Essais philosophiques choisis, 1794-1795
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BIBLIOTHÈQUE DES TEXtES PHILOSOPHIQUES Directeur: Henri GOUHIER

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BIBLIOTHÈQUE DES TEXtES PHILOSOPHIQUES Directeur: Henri GOUHlER

DES MÊMES TRADUCTEURS

ADORNO (T.W.), Dialectique négative. Traduction, avec le groupe de traduction du COllège de Philosophie, Payot, 1978. CASSIRER (E.), Les systèmes post-kantiens. Traduction, avec le groupe de traduction du Collège de Philosophie, Presses Universitaires de Lille, 1983. FICHTE (J.-G.), Plan déductif d'un établissement d'enseignement supérieur à fonder à Berlin. Traduction par A. Renaut, in : Philosophies de l'Université, L'idéalisme allemand et la question de l'Université, présentation par L. Ferry, J.-P. Pesron et A. Renaut, Payot, 1979. FICHTE (J.-G.), Machiavel et autres écrits philosophiques et politiques de . 1806-1807. Traduction, présentation et notes par L. Ferry et A. Renaut, Payot, 1981. FICHTE (J.-G.), Fondement du droit naturel. Traduction, présentation et notes par A. Renaut, Presses Universitaires de France, 1984. HORKHEIMER (M.), Théorie critique. Traduction, avec le groupe de traduction du Collège de Philosophie. Présentation par L. Ferry et A. Renaut. Payot, 1978.

A paraître: FERRY (L.), Philosophie politique, t. 1 et II, Presses Universitaires de France. RENAUT (A.), Philosophie et droit dans la pensée de Fichte, Presses Universitaires de France. FERRY (L.) et RENAUT (A.), Système et critique, Ousia/Vrin. FERRY (L.) et RENAUT (A.), Droits de l'homme et démocratie, Presses Universitaires de France.

J.G. FICHTE ESSAIS PHILOSOPHIQUES CHOISIS ( 1794-1795) Sur le concept de la Doctrine de la Science ou de ce que l'on appelle philosophie . Sur l'esprit et la lettre dans la philosophie. De la faculté linguistique et de l'origine du langage.

Traduction par Luc FERRY et Alain RENAUT Présentation par Alexis PHILONENKO

PARIS LIBRAIRIE PHILOSOPHIQUE J. VRIN 6, Place de la Sorbonne, Ve 1984

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PRESENTATION

Les trois essais traduits et annotés par Luc Ferry et Alain Renaut ne peuvent pas être considérés simplement comme des parerga de la doctrine fichtéenne. Ils appartiennent tous à la grande période du philosophe d'Iéna, c'est-à-dire aux années 1794-1795. L'échec rencontré par Fichte dans les Contributions destinées à rectifier le jugement du public sur la Révolution française, - échec tout entier fondé sur une divergence principielle avec Kant (1) l'avait incité à tenter d'élaborer un système cohérent, susceptible de fonder non seulement l'éthique, mais encore une philosophie du droit compatible avec l'idée de progrès. Ces trois essais sont d'une valeur inégale, non certes dans la rigueur, mais dans la portée potentielle. C'est ainsi que la réflexion sur la faculté linguistique, et sur l'origine du langage intéresse plus le spécialiste de Fichte que Je théoricien du langage. Ces textes doivent donc être jugés avec pondération. Entre ces trois essais le plus important, aussi bien pour le spécialiste de Fichte que pour le théoricien de la science, est incontestablement celui intitulé : Sur le concept de la Doctrine de la Science ou ce qu'on appelle philosophie. Les traducteurs ont pu, enfin, s'appuyer sur la version allemande correcte établie par R. Lauth dans l'édition complète des œuvres du philosophe sous les auspices de l'Académie des sciences de Bavière (2). Or il était étonnant de constater que dans l'édition des Oeuvres complètes publiée par le propre fils de Fichte - et dont beaucoup de chercheurs se sont malheureusement servi - le texte en question n'avait pas été reproduit dans son intégralité. On ne donnait que la version de la seconde édition et dans celle-ci la troisième section de l'opuscule avait disparu. Or - si les futurs auditeurs de Fichte ne pouvaient peut-être pas tout comprendre, si les subtilités §. 1.

La loi du 11 mars 1957 n'autorisant, aux termes des alinéas 2 et 3 de l'article 41. d'une part, que les" copies ou reproductions strictement réservées à l'usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective" et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration " toute représentation ou reproduction intégrale, ou partielle, faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droits ou ayants cause, est illicite " (alinéa 1er de l'article 40). Cette représentation ou reproduction par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code Pénal.

© Librairie Philosophique J. VRIN, 1984 ISBN 2-7116-0842-5

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1. J'ai tenté dans mon livre Théorie et praxis dans la pensée morale et politique de Kant et de Fichte en 1793 de systématiser les oppositions entre Kant et Fichte. 2. J.G. Fichte, Gesamtausgabe, Werkeband 2.

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PRESENT A TION

méthodiques des deux premières sections devaient leur échapper, en revanche dans la dernière section ils ne pouvaient qu'être sensibles à la promesse « d'une nouvelle théorie entièrement déterminée de l'agréable, du beau et du sublime, de la légalité de la nature en sa liberté, de la doctrine de Dieu, de ce que l'on nomme le bon sens, ou du sens naturel de la vérité, et enfin un droit naturel et une éthique, dont les principes ne sont pas seulement formels, mais matériels » (3). C'est ce que l'on a appelé « l'esprit encyclopédique de la Doctrine de la Science » et ce fut ainsi l'occasion d'un malentendu qui subsiste encore de nos jours. Il y avait la position naïve: on allait tout savoir dans une totalité dérivée de la raison pure et Faust ne serait plus seulement un mythe. Cette opinion naïve a beaucoup fait pour la gloire et la déchéance de Fichte. En somme il promettait la lune, sous l'égide de la raison. Le corpus des connaissances désirées était, croyait-on à portée de la main. Goethe lui-même sembla attacher quelque valeur à cette opinion candide. L'idéalisme subjectif de Fichte, pour parler comme Schopenhauer ou Schelling (4), reçut ici son acte de baptême. - D'un point de vue strictement publicitaire, ainsi que nous avons coutume de dire, l'opération était réussie et la gloire de Fichte assurée. Mais la publicité dure ce qu'elle dure. Bien vite il apparut que la Grundlage der gesammten Wissenschaftslehre ne tenait pas les promesses faites et bientôt jugées inconsidérées. Il convient de toujours garder présent à l'esprit que des curieux, peu familiers de la méthode transcendantale, imaginaient que Fichte fournirait pour ainsi dire un catalogue philosophique des scie-nces, garanti par son apriorité. Sans doute l'idée de système, comme organisation générale et méthodique de la totalité des connaissances, n'était pas étrangère à Fichte ; il suffit de se reporter à la conclusion de la W-L nova methodo de 1798. Mais il était aussi l'homme de l'endurance dans la pensée et n'ignorait pas combien le travail était immense. Les lecteurs plus avisés relevèrent les disciplines mentionnées et trouvèrent qu'elles intéressaient l'esthétique, la théorie de la finalité, le droit et les différents moments de l'éthique. La constatation était juste, mais la conséquence qu'on en tira fut illégitime. Non sans raisons on voulut voir dans l'écrit programmatique, la voie d'entrée dans la Doctrine de la Science, mais en même temps on commettait le contre-sens fatal, consistant à assim iler la Grundlage der gesammten Wissenschaftslehre (1794-1795) à la philosophie théorique (par opposition, par exemple, à la philosophie morale) et surtout à négliger son vrai rôle, rendant précisément possibles les disciplines philosophiques en totalité, et qui est son rôle de fondation. Certes la confusion était aisée. Mais elle détruisait pleinement la visée fichtéenne. La Grundlage - Les principes de la Doctrine de la science - devait être le socle de tout l'édifice et Fichte a pu se dispenser d'élaborer certains moments de celui-ci. C'est ainsi que la philosophie théorique stricto sensu était aux yeux de Fichte pleinement 3. Ibid. p. 151-152. 4. Sur la notion d'idéalisme subjectif j'ai tenté de produire quelques éclaircissements dans mon ouvrage sur Schopenhauer, Vrin, 1980.

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réalisée dans la Critique de la Raison pure de Kant. Il n'éprouvait pas le vif désir de la reconstruire; en revanche, sur les fondements ou principes de la W-L de 1794 il devait entreprendre de reconstruire la théorie du droit et le système de l'éthique. Quand Fichte, dans la seconde édition de l'écrit programmatique Sur le concept de la Doctrine de la Science, abandonne cette Ille section, c'est bien moins parce que les promesses n'ont pas été tenues - l'interprète honnête doit reconnaître qu'en 1798 il existe un ensemble si l'on consent à ajouter pour la philosophie théorique la Critique de la Raison pure et pour l'esthétique formelle et matériale la Critique de la Faculté de juger - c'est bien plutôt parce que l'auteur de la W-L veut se consacrer de plus en plus vigoureusement à l'élaboration de la fondation. Mais les malentendus que nous indiquons n'ont pas cessé de croître et il serait instructif de relire Schelling dont le génie semble ne pas avoir suffi pour délimiter la frontière entre le champ fondateur et les disciplines fondées. Il s'en est suivi, à notre sens, une erreur énorme. On n'a pas vu que les Principes de la Doctrine de la science, la Grundlage, étaient une fondation en vue de l'ouverture. On y devait voir longtemps une totalité fermée sur soi et l'on sait bien les reproches délirants adressés à Fichte et dont le plus grave fut l'accusation de solipsisme. Il fallait lire méthodiquement, en termes de démarche, les sections 1 et II. Non pas y chercher quelque ontologie, puisque ce mot est ,ievenu à la mode - mais tout au contraire s'intéresser à la pure méthode de l'intelligence a priori. Très rares ont été les penseurs capables de saisir cette audacieuse ~fUche. Ne disons rien des contemporains, mais saluons la perspicacité de Léo~nschvicg parlant de l'éclat unique de la Doctrine de la science (5). Bien des choses séparaient Fichte et L. Brunschvicg et en particulier un héritage de mots et d'idées venu du positivisme. Mais dans sa thèse mémorable sur la Modalité du jugement Brunschvicg s'était inspiré de ce qu'il y a de meilleur et de plus profond dans les sections 1 et II de l'Ecrit programmatique (6). A y bien réfléchir on pourrait avancer une idée - non une thèse. Ce serait la suivante: la pesanteur de l'hégélianisme a fait qu'on a lu en termes de choses ou, si l'on préfère, suivant une analyse -réifiante le texte fichtéen. Un principe peut sans doute être cause réelle, au même titre que la plume qui me sert à rédiger ces pages et il ne serait pas sérieux de nier toute dialectique des choses. Mais en revanche un principe peut aussi être idéel, gouverner sa dialectique intime. Et alors la question fondamentale qui se pose est celle de savoir si le principe idéel doit suivre celui qui se donne comme réel, ou si, en revanche, la pure idéalité ne doit pas régler la dialectique des choses. Il serait nécessaire d'apporter maintes corrections sur la visée hégélienne ici esquissée. Mais cela supposerait un livre. Mais enfin, pour ne dire qu'une seule chose, n'est-il pas clair comme le jour, luce meridiana clarius, que le concept hégélien est une chose, certes spirituelle, mais différente de l'Idée transcendantale 5. L. Brunscvicg. Le progrès de la conscience dans la philosophie occidenta· le (1952). 2 e ed. T. I, p. 337. Brunschvicg parle de « L'originalité souveraine» de la Grundlage. Il ne méconnaît pas une méthode dialectique au sens de Hegel, mais son jugement est réservé. 6. L. Brunschvicg, La modalité du jugement (1934) 2 e ed. p. 80 et suivantes.

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pure? Il ne faut pas dire, si l'on veut aimer Fichte que la pensée est une chose, en quelque acception que ce soit, Elle est pure pensée retournant vers sa fondation, tant pour l'élaborer que pour se l'approprier. §. 2. Le second essai intitulé : Sur la lettre et l'esprit dans la philosophie pourra paraître plus énigmatique pour les raisons suivantes. En premier lieu Fichte bien que philosophe - et nous oserions ajouter « philosophe de profession » - ne semble pas poser un problème qui relève immédiatement de la philosophie. Certes on peut tout réputer philosophique, mais il faut être raisonnable et consentir à concevoir qu'il y a du plus et du moins philosophique. Dans le fait Fichte traite principiellement des relations entre la lettre et l'esprit, au sein de la philosophie, dans une perspective esthétique où certains accents évoquent déjà Schopenhauer (7). Sans doute il reprend la métaphore de l'aimant et du métal attiré par lui qui se donnait en exemple dans les Principes de la Doctrine de la science .. mais il semble bief]. éloigné d'une dialectique raffinée de la métaphore soulignée. - Le deuxième point nous plonge dans un embarras bien pardonnable. Ces pages furent rédigées à l'intention de Schiller, sans doute dans une double visée. D'une part, bien que citée dans les Lettres sur l'éducation esthétique de l'homme (8) la philosophie fichtéenne ne laissait pas d'être combattue. La dimension de l'effort pratique, au sens de Fichte, était fortement minorée par l'élément de jeu auquel s'attachait Schiller. D'autre part Schiller ne semblait pas en cet écrit, fondamental pour ses interprètes, avoir explicité avec une rigueur ne laissant rien à désirer la méthodologie transcendantale. Et c'est pourquo~ en dépit de la simplicité voulue de son texte, Fichte ne l'intitule pas : Sur la lettre et l'esprit dans la réflexion esthétique, mais bien : Sur la lettre et l'esprit dans la philosophie. Mais ces relations historiques hypothétiques ne sont pas vraiment manifestes. Le duel, si duel il y eut, fut subtil et les fleurets étaient passablement mouchetés. - En troisième lieu les historiens de Fichte les plus autorisés ont expliqué comment le texte de Fichte, bien que rédigé en 1795, ne vit le jour que cinq années après. De là à supposer une mauvaise volonté de Schiller, assez pénétrant pour être piqué dans son amour propre, ou plus simplement vexé, il y a un pas difficile à franchir, mais peut-être tentant - une pure analyse extrinsèque ne permettrait pas d'éliminer la difficulté, mais, il le faut avouer, l'analyse intrinsèque rencontrera toujours des obstacles insurmontables. En un mot nous sommes en présence d'une zone obscure de l'idéalisme allemand. - Les traducteurs MM. Ferry et Renaut ont dans leurs notes éclairées apporté d'utiles données et le lecteur de langue française leur doit bien de la reconnaissance. Mais il leur doit aussi la plus grande indulgence, car le contexte historique et philosophique ne pouvait être élucidé qu'au sein d'une réflexion critiquehistorique-philosophique. Fichte a porté un coup de stylet ; mais si l'arme utilisée était mince ses effets étaient incalculables.

