscription indique : [E]MILIANVS et PRES[ES]. 241   Maria Cristina Correia Leandro Pereira fait remarquer très justement que la figure d’Émilien n’est pas située dans l’axe central de l’image, ce qui témoigne de la remise en cause et des limites de son autorité. Il est le pendant négatif de Fructueux, incarnant l’autorité de l’Église et figuré au centre de l’image. Pour plus de détails, voir Une pensée en images, les sculptures du cloître de Moissac, op. cit., p. 371. 242   Comme Laurent, nu sur le gril. La nudité évoque le dépouillement suprême et l’apothéose finale. 238



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Fig. 67 - L’évêque Fructueux et ses deux diacres, chapiteau, cloître, abbaye Saint-Pierre, Moissac

Fig. 68 - La condamnation de Fructueux et de ses deux diacres, chapiteau, cloître, abbaye Saint-Pierre, Moissac

Fig. 69 - Le martyre des saints Fructueux, Augure et Euloge, chapiteau, cloître, abbaye Saint-Pierre, Moissac



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dans l’attitude des orants243. Cette anecdote des Actes est évoquée de manière allusive par le concepteur des images. Seul Fructueux a l’attitude de l’orant, ses deux diacres ne lèvent qu’un bras. Cependant par un effet visuel et esthétique recherché, les bras des trois saints semblent se confondre et forment un motif continu244. La composition de cette image n’est pas sans rappeler celle des trois jeunes hébreux dans la fournaise sur un chapiteau de la galerie nord. Toutefois, la vision du martyre est condensée sur le chapiteau des saints espagnols, alors qu’elle s’étend sur les quatre côtés de la corbeille pour les Hébreux qui sont figurés aux angles de la corbeille et sont épargnés par les flammes. Cette comparaison formelle est justifiée par le récit hagiographique dans lequel les trois saints sont comparés aux Hébreux en raison de la similarité de leur supplice : « similes Ananiae, Azariae et Misaeli »245. Sur le côté occidental du chapiteau, les âmes des saints sont réunies à l’intérieur d’une mandorle ornée de motifs d’orfèvrerie et soutenue par deux anges246 (fig. 70). La main de Dieu, encadrée par les lettres Alpha et Oméga, sort des nuées et entraîne la mandorle vers le ciel247. Le sens de lecture du chapiteau suscite des interrogations chez les chercheurs : le déroulement chronologique commence-t-il par une présentation des saints, puis par la condamnation, suivie du martyre   Martyrium Gesta, 21, Fructuosi, Augurii et Eulogii, 5e éd., Angel FABREGA GRAU, Pasionario Hispanico, op. cit., t. 2, p. 185. 244  Il est probable que pour l’équilibre de la composition, ce parti pris ait été choisi. Les six bras levés auraient considérablement alourdi l’ensemble, notamment de part et d’autre de Fructueux. 245   Martyrium Gesta, 21, Fructuosi, Augurii et Eulogii, 5è éd., Angel FABREGA GRAU, Passionario Hispanico, op. cit., t. 2, p. 185. La comparaison avait déjà été établie par Marcel DURLIAT, La sculpture romane de la route de Saint-Jacques., op. cit., p. 141. Voir également Maria Cristina CORREIA LEANDRO PEREIRA, op. cit., p. 366-367. 246   Maria Cristina Correia Leandro Pereira pense que le caractère ornemental de l’ensemble du chapiteau (traitement des flammes, gemmes sur les vêtements, sur la mandorle) contribue à accroître la dignité et l’honneur des trois saints. Elle rend plus visible l’attention spéciale qui leur était accordée par les moines de Moissac. Dans un hymne en l’honneur des trois saints, Prudence évoque la lumière, la brillance émanant des trois saints (PRUDENCE, Peristephanon, VI, 1-3 ; 7-12, Hymnus in honorem beatissimorum martyrum Fructuosi episcopi ecclesiae tarraconensis et Augurii et Eulogii diaconorum, trad. M. Lavarenne, Paris, 1933, p. 95.). Il est possible, selon l’auteur, que la même idée ait présidé à l’élaboration du chapiteau de Moissac. Elle fait également un parallèle entre un passage de la passion des saints et l’ornementation de leurs vêtements. Dans ce passage, les saints apparaissent, après leur mort, à Émilien « vêtus des vêtements de la promesse de la Rédemption » (Martyrium Gesta, 21, Fructuosi, Augurii et Eulogii, 5e éd., Angel FABREGA GRAU, Passionario Hispanico, op. cit., t. 2, p. 186). Les vêtements liturgiques symbolisent cette promesse de Rédemption. Voir Maria Cristina CORREIA LEANDRO PEREIRA, op. cit., p. 371-372. 247  Les lettres Alpha et Oméga symbolisent le Tout, le principe et la fin, soit l’éternité.  243



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Fig. 70 - La glorification des saints Fructueux, Augure et Euloge, chapiteau, cloître, abbaye SaintPierre, Moissac

et enfin par l’apothéose comme le propose la majorité des études consacrées à Moissac 248 ? Ou bien comme le suggère Maria Cristina Correia Leandro Pereira, l’histoire commence-t-elle par la condamnation, suivie du martyre et de l’apothéose, pour se conclure par une apparition post-mortem des saints 249? Quoi qu’il en soit, les images de ce chapiteau ne sont pas essentiellement narratives et la scène de la face nord le confirme. Elle appartient au hors-temps, elle est atemporelle. Il s’agit d’un thème d’état englobé dans une série d’images « à caractère narratif ». En ce sens, nos conclusions rejoindront celles de Maria Cristina C. L. Pereira : cette image montre surtout la pérennité de la fonction épiscopale et par extension de toute fonction sacerdotale. Elle s’accorde parfaitement aux paroles échangées entre Fructueux et Émilien lors de la comparution du saint : « Es-tu évêque ? L’évêque Fructueux répondit : ‘‘Je le suis’’. Émilien dit : ‘‘Tu l’étais’’ »250. Le même procédé sémantique est utilisé pour mettre en image le martyre peu représenté de saint Sernin (Saturnin)251 sur un autre chapiteau du cloître de Moissac. Sur le côté oriental du chapiteau,   Meyer SCHAPIRO, The Sculpture of Moissac, London, 1985, p. 62 ; Marcel DURLIAT, La sculpture romane de la route de Saint-Jacques, op. cit., p. 141. 249   Maria Cristina CORREIA LEANDRO PEREIRA, op. cit., p. 372-373. 250   « ‘‘Episcopus es ?’’ Fructuosus episcopus dixit : ‘‘Sum’’, Aemilianus dixit ‘‘Fuisti’’ », Martyrium Gesta, 21, Fructuosi, Augurii et Eulogii, 5e éd., Angel FABREGA GRAU, Passionario Hispanico, op. cit., t. 2, p. 184, cité par Maria Cristina CORREIA LEANDRO PEREIRA, op. cit., p. 373. 251  Saint Sernin ou Saturnin, mort en 250, premier évêque de Toulouse et martyr, fêté le 29 décembre. Passio Antiqua, 2-4, éd. T. RUINART, Acta primorum martyrum sincera et selecta, Paris, 1689, p. 110-111 ; Claude DEVIC, Joseph VAISSETTE, Histoire générale du Languedoc, Toulouse, 1872-1892, tome II, 1875, p. 29-34. 248



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Fig. 71 - La condamnation de Sernin, chapiteau, cloître, abbaye Saint-Pierre, Moissac

Fig. 72 - La condamnation de Sernin, chapiteau, cloître, abbaye Saint-Pierre, Moissac

Sernin comparaît devant Antonius, gouverneur romain qui ordonne l’exécution du saint sur les conseils d’un homme aux vêtements courts (fig. 71). Sur la face méridionale de la corbeille, l’évêque Sernin, muni de sa crosse, esquisse le geste de l’acceptation. Il est accompagné de deux personnages dont un soldat qui brandit une épée. Ainsi, la scène de la comparution se déroule sur deux faces du chapiteau : la moitié gauche de la composition est occupée par l’incarnation du pouvoir temporel, le gouverneur, tandis que derrière lui, dans l’axe médian est figurée une tour fixant la séparation avec un autre temps du récit,

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Fig. 73 - Le martyre de Sernin, chapiteau, cloître, abbaye SaintPierre, Moissac

le martyre (fig. 72). Il s’agit très certainement du Capitole de Toulouse, haute tour à deux étages, reconnaissable à ses marches. Le concepteur a donc pris soin de situer avec exactitude l’endroit où se déroule le martyre : les escaliers meurtriers ont également été figurés avec précision sur la face nord. Le saint y est traîné par un cheval auquel il est attaché par les pieds252 et sa tête heurte violemment les marches (fig. 73). Trois personnages, vraisemblablement des païens, suivent le martyr : le plus proche de l’animal brandit un objet, aujourd’hui détruit, qui pourrait être un fouet, le second semble tenir une épée et le dernier porte un objet cylindrique. Certains auteurs l’ont identifié comme un prêtre païen, tenant soit un rouleau soit un coffre à encens253. Le personnage, à l’angle qui se tient devant l’animal est tout aussi difficilement identifiable. Il s’agit d’un clerc, en habits liturgiques, qui tient à deux mains les cordes ou les rênes de l’animal. Est-ce un religieux s’apprêtant à détacher le saint après son martyre afin de lui donner une sépulture digne ? Ou bien d’un prêtre qui arrête l’animal254 ? Ou encore, comme le suggèrent certains chercheurs, est-il un compagnon de Sernin l’abandonnant à son triste sort255? L’attitude statique du personnage mettant en valeur le vête Selon la légende, les pieds du saint sont attachés à l’encolure d’un taureau.  Adrien LAGREZE-FOSSAT, Études historiques sur Moissac, Paris, tome 3, Paris, 1874, p. 317 ; Ernest RUPIN, L’abbaye et les cloîtres de Moissac, Paris, 1897, p. 273. 254   Pierre SIRGANT, op. cit., p. 283. 255  Adrien LAGREZE-FOSSAT, Études historiques sur Moissac, op. cit., p. 273 ; Maria Cristina CORREIA LEANDRO PEREIRA, op. cit., p. 359. Selon la Passio Antiqua (Passio Antiqua, 4, éd. T. RUINARD, Acta primorum martyrum sincera et selecta, Paris, 1689, p. 111), trois des compagnons de Sernin, prêtres comme lui, se seraient enfuis en abandonnant le saint lors de son arrestation. La présence sur l’image de ce religieux lâche renforcerait sa faute et sa 252

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Fig. 74 - La glorification de Sernin, chapiteau, cloître, abbaye Saint-Pierre, Moissac

ment liturgique semble s’accorder difficilement avec cette hypothèse. L’insistance très nette sur la fonction et non sur le personnage – qui aurait pu traduire son action négative – laisse à penser qu’il faut peutêtre y voir l’évocation de la prise en main du corps saint par des compagnons fidèles et donc indirectement des reliques, fierté du diocèse. L’allusion au comportement positif de certains clercs fait contrepoids à l’attitude de ceux qui ne méritent pas d’être évoqués et qui sont condamnés à l’oubli. Sur le dé, au-dessus de la scène de martyre, une fleur dans un médaillon évoque le symbole de la croix. Sur la face occidentale de la corbeille, dans une mandorle, l’âme de Sernin, sous l’apparence d’un petit personnage nu, monte au ciel256 (fig. 74). Le saint semble aspiré par les cieux ; il est, par ailleurs, entraîné par la main de Dieu qui sort des nuées. De part et d’autre de la mandorle, des feuilles de lierre, symbole d’éternité, renforcent le sens de l’image. À travers la représentation de l’ascension ou de la glorification, l’idée de la résurrection à la fin des Temps est escamotée culpabilité dans la mort du saint. Pour Maria Cristina C.L. Pereira, « on pourrait voir dans ce religieux lâche une référence aux chanoines rattachés à Saint-Sernin [de Toulouse avec lesquels les moines de Moissac entretenaient une rivalité féroce] », p. 359. 256  Le saint a les bras le long du corps, paumes ouvertes vers l’extérieur, et croise les jambes. Les images de Fructueux, de ses compagnons et de Sernin à Moissac montrent l’âme sous l’apparence de petits personnages nus. L’âme figurée de la sorte s’inscrit dans la tradition de la psyché païenne, jeune vierge nue. Cette nudité s’explique surtout par l’idée de pureté retrouvée, lors de la mort en état de grâce, mais aussi parce que comme le signale Matthieu dans son Évangile : « Dans la vie ressuscitée, on ne prend ni femme, ni mari, mais on est comme les anges de Dieu dans le ciel » (Mt., XXII, 30).



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puisque les saints sont figurés immédiatement après leur mort. Selon une croyance, en effet, ils étaient récompensés aussitôt après leur décès et gagnaient aussitôt la Jérusalem Céleste. Leur âme échappait ainsi à l’attente, à cette mise entre parenthèses indéfinissable entre la mort physique et le Jugement dernier257. Les images de glorification se situent dans la perspective de la première résurrection, celle des Justes, incarnés par les martyrs. Pour traduire cette exception en image, les concepteurs ont puisé dans le répertoire christologique et se sont inspirés de l’Ascension et de la glorification du Christ. Une des plus anciennes adaptations hagiographiques de l’image de l’Ascension qui nous soit connue dans l’art monumental est la glorification-élévation d’Étienne – après son martyre – sur la plaque sculptée de la face nord de la tour-porche de Saint-Benoît-sur-Loire. Durant le premier millénaire, en effet, la mandorle, quelle que soit sa forme, est réservée pour partie au Christ ou à la Vierge258. L’utilisation de cette forme dans l’iconographie hagiographique puis sa vulgarisation intervient vers l’an Mil. À ce titre, l’Évangéliaire d’Otton III témoigne de ce glissement puisqu’il contient les images des Évangélistes glorifiés259. Un des jalons de cette adaptation est perceptible sur un chapiteau, sculpté par Umbertus260, au rez-de-chaussée de la tour-porche. Antérieure à l’image d’Étienne, cette sculpture est assez significative du détournement du motif christologique pour servir l’iconographie d’un saint : Martin est figuré dans une mandorle orfévrée soutenue par deux anges (fig. 75). Le concepteur de l’image joue avec la forme et la matière de la mandorle qui, par son épaisseur, évoque un vêtement. Il forme comme une « gangue protectrice » autour de Martin rappelant le manteau dont le saint recouvrit le pauvre. En ce sens, la figure du saint protégé contraste avec la vulnérable nudité du pauvre agenouillé, voire recroquevillé de la scène de la Charité (fig. 76). Le motif de « la mandorlevêtement » comme le désigne joliment Pierre Bureau trouve une résonance avec l’enluminure du psaume 40 du manuscrit 39, datant

257  Ambiguïtés textuelles et théologiques qui posent d’énormes problèmes au Moyen Age puisque l’Évangile de Luc est le seul à mentionner, après la mort de Lazare et du mauvais riche, la récompense immédiate de l’un et la punition non moins immédiate de l’autre (Lc., XVI, 19-31). 258   Voir à ce propos Noureddine MEZOUGHI, « Recherches sur l’iconographie des mandorles au premier millénaire », op. cit., p. 229-274. 259   Voir à ce sujet Éliane VERGNOLLE, Saint-Benoît-sur-Loire, op. cit., p. 110. 260  Umbertus a œuvré à la charnière entre l’an Mil et la période romane.



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Fig. 75 - La glorification de saint Martin, chapiteau, porche, abbatiale Saint-Benoît, Saint-Benoît-sur-Loire

Fig. 76 - La charité de saint Martin, chapiteau, porche, abbatiale SaintBenoît, Saint-Benoît-sur-Loire

Fig. 77 - Un homme donnant un manteau à un pauvre, Valenciennes, Bibl. Mun., ms. 39, f° 86



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du XIIe siècle, de la bibliothèque municipale de Valenciennes261 (fig. 77). Un homme charitable donne son manteau à un pauvre nu et transi. Il recouvre délicatement le corps contracté du malheureux avec l’étoffe qui, en l’enveloppant, prend la forme d’une mandorle. Le motif de la chlamyde entièrement restaurée de la vision de Martin apparaît ici – complétant ainsi l’épisode de la Charité – et se conjugue avec la glorification du saint. Glorification nettement affirmée alors même que le sculpteur laisse planer une ambiguité sur la forme de la mandorle qui a la valeur symbolique du vêtement. Il peut effectivemment s’agir d’une hésitation du concepteur de l’image qui préfère un subtil détournement plutôt qu’une affirmation franche du motif262. Une autre hypothèse consisterait à prétendre que son talent lui a dicté cette image géniale combinant la glorification de Martin et l’évocation de la Vision. Après les cycles ou les scènes figurant un supplice particulier, la décollation reste l’image la plus représentée et les épisodes uniques de décapitation dominent l’iconographie hagiographique. Ils sont assez proches dans leur composition de l’image de la décapitation de Valérie. Ce modèle iconographique, en effet, semble avoir été privilégié263. Il constitue le motif central de cette image : les deux personnages de profil – bourreau et condamné – sont confrontés et le martyr est légèrement ou franchement courbé. Néanmoins, les décapitations présentent de nombreuses variantes dans le détail : les concepteurs des images inventent d’ingénieux procédés plastiques pour servir la narration ou la démonstration. Cinq exemples représentatifs de cette tradition iconographique foisonnante ont été retenus.

  Valenciennes, Bibl. Mun., ms. 39, f° 86. Voir François GARNIER, Le langage de l’image au Moyen Âge, signification et symbolique, Paris, 1982, pl. 32, p. 217. 262   Nous ne partageons pas le point de vue d’Éliane VERGNOLLE qui pense que cette mandorle est une sorte de cadre qui annonce « avec quelque timidité encore, l’image de saint Étienne : d’une œuvre à l’autre, l’idée s’est affermie et s’est clarifiée », op. cit, p. 110. 263   Des décapitations très différentes de celles présentées ici ont aussi vu le jour, mais en nombre réduit, comme par exemple la très belle scène visible sur un des chapiteaux du cloître de l’ancienne abbaye Saint-Pons de Thomières. Il s’agit de la décollation de saint Pons (mort en 258, martyr, fêté le 14 mai. A.A.S.S., Mai, III, p. 274-279.). Pons est figuré de face, en prière. Il est agenouillé, les mains jointes, encadré par deux bourreaux en cotte de maille. L’épée du bourreau de gauche vient de s’abattre sur son cou. Ce côté de la corbeille est dégradé mais il semble que les bourreaux avaient saisi le saint par la chevelure pour mieux lui trancher le cou (chapiteau déposé, États-Unis, Toledo, Toledo Museum of Art, inv. 29.203-29208.). 261



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Fig. 78 - La décapitation de Savinien, chapiteau, église Saint-Savinien, Melle

Fig. 79 - La décapitation de Maurin, chapiteau, abbatiale Saint-Maurin, Saint-Maurin

Un chapiteau de la fin du XIe siècle de l’église éponyme de Melle264 montrant la décapitation de saint Savinien265 en est un cas exemplaire (fig. 78). Le miracle de céphalophorie va se produire puisque Savinien, en se courbant profondément, rattrape sa tête entre ses mains, selon le modèle iconographique utilisé aux Salles. À l’angle de la face sud du chapiteau, la main divine sortant des cieux bénit le martyr. L’intérêt de ce chapiteau réside surtout dans la composition de sa face nord qui laisse percevoir l’inventivité du concepteur : Aurélien qui a ordonné le supplice de Savinien est clairement désigné comme le meurtrier, directement responsable de la mort du saint. Il est représenté dans le manteau des dignitaires romains266 et soutient le coude du bourreau qui tranche de son autre bras la tête du saint. Il accom264   Des inscriptions dans le chevet soutiennent cette hypothèse de datation, voir Robert FAVREAU et Jean MICHAUD, Corpus des inscriptions de la France médiévale, III. Charente, Charente-Maritime, Deux-Sèvres, sous la direction d’Edmond-René LABANDE, Paris, 1977, p. 136139. 265  Savinien, premier évêque de Sens et martyr, fêté le 31 décembre. S. PETRI VIVI, Apparitio S. Saviniani, L. M. DURU, Bibliothèque Historique de l’Yonne ; ou Collection de légendes, chroniques et documents divers, Auxerre, 1850, 1863, 2 tomes, t. II, p. 289-290. 266  La partie supérieure de son corps est dégradée.



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pagne littéralement le geste de l’exécutant dans sa triste besogne. Une inscription appuie le sens de l’image : « EST SAVINIANVS QVE SIC [NE]CAT AVRELIAN’ » soit « EST SAVINIANVS QUEM SIC NECAT AVRELIANVS »267. Ainsi, le sculpteur insiste sur la responsabilité du commanditaire du crime par la composition, puis par l’inscription. La même préoccupation se retrouve sur un chapiteau de l’église SaintCaprais à Agen, mais son impact visuel est moindre et l’inscription qui accompagne la scène moins significative. Dacien condamne Caprais268 qui est supplicié devant lui. Un soldat lui tranche la tête tandis que son âme est accueillie par un ange. À droite, un autre bourreau tenant un glaive pousse le martyr vers son supplice. Sur l’astragale du chapiteau est gravé : DACIANVS (PRECIPIT), MILES (OCCIDIT), SANCTVS CAPRASIVS (MORITVR CELESTIA SCANDIT)269. Aux Salles-Lavauguyon, sauf pour Étienne, les hommes à l’origine du martyre des saints sont toujours figurés : leur responsabilité est tacite. Ils sont représentés dans l’attitude de ceux qui détiennent le pouvoir et qui ordonnent. En revanche, aucune inscription, ni l’utilisation d’un procédé plastique particulier ne vient renforcer la responsabilité déjà établie du meurtrier. L’image de Melle n’a, semble-t-il, pas d’équivalent, à notre connaissance, dans la peinture romane française270. Aux Salles-Lavauguyon, Valérie est malmenée par le bourreau qui lui tire les cheveux. Ce motif est assez souvent utilisé dans les images de décapitation tant en peinture qu’en sculpture. L’image peinte de la décollation de saint Pancrace271 dans l’ancienne abbatiale SaintLéger à Ébreuil montre le bourreau tirant les cheveux du martyr tandis qu’il brandit son épée (pl. 30). Sans un titulus mentionnant le nom du saint, il serait impossible d’identifier la scène tant ce type d’images est fréquent. Un modèle iconographique similaire se retrouve sur un chapiteau du chevet de l’église de Saint-Maurin qui narre le martyre du saint éponyme272 (fig. 79). Le roi de Lectoure, Valduanus, vient de   « C’est Savinien qu’Aurélien tue de cette manière ».   Caprais, évêque et martyr sous Dacien, fêté le 1er juin. A.A.S.S., Juin, I, p. 78-79. 269   « Dacien ordonne, le soldat tue, saint Caprais meurt, il monte au ciel ». 270  Il est probable, en effet, que les concepteurs des images n’aient pas développé les mêmes procédés narratifs, ni les mêmes méthodes d’adaptation de la légende aux images pour la peinture et la sculpture. 271   Pancrace, mort en 304, martyr, fêté le 12 mai. A.A.S.S., Mai, III, p. 21 ; GRÉGOIRE DE TOURS, Liber in gloria martyrum, P.L., 38, col. 705-800. 272   Maurin, VIe siècle, martyr en Agenais, fêté le 25 novembre. Catalogus codicum hagiographicorum latinorum antiquorum saeculo XVI qui asservantur in Bibliotheca Nationali Parisiensi, Bruxelles, 1889-1893, III, p. 377-386. 267 268



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Fig. 80 - La décapitation des saints Just et Pasteur, chapiteau, portail nord, église Saint-Just, Valcabrère

porter le coup fatal au saint à l’aide d’une longue épée qui vient de s’abattre sur sa nuque. Contrairement à l’image de Melle, le concepteur de l’image ne s’est pas livré à une interprétation. D’après la vita, le roi dut accomplir lui-même la décapitation de Maurin, le bourreau, effrayé par des voix célestes, ayant refusé de le faire. La légende précise que Valduanus trancha la tête ainsi qu’une partie de l’épaule gauche du martyr. Ainsi sur le chapiteau, le roi, pour faciliter son geste, a saisi la tête du saint par les cheveux. La fonction évangélisatrice de Maurin est soulignée par le bâton dont il est muni puisque selon la légende, en prêchant l’Évangile, il entraînait des conversions massives parmi les populations. L’identité royale de Valduanus est également indiquée par sa barbe et par son destrier. Le miracle de céphalophorie qui suivit le martyre est illustré sur un autre chapiteau de l’église. Une autre image sculptée montre également l’utilisation de ce procédé plastique – le bourreau tirant les cheveux du saint pour lui dégager le cou ainsi offert à sa lame – qui traduit admirablement bien la confrontation et la violence. Le corps de saint Just ou de saint Pas

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teur s’affaisse sous les coups du bourreau qui lui tient la tête par les cheveux alors que le martyr semble vouloir la prendre dans ses bras273 (fig. 80). Les deux hommes, Just et Pasteur, ayant été martyrisés ensemble, il est logique de les voir figurés côte à côte lors de leur décollation : sur l’autre face du chapiteau, un bourreau casqué et vêtu d’une cotte de maille est en train d’infliger un coup mortel au saint qui a rattrapé son chef... À l’exception du cycle d’Étienne qui n’appartient pas à l’iconographie martyriale « classique », les autres cycles hagiographiques des Salles-Lavauguyon, bien que reprenant des schémas iconographiques courants dans le répertoire hagiographique, témoignent de la créativité du concepteur des images. Cette inventivité ne s’exprime pas forcément dans la conception d’une scène particulière274 – une décapitation ou une comparution par exemple –, mais dans la manière dont le cycle est élaboré. Autrement dit, l’idée reçue selon laquelle les scènes de martyre sont répétitives est à bannir. D’une manière générale, la créativité des concepteurs d’images est perceptible par une composition particulière ou bien par des détails qui renouvellent le thème. Les procédés narratifs sont variés d’un support à l’autre, au sein d’une même série, et témoignent non seulement de la créativité des concepteurs d’images, mais également de la richesse de la matière hagiographique mise en images. Autre facteur d’inventivité, certaines passions ont été peu, voire très rarement, figurées dans l’art monumental. Il est bien évident, cependant, que l’ambition des concepteurs était d’inscrire symboliquement, voire de manière formelle – par le christomimétisme –, la passion du saint dans le dessein divin. De même, l’existence de modèles iconographiques est indéniable pour des martyrs plus fréquemment figurés comme saint Vincent ou qui ne font l’objet que d’une image. Aux Salles-Lavauguyon, les martyrs figurés ont des morts représentatives ou subissent une torture particulière qui devient identifiante. Chaque cycle vise à mettre en valeur un des épisodes les plus emblématiques de la légende du saint : la céphalophorie, le gril de Laurent, les flèches de Christophe, les seins coupés d’Agathe. Ces épisodes deviennent les symboles du saint, des identifiants qui résument en une seule image ce qu’est le martyre et l’essence même du saint qui en est l’objet.  Il s’agit de l’un des chapiteaux du portail nord de l’église Saint-Just de Valcabrère.   Comme nous l’avons déjà souligné, il apparaît que pour ces images réputées « répétitives » des formules plastiques particulièrement originales ont été élaborées.

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Les rythmes de la narration

Les techniques narratives et temporalité des cycles hagiographiques Les techniques narratives aux Salles-Lavauguyon Aux Salles-Lavauguyon, les cycles se déroulent sur des bandes colorées que nous qualifierons de « narratives ». Ces bandes sont, en effet, exclusivement utilisées pour les images historiées. Elles servent de fond aux scènes narratives et expriment l’idée du temps qui se déroule au fur et à mesure de l’action, indiquant non seulement la temporalité mais également le rythme de la narration275. Le temps se déroule de manière interrompue selon la technique du « déroulé continu » et du « filé enchaîné ». Le déroulé continu est l’enchaînement des différents épisodes du récit les uns à la suite des autres, chacun ayant son unité propre. À ce procédé narratif peut se superposer ce que nous qualifions de « filé enchaîné » : une transition est ménagée entre deux séquences narratives. Chaque scène se substitue à la précédente par un motif qui assure la transition progressive d’un épisode au suivant. Très souvent, un personnage est utilisé à cet effet : appartenant au premier épisode, il regarde le second ou bien par des gestes, il invite à passer à la scène suivante. La plupart des cycles hagiographiques des Salles sont construits selon ces procédés narratifs. Un autre procédé a été néanmoins employé pour traiter du cycle de l’Enfance et mérite d’être mentionné : la narration est séquencée, les épisodes ne s’enchaînent pas de manière filée car les bandes narratives sont interrompues par des césures verticales. Chaque scène semble ainsi entre parenthèses : le rythme donné à ce cycle l’isole nettement des autres. La perception du temps en est alors considérablement modifiée. L’épisode appartient à un temps unique et semble échapper à sa linéarité tout en s’y inscrivant. Cette technique particulière convient parfaitement au discours défendu par ce décor peint sur lequel nous reviendrons. La temporalité et la narration sont donc clairement signifiées par le déroulement linéaire des bandes. La fonction de celles-ci apparaît, en effet, parfaitement lorsqu’elles sont confrontées aux autres images   Voir également Otto DEMUS, La peinture murale romane, Paris, 1968, p. 19. L’auteur évoque la continuité du mouvement ininterrompu suggérée par les « raies horizontales » qui font office de « césures, d’accent et de pauses » et qui permettent « d’accélérer ou de ralentir l’action, de scander ou de rythmer l’espace ».

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de l’église. Des prophètes ou assimilés sont figurés assis ou en pied sur un fond blanc au registre supérieur des murs de la nef (pl. 31). La limite de la représentation est clairement marquée par une bordure à plusieurs filets colorés, assez vaste par rapport au « portrait » du prophète qui appartient alors à un monde où le temps est aboli : atemporel, il est représenté dans la grâce éternelle. Le fond blanc sur lequel les prophètes se détachent marque la suspension du temps. Pourtant, les limites de l’image n’en sont pas moins posées. La bordure fonde l’autonomie de la représentation par rapport au support – le mur de l’église – permettant au spectateur de contempler l’image à partir de lui et d’en saisir les limites. Des limites qui sont tangibles lorsqu’il s’agit d’exprimer le sacré, l’invisible, le transcendant. Ainsi, les bandes colorées des cycles marquent sans ambiguïté le temps du récit mais avec des nuances dans la perception de la temporalité : séquencée pour le cycle de l’Enfance, continue pour les cycles hagiographiques. Aux Salles-Lavauguyon, le concepteur des cycles a utilisé quatre techniques narratives ou modes narratifs pour mettre en images la matière hagiographique, une diversité qui rend compte de son inventivité et de sa créativité. Les trois images de la passion d’Étienne, au revers de la façade, se succèdent de manière continue et filée. À cette technique, se superpose un « filé enchaîné » puisque l’image d’Étienne en odeur de sainteté ménage une transition entre la première et la dernière scène du cycle. Illustrant une succession d’épisodes sur un temps relativement court de la légende, ces scènes offrent un enchaînement d’épisodes proches dans le récit. En d’autres termes, le cycle se fait l’expression d’un faible intervalle de temps. Un mode narratif moins complexe est utilisé dans le cycle consacré à sainte Valérie. Les images y sont d’une grande efficacité narrative : leur simplicité apparente sert l’action et la renforce. Comme pour le cycle stéphanien, chaque épisode est explicite, le récit se déroulant de manière continue sur un temps assez bref de la vita. Les épisodes s’enchaînent rapidement : condamnation, décapitation, céphalophorie276. Cependant, contrairement au cycle d’Étienne, chaque séquence conserve sa propre unité de temps et de lieu : le palais de Tève, le lieu  La surface disponible pour retracer la vie de Valérie, comme pour celle de Laurent, est supérieure à celles des autres cycles de la nef en raison du mur occidental sur lequel est peint le premier épisode du martyre de la sainte et le troisième de la légende du diacre martyr. 276



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en plein air de l’exécution et la cathédrale de Limoges. Les trois temps forts de son martyre sont décomposés en trois tableaux indépendants les uns des autres dans leur conception. Sans aucune transition entre les différentes séquences, le cycle de Valérie donne l’impression de se dérouler sur un temps plus long que celui du Protomartyr. Le cycle d’Agathe est également composé de tableaux. À la différence des deux cycles précédents, il semble avoir bénéficié de quatre images. Deux sont clairement visibles tandis que la troisième se devine. Comme il paraît difficile qu’un prophète ait pu figurer en pendant d’une image narrative, il nous est permis de supposer qu’une quatrième scène complétait le cycle. Les deux épisodes du registre inférieur sont, quant à eux, typiques de la passion de la sainte et permettent sans la moindre ambiguïté son identification : la torture des seins coupés et leur guérison par l’intervention de saint Pierre. À l’instar des cycles d’Étienne et Valérie, les épisodes sont consécutifs dans la vita, mais pourtant, leur propos et leur rendu sont différents. Le concepteur des images a certes conçu les scènes comme des « tableaux » disposés l’un et l’autre de part et d’autre de la fenêtre et superposés mais les deux images du registre inférieur résument la passion de la sainte plus qu’elles ne la décrivent. Ainsi, l’ambition du concepteur des images n’était pas l’enchaînement filé du récit, mais d’illustrer par deux séquences narratives deux temps bien distincts de la légende qui se complétent. Une tout autre conception a présidé à l’élaboration du cycle de saint Laurent. Parmi les trois images qui le forment, les deux premières ne sont absolument pas construites sur le même mode que celle de son supplice. La composition des deux premières scènes ne reflète pas une préoccupation narrative. La figure de Laurent y est hiératique : le saint est peint de face dans les images de l’arrestation et de la présentation des trésors de l’Église. Le peintre a mis l’accent sur le saint au détriment des scènes elles-mêmes et de leur signification. Le hiératisme de la représentation vise à définir les caractéristiques spirituelles de Laurent, homme libéré de son rapport à la matérialité. L’exaltation de ses qualités personnelles a conduit le concepteur de l’image à une certaine monumentalisation de la figure pour brosser un portrait moral. La conception du deuxième épisode est similaire : le saint, de face, entouré de pauvres, est « détaché » de l’image de Dèce figuré sur le mur occidental. Seul le même personnage présent dans la deuxième et la troisième scène permet de les lier. Il désigne dans chaque scène la précédente et la suivante sans souci chronologique, assurant ainsi la transition d’un épisode à l’autre.

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Le parti pris commun aux deux premières scènes et qui n’a pas d’équivalent dans les autres cycles réduit la narration à sa plus simple expression. Les images sont presque « décontextualisées », dépourvues de tout détail anecdotique, sans substance narrative. Elles sont conçues comme une sorte d’évocation emblématique des événements, comme un fil conducteur qui explique l’origine du martyre, martyre qui constitue la scène la plus importante du cycle tant dans le traitement que par la surface occupée. Il nous semble que l’on pourrait qualifier ces deux premières images de « portrait narratif » au même titre que certaines images du combat de saint Georges contre le dragon ou de la charité de saint Martin... Le temps est contracté pour que ne soit gardés que les temps forts de la légende du saint. Le cycle est conçu comme un abrégé de sa passion puisque certains épisodes ont été omis entre les séquences peintes. Le concepteur des images aurait donc choisi les épisodes jugés clés de la légende. Il demeure néanmoins des interrogations au sujet de ce cycle : pourquoi avoir juxtaposé des scènes dénuées de matière narrative à une image narrative « classique » dans sa conception ? Nous avons déjà avancé l’hypothèse de la popularité de l’image de Laurent sur le gril et l’inscription possible de celle des Salles dans la tradition iconographique. Il semble qu’il faille rechercher l’explication en dehors des analyses formelles. Un propos très différent a été utilisé pour l’élaboration du cycle éminemment narratif de saint Christophe. La technique utilisée pour le construire permet d’abréger le récit et de livrer un grand nombre d’informations : les séquences narratives sont décloisonnées, liées par une seule et même figure qui sert de passerelle entre les différents temps de la légende. Ce cycle propose donc une approche de la temporalité singulière et se distingue des autres cycles de l’église. Les différents temps du récit se superposent, synthétisant son déroulement et la notion du temps. Cependant cette organisation des images n’est pas novatrice : la superposition de plusieurs temps de l’histoire se retrouve dans d’autres édifices. Dans le porche de Saint-Savin-sur-Gartempe dont le programme peint est daté des alentours de 1100, l’image peinte de la vision de la Femme et du Dragon (Ap., XI, 19 ; XII, 1-17) est une contraction de cinq temps d’un récit de dix-sept versets : l’apparition du Temple de Dieu, la Femme et l’Enfant menacés par le Dragon, l’Enfant enlevé, la Femme munie de ses ailes, le Dragon vomissant « comme un fleuve d’eau derrière la femme » (fig. 81). À gauche de la composition, saint Jean extatique voit apparaître dans le ciel l’arche

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Fig. 81 - La Femme et le dragon, porche, abbatiale Saint-Savin, Saint-Savin-surGartempe

d’alliance et le Temple de Dieu. La femme trône au centre de l’image, assise sur le soleil, « qui l’enveloppe », un croissant de lune sous ses pieds. Le Dragon menaçant occupe la partie gauche de la composition. Sa représentation est conforme au texte : de couleur rouge, « à sept têtes et dix cornes ». Sa longue queue serpentine balaie « le tiers des étoiles du ciel et les précipite sur terre ». Des étoiles jonchent le sol ocre jaune de la scène figurée. L’antique Serpent s’apprête à dévorer l’Enfant juste né. Mais « l’enfant fut enlevé jusqu’auprès de Dieu et de son trône ». Pour transcrire cette action en images, le concepteur a choisi de représenter un ange sortant du ciel, déjà matérialisé par la vision de Jean, qui entraîne l’enfant qui prend appui sur les genoux de sa mère pour signifier son ascension. L’épisode du combat de saint Michel contre le Dragon (Ap., XII, 7-12) est escamoté dans cette scène car il fait l’objet d’une image particulière dans le porche, strictement en vis-à-vis de celle que nous étudions. Le concepteur de l’image s’est concentré sur la Femme, c’est pourquoi son récit imagé reprend au verset 13. Il a ajouté à la figuration de la femme la paire d’ailes du grand aigle qui lui permet de fuir lorsque le Dragon se lance de nouveau à sa poursuite. « Le Serpent vomit alors de sa gueule comme un fleuve d’eau derrière la

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Femme, pour l’entraîner dans ses flots ». Cet ultime effort du Dragon pour tuer la Femme est symbolisé par un ruban blanc ondulant qui semble sortir de son corps … Les cinq temps du récit se superposent comme une sorte de feuilleté pour former une image synthétique parfaitement lisible. Si cette technique narrative n’est pas le propre des Salles-Lavauguyon, elle témoigne néanmoins de la formidable inventivité et de la capacité d’abstraction du concepteur des images. Ainsi, à Saint-Eutrope, différentes techniques narratives sont utilisées pour adapter en images le récit hagiographique. L’expression de la temporalité est liée au choix du procédé narratif employé. En fonction de celui qui est choisi, chaque passion reçoit donc un traitement particulier et, de ce fait, est connotée de façon différente. La « mise en œuvre visuelle » et la composition de chaque épisode témoignent de l’interprétation qui est faite de la scène traitée à l’intérieur du cycle. La créativité du concepteur des images est pleinement soulignée par l’exploit qu’il réalise en évitant les redondances alors qu’il élabore des cycles martyriaux construits sur un même modèle : arrestation, condamnation, supplice. Une expérimentation permanente D’autres techniques hagiographiques ont été mises au point au Moyen Age pour s’adapter à la surface disponible. Comme peu de cycles peints ont été conservés en France, nous avons choisi de présenter ceux d’une autre collégiale, Saint-Hilaire-le-Grand de Poitiers, tant les techniques et les solutions pour transcrire la matière narrative en images sont différentes de celles des Salles-Lavauguyon (fig. 82). La surface réservée aux cycles, ainsi que leur emplacement dans l’édifice conditionnent, en effet, la narration et la technique utilisée pour la rendre. Le concepteur des images de Saint-Hilaire a dû organiser les cycles en fonction de leur emplacement dans l’espace réduit d’une absidiole et, ainsi, proposer un agencement des images qui suggère la continuité du récit, à défaut d’être un déroulé continu. Dans l’absidiole nord sont peints les épisodes les plus connus de la vie de Martin. La scène du partage du manteau et celle de la Vision sont en vis-à-vis (pl. 32-33). Sur la paroi occidentale, Martin nimbé, à pied, tenant d’une main son manteau et de l’autre son épée, partage sa chlamyde (fig. 83). Le pauvre courbé, dans une attitude pleine d’humilité, semble demander et remercier en même temps tandis

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Fig. 82 - Plan de la partie orientale de la collégiale Saint-Hilaire, Poitiers



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Fig. 83 - La charité de saint Martin, chevet, absidiole nord, collégiale Saint-Hilaire, Poitiers

qu’au-dessus de la scène, une main bénissante sort des nuées. Des inscriptions explicitent l’image : MARTINVS / CLAMIDE.... Dans un axe horizontal – sur le mur oriental de la chapelle – est figurée la vision de saint Martin : le Christ, dans une vaste mandorle, présente le manteau qu’un ange désigne des deux mains pour renforcer le miracle de son entière restitution (fig. 84). Sous la vision de saint Martin court une inscription en vers léonins : VT DARET EXE[MPLVM] .......... ...TECTVM qui rappelle la portée de l’acte du saint et le modèle qu’il doit être pour les chrétiens. Comme dans les deux autres chapelles, sur chaque paroi, les scènes narratives sont superposées en deux registres, il semble que d’autres épisodes de la vie de Martin devaient exister. Sous l’apparition du Christ, Martin était peut-être représenté endormi selon un modèle iconographique caractéristique de certains manuscrits de Fulda de l’époque ottonienne. Sur les trois enluminures des sacramentaires de Fulda, constituant les plus anciens exemples connus, la Maiestas Domini domine le registre supérieur de la composition au-dessus de l’image du partage et de Martin endormi277. À la différence de l’image de 277   Bamberg, Staatliche bibilothek, ms. lit. 1, f° 170v° ; Göttingen, Universitätsbibliothek, cod. theol. 231, f° 113r°, Udine, Biblioteca Capitolare, ms.1, f° 70r°. Voir à ce propos Éric



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Fig. 84 - La vision de saint Martin, chevet, absidiole nord, collégiale SaintHilaire, Poitiers

Poitiers, le Christ ne présente jamais le manteau restauré. C’est pourquoi, à Saint-Hilaire, sous la vision du Christ montrant ostensiblement le manteau, il apparaît peu probable qu’un autre épisode – autre que celui de Martin endormi – ait été peint, tant l’image de la théophanie est spectaculaire. Il semblerait que les parties basses de la paroi aient également reçu des images. Les restaurateurs ont, en effet, mis au jour des traits qui cernaient le contour de personnages peints directement sur le mur : trois hommes, au moins, semblent se suivre et courir après quelque chose que le premier d’entre eux a saisi. Ces traits sont-ils des esquisses d’atelier destinées à être recouvertes par l’enduit sur lequel les artistes peignaient ? Cette découverte laisse cependant supposer que la totalité de la chapelle ainsi que la voûte en cul-de-four étaient sans doute recouverte d’un décor pictural. La légende du saint figuré de l’absidiole nord-est n’a jamais été identifiée dans les études antérieures de l’église, en raison de la dégradation des peintures. Deux registres de scènes ont été conservés sur chacune des parois de la chapelle. Au mur droit, sur le registre du haut, un saint, nimbé, paraît attablé et tend son bras (pl. 34). L’image est lacunaire dans sa partie supérieure : seuls les pieds des convives PALAZZO, Les sacramentaires de Fulda, op. cit., p. 93-95.



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ou des différents protagonistes sont encore visibles. Pourtant, deux personnes devaient accompagner le saint autour de la table : la première peinte au centre de la composition, la seconde faisant pendant au saint. La table est recouverte d’une nappe blanche, mais sur le plateau apparaît une forme ovoïde de couleur rouge sur laquelle semblent avoir été figurés divers éléments aujourd’hui illisibles. Au registre inférieur, le saint nimbé et barbu est allongé dans un lit, recouvert par un drap blanc jusqu’à la poitrine (pl. 35). Son attittude accuse la souffrance : les yeux ouverts signifiant l’absence de sommeil, le bras droit replié sur sa poitrine, le gauche étendu sur sa couche. Un être ailé, sans nimbe, paraît appuyer ou palper à deux mains le ventre du saint dont l’expression est douloureuse. Tout semble indiquer qu’il s’agit d’un démon ou du diable venant le tourmenter durant la nuit. Selon nous, les deux scènes renvoient à la légende de Philibert278. D’après la vita, le saint s’imposait des jeûnes vigoureux mais un soir, il fit un écart à la règle qu’il s’était lui-même fixée279. La nuit, « l’antique ennemi » apparut dans sa cellule, lui palpa le ventre ironiquement et lui dit : « De cette manière, celui-ci (le ventre du saint) est bien », ce qui obligea le saint, par la suite, à redoubler de vigilance (fig. 85). À Saint-Hilaire, figurait une inscription près du démon qui appuie notre hypothèse et confirme l’identité du saint : [MO]DO H[I]C/ [B]EN[E]280 soit « Modo hic bene » : « De cette manière, celuici est bien ». La scène du registre supérieur pourrait être soit la représentation des jeûnes de Philibert qui servait tout le monde à table pour tromper sa faim ou bien le saint cédant à la tentation et rompant son abstinence. La vita rapporte, en effet, qu’« Ayant reçu l’ordre de s’asseoir à la première table, il s’appliqua en personne à servir tout le monde, afin de tromper sa faim avec le soulagement de reprendre des forces en faisant le service pour ses frères et le repas achevé, il quitta la table sans être rassasié. Son antique ennemi, regardant d’un œil malveillant son abstinence, poussait son esprit à prendre davan278   Pour restreindre les recherches, nous sommes partie de l’hypothèse que le saint du cycle, à l’instar de Martin et de Quentin, faisait l’objet d’une dévotion particulière à Saint-Hilaire. Nous avons recherché des indices dans les vitae des saints dont les noms apparaissent dans les dédicaces des autels. Puis à partir des éléments peints : repas, restes d’inscriptions, nous avons tenté d’identifier le saint de l’absidiole nord-est. 279   Vita sancti Filiberti, dans Monuments de l’histoire des abbayes de saint Philibert, par René Poupardin, Paris, 1905, p. 4. 280  L’inscription est à peine visible dans l’absidiole, néanmoins d’anciens clichés de la photothèque du CESCM montrent la peinture avant la restauration et laissent entrevoir les restes de l’inscription.



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Fig. 85 - Le diable se moquant de saint Philibert, chevet, absidiole nord-est, collégiale Saint-Hilaire, Poitiers

Fig. 86 - Philibert chassant le diable, chevet, absidiole nord-est, collégiale saint-Hilaire, Poitiers



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tage de nourriture ; révélé par la volonté de Dieu, il apparut à l’homme de Dieu pendant son sommeil. En effet, comme une nuit la nourriture lui avait donné des forces, le tentateur commença à lui palper le ventre et à dire : ‘‘De cette manière, celui-ci est bien, de cette manière, celui-ci est bien’’. Alors, le soldat de Dieu connaissant les javelots brûlants de son antique ennemi, se protégeant du rempart de la croix, s’appliqua à tripler la rigueur de son abstinence et implora l’aide de Dieu contre les armes de tyran » 281. Sur le mur de gauche, au registre inférieur, la scène figurée se situe dans un édifice religieux282 (pl. 36). Un autel drapé d’une nappe blanche est soigneusement peint du côté droit de l’image. Le saint nimbé se tient devant, le bras droit levé vers le ciel (fig. 86). Son attitude semble dictée par la présence d’un personnage situé du côté gauche de l’image. Sa tête dont on ne distingue plus que les contours est surmontée d’un petit personnage hirsute de couleur foncée qui évoque l’image d’un démon sortant de la bouche d’un possédé. Le personnage semble tenir un candélabre, pièce d’orfèvrerie de haute taille. La scène semble correspondre à un épisode de la légende de saint Philibert qui rapporte qu’une nuit, alors que le saint priait, un démon voulut le tuer avec un candélabre en fer. Philibert fit un signe de croix et le mit en fuite : « En effet, comme il (le diable) avait tenté de l’effrayer dans l’église sous l’aspect d’un ours, et qu’une autre nuit, il s’était efforcé de le transpercer avec un candélabre de fer... Philibert repoussa toutes les manigances grâce à la vertu divine de la croix » 283. L’image montre donc la victoire du saint sur le démon qui visiblement en lâche le candélabre. La scène du registre supérieur est, elle aussi, détériorée : un homme vêtu d’une tunique courte avance en direction d’un bâtiment dont les portes semblent ouvertes (pl. 37). Il paraît avoir les mains jointes sur la poitrine. Peut-être est-il dans une attitude de supplication ? La dégradation extrême de la peinture rend son interprétation   Vita sancti Filiberti, op. cit., p. 4-5 : « IV. Jussus igitur ad priorem mensam sedere, studuit ipse omnibus ministrare, ut ipsum reficiendi solatium in fratrum implicaret obsequium, nec satiatus a mensa surgeret peracto convivio. Cumque antiquus hostis ejus invidens abstinentiae pulsaret animum illius ut sumeret ampliora edulia, nutu Dei detectus, viro Dei per somnium est ostensus. Nam cum quadam nocte fuisset cibo refectus, ipse ventrem ejus palpare coepit ac dicere : « Modo hic bene, modo hic bene ». Tunc miles Domini cognoscens ignita jacula inimici, crucis se vallans munimine, rigorem abstinentiae studuit triplicare, et Dei auxilium implorare contra arma tyranni. » 282   Des colonnes ont été figurées soutenant une voûte. 283   Vita sancti Filiberti, op. cit., p. 5 : « Nam cum in ursi specie eum intra ecclesiam temptasset terrere, et ipsum nocte alia ferro candelabri nisus fuisset transfigere,... omnia ejus manchinamenta Filibertus expulit virtute divina per sancta crucis indagia ».  281



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difficile : il est impossible de savoir si l’homme se dirige vers un personnage se tenant sous l’édifice. Bien qu’il soit complexe de rapprocher cette image d’un épisode particulier de la vie de Philibert, il pourrait néanmoins s’agir du démon qui empêche le saint de pénétrer dans l’église. Cette anecdote suit immédiatement dans la vita la lutte dans le lieu de culte précédemment évoquée : «... ou qu’une troisième nuit, il (le diable) voulait l’empêcher d’entrer dans l’église avec ses bras écartés.. » 284. Philibert le mit en échec par un signe de croix. Un cycle de saint Quentin285, identifié de longue date par des inscriptions, est peint dans l’absidiole sud-est. Sur le mur nord, au registre supérieur, le saint, nimbé, comparaît devant le préfet Rictiovar qui lui ordonne de renier sa foi286 (pl. 38). Un homme de sa suite se tient derrière le dossier du trône. Quentin, magnifique figure nimbée, est représenté dans l’attitude traditionnelle des saints condamnés : le geste de ses bras témoigne de l’acceptation de la sentence prononcée par Rictiovar287. Toutefois, le refus du martyr à renier sa foi est exprimé par son corps avec force : ses jambes sont tournées dans le sens opposé à son torse marquant ainsi son insoumission au préfet. Au registre inférieur, le saint dans la position du dormeur est allongé sur une couche ovale dans une pièce dont on devine encore l’architecture (pl. 39). La scène se déroule vraisemblablement dans une prison puisque le spectateur y assiste par l’ouverture semi-circulaire d’un bâtiment dont l’artiste a soigneusement représenté l’appareillage. Un ange, la tête la première, descend du ciel et se penche à l’oreille du dormeur pour le réconforter en lui révélant l’objet de sa mission. À la suite à sa comparution, en effet, le saint est fouetté, torturé, puis jeté dans la geôle où l’ange se manifestera durant la nuit. L’apparition du divin à un saint endormi est une image fréquente dans les cycles hagiographiques. Le Christ apparaît par exemple à Adalbert sur l’un des panneaux de la porte de la cathédrale de Gniezno, un ange annonce la mort prochaine d’Ambroise à l’évêque Honoré couché sur l’autel en or de Saint-Ambroise de Milan, un ange se manifeste au chevet de Millan avant sa mort sur la châsse de San Millan. Dans l’art monumental, une image de la frise du chevet de l’église de Selles-sur-Cher propose une formule iconographique rela  Vita sancti Filiberti, op. cit., p. 5 : « vel nocte tertia ostium ecclesiae expansis brachiis vellet prohibere...». 285  A.A.S.S., Octobre, XIII, p. 726. 286  Une inscription identifie les deux protagonistes de la scène : RICTO[V]ARVS S QUIN[TI]NVS. 287   Curieusement le saint a voilé son bras gauche dans un pan de son manteau. 284



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tivement proche dans sa composition puisqu’un ange descend du ciel pour révéler au saint sa mission. La figure couchée, représentée de biais, est un modèle iconographique extrêmement courant dans l’art des Xe-XIIe siècles. Employé à l’origine dans la peinture gréco-romaine pour donner une illusion de l’espace, il a perdu dès le IXe siècle cette recherche de profondeur pour devenir un modèle autonome. Il a été utilisé pour la grande majorité des positions couchées, ce qui explique sa large diffusion288. Il est intéressant de comparer la composition de cette scène avec celle figurant Philibert couché. Le concepteur des images de Saint-Hilaire a utilisé deux formules iconographiques distinctes, ce qui peut signifier qu’il avait connaissance de deux cycles enluminés relatifs aux saints Quentin et Philibert utilisant, chacun, l’un des deux modèles iconographiques se retrouvant dans l’église. Sur le mur sud, au registre inférieur, Quentin s’adresse à un groupe d’hommes (pl. 40). Comme le premier personnage du groupe est imberbe, l’hypothèse qu’il puisse s’agir de Rictiovar est éliminée, ce dernier arborant une barbe, symbole de sa noble condition. Bien qu’il ne reste que deux personnages visibles, l’homme était certainement suivi de plusieurs de ses compagnons. Quentin tient une couronne de la main gauche voilée – la couronne des martyrs, la gloire éternelle des élus – et la présente au groupe devant lui. Selon la vita, en effet, saint Quentin, guidé par l’ange, s’est évadé de la prison à l’insu des gardes pour convertir une foule de païens par la force de sa prédication. La légende relate que les gens accouraient pour écouter Quentin dont le discours entraîna la conversion d’ « environ 600 hommes » 289 . L’image est donc la traduction de cet épisode : la couronne est la matérialisation, la traduction plastique de la prédication du saint qui montre aux païens le chemin du Salut et de la gloire éternelle des élus. Le discours du saint porte ses fruits, l’homme en face de lui exprime l’acceptation. L’introduction de cette « couronne-discours » renforce la narration et témoigne de la qualité inventive du concepteur du cycle qui a adapté le texte de la vita au besoin de l’image pour rendre l’épisode compréhensible. Au registre supérieur, le saint, de face, se tient au milieu d’hommes répartis en deux groupes (pl. 41). Les lacunes ne permettent pas de préciser les gestes des différents personnages mais il semble qu’il   À ce propos, voir la contribution de Piotr SKUBISZEWSKI sur le décor du manuscrit de la vita Radegundis, op. cit., p. 185. 289  A.A.S.S., Octobre, XIII, p. 726. 288



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puisse s’agir du martyre du saint, torturé à l’aide de broches rougies enfoncées dans ses chairs. Rictiovar, en effet, en apprenant la conversion d’un grand nombre de ses sujets, ordonna immédiatement de torturer et de mettre à mort Quentin à l’aide de tiges de fer et de clous enfoncés dans son corps « de la nuque jusqu’aux jambes ». Le sens de lecture des cycles et leur organisation témoignent d’une réflexion sur « la mise en espace » d’épisodes clés de la légende au sein de l’espace restreint des absidioles. Le cycle de Quentin débute au registre supérieur de la paroi nord de l’absidiole orientale, se poursuit au registre inférieur et continue au registre inférieur du mur sud pour s’achever au registre supérieur dans une continuité ininterrompue pour l’œil. Le cycle de Philibert commence au registre supérieur de la paroi orientale de l’absidiole nord-est pour se poursuivre au registre inférieur du même mur, et vraisemblablement se terminer chronologiquement par la scène du registre supérieur du mur occidental. Comme pour celui de Quentin, le concepteur des images a choisi de favoriser une lecture continue et cursive qui englobe l’espace de la chapelle plutôt qu’une lecture de bas en haut ou de haut en bas sur chaque paroi. En revanche, il n’a pas cherché à garder le même sens de lecture d’un cycle à l’autre puisque celui de Quentin débute à gauche tandis que celui de Philibert commence à droite. Les cycles de Philibert et de Quentin qui sont structurés de la même manière fonctionnent par l’association verticale de deux images : les scènes du jeûne interrompu de Philibert et de la moquerie du diable sont liées, étant les deux séquences narratives d’une même anecdote. Dans le cycle de Martin, les deux images conservées illustrent également un temps très court du récit mais elles ne sont pas associées par superposition. Elles se répondent l’une à l’autre de part et d’autre de l’espace de l’absidiole. L’image de Martin endormi sous la représentation de la vision interdisait vraisemblablement un autre agencement. Néanmoins, ce vis-à-vis entre le partage du manteau et la vision de ce manteau intégralement restauré rend la démonstration beaucoup plus forte, en raison du regard qui quitte un bref instant le champ, le lieu de l’histoire pour se poser sur une image atemporelle de vision. L’axe horizontal qui lie les deux images donne une impression d’immédiateté entre l’acte et sa conséquence directe, bien plus, nous semble-t-il, qu’avec une lecture verticale. Le cycle de saint Quentin est conçu de manière radicalement différente : le temps se succède de façon continue mais le récit est elliptique. Seules quelques séquences narratives résumant les temps forts de la vie

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du saint sont représentées. Il se peut que les deux autres images du cycle de Philibert aient également été imaginées selon ce procédé. Le concepteur des images a élaboré une véritable construction intellectuelle pour adapter au mieux les légendes et les mettre en scène dans l’espace des absidioles. La réflexion sur la « mise en espace » renforce l’impact visuel des épisodes peints : l’apparition divine s’offre aux regards en face du modèle incarné par Martin comme une sorte de va-et-vient permanent, un écho ininterrompu dans l’espace de la chapelle. Dans ce cas précis, le réseau d’images prend véritablement corps. En fonction des techniques narratives utilisées, le temps de l’histoire sera perçu différemment, les procédés narratifs déterminant la temporalité. Le déroulement continu est soit filé, autrement dit les deux séquences narratives se suivent dans un temps très court comme par exemple une arrestation, un jugement et une exécution, soit elliptique, seuls les moments jugés clés de la vie du saint sont évoqués290, à l’exemple du saint qui prêche puis est martyrisé. Un certain nombre d’épisodes pourtant traduisibles en images est omis. Le choix d’une « narration synthétique » permet de rapporter un maximum d’informations, de condenser le récit : plusieurs séquences narratives sont résumées en une seule image. Ce procédé nécessite de trouver une image ou une figure pivot dans le récit autour de laquelle vont s’articuler les différents temps de l’histoire. Ce mode narratif est absolument remarquable d’abstraction puisqu’il oblige à imaginer une image unique qui soit parfaitement lisible.

La mise en images de la matière hagiographique (Ve-IXe siècles) Ainsi, deux types de procédés narratifs bien distincts sont utilisés dans la conception des petits cycles hagiographiques : le déroulé continu de l’histoire (filé et/ou enchaîné), y compris pour des cycles à deux ou trois séquences narratives, et la « narration synthétique » où se superposent plusieurs temps de l’histoire dans une seule et même image. Ces techniques de narration propres au Moyen Age sont le fruit d’une lente maturation sur la mise en images de la matière hagiographique. Le culte des saints a été, en effet, très rapidement associé aux images pour entretenir leur mémoire. Certains procédés  La chronologie est respectée : le temps se déroule de manière continue.

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Fig. 87 - Des fidèles rendant hommage à saint Laurent devant son tombeau, médaille en plomb, Museo sacro, Rome

narratifs se sont fixés à partir du IVe siècle en reprenant et en adaptant à la nouvelle spiritualité des techniques déjà éprouvées dans la peinture romaine de l’Antiquité. Considérer la manière dont les images hagiographiques des XIeXIIe siècles retranscrivent la trame et le rythme de narration sans prendre en compte ce mode d’expression dans un long temps pour en percevoir les innovations est un non-sens. En analysant le corpus des images du Haut Moyen Âge, nous ne cherchons pas pour autant à restituer une continuité mais bien à mesurer les écarts qui se dessinent entre les débuts de l’art médiéval et le Moyen Âge central. Les plus anciennes images conservées sont figurées sur des médailles, des pyxides, des sarcophages291... En raison du support, l’évocation de la vie du martyr se réduit souvent à une séquence unique doublée parfois d’une image posthume. À défaut d’art monumental conservé, il demeure très intéressant d’étudier ces images qui donnent un aperçu de l’art hagiographique aux premiers siècles chrétiens. Sur une des faces d’une médaille romaine en plomb du premier quart du Ve siècle, déjà évoquée, est figuré le martyre de saint Laurent   Datant de la première moitié du IVe siècle, les sarcophages dits « de la Passion » illustrent le martyre des Apôtres Pierre et Paul : exemple, le sarcophage de Junius Bassus (Rome, Grottes Vaticanes). 291



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Fig. 88 - La condamnation de saint Ménas, pyxide en ivoire, British Museum, Londres

étendu sur son gril ; sur l’autre face, des fidèles s’arrêtent devant son tombeau (fig. 87). Ce médaillon avait très certainement une valeur apotropaïque : cette image est une figuration concrète du salut que renforce l’inscription SUCESSA VIVAS. Selon André Grabar, en effet, cette inscription et l’image illustrent la formule suivante : « Que Dieu qui a assuré le salut à saint Laurent donne longue vie (ou vie éternelle) à Sucessa »292. Deux images datées du Ve siècle illustrant le martyre des saints Nérée et Achilée sont visibles à Sainte-Pétronille sur deux reliefs des colonnes du ciboire qui a vraisemblablement surmonté un autel de la basilique souterraine des deux martyrs. Les deux saints sont décapités tandis qu’une couronne est figurée au-dessus de la scène. Une fresque datant des années 440-460 montre la décollation de trois martyrs anonymes dans un local souterrain, sous l’église SaintsJean-et-Paul. Les trois saints sont agenouillés, les yeux bandés tandis que les bourreaux s’apprêtent à accomplir leur triste besogne. Une pyxide en ivoire du VIe siècle offre la plus ancienne image orientale d’un martyre293. Elle présente des analogies avec le médaillon de Laurent et son analyse témoigne de l’évolution de la mise en images de la narration. Les reliefs du pourtour de la pyxide illustrent le martyre de saint Ménas dont le tombeau était situé dans un monastère près d’Alexandrie. La première image est consacrée au jugement et à l’exécution immédiate de la sentence (fig. 88). Incarnant l’autorité, le pouvoir, le juge préside et condamne Ménas selon des conventions  André GRABAR, Martyrium, op. cit., p. 14.  Londres, British Museum, pyxide en ivoire du VIe siècle.

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Fig. 89 - La décapita­ tion de saint Ménas, pyxide en ivoire, British Museum, Londres

déjà établies : représenté de trois-quarts, assis sur un tabouret, les pieds posés sur un suppedanum, il ordonne le châtiment en pointant ses deux doigts vers les bourreaux. Le dignitaire romain est secondé par un assistant qui tient dans ses bras des tablettes et par un soldat muni d’une épée et d’un bouclier. Ils sont témoins de la décollation du saint qui attend son heure, agenouillé et entravé (fig. 89). Selon un schéma devenu courant au Moyen Âge, le bourreau lui a saisi la tête par les cheveux et brandit son épée. Comme dans la grande majorité des images de martyres postérieures, l’image du supplice est transformée en victoire par l’intervention directe de Dieu : un ange descendu du ciel témoigne de son élection au moment de sa mort. Cette image, plus détaillée que celle du médaillon de Laurent, a déjà adopté la formule, devenue classique au Moyen Âge, du jugement combiné à l’exécution. Bien que cet exemple soit oriental, ce type d’images hagiographiques existait en Occident, à Rome notamment comme le prouve le médaillon de Laurent. La seconde image illustre la gloire posthume de Ménas. La figure idéale du saint dans l’Au-delà est représentée sous un arc, un motif que l’on retrouve souvent au Moyen Âge encadrant les figures hiératiques de saints et qui symbolise la dimension atemporelle et transcendante de l’image. Le saint est alors exclu de l’histoire des hommes qui viennent le vénérer, l’arc inscrivant et fixant son séjour dans l’Audelà. Dans l’attitude de l’orant, Ménas est honoré par deux femmes et deux hommes divisés en groupe par l’arc. La partition sexuée induite par la présence de l’édicule est révélatrice de la séparation

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dans l’église des hommes et des femmes qui sont réunis ici, malgré cette frontière culturelle, autour du corps de Ménas, protecteur de la communauté tout entière. Les deux images de cette pyxide résument l’idée que les premiers chrétiens se faisaient du culte des saints et des reliques. La vénération du saint figuré sur la pyxide ne pouvait se justifier que par sa mort glorieuse et par le témoignage rendu. Les images de la pyxide sont à mettre en parallèle avec la liturgie hagiographique exprimée à travers les martyrologes : la commémoration annuelle du saint a lieu le jour de sa mort294. Par ailleurs, le corps de Ménas, partiellement dénudé, est largement mis en valeur par sa centralité dans la composition. La nudité du saint, dont l’intimité est dissimulée sous un simple pallium, fait écho à la nudité héroïque ou glorieuse de l’antiquité. C’est bien le corps sacrificiel de Ménas dont il est question dans cette image, un corps que l’ange s’apprête à recouvrir d’un voile comme on le ferait d’une hostie consacrée. L’ostentation du corps du martyr invite à repenser l’image en fonction de son support, à savoir une pyxide qui contient des hosties. Il y a vraisemblablement un parallèle entre le corps sacrificiel offert au regard et le corps eucharistique dissimulé dans la boîte. Dans sa lettre aux Romains, Ignace d’Antioche a rapproché le martyre de l’eucharistie puisque le premier imite la Passion du Christ dans les faits tandis que le second l’imite dans le rite295. L’adéquation entre l’image et le contenu de la pyxide traduit au mieux l’idée selon laquelle le sacrifice du saint s’associe à celui du Sauveur. À défaut d’images monumentales conservées, des textes mentionnent parfois l’existence d’images disparues. Ces textes souvent descriptifs enrichissent considérablement notre connaissance fort lacunaire de l’image hagiographique monumentale car ils nous apprennent que durant les premiers siècles chrétiens, la passion d’un saint pouvait faire l’objet de plusieurs séquences narratives. À la fin du IVe siècle ou au début du Ve siècle, en effet, des cycles martyriaux existaient puisqu’Astérius d’Amasée en Orient nous livre une description précise de la passion en images de sainte Euphémie, premier cycle hagiographique connu. Cette peinture était exposée dans la memoria d’Euphémie en Chalcédoine. La première séquence la mon André GRABAR, Martyrium, op. cit., p. 76.  IGNACE D’ANTIOCHE, Lettre aux Romains 2-7, éd. P. Th. Camelot, (S.C. 10), Paris, 1969, p. 108-107. À ce propos, voir Enrico MAZZA, L’action eucharistique. Origine, développement, interprétation, Paris, 1999. 294 295



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trait amenée devant le tribunal296. Plus caractéristique de la passion de la sainte, la seconde était celle du supplice : « Plus loin dans la suite de cette peinture, les bourreaux, vêtus seulement d’une tunique, accomplissent leur tâche : l’un d’eux a saisi la tête de la vierge et la renverse en arrière, il la maintient ainsi immobile, exposée aux tortures, l’autre lui arrache les dents. On voit les instruments du supplice, un maillet, un fouet... Le peintre a si distinctement rendu les gouttes de sang, qu’il semble qu’on les voit réellement couler, si bien que l’on s’éloigne en sanglotant »297. Les deux dernières séquences illustraient l’emprisonnement de la sainte et son ultime supplice : « Puis on aperçoit la vierge en prison ; elle est assise seule, dans ses vêtements de deuil ; elle invoque Dieu dans ses souffrances. Pendant qu’elle prie, apparaît au-dessus de sa tête le symbole du martyre qu’elle va subir. Tout près, en effet, le peintre a placé un bûcher embrasé qui répand çà et là ses flammes rougeâtres et épaisses. Euphémie est au milieu, les mains vers le ciel ; son visage ne trahit aucune tristesse ; il montre plutôt sa joie de fuir vers la vie immortelle et bienheureuse »298. La croix au-dessus de la tête de la sainte assimile sa mort future à la mort glorieuse du Sauveur. L’image rappelait donc explicitement que la passion d’un saint réitère celle du Christ. La mort d’Euphémie se place sous le signe de la Passion du Christ et c’est sous cet aspect que Dieu la consacre martyre lors de cette ultime prière. Tel qu’il est décrit, le cycle martyrial présente déjà le schéma classique qui circulera jusqu’au Moyen Âge : arrestation, comparution, supplices, prison puis exécution, chaque séquence faisant l’objet d’un tableau. D’autres mentions de cycles ou d’une narration continue sont uniquement connues par les textes : une mosaïque et un tableau décrits 296  ASTÉRIUS D’AMASÉE, Homélie 11, In laudem sanctae Euphemiae, P.G., 40, col. 336-337. Traduction Charles BAYET, Recherches pour servir à l’histoire de la peinture et de la sculpture chrétienne en Orient avant la querelle iconoclaste, Paris, 1879, p. 63-64 : “ Le juge est assis sur son siège ; il regarde la vierge d’un air farouche et cruel. L’art sait, en effet, quand il veut, peindre la colère, même sur une matière inanimée. Tout près sont les satellites, la foule des soldats, les greffiers ont leur tablette et leur stylet ; l’un d’eux suspend sa tâche comme s’il lui ordonnait de parler plus fort, craignant d’entendre mal et de commettre quelques erreurs dans la procédure. Euphémie porte des vêtements sombres, et le pallium, signe de la philosophie. Le peintre lui a donné une physionomie aimable ; pour moi, son âme me paraît embellie par ses vertus. Deux soldats la conduisent au juge ; l’un marche en avant et la traîne, l’autre est derrière elle et la pousse. La pudeur se mêle au courage dans la démarche de la Vierge. Elle baisse la tête comme si elle rougissait d’être regardée par des hommes, mais elle se tient sans crainte, et ne souffre point de montrer la moindre terreur dans le combat...”. 297  ASTÉRIUS D’AMASÉE, Homélie 11, In laudem sanctae Euphemiae, op. cit., col. 336-337. 298   Ibid., col. 336-337.



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par Grégoire de Nysse évoquaient le martyre de saint Théodore d’Euchaïte299. D’après la description, les juges et les bourreaux étaient figurés ainsi que les tortures infligées au saint et le bûcher. Étaient représentées la mort de Théodore et une image du Christ en lien vraisemblablement avec cette dernière. Le texte n’est pas suffisamment précis pour que l’on puisse dire si le récit était séquencé ou bien en narration continue. Plusieurs épisodes se succédaient en constituant un cycle dont Grégoire parle avec emphase : « les grandes actions du martyr, sa résistance, ses souffrances, les traits sauvages des tyrans, leur violence » en concluant que « cette peinture est comme un livre vivant »300. Prudence évoque dans le chant IX du Livre des couronnes un tableau consacré au martyre de saint Hippolyte de Rome et qu’il aurait vu dans la crypte du saint à Rome301. Les termes employés invitent à penser qu’il s’agissait d’une fresque : « paries inlitus, multicolor fucus, picta species, liquidis umbris »302. Le martyr était attaché par les pieds à deux chevaux galopant à travers des buissons : « effigians tracti membra cruenta viri ». Des lambeaux de chair, des membres épars restaient accrochés aux arbustes. Des chrétiens ramassaient pieusement les restes saints : recueillant le sang et les débris humains. Certains portaient la tête, d’autres des morceaux de bras, de jambes303... L’insistance sur les restes saints d’Hippolyte n’est pas surprenante dans une crypte qui lui est dédiée. Ce sont les reliques du saint dont la puissance restitue l’intégrité du corps disloqué : une seule relique contient la puissance du corps complet304. 299   GRÉGOIRE DE NYSSE, Oratio in sanctum Theodorum, P.G., 46, col. 738-739, cité par Charles BAYET, op. cit., p. 62-63 et 77. 300   GRÉGOIRE DE NYSSE, Oratio in sanctum Theodorum, P.G., 46, col. 738-739, cité par Charles BAYET, op. cit., p. 62-63 et 77. 301   PRUDENCE, Livre des couronnes, Hymne XI, Oeuvres, IV, éd. et trad. M. Lavarenne, Paris, 1963, p. 165-173. 302   M. Lavarenne traduit ces termes par l’expression « peinture murale » : « Une peinture murale représente ce crime ; des couleurs variées y retracent tout le sacrilège. La peinture se trouve au-dessus du tombeau ; des ombres vaporeuses lui donnent une vie intense », op. cit., p. 169. 303   « L’artiste avait encore représenté les amis du martyr qui suivaient sa trace en pleurant, dans la direction où les conduisaient en zig-zag des sentiers détournés. Accablés de chagrin, scrutant tout des yeux sur leur passage, ils allaient et ramassaient dans le pli de leur vêtement les lambeaux de chair. L’un saisit la tête aux cheveux de neige et abrite doucement sur sa poitrine sa vieillesse vénérable. L’autre recueille les épaules, les mains mutilées, les bras, les coudes, les genoux, les fragments de jambes mis à nu. On essuie même avec des linges les sables altérés, afin de ne laisser dans la poussière malpropre aucune goutte de la précieuse rosée. Si quelque chaude éclaboussure de sang s’est déposée sur des épines, on l’en retire tout entière à l’aide d’une éponge », op. cit., p. 169-170. 304  Il n’est pas possible d’aller plus avant dans les investigations, tant les sources et les images conservées manquent. Faire des parallèles avec les époques postérieures semble hasar-



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La mention de ces images orientales et occidentales disparues – et notamment le témoignage d’Astérius – prouve l’existence de cycles hagiographiques dès le IVe siècle, du moins en Asie Mineure. Il n’existe pas d’exemples comparables avant le VIIIe siècle parmi les images monumentales conservées en Occident. Le cycle le plus ancien relate le martyre de saint Cyr et sainte Julitte. Il s’agit des fresques exécutées à la demande de Théodote, primicier de l’Église romaine sous le pape Zacharie (741-752) dans leur martyrium-oratoire en l’église de SainteMarie-Antique à Rome305. Les souffrances des deux martyrs soigneusement détaillées se déroulent en hauteur sur les murs latéraux de la chapelle. Deux grandes images votives, une Vierge en majesté entourée de saints et une Crucifixion, occupent le mur situé derrière l’autel. Le cycle hagiographique n’est pas, comme le suggère André Grabar, relégué au second plan et ne se réduit aucunement à une note marginale enrichissant les images votives. En dépit d’une sorte de hiérarchisation dans leur emplacement, les scènes narratives et les thèmes d’état se complètent mutuellement sans que les premières ne soient subordonnées aux secondes. L’oratoire-martyrium doit se comprendre comme un tout : la passion des deux saints, ici, est à interpréter en fonction du sacrifice et de la victoire du Sauveur, autrement dit de l’appel à la Rédemption. La pierre de fondation comme le point d’aboutissement de leur passion trouvent leur plus juste expression dans l’image de la Crucifixion. Leur passion comme le rituel quotidien de la messe tend au renouvellement du Sacrifice et se conclut par lui. C’est pourquoi ce déroulement de l’histoire des deux saints vers l’autel ou à partir de l’autel est primordial : le S(s)acrifice en est le point de départ et la conclusion. De surcroît, les deux saints honorés dans cette chapelle en qualité de martyrs – ce que rappelle le cycle en légitimant ainsi le culte qui leur est rendu – sont figurés derrière l’autel en tant qu’intercesseurs, fonction pour laquelle ils étaient priés. Ayant été martyrisés, ils sont devenus des intercesseurs, après l’intercesseur surprême, la Mère de Dieu, sainte patronne de la basilique. Des tableaux distincts isolent chaque séquence narrative de la passion des deux martyrs, à la manière peut-être des premiers cycles hagiographiques comme celui d’Euphémie (pl. 42). Dans le cycle de deux, le cadre architectural comme le rapport aux images ayant évolué... De surcroît, les images primitives des passions des saints se trouvaient dans des martyria, ce qui n’est plus forcément le cas dans les édifices du Haut Moyen Âge. 305   Piotr SKUBISZEWSKI, L’art du Haut Moyen Âge, L’art européen du VIe au IXe siècle, Paris, 1998, p. 67.



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Cyr et Julitte s’esquissent les formes, les techniques qui seront celles de la narration aux époques suivantes. La figure humaine se fait monumentale pour exprimer les qualités individuelles et spirituelles du saint. Les gestes ont perdu l’aisance classique et naturaliste du mouvement de la période antique et sont mis au service de la narration. Ils sont plus artificiels et exagérés pour permettre une compréhension immédiate de la situation et rythment les scènes tout comme la couleur dont l’utilisation traduit également une évolution. Les coloristes ne travaillent plus les nuances qui étaient propres aux recherches naturalistes de la période précédente. Les couleurs deviennent vives et contrastées pour accompagner l’action et la rendre lisible. Dans ces images du milieu du VIIIe siècle, le paysage a disparu au profit d’aplats de couleur sur lesquels les personnages se détachent306. L’architecture est reléguée au second plan et leur sert d’écrin. Aucun détail ne rentre dans la composition s’il ne relève pas directement de la narration. À ce titre, la scène des deux saints étendus sur une plaque de métal chauffée (sartago) est significative de l’évolution qui s’opère, au milieu du VIIIe siècle à Rome, dans le langage plastique (pl. 43). Les personnages évoluent sur un fond abstrait de couleur rouge, rien d’anecdotique ne vient nuire à la clarté de la narration. Dès lors, les caractéristiques d’abstraction propres à l’art médiéval sont pour partie fixées : impassibles, dans une pose extrêmement rigide, les deux saints sont allongés sur une plaque en métal bleu que des flammes viennent lécher. Un bourreau s’active sous les yeux d’un homme, Alexandre peut-être, gouverneur de Cilicie. Dans l’angle supérieur de la composition, pénétrant littéralement dans l’image, le Christ apparaît dans une nuée, accompagné d’un ange. Il se détache sur un fond bleu de même tonalité que celui de la plaque de fer. Sa progression vers les deux martyrs est signifiée par le recul de la couleur rouge qui se dissout par palier, par onde, au contact du divin. La main du Christ comme une partie du corps de l’ange s’enfoncent dans l’espace du martyre indiquant l’intervention permanente du divin sur terre. Selon une rigoureuse oblique reliant la tête et la main du Christ au corps de Cyr, des ondes lumineuses irradient de la divinité pour protéger l’enfant. Une autre image du cycle témoigne d’une expression narrative parfaitement maîtrisée : elle illustre le martyre de Cyr qui expire, le   Pour suivre les modifications de la peinture du haut Moyen Âge, voir Piotr SKUBI­ SZEWSKI, L’art du Haut Moyen Âge, op. cit., p. 56-77.

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crâne brisé (pl. 44). Le préfet ou le juge assiste à l’exécution des deux saints qu’il a ordonnée. Incarnant le pouvoir, flanqué de deux gardes, il est assis sur un large trône et désigne de deux doigts la scène qui se déroule devant lui. Julitte, la mère de Cyr âgé de trois ans, est torturée par deux bourreaux qui lui enfoncent des clous dans les épaules et dans le crâne. La sainte, de face et nimbée, semble indifférente à son sort malgré le sang qui coule et gicle abondamment de ses blessures. Dans un élan violent, un bourreau a saisi l’enfant par la jambe et s’apprête à le projeter à terre. La gestuelle des personnages, le traitement par aplat du fond et l’économie de moyens dans la composition générale permettent d’affirmer que l’iconographie hagiographique n’en était pas à ses balbutiements à Rome. Les mêmes préoccupations et les mêmes conventions plastiques se retrouvent dans la composition d’un cycle contemporain, celui de saint Érasme dans l’église Santa-Maria in Via Lata307 (pl. 45). En revanche, une nouvelle étape est franchie dans la réflexion et l’élaboration de la mise en images de la matière hagiographique : les séquences narratives ne sont plus traitées par tableau mais se suivent en déroulé continu. Le saint, en habits sacerdotaux, comparaît devant son juge qui trône. L’image suivante relate la première séance de torture d’Érasme qui est fouetté selon les ordres du juge toujours trônant et reconnaissable à ses vêtements. Les deux scènes s’enchaînent sans rupture, en « séquençant » l’action qui est contractée : les événements se déroulent de manière linéaire et continue sur un temps relativement bref. La clarté de l’ensemble tient au choix judicieux des moyens d’expression mais également de l’utilisation des personnages qui compartimentent les différentes séquences narratives et de leurs attitudes. Ces nouveaux procédés plastiques et sémantiques marquent un changement dans le langage narratif au VIIIe siècle et posent progressivement les caractéristiques de l’art hagiographique des XIe-XIIe siècles. Si le répertoire iconographique des cycles martyriaux semble être dans une certaine mesure fixé – reprenant un certain nombre de formules issues de l’iconographie christologique –, la faiblesse du nombre d’exemples conservés ne permet pas d’établir si l’iconographie hagiographique commençait à apparaître dans tous les édifices ou bien si elle restait limitée dans sa grande majorité aux églises-mar  Comme pour celui de Cyr et Julitte, les personnages se détachent sur un fond coloré et la narration est réduite à l’essentiel. 307



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tyria ou aux chapelles-martyria. Quoi qu’il en soit, dans les martyria, il semble que la présence des reliques conditionnait, outre celle des images votives, celle des cycles martyriaux. En Europe occidentale, à notre connaissance, aucun cycle monumental de la légende d’un saint ou de Miracula mis en images, datant des VII-VIIIe siècles, n’a été conservé. Cela ne signifie pas pour autant que ces cycles n’existaient pas mais leur nombre était sans doute réduit. Il semble qu’à cette période la fonction d’intercession ait été privilégiée, or lorsque le saint avait le titre de martyr, l’intercession était accomplie avec d’autant plus de force. Il s’agissait alors d’exalter cet aspect du culte que l’on souhaitait promouvoir par le biais des images. Seul un exemple lacunaire d’un cycle non martyrial a été conservé en Orient chrétien. Il s’agit vraisemblablement d’un cycle illustrant les miracles de saint Démétrios, datant du VIIe siècle, qui était peint dans la basilique éponyme à Salonique308. Un fragment montre une foule en émoi devant un événement dont il est impossible de saisir la nature. Les Miracula du saint, selon André Grabar, « mentionnent des images d’autres prodiges sur les murs de la basilique et notamment sur la façade où l’on admirait l’image d’une intervention du saint patron de Salonique en faveur de la ville assiégée par l’ennemi »309. Les images n’évoquaient pas, semble-t-il, la passion du martyr. Ainsi, ce cycle très dégradé pourrait constituer l’un des témoignages les plus anciens de l’art hagiographique non martyrial. En Orient, les fidèles entretenaient des rapports plus familiers avec les saints qu’en Occident. La dévotion qui leur est rendue apparaît assez tôt en lien avec la fonction quotidienne de protection et éventuellement l’accomplissement de miracles. Cette expression populaire du culte des saints, clairement affichée, explique la production de cycles comme celui de Saint-Démétrios. Or cette dimension passe pour secondaire dans les cercles intellectuels de la basse Antiquité et du Haut Moyen Âge occidental. C’est peut-être pourquoi il n’existe pas ou plus d’exemples équivalents à celui de Salonique en Europe occidentale. Bien que cet aspect du culte des saints n’échappât pas aux fidèles, ce type d’images n’apparaît pas dans l’art monumental avant le Xe siècle.   Ces fresques, découvertes en 1911, ont été détruites par un incendie en 1917. Elles peuvent être étudiées d’après les copies conservées au Musée Byzantin d’Athènes. Voir à ce propos André Grabar, Martyrium, op. cit., p. 75. 309  André GRABAR, Martyrium, op. cit., p. 76. 308



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Fig. 90 - Le discours d’Étienne devant le Sanhédrin, crypte, abbaye Saint-Germain, Auxerre

Daté des années 840, le premier cycle monumental conservé en France se situe dans la crypte de Saint-Germain d’Auxerre310. Conformément aux choix opérés en matière hagiographique du Haut Moyen Âge occidental, il s’agit d’un cycle martyrial retraçant en trois compositions la passion du protomartyr Étienne : le discours devant le Sanhédrin, la Vision à ciel ouvert et la lapidation (Ac., VI-VIII). Le cycle occupe les trois lunettes des voûtes d’arêtes dans la travée occidentale du couloir de la chapelle. Il commence à la lunette sud par la comparution devant le Sanhédrin, tribunal religieux de Jérusalem incarné par le grand prêtre en train de siéger311, secondé par un juge (fig. 90). La scène se situe dans une salle au décor caractéristique des palais dont la voûte est supportée par des colonnes cannelées aux chapiteaux ioniques ou corinthisants. À droite de la composition, saint Étienne, revêtu de la dalmatique ornée de claves rouges, s’adresse à ses juges en faisant l’ample geste de l’oraison. Le discours et la parole   Voir l’ouvrage Peindre à Auxerre au Moyen Âge (IXe-XIVe siècles). Dix ans de recherches à l’abbaye de Saint-Germain d’Auxerre, sous la direction de Christian Sapin, CNRS, Université de Bourgogne, 1999, p. 104-125. 311  Le grand prêtre est muni d’un bâton de commandement semblable à celui de Lothaire ou de Charles le Chauve dans plusieurs manuscrits du milieu et de la fin du IXe siècle (Première Bible de Charles le Chauve, dite Bible de Vivien, Paris, BNF, lat. 1, f° 423 ; Évangiles de Lothaire, Paris, BNF, lat. 266, f° 1v°). Cité dans Peindre à Auxerre au Moyen Âge (IXe-XIVe siècles), op. cit., p. 106. 310



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Fig. 91 - L’extase de saint Étienne, crypte, abbatiale Saint-Germain, Auxerre

sont ici magnifiés puisque par un effet visuel, ce geste évoque indubitablement celui de l’extase, objet de la deuxième image. Inspiré par Dieu et emporté par ses propres paroles, le saint est conduit à l’extase et son attitude se fige dans celle de l’orant. Le comportement des juges ne laisse aucun doute sur ce qui va suivre : la sévérité, la rigidité de leur position préfigurent le châtiment à venir. Peinte sur la lunette occidentale de l’oratoire, la scène de l’extase (Ac., VII, 55-57) est située face à l’autel et à la théophanie de l’abside (fig. 91). À cet emplacement, sous cette image précisément, le peintre Fredilo a choisi d’apposer son nom sur le décor peint. Ce signe de marquage sur les éléments architecturaux avait pour ambition de mettre sous le regard de Dieu l’œuvre accomplie et le rappel timide de l’exécutant312. Cet espace privilégié, face à l’autel, était donc tout désigné. L’image qui se situe face à la théophanie illustre l’extase qui suit le long discours d’Étienne devant ses juges : le diacre nimbé et tonsuré est au centre de la composition, entouré de neuf juges dont quatre sont munis du bâton de commandement. Tel un orant, Étienne devient l’image de la prière extatique. Des yeux fixes, un regard loin312   À ce propos voir Daniel RUSSO, « Le nom de l’artiste, entre appartenance au groupe et écriture personnelle », dans L’individu au Moyen Âge. Individuation et individualisation avant la modernité, sous la direction de Brigitte Miriam Bedos-Rezak et Dominique Iogna-Prat, Paris, 2005, p. 235-246.



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tain, une raideur générale, tout son corps semble exprimer le ravissement dont il est l’objet. La représentation fonctionne sur un principe visuel qui oppose le corps d’Étienne tendu vers Dieu, isolé, à la multitude compacte et animée qui l’entoure. D’une manière particulièrement vibrante, l’image d’Étienne illustre le passage biblique où le diacre « tout rempli de l’Esprit saint » annonce en fixant « son regard vers le Ciel » qu’il voit « la gloire de Dieu et Jésus debout à la droite de Dieu » (Ac., VII, 56). La suite du récit – « Jetant alors de grands cris, ils se bouchèrent les oreilles et, comme un seul homme, se précipitèrent sur lui » (Ac., VII, 57) – est également transcrite plastiquement : les juges avancent vers le saint sur lequel ils s’apprêtent à bondir, les mains de certains se crispent, annonçant d’ores et déjà la lapidation. Cette formidable transcription plastique de l’extase est renforcée par l’image théophanique peinte face à elle. Le motif de la divinité décrit par le visionnaire n’est donc pas omis par le concepteur du décor peint. Les images ont été pensées à l’intérieur de l’espace de la chapelle, à l’intérieur d’un réseau qui nourrit le sens de chacune d’elles. Les images hagiographiques sont organisées à partir de la Maiestas Domini surmontant l’autel : la figure extatique d’Étienne, « rempli de l’Esprit saint », contemple la divinité face-à-face, matérialisée par l’image au-dessus de l’autel-trône, sur lequel elle descend lors du sacrifice eucharistique. La lapidation, déjà décrite, est inscrite dans la lunette septentrionale, à l’ouest. Conformément au texte, la scène se situe hors de Jérusalem dont la porte et les fortifications ont été soigneusement figurées. Animé d’un profond élan, Étienne nimbé semble happé par la droite de la composition, attiré violemment par la chirophanie. Son genou fléchi indique non seulement qu’il va s’écrouler sous la pluie des coups mais suggère également la prosternation. Par la puissante oblique imprimée dans la composition par le corps d’Étienne – son visage tourné vers le ciel et ses mains ouvertes, la dimension ascendante de la figure est soulignée et suggère que le saint se remet pleinement et entièrement à Dieu. Le cheminement du martyr vers Dieu contraste avec les gestes furieux des bourreaux313 ; gestuelle dont on pressent qu’elle les attire inexorablement vers le bas, symbole de l’état de péché dans lequel ils se trouvent. Le cycle de saint Étienne à Saint-Germain d’Auxerre s’inscrit dans une période d’évolution de l’élaboration et de la composition des  Les bourreaux symbolisent ici le peuple qui se déchaîne contre le saint : leur costume court et l’absence de chlamyde précisent leur condition. 313



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cycles hagiographiques. Le premier jalon de ce changement apparaît comme nous l’avons vu dans le cycle de Cyr et Julitte à Sainte-Marie Antique : les personnages et l’action sont au cœur des préoccupations du langage plastique. Le cadre du récit passe au second plan et sert à valoriser la narration : la figure humaine prime. L’homme est représenté dans sa relation à Dieu, détaché de toute forme de matérialité, libéré du monde extérieur. L’expressivité des gestes sert ce discours figuratif profondément spirituel. Ainsi, la figure humaine et l’action l’emportent sur tout autre élément de narration. Pour renforcer le récit et sa clarté, le rythme de la composition devient essentiel. Il est créé par les corps et les gestes des différents protagonistes de la scène. Ce langage narratif particulier annonce les cycles et les images hagiographiques de la période romane dans lesquels les personnages concentrent l’essentiel de la force narratrice. Dès le Ve siècle, en Orient comme en Occident, les cycles hagiographiques sont composés de plusieurs séquences narratives formant des cycles longs. À cette constante, nous pouvons ajouter qu’à partir du VIIIe siècle, au moins, les images hagiographiques sont insérées dans un réseau d’images pour servir la construction intellectuelle défendue par le concepteur du décor. Certains concepteurs visent à replacer la passion du saint dans un dessein bien plus vaste pour témoigner du pouvoir universel du Sauveur, comme par exemple avec les images de la chapelle Saint-Cyr à Sainte-Marie Antique. Ces préoccupations rejoignent la réflexion sur l’emplacement et la mise en scène des images à l’intérieur de l’espace sacré. Le cas de l’extase d’Étienne tend à prouver que la liturgie a rapidement influencé la conception plastique des images hagiographiques. Dans le lien étroit – image-liturgie –, le support et sa fonction vont également déterminer la composition de l’image, à l’instar de la décapitation de Ménas sur la pyxide. Toutes ces considérations sont visibles dans un cycle italien plus tardif, datant du IXe siècle. Les images figurent sur les panneaux en or et argent de la face postérieure de l’autel de la basilique SaintAmbroise de Milan314. Cette digression témoigne de la mise en place  L’œuvre, commandée par l’évêque Angilbert (824-859), a été réalisée par une équipe d’orfèvres dirigée par le maître Vuolvinius. Pour une étude détaillée de l’autel, voir Victor H. ELBERN, Der karolingische Goldaltar von Mailand, Universität Bonn, 1952. En dernier lieu, voir Anne-Orange POILPRÉ, Maiestas Domini. Une image de l’Église en Occident (Ve-IXe siècle), Paris, 2005, p. 249-252. 314



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de thématiques communes aux différents média autour de l’art hagiographique dans la longue durée. La vita d’Ambroise est découpée en douze épisodes emblématiques qui forment chacun un tableau selon la formule antique315. Le cycle hagiographique développé ici sert un discours visuel d’une grande cohérence dont le thème principal est le Salut. Sur la face principale, le Sauveur, maître de l’univers, est encadré par les Apôtres. Dans les sections droite et gauche, douze panneaux racontent l’œuvre de Rédemption (de l’Annonciation à l’Ascension). À ce cycle christologique correspond sur la face postérieure de l’autel la vie de saint Ambroise en douze images également. Ainsi, il est clairement exprimé que le saint comme tous les disciples du Christ doit imiter son maître. Ce réseau d’images était lié à la présence des reliques des saints Ambroise, Gervais et Protais déposées dans la crypte. Une fenestella, fermée par deux vantaux décorés des effigies d’Angilbert et Vuolvinius devant Ambroise et des archanges Gabriel et Michel, est ménagée au centre de la face postérieure de l’autel et donne accès aux reliques. Cette ouverture fait pendant à l’image du Sauveur de la face principale. Ainsi, par le Sacrifice du Sauveur et par l’action du saint, imitateur du Christ, le fidèle se voit confirmer la promesse du Salut, une promesse qui est réitérée quotidiennement par le rite eucharistique sur l’autel. Associer l’image de la Maiestas Domini et celle du collège apostolique aux représentations de saints locaux316 dont Ambroise, fondateur de l’Église milanaise, vise à montrer le lien permanent qui relie l’Église céleste à l’Église locale, un lien qui se concrétise quotidiennement sur la table sacrificielle lors du rite eucharistique. Un sacrifice auquel sont unis les saints dont les reliques sont conservées dans l’autel. Les témoignages écrits des cycles disparus de l’Antiquité tardive et les images conservées du Haut Moyen Âge occidental montrent que  Les scènes représentées sur l’autel sont les suivantes : Ambroise est figuré un essaim d’abeilles sur les lèvres ; il s’enfuit pour échapper à la dignité épiscopale, mais il est ramené par la voix divine ; il reçoit le baptême nu ; il est consacré évêque ; pendant la messe, il est ravi en esprit à Tours où il assiste aux funérailles de saint Martin ; il prêche sous l’inspiration d’un ange qui lui parle à l’oreille ; il guérit le pied d’un goutteux en marchant dessus ; le Christ lui apparaît pour lui annoncer sa mort prochaine ; un ange apparaît à l’évêque Honoré pour lui annoncer la mort d’Ambroise ; et enfin un ange emporte l’âme d’Ambroise au ciel. 316  Sur les petits côtés de l’autel sont figurés : au sud, les saints Ambroise, Simplicien, Gervais et Protais et au nord, les saints Maternus, Nabor, Nazaire et Martin. Les images des écoinçons montrent du côté sud, des saints diacres et du côté nord, quatre saints vêtus d’une chlamyde. 315



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les images narratives illustraient, semble-t-il, exclusivement la passion des saints fixant les traditions de l’iconographie martyriale. Les cycles se présentaient en séquences narratives conçues sous forme de tableaux ou peut-être un peu plus tardivement en déroulé continu. Cette mise en images de la matière narrative ne peut être pensée indépendamment de la réflexion qui l’a accompagnée sur la construction des décors et sur leur mise en scène. La période suivante s’inscrit de ce point de vue-là dans la continuité. Cependant, les XIe-XIIe siècles se caractérisent par une période de créativité intense : le culte des saints connaissant un essor important, la création artistique est stimulée et le répertoire iconographique s’ouvre. La narration synthétique se complexifie. Les créateurs des cycles hagiographiques renouvellent également la manière de concevoir la narration en déroulé continu. Par la composition, ils essayent de donner au cycle un supplément de sens : le choix des scènes illustrées, leur agencement dans le cycle sont autant d’éléments qui permettent à leur inventivité de se mettre au service de la spiritualité.

Entre constance et innovations : les techniques narratives au Moyen Âge Comme la majorité des techniques narratives utilisées aux XIe-XIIe siècles puise ses racines dans le Haut Moyen Âge, les concepteurs d’images vont être amenés à réinventer des formules déjà expérimentées. L’acte de création se situe alors dans la manière dont ces techniques vont être employées, dans la composition des images et l’actualisation de la vita. Le « déroulé continu » des grands cycles hagiographiques En raison de la fragilité de leur support, il existe assez peu de cycles hagiographiques conservés constitués de plusieurs séquences narratives dans l’art monumental français317. Dans ces cycles longs, les séquences narratives sont multipliées et s’enchaînent en déroulé continu, c’est-à-dire que chaque séquence rapporte un épisode particulier de la légende. Le temps de l’histoire s’étire alors de manière 317   Pourtant, ils devaient être en nombre relativement important dans les églises en raison de l’épanouissement du culte des saints à cette période. Un lien étroit devait exister entre la présence de reliques prestigieuses dans un édifice et la réalisation d’un cycle peint qui en exaltait la puissance.



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continue et filée. Comme pour les cycles de Saint-Eutrope, cette technique narrative peut se combiner avec celle du « filé enchaîné». Ce mode narratif exige une importante surface murale : une voûte, une chapelle, une crypte... À la différence des cycles peints pour lesquels nous supposons une production importante, il nous semble, et ce malgré les destructions, que les grands cycles hagiographiques sculptés sur chapiteaux n’aient pas forcément été très nombreux, le support étant mal adapté au déroulement continu et filé du récit. Le séquençage des scènes y est beaucoup plus visible, les choix opérés sont nets et tranchés et la narration est forcément « éclatée » dans l’édifice, impression qui est renforcée lorsque les chapiteaux ne se suivent pas. Contrairement aux cycles sculptés sur plusieurs chapiteaux où un seul épisode peut occuper toutes les faces d’une corbeille, les cycles réduits aux faces sculptées d’un seul chapiteau figurent généralement trois ou quatre anecdotes de la vita. Le discours y est forcément plus elliptique : un épisode est résumé en une seule image alors que dans, les cycles longs, une même action peut-être fractionnée en quatre séquences. Le travail de réflexion sur la mise en images de la matière narrative est alors radicalement différent. Dans l’élaboration des cycles courts sculptés, chaque épisode figuré est considéré comme un moment clé de la vie du saint, les deux ou trois épisodes représentés s’inscrivant dans un temps plus ou moins long : le baptême du saint-un miracle-une exécution ou bien une arrestation-exécution. Résumer la vie d’un saint en deux ou trois images oblige à des coupes sombres dans la narration qui sont souvent très révélatrices du parti pris du concepteur de l’image. Autrement dit, le concepteur choisit les temps forts de la légende ou ce qu’il juge comme tel construisant ainsi son propre discours sur le saint. Le support et ce mode d’expression nécessitent une narration concise et synthétique, vraisemblablement la plus difficile à mettre en oeuvre. La difficulté à comprendre les cycles longs tient, quant à elle, à la localisation des chapiteaux dans l’édifice. Les concepteurs du réseau d’images ont pu définir leur place en fonction du thème générique de l’ensemble des sculptures, mais aussi en tenant compte de la structuration de l’espace sacré. Ainsi, les chapiteaux hagiographiques ne sont pas forcément proches les uns des autres dans l’édifice ce qui semble nuire de prime abord à la cohérence interne du cycle. De surcroît, l’usage de figurer un épisode par chapiteau n’est pas géné-



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ralisé, les cycles sculptés étant rarement aussi descriptifs et détaillés318. « L’éclatement » du cycle hagiographique sculpté, autrement dit les césures imposées par le support et la répartition des images dans l’édifice, n’a pas d’équivalence dans le cycle peint qui offre, en effet, un déroulement continu de l’histoire sans rupture apparente. Il nous apparaît pourtant que les cycles longs sculptés s’intègrent dans un discours construit, littéralement bâti, à l’intérieur de l’espace sacré selon un modèle quasiment dialectique319. Ce discours s’articule autour du programme architectural et du décor sculpté des chapiteaux et participe de la construction spirituelle de l’édifice idéal qu’est l’église. Les épisodes hagiographiques sont juxtaposés, associés à d’autres thèmes, disséminés dans l’église pour former ce discours qui s’organise autour de tensions, de rythmes, d’oppositions320. Autrement dit, les ruptures et les rythmes induits par le programme architectural et les chapiteaux sculptés structurent l’espace idéalisé de l’édifice, à l’image de l’Ordo divin. Bien plus que le cycle sculpté, sur chapiteaux, qui repose sur « un système de référence ouvert », le cycle peint trouve sa cohérence dans son fonctionnement interne. Une des forces d’expression des cycles peints tient au rôle structurant de la bordure qui délimite le lieu de la représentation, le lieu de l’histoire, sur la surface murale321. Dans son organisation, le cycle peint peut se suffire à lui-même puisque l’autonomie du lieu de l’histoire est avérée par rapport à l’espace qui l’entoure. La création « du champ de l’image » grâce aux bordures et au fond permet la transition exigée par l’image peinte entre elle et son support, ce qui n’est pas nécessaire pour les images des chapiteaux qui font corps avec l’architecture322. Cette fonction de la bordure ne signifie pas pour autant que les cycles peints ne s’intègrent pas à l’ensemble du réseau   Comme le médium n’offre pas les mêmes possibilités techniques, l’expression en est donc différente. 319   Voir à ce propos Thierry LESIEUR, Devenir fou pour être sage. Construction d’une raison chrétienne à l’aube de la réforme grégorienne, Turnhout, Brepols, 2003. 320   Voir Marcello ANGHEBEN, Les chapiteaux romans de Bourgogne. Thèmes et programmes, Turnhout, Brepols, 2003. 321   Voir à ce propos, Dominique RIGAUX, « Quand le cadre fait l’image. Rôle et fonctions des bordures à traits dans la peintures murale alpine (XIIIe-XVIe siècle) », dans Le rôle de l’ornement dans la peinture murale du Moyen Âge, Actes du colloque international tenu à SaintLizier du 1er au 4 juin 1995, Saint-Lizier-Poitiers, 1987, p. 187 et Éric SPARHUBERT, Géraldine THEVENOT, Cécile VOYER, « Construction et déconstruction de l’image médiévale : trois exemples limousins comme supports de réflexion sur le rôle structurant des cadres et des bordures », dans Le décor mural des églises, colloque de Châteauroux, 18-20 octobre 2001, p. 23-39. 322   À ce propos, voir Jean WIRTH, L’image à l’époque romane, Paris, 1999. 318



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d’images. Les emboîtements et les changements d’échelles sont inhérents à la logique médiévale ; ainsi les cycles peints qui possèdent une « autonomie propre » à l’intérieur du décor peint appartiennent bien au réseau d’images. En sculpture, seule la frise permet un déroulement continu du récit qui fonde « son autonomie ». Cependant, aucun exemple convaincant illustrant la légende d’un saint et datant des XIe-XIIe siècles n’a pu être retenu dans cette étude. La frise « hagiographique » de saint Eusice sur l’extérieur du chevet de Selles-sur-Cher aurait pu présenter un déroulement continu d’un récit hagiographique sculpté323. Mais l’étude de ces images montre, qu’à l’exception de trois images qui sont clairement identifiées comme appartenant à la légende du saint, les autres posent d’importants problèmes d’interprétation et ne semblent pas extraites de la vita du saint. Quoi qu’il en soit, en examinant la mise en œuvre visuelle des vitae dans les cycles peints et sculptés, il convient de garder à l’esprit les écarts entre les deux média. Ces remarques liminaires posent le débat et tendent à prouver qu’une approche différente des images doit être menée en fonction de leur support, notamment lorsque l’on veut essayer de les replacer dans leur lieu. Ce point de méthode précisé, nous pouvons nous pencher sur la mise en images de la matière narrative et la structure des cycles hagiographiques peints et sculptés qui, ici, ne seront pas considérés dans l’espace de l’église. Les programmes séquentiels peints « en déroulé continu » présentent un mode narratif et des compositions qui, de prime abord, paraissent analogues. En réalité, l’inventivité des concepteurs du cycle s’exprime souvent par le choix des épisodes figurés. Les omissions éclairent, par exemple, sur la re-construction hagiographique élaborée par le concepteur des images ou le commanditaire qui se posent finalement en hagiographes. Ils repensent la légende en donnant parfois une autre tonalité à certains passages, voire un nouveau visage au saint. La vita peut être l’objet d’une interprétation en images. Ainsi, par les épisodes occultés et, d’une manière générale, par le cycle hagiographique se dessine en creux le témoignage de la période ou de la communauté commanditaire. L’insistance sur un aspect de la   À ce propos, voir Marilyn LOW-SCHMITT, The Abbey Church of Selles-sur-Cher, thèse (dactyl.), Yale University, Septembre, 1972. L’auteur voit un cycle hagiographique dans les images de la frise. 323



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légende et les redondances sont autant d’indices significatifs de l’identité des commanditaires. Il convient également de s’interroger sur la composition des scènes peintes qui constituent les cycles pour saisir pleinement la créativité médiévale. Dans la crypte de l’abbatiale de Saint-Savin-sur-Gartempe, par exemple, le procédé narratif utilisé pour le cycle de saint Savin n’offre pas d’innovation particulière (pl. 46). Les différents épisodes de sa passion et celle de son jeune frère, Cyprien, s’enchaînent sans rupture dans la narration en une frise continue, la salle quadrangulaire de la crypte étant, en effet, entièrement consacrée à leur passion324. Leur histoire se déroule sur deux registres, des deux côtés de la voûte, de part et d’autre d’une bande faîtière325. La lecture du récit commence au registre supérieur du côté nord et se fait de gauche à droite. De l’autre côté de la bande faîtière, l’histoire se lit dans le même sens mais débute à l’est. La légende s’achève au revers du mur occidental par la conclusion tragique de la passion des saints326. Les scènes s’enchaînent donc sans césures apparentes puisqu’aucun espacement n’a été ménagé entre elles. Des lieux architecturaux accueillent les différents épisodes au sein d’un parcours global permis par le déroulé continu. Cependant, ces encadrements architecturaux ne sont pas utilisés pour séquencer le récit puisqu’ils coupent parfois en deux un même épisode. Ils servent de fond aux figures mais ne sont pas utilisés comme des « lieux scéniques » les contenant. Ils permettent juste de définir le champ de l’image et finalement de fonder l’autonomie de la représentation – et non de l’image327 – par rapport au support. L’alternance des fonds clairs – blancs ou jaunes – et sombres – bleus – facilite la lecture mais ne participe pas davantage au  La crypte consacrée à saint Savin est composée d’une salle quadrangulaire précédée d’un sanctuaire. Elle est faiblement éclairée par quatre ouvertures très étroites à l’ouest, au niveau du sol de la croisée et à l’est par une baie donnant sur le déambulatoire. Deux escaliers étroits à l’ouest permettent de la desservir. 325  Un motif imitant des draperies ou des tentures habille la partie inférieure des murs. 326   Certaines images sont trop dégradées pour être identifiables. Plusieurs scènes du registre inférieur sud sont par exemple illisibles. Avec prudence, Itsuji Yoshikawa pense qu’il pourrait s’agir de la libération de Savin et Cyprien de la prison d’Amphipolis, du miracle de l’enfant mort et ressuscité à Emixenia au bord du Rhône puis des deux saints accueillis par saint Germain à Auxerre. Voir Itsuji YOSHIKAWA, «Peinture de la crypte de l’église Saint-Savin-sur-Gartempe, La passion des saints Savin et Cyprien », (résumé en français, 4 p), Tokyo, 1982, p. 3. 327   Par définition, les images médiévales n’existent pas indépendamment de leur support et ne sont pas autonomes par rapport à lui (d’où le concept proposé par Jérôme Baschet d’images-objet). Voir également à ce propos, Jean-Claude BONNE, « Images du sacre », dans Le sacre royal à l’époque de saint Louis. D’après le manuscrit latin 1246 de la BNF, Paris, 2001, p. 133-136. 324



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séquençage de la narration. À Saint-Savin, ce sont les personnages eux-mêmes qui, par la verticalité de leur corps et par leur orientation, définissent les différents épisodes. Par ailleurs, le concepteur des images n’a pas cherché à assurer des transitions entre les scènes : tous les protagonistes d’une même séquence narrative sont tournés voire absorbés par l’événement principal de l’épisode. Ce cycle est l’illustration la plus parfaite du déroulé continu ou de la narration en frise continue : l’unité de lieu et de temps de chaque scène n’apparaît ni par l’utilisation de cadres ou du fond ni par l’espacement entre les différents épisodes. Le concepteur du cycle a uniquement joué sur le rythme de la narration en utilisant le corps des personnages comme autant de repères délimitant chaque espace narratif. Les gestes et les mouvements des personnages ont alors une fonction syntaxique328 puisque la scansion qu’ils induisent permet le découpage des différentes séquences narratives. La rythmicité de l’ensemble de la bande narrative est accentuée par les fonds colorés et les couleurs des vêtements des personnages. Le cycle semble reprendre littéralement le texte de la vita écrite par un hagiographe qui s’est inspiré de différentes passions. Construit sur des topoi, le récit du martyre des saints Savin et Cyprien ne présente aucune originalité, c’est pourquoi le concepteur des images ne pouvait prendre beaucoup de latitude par rapport au texte, ni même par rapport aux modèles iconographiques établis pour mettre en images cette littérature particulière. À l’instar de la vita, les images hagiographiques insistent sur l’alternance des comparutions des saints devant leur juge et les tortures particulièrement cruelles qu’ils subissent. L’objectif premier du cycle est donc d’exalter les champions de la foi que sont les martyrs honorés dans la crypte. Ils sont soumis à des violences innommables mais restent inébranlables dans leurs convictions. Ils subissent le supplice des ongles de fer, décrit avec une certaine complaisance par l’artiste qui emploie toute sa verve narrative à faire ressortir la violence et la sauvagerie de la torture329 (pl. 47). À gauche   Nous entendons par le terme « syntaxique » les propriétés plastiques et chromatiques de l’image en tant qu’elles sont signifiantes selon la définition donnée par Jean-Claude BONNE, L’art roman de face et de profil. Le tympan de Conques, Paris, 1984, p. 18-22. 329  La lacération est un supplice répandu dans l’Antiquité. Selon Aline ROUSELLE, dans son article sur « La naissance d’une iconographie des martyrs », dans Le culte des saints à l’époque préromane et romane, Actes des XXXe journées romanes à Cuxa, 7-16 juillet 1997, Cuxa, 1998, p. 227, les bourreaux utilisaient les ongles de fer pour torturer dès le IIIe siècle. 328



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de la composition, quatre bourreaux s’acharnent sur Savin : l’un lui écorche les doigts avec un énorme couteau tandis qu’un autre, arqué sous l’effort, lui tire violemment le bras tout en lui écorchant avec application. Un troisième homme, muni d’une longue griffe de fer, lui laboure l’épaule faisant couler le sang sur sa poitrine... Quatre autres bourreaux s’affairent autour de Cyprien, à droite de la composition. L’un d’eux le tire par les cheveux, l’obligeant à se courber complètement et à présenter son dos déjà sanglant à deux hommes maniant chacun une griffe de fer. Seule la bouche des deux martyrs dont les extrémités pointent vers le bas exprime la douleur. À travers tout le cycle, le peintre s’est attaché, en effet, à montrer l’énergie fabuleuse des deux saints qui, malgré les ongles de fer qui les déchirent, les roues, le feu, trouvent le courage d’affronter face à face leur tortionnaire et celui d’essayer de le convertir. Pour le concepteur du cycle, l’interprétation en images de la légende va consister à introduire dans la narration des détails qui font sens pour enrichir le récit en jouant sur la composition globale du cycle. Toutes les séquences narratives sont fondées sur l’opposition entre les mauvais et les justes : la foule et son hostilité, les deux proconsuls et leur acharnement, les bourreaux et leur violence et les deux saints, champions de la foi. Le concepteur des images a su camper l’animosité de la foule qui assiste au supplice de la roue330. Dans ce cycle où l’affrontement de l’humanité symbolise le combat du Bien contre le Mal, une scène marque un temps de pause dans le déroulement rythmé de la narration. En occupant une surface plus importante que les autres épisodes, elle impose une sorte de rupture dans la narration ; une césure qui est renforcée par le motif central de la composition. Il s’agit de la scène évoquant le supplice avorté de la  Au sud de la bande faîtière, les deux frères comparaissent à nouveau devant le successeur de Ladicius, Maximus, à l’intérieur d’une vaste salle. Les gardes tiennent fermement les bras des martyrs, exerçant ainsi leur pouvoir de coercition. Maximus les exhorte à adorer les idoles mais devant leur refus pour essayer de briser leur détermination, il les condamne au supplice de la roue. Dans une composition parfaitement symétrique, deux roues ont été représentées. Le corps des saints est pris dans les énormes rayons de la roue montée sur un poteau. Le supplice consiste à faire tourner la roue jusqu’à ce que la mort s’en suive. La vita précise que les saints n’en ressentirent aucune gêne ; néanmoins, l’artiste a pris soin de peindre les corps de Savin et Cyprien complètement désarticulés, jouets de la force centrifuge. Les deux saints aux corps contorsionnés écartent les bras dans une attitude qui semble exprimer la souffrance. Deux personnages de chaque côté de chacune des roues les activent vigoureusement à en juger par leur position. Maximus, à droite, ordonne aux bourreaux d’exécuter la sentence. Comme pour les autres scènes de supplices, le peintre a cherché à montrer une foule hostile aux saints, une foule avide du martyre des deux chrétiens. 330



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fournaise331 : jetés dans le feu, les saints sont protégés par le Christ alors que les flammes se retournent contre le proconsul et la foule qui assistaient au martyre. Dans une mandorle, le Christ étend ses bras protecteurs au-dessus des deux petites figures des martyrs. Le grand corps du Christ abritant Savin et Cyprien figure la protection des enfants par un père. L’image de paternité spirituelle représentée dans cette scène fonde et définit le rôle des deux saints, enfants du Christ dont ils poursuivent l’œuvre. Par sa position, le corps protecteur et « rigidifié » du Christ est aussi l’image de la Croix, suggérant non seulement la Passion mais également la victoire et le salut332. La figure tutélaire du Christ permet d’introduire dans l’image une perspective eschatologique par l’évocation de la Passion et de la Résurrection qui préfigurent la mort glorieuse des martyrs. Construite sur le modèle iconographique vétérotestamentaire des Hébreux jetés dans le brasier, l’image suggère également que la victoire des martyrs renouvelle celle du Christ, promesse de la Rédemption. Les flammes qui s’échappent de la fournaise pour consumer la foule des impies sont complaisamment peintes et rappellent l’imminence de la justice de Dieu. Cette image est conçue pour contrebalancer l’ensemble des autres scènes : les méchants qui sont actifs et font subir dans l’ensemble du cycle deviennent passifs et subissent à leur tour dans cet épisode : ils sont balayés par la punition divine. Le sort qui leur est réservé devient le symbole du triomphe du Bien sur le Mal, et ce malgré leur fausse victoire, la mort des saints qui conclut le cycle. Comme pour tous les cycles martyriaux, le triomphe des athlètes de Dieu est le thème central du propos mais en général, la victoire des saints se dessine en filigrane à travers leur résistance. Ici, le caractère glorieux des martyrs est souligné par un autre épisode : les lions léchant les pieds des condamnés qu’ils étaient censés dévorer. Au centre de la composition, les deux saints regardent les fauves qui se tiennent à leurs pieds. Maximus, coiffé d’un bonnet païen, manifeste son étonnement en prenant les nombreux spectateurs du miracle à témoin. Contrairement à la scène de la fournaise, l’instrument  La scène est peinte au registre inférieur nord de la voûte.  Le personnage aux bras étendus est un motif qui se trouve dès l’époque paléochrétienne : les orants notamment, symbolisant l’âme pieuse au paradis, comme celui du IVe siècle dans les catacombes de Priscillia à Rome, ou les représentations de Moïse étendant ses bras pendant la bataille contre les Amaliens comme sur la mosaïque de la nef de SainteMarie-Majeure au Ve siècle, préfigurant la Croix. Sur ce thème des bras levés de Moïse comme préfiguration de la Croix, voir Meyer SCHAPIRO, Les mots et les images, Sémiotique du langage visuel, Paris, 2000, p. 43-123. 331

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de torture ne se retourne pas contre les bourreaux mais le supplice échoue tout simplement. Au contact des saints et de leur bonté, les lions, instrumentalisés par le Mal, deviennent dociles comme des chiens de compagnie. La victoire des saints s’exprime également dans leur capacité à influencer la nature. Dans la vision très contrastée du monde que nous livre ce cycle hagiographique, le concepteur des images a minutieusement décrit les scènes de supplices. Pour soutenir son thème principal, la violence, la méchanceté comme la vengeance et la grâce divine doivent devenir sensibles, presque palpables. L’horreur n’est décrite que pour mettre en valeur la grâce divine. Plus la torture est cruelle et insupportable, plus le saint s’élève au-dessus de l’humanité. C’est pourquoi le concepteur des images n’épargne aucun effet pour mettre en valeur la condition extraordinaire de cet homme, touché par la grâce de Dieu. Il multiplie donc à dessein les scènes de supplices et de condamnation pour montrer que face aux tourments, l’endurance du saint est sans borne. L’accumulation des tortures exalte la force, la puissance du champion de Dieu. Plus les souffrances sont grandes, plus le saint se rapproche du Sauveur. C’est également pourquoi les images hagiographiques empruntent à l’iconographie christologique. Le christomimétisme des saints – qui se retrouve dans la littérature hagiographique par l’emploi de topoi récurrents – est essentiel car il permet de faire le lien entre le Christ et son imitateur, le saint. Ce procédé est particulièrement visible à Saint-Savin : l’accent mis sur la mission pastorale des saints évoque indubitablement le Christ prêchant, les deux scènes de comparution s’appuient pareillement sur les images de Jésus devant Hérode ou Pilate comme les scènes d’arrestation sont inspirées de l’iconographie christologique... Le saint, qui marche dans les pas du Sauveur, participe ainsi à l’économie du Salut. L’évocation de la Rédemption est une clé de lecture essentielle de ce cycle. Si le Salut est directement suggéré dans la scène de la fournaise, il est également clairement signifié dans la composition de la scène du martyre de Savin. À l’intérieur d’un édifice, peut-être un sanctuaire333, le saint est en train de baptiser un personnage qui n’est 333  Selon Itsuji YOSHIKAWA, cet édifice est un sanctuaire car il y voit un autel devant lequel Savin baptise des soldats convertis. Voir son article : « Peinture de la crypte de l’église SaintSavin-sur-Gartempe, La passion des saints Savin et Cyprien » (résumé en français, 4 p.), Tokyo, 1982, p. 2. Pour notre part, nous n’en distinguons pas.



