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French Pages [292]
ROBERT
DESOILLE
ENTRETIENS
SUR
LE RÊVE ÉVEILLÉ DIRIGÉE !
EPS
PSYCHOTHÉRAPIE COLLECTION
SCIENCE
DE L'HOMME
SE |
PAYOT,
PARIS
Digitized by the Internet Archive in 2023 with funding from Kahle/Austin Foundation
htips://archive.org/details/entretienssurler0000deso
Du même auteur, dans la même collection :
MARIE-CLOTILDE - UNE PSYCHOTHÉRAPIE PAR LE RÊVE ÉVEILLÉ DIRIGÉ
ENTRETIENS SUR LE RÊVE ÉVEILLÉ DIRIGÉ EN PSYCHOTHÉRAPIE
TION
CHEN
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.
1 E—
Cg
COLLECTION SCIENCE DE L'HOMME DIRIGÉE PAR GÉRARD MENDEL
ROBERT
DESOILLE
ENTRETIENS
SUR LE RÊVE ÉVEILLÉ DIRIGÉ EN PSYCHOTHÉRAPIE Préface de L. J. DELPECH Présentation de Nicole
PAYOT, 106, BOULEVARD
FABRE
PARIS SAINT-GERMAIN
1973
Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservés pour tous pays. Copyright © Payot Paris 1973,
TABLE
DES MATIÈRES
Présentations de ouvrages... nu 0e 48 ei, Je, mamie es or... 2 prélace : L..J. Delpech. Notice biographique : N. Fabre .....................
PREMIÈRE PARTIE LE RÊVE ÉVEILLÉ DIRIGÉ UNE NOUVELLE VOIE ROYALE EN PSYCHOTHÉRAPIE VALEUR
THÉRAPEUTIOUR
EL
APN
MEME
ne
94
PERTE DÉFICUCRS scene rer ce Ve L'image etile motvementer mate ein 5... Les suggestions d’ascension et de descente ......... Orientation et concentration de l'attention dans le A D D ÉRP R O DE E LEL TI Re Suggestions de protection contre l’angoisse ......... Dynamique de l’image et dynamique de la cure ....
ACTIVITÉ DE L’IMAGINAIRE
............. NÉS ET 2 -
Libération du langage intime
..........,..........
Projection du vécu et du non-vécu dans le R. E. D. Apparition des situations conflictuelles ............. La projection et l’identification dans les jeux tragiques He PANAMINAITES AR cé Lo Be er ue ee Importance des représentations électives dans les situationslimaginaires ne HERO RE EEE Valeur restructurante de l'imaginaire BU SN Co
11 13 21
TABLE
8
DES
MATIÈRES
Les symptômes névrotiques projetés en R. E. D. ... Névroses et états de conscience ................... Archétypes et chaînes archétypiques ...............
70 75 79
MAÎTRISE ET ENRICHISSEMENT DE L’IMAGINAIRE PAR LE RE: D: Dr TT a EE
81
Les images obsédantes et leur libération dans RE D ER SE Se
81
le
Évolution des images dans le R. E. D. ............ Apparition des représentations restructurantes en RE DR ee le ee St Vécu du‘RED.'et-vécu quotidien 5. 2.2.0 Le R.E.D., expression d’une symbolique personnelleis..sreene-resseeuts re ur MOINE A TEE Le R. E. D., les symboles et les effets-signes ....... Le R. E. D., technique de la sublimation .......... Vraies ou fausses sublimations dans le R. E. D. ...... Subtilité du langage verbal dans le R.E. D. ...:... R. E. D. et révesenocturness #00..." Le R. E. D. et les séances de commentaires ........ Utilisation du matériel symbolique dans le déroulement d'une cureipar le: RE D EAN EN AT... Le transfert sur l’image dans le R. E. D. ..........
LE R.E.D.,
PREMIERS
83 85 89 90 93 97 99 101 102 104 106 108
DEUXIÈME PARTIE UNE TECHNIQUE DES PROFONDEURS ET DU DÉPASSEMENT VASE
111
L'imagerde-départ=""#2nrtrsrrn rene encens Modification des images au cours de la cure ....... Le langage symbolique et l’exploration de la première SÉANCES en ele ee el à Po Rève de l'épée. Patrité:::::.,: MARMITE ee 0 Révecde FépéeClaldes Sr RÔve dupNase Cécile RE Rève du vase Lise up a sh SL
111 113
QUELQUES DE CURE
THÈMES
DE L’ASCENSION
: L'ÉPÉE,
CONSIDÉRATIONS CONCERNANT PAR LE KR. E. D.
Le mouvement L'’ascension
dans l’espace imaginaire
et le refus de la montée
LES
LE
114 116 120 123 128
DÉBUTS
...........
135
TABLE
DES
MATIÈRES
Le R. E. D., une réadaptation
à lavie.............
Les premiers contacts entre le patient et le psychothérapeute... #0 2 abris tn fait ah Organisation et déroulement des séances ........... PREMIERS
THÈMES
DE
DESCENTE
.....................
PES TADES LACS DEOLONUQUES à 0-24 ec sai ee Descente dans la mer. Madeleine .................. Descente dans la mer..Charles .......,...,........ Thèmes de la grotte du Sorcier et de la Sorcière ...... Grotte de la sorcière. François .................,..
Hirotte du iSorcier ÉHAnen AUTRES
THÈMES
DE
DESCENTE
ee
ee
un, 4e.
......soosseseseceseeee
Per DraconedenMla Fables a 1 oise Maleuraéthique €LSUT-MOL., ::...,..4 2082 sa de UT La grotte du Dragon. Emmanuel ................. Importance de l’élément masculin ou féminin dans la COUPS PR Re Die OT ile ntvelo el Re da Tr se Pa grotiteidus Dragon Hélène... à ne 0. : Interprétation et commentaires des R. E. D. ....... Le thème de la Belle au Bois Dormant ........... La Belle au Bois Dormant. Alain ................. Le cycle mfernal de IA névrose; Er M MR RE AUTRES THÈMES DE DÉPART POUR LA SUITE DE LA CURE
.
Images suggérées par le psychothérapeute ......... FHLALES CHDISIES DA IE DAUERTT 2ece ere Images choisies parmi celles d’un rêve nocturne inaCPÉMÉ R N É an o n sue Ua De rec Images choisies parmi celles d’un R. E. D. précédent. . Rêve éveillé dirigé de la main. Hélène ............... Diversité des images, comme thèmes de départ des R'E;D..... 08e inaiihnannnt 26. fnomincatilies Le rêve éveillé dirigé et les conduites dites régressives . OBSTACLES
A
SURMONTER
AU
COURS
DE
LA
CURE
...
Névrose et terrain de prédisposition ...............
Leiproblèmerde l'âge) :..1.....4.:....4. 2... Difficultés d’avoir des images .........,........... Comment favoriser l’apparition des images dans la FT ARR RES DIU ARE CRIE ESC SEC EE ER US SUIS SAS
10
TABLE La vie quotidienne,
DES
MATIÈRES
accès à l’imaginaire............
228
Les représentations sonores, point de départ du R. E. D. Le monde réel et le monde des images ............ Difficultés .de la montée #5. 1486020. motte Difficultés de conduite des images dans la descente ..... Valeur des images de caractère magique ........... Les :inagés persistantes 2. Re
229 232 232 234 235 236
LE R.E.D.
TROISIÈME UN CERTAIN
LE PSYCHOTHÉRAPEUTE
DANS
PARTIE TYPE DE RELATION
SA RELATION
AU
PATIENT
L’attitude .du psychothérapeute . .............0... Le psychothérapeute face aux demandes du patient .... Leproblème;de l'argent... 4. .ra0 memes.
DIRECTIVITÉ ET RE
241 244 246
e
240
La directivité dans les séances de R, E. D. ........ Initiatives du sujet dans les séances de R. E. D. .....
250 252
LEXTRANSFERT
DANS
Di 2440 00 «ME SUNR LE ARETEN
241
LE
RP
D.
messes2e
253
Le transfert dans l'analyse fréddiéane 2". 9h, Mer Dialectique de la vie et problèmes de transfert .... Phantasmes’et RE: D." .0m0Me SL SO RU im
253 255 257
Angoisse, anxiété et résolution
du transfert dans le
LeR. E. D. et la restitution de l'identité personnelle rss Le psychothérapeute face aux situations transférenLiellés ee RES ÉR'PATIENT)PENDANT LA :CURE4.
4e
ones seine
602 264 267
Nécessité et valeur de la relation écrite ........... L’abandon des cérémoniaux ...................... Déconditionnement et reconditionnement ........... Hygiène” dettier ubues a Je run Slieue os RSESD EtevIÉ quOUdIENNE 7 Dee Guérison et entraînement personnel ............... POUR UNE ÉTHIQUE DE L'HUMANITÉ .........oo.ce.
267 268 270 272 272 273
BIBLIOGRAPHIE #5 den 22e
281
2
us OR
USE
277
PRÉSENTATION
DE L'OUVRAGE
Ces leçons sur le rêve éveillé dirigé en psychothérapie ont alimenté les réunions de travail qui avaient lieu chez Robert Desoille avec un nombre restreint d’auditeurs et d’amis. Les notes qui ont été prises au cours de ces réunions ont servi de base à des conférences qu’il a faites par la suite en Belgique, à la Chambre des Conseillers en psychologie de Bruxelles en 1952 — à Paris, à la société des hôpitaux libres de France en 1955 et en 1957, à la société de psychophysiologie en 1960 — en Suisse, à Genève (chaire du professeur Rochedieu)
en 1957, et à Lausanne
chez le pro-
fesseur P. Schneider — au centre de Psychologie de l'Ouest, chez le professeur R. Mucchielli en 1961 et 1962 — au Portugal (Cinco Liçoes de Sonho acordado Dirigido, Octobre 1963 à Porto) — à Londres, au Sixième Congrès International de Psychothérapie en 1964 — à la Sorbonne, à Paris, en 1965 et 1966, sous l’égide du groupe desétudiants en psychologie. Ces leçons ont été groupées ici sous forme d'entretiens, d’où leur style vivant, leur langage direct, que nous avons respectés en les livrant au public. Robert Desoille avait l'intention de les utiliser pour un important ouvrage sur le R. E. D., qu’il aurait dédié à Gaston Bachelard qui l’a
toujours soutenu de son amitié fidèle. Nous nous sommes bornés à structurer l’ensemble de
12
PRÉSENTATION
DE L'OUVRAGE
ces Entretiens autour des thèmes dominants de la pensée desoillienne, dans un but didactique. Les praticiens du R. E. D. y reconnaîtront les problèmes pratiques ou théoriques qui se présentent quotidiennement à eux. Les notes de caractère technique, en relation avec les recherches actuelles du GIREDD (1), montrent comment la pensée de Robert Desoille se trouve prolongée en son école. L'ouvrage est préfacé par L. J. Delpech, professeur de psychologie à l’Université de Paris, historiographe du rêve éveillé dirigé. Nicole
(:) Groupe
International
du Rêve
Éveillé
Dirigé
FABRE.
de Desoille.
PRÉFACE
La compréhension comme de son
d’un auteur n’exige pas seulement,
le veulent les structuralistes, l’analyse formelle œuvre mais encore et surtout un retour à des
sources premières. C’est ce que nous avons fait avec Robert Desoille. Cela s’est révélé profondément instructif. Son premier livre, auquel il fait allusion au début de ces Entretiens, est intitulé : « Exploration de l’affectivité
subconsciente par la Méthode du Rêve Éveillé ». Il porte en sous-titre : « Sublimation et acquisitions psychologiques ». Il s’ensuit que ce qui fait, peut-être, la valeur fondamentale du Rêve Éveillé Dirigé c’est d’être une technique de sublimation. A ce propos, il faut noter que, dans le « Vocabulaire de Psychanalyse » de Laplanche et Pontalis, il est dit : « Du point de vue descriptif, les formulations freudiennes concernant la sublimation n’ont jamais été poussées très loin. Le champ des activités est mal délimité » (p. 465). Et plus loin : « Dans la mesure où la théorie de la sublimation est restée, chez Freud, peu élaborée, la délimitation avec les
processus limitrophes est restée à l’état de simple indication. De même si Freud a tenu pour essentielle la capacité de sublimer dans l'issue du traitement, il ne l’a pas montré
concrètement à l’œuvre » (p. 466-467). C’est ce que Desoille, lui, a tenté de résoudre et il semble
qu'il y ait réussi grâce à l’utilisation de son axe vertical dans l'imaginaire. Le Rêve Éveillé dirigé se présente avant
14
PRÉFACE
tout, à première vue, comme un effort couronné de succès allant — dans le sens de ce que Freud avait souhaïté pour la psychanalyse — vers cette notion fondamentale de sublimation « qui assigne aux diverses tendances une fin supérieure plus lointaine ». C’est par elle que Freud aspirait à expliquer les formes supérieures de l'esprit, l’art, les religions et c’est elle qui permet à Desoille d'aborder le problème de la mystique, dans la deuxième partie du chapitre V de son premier livre cité. Si nous revenons au Rêve Éveillé Dirigé dans sa totalité,
de quoi s'agit-il? D’une exploration très vaste, opérationnelle, se situant dans l’Imaginaire. Avant Desoille, ce domaine était celui des écrivains et des poètes, comme l’ont montré les ouvrages de Beghin et de Bachelard. Mais avec Robert Desoille une étape va être franchie. Certes, il y avait l’introspection systématisée de l’École dé Wurtzbourg à laquelle Burloud avait consacré sa thèse, certes sur le plan pathologique Daudet et Robin avaient parlé du Rêve Éveillé, mais aucune méthode thérapeutique n'avait été dégagée et c’est alors que Robert Desoillle arriva. Dans ce premier livre auquel je me réfère, il évoque sa rencontre avec Caslant et l’étude d’une exploration pour développer les connaissances supra-normales, étude dont les principes étaient liés aux recherches de Charles Henry. Celui-ci dirigeait le Laboratoire de Physiologie des sensations de la Sorbonne et, dans ses travaux, il esquissait les bases d’une anthropologie dont le point fondamental consistait dans un schéma de l’homme où la montée et la descente jouaient un rôle essentiel dans leurs rapports avec l’action et l’inhibition et où on pouvait relier les directions à la fois à certaines couleurs et à certains états affectifs (1). Mais ainsi que l’a fait remarquer Robert () Le 13 décembre 1959, célébrant en Sorbonne le centenaire de Charles Henry, j’ai parlé des recherches de ce savant dont Caslant était le disciple mais si peu connu en France qu’il y a quelques annés, M. Jean-François REVEL, dans un article de « L’Œil », croyait le redécouvrir.
PRÉFACE
15
Desoille, pour Charles Henry il s'agissait de mouvements réels et non pas de mouvements imaginaires. En partant des recherches de Charles Henry dont il était le disciple, le mérite de Caslant avait été, en premier lieu, de faire passer un processus physiologique dans le domaine de l'imagination, mais il se confinait dans un univers occulte. La trouvaille de génie de Robert Desoille a été d’associer non seulement ce mouvement ascensionnel à une technique de sublimation réalisant ainsi une sorte d'anthropologie religieuse de l’Homme, mais aussi d’en dégager par ailleurs l’importance essentielle dans la thérapeutique des névroses. Il a démontré ainsi à la fois que la montée et la descente étaient des phénomènes humains, que ces mouvements se rattachaient à l'univers psychologique et
physiologique
de l'Homme
et qu'ils constituaient
l’axe
fondamental de l’imaginaire. En créant une technique de premier ordre il a pu prouver toute la valeur curative de cette méthode d'investigation. Le processus libératoire des images de l’Ascension nous confirme par ailleurs que cette relaxation préalable qu’ont préconisée certains n’est qu'un adjuvant minime puisqu’en réalité c’est par ses images reçues que le sujet va réaliser une véritable détente durable à la fois physique et morale. Cette perspective ascensionnelle, dont Caslant lui-même ne devait réellement mesurer l'importance qu’après avoir pris connaissance des travaux personnels de Desoille, élimine l'attitude de ceux qui voudraientà toute force adjoindre à une cure
par le Rêve Éveillé Dirigé, des techniques de relaxation ou de concentration. Ainsi que le dit Desoille, parlant des
incitations à la détente : « Tout semble se passer comme si
le sujet réalisait moins facilement une inhibition émotive lorsque celle-ci est suggérée par un symbole verbal au lieu d’un symbole visuel. » Cette réflexion basée sur l'observation nous paraît déterminante car les historiens des images ont tendance à poursuivre leur exploration beaucoup plus dans le domaine
PRÉFACE
16
formel du langage que dans celui de la représentation vécue. Jung a tenté de démontrer dans l’Imagination active
la difficulté pour le névrosé de descendre dansl’imaginaire, mais il n’a jamais poursuivi une étude psycho-physiologique de l’image, se contentant de descriptions phénomé-
nologiques de celle-ci, orientées la plupart du temps par le principe des associations. Si Robert Desoille envisage le principe d’association c’est sur le mode de l’analogie et cette analogie concerne surtout les rapports qualitatifs des émotions, même si elles se situent dans des contextes différents. En ce qui concerne ses vues sur l'inconscient proprement
dit
d’abord
et sur
l'inconscient
collectif
ensuite,
dans ses premières œuvres Robert Desoille admettait l’existence de ces réservoirs psychiques mais, en approfondissant sa pensée, par l’expérience il a substitué d’abord à la notion d’inconscient, qui lui semblait manquer de nuances, celle de « niveaux de conscience » inspirés par les travaux de Lamouche, particulièrement par sa « Psychologie » (Gauthier-Villars,
1957), et à la notion
d’inconscient
collectif,
celle de « chaînes archétypiques » des représentations féminines et masculines, même si, à certains niveaux profonds ou élevés, ces représentations apparaissent sous l’aspect de phénomènes de la nature ou du monde animal. Ainsi en bas l’image de la pieuvre — image féminine maternelle — ou en haut l’image du Soleil, image masculine paternelle. Il semble toutefois, comme l’a démontré Jean Nadal dans son D. E.S. (1), que la pensée de Robert Desoille se situe dans un univers jungien. Lorsqu'il estime qu’un symbole n’est pas seulement — ainsi que le pensait Freud — un retour à la cause mais bien plutôt qu’il renferme une possibilité de finalité, selon les vues de Jung, Robert (@) D.E.S. fait sous ma Caen en novembre 1963.
direction et soutenu
à la Faculté
de
PRÉFACE
17
Desoille nous paraît, en effet, se situer dans une perspec-
tive jungienne, mais dans le Rêve Éveillé dirigé, il n’y a
pas seulement contemplation passive de l’image; le mouvement imprimé à celle-ci s’inscrit dans une véritable dialectique de la représentation. Cela conduit Desoille à la nécessité de rejoindre la physiologie ; c’est ce qu’il a tenté à travers Pavlov : c’est par lui qu’il a précisé le dynamisme de certains schémas défectueux et leur modification possible en schémas dynamiques bien adaptés. Il y aurait eu une clef dans le retour à Charles Henry et à son anthropologie. Quoi de plus réel que la montée qui est une lutte contre la pesanteur, la gravitation. C’est l’archétype d’Icare qu’on retrouve dans toutes les tentatives de l’homme pour voler. Dans l’imaginaire, il prend la forme de vols mystiques et vols magiques sur lesquels des ethnographes comme Eliade ont longuement écrit. C’est cette voie qui a été entrevue par Gilbert Durand en rattachant l’univers des images aux réflexes, mais la Welt-
anschauung de Charles Henry embrassaïit non seulement les
réflexes mais encore les tropismes et l'intelligence. Selon le philosophe italien Sciacca, la vie de l’Homme est horizontale dans le réel et verticale comme adaptation au spirituel. Il est curieux de voir ici qu’on retrouve la structure
que certains penseurs orthodoxes avaient décrite sous le nom d’ « homme-plante céleste ». Une des observations les plus intéressantes portant sur le contenu du psychisme a été le fait constaté par le Rêve Éveillé Dirigé que ce dernier révèle une structure analogue à l’univers des croyances de notre civilisation judéo-chrétienne. On y rencontre en effet, de bas en haut, des images magiques avec des représentations démoniaques puis, en s’élevant et dépassant le niveau des images du réel, des images fabuleuses ou mythologiques puis des images angéliques ou mystiques pour en arriver à cette lumière qui, d’une
certaine
façon, est l’image du Soi, du spirituel et
rejoint Dieu. Ne découvre-t-on pas une théorie de l'illuEntretiens sur le rêve éveillé.
2
18
PRÉFACE
mination
subjective dans la philosophie augustinienne, de
St-Augustin à St-Bonaventure,
pour indiquer le passage
de la Nature à la Surnature?
Cet univers judéo-chrétien est aussi celui que Dante a décrit dans la Divine Comédie, qui n’est qu’un grandiose Rêve
Éveillé.
Robert
jours dans son sublimation, —
Desoille
ouvrage
particulièrement
ce chant XVII
—
tou-
consacré
à la
porte en exergue,
du Purgatoire de Dante
:
« Ainsi s’éteignit en moi l’imaginer sitôt que frappa mon visage une lumière bien plus vive que celle à laquelle nous sommes accoutumés. Je me retournai pour regarder d’où elle venait lorsqu'une voix dit : « Ici l’on monte ». De toute autre pensée, elle me détourna. » Le sens de la lumière dans ce qu’elle a de plus élevé a permis à Robert Desoille et à une de ses disciples, G. Lanfranchi, d'interpréter la vie mystique en termes de psychologie; mais alors que, chez les mystiques chrétiens, le mouvement ascensionnel du niveau réel à la sublimation ne peut jamais être entièrement réalisé à cause de l’inadéquation entre l’être humain et Dieu, dans la thérapeutique des patients il en va tout autrement puisque le but visé est moins un dépassement qu’une équilibration entre les tendances du bas et les tendances du haut. Geneviève Lanfranchi a tout particulièrement entrevu le problème que posaient les idées de Robert Desoille, à savoir : retrouver dans la structure du corps humain les bases d’une psychologie de la mystique qui ne serait pas appuyée sur les dimensions du sacré, lorsqu'elle écrit: « La paix, la sérénité peuvent être atteintes en dehors de toute croyance et par le simple jeu bien conduit des ressources spontanées lorsque la psyché n’est point enchaînée par la vie concrète ou par les formes psychiques fixées sous l'influence de celle-ci. Telle est la conviction à laquelle le philosophe peut être conduit par l’expérience du Rêve Éveillé ou, plus généralement, par toute réflexion sur les « structures anthropologiques de l'imaginaire ». Mais une telle sérénité s’appréhende elle-même tout autrement
PRÉFACE
19
que comme satisfaction subjective : elle se vit comme achèvement existentiel, comme expérience d’absolu (1). » Il apparaît qu’on trouve une semblable attitude chez Nietzsche, comme l’a montré Bachelard : « En résumé, l’état
d'âme élevé n’est pas pour Nietzsche une simple métaphore. Nietzsche appelle un temps où « chez ces âmes de l'avenir, cet état exceptionnel qui nous saisit, çà et là, en un frémissement, serait précisément l’état habituel : un continuel va-et-vient entre haut et bas, un sentiment de haut et de bas, de monter sans cesse des étages et en
même temps de planer sur des nuages » (2). On reconnaît les nietzschéens « au besoin de s'élever dans les airs sans hésitation, de voler où nous sommes poussés. nous autres oiseaux nés libres. Où que nous allions, tout devient libre
et ensoleillé autour de nous » (5). Lorsqu'on rencontre la lumière des profondeurs dans la descente, ce sont alors des représentations de feu cosmique et interne qui n’ont que peu de rapports avec la lumière d’en haut mais qui constituent, tout de même, un retour aux sources de la vie, le démoniaque n'étant plus conçu
dans le sens de la mythologie chrétienne mais dans le sens de Socrate ou de Goethe, le daïmon étant considéré comme un esprit, comme une des sources de l’esprit créateur.
Desoille avait d’ailleurs conduit des rêves de créativité orientés dans ce sens, par exemple des descentes dans des volcans où on rencontrele feu créateur.
Dans un Entretien consacré à la fonction imaginaire, Robert Desoille nous précise le sens de cette vaste imagerie symbolique, très personnelle, avec les formes complexes qu’elle peut revêtir et les multiples combinaisons psy(:) Geneviève LANFRANCHI : « Nature humaine et images mystiques du Rêve Éveillé », compte rendu du Congrès des Sociétés de Philosophie de Langue Française, Aix 1957, P. U. F., 1957. (2) NIETZSCHE,
« St-Janvier
», trad.
BACHELARD (L’Air et les Songes). () NIETZSCHE, ibid., p. 34, cité José Corti, Paris, 1943.
éd. Stock,
par
p. 24, cité par
BACHELARD,
ibid., chez
20
PRÉFACE
chiques produites par l’interférence entre l'imaginaire et le réel. C’est peut-être ici que le langage peut fournir sa contribution la plus efficace par ses différenciations les plus subtiles dans l'interprétation des images. Dans d’autres Entretiens nous sommes initiés à la méthode qui introduit le psychothérapeute dans l’univers du patient par la voie de rêves éveillés faits à partir de thèmes inducteurs dont l’expérience a démontré l'efficience en tant que thèmes exploratoires d'investigation, que ce soit dans l’ascension ou dans la descente. Suivent des considérations très intéressantes nous initiant à des modes de communication entre le psychothérapeute et son patient, fruits d’une longue expérience s'étendant sur plusieurs années. Ici un certain type de relation est envisagé entre le psychothérapeute et le patient. Ensuite est abordée une controverse sur la liberté ou la direction dans le Rêve Éveillé Dirigé, cette direction étant conçue d’après Robert Desoille comme « soutien directif » indispensable, puis les conditions dans lesquelles s’effectue
le transfert dans le Rêve Éveillé Dirigé. En remerçiant Mme Robert Desoille qui nous a communiqué, à Mme Nicole Fabre et à moi-même, ces enseignements de Desoille, lesquels ont fourni la matière à plusieurs conférences faites par lui en France ou à l’étranger, nous pensons pouvoir permettre à chacun de nous de renouer ainsi, avec l’auteur, ce dialogue à un niveau où la commu-
nication survit à la disparition terrestre. L. J. DELPEcH.
NOTICE
BIOGRAPHIQUE
J’ai connu Robert Desoille en 1960 au cours d’un Congrès de psychothérapie. Il avait 70 ans. J’avais été frappée par la netteté de ses propos et la chaleur de sa parole, Sa silhouette très droite, son regard appuyé, ne pouvaient passer inaperçus. Plus encore surprenaient la force avec laquelle il affirmait ses thèses et la profondeur de l’expérience qu’il livrait. Comme beaucoup de ceux qui l’ont rencontré j'ai été séduite par les étranges et riches chemins
sur lesquels il entraînait ses auditeurs comme ses patients et par la qualité humaine exceptionnelle qui présidait à sa démarche, à la démarche qu’il proposait.
C’est au cours des quelques années qui ont suivi que
j'ai appris à connaître sa méthode psychothérapique — en travaillant avec lui —
et sa personnalité, en nouant avec
lui des liens d’amitié réelle malgré le nombre d’années qui nous séparaient. Sa méthode, Robert Desoille la livrait dans la formation didactique qu’il dispensait à ses élèves pour en faire des praticiens du rêve éveillé dirigé : c’est l’analyse du futur praticien, lui-même soumis à la même cure que celle dans laquelle il conduira les malades qui lui seront, par la suite, confiés. Au cours de ce travail, ce futur praticien se reconnaît lui-même dans sa propre histoire, il résout ses propres difficultés ; il repère les chemins par lesquels il passe, il comprend comment et pourquoi le psychothérapeute
propose et dirige la cure comme il le fait.
NOTICE
22
BIOGRAPHIQUE
Tous les psychothérapeutes rencontrent au cours de leur travail un certain nombre de problèmes qu'ils ont besoin d’élucider ensemble. Des questions théoriques se posent surtout lorsqu'une technique est naissante. Robert Desoille avait créé vers 1954 un séminaire où il dispensait son enseignement à ses élèves en même temps qu'étaient mis en discussion certains aspects tantôt techniques, tantôt théoriques de la méthode. Lorsque j’ai connu Robert Desoille,
ces
réunions
avaient
lieu
le soir chez lui, rue
Chambiges, dans ce même bureau où il recevait ses patients dans la journée. Le nombre de praticiens participant aux séances allant en s’accroissant, ce fut le Centre de l’Élan,
siège de la Société qu’il fonda en 1961 avec le professeur Sivadon et Mne J. Favez-Boutonnier, qui nous accueillit. Mais ses amis et collaborateurs se souviennent tous du studio de la rue Falguière où prirent naissance les premières
recherches de son École. Mie Boulle,
Inspectrice départementale
nationale, évoque ainsi ces premières desquelles elle travailla avec lui : J'avais former et curieux et univers. Ÿ
de l'Éducation
années
au
cours
été introduite dans le Séminaire qu’il venait de je me rendais à chaque réunion avec le sentiment particulier de pénétrer en quelque sorte dans un autre contribuait sans doute l’emplacement de cet appar-
tement, rue Falguière, à Montparnasse, au fond d’une cour charmante, très xixe siècle, où l’on entrait par une grille solide
et sans prétention et que l’on devinait bien gardée des bruits du dehors. L'appartement lui-même présentait, à mes yeux du moins, le contraste frappant d’un studio d’artiste bourgeoisement meublé. Je me souviens d’une table et d’une armoire rustiques d’un beau bois de teinte claire, mais
chaude.
Je me
souviens
aussi de l'immense verrière qui ne s’ouvrait jamais que sur la nuit, aux heures où nous nous réunissions, accentuant pour moi cette impression d’un univers clos, bien protégé par d’amicales tentures. À un accueil auquel participait Mme Desoille, et que nous avons tous connu, que ce soit rue Falguière ou rue Chambiges, à un certain rayonnement — j'allais dire à un rayonnement certain — l’on sentait dans cette maison une présence sereine.
NOTICE
BIOGRAPHIQUE
23
Robert Desoille prenait place au bout de la table et « présidait » ces réunions avec simplicité ?,
Au
cours
de ces séances
de travail,
que ce soit rue
Falguière, rue Chambiges, ou à l’Élan, Robert Desoille
exposait ses thèses comme ses recherches. C’étaient de véritables entretiens où la pensée du père du R. E. D. se formulait, contester.
se précisait, se contestait elle-même, se laissait Esprit avant tout curieux et ouvert, Robert
Desoille cherchaït à rendre compte par une théorie rationnelle des phénomènes perçus dans la pratique du R. E. D.