7. Fichte, GA, l, 6, p. 346 sq. 8. Schiller, SW (K. Goedeke Herausgeber) Bd. IV, p. 536.

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Fichte, mieux que Kant, a dénoncé le laxisme inconscient de Schiller. Et de son apparente simplicité, nous pouvons croire qu'elle était aussi tranchante que le fil de l'épée. Le malheur des adeptes de Schiller fut de penser qu'il ne s'agissait que d'une expression bourrue de mécontentement, alors qu'il s'agissait d'une question de méthode. - Mais pour dire la vérité, Fichte assignait à l'Esthétique un statut bien différent de celui que Schiller lui attribuait. Au terme de la W-L nova methodo 1798 il affirme, sans ambiguïté, que l'Esthétique est la discipline qui sert de passerelle entre la philosophie populaire et la philosophie transcendantale. On pourrait dire qu'il ne lui accorde même pas la place que lui reconnaît Schopenhauer. Selon Fichte, en fait, l'art vulgarise les "t Idées transcendantales. Cela ne signifie pas qu'il tienne l'Esthétique pour une discipline vraiment marginale ; mais il sait à l'encontre de Schiller qu'une vulgarisation réussie, pour s'exprimer comme Kant, est une opération extrêmement difficile. Fichte cependant était bien plus attiré qu'on ne le pense par les beauxarts et surtout par la poésie. Il nous a laissé de fort beaux sonnets (9). Et il a même fait des tentatives. La fondation Bodmer de Genève conserve un sonnet de 1802, je veux dire le manuscrit. L'écriture est haute, légèrement penchée, équilibrée et le manuscrit sans ratures, ni taches témoigne du souci d'élégance et de rigueur de Fichte. En revanche, mais c'était conforme à sa définition de l'art comme activité pratique médiatisante et œuvre de vulgarisation, il n'existe " pas à ma connaissance une tentative fichtéenne qui puisse se comparer avec .. l'Esthétique de Hegel. L'art, loin de se susbtituer à la philosophie, ou de se ., figer dans un monument verbeux, doit conserver son autonomie, sa v!~~­ nente, dans l'horizon transcendantal. Il ne lui appartient pas tellement de gôliV"erner les hommes et les peuples que de refléter leur élévation ou leur ;If: affaissement éthique (10). L'art, vulgarisation de la pensée transcendantale, ne laisse pas d'être politique - il dit la vérité des peuples en même temps qu'il leur offre un peu comme chez Platon « ~~..~!lLILl!.S~A~.~.P.o~~il>Je._".ers la ~ie spi!.i!!lell~ », qui, en elle-même réfléchie, s'ouvre sur la Doctrine de la Science. Par l'art et en l'art se dévoile « la belle totalité ». Mais tout de même que chez J Platon il faut abandonner - en le remerciant - le Banquet, de là s'élever à la sévère dialectique de la République et du Parménide, tout de même chez Fichte l'œil spirituel ouvert doit gravir les pics ardus des synthèses quintuples. On criera au classicisme, comme si ce dernier, soit dit en passant, était toujours digne d'être blâmé. Mais la technique synthétique est-elle toujours applicable en Esthétique et ne commettrait-on pas d'affreux dégâts? On sait que Fichte dans le sonnet de 1802 a voulu introduire la quintuplicité - mais il l'a fait avec un art extrême, sans lui donner une place globalement décisive. Le fait qu'il convient de retenir est l'extrême modération de Fichte. Quand il décrit l'histoire abrégée « de notre pouvoir esthétique tout entier », 9. J-G. Fichte, SW. Bd. VIII. Je renvoie à ma traduction du Sonnet de 1802 dans la Revue de Métaphysique et de Morale. 1975 nO 3. 10. Fichte, GA, l, 348 sq .

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il est plus soucieux du réel que doctrinaire. S'il est doctrinaire c'est seulement dans la mesure, où il veut assigner à l'Esthétique sa fonction propre et sa place opérationnelle. Et ce souci se nomme: volonté de méthode.

complémentaire. Il faut, à notre sens remonter beaucoup plus haut. Le langage ne consiste pas seulement à parler, mais surtout à se faire entendre. Dans sa Critique de toute révélation, antérieure au projet élaboré de la W-L, Fichte, rejoignant Kant, posait qu'aucun langage ne pouvait être tel, sans être compréhensible pour l'humaine raison. Une voix céleste ne saurait rien m'apprendre de plus que le discours de la raison pratique. Le prétendrait-elle, elle s'évanouirait dans une transcendance obscure. L'attitude fichtéenne relative au langage est celle d'un grand Aufkliirer et cela dès l'origine. Tout ce qui passe l'humaine raison est nul et non avenu. Ce n'est qu'à l'intérieur d'une philosophie, en laquelle la raison est auprès de soi, que la libre pensée se peut exercer. C'est là le présupposé initial de Fichte - au demeurant leibnizien, tant il est vrai mutatis mutandis, que les vérités mathématiques qui règlent l'entendement divin, ne peuvent être distinctes de celles sur lesquelles l'entendement humain doit s'appuyer. La philosophie fichtéenne est donc une philosophie de l'universalité de la raison. Sans la raison, il n'y a plus que supersitition, faux culte. Fichte a donc été conscient des difficultés, même s'il ne pouvait, du moins à cette époque soupçonner la révolution de Humboldt. On est en droit dès lors, en tenant compte du concours de circonstances, d'estimer que son essentielle visée en cet essai sur le langage tendait à une foncation abstraite de l'inter-subjectivité. Toute sa dialectique plus ou moins scientifique de la genèse du langage est déterminée sous l'égide de l'inter-subjectivité comme progrès incessant vers la juste communication. La communication des pensées ne procède pas du mode déterminé de la communication - le langage par gestes n'est pas encore celui par la pure pensée, mais le détermine progressivement. Le langage doit parvenir à une souveraine clarté médiatisant le Moi et le NonMoi. Aussi ne convient-il pas de laisser dans l'ombre cet essai. Au creux de la vague, entre le coup d'arrêt prononcé par Kant d'une part et la révolution copernicienne de Humboldt d'autre part, Fichte, sans trop croire être compris, a voulu assurer une orientation éthique à la philosophie du langage, avec pour horizon l'inter-subjectivité. Il s'agit d'une grammatologie éthique - qui jette les jalons pour une lointaine philosophie, non plus du langage, mais de la langue. Il aura fallu à Fichte le sentiment troublant de l'épopée napoléonienne pour aller d'un point de vue à l'autre. Aussi dans son itinéraire philosophique et moral, ce texte initial ne doit pas être négligé. Certes la doctrine de la langue, exposée dans les Discours à la Nation allemande est complexe. L'épopée napoléonienne a conduit Fichte -- et c'est en ceci qu'il se rapproche de Humboldt - à souligner le génie propre à toute langue historiquement évoluée. De là résultait une approche du phénomène linguistique dans ses valeurs concrètes et un sensible dépassement de la théorie abstraite du langage dans l'Aufkliirung.

§. 3. Comme l'expliquent avec justesse les traducteurs le troisième essai est en partie œuvre de circonstances. C'est sous la pression des étudiants que Fichte jugea utile de fixer ses réflexions sur le langage. On ne peut apprécier ce texte qu'avec un sentiment mélangé. Du point de vue philosophique l'intérêt est immense puisque ces leçons rédigées dans la première grande période de la W-L, attestent que jamais la problématique de l'inter-subjectivité ne fut un seul instant abandonnée. En revanche le linguiste sera plus réservé, considérant que l'origine des langues n'est pas un problème soluble, pour ne pas dire un faux problème. L'historien de la philosophie, bien embarrassé, on s'en doute, fera observer que les essais sur l'origine des langues s'étaient multipliés. On connaît bien les noms de Condillac, Rousseau, Maupertuis, Herder - pour ne citer que les plus illustres. Mais il faut pourtant savoir deux choses. D'une part Kant, certainement agacé par cette « métaphysique du langage », refuse de la considérer en sa« problématique». Dans ses Conjectures sur les débuts de l'histoire humaine, il déclare avec énergie que l'homme ab initio savait se tenir debout, marcher et parler, donc penser (11). Nous ne pensons pas que Kant répute comme indésirable le problème de l'origine des langues en fonction de données ou de thèses semblables à celles avancées par Saussure. Il est, à notre sens, tout simplement agacé par les creuses métaphysiques. D'autre part - même si Fichte devait apporter d'utiles compléments, notamment en 1807 - il est manifeste que la révolution copernicienne dans ce domaine devait être amorcée par W. von Humboldt (12). Ce n'est point faire injure à Fichte que de soutenir qu'il s'est trouvé au creux de la vague. D'un côté s'effondrait, par exemple, la métaphysique de Herder, de l'autre côté s'amorçait la grande vague de la révolution de Humboldt et l'élaboration géniale du Kawiwerk. Aussi bien que devons-nous retenir de cet essai? Fichte en une note indique lui-même la limite : « Selon ma conviction le langage a été tenu pour beaucoup trop important si l'on a cru que sans lui nul usage de la raison ne serait advenu» (13). Les savants traducteurs ont tenté, il est vrai avec beaucoup de tact, d'explorer les aspects positifs de la réflexion fichtéenne. Il est incontestable que dans la « célèbre question de l'origine des langues », Fichte part de la constatation qu'il a été donné trois types de réponses. Ou bien le langage est inné, ou bien il a été enseigné à l'homme par un miracle, ou bien enfin il a été inventé par l'homme lui-même (14). Ces réponses convergent tout en s'ignorant. L'ingénieux et savant commentaire des traducteurs suscite une réflexion

11. Kant, AK. Bd. VIII, p. 11 o. : « Der erste Mensch konnte also stehen und gehen ; er konnte sprechen. » 12. Cf. Wilhem von Humboldts, Gesammelte Schriften (AK) Bd. IV, p. 57, - IV, p. 3, p. 10-11 cf. E. Cassirer, Philosophie der symbolischen Formen, Bd. l, p. 100 et suiv. 13. Fichte, G-A, l, 3, p. 103. 14. Le traducteur dans sa note 3 sur le texte donne une référence heureuse. G.A, II, 4, p. 158.

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La traduction de ces essais complète heureusement les Oeuvres choisies de philosophie première déjà publiées à la Librairie philosophique J. Vrin. Elle atteste une croissance sûre, même si elle est lente, de l'intérêt du public pour le grand successeur de Kant. Il faudra sans doute bien des efforts pour parvenir à une politique de traduction des ouvrages de Fichte, fondée et cohérente. Mais la difficulté est parfois une amie. Chaque pas en avant est un triomphe pour le traducteur. J'espère que dans un délai modéré, on parviendra à donner trois traductions d'œuvres capitales. D'une part Le fondement du droit naturel, d'autre part Le système de l'éthique et enfin la Doctrine de la science, 1801/1802. Et lorsque ces écrits fondamentaux auront été traduits, le lecteur français pourra mieux mesurer l'ampleur du phénomèn~Fichte. J'espère et j'ai confiance, sans me cacher les difficultés, - mais, je le répète, celles-ci sont parfois des amies.

Alexis PHILONENKO Paris, Juin 1982

Au Professeur Reinhard Lauth, Au Professeur Alexis Philonenko, en très respectueux hommage.

" SUR LE CONCEPT DE LA DOCTRINE DE LA SCIENCE OU DE CE QUE L'ON APPELLE PHILOSOPHIE Invitation à ses leçons sur cette science, par Johann Gottlieb Fichte, professeur ordinaire désigné à l'Université d'Iéna. (1794-1798)

Traduit par Luc Ferry et Alain Renaut

" PREFACE DE LA PREMIERE EDITION

Remarque des traducteurs

1) Nous avons suivi le texte établi par l'édition de la Bayerischen Akademie, G.A., l, 2, p. 91-172 ; c'est dire qu'on trouvera ici traduit le texte de la première édition (Weimar, Industrie-Comtoir, 1794). Ont été indiquées en bas de page, parmi les variantes de la seconde édition (Iéna et Leipzig, GabIer, 1798) exhaustivement répertoriées par la G.A., celles (corrections,suppressions, additions) qui présentent une différence de sens, même minime, et peuvent donc apparaître à la traduction. 2) Les notes de Fichte sont appelées par un astérisque ; les notes sur les variantes sont signalées alphabétiquement, de A à Z ; les notes des traducteurs sont indiquées numériquement et sont seules renvoyées à la fin du texte. 3) Nous avons fait figurer en marge de notre traduction la pagination de l'édition de la Bayerischen Akademie .. on trouvera dans le corps du texte la pagination de l'édition J.H. Fichte (Berlin, 1845, l, 1, p. 27-81).