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plus visible334. Il tient dans ses mains une aiguière contenant l’eau du baptême qu’il verse sur la tête du néophyte. Cyprien se tient derrière lui et se détourne car Maximus, reconnaissable à son couvre-chef de païen, a déjà brandi son épée qui s’abat sur la nuque de son frère. La main de Dieu bénissant sort des nuées marquant ainsi le caractère exceptionnel de cette mort. Par la composition, un accent assez net est mis sur l’eau versée sur la tête du catéchumène et le sang versé par le corps décapité du saint. L’épée du martyre entre en contact avec l’aiguière du baptême : aucune frontière n’est marqué entre les deux instruments symboliques de la scène qui se retrouvent ainsi associés. La réunion de l’acte sacramentel et du martyre témoigne de l’analogie entre ces deux actions : le néophyte naît à la vraie Vie par le baptême tandis que le martyr connaît une mort glorieuse par le baptême du sang. Le baptême, moteur du Salut pour les hommes, ne puise sa source que dans le Sacrifice du Sauveur, renouvelé par celui des martyrs. Cette image s’impose alors comme une évidence pour conclure la passion du saint patron de la crypte étant à la fois aboutissement et commencement335. L’inventivité des concepteurs des cycles ne s’exprime pas uniquement dans la composition des scènes ou la structure générale du cycle, mais aussi dans l’agencement ou la juxtaposition des images au sein de la composition d’ensemble. Si les bases du déroulé continu sont jetées dès l’Antiquité tardive, la composition du cycle révèle la créativité de la période médiévale où l’iconographie hagiographique se renouvelle en permanence. Il est permis de le mesurer dans l’église Saint-Nicolas de Nogaro où il a été découvert en 1995, à la suite de travaux de restauration dans l’absidiole nord, un cycle de saint Laurent336. Il se déroule sur deux registres narratifs, séparés par un bandeau décoratif et couvre une surface de 35 m2, ce qui est exceptionnel pour un cycle hagiographique roman conservé (pl. 48). Les huit séquences narratives qui le composent et une datation reculée le rendent encore plus précieux. Comme en témoigne le relevé stratigra-

 S’agit-il d’un soldat converti ou d’un possédé ?  La dernière scène est peinte sur le mur ouest. Un bourreau s’apprête à frapper de son épée un personnage, Cyprien, qui déjà s’écroule. Cette ultime image serait le martyre de Cyprien à Antigny. 336   Bertrand DUCOURAU, Francis SAINT-GENEZ et Jean-Marc STOUFFS, « Découverte de fresques dans l’église Saint-Nicolas de Nogaro », Bulletin Monumental, tome 158, II, 2000, p. 147-150. 334 335



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Fig. 92 - Cycle de saint Laurent, chevet, absidiole nord, église Saint-Nicolas, Nogaro

phique337, les fresques de Nogaro appartiennent, en effet, au premier décor peint de l’édifice, consacré en 1060338. La datation de ce cycle a pu être affinée : la technique à fresque imposant une absence de courants d’air et d’humidité, l’édifice était donc terminé lorsque le chantier du décor a débuté339. Il semble que les peintures aient été réalisées une trentaine d’années après la construction de l’église, soit à la fin du XIe siècle, ce que le style confirme. Le cycle se lit de gauche à droite pour les deux registres et commence sur la bande du bas (fig. 92). Il fonctionne par association de deux scènes car il est interrompu par une baie en plein cintre en son milieu. Si cette disposition semble dictée par la baie axiale de l’absidiole, le concepteur du cycle en a joué parce que chaque entité fait coïncider une image à connotation positive avec une autre négative. Dans la perception contrastée du monde rapportée par la littérature hagiographique, la scène positive sert de repoussoir à la négative et 337  Le décor peint découvert appartient à la première couche des badigeons et des enduits de l’absidiole nord. Voir à ce propos, Bertrand DUCOURAU et Jean-Marc STOUFFS, « Fresques de l’église Saint-Nicolas de Nogaro », Société archéologique, historique, littéraire et scientifique du Gers, Actes de la 21e journée des archéologues gersois (Vic-Fezensac 1999), Auch, 2000, p. 85. 338   Voir Marcel DURLIAT, « Église de Nogaro », Congrès archéologique de France, 128e session, 1970, Gascogne, Paris, 1970, p. 91 : « His itaque peractis, duce Christo, conventu episcoporum adunato, libuit animo dedicare ecclesiam ejusque apostolo sanctoque confessori Nicolao. Convenerunt itaque ex omni Novempopulana provincia episcopi, abbates, consules, proconsules, celerique domini fideles atque utriusque sexus infinita multitudo deferentes busta martyrum Lupercii, Mammetis, Clari et Bituricensio archiepiscopi Austregisilis. Et celebraverunt dedicationem ecclesiae ». 339   Bertrand DUCOURAU et Jean-Marc STOUFFS, op. cit., p. 86.



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inversement la négative exalte la positive. Cette juxtaposition s’inscrit dans une narration en déroulé continu sans compartimentage des scènes puisque des personnages assurent la transition d’une scène à l’autre. La rythmicité est soutenue par l’enchaînement des actions, sans scansion syntaxique, à l’exception de celle induite au registre inférieur par la présence de la baie. La narration se déroule sur des bandes colorées pour les scènes en extérieur alors que les scènes en intérieur semblent en être dépourvues et avoir reçu un fond monochrome. Dès la première scène, le concepteur du cycle introduit la rupture entre le saint et le siècle. La magnifique figure du diacre tonsuré se détache nettement par sa stature et ses vêtements – une longue tunique blanche à bordure rouge recouverte d’un manteau rouge – du groupe compact des soldats venus l’arrêter. L’isolement de Laurent est signifié non seulement par les quatre hommes qui lui font face mais également par la distance qui les sépare. Pourtant, le premier d’entre eux lui saisit le poignet dans le geste caractéristique de l’arrestation ou de la comparution340. Le troisième homme, par le geste de sa main, l’invite à franchir une porte qui est manifestement celle d’une prison. Ce soldat assure la transition avec la scène suivante tandis que le dernier de la cohorte relève la main en signe d’approbation341. Si cette image reprend la formule iconographique courante de la conduite en prison342, un trait notable l’en distingue néanmoins puisqu’elle se caractérise par une certaine ironie. Les gardes forment, en effet, une sorte de haie d’honneur pour le prisonnier. En outre, cette scène est moins « violente » que les mises en prison les plus fréquentes car aucun soldat ne malmène le saint en le poussant. Au contraire, Laurent est clairement séparé du groupe, comme si l’artiste-concepteur voulait signifier nettement par la composition de l’image que la nature duelle de l’homme émane de ses choix. Le saint semble entrer en détention sans réelle contrainte, presque de lui-même, répondant ainsi à la posture ironique des gardes. Cette scène illustre sans doute 340   Comme nous l’avons vu, ce geste, inspiré des arrestations du Christ, est repris dans de nombreuses images hagiographiques. Les exemples ne manquent ni dans les cycles enluminés ni dans l’art monumental tant en peinture qu’en sculpture. 341   Voir François GARNIER, Le langage de l’image au Moyen Âge, op. cit., p. 174. 342   Dans la crypte de Saint-Savin-sur-Gartempe, les saints jetés en prison y sont littéralement poussés par des gardes et entraînés par un geôlier qui a saisi le poignet de Savin. Le cycle enluminé de sainte Agathe, de la fin du Xe siècle ou du début du XIe siècle, montre par deux fois la jeune femme jetée en prison. La seconde fois, le geôlier derrière elle lui tient le bras.



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la première arrestation de Laurent après que le pape Sixte, peu avant sa capture, lui a confié les trésors de l’Église. Ayant distribué l’argent de l’Église aux pauvres, Laurent apprit la condamnation du pape. Il se précipita auprès de lui pour le supplier de ne pas l’abandonner. Le diacre évoqua les trésors de l’Église pendant que Sixte marchait vers son lieu de supplice. Les soldats présents l’arrêtèrent immédiatement et, sur l’ordre de Dèce, le conduisirent en prison pour qu’il livre ces trésors à Rome. Cette première arrestation ouvre sur la passion de Laurent. La scène de l’arrestation et de la conduite en prison est parfois utilisée pour introduire la passion des saints dans un cycle mais il est plus fréquent de le faire débuter par une comparution et une condamnation. Dans la grande majorité des cycles hagiographiques conservés, la comparution-condamnation est plus couramment suivie de l’exécution de la sentence. À Nogaro, le concepteur de l’image a associé le motif de l’arrestation et de la conduite en prison en escamotant, semble-t-il, la comparution. Dans la vita par ailleurs, l’hagiographe n’a pas accordé à la comparution d’amples développements : elle est l’objet d’une simple évocation. La scène suivante se déroule dans la prison (pl. 49). La grande figure du diacre domine un groupe composé de quatre hommes et d’une femme sans pour autant s’en dissocier. Dans une attitude d’entière dévotion, un personnage agenouillé le prie ou le supplie tout en le regardant. Penché légèrement vers lui, Laurent semble répondre positivement – par le geste de l’acceptation – à sa prière. La scène illustre sans aucun doute une scène de guérison, le saint touchant de sa main droite le visage du suppliant. Il s’agit vraisemblablement de l’épisode miraculeux de la conversion de l’ensemble des prisonniers au contact du diacre. Au premier plan, l’un des témoins de la scène, qui répond à la figure du saint, montre son acceptation de la réalité du prodige et son étonnement tout en en désignant l’auteur343. Le miraculé doit être l’aveugle Lucillus, un gentil, à qui Laurent promet la vue s’il se met à croire en Jésus-Christ. Ainsi, la première image du cycle à connotation négative – l’arrestation du saint voire l’humiliation subie – est opposée à la seconde qui lui répond par l’action bienfaitrice de Laurent en prison. Dans un premier temps, des hommes aveuglés par leurs certitudes font des choix regrettables qui les condamnent à terme tandis que dans un second temps, le saint rend la vue à un aveugle qui a entendu la vérité.   Cet homme barbu d’un certain âge semble porter une sorte de calotte rouge sur la tête. 343



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Par extension, il est signifié que des hommes « aveuglés », en se convertissant au contact du saint, retrouvent « la vue » grâce à la lumière divine. Les images s’opposent avec force. La troisième image du cycle se trouve également au registre inférieur mais sur le mur de droite (pl. 50). Le saint baptise un homme nu, agenouillé dans la cellule de la prison. Laurent lui verse de l’eau sur la tête à l’aide d’une aiguière tandis qu’il manifeste sa totale acceptation par le geste de ses mains. Des trois personnes qui assistent à la scène, deux regardent le baptisé tandis que la troisième, de profil, fixe le saint. Une représentation de profil assortie de traits grossiers est caractéristique du personnage vil à l’hostilité manifeste. Ennemi du saint, c’est de lui que la trahison ou la dénonciation viendra. L’action que mène Laurent en prison est libératrice. L’aspect du baptisé est à l’image de la métaphore paulienne : l’homme est nu, « dépouillé du vieil homme qui va en se corrompant au fil des convoitises décevantes » et ayant revêtu « l’Homme nouveau » (Ép., IV, 2223). Par le baptême, le saint fait naître l’âme de cet homme à la vraie Vie en libérant son esprit qui s’est défait de « son ancienne peau », de « sa corruption ». La nudité évoque l’âme pure du nouvel homme et ce dépouillement total est indissociable de cette re-naissance. Par la nudité, le corps manifeste la purification intérieure liée à la conversion344. Le concepteur des images a donc choisi de représenter une vision idéalisée du baptême réalisé par le saint, en occultant complètement les sources liturgiques. Dans sa conception, cette image monumentale de rituel s’écarte de celles des miniatures. Dans certaines vitae enluminées, en effet, il semble que les représentations du saint accomplissant des actes liturgiques soient relativement proches de la description des rituels contemporains et des modèles iconographiques circulant dans les manuscrits liturgiques345. La figure des saints était alors utilisée par les propagateurs de la liturgie comme un moyen de diffusion des rites en usage au moment de la création de l’image346. À Nogaro, l’artiste-concepteur n’a pas souhaité rattacher la scène du baptême à la liturgie. Si la mission pastorale de Laurent est clairement affirmée et la codification visuelle du rituel indéniable, ce baptême fait davan344   Voir à ce propos les développements de Jean-Paul Bouhot à partir des textes de Flavius Josèphe : « Le baptême et sa signification », Segni e riti nella chiesa altomedievale occidentale, Settimane di studio del Centro italiano di studi sull’alto medioevo, XXXIII (Spolète 1985), Spolète, 1987, p. 258-259. 345   Éric PALAZZO, Liturgie et société au Moyen Âge, Paris, 2000, p. 189-190. 346   Ibid., p. 190.



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tage référence au modèle iconographique du baptême du Christ plutôt qu’au rituel en vigueur au moment de la création du cycle. Sa simplicité s’inspire vraisemblablement de celle qui présida à l’acte sacramentel mythique, même si elle est aussi dictée par les conditions matérielles dans lesquelles le baptême s’effectue (le saint accomplit le rite en prison)347. Cependant, à travers cette image, Laurent se rattache à l’histoire des temps mythiques, celle des premiers chrétiens. L’absence de références à la liturgie de l’époque peut s’interpréter par la volonté du concepteur du cycle d’inscrire le saint dans une très longue histoire pour souligner sa proximité avec le Christ et surtout Jean-Baptiste. Le baptême proclamé par Jean-Baptiste est lié au repentir (Lc., III, 1-14) : « Il parcourut alors toute la région du Jourdain, proclamant un baptême de repentir pour la rémission des péchés, ainsi qu’il est écrit au livre des oracles du prophète Isaïe » (Lc., III, 3-4). Autrement dit, cet acte est indissociable du jugement sur une situation morale et spirituelle dans le but d’obtenir la rémission des péchés et de se préparer à la venue du Sauveur348. Jean-Paul Bouhot précise que toute l’activité du Baptiste, sa prédication elle-même, est ramenée en quelque sorte à la seule action baptismale349. À Nogaro, le baptême intervient après la prédication du saint et le miracle : l’aveugle qui a entendu le message du saint accepte la conversion. Sa guérison apparaît donc comme la rémission de ses péchés. Le baptême intervient après la conversion intérieure pour « l’authentifier (...) mais l’essentiel est la conversion elle-même »350. Le cheminement spirituel est identique si cette image illustre non pas la conversion de Lucillus, mais celle d’Hippolyte. Ici, le baptême est à la fois spirituel et mystique, intimement lié au charisme et à la prédication de Laurent. La quatrième séquence du cycle se déroule également en prison (pl. 51). La dégradation de la scène est telle que seuls les contours se distinguent encore. Le saint fait face à trois personnages au moins et tend le bras vers l’un d’eux à qui il semble donner quelque chose. Il est difficile d’en apprécier davantage.   Dans la crypte de Saint-Savin-sur-Gartempe, l’image du baptême d’un soldat par Savin est construite de manière similaire. L’idée de rapidité est latente dans les représentations de baptême se déroulant durant les persécutions : le rite, réalisé dans l’urgence, témoigne de l’acte fort de l’officiant et des baptisés. Il se peut que ce type de baptême « hagiographique » ait été plus fréquent dans les images monumentales que dans les manuscrits. 348   Jean-Paul BOUHOT, op. cit., p. 255. 349   Ibid., p. 255. 350   Ibid., p. 257. 347



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La suite du cycle se situe hors de la prison. Le registre supérieur est rythmé par des bandes horizontales. Le récit se poursuit et se lit au registre supérieur à gauche et commence par la présentation des trésors de l’Église à Dèce (pl. 52). Pour symboliser les trésors, le concepteur des images a figuré des pèlerins plutôt que des infirmes ou des pauvres clairement identifiés et identifiables351. Le statut même du pèlerin au Moyen Âge permet certainement d’expliquer cette distance prise avec le texte de la vita. Dans l’imaginaire collectif, en effet, le pèlerin est avant tout un homme de Dieu et dans les textes, il incarne l’image de l’errance et de la pauvreté, voire même du Fils de l’Homme qui « lui, n’a pas où reposer sa tête » (Lc., IX, 58)352. L’association est donc assez fréquente entre le pauvre et le pèlerin353. Le « marcheur de Dieu » s’appauvrit volontairement pour le Christ et ce dépouillement librement consenti le rapproche inexorablement de Lui. Comme l’écrit Yvonne Labande-Mailfert : « même s’ils ont une bourse dans leur sac de voyage, c’est beaucoup moins pour payer les dépenses de la route que pour les multiples aumônes qu’ils feront le long du chemin et en arrivant au sanctuaire »354. Cette pauvreté volontaire, même temporaire, et la démarche dans laquelle elle s’inscrit rappellent également celle de Laurent et sa distribution de l’argent de l’Église aux pauvres. L’allusion est par ailleurs à peine voilée : le saint désigne la besace du pèlerin. Silhouettes familières et banales, les pèlerins abondent sur les routes de pèlerinage où toutes les misères du monde se côtoient, renforçant ainsi l’analogie entre pauvres et pèlerins. Dans l’image, la destination du pèlerinage ou l’idée du pèlerinage est même précisée par la coquille sur la coiffe du marcheur. Est-ce en raison de la localisation de Nogaro que Saint-Jacques de Compostelle se trouve ici mentionnée ? Quoi qu’il en soit, associer le pèlerin au pauvre dans cette image est un moyen de rappeler son statut particulier et de le valoriser. Ainsi,   Dans la chapelle centrale de la crypte de l’église Saint-Aignan à Saint-Aignan-sur-Cher, saint Pierre bénit des infirmes et des malades. La pauvreté est également facilement identifiable si l’on reprend les caractéristiques physiques, l’attitude prostrée et la gestuelle de Lazare par exemple, pauvre absolu. Voir à ce propos, Yvonne LABANDE-MAILFERT, « La pauvreté dans l’iconographie romane », dans Études d’iconographie romane et d’Histoire de l’art, Poitiers, 1982, p. 139-163. 352   Voir Valérie GALENT-FASSEUR, L’épopée des pèlerins, Motifs eschatologiques et mutations dans la chanson de geste, Paris, 1997. 353   Yvonne LABANDE-MAILFERT écrit à ce propos dans son article sur la pauvreté dans l’iconographie romane : « pauvres et pèlerins, les deux termes sont unis », op. cit., p. 147.  354   Ibid., p. 147. 351



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en s’écartant du texte, le concepteur des images renforce le sens de cet épisode de la vita en l’actualisant. Il loue le pèlerinage et la pauvreté volontaire qu’il induit et rappelle que grâce à ses choix, le marcheur de Dieu entretient une réelle proximité avec Laurent. Dèce facilite la liaison entre cette image et la suivante puisqu’il sert de charnière entre les deux scènes. Il vient d’ordonner que le saint soit torturé. Laurent est nu, couché, roué de coups par deux bourreaux, homme et femme355 (pl. 53). L’un d’eux a saisi le bras droit du saint et le frappe à l’aide d’un bâton au niveau de l’abdomen. L’autre, une verge dans chaque main, s’acquitte consciencieusement de sa besogne. Cette scène présente indubitablement des points structurels communs – de la position allongée du saint aux gestes des bourreaux – avec les compositions de la scène du gril. Elle fonctionne donc dans le cycle comme une préfiguration du martyre. Cette hypothèse est renforcée par une image similaire dans un autre cycle de saint Laurent, peint dans le chœur liturgique de l’église de Panjas, à une dizaine de kilomètres de Nogaro. Malheureusement repeint à l’identique en 1893356, le cycle se découpe en cinq séquences narratives. L’une d’entre elles est consacrée à la flagellation et reprend exactement le même schéma iconographique que celle de Nogaro357 (pl. 54). La suivante illustre la scène traditionnelle du gril et forme avec la précédente une sorte de continuum visuel (pl. 55). À Nogaro, tous les éléments narratifs, symboliques et idéologiques des cinquième et sixième scènes s’affrontent. Les figures des pèlerins et de Dèce s’opposent brutalement : les pèlerins incarnant la caritas et l’humilitas face à l’empereur, traduction vivante de l’avarice et de l’orgueil358. La Charité est la vertu fondamentale qui scelle l’appartenance à l’Église. Lien d’amour spirituel, elle fonde la communauté chrétienne et l’unit à Dieu alors que les deux vices – avarice et orgueil – l’en excluent définitivement. Face au groupe des justes soudé par  Il est surprenant de voir une femme participant à l’accomplissement d’un supplice. Nous n’en connaissons pas d’autres exemples. Suivant l’organisation des images opposant les positives aux négatives, est-ce une opposition entre la bonne humanité (les pauvres) et la mauvaise humanité (ce couple de bourreaux) ? 356   Ce repeint à l’identique est l’œuvre du peintre Labedan. Voir Charles de MÉRINDOL, « Peintures murales de l’église de Panjas », La sauvegarde de l’art français, 1983, n°3, p. 129138. Il semble, en effet, que les reprises du XIXe siècle reprennent le dessin originel roman, visible sur certains clichés. 357  Le peintre du XIXe siècle qui est intervenu à Panjas ne peut s’être inspiré pour ses restaurations des images de Nogaro qui étaient à cette époque sous des badigeons. 358  Une autre figure emblématique du pouvoir, Nabuchodonosor, incarne également l’orgueil : « Ô roi, agrée mon conseil : romps tes péchés par les oeuvres de justice, et tes iniquités en faisant miséricorde aux pauvres, afin d’avoir longue sécurité », (Dn., IV, 24). 355



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la charité, Dèce devient l’antithèse de l’idéal défendu par Laurent, pauvre du Christ et des pèlerins. Figure repoussoir des vertus qu’ils incarnent, l’empereur tente en vain de briser les bienfaits dispensés par le saint et, de manière générale, par la caritas. C’est pourquoi il assure la transition entre les deux scènes. En exaltant cet idéal de dépouillement honni par Dèce, le diacre est condamné à être bafoué, humilié, fouetté mais son triomphe est affiché par sa nudité, symbole de son renoncement. Au-dessus de la fenêtre d’axe, des personnages assurent la continuité narrative du cycle : deux personnages assistent au supplice que l’un désigne tandis que leur tournant le dos, quatre autres assurent la transition avec l’image suivante. L’avant-dernière scène du cycle, regardée par les quatre personnages en buste, est la mieux conservée de l’ensemble. Le saint baptise à nouveau un homme nu, agenouillé selon une composition strictement identique à celle du registre inférieur (pl. 56) . Le seul élément notable qui distingue cette image de la précédente est la fonction du personnage qui seconde le saint lors du rite. Il tient, en effet, la tunique rigidifiée du baptisé par l’extrémité des manches lui donnant ainsi la forme de la croix. Le baptême et la re-naissance qu’il entraîne sont assimilés visuellement au Sacrifice du Christ et à la résurrection. La tunique-croix qui attend d’envelopper et de protéger le corps du baptisé offre donc une formule iconographique originale pour évoquer le concept doctrinal qui fonde le baptême : l’adhésion au Christ ressuscité transforme le croyant en membre du Corps mystique359. Le vêtement-croix symbolise le corps neuf du baptisé et par extension le corps des élus sur terre. Il préfigure également le corps glorieux, à l’image de la croix, que chaque âme réintègrera à la fin des Temps360. Un homme de profil regarde la scène du baptême mais désigne de la main gauche la suivante : Laurent face à un groupe de trois hommes qui lui sont hostiles (pl. 57). Le premier d’entre eux pointe vers lui un bras accusateur. Son attitude générale est dynamique, il a un rôle actif dans la scène comme le suggère la position de ses jambes. La médiocrité des soldats qui transparaît à travers la grossièreté de leurs traits contraste avec la magnifique figure du saint. Face à cette

  Jean-Paul BOUHOT, op. cit., p. 267.  Sur la fonction rituelle de la prise d’habit dans les ordres monastiques, voir les développements de Dominique DONADIEU-RIGAUT, Penser en images les ordres religieux, XIIe-XVe siècles, Paris, 2005, p. 81-125 et p. 90-93.

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agitation que l’on devine vaine, Laurent est d’une tranquillité impassible et il accepte son sort en serrant contre lui le Livre. Nous pouvons sans nous tromper penser que les trois hommes veulent le conduire à l’ultime supplice. Le saint, par son attitude hiératique et altière, ne fait déjà plus partie du monde terrestre, il est d’une autre essence et se détache des hommes. Ainsi, l’activité inutile du premier soldat et son physique ingrat s’opposent avec plus de force à Laurent. Les soldats incarnent la violence primitive face à la compassion symbolisée par la noble figure. Le saint majestueux s’impose dans la composition en les dominant de sa haute silhouette. Alors que les soldats viennent l’arrêter pour le supplicier, ils semblent déjà écrasés et donc vaincus. La blancheur de la tunique du saint attire les regards et le magnifie. Il est déjà victorieux, la laideur des soldats, leur vaine agitation lui servent juste de faire-valoir. Outre un « filé enchaîné » parfait entre les différents épisodes du cycle – un élément servant de transition entre eux –, la succession des scènes répond à une logique d’opposition (une scène négative est juxtaposée à une scène positive et inversement). Reflétant particulièrement bien le propos hagiographique, l’ordonnancement des images est novateur car il concerne la construction même du cycle. Il répond à la logique de l’affrontement de l’humanité qui est, certes, visible à Saint-Savin, mais uniquement dans la composition de chaque scène. À Nogaro, le cycle n’en acquiert que plus de force. Si nous n’avons pas trouvé de construction similaire dans les cycles monumentaux conservés, ce système d’opposition apparaît cependant ponctuellement dans le cycle enluminé de sainte Radegonde presque contemporain de celui de Nogaro361. La première image du cycle illustre la rencontre de Radegonde et de Clotaire tandis que la seconde montre la jeune femme devant un autel dans la solitude de la prière362 (pl. 58). Figurée sous la première image, cette scène lui fait contrepoids et symbolise le refus du monde. Ces contrastes thématiques se retrouvent sur les miniatures suivantes363 : à la scène des noces contraintes de Radegonde est juxtaposée une autre image de la reine en prière devant un autel. Selon Piotr Skubiszewski, « les fastes de la cour et la solitude de la prière se font face. Contraste délibéré car les  Le cycle enluminé a été daté de la fin du XIe siècle.   Poitiers, Bibl. Mun., ms. 250 (136), Vita Radegundis, f° 22v°. Pour une interprétation détaillée de cette image, voir Piotr SKUBISZEWSKI, op. cit., p. 141-142, 148-155. 363   Poitiers, Bibl. Mun., ms. 250 (136), Vita Radegundis, f° 24r°.

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deux images ont été réunies dans un cadre architectural bipartite, artifice souvent employé dans les scènes bibliques et hagiographiques pour faire ressortir l’opposition entre les convives du festin et le protagoniste principal »364. Sous ces deux premières scènes, une miniature montre le roi endormi dans un lit tandis que la sainte est prosternée à même le sol. Les deux corps sont disposés parallèlement ce qui augmente le contraste. Ainsi s’exprime l’antagonisme entre le sommeil et la vigilance, thème fondamental de l’enseignement moral chrétien depuis saint Pierre365. Ces oppositions thématiques sont ponctuelles dans le cycle enluminé de sainte Radegonde alors qu’elles sont systématiques dans la construction du cycle de Nogaro. Elles servent la démonstration intellectuelle du concepteur du décor : bien que la lutte et les épreuves aient été longues pour l’Église, cette dernière est sortie victorieuse de son combat contre le Mal. Ainsi, malgré les tourments endurés, le saint, athlète de Dieu, a fait progresser la foi et est sorti vainqueur de la lutte contre le Mal. L’ordonnancement des images témoigne de la perception dualiste du monde : dualisme dont l’une des expressions les plus flagrantes est la légende hagiographique. L’association d’images par lecture horizontale qui donne corps au discours du « nouvel hagiographe » fonctionne aussi verticalement. La construction à la fois horizontale et verticale des images du cycle de Laurent laisse percevoir la subtilité et l’intelligence de son concepteur. La comparution du saint après sa première arrestation n’est en fait absolument pas escamotée puisqu’il comparaît devant Dèce avec la scène de la présentation des trésors de l’Église. La scène de guérison de l’aveugle en prison est surmontée de l’image du corps nu, supplicié, du diacre. Laurent qui a reçu de Dieu le pouvoir de guérir et de soulager les corps renonce au sien, la douleur corporelle devenant le moteur de son détachement. La nature physique de la souffrance infligée au saint est sublimée en valeur morale. Le concepteur souligne ainsi, en opposant les deux images, la nature extraordinaire du diacre qui le sépare des hommes ordinaires alors même qu’il est agissant dans le monde. Tandis qu’horizontalement les images sont associées par jeu de constrastes, verticalement les images se complètent, s’opposent ou bien renforcent une idée clé du cycle. La répétition du rituel baptismal dans la narration et sur un même axe, en reprenant le même motif central, n’est certainement pas fortuite. Le baptême,   Piotr SKUBISZEWSKI, op. cit., p. 142.   Ibid., p.142-143.

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selon la définition de Jean-Paul Bouhot, « donne à chaque chrétien de vivre en communion avec tous ses frères dans l’Église du Christ »366. Le saint, par son action pastorale, permet la constitution de la communauté des fils de Dieu et de la Mater Ecclesia. Il est donc l’instrument de Dieu sur terre, rouage essentiel, pour établir ou rétablir la parenté divine367. Aux images montrant les corps purifiés par l’action baptismale sont juxtaposées les scènes illustrant la guérison du corps lavé du péché et le corps du saint, symbole du renoncement. Le noyau central de la vita en images met en exergue l’articulation systématique du corporel et du spirituel. Autrement dit, les rapports, les oppositions de l’âme et du corps s’expriment par les différents états de l’enveloppe corporelle des protagonistes du cycle : du corps corrompu puis purifié, ré-intégré à la communauté de croyants (baptême et guérison) en passant par le nécessaire renoncement qui permettra la réintégration finale de l’âme dans un corps glorieux à la fin des Temps368. Il est proposé ici une sorte de cheminement spirituel qui mène au Salut. De surcroît, le concepteur des images débute et conclut son cycle par une scène d’arrestation. La première marque le commencement de l’activité pastorale du saint et son entrée dans l’Histoire et la seconde la fin de son intervention sur terre. Ici, ce n’est donc pas la passion de Laurent qui est exaltée, mais son action dans l’Ecclesia. Le saint est figuré comme un guide spirituel plutôt que comme un athlète de Dieu369.   Jean-Claude BOUHOT, op. cit., p. 267.   Voir à ce propos, Jérôme BASCHET, Le sein du père, Abraham et la paternité dans l’Occident médiéval, Paris, 2000, notamment p. 38-48. 368  Sur le dualisme corps/âme, voir l’article de Jean-Claude SCHMITT, « Corps et âme », dans Dictionnaire raisonné de l’Occident médiéval, sous la direction de Jacques Le Goff et JeanClaude Schmitt, Paris, 1999, p. 230-245. 369  Il ne semble pas que le supplice final ait été figuré dans la chapelle. Par ailleurs, à l’exception d’une scène qui, par connivence iconographique, préfigure le supplice final, la passion du saint n’est pas directement évoquée. Le cycle actuel recouvre la totalité de la surface de l’absidiole, or le supplice ne pouvait pas être figuré sur la voûte en cul-de-four. Comme pour le supplice de la croix, les scènes infamantes ne sont pas représentées dans cette zone particulière de l’édifice. À Panjas, le cycle de Laurent se situe dans le profond sanctuaire, sous un cycle christologique. La composition des images présente, comme nous l’avons déjà souligné, des analogies avec celle de Nogaro. Le cycle débute par la guérison de l’aveugle dans la prison : l’emplacement de la figure du saint, de celle de l’aveugle et leurs gestes respectifs sont très similaires à ceux de Nogaro. L’image suivante est celle de la présentation des trésors de l’Église à Dèce : Laurent en tête du cortège fait face à Dèce selon le schéma iconographique déjà observé à Nogaro. Dèce assure la transition avec la scène suivante qui combine, selon le repeint du XIXe siècle, plusieurs supplices infligés au saint : flagellation avec des verges, avec des fouets garnis de plomb et blessures à l’aide de piques. Le saint est allongé, son 366 367



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Révélant une incontestable construction intellectuelle, le cycle de Nogaro offre une relecture dogmatique de la légende qui se traduit par une véritable réécriture en images de la vita. La substance narrative de la légende n’est pas pour autant négligée : les épisodes, soutenus par un rythme linéaire, s’enchaînent sans rupture. Cependant, grâce à un agencement remarquable des images, différents niveaux de lecture se superposent par le jeu subtil de l’intericonicité. Le cycle hagiographique de Nogaro est, à ce jour, le plus ancien cycle roman peint conservé en France. Le brio avec lequel il a été pensé permet de s’interroger légitimement sur son commanditaire. Le concepteur du cycle ou le commanditaire était un homme d’une grande érudition, doté d’importants moyens financiers. L’analyse des couleurs a révélé, en effet, l’emploi de pigments rares et très chers : le lapis lazuli pour le bleu, l’aérinite pour les verts qui est peu utilisée en France à cette période370. Il se peut que l’archevêque d’Auch, saint Austinde, ne soit pas étranger à la réalisation de ces peintures. À la suite d’une longue procédure, l’archevêque a fondé une localité qu’il a placée sous l’autorité de la Vierge Marie et pour laquelle il a fait construire l’église dédiée à Saint-Nicolas et consacrée en 1060371. L’inventivité des peintres-hagiographes qui réside dans l’agencement des images à l’intérieur du cycle ne nécessite pas forcément un écart par rapport au récit initial. Le supplément de sens ajouté à la légende en images témoigne de leur talent narratif. Néanmoins, comme le montre l’exemple de Nogaro, ils peuvent se livrer à une véritable interprétation de la vita en la transcrivant en images. La limite du détournement narratif de la légende est alors rapidement franchie au profit d’un discours dogmatique, voire parfois politique. corps était vraisemblablement nu à l’origine, mais le peintre Labedan l’a masqué pudiquement par son manteau défait. Cette image est suivie de la scène traditionnelle du gril dans laquelle Dèce est figuré. Le cycle se conclut par l’image de l’âme du saint en gloire. Si nous ne pouvons nous fier aux détails, l’exemple de Panjas témoigne de la circulation d’un modèle iconographique du cycle de Laurent dans cette aire géographique relativement réduite. Cependant, les deux cycles sont très différents dans leur propos : à Panjas, le cycle martyrial est associé à celui de la Passion et présente le martyre du saint comme la réitération de celui du Sauveur. 370  Identifiée pour la première fois en France, à Nogaro, l’aérinite est en revanche présente dans toutes les peintures murales d’Andorre. Voir Bertrand DUCOURAU, Jean-Marc STOUFFS, « Fresques de l’église Saint-Nicolas de Nogaro », op. cit., p. 87. 371   Voir Marcel DURLIAT, « Église de Nogaro », op. cit., p. 92.



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Les différents types de structures narratives sont alors utilisés pour servir un autre propos que celui de la vita écrite. Entre narration et abstraction La narration analytique qui apparaît dans le cycle de Nogaro est parfois poussée à son paroxysme, les images historiées étant vidées de leur substance narrative. Ainsi, dans un cycle, une scène, pourtant à caractère narratif, peut être conçue selon une autre finalité. Les portraits narratifs de saint Laurent aux Salles-Lavauguyon en sont un exemple éclatant. Dans d’autres cas, les images narratives ne sont que les commentaires, les notes marginales d’une réflexion exégétique. Toutes les images peuvent également être utilisées au service d’une idée, d’une affirmation ou d’un concept spirituel parfois fort éloigné du récit hagiographique. Chaque épisode du récit est alors interprété non seulement dans sa trame narrative, – le concepteur détourne le sens de la séquence et élimine tous les détails anecdotiques qui donnent corps au récit initial –, mais également dans sa transcription plastique – la scène figurée n’a que de rares points communs avec la même scène dans un autre cycle. Les images hagiographiques de la crypte de l’église Notre-Dame de Montmorillon372 ou le cycle sculpté de saint Benoît dans la crypte de l’abbatiale Saint-Denis sont, à ce titre, extrêmement pertinents pour notre démonstration. La crypte dédiée à sainte Catherine supporte le chevet de l’église vouée à Notre Dame. Elle est constituée d’une abside voûtée en culde-four et d’un vaisseau en berceau et présente un ensemble peint d’une grande qualité plastique et sémantique (pl. 59). Les images louent la puissance de la sainte et lui rendent hommage à travers l’épisode de la dispute avec les docteurs sur les murs latéraux de l’abside : la dispute dans un premier temps, suivie dans un second temps de sa conséquence tragique. Cependant, les images consacrées 372   Marc Thibout a fait une courte monographie sur l’église Notre-Dame dans un article : « Notre-Dame de Montmorillon », Congrès archéologique : Poitiers, 1951, p. 207-219. Concernant l’historique de cet édifice, il écrit : « En 1093, l’évêque de Poitiers, Pierre II, donnait à l’abbaye de Saint-Savin la chapelle Notre-Dame de Montmorillon qui à cette date était paroissiale. Cependant en 1220, on y procéda à l’installation d’un chapitre. », p. 207. Selon Marc THIBOUT, le chevet de l’église, composé d’une travée droite et d’une abside semicirculaire reposant sur une église basse, a été construit, à la fin du XIe siècle ou au début du XIIe siècle, sur une plate-forme rocheuse. La crypte de Sainte-Catherine appartient à la même campagne de construction, op. cit., p. 207.



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à Catherine ne se limitent pas aux scènes de sa vie car elle est également figurée au cul-de-four recevant la couronne des mains de l’Enfant porté par sa mère373. De part et d’autre de la mandorle contenant la Mère et l’Enfant, se tiennent, à droite, Catherine suivie de deux saintes et à gauche, trois autres saintes. La nef a peut-être été peinte d’un cycle apocalyptique dont il ne resterait que ces quelques fragments. En effet, la partie de la nef contiguë à l’abside figure en buste les Vieillards de l’Apocalypse tenant leur viole374 tandis qu’à la clé de la voûte, dans un vaste médaillon timbré d’une croix, est représenté l’Agnus Dei. Comme les images hagiographiques appartiennent à un réseau d’images, il est impossible du strict point de vue de la méthode de les dissocier du reste du décor. Dans le cas des images de la chapelle Sainte-Catherine, l’intericonicité est particulièrement évidente. Les peintures de la crypte appartiennent à la dernière période de l’art roman. Si elles portent la marque d’une nouvelle génération d’œuvres par l’originalité de certains motifs iconographiques, elles s’inscrivent, cependant, parfaitement dans le XIIe siècle finissant tant par leur style que par certains détails ; les plis mousseux, par exemple, révèlent une influence anglaise qui se répand en France dans la seconde moitié du XIIe siècle. De plus, le concepteur des images a voulu mettre en valeur Catherine et son pendant, une jeune sainte, en les habillant comme dans le siècle avec des références sans équivoque à la mode du XIIe siècle. Par ailleurs, ce « détail » vestimentaire a sans aucun doute une importance capitale car le concepteur a joué sur les contrastes, les deux jeunes saintes se différenciant des autres qui sont drapés dans des costumes atemporels. En raison d’une iconographie singulière, les images du cul-de-four ont longtemps laissé perplexes les chercheurs qui s’y sont intéressés. L’un d’eux, William M. Hinkle, leur a consacré une étude de qualité et a renouvelé considérablement la lecture qui en avait été faite. Malgré des conclusions parfois discutables, il a analysé en grande partie les motifs dont l’interprétation restait obscure et a dégagé des pistes de réflexion très intéressantes375.

  À Bethléem, la chapelle Sainte-Catherine jouxtait l’église de la Nativité : le rapprochement entre la Vierge à l’Enfant et Catherine dans l’image de Montmorillon s’imposait-il comme une évidence en référence à l’emplacement des édifices religieux en TerreSainte ? 374   Ces peintures sont relativement dégradées, une a d’ailleurs dû être déposée. 375   William M. HINKLE, « The iconography of apsidal fresco at Montmorillon », Münchner Jarhrbuch der bildenden Kunst, t. XXIII, 1972, p. 37-62. 373



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La scène qui illustre la dispute de sainte Catherine avec les docteurs païens se déroule sous un « édifice-ouvert » construit en deux parties (pl. 60). L’une est réservée à l’assemblée des sages qui se tient à droite tandis que l’autre marque l’espace sacré où se trouve la jeune sainte. La séparation entre la sainte et les païens est donc visuellement renforcée par l’écrin architectural dans lequel elle se trouve : un cadre protecteur qui l’enserre et dont la dimension sacrée est soulignée par des clochetons. La sainte couronnée376, de trois-quarts, pointe son index vers les docteurs et tient fermement une croix de l’autre main. Elle délivre le message divin avec affirmation, inspirée par la colombe du Saint-Esprit qui lui souffle à l’oreille les réponses à fournir aux docteurs. Deux personnages se tiennent derrière elle, malheureusement, la dégradation des peintures ne permet pas leur identification. Massés devant la sainte, les vingt-deux savants, portant tous les cheveux longs et la barbe des sages, sont assis, l’écoutent ou débattent. Le dialogue qui se noue entre la sainte et les docteurs est symbolisé par les phylactères tenus par certains d’entre eux et sur lesquels se devinent encore des traces d’inscriptions. Nombreux sont les exemples où la discussion est matérialisée visuellement par des phylactères déroulés qu’ils soient vierges ou pas377. La scène illustre donc la joute verbale, l’affrontement qui opposa, dans un premier temps, Catherine aux docteurs païens. Cependant, les attitudes des savants sont variées : l’un, son phylactère roulé dans la main, semble écouter le débat et se taire, deux autres tenant leur rouleau font le geste caractéristique de la parole. Ce geste répété à l’identique par Catherine montre bien la divergence d’opinion qui les anime. Les docteurs expriment tous, à travers leurs gestes et leur visage, la perplexité, voire l’affliction ou la désolation. Leurs traits sont empreints de douleur (les coins de leur bouche pointent vers le bas, leurs sourcils sont froncés). Certains ont la tête baissée, ils ont perdu leur prééminence selon l’expression caractéristique de la Synagogue déchue, d’autres sont entièrement de profil378 et l’un d’entre eux saisit son visage à deux mains. Ils sont mis en difficulté par l’éloquence de la jeune femme et sont peut-être en train de douter de leurs propres convictions. Leur conversion est proche.

  Catherine est de sang royal, elle est la fille du roi Costus. Le peintre rappelle donc cet élément de sa vie. 377   Meyer SCHAPIRO, Les mots et les images, op. cit., p. 128. 378   Faut-il y voir un signe de leur infériorité ? 376



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Le motif de la croix tenue par Catherine rappelle, en effet, que cette joute verbale est un affrontement théologique. Pendant son discours devant les docteurs, la sainte évoque la Chute et la Rédemption par la Croix : « C’est à cause de cela que le fils de Dieu, ‘‘Verbe incarné’’, s’est fait homme pour notre salut, a souffert et est ressuscité, nous montrant la voie par laquelle nous pouvons hériter du royaume céleste »379. L’image de la croix, symbole de la souffrance et de la victoire du Verbe incarné, se fait l’écho du discours de la sainte au même titre que les phylactères tenus par les païens. Selon la légende, les docteurs païens, convaincus par les paroles de la sainte, se convertirent et Maxence, fou de colère, décida de les supplicier sur le champ. La scène qui illustre la mort des quarante sages est lacunaire (pl. 61). Elle se déroule dans un monument composé d’un long bâtiment percé d’un oculus et surmonté d’un toit en bâtière. Les martyrs sont entassés dans une immense cuve sous laquelle un brasier a été allumé. Des flammes, attisées par un bourreau, lèchent la panse de cette marmite géante d’où s’échappe de la fumée. Certains docteurs sont en prière, le visage tourné vers le ciel. D’autres sont déjà morts, les yeux clos. Certains expirent et leurs âmes sortent de leurs bouches sous la forme de minuscules personnages nus. Deux anges figurés en buste recueillent les âmes de ces malheureux pour les entraîner vers le royaume céleste. Il est relativement rare lorsque le saint porte le titre de martyr que ce statut ne soit pas évoqué par les images. Très souvent, son exaltation s’exprime par la représentation de sa passion. Or, le supplice de la roue, emblème du martyre de la patronne de la chapelle, n’est pas évoqué380. On a donc choisi de glorifier Catherine sur les murs de la crypte non pas en tant que martyre mais en tant que docteur, autre caractéristique essentielle de sa sainteté. Même les quarante docteurs païens les plus savants ne peuvent contrer les arguments de la sainte et, finalement, ne peuvent résister à sa parole dictée par la sagesse divine. La conversion totale qui les entraîne à la mort symbolise la

 Traduction de Joseph de Viteau d’après la passion contenue dans le Codex Palatinus de la Bibliothèque Vaticane, Passions des saints Ecaterine et Pierre, Barbara et Anysia, 1897, cité par René COURSAULT, Sainte Catherine d’Alexandrie, Le mythe et la tradition, Paris, 1984, p. 45. 380   Dans la majorité des images de Catherine, c’est son supplice qui est représenté de manière privilégiée : en Espagne, à La Corogne, au couvent Santa-Barbara, le tympan du portail latéral nord est sculpté de son martyre et dans une peinture de l’absidiole de la cathédrale La Seo de Urgel, se trouvaient figurés la dispute avec les docteurs, le martyre de la sainte et sa mort (cette peinture se trouvait dans la collection Cassel, vendue en mars 1955). 379



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victoire du docteur de la foi. Ainsi, c’est la force spirituelle et intellectuelle de la sainte que le commanditaire a choisi de glorifier. Si les images du registre inférieur de l’abside relatent l’histoire terrestre, le registre supérieur est peint d’une vision des Cieux. Or, la complémentarité entre les images narratives et le thème d’état est clairement affirmée par l’image des anges qui entraînent les âmes des martyrs vers la Jérusalem Céleste. Ils ménagent une transition entre les deux mondes, ce qui témoigne de la nécessité de considérer l’ensemble des peintures dans sa globalité. De plus, la mandorle en empiétant sur les trois registres de la composition indique qu’ils appartiennent à une seule et unique image. Sur le cul-de-four, la Vierge, de face, trône, majestueuse et hiératique (pl. 62). La tête inclinée, elle embrasse délicatement la main gauche de son Fils qui est assis en appui sur son bras droit. L’Enfant, figuré de trois-quarts, couronne une jeune sainte, Catherine qui se tient à sa droite. Imposante et royale, Marie, motif principal de l’image, est l’axe à partir duquel la composition est organisée. Le long maphorium qui descend en plis mousseux sur ses genoux souligne la nature aérienne de l’apparition divine. Véritable écran protecteur garantissant sa virginité perpétuelle, il enveloppe la Vierge et incorpore l’Enfant381. Le concepteur de l’image nous livre ici un magnifique résumé du mystère de l’Incarnation, renforcé par la couleur rouge du maphorium. Marie trône sur un siège particulièrement large dont l’effet est accentué par d’amples accoudoirs en forme de volute. Le trône appareillé et son socle composé d’arcatures évoquent la Cité de Dieu sur laquelle elle règne en tant que reine des Cieux. Au sommet de la composition, dans un troisième registre, deux anges couronnent le Christ et sa Mère d’un immense et unique diadème. La base et le sommet de la mandorle dépassent largement le deuxième niveau pour mordre dans le registre narratif et dans la zone des anges couronnant. Ces franchissements de registres expriment bien le caractère transcendant de divinité. De plus, le bord extérieur de la base de la mandorle s’appuie sur le bandeau supérieur de couleur jaune de la baie axiale. Cette fenêtre est intégrée au registre narratif comme un motif architecturé (faux appareillage, entablement peint, toitures qui se poursuivent 381   Voir à ce propos l’article de Daniel RUSSO, « Les répresentations mariales dans l’art d’Occident. Essai sur la formation d’une tradition iconographique », dans Marie. Le culte de la Vierge dans la société médiévale, Études réunies par Dominique Iogna-Prat, Éric Palazzo, Daniel Russo, Paris, 1996, p. 184-185.



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d’un épisode à l’autre) articulant ainsi l’architecture peinte avec l’architecture réelle de la chapelle. La lumière passant par la baie offre une métaphore de l’apparition divine et plus précisément celle du mystère de l’Incarnation, matérialisée par l’image qui la domine. La lumière qui émane de la baie éclaire au sens propre et au sens figuré les épisodes de la légende de Catherine, sainte baignée de la Grâce divine et témoin, en sa qualité de martyre et de docteur, de l’Incarnation382. L’emplacement de cette image derrière l’autel suffit pour en comprendre les implications liturgiques puisqu’elle sert visuellement de fond au Sacrifice réitéré quotidiennement sur l’autel. Pour autant, l’espace de la mandorle n’est pas infranchissable : le bras droit du Christ en sort pour couronner une sainte Catherine de petite taille, cheveux dénoués et vêtue comme une élégante du siècle383. La tête légèrement inclinée pour indiquer son humilité, elle pénètre légèrement l’espace de la mandorle. Sa proximité avec le couple divin souligne un peu plus son élection. Alors qu’elle exprime d’une main son acceptation, elle montre de l’autre un objet circulaire qu’elle tient délicatement entre ses doigts. En rang parfait, derrière Catherine, à la droite de l’Enfant, se tiennent deux autres saintes qui lui sont d’une taille supérieure. Que l’on ne s’y méprenne pas, la différence de taille n’indique pas ici une hiérarchie entre les différents personnages mais, au contraire, glorifie la personnalité de la vierge qui, malgré sa jeunesse, possède une sagesse telle qu’elle est digne d’être couronnée par le Christ. Les saintes sont vêtues d’une longue robe qui descend sur leurs pieds en drapé souple. Leur tenue vestimentaire est complétée par un manteau et un long voile. Cependant, un détail est énigmatique : l’une des vierges, située à l’extrême gauche, arbore un énorme nœud sur un pan de son manteau. De plus, ce détail vestimentaire étonnant se détache sur une bande blanche qui le met en valeur. Les deux femmes tiennent chacune une couronne, signe de leur victoire, mais seule la  Le discours de Catherine face aux docteurs païens évoque la Rédemption par l’Incarnation : « C’est à cause de cela que le fils de Dieu, ‘‘Verbe incarné’’, s’est fait homme pour notre salut, a souffert et est ressuscité, nous montrant la voie par laquelle nous pouvons hériter du royaume céleste ». 383  La couleur très sombre qui couvre la carnation de la sainte serait, selon Marc Thibout, due à une réfection du XVe siècle. La couleur du XVe a viré par réaction chimique prenant ce ton sombre. Théorie qui se vérifie à Jouhet où les couleurs des peintures XVe de la chapelle ont pris cette teinte particulière, op. cit., p. 212. D’après le rapport de restaurations de M. Nicaud, en 1966, des repeints de la fin de la période médiévale ont été remarqués sur les fresques. Ils ont pris une couleur brune qui correspond « à une réaction chimique de pigments de sels de plomb et d’arsenic... ». 382



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plus proche de Catherine reproduit le geste d’acceptation. À la gauche du Christ sont peintes trois autres saintes dont on ne distingue plus que les bustes pour deux d’entre elles – les deux dernières –. Elles semblent être le pendant des deux autres vierges du côté opposé, tant par l’habillement que par les gestes : la seconde, par exemple, fait également le geste de l’acceptation. La sainte la plus proche de la Vierge se rapproche de la figuration de Catherine puisqu’elle est vêtue d’une longue robe très ajustée dont les manches s’évasent progressivement jusqu’aux chevilles. Ses cheveux dénoués descendent sur ses épaules complétant une tenue qui la différencie nettement des autres saintes habillées à l’antique. Entre les vierges sont peints quatre vases identiques à long col et à panse circulaire. Toutes les images de l’abside tendent à définir la sainteté de Catherine. Le couronnement de la jeune martyre par le Christ-Enfant renforce et complète les épisodes de sa légende et inversement. Le commanditaire du décor, par un exercice de style très réussi, a brossé un portrait spirituel de Catherine en utilisant à la fois les images narratives et celles du cul-de-four qui dévoilent la sainte dans l’Au-delà. En fait, le propos majeur de l’artiste n’était pas de retracer la vie de Catherine mais de saisir l’essence de la sainteté elle-même. Pour cela, il a créé une image originale, un motif iconographique sans précédent en France à cette époque : la sainte couronnée par l’Enfant, assis sur le bras droit de sa Mère384. Contrairement à la singularité de l’image mettant en scène l’Enfant en train de couronner dans les bras de sa mère, le thème du couronnement des martyrs par le Christ est particulièrement ancien. À la fin du IIe siècle, le passage d’un texte judéo-chrétien dénommé V Esdras, reflète parfaitement la symbolique des couronnes : « Au milieu de la foule, il y avait un jeune homme, d’une taille élevée, plus haut que les autres. Il plaçait des couronnes sur la tête de chacun de ceux-ci. Et leur taille augmentait. Je demandai à l’ange : Qui sont ceux-ci ? Il répondait : Ce sont ceux qui ont déposé la tunique mortelle et ont revêtu l’immortelle et ont confessé le nom de Dieu. Désormais, ils sont couronnés et ont reçu les palmes. Je dis à l’ange : Et l’Homme jeune qui leur impose les couronnes et leur remet les palmes, qui est-il ? Il répondit : C’est le Fils de Dieu qu’ils ont confessé  Selon William M. Hinkle : « And surely among such pictorial prototypes must be counted the apsidal fresco above altar at Montmorillon, the first and most impressive instance in which the saint is represented in close contact with the divine child », op. cit., p. 53. 384



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dans le monde»385. La couronne, motif eschatologique par excellence, désigne la béatitude éternelle, symbole de la gloire des élus et de la Vie qu’ils reçoivent. Elle ceint en quelque sorte la tête des vainqueurs : « Reste fidèle jusqu’à la mort, et je te donnerai la couronne de vie. (...), le vainqueur n’a rien à craindre de la seconde mort » (Ap., II, 10-11). La couronne représente la gloire suprême dont les martyrs vont être naturellement parés. Motif calqué sur l’art triomphal de l’Antiquité, elle apparaît donc très tôt sur la tête des martyrs comme insigne de leur victoire. À la fin du IVe siècle, sur la mosaïque du culde-four de Sainte-Pudentienne à Rome, deux femmes tiennent des couronnes au-dessus de la tête des saints Pierre et Paul. Les peintures carolingiennes de la crypte de Saint-Germain d’Auxerre présentent un couronnement de Laurent et Vincent par le Christ dans le cul-defour de l’abside de l’oratoire Saint-Laurent-Saint-Vincent386. Pour la période romane, dans l’art monumental français, un seul exemple de couronnement d’un saint par le Christ a subsisté et est encore visible dans le cul-de-four de l’absidiole de la tour Charlemagne de l’abbatiale Saint-Martin de Tours. Il s’agit d’une peinture datée du XIe siècle montrant le Christ debout qui pose une couronne sur la tête d’un saint, identifié comme Martin. Si les gestes appartiennent à l’Antiquité classique, la composition et l’évolution du motif semblent prendre leurs sources dans le monde oriental : sur deux mosaïques du VIe siècle de la cathédrale de Poreč en Croatie, deux scènes symétriques présentent les couronnements par le Christ des saints Côme et Damien et de Ursus et Severus selon le schéma en usage à la période romane387. La tradition iconographique se poursuit à la période ottonienne, transposée à l’art impérial : des exemples de couronnements impériaux reprennent la composition du couronnement des saints comme dans l’évangéliaire d’Henri II vers 1007-1012388. Des couronnements hagiographiques de cette époque sont également connus comme celui de Margareta et Regina dans la vita de saint Kilian et sainte Marguerite389. Les deux saintes, dans une attitude pleine d’humilité, reçoivent chacune une couronne   V Esdras (II, 45-47), cité par Jean DANIÉLOU, Les symboles chrétiens primitifs, Paris, 1967, p. 27. 386  Une inscription de la fin du IXe siècle permet d’identifier Laurent et par déduction l’autre saint ne peut être que Vincent. Pour plus de précisions, voir Peindre à Auxerre au Moyen Âge, IXe-XIVe siècles, op. cit., p. 115. 387   Ibid., p. 119-120. 388   Munich, Bayern Statsbibliothek, Clm. 4452, f° 2. 389   Exemple cité dans Peindre à Auxerre au Moyen Âge, op. cit., p. 120. 385



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que le Christ pose sur leur tête. Le couronnement d’un martyr par le Christ ou plutôt l’idée du couronnement est un thème connu à la période romane et se rencontre notamment dans la crypte des saints Savin et Cyprien à Saint-Savin-sur-Gartempe. Néanmoins, les saints tiennent leur couronne dans les mains et ne sont pas représentés en train d’être couronnés comme à Montmorillon. L’image du couronnement à Montmorillon est encore plus rare, en raison de la présence de l’Enfant et non du Christ (adulte). Ce motif iconographique, selon William M. Hinkle, dérive d’un modèle byzantin perdu390. Néanmoins, Hinkle a retrouvé un exemple de couronnement par l’Enfant, en France, mais postérieur à la peinture de Montmorillon. Il s’agit d’un sceau de 1231 appartenant au chapitre de la cathédrale de Soissons391. L’Enfant est assis sur les genoux de sa Mère, entièrement de face, couronnant en parfaite symétrie les saints Gervais et Protais agenouillés de part et d’autre du trône. La cathédrale est placée sous le vocable de la Vierge ainsi que sous ceux de Gervais et Protais. Pour William M. Hinkle, le thème byzantin du couronnement de l’empereur par l’Enfant est combiné dans l’art occidental avec celui du double couronnement des martyrs qui provient de l’art ottonien392. Le couronnement de Catherine symbolise donc son triomphe. Elle est accueillie au milieu d’autres saintes dans le royaume de vie et reçoit des mains du Christ l’emblème de la gloire éternelle promise aux martyrs. Les couronnes sont également mentionnées dans les textes judéochrétiens concernant le baptême, naissance à la Vraie Vie. Sur la tête des néophytes, elles évoquent alors la présence du Christ qui sur le chef des élus est comme une couronne393. Ainsi, les saints reçoivent, après le baptême du sang, l’insigne qui témoigne de leur vie entièrement vouée au Sauveur. Il semble que dans l’interprétation de ce couronnement, il ne faille pas négliger cette signification première de la couronne remise aux martyrs. Néanmoins, cette image fait indubitablement écho à une autre image : Catherine reçoit des mains du Christ-Enfant la couronne promise à la Sponsa Christi394. La sainte est morte pour sa fidélité à l’Époux. Elle vient d’entrer dans le royaume des cieux où elle   William M. HINKLE, op. cit., p. 44.   Ibid., p. 44. 392   Ibid., p. 44. 393   Jean DANIÉLOU, op. cit., p. 24. 394  Le couronnement de la Sponsa par l’Époux apparaît sur un certain nombre d’images. Un chapiteau roman du Musée des Augustins à Toulouse où l’Époux imberbe, ayant à sa droite la Sponsa couronnée, accueille deux vierges sages qui tiennent leurs lampes. Voir à ce propos, Philippe VERDIER, Le couronnement de la Vierge, Les origines et les premiers développements d’un thème iconographique, Paris, 1980. 390 391



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rejoint le chœur, le cortège des saintes qui ont déjà gagné la béatitude céleste. Elle entre victorieusement au Paradis où parmi les autres saintes, elle est désignée par le Christ-Enfant pour régner comme une reine des Cieux, à l’instar de la sainte parmi les saintes, Marie. D’ailleurs, des anges portent une couronne au-dessus de l’Enfant et de la tête de la Vierge, Reine des Cieux, modèle de toutes les saintes. Les saintes figurées, incarnant la virginité, forment le chœur des vierges auprès du Christ dont Marie, également couronnée, est le modèle absolu. Catherine est Fig. 93 - Le choeur des vierges, Bénéen tête du cortège, derrière la dictionnaire de saint Ethelwold, LonVierge, au plus près du Christ- dres, British Labrary, ms. Add. 49598, Enfant. Leur couronnement par f°1v° Jésus est par ailleurs chanté dans l’hymne du commun des vierges395 : « Jésus, couronne la vierge/ Toi que cette mère a conçu dans son sein/ Indulgent, reçois ces vœux qu’une vierge seule a couvé dans son sein/ Toi qui nourris au milieu des lis, entouré par les chœurs des vierges. / Des fiancées ornées de la gloire et qui donnes en retour aux fiancées/ Partout où tu vas, les vierges te suivent/ Et avec des louanges, après toi, chantant, elles courent/ Et font retentir de doux hymnes/ Nous te prions plus abondamment/ Augmente par nos sentiments/ Fais qu’en un mot, nous ne connaissions pas toutes les blessures de la tentation/ Père très juste/ »396. Toutes ces vierges martyres, formant un chœur auprès du Christ, sont donc couronnées par sa main, la main du Sponsus. Cependant,   Analecta Hymnica (medii Aevi), II, Hymnarius Moissiacensis, Das Hymnar der Abtei Moissac im 10. Jahrhundert, éd. Guida Maria Dreves, Frankfurt am Main, 1961, p. 78. 396   « Jesu, corona virginum / Quem mater illa concepit,/ Quae sola virgo parturit/ Haec vota clemens accipe// Qui pascis inter lilia/ Septus choreis virginum,/ Sponsas decoras gloria/ Sponsisque reddis praemia// Quocumque pergis, virgines/ Sequuntur atque laudibus/ Post te canentes cursitant/ Hymnosque dulces personant// Te deprecamur largius/ Nostris adauge sensibus/ Nescire prorsus omnia/ Corruptionis vulnera// Praesta, pater piissime/ ». 395



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dans les représentations du chœur des vierges, entourant ou non le Christ, elles sont toutes indifférenciées comme sur une enluminure du Xe siècle où les vierges couronnées dans la Jérusalem Céleste ne présentent aucun signe distinctif, célébrées pour leur seul état (fig. 93). Elles incarnent le chœur des vierges par excellence, soit l’état particulier qui leur a conféré la grâce397. À Montmorillon, le propos est différent puisque se distinguent deux saintes et notamment Catherine dont la suprématie est clairement affirmée sur les autres. Au même titre que les martyrs et les confesseurs, les vierges appartiennent à la hiérarchie céleste. La virginité apparaît, en effet, comme un des sommets les plus élevés de la vertu chrétienne. Ambroise, dans son traité intitulé De virginibus, insiste sur la virginité mariale et affirme que Marie a été choisie par le Christ pour être la source de sa chair car elle avait évité « la souillure extérieure ». La Vierge est l’Aula Pudoris, la salle royale de chasteté préservée, son corps étant resté intact non seulement au moment de la conception du Christ mais également lors de l’enfantement. Il symbolisait tout ce qui était infrangible et sacré dans le monde398. La représentation de la Vierge à l’Enfant qui couronne lui-même une vierge s’éclaire alors : en exaltant et en glorifiant la figure mariale dans l’image, l’accent est mis sur Catherine qui après Marie incarne la virginité. En outre, l’église de Montmorillon est placée sous le vocable de Notre-Dame : la hiérarchie dans l’espace de l’église comme dans l’image est donc respectée. Les différentes significations de la couronne se mêlent dans cette peinture car si le couronnement de Catherine la désigne comme l’épouse du Christ, il donne un caractère triomphal à l’image. Le Christ et sa Mère sont, en effet, également couronnés par des anges. L’interprétation de ce motif devient plus complète, confrontée à une image qui se trouve sur le couvercle d’un reliquaire d’argent du Ve siècle provenant d’Afrique du nord399. Le Christ juvénile tient une couronne à la main tandis qu’au-dessus de sa tête une main divine lui en tend une autre. Le Sauveur couronne les martyrs qui ont versé leur sang et est couronné à son tour car chacune de leurs victoires est sa victoire400. La connotation triomphale est donc plus que présente à Montmorillon où la Vierge, suggérant l’Incarnation, est associée à la

 Londres, BL, Bénédictionnaire de saint Ethelwold (963-984), ms Add. 49598, f° 1 v°.  Ambroise, De virginibus, 1, 5, 21, P.L., 16, cité par Peter Brown, Le renoncement à la chair, Virginité, célibat et continence dans le christianisme primitif, Paris, 1995, p. 426. 399   Conservé au Museo Sacro du Vatican. 400  André GRABAR, Martyrium, op. cit., p. 57. 397 398



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gloire de son Fils, renouvelée par celles des martyres, les saintes vierges. De multiples interprétations ont été proposées pour expliquer la signification de l’objet jaune circulaire présenté délicatement par Catherine401. Selon William M. Hinkle, ce « disque », ainsi qu’il le nomme, est soit le fruit de vie que présentent certaines Vierges en Majesté402, soit le globe du monde, le mundus403ou le globulus que tiennent par exemple les cavaliers couronnés du baptistère Saint-Jean à Poitiers404. Il est probable que ce symbole ait un contenu spirituel et religieux dépassant la signification première du motif. Néanmoins, il ne semble pas qu’il faille y voir, ici, une allusion aux origines royales de la sainte – fille de Costus, roi d’Alexandrie – qui en délaissant les insignes de la royauté terrestre a gagné ceux du Ciel. Le globe en or serait plutôt l’emblème du royaume des Cieux gagné par Catherine grâce à son martyre. Bien que la boule en or sans croix n’appartienne pas aux regalia en France, Yvonne Labande-Mailfert rappelle qu’elle est l’emblème du royaume de Jérusalem au XIIe siècle. Les rois de Naples et de Jérusalem la portèrent en ce sens pendant la chevauchée de leur couronnement405. Ainsi, cet objet tenu par les souverains serait « la terre du royaume ». Or, la sainte vient précisément d’entrer dans le royaume de la Vraie Vie, dans la Jérusalem céleste406. Reprenant une hypothèse formulée par William M. Hinkle, Yvonne Labande-Mailfert suggère que le « disque » en or peut être également le fruit de vie promis aux élus  Il a été identifié comme l’anneau mystique de sainte Catherine bien que sa taille ait laissé perplexes les chercheurs. En effet, certains auteurs ont voulu voir dans cette image une préfiguration du mariage mystique de sainte Catherine. Cette piste a rapidement été abandonnée car le mariage mystique de sainte Catherine en iconographie n’apparaît qu’au cours du XIVe siècle dans la légende de la sainte, après que son culte a gagné en ampleur. L’engouement pour le culte de la sainte, surtout à partir du XIIIe siècle, a nécessité la création d’un nouveau cycle d’aventures dont l’enfance miraculeuse et le mariage mystique. À ce propos, voir La vie des saints et des bienheureux, par les R.R et les R.P Bénédictins de Paris, Novembre, Paris, 1956, p. 863-865. Il semble donc difficile de voir une préfiguration du mariage mystique un bon siècle avant que la littérature ne lui ait donné le jour. Certains ont vu dans ce disque la roue du martyre de Catherine malgré sa petite taille, d’autres une hostie... 402   William M. HINKLE, op. cit., p. 38. 403   Ibid., p. 40-42. 404   William M. Hinkle cite cet exemple car il pense que ce motif est d’origine byzantine. Il donne également l’exemple d’une mosaïque grecque du XIe siècle d’Hosias Lukas où dans le narthex, Catherine porte un grand disque blanc timbré d’une croix. Il nous semble que ce motif est fort éloigné de celui de sainte Catherine de Montmorillon. 405   Yvonne LABANDE-MAILFERT, « Compte-rendu à propos du livre de William M. Hinkle », C.C.M., t.XVI, 1973, p. 327. 406   Ibid., p. 327. 401



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qui gagneront le royaume de Dieu (Ap., XXII, 14) et se présente ainsi comme un motif eschatologique qui renforce le symbolisme de la couronne407. La couleur or figure également les mystères de la chasteté et de la charité, ce qui ajoute un supplément de sens à l’image408. Il nous semble que cette dernière interprétation reste la plus convaincante. Un autre motif dans la composition mérite une attention particulière. Il s’agit des vases posés aux pieds des saintes qui ont également suscité de nombreuses interrogations409. Ils évoquent peut-être, ici, la fidélité des vierges au Christ, car dès l’époque apostolique les fidèles étaient, en effet, présentés comme des vases du Christ, des vases d’élection ou des vases du Saint-Esprit410. Saint Paul est d’ailleurs qualifié de vas electionis par Dieu (Ac., IX, 15), d’instrument de choix. Cette épithète se retrouve dans un poème de Prudence qui loue le martyr Vincent : « Pose ce petit vase qui est tombé/ Joins l’assemblage qui est réduit en miettes avec de la terre/ Et libre, va vers le ciel »411. Le corps des martyrs est assez souvent qualifié de « vase vénérable », organe avec lequel les saints ont servi Dieu et dans lequel ils ont souffert pour le Seigneur412. Le terme est aussi utilisé à de multiples reprises par Adam de Saint-Victor pour glorifier Marie dans son poème Salve, Mater Salvatoris413 : « Salut, Mère du Sauveur/ Vase de choix,

407  Selon Yvonne Labande-Mailfert, le fruit que présentent parfois les Vierges est le fruit de Vie, autrement dit le Christ que la Vierge a donné au monde. La Vierge médiatrice de Saint-Jouin-de-Marnes qui se tient aux pieds du Christ a une grenade entre ses doigts. Marie, Nouvelle Ève, présente donc le fruit de Vie, le Christ et l’offre aux élus, op. cit., p. 327. 408   Dans un poème consacré à la Vierge, Adam de Saint-Victor utilise cette couleur dont le symbolisme est vétérotestamentaire, pour louer la Mère de Dieu : « L’or par sa couleur fauve préfigure les mystères de ta chasteté et de ta charité », ADAM DE SAINT-VICTOR, Quatorze proses du XIIe siècle à la louange de Marie, traduit et commenté par Bernadette Jollès, Turnhout, Brepols, 1994, p. 215 409   Certains y ont vu une représentation des vierges sages et de leur lampe. 410   D.A.C.L., t.XV, 2ème partie, col. 2914. Saint Paul écrit « Le potier n’est-il pas maître de son argile pour fabriquer de la même pâte un vase de luxe ou un vase ordinaire » (Rm., IX, 21), il évoque encore le vase dans la deuxième épître aux corinthiens : « Mais ce trésor, nous le portons en vase d’argile, pour qu’on voie bien que cette extraordinaire puissance appartient à Dieu et ne vient pas de nous » (II Co., IV, 7). 411   PRUDENCE, Peristephanon, 1, V., vs 301-304, P.L., 61, col 396, « Pone hoc caducum vasculum/ Compagine textum terrea/ Quod dissipatum solvitur/ Et liber ad coelum veni ». 412   DUNGAL, Responsa contra perversas Claudii Taurinensis sententias, P.L., 105, col. 465, 473, 474, 527. Cité par Jean-Marie SANSTERRE, « Les justifications du culte des reliques dans le haut Moyen Âge » dans Les reliques, objets, cultes, symboles, Actes du colloque international de l’Université du Littoral-Côte d’Opale (Boulogne-sur-Mer), 4-6 septembre 1997, édités par E. Bozoky et A.M. Helvétius, Turnhout, Brepols, 1999, p. 87. 413  ADAM DE SAINT-VICTOR, Quatorze proses du XIIe siècle à la louange de Marie, op. cit., p. 204-205.



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vase d’honneur/ Vase de la grâce céleste/ Vase prévu de toute éternité/ Vase insigne, vase ciselé/ Par la main de la Sagesse. » Le vase d’honneur représente l’objet en matériau noble, destiné à un usage noble, que saint Paul compare à celui qui est sanctifié (Rm., IX, 21). L’image est donc utilisée relativement fréquemment pour désigner la Vierge. Saint Anselme, par exemple, la qualifie de « vase et de temple de la vie et du salut de tous »414. Par transposition, le vase en argile devient l’emblème de la virginité en permettant de garder cachés les trésors du ciel. Les vases de Montmorillon peuvent donc évoquer le corps pur des saintes, vierges et martyres... Toutefois, le symbole du vase peut recouvrir plusieurs sens qui se complètent : il peut prendre, par exemple, la signification de vas electum, largement utilisée par les théologiens. Les récipients déposés auprès des vierges qui entourent le Christ et sa Mère contiendraient alors les vertus de leur sainteté. À ce symbolisme peut se superposer une autre signification. Pour William M. Hinkle, ces récipients placés par la suite sur l’autel d’or devant le trône (Ap., VIII, 3) sont un écho « aux coupes d’or pleines de parfum, les prières des saints » (Ap., V, 8)415. Le lien entre les images de l’abside et les images apocalyptiques – la vision décrite par Jean de l’Agneau de Dieu416 entouré des Vieillards avec leur instrument – s’établit ainsi : « Quand il l’eut pris, les quatre Vivants se prosternèrent devant l’Agneau, ainsi que les vingt-quatre Vieillards tenant chacun une harpe et des coupes d’or pleines de parfums, les prières des saints » (Ap., V, 8). Ces images illustrent donc l’épiphanie victorieuse de l’Agneau, du Christ sacrifié à qui Dieu s’adresse : « Tu es digne de prendre le livre et d’en ouvrir les sceaux, car tu fus égorgé et tu rachetas pour Dieu, au prix de ton sang, des hommes de toute race, langue, peuple et nation » (Ap.,V, 9). La Passion et la Victoire du Christ, symbolisées par l’Agneau victorieux, réalisent, après la résurrection, l’œuvre du Salut. L’Agneau incarne l’humilité de la nature humaine du Sauveur et son sacrifice pour racheter les péchés de l’humanité. Le geste de tendresse de Marie à son Fils est à interpréter dans ce sens et 414  SAINT ANSELME, Oraison VII : « vas et templum vitae et salutis universorum », cité par Bernadette Jollès, dans Adam de Saint-Victor, Quatorze proses du XIIe siècle à la louange de Marie, op. cit., p. 205. 415   William M. HINKLE, op. cit., p. 49. 416  L’image de l’Agneau est entourée d’une inscription : AGNUS DEI [QUI ?]. Il se peut que cette inscription soit une citation de l’évangile de Jean : « Voici l’Agneau de Dieu, qui ôte le péché du monde » (Jn, I, 29). Pour les auteurs du Corpus des inscriptions, il s’agit, en effet, de la phrase « Ecce Agnus Dei, ecce qui tollit peccatum mundi » (voir Corpus des inscriptions de la France Médiévale, I, Poitou-Charentes, 2, Département de la Vienne, Robert Favreau, Jean Michaud, sous la direction d’Edmond-René Labande, Poitiers, 1975, p. 53).



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souligne l’idée du Sacrifice. Il est celui de la Vierge des douleurs embrassant la main du Crucifié comme dans la scène peinte de la Déposition de la croix de l’église Saint-Martin à Nohant-Vicq où la Vierge tient contre sa joue la main du Christ. Si les vases renvoient aux âmes des martyrs devant le trône de Dieu (Ap., VII, 14-13), le martyre de Catherine qui n’est pas figuré dans la crypte serait alors suggéré. Le vase symboliserait le corps des vierges qui ont souffert pour le Seigneur. Or, des reliques de la sainte devaient être conservées dans l’autel ou sur l’autel de la crypte. Les images se font donc la traduction des principes fondateurs de la liturgie. Les peintures de Montmorillon illustrent l’idée du sacrifice du Sauveur à travers l’Agneau, symbole eucharistique, et rappellent ainsi celui de Catherine qui par sa mort a « lavé sa robe et l’a blanchie dans le sang de l’Agneau » (Ap., VII, 14). L’ensemble des images de l’abside définit clairement la sainteté « exceptionnelle » de la sainte patronne de la crypte. Les scènes des murs de l’abside montrent Catherine dans son rôle de docteur de la foi et guide spirituel. La jeune femme, presque une enfant – sa petite constitution et sa jeunesse sont rappelées dans la scène du couronnement – par la force de sa foi et la puissance de son raisonnement, réduit à néant les démonstrations intellectuelles de quarante docteurs païens. Catherine incarne le docteur par excellence, une sorte de génie inspiré par Dieu. Puis à l’abside, les images louent sa virginité et sa qualité de martyre qui lui valent d’être couronnée par le ChristEnfant comme reine des Cieux. Ainsi Catherine est présentée comme la sainte suprême à la fois docteur, vierge et martyre. En réunissant ces trois aspects majeurs de la sainteté de Catherine, les images de la crypte de Notre-Dame de Montmorillon placent délibérément leur sainte au-dessus de toutes les autres. Elle est présentée comme la seconde reine du ciel. La complémentarité des thèmes narratifs et des thèmes d’état est particulièrement évidente dans cet exemple puisque l’ensemble des images vise à définir la sainteté particulière de Catherine. Ainsi, dans le réseau d’images, les scènes narratives n’ont pas exclusivement pour fonction d’illustrer la légende de la sainte mais participent à la définition de son portrait spirituel. Un autre exemple, très différent dans sa finalité de celui de Montmorillon, témoigne de l’utilisation détournée des images hagiographiques. Il s’agit du cycle de saint Benoît dans la crypte romane de Saint-Denis, l’un des rares cycles longs sculptés conservés de l’époque

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1. Le miracle du crible 2. Benoît et Romain; Benoît dans la grotte du Subiaco 3. Benoît dans l’oratoire du Mont-Cassin 4. Le miracle de la construction 5. Benoît guérissant le jeune moine 6. Le rencontre de Benoît et de Totila 7. Benoît et Tzalla 8. Habacuc et l’ange 9. La Pentecôte

Fig. 94 - Plan de la crypte de l’abbatiale Saint-Denis, Saint-Denis



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romane. Sa comparaison avec le célèbre cycle de l’abbaye de SaintBenoît-sur-Loire illustrant la même légende rend son analyse particulièrement intéressante. D’autre part, la personnalité de celui qui, vraisemblablement, en a été le commanditaire a conforté notre choix de l’étudier. La crypte de Saint-Denis appartient, en effet, à la campagne de construction décidée en 1135 par l’abbé Suger (1081-1151) pour justifier de l’importance de l’abbaye royale. La construction du chevet a été achevée en 1144, le 11 juin, date de la dédicace de l’autel de la nouvelle crypte et de celle du chevet417. Or, le décor sculpté de la crypte porte vraisemblablement la marque du génial maître d’oeuvre. Composé initialement d’une soixantaine de chapiteaux 418, il est aujourd’hui partiellement lacunaire en raison des destructions et des dégradations du XVIIIe siècle. Si les images de Benoît, père du monachisme occidental, témoignent de la dévotion dont il fait l’objet dans l’abbaye bénédictine, elles ont surtout permis à leur commanditaire d’utiliser la légende du saint au service de son propre discours. Parmi les trente-huit chapiteaux historiés encore existants de la crypte, sept chapiteaux illustreraient des épisodes de la vie du Père des moines (fig. 94). Dans un article majeur en 1982, Pamela Z. Blum a identifié, la première, les scènes qui composeraient le cycle419. La plupart de ces chapiteaux étant plus ou moins détériorés, elle n’a pas cherché à les interpréter. S’étant concentré sur l’identification des chapiteaux, elle ne s’est ni interrogée sur le sens général du cycle ni sur la méthode narrative employée. Cependant, elle a tenté de relier le cycle de Benoît aux images des autres chapiteaux de la crypte, ce qui représente en soi une approche méthodologique novatrice pour l’époque. Pour faciliter l’explication des chapiteaux, nous avons pris le parti de suivre le déroulement chronologique de la légende. Ainsi, la scène qui ouvre le cycle à Saint-Denis est celle du miracle du crible, premier miracle de Benoît (Dialogues, II, c. 1). À Effide, la nourrice du jeune saint laissa tomber un crible à froment qui se brisa, mais Benoît « ramassa les deux morceaux du crible, les emporta avec lui à l’écart et se répandit en prière et en larmes ». Sur une des faces du chapiteau, 417  Suger déclara par ailleurs que l’œuvre fut accomplie « en trois ans et trois mois, de la crypte jusqu’au sommet des voûtes » (De Administratione, c. XXVIII), cité par Summer McK. CROSBY, L’abbaye royale de Saint-Denis, Paris, 1933, p. 43. 418  Summer McK. CROSBY, The Abbey of Saint-Denis in the XIIth Century, New-Haven, 1937, p. 133. 419   Pamela Z. BLUM, « The Saint Benedict Cycle on the Capitals of the Crypt at SaintDenis », Gesta, XX/1, 1981, p. 73-87.



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Fig. 95 - Saint Benoît en prière (miracle du crible cassé), chapiteau, crypte, abbatiale Saint-Denis, Saint-Denis

Fig. 96 - Le crible miraculeusement réparé, chapiteau, crypte, abbatiale Saint-Denis, Saint-Denis

le saint nimbé, en prière, est presque prosterné sous une arche torsadée (fig. 95). Sur le côté gauche de la corbeille, un objet concave et cannelé est suspendu à une arcade en accolade, une sorte de baldaquin (fig. 96). Il s’agit d’une représentation votive du crible entièrement restauré par la prière de Benoît. Saint Grégoire rapporte dans la vita que tout le pays eut bientôt connaissance du prodige : « ... les villageois suspendirent le crible au porche de l’église. Ainsi ils pourraient le voir, eux et tous leurs descendants, la grâce de Dieu dans la vie religieuse de Benoît, cet enfant : quelle perfection, dès le début. De longues années, tout le monde put voir ce tamis, et il resta suspendu au-dessus de la porte de l’église jusqu’à ces temps de l’invasion des Lombards »420. Ici, la composition est réduite à sa plus simple expression : le tamis est figuré tel un ex-voto comme le signe irréfutable de la sainteté de Benoît qui, sur l’autre face du chapiteau, est en prière, tourné en direction du crible suspendu. La représentation de   GRÉGOIRE LE GRAND, Dialogues, t. II (livres I-III), texte Adalbert Voguë, traduction Paul Antin, (S.C. 260), Paris, 1979, p. 131.

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la prière à elle seule suffit pour expliquer la réalisation du miracle dont la preuve indéniable est simplement présentée sur l’autre face de la corbeille. Les arcades figurées sur les deux faces du chapiteau confèrent à l’espace représenté une unité, celle de l’édifice cultuel au sein duquel la prière devient efficiente. L’absence totale de narration est particulièrement étonnante dans la composition de cette scène de miracle. La nourrice, personnage essentiel pour comprendre l’épisode, n’est pas évoquée, le crible cassé n’apparaît pas... Aucun élément anecdotique ne permet une identification certaine de ce chapiteau. Le propos narratif n’intéresse pas le concepteur de l’image qui a choisi de montrer une image de méditation, de pure prière, en ne mentionnant aucun détail historique. Seul, « l’ex-voto » rappelle l’objet de la prière et la réalisation du prodige, si bien que les deux images semblent pensées comme une synthèse du concept chrétien de miracle. Par cette économie de moyens, elles mettent en parallèle la prière du saint qui, comme celles des fidèles, doit avoir pour cadre l’église. De surcroît, « l’ex-voto » renforce encore ce lien en matérialisant et en symbolisant la prière entendue par Dieu. Il ne s’agit pas d’illustrer le miracle réalisé par le saint mais d’évoquer les miracles quotidiens liés à une prière entendue. Les images atteignent ici un degré d’abstraction élevé, relativement rare dans l’iconographie hagiographique. Le second chapiteau évoque la période où le saint séjourna à Subiaco (Dialogues, II, c. I). Sur une des faces du chapiteau, un moine nimbé s’adresse à un personnage de plus petite taille, également nimbé, mais vêtu d’un bliaud court et muni d’un bâton (fig. 97). Cette scène relate la rencontre du jeune Benoît, d’où sa petite taille, et du moine Romain. Selon le texte de Grégoire : « Tandis que Benoît en fuite passait par là (Subiaco), un certain moine du nom de Romain le trouva en chemin, et lui demanda ce qu’il cherchait ». Le cénobite vient de quitter son monastère, symbolisé par une porte en plein cintre surmontée d’un fronton, et se dirige vers Benoît dont la pérégrination depuis Effide est signifiée par son bâton. Romain désigne Benoît ou bien la scène suivante figurant Benoît dans la grotte où il s’est retiré pendant trois ans. Le geste du moine suggère sans doute implicitement l’investiture monastique de Benoît ou plus précisément la rupture avec le monde qu’induit la conversio. C’est par l’expérience érémitique que Benoît va endosser, va faire sien « l’habit de la sainte Vie » transmis par Romain. Ainsi, « l’habit de la sainte Vie » selon l’expression de Grégoire marque avant tout la conversio intérieure, matérialisée par la grotte montrée par Romain. Le vêtement traditionnellement utilisé pour signifier

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Fig. 97 - Saint Benoît rencontrant Romain, chapiteau, crypte, abbatiale Saint-Denis, Saint-Denis

Fig. 98 - Saint Benoît dans la grotte à Subiaco, chapiteau, crypte, abbatiale Saint-Denis, Saint-Denis

le passage d’un état à un autre est complètement écarté de l’image421. Seule la tonsure monastique témoigne de la prise d’habit dans la seconde image du chapiteau (fig. 98). La tête tonsurée et nimbée de Benoît émerge d’une grotte constituée de blocs superposés qui forment comme une sorte de panier. Le concepteur des images a cherché à retranscrire plastiquement l’idée de la réclusion : l’amas rocailleux enserre le corps du moine qui a disparu. Il fait littéralement corps avec la grotte qui l’englobe, qui l’enveloppe, à la manière de l’habit monastique, évacué à dessein des deux scènes. L’inclusion du corps de Benoît dans la caverne symbolise sa rupture avec le monde. Le nouvel hagiographe connaît particulièrement bien le texte de la vita puisqu’il joue comme Grégoire sur le sens des mots pour renforcer l’association vêtement-grotte. Si l’auteur de légende précise, en effet, l’étroitesse de la grotte, il emploie surtout le verbe tradere pour évoquer la prise d’habit et l’entrée dans la grotte422. Ainsi, c’est grâce à l’expérience du désert 421  Sur la prise d’habit dans les communautés religieuses et sa transcription en images, voir Dominique DONADIEU-RIGAUT, Penser en images les ordres religieux, op. cit., p. 81-121. 422   Ibid., p. 97.



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Fig. 99 - Saint Benoît dans son oratoire du Mont-Cassin, chapiteau, crypte, abbatiale Saint-Denis, Saint-Denis

que le Père des moines pourra par la suite prendre la tête d’une communauté religieuse et en organiser la vie. La dimension narrative de la vita n’est pas le propos principal du concepteur des images. Pourtant, il concède quelques détails qui permettent d’établir sans ambiguïté l’identification de cet épisode. Une corde, partant du nimbe de Benoît dans la première scène, est reliée à une poulie et descend vers sa retraite. Une écuelle ou une miche de pain et une clochette y sont attachées. L’épisode de la clochette cassée par le démon est légèrement esquissé : pendant les trois ans de sa réclusion, Benoît était nourri par Romain qui lui faisait parvenir du pain par le biais d’un panier fixé à une corde. Le moine faisait descendre la ration alimentaire quotidienne du haut de la falaise tandis qu’une clochette avertissait l’ermite de son arrivée. Ici, le détail de la clochette est important non pas comme élément anecdotique venant soutenir la narration, mais parce qu’il rappelle les combats de Benoît contre le Mal. Il n’a donc été retenu que la notion de retraite dans le désert à laquelle sont irrémédiablement associées les luttes et les tentations sans qu’elles ne soient ici décrites.



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L’absence totale de matière narrative explique qu’avant l’étude de Pamela Z. Blum, les images échappaient à l’identification. Néanmoins, pour cette même raison également, l’identification des scènes oblige à une grande prudence. Le troisième chapiteau serait donc une représentation de Benoît en buste dans son oratoire du Mont-Cassin (Dialogues, II, c. VIII)423 : il apparaît en habits monastiques dans une église, flanquée de bas-côtés, située sur un tertre rocailleux (fig. 99). La vita précise que « Le bourg que l’on appelle Cassin est situé au flanc d’une haute montagne, qui creuse son flanc pour le recevoir, puis s’élève sur trois milles, tendant sa pointe vers le ciel »424. Le saint s’empressa d’y détruire un temple dédié à Apollon et d’incendier les bois sacrés des païens. Sur l’emplacement du temple païen (« dans le temple d’Apollon » stipule la vita), il établit un oratoire en l’honneur de saint Martin et un second voué à saint Jean. Le concepteur du cycle, pourtant avare de détails, a pris soin de montrer l’édifice perché sur les masses rocailleuses du Mont-Cassin. Comme Benoît n’est pas muni de sa crosse, nous pouvons supposer que ce n’est pas l’abbatiale qui est ici représentée mais bien l’oratoire Saint-Martin ou la chapelle Saint-Jean. Les images montrent donc l’installation immédiate du saint après sa destruction des lieux de culte païen. L’analyse du travail du concepteur des images n’autorise pas à considérer l’arbre au tronc sinueux et aux feuilles de palmes qui est figuré sur le côté droit de l’édifice comme un élément purement décoratif ou campant l’environnement naturel du Mont-Cassin. Non sans raison, Pamela Z. Blum pense qu’il pourrait s’agir du laurier, attribut d’Apollon qui était toujours planté dans l’enclos sacré du temple425. Les arbres ou la végétation sculptés sur l’autre face de la corbeille pourraient également évoquer « les bois sacrés des démons » que le saint incendia après avoir détruit l’idole et renversé l’autel (fig. 100). Reprenant la composition de l’image de la grotte, l’oratoire épouse le corps de Benoît. Les plis du vêtement monacal finissent par se confondre avec les rochers qui servent de soubassement à l’oratoire : Benoît fait corps avec sa fondation. Son effigie qui emplit tout le bâtiment peut être assimilée à l’édifice lui-même. Ainsi, l’image se fait métaphore : le saint est représenté comme la pierre de soutènement de l’église.

 Selon les hypothèses de Pamela Z. Blum, op. cit., p. 77.   Dialogues de saint Grégoire, op. cit., p. 53. 425   Pamela Z. BLUM, op. cit., p. 77. 423 424



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Fig. 100 - Saint Benoît dans son oratoire du MontCassin (détail), chapiteau, crypte, abbatiale SaintDenis, Saint-Denis

Dans l’ambition du concepteur du cycle de réduire la dimension narrative de la légende au profit d’une définition du monachisme, il nous semble que notre image suggère également l’établissement de la « vraie foi » sur le Mont-Cassin. Autrement dit, elle incarnerait les prémices de la vie monastique, l’implantation, dans un environnement hostile, de la vraie foi mais aussi de la vraie vie, la vie monastique. Elle préfigure la vie céleste des anges. Cet épisode de la vie de Benoît et d’une certaine manière ce chapiteau rappellent la prise de possession de Jérusalem par David : « David s’installa dans la forteresse et l’appela Cité de David. Puis David construisit un mur sur son pourtour, depuis le Millo vers l’intérieur. David allait grandissant, et Yahvé, Dieu Sabaot, était avec lui » (II, Sam., V, 9-10). David inaugura son règne sur tout Israël en s’emparant de la forteresse de Sion, qui était aux mains des Jébuséens. Par cet acte important, David apparaît comme le véritable fondateur du royaume d’Israël. Le saint semble, effectivement, à l’instar de David, être retranché dans l’édifice et avoir pris pleinement possession de l’espace. C’est donc l’image triomphante du fondateur, du bâtisseur de l’ordre bénédictin qui nous est



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Fig. 101 - Quatre moines assistent au miracle réalisé par Benoît, chapiteau, crypte, abbatiale Saint-Denis, Saint-Denis

Fig. 102 - Saint Benoît réalisant un miracle, chapiteau, crypte, abbatiale Saint-Denis, Saint-Denis



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offerte, mais aussi celle du Père vigilant dominant l’espace de l’édifice dans lequel il est strictement circonscrit. Si l’évocation de la fondation est au cœur de cette image, l’idée d’un monde clos est également soulignée. Cet épisode de la vita est devenu le prétexte pour montrer le fondateur de l’ordre dans un bâtiment, symbole du monachisme. Si le quatrième chapiteau est relativement dégradé, la lisibilité de la scène permet cependant une identification à peu près certaine. Sur le côté gauche du chapiteau, quatre moines, regroupés deux par deux et superposés, semblent interdits et stoppés dans leur action (fig. 101). L’un d’eux tient encore à la main son outil de travail, une sorte de pelle ou de bêche. À l’angle du chapiteau, dans la posture d’un animal assis, un imposant démon cornu semble peser de tout son poids sur un énorme bloc de pierre. Ces détails prouvent que le sculpteur-hagiographe savait parfaitement manier l’expression narrative. Sur la face centrale du chapiteau, saint Benoît, représenté en sa qualité d’abbé fait un geste de bénédiction (fig. 102). L’épisode rapporté ici est celui du miracle de la pierre lors de la construction du monastère (Dialogues, II, c. X). Selon Grégoire : « Sur le chantier, une grosse pierre qu’ils (les moines) voulurent soulever pour la mettre en place. À deux ou trois, ils ne purent la remuer ; plusieurs autres vinrent à la rescousse, mais elle ne bougea pas (...) donnant clairement à entendre que l’antique ennemi en personne était assis dessus »426. Le saint est appelé et se met en prière, puis il bénit et la pierre est soulevée sans difficulté. Ces images évoquent le combat spirituel que Benoît a mené lors de l’établissement de la vraie foi. Il y est présenté comme un Père des moines luttant pour mettre en place le monachisme, monachisme symbolisé par son action et sa mission fondatrices. La détérioration du chapiteau suivant appartenant au cycle est telle que certaines scènes ne sont quasiment plus lisibles. Cependant, il a été identifié comme le miracle de guérison d’un jeune moine, un enfant, blessé par la chute d’un mur (Dialogues, XI, c. XI)427. Sur le côté occidental du chapiteau, à l’extrémité gauche, un moine est en train de bâtir un mur tandis qu’un démon se tient à proximité de la construction (fig. 103). Sur la face centrale de la corbeille, le démon fait écrouler le mur entraînant la chute, la tête la première, du jeune moine. La narration se poursuit à l’angle et sur le côté oriental du chapiteau : le saint abbé est figuré derrière un personnage étendu sur le sol, les jambes légèrement repliées (fig. 104). Il s’agit du moinillon   Dialogues de saint Grégoire et Règle de saint Benoît, op. cit., p. 55.   Pamela Z. BLUM, op. cit., p. 77.

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Fig. 103 - Saint Benoît réalisant un miracle de guérison (détail, le diable détruit un mur), chapiteau, crypte, abbatiale SaintDenis, Saint-Denis

Fig. 104 - Saint Benoît réalisant un miracle de guérison (détail, Benoît guérissant un jeune moine blessé), chapiteau, crypte, abbatiale Saint-Denis, Saint-Denis



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gravement blessé par l’écroulement du mur. Quatre autres personnages extrêmement dégradés assistent à la scène, vraisemblablement les moines qui ont amené le corps inanimé auprès de Benoît. Au-dessus du saint, la main de Dieu apparaît annonçant le miracle de guérison. Ces deux chapiteaux illustrent le combat spirituel et les victoires de Benoît lors de la construction du monastère du Mont-Cassin. Le concepteur du cycle a choisi de représenter deux des trois épisodes relatant les assauts de « l’antique ennemi » lors de la fondation de la célèbre abbaye. Ce sont par ailleurs les seules images ayant une intention narrative clairement définie puisque les différents protagonistes de la scène sont figurés et en permettent la compréhension. D’autre part, le chapiteau de la guérison du moine est le seul à offrir une continuité narrative en plusieurs séquences : l’introduction avec le démon qui apparaît lors de la construction du mur puis la chute du moine provoquée par le diable et enfin, la conclusion miraculeuse due à l’intervention de Benoît. Si la composition de ces images de miracles a été pensée en fonction de la matière narrative, cela n’exclut nullement le propos symbolique : les combats de Benoît évoquent peut-être aussi les combats de l’ordre bénédictin contre les attaques et les vicissitudes du siècle. Manifestement, le concepteur du cycle voulait insister sur l’action fondatrice de Benoît, sujet de trois des sept chapiteaux du cycle recensés dans la crypte. Le sixième chapiteau illustre la rencontre de Totila et de Benoît (Dialogues, II, c. XV). Le saint est assis sur le trône abbatial devant l’abbaye tandis que le roi des Goths, prosterné, est en prière devant lui (fig. 105). Le saint semble soutenir la tête couronnée comme pour inviter Totila à se relever428. Les quatre hommes qui composent la suite de Totila se tiennent en arrière. Le manque de détails narratifs renforce l’impression de l’hommage d’un souverain à un abbé trônant. C’est pourquoi nous sommes tentée d’admettre que l’épisode de la légende de Benoît devient l’occasion d’élaborer une image beaucoup plus générale d’un roi rendant hommage à un moine. L’image de Saint-Benoît-sur-Loire figurant ce même épisode de la vita situe l’action dans son contexte notamment par la présence de Riggo, encore vêtu des habits royaux. À Saint-Denis, aucun des membres de la suite royale ne se distingue particulièrement. Si un hommage de type féodo-vassalique est représenté à Fleury, l’image reste néanmoins dans   Grégoire précise dans la vita que Benoît invita plusieurs fois le roi à se relever.

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Fig. 105 - Saint Benoît et Totila, chapiteau, crypte, abbatiale Saint-Denis, SaintDenis

Fig. 106 - Saint Benoît et Zalla, chapiteau, crypte, abbatiale Saint-Denis, SaintDenis



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le cadre de la légende même si son sens la dépasse largement. En réalité le propos de l’image de la crypte se précise lorsque l’on connaît la personnalité de Suger et le rôle de Saint-Denis auprès des rois de France. L’image hagiographique est volontairement sortie des limites de la légende pour servir le discours du commanditaire des images dans un contexte politique et social donné. Le septième chapiteau du cycle manque d’éléments narratifs pour être identifié avec certitude. Devant un abbé, hiératique, assis sur son trône, se tient un homme dont les mains semblent jointes par un lien (fig. 106). Il est suivi par un personnage dont la tête a disparu, luimême précédé de deux autres hommes : l’un de face, enroulé dans un manteau, et un autre de profil. Cette scène a été identifiée comme l’épisode de Benoît et du paysan prisonnier du Goth arien Zalla429 (Dialogues, II, c. XXXI). Effectivement, la position de l’abbé et l’attitude du personnage qui semble avoir les mains liées accréditent cette hypothèse. Cependant, les deux personnages représentés derrière celui qui pousserait le paysan sont énigmatiques (l’un d’eux serait-il Zalla ?). Pamela Z. Blum n’en a vu qu’un seul et précise qu’il s’agit de la suite du Goth. Or comme la vita ne mentionne aucune troupe suivant le Goth, il est toujours représenté seul dans les images monumentales et les miniatures illustrant cet épisode. Il est vrai également que les images hagiographiques sont parfois des interprétations très libres des sources dont elles sont issues puisqu’elles sont le fruit de l’adaptation d’une vita parfois vieille de plusieurs siècles. L’identification est ici délicate à cause de la présence du personnage de face à l’extrémité nord de la corbeille. S’il est censé faire partie d’une suite, il se détache nettement par sa position et est mis en valeur. Dans le cas de la cour de Totila figurée sur le sixième chapiteau, tous ses compagnons sont sculptés de profil ou de trois-quarts, participant ainsi à l’action. L’identification de la scène du septième chapiteau reste donc hypothétique même si l’abbé et le prisonnier font indubitablement penser à la confrontation de Benoît et de Zalla ainsi qu’au miracle de libération. Si tel était le cas, cette scène illustrerait essentiellement l’arrivée de Zalla et du paysan devant l’abbé, avant le miracle, mais le captif étant pratiquement au contact du saint, le miracle est imminent. Dans le choix de l’illustration de cet épisode, ce n’est pas, encore une fois, le miracle qui est privilégié mais le moment qui le précède. Ainsi, il n’a pas été retenu ce qu’il y avait de plus significatif, donc de plus dramatique, dans cet événement. Le concepteur de l’image a utilisé   Pamela Z. BLUM, op. cit., p. 78.

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cet épisode aux mêmes fins que celles de l’hommage de Totila. Son approche de la légende est similaire : il fait d’une image narrative en théorie particulière, relatant un instant précis de la vie d’un saint, une image générale qui évoque avant tout la justice de l’abbé. Un personnage entravé, amené par un groupe d’hommes, comparaît devant un abbé. Dans la crypte de Saint-Denis, les épisodes de la vie du saint se présentent soit comme des abstractions soit comme des généralités. À Saint-Benoît-sur-Loire, tous les épisodes ne sont pas forcément décomposés en deux ou trois séquences narratives430 ; le concepteur du cycle sait aussi être plus synthétique en résumant en une seule image un épisode du récit431. Pour autant, cette image n’est amputée d’aucun des détails qui participent à sa compréhension et à sa clarté. Elle forme une sorte de résumé, d’abrégé de l’histoire mais l’essentiel y est. Très différentes dans leur conception et plus épurées que les images monumentales de Saint-Benoît, les enluminures du lectionnaire du Mont-Cassin n’omettent aucun des éléments donnant une dimension narrative à la scène. Le récit du miracle de libération a été divisé en deux séquences432. Le Goth, à cheval, muni d’une lance, pousse devant lui un paysan dont les poings sont liés. Outre le cheval, la différence de catégorie sociale s’observe dans les vêtements des deux protagonistes. L’image suivante montre Zalla agenouillé implorant le pardon de l’abbé trônant. Le paysan n’apparaît pas dans la seconde scène, le miracle est suggéré par l’attitude de l’arien qui reconnaît la sainteté de Benoît. La singularité du cycle de Saint-Denis tient vraisemblablement à la personnalité de son commanditaire, Suger. Les scènes qu’il a choisies mettent l’accent sur l’activité de bâtisseur de Benoît. Or, cette insistance est assez typique des établissements qui se réclament de l’illustre acte fondateur. Ces références ont moins de justification à Saint-Denis dans la mesure où elle n’est pas une fondation de Benoît. Cependant, l’activité du Père des moines peut sans doute être mise en parallèle avec la propre ardeur constructrice de Suger. L’ampleur des travaux qu’il a entrepris trouve, sans doute, une sorte de légitimation en s’ap  Comme on peut le voir sur la corbeille illustrant le miracle du crible ou la résurrection de l’enfant mort. 431   Comme on peut le voir sur la corbeille illustrant la délivrance du paysan. 432   Rome, Biblioteca Vaticana, cod. lat. 1202, f° 72r. Voir le fac-similé du manuscrit dans Beat BREAK, Das Lektionar des Desiderius von Montecassino : Ein Meistwerk italienischer Buchmalerei des 11. Jahrhunderts, Zürich, 1987. 430



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puyant sur le rôle de bâtisseur de Benoît, fondateur de l’ordre. Il nous semble que la personnalité exceptionnelle de Suger invite à ce genre d’hypothèses. Comment ne pas voir dans ces images une projection de la propre activité, des propres aspirations de l’abbé de Saint-Denis à travers la vie de l’illustre fondateur de l’ordre auquel il appartient? Benoît est présenté comme un bâtisseur qui affronte le Mal pour fonder ses monastères et d’une manière plus générale instaurer l’ordre bénédictin. Ces difficultés font peut-être écho à celles rencontrées par Suger au cours du vaste chantier de reconstruction de l’abbatiale. L’abbé a fait l’objet de critiques qui l’ont amené à se justifier, notamment théologiquement. Les vicissitudes rencontrées par Benoît lors de son activité constructrice ont peut-être pour l’abbé de Saint-Denis une résonnance tout à fait contemporaine. Cependant, malgré les luttes à mener, la victoire est célébrée par les images des chapiteaux. L’image illustrant la rencontre de Totila et de Benoît est dénuée de toute référence anecdotique qui la particulariserait et se réduit à l’hommage d’un roi à un abbé. Est-ce là encore une allusion au propre rôle de Suger, l’abbé de Saint-Denis, auprès des rois de France ? Suger se voulait et était le conseiller du roi de France, Louis VI. Cette image n’illustrerait-elle pas la définition même du « bon gouvernement » selon Suger : le pouvoir spirituel guidant le pouvoir temporel ? La fonction de Suger auprès des rois de France ainsi que celle de l’abbaye au sein du royaume ne sont, sans doute, pas étrangères au choix et à la structure des scènes figurées. Le concepteur du cycle a insisté sur le rôle de l’abbé plus que sur la personnalité du saint qui l’inspire. Ainsi la mission de l’abbé est exaltée : bâtisseur, fondateur, guide spirituel du pouvoir temporel, juge impartial et juste... La légende de Benoît n’est pas utilisée complètement pour ellemême. Ce sont les fonctions de l’abbé de Saint-Denis qui sont vraisemblablement vues sous le prisme de la vita de Benoît. Ainsi les images de la vie de Benoît légitiment, donnent du poids aux fonctions de l’abbé de Saint-Denis et cautionnent son rôle de bâtisseur. Le cycle hagiographique de Saint-Denis n’utilise pas la légende de saint Benoît comme une fin mais comme un moyen, moyen pour Suger de définir son propre rôle en s’appuyant sur la vie du Père du monachisme occidental. En fonction de sa structure, de ses différents motifs et de sa confrontation avec les autres séquences qui composent le cycle, l’image hagiographique a soit un caractère narratif indéniable soit

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une intention plus abstraite. La « mise en œuvre visuelle » de l’épisode peut, à elle seule, témoigner de ce parti pris, ou bien la composition d’ensemble – agencement, juxtaposition des images – confère au cycle un ton qui lui est propre. Quoi qu’il en soit, la grande plasticité des images hagiographiques offre la possibilité d’une infinie variété de discours figuratifs.



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Chapitre II

Image et culte

Les images ont été associées très rapidement au culte des saints. Au IIIe siècle, les persécutions ont fait des martyrs les premiers saints dont la mémoire a été perpétuée par les communautés chrétiennes. Pour fixer leur souvenir, des portraits accompagnés d’une inscription identificatrice ont été disposés près de leurs tombeaux afin qu’on les honore dignement selon une pratique inspirée des rites païens du culte des ancêtres. Les tombes des martyrs deviennent progressivement des lieux de pèlerinage sur lesquels vont être élevées des basiliques. Le portrait du saint en orant est alors placé au fond de l’abside sous la représentation de Dieu, au plus près de l’autel, soulignant ainsi son rôle d’intercesseur. Outre les portraits, il devient rapidement impératif de témoigner plus largement de la vie des saints pour entretenir la mémoire de leurs actes. À partir du IVe siècle se développent donc les premières images narratives contemplées et ce jusqu’au VIe siècle environ, comme des illustrations précises des événements passés. Le réalisme cru des scènes de la passion de sainte Euphémie décrites par Astérius d’Amasée s’explique alors par l’authenticité que l’on prête aux images. Considérées comme des preuves historiques, elles devaient être localisées à proximité du corps saint, légitimant le culte rendu au martyr mais sanctifiées en retour par les reliques. Si l’existence de cycles hagiographiques est attestée, l’unique séquence narrative voit également le jour pour relater une torture dont la spécificité permet l’identification du saint. Par ailleurs, ce type d’images s’est formé sur le substrat de l’iconographie romaine. Les scènes d’exécution des martyrs reprennent des modèles qui sont facilement reconnaissables dans l’art  André GRABAR, Martyrium, op. cit., p.108.  André Grabar qui a mené une étude exhaustive sur l’iconographie hagiographique des premiers siècles note qu’avant Constantin, à Rome, il n’y a pas de traces d’une iconographie des martyrs, ni dans les catacombes ni ailleurs. Elle n’apparaît qu’au début du IVe siècle en lien avec les saints honorés dans les grandes basiliques constantiniennes (Pierre, Paul et Laurent).   Astérius d’Amasée en commentant les tortures subies par Euphémie précise que le peintre a su rendre si distinctement les gouttes de sang que l’on peut les voir couler... Voir ASTÉRIUS D’AMASÉE, Homélie 11, In laude sanctae Euphémiae, op. cit., col. 336-337.  



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romain. Toutefois, si les images hagiographiques s’inspirent de l’art gréco-romain pour retranscrire certaines scènes (décapitation, exécution), elles se construisent également en fonction de l’iconographie christologique en plein développement. Au IVe siècle, le christomimétisme est déjà visible sur les sarcophages dits de « la Passion » où l’image des martyrs Pierre et Paul est placée à côté de celle du Christ dont elle imite la composition. Cette brève incursion dans la genèse de l’iconographie hagiographique permet de souligner que la conservation de la mémoire, indissociable du culte des saints, est garantie, entre autres, par l’image. La fonction mémorielle qui a présidé à l’élaboration de l’iconographie des saints est inhérente à toute image hagiographique.