Mais aussi homme d’action, il faisait progresser et transmettait une technique d’une qualité et d’une efficacité exceptionnelle. Les divers moments de sa recherche théorique furent aussi toujours enracinés dans son expérience et probablement marqués et enrichis par ses engagements et son histoire personnelle. En effet, tel je l’ai connu dans les dernières années de sa vie, homme
de science
et homme
d’action,
tel il
semble avoir toujours été. Né le 29 mai 1890 à Besançon, Robert Desoille était issu d’une famille aisée. Apparemment, rien ne semblait devoir le conduire à l’œuvre psychologique qu'il a réalisée. Son
père était général et les années de la guerre de 1914 qu’il a lui-même vécue comme officier lui avaient donné cette espèce de rigueur, cette force, qui auraient pu faire de lui un militaire. De l'officier qu’il aurait pu être, il garda ce caractère d'homme d’action que nous lui avons connu. Et pourtant ce n’était pas la vie militaire qui l’attirait puisque, dès avant la guerre, il s'était préparé à devenir ingénieur. Tel a été le métier qu’il a exercé jusqu’en 1953, d’abord au sein des Compagnies Réunies de Gaz et d'Électricité, puis, lorsque vint la nationalisation
qui comblait
() In « Hommage à Robert Desoille », numéro spécial de la revue de Recherches Psychothérapiques de Langue Française, mars 1967.
24
NOTICE
BIOGRAPHIQUE
tous ses vœux et couronnait de succès l’action qu'il avait menée dans ce but, à l’Électricité de France où sa carrière
se poursuivit dans le cadre de cette grande entreprise nationale. Son attitude, dès cette époque, nous le montre donc attaché non seulement à l’aspect technique de son métier mais encore à son aspect social, ce qu’il a bien exprimé à travers les diverses luttes syndicales qu’il y mena avec ardeur. De ce métier d'ingénieur, il garda une conscience aiguë de la valeur de l’empirisme, le goût de la recherche, le sens de l’homme dans la société. Il est probablement important de noter aussi ici l’évolution intérieure qu’il suivit au cours de ces années. Robert Desoille appartenait à une famille catholique qui lui légua une foi religieuse dont, devait-il dire plus tard à ses amis, il perdit progressivement le conténu théologique pour n’en conserver que les valeurs de charité vivante. Ainsi se tourna-t-il vers une vision marxiste du monde et de la société. De cette époque aussi date son interprétation pavlovienne des phénomènes observés dans le R. E. D. Il eût cependant aimé écrire un livre sur « Les religions et la Religion », celle-ci trouvant son fondement dans l’ex-
périence intérieure la plus haute, comme dénominateur de toutes les religions. Il aurait voulu, somme toute, exprimer la pensée d’un agnosticisme ouvert, tourné, au-delà des religions actuelles, vers la « Religion de l'Avenir ».
Il cherchait des expériences à ce niveau, aimait « éveiller le patient, le faire progresser dans la voie spirituelle qu’il savait être la sienne ». L'homme, pensait-il, devait se réaliser totalement et c’est à la mesure où il arrivait à incarner
ses propres valeurs, qu’on pouvait reconnaître s’il en avait pu atteindre le plus haut degré. Répondant un jour à une question posée au sujet d’un de ceux à qui il avait enseigné sa méthode : « Je ne connais
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BIOGRAPHIQUE
25
qu'un critère pour juger de la valeur morale de quelqu'un, c'est son comportement », dit-il (1).
Un fait cependant est capital dans la vie de Robert Desoille. Jamais au cours de son activité professionnelle, il n’oublia ce qui, dès son enfance, avait été pour lui une révélation : l'importance et l’intérêt de l’énergie psychique. Bien plus, il ne cessa de développer et d’enrichir cette découverte d'enfant. En effet, il raconte qu’il assista à l’âge de sept ans à une séance d’hypnotisme sur un champ de foire et que ce fait le frappa profondément. Ce fut probablement là l’origine de son intérêt pour les phénomènes para-
psychiques, pour les expériences de communication de la pensée qu’il tenta par la suite en famille et, d’une manière plus générale, pour sa curiosité à l’égard de Caslant qu'il connut en 1923 (?). Grâce à cette rencontre, Robert Desoille pénétrait dans le monde des labyrinthes intérieurs où il sut se faire conduire mais plus encore se conduire et conduire ses proches. Conduire c’est encourager, soutenir activement et non pas assister passivement ou laisser aller. Car la technique du rêve éveillé qu’il créait comportait une énergie fondamentale, une marque indélébile : le rêve éveillé est dirigé. Son œuvre psychologique se déroula, dès lors, avec une précision sans cesse croissante, une maîtrise toujours plus parfaite. L'ensemble de cette œuvre montre bien ce que fut la trajectoire de sa pensée qui, jaillie de la réflexion sur une expérience proprement métapsychique, le conduisit à une rigoureuse expérimentation et à des analyses de caractère scientifique et rationnel qui devaient ouvrir une nouvelle « voie royale » d’accès à l’inconscient et de restructuration de la personne (©). () Y. FayoL-J. déjà cité. (2) Cf. Entretien,
GUILHOT,
in « Hommage
p. 34, dans
à Robert
Desoille
»
cet ouvrage.
(3) J. LAUNAY, J. LEVINE, G. MaAUREY : « Les démarches spécifiques du rêve éveillé dirigé de Desoiile », in Études psychothérapiques, n° 1, septembre 1970.
NOTICE
26
BIOGRAPHIQUE
Mais ce qui demeure frappant, c’est que l’immense travail accompli le fut d’abord sur lui-même et sur ses proches, son œuvre écrite n’ayant d’autre fonction que d’élar-
gir son public, d’enraciner son action, d'ouvrir la voie à la prolongation d’une méthode psychothérapique sous-tendue
par une exigence profonde : celle du service des hommes. Écoutons plutôt encore M1te Boulle évoquer les aspects
de la personnalité de Robert
Desoille qui l’ont le plus
frappée : Son désintéressement d’abord. Il était entier et imposait le respect. Une vraie tolérance, une large compréhension. Alors que sa méthode est basée sur l’exploration dirigée du subconscient, j'ai toujours admiré l'esprit dans lequel il concevait cette direction. Respectueux de la personnalité du sujet, de ses croyances, il ne tranchait rien qui le concernât et son but était de l’amener à prendre
par lui-même,
en toute liberté, les déci-
sions qui pouvaient, s’il en était besoin, orienter sa vie. Respect profond d’autrui, dont je ne suis sans doute pas seule à penser qu'il y a là valeur d'exemple. Par-dessus tout, Robert Desoille était l’homme d’une grande œuvre : créateur dans toute l’acception du mot d’une méthode qu'il perfectionnait sans cesse, doué d’un véritable esprit de recherche. On ne pouvait échapper en l’écoutant à l’emprise d’un homme qui a eu le bonheur (à moins que ce ne soit énergie et courage, en tout cas valeur exceptionnelle) d'élaborer, précisément, une œuvre.
A sa mort, le 10 octobre 1966, Robert Desoille laissait aux héritiers de sa pensée une méthode élaborée : le R. E. D.,, un modèle de relation thérapeutique que le
docteur G. Maurey devait définir comme « relation d’équivalence » (1) et un groupe de travail au sein duquel enseignement et recherche pouvaient continuer l’œuvre entreprise (2). (1) G. MAUREY : « Remarques sur la qualité de la relation dans le rêve éveillé dirigé », in Études Psychothérapiques, n° 2, janvier 1971. (?) Le Groupe International du Rêve Éveillé Dirigé de Desoille fut fondé par les amis et collaborateurs de Robert Desoille à sa mort.
NOTICE
BIOGRAPHIQUE
27
Outre ses œuvres déjà publiées, il laissait également divers documents (1). J’ai été heureuse d’avoir contribué à leur publication et remercie Mme Robert Desoille d’avoir bien voulu m’y inviter. Nicole
FABRE.
(:) Marie-Clotilde, une psychothérapie par le Rêve Éveillé Dirigé, : à Payot, Paris, 1971. — L'ouvrage que nous publions aujourd’hui, et divers autres documents encore inédits.
A la mémoire de Gaston BACHELARD qui m’a éclairé avec le flambeau de l’amitié sur la route difficile où je me suis engagé
PREMIÈRE
PARTIE
LE RÊVE ÉVEILLEÉ DIRIGÉE UNE NOUVELLE VOIE ROYALE EN PSYCHOTHÉRAPIE
VALEUR
THÉRAPEUTIQUE
DE L’'ASCENSION
ET DE LA DESCENTE DIRIGÉ
DANS LE RÊVE ÉVEILLÉ EN PSYCHOTHÉRAPIE
Plusieurs d’entre vous expriment souvent le regret de ne pouvoir se reporter aux sources épuisées de mes premiers travaux. J’ai toujours préféré aller de l’avant, sans m'attarder sur le passé, mais c’est une occasion favorable d'y revenir quelques instants aujourd’hui en commençant cet entretien. Sans vouloir y introduire l’ensemble des idées que j'ai exposées autrefois — car les idées sont, comme la vie, susceptibles de modifications —, je pense que certains points de vue peuvent toujours trouver place ici : cela me permettra d'évoquer le climat qui a présidé aux débuts de mes recherches. Ainsi en est-il de l'intérêt que j'ai témoigné très tôt pour la psychologie, de mes rapports avec Caslant à qui m’a lié toujours une véritable amitié — malgré les divergences de nos vues —, ainsi en est-il également de mes premiers contacts avec mes sujets et de mes premières expériences personnelles.
Ces expériences et les observations qui les ont accompagnées ont gardé, à travers les années, leur signification et leur valeur ; elles ont inspiré des conduites de rêves éveillés que j’ai assumées par la suite et elles ont été jus-
tifiées par un grand nombre
de réussites en matière de
guérison. Le moyen le plus simple de les résumer est d’in-
troduire ici quelques extraits de mon premier ouvrage : « Exploration de l’activité subconsciente par la Méthode Entretiens sur le rêve éveillé.
3
34
VALEUR
THÉRAPEUTIQUE
du Rêve Éveillé » (1) dans lequel j’ai relaté les recherches que j'avais entreprises depuis 1923. C'est auparavant, vers l’âge de vingt-quatre ans, que
l’idée d’une recherche précise m'était venue à l'esprit. Ma formation scientifique et technique, qui devait me conduire d’abord à devenir ingénieur, ne m'avait pas laissé suffisamment de loisirs pour pénétrer profondément dans le domaine de la psychologie qui m’attirait, mais je m’intéressais beaucoup aux phénomènes de transmission et de lecture de pensée. PREMIÈRES
EXPÉRIENCES
Ce n’est qu'après la guerre de 1914-1918 que j'ai repris cette recherche. J'avais connu une jeune femme qui me fit part d’une sorte de rêverie étrange qu’on lui avait fait faire et dont la description rappelait les fabulations relatées par Flournoy dans son étude : « Des Indes à la planète Mars » (?). C’est par elle que j’entrai en relations avec le lieutenant-colonel Caslant, autrefois brillant élève de l'École Polytechnique mais devenu depuis spirite convaincu, autour d’une brochure intitulée : «Méthode de déve-
loppement des facultés supra-normales » (), qui consentit à faire une curieuse démonstration devant moi en choisissant un sujet qu’il voyait pour la première fois (4). Il le fit allonger, lui fit fermer les yeux pour les protéger de la lumière et « lui demanda de souhaïter un développement spirituel sans marquer aucune impatience ». Je ne cherchais alors dans cette démonstration qu’un moyen d'entraîner un sujet pour pouvoir reproduire faci() Robert Desorzre : Exploralion de l’affectivité subconsciente par la Méthode du Rêve Éveillé, chez J. L. d’Artrey, Éditeur, Paris, 1938 (actuellement épuisé). (®) FLouroy : Des Indes à la Planète Mars, Alcan, Paris, 1907. (S) CasLanT : Méthode de développement des facultés supranormales, 1re édition, chez Rhéa, Paris, 1921. (*) Caslant était un disciple de Charles Henry, Directeur du: Laboratoire de la Physiologie des sensations.
VALEUR
THÉRAPEUTIQUE
35
lement ces phénomènes de lecture et de transmission de pensée qui m'’intéressaient toujours fortement et j'ai été extrêmement surpris par la rêverie qui suivit. Cette rêverie que le sujet, orienté par Caslant, situait dans un vaste jardin, le conduisait ensuite, par le moyen d’un admirable escalier de marbre, à un personnage central, majestueux, qu’il appelait « un guide » et qui lui donnait une palme, symbole de confiance, de calme et de joie. La rêverie continuait, dans l’espace, par l’évocation d’une grotte extrêmement lumineuse où, au son d’une musique très douce, des petits êtres joyeux distribuaient au sujet des pierres précieuses que le guide lui disait devoir ne pas garder pour elle mais, par la suite, « les donner autour d'elle ». Le sujet, ensuite, toujours orienté par Caslant, amorçait une descente. Cette descente — qui n’était qu’un retour au point de départ et non pas une descente dans les profondeurs — conduisait le sujet muni de ces dons à se retrouver dans la pièce où Caslant l’exhortait à la détente et à la sérénité. Je me suis alors demandé quels rapports il pouvait
exister entre cette fabulation inattendue et l’étude de certains phénomènes que je poursuivais. J’ai d’abord servi moi-même de sujet et ai, ensuite, fait travailler la jeune femme qui s'était prêtée à cette expérience, ceci sous la direction de Caslant en m'interdisant,
pendant un
certain temps, toute critique. Assez tôt, cependant, je suis entré en opposition avec Caslant qui, malgré sa très intéressante personnalité, ne voulait voir dans ces images que « des représentations d’un univers occulte auquel il était donné à l’homme d’accéder dans un état particulier ». De mon côté, par la formation scientifique que j'avais reçue, j’entrevoyais une utilisation totalement différente de ces représentations en mouvement, à des fins thérapeutiques d’investigation psychologique, susceptibles par l’ascension et la descente, de ramener à la conscience tous les éléments dispersés de la psyché pour en effectuer une synthèse définitive et contri-
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VALEUR
THÉRAPEUTIQUE
buer ainsi à la guérison de certains troubles psychiques (1). M'étant écarté définitivement, par la suite, du point de vue de Caslant, mes conceptions personnelles m'ont amené à modifier profondément cette technique et surtout à en faire un tout autre usage. Caslant, honnête homme et d’une grande valeur morale, m’envoya mes premiers patients. D’autres sont venus ensuite, envoyés par des médecins ou des psychologues qui m'’avaient encouragé à poursuivre dans cette voie. J'ai travaillé quelques années en silence et lorsque mes propres expériences ont confirmé la justesse de mes vues, à partir de 1931 — date de parution d’une série d'articles que j'ai publiés dans la Revue de Psychologie suisse « Action et Pensée » (?) — mes contacts se sont multipliés avec l’extérieur. C’est ainsi (:) Caslant ne vit pas l’importance essentielle, au point de vue psychologique, de la montée et de la descente, comme on le constate dans son livre : Méthode de développement des facultés supranormales, 1921, Rhéa,
Paris, p. 73-76, 1'e édition (L. J. DELPECH : « Un magicien des images : Robert Desoizze, Revue des DeuxMondes, 15 mars 1967, pages 262 et suivantes). « Nous constatons que Caslant ne juge pas cette question de la montée et de la descente importante puisqu’il n’en fait mention ni
dans les conclusions de la 1re édition de son livre, ni dans les sept points qui résument la troisième édition, sauf pour le septième point où il relie la montée à « la conscience harmonique », mais, à ce moment-là (1937), Robert Desoille a publié ses recherches depuis 1931 et Caslant les connaît. Par contre, Robert Desoille, lui, affirme et jusque dans ses derniers écrits : « C’est ici qu’intervient ce qui fait toute l’originalité et l'efficacité du Rêve Éveillé dirigé » ; c'est ce mouvement dans l’espace imaginaire du patient qui est dirigé par le psychologue et, essentiellement, suivant la verticale, dans le sens d’une ascension ou d’une descente (L. J. DELPECH : « Hommage à Robert Desoille », Bulletin de la Sté de Recherches Psychothérapiques de Langue Française, n° 1, mars 1967). « Robert Desoille a constitué une véritable méthode d’exploration du psychisme qui lui est propre et qui mérite entièrement
d’être appelée : « La Méthode du Rêve Éveillé dirigé en Psychothé-
rapie de Robert Desoille » (L. J. DELPECH : « Hommage à Robert Desoille », Bulletin de la Société de Recherches Psychothérapiques de Langue Française, n° 1, mars 1967). (2) Action et Pensée, Revue de Psychologie, n° 4 à 10, Genève, 1931 : « Robert DEsoiLLe, Une méthode rationnelle pour l’explo-
ration du subconscient ».
VALEUR
THÉRAPEUTIQUE
Ps
que, un peu plus tard, j'ai fait devant Guillerey, Directeur de la Clinique de Nyon, en Suisse, « La Métairie », clinique dans laquelle il pratiquait le Vittoz, une démonstration du Rêve Éveillé qui l’a beaucoup intéressé et il a entrepris immédiatement — d’après mes indications — une série d'expériences de ma technique avec des patients, en me tenant au courant des heureux résultats obtenus. Nous avons été en correspondance amicale de 1934 à 1937 (1). Guillerey a reconnu lui-même, par la suite, ce qu’il devait à mes travaux. Je voudrais ici, en passant, témoigner ma reconnaissance à Charles Baudouin et à Gaston Bachelard pour l’appui qu’ils m'ont apporté dès le début.
L’IMAGE
ET LE MOUVEMENT
(?)
Mes premières expériences personnelles m'ont conduit d’abord à l’examen de certains procédés en étudiant successivement le rôle des images dans ces rêveries, la qualité et le but de certaines suggestions et l’importance qu'il fallait accorder au mouvement ascensionnel. A première vue et à un premier degré, une image, dans sa définition la plus concrète, apparaît comme le résultat
d’une perception, parfois prolongée ou restituée dans l’espace et le temps par la fonction de la mémoire. Mais à un second degré, nous interrogeant sur son rôle,
nous voyons cette même image, reflet de l’extérieur, s’intégrer à la dynamique de notre univers intérieur, ren(:) Ce point a été précisé par L. J. DELPECH dans « Essai sur la Genèse de la Méthode du Rêve Éveillé dirigé de Robert Desoille », où il donne des extraits de cette correspondance et où il conclut : « C’est Robert Desoille qui a initié Guillerey au Rêve Éveillé Dirigé » (« Hommage à Robert Desoille », Bulletin de la Sté de Recherches Psychothérapiques de Langue Française, n° 1, mars 1967). (2) Robert DEsorLLe : Conférences au Centre Psychologique de l'Ouest, 1961-1962.
VALEUR
38
THÉRAPEUTIQUE
contrer d’autres images auxquelles elle s'associe parfois ou s'oppose mais, à ce contact, elle les imprègne et elle s'imprègne aussi (positivement ou négativement) de sensations multiples. Et nous la voyons revenir ensuite vers ce monde
extérieur
d’où
elle émanait
à l’origine, trans-
formée, chargée de significations nouvelles. Aïnsi l’image se définit dans sa totalité, comme une représentation susceptible de déplacement, suscitant des échanges entre le dehors et le dedans — et inversement — et ce sont ces échanges qui provoquent ces étonnantes métamorphoses au sein d’une réalité permanente (1). Mais « univers intérieur » et « univers extérieur » ne sont ici que des termes définissant des états, plus exactement des degrés de conscience différents et s’il apparaît que la plus grande partie des images entrevues sont reconnues par le sujet lui-même comme personnelles, d’autres images lui apparaissent ensuite qui ne semblent se rattacher à
rien de connu encore de lui. Et cependant, elles lui appartiennent également et nous verrons plus loin qu’elles proviennent de « niveaux de conscience » non encore explorés qui ne deviennent accessibles à l’investigation que par le jeu d’un déplacement, d’un mouvement dans l’espace imaginaire de ce sujet, lequel mouvement doit constituer avec l'harmonisation des images entre elles un des buts essentiels de la suggestion de la part du psychothérapeute.
LES
SUGGESTIONS
D’ASCENSION
ET
DE
DESCENTE
Dès le début, j'ai restitué à ce terme de « suggestion » son sens véritable de « présentation d’une idée » (ou d’une image) en lui refusant tout caractère mystérieux. On oublie trop souvent que la suggestion bien comprise est une des conditions de la formation de l'esprit. Le côté merveilleux, en apparence, de l’hypnose a fait () Robert DesorLLe : Conférence au C. Psychologique de l'Ouest.
VALEUR
THÉRAPEUTIQUE
39
croire longtemps que seul cet état extrême, ressemblant au sommeil, permettait des investigations très profondes. Mais l'hypnose ne peut être employée qu'avec certains sujets et dans ce cas on se prive ainsi d’un précieux auxiliaire dans la personne du patient qui ne se rappelle souvent rien ; il ne peut donc apporter au psychologue le concours de ses propres observations : son sens critique étant aboli, on retombe dans les obscurités des rêves nocturnes. Je devais constater dans mes expériences de plus en plus poussées qu'il était possible, à un certain degré de veille, de provoquer un rêve de qualité différente de celle du rêve
nocturne,
s'exprimant
pourtant
comme
celui-ci
dans un langage symbolique, mais sous une forme telle que le patient et le psychologue pouvaient le suivre comme on suit les phases d’un film au ralenti sans rien en perdre (1). Il s’imposait, en tout premier lieu, de favoriser une ambiance de repos, de demi-obscurité, de silence, de concentration du sujet sur son univers intérieur lui permettant, au moyen du dialogue, de s'exprimer en images visuelles ou verbales et, sur l'incitation du psychothérapeute, de se déplacer verticalement dans un espace imaginaire où il pouvait se concevoir agissant. Le rôle du psychothérapeute, en l’occurrence, était précisément de mettre sa propre activité à la libre disposition du sujet, en le maintenant dans un état psychique tel que l'attention
intérieure lui soit toujours permise. Il était possible d’agir sur des patients, à l’état de veille, par voie sensible directe, en leur suggérant, par la parole, d’abord une représentation de départ puis de mouvement, ceci en pleine connaissance de cause de leur part, leur laissant la latitude d'accepter ou de refuser délibérément, avec ou sans examen réfléchi, ces suggestions. Cela permettait de substituer au rêve nocturne, quelquefois incomplet ou oublié, un scénario de rêve éveillé qui, avec le soutien (:) Réve Éveillé en Psychothérapie,
P. U. F., 1945.
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VALEUR
THÉRAPEUTIQUE
du psychothérapeute, conduisait à étudier, dans toutes ses phases, l’affectivité sous-jacente d’un sujet. La suggestion essentielle pour réaliser l'expérience a toujours
été celle d’ascension
ou
de descente,
à laquelle
j'ai ajouté plus tard celle de descente dans les grandes profondeurs, ceci en partant des images de la vie réelle; les autres formes d'incitation devant être soigneusement choisies en fonction de la situation psychologique du sujet et toujours approuvées par lui. Ces images motrices remarquables de mouvement le long d’un axe vertical, maintenues intentionnellement pendant un tiers environ de la séance, ont fait ainsi apparaître — chez la plus grande partie de mes patients — un nombre considérable d’états de conscience latents du plus haut intérêt. Pourquoi ce déplacement de bas en haut — et inversement — a-t-il toujours provoqué l'apparition d’une foule d'images sensorielles ou affectives? C’est parce qu’ainsi que je l’ai souvent indiqué par la suite, il constituait un archétype puissant auquel était liée, en premier lieu, la représentation du lever du soleil, de sa montée dans le ciel et de son crépuscule (1). D’autres causes devaient en être cherchées sans nul doute dans notre constitution physique et dans certaines habitudes dont quelques-unes découlaient de cette constitution même. La station de l’homme est verticale, l’encéphale est au sommet du corps et c’est dans la tête que nous localisons les fonctions les plus nobles : pensées, langage, vision, ouïe, odorat. L'homme vivant, l’homme sain, le vainqueur nous apparaissent debout : au contraire le vaincu, le malade, le mort sont à terre. À ces images s'associent mille souvenirs, les uns dynamogènes,
les autres inhibiteurs.
(?) Robert Desorce : Le Rêve Éveillé en psychothérapie, P. U. F., Paris, 1945. Introduction à une Psychothérapie rationnelle, Paris, L’Arche, 1955.
VALEUR
THÉRAPEUTIQUE
A1
Enfin, la vision des choses qui nous entourent contribue à renforcer ces images : le fait déjà cité que la lumière vient d'en haut, le géotropisme des plantes, nous obligent à associer les idées d’élan vital, de plénitude, avec celle d’ascension. En opposition, le fait de descendre sous terre, dans une cave, par exemple, nous prive de lumière et de chaleur ; notre
bien-être
est amoindri
et nous
associons
les idées de tristesse, de privation, d'angoisse avec celle de descente. Les habitudes du langage lui-même associent les idées de beauté, de bonté, de noblesse à celle de « haut » et par opposition tout ce qui est triste ou laid à celle de « bas ». Certains gestes, comme
le tracé d’une ligne ascendante,
sont dynamogènes, d’autres, comme descendante, sont inhibiteurs (1).
le tracé d’une ligne
C’est l'habitude de tout ce symbolisme, né de la vision de nous-mêmes et des choses qui nous entourent, qui a établi ce réflexe conditionné révélé par l'expérience : à la suggestion d’ascension est toujours liée chez tous les sujets, la représentation de nos sentiments, de nos émotions,
de nos aspirations les plus nobles, les plus reconstructives. La suggestion de descente évoque, au contraire, les instincts primitifs de mort ainsi que toutes nos possibilités de dépression.
Lorsque je parle de « réflexe conditionné » il ne s’agit pas, dans mon esprit, d’une simple analogie : il existe une relation de cause à effet entre les images motrices d’une part et les images visuelles d’autre part. Je n’en veux pout (+) Cf. Charles HENRY : Sensation et Énergie. « Institut Général de Psychologie », Paris, 1911. En ce qui concerne les rapports de cette idée avec la pensée du Maître de Caslant, Charles Henry, on peut remarquer — comme l’a fait Robert Desoille — que si ce dernier (Charles Henry) avait vu l’importance de la montée et de la descente « c'était comme des mouvements réels et non comme des mouvements imaginaires » — in « Hommage à Robert Desoille », Bulletin de la Société de Recherches Psychothérapiques de Langue Française, dans le n° 1 de mars 1967. L. J. DELPECH.
42
VALEUR
THÉRAPEUTIQUE
preuve que le fait suivant : lorsque nous voulons nous affirmer,
lorsque
nous
avons
le sentiment
du triomphe
qui suit une action réussie, nous nous sentons grandir. Inversement, le sentiment de l’échec, la dépression morale nous font baisser la tête. Ici, l’image motrice qui conditionne l'attitude physique est déterminée par les sentiments. Dans les cas d’ascension et de descente, l’image motrice détermine l’apparition d'images affectives ; dans les deux cas, il s’agit d’une relation réciproque de cause à effet entre les deux espèces d'images. L'expérience répétée des centaines de fois sur de très nombreux sujets m'a prouvé que lorsqu'une personne était placée dans un état d'attention passive intérieure, il suffisait de lui suggérer de « monter » ou de « descendre » pour que ses images changent complètement de caractère et ceci toujours de la même façon. Dans la technique pratiquée, maintenir présente à l’esprit la représentation d’une ascension, par exemple, oriente l’attention du sujet sur celles de ses tendances qui sont les plus dynamogènes et font apparaître ses dispositions les plus optimistes, ses tendances les plus oblatives.
ORIENTATION ET CONCENTRATION DE L’ATTENTION DANS LE R. E. D.
Je ne m'étendrai pas ici sur la nature même de l’attention car les remarques que je pourrai présenter sur ce sujet sont valables quelle que soit la théorie à laquelle
le psychologue peut se rallier (2).
Mais il me faut préciser ici, au sujet du Rêve Éveillé dirigé, les conditions de l’orientation et de la concentration
de l'attention. (:) Voir un excellent résumé de la question dans le « Journal de Psychologie normale et pathologique », de janvier-février 1931, par Henri PIÉRON.
VALEUR
THÉRAPEUTIQUE
43
La pratique du Rêve Éveillé dirigé confirme les observations de Charles Henry (1), à savoir que, dans le réel,
la conscience d’un phénomène dépend, outre l’attention à ce phénomène, de la quantité d’énergie reçue par le sujet (intensité et durée de l'excitation) et d’un certain facteur de contraste, d'isolement ou de limitation du champ de l'attention. Les notions de contraste, d'isolement et de limitation du champ de l'attention ne sont que des aspects d’une même condition qui s’impose à l’apparition du phénomène de conscience. Ainsi, pour s’apercevoir
qu'une barre de fer chauffée est lumineuse, il est nécessaire que notre attention soit dirigée sur elle, que l’intensité de la lumière qu’elle émet soit assez grande et, enfin, que l’éclairement de sa surface présente avec l’éclairement des objets environnants un contraste suffisant car elle n’apparaîtrait pas lumineuse en plein soleil alors même que l’œil recevrait une quantité d'énergie égale (?). Dans un phénomène purement intérieur, il faudra modifier l’état de réceptivité d’un sujet à un phénomène extérieur à lui et on pourra ainsi augmenter ses réactions à telle ou telle tendance intérieure qu’on voudra étudier. Certains processus de la vie intérieure de l’homme ne restent latents, à l’état normal, qu’en raison de l'intensité des excitations reçues du dehors : ces excitations suffisent souvent à masquer complètement les phénomènes intérieurs qui échappent à l'attention, faute « d'isolement ». Si nous ne pouvons pas toujours modifier l'intensité des phénomènes intérieurs à observer, nous pouvons toujours
supprimer les excitations reçues de l'extérieur et amener ainsi nos sujets à orienter toute leur attention
sur ces
phénomènes intérieurs en question. Le sommeil est un état idéal d’inattention au monde extérieur : un sujet à l’état de veille doit donc être placé », Revue à : Exploration de l’affectivité subconsciente
() C. HENRY : « Le contraste, le rythme, la mesure rx Philo., octobre 1889, p. 356-58.
(2) Robert Desoirce
par la Méthode du Rêve Éveillé. Paris, 1938.
44
VALEUR
THÉRAPEUTIQUE
dans des conditions psychologiques voisines de celles du sommeil, c’est-à-dire dans un état d’inhibition du psychisme supérieur sans laquelle l’activité du psychisme inférieur serait masquée. Pour pouvoir amener le sujet à cet état et pour pouvoir lui appliquer la loi du contraste énoncée plus haut, nous devons toujours concentrer son attention en l’isolant des excitations extérieures telles que le bruit et la lumière, puis des excitations internes, psychologiques et physiques, telles qu’inquiétudes, contraction des muscles. Soit une première image de départ : elle se présente spontanément ou est suggérée au sujet; on lui en fait préciser les détails pour fixer son attention, le conduisant par des propositions discrètes à une image renforcée, enrichie de ses compléments. Ceux-ci, en même temps qu'ils créent un facteur de « contraste » (par ce renforcement de l’image en opposition avec ce qui peut apparaître alentour), sont représentatifs par eux-mêmes d'états latents que l’on ramène ainsi à la conscience. Cette image renforcée, « contrastée », libère ensuite, par la suggestion du mouvement ascensionnel ou descendant, d’autres jeux d'images qui sont enregistrés dans les relations écrites des séances et constituent de véritables scénarios. Certaines de ces représentations réapparaissent parfois au cours d’autres séances et deviennent ainsi un matériel psychologique précieux pour la suite de la cure.