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(29)/ L'auteur de cet essai fut, par la lecture de nouveaux sceptiques, particulièrement de l'Enésidème et des excellents écrits de Maimon 1 , pleinement convaincu de ce qui pour lui avait déjà auparavant été extrêmement vraisemblable : que la philosophie, même à travers les plus récents efforts des hommes les plus pénétrants, n'a pas encore été élevée au rang d'une science évidente. Il crut en avoir trouvé la raison et avoir découvert une voie aisée pour satisfaire complètement à toutes ces exigences véritablement très fondées des sceptiques à l'égard de la philosophie critique ; et pour concilier le système dogmatique et le système critique en général, dans leurs prétentions antagonistes, comme par la philosophie critique sont conciliées les prétentions antagonistes des différents systèmes dogmatiques*. Non accoutumé à parler de choses qu'il a encore à faire, il aurait exécuté son plan, ou bien (30) aurait gardé le silence pour • La véritable querelle qui a lieu entre les deux systèmes, et dans laquelle les sceptiques se sont légitimement battus du côté des dogmatiques et, avec eux, du côté du bon sens - lequel certes n'entre pas en considération comme juge, mais doit en revanche, assurément, être interrogé point par point comme témoin -, pourrait bien porter sur l'accord de notre connaissance avec une chose en soi .. et la querelle pourrait bien être tranchée par une future Doctrine de la Science, en ceci que notre connaissance entré en relation avec la chose en soi, certes pas immédiatement par la représentation, mais bien médiatement par le sentiment .. que les choses sont assurément représentées simplement en tant que phénomènes, mais qu'elles sont senties comme choses en soi .. que sans sentiment, à vrai dire, aucune représentation ne serait possible ; mais que les choses en soi ne sont connues que subjectivement, c'est-à-dire seulement en tant qu'elles agissent sur notre sentiment (A). A. Cette note de la première édition disparaît dans la seconde.

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dc pouvoir présenter ce système au public sous une forme

d,gllt' de celui-ci seulement dans des années; mais l'équité, qui veut

ne critique pas avant d'avoir examiné le tout, il espère l'obtenir di's maintenant. Le premier but de ces feuilles était de mettre les jeunes étudiants de l'Université à laquelle l'auteur est appelé, en état de juger s'ils peuvent se fier à lui comme guide sur le chemin de la première des sciences, s'ils peuvent espérer qu'il soit capable de répandre sur elle autant de lumière qu'ils en ont besoin pour le parcourir sans trébucher dangereusement ; le second, de recueillir les jugements de ses bienfaiteurs et amis sur son entreprise. C'est à ceux qui n'appartiennent ni aux premiers ni aux seconds, au cas où cet écrit devrait venir entre leurs mains, que sont destinées les remarques suivantes. L'auteur est jusqu'à maintenant intimement convaincu qu'aucun entendement humain ne peut s'avancer au delà de la limite à laquelle s'est arrêté Kant (B), particulièrement dans sa Critique de la faculté de juger 2 , mais qu'il ne nous a jamais déterminée précisément, et qu'il a présentée comme la limite ultime du savoir fini. Il sait qu'il ne -> pourra jamais dire quelque chose que Kant n'ait déjà annoncé, indirectement ou directement, plus explicitement ou plus implicitement. Il laisse aux siècles à venir le soin de mesurer la profondeur du génie de l'homme qui, à partir du point où il trouva la faculté de juger philosophante (31), souvent guidé comme par une inspiration supérieure, l'entraîna si puissamment à l'assaut de son but ultime. - Il est de même intimement convaincu qu'après l'esprit génial de Kant aucun présent ne pouvait être offert à la philosophie qui fût supérieur à celui qui lui vint de l'esprit systématique de Reinhold 3 ; et il croit savoir quelle place remplie d'honneurs conservera en tout cas sa 111 Philosophie élémentaire / lors des progrès ultérieurs que la philosophie doit nécessairement faire, en quelques mains qu'elle soit. Il n'est qu'oll

B. Corr. KANT.

PREFACE DE LA PREMIERE EDITION

1 A l'REMIERE EDITION

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pas dans sa façon - de penser de méconnaître délibérément un quelconque mérite, ou de vouloir le minimiser ; il croit comprendre que chaque degré que la science a gravi, il a d'abord fallu le gravir avant qu'elle pût en franchir un qui fût plus élevé; il ne tient vraiment pas pour un mérite personnel d'être appelé à travailler, par un heureux hasard, après d'excellents travailleurs ; et il sait que s'il devait y avoir place ici pour quelque mérite; il ne dépendrait pas du bonheur de la découverte, mais de l'honnêteté de la recherche, et que sur ce point l'on ne peut se juger et se récompenser que soi-même. 11 n'a pas dit cela pour ces grands hommes et ceux qui leur ressemblent, mais pour d'autres qui ne sont pas tout à fait aussi grands. Qui trouve superflu qu'il l'ait dit, n'appartient pas à ceux pour lesquels il l'a dit. En dehors de ces gens sérieux, il y a aussi des gens plaisants qui conseillent au philosophe de ne pas en tout cas se rendre ridicule par des espérances excessives placées en sa science. Je ne veux pas décider si tous rient vraiment du fond du cœur, parce que la jovialité leur est naturelle ; ou s'il n'yen a pas parmi eux qui simplement se forcent à rire pour dégoûter le chercheur téméraire d'une entreprise que, pour des raisons compréhensibles, ils ne voient pas d'un bon œil *. Dans la mesure où pour ma part - autant que je le sache - je n'ai pas encore, jusqu'ici, alimenté leur bonne humeur par l'expression de telles hautes espérances, il m'est peut-être permis, d'abord, de les prier, non pas pour l'amour des philosophes, et encore moins (32) de la philosophie, mais pour l'amour d'eux-mêmes, de retenir leur rire jusqu'à ce que l'entreprise ait formellement échoué, et ait été abandonnée. Qu'ensuite ils se moquent, s'ils en ont envie, de notre croyance en l'humanité, à laquelle eux-mêmes appartiennent, et des espoirs que nous plaçons dans ses grandes dispositions; qu'ensuite ils se consolent en répétant sentencieusement qu'il n'y a rien à tirer de l'humanité, qu'il en fut toujours ainsi et qu'il en sera toujours ainsi qu'ils répètent cela aussi souvent qu'ils ont besoin de se consoler !

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PREF ACE DE LA DEUXIEME EDITION

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(32) Ce petit écrit était épuisé. J'ai besoin de lui pour m'y référer dans mes leçons ; en outre il est jusqu'ici - à l'exception de quelques essais parus dans le Journal philosophique d'une société de savants allemands - le seul écrit où il est proprement philosophé sur le philosopher de la Doctrine de la Science, et qui par conséquent sert d'introduction à ce système. Ces raisons m'ont poussé à en préparer une nouvelle édition. Même le but et l'essence de cet écrit, malgré son titre précis et son contenu, ont été couramment méconnus, et il devient nécessaire, lors de la deuxième édition, de s'expliquer avec précision sur ces points dans une préface - ce que je tenais pour totalement inutile lors de la première édition. Il est en effet permis de proprement philosopher, à nouveau,· sur la métaphysique, qui simplement doit être non pas une doctrine des prétendues choses en soi, mais une déduction génétique de ce qui survient dans notre conscience, - il est permis d'instituer des recherches sur la possibilité, la signification propre, les règles d'une telle science ; et il est très profitable pour l'élaboration de la science elle-même que cela se produise. Un système de semblables recherches se nomme, du point de vue philosophique, Critique ; du moins ne devrait-on désigner sous ce nom que le système indiqué. La Critique n'est pas proprement la métaphysique (33), mais au contraire elle la dépasse ; elle se rapporte à la métaphysique exactement comme celle-ci se rapporte à la vision commune des choses qui est celle de l'entendement naturel. La métaphysique explique cette vision des choses, et ell~-même est expliquée dans la Critique .

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La véritable Critique critique le penser philosophique : si la philosophie elle-même doit aussi être dite critique, on peut seulement dire d'elle qu'elle critique le penser naturel. Une Critique pure - la Critique kantienne, par exemple, qui se présentait comme Critique n'est rien moins que pure, au contraire elle est en grande partie elle-même de la métaphysique ; elle critique tantôt le penser philosophique, tantôt le penser naturel : ce qui en soi ne pourrait nullement lui être reproché si seulement, d'une part, elle avait énoncé de façon parfaitement précise la distinction qui précède, si d'autre 160 part, pour certaines de ses recherches, elle avait indiqué / de quel domaine elle relevait : - une critique pure, dis-je, ne contient pas, mêlées à elle, de recherches métaphysiques ; une métaphysique pure - les élaborations accomplies jusqu'ici de la Doctrine de la Science, qui s'annonçait comme métaphysique, ne sont à cet égard pas pures, ni ne pouvaient l'être, dans la mesure où c'est seulement à l'aide du geste critique qui s'y ajoute, que cette manière inhabituelle de penser pouvait espérer quelque succès -, une métaphysique pure, dis-je, ne contient pas d'autre Critique que celle par laquelle on doit déjà auparavant être, avant elle, parvenu à la pureté. Ce qui a été dit détermine exactement l'essence de l'écrit qui suit. Il est une partie de la Critique de la Doctrine de la Science, mais nullement la Doctrine de la Science elle-même, ou une partie de celle-ci. Elle est une partie de cette Critique, disai-je, Elle se préoccupe particulièrement de présenter la relation de la Doctrine de la Science au savoir ordinaire, et aux sciences qui sont possibles du point de vue de celui-ci - cela quant à la matière du savoir. Mais il y a encore une autre considération qui peut contribuer très fortement à produire un concept exact de notre système, à le protéger contre des mésinterprétations, et à le faire accepter : celle qui porte sur la relation, quant à la forme, de la pensée transcendantale à la pensée commune, c'est-à-dire la description du point de vue (34) à partir duquel le philosophe transcendantal contemple tout savoir, et de sa disposition d'esprit dans la spéculation. L'auteur croit s'être expliqué sur ce point avec quelque clarté dans ses deux introductions à une nouvelle présentation de la Doctrine de la Science (dans le journal mentionné ci-dessus, année 1797)5 , en particulier dans la seconde. - Une science et sa Critique se soutiennent et s'expliquent l'une l'autre. C'est seulement quand la pure présentation de la Doctrine de la Science sera elle-même possible, qu'il sera facile de rendre compte systématiquement et complètement de sa méthode. Que le public pardonne à l'auteur

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des travaux provoisoires et incomplets jusqu'à ce qu'un jour luimême ou un autre puisse les achever ! Dans cette nouvelle édition, sont seulement modifiées plusieurs tournures et expressions qui n'étaient pas assez précises, quelques notes qui empêtraient le système dans des controverses dont il peut encore se dispenser jusqu'à maintenant, et a été abandonnée toute 161 la troisième section (division hypothétique de la / Doctrine de la Science), qui au moment même de sa rédaction n'avait qu'une finalité provisoire, et dont le contenu est exposé depuis de façon plus explicite et plus claire dans les Principes de la Doctrine de la Science. Dans la mesure où je publie à nouveau un écrit où avant tout j'annonçais mon système, il n'est peut-être pas déplacé de donner quelques indications sur l'histoire de l'accueil que ce système a trouvé jusqu'ici. Peu de gens adoptèrent la règle plus raisonnable de provisoirement se taire et de prendre d'abord un peu le temps de réfléchir; les plus nombreux firent voir ouvertement leur stupide étonnement devant le nouveau phénomène et l'accueillirent avec des ricanements imbéciles et en s'en moquant de façon absurde ; les plus bienveillants d'entre eux voulurent croire, pour excuser l'auteur, que toute l'affaire n'était qu'une plaisanterie de mauvais goût, alors que d'autres réfléchissaient sérieusement à la façon dont on pourrait bientôt lui trouver une place « au sein de certaines institutions de bienfaisance ». - On apporterait à l'histoire de l'esprit humain la plus riche contribution si l'on pouvait raconter comment certains philosophèmes (35) ont été accueillis lors de leur première apparition ; c'est une véritable perte de ne plus posséder les jugements produits lors du tout premier étonnement des contemporains sur quelques anciens systèmes. A l'égard du système kantien, il est encore temps d'organiser une collection de ses premières recensions, - avec en tête celles parues dans le très célèbre Journal des Savants de Gôttingen -, et de les conserver comme des objets rares pour les siècles à venir 6 • Pour la Doctrine de la Science je vais l'entreprendre moi-même ; et pour commencer je mets en annexe de cet écrit deux des plus remarquables recensions qui relèvent d'une telle collection - sans évidemment y ajouter de commentaires. Le public philosophique qui présentement connaît mieux mon système n'a pas besoin de tels commentaires, et pour les auteurs de ces recensions c'est assez d'infortune d'avoir dit ce qu'ils y ont dit 7 • Malgré cet accueil effrayant, ce système a pourtant bientôt connu, ensuite, des destins plus heureux que ceux qui auraient pu échoir à n'importe quel autre. Maints jeunes cerveaux spirituellement riches s'en sont saisi avec flamme, et un vétéran couvert de