 La formule iconographique des décapitations, fort courante dans l’art chrétien, provient des images de décapitations romaines. Ce châtiment est le mode d’exécution des citoyens romains, rappelé dans la Constitutio antoniana de 212. Selon Aline Rousselle, une des premières images paléochrétiennes de décapitation serait celle d’Abraham levant son glaive sur Isaac sur les peintures et les sculptures du IIIe siècle. Une formule identique était utilisée pour les scènes d’exécution de prisonniers sur les sarcophages de tout l’empire et sur la colonne aurélienne. Voir à ce propos Aline ROUSSELLE, « La persécution des chrétiens à Alexandrie au IIIe siècle », Revue historique du droit français et étranger, 2, 1974, p. 250-251. Le référent iconographique païen, selon la formule d’Aline Rousselle, que l’on retrouve dans les images hagiographiques romanes de décapitation, s’est peut-être diffusé dans l’art hagiographique à travers les scènes du sacrifice d’Abraham. Ou bien les images hagiographiques ont été directement inspirées par les scènes romaines encore visibles. Voir Aline ROUSSELLE, « Image et texte : aller et retour », dans Santità, culti, agiografica, Temi e prospettive, Atti del I convegno di studio dell’ Associazione italiana per lo studio dellà santità, dei culti e dell’agiografica, Roma, 24-26 octobre 1996, sous la direction de Sophia BoeschGajano, Rome, 1997, p. 110. Elle précise que l’exécuteur tient le vaincu par les cheveux, selon une formule déjà visible en Mésopotamie ancienne. Les représentations des peines du cirque à l’époque romaine ont inspiré les artistes chrétiens lorsqu’il s’est agi de figurer Daniel dans la fosse aux lions ou un martyr présenté aux fauves. Cependant les images romaines existantes de condamnés présentés aux fauves ne sont pas stéréotypées même si le fauve y est toujours agressif. Voir la mosaïque africaine de El Jem de la fin du IIIe siècle et celle de Zliten également du IIIe siècle, M. BLANCHARD-LEMÉE, E. ENNAIFER, L. SLIM, Sols de l’Afrique romaine, Paris, 1995, fig. 162 ; fig. 163. Or l’agressivité des fauves est inexistante, dans les formules hagiographiques puisque les vitae reprennent le topos littéraire de Daniel dans la fosse aux lions. Ces quelques exemples montrent que les modèles iconographiques romains ont été repris et adaptés au propos chrétien. Selon Aline Rousselle, un exemple du IVe siècle de lion agressant Daniel ou Samson est visible dans la catacombe de la Via Latina, « Image et texte : aller et retour », op. cit., p. 112.    Voir F.W. DEICHMANN, G. BOVINI, H. BRANDENBOURG, Repertorium der christlichantiken Sarcophage. 1. Rom und Ostia, Wiesbaden, 1967, n°57, 58 et 680. 



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La fonction de l’image hagiographique dans le culte des saints L’image est donc essentielle au culte des saints. Ce propos semble se vérifier si l’on prend en considération son rôle dans la popularité de certains d’entre eux, voire, comme l’a étudié Dominique Rigaux, dans le processus de reconnaissance de la sainteté. La chercheuse a montré comment les images ont pu être à l’origine du culte d’individus n’ayant pas été canonisés officiellement . Il est probable que la destruction ou la disparition des images relatives à un saint ont porté un coup fatal à son culte. L’image entretient la mémoire du saint et inversement la multiplication de son effigie témoigne de la vitalité de son culte et de la demande sociale qu’il suscite... L’Église peut certes impulser et soutenir un culte en encourageant la production d’images mais elle ne décide pas de la réception réservée à ces images par les fidèles. Elle ne maîtrise pas et ne peut contrôler réellement la fortune ou l’attrait exercé par un saint. Sa popularité dont dépendent les images est le fruit d’une demande sociale ; leur multiplication également. Il s’agit d’un processus éminemment dynamique : plus les images se répandent, plus le culte du saint est renforcé. En revanche, si l’image du saint disparaît, l’image mentale correspondante s’effacera progressivement. Le référent visuel – aussi peu personnalisé soit-il – est absolument nécessaire au culte. En son absence, la ferveur de la vénération s’évanouira doucement. L’image permet de « parler » au saint à qui elle donne une présence. Il est difficile, en effet, de s’adresser à lui sans l’imaginer en tant qu’interlocuteur, sans le supposer capable de voir, d’entendre, de réagir. Autrement dit, sa représentation lui rend sa corporéité. Ainsi, sans image-objet, la perception du saint devient plus abstraite, sa présence plus floue et lointaine. Privé du support du concret, le saint se désincarne progressivement et le rapport qui l’unit au croyant perd sa charge émotionnelle. La relation qui s’étiole n’est plus perçue comme duelle et le fidèle s’en détache. Donner corps à l’absent est une préoccupation que l’on retrouve dans les vitae ou les miracula où, lors d’apparitions ou de visions, l’aspect physique du saint est parfois succinctement décrit : Foy est présentée comme une belle dame dont Bernard d’Angers laisse percevoir   Dominique RIGAUX, « Par la grâce du pinceau. Canonisation et image aux derniers siècles du Moyen Âge », dans Santità, culti, agiographica, teme e prospetive, op. cit., p. 275-297.





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la nature capricieuse et versatile… Bien que la statue-reliquaire montre la sainte sous « un aspect digne et sévère », les apparitions sont le fait de son double juvénile, coquet et farceur. Pour parfaire son portrait, le saint va donc être doté de toute la palette des sentiments humains y compris la vengeance lorsqu’il a été humilié, méprisé ou trompé. Il semble proche des fidèles dont il connaît les faiblesses pour les avoir lui-même éprouvées lors de sa vie. Cependant, pour mieux appréhender les rapports que les laïcs entretiennent avec certaines images hagiographiques, il convient de s’intéresser un peu plus à l’affect qui les unit aux saints et à la manière dont ils pratiquent ce culte au Moyen Âge.

Vivre et croire Pour les fidèles, deux critères président à la sainteté d’un individu. En premier lieu, la fama, c’est-à-dire la réputation de sainteté de la personne soit la reconnaissance par la communauté de sa vie sainte et parfaite (vox publica) et en deuxième lieu, la capacité de l’individu à réaliser des miracles. Il n’y a pas de sainteté sans miracle. Si l’on devait résumer la fonction sociale du saint, telle qu’elle était percue par les fidèles, elle se réduirait à l’octroi de sa protection et de ses bienfaits. Non sans provocation, Jean-Michel Sallmann écrit pour exprimer la dimension pratique et utilitaire de la sainteté : « À quoi servent les saints ? – À faire des miracles »10. Les fidèles attendent essentiellement du saint qu’il améliore leur quotidien et qu’il soit un protecteur efficace. Ce désir est par ailleurs largement compris et entretenu par les communautés ecclésiastiques qui recensent les mira-

   Jean WIRTH, L’image médiévale, Naissance et développement, VIe-XVe siècles, Paris, 1989. Voir également l’article de A.G. REMENSNYDER, « Un problème de cultures ou de culture ? La statue reliquaire et les joca de sainte Foy de Conques dans le Liber miraculorum de Bernard d’Angers », C.C.M., XXXIII, 1990, p. 351-379.    À ce propos, voir pour une période postérieure, Jacques PAUL, « Perception et critères de sainteté en France méridionale XIIIe-XVe siècles », dans Hagiographie et culte des saints en France méridionale (XIIIe-XVe siècles), Cahiers de Fanjeaux, n°37, 2002, p. 31-62.    Pour l’Église, le miracle est l’un des critères de la sainteté : elle y voit la preuve irréfutable de l’entrée du saint dans l’intimité de Dieu. 10   Jean-Michel SALLMANN, « Sainteté et société », dans Santità, culti, agiographica, Temi e prospective, Atti del I convegno di studio dell’Associazone italiana per lo studio dellà santità, dei culti e dell’agiographica, Rome, 24-26 oct., 1996, Rome 1997, p. 337.



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cles réalisés par le saint dans les miracula11. En 1095, à Bury-SaintEdmunds en Angleterre, pendant que l’évêque faisait un sermon au clergé rassemblé dans le chevet, un autre officiant prêchait devant les paroissiens dans la nef. Si le discours épiscopal n’a pas été consigné, le prêtre évoque dans le sien la sainteté et les martyrs qui « devant le Seigneur intercèdent pour tous les hommes » et « obtiennent une pluie abondante quand nous l’attendons depuis force temps »12. Avec une telle présentation et en raison de la dureté de leur existence, les fidèles sont confortés dans leur perception réductrice de la sainteté. En ce sens, le discours du prêtre témoigne des interactions entre les croyances ancestrales liées aux éléments et le christianisme alors inculturé13. Ainsi, ce sermon est l’expression d’une sorte de syncrétisme conciliant l’offre et les attentes des fidèles14. Par conséquent, dans les mentalités collectives, le saint et ses miracles témoignent du besoin d’avoir prise sur l’environnement afin de garantir le présent et l’avenir. Les fidèles recouraient aux saints pour

 L’action du saint décrite dans les recueils de miracles se limite rarement à la seule protection spirituelle, les aspects concrets et matériels de la vie humaine y sont pleinement exprimés. 12   Cité par Aaron GOURÉVITCH, La culture populaire au Moyen Âge, Simplices et Docti, trad. du russe par E. Balzamo, Paris, 1992, p. 26. 13  Le pénitentiel intitulé Corrector sive medicus, rédigé par Burchard de Worms, évêque de l’an Mil, montre que les fidèles s’adonnaient à des rites dont les pratiques étaient condamnées par les clercs. Des pénitences, en effet, étaient prévues sanctionnant les comportements réprouvés : « N’as-tu pas fait tes prières ailleurs qu’à l’église, dans quelques sanctuaires autres que ceux qui t’ont été indiqués par ton évêque et ton curé, par exemple près des sources, sur les pierres ou au pied d’arbres, aux croisements des chemins ? N’y as tu pas mangé ces choses et n’y as tu pas prié pour une guérison ou le salut d’une âme ? ». À travers les pénitences apparaissent les croyances des fidèles : rites de fertilité, signes des astres (la nouvelle lune, par exemple, était un moment décisif que l’on attendait pour débuter la construction d’une maison ou pour contracter un mariage). La dépendance des individus à l’égard de la nature explique cet attachement viscéral envers les rites, les croyances censés assurer les fertilités de la terre et des hommes. Ainsi, le rapport du fidèle aux saints appartient à la même logique : une relation simple basée sur la protection et l’amélioration du quotidien. Les fidèles se plaçaient sous une puissance tutélaire. L’identité communautaire s’exprime à travers ces comportements, ces rites, ces croyances. Les deux systèmes, loin de s’opposer dans les esprits des fidèles, s’interpénètrent. La verve dénonciatrice de l’évêque de Worms ne doit pas faire oublier que les prêtres et les diacres, au contact des rustici, étaient proches par leurs valeurs et leurs croyances de ceux qu’ils étaient censés corriger. Voir Aaron GOURÉVITCH, La culture populaire au Moyen Âge, op. cit., p. 35. Sur le pénitentiel de Burchard de Worms, voir André VAUCHEZ, La spiritualité au Moyen Âge occidental, VIIIe-XIIe siècles, Paris, 1975, p. 24. 14   Pour une réflexion plus poussée sur le phénomène d’acculturation chrétienne, voir Nicolas MARJAULT, L’acculturation chrétienne dans les Sermons de Césaire d’Arles, mémoire de maîtrise (dactyl.) sous la direction de Robert Durand, Université de Nantes, 1995, notamment, p. 46-66. 11



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remédier aux incertitudes de leur quotidien. C’est pourquoi il fallait que l’efficacité du saint soit prouvée pour que son culte se maintienne. À ce titre, l’exemple du saint Doucelin d’Allonnes est significatif : vénéré pendant plusieurs siècles en Anjou, et ce jusqu’aux premières années de l’An mil, son culte cessa brutalement en 1026. À cette date, en effet, les Saumurois étaient assiégés par Foulques Nerra qui tentait de s’emparer de ce territoire au détriment du comte de Blois. Ils confièrent alors à la châsse du saint le soin de garder les portes du château de Saumur. L’inefficacité des reliques de Doucelin pendant l’assaut signa la fin de son culte15. Ainsi, seule la reconnaissance de la sainteté par le plus grand nombre, en d’autres termes la popularité du saint grâce à son efficacité, garantit la pérennité de son culte.

Le fidèle et le saint Il nous semble que les liens, les rapports qu’entretenaient les fidèles du Moyen Age avec les saints ou plus exactement avec leur saint ne soient pas très différents de ceux qui existaient entre une communauté villageoise des Alpes italiennes et saint Besse au début du XXe siècle. Les conclusions que le sociologue Robert Hertz tire de cette étude sont peut-être des pistes non négligeables pour analyser les relations des hommes aux saints durant le Moyen Âge16. Les fidèles s’intéressaient certainement moins aux exploits du saint durant sa vie qu’à son action présente et permanente depuis sa mort envers la communauté qui le louait. Les recherches ont démontré que la naissance d’un culte est intimement liée aux miracles réalisés immédiatement après la mort du saint17. C’est pourquoi la majorité des fidèles n’avaient pas réellement de curiosité intellectuelle pour le protecteur qu’ils vénéraient. Comme l’écrit fort bien Robert Hertz, « la pratique religieuse est, dans une large mesure, indépendante des raisons qui sont censées la fonder », même si ces raisons ne sont pas

  Jean-Marie BIENVENU, « La sainteté en Anjou au XIe et au XIIe siècle », dans Histoire et sainteté, Angers, 1982, p. 31. 16   Robert HERTZ, « Saint Besse : étude d’un culte alpestre », dans Sociologie religieuse et folklore, Paris, 1970, p. 110-160. 17   Jacques PAUL, « Perception et critères de sainteté », op. cit., p. 51-57. 15



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ignorées des fidèles18. L’enseignement de l’Église et la tradition populaire devaient, en effet, se charger de les leur fournir19. Les populations ne cherchaient donc pas à connaître précisément l’historicité du corps ou du saint auquel ils rendaient un culte. La multiplication des reliques traduit bien le peu d’importance qu’elles accordaient à l’authenticité réelle du corps du saint : la recension des reliques de saint Jacques par exemple révèle cet aspect du culte des saints. Il existe, en effet, un corps de Jacques à Compostelle, un à Toulouse, un à Angers, un en Berry, un décapité à Échirolles, une tête du saint à Toulouse, une autre à Arras20.... Pour chaque communauté, ce qui compte de toute évidence est la certitude de posséder une relique véritable du saint. Il suffisait à la communauté d’avoir l’assurance que le saint ou le corps qu’elle honorait jouissait d’une certaine renommée et d’une large influence attestées par des miracles. Les fidèles ont pour les saints des sentiments de vénération, de reconnaissance et d’espoir. Pour se garantir une protection toute l’année, ils rapportent des tombes sacrées de la poussière, de la cire chargées d’une virtus tutélaire et fortifiante nécessaire pour affronter les difficultés de leur existence. Le rapport du simple fidèle à son saint protecteur se situe certainement sur un autre plan que la stricte spiritualité : la crainte du Jugement dernier y est secondaire. En somme, le saint assure une sorte « de prise en charge » de la communauté qui le vénère. Ainsi, chaque communauté va chercher à s’adjoindre la protection d’un saint gardien, tant est si bien que certains clercs s’inquiètent de la multiplication de leur nombre. Au début du XIIe siècle, par exemple, Guibert de Nogent s’indigne : « l’Église entière connaît un Martin, un Remi et autres saints. Mais que dire de ces saints inconnus que les peuples, par une sorte d’émulation contre ces illustres confesseurs, créent chaque jour dans les villes et les campagnes ? En voyant certains lieux s’honorer de glorieux patrons, ils ont voulu en avoir de   Ramsey Mac Mullen, à propos du paganisme dans l’Empire romain, écrit qu’il faut opérer une distinction entre le « manifeste », c’est-à-dire les pratiques et leurs implications pour l’individu « qui adhère ouvertement à une croyance » et « le problématique », c’està-dire « les pensées et les sentiments qui accompagnent la reconnaissance d’un Dieu par les fidèles ». Nous pensons que cela est conforme à la manière dont les fidèles envisageaient le culte des saints. Leur relation aux saints est teintée pour partie d’une culture, faite de croyances léguées par une tradition ancestrale. Voir à ce propos, Ramsey MAC MULLEN, Le paganisme dans l’Empire romain, Paris, 1987, p. 212-213. 19   Robert HERTZ, op. cit., p. 134. 20   Voir à ce propos, Denise PÉRICARD-MEA, Compostelle et culte de saint Jacques au Moyen Âge, Paris, 2000, p. 11. 18



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pareils »21. Si Guibert dénonce l’aberration de la situation et la concurrence entre les sanctuaires, l’émergence des nouveaux saints traduit aussi un phénomène social qui tient de la nécessité pour chaque communauté. La recherche de sécurité est un aspect essentiel du culte des saints22. Pour les hommes du Moyen Âge, leurs « avocats » pouvaient, en effet, influencer le Dieu, lointain et redoutable, qui était à l’origine du temps, des épidémies, des catastrophes. De toute manière, « Quel sens pouvait avoir une religion trop spiritualisée pour des gens qui étaient sans défense devant les pestes, les nuées de sauterelles, la grêle, la rouille des vignes et la sécheresse ? »23. La croyance fortement ancrée que les saints peuvent agir de manière indirecte sur ces différents désastres scelle le rôle considérable qu’ils jouaient dans la vie quotidienne des individus et des communautés. Ainsi, le culte des saints s’exprime de manière individuelle et collective : on cherche à attirer les bienfaits du Ciel, la mansuétude divine, sa clémence et sa protection en cas de guerres ou d’épidémies24. Cela se traduit par des processions, des déambulations qui visent à cerner l’espace urbain ou villageois. Le saint est avant tout un faiseur de miracles comme le prouve l’exemple malheureux de Doucelin d’Allonnes. Les rapports qui régissent les relations entre les croyants et lui s’inscrivent dans le principe défini par les anthropologues du don et du contre-don ou du « donnant-donnant »25. Concrètement, le saint réalise un miracle et les dons affluent en direction de l’église qui possède ses reliques ou bien par anticipation, le fidèle fait un don dans l’espoir d’un prodige26. Autour du saint patron existait une aire d’influence dont la sacralité variait en fonction de la distance avec les reliques. L’intérieur de cet espace   GUIBERT de NOGENT, De pignoribus sanctorum, P.L., 156, col. 122-124.  Les êtres humains ont toujours recherché la protection d’êtres surnaturels, voir à ce propos Jean DELUMEAU, Rassurer et protéger, Le sentiment de sécurité dans l’Occident d’autrefois, Paris, 1989. 23   Ibid., p. 201. 24   Voir à ce propos, Catherine VINCENT, « Protection spirituelle ou vigilance spirituelle ? Le témoignage de quelques pratiques religieuses des XIIIe-XVe siècles », La protection spirituelle au Moyen Âge, Cahiers de recherches médiévales (XIIIe-XVe siècles), vol. VIII, 2001, p. 196. 25   Ce principe est à la base des rapports sociaux de la société médiévale. L’expression « don-contre don » a été proposé par Marcel MAUSS en liaison avec la formule du Christ « Date et dabitur vobis » de l’Évangile de Luc, VI, 38. 26   C’est pourquoi la communauté religieuse qui veille sur les reliques tient scrupuleusement les miracula. 21

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rassurant et protecteur délimitait une zone d’échanges où circulaient les dons, les promesses, les grâces, les miracles et les prières. Dans le cadre de cette union sacrée – le don et le contre-don – qu’aucun protagoniste ne peut rompre, l’affect occupe une place primordiale : si le saint déçoit ou manque d’efficacité, les fidèles peuvent avoir des réactions à la hauteur de la vénération qu’ils lui portent. Il est fait mention, en effet, d’attaques physiques à l’encontre de protecteurs jugés défaillants. Les miracles de Fleury par exemple rapportent qu’un certain Adalard maltraitait des paysans travaillant sur les terres monastiques. Une femme, volée par ce dernier, courut à l’église du saint. Elle se précipita vers l’autel, en arracha la nappe et se mit à le frapper en criant au saint : « Benoît, espèce de paresseux, feignant, que fais-tu donc ? Pourquoi dors-tu ? Pourquoi permets-tu que ta servante soit traitée de la sorte ? »27. Les individus peuvent donc punir le saint en fonction des normes culturelles et sociales en vigueur dans la communauté. Il est intéressant de constater que dans le système du don et du contre-don, le fidèle est en mesure de revendiquer avec force son dû. En raison de l’attachement des fidèles à leur saint patron, il est facile de mesurer l’ampleur que pouvaient prendre les querelles revendiquant la légitimité de la possession des reliques ou du corps de tel ou tel saint 28. Le culte des saints apparaît comme un élément essentiel pour la compréhension de la civilisation médiévale, car il a été largement initié par les laïcs et s’est développé en fonction de leurs attentes. L’Église a tenu compte de cette attente sociale très forte. Le culte des saints a donc été nourri de l’attente des fidèles et des apports de l’Église pour y répondre. Comme ils convenaient parfaitement à la sensibilité des laïcs, les récits de miracles, de visions, les vitae ont joué un rôle décisif dans l’éducation des couches les plus larges de la population. Les écrits du clergé et les clercs eux-mêmes se sont adaptés pour toucher les fidèles 27   Les miracles de saint Benoît, Paris, E. de Certain, 1858, p. 282-283 ; cité par Patrick GEARY, « L’humiliation des saints », Annales E.S.C., 34e année, n°1, janvier-février, 1979, p. 38. 28   Voir à ce propos Aaron GOURÉVITCH, La culture populaire au Moyen Âge, op. cit, p. 81-83. L’auteur mentionne les querelles autour de la possession de corps saints, mais également le sentiment de possession parfois excessif porté par les croyants au saint qui pouvait les conduire à l’assassinat... Une des plus célèbres disputes est celle qui opposa, à Candes, les habitants de Tours à ceux de Poitiers autour de la dépouille de saint Martin (voir GRÉGOIRE de TOURS, Historia Francorum, I, 48, trad. Robert Latouche, Paris, 1975-1979, t.1).



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en reprenant des traits caractéristiques de leur mentalité : « un langage simple, imagé, des thèmes compatibles avec l’horizon mental des auditeurs »29. Ils ont su user de motifs ayant trait à la tradition orale, au merveilleux et à l’imaginaire, constitutifs de la relation qui noue le croyant au saint30. Le monde défini par la mentalité médiévale est, en effet, un monde où le merveilleux est pour ainsi dire une « chose naturelle, caractérisée en premier lieu par l’irruption quasi continue de l’Au-delà dans l’En-deça (ici-bas) »31. Or les saints appartiennent aux deux mondes, de l’Au-delà et de l’ici-bas, présents au côté de Dieu et physiquement proches des fidèles qui vénèrent leurs restes mortels. Agents par excellence du merveilleux chrétien, leurs reliques sont des fragments de l’Au-delà sur terre, « des parcelles d’éternité»32 .

Les « images-cultes » Les relations affectives qui lient les fidèles aux saints, la matérialité de leur foi les conduisent à entretenir des rapports également chargés d’affect avec leurs images. Nous avons déjà souligné l’importance du référent visuel dans la vitalité du culte d’un saint. Bien que la fonction de l’image hagiographique soit mémorielle, elle est parfois investie d’une puissance dont il est difficile de déterminer si la force est intrinsèque au prototype ou bien si elle émane du modèle, autrement dit de l’image elle-même. La figuration en pied de Christophe est l’exemple le plus connu de ce phénomène : par un simple regard posé sur l’image, le spectateur devait être protégé de la mort subite. Il est très probable que d’autres images monumentales de saints remplissaient une fonction analogue.

 Aaron GOURÉVITCH, La culture populaire au Moyen Âge, op. cit., p. 24.   Voir Jacques LE GOFF, « Merveilleux », Dictionnaire raisonné de l’Occident médiéval, sous la direction de Jacques Le Goff et Jean-Claude Schmitt, Paris, 1999, p. 709-723. Il situe l’essor du merveilleux au XIe et surtout aux XIIe et XIIIe siècles, « en raison d’un certain relâchement du contrôle de l’Église qui se consacre essentiellement à la lutte contre les hérétiques, en raison aussi de l’accueil favorable que la culture laïque courtoise réserve au folklore paysan, en raison d’un effort scientifique et littéraire visant à élargir les domaines du savoir, en raison enfin d’un goût nouveau pour l’exploration des attraits de l’ici-bas », p. 711. Du même auteur, « Le merveilleux dans l’Occident médiéval », L’imaginaire médiéval, dans Un autre Moyen Âge, Paris, 1999, p. 455-476. 31   Jean-Pierre TORRELL et Denise BOUTHILLIER, Pierre le Vénérable et sa vision du monde, Son œuvre, l’homme et le démon, Leuven, 1986, p. 158. 32   VICTRICE DE ROUEN, De laude sanctorum 11, P.L., 20, col. 454. 29 30



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Le culte des images est attesté dès le Haut Moyen Âge dans le monde occidental puisqu’il s’inscrit dans un substrat culturel commun au monde méditerranéen33. Un certain nombre de sources rapporte des miracles d’images, miracles réalisés par et à travers l’image, transitus du ciel à la terre34. Cette définition de l’image nous éloigne irrémédiablement de la conception grégorienne et post-grégorienne de l’image inspirant la componction et le souvenir. Vers 875, le diacre romain Jean Hymmonide relate, dans la Vie du pape Grégoire le Grand, un miracle d’image ayant eu lieu au monastère de Saint-André in Clivo Scauri lié à l’effigie peinte du pape. Le souverain pontife, figuré en buste avec un nimbe carré dans un médaillon, était encadré par les apôtres. S’il est rapporté dans la vita qu’un cierge s’allumait parfois miraculeusement devant l’illustre portrait, il est expliqué aussi que le bienheureux pape apparaissait quelquefois sous les traits du portrait35. L’image entretient donc des liens étroits avec le modèle, au point que le prototype devient l’image même du modèle. Un miracle de même nature est également connu dans l’Homilia de miraculis sancti Ianuarii où il est raconté qu’à la suite d’un pillage, des clercs qui préparaient les funérailles d’un jeune garçon ne purent trouver de linceul36. Ils choisirent donc une tenture portant l’effigie de saint Janvier. La mère « s’en saisit, la serra dans ses mains, effleura l’image peinte d’un baiser », et l’implora. « Elle couvrit promptement son fils de la tenture qui lui avait été apportée et sur laquelle était l’image du très bienheureux martyr Janvier, faisant correspondre le visage de l’image à son visage, posant les yeux sur les yeux, la bouche sur la bouche, les mains sur les mains et les pieds sur les pieds ». L’intercession de Janvier rendit la vie au garçon qui « se releva en parfaite   Jean-Marie SANSTERRE, « Les miracles d’images racontés en Occident du IXe au XIe siècle », conférence tenue au CESCM, session d’été 2001 du CESCM. Voir également du même auteur, « La vénération des images à Ravenne dans le Haut Moyen Âge : notes sur une forme de dévotion peu connue », Revue Mabillon, Nouvelle série, 7 (tome 68), 1996, p. 5-21. 34   Ce qui nous intéresse ici, c’est que ces miracles proviennent d’images qui ne sont pas forcément tridimensionnelles. Ils concernent des images peintes, mobiles ou non. Voir pour le culte des images, Jean-Claude SCHMITT, « La culture de l’imago », Annales H.S.S., janvierfévrier 1996, n°1, p. 3-36, notamment p. 14-25. 35   Jean DIACRE, Sancti Gregorii magni vita, lib. IV, PL.75, col. 231-232. Voir, Jean-Marie SANSTERRE, « La vénération des images à Ravenne dans le Haut Moyen Âge », op. cit., p. 20. 36   Homilia de miraculis sancti Ianuarii, A.A.S.S., Septembre VI, col. 886 : « In quo cernens mulier beatissimi Ianuarii effigiem, arreptum constringens manibus, osculo picturam libabat, petens, clamans, et dicens : [....] Et haec dicens, velo, quod allatum fuerat, in quo erat effigies beatissimi Ianuarii martyris, velocius texit filium, connectens picturae faciem ad ejus faciem, lumina luminibus ponens, atque ori ora componens, palmis palmas, pedibusque ejus pedes superposuit.[...] beato Ianuario supplicante vitam filio reparavit, de sub effigie martyris apertis oculis sanus surrexit ». 33



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santé de sous l’effigie du martyr ». Pour ce type de miracles, les statuesreliquaires bénéficient d’une aura particulière, le reliquaire anthropomorphe ayant une présence plus forte et plus convaincante que le reliquaire ordinaire. À l’origine, la statue tire sa virtus des reliques qu’elle renferme mais dans les mentalités collectives, elle finit par avoir autant de puissance que son prototype, le saint lui-même. Parfois, la statue devient l’objet de vénérations alors qu’elle ne contient pas de reliques : au milieu du XIIe siècle, par exemple des reliques sont découvertes dans la Majesté de la Vierge à Vézelay qui était déjà au centre d’un culte. Or, Jean-Claude Schmitt note que : « les reliques n’étaient plus à cette date nécessaires à la vénération de l’image en tant que telle et à la reconnaissance de son pouvoir miraculeux : l’image seule semblait digne ‘‘d’adoration’’ »37. Selon cette conception, l’image est le véhicule du pouvoir de Dieu, c’est pourquoi elle induit une relation corporelle qui se traduit par des prières, des prosternations, des contacts tactiles, des baisers ou des cierges brûlés devant l’effigie pour s’attirer sa protection. Dans ces cas précis, l’image déterminante pour donner corps au saint semble en plus exercer la virtus du saint loin des reliques, palliatif à leur manque ou à leur absence. Sans pour autant prêter systématiquement un pouvoir direct à l’image, les fidèles ont souvent dû adopter des attitudes de vénération devant elle, s’adressant non pas au modèle, mais à son prototype par son intermédiaire. La relation des fidèles à l’image du saint est, nous semble-t-il, essentielle pour comprendre le culte des saints à la période médiévale et la modalité selon laquelle il s’exprimait38. De surcroît, l’utilisation de ces images comme moyens de Salut a vraisemblablement favorisé la formidable expansion du culte des saints. Il nous paraît que les pratiques liées au culte des saints et leurs images imprègnent toutes les composantes de la société de l’époque. Les différentes cultures médiévales s’interpénètrent et les phénomènes d’acculturation sont constants. Les influences entre le clergé et les fidèles ont vraisemblablement été duelles et réciproques. L’Église a répondu à la demande sociale et l’a adaptée : bien que condamnant l’amour excessif porté aux saints au détriment de Dieu lui-même, elle a entretenu cet attrait et l’a même avivé. En ce qui concerne les ima  Jean-Claude SCHMITT, « La culture de l’imago », op. cit., p. 18.  Il convient, bien sûr, d’opérer des distinctions entre les différents types d’images (les images de chapiteaux ne font pas partie des images susceptibles d’être honorées). 37

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ges, une attitude similaire et tout aussi ambiguë a, peut-être, été conservée : luttant contre une idolâtrie de principe et face aux comportements populaires, le clergé a adopté une sorte de mansuétude. Force est de constater, comme l’écrit Dominique Rigaux : « l’absence d’une doctrine de l’Église sur la nature et le contenu réel des croyances et des pratiques de dévotion à l’image »39. Pour illustrer notre propos, nous pouvons reprendre le cas de l’image apotropaïque de saint Christophe. Cette figure était située soit dans un espace de circulation soit bien en vue dans la nef pour que les fidèles, juste en l’apercevant, soient préservés de la redoutée Male mort. Si ce genre de croyance trouve sans doute son origine dans les couches populaires, il a été entretenu par le clergé comme en témoigne l’exemple de la puissante communauté canoniale de SaintJunien, proche du pouvoir épiscopal40. À la fin du XIIe siècle, une immense image de saint Christophe a été peinte dans le bras nord du transept, lieu de passage de première importance dans la collégiale Saint-Junien (pl. 63). Là se trouvait, en effet, le cimetière qui lors des funérailles était desservi depuis l’édifice tandis qu’une autre porte, percée à proximité de la peinture, donnait accès à une tourelle hexagonale ajourée, dite « lanterne des morts »41. Sur un phylactère tenu par Christophe une inscription appelle à la vigilance spirituelle en reprenant une citation de la parabole des Vierges sages et des Vierges folles : « Veillez donc, car vous ne savez ni l’heure, ni le jour » (Mt., XXV, 13)42. Cet extrait est non seulement une véritable exhortation à l’attention mais il s’inscrit dans un contexte eschatologique puisqu’il clôt le récit du Jugement dernier. D’après les exégètes, cette parabole devint la métaphore morale de l’attitude que doit observer le fidèle qui travaille à son salut43. Le signe lumineux   Dominique RIGAUX, « Usages apotropaïques de la fresque dans l’Italie du Nord au XVe siècle », dans Nicée II, Douze siècles d’images religieuses, Actes du colloque international Nicée II, tenu au Collège de France, Paris, les 2, 3, 4, octobre 1986, édités par François Boespflug et Nicolas Lossky, Paris, 1987, p. 318. 40  Les chanoines de Saint-Junien sont étroitement liés à l’évêque de Limoges. Ils appartiennent aux cercles privilégiés du pouvoir et font partie de l’élite intellectuelle du diocèse. 41  Sur la symbolique des lanternes des morts, voir Cécile TREFFORT, « Les lanternes des morts : une lumière protectrice ? À propos d’un passage du De miraculis de Pierre le Vénérable », dans Cahiers de recherche médiévale, n°8, 2001, p. 143-169. 42   Vigilate. quia nesci/tis. die(m). neq(ue) horam. Voir le Corpus des inscriptions de la France médiévale, vol. II (4), Limousin : Creuse, Corrèze, Haute-Vienne, éd. R. FAVREAU, J. MICHAUD, Poitiers, 1977, n°84, p. 189-190. 43   Catherine VINCENT, « Protection spirituelle ou vigilance spirituelle, Le témoignage de quelques pratiques religieuses des XIIIe-XVe siècles », dans Cahiers de recherche médiévale, n°8, 2001, p. 200. 39



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des Vierges est considéré comme celui de leurs bonnes actions auxquelles tout croyant doit s’appliquer comme l’y invite le message évangélique. Selon Catherine Vincent, tous les textes – y compris un sermon limousin en langue vulgaire du XIIe siècle44 – traitant de la symbolique de la lumière et des cierges convergent : la cire dans sa matérialité représente les œuvres, la mèche, l’intention droite qui doit rester cachée, la flamme, la foi ou la parole de Dieu qui embrasse l’ensemble45. Le luminaire était au centre de nombreux rites, comme la messe de purification, et venait rehausser les célébrations... Ainsi, « l’appel à la vigilance spirituelle ne se trouvait pas uniquement véhiculé de manière théorique, mais aussi par un riche ensemble de gestes »46. En raison de l’évocation de salvatrice vigilance des Vierges sages, il est probable que l’image de Saint-Junien ait bénéficié d’une attention particulière lors du déroulement de certains rites liés à la lumière, à la veille et à l’attente. D’autre part, la localisation de l’image lui confère un caractère funéraire indéniable. Les lanternes des morts, installées dans les cimetières, étaient allumées lors du décès d’un membre de la communauté (religieuse et laïque) et la nuit du 2 novembre. Cécile Treffort rappelle que ces petits monuments peuvent être rapprochés, par leur symbolisme, de la sculpture de la parabole des dix vierges au portail des églises contemporaines47. Dans ce contexte sémantique, l’effigie apotropaïque de Christophe acquiert une dimension particulière : elle garantit la protection spirituelle du fidèle comme des chanoines dans l’attente du Jugement dernier. Néanmoins, il est rappelé par l’exhortation à la vigilance – « car vous ne savez ni l’heure, ni le jour (du Jugement) » – que si le saint préserve de la mort subite, il est impératif de travailler quotidiennement au salut de son âme. Bien que son sens soit indéniablement enrichi, l’image de SaintJunien montre que les images apotropaïques ne sont pas destinées uniquement aux simples fidèles. Des communautés religieuses ayant une profonde culture théologique et exégétique se reconnaissaient dans ce type de pratiques.   G. HASENOHR, « La prédication aux fidèles dans la première moitié du XIIe siècle », Romania, 116, 1998, p. 34-71, cité par Catherine Vincent, « Protection spirituelle ou vigilance spirituelle », op. cit., p. 201. 45   Catherine VINCENT, « Protection spirituelle ou vigilance spirituelle », op. cit., p. 201. 46   Ibid., p. 202. Voir également Éric SPARHUBERT qui travaille sur la collégiale SaintJunien dans sa thèse en cours, Constructions et ambitions canoniales à l’époque 1200 : les programmes architecturaux des collégiales limousines, sous la direction de Claude Andrault-Schmitt, Poitiers. 47   Cécile TREFFORT, op. cit., p. 152-153 ; p. 161-163. 44



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Il semble que les images miraculeuses, prophylactiques et apotropaïques se soient multipliées au tournant des XIIe-XIIIe siècles48. Ainsi, des images comme celles de sainte Marguerite étaient touchées par les femmes enceintes pour éviter de trop souffrir pendant leur accouchement. Cependant, ces pratiques entourant les images hagiographiques sont bien antérieures au XIIIe siècle : Hippolyte Delehaye rapporte l’histoire d’une femme qui grattait pieusement une fresque des saints médecins Côme et Damien pour en recueillir de la poussière destinée à confectionner une mixture guérissant tous les maux49. Les images évoquées ici étaient faites pour être vues, elles pouvaient être touchées et elles étaient entourées de pratiques dévotionnelles diverses. Cependant, un certain nombre n’était pas nécessairement visible ou lié à des usages particuliers mais remplissait également une fonction apotropaïque dans l’édifice, agissant comme des repoussoirs du mal. Aux XIe-XIIe siècles, les images protectrices et dévotionnelles semblent moins fréquentes que cette seconde catégorie d’images apotropaïques. Néanmoins, la matérialité de la foi des laïcs invite à considérer que les images peintes et les statues de saints pouvaient être l’objet de vénération ou du moins permettre au fidèle d’établir la relation corporelle nécessaire à l’expression de sa foi. Aux Salles-Lavauguyon, certaines images ont peut-être rempli cette fonction : les portraits « narratifs » de saint Laurent ou l’image du martyre de saint Christophe par exemple. Leur traitement très différent de celui des autres images hagiographiques pourrait s’expliquer par la volonté de favoriser une dévotion plus matérielle. L’image hagiographique aux Salles, reflet de la dévotion d’un diocèse Le rôle des images dans l’entretien de la mémoire du saint est donc primordial. Il s’est opéré un glissement durant l’Antiquité tardive du simple besoin de perpétuer le souvenir du saint, par le biais des ima48   Dominique RIGAUX, « Réflexions sur les usages apotropaïques de l’image peinte, Autour de quelques peintures murales novaraises du Quattrocento », dans L’image, Fonctions et usages des images dans l’Occident médiéval, « Cahiers du Léopard d’or », sous la direction de Jérôme Baschet et Jean-Claude Schmitt, Paris, 1996, p. 156. 49   Hippolyte DELEHAYE, « Les recueils antiques de miracles des saints », Analecta Bollandiana, XLIII, 1925, p. 16-17. Cité par Dominique Rigaux, « Réflexions sur les usages apotropaïques de l’image peinte », op. cit., p. 159-160.



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ges et du récit de ses actes, à la dévotion. Ainsi, dans le culte qui leur est rendu à la période médiévale, mémoire et adoration se mêlent ce qui confère aux images une double fonction. C’est pourquoi les images monumentales sont le reflet de la vénération des populations dans une aire géographique donnée, voire un diocèse. Bien que les images choisies pour décorer Saint-Eutrope portent la marque des commanditaires, elles sont aussi le signe manifeste de l’appartenance de l’église des Salles-Lavauguyon à son diocèse, les saints de l’Église locale y étant particulièrement à l’honneur. Martial, premier évêque de Limoges, patron de la puissante abbaye et Valérie, protomartyre d’Aquitaine, traduisent cette volonté de s’inscrire dans l’histoire de l’évêché50. Nous pouvons leur adjoindre saint Étienne, le protomartyr, qui en tant que patron de la cathédrale peut être inclus dans le panthéon des saints locaux. Par ailleurs, la liturgie témoigne de leur importance dans le diocèse : Valérie comme Martial occupent une place privilégiée dans le bréviaire en usage à Limoges dès le Xe siècle51. Au XIIIe siècle, un certain Hélie, chef de chœur, commente le rite d’investiture ducale d’Aquitaine : « [...] il (le futur duc) doit se aller à la sainte église matrice du bienheureux saint Étienne, protomartyr à Limoges, qui est à la tête de toute l’Aquitaine par une certaine prérogative de dignité et par la suréminente excellence du bienheureux Martial, apôtre d’Aquitaine, lui qui a gagné au Seigneur le Duc Étienne et sa fiancée la bienheureuse Valérie, laquelle fut héritière et fille unique de Léocade, premier duc d’Aquitaine »52. Une  Selon Marie-Madeleine Gauthier, Valérie est au cœur du système Plantagenêt d’unification du grand duché d’Aquitaine, impulsé en 1137 par Louis VII, époux d’Aliénor d’Aquitaine, « héritière du duc Guillaume dans les affaires successorales de la vicomté de Limoges ». Par la suite, avec le mariage d’Aliénor et Henri II Plantagenêt, il fallait créer un enracinement politique fort de la dynastie au sein du duché. Lors de l’investiture ducale, parmi les différents rites qui ponctuent la cérémonie, les chroniqueurs mentionnent une fois, en 1172, l’anneau de sainte Valérie passé au doigt de Richard Cœur-de-Lion lors de son intronisation. L’acclamation du nouveau duc, selon le chroniqueur limousin, n’eut lieu qu’après que l’anneau lui eut été remis (Recueil des Historiens des Gaules et de la France, XII, p. 451-453). Au XIIIe siècle, un ordo, puis un commentaire précisent les rites propres à l’investiture du duc (T. Godefroy, Le cérémonial français, I, p. 608), dans « La légende de sainte Valérie et les émaux champlevés de Limoges », op. cit., p. 73-76 51   Voir à propos du culte des saints limousins, Jean-Loup LEMAÎTRE, « Les saints limousins dans la légende dorée du Limousin », dans Les saints de la Haute-Vienne, catalogue d’exposition, Paris, 1993 (Cahiers du patrimoine n°36), p. 39-64. De plus, sainte Valérie apparaît dans les litanies d’un ordinaire en usage à l’abbaye Saint-Martial de Limoges (Paris, BNF, ms. lat. 1320, f° 150-166), voir Jean-Loup LEMAÎTRE, La commémoration des morts et les obituaires à Saint-Martial de Limoges, op. cit., p. 215. 52   Marie-Madeleine GAUTHIER, « La légende de sainte Valérie et les émaux champlevés de Limoges », op. cit., p. 77. Cette citation est extraite de l’ouvrage de T. GODEFROY, Le cérémonial français, I, p. 608. 50



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hiérarchie, voire une sorte de préséance, entre les trois saints est nettement affirmée dans ce texte : Étienne à la « tête de toute l’Aquitaine », Martial, apôtre d’Aquitaine et Valérie, protomartyre d’Aquitaine. Le protamartyr, saint patron du diocèse, autorise à rattacher l’histoire du diocèse aux temps apostoliques. La figure de l’évangélisateur et du fondateur de l’Église locale permet également d’articuler l’histoire du Limousin aux temps de Pierre. Au XIIe siècle, en effet, l’évêché a été agité par de nombreuses querelles à propos de l’apostolicité de Martial53. Adémar de Chabannes défendait une nouvelle version de la légende du saint où il était présenté comme un parent de saint Pierre et devenait un serviteur du Christ lors de la Multiplication des pains, du Lavement des pieds et de la Cène. De nombreux conciles, ceux de Poitiers en 1023 et de Paris en 1024, ainsi que les synodes de Limoges en 1028 et de Bourges en 1031, ont été nécessaires pour imposer la légende revisitée de Martial. Pour autant, les variantes introduites dans la vita n’ont pas été nécessairement admises par tous les contemporains qui accordaient au premier évêque de Limoges la prééminence d’évangélisateur sans revendiquer son apostolicité. Toutefois, les commanditaires du décor peint des Salles-Lavauguyon semblent se positionner sur la question fondamentale de l’inscription de la fondation du diocèse aux temps apostoliques. Martial figure dans l’épisode le plus crucial de la vie de sainte Valérie et le cycle dans lequel il apparaît est lié par son emplacement à celui de saint Étienne. Par la proximité entre les deux cycles, le premier évêque de Limoges est associé au protomartyr. La même démarche a vraisemblablement présidé au choix de l’épisode de la guérison miraculeuse d’Agathe qui met en scène saint Pierre. Ainsi, cette chaîne ininterrompue entre les temps apostoliques et l’église d’Aquitaine est visible sur le mur nord de l’église. Un siècle plus tard, l’association entre Étienne et Martial, que l’on retrouve dans le commentaire de l’ordo, confirmait que l’histoire de l’église d’Aquitaine appartenait à celle du Christ et des apôtres. À Saint-Eutrope, le cycle d’Étienne bénéficie d’un emplacement privilégié et d’un développement important54. Ce constat traduit indéniablement l’importance de son culte en Limousin. Cependant,  Sur cette question, voir Michel AUBRUN, L’ancien diocèse de Limoges des origines au milieu du XIe siècle, Clermont-Ferrand, 1981, p. 73-86. 54   Nous entendons par ce terme signifier que les images d’Étienne occupent une surface murale plus grande que les autres cycles. 53



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comme nous l’avons déjà souligné, le corps vêtu du martyr attire l’attention, ne serait-ce que par sa triple répétition qui se double pour les deux premières images d’une redondance formelle. Cette cristallisation n’est pas anodine et ne peut s’expliquer que par le culte des reliques, thème principal du cycle. Il est probable, en effet, qu’à cette période, le diocèse ait eu besoin de rappeler la présence des reliques d’Étienne au sein de l’Église limousine. Selon Marie-Madeleine Gauthier, l’œuvre de Limoges compte quatorze châsses historiées au titre de saint Étienne, ce qui laisse supposer « qu’il y a eu une libérale distribution des reliques du protomartyr entre 1170 et 1220, depuis un dépôt vraisemblablement limousin»55. C’est à partir de ce corps, avant même celui de Martial, que se construit l’Église locale et que s’affirme l’institution. Au XIIe siècle, s’impose une nécessaire distribution des reliques qui comme les images des Salles visent à faire du siècle en cours un nouvel « âge d’or » pour l’Église locale. Si à cette période, l’ancrage et l’édification du diocèse dans le corps du protomartyr sont revendiqués ou plus exactement ré-affirmés, l’insistance sur sa dépouille – en odeur de sainteté, mise au tombeau – et sur son inhumation, liée à l’invention des reliques par le truchement de la Lettre de Lucien, pourraient laisser supposer que les chanoines de SaintEutrope venaient d’acquérir des restes du saint. Le cycle de l’invention des reliques de l’église Saint-Étienne Lubersac pourrait conforter cette hypothèse puisqu’il a été réalisé à la suite de l’acquisition probable des reliques du martyr. Il semble donc que l’on puisse faire coïncider ces images stéphaniennes assez rares avec la possession de restes corporels par l’église. Si tel était le cas, la présence du saint est réaffirmée dans l’édifice grâce aux images qui authentifient les reliques comme les reliquaires leur précieux contenu. Le cycle des Salles pourrait être perçu comme une sorte de chronique des événements du temps, affirmant la légitimité des reliques, de leur culte, et par conséquent la présence du protomartyr, sa virtus, dans le diocèse et vraisemblablement dans l’église. Outre les saints dont la légende a marqué l’histoire du Limousin, les autres martyrs, Laurent, Christophe, Agathe ou Catherine, honorés dans le prieuré sont qualifiés d’universels. En partant du postulat que leur présence n’est pas le fruit du hasard, il convient donc d’examiner les raisons du culte qui leur est rendu dans l’église. Participentils à l’organisation de l’espace sacré par leur répartition dans la nef   Marie-Madeleine GAUTHIER, Émaux méridionaux, op. cit., p. 95.

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ou par la date de leur fête ? Autrement dit, jouent-ils un rôle dans la construction spatio-temporelle de l’espace ecclésial pensé par les chanoines ? Le bréviaire en usage aux Salles-Lavauguyon aurait constitué un précieux apport pour saisir la signification pleine et entière des choix opérés. Malheureusement, nous n’en avons plus traces. À défaut de celle de Saint-Eutrope, il aurait été intéressant de connaître la liturgie hagiographique du chapitre de Saint-Junien dont le prieuré dépendait ou bien celle de la cathédrale56. On peut, en effet, supposer une certaine similitude liturgique en raison des liens entre la collégiale et l’église épiscopale. Cependant, aucun bréviaire ne nous est parvenu. Seule la liturgie hagiographique de l’abbaye Saint-Martial de Limoges nous est connue grâce aux litanies contenues dans un ordinaire utilisé à la fin du XIIe siècle57. En comparant les saints mentionnés dans les litanies et les images de Saint-Eutrope, on observe des dévotions communes aux deux endroits : saint Martial, mentionné deux fois, est classé parmi les apôtres, tandis que saint Étienne est le premier des martyrs58. Saint Laurent et saint Christophe sont également fêtés ainsi que sainte Agathe. Jean-Loup Lemaître constate que « les martyrologes en usage à Saint-Martial aux XIe et XIIe siècles constituent indubitablement un témoignage précis de la pratique du culte des saints du terroir, à côté de ceux de l’Église Universelle, du vieux fonds gélasien-grégorien. On fait mémoire d’eux au chapitre, y compris de ceux qui ne bénéficient pas d’une messe et d’un office propre et de leçons de cet office, dont on retrouve les noms dans le calendrier »59. Cette remarque se vérifie à Saint-Eutrope et l’on peut légitimement se demander si en cette période de réforme canoniale la liturgie de la puissante abbatiale n’a pas influencé celle des chanoines. Toutefois, il ne faut pas négliger le jeu des associations ou d’autres types de constructions intellectuelles qui peuvent expliquer les choix des saints figurés. Les saints Laurent et Étienne sont par exemple très souvent liés par la juxtaposition de leurs images.

 La liturgie de Saint-Junien et celle de la cathédrale de Limoges ne nous sont pas connues. Cependant, comme nous le verrons, la réalisation des peintures s’étant déroulée dans une atmosphère conflictuelle opposant les deux communautés, les chanoines des Salles se sont peut-être volontairement démarqués de celle de Saint-Junien ou se sont rapprochés de celle en usage à la cathédrale. 57   Paris, BNF, ms. lat. 1320, f° 150-166. 58   Jean-Loup LEMAÎTRE, La commémoration des morts et les obituaires à Saint-Martial de Limoges, op. cit., p. 215. 59   Ibid., p. 245. 56



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Les deux diacres ont été honorés conjointement dès le VIe siècle, après que les reliques du protomartyr rapportées de Jérusalem ont été déposées dans la basilique romaine de Saint-Laurent-hors-les-Murs. À l’origine cultuelle, l’association est devenue liturgique et iconographique. Ainsi, une antienne qui leur est commune proclame « Mon âme est attachée à toi, parce que ma chair a été lapidée (ou brûlée) pour toi, mon Dieu »60 et la mosaïque du VIe siècle qui orne l’arc majeur de la basilique romaine nous montre les deux diacres entourant le Christ61. Dans l’imaginaire collectif, le culte de Laurent associé à celui du protomartyr a peut-être bénéficié de l’essor de sa popularité. À Saint-Eutrope, outre cette association admise, seuls des martyrs ont été figurés et saint Laurent incarne le martyr par excellence. Les nombreuses métaphores qui alimentent les commentaires de son supplice lui confèrent ce titre. Parmi elles, les flammes qui consument son corps deviennent le symbole de la lumière qui éclaire les fidèles, ce dont Venance Fortunant se fait l’écho : « Toi, saint purifié par un châtiment rendu doux au fidèle dont les flammes que tu subis d’abord se transforment en lumière »62. Ainsi l’association classique entre Étienne et Laurent est-elle renforcée aux Salles-Lavauguyon par ce qu’incarne Laurent aux yeux des chrétiens. Au premier martyr qui en commence la longue série s’ajoute Laurent figurant le martyr par excellence. Il apparaît également que le diacre supplicié était particulièrement vénéré en Limousin. Il était lié à l’histoire locale puisque, selon le poème de Fortunat, saint Yrieix se serait procuré les reliques du bois d’une poutre miraculeusement allongée par saint Laurent de la basilique Saint-Laurent de Brionas dans le nord de l’Italie63. De plus, « l’abbaye de Beaulieu possédait (...) des reliques de Laurent et d’Étienne depuis sa fonda60   Marie-Thérèse CAMUS, « Programme iconographique des peintures de Saint-Eutrope des Salles-Lavauguyon », op. cit., p. 149 61  Le décor appartient à la campagne de travaux exécutés sous la commande du pape Pelage II (578-590). Le pape Pelage présente une maquette de la basilique à saint Laurent. Ce modèle iconographique classique montre clairement le pape comme le restaurateur de l’édifice. L’image de l’arc triomphal représente le Christ au centre de la composition entouré à droite de saint Paul, saint Étienne et Hippolyte et à gauche de saint Pierre, saint Laurent et Pelage 62   VENANCE FORTUNAT, Carmina, I. IX, XIV, vs. 19-20 : « Tu levita sacer poena purgate fideli/ Unde prius flammas hinc modo lumen habes » cité par Henri LECLERCQ, « Laurent », D.A.C.L., t. VIII, 2, col. 1945, Paris, 1922. 63   VENANCE FORTUNAT, Carmina, I. IX, XIV, éd. Léo, p. 218, cité par May VIEILLARDTROIEKOUROFF dans Les monuments religieux de la Gaule d’après les oeuvres de Grégoire de Tours, Lille, 1977, p. 277.



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tion au IXe siècle. Il fut, en outre, le patron de la fondation érémitique de l’Artige, près de Saint-Léonard, au début du XIIe siècle, fondation qui se vit confirmer en 1158 l’observance canoniale selon la règle de Saint-Augustin »64. Le choix de représenter certains saints parmi tous ceux de l’Église Universelle s’explique peut-être par la volonté d’honorer des représentants ayant des statuts différents : un diacre, un martyr, des Vierges, un docteur de la foi... Comme nous l’avons déjà noté, les martyrs universels qui figurent sur les murs de la nef ont tous été suppliciés au IIIe siècle. En raison de l’absence de sources écrites, il sera difficile de préciser avec acuité pourquoi ces saints universels plus que d’autres sont l’objet d’un culte particulier à Saint-Eutrope. Néanmoins, deux pistes nous semblent à explorer pour approcher un peu plus l’histoire de la communauté canoniale : la possession de reliques, mais surtout la mise en scène du sacré dans le prieuré à travers la construction spatio-temporelle de l’espace de la nef. Autrement dit, que révèle le calendrier liturgique, comment les chanoines orchestrent-ils les rites et les circulations à l’intérieur de l’espace sacré ?

  Marie-Thérèse CAMUS, « Le cycle des saints de Saint-Eutrope des Salles-Lavauguyon », op. cit., p. 22-23. Voir également Jean BECQUET, « Les chanoines réguliers en Limousin aux XIe et XIIe siècles », Anal. Praemonstratensia, XXXVI, 1960, p. 223-225. 64



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Chapitre I

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L’image hagiographique dans le réseau d’images Même si les images hagiographiques des Salles-Lavauguyon intéressent plus particulièrement cette étude, leur disposition à l’intérieur de l’édifice et leurs inter-relations rendent nécessaire l’analyse détaillée de la totalité du décor peint de l’édifice. Ne considérer que les scènes relatives à la vie des saints réduirait considérablement leur polysémie et la richesse du message spirituel au sein du « réseau d’images ». Les images nouent entre elles de nombreuses correspondances, prêtant à de multiples interprétations et à une lecture à plusieurs niveaux. Elles tissent une toile complexe de corrélations, souvent difficile à saisir en raison des lacunes. D’autre part, les images s’inscrivant dans un édifice cultuel, il convient de les observer au sein de l’espace sacré en raison de la pensée globalisante qui a présidé à leur élaboration. À Saint-Eutrope, le décor peint a été entrepris à la suite de la construction de la nef, on peut donc supposer qu’il est en adéquation avec le programme architectural. Les fresques sont le fruit d’une seule campagne de travaux et d’un seul atelier. Cependant, une hiérarchie s’impose entre les images : celles des trois registres supérieurs du revers de la façade et de la quatrième travée de la nef se distinguent qualitativement de celles des première et troisième travées de la nef. Ainsi, le cycle de l’Enfance, la scène de l’Enfer et celle de l’offrande ainsi que les images appartenant à l’espace le plus oriental de la nef ont bénéficié de plus de soin et d’attention que les autres. Pour autant, cet écart ne remet pas en cause le caractère « unitaire » de l’ensemble peint. L’analyse du réseau d’images s’impose avec plus d’acuité encore car il a récemment été mis au jour et n’a pas encore fait l’objet d’une étude approfondie. Cependant, cerner les grands thèmes du réseau d’images pour comprendre comment les scènes hagiographiques sont utilisées en son sein ne permettra pas de l’étudier de façon exhaustive car les dégradations et la disparition d’un certain nombre de peintu  Ce terme proposé par Jérôme Baschet permet de poser la base d’une réflexion méthodologique sur notre manière d’appréhender l’ensemble des images dans un édifice. 



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res, notamment celles de la troisième travée et celles des écoinçons de la nef, conduisent à une réflexion forcément partielle. En somme, à partir de la mise en réseau des images, nous allons tenter de saisir comment les images hagiographiques s’intègrent aux différents thèmes qui sous-tendent le décor peint.

Le décor peint de la nef des Salles-Lavauguyon Les figures de l’Ancien Testament Au-dessus des scènes hagiographiques figurent des prophètes ou des apôtres siégeant ou debout dont l’identité est parfois connue grâce à des inscriptions. Certaines de ces figures ont malheureusement complètement disparu ou bien sont très dégradées. Au second registre du mur nord de la première travée deux personnages nimbés, en pallium et en habits liturgiques, sont assis sur des trônes massifs (pl. 64). De trois-quarts, ils sont tournés légèrement l’un vers l’autre pour discuter. En l’absence d’inscription, il est difficile de déterminer s’il s’agit de prophètes ou d’apôtres. Sur le mur de la première travée, au sud, des citations sur des phylactères permettent d’identifier les deux personnages, l’un disparu, l’autre partiellement effacé, qui les tenaient. À droite de la fenêtre, nous pouvons lire ECCE QUID EGO VIDEO QUATOR (VIROS SOLUTOS...) soit « Mais je vois quatre hommes en liberté » (pl. 65). Cette phrase est extraite du livre de Daniel et se prolonge dans la source biblique par « (…)qui se promènent dans le feu sans qu’il leur arrive de mal, et le quatrième a l’aspect d’un fils des dieux » (Dn., III, 25). Considérée comme une véritable théophanie, cette vision a permis d’assimiler son auteur, Nabuchodonosor, aux prophètes. Ainsi, dans un sermon de l’office de Noël attribué à saint Augustin et popularisé au Moyen Âge par le drame liturgique, il a été associé aux hommes inspirés par Dieu qui annoncent la venue du Christ. Les commentaires exégétiques offrent une interprétation mariale de l’épisode des trois Hébreux dans la fournaise qui symbolise alors la conception virginale du Sauveur. Honorius Augustodunensis expli  Des traces de décors historiés sont, en effet, visibles dans la nef, mais non encore dégagés.    Des fragments de personnages apparaissent par exemple sur le mur de la quatrième travée.    « Voici que moi je vois quatre hommes libres ». 



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que dans son sermon, Speculum Ecclesiae, que les trois jeunes hommes n’ont pas brûlé dans le brasier à l’instar de Marie qui préservée des flammes de l’amour charnel, enfanta en gardant intacte sa virginité : « Par la volonté de Dieu, la flamme s’échappant de la fournaise, où avaient été précipités les jeunes hébreux, brûlait tout ce qui était dehors et ne touchait pas un seul cheveu de ceux qui étaient dedans. Eux, cependant, chantaient au milieu des flammes, et avec eux le roi vit le Fils de Dieu. C’est ainsi que le saint Esprit féconda la sainte Vierge de son feu intérieur, tandis que, au dehors, il la protégeait de toute concupiscence ». Le thème de la maternité virginale amplement développé par les exégètes permet d’insister sur les mystères de l’Incarnation et de la divinité du Christ. Un vers, extrait d’un hymne marial copié dans un manuscrit de Laon, exprime cette affirmation maintes fois répétée : « là-haut, il a été engendré sans mère, ici dans la vallée, il est né sans père ». Le roi Nabuchodonosor fait donc figure de « prophète malgré lui » et c’est d’ailleurs à ce titre qu’il figure parmi les quatre prophètes sculptés de la façade de Notre-Dame-la-Grande à Poitiers. Aux Salles, le personnage représenté devait être vraisemblablement le roi de Babylone ou bien Daniel lui-même. De l’autre côté de la baie, un autre phylactère dévoile une seconde inscription : IA. NOVA PROGENIES CE... DE... (pl. 66). Nous devons à Marie-Thérèse Camus l’identification de ce fragment de la IVe églogue des Bucoliques de Virgile : « Iam nova progenies caelo demittitur alto ». Au Moyen Age, la IVe églogue a été perçue comme un poème messianique : « Daigne, seulement, chaste Lucine, veiller sur le berceau de l’enfant dont la naissance amènera la fin de la race de fer et fera sur le monde entier surgir la race d’or ». Ce vers était commenté par les exégètes comme l’annonce prophétique de la naissance d’un enfant qui ferait entrer le monde dans l’âge d’or. Jérôme Carcopino, qui a consacré une vaste étude à la IVe églogue, pense qu’une traduction abusive est à l’origine de l’interprétation chrétienne du poème. Quoi   HONORIUS AUGUSTODUNENSIS, Speculum Ecclesiae, P.L., t. 172, col. 905.   « In superius genitus sine matre, hoc in valle natus est sine patre », cité par Marie-Louise THÉREL, « étude iconographique des voussures du portail de la Vierge-Mère à la cathédrale de Laon », C.C.M., t. XV, 1972, p. 43.    « Déjà une nouvelle race est envoyée des hauteurs du ciel ». Marie-Thérèse CAMUS, « Le cycle des saints de Saint-Eutrope des Salles-Lavauguyon », op. cit, p. 15.    Jérôme CARCOPINO, Virgile et le mystère de la IVe églogue, Paris, 1930, p. 28.   Il démontre, en effet, que cette citation peut être traduite différemment : « Daigne, ­seulement, chaste Lucine, aider à la naissance de l’enfant, avec laquelle, enfin, cessera la race de fer et surgira, sur le monde entier, la race d’or. ». Selon l’auteur, cette seconde  



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qu’il en soit, dans la traduction retenue par les commentateurs médiévaux, l’enfant apparaît comme le Créateur et l’annonce prophétique n’est plus contestable. Ils ont également reconnu Marie, Mère de Dieu, qui incarne la seconde Ève dans la figure de la vierge mentionnée dans le poème10. Au IVe siècle, Constantin, à qui l’on a attribué la traduction grecque de la Bucolique, a remanié considérablement le poème en omettant les prénoms païens comme Lucine et en modifiant le vers évoquant la vierge : « la Vierge va venir, apportant le roi de nos vœux »11. Et « le traducteur, afin que nul ne se méprenne sur sa version, la souligne de ce commentaire péremptoire : ‘‘Que ne pourrait être la Vierge qui revient, si ce n’est celle qui a été fécondée et rendue mère par l’Esprit de Dieu’’(Constantin, Disc. XIX) »12. Virgile a donc été considéré, par de nombreux auteurs chrétiens de saint Augustin à Innocent III, comme un prophète, messager de la venue du Christ et de l’Incarnation. C’est à cet égard qu’il était peint aux Salles-Lavauguyon, exhibant son vers messianique. L’interprétation vétérotestamentaire de l’épisode des Hébreux dans la fournaise portait sur la virginité mariale. La démonstration de Jérôme Carcopino tend à montrer que les commentaires exégétiques du poème de Virgile font la part belle à l’Incarnation : la Vierge, symbole de la nouvelle Ève, et l’âge d’or qui accompagne la naissance de l’Enfant sonnent pour les chrétiens comme la promesse de la Rédemption. Le texte Jam nova progenies caelo demittitur alto a d’ailleurs été associé par Quodvultdeus à la Nativité13 et fut inscrit au portail gauche de la cathédrale de Laon, au XIIe siècle14. Ainsi, à SaintEutrope, le choix des prophètes figurés semble être dicté par le lien qu’ils entretiennent, par le biais de l’exégèse, avec le mystère de l’Incarnation. La dernière identification semble confirmer cette hypothèse : (A)ARON près du grand personnage de la quatrième travée (pl. 67). traduction met en évidence qu’entre la naissance de l’enfant et la transformation du cosmos, la relation n’est que pure concomitance, l’enfant accompagne le début mais n’en est pas l’auteur, op. cit., p. 29. 10   « Iam redit et Virgo, redeunt Saturnia regna » (« Voici que revient aussi la Vierge, que revient le règne de Saturne »), dans Jérôme CARCOPINO, op. cit., p. 19. Jérôme Carcopino cite également un passage d’un commentaire concernant ce vers « Virgo id est iustitia vel Maria : id est post Evam » ( La Vierge, c’est-à-dire la justice ou Marie : c’est-à-dire après Ève), (Philargyr., ad. v 6 ), op. cit., p. 202. 11   Ibid., p. 202. 12   Ibid., p. 202. 13   P.L., 51, col. 819. 14   Références citées par Robert FAVREAU, « Les inscriptions médiévales, Reflet d’une culture et d’une foi », dans Études d’épigraphie médiévale, Limoges, 1995, p. 282.



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Le grand prêtre nimbé, en position frontale, est en habits sacerdotaux. Il tient une verge se terminant par une palmette, symbole marial par excellence. Seule la verge d’Aaron, en effet, fleurit parmi les douze, symbolisant les douze tribus d’Israël, déposées dans le tabernacle, devant l’Arche sainte (Nb., XVIII, 21-26). Ce miracle a été compris comme une métaphore de la maternité virginale de la Mère de Dieu qui donna naissance au Christ, fruit miraculeux, sans avoir été fécondée15. Au total, les trois personnages identifiables qui subsistent, figurés sur le mur sud, sont tous des prophètes de l’Ancien Testament, au sens large du terme, annonçant la venue du Sauveur, du Messie et son Incarnation au sein de la Vierge16. La typologie mariale est utilisée non pas pour glorifier la Vierge elle-même mais le rôle de la maternité virginale dans l’accomplissement du Salut. Ainsi, il s’agit bien d’exalter la conception divine du Christ, Dieu Incarné et la promesse de la Rédemption. Les chanoines des Salles-Lavauguyon Deux portraits de prieurs encadrent l’entrée du sanctuaire sur le mur oriental de la nef. Le premier, Boson, connu par une inscription dans le champ de l’image, BOSO PRIOR, est peint en pied sur toute la hauteur de la paroi (pl. 68). Il présente aux spectateurs un livre sur lequel est écrit : O[R]ATE PRO NOBIS F[ilii/ratres]. Il désigne d’ailleurs le texte de la main gauche, insistant ainsi sur l’importance de la phrase et de l’idée dont elle est porteuse. Du côté nord, un  L’interprétation chrétienne d’autres passages de l’Ancien Testament met également l’accent sur la maternité virginale de la Mère de Dieu : le buisson ardent qui brûle sans se consumer, la pluie qui mouille la toison mais n’atteint pas l’aire environnante, la porte close du temple d’Ézéchiel, la nourriture apportée à Daniel par la voûte scellée, la verge fleurie d’Aaron, les jeunes hébreux dans la fournaise sont autant de miracles qui préfigurent le Mystère de l’Incarnation et la naissance virginale du Christ. Voir à ce propos, Marie-Louise THÉREL, « Étude iconographique des voussures du portail de la Vierge-Mère à la cathédrale de Laon », C.C.M., t. XV, 1972, p. 41-51. Elle écrit « Les chrétiens du XIe siècle étaient tellement familiarisés avec ces figures typologiques que Fulbert de Chartres les évoque globalement dans le sermon qu’il prononça pour la Nativité de Marie, dont la maternité virginale fut, dit-il, ‘‘oraculis enuntiata est designata miraculis nata vero progenie divinitus ordinata’’ ( P.L., 141, col. 320-321) », p. 44. 16   Françoise GAY a consacré un article aux inscriptions sur les phylactères des prophètes, « Les prophètes du XIe au XIIIe siècles », C.C.M., Année n°4, octobre-décembre, 1987, p. 356-365. Elle y écrit : « le thème principal de toutes les oeuvres recensées est la venue du Christ, surtout la Nativité, parfois la Passion ou encore ces deux événements. Très souvent, c’est à travers Marie que l’on évoque le Christ, notamment par des louanges à la virginité mariale. », p. 360-361. 15



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prieur d’âge plus avancé, Bernard, BERNARDUS PRIOR est représenté assis (pl. 69). Les deux chanoines arborent la tenue canoniale d’une blancheur immaculée, signe manifeste de leur programme spirituel : une tunique blanche, ceinturée à la taille, un manteau ou une chape de même couleur avec un petit col (il s’agit peut-être d’une coule). La blanche effigie de Boson se détache nettement du fond rouge à semis de petites fleurs à quatre pétales ocre rouge cernés de blanc. Une bande jaune sert d’encadrement. La figure du prieur semble totalement autonome par rapport au fond de l’image. Cet effet est accentué par le contraste entre le blanc de la tunique et le rouge du fond, mais surtout parce que ses pieds en sortant du champ de l’image transgressent le plan de la représentation. Le fond rouge retient l’attention car il évoque indubitablement celui d’un reliquaire émaillé. D’autre part, son association avec le portrait du chanoine rappelle l’image des gisants et plus particulièrement celle de Geoffroy Plantagenêt sur sa plaque funéraire émaillée17 (fig. 107). La similitude est troublante entre les deux représentations tant dans leur traitement que par la verticalité du support. La dimension funéraire de l’image devient incontestable : elle est conçue comme une plaque funéraire à l’inscription explicite qui invite les frères ou les Fig. 107 - Plaque funéraire émaillée de fils à prier pour le prieur. L’insGeoffroy Plantagenêt, Mans, Musée de cription sur le livre s’adresse à la Tessé   Plaque funéraire en cuivre de Geoffroy Plantagenêt datée des années 1151-1160 conservée au musée de Tessé au Mans. C’est une plaque de cuivre forgé, au pourtour chanfreiné, rabattu en arrière. Son rebord est perforé pour être cloué sur une âme en bois. Selon MarieMadeleine Gauthier, la plaque de Geoffroy est la plus grande plaque jamais produite par les émailleurs médiévaux. Voir la notice sur la plaque dans l’ouvrage de Marie-Madeleine Gauthier, Émaux du Moyen Âge occidental, Fribourg, 1972, p. 327, pl. 83. 17



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communauté que le prieur vient de quitter pour que lui soit assuré le salut de son âme mais elle renvoie également au sort de toutes les âmes qui réclameront tôt ou tard les suffrages des fidèles. Ainsi, l’image fonctionne comme un miroir réfléchissant : Boson n’est pas, en effet, un simple défunt car, en transgressant le champ de l’image, il est également présenté comme un intercesseur18. Par extension et à travers lui, la communauté canoniale réaffirmait son rôle de médiation auprès des saints et du Juge Suprême. Par ses prières, elle aidait les fidèles à retrouver la vie du Christ et même la Vraie Vie après la mort. L’habillage du champ de l’image et l’inscription sur le livre font des chanoines de Saint-Eutrope l’un des maillons indispensables pour gagner le Salut. Boson et Bernard étaient directement visibles par les fidèles qui pénétraient dans l’église. Leur présence soulignée de part et d’autre de l’arc triomphal s’explique par la volonté de la communauté de mettre en avant son rôle d’intercesseur dans sa mission quotidienne. Ainsi, elle rappelait que par ses prières et par la célébration de la messe, elle avait un rôle prépondérant à jouer dans l’économie du Salut. Les scènes de la Genèse La création des premiers hommes se déploie en deux temps au premier registre du revers de la façade : la vie est insufflée à Adam, puis Ève est créée à partir de son compagnon19 (pl. 70). L’originalité de la première image, déjà soulignée par Yves Christe, tient à la présence et à la participation du Christ aux côtés du Créateur lors de la création de l’homme20. Aucune autre image d’une création d’Adam réalisée à quatre mains n’est connue dans l’art des XIe-XIIIe siècles, ni même à l’époque carolingienne et ottonienne21. Ainsi pour Yves Christe, l’artiste aurait pris un modèle iconographique datant du premier tiers du IVe siècle où la Binité œuvre pour donner vie au Père des hommes22. Aux Salles-Lavauguyon, si Dieu tient la créature par la   De surcroît, c’est un chanoine, un prieur dont le portrait est peint sur le mur oriental de la nef. 19  Les deux images sont peintes au premier registre – au niveau de la baie – du côté nord du revers de la façade. 20   Yves CHRISTE, « À propos de la création de l’homme du sarcophage de Crozant (Creuse) et des peintures de Saint-Eutrope des Salles-Lavauguyon (Haute-Vienne) », Cahiers archéologiques, 1990, p. 7. 21   Voir à ce propos les développements d’Yves Christe sur les origines iconographiques de cette image, op. cit., p. 8-14. 22   Ibid., p. 14. 18



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nuque pour l’aider à se redresser, le Christ, un codex à la main, vient de lui insuffler la vie grâce à la parole (pl. 71). La composition de la scène semble s’inspirer directement du texte de Jean : « Au commencement le Verbe était et le Verbe était avec Dieu et le Verbe était Dieu. Il était au commencement avec Dieu. Tout fut par lui et sans lui rien ne fut. De tout être, il était la vie... » (Jn., I, 1-4). Les paroles de l’apôtre expliquent que le Christ figure en Logos Créateur dans de nombreuses images de la Genèse. Cependant, il est représenté seul dans l’œuvre de Création comme dans le cycle peint de la voûte de la nef de l’abbatiale de Saint-Savin-sur-Gartempe. À Saint-Eutrope, le Verbe ne modèle pas l’homme – il ne crée pas –, il donne vie. La Binité n’apparaît pas dans la création d’Ève : la première femme, aidée par le Créateur, sort du flanc d’Adam endormi (pl. 72). Dieu soutient la nuque de la femme qui n’est pas encore éveillée à la vie alors qu’il tient encore la côte qu’il a retirée à l’homme. Selon Yves Christe, le modèle iconographique utilisé par le concepteur de l’image devait montrer Ève entourée des deux figures divines. Toutefois, cette disposition initiale « prêtait à confusion, on n’aura donc retenu qu’une seule personne qui ajoutée aux deux autres de la création d’Adam offrait peut-être l’illusion d’une image trinitaire »23. La figure du Logos est effectivement au centre de la composition qu’il domine largement. Pourtant, s’il ménage une transition entre les deux temps de la création de l’espèce humaine, il est entièrement tourné vers Adam, détaché de la seconde scène. Il n’intervient ni dans la confection ni dans l’éveil de l’œuvre féminine. Autrement dit, la figure du Christ n’appartient qu’à la première scène. On peut aisément comprendre les raisons qui ont présidé à ce choix, mais il est légitime de penser que si le concepteur avait voulu donner à l’image une dimension trinitaire, le Fils n’aurait pas été détourné ostensiblement de la création d’Ève. Une autre explication permet sans doute de saisir la singularité de cette image : les visages du Créateur et d’Adam se ressemblent – les traits du Christ devaient être similaires, mais son visage est partiellement détruit –. La représentation de la Binité dans la création de l’Homme vise à affirmer en images la formule divine : « Faisons l’homme à notre image et à notre ressemblance » (Gn., I, 26)24. Ainsi, l’analogie entre les trois personnages témoigne de la ressemblance entre l’homme et son Créateur – le Christ, Dieu Incarné, étant lui  Ibid., p. 15.   « ad imaginem et similitudinem nostram » (Gn. I, 26).

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même l’image du Père : « celui qui m’a vu a vu le Père » (Jn., XIV, 9) – avant le péché originel dont la première femme sera l’agent. Dans ce contexte, il n’était donc pas nécessaire de répéter la formule une seconde fois. Cependant, la distance entre le Verbe Incarné et la créature souligne subtilement la séparation ontologique originelle. Le péché s’est glissé tel une fêlure dans la création même de l’homme par Dieu. Le Créateur modèle la créature à son image, mais la complexité de la relation que Dieu entretient avec l’homme « fait à son image » est rappelée par la figure du Logos. Ainsi, la perte de l’homme est irrémédiablement inscrite dès sa création. Le drame est annoncé et la position du Christ qui tourne le dos à la scène de la création d’Ève semble alors dictée par l’épisode de la tentation qui poursuit le cycle de la Genèse sur l’écoinçon de l’arcade nord de la première travée de la nef (pl. 73). La femme vient d’écouter les paroles séductrices du serpent dont elle se détourne pour tendre une pomme à son compagnon. Adam se tient le menton de la main gauche, exprimant ainsi sa passivité et sa perplexité. L’antagonisme traditionnel entre l’homme et la femme est clairement marqué par le concepteur de l’image25. Outre le reptile annelé, symbole du Mal, qui s’appuie contre le pommier à trois branches, un diable ailé ricane en désignant le couple du doigt. Une inscription court au-dessus de la scène : EX ADE COSTA FI[..]NT FEMINA... De l’autre côté de l’arc, le quatrième épisode du cycle illustre la chute : Ève essaye de dissimuler son corps nu marqué du sceau du péché tandis qu’Adam est crispé dans une attitude de supplication. Le serpent n’est pas épargné par la colère divine et rampe sur le sol selon la sentence de Yahvé : « Tu marcheras sur le sol et tu mangeras de la terre tous les jours de ta vie » (Gn., III, 14). Le début de l’Histoire de l’Humanité et le récit de sa chute constituent le point de départ de l’annonce de la Rédemption par l’Incarnation et par le Sacrifice du Sauveur. Seule la foi en l’Incarnation permet aux hommes de retrouver la Ressemblance fondamentale entre Dieu, le Christ et l’homme : « nous sommes transformés dans l’image même du Seigneur » (II. Cor., III, 18). Ainsi, les prémices de 25  Selon une composition classique, la femme est active dans le péché tandis que l’homme subit. Il affirme sa perplexité et sa passivité, il est conscient de la faute qui va être commise mais il ne peut lutter. Adam se tient parfois le poignet avec son autre main au niveau du ventre comme dans la représentation sculptée de la tentation sur la façade de Notre-Damela-Grande à Poitiers. Ce geste traduit l’état d’un personnage, incapable d’agir alors qu’il est conscient du châtiment qui va suivre la faute. La femme apparaît sans ambiguïté comme l’artisan de la chute.



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l’Histoire du Salut sont posées : les étapes pour racheter le péché commis par Ève induisent les actions à venir des martyrs qui par leur sacrifice participent au Salut des hommes. Le cycle de l’Enfance du Christ Au cycle de la Genèse s’oppose le cycle de l’Enfance qui se déroule sur les registres supérieurs du revers de la façade. Le Verbe s’est incarné entrant ainsi dans l’histoire des hommes. En strict pendant de la création de l’espèce humaine figure l’Annonciation (pl. 74). La Visitation devait lui être associée, mais seul un fragment de personnage se distingue encore. La scène de l’Annonciation est elle-même très endommagée : si la Vierge est intacte, l’ange est malheureusement en partie lacunaire. Au-dessus de la scène courait un titulus dont il ne reste que des bribes : VERBUM M[...] LOQVENTIS. Marie se tient debout, frontale, à l’exception de sa tête qui est légèrement de trois quarts, tournée vers l’ange. Elle marque par le geste caractéristique des Vierges de l’Annonciation son acceptation26. L’ange pointe son index et son majeur vers le ciel indiquant clairement qu’il porte la parole de Dieu27. Derrière l’ange, le concepteur de l’image a figuré une porte close. La Vierge, drapée dans des étoffes rouges, se détache sur le fond bleu intense. La dialectique des couleurs rouge et bleu résume admirablement bien le mystère de l’Incarnation. Jérôme Baschet l’évoque à propos d’une Annonciation italienne du XIIIe siècle : « le mystère de l’Incarnation, par lequel le Verbe se fait chair. Car ce qui s’accomplit, dans le sein de la Vierge, c’est la rencontre de la cause céleste (bleu) et du principe matériel (rouge) »28. La Nativité, l’Annonce aux bergers et l’Adoration des Mages se succèdent sur le second registre du revers de la façade, du nord au sud. Elles constituent trois scènes nettement séparées par un jeu de portes ouvertes ou closes. Derrière une porte fermée, Marie est allongée sur une couche ovale de couleur ocre jaune (pl. 75). Elle se penche sur l’Enfant cou Les paumes de ses mains sont rejetées vers l’extérieur, la main droite pointe vers le ciel tandis que la main gauche est dirigée vers le sol. Ce langage gestuel traduit son étonnement en même temps que l’acceptation du message divin. 27   Par ce geste, l’ange en désignant le ciel annonce que le principe céleste va descendre sur terre. L’ange est le lien, l’intermédiaire entre le ciel et la terre. 28   Jérôme BASCHET, Lieu sacré, lieu d’images. Les fresques de Bominaco (Abruzzes, 1263) : Thèmes, parcours, fonctions, Paris-Rome, 1991, p. 27. 26



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Fig. 108 - La Nativité, revers de la façade, Saint-Eutrope, Les Salles-Lavauguyon

ché dans un lit qui ressemble à une mangeoire (fig. 108). Le Christ y est veillé par un âne gris et un bœuf rouge qui se tiennent derrière sa couche. À l’écart, Joseph est appuyé contre une colonnette derrière le lit de son épouse. Il médite sur sa paternité spirituelle dans une attitude qui traduit sa perplexité. L’Annonce aux bergers est très lacunaire : quatre bergers, vêtus de bliauds, se dirigent vers un ange, en poussant devant eux un âne gris et un troupeau de cinq moutons29 (pl. 76). Le concepteur de l’image a souligné la différence entre les habitants de la terre, en mouvement, et le représentant des cieux, statique (seuls les gestes de ses mains montrent qu’il est en train de s’acquitter de sa mission). Ces deux mondes ne se rencontrent et ne fusionnent qu’au moment de l’Incarnation. Le cycle se poursuit par l’Adoration des Mages (pl. 77). La vision se focalise sur la majestueuse Vierge à l’Enfant, symbole du sedes sapientiae, qui porte sur son sein l’incarnation de la Sagesse divine (fig. 109). Ses mains reposent sur ses cuisses telles des accoudoirs, encadrant l’Enfant. Joseph, à peine visible, a la main posée sur l’épaule de son

  Deux d’entre eux tiennent à la main une houlette.

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Fig. 109 - L’Adoration des Mages, revers de la façade, église Saint-Eutrope, Les Salles-Lavauguyon

épouse30. L’Enfant offre aux regards son humaine nudité, réaffirmant ainsi le mystère de l’Incarnation. Image de la Sagesse divine, il ne peut avoir ni le corps ni les proportions d’un enfant, c’est donc un adulte ramené à une petite échelle. De ce groupe compact, seul le Christ établit un lien avec les Rois Mages par le geste de bénédiction. Le cortège solennel s’avance en rang serré pour s’agenouiller devant l’Enfant en lui tendant ses offrandes les mains voilées31. Les Mages présentent leurs dons sur un drap 30   Joseph est parfois associé à l’Adoration des Mages. Il apparaît derrière le trône de Marie, posant la main sur le dossier, dans l’Adoration des Mages du sarcophage des « dogmatiques », (sarcophage des dogmatiques, Le Vatican, Museo Pio Lateranense), Marie-Louise THÉREL, À l’origine du portail occidental de Notre-Dame de Senlis, Le triomphe de la Vierge-Église, Sources historiques, littéraires et iconographiques, Paris, 1984, fig. 37. Il est aussi présent, mais en retrait, sur le chapiteau de l’Adoration de la cathédrale Saint-Lazare d’Autun, daté des années 1125-1145. Sur une des faces de la corbeille, Joseph est sculpté, assis, dans l’attitude de la perplexité, Denis GRIVOT, La sculpture de la cathédrale d’Autun, Colmar, 1976, p. 1, pl. 76. 31   Ce type de rite appartient à une tradition orientale remontant à l’Antiquité. Ce geste qui exprimait la vénération était pratiqué à la cour des rois perses et s’est ensuite étendu à celle des empereurs romains du Bas-Empire. Ce geste sera représenté dans l’art des catacombes et se diffusera massivement. Dès le IVe siècle, il apparaît dans l’Adoration des Mages. Bien qu’issu d’une longue tradition iconographique, ce geste a certainement plus de signi-



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qui n’est pas sans évoquer le manipule qui contenait les offrandes. Il s’agit peut-être d’une allusion à la cérémonie de l’offertoire. Un autre détail a, nous semble-t-il, une grande importance dans l’image : les Rois sont entrés par une porte restée entrouverte derrière eux. Cette ouverture est surmontée d’un petit édifice. Cette entrée singulière ainsi que toutes les autres portes fermées qui ponctuent le cycle sont intégrées aux épisodes dans lesquels la Vierge est actrice. Un premier constat s’impose : la porte est close lorsque la scène a un caractère intime, l’Annonciation et la Nativité, alors qu’elle est ouverte lors de l’Adoration des Mages quand l’Enfant est présenté à l’Humanité, incarnée par ses Rois. De surcroît, l’utilisation des portes ouvertes ou fermées renforce l’idée d’un temps qui échappe à la perception des hommes : elles ne s’ouvrent que lorsque le mystère de l’Incarnation est révélé à l’Humanité. Le procédé utilisé témoigne des réflexions liées à la représentation du sacré dans les images, problème auquel tous leurs concepteurs sont confrontés et auquel ils tentent de répondre. L’emploi du motif des portes pour découper le récit permet, en effet, de marquer les limites de la peinture : l’art sacré introduit l’invisible dans le visible, or il n’est pas possible de voir ou de rendre sensible le mystère de l’Incarnation. C’est ce que les portes closes signifient également : seule la foi permet la révélation du Mystère. C’est pourquoi la porte ne s’ouvre que sur l’épisode de l’Adoration des Mages, symbole des peuples reconnaissant la venue de l’Enfant. Ainsi, ce procédé narratif qui permet de séparer subtilement les scènes a un sens spirituel très marqué. Il reflète l’impossibilité technique du concepteur des images à rendre compte du sacré. Le jeu des entrées closes et ouvertes peut s’enrichir d’un supplément de sens. La métaphore de la porte est, en effet, très souvent associée à la Vierge, notamment par les commentaires du texte d’Ézéchiel évoquant la porte du temple, un temple qui préfigure la Jérusalem Céleste (Éz., 44, 1-3)32. La porte close d’Ézéchiel est interprétée par les exégètes comme le symbole de la virginité de Marie et de la conception divine du Sauveur, conçu « clauso utero ». Si l’entrée close évoque la virginité mariale, son ouverture suggère l’Incarnation au

fication que celui de la vénération et du respect, voir Gilberte VEZIN, Adoration et cycle des Mages dans l’art chrétien primitif, Paris, 1950, p. 85. 32   « Il me ramena vers le porche extérieur du sanctuaire, face à l’orient. Il était fermé. On ne l’ouvrira pas, on n’y passera pas, car Yahvé, le Dieu d’Israël, y est passé. Aussi sera-t-il fermé. Mais, le prince, lui, s’y assiéra pour y prendre son repas en présence de Yahvé. C’est par le vestibule du porche qu’il entrera et qu’il sortira ».



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sein de la Vierge33. Ainsi, le motif de la porte fermée ou béante peut être comprise comme l’expression du mystère de l’Incarnation. Une autre allusion métaphorique de l’Incarnation use de la rhétorique de la porte, mais cette fois-ci, il s’agit de la porte du ciel que Marie a ouverte34. Ainsi, les épisodes de l’Enfance du Christ encadrés par ce motif ne sont plus de simples images narratives, mais sont de véritables commentaires en images du mystère de l’Incarnation. Le massacre des Innocents, très dégradé, conclut peut-être le cycle en servant de préambule et de préfiguration de la Passion (pl. 78). Néanmoins la continuité narrative est rompue car l’épisode tragique rapporté par saint Matthieu (Mt., II, 13-18) est peint sur la première travée des arcades de la nef du côté sud35. Une scène des Enfers et la promesse du Paradis par le don Les deux scènes du troisième registre du revers de la façade s’opposent par leur thème. Pourtant, aucun motif n’est utilisé pour les séparer nettement. Seules les positions des personnages marquent une rupture dans le déroulement de la bande narrative. Le sujet de chaque image a reçu un traitement très particulier qui soulève de nombreuses interrogations dont celle de l’identification pour l’une d’entre elles. 33   Ce texte d’Ézéchiel est déjà appliqué à Marie par saint Ambroise (In apocalypsin expositione. De visione septima, P.L., 17, col. 948), mais aussi par Raban Maur dans ses allégories sur la Sainte Ecriture : « Porta, Virgo Maria, ut in Ezechiele : ‘‘Porta haec clausa erat, et non aperietur’’, quod Maria et ante partum incorrupta, et post partum mansit illaesa » (P.L., 112, col. 1031). Goeffroy de Vendôme y fait référence dans son sermon sur la Nativité (P.L., 157, col. 248), Rupert de Deutz l’utilise dans ses commentaires sur Ézéchiel et sur le Cantique des Cantiques (P.L., 167, col. 1493 et 168, col. 910), ainsi qu’Honorius Augustodunensis dans son Speculum Ecclesiae dans le chapitre intitulé In annuntiat. S. Mariae : « Ezechiel quoque portam semper clausam vidit per quam solus Rex regum transivit et clausam reliquit (Ezech. XLIV). Sancta Maria est coeli porta quae ante partum et in partu virgo fuit et post partum virgo permansit » (P.L., 172, col. 905). Comme le fait remarquer justement Jérôme Baschet, la porte est une « ouverture béante mais néanmoins inviolée, d’une frontière suprême et pourtant transgressée, d’une union improbable du Ciel et de la Terre », op. cit., p. 29. Voir également sur le thème de la Vierge porte-close, Éric PALAZZO, « Exégèse, liturgie et politique dans l’iconographie du cloître de Saint-Aubin d’Angers », dans Die mittelalterliche Kreuzgang, Architektur, Funktion, Programm, Regensburg, 2004, p. 220-240. 34   Voir par exemple, VENANCE FORTUNAT, Carmina Miscellana, lib. VIII, c. 4, P.L., 88, col. 265 ou HONORIUS AUGUSTODUNENSIS, Speculum ecclesiae, P.L., 172, col. 905) 35  Un homme, d’une échelle supérieure à celle des autres personnages, incarnant donc le pouvoir, ordonne un massacre. Des bourreaux torturent des personnages de petite taille. L’un d’eux semble attaché à un chevalet. En raison des lacunes et de la hauteur des peintures, il est difficile d’identifier cette scène.



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Fig. 110 - La grande Prostituée de Babylone, chapiteau, chevet, église Saint-Pierre, Chauvigny

Si une scène infernale très reconnaissable est peinte du côté nord, la manière de la concevoir est singulière. L’élément qui domine dans la composition est une femme assise sur un trône architecturé massif (pl. 79). Une inscription permet de l’identifier comme la MERETRIX, la grande Prostituée de Babylone dont le texte de l’Apocalypse (XVII) fait écho36. Le concepteur de l’image a usé de tout le champ lexical de la luxure : des cheveux longs et défaits en signe de dépravation, un corps à peine caché par une simple étoffe bleue, des serpents qui descendent le long des jambes nues pour mordre les orteils et deux crapauds qui sucent ou mâchonnent des seins dénudés. Le trône sur lequel la Prostituée siège symbolise la ville de Babylone sur laquelle elle règne en maître : « Et cette femme-là, c’est la Grande Cité, celle qui règne sur les rois de la terre. » (Ap., XVII, 16)37. 36  La grande prostituée de Babylone est également visible sur un chapiteau du chevet, côté sud, de l’église Saint-Pierre de Chauvigny dans la Vienne. Sur la face ouest de la corbeille, une femme, richement parée, est figurée de face. Les cheveux défaits, elle est vêtue d’une longue robe aux manches évasées. Elle présente une fiole de parfum et un pot d’onguent. Une inscription l’identifie : BABILONIA MAGNA MERETRIX (fig. 110). 37   Historiquement, la grande Prostituée est l’incarnation de la ville de Rome « celle qui règne sur tous les rois de la terre », les sept têtes du Dragon, les sept collines romaines.



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Or, l’image ne donne pas à voir la femme à la parure étincelante décrite par l’Apocalypse : « La femme, revêtue de pourpre et d’écarlate, étincelait d’or, de pierres et de perles » (Ap., XVII, 4), mais la Meretrix dénudée et vaincue «... ils vont prendre en haine la Prostituée, ils la dépouilleront de ses vêtements, toute nue, ils en mangeront la chair, ils la consumeront par le feu » (Ap., XVII, 16). Bien que la peinture soit dégradée, les flammèches blanches qui entourent le corps déchu de la Meretrix sont encore visibles. La défaite de Babylone est donc explicite : la scène nous montre la Prostituée condamnée à brûler en Enfer après la victoire de l’Agneau (Ap., XVIII, 8)38. Un démon, très dégradé mais identifié par l’inscription COTER NIGER39, se tient derrière le trône de la grande Babylone, offrant non sans ironie une parfaite antithèse de la sainte Famille dans l’Adoration des Mages « où Joseph soutient sa majestueuse épouse ». En maître des mondes infernaux, le Cornu noir orchestre les tortures des damnés tout en avalant un homme. Bien que le nombre de pécheurs soit réduit, la confusion visuelle qui émane de l’image illustre le chaos des enfers (pl. 80). Les corps torturés, mordus, dépecés sont disposés en diagonale, par opposition symétrique. Entièrement nus et offerts aux démons, ils n’expriment ni la souffrance ni la douleur. Le damné le plus proche du trône de la Prostituée est torturé par un démon de grande taille, le suivant est attaqué par trois oiseaux, un blanc et un noir qui lui piquent la tête et le thorax, tandis que le dernier se tient sur le sol. La référence au texte de l’Apocalypse où il est fait mention de la chute de Babylone qui devient un « refuge pour toutes sortes d’oiseaux impurs et dégoûtants » (Ap., XVIII, 2) est ici manifeste. Un petit démon étrangle vigoureusement le troisième pécheur en prenant appui sur sa poitrine, aidé dans son entreprise par un diable de grande taille. L’originalité de cette image porte sur la combinaison d’une scène infernale et du thème de la grande Prostituée vaincue par l’Agneau qui, selon la tradition littéraire, introduit par son sacrifice la notion de la Victoire du Christ sur la Mort. Il n’existe pas, à notre connais-

38  Ap., XVII, 14 : « Ils mèneront campagne contre l’Agneau, et l’Agneau les vaincra, car il est le Seigneur des Seigneurs, et le Roi des Rois, avec les siens : les appelés, les choisis, les fidèles ». 39   À ce jour, nous n’avons trouvé aucun autre exemple de l’emploi du terme : coter niger. Il s’agit d’une déformation de corniger, soit cornu.



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sance, d’exemples comparables dans le corpus des images infernales déjà recensées40. La scène qui lui répond est tout aussi exceptionnelle mais de surcroît énigmatique (pl. 81). L’absence d’inscriptions comme l’état des fresques, dégradées et lacunaires, rendent particulièrement difficile une interprétation. Trois hommes, vêtus de bliauds, se dirigent vers un personnage trônant pour lui faire des offrandes alimentaires (pl. 82). Le premier d’entre eux porte une besace décorée d’une croix, insigne du pèlerinage à Jérusalem ou à Rome. Malheureusement, il n’est plus possible de discerner ce qu’il tenait dans ses bras. Le suivant porte sur l’épaule un bâton auquel est pendu un lièvre, tandis qu’un oiseau est attaché à sa ceinture et le dernier serre contre lui un agneau. La figure trônante, à l’allure et aux vêtements masculins, a été peinte rigoureusement dans l’axe de la Vierge à l’Enfant de l’Adoration des Mages. Elle est assise en position frontale sur un large trône dont les pieds sont sculptés en forme de pattes. Un autre détail troublant complique encore l’identification : les pieds de ce « haut dignitaire » ne reposent pas sur le sol41. La composition de cette scène contraste avec le désordre de l’Enfer par l’ordre et la sérénité du cortège. Outre cette indication à connotation positive, le premier des porteurs d’offrandes est un pèlerin, ce qui confirme l’hypothèse d’une image offrant un contrepoids à celle des Enfers42. Le pèlerinage confère, en effet, un statut particulier aux fidèles qui l’entreprennent en faisant d’eux des élus par excellence puisqu’il leur assure le Salut éternel43. Le pèlerin, associé au statut d’homme de Dieu, jouit d’un très grand prestige : dans les textes littéraires où l’imaginaire est transposé, il apparaît comme l’image de l’errance, de la pauvreté, du Fils de l’Homme qui « n’a pas où reposer sa tête » (Lc., IX, 58). Dans les chansons de geste, il est présenté comme l’émissaire de Dieu qui permet au héros de modifier   Voir Jérôme BASCHET, Les justices de l’Au-delà, Les représentations de l’enfer en France et en Italie (XIIe-XVe siècles), Rome, 1993. 41   Ce détail pourrait évoquer une usurpation de trône, l’usurpateur étant assis sur un trône trop grand pour lui... Cependant, la présence du pèlerin, la composition de la scène ne semblent pas aller dans ce sens. 42   D’ailleurs, sur le tympan du Jugement dernier de la cathédrale Saint-Lazare d’Autun, lors de la séparation des élus et des damnés, deux pèlerins sont figurés se dirigeant vers la droite, soit vers la Jérusalem Céleste. 43   Voir à ce propos Pierre-André SIGAL, Les marcheurs de Dieu, Pèlerinages et pèlerins au Moyen Âge, Paris, 1974. 40



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son action pour être en harmonie avec les desseins divins44. D’autre part, le « dignitaire » semble s’opposer à la Prostituée sur un trône également à l’autre extrémité du registre. Il en est vraisemblablement l’antithèse. Si l’on part du postulat qu’il s’agit d’une scène à connotation positive, il est alors possible qu’elle illustre dans la logique du don et du contre-don la promesse du Paradis offerte en récompense des dons apportés par les fidèles à celui qui incarne l’autorité, peut-être l’un des généreux donateurs de Saint-Eutrope. La procession des paysans symbolise sans doute une ou la communauté villageoise lui rendant hommage. Ainsi, à la représentation des Enfers est juxtaposée une image plus sereine, promesse de l’Au-delà paradisiaque.

Le réseau d’images et l’intericonicité La promesse de la Rédemption par le sacrifice La juxtaposition de contraires qui semble se vérifier sur le troisième registre est utilisée également pour agencer la première bande narrative du revers de façade. Une opposition très nette est établie entre la création d’Adam et Ève, la tentation et l’Annonciation. Ainsi, la Vierge, nouvelle Ève, est présentée comme l’antithèse de la première femme : l’une porte le poids du péché originel sur ses épaules, l’autre porte en son sein la promesse de la Rédemption. La comparaison entre Marie, mère du Sauveur, et Ève, mère des vivants, apparaît très tôt dans les commentaires patristiques et la liturgie mariale qui glorifient la maternité virginale en soulignant que la mère du Christ a réparé la faute commise par la première femme45. Au VIe siècle, dans son hymne, Venance Fortunat use de cette opposition devenue traditionnelle pour faire ressortir le rôle glorieux de la Vierge : « La grâce perdue par Ève, tu nous la rends/ Par un enfant porteur de vie,/ Pour faire entrer les affligés,/ Tu ouvres les portes du Ciel./»46. En raison de la force de la formulation, cette   Voir Valérie GALENT-FASSEUR, L’épopée des pèlerins, op. cit., p. 54.  Au IIIe siècle, Tertullien propose déjà une comparaison entre Ève et Marie : « Crediderat Eva serpenti, credidit Maria Gabrieli,/ Quod illa credendo deliquit, haec credendo delevit », « Ève avait cru le serpent, Marie a cru Gabriel/ La faute que la première a commise en croyant, la seconde l’a réparée en croyant », (TERTULLIEN, De carne Christi, PL. 2, col. 781-782). Sur le culte de la Vierge, voir Marie, le culte de la Vierge dans la société médiévale, Études réunies par Dominique IOGNA-PRAT, Éric PALAZZO, Daniel RUSSO, Paris, 1996. 46   VENANCE FORTUNAT, Carmina Miscellana, lib. VIII, c. 4, P.L., 88, col. 265, cité par Marie-Louise Thérel, op. cit., p. 99. 44 45



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strophe a d’ailleurs été introduite dans l’ancien office de la sainte Vierge. Ainsi, fréquemment reprise, la comparaison exégétique entre Ève et la nouvelle Ève a été rapidement transposée en images47. Sur la façade de Notre-Dame-la-Grande à Poitiers, la frise sculptée joue sur les oppositions en commençant à gauche par la tentation, en se poursuivant par l’Annonciation, l’Arbre de Jessé, la Visitation, la Nativité et le bain de l’Enfant à droite. Aux Salles, le jeu des correspondances horizontales qui structure l’intégralité du décor peint est renforcé par des agencements verticaux : ainsi, la Nativité « écrase » la Meretrix déchue qui est vaincue par la naissance de l’Enfant, la venue de l’Agneau, située au-dessus d’elle. Si les scènes de l’Enfance illustrent l’affirmation de la Rédemption de l’humanité pécheresse grâce à l’Incarnation48, le choix des prophètes sur les murs de la nef complète ce thème générique. Bien que les représentations de Virgile, de Nabuchodonosor ou de Daniel et d’Aaron, par les inscriptions ou les attributs qu’ils portent, mettent l’accent sur la venue du Messie, ces figures ont surtout suscité des commentaires et des métaphores sur le mystère de l’Incarnation et la Conception divine du Christ. Comme nous l’avons déjà souligné, les trois Hébreux dans la fournaise en symbolisant la virginité de Marie témoignent de la venue du Fils de l’Homme, le poème de Virgile et la verge fleurie d’Aaron ont la même signification ainsi que la porte du temple d’Ézéchiel dont l’allusion semble à peine voilée dans les images du cycle de l’Enfance. À travers la virginité mariale, il s’agit d’exalter la venue du Dieu Incarné. Mais pour célébrer le Fils, il convient d’insister sur le caractère glorieux de la Mère. Dans la scène de l’Annonciation, Marie est drapée majestueusement dans une robe ocre aux larges manches évasées et dans un manteau rouge dont les bords sont brodés d’orfrois et soulignés d’un rang de perles. Ses cheveux sont recouverts d’un voile blanc rehaussé d’ocre rouge. Des perles ourlent son nimbe. Ses atours qui évoquent les parures royales contribuent à renforcer le titre de Reine des cieux qui lui est attribué. Bien qu’il soit difficile d’affirmer   À ce titre, dès le Ve siècle, à Sainte-Marie-Majeure (Rome), sur l’arc triomphal décoré de mosaïque, la Vierge de l’Annonciation est munie d’une quenouille comme Ève après la chute. 48  L’Annonciation (et la Visitation qui était sans doute peinte aux Salles) est la première scène de l’Incarnation et de l’Histoire du Salut annonçant la venue et le règne du Christ. L’Adoration des Mages, selon l’exégèse, est l’Incarnation du Verbe manifestée aux nations. 47



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que le concepteur des images connaissait la signification symbolique des perles, il est évident qu’il souhaitait souligner la royauté de la Vierge. L’utilisation des gemmes et des perles, passée peut-être dans la tradition au XIIe siècle, n’était pourtant pas fortuite dans les premières représentations de Marie, Reine des cieux. Les parures des souverains Perses et d’Orient ont été reprises par les Tétrarques au IIIe siècle en corrélation avec la symbolique des pierres précieuses largement expliquée dans les traités lapidaires grecs. Dans son Etymologiarum, Isidore de Séville fait sienne la symbolique grecque des gemmes qui devient celle de l’Occident médiéval49. La perle a un statut à part : elle est citée dans la Parabole du Sauveur (Mt., XIII, 44-46), où elle est comparée au Royaume des cieux. Elle a pu figurer le Christ lui-même : dans un sermon conservé en grec, saint Éphrem, par exemple, voit une métaphore dans la production d’une perle de la conception et de la naissance virginale de Jésus50. Quoi qu’il en soit, la beauté de la Vierge et la richesse de sa parure participent de la divinité du Christ, l’image de Marie exprimant la fusion entre les mondes divin et humain51. Le péché inscrit virtuellement dans la création des hommes, et qui est rappelé par les images de la tentation et la chute en commentaire marginal, a conduit au nécessaire rachat de l’humanité par le sacrifice du Sauveur52. Le cycle de l’Enfance, le mystère de l’Incarnation, est associé au massacre des Innocents, glose également, qui préfigure la Passion du Sauveur. Une Passion qui ne semble que suggérée puisqu’il n’apparaît nulle trace de la Condamnation, de la Flagellation et de la Crucifixion dans les peintures conservées53. Toutefois, l’Enfant est assimilé aux Innocents, le Salut de l’humanité au martyre. Si le Sacrifice salvateur du Christ est évoqué, par leur propre passion, les saints participent également à l’économie du Salut en le réitérant. C’est pourquoi la lapidation de saint Étienne se déroule au quatrième regis-

 ISIDORE DE SÉVILLE, Etymologiarum, lib. XVI, chap. VI-XV, P.L., 82, col. 570-582.   H. LECLERCQ, « Perle », D.A.C.L., t. 14, col. 379. 51   Daniel RUSSO, « Les représentations mariales dans l’art d’Occident, Essai sur la formation d’une tradition iconographique », dans Marie, le culte de la Vierge dans la société médiévale, op. cit., p. 185. 52  Les images des écoinçons complètent celles du revers de la façade comme la glose. Elles sont redondantes ou insistent sur des points abordés de manière allégorique ou exégétique par le décor peint du revers de la façade et des murs de la nef. 53  Le cycle est incomplet. La vie publique du Christ pouvait être évoquée dans la suite des écoinçons. 49 50



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tre du revers de la façade : premier martyr de la Foi, il inaugure la longue série des saints martyrisés présents sur les murs de la nef. La liturgie funéraire et les saints intercesseurs Si le sacrifice du Christ a redonné aux hommes l’espoir de gagner l’au-delà paradisiaque, les chanoines commanditaires n’oublient pas toutefois d’y ajouter une interpolation morale : les êtres humains déterminent durant leur vie, par leurs comportements, le sort de leur âme après la mort. C’est une des raisons de la présence de la scène des Enfers et de ses damnés torturés au sein du réseau d’images. Cependant, la référence aux mondes infernaux y est beaucoup plus complexe que ce premier niveau d’interprétation puisqu’elle est accompagnée de motifs apocalyptiques. La grande Prostituée de Babylone, incarnation du chaos et des vices de la terre, préfigure, par sa présence en enfer, la Victoire du Christ : « Elle est tombée, elle est tombée Babylone la Grande ; elle s’est changée en repaire de démons, en refuge pour toutes sortes d’esprits impurs, en refuge pour toutes sortes d’oiseaux impurs et dégoûtants » (Ap., XVIII, 2). Ainsi, le Sauveur apparaît comme principe de Vie, en triomphant de la mort lors de la Passion, il a racheté et sauvé le monde. Grâce aux éléments apocalyptiques dans la scène des Enfers, les chanoines ont introduit au sein du réseau d’images le thème de la victoire du Christ sur la Mort. La combinaison enfer-Meretrix est peut-être une allusion à la liturgie funéraire qui rend grâce au Christ de sa victoire sur la Mort54. Ce dernier l’a vaincue au moment suprême de sa vie, lors de la Passion, et ainsi a fait naître l’espoir du Salut et de la résurrection. Saint Paul en discourant sur le baptême rappelle que la mort avec le Christ est gage de résurrection : « Nous avons donc été ensevelis avec lui par le baptême dans la mort, afin que, comme le Christ est ressuscité des morts par la gloire du Père, nous vivions nous aussi dans une vie nouvelle » (Rm., VI, 4). Le défunt est en principe destiné à ressusciter au milieu des vivants lors du Jugement dernier. Cependant, pour faire partie des élus, le mort doit être relevé de ses péchés. Or, les suffrages des vivants peuvent délivrer les âmes menacées par le feu éternel. Dans un de ses sermons, saint Augustin suppose d’ailleurs qu’à l’ex  Voir à ce propos, Damien SICARD, La liturgie de la mort dans l’Église latine des origines à la réforme carolingienne, Aschendorff, Münster Westfalen, 1978 et Joseph NTEDIKA, L’évocation de l’au-delà dans la prière pour les morts, Études patristiques et de liturgie latine (IV-VIIIe siècles), Paris, 1971. 54



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ception des plus grands pécheurs qui sont définitivement condamnés, la rémission des péchés est accordée à tous les autres, grâce aux prières et aux messes pour les morts qui permettent de laver les âmes de « la souillure des fautes commises »55. La présence des deux prieurs, Bernard et Boson, renforce et complète le thème de la liturgie funéraire. Ainsi, le salut des pécheurs se joue également après la mort : parmi eux certains seront sauvés in extremis grâce aux suffrages de la communauté chrétienne. La menace de l’Enfer est donc potentielle aux Salles-Lavaugyon, comme dans la liturgie des morts où des visions de l’Hadès sont décrites. Cependant, le Cornu noir et les damnés affirment que les actions des hommes sur terre conditionnent le sort de leurs âmes dans l’Au-delà. C’est bien du destin individuel de l’âme après la mort physique dont il est question ici. Le concepteur de l’image n’a pas voulu évoquer directement le Jugement collectif des fins dernières mais plutôt le sort de chaque âme après la mort. Si la victoire de l’Agneau introduit la notion des fins dernières et inscrit la scène infernale dans l’orthodoxie de l’époque, elle est traitée de manière trop allusive. L’image semble bien plus subtile et s’écarte nettement du corpus des Jugements derniers. Pour tenter de la comprendre, il convient peut-être de prendre en compte l’évolution de la perception de la mort chez les fidèles. Une de leurs préoccupations majeures concernait, en effet, le sort des âmes juste après le décès : que devenaient-elles entre la mort physique et le Jugement dernier ? La scène offre peut-être aux laïcs un semblant de réponse à leurs interrogations grandissantes. Sans pour autant être complètement évacué de l’image, le Jugement collectif est à peine mentionné. Les commanditaires en insistant uniquement sur le sort des damnés, sans résurrection et acte pénal, suggèrent l’idée du jugement individuel immédiat après la mort. La date de réalisation des fresques des Salles correspond à la période de transition où s’opère progressivement le passage de « la mort apprivoisée » à un temps de « la mort de soi »56. Par ailleurs, les interrogations soucieuses des laïcs sur la période d’attente des âmes entre la mort et le Jugement dernier conduiront l’Église à instituer le Purgatoire57.  SAINT AUGUSTIN, Sermon 172, P.L., 38, col. 936.   Ces expressions, désormais célèbres, sont empruntées à Philippe ARIÈS dans ses ouvrages pionniers sur la mort, Essais sur l’histoire de la mort en Occident du Moyen Âge à nos jours, Paris, 1978. 57   Jacques LE GOFF, « La naissance du Purgatoire » dans Un autre Moyen Âge, Paris, 1999, p. 771-1229. 55 56



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Toutefois, un des thèmes principaux de la scène reste l’avertissement adressé aux fidèles : la Victoire du Christ sur la Mort ne les préserve pas des tortures de l’Enfer. La crainte de la damnation éternelle qui appartient à la pastorale de l’Église implique les rituels inhérents à la liturgie funéraire. Les cycles hagiographiques qui figurent sur les murs latéraux de la nef complètent la thème générique de la liturgie de la mort. S’il ne reste que cinq légendes de martyres conservées, en excluant ici saint Étienne, la répartition des images laisse supposer que chacune des travées des collatéraux était peinte de la passion d’un saint. Cela portait donc à huit le nombre de martyrs représentés dans la nef. Or, ce chiffre symbolise la Création mais aussi de la Résurrection. C’est pourquoi les cuves baptismales de l’Antiquité chrétienne comme certains baptistères sont de plan octogonal. Le huit évoque la seconde naissance du chrétien et sa résurrection par l’eau du baptême. Cette allusion à la Résurrection, fruit de la Passion, s’inscrit parfaitement dans la perspective eschatologique du décor peint des Salles. Les épisodes de la vie des martyrs représentés appartiennent tous à leur passion. Il ne s’agit pas ici d’exalter la puissance d’un saint dont on voudrait asseoir le culte mais le sacrifice qui l’unit au Sauveur. Le baptême du sang a fait entrer le saint dans la Vraie Vie, celle du Christ. Or, c’est la grandeur de Dieu qui se manifeste dans chaque martyre, preuve de la Résurrection du Fils. Par leur mort glorieuse, les martyrs trônent auprès du Juge suprême et deviennent les intercesseurs privilégiés des hommes. Cette dimension est renforcée par le répertoire décoratif utilisé sur les murs latéraux de l’église qui évoque sans la moindre ambiguïté celui des châsses émaillées. Le cadre architectural qui sert d’écrin à la plupart des images hagiographiques comme le fond sur lequel se détache le portrait de Boson s’inspirent des émaux limousins. Si le goût des chanoines pour ce langage formel est indéniable, il convient certainement de dépasser ce constat. L’association visuelle entre les images monumentales et celles des châsses vise sans doute à faire de l’église elle-même un « immense reliquaire » où s’exprime magistralement la fonction d’intercession. Par leur martyre, les « avocats des hommes » illustrent l’espoir du Salut et de l’au-delà paradisiaque racheté par le Sacrifice du Sauveur. Les images des murs sud et nord de la nef fonctionnent alors pleinement avec les scènes préfigurant la Rédemption par l’Incarnation et la Passion du Sauveur.