LES SUGGESTIONS
DE PROTECTION
CONTRE
L'ANGOISSE
La suggestion, en principe, pourrait être limitée à l’idée d’ascension ou de descente.
Mais, dans la pratique, il est
difficile de s’en tenir rigoureusement à cette règle, surtout
avec des patients très atteints. On est amené à devoir venir en aide à un sujet angoissé, à lui proposer une attitude de fermeté devant cette angoisse, à l’aider à se débarrasser d’une image gênante qui peut être justement génératrice de ce trouble. Et c’est à ce moment-là qu’on peut
VALEUR
THÉRAPEUTIQUE
parvenir à l’en libérer en lui proposant de calme et de bien-être. S’il ne parvient où il se trouve — à la créer de lui-même, toutefois, la possibilité d’accepter ou
45
une contre-image pas — dans l’état on doit lui laisser, de refuser cette
proposition. Lorsque la « contre-image » de calme se révèle
inefficace, l’angoisse étant trop forte, il faut lui demander d'ouvrir les yeux, de s’apaiser en interrompant la séance et ensuite la lui faire reprendre pour éviter qu’il n’éprouve de l’appréhension pendant les séances ultérieures. En ce qui concerne « la représentation angoissante » elle-même, elle n’est que provisoirement écartée, elle servira ultérieu-
rement de thème de départ pour un nouveau rêve éveillé où on la fera évoluer dans le sens de l’exploration, lors d’une descente, ou dans un sens de reconstruction, lors d’une
ascension. La discrétion du psychothérapeute, dans ses interventions, doit se manifester par la limitation au strict nécessaire du nombre des suggestions proposées au sujet. Ces suggestions doivent être conditionnées — ainsi que je
viens de le dire — par le climat même du rêve et comporter toujours à la fois des éléments dynamiques et apaisants, J'entends par éléments dynamiques le courage de surmonter une situation pénible et par éléments apaisants, la suggestion d’une attitude de calme et de lucidité. Pour assurer cette collaboration parfaite entre le psychologue et le patient dont je signale à nouveau l’importance, il est indispensable que la conduite du rêve ne puisse pas produire l’effet d’une intrusion dans le for intérieur du sujet et que l’élément de « direction » conserve en luimême un respect réel de la personnalité du patient. En conséquence, il ne faut jamais imposer des images qu'il n’est pas possible à celui-ci d’accepter. Il faut éviter avec le plus grand soin, également, tout choc émotif pouvant nuire. Tous les moyens préventifs pouvant être employés, il faut choisir la forme de cette
suggestion suivant la qualité et la nature du choc émotif que l’on peut craindre : une image sécurisante — lorsque
46
VALEUR
THÉRAPEUTIQUE
cela apparaît nécessaire — peut être sélectionnée plus aisément après deux ou trois séances, en tenant compte des réactions déjà connues et en s'inspirant, autant que possible, de certaines croyances déjà exprimées par le sujet au cours des premiers scénarios. Mais des images toujours très bénéfiques ou rassurantes sont celles de la protection du corps sous la forme d’un manteau, parfois d’un voile sur les yeux. Elles sont toujours très supérieures à des recommandations verbales et des incitations au calme. Les contre-suggestions de protection employées par ailleurs sont souvent des images d’impunité, de pureté conservée : elles permettent au sujet un travail d’élaboration complet de l’image représentative de l’état affectif étudié, sans toutefois que cet état affectif, qui serait infiniment pénible à surmonter, soit trop durement éprouvé. Ceci explique que certaines images angoissantes cessent d’être menaçantes pour le sujet qui reste sous l’effet d’une suggestion préalable d’impunité. L'efficacité de ces contresuggestions de protection par l’image montre combien précieux peut être l’emploi d’une représentation symbolique dont le sens exact n’est pas toujours connu du sujet et indique que l’image peut être traitée, sous certaines conditions, comme une entité psychologique indépendante,
ce qu'avait déjà démontré Pierre Janet. Mais ce procédé de contre-suggestions de protection ne doit pas maintenir inconscientes des tendances que le sujet a toujours intérêt à connaître comme siennes; il convient donc de ne l’employer qu'avec une grande prudence et dans les cas d’angoisse extrême, en se réservant la possibilité de « retrouver », ainsi que je l’ai indiqué, la représentation angoissante, dans des scénarios ultérieurs, à un moment plus favorable, où le patient pourra l’affronter avec des possibilités accrues (1). (?) En effet, si l’on ne retournait pas aux sources de l’angoisse pour les reconnaître, les désintriquer, l’apaisement observé serait
de courte durée et la psychothérapie ne serait pas profonde. Une des richesses du R. E. D. est de permettre que soient res-
VALEUR
DYNAMIQUE
DE
THÉRAPEUTIQUE
L’IMAGE
ET DYNAMIQUE
47
DE
LA CURE
Au début du traitement, il faut éclairer le sujet sur la
technique du Rêve Éveillé Dirigé, sur le déroulement de ces scénarios intérieurs qui existent chez la plupart des êtres humains à un certain niveau de conscience et aussi sur la collaboration qu’il doit apporter au psychothérapeute, ceci pour atténuer certaines résistances caractérielles qui nuisent souvent au déroulement de la cure. Par ailleurs, ces ascensions et ces descentes s’effectuant
plus difficilement chez certains sujets très inhibés et la conduite du rêve exigeant des images de soutien efficaces, un élément d'harmonie doit, autant que possible, présider
au choix de ces images. On doit, pour cela, tenir compte de ces niveaux différents dans lesquels se déroule le rêve éveillé. Pour aider un sujet à fixer son attention sur l’idée de « montée », par exemple, il est préférable, s’il voit dans les hauteurs une image de lumière ou s’il a l'impression de se trouver dans un lieu irréel — ce qui se produit souvent à un niveau très élevé du rêve — de ne pas lui suggérer de monter plus haut encore avec une image trop matérielle qui le ramènerait
à un niveau inférieur, mais de lui
suggérer plutôt de se laisser « aspirer » par cette lumière qu’il a vue venant d’en haut. Et si on prend des précautions de protection — à ce haut niveau de la montée où il appréhende de s’élever encore — on peut lui suggérer, par exemple, l’image d’une armure qui ne serait pas une armure quelconque mais une armure de diamant, en harmonie avec cette lumière de la montée. Réciproquement, suggérer une image paradisiaque à un sujet qui se trouve dans un
état de conscience voisin de l’état normal — et ceci sans aucune préparation —
n’aurait aucun
effet bénéfique au
pectées les possibilités actuelles du sujet, de le soutenir, pour que, son angoisse momentanément apaisée, il puisse retourner aux origines de sa névrose (N. F.).
48
VALEUR
THÉRAPEUTIQUE
début d’une cure et empêcherait même de faire apparaître les images qu’il pourrait avoir, ensuite, par la vertu du mouvement ascensionnel. Si je parle ici du début d’une cure, c’est que les conditions deviennent difiérentes après un entraînement assez long et au cours duquel les patients peuvent retrouver en les évoquant volontairement certaines images de Rêve Éveillé qui leur ont été favorables. Que dire de l’analyse de ces images, après le rêve? Le but essentiel qui est poursuivi surtout ici est la révélation aux sujets de possibilités nouvelles. L'image a pour cause un état affectif et si cet état affectif varie, l’image
varie aussi. Mais la réciproque est vraie : toutes nos expériences l’ont prouvé : si on peut orienter les images dans une direction convenable, les états affectifs s’orientent également dans le sens que l’on peut prévoir. Il s'ensuit que l’analyse n’est pas absolument indispensable, bien que très intéressante, pour atteindre les buts poursuivis (1.
Si certains symboles restent obscurs c’est que l’image par elle-même qui les représente traduit souvent des états affectifs nombreux et complexes qui ne se dévoilent qu'avec le temps; nous verrons par la suite qu’il ne s’agit pas toujours de symboles proprement dits mais d’images moins universelles, plus personnelles, auxquelles nous donnerons — suivant une notion inspirée de Dalbiez (?) — le qualificatif d’ «effets-signes » ; nous nous étendrons plus longuement là-dessus lorsque nous aborderons les symboles. Quoi qu’il en soit, par certains rêves de descente, on arrive à toucher à cette « psychologie abyssale » que j'estime quelquefois inaccessible à la psychanalyse. Ici l’homme vit son drame dans l'imaginaire, il est protégé par l'Imaginaire : c’est aussi dans l’imaginaire qu'il élabore les schémas dynamiques qui le conduiront () Voir à ce sujet N. FABRE : « Cures sans interprétations », in Études psychothérapiques, n° 3. (+) R. Dazsrez : La Méthode psychanalytique et la doctrine freudienne, Desclée de Brouwer, Paris, 1936.
VALEUR
THÉRAPEUTIQUE
49
à l’action. Par la prise de conscience de ses problèmes intérieurs, par leur résolution dans les scenarii du rêve éveillé, il retrouve des énergies perdues, des espoirs abandonnés et il reconstruit lentement son psychisme avec l’aide de son psychothérapeute. Il peut reconsidérer son destin dans sa totalité, il apprend à accepter les lois de l’existence et peut s’y intégrer avec une lucidité nouvelle. Ainsi peut se réaliser ce qu’a écrit Bachelard sur le Rêve Éveillé dirigé : il offre une mise en marche (1).
(4) Gaston BACHELARD : L’Air et les Songes, José Corti, Paris, 1943 (Chapitre 1v : Les Travaux de Robert Desoille, p. 129 à 145). Entretiens
sur le rêve éveillé.
4
ACTIVITÉ SON EXPRESSION DANS
DE L’'IMAGINAIRE, SYMBOLIQUE
ET SON RÔLE
LES NÉVROSES
Avant de rappeler ici, dans ses grandes lignes, ce qu’est la technique du Rêve éveillé dirigé en psychothérapie, je voudrais insister sur l’un de ses aspects qui en marque plus particulièrement l'originalité et en explique l'efficacité. De très nombreuses psychothérapies, y compris la psychanalyse et ses différentes écoles — ou même les formes modernes de l’hypnose — ont parlé de « restructuration de la personnalité, » mais aucune n’explique de manière bien définie comment s’opère cette restructuration ou ne propose une méthode précise pour l’assurer. Je pense que cette lacune est due au fait qu’en ce qui concerne cette partie importante de la restructuration, ces techniques s’adressent essentiellement à la conscience et plus spécialement à la raison, sans se soucier du rôle essentiel qu’assume l'imagination sur toutes les formes de l’activité psychique. Jung lui-même, qui a étudié avec le génie que l’on connaît ce domaine si vaste, a toujours gardé une réserve extrême en ce qui concerne son « imagination active » à laquelle il fait peu allusion dans son œuvre et qui, d’après ses élèves (1), se résume plutôt comme () G. ADLER : « Par « imagination active » Jung entend une attitude déterminée envers les contenus de l’inconscient au moyen de laquelle on cherche à les isoler pour tenter d’observer leur développement autonome. On peut dire que nous les animons mais cela serait inexact car, en fait, on ne fait qu’observer ce qui se
52
ACTIVITÉ
DE
L'IMAGINAIRE
une contemplation réceptive mais presque entièrement « passive » de l’image qu’on laisse ensuite évoluer au gré du patient, ce qui représente une perte de temps considérable dans le processus de restructuration.
LIBÉRATION DU DANS LE RÊVE
LANGAGE INTIME ÉVEILLÉ DIRIGÉ
Celui qui entend parler pour la première fois des représentations du Rêve éveillé dirigé a l'impression, tout
d’abord, qu’on le fait pénétrer dans un monde à la fois fantastique et absurde. L’étrangeté de certaines images peut faire penser à la folie. Il n’en est rien, cependant ; nous sommes tout simplement témoins de la richesse, souvent étonnante,
de ce que Politzer,
parlant
du rêve, appelait
« un langage intime »; celui du rêveur se parlant à luimême pour prendre conscience de ses propres sentiments. Fromm qualifie parfois ce mode d’expression de « langage oublié » et ici je pense qu’il peut être considéré sous ces deux aspects : langage oublié en ce sens qu’il s'exprime
non pas d’une manière toujours archaïque mais « dépassée » par rapport au réel, langage intime parce qu’il traduit toutes les particularités psychiques de l’être humain. A quelles sources puise ce langage imagé (1) ? En premier lieu, dans la vie réelle, car nos tout premiers contacts avec passe en gardant une attitude qui pourrait se définir « comme une passivité active ». G. ADLER a extrait ces considérations sur « l’imagination active » d’un opuscule ronéotypé de Jung : Foundamental Psychological Conception, compte rendu de cinq conférences faites à Londres en 1935 sous les auspices de l’Institut de Psychologie Médicale, copie dactylographiée, Londres 1936, p. 212. (J. L. DeLrecx, Bulletin de la Sté de Recherches Psychothérapiques de langue française, « Hommage à Robert Desoille », n° 1, mars 1967.) () Le présent entretien et le suivant s’articulent étroitement autour du thème R. E. D. et vie de l’imaginaire, langage de l’imaginaire (N. F.).
ACTIVITÉ
DE
L’IMAGINAIRE
58
les images sont liés, normalement, à la perception (1). Ensuite s’y associeront les sensations, les sentiments et les situations au travers desquels ces images auront été perçues puis remémorées. Imprégnées de tous ces éléments, fixées dans notre univers intérieur, elles deviendront pour nous moyens d’expression pour nous restituer, dans des états particuliers de conscience, d’autres sensations,
sentiments
ou
situations
dont
l'évocation
s’effec-
tuera par le lien des analogies. Devenues effets-signes ou symboles suivant le niveau d’inhibition où elles sont perçues, ces images se manifestent d’une manière imparfaite dans les états oniriques du rêve nocturne, mais on peut les faire surgir dans les états semioniriques du Rêve éveillé dirigé avec des moyens d’expression beaucoup plus subtils car la communication et le dialogue avec le psychothérapeute constituent un éclairage supplémentaire de leurs représentations, lesquelles sont ensuite approfondies et enrichies par le mouvement directif vertical, dans un contexte plus étendu d’espace-temps. Ici, sous l’impulsion du psychothérapeute, utilisant soit certains thèmes de départ, soit des images choisies par le sujet,
nous
seront
également
restituées,
dans
ce
décor
extrêmement vaste de l’imaginaire dans lequel elles se sont intégrées successivement au cours des siècles, toutes les représentations que la mémoire ancestrale a accumulées en nous, avec lesquelles et dans lesquelles nous avons pu soit
nous
identifier,
soit nous
projeter,
associant
ainsi
étroitement le vécu au non-vécu et le réel à l’irréel (?). (:) Il ne m’a pas été possible, jusqu’à aujourd’hui, d’explorer le psychisme d’un sujet névrotique privé du sens de la vue, un aveugle-né par exemple. Si cette recherche pouvait être entreprise, elle se révélerait très intéressante pour détecter des représentations dites héréditaires qui ont soulevé et soulèvent encore tant de controverses (R. D. Notes de séances).
(2) Nous constatons souvent dans la pratique psychothérapique l'importance revêtue par tels grands-parents ou arrière-grandsparents que le sujet n’a pourtant pas connus. L'image leur a été transmise, très fantasmée, par leurs propres parents (N. F.).
ACTIVITÉ
54
DE
L'IMAGINAIRE
Seules ou associées à d’autres, personnelles ou universelles, les images expriment alors des significations diverses,
conditionnent
des comportements
et aboutissent
à des conduites très particulières dont elles peuvent nous livrer le secret. Mais ces conduites ne peuvent s’éclairer réellement que par le mouvement imprimé aux images et c’est par l’évolution de certaines d’entre elles qu’on retrouve les éléments qui ont présidé à leur élaboration. La suggestion de déplacement le long de l’axe vertical de l’imaginaire fait surgir — en même temps que les représentations initiales — d’autres représentations de qualité différente et souvent opposées aux premières : elles laissent entrevoir symboli-
quement des tendances
qui n’ont pu se réaliser et qui,
par leur inhibition même, ont laissé se renforcer certains comportements défavorables. Succédant ensuite à la phase exploratoire, la phase reconstructive doit être considérée comme un des buts essentiels du Rêve éveillé dirigé. Le mouvement ascendant, en transformant les
représentations et certaines significations aliénantes qu’elles ont pu revêtir, leur permet d’atteindre des niveaux de conscience
où, libérées,
elles
expriment
alors
des
senti-
ments de qualité très élevée.
PROJECTION DU VÉCU ET DU NON-VÉCU DANS LE RÊVE ÉVEILLÉ DIRIGÉ
Au début de l'existence humaine, les éléments constitutifs de la personnalité sont sous la dépendance étroite de l'instinct de conservation et des premiers besoins d’accroissement. À cette époque, le sens du bien et du mal ne se manifeste que par deux modalités : ce qui est éprouvé comme favorable à l'épanouissement et permis comme
tel apparaît comme le bon et le bien ; par opposition, ce qui est éprouvé comme défavorable ou interdit est le mauvais et le mal. Ceci se joue sur le mode nutritif d’abord :
ACTIVITÉ
DE
L’IMAGINAIRE
55
la satisfaction ou la privation de nourriture. Sur le mode affectif, c’est l'amour ou la privation d'amour, la privation de nourriture pouvant toutefois être ressentie comme une privation d'amour à un niveau encore très primaire. Entre ces deux situations extrêmes : satisfaction ou privation, éprouvées en tant que « pouvoir être » ou « ne pas pouvoir être » et qu’on peut dramatiser dans une issue de vie ou de mort, les modalités de l’existence humaine se différencient ensuite en des degrés plus subtils
au fur et à mesure de son développement, impliquant toutes les possibilités d’être mais aussi toutes les menaces, les interdictions frappant ces possibilités et, avec le temps — par le sentiment de la « difficulté d’être » et quelquefois « l'impossibilité d’être » —, pouvant aboutir à la limite extrême du non-être. Toutes ces situations sont, soit éprouvées dans les contacts avec l'entourage, soit entrevues dans les rapports avec l’imaginaire. Le sujet emprunte à ce grand système
les références les plus diverses qu’il nous offre (folkloriques, mythiques, religieuses, historiques). Ainsi élabore-t-il des représentations conçues comme dispensatrices ou privatrices, selon qu’elles apparaîtront symboliquement en mesure de satisfaire ou d’interdire une certaine quantité de besoins ou de désirs qui ne peuvent être atteints dans le contexte de l’existence de tous les jours (1). Les représentations du réel, de l’irréel ou du non-vécu sont si étroitement emmêlées dans certains récits de sujets concernant leur passé, qu’elles ont fini par s’amalgamer
à leur vécu et on doit les considérer comme faisant partie de ce vécu
en tant que phénomènes
affectifs éprouvés,
exprimant des sensations et des sentiments qu'il est essentiel de connaître ou de retrouver. Certaines de ces représentations se rattachent à la période la plus reculée de (:) Robert DEsoiLce : « Introduction vécu » (Conf. Portugal. Porto, 1963).
de l'imaginaire dans le
56
ACTIVITÉ
DE
L’IMAGINAIRE
l'enfance et nous éclairent sur le vécu précédant le lan-
gage. On voit apparaître, dans certains rêves éveillés, des
forêts immenses, angoissantes et silencieuses où se glissent des animaux représentant des instincts non encore dominés et aussi la solitude de l’être, solitude presque animale, isolé
qu’il s’éprouvait à cette époque, par la non-possibilité de communication.
D'autres
forêts grouillantes des murmures ou fois se demande manger puisqu'il
d'animaux communiquant entre eux par des cris inarticulés et le sujet quelqueavec angoisse : « Comment peuvent-ils n’y a rien : c’est une forêt. » Par là, en
rêves
éveillés
évoquent
des
langage d’adulte, est traduit un ancien problème d’autrefois, se rapportant
au besoin
animal
de
nourriture
et
quelquefois à l’absence d’une présence destinée à la dis| penser. st Par ailleurs, la mère éprouvée comme
nourricière insuf-
fisante se présente dans des images nombreuses.
Une des
plus remarquables que j'aie rencontrées est « celle d’une femme
au
sein
tari,
portant
un
enfant
mort
dans
les
bras » ou, par opposition, une Vierge-mère à l’enfant, lui donnant le sein, mais tous deux sont « coulés dans du métal » au-dessus de l’image d’un cimetière, représentation asso-
ciant ainsi le « désir d’être », par la nostalgie de l’allaitement, à l’angoisse « du non-être » dans la pétrification de la représentation, au-dessus de ce champ de mort, évoquant une époque où l’enfant a vécu le problème de la privation d'une manière déjà humaine et non plus animale. Citons cette image de Marie-Clotilde (1), sujet bisexuel qui, au cours d’un rêve, voit « un jeune garçon errant dans une plaine déserte et inculte ». Le jeune garçon demande : Qil n’y a donc rien à manger sur cette terre? » Une jeune fille lui répond : « non, rien » ; le garçon demande encore : «où allons-nous? », elle dit : «je n’en sais rien, vers la mer sans doute » — ce qui fait penser à la mère. La privation remontait dans ce cas à une enfance lointaine dont le sujet Cr
DESOILLE
: Marie-Clotilde,
Payot,
1971.
ACTIVITÉ
DE
L'IMAGINAIRE
57
n'avait pas gardé personnellement le souvenir mais qui lui avait été relatée par ailleurs. L’émotion éprouvée à cette évocation, lors d’un rêve éveillé, a confirmé une des vertus
essentielles de l’image, qui est de conserver dans son essence et de transmettre
à travers l’espace-temps,
dans un
état
particulier de demi-veille, les sensations éprouvées à une époque où elles n’ont pas pu être exprimées, avant l’apparition du langage verbal. Ici ces sensations sont réactivées dans une atmosphère où l’angoisse ancienne de la privation et le problème de la bisexualité s’associent à la fois dans les représentations et les dialogues qui les éclairent. Le problème des rapports nutritifs défectueux entre la mère ou la nourrice dispensatrice et l’enfant fait apparaître aussi certains déplacements opérés sur le père entrevu comme compensateur possible d’une mère défaillante, par exemple dans un scénario où « le sujet s’imagine frappant son père parce qu’il lui refuse sans raison une assiette de soupe », et dans un autre scénario où le sujet se voit porté par son père et regrette qu’il n’ait pas de seins pour lui donner du lait (1). La présence parentale s’associe encore à la nourriture dans un rêve éveillé où Marie-Clotilde veut donner le sein à son propre mari et regrette de ne pas avoir de laït car « elle voudrait le remercier ainsi des dons matériels qu’il lui a faits ». Là c’est une projection de ce qu’ellea éprouvé elle-même dans le domaine de la nourriture à l’époque du lait conçu comme un don et qu’elle rejoue devant nous en s’identifiant à la fois à sa propre mère défaillante par désir de compensation et à son mari aussi par sentiment de reconnaissance. Dans tous les cas cités, nous retrouvons dans les images en mouvement — et presque toujours dans les profondeurs
_— Je désir et son corollaire angoissant, la privation qui (:) Robert DEsoiLce : Conférences au Portugal, Porto, 1963 — Congrès de Psychothérapie
de Londres, 1964.
ACTIVITÉ
58
DE
L’IMAGINAIRE
s'expriment tour à tour dans des représentations visuelles ou verbales, interrogations et commentaires traduits dans un langage dont le sujet était incapable de se servir à l’époque du traumatisme mais qui s’est pour ainsi dire inscrit dans son corps. On
retrouve
la trace
d’une
certaine agressivité,
plus
dégagée de l’angoisse à une période se rapportant à l’apparition du langage où le sujet — en même temps qu'il a pu s’extérioriser sur ce mode — a pris conscience de certaines possibilités de défense. Cette prise de conscience s’est opérée à l’aide de représentations favorables agissant sur des représentations défavorables, les unes et les autres empruntées très souvent à l’univers de l’imaginaire. Un de mes sujets, en rêve éveillé, se voyait couché, flanqué d’un grand ours en peluche et justifiant cet étrange compagnonnage par une crainte d’enfance, reparue dans le scénario suivant : un chevalier redoutable par sa méchanceté, entré par la fenêtre, lui mangeait le front. Je demandai à mon patient ce qu’il éprouvait à cette époque; il me dit alors que « cet ours était destiné dans son esprit, autrefois, à dévorer le méchant chevalier s’il se présentait ». On voit ici s’ébaucher chez l’enfant une sorte d'équilibre entre une représentation de menace et une représentation de puissance protectrice qui opère alors sur le mode magique, avec des éléments empruntés à l'imaginaire, comportement favorable du passé que le sujet a pu réactiver en rêve éveillé. Le bon, le bien, le favorable à cette époque de la vie ne peuvent être associés qu’à la puissance ; le mauvais, l’angoissant, le défavorable ne pouvant être liés qu’à la perte de cette puissance, en présence d’un univers conçu comme redoutable. Mais l’être, à ce degré de développement, n’a pas encore pris contact avec l’échelle des valeurs humaines introdui-
sant un élément nouveau dans son appréciation du bien et
du
conflit
mal, la notion avec
la notion
de puissance du
entrant
alors
en
bien, par suite de l’évolution
ACTIVITÉ
DE
L'IMAGINAIRE
du sujet de la période magique gieuse (1).
APPARITION
59
à la période dite reli-
DES SITUATIONS CONFLICTUELLES DANS LE RÊVE EVEILLÉ DIRIGÉ
AFFECTIVES
L'existence de cette période religieuse est contestée par certains psychologues alléguant que le problème religieux est pratiquement inexistant dans certains milieux agnos-
tiques qui l’ont supprimé. Mais l’enfant ne vit pas seulement dans l’ambiance familiale. Il est en contact, à l’école
ou ailleurs, avec d’autres enfants de son âge et, même s’il vit dans un climat d’incroyance, il entend ces autres enfants exprimer souvent des idées différentes. Une de mes patientes disait avoir souffert d’un complexe d'exclusion : elle ne suivait pas les cours de catéchisme comme ses compagnes, et ce catéchisme avait pris pour elle l'apparence « de la Terre Promise qu’il lui était, comme à Moïse, interdit de connaître ». René Laforgue (?) estime quant à lui que « le sentiment religieux fait partie intégrante de la vie intérieure de l’être humain » : il l'explique par l’angoisse de l'enfant, à une certaine époque, d’être confronté à un univers beaucoup plus étendu, lui donnant accès à des connaissances et des acquisitions nouvelles : il prend contact avec les problèmes de la vie mais aussi de la mort, il souhaïte la surmonter par la notion d’immortalité. Il éprouve le besoin de nouer des rapports avec des puissances éminemment protectrices capables de le soustraire au péché ; entre autres la figure d’un Rédempteur, en tant que bouc émissaire, remplit ce but. La nécessité d’un Père sur-puissant avec lequel il noueraït des relations (:) RoBERT DESoILLE : Conférences au Portugal, Porto, 1963— Congrès de Psychothérapie de Londres, 1964. HE QAR (2) Robert DEsorzce : « L’imagerie religieuse dans le rêve éveillé dirigé — Commentaires sur la Relativité de la réalité de René Laforgue » (Notes R. D.).
60
ACTIVITÉ
DE
L'IMAGINAIRE
n E
affectives et qui remplacerait les représentations polymorphes des dieux et des déesses éphémères de la période magique lui devient nécessaire. Ce Dieu réalisant une unicité dans sa personne divine, l’enfant pourrait alors réaliser ainsi cette unicité dans sa propre personne (1). Doit-on concevoir cette période, se rapportant à un élément hors du vécu, comme
tributaire de l’imaginaire?
C'est l'argument qu’on peut lui opposer, mais nous l’avons déjà exprimé : les éléments du vécu et ceux de l’imaginaire sont très étroitement associés dans le psychisme à cette époque et doivent être appréhendés — en tant qu'éléments affectifs — comme constitutifs de l’expérience humaine. Quoi qu'il en soit, Laforgue estime indispensable, pour l’évolution
de l'être, ce passage
à ce stade
religieux.
Je
partage entièrement son avis, d'autant que, chez tous les sujets, les représentations de rêves éveillés révèlent l’exis-
tence d’une imagerie religieuse. Chez les orientaux, cette imagerie est en rapport avec le culte pratiqué, mais elle existe également chez les agnostiques. Nous pouvons donc considérer la tendance religieuse comme une tendance liée à l'être, même si, aux époques primitives de l’humanité, une simple pierre érigée par des êtres dépourvus de toute culture, dans les profondeurs obscures d’une forêt, évoquait déjà la nécessité pour eux de vouer un culte à quelque chose qui les dépasse en dehors de toute idée de puissance. Nous pouvons, dans cette optique, envisager les conséquences du passage de la période magique à la période religieuse qui doit être considéré en tant que réalité psychique. La démarcation entre ces deux périodes d'évolution est loin d’être nette; elle est même fluctuante chez certains sujets en raison de l’attachement affectif
conservé
à certaines
représentations
magiques.
Celles-ci
se trouvent alors transformées dans leur signification à laquelle le sujet — souvent à cause des désirs de puis() RoBERT DESsoILLE : « L’Imagerie religieuse dans le rêve éveillé dirigé — Commentaires sur la Relativilé de la réalité de René Laforgue » (Notes R. D.)
ACTIVITÉ
DE
L’IMAGINAIRE
61
sance qu'elles expriment — attache un sentiment de culpabilité. L'équilibre entre les représentations captatives de cette puissance et celles signifiant une puissance interdite ou perdue, équilibre jusque-là maintenu, est alors troublé par l’accès à la période religieuse et toutes les exigences morales qui accompagnent l’évolution de l'être, à cette période. Il importe cependant de retenir que n'importe quelle valeur morale érigée en dogme — du fait même qu’elle est érigée en dogme — à l’intérieur d’un milieu social, peut jouer le rôle interdicteur des valeurs religieuses. Ce qu’il faut retenir c’est le sentiment d’angoisse du sujet mis intérieurement ou extérieurement en présence de ces valeurs. Dans certains scénarios du rêve éveillé, nous retrouvons les traces de conflits surgissant à cette époque. MarieClotilde,
dont j'ai relaté le cas par ailleurs, était obsédée
dans son enfance par une représentation fascinante de la Reine
Catherine
de Médicis,
une
« Catherine
de Médicis,
symbole de la puissance féminine, assistée de son magicien et se débarrassant de ses ennemis qu’elle piquait, pour les supprimer, sous la forme de statuettes de cire ». Nous nous trouvons ici en face d’une représentation historique transposée dans l’imaginaire du sujet qui emprunte ce langage imagé pour exprimer son sentiment de « haine lucide ». Cette Reine, indique Marie-Clotilde, était le «thermomètre » de la haine. Parallèlement à la présence de cette reine qui a tenu un rôle important
dans les scénarios
de Marie-Clotilde,
sont
apparues d’autres représentations de Reïines ainsi que diverses représentations religieuses. En particulier, de manière persistante, une curieuse représentation qui se disait « Ange Gardien ». L'Ange gardien, en rêve éveillé, est une expression symbolique de la conscience morale de l'être : il exprime le sentiment, la nostalgie d’une destinée spirituelle à l’accomplissement de laquelle il peut présider. Il prend aussi parfois l’aspect d’un messager qui vient de
ACTIVITÉ
62
DE
L'IMAGINAIRE
la part d’un autre. Chez Marie-Clotilde il se révéla progressivement comme dissimulant un autre fantasme très ancien, celui d’un prince vaincu, le Duc de Reiïichstadt.