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gloire dans la littérature philosophique lui a donné son approbation, après un long et mûr examen 8. Des efforts réunis de tant d'excellents cerveaux on peut s'attendre à ce que bientôt, présenté de multiples 162 façons / et largement appliqué, il produise. dans le philosopher, et par son intermédiaire dans la démarche scientifique en général, le changement de ton qu'il vise. Malgré la similitude entre sa première réception et celle qu'a connue le système qui l'a immédiatement précédé - système autre, comme le croient de bons connaisseurs, autre présentation, en fait, du même système, comme je le soutiens non sans, moi aussi, de bonnes raisons (36) (point sur lequel cependant je renonce solennellement à polémiquer) -, malgré cette similitude, dis-je, - quoique, comme cela se comprend de la part de kantiens, la réception de la Doctrine de la Science se soit accomplie de façon beaucoup plus grossière et basse que celle des écrits de Kant -, les deux systèmes ou présentations n'auront pas, en tout cas je l'espère, le même résultat, savoir : former une cour de perroquets serviles et brutaux. D'une part on devrait croire que les Allemands se laisseront intimider par la triste situation qui s'est produite, et ne s'imposeront pas deux fois consécutivement la charge de faire les perroquets ; d'autre part aussi bien l'exposition choisie jusqu'à maintenant, évitant une trop grande fixité de la terre, que l'esprit intime de cette doctrine, semblent -la protéger contre la répétition par des disciples privés de pensée ; aussi, de ses amis, n'y a-t-il pas à attendre qu'ils entreprennent de lui vouer une telle fidélité. Pour l'accomplissement du système, il y a encore indescriptiblement à faire. Pour l'heure, c'est à peine si le fondement a été posé, c'est à peine si l'édifice a été commencé ; et l'auteur veut croire que tous ses travaux accomplis jusqu'ici sont considérés simplement comme provisoires. La ferme espérance qu'il peut maintenant concevoir - de ne pas devoir, comme il le redoutait auparavant, rédiger à tout hasard, pour quelque siècle à venir qui le comprenne, son système en lettres mortes, sous la forme individualisée où il se présenta d'abord à lui, mais au contraire l'espoir de déjà s'entendre à ce sujet avec ses contemporains, et d'en discuter avec eux, l'espoir de voir ce système, par le travail en commun de plusieurs, acquérir une forme plus universelle, et de le laisser derrière soi, vivant dans l'esprit et la façon de penser du siècle, - tout cela modifie le 163 plan / qu'il s'assignait lors de sa première édition. En effet désormais il va non pas progresser à nouveau dans l'exécution systématique du système, mais d'abord présenter de façon plus diversifiée ce qui a été découvert jusqu'ici, et chercher à le rendre parfaitement clair et évident pour quiconque n'a pas de préjugés. Une première étape

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de ce travail a déjà été accomplie dans le journal ci-dessus nommé, et il sera poursuivi, autant que mes très ,prochaines activité de Docent académique le permettront (37). A en croire plusieurs jugements dont j'ai eu connaissance, à travers ces essais la lumière s'est faite pour, plus d'un ; et si la façon de penser du public sur la nouvelle doctrine n'a pas été plus universellement transformée, cela vient peut-être de ce que le journal ne semble pas être très diffusé. A cette fin, je vais, dès que mon temps me le permet, faire paraître un nouvel essai de présentation strictement et purement systématique des Principes de la Doctrine de la Science 9 . Iéna, à la Saint-Michel 1798.

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PREMIERE SECTION SUR LE CONCEPT DE LA DOCTRINE DE LA SCIENCE EN GENERAL

§

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1. Position hypothétique du concept de la Doctrine de la Science.

(38) Pour réunir des partis séparés, le plus sûr est de prendre comme point de départ ce sur quoi ils sont unis. La philosophie est une science," là-dessus toutes les descriptions qui en sont faites convergent, tout autant qu'elles divergent sur l'objet de cette science (C). Et que se passerait-il si le désacord était venu, précisément, (D) de ce que le concept de la science elle-même (E) n'était pas complètement développé; et si cette unique caractéristique (F) suffisait pleinement à déterminer le concept de la philosophie même? Une science a une forme systématique ; toutes les propositions en elle se rattachent à un principe unique et se réunissent en lui pour constituer un tout - de cela aussi on convient universellement. Mais le concept de la science est-il ainsi épuisé ? C. Corr. : là-dessus toutes les descriptions de la philosophie sont aussi concordantes qu'elles sont divisées dans la détermination de l'objet de cette science. D. Corr. : ... si cette désunion était venue, précisément. .. E. Add. : pour laquelle elles reconnaissent unanimement la philosophie. F. Corr. : et si la détermination de cette uniq ue caractéristique admise par tous...

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Si quelqu'un, sur la base d'une proposition sans fondement et indémontrable, posant par exemple qu'il y a dans les airs des créatures avec des penchants, des passions et des concepts humains, et (G) des corps éthérés ; si quelqu'un, sur cette base, édifiait une histoire naturelle, aussi systématique, de ces esprits aériens, ce qui en soi est tout à fait possible, - reconnaîtrions-nous un tel système pour une science, quelque rigoureuses (39) qu'en soient (H) les déductions, et si intimement liées les unes aux autres qu'en puissent être les différentes parties? En revanche si quelqu'un énonce un théorème particulier ou un fait (1) - par exemple si l'ingénieur énonce la proposition que par rapport à une ligne horizontale la perpendiculaire produit des deux côtés un angle droit ; ou si le paysan inculte énonce 113 le fait que l'historien juif / Josèphe a vécu à l'époque' de la destruction de Jérusalem 10, chacun reconnaîtra qu'il possède la science de ce qu'il dit ; bien que ni le premier (K) ne puisse produire systématiquement la preuve géométrique de sa proposition à partir du premier principe de cette science, ni le second ne puisse mettre en évidence correctement la crédibilité historique de son information, l'un et l'autre n'ayant admis la chose qu'en confiance et par ouÏdire (L). Or pourquoi ne nommons-nous pas science ce solide système qui repose sur une proposition indémontrée et indémontrable ; et pourquoi nommons-nous science la connaissance des seconds (M), laquelle n'est reliée dans leur entendement (N) à aucun système? Sans aucun doute parce que le système du premier, avec toute sa correction formelle, ne contient pourtant rien que l'on puisse savoir ; et que les seconds, sans aucune correction formelle, disent quelque chose qu'ils savent et peuvent savoir effectivement (0). G. Corr. : mais. H. Corr. : puissent être. I. Corr.: si quelqu'un énonce un théorème particulier. J. Corr. : si le paysan inculte énonce la proposition qu'un pilier, placé sur un plan horizontal selon un angle droit, se tient perpendiculairement, et, prolongé de façon illimitée, ne penchera d'aucun des deux côtés - ce qu'il aura entendu dire autrefois et qu'il a éprouvé comme vrai dans de multiples expériences. K. Corr. : bien qu'il... L. Suppr. la phrase s'arrête à à partir du premier principe de cette science. M_ Corr. : du second. N. Corr. : dans son entendement. O. Corr. : '" et que le second, sans aucune correction formelle, dit quelque chose qu'il sait et peut savoir effectivement .

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31

L'essence de la science consisterait par conséquent dans la nature de son contenu, celui-ci devrait au moins être certain pour celui qui doit posséder la science ; il devrait être quelque chose qu'il puisse savoir (P) ; et la forme systématique serait pour la science seulement contingente ; elle ne serait pas le but de la science, mais seulement en quelque sorte le moyen en vue de ce but. Plus précisément (Q), si d'aventure quelque chose faisait que l'esprit humain ne puisse acquérir que sur très peu d'objets un savoir certain, mais ne puisse pour le reste que penser, conjecturer, entrevoir, admettre arbitrairement, - et si pourtant, de même, quelque chose faisait qu'il ne puisse vraiment se contenter de cette connaissance étroitement limitée ou non assurée; il ne lui resterait (40) d'autre moyen de l'élargir et de l'assurer que de comparer les connaissances incertaines avec les certaines, et à partir de la similitude ou de la dissemblance (R) entre les premières et les secondes, de conclure ;'1 la certitude ou à la non-certitude des premières. Si elles étaient 1 1·' sem blables à une proposition certaine / , il pourrait accepter avec sûreté qu'elles soient également certaines ; si elles lui étaient opposées, il saurait à présent qu'elles étaient fausses, et il serait sûr de ne pas être plus longtemps abusé par elles (S). Il aurait gagné, sinon la vérité (T), du moins la libération de l'erreur. Je rends mon propos plus clair. - Une science doit être une, un tout. La proposition que la perpendiculaire abaissée sur une ligne horizontale produit deux angles droits, ou que Josèphe a vécu à l'époque de la destruction de Jérusalem (U), est, pour celui qui n'a aucune connaissance cohérente de la géométrie ou de l'histoire (V), sans doute un tout, et, en tant que telle, une science. Mais nous considérons aussi la géométrie dans son ensemble et l'histoire comme une science, alors que pourtant l'une et l'autre P. Corr. : L'essence de la science consisterait donc, semble-t-il, dans la nature de son contenu et dans le rapport de celui-ci à la conscience de celui qui dit qu'il sait. Q. Corr. Voici comment l'on pourrait provisoirement se représenter les choses: si... R. Add. qu'on me permette provoisoirement ces expressions jusqu'à ce que j'ai le temps de les expliquer - ... S. Corr. : il serait assuré contre le fait d'être plus longtemps abusé par elles. T. Corr. : il aurait gagné non pas la vérité, mais cependant. .. U. Corr. : La proposition qu'un pilier dressé sur un plan horizontal selon un angle droit se tient perpendiculairement... V. Suppr. de : ou de l'histoire.

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contiennent encore bien d'autres propositions que celles-là (W), r- comment et par quel moyen maintenant une foule de propositions en soi extrêmement diverses en viennent-elles à former une science, un seul et même tout? Sans aucun doute par ceci que les propositions particulières ne seraient absolument pas science, mais qu'elles le deviennent uniquement dans le tout, par leur position dans le tout et par leur relation au tout. Mais de la simple composition de parties, rien ne peut jamais naître qui ne soit susceptible d'être rencontré dans une partie du tout. Si aucune des propositions ainsi reliées ne possédait de certitude, le tout formé par leur réunion n'en aurait pas non plus. ;Par conséquent au moins une proposition devrait être certaine et communiquer sa certitude aux autres ; en sorte que, si et dans la mesure où (41) cette proposition unique doit être certaine, il en est une deuxième qui elle aussi sera nécessairement certaine, et si et dans la mesure où cette deuxième proposition doit être certaine, il en est une troisième, etc. Et c'est ainsi que plusieurs propositions, en soi peut-être même très différentes, pourraient, pour autant précisément qu'elles possèderaient toutes la certitude, et la même certitude, avoir en commun seulement une certitude (X), et devenir par là seulement une science. La proposition certaine - nous n'en avons jusqu'à maintenant accepté qu'une comme certaine (Y) -, ne veut pas simplement recevoir sa certitude de sa liaison avec les autres, mais elle doit la posséder avant cette liaison ; car de la réunion de plusieurs parties rien 115 ne peut / naître qui ne soit dans une partie. Toutes les autres en revanche devraient nécessairement recevoir d'elle leur certitude. Il faudrait qu'elle (Z) soit certaine et qu'on s'accorde sur elle avant toute liaison. En revanche pas une seule des autres propositions ne devrait être telle avant la liaison, mais c'est seulement par elle qu'elles devraient le devenir. Par là il devient clair, en même temps, que l'hypothèse émise plus haut est la seule exacte, et que dans une science il ne peut y avoir qu'une proposition qui soit certaine et établie avant sa liaison avec les autres. S'il y en avait plusieurs, ou bien elles ne seraient W. Corr. : ... la géométrie comme une science, alors que pourtant elle contient encore, certes, maintes autres propositions que celle-là. X. Corr. : ... avoir en commun seulement une certitude. y . Corr. : La proposition qui vient d'être nommée par nous absolument certaine - nous n'en avons admis qu'une qui soit telle Z . Corr. : elle.

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pas vraiment reliées avec le reste et par suite n'appartiendraient pas au même tout, mais formeraient un seul ou plusieurs touts distincts, ou bien elles seraient reliées avec le reste. Mais les propositions ne doivent pas être liées autrement que par une certitude une et identique. Si une proposition est certaine, une autre doit aussi être certaine, et si la première n'est pas certaine, l'autre ne doit pas non plus l'être (A). Cela ne pourrait valoir d'une proposition qui aurait une certitude indépendante des autres propositions ; si sa certitude doit être indépendante, elle est certaine, même si les autres ne le sont pas. Par conséquent elle ne serait absolument pas liée avec elles par la certitude. Une telle proposition, certaine avant la liaison (B), se nomme un principe. Chaque science doit nécessairement avoir un principe. Il est vrai que, conformément à son caractère intrinsèque (42), elle pourrait très bien consister en une unique proposition, en soi certaine, laquelle toutefois ne pourrait alors évidemment être nommée principe parce qu'elle ne fonderait rien. Mais elle ne peut avoir plus d'un principe, parce que sinon elle formerait non pas une, mais plusieurs sciences. En dehors de la proposition dont la certitude précède la liaison, une science peut encore contenir plusieurs propositions qui ne sont reconnues comme certaines que par leur liaison avec la première (C). La liaison consiste, comme précisément on l'a rappelé, en ce qu'il est montré que si la proposition A est certaine, la proposition B doit l'être aussi - et si celle-ci est certaine, la proposition C doit elle aussi être certaine, etc. ; et cette liaison, c'est la forme systématique du tout, qui naît des parties individuelles. - Maintenant, pourquoi cette liaison ? Sans aucun doute non pour accomplir un tour de force en matière de combinatoire, mais pour conférer une certitude à des propositions qui en elles-mêmes en seraient dépourvues ; et ainsi la forme systématique n'est pas le but de la science, mais c'est seulement le moyen éventuellement utilisable - uniquement à la condition que la science doive se constituer de plusieurs 1 1() / propositions - pour atteindre ce but. Elle n'est pas l'essence de la science, mais une de ses propriétés contingentes. - A supposer que la science soit un édifice ; que la finalité principale en (D) soit A. Add. : Et c'est uniquement cette relatIon réciproque de leur certitude qui doit déterminer leur cohésion. B· Add. : et indépendamment d'elle. C. Corr. : qui ne peuvent être reconnues comme certaines que par leur liaison avec celle-ci en général, et comme certaines de la même manière et au même degré qu'elle. D· Corr. : de cet édifice.