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La Charité, le don et l’intercession des saints Les images au Moyen Âge ont de multiples clés de lecture et différents niveaux d’interprétation. Une image n’appartient pas à un seul thème aussi générique soit-il. Toute la difficulté à l’heure actuelle est de comprendre quel angle était privilégié par les concepteurs des réseaux d’images. Il nous semble qu’aux Salles-Lavauguyon, le thème du don, intimement lié d’ailleurs au message eschatologique des peintures de la nef, ait pris une importance particulière. Deux scènes d’offrande sont peintes sur le revers de la façade, l’une au-dessous de l’autre, l’Adoration des Mages et la procession des « donateurs ». Les deux cortèges composés de trois personnes se dirigent vers une figure en majesté. Nous avions mentionné la possibilité que l’étoffe recouvrant les mains des Mages soit une évocation du manipule utilisé lors de la cérémonie de l’offertoire. Un drame liturgique, l’Officium stellae, mettait en scène l’adoration des Mages face à la Vierge en majesté tenant l’Enfant58. Ce jeu liturgique possédait une double portée sacrificielle en raison des dons des rois assimilés à ceux de l’offertoire avant la messe et du massacre des Innocents, symbole du sacrifice de l’Agneau au cours du rite eucharistique. Le sacrifice des Innocents peint sur l’écoinçon se comprend ainsi beaucoup mieux quand on l’associe à l’adoration des Mages. L’Officium stellae était joué normalement pour l’Épiphanie soit en ouverture de la messe, soit à l’issue de l’office de matines. D’après l’étude d’Éric Palazzo, ce drame liturgique existait à Limoges. S’il est impossible d’affirmer – les manuscrits liturgiques ne nous étant pas parvenus – que les chanoines des Salles se livraient à cette mise en scène rituelle, les références à l’Officium stellae semblent ici prégnantes. D’autre part, l’image de l’Adoration est doublée dans l’axe vertical de la scène des offrandes alimentaires. Il s’agissait donc de mettre en parallèle une offrande mythique et une contemporaine. Dans les deux cas, elles s’adressent aux laïcs. Les cadeaux offerts à l’Enfant par les Mages lors de l’Épiphanie évoquent, en effet, l’offrande des fidèles lors de la messe, du moins, comme le rappelle Éric Palazzo, dans un contexte eucharistique lié à l’exécution du drame de l’Officium stellae59. L’autre image

 Les plus anciennes versions de ce drame liturgique datent du XIe siècle, coïncidant – et l’on ne s’en étonnera pas – au développement des drames liturgiques au Moyen Âge. À ce propos, voir Éric PALAZZO, « Exégèse, liturgie et politique dans l’iconographie du cloître de Saint-Aubin d’Angers », op. cit., p. 220-240 et notamment p. 222-230. 59   Ibid., p. 225. 58



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renvoie aux redevances en nature faites par la communauté villageoise au chapitre et qui constituent la source de sa richesse. En outre, la scène des offrandes alimentaires présente une double dimension : historique, en montrant les présents en nature des laïcs, et eschatologique, située à proximité de celle du Cornu noir et des châtiments infernaux, mais en opposition avec elle60. Autrement dit, ce registre construit sur le principe du contraste positif-négatif souligne non sans force que le don préserve les fidèles de la damnation. Compter parmi les généreux donateurs de Saint-Eutrope est alors dûment conseillé. La Charité, Caritas, dont il est question ici, est par ailleurs souvent liée au don de nourriture comme dans la Parabole du pauvre Lazare et du mauvais riche (Lc., XVI, 19-31) ou dans la pêche miraculeuse des apôtres qui en sont la traduction biblique... Les actes de charité des fidèles étaient destinés à assurer leur salut. Les donateurs demandaient, par exemple, aux communautés religieuses de nourrir, après leur mort et en leur nom, à des dates précises un nombre déterminé de pauvres61. Le pain, aliment symbolique s’il en est, donné aux indigents a une importance religieuse et sociale considérable durant le Moyen Âge62. Les fidèles sont appelés à donner, car le Christ est lui-même Charité (I, Jn., IV, 8). Cette identification du Sauveur à la Caritas est très nettement développée dans les sculptures du portail roman de l’église de Bourg-Argental où deux personnifications de la Charité sont représentées en liaison avec un cycle de l’Enfance du Christ comprenant l’Adoration des Mages63. Si le Christ reçoit, il donne en retour, ce que souligne la centralité de la scène de l’Annonce aux bergers, « manifestation aux hommes de la grâce de Dieu, du don rédempteur que l’Incarnation apporte aux fidèles »64. Aux Salles-Lavauguyon, l’Annonce aux bergers est également située au centre du second registre, participant à la thématique du don et de la Charité. La scène de l’Enfer, pôle négatif, « montre que le péché exclut des circuits de la Charité et de la grâce »65 tandis que l’image d’à côté, le don, marque   Nous remercions ici Jean-Claude Schmitt pour nous avoir fait part de cette remarque.   Michel LAUWERS, La mémoire des ancêtres, le souci des morts. Morts, rites et société au Moyen Âge (Diocèse de Liège, XIe-XIIIe siècles), Paris, 1997, p. 179. 62  Le pain évoque le pain eucharistique rapprochant Dieu de la Charité. 63   Jérôme BASCHET, « In sinu caritatis, Hypothèses sur l’iconographie de la charité à Bourg-Argental », dans Arte d’occidente, temi e metodi, Studi in onore di Angiola Maria Romanini, volume 2, Rome, 2000, p. 833-845. 64   Ibid., p. 842. 65   Ibid., p. 842. 60 61



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l’appartenance à l’Église céleste. À Bourg-Argental, un chapiteau du portail donne à voir le roi Nabuchodonosor, incarnation de l’orgueil, en proie à la folie. « L’orgueil apparaît donc le vice qui rompt les bienfaits de la Charité ; inversement la Charité est la vertu qui guérit l’orgueil des puissants »66. À Saint-Eutrope, ce péché est personnifié par la grande Prostituée de Babylone, en fait Satan lui-même appelé le Cornu noir. L’exaltation de la Charité, ciment de la communauté chrétienne, entraîne a contrario la virulente dénonciation de l’Avarice. Les représentations de ce vice – un homme pendu avec une bourse pleine autour du cou67 – sont nombreuses à la période romane. À Moissac, l’Avarice est sculptée à côté de la Luxure sur les piédroits gauches du portail. Dans la cathédrale Saint-Lazare d’Autun, un chapiteau représente la Charité, tenant un calice à la main, terrassant l’Avarice, personnage pathétique, accroupi, serrant deux bourses entre ses poings. Ainsi, la Charité donne et rassemble au sein de l’Ecclesia, tandis que l’Avarice et l’Orgueil l’en excluent. La confrontation des deux scènes, offrande et Enfers, s’enrichit d’un sens supplémentaire. Le thème du don apparaît également dans la légende du diacre Laurent. L’épisode de la présentation des trésors de l’Église à Dèce était, en effet, parfaitement visible pour les fidèles qui se tenaient dans la nef lors des offices. Cette image introduit dans la thématique une nouvelle dimension : celle de la charité envers les pauvres. La pratique du don et de l’aumône était prêchée avec insistance par l’Église car elle représentait pour les donateurs un acte destiné à assurer leur Salut, les miséreux étant considérés comme des intercesseurs privilégiés68. Hincmar de Reims écrit d’ailleurs à ce propos : « Dieu aurait pu faire tous les hommes riches, mais il voulut qu’il y ait des pauvres dans ce monde, afin que les riches aient une occasion de racheter leurs péchés »69. Les dons destinés aux indigents transitaient par les   Ibid., p. 838.   Elle rappelle la mort honteuse de Judas (Mt., XXVII, 3-5). La pendaison de Judas est représentée sur un chapiteau de la cathédrale Saint-Lazare d’Autun et en peinture sur la paroi latérale de la première travée de la tribune de l’abbatiale Saint-Savin à Saint-Savinsur-Gartempe. On peut d’ailleurs considérer que Judas est l’anti-saint par excellence. 68   De nombreuses citations extraites de la Bible étaient vraisemblablement utilisées dans la pastorale, « l’aumône sauve de la mort, et elle purifie de tout péché. Ceux qui font l’aumône sont rassasiés de jours » (Tb., XII, 9), « Donnez donc plutôt en aumônes ce que vous avez, et tout, pour vous, sera pur » (Lc., XI, 41), « Si tu veux être parfait, lui dit Jésus, va, vends ce que tu possèdes, donne-le aux pauvres, et tu auras un trésor aux cieux » (Mt., XIX, 21). 69   P.L. 87, col. 533, cité par Michel MOLLAT, Les pauvres au Moyen Âge. Étude sociale, Paris, 1978, p. 61 et Michel LAUWERS, op. cit., p. 180. 66 67



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communautés ecclésiastiques qui nourrissaient ainsi quotidiennement les plus démunis70. De surcroît, les membres des communautés religieuses étaient considérés et se considéraient, symboliquement, comme les « pauvres du Christ » puisqu’ils renonçaient – parfois tout à symboliquement il est vrai – à tous les biens matériels en quittant le siècle. Ainsi, l’image de saint Laurent distribuant l’or aux pauvres peut porter un double message, elle exalte l’aumône mais également le don à la communauté de chanoines, renforçant le message des deux scènes d’offrande au revers de la façade. D’autre part, si la procession des donateurs sur le revers de la façade s’inscrit dans une perspective eschatologique, elle est largement soumise à la pratique du don et du contre-don qui régit d’ailleurs la relation du fidèle au saint. En échange d’interventions en sa faveur, le demandeur remet à l’intercesseur des présents pour susciter son aide ou le remercier de son efficacité. Les cadeaux destinés aux saints – argent, cire, objets divers, victuailles – entrent pour une large part dans les revenus de certaines communautés ecclésiastiques. Outre ces largesses spécifiques, d’autres formes de dons sont représentées : Valérie s’offre elle-même en sacrifice « sur l’autel », saint Pierre remet un pot d’onguent à Agathe pour guérir son corps meurtri. Or d’une manière générale, tout martyr offre sa vie au Christ à qui il se donne sans partage. Ainsi, aux Salles, la thématique du don insérée dans celle plus générale de la Caritas appartient au thème générique de la communion des saints au cœur de l’Ecclesia. Le Sacrifice du Calvaire, réitéré quotidiennement sur la table d’autel, est, en effet, le rituel par lequel le Christ dispense la nourriture de la vie éternelle. Dans l’Eucharistie se conjuguent plusieurs valeurs, celle du sacrifice, mais aussi celles du repas et du don. Les hommes donnent le produit symbolique de leur travail : le pain et le vin ; Dieu leur rend une nourriture différente, bien supérieure en valeur. Anita Guerreau-Jalabert écrit à ce propos : « l’incorporation du Christ sous forme de pain consacré produit l’union des chrétiens entre eux, réalisant la communio sanctorum qu’est l’Église et réitérant l’intégration individuelle opérée par le baptême »71. Par leur sacrifice, véritable don d’eux-mêmes,   Michel Lauwers dans son étude démontre que « l’aumône était parfois un acte symbolique : les donateurs demandaient parfois aux religieux de nourrir en leur nom à des dates précises douze, treize ou quinze pauvres », op. cit., p. 180. 71  Anita GUERREAU-JALABERT, « Aliments symboliques et symbolique de la table dans les romans arthuriens (XIIe-XIIIe siècles) », Annales E.S.C., Mai-Juin 1992, n°3, p. 581. 70



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les martyrs renforcent le lien d’amour spirituel qui scelle la communauté chrétienne et son unité au sein de l’Église. La communion des saints unit dans l’Ecclesia les fidèles vivants ou défunts au corps mystique dont Jésus-Christ est le chef, ce qui implique un échange perpétuel entre les trois parties. Par leur intercession auprès du Sauveur, les « avocats des hommes » dispensent aux fidèles un ensemble de grâces et ces derniers, par leurs prières et leurs offrandes, s’unissent aux élus dans l’amour spirituel, la charité, engendrés par leurs actes bienfaiteurs72. La Charité relie tous les membres de l’Ecclesia entre eux. Or, le martyr est le modèle même de cette vertu qu’il faut s’efforcer d’imiter. Source de grâces, il est garant du salut des hommes dont il contribue à racheter les péchés en complétant la Passion du Sauveur73. Dans ses écrits, saint Augustin définit avec précision la communion des saints : au sein de l’Église, corps du Christ, dont l’unité est garantie par la Charité, les prières d’un fidèle sont primordiales car elles sont profitables à tous les autres74. À cet égard, le martyre des saints constitue donc un véritable trésor : « Comme Celui qui a déposé son âme pour nous : ainsi les martyrs l’ont imité et ont déposé leurs âmes pour leurs frères et afin que comme des semences, cette très riche abondance des peuples se lève, ils ont irrigué la terre de leur sang. Donc, nous sommes aussi les fruits de leur travail »75. Du haut du ciel, de concert avec le Christ, les martyrs ne cessent d’interpeller pour les hommes : « Jésus-Christ intercède pour nous (Rm., VIII, 34) : tous les martyrs qui sont avec Lui intercèderont pour nous »76 et « Nous les admirons, ils ont pitié de nous. Nous les remercions, ils prient pour nous »77. Les fidèles, en unissant leurs souffrances à celles des martyrs, en se rapprochant de plus en plus des saints, renforcent la cohésion de l’Église et donc du Sauveur : « Ils (les martyrs) ont marché devant, ils ont été élevés au-dessus. Si nous n’avons pas la force de les suivre, suivons-les par la disposition de notre âme (...). Qu’il nous semble suffisant que nous soyons les membres de son corps, en lesquels nous ne pouvons être mis au même niveau. ‘‘Parce que si un membre souffre, tous les membres souffrent : ainsi quand un seul membre est glorifié, tous les   R.S. BOUR, « La communion des saints », D.T.C., col. 429.   Ibid., col. 433-439. 74  SAINT AUGUSTIN, Epist., XX, ad Antoninum, P.L., 33, col. 87, cité par R.S. BOUR, « La communion des saints », D.T.C., col. 443. 75  SAINT AUGUSTIN, Sermo, CCLXXX, VI, P.L., 38, col. 1283. 76  SAINT AUGUSTIN, In Psalmum, LXXXV, P.L., 38, col. 1099. 77  SAINT AUGUSTIN, Sermo, CCLXXX, VI, P.L., 38, col. 1283. 72 73



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membres se réjouissent avec lui’’ (I, Cor., XII, 26) »78. Saint Augustin conclut en écrivant : « Cependant, nous obéissons tous au même maître, nous suivons tous le même guide, nous accompagnons tous le même chef, nous sommes subordonnés à la même tête, nous tendons vers la même Jérusalem, nous recherchons la même affection et nous choyons la même unité »79. Ainsi, la Caritas est le fondement de la communauté ecclésiale et se traduit par une vaste circulation des grâces et des dons au sein de l’Église. Son exaltation à travers le décor peint de Saint-Eutrope et son lien avec les martyrs n’ont pas de quoi surprendre. Le principe moral qui consiste à vouer sa vie au Christ articulé à la thématique de l’offrande devient un modèle de conduite incitant à joindre l’acte à la parole pour assurer son salut. Le commerce avec l’Au-delà Pour la communauté canoniale, il était primordial de rappeler son rôle majeur au cœur de l’économie du Salut. Les portraits des deux prieurs qui encadrent l’arc triomphal témoignent de la fonction médiatrice des chanoines. Ces derniers intercèdent auprès des saints qui eux-mêmes interviendront auprès du Juge Suprême. Les cycles hagiographiques et les figures des prophètes qui se succèdent sur les murs de la nef montrent une chaîne ininterrompue d’intercesseurs entre les fidèles et Dieu. Par sa position au sein de l’Ecclesia, soulignée métaphoriquement par l’emplacement des figures de Bernard et Boson dans l’église, la communauté canoniale se présente comme l’ultime maillon de cette chaîne, reliant les hommes au Sauveur. Toutefois, l’inscription sur le livre de Boson qui invite « ses frères ou ses fils à prier pour lui » permet de mettre en relief un thème supplémentaire au sein du réseau d’images. Selon Robert Amiet : « Prier pour les morts, c’est illustrer d’une façon souvent poignante le dogme chrétien, curieusement méconnu de la « communion des saints », c’est-àdire du puissant lien spirituel d’amour et de charité qui relie chaque homme, mort ou vivant, dans et par le Christ qui est mort, qui est ressuscité, qui est l’Alpha et l’Oméga, le vivant par antonomase (Ap., I,

  Ibid.   Ibid.

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8-18)»80. Ainsi, le portrait du prieur défunt noue plusieurs thèmes entre eux, image-pivot dans le réseau figuratif. La supplication du prieur fait écho aux services funéraires quotidiens assurés par les communautés ecclésiastiques comme le rite commémoratif qui consistait à lire au chapitre la liste des défunts du jour. Le fait de nommer les morts avait une fonction capitale : la perpétuation de leur mémoire. Ils restaient ainsi présents « éternellement » parmi les vivants. Les défunts étaient également célébrés pendant l’Office des morts et les messes dites à leur intention. À travers ces rituels funéraires, la communauté aspirait surtout, en délivrant les morts du péché, à garantir ainsi leur salut et donc l’espérance de leur résurrection. Cette liturgie implique la croyance en l’efficacité et l’intercession des vivants en faveur des morts. Pour saint Augustin, les suffrages des vivants sont utiles pour les morts car ils peuvent permettre la rémission de leurs péchés. Dans un sermon (172), il écrit que les prières pour les morts leur sont bénéfiques car le Juge Suprême les traite alors avec plus d’indulgence qu’ils ne le méritent81. Les communautés religieuses en tant qu’intercesseurs privilégiés jouaient donc un rôle crucial dans le commerce avec l’Au-delà. Or la condition nécessaire à la célébration des morts et à la réalisation des rites funéraires était les dons qui permettaient aux moines et aux chanoines de s’adonner à la prière. Michel Lauwers a relevé dans la liturgie la trace de cet échange de biens terrestres en biens éternels « Fais en sorte, seigneur, que soient sauvés tes serviteurs et tes servantes, dont nous faisons la commémoration et dont nous avons reçu les aumônes », « Nous te le demandons, Seigneur : accorde ta miséricorde éternelle aux âmes de tes serviteurs et de tes servantes (...) qui se sont recommandés à nos prières, dont nous avons reçu les aumônes et dont nous avons noté les noms pour en faire mémoire »82. La nature de la commémoration et la forme du culte variaient suivant les institutions ecclésiastiques mais également en fonction des demandes des donateurs. C’est par leurs dons que les laïcs assuraient leur   Robert AMIET, « Le culte chrétien pour les défunts », dans À réveiller les morts, La mort au quotidien dans l’Occident médiéval, sous la direction de Danièle Alexandre-Bidon et Cécile Treffort, Lyon, 1993, p. 277-286. 81  SAINT AUGUSTIN, P.L., 38, col. 936. 82   Michel LAUWERS, op. cit., p. 177. Ces extraits sont tirés de deux sacramentaires, le premier commencé à l’abbaye de Gembloux, puis achevé à la cathédrale de Liège au XIe siècle (Bamberg, Staatsbibl. lit. 3, f° 178r), le second composé pour la cathédrale de Liège vers 1160-1170 (Köln, Erzbischöfliche Diözesan- und Dombibliothek 157, f° 184 r-v). 80



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salut après leur décès grâce à l’intercession des oratores en leur faveur durant les rituels de la liturgie des morts. Les moines comme les chanoines possédaient donc un pouvoir formidable, « un pouvoir de mort, bien plus terrible que la mort physique » puisqu’ils faisaient partie intégrante de l’économie du Salut83. Les portraits des deux prieurs rappellent aux fidèles ce statut mais avec d’autant plus de force que Boson lui-même demande l’intercession des vivants – ses frères ou ses fils – pour sauver son âme. Si le père de la communauté la réclame pour lui-même, elle devient absolument indispensable pour tous les fidèles. Enfin, l’Eucharistie est le seul repas sacrificiel qui met les vivants en communion avec les morts, les martyrs y compris ; morts qui sont comme les fidèles les membres du Christ. Ainsi autour de l’autel, disparaît en quelque sorte toute séparation entre le ciel et la terre. Or, les figures des chanoines encadrent symboliquement l’autel… Une théologie de la mort est clairement développée dans l’église : la communauté canoniale représentée par Boson et Bernard et la liturgie des défunts, l’image de l’Enfer où se conjuguent la Victoire du Christ sur la Mort et les destins individuels des trépassés dans l’Audelà, l’intercession des martyrs et des saints auprès du Juge Suprême. Or, l’Au-delà paradisiaque n’est accessible aux hommes que par la mort salvatrice du Sauveur ; les saints par leur martyre renouvellent la Passion et participent pleinement à l’espérance du Salut. Cependant, toutes ces images sont associées à celles de la Genèse, du cycle de l’Enfance et aux figures des prophètes : la promesse de la Rédemption, après le péché originel, n’a été rendue possible que par l’Incarnation du Fils de l’Homme.

Les images hagiographiques et les thèmes génériques Par les connexions qui se nouent dans le réseau d’images, les scènes hagiographiques se teintent de significations particulières. Elles s’intègrent au thème générique du sacrifice ou de la Charité ou bien à celui de la lutte menée par l’Église pour triompher à la fin des temps… Cependant, pour affiner les analyses, il est utile d’examiner les images hagiographiques appartenant aux réseaux de deux autres collégiales. Nous avons porté nos choix sur des édifices canoniaux au   Expression empruntée à Jérôme Baschet, Les justices de l’Au-delà, op. cit., p. 4.

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décor peint du XIIe siècle, d’une relative proximité géographique avec les Salles et que nous considérons, au même titre que Saint-Eutrope, comme des documents totaux. Cohérents dans leur réalisation, ces ensembles peints permettent de réfléchir, à partir du même médium, à la polysémie des images hagiographiques, lesquelles renforceront ainsi les analyses déjà menées. Saint-Hilaire de Poitiers, une image de la Toussaint À Saint-Hilaire de Poitiers, les cycles hagiographiques dont nous avons déjà analysé la structure sont peints sur les parois des chapelles du chevet tandis que des saints en pied sont figurés sur les murs du déambulatoire84. Sur les quatre absidioles rayonnantes, trois ont été enrichies de scènes narratives rapportant la légende d’un saint : les chapelles nord, nord-est et sud-est85. La chapelle méridionale est, quant à elle, entièrement recouverte d’effigies en plein pied de saints en habits sacerdotaux. Ils se tiennent pour la plupart sous des arcades. D’autres portraits en plein pied également, revêtus de vêtements liturgiques, figurent sur les parois du déambulatoire et sur les ébrasements des fenêtres. Un cycle apocalyptique se déroule sur le bandeau du rond-point de colonnes86 (pl. 83). Du côté nord au côté sud, les différents épisodes se succèdent : la vision de Jean et de l’ange introduit le récit, il se poursuit par l’évocation des cavaliers de l’Apocalypse, puis par celle de l’ange distribuant des étoles aux âmes sous l’autel, suivi de l’ange à l’encensoir et d’un autre ange87, et enfin l’envoyé divin apporte les 84  Sur la collégiale Saint-Hilaire de Poitiers, voir Marie-Thérèse CAMUS, « Saint-Hilaire-leGrand », dans Les peintures romanes du Poitou-Charentes, Saint-Savin, 1993, extrait. Les peintures ont été datées entre le dernier tiers du XIe siècle et le début du XIIe siècle. Nous penchons davantage pour l’extrême fin du XIe siècle et le début du XIIe siècle en raison du style des peintures et de l’épigraphie. Les peintures ont certainement été commencées à la fin du chantier du premier état roman, soit après 1070-1080, et avant la reprise de la nef en 1100. 85  Un cycle de saint Martin est peint sur les murs de la chapelle nord. Sur ceux de la chapelle nord-est un cycle est dédié à saint Philibert et sur les murs de la chapelle sud-est se déroule un cycle de saint Quentin. 86   Voir à ce propos, Marie-Thérèse CAMUS, « À propos de trois découvertes récentes, Images de l’Apocalypse à Saint-Hilaire-le-Grand de Poitiers », C.C.M., XXXII, 1989, p. 125133 et du même auteur, « Saint-Hilaire-le-Grand de Poitiers », dans Les peintures murales de Poitou-Charentes, Saint-Savin, 1993 ainsi que « Les saints dans les peintures de quelques églises du XIe siècle du Centre-Ouest de la France », Actes du colloque d’Aoste de 1992, p. 14, à paraître ; Yves CHRISTE, L’apocalypse de Jean, Sens et développements de ses visions synthétiques, Paris, 1996, p. 105-107. 87  Selon Yves CHRISTE, cet ange est soit l’ange d’Ap., VII, 2, soit celui d’Ap., X, 1. La tradition exégétique l’assimile au Christ ressuscité, op. cit., p. 106.



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Fig. 111 - L’ange distribuant des étoles aux âmes sous l’autel, chevet, bandeau du rond-point de colonnes, collégiale Saint-Hilaire, Poitiers

ailes du grand aigle à la Femme menacée par le Dragon. Le cycle s’achève par le combat de saint Michel contre le Dragon. Les images apocalyptiques étaient sans doute dominées par une Maiestas Domini de même nature que celle de Méobecq dont il ne subsiste que des traces dans la conque absidiale et qui offre une version réduite du cycle de Saint-Hilaire88. La scène centrale du bandeau apocalyptique est particulièrement intéressante car, peut-être plus que les autres images du cycle, elle s’insère dans le réseau d’images du chevet (fig. 111). Elle illustre le chapitre VI de l’Apocalypse où des anges distribuent des étoles aux âmes des élus, « égorgés pour la parole de Dieu », sous l’autel : « Alors on leur donna à chacun une robe blanche en leur disant de patienter encore un peu, le temps que fussent au complet leurs compagnons de service et leurs frères qui doivent être mis à mort comme eux » (Ap., VI, 9-11). Un ange est placé sur cet autel (fig. 112). Il fait écho au chapitre VIII de l’Apocalypse : « Un autre ange vint alors se placer sur l’autel, muni d’une pelle en or. On lui donna beaucoup de parfums pour qu’il les lui offrît, avec la prière de tous les saints, sur l’autel d’or placé devant le trône. Et de la main de l’ange la fumée des parfums s’éleva devant Dieu, avec la prière des saints » (Ap., VIII, 2-4). Tout au long de ses études dont nous reprendrons certains éléments, Yves Christe a démontré l’influence de l’exégèse sur le choix   Ibid., p. 106.

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Fig. 112 - L’ange à l’encensoir, chevet, bandeau du rond-point de colonnes, collégiale Saint-Hilaire, Poitiers

et la composition des épisodes apocalyptiques. Pour le chercheur, l’association entre l’ange à l’encensoir et des martyrs sous l’autel n’est citée que dans le commentaire d’Ambroise Autpert dont la rédaction « se situe en Italie méridionale, au monastère de Saint-Vincent-auxsources du Volturne, entre 758 et 767... Les considérations d’Autpert nous éclairent sur le sens des images de Saint-Hilaire. En Ap. 6, 9 après avoir longuement cité l’Épître aux Hébreux, il interprète l’autel des martyrs comme l’autel d’or du Temple d’Ex. 27 et 30 et il y voit une figure du Christ »89. D’autre part, s’il y avait deux anges dans la scène de la distribution, un seul donnait les étoles aux martyrs, ce qui en accentuait considérablement le caractère christologique. Yves Christe souligne également, à propos de l’Ap. VI, 9-11, qu’Autpert renvoie non seulement à l’ange à l’encensoir, mais aussi aux trois derniers cavaliers qui auraient persécuté les martyrs tués pour la parole de Dieu90. Il est remarquable à Saint-Hilaire que l’autel des martyrs soit peint exactement dans l’axe de l’autel matutinal. Le lien vertical qui s’éta89   Yves CHRISTE, « L’ange à l’encensoir devant l’autel des martyrs », Cahiers de Saint-Michel de Cùxa, Juillet 1982, n°3, p. 188-289. Il cite l’édition de Robert Weber (CC, cont. med., t. 27, Tournai, 1975, p. 286). 90   Yves Christe rappelle que de nombreux commentateurs comme Autpert ou Bède dissocient le premier cavalier, celui qui a reçu la couronne et l’arc, des trois autres. Il est interprété comme une figure du Christ incarné ou ressuscité contrairement aux trois autres, incarnant le Mal, ennemis de l’Église ou des élus. Pour Autpert, les martyrs ont été tués par le glaive du deuxième cavalier, le troisième, le cavalier à la balance, les a fait périr de faim et le dernier, dont le nom est Mort, les a persécutés de diverses manières, op. cit., p. 189.



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blit entre l’image et le mobilier liturgique affirme la liaison entre la liturgie céleste et la liturgie terrestre. De surcroît, par le choix de son emplacement, l’image de « l’autel des martyrs » se teinte d’une très forte connotation eucharistique. Yves Christe, en étudiant les peintures de San Quirce de Pedret en Catalogne et celles de la crypte de la cathédrale d’Anagni dans le Latium, a noté que les références à l’Eucharistie relevées dans notre scène apocalyptique « ne trouvent pas d’explication directe chez Ambroise ou dans la tradition des commentaires. Il s’agit dans l’un et l’autre cas d’additions originales, d’une relecture liturgique du texte et des images »91. Il précise que « l’ange à l’encensoir dans une tradition exégétique issue de Ticonius et de ses réviseurs orthodoxes, est régulièrement interprété comme l’ange du Seigneur d’Is. 9, 5 (LXX), c’est-à-dire une figure du Christ de l’Incarnation »92. Présenté comme un médiateur entre Dieu et les hommes, cet ange est assimilé par Ambroise Autpert au Christ-Prêtre93. Selon Yves Christe, l’interprétation d’Ambroise Autpert a peutêtre amené ses lecteurs du XIe siècle à considérer l’ange à l’encensoir comme l’ange du sacrifice des Supplies de la Messe Romaine, alors même que ce rapprochement n’a jamais été fait concrètement par les commentateurs qui l’ont suivi94. L’interprétation exégétique de cette image permet d’associer les figures des saints du déambulatoire et les scènes hagiographiques des chapelles au cycle apocalyptique. Le concepteur des images s’est livré à une interprétation audacieuse de la source biblique qui se traduit par un réseau de nœuds et de connexions dans l’espace du chevet : l’image des âmes sous l’autel et de l’ange à l’encensoir est une synthèse, un raccourci des chapitres VI-VII et VIII de l’Apocalypse de Jean. Le chapitre VII mentionne la « foule immense, impossible à dénombrer... debout devant le trône de l’Agneau, vêtue de robes blanches, des palmes à la main... » (Ap., VII, 9-10), puis il est précisé quelques versets plus loin que « ce sont ceux qui viennent de la grande épreuve : ils ont lavé leurs robes et les ont blanchies dans le sang de l’Agneau » (Ap., VII, 14). Or, la foule des élus décrite par le chapitre   Ibid., p. 191.   Ibid., p. 191. 93   Ibid., p. 191. 94   Voir à ce propos, le développement d’Yves CHRISTE, « L’ange à l’encensoir devant l’autel des martyrs »., op. cit., p. 191-192. Il note également que l’ange du sacrifice de Supplies n’a pas été reconnu comme une figure du Christ avant le XIIe siècle, mais que l’iconographie médiévale a tenté d’exprimer cette idée dès le IXe siècle dans la crypte de SaintVincent-aux-sources-du Volturne, p. 192. 91 92



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VII n’est pas pour autant omise par le commanditaire des images95. Elle est incarnée par les saints représentés dans le déambulatoire et les absidioles et qui sont tournés vers la Maiestas Domini peinte sur la voûte du chevet96. Par le don de leur vie, ces élus forment autour du Sauveur la cour céleste dans la Cité de Dieu. L’autel peint sur le bandeau du rond-point de colonnes est l’autel des justes, ceux qui participent à la première résurrection. Yves Christe fait remarquer que dans le texte de l’Apocalypse (XX, 4-6), : « les ‘‘ élus’’ seront les prêtres de Dieu et du Christ et qu’ils règneront avec Lui pendant mille ans, le millenium symbolique qui est le temps de l’Église dans l’interprétation ticonienne. Les étoles sacerdotales, au lieu des robes blanches accordées aux martyrs sous l’autel, revêtent ici tout leur sens... »97. À cela, on peut ajouter que toutes les figures en pied des saints du déambulatoire et de la chapelle méridionale sont vêtues d’habits liturgiques. D’autre part, à cette époque, le tombeau de saint Hilaire bénéficiait sans doute d’un aménagement dans le sanctuaire ou dans une crypte fermée98. Or, les sarcophages des saints étaient disposés en fonction de l’autel lorsqu’ils ne lui étaient pas purement associés99. Ainsi, le corps du premier évêque de Poitiers se trouvait peut-être « sous l’autel des martyrs », distingué lui aussi du titre de juste. Si tel était le cas, la mise en scène du tombeau dans l’espace liturgique eut été complète. Le décor peint et les aménagements de l’espace ecclésial illustraient l’extension de l’Église dans le monde par le biais des saints, mais également par les membres de l’Ecclesia et notamment les évêques dont Hilaire est ici la figure emblématique. D’une manière générale, ce thème générique est inhérent au cycle de l’Apocalypse.

95   Marie-Thérèse CAMUS, « Les saints dans les peintures de quelques églises du XIe siècle du Centre-Ouest de la France », op. cit., p. 14. 96   On ne connaît pas le programme du cul-de-four et de la voûte de la travée droite mais on peut supposer que le Christ outre le Tétramorphe était entouré d’anges et de vieillards. Le programme des écoinçons et de l’arc d’entrée tend à le suggérer. 97   Yves CHRISTE, L’Apocalypse de Jean, op. cit., p. 106. 98  L’emplacement actuel du tombeau date des aménagements et de la restauration de la collégiale au XIXe siècle. 99  Le plus souvent les tombeaux des saints étaient accolés, voire parfois même engagés dans l’autel selon une disposition en Tau. On peut citer dans le premier cas, ceux d’Autun et de Saint-Guilhem-le-Désert, tandis que le second cas est illustré par l’autel-tombeau de la collégiale Saint-Junien. Voir à ce propos, Géraldine MALLET et Patrick PERRY, « Les tombeaux des saints à l’époque romane : quelques exemples », dans Les Cahiers de SaintMichel de Cuxa, XXIX, 1998, p. 113-119. Voir également, Ben NILSON, Cathedral Shrines of Medieval England, Woodbridge, 1998.



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Toutefois, les élus de la première résurrection décrits par Jean sont tous des martyrs « décapités pour le témoignage de Jésus et la parole de Dieu » (Ap., XX, 4). Or, il apparaît que les saints représentés à Saint-Hilaire qui symbolisent les élus ne sont pas tous des martyrs au sens strict du terme. Si Quentin était effectivement un martyr dans le vrai sens du terme, c’est-à-dire un martyr rouge, pour Sulpice Sévère, ce titre devait être également conféré à Martin bien qu’il n’ait pas versé son sang. Comme le saint a désiré ardemment mourir pour le Christ, il demeure éternellement, selon l’hagiographe, avec ceux qui ont lavé leurs robes dans le sang de l’Agneau100. Dans le même logique, les souffrances volontaires que s’inflige Philibert font de lui un martyr. Par conséquent, de nombreux saints peuvent être assimilés aux martyrs parce qu’ils ont voué leur vie sur terre au service de Dieu101. En réalité, il importe peu de savoir si les saints figurés sont considérés comme des martyrs, car à Saint-Hilaire, il est rendu hommage à tous les saints : les saints en habits liturgiques, présentés de face ; les saints en buste qui couvrent les murs des chapelles et du déambulatoire ; les saints dont les images relatent les faits glorieux ; tous les martyrs qui sont évoqués sur le bandeau du rond-point de colonnes. Cette importance accordée aux élus trouve son explication dans le calendrier liturgique de l’église elle-même. L’autel a, en effet, été consacré en 1049, le 1er novembre, le jour de la fête de la Toussaint, en présence du comte duc Guillaume Aigret et de sa mère102. Or, lors de l’office de cette fête, des versets du chapitre VII de l’Apocalypse étaient lus, passages justement illustrés par les images du bandeau du rond-point de colonnes. Comme l’écrit Pierre Jounel : « Il nous suffit d’avoir perçu dans la solennité de Tous les Saints, l’expression la plus achevée du culte des martyrs, que les translations de reliques avaient mis en honneur aux VIIIe et IXe siècles. Alors que le culte des reliques pourrait susciter des formes aberrantes de la religion et entretenir la  SULPICE SEVERE, Epist. 2.8-2.9, cité par Piotr SKUBISZEWSKI, « Une Vita sancti Martini illustrée à Tours (Bibliothèque municipale, ms. 1018) », dans Le culte des saints aux IXe-XIIe siècles, Actes du colloque tenu à Poitiers les 15-16-17 septembre 1993, Poitiers, 1994, p. 122. 101   Voir à ce propos, le chapitre de Piotr SKUBISZEWSKI sur le décor du manuscrit de sainte Radegonde, op. cit., p. 141-142 et p. 148. 102  Le martyrologe hieronymien (A.A.S.S. nov, II, 2, p. 582) fixe au premier novembre la dédicace de Saint-Hilaire sans en donner l’année : « Pictavis dedicatio basilicae sancti Hilari episcopi et confessoris », voir May VIEILLARD-TROIEKOUROFF, op. cit., p. 223. Voir également, « Documents pour l’histoire de l’église de Saint-Hilaire de Poitiers », Mémoires de la Société des Antiquaires de l’Ouest, année 1847, Paris, 1848, p. 86 ; Textes et documents relatifs à l’histoire des arts en Poitou, recueillis et publiés par René Crozet, Poitiers, 1942, p. 23. 100



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superstition, les papes ont constamment souligné à Rome les exigences spirituelles de ce culte et de son orientation essentiellement christologique. Le Christ n’est-il pas le martyrum praesul, selon la magnifique expression d’une inscription de Saint-Laurent in Lucina contemporaine d’Adrien Ier ? L’Église célèbre les anniversaires des martyrs en offrant le sacrifice eucharistique, de quo martyrium sumpsit omne principium. L’office qu’elle chante près de leurs reliques glorifie le Père pour les merveilles qu’il a accomplies en eux par le Fils dans l’Esprit »103. Ainsi, la collégiale a été pensée comme un tout : l’architecture, la liturgie et le decorum sont le fruit d’une réflexion extrêmement poussée. C’est pourquoi il convient d’examiner avec intérêt la sculpture historiée. Saint-Hilaire ne compte plus que deux chapiteaux narratifs situés à l’entrée du transept. Du côté nord, l’un d’eux constitue la seule image qu’il reste d’Hilaire dans l’édifice qui lui est voué (fig. 113). La face principale de la corbeille est sculptée de sa mort : l’évêque, étendu sur un lit, est veillé par ses frères tandis que deux anges emportent son âme au ciel104. Deux espaces, deux « lieux » sont clairement dissociés par la composition de l’image : la scène de la veillée funèbre est séparée par un vide horizontal de la zone céleste où l’esprit d’Hilaire gagne les cieux105. Les clercs qui gardent avec attention et affliction la dépouille du saint ne regardent pas l’élévation de son âme en raison du cloisonnement entre le lieu-terre et le lieu-ciel. Le concepteur de l’image nous révèle le sacré, la part invisible de la liturgie. À la différence des cycles des vitae enluminées qui, parfois, retracent la légende du saint presque intégralement, ce type d’images est assez rare dans l’art monumental. Sur le chapiteau, les anges, qui apparaissent près du lit mortuaire pour emporter l’âme au ciel, escamotent l’idée de la résurrection à la fin des Temps. L’image réaffirme la croyance selon laquelle les saints étaient récompensés immédiatement après leur mort et gagnaient aussitôt la Jérusalem céleste. Leurs âmes échappaient à l’attente, à cette mise entre parenthèses indéfinissable, entre la mort physique et le Jugement dernier. Dans cette scène inspirée par l’épisode de l’âme du pauvre Lazare emmenée par   Pierre JOUNEL, Le culte des saints dans les basiliques du Latran et du Vatican au douzième siècle, Paris, 1977, p. 105-106. 104  La conception est la même pour le cénotaphe en partie conservé de Saint-Hilaire de la Celle. 105   Ce chapiteau a été étudié par Marie-Thérèse Camus dont nous rejoignons les interprétations. Voir Marie-Thérèse CAMUS, Sculpture romane du Poitou, Les grands chantiers du XIe siècle, Paris, 1992, p. 134. 103



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Fig. 113 - La mort de saint Hilaire, chapiteau, collégiale Saint-Hilaire, Poitiers

les anges dans le sein d’Abraham, l’esprit d’Hilaire a pris la forme d’un petit personnage nu, héritage issu de la tradition antique de la psyché païenne, jeune vierge nue. Cette nudité s’explique surtout par l’idée de pureté originelle retrouvée lors de la mort en état de grâce, mais aussi parce que comme le signale Matthieu dans son Évangile : « Dans la vie ressuscitée, on ne prend ni femme, ni mari, mais on est comme les anges de Dieu dans le ciel » (Mt., XXII, 30). Ainsi, la seule image-objet qui évoque le saint évêque dans l’église, si tant est qu’il y en ait eu d’autres, est celle de sa mort en état de grâce, située du côté nord où se trouvait le cimetière106. Son sujet s’inscrit pleinement dans le thème générique du réseau d’images : il témoigne concrètement de l’appartenance d’Hilaire, premier évêque de Poitiers, à la communauté des justes qui participe à la première résurrection. Une connexion s’établit également avec le tombeau du saint situé dans le sanctuaire qui matérialise la jonction entre le terrestre et le céleste et associe visuellement l’autel et le sarcophage à l’autel des justes peint sur le bandeau. La mort naturelle du saint, fort rare dans l’art monumental, complète admirablement le propos d’ensem106   Marie-Thérèse Camus émet l’hypothèse qu’un cycle était peint autour du tombeau. Les scènes sculptées du cénotaphe reproduisaient, peut-être, les scènes peintes de Saint-Hilaire.



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ble. Toutefois, que ce thème générique ait été retenu n’a pas de quoi surprendre dans une église funéraire vouée au pèlerinage. Le deuxième chapiteau historié est situé du côté sud de l’entrée du transept107. Il représente la Fuite en Égypte juxtaposée avec une scène du Bain de l’Enfant. L’image du Bain qui préfigure le baptême se trouve dans le même axe que la peinture de l’Enfant sauvé du dragon108. Selon Marie-Thérèse Camus, ces images sculptées illustrent : « l’aboutissement du pèlerinage et de la ‘‘renaissance’’ du chrétien » puisque Hilaire écrivait dans le prologue du De Trinitate : « Le Christ... a voulu... que nous fussions unis à sa mort, en étant ensevelis dans le baptême, pour revenir à la vie de l’éternité à laquelle on renaît en mourant à la vie... » 109. L’ensemble décoratif est malheureusement lacunaire, en raison de la destruction partielle de la nef. Seules subsistent dans la travée la plus proche du chevet, sur les pilastres, sept figures en pied des évêques de Poitiers (pl. 84). Joseph Salvini note « qu’il est normal que les chanoines de Saint-Hilaire aient eu l’idée d’évoquer autour du tombeau de leur saint patron, pour accroître le prestige de leur sanctuaire, les fastes épiscopaux de l’ancienne Église de Poitiers par ces figures auréolées du nimbe que l’on attribuait, dans les premiers siècles chrétiens, avec un culte public, à tous les pasteurs des diocèses après leur mort »110. La communauté canoniale avait fait représenter les vingt plus anciens évêques du diocèse sur les dix piles de l’église du XIe siècle. Leur identification est rendue possible par des inscriptions comme par exemple QVINTIAN 9 EPS, soit Quintianus évêque que l’on retrouve au onzième rang dans la liste épiscopale. Si leur représentation rend hommage au premier évêque fondateur du diocèse, ils apparaissent littéralement comme les piliers de l’Église poitevine et les gardiens du tombeau d’Hilaire111. De surcroît,  Sur ce chapiteau, voir la description et les développements de Marie-Thérèse CAMUS, Sculpture romane du Poitou, op. cit., p. 134-137. 108  L’emplacement des images du cycle de l’Apocalypse est dicté par le symbolisme des points cardinaux. 109   « … cujus morti consepeliremur in baptismo, ut in aeternitatis vitam rediremus, dum regeneratio ad vitam mors esset ex vita renasceremur … », HILAIRE DE POITIERS, De Trinitate, Prologus 12, traduction de Jean DOIGNON dans Hilaire de Poitiers avant l’exil. Recherches sur la naissance, l’enseignement et l’épreuve d’une foi épiscopale en Gaule au milieu du IVe siècle, Paris, 1971, p. 99. Cité par Marie-Thérèse CAMUS, Sculpture romane du Poitou, op. cit., p. 136. 110   Joseph SALVINI, « Les évêques de Poitiers sur les fresques de Saint-Hilaire », Bulletin de la Société des Antiquaires de l’Ouest et des Musées de Poitiers, 4e trimestre, 1961, p. 249. 111   Marie-Thérèse CAMUS, « Saint-Hilaire-le-Grand de Poitiers », op. cit. On retrouve une symbolique similaire dans le cloître de Moissac terminé en 1100 avec la représentation de l’abbé Durand, abbé de Saint-Pierre et évêque de Toulouse. 107



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ils affirment par leur présence la mission pastorale de l’Église, mission confiée par le Christ lui-même. Un lien s’établit entre les figures des évêques et le réseau d’images du chevet dominé par la Maiestas Domini112. L’extension de l’Église dans le monde est rappelée une nouvelle fois par le biais de ces « portraits » qui symbolisent aussi l’image de l’Église pérégrinante. Une nouvelle jonction apparaît donc entre l’image de l’Église céleste et celle de l’Église terrestre. En outre, cette galerie de « portraits » qui encadrait le vaisseau principal de la nef permettait une progression grandiose vers le chœur liturgique. Saint-Aignan-sur-Cher, une image de la Rédemption Un autre exemple permet d’étayer notre argument sur la nécessité d’étudier les images hagiographiques au sein du réseau d’images auquel elles appartiennent (fig. 114). Celles de la crypte de la collégiale Saint-Aignan permettent de soulever la question de la relation entre l’ensemble du décor peint et la composition du cycle de saint Gilles, cycle qui se situe dans la chapelle méridionale de la crypte113. Trois miracles réalisés par le saint sont figurés sur les parois latérales de l’abside (pl. 85). À gauche, Gilles nimbé tend une tunique à un homme barbu, au torse nu, estropié, qui s’appuie sur une canne114. Imberbe et élégant comme un juvenis, il incarne la jeunesse et la santé et contraste avec le pauvre. Ce dernier, voûté, revêtu d’un simple morceau d’étoffe, se saisit du vêtement du saint. Toute son attitude reflète son extrême dénuement et sa condition misérable. La vita rapporte que Gilles, en se rendant à l’église, croisa un homme malade qui faisait l’aumône. Il fit don de son manteau au malheureux qui s’en revêtit et fut instantanément guéri. La seconde scène montre le saint bénissant un homme aux pieds duquel est peint un serpent qui file entre ses jambes et se retourne contre lui. Le concepteur des images a traduit la relation entre le thaumaturge qui « opère » la guérison en appelant à la protection de Dieu – il serre contre lui la Bible – et le blessé – d’une taille inférieure  Selon Yves Christe, on retrouve cette association galerie de portraits – images de l’Apocalypse – qui anticipe sur celle de Saint-Hilaire, dans l’église Saint-Jean l’Évangéliste de Ravenne au Ve siècle, L’Apocalypse de Jean, op. cit., p. 89. 113  A.A.S.S., Septembre, I, p. 299-301 ; Marcel GIRAULT, La vie de saint Gilles, 2e éd., Nîmes, 1998. Saint Gilles, abbé et confesseur, est fêté le 1er septembre. Marcia KUPFER a consacré un livre aux peintures de la crypte de Saint-Aignan : The Art of Healing, Painting for a Sick and the Sinner in a Medieval Town, Pennsylvania, 2003. 114  Il est identifié par l’inscription EGIDIUS. 112



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A. Le Christ en Majesté entouré de saint Pierre et saint Jacques B. Scènes de la vie de saint Gilles

C. Scènes des Évangiles. La résurrection de Lazare et scènes de la vie de Marie-Madeleine

Fig. 114 - Plan de la crypte de la collégiale Saint-Aignan, Saint-Aignan-sur-Cher



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à celle du saint – déjà sauvé qui remercie. Selon la légende, Gilles croisa un homme mordu par un serpent. Il se mit en prière et annihila l’effet du venin. Dans l’image, le saint fait un geste de bénédiction qui anticipe le déroulement du récit de la vita : l’homme est sauvé par la puissance du geste alors que dans la légende, c’est en se couvrant du manteau de Gilles que le malade recouvra la santé. L’écart entre la vita et l’image s’explique par la volonté d’ancrer les miracles du saint dans une tradition sacrée, celle des miracles christologiques. Le saint médiéval, pour reprendre l’expression de PierreAndré Sigal, est avant tout « un imitateur du Christ et des apôtres » et peut-être plus encore au XIe et au XIIe siècle, en raison du renouveau de l’esprit évangélique qui caractérise cette période115. Or, comme la littérature hagiographique s’inspire sans ambages des miracles des Évangiles, les images qui en découlent empruntent directement leurs compositions aux scènes bibliques, non sans considérer la symbolique très forte qui leur est liée. C’est pourquoi les représentations de prodiges thaumaturgiques des saints s’appuient en majorité sur des formules issues de l’iconographie christologique et élaborées aux IVe-Ve siècles116. Toutefois, il convient de ne pas éluder la dimension théologique du christomimétisme : le miracle est regardé comme une manifestation du pouvoir du Christ. Les concepteurs des images vont donc essayer de traduire de la manière la plus lisible l’origine divine des prodiges hagiographiques. Ainsi, ce procédé d’imitation dans les images de guérison surnaturelle et dans celle de Saint-Aignan en particu  Pierre-André SIGAL, L’homme et le miracle dans la France médiévale, XIe-XIIe siècles. Pratiques et expériences religieuses, Paris, 1985, p. 32 et p. 77. Voir son chapitre sur « le saint médiéval, imitateur du Christ et des apôtres » et notamment les pages 33-34 sur la transmission des gestes du Christ aux apôtres. 116  Les représentations des miracles du Christ ont été élaborées aux IVe-Ve siècles et selon Piotr Skubiszewski, leur composition est pour l’essentiel demeurée inchangée jusqu’à la fin de l’époque romane. Voir Piotr SKUBISZEWSKI, « L’iconographie des miniatures », dans La vie de sainte Radegonde par Fortunat, Poitiers, op. cit., p. 176. Les images de la guérison d’un lépreux par le Christ (Mc., I, 40-45 ; Lc., V, 12-16 ; Mt., VIII, 1-5) montrent clairement que l’iconographie hagiographique s’inspire et dérive de l’iconographie christologique. Certains exemples sont particulièrement éloquents comme la représentation de la guérison d’un lépreux par le Christ sur le relief en ivoire du IXe siècle (Diptyque de la collection Andrews, copie conservée au Victoria and Albert Museum à Londres. Voir Gertrud Schiller, Ikonographie der christlichen Kunst, t. I, Gütersloh, 1966, fig. 531) ou bien la miniature ottonienne de la fin du Xe siècle de l’évangéliaire d’Otton III (Munich, Staatsbibliothek, évangéliaire d’Otton III, Clm. 4453, f° 97v°. Voir Gertrud Schiller, op. cit., fig. 534) dans laquelle le lépreux a l’attitude caractéristique du suppliant que l’on retrouve dans les scènes hagiographiques. Certaines scènes de guérisons d’aveugle réalisées sans l’imposition des mains ont une composition identique comme la peinture de la guérison de l’aveugle dans l’art monumental au IXe siècle à Müstair. 115



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lier se comprend par la nécessité d’associer la vie du saint à celle du Christ. Cependant, il délivre un message plus doctrinal : celui de l’intervention permanente du Christ sur terre par l’intervention des saints et des miracles qu’ils réalisent en son nom. Au final, le geste de Gilles, calqué sur l’iconographie évangélique, définit à lui seul la nature divine du prodige, mieux, sans doute, que l’illustration de la guérison au contact de la tunique sanctifiée (le premier miracle figuré évoque déjà ce type de procédé thaumaturgique). La troisième image du cycle illustre l’intervention du saint pour apaiser une tempête qui menaçait la vie de marins. Volontairement retranché du monde, Gilles qui se promenait sur la côte vit un navire pris dans une tempête. Il se mit aussitôt à prier et apaisa les flots. Pour mieux souligner l’attitude de supplication, le saint est montré agenouillé en prière sur des rochers face à un bateau dont la proue est sculptée d’une tête de dragon117. L’épisode figuré est parfaitement narratif : la voile s’agite sous l’effet de la houle tandis que les marins ou passagers se tiennent sur le pont et regardent en direction du saint dans l’attente du miracle annoncé. À droite de cette image, une dernière séquence narrative, très dégradée, est encore visible (pl. 86). Un relevé, réalisé en 1937 et conservé au Musée des Monuments français, permet de l’identifier (pl. 87). L’action se déroule dans un édifice cultuel dont on distingue encore la voûte, l’autel et un pan de rideau écarté. Saint Gilles est agenouillé à côté d’un autel devant un évêque coiffé de sa mitre. Conformément à la vita, il s’agit de saint Césaire, évêque d’Arles, qui l’ordonna prêtre. L’aspect ecclésial de l’entrée en religion du saint est marqué non seulement par l’emploi du cadre architectural et du mobilier liturgique, mais également par le pan de rideau au-dessus de Gilles qui renforce la dimension sacrée de la scène. Le motif de l’étoffe a été aussi utilisé dans la scène d’ordination de la vita peinte de sainte Radegonde118 (pl. 88). Selon Piotr Skubiszewski qui l’a étudié, « il remplit la fonction habituelle du motif qui distingue le personnage principal de la représentation. Le saint ‘‘se révèle’’ une nouvelle fois au moment de sa consécration »119. De manière saisissante, la compo  Cette image s’inspire de représentations du Nouveau Testament notamment de la tempête apaisée (Mt., VIII, 23-27 ; Mc., IV, 35-41 et Lc., VIII, 22-25). L’Évangéliaire d’Egbert, vers 980, offre une illustration de ce passage. Un des apôtres prie tandis que le Christ fait un geste de bénédiction (Trèves, Stadtbibliothek, Codex Egberti, ms. 24, f° 24v). 118   Poitiers, Bibl. Mun., ms. 250, f° 27v°. 119   Piotr SKUBISZEWSKI, « L’iconographie des miniatures », dans La vie de sainte Radegonde par Fortunat, Poitiers, op. cit., p. 170. 117



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sition de la scène d’ordination de Gilles est proche de celle de sainte Radegonde. Pour des raisons de surface disponible, le concepteur de l’image monumentale n’a pas positionné l’autel du côté droit de la scène comme dans la miniature. La similitude entre les deux images est d’autant plus troublante qu’il ne semble pas y avoir d’archétype figuratif constant pour le thème de l’ordination : « Les images pouvaient illustrer les différentes étapes de la cérémonie mais elles suivaient parfois les particularités des récits hagiographiques et leurs interprétations. Même l’attitude de l’agenouillement ne distingue pas le candidat à la vie religieuse »120. Pourtant, au sein d’une série d’images disparates, il existe au moins un type d’ordination qui reprend le même schéma et qui a été produit dans les milieux canoniaux entre le XIe et le XIIe siècle. Le cycle qui commence au registre supérieur par l’illustration de trois prodiges se conclut par l’épisode de sa consécration. Sur ce registre, la dernière scène est la seule qui n’évoque pas la puissance thaumaturgique ou protectrice du saint. Ainsi, l’élection de Gilles marquée par des miracles voit son aboutissement dans l’ordination et la prêtrise. La juxtaposition de ces scènes est très explicite et offre une définition en images de la fonction cléricale. Dans la liturgie terrestre, ce sont les prêtres qui dispensent les sacrements aux malades et ainsi soulagent les corps en apaisant les âmes. Grâce à l’inscription de l’ordination dans le recueil de miracles peints, Gilles devient la figure emblématique du prêtre qui dispose du pouvoir sacramentel. Il incarne alors le saint prêtre thaumaturge. Trois autres épisodes de la vie de Gilles complétaient ce cycle : bien que très dégradés, deux d’entre eux sont identifiables. Ils occupent le registre inférieur des murs de la chapelle. Les relevés conservés au Musée des Monuments français témoignent de l’existence de deux cavaliers encore visibles en 1937 (pl. 89). Les hommes à cheval, vraisemblablement le roi Flavius et l’évêque de Nîmes, sont en train de poursuivre, au cours d’une partie de chasse, la biche nourricière de Gilles devenu ermite dans la forêt (pl. 90). Ce dernier s’était, en effet, retiré dans le désert, s’alimentant d’herbes et du lait du cervidé envoyé par Dieu. Traqué par des chasseurs, l’animal se réfugie auprès de l’anachorète qui vivait caché dans un buisson. Un archer vise le taillis pour en faire sortir la biche et blesse le saint qui s’y dissimulait. De la seconde scène, nous ne pouvons plus distinguer que le sommet des   Ibid., p. 166-168.

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arbres, peut-être les fourrés qui abritaient l’ermite (pl. 91). Cette image évoquait sans doute la conséquence de la chasse figurée par la première séquence, à savoir la blessure de Gilles. La suite de la légende est intéressante pour l’ensemble du cycle : malgré la souffrance occasionnée par sa blessure, le saint continua à prier. Après le départ du roi et de sa suite, il demanda à Dieu de ne pas le guérir tant qu’il vivrait dans ce monde. Or, cet épisode prend une résonance particulière dans un récit imagé dont les premières séquences mettent en scène la guérison corporelle. Gilles, saint thaumaturge, fait de la souffrance physique un acte de martyre et, par sa demande, signifie qu’il renonce complètement à son corps. Toute l’ambiguïté de la sainteté est résumée dans l’association en images de la chasse et des miracles de guérison : alors que le saint a le pouvoir de soulager les corps, il nie le sien en l’éprouvant. Au registre inférieur, entre la baie centrale et la troisième ouverture, était peinte la messe miraculeuse de saint Gilles en présence de Charlemagne (pl. 92-93). Occupant le centre de la composition, le saint prêtre célèbre l’Office tandis que le roi barbu et couronné, accompagné d’un homme de sa suite, s’incline devant lui. D’après la légende, en confidence avec le saint, Charlemagne avait fait l’aveu d’un terrible péché, sans toutefois en révéler la teneur. À ce titre, il avait pressé Gilles de prier pour lui. Pendant la messe, alors que le saint prêtre priait pour le roi, un ange déposa un message sur l’autel dans lequel était révélée la nature du péché royal121. Il y était ajouté que le pécheur serait lavé de sa faute grâce à sa repentance et à la prière de saint Gilles : « Au bas du message, on pouvait lire encore que quiconque implorerait saint Gilles pour un péché quelconque serait sans aucun doute pardonné par Dieu s’il ne recommençait pas ». La scène suggèrerait donc que la reconnaissance de la faute, sa confession en d’autres termes, restitue au pécheur sa pureté initiale (à condition de ne pas la commettre une seconde fois). Après avoir évoqué le rôle du saint dans la guérison des corps, le concepteur des images a choisi de montrer son action pour apaiser les âmes. Par le choix des scènes représentées, la conception du cycle est révélatrice d’un message d’ensemble. Dans une légende hagiographique, un grand nombre de scènes sont transcriptibles en images. Cependant, les choix, les omissions, les juxtapositions des scènes peintes sont riches de sens. Plus de trois siècles après la rédaction de la Vita Egidii, ce nouvel hagiographe a choisi d’adapter la légende à son  Il s’agit de l’inceste entre Charlemagne et sa sœur Gisèle.

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époque. Comme nous l’avons déjà souligné, la seule scène du cycle qui n’ait pas de rapport direct avec les soins du corps et des âmes est l’ordination de saint Gilles. Or, au IXe siècle, lorsque l’hagiographe rédige la vita du saint, il existe un débat autour de la confession au prêtre. Ce débat faisait déjà rage sous Charlemagne, puisqu’Alcuin est scandalisé par l’attitude des fidèles du Midi qui refusent catégoriquement de se confesser aux prêtres : « Qu’est-ce que le pouvoir sacerdotal pourra délier, s’il ne connaît pas les liens qui enchaînent le pécheur ? Les médecins ne pourront plus rien faire le jour où les malades refuseront de montrer leurs blessures »122. En 813, les positions d’Alcuin sont réaffirmées dans un canon du IIe concile de Chalon : « Il y en a qui disent que l’on doit confesser ses péchés seulement à Dieu, d’autres sont d’avis qu’on doit les confesser aux prêtres. Ces deux confessions se font avec fruit dans l’Église. Nous devons nous confesser d’une part à Dieu, qui remet les péchés selon la parole de David : ‘‘ Delictum meum cognitum tibi feci…’’. Mais nous devons aussi, conformément au précepte de l’apôtre, confesser nos péchés les uns aux autres afin d’être sauvés. Chacune de ces deux confessions a son utilité propre. L’une purifie, l’autre indique comment on obtient cette purification : confessio itaque quae Deo fit purgat peccata ea vero quae sacerdoti fit, docet qualiter ipsa purgentur peccata. »123. Dans ce contexte houleux, le rédacteur de la Vita Egidii a marqué son opposition à la confession aux clercs en ajoutant un post-scriptum à la lettre déposée par l’ange qui affirme qu’aucun intermédiaire, hormis Gilles, n’est nécessaire pour obtenir le pardon de Dieu si l’on avoue ses péchés. Au début du XIIe siècle, la question n’est toujours pas réglée car l’obligation de la confession est encore contestée par certains fidèles auxquels Hugues de Saint-Victor tente d’ailleurs de répondre124. À la fin du XIIe siècle, tous les théologiens se prononcent résolument en sa faveur. La position de l’hagiographe de saint Gilles n’était plus considérée comme défendable, notamment au sein des communautés religieuses, apôtres de l’acte de contrition. Les commanditaires du décor peint de Saint-Aignan, les chanoines, souhaitaient vraisemblablement réactualiser la vita par le biais des images. Ainsi, la scène de l’ordination rappelle que le saint est prêtre et que la confession s’inscrit dans sa fonction sacerdotale. Grâce et par sa mission, le prêtre,  ALCUIN, Epist., CXII, P.L., 100, col. 337.   Can. 33, Mansi, Concil., t. XIV, col. 100. Voir Théodulphe d’Orléans, Capitul., 30, P.L., 105, col. 201. Cité par le Dictionnaire de Théologie catholique, t. 3, Paris, 1908, col. 880. 124   HUGUES DE SAINT-VICTOR, De Sacramentis, l. II, part. XIV, 1, P.L., 176, col. 549. 122 123



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incarné par Gilles, est appelé à soulager les âmes des tortures du péché. La confession et la repentance sont au cœur de la problématique de cette image et du cycle en général qui associe les maux de l’âme et du corps. Or, ce thème est complété, enrichi, semble-t-il, par les peintures de la chapelle centrale de la crypte. Sur le cul-de-four, le Christ en majesté trône à l’intérieur d’une mandorle, entouré des saints Pierre et Jacques (pl. 94). Il bénit de sa main droite et tend un phylactère à Jacques qui se tient à sa gauche125. Le concepteur de l’image s’est volontairement inspiré de la formule paraphrasée et détournée de la Traditio legis antique en ne retenant que le geste de transmission126 : le Christ a légué, aux apôtres puis aux saints, le pouvoir de réaliser des miracles en son nom. Cependant, le propos de l’image est beaucoup moins général que ce premier niveau d’interprétation car le Sauveur ne s’adresse pas au prince des apôtres mais à Jacques. Pierre bénit deux hommes malades et invalides (pl. 95). Le premier qui s’appuie sur une canne s’approche du saint avec un objet circulaire, une pièce de monnaie peut-être, le second, amputé des deux jambes, se déplace à l’aide de fers. Un infirme en prière implore également Jacques. Ils supplient les deux saints de recouvrer la santé. L’image montre la chaîne de l’intercession : le Christ distribue des  Un reste d’inscription a permis l’identification [I]ACO[BUS]. Beaucoup de chercheurs ont écrit qu’il devait s’agir de Jacques le Mineur. Or selon Denise Péricard-Méa, au Moyen Âge, la distinction entre Jacques le Majeur et Jacques le Mineur est loin d’être limpide, du moins jusqu’au XIIIe siècle. Selon notre perception actuelle, le premier serait fils de Zébédée et frère de saint Jean l’Évangéliste et le second, apôtre également, fils d’Alphée, frère ou cousin du Seigneur, premier évêque de Jérusalem. Denise Péricard-Méa écrit : « La réalité médiévale est à la fois plus complexe et plus simple. Plus complexe parce que les théologiens les plus réputés de l’époque médiévale ont eu du mal à s’accorder sur les divers saints Jacques cités çà et là jusqu’à ce que les dominicains, au XIIIe siècle, attribuent au Majeur toute la légende forgée à Compostelle et au Mineur tout le reste ». Voir Denise PÉRICARD-MEA, Compostelle et cultes de saint Jacques au Moyen Âge, op. cit., p. 11. Sur ce sujet, voir également le chapitre II de son ouvrage : « Un et multiple, saint Jacques vu par les fidèles », p. 47-56. Elle y ajoute une précision supplémentaire p. 49 : « Compostelle, dans son désir de posséder le corps de saint Jacques le veut indiscutablement identifié. (...) Et il semble bien que les deux termes de Majeur et Mineur figurent pour la première fois dans une interpolation faite dans L’Historia compostellana, lors d’un remaniement postérieur à 1120 ». 126   D’après le modèle romain classique connu par des sarcophages du IVe siècle ou dans l’absidiole de Sainte-Constance, le Christ, debout, tend un rouleau déroulé à Pierre tandis que de l’autre main, il fait le geste du Sol invictus. Voir Yves CHRISTE, « À propos des peintures de Berzé-la-Ville », Cahiers archéologiques, 44, 1996, p. 77-84. Selon l’auteur, un autre motif moins triomphal insistait sur l’idée de la donation, de la transmission dans lequel le Christ était assis et transmettait son rouleau de la main droite à un apôtre en proskynèse, op. cit., p. 79. 125



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grâces à des paralytiques, des estropiés par l’intermédiaire de ses saints. Il est ainsi rappelé que tous les miracles procèdent du Christ et que Lui seul a le pouvoir intrinsèque d’en réaliser127. Les saints qui accomplissent des miracles ne sont que les instruments de la puissance de Dieu. Les inscriptions sur le phylactère confèrent une dimension supplémentaire à l’image : [CONFITEMINI AL]TERUTRU[M] PEC[C]A[TA] soit : « Confessez vos péchés réciproquement ». C’est une citation de l’Épître de Jacques (Jc., V, 14) : « L’un de vous est-il malade ? Qu’il fasse appeler les anciens de l’église et qu’ils prient après avoir fait sur lui une onction d’huile au nom du Seigneur. La prière de la Foi sauvera le patient : le seigneur relèvera et, s’il a des péchés à son actif, il sera pardonné. Confessez-vous donc vos péchés les uns aux autres et priez les uns pour les autres afin d’être guéris »128. Elle renvoie donc à la rémission des péchés liée à la confession. Cette citation fait écho aux paroles du Christ dans l’Évangile de Matthieu : « Quel est donc le plus facile, de dire : Tes péchés sont remis, ou de dire : Lève-toi et marche ? » (Mt., IX, 5) ou dans l’Évangile de Marc : « Jésus, voyant leur foi, dit au paralytique : “Mon enfant, tes péchés te sont remis’’... ‘‘Quel est le plus facile, de dire au paralytique : Lève-toi, prends ton grabat et marche ? Eh, bien ! pour que vous sachiez que le Fils de l’homme a le pouvoir de remettre les péchés de la terre, je te l’ordonne, dit-il au paralytique, lève-toi, prends ton grabat et va-t-en chez toi.” » (Mc., II, 5-11). Saint Jacques, plus encore que les autres thaumaturges, était invoqué pour soulager les maux et les souffrances. Au moins deux raisons expliquent qu’il ait été le plus sollicité : il a entretenu des rapports privilégiés avec le Christ en tant qu’apôtre et martyr, mais surtout il était relaté dans ses Actes les guérisons qu’il avait accomplies au nom du Sauveur pendant dix ans129. Il apparaissait donc comme le saint guérisseur par excellence. On prêtait également à Jacques un pouvoir de résurrection transmis par le Christ130. D’autre part, en raison de la phrase la plus   Ces images témoignent de la puissance du Christ et de la Résurrection.  Selon Denise Péricard-Méa, « Le primordial, car unique dans le Nouveau Testament, concerne un sacrement essentiel, celui de l’onction des malades et des mourants. Cette onction dernière ne devient l’extrême-onction qu’au XIIe siècle (...) mais dès le Haut Moyen Âge, les prêtres accomplissent ce rituel en se référant explicitement à l’épître de Jacques », op. cit., p. 12, voir également le chapitre IV, « L’Épître et les Actes de Jacques : les pouvoirs de saint Jacques sur la vie », p. 77-96. 129   Actes de saint Jacques, éd. et trad. É. Ebersolt, Paris, 1902. Les Actes de saint Jacques écrits vers 750-800, furent retirés de la Bible au XVIe siècle. 130  Le Christ n’admet que Jacques auprès de lui lors de la résurrection de la fille de Jaïre (Mc., V, 37 ; Lc., VIII, 51) et c’est à lui qu’il se montre en premier lors de la Résurrection 127 128



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célèbre de l’Épître, Jacques devient progressivement l’accompagnateur des âmes qui rejoignent le Paradis et un intercesseur privilégié lors du Jugement dernier131. C’est pourquoi il s’imposait naturellement dans l’image de la transmission des pouvoirs du Christ à un saint. La citation extraite de son Épître est le plus important des points d’articulation du réseau d’images : « Confessez-vous donc vos péchés les uns aux autres et priez les uns pour les autres afin d’être guéris ». Les mots du Christ sur le phylactère appellent sans ambiguïté à la prière collective et à la confession dans l’espoir d’une guérison. L’attitude des infirmes aux pieds des saints montre que la prière dans la recherche du miracle est rarement un acte individuel. À la supplique du demandeur se joint celle de l’assemblée, car la chance d’obtenir un résultat est proportionnelle au nombre de prières132. D’autre part, l’un des invalides tend vraisemblablement une pièce de monnaie à Pierre : outre la confession et la prière, le don est également encouragé. Le saint, en remerciement du présent qui lui était offert, était, en effet, plus à même d’exaucer un vœu. Mais l’essentiel reste néanmoins la confession pour obtenir la guérison, car elle seule permet de se libérer du péché, cause première des maux. On considérait, en effet, que les maladies individuelles étaient dues aux fautes commises par la personne souffrante. La culpabilité devant la maladie faisait partie intégrante du discours des clercs, alors que ce lien de cause à effet (péché-maladie) ne venait pas forcément à l’esprit des fidèles. Toutefois, « la conscience du péché comme cause de la maladie paraît ressentie par certains pèlerins mais dans d’autres cas, il fallait l’intervention d’hommes d’Église pour faire apparaître au niveau conscient le sentiment de la faute »133. L’inscription sur le phylactère réaffirme qu’en soulageant son âme, on guérit son corps. Ainsi, le miracle rend directement visible la rémission des péchés accordée aux fidèles par le Sauveur. Il s’inscrit dans une perspective eschatologique qui dépasse la simple guérison d’un malade, il est le signe immédiat et visible de la promesse du Salut. Si le thème du réseau d’images est centré sur la confession et la pénitence, il appartient aussi au thème générique plus large de la communion des saints, ce lien spirituel d’amour et de charité qui relie chaque homme au Sauveur.

(I. Cor., XV, 7). 131   Voir Denise PÉRICARD-MEA, op. cit., p. 57-76. 132   Pierre-André SIGAL, L’homme et le miracle, op. cit., p. 131. 133   Ibid., p. 132.



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Les scènes du cycle de Gilles viennent à la manière de commentaires marginaux renforcer la signification de l’image de la chapelle centrale. Elles rendent concret le dogme exprimé au centre de l’espace de la crypte. Aux images de guérisons corporelles ou de souffrances volontairement subies succède l’épisode de l’accession à la prêtrise qui permet au saint d’absoudre Charlemagne. Ainsi, l’étape nécessaire pour espérer guérir est illustrée par la messe miraculeuse de Gilles, autrement dit la confession au prêtre. Les peintures de la chapelle axiale ont quasiment disparu à l’exception d’une image illustrant la résurrection de Lazare (Jn., XI, 3844) dont il ne reste que quelques fragments134 (pl. 96). Au centre de la composition, le cadavre de Lazare recouvert de bandelettes gît dans un caveau. Le Christ bénit la dépouille mortelle au milieu de témoins répartis de part et d’autre du cercueil135. La scène illustre le moment où le miracle va se produire : « Cela dit, il cria d’une voix forte : ‘‘Lazare, viens ici. Dehors !’’. Le mort sortit, les pieds et les mains liés de bandelettes et le visage enveloppé d’un suaire » (Jn., XI, 43-44). La résurrection de l’ami de Jésus est perçue comme la dernière étape de la mission du Messie, avant le sacrifice de sa vie. Ce prodige qui couronne la prédication du Christ sonne comme le préambule de sa propre mort et le gage de sa résurrection136. À la lumière des commentaires exégétiques, l’unique image conservée de ce cycle semble parfaitement s’intégrer au réseau d’images déjà analysé. Selon les exégètes, Lazare incarne la figure du pécheur dont la résurrection témoigne de l’amour de Dieu pour les pécheurs. Saint Augustin n’écrit-il pas : « ... Elles n’ont pas dit : ‘‘Viens’’ car à celui qui aime, on a dû annoncer seulement : ‘‘Maître, voici celui que tu aimes, il est mort’’. Elles n’ont pas osé dire ‘‘Viens et guéris-le’’ ; elles n’ont pas osé dire : ‘‘Ordonne ici et cela sera’’ »137. Ainsi, le Christ arrache l’âme du pécheur, symbolisée par Lazare, aux puissances infernales.   Marcia Kupfer a identifié la scène de gauche très dégradée : il s’agirait du souper à Béthanie pendant lequel Marie-Madeleine lava les pieds du Christ. Voir Marcia KUPFER, « Symbolic Cartography in a Medieval Parish : From Spatialized Body to Painted Church at Saint-Aignan-sur-Cher », Speculum, July 2000, vol. 75, n°3, p. 652-654. 135  Les témoins sont deux disciples du Christ, des amis de Lazare, et les soeurs de Lazare. 136  Lors du baptême, l’âme des catéchumènes ressuscite comme Lazare, un des plus grands miracles du Christ. Voir à ce propos Martine GAUTHIER, La résurrection de Lazare dans l’art français, (dactyl.), D.E.S. sous la direction de René Jullian, Poitiers, 1960. 137  SAINT AUGUSTIN, Quaestiones Evangelium, Tractatus XLIX, Capitulum XI, in Joan. Ev.: « Non dixerunt : ‘‘veni’’ amanti enim tantummodo nuntiandum fuit ‘‘Domine, ecce quem amas infirmatur’’. Non ausae sunt dicere ‘‘Veni et sana’’ ; non ausae sunt dicere ‘‘Ibi jube, et hic fiet’’ », cité par Martine Gauthier, op. cit., p. 12. 134



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L’image de Lazare, figure du pécheur, a parfois été associée à un contexte pénitentiel. Le portail septentrional de la cathédrale SaintLazare d’Autun était le théâtre au XIIe siècle d’une mise en scène rituelle de la pénitence. La résurrection de Lazare était sculptée au tympan tandis que le linteau représentait Adam et Ève. Otto Karl Werckmeister a montré que la position, la gestuelle de la première femme était dictée par la liturgie pénitentielle138. Ève qui tient encore le fruit défendu et qui masque sa nudité par des végétaux rampe, écrasée par le péché. Le Jeudi saint, des pénitents gravissaient à genoux les escaliers du portail nord pour réintégrer la communauté ecclésiale. Pour symboliser le poids de leurs fautes, ils reproduisaient le mouvement de « reptation » d’Adam et Ève figuré sur le linteau. Puis, ils se relevaient en franchissant la porte, lavés de leurs péchés comme Lazare relevé de la mort sur le tympan. Ils entraient alors dans l’église, signe de leur réintégration à l’Église. Lazare, déjà associé au pécheur et à la pénitence, est également présenté comme l’image de la confession dans les traités contemporains sur la pénitence139. À travers le salut corporel et la résurrection de la chair obtenus par des miracles, le thème de la rémission des péchés domine le réseau d’images. Selon Paul, la chair de l’homme connaîtra un jour le sort de la chair du Christ. Après l’humiliation de la corruption, due au péché, elle retrouvera la vie grâce à la puissance de Dieu (II. Cor., XV, 36-44). La résurrection de Lazare et l’inscription du phylactère renvoient à cette notion majeure dans la religion chrétienne qui est traduite clairement par la phrase de l’Épître de Jacques : « Confessez donc vos péchés les uns aux autres, afin que vous soyez guéris » (Jc., V, 16). À travers le pardon des fautes commises, il s’agit bien d’appeler à la confession, thème charnière de toutes les images de la crypte. Ainsi, les commanditaires des peintures ont défini en images le concept même de la confession. Pour ce faire, ils ont repris les exemples utilisés par Alcuin et ses successeurs pour évoquer et défendre la confession : « Pourquoi le Christ, après avoir guéri le lépreux, lui a-til ordonné d’aller se montrer aux prêtres ? Pourquoi, après avoir ressuscité Lazare, a-t-il laissé à ses apôtres le soin de le délier ? Et le mot ‘‘alterutrum’’ de saint Jacques ne prouve-t-il pas que l’homme doit 138   Voir l’article de Otto Karl WERCKMEISTER, « The Lintel Fragment representing Eve from Autun », The Journal of the Warburg and Courtauld Institutes, 30, 1972, p. 1-30. 139   Éric PALAZZO, Liturgie et société au Moyen Âge, op. cit., p. 159.



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s’adresser à l’homme, le coupable au juge, le malade au médecin ? »140. Le décor de la crypte de Saint-Aignan est l’expression de la pensée figurative, chère à Pierre Francastel141. Toutes les images se nouent à partir du motif de la conque absidale de la chapelle centrale et s’articulent autour de la définition de la confession, mais d’une confession orchestrée par des prêtres. La légende peinte de saint Gilles a été conçue pour appuyer le discours canonial et rendre concret le discours dogmatique d’ensemble. Elle combine subtilement les scènes de miracles thaumaturgiques, la rémission des péchés et le rôle du prêtre, l’intermédiaire indispensable entre les pécheurs, les saints et Dieu, qui, en apaisant l’âme soulage le corps. Les images au Moyen Âge – l’exemple du décor peint des SallesLavauguyon le prouve – sont polysémiques. Elles renferment différents niveaux de lecture qui se superposent. L’interprétation unique n’existe pas, les différentes significations des images permettent d’établir des corrélations entre elles qui renvoient à d’autres liaisons, à d’autres nœuds et ainsi de suite. La difficulté vient de ces nombreux enchevêtrements de sens. Il est également à noter que les relations entre les différentes images peuvent prendre des formes multiples. Le chiffre trois, par exemple, semble avoir une importance particulière à Saint-Eutrope : trois oiseaux protègent le corps d’Étienne tandis que trois rapaces déchirent les condamnés (opposition entre protection et agression selon un axe vertical), trois laïcs présentent leurs offrandes en écho aux trois Mages qui offrent les leurs (complémentarité sur un axe vertical), les trois damnés qui subissent les tortures de l’Enfer répondent aux trois fidèles (opposition selon un axe horizontal)... Le trois établit à la fois des correspondances horizontales et verticales entre les scènes des différents registres142. Il est également difficile d’ignorer son symbolisme, d’autant que les commanditaires n’ont pas laissé beaucoup de place au hasard : nombre de la perfection, de la Trinité, symbole du pouvoir rédempteur du Christ et de l’unité des vertus chrétiennes : foi, espérance et charité143. Mais d’autres connexions existent au sein du réseau d’images :  ALCUIN, Epist., CXII, P.L., 100, col. 337.   Pierre FRANCASTEL, La figure et le lieu, l’ordre visuel du Quattrocento, Paris, 1967. 142  Avec toujours une mise en relations de différents éléments constituant un pôle négatif et un pôle positif. 143   Pendant le rite du baptême dans l’Antiquité chrétienne, on immergeait trois fois le catéchumène dans le bassin par référence aux trois jours que le Christ passa dans le sépul140 141



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la procession des donateurs et l’image infernale se nouent par la thématique alimentaire. Deux des trois personnages font cadeau de nourriture à celui qui trône tandis que les damnés sont voués à être jetés en pâture aux rapaces infernaux. L’oiseau qui pend à la ceinture de l’un des donateurs est destiné à être mangé alors qu’en enfer, l’inversion est totale, le damné est dévoré par un volatile carnassier. En raison de ces multiples interactions, il serait donc extrêmement réducteur d’étudier un cycle hagiographique sans envisager le réseau d’images dans lequel il s’inscrit. Les images de la vie des saints s’intègrent et se mêlent dans des thèmes parfois très vastes qu’elles enrichissent. C’est au sein du réseau d’images qu’elles trouvent la plus complète interprétation du thème qu’elles traitent. Aux Salles-Lavauguyon et d’une certaine manière à Saint-Aignan, le thème générique qui sous-tend le réseau d’images porte sur la communion des saints. Ce vaste champ sémantique englobe un certain nombre de thèmes propres à chacun des réseaux d’images étudiés : l’intercession, le sacrifice, la Caritas, le don et les rituels funéraires pour Saint-Eutrope ; la rémission des péchés, la guérison et la confession dans la crypte de Saint-Aignan. À Saint-Hilaire, articulé au tombeau de l’évêque fondateur, le réseau d’images devient l’expression du culte de Tous les Saints, thème polysémique qui se colore d’une dimension ecclésiale en figurant l’Église pérégrinante dont la victoire à la fin des Temps est annoncée. L’emplacement des images Comme le souligne Jérôme Baschet, l’église est avant tout un espace cultuel dans lequel les images « se fondent et participent à sa fonction qui est de célébrer le culte de Dieu et des saints ». Il convient donc d’essayer d’approcher le fonctionnement de ce qu’il nomme joliment le « lieu d’images », autrement dit d’essayer de comprendre l’inscription des images dans l’espace du « lieu sacré » et leur participation à la liturgie144. L’église n’est pas un espace neutre : ses articulations sont hiérarchisées par des différentiels de sacralité. Si l’espace liturgique est polarisé par les différents autels et les aménagements mobiliers, le cre. Voir à ce propos, Victor SAXER, Les rites de l’initiation chrétienne du IIIe au VIe siècle, Esquisse historique et signification d’après leurs principaux témoins, Spolète, 1988. 144   Jérôme BASCHET, Lieu sacré, lieu d’images, op. cit., p. 5.



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sanctuaire où le rite fondateur est mis en scène est l’endroit le plus sacré. C’est pourquoi le sens des images dans l’édifice va être déterminé par le degré de sacralité du lieu dans lequel elles s’inscrivent. La fonction de l’espace influence donc considérablement la signification des images qui s’y trouvent. À cet égard, une image en façade, dans le narthex, la nef ou le chevet ne possède ni la même puissance évocatrice, ni la même efficacité visuelle. Les lieux de passage et le chevet pour lesquels la charge symbolique est la plus élevée sont pourvus d’images porteuses de la dimension sacrée inhérente à leur localisation. Analyser l’emplacement des images dans l’église, c’est s’engager un peu plus dans les méandres du réseau d’images afin de préciser le fonctionnement du lieu saturé de sens qu’est l’église médiévale. Il s’agira de considérer non seulement la nature du lieu dans lequel l’image est figurée, mais également sa place dans le réseau d’images. Cependant, le décor d’un édifice ne fonctionne pas en circuit fermé : le questionnement est permanent, ouvert et les combinaisons sont infinies.

La structuration de l’espace sacré aux Salles-Lavauguyon Une opposition « sexuée » dans l’espace de l’église Dans l’église de Saint-Eutrope, le dualisme gauche-droite est réaffirmé sur les murs de la nef. Les saintes sont figurées sur le mur gauche tandis que les saints sont peints sur le droit. Dans la pensée primitive, le côté droit incarne le côté mâle, actif, la force qui crée et le côté gauche, le côté femelle, faible, passif, profane (les femmes étant exclues des cérémonies sacrées)145. Ainsi, cette opposition se traduit par un agencement spatial « sexué » avec une répartition des hommes et des femmes suivant ce dualisme droite-gauche dans l’église. Les liturgistes comme Sicard de Crémone rappellent ce qui est devenu la norme : « Quand les enfants seront venus à la porte de l’église, leurs noms seront inscrits par le clerc. Par la suite, ils seront appelés dans l’église par leurs noms, les hommes seront placés à droite, les femmes à gauche »146. Or, cette partition qui se confond   Ibid., p. 92.  SICARD de CRÉMONE, Mitrale, lib.VI, P.L., 213, col. 279 : « ... cum infantes venerint ad januam ecclesiae, nomina infantium ab acolytho scribundur. Postmodum per nomina vocantur in ecclesia, et statuuntur masculi ad dexteram, et feminae ad sinistram. ». 145 146



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avec la hiérarchisation des sexes la souligne : le côté sud est traditionnellement celui de l’Épître tandis que le côté nord est celui de l’évangile. Le côté nord accueillait les femmes car, selon Suger qui reprend une longue tradition exégétique, leur faiblesse naturelle nécessitait une grande proximité avec la parole divine147. La partie droite de la nef où se tient le sexe fort est donc socialement valorisée alors que la gauche occupée par le sexe faible témoigne du rôle bien déterminé qui lui est attribué148. Ainsi, les saintes sont peintes du côté de la nef où les femmes prenaient place durant l’office. Pour les chanoines-commanditaires, il s’agissait sans aucun doute de mettre sous les yeux de la gent féminine des modèles de conduite glorieuse avec lesquels elle puisse entretenir une certaine proximité. En raison de leur sexe, les saintes sont figurées du côté gauche, du côté d’Ève, de la tentation, alors qu’elles sont par définition des anti-Ève, des vierges qui ont refusé jusqu’à en mourir la tentation charnelle. La partition « sexuée » dans l’église est non seulement le reflet de la hiérarchisation entre les hommes et les femmes, mais aussi de celle entre les saints et les saintes. Malgré la parfaite symétrie et la parité des saints et des saintes dans l’édifice, leurs places ne sont pas interchangeables et la position subalterne du féminin est respectée. Ce différentiel de sacralité entre les deux côtés correspond à une hiérarchie des sexes considérée comme naturelle, qu’il était impératif d’observer149. Son renversement était condamnable : sur le tympan de l’abbatiale Sainte-Foy de Conques, un couple de damnés est torturé pour avoir durant sa vie inversé la subordination naturelle entre l’homme et la femme et avoir ainsi renversé l’autorité maritale150. Pour illustrer ce péché, la femme chevauche l’homme en le cravachant avec   Jean-Claude SCHMITT, La raison des gestes en Occident médiéval, Paris, 1990, p. 330.   « Selon l’antique coutume, hommes et femmes sont séparés ; les hommes au sud, les femmes au nord ; ceci pour montrer que le sexe fort représente les saints affermis par les plus graves tentations de l’ardeur de ce monde, et le sexe faible, les plus débiles, qui sont placés dans un lieu qui leur convient. Amalaire avait dit plus nettement : ‘‘ Les femmes se tiennent du côté nord, démontrant ainsi que les plus débiles, qui ne peuvent supporter l’ardeur des tentations, doivent être placées au-dessous’’ (Amalarius, Liber officialis ) », MarieThérèse d’ALVERNY, « Comment les théologiens et les philosophes voient la femme », dans La femme dans les civilisations des XIe-XIIIe siècles, C.C.M., Actes du colloque tenu à Poitiers les 23-25 septembre 1976, Poitiers, 1977, p. 25. 149  Sur ce sujet, voir K.E. BORESSEN, Subordination et équivalence, Nature et rôle de la femme d’après Augustin et Thomas d’Aquin, Oslo/Paris, 1968 ; Paulette L’HERMITTE-LECLERQ, L’Église et la femme en Occident chrétien des origines à la fin du Moyen Âge, Turnhout, 1997. 150   À ce sujet, voir Jean-Claude BONNE, L’art roman de face et de profil. Le tympan de Conques, Paris, 1984, p. 304. 147 148



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un serpent qui se retourne contre elle tandis qu’un démon la couronne d’une griffe. Toutefois, à Saint-Eutrope, les commanditaires ont choisi de représenter autant de martyres que de saints. Or, ce parti pris est extrêmement rare ; dans les églises, en effet, les saintes sculptées ou peintes sont très minoritaires151 . Aux Salles, cette « parité » est exceptionnelle. Elle traduit peut-être la volonté de démontrer que les hommes et les femmes sont promis au Paradis dans les mêmes proportions et que les tous martyrs sans distinction de genre participent à l’économie du Salut. Il nous est ainsi présenté la complémentarité des deux sexes créés et sauvés par Dieu. Mais, en raison de la position subalterne du féminin face au masculin, la sainte parce qu’elle est femme garde en elle la marque du péché. Ce constat invite à s’interroger sur la manière dont les images pensent la sainteté féminine. L’emplacement des images des saintes : la définition de la sainteté féminine. Les Salles-Lavauguyon font une fois de plus figure d’exception, en raison de la parité entre le nombre de saints et de saintes. Sur l’ensemble des images recensées contemporaines de celles des Salles-Lauvauguyon, très peu mettent en scène des saintes. Même si l’on prend en considération les destructions, la proportion entre les représentations d’hommes et de femmes est sans commune mesure. Cet écart numérique entre les deux sexes n’est pas surprenant car il traduit la disparité tranchée de l’accession à la sainteté. Il était beaucoup plus difficile, en effet, pour les femmes de transcender la faiblesse de leur sexe et d’intégrer les rangs de la hiérarchie céleste. En témoigne la grande différence entre le nombre de saints et de saintes reconnues : entre le VIe et le XIIIe siècle, l’examen de 2680 vitae de France, d’Angleterre, d’Allemagne et d’Italie fait apparaître qu’il y a moins de 15% de femmes parmi les saints152. Les pourcentages varient

  Nous ne connaissons pas d’autres exemples en France de cette parité entre les saints et les saintes. Néanmoins, les peintures des murs latéraux des nefs dans les églises romanes ont rarement été conservées, il est donc difficile de savoir si cela était exceptionnel à l’époque ou si les chanoines ont innové. Quoi qu’il en soit dans les programmes sculptés, les saintes sont minoritaires voire pour certains d’entre eux inexistantes. 152   Jane TIBBETTS SCHULENBURG, Forgetful of their Sex. Female Sanctity and Society (5001200), Chicago, 1998, p. 63. 151



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selon les époques et les pays153. Selon Jane Tibbetts Schulenburg, leur oscillation est due à l’évolution de la place de la femme dans la société et de son rôle au sein de l’Église154. Ainsi, au XIIIe siècle, le changement de sensibilité qui s’opère est marqué entre autres par une féminisation de la sainteté. L’augmentation du nombre de saintes à partir du XIIIe siècle est sans aucun doute le signe d’un grand bouleversement tant l’image de la gent féminine véhiculée par la mentalité cléricale rendait difficile la reconnaissance de la sainteté de l’une d’elles. Selon les théologiens et les philosophes médiévaux, la femme a, en effet, énormément de mal à se délivrer des liens qui l’attachent inexorablement à Ève, la pécheresse155. Lorsqu’ils s’interrogent sur son degré de culpabilité et son rôle dans la chute, ils sont imprégnés d’une lourde tradition misogyne issue de l’antiquité156. La responsabilité d’Ève dans la chute détermine la place de ses filles dans la communauté chrétienne : « Tu seras sous la domination de l’homme » (Gn., III, 16). Dans l’Épître à Timothée, saint Paul rappelle que la faute de la première femme est la cause de sa soumission à l’homme : « C’est Adam en effet qui fut formé le premier, Ève ensuite. Et ce n’est pas Adam qui se laissa séduire, mais la femme qui, séduite, se rendit coupable de transgression » (I, Tm., II, 13-14).  Les chiffres fournis proviennent de l’ouvrage de Jane Tibbetts Schulenburg, op. cit., p. 63. Ces statistiques sont basées sur le recensement des saints dans la Bibliotheca sanctorum en se limitant à la France, à l’Angleterre, à l’Allemagne et à l’Italie.

153

Période

Nombre total de saints

Nombre de saints

Nombre de saintes

Pourcentage

900-949

64

49

15

23,4%

950-999

105

88

17

16,2%

1000-1049

132

117

15

11,4%

1050-1099

164

148

16

9,8%

1100-1149

187

163

24

12,8%

1150-1199

219

191

28

12,8%

  Voir à ce propos, Jane TIBBETTS SCHULENBURG, Forgetful of their Sex, op. cit., et du même auteur, « Sexism and celestial gynaeceum from 500 to 1200 », Journal of medieval History, vol. 4, n° 2, June, 1978, p. 117-133. 155  Saint Jérôme accuse la femme d’être la cause de tous les maux notamment dans son traité Adversus Iovinianum, mais s’entoure d’amitiés féminines, cité par Marie-Thérèse d’ALVERNY, op. cit, p. 20. 156  Les clercs ont hérité d’une double tradition, celle des traités patristiques, souvent antiféministes, mais également celle de la littérature antique où la femme a fourni à la satire un thème facile : Hésiode, Juvénal, Sénèque en ont laissé des témoignages truculents. Ils la dépeignent futile, volage et inconstante, sans profondeur. 154



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C’est pourquoi, méditant sur le texte de la Génèse, les théologiens font peser sur les épaules de la femme le poids de la faute originelle. Ainsi Tertullien, au IIIe siècle, pense que chaque femme est comparable à Ève, la Tentatrice, que son essence même est maligne : « Ne sais-tu pas que tu es Ève, toi aussi ? La sentence de Dieu a encore aujourd’hui toute rigueur sur ce sexe, il faut bien que sa faute subsiste aussi. Tu es la porte du Diable, tu as consenti à son arbre, tu as la première déserté la loi divine »157. Pour Ambroise, « c’est par la femme qu’a débuté le mal, qu’a commencé le mensonge. C’est la femme qui a été pour l’homme l’agent de la faute, non l’homme pour la femme »158. Il poursuit en expliquant que la femme incarne la sensibilité et l’homme, l’intelligence. Saint Augustin qui rejoint cette interprétation a symbolisé la dichotomie de la nature humaine par le premier couple : Adam est la part de spiritualité, l’âme, la raison, Ève, la part de sensualité. Le mal triomphe lorsqu’il parvient à s’emparer de l’esprit en l’affaiblissant par la chair. Le mal vient du corps et donc de la femme, inférieure et charnelle159. Depuis l’antiquité, le corps de la femme cristallise les angoisses, la peur et allie la fascination à la répulsion160. La femme est mystérieuse par le lien indéfectible qu’elle entretient avec la vie et la mort mais également par le fonctionnement physiologique de son organisme (menstruation, ménopause)161. Comme l’écrit Claude Thomasset, les théologiens imprégnés par l’encyclopédie, Étymologies, d’Isidore de Séville ont pu « considérer la femme comme une force inquiétante, comme un corps qui échappe à la maîtrise d’un esprit, comme un être  TERTULLIEN, La toilette des femmes, cité par Jacques DALARUN, « Regard des clercs », dans Histoire des femmes en Occident, sous la direction de Georges Duby et Michelle Perrot, Paris, 1991, p. 38. 158  AMBROISE, De paradiso, X, 46-47, cité par Marie-Thérèse d’ALVERNY, op. cit., p. 18. 159   Marie-Thérèse d’ALVERNY, op. cit., p. 19. 160   Jean Delumeau démontre que « l’attitude masculine à l’égard du ‘‘deuxième sexe’’ a toujours été contradictoire, oscillant de l’attirance à la répulsion, de l’émerveillement à l’hostilité. Le Judaïsme et le classicisme grec ont tour à tour exprimé ces sentiments opposés ». La peur se cristallise notamment dans les sociétés à structures patriarcales. La femme incarne le chaos, le désordre ; elle est proche de la nature puisqu’elle donne la vie et annonce la mort. Voir Jean DELUMEAU, La peur en Occident (XIVe-XVIIIe siècles), Une cité assiégée, Paris, 1978, p. 305-307. 161   Claude THOMASSET et Danielle JACQUART, Sexualité et savoir médical au Moyen Âge, Paris, 1985, p. 98-105. Selon les auteurs, « De manière plus prosaïque, qui fréquente les textes médicaux découvre à chaque pas, embusquées, les hantises de l’homme médiéval ; (...) Le moment le plus redoutable est la rencontre avec la femme : tant de censeurs ont prévenu l’homme des dangers qu’il courait ! La femme est l’être du temps discontinu : menaçant pendant la menstruation, interdit souvent pendant la grossesse et l’allaitement, prohibé pendant les jours sacrés », p. 13. 157



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gouverné par ses organes, particulièrement ses organes sexuels »162. Toutes ces hantises mêlée d’attirances structurent la culture des clercs qui soulignent à l’envi la fragilité naturelle du deuxième sexe, sa faiblesse physique qui justifie sa soumission à l’homme, la procréation qui scelle son appartenance à la matière et suscite sa réprobation... Les craintes que génère la femme proviennent de l’insuffisance des connaissances médicales et de la peur héritée du passé, transmise par les textes. De ce fait, la femme apparaît comme un être étrange et angoissant. Si la peur de la femme n’est pas une invention des ascètes chrétiens, le christianisme l’a très tôt intégrée163. Mais comme le fait très justement remarquer Jacques Dalarun, « au IVe siècle, en un temps où l’ascèse prend le relais du martyre, une partie des hommes, jaloux de leur virginité, se retranche dans une vie commune pour affronter la tentation du désert ». Le deuxième sexe va très rapidement devenir le mal absolu, projection du désir coupable de l’homme164. Pour les moines, retirés dans le désert et morts au « monde », la gent féminine va être considérée comme le symbole du siècle pour lequel ils n’éprouvent que du mépris. Les écrits monastiques inspirés des traités patristiques vont donc refléter une vision particulière de la femme où elle apparaît dénuée de toute richesse psychologique, voire d’humanité. Geoffroy de Vendôme, en 1095, pour prévenir Robert d’Arbrissel du danger qu’il court en côtoyant les femmes, reprend des images et des arguments déjà et toujours évoqués : « ce sexe a empoisonné notre premier parent, livré le courageux Samson à la mort. D’une certaine manière, il a tué notre Sauveur, car si sa faute ne l’avait pas exigé, notre Sauveur n’aurait pas eu besoin de mourir. Malheur à ce sexe en qui n’est ni crainte, ni bonté, ni amitié et qui est plus à redouter lorsqu’il est aimé que lorsqu’il est haï »165. Le diable fait de la femme un instrument naturel en la réduisant à un objet de tentation qu’il présente en rêve aux moines et aux ascètes ou bien en se travestissant

162   Claude THOMASSET, « De la nature féminine », dans Histoire des femmes en Occident, sous la direction de Georges Duby et Michelle Perrot, Paris, 1991, p. 56. 163   Pandore grecque ou Ève de l’Ancien Testament, elles ont commis la faute originelle, soit en ouvrant le coffret qui contenait tous les maux, soit en mangeant le fruit défendu. Voir Ève et Pandora, La création de la première femme, sous la direction de Jean-Claude Schmitt, Paris, 2002. 164   Jacques DALARUN, « Regard des clercs », op. cit., p. 38. 165   GEOFFROY DE VENDÔME, Epistola, P.L., 157, col. 168.



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Fig. 115 - La Luxure, portail sud, abbatiale Saint-Pierre, Moissac

lui-même en jeune fille pour les séduire166. Selon Chiara Frugoni, cette corrélation femme/démon se vérifie par le nombre des possédées par rapport à celui de leurs congénères masculins : « une corrélation tellement courante que le spectateur considère comme naturel que l’habitat préféré du démon soit de sexe féminin »167. Cela se traduit concrètement dans la vita enluminée de sainte Radegonde où les images d’exorcisme mettent en scène essentiellement des possédées168. La femme qui n’est que chair et concupiscence, devient également symbole de mort. La représentation de la luxure sculptée sur le piédroit ouest du portail méridional de l’abbatiale Saint-Pierre de Moissac, exemple célèbre s’il en est, illustre l’attirance et la répulsion pour le corps féminin désiré mais voué à la corruption169 (fig. 115). Le corps   Voir les chapiteaux ayant trait à la vie de saint Benoît à Saint-Benoît-sur-Loire et à Vézelay : dans ses traductions en image, l’épisode de la tentation est explicite, la femme est clairement associée au démon. 167   Chiara FRUGONI, « La Femme imaginée », dans Histoire des femmes en Occident, sous la direction de Georges Duby et Michelle Perrot, Paris, 1991, p. 370. 168   Poitiers, Bibl. Mun., ms. 250 (136), f° 34r°, f° 34v°, f° 35r°, f° 37r°. 169   Pierre Damien écrit dans la seconde moitié du XIe siècle : « Lorsque tu prends les membres d’une femme dans tes bras, contemple les vers, la sanie, l’insupportable odeur qu’elle sera dans peu de temps, afin que la représentation de cette pourriture à venir te fasse prudemment mépriser les déguisements d’une beauté de théâtre », Epistola, 1, 15, P.L. 144, cité dans l’article de Marie-Claude DEROUET-BESSON, « ‘‘Inter duos scopulos’’, Hypothèses sur la place de la sexualité dans les modèles de la représentation du monde au XIe siècle », Annales E.S.C., n°5, septembre-octobre, 1981, p. 932. 166



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de la luxure est si décharné que son squelette apparaît sous sa peau tandis que des serpents et des crapauds qui incarnent l’impureté s’acharnent sur lui170. Si le corps de la femme seul évoque le vice, son champ lexical comprend forcément l’adjonction de reptiles répugnants. Ainsi « le sexe faible » apparaît comme l’emblème même de la chair, de la recherche de la concupiscence : « Par leur seul aspect, elles répandent jusque dans la moelle un séduisant poison et elles excitent les zones obscures de l’esprit d’un insatiable prurit »171. Il est la porte qui ouvre sur la corruption des âmes et des corps. Pour toutes ces raisons, « les femmes – dans les écrits cléricaux des XIe-XIIe siècles étudiés par André Vauchez – sont généralement présentées comme des êtres incapables de s’élever à la considération et à la compréhension des choses spirituelles »172 Un autre handicap pesait sur les femmes et limitait leur accession à la sainteté. En raison de leur faiblesse physique et morale, elles ne pouvaient jouer qu’un rôle passif au sein de l’Église. D’ailleurs, saint Paul leur intime de ne pas prendre la parole en public : « Comme dans toutes les Églises des saints, que les femmes se taisent dans les assemblées, car il ne leur est pas permis de prendre la parole ; qu’elles se tiennent dans la soumission, ainsi que la Loi même le dit. Si elles veulent s’instruire sur quelque point, qu’elles interrogent leur mari à la maison car il est inconvenant pour une femme de parler dans une assemblée. » (I, Cor., XIV, 33-35). Ainsi, l’espace et les fonctions des filles d’Ève sont clairement définis et cantonnent celles-ci à la sphère domestique. Après les siècles des martyres, leur accession à la sainteté est donc d’autant plus réduite. Seuls la naissance, le rang ou le mariage permettaient, en effet, aux femmes d’œuvrer pour le clergé et leur ouvraient les portes de la sanctification. Si elles désiraient une vie entièrement vouée à la religion, elles devaient pousser les portes d’un monastère. Après les siècles des persécutions, la majorité des femmes reconnues comme saintes étaient soit nobles ou de naissance royale, soit de grandes abbesses ou des recluses173. Tous ces facteurs expliquent pourquoi  L’impureté qui par extension est l’essence même du corps féminin.   MARBODE DE RENNES, Epistola VI, P.L., 171, col. 1481. 172  André VAUCHEZ, Les laïcs au Moyen Âge, Pratiques et expériences religieuses, Paris, 1987, p. 191. 173   Jane TIBBETTS SCHULENBURG, « Sexism and celestial gynaeceum from 500 to 1200 », op. cit., p. 120-125 et Marta CRISTIANI, « La sainteté féminine du Haut Moyen Âge, Biographie et valeurs », dans Les fonctions des saints dans le monde occidental (IIIe-XIIIe siècles), Actes 170 171



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selon les mots de Guy Lobrichon : « les femmes sont oubliées du catalogue des saints depuis les temps radieux des martyrs »174. En somme, pour prétendre au titre de sainte, les femmes devaient dénier et transcender leur « fragilité naturelle », leur « imbecillitas sexus », leur « debilitus sexus ». Elles devaient dépasser leurs penchants naturels pour ne pas succomber à la faiblesse de la chair et tenter d’atteindre la perfection requise. La virginité est la voie royale qui mène à la sanctification pour les descendantes d’Ève. Les trois martyres qui sont honorées aux SallesLavauguyon sont d’ailleurs toutes des vierges-martyres, le plus haut degré dans la hiérarchie céleste féminine175. Plus encore que pour les hommes, la virginité joue un rôle fondamental pour prétendre au statut de sainte, au point qu’elle a fini par en devenir l’attribut par excellence176. Comme la chasteté, elle est souvent au cœur de la vita de la sainte et devient constitutive de son portrait. Selon la tradition de l’Église, l’état idéal de la femme, la forme de la vie parfaite est l’integritas, la virginité totale corollaire à la pureté spirituelle. Puisque la femme incarne, en effet, de manière inhérente la puissance de la sexualité, seules la virginité et la chasteté peuvent lui permettre de se libérer de son propre corps, de transcender la faiblesse de son sexe et d’atteindre la perfection. C’est pourquoi la verve des hagiographes est sans limite lorsqu’il s’agit d’exalter la virginité des martyres177. du colloque organisé par l’École française de Rome et l’Université de Rome « La Sapienza », Rome, 27-29 oct. 1988, Rome, 1991, p. 385-434. 174   Guy LOBRICHON, La religion des laïcs en Occident, XIe-XVe siècles, Paris, 1994, p. 177. 175  Il existe d’autres types de sainteté féminine après les martyres, les vierges ou les pécheresses repenties. Les femmes de haute lignée comme Hélène ayant œuvré pour l’Église qui apparaît sur deux chapiteaux narrant l’Invention de la Vraie Croix ( sur un chapiteau de la porte ouest du prieuré de Monastir-del-Camp et sur un chapiteau du portail nord de l’église Saint-Just de Valcabrère). Une catégorie de saintes est absente de notre masse documentaire recensée, celle incarnant la sainteté dite domestique. Ce nouveau type de sainteté féminine apparaît vers le IXe siècle où plusieurs vitae louent cette vita perfecta. Maure de Troyes en est un excellent exemple : entièrement dévouée à l’évêque de Troyes et au service de la cathédrale, elle accomplit avec ferveur des tâches domestiques. Elle verse de l’huile pour les lampes de l’église, achète avec son argent des vêtements liturgiques, confectionne une aube pour l’évêque... Elle évolue dans la sphère privée, dans la sphère domestique réservée aux femmes. Voir Jane TIBBETTS SCHULENBURG, Forgetful of their Sex, op. cit., p. 118. 176  La virginité, ascèse chrétienne, est suppléance du martyre. 177   De plus, après les siècles de persécutions, seule la virginité pourrait ouvrir aux femmes les portes de la hiérarchie céleste puisqu’elles étaient exclues de la hiérarchie terrestre ecclésiastique. La prêtrise et surtout la fonction épiscopale étaient sources de sainteté pour les hommes durant le Haut Moyen Âge.



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Il est intéressant de souligner à la suite de Jane Tibbetts-Schulenburg que la virginité et la continence sexuelle n’ont jamais dominé totalement « le mode de perfection de la religion masculine. Elle n’a pas défini les paramètres de la condition de la perfection masculine ou de la sainteté masculine comme cela a été le cas pour les femmes »178. La sainteté féminine est donc principalement centrée « en négatif » sur le corps auquel plus que jamais les saintes doivent renoncer179. L’image du supplice de sainte Agathe aux Salles est une synthèse exemplaire de l’hagiographie féminine. Son torse dénudé à la carnation claire est exposé tel l’agneau sacrificiel tandis que sa poitrine est offerte aux bourreaux chargés de la mutiler180. À l’inverse de Laurent figé sur son gril dont la nudité est l’image du dépouillement et de l’humilité, le corps de la jeune martyre qui apparaît sous la robe déchirée devient le signe de sa vulnérabilité. La blancheur de ses chairs et le vêtement qui ne remplit plus sa fonction visent à mettre en avant la nature infamante du supplice. La nudité partielle d’Agathe devient son martyre alors que le corps entièrement nu de Laurent est une référence explicite à celui du Christ, ce qui lui confère immédiatement le titre glorieux d’athlète de Dieu. Pour le diacre, la nudité est héroïque ou témoigne du détachement exceptionnel à l’égard de son corps, pour la martyre, elle devient le symbole du supplice. Dans la vision des Pères de l’Église et des hagiographes qu’ils ont influencés, une vierge est menacée dans son integritas lorsqu’elle devient dans les yeux des hommes un objet de désir regardé avec concupiscence. Ce discours se retrouve dans un certain nombre d’écrits patristiques, comme ceux de Cyprien, de Jean Chrysostome ou bien de Tertullien qui affirme : « toute exposition publique d’une vierge est comparable pour elle à la souffrance d’un viol » 181. Le corps d’Agathe qui doit rester impérativement caché – ce que rappelle le vêtement qui le couvre partiellement et le rend encore plus nu – est donné en pâture aux regards torves qui le souillent.

  Jane TIBBETTS SCHULENBURG, Forgetful of their Sex, op. cit., p. 127.  La femme étant considérée comme inférieure et charnelle, renoncer à son corps était donc d’une difficulté profonde, bien supérieure à celle que pouvait rencontrer un homme dans le même cas. 180  Les bourreaux s’acharnent sur les attributs naturels typiquement féminins : ils arrachent les seins, brûlent ou déchirent les flancs... La sainte est mutilée dans sa féminité alors que paradoxalement elle ne fait aucun cas de cette féminité. 181   Voir à ce propos, Brigitte CAZELLES, The Lady as a Saint, A collection of french hagiographic romances of the thirteenth century, Pennsylvanie, 1991, p. 48-49. 178 179



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Pour Agathe, comme pour toutes les saintes d’ailleurs, chaque rencontre avec l’homme païen est un danger, c’est pourquoi l’hagiographe relate sa séquestration sur ordre de Quintien dans un lupanar. Pour se protéger, la vierge qui a renoncé à son corps doit donc perdre toute visibilité, ce qui est souvent strictement à l’opposé du supplice choisi. Le concepteur de l’image nous montre donc la vulnérabilité de la sainte suspendue à son chevalet, une vulnérabilité qui est accentuée par sa beauté dont les cheveux dénoués et les beaux atours sont le symbole. La grande majorité des vierges comme Agathe et Valérie est conduite au martyre pour avoir refusé de prendre un mari ou pour avoir simplement repoussé les avances d’un homme. Ayant juré fidélité à l’Époux, elles essayent de préserver leur virginité à tout prix. Elles incarnent donc des vertus très spécifiques puisque l’essentiel de la trame narrative des vitae est centré sur leur lutte pour échapper aux dangers charnels. D’une manière générale, les images hagiographiques ont su rendre avec force ces tensions dramatiques contradictoires en mettant l’accent sur le renoncement du corps et sur le désir que ce même corps suscite. La grande particularité des images représentant des vierges martyres est l’insistance sur le charnel pour dépeindre le spirituel. En décrivant le corps et parfois le désir qu’il inspire, le concepteur des images traduit la négation même de ce dernier. Le chapiteau de la condamnation de Foy à Conques est à ce sujet très significatif182. La vierge est entraînée devant Dacien par un garde qui la tient fermement par le poignet, geste du pouvoir coercitif. Sculptée à l’angle du chapiteau, la figure hiératique et voilée de la sainte n’est pas sans évoquer la représentation de Marie sur le tympan de l’abbatiale183. Outre la similitude des traits, son attitude et ses gestes renforcent l’association visuelle : telle la Vierge de l’Annonciation, elle accepte son sort et marque son obéissance à la volonté divine. Par  Le chapiteau est daté de la première moitié du XIIe siècle, après les années 1110. Voir Marcel Durliat, La sculpture romane de la route de Saint-Jacques de Compostelle, Mont-de-Marsan, 1990, p. 77-215, notamment p. 78. Il n’existe que deux exemples de la condamnation de sainte Foy dans l’art roman. L’un à Conques et l’autre dans la cathédrale de Saint-Jacques de Compostelle à l’entrée de la chapelle nord autrefois dédiée à Foy. Voir à ce propos l’article de Jean-Claude FAU, « À propos du chapiteau de la condamnation de sainte Foy à Saint-Jacques de Compostelle et à Sainte-Foy de Conques », dans Les pèlerinages à travers l’art et la société de l’époque romane et pré-romane, Les Cahiers de Saint-Michel de Cuxa, XXXI, 2000, p. 97-109. 183  Le concepteur du tympan a entretenu la similitude entre les représentations de la Vierge et de Foy : la première figure dans la procession des élus et la seconde dans l’écoinçon du registre médian. On retrouve cette association visuelle sur le chapiteau. 182



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Fig. 116 - Foy soutenue par un ange, chapiteau, abbatiale SainteFoy, Conques

la confusion entretenue, la filiation spirituelle entre la nouvelle Ève et Foy est établie. La jeune vierge s’est détachée de l’empreinte de la première femme et a pris ici-bas l’apparence de la Reine des Cieux, un corps revêtu par la Grâce. À l’autre extrémité de la corbeille, Dacien qui présente toutes les caractéristiques du monarque remet lui-même au bourreau l’épée qui servira à décapiter la sainte184. Deux personnages, étrangers au texte de la vita, ont été ajoutés pour compléter la scène. Un ange qui épaule littéralement la sainte est représenté sur le côté droit de la corbeille (fig. 116). Il exprime à la fois le soutien de Dieu dans l’épreuve en posant sa main sur l’épaule de Foy, mais aussi par sa présence, l’inspiration divine qui l’anime. L’envoyé céleste porte une croix qui préfigure le martyre de la sainte en rappelant qu’elle marche dans les pas du Sauveur et réitère sa Passion. Le « pendant inversé » de l’ange est un démon qui conseille Dacien (fig. 117). Hirsute et maigre, il tient entre ses mains un « serpent phallique » annelé185. Le reptile, symbole 184   Dacien qui est assis sur un trône à arcades ajourées possède toutes les caractéristiques du monarque : couronne gemmée à fleuron et barbe de la noblesse. 185  L’image du serpent phallique, expression que nous empruntons à Jean-Claude Bonne, se retrouve sur le tympan de Conques dans le registre infernal. Le Diable tient le serpent dans une de ses mains à la hauteur de son bas-ventre. Par ailleurs de nombreux serpents, parfois très longs, s’enroulent autour des damnés. Honorius Augustodunensis, dans l’Elucidarium, précise que les serpents font partie du troisième châtiment réservé aux damnés : « Tertia, vermes immortales, vel serpentes et dracones visu et sibilo horribiles, qui ut pisces in aqua, ita vivunt in flamma. », lib. III, P.L., 172, col. 1159-1160 : « Troisièmement, des vers



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Fig. 117 - Dacien conseillé par le diable, chapiteau, abbatiale Sainte-Foy, Conques

du mal, est l’expression du désir coupable du païen envers la vierge. Honorius Augustodunensis, dans l’Elucidarium, en donne la signification : «– Le serpent a-t-il parlé ? – Non, mais le diable a parlé par l’entremise du serpent, comme aujourd’hui, il parle par l’entremise de l’homme qui est sous sa dépendance et de la même manière, il parle aux anges par l’entremise d’une ânesse : parce que ni le serpent ni l’ânesse ne savaient ce que ces mots signifiaient. – Pourquoi par l’entremise du serpent plutôt que par l’intermédiaire d’un autre animal ? – Parce que le serpent est tortueux et lubrique et que le diable rend tortueux et lubrique ceux qu’il a séduits : tortueux par la fourberie et lubriques par la luxure »186. Le serpent « fourbe et lubrique » dressé en direction du tyran lui inspire les pensées malsaines qui corimmortels ou des serpents et des dragons horribles à voir et à entendre siffler, qui, comme des poissons dans l’eau, vivent dans les flammes ». 186   HONORIUS AUGUSTODUNENSIS, Elucidarium, lib. I, P.L., 172, col. 1119, « -Locutusne est serpens ? – Non, sed diabolus locutus est per serpentem, ut hodie loquitur per obsessum hominem, et quemadmodum angelis locutus est per asinam : cum nec serpens, nec asina scirent quid per eos verba illa sonarent. – Quare magis per serpentem quam per aliud animal ? – Quia serpens tortuosus est et lubricosus, et diabolus quos seduxerit tortuosos et lubricos facit : tortuosos fraudulentia, lubricosos luxuria. ».