Ainsi s'était exprimée autrefois une double et dangereuse identification
: d’un
côté
à un
élément
féminin
actif,
Reine sombre, puissante, haineuse parce que lucide, tendant à la domination, aidée de son magicien ; de l’autre côté, à un élément masculin passif, Prince vaincu avec, à l’arrière-fond, un désir d’asservissement associé à l’amour
et au sacrifice, de la part du sujet. Cette opposition, au début, avait dû tendre à une recherche d'équilibre, mais ensuite était intervenue l’échelle des valeurs humaines : la représentation passive du prince dépossédé, se révélant davantage en harmonie avec les exigences d’une évolution morale, avait dû élaborer une représentation
sublimée
de
l’amour oblatif. Mais cette évolution s’était faite au détriment de la représentation de la Reine puissante. Si les représentations magiques — même opposées — se trouvent dans l’ensemble transformées dans leur signification lors de leur passage du magique au religieux, l’évolution de l’être peut se poursuivre d’une manière équilibrée. Mais lorsque l’une d’entre elles n’est pas acceptée par le sujet, elle se détériore et on la retrouve dans les profondeurs, lors de disvolutions névrotiques où elle ex-
prime son ancienne angoisse. Chez Marie-Clotilde, le thème ee NU Le phantasme dé Ta Reine Catherine avait été désarmé en tant que puissance immorale et interdite et un symptôme très aliénant, opérant à la faveur d’une forte dépression, s'était manifesté
sous
la forme
d’une
impossibilité
d’écrire,
la
patiente ne pouvant plus tracer le moindre caractère ni surtout son nom de femme avec son stylo sur une feuille de papier, sous peine de s’éprouver « ruinée, dépossédée ». Aïnsi réapparaissait l’ancien drame entre les deux phantasmes, mais la situation s’était renversée : la Reine était asservie et la tendance qu’elle symbolisait avait sombré dans l’angoisse et la peur, déjà apparues dans les scénarios.
ACTIVITÉ
DE L’IMAGINAIRE
63
Il y avait là un drame complexe où entraient en jeu la bisexualité
de la patiente,
identifiée
tantôt
aux
Reines
ambitieuses, tantôt au prince, un désir religieux de renonciation à la puissance qui était alors dévolue à l’Archange-Prince chaste, par opposition aux reines sexuelles et, dans le vécu, une identification de la patiente à sa mère éprouvée dans un contexte de Reine-régente castratrice, Marie-Clotilde s’entrevoyant à ses heures sous l’apparence d'un Prince mineur dépossédé cherchant à s’assurer une revanche. Par la suite d’autres représentations du vécu avaient été englobées, par analogie, dans ce schéma initial de
l’imaginaire, l’avaient renforcé, exprimant toutefois l’ancien conflit mal résolu dans les profondeurs entre des tendances contraires. Ce conflit est devenu tragique moins par l'opposition de ces tendances que parce que l’une d'elles avait été exagérément valorisée, était devenue « représentation élective » et que le Prince-Archange exigeait une prédominance morale que les Reines s’obstinaient à lui refuser. Nous
avons
pu, au cours
des scénarios successifs et de
leur analyse, rétablir cet équilibre. Une synthèse favorable a pu se réaliser entre les diverses figures qui jusqu'ici s'étaient déchirées en Marie-Clotilde (1).
DANS
LA PROJECTION ET L’IDENTIFICATION (LES JEUX TRAGIQUES DE L’IMAGINAIRE
»
Voici un souvenir relaté par un de mes patients, qui illustre bien cette hiérarchie des valeurs au stade religieux de l’enfance : « Je me trouvais, un jour, très jeune encore,
au jardin du Luxembourg. Assez indépendant de caractère, (:) La relation complète de la cure de Marie-Clotilde a fait l’objet de la publication déjà citée, Marie-Clotilde — une psychothérapie par le rêve éveillé dirigé, Payot, 1971. Il est particulièrement intéressant de voir surgir les nombreuses représentations en les-
64
ACTIVITÉ
DE
L'IMAGINAIRE
je regardais souvent jouer les garçons et les filles autour de moi sans prendre part à leurs jeux. Un jour, un des garçons, prénommé René, au milieu d’un tumulte indescriptible, voulut rétablir l’ordre : il monta à califourchon sur une des chaises, mit une branche
de lierre autour de
son front et brandissant une autre branche en guise de sceptre s’écria : « Silence, je suis Jules César! ». Mais la violence et le tumulte redoublèrent. À ce moment-là, un autre garçon s’empara du cerceau et de la baguette d’une fillette qui se trouvait près de lui, monta sur un banc, de là grimpa sur le tronc d’un arbre ; il émergea du feuillage, mit le cerceau en auréole autour de sa chevelure et abaissant la baguette à la manière d’une épée, il dit d’une voix grave : « Silence à tous, je suis l’archange Saint Michel! ». Et à ce moment-là seulement, il se fit un extraordinaire silence, de tous côtés. Et « Jules César », son visage exprimant la plus vive contrariété, descendit tristement
de sa chaise-cheval en disant : « Alors je refuse de jouer (1). » C’est cette notion très intéressante de « jeu » qu’on peut rattacher au magique qui nous conduit à considérer les diverses attitudes que peut prendre l’être devant l’imaginaire. À la période magique précisément, par rapport à l’existence assez rétrécie que le sujet vit dans le réel, l’illimité de
cet imaginaire le séduit : le sujet l’absorbe à la mesure de ses moyens, en accapare les représentations; il les utilise, les manie,
les transforme
à son
gré.
Il projette
en
cet
quelles Marie-Clotilde projette et résout ses conflits intérieurs — et de suivre pas à pas la désintrication des symboles livrant progressivement la signification de l’écriture devenue impossible à travers les chemins symboliques livrés par les figures du R. E. D. La dynamique qui préside à cette cure y est évidente (N. F.). () Robert DeEsoizce : « Les jeux devenus tragiques de l’Imaginaire » (Conf. au Portugal, Porto, 1963). « Les transformations de schémas dynamiques et leur reconditionnement dans le Rêve éveillé dirigé » (Conf. au Portugal, Porto, 1963).
ACTIVITÉ
DE
L’IMAGINAIRE
65
imaginaire ses représentations du réel et, inversement, il investit les figures du réel d’une puissance irréelle. Il « joue » avec l'imaginaire, il y est maître de la vie et de la mort. Nous le voyons dans un des exemples précédents, par le phantasme de la Reine Catherine et de son magicien, auxquels Marie-Clotilde adhérait dans leurs plus noirs desseins, au cours de son enfance. Des schémas de conduite
qu’elle n’oserait ébaucher dans sa vie vécue sont élaborés
dans l’irréel. Cet irréel lui offre deux avantages : il n’oppose pas d’obstacles à ses désirs et elle se sent protégée par cette irréalité même. Cela lui permet de vivre certaines émotions intenses « sans avoir à en supporter les conséquences ». En un mot, par cette démarche, le sujet se trouve dégagé d’un sentiment très angoissant : celui de la responsabilité. Mais ce sentiment se modifie à la période religieuse : avec l’apparition de valeurs morales plus élevées, le sujet se sent responsable de ses phantasmes et de ses représentations intérieures; ils lui apparaissent comme des sortes de tests de sa personnalité ; il s’identifie à eux en tant que personne morale et c’est là qu’il faut trouver l’origine de beaucoup de sentiments de culpabilité : ils ont souvent pris naissance avec certaines représentations inquiétantes. Le sujet essaie alors de se réaliser dans d’autres représentations qui lui permettent, en quelque sorte, de se racheter et ainsi pourrait-on trouver là l’origine de certaines représentations masochistes en opposition avec des phantasmes sadiques conçus comme coupables. Toutes ces représentations sont choisies par lui en rapport avec ses tendances mais, quoi qu’il en soit, elles ne devraient rester que des représentations et c’est l’identification qui leur donne figure de réalité; elles deviennent de véritables entités psychiques dont le sujet prend peur. C’est alors que peut être justifiée l'expression : « avoir peur de son ombre ». De fait, ces représentations angoissantes deviennent véritablement « les ombres » de la personnalité humaine. — « J'aimais
la reine Catherine, dit M. C., bien qu’elle me fit peur ; je Entretiens sur le rêve éveillé.
5
ACTIVITÉ
66
DE
L'IMAGINAIRE
l'admirais aussi, je me considérais comme coupable d'évoquer ses pratiques magiques (1). »
Cette identification à des phantasmes plus ou moins recommandables provoque souvent l'angoisse névrotique et la passivité de certains sujets devant certains symptômes réactionnels qu’ils considèrent comme une expiation : de fait ils ont souvent un double sens, celui de la faute et celui de l’annulation de la faute, mais d’une faute imaginaire. On peut donc considérer que, dans une première période,
le sujet a dominé son imaginaire, qu'il a utilisé ses repré-
sentations intérieures à des fins personnelles de réalisations de désirs, projetant parfois des situations conflictuelles de son vécu dans sa vie rêvée afin de tenter de les résoudre par des solutions de caractère magique, mais l'inverse joue également et, après avoir utilisé cet imaginaire, certains sujets se révèlent à leur tour avoir été subjugués par lui : ils sont devenus, à leur corps défendant, le « jouet » de leurs représentations. Après la projection, phénomène actif, l'identification les a rendus passifs. Au lieu d’asser-
vir leurs représentations imaginaires à des fins de réalisation de leur personnalité, cette personnalité encore faible s’est déréalisée dans l'imaginaire sous la forme de multiples représentations autonomes : livrées à elles-mêmes, les diverses tendances de ces sujets ont recherché, chacune pour leur propre compte, une réalisation de désirs souvent
incompatibles les uns avec les autres et il s’est opéré alors un morcellement qu’on retrouve dans les scenarii des rêves éveillés sous la forme d'images symboliques dressées les unes contre les autres. IMPORTANCE
DANS
DES REPRÉSENTATIONS ÉLECTIVES LES SITUATIONS IMAGINAIRES
Dans les situations conflictuelles jouent des rapports de force et, en ce sens, si la psychanalyse attache une @) Robert DESOILLE : « Rôle du phantasme dans le sentiment de responsabilité » (Notes sur Marie-Clotilde, 1961).
ACTIVITÉ
DE L'IMAGINAIRE
67
grande partie de son intérêt au refoulé, le rêve éveillé nous révèle que le rôle du refoulant est encore plus important. Si ce refoulant implique des exigences morales, il aide d’une instance intérieure, infiniment
à la formation
plus
redoutable que les contraintes exercées par le milieu parental ou
social.
En
effet, celle-ci
devient
« la personnalité
idéale du sujet », opposée à ses instincts et contribue à l’édification d’une structure absolument rigide. Par elle nous pouvons détecter les motivations intimes de l'être. Les
instincts
naturels
confinés
dans
les profondeurs,
à
des niveaux presque uniquement végétatifs, coupés de tout contact avec le reste de la personnalité, nous apparaissent dans les rêves éveillés sous des formes empruntées à un univers essentiellement magique et ils provoquent ces peurs inexprimables qui émergent dans le réel et échappent à tout contrôle rationnel.
VALEUR RESTRUCTURANTE DE L’IMAGINAIRE APPRÉHENDÉ DANS SA TOTALITÉ
Dans un imaginaire efficacement reconstructeur doivent être intégrées toutes les tendances d’un sujet pour que se réalise une fusion harmonieuse. Cet imaginaire s’inscrit en haut comme en bas dans un décor infiniment vaste comportant des gammes de situations multiples révélées par l'exploration
verticale,
mais aussi des issues nombreuses,
débordant le cadre étroit de l’expérience quotidienne, dépassant celle-ci, atteignant dans les profondeurs l’insondable et dans les hauteurs, l'infini. Il est marqué du sceau de l’universel parce qu’il renferme « la somme de toutes les expériences humaines » et aussi extra-humaines. Il est l’expérience humaine prise dans sa totalité et tout homme
ses
la porte en lui à son insu avec
obligations,
ses
engagements,
mais
ses sollicitations,
aussi toutes ses
possibilités et ses dépassements. C’est avec « cette totalité de l’imaginaire » que le névrosé
ACTIVITÉ
68
DE
L’IMAGINAIRE
doit reprendre contact. Il y a autrefois fait certains choix, « joué » certains scénarios. Il y a assumé certaines identités,
certaines conduites, s’est cru contraint d’en refuser d’autres. C’est par rapport à ces conduites qu’il a élaboré « les schémas dynamiques ou adynamiques » de la théorie pavlovienne des névroses. S’il s’y est montré tantôt actif, tantôt passif, ce n’est qu’en présence d’un nombre assez limité de représentations. Il faut donc élargir son horizon et cet élargissement ne peut être obtenu que par un mouvement au début exploratoire, par la suite reconstructeur. Il faut, par le rêve éveillé, lui faire revoir ses représentations aliénantes dans un contexte nouveau pour rétablir l'échelle des valeurs dans lesquelles elles ont été intégrées,
lui faire prendre conscience du climat « répétitif » à l’intérieur duquel s’est développé le conflit initial, lequel a favorisé d’autres
conflits
et, en éclairant les tendances qui se
sont réalisées dans ce terrible « jeu » qu’est la névrose, en démonter pièce par pièce les mécanismes, ces identifications auxquelles il a donné naissance, et l’inciter à libérer la somme d'énergie qui a été investie en elles.
Mais s’il faut aussi situer cet imaginaire pris dans sa totalité, il faut également le situer par rapport à la réalité, restituer à celle-ci sa valeur intrinsèque qu’elle a perdue autrefois,
éclairer les interférences
entre
cette réalité
et
l'imaginaire par une libre circulation des images du réel vers l'imaginaire et, inversement, des représentations de l'imaginaire vers le réel et faire réaliser au sujet que l’un ne peut être éclairé sans l’autre (1). Par là même, on peut () C’est un préjugé regrettable de considérer l’imagination du « névrosé » comme déficiente. Elle n’est que bloquée au profit d’un certain nombre de représentations électives et ne peut plus agir que dans des limites très étroites par le fait même de l’action détériorante exercée sur elle par certaines de ces représentations. (Robert Desoizre : Conférences au Portugal, Porto, 1963. « De l’action réciproque des représentations dans le jeu de la névrose. — D NE du mouvement sur le jeu des représentaions. »
ACTIVITÉ
DE
L'IMAGINAIRE
69
réaliser l’unité psychique d’un sujet en l’aidant à situer sa vie vécue par rapport à sa vie rêvée. Personnellement, j'estime qu’on a beaucoup trop parlé de régression dans les névroses. Je pense que c’est un terme trop général, englobant la personnalité tout entière tandis qu’à l’expérience on ne constate que la détérioration de certaines conduites. Ces détériorations se manifestent au niveau de situations très particulières concernant des événements vécus mais transformées en situations phantasmatiques dont les éléments opèrent ensuite par déplacement sur des objets du réel sous une forme symbolique qui est celle des symptômes. On retrouve ces situations réintégrées à certains niveaux de conscience, dans leur forme primitive, lors des explorations et au long de scenarii successifs et on peut éclairer ainsi les rôles de projection et d'identification qui ont été assumés par le sujet. On a discuté les thèses de Freud touchant « la perversité
polymorphe
de l'enfant », mais cette perversité apparaît
souvent dans les jeux de l’imaginaire où elle n’a pas été vécue mais « jouée » à la période de la toute-puissance magique où l’enfant explorait cet univers intérieur qui lui était révélé. L’angoisse d’un sujet d'assumer un phantasme angoissant puis d’être obligé de le refouler — celui de la Reine
Catherine,
par
exemple,
entrevu
dans
un
contexte de perversité — peut être alors assimilé à ce fameux « négatif de la perversion » envisagé par Freud et qui serait, selon lui, à l’origine des névroses. De même «le refus du sublime », qui est une attitude contraire, peut être aussi un refus vécu dans l’imaginaire, cette exigence
ayant été rêvée.
Les situations à la fois assumées et refusées se retrouvent dans les symptômes névrotiques qui sont à leur manière « des jeux symboliques » vécus dans un sens positif ou négatif mais qui peuvent, dans la plupart des cas, être considérés comme de « petits scenarri semi-oniriques » en tant qu'ils s’extériorisent sous une forme qui peut être
ACTIVITÉ
70
DE L’IMAGINAIRE
rapprochée de celle du langage intime, visuel ou verbal. J'en donne ici un exemple curieux. LES
SYMPTÔMES NÉVROTIQUES PROJETÉS EN RÊVE ÉVEILLÉ DIRIGÉ
Béatrice, (1) très gravement atteinte — certains médecins s'étant prononcés pour une schizophrénie larvée, mais en réalité névrosée obsessionnelle utilisant des cérémoniaux de défense —, vient me voir. Elle se dit « traquée par l’image d’un point » qu’elle croit avoir oublié dans le texte d’une lettre, qui peut changer le sens d’une phrase d’une manière si grave qu’elle sera, dit-elle « peut-être obligée de disparaître ». Nous trouvons ici un exemple intéressant de ce « langage intime du symptôme » qui, par la suite, s’exprimera dans les images, à la fois visuellement et verbalement par les interprétations qu’elle en donnera, après la séance écrite qu’elle rapporte ici. M. D. me demande de voir une image au pied d’un bec de gaz et j’aperçois un un seul point. Priée de me pencher, je prends alors j'y dessine le tracé de deux rues dont l’autre vers la droite. À ce moment,
à mon choix. Je me vois morceau de papier avec ce morceau de papier et l’une va vers la gauche,
à la lueur du bec de gaz, je
vois distinctement ces rues, je les situe dans mon quartier, je suis à leur intersection. M. D. me demande de choisir l’une de ces rues, je choisis celle de gauche et sur la demande de M. D. je m’y engage. Je marche assez longtemps, toujours sur le trottoir et j’arrive en marchant à un endroit où quelques années auparavant j’ai rompu avec Olivier ; j'en ai eu un tel chagrin à l’époque qu’à la suite de cela j'ai eu l’envie insensée de disparaître, je ne sais où ni comment. Olivier m'avait embrassée, cela m'avait effrayée, « m'avait paru
d'une réalité insoutenable ». (Je l’avais souhaité mais j'étais effrayée à l’idée de le vivre.) (:) « Béatrice » (Conférences au Portugal, rôle de l’imaginaire dans les symptômes ».
Porto, 1963) : « Le
ACTIVITÉ
DE
L’'IMAGINAIRE
71
Priée ensuite par M. D. de prendre « la rue de droite », cette rue me conduit à un théâtre, là où jouait B... autrefois. Les deux «guichets » du théâtre, celui où l’on contrôle et celui de la location, sont recouverts
de tentures noires. A l’un des contrôles il y a
Jouvet, à l’autre il y a Dullin; je ne comprends pas du tout pourquoi ils sont devenus contrôleurs. Jouvet, mystérieusement, me donne un billet d'entrée, c’est un disque blanc en carton, avec «un point » au milieu par lequel il me dit «qu’on peut regarder le spectacle comme au travers d’une lorgnette de théâtre ». Je ne comprends pas ce propos. J’entre dans la salle, elle est complètement vide, « on me dit qu’il n’y a plus de spectacle » mais je m’asseois tout de même ; soudain je vois le rideau s’entrouvrir, la scène descend lentement, très lentement et, descendant avec elle, je vois se glisser entre les deux parties du rideau entrouvert « comme une sorte de langue de feu ». Je suis stupéfaite, cette langue de feu erre dans la salle, va à droite, va à gauche ; j'ai l’idée — la voyant se rapprocher de moi — de me protéger avec mon disque blanc qui devient « en
amiante
», mais la langue soudain
vient se poser
sur le
dessus de ma tête sous la forme d’une flamme rouge sans me brûler. La langue de feu maintenant flotte un peu partout. Je la regarde à travers «le point » du disque d'amiante : maintenantla scène s’éclaire, je vois le spectacle, je vois B... il est sur la scène, il joue « un drame de rupture » avec sa partenaire, mais comme le point est très petit, mon angle visuel se rétrécit et je vois en effet très distinctement « comme à travers une lorgnette de théâtre ». M. D. me prie d'imaginer que le théâtre tout entier remonte lentement, il me dit d’ouvrir les yeux et de me reposer.
Béatrice raconte alors qu’elle a été autrefois « follement
éprise » d’un comédien qui jouait dans ce théâtre et ce, pendant des années. Ce désir l’a tellement marquée que, pendant toute sa jeunesse, elle a écarté tous les hommes qui pouvaient la rendre heureuse, sans aucune raison valable d’ailleurs; elle n’a jamais parlé à ce comédien et ne pouvait raisonnablement concevoir qu’on pût avoir un tel désir d’un homme qu’on ne connaissait que de vue. Mais elle aimait particulièrement sa voix. Ainsi explique-t-elle « la langue de feu » (1). (:) Ici le langage imagé est à la fois visuel et verbal (R. D.).
ACTIVITÉ
12
DE
L’IMAGINAIRE
A la demande qui lui est faite de préciser le sentiment que lui inspirait ce comédien,
elle dit songer à Pelléas
(de
« Pelléas et Mélisande » de Maeterlinck) dont il a interprété le rôle lorsqu'elle était adolescente, elle-même ayant souvent rêvé interpréter le rôle de Mélisande aimée de Pelléas dans cette légende (1). Nous voyons ainsi le schéma de l’amour, chez elle, se rattacher à ces dimensions exces-
sives de l'imaginaire où deux amants se rejoignent dans la mort qui donne à leur union, dit-elle, un reflet d’éternité.
Et nous apprenons alors que ce qu’elle aurait souhaïté d'Olivier c’est qu'il lui fût éternellement fidèle, ce dont elle a douté. Mais cet engagement que l’autre ne pouvait rem-
plir, elle voulait l’assumer elle-même et c’est ce qui l’a épouvantée. Ici l’imaginaire a emprunté deux éléments du vécu du sujet et les a transmutés : le comédien B... qui a réellement existé a été identifié à Pelléas ; quant au lampadaire qui éclaire, dans le rêve éveillé, le point de jonc-
tion des deux rues, elle se souvient un soir s’être arrêtée près d’un lampadaire semblable, rue V.., avoir pensé intensément à Olivier qui était très grand et mince et sous cet éclairage elle a évoqué la lumière qu’il apportait dans sa vie, qu’elle aurait souhaitée ne s’éteindre jamais. Mais, inversement, le réel ici pénètre l’imaginaire puisque, dans le rêve éveillé, elle voit B..-Pelléas
jouer sur scène
un drame de la rupture, laquelle rupture est son propre drame du vécu. « La langue de feu », apparue dans le théâtre, où jouait autrefois
B...-Pelléas,
nous
éclaire,
elle aussi,
sur
cette
sexualité qu’il a autrefois détournée à son profit, ainsi que le disque « creusé d’un petit point noir, devenu en amiante » (que lui donne Jouvet, contrôleur) et qui lui permet de se préserver de cette flamme qui vient sur sa tête et ne la brûle pas. Elle voit ensuite le spectacle qui se joue, au travers de ce petit point noir comme au travers d’une (?) Le contenu de cette légende, fort dépressif, peut être situé dans les images fabuleuses de la descente.
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DE
L’'IMAGINAIRE
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lorgnette de théâtre. Le sujet parle dans sa relation d’un «rétrécissement d’angle visuel ». On peut songer aussi à un «rétrécissement du champ de la conscience » qui n’a entrevu la relation avec Olivier, au stade adulte, qu’au travers de
la légende fascinante de Pelléas rattachée à son adolescence. Si ce rétrécissement « d'angle visuel » apparaît ainsi clairement en rêve éveillé, celui-ci restitue, par ailleurs, dans
l’espace imaginaire du sujet, par l'intermédiaire des deux voies apparues à l'intersection d’un point, les véritables dimensions de l’événement. Et c’est par le mouvement du sujet dans ces deux voies que sa vérité lui apparaît, l’une allant à droite vers l’échec avec Olivier, l’autre à gauche livrant les causes de l’échec, là où le comédien B... jouait Pelléas et Mélisande, situation imaginaire du passé. On peut dire ici qu’elle est restée fixée à « un point », « ce point de la situation », dit-elle, « qu’elle n’a jamais osé faire ». Faut-il admettre que sa réalité a été écartée au profit de son imaginaire parce qu’en tant que réalité, elle exigeait d’elle une dépense de force plus considérable, une action à accomplir, un problème à résoudre, en un mot, un engagement existentiel qu’elle se sentait incapable d'assumer ? En adoptant cette version, nous soutiendrions entièrement la thèse de Janet qui a sous-estimé l’im-, portance du rôle de l'imaginaire et du rêve en les dévalorisant par rapport au réel. Ainsi que l’exprime Bachelard «les lignes de l’imaginaire sont de véritables lignes de vie ». On peut les considérer comme des lignes de force qui sous-tendent des désirs, non seulement des désirs terrestres mais aussi des nostalgies éternelles. Nous les avons vues, dans l’exemple de Marie-Clotilde, susciter des contraintes spirituelles qui ont été éprouvées comme des menaces par une partie de la personnalité (1). Chez certains névrosés, elles provoquent souvent une sorte de « vertige psychique », les sujets entrevoyant à la fois des sommets vers l'extrême () Marie-Clotilde, déjà citée, p. 36.
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ACTIVITÉ
DE
L’'IMAGINAIRE
À
limite desquels ils sont attirés et, par opposition, des abîmes pouvant les engloutir. Dans le cas de Béatrice, il s’agit encore une fois d’une valorisation excessive accordée à certaines représentations, conditionnant des conduites également valorisées à l’extrême. Disparaître du monde par suite de l’abandon ou
de la perte définitive d’un être cher peut apparaître comme une attitude exceptionnelle alors qu’elle ne traduit qu’un comportement dépressif, au cours duquel l’imaginaire se renforce dangereusement aux dépens de la réalité. En l'occurrence cela n’implique pas seulement une valorisation excessive de « l’autre » mais aussi une dévalorisation de soimême qui est de règle chez les grands névrosés. Tout ceci pose très fortement le problème de l'identification, phénomène qui a été rattaché à l’amour mais qui, par d’autres liens, peut être rattaché aussi à l’agressivité et à la haine et qui n’est en somme qu’une perte de personnalité. En effet, il est difficile de ne pas le considérer comme à l’origine de beaucoup de symptômes morbides lorsqu'on constate dans ce cas combien les fonctions de défense du sujet apparaissent affaiblies puisque sont supprimées les limites psychologiques individuelles qui permettent à l’être humain de se différencier de ses semblables d’abord et de l’universel ensuite, pour conserver le sentiment de sa propre personne dans le temps et l’espace. Nous retrouverons plus loin des manifestations de cette dépersonnalisation dans les images de la descente. Quoi qu’il en soit, on peut mesurer ici l'importance de cette fonction
imaginative,
de son intrusion
dans la vie
de certains sujets qui ont voulu jouer à l’apprenti sorcier, et aussi de l'intérêt que présente une technique capable d'explorer cet imaginaire en hauteur et en profondeur pour y détecter les sources
de ces schémas
dynamiques
souvent aliénants mais que le mouvement ascendant a le pouvoir de transformer. Tout ceci conduit à reconsidérer certaines notions concernant les névroses -— telles qu’elles ont été entrevues à
ACTIVITÉ
DE
L'IMAGINAIRE
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la lumière de plusieurs théories psycho-physiologiques — et également la notion d’ « inconscient » décrit par l’école freudienne, lequel peut être envisagé d’une manière diftérente, moins rigide.
NÉVROSES
ET
ÉTATS
DE
CONSCIENCE
Il apparaît impossible de concevoir des phénomènes psychiques ne s’appuyant sur aucun substratum physiologique. Freud lui-même a admis un terrain constitutionnel favorisant la faiblesse de ce qu’il a appelé le « moi », mais il a estimé que c’était là l’affaire des biologistes. Des thèses comme celle de Pierre Janet sur « la baisse de tension psychologique » avec, à l’arrière-plan, des troubles somatiques tels que l’asthénie associée à l’alcalose, à des troubles du métabolisme, sont toujours en faveur chez certains médecins ainsi que celles sur le dérèglement des fonctions humorales et endocriniennes ayant un retentissement sur le système nerveux vago-sympathique. Ces thèses ne vont pas à l’encontre de celle d'Henri Claude sur « l'importance de l’hypothalamus dans les états psycho-pathologiques », cet hypothalamus qu’il estime « être à la fois, par ses connections corticales et sous-corticales, comme le carrefour suprême de la vie végétative, instinctive, émotionnelle qui intervient dans l’activité cérébrale, c’est-à-dire le carrefour somato-psychique ». Jean Delay apporte son soutien à la thèse d'Henri Claude sur l'importance de l’hypothalamus dépendant de la région du diencéphale : « Situé, écrit-il, à l’union des systèmes . nerveux de la vie végétative et de la vie de relation, en étroite connexion avec l’hypophyse et par elle avec tout le système endocrinien, le diencéphale représente un carrefour neuro-endocrinien qui joue un rôle important dans la régulation des fonctions psychiques et, en particulier, dans les régulations instinctivo-affectives. Chez l’animal privé de cortex, il représente le plus haut degré d'intégration
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L’IMAGINAIRE
soma-topsychique, un niveau d’organisation des pulsions instinctives et émotionnelles (1). »
Ces thèses sont très intéressantes à retenir. Quoi qu’il en soit, le rôle des sentiments et des émotions apparaît toujours comme essentiel dans les dissolutions de la personnalité et une déficience fonctionnelle d’une région régulatrice du cerveau telle que celle du diencéphale peut libérer des tendances auxquelles les sujets ne peuvent faire face que par un fonctionnement normal du contrôle exercé par le système nerveux central. Et ici, les thèses de l’école pavlovienne — également somato-psychologiques — accordent une importance essentielle au rôle de ce système nerveux central détenteur des fonctions supérieures, englobant ainsi les états psychotiques et névrotiques dans une situation de dépendance vis-à-vis du cortex, lequel provoquerait, par les voies d’une inertie du processus d’excitation — excitation permanente — et d’une inhibition freinatrice insuffisante, des schémas dynamiques régis par des signaux sensoriels ou verbaux correspondant à certains états émotionnels intenses. (Ces schémas devenus répétitifs se relient à la psychologie du comportement en favorisant des conditionnements, des réflexes conditionnés s’instaurant sur des réflexes innés et provoquant des conduites stéréotypées en réponse à certaines situations données (2). Dans les névroses même les plus graves, il n’y a pas, à proprement parler, dissolution de la personnalité mais seulement fragmentation de celle-ci en des conduites divergentes, génératrices d'angoisse et qui nous obligent à retenir comme très importante la notion de conflit. Mais cette notion de conflit apparaît souvent sous une forme particulière puisque, par l'expérience, nous savons que le drame du névrosé est souvent vécu sur deux plans paral() Paris, (?) nelle,
Jean DELAY : Études de Psychologie médicale, P. U. F., 1953. Robert DesorLce : Introduction à une psychothérapie rationÉdit. de l’Arche, Paris, 1955.