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la solidité : la fondation est solide, et pour autant qu'elle est mise en place, le but serait atteint. Mais parce qu'on ne peut pas habiter dans de simples fondations, et que par de simples fondations on ne peut se protéger ni contre l'assaut délibéré de l'ennemi ni contre les attaques aveugles des intempéries, on édifie sur les fondations des murs et, sur ceux-ci, un toit. Toute les parties de l'édifice sont assemblées avec la fondation et les unes avec les autres, et par ce moyen le tout devient solide ; mais on ne construit pas un édifice solide afin de pouvoir assembler, au contraire on assemble pour que l'édifice devienne solide; et il est solide dans la mesure où toutes ses parties reposent sur des fondations solides. r Les fondations sont solides, et elles ne reposent à leur tour sur aucune fondation, (43) mais elles sont fondées dans la solidité du sol. - Sur quoi voulons-nous donc construire les fondations de L nos édifices scientifiques? Les fondements de nos systèmes doivent 11 être certains avant le système. Leur certitude ne peut être établie dans le cadre des systèmes, mais au contraire chaque preuve possible au sein des systèmes les présuppose déjà. S'ils (E) sont certains, assurément tout ce qui résulte d'eux est lui aussi certain; mais d'où résulte donc leur propre certitude? Bien plus (F) - nous voulons, pour construire l'édifice de notre doctrine, raisonner ainsi : si le fondement est certain, alors une autre proposition déterminée est elle aussi certaine. Sur quoi donc se fonde cet alors ? Qu'est-ce qui fonde entre les deux éléments la connexion nécessaire en vertu de laquelle la même certitude qui revient à l'un doit revenir à l'autre ? Quelles sont les conditions de cette connexion; et d'où savons-nous qu'elles en sont les conditions, et les conditions exclusives, et les conditions uniques ? Et comment en venons-nous en général à admettre une connexion nécessaire entre différentes propositions, et à admettre des conditions exclusives, mais exhaustives (G) ? 1- Bref, comment se laisse fonder la certitude du fondement en elle-même (H) ; comment se laisse fonder le droit de conclure d'une façon déterminée, à partir de lui, à la certitude d'autres propoIl 7 sitions? (1) / L-

E - Corr. : Si eux... F - Corr. : Et quand bien même nous aurions répondu à cette question, une nouvelle question, qui en est tout à fait disctincte, ne nous presse-t-elle pas? - Nous voulons ... G - Add. : de cette connexion. H. Corr. : la certitude du fondement en elle-même. 1 - Corr. : le droit de conclure d'une façon précise, à partir de lui, à la certitude d'autres propositions-

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Ce que le principe doit posséder lui-même et communiquer à toutes les autres propositions qui se présentent dans la science,

je le nomme le contenu intrinsèque du principe et de la science en général ; la manière dont il doit le· communiquer aux autres propositions, je la nomme la forme de la science. La question posée est par conséquent celle-ci : comment le contenu et la forme d'une science en général sont-ils possibles, c'est-à-dire comment la science elle-même est-elle possible ? Ce à partir de quoi cette question pourrait trouver une réponse, serait lui-même une science, et même la science de la science en général. On ne peut déterminer avant la recherche (44) si la réponse à cette question sera possible ou non, c'est-à-dire si notre savoir dans son ensemble a un fondement solide (1), ou bien si - aussi intimement enchaînées les unes aux autres que les différentes parties en puissent être - il ne repose cependant sur rien (K). Mais si notre savoir doit avoir (L) un fondement, il est nécessaire que cette question puisse recevoir une réponse, et il faut qu'il y ait une science où il y soit répondu ; et s'il y a une telle science, notre savoir a un fondement (M). On ne peut par conséquent rien dire, avant la recherche, du caractère fondé ou non de notre savoir ; et la possibilité de la science exigée ne se peut montrer que par sa réalité effective. La dénomination d'une telle science, dont la possibilité est jusqu'à maintenant purement problématique, est arbitraire. Si pourtant il devait s'avérer que le sol fécond, d'après toute l'expérience acquise jusqu'ici, pour l'établissement de sciences (N), est déjà occupé par celles qui lui sont appropriées, et qu'il n'apparaisse demeurer qu'une portion de terrain non construit, à savoir celui qui revient à la science de la science en général ; - si en outre, sous un nom bien connu (celui de la philosophie), on trouvait l'idée d'une science qui veut pourtant être ou devenir elle aussi une science et qui est travaillée par des désaccords sur la place où elle doit s'édifier, il ne serait pas inopportun de lui indiquer la place trouvée vide. Si l'on s'est ou non, jusqu'ici, représenté précisément cela par le terme de philosophie, ne fait absolument rien à l'affaire ; et ensuite cette J. Add.: et connaissable. K. Add. : du moins pour nous. L· Add. : pour nous. M _ Add. : connaissable. N . Corr. : des sciences.

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science, si seulement elle était jamais devenue une science, abandonnerait non sans raison un nom qu'elle a porté jusqu'ici par une modestie 118 qui n'était pas excessive (0) / - le nom d'une prédilection, d'un amour pour quelque chose, d'un dilettantisme. La nation qui la découvrira (P) mériterait bien de lui donner un nom tiré de sa langue* ; et (45) elle pourrait par la suite la nommer simplement la Science, ou la Doctrine de la Science. Ce qui s'est jusqu'ici appelé philosophie serait par conséquent la science d'une science en général.

§

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2. Développement du concept de la Doctrine de la Science.

/ On ne doit pas déduire à partir de définitions. Cela signifie ou bien que, du fait que sans contradiction pour la description d'une

* Elle mériterait bien aussi de lui donner ses autres termes techniques en les tirant de sa langue ; et cette la9'gue elle-même, ainsi que la nation qui la parlerait, possèderait par là une suprématie décisive sur toutes les autres langues et nations (Q). ' O. Corr. : nullement excessive. p. Corr. : qui découvrira cette science. Q. Add. : Il y a même, pour la terminologie philosophique, un système nécessaire, et qu'il faut démontrer comme tel, dans toutes ses parties dérivées, moyennant une progression régulière suivant les lois de la désignation métaphorique des concepts transcendantaux ; seul un signe fondamental est arbitrairement présupposé, puisque nécessairement toute langue procède de l'arbitre 12. Par là, la philosophie, qui au niveau de son contenu vaut pour toute raison, devient donc, du point de vue de son ssytème de désignation, tout à fait nationale; elle devient issue du plus intime de la nation qui parle cette langue, et en retour elle perfectionne la langue de celle-ci jusqu'à la suprême déterminité. Mais cette terminologie nationale et systématique ne doit pas être établie avant que le système de la raison lui-même, aussi bien dans son extension que dans l'exécution complète de toutes ses parties, ne se trouve achevé. Avec la détermination de cette terminologie, la faculté de juger philosophante achève sa tâche ; une tâche qui, dans toute son extension, pourrait bien être trop ample pour une seule vie d'homme. C'est la raison pour laquelle l'auteur n'a pas encore accompli, jusqu'ici, ce qu'il semble promettre dans la remarque ci-dessus; mais au contraire s'est servi des termes techniques tels qu'il les a trouvés, qu'ils fussent allemands, latins ou grecs. Pour lui toute terminologie est seulement provisoire, jusqu'au moment où, que cette affaire soit réglée par lui ou par un autre, la terminologie peut être établie de façon universelle et immuable. Aussi, pour cette raison, il a appliqué en général peu de soin à sa terminologie et en a éludé une détermination solide; aussi de quelques remarques faites sur ce point par d'autres (par exemple d'une distinction proposée entre dogmatisme et dogmaticisme) - qui de toute façon ne sont donc pertinentes que pour le présent état de la science -, il ne fait pour sa part aucun usage. Il continuera à donner à son exposé la clarté et la déterminité à chaque fois requises pour son projet, en recourant à des périphrases et en diversifiant les tournures.

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chose qui existe tout à fait indépendamment (46) de notre description, l'on a pu se représenter une certaine caractéristique, on ne doit pas en conclure sans autre raison que pour cela la même caractéristique devrait nécessairement se rencontrer dans la chose existante ; ()u bien que, pour une chose qui doit elle-même être produite uniquement par nous, d'après un concept que nous nous en serions forgé ct qui en exprime la fin, on ne doit pas encore conclure de la concevabilité de cette fin à la possibilité de l'accomplir dans la réalité ; mais en aucun cas cela ne peut signifier qu'on devrait, à l'occasion de ses travaux intellectuels ou physiques, ne se donner aucune fin, ct ne pas chercher, avant même d'entreprendre le travail, à se rendre claire cette fin, mais au contraire abandonner au jeu de son imaginat ion, ou de ses doigts, ce qui pourrait éventuellement en résulter. L'inventeur des ballons atmosphériques 13 put bien calculer leur ~randeur, la relation entre l'air qu'ils contiennent et l'atmosphère, d le degré de leur vitesse (R) ; et cela avant même de savoir s'il trouverait une sorte d'air qui serait, au degré requis, plus léger que l'atmosphère ; et Archimède put calculer la machine grâce à laquelle Il voulait déplacer le globe terrestre, bien qu'il sût avec certitude qu'il ne trouverait aucun lieu extérieur à la force d'attraction de la Terre d'où il aurait pu agir sur elle. - Ainsi en est-il de la science que nous venons de décrire. Comme telle, elle n'est pas quelque chose qui existerait indépendamment de nous et sans notre intervention, mais CS) elle est quelque chose qui ne doit être produit que par la liberté de notre esprit agissant dans une direction déterminée ; si une telle liberté CT) existe, ce que là non plus nous ne pouvons pas encore savoir. Déterminons auparavant cette direction ; forgeons-nous un clair concept de ce que notre œuvre doit être ! Si nous pouvons ou non la produire, cela ne se démontrera que si nous la produisons effectivement. A présent ce n'est pas de cela qu'il est question, mais de ce que nous voulons véritablement faire; et c'est là ce que détermine notre définition. 1) La science décrite doit premièrement être une science de la science en général. Toute science possible (47) a un princi'() pe (U), qui ne / peut être démontré en elle, mais doit être certain avant elle. Où donc ce principe doit-il être démontré ? Indubitablement dans la science qui a la charge de fonder toutes R. Corr. et par conséquent la vitesse du mouvement de ses machines. S. Add. : bien plutôt. T, Add. : de notre esprit. U. Corr. principe.

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les sciences possibles. - La Doctrine de la Science aurait, de ce point de vue, deux choses à faire. D'abord fonder la possibilité des principes en général ; montrer comment, en quoi, à quelles conditions, et peut-être à quel degré quelque chose peut être certain, et en général ce que cela signifie - être certain ; ensuite elle aurait à démontrer en particulier les principes de toutes les sciences possibles, qui ne peuvent être démontrés en elles-mêmes. Toute science, si elle ne doit pas être une proposition individuelle isolée, mais un tout consistant en plusieurs propositions individuelles, a une forme systématique (V). Cette forme, condition de la connexion des propositions déduites avec le principe, et fondement du droit de conclure, à partir de cette connexion, qu'elles doivent nécessairement être tout aussi certaines que lui, se peut dans le cadre de la science particulière - si elle doit avoir une unité et ne pas s'occuper de choses étrangères et qui ne lui appartiennent pas - tout aussi peu prouver (W), mais elle est déjà présupposée pour la possibilité de leur forme. Une universelle Doctrine de la Science a donc l'obligation de fonder pour toutes les sciences possibles la forme systématique. 2) La Doctrine de la Science est elle-même une science. Elle r aussi doit donc d'abord, nécessairement, avoir un principe (X) qui ne peut être démontré en elle, mais est présupposé pour qu'elle soit possible (Y). Mais ce principe ne peut pas non plus être démontré dans une autre science supérieure ; car alors cette science supérieure l. serait la Doctrine de la Science, et celle dont il faudrait d'abord démontrer le principe ne serait pas Doctrine de la Science. Ce principe de la Doctrine de la Science, et par son intermédiaire de toutes les sciences et de tout savoir, n'est donc aucunement susceptible de recevoir une preuve, c'est-à-dire qu'il n'est pas à rapporter à une proposition plus élevée (48) telle qu'à partir de la comparaison de celle-ci avec lui (Z) sa certitude apparaîtrait. Cependant il doit fournir la fondation de toute certitude ; il lui faut par conséquent être pourtant certain, et cela en lui-même et de son propre fait, et être fcertain par lui-même. Toutes les autres propositions seront certaines parce qu'il se laisse démontrer qu'elles sont identiques à lui à quelque 121 égard ; cette proposition doit être certaine simplement parce qu' / elle V. Corr. : forme systématique. W. Add. : qu'en elle la vérité de son propre principe peut être prouvée. X • Corr. : un principe. y . Add. : comme science. Z. Corr. : telle qu'à partir des relations de celle-ci avec lui.