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respondent à son essence. La nature de ce qu’il lui suggère est sans aucune ambiguïté tant l’impact visuel est direct. Il est difficile de nier la connotation sexuelle de ce serpent d’autant que sur le tympan, le serpent du Diable s’enroule et se retourne vers le couple adultère tandis que la femme du couple « contre nature » domine l’homme en le chevauchant et le menace avec un serpent qu’elle brandit comme un fouet187. Le détail du « serpent phallique » dans la condamnation de Foy n’aurait pas d’équivalent dans une scène concernant un saint. La menace la plus dangereuse qui pèse sur une sainte est, en effet, le désir charnel qu’elle inspire aux hommes et dont le reptile est ici la marque. C’est la résistance de la vierge à la lubricité de Dacien qui la conduira au supplice. L’apparence mariale de Foy traduit non seulement sa spiritualité, mais aussi son état « non corporel ». Or, dans cette image, ces tensions contradictoires ne sont pas figurées par les symboles de la beauté physique et la nature du supplice enduré, mais par l’introduction du « serpent phallique » dans le réseau figuratif face à la figure virginale. Paradoxalement alors que la martyre n’est que spiritualité, sa résistance est corporelle. Le détail du serpent phallique dans la scène de la condamnation de Foy est très révélateur de la perception de la sainteté féminine au Moyen Âge, une sainteté particulière qui pourrait se résumer par cette phrase de Brigitte Cazelles : « C’est la passivité qui marque les limites de la sainteté féminine et c’est cette même passivité qui définit par contrecoup les particularités de la sainteté masculine dans ses réponses, en l’occurrence, aux problèmes du corps »188. À Conques, le concepteur de l’image a choisi de gommer la marque d’Ève du corps de la vierge, ce qui montre bien l’ambiguïté inhérente à la sainteté féminine. Ainsi, dans certaines images, des innovations plastiques qui ne répondent ni à des topoi iconographiques ni aux conventions littéraires mises en images permettent de prendre la mesure du rapport complexe entre le corps de la femme et la sanctification. Une des scènes du chapiteau de la vie de Marie   Ce renversement de « l’autorité naturelle » entre l’homme et la femme peut être également interprété comme la domination sexuelle de la femme sur l’homme qui entraîne le couple à sa perte. Le serpent qu’elle brandit contre son partenaire est peut-être une allusion directe à cet état de fait. Pour plus de détails, voir Jean-Claude BONNE, L’art roman de face et de profil, op. cit., p. 299-302. 188   Brigitte CAZELLES, Le corps de la sainteté, d’après Jehan Bouche d’Or, Jehan Paulus et quelques vies des XIIe et XIIIe siècles, Genève, 1982, p. 21. 187



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Fig. 118 - Marie l’Égyptienne chassée de la basilique, chapiteau déposé, Musée des Augustins, Toulouse

l’Égyptienne appartenant au cloître de Saint-Étienne à Toulouse est à ce titre particulièrement éloquent pour notre propos. La première scène illustre l’événement qui déclenche la conversion de la courtisane d’Alexandrie189. Alors qu’elle suivait une foule de fidèles qui allait honorer la croix du Sauveur exposée, ce jour-là, dans la basilique de Martyrium à Jérusalem, elle fut la seule à ne pouvoir y entrer, arrêtée par une force surnaturelle et invisible. Sur la corbeille, la force invisible a pris la forme d’un ange qui écarte la courtisane de l’église en brandissant une épée (fig. 118). Ses cheveux longs et ses somptueux atours indiquent clairement son état de pécheresse190. Elle est légèrement penchée en arrière comme pour esquiver l’épée devenue une menace visible. L’infime torsion de son corps, repoussé, rejeté du lieu sacré symbolise son vice intérieur. L’émissaire divin semble littéralement sortir du monument dont il désigne la porte pour en interdire l’accès à Marie. Deux hommes dont un pèlerin la regardent d’un air sévère tout en franchissant les portes du Martyrium191. La condamnation est sans appel : l’état de péché est imprimé dans le corps chancelant de la femme. 189   Marie l’égyptienne, morte en 422, pénitente, fêtée le 2 avril. La rédaction de sa vita a été attribuée à Sophrone de Jérusalem (mort en 638), mais elle semble plus ancienne de 150 ans. Voir P.L., 73, col. 671 ou P.G., 87, col. 3697. 190   Marie est vêtue d’une robe à larges manches dont les poignets sont entièrement brodés. Le soin pour figurer l’encolure brodée de sa robe, les festons et la ceinture témoigne de la volonté du concepteur de l’image d’accentuer l’artifice dans lequel verse la courtisane. 191  L’édifice est savamment détaillé avec ses décrochements de toits successifs, ses fenêtres en plein cintre et la croix couronnant le faîte du toit.



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Fig. 119 - Marie l’Égyptienne prie la Vierge, chapiteau déposé, Musée des Augustins, Toulouse

La deuxième image du chapiteau est une synthèse d’un épisode de la vita. La pécheresse, agenouillée et voilée, prie la Vierge à l’Enfant représentée devant elle (fig. 119). Selon la légende, la jeune femme comprit qu’elle était la seule parmi la foule à ne pouvoir pénétrer dans l’édifice sacré. Elle se mit alors en quête de la Rédemption et pria Marie pour son Salut en la prenant à témoin de son repentir (les cheveux de l’Égyptienne sont voilés dans l’image). Elle put alors franchir sans difficulté les portes du Martyrium. Elle entendit une voix qui lui conseillait de franchir le Jourdain pour trouver le Salut. Dans l’image, au-dessus de la sainte, un ange sort des nuées et semble s’adresser à elle. Il figure la voix qui inspire à Marie la purification. Dès lors, la corbeille fonctionne selon le principe visuel de l’antithèse : le corps en prière, inspiré s’oppose au corps vacillant et rejeté, l’ange qui incarne l’appel s’oppose à la figure repoussoir du premier épisode. Dans l’angle de la corbeille, une autre scène est sculptée : la jeune femme à la longue chevelure, richement parée, esquisse le geste de l’acceptation tandis qu’un homme lui remet trois pièces de monnaie (fig. 120). C’est la suite immédiate de l’épisode de la prière à la Vierge. D’après la vita, un inconnu lui fit don de trois deniers avec lesquels elle put acheter les trois pains nécessaires à sa survie dans le désert. Puis sur la gauche du chapiteau, la courtisane a dénoué ses longs

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Fig. 120 - Marie purifie ses cheveux dans le Jourdain, chapiteau déposé, Musée des Augustins, Toulouse

cheveux qui tombent jusqu’aux pieds. Penchée, elle lave sa chevelure qui séparée en deux mèches ondulantes, se confond avec les eaux du Jourdain, composé lui-même de deux bras conformément à la tradition192. La répétition d’un motif similaire pour les cheveux et le fleuve imprime déjà l’état purifié – mais non sanctifié – du corps de la femme. Derrière la repentie, sous la volute d’angle, les trois pains sont figurés. Ils seront sa seule et unique nourriture dans le désert. La légende rapporte qu’après s’être purifiée, Marie franchit le fleuve et vécut seule dans le désert pendant quarante-sept ans. Sa solitude fut rompue par sa rencontre avec le moine Zozime qui, chaque année, quittait son couvent pour se retirer dans le désert. Un jour, il aperçut une forme au loin et reconnut un être humain brûlé par le soleil. Cet épisode est relaté sur l’autre face de la corbeille (fig. 121). Zozime de face regarde en direction de l’ascète nimbée dont le corps semble se confondre avec la cachette où elle vit. Son apparence est radicalement différente des précédentes. La très belle courtisane qu’elle était a fait place à une femme velue aux cheveux toujours longs. Conformément  Le Jourdain est figuré depuis les montagnes où il prend sa source. Par ailleurs, le sculpteur a représenté, comme l’exigeait la tradition, les deux sources qui, réunies, forment le Jourdain, le Jor et le Dan. 192



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Fig. 121 - La rencontre de Zozime et Marie ; les funérailles de Marie, chapiteau déposé, Musée des Augustins

à la vita, elle tente de cacher sa nudité avec une pièce d’étoffe qu’elle tient fermement autour de sa taille. En voyant un homme s’approcher, Marie lui aurait demandé de lui jeter son manteau pour cacher son corps. La légende ne déroge pas à la règle selon laquelle une ermite est particulièrement vulnérable puisqu’elle reste une femme193. Elle ne peut donc être vue nue, alors qu’elle incarne par son mode de vie le dépouillement absolu. Comme il l’a déjà été évoqué, la visibilité pour la femme et plus particulièrement pour la sainte doit être moindre. Elle doit se préserver d’elle-même et des autres en se retranchant du monde ou du moins en étant à l’abri des regards. Symboliquement la 193  L’érémitisme est, en effet, dangereux pour la femme, plus faible que l’homme contre ses penchants naturels et les tentations du malin. La solitude accroît les risques. La femme est menacée doublement : par sa propre nature et par l’extérieur à cause des tentations involontaires qu’elle suscite. Une sainte ermite est beaucoup plus louable qu’un homme en raison de son sexe. Cependant, l’érémitisme féminin est peu encouragé, on lui préfère la réclusion. Selon Paulette L’Hermite-Leclercq : « La pratique de la réclusion exprime une métaphysique de la féminité ». La recluse est volontairement morte au monde, soustraite aux regards et vouée à la pénitence. Elle écrit : « La réclusion est la solution rêvée. Elle réalise presque un idéal de la vocation féminine. La vie publique est réservée aux hommes. Son domaine à elle, c’est la maison et le silence », Voir Paulette L’HERMITE-LECLERCQ, « La femme à la fenestrelle du reclusoir », dans La femme au Moyen Âge, sous la haute présidence de Georges Duby, édité par Michel Rouche et Jean Heuclin, Maubeuge, 1990, p. 4968.



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rupture avec le monde est révélatrice du degré de renoncement auquel la descendante d’Ève doit parvenir pour prétendre à la sainteté. Ainsi, sur le chapiteau, l’abri de la pénitente circonscrit étroitement son corps, ce qui manifeste à la fois la réclusion et la protection, une protection renforcée d’ailleurs par le manteau dont la sainte se couvre à l’arrivée de Zozime. Le concepteur de l’image traduit donc par l’inclusion du corps dans le cadre végétal la mort au monde de la sainte. Mais la singularité de cette image réside dans les poils qui recouvrent le torse et les bras de l’ermite. La sainteté de Marie n’est reconnue, son nimbe en témoigne, qu’à partir du moment où elle a perdu les artifices de la séduction féminine. C’est pourquoi le concepteur de l’image a détaillé les poils – comparables à la crinière des fauves – qui recouvrent son torse et ses bras. En perdant sa féminité, la femme transcende les limites et la faiblesse de son sexe. Elle acquiert alors les qualités viriles qui font d’elle une sainte : dans l’image, les poils symbolisent cette transformation intérieure qui, ici, transparaît à l’extérieur. Les Pères de l’Église insistent sur la vigueur masculine qui anime les saintes et louent leur virilité spirituelle. Saint Jérôme, d’ailleurs, invite le sexe faible à une vie virginale pour qu’il : « cesse d’être appelé femme et puisse être appelé homme »194. En fait, la déficience du sexe féminin est presque incompatible avec l’idée de sainteté, c’est pourquoi les saintes ont des attitudes, des comportements, une spiritualité qui tendent vers la masculinité. Elles deviennent saintes à partir du moment où leur féminité s’efface devant la virilité. Les hagiographes rappellent d’ailleurs que les saintes ont plus de mérite que les hommes car elles doivent lutter davantage en raison de leur nature même. La belle courtisane est devenue un être décharné et velu, non pas que sa retraite l’ait transformée en « bête des bois » pour reprendre l’expression d’Émile Mâle195, mais parce qu’elle a renoncé à sa nature féminine et à la séduction. La sainte n’est plus attirante, elle n’est donc plus un objet de désir qu’un regard concupiscent peut souiller. Elle n’est plus menacée ni physiquement ni spirituellement. Son corps devient alors le véhicule de la Rédemption. Renoncer à la féminité est une des marques de la sainteté féminine. Si dans le cas de Marie l’Égyptienne, la dégradation de sa beauté 194  SAINT JERÔME, Epistola ad Ephesios, III, P.L., 26, col. 533, cité par Jane TIBBETTS SCHULENBURG, Forgetful of their Sex, op. cit., p. 128. 195   Émile MÂLE, L’art religieux du XIIe siècle en France, Étude sur les origines de l’iconographie au Moyen Âge, Paris, 1ère éd., 1922, réed., 1953, p. 242.



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plastique est liée à des conditions de vie particulièrement dures, certaines n’ont pas hésité à se mutiler pour protéger leur virginité ou leur chasteté. Des abbesses et leurs nonnes menacées lors d’invasions se sont tranché le nez et la lèvre supérieure pour susciter de la répulsion chez les envahisseurs196. On retrouve ces anecdotes dans les vitae de saintes : la vierge Oda d’Hainault par exemple s’est sectionné le nez par amour du Christ. Elle voulait échapper à un mariage forcé en détruisant sa beauté extérieure et protéger ainsi sa pureté197. Ces exemples de mutilations qui visent à devenir physiquement repoussante procèdent de la même logique que la laideur progressive de Marie l’Égyptienne au fur et à mesure qu’elle se purifie. Le rejet de la beauté physique et des attraits féminins qui sont synonymes de vanité, est un leitmotiv essentiel dans la vie des saintes198. La dernière scène du chapiteau consacré à la vie de la pécheresse repentie évoque ses funérailles miraculeuses. Zozime, un an après leur première rencontre, retourna sur les lieux où vivait la sainte. Il la trouva morte et sut qu’il devait l’ensevelir, secondé dans sa tâche par un lion. L’image figure le corps nu, maigre et entièrement velu de la sainte étendue à même le sol. Au premier plan, un lion creuse une cavité circulaire pour que le cadavre y soit déposé. Le moine, dont les traits du visage expriment la douleur, semble soulever la dépouille mortelle. Il peut alors toucher l’enveloppe charnelle marquée par la virilité et donc sanctifiée de Marie qui est parvenue au terme de sa pénitence. La dissolution de la féminité et la masculinisation sont les traits essentiels de la sainteté féminine. À ce titre, la vita de sainte Eugénie est exemplaire car elle traite de la négation de l’identité sexuelle, non pas au cours d’un long processus, mais par choix. Il ne s’agit pas ici d’analyser le récit hagiographique, mais l’unique image conservée en France qui en découle.   Cela a été le cas au VIIIe siècle lors des invasions sarrasines dans le monastère Saint-Cyr à Marseille ou au IXe siècle par exemple, quand sainte Ébba et les nonnes de Coldingham se sont mutilées de la sorte lors des invasions danoises. Des événements semblables sont rapportés en Espagne. Voir à ce propos, Jane TIBBETTS SCHULENBURG, Forgetful of their Sex, op. cit., p. 139-150. 197   Exemple cité par Jane TIBBETTS SCHULENBURG, Forgetful of their Sex, op. cit., p. 147. 198   Dans Gemma animae, Honorius Augustodunensis rappelle que les femmes doivent être voilées car elles sont les pièges du diable et il faut éviter aux jeunes hommes de se laisser séduire par leur chevelure ; de plus les femmes risqueraient de s’enorgueillir de la beauté de leurs cheveux ou bien d’avoir honte d’une vilaine chevelure, (I, 145 et 146, P.L., 172, col. 589), cité par Marie-Thérèse d’ALVERNY, op. cit., p. 25. 196



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Fig. 122 - Sainte Eugénie prouvant son innocence, chapiteau, abbatiale de la Madeleine, Vézelay

La scène sculptée sur un chapiteau de la Madeleine de Vézelay montre Eugénie écartant les pans de sa robe monastique pour dévoiler sa poitrine (fig. 122). Elle est tonsurée comme un homme et seuls les seins qu’elle dénude trahissent son sexe. La légende rapporte que la sainte, s’étant convertie au christianisme, quitta sa famille et renonça à son mariage199. Comme elle aspirait à la vie monastique, elle se fit passer pour un homme sous le nom d’Eugène. Dans le monastère, le moine dont l’identité était toujours ignorée faisait l’admiration de tous par ses nombreuses vertus. À la mort de l’abbé, Eugène-Eugénie fut élue pour le remplacer. Comme elle réalisait de nombreux miracles, elle eut à soigner une femme prénommée Mélanie qui s’amouracha d’elle. Comme Eugénie repoussait ses avances, elle l’accusa d’avoir voulu la violer. L’abbé fut appelé à comparaître devant le préfet, Philippe, père d’Eugénie qu’il croyait disparue. Pour prouver son innocence, la sainte n’eut pas d’autre recours que de déchirer sa tunique, dévoilant ainsi son identité. Conformément à la vita, Mélanie, l’accusatrice, pointe encore un doigt dénonciateur vers la sainte mais de l’autre main, elle tire une mèche de ses cheveux en signe de désespoir200. Dans l’attitude de

  Vita Sanctae Eugeniae, Virginis ac martyris, P.L., 21, col. 1105-1122.  Le nom de l’accusatrice n’a pas été choisi au hasard par l’hagiographe, Mélanie est un prénom formé à partir d’une racine grecque qui signifie noir. Ainsi, outre la noirceur du personnage exprimée par le choix du prénom, il renvoie certainement au diable qui a inspiré à cette femme ces sombres desseins. La femme est ici directement associée à la noirceur du Malin. 199 200



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l’autorité, Philippe qui devait juger l’affaire manifeste son étonnement en reconnaissant sa fille. Eugénie dont l’apparence est sans équivoque celle d’un homme déchire sa bure dans la souffrance. Elle dévoile brutalement sa poitrine, en renonçant à son identité de travestie qui lui assurait la protection d’un statut artificiel. Elle écarte les pans de sa tunique pour laisser apparaître ses seins, symbole absolu de la féminité. Son buste est au centre de la composition, motif essentiel du drame qui est en train de se jouer. La nudité qui est imposée à la sainte s’apparente, en effet, à une forme de supplice. Eugénie qui a complètement occulté sa féminité doit la mettre en évidence pour se disculper. Le corps de femme rendu soigneusement invisible et auquel elle a renoncé est finalement révélé, mis à nu au grand jour pour sauver son honneur d’homme. Cette révélation, point crucial et moment le plus tragique de sa vie, fait d’elle une martyre. Les traits de son visage expriment la douleur de l’humiliation subie pour prouver son innocence. Outre la poitrine, le concepteur de l’image a pris soin de souligner la tonsure de la jeune femme. Ce signe distinctif devient ici le symbole de son statut d’épouse du Christ. Elle a pu préserver sa virginité grâce au travestissement et échapper ainsi au mariage terrestre201. Toutefois, il ressort encore que pour insister sur la spiritualité de la sainte, le concepteur de l’image a mis l’accent sur sa corporalité. La légende d’Eugénie offre un éclairage intéressant sur la sainteté féminine. Se transformer en homme apparaît comme un moyen idéal pour l’héroïne d’échapper à la chair et de rester dans un mode de vie spirituel. La préparation de son âme à la réception des choses divines coïncide à son déguisement d’homme ou plus précisément avec son cheminement en tant que moine. À son terme, elle sera reconnue comme le guide spirituel de sa communauté. Un autre élément métaphorique très signifiant traduit la transformation intérieure de la sainte : son prénom d’homme, Eugène qui provient du mot grec viril. La grande qualité d’Eugénie est, en effet, de se conduire comme un homme ou plutôt de développer des vertus typiquement masculines qui l’éloignent de la faiblesse de son sexe. C’est d’ailleurs écrit explicitement dans la vita où l’évêque Hélénus qui la reçoit lui dit : « Tu as raison de t’appeler Eugène car tu te conduis virilement, mais apprends

  Voir dans l’ouvrage de Jane TIBBETTS SCHULENBURG, Forgetful of their Sex, op. cit., le chapitre consacré au travestissement : « Eunuques pour le royaume de Dieu : femme tonsurée et déguisée en homme », p. 156-162.

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que le Saint-Esprit ne m’a pas laissé ignorant que tu es Eugénie »202. Le caractère viril de la femme s’affirme à un tel point que ceux qui la côtoient voient en elle un homme parfait. La transformation intérieure qu’exprime son apparence extérieure lui permet d’être comparée au Christ, et donc de se rapprocher de la perfection. Les qualités viriles louées par les hagiographes et les clercs peuvent être traduites de manière surprenante en images comme on peut l’apprécier dans les scènes de la vie de Marie l’Égyptienne sur le chapiteau de Toulouse et dans celle d’Eugénie203. Les femmes jouissent donc d’une sainteté particulière, bien définie par les images. Pour autant, il ne semble pas que les fidèles faisaient de distinction entre les saints des deux sexes, sollicitant leur aide de manière indifférenciée. Cependant, les saintes sont indubitablement plus proches de la gent féminine. Elles doivent générer l’autorité sur leur propre sexe. Leur modèle permet de donner « un corps acceptable à l’abstraction qu’était devenue la femme »204. Ces relations privilégiées expliquent la proximité géographique entre les peintures des vierges martyres aux Salles-Lavauguyon et l’espace où se tenaient les femmes dans l’église. Parmi les martyres honorées à Saint-Eutrope, l’une d’elles se distingue dans le panthéon des saintes. Si la quatrième vierge est bien Catherine d’Alexandrie, elle est la seule qui transcende le clivage traditionnel entre la chair et l’esprit. Experte en philosophie, la sainte témoigne d’une grande spiritualité et d’une force mentale exceptionnelle pour une jeune fille. Son hagiographe insiste sur sa force plutôt que sur sa vulnérabilité. Elle sort de la passivité pour aller affronter   Vita Sanctae Eugeniae, Virginis ac martyris, A.A.S.S, Décembre, p. 25 ; P.L., 21, col. 1111.   Eugénie est l’incarnation parfaite de la femme virile, vierge martyre des premiers siècles de l’Église. Elle est le modèle par excellence dans les monastères de femmes. Avitus de Vienne et Venance Fortunat la citent dans des poèmes dédiés aux vierges (AVITUS, Liber sextus de virginitate, P.L., 59, col. 378, cité par Jane TIBBETTS SCHULENBURG, Forgetful of their Sex, op. cit., p. 161). Fortunat la présente parmi les saintes devant servir de modèle aux sœurs du monastère Sainte-Croix comme une héroïque femme virile. Il la mentionne également dans un poème écrit après la mort de Radegonde où il suggère que cette dernière tient Eugénie par la main au cœur de l’assemblée des saints et des martyrs. La virilité de la femme est largement valorisée car même Fortunat compare ou du moins associe Radegonde à Eugénie, Radegonde dont il écrit le panégyrique (FORTUNAT, Opera poetica, Carminum liber VIII, carmen III, cité par Jane TIBBETTS SCHULENBURG, Forgetful of their Sex, op. cit., p. 161. 204   Christiane KLAPISCH-ZUBER, « Masculin/féminin », dans le Dictionnaire raisonné de l’Occident médiéval, sous la direction de Jacques Le Goff et Jean-Claude Schmitt, Paris, 1999, p. 663. 202 203



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les autorités païennes et acquiert une visibilité qui n’est pas commune chez les saintes205. Les images de la sainte commencent à apparaître dès la fin du XIIe siècle à la faveur de l’évolution des sensibilités. Au XIIIe siècle, l’essor de son culte entraîne la multiplication de ses images. Catherine semble connaître une fortune sans précédent pour une sainte : elle sert de modèle aux autres, comme Catherine de Sienne par exemple. Si la sainte a bénéficié de la féminisation de la période, elle incarne avant tout un compromis entre les vertus particulières de la sainteté féminine et les qualités viriles : elle est vierge, martyre et surtout docteur de la Foi... La ferveur de son culte à la fin du XIIe siècle témoigne de l’attrait que lui procurait son « statut à part » parmi les saintes. Par ailleurs, l’engouement dont elle est l’objet est tel que les hagiographes créent de nouveaux épisodes pour étoffer sa légende comme son mariage mystique. Sa position privilégiée de « sainte parmi les saintes » est particulièrement bien illustrée par les peintures de la crypte de Notre-Dame de Montmorillon. En admettant que la quatrième martyre des Salles est le docteur de la foi, sa place dans la hiérarchie des saintes est respectée : ses images sont situées dans la travée la plus orientale de la nef. Paradoxalement, l’étude de la sainteté féminine et de ses images vérifie et contredit la misogynie des clercs voire la misogynie générale. Il n’y a de femmes saintes que viriles, mortes au monde, cachées, invisibles, mais il y a aussi des femmes exceptionnelles et excellentes, la sainteté le prouve. La structuration par les images de l’espace sacré à Saint-Eutrope Aux Salles-Lavauguyon, les martyrs dans leur vie terrestre sont peints sur le registre inférieur des murs. Ils forment, en effet, une chaîne d’intercesseurs, proches des hommes dont ils connaissent les faiblesses. Le choix de leur emplacement dans l’édifice renforce le rôle qui leur est assigné : le peuple des saints est associé à la prière des hommes. Les fresques rappellent donc la présence de ceux dont le martyre est une garantie de Salut pour les fidèles. La nef où ils se   Voir Brigitte CAZELLES, The lady as a saint, op. cit., p. 55-59. L’auteur démontre néanmoins qu’après la conversion des païens lorsque le tyran accuse la sainte de leur avoir jeté un sort, l’ombre de la sorcellerie plane comme une menace sur les femmes fortes. 205



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tiennent est donc un lieu particulièrement approprié pour évoquer l’intercession. L’agencement des images hagiographiques dans l’espace de la nef semble être l’application en trois dimensions de la supplique adressée à Dieu lors de la messe : « Nous te prions Dieu, par les mérites de ces saints dont les reliques sont ici, et par les mérites de tous les saints »206. La multiplication des martyrs honorés à Saint-Eutrope est d’ailleurs l’assurance pour la communauté laïque et religieuse d’une intercession plus efficace. Au-dessus des cycles hagiographiques sont représentés les prophètes, personnages vétérotestamentaires qui, tout en incarnant l’Ancienne Loi, préfigurent surtout la venue du Sauveur. Ces grandes figures hiératiques ne sont pas situées à hauteur des fidèles. Symboliquement et concrètement, elles sont plus éloignées des hommes que les saints, car elles appartiennent déjà à la cour céleste et au monde des cieux. Outre leur emplacement, la distinction entre les prophètes et les martyrs est soulignée par la couleur blanche qui inscrit la figure dans le lieu et symbolise l’atemporalité à l’inverse des bandes colorées utilisées pour marquer le rythme du temps. Par leur matérialité, en effet, les images participent à la structuration du lieu sacré. Les bandes horizontales de couleur bleue ont pratiquement disparu des deux niveaux inférieurs et notamment de celui consacré à Étienne alors que le bleu est encore intense sur les premiers niveaux du revers de la façade. Deux raisons expliquent cette différence aujourd’hui notable. La première concerne l’exécution même des fresques : la technique est moins parfaite au quatrième qu’aux deuxième et premier registres207. Comme l’enduit est moins riche en chaux, les pigments sont devenus plus fades. Il a été avancé que l’ouvrage avait pu être achevé sur des enduits trop secs. L’autre raison est que le magnifique bleu qui a servi pour le cycle de l’Enfance, caractérisé par ses couleurs vives, est probablement du lapislazuli. Outre la réalisation des scènes christologiques dans une excellente technique à fresque, les commanditaires ont réservé pour les images qu’ils jugeaient les plus sacrées un pigment extrêmement onéreux. Cet écart qui touche à la matérialité de l’image, entre le bleu du cycle de l’Enfance et celui des autres scènes du revers de la façade   « Oramus te, Domine, per merita sanctorum tuorum quorum reliquiae hic sunt, et omnium sanctorum », cité par Jérôme Baschet, Lieu sacré, lieu d’images, op. cit., p. 159. 207   Voir à ce propos les rapports de restauration de Marie-France DE CHRISTEN,  HauteVienne, Les Salles-Lavauguyon, Peintures murales, 1986, DRAC Limousin. 206



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pour lesquelles on a utilisé de l’azurite, ne devait pas être perceptible à l’œil au moment de l’achèvement du décor. Pour autant, il était nécessaire au fonctionnement du lieu sacré : les images comme les espaces sont hiérarchisées. En revanche, la hiérarchie était marquée de manière visible par le traitement plastique du cycle de l’Enfance et de celui d’Étienne à tel point que la restauratrice, Marie-France de Christen, a pensé qu’il s’agissait de deux ateliers différents avec une manière nettement distincte, voire de campagnes successives de peintures208. En réalité, la lecture des couches d’enduits témoigne d’une progression continue du travail, du haut vers le bas, de gauche à droite, scène par scène, registre par registre. La même technique mixte a été utilisée pour l’ensemble du décor peint de la nef : une réalisation a-fresco sur des dessins préparatoires tracés à la sinopie et une dernière étape où les rehauts et les détails de surface sont posés sur un enduit sec209. Éric Sparhubert a montré non seulement que l’approche stylistique confirmait l’intervention d’un unique atelier, mais surtout que « la différence de rendu entre les scènes bibliques et les scènes hagiographiques s’explique […] par l’adaptation du traitement plastique au discours de l’image ». Les personnages des niveaux supérieurs enveloppés dans d’amples drapés bien structurés ont des gestes pondérés et une attitude noble alors que les autres qui participent à un récit dynamique ont des gestes rythmés, explicites et leurs vêtements sont « tracés à grands traits simplificateurs »210. La rupture hiérarchique souhaitée entre le haut et le bas du revers de la façade se manifestait également par les césures qui séquencent le cycle de l’Enfance et cassent le rythme du récit et les bandes colorées continues qui inscrivent l’action dans le cadre d’une narration cadencée. À partir du sacrifice d’Étienne, le rythme narratif se poursuit sur les murs de la nef où les cycles martyriaux se déroulent sans interruption jusqu’au chevet. L’enchaînement continu des scènes semble tendre vers le sanctuaire, impression accentuée par les bandes narratives 208   Marie-France DE CHRISTEN écrit dans son rapport : « Quant à la différence de style, elle n’échappe pas au regard », op. cit.. 209   Marie-France de Christen a mis en évidence la succession des pontates et des giornates qui sont bien visibles sur le revers de la façade. Les Salles-Lavauguyon, église Saint-Eutrope, Peintures murales, Rapport technique, 1991, DRAC Limousin. 210   Éric SPARHUBERT, « Limoges et Saint-Martial : un foyer original de la peinture murale romane ? », Colloque international Saint-Martial de Limoges, Ambition politique et production culturelle (Xe-XIIIe siècles), Limoges, 26-28 mai 2005, Limoges, 2006, p. 348-351.



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qui créent une dynamique axiale vers l’espace le plus sacré de l’édifice. La linéarité induite par les bandes colorées et l’enchaînement des martyres ne sont pas sans évoquer les litanies des saints qui s’égrènent lors des cérémonies. La succession des cycles semble faire écho au déroulement du sanctoral tout au long de l’année, en un fil continu. Parallèlement au rythme régulier du sanctoral, le temps liturgique est marqué par des moments fondamentaux qui structurent la vie des hommes211 : ces temps forts apparaissent aux registres supérieurs du revers de la façade, entre les montants verticaux des portes, comme points cruciaux de l’histoire de Salut (Annonciation, Visitation, Nativité, Adoration). Ainsi, les bandes colorées et les images hagiographiques de la nef symbolisent ce temps continu tandis que les ruptures dans le cycle de l’Enfance marquent bien les moments forts du calendrier liturgique. Plusieurs temps de l’Église se superposent et se confondent dans le décor peint de l’église : le temps de la Bible, le temps liturgique, le temps des hommes et le temps de l’Histoire. Les images de la nef retracent le long cheminement de l’humanité depuis la création jusqu’au Salut. Le sacrifice des saints à partir d’Étienne réitère la Passion du Sauveur. Ainsi, l’idée de la Rédemption qui est déjà soulignée par l’emplacement et la structure des images est accentuée par la dynamique axiale tendue vers l’autel. Cet axe mène à sa réalisation liturgique, le sacrifice du Calvaire réitéré quotidiennement sur la table sacrée. Créée par les images vers le chevet, la dynamique axiale prend tout son sens. À l’extrémité de cet axe, encadrant l’autel, les chanoines avaient fait peintre deux portraits de leurs prieurs. Leur fonction d’officiants et leur rôle actif dans l’économie du Salut étaient en quelque sorte le point d’orgue et la conclusion du décor peint. En pénétrant dans l’église, les fidèles voyaient, en effet, les deux effigies canoniales sur l’arc triomphal. Cet emplacement, privilégié, indiquait clairement que la communauté se présentait comme l’intercesseur des pécheurs. Elle affirmait le pouvoir qui était le sien sur terre en sa qualité d’orator, mais également, après la mort de ses brebis, dans l’Au-delà212. Il s’agissait pour les chanoines d’insister sur leur puissance d’intercesseurs. Ainsi, une longue chaîne d’intercession qui mène à la Rédemption s’étire de l’entrée de la nef jusqu’à l’entrée du chœur liturgique. À la limite de la nef et du sanctuaire, les images des deux prieurs suggèrent   Éric PALAZZO, Liturgie et société au Moyen Âge, op. cit., p. 98-123.  Il s’agit de l’un des thèmes principaux du réseau d’images.

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que les chanoines sont, ici-bas, le lien tangible entre le divin et le terrestre, les dépositaires de la puissance céleste qui communiquent avec elle.

Les espaces spécifiques pour le culte des saints Les chapelles de la nef aux Salles, une singularité… Bien que l’architecture ne nuise pas à la dynamique axiale et à la linéarité, les saints cependant ne se succèdent pas dans un même « espace iconographique ». Les berceaux transversaux dans les collatéraux délimitent des lieux pour chacun d’eux, sans remettre en cause la chaîne qu’ils forment. Grâce à ce parti architectural, chacune des travées des collatéraux est individualisée et forme une chapelle dans laquelle le saint figuré est honoré (pl. 97). L’usage de la travée collatérale comme oratoire est, d’ailleurs, attesté à une époque tardive. Au XIXe siècle, des autels secondaires étaient encore placés dans chacune d’elles qui était isolée de la précédente par l’obsturation des passages latéraux213. Il est difficile d’affirmer que ces aménagements liturgiques existaient au XIIe siècle, cependant l’histoire de la construction de l’édifice actuel et la coutume médiévale qui consiste à associer les images d’un saint à l’autel qui lui est consacré, nous invitent à le supposer. Nous reviendrons sur le premier point ultérieurement. D’autre part, les berceaux transversaux qui fournissent une suite régulière d’arcades et d’écoinçons ajoutés à la dominante hagiographique et aux registres horizontaux incitent, comme nous l’avons déjà mentionné, à comparer la nef de Saint-Eutrope à une châsse émaillée214 (pl. 98). À la manière des chevets-reliquaires, l’image véhiculée par la nef de Saint-Eutrope est celle d’une église riche en reliques d’où émanerait la virtus des martyrs qui y sont l’objet d’un culte. À la différence des chevets à déambulatoire et à chapelles rayonnantes dont la fonction est communément admise et nettement affirmée dans le paysage, la nef des Salles n’apparaît comme un immense reliquaire 213  Lucien Roy, lettre du 12 septembre 1908, Arch. Mon. Hist., 1558. Les passages latéraux à cette époque étaient encore murés. Voir Éric SPARHUBERT, « Construction identitaire et construction architecturale au temps de la Réforme grégorienne : le chantier de la collégiale Saint-Barthélemy de Bénévent », Mémoires de la Société des Sciences Naturelles, Archéologiques et Historiques de la Creuse, 48, 2003, p. 96, n. 21. 214   Claude ANDRAULT-SCHMITT, « Compte-rendu sur la peinture murale en Poitou et Limousin », Bulletin monumental, t. 149, 1991, p. 322.



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qu’à l’intérieur de l’église. Comment traduire extérieurement, en effet, par des formes et des volumes significatifs, ayant valeur de références, l’image d’une nef-réceptacle à reliques ? Chaque chapelle, chaque station auprès d’un saint, donne lieu à une étape vers le sanctuaire. Cette progression dans la nef évoque l’idée du pèlerinage. Sicard de Crémone qui compare d’ailleurs la longueur de l’église « à la patience qui supporte les épreuves avant de rejoindre la patrie céleste » fait de cet axe, comme l’analyse Jérôme Baschet, « une image condensée du pèlerinage, du parcours salutaire vers le règne de Dieu, dont la façade et l’abside sont respectivement l’origine et le but »215. Cette métaphore se matérialise aux Salles où les fidèles sont encadrés de part et d’autre de scènes de martyres jusqu’au chevet. Les dures épreuves trouvent corps dans les passions des saints, épreuves qu’ils ont supportées avant de rejoindre le royaume céleste et de siéger auprès du Sauveur. La patience est symbolisée par les différentes étapes – ici les chapelles – du parcours qui mène vers le sanctuaire, la patrie céleste. La nef de Saint-Eutrope est l’image du cheminement spirituel que les fidèles doivent accomplir pour aller vers Dieu. Le traitement de la nef des Salles-Lavauguyon est particulièrement original puisqu’il conjugue grâce à sa succession d’oratoires et à son décor, une image de reliquaire et de pèlerinage. Ainsi, le parti architectural et les cycles martyriaux assurent la transition entre la sphère terrestre et la sphère céleste (la nef et le chœur), le glissement attendu vers la spiritualité qui mène à Dieu (le pèlerinage et ses étapes). Métaphoriquement, la nef et ses images permettent d’accéder aux moyens du Salut. Ainsi, les images hagiographiques déterminent l’image et la fonction symbolique de l’espace de l’église dans lequel elles sont situées. Inversement, leur composition et leur sens peuvent être influencés par le lieu dans lequel elles s’inscrivent. Transformer la nef en reliquaire n’est pas anodin et il convient de s’interroger sur les raisons d’un tel choix. En d’autres termes, penser une nef comme un espace spécifique consacré au culte des saints constitue un écart notable, car en général, d’autres lieux sont réservés à leur dévotion. Les cryptes et les chapelles des chevets sont traditionnellement les espaces privilégiés où le culte des saints trouve sa matérialité. Elles témoignent,

215   Jérôme BASCHET, Lieu sacré, lieu d’images, op. cit., p. 155 ; SICARD de CRÉMONE, Mitrale, I, 4, P.L., 212, col. 21.



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d’ailleurs, du rapport duel entre l’emplacement de l’image hagiographique et l’architecture. Les cryptes et les chevets Située sous le chevet, la crypte-reliquaire de l’abbatiale de SaintSavin-sur-Gartempe, est desservie par deux escaliers étroits à l’ouest sous la croisée. Ils ménageaient peut-être un sens de circulation entre les personnes qui descendaient et celles qui remontaient lors des processions et des cérémonies en l’honneur des martyrs. Entre les deux escaliers, la paroi occidentale est percée par quatre regards, placés au niveau du sol de la croisée tandis qu’à l’est, une baie donne sur le déambulatoire. Ainsi, les fidèles pouvaient voir l’intérieur du martyrium, s’il était éclairé, sans y pénétrer. L’assimilation de la crypte à un reliquaire prend dans ce cas de figure tout son sens : seules les images que l’on aperçoit témoignent de l’identité du lieu et des reliques. Aucun témoignage ne nous est parvenu concernant l’utilisation de la crypte et les rites qui s’y déroulaient. Il aurait été passionnant pour la compréhension du lieu de savoir comment les moines orchestraient la mise en scène liturgique de cet espace cultuel exigu. Le sens de lecture du cycle fournit peut-être timidement quelques pistes : il débute à l’est sur les deux parois latérales et progresse vers l’ouest où se situe la conclusion tragique de la légende, la décapitation des deux saints216. La connotation négative, humiliante des images de leur mort a, sans doute, présidé au choix de leur emplacement et donc à l’agencement global du cycle. Toutefois, on peut se demander si la composition d’ensemble du cycle n’a pas été déterminée par le sens de circulation des processions dans la crypte. Si les gens – moines, laïcs – sortaient par la porte sud, ils quittaient le martyrium avec l’image de la décapitation du saint patron de l’abbaye. Le cycle martyrial des saints Savin et Cyprien qui sert visuellement de fond à la théâtralisation des reliques loue le triomphe du Christ sur la Mort à travers la victoire des deux frères. Leur grandeur y est exacerbée puisqu’ils sont emplis de la gloire divine qui les inspire et leur donne la capacité de supporter les souffrances. Les divers supplices – complaisamment décrits d’ailleurs – qu’ils endurent visent à magnifier la puissance de Dieu dont le martyre est une manifestation. Toutefois, si les images exaltent la force divine, elles insistent égale La décapitation de Savin est figurée sur la paroi sud à l’ouest, celle de Cyprien est peinte sur la paroi occidentale. 216



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ment sur celle des deux athlètes dont les corps, chargés de virtus, sont conservés dans la crypte. Les images de leur passion se développent en relation étroite avec la vision divine et la théorie de saints peints dans le sanctuaire. Audessus de l’autel, au sommet de la voûte s’élève un Christ qui siège sur un large trône tandis que ses pieds reposent sur un scabellum (pl. 99). Accompagné du Tétramorphe, il bénit de la main droite et présente le Livre de Vie ouvert. Il est enveloppé dans une mandorle ronde qui est ceinte d’une inscription : DAT SANCTIS DIGN[AS MIRABILI] SORTE CORONAS / [S]I [T CLAR] US JUDEX MERITORUM SPLENDIDUS INDEX217. Cette phrase ne se comprend que si elle est reliée aux huit figures de saints et de saintes sur la paroi218. Elles se détachent, en position frontale, hiératiques sur un fond bleu nuit. Chaque saint porte une couronne, symbole de son élection, qui témoigne auprès des vivants de la récompense promise par le Sauveur. Tous sont représentés sous une arcade dans la Jérusalem Céleste : des murs appareillés, des tours, des baies et des oculi sont comme autant de détails qui permettent d’identifier le lieu. Les saints, représentés dans la béatitude éternelle, se tiennent symboliquement debout autour du Christ. Ils entourent également l’autel (pl. 100). Chaque saint est individualisé par ses gestes, ses vêtements, la coiffure ou le port de la barbe pour les hommes et le voile pour les femmes (simplement posé sur les cheveux ou similaire à celui des moniales). À la différence des saintes, les saints présentent leur couronne les mains voilées. Ils semblent accueillir les élus dans la Cité de Dieu alors que les saintes bénissent ou font un geste d’acceptation. Sur les murs sud et nord, le saint du centre est pourvu d’un nimbe rouge alors que les autres martyrs ont la tête ceinte d’une auréole de couleur or. Des inscriptions peintes à la verticale dans le champ de l’image ont permis d’en identifier la plupart. De part et d’autre de la baie axiale, se dressent Prudence et Fercincte; puis au nord, Savine, Savin et un saint inconnu et enfin au sud, entre deux saints anonymes Florent. Les deux martyrs distingués par la couleur de leur nimbe sont donc Savin et Florent. Sous la figure de Fercincte court un texte peint, partiellement conservé : HIC DEN[SVS] E[ST] CON[FE]SSO[RUM]   « Il distribue aux saints les couronnes dignes de leur vie admirable. Que, guide splendide, il soit juge éclatant de leurs mérites ». La transcription et la traduction sont de Robert Favreau et Jean Michaud, sous la direction d’Edmond-René Labande, Corpus des inscriptions de la France médiévale, I, Poitou-Charentes, 2, Département de la Vienne, Poitiers, 1975, p. 102. 218  Le choix du chiffre huit n’est pas fortuit. 217



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CETVS [ ?] ....219. En d’autres termes, les saints sont réunis dans la Jérusalem Céleste qui est préfigurée dans l’église par le chœur liturgique. Ainsi, dans la pièce précédant le sanctuaire se déroulent des images qui illustrent « les hauts faits de ces vies admirables » et le martyre de Savin et Cyprien « égorgés pour la parole de Dieu ». Puis, on retrouve au plus près de l’autel, l’image du saint patron de l’abbaye couronné de gloire par le Christ dans la Cité de Dieu. Récompense ultime et aboutissement de son martyre, il siège dans la cour céleste. Ainsi, le cycle martyrial se termine dans le sanctuaire où Savin est agrégé à l’assemblée des confesseurs. Des images narratives au thème d’état, les peintures marquent la gradation progressive de la sacralité du lieu. Comme l’a fait remarquer Robert Favreau, les noms de ces saints se retrouvent dans les inscriptions des autels des chapelles rayonnantes dans l’église220. À l’exception de celui dédié à saint Marin où est cité le saint Hermengilde, dans le cas des trois autres, les débuts des inscriptions sur les faces antérieures se rapportent toujours à des saints universels. Ce type de dédicaces n’implique pas nécessairement la possession de reliques. En revanche, les textes se terminent par la mention de saints dont les restes corporels étaient conservés dans l’abbaye : les saintes Savine et Fercincte, les saints Maixent, Florent et Romard221. Seul Hermengilde n’est pas nommé au calendrier de Saint-Savin. Cependant, l’autel de l’absidiole centrale est voué en premier lieu à saint Marin, second protecteur de l’abbaye, ce qui explique l’absence d’Hermengilde dans le sanctoral de Saint-Savin222. Les moines de Saint-Savin étaient les gardiens du corps de saint Savin qui était resté trente ans dans le Berry en raison des incursions normandes, avant d’être ramené en Poitou. Outre les reliques de leur saint patron, ils possédaient aussi les reliques de saint Maixent dont la dépouille avait été abritée pendant quelque temps dans l’abbatiale, mais également celles de saint Florent qui firent étape à Saint-Savin, ainsi que celles de saint Romard223. L’abbaye a été, en effet, l’un des principaux refuges ou du moins un passage obligé des moines de   « Ici se presse l’assemblée des confesseurs... », Corpus des inscriptions de la France médiévale, I, op. cit., p. 104. 220   Robert FAVREAU, « Les inscriptions de l’église de Saint-Savin-sur-Gartempe », dans Études d’épigraphie médiévale, Limoges, 1995, t. 1, p. 50. 221   Ibid., p. 37. 222   Ibid., p. 37. 223   Ibid., p. 25. 219



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l’Ouest fuyant les incursions des normands et emportant avec eux leurs trésors les plus précieux. À la fin du IXe siècle ou au début du Xe siècle, à l’occasion des derniers raids normands en Poitou, les moines de Saint-Savin enfouirent les reliques de Savin, Marin, Prudence, Maixent, Romard et Florent dans l’abbatiale sans en noter l’emplacement. Au début du XIe siècle, des travaux entrepris dans l’édifice permirent la découverte des restes et des ossements égarés. Les reliques ont été remises à l’honneur dans l’abbaye dans la première moitié du XIe siècle, époque où les autels dédicacés furent installés224. Les trois saints non identifiés de la crypte pourraient alors être Romard, Marin et Maixent puisque leurs reliques étaient vénérées dans l’abbatiale225. Ainsi, les saints recevant du Christ leur récompense étaient tous présents dans l’édifice par la puissance de leur virtus et honorés par un autel. La représentation de la gloire des martyrs, leur répartition symbolique autour du Christ distribuant les couronnes et leur emplacement autour de l’autel de la crypte montrent une réflexion d’ensemble d’une grande cohérence. Les figures peintes se situent symboliquement au-dessous des autels des chapelles rayonnantes contenant leurs reliques ou bien sous les autels qui les honorent. La présence du Christ est signifiée par son image peinte sur la voûte au-dessus de l’autel de la crypte. Or, symboliquement, la Maiestas Domini se trouve également sous l’autel matutinal du chœur de l’abbatiale. Dans l’exégèse et la piété populaire, l’autel revêtait plusieurs sens symboliques, liés aux réflexions sur l’Eucharistie et l’Oeuvre du Salut. Le plus répandu était celui qui assimilait l’autel au trône sur lequel le Christ descendait au moment de la messe, autel qui était également considéré comme le tombeau ou le Christ lui-même226. La Maiestas Domini peinte au-dessus d’un autel de la crypte et sous l’autel matutinal du chevet réaffirme que le Sauveur est présent lors du Sacrifice, l’autel étant assimilé au Christ lui-même. Les figures des saints placées sous les autels du chevet qui abritent leurs reliques ou qui les honorent évoquent « les âmes (aperçues sous   Ibid., p. 26-29. Selon Robert Favreau, les autels et leurs inscriptions datent de la première moitié du XIe siècle, op. cit., p. 47. 225   Corpus des inscriptions de la France médiévale, I, op. cit., p. 105, « Cette hypothèse exclurait Cyprien de la série des saints représentés dans cette partie de la crypte. On ne possède aucune certitude sur l’existence des reliques de ce saint dans l’abbatiale dont le second patron, derrière Savin, est Marin. Parmi les textes conservés ou connus, seuls ceux qui sont peints sur les murs de la travée occidentale de la crypte mentionnent Cyprien ». 226   J. BRAUN, Der christlische Altar in seiner geschichtlichen Entwicklung, München, 1924, p. 750755. 224



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l’autel) de ceux qui furent égorgés pour la parole de Dieu et le témoignage qu’ils avaient rendu » (Ap., VI, 9). La liaison qui est établie entre les images de la crypte et les autels de l’église est une métaphore de la liturgie céleste. Saint Ambroise explique en commentant le célèbre verset de l’Apocalypse que les martyrs, s’étant offerts en sacrifice, prennent naturellement place sous l’autel, autrement dit sous le Christ227. C’est par ailleurs ce verset qui valida la pratique de déposer les reliques des saints dans les autels pour les consacrer. Puisque l’Eucharistie ne peut s’effectuer que sur un autel dans lequel sont déposées des reliques, ces dernières participent au fonctionnement liturgique de l’église. Elles sont donc essentielles dans la fonction de communion et d’union de l’Église. Or, les saints présents dans l’édifice par la virtus de leurs restes corporels participent à cette union lors de l’Eucharistie, corps du Christ228. Les saints figurés dans la grâce éternelle, autour de l’autel dans le sanctuaire de la crypte, possèdent la même charge signifiante et symbolique que la Maiestas Domini qui surplombe la table sacrificielle. Les images scellent la rencontre entre le terrestre et le céleste : chaque martyr est représenté sous l’autel qui contient ses reliques – à la fois fragments matériels et immatériels – et sur lequel le Christ descend lors du sacrifice eucharistique. Le décor définit en images la symbolique de table sacrée : l’autel dispense à la fois la nourriture sacramentelle et la virtus du saint protecteur dont il abrite les restes. Il est à la fois table et tombeau, lieu de jonction entre la liturgie terrestre et céleste où la présence du divin est garantie229. En somme, le décor du sanctuaire de la crypte offre une définition exégétique de l’autel et surtout semble être une projection réduite des aménagements liturgiques du chevet de l’église : il représente  AMBROISE DE MILAN, Epistolae, 22, 13, cité par Charles PIETRI, « L’évolution du culte des saints aux premiers siècles chrétiens », dans Les fonctions des saints dans le monde occidental (IIIe-XIIIe), Actes du colloque organisé par l’École française de Rome, le 27-29 octobre 1998, Rome, 1991, p. 33. 228   Jean-Claude Schmitt note à ce propos que « ce lien essentiel (les saints imitant la Passion de Jésus) entre le Christ et les saints, et plus précisément entre leur corps et le corps du Christ, s’exprime dans l’autel, dont la table contient des reliques sur lesquelles est célébré le sacrifice eucharistique ». Voir Jean-Claude SCHMITT, « Les reliques et leurs images » dans Le corps des images, Essais sur la culture visuelle au Moyen Âge, Paris, 2002, p. 280. 229  La présence des reliques et leur mention sur les inscriptions d’autel illustrent la signification duelle permanente de l’autel chrétien depuis les origines, à la fois table et tombeau. Voir Jean MICHAUD, « Culte des reliques et épigraphie. L’exemple des dédicaces et des consécrations d’autels », dans Les reliques, Objets, cultes, symboles, Actes du colloque international de l’Université du Littoral – Côte d’Opale (Boulogne-sur-Mer), 4-6 septembre 1997, Turnhout, 1999, p. 208. 227



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symboliquement la topographie sacrée de l’abbatiale et la distribution de ses polarités. Une cartographie du sacré qui évoque pour Yves Christe l’image de la Toussaint230. La salle rectangulaire de la crypte est conçue comme une châsse qui rend compte avec précision de la passion de celui dont elle abrite le corps. La puissance narrative du cycle hagiographique est mis au service d’une démonstration d’authenticité : les images donnent corps au corps invisible du saint. Elles servent à affirmer ostensiblement l’historicité du corps de Savin et à l’exalter. Son « portrait » dans le sanctuaire le montre dans la gloire éternelle du Sauveur et légitime, s’il était encore nécessaire de le faire, le culte qui lui est rendu dans l’abbatiale. La crypte est donc construite à l’image d’un martyrium, véritable domus du saint. Cependant, le sanctuaire donne à voir « l’assemblée des confesseurs » réunie autour du Sauveur et à laquelle Savin appartient. Les effigies des autres saints s’inscrivent dans la même logique d’authentification. Grâce aux peintures, les reliques conservées dans les autels secondaires du chevet se matérialisent dans la crypte. Si la crypte est un lieu spécifique dévolu au culte de Savin, elle s’intègre à la construction intellectuelle de l’espace ecclésial qui pense l’intégralité de l’église. En reproduisant la topographie sacrée du chevet, en établissant un lien entre la liturgie céleste et terrestre, la cryptechâsse s’emboîte dans le chevet-reliquaire. À Saint-Savin, l’importance visuelle accordée au chevet montre l’ambition des moines de présenter leur abbatiale comme un réceptacle pour les reliques. Une volonté similaire se retrouve à Saint230  Selon Yves Christe, les autels latéraux du déambulatoire étaient dédiés à une certaine catégorie de saints sur le modèle des litanies et des offices liturgiques : les vierges, les martyrs, les confesseurs et peut-être les Innocents, mais la formule de consécration de l’autel de saint Romard est lacunaire. S’il est possible que le mot Innocentium ait été écrit, on ne peut pas apporter une réponse sûre. Voir à ce propos Corpus des inscriptions de la France médiévale, I, op. cit., p. 96 et Robert FAVREAU, « Les inscriptions de l’église... », op. cit., p. 41. Yves Christe rappelle que Pierre et Paul étaient honorés dans l’absidiole du bras sud et les neuf chœurs dans celle du bras nord du transept. « Dans le pourtour du chœur, on retrouve une image de la Toussaint qui fait pendant à celle de la chapelle haute du porche. La présence des Innocents est de ce fait compréhensible. Les antiennes, les versets et les réponses des offices du 1er novembre et du 28 décembre se confondent souvent, surtout quand ils sont la paraphrase des deux adorations de l’Agneau d’Ap.7 et 14. À la Toussaint, comme à la fête des Innocents, l’adoration d’Ap. 4-5 est aussi évoquée. On ne s’étonnera donc pas de la trouver et dans le chœur et dans la crypte, au-dessus de représentations de différents saints ». Voir Yves CHRISTE, « Les peintures murales » dans Saint-Savin, L’abbaye et ses peintures murales, op. cit., p. 141.



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Hilaire de Poitiers dont le chevet atteste par son organisation et la hiérarchisation de ses espaces la dévotion rendue aux reliques. Les cycles hagiographiques structurent l’espace des chapelles et donc, par extension, celui du chevet. Ils complètent, en effet, comme autant de notes marginales le cycle apocalyptique. Le culte rendu au sépulcre de saint Hilaire, mais également aux saints figurés dans les oratoires, explique l’ampleur et les articulations de la partie orientale. Le chevet à déambulatoire et à chapelles rayonnantes a été choisi, à la fin du XIe siècle, comme à Saint-Savin, pour véhiculer l’image d’une église riche en reliques. La collégiale n’abritait pas, en effet, que les restes saints du premier évêque de Poitiers : à l’époque carolingienne, l’église possédait des reliques des saints Martin et Quentin dont l’existence est connue par les inscriptions d’Alcuin231. Il est fort probable qu’elles aient encore été conservées dans les autels au XIe siècle. Il est également fait mention d’un autel Saint-Quentin et Saint-Denis au XVe et au XVIIIe siècle, dont l’emplacement est à ce jour inconnu : « Que Quentin martyr, et Denis, Père, protègent à jamais de l’Ennemi cet autel, par leurs prières, l’un et l’autre maîtres de vie par l’excellence de leurs mérites, eux qui par leur sang vermeil possèdent les royaumes bienheureux »232. La pérennité des cultes semble donc avoir été assurée à Saint-Hilaire de l’époque carolingienne à la période moderne. Les inscriptions d’Alcuin précisent aussi qu’un autel était voué à saint Philibert et sainte Agathe : « Père éminent, Philibert possèdera cet autel, lui qui construisit maints lieux saints pour Dieu. Lui est unie la très illustre martyre Agathe qui, par l’effusion de son sang, était parvenue à la couche nuptiale du Christ »233. Les images des saints étaient vraisemblablement en liaison avec la table où étaient déposés leurs restes corporels234. Si des reliques de Martin et Quentin étaient conservées dans l’église, aucun document   Jean Michaud écrit à ce propos dans Les inscriptions de Saint-Hilaire de Poitiers, (dactyl.), Poitiers, 1973, p. 2 : « Saint-Hilaire était l’un des plus importants établissements ecclésiastiques du Poitou et de tout l’Ouest. C’est dans ce cadre que se situent les premières inscriptions hilariennes connues à l’époque carolingienne, inscriptions métriques composées par les grands lettrés de l’époque, Paul Diacre et Alcuin, épitaphes gravées sur des pierres qui sont aujourd’hui les plus anciens témoins archéologiques conservés de la primitive église de Saint-Hilaire ». 232   Corpus des inscriptions de la France médiévale, I, op. cit., p. 39. 233   Ibid., p. 39. 234  Les inscriptions commençaient peut-être par le nom des saints dont l’église possédait les reliques, comme par exemple Quentin, et se terminaient par la mention de personnages généraux qui n’impliquaient pas nécessairement la possession de reliques. 231



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n’atteste que « celles de Philibert aient été transférées à Poitiers, mais on sait qu’elles ont été transportées de Noirmoutiers à Tournus, en passant par le Poitou »235. Pourtant la présence du cycle qui lui est consacré montre qu’il faisait l’objet d’une dévotion particulière à Saint-Hilaire comme Quentin et Martin. On a pu observer que l’adéquation entre les images des saints et les reliques enfermées dans l’autel est connue aux XIe- XIIe siècles dans certains édifices, à l’instar de Saint-Savin. Mais, à la différence de l’abbatiale, dans la collégiale, les images peintes surmontent directement les tables sacrées qui contenaient les restes saints236. En ce sens, cette pratique ne diffère pas de celle d’orner les châsses de la passion des martyrs pour authentifier les restes corporels qu’elles conservent. Il semble que l’espace liturgique des chapelles et son décor se substituent au reliquaire, pièce d’orfèvrerie. Les oratoires et leurs peintures servent alors d’écrins aux reliques et définissent un lieu sacré spécifique pour le culte du saint. C’est pourquoi il est probable que la collégiale possédait les reliques de Philibert. Ainsi, grâce à leurs restes corporels et si l’on en croit les images, trois saints étaient plus particulièrement à l’honneur à Saint-Hilaire : Martin, Quentin et Philibert. Un lieu spécifique – une chapelle – est réservé à chacun d’eux dans l’église autour du tombeau de saint Hilaire pour lequel le chevet est conçu comme un ornement. Les reliques ont défini les articulations et la cohérence du chevet : les espaces de l’édifice se structurent autour d’elles. Fondations et fondement de la collégiale, elles sont le ciment autour duquel la communauté s’organise. Ainsi, l’ampleur du chevet permet de mettre en scène de manière grandiose le sépulcre du fondateur du diocèse, tout en définissant, « une aire propice au déploiement des reliques »237. Outre leur emplacement particulier lié au culte d’un saint, les cycles hagiographiques et les effigies du déambulatoire et de la chapelle méridionale sont indissociables du cycle apocalyptique du rondpoint de colonnes. C’est pourquoi la place de ces images doit aussi être envisagée dans le réseau d’images du chevet. La foule des élus – les saints figurés dans le chevet – évoquée par le chapitre VII de l’Apocalypse est représentée autour de l’autel majeur et du sanctuaire.   Corpus des inscriptions de la France médiévale, I, op. cit., p. 40.  Toutefois, l’évocation du texte de Jean (Ap., VI, 9-11) est largement appuyée par le cycle apocalyptique du rond-point de colonnes. 237   Nous empruntons cette expression à Éric SPARHUBERT, « Un exemple de programme architectural à l’époque des conciles de Latran III et IV : l’allongement du chevet de la collégiale de Saint-Junien (Haute-Vienne), op. cit., p. 255. 235 236



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Les saints, tournés vers le Christ en Majesté peint sur la voûte du chœur, forment la cour céleste. Ils siègent à côté de Lui dans la Jérusalem Céleste, préfigurée sur terre par le chevet de l’église. D’autre part, ils composent une cour homogène autour du souverain céleste, disposés en ordre parfait, sans hiérarchie. Chacun des autels secondaires se trouve à égale distance de l’autel majeur car, à Saint-Hilaire, il n’existe pas de chapelle d’axe. Ainsi, aucun des quatre oratoires ne se distingue réellement des autres. Le plan et les volumes du chevet s’adaptent parfaitement à la disposition des élus entourant le Christ et renforcent le propos liturgique et exégétique des images. L’absence de hiérarchie au sein des images hagiographiques ne signifie pas que le réseau d’images en soit exempt. L’emplacement des peintures reflète leurs différentes valeurs. Les visions apocalyptiques se déroulent sur le bandeau du rond-point de colonnes, proches du Christ en gloire telle la glose238. Les saints, proches des hommes, sont situés dans le déambulatoire tandis que, dans les chapelles, les saints Martin, Quentin et Philibert sont figurés dans les scènes de leur vie terrestre. La place des scènes a été déterminée par la hiérarchie des différents temps qui traversent l’Église : l’histoire des hommes et l’eschatologie, c’est-à-dire l’Histoire. Le degré de sacralité des espaces est renforcé par les images. Si chacune des chapelles est un lieu sacré particulier, un lieu de dévotion spécifique, toutes sont subordonnées à l’espace principal, lieu de la plus forte sacralité, le sanctuaire. À l’image du Christ qui réunit autour de lui la cour céleste, l’autel majeur sanctifié par la présence de Dieu – image de la Maiestas Domini et sacrifice eucharistique – et celle de tous les saints diffuse sa sacralité vers les autels secondaires. Les différents espaces du chevet finissent par s’emboîter et se fondre autour du sanctuaire. L’architecture et son décor nous montrent l’image de l’Église triomphante composée de tous ses saints, de tous les élus en habits sacerdotaux. Autrement dit, ils nous offrent de contempler une vision spatialisée de la cour céleste dans les volumes du chevet. Si certains espaces dans l’église sont traditionnellement dévolus au culte des saints comme les cryptes ou les chapelles, la cohérence des  Selon Yves Christe, les scènes narratives du cycle apocalyptique sont étroitement subordonnées à la vision en gloire autour de laquelle elles sont regroupées à la manière d’annotations marginales. Voir son ouvrage, L’Apocalypse de Jean, op. cit., p. 108. Nous pouvons ajouter que le bandeau au-dessus du rond-point de colonnes y est particulièrement adapté : en marge de la Maiestas, les images qu’il porte la complètent. 238



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articulations d’un édifice, la hiérarchisation de ses espaces et ses images, définissent les lieux spécifiques réservés au saint. Ce sont ces « marqueurs forts » qui déterminent la fonction d’un espace dans l’église. Aux Salles-Lavauguyon, ils sont prégnants dans la nef où chaque travée collatérale est un oratoire consacré à un martyr. Ces constats confortent notre hypothèse d’une nef conçue, entre autres, pour véhiculer l’image d’un lieu riche en reliques. Les images hagiographiques et les lieux de transition

Le revers de la façade de l’église Saint-Eutrope : un espace de transition Les lieux de passage, les ouvertures vers l’extérieur structurent l’espace d’une église. Les peintures du revers de la façade de SaintEutrope incarnent cette limite, ce lieu de transition qui est matérialisé par la porte qu’elles surmontent. Elles évoquent le sacrifice rédempteur du Christ et de ses martyrs, leur victoire sur la mort, la nécessité de donner, les rites qui ont permis et qui permettent l’entrée dans le royaume de Dieu, la Jérusalem Céleste dont l’édifice cultuel lui-même est le symbole sur terre. La porte de l’église est donc le lieu de rupture d’un continuum, un lieu frontière. Entrer dans l’église, c’est en quelque sorte renoncer au péché, c’est la possibilité d’accéder aux moyens du Salut, promesse de la Rédemption. Autrement dit, en pénétrant dans l’édifice, le fidèle manifeste la volonté de rompre « avec son ancienne peau » et le désir de s’agréger au corps du Christ. Non sans raison, Jean-Michel Spieser rappelle que « l’on a reconnu l’importance des moments qui, dans le temps, impliquent le passage d’un état à un autre et qui, pour cela, sont fortement ritualisés, de même les lieux qui marquent la limite entre deux espaces qui ne sont pas de même nature sont nécessairement fortement marqués si bien que les principales valeurs du sacré s’attachent à eux. La porte (...) devra donc recevoir des marqueurs non ambigus »239. Passer la porte implique non seulement un changement d’état, mais également le passage d’un monde à un autre : symboliquement, en entrant dans l’église, le fidèle franchit le seuil de la Cité de Dieu, lavé de ses péchés240. 239   Jean-Michel SPIESER, « Portes, limites et organisation de l’espace dans les églises paléo­ chrétiennes », Klio, 77, 1995, p. 439. 240   Nous avons déjà évoqué le véritable rite de passage qui permettait aux pécheurs de réintégrer la communauté ecclésiale et dont le cadre était le portail nord de la cathédrale



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Ainsi, les images vont constituer « les marqueurs non ambigus » dont la porte devra être pourvue. L’Incarnation, proclamée sur le revers de la façade, annonce l’entrée du Verbe dans l’histoire des hommes, la rencontre improbable du divin et de l’humain. Or, dans la scène de l’Annonciation, l’ange et la Vierge sont étonnamment proches l’un de l’autre. Hormis une adaptation à la surface disponible, cette proximité évoque également le lien qui s’opère lors du mystère de l’Incarnation entre le monde des cieux et le monde terrestre. Lien qui est traduit par la présence de l’ange tout près de Marie. Audelà de la composition de l’image, l’Incarnation, fusion du céleste et du terrestre, jonction entre les deux principes, se trouve représentée à l’entrée, point de contact entre deux mondes. Le concepteur des images a su admirablement jouer avec la notion de transition et de passage. Le cycle de l’Enfance évoque la confrontation entre deux mondes, celui du Dieu Incarné et celui des hommes par l’intermédiaire des portes closes ou ouvertes. La fonction de la porte est définie, en effet, par les images qui la surplombent. La porte fermée dans l’intimité de l’Incarnation ou qui s’ouvre lorsque la venue du Messie est révélée à l’humanité est toujours liée aux images qui mettent en scène la Vierge. Or, la Vierge trônante est parfois associée aux lieux de transition, porte ou ouverture de l’église : ce sont les « Vierges portières » ou « Vierge-porte-close ». À La Daurade à Toulouse, une sculpture d’une « Vierge-porte close » est placée dans l’embrasure d’une porte ; dans le cloître de Saint-Aubin d’Angers, elle domine le temple peint d’Ézéchiel sur l’extrados d’une des baies géminées de la salle du chapitre241 ; à Saint-Savin-sur-Gartempe242, elle surmonte la porte du mur ouest de la nef. Il est difficile de savoir si l’utilisation répétée du motif de la porte fermée et ouverte aux Salles renvoie à la symbolique du temple d’Ézéchiel, comme pour les « Vierges portières » ou « portes-closes ». Toutefois, la mise en abîme est telle qu’il semble logique de supposer que le jeu des portes dans le cycle de l’Enfance renforce la signification de ce lieu-frontière. Saint-Lazare d’Autun. 241   Éric PALAZZO, « Exégèse, liturgie et politique dans l’iconographie du cloître de SaintAubin d’Angers », op. cit., p. 220-240. 242   Cette peinture est située sur le mur ouest de la nef et répond à celle du Christ du porche. Selon Marie-Thérèse Camus : « ... elle fait face à l’Orient et protège l’assemblée. Comme le Christ du porche, elle est entourée d’anges et des moines reconnaissants s’inclinent vers elle. Trône de la sagesse du Père, elle est Porte du ciel, reine de la terre et des cieux, étincelante de vingt-quatre cabochons de verre et d’enduits peints en relief. », Saint-Savin, L’abbaye et ses peintures murales, sous la direction de Robert Favreau, Poitiers, 1999, p. 147, ill. p. 146.



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La partie occidentale de l’église est un espace où s’exprime la confrontation entre les différents mondes qui composent l’imaginaire médiéval. C’est pourquoi les images positives sont juxtaposées aux images négatives. La chute de la grande Prostituée et la vision des Enfers synthétisent grâce à cette combinaison atypique la définition de ce « lieu-limite » où le bien et le mal se côtoient : certaines âmes pécheresses croupissent en enfer, alors même que la victoire de l’Agneau est proclamée à travers la chute de Babylone. Selon Peter K. Klein, l’emplacement des images du Jugement dernier à l’occident s’explique par le symbolisme très fort des points cardinaux, avec une opposition occident-orient et par les constituants négatifs de l’événement qu’est, par exemple, la séparation des élus et des damnés243. Pour les théologiens, l’occident signifie le coucher, la fin ; l’orient, la source de lumière où le triomphe du Christ se déroulera. C’est par opposition à l’est que les images du Jugement dernier ont été représentées à l’ouest. De la même manière, pour les exégètes comme Honorius Augustodunensis dans l’Elucidarium, les épisodes les plus humbles, voire les plus humiliants de la vie du Christ – l’Incarnation, la Passion, la descente aux Enfers – sont plus volontiers associés à l’occident tandis que les stations triomphales comme la Résurrection, l’Ascension, la seconde Parousie se seraient déroulées à l’orient244. La dynamique axiale occident-orient, entrée-chevet de l’église, est également la métaphore du cheminement spirituel que les fidèles doivent mener pour rejoindre le Christ. L’entrée de l’édifice en est le point de départ. Comme nous l’avons déjà souligné, la création d’Adam et Ève à cet endroit symbolise sans doute la distance qui sépare leurs descendants du lieu le plus sacré de l’église, le chœur où Dieu est présent245. Sur le revers de la façade, l’axe vertical a aussi été pris en compte : les images de l’Enfance du Christ sont peintes sur les registres supé243   Peter K. KLEIN, « L’emplacement du Jugement dernier et de la seconde Parousie dans l’art monumental du Haut Moyen Âge », dans L’emplacement et la fonction des images dans la peinture murale du Moyen Âge, Actes du 5e séminaire international d’art mural, 16-18 septembre 1992, Saint-Savin, 1992, p. 89-102. 244   Cité par Peter K. KLEIN, « L’emplacement du Jugement dernier et de la seconde Parousie dans l’art monumental du Haut Moyen Âge », op. cit., p. 98 ; Honorius AUGUSTODUNENSIS, Elucidarium, P.L., 172. 245   Dans l’abbatiale Saint-Savin, à Saint-Savin-sur-Gartempe, les images offrent également un cheminement spirituel dans l’édifice. Les peintures de la voûte au registre inférieur nord de la première travée de la nef illustrent elles aussi le début de l’Histoire de l’Humanité, voir à ce propos le chapitre d’Yves CHRISTE dans Saint-Savin, L’abbaye et ses peintures murales, op. cit., notamment p. 117-120.



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rieurs tandis que la scène d’offrandes, la vision de l’Enfer et le martyr de saint Étienne sont figurés sur les registres inférieurs, le plus près des fidèles. Cet axe évoque peut-être le lien entre Dieu et les hommes, le ciel et la terre. L’espace de l’édifice est structuré par une autre composante : la dualité droite-gauche qui se traduit, du fait de l’orientation des églises et de la place de l’autel, par l’opposition nord-sud. Les images de l’Incarnation, de la Vierge se situent à droite, soit au sud, la création des premiers hommes, l’Enfer sont à gauche donc au nord. Sur les écoinçons, le massacre des Innocents qui préfigure le Sacrifice rédempteur du Christ répond à la tentation et à la chute d’Adam et Ève, cause première du rachat. Une construction dialectique préside à la disposition des images dans l’espace de l’église. Ces juxtapositions traduisent le dualisme entre le jour et les ténèbres. La gauche étant le côté sinistre, froid, plus volontiers associé au Mal tandis que la droite est celui de la lumière et de la vie. Robert Hertz qui s’est intéressé à cet antagonisme fondamental propose la démonstration suivante : « d’un côté la vie rayonne et monte, de l’autre, elle descend et s’éteint »246. D’un côté le sacré, de l’autre le profane et l’impur, « la droite représente le haut, le monde supérieur, le ciel tandis que la gauche est celle du monde inférieur et de la terre ». Le geste du Christ Juge sur le tympan de Sainte-Foy de Conques illustre cette opposition : il dirige son bras droit vers le ciel, du côté des élus tandis qu’il pointe son bras gauche vers le bas, vers l’Enfer, du côté des damnés247. Lieu-frontière, la porte est aussi une ouverture qu’il convient de protéger car elle offre un accès potentiel à l’ennemi et aux esprits malfaisants248. La peur de l’intrusion d’un indésirable, d’un ennemi entre les murs de l’église est explicite dans la Règle de Saint-Benoît. Il est préconisé lors de l’accueil d’un hôte de commencer « par prier ensemble et ensuite d’échanger un baiser de paix. Ce baiser de paix ne doit se donner qu’après la prière, à cause des illusions du diable »249. Les bénédictins purifient, par une prière, leur visiteur pour se prémunir de ce qui vient de l’extérieur et entre dans l’abbaye. Cette précaution qui semble nécessaire aux communautés bénédictines est partagée par une grande majorité des hommes du Moyen Âge. Dans la même logique, les images qui sont associées aux ouvertures de   Robert HERTZ, « La prééminence de la main Droite. Étude sur la polarité religieuse », dans Sociologie religieuse et folklore, Paris, 1970, p. 91. 247  La droite et la gauche se déterminent sur le tympan par rapport au Christ. 248   Ibid., p. 433. 249   Règle de saint Benoît, op. cit., II, (S.C. 182), p. 613. 246



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l’église pouvaient avoir pour les défendre un rôle similaire à celui de la prière, apotropaïque, prophylactique et agissant comme repoussoir des forces du Mal. Purifiant les personnes qui entraient dans l’édifice, elles devaient également protéger celles qui en sortaient. Pour cela, il n’était pas forcément nécessaire qu’elles soient visibles : le simple fait de passer à côté, devant, ou en-dessous d’elles au moment où l’on franchissait le seuil permettait à leur fonction de s’accomplir250. C’est pourquoi certaines images des saints placées à proximité des portes, à l’intérieur ou à l’extérieur de l’église, peuvent être envisagées dans cette optique particulière. Léo Allatius mentionnait déjà que les images du saint, patron de l’église, situées au-dessus des baies étaient des remparts pour l’édifice251. Aux Salles-Lavauguyon, le cycle d’Étienne et donc le saint lui-même semblent avoir cette fonction protectrice : en tant que gardien du diocèse, il prie pour le fidèle qui pénètre dans l’église. Sa figure implorant Dieu est d’ailleurs peinte juste au-dessus de l’entrée, faisant de lui littéralement l’intercesseur privilégié. Les images du diacre sur le revers de la façade permettent de rappeler l’appartenance de Saint-Eutrope au diocèse de Limoges en raison de sa localisation aux marges de celui d’Angoulême. Elles mentionnent aussi la présence du saint dans l’évêché par l’intermédiaire de ses reliques en insistant, dans le cycle, sur son corps. D’autre part, en sa qualité de premier martyr, ses images sont situées au plus près du cycle du Christ dont il renouvelle la Passion. Il a inauguré la longue chaîne des saints qui ont versé leur sang au nom du Sauveur et dont les martyres se déroulent sur les murs de la nef jusqu’au chevet. Si l’image hagiographique peut avoir un rôle apotropaïque, elle marque également l’identité du lieu lorsque le saint titulaire de l’église figure en façade. En franchissant le seuil de l’église, l’individu est placé sous sa protection et entre dans sa domus. Dans un certain nombre d’édifices, les saints patrons de l’église sont d’ailleurs représentés sur la façade occidentale : saint Hilaire au concile de Séleucie est sculpté sur le linteau du portail occidental de l’église éponyme de   Voir à ce propos, l’article de Lydie Hadermann-Misguich qui a étudié le rôle des images liées aux lieux de passage dans les églises orientales de l’époque médio- et tardo-byzantine. Lydie HADERMANN-MISGUICH, « Images et Passages, Leurs relations dans quelques églises byzantines d’après 843 », dans Les images dans les sociétés médiévales : Pour une histoire comparée, Actes du colloque international organisé par l’Institut historique belge de Rome et l’Université libre de Bruxelles, 19-20 juin 1998, édités par Jean-Marie Sansterre et JeanClaude Schmitt, Bruxelles-Rome, 1999, p. 21-40. 251  Léo ALLATIUS, The Newer Temples of Greece, trad. A. Cutler, Pennsylvania State University, 1969. Cité par Jean-Michel Spiercer, op. cit., p. 432. 250



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Fig. 123 - statues de saint Martial, de la Vierge et de saint Pardoux, façade occidentale, église Saint-Pardoux, Arnac-Pompadour

Semur-en-Brionnais ; saint Martin figure sur un chapiteau du portail de l’église de Limoux, il est en gloire avec ses attributs d’évêque sur la façade de son église de Gensac-la-Pallue. Aventin est sculpté dans sa passion sur un chapiteau du portail de l’église de Saint-Aventin, Clément sur le tympan d’une arcature latérale de l’église de Cabariot, le martyre d’Étienne sur les voussures de l’église d’Échillais... Les exemples pourraient être multipliés. Parfois, le programme est plus ambitieux comme à Saint-Pardoux d’Arnac où trois niches ont été aménagées sur la façade du prieuré252 (fig. 123). Au centre, une statue de la Vierge à l’Enfant est flanquée à gauche de celle de Martial et à droite de celle de Pardoux. Marie, intercesseur par excellence, abrite de son ombre tutélaire les personnes qui entrent et sortent de l’église. Pardoux, saint patron et gardien de l’édifice, indique l’identité du lieu. Quant au premier évêque de Limoges, il permet, par sa présence, de préciser le statut de l’édifice : Saint-Pardoux est une filiale de la puissante abbatiale Saint-Martial de Limoges. Grâce aux sculptures des trois saints, la façade est un véritable manifeste identitaire. La dévotion à la Vierge, peu surprenante en  L’aménagement de la façade du prieuré d’Arnac date des années 1220. Voir Claude ANDRAULT-SCHMITT, Limousin gothique, les édifices religieux, Paris, 1997, p. 81-89.

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Fig. 124 - La Vierge et saint Jean, portail occidental de l’église de Saint-Eutrope des Salles-Lavauguyon

cette période d’essor du culte marial, y voisine avec celle des deux saints patrons du prieuré. Ces constats soulèvent une interrogation concernant le choix opéré aux Salles-Lavauguyon. Contrairement à ce qui ressemble à une norme, le saint patron de l’église n’a été figuré ni sur le revers de la façade ni sur la façade occidentale. D’autres saints dont Étienne qui bénéficie d’un emplacement privilégié, font office de protecteurs. Au protomartyr s’ajoutent, en effet, les saints qui figurent sur la façade occidentale : la Vierge, saint Jean et le Christ sculptés sur des reliefs en calcaire253 (fig. 124). Dans un souci de hiérarchie absolue, les deux intercesseurs encadrent le Sauveur de part et d’autre du portail occidental tandis que ce dernier le surplombe, métaphore de la porte et préfiguration de ce que le fidèle rencontrera dans le chœur au 253   Ces sculptures ne sont pas des remplois, ce sont des pièces d’importation issues d’un atelier angoûmois, apparenté à celui de la cathédrale Saint-Pierre. Il était, en effet, difficile de tailler la pierre locale, le granite. C’est pourquoi il était fréquent au XIIe siècle pour les chantiers ambitieux et bien dotés que les commanditaires fassent importer des reliefs en calcaire. Bien que ses conclusions soient assez controversées, voir à ce propos, Pierre DUBOURG-NOVES, « Les exportations de sculptures romanes calcaires en pays granitique », Actes du 115e congrès national des sociétés savantes, Avignon 1990, Carrières et constructions, p. 115.



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Fig. 125 - Vue du portail nord, église Saint-Just, Valcabrère

moment du rite eucharistique. Si l’on en juge par les images, l’église Saint-Eutrope est donc placée sous la protection de la Vierge, de saint Jean et d’Étienne. L’absence du saint patron à ces emplacements symboliques constitue une véritable singularité. Il convient donc de s’interroger sur cet écart : certes, les trois saints représentés, la Vierge, Jean et Étienne, possédaient un statut supérieur à celui du saint patron de l’église. La mère de Dieu et l’apôtre préféré du Christ, incarnent l’intercession par excellence et Étienne, protomartyr, est le saint patron du diocèse de Limoges. Cependant, il ne s’agit pas d’un motif suffisant pour écarter Eutrope de la place qui due au patron d’une église. Le choix des saints figurés en façade ou à proximité de la porte de l’église peut également être dicté par la possession de restes corporels, restes qui n’appartiennent pas forcément au saint à qui l’édifice est voué. Dans la majorité des « églises à reliques », le vocable est bien sûr déterminé par la présence d’insignes reliques, mais les autres effigies de saints s’expliquent parfois par l’existence de leurs restes dans ce même édifice. Aux Salles-Lavauguyon, l’absence d’archives ne nous permet malheureusement pas de confirmer que la communauté en gardait. Un faisceau d’éléments laisse supposer que Saint-Eutrope



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Fig. 126 - Saint Just et saint Étienne, portail nord, église Saint-Just, Valcabrère

Fig. 127 - Sainte Hélène saint Pasteur, portail nord, église Saint-Just, Valcabrère

abritait des restes saints dont ceux d’Étienne. Si tel était le cas, l’emplacement privilégié de son cycle pourrait se comprendre.

Les décors des portails des églises à reliques Sur la base de cette présomption, l’analyse de portails d’églises pour lesquelles la possession de reliques est avérée devient indispensable. À Valcabrère, si les saints sculptés sur le portail nord témoignent de la pratique d’honorer tous les saints dont l’église abritait les restes corporels, la symbolique des images hagiographiques liées au passage y prend pleinement son sens. Le portail nord de l’église Saint-Just est entièrement dédié, à l’exception du tympan, aux saints254 (fig. 125). Cet ensemble sculpté, daté du dernier quart du XIIe siècle, présente quatre statues-colonnes aux effigies des saints Just, Étienne, Hélène et Pasteur (fig. 126-127). Ces statues sont identifiées sans peine grâce  Sur l’église, voir François DESHOULIÈRES, « Valcabrère, église Saint-Just », Congrès archéologique de France, XCIe session, Toulouse 1927, Paris, 1930, p. 323-342 et Marcel AUBERT, « Le portail sculpté de Valcabrère », Ibid., p. 342-345. 254



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aux chapiteaux historiés qui les surmontent. Le martyre de chaque saint y est décrit et en ce qui concerne le chapiteau consacré à Hélène, l’invention de la Croix y est relatée. Just, Étienne et Pasteur tiennent la Bible contre leur poitrine en signe de leur témoignage. Toutefois seul le livre sacré du protomartyr est ouvert en direction du spectateur parce que sa passion y est rapportée. Hélène, ceinte du diadème impérial, porte une croix à hauteur de son cœur, symbole de son action et conséquence de sa sanctification. Une Maiestas Domini entourée des quatre évangélistes portant leur symbole est sculptée sur le tympan255. Le Christ bénit de la main droite et de la main gauche tient le Livre qui est posé sur son genou. De part et d’autre de la mandorle sont sculptés deux anges thuriféraires. Cette image qui peut occuper différents emplacements dans l’édifice a plusieurs sens : sa signification première, théologique, une autre plus générale liée à sa localisation et au contexte global du décor. Cependant il semble qu’associée à un lieu de passage, elle revêt une signification particulière : l’image théophanique liée au passage a une fonction très nette de protection. Le Christ bénit les fidèles qui entrent et qui sortent de l’édifice. La valeur apotropaïque de ce type d’images s’appuie pour partie sur Jean, X, 7 : « Je suis la porte des brebis ». Protecteur de l’édifice et de ses accès, le Christ protège également ceux qui franchissent la porte... Par extension, le Sauveur joue ici son propre rôle. Une thématique identique semble se retrouver pour les images hagiographiques des jambages du portail. Le choix de ces saints à l’entrée de l’église a été conditionné par les reliques d’Étienne, Just et Pasteur contenues dans l’autel majeur de l’église Saint-Just. Dans son acte de consécration, daté de 1200, il est mentionné, en effet, leur présence256 : « L’année M°C°C°, de l’Incarnation du Seigneur, sous le règne de Philippe, Roi des Francs, au mois d’octobre, cet autel majeur est consacré en l’honneur de saint Étienne, protomartyr et des saints martyrs Just et Pasteur, ... »257. La présence d’Hélène s’explique parce que l’église Saint-Just possédait également un débris de la vraie Croix. Si le rôle de l’impératrice dans l’Invention de la Croix lui vaut un hommage au portail, elle s’imposait par souci de symétrie et pour des   Matthieu et Marc sont figurés à gauche, Jean et Luc à droite.   Voir, Bulletin Archéologique, 1886, p. 504-505 ; Congrès archéologique, 1886, p. 338-346 ; voir également sur les reliques dans l’autel, Congrès archéologique, 1874, p. 256-326 257   « Anno ab incarnatione Domini M° C°C° regnante Philippo rex (sic)Francorum, mensis octobris, hoc majus altare est consecratum in honore Sancti Stephani proto martyris et sanctorum martyrum Justi et Pastoris, a domino R. Convenarum Episcopo ». Cité par François Deshoulière, op. cit., p. 325. 255 256



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raisons pratiques évidentes. D’autre part, son portrait garantit l’origine du fragment de la Croix conservé dans l’église. Ainsi, chaque saint figuré à l’extérieur de l’église était présent à l’intérieur par l’intermédiaire de reliques. Le portail nord de l’église remplit donc exactement la même fonction qu’un reliquaire : il désigne et authentifie les reliques qui sont conservées dans l’église. Or, cette légitimation passe par la reconnaissance de la communauté qui exige, comme le souligne Jean-Claude Schmitt, « une mise en scène matérielle, imagée et rituelle »258. C’est ce qu’offrent les images du portail : elles rappellent la qualité des saints, en évoquant leur martyre et mentionnent les restes corporels déposés dans l’autel. Les images du portail participent à leur théâtralisation car seul « ‘‘l’authentique’’ qui l’identifie en garantissant son origine et son pouvoir » confère à la relique de la valeur259. À ce titre, les statues des piédroits présentent une physionomie volontairement antiquisante très visible dans le traitement des visages. Ces citations pourraient être qualifiées « d’historicismes » symboliques. Elles renforcent l’authentification et l’historicité des reliques conservées à l’intérieur de l’édifice. Les saints des statues-colonnes qui « accueillent » le fidèle à l’entrée de l’édifice sont ses intercesseurs à l’intérieur. En pénétrant dans l’église, il entre dans la domus imprégnée de leur virtus. Ainsi, ces effigies portent en elles bien plus qu’un simple hommage aux martyrs vénérés dans l’église Saint-Just. En liaison avec un lieu de passage, elles prennent une nouvelle dimension : les saints figurés sont à la fois les gardiens de l’édifice et les protecteurs des fidèles qui entrent et sortent. En outre, les images indiquent l’appartenance du lieu au saint et remplissent indéniablement une fonction mémorielle. Les gardiens de l’église, figurés sur les piédroits du portail, occupent également l’emplacement le plus sacré de l’édifice, lieu de convergence de toutes les prières : le sanctuaire. La façade est conçue comme une sorte de projection du chœur liturgique. Les saints siègent, en effet, en leur qualité de martyr dans la cour céleste et sont quotidiennement unis au Sauveur lors du sacrifice eucharistique qui se déroule sur l’autel contenant leurs reliques. Or, sur la façade, à l’instar des évangélistes au tympan, ils encadrent littéralement le Christ et témoignent de sa gloire. Ils se sont unis au Christ par le   Jean-Claude SCHMITT, « Les reliques et les images », dans Le corps des images, op. cit., p. 284. 259   Ibid., p. 284. 258



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Fig. 128 - Façade occidentale de la cathédrale Saint-Trophime, Arles

martyre en assurant sa Victoire sur la mort. Par l’agencement des images (piédroits, chapiteaux, tympan) et le choix des épisodes figurés (Maiestas Domini, martyres), la façade synthétise ce qui se déroule dans le sanctuaire sur l’autel. Signes de protection et d’intercession, les images de la façade annoncent donc ce qui se déroule dans le sanctuaire sur la table d’autel : elles préfigurent la promesse du salut à l’entrée de l’édifice sacré. Comme les thèmes d’état, les images narratives sur la façade peuvent également signifier la présence de reliques dans l’église. Le martyre de saint Étienne s’insère par exemple dans le vaste décor sculpté du portail occidental de Saint-Trophime d’Arles. Il se distingue nettement des représentations hiératiques des apôtres puisqu’il constitue la seule image « scénique » du registre inférieur de la façade (fig. 128). Située sur un des piédroits, à l’ouest, elle est directement visible lorsque l’on contemple la façade. La place privilégiée du diacre martyrisé au portail de la cathédrale s’explique par le vocable originel de l’église. Jusqu’au XIe siècle, en effet, Étienne est le saint patron de l’église. En 1078, lorsque les reliques de Trophime sont attestées dans la primatiale, on ajoute son nom

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à celui d’Étienne260. Durant la première moitié du XIIe siècle, l’église est toujours placée sous le patronage des deux saints : le 29 septembre 1152, la cérémonie de translation de leurs reliques les associe par leur déposition dans l’église261. Puis progressivement au cours de la seconde moitié du XIIe siècle, le vocable de Trophime finit par s’imposer262. Pourtant, dans les dernières années du XIIe siècle, l’image du martyre d’Étienne occupe encore une place de choix sur le portail alors que l’effigie de Trophime est assez discrète. Cette disposition laisse penser que le protomartyr était toujours considéré comme le saint patron de l’église, à défaut d’en être le seul. L’emplacement et le traitement narratif de cette image sont, en effet, le signe fort de l’identification du lieu. La supériorité et le patronage de saint Étienne y sont affirmés sans ambiguïté. Alors même que le patronage de la cathédrale est double, l’extrême considération dont jouit Étienne s’explique sans doute parce que, parmi ses reliques les plus précieuses, Saint-Trophime s’enorgueillissait de posséder son crâne marqué des traces de la lapidation et rapporté d’Orient par Trophime lui-même263 (fig. 129). Associer les deux saints sur le portail semblait donc naturel dans ce contexte. Le saint évêque, reconnaissable à ses insignes, apparaît parmi les figures des Apôtres (fig. 130). En pendant de l’image de la lapidation, il figure en bonne place sur le portail. Considéré depuis le Ve siècle comme le premier évêque d’Arles, sa présence au sein du collège d’apôtres témoigne de la volonté de l’Église d’Arles d’insister sur ses origines apostoliques et d’inscrire l’action de ses évêques dans la continuité264 (fig. 131). Par ailleurs, l’inscription sur la bande verticale de la chasuble de Trophime ne laisse aucun doute quant à cette intention : « CERNITVR EXIMIVS VIR XPI DISCIPVLORVM DE NVMERO TROPHIMVS HIC SEPTVAGINTA DVORUM »265. Trophime, sous la frise des élus, poursuit la mission du diacre en sa qualité de pontife. Les anges lui déposent sur la tête une   Dominique RIGAUX, « Pour la gloire de Dieu et le salut des hommes », dans Le portail de Saint-Trophime d’Arles, Naissance et renaissance d’un chef-d’œuvre roman, Actes Sud/Arles, 1999, p. 45. 261  Selon Dominique Rigaux, « les légendes locales, qui cherchent davantage à les unir qu’à les opposer, ne font pas autre chose. Leurs vies sont intimement liées puisque Trophime passait pour être le cousin germain d’Étienne », op. cit., p. 45. 262   Jacques THIRION, « Saint-Trophime d’Arles », Congrès archéologique de France, 134e Session, 1976, Pays d’Arles, Paris, 1979, p. 361. 263   À ce propos, voir Jacques THIRION, op. cit., p. 454. 264  Trophime d’Arles est considéré comme le « disciple des Apôtres » et « fondateur de l’Église des Gaules ». 265   « On voit ici cet homme éminent, Trophime, l’un des soixante-douze disciples du Christ ». 260



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Fig. 129 - La lapidation de saint Étienne, saint Philippe et saint Jacques le Mineur, portail occidental, cathédrale Saint-Trophime, Arles

Fig. 130 - Saint Jacques le Majeur, saint Barthélemy et saint Trophime, portail occidental, cathédrale Saint-Trophime, Arles



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mitre, achevant sa glorification. Une fois de plus, le portail est conçu comme un manifeste identitaire : les saints patrons de l’église encadrent la porte d’entrée de leur église. L’Église d’Arles dont la cathédrale est le reflet matériel est encadrée, protégée par Étienne puis par son premier évêque, « disciple des Apôtres ». Comme nous l’avons déjà évoqué, le trait le plus singulier de la lapidation d’Arles est la transgression de la figure d’Étienne du lieu de l’histoire. Le protomartyr est donc situé dans un espace de transition, détaché de l’histoire et du champ de l’image. Or, son image est localisée strictement Fig. 131 - Statue de saint Trophime, dans l’axe d’un autre moment portail occidental, cathédrale Saint« de transition » à la frise supéTrophime, Arles rieure de la façade. Un groupe de deux évêques et de femmes semble refoulé de l’entrée du Paradis par un ange qui en a la garde et brandit une épée266. Il désigne les personnes en proie à l’affliction devant le refus qui leur est opposé : elles se prennent le visage, se tiennent d’une main le poignet... Dans l’axe de la lapidation, les derniers du cortège opèrent un mouvement d’inversion dans la file : trois hommes tout en regardant fixement les « refoulés » se détournent et emboîtent le pas à un démon qui ferme la marche des damnés enchaînés, bientôt précipités dans les flammes de l’Enfer. Cette partie de la frise évoque un moment de transition ou du moins une étape intermédiaire : cette procession d’âmes en attente ni élues ni encore condamnées n’est certainement pas digne d’entrer directement au Paradis. La rupture du rythme processionnel dans l’axe d’Étienne qui remet son âme à Dieu au moment de sa mort, juste après avoir prié pour le salut des pécheurs, permet de considérer la scène de la lapi L’entrée du Paradis est symbolisée par une porte dans laquelle la main de Dieu apparaît. 266



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dation comme une image d’intercession. Intercession renforcée par le suppliant qui sort du champ de l’image et se dresse sous les âmes à sauver. Le diacre siège auprès de Dieu, au même titre que les apôtres figurés au linteau, après que son âme a été accueillie aux cieux par les anges267. Il intercède pour les hommes que leur vie ne rend pas dignes d’entrer au Paradis ni ne condamne à l’Enfer. Par ailleurs, d’après saint Augustin, les saints n’interviennent que lorsque la balance ne penche ni d’un côté ni de l’autre268. De surcroît, la lapidation est la seule image « scénique » du registre des hauts-reliefs, ce qui la Fig. 132 - La lapidation de saint Étien­ distingue nettement des autres ne, portail occidental, cathédrale Saintfigures. Or, la cathédrale abritait Trophime, Arles le crâne d’Étienne, insigne relique portant les traces du martyre enduré. C’est vraisemblablement pourquoi sa tête est largement mise en valeur dans la composition et sort du lieu de l’histoire (fig. 132). Les bourreaux visent d’ailleurs son chef, ce qui concentre l’attention du spectateur sur cet endroit précis du corps saint. De manière explicite, la présence des ossements sacrés dans l’édifice est rappelée par l’image. Reliques qui font du protomartyr un intercesseur privilégié. Jusqu’à la fin XIIe siècle, Étienne était le saint patron de l’église mais aussi le gardien du diocèse au sein duquel il était présent par la virtus de la relique. Il était donc à plusieurs titres le protecteur par excellence des fidèles. L’image d’Étienne s’insère dans le vaste réseau d’images du portail où dominent deux thèmes génériques : le Jugement dernier (collectif) qui se combine au Jugement immédiat (individuel) et le rachat

 Au registre supérieur de l’image, l’âme d’Étienne est accueillie par Dieu.  SAINT AUGUSTIN, La Cité de Dieu, Livre XXI, 27, éd. B. Dombart, trad. G. Combès, Desclée Brouwer, Paris, 1960, p. 514-518. 267 268



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des péchés269. Plusieurs éléments complètent la Maiestas Domini sculptée sur le tympan : les anges en adoration dont certains sont munis de trompettes ; les morts sortant de leur tombeau et dirigés par un ange vers Abraham, Isaac, Jacob qui les tiennent en leur sein sur la frise supérieure. L’évocation du Jugement se poursuit par la pesée des âmes, les cortèges des élus et des réprouvés et les pécheurs refoulés à l’entrée du Paradis et l’Enfer. La faute originelle qui a entraîné l’expulsion du paradis terrestre est mentionnée sur le retour nord : les hommes ont découvert le péché, cause du Jugement. Ève tourne donc le dos à la longue procession d’élus qui débute derrière elle. Selon Dominique Rigaux, cette juxtaposition inhabituelle suggère peut-être « la volonté de traduire les notions de pénitence et de rédemption»270. Le cycle de l’Enfance du Christ qui se déroule en parallèle sur la frise inférieure et les impostes sonne comme la promesse de la Rédemption après la faute commise par Ève, mais également comme le signe de l’amour de Dieu pour les pécheurs271. Au niveau des hautsreliefs, sur les petits côtés nord et sud du portail272, deux démons torturent des damnés tandis que la victoire est proclamée par le cycle de Samson273 et le cycle de Daniel274 sur les bases de deux colonnes ou par Hercule attaquant le lion de Némée275. Sur le retour nord, dans l’axe du péché originel, l’archange Michel pèse les âmes en anticipant la séparation des élus et des damnés. Il incline la tête pour écouter une âme – petit personnage nu – qui l’implore. La sentence est conditionnée par l’inclinaison de la balance sur laquelle sont évaluées ses actions – petite figure en buste suppliant. L’archange semble animé de bienveillance puisqu’il saisit l’âme par le poignet pour l’attirer sous son aile. Le pardon du pécheur obtenu par le repentir est sans doute

  Nous entendons par Jugement immédiat, celui qui suit immédiatement la mort physique. C’est un jugement individuel, contrairement au Jugement dernier qui doit survenir à la fin des Temps et qui concerne tous les hommes morts et vivants. 270   Dominique RIGAUX, op. cit., p. 39. 271  Le songe de Joseph et l’ange de l’Annonciation, la Nativité, le Bain de l’Enfant, l’Annonce aux bergers, les Mages devant Hérode et ses soldats, la chevauchée des Mages vers Bethléem, l’Adoration des Mages, le repos des Mages et l’avertissement, la Fuite en Égypte et le massacre des Innocents. 272  Sur le petit côté sud, la Luxure chevauchant un dragon est figurée entre les jambes du démon. 273  Samson terrassant le lion, Dalila séduisant Samson et lui attachant les poignets, la servante coupant les cheveux du héros. 274   Daniel dans la fosse aux lions, Habacuc et l’ange Gabriel volant au secours de Daniel. 275   Cette sculpture est localisée sur le soubassement du retour nord. 269



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évoqué par cette scène276. Si la clémence est l’un des thèmes du retour nord, la damnation n’est pas omise : un démon coiffé d’un bonnet phrygien porte deux réprouvés sur ses épaules sous l’image de la pesée277. Les pécheurs qui sont restés sourds à l’appel de Dieu se bouchent les oreilles. Ainsi, le pardon et la punition sont les deux issues possibles du Jugement individuel et collectif. Sur le retour sud, la Luxure et le Diable renforcent le champ lexical du péché et de la damnation278. Par son emplacement et par ses gestes, Étienne devient l’incarnation de l’intercession. Or, cette idée est fondamentale dans la source biblique puisqu’au moment de son agonie, il s’écrit : « Seigneur, ne leur impute pas ce péché » (Ac., VII, 60). La présence de sa relique abritée dans la cathédrale donne plus de poids au discours. L’intercession et le pardon qui s’articulent autour du Jugement sont admirablement synthétisés par l’image du Lapidé sous les pécheurs refoulés du Paradis. En somme, la Rédemption est promise à ceux qui franchissent le seuil de l’église. L’intercession du saint dont l’église possède les reliques est l’un des thèmes défendus par les concepteurs du décor des façades. Si à Arles, le protomartyr est représenté dans l’une des scènes de son martyre, à Conques, les commanditaires ont choisi de figurer sans aucune ambiguïté, le rôle actif de sainte Foy, patronne de l’abbaye, lors du Jugement dernier et du jugement immédiat279 (fig. 133). À notre   Dominique RIGAUX, op. cit., p. 41-42.   Cette image a longtemps été identifiée comme Hercule portant sur ses épaules deux Cercopes, son interprétation a été modifiée à la suite du nettoyage de la façade : les pieds du personnage sont fourchus et se terminent par des griffes léonines et l’ébauche de sa queue est encore visible, voir Dominique RIGAUX, op. cit., p. 42. 278  La Luxure est en Enfer sous les traits d’une femme nue, chevauchant un monstre à queue de serpent. Elle s’adosse lascivement au Diable dont les jambes lui servent d’accoudoirs. La tête de la Luxure épouse le sexe du Diable. 279   Ce tympan est, à plusieurs titres, une œuvre exceptionnelle de l’art roman. Jérôme Baschet se demande s’il peut être qualifié « d’anomalie historique ? » car il présente un développement complet du monde infernal à une date extrêmement précoce, 1125-1135. Voir Jérôme BASCHET, Les justices de l’Au-delà, op. cit., p. 146. Cette datation a été proposée par Jean-Claude BONNE, L’art roman de face et de profil, op. cit. et suivie par Jérôme BASCHET, cité ci-dessus, p. 146. Il convient d’ajouter que l’impossibilité de replacer le tympan dans une continuité artistique et historique entraîne une difficulté à le dater. Il faudra, en effet, attendre près de deux siècles pour retrouver dans l’art français une représentation aussi importante de l’Enfer comme lieu imaginaire et lieu de torture, « voilà qui donne la mesure de l’énigme que pose le tympan de Conques » (Jérôme BASCHET, op. cit., p. 146). JeanClaude Bonne a fait une étude extrêmement poussée de cet ensemble même si certaines de ses conclusions sur l’iconographie de l’Enfer ont été remises en cause par Jérôme Baschet dans son ouvrage sur les figurations infernales. Voir également l’article d’Emmanuel GAR276 277



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Fig. 133 - Le tympan du portail occidental de l’abbatiale Sainte-Foy, Conques

connaissance, il s’agit du seul exemple de saint suppliant lors de la résurrection des morts. À la droite du Christ, dans un écoinçon, Foy est en prière, sous les élus introduits devant le Christ-Juge et sur le même registre que les morts sortant de leur tombeau (fig. 134). Le cadre ecclésial est solidement campé : quatre arcades en plein cintre et l’autel sur lequel est posé un calice symbolisent l’église. Les ex-voto suspendus à la poutre qui évoquent les chaînes de prisonniers et la cathèdre figurée sous la seconde arcade ancrent l’image dans le contexte local : Foy invoque Dieu dans l’abbatiale de Conques. Les entraves suspendues aux poutres du sanctuaire rappelent, en effet, la « spécialisation » de la sainte qui, selon Bernard d’Angers, intervenait régulièrement dans la délivrance des prisonniers, un type particulier de miracle280. Les grilles du chœur de Sainte-Foy auraient d’ailleurs été forgées avec les fers des captifs, laissés à Conques en LAND qui propose une problématique différente dans l’approche de l’œuvre dans : « Le conditionnement des pèlerins au Moyen Âge : l’exemple de Conques, Corps saints, récit et iconographie au service de l’édification des fidèles et de la puissance de l’abbaye », dans Le culte des saints à l’époque préromane et romane, Actes des XXXe journées romanes à Cuxa, 7-16 juillet 1997, Cuxa, 1998, p. 155-175. 280   BERNARD D’ANGERS, Liber miraculorum sancte Fidis, A. Bouillet, Paris, 1897, I, 31, p. 77.



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Fig. 134 - Sainte en Foy en prière dans l’abbatiale, tympan (détail), façade occidentale, abbatiale Sainte-Foy, Conques

guise d’ex-voto281. Ce genre de miracles témoigne de l’efficacité posthume de Foy, car de leur vivant « les saints n’agissent, sauf exception, que par leur présence ou par celle d’objets qu’ils ont touchés et qui se sont chargés de leur virtus. Or, ces conditions ne pouvaient être remplies par les malheureux enfermés dans leur cachot »282. Pour des raisons évidentes, ce prodige social était donc particulièrement prisé à Conques : la sainte apparaît en songe au détenu pour l’encourager 281  Selon BERNARD D’ANGERS : « Ce genre de miracles se produit avec une fréquence si prodigieuse que l’amas énorme des entraves de fer encombrait le monastère. Les supérieurs des moines firent forger cette immense quantité de fers et l’employèrent à la confection d’un grand nombre de portes (...) Presque toutes les issues, tous les passages, à travers une basilique si pleine d’angles saillants, sont fermés par des portes, dont les entraves ou chaînes mentionnées plus haut ont fourni la matière. À vrai dire, ce qui paraît plus admirable que tout l’édifice de la basilique, sans parler du trésor, fait d’abondance d’or, d’argent, d’étoffes et de grandes variétés de pierres précieuses, c’est la grande quantité des entraves qui pendent au plafond », Liber miraculorum sancte Fidis, op. cit., I, 31, p. 77. 282   Pierre-André SIGAL, L’homme et le miracle dans la France médiévale, op. cit., p. 269-270. Au moment de la rédaction du recueil de miracles, le contexte social fort troublé du XIe siècle explique que ce type de miracle ait eu une importance non négligeable. Ce miracle présentait Foy comme la restauratrice d’une justice bafouée. Pierre-André Sigal note que « les chevaliers sont bien placés parmi les bénéficiaires du miracle en raison des risques courus au combat et les paysans, victimes des exactions seigneuriales ».



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à s’évader et lui ordonne de se rendre dans son sanctuaire283. Le captif libéré accourt à Conques et y laisse ses chaînes en guise d’ex-voto284. Ce détail dans l’image vise à identifier sans aucune ambiguïté le lieu où prie la sainte285. Il permet également de signifier que le temps de l’action se décline au présent : ici et maintenant, dans l’abbatiale de Conques. Un autre élément renforce l’inscription dans le contexte local : la cathèdre ornée de quatre boules. Foy semble avoir quitté le siège où elle était assise pour se prosterner en prière, comme une humble servante de l’Église. Jean-Claude Bonne voit dans ce motif une apparition de la Majesté de sainte Foy au tympan : « Il y a bien une indéniable transitivité et une dramatisation intense de cette scène : la Majesté a effectivement quitté le trône auquel elle a droit pour se prosterner, comme elle a dépouillé sa couronne, ses ors et ses gemmes »286. La cathèdre est donc une allusion explicite au trône de la statue-reliquaire, exposée dans le sanctuaire et placée derrière l’autel majeur à l’époque romane287. Grâce à « un processus de ‘‘condensation’’ qui s’apparente à celui du rêve, la sculpture du tympan suggère à la fois l’image visible de la majesté et l’image onirique de la femme », la sainte du tympan et la statue-reliquaire ne font qu’une : Foy qui intercède pour les pécheurs288.