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DE
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lèles : celui du réel et celui de l’imaginaire et nous avons aussi tous les éléments en main pour concevoir que cet imaginaire n’a pas toujours été subi mais que souvent il a été créé, voulu, entretenu par le sujet à une certaine époque de sa vie. C’est cette fonction créatrice qui se révèle souvent très riche, mais entre très souvent en opposition avec la réalité, ce sont ces représentations surprénantes, étayées par l’affectivité mais se révélant souvent contraignantes pour le sujet, dont il faut lui faire retrouver les motifs profonds, lesquels ont été souvent écartés ou oubliés. Et ici, à la notion d’un « inconscient monolithique » renfermant tout ce qui a été supprimé, nous opposons la thèse très intéressante exposée par André Lamouche (1) concernant les états oniriques et semi-oniriques (lesquels
ont des liens très étroits à la fois avec l’imaginaire et le réel) et envisageant des niveaux de conscience assez finement différenciés, s’étageant par degrés, depuis les niveaux les plus profonds non contrôlés du psychisme, jusqu'aux niveaux les plus élevés de la connaissance éclairée. Ce n’est pas dévaloriser les états de conscience très profonds que de les situer en opposition avec l’échelle des valeurs morales humaines en tant qu’états purement instinctifs et comme tels souvent subis par les sujets. Ils ont un rôle important de protection, de conservation, de défense et même d’information, mais non un rôle d'évolution. Les
représentations auxquelles ils donnent naissance sont très souvent génératrices d'angoisse car elles se présentent comme fascinantes ; elles sont susceptibles d’être non pas refoulées mais transmutées, ainsi que l’énergie qui y est attachée, en faisant atteindre à ces sujets, le long de l’axe ascensionnel de l’imaginaire, des degrés plus élevés à l’intérieur même de cette conscience, appréhendée d’abord en tant que conscience du réel et, ensuite, en tant que conscience évolutive. Nous avons pu retrouver, chez certains (:) André LamMoucHE : Psychologie, Gauthier-Villars, Paris, 1957.
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DE
L’IMAGINAIRE
de nos patients, sous l’effet de chocs affectifs ou d'émotions particulières, des représentations qui se sont détériorées — par suite d’un état dépressif — dans un mouvement descendant où elles ont pris des aspects terrifiants (1). Considérés en tant que degrés d’obscurité ou d'éclairage de cette conscience (en ce sens que, très profonds, ils échappent au contrôle du système nerveux supérieur), ces niveaux différenciés, à l’intérieur desquels se déplacent les représentations, peuvent déterminer l’importance de disvolutions ou d’évolutions que l’on peut associer à des rétrécissements ou à des élargissements du champ de conscience par rapport au réel, au cours d'états particuliers partant de l’onirisme profond et passant par des degrés de semi-veille, de veille et de lucidité, pour parvenir ensuite à des états absolument supérieurs concernant l'intuition,
la connaissance, la découverte dans le domaine des sentiments,
des arts et des sciences.
J’ai pu
constater
qu’à
chacun de ces niveaux, les représentations, en se déplaçant, prennent des formes particulières, en même temps
que se modifient les sensations et les sentiments qui les accompagnent.
C’est à des niveaux très profonds de la conscience qu’on peut rattacher le phénomène passif de l'identification en tant que manifestation non contrôlée, hors du champ de perception du réel. Mais, d’une manière générale, on doit envisager ces modifications de niveaux comme étant en rapport avec des ralentissements ou des activations des échanges sur le plan physiologique provoquant des réactions plus ou moins importantes du système neurovégétatif dont des images seraient utilisées en tant que signaux exprimant l’angoisse, l’apaisement ou la joie. () On peut les retrouver dans les états pré-psychotiques ou psychotiques tels que la schizophrénie ou la paranoïa (Notes de séance, R. D.). L'action bénéfique exercée sur eux par le mouAN ascensionnel est considérable (Conf. Portugal, Porto, è 963).
ACTIVITÉ
DE
L’IMAGINAIRE
79
ARCHÉTYPES ET CHAINES ARCHÉTYPIQUES DE REPRÉSENTATIONS
De même que la notion d’inconscient, il nous faut revoir celle d’archétype, très importante à la fois dans l’imaginaire et dans les névroses, notion très ancienne que Jung a eu le mérite de réintroduire en psychologie. Nous savons que les archétypes représentent la somme de toutes les images accumulées au cours des âges et constituant le fonds commun de l'humanité. La conception jungienne de l’archétype me semble trop statique et trop limitée par rapport au mouvement et à la transformation des images constatés en rêve éveillé. Là aussi, mon
expérience m'a fait préférer
celle toute personnelle, que j'ai déjà proposée dans certains de mes ouvrages (1), de « deux chaînes archétypiques de représentations » dont l’une, masculine,
comporte tous
les aspects sous lesquels peut nous apparaître l’élément mâle, et l’autre féminine comporte, également, tous les aspects sous lesquels peut nous apparaître l’élément féminin, ces représentations étant en rapport avec celles que le rêve éveillé, par la direction, nous a révélées à différents niveaux. En effet, à la situation de l’homme devant son semblable,
correspond toute une série d'images se fondant, se transformant les unes dans les autres, suivant précisément la
direction
de l’axe de l’imaginaire ; en tant que chaîne
masculine proprement dite, elle part des représentations les
plus archaïques des profondeurs, celle de Satan, puis de Lucifer, passe par les démons, les sorciers, les magiciens, arrive au niveau du réel, le dépasse ensuite pour atteindre, en montant, des représentations de génies bienfaisants,
d’anges, d’archanges et aboutit à la représentation du Christ-Dieu. Pour la chaîne féminine, elle part de Lilith (2) Robert DEsoirce : Le Rêve éveillé en psychothérapie, P. U. F., Paris, 1945.
80
ACTIVITÉ
DE
L'IMAGINAIRE
la démone, passe par la sorcière, la magicienne, la femme normale, monte plus haut vers les fées, les saintes et aboutit
à la Vierge-Mère, figure la plus parfaite de la représentation féminine. Nous trouvons ainsi non plus des images projetées au hasard mais un univers de représentations, remarquablement structuré et à l’intérieur duquel on peut intégrer, par rapport à des niveaux ou degrés de conscience différenciés de bas en haut : — une ligne verticale de l’imaginaire évoluant au long de ces degrés, — et deux chaînes archétypiques de représentations masculine et féminine, correspondant à ces degrés et susceptibles de transformation dans la direction ascendante ou descendante. A l’évolution de ces représentations seront toujours associées des modifications de sentiment, d’émotion, mais aussi de comportement.
Les représentations d'éléments de la nature, animés ou non de mouvement, et les représentations d'animaux ou d’êtres fantastiques, se rattachent à la chaîne masculine ou à la chaîne féminine d’après la signification symbolique qui leur est attribuée par les sujets. Ceux-ci peuvent se projeter ou s'identifier eux-mêmes à ces représentations, ce qui permet au psychothérapeute de situer avec une certaine précision les niveaux de conscience entre lesquels ils oscillent, les images d’animaux se rattachant tout particulièrement au domaine des instincts.
MAÎTRISE ET ENRICHISSEMENT DE L’IMAGINAIRE PAR LE R.E. D. EN PSYCHOTHÉRAPIE
LES
IMAGES OBSÉDANTES ET LEUR LIBÉRATION DANS LE RÊVE ÉVEILLÉ DIRIGÉ
Une représentation, qu’elle apparaisse comme purement intérieure ou qu’elle ait été intériorisée à la suite de sa perception dans le réel, doit pouvoir se déplacer dans le champ de la conscience pour laisser s’écouler le courant normal d’autres représentations et c’est toujours une image morbide que celle qui s’impose dans sa fixité immuable à l’esprit d’un sujet. On sait la fascination exercée dans le réel par certaines représentations religieuses ou politiques ou par certains portraits historiques et familiaux dont l’emprise se révèle souvent si forte sur le psychisme, du fait même de leur immobilité. Cette fascination peut être produite par une représentation symbolique n’ayant aucun rapport avec le réel et revêt très souvent un aspect très inquiétant. Physiologiquement, la fixité d’une représentation peut s’expliquer par un état affectif préalable, sous-tendu d’une forte charge émotionnelle d’une qualité particulière, s’exprimant par la voie du langage intime imagé et se répercutant en premier lieu, par la voie du système neuro-végétatif, au niveau du diencéphale. Celui-ci, par ses connections corticales,
veux
transmet
l’image au
contrôle du système
central où elle peut être maintenue
Entretiens sur le rêve éveillé.
ner-
au niveau
du 6
82
MAITRISE
ET
ENRICHISSEMENT
cortex par une altération fonctionnelle non seulement du processus d’excitation mais aussi du processus d’inhibition, lequel ne peut lutter contre la diffusion de cette excitation à toute l’écorce cérébrale. J’ai déjà indiqué précédemment que ce rôle de régulation attribué par Pavlov au cortex peut, selon Jean Delay, être dévolu au diencéphale. Mais on peut parfaitement envisager dans les névroses, comme dans d’autres altérations mentales d’ailleurs, une défection fonctionnelle simultanée des centres supérieurs et végétatifs,
défection
due,
par
exemple,
à des
troubles
circulatoires. Quoi qu’il en soit, l’image aliénante, presque toujours représentative d’un complexe de sentiments et d'émotions, s’introduit ainsi dans le psychisme total du sujet où elle apparaît contraignante, interdisant toute autre représentation et englobant tous les objets qui, de près ou de loin, peuvent recréer symboliquement les éléments d’une situation particulièrement angoissante au cours de laquelle l’image obsédante et les sentiments qu’elle exprime ont joué un rôle important dans l’histoire du sujet. Très souvent l’immobilité d’une image ressort d’une attitude magique : elle évoque alors le souvenir d’un père, d’une mère ou encore d’un maître qui regardait fixement le sujet lorsqu'il faisait autrefois quelque chose de répréhensible et, par là, elle peut se rattacher au « surmoi » freudien, dans un contexte de surveillance venant d’autrui.
Mais elle peut aussi représenter un « surmoi personnel » et surgir à la suite d’un conflit intérieur en tant que symptôme névrotique. On peut rattacher aux images fascinantes certains symptômes observés dans l’hystérie ou la névrose obsessionnelle : elles expliquent certaines paralysies hystériques ou certaines attitudes d’arrêt et d’inhibition chez les psychasthéniques; elles jouent toujours un rôle de signal pour les manifestations d'angoisse. Un processus un peu semblable opère pour des représentations du réel, éprouvées subitement dans un contexte
DE
L’IMAGINAIRE
PAR
LE R. E. D.
83
d’anxiété ou de recul affectif que rien ne justifie en apparence. Ici la représentation, sans être obsédante, est mal tolérée et le contact du sujet avec elle est ressenti comme perturbant. Il n’y a pas, comme dans l’obsession, le refus de représentations opposées mais simplement altération de la représentation elle-même. La descente, le long de la ligne verticale, nous renseigne, ici, sur les transformations que certaines représentations devenues morbides ont pu subir à un moment donné, en se déplaçant par exemple, par suite d’une émotion, à un niveau de conscience très instinctif. Ce mouvement de descente exerce une action efficace sur ces images pour retrouver la racine des émotions qui les accompagnent et ce, au long des chaînes archétypiques jusqu'aux plus grandes profondeurs. Il faut inciter un sujet à affronter certaines représentations sous l’apparence qu’elles revêtent à de bas niveaux, à l’aide d’images de soutien et de protection, en harmonie
avec l’ambiance décrite par le sujet et on le fait ensuite remonter avec sa représentation aliénante allégée d’une partie de son angoisse primitive, en lui faisant préciser les transformations qu’elle sera amenée à subir, jusqu’au niveau du réel où elle pourra retrouver son apparence normale. Ainsi dans l’image de la Pieuvre, trouvée souvent
par mes sujets, aux grandes profondeurs, la montée aboutit très souvent à la représentation de la mère ou celle de la femme en général, lorsqu'elle a été éprouvée comme
captative (1). ÉVOLUTION DANS
LE
RÊVE
DES IMAGES ÉVEILLÉ
DIRIGÉ
C’est par la notion de niveaux de conscience qu'on peut préciser
aussi
le style particulier
(:) Voir le « Rêve page 156.
des images
apparues,
éveillé de descente dans la mer (Charles) »,
MAITRISE
84
ET ENRICHISSEMENT
style dont nous parlerons en détail plus loin. Car il y a un style des images qui permet de leur attribuer une qualification
particulière.
Indépendamment
de toute
efficacité,
ce style peut être riche ou pauvre, mais la richesse ou la pauvreté, ici, sont des éléments qui diffèrent selon le degré de culture mais aussi en fonction de la qualité du sujet. Lorsque Janet écrit qu’il y a des « génies du sentiment comme il y a des génies des mathématiques », nous pouvons ajouter ici : « Il y a des génies de l’image » et 1à nous touchons aussi au domaine de l’Art dont les représentations du Rêve Éveillé — en dehors de leur vertu thérapeutique — sont aussi les matériaux. La position étendue, la demi-obscurité, le silence favorisent le relâchement musculaire, le demi-endormissement ;
cependant la fonction vigile persiste, permet le dialogue avec le psychothérapeute. L’inhibition relative de certains centres supérieurs suspend l'esprit critique mais après l’épuisement des premières images du patient, qui sont souvent le reflet du vécu, au début de la cure, les suggestions discrètes et intelligemment choisies du psychothérapeute (lesquelles suggestions doivent s'inspirer à la fois de l’état d’esprit du sujet, des émotions qu'il éprouve, des situations imaginaires qu’il vit) permettent à des représentations entièrement neuves et personnelles d’apparaître. Alors s'expriment des gammes de sentiments jusqu’alors demeurées inconnues du sujet ou seulement très fugitivement entrevues au cours de son existence; ces sentiments intégrés durablement par la suite, dans le réel, permettront des attitudes différentes devant les circonstances de la vie. Parmi les diverses attitudes adoptées par un sujet devant ses propres images, il en est une qui permet,
dès le
début, un diagnostic important de caractérologie : l’individu introverti se voit agir dans le scénario qu’il imagine, tandis que l’extraverti se sent agir. De même, nous pou-
vons déceler, dès le début, chez certains sujets des divisions graves
survenues
dans
la personnalité ; ces sujets
DE
dans
les
L’IMAGINAIRE
scénarios
qu’ils
PAR
vivent
LE R. E. D.
se
voient
85
dédoublés,
triplés même quelquefois. Certains sont conscients, coenesthésiquement, de leur propre présence dans le rêve mais, lorsqu'on les interroge sur d’autres représentations qui leur font face, ils disent parfois : « C’est moi aussi, une autre partie de moi-même que je reconnais ici. »
APPARITION DES REPRÉSENTATIONS RESTRUCTURANTES EN RÊVE ÉVEILLÉ DIRIGÉ
L'expérience nous démontre que, très souvent, les représentations les plus restructurantes ne se réfèrent pas
à des situations vécues. On les rencontre en général au sommet de l’ascension et elles constituent un monde à part, le monde strictement intime de la vie intérieure du sujet. Bien que ces représentations semblent, en apparence, n’avoir que de très lointains rapports avec le réel, elles sont l’expression d’une réalité psychique non encore entrevue jusque-là. On n’en retrouve l’équivalent que chez les mystiques et c’est la raison pour laquelle j’ai proposé de les appeler « images mystiques » pour en définir ce que je nomme « leur style ». Exceptionnellement, quelquesunes de ces images peuvent apparaître au début, lors des premières ascensions du patient où elles révèlent déjà des
aptitudes particulières à la sublimation, mais, généralement, elles n’arrivent presque jamais à être atteintes d'emblée (1). Elles constituent un témoignage de l’accession à des niveaux très élevés de la conscience, là où l’être
peut dominer ses instincts non en les réprimant mais en les surmontant. Cependant, à mi-chemin de l'ascension, je prie souvent le sujet « de regarder vers le bas » pour considérer
« ce qui s’y passe ». Et, à ce moment-là,
(:) Ces images, lumineuses
en général, se retrouvent
des
quelque-
fois lors d’une première séance chez des sujets très équilibrés et non névrosés (voir thème de l’Épée, Patrice, p. 116).
MAITRISE
86
ET ENRICHISSEMENT
représentations déjà entrevues à des niveaux peu élevés et qui ont pu apparaître énigmatiques au patient réapparaissent transformées et livrent à une conscience déjà plus éclairée la signification véritable de leur contenu. Aïnsi se maintient toujours un lien entre les représentations du bas et celles du haut et on supprime la rupture qui, dans l'existence vécue du sujet, a pu constituer une des causes de la division de personnalité dont il souffre ; on peut ainsi accéder à des niveaux très élevés sans danger. Ces représentations des hauts sommets de l’ascension ne deviennent habituellement accessibles au sujet que lors-
qu'il aura
pu surmonter
l'angoisse de conflits, lesquels
apparaissent dans les séances exploratoires du début sous une forme presque toujours symbolique qui permet de les aborder plus facilement et aussi de les dénouer dans les premiers scenarii des rêves éveillés. Les images mystiques auxquelles le sujet peut atteindre, par la suite, ne s’associant, le plus souvent, à aucune expérience vitale sont, de
ce fait, souvent dépouillées de formes connues et c’est alors que le patient arrive à des représentations de lumière avec,
éventuellement,
des
sentiments
de
présence.
Ce
sont ces sentiments de présence qui, dans l’ascension, impliquent une idée de l’ « Autre ». Pour un sujet gardant un sentiment religieux plus ou moins imprégné d’anthropomorphisme, « l'Autre » sera une puissance surnaturelle; pour le non-croyant ce sera la représentation de l’humain dans sa plus grande perfection concevable. Mais quelle qu’en soit l’interprétation que s’en donnera le sujet — et qu’il faut toujours respecter — cette présence se révélera réconfortante et puissamment dynamisante. J'ai déjà indiqué par ailleurs qu’en dehors de toute croyance particulière, les images religieuses figuraient en rêve éveillé chez les agnostiques comme chez les croyants, car ce qui caractérise l'imaginaire c’est qu’il dépasse les
limites du cadre dans lequel vit habituellement le sujet. Et du faït même que cet imaginaire pénètre à tout instant dans le réel et que le réel se métamorphose
souvent au
DE
L’IMAGINAIRE
PAR
LE R. E. D.
87
contact de l'imaginaire, l'imagerie religieuse se mélange souvent à l'imagerie familiale et si telle représentation religieuse apparaît souvent marquée d'humanité, en retour telle représentation familiale apparaît quelquefois spiritualisée ; c’est le mouvement des images le long des chaînes archétypiques de représentations qui favorise ces transmutations ; elles expliquent en partie le culte affectif voué à certaines personnes de l’entourage. Chez des sujets féminins pourtant peu religieux, j'ai retrouvé la figure d’un mari bienfaisant se transformer, en montant, dans celle du Christ en tant que représentation de l’époux idéal. Quelles que puissent être les croyances d’un sujet, il faut lui faire comprendre, dès le début, que les états de calme, de sérénité qu'il atteint dans l'ascension constituent la preuve de son aptitude à vivre réellement de tels sentiments, indépendamment de l’origine qu’il peut leur attribuer,
et lui demander
de revivre ses images entre les
séances par un entraînement volontaire de sa part. La rédaction, par le sujet lui-même, de la séance où est apparue la représentation bénéfique facilite l’évocation de cette représentation dans le contexte où elle a été
perçue. Ce n’est qu’à une seconde étape — après l'exploration de ses sentiments habituels de tous ordres — que nous faisons monter le sujet « aussi haut que possible » dans la voie de ce que les psychanalystes appellent la sublimation. Pour éviter certaines équivoques — j'ai précisé que certains sujets peuvent être gênés par ce terme de sublimation — je lui ai préféré celui de « socialisation des instincts », bien que le contexte qu’il englobe ne soit pas aussi vaste lorsqu'il s’agit du sujet mis en présence de lui-même et de sa vie intérieure (1). La psychanalyse n’a pu, malgré sa valeur, nous présenter une technique de la sublimation. (:) Certains sujets enclins au mysticisme font, dès le début de la cure, des ascensions remarquables, mais ils ne constituent qu’une exception et il faut considérer que plusieurs séances sont nécessaires avant d'atteindre des niveaux de conscience élevée.
88
MAITRISE
ET
ENRICHISSEMENT
Certains éléments que cette sublimation comporte inévitablement — par exemple l’élément religieux — ne sont
considérés par elle que comme des illusions. Se distinguant de Freud, Jung, pour aborder ce problème, a su préciser qu’il y a là une réalité psychique que nous ne pouvons écarter. Dans le rêve éveillé nous nous efforçons d’aider le sujet à prendre conscience et à obtenir au moyen de l'image, cette oblativité caractéristique de l’âge adulte. C’est en effet le propre de l’attitude adulte que de pouvoir faire preuve envers l’autre de générosité matérielle et morale sans rien exiger en échange du don. Ainsi, pour certains sujets, s’il s’agit par exemple d’un conflit avec la mère, les représentations de celle-ci évolueront — de bas en haut — de la représentation de la sorcière dans les profondeurs — image magique et régressive — à celle d’une femme normale — au niveau du réel — puis en montant à celle de la Vierge, la Vierge représentant la femme idéale pour aboutir, en fin d’ascension, à une simple représentation de lumière accompagnée d’un sentiment de présence et d'amour universel. Or, dans la cure des névroses, il n’est pas toujours possible d’amener les sujets jusqu’à de très grandes hauteurs, l’extrême sublimation n’étant pas le fait de tous. Mais, au cours du traitement,
s’il s’agit, comme
nous
venons
de le dire, d’un
conflit avec la mère ou avec celle qui a joué un rôle analogue dans la vie du patient, l’image de celle-ci ou de son substitut peut être évoquée sur un plan plus élevé que celui de la vie réelle ; alors le sujet peut considérer cette image
dans le calme et arriver ainsi à un jugement plus objectif en évoquant les déceptions et les tristesses qu’elle a pu subir et qui expliquent ses erreurs de caractère. Il pourra alors éprouver des sentiments qui lui feront mieux comprendre le comportement de sa mère grâce à cette prise de conscience plus intense. C’est ce que l’on peut appeler « la réconciliation avec la mère ».
DE
VÉCU
L’IMAGINAIRE
DU
PAR
LE
R. E. D. ET VÉCU
R. E. D.
89
QUOTIDIEN
Après ce travail par l’ascension, il faudra un entraînement, ainsi que nous l’avons indiqué, dans la vie de tous les jours pour que le sujet arrive à intégrer, en face des difficultés
de l’existence,
ce calme,
cette
objectivité,
ces
sentiments nouveaux éprouvés dans le rêve éveillé qui lui permettent de faire face ainsi à une situation réelle. Ici l'imagination intervient activement : elle permet la prise de conscience de ses possibilités par le sujet. D'autre part, en présence d’une situation particulière de la vie quotidienne qu’il a vécue au cours des séances de Rêve Éveillé, soit symboliquement, soit analogiquement, le sujet retrouve pour la résoudre un schéma dynamique nouveau dont il a fait l’expérience au niveau du R. E. D. Aïnsi, une attitude de vaillance (au lieu d’une attitude de fuite) expérimentée en R. E. D. passera peu à peu dans la réalité. Vous comprendrez alors pourquoi j'invite mes patients à descendre dans la grotte de la Sorcière, par exemple (1). — Le sujet étant le créateur de ses propres scenarii, l’attitude de la Sorcière envers lui nous indique quelles ont été les réactions primitives de ce sujet dans son enfance devant les interdictions ou les brusqueries de la mère ou de son substitut. Il en est de même en ce qui concerne le père (2). On peut voir ainsi très rapidement à quel niveau du rêve éveillé — et à quel niveau de conscience — Iles relations d’un patient homme avec les femmes et celles d’une patiente femme avec les hommes peuvent être faussées. Tout de suite, en priant le sujet de prendre une attitude se rapprochant de la normale, nous commençons, dans () Thème de la Grotte de la Sorcière (chapitre consacré Descente), p. 161. (2) Thème de la Grotte du Sorcier, p. 166.
à la
90
MAITRISE
ET ENRICHISSEMENT
l'exploration même, à provoquer l'extinction de la réaction morbide et nous aidons le sujet à créer un nouveau schéma dynamique bien adapté. Lorsque je parle ici d’attitude se rapprochant de la normale et devenant ensuite attitude normale, je n’entends pas l'attitude que, soimême psychothérapeute, on pourrait prendre, mais seulement l'attitude que le sujet va essayer de prendre, qu’il a la possibilité de prendre, pour se rapprocher de l’attitude normale, pour voir aussi s’il a la possibilité de l’adopter ou de la rejeter. Lorsque le sujet tend à fuir, il faut l’inviter au contraire au combat en l’invitant aussi à suivre attentivement toutes les modifications que son image pourrait subir du fait de son changement d’attitude. Par là il peut prendre conscience, par la transformation de l’image, de la modification de
sentiment qui s’opère en lui-même, cette représentation intérieure n’étant que le reflet de son état d’esprit personnel associé à l’émotion qui l’accompagne.
LES RÊVES EXPRESSION D’UNE
ÉVEILLÉS DIRIGÉS, SYMBOLIQUE PERSONNELLE
À part les êtres à forme humaine, les rêves éveillés sont peuplés d'animaux. Nous l’avons dit : ces animaux expriment les émotions primitives d'ordre instinctif. Cependant, lors de l’ascension, les sujets rencontrent très souvent des oiseaux; ils expriment presque toujours un désir d’évasion; leur représentation peut souvent être utilisée pour faciliter le mouvement ascensionnel. Je voudrais parler ici d’une image qui se présente très
souvent spontanément avec des variantes et que j'ai fini par proposer systématiquement, dans les premiers thèmes de départ, à la plupart de mes patients : celle du Dragon de la Fable. C. G. Jung en parle longuement, il en donne des interprétations qui ne me paraissent pas évidentes. Personnel-
DE
L’IMAGINAIRE
PAR
LE
R.
E.
D.
91
lement, par expérience, je pense que l'apparition de cette image est l'expression de sentiments très variables d’un sujet à l’autre. Elle est presque toujours désagréable, elle exprime le plus souvent un sentiment de danger avec plus ou moins d’angoisse ; exceptionnellement, le Dragon peut apparaître conventionnel, même un peu grotesque et inoffensif. Ici, je dois rappeler que, quelle que soit la situation, il faut inviter le sujet à ne pas céder à l’angoisse et à adopter une attitude active ; après lui avoir demandé la nature du sentiment qu’il éprouve, j'inviterai le sujet à dompter le Dragon et à aller voir son antre et ce qu’il y garde. Très souvent, il s’agit d’un trésor ou d’une jeune fille. Mais il arrive aussi qu’il s’agisse de tout autre chose,
par exemple un sujet peut découvrir d’abord un trésor banal composé de pièces d’or entassées dans un premier coffre, mais en ouvrant un second coffre, certains sujets se sont vus, avec stupéfaction, sortir eux-mêmes de ce
coffre; il s’agit alors d’une projection de leur propre personne, d’un aspect de leur propre sensibilité qui était prisonnière, que certainsinterdits neleur ont pas permis de développer, interdits parentaux ou interdits sociaux et religieux. Il n’y a pas de signification symbolique s'appliquant à tous les cas. Je répéterai une fois de plus ce que j'ai déjà avancé : il n’y a pas de dictionnaire des symboles. Ce n’est
qu'avec l’aide du sujet, et en fonction de son existence propre, qu’il faut découvrir la nature des sentiments que ces symboles expriment. Le choix du symbole, même si, à première vue, il paraît se rattacher « à une symbolique classique », est presque toujours, ensuite, soumis à des modi-
fications, des transformations, en fonction du niveau du rêve, qui traduisent l’existence d’une réalité personnelle et individuelle. Ainsi, Marie-Clotilde, sur la suggestion de
départ de voir le Dragon, croit une minute l’apercevoir et assiste à sa transformation en un énorme Serpent-Dragon qui crache de l’encre (1). Une autre de mes patientes voit (*) Robert le Rêve
DEsoie
: Marie-Clotilde,
Éveillé Dirigé, Payot,
une psychothérapie par
Paris, 1971, pages 96 et suivantes.
92
MAITRISE
ET
ENRICHISSEMENT
le Dragon, par la suite, se changer en lion (1) ; et ces expé-
riences renforcent la thèse d’un symbolisme personnel ou tout au moins soumis à des modifications, au niveau psychique auquel il apparaît. Précisément, à ce sujet, ce qu’on pourrait être amené à reprocher à la psychanalyse freudienne, c’est d’avoir voulu attribuer une signification trop restreinte à certaines représentations qui sont, par essence — le Rêve éveillé nous le prouve lorsqu'il est directif —, extrêmement mouvantes et susceptibles de métamorphoses remarquables. Ce n’est pas là une des moindres vertus du mouvement ascensionnel ou descendant que de modifier le sens — jusqu’à les rendre parfois méconnaissables — de symboles très fortement figés par la psychanalyse. Ceci étant admis, tout en rendant à Freud l’hommage qui lui est dû, il va de soi qu’en reconnaissant son génie,
on peut interpréter les faits d’une manière plus subtile. Ainsi s’expliquent en grande partie des dissidences comme celles de Jung. Au début de mes recherches, je me suis inspiré des significations attribuées par Freud à certains symboles qui se retrouvent chez tout le monde. Mais, très vite, je me suis rendu compte que le domaine qu’il a exploré dans le symbolisme, était finalement trop limité. Jungouvre des horizons plus larges. Mais il a insuffisamment étudié la mobilité de l’image. Or l’image est vie et mouvement. L'art, la poésie, en particulier, et la lecture des mystiques
nous apportent des éléments précieux pour comprendre toute une catégorie d’images que les sujets — névrosés ou non — nous apportent dans leurs rêves éveillés. Pour reprendre le thème du Serpent, par exemple, dont l’image est donnée à peu près par tout le monde, homme ou femme,
pour les freudiens il a une signification phallique. En fait, cette signification n’est que la signification particulière d’un sens beaucoup plus étendu : le serpent peut être aussi (:) Voir plus loin, Rêve d'Hélène (p. 187).
éveillé de la Grotte
du Dragon,
cas
DE L’IMAGINAIRE
PAR LE R. E, D.
93
un signe de force, de puissance maléfique ou bénéfique. Il peut représenter, certes, l’agressivité sexuelle d’essence masculine, mais aussi l'attaque perfide dans tout autre
domaine que l’acte sexuel et il peut être symbole de science
(les serpents du caducée de Mercure) et même de très haute sagesse (le serpent qui se mord la queue).