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l'st id.~nJique à elle-::même. Toutes les autres propositions auront seulement une certitude médiate et dérivée d'elle ; il lui faut être 1mmédiatement certaine. Sur elle se fonde tout savoir, et sans elle ;t bsolument aucun savoir ne serait possible ; mais elle, elle ne se ronde pas sur un autre savoir : elle est au contraire purement et simplement la proposition du savoir. - Cette proposition est purement et simplement certaine, c'est-à-dire qu'elle est certaine parce (lU 'elle est certaine (A). Elle est le fondement de toute certitude, c'est-à-dire que tout ce qui est certain est certain parce qu'elle est œrtaine ; et rien n'est certain si elle n'est pas certaine. Elle est le fondement de tout savoir, c'est-à-dire qu'on sait ce qu'elle énonce parce que l'on sait en général ; on le sait immédiatement, pour autant qu'on sait quelque chose. Elle accompagne tout savoir, est nmtenue dans tout savoir, et tout savoir la présuppose. La Doctrine de la Science doit, en tant qu'elle est elle-même une science, si elle doit consister non pas simplement en son seul principe, mais en plusieurs propositions, - et qu'il en sera ainsi, c'est prévisible dans la mesure où elle a à établir des principes pour les autres sciences (B) -, elle doit, disai-je, avoir une forme systématique (C). Or elle ne peut emprunter cette forme systématique, quant à sa détermination (D), à une autre science, ou, quant à sa validité (E), se réclamer d'une autre science (F), parce qu'ellemême n'a pas seulement à établir pour toutes les autres sciences des principes, et, par là, leur contenu essentiel, mais aussi la forme d, par là, la possibilité de la liaison en elles de plusieurs proposi1 ions (49). Elle doit par conséquent avoir cette forme en elle-même, et la fonder par elle-même. Il nous suffit d'analyser un peu cela, pour voir ce qui par lù est vraiment dit. Ce dont on sait quelque chose, on l'appellera le contenu, et ce qu'on en sait la forme de la proposition. (Dans la proposition : l'or est un corps, ce dont on sait quelque chose, c'est l'or et le corps ; ce que l'on sait d'eux, c'est qu'à un certain égard ils sont identiques, et que comme tels l'un pourrait être mis ù la place de l'autre. C'est une proposition affirmative, et cette relation est sa forme). A. Add. marginale de Fichte : on ne peut sans contradiction demander un fondement de sa certitude. B. Corr. : mise entre parenthèses du membre de phrase entre tirets. C. Corr. : forme systématique. D. Corr. : détermination. E. Corr. : validité. F. Corr. : autre science.

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Aucune proposition n'est possible sans contenu et sans forme. Il faut qu'il y ait quelque chose dont on ait un savoir, et quelque

chose qu'on sache. La première proposition de toute Doctrine de la Science doit par conséquent avoir les deux éléments, contenu et forme. Or elle doit être immédiatement et par elle-même certaine, et cela ne peut s'entendre autrement qu'en tant que le contenu en détermine la forme et inversement la forme en détermine le contenu. 122 / Cette forme ne peut convenir qu'à ce contenu, et ce contenu ne peut convenir qu'à cette forme ; toute autre forme jointe à ce contenu supprime la proposition elle-même et avec elle tout savoir, et tout autre contenu joint à cette forme supprime pareillement la proposition elle-même et avec elle tout savoir. La forme du premier principe absolu de la Doctrine de la Science n'est donc par lui-même (G) pas seulement donnée, mais aussi établie comme absolument valable pour son contenu. S'il devait y avoir en dehors de ce seul principe absolument premier encore plusieurs principes de la Doctrine de la Science, qui devraient être seulement pour partie absolus, mais pour partie conditionnés par le premier et suprême principe (H), parce que sinon il n'y aurait pas un seul principe, - l'élément absolument premier en eux (1) pourrait seulement être ou bien le contenu, ou bien la forme, et l'élément conditionné pareillement ou bien le contenu ou bien la forme. Supposé que le contenu soit l'inconditionné, le principe absolument premier qui (50) doit conditionner quelque chose dans le second, parce que sinon il ne serait pas principe absolument premier, conditionnera sa forme ; et par conséquent sa forme serait déterminée dans la Doctrine de la Science elle-même, et par elle, et par son premier principe ; ou supposé, à l'inverse, que la forme soit l'inconditionné, nécessairement le contenu de cette forme sera déterminé par le premier principe, par conséquent médiatement la forme aussi, en tant qu'elle doit être la forme d'un contenu ; donc même dans ce cas la forme serait déterminée par la Doctrine de la Science, et cela par son principe. - Mai') il ne peut y avoir un principe qui, ni selon sa forme, ni selon son contenu, ne serait déterminé par le principe absolument premier, s'il doit y avoir un principe absolument premier, et une Doctrine de la Science, et un système du savoir humain en général. Par conséquent G. H. sont non deuxième

Corr. : par lui, par le principe même. Add. marginale de Fichte : parce que sinon dans le premier cas ils pas principes, mais propositions dérivées, parce que sinon dans le cas il n'y aurait pas... 1. Corr.: y.

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Il ne pourrait pas non plus y avoir plus de trois principes ; un qui soit déterminé absolument et purement par lui-même, aussi bien selon la forme que selon le contenu ; un qui soit déterminé par Illi-même selon la forme, et un qui soit déterminé par lui-même selon le contenu. - S'il y a encore plusieurs propositions dans la Doctrine de la Science, elles doivent toutes, aussi bien selon la forme que selon le contenu, être déterminées par le principe. Une Doctrine de la Science doit donc déterminer la forme de toutes ses proposi1 ions, en tant qu'elles sont considérées individuellement. Mais une 1 dIe détermination des propositions individuelles n'est pas possible autrement que de telle façon qu'elles se déterminent réciproquement. Or chaque proposition doit être complètement déterminée, c'est-àdire que sa forme / ne doit convenir qu'à son contenu, et à aucun autre, et ce contenu seulement à la forme qui est la sienne, et à aucune autre ; car sinon la proposition ne serait pas (cf. supra) (J) Identique au principe en tant qu'il est certain, et par conséquent Ile serait pas certaine. - Si donc toutes les propositions d'une Doctrine de la Science doivent être en soi différentes - comme il faut qu'elles le soient, car sinon elles ne seraient pas plusieurs proposi1 ions, mais ce serait plusieurs fois une seule et même proposition -, alors une proposition ne peut atteindre sa complète détermination autrement que par l'intermédiaire d'une seule proposition parmi loutes les autres (51) ; et par là en effet la série entière des propositions devient complètement déterminée, et aucune ne peut être ;', une autre place de la série que celle où elle est. Chaque proposition de la Doctrine de la Science a sa place déterminée par une autre Il roposition déterminée, et la détermine elle-même pour une troisième proposition déterminée. La Doctrine de la Science se détermine par conséquent par elle-même la forme de sa totalité. Cette forme de la Doctrine de la Science possède une validité nécessaire pour le contenu de celle-ci. Car si le principe absolument premier était immédiatement certain, c'est-à-dire si sa forme ne convenait qu'à son contenu et son contenu qu'à sa forme, - mais si par lui toutes les propositions suivantes étaient, immédiatement ou médiatement, déterminées selon le contenu ou la forme - ; si en quelque sorte elles étaient (K) déjà toutes contenues en lui, alors doit valoir pour elles exactement ce qui vaut pour lui, à savoir que leur forme ne convient qu'à leur contenu, et leur contenu qu'à leur forme. Cela concerne les propositions particulières, mais la forme 1. Corr.: (qu'on se souvienne de ce qui vient d'être dit). K. Corr. : sont.

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,... du tout n'est rien d'autre que la forme des propositions particulières conçues dans une unité, et ce qui vaut pour chacune individuellement doit nécessairement valoir aussi pour toutes conçues comme une unité. Î Mais la Doctrine de la Science ne doit pas seulement se donner à elle-même sa forme, elle doit aussi donner leur forme à toutes les autres sciences possibles (L) et assurer pour toutes la validité de cette forme. Or cela ne peut s'entendre qu'à la condition que tout ce qui doit être proposition d'une science quelconque, soit déjà contenu dans une proposition de la Doctrine de la Science, et soit donc déjà en elle établi dans la forme qui lui appartient. Et cela nous ouvre une voie facile pour revenir au contenu du principe absolument premier de la Doctrine de la Science, dont nous pouvons maintenant dire quelque chose de plus que ce que nous pouvions dire auparavant. Admettons que savoir de façon certaine ne signifie rien d'autre que pénétrer intégralement l'inséparabilité d'un contenu déterminé 124 et d'une forme déterminée, / (ce qui n'est censé être rien de plus qu'une définition nominale, dans la mesure où une définition réelle du savoir est absolument impossible) : se laisserait dès maintenant voir approximativement comment - du fait que le principe absolument premier (52) de tout savoir détermine purement et simplement sa forme par son contenu et son contenu purement et simplement par sa forme - pour tout contenu du savoir sa forme pourrait être déterminée ; si, bien sûr, tout contenu possible figurait dans le sien propre. Par conséquent, si notre présupposition devrait être exacte et s'il devait y avoir un principe absolument premier de tout savoir, le contenu de ce principe devrait être celui qui contiendrait en soi tout contenu possible, mais ne serait lui-même contenu en aucun autre. Il serait le contenu purement et simplement, le contenu absolu. Il est facile de remarquer qu'en présupposant la possibilité d'une telle Doctrine de la Science en général, de même qu'en particulier la possibilité de son principe, on présuppose toujours que dans le savoir humain il existe effectivement un système. S'il doit y avoir là un tel système, il se laisse aussi montrer, indépendamment de notre description de la Doctrine de la Science, qu'il devait y avoir un tel principe absolument premier. S'il ne doit pas y avoir un tel système, on peut se représenter seulement deux cas. Ou bien il n'y a en général rien d'immédiatement certain ; notre savoir forme une ou plusieurs séries infinies, où chaque proposition est fondée par une proposition plus élevée, et celle-ci à son tour par une proposition plus élevée, et ainsi de suite. Nous construisons

maisons sur le sol, celui-ci repose sur un éléphant, celui-ci sur une mtue, celle-ci - qui sait sur quoi ?, et ainsi de suite à l'infini. - Si FI mais il en est ainsi de notre savoir, nous ne pouvons sans doute pas le Iransformer, mais par suite nous n'avons pas non plus un savoir solide: 1I0US sommes peut-être remontés jusqu'à un certain point dans la série, l"! jusqu'à lui nous avons trouvé tout lui-même (M) solide; mais qui peut nous garantir que si nous devons aller encore plus avant, nous n'en 1 rouverons pas l'absence de fondement et que nous ne serons pas l·ontraints d'abandonner ce point? Notre certitude n'est que désirée, et IIOUS ne pouvons jamais en être assurés pour le lendemain. Ou bien - deuxième cas - notre savoir consiste en séries finies, lIIais multiples. Chaque série se clôt (53) en un principe qui est fondé lion par un autre, mais simplement par lui-même ; mais il y a une pluralité de tels principes, qui, dans la mesure où ils s'auto-fondent tous ", (N), et cela de façon absolument indépendante de tous les autres /, Il' ont entre eux aucune connexion, mais sont au contraire complètelIIent isolés. Il y a peut-être plusieurs vérités innées en nous, qui sont 1 (jutes pareillement innées, et dont nous ne pouvons espérer pénétrer plus avant la connexion, dans la mesure où celle-ci sort du cadre des vlTités innées; ou bien il y a une diversité d'éléments simples dans les choses hors de nous, qui nous est communiquée par l'impression qu'elles font sur nous, mais dont nous ne pouvons percer la connexion, dans la mesure où au delà de l'élément le plus simple qui soit dans l'impression, il ne peut rien y avoir qui soit plus simple encore. - S'il en l'st ainsi ; si le savoir humain en soi, et conformément à sa nature, est un tel ensemble décousu, comme l'est effectivement le savoir de tant d'hommes; si originairement se trouvent dans notre esprit une foule de fils qui ne se réunissent en aucun point ni ne peuvent être réunis, encore une fois nous n'avons pas la faculté de lutter contre notre nature ; notre savoir, aussi loin qu'il s'étende, est certes sûr; mais il n'est pas un savoir unifié, il y a au contraire une multiplicité de sciences. - Par suite notre habitation tiendrait certes debout avec solidité, mais ce ne serait pas un unique bâtiment d'un seul tenant, ce serait au contraire un agrégat de pièces et nous ne pourrions à partir de l'une d'elles passer dans les autres ; ce serait une habitation où nous nous égarerions toujours, et où nous ne serions jamais chez nous. Il n'y aurait pas là de lumière, et nous serions pauvres malgré toutes nos richesses, parce que nous ne pourrions jamais les évaluer, jamais les regarder comme un tout, et jamais savoir ce que nous possédons vraiment ; nous ne pourrions 1I0S

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M. Suppr. de : lui-même. L. Corr.: à elle-même... à toutes les autres sciences possibles.

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N. Corr. : ils se fondent tous par eux-mêmes.