  Liber miraculorum sancte Fidis, I, 32 ; III, 4, cité par Pierre-André SIGAL, op. cit., p. 269.   Ces chaînes suspendues aux poutres dans l’image témoignent des miracles réalisés par Foy, d’une marque de reconnaissance du fidèle à la sainte. « C’est l’expression la plus poussée du désir de rendre au saint ce que l’on a obtenu de lui ». Voir Pierre-André SIGAL, L’homme et le miracle dans la France médiévale, op. cit., p.79. 285   Jean-Claude Bonne pense que les entraves suspendues « n’avaient pas perdu leur actualité (entre la Reconquista espagnole, les croisades, les luttes féodales et le rançonnement des pèlerins) », op. cit., p. 249. Cependant, il ne semble pas qu’il faille y voir forcément une allusion à un contexte social violent comme c’était le cas au XIe siècle. D’ailleurs, PierreAndré Sigal rapporte que la délivrance des prisonniers par rapport aux autres types de miracles s’élève à 15% au XIe siècle alors qu’elle n’est que de 9% dans les recueils de miracles du XIIe siècle, op. cit., p. 269. 286   Jean-Claude BONNE, op. cit., p. 250. 287   Ibid., p. 249. Le rapprochement, en effet, se fait indubitablement entre l’image du tympan et le trône de la Majesté orné lui aussi de quatre boules de cristal de roche. Une étude récente de Jean Taralon a permis de démontrer que la statue telle que l’on peut la voir à l’heure actuelle n’est pas foncièrement différente de celle du XIIe siècle, malgré quelques modifications des siècles suivants. Voir à ce propos Jean TARALON, « Sainte Foy de Conques », Bulletin Monumental, t. 155, 1997, p. 11-58. 288   Jean-Claude SCHMITT, « Rituels de l’image et récits de vision », dans Testo e immagine nell’Alto Medioevo, Settimane di studio del Centro Italiano di Studi sull’Alto Medioevo, XLI, Spolète, 1994, I, p. 452. 283 284



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La cathèdre ou « trône du martyr » est le signe tangible de la présence surnaturelle de la sainte à Conques289. Elle se dresse dans l’abside de la domus du saint, sur son lieu d’inhumation, là où sont conservées ses reliques, car « le martyr surtout peut être appelé à la présidence (des repas eucharistiques), parce que son propre sacrifice l’a fait participer à la Passion du Christ que renouvellent les agapes mystiques de chaque messe. Il remplace en quelque sorte le Christ, dans ce rôle de président, et son trône présidentiel pourra se fixer au fond de l’abside, non seulement à cause de la proximité des reliques, mais parce que c’était la place du président, dans les salles de réunions antiques »290. L’autel et la cathèdre inscrivent l’image dans la quotidienneté liturgique au cours de laquelle s’effectue le sacrifice sacramental où Foy préside à la place du Sauveur. Le sacrifice eucharistique garantit sa présence permanente dans l’abbatiale qui possède ses reliques. Pour cette raison, Dieu répond favorablement aux suppliques de sa médiatrice et intervient régulièrement par son intermédiaire à Conques. C’est pourquoi la sainte est agenouillée sous une chirophanie qui sort des nuées. Or, la main de Dieu effleure la tête de la sainte comme les fidèles qui touchent son crâne conservé dans la statuereliquaire. Les différentes temporalités se confondent : figure onirique, confusion entre le prototype et le modèle. Il s’agit pour le commanditaire des images d’insister sur le rôle de la sainte, intercesseur au quotidien, dans le temps présent : celui du Jugement immédiat et individuel des âmes après la mort physique. Pour autant, cette dimension n’exclut pas l’intervention de Foy lors des fins dernières. La prière de Bernard d’Angers lorsqu’il se trouve pour la première fois en présence de la statue-reliquaire est, de ce point de vue, particulièrement éloquente : « Sainte Foy, toi dont les vestiges corporels reposent sous cette apparence, aide-moi au jour du Jugement »291. Si l’image de Foy dans son abbatiale se suffit à ellemême, elle est inscrite dans le réseau d’images du tympan. Bien que   Voir André GRABAR, « Le trône des martyrs », Cahiers archéologiques, VI, 1952, p. 31.  Le trône du martyr, comme le rappelle André Grabar, élément concret dans les tombes des martyrs dans l’Antiquité et comme motif iconographique provient des Évangiles (Matth., XIX, 28 ; Jn., XIV, 2) où il est promis aux fidèles des sièges d’honneur auprès du Christ au Paradis. Progressivement, ce trône d’honneur fut réservé aux saints martyrs. « Il me semble que cette dernière étape dans la sélection, ainsi que le maintien d’un type iconographique fort ancien au profit des seuls martyrs, s’expliquent par le conservatisme extrême de tout ce qui touche à la vénération des tombeaux et des reliques des martyrs », op. cit., p. 34-35. André GRABAR, op. cit., p. 39-40. 291   Liber Miraculorum, I, 13. 289 290



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sous la main de Dieu, Foy est tournée du côté du Christ-Juge qui par ses gestes dissymétriques sépare les élus et les damnés. La séparation a déjà commencé tandis que les morts sortent encore de leur tombeau. Sous les pieds du Juge, sur le même registre que Foy et l’ouverture des tombeaux, saint Michel et un démon pèsent les âmes des défunts. La juxtaposition de ces images sur le même registre en dit long sur la puissance attribuée à la sainte lors du Jugement dernier. Ses prières peuvent influencer ou adoucir le jugement sévère du Sauveur à la fin des temps. Grâce à ses supplications, Foy peut faire fléchir le bras gauche du Christ qui pourtant semble inflexible292. L’image de la sainte et de la main de Dieu n’exprime pas seulement sa prière devant Dieu mais la réponse positive qu’Il lui adresse293. Lorsque la vierge intervient en faveur d’un pécheur, le démon face à saint Michel ne peut plus, et ce malgré sa rouerie, faire pencher la balance de son côté. Outre l’emplacement des images, les entraves qui sont suspendues aux poutres du sanctuaire sont des métaphores qui dans le Liber miraculorum permettent d’illustrer les liens qui rattachent les pécheurs à Satan294. Par ses prières, Foy libèrerait les fidèles des chaînes du mal. En assurant la rémission de leurs fautes, la sainte leur permet de gagner le sein d’Abraham. Les délivrances hagiographiques sont inspirées de celles du Nouveau Testament295 : la première des libérations métaphoriques est celle du Christ qui en brisant les liens qui le maintiennent dans les ténèbres a triomphé de la mort en sortant du sépulcre. L’image des chaînes qui retient le pécheur au mal se retrouve dans l’Épître aux Romains : « Mais j’aperçois une autre loi dans mes membres qui lutte contre la loi de ma raison et m’enchaîne à la loi du péché qui est dans mes membres. »296. Si la sainte participe à l’action judiciaire des fins dernières, elle est pourtant uniquement figurée dans le temps des hommes et non avec la procession d’élus qui se présente devant le Juge dans le temps divin.  Ses mains jointes immenses orientées vers le Juge Suprême montrent bien que c’est l’intercession de la sainte qui est le sujet central de l’image. 293  L’image insiste sur l’efficacité de la sainte, condition sine qua non à la légitimation de son culte. 294   Liber Miraculorum, IV, 24. 295  Les thèmes développés par le Nouveau Testament serviront de modèles aux hagiographes : l’innocence, la prison, le miracle de la délivrance illustrés par l’épisode de la libération de Pierre où « lié de deux chaînes, il dormait entre deux soldats [...], L’ange réveilla Pierre [...]. Les chaînes tombèrent de ses mains. » (Ac., XII, 3-11) ou bien dans celui de la libération miraculeuse des Apôtres (Ac., V, 17-18, 23). 296   Rm., VII, 23. 292



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Fig. 135 - Un élu sauvé in extremis, tympan (détail), façade occidentale, abbatiale Sainte-Foy, Conques

Elle est l’intercesseur des pécheurs ici-bas et maintenant alors qu’à la tête des élus, la Vierge est la médiatrice des hommes, de l’Église universelle, auprès du Christ à la fin des Temps297. La martyre d’Agen sauve l’âme des pécheurs au moment ultime, au moment où tout semble joué. Sur le registre inférieur, à l’entrée des deux mondes séparés par une cloison, un ange tire à lui un élu craintif, toisé par un démon menaçant (fig. 135). Il n’a pas tout à fait passé la frontière entre le bien et le mal puisqu’il a été sauvé in extremis. Si le pécheur peut être sauvé à la dernière minute et franchir la porte du Paradis, il ne peut le faire sans le soutien de l’ange et les prières de sainte Foy en sa faveur. L’intercession des saints n’est d’ailleurs requise que pour les pécheurs qui sont incarnés sur le tympan par cet élu de la dernière

  Jean-Claude Bonne a constaté une ressemblance physique entre Foy et la Vierge qui permet d’établir une liaison entre les deux : « Entre toutes les figures sacrées dont elle (Foy) a le vêtement abondant mais plus modeste, c’est avec la Vierge que sainte Foy partage le plus grand nombre de traits : robe à larges manches, manteau, voile avec les mêmes plis repassés, mains jointes. Elles sont en outre les deux figures humaines les plus proches du Roi-Juge (ou de sa manifestation locale). Il résulte de ces assimilations que la sainte de Conques est bien « sur terre », pour ses ouailles et ses pèlerins, la médiatrice privilégiée que la Vierge est, à un niveau éminent, pour l’église universelle », op. cit., p. 248 297



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chance298. Si la miséricorde divine est suggérée, elle se réalise par l’intermédiaire de Foy qui est proche des hommes comme l’indique son emplacement sur le tympan299. En somme, le tympan du Jugement prévient les pécheurs des menaces qui les attendent après la mort. Toutefois, cet avertissement est à mettre au conditionnel : le Salut peut s’obtenir in extremis grâce à sainte Foy à laquelle le pécheur se remet. Les images font écho au poème gravé qui court sous les scènes du tympan et qui se termine par ces vers : PECCATORES TRANSMVTETIS NISI MORES JVDICIVM DVRVM VOBIS SCITOTE FVTVRVM 300

Le Jugement dernier, l’Histoire Universelle, s’inscrit ainsi dans l’histoire locale et se teinte d’une résonance toute particulière. Le temps à venir se confond avec le temps présent, sans que cela ne brouille les cartes. Foy est représentée comme un rouage essentiel du salut des pèlerins, des fidèles de Conques. En fait, la composition de ce tympan a pour objet de montrer toute la puissance de l’intercession de la sainte, une puissance qui sera sollicitée par les fidèles qui se rendront auprès de ses reliques. Quand le fidèle franchit la porte, la promesse de Rédemption évoquée par le tympan est amenée à se réaliser. Dans l’église, il pénètre dans la matérialisation sur terre de la Jérusalem Céleste : le mouvement des pèlerins fait écho à celui des élus passant la porte du Paradis. Or, Foy ouvre par la force de ses prières les portes de l’Au-delà aux pécheurs. Il semble logique d’affirmer qu’elle apportera son aide aux hommes qui viendront lui rendre hommage à Conques. Bernard d’Angers écrit à ce propos : « Courez à son sépulcre, demandez avec foi le salut de vos âmes. N’est-il pas facile de comprendre que si elle sauve généralement la partie inférieure de l’homme, son corps, plus généreusement encore sauvera-t-elle une âme qui la prie adroitement »301. Il insiste sur le rôle majeur de la sainte lors du Jugement dernier, tout en mettant l’accent sur les miracles qui justifient le pèlerinage à Conques, et la supplie : « de nous tirer du tombeau de nos

 Les saints sont déjà au Paradis et pour les grands pécheurs, il n’y a plus rien à faire.  La localisation de l’image de Foy sur le tympan matérialise cette idée. Elle est au même niveau que les défunts lors de la résurrection. 300   « Ô pécheurs, si vous ne changez vos mœurs / Sachez qu’un jugement sévère vous attend », traduction proposée par Jean-Claude BONNE, op. cit., p. 216-217. 301   Liber miraculorum sancte Fidis, I, 13, Passion et miracles de sainte Foy, traduit par E. Solms, Zodiaque, 1985, p. 82. 298 299



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péchés où nous gisons comme morts, afin qu’au jour redoutable de la résurrection (...), nous soyons placés à la droite de Dieu »302. La scène de Foy prosternée dans l’abbatiale sur le tympan de Conques proclame à l’extérieur de l’église ce qui se réalise quotidiennement à l’intérieur de l’édifice, dans l’espace sacré. Le salut incarné par une jeune femme sur le tympan prend l’aspect d’une statue à l’intérieur, statue que l’on doit approcher, toucher pour être relevé de ses péchés. Franchir la porte de l’abbatiale place donc le fidèle sous la protection bienveillante de la sainte. D’une manière générale, la fonction identitaire explique la présence des saints patrons en façade ou à proximité de l’ouverture principale de l’église sur les chapiteaux, les tympans, les voussures. Les images placent concrètement l’édifice ainsi que les fidèles qui y entrent ou en sortent sous la protection du saint. Toutefois, si la règle énoncée plus haut se vérifie, les emplacements des images hagiographiques sont multiples : des registres inférieurs aux registres supérieurs des façades, à proximité immédiate des arcatures latérales, sur le tympan comme à Chambon-sur-Lac où figure la lapidation de saint Étienne, sur un bas-relief, une plaque sculptée ou sur un chapiteau. D’autre part, le vocable de l’église ne détermine pas forcément la présence du saint en façade ou dans l’édifice. Dans le cas d’églises à reliques importantes, les images hagiographiques en façade remplissent la même fonction que celles des reliquaires qui authentifient et historicisent les reliques conservées à l’intérieur. Elles affirment la possession du corps saint et participent à la mise en scène nécessaire au culte. Les façades étudiées montrent que les images contribuent à la théâtralisation des restes corporels abrités dans l’édifice. La relation « intérieur et extérieur» de l’église joue, par le biais de la porte, sur un effet de miroir en renvoyant sur la façade ce qui se déroule et existe dans le sanctuaire. La présence du saint, sa virtus, près de l’autel est annoncée par les images sur la façade. À Conques comme à Arles, on a signifié la présence de la précieuse relique – un crâne – soit en la désignant par la main de Dieu, soit en faisant sortir la tête du champ de l’image. À Valcabrère, les saints en pied accueillent les fidèles dans l’église où sont déposées leurs restes corporels. Les chapiteaux qu’ils supportent légitiment le culte qui leur est rendu en exposant leur martyre. Dans les trois cas,   Liber miraculorum sancte Fidis, I, 13.

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l’importance du corps du saint près d’un lieu de passage – crâne, dépassement du cadre, monumentalité de ceux qui accueillent – est soulignée. Aux Salles-Lavauguyon, le choix de l’emplacement et la composition de l’image d’Étienne semblent concordants avec certaines des observations constatées pour les édifices à reliques. La figure du protomartyr surmonte la porte : la personne qui pénètre dans l’église est donc placée sous sa protection (la valeur identitaire de l’image est indéniable). Le saint implore Dieu de pardonner aux pécheurs : son attitude suppliante garantit aux fidèles son intercession. Et enfin, son enveloppe corporelle entourée de la « mandorlevêtement », ainsi que la répétition de sa dépouille mortelle dans le cycle s’inscrivent bien dans la thématique des images des églises-reliquaires.



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La scénographie du sacré

La construction spatio-temporelle de l’espace ecclésial aux SallesLavauguyon S’il est très difficile de déterminer ce qui vaut aux saints universels, Agathe, Catherine, Christophe ou même Laurent, d’être honorés aux Salles-Lavauguyon, il convient cependant de s’interroger sur les raisons qui ont pu conduire à les y distinguer plutôt que d’autres. Nous avons déjà constaté qu’un premier choix avait été principalement arrêté sur les martyrs du IIIe siècle. Or, le grand nombre de victimes des grandes persécutions offraient un panel non négligeable de martyrs. Autrement dit, pourquoi ces quatre saints ont-ils été privilégiés au point de bénéficier d’un cycle peint dans un oratoire qui leur est voué ? Il semble que les martyrs retenus et les scènes figurées de l’Enfance visaient à couvrir l’intégralité du temps liturgique, ce qui permet aujourd’hui de reconstituer une partie du calendrier festif des chanoines des Salles. En janvier, l’Épiphanie, célébrée le 6, poursuit les fêtes de Noël. Au mois de février, outre la purification de la Vierge, Agathe est honorée le 5. En mars comme en avril, les préparatifs puis la célébration de Pâques occupent pleinement les communautés religieuses. Néanmoins, la commémoration, le 25 mars, de l’Annonciation, représentait un temps fort dans la liturgie, ainsi que les Rameaux en avril. Le saint patron du prieuré, Eutrope, devait être fêté le 30 avril. En mai, l’Ascension et la Pentecôte offraient des célébrations importantes. Martial, premier évêque de Limoges, était honoré le 30 juin. La Visitation, le 2 juillet, est l’objet d’une cérémonie comme le natalis dies de Christophe, le 25 juillet. Août devait être ponctué de la fête dédiée à Laurent le 10 du mois et de l’Assomption, le 15. Les mois de septembre et octobre n’apparaissent pas, vraisemblablement en raison de la disparition de trois des huit cycles de la nef. En novembre,



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outre la Toussaint, les chanoines rendaient peut-être hommage à sainte Catherine, le 25. Décembre concentrait les cérémonies majeures de l’année : Valérie ouvrait le 9 du mois les festivités de Noël, puis après la Nativité, le 25, l’annonce aux Bergers, le 26 permettait la commémoration d’Étienne, puis le 28 celle des Innocents. La répartition semble régulière entre les temps forts du calendrier liturgique (Annonciation, Visitation, Nativité, Annonce aux bergers, Épiphanie, Pâques, la Toussaint…) et les fêtes du sanctoral. La concentration des cérémonies en décembre n’est absolument pas surprenante. Elle correspond à une période comme aux mois de mars et d’avril d’extrême activité des communautés religieuses. La disposition présumée des autels dans les oratoires et le sanctoral livré par les images laissent supposer que des processions et des stations liturgiques étaient savamment organisées et se déroulaient avec régularité à l’intérieur de l’église. Grâce à la disposition des chapelles, les chanoines pouvaient sans doute se mettre en scène à l’intérieur de l’espace de la nef pourtant relativement réduit. En raison de l’absence des sources, il n’est pas possible de reconstituer intégralement la vie liturgique de la communauté. Toutefois, aux Salles, l’emplacement des images constitue de précieux indices qui permettent de s’en approcher. La disparition de trois cycles hagiographiques de la nef n’autorise pas à se prononcer sur l’existence d’un système symbolique dans la répartition des autels. Nous pouvons néanmoins noter que les trois saintes sont fêtées pendant les périodes automnales et hivernales et les deux saints pendant les saisons chaudes. Cette disposition semble cohérente au regard de la localisation des images sur le mur nord de l’église pour les martyres et de celles de leurs homologues masculins sur le mur sud, et ce malgré la disparition de trois des cycles de la nef. Aux Salles-Lavauguyon, l’organisation spatiale et les images sont le fruit d’une réflexion sur l’orchestration du culte du saint. Les berceaux transversaux transformés en oratoires pour offrir à chaque martyr un lieu de dévotion spécifique rendent sensible la théâtralisation de leur culte. Les images achèvent de monumentaliser chacun des espaces qui leur est consacré. La combinaison autel-images-reliques s’impose progressivement. À cet aspect s’ajoute le déroulement continu des images hagiographiques des murs de la nef jusqu’au sanctuaire et qui évoque indubitablement la progression jusqu’au sacré. L’espace de la nef est donc pensé en fonction d’échelles différentes : un espace total tendu vers le sanctuaire et un espace aux nombreuses polarités voué au culte des saints.

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Un seul cycle, celui de saint Étienne, semble échapper à cet ordonnancement, à cette adéquation parfaite entre le parti architectural et les images. Par ailleurs, il présente une autre originalité. Comme nous l’avons déjà souligné, les images hagiographiques les plus fréquentes dans les édifices sont celles des martyres. Or, le cycle stéphanien de Saint-Eutrope est en marge du corpus, car il fait la part belle au devenir de son corps après sa mort. Contrairement au programme pictural séquentiel des manuscrits dans lesquels cette thématique est à l’honneur, le traitement de la dépouille mortelle des saints intéresse peu les concepteurs d’images monumentales. Nous pouvons invoquer au moins deux raisons à cela : les vitae enluminées peuvent être consacrées à un confesseur ou un fondateur d’ordre dont la mort et les funérailles sont présentées comme un événement majeur. Accompagnées de manifestations posthumes, elles permettent de sanctifier leur corps en relatant leur apothéose, l’élévation de leur âme, les miracles et les visions au contact des reliques. Les confesseurs et les fondateurs n’ont pas fait l’objet de cycles complets dans l’art monumental, ce qui exclut ce type de scène. D’autre part, le tombeau dans les églises funéraires se suffisait à lui-même, sa présence ne nécessitait pas d’images au thème redondant comme l’inhumation ou l’invention des reliques. La matérialité du tombeau qui remplaçait le corps disparu authentifiait son contenu. En revanche, lorsque l’église n’est pas l’objet d’un pèlerinage, la présence de reliques prestigieuses dans le diocèse ou la possession d’un fragment du corps d’un saint célèbre par une communauté religieuse peuvent expliquer les cycles monumentaux qui insistent sur sa dépouille mortelle ou sur l’invention des dites reliques. À la lumière de ce constat, les scènes du martyre d’Étienne aux Salles-Lavauguyon s’éclairent d’un jour nouveau. Les images de la mort du saint et du traitement de son corps n’ont pas la même vocation dans les manuscrits aux XIe-XIIe siècles et dans les églises. Si elles mettent en scène une agonie qui s’éternise et une mort étirée dans les cycles enluminés, c’est qu’elles visent à fournir une preuve de la réalité du saint et à légitimer son culte. La construction hagiographique appuyée par les images sanctifie le corps repré   Dans l’art monumental, ces scènes sont rares, nous n’avons répertorié que l’image déjà citée de Saint-Hilaire de Poitiers. Les images d’inhumation sont également peu fréquentes : seule la peinture de saint Étienne aux Salles-Lavauguyon apparaît dans le corpus. Les représentations du tombeau d’un saint, comme celle du tombeau de l’évêque Seurin sculpté sur un chapiteau du porche de l’église éponyme sont peu figurées. L’invention des reliques d’Étienne est sculptée sur deux chapiteaux du chevet de l’église éponyme de Lubersac et à Moissac.



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senté, exorde d’un culte à matérialiser. Quant aux images monumentales, leur principale fonction est de rendre au saint et à son culte la matérialité. Il se peut que les images stéphaniennes des Salles soient l’un des témoignages les plus concrets de la possession des reliques par les chanoines. Si tel était le cas, comme pour les images des reliquaires, ce cycle monumental serait alors utilisé pour authentifier des reliques conservées dans l’édifice. Le cycle d’Étienne prend place dans l’élaboration de l’espace sacré construit par la communauté canoniale. Comme nous l’avons évoqué, les lieux de passage, lieux dont la puissance symbolique est indéniable, transmettent aux images qui leur sont liées une nette connotation rédemptrice. L’emplacement particulier du martyr en prière suggère par une sorte de synthèse saisissante la fonction d’intercession du saint. Il est présenté comme un protecteur, protecteur de celui qui entre ou sort de l’édifice, gardien de l’église, d’où sa virtus émane. Il incarne par une magnifique métaphore la porte du Salut. La conception du cycle du protomartyr semble émaner de la volonté de rendre concret le culte rendu à sa dépouille ou à ses restes corporels. Redonner au corps sa matérialité était vraisemblablement un enjeu pour les chanoines. C’est pourquoi ils ont mis en exergue son cycle par un emplacement privilégié. Étienne se détache nettement des autres martyrs et sa présence semble prédominante dans l’édifice. À travers le cycle qu’ils ont commandité, les chanoines semblent avoir cristallisé leur attention sur l’authentification, l’historicisation et la matérialisation des reliques du saint patron du diocèse.

La mise en scène du culte des saints Des ambitions particulières peuvent toutefois nourrir l’historicisation des reliques : celles d’une communauté religieuse voulant par exemple faire remonter les origines du saint dont elle possède les reliques aux temps apostoliques, ce qui renforce indéniablement sa célébrité et le prestige de ses restes. Ce désir peut émaner du pouvoir épiscopal qui souhaite forger l’identité du diocèse, une identité forte, symbole de la puissance de l’Église locale. C’est pourquoi les saints évangélisateurs ou fondateurs de l’évêché sont présentés dans les vitae comme des disciples des apôtres, voire parfois comme des apôtres eux-mêmes. Si l’évêque, le chapitre cathédral ou la communauté religieuse gardienne des reliques manifestent ce type d’aspirations pour



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relancer le culte ou pour l’initier, le monument et son décor vont servir à appuyer la construction hagiographique. Le programme monumental va participer à la définition de l’identité du saint et à celle de l’origine de l’Église locale. Cette ambition est clairement exprimée dans le programme décoratif et le reliquaire de saint Nectaire de l’église éponyme. Le chapiteau dédié au saint patron de l’église est situé dans le déambulatoire, entre les scènes de la vie de Jésus et des visions de l’Apocalypse. Parmi les quatre épisodes du chapiteau hagiographique, un seul n’est pas sujet à caution. Il s’agit de celui qui ouvre le cycle : Nectaire est sculpté à l’angle de la corbeille (fig. 136). Haute silhouette nimbée, il domine la composition et tient fermement une hampe surmontée d’une croix. Il bénit ou montre de la main droite un homme, rame à la main, dans une barque au milieu d’un fleuve. Le marin semble pousser un cri d’effroi en apercevant l’ange qui vient de sortir des nuées et le surplombe tout en désignant le saint sur la berge. Cette image illustre la tentation de Nectaire qui, selon la légende, rencontra le démon alors qu’il priait, une nuit, dans un oratoire, près du Tibre. Le diable avait pris l’apparence d’un passeur pour tromper sa vigilance. Il échoua et, par la volonté divine, dut obéir au saint qui lui ordonna de l’aider à traverser la rivière. Les autres scènes ne peuvent pas être identifiées avec certitude ou du moins ne peuvent pas être rapprochées d’une anecdote précise de la légende du XIIIe siècle. Sur la face sud-est du chapiteau, un personnage nimbé est situé à l’angle de la corbeille. Ses traits sont identiques à ceux de saint Nectaire figuré en pendant (fig. 137). La position de ses pieds incite à penser qu’il s’intègre pleinement dans l’image sudest de la corbeille. Il pointe d’ailleurs son doigt sur la scène à sa gauche. Il est secondé par deux jeunes disciples imberbes qui se tiennent derrière lui et dont le premier a les mains voilées. Nectaire est-il dédoublé sur l’image, secondé par un de ses disciples ou bien s’agit-il de saint Baudime, compagnon de Nectaire, et de deux disciples assistant à la défaite du démon ? Il est vrai que le deuxième saint ne porte pas la hampe surmontée de la croix qui semble être une des caractéristiques de Nectaire. Néanmoins, leur similitude physique entretient l’ambiguïté. Cette scène est peut-être le premier temps du récit de la  Le plus ancien témoignage littéraire de la légende de Nectaire est contenu dans un légendier du XIIIe siècle (Clermont-Ferrand, ms. 149, f°119-122v°). Jacques Branche a donné à cette légende sa forme définitive au XVIIe siècle dans La vie des Saincts et des Sainctes d’Auvergne et de Velay, Le Puy, 1652.   L’église abritait les reliques de saint Baudime, compagnon de Nectaire. 



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Fig. 136 - La tentation de Nectaire par le démon, chapiteau, chevet, église SaintNectaire, Saint-Nectaire

Fig. 137 - Nectaire et ses compagnons, chapiteau, chevet, église Saint-Nectaire, Saint-Nectaire



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défaite du démon : Nectaire est interrompu dans ses méditations et ses prières par la présence du Mal. Il se dirige vers le lieu du miracle, tout en montrant la scène qui suit, le miracle proprement dit. Les deux autres images sont des miracles de résurrection. Hors de la ville dont on aperçoit le détail des remparts et la silhouette de l’église, Nectaire ressuscite un homme qui vient juste de mourir (fig. 138). Étendu sur un brancard – deux bâtons qui permettent de le soulever sont visibles – , le défunt dont le visage exprime une certaine quiétude a les mains croisées sur la poitrine. Le saint qui incarne l’humilité par des signes manifestes (sa tonsure et ses pieds nus) se penche vers lui pour lui saisir le bras. De sa main droite, il tient fermement une croix. La main dans un nimbe crucifère comme la croix souligne que le saint n’est que l’instrument de la puissance du Christ. Grâce aux détails et à la maîtrise des gestes dont le sculpteur fait preuve, il est possible d’identifier les acteurs de la scène. La vita rapporte qu’en Auvergne, le saint rencontra sur sa route le cortège funéraire du seigneur Brodulus, homme bon et bienfaiteur de l’Église. Nectaire prit alors le bras du mort et lui ordonna de se lever. Tel Lazare, il s’exécuta. Le second miracle est plus difficile à interpréter : un saint s’apparentant à Nectaire et tenant une croix ressuscite un homme qui se redresse dans son tombeau (fig. 139). Il vient à l’instant de recouvrer la vie : son corps est encore recouvert d’un linceul tandis que le suaire qui lui cachait le visage a glissé sur son épaule. La cuve du sarcophage appareillé est découpée en suivant la forme du corps et ornée de trois arcades en plein cintre. Un spectateur barbu, comme les deux autres protagonistes, assiste à la scène. Ses gestes témoignent de sentiments   Il a été également proposé de voir, dans cette image, l’ordination de Nectaire par saint Pierre, saint Pierre étant la figure qui domine la composition. Voir Abbé FORRESTIER, L’église et la paroisse de Saint-Nectaire, Clermont-Ferrand, 1878, p. 42. Cette hypothèse a été reprise par l’abbé ROCHIAS, Les chapiteaux de l’église Saint-Nectaire, Caen, 1910. Pour l’état de la question concernant les sculptures de l’église Saint-Nectaire, voir Zygmunt SWIECHOWSKI, Sculpture romane d’Auvergne, Clermont-Ferrand, 1973. D’autres chercheurs avant lui ont émis des doutes sur l’identification des scènes de ce chapiteau comme Bernard CRAPLET, Auvergne romane, La Pierre-qui-vire, Zodiaque, 1962, p. 166.    Cet épisode est sculpté sur la face nord-ouest du chapiteau.    Ce miracle a souvent été identifié comme la résurrection de Nectaire lui-même. À Sutri, Nectaire est emporté par une maladie foudroyante. Son compagnon, Austrémoine, retourne alors à Rome pour prévenir saint Pierre. Ce dernier se rend à Sutri et ressuscite le saint déjà déposé dans le tombeau. Cette image présente des similitudes avec le récit, mais le cadavre n’est pas nimbé, ce qui est contraire aux autres figures de Nectaire sur le chapiteau. De surcroît, Pierre serait représenté avec les caractéristiques physiques de Nectaire et sa hampe surmontée d’une croix.



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Fig. 138 - Un miracle de résurrection, chapiteau, chevet, église Saint-Nectaire, Saint-Nectaire

Fig. 139 - Un miracle de résurrection, chapiteau, chevet, église Saint-Nectaire, Saint-Nectaire



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confus empreints de mélancolie et de perplexité. Nectaire vient d’arracher l’homme à la mort alors qu’il était décédé depuis plusieurs jours. La notion de temps entre le moment du trépas et la résurrection est donnée par le tombeau, rejoignant ainsi les compositions de la résurrection de Lazare ou du Christ après trois jours passés au tombeau. Cette image est relativement forte dans le petit cycle du chapiteau : le miraculé est revenu à la vie par l’intermédiaire du saint, associé formellement à saint Pierre, et donc présenté comme un apôtre. Selon la légende, Nectaire est lié à saint Pierre qui l’a ordonné diacre et envoyé en Gaule. Le parallèle entre le prodige de Brodulus et celui-ci s’explique par la volonté du concepteur de faire ressortir l’apostolicité du saint, considéré comme le filleul de Pierre et vénéré comme un apôtre en Auvergne. Le miracle de résurrection semble le plus approprié pour témoigner de la puissance du saint et légitimer son statut d’apôtre. Par les scènes choisies, la transmission apostolique est une idée sousjacente dans la composition de ce cycle. Les récits hagiographiques présentent les saints comme les continuateurs de l’action du Christ sur terre, toutefois l’association de Nectaire au Sauveur par le miracle de résurrection vise à signifier la puissance du saint patron de l’église. La résurrection est, en effet, le prodige par excellence : si le saint peut intervenir sur la mort alors son pouvoir miraculeux ne connaît aucune limite. Le second miracle de résurrection imputable à l’apôtre d’Auvergne n’apparaît pas dans le récit du légendier du XIIIe siècle. Il se peut qu’une autre version de la vita ait disparu, que la tradition orale se soit perdue ou bien que ce soit une référence à un miracle post-mortem du saint. Il nous est impossible de répondre à ces interrogations. Malgré ce flou, les caractéristiques physiques de Nectaire ont été, à notre sens, déterminantes dans l’élaboration du cycle. C’est pourquoi il nous semble délicat de vouloir faire intervenir saint Pierre dans ces images. Zygmunt Swiechowski a montré, non sans raison, que le personnage du chapiteau présentait des analogies physiques avec le bustereliquaire de saint Baudime datant de la seconde moitié du XIIe siècle. Ce dernier était l’exact pendant de celui de saint Nectaire, aujourd’hui disparu (fig. 140). Le buste-reliquaire et les personnages  Sur les chapiteaux voisins, saint Pierre est figuré avec une barbe courte, une tonsure très prononcée.    Ce buste-reliquaire est conservé dans le Trésor de l’église. Zygmunt SWIECHOWSKI, op. cit., p. 108-109. 



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sculptés ont des traits communs : menton volontaire, barbe rase figurée par des coups de trépan formant un collier sur les joues et le menton, chevelure traitée par mèches distinctes et raides... La référence à l’art antique est très nette : les concepteurs de ces images ont cherché à reproduire une physionomie correspondant au type de l’art du portrait antique tardif. Zygmunt Swiechowski s’est arrêté au constat de l’analogie entre le buste-reliquaire et les personnages du chapiteau et n’analyse pas davantage ce particularisme exceptionnel. Fig. 140 - Buste reliquaire de Baudime, Pourtant, cet exemple est à église Saint-Nectaire, Saint-Nectaire notre connaissance unique : il existait un modèle du saint qui servait de référence aux concepteurs de ses images. Ce modèle, qui est progressivement devenu une citation, datait peut-être du Haut Moyen Âge ou de l’antiquité tardive et a été considéré comme un « portrait » de saint Nectaire. Si les concepteurs des images sacrifiaient volontairement au style antique, il nous semble que certaines images médiévales imitant l’art antique ont été produites pour légitimer et « historiciser » le culte du saint. Ainsi, cette citation antiquisante, tant dans la sculpture que pour le reliquaire, s’inscrit dans cette même dynamique : ancrer le culte dans un fondement historique et ancien. Au Moyen Âge, ce besoin se traduit, d’ailleurs, formellement dans l’élaboration des tombeaux présentant très visiblement de nombreuses références à l’antiquité.

   Ce travail de faussaire est relativement fréquent pour « historiciser » les reliques ou le culte d’un saint : des vitae écrites aux XIe-XIIe siècles présentées comme contemporaines de leur protagoniste, des sarcophages « à la romaine » ou des inscriptions antiquisantes élaborés dans le même souci. À ce titre le tombeau de saint Martial et ses inscriptions, déjà évoqués, sont très emblématiques de la nécessité d’historiciser le culte du saint, notamment à une période où le débat sur son apostolicité faisait rage. Voir Géraldine MALLET, Patrick PERRY, « Les tombeaux de saints à l’époque romane : quelques exemples », op. cit., p. 113119.



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De surcroît, cette physionomie répétée devient l’image du saint lui-même, un saint clairement identifié par des traits propres et définis. Le saint patron de l’église a donc une apparence physique récurrente, ce qui est rare dans l’art hagiographique. Très souvent, en effet, ce sont les attributs ou un épisode particulier de la légende qui identifient formellement le saint. Nectaire, ayant des traits personnalisés, peut avoir une apparence physique qui lui est propre et ainsi devenir plus concret. Apparence d’ailleurs qui renvoie clairement à l’époque apostolique grâce aux références antiques et qui ajoute une dimension supplémentaire à son culte. Ainsi, à Saint-Nectaire, la présence du saint est attestée « formellement ». Le reliquaire inspiré du portrait antique est présenté comme le « vrai » visage du saint. Il est littéralement « authentique ». Cette caractérisation formelle de Nectaire dans l’église ne permet pas de douter de son existence réelle aux premiers temps chrétiens ni de sa présence dans l’édifice. L’image donne ainsi corps au saint au sens propre du terme. À Saint-Nectaire, l’ensemble du décor est également inspiré de l’art romain. Un vocabulaire volontairement antiquisant est utilisé également pour les motifs des chapiteaux décoratifs : décor de feuilles d’eau10, de feuilles d’acanthe ou de motifs mêlant l’acanthe à des volutes, ou à des palmettes ou bien à un aigle ou encore à des atlantes ; des feuillages et des masques fusionnent11, parfois agrémentés d’oiseaux... S’il est vrai que l’art des XIe-XIIe siècles dans certaines régions connaît une « renaissance antiquisante » ou montre un goût prononcé pour l’art antique, il nous semble que le concepteur du decorum a voulu donner à l’édifice une connotation antiquisante pour donner un écrin au culte de Nectaire, « disciple des Apôtres »12. Autrement dit, comme Nectaire était un saint romain des premiers temps de l’Église, il fallait créer des références visuelles de l’époque romaine antique pour authentifier ses reliques et comme preuve de son apostolicité. Le programme décoratif a une ambition historiciste : pour mettre en scène les restes corporels du compagnon de Pierre, les commanditaires ont élaboré un decorum à la romaine dans son édifice. Ainsi, les particularités stylistiques dans le traitement des personnages du chapiteau hagiographique s’expliquent.

  Dans la nef, pile nord-ouest, première colonne, chapiteau    Entrée du chevet, côté nord. 12  Les miracles de résurrection figurés sur le chapiteau témoignent de son apostolicité. 10 11



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Fig. 141 - Saint Genou chassant des démons de l’église, chapiteau, abbatiale Saint-Genou, Saint-Genou

Le décor et le reliquaire semblent vouloir marquer la continuité du culte et de la vénération portée au saint. Ces emprunts formels autant que symboliques affirment ostensiblement l’historicité du saint et de son corps. Ils permettent ainsi de l’exalter. Ainsi, l’église et son décor sont une véritable construction hagiographique. Dans les églises funéraires ou reliquaires, intégrées dans un decorum complexe, majoritairement disparu aujourd’hui, les images participent à la matérialisation du corps absent ou non visible du saint. Donner corps au saint semble l’une des fonctions majeures des images hagiographiques. La volonté de conférer une identité forte au diocèse apparaît aussi dans la mise en scène des images de saint Genou et de ses reliques dans l’abbatiale bénédictine de Saint-Genou. Un chapiteau est consacré à son saint patron dont la vie nous est connue par plusieurs vitae du XIe siècle et le récit de translation des reliques13 (fig. 141). Le dossier hagiographique de Genou est complexe : il est parfois présenté comme un romain du IIIe siècle, promu à l’épiscopat par le pape Sixte II. Il aurait alors été envoyé en Gaule avec son père Gentris ou Génitius pour y prêcher l’Évangile. Une autre légende le rapproche de Trophime, Austrémoine et Martial envoyés en Gaule par saint Pierre à des fins évangélisatrices14. Il aurait, dans les deux cas, accom  Vita et Miracula sancti Genulphi, A.A.S.S., Janvier, II, p. 440-464. Voir également MABILLON, Acta sanctorum ordinis S. Benedicti, t. IV, 2e part., Paris, 1668-1701, p. 225 ; Abbé VILLEPELET, Nos saints berrichons, Bourges, 1931. 14  Saint Genou pose un réel problème d’identification : il est, également, parfois présenté comme un solitaire du VIe ou du VIIe siècle. Charles Cahier s’est demandé s’il n’existait pas 13



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pli de multiples miracles et provoqué de nombreuses conversions. Il serait le premier évêque de Cahors dont il aurait fondé l’Église et aurait quitté cette ville pour évangéliser des régions plus nordiques. Avec son père et entouré de quelques disciples, il se serait installé dans la solitude sur les bords du Nahon. Il aurait alors fondé un monastère à Selles-sur-Nahon dédié à saint Pierre. Les reliques de Genou en provenance d’Estrée seraient arrivées en 994 à Saint-Genou, après maints déplacements en raison des invasions normandes et hongroises. Elles auraient été déposées derrière le maître-autel qui se trouvait alors en avant de l’abside. L’autel a, par la suite, été déplacé sous le cul-de-four entraînant des remaniements du sol qui ont dissimulé la tombe. Elle a été découverte en 1886 lors de travaux entrepris dans l’église15. Sur la dalle, une inscription, datée du XIe siècle, en capitales mêlées d’onciales précise l’identité du saint : HIC PAVSAT PRESVL PIVS EXIMIVSQUE GENVLFVS QVEM PEPERIT NVMERO SIBI PONTIFICVM DUODENVS ECCLESIAE MATRIS ROMANE FOMITE SANCTI INBVTVS SYSTI CVI PAREBAT CHORVS OMNIS QUO MONITORE SVI SACER HIC VIRTVTE BEAVIT HOS FINES NOSTROS PRESENTI CORPORE SACRO16

Le chapiteau, daté des premières décennies du XIIe siècle, illustrant la vie du saint patron de l’église est situé du côté nord du chevet. Le cycle hagiographique débute sur la face occidentale où l’on voit le saint et son compagnon, vraisemblablement son père, Genitus, qui s’apprêtent à prendre la route (la besace dont ils sont munis semble l’indiquer). Conformément à l’inscription de la pierre tombale, Genou reçoit du pape Sixte, successeur de Pierre, un bâton pastoral. La scène s’inspire directement des modèles iconographiques de transmission apostolique. L’image assimile Genou à un apôtre-missiondeux saints du nom de Genou, l’un évêque de Cahors, l’autre solitaire du Berry... Voir Charles CAHIER, Caractéristiques des saints, Paris, 1867, p. 738. 15   François DESHOULIÈRES, « L’église de Saint-Genou », Bulletin Monumental, 105e vol., 1947, p. 50. 16  Transcription d’Eugène HUBERT dans son article : « Abbaye de Saint-Genou », dans le Bas-Berry, 3e fasc., Canton de Buzançais, 1906, p. 534. Voir également Marie-Thérèse CAMUS, « L’église de Saint-Genou », Congrès archéologique, Bas-Berry, 1987, note 3, p. 303. François Deshoulières propose la traduction suivante : « Ici repose le pieux et excellent évêque Genou, que le douzième des pontifes de notre mère, la sainte Église romaine, saint Sixte a formé à son école. Imprégné des principes de celui à qui obéissait tout le choeur des fidèles et sur ses conseils, il est venu sanctifier notre pays par sa vertu et la présence de son corps saint », p. 50.



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naire envoyé en Gaule par le prince des apôtres lui-même. La confusion visuelle est volontairement entretenue pour affirmer que la mission de Genou s’inscrit bien dans les évangélisations des premiers temps apostoliques. Cependant contrairement à certaines communautés religieuses comme celle de Saint-Martial de Limoges, les moines de Saint-Genou n’ont pas cherché, du moins sur la pierre tombale, à reconnaître leur saint comme un apôtre. Pourtant, mettre cette image en introduction du cycle paraissait indispensable au prestige du saint évêque. L’éclat de la mission qui lui a été confiée asseyait son culte tout en le rattachant à Rome, à la papauté et surtout à saint Pierre. Il était donc primordial pour les moines, gardiens du corps, de rappeler le statut de leur saint. La deuxième et la troisième scène rappellent le rôle de Genou dans l’évangélisation de la Gaule. Par la puissance de sa virtus, il pousse à la conversion des foules de païens. Dans un premier temps, Genou, assisté de Genitus, exorcise un enfant amené par son père. Cette image relate l’exorcisme du fils de Dioscorus, préfet de Cahors. À la suite de la guérison de l’enfant et devant l’évidence de la puissance de Dieu, le préfet et sa femme finirent par se convertir. Le second temps de l’épisode montre les conséquences du miracle, c’està-dire le baptême de la famille de dignitaires qui, à travers lui, évoque les conversions massives des païens. Le succès de la mission évangélisatrice du saint est ainsi exprimé. Sur la face est de la corbeille, Genou baptise le préfet, sa femme et son fils dans une grande cuve montée sur quatre pieds. Le cycle se conclut sur la face nord par une seconde confrontation du saint au diable. Dans une « église ouverte », figurée par des arcades et un clocher ajouré à deux niveaux, Genou entouré de compagnons fait fuir des démons en leur lançant de l’eau bénite en conformité avec le texte de la vita qui précise qu’ils furent chassés « par un signe de croix et de l’eau lustrale »17. La scène illustre la lutte du saint pour repousser les esprits malfaisants qui infestaient les bords du Nahon où il s’était fixé avec ses disciples et où il avait fondé le monastère de Selles-sur-Nahon. Il est intéressant de constater que cet épisode clôt le cycle. Il ne nous semble pas qu’il faille voir dans cette image la volonté de transcrire un fait historique précis de la vita bien qu’elle en soit le support. Les moines de Saint-Genou n’avaient pas grand intérêt à évoquer Selles-sur-Nahon, la fondation de leur saint patron. En revanche, il leur importait d’exalter la puissance de l’évangélisateur du Berry qui avait débarrassé la région des démons. Ainsi,   Marie-Thérèse CAMUS, op. cit., p. 298.

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l’action du saint décrite dans l’image ne doit pas être comprise comme ponctuelle mais permanente. Son rôle est constant : il repousse continuellement les forces du mal et protège les fidèles. C’est pourquoi l’église figurée doit être sans doute assimilée à celle de Saint-Genou plutôt qu’à Selles-sur-Nahon, à l’église qui abrite ses reliques et permet à sa virtus d’être encore présente dans le diocèse. Les images du chapiteau, bien qu’extraites de la vita, ont une dimension synthétique développée en trois points : la mission évangélisatrice du saint qui donne au Berry une aura particulière, sa puissance qui a permis l’évangélisation de la région et enfin, la protection qu’il a accordé et accorde toujours aux fidèles. Au final, la dernière image du cycle fait écho à l’inscription antérieure de la pierre tombale : « il est venu sanctifier notre pays par sa vertu et la présence de son corps saint ». Genou est un saint local : il est donc important de le rattacher ou du moins de rappeler son lien avec Rome et avec le successeur de Pierre. Cet ancrage historique est essentiel pour le Berry lui-même et pour l’Église de Bourges. Ce type de précision a une importance capitale, ce qui explique que l’image de la transmission apostolique se retrouve dans la plupart des cycles concernant les saints locaux, notamment les évangélisateurs comme Martial ou Nectaire... Il fallait donner une légitimité au culte en historicisant la légende et surtout dépasser le cadre local pour conférer au saint un statut « universel ». Par ce biais, les fondations de l’Église locale étaient entourées d’un prestige qui rejaillissait sur le diocèse. Les moines de Saint-Genou se sentaient sans doute investis d’une mission importante dans l’évêché puisque leur église abritait les reliques de son saint fondateur. Ils étaient eux-mêmes baignés de « la présence du corps saint » dont la virtus se diffusait dans l’Église locale depuis leur abbatiale, centre du diocèse. Les mises en scène des reliques par le biais d’un parti architectural volontairement antiquisant comme par celui des images contenant des références nettes aux temps apostoliques s’accompagnaient d’une scénographie appuyée, non seulement par l’architecture et les images, mais aussi par le decorum mobile et par la liturgie. L’ensemble concourait à renforcer la monumentalité de l’espace autour du culte des saints. Son instrumentalisation qui nourrissait les ambitions d’une communauté ou du pouvoir épiscopal nécessitait une recherche rigoureuse dans l’organisation spatiale et la structuration par les images de l’édifice cultuel. Il était, en effet, impératif en raison des enjeux inhérents à la dévotion que l’image véhiculée par l’église rende direc

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tement perceptible le signifiant par le signifié. Le chevet de SaintNectaire est à ce titre exemplaire. La théâtralisation du culte des saints répond aux besoins politiques et liturgiques des communautés qui se mettent également en scène dans l’église. C’est pourquoi les choix architecturaux, l’articulation des espaces définis par les images et leur fonction cultuelle invitent à s’interroger sur la recherche de cohérence qui a présidé à la construction intellectuelle et matérielle de l’église. La recherche de cohérence

L’orchestration du sacré Aux Salles-Lavauguyon, la recherche de cohérence s’exprime par l’adéquation parfaite des images et du programme architectural (fig. 142). Tout comme le réseau d’images, le programme architectural témoigne des ambitions des commanditaires sur le plan spirituel et politique. Par l’organisation et la hiérarchisation des espaces dans l’édifice, il reflète aussi la conception ecclésiologique des chanoines. Or, le culte des saints est un axe fort et l’un des fondements de cette réflexion menée par les communautés religieuses. Ainsi, l’analyse du programme architectural et du décor peint permet de comprendre l’image que la communauté des Salles souhaitait véhiculer à travers son église, église qui est avant tout une construction intellectualisée. La présence d’autels dont nous supposons l’existence dès le XIIe siècle dans les travées collatérales de la nef devait renforcer l’impression visuelle d’une succession de petites chapelles. En raison de la virtus du saint qui y est présente, ces oratoires peuvent être considérés comme un point de contact entre le ciel et la terre, ce qui explique leur forte sacralité. De surcroît, l’autel comme la tombe ou le reliquaire est un endroit précis où les fidèles peuvent prier le saint disparu et invisible. Pour les laïcs, la matérialité du lieu comme les images qui l’accompagnent rend le culte concret. Pour théâtraliser davantage le culte de chaque saint, nous avons déjà évoqué l’ambition des chanoines d’assimiler la nef à un reliquaire par le jeu entre le décor peint et ses volumes18.

 Les cycles hagiographiques par leur conception font écho à ceux qui ornent les reliquaires émaillés du Limousin. L’encadrement des scènes narratives par des motifs architectu-

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XIIe s. Début XIIIe s. Époque indéterminée Restitution

Fig. 142 - Les Salles-Lavauguyon, église Saint-Eutrope, plan

Toutefois cet aménagement atypique de la nef, notamment cette présentation mobilière particulière, s’explique par l’histoire du bâtiment. Si les chanoines ont conçu une nef symbolisant l’efficacité de l’intercession, alors que généralement le chevet et son aménagement s’imposaient à cet effet, c’est qu’ils ne pouvaient miser, semble-t-il, sur la partie orientale de leur église. Il est fort peu probable qu’un imposant chevet roman ait existé à la période où la nef a été construite. Sur raux – que l’on retrouve d’ailleurs dans les manuscrits –, le choix des couleurs sont autant de références à l’art des émaux.



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le mur oriental de la nef, du côté nord de l’arcade, des colonnes engagées sur dosseret qui ne portent aucune trace d’arrachements témoignent de la préparation du mur à une hypothétique construction d’un chevet roman. La présence de ces supports suggère qu’il était prévu un développement important aux articulations complexes de la partie orientale de l’église. Par anticipation, les commanditaires du chantier avaient également fait ménager des passages de circulation entre la nef et le futur chevet. Ces communications tout comme la préparation des murs pour les articulations du chevet sont la preuve d’un projet avorté d’adjoindre à la nef romane un ample chevet. Le chantier a manifestement été arrêté sciemment et proprement. Le chevet roman initialement prévu n’a jamais été construit : les relevés dans le chevet gothique montrent que ce dernier s’inscrit dans un plan géométrique parfait, composé de cubes modulaires de cinq mètres sur cinq. Il apparaît dans l’articulation de ses espaces et de ses volumes que la recherche de perfection et d’harmonie a présidé à son élaboration. L’idéal géométrique recherché comme l’ampleur du chevet actuel rendent impossible toute construction antérieure développée. Si un chevet relativement imposant datant du XIe ou du XIIe siècle avait existé, il aurait gêné la réalisation du plan composé de modules géométriques et cet embarras aurait été perceptible dans le bâti. Il faut ajouter à cela que, pour mettre en œuvre leur projet, les chanoines ont dû creuser le côteau. Ils se sont donc donné les moyens de construire leur chevet parfait. Le second chantier qui s’ouvre après celui de la nef et de son décor montre la volonté de la communauté canoniale de s’inscrire dans la modernité en entreprenant l’allongement de son église à l’est. Il appartient, en effet, à la vague de constructions de chevets à la dernière mode, caractéristiques d’un « goût 1200 » en Limousin. Les chanoines de collégiale Saint-Junien, la maison-mère, n’ont pas échappé à cette fièvre bâtisseuse. Ils ont fait agrandir leur église de deux travées, en reprenant le parti architectural de l’édifice roman, tout en multipliant les références contemporaines, indices de la modernité. La sévérité architecturale de la partie orientale de la collégiale est une des caractéristiques du goût 1200 très marqué dans la région19. Le chevet typique de cette tendance aux Salles-Lavauguyon se définit, en effet, par la même austérité architecturale et un désir de sobriété associé à une ambition novatrice qui se 19  Sur le programme architectural de Saint-Junien, voir la thèse d’Éric SPARHUBERT, Constructions et ambitions canoniales à l’époque 1200 : les programmes architecturaux des collégiales limousines, Poitiers, sous la direction de Claude Andrault-Schmitt.



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traduit par des performances techniques comme l’extrême attention portée à la stéréotomie. Ces constructions 1200 visaient à traduire par leurs formes et leurs volumes la simplicité de la vie religieuse, tout en étant une affirmation de sa perfection20. La recherche de la modernité prévalait déjà à Saint-Eutrope au XIIe siècle, si l’on en juge par le projet non abouti du chevet roman. La construction envisagée dont nous avons les indices laisse supposer que le terrain avait été préparé pour commencer la campagne de travaux. Mais le chantier s’est arrêté. Que restait-il de l’ancien chevet datant de l’époque de la fondation ? Nous n’en savons rien. S’agissaitil d’une structure en bois ? Nous ne pouvons répondre. Toutefois, au XIIe siècle, nous pensons que les chanoines ne disposaient sans doute que de la nef. Il est toujours possible d’envisager qu’une structure temporaire ait pu faire office de sanctuaire dans l’attente de la construction du chevet ou que le modeste chevet antérieur ait encore servi, mais rien n’est moins sûr. Ainsi, l’histoire de l’édifice rend compréhensible le choix peu fréquent de faire de la nef un lieu spécifique réservé aux saints. Par la distribution des autels, des dévotions et par le décor, l’espace est profondément hiérarchisé. Les autels des chapelles latérales, espaces secondaires, sont subordonnés à l’autel majeur, donc à l’espace principal de l’église tendu dans une dynamique axiale vers l’Est. Le programme architectural de la nef de Saint-Eutrope reflète également les préoccupations des chanoines, des préoccupations qui sont communes à d’autres communautés canoniales. Le système de berceaux transversaux dans les collatéraux qui est connu dans la région se caractérise « par la cohérence du plan et du système d’élévation lié à la généralisation du voûtement de pierre »21. Ce parti architectural s’observe dans la nef de la collégiale d’Eymoutiers vers 1100 et dans celle de la collégiale de Bénévent. Par ailleurs, les articulations adoptées aux Salles et à Bénévent, édifices pourtant très éloignés l’un de l’autre, sont analogues. Or, les rapprochements ne peuvent pas être uniquement formels. Il se peut, en effet, que la nef de la cathédrale de Limoges, sans doute édifiée aux alentours de 1100,

 Sur les éléments caractéristiques de cette mode 1200 dans la région, voir Claude ANDRAULT-SCHMITT, Limousin gothique, les édifices religieux, Paris, 1997. 21   Voir sur ce sujet, l’article d’Éric SPARHUBERT, « Construction identitaire et construction architecturale au temps de la réforme grégorienne : le chantier de la collégiale SaintBarthélemy de Bénévent », op. cit., p. 95. 20



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ait servi de référence commune22. À Bénévent ou à Eymoutiers comme aux Salles, cet aménagement de la nef s’inscrit dans le cadre de la réforme canoniale qui entraîne une évolution de la liturgie. Les recherches menées et les dispositions adoptées répondent aux besoins rituels de la communauté. Ainsi, les réflexions des chanoines des Salles sur l’aménagement de leur nef sont pour partie à étudier à la lumière de nouvelles pratiques dévotionnelles. Toutefois, la liturgie ne fournit pas tous les éléments d’explication : à Saint-Eutrope, la hiérarchisation des espaces de la nef était vraisemblablement renforcée par l’absence de chevet. Le programme architectural et le décor peint de la nef constituent une entité : les chanoines n’ont pas envisagé d’enchaîner à la suite de la construction de la nef celle du chevet. Ils savaient qu’un certain laps de temps s’écoulerait entre les deux chantiers. Ayant sans doute un ambitieux projet pour leur chevet, les chanoines avaient compris, avant ou au cours du chantier de la nef, qu’ils ne pourraient le satisfaire immédiatement. La campagne de travaux du chevet nécessitait, en effet, d’importants moyens. Or en concevant le programme monumental de la nef, la communauté savait qu’elle ne disposerait plus des fonds nécessaires pour envisager une telle construction, d’autant que la topographie du lieu en avait sans doute augmenté considérablement le coût. Cependant, les deux piles du mur oriental, dont une seule subsiste et qui datent du chantier de la nef, montrent que la campagne du chevet était prévue. Ainsi, au milieu du XIIe siècle, seule la nef était au cœur des préoccupations du chapitre et concentrait sa réflexion. Si comme nous le présumons, il n’y avait plus de chevet utilisable aux Salles au milieu du XIIe siècle, la communauté canoniale devait se tenir dans la quatrième, voire dans les deux dernières travées de la  La nef romane de la cathédrale a été détruite au XVIe siècle pour mener à bien les travaux d’achèvement de la nef gothique qui ne seront terminés par ailleurs que dans la seconde moitié du XIXe siècle. Selon Éric Sparhubert , « pour autant que l’on puisse en juger, ses arrachements, visibles au revers de la tour-porche occidentale avant les travaux des années 1880, révélaient la présence d’une nef relativement modeste couverte d’un grand berceau brisé contrebuté à sa naissance par des collatéraux assez larges qui communiquaient entre eux par des passages, et étaient voûtés de berceaux transversaux. Les départs des articulations sont bien visibles sur les relevés anciens. Voir les observations directes de l’abbé Arbellot, La cathédrale de Limoges. Histoire et descriptions, Paris, 1883 et le dossier iconographique sur la cathédrale avant les travaux d’achèvement, L’achèvement de la cathédrale de Limoges au XIXe siècle, Limoges, 1988. », n. 18. Voir à ce sujet Éric SPARHUBERT, « Construction identitaire et construction architecturale au temps de la Réforme grégorienne : le chantier de la collégiale Saint-Barthélemy de Bénévent », op. cit., p. 96, n. 19. 22



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Fig. 143 : Les Salles-Lavauguyon, église Saint-Eutrope, plan, hypothèse de l’aménagement liturgique au XIIe siècle

nef lors des offices23. Le maître-autel était sans doute situé dans l’espace de la quatrième travée, encadré par les effigies des deux prieurs, Bernard et Boson, peints de part et d’autre de l’arcade sur le mur oriental de la nef (fig. 143). Dans le chœur liturgique, les images des deux chanoines étaient marquées d’une charge symbolique particulièrement forte. Elles servaient de fond visuel, derrière l’autel majeur, lors du rite eucharistique mais également elles garantissaient la per Il est vraisemblable que le chœur canonial occupait les deux travées orientales de la nef.

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manence du culte. Les prieurs et par extension la communauté canoniale étaient ainsi présentés comme les officiants permanents et éternels de Saint-Eutrope24. Au sein d’un prieuré-cure, ces images devaient avoir un impact certain. Les chanoines arrivaient, en effet, dans l’église grâce à la porte percée dans le mur sud de la troisième travée de la nef. Passage qui s’ouvrait sur les bâtiments canoniaux et la clôture, symbole de la perfection de la vie régulière. La communauté des Salles-Lavauguyon cherchait à montrer à travers ses bâtiments, par la hiérarchisation des espaces, par celle des circulations, et par l’effigie des prieurs qu’elle alliait à la perfection monastique la fonction cléricale. Les peintures comme l’aménagement de la nef et les circulations dans l’église du XIIe siècle montrent que les chanoines se targuaient d’enseigner par le verbe et l’exemple25. La sacralité du lieu était théâtralisée par l’architecture et son décor au sein desquels la communauté orchestratrice pouvait se mettre en scène, en exaltant sa mission d’intercesseur. Le bâtiment et le décor peint de Saint-Eutrope sont au service d’une pensée précise et structurée, d’une réflexion globale menée par la communauté canoniale. La construction matérielle a eu indéniablement pour préalable une construction intellectuelle menée de manière extrêmement rigoureuse par les chanoines et qui est, en fait, l’expression de leur identité. Les chapelles des collatéraux et l’histoire de l’église confèrent à la nef au xiie siècle la fonction d’un chevet. Les choix opérés ont été dictés par les pratiques liturgiques de la communauté, mais également par les rapports qu’elle entretenait avec les laïcs et par la mission qu’elle entendait jouer auprès d’eux. Au total, à travers le programme monumental s’exprime la recherche de cohérence entre l’église-bâtiment qui symbolise sur terre le macrocosme et la chapelle, le microcosme.

  Nous ne pouvons écarter l’hypothèse selon laquelle une petite structure temporaire, faisant office de chevet, existait peut-être à cette période. Dans ce cas de figure, les portraits des deux chanoines encadraient l’autel et lui étaient directement liés, ce qui ne modifie en rien l’interprétation. 25   Voir à ce propos, Carolyn BYNUM, Docere verbo et exemplo. An Aspect of Twelfth-Century Spirituality, Cambridge, 1979. 24



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L’église et son décor : une construction hagiographique L’édifice et les images sont parfois au service d’une construction hagiographique qui a pour dessein de soutenir le culte d’un saint. L’ambition de donner au bâtiment une valeur comparable à celle de la vita est perceptible dans un certain nombre d’églises. Le chevet de Saint-Hilaire de Poitiers, comme l’intégralité de l’édifice, est conçu comme une vaste entreprise d’élaboration hagiographique autour du sarcophage du saint évêque orchestrée par la communauté canoniale26. Les images comme l’architecture participent à cette scénographie d’ensemble. Le chevet présente un emboîtement d’espaces autour du tombeau du saint, situé sans doute dans le sanctuaire, lieu de la plus forte polarité. Cependant, cette polarité est redistribuée à travers les chapelles rayonnantes qui entourent le chœur liturgique. Ainsi, ces aménagements définissent plusieurs espaces rituels distincts dont la hiérarchisation est renforcée par les images. Pourtant, ces lieux spécifiques secondaires, voués aux saints, sont métaphoriquement – par le décor – et littéralement – par les articulations de l’architecture – liés au noyau sanctifié qu’est l’autel-tombeau. Les saints dont les reliques sont déposées dans les autels des chapelles ont tous côtoyé Hilaire en l’Église de Poitiers ou sont associés à l’histoire du diocèse. Martin, son disciple, a fondé le monastère de Ligugé, Philibert qui a restauré l’abbaye Saint-Benoît de Quinçay dans la Vienne avait trouvé refuge auprès de l’évêque de Poitiers, après les persécutions dont il avait été l’objet à Jumièges27 ; Quentin, apôtre du Vermandois, avait quitté Rome pour aller prêcher la religion chrétienne en Gaule28. Ainsi les saints, honorés à Saint-Hilaire appartien  D’après PIERRE DAMIEN, Sermo II, De translatione sancti Hilarii episcopi Pictavensis et confessoris (P.L., 144, col. 515), la basilique qui a été remplacée par celle consacrée en 1049 était recouverte de mosaïques à l’intérieur et à l’extérieur, voir à ce propos May VIEILLARDTROIEKOUROFF, Les monuments religieux de la Gaule d’après les œuvres de Grégoire de Tours, Lille, 1977, p. 223. Lors du remplacement des plafonds en bois de la basilique par des voûtes, les fondations durent être renforcées. Le sepulcrum de saint Hilaire – saint du IVe siècle fêté le 14 janvier, Hilaire, confesseur et docteur, s’est distingué dans sa lutte contre l’arianisme, relatée dans sa vie écrite par Venance Fortunat (P.L, 9, col. 185) – a été découvert : trois clercs auraient vu un petit mausolée peint en or et sur le sol trois tombes en marbre, dont deux plates, celles de la femme et de la fille d’Hilaire, et celle du saint en forme de pyramide. Voir Victor MORTET, Recueil de textes relatifs à l’histoire de l’architecture et à la condition des architectes en France au Moyen Âge, Paris, 1911, p. 142. 27  Saint du VIIe siècle, abbé fêté le 20 (24) août, Vita sancti Filiberti, dans Monuments de l’histoire des abbayes de saint Philibert, par René Poupardin, Paris, 1904, p. 4. 28  Saint martyr du IIIe siècle, fêté le 31 octobre, (A.A.S.S., Octobre, III, p. 781-87) et Grégoire de Tours, Liber in gloria martyrium, P.L., 72 (73), col. 705-800. 26



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nent tous à l’histoire de l’Église de Poitiers, du Poitou et par extension de la Gaule. En raison du rôle qu’ils ont joué dans l’Église locale et par là dans l’Église, un hommage leur est rendu dans le lieu pensé comme le plus sacré de l’évêché, à proximité du corps du premier évêque de Poitiers. Les saints qui jouissent d’un culte particulier à Saint-Hilaire apparaissent tous comme des intercesseurs privilégiés et surtout familiers. Familiers par le lien qu’ils entretiennent avec l’Église poitevine. Actifs dans cette Église, ils sont tous rattachés à l’évêque fondateur et plus particulièrement à sa mission dans le diocèse et rayonnent à partir de lui à l’image des autels secondaires répartis autour de l’auteltombeau, noyau de l’église. Les saints ont poursuivi l’œuvre du premier évêque de Poitiers, mais surtout ils s’en sont nourris, ce que traduit fort bien la cohérence visuelle du chevet. La cartographie du sacré diocésain est reconstituée dans le chevet par son aménagement et son décor, véritable représentation de la topographie hagiographique de l’Église locale. Pour autant, par d’habiles changements d’échelles, les saints de Saint-Hilaire sont non seulement considérés comme des saints locaux, mais également comme des saints gaulois dont les peintures ont fixé la mémoire : Martin, s’il est le moine évêque, disciple d’Hilaire est aussi l’évangélisateur des Gaules ; Philibert est un grand abbé fondateur29 qui a marqué de son passage le Poitou où il a fini sa vie et il aurait d’ailleurs évangélisé les populations rurales de la vallée du Miosson30. Quant au martyr Quentin dont l’office propre de Saint-Hilaire place la commémoration le 31 octobre, il évoque comme saint Martin l’apostolicité des Gaules et il est présent dans le diocèse par l’intermédiaire de ses reliques. Grâce à de subtils glissements, ces saints ménagent une passerelle entre le monde terrestre, c’est-à-dire celui de l’évêché puis de la Gaule chrétienne, et le monde céleste. Le passage entre les deux sphères et les deux temps de l’histoire est figuré symboliquement par l’emplacement des images dans l’édifice : la vie des saints est illustrée dans les chapelles rayonnantes, ils sont en pied dans le déambulatoire tandis que le cycle apocalyptique évoquant les cieux se déroule sur le rond-point de colonnes et la voûte du chœur. Mais comme nous l’avons déjà mentionné, les saints font la jonction entre le passé, le   Outre Saint-Benoît de Quinçay dans la Vienne, Saint Philibert a fondé Noirmoutier, Saint-Michel-en-Lherm et Luçon en Poitou. 30   Dom François CHAMARD, Histoire ecclésiastique du Poitou, Poitiers, 1874 (MSAO, 1ère série, XXXVIII, 1873), p. 3. 29



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présent et le futur. Ils ont laissé la trace de leur passage sur terre, et à ce titre ils sont honorés ; ils font partie de la cour céleste pour avoir versé leur sang au nom de l’Agneau et ils sont les piliers de l’Église triomphante de la fin des Temps. Par le jeu permanent des changements d’échelles, la communauté canoniale inscrit l’histoire de l’Église locale dans l’Histoire universelle contée par le cycle apocalyptique : les saints en habits liturgiques du déambulatoire comme les successeurs d’Hilaire sur les piliers sont l’image de l’Église pérégrinante. La scénographie du sacré à Saint-Hilaire se double de l’affirmation de l’identité de la communauté canoniale, objet d’un autre chapitre, qui s’inclut dans la construction hagiographique. Les chanoines entendent rappeler leur rôle, en tant que gardiens du corps d’Hilaire, dans la cartographie sacrée du diocèse qu’ils ont élaborée. Se superpose à elle, en effet, la topographie cultuelle, manifestation des pratiques liturgiques de la communauté. L’aménagement de lieux spécifiques autour du culte des saints est un corollaire indispensable de la mise en scène de la communauté religieuse. Non seulement l’instrumentalisation des espaces où sont conservés les reliques ou le tombeau du saint est un marqueur de puissance mais très souvent par leur disposition, l’ordre cherche à démontrer qu’il s’est construit sur les restes saints ou la sépulture fondatrice. À Saint-Benoît-sur-Loire par exemple, le cycle principal du Père des moines commence par le miracle du crible, qui ouvre également la légende, et se termine par le dernier prodige du saint, la résurrection de l’enfant du paysan31. L’épisode du tamis, la rencontre du saint avec Totila, la résurrection de l’enfant et le sauvetage de Placide sont situés sous les doubleaux de la voûte du chevet qui surplombent la crypte où se trouvait le tombeau de Benoît. Tous ces miracles sont sculptés dans le sanctuaire qui est aussi la domus du saint. L’église et sa crypte sont construites autour de la dépouille du saint dont « la proximité entraînait, en fait, la constitution d’une sorte de zone sacralisée, sous la forme d’une série de cercles concentriques dont la sacralité croissait de la périphérie vers le centre »32. Les images de miracles cernent cette « zone sacralisée » pour la renforcer. À l’image de l’arbre généalogique des ordres qui prend racine dans le 31  Seul l’emplacement du chapiteau du Goth Zalla et de la délivrance de son prisonnier, un paysan, par Benoît est plus difficile à interpréter. Il est localisé à gauche, à l’entrée de la chapelle septentrionale du bras nord du transept. Nous n’avons pas pu déterminer si cette chapelle avait une fonction précise. 32   Voir Pierre-André Sigal, L’homme et le miracle, op. cit., p. 61.



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corps du saint, le tombeau est la pierre de soutènement de l’abbatiale33. Grâce à lui, l’ordre grandit dans la puissance de son fondateur en poursuivant la mission héritée de Benoît. L’architecture comme les sculptures en porte la marque. À l’entrée du chevet-reliquaire, du chœur des moines, donnant sur la première travée de la nef, deux chapiteaux illustrent le cheminement spirituel et le renoncement, grâce monastique par excellence, à travers l’expérience érémitique de Benoît dans la grotte de Subiaco et la tentation surmontée de la chair. La communauté bénédictine de Fleury se structure donc autour de son corps sanctifié dont la pureté n’est plus à démontrer. La mise en scène du culte des reliques passe par une instrumentalisation du chevet qui, grâce au tombeau du saint, fait de l’abbatiale la pierre fondatrice de l’ordre bénédictin. Les commanditaires des images ont d’ailleurs pris soin d’écarter du cycle tous les épisodes faisant allusion à l’activité constructrice du Père des moines dont Saint-Benoît, à la différence du Mont-Cassin, ne pouvait pas se parer. Contrairement à l’abbaye italienne, la communauté de Saint-Benoît n’avait pas la possibilité de miser sur l’héritage direct du saint, c’est pourquoi à travers l’aménagement de l’abbatiale et ses images, elle cherche à incarner l’image de l’ordre et non son histoire. Toutefois, pour chaque famille religieuse, se positionner au sein de son ordre ou affirmer son rang dans l’Église universelle et locale revient à écrire son histoire…

33  Sur les « arbre-ordo », image très postérieure à Saint-Benoît-sur-Loire, voir Dominique DONADIEU-RIGAUT, Penser en images les ordres religieux, op. cit., p. 241-335.



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troisième partie L’image dans l’histoire

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Fig. 144 : Carte de l’implantation des établissements canoniaux en Limousin à la fin du XIIe siècle

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chapitre i

Le pouvoir spirituel

La marque des commanditaires 

L’identité du chapitre des Salles-Lavauguyon Si à la suite de la donation du 18 septembre 1075 de l’église des Salles-Lavauguyon au chapitre canonial de Saint-Junien, Saint-Eutrope est devenue une filiale de la puissante collégiale, elle est surtout son unique filiale régulière. Le chapitre de la maison-mère étant séculier, les chanoines des Salles-Lavauguyon se trouvent donc isolés dans son réseau canonial. Isolés doublement, d’ailleurs, car les communautés canoniales régulières sont moins nombreuses que les séculières  (fig. 144). La régularité de la douzaine de chanoines de Saint-Eutrope se traduit par l’usage récurrent du mot prior, emprunté au texte d’Aix de 816, que l’on désigne sous l’appellation d’institution ou de règle. Cette préférence terminologique permet de distinguer les réguliers ayant un prieur des séculiers dirigés par un prévôt ou un doyen. Par ailleurs, il semble fort probable que le prieuré des Salles ait observé la régularité augustinienne au XIIe siècle, ce qui est confirmé par la   Voir Jean BECQUET, « Collégiales et sanctuaires de chanoines séculiers en Limousin », Bulletin de la Société archéologique et historique du Limousin, 103, 1976, p. 75-106, réédité dans La vie canoniale en France aux Xe-XIIe siècles, Londres, 1985.    Chronique de Maleu, op. cit., p. 34 : « À l’époque de ce vénérable père, maître Guidon, l’évêque, et de cet homme respectable, maître Amelius, prévôt, 14 jours avant les calendes d’octobre, année du Seigneur 1075, des hommes nobles, Aymeri et Henri, construisirent l’église des Salles et ils donnèrent celle-ci, une fois bâtie, avec ses dépendances à l’église de Saint-Junien et ils voulurent qu’au prévôt et au chapitre de Saint-Junien, maintenant et à l’avenir, se rapporte le droit d’élire un prieur qui dirige de façon heureuse cette église des Salles et qui fournisse aux serviteurs de l’église des Salles elle-même les choses spirituelles et temporelles ».     Sur la régularité du chapitre des Salles-Lavauguyon, voir l’article de Jean BECQUET, « Collégiales et sanctuaires de chanoines séculiers en Limousin aux X-XIIe siècles », op. cit., p. 96. Jean Becquet écrit à la note 30 : « La régularité initiale des Salles est renforcée par l’indice que fournit la présence commune de l’évêque Gui et du prévôt Amélius auprès du légat Amat d’Oloron en 1081 dans le règlement d’une affaire qui concerne Saint-Martial de Limoges (J. RAMACKERS, Papsturkunden in Frankreich, Neue Folge, 5. Band : Touraine, Anjou, Maine und Bretagne, Göttingen, 1956, n°15) ». 



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désignation de la communauté par l’archevêque de Bourges en visite à la fin du XIIIe siècle dans « ce prieuré conventuel de l’ordre de saint Augustin ». Le chapitre de Saint-Junien dont l’identité et la personnalité étaient solidement ancrées est resté, quant à lui, une communauté séculière malgré la réforme canoniale soutenue par les évêques au XIe siècle. Il est assez étonnant que le prieuré-cure des Salles ait été régulier et ait bénéficié d’un statut spécifique au sein du réseau des filiales de la maison-mère. Etait-ce une volonté explicite des donateurs laïques, Aymeri et Henri ? Ou bien, le particularisme des Salles s’inscrivait-il dans le mouvement de réforme canoniale amorcé au XIe siècle ? Il est également difficile de déterminer si les cadets des nobles locaux ont été à l’origine de la constitution de la communauté de SaintEutrope ou bien si des chanoines de Saint-Junien, attirés par la vie régulière, sont venus s’y installer, les deux hypothèses n’étant en rien antinomiques. Quoi qu’il en soit, la différence de statuts, voire l’émergence de plus en plus nette d’une opposition entre séculiers et réguliers au XIIe siècle, a joué vraisemblablement un rôle majeur dans la querelle entre Saint-Junien et sa filiale des Salles. Cependant, le fait que la collégiale séculière de Saint-Junien se dote au XIe siècle d’une filiale régulière témoigne du dynamisme spirituel du milieu canonial profondément marqué par le concile romain de Latran en 1059. Sous l’influence de figures épiscopales charismatiques et autoritaires, les communautés canoniales, en fonction de leur personnalité et de leur identité, se réforment progressivement. Le monde canonial, ou plus justement, les mondes canoniaux tentent d’imiter la vie monastique pour tendre vers la perfection. Durant les premiers siècles chrétiens, « les moines constituaient une catégorie sociale et religieuse sans rapport avec celle des clercs consacrés au ministère pastoral. Le sacerdoce, avec les responsabilités et aussi les honneurs qui y étaient rattachés, apparaissait incompatible   Jean BECQUET, « Collégiales et sanctuaires de chanoines séculiers en Limousin aux X-XIIe siècles », op. cit., p. 97. Jean Becquet souligne également que l’on « remarque aussi trois prieurs dans les dépendances des Salles au XIVe siècle (FONT-REAULX, Pouillé), ce qui est une analogie de plus avec les établissements de chanoines réguliers du diocèse » (note n°31).    Voir à ce propos, les travaux d’Éric SPARHUBERT et notamment sa thèse, Constructions et ambitions canoniales à l’époque 1200 : les programmes architecturaux des collégiales limousines, Poitiers, sous la direction de Claude Andrault-Schmitt.    Voir à ce propos, Alain BOUREAU, « Hypothèses sur l’émergence lexicale et théorique de la catégorie de séculier au XIIe siècle », dans Le clerc séculier au Moyen Âge, XXIIe congrès de la SHMES (Amiens, juin 1991), 1993, p. 35-43. 



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avec l’état monastique ». Au contraire, les chanoines devaient accomplir une mission active au sein de l’Église, fondée sur l’enseignement. Il leur fallait donc assumer la charge de la célébration publique de l’office divin ainsi que de l’annonce de l’Évangile. La lente pénétration des idées romaines dans la vie canoniale montre l’attention qui est accordée aux réformes. Par ailleurs, les chanoines, y compris les séculiers, ne cesseront en raison de cet idéal romain de se rapprocher du monde monastique, tout en conservant leur spécificité canoniale. Au XIIIe siècle, les chanoines de Saint-Junien, pour rehausser la gloire des séculiers, entreprendront d’allonger et de réaménager leur chevet, preuves de nouvelles pratiques liturgiques et d’une redéfinition de leur mission. Ils feront également construire un cloître à galeries, au nord de la collégiale, autour duquel seront organisés les bâtiments conventuels comme autant de références à la clôture monastique et comme symboles de la perfection de la vie canoniale. L’ensemble de ces travaux traduisent leur réceptivité aux idées des conciles de Latran III et IV. Le XIIe siècle est une période intense de réformes canoniales en Limousin qui semble profiter au chapitre des Salles. La vaste campagne de reconstruction de la nef tend à prouver que le contexte lui est particulièrement favorable. Le chantier entrepris atteste de sa vitalité tant sur le plan économique que spirituel. L’identité de la communauté de chanoines est au cœur de l’émulation dont elle fait preuve. La réforme la porte, en effet, à se définir au sein de la géographie canoniale du Limousin, y compris dans son articulation aux réseaux monastiques. Les effigies des deux prieurs de part et d’autre du maître-autel marquent d’emblée l’édifice du sceau identitaire. Les chanoines des Salles arborent tunique et cuculle blanches, manifestation la plus ostensible de leur spécificité. La couleur blanche véhicule les valeurs de pauvreté et de simplicité, autrement dit de pureté dont ils se parent en endossant l’habit. Couleur de l’innocence et de toutes les vertus, elle est aussi la couleur de la fête, de la gloire et de la résurrection, symbole sacerdotal soulignant la fonction des prêtres10. À la   Jean CHÂTILLON, Le mouvement canonial au Moyen Âge, Réforme de l’Église, spiritualité et culture, Brepols, Turnhout, 1992, p.152.   Sur ce point voir Éric SPARHUBERT, « Un exemple de programme architectural à l’époque des conciles de Latran III et de Latran IV : l’allongement du chevet de la collégiale de Saint-Junien (Haute-Vienne) », op. cit., p. 251-258.    Ibid., p. 252. 10   Voir Michel PASTOUREAU, « Les cisterciens et la couleur au XIIe siècle », dans L’ordre cistercien et le Berry, Actes du colloque organisé par les archives départementales du Cher, 1998, n° spécial des Cahiers d’archéologie et d’histoire du Berry, p. 21-30. 



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Fig. 145 - Mur sud de la nef de l’église Saint-Eutrope des Salles-Lavauguyon

faveur de la réforme de 1059, les chanoines réguliers qui souhaitent, en effet, se rapprocher des moines et de leur vie, abandonnent le surplis de lin pour un habit de laine en adéquation avec leur nouvel engagement11. Le vêtement des chanoines des Salles est l’emblème de leur programme spirituel : pauvreté, humilité et sacerdoce. L’expression identitaire s’impose, semble-t-il, à l’ensemble du complexe canonial des Salles. L’opposition sexuée de l’espace de la nef qui est très visible par la distribution des saints et des saintes, respectivement peints au sud et au nord, se lit également dans les choix architecturaux. Du côté sud de l’église se dressaient les bâtiments canoniaux. Le mur méridional de la nef est ajouré de courtes baies, simples sans ébrasement ni voussure à la première travée et « de mouluration torique fruste vers l’est » (fig. 145). Il est monté en petits moellons dispo-

 Sur la prise d’habit et la symbolique du vêtement, voir Dominique DONADIEU-RIGAUT, Penser en images les ordres religieux, op. cit., p. 81-83. Non sans raison, elle note : « Les chanoines réguliers afin d’affirmer leur désir de se rapprocher des moines quant à leur mode de vie ascétique, abandonnèrent le surplis de lin (caractéristique des « grands prêtres » depuis le Lévitique) au profit d’un vêtement de laine plus conforme, par sa rugosité, à l’esprit de la réforme. », p. 83. 11



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Fig. 146 - Mur nord de la nef de l’église Saint-Eutrope des Salles-Lavauguyon

sés en assises régulières12. À l’extérieur, sur ce mur, des corbeaux étaient destinés à soutenir la charpente d’une galerie de cloître, sans doute unique13. Les chanoines empruntaient la galerie pour pénétrer dans l’église par une porte qui s’ouvrait dans la troisième travée de la nef. Cet espace de circulation a été abandonné vraisemblablement après l’aménagement du chevet au XIIIe siècle. Une ouverture permettait de desservir la partie orientale de l’église depuis les bâtiments de la vie commune. Dans les deux cas, les espaces de circulation servaient la mise en scène de la communauté dans son église (fig. 143). Le traitement extérieur du mur septentrional s’oppose radicalement à celui du mur sud (fig. 146). À l’exception de la base en moellons, le gouttereau nord est composé de pierres de taille. Il est percé de baies ébrasées, flanquées de chapiteaux angoumoisins. Manifestement, les chanoines ont soigné le côté visible de l’église, celui qui était offert au regard. La silhouette imposante de l’église, son appareillage en pierres de taille ainsi que ses chapiteaux sculptés visent à inscrire   Claude ANDRAULT-SCHMITT, Les nefs dans les églises romanes de l’ancien diocèse de Limoges, Rythmes et volumes, op. cit., p. 43. Claude Andrault-Schmitt revient aujourd’hui sur les estimations archéologiques qu’elle avait proposées dans le cadre de sa thèse. 13  Il existait peut-être deux galeries, mais en aucun cas il n’y avait aux Salles-Lavauguyon un cloître composé de quatre galeries. 12



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la puissance de la communauté dans le paysage. Son pouvoir s’affirme par la monumentalité de la construction et le prestige qui s’en dégage. Le voir, l’ostensible sont la traduction de la place que la communauté revendique dans une aire géographique donnée et de l’influence qu’elle entend y exercer. Du côté des bâtiments canoniaux, la construction en moellons et l’absence d’ornementation témoignent non seulement d’une économie de moyens, mais également d’un choix beaucoup moins formel. Par la simplicité et l’austérité de la construction, les chanoines réguliers rappelaient ce qui symbolisait leur engagement spirituel : le mode de vie communautaire des pauvres du Christ. À partir du concile de Latran de 1059, en effet, l’abandon de la propriété individuelle, déjà prôné par saint Augustin et saint Jérôme, est l’un des éléments de transformation de la vie canoniale qui tend de plus en plus à imiter celle des institutions monastiques. Le renoncement et la désappropriation individuelle étaient véhiculés par l’image de la partie claustrale du prieuré. Par ailleurs, l’unique galerie du cloître était une référence nette à la perfection monastique et à la clôture. Ainsi, les bâtiments canoniaux se posaient comme une définition de la perfection de la vie canoniale régulière. Ce parti pris visait à une latéralisation symbolique de l’édifice dans sa globalité et à la dissociation visuelle des côtés nord et sud. Au sud, la clôture était nettement individualisée et, de manière ostentatoire, les chanoines insistaient sur la rigueur de la vie régulière. En revanche, le côté septentrional se faisait peut-être l’expression de la mission pastorale que les chanoines souhaitaient mener sur les populations alentour. Autrement dit, le complexe canonial et plus particulièrement le bâtiment sacré définissent le cadre spirituel et social de la communauté religieuse des Salles. Ces hypothèses établies à partir de l’analyse de l’architecture sont renforcées par la partition nord/sud de la nef à travers les images14. Les saintes peintes du côté nord et les saints du côté sud incarnent également la dualité de la vie canoniale. Les chanoines conjuguent à travers leur mission l’action et la contemplation : le contact avec le siècle au nord, incarné par les saintes et la clôture au sud, symbolisée par les saints. Il est intéressant de constater que le langage formel est conforme au discours de l’image : les saintes sont 14  L’estimation archéologique de la nef construite entre 1130-1150 n’est pas très éloignée de la datation proposée pour le décor peint. Il semble que la campagne de peinture ait débuté peu après la fin de la construction. Une réflexion globale a été menée par les chanoines sur le monument et son décor.



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uniquement représentées dans la narration alors que les martyrs font tous l’objet d’un « portrait narratif » dans leur cycle comme la magnifique figure de Christophe à l’entrée du palais de Dagnus et les effigies de Laurent sur le mur méridional de la nef. Les images des saintes renvoient à la part de féminité que nécessite la fonction canoniale puisque les chanoines doivent nourrir pour les fidèles des sentiments maternels. Ils cultivent à leur égard « les sentiments d’une mère pour ses enfants »15. Le rapprochement entre un sujet masculin et un attribut féminin est familier au Moyen Âge, le Christ lui-même présentant cette ambivalence16. Les ordres monastiques reprennent à leur compte l’image de la figure double, à la fois père et mère, pour décrire le rôle de l’abbé envers ses moines. Saint Bernard, quant à lui, use volontiers de l’expression « cœur maternel » pour qualifier sa relation avec ses fils. Les chanoines réguliers ayant un rôle d’enseignant auprès des laïcs se sentent comme une mère qui les guident sur les chemins du Salut. Quant aux qualités viriles indispensables à leur engagement et au renoncement, elles sont exposées du côté sud de l’église, tourné vers la clôture, le désert, symbole de la perfection de la vie régulière. Ainsi, les chanoines sont à la fois un père, un modèle par la rigueur et la pureté de leur vie et par l’amour qu’ils portent aux soins des âmes, une mère pour les fidèles. Si les chanoines des Salles se positionnent au sein des réseaux canoniaux du Limousin, ils revendiquent la spécificité de leur vie par rapport à celle des moines (fig. 147). Les difficultés, les faiblesses liées au contact avec le siècle peuvent être symbolisées par les saintes et par la partie nord de l’église tournée vers le siècle. L’acceptation de la part féminine de la fonction canoniale rend encore plus méritants les chanoines qui s’y sont engagés puisqu’ils en connaissent les difficultés et s’y soumettent. En mettant en avant cet aspect de leur mission, les chanoines évoquent sans doute leur lutte quotidienne car ils ne vivent pas retranchés dans le désert, mais sont exposés au siècle par leur fonction pastorale. Pour autant, l’ambivalence de la fonction et la dichotomie de la vie canoniale qui semblent affirmées dans la nef n’excluent pas d’autres explications. Les saintes qui possèdent toutes une grande beauté, à l’image de l’âme pure promise à Dieu, contribuent à définir l’excellence de la vie canoniale.   Voir sur la part de féminité chez les saints fondateurs et revendiquée par les ordres, Jacques DALARUN, François d’Assise, Un passage femme et féminité dans les écrits et les légendes franciscaines, Paris, 1997, p. 157. L’expression est empruntée à la Vita prima. 16   À ce propos, voir André CABASSUT, « Une dévotion médiévale peu connue. La dévotion à Jésus Notre Mère », Revue d’Ascétique et de Mystique, Avril-Décembre, 1949, p. 234-245. 15



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Fig. 147 : Carte de l’implantation des établissements religieux en Limousin au XIIe siècle

À Saint-Eutrope, le cycle de saint Étienne, au revers de la façade, est peut-être révélateur de la vision que les chanoines donnaient de leur communauté. La dalmatique est admirablement mise en valeur dans chacune des trois séquences : par l’envolée de larges manches, elle donne l’illusion formelle de la mandorle, créant autour du saint une sorte de gloire ; elle semble être le soutien inébranlable du corps du saint, la gangue protectrice de ce corps en odeur de sainteté ; elle

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est le seul signe identifiant d’Étienne lors de son inhumation. Il est certain que les chanoines commanditaires voulaient insister sur la fonction ecclésiastique d’Étienne à travers son vêtement, Étienne « premier diacre du Christ »17. Le visage masqué du saint dans l’image unica de son enterrement reste une question pour l’instant sans réponse mais qui est forcément riche de sens. Aussi, seule la dalmatique est la manifestation de l’identité du saint. Or, les études prouvent que le vêtement lors d’une inhumation a une fonction signifiante importante : il révèle l’engagement social, religieux, spirituel de l’individu ou de la communauté à laquelle il appartient. Si la nudité du défunt est un signe de son extrême humilité, le vêtement est bien un élément d’identité personnelle. C’est pourquoi, comme le mentionnent les textes contemporains, les ecclésiastiques étaient souvent enterrés avec leurs vêtements : pour Guillaume Durand par exemple, les clercs majeurs doivent être ensevelis dans les habits de leur ordre car ils « désignent les vertus ornés desquelles ils doivent être en un plus haut degré que les autres, et se présenter à Dieu »18. La réalité de cette pratique est attestée par les découvertes archéologiques19. La dalmatique d’Étienne devient sa seule identité : le saint n’est plus reconnaissable qu’à la fonction qu’il exerçait au sein de l’Ecclesia. Réduire Étienne à son statut de diacre, de serviteur de l’Église revient à exalter la charge qui est celle des chanoines. La mission pastorale de la communauté canoniale se cristallise autour de l’habit liturgique. Pour rehausser leur prestige, les chanoines réguliers magnifient le clerc et son rôle et se positionnent face aux moines. Dans le cadre de leur réforme qui prône la vie communautaire dans la pauvreté, ils trouvent dans la figure du protomartyr un modèle emblématique. Au sein de l’iconographie hagiographique, le visage masqué d’Étienne qui sert le discours des chanoines sur leur mission semble être un symbole d’humilité. Or la vertu qui est proclamée dans cette 17  Le vêtement est un révélateur pour celui qui le porte, comme l’expliquent Françoise Piponnier et Perrine Mane, « dans le costume liturgique de la chrétienté, ce n’est pas la personne du célébrant qui tend à être magnifiée, mais la fonction qu’il remplit comme représentant du Christ dans la commémoration de la Cène », Se vêtir au Moyen Âge, Paris, 1995, p. 139. 18   GUILLAUME DURAND, Rational des divins offices, trad. Charles Barthélemy, Paris, 1854, p. 113, cité par Cécile Treffort, « Du mort vêtu à la nudité eschatologique (XIIe-XIIIe siècles) dans Le nu et le vêtu au Moyen Âge (XIIe-XIIIe siècles), Actes du 25e colloque du CUERMA, 2-34 mars 2000, Sénéfiance, n°47, Aix-en-Provence, 2001, p. 353. 19   Cécile TREFFORT, « Du mort vêtu à la nudité eschatologique (XIIe-XIIIe siècles) », op. cit., p. 353.



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image peut être interprétée comme la définition de la vie même du chanoine. Une vie vouée à Dieu et à l’accomplissement du sacerdoce dans l’humilité, qualité nécessaire à tous ceux qui veulent suivre le Christ. Laurent, autre diacre, dont la dalmatique rouge domine le cycle incarne la générosité. La charité est un corollaire majeur de l’exigence de pauvreté, indispensable pour tous ceux qui se vouent au Christ20. Par le vêtement sacerdotal, les chanoines sont associés à Laurent dont ils sont les disciples. Or, les dons étaient destinés également à être redistribués aux pauvres21. Ainsi à la question : « Hi sunt thesauri Ecclesiae ? » peinte sur le mur sud, les chanoines, idéalement pauvres, répondent par leur présence. La tenue qui correspond à l’esprit de la réforme de 1059 et qui s’affiche sur le mur oriental de la nef complète admirablement la démonstration. Etant un lieu d’affirmation, le complexe canonial dans son ensemble véhicule l’image que la communauté donne d’elle-même puisqu’il sert à définir le cadre de la vie spirituelle du chapitre. Mais s’il reflète la conception que se font les chanoines de leur nouveau statut porté par la réforme, il révèle également les rapports des chanoines aux laïcs et la place qu’ils revendiquent dans la société. En somme, l’église et le décor sont l’expression de l’idéal religieux défendu par les chanoines des Salles.

Une question d’interprétation : l’église comme lieu d’affirmation de l’identité d’une communauté religieuse Le prieuré Saint-Pardoux d’Arnac L’utilisation des images hagiographiques comme manifeste identitaire d’une communauté religieuse est un schéma très répandu. Elle répond à un besoin d’affirmation de la personnalité d’un ordre au sein d’un diocèse ou d’une communauté au sein de son ordre. Le cas de l’église Saint-Pardoux d’Arnac est intéressant car il soulève la question du choix des saints figurés dans un exercice de démonstration identitaire. Cet exemple est d’autant plus significatif qu’il s’agit d’un  L’accent est également mis sur la vie commune que doivent mener les clercs attachés à une église et de ce fait, sur la vertu de charité sans laquelle une vie commune est impossible. Voir Jean CHÂTILLON, op. cit., p. 131. 21   Ce qui bien souvent permettait aux communautés religieuses de justifier de leur richesse. 20



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Fig. 148 - Saint Martial bénissant aux côtés de saint Pierre, chapiteau, église Saint-Pardoux, Arnac-Pompadour

prieuré, soumis à l’abbaye Saint-Martial de Limoges et qu’il nous permet d’approcher le monde monastique. La fondation bénédictine a reçu les reliques de saint Pardoux, réception marquée par une première cérémonie en 1028, puis par un changement de vocable au détriment de saint Pierre22. Malgré la possession des reliques de saint Pardoux depuis le XIe siècle, aucune image ne lui rend gloire dans l’édifice. En revanche, deux chapiteaux figurent saint Martial, apôtre du Limousin, l’un sur le côté méridional du chevet, l’autre à l’angle nord-ouest du carré du transept. Sur la corbeille du premier, le saint encadré par une mandorle se présente tout en désignant sa crosse (fig. 148). Alors que le corps de l’évêque est circonscrit dans l’espace de la gloire, l’insigne de sa fonction en sort largement. La fonction ici dépasse l’homme pourtant sanctifié. À ses côtés, saint Pierre est figé dans la même attitude. Une inscription l’identifie : PASCVNT M[EAS OVES]. Cette courte phrase qui est une citation de l’Évangile de Jean confirme la primauté de Pierre sur les autres apôtres (Jn., XXI, 15-17)23. Au cours d’un long échange, le Christ demande à Pierre : « Pasce agnos meos » et par deux fois : « Pasce oves meas »24. À Arnac, la conjugaison du verbe 22   Voir Évelyne PROUST, La sculpture romane en Bas-Limousin, op. cit., p. 219 et Claude ANDRAULT-SCHMITT, Limousin gothique, op. cit., p. 81. 23   Corpus des inscriptions de la France médiévale, IV, Limousin, Poitiers, 1978, p. 3-4. 24   Jn., XXI, 15-17 : « Après le repas, Jésus dit à Simon-Pierre : ‘‘Simon, fils de Jean, m’aimestu plus que ceux-ci ?’’. Il lui répondit : ‘‘Oui, Seigneur, tu sais que je t’aime’’. Jésus lui dit ‘‘Fais paître mes agneaux’’. Il lui dit une deuxième fois : ‘‘Simon, fils de Jean, m’aimes-tu?’’.



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Fig. 149 - Martial réalisant un miracle de résurrection, chapiteau, église SaintPardoux, Arnac-Pompadour

pascere vise à souligner que le message s’adresse à Pierre mais aussi Martial dans l’évidente permanence de la transmission apostolique. Ainsi le Christ a confié l’Église à Pierre qui l’a transmise aux apôtres donc à Martial puisqu’il était reconnu comme tel par l’Église de Limoges. Le prince des apôtres et le premier évêque de Limoges sont des pasteurs ayant en charge les âmes des fidèles, symbolisées sur les faces latérales de la corbeille par quatre petits personnages nus dans des demi-mandorles. Les attributs portés par le saint de Limoges ne soulignent pas sa fonction épiscopale. Seul son rôle de berger est affiché. Dans la continuité de la mission assignée par le Christ aux apôtres, l’évêque qui est pourtant considéré comme leur successeur leur est associé par l’image de Pierre dont le primauté est incontestée : la glorification de Martial est absolue. Le second chapiteau expose la manière dont Martial a ressuscité l’un de ses compagnons grâce à un bâton transmis par saint Pierre (fig. 149). Dans la première scène, le prince des apôtres, assis dans Il lui répondit : ‘‘Oui, Seigneur, tu sais que je t’aime’’. Jésus lui dit ‘‘ Fais paître mes brebis’’. Il lui dit pour la troisième fois : : ‘‘Simon, fils de Jean, m’aimes-tu ?’’. Pierre fut peiné de ce qu’il lui demandât pour la troisième fois : ‘‘M’aimes-tu’’ et il lui dit : ‘‘ Seigneur, tu sais tout, tu sais que je t’aime’’. Jésus lui dit ‘‘ Fais paître mes brebis’’ ».



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une mandorle, semble bénir la crosse-bâton tenue par Martial. Sculpté à l’angle, le saint en tunique longue tient pourtant une autre crosse, signe manifeste de sa fonction pastorale. L’épisode suivant occupe la surface restante de la corbeille, Martial qui est agenouillé à côté d’un sarcophage ovoïde pose sa crosse-bâton sur le corps du défunt, Austrilien. Il est accompagné sur la face latérale droite par un homme nimbé. Après le décès d’Austrilien, Martial retourna à Rome prévenir saint Pierre qui lui dit : « Dépêche- toi autant que tu peux, après avoir pris en main mon bâton. Dès que tu seras arrivé à l’endroit où tu as laissé ton frère sans vie, touches-en le cadavre du défunt (...). Aussitôt, il s’éveillera (...). Sur la foi de ces paroles, le Bienheureux, après s’être saisi du bâton arriva jusqu’au corps ; dès qu’il eut touché les membres privés de la chaleur du sang, ceux-ci furent rendus à la vie »25. Dans cette image, la crosse-bâton, symbole de la transmission apostolique, affirme le lien qui unit Pierre à Martial. Le propos défendu est similaire à celui du premier chapiteau bien qu’ici le concepteur de l’image ait usé du mode narratif. Les images sont mises au service de la construction hagiographique du XIe siècle qui confère à Martial la qualité d’apôtre. L’ambition des moines de Saint-Martial de Limoges, soutenue et relayée ensuite par l’épiscopat, s’est concrétisée par la rédaction de la vita prolixior au XIe siècle. Cette légende qui foisonne de renseignements sur les origines de Martial et sa prétendue vie auprès du Christ et des apôtres fut attribuée en gage d’authenticité à Aurélien, un compagnon de Martial26. Toutefois, cette thèse continuait à être remise en cause. C’est pourquoi la représentation de la résurrection juxtaposée à la remise de la crosse-bâton insiste sur l’apostolicité de l’évêque de Limoges qui en ce début du XIIe siècle n’était toujours pas admise. Le miracle de résurrection est, en effet, le prodige christologique et apostolique par excellence. Il témoigne de la puissance de son auteur – l’apôtre – qui tire son pouvoir du Christ dont la présence est signifiée dans l’image par le nimbe crucifère. Il est utilisé pour qualifier le statut de Martial en l’associant aux apôtres et au Christ. C’est pourquoi il constitue, et pour cause, l’essentiel du dossier iconographique de Martial. Au début du XIIe siècle, dans le prieuré Saint-Pardoux, au détriment de son saint patron, l’hommage rendu à l’apôtre Martial est 25   « Vie de saint Martial, évêque de Limoges et apôtre des Gaules », chap. VI, trad. par Catherine PAUPERT, dans Richard LANDES et Catherine PAUPERT, Naissance d’un apôtre, La vie de saint Martial de Limoges, Turnhout, 1991, p. 52. 26  Sur cette question, voir Michel AUBRUN, L’ancien diocèse de Limoges des origines au milieu du XIe siècle, op. cit., p. 73-79.



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appuyé. Par ailleurs, au XIIIe siècle, ce parti pris se poursuit puisqu’une statue en bois de Martial est installée dans l’édifice27. La communauté religieuse a préféré affirmer sa filiation avec la puissante maison-mère. Elle se positionne par rapport à Saint-Martial et à son glorieux patron. Le prestige des « reliques apostoliques » rejaillit non seulement sur l’abbaye, mais sur toutes ses filiales. Il était certainement plus intéressant pour la communauté de Saint-Pardoux d’imposer son autorité à travers Martial plutôt que Pardoux. C’est pourquoi, par déférence à l’abbaye de Limoges et pour souligner son rang dans l’ordre, mais également par intérêts bien sentis, elle clame l’apostolicité de Martial haut et fort. La Madeleine de Vézelay L’exemple de Saint-Pardoux d’Arnac permet de souligner l’utilisation la plus élémentaire de l’image hagiographique dans le cadre d’affirmations identitaires et communautaires. Le monde monastique offre des exemples d’élaboration de programmes iconographiques où les images hagiographiques entrent dans une définition beaucoup plus complexe de la personnalité de l’ordre. La subtilité avec laquelle ces images sont employées pour la caractériser témoigne de la réflexion autour de leur utilisation. Cette dimension est perceptible aux Salles-Lavauguyon, comme dans l’abbatiale de la Madeleine de Vézelay, où le décor sculpté émane des cercles sophistiqués et cultivés du monde clérical, canonial ou monastique. La sainteté qui est exaltée à Vézelay est une sainteté monastique. Dans la plupart des études consacrées aux sculptures de l’abbaye, il est noté que pratiquement tous les saints honorés dans l’abbatiale sont des moines ou assimilés par les textes comme tels : saint Benoît, père des moines, apparaît plusieurs fois ; saint Antoine, considéré comme l’initiateur de la vie monastique, est également représenté avec saint Paul ermite28 ; sainte Eugénie est un abbé ; saint Martin a été un moine avant de devenir évêque... Si ces choix sont clairement compréhensibles pour des bénédictins, cette remarque mérite cependant d’être approfondie. Plus que le saint moine, il semble, en effet, que ce soit l’habit monastique qui est glorifié à travers la figure embléma  Évelyne PROUST, op. cit., p. 225.   Voir Jean LECLERCQ, « Saint Antoine dans la tradition monastique médiévale », dans Antonius Magnus Eremita 356-1956, Studia ad antiquum monachismum spectantia, Rome, 1956, p. 229-247. 27 28



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Fig. 150 - Le repas de saint Antoine et de saint Paul ermite, chapiteau, narthex, abbatiale de la Madeleine, Vézelay

Fig. 151 - Saint Martin abattant l’arbre sacré des païens, chapiteau, abbatiale de la Madeleine, Vézelay

tique qui l’endosse. Autrement dit, le saint sert de faire-valoir au vêtement, signe de l’identité et de la fonction. À l’exception d’Eustache, tous les saints sont vêtus de la bure monastique, même si pour cela l’image présente un écart notable avec la vita. Dans le repas qui les réunit sur un chapiteau du narthex, Antoine et Paul portent par exemple un vêtement qui évoque formellement l’habit monastique et son capuchon (fig. 150). Ce parti pris flagrant est très net dans l’illustration de l’épisode où saint Martin abat l’arbre sacré des païens (fig. 151). Il a l’apparence d’un abbé alors que cette anecdote appartient à la période de son épiscopat. Une image relate la résurrection d’un enfant par la grâce de Pierre et Paul

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d’après leur vita apocryphe. Ils sont habillés en moine, ce qui est pour le moins inattendu pour des apôtres habituellement distingués par leur manteau romain. Privilégier l’habit monastique au détriment du texte de la légende ou en vêtir des apôtres qui ne furent jamais moines est bien sûr symboliquement très fort. Il s’agit de glorifier et d’affirmer le pouvoir et l’importance de la fonction monastique. La valeur symbolique du vêtement n’est plus à démontrer : les vertus monastiques, l’état de pénitence et d’humiliation, considérés comme essentiels à l’accès paradisiaque, sont incarnés dans la robe bénédictine29. Ainsi les saints sont présentés non seulement comme de prestigieux modèles mais également comme les emblèmes de l’ordre dont ils garantissent la sainteté. Les moines de Vézelay semblent avoir éprouvé le besoin de se justifier ou de rehausser leur prestige à un moment donné de leur histoire. L’hagiographie orientale tient, en effet, une place toute particulière dans l’abbatiale avec les anachorètes d’Égypte, Antoine, Paul l’Ermite et Eugénie d’Alexandrie30. Cette concentration est suffisamment rare pour être soulignée et le choix des saints figurés est très révélateur. Antoine qui est presque toujours associé à saint Paul et autres pères du monachisme antique apparaît comme le représentant de tous les Pères du désert. Selon une formule souvent reprise, saint Jérôme l’évoque comme l’un de ceux qui ont été au principe du monachisme31. De surcroît, Jean Leclercq note qu’en « le revendiquant comme modèle, c’est à tous les Pères du désert qu’on prétend se rattacher »32. L’austérité de sa vie et sa lutte contre les tentations constituent pour les moines l’aspect majeur de son existence33. Sa profonde aspiration vers une vie érémétique entièrement vouée à la contemplation a été privilégiée au détriment de ses actions. Saint Antoine et les anachorètes sont, pour reprendre l’expression de Jean Leclercq, « les témoins de l’idéal monastique ». En mettant en scène Antoine dans le réseau d’images, les moines de Vézelay revendiquent les liens directs de leur ordre avec les Pères du désert. Ils se présentent comme leurs descendants, leurs héritiers. La communauté puise donc ses origines dans l’idéal érémitique : un ascé Le rituel de la vêture porte d’ailleurs en son sein toute la charge symbolique inhérente à la tenue monastique. 30   Ces saints incarnent la première forme du monachisme et symbolisent l’intemporalité de l’Église. 31   Jean LECLERCQ, op. cit., p. 230. 32   Ibid., p. 241. 33   Ibid., p. 241. 29



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tisme originel qui non seulement nourrit l’idéal spirituel de la communauté, mais également témoigne de sa pureté. L’ascétisme remis à l’honneur au XIIe siècle dans le monachisme se traduit concrètement par le goût pour l’hagiographie orientale34. Il semble qu’en Bourgogne, l’érémitisme a pris une ampleur particulière puisqu’autour de Cluny, on ne comptait pas moins de cinq ermitages et qu’il en existait un à Vézelay35. Cet engouement qui s’inspire largement des Pères du désert égyptiens date du début du XIe siècle où émergent les premières critiques dénonçant le faste de la vie monastique. En réaction contre l’opulence de certains ordres dont les bénédictins, de fortes personnalités telles que Pierre Damien portent un mouvement prônant le retour à la pureté anachorétique. Ces courants réformistes connaissent un véritable essor, par exemple dans l’ouest de la France, à la fin du XIe siècle, ils vont se diffuser sous la houlette d’un Robert d’Arbrissel, d’un Bernard de Tiron et d’un Étienne de Muret36. Ils ont influencé les milieux monastiques traditionnels en remettant à l’honneur le mode de vie supposé des Pères du désert. Le retour aux origines affiché par les mouvements érémitiques a certainement obligé les communautés traditionnelles à se repositionner au sein de la société. À Vézelay, les bénédictins se redéfinissent par rapport aux réformistes et reprécisent les concepts fondateurs de leur ordre dans une période de remise en cause37. La  La présence de « l’ermite non identifié » juste après saint Pierre et la Vierge sur le tympan de l’abbatiale de Conques est très révélatrice de l’impact de l’érémitisme dans les communautés monastiques. 35   Francis SALET et Jean ADHEMAR, La Madeleine de Vézelay, Études iconographiques, Melun, 1948, p. 120-121. 36   Voir l’article de Lester K. LITTLE « Moines et religieux » dans le Dictionnaire raisonné de l’Occident médiéval, sous la direction de Jacques Le Goff et de Jean-Claude Schmitt, Paris, 1999, p. 751-752 37  Le renouveau monastique prônait une vie ascétique, un retour à la pauvreté et aux privations des Pères du désert. Pierre le Vénérable est écolâtre et prieur claustral à Vézelay entre 1116/1117 et 1120 avant de devenir abbé de Cluny en 1122. À la tête de l’abbatiale clunisienne, il s’est d’abord prononcé pour le maintien du mode de vie traditionnel des moines noirs, au contraire de son prédécesseur Pons de Melgueil et de ses partisans. Toutefois en 1132, il s’est mis à plaider pour introduire certaines réformes qui visaient à s’approcher des orientations de Cîteaux, fer de lance du renouveau monastique. Voir à ce propos, Adriaan H. BREDERO, Cluny et Cîteaux au XIIe siècle. Histoire d’une controverse monastique, Amsterdam, 1985, notamment p. 145-147. Cluny a traversé au XIIe siècle une crise interne entre les tenants de la réforme et les partisans des coutumes traditionnelles. Il se peut que les images de Vézelay soient un écho de la controverse clunisienne, les moines de Vézelay ayant pris fait et cause pour la réforme. La nef de dix travées est construite entre 1120 et 1132, date de la consécration, autrement dit, au cœur des dissensions internes de l’ordre, durant l’abbatiat de Pierre le Vénérable. Vézelay ne s’est émancipé qu’en 1162 de la tutelle clunisienne. 34



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nécessité de clamer la pureté originelle de leur famille spirituelle se traduit par la représentation de saints orientaux, les anachorètes des premiers siècles chrétiens, dont ils se revendiquent. À Vézelay, les saints locaux ne sont pas à l’honneur : seuls des universels peu, voire jamais, représentés dans l’art monumental apparaissent dans le réseau d’images. Si Martin est une exception à la règle, l’épisode qui le met en scène est peu fréquent. Manifestement, l’abbaye n’a pas cherché à s’ancrer ou à se rattacher au diocèse, mais plutôt à l’histoire universelle. Les saints choisis sont, en effet, orientaux et occidentaux38. La communauté monastique s’auto-représente et définit son ordre à travers l’ensemble des saints de la chrétienté39. Contrairement aux Salles, aucun des saints n’est sculpté dans sa passion. À Vézelay, la sainteté semble dégagée du martyre. Avant d’être des martyrs pour ceux qui sont parés de ce titre, les saints sont avant tout des moines. Toutefois, si le martyre rouge n’est pas figuré en tant que tel, l’engagement et le renoncement confèrent la qualité de martyrs aux saints représentés. L’ascétisme d’Antoine et de Paul, le renoncement douloureux d’Eugénie, la lutte perpétuelle de Martin contre le paganisme, la vie de Benoît les distinguent au titre de martyr. Au total, ces saints n’incarnent-ils pas la vie monastique ? Chaque saint, par les vertus particulières qu’il porte, affine la définition que la communauté donne d’elle-même et participe à la caractérisation de son ordre40. La présence de Benoît dans une église bénédictine n’est pas étonnante. Il aurait été malheureux de ne pas mentionner le père du monachisme occidental, le fondateur de l’Ordo. À l’origine de la Règle, Benoît a structuré la communauté. Il en est le ciment. Le choix de Martin appartient à la même logique. Habillé en moine, ce saint universel mais gaulois témoigne de la légitimité du monachisme en Gaule. Il apparaît comme le prototype du cénobite, modèle par excellence et de surcroît évangélisateur des Gaules. À Vézelay, ce prêcheur exceptionnel, selon l’hagiographie, évoque indirectement la mission

  Dans le narthex, saint Pierre ressuscite un jeune homme avec l’aide de Paul. Il est sculpté également dans la nef dans l’épisode de sa libération (nef, collatéral nord). La référence à Rome n’a pas été oubliée. 39   Ce qui n’est pas contradictoire avec la volonté d’affirmer son indépendance par rapport au diocèse en ne représentant aucun saint local. 40  Seul Eustache semble appartenir à une autre logique. La gloire de ce saint prend un sens différent au XIIIe siècle : chevalier, laïc, marié… Voit-on à Vézelay les prémices de ce changement ? Le débat reste ouvert. 38



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Fig. 152 - Saint Benoît ressuscitant un enfant, chapiteau, narthex, abbatiale de la Madeleine, Vézelay

de l’ordre sur terre, et ce depuis ses origines. L’action et le rôle du moine Martin permettent à la communauté d’affirmer les siens. Le rôle que l’ordre entend jouer dans le siècle est particulièrement explicite sur l’un des chapiteaux du narthex qui montre Benoît en train de ressusciter un enfant (fig. 152). Sur le côté gauche de la corbeille, le saint marche d’un pas décidé en portant sur son épaule un fléau, symbole du travail agricole auquel se livrent les bénédictins. Selon la vita, l’abbé revenait des travaux des champs lorqu’il rencontra devant les portes du monastère, un paysan qui lui amenait son enfant mort. Sur la face principale, le cadavre recouvert d’un linceul retenu par des bandelettes croisées repose sur trois nattes superposées. Le père du défunt, affligé, se tient debout au-dessus du petit cadavre en prenant appui sur un outil, une pelle ou une bêche. Il est venu demander à Benoît de redonner vie à son fils. À l’angle du chapiteau, la main tendue en direction du mort, l’abbé fait un geste de bénédiction en serrant la Bible contre lui. Le miracle va se produire, bien que le concepteur de l’image ait omis le signe divin annonciateur du prodige à venir. Toutefois, sur le côté droit de la corbeille, son résultat est figuré : le paysan et son fils ressuscité repartent ensemble. Bien que cette scène de miracle ne laissât apparaître aucun signe de l’intervention du Christ, il ne s’agissait pas pour autant de mettre en valeur la puissance exceptionnelle du saint. Le souvenir des miracles

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de Benoît rejaillit sur les bénédictins dont la pureté de l’engagement garantit le salut des fidèles. Le saint abbé – la figure du moine par excellence – incarne la voie monastique ; aussi le prodige réalisé par Benoît rappelle, semble-t-il, la mission exercée par la communauté monastique dans le siècle. Ces images sont également à considérer avec celles de la résurrection d’un enfant par Pierre et Paul, également dans le narthex et qui procèdent de la même intention41. Fruit du monachisme oriental et occidental, la sainteté monastique pensée par les images hagiographiques est l’absolue perfection. L’histoire de l’ordre s’inscrit donc à l’échelle de la chrétienté. Les moines de Vézelay se placent dans une recherche d’universalité qui est, par ailleurs, sensible dans la production hagiographique clunisienne à partir du milieu du XIe siècle42. Les bénédictins souhaitent montrer le rôle essentiel que tient leur ordre dans l’histoire de la chrétienté. Les scènes de la vie des saints offrent ainsi un témoignage condensé de l’action de Dieu sur terre par leur intermédiaire. Ainsi, les moines de Vézelay se posent comme l’ordre par excellence et le relais de l’action divine sur terre. Ils se pensent au centre de la spiritualité chrétienne. Même si l’ordre explicite sa vocation universelle par l’intermédiaire des images, il reste ancré dans le corps social. C’est pourquoi il ne peut se percevoir qu’à travers le prisme d’une communauté, à un moment donné de son histoire. À Vézelay, les moines cherchent à redonner du lustre à leur ordre mis à mal par les critiques des tenants d’une réforme monastique. Ainsi, la définition proposée aussi universaliste soit-elle est propre à l’histoire de la communauté dans l’Ordo. L’abbaye de Saint-Benoît-sur-Loire Les moines de Saint-Benoît-sur-Loire ont, quant à eux, utilisé la légende de leur saint fondateur, Benoît, pour faire un commentaire en images de leur ordre et, surtout, le définir à partir de leur abbatiale. Abritant le tombeau du père du monachisme occidental, l’église est le lieu dans lequel l’ordre s’enracine. Si la personnalité de la communauté ou de l’ordre est exaltée, la démonstration ne s’appuie pas   Voir l’analyse de Marcello ANGHEBEN sur les liens entre les différents chapiteaux du narthex dans Les chapiteaux romans de Bourgogne. Thèmes et programmes, Turnhout, Brepols 2003, p. 427-434, notamment p. 433-434. 42   Dominique IOGNA-PRAT, « Panorama de l’hagiographie abbatiale clunisienne (vers 940- vers 1140 », dans Manuscrits hagiographiques et travail des hagiographes, Études réunies et présentées par Martin Heinzelman, Sigmaringen, Jan Thorbecke Verlag, 1992, p. 118. 41



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sur plusieurs figures de saints, mais sur un cycle hagiographique dont chaque moment va être un argument, un élément du commentaire qui érige les grands préceptes de l’ordre. Les épisodes sculptés des chapiteaux illustrent la vie de saint Benoît telle que nous l’a transmise le livre II des Dialogues de Grégoire le Grand. Selon les dires de son auteur, la vita a été rédigée en 593, après qu’il se fut informé au sujet de Benoît auprès des abbés du Mont-Cassin, de Subiaco et du monastère du Latran. La congrégation s’y était, en effet, réfugiée après la mise à sac du Mont-Cassin par les Lombards en 58943. Le cycle principal de Saint-Benoît-sur-Loire comprend sept épisodes44, or au moins vingt-sept dans la vita de Benoît auraient pu être transcrits en images45. Toutefois, l’analyse que l’on en fait doit être extrêmement prudente en raison de la disparition potentielle de chapiteaux complétant le cycle46. Cependant, les nombreuses fondations du saint, éléments importants de la légende, ainsi que les miracles de guérisons, les miracles alimentaires, les tentatives d’assassinat auxquelles il a échappé, les épisodes avec Scolastique et sa mort semblent avoir 43   Philippe VERDIER, « La vie et les miracles de saint Benoît dans la sculpture de SaintBenoît-sur-Loire », Mélanges de l’École Française de Rome, t. 89, p. 117. 44   À l’étude des images du cycle de sept épisodes, il semble difficile d’y inclure l’hypothétique chapiteau du faux miracle de la cuisine et celui des oblates. Jean-Marie Berland pense pourtant que ces deux chapiteaux s’inscrivent dans la continuité : « ... nous avons là, comme au petit transept, la certitude d’avoir affaire à un autre artiste, à qui l’on a demandé de continuer la figuration des miracles de saint Benoît », voir son article, « Hagiographie et iconographie à Saint-Benoît-sur-Loire, Cahiers de Saint-Michel de Cuxa, Juillet 1985, p. 142. Pour Éliane Vergnolle, ces deux chapiteaux complètent le programme clairement ordonnancé, voir son ouvrage, Saint-Benoît-sur-Loire et la sculpture au XIe siècle, op. cit., p. 251. Philippe Verdier écrit : « Même s’ils sont des remplois, ils entrent dans le même programme ; avec une différence toutefois, ils représentent des miracles de saint Benoît et non des miracles accomplis par saint Benoît », op. cit., p. 138. Il nous semble que le propos de ces chapiteaux est bien trop différent de celui du cycle de sept épisodes. Saint Benoît n’est plus représenté en tant qu’acteur, sa personnalité n’est plus exaltée. Le miracle des oblates et la mort de Florentius mettent l’accent sur la miséricorde divine par la médiation de Benoît. Le saint est figuré en tant qu’intercesseur et ce n’est plus sa puissance personnelle qui est glorifiée. Ces deux chapiteaux complètent peut-être de « l’extérieur » le propos du cycle, mais ils ne s’y intègrent sûrement pas. 45   On comprend alors l’importance et la signification du choix qui a été opéré dans tous les épisodes de la légende du saint. Le choix est riche de sens et d’enseignement. 46   Éliane Vergnolle pense qu’un huitième chapiteau existait peut-être à l’entrée de l’absidiole méridionale du bras sud du transept, op. cit., p. 251. Elle ajoute qu’il devait s’agir d’un autre miracle faisant pendant à celui de Zalla et du paysan. Philippe Verdier écrit : « On supposera qu’il y avait au moins un chapiteau complétant l’illustration des Dialogues dans le croisillon sud. Vraisemblablement, il représentait le miracle du pain empoisonné par Florentius et qu’emporta le corbeau, sur l’ordre du saint, comme on le lit au chapitre VIII... », op. cit., p. 138-139.