C'est donc en un cadre extrêmement vaste qu'il convient, d'interpréter les images symboliques. Si elles apparaissent angoissantes, il appartient au psychothérapeute d’apprendre au patient à les surmonter. Lorsqu’elles apparais-
sent bénéfiques, il lui appartient de les utiliser dans le sens de la guérison.
Mais, avant toute chose, il convient
de faire préciser au sujet les diverses significations qu’elles peuvent revêtir pour lui et ceci aux divers niveaux du psychisme.
LE
R.E.
D.,
LES
SYMBOLES
ET
LES
( EFFETS-SIGNES
)
Lorsqu'il est question du « symbolisme des images », il est nécessaire de préciser le sens attribué à cette expression. Dans son exposé de la Psychanalyse, Roland Dalbiez, déjà cité, fait une critique (1) de l’emploi du mot «symbole ». Il montre qu’en réalité, l’image onirique n’est pas un symbole au sens habituel de ce mot. Il propose les termes d’ «effet-signe » ou d’ « expression psychique », pour désigner les images du rêve, révélatrices du contenu psychique latent, il rappelle que le recours à l’image onirique comme moyen d'expression psychique ne se produit qu'après inhibition du psychisme supérieur, inhibition volontaire (ce qui est le cas dans le rêve éveillé) ou involontaire (cas du sommeil). Mais,
dans
le Rêve
éveillé,
l’inhibition
volontaire
du
() R. DaLg1ez : Méthode psychanalytique et doctrine freudienne, tome II, pages 161 et suivantes.
À
2
MAITRISE
94
ET ENRICHISSEMENT
psychisme supérieur est plus ou moins complète, le sujet évolue à divers niveaux et c’est pourquoi j'estime que les images de nos sujets sont fonction du degré d’inhibition réalisée et qu’elles doivent être considérées tantôt comme des « effets-signes » et tantôt comme de « véritables symboles ». Le recours au symbolisme proprement dit est le fait d’un travail intuitif de la pensée, correspondant à une activité totale ou partielle du psychisme supérieur, c’est-àdire de la faculté d'examen réfléchi. L’image devient symbole dans la mesure où nous en faisons choix pour nous exprimer. L’ «effet-signe », lui, est plus passif, il correspond à une inhibition totale du psychisme supérieur. Le
Soleil
lui-même
tantôt
symbole,
tantôt effet-signe,
est interprété très différemment suivant mes patients : « C’est l’amour », dit l’un d’eux, « puisqu'il réchauffe » et là c’est un symbole car il est élaboré et un autre dit : « C’est l'intelligence parce qu’il éclaire tout », ce qui est également un symbole. Mais pour Marie-Clotilde, obsessionnelle pure, c’est un « dieu aztèque » à qui on sacrifie les hommes, c’est « la colère du monde, la sienne et celle des autres », le « Soleil de la colère en deuil », précise-t-elle et là c’est un effet-signe parce que ce n’est qu'après un grand moment qu’elle peut donner une explication de cette interprétation où le psychisme supérieur laisse la place à un sentiment qui est le reflet d’une affectivité troublée. De fait, au début du traitement, elle voit ce Soleil avec une ligne noire entre son centre et ses rayons, vision angoissante qui apparaît presqu’au début du mouvement ascensionnel. Il apparaît sur la gauche, à peu de hauteur, il est une représentation du passé. Après quelques séances le Soleil devient la représentation « de la jeunesse triomphante » (ce qui ici est un symbole), il est éclatant et vu beaucoup plus haut sur la droite. Pour une autre patiente,
le Soleil est caché par une forteresse et il faut la traverser pour y accéder ; ici on a pu retrouver un obstacle qui l’a séparée du père et c’est un effet-signe. Certains Soleils se révèlent amicaux, leurs rayons se relèvent et « devien-
DE
nent
une main
L’IMAGINAIRE
PAR
LE R. E. D.
95
sur laquelle s’asseoit la patiente » (1),
d’autres sont menaçants
et se rapprochent pour « brûler
le sujet » (2). La Lune prête également à des interprétations très variées. Certains patients voient en elle « l'intuition opposée à la logique », d’autres « l’imagination opposée à l’intelligence (le Soleil) », d’autres « la passivité féminine, reflet de l’homme » et là encore ce sont des symboles car ils sont élaborés. Les interprétations données par les sujets ne doivent jamais être considérées comme définitives : elles sont sujettes à des modifications lorsque des éléments nouveaux surviennent au cours de la cure. Mais lorsqu'elles sont confirmées après plusieurs séances, il faut les utiliser dans un sens thérapeutique et en rapport avec le climat dans lequel elles sont exprimées. Dans les hauteurs ou les profondeurs, certains sujets rencontrent des représentations absolument extraordinaires qui ne s’apparentent précisément à aucun symbole connu mais qui sont, au contraire, de véritables « créations personnelles » qu’il faut toujours s’efforcer d’élucider dans les commentaires qui suivent le rêve. Si on n’y parvient pas, il ne faut pas s’y attarder outre mesure, mais il est très rare que « ces créations personnelles » souvent fantastiques, ne réapparaissent pas au cours d’autres rêves éveillés. On peut toujours suggérer au patient de les évoquer à nouveau en partant de la description qu'il en a faite dans sa relation de séance, en l’invitant à les préciser par des points de détail, dans le scénario, et les prendre
comme point de départ de nouvelles séances. Il apparaîtra, par la répétition, dans quel contexte elles sont insérées, dans quel climat elles sont éprouvées et on doit agir en conséquence soit en suggérant des images de protection si elles sont redoutables, soit en les faisant évoluer en tant (:) Rêve éveillé d'Hélène : le Dragon-Lion, page 187. (2) Rêve éveillé de François : la Grotte de la Sorcière, page 161.
96
MAITRISE
ET ENRICHISSEMENT
qu’images favorables. Mais de toute manière, il est toujours bon de les noter en tant « qu’enrichissement du langage
visuel et symbolique», dont on est encore loin d’avoir exploré toutes les manifestations. L'état dans lequel se trouve le sujet au cours de son rêve éveillé est — nous l’avons dit — un état particulier. Mais, à de très rares exceptions près, il se rappelle presque tout ce qu’il a fait ou qui lui a été suggéré au cours de la séance, car cette remémoration lui est facilitée lorsqu'on lui demande
de revivre,
après l’ascension
ou la descente, mais
dans le sens inverse, les étapes de cette montée ou de cette descente. L’évocation des images déjà entrevues semble plus aisée — du moins chez certains sujets — lorsqu'il s’agit de relater des descentes en profondeur, ces images se reliant — même sur le mode symbolique — beaucoup plus étroitement à leur passé par les liens analogiques des sentiments ou des émotions déjà vécues. Lors des ascensions, la reviviscence apparaît plus difficile, les visions sont éprouvées comme beaucoup plus nouvelles, plus exceptionnelles, l’intensité même des sensations dans les hauteurs provoque parfois un « brouillard », mais lors du retour à l’état normal, au calme, elles reviennent presque toujours dans leur intégrité et doivent être retracées — même brièvement — lors de la relation que je demande au patient, ce qui lui permet de les retrouver et leur assure un maximum d'efficacité par la remémoration. Par ailleurs, par une sorte d’entraînement, je demande à mes sujets — entre les séances — d'évoquer ces états de conscience très particuliers et bénéfiques qu'ils ont éprouvés lors de leurs rêves éveillés, en faisant appel à l’image qui les a provoqués. Marie-Clotilde, déjà citée, entrevoit dans une séance, à une assez grande profondeur, l’image d’une Vierge sage, portant une lampe, elle l'accompagne ensuite dans la montée jusqu'aux plus grandes hauteurs, toujours associée à cette lumière. Lorsqu'elle éprouve de l’angoisse, entre les séances, elle l’évoque et cette seule vision lui apporte de l’apaisement par « la très jolie lueur projetée ».
DE
L’IMAGINAIRE
PAR
LE
R. E. D.
97
« Cette Vierge sage, dit-elle, est l’antithèse d’une Vierge folle que je porte en moi »; ceci explique qu’on la trouve d’abord dans les profondeurs — indication d’un conflit entre cette Vierge sage et cette Vierge folle — et elle rétablit souvent l'équilibre de ses fonctions psychologiques perturbées lorsqu’elle la rencontre dans le mouvement ascensionnel. Elle dit que « c’est une sœur d’amour qui l’a accompagnée toute sa jeunesse (Thérèse Martin, plus connue sous le nom de Sainte Thérèse de Lisieux) », mais nous apprenons par elle qu’elle a eu un attachement pro-
fond dans cette jeunesse pour une de ses sœurs qui lui a apporté beaucoup de réconfort et beaucoup de paix; par ce lien, cette représentation n’est déjà plus fabuleuse et atteint le niveau mystique de la communion (1). L'absence totale chez des patients de certaines repré-
sentations qui apparaissent, par ailleurs, chez le plus grand nombre niveau
d’entre eux, fabuleux,
par exemple celle de la Vierge au
peut aussi
être révélatrice
de conflits.
Une de mes patientes n’a vu la Vierge qu’au bout d’un très grand nombre
de séances,
bien qu’elle fût catholique
pratiquante; elle dit l’avoir rarement priée et nous trouvons chez elle un conflit angoissant avec la Mère. Dans le cas
cité, la mère,
bien
qu’aimante,
n’a pas été toujours
ressentie comme favorable et c’est ce qui justifie, peut-être, dans la chaîne archétypique de la femme, l’absence de la Mère de Dieu. Mais cette absence a un sens plus profond : la patiente a toujours redouté la maternité comme trop
aliénante, trop absorbante et c’est ainsi la représentation d’une partie d’elle-même qui a été supprimée.
LE
R. E. D.,
TECHNIQUE
DE
LA
SUBLIMATION
Le Rêve Éveillé est, dans les premières séances, souvent
très voisin du rêve ordinaire et on y retrouve les mêmes (:) Robert
Desoizce
: Marie-Clotilde,
une
par
psychothérapie
le Réve Éveillé Dirigé, Payot, Paris, 1971. Entretiens sur le rêve éveillé.
7
MAITRISE
98
ET ENRICHISSEMENT
éléments affectifs. Mais, par la suite, le sujet se dégage de la zone du rêve ordinaire et l’expression symbolique ou les effets-signes restent la règle dans les séances suivantes. Ce n’est qu’à la fin d’un entraînement de plusieurs mois que l’image affective peut s'exprimer sans le concours d’un symbole visuel. Par exception, on peut la trouver chez des sujets extrêmement doués, ayant de fortes aptitudes à la sublimation.
Elle exprime
alors « une
oblativité
pure
»,
un « élan » dépouillé de tout contexte intellectuel, de sentiment réfléchi (1). L’explication de cette transformation — qui s'effectue la plupart du temps à la faveur d’un processus ascensionnel —
doit être alors cherchée, me semble-
t-il, dans l’étude du comportement moral de la moyenne des hommes. L’être humain se défend avec la même énergie contre tout excès, qu’il s’agisse de ce qui lui apparaît comme un excès de vertu ou un excès de son égoïsme instinctif. L'exercice d’une vertu lui apparaît d’abord comme le sacrifice de tendances jugées légitimes avant d'être apprécié comme la satisfaction des tendances les plus généreuses. Or l’homme, nous le savons, résiste au sacrifice. Il résiste donc à ces tendances généreuses et son instinct lutte contre son appétit d’idéal latent et ce qu’il y a de plus élevé en lui. Nous l’avons vu dans des exemples
précédents. Mais ces résistances sont plus facilement surmontées dans le rêve éveillé par la suggestion d’ascension où on peut réaliser telle sublimation en faisant vivre à nos sujets des images et des sentiments nouveaux en harmonie précisément avec un certain idéal. A l'idée de sacrifice de tendances
considérées
d’abord
légitimes,
se substitue
la vision d’une satisfaction de tendances plus nobles entraînant une autre conception du monde, une autre conception du bonheur. Il ÿ a là un choix et non plus une obligation.
Il faut bien reconnaître
que l’affectivité uniquement
() On peut se reporter ici au Rêve éveillé du Dragon de la Fable (Hélène), descente suivie d’une ascension et des commentaires du sujet, dans les Entretiens sur la descente, p. 191.
DE
L’IMAGINAIRE
PAR
LE R. E. D.
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instinctive intervient dans un grand nombre de nos comportements ; nous
reconnaissons
aux instincts un rôle de
préservation de l'individu mais nous nous refusons à admettre que cette affectivité instinctive soit seule à intervenir dans notre activité psychique. L’exploration du psychisme de bon nombre de nos sujets nous prouve le contraire. Nous nous rangeons résolument du côté de ces psychologues qui ont admis l’existence d’une partie de la psyché qui ne soit pas uniquement colorée par l'instinct mais au contraire fortement sollicitée par des sentiments très élevés. Or, la psychanalyse n’a étudié de ce psychisme que la zone où s’établit le contact entre les impulsions instinctives de ce qu’elle appelle « inconscient » et la conscience elle-même. Pour étendre le champ de nos recherches à une zone plus vaste, il faut justement s’efforcer d'atteindre un niveau où
des contacts s’établissent entre le conscient et les degrés élevés du psychisme. Pour détacher le sujet de la zone instinctive et souvent régressive à laquelle il se cramponne, la suggestion d’ascension produit des effets très remarquables.
VRAIES
OU
FAUSSES
SUBLIMATIONS
DANS
LE
R. E. D.
Puisque j’aborde ici le problème de la sublimation, il me faut l’envisager sous ses différents aspects et mettre en garde le psychologue contre ce que, à plusieurs reprises, avec mes sujets et ici dans ces entretiens, j'ai qualifié de « fuite dans l’ascension ». S’il y a des êtres livrés à leurs instincts, d’autres le sont à leur « surmoi ». Ici, je me vois obligé d’user encore de cette terminologie freudienne, mais il est difficile de s’en abstenir, certains termes ayant obtenu une consécration en psychologie qu’il est à peu près impossible de modifier. J'ai déjà parlé d’un « surmoi » — puisque surmoi il y a — très redoutable : c’est celui où les exigences intérieures
MAITRISE
100
ET ENRICHISSEMENT
d’un sujet ont été renforcées à l’excès par les impératifs du milieu extérieur et le patient se trouve emprisonné entre ce qui vient du dedans et ce qui provient du dehors. C’est alors que le soutien du psychothérapeute s'avère plus que jamais nécessaire. J’ai à plusieurs reprises donné une indication qui peut être retenue : certains patients demandent constamment à faire des ascensions et redoutent la descente ; c’est au psychothérapeute à rétablir l’équilibre en faisant alterner constamment les montées avec les descentes. Certaines montées très rapides ne sont quelquefois que la manifestation
d’une
excitation
intense,
mais
quelque-
fois elles peuvent représenter l’appréhension d’un danger : c’est ce danger symboliquement représenté qu’on peut retrouver
en faisant regarder au sujet, arrivé à une
cer-
taine hauteur, ce qui peut se passer en bas. C’est au figuré une manière heureuse de «voir les choses de haut » mais de les voir tout de même. Pour certains autres, les images
« fuient dans le haut et échappent à leur contrôle » : il est souhaitable de les inciter à revenir au niveau où elles sont apparues au départ pour s’efforcer de les faire évoluer à un rythme plus lent. Je reviendrai plus longuement làdessus dans les entretiens que nous aurons sur l’ascension. Ayant déjà fait entrevoir ce que je serais tenté de qualifier de « vertige psychique », s’il y a un « vertige des cimes qui précipite dans les profondeurs », il y a un attrait vers les
cimes qui est beaucoup plus « une fuite dans l’idéal » qu’une véritable sublimation vécue. Or la sublimation est un processus difficile à intégrer, il doit s'effectuer en toute connaissance
de cause, harmonieusement,
et dans la montée
un
sujet doit toujours s’imprégner de l’ambiance extérieure qu'il doit décrire. Des questions posées par le psychothérapeute sont souvent utiles pour ralentir le rythme du mouvement ascensionnel. Ceci est un point important sur lequel j'insiste car les relations des sujets ne donnent aucune idée du rythme de l’ascension ou de la descente. Ils écrivent : « R. D. me
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L’IMAGINAIRE
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LE R. E. D.
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prie de m'élever, je le fais », etc. Mais leurs rapports de séance, dans l’ensemble, ne relatent pas souvent l’ambiance et le rythme à travers lesquels ces montées et ces descentes se sont effectuées et ceci est concevable du fait même que la tâche d’écrire leurs relations de séance, exigée par le psychothérapeute, apparaîtrait trop lourde à certains et leur prendrait aussi trop de temps. Je reviendrai sur ce sujet plus loin car il dépasse le cadre de la représentation symbolique et se rapporte davantage aux obstacles et difficultés que l’on peut rencontrer en cours de cure.
SUBTILITÉS
DU
DANS
LANGAGE LE
VERBAL
R. E. D.
Pour en revenir aux subtilités — visuelles ou verbales — que peut renfermer une représentation symbolique, j’évoque ici un rêve éveillé dirigé qu’on trouvera dans les descentes (1) où il est question « d’une princesse morte qui n’est d’ailleurs qu’endormie, pour permettre au Prince Charmant,
dit-on
dans
le rêve,
de venir la retrouver
».
Sur mon intervention « pour la faire sortir de son lit », la patiente laisse entendre « qu’elle n’a plus de chaussures parce qu’elle est restée trop longtemps couchée » et l’absence même de ces chaussures exprime un sentiment : « Cette princesse (Éliane elle-même) ne peut plus marcher, c’est-à-dire ne peut plus vivre normalement. » J’ai demandé alors qu’on retrouvât ces chaussures. Un sorcier-père, présent dans le rêve, est pressenti mais il ne propose que des sabots qui sont refusés. On voit qu’il s’agit là d’un père « castrateur ». La recherche des chaussures a duré un long moment
de la séance
et a abouti,
finalement,
à la
trouvaille de « cothurnes d’or » que la patiente dit être, dans ses commentaires, « les cothurnes d’or d'Hélène, prin(:) Voir p. 166, Rêve
éveillé de la Grotte
tiens sur la Descente-rêve d’Éliane.
du Sorcier —
entre-
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102
ET ENRICHISSEMENT
cesse grecque, femme du roi Ménélas (dans l’Iliade d'Homère) qui n’est pas partie avec le prince Pâris vers Troie,
ce qui fait que « la guerre de Troie n’a pas eu lieu » (). Mais, dans la réalité, cette guerre de Troie qui aurait pu être un conflit entre un mari sécurisant épousé plus tard (le Roi dans le scénario du rêve), une princesse devenue Reine (elle-même la patiente) et un soupirant réel (Georges dans le rêve), ce conflit n’a pas eu lieu car le soupirant, Georges, a été écarté, éliminé par la patiente qui ne l’a pas suivi. Et ces « cothurnes d’or » ont été donnés par le mari-roi, plus âgé, prestigieux et rassurant comme un père qui a été préféré à Georges. Au cours du scénario, on voit le sorcier-père du début « devenir le conseiller de la Reine » et on comprend que, dans l’enfance, lui ayant proposé des sabots (symbole de frustration), il l’ait poussée tout naturellement à prendre une revanche sous la forme d’un mariage compensateur rassurant. Mais si cette Reine du rêve, autrefois princesse, apparaît dormant dans le rêve pour attendre encore le prince Charmant, c’est qu’une partie d'elle-même a déjà autrefois échappé à la réalité en rêvant longtemps à un Prince Charmant absolument chimérique rencontré dans l’imaginaire et que c’est cette attente qui l’a écartée, dans le réel, d’un garçon de son âge qui souhaitait l’épouser. — Ici, dans le commentaire, le langage verbal « éclaire », ainsi que nous l’avons dit, «le langage imagé très symbolique », mais ce langage verbal s’exprime lui-même symboliquement. RÊVES
ÉVEILLÉS
DIRIGÉS
ET
RÊVES
NOCTURNES
Je ne m'étendrai guère, dans ces Entretiens, sur les rêves nocturnes et le symbolisme qui s’y exprime, pour plusieurs raisons : je l’ai déjà fait par ailleurs (2) dans d’autres ou(®) La Guerre de Troie n’aura pas lieu, titre d’une pièce de Jean GIRAUDOUX. (?) Robert Desoizze : Psychanalyse et Rêve éveillé dirigé, Le François, Paris, 1950.
DE
L’IMAGINAIRE
PAR
LE R. E. D.
103
vrages et ils ont été étudiés par Freud et Jung ; ma thèse à leur sujet se rapproche de celle de Jung. J’ai pour cela aussi d’autres raisons : plusieurs de mes patients, surtout au début, se désespèrent car ils disent ne pas se souvenir de
leurs
rêves
et, lorsqu'ils
s’en
souviennent,
ce qu'ils
m'apportent me semble très incomplet par rapport à leurs rêves éveillés beaucoup plus riches, plus TOUS plus éloquents. Ainsi, une de mes patientes rêve une nuit qu’un homme qu’elle a connu et aimé lui apporte un souvenir de sa mère (tous deux, l’ami et la mère, étant décédés). Ce rêve lui apparaît énigmatique, elle voit mal le rapport qu’il peut y avoir entre cet homme et sa mère, ces deux êtres ne s'étant jamais fréquentés. Quelques semaines plus tard, elle fait un très grand rêve éveillé « où elle revoit cet homme aimé
autrefois lui apparaître dans son cercueil » et — subitement image pour alors,
dans l’action du rêve — elle est sollicitée par une vécue : celle de l’enterrement de sa mère. Voici, la deuxième fois, ces deux êtres rapprochés mais, le climat dans lequel la plonge le rêve éveillé, climat
entre la veille et le sommeil, libérant l’affectivité mais lui
laissant un certain état de lucidité, lui permet de faire la liaison que le rêve nocturne n’a pu expliquer. Elle dit : « Je sais maintenant pourquoi la représentation de cet homme est liée ainsi à ma mère et je le sais parce que, dans mon rêve éveillé, je viens de voir « cet homme dans son cercueil » et je me souviens tout d’un coup de quelque chose que j'avais complètement oublié : c’est que ma mère,
par dévouement, est allée à son enterrement à ma place. » Or, le rêve nocturne, rapprochant ces deux figures, sans donner d’explication, pouvait simplement faire penser à une similitude de situations entre les deux personnages
(tous deux étant morts), tandis que le rêve éveillé, en plus des souvenirs qu'il évoquait, apportait alors l’expression d’un sentiment : « J’ai toujours eu du remords, ayant tellement aimé cet homme, de ne pas être allée à son enterrement, je n’en avais pas le courage et ma mère l’a fait à
MAITRISE
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ET ENRICHISSEMENT
ma place. » Elle ajouta aussi : « Je comprends maintenant ce présent apporté par lui, de la part de ma mère, comme un témoignage de reconnaissance envers elle, il accepte à son tour d’être son messager. » — Cette explication est très émouvante. Elle exprime qu’elle se sent pardonnée et cela l’apaise.
LE RÊVE ÉVEILLÉ DIRIGÉ ET LES SÉANCES DE COMMENTAIRES
C’est au cours des séances de commentaires qu’apparaît la discrimination entre l’investigation psychologique de la psychanalyse et celle par le Rêve éveillé dirigé. Ainsi une de mes patientes ne faisant aucun progrès en psychanalyse, son psychanalyste, un de mes amis, entraîné au Rêve éveillé dirigé, lui en fait faire une séance. Il la fait descendre dans les profondeurs, où elle le voit « coifté d’un fez de turc », nageant péniblement
entre deux eaux
dans lesquelles elle se dissimule et lui échappe. Dans les commentaires, alors, il lui demande « si elle a compris ce que signifiait cette tête de turc » et elle répond : « Peutêtre est-ce que je vous prends un peu comme une tête de turc, maintenant et que cela indique mon agressivité à votre égard?
» —
« Exactement,
dit-il
essayez de m’échapper. » Si je préconise, dans la pratique tains thèmes de départ au début part leur valeur exploratoire — et constructive — ils constituent une le psychothérapeute car ces thèmes
en
souriant,
et vous
de ma technique, cerde la cure, c’est qu’à même parfois déjà rebase intéressante pour de départ, soigneuse-
ment choisis, constituent à leur façon des tests ; leur dérou-
lement raconte l’histoire du sujet en langage symbolique (1).
Lorsque Éliane nous dit que « la guerre de Troie n’aura () Cf. N. FABRE, J. LEVINE : « L’actualisation de l’inconscient par le R. E. D. », in Études psychothérapiques, n° 6, décembre 1971.
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L’IMAGINAIRE
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pas lieu parce qu'Hélène n’est pas partie avec le prince grec Pâris », ce n’est pas l’histoire d'Hélène dans l’Iliade qu'elle nous raconte, puisqu'elle ne correspond pas à la réalité, mais sa propre histoire (1); nous comprenons « qu’elle a redouté
des amours
aventureuses
», mais cela
implique aussi « qu’elle en a eu la tentation » et dans ses commentaires
ensuite, elle convient « d’avoir été tentée »
mais que son instinct de conservation particulièrement développé la protège exagérément et nuit à son épanouissement intérieur. Il faut donc avec ce sujet utiliser des images de protection lorsqu'on l’incite à aller de l’avant, pour ne pas la traumatiser. Et si les images visuelles ont une très grande importance, le langage du sujet, dans les commentaires,
éclaire leur sens caché.
Par ailleurs une existence ne se fonde pas uniquement sur une seule situation vécue ; elle constitue une somme de situations vécues (2?) qui, en admettant même un principe de répétition, comportent des variantes très fines. Ces variantes apparaissent très souvent dans le rêve éveillé, sous formes d’images visuelles, verbales mais aussi auditives. Ainsi est-il possible de préciser, de situer avec exactitude la situation dont il est question quand cela s’avère nécessaire. Voici le cas d’une patiente qui a souffert également de deux attachements successifs qui, par son choix et son propre comportement, présentaient entre eux de fortes ressemblances. Elle hésite lors des commentaires : « Je ne sais pas si c’est avec un Tel ou avec un Tel; ces histoires présentent tant de points semblables, dit-elle, que je ne sais pas exactement laquelle m'a traumatisée. » — Elle ajoute cependant : « Lors du rêve éveillé où ils sont apparus, tout d’un coup j’ai cru entendre une sonnerie stridente,
c'était comme
la sonnerie
qu’on entend
et qui
marque au théâtre la fin de l’entr’acte » et elle dit soudain : (:) Voir, dans les Entretiens consacrés à la Descente, « le Rêve : du Sorcier » (Eliane), p. 166.
(2) Voir l’Entretien consacré au « Transfert dans le Rêve Éveillé dirigé (p. 108).
MAITRISE
106
ET ENRICHISSEMENT
« Ah! et puis il y avait un rayon mais je n’ai pas dit qu'il
était chargé de paillettes très éclatantes comme lorsqu'elles sont éclairées par une rampe.
» —
Et elle conclut : « Je
sais maintenant de qui il s’agit exactement, c’est lors de mon aventure avec B.., il était danseur, c’est lui qui est
en cause dans le réel et non pas T. » — Je lui fait remarquer que T. aussi peut se dissimuler derrière B. et se fondre dans une représentation complexe faite à la fois des deux personnages. Mais elle est formelle et dit « que le rêve éveillé l’a renseignée par ces deux détails très précis ». Ici ce n’est plus de symboles dont il est question mais d’effets-signes : la sonnerie de l’entr’acte et le rayon « en paillettes très éclatantes ». Ils n’ont pas frappé tout de suite la patiente ; pendant le rêve éveillé, elle n’en a pas parlé, elle les a « subis », dit-elle, car elle était dans un état
plus profond d’inhibition du psychisme supérieur.
UTILISATION DANS
LE
DU
DÉROULEMENT
MATÉRIEL D’UNE
SYMBOLIQUE
CURE
PAR
LE
R. E. D.
Pour en revenir au maniement des symboles ou effetssignes livrés par le patient au psychothérapeute et à leur utilisation dans le sens de la guérison, il est indiscutable qu'après les cinq premières séances-tests, celui-ci peut déjà se faire une idée des réactions habituelles de son sujet en présence de certaines de ses représentations et il peut situer ce patient dans une catégorie de tempéraments, soit que ce sujet manifeste toujours de l’appréhension et une attitude dépressive devant des situations exigeant un certain dynamisme, soit au contraire qu'il se laisse entraîner impulsivement par des courants d'images. Le psychothérapeute a aussi, à ce moment-là, pris contact avec le symbolisme particulier de son sujet et il connaît
également certaines de ses réactions affectives. Cependant, certaines représentations aliénantes dont je vous ai déjà entretenus se travestissent souvent et déconcertent le su-
DE
L’'IMAGINAIRE
PAR
LE R. E. D.
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jet lui-même lors des commentaires qui suivent la séance, il croit se trouver en présence de représentations nouvelles alors qu’elles prennent en réalité un aspect diftérent de celui sous lequel elles ont été déjà entrevues. D’autres séances permettent par la suite de rétablir les liens qui rattachent les divers aspects d’une représentation qui peut revêtir de multiples apparences lorsque le sens symbolique qui y est attaché procède d’une élaboration très complexe. C’est la raison pour laquelle il ne faut jamais donner une interprétation prématurée d’un symbole qui est susceptible d’englober plusieurs significations très subtiles. Mais par ailleurs, ainsi que je le préciserai par la suite, il est recommandé au psychothérapeute de vivre personnellement, autant que possible, les représentations de ses sujets telles qu’ils les décrivent dans leur mouvement et dans leur forme, d’entrer dans leur jeu et c’est là un entraînement qui doit s'appuyer avant toute chose sur un profond intérêt porté au cas des patients. Ceci ne doit cependant jamais faire l’objet dans son esprit d’une mise au point stéréotypée. Il y a une continuelle évolution qui se produit au cours de la cure et le psychothérapeute, pour bien conduire, doit paradoxalement suivre ces images intérieures et les sentiments qu’elles expriment ; mieux :
y participer. Beaucoup d’autres éléments entrent en jeu dans la conduite de la cure, mais ceci dépasse le cadre de cet entretien et fera l’objet, par la suite, d’autres communications.
Ce qu’il faut retenir, dès maintenant, c’est l’extraordinaire richesse
que
recèlent
ces
représentations,
leur
mobilité,
leurs possibilités de déplacement de bas en haut et de haut en bas, leurs transformations, leurs transmutations qui sont de véritables révélations aussi bien pour le psychothérapeute que pour le sujet de tout ce qui est mis à leur disposition, dans le sens de la guérison.