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jamais en utiliser une partie pour l'amélioration du reste, parce qu'aucune partie n'aurait de relation avec le reste. Plus encore, notre savoir ne serait jamais achevé; nous serions contraints d'attendre quotidiennement qu'une nouvelle vérité innée se manifeste en nous, ou que l'expérience nous soit donnée d'un nouvel élément simple. Nous devrions être toujours prêts à nous bâtir quelque part une nouvelle maisonnette. Par suite une universelle Doctrine de la Science ne serait pas (54) nécessaire pour fonder d'autres sciences. Chacune serait fondée sur elle-même. Il y aurait autant de science qu'il y aurait de principes particuliers immédiatement certains. Mais s'il ne doit pas exister un ou plusieurs fragments d'un système, comme dans le premier cas, ou plusieurs systèmes, comme dans le second, mais s'il doit y avoir dans l'esprit humain un système achevé et unique, il est nécessaire qu'il y ait un tel principe suprême et absolument premier. Si à partir de lui notre savoir s'élargit en autant de séries, et qu'à partir de chacune d'elles partent à nouveau des séries, et ainsi de suite, toutes doivent pourtant être solidement attachée~ à un 126 unique maillon, qui n'est fixé à rien, mais au contraire / par sa force propre se maintient lui-même et maintient le système tout entier. Nous avons donc maintenant un globe terrestre qui se maintient par sa propre pesanteur, dont le centre attire peu à peu tout ce que nous n'avons édifié effectivement que sur sa périphérie, et non pas dans les airs, et tout ce que nous n'avons édifié que perpendiculairement à lui, et non pas de façon oblique, - et aucun grain de poussière ne peut se soustraire à sa sphère d'attraction. S'il existe un tel système et - ce qui en est la condition - un tel principe, nous ne pouvons aucunement en décider avant la recherche. Ce n'est pas seulement comme simple proposition, c'est aussi comme principe de tout savoir, que le principe ne se laisse pas prouver. Cela relève de la recherche. Si nous trouvons une proposition qui a les conditions internes du principe de tout savoir humain, nous recherchons si elle en a aussi les conditions externes ; si tout ce que nous savons ou croyons savoir, se laisse ramener à elle. Si nous y parvenons, nous avons montré, par l'institution effective de la science, qu'elle était possible, et qu'il existe un système du savoir humain, dont elle est la présentation. Si nous n'y arrivons pas, ou bien il n'existe absolument pas un tel système, ou bien nous ne l'avons simplement pas découvert, et nous sommes contraints d'en abandonner la découverte à des sucesseurs plus heureux. Prétendre sans hésiter qu'il n'existe absolument pas de système parce que nous ne l'avons pas trouvé, c'est une prétention dont la réfutation est indigne d'une analyse sérieuse.

DEUXIEME SECTION EXPOSITION DU CONCEPT DE DOCTRINE DE LA SCIENCE

§.3 ,/

(55) J'appelle exposer scientifiquement un concept - et il l'st clair qu'il ne peut être question ici d'aucune autre exposition que de cette exposition qui est la plus haute de toutes - : indiquer l'n général le lieu qu'il occupe dans le système des sciences humaines, c'est-à-dire montrer quel concept lui détermine sa place et à quel a utre concept cette place est par lui déterminée. Toutefois, le concept de Doctrine de la Science en général peut tout aussi peu se voir assigner un lieu dans le système de toutes les sciences que le concept du savoir en soi dans le système du savoir en général : il est bien plutôt lui-même le lieu pour tous les concepts scientifiques et il leur assigne leur place en lui-même et par lui-même. Il est clair qu'il ne peut s'agir ici que d'une exposition hypothétique ; c'est-àdire que la question est la suivante : à supposer qu'il y ait déjà des sciences et qu'il s'y trouve de la vérité (ce que l'on ne peut nullement savoir au préalable, avant la Doctrine générale de la Science)14, comment la Doctrine de la Science que l'on doit établir se rapporte-t-elle à ces sciences? Il est déjà répondu à cette question elle-même par le simple concept de Doctrine de la Science. Ces dernières se rapportent à la première comme le fondé à son fondement ; elles n'assignent

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DEUXIEME SECTION

pas à celle-ci sa place, mais c'est elle-même qui leur assigne à toutes leurs places en elle-même et par elle-même (0). (P) La Doctrine de la Science devrait être une science de toutes 128 les sciences. Ici 1 se pose immédiatement la question suivante : comment peut-elle garantir qu'elle a fondé non seulement toutes les sciences jusqu'ici connues et découvertes, mais encore toutes celles que l'on peut découvrir, (56) toutes les sciences possibles, et qu'elle a exhaustivement épuisé le domaine entier du savoir humain? (Q) Elle devrait dans cette optique donner leurs principes à toutes les sciences. Par conséquent toutes les propositions qui sont des principes dans une quelconque science particulière sont en même temps des propositions qui s'originent dans la Doctrine de la Science ; une seule et même proposition peut être considérée de deux points de vue (R). La Doctrine de la Science poursuit ses déductions à partir de cette proposition en tant que contenue en elle, et la science particulière poursuit également ses déductions à partir de cette même proposition en tant que son principe. Par conséquent, ou bien il en résulte la même chose dans les deux sciences ; toutes les sciences particulières sont contenues dans la Doctrine de la Science, non seulement quant à leur principe, mais aussi quant à leurs propositions dérivées, et il n'y a absolument aucune science particulière, mais seulement des parties d'une seule et unique Doctrine de la Science ; ou bien la déduction procède dans les deux sciences de façon différente, ce qui n'est pas non plus possible puisque la Doctrine de la Science doit donner leur forme à toutes les sciences ; ou bien à une proposition de la pure Doctrine de la Science doit s'ajouter encore quelque chose, qui assurément ne peut être emprunté nulle part ailleurs que dans la Doctrine de la Science, pour qu'elle devienne principe d'une science particulière. La question se pose alors : quel est cet ajout, ou bien - puisque cet ajout est ce qui fait 'la différence - quelle est la limite déterminée entre la Doctrine de la Science en général et toute science particulière ? O. Add. marginale de Fichte : non pas proprement dans la Doctrine de la Science, mais cependant dans le système du savoir, dont elle doit être l'image. P. Add.: 1). Q. Add. : 2). R. Add. : ... de deux points de vue : comme une proposition contenue dans la Doctrine de la Science, et comme un principe situé au sommet d'une science particulière.

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II)

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(S) La Doctrine de la Science devrait en outre, dans cette même ()ptique, déterminer leur forme à toutes les sciences. Comment cela peut s'effectuer, nous. l'avons déjà indiqué plus haut. Mais une autre science, sous le nom de logique, vient faire obstacle, avec les mêmes prétentions. On doit décider entre les deux, on doit examiner comment la Doctrine de la Science se rapporte à la logique. (T) La Doctrine de la Science est elle-même une science, (57) et ce qu'elle doit accomplir dans cette optique a été déterminé plus haut. Mais en tant qu'elle est pure science (U), elle est science d'un quelque chose," elle a un objet et il est / clair d'après ce qui précède que cet objet n'est autre que le système du savoir humain l~n général (V). La question se pose : comment la science, en tant que science, se rapporte-t-elle à son objet en tant que tel?

" 4. Dans quelle mesure la Doctrine de la Science peut-elle être certaine d'avoir épuisé le savoir humain en général? Le savoir humain - vrai ou imagme qui a existé jusqu'alors n'est pas le savoir humain en général. Supposé qu'un philosophe ait pu véritablement embrasser le premier et produire, par une induction complète, la preuve (W) qu'il est contenu dans son système, il serait encore malgré tout fort loin d'avoir accompli sa tâche : comment voudrait-il en effet, par son induction effectuée à partir de l'expérience faite jusqu'alors, prouver également qu'aucune découverte ne peut être faite dans l'avenir qui ne s'accorderait pas avec son système ? - L'échappatoire qui consisterait à dire par exemple qu'il n'a voulu épuiser que le savoir possible dans la sphère actuelle de l'existence humaine, ne serait pas plus solide; car si sa philosophie ne vaut que pour cette sphère, il ne connaît pas d'autre sphère possible, il ne connaît par conséquent pas non plus les limites de celles que sa philosophie est censée épuiser ; il a tracé arbitrairement une limite dont il ne peut guère démontrer la vérité par autre chose que par l'expérience jusqu'alors accomplie et qui pourrait toujours S. Add. : 3). T. Add. : 4). U. Add. : un savoir au sens formel. v. Add. marginale de Fichte : Car elle demande : 1) comment une science en général est-elle possible ?, 2) elle prétend épuiser le savoir humain construit sur un unique principe. W. Corr. Supposé qu'un philosophe ait véritablement embrassé le premier, et puisse, par une induction complète, produire la preuve ...

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être contredite, même à l'intérieur de sa prétendue sphère, par rune expenence future. Dire que le savoir humain en général doit être épuisé signifie que doit être inconditionnellement et absolument déterminé ce que l'homme peut savoir, non pas seulement au niveau actuel (58) de son existence, mais à tous les niveaux possibles et 1. pensables de celle-ci * . 130 / Cela n'est possible que sous les conditions suivantes : tout d'abord que l'on puisse montrer que le principe établi est épuisé ; et ensuite, qu'il n'y a aucun autre principe possible que celui qu'on a mis en place. 1Un principe est épuisé lorsqu'un système complet est construit sur lui, c'est-à-dire lorsque le principe conduit nécessairement à toutes les propositions établies et que toutes les propositions établies L reconduisent nécessairement à lui. Lorsque, dans le système entier, n'intervient aucune proposition pouvant être vraie alors que le principe est faux, ou fausse lorsque le principe est vrai, cela constitue la preuve négative qu'aucune proposition n'a été admise en trop dans le système ; car celle qui n'appartiendrait pas au système pourrait être vraie alors que le principe serait faux, ou fausse alors même que le principe serait vrai. Si le principe est donné, toutes les propositions doivent être données ; en lui et par lui, toute proposition particulière est donnée. Il résulte clairement (59) de ce que nous avons dit plus haut sur l'enchaînement des propositions particulières

* Considérons une objection, que seul à vrai dire un philosophe populaire pourrait faire ! Les tâches spécifiques de l'entendement humain sont certes, aussi bien en nombre qu'en étendue, infinies ; leur solution ne serait possible 130 que par une approche complète de l'absolu, laquelle / est en soi impossible ; mais ces tâches sont impossibles, précisément parce qu'elles sont données pour infinies. Il y a une infinité de rayons d'un cercle infini dont le centre est donné ; et de même que le centre est donné, le cercle infini entier ainsi que ses rayons infiniment nombreux sont bien aussi donnés. L'une des extrémités de ceux·ci se situe certes à l'infini, mais l'autre est située au centre et ce dernier leur est commun à tous. Le centre est donné ; la direction des lignes est également donnée, car elles doivent être des lignes droites : donc, tous les rayons sont donnés (certains rayons, parmi leur nombre infini, sont déterminés par des imp:.·essions du Non-Moi (X), comme véritablement atti· rants ; mais non donnés; donnés, ils l'étaient en même temps que le centre). Le savoir humain est infini quant au degré, mais quant à l'espèce il est com· pIètement déterminé par ses lois et peut être entièrement épuisé (Y). X. Corr. : certains rayons, parmi leur nombre infini, sont déterminés par développement progressif de notre limitation originaire. Y. Add. marginale de Fichte": les problèmes existent et doivent être épuisés ; mais ils ne sont pas résolus et ne peuvent être résolus.

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dans la Doctrine de la Science que cette science produit immédiatelIIent en elle-même et par elle-même la preuve négative que nous venons de mentionner. Par cette preuve, il est montré que la science l'st systématique, que toutes ses parties ont leur cohésion dans un principe unique. - La science est un système, ou est achevée, lorsqu'aucune proposition ne" peut plus être déduite : et cela fournit la preuve qu'aucune proposition n'a été admise en trop (Z) dans le système. La question est seulement celle-ci : quand et à quelles" l"onditions devient-il impossible de déduire plus avant aucune proposi1 Il 1ion ; car il est clair / que le critère purement relatif et négatif: je ne vois pas ce que l'on peut déduire de plus, ne prouve rien. Un autre pourrait bien venir après moi et voir quelque chose là où je ne voyais rien. Nous avons besoin d'un critère positif du fait que, absolument et inconditionnellement, plus rien ne peut être déduit ; et ce critère ne pourrait être autre chose que le fait que l~ principe dont nous serions partis soit l'ultime résultat. Alors il serait clair que nous ne pourrions aller plus loin sans reparcourir le chemin que nous avons déjà une fois parcouru. Il s'avèrera, dans l'établissement futur de la science, qu'elle achève effectivement ce cycle et a bandonne le chercheur exactement au point d'où il était parti avec elle, que par conséquent elle produit également en elle-même et par elle-même la seconde preuve positive *. Mais, quand bien même le principe serait épuisé et que serait -1 édifié sur lui un système complet, il n'en résulterait (60) encore nullement que le savoir humain en général soit épuisé par l'épuisement de ce principe, si l'on ne présuppose déjà - ce qui devrait être démontré - que ce principe est le principe du savoir humain en général. Certes, par rapport à ce système achevé, on ne peut _, plus rien ajouter ou retrancher ; mais qu'est-ce qui empêche que, dans l'avenir, quand bien même on n'en percevrait jusqu'ici aucune trace, par l'accroissement de l'expérience puissent accéder à la conscience humaine des propositions qui ne se fondent pas sur ce principe, qui par conséquent supposent un ou plusieurs autres principes : bref, pourquoi encore un ou plusieurs autres systèmes ne

* La Doctrine de la Science possède donc une absolue totalité. En elle l'Un conduit au Tout et le Tout à l'Un. Mais elle est la seule science qui peut être achevée; l'achèvement est par conséquent son caractère spécifique. Toutes les autres sciences sont infinies et ne peuvent jamais être achevées; car elles ne retournent pas en leur principe. La Doctrine de la Science doit prouver cela pour toutes les autres sciences et en indiquer le fondement. Z Corr.