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fig. 153 - Le miracle du crible (détail), chapiteau, abbatiale Saint-Benoît, Saint-Benoît-sur-Loire

Fig. 154 - Le miracle du crible (détail), chapiteau, abbatiale Saint-Benoît, Saint-Benoît-sur-Loire

été omis. Aucune anecdote pittoresque de la vie de Benoît n’a, en effet, été retenue dans le cycle sculpté. Les scènes qui ouvrent le cycle de saint Benoît relatent un épisode de la jeunesse du saint (Dialogues, II, c. I)47. L’incident se déroule en 494, à Affida (Effide), dans le diocèse de Palestrina, « à deux milles de Subiaco ». Après avoir renoncé à poursuivre ses études à Rome, Benoît, âgé alors de quatorze ans, avait décidé d’y vivre reclus. Le texte nous apprend qu’il « se retira, savamment ignorant et sagement inculte »48. La nourrice qui accompagnait Benoît avait emprunté un crible à froment à des voisins et « le laissa étourdiment sur la table » d’où il tomba et se cassa en deux. Sur le côté gauche du chapiteau, la nourrice désolée contemple, à ses pieds, le van cassé en deux parties distinctes49 (fig. 153). Sur le côté droit de la corbeille, saint Benoît prie, agenouillé devant un   Par souci de clarté, les images seront présentées par ordre chronologique, selon le déroulement de la légende. 48  Les citations du livre II des Dialogues de Grégoire le Grand sont extraites de la traduction de Paul ANTIN (S.C. 260), Paris, 1979, p. 127. 49  Le souci du détail (la moue douloureuse de la nourrice, la grosseur du crible brisé, tombé de la table) traduit la préoccupation narrative du concepteur du cycle. 47



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autel. Dans « l’église ouverte », il regarde vers le ciel, le van de face, posé à ses côtés50 (fig. 154). Or, le texte de la vita n’est pas aussi précis quant au lieu où le miracle va survenir. Bien que la légende rapporte que le saint adolescent et sa nourrice « demeuraient dans l’église de Saint-Pierre », l’importance accordée au lieu de réalisation du prodige est signifiant : la prière et son fruit immédiat, le tamis reconstitué, ont pour cadre idéal le sanctuaire. Sur la face principale du chapiteau, le jeune adolescent remet le tamis intact à sa nourrice51 (fig. 155). La main de Dieu, bénissante, sort des nuées, Fig. 155 - Le miracle du crible (détail), au-dessus du crible en parfait état. chapiteau, abbatiale Saint-Benoît, La femme, arborant un air étonné, Saint-Benoît-sur-Loire saisit le van et esquisse un mouvement de retrait pour le regarder. Dans cet épisode, l’accent est mis sur la prière, cause première du miracle qui se présente comme la réponse à une démarche de foi. Les clercs médiévaux ont largement insisté sur la nécessité de ce cheminement spirituel aboutissant à la prière adressée au Sauveur. Ils soulignent également que les saints se font longuement prier avant d’exaucer les vœux des fidèles52. Les hagiographes, les théologiens rappellent constamment le lien étroit qui relie la prière au prodige. Les images du chapiteau l’expriment et le mettent en valeur. Le concepteur des images a placé volontairement la réalisation du miracle dans un contexte ecclésial (le bâtiment, l’autel devant lequel le saint prie). Piotr Skubiszewski qui a étudié le cycle peint de la vita 50  L’artiste a soigneusement sculpté les colonnes à chapiteaux végétaux qui soutiennent une voûte en plein cintre. Le toit de l’édifice a été figuré par des incisions qui matérialisent la couverture en ardoise ou en lauze. Au-dessus, un corps central, vraisemblablement la nef, percée d’une fenêtre en plein cintre, couverte d’un toit à deux pans, est flanqué de deux tours ouvertes de baies géminées. 51  Le concepteur du cycle a clairement représenté le saint adolescent. Sa taille est nettement inférieure à celle de la nourrice. 52  André VAUCHEZ, Saints, prophètes et visionnaires, Le pouvoir surnaturel au Moyen Âge, Paris, 1999, p. 41.



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Radegundis remarque à propos de l’importance de l’autel dans les enluminures du manuscrit « l’autel (...) était aussi l’endroit où convergeaient les prières des croyants. Le pontifical romano-germanique (...) le dit sans équivoque. C’est le lieu où les demandes des fidèles sont exaucées, les angoisses disparaissent, les maladies sont guéries, les promesses et les amendements sont confirmés et encouragés »53. L’image nous livre donc que, pour une plus grande efficacité, la prière doit être effectuée dans un lieu cultuel. Le premier miracle du cycle est un miraculum ex oratione, dont la puissance est déclenchée par la prière. Un détail non négligeable dans un contexte monastique où les oratores se mettent en scène. Les premières images résument l’enfance du saint, marqué dès son jeune âge de l’élection divine. L’image nous le montre entièrement tourné vers la contemplation dans la solitude de l’église. Il a déjà renoncé au monde qu’il « méprise comme une fleur fanée » et fait ses premiers pas vers la sainteté, en ne se consacrant qu’à Dieu. Les épisodes de ce chapiteau évoquent la pieuse adolescence du saint, sa vertu exceptionnelle et sa grande sagesse... Sa conversio fort précoce, suggérée par le texte de Grégoire, est signifiée par la prière du jeune Benoît dans le cadre ecclésial, théâtre du miracle qu’il accomplit avant de quitter le siècle54. Si l’élection du saint est manifeste dès l’enfance, la famille spirituelle qu’il a portée en son sein est elle aussi reconnue par Dieu dès son origine. Le second chapiteau évoque donc la vie de reclus du jeune moine (Dialogues, II, c. I). Après la preuve de la présence de Dieu auprès de lui, Benoît voulut fuir le monde et les honneurs (les habitants d’Effide avaient suspendu le tamis au-dessus du portail de l’église Saint-Pierre) et quitta secrètement Effide. Il « gagna le désert pour s’y retirer,à Subiaco, qui est à quelque quarante milles de Rome » et y mena une vie d’anachorète dans une grotte pendant trois ans. Un moine du nom de Romain, vivant dans le monastère de Saint-Blaise sous la règle de l’Abbé Adéodat, aida l’ascète à se sustenter, et après l’avoir consacré moine lui qui transmit « l’habit de la Sainte Vie ». La face centrale du chapiteau représente le monastère de Saint-Blaise, dont les fondations

  Piotr SKUBISZEWSKI, La vie de sainte Radegonde par Fortunat, op. cit., p. 152   « Il abandonna l’étude des lettres, laissa la maison et les biens de son père et désireux de plaire à Dieu seul, il se mit en quête de l’habit pour mener une sainte vie. Ainsi, il se retira, savamment ignorant et sagement inculte ». GRÉGOIRE LE GRAND, Dialogues, II, (S.C. 260), Paris, 1979, p. 126 53 54



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Fig. 156 - Le monastère de Saint-Blaise et le moine Romain (détail), chapiteau, abbatiale Saint-Benoît, SaintBenoît-sur-Loire

reposent sur une falaise rocailleuse55 (fig. 156). La tête de Romain passe par la fenêtre du premier niveau, à l’angle droit de la corbeille. Il tend son bras qui agite une corde à laquelle est suspendue une clochette. Comme la grotte de Benoît se situait sous l’aplomb de la montagne, le tintement signalait au reclus que sa nourriture à la fois terrestre et céleste allait descendre et qu’il pouvait sortir la prendre56. Le pain que le cénobite donne à l’ermite est le seul lien qui le maintienne en relation avec la vie sociale. Le corps du moine reste malgré tout indissolublement lié à la nourriture humaine et à l’ordre auquel il semble appartenir avant même d’y être intégré. D’autre part, le choix de cette unique nourriture, seule attache sociale de Benoît, est  Le texte de la vita précise : « De son monastère jusqu’à la grotte, il n’y avait pas de chemin car le rocher dominait à pic de très haut ». Le sculpteur a traduit en image les détails de la légende pour donner plus de force à la narration. L’ermitage est composé d’un bâtiment principal à coupole surmontée d’une croix, flanqué de deux tours à toiture en poivrière. Le bâtiment central est percé de trois fenêtres en plein cintre. Les tourelles à deux niveaux sont ouvertes par des baies géminées. 56   Voir La Règle de saint Benoît, traduction A. de Voguë et J. Neufville (S.C. 182), Paris, 1972, c. XXXIX, XLI, XLIII, XLIX, p. 576-604. 55



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symboliquement fort puisque le pain est considéré comme le corps, la chair du Christ et comme le Sauveur lui-même : « Je suis le pain de vie, qui vient à moi n’aura jamais faim » (Jn., VI, 34). L’incorporation est un élément fondamental de cet épisode. Saint Benoît, tonsuré, est assis sur un rocher et tend un de ses bras en direction de l’énorme démon qui lui fait face57. Le diable cornu et menaçant a jeté un projectile qui vient de heurter la cloche. Grégoire rapporte que «...l’antique ennemi, jaloux de la charité de l’un et du repas de l’autre, guetta le jour où le pain montait : il jeta une pierre et cassa la clochette ». La clochette est en mouvement ; Romain étonné, l’agite en vain. Le choix de cet épisode est primordial dans la compréhension de l’ascension spirituelle du jeune saint. À la suite de sa conversion, Benoît s’oriente vers le cheminement ascétique des Pères du désert comme saint Antoine, incarnation de cet idéal. Le jeune anachorète doit suivre différentes étapes de purification dont la réclusion et le jeûne. Dans l’image, cette idée de réclusion totale est exprimée par la silhouette de l’ermite qui se confond avec le bosselage de la grotte. Il fait littéralement corps avec elle, il n’est plus que spiritualité tant son renoncement est profond. La « grotte-corps » du saint incarne dans toute sa dimension le mythe du désert, diffusé par la littérature ascétique des IVe et Ve siècles, création la plus durable de l’Antiquité tardive. Selon les mots de Peter Brown, « il délimitait la présence écrasante du monde dont les chrétiens devaient se libérer en traçant de nouvelles frontières »58. Ici, le saint est retranché du siècle par cette double frontière protectrice : la grotte et l’habit. L’image particulière de la réclusion, moment central dans la vita, marque le début du cheminement spirituel que Benoît doit accomplir avant de pouvoir devenir le père des moines. L’orientation spirituelle de l’ordre est clairement définie par le choix de figurer cette étape cruciale dans la vie de son saint fondateur59. Benoît se voue entièrement à la contemplation divine dans sa  La partie postérieure de son corps est détériorée.   P.L., 83, col. 776b, cité par Peter BROWN, Le renoncement à la chair, virginité, célibat et continence dans le christianisme primitif, Paris, 1995, p. 268. 59  La Règle de saint Benoît distingue plusieurs espèces de moines : « la première est celle des cénobites, c’est-à-dire vivant en monastères, ils servent sous une règle et un abbé. Ensuite, la deuxième espèce est celle des anachorètes, autrement dit des ermites. Ce n’est pas dans la ferveur récente de la vie religieuse, mais dans l’épreuve prolongée d’un monastère qu’ils ont appris à combattre le diable, instruits qu’ils sont désormais grâce à l’aide de plusieurs, et bien dans les lignes de leurs frères pour le combat singulier du désert, ils sont désormais capables de combattre avec assurance les vices de la chair et des pensées, sans le 57

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grotte jusqu’à ce que le Diable vienne troubler l’harmonie créée entre son âme et son corps60. L’incursion du Diable dans sa retraite lui indique qu’il est temps pour lui de renoncer à sa vie d’anachorète. Point d’articulation décisif de la légende : Benoît fait en quelque sorte « le choix » du cénobitisme au détriment de l’érémitisme. Cette image inaugure donc le début de la vie monastique du saint et le début de la purification spirituelle nécessaire pour « la sainte vie », la vie monastique. L’ascète, en se retirant dans le désert, mobilise, en effet, sa personne physique dans sa totalité. En luttant contre les souffrances du jeûne, il dompte son corps, l’asservit et donc s’en libère. Son âme est ainsi entièrement tournée vers la contemplation divine. Comme le Christ, Benoît affronte la Tentation au désert (Mt., IV, 1-4), objet du troisième épisode du cycle. La face gauche de la corbeille est très détériorée. Il s’agissait sans doute de l’investiture de Benoît par Romain61. La prise d’habit semble être l’hypothèse la plus logique puisque ce chapiteau et le suivant montrent l’ascension spirituelle du jeune moine. Prendre l’habit crée une frontière avec le siècle, thème qui s’inscrit particulièrement bien dans l’épisode conservé du chapiteau. La vêture fait de Benoît un nouvel homme, mort au monde, mais ressuscité comme le Christ. En outre, la prise d’habit d’un saint fondateur marque la fondation de l’Ordo, un ordre qui souvent se définit et se représente à travers les images du fondateur62 (fig. 157). D’autre part, la tonsure de Benoît qui apparaît dans la scène de la clochette brisée marque clairement la rupture du saint avec le siècle63. Ainsi, le mépris du monde dont secours d’autrui, par leur seule main et leur seul bras, avec l’aide de Dieu. », La Règle de saint Benoît, prol.-chap. 7, op. cit., p. 437-439. Les anachorètes sont des moines à part entière que l’expérience prolongée de la vie cénobitique a rendu aptes à affronter seuls le diable. Il est intéressant de constater que le fondateur de l’ordre possédait dès le départ cette force pour combattre le démon, force qui a fait de lui le père spirituel des moines. 60   Par le jeûne, Benoît et les moines à sa suite purifient leur corps pour s’en libérer. Isidore de Séville, au VIIe siècle, en reprenant une grande partie de la tradition patristique, écrit « le jeûne est chose sainte, œuvre céleste, la porte du royaume, le cadre de l’avenir, car celui qui l’accomplit saintement est uni à Dieu, il demeure à l’écart du monde et son esprit s’élève » (De ecclesiasticis officiis, livre I, c. XLIV). Cité par Caroline BYNUM, Jeûnes et festins sacrés, les femmes et la nourriture dans la spiritualité médiévale, Paris, 1994, p. 62. 61   Philippe Verdier soumet deux hypothèses : soit elle représentait l’investiture de Benoît par Romain, soit «...la rencontre de Benoît et du prêtre au Mont Praeclarus, qui alla partager avec lui le repas pascal ». voir Philippe VERDIER, op. cit., p. 121. 62   À ce propos, voir Dominique DONADIEU-RIGAUT, Penser en images les ordres religieux, op. cit., notamment « Les rituels constitutifs de l’ordre », p. 79-224. 63  La tonsure étant un acte rituel qui marquait l’admission à la profession monastique ou à la vie cléricale. Voir à ce propos, l’article sur la tonsure dans le D.A.C.L., t. XV, 2e partie, col. 2435-2437.



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Fig. 157 - L’ordination de saint Benoît, Biblioteca Vaticana, cod. lat. 1202, f° 17v°

Fig. 158 - La tentation de saint Benoît, chapiteau, abbatiale Saint-Benoît, SaintBenoît-sur-Loire



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Grégoire parle au début de la vita est illustré par l’image de l’ermite en marge du monde, mort symboliquement pour accéder de son vivant au monde angélique64. Les scènes du troisième chapiteau illustrent la dernière étape de la purification du jeune moine qui doit vaincre ses propres tentations (Dialogues, II, c. II). Ce n’est qu’après s’être affermi par son expérience au désert qu’il devient apte à prendre la tête d’une communauté religieuse. Sur le côté gauche de la corbeille, le jeune moine est assis sur un rocher, dans une grotte, dont l’aspect rocailleux a été rendu en bosselant la pierre (fig. 158). Sur l’arête de la corbeille, un volatile descend vers lui en piqué. Benoît joint la bénédiction à la parole pour exprimer son refus. Il exorcise l’oiseau qui vole vers lui. La vita précise que le merle « ...lui taquinait le visage de façon agaçante si bien que le saint homme aurait pu le prendre dans sa main s’il l’avait voulu. Il fit un signe de croix et l’oiseau s’en alla ». L’oiseau est en réalité l’incarnation du souvenir d’une jeune femme qu’il avait connue lorsqu’il étudiait à Rome et qu’il chasse de son esprit. Le Diable présente alors « ...sous ses yeux de l’âme » l’image de la demoiselle pour le tenter. Sur la face centrale du chapiteau, le Diable entraîne une jeune fille vers le saint reclus dans son antre. Le Tentateur, la tête surmontée de deux oreilles d’âne, nu et velu65, manipule une femme réduite à la passivité, simple jouet du démon. Si elle n’est plus active dans la séduction, elle est clairement, de par son sexe, l’instrument naturel du Diable. Comme le rapporte l’écrit de Grégoire, elle est source de tentation par son unique présence, par son unique souvenir. C’est pourquoi les moines doivent être sur leur garde en permanence à l’égard du « sexe faible », de la « porte du diable », diaboli ianua66.   En outre, ces images trouvent une résonance particulière lorsqu’on lit les nombreux poèmes monastiques exprimant le dégoût du monde, du siècle. Voir Poésie latine chrétienne du Moyen Âge, IIIe-XVe siècles, textes recueillis, traduits et commentés par Henry Spitzmuller, éd. Desclée de Brouwer, 1971. Voir notamment, un poème anonyme du XIIe siècle, De Vita Mundus Rhytmus qui illustre le mépris du monde, p. 1365-1367. 65  La laideur physique, formelle du Diable est en corrélation avec sa laideur morale, en raison de la réciprocité symbolique qui existe entre le corps et l’âme. Sa laideur grotesque sur le chapiteau est peut-être un moyen utilisé par les artistes pour apprivoiser l’inquiétant, l’effrayant, en s’en moquant pour apaiser les angoisses. En riant de ce qui fait peur, on calme la frayeur. 66   Dans la première moitié du XIIe siècle, un moine de Cluny, Bernard de Morlas écrit un poème, De contemptu feminae, où il exprime la peur de la femme et où il met en garde les hommes contre elle : « La femme ignoble, la femme perfide, la femme lâche, Souille ce qui est pur, rumine des choses impies, gâte les actions. Pour le crime, la femme mauvaise est un éperon, pour le bien un frein. La femme est un fauve, ses péchés sont comme le sable. 64



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Si l’anachorète a pu se débarrasser du souvenir, symbolisé par le merle, l’image onirique de la jeune femme rend son évocation plus concrète. Selon la légende il se remémora sa beauté qui : « ... alluma un tel feu dans l’esprit du serviteur de Dieu au souvenir de cette beauté qu’il n’en pouvait plus, de contenir cette flamme de l’amour dans son cœur. Il était presque décidé à quitter le désert, vaincu par la volupté ». Sur la corbeille, si la tentatrice est soumise, sa beauté est suggérée par sa longue chevelure, parure naturelle qui fait naître le désir chez les hommes67. La violente tentation de la chair faillit vaincre Benoît. Fig. 159 - La tentation de saint Benoît C’est pourquoi sur le côté droit (détail), chapiteau, abbatiale Saintdu chapiteau, le saint se jette nu Benoît, Saint-Benoît-sur-Loire dans un buisson d’épines (fig. 159). Sa jambe gauche est d’ailleurs déjà dans le taillis ardent. La main de Dieu bénissante sort des nuées au-dessus de l’ermite. Grégoire explique, en effet, que la grâce divine est venue à son secours alors ... La femme bonne est mauvaise chose, et il n’en est presque aucune de bonne. La femme est chose mauvaise, chose malement charnelle, chair tout entière. Empressée à perdre, et née pour tromper, experte à tromper, Gouffre inouï, pire des vipères, belle pourriture, ... Femme perfide, femme fétide, femme infecte. Elle est le trône de Satan, la pudeur lui est à charge ; fuis-la, lecteur. Poésie latine chrétienne du Moyen Âge, IIIe-XVe siècles, op. cit., p. 615-621. 67   Honorius Augustodunensis évoque les différentes raisons qui justifient que les femmes voilent leur tête. En premier lieu, « comme elles sont le piège du diable, il faut éviter que les jeunes gens ne soient séduits par leurs cheveux défaits, la seconde (raison) est que certaines d’entre elles ne soient pas gorgées d’orgueil à cause de la beauté de leur chevelure ; la troisième est que le reproche du péché originel, qui arriva par la femme, nous soit rappelé à la mémoire ». Honorius AUGUSTODUNENSIS, Gemma animae, lib. I, P.L., 172, col. 589, « una est, cum sint decipula diaboli, ne laxis earum crinibus juvenum animi illaqueentur ; alia est ne quaedam illarum ob formositatem capillorum superbia eleventur, quaedam vera ne ob deformitatem illorum deturpentur ; tertia est ut reatus originalis peccati, qui per mulierem evenit, ad memoriam nobis revocetur ».



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qu’il allait céder à ses désirs. Avec subtilité, il décrit le conflit et l’apaisement des souffrances intérieures du saint : «...il n’en sortit (du buisson d’épines) que blessé sur tout le corps, mais les plaies de sa chair servirent d’exutoire à la blessure de son âme, la volupté devenant douleur. En brûlant au dehors par un châtiment bienfaisant, il éteignit ce feu intérieur qui ne convenait pas. Il vainquit le péché en changeant d’incendie ». En meurtrissant son corps, Benoît étouffe dans son âme les flammes du désir, si bien que « la tentation de la chair fut en luimême si bien domptée que jamais il n’éprouva plus rien de tel ». La tentation et la mortification qui s’en suit pour combattre « cet insatiable prurit », selon l’expression de l’évêque Marbode de Rennes vers 1098-110368, sont un leitmotiv fréquent dans les vitae. Mais paradoxalement, la représentation d’une contrition aussi crue est extrêmement rare dans les images hagiographiques monumentales en France. Pourtant, cette image se situe bien dans la psychologie sexuelle de son époque : l’ermite Firmat, mort en 1095, pour combattre le désir attisé par une courtisane, se brûle le bras avec un tison69, Géraud de Sales se couche nu sur des braises, repoussant ainsi une femme de mœurs légères en l’invitant à le rejoindre70. Par ce type d’anecdotes, il s’agit d’illustrer le conflit intérieur de l’homme engagé dans une lutte permanente contre lui-même, contre son corps. Si ce combat moral concerne tous les chrétiens, il est au centre des préoccupations des moines qui doivent triompher de leurs pulsions et tendre vers une certaine sérénité pour pouvoir contempler Dieu. Ainsi, le thème de la lutte intérieure est indissociable de l’ascension spirituelle du saint. Les scènes de l’épisode de la tentation de Benoît symbolisent admirablement la dualité humaine, le corps et l’esprit, image chère à saint Paul. Le saint y apparaît comme un modèle accessible pour les moines car il montre leur père fondateur en proie à ses démons. Celui-ci se révèle proche des faibles puisque comme eux, il a connu les tentations du corps. La continence était, en effet, une des préoccupations majeures des milieux monastiques puisque la pureté permettait au corps d’être un véhicule plus approprié pour recevoir l’inspiration divine71.   MARBODE de RENNES, Epistola, P.L., 171, col. 1481.   ÉTIENNE de FOUGÈRES, Vita S. Guilielmi Firmati, A.A.S.S., Avril, t. II, 8, p. 335. 70   Vita B. Giraldi de Salis, A.A.S.S., Oct., t. X, 19, p. 258-259. 71  Les écrits des Pères du désert ont particulièrement influencé la pensée monastique sur le corps au Moyen Âge. Depuis le IIe siècle, dans les provinces orientales de l’Empire romain, le renoncement à la chair était largement célébré dans la vie chrétienne. Antoine et les moines du IVe siècle montrent, à travers leurs écrits, une conscience aiguë de la permanence 68 69



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Or, la conscience de la fragilité de cet état de chasteté, d’abstinence est flagrante dans les écrits monastiques, dans les vitae72. Si les jeunes moines sont contraints à une vigilance permanente pour dompter leur corps, Benoît sort de l’épreuve de la tentation en athlète victorieux, mû par la force divine. Cet épisode, comme le précédent, inaugure le début de la vie monastique du saint et comme nous l’avons déjà souligné, ils sont indissociables de son ascension spirituelle. Maximilien Mälher en donne l’analyse suivante : « les étapes de purification et d’inexorable dépouillement ont pour effet de préparer l’anachorète à sa mission de maître charismatique »73. Après ce cheminement spirituel au désert qui garantit son autorité, Benoît peut enfin devenir un père spirituel. L’ordre se constitue sur ce parcours initiatique que tout moine doit suivre pour se purifier. Il doit s’infliger des souffrances afin de conquérir la gloire future pour son corps qui a « reçu une partie du corps spirituel que les chrétiens devraient recevoir lors de la résurrection des justes »74. Les trois chapiteaux suivants dressent le portrait du père spirituel, de l’abbé fondateur. Le quatrième épisode met en scène le miracle qui a conduit Maur, par l’intermédiaire de saint Benoît, à sauver le jeune Placide de la noyade (Dialogues, II, c. VIII). Selon la vita, après avoir fondé douze monastères, saint Benoît s’installa dans l’un d’eux, à Saint-Clément75. Alors qu’il était en train de puiser de l’eau dans un des lacs néronniens, Placide tomba et fut emporté par le courant à du fantasme sexuel, considéré comme inhérent à la nature humaine. Or, comme le note Peter Brown « cette indocilité n’était pas seulement physique. Elle conduisait dans les profondeurs de l’âme », au cœur de l’homme déchu. Pour eux, seule la main du Christ pouvait sauver le moine de sa volonté la plus intime, « c’était triompher en lui de ses conduites les plus obstinément personnelles... Recevoir du Christ la grâce de la chasteté (...) c’était achever la transformation du cœur ». Peter BROWN, Le renoncement à la chair, op. cit., p. 285. 72  Saint Jérôme dans ses Lettres exprime parfaitement cette souffrance et la lutte contre soi-même « Oh, combien de fois, moi, qui étais installé dans le désert, dans cette vaste solitude torréfié d’un soleil ardent, affreux habitat offert aux moines, je me suis cru mêlé aux plaisirs de Rome ! (...) qui, par la crainte de la Géhenne, m’étais personnellement infligé une si dure prison, sans autre société que les scorpions et les bêtes sauvages, souvent je croyais assister aux danses des jeunes filles. Les jeûnes avaient pâli mon visage, mais les désirs enflammaient mon esprit, le corps restant glacé ; devant ce pauvre homme, déjà moins chair vivante que cadavre, seuls bouillonnaient les incendies des voluptés. », ( Lettres, 22, 7, P.L., 398), cité par Peter Brown, op. cit., p. 450. 73   Maximilien MÄHLER, « Évocations bibliques et hagiographiques dans la vie de saint Benoît par saint Grégoire », dans la Revue Bénédictine, t. LXXXIII, n° 3-4, p. 402. 74   Peter BROWN, Le renoncement à la chair, op. cit., p. 277. 75  Le monastère de Saint-Clément est situé dans une vallée à proximité des lacs artificiels que Néron avait fait créer pour le nymphaeum de sa villa en canalisant le cours de l’Anio.



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Fig. 160 - Placide sauvé de la noyade (détail), chapiteau, abbatiale SaintBenoît, Saint-Benoît-sur-Loire

Fig. 161 - Placide sauvé de la noyade (détail), chapiteau, abbatiale SaintBenoît, Saint-Benoît-sur-Loire

« une portée de flèche ». Benoît le pressentit immédiatement alors qu’il était dans sa cellule. Conformément à la vita, la première scène montre le saint, dans sa cellule, qui vient brusquement d’arrêter de lire76 (fig. 160). Il a fait appeler Maur et lui ordonne d’aller porter secours à Placide. Le moine dont la partie supérieure du corps est face à Benoît avec qui il dialogue a les jambes tournées vers l’autre scène (fig. 161). La figure de Maur sert de transition et assure la continuité narrative entre les deux épisodes du miracle. La seconde scène synthètise plusieurs temps du récit, ce qui permet de le saisir dans sa totalité : la chute de l’enfant, la raison de la chute, son sauvetage miraculeux, la conclusion du miracle et l’épisode de l’apparition de l’ange (fig. 162). Grégoire mentionne l’incident en ces termes : « Il croit aller à sec alors qu’il court sur l’eau. Il saisit l’enfant par les cheveux et, toujours courant à 76  La cellule et le monastère sont soigneusement représentés : la voûte en plein cintre, cadre architectural stylisé par excellence, surmontée d’un dôme percé d’oculi. Une tour ouverte par des baies géminées et surmontée d’un toit conique complète l’ensemble architectural.



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toute allure, il revient. Ayant atteint le rivage, il reprend ses esprits, et regardant derrière, il voit qu’il a bel et bien couru sur les eaux ». Le concepteur de l’image possède un réel sens de l’histoire et de la narration. La composition de la scène et l’action qui s’y déroule sont parfaitement lisibles : le jeune moine vient de tomber à l’eau alors qu’il puisait77. Il tient son seau à la main. Le mouvement désordonné de ses jambes symbolise la chute dont il est victime. Maur, marchant sur les ondes, l’agrippe par les cheveux, sous la tonsure, et le tire par le poignet gauche. Fig. 162 - Placide sauvé de la noyade Dans la vita, le miracle débou- (détail), chapiteau, abbatiale Saintche sur un conflit d’humilité, la Benoît, Saint-Benoît-sur-Loire présence de la mélote sur le chapiteau y fait allusion : un ange sort des nuées, au-dessus du sauveteur et du miraculé et présente le manteau de Benoît. Le saint attribuait, en effet, le prodige à l’obéissance absolue de son disciple, tandis que Maur y voyait la preuve de la puissance surnaturelle du saint. « Dans cet amical débat d’humilité, écrit Grégoire, l’enfant sauvé se fit l’arbitre ‘‘ Moi, dit-il, en sortant de l’eau j’ai vu au-dessus de ma tête la mélote de l’abbé ; et j’ai vu que c’est lui qui me tirait de l’eau’’ ». Benoît est bien l’auteur du miracle mais l’obéissance du moine à son abbé en a permis la réalisation78. Placide reconnaît dans son sauvetage l’intervention de son père spirituel. Or, l’apparition de la mélote de Benoît lors du sauvetage miraculeux de Placide n’est pas sans rappeler le Saint-Esprit descendant, comme une colombe, sur Jésus nouvellement baptisé (Mt., III, 16)79. Maximilien Mähler propose l’interprétation suivante, « la nota L’artiste insiste sur la jeunesse de Placide en jouant sur la différence de taille entre les deux protagonistes. 78  Le saint abbé exerce une autorité légitime sur ses fils spirituels, les moines. L’obéissance à l’abbé est au centre de la Règle de saint Benoît. 79   « Aussitôt baptisé, Jésus remonta de l’eau ; et voici que les cieux s’ouvrirent : il vit l’Esprit de Dieu descendre comme une colombe et venir sur lui. » (Mt., III, 16) 77



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tion de la scène au bord du Jourdain ouvre de nouvelles perspectives, allant du baptême du Christ au baptême chrétien et, finalement, à l’investiture du moine, synonyme dans la tradition monastique de second baptême »80. Le rôle de l’abbé est d’accueillir le jeune moine le jour de la vêture, considérée comme un second baptême et de lui donner naissance une seconde fois en le couvrant de l’habit de la « sainte vie ». Paul Diacre rappelle d’ailleurs que la tête du novice était recouverte ce jour-là d’un capuchon qui était rabattu une semaine après, « parce que la mélote évoque le baptême »81. Le moine meurt donc symboliquement au monde pour revêtir « une peau neuve », renaître à la vraie vie consacrée au Christ. D’autre part, Placide est un jeune moine, « presque un enfant ». Benoît, son abbé, dont la paternité est affichée par son titre (abbas signifie père), lui a fait prendre l’habit et a rompu la filiation charnelle. La vêture « fait prévaloir la parenté unissant l’individu à Dieu et l’inscrit dans le lien spirituel à l’égard de l’abbé, représentant de la communauté où il passera sa vie »82. Ainsi, la soumission du moine au père doit être totale puisque ce dernier agit lui-même dans l’obéissance à Dieu pour le guider dans la voie du renoncement. En raison du commentaire théologique inhérent à cet épisode, le choix de le faire figurer dans le cycle est très signifiant. Ainsi, Placide est sauvé des eaux grâce à sa consécration monastique symbolisée par la mélote, tout comme le néophyte est racheté à la mort spirituelle et lavé de ses péchés lorsqu’il remonte des eaux du baptême. Cette image illustre la mort symbolique (la noyade) et la résurrection du moine (le miracle) lors de la prise d’habit. Le caractère sacrificiel de l’entrée en religion est exprimé par la chute de l’enfant et sa noyade. La scène du miracle réunit plusieurs notions qui fondent l’ordre : l’autorité de l’abbé, la parenté spirituelle, l’obéissance des moines, source de salut et le « lien qui unit chaque moine à l’abbé, représentant de la communauté où il passera sa vie »83. En outre, l’image suggère l’idée de la transmission missionnaire : Pierre à qui fait allusion la marche sur l’eau transmet à Benoît qui transmet lui-même à Maur, qui plus tard sera sanctifié (il est déjà nimbé dans l’image). Maur, en effet, apparaît comme le disciple direct de saint Benoît, celui qui est 80   Maximilien MÄHLER, « Évocations bibliques et hagiographiques dans la vie de saint Benoît », op. cit., p. 409. 81   PAUL DIACRE, « Exposition sur le chapitre 58 de la Règle de saint Benoît », commentée par Maximilien Mähler, op. cit., p. 409. 82   Jérôme BASCHET, Le sein du père, Abraham, op. cit., p. 96. 83   Ibid., p. 96.



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venu le premier en Gaule pour transmettre l’enseignement du Maître. Benoît transmet également son autorité à ses successeurs. L’image devient l’emblème de la constitution et de la pérénité de l’ordre. Le cinquième chapiteau montre la rencontre du saint avec le roi des Goths, Totila (Dialogues, II, c. XV). Sur la face principale de la corbeille, le saint abbé, muni de sa crosse, est debout face au roi agenouillé (fig. 163). Il exerce une influence sur lui, ce que manifeste la prise du poignet Fig. 163 - Saint Benoît et le roi Totila, de Totila par Benoît. Selon la chapiteau, abbatiale Saint-Benoît, vita, le roi avait voulu se jouer du Saint-Benoît-sur-Loire saint en mettant sa clairvoyance à l’épreuve. Il avait habillé un de ses écuyers, Riggo, des vêtements royaux pour qu’il se présente devant l’abbé. Guidé par Dieu, ce dernier avait pressenti la supercherie et l’avait dénoncée. Totila, en apprenant le prodige, alla se prosterner devant l’abbé qui siégeait sur le trône abbatial. Benoît demanda par trois fois au roi de se relever, puis « daigna s’avancer vers le roi prosterné et le releva. Il lui reprocha ses actions... » et prophétisa. Sur le chapiteau, le concepteur de l’image s’est servi de ce passage de la vita où le saint invite le roi à se relever pour faire valoir sa supériorité. La scène fait écho indubitablement à celle de l’hommage, rite au cours duquel un vassal se recommande à son suzerain84. Le pouvoir temporel rend ici un hommage au pouvoir spirituel85. Sur la face droite de la corbeille, les hommes de la suite royale assistent à ce rituel. Le personnage le plus proche de Totila est vraisemblablement Riggo, encore vêtu des habits royaux. Le premier à être convaincu de la sainteté de l’abbé, il exprime son approbation.   Par le choix de sa composition, cette image prouve qu’il n’y a pas de barrière stricte entre les institutions saintes et les pratiques féodales. S’il y a des cultures au Moyen Âge, les interactions entre elles sont perpétuelles. Il n’y a pas de clivages nets. N’oublions pas d’ailleurs que la plupart des moines sont issus de la noblesse et sont pétris de sa culture. 85  Une autre hypothèse peut être suggérée : le saint homme en se saisissant du poignet du roi a peut-être la vision de son avenir. 84



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Les comtes, Vuld, Ruderic et Blidin, le suivent. Le second de la cohorte répète d’une autre manière le geste du roi : la main droite sur le cœur et l’autre sur le pommeau de son épée, il manifeste sa loyauté et sa totale soumission à Benoît. Les attitudes des simples soldats en cottes de maille qui constituent la suite de l’escorte royale dépeignent toutes la même déférence à l’égard du saint. Si l’autorité de Benoît n’a plus à être justifiée dans l’enceinte du monastère, l’image évoque l’extension de son aura dans le siècle et sa reconnaissance par les grands personnages de l’époque. L’influence du saint dépasse donc les murs de l’abbaye et lui permet d’intervenir dans le monde. Le concepteur du cycle a d’ailleurs pris soin de vieillir les traits de Benoît au fur et à mesure qu’il s’enfonce dans la vie. Après l’agitation de la jeunesse et la nécessaire purification, l’abbé, en pleine maturité, a acquis un rayonnement spirituel de grande ampleur86. La figure du père fondateur incarne l’ordre lui-même (en plein essor en ce XIe siècle) : le choix de cette séquence narrative dans le cycle suggère peut-être la mission de guide que les bénédictins revendiquent dans le siècle. Reclus mais ouverts au monde, ils aspirent à jouer un rôle fondamental dans son organisation. La représentation de l’oratoire vide de Benoît sur le côté gauche de la corbeille témoigne de la vie contemplative des moines (sur la table reposent les Saintes Écritures) et de leur renoncement. Ainsi, après les concepts qui structurent l’ordre, il est donné à voir sa place et sa fonction dans la société. Le sixième chapiteau rapporte la délivrance du paysan capturé par le Goth arien Zalla (Dialogues, II, c. XXXI). Sur le côté gauche, sous une arcade, Benoît tient la Bible ouverte sur ses genoux (fig. 164). Il semble s’imprégner du texte intérieurement et retient les feuillets déjà parcourus. Le saint se livre à l’activité intellectuelle quotidienne des moines, la lectio divina qui devait entraîner un phénomène d’imprégnation, la ruminatio87. Il regarde devant lui tandis qu’un homme, Zalla, gainé dans une cotte de maille, un glaive au côté, est prosterné de tout son long à ses pieds. Les mains jointes et la tête relevée, il   Philippe Verdier se demande si le concepteur des images s’est inspiré de l’antienne et des répons du cantique Benedicte de l’office de saint Benoît : « le visage calme, il est orné de cheveux blancs angéliques » (« Vultu placido, canis decoratus angelicis »). Voir Philippe VERDIER, op. cit., p. 127. Le sculpteur, ayant pris soin de le représenter adolescent sur le chapiteau du miracle du crible, toujours soucieux du respect du développement narratif, vieillit son personnage progressivement. 87   La Règle de saint Benoît, op. cit., p. 599, « Les frères doivent être occupés en des temps déterminés au travail manuel et à des heures déterminées aussi à la lecture divine ». 86



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Fig. 164 - Saint Benoît et Zalla (détail), chapiteau, abbatiale Saint-Benoît, Saint-Benoît-surLoire

Fig. 165 - Saint Benoît et Zalla (détail), chapiteau, abbatiale Saint-Benoît, SaintBenoît-sur-Loire

semble toucher du bout des doigts les pieds de l’abbé. « L’hérétique arien », selon la formule de Grégoire, a la position d’un pécheur ou du pénitent qui réclame, au contact des reliques, l’intercession d’un saint. Le geste de supplication rappelle également l’attitude des pèlerins devant le reliquaire ou les reliques. L’Arien implore le pardon de Benoît et se recommande à lui pour qu’il assure son salut. Par sa position, le Goth ménage la transition entre cette scène et celle de la face principale de la corbeille où un paysan, moustachu, vêtu d’un bliaud court, brandit les bras en l’air, exhibant ainsi les liens rompus à ses poignets (fig. 165). Sa position est comparable à celle des orants. Le cheval de Zalla, entièrement harnaché, tourne le dos à la scène sur le côté droit de la corbeille. Il indique par son orientation que Zalla dont le bouclier est suspendu à un arbre va s’éclipser. Selon Grégoire, « l’hérétique arien », persécuteur des chrétiens avait capturé un paysan pour lui extorquer ses biens. Il le tortura à tel point que le pauvre homme « vaincu par la souffrance déclara qu’il avait confié son avoir à Benoît, serviteur de Dieu. Tant que le bourreau croirait à cet expédient, sa cruauté serait en veilleuse, et ce serait pour

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la vie un sursis de quelques heures ». Zalla lui lia les bras et l’obligea à le conduire jusqu’au saint qui lisait devant l’entrée du monastère. Le Goth ordonna à l’abbé de lui remettre son « dû ». « À ce bruit l’homme de Dieu lève les yeux de sa lecture, aperçoit le barbare, puis remarque le paysan qu’il tenait ligoté. Au moment où ses yeux tombent sur les bras du paysan, les courroies qui les serrent se défont avec une telle rapidité qu’aucune hâte humaine n’aurait pu les dénouer en si peu de temps ». Devant un tel prodige et une telle puissance, Zalla « tremblant se jeta par terre ; il courba sa nuque raide et cruelle devant l’homme de Dieu ». Sur ce chapiteau, le moine sort vainqueur du combat spirituel qu’il a mené contre le chevalier prosterné à ses pieds. Le concepteur des images réitère le message de l’épisode précédent, la supériorité des armes spirituelles sur les armes terrestres, incarnées par ce noble guerrier. La prière et l’office liturgique étaient, en effet, comparés à des armes spirituelles. Les moines se sentaient engagés dans les milices célestes, ils étaient les soldats du Christ livrant un combat spirituel acharné. Ils étaient pour leur grande majorité issus de l’aristocratie militaire, éduqués ou du moins marqués par les valeurs et l’agressivité chevaleresques. Comme à son habitude, le concepteur du cycle a admirablement synthétisé le récit dans sa conclusion miraculeuse : les liens du paysan viennent de rompre ; le Goth, devant la puissance du saint, se jette à ses pieds, en implorant sa miséricorde. Un des thèmes de cette image est de montrer la puissance de Benoît et la force divine qui en émane. Grégoire explique d’ailleurs à son disciple : « Voilà, Pierre, c’est comme j’ai dit. Ceux qui servent Dieu tout-puissant plus assidûment peuvent quelquefois faire des merveilles par la puissance »88. Si la scène du miracle du crible insistait sur la prière par laquelle le miracle s’opérait, lors de cet incident, Grégoire démontre que les miracles peuvent aussi être le fruit de la seule puissance du saint89. Le concepteur s’est donc employé à le prouver habilement par la force narrative de l’image, par le geste du paysan mi-victorieux mi-orant et par l’absence de signe divin90. L’impassibilité du saint qui figure telle une   GRÉGOIRE LE GRAND, op. cit., p. 227.   Grégoire écrit à ce propos, « Ceux qui adhèrent à Dieu avec dévotion ont accoutumé de produire des miracles de deux manières selon les circonstances. Parfois ils font des merveilles par la prière, d’autres fois par leur pouvoir », op. cit., p. 223. 90   Dans la plupart des représentations monumentales illustrant les miracles hagiographiques, y compris dans les chapiteaux de ce cycle, la main de Dieu sort des nuées, un ange apparaît, ou bien, le saint fait un geste de bénédiction. Le texte précise bien que le saint est resté impassible, détournant à peine les yeux de son livre ; néanmoins, la main de Dieu, qui est sculptée sur trois chapiteaux dont deux scènes de miracle, aurait pu apparaître sur 88 89



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Fig. 166 - La figure de l’Humilité, Dijon, Bibl. Mun., ms. 170, f° 6v°

Majesté, la représentation des deux hommes en prière, l’un suppliant, l’autre louant Benoît et la force surnaturelle du prodige évoquent la virtus qui rayonne des reliques des saints. Zalla incarne ici l’humilité retrouvée : le pénitent pardonné. Une initiale historiée du Livre XI Quamvis in prolixo opere de Grégoire le Grand, Moralia in Job figure un moine qui symbolise l’humilité, prosterné aux pieds de l’ange porteur du Livre dans une position similaire à celle de Zalla91 (fig. 166). Après la reconnaissance de l’autorité du saint dans le siècle, cet épisode illustre son intervention concrète et directe dans le monde. Toutefois, la manière dont Benoît est figuré et la position du Goth invitent à s’interroger sur une allusion possible aux reliques du fondateur conservées dans l’abbatiale. L’influence de Benoît sur le monde continue à s’exercer grâce à l’ordre qu’il a fondé et grâce à la communauté, gardienne de son tombeau, baignée de sa virtus92. cette image. Cette omission volontaire exprime, avec force, la nature spirituelle de la puissance qui émane du saint, le pouvoir exceptionnel de Benoît. 91   Dijon, Bibl. Mun., ms. 170, f° 6v°. 92   Cette image a suscité un certain nombre d’hypothèses. Yvonne Labande-Mailfert s’est interrogée sur l’actualisation en images de la vita et notamment sur la figuration de Zalla en parfait miles du début du XIIe siècle. Selon l’auteur, la position du paysan triomphant contraste avec l’attitude de « l’oppresseur anéanti ». Elle suggère qu’il peut s’agir d’une allusion aux mouvements de la paix de Dieu qui se répandaient en Aquitaine, en Roussillon, en Bourgogne à cette période. Voir Yvonne LABANDE-MAILFERT, « La pauvreté dans l’iconographie romane », dans Études sur l’histoire de la pauvreté, sous la direction de Michel Mollat, Paris, 1974, p. 334. Sous l’influence de quelques grands abbés, en particulier ceux



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Le miracle de la résurrection de l’enfant du paysan est sculpté sur le septième chapiteau (fig. 167). Saint Benoît, revêtu du manteau, de la coule, suivi de deux moines plus jeunes que lui, rentre au monastère après les travaux des champs. L’abbé fait un geste d’acceptation en direction d’un paysan désespéré. De la main droite, l’homme désigne le corps nu sans vie de son enfant, déposé à même le sol, devant les portes du monastère. Il supplie le saint abbé d’intervenir pour que son garçon soit délivré de la mort. Fig. 167 - Saint Benoît et l’enfant du Le malheureux père sert de paysan (détail), chapiteau, abbatiale liaison avec le second temps de Saint-Benoît, Saint-Benoît-sur-Loire l’épisode : Benoît est agenouillé, en prière, auprès du jeune défunt. La main de Dieu bénissante sort des nuées. Le miracle va donc s’accomplir. Le commanditaire n’a pas choisi de représenter le miracle en luimême, à savoir l’enfant revenant à la vie, mais les circonstances qui le précèdent. Figurée sur la face principale de la corbeille, la prière conditionne la réalisation du prodige exceptionnel qui assimile le saint aux apôtres. Ainsi, après avoir sculpté un miracle accompli in potestate, par la seule puissance du regard, le prodige le plus « extrade Cluny, et de l’épiscopat, des conciles et des assemblées de paix se multiplient à la fin du Xe siècle dans le Midi et dans les premières décennies du XIe siècle. Les spécialistes de la guerre sont clairement nommés dans les discours des évêques qui opposent les milites aux pauperes ou rustici. La paix était devenue au cours de cette période un problème politique et social et son maintien reposait sur un pacte religieux fondé sur la crainte qu’inspirait aux fidèles, chevaliers compris, le serment fait sur les reliques des saints. Les moines apportaient en procession les châsses contenant les restes saints pour contraindre les chevaliers à respecter la Paix de Dieu. Les saints jouent un rôle particulier dans le mouvement de la Paix de Dieu, le déploiement des reliques en témoigne. Ce chapiteau, par sa composition, pourrait y faire éventuellement allusion. Le chevalier, pénitent, touche du bout des doigts les pieds du saint, comme il le ferait avec des reliques. Les hypothèses évoquées, bien qu’intéressantes, sont fondées sur une seule image du cycle qui, sortie de son contexte, peut prêter à différentes interprétations. Il nous semble que cette image s’inscrit dans un propos d’ensemble. De ce fait, ce détournement politique et social de l’épisode par son concepteur paraîtrait étonnant.



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ordinaire » qui soit est réalisé ex oratione. Ainsi, il est rappelé que seul l’acte de foi permet la réalisation du plus grand des miracles. Aucun autre épisode ne pouvait venir en conclusion du cycle puisque celui-ci concentre plusieurs éléments qui sont constitutifs de la figure du père fondateur et deviennent inhérents à l’ordre. Dans le récit de ce prodige, Benoît s’excuse, pensant que de tels miracles sont réservés aux apôtres. Son humilité, clairement exprimée dans le texte, est suggérée dans l’image par la scène où il est figuré rentrant des travaux des champs. Le saint abbé se considère comme un simple moine et à ce titre participe aux travaux manuels quotidiens93. Pourtant, l’homme de Dieu, qui ne désirait être qu’un frère parmi les autres, est assimilé, par la résurrection de cet enfant, à un apôtre. Selon Maximilien Mälher, ce miracle a son modèle littéraire dans la vita de saint Martin par Sulpice Sévère. Pour l’hagiographe « la transcendance de l’apôtre par rapport au simple moine se mesurait tout d’abord à son pouvoir de ressusciter les morts », d’autant plus que dans le cas de Martin « évêque et dès lors successeur des apôtres, mais aussi thaumaturge, l’assimilation aux apôtres était facile »94. Sans être apôtre, Benoît possède, d’après Grégoire, un pouvoir similaire. Dans la légende, le miracle est obtenu par la prière et par le contact du corps du thaumaturge avec celui de l’enfant. Or, cette position n’a pas été retenue par le sculpteur alors qu’elle est très explicite dans le texte de Grégoire et que la symbolique en est très forte. Ce geste, omis à Saint-Benoît, a particulièrement été bien traduit par le concepteur du cycle enluminé du manuscrit du Mont-Cassin où Benoît est littéralement prosterné sur le corps de l’enfant, son capuchon recouvrant sa tête95. L’image du manuscrit semble mettre l’accent sur la puissance   Dans le chapitre XLVIII de la Règle, il est écrit « L’oisiveté est ennemie de l’âme. Aussi, les frères doivent-ils être occupés en des temps déterminés au travail manuel... », op. cit., p. 599. 94   Maximilien MÄHLER, « Évocations bibliques et hagiographiques », op. cit., p. 420. 95   Dans la vita, il est écrit que le saint, reprenant les gestes d’Élie (I, Rois, XVII, 21) et d’Élisée (II, Rois, IV, 34) se penche sur le corps de l’enfant. Selon la tradition monastique, ils incarnaient les modèles de la vie monacale et ascétique. Ce geste est repris dans le cycle hagiographique du manuscrit du Mont-Cassin (Rome, Bibliotheca Vaticana, cod. Vat. lat. 1202) auquel on compare souvent d’ailleurs le cycle de Saint-Benoît. Ce lectionnaire a été peint au Mont-Cassin sur la commande de l’abbé Didier, vers 1069, voir à ce propos Hubert BLOCH, « Monte Cassino Byzantium and West in the Earlier Middle Age », Dumberton Oaks Papers, n°3, 1946, p. 201 et Brenk BEAT, Das Lektionar des Desiderius von Montecassino : Ein Meisterwerk italienischer Buchmalerei des 11. Jahrhunderts, Zürich, 1987. Or, les enluminures de ce manuscrit sont iconographiquement fort différentes de ce que l’on peut voir à SaintBenoît et de style byzantinisant. L’illustration de la résurrection de l’enfant au f°72 est plus proche dans sa composition du texte de Grégoire que le chapiteau de Saint-Benoît. Benoît, dont la tête est couverte de son capuchon, est littéralement prosterné sur l’enfant qui a déjà 93



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de la prière monastique, à l’instar de celle d’Élie, alors que la sculpture de Saint-Benoît montre la puissance de Benoît thaumaturge. La nature du miracle permet l’assimilation du père fondateur à un apôtre. Ce prestige rejaillit ainsi sur son ordre. L’ordre qui trouve son origine dans l’apostolicité de Benoît est donc marqué plus que tous les autres du sceau de la sainteté. La lecture de la vie de leur fondateur que livre la communauté de Saint-Benoît est révélatrice de la manière dont elle se pense dans l’ordre bénédictin en général. Grégoire insiste énormément, dans son récit, sur les nombreuses fondations du saint qui symbolisent l’extension de l’ordre. Or il n’est pas surprenant qu’il n’y en ait pas d’allusion dans l’abbatiale. Les moines de Saint-Benoît n’avaient aucun intérêt à rappeler dans leur église la fondation du Mont-Cassin ou d’autres monastères italiens. Le Mont-Cassin réclamait par ailleurs le corps de leur abbé, une revendication légitimée par sa fondation de la main du saint. Les cénobites de Saint-Benoît n’ont pas choisi de présenter Benoît comme un abbé bâtisseur puisque leur monastère n’était pas né de son action. Ils ont donc préféré s’éloigner de l’aspect pratique ou « matériel » de la vie du fondateur de l’ordre pour s’intéresser à une définition plus spirituelle. Ils définissent leur communauté et se situent volontairement au-delà de l’histoire. Les images hagiographiques précisent l’identité de l’ordre qui se nourrit de la spiritualité du saint, pierre fondatrice au sens le plus large du terme, présent dans le tombeau sous le sanctuaire. Les images du cycle exaltent la vie monastique à travers la personnalité du saint. Chaque miracle réalisé met l’accent sur sa puissance mais tous sont traités de manière à démontrer que le vrai chemin est celui de Dieu et que seule la voie monastique permet d’y accéder pleinement. Le saint abbé est le guide spirituel indispensable, le seul à connaître la vraie Vie, celle du Christ96. Le cycle semble conçu comme une sorte de testament spirituel dont la communauté de Saint-Benoît peut se porter garante. Elle en est le dépositaire légitime puisqu’elle abrite le tombeau du fondales yeux ouverts. Le peintre du manuscrit a représenté en deux temps le miracle du paysan délivré (f° 72). Le Goth à cheval, sans armure, pousse avec une lance le paysan qui a les poings liés. À la scène suivante, Zalla se jette aux pieds de Benoît, assis sur son trône abbatial. Il fait un geste de supplication. Le paysan n’est pas présent dans cette scène. Voir le fac-similé proposé à la fin de l’ouvrage de Brenk Beat. 96  Il s’agit peut-être de mentionner, de manière indirecte, la Règle écrite par Benoît. Elle conduit les moines et guide vers la Vraie Vie selon les exigences de la Parole divine, comme jadis Benoît a été guidé par Dieu.



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Fig. 168 - La légende de saint Ménélée, chapiteau déposé, abbatiale Saint-Ménelée, Menat

teur. Les reliques sont non seulement le ciment de la communauté de Saint-Benoît, mais aussi de l’Ordre en général. Pour les moines de Fleury, leur abbatiale funéraire est le lieu de la mémoire universelle de l’ordre bénédictin. La communauté se pense au centre de la spiritualité de l’Ordre lui-même dont elle est la pierre d’angle. L’abbatiale Saint-Ménelée de Menat Le saint fondateur n’est pas toujours l’objet d’un cycle. Parfois, trois ou quatre images permettent de définir les traits caractéristiques de la communauté. Le propos y est parfois moins ambitieux qu’à Saint-Benoît ou à Saint-Denis. Dans la basilique de Suger, le cycle sculpté se trouve dans la crypte « soutenant » l’abbatiale à l’instar de ses propres fondations. À Menat, la démonstration est beaucoup moins complexe mais elle souligne clairement comment les images d’un saint fondateur pour une communauté sont utilisées pour s’autoreprésenter. La vie d’un saint local, Ménelée, était sculptée sur un chapiteau de l’abbatiale bénédictine éponyme97. Sa vita a été rédigée

 L’abbaye relevait du diocèse de Clermont. Elle est devenue cluniste en 1107.

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au XIe siècle, probablement par un moine de Menat qui se serait servi de la vie de saint Viance pour l’écrire98. Le chapiteau consacré à la vie de Ménelée était probablement situé dans le déambulatoire (fig. 168). En raison de son emplacement et de sa transformation en fonts baptismaux, seules trois des faces du chapiteau sont actuellement visibles. Le cycle débutait par le refus de son mariage qui marque son entrée dans la sainte vie. Sous des traits juvéniles, il se tient à côté d’une jeune fille aux cheveux défaits sous un voile. Le père du marié semble vouloir lui saisir les mains. L’image met en scène l’instant où Ménelée renonce à son mariage lors de la bénédiction nuptiale. Sa rupture avec le monde est signifiée par sa tête inclinée vers le sol alors que son père tente de le convaincre d’épouser la jeune fille. Sur l’arête de la corbeille, un évêque vient de se lever de son trône. Il s’apprête peut-être à quitter le lieu du mariage, d’ores et déjà annulé. Toutefois, sa participation à la scène est sujette à caution. Sur le côté de la corbeille, à gauche de Ménelée, un arbuste et des pierres d’appareillage se distinguent encore. À l’angle, un personnage debout a visiblement une position d’orant. Il s’agit peut-être de l’évocation de la vie érémitique de Ménelée en Auvergne après qu’il a fui l’Anjou pour échapper à son mariage. La dernière image du cycle montre le saint dans un monastère. Le concept de la clôture est très bien exprimé par la représentation des murs et des tours : la tête de Ménelée, très disproportionnée, sort d’une fenêtre d’un bâtiment monastique. Selon la légende, Ménelée vécut en ermite quelque temps à Menat, puis il suivit les saints Eudon et Chaffre, fondateurs d’une abbaye dont le lieu-dit actuel est le Monastier en Haute-Loire. Sept ans plus tard, il revint à Menat pour relever un monastère du VIe siècle dont Grégoire de Tours mentionnait l’existence. Ainsi, les temps forts de la vie du fondateur de l’abbaye étaient notés par les images : sa rupture avec le siècle, son expérience érémitique et le choix final de la vie monastique. Le chapiteau montrait l’évolution spirituelle du saint et sa recherche pour trouver sa voie jusqu’à l’aboutissement ultime : la vie contemplative au sein d’une communauté. L’abbaye suivant la règle bénédictine, l’épisode de la vie anachorétique de Ménelée se devait d’être exalté : Benoît a eu une expérience similaire avant de fonder une communauté. Ménelée partage avec le fondateur de l’Ordre cette   La vie des Saints et des Bienheureux selon le calendrier, par les R.R. et les R.P. Bénédictins de Paris, Paris, 1956, 22 juillet, p. 552-553. Pour la vita, voir A.A.S.S., Juillet, V, p. 309-319 ; Labbé, Vitae fragmentum, dans Nova bibliotheca manuscript. librorum, II, Paris, 1957, p. 591-593. 98



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expérience et relève par la suite le monastère de Menat. La règle, par ailleurs, glorifie les ermites capables de résister seuls aux tentations99. Ainsi, parce qu’il s’est affermi au désert, comme son illustre modèle, Ménelée a la capacité d’organiser la vie d’une communauté monastique. Contrairement aux saints Martial ou Genou, évangélisateurs et/ ou piliers de leur Église respective, Ménelée est présenté uniquement comme un fondateur ou refondateur. Les images visent à affirmer l’identité de la petite communauté bénédictine de Menat au sein de l’Ordre. Autrement dit, il s’agit d’une histoire dans l’histoire, de traiter de la singularité d’une communauté au sein de la famille bénédictine… En somme, le cycle du fondateur exalte la vie contemplative et régulière. Le cheminement personnel du saint témoigne non seulement de sa perfection, il est proche de Benoît, mais aussi de la sainteté de la vie offerte par le monastère. Les trois épisodes visibles n’ont pas été choisi au hasard : si l’introduction souligne la spécificité de Ménelée, les deux scènes qui suivent font de lui un abbé en usant des mêmes termes que ceux qui ont fait de Benoît le père charismatique de tous les moines. La représentation de tels ou tels saints dans une église donnée n’est jamais fortuite. Ainsi, il nous semble que les ordres religieux se donnent à voir au travers des images hagiographiques qu’ils choisissent de faire figurer dans leurs édifices. Ces images servent à définir l’idéal de l’ordre présent dans l’église, idéal contenu dans les enseignements des saints et donc dans leur image. Toutefois, cette autoreprésentation est soumise et ancrée au corps social. Elle reflète également les spécificités du temps dans lequel elle est conçue. Grâce aux images des saints, les ordres se pensent par rapport aux autres ordres mais également par rapport aux grandes orientations spirituelles de la société à un moment donné. Les images hagiographiques permettent à la communauté religieuse de se positionner au sein de l’ordre, d’en exposer la conception, de définir son rôle, sa place par rapport aux fidèles et dans l’Église en général. Au total, les images des saints contribuent à élaborer visuellement la conception que la communauté se fait d’elle-même et à affirmer une identité spécifique au sein d’un monde régulier pluriel. L’image crée ainsi un langage propre pour définir la communauté. Cette définition est très nettement marquée dans les cycles consacrés   Règle de Saint-Benoît, II (S.C. 182), op. cit., p. 437-439.

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aux saints fondateurs dans lesquels les ordres puisent et nourrissent leur identité spirituelle. Les particularités de l’ordre sont contenues dans ces images. Cependant, la démonstration identitaire d’une communauté ne s’appuie pas exclusivement, et pour cause, sur les cycles ou les scènes isolées du père charismatique. Il peut apparaître, en effet, que le choix de l’ensemble des images et plus particulièrement celles des saints figurant dans l’édifice soit également une définition de son ordre par la communauté détentrice du lieu100. Ainsi, les images hagiographiques témoignent du sentiment d’appartenance à un corps commun, ou du moins caractérisent une famille spirituelle particulière pourtant être intégrée à un vaste réseau. La mission de la communauté religieuse

Une mission au sein de l’ Ecclesia Si les images hagiographiques produites par les ordres religieux contribuent à manifester leur identité, la définition qu’ils offrent d’eux-mêmes se confond souvent avec la mission qu’ils entendent mener au sein de l’Ecclesia. Les chanoines des Salles-Lavauguyon ont rendu hommage à de nombreux à des saints locaux. Les « amis de Dieu » appartiennent au calendrier diocésain ou sont reconnus comme des saints gaulois. Étienne, saint patron de l’Église locale, est accompagné de l’autre saint diacre, Laurent, qui lui est traditionnellement adjoint. Sont peints également Martial et Valérie, la protomartyre d’Aquitaine et le premier évêque de Limoges qui sont proches dans le réseau d’images du cycle stéphanien. Les chanoines entendaient vraisemblablement affirmer leur ancrage dans l’Église locale. Clamer leur appartenance au diocèse de Limoges alors que Saint-Eutrope est située à ses marges prend la forme d’une expression identitaire indispensable à la communauté. L’hommage appuyé à Étienne, saint patron de la cathédrale, l’emplacement privilégié de son cycle prennent alors tout leur sens.   Voir à ce propos, Daniel RUSSO, « Espace peint, espace symbolique, construction ecclésiologique, Les peintures de Berzé-la-Ville (Chapelle-des-moines) », Revue Mabillon, nelle série (11), t. 72, 2000, p. 61-62. L’auteur a analysé le programme peint sous cet angle : pour comprendre « comment fut construite dans ce petit prieuré, et pourquoi, la représentation que l’Ordre tout entier entendait donner de lui-même à ce moment du premier tiers du XIIe siècle ». 100



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Outre la manifestation identitaire, la communauté canoniale semble avoir le souci de revendiquer son implication dans l’évêché. Elle rappelle haut et fort la fonction pastorale qu’elle assume auprès des populations : la dalmatique en est l’emblème. L’effigie des prieurs en fond visuel de part et d’autre du maître-autel renforce encore la démonstration. Les chanoines sont des prêtres qui entendent faire valoir leur spécificité dans un monde régulier pluriel. Si la dimension sacramentelle de leur rôle est soulignée, elle s’inscrit dans une aire géographique précise, celle du diocèse représentée par ses saints. Dans deux autres collégiales qui ont conservé leur ensemble peint, les chanoines ont eu à cœur de rappeler la mission qu’ils se sont donnée et de se distinguer des autres communautés religieuses et notamment monastiques. Si la théologie sacramentelle y est plus développée qu’à Saint-Eutrope, l’affirmation est similaire. À Saint-Hilaire de Poitiers par exemple, les saints en pied représentés dans le déambulatoire sont tous en habits liturgiques. La centralité de l’autel peint sur le bandeau du rond-point de colonnes s’inscrit dans la même logique. Les chanoines mettent en avant leur rôle d’officiant et leur mission sacramentelle. Il s’agit pour eux d’insister sur leur fonction cléricale, une fonction qui les rend particulièrement actifs au sein de l’Ecclesia. Nous avons déjà souligné que les saints revêtus de l’étole sacerdotale sont l’évocation de la foule des élus évoquée par Apocalypse VII. Or ces derniers sont, dans le texte parallèle d’Apocalypse XX, 4-6, « les prêtres de Dieu et du Christ »101. Les étoles sacerdotales au lieu des robes blanches deviennent alors des symboles explicites. Les chanoines sont « les prêtres de Dieu » qui répandent la bonne Nouvelle, fonction première du sacerdoce. L’Évangile est au cœur de la définition de leur spiritualité, or l’Église doit en permanence y être attentive car « elle y trouvera, et elle ne trouvera que là, la réponse aux questions qu’elle se pose »102. Ainsi, par la mission dont ils se sentent investis, les chanoines garantissent à l’Église la vigilance nécessaire. Les saints revêtus des insignes du sacerdoce sont donc la transcription symbolique de leur rôle sur terre et au sein de l’Église. Nous avions également suggéré que le chevet de la collégiale avait été pensé comme l’image de l’Église triomphante. Les chanoines semblent s’assimiler nettement à la mission de l’Église et ont très clairement la volonté de représenter l’Ecclesia, ce qui

  Voir Yves CHRISTE, L’Apocalypse de Jean, op. cit., p. 106.   Jean CHÂTILLON, op. cit., p. 57.

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d’ailleurs les distingue nettement des moines morts au monde, retirés dans le désert. À Saint-Hilaire, l’Histoire de l’Église et le dessein de l’Ordo divin auquel les chanoines participent activement font l’objet du thème générique du décor. La communauté canoniale est donc indissociable de son rôle au sein de l’Ecclesia. À Saint-Aignan-sur-Cher, les chanoines offrent une définition en images de leur mission. La première scène du cycle de Gilles, qui montre le saint offrant sa tunique à un malade, est de ce point de vue une remarquable illustration de l’œuvre canoniale (pl. 101). Par le contact du manteau, le corps souffrant du pauvre est délivré de la maladie. Si ce type de miracle par contact est relativement courant au Moyen Âge, le geste qui accompagne la guérison confère à la scène une dimension symbolique : Gilles fait acte de charité en donnant son manteau, comme saint Martin avant lui. Or, cette image renvoie à la double fonction que les chanoines s’étaient attribuée. La présence de saint Gilles dans la crypte de Saint-Aignan s’explique, en effet, par sa qualité de thaumaturge, de saint guérisseur par excellence. C’est pourquoi les fondations hospitalières étaient souvent placées sous son patronage. À ce titre, l’étude des hôpitaux du diocèse de Chartes est particulièrement révélatrice103. Saint-Aignan n’échappe pas à la règle puisque les fondateurs de « l’Hôtel-Dieu et Aumônerie » ont placé les édifices sous le vocable de saint Leu, saint Gilles104. Ce patronage à l’instar du réseau d’images de la crypte est en parfaite adéquation avec la fonction hospitalière et d’assistance des chanoines de Saint-Aignan. Les communautés canoniales conçoivent leur investissement dans l’assistance publique comme une manifestation concrète de leur amour du prochain, corollaire de la charité. L’image de Gilles cédant son manteau exalte non seulement la charité, mais également le pouvoir thaumaturgique. Or, la charité publique exercée par les chanoines s’exprimait par l’accueil des pauvres et le soin aux malades. Cet épisode pourrait être en quelque sorte le symbole de leur mission hospitalière. Par ailleurs, les principales représentations connues de la Charité de saint Gilles ont été élaborées dans des cen  Pierre-Gilles GIRAULT, « Le manteau des confesseurs et le mystère de la charité de saint Martin », XVIe centenaire de saint Martin, Le partage du manteau, colloque universitaire, Tours, 1997, Mémoires de la Société Archéologique de Touraine, t. LXIII, 1997, p. 164. 104   Florence COLLETTE, Les établissements charitables dans le diocèse de Bourges à la fin du Moyen Âge. Mémoire de maîtrise sous la direction de B. Guenée, Paris I, 1983, t. I, p. 277 et II, n°112, p. 356-357. 103



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tres urbains dont l’unique établissement religieux dédié au saint était une fondation hospitalière. La scène de la Charité fait écho également à la prise d’habit. Gilles donne sa tunique à un homme en partie dénudé. Le vêtement dont le malheureux s’est emparé épouse déjà la forme de son corps alors qu’il n’en est pas encore couvert. Il lui est déjà acquis et, de ce fait, accomplit son œuvre. L’homme n’est plus malade : sa nudité partielle et son nouvel habit en témoignent. Le vêtement qui fait déjà corps avec lui comme une « nouvelle peau » est le point d’articulation entre la maladie et la guérison, l’ancienne et la nouvelle vie de l’homme. Le passage entre les deux états possède plusieurs niveaux de spiritualité que résume le rituel de la prise d’habit. Dans un contexte hospitalier et canonial, le rite et la pratique de se dépouiller de ses vêtements pour en revêtir de nouveaux prend un sens très particulier. La prise d’habit selon la métaphore paulienne est donc une mort symbolique pour re-naître, lavé de ses péchés. Marcia Kupfer rappelle l’usage de changer les vêtements des malades lors de leur admission à l’hôpital105. Débarrassés de leurs habits, qui étaient envoyés à la pouillerie pour être nettoyés, les malades étaient lavés et vêtus d’une tenue propre. Ils étaient ainsi purifiés, dépouillés de leurs vêtements symbolisant leur ancienne vie, et prêts à recevoir la guérison comme une re-naissance. Le malade revêtait donc une « nouvelle peau », la purification du corps renvoyant à celle de l’âme. La communauté canoniale dispensait les soins pour garantir le bien-être du corps et de l’âme, thème central du décor peint de la crypte. La confession à laquelle les pécheurs-malades sont invités est un axe fort de l’ensemble peint et du cycle de saint Gilles, quitte d’ailleurs à s’éloigner de la vita. Le deuxième miracle illustré de la vie de Gilles en offre un exemple saisissant (pl. 102). Selon la légende, le saint thaumaturge a annihilé le venin d’une vipère en posant son manteau sur le malade mordu par le serpent. Or, le concepteur a choisi, peut-être pour éviter la redondance avec la première image, de montrer le saint en train de bénir l’homme pour le guérir. Le vêtement a été complètement écarté. La guérison a volontairement été replacée dans un cadre clérical par un geste liturgique symbolique. Par le réseau d’images, les chanoines se présentent comme un des rouages essentiels de l’économie du salut. Ils lavent les hommes de 105   Marcia KUPFER, « Symbolic Cartography in a Medieval Parish : From Spatialized Body to Painted Church at Saint-Aignan-sur-Cher », op. cit., p. 645-647.



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leurs péchés en leur dispensant les soins essentiels à l’âme, grâce à la confession, et participent ainsi à leur guérison physique. Leur mission hospitalière et charitable en fait des acteurs incontournables au sein de l’Ecclesia. Au final, leur fonction ne pouvait être mieux incarnée que par Gilles, prêtre, confesseur et guérisseur.

La construction d’une mémoire particulière Les communautés religieuses ont également pour fonction d’entretenir la mémoire dont elles sont dépositaires, non seulement au travers des offices et de la liturgie, mais aussi par l’aménagement soigneusement conçu de leurs églises. La conservation de la mémoire est indissociable de leur pouvoir, spécialement dans le cas des églises funéraires ou reliquaires. Néanmoins, un autre enjeu tout aussi fondamental s’impose aux chanoines en général et à ceux des Salles en particulier : la construction d’une mémoire locale qui se confond avec l’élaboration d’une identité diocésaine106. À ce titre, la définition de l’église comme lieu de mémoire sociale en tant que « processus qui permet à la société de renouveler et de réformer sa compréhension du passé afin de l’intégrer à l’identité présente » est particulièrement édifiante107. Nous avons déjà remarqué que les saints figurés aux Salles-Lavauguyon appartiennent majoritairement à l’histoire du diocèse. Les chanoines ont indéniablement la volonté d’ancrer leur rôle et de se définir dans et par rapport à l’Église locale. C’est pourquoi ils participent entre autres à l’entretien de la mémoire du diocèse à travers ses saints. L’histoire de l’évêché est donc indissociable de la construction et de la conservation d’une mémoire liturgique : les images hagiographiques qui dessinent la topographie sacrée du diocèse pensée par les chanoines des Salles sont les uniques témoins de la liturgie du prieuré aujourd’hui disparue. Comparer la liturgie en usage aux Salles, à Saint-Junien et dans l’abbatiale Saint-Martial de Limoges aurait été particulièrement enrichissant, notamment en cette période de réforme. Toutefois, à la différence des ordres monastiques, la communauté canoniale cherche à incarner l’Ecclesia et montre sa participation active dans le diocèse grâce aux images hagiographiques. C’est pourquoi il nous semble que leur approche de la liturgie hagiogra Les ordres monastiques n’ont pas les mêmes aspirations.   Voir Patrick GEARY, « Mémoire », Dictionnaire raisonné de l’Occident médiéval, sous la direction de Jacques Le Goff et Jean-Claude Schmitt, Paris, 1999, p. 684.

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phique doit être différente de celle en usage à Saint-Martial, même si les saints honorés sont les mêmes. Par son activité pastorale, la communauté des Salles doit jouer, en effet, un rôle dans la construction et l’entretien de cette mémoire locale. Ce dessein est typique des communautés de chanoines qui souhaitent représenter l’Ecclesia. À Saint-Hilaire de Poitiers, la volonté des commanditaires de s’inscrire dans l’histoire de l’Église poitevine apparaît à travers les saints représentés, tous acteurs dans l’histoire du diocèse, à l’exception de Quentin dont les reliques sont néanmoins conservées dans la collégiale. Comme les religieux de la communauté des Salles, ils marquent leur appartenance au diocèse pour affirmer la fonction qu’ils entendent exercer en son sein. D’autre part, la communauté de Saint-Hilaire s’est proclamée dépositaire de la mémoire de l’évêché. À travers le filtre canonial, nous pouvons percevoir quel est le souvenir entretenu par l’Église de Poitiers, quel est le lien entre son histoire et sa mémoire, et ce, par le biais de l’honneur rendu aux saints « locaux » et aux anciens évêques dont Hilaire a été le chef de file. Il s’agit bien de commémorer les fastes de l’Église poitevine en peignant les vingt successeurs du docteur de la foi sur les piliers de la nef. La communauté de chanoines essayait d’inscrire son action dans la continuité de la sainte lignée inaugurée par le premier évêque et les saints qui ont poursuivi sa mission. Cette ambition est manifeste dans l’image de la mort d’Hilaire sur la corbeille du chapiteau de la croisée. Il semble qu’elle met en scène une communauté ou la communauté religieuse autour de la sainte dépouille. L’un des clercs touche le corps du fondateur de l’Église locale. Ce geste assure la continuité entre le fondateur et la communauté qui se constitue autour et se structure à partir de lui. Il fonde la légitimité de la communauté, gardienne de la dépouille mortelle du saint et du tombeau qui la contient. Par le contact entre le corps du fondateur de l’Église locale, la communauté qui s’est établie auprès de la sépulture devient en quelque sorte la passerelle entre le saint évêque et ses successeurs. Il semble évident que les chanoines de SaintHilaire se sentent investis d’un rôle majeur au sein du diocèse et auprès de l’évêque. Grâce à cette image, ils réécrivent l’histoire en leur faveur car la communauté originelle, gardienne des reliques, n’est pas canoniale. Au VIe siècle, la basilique funéraire est dirigée par un abba basilicae, probablement un abbé séculier désigné par l’évê-



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que108. Le statut de la communauté n’est clairement établi qu’au IXe siècle grâce à un diplôme de Louis le Pieux en 808 qui évoque la vie de Saint-Hilaire « sous l’habit canonial ». Puis au Xe siècle, les réformes instituées par le trésorier Eble, frère du comte de Poitou Guillaume Tête d’Étoupe, confirment son statut de collégiale séculière. Pourtant, au XIe siècle, la vingtaine de chanoines de Saint-Hilaire s’octroie le statut de communauté originelle à travers l’image sculptée. La collégiale est donc conçue comme le principal lieu de mémoire du diocèse. Les chanoines qui possèdent la légitimité de l’entretien de la mémoire d’Hilaire, premier évêque de cette Église, honorent l’histoire du diocèse. L’église funéraire d’Hilaire, pilier fondateur de l’Église de Poitiers et ciment de cette dernière, est donc le théâtre de la mémoire de l’évêché, orchestré magistralement par la communauté canoniale. L’ancrage de la communauté canoniale dans le diocèse semble être un trait commun aux deux collégiales. Les chanoines des Salles comme ceux de Saint-Hilaire éprouvent la nécessité de se définir par rapport à l’Église locale et à l’Église universelle, au sein desquelles ils accomplissent leur mission pastorale. À Saint-Hilaire, l’église tout entière est pensée pour être le lieu de célébration de la mémoire du premier évêque de Poitiers et de l’évêché. Toutefois, certains espaces sont privilégiés pour l’entretien de celle des saints. Alliant le programme architectural, les images peintes ou sculptées, l’autel-reliquaire ou le tombeau du saint, les chapelles, les cryptes ou le chevet sont conçus comme des lieux de mémoire spécifiques dans l’édifice. Le décor et notamment la peinture en raison de son aspect couvrant font de ces espaces circonscrits dans l’édifice de véritables domus aux saints. La crypte-reliquaire est l’endroit par excellence alloué aux saints : Saint-Savin présente, à ce titre, un exemple particulièrement abouti où la crypte est transformée grâce au cycle peint en reliquaire monumental pour le tombeau. Une mise en scène similaire préside à l’aménagement de la crypte de Château-Landon où des scènes peintes de la légende de saint Séverin voisinent avec sa sépulture. Toutefois, toutes les cryptes vouées à un saint ne renferment pas nécessairement son tombeau. De surcroît, elles ont souvent perdu leur decorum et il  Sur le statut de la communauté de clercs, voir la thèse de Laurent Vallière, Le chapitre de Saint-Hilaire-le-Grand de Poitiers au Moyen Âge, Une collégiale poitevine entre 1240 et 1440, thèse de doctorat (dactyl.), sous la direction de Martin Aurell, Poitiers, 2001, p. 2-3. 108



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est impossible de vérifier si elles renfermaient les reliques du saint honoré. Ainsi bien que la crypte de Montmorillon soit dédiée à Catherine ou qu’un cycle de saint Gilles soit peint dans la chapelle méridionale de celle de Saint-Aignan-sur-Cher, la détention de leurs reliques y est hypothétique. D’autre part, nous ne pouvons que déplorer la méconnaissance actuelle des rites liturgiques ou de la liturgie propres aux cryptes : les processions, les stations, la fréquence des rituels, le déroulement des cérémonies participent à l’entretien de la mémoire du lieu et du saint ou des saints qui y sont célébrés. Or, ces lieux semblent essentiels dans la vie liturgique de l’église : l’aménagement ou le réaménagement des espaces de circulation témoignent de processions ponctuelles et de l’évolution des besoins liturgiques des communautés. À Saint-Aignan-sur-Cher, au XIe siècle, l’accès de la crypte vers l’église haute aboutissait devant l’entrée des bas-côtés de la nef. Un siècle plus tard, cet accès était devenu plus difficile en raison de remaniements dans la nef. Pour desservir la crypte et permettre d’importants cortèges processionnels, une ouverture a donc été percée dans son flanc nord et un vaste porche à étage a été construit109. Aller au-delà de ce simple constat semble difficile. Singulièrement aux Salles, la nef a été pensée comme le lieu spécifique de l’expression du culte des saints. Chaque martyr a reçu un espace particulier et individualisé destiné à fixer la mémoire de « ses faits admirables ». L’oratoire dédié à chacun d’eux est monumentalisé et théâtralisé par les images. Cette mise en scène est indispensable à la sacralité du lieu et plus particulièrement à celle de ces lieux spécifiques et secondaires dans l’édifice. Les couleurs utilisées qui font référence aux émaux contribuent à la fonction mémorielle, voire anagogique de l’image. Les couleurs, en effet, détachent l’image et la rendent indépendante du support. Par ce jeu de superpositions, le champ de l’image et le lieu où se déroule l’histoire sont dissociés. Les bandes narratives achèvent d’accentuer cette impression, l’horizontalité impose un rythme linéaire à l’histoire et les figures des personnages ressortent en se distinguant du fond. N’oublions pas que pour les théologiens, la mémoire stimulée des fidèles est en partie liée aux émotions, or l’image est émotion110.

  Voir Maylis BAYLÉ, « Saint-Aignan-sur-Cher », Congrès archéologique, 139e session, Blésois et Vendômois, 1981, Paris, 1985, p. 315. 110   Nous ne prenons en compte dans cette analyse que les images peintes et la sculpture des portails. Les chapiteaux sculptés ont, à notre sens, une autre fonction mémorielle qui n’est pas liée aux fidèles. 109



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La recherche du Beau se retrouve à une autre échelle dans les églises de pèlerinage où le decorum grandiose vise à exacerber les émotions des fidèles à l’approche du corps saint. Conçu comme un martyrium ou comme la domus du saint, il sert de support à la mémoire et en assure la préservation grâce à des dispositifs concrets : les images, le décor, le tombeau, les reliques, les cérémonies111. C’est dans un vaste ensemble, mûrement réfléchi, que s’élaborent « le croire et le voir »112 nécessaires à la fonction mémorielle de l’édifice. Les différentes étapes et stations y sont autant de « micro-lieux de mémoire » ou des lieux de mémoire spécifiques conçus pour marquer les esprits. L’image joue un rôle majeur dans la mise en scène du culte du saint. Saint-Eutrope des Salles-Lavauguyon ne célèbre pas uniquement la mémoire des martyrs, elle est aussi conçue comme le lieu de mémoire de la communauté canoniale. Les effigies des prieurs, Bernard et Boson, font clairement référence aux plaques funéraires émaillées. Ces images se rapprochent, en effet, des « portraits » mortuaires idéalisés : leur nom les identifie consciencieusement et la phrase inscrite sur le livre de Boson est une invitation à l’entretien de la memoria. Ces images s’inscrivent dans la commémoration rituelle des deux défunts qui sont éternellement présents dans l’édifice grâce à elles. Le décor peint du prieuré, en jouant sur plusieurs niveaux, montre particulièrement bien le lien entre mémoire collective et mémoire individuelle. Comme ce n’était pas une église de pèlerinage, les images des saints entrent pleinement dans le processus d’entretien de la mémoire dans la liturgie funéraire. Les martyres qui se déroulent sur les murs de la nef évoquent, en effet, les litanies des saints et trouvent leur conclusion avec les portraits des prieurs de part et d’autre du mur oriental de la nef. L’inscription sur le livre de Boson invite à perpétuer son souvenir : « priez pour moi mes f(rères)/(ils) ». Or, les litanies des saints étaient associées aux messes des morts. Leur intercession au cours des litanies qui leur font mémoire est symbolisée par l’enchaînement de leurs images sur les murs de la nef et les rituels funéraires sont incarnés entre autres par les prieurs. Ces deux thèmes se fondent et entretiennent une correspondance, point   À ce propos, voir Faire mémoire, souvenir et commémoration au Moyen Âge, dirigé par Claude CAROZZI et Huguette TAVIANI-CAROZZI, Aix-en-Provence, 1999. Par ailleurs, memoria au Moyen Âge ne signifie pas la mémoire, mais le tombeau, les reliques ou les sanctuaires. 112  Titre de l’ouvrage de Roland RECHT, Le croire et le voir, L’art des cathédrales (XIIe-XVe siècles), Paris, 1999. 111



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d’articulation majeur dans le fonctionnement général du décor. L’église, dépositaire de la mémoire de la Passion et de celle des saints, est aussi le lieu de la mémoire collective, celle des défunts en général, mais également de la mémoire individuelle, celle des prieurs représentants de la communauté canoniale. Si les images des saints sur les murs de la nef des Salles font écho aux litanies, le cycle d’Étienne se démarque des autres par sa localisation et par son sujet. Il accorde une place prépondérante au thème du corps saint et de ses reliques. Les épisodes peints sont inspirés de l’invention de la dépouille mortelle d’Étienne relatée dans la lettre du prêtre Lucien : le corps conservé intact, l’emplacement du tombeau dans le mausolée de Gamaliel. Plus qu’Étienne, ce sont ses reliques qui ont préoccupé le concepteur des images. Elles rappellent comment et dans quelles circonstances le corps d’Étienne a été enterré et indirectement, comment les reliques sont par la suite parvenues en Occident. Il est fait mémoire, à travers ces peintures, de l’histoire des reliques du saint depuis sa mort jusqu’à son inhumation. Le sujet relativement similaire des chapiteaux du chevet de l’église Saint-Étienne de Lubersac invite à s’interroger sur les raisons de la singularité du cycle stéphanien par rapport aux autres images hagiographiques des Salles113. Cependant, à Lubersac, après la scène de la lapidation et du corps en odeur de sainteté, se succèdent l’invention et la translation des reliques. Dans le prieuré clunisien comme aux Salles, il s’agissait d’exalter la dépouille du saint. Or, à Saint-Étienne, la présence des reliques semble attestée. Par l’intermédiaire des images, les clunisiens cherchaient à témoigner de l’authenticité des reliques possédées et de la réalité de leur présence à Lubersac. Cette nécessaire reconnaissance se traduit par la mémoire de l’invention et de la translation des reliques. Ainsi, elles sont historicisées en étant rattachées très concrètement à l’événement historique qui explique leur venue dans l’édifice. L’emplacement de ces images sur les chapiteaux extérieurs du chevet signifie que la partie orientale de l’église sert d’écrin aux précieuses reliques. Le chevet devient le réceptacle des restes saints, lieu de mémoire de leur histoire.

 Toutes les images hagiographiques ne remplissent pas une fonction mémorielle à destination des fidèles ou de la communauté religieuse. Les chapiteaux sculptés dans les nefs des églises semblent être les supports de la mémoire du lieu en tant que tel. Ils témoignent de l’appartenance du lieu à un saint en particulier ou de l’hommage perpétuel rendu à un saint dans un édifice. À travers le temps, ils gardent dans l’espace de l’édifice la trace de celui auquel il est voué. Ils sont les garants de la mémoire éternelle du lieu. 113



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Il est probable que le cycle d’Étienne aux Salles-Lavauguyon procède de la même intention. La fonction mémorielle de l’image est, dans ce cas de figure, indissociable de sa fonction « historique », garante d’une mémoire « véridique ». D’autre part, l’emplacement des images d’Étienne sur le revers de la façade les distingue aussi des autres cycles. Situées au-dessus de la porte occidentale de l’église, elles pourraient constituer une sorte de « preuve historique » de la présence des vraies reliques d’Étienne et de la conservation de la mémoire de cette possession (pour le prieuré ou pour le diocèse). De plus, l’inscription de ces images dans un espace de transition est la manifestation de leur dimension protectrice pour la communauté religieuse et laïque des Salles. Par le biais des images et des reliques, il s’agissait d’ancrer dans la mémoire collective le rôle d’Étienne dans l’église (l’échelle locale) et dans l’Église locale (l’échelle du diocèse). La mission des chanoines des Salles d’entretenir la mémoire universelle et locale est inséparable de la fonction d’intercession, thème explicite du réseau d’images, dont la communauté canoniale est bien sûr le dernier maillon.



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Des ambitions, des motivations L’identité de la communauté des Salles comme la mission qu’elle s’est attribuée dans le diocèse se confondent avec les ambitions et la place qu’elle revendique dans l’Église locale. L’auto-représentation que les chanoines élaborent à travers le programme monumental permet de cerner un peu mieux leurs aspirations.

Auprès de l’évêque… L’église des Salles-Lavauguyon et son décor témoignent de la puissance grandissante acquise par la petite communauté, forte d’une douzaine de membres, au XIIe siècle. Les chanoines de Saint-Eutrope souffrent pourtant de deux handicaps : la position marginale de leur prieuré les éloigne du siège diocésain et leur filiation à Saint-Junien fait d’eux la seule communauté régulière à ne pas dépendre directement de l’évêque. Malgré cela, ils clament haut et fort leurs ambitions et se positionnent au sein de l’Église locale. À ces fins, l’image véhiculée par leur édifice est fondamentale : la perception qui en émane sert un discours au service du pouvoir. Le lourd chantier entrepris et le décor ont aussi pour fonction d’accroître leur prestige. Le programme architectural témoigne des recherches des chanoines non seulement pour moderniser leur église, mais surtout pour l’inscrire dans un contexte monumental prestigieux. La nef est, en effet, une réplique ou une citation explicite de celle de la cathédrale romane de Limoges édifiée autour de 1100. L’introduction des « bas-côtés », forme architecturale inconnue de la région, vise à donner à l’édifice une structure basilicale en accordant une importance forte au vaisseau central qui marque la hiérarchie des

  Voir à ce sujet Éric SPARHUBERT, « Construction identitaire et construction architecturale au temps de la Réforme grégorienne : le chantier de la collégiale Saint-Barthélemy de Bénévent », op. cit., n. 19.





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espaces. Ce parti architectural se rapproche de celui pratiqué dans les ordres austères et qui se caractérise notamment par l’absence de circulations latérales. La réforme de 1059 soutenue par l’évêque de Limoges n’est certainement pas étrangère au programme architectural adopté pour son église : ces références formelles n’étaient-elle pas l’expression la plus appropriée et la plus sobre pour marquer l’adhésion au concile du Latran ? Aux Salles, la reprise de ce choix n’est évidemment pas neutre : elle répond, certes, aux besoins de la liturgie, mais c’est aussi un acte éminemment politique d’appropriation d’idées qui dépasse la simple manifestation des goûts des chanoines et leur intérêt pour la modernité en revêtant un caractère idéologique indéniable. Le parti architectural de la nef de Saint-Eutrope tend à montrer l’appartenance de sa communauté aux cercles cultivés et sophistiqués du pouvoir épiscopal. Il reflète sa qualité et son statut : un chapitre de chanoines réguliers et réformés, proche de Limoges. Le langage formel et le système décoratif des peintures des Salles confortent cette interprétation. Ils témoignent d’une grande originalité et de l’émergence d’un nouveau milieu artistique de l’Ouest. Trois édifices seulement ont gardé des vestiges de peintures murales romanes en Limousin : une scène de l’Annonciation dans le couloir sud du déambulatoire de la crypte romane de la cathédrale de Limoges, un ensemble peint sur la voûte de la seconde travée de la nef de la collégiale Saint-Junien et celui des Salles. Or, ces trois sites récemment découverts montrent une pratique picturale commune. Si l’on y retrouve le répertoire formel de la peinture romane de l’ouest de la France, des particularismes les en distinguent : la vivacité des coloris, les larges aplats qui accentuent la planéité de l’image. À ce langage pictural se superposent des formes inconnues jusque là en Limousin : des plis en lunule, des quadrillages libres et organisés à l’intérieur de compartiments allongés en forme de gouttes emboîtées dont les bourreaux de la lapidation aux Salles offrent l’exemple le plus éloquent (pl. 103). Or, ces graphies, singulières pour la région, semblent pro-

  Il n’existait en Limousin jusque là que des hauts collatéraux. La multiplication des bascôtés en Limousin s’inscrit dans une tendance générale du milieu du XIIe siècle que l’on retrouve chez les cisterciens de Fontenay et du Sud-Ouest. Nous remercions Claude Andrault-Schmitt pour ces précieuses informations.    Voir Éric SPARHUBERT, « Limoges et Saint-Martial : un foyer original de la peinture murale romane », op. cit. Son article a considérablement nourri mes réflexions.   Sur ces peintures, voir en dernier lieu, Éric SPARHUBERT, « Les peintures romanes de la voûte de la nef de la collégiale Saint-Junien (Haute-Vienne) », Bulletin Monumental, t. 60, 2002, p. 233-248.



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venir de la peinture clunisienne, caractérisée entre autres par « des byzantinismes ». Les peintures des Salles comme celles des deux autres églises présentent des analogies avec le répertoire formel des manuscrits du scriptorium de l’abbaye Saint-Martial de Limoges. La puissante abbatiale constituait à cette période l’un des principaux foyers de la peinture romane de l’ouest de la France. Elle avait développé un style nouveau en usant de formes héritées de la période carolingienne et d’éléments issus du « style aquitain », propre à des centres plus méridionaux comme Moissac, Albi et Agen. Le Limousin était donc un foyer original en position charnière entre les centres de la vallée de la Loire, dominés par Tours et ceux du Languedoc. Pourtant, on voit apparaître des formes clunisiennes dans les enluminures de la Seconde Bible de Saint-Martial et les manuscrits qui lui sont affiliés. Il n’y a rien de surprenant à cela : en 1062, le monastère de Saint-Martial est vendu à Cluny par le vicomte Adémar. En 1063, à la suite de la filiation, les Clunisiens sont à pied d’œuvre en Limousin pour promouvoir et imposer les réformes romaines. Dans cette même logique, des instructeurs clunisiens procèdent à une mise aux normes des livres liturgiques de Saint-Martial10. L’apparition de graphies clunisiennes dans l’enluminure limousine correspond à l’abbatiat d’Adémar (1033-1114), nommé à la tête de l’abbaye par Hugues de Cluny11. Toutefois, les particularités du style clunisien ont été assimilées et   Voir à ce titre les peintures de la chapelle aux moines de Berzé-la-Ville et celles du lectionnaire de Cluny (Paris, BNF, ms. Nouv. Acq. lat. 2246) qui portent le témoignage des « byzantinismes » de la peinture clunisienne.   Il s’agit principalement de la Seconde Bible de Saint-Martial (Paris, BNF, ms. lat. 8, vol. 2) et des manuscrits qui lui sont affiliés.    Voir Danielle GABORIT-CHOPIN, La décoration des manuscrits à Saint-Martial de Limoges et en Limousin du IXe au XIIe siècle, Genève, 1969, p. 43-52. La première Bible de Saint-Martial datée du début du Xe siècle par l’auteur (Paris, BNF, ms. lat., 5, I et II) est révélatrice de l’utilisation d’un répertoire formel issu de l’héritage carolingien ( les visages notamment reçoivent un traitement éloigné de la stylisation romane, réalisme classique, modelé…).    Pour la définition du style aquitain, Voir Danielle GABORIT-CHOPIN, op. cit., p. 60-62.    À ce propos, voir Michel AUBRUN, L’ancien diocèse de Limoges, op. cit., p. 409. L’installation des Clunisiens rencontre des résistances : la cohabitation entre les moines de Saint-Martial et les Clunisiens a été particulièrement difficile, à tel point que le légat du pape, Pierre Damien fut dépêché à Limoges pour mettre fin à l’agitation. 10  Andreas SOHN, Der Abbatiat Ademars von Saint-Martial de Limoges (1063-1114). Ein Beitrag zur Geschichte des cluniacensischen Klosterverbandes, Münster, 1989. 11  Adémar, premier abbé clunisien, a fait décorer et peindre la voûte de l’abbatiale du Sauveur depuis l’autel du Crucifix jusqu’au portail occidental. Cet ensemble peint aurait constitué le premier exemple monumental du nouveau style limousin. Voir dans les Chroniques de Saint-Martial de Limoges, « Commemoratio Abbatum », éd. par H. Duplès-Agier, Paris, 1984, p. 10. Cité par Éric SPARHUBERT, « Limoges et Saint-Martial », op. cit. 



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adaptées à l’identité formelle élaborée dans le scriptorium du monastère. L’évêché de Limoges qui était particulièrement sensible à la réforme des milieux monastiques et canoniaux fait sien ce nouveau style12. L’ambition réformatrice du pouvoir diocésain s’est vraisemblablement traduite par l’adoption de ce langage pictural à la collégiale Saint-Junien, proche de la cathédrale13. En reprenant à leur compte ce répertoire formel original, les chanoines des Salles souhaitaient témoigner de leur proximité avec le siège décisionnel du diocèse. Alors que la position géographique de leur prieuré les plaçait en retrait du centre épiscopal, ils affirmaient par ce biais leur rattachement à l’élite ecclésiastique dont ils se réclamaient. Les chanoines de Saint-Eutrope affichent des liens privilégiés, qu’ils soient souhaités ou effectifs, avec le pouvoir épiscopal en soulignant leur ancrage dans l’Église locale. Les références à l’épiscopat ponctuent le décor peint : le cycle stéphanien occupant une place d’importance, le choix des saints honorés proclamant l’appartenance au diocèse. La présence du saint patron de la cathédrale à un emplacement qui aurait pu être réservé à saint Eutrope éclaire les ambitions des chanoines. La communauté rappelle ainsi son attachement à l’évêque et revendique la place qui est la sienne au sien de l’Église locale. Dans la collégiale Saint-Hilaire de Poitiers, la relation des chanoines avec le siège épiscopal est également exposée par les saints figurés dans le chevet, mais aussi par la définition en images de la mission que les chanoines entendent mener dans le diocèse. Détenteurs et gardiens de la mémoire de l’Église poitevine, ils se considérent et s’imposent par leur excellence comme les seconds de l’évêque, les auxiliaires du pouvoir épiscopal. À travers leur église et son décor, la communauté des Salles se pose également comme l’élite ecclésiastique du diocèse. L’ambition de l’incarner se lit à travers les références philosophiques et théologiques utilisées au sein du réseau d’images. Le décor peint est le fruit d’un milieu cultivé qui se présente et se pense comme tel. Les références à Virgile et les différentes métaphores sur la virginité mariale et l’Incarnation s’inscrivent dans la renaissance urbaine du XIIe siècle, et indiquent que les commanditaires du décor sont imprégnés de la 12  L’unique vestige de ce langage pictural à la cathédrale est la scène de l’Annonciation déjà mentionnée et on l’observe dans la manière du Peintre du Sacramentaire. Les nouvelles formes pénètrent le foyer artistique de la cathédrale qui est particulièrement actif. 13  Les prévôts qui dirigent la collégiale occupent la première dignité du chapitre cathédral de Limoges.



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culture des centres d’études liés au clergé cathédral14. Elles traduisent surtout le dynamisme de la vie intellectuelle des chanoines de SaintEutrope. Ces derniers, par la sophistication de leurs pensées, témoignent de leur appartenance à la communauté culturelle du clergé cathédral et se revendiquent, par là-même, de ce lieu de culture qu’est le siège épiscopal. Eloignés du centre intellectuel du diocèse et malgré la distance, les chanoines des Salles marquent ainsi leur proximité et leur esprit de connivence avec lui. Autrement dit, en dépit d’une exclusion géographique, ils montrent à travers le programme monumental leur inclusion dans le cercle privilégié de l’élite ecclésiale urbaine. Cette dimension se retrouve également dans l’ensemble peint de la collégiale Saint-Hilaire de Poitiers qui se fonde sur des références exégétiques et théologiques d’une très haute portée. Ainsi, à Saint-Eutrope, en usant de références, de rapprochements formels et signifiants, les chanoines montrent qu’ils participent et qu’ils appartiennent au cercle du pouvoir diocésain. Ils vantent la perfection de la vie canoniale régulière, ce qui légitime leur désir d’être considérés comme l’élite ecclésiale du diocèse, aux côtés du pouvoir épiscopal. Grâce aux embellissements de leur prieuré, les chanoines se présentaient, ainsi, comme les auxiliaires incontournables de l’Église locale. Cette prétention est clairement affichée aux Salles, comme à Saint-Hilaire, et souligne d’une part les liens entre la communauté canoniale et le pouvoir épiscopal et d’autre part la place qui leur revient dans le diocèse. Toutefois, la communauté régulière de SaintEutrope donne à voir ce qu’elle souhaiterait incarner au sein du diocèse, ce qui ne correspond pas forcément à la réalité de l’époque. La fonction et le rôle dont elle se réclamait revenaient aux chanoines de Saint-Junien. Or, ces revendications qui la mettaient, de fait, en compétition avec la maison-mère, ont entraîné des tensions assez vives entre les deux parties. Le pouvoir que les chanoines des Salles désirent exercer dans le diocèse se mêle à la définition qu’ils donnent d’eux-mêmes. L’ambition de compter dans les cercles du pouvoir diocésain et d’appartenir à l’élite locale transparaît dans l’image globale de leur église. Les  Sur la Renaissance urbaine du XIIe siècle, voir la synthèse de Bruno LAURIOUX et Laurence MOULINIER, Éducation et cultures dans l’Occident chrétien. Du début du douzième au milieu du quinzième siècle, Paris, 1998, p. 11-19. 14



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bâtiments, ainsi que nous l’avons déjà évoqué, servaient à définir leur mode de vie en insistant sur le renoncement lié à la régularité. La clôture, emblème de leur institution, était symbolisée d’une part par le parti architectural, les matériaux et d’autre part par l’utilisation des images hagiographiques dans la nef. Cette insistance ostentatoire avait un double intérêt. Elle leur offrait la possibilité non seulement d’afficher leur identité et leur excellence mais aussi, pour des raisons stratégiques et politiques, de se démarquer de Saint-Junien.

Auprès des populations… L’ambition des chanoines des Salles dans le diocèse va de pair avec l’influence qu’ils entendent exercer ou exercent sur les populations alentour : la construction d’une église pour une communauté religieuse est un moyen d’inscrire sa puissance dans le paysage. L’importance du chantier entrepris par les chanoines et le programme décoratif renforcent le prestige de la communauté, en lui permettant d’asseoir sa position sur une aire géographique plus ou moins étendue. Aux Salles-Lavauguyon, le plus révélateur de l’autorité que mène cette communauté sur un entourage plus ou moins immédiat est la manière dont elle va réaliser les aménagements et la décoration de la nef. La rapidité avec laquelle elle l’a fait construire et peindre, témoigne de sa capacité à mobiliser les fonds nécessaires. Les travaux qui étaient, en effet, d’une grande ampleur pour ce petit groupe de chanoines, isolé dans l’évêché, ont été, à ce titre, exécutés avec une célérité étonnante, entre 1120 et 1150-117015. Le vaste chantier entrepris par les chanoines et sa réalisation donnent la mesure de leur pouvoir. La coûteuse campagne de reconstruction de leur prieuré a pu être entreprise grâce aux richesses accumulées par les chanoines des Salles au XIIe siècle. Ils ont su réunir un patrimoine comparable à celui de Saint-Junien. L’absence de charte de fondation ne nous permet pas de comprendre comment le prieuré a pu acquérir suffisamment d’autonomie pour se faire confirmer, par une bulle-pancarte perdue de 1154 ou 1157, autant d’églises que la collégiale16 (fig. 169). Cette   N’oublions pas qu’entre 1200 et 1230, les chanoines des Salles ont entrepris le chantier du chevet tout aussi ambitieux. 16   Jean BECQUET, « Collégiales et sanctuaires de chanoines séculiers en Limousin aux Xe-XIIe siècles », dans La vie canoniale en France aux XIe-XIIe siècles, Londres, 1985, p. 96. 15



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Fig. 169 : Carte des possessions du prieuré-cure Saint-Eutrope des Salles-Lavauguyon et de la collégiale Saint-Junien au XIIe siècle.

indication est particulièrement intéressante lorsque l’on sait que le patronage épiscopal est resté important dans cette région. Or, entre 1070 et 1170, Saint-Junien a acquis une quinzaine d’églises et sa dépendance presque autant. La carte des églises possédées révèle que l’enjeu pour les deux communautés était d’obtenir des églises proches de la leur17. Quoi qu’il en soit, l’épiscopat n’a pas vu d’un œil réprobateur la course à l’acquisition d’églises à laquelle se livrait la petite filiale. La régularité et la promotion de la réforme canoniale soutenue par les évêques de Limoges expliquent peut-être la mansuétude dont elle a fait l’objet.   D’après Jean Becquet, les acquisitions des Salles ont compté plus de fondations nouvelles, si l’on en juge par les vocables et par les limites des communes actuelles. Voir Jean BECQUET, « Collégiales et sanctuaires de chanoines séculiers en Limousin aux Xe-XIIe siècles », dans La vie canoniale en France aux XIe-XIIe siècles, Londres, 1985, p. 97. 17



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Outre la bienveillance de l’évêque ou son indulgence à l’égard des Salles, il convient de s’interroger sur leur extraordinaire aptitude à rassembler, là encore, les fonds pour rivaliser avec Saint-Junien18. Le rôle de donateurs laïcs, de petits seigneurs locaux destinant éventuellement leur fils cadet au chapitre, et des populations des environs n’est pas à écarter. En l’absence de sources écrites, il est toutefois difficile d’approfondir cette question. Néanmoins, la fonction paroissiale de l’église des Salles a vraisemblablement contribué à la richesse de la communauté. Certains aspects de la mission que les chanoines remplissaient au sein de l’Ecclesia leur garantissaient une source de revenus. Un des thèmes du réseau d’images évoque l’entretien de la mémoire de la communauté – religieuse et laïque – garanti par les chanoines. Ils disposaient donc d’une fonction essentielle auprès des laïcs, celle de commémorer les disparus. La conservation du souvenir des défunts trouve sa plus juste expression dans la liturgie funéraire : les suffrages des vivants permettent aux chanoines d’intercéder en faveur des morts. Les portraits des prieurs et l’inscription sur le livre ouvert de Boson associés aux cycles hagiographiques, images des litanies, semblent autoriser cette lecture. D’autre part, l’appel au don, lisible dans les connexions qui se nouent à l’intérieur du réseau d’images, s’intègre au thème de la liturgie funéraire. Le principe du don et du contredon est exposé en images et illustre l’une des dimensions incontournables de la foi chez les fidèles et indirectement l’acculturation du christianisme. La juxtaposition de la scène d’offrande et de la scène infernale est, à ce titre, particulièrement signifiante. La perception arithmétique de la piété19 (don/contre-don) et la matérialité de la foi sont des fondements du culte des saints. En échange de leur intercession, les saints reçoivent des offrandes en espèce ou en nature qui sont confiées aux communautés religieuses. La multiplication des saints dans la nef de Saint-Eutrope témoigne de la volonté de s’assurer le plus « d’avocats» possible et de proclamer l’édifice comme l’espace privilégié de l’intercession dans une aire géographique donnée. Saint-Eutrope est ce lieu d’intercession par excellence, ce que confirme l’emplacement des images hagiographiques. Dans le cadre de la compétition menée avec Saint-Junien,  L’importance de la richesse de la collégiale Saint-Junien est connue, son patrimoine foncier est l’un des plus importants du diocèse. 19   Expression empruntée à Nicolas MARJAULT dans L’acculturation chrétienne dans les Sermons de Césaire d’Arles, mémoire de maîtrise sous la direction de Robert Durand, Nantes, 1995. 18



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l’image d’une nef riche en reliques prend une coloration supplémentaire. Bien qu’il soit complexe d’évoquer la réception du décor peint par la population locale, l’acquisition rapide d’un patrimoine important par les chanoines de Saint-Eutrope indique qu’ils ont reçu des dons généreux et qu’ils exerçaient une réelle influence sur la population alentour. L’appel au don, si lisible dans l’ensemble peint, a donc d’une manière ou d’une autre été largement entendu. Si l’on en juge par la richesse des Salles au XIIe siècle, il est probable que l’aire sur laquelle la communauté avait assis son pouvoir était assez étendue. L’aura dont bénéficiait Saint-Eutrope dans une partie du diocèse a peut-être été à l’origine de ses ambitions politiques ou les a nourries. Pour que le signifié soit en adéquation avec le signifiant, et dans le but d’entretenir leur position hégémonique, les chanoines des Salles se devaient d’avoir un édifice digne de leur position à défaut d’être réellement imposant. Par son impact visuel, le prieuré devait surpasser les églises des environs. L’embellissement de l’église s’inscrit dans un contexte de surenchère fréquent : remaniement de la nef, décor peint grandiose, cherté des pigments utilisés, emploi de la technique à fresque, multiplication des images hagiographiques... Si les chanoines voulaient affirmer leur pouvoir à travers leurs bâtiments, il fallait que ceux-ci leur permettent d’accroître leur influence sur les populations. Ce phénomène duel est par ailleurs clairement étudié dans le cas des églises de pèlerinages. Bien que la magnificence des aménagements autour des tombeaux, des reliquaires rende gloire au saint, la somptuosité déployée sert surtout à appuyer sa puissance. Une puissance qui conditionne le succès du pèlerinage. Ainsi, la « beauté » de l’édifice contribuait vraisemblablement à la gloire du sanctuaire. Cette dimension existe, concernant notamment les reliquaires, puisque saint Bernard la dénonce : « Quand les yeux se sont couverts d’admiration pour contempler les reliques des saints enchâssées dans l’or, les bourses s’ouvrent à leur tour pour laisser couler l’or. On expose la statue d’un saint ou d’une sainte et on la croit d’autant plus sainte qu’elle est plus chargée de couleurs. Alors on fait foule pour la baiser et en même temps on est prié de laisser une offrande ; c’est à la beauté de l’objet plus qu’à la sainteté que s’adressent tous ces respects »20. Bien que cette prise de position s’inscrive dans  SAINT BERNARD, Apologie à Guillaume de Saint-Thierry, trad. de l’abbé Charpentier, Oeuvres complètes de saint Bernard, t. II, Paris, 1866, p. 380. 20



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un cadre polémique et critique, il n’en demeure pas moins qu’elle reflète une certaine réalité. Par le filtre de l’exposé de saint Bernard, on perçoit, d’une part, les enjeux économiques importants liés aux cultes des reliques et, d’autre part, la prépondérance du sensible dans la piété des fidèles21. L’ambiance du sanctuaire, la nature enveloppante des peintures, la présence des sculptures à l’entrée de l’édifice, contribuaient à rendre la présence du saint plus palpable, et ce, plus encore lorsque l’église était dotée de statues-reliquaires. Lui donner une image, rendre matériellement sa présence, tels sont les objectifs du decorum. Bien que nous ne puissions pas réduire sa raison d’être à cette unique explication, il se trouve que cette dimension était nécessaire à la majorité des fidèles. Ils avaient besoin de références visuelles pour se figurer le saint auquel ils allaient s’adresser. L’exaltation de la puissance de leur « avocat » par un decorum luxueux – présence des images, magnificence du reliquaire ou du tombeau – contribuait à les mettre dans les conditions nécessaires au culte qu’ils devaient rendre. Ainsi, comme l’écrit Jean-Claude Schmitt : « Images et reliques sont les média d’un pouvoir présent et agissant sur les corps et les âmes des fidèles qui en attendent les bienfaits »22. L’église devait donc surpasser en beauté tous les autres centres de pèlerinage, c’est pourquoi les embellissements et les remaniements peuvent être analysés dans un climat général de surenchère décorative. Toutefois, les travaux engagés prennent une autre tonalité dans des contextes de rivalités plus exacerbées. Par exemple, lorsque la possession ou l’authenticité de leurs reliques était contestée, certaines communautés se sont lancées dans d’ambitieux et coûteux programmes peints ou sculptés ré-affirmant la légitimité des restes saints conservés dans leur église. Ces stratégies laissent percevoir les véritables enjeux autour de la détention et du culte des reliques. Les mêmes mécanismes se retrouvent aux Salles, alors qu’il ne s’agit nullement de relancer le culte des reliques ou d’une compétition avec une autre église de pèlerinage. Au travers de leur édifice, les chanoines trahissent leur désir d’étendre leur pouvoir en impressionnant les fidèles. Cela n’a rien d’antinomique, bien au contraire, avec la lutte menée contre Saint-Junien. 21  Saint Bernard a bien défini « l’investissement monastique ». Voir à ce propos, Conrad RUDOLF, The « Things of a greater importance » : Bernard of Clairvaux’s apologia and the medieval attitude toward art, Pennsylvannia Press, 1998. 22   Jean-Claude SCHMITT, « Les reliques et les images », dans Le corps des images, op. cit., p. 287.