108
MAITRISE
ET
ENRICHISSEMENT
LE TRANSFERT SUR L’IMAGE DANS LE RÊVE ÉVEILLÉ DIRIGÉ
Un processus différent de celui de la psychanalyse joue pour ce que j’appellerai « le transfert », toujours selon la terminologie freudienne. Pour le transfert, dans le Rêve éveillé dirigé, l’attitude du psychothérapeute doit toujours être essentiellement sécurisante, la relation constamment positive et si le patient, au cours du traitement, est amené
à revivre ses frustrations, tout ce « revécu » apparaît dans le monde imaginaire du rêve induit et non pas dans une relation créée artificiellement par le thérapeute avec son patient. C’est dans les images et les scenarii des rêves éveillés que les attitudes du transfert se manifestent. Les éléments de l’orientation permettent de n’amener le sujet à cette prise de conscience que lorsqu'il est en état de la supporter, disons aussi de l’accepter (car il y a, comme en psychanalyse, des transferts positifs ou négatifs) sans une angoisse grave qui risquerait de devenir traumatisante sur le plan de la réalité. J’y reviendrai au cours de ces entretiens (1). Ce n’est pas le psychothérapeute lui-même qui sert de « signal » déclenchant le transfert dans le Rêve éveillé. Ce signal se retrouve dans une image symbolique et la signification de cette image symbolique n’apparaît souvent qu'avec le temps, ce qui assure au patient un maximum de liberté dans l’expression de ses sentiments : il les transfère sur ses images et le psychothérapeute jouant sur la loi de l’ascension et de la descente va permettre au sujet, en même temps qu’une prospection et une liquidation de son passé, sans angoisse, une restructuration de sa personnalité et une attitude nouvelle mieux adaptée à la réalité. () Voir le chapitre consacré au « Transfert dans le Rêve "éveillé
dirigé », p. 253.
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DEUXIÈME
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LE RÊVE EÉVEILLÉ DIRIGÉE UNE TECHNIQUE DES PROFONDEURS ET DU DÉPASSEMENT
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PREMIERS
THÈMES L'ÉPÉE
—
DE L’ASCENSION
:
LE VASE
La technique du R. E. D. est d’une application délicate, parfois même difficile, car elle exige du psychothérapeute qu'il vive lui-même, en même temps que son patient, le rêve éveillé de ce dernier.
Ainsi que je l’ai indiqué dans un entretien précédent, au début du traitement, après les premiers contacts avec le patient (sur lesquels je reviendrai en détail), il est nécessaire d'éclairer celui-ci sur les modalités
de la technique,
sur le déroulement des séances, pour ne pas faire naître en lui l'impression de pratiques mystérieuses ou occultes. Il faut, tout d’abord, placer le sujet dans les meilleures
conditions physiques pour que toute son attention puisse se concentrer sur l’univers intérieur de ses images : position couchée,
état
de
relaxation
musculaire,
silence,
demi-
obscurité. Puis le psychothérapeute suggérera une image visuelle de départ qui devra toujours être approuvée librement par le sujet. Plus loin, je m’étendrai sur le choix de certains thèmes favorables au début du traitement. L’IMAGE
DE DÉPART
(1)
Sur cette image visuelle de départ, il sera demandé au sujet d'apporter le plus de détails possible : forme, couleur, () Pour habituer le sujet à se concentrer plus facilement, lors des toutes premières séances, il est préférable de lui suggérer ou
112
PREMIERS
THÈMES
DE
L’ASCENSION
sentiment qu’elle inspire : attirance ou répulsion qu'elle provoque. En agissant ainsi, on oblige, dès le départ, le sujet à apporter un élément considérable de collaboration active au traitement. On le prie, ensuite, de situer l’image dans un décor qui crée d'emblée la notion d’un espace imaginaire qu’on se fait décrire et on lui demande, en conser-
vant l’image de départ, de se voir lui-même se déplacer dans cet espace, de préférence dans la direction d’une issue, porte ou fenêtre, laquelle lui permet de parvenir à l’extérieur. Ici l’espace s'agrandit et on lui demandera par gradations successives d’abord de suivre une route, ensuite de gravir un chemin de montagne, d’accéder ensuite à un chemin dans les nuages sur lequel on l'invite à s'engager, ou bien encore de tenter de s'élever sur les ailes d’un puissant oiseau. Les mouvements dans l’espace seront orientés d’abord vers le haut — par l’ascension — ensuite, dans d’autres séances, vers le bas —
par la des-
cente. Ils feront apparaître une fabulation révélatrice non seulement des sentiments habituels du sujet mais aussi de tous les sentiments qu’il est capable d’éprouver même s’il ne les a jamais encore vécus. Le calme, la sérénité, l’espérance, l’apaisement doivent
accompagner les mouvements d’ascension qui conduisent plus tard à des images de lumière. La tristesse, la crainte et parfois l’angoisse et la terreur sont associées à la descente qui doit conduire un être à mieux connaître ce qu’il redoute et, avec l’appui du psychothérapeute, à l’affronter (1). C'est toujours avec la plus grande discrétion que le psychothérapeute, s'inspirant des éléments personnels de le faire choisir un objet afin que la concentration de l’attention s’opère plus facilement, puis de situer cet objet dans un décor plus vaste en partant de ce centre d'intérêt. Ceci est surtout valable pour l’ascension (R. D.). () Robert Desoille signale ailleurs qu’il arrive cependant que l’ascension provoque des images angoissantes et que la descente se passe sans angoisse. Tous les praticiens du R. E. D. l’ont
expérimenté (N. F.).
L'ÉPÉE,
LE VASE
113
apportés par le patient, pourra l’aider à dénouer des situa-
tions difficiles ou angoissantes. Ces suggestions ne sont destinées qu’à stimuler le sujet pour qu'il agisse mais ne choisisse que des attitudes conformes à ses tendances ou à ses possibilités. Cependant, en face d’une image trop angoissante, le psychothérapeute l’invitera à ne pas fuir,
à lui faire face, ce qui impliquera, dès le début, l’adoption d’une attitude courageuse et ferme.
MODIFICATION
DES
IMAGES
AU
COURS
DE
LA
CURE
Au fur et à mesure que l’entraînement progressera, on constatera que les images changent de « style ». Sur la suggestion de montée ou de descente, elles passeront de la représentation,
souvent
dramatisée,
des problèmes
de la
vie réelle aux créations les plus fantastiques de la Fable, pour aboutir finalement à des représentations de lumière, pouvant dans l’ascension, par exemple, exprimer des sentiments admirables (1). J’ai classé ces images en trois catégories, celles de la vie réelle, celles de la Fable et enfin les images mystiques en raison de leur analogie avec les descriptions des grands mystiques. Et les images de la Fable et les images mystiques peuvent, à leur tour, être classées en images fabuleuses ou mystiques d’ascension et en images fabuleuses ou mystiques de descente.
Voici donc les cinq types de représentations visuelles obtenues : — Les images de la vie réelle. — Les images de la Fable (ou mythologiques) de l’ascension, telles que fées, anges, archanges, Dieu le Père, la Vierge, etc. — Les images mystiques de l’ascension conduisant à (:) On rencontre aussi la lumière, exceptionnellement, dans les profondeurs. En général, elle est d’une autre qualité : il s’agit souvent de feu ou de flammes (R. D.). Entretiens
sur le rêve éveillé.
8
PREMIERS
114
THÈMES
DE L’ASCENSION
des visions de sources lumineuses intenses avec des sentiments de paix et d'amour et parfois un sentiment de présence. — Les images de la Fable (ou mythologiques) de la descente, telles que gnomes, dragons et parfois démons, etc. — Les images mystiques de la descente conduisant à des visions de brasiers qui ne brûlent pas (à une grande profondeur ces images ne sont pas angoissantes) ; elles donnent au sujet une impression de force cosmique à laquelle il participe sans que cette force apparaisse comme bonne ou mauvaise.
LE LANGAGE ET L'EXPLORATION DE
SYMBOLIQUE LA PREMIÈRE
SÉANCE
La première séance de Rêve éveillé dirigé est surtout destinée à apprécier les réactions des patients à cette technique et, en même temps, à connaître les sentiments du sujet sur lui-même. S'il s’agit d’un homme, je lui donne généralement pour image de départ une épée, attribut viril ; s’il s’agit d’une femme, je lui propose un vase, attribut féminin. Proposer de telles images, c’est, en langage symbolique, poser la question : « Que pensez-vous de votre virilité? » (ou à une femme,
de votre féminité),
ces deux mots
étant pris
dans le sens le plus large (1).
A partir de l’image du vase, par exemple, je demanderai au sujet de me préciser en quelle matière il est, s’il est plein, s’il plaît. Nous constaterons presque toujours que la réponse constitue une première indication de la valorisation ou de la dévalorisation (spontanée ou subie) que la (*) Le thème de l’épée apparaît quelquefois, dès les premières séances, chez des sujets féminins. C’est souvent l’indication d’une bisexualité psychique. Cf. Marie-Clotilde (Payot, Paris 1971), page 44 : « Descente
dans la mer ».
L'ÉPÉE, LE VASE
patiente attache habituellement
115
à l’idée de sa féminité.
Quand le sujet est un homme, je lui propose une épée; l'apparence de cette épée me dévoile aussi l’opinion que le sujet a de lui-même. Après la description détaillée de cette image de départ qui est déjà significative, je demande au sujet, ainsi que je l’ai indiqué, de créer un espace imaginaire dans lequel je l'invite à faire l’ascension d’une montagne, par exemple, et si cela est déjà possible pour lui, je le prie d’imaginer un chemin de nuages ascendant. Mais, très souvent, au début du traitement, le sujet est à court d'images. Je l’encourage, alors, avec son assentiment, à appeler quelqu'un à son aide en le faisant venir d’en haut, ceci pour le soutenir dans son effort ascensionnel. Si celui-ci continue, je prie le sujet de faire tomber sur lui-même un faisceau de lumière verticale et de placer son épée — ou son vase — dans cette lumière pour observer les transformations éventuelles que cette lumière fait subir à cet objet, en lui demandant le sentiment qu’il éprouve devant chaque image nouvelle qui pourrait survenir. Ces images de départ sont, d’une manière générale, très bien acceptées par les sujets mais elles ne doivent pas constituer une contrainte pour le psychothérapeute certains de mes élèves adoptent des thèmes de départ variés. Je reviendrai plus loin sur ce sujet (1). Quand le sujet est arrivé au terme de ses possibilités
ascensionnelles, considérant qu’il séance, je le prie de redescendre toutes les étapes de cette première vrir les yeux qu'après avoir repris
s’agit d’une première en revivant cependant ascension mais de n’ouconscience de son équi-
libre physique et le sens de la réalité, en évoquant le décor de la pièce où nous avons travaillé. Si j'insiste sur la valeur toute particulière du mouvement vertical — montée et descente — ; il me faut préciser (:) Voir « Autres p. 207.
thèmes
de départ pour la suite de la cure
»,
116
PREMIERS
THÈMES
DE
L’'ASCENSION
aussi que, dans le scénario du rêve éveillé, l’idée de mouvement de la gauche vers la droite ou, au contraire, de la droite vers la gauche entraîne une modification de ce scénario
analogue
à celle du mouvement
vertical
mais,
en général, d’une façon plus atténuée. Pour les droitiers, en principe, le mouvement vers la gauche provoque un retour du sujet vers le passé, le mou-
vement
vers la droite une anticipation
de l’avenir (ce
résultat est inversé pour un gaucher), ce qui nous permet de comprendre la liaison entre les représentations corporelles et celles d'espace et de temps que nous observons dans nos expériences.
RÊVE
DE
L’ÉPÉE
Je donne ici, à titre d'exemple,
(PATRICE)
(1)
la relation d’une inté-
ressante séance vécue par un de mes sujets, homme jeune, d’un niveau culturel élevé. Le thème de départ est l’Épée. M. R. D. me propose comme image de départ une épée. Je vois un sabre de cavalerie dans son fourreau. Il est accroché à une panoplie, au-dessus d’une cheminée banale, dans une petite pièce. Il s’agit d’un souvenir réel mais flou de ma petite enfance. Les murs de la pièce sont violacés, vaguement poussiéreux. Une fenêtre éclaire assez peu. M. D. me fait tirer le sabre et me demande de le décrire. Il est robuste, la lame est un peu piquée de rouille maïs encore tranchante et peut servir. Sur les conseils de M. D., je remets l’arme au fourreau puis à mon côté. R. D. me fait regarder le panorama (par la fenêtre : je vois des toits de maisons, en hémicycle, descendant vers la rade de T...). Rappel de ce que je voyais, habitant T. Je note que la vue ne s'étend qu’à droite, barrée à gauche par un mur. 2
() Il s’agit, ici, d’une séance de didactique concernant le Rêve éveillé dirigé, mais elle est une démonstration intéressante en ce qui concerne ce thème de départ de l’épée et les transformations de celle-ci — ainsi que des sentiments qui l’accompagnent — qu’on retrouvera dans les commentaires du sujet (R. D.).
L'ÉPÉE,
LE VASE
117
M. D. me demande d'effectuer l’ascension des hauteurs dominant T..., je prends une petite route, puis un sentier caillouteux. Je suis en short, petite chemise et gros souliers, je grimpe la pente en m'aidant
des buissons.
Il fait ni beau
ni mauvais,
plutôt ensoleillé, j’arrive au sommet. Le soleil tape sur le calcaire, il fait chaud,
les cigales chantent.
Le soleil brille dans un ciel
bleu. J’éprouve une certaine satisfaction. M. D. me prie d’imaginer une piste de nuages. Celle-ci part de la droite et monte en hélice irrégulière, son extrémité indistincte
se trouve au point de fuite du champ visuel. Je ne sais où j’aboutirai. Je monte sur cette piste et progresse. Je me vois en sandales, plus petit. J'arrive à un palier où la piste est horizontale. L’atmosphère est légèrement teintée de pourpre. Un petit ours en peluche venant
de la gauche, monté sur roulettes, arrive sur
la piste. Je lui donne un coup de pied et le renvoie dans le vide où il tombe. L’ours (noir) venant de la gauche m’a semblé gros et menaçant puis s’est réduit à un jouet ridicule. La piste recommence à monter. J'arrive à un plateau constitué de fins nuages blancs horizontaux. M. D. me demande comment est mon sabre. Il est devenu un fin petit poignard, délicatement ouvragé, de couleur sombre. M. D. me fait préciser : c’est une arme de parade et non de guerre. Je préférerais une arme de guerre. M. D. me dit de me reposer puis me demande si je peux continuer à monter. Je monte seul, porté par un courant d’air chaud ascendant, vaguement visualisé comme par les jours de grande chaleur, l’air apparaît sous forme d’ondes tremblantes. Je monte. Des petits nuages blancs autour de moi. J’ai des ailes, suis vêtu d’une robe bleue. Je suis tête nue, mes cheveux sont blonds et
longs. Je ressemble à un ange (conventionnel) des tableaux religieux. L’ascendance chaude a épuisé sa force. Je stationne. La partie supérieure
de l’atmosphère
est bleue, l’intermédiaire
mélangée
de pourpre, l’inférieure pourpre. Je ne suis pas parfaitement satisfait. M. D. me demande comment est mon épée. Elle est devenue une épée véritable, à lame longue mais robuste, très brillante et qui produit « une lumière blanche ». M. D. me demande de placer l’épée à plat sur mes deux mains et de voir ce qui va se passer. Aussitôt l’épée s’élève, aspirée par un foyer lumineux, situé au-dessus de moi et s’y consume instantanément.
Après avoir jeté une vive lueur, le foyer s’obscurcit en son centre et devient un petit point noir entouré d’une auréole lumi-
118
PREMIERS
THÈMES
DE
L’ASCENSION
neuse, l'atmosphère s’assombrit légèrement et devient un peu triste. M. D. me fait redescendre. Je me retrouve couché sur le sable au bord de la mer. Satisfait et détendu. Vive chaleur dans la
poitrine.
J'ai précisé qu’il s'agissait d’une séance de didactique avec un sujet d’un haut niveau culturel, mais son ascension n’en est pas moins remarquable et c’est la transformation de l’épée qui doit retenir notre attention : nous pouvons y voir toute la richesse de ce thème se rapportant aux possibilités morales auxquelles peut atteindre ce sujet dans l’avenir. Au début, cette épée n’apparaît que sous la forme d’un sabre de cavalerie. Le sujet précise que le sabre « lui apparaît comme un symbole phallique sans doute mais aussi comme le symbole de toute activité virile, instrument par
excellence du combat de l’existence ». On voit ici le symbole englober un très vaste contexte. La pièce qu’il aperçoit est celle de son enfance : « c’est, dit-il, une pièce étriquée comme les idées de mes parents, du moins comme je les ressentais étant jeune. Elle dégage une impression de médiocrité, de tristesse poussiéreuse. Il faut sortir de là », dit-il.
Parlant de son arme : « Mon arme manque d’entretien et d'usage mais elle est solide. C’est un rappel de la chasteté de l’adolescence, l'impression que mes parents ont laissé sans emploi leurs armes intellectuelles, le sabre appartenant à mon père. » On retrouve dans cette séance des rappels de l’enfance, la ville de T... où le sujet a commencé à s'intéresser aux problèmes psychologiques. L’ours qui vient de la gauche et qui est un jouet d'enfance donné par son père évoque
pour lui « des distractions et des terreurs infantiles dont il veut se débarrasser
», dit-il.
Cependant le sabre qui a remplacé l’épée au début devient «un fin petit poignard délicatement ouvragé », de couleur
sombre, qu’il qualifie « d’arme de parade », et il parle curieu-
L'ÉPÉE,
LE VASE
119
sement « d’une fausse ascèse qui serait une castration physique et un amoindrissement spirituel pour aboutir à une spiritualité type enfant de Marie ». ce qui indique qu’ily a eu pour lui un problème à l’époque religieuse. Mais ici son ange est vêtu de bleu et « cela lui rappelle Murillo et le
sentimentalisme catholique » auquel il dit avoir eu du mal à échapper et dans lequel il ne veut pas retomber. Par rapport à d’autres Anges éclatants qu’on retrouve chez d’autres sujets, chez lui ce n’est qu’une image de la petite enfance qu'on retrouve ici et qu'il n’accueille pas très favorablement de peur de s’affaiblir. Or il nous précise que
« l’ascendance chaude a épuisé sa force et qu’il stationne », ce qui nous indique un flottement dans le mouvement ascensionnel. Il se reprend et c’est à ce moment-là qu'a lieu la transformation de l'épée. Elle est enfin devenue « une épée véritable, à lame longue mais robuste, très brillante et qui
produit une lumière blanche » (1). Je lui demande alors de placer l’épée à plat sur ses deux mains et de voir ce qui va se passer. Aussitôt l’épée s'élève seule, aspirée par un foyer lumineux et s’y consume instantanément. Elle devient une représentation de lui-même qui est imprégné de cette lumière spirituelle et se fond en elle. Ses commentaires sont assez remarquables : « Je me méfiais de mon agressivité symbolisée par ce sabre de cavalerie, maintenant c’est une épée, elle s’est épurée et rayonne d’un feu supérieur, aussi a-t-elle retrouvé sa force. » Ensuite
plus haut : « Je restitue au principe supérieur, à qui seul elle appartient, l’épée, symbole de l’action qui servait de substrat à sa puissance. Je ne suis que l’intermédiaire d’un principe qui me dépasse, non pas moi, mais lui en moi. » Et enfin, une dernière image saisissante : « Je vois
le foyer s’obscurcir en son centre, il devient un petit point (:) Chez certains sujets, l’épée apparaît parfois comme interdite par une force supérieure. Lorsque cela se produit chez des sujets masculins, le processus ascensionnel doit être renouvelé sur le
même thème, au cours de la cure (R. D.).
120
PREMIERS
THÈMES
DE
L’ASCENSION
noir entouré d’une auréole lumineuse, l’atmosphère devient un peu triste » et il la commente ainsi : « Ce noir, couleur de
cendre, c’est la tristesse humaine des sacrifices pas encore pleinement consentis. »
RÊVE
ÉVEILLÉ
DE L'ÉPÉE
(CLAUDE)
Voici une autre ascension sur ce thème de départ de l'Épée, avec un sujet très angoissé qui a beaucoup aimé sa mère mais dont la jeunesses’est épuisée dans d’interminables dissensions avec son père et les hommes de son entourage. Il me dit « être dans l’impossibilité de se situer dans le monde ». M. D. me demande de voir une épée qui apparaît fine, belle, scintillante, avec une poignée trop importante pour sa longueur. Ensuite elle raccourcit curieusement, maintenant je vois accroché à cette poignée un ruban de crêpe que ma mère portait à la mort de mon père. Avec cette épée, incommode à tenir, je fais un grand cercle dans l’espace. M. D. me demande de sortir de la pièce où je me trouve et prenant
un
chemin
je me vois chaussé
de bottes, avec un
justaucorps de velours rouge avec de la dentelle blanche. J'ai l’air d’un seigneur de l’époque de la Fronde (je pense à mon père et aussi « aux trois mousquetaires qui étaient quatre — mes frères et moi) ». Sur le conseil de M. D. je tente l’ascension d’une montagne qui se dessine à l'horizon, mais elle semble reculer à mesure que je marche. Les gens se retournent sur moi, probablement en raison de mon costume. J’évalue à distance la hauteur de cette montagne en la jaugeant avec mon épée tendue à bout de bras. Un homme passe près de moi, allant dans la direction opposée et pendant que je tiens mon épée tendue et en clignant des yeux « pour mesurer l'obstacle », il m’enlève mon épée et se la met à la
ceinture. Lorsque je la lui réclame, il me menace avec et j'ai peur. M. D. m'incite à lui réclamer mon épée avec calme. L'homme me dit « que je n’en ai pas besoin ». Alors je lui enlève son chapeau et pendant la querelle où il veut le reprendre je m’empare à nouveau de l'épée qu’il a mise à son côté. — « Il ne faut pas
L'ÉPÉE,
LE VASE
121
le tuer, dit M. D., mais vous informer qui il est. » Il répond qu'il a besoin d’une épée pour « redevenir un vivant ». « Prêtez-la lui, dit M. D., mais prêtez-la lui seulement et suivez-le pour voir ce qu’il va en faire. » Nous suivons un chemin de montagne, une route qui mène à la Mer de Glace. Maintenant avec son épée il fait, lui aussi, dans le ciel, une sorte de dessin qui ressemble à un « huit couché » et on dirait qu’il dessine « deux seins de femme ». À ce moment, derrière nous, sur la route, paraît une ombre légère, blanche, apaisante et le calme revient, nous marchons comme des amis. Nous mon-
tons toujours, tenant maintenant l'épée par un bout chacun, lui la poignée, moi la pointe. Je suis inquiet car je crains que, d’un mouvement
brusque, il ne me l’enfonce dans le flanc.
Le paysage est un paysage de sapins, et arrivés sur le sommet il y a une petite auberge. L'homme prend place à une table et pose l’épée sur la table. Un rayon de soleil vient sur elle et lentement elle se redresse seule, comme
animée, elle erre sur la table,
se recouche puis se relève et monte plus haut. On voit une main s’en emparer. Nous restons saisis, elle déchire le plafond et apparaît une Vierge à l'Enfant, à qui elle va donner le sein. L'homme tend son chapeau que je lui ai rendu et du lait coule à pleins bords. — « Mais pourquoi priver cet enfant? » lui dis-je. L'homme boit avidement le lait qui a coulé dans son chapeau, son costume devient fort beau, lui-même est très embelli.
M. D. me dit de monter plus haut, en quittant cette auberge, et l’homme m’emmène dans une forêt touffue qui couronne la montagne. Là il y a un temple solitaire. Nous montons, dans le fond du temple, un escalier et voyons dans le haut une jeune fille : on dit «que c’est Marthe, celle de l'Évangile » (celle qui sert tout le monde) ; elle nous propose un repas. Nous entrons dans la maison, un homme est assis près du feu, il se lève à notre arrivée. On dit que « c’est St-Jean-Baptiste ». Il nous salue. M. D. nous demande de nous élever plus haut encore. Tenant toujours
l'épée
tendue
entre
nous,
nous
arrivons
vers
le
Soleil. M. D. me demande comment je vois l’épée : « C’est une épée toujours particulièrement brillante mais il n’y a plus de crêpe à la poignée. » Nous arrivons maintenant à la hauteur du Soleil. I1 a une grosse tête et pas de corps. Il regarde l’épée avec curiosité, « il dit qu’il en a vu beaucoup mais n’en a jamais possédé une ». Il nous demande de la déposer, il l’aspire ensuite dans un de ses rayons. Il nous dit « que nous n’en avons plus besoin car nous sommes arrivés ensemble jusqu’à lui et maintenant c’est lui, le Soleil, qui assumera
de nous défendre et nous
122
PREMIERS
THÈMES
DE
L'ASCENSION
donnera sa chaleur vivifiante ». Et l’homme accepte de renoncer à l’épée, en faveur du Soleil. M. D. me demande ce que j’en pense. Je suis saisi par cette image et j'accepte aussi. M. D. nous demande de redescendre, nous le faisons lentement,
guidés par lui. Nous nous retrouvons avec l’homme, paisiblement assis au bord d’un torrent de montagne.
Dès le début, voyant le sujet tracer un grand cercle avec son épée, je l’interroge et il convient « qu’il a un sentiment
très vaniteux de son importance ». — « C’est l’amour qu’a eu pour moi ma mère qui me l’a donné », explique-t-il. Ici la poignée de l’épée par laquelle il la tient « lui semble trop grande par rapport à la longueur de cette épée » : c’est, dit-il, « par rapport à l’âge précoce où j’ai commencé à me trouver comme trop important ». Car c’est ainsi qu’il s’éprouve. « Je souffre d’une sorte d’hypertrophie de moimême. » C’est un égocentrique et le cercle qu’il trace avec son épée autour de lui nous en informe. L'homme « en qui il reconnaît son père » a souffert de « l’importance que sa femme donnait à son enfant ». Il dessine lui-même deux seins de femme et le fils nous parle avec tristesse de cette jalousie du père à son égard, et surtout à l’époque où sa mère, paraît-il, le nourrissait. Ici, cette épée a presque une fonction graphique, elle raconte l'histoire de cette rivalité. Le fils nous dit « qu’il a, à un moment donné, souhaité être la fille de son père, pour supprimer ce qui les séparaït » et c’est la raison pour laquelle dans le scénario il exprime la crainte que son père ne lui enfonce « la pointe de l’épée dans le flanc ». Mais en même temps, il exprime sa propre jalousie à l'égard de son père et le désir, en tant qu’homme, de prendre, dans le passé, sa place : on le voit aussi dans la scène
où le père s’emparant de l’épée du fils, le fils s'empare du chapeau de son père: il veut avoir « quelque chose de son père. » Interrogé, il en convient en souriant : « Oui, j'aurais
voulu avoir son intelligence, son rayonnement! » L'image de Marthe est traduite par lui « comme un juste
L'ÉPÉE,
LE VASE
123
désir de partage », la représentation de St-Jean Baptiste comme une « crainte de la décollation » que celui-ci a
subie. L'image du Soleil vers laquelle ils montent ensemble est interprétée par le sujet comme une représentation de « l'intelligence divine qui comprend toute chose et apaise toute chose ». — Et nous voyons ce Soleil intégrer l’épée dans ses rayons, il apaise en effet cette rivalité, il assume de défendre le père et le fils réunis. Et les deux hommes accep-
tent de lui laisser l’épée.
Ils redescendent
ensemble
et
s’assoient pacifiés au bord d’un torrent (1).
RÊVE ÉVEILLÉ DU VASE (CÉCILE) Voici maintenant une première séance de départ, une ascension ayant pour thème le Vase. La relation en est écrite par le sujet elle-même, Cécile, jeune femme dépressive, présentant des signes de « mélancolie
».
Sur la demande de M. D., j'imagine un vase. Il est en terre brute, très simple, sans anse; il est vide et ne repose sur rien.
M. D. me demande de le poser sur une table et de le laisser là, sans toutefois le perdre complètement de vue. Nous le reprendrons plus tard. M. D. me demande de prendre conscience de l’endroit dans lequel je me trouve et de le lui décrire : Je suis dans un jardin, à la fois familier (le jardin de mon enfance) et confus ; j'y vois de belles pelouses vertes, des arbres, la tonnelle dans un coin et, dans l’allée centrale, la roseraie
couverte de roses rouges. M. D. me demande
si j’ai envie de cueillir ces roses. Non, je
n’en ai pas envie, je les préfère où elles sont. M. D. me demande maintenant de laisser ce jardin et d’ima(:) Conférences au Portugal (1963), « Le Soleil entrevu en tant qu’ « intelligence divine ».»
PREMIERS
124
THÈMES
DE
L’ASCENSION
giner une chaîne de montagnes à l’horizon et d’en entreprendre l'ascension. Je choisis la plus haute d’entre elles. Je suis un chemin de peu de pente dans cette ascension qui me paraît la plus aisée. Un chemin entre les arbres, beaucoup de sapins — de petites cascades jaillissent de chaque côté apportant une fraîcheur agréable, il fait beau, on voit le ciel bleu entre les
arbres. Je m'’agrippe de temps en temps à une racine où à une branche pour m'aider à gravir la pente qui n’est, malgré tout, pas très pénible. M. D. me demande de monter jusqu’au sommet de cette montagne.
J'imagine le sommet de la montagne : je sais que je m’y trouve car le paysage est maintenant dénudé, le vent souffle plus fort, il fait toujours beau. M. D. me prie d'imaginer une traînée de nuages partant d’où je suis et, de là, de la suivre comme si je m’envolais au-dessus de la montagne. Je me
sens
m'’alléger,
faire corps
avec
l'élément
aérien
qui
m'entoure, je m’élève sans difficulté, je suis mon image dont je ne vois pas la fin qui se perd dans l'infini. Soudain, je n’arrive plus à monter davantage dans ce bain d'azur mais qu'y a-t-il plus haut? Mon corps se refuse à poursuivre son ascension (1). M. D. me propose alors de faire venir quelque chose qui m’aidera à continuer. Je vois un oiseau descendre du ciel, il est gros
comme un oiseau de proie, sorte d’aigle mais pas terrifiant du tout, il a l’air bienveillant et m’emporte sur ses ailes. Je monte avec lui facilement. Il évolue aisément dans le ciel, dans l’air, il
est dans son élément. Nous traversons la zone bleue dans laquelle nous nous trouvions pour pénétrer dans une zone tout ensoleillée, rayonnante,
baignée de lumière ; c’est comme
un autre monde.
Je suis d’abord éblouie et ne distingue rien d’autre que la lumière dorée qui émane de partout. Je m'étonne de la splendeur de ce nouveau monde et l’oiseau me fait comprendre que je bénéficie d’une grande faveur de pouvoir y accéder. Je ne pense même pas à remercier l’oiseau tellement je suis saisie d’étonnement. L'oiseau me fait visiter l'endroit : je ne distingue pas très nettement les choses puis je vois une large fontaine ou plutôt () C’est ici que doit se manifester le soutien du psychothérapeute. Deux catégories d'images peuvent toujours être suggérées efficacement : ce sont les images de protection et les images d'appui. Elles sont acceptées généralement par tous les sujets (R. D.).
L'ÉPÉE,
LE VASE
125
un bassin dans lequel coulent des sources, des personnages dont je sens la présence s’y baïignent et s’ablutionnent le visage ; ils m'invitent à en faire autant : c’est comme un rite, je m'y soumets mais au début l’eau me semble froide. Je dois m’y habituer.