... qu'aucune proposition ne fait défaut ...

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devraient-ils pas coexister dans l'esprit humain, à côté de ce système achevé ? Certes ils n'auraient pas la moindre liaison, pas le plus petit point commun ni entre eux ni avec le premier: mais cela, ils ne le doivent pas non plus s'ils sont censés former, non pas un seul système, 132 mais bien plusieurs systèmes. On devrait donc, si l'impossibilité / de nouvelles découvertes de ce type devait être montrée de façon satisfaisante, prouver qu'il ne peut y avoir qu'un seul et unique système dans le savoir humain. - Comme cette proposition, selon laquelle le savoir humain est unique (A), devrait être elle-même un élément du savoir humain, elle ne pourrait se fonder sur rien d'autre que sur le principe de tout savoir humain, et ne pourrait se prouver qu'exclusivement à partir de lui. Or par là, ce qu'on aurait gagné, au moins provisoirement, c'est qu'un principe autre qui d'aventure succèderait un jour à la conscience humaine devrait être non seulement un principe autre et différent du principe établi, mais également un principe directement opposé à lui r (B). Car d'après l'hypothèse énoncée plus haut, le principe établi devrait renfermer la proposition suivante : dans le savoir humain il y a un unique système. Or toute proposition qui ne devrait pas appartenir à cet unique système serait non seulement différente de ce système (C), mais même, dans la mesure où ce système devrait (61) être le seul, opposé à lui, et elle devrait reposer sur un principe qui renfermerait la proposition suivante : le savoir humain n'est pas un système unique. On devrait, en continuant de remonter le fil de cette déduction, parvenir à un principe directement opposé au premier principe; et si par exemple le premier s'énonçait : Moi = Moi, le second devrait s'énoncer: Moi = Non-Moi 15 .

A. Corr. : ... selon laquelle tout le savoir humain ne constitue qu'un unique savoir cohérent avec lui-même. B. Corr. : ... un principe contradictoire avec lui selon la forme. C. Corr. (à partir d'ici toute la fin de l'alinéa est modifiée dans la seconde éd.) : ... mais lui serait même directement opposée, dans la mesure où ce système devrait être le seul, déjà par sa simple existence. Elle entrerait en contradiction avec cette proposition de l'unicité du système, proposition qui a été déduite ; et puisque toutes les propositions de ce système sont inséparablement interdépendantes, si l'une est vraie, nécessairement toutes doivent être vraies, si l'une est fausse, nécessairement toutes doivent être fausses, cela pour toute proposition de ce système, et en particulier aussi pour le principe. Supposez que même cette proposition étrangère soit fondée systématiquement dans la conscience de la façon qui a été décrite plus haut: le système auquel elle appartiendrait devrait alors, en vertu de la pure contradiction formelle de son existence, être aussi matériellement en contradiction avec tout ce premier système, et reposer sur un principe directement opposé à ce premier principe; si bien que, si le premier principe par exemple était: Moi = Moi, le second devrait être: Moi = Non-Moi.

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Or on ne peut ni ne doit immédiatement conclure de cette ('ontradiction à l'impossibilité d'un semblable second principe. Si le premier principe renferme la proposition selon laquelle le système du savoir humain est un système unique, 11 renferme assurément ;Illssi celle selon laquelle rien ne doit contredire ce système unique ; llIais ces deux propositions ne sont évidemment que des déductions 1irées de ce principe lui-même, et de même qu'est admise la validité l I a hsolue de tout ce qui s'en déduit; il est déjà évidemment admis / qu'il est principe absolument premier et unique, et qu'il règne abso1,1 ment au sein du savoir humain. Il y a donc ici un cercle dont l'esprit humain ne peut jamais sortir ; et l'on fait bien de reconnaître a vec netteté l'existence de ce cercle afin d'éviter de se trouver dans ('embarras si d'aventure on le découvrait sans s'y attendre. Ce cercle l~st le suivant : si la proposition X est le principe premier, suprême ct absolu du savoir humain, il y a dans le savoir humain un unique système, car ce dernier point découle de la proposition X ; or, comme il doit y avoir dans le savoir humain un système unique, la proposition X, qui fonde réellement (selon la science établie) un système, l'st principe du savoir humain en général, et (62) le système qui cst fondé sur elle est ce système unique du savoir humain. Or on n'a pas de raison d'avoir franchi ce cercle. Exiger qu'on le dépasse revient à exiger que le savoir humain soit totalement dépourvu de fondement, qu'il n'y ait strictement rien d'absolument certain, mais que tout savoir humain soit seulement conditionné d qu'aucune proposition ne vaille en elle-même, mais seulement ù la condition que vaille celle dont elle découle (D). Celui qui en a envie pourra toujours examiner ce qu'il saurait si son Moi était non moi 16, c'est-à-dire s'il n'existait pas et ne pouvait distinguer aucun Non-Moi de son Moi.

§ 5. Quelle est la limite qui sépare la Doctrine générale de la Science 18 et la science particulière qui est fondée par elle ?

Nous trouvions plus haut (§. 3) qu'une seule et même proposition ne peut être sous le même rapport une proposition de la Doctrine générale de la Science 1 7 et un principe d'une quelconque science particulière, mais que quelque. chose doit encore s'ajouter D Add. : ... en un mot, cela équivaut à soutenir qu'il n'existe absolument aucune vérité immédiate, mais seulement une vérité médiate - et cela sans quelque chose par quoi elle est médiatisée.

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afin qu'elle puisse devenir principe d'une quelconque science particulière. - Ce qui doit s'ajouter ne peut être emprunté nulle part ailleurs que dans la Doctrine générale de la Science, étant donné qu'est contenu en elle tout savoir humain possible; mais cet élément 134 à ajouter ne doit pas / résider dans la proposition même qui, par l'ajout de cet élément, doit être élevée au rang de principe d'une science particulière ; sinon elle y serait en effet déjà principe et nous n'aurions aucune limite séparant la science particulière et les parties de la Doctrine générale de la Science. Il doit donc y avoir une proposition singulière de la Doctrine de la Science qui soit réunie avec la proposition qui doit devenir principe. Etant donné que nous n'avons pas ici à répondre à une objection immédiate tirée des concepts (E) de la Doctrine de la Science elle-même, mais à une objection tirée de l'hypothèse qu'il existe réellement en dehors (63) d'elle encore d'autres sciences qui en sont séparées, nous ne pouvons pas non plus y répondre autrement que par une hypothèse; et nous en avons suffisamment fait pour le moment, si nous mettons à jour ne serait-ce qu'une possibilité de la limitation requise. Qu'elle fournisse la véritable limite - et quand bien même ce pourrait être le cas -, c'est là ce que nous ne pouvons ni ne devons prouver ici. rQu'on pose par conséquent que la Doctrine de la Science contient les actions déterminées de l'esprit humain, que toutes il accomplit - que ce soit maintenant conditionnellement ou inconditionnellement - de façon nécessaire et contraignante ; mais qu'elle pose cependant en ceci, comme fondement suprême de l'explication de ces actions nécessaires en général, un pouvoir qu'a l'esprit de se déterminer à l'agir en général absolument sans contrainte ni coercition : - la Doctrine de la Science fournirait alors un agir nécessaire 1_ et un agir non nécessaire ou J1Q}:e. Les actions de l'esprit humain en tant qu'il agit nécessairement seraient déterminées par elle, mais non en tant qu'il agit librement. - Qu'on pose en outre que les actions libres elles-mêmes devraient être déterminées à partir d'un fondement quelconque, cela ne pourrait point alors s'effectuer dans la Doctrine de la Science ; mais cela devrait pourtant, étant donné qu'il est question de détermination, s'effectuer dans des sciences, et par conséquent dans des sciences particulières. Or l'objet de ces actions libres ne pourrait maintenant être autre chose que ce Nécessaire 18 qui est donné en général par la Doctrine de la Science, puisque rien n'est présent de ce qu'elle donne et qu'elle ne donne partout E. Corr. du concept.

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lien d'autre que le Nécessaire. Par conséquent, dans le principe d'une science particulière, devrait être déterminée une action que 1;1 Doctrine de la Science aurait laissée libre : la Doctrine de la Science fournirait au principe le Nécessaire et la liberté en général, et 1;1 science particulière fournirait en revanche à la liberté sa déterIII ination ; et dès lors l'exacte / ligne de démarcation serait trouvée, 1'1 dès qu'une action en soi libre recevrait une orientation déterminée, IlllUS franchirions le domaine de la Doctrine générale de la Science pour entrer dans le champ (64) d'une sci"ence particulière. - Je Ille fais comprendre par deux exemples. La Doctrine de la Science donne comme nécessaires l'espace, t"/ le point en tant que limite absolue ; mais elle laisse à l'imagination Li totale liberté de mettre le point où elle veut. Dès que cette liberté ('st déterminée, par exemple, à le mouvoir contre la limitation de l'espace illimité, traçant ainsi une ligne*, nous ne sommes plus dans le domaine de la Doctrine de la Science, mais sur le terrain d'une "cience particulière qui se nomme géométrie. La tâche 19 générale v isant à limiter l'espace selon une règle, ou la construction dans l'espace, est principe de la géométrie et elle est par là nettement distinguée de la Doctrine de la Science. Par la Doctrine de la Science, un Non-Moi absolument indépendant des règles de la simple représentation (F), ainsi que les lois selon lesquelles on doit 20 l'observer**, sont donnés comme * Une question aux mathématiciens ! - Le concept de droit n'est-il pas déjà renfermé dans celui de ligne ? Y a-t-il d'autres lignes que les lignes droites ? Et la prétendue ligne courbe est-elle autre chose qu'une enfilade dc points infiniment nombreux et infiniment proches ? L'origine de celle-ci, l'omme ligne de démarcation de l'espace infini (à partir du Moi en tant que l'cntre, est tirée une infinité de rayons infinis, auxquels cependant notre imagination bornée doit attribuer une extrêmité ; ces extrêmités, pensées comme une, sont la ligne circulaire originelle) me semble plaider en faveur de cette hypothèse ; et il apparaît clairement par là que et pourquoi la tâche qui vise :\ la mesurer par une ligne droite est infinie et ne pourrait être remplie que par une approche complète de l'absolu. - De même, il apparaît clairement pour quelle raison la ligne droite ne peut être définie. (Note supprimée dans la deuxième édition). ** Si étrange que cela puisse paraître à plus d'un naturaliste, on verra le moment venu qu'il est possible de démontrer en toute rigueur qu'il a luimême préalablement introduit dans la nature les lois qu'il croit apprendre d'elle par l'observation et qu'elles se laissent déduire, avant toute observation, du principe de tout savoir humain, qu'il s'agisse du plus petit comme du plus F Corr. : Par la Doctrine de la Science, une nature à considérer comme indépendante de nous quant à son être et quant à ses déterminations ...

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136 nécessaires mais la (65) faculté de juger conserve / ici sa totale liberté d'appliquer ou non ces lois, ou encore, étant donnée la diversité des lois aussi bien que des objets, d'appliquer la loi qu'elle veut à l'objet de son choix, et par exemple de considérer le corps humain en tant que matière brute ou organisée, ou encore comme vivant de façon animale. Mais dès que la faculté de juger reçoit pour tâche d'observer un objet déterminé d'après une loi déterminée (H), pour voir si et dans quelle mesure il s'accorde ou non avec cette loi, elle n'est plus libre, mais régie par une règle ; et par conséquent, nous ne sommes plus dans la Doctrine de la Science, mais sur le terrain d'une autre science qui se nomme la science de la nature. La tâche générale visant à rattacher chaque objet donné dans l'expérience à chaque loi de la nature donnée dans notre esprit, est le principe de la science de la nature : elle consiste entièrement en expérimentations (mais non en un comportement passif à l'égard des effets sans règle que la nature produit sur nous) que l'on se donne pour tâche volontairement et auxquelles la nature peut ou non correspondre : et par là, la science de la nature est donc suffisamment séparée de la Doctrine de la Science en général. On perçoit donc déjà ici - ce que nous ne rappelons qu'au passage - pourquoi la Doctrine de la Science seule aura une absolue totalité, alors que toutes les sciences particulières (66) sont infinies. La Doctrine de la Science contient seulement le Nécessaire ; et si ce dernier est à tous égards nécessaire, il l'est aussi eu égard à la quantité, c'est-à-dire qu'il est nécessairement limité. Toutes les autres sciences se rapportent à la liberté." tant à celle de notre esprit

grand, de la structure du plus minuscule brin d'herbe comme du mouvement des corps célestes. Il est vrai qu'aucune loi de la nature et, plus généralement, qu'aucune loi n'accède à la conscience si un objet n'est pas donné auquel elle peut être appliquée ; il est vrai que tous les objets ne doivent pas nécessairement, et pas tous au même degré, s'y accorder ; il est vrai qu'aucun objet unique ne s'accorde entièrement et parfaitement avec elles, ni ne peut le faire : mais précisément pour cette raison il est vrai que nous n'apprenons pas les lois par l'observation, mais qu'elles sont au contraire au fondement de toute observation, et qu'elles sont non pas tant des lois de la nature en tant qu'indépendante de nous, que des lois pour nous-mêmes, sur la façon dont nous avons à observer la nature (G). G. Cette note disparaît de la deuxième édition. H. Add. marginale de Fichte : par exemple pour voir si la vie animale se peut expliquer à partir simplement de l'inorganique, si la cristallisation est le passage de la liaison chimique à l'organisation, si la force magnétique et la force électrique sont essentiellement une, ou bien diffèrent, etc.

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