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Ainsi, l’église et son décor sont l’expression non seulement d’une construction ecclésiologique, mais également du programme politique des chanoines de Saint-Eutrope. Les prétentions de la petite communauté des Salles sont à la hauteur du vaste programme monumental qu’elle a lancé. Nous pouvons en mesurer l’enjeu à la lumière du contexte local. L’édifice et ses images ont donc fixé un moment de la vie canoniale en Limousin, de l’histoire du diocèse et de son identité… Des tensions Les ambitions et les tensions se mêlent à Saint-Eutrope puisque les revendications de sa communauté canoniale étaient incompatibles avec la position de Saint-Junien. Les chanoines des Salles entrent donc progressivement en rivalité avec leur maison-mère, une compétition qui s’exprime par une course croissante à la possession de terres et de biens. Face à cette volonté d’émancipation, la puissante collégiale fait valoir ses droits et ses avoirs auprès du pape Eugène II. Une bulle, datée du 16 Mai 1151, confirme les biens des chanoines et les énumère. Elle déclare également que l’église de Saint-Junien, et toutes ses possessions sont sous la protection de saint Pierre, ainsi que sous celle du souverain pontife23. Il y est réaffirmé que le chapitre de SaintJunien possède des droits accoutumés sur l’église des Salles-Lavauguyon. Cette confirmation sera une seconde fois reproduite par le pape Alexandre III à la demande du prévôt de la collégiale dans les années 116024. Cette insistance prouve que les chanoines de Saint  Chronique de Maleu, chanoine de Saint-Junien, mort en 1322, publié par l’abbé Arbellot, Saint-Junien/ Paris, 1847, p. 49 : « Nolumus etiam quod Ecclesia aliqua aliquo modo se ingerat in rebus quae de jure abbatiae fuerunt jam dictae Ecclesiae S. Juniani ; donationem et consuetudines quas praefata Ecclesia solita est habere super Ecclesiam de Salis, praefatae Ecclesiae S. Juniani, in Ecclesiis sibi a nobis concessis, idoneos eligant Capellanos. Ne aliquis vero hanc nostram concessionen inquietare praesumat, praesentis scripti paginam sigilli nostri impressione munimus, anno ab Incarnatione Domini MCLI. » soit « Nous ne voulons plus que quelque église de quelque manière que ce soit s’ingère dans les choses qui au sujet du droit de l’abbaye furent déjà dites à l’église de Saint-Junien ; la donation et les habitudes que l’église précitée avait coutume d’avoir sur l’église des Salles, à l’église de Saint-Junien citée précédemment, dans les églises que nous leur avons accordées et qu’ils élisent des prieurs convenables. Afin que personne n’envisage de troubler cet accord qui est le nôtre, nous protégeons la page du présent écrit par l’impression de notre sceau, en l’année 1151 de l’Incarnation du Christ ». 24   Chronique de Maleu, op. cit., p. 52-54 , et notamment p. 54-55 : « Hujus etiam domini Hugonis Decani Lemovicensis et Ecclesiae S. Juniani Praepositi temporibus, anno Domini MCLXII, dominus Alexander Papa III. Concessit Ecclesiae S. Juniani Privilegium, sive confirmatorium consimilem Privilegio a Papâ Eugenio eidem Ecclesiae concesso, cujus tenor sequitur in haec verba : [...] Quocircà, 23



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Eutrope continuaient à se montrer turbulents et, malgré les interventions pontificales, manifestaient toujours leur désir d’émancipation. Ils obligeaient ainsi Saint-Junien à réclamer régulièrement le soutien de Rome. Cette rivalité semble atteindre son paroxysme dans les années 1150. Entre 1154-1157, la communauté de Saint-Eutrope s’est fait confirmer la quinzaine d’églises qu’elle a acquise en un siècle25. La tension s’amplifie à un tel point entre les deux chapitres qu’ils font appel à l’arbitrage épiscopal pour régler un différend au sujet d’un bien entre 1163 et 1177. Ce litige se règle finalement en faveur des Salles-Lavauguyon, moyennant une redevance26. Cependant, le conflit dilecti in Domino filii vestris justis postulationibus clementer annuimus, et praefatam Ecclesiam S. Juniani, in quâ divino mancipati estis obsequio communimus : statuentes, ut quascumque possessiones, quaecumque bona, eadem Ecclesia in praesentiarum justè et canonicè possidet, aut in futurum concessione Pontificûm, largitione Regum vel Principum, obatione fidelium, seu aliis justis modis, praestante Domino, poterit adipisci, firma vobis vestrisque successoribus et illibata permancant : in quibus haec propriis duximus exprimenda vocabulis : Ecclesiam S. Petri, et S. Amandi, quae sunt in villâ in quâ ipsa Ecclesia sita est ; [...] ; quidquid etiam juris sive rationabilis consuetudinis habetis in Ecclesiâ de Salis » soit « À l’époque de ce maître Hugo dizenier de Limoges et prévôt de l’église de Saint-Junien, en l’an de grâce 1162, le maître Alexandre III, Pape, donna à l’église de SaintJunien l’exacte confirmation du privilège accordé par le Pape Eugène à cette église dont la teneur est la suivante : [...]. C’est pourquoi, fils élus dans le Seigneur, nous approuvons avec bonté vos justes demandes et l’église nommée précédemment de Saint-Junien dans laquelle vous êtes rattachés par obéissance divine pour l’exemple du père et pour le saint souvenir de notre prédécesseur le Pape Eugène, nous l’accueillons sous la protection de saint Pierre et la nôtre et par le privilège du présent édit nous renforçons : établissant que toutes les possessions, tous les biens que cette église possède comme juste titre et selon les lois de l’Église, dans le présent et dans le futur, par concessions de pontifes, par largesse des rois et des princes, par les dons des fidèles ou par d’autres manières justes, le Seigneur garantissant, elle pourra obtenir qu’ils demeurent dans leur intégralité pour vous et vos successeurs : parmi lesquels nous avons estimé que ces points devraient être exprimés par des termes appropriés : l’église Saint-Pierre, et Saint-Amand qui sont dans la ville dans laquelle l’église elle-même est située, [...] ; ce que encore vous avez de droit raisonnable dans l’église des Salles ». 25   Dom BECQUET, La vie canoniale en France, op. cit., p. 97. 26   Chronique de Maleu, op. cit., p. 58-59 : « Hujus domini Praepositi temporibus, et praefato domino Geraldo adhuc Lemovicis praesulante, fuit per dominum Johannem Episcopum Pictavensem, inter Ecclesiam S. Juniani et priorem de Salis, super obedientiâ et super Ecclesiâ de Banas, ordinatum prout in quâdam litterâ continetur, cujus tenor sequitur in haec verba : Johannes, Dei gratiâ, Pictavenis Ecclesiae humilis Sacerdos, Hugonis venerabili Praeposito Ecclesiae S. Juniani, et ejusdem Ecclesiae Capitulo, salutem et karitatem. [...] : indè est, quod paginae praesenti duximus commendandam compositionem illam, quae per manum nostram facta fuit, super controversiâ illâ, quae inter vos et Ecclesiam de Salis vertebatur, pro Ecclesiâ de Banas.. Controversia siquidem illa per nos fuit, amicabili compositione, in hunc modum terminata, quod praefata scilicet Ecclesia de Banas cum omnibus pertinentiis suis in possessionem cedat Canonicorum de Salis, ab ipsis in perpetuum, nomine Ecclesiae vestrae, possidenta : ita ut Ecclesia de Salis annuatim indè reddat Ecclesiae vestrae, in synodo Pentecostes, pensionem XXV solidorum monetae Andegavensis. Quod si Canonici de Salis in pensione ipsâ exsolvendâ, per annum vel eo amplius cessaverint saepè, praedicta Ecclesia de Banas, sine omni reclamatione, in proprietatem cedat Ecclesiae vestrae. » soit « Au temps de ce maître Prévôt, le maître Gérard déjà cité, dirigeant alors le diocèse de Limoges, il fut réglé le sujet de l’obéissance



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porte en réalité sur la soumission du prieur de Saint-Eutrope au prévôt de Saint-Junien et sur l’autorité excercée par la puissante collégiale sur sa remuante filiale27. Le prieur des Salles était, en effet, nommé par le prévôt de la collégiale. La relation entre les deux parties a atteint son point de non retour lorsqu’en 1210, le prieur de SaintEutrope a été poignardé par ses chanoines alors « qu’il se levait pour matines »28. Ces querelles répétées, et le mot semble faible, aboutiront à l’émancipation définitive des Salles-Lavauguyon en 1227 en échange d’une compensation29. et de l’église de Banas par le maître Jean, Évêque de Poitiers entre l’église de Saint-Junien et le prieur des Salles dans une lettre dont la teneur est la suivante : Jean, par la grâce de Dieu, humble Prêtre de l’Église de Poitiers à Hugo vénérable Prévôt de l’Église de SaintJunien et au chapitre de cette église, salut et affection. [...] de là, il est que nous pensons que cet accord doit être confié comme la précédente page, qui a été rédigée de notre main, au sujet de ce litige qui existe entre nous et l’église des Salles à propos de l’église de Banas. Puisque ce conflit a été réglé par nous de cette manière, par un accord amical, à savoir que l’église déjà citée de Banas, bien entendu, avec toutes ses dépendances passe au pouvoir des chanoines des Salles, chaque année, de là, rend à votre église, au synode de la Pentecôte, un loyer de 25 pièces d’or. Que si les chanoines des Salles cessaient souvent, pendant un an ou plus, dans le paiement qu’ils doivent acquitter, l’église de Banas précitée, sans aucune réclamation passerait au pouvoir de votre église ». 27   Chronique de Maleu, op. cit., p. 59 : « De caetero, vestrat noverit discretio, compositione quoque amicabili, per manum nostram, terminatam fuisse controversiam illam, quae inter vos et Aymericum Priorem de Salis, vertebatur super promissione obedientiae, quam tu, frater Hugo Praeposite, dicebas tibi debere fieri ab ipso Priore. Constitutum est siquidem, quod Ecclesiae vestrae Praepositus illâ solâ sit promissione contentus, quam Prior de Salis eidem Praeposito facit in Capitulo S. Juniani, quando idem Prior ab ipso Praeposito in Canonicum ejusdem Ecclesiae vestrae constituitut. In illâ enim promissione, quam tunc ibi facit Praeposito vestro Prior de Salis, non solùm ipsi Praeposito, sed etiam omnibus successoribus ipsius obedientiam repromittit, sicut suprà nominati Aymerici Prioris de Salis ore didicimus. Benè valete. » soit « Du reste, votre disernement aura appris, par cet accord amical aussi, de votre main, que le litige était terminé, litige qui existait entre vous et le Prieur des Salles Aymeri au sujet de la promesse d’obéissance, que toi frère Hugo, Prévôt, tu disais que ce Prieur devait te faire. Il est établi évidemment que le Prévôt de votre église est satisfait de cette seule promesse que le Prieur des Salles a faite à ce même Prévôt au chapitre de SaintJunien, quand ce même Prieur, chanoine de votre église elle-même, a été nommé par votre Prévôt. Par cette promesse, en effet, que le Prieur des Salles a donc faite là à votre Prévôt, c’est non seulement au Prévôt lui-même, mais à tous ses successeurs qu’il promet à nouveau l’obéissance comme précédemment nous l’avons appris de la bouche du prieur des Salles, nommé Aymeri. Portez-vous bien ». 28   BERNARD ITIER, Chronique, traduit et commenté par Jean-Loup Lemaître, Paris, 1998, p. 37 : « Hoc anno, fui a Peitus, ubi audivi quod canonici de Salas priorem suum cum gladiis interemerant, ad matutinos surgentem». 29   Chronique de Maleu, op. cit., p. 66-67 : « Hujus Praepositi temporibus, Ecclesia S. Juniani quittavit jus obedientiae et subjectionis quod habetat supra prioratum de Salis ; quittavit etiam eidem prioratui XXV solidos monetae Andegavensis, quos ille prioratus de Salis, ratione Ecclesiae de Baynas [sic], consueverat Ecclesiae S. Juniani solvere annuatim ; et de hâc quittatione, ut dicitur, ipsi Prior et conventus de Salis habent ab ipso Praesposito quittationis litteram sigillatam. Prior vero et conventus de Salis, in recompensationem praemissorum, Ecclesiae S. Juniani dederunt bordariam dictam Las Normandas, quae hodiè bordaria de Salis nuncupatur ; et quittaverunt eidem Praeposito et Capitulo



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C’est donc durant une période particulièrement conflictuelle que les chanoines de Saint-Eutrope ont engagé de lourds travaux dans leur église en reconstruisant la nef et en la dotant d’un ensemble peint. Le décor a été réalisé entre la construction de la partie occidentale de l’église (1120-1160) et celle du chevet (1200-1230) durant la seconde moitié du XIIe siècle, une période où la rivalité culminait. L’émancipation réclamée à la puissante maison-mère s’inscrit dans un cadre juridique indéniable, mais passe également par le pouvoir respectif des deux communautés qui se mesure non seulement par le patrimoine possédé et par la magnificence de leur église respective mais aussi par l’aire d’influence de chacune. L’activité constructrice des chanoines des Salles-Lavauguyon illustre vraisemblablement leur désir de s’affranchir de la dépendance à Saint-Junien et d’affirmer leur puissance par rapport à elle. Les travaux effectués aux Salles-Lavauguyon, ainsi que ceux engagés dans d’autres filiales de Saint-Junien, entraînèrent une réaction de la collégiale qui para à son tour son édifice d’un vaste ensemble pictural dans les années 118030. Claude Andrault-Schmitt a, la première, fait remarquer que les peintures de l’église s’étaient effectuées dans « un climat d’émulation, voire de surenchère car, dans les années 1160-1170, le chapitre de Saint-Junien commande l’extension du programme architectural de son église, un grand tombeau de pierre sculptée, en forme de reliquaire, et la peinture d’une partie des voûtes »31. Il paraît évident aujourd’hui que l’allongement de la partie orientale de l’église, les remaniements intérieurs et les nouveaux aménagements répondaient à des besoins liturgiques mais Saint-Junien souhaitait, également, réaffirmer une position éminente à l’égard de S. Juniani canoniam et praebendam quam Prior de Salis in ipsâ S. Juniani Ecclesiâ habere consueverat ab antiquo, et de hoc extat littera sigillo illius Prioris sigillatâ, cujus tenor sequitur in haec verba : [...] » soit « À l’époque de ce Prévôt, l’église de Saint-Junien abandonna le droit d’obéissance et de soumission qu’elle avait sur le prieuré des Salles ; elle abandonna aussi à ce même prieuré 25 pièces d’or en monnaie d’Andejave, que le prieuré des Salles avait l’habitude de payer annuellement à l’église de Saint-Junien pour l’église de Banas et au sujet de cet abandon, comme il est dit, le prieur et le collège eux-mêmes possèdent une lettre d’abandon signée par le Prévôt en personne. Le Prieur et le collège des Salles, en compensation des promesses, ont donné à l’église de Saint-Junien la borderie appelée Las Normandas qui aujourd’hui est appelée borderie des Salles et ils ont abandonné à ce Prévôt et au chapitre de Saint-Junien la redevance et le prébende que le Prieur des Salles avait l’habitude d’avoir depuis longtemps dans l’église de Saint-Junien, et à ce sujet, il existe une lettre marquée du sceau de ce Prieur dont la teneur est la suivante : [...] ». 30   Éric SPARHUBERT, Les peintures de la nef de la collégiale de Saint-Junien (Haute-Vienne), op. cit., p. 10. 31   Claude ANDRAULT-SCHMITT, « Compte-rendu sur la peinture murale en Poitou et Limousin », Bulletin monumental, t. 149, 1991, p. 322.



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ses filiales et plus généralement dans le diocèse. Le réaménagement de la collégiale et la reconstruction des bâtiments canoniaux sont une période de démonstration identitaire pour le chapitre qui rappelait ses liens étroits avec le pouvoir épiscopal32. Les chanoines des Salles étaient politiquement isolés dans le diocèse puisqu’ils dépendaient de la collégiale Saint-Junien avec laquelle ils étaient en conflit. Comme nous l’avons déjà souligné, le prieuré des Salles était la seule communauté régulière à ne pas dépendre directement de l’évêque. Or, l’intense lutte d’intérêts qui opposait les chanoines des Salles à ceux de la collégiale se reflète peut-être dans le cycle de la légende d’Étienne. L’hommage rendu au protomartyr au détriment d’Eutrope, le saint patron du prieuré, peut traduire l’allégeance des chanoines des Salles à la cathédrale de Limoges et surtout à l’évêque. Dans une région où l’arbitrage épiscopal était de rigueur, les chanoines cherchaient sans doute à s’attirer le soutien et les faveurs de l’évêque ou du moins à affirmer leur détachement par rapport à Saint-Junien en cherchant à dépendre du siège épiscopal. Peindre le martyre de saint Étienne au revers de la façade est un acte fort destiné à susciter probablement la bienveillance de l’évêque qui pourtant soutenait Saint-Junien. L’emploi de telle ou telle image de saint est loin d’être gratuit : aux Salles-Lavauguyon, il sert un intérêt politique dans un conflit opposant une petite communauté à une puissante collégiale. Cependant, le réseau d’images par certaines thématiques ou par le choix et l’emplacement de certaines d’entre elles invite à aller au-delà de ce premier niveau d’interprétation. L’ensemble des images montre clairement la volonté des chanoines des Salles de se poser comme rivaux du chapitre de Saint-Junien. En se rapprochant du pouvoir épiscopal, ils souhaitaient certainement supplanter ceux de la puissante collégiale, en sachant que cette démarche servait leur revendication émancipatrice. Cette hypothèse est renforcée par le choix du parti architectural de la nef. La référence à celle de la cathédrale marquait non seulement leur déférence à l’égard de l’évêque, mais également la volonté de se poser comme les auxiliaires réformés du pouvoir épiscopal. Le discours des chanoines des Salles aurait pu être renforcé par la possession des reliques d’Étienne, saint patron du diocèse, pour  Le titre de l’article d’Éric SPARHUBERT suggère d’emblée les raisons de l’extension du chevet de la collégiale et des aménagements autour du tombeau de saint Junien : « Un exemple de programme architectural à l’époque des conciles de Latran III et IV : l’allongement du chevet de la collégiale de Saint-Junien (Haute-Vienne) », op. cit., p. 251-258.

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gagner l’attention de l’évêque et affirmer ainsi leur désir d’émancipation. Le parti architectural de la nef et le cycle de saint Étienne participent à la démonstration de puissance des chanoines des Salles pour s’imposer politiquement au sein du diocèse. La conjugaison imagesarchitecture exprime que, de subordonnés, ils veulent devenir les concurrents du chapitre de Saint-Junien. Ainsi, l’ensemble des travaux entrepris entre 1120 et 1180 témoigne de l’ambition politique de la communauté des Salles dans le diocèse. Pour les chanoines de Saint-Eutrope, la constitution d’un patrimoine important et l’accumulation de richesses étaient une condition nécessaire pour obtenir son indépendance. Sans le réduire à cela, le thème du don très présent dans le décor peint n’est peut-être pas dénué d’un intérêt bassement matériel, mais essentiel toutefois en raison du contexte particulier qui entoure le prieuré au XIIe siècle. L’appel au don aussi clairement exposé par les images était sans doute motivé pour partie par une volonté émancipatrice. Il est probable également que l’aire sur laquelle s’exerçait l’influence de la petite communauté ait été assez importante, ce qui expliquerait sa capacité à rivaliser avec Saint-Junien dans la course à la possession de biens. Les revendications des chanoines des Salles-Lavauguyon, si elles sont communes à l’ensemble des communautés canoniales prennent un éclairage supplémentaire à la lumière de la rivalité entretenue avec Saint-Junien. Il semble probable que la communauté des Salles souhaitait évincer celle de Saint-Junien pour prendre sa place auprès de l’évêque ; s’affranchir de la tutelle de la collégiale leur permettait d’accéder aux cercles du pouvoir diocésain. Toutefois, si l’évêque n’a pas cherché, semble-t-il, à freiner activement les ambitions des Salles, ses relations avec Saint-Junien n’ont absolument pas été entachées par la querelle provoquée par sa filiale. Durant la seconde moitié du XIIe siècle, les liens et resserrent entre le chapitre de Saint-Junien et l’évêque. Ce dernier est souvent présent à SaintJunien qui est le cœur de la seigneurie temporelle au sein de laquelle il exerce des droits féodaux depuis le Xe siècle, au moins33. Il y possède un palais épiscopal, situé au sud de la collégiale. Au cours de la seconde  Sur l’histoire de Saint-Junien, voir Jean BECQUET, « Collégiales et sanctuaires de chanoines séculiers en Limousin », op. cit., p. 75-106 et Éric SPARHUBERT, « Une exemple de programme architectural à l’époque des conciles de Latran III et IV : l’allongement de la collégiale de Saint-Junien (Haute Vienne), op. cit., p. 252. 33



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moitié du XIIe siècle, l’évêque entreprend de restructurer son complexe résidentiel et cultuel, parallèlement aux travaux d’embellissement menés par les chanoines dans leur église. Il ne reste aujourd’hui aucun vestige de ce palais mais grâce aux indications fournies par Étienne Maleu, nous savons que sa chapelle était entièrement achevée en 1190 et qu’il comprenait une grande salle qui était le lieu d’exercice du pouvoir judiciaire de l’évêque. La puissante collégiale n’a donc jamais vu sa prééminence ni sa position au sein du diocèse remise en cause. Les préoccupations des chanoines de Saint-Junien ne correspondent pas à celles de la communauté de Saint-Eutrope. Les revendications de cette dernière sont restées sans effet et sans aucun doute vaines. Cependant, afficher ses liens avec l’épiscopat était un message politique destiné à Saint-Junien, signifiant son émancipation virtuelle et son autonomie. Dans les faits, un certain nombre d’éléments comme l’acquisition d’églises montre qu’elle bénéficiait d’une certaine marge de manœuvre. Toutefois, en fonction de la personnalité du prieur qui était nommé par le prévôt de Saint-Junien, les relations au sein du prieuré devaient être tendues. En 1210, le prieur des Salles tentait peut-être de canaliser l’agitation de ses chanoines, ce qui lui a sans doute coûté la vie. Ainsi, le programme monumental des Salles s’inscrit dans une lutte que les chanoines de Saint-Eutrope mènent pour obtenir leur émancipation. Deux interprétations peuvent être envisagées pour tenter de comprendre la réalité médiévale. La communauté des Salles souhaitait se rapprocher de l’évêque, sachant que ce dernier soutenait SaintJunien. À travers l’église et son décor, elle témoigne de liens souhaités l’unissant à l’évêché ou bien de manière plus stratégique, en se réclamant de l’évêque, elle veut marquer son détachement à l’égard de Saint-Junien quitte à afficher des liens qui n’existent pas réellement. Ces liens proclamés sont une manière de se positionner par rapport à la maison-mère. En examinant le contexte de la création, il semble acceptable de penser que les chanoines des Salles ont œuvré seuls et sont les commanditaires exclusifs des embellissements de leur prieuré et de son décor peint. Il est peu probable, en effet, qu’en cette période troublée avec la maison-mère de Saint-Junien, ils aient reçu l’appui des brillants chanoines de la collégiale. En revanche, ils ont peut-être sollicité l’évêque et son entourage. Mais nous pouvons en douter car



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le chapitre cathédral était souvent constitué de chanoines de SaintJunien, acquis à la cause de la collégiale34… L’église de Saint-Eutrope et son ensemble pictural montrent bien que la dimension universelle et la dimension locale et historique de l’Église s’interpénètrent, synthèse d’ailleurs admirable de l’originalité du monde canonial. Les grands thèmes universels qui fondent les axes principaux du réseau d’images marquent la spiritualité et la culture profondes des chanoines des Salles-Lavauguyon. C’est pourquoi ils revendiquent haut et fort leur attachement à l’épiscopat. Ce « lien » avec l’évêque était affirmé par l’utilisation de l’image de certains saints et par l’emplacement qui leur était attribué dans l’édifice. Les chanoines de Saint-Eutrope, plus que n’importe quelle autre communauté, devaient le souligner avec force. Les tensions qui régnaient entre les Salles et Saint-Junien, proche de l’épiscopat, nécessitaient une déférence accrue à l’évêque. De surcroît, l’éloignement géographique du siège épiscopal rendait impérative cette affirmation-identification.

 Les prévôts qui dirigent la collégiale Saint-Junien occupent la première dignité du chapitre cathédral. Plusieurs d’entre eux accèderont à l’épiscopat au XIIIe siècle.

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Conclusion Au terme de cet ouvrage, l’étude du prieuré Saint-Eutrope et de son décor a tenu toutes ses promesses. Formidable cas d’école ou document total, l’église des Salles-Lavauguyon a permis de s’interroger sur le rôle et la fonction de l’image hagiographique dans le culte des saints mais surtout dans la mise en scène du sacré. Le postulat méthodologique de départ se fonde sur les termes d’une iconographie contextuelle qui joue sur les changements d’échelles. L’analyse des œuvres visuelles adoptée ici peut contribuer à ancrer la réflexion dans une perspective anthropologique pour tenter de rendre compte de phénomènes plus généraux et d’approcher les mentalités médiévales. Les cycles des Salles ont révélé la grande créativité des concepteurs d’images dans l’expression de la matière hagiographique. Le spectre d’œuvres répétitives, voire tâtonnantes, faites de formules élémentaires s’est définitivement éloigné. Si des récurrences peuvent être observées dans chaque image de Saint-Eutrope replacée au sein d’une série, les nuances et les variations sont nombreuses. Ici, l’écart fait sens. Le détail confère à l’œuvre sa singularité et son sens particulier : par son geste et la magnifique envolée des manches de sa dalmatique, le Lapidé manifeste une force expressive remarquable, signe à la fois de la charité et du pardon, intrinsèquement liés à son statut de clerc. La grande plasticité des images hagiographiques permet de réactualiser une vita, parfois vieille de plusieurs siècles, grâce à de judicieuses juxtapositions et d’heureuses omissions dans le cycle. Généralement sa construction et sa structure enrichissent considérablement le propos de chacune des images qui le composent. Son concepteur peut se livrer à une interprétation assez libre de la légende d’un saint. Les images servent parfois un propos qui dépasse la stricte narration de la vita ou offrent le prétexte à des démonstrations qui parfois lui sont étrangères. Un autre point est notable : la réflexion des concepteurs sur la mise en images de la narration. Cet aspect indissociable de la structure du cycle témoigne des recherches menées pour transcrire en images des modes narratifs différents et pour rendre la temporalité. Du « por  Jérôme BASCHET a proposé récemment le terme « d’iconographie relationnelle ».





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trait narratif » dénué de toute référence anecdotique à l’image purement narrative, tout est pourtant affaire d’histoire : par exemple, celle des chanoines de Saint-Eutrope qui pour se définir jouent sur le mode narratif des cycles martyriaux. Au sein du réseau d’images, les légendes peintes des saints se teintent d’une coloration nouvelle. Elles s’inscrivent dans des thèmes génériques évoquant le sacrifice, la caritas et la réunion des morts et des vivants au sein de l’Ecclesia. Le local s’inscrit dans l’universel : les « portraits funéraires » des deux prieurs témoignent du rassemblement des défunts et offrent un miroir aux vivants en les implorant de prier pour eux. Les images de l’enfer et de l’exclusion opposées à celle du don qui rassemble fournissent le cadre nécessaire à la démonstration. Par ailleurs, dans d’autres réseaux d’images comme à SaintAignan-sur-Cher, les images hagiographiques s’insèrent dans un discours sur la cura animarum, qui bien que présente aux Salles a d’autres desseins. Le point d’orgue du décor de la crypte de SaintAignan semble être, en effet, un argumentaire militant sur la confession, rite qui soulage les corps et les âmes. Si la circulation des grâces et la Rédemption finale définissent là encore l’Église universelle, les chanoines élaborent leur propos à partir d’une de leurs missions quotidiennes. La communauté canoniale de Saint-Hilaire de Poitiers exprime, quant à elle, à travers le décor peint de son église une vision plus dogmatique de sa mission au sein de l’Église pérégrinante. L’emplacement de l’image et le rapport qu’elle entretient à son lieu sont déterminants non seulement pour sa compréhension mais également pour celle des thèmes génériques du décor. Si à SaintAignan ou à Saint-Hilaire, les images hagiographiques permettent de construire une cartographie du sacré à l’échelle locale – celle de l’aire d’influence revendiquée par les chanoines de Saint-Aignan ou celle du diocèse à Saint-Hilaire –, les cycles des Salles structurent l’espace sacré tout en reflétant la pratique sociale qui consiste à séparer les hommes des femmes dans l’église. Ils font de la nef un véritable reliquaire où chacun des oratoires est conçu comme une station qui rythme le temps liturgique de la communauté. Les images marquent ces temps forts qui couvrent tout le calendrier : les fêtes les plus importantes du temporel et du sanctoral. La disparition de trois cycles hagiographiques ne permet pas aujourd’hui d’analyser la construction symbolique émanant de la répartition des autels dans la nef. Toutefois, on constate que les saintes peintes sur le mur nord sont fêtées durant l’automne et l’hiver alors que les martyrs qui figurent sur le mur sud sont honorés au cours du printemps et de l’été.

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Chaque cycle ornait une chapelle de la nef et surplombait un autel. La succession des oratoires et le déroulement des images hagiographiques renforçaient l’idée de l’intercession pour faire de la nef des Salles le lieu par excellence de la médiation. Seul le cycle de saint Étienne échappe à cette logique. Son emplacement comme son thème l’en distingue notablement. Au-dessus de la porte, le protomartyr, saint patron de l’Église locale, est présenté comme le protecteur de Saint-Eutrope. L’insistance sur sa dépouille mortelle suggère la présence de reliques : hommage à celles de la cathédrale d’où la virtus du saint émane et se diffuse dans tout le diocèse ou bien légitimation de celles possédées par les chanoines des Salles ? S’il est difficile de répondre par l’affirmative, nous penchons toutefois pour la seconde hypothèse. À l’époque où le prieuré se focalise sur le pouvoir diocésain, le « recentrage » épiscopal qu’opèrent les chanoines d’une église en marge n’est pas étonnant. La déférence à l’évêque, les liens affichés avec la cathédrale auraient été renforcés par la présence des reliques du protomartyr. En filigrane se dessinent donc progressivement l’identité et l’ambition de la communauté canoniale des Salles-Lavauguyon. L’église et son décor ont été élaborés comme une véritable construction hagiographique. Le bâtiment et ses images définissent la vie régulière canoniale. L’adoption de formules architecturales modernes et la mise en scène du culte des saints répondaient certes aux nouveaux besoins liturgiques des chanoines après la réforme romaine de 1059, mais elles constituaient surtout un véritable exorde sur le statut et l’identité des chanoines réguliers. La tradition augustinienne et la régularité nécessitaient une définition duelle de la communauté. La latéralisation de l’église renforcée par les images a été utilisée à ces fins : le renoncement, la pauvreté et la contemplation du côté de la clôture, au sud, l’action et les sentiments maternels pour les fidèles du côté du siècle, au nord. La virilité nécessaire pour affronter le désert, l’amour d’une mère pour guider les fidèles : le verbe et l’exemple. Le  Si les communautés religieuses désireuses d’authentifier leurs reliques usaient d’un décor antiquisant, elles recouraient aussi aux vitae antidatées, aux éléments historicistes dans le decorum comme la fabrication de faux sarcophages romains avec des inscriptions « à la romaine ». L’emploi de motifs romains ou l’utilisation de faux visaient à affirmer l’origine du saint et des reliques qu’elles souhaitaient promouvoir. Aux Salles en évoquant l’histoire des reliques d’Étienne à travers son inhumation, on cherchait sans doute à historiciser les restes corporels conservés dans le prieuré ou la cathédrale. 



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sacerdoce, apanage des clercs et donc des chanoines, est largement mis en valeur par les dalmatiques des saints Étienne et Laurent et la tenue blanche des prieurs. Ainsi, la communauté des Salles affirmait son identité et sa spécificité par rapport à un monde religieux composite. Elle se positionnait non seulement par rapport aux moines, étant investie du sacerdoce depuis les origines, mais surtout par rapport aux chanoines séculiers. Elle conjuguait donc l’activité pastorale et les rigueurs de la vie communautaire dans le renoncement. Ainsi, le prieuré véhiculait l’image de l’excellence de la vie canoniale régulière. Le manifeste identitaire des chanoines prend une résonnance particulière dans la rivalité qui les oppose à leur maison-mère, SaintJunien, et leur désir d’émancipation. Le prieuré des Salles était la seule communauté régulière du diocèse à ne pas dépendre de l’évêque, mais d’une collégiale séculière. Vanter la pureté absolue de la vie canoniale régulière visait à les distinguer fermement de la tutelle qu’ils rejetaient. Les chanoines de Saint-Eutrope – agents de la réforme canoniale – marquaient aussi leur attachement au pouvoir épiscopal qui en était le promoteur. Ils cherchaient, en effet, à se rapprocher de l’évêque dans l’espoir, demeuré vain d’ailleurs, de se soustraire à l’autorité de Saint-Junien. Leur mise en scène dans l’espace de l’église complétait ce discours en images. Le chœur canonial occupait la quatrième et vraisemblablement la troisième travée de la nef, le reste étant dévolu aux laïcs. Les portraits des deux prieurs soit offraient une sorte de fond visuel derrière la table sacrificielle installée dans la quatrième travée soit encadraient l’entrée d’une petite structure correspondant à un chevet provisoire. Les images marquaient, quelle que soit la disposition du mobilier liturgique, la permanence du service de l’autel et de la parole, autrement dit le statut de prieuré-cure. La cura animarum est présentée comme indissociable de la fonction canoniale : la dalmatique en est l’emblème. La pompe de l’économie canoniale semble structurellement dépendante de dons : l’appel à la générosité de bienfaiteurs ou de simples laïcs est sans ambiguïté dans le réseau d’images. Les chanoines qui vivent dans le renoncement rappellent qu’ils sont les pauvres du Christ, « les trésors de l’Église », mais également qu’ils dispensent la caritas, corollaire indispensable de l’amour qu’ils vouent à leur pro-



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chain. D’autre part, ils assurent la prise en charge funéraire de la communauté au sens large, autrement dit la construction et la conservation de la mémoire liturgique qui rend hommage aux donateurs. Les portraits des prieurs conjugués à la vision infernale, au cortège de donateurs et aux cycles martyriaux évoquent la pastorale funéraire qui leur est confiée. Comme le service des morts est avant tout eucharistique, l’effigie de Boson qui supplie de « prier pour lui » est directement liée à l’autel. De surcroît, les images hagiographiques qui se déroulent sur les murs de la nef matérialisent peut-être les litanies qui égrènent le nom des saints. Cette remémoration qui est associée à la messe des morts garantit non seulement la conservation de la mémoire des saints, mais également leur intercession. Source de revenus, la construction de cette mémoire particulière aux Salles définit surtout l’identité du lieu. La cura animarum et le service de l’autel constituaient certainement l’apport pécuniaire majeur de la communauté. L’activité et la vitalité des chanoines des Salles sont incontestables au XIIe siècle, période au cours de laquelle le petit prieuré s’est considérablement enrichi. Il s’est imposé dans le tissu ecclésiastique local par la possession d’autels et d’églises et a étendu sa zone d’influence. L’ambition des chanoines des Salles était sans doute à la mesure de l’autorité qu’ils exerçaient sur cette aire géographique. S’il est difficile de cerner précisément l’influence jouée par la communauté de Saint-Eutrope auprès des laïcs, il est toutefois permis d’en apprécier l’importance. L’accumulation des richesses issues des dons et de la cura animarum a certainement justifié le désir d’émancipation autant qu’elle l’a nourri. L’entreprise de reconstruction du prieuré et l’importance du chantier ont achevé de le légitimer. Les remaniements, l’embellissement de l’église des Salles s’inscrivent donc dans un climat de surenchère décorative. Le monument servait également le prestige de la communauté religieuse et lui permettait d’asseoir l’influence qu’elle entendait avoir sur son entourage immédiat et plus lointain. Il semble évident que les recherches des chanoines ont porté sur la modernisation de leur église et sur la manière dont elle allait les auto-représenter. Le programme architectural comme le langage formel visaient à montrer leur appartenance au cercle le plus cultivé du pouvoir épiscopal. Outre la perfection de la vie régulière, les chanoines des Salles   La caritas est symbolisée entre autres par Étienne implorant le pardon pour les pécheurs et par le cycle de Laurent.



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voulaient aussi être considérés comme l’élite ecclésiastique locale. Ils incarnaient la réforme et revendiquaient une position de choix dans le diocèse comme auxiliaires privilégiés de l’évêque. C’est pourquoi l’architecture comme le décor étaient utilisés comme des marqueurs visuels forts de leur agrégation dans le milieu sophistiqué de l’épiscopat de Limoges. Le monument et ses peintures incarnent magnifiquement le programme politique et spirituel des chanoines des Salles. Les images hagiographiques témoignent de l’ancrage de la communauté des Salles dans le diocèse, révélateur de la mission dont elle s’est investie dans l’Église locale. Dans les collégiales, comme à SaintHilaire de Poitiers, ou à Saint-Aignan-sur-Cher, le décor peint exprime la même orientation : il manifeste la volonté de ses commanditaires d’affirmer leur rôle dans l’évêché et sur une aire d’influence plus circonscrite. Cette ambition a sans doute conduit les chanoines de Saint-Eutrope à insister sur le saint patron de la cathédrale au détriment du saint fondateur du diocèse voisin de Saintes. Ainsi, les images hagiographiques et le décor peint apparaissent comme un commentaire « en images » de la mission des chanoines dans l’Ecclesia. Leurs droits, leurs prérogatives y sont clairement affichés. Toutefois, l’exposé des ambitions n’est parfois qu’une marque vélléitaire dont on ne trouve pas écho dans la réalité. Les espoirs de la communauté des Salles auprès de l’évêque sont sans aucun doute restés vains. Le pouvoir diocésain n’a, en effet, jamais remis en cause la prééminence des chanoines de Saint-Junien qui ont continué à assurer leur rôle de seconds au sein de l’Église locale. Pourtant, engagé dans la promotion de la réforme, l’évêque de Limoges a manifestement considéré avec une certaine bienveillance les turbulents chanoines de Saint-Eutrope. La confirmation de leurs possessions en semble la preuve évidente. Ainsi, une image hagiographique ou plusieurs d’entre elles ou bien leur inclusion au sein du réseau d’images permettent à une communauté de se définir. Comme les communautés religieuses ne se pensent jamais seules, le décor, les images des saints et l’architecture impriment l’appartenance à leur famille spirituelle restreinte ou élargie. La clôture n’isole pas les réguliers, notamment les chanoines :   La localisation de certains édifices à la marge de leur diocèse conduit les communautés à insister sur leur ancrage au sein de ce dernier : la présence de saint Étienne au revers de la façade des Salles procède de cette intention. Parfois, le statut particulier des édifices de marge se lit dans le choix des saints figurés : un saint du diocèse voisin, dont le culte est circonscrit à une région donnée, est agrégé aux saints locaux.



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aux Salles, ils nouent un ensemble de relations réciproques avec les laïcs, les chanoines de Saint-Junien et l’épiscopat. En raison de ces échanges, les œuvres visuelles traduisent souvent la position revendiquée par les communautés au sein d’un monde religieux pluriel, de l’Église locale et universelle. Le réseau d’images peut livrer l’image que la communauté donne d’elle-même, de sa mission mais aussi de sa place au sein de l’Église locale et universelle. Le décor peint des Salles montre bien que les dimensions universelle, locale et historique de l’Église s’interpénètrent, résumé parfait de l’expérience canoniale. Les images peintes des Salles-Lavauguyon nous donnent à voir la spiritualité et la culture profonde des chanoines commanditaires dont l’identité s’est constituée en « miroir » de l’évêque. Ainsi, grâce à l’église et son décor, nous est-il permis de restituer à l’histoire la vie d’une petite communauté canoniale et de lui donner corps.



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Table des documents iconographiques et des crédits Table des planches Pl. 1 : Les Salles-Lavauguyon, église Saint-Eutrope, revers de façade, fresques, vue d’ensemble. Pl. 2 : Les Salles-Lavauguyon, église Saint-Eutrope, nef, revers de la façade, registre inférieur : la lapidation de saint Étienne. Pl. 3: Les Salles-Lavauguyon, église Saint-Eutrope, nef, revers de la façade, registre inférieur : Saül gardant les manteaux des bourreaux. Pl. 4 : Les Salles-Lavauguyon, église Saint-Eutrope, nef, revers de la façade, registre inférieur : saint Étienne en odeur de sainteté. Pl. 5 : Les Salles-Lavauguyon, église Saint-Eutrope, nef, revers de la façade, registre inférieur : l’inhumation de saint Étienne. Pl. 6 : Les Salles-Lavauguyon, église Saint-Eutrope, nef, première travée, mur sud, registre inférieur, scène n°1 du cycle de Laurent : l’arrestation de saint Laurent. Pl. 7 : Nogaro, Gers, église Saint-Nicolas, chevet, absidiole nord, peinture, registre inférieure, fin du XIe siècle : l’arrestation de saint Laurent.  Pl. 8 : Les Salles-Lavauguyon, église Saint-Eutrope, nef, première travée, mur sud, registre inférieur, scène n°2 du cycle de Laurent : la présentation des trésors de l’Église à Dèce  Pl. 9 : Nogaro, Gers, église Saint-Nicolas, chevet, absidiole nord, peinture, registre supérieur, fin du XIe siècle : la présentation des trésors de l’Église à Dèce. Pl. 10 : Panjas, Gers, église Notre-Dame, chevet, abside, peinture, registre inférieur, repeintes au XIXe siècle : la présentation des trésors de l’Église à Dèce. Pl. 11 : Les Salles-Lavauguyon, église Saint-Eutrope, nef, première travée, mur ouest, registre inférieur, scène n°3 du cycle de Laurent : le martyre de saint Laurent. Pl. 12 : Les Salles-Lavauguyon, église Saint-Eutrope, nef, quatrième travée, mur sud, registre inférieur, scène n°1 du cycle de Christophe : la reine chuchotant à l’oreille du roi Dagnus (détail). Pl. 13 : Les Salles-Lavauguyon, église Saint-Eutrope, nef, quatrième travée, mur sud, registre inférieur, scène n°1 du cycle de Christophe : les courtisans regardant Christophe. Pl. 14 : Les Salles-Lavauguyon, église Saint-Eutrope, nef, quatrième travée, mur sud, registre inférieur, scène n°1 du cycle de Christophe : l’arrivée de Christophe devant le palais du roi Dagnus.



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Pl. 15 : Les Salles-Lavauguyon, église Saint-Eutrope, nef, quatrième travée, mur sud, registre inférieur, scène n°2 du cycle de Christophe : les courtisanes converties condamnées par Dagnus ; Dagnus donnant l’ordre d’exécuter le saint à un archer. Pl. 16 : Les Salles-Lavauguyon, église Saint-Eutrope, nef, quatrième travée, mur sud, registre inférieur, scène n°3 du cycle de Christophe : le martyre de Christophe. Pl. 17 : Couddes, Loir-et-Cher, église, nef, mur nord, peintures, fin du XIIe siècle : Christophe devant Dagnus. (cl. Claudine Landry) Pl. 18 : Les Salles-Lavauguyon, église Saint-Eutrope, nef, première travée, mur occidental, registre inférieur, scène n°1 du cycle de Valérie : la condamnation de la sainte ?  Pl. 19 : Les Salles-Lavauguyon, église Saint-Eutrope, nef, première travée, mur nord, registre inférieur, scène n°2 du cycle de Valérie: la décapitation de la sainte.  Pl. 20 : Les Salles-Lavauguyon, église Saint-Eutrope, nef, première travée, mur nord, registre inférieur, scène n°3 du cycle de Valérie : l’aboutissement du miracle de céphalophorie.  Pl. 21 : Ébreuil, Allier, ancienne abbatiale Saint-Léger, tribune occidentale, mur ouest, peinture, premières décennies du XIIe siècle, cycle de Valérie : la conversion de la sainte. (cl. CESCM) Pl. 22 : Ébreuil, Allier, ancienne abbatiale Saint-Léger, tribune occidentale, mur ouest, peinture, premières décennies du XIIe siècle, cycle de Valérie : la décapitation de la sainte. (cl. CESCM) Pl. 23 : Ébreuil, Allier, ancienne abbatiale Saint-Léger, tribune occidentale, mur ouest, peinture, premières décennies du XIIe siècle, cycle de Valérie : le bourreau remettant à Tève l’épée ayant donné la mort à la sainte. (cl. CESCM). Pl. 24 : Ébreuil, Allier, ancienne abbatiale Saint-Léger, tribune occidentale, mur ouest, peinture, premières décennies du XIIe siècle, cycle de Valérie : l’aboutissement du miracle de céphalophorie. (cl. CESCM) Pl. 25 : Les Salles-Lavauguyon, église Saint-Eutrope, nef, seconde travée, mur nord, registre inférieur, scène n°1 du cycle d’Agathe : la sainte torturée. Pl. 26 : Les Salles-Lavauguyon, église Saint-Eutrope, nef, seconde travée, mur nord, registre inférieur, scène n°2 du cycle d’Agathe : saint Pierre apparaissant à sainte Agathe dans sa cellule. Pl. 27 : Les Salles-Lavauguyon, église Saint-Eutrope, nef, quatrième travée, mur nord, registre inférieur, scène n°1 du cycle de la sainte non identifiée : la sainte comparaissant devant son juge.  Pl. 28 : Poitiers, Bibl. mun., ms. 250, f°22v°. Sainte Radegonde mariée sous la contrainte. (cl. CESCM) Pl. 29 : Les Salles-Lavauguyon, église Saint-Eutrope, nef, quatrième travée, mur nord, registre inférieur, scène n°2 du cycle de la sainte non identifiée.



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Détail de la scène très dégradée : une femme (l’impératrice ?) en prière devant le bourreau ? Pl. 30 : Ébreuil, Allier, ancienne abbatiale Saint-Léger, tribune occidentale, mur ouest, peinture, premières décennies du XIIe siècle : le martyre de saint Pancrace. (cl. CESCM) Pl. 31 : Les Salles-Lavauguyon, église Saint-Eutrope, nef, première travée, mur nord, registre supérieur : un prophète trônant. Pl. 32 : Poitiers, Vienne, collégiale Saint-Hilaire-le-Grand, chevet, absidiole nord, peinture, vers 1080, mur ouest, registre supérieur : le partage du manteau de Martin. (cl. CESCM) Pl. 33 : Poitiers, Vienne, collégiale Saint-Hilaire-le-Grand, chevet, absidiole nord, peinture, vers 1080, mur est, registre supérieur : la vision de saint Martin. (cl. CESCM) Pl. 34 : Poitiers, Vienne, collégiale Saint-Hilaire-le-Grand, chevet, absidiole nord-est, peinture, vers 1080, mur est, registre supérieur : le repas de saint Philibert (le jeûne rompu). Pl. 35 : Poitiers, Vienne, collégiale Saint-Hilaire-le-Grand, chevet, absidiole nord-est, peinture, vers 1080, mur est, registre inférieur : le diable se moquant de Philibert. (cl. CESCM) Pl. 36 : Poitiers, Vienne, collégiale Saint-Hilaire-le-Grand, chevet, absidiole nord-est, peinture, vers 1080, mur ouest, registre inférieur : Philibert chassant le diable de l’église. (cl. CESCM) Pl. 37 : Poitiers, Vienne, collégiale Saint-Hilaire-le-Grand, chevet, absidiole nord-est, peinture, vers 1080, mur ouest, registre supérieur : scène non identifiée de la légende de Philibert. (cl. CESCM) Pl. 38 : Poitiers, Vienne, collégiale Saint-Hilaire-le-Grand, chevet, absidiole sud-est, peinture, vers 1080, mur nord, registre supérieur : saint Quentin comparaissant devant Rictiovar. (cl. CESCM) Pl. 39 : Poitiers, Vienne, collégiale Saint-Hilaire-le-Grand, chevet, absidiole sud-est, peinture, vers 1080, mur nord, registre inférieur : saint Quentin délivré par l’ange en prison. (cl. CESCM) Pl. 40 : Poitiers, Vienne, collégiale Saint-Hilaire-le-Grand, chevet, absidiole sud-est, peinture, vers 1080, mur sud, registre inférieur : saint Quentin convertissant une foule de païens. (cl. CESCM) Pl. 41 : Poitiers, Vienne, collégiale Saint-Hilaire-le-Grand, chevet, absidiole sud-est, peinture, vers 1080, mur sud, registre inférieur : le martyre de saint Quentin. (cl. CESCM) Pl. 42 : Rome, église Sainte-Marie Antique, chapelle Saint-Cyr-et-sainte Julitte, peintures, VIIIe siècle. Cycle martyrial de Cyr et Julitte. (cl. Professeur Valentino Pace) Pl. 43 : Rome, église Sainte-Marie Antique, chapelle Saint-Cyr-et-sainte Julitte, peintures, VIIIe siècle. Cycle martyrial de Cyr et Julitte : sainte Julitte et saint Cyr étendus sur une plaque en métal chauffée. (cl. Professeur Valentino Pace)



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Pl. 44 : Rome, église Sainte-Marie Antique, chapelle Saint-Cyr-et-sainte Julitte, peintures, VIIIe siècle. Cycle martyrial de Cyr et Julitte : le martyre de saint Cyr. (cl. Professeur Valentino Pace) Pl. 45 : Rome, église Sainte-Marie in Via Lata, peintures, VIIIe siècle. Cycle de la vie de saint Erasme : saint érasme fouetté. (cl. Professeur Valentino Pace) Pl. 46 : Saint-Savin-sur-Gartempe, Vienne, abbatiale Saint-Savin, crypte, salle occidentale, peinture, dernières années du XIe siècle : cycle martyrial des saints Savin et Cyprien. (cl. CESCM) Pl. 47 : Saint-Savin-sur-Gartempe, Vienne, abbatiale Saint-Savin, crypte, salle occidentale, mur nord, peinture, dernières années du XIe siècle, registre supérieur : condamnation des saints Savin et Cyprien par Ladicius et le supplice des ongles de fer. (cl. CESCM) Pl. 48 : Nogaro, Gers, église Saint-Nicolas, chevet, absidiole nord, peinture, fin du XIe siècle : cycle de saint Laurent. Pl. 49 : Nogaro, Gers, église Saint-Nicolas, chevet, absidiole nord, peinture, fin du XIe siècle, registre inférieur : saint Laurent rendant la vue à un aveugle en prison. Pl. 50 : Nogaro, Gers, église Saint-Nicolas, chevet, absidiole nord, peinture, fin du XIe siècle, registre inférieur : saint Laurent baptisant en prison. Pl. 51 : Nogaro, Gers, église Saint-Nicolas, chevet, absidiole nord, peinture, fin du XIe siècle, registre inférieur : scène non identifiée de la légende de saint Laurent. Pl. 52 : Nogaro, Gers, église Saint-Nicolas, chevet, absidiole nord, peinture, fin du XIe siècle, registre supérieur : Dèce à qui Laurent présente les trésors de l’Église. Pl. 53 : Nogaro, Gers, église Saint-Nicolas, chevet, absidiole nord, peinture, fin du XIe siècle, registre supérieur : la flagellation de saint Laurent. Pl. 54 : Panjas, Gers, église Notre-Dame, chevet, abside, peinture romane repeinte au XIXe siècle, registre inférieur : la flagellation de saint Laurent. Pl. 55 : Panjas, Gers, église Notre-Dame, chevet, abside, peinture romane repeinte au XIXe siècle, registre inférieur : le martyre de saint Laurent. Pl. 56 : Nogaro, Gers, église Saint-Nicolas, chevet, absidiole nord, peinture, fin du XIe siècle, registre supérieur : saint Laurent baptisant. Pl. 57 : Nogaro, Gers, église Saint-Nicolas, chevet, absidiole nord, peinture, fin du XIe siècle, registre supérieur : l’ultime arrestation de saint Laurent. Pl. 58 : Poitiers, Bibl. Mun., ms. 250, f°24r°. Le repas de noces de Radegonde s’opposant à la sainte en prière devant un autel ; la sainte prosternée pendant le sommeil du roi. (cl. CESCM) Pl. 59 : Montmorillon, Vienne, église Notre-Dame, crypte Sainte-Catherine, abside, peintures, fin du XIIe siècle : vue d’ensemble. Pl. 60 : Montmorillon, Vienne, église Notre-Dame, crypte Sainte-Catherine, abside, peinture, fin du XIIe siècle : la dispute de sainte Catherine avec les docteurs païens.



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Pl. 61 : Montmorillon, Vienne, église Notre-Dame, crypte Sainte-Catherine, abside, peinture, fin du XIIe siècle : le martyre des docteurs d’Alexandrie convertis par Catherine. Pl. 62 : Montmorillon, Vienne, église Notre-Dame, crypte Sainte-Catherine, cul de four, peinture, fin du XIIe siècle : la Vierge à l’Enfant et le chœur des vierges. Pl. 63 : Saint-Junien, Haute-Vienne, collégiale Saint-Junien, bras nord du transept, peinture, fin du XIIe siècle : saint Christophe. (cl. Éric Sparhubert). Pl. 64 : Les Salles-Lavauguyon, église Saint-Eutrope, nef, première travée, mur nord, registre supérieur, personnage trônant. Pl. 65 : Les Salles-Lavauguyon, église Saint-Eutrope, nef, première travée, mur sud, registre supérieur, phylactère portant l’inscription : ECCE QUID EGO VIDEO QUATOR. Pl. 66 : Les Salles-Lavauguyon, église Saint-Eutrope, nef, première travée, mur sud, registre supérieur, phylactère portant l’inscription : IA. NOVA PROGENIES CE... DE.... Pl. 67 : Les Salles-Lavauguyon, église Saint-Eutrope, nef, quatrième travée, mur sud, registre supérieur, Aaron en pied. Pl. 68 : Les Salles-Lavauguyon, église Saint-Eutrope, nef, quatrième travée, mur est, côté sud : effigie du prieur Boson. Pl. 69 : Les Salles-Lavauguyon, église Saint-Eutrope, nef, quatrième travée, mur est, côté nord : effigie du prieur Bernard. Pl. 70 : Les Salles-Lavauguyon, église Saint-Eutrope, nef, revers de façade, registre supérieur, côté nord : création d’Adam et Ève. Pl. 71 : Les Salles-Lavauguyon, église Saint-Eutrope, nef, revers de façade, registre supérieur, côté nord : création d’Adam. Pl. 72 : Les Salles-Lavauguyon, église Saint-Eutrope, nef, revers de façade, registre supérieur, côté nord : création d’Ève. Pl. 73 : Les Salles-Lavauguyon, église Saint-Eutrope, nef, première travée, écoinçon de l’arcade nord : la Tentation. Pl. 74 : Les Salles-Lavauguyon, église Saint-Eutrope, nef, revers de façade, registre supérieur, côté sud : Annonciation. Pl. 75 : Les Salles-Lavauguyon, église Saint-Eutrope, nef, revers de façade, second registre, côté nord : la Nativité. Pl. 76 : Les Salles-Lavauguyon, église Saint-Eutrope, nef, revers de façade, second registre, au centre : l’Annonce aux bergers. Pl. 77 : Les Salles-Lavauguyon, église Saint-Eutrope, nef, revers de façade, second registre, côté sud : l’Adoration des Mages. Pl. 78 : Les Salles-Lavauguyon, église Saint-Eutrope, nef, première travée, écoinçon de l’arcade sud : le massacre des Innocents ? Pl. 79 : Les Salles-Lavauguyon, église Saint-Eutrope, nef, revers de façade, troisième registre, côté nord, scène des Enfers : la grande prostituée de Babylone sur son trône et le Cornu Noir dévorant un damné.



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Pl. 80 : Les Salles-Lavauguyon, église Saint-Eutrope, nef, revers de façade, troisième registre, côté nord, scène des Enfers : les damnés. Pl. 81 : Les Salles-Lavauguyon, église Saint-Eutrope, nef, revers de façade, troisième registre, côté sud, scène s’opposant à celle des Enfers : vue d’ensemble. Pl. 82 : Les Salles-Lavauguyon, église Saint-Eutrope, nef, revers de façade, troisième registre, revers de façade, côté sud, scène s’opposant à celle des Enfers : le cortège des donateurs. Pl. 83 : Poitiers, Vienne, collégiale Saint-Hilaire-le-Grand, chevet, rond-point de colonnes, peintures, vers 1080 : vue sud-est. (cl. CESCM) Pl. 84 : Poitiers, Vienne, collégiale Saint-Hilaire-le-Grand, nef, pile sud-est, peinture, vers 1080, figure d’un évêque de Poitiers. Pl. 85 : Saint-Aignan-sur-Cher, Cher, collégiale Saint-Aignan, crypte, chapelle méridionale, peintures, fin du XIIe siècle. Registre supérieur : trois miracles de saint Gilles (charité de saint Gilles, saint Gilles guérissant un homme mordu par un serpent, saint Gilles apaisant une tempête pour venir en aide à des marins). Pl. 86 : Saint-Aignan-sur-Cher, Cher, collégiale Saint-Aignan, crypte, chapelle méridionale, peintures, fin du XIIe siècle. Registre supérieur : saint Césaire ordonnant prêtre saint Gilles. Pl. 87 : Paris, Musée des monuments français, relevé de 1937 des peintures de la chapelle méridionale de la crypte de la collégiale Saint-Aignan à SaintAignan-sur-Cher (Cher): saint Césaire ordonnant prêtre saint Gilles. (cl. Marcel Girault, tous droits réservés) Pl. 88 : Poitiers, Bibl. Mun., ms. 250, f°27v°. L’ordination de sainte Radegonde. (cl. CESCM) Pl. 89 : Saint-Aignan-sur-Cher, Cher, collégiale Saint-Aignan, crypte, chapelle méridionale, peintures, fin du XIIe siècle. Registre inférieur : deux cavaliers (la chasse de la biche de saint Gilles ?). Pl. 90 : Paris, Musée des monuments français, relevé de 1937 des peintures de la chapelle méridionale de la crypte de la collégiale Saint-Aignan à SaintAignan-sur-Cher (Cher): deux cavaliers (la chasse de la biche de saint Gilles ?). (cl. Marcel Girault, tous droits réservés) Pl. 91 : Saint-Aignan-sur-Cher, Cher, collégiale Saint-Aignan, crypte, chapelle méridionale, peintures, fin du XIIe siècle. Registre inférieur : scène très dégradée dans la forêt (saint Gilles blessé ?). Pl. 92 : Saint-Aignan-sur-Cher, Cher, collégiale Saint-Aignan, crypte, chapelle méridionale, peintures, fin du XIIe siècle. Registre inférieur : la messe de saint Gilles. Pl. 93 : Paris, Musée des monuments français, relevé de 1937 des peintures de la chapelle méridionale de la crypte de la collégiale Saint-Aignan à SaintAignan-sur-Cher (Cher) : la messe de saint Gilles. (cl. Marcel Girault, tous droits réservés)



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Pl. 94 : Saint-Aignan-sur-Cher, Cher, collégiale Saint-Aignan, crypte, chapelle centrale, cul-de-four, peintures, fin du XIIe siècle. Le Christ en Majesté entouré des saints Pierre et Jacques. Pl. 95 : Saint-Aignan-sur-Cher, Cher, collégiale Saint-Aignan, crypte, chapelle centrale, cul-de-four, peintures, fin du XIIe siècle. Détail de la main d’un homme invalide et de l’homme aux fers figurés à la droite du Christ. Pl. 96 : Saint-Aignan-sur-Cher, Cher, collégiale Saint-Aignan, crypte, chapelle axiale, peintures, fin du XIIe siècle. La résurrection de Lazare. Pl. 97 : Saint-Savin-sur-Gartempe, Vienne, abbatiale Saint-Savin , crypte, abside, voûte, peinture, dernières années du XIe siècle : le Christ en Majesté. (cl. CESCM) Pl. 98 : Saint-Savin-sur-Gartempe, Vienne, abbatiale Saint-Savin , crypte, abside, peinture, dernières années du XIe siècle : deux saints. (cl. CESCM). Pl. 99 : Saint-Aignan-sur-Cher, Cher, collégiale Saint-Aignan, crypte, chapelle méridionale, peintures, fin du XIIe siècle, registre supérieur : la charité de saint Gilles. Pl. 100 : Saint-Aignan-sur-Cher, Cher, collégiale Saint-Aignan, crypte, chapelle méridionale, peintures, fin du XIIe siècle, registre supérieur : saint Gilles guérissant un homme mordu par un serpent. Pl. 101 : Les Salles-Lavauguyon, église Saint-Eutrope, nef, revers de façade, quatrième registre, cycle de saint Étienne, la lapidation : un bourreau.



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Table des figures Fig. 1 : Identification et emplacement des images sur le revers de la façade de Saint-Eutrope des Salles-Lavauguyon. Fig. 2 : Identification et emplacement des images de la nef de Saint-Eutrope des Salles-Lavauguyon. Fig. 3 : Auxerre, Yonne, abbaye Saint-Germain d’Auxerre, crypte, peintures, IXe siècle, cycle de saint Étienne : la lapidation d’Étienne. Fig. 4 : Paris, BNF, ms. lat. 9428, Sacramentaire de Drogon, f°27r°. La lapidation de saint Étienne. Fig. 5 : Göttingen, Universitätsbibliothek, cod. theol. 231, f°14v°. La lapidation de saint Étienne. Fig. 6 : Saint-Benoît-sur-Loire, Loiret, abbatiale Saint-Benoît-Sainte-Marie, tour porche, face nord, bas-relief sculpté, début du XIe siècle. La lapidation de saint Étienne. (cl. CESCM) Fig. 7 : Paris, BNF, ms. lat. 9438, f°20v°. La lapidation de saint Étienne. Fig. 8 : Tauriac, Gironde, église Saint-Étienne, nef, chapiteau, début du XIIe siècle. La lapidation de saint Étienne. Fig. 9 : Vaux-sur-Mer, Charente-Maritime, église Saint-Étienne, carré du transept, pile sud-est, face nord, chapiteau, XIIe siècle. La lapidation de saint Étienne. (cl. CESCM) Fig. 10 : Cahors, Lot, cathédrale Saint-Étienne, portail nord, tympan, premières décennies du XIIe siècle. La lapidation de saint Étienne ; la lapidation. Fig. 11 : Cahors, Lot, cathédrale Saint-Étienne, portail nord, tympan, premières décennies du XIIe siècle. La lapidation de saint Étienne ; la vision. Fig. 12: Châsse dite de Gimel, datée des années 1170-1175, conservée dans le trésor de l’église paroissiale Saint-Pardoux de Gimel-les-Cascades (Corrèze) : la lapidation de saint Étienne. Fig. 13 : Arles, Bouches-du-Rhône, cathédrale Saint-Trophime, portail occidental, haut-relief, dernière décennie du XIIe siècle. La lapidation de saint Étienne. (cl. Pascale Brudy) Fig. 14 : Autun, Saône-et-Loire, cathédrale Saint-Lazare, nef, côté sud, 5e pilier, chapiteau, 1120-1130. La lapidation de saint Étienne. Fig. 15 : Valcabrère, Haute-Garonne, église Saint-Just, portail nord, jambage gauche, chapiteau, fin du XIIe siècle. La lapidation de saint Étienne. Fig. 16 : Troyes, Bibl. Mun., ms. 2273, f°73v°. L’inhumation de saint Maur. Fig. 17 : Vatican, Bibl. Apostolica, lat. ms. 1202, f°80 r°. L’inhumation de saint Benoît. Fig. 18 : Londres, BL, Yates Thompson, ms. 26, f°77r°. La découverte du corps incorruptible de saint Cuthbert. Fig. 19 : Échillais, Charente-Maritime, église Notre-Dame, portail occidental, voussure médiane, vers 1120-1150 : l’inhumation d’Étienne (le tombeau).



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Fig. 20 : Échillais, Charente-Maritime, église Notre-Dame, portail occidental, voussure médiane, vers 1120-1150 : l’inhumation d’Étienne (ange thuriféraire).   Fig. 21 : Échillais, Charente-Maritime, église Notre-Dame, portail occidental, voussure médiane, vers 1120-1150 : la lapidation de saint Étienne. Fig. 22 : Moissac, Tarn-et-Garonne, abbaye Saint-Pierre, cloître, galerie sud, chapiteau, vers 1100. Face sud : la translation des reliques de saint Étienne. Fig. 23 : Moissac, Tarn-et-Garonne, abbaye Saint-Pierre, cloître, galerie sud, chapiteau, vers 1100. Face est : Étienne discourant devant le Sanhédrin. Fig. 24: Moissac, Tarn-et-Garonne, abbaye Saint-Pierre, cloître, galerie sud, chapiteau, vers 1100. Face nord : Étienne chassé de la ville. Fig. 25 : Moissac, Tarn-et-Garonne, abbaye Saint-Pierre, cloître, galerie sud, chapiteau, vers 1100. Face ouest : la lapidation. Fig. 26 : Lubersac, Corrèze, église Saint-Étienne, chevet, extérieur, chapiteau n°1, face principale, vers 1120-1140 : la lapidation de saint Étienne.  Fig. 27 : Lubersac, Corrèze, église Saint-Étienne, chevet, extérieur, chapiteau n°1, petit côté nord, vers 1120-1140 : saint Étienne en odeur de sainteté. Fig. 28 : Lubersac, Corrèze, église Saint-Étienne, chevet, extérieur, chapiteau n°2, vers 1120-1140 : l’invention des reliques de saint Étienne ; détail : l’homme ouvrant le sarcophage. Fig. 29 : Lubersac, Corrèze, église Saint-Étienne, chevet, extérieur, chapiteau n°2, vers 1120-1140 : l’invention des reliques de saint Étienne ; détail : personnages assistant à la découverte du corps. Fig. 30 : Lubersac, Corrèze, église Saint-Étienne, chevet, extérieur, chapiteau n°2, vers 1120-1140 : la translation des reliques de saint Étienne. Fig. 31 : Lubersac, Corrèze, église Saint-Étienne, chevet, extérieur, chapiteau n°2, vers 1120-1140 : la translation des reliques de saint Étienne ; détail : l’évêque fermant le cortège. Fig. 32 : Rome, Museo sacro, médaille romaine en plomb datée du premier quart du Ve siècle : le martyre de saint Laurent. Fig. 33 : Paris, BNF, ms. lat. 9428, Sacramentaire de Drogon, f°89 r°. Le martyre de Laurent. Fig. 34 : Utrecht, Rijksuniversiteit, ms. 32, aevum medium scriptores ecclesiast, n°484, f°19. Le martyre de saint Laurent. Fig. 35 : Göttingen, Universitätsbibliothek, cod. theol. 231, f°98r°. Le martyre de saint Laurent. Fig. 36 : Lucca, Biblioteca governativa, ms. 1275, f°21v°. Le martyre de saint Laurent. Fig. 37 : Bamberg, Staatliche Bibliothek, ms. lit. 1, f°114r°. Le martyre de saint Laurent. Fig. 38 : Udine, Biblioteca Capitolare, cod. 1, f°53 v°. Le martyre de saint Laurent.



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Fig. 39 : Moissac, Tarn-et-Garonne, abbaye Saint-Pierre, cloître, galerie est, chapiteau du cycle de saint Laurent, avant 1100. Face nord : la condamnation de saint Laurent. Fig. 40 : Moissac, Tarn-et-Garonne, abbaye Saint-Pierre, cloître, galerie est, chapiteau du cycle de saint Laurent, avant 1100. Face est : personnage nimbé, pendant du personnage de la face ouest. Fig. 41 : Moissac, Tarn-et-Garonne, abbaye Saint-Pierre, cloître, galerie est, chapiteau du cycle de saint Laurent, avant 1100. Face sud : le martyre de saint Laurent. Fig. 42 : Wolfenbüttel, Herzog August Bibliothek, cod. Guelf. 11.2. August. 4°, f°20v°. Saint Venceslas, à l’écart, lors d’un banquet. Fig. 43 : Paris, BNF, ms. nouv. acq. lat. 1390, f°1v°. Saint Aubin dénonçant les mariés incestueux lors d’un banquet. Fig. 44 : Saint-Eutrope des Salles-Lavauguyon, le cycle de saint Christophe : les scènes 2, 3, 4 et 5. Fig. 45 : Châsse historiée de Valérie, datant des années 1170-1172, conservée à Londres au British Museum. Scène n°1 : la condamnation de la sainte. Fig. 46 : Châsse historiée de Valérie, datant des années 1170-1172, conservée à Londres au British Museum. Scène n°2 : la décapitation de la sainte. Fig. 47 : Châsse historiée de Valérie, datant des années 1170-1172, conservée à Londres au British Museum. Scène n°3 : la mort du bourreau devant Tève. Fig. 48 : Châsse historiée de Valérie, datant des années 1170-1172, conservée à Londres au British Museum. Scène n°4 : la céphalophorie. Fig. 49 : Châsse historiée de Valérie, datant des années 1170-1172, conservée à Londres au British Museum. Scène n°5 : aboutissement du miracle de céphalophorie. Fig. 50 : Châsse historiée de Valérie, datant des années 1170-1180, conservée à Saint-Petersbourg au musée de l’Ermitage. Scène n° 1 : la condamnation de la sainte. Fig. 51 : Châsse historiée de Valérie, datant des années 1170-1180, conservée à Saint-Petersbourg au musée de l’Ermitage. Scène n°2 : la décapitation de la sainte. Fig. 52 : Châsse historiée de Valérie dite châsse de Meilhac, datée du second quart du XIIIe siècle, conservée au Musée municipal de Limoges. Fig. 53 : Saint-Aventin, Haute-Garonne, église éponyme, portail sud, côté droit, chapiteau, seconde moitié du XIIe siècle. Décapitation de saint Aventin. (cl. CESCM) Fig. 54 : Saint-Maurin, Lot-et-Garonne, ancienne abbatiale Saint-Maurin, chevet, côté nord, seconde moitié du XIIe siècle. La céphalophorie de Maurin en présence d’un ermite. (cl. CESCM) Fig. 55 : Bury, Oise, église Saint-Lucien, bas-côté nord, pilier n°2, côté nordouest, chapiteau, début XIIe siècle. Saint Lucien céphalophore. Fig. 56 : Paris, BNF, ms. lat. 5594, f°69v°. Sainte Agathe torturée.



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Fig. 57 : Paris, BNF, ms. lat. 5594, f°70r°. Saint Pierre apparaissant à sainte Agathe dans sa cellule.  Fig. 58 : Paris, BNF, ms. lat. 5594, f°70r°. La guérison miraculeuse des plaies d’Agathe. Fig. 59 : Conques, Aveyron, abbatiale Sainte-Foy, nef, côté nord, pilier n°4, chapiteau, premier tiers du XIIe siècle, face est. Comparution de sainte Foy devant son juge. Fig. 60 : Ravenne, mausolée de Galla Placidia, mosaïque, Laurent marchant vers son martyre. Fig. 61: Foix, Ariège, abbaye Saint-Volusien, ancien cloître, chapiteau déposé, première moitié du XIIe siècle. Arrestation de saint Volusien. (cl. CESCM) Fig. 62 : Foix, Ariège, abbaye Saint-Volusien, ancien cloître, chapiteau déposé, première moitié du XIIe siècle. Arrestation de saint Volusien. Fig. 63 : Cabariot, Charente-Martime, église Saint-Clément, façade occidentale, arcature de droite, relief, moitié du XIIe siècle. Saint Clément sur le pont d’un navire avant d’être précipité à la mer. (cl. CESCM) Fig. 64 : Valcabrère, Haute-Garonne, église Saint-Just, portail nord, côté droit, chapiteau, fin du XIIe siècle. Arrestation et supplice de saint Pasteur. Fig. 65 : Saint-Aventin, Haute-Garonne, église éponyme, portail sud, côté droit, chapiteau, seconde moitié du XIIe siècle. Arrestation et martyre de saint Aventin. (cl. CESCM) Fig. 66 : Berzé-la-Ville, Saône-et-Loire, Chapelle-des-moines, abside, peinture, aux alentours de 1109 : le martyre de saint Blaise. (cl. CESCM) Fig. 67 : Moissac, Tarn-et-Garonne, abbaye Saint-Pierre, cloître, galerie est, chapiteau, avant 1100. Face nord : l’évêque Fructueux et ses deux diacres Augure et Euloge. Fig. 68 : Moissac, Tarn-et-Garonne, abbaye Saint-Pierre, cloître, galerie est, chapiteau, avant 1100. Face est : condamnation des saints Fructueux, Augure et Euloge.  Fig. 69 : Moissac, Tarn-et-Garonne, abbaye Saint-Pierre, cloître, galerie est, chapiteau, avant 1100. Face sud : martyre des saints Fructueux, Augure et Euloge. Fig. 70 : Moissac, Tarn-et-Garonne, abbaye Saint-Pierre, cloître, galerie est, chapiteau, avant 1100. Face ouest : l’âme des saints Fructueux, Augure et Euloge dans une gloire. Fig. 71 : Moissac, Tarn-et-Garonne, abbaye Saint-Pierre, cloître, galerie est, chapiteau, avant 1100. Face est : comparution de Sernin devant Antonius. Fig. 72 : Moissac, Tarn-et-Garonne, abbaye Saint-Pierre, cloître, galerie est, chapiteau, avant 1100. Face sud : comparution de Sernin devant Antonius. Fig. 73: Moissac, Tarn-et-Garonne, abbaye Saint-Pierre, cloître, galerie est, chapiteau, avant 1100. Face nord : le martyre de Sernin. Fig. 74 : Moissac, Tarn-et-Garonne, abbaye Saint-Pierre, cloître, galerie est, chapiteau, avant 1100. Face ouest : l’âme de saint Sernin en gloire.



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Fig. 75 : Saint-Benoît-sur-Loire, Loiret, abbatiale Saint-Benoît-Sainte-Marie, tour-porche, rez-de-chaussée, chapiteau de la Charité de saint Martin, vers 1060. La gloire de saint Martin. Fig. 76 : Saint-Benoît-sur-Loire, Loiret, abbatiale Saint-Benoît-Sainte-Marie, tour-porche, rez-de-chaussée, chapiteau, vers 1060. Le partage du manteau de saint Martin. Fig. 77 : Valenciennes, Bibl. mun., 39, f°86. Initiale du psaume 40 Beatus qui intelligit, saint Augustin (Commentaire sur les Psaumes) : un homme donnant son manteau à un pauvre Fig. 78 : Melle, Deux-Sèvres, église Saint-Savinien, carré du transept, pile nord-est, face sud, chapiteau, fin XIe-début du XIIe siècle. Le martyre de Savinien. (cl. CESCM) Fig. 79 : Saint-Maurin, Lot-et-Garonne, ancienne abbatiale Saint-Maurin, chevet, côté sud, chapiteau seconde moitié du XIIe siècle. Décapitation de saint Maurin. (cl. CESCM) Fig. 80 : Valcabrère, Haute-Garonne, église Saint-Just, portail nord, jambage gauche, chapiteau, fin du XIIe siècle. Décapitation de saint Just. Fig. 81 : Saint-Savin-sur-Gartempe, Vienne, église Saint-Savin, porche, peinture, fin du XIe siècle. La Femme et le dragon. Fig. 82 : Poitiers, Vienne, collégiale Saint-Hilaire-le-Grand, plan du chevet et emplacement des images. Fig. 83 : Poitiers, Vienne, collégiale Saint-Hilaire-le-Grand, chevet, absidiole nord, peinture, vers 1080, mur ouest, registre supérieur : le partage du manteau de Martin. Fig. 84 : Poitiers, Vienne, collégiale Saint-Hilaire-le-Grand, chevet, absidiole nord, peinture, vers 1080, mur est, registre supérieur : la vision de Martin. Fig. 85 : Poitiers, Vienne, collégiale Saint-Hilaire-le-Grand, chevet, absidiole nord-est, peinture, vers 1080, mur est, registre inférieur : le diable se moquant de Philibert. Fig. 86 : Poitiers, Vienne, collégiale Saint-Hilaire-le-Grand, chevet, absidiole nord-est, peinture, vers 1080, mur ouest, registre inférieur : Philibert chassant le diable. Fig. 87 : Rome, Museo sacro, médaille romaine en plomb datée du premier quart du Ve siècle. Des fidèles rendant hommage à Laurent devant son tombeau. Fig. 88 : Londres, British Museum, pyxide en ivoire du VIe siècle. Le martyre de saint Ménas. Fig. 89 : Londres, British Museum, pyxide en ivoire du VIe siècle. La gloire posthume de saint Ménas. Fig. 90 : Auxerre, Yonne, abbaye Saint-Germain d’Auxerre, crypte, peintures, IXe siècle, cycle de saint Étienne : le discours d’Étienne devant le Sanhédrin. Fig. 91 : Auxerre, Yonne, abbaye Saint-Germain d’Auxerre, crypte, peintures, IXe siècle, cycle de saint Étienne : l’extase d’Étienne.



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Fig. 92 : Nogaro, Gers, église Saint-Nicolas, chevet, absidiole nord, relevé des peintures datant de la fin du XIe siècle. Fig. 93 : Londres, BL, Bénédictionnaire de saint Ethelwold, ms. Add. 49598, f°1v°, vers 963-984. Fig. 94 : Saint-Denis, Seine-Saint-Denis, abbatiale Saint-Denis, plan de la crypte et emplacement des chapiteaux. Fig. 95 : Saint-Denis, Seine-Saint-Denis, abbatiale Saint-Denis, crypte, chapiteau n°1, fin du XIIe siècle : le miracle du crible, saint Benoît en prière. Fig. 96 : Saint-Denis, Seine-Saint-Denis, abbatiale Saint-Denis, crypte, chapiteau n°1, fin du XIIe siècle : le miracle du crible, le crible suspendu à l’entrée de l’église d’Effide. Fig. 97 : Saint-Denis, Seine-Saint-Denis, abbatiale Saint-Denis, crypte, chapiteau n°2, fin du XIIe siècle : saint Benoît rencontrant Romain. Fig. 98 : Saint-Denis, Seine-Saint-Denis, abbatiale Saint-Denis, crypte, chapiteau n°2, fin du XIIe siècle : saint Benoît dans la grotte de Subiaco. Fig. 99 : Saint-Denis, Seine-Saint-Denis, abbatiale Saint-Denis, crypte, chapiteau n°3, fin du XIIe siècle : saint Benoît dans son oratoire du Mont-Cassin. Fig. 100 : Saint-Denis, Seine-Saint-Denis, abbatiale Saint-Denis, crypte, chapiteau n°3, fin du XIIe siècle : saint Benoît dans son oratoire du Mont-Cassin (détail : la végétation près de l’oratoire de Benoît). Fig. 101 : Saint-Denis, Seine-Saint-Denis, abbatiale Saint-Denis, crypte, chapiteau n°4, fin du XIIe siècle : saint Benoît réalisant un miracle (dit miracle de la pierre) lors de la construction du monastère (détail : quatre moines sur le chantier assistant au miracle). Fig. 102 : Saint-Denis, Seine-Saint-Denis, abbatiale Saint-Denis, crypte, chapiteau n°4, fin du XIIe siècle : saint Benoît réalisant un miracle (dit miracle de la pierre) lors de la construction du monastère (détail : saint Benoît bénissant). Fig. 103 : Saint-Denis, Seine-Saint-Denis, abbatiale Saint-Denis, crypte, chapiteau n°5, fin du XIIe siècle : saint Benoît guérissant miraculeusement un jeune moine blessé par la chute d’un mur. Face ouest : le démon fait écrouler un mur entraînant la chute du jeune moine. Fig. 104 : Saint-Denis, Seine-Saint-Denis, abbatiale Saint-Denis, crypte, chapiteau n°5, fin du XIIe siècle : saint Benoît guérissant miraculeusement un jeune moine blessé par la chute d’un mur. Face est : Benoît réalisant le miracle de guérison. Fig. 105 : Saint-Denis, Seine-Saint-Denis, abbatiale Saint-Denis, crypte, chapiteau n°6, fin du XIIe siècle : la rencontre de Tolila et de saint Benoît. Fig. 106 : Saint-Denis, Seine-Saint-Denis, abbatiale Saint-Denis, crypte, chapiteau n°7, fin du XIIe siècle : saint Benoît délivrant le prisonnier de Zalla ( ?). Fig. 107 : Plaque funéraire en cuivre de Geoffroy Plantagenêt, années 11511160, conservée au musée de Tessé au Mans.



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Fig. 108 : Les Salles-Lavauguyon, église Saint-Eutrope, nef, revers de la façade, second registre, côté nord : la Nativité. Fig. 109 : Les Salles-Lavauguyon, église Saint-Eutrope, nef, revers de la façade, second registre, côté sud : l’Adoration des Mages. Fig. 110 : Chauvigny, Vienne, église Saint-Pierre, chevet, côté sud, chapiteau, face ouest : la grande prostituée de Babylone : BABILONIA MAGNA MERETRIX. Fig. 111 : Poitiers, Vienne, collégiale Saint-Hilaire-le-Grand, chevet, bandeau du rond-point de colonnes, peintures, vers 1080 : l’ange distribuant les étoles aux âmes sous l’autel. Fig. 112 : Poitiers, Vienne, collégiale Saint-Hilaire-le-Grand, chevet, bandeau du rond-point de colonnes, peintures, vers 1080 : l’ange à l’encensoir. Fig. 113 : Poitiers, Vienne, collégiale Saint-Hilaire-le-Grand, bras nord du transept, chapiteau : la mort de saint Hilaire. Fig. 114 : Saint-Aignan-sur-Cher, Cher, collégiale Saint-Aignan, plan de la crypte et emplacement des images. Fig. 115 : Moissac, Tarn-et-Garonne, abbatiale Saint-Pierre, portail sud, piédroit ouest, relief sculpté : la Luxure. Fig. 116 : Conques, Aveyron, abbatiale Sainte-Foy, nef, côté nord, 4e pilier, face est, chapiteau de la condamnation de Foy, premier tiers du XIIe siècle. Côté droit du chapiteau : Foy soutenue par un ange portant le symbole du martyre à venir de la sainte. Fig. 117 : Conques, Aveyron, abbatiale Sainte-Foy, nef, côté nord, 4e pilier, face est, chapiteau de la condamnation de Foy, premier tiers du XIIe siècle. Côté gauche du chapiteau : Dacien conseillé par le diable. Fig. 118 : Toulouse, Haute-Garonne, cathédrale Saint-Étienne, cloître, chapiteau déposé, entre 1120-1140 : un ange empêche Marie l’Égyptienne de pénétrer dans la basilique de Martyrium. Toulouse, Musée des Augustins, cl. Daniel Martin. Fig. 119 : Toulouse, Haute-Garonne, cathédrale Saint-Étienne, cloître, chapiteau déposé, entre 1120-1140 : Marie agenouillée prie la Vierge Toulouse, Musée des Augustins , cl. Daniel Martin. Fig. 120 : Toulouse, Haute-Garonne, cathédrale Saint-Étienne, cloître, chapiteau déposé, entre 1120-1140 : Marie se purifie en lavant ses cheveux dans le Jourdain ; Marie reçoit trois pièces de monnaie des mains d’un inconnu. Toulouse, Musée des Augustins, cl. Daniel Martin. Fig. 121 : Toulouse, Haute-Garonne, cathédrale Saint-Étienne, cloître, chapiteau déposé, entre 1120-1140 : la rencontre de Marie et Zozime ; les funérailles de Marie l’Égyptienne. Toulouse, Musée des Augustins, cl. Daniel Martin. Fig. 122 : Vézelay, Yonne, abbatiale de la Madeleine, nef, bas-côté nord, chapiteau, face nord, première moitié du XIIe siècle. Face nord : le sainte Eugénie prouve son innocence.



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Fig. 123 : Arnac, commune d’Arnac-Pompadour, Corrèze, église Saint-Pardoux, façade occidentale, statues de saint Martial, de la Vierge et de saint Pardoux, vers 1200. Fig. 124 : Les Salles-Lavauguyon, église Saint-Eutrope, façade occidentale, reliefs sculptés : la Vierge et saint Jean. Fig. 125 : Valcabrère, Haute-Garonne, église Saint-Just, portail nord, vue d’ensemble. (cl. CESCM) Fig. 126 : Valcabrère, Haute-Garonne, église Saint-Just, portail nord, jambage gauche, statues-colonnes, fin du XIIe siècle : Just et Étienne. (cl. CESCM) Fig. 127 : Valcabrère, Haute-Garonne, église Saint-Just, portail nord, jambage droit, statues-colonnes, fin du XIIe siècle : Hélène et Pasteur. (cl. CESCM) Fig. 128 : Arles, Bouches-du-Rhône, cathédrale Saint-Trophime, portail occidental, dernière décennie du XIIe siècle : vue d’ensemble. (cl. Pascale Brudy) Fig. 129 : Arles, Bouches-du-Rhône, cathédrale Saint-Trophime, portail occidental, dernière décennie du XIIe siècle, côté droit : la lapidation de saint Étienne, saint Philippe et saint Jacques le Mineur. (cl. Pascale Brudy) Fig. 130 : Arles, Bouches-du-Rhône, cathédrale Saint-Trophime, portail occidental, dernière décennie du XIIe siècle, côté gauche : saint Trophime, saint Jacques le Majeur et saint Barthélemy. (cl. Pascale Brudy) Fig. 131 : Arles, Bouches-du-Rhône, cathédrale Saint-Trophime, portail occidental, dernière décennie du XIIe siècle, côté gauche : statue de saint Trophime. (cl. Pascale Brudy) Fig. 132 : Arles, Bouches-du-Rhône, cathédrale Saint-Trophime, portail occidental, dernière décennie du XIIe siècle, côté droit : la lapidation de saint Étienne (détail). Fig. 133 : Conques, Aveyron, abbatiale Sainte-Foy, façade occidentale, tympan, vers 1125-1135 : vue d’ensemble. Fig. 134 : Conques, Aveyron, abbatiale Sainte-Foy, façade occidentale, tympan, vers 1125-1135 : Foy en prière dans l’abbatiale de Conques. Fig. 135 : Conques, Aveyron, abbatiale Sainte-Foy, façade occidentale, tympan, vers 1125-1135 : un élu sauvé in extremis. Fig. 136 : Saint-Nectaire, Puy-de-Dôme, église Saint-Nectaire, déambulatoire, colonne nord-est, chapiteau du cycle de saint Nectaire, seconde moitié du XIIe siècle, scène n°1 : la tentation de Nectaire par le démon. Fig. 137 : Saint-Nectaire, Puy-de-Dôme, église Saint-Nectaire, déambulatoire, colonne nord-est, chapiteau du cycle de saint Nectaire, seconde moitié du XIIe siècle, scène n°2 : scène difficilement identifiable (Nectaire et son compagnon Baudime ou les compagnons du saint assistant à la défaite du diable). Fig. 138 : Saint-Nectaire, Puy-de-Dôme, église Saint-Nectaire, déambulatoire, colonne nord-est, chapiteau du cycle de saint Nectaire, seconde moitié du XIIe siècle, scène n°3 : miracle de résurrection.



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Fig. 139 : Saint-Nectaire, Puy-de-Dôme, église Saint-Nectaire, déambulatoire, colonne nord-est, chapiteau du cycle de saint Nectaire, seconde moitié du XIIe siècle, scène n°4 : miracle de résurrection. Fig. 140 : Buste-reliquaire de saint Baudime, daté de la seconde moitié du XIIe siècle, conservé dans le Trésor de l’église Saint-Nectaire (Saint-Nectaire, Puy-de-Dôme). Fig. 141 : Saint-Genou, Indre, ancienne abbatiale, chevet, travée nord, deuxième chapiteau à compter de l’Est, 1ère moitié du XIIe siècle. Saint Genou chassant le démon d’une église. (cl. CESCM) Fig. 142 : Les Salles-Lavauguyon, église Saint-Eutrope, plan. (réal. Michaël Piat, d’après Éric Sparhubert) Fig. 143 : Les Salles-Lavauguyon, église Saint-Eutrope, plan, hypothèse de l’aménagement liturgique. (réal. Michaël Piat) Fig. 144 : carte de l’implantation des établissements canoniaux en Limousin à la fin du XIIe siècle. (réal. Michaël Piat, d’après Éric Sparhubert) Fig. 145 : Les Salles-Lavauguyon, église Saint-Eutrope, mur sud de la nef. Fig. 146 : Les Salles-Lavauguyon, église Saint-Eutrope, mur nord de la nef. Fig. 147 : carte de l’implantation des établissements religieux en Limousin au XIIe siècle. (réal. Michaël Piat, d’après Bernadette Barrière, Atlas du Limousin, PULIM, 1994, p. 43) Fig. 148 : Arnac, commune d’Arnac, Pompadour, Corrèze, église Saint-Pardoux, chapiteau, côté sud du chevet, milieu du XIIe siècle : saint Martial bénissant dans une mandorle aux côtés de saint Pierre. Fig. 149 : Arnac, commune d’Arnac, Pompadour, Corrèze, église Saint-Pardoux, chapiteau, angle nord-ouest du carré du transept, milieu du XIIe siècle : Martial réalisant un miracle de résurrection ; la remise par saint Pierre du bâton à saint Martial ; Martial ressuscitant un de ses compagnons ; un spectateur du miracle. (cl. CESCM) Fig. 150 : Vézelay, Yonne, abbatiale Marie-Madeleine, narthex, pile sud, chapiteau, première moitié du XIIe siècle : le repas de saint Antoine et de saint Paul ermite. Fig. 151 : Vézelay, Yonne, abbatiale Marie-Madeleine, nef, pile sud, chapiteau, première moitié du XIIe siècle : saint Martin abattant l’arbre sacré des païens. Fig. 152  : Vézelay, Yonne, abbatiale Marie-Madeleine, narthex, pile nord, chapiteau, première moitié du XIIe siècle : saint Benoît ressuscitant un enfant mort. Fig. 153 : Saint-Benoît-sur-Loire, Loiret, abbatiale Saint-Benoît-Sainte-Marie, chevet, cycle de saint Benoît, entre 1080 et 1100, angle nord-ouest du petit transept, chapiteau n°1 : le miracle du crible. Côté gauche du chapiteau : le crible cassé. Fig. 154 : Saint-Benoît-sur-Loire, Loiret, abbatiale Saint-Benoît-Sainte-Marie, chevet, cycle de saint Benoît, entre 1080 et 1100, angle nord-ouest du petit



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transept, chapiteau n°1 : le miracle du crible. Côté droit du chapiteau : le saint en prière. Fig. 155 : Saint-Benoît-sur-Loire, Loiret, abbatiale Saint-Benoît-Sainte-Marie, chevet, cycle de saint Benoît, entre 1080 et 1100, angle nord-ouest du petit transept, chapiteau n°1 : le miracle du crible. Face principale du chapiteau : Benoît remet à sa nourrice le crible. Fig. 156 : Saint-Benoît-sur-Loire, Loiret, abbatiale Saint-Benoît-Sainte-Marie, chevet, cycle de saint Benoît, entre 1080 et 1100, pilier ouest de la croisée du transept, chapiteau n°2 : saint Benoît dans la grotte de Subiaco. Face principale : le monastère de Saint-Blaise. Fig. 157 : Rome, Biblioteca Vaticana, cod. lat. 1202, f°17v° : l’ordination de saint Benoît. Fig. 158 : Saint-Benoît-sur-Loire, Loiret, abbatiale Saint-Benoît-Sainte-Marie, chevet, cycle de saint Benoît, entre 1080 et 1100, pilier nord-ouest de la croisée du transept, chapiteau n°3 : la tentation de saint Benoît. Fig. 159 : Saint-Benoît-sur-Loire, Loiret, abbatiale Saint-Benoît-Sainte-Marie, chevet, cycle de saint Benoît, entre 1080 et 1100, pilier nord-ouest de la croisée du transept, chapiteau n°3 : la tentation de saint Benoît. Côté droit du chapiteau : le saint se jetant dans un buisson d’épines. Fig. 160 : Saint-Benoît-sur-Loire, Loiret, abbatiale Saint-Benoît-Sainte-Marie, chevet, cycle de saint Benoît, entre 1080 et 1100, angle nord-est du petit transept, chapiteau n°4 : Placide sauvé de la noyade. Côté gauche du chapiteau : Benoît donnant des instructions à Maur. Fig. 161 : Saint-Benoît-sur-Loire, Loiret, abbatiale Saint-Benoît-Sainte-Marie, chevet, cycle de saint Benoît, entre 1080 et 1100, angle nord-est du petit transept, chapiteau n°4 : Placide sauvé de la noyade. Face principale : Maur allant secourir Placide. Fig. 162 : Saint-Benoît-sur-Loire, Loiret, abbatiale Saint-Benoît-Sainte-Marie, chevet, cycle de saint Benoît, entre 1080 et 1100, angle nord-est du petit transept, chapiteau n°4 : Placide sauvé de la noyade. Côté droit du chapiteau : le sauvetage miraculeux de Placide. Fig. 163 : Saint-Benoît-sur-Loire, Loiret, abbatiale Saint-Benoît-Sainte-Marie, chevet, cycle de saint Benoît, entre 1080 et 1100, angle sud-est du petit transept, chapiteau n°5 : la rencontre de Benoît et du roi Totila. Fig. 164 : Saint-Benoît-sur-Loire, Loiret, abbatiale Saint-Benoît-Sainte-Marie, chevet, cycle de saint Benoît, entre 1080 et 1100, bras nord du transept, chapelle septentrionale, chapiteau n°6 : la délivrance du prisonnier capturé par Zalla. Côté gauche du chapiteau : Benoît interrompu dans sa lecture, Zalla prosterné à ses pieds. Fig. 165 : Saint-Benoît-sur-Loire, Loiret, abbatiale Saint-Benoît-Sainte-Marie, chevet, cycle de saint Benoît, entre 1080 et 1100, bras nord du transept, chapelle septentrionale, chapiteau n°6 : la délivrance du prisonnier capturé par Zalla. Face principale : le paysan libéré.



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Fig. 166 : Dijon, Bibl. Mun., ms. 170, f°6v°. Initiale historiée du Livre XI Quamvis in prolixo opere de Grégoire le Grand : figure de l’Humilité. Fig. 167 : Saint-Benoît-sur-Loire, Loiret, abbatiale Saint-Benoît-Sainte-Marie, chevet, cycle de saint Benoît, entre 1080 et 1100, angle sud-ouest du petit transept, chapiteau n°7 : la résurrection de l’enfant. Fig. 168 : Menat, Puy-de-Dôme, ancienne abbatiale Saint-Ménelée, chapiteau déposé dans le bas-côté sud et transformé en fonts-baptismaux, première moitié du XIIe siècle, cycle de saint Ménelée : le mariage de Ménelée, la vie d’ermite du saint et la vie monastique. (cl. CESCM). Fig. 169 : carte des possessions du prieuré-cure Saint-Eutrope des SallesLavauguyon et de la collégiale Saint-Junien. (réal. Michaël Piat, d’après Jean Becquet, « Collégiales et sanctuaires de chanoines séculiers en Limousin aux Xe-XIIe siècles », La vie canoniale en France aux Xe-XIIe siècles, Londres, 1985, p. 99)



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INDEX DES SAINTS A Achilée  149 Adalbert  47, 144 Agathe  17, 96, 97, 98, 99, 101, 102, 106, 117, 131, 134, 234, 235, 267, 304, 305, 330, 361 Agnès  101 Amand  Ambroise  144, 162 Antoine  402-404, 406, 414, 419 Aubin  76 Augure  30, 118 Austinde  184 Austrémoine  89, 90, 91, 372 Aventin  93, 115, 116, 338 B Baudime  365, 369 Benoît  199, 201-215, 225, 385, 386, 402, 406, 407, 408-431 Besse  222 Blaise  116-117 C Caprais  129 Catherine  17, 102, 105, 106, 113, 185191, 193, 195, 196, 199, 234, 317, 361, 362 Catherine de Sienne  318 Cécile  103 Césaire  284 Christophe  17, 75-80, 110 113, 131, 135, 226, 229-231, 234, 235, 361, 395 Clément  89, 90, 112, 113 Côme  192, 231 Cuthbert  47 Cyprien  167, 168-170, 172, 193, 324, 326 Cyr  154, 154, 155, 156, 161 D Damien  192, 231 Démétrios  157



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Denis  94, 95 Doucelin d’Allonnes  222 E Ébba  314 Émilien  47 Érasme  156 Étienne  8, 17-60, 89, 105, 110, 129, 131, 133, 134, 158-160, 236, 260, 263, 293, 319-321, 342, 344, 345, 347, 348, 350, 362-364, 396, 397, 435, 444, 461, 462, 467, 468, 469 Eugénie  314-317, 402, 404, 405 Euloge  30, 118 Euphémie  151, 152, 154 Eustache  403

125, 232336359, 445,

F Fercincte  325, 326 Firmat  419 Florent  325, 326, 327 Foy  104, 105, 113, 305, 306, 308, 350358 François d’Assise  395 Fructueux  30, 118, 120, 121 G Gamaliel  48-50, 58, 59 Genou  372-375 Géraud de Sales  419 Gervais  57, 58, 162, 193 Gilles  281, 283-288, 291, 293, 437-441 H Hélène  41, 341, 342 Hermengilde  326 Hilaire  278, 279, 280, 330, 337, 383385, 440, 441 Hippolyte  153 Hubert  5

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index

J Jacques  223, 288, 289, 290, 292 Janvier  227 Jean-Baptiste  177 Julitte  154, 155, 156 Just  114, 131, 341, 342 L Laurent  17, 60-75, 106, 107, 110, 113, 131, 134, 135, 148-150, 172, 174183, 185, 231, 234-236, 266, 267, 304, 361, 395, 398, 435, 467, 468, 469 Lazare  291, 292, 367, 369 Lucien  95 M Maixent  326, 327 Marguerite  192, 231 Marie l’Egyptienne  96, 308-314 Marin  326, 324 Martial  5, 45, 48, 81, 82, 85, 87-89, 91, 92, 94, 96, 232-235, 338, 361, 370, 372, 375, 399-402, 434, 435 Martin  125, 127, 135 137, 139, 146, 272, 277, 330-332, 338, 383, 384, 402, 403, 406, 407 Maur  47, 420-423 Maurin  93, 94, 130 Ménas  149-151 Ménelée  432-434 N Nectaire  365, 366, 369-371, 375 Nérée  149 Nicodème  49, 50, 57, 59 O Oda d’Hainault  314 P Pancrace  89, 90, 129 Pardoux  338, 399, 402 Pasteur  114, 131, 341, 342 Paul  20, 24, 26, 29, 33, 36, 42, 54, 58, 59, 148, 192, 197, 217, 218, 236, 329, 403, 406, 408 Paul Ermite  402-404, 406



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Philibert  141, 143-146, 272, 277, 330332, 383, 384 Pierre  17, 58, 95, 97, 99, 112, 134, 148, 178, 182, 192, 217, 218, 233, 236, 267, 288, 290, 329, 355, 367, 369, 372, 373, 375, 399, 400, 401, 403, 405, 406, 408, 423, 457 Protais  58, 162, 193 Prudence  325, 327 Q Quentin  144-146, 272, 277, 330-332, 382-384, 440 R Radegonde  103, 104, 181, 284 Romard  326, 327 S Savin  167-171, 193, 324, 324-327, 329 Savine  325, 326 Savinien  128, 129 Sébastien  106, 107 Sernin  121-124 Séverin  441 Sévérus  192 T Théodore d’Euchaïte  153 Trophime  345, 372 U Ursus  192 V Valérie  17, 80-91, 94, 110, 113, 127, 129, 133, 134, 232, 233, 267, 305, 362, 435 Venceslas  76 Vincent  131, 192, 197 Volusien  111, 112 Y Yrieix  236

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INDEX DES LIEUX A Agen, Saint-Caprais  129 Angers Saint-Aubin  39, 334 Arles, Saint-Trophime  37, 344-350, 358 Arnac, Saint-Pardoux  338, 398-402 Autun, Saint-Lazare  39, 252, 257, 266, 292, 334 Auxerre, Saint-Germain  21, 23-24, 158-160, 192 B Beaulieu  236 Beaune, Notre-Dame  39 Berzé-la-Ville  107, 116-117 Bourg-Argental  265-266 Bury, Saint-Lucien  95 C Cahors, Saint-Étienne  33, 34 Château-Landon, Saint-Séverin. 441 Clermont  88, 90, 432 Conques, Sainte-Foy  104, 105, 113, 296, 305, 308, 336, 350, 351 353, 354, 357, 358 Couddes, église  78 Cabariot, Saint-Clément  112 E Ébreuil, église Saint-Léger  82, 88, 89-91, 94, 129 Échillais, Notre-Dame  50, 52 F Foix, abbaye Saint-Volusien  111 G Gensac-la-Pallue  338 Gimel-les-Cascades  35, 89 Gniezno (Pologne)  47, 144 L L’Artige  237 Le Mans, cathédrale  45



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Limoges Saint-Étienne  17, 29, 232, 235, 379, 448 Saint-Martial  235, 338, 374, 399, 401, 439, 449 Limoux, Saint-Martin  338 Lubersac, Saint-Étienne  55, 57, 58, 234, 444 M Meilhac  85, 87, 91 Melle, Saint-Savinien  128, 130 Menat, Saint-Ménelée  432, 433, 434 Méobecq  273 Milan (Italie), Saint-Ambroise  144, 161 Moissac, abbaye Saint-Pierre  Montmorillon, Notre-Dame  158, 186, 193, 195, 199 N Nogaro, Saint-Nicolas  60, 61, 62, 172, 173, 175, 176, 177, 178, 179, 181, 182, 184 Nohant-Vicq, Saint-Martin  199 P Panjas  61, 179, 183, 184 Poitiers Saint-Hilaire-le-Grand  137, 140, 141, 145, 272-274, 277, 278, 280, 294, 330-332, 383-385, 436, 437, 440, 441, 450, 451, 466, 470 Notre-Dame-la-Grande  243, 249 R Ravenne (Italie), mausolée de Galla Placidia  63, 64, 107, 108, 110 Rome (Italie) Sainte-Marie-Antique  154, 156, 161 Sainte-Marie-Majeure  22, Sainte-Agathe-des-Goths..101

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index Saint-Laurent-hors-les-Murs 236 Santa-Maria in Via Lata  156 Saints-Jean-et-Paul  149

S Saint-Denis, Saint-Denis  185, 199, 201, 211, 213, 214, 215 S a i n t - A i g n a n - s u r- C h e r, SaintAignan.281, 283, 287, 293, 294, 437, 442, 466, 470 Saint-Aventin  92, 94, 115 Saint-Benoît-sur-Loire, Sainte-MarieSaint-Benoît  27, 28, 29, 31, 125, 201, 211, 214, 385, 408, 409, 430, 431 Saint-Genou, Saint-Genou  372, 373, 374 Saint-Junien, Saint-Junien  6-8, 80, 229, 230, 235, 378, 389-391, 439, 447, 448, 450, 452-454, 456, -464, 468, 470, 471 Saint-Maurin  93, 129 Saint-Nectaire, Saint-Nectaire  Saint-Pons de Thomières  127



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Saint-Savin-sur-Gartempe, SaintSavin  94, 107, 109, 135, 167, 168, 181, 193, 248, 324, 326, 327, 329, 330, 331, 334, 441 Semur-en-Brionnais  338 Saint-Yrieix, Saint-Laurent  236 Selles-sur-Cher, Saint-Eusice  365, 371 T Tauriac, Saint-Étienne  30 Toulouse, Saint-Étienne  96, 109 Tours, Saint-Martin  192 V Valcabrère, église Saint-Just  40, 41, 113, 341 Vaux-sur-Mer, Saint-Étienne  31 Vézelay, La Madeleine  115, 228, 315, 402, 405, 406, 408

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Pl. 1 - Revers de la façade, église Saint-Eutrope

Pl. 2 - La lapidation de saint Étienne, revers de la façade, église Saint-Eutrope



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Pl. 3 - Saül gardant le manteau des bourreaux, revers de la façade, église SaintEutrope

Pl. 4 - Saint Étienne en odeur de sainteté, revers de la façade, église SaintEutrope



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Pl. 5 - L’inhumation de saint Étienne, revers de la façade, église Saint-Eutrope

Pl. 6 - L’arrestation de saint Laurent, mur sud de la nef, église Saint-Eutrope



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Pl. 7 - L’arrestation de saint Laurent, absidiole nord, chevet, église Saint-Nicolas, Nogaro

Pl. 8 - La présentation des trésors de l’Église à Dèce, mur sud de la nef, église Saint-Eutrope



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Pl. 9 - La présentation des trésors de l’Église à Dèce, absiodiole nord, chevet, église Saint-Nicolas, Nogaro

Pl. 10 - La présentation des trésors de l’Église à Dèce, abside, chevet, église NotreDame, Panjas



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Pl. 11 - Le martyre de saint Laurent, mur occidental de la nef, église SaintEutrope

Pl. 12 - Dagnus et son épouse (détail), mur sud de la nef, église Saint-Eutrope



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planches

Pl. 13 - Les courtisans de Dagnus (détail), mur sud de la nef, église Saint-Eutrope

Pl. 14 - Christophe devant le palais du roi Dagnus, mur sud de la nef, église SaintEutrope



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Pl. 15 - La condamnation des courtisanes converties ; Dagnus ordonnant à un archer d’exécuter le saint, mur sud de la nef, église Saint-Eutrope

Pl. 16 - Le martyre de saint Christophe, mur sud de la nef, église Saint-Eutrope



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Pl. 17 - Christophe devant Dagnus, mur nord de la nef, église, Couddes



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Pl. 18 - La condamnation de Valérie, mur occidental de la nef, église SaintEutrope

Pl. 19 - Le martyre de sainte Valérie, mur nord de la nef, église Saint-Eutrope



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Pl. 20 - L’aboutissement du miracle de céphalophorie, mur nord de la nef, église Saint-Eutrope

Pl. 21 - La conversion de Valérie, mur ouest, tribune occidentale, abbatiale SaintLéger, Ébreuil



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Pl. 22 - La décapitation de Valérie, mur ouest, tribune occidentale, abbatiale SaintLéger, Ébreuil



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planches

Pl. 23 - Le bourreau remettant à Tève l’épée du martyre, mur ouest, tribune occidentale, abbatiale Saint-Léger, Ébreuil

Pl. 24 - L’aboutissement du miracle de céphalophorie, mur ouest, tribune occidentale, abbatiale Saint-Léger, Ébreuil



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Pl. 25 - Agathe torturée, mur nord de la nef, église Saint-Eutrope

Pl. 26 - Saint Pierre apparaissant à sainte Agathe dans sa cellule, mur nord de la nef, église Saint-Eutrope



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Pl. 27 - Une sainte comparaissant devant son juge, mur nord de la nef, église Saint-Eutrope

Pl. 28 - Sainte Radegonde mariée sous la contrainte, Poitiers, Bibl. Mun., ms. 250, f° 22v°



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planches

Pl. 29 - Une femme en prière, mur nord de la nef, église Saint-Eutrope

Pl. 30 - Le martyre de saint Pancrace, mur ouest, tribune occidentale, abbatiale SaintLéger, Ébreuil



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Pl. 31 - Prophète, mur nord de la nef, église SaintEutrope

Pl. 32 - La charité de saint Martin, absidiole nord, chevet, collégiale Saint-Hilaire, Poitiers



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Pl. 33 - La vision de saint Martin, absidiole nord, chevet, collégiale Saint-Hilaire, Poitiers



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Pl. 34 - Le jeûne rompu de saint Philibert, absidiole nord-est, chevet, collégiale Saint-Hilaire, Poitiers

Pl. 35 - Le diable se moquant de Philibert, absidiole nordest, chevet, collégiale SaintHilaire, Poitiers



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Pl. 36 - Philibert chassant le diable, absidiole nord-est, chevet, collégiale SaintHilaire, Poitiers



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Pl. 37 - Scène non identifiée de la légende de Philibert, absidiole nord-est, chevet, collégiale Saint-Hilaire, Poitiers



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Pl. 38 - Quentin comparaissant devant Rictiovar, absidiole sud-est, chevet, collégiale Saint-Hilaire, Poitiers



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Pl. 39 - Quentin délivré par un ange, absidiole sud-est, chevet, collégiale SaintHilaire, Poitiers

Pl. 40 - Quentin convertissant une foule de païens, absidiole sud-est, chevet, collégiale Saint-Hilaire, Poitiers



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planches

Pl. 41 - Le martyre de saint Quentin, absidiole sud-est, chevet, collégiale SaintHilaire, Poitiers

Pl. 42 - Cycle martyrial des saints Cyr et Julitte, chapelle, église Sainte-Marie Antique, Rome



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Pl. 43 - Cyr et Julitte étendus sur une plaque en métal chauffée, chapelle, SainteMarie Antique, Rome

Pl. 44 - Le martyre de saint Cyr, chapelle, église Sainte-Marie Antique, Rome



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planches

Pl. 45 - Le martyre de saint Érasme, église Sainte-Marie in via Lata, Rome

Pl. 46 - Le cycle martyrial des saints Savin et Cyprien, salle occidentale, crypte, abbatiale Saint-Savin, Saint-Savin-sur-Gartempe



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Pl. 47 - Le supplice des ongles de fer, salle occidentale, crypte, abbatiale SaintSavin, Saint-Savin-sur-Gartempe

Pl. 48 - Cycle de saint Laurent, absidiole nord, chevet, église Saint-Nicolas, Nogaro



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Pl. 49 - Saint Laurent rendant la vue à un aveugle en prison, absidiole nord, chevet, église Saint-Nicolas, Nogaro

Pl. 50 - Laurent baptisant en prison, absidiole nord, chevet, église Saint-Nicolas, Nogaro



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planches

Pl. 51 - Scène non identifiée de la légende de Laurent, absidiole nord, chevet, église Saint-Nicolas, Nogaro

Pl. 52 - La présentation des trésors de l’Église à Dèce, absidiole nord, chevet, église Saint-Nicolas, Nogaro



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planches

Pl. 53 - La flagellation de saint Laurent, absidiole nord, chevet, église Saint-Nicolas, Nogaro

Pl. 54 - La flagellation de saint Laurent, abside, chevet, église Notre-Dame, Panjas



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planches

Pl. 55 - Le martyre de saint Laurent, abside, chevet, église Notre-Dame, Panjas

Pl. 56 - Saint Laurent baptisant, absidiole nord, chevet, église Saint-Nicolas, Nogaro



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planches

Pl. 57 - L’arrestation de saint Laurent, absidiole nord, chevet, église Saint-Nicolas, Nogaro

Pl. 58 - Le repas de noces de Radegonde, la sainte en prière, la sainte prosternée pendant le sommeil du roi, Poitiers, Bibl. Mun., ms. 250, f° 24r°



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planches

Pl. 59 - Vue générale des images de l’abside de la crypte Sainte-Catherine, église Notre-Dame, Montmorillon

Pl. 60 - La dispute de sainte Catherine et des docteurs païens, abside, crypte, église Notre-Dame, Montmorillon



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planches

Pl. 61 - Le martyre des docteurs d’Alexandrie, abside, crypte, église Notre-Dame, Montmorillon

Pl. 62 - La Vierge et l’Enfant entourés du choeur des vierges, conque absidale, crypte, église Notre-Dame, Montmorillon



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Pl. 63 - Saint Christophe, bras nord du transept, collégiale Saint-Junien, SaintJunien



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planches

Pl. 64 - Prophète, mur nord de la nef, église Saint-Eutrope

Pl. 65 - Phylactère portant l’inscription, Ecce quid ego video quatuor, mur sud de la nef, église Saint-Eutrope



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planches

Pl. 66 - Phylactère portant l’inscription, Ia. nova progenies ce... de..., mur sud de la nef, église Saint-Eutrope

Pl. 67 - Aaron, mur sud de la nef, église Saint-Eutrope



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planches

Pl. 68 - Le prieur Boson, mur oriental de la nef, église Saint-Eutrope



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planches

Pl. 69 - Le prieur Bernard, mur oriental de la nef, église Saint-Eutrope

Pl. 70 - La création d’Adam et Ève, revers de la façade, église Saint-Eutrope



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planches

Pl. 71 - La création d’Adam (détail), revers de la façade, église Saint-Eutrope

Pl. 72 - La création d’Ève (détail), revers de la façade, église Saint-Eutrope



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planches

Pl. 73 - La tentation, écoinçon de l’arcade nord, nef, église Saint-Eutrope

Pl. 74 - L’Annonciation, revers de la façade, église Saint-Eutrope



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planches

Pl. 75 - La Nativité, revers de la façade, église Saint-Eutrope

Pl. 76 - L’Annonce aux bergers, revers de la façade, église Saint-Eutrope



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planches

Pl. 77 - L’Adoration des Mages, revers de la façade, église Saint-Eutrope

Pl. 78 - Le massacre des Innocents, écoinçon de l’arcade sud, nef, église SaintEutrope



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planches

Pl. 79 - La grande Prostituée de Babylone et le Cornu noir, revers de la façade, église Saint-Eutrope

Pl. 80 - Les damnés en enfer, revers de la façade, église Saint-Eutrope



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planches

Pl. 81 - Le cortège des porteurs d’offrandes, revers de la façade, église SaintEutrope

Pl. 82 - Le cortège des porteurs d’offrandes (détail), revers de la façade, église Saint-Eutrope



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Pl. 83 - Vue sud-est du rond-point de colonnes du chevet de la collégiale SaintHilaire, Poitiers



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Pl. 84 - Un des évêques successeurs d’Hilaire, pile sud-est, nef, collégiale SaintHilaire, Poitiers



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planches

Pl. 85 - Trois miracles réalisés par saint Gilles, chapelle méridionale, crypte, collégiale Saint-Aignan, Saint-Aignan-sur-Cher

Pl. 86 - Saint Césaire ordonnant prêtre saint Gilles, chapelle méridionale, crypte, collégiale Saint-Aignan, Saint-Aignan-sur-Cher



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Pl. 87 - Saint Césaire ordonnant prêtre saint Gilles, Musée des monuments français, relevé de 1937

Pl. 88 - L’ordination de sainte Radegonde, Poitiers, Bibl. Mun., ms. 250, f° 27v°



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Pl. 89 - Deux cavaliers, Musée des monuments français, relevé de 1937

Pl. 90 - Deux cavaliers, chapelle méridionale, crypte, collégiale Saint-Aignan, Saint-Aignan-sur-Cher



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Pl. 91 - L’épisode de saint Gilles blessé, chapelle méridionale, crypte, collégiale Saint-Aignan, Saint-Aignan-sur-Cher

Pl. 92 - La messe de saint Gilles, chapelle méridionale, crypte, collégiale SaintAignan, Saint-Aignan-sur-Cher



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Pl. 93 - La messe de saint Gilles, Musée des monuments français, relevé de 1937

Pl. 94 - Le Christ en Majesté entouré des saints Pierre et Jacques, chapelle centrale, crypte, collégiale Saint-Aignan, Saint-Aignan-sur-Cher



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Pl. 95 - Les invalides aux pieds de saint Pierre, chapelle centrale, crypte, collégiale Saint-Aignan, Saint-Aignan-sur-Cher



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planches

Pl. 96 - La résurrection de Lazare, chapelle axiale, crypte, collégiale SaintAignan, Saint-Aignan-surCher

Pl. 97 - Oratoire Saint-Laurent, côté sud de la nef, église Saint-Eutrope



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Pl. 98 - Oratoire Saint-Christophe, côté sud de la nef, église Saint-Eutrope



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Pl. 99 - Le Christ en Majesté, voûte du sanctuaire, crypte, abbatiale Saint-Savin, Saint-Savin-sur-Gartempe



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Pl. 100 - Les saints entourant le Christ, mur du sanctuaire, crypte, abbatiale SaintSavin, Saint-Savin-sur-Gartempe



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Pl. 101 - La charité de saint Gilles, chapelle méridionale, crypte, collégiale SaintAignan, Saint-Aignan-sur-Cher



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Pl. 102 - Saint Gilles guérissant un homme mordu par un serpent, chapelle méridionale, crypte, collégiale Saint-Aignan, Saint-Aignan-sur-Cher



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Pl. 103 - La lapidation de saint Étienne (détail), revers de la façade, église SaintEutrope



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