Maintenant, elle me rafraîchit agréablement, j’en ressens du bien-être, les personnages regardent mes réactions avec bienveillance. Nous quittons la fontaine. M. D. me fait reprendre le Vase : il apparaît tout doré, tout lumineux, il me demande de le remplir : il se déverse dedans de l’eau claire et limpide, pure et fraîche qui retombe de chaque côté en se cristallisant. Puis nous repartons avec l'oiseau, nous apercevons des constructions faites dans l’élément doré appartenant à ce monde ensoleillé. L'oiseau me dit que je ne peux pas y pénétrer. M. D. me dit de m’imprégner de cette lumière, de cette chaleur,
de la diriger sur moi, sur la région abdominale où je ressens des spasmes, de bien m’en pénétrer, je sens une chaleur vivifiante dans tout le corps, qui court le long de mes bras — comme une force de vie qui réchauffe tout mon être. M. D. me demande ensuite de repartir avec l'oiseau et de redescendre, lentement en spirale, jusqu’à la zone bleue puis jusqu’à l’endroit d’où nous sommes partis. Je vois en dessous de nous la terre et ses habitants tout petits. M. D. me dit de demander à l'oiseau de me déposer quelque part, nous survolons les arbres et je demande à l’oiseau de me déposer sur l’un d’eux. L'oiseau s'envole, sur mon arbre je reste un moment avant de me décider à descendre (j’ai caressé l’oiseau pour le remercier). Je suis maintenant dans une prairie, je m’allonge au milieu des fleurs des champs, je me détends, j'imagine le lit sur lequel je suis étendue, je le sens matériellement, je prends conscience
de mon
corps, de mes membres,
de leurs fonctions,
je me rappelle les objets de la pièce. J'ouvre les yeux.
Observations du sujet à la fin de ses notes : 1) « M. D. m'avait demandé de quelle couleur étaient les plumes de l’oiseau : elles sont bleu nuit. — 2) lorsque je reprends le vase
au
cours
de mon
récit,
M.
D. m'avait
demandé
:
« Que peut-on mettre dedans ? » et j'avais d’abord répondu : « Des fleurs. Mais je le préfère sans fleurs et j’aime mieux les fleurs là où elles sont. » — 3) dans mon paysage ensoleillé, il y avait des coquelicots et des bleuets « tout baignés de soleil
».
PREMIERS
126
THÈMES
DE
L’ASCENSION
On remarquera le soin avec lequel cette séance est relatée, même en ce qui concerne le retour à un niveau normal. Un grand nombre de mes sujets, dans leurs séances écrites, ne relatent pas ce retour mais il s’effectue, en revivant, en sens contraire, les étapes de l’ascension. Ici, le sujet donne quelques détails intéressants sur ce retour. Cette séance du Vase est remarquable par la transformation que subit le Vase en montant : au début, « il est en terre, très simple, sans anse », au milieu de la montée, il apparaît « tout doré, tout lumineux ». La transformation, au cours de la montée,
de même que celle de l’Épée, dans un rêve précédent (celui
de Patrice), fait apparaître toutes les possibilités de ces sujets en ce qui concerne leur évolution certaine au cours de la série de rêves éveillés qui suivront. Il s’agit ici d’un drame actuel : cette jeune femme est traumatisée, amoindrie, « écrasée », dit-elle par une liaison
malheureuse avec un être séduisant mais captatif, agressif et jaloux ; elle voudrait tenter de recouvrer sa liberté mais
son désir s’accompagne d’un grand sentiment d’angoisse. L'image du Vase, au départ, indique bien cet état d’amoindrissement dans lequel l’a plongée cette liaison. Priée de mettre « des fleurs dans ce Vase », elle exprime « qu’elle préfère les laisser là où elles sont », mais auparavant nous voyons, par ses observations, qu’elle a d’abord songé à en mettre : par là elle indique « qu’elle ne peut plus profiter de ce que les charmes de la vie peuvent encore lui donner », dit-elle. La description du paysage, riant et gracieux, exprime les ressources de son psychisme : elle se décrit comme « autrefois très gaie, pleine d'espérance mais celle-ci
a disparu
», et maintenant
il lui semble
qu'elle
pourra « la retrouver ».
Dans ses commentaires, elle indique « qu’à partir de ce moment-là
du rêve éveillé », elle s’est sentie « plus heu-
reuse » car elle ne parvenait plus à voir, depuis quelque temps, « que de sombres paysages devant ses yeux ». A partir de cet endroit de la montée, tout s’éclaire et sa rela-
tion ne comporte
que des représentations
d’apaisement.
L'ÉPÉE, LE VASE
127
Au sommet de la montée, Cécile relate : « Je m'étonne de la
splendeur de ce nouveau monde et l'oiseau (1) me fait comprendre que je bénéficie d’une grande faveur de pouvoir y accéder. Je ne pense même pas à remercier l’oiseau tellement je suis saisie d’étonnement. » Cécile, atteinte physiquement par son état de dépression, souffre depuis quelque temps aussi de spasmes douloureux au creux de l’estomac. Dans sa relation elle indique — ce qui est fréquent : « Je sens une chaleur vivifiante dans tout le corps, elle court le long de mes bras, comme une force de vie qui réchauffe tout mon être » lorsque, rencontrant la lumière au sommet de l’ascension, je lui demande de la diriger sur cette partie de son corps où elle éprouve des spasmes. Il est indiscutable que, parallèlement à un bienêtre moral, plusieurs sujets indiquent « qu’ils éprouvent des modifications physiques découlant précisément de cette modification de leur état psychique », ce qui donne des indications intéressantes pour la médecine psycho-somatique (?). Interrogée sur la signification de l'oiseau, elle dit « C’est l’évasion à laquelle j’aspire et les forces vers lesquelles il me dirige pour la réaliser (). » Ainsi cette première séance, en même temps qu’elle constitue une exploration,
permet
déjà,
dans
l'ascension,
une
amorce
reconstruction dans le domaine psychique comme
de
dans le
domaine physiologique.
(:) Il y a des oiseaux assez nombreux dans l’ascension : il est très rare qu’il en apparaisse dans les descentes, ce sont alors, en général, des « nocturnes angoissants » (R. D.). (2) Robert DeEsoiLce : Introduction à une psychothérapie rationnelle, 2e partie :« Application du Rêve éveillé dirigé à la médecine cortico-viscérale, par le Dr J. Delattre », Éditions de l’Arche, Paris, 1955. (:) On peut aussi penser que l'oiseau qui l’introduit dans ce monde nouveau est en même temps une image du psychothérapeute « bienveillant » avec qui elle « monte facilement »
(N. F.).
128
THÈMES
PREMIERS
RÊVE
DE
L’ASCENSION
ÉVEILLÉ DU VASE (LISE)
Lise, très impressionnable, en proie à des angoisses de persécution, est actuellement traquée par « le souvenir d’une rose en faïence qu’elle a trouvée sur une tombe qu’elle visitait dans un cimetière et qu’elle a emportée car elle lui déplaisait ». Ce qui lui a causé du remords. Elle l’a remise ensuite, sans comprendre le sens de son action. Elle souffre, avec son mari, « d’une maladie de la solitude ». Voici son rêve éveillé du Vase, relaté par elle-même.
M. D. me demande de voir un Vase que j’aperçois alors, d’un bleu profond, intense. Sur sa demande, je le remplis. De très belles roses rouges apparaissent alors. Je vais ensuite vers une fenêtre où je vois les arbres d’un jardin à la française. Priée par M. D. de descendre vers ce jardin, j'en traverse les allées. Sur un banc un homme se lève. Il a un journal à la main et l’air intimidé. Il me parle, me dit que j’ai un beau vase, de belles fleurs, je lui donne
une rose, il la met à son veston.
Je
reconnais René, mon mari, les premiers temps de mon mariage lorsqu'il me parlait tendrement. Ensuite, M. D. me demande
de chercher un chemin de mon-
tagne et de tenter une ascension avec René. Nous sommes dans une ville de l'Est — et je crois que c’est Besançon, car il y a une citadelle.
Nous
montons
péniblement
et arrivé
là, René mon
mari a l’air, tout d’un coup, de ne plus savoir quoi faire de cette rose et il la fixe dans un des créneaux
de cette citadelle, assez
bas, à sa portée. Moi j'ai toujours le vase avec les autres roses. Mais la rose que René a accrochée à un des créneaux grandit, grandit, devient fantastique et lorsque M. D. me prie d'appeler vers nous un nuage pour nous élever, elle tend les bras, ses feuilles, vers nous. Elle se détache de la citadelle, s'ouvre alors,
immense et nous nous étendons dans le creux de ses feuilles, cela nous fait comme un lit très doux. À ce moment-là mon compagnon a l'air de se transformer, je ne suis plus du tout sûre que c’est mon mari. Cet homme étendu près de moi me dit :«Et voilà l’histoire de la rose. » Il m’embrasse tendrement et la rose se referme sur nous. Nous montons ainsi
L'ÉPÉE, LE VASE
129
enveloppés. Mon compagnon prend un pétale de la rose et souffle dessus, il l'envoie vers les hauteurs. Le pétale monte doucement, doucement, il devient petit, très petit. J'entends dire : « Vous avez
voulu que cette rose soit vivante, elle l’est, regardez! » En levant les yeux, au seuil de ce grand ciel apparaît un très grand visage. Il me semble que je le connais, il m’angoisse. Il souffle sur nous un air léger qui nous enveloppe mais nous maintient suspendus entre ciel et terre, telle une nacelle. M. D. me demande alors ce qu'est devenu le Vase. Il flotte près de nous, désemparé maintenant,
les roses flottent aussi un
peu. Le « grand visage » qui a aspiré le pétale envolé dans les airs avec sa « grande bouche », appelle maintenant le Vase qui vient tournoyer autour de lui, il monte de plus en plus haut. M. D., nous voyant immobilisés dans notre rose, nous dit de nous faire aspirer à notre tour par de la lumière venant d’en haut. Nous y entrons couchés dans la rose. Nous sommes légers et tout pénétrés de cette lumière du haut, enveloppés par elle. L'homme couché près de moi glisse alors sous moi, face au ciel et met ses bras autour de moi, son visage n’est plus visible pour moi mais il se reflète dans un nuage qui est au-dessus de nous. Il me sourit dans ce miroir-nuage — comme du temps de ma jeunesse — et je reconnais le sourire de Jean-Gabriel, celui sur la tombe duquel j’ai enlevé la rose de faïence. Mais « l'immense visage », toujours au-dessus de nous, nous regarde et cela m’angoisse. Je crois que c’est maintenant le visage de mon mari qui me regarde d’en haut. Il nous domine, il souffle du vent par la bouche
pour nous empêcher de monter, il a absorbé le pétale de la rose qui s’est envolé. Maintenant cette bouche laisse échapper une lueur rouge, étrange, transparente et lumineuse. A la demande de M. D. j'essaye de voir à l’intérieur de cette bouche : je vois une salle toute rouge, également transparente et lumineuse, mon mari est assis à l’intérieur de sa propre bouche,
des filles lumineuses et rouges sont étendues près de lui comme des almées : je pense que ce sont les roses qui étaient encore dans le Vase, dans les hauteurs, qui se sont envolées et, entrées dans cette
bouche, se sont transformées en femmes rouges. Nous entrons à notre tour dans cette grande bouche entrouverte, JeanGabriel et moi, nous offrons des dons à mon mari devenu seigneur
et maître, moi je lui donne une coupe remplie d’un liquide
couleur rubis et Jean-Gabriel lui tend son manteau, lequel est tout doublé de rouge. A la demande de M. D. : « Quel sentiment évoque ce manteau ?», je dis que Jean-Gabriel était danseur, il dansait dans «l'Oiseau Entretiens sur le rêve éveillé.
9
PREMIERS
130
THÈMES
DE
L’ASCENSION
de feu » de Stravinsky, et il donne à mon mari l’amour dont il a été « la source de feu ».
M. D. me prie alors de redescendre. Je descends doucement vers la terre.
Ici, cette patiente,
parmi d’autres
obsessions,
a gardé
celle d’un garçon qu’elle a connu autrefois et qui appartenait à une autre femme. Mariée plus tard elle-même et fort éprise de son mari, elle a souffert avec celui-ci, René, d'un grand sentiment de solitude. Elle dit « qu’il lit tout le temps ». C’est ce qui explique « l’homme au journal » entrevu dans le jardin, à qui elle offre le vase avec des roses rouges au début. La citadelle ensuite évoque aussi le mari « car il est fermé et inaccessible comme une citadelle ». Elle dit « qu’il a l’air imprenable ». Plus elle fait d’efforts pour le sortir de lui-même, plus elle se sent épuisée mais amoureuse. C’est ce qui explique que la rose donnée et accrochée par le mari au rempart de la citadelle devienne
immense « car elle représente, dit-elle, les efforts
de son cœur ».
Dans l’ascension, la situation se clarifie. Cet amour qu’elle lui a donné venait d’un autre, de l’homme sur la tombe duquel elle n’a pu supporter de voir une rose en faïence. C’est lui qui, dans la montée, vient se substituer au mari et lui dit : « Vous avez voulu que cette rose soit vivante, regardez! » Et en montant plus encore, ce premier homme aimé autrefois, Jean-Gabriel, reflété dans les nuages,
l’amène vers « un immense visage sévère » qui est celui du mari. Ici une image proprement fantastique de « cette grande bouche rouge » qui absorbe toutes les roses du Vase; elle absorbe également Jean-Gabriel et le sujet, Lise, et tous deux lui offrent des dons : « Jean-Gabriel lui transmet l’amour dont il a été la source de feu », Lise lui donne une
coupe remplie de liquide qui s’est substituée au Vase, c'est-à-dire une représentation d'elle-même « d’une admirable couleur de rubis », dit-elle.
L'ÉPÉE, LE VASE
131
Reparlant de cette rose de faïence « qu’elle n’a pu supporter sur la tombe, » elle dit « qu’elle y a entrevu une vision d'elle-même devenue autrefois pétrifiée peu à peu par son
mari,
René,
silencieux
comme
un
tombeau
». Mais
aujourd’hui ce rêve lui révèle ses possibilités et elle exprime sa surprise d’avoir eu des images qui lui apportent un sentiment d'amour et de reconnaissance vers Jean-Gabriel, « la source de feu » du passé; il lui donne ici des forces pour affronter l’avenir.…. (1).
() Robert DesoiLe : « Richesse du langage symbolique de l’image dans le Rêve éveillé dirigé » (Conférences au Portugal, Porto, 1963).
QUELQUES CONCERNANT PAR
CONSIDÉRATIONS LES DÉBUTS
LE RÊVE
ÉVEILLÉ
DE CURE DIRIGÉ
Avant d'aller plus loin et de passer à la description des images de descente, je voudrais donner ici quelques indications. Si j’expose des séances de rêves éveillés dont la relation a été écrite par les sujets eux-mêmes, c’est parce qu’elles apportent un élément de collaboration personnelle du patient au traitement qui en augmente l'intérêt. Ces relations de séances permettent au psychothérapeute de faire remarquer au patient que certaines représentations ont été oubliées ou passées sous silence et il est bon de confronter ses notes personnelles avec le texte de la relation. En ce qui concerne les commentaires, il ne s’agit pour l'instant que d’interprétations plus ou moins concises, n’englobant en général que certaines images essentielles et le cas particulier des sujets n’y figure que par des détails assez brefs, l'interprétation des images symboliques, par les patients eux-mêmes, les éclairant par la suite. Les séances relatées nous démontrent l'aptitude de certains
patients à réaliser, dès le début,
ampleur,
le mouvement
ascensionnel.
dans toute son
Chez
eux
nous
voyons apparaître la lumière à des niveaux déjà assez élevés du psychisme. Elle est décrite par eux comme très fluide,
irisée,
sujets. Ceux d’espérance.
marquée
de tonalités
qui l’entrevoient
diverses
parlent
suivant
les
d’apaisement
et
134
QUELQUES
CONSIDÉRATIONS
CONCERNANT
Il y a de la lumière aussi dans les profondeurs mais sa qualité est différente. En ce cas, elle prend l'apparence «d’un feu intense » plus dense, en rapport avec le feu d’une forge ou bouillant comme celui de la lave en fusion. Son sens est différent aussi; elle procure une force physiologique tandis que l’ascension apporte des forces spirituelles. La lumière d’en bas est une revigoration mais celle du haut est une révélation. Elle nous éclaire sur certains états d'âme jusqu'alors ignorés du patient lui-même qui dit les découvrir pour la première fois et auxquels il ne peut accéder que par instants — et c’est bien là la raison pour laquelle j'ai qualifié « d’images mystiques » des représentations dont la description rappelle celle de mystiques célèbres (1). Elles évoquent presque toujours des sentiments d’amour sous l’apparence de dons reçus ou de présentations d’offrandes, et elles procurent des enseignements très précieux à la psychologie sur les possibilités oblatives de l’être humain. Il ne faut pas croire, cependant, que les premières séances se déroulent toujours ainsi. Les difficultés rencontrées dans l’ascension et la descente sont souvent — mais pas toujours cependant — en fonction du degré de névrose du sujet. Il faut à certains d’entre eux deux ou trois séances pour n’atteindre que les images mythologiques. De toute manière ces difficultés nous éclairent sur les inhibitions du sujet, inhibitions qui seront peu à peu atténuées par d’autres séances qui suivront et par l’utilisation d’autres thèmes de départ que nous avons choisis pour le début de la cure et que nous exposerons par la suite. Ici, dans l’ascension, le premier thème de départ qui est pour l’homme l’Épée, pour la femme le Vase, ne les quitte pas et dès qu’on l’évoque, au cours du rêve éveillé, il réapparaît tout de suite même si, chez certains patients, il n’est pas entrevu en permanence pendant le déroulement () Robert Desoire : Le Rêve éveillé en psychothérapie, P. U. F., Paris, 1945,
LES
DÉBUTS
DE
CURE
PAR
LE R. E. D.
135
du scénario. Il sous-tend le scénario puisqu'il est à la fois l’idée que les sujets se font d’eux-mêmes en tant qu'homme ou femme, à travers les vicissitudes de leur existence, mais aussi la représentation de leurs possibilités profondes qui les accompagnent tout au long du rêve, possibilités souvent inconnues d’eux auparavant. On remarquera qu’à côté de la suggestion essentielle de monter ou de descendre (qu’on retrouvera plus loin) il y a des suggestions secondaires, comme celles de « tirer l’épée », de « remplir le vase ». Ces suggestions secondaires ont leur importance car elles nous renseignent utilement, dès le début, sur les choix du sujet. Il y a dans l’ascension —
comme dans la descente — quelques images qui apparaissent subitement, venant parfois de la droite ou de la gauche et qu’il faut intégrer dans le mouvement vertical, rapportant les premières — celles de droite — à l’avenir et celles de gauche au passé, en général. Les possibilités de sublimation qui se révèlent chez certains sujets, assez tôt dans la cure,
ne se dévoilent,
chez
d’autres,
qu’au bout
d’un
temps assez long et il faut monter assez haut pour les retrouver. De toute manière ces difficultés nous éclairent efficacement sur les obstacles que nous aurons à vaincre pour obtenir la guérison.
LE
MOUVEMENT ET
SES
DANS
L'ESPACE
IMAGINAIRE
SIGNIFICATIONS
Dès le début des entretiens, un grand nombre de patients
expriment — à part leurs symptômes et les personnes ou objets auxquels ils se rapportent — les difficultés extrêmes qu'ils éprouvent parfois, dans les domaines physique et moteur,
à prendre des décisions
impliquant
des contacts
nouveaux, des déplacements, des changements d’occupation et cela — de leur propre aveu — très souvent en dehors
de tout état déficient de santé. Lorsqu'on s'efforce de provoquer — dans le rêve éveillé — ces représentations
136
QUELQUES
CONSIDÉRATIONS
CONCERNANT
de déplacement d’une manière symbolique, ils restent en arrêt devant elles, inhibés, quelquefois sans angoisse, sans idée de fuite, mais sans ressort, sans initiative et il faut alors les inciter à agir dans le contexte de la représentation. Or l’ascension et la descente demandent, dès le début, une
représentation d’effort au sujet et cet effort — même imaginaire — se révèle déjà comme un précieux auxiliaire pour la conduite de la cure en supprimant un grand nombre d’attitudes d’inhibition. Les mouvements de déplacement — suggérés ou spontanés — doivent toujours respecter un rythme harmonieux et lorsque, sur une incitation à « monter » par exem-
ple, un sujet dit «se trouver subitement sur le sommet d’une montagne » il doit indiquer comment il y est parvenu — il le précise souvent
de lui-même.
S'il ne le fait pas, il faut
lui demander comment il y est arrivé, quel chemin il a pris, ce qu’il a vu sur sa route, quels obstacles il y a rencontrés. Cette manière de procéder — au cours du traitement
—
est tout particulièrement
recommandée
lorsqu'on
a
affaire à des sujets qui se trouvent au pôle exactement opposé de ceux que je viens de citer plus haut. En un mot,
il s’agit ici de sujets à déplacement rapide qui appartiennent souvent au «type fort déséquilibré » de Pavlov (1). En effet, en langage pavlovien, il y a là une « inertie du processus d’excitation » dont je vous ai déjà entretenus, c'est-à-dire que l'excitation chez eux ne peut être inhibée. Ces sujets se déclarent souvent agités, impatients, intérieurement incapables de vivre le présent, constamment préoccupés de l’avenir. Ils ne peuvent se livrer à une occupation continue exigeant qu'ils demeurent assis ; dès qu’ils parviennent à demeurer en place, on peut commencer à travailler,
mais
leur agitation
se reproduit
dans
leurs
représentations. Au début du rêve éveillé les images se succèdent à un rythme accéléré, ils ne peuvent que difficilement les suivre, elles se forment, se déforment, se refor() Robert
DeEsoie
: Introduction
tionnelle (Éditions de l'Arche, 1955).
à une
psychothérapie
ra-
|
LES
DÉBUTS
DE
CURE
PAR
LE R. E. D.
137
ment, disparaissent et réapparaissent dans un désordre surprenant. Mais très vite ce mouvement exagéré des
images s’apaise et se ralentit peu à peu au bout de deux ou trois séances et ils retrouvent un rythme normal s’adaptant, par ailleurs, très bien à la technique. Ces sujets pèchent par excès. Les deux types de patients décrits — aboulie ou excitations — peuvent quelquefois se rencontrer à la fois chez un même sujet à tendances cyclothymiques où des phases de dépression et d’excitation peuvent alterner mais disparaissent peu à peu au cours de la cure, pendant les séances et aussi entre les séances, d’après leur témoi-
gnage.
L’ASCENSION
ET LE
REFUS
DE
LA
MONTÉE
Si je crois devoir insister ici sur les images de l’ascension et leur vertu thérapeutique, c’est que celle-ci est considérée par certains patients — et quelquefois mais plus rarement par certains praticiens — comme un état d'âme sentimental, beaucoup plus que comme un phénomène psychologique. C’est qu’eux-mêmes n’ont jamais apprécié, par tempérament, cette qualité d’images. J’ai connu des êtres à qui le mot seul d’ascension apportait un sentiment d’espérance, mais pour d’autres, à l'inverse, ce qualificatif leur paraît empreint d’une teinte religieuse qu’ils se doivent d’écarter. C’est là une attitude purement intellectuelle qu’ils se doivent de ne pas encourager. L'expérience thérapeutique nous prouve qu’en ce qui concerne cet important élément de refoulement dont je vous
ai déjà entretenus,
il ne s’exerce
l'instinct sexuel maïs également sur plus élevées ; j’y ai fait allusion ouvrages précédents en tant que « mation » (1) et cela provoque chez (*) Robert DEsorLce Paris, 1945.
pas seulement sur
des tendances beaucoup dans certains de mes refoulement de la sublicertains sujets un senti-
: Le rêve éveillé en psychotéraphie, P. U.F.,
138
QUELQUES
CONSIDÉRATIONS
CONCERNANT
ment constant de malaise qui en s’aggravant conduit souvent à des symptômes de mélancolie profonde et où le sentiment vague de « quelque chose qui a été perdu » est précisément une perte de personnalité qui n’a pu réaliser son unité dont le processus de sublimation fait partie intégrante. C’est ce que Baudouin a entrevu en tant que « refus d'engagement ». J’ai cité dans un de mes Entretiens le cas d’un sujet qui se voyait sous l’aspect d’un animal creusant un terrier pour s’y enfouir. Il se disait menacé par un grand oiseau qui tournoyait autour de lui, il disait dans le scénario que « c'était le Saint-Esprit qui voulait le forcer à le rejoindre et il avait peur de se casser la tête, parce qu’il n'avait pas d’ailes ». Je l’ai incité à sortir de son trou en rampant, de là à gagner la base d’un arbre, un sapin dont les branches étaient très basses et le sommet assez élevé et de là, de branche en branche, il est arrivé à la pointe.
Je l’ai prié d'appeler un oiseau à son gré, il a vu un aigle venir vers lui et cet aigle l’a emmené vers les sommets sans aucune épouvante et il en était «enchanté»,
disait-il.
Un autre de mes sujets ne pouvait pas monter non plus car « cette grâce lui étant refusée par Dieu, elle serait anéantie ». À l’examen, il s’est révélé chez elle une profonde agressivité à l'égard de la Divinité avec laquelle « elle aurait voulu s’expliquer mais dont elle craignait les représailles ». Elle refusait de « mettre des fleurs dans son Vase,
de peur de les voir se flétrir ». Je l’ai priée de « s’introduire elle-même dans ce Vase et de se faire transporter dans les hauteurs par lui », à un certain niveau, elle s’est vue projetée hors du Vase, puis s’appuyant sur lui dans le mouvement ascensionnel. Certains sujets expriment une crainte maladive de l’espace : cette crainte se manifeste sous la forme « d’être perdu dans le monde » ; ils craignent de s’y dissoudre. Elle s'associe aussi chez certains à celle du temps qui s’écoule et qu’ils voudraient arrêter : c’est une angoisse masquée de «leur fin ». Mais il ÿ a aussi autre chose et ceci m’oblige
LES
DÉBUTS
DE
CURE
PAR
LE R. E. D.
139
à revenir sur un sujet très important que j'ai déjà abordé sous un aspect un peu différent, dans l’entretien consacré à l’activité et à la maîtrise de l’imaginaire. Nous savons déjà par l’expérience psychothérapeutique que cet imaginaire est entrevu par la plupart des sujets comme ayant des dimensions infiniment plus étendues dans le haut et le bas que celles que l’être humain perçoit dans sa vie réelle. Comme tel, il leur semble susceptible d’englober des situations qui leur apparaissent beaucoup plus dramatiques que celles vécues dans une existence
normale.
En tant que « vie rêvée » nous retrouvons
le
même phénomène dans les états oniriques des rêves nocturnes et semi-oniriques des rêves éveillés. C’est quelquefois l’irréalité même qui peut conférer à ce qui n’est pas directement vécu, mais seulement imaginé, ces dimensions
angoissantes; mais elless ont aussi parfois le fruit d’une expérience humaine collective, à travers le temps, se remémorisant des situations exceptionnelles par leur
aboutissement tragique. Elles attirent mais hantent à la fois les névrosés, lesquels se protègent contre elles en élaborant, dans le cadre de leurs conflits intérieurs, des schémas de conduites stéréotypées destinés précisément à les maintenir dans un contexte de vie très rétréci du fait même de leur angoisse permanente. C’est cette même angoisse qui leur interdit de s'engager dans n'importe quelle autre
situation
nouvelle,
fût-elle
libératrice,
dont
ils craignent qu’elle n’exige d’eux une dépense psychique qui romprait un équilibre péniblement acquis. Nous abordons ici le problème d’ « une économie psychique » que le mouvement dans l’espace imaginaire les oblige à surmonter, tout particulièrement dans l’ascension
qui les contraint à une certaine utilisation d'énergie, soit qu’elle les conduise à exprimer — comme dans le rêve éveillé du Vase, chez Cécile — leur reconnaissance pour les bienfaits reçus, soit qu’elle les force à réaliser ce qu'ils détiennent en tant que « trésor d’amour » comme dans le rêve éveillé de Lise, soit qu’ils puissent être amenés à
140
CONSIDÉRATIONS
QUELQUES
CONCERNANT
renoncer à certains attributs de puissance personnelle au profit de la rencontre avec l’autre, fût-il le père, comme dans le rêve éveillé de Claude,
cité précédemment.
C'est par là que le mouvement ascensionnel ébauche déjà cette restructuration de la personnalité en raison de l'effort qu’il requiert d’un sujet cherchant à atteindre des niveaux de conscience dont l’accès conduit à une sorte d’épanouissement intérieur, à la faveur « d’une ouverture
qui ne se ferme jamais par la suite ». « C’est comme si j'étais réellement montée sur le sommet d’une très haute montagne, que j’y ai vu un panorama très vaste, immense. Je peux bien redescendre
dans le fond de la vallée, mais
je n’oublierai jamais ce qui m’est apparu. pris pour
moi
une
dimension
nouvelle
Le monde
a
», dit Béatrice,
un de mes sujets féminins les plus angoissés, autrefois. Mais d’autres sujets beaucoup moins doués parlent tout de même de l’acquisition d’une vision nouvelle et d’autres encore d’une faculté de synthèse et de remémoration qui leur était inconnue auparavant. Tout ceci s'explique aisément si on réalise qu’il s’agit non seulement d’une récupération de possibilités autrefois inutilisées, mais aussi de l’acquisition de possibilités nouvelles par la réintégration dans le psychisme d’un sujet de cette totalité de l’imaginaire, qui doit être considéré aussi sous l’aspect d’une totalité du vécu auquel il est étroitement lié, et que certains êtres n’ont, jusque-là, accepté ou reconnu qu’en partie. Certains traïts caractériels jouent un rôle important dans le début de la cure et on peut les associer d’ailleurs à certaines formes de névroses. Si on retrouve chez presque tous les hystériques des symptômes d’égocentrisme marqué,
chez presque tous les obsessionnels, des tendances très fortes au scepticisme — que ce soit dans le domaine affectif ou professionnel — précèdent les manifestations morbides de la maladie du doute, et ceci de leur propre aveu. Ils ne croient pas qu'ils puissent être aimés, qu’ils puissent
réussir. Certains
doutent
à l’avance de pouvoir guérir.
Mais chez tous une constatation s'impose : le déplacement
LES
DÉBUTS
ascensionnel,
DE
lorsqu'ils
CURE
PAR
l’acceptent,
LE R. E. D.
les
délivre
141
de
leur
incertitude et ce pendant plusieurs jours après la séance et définitivement après la guérison. LE RÊVE ÉVEILLÉ UNE RÉADAPTATION
DIRIGÉ, A LA VIE
Les relations de séances faites par les sujets doivent toujours être commentées par eux-mêmes avec le psychothérapeute et ce sont eux encore qui doivent préciser le sens symbolique qu’ils attribuent à leurs représentations. Les commentaires faits après la séance sont souvent loin d’épuiser la signification de ces représentations qui doivent presque toujours être reprises et plus largement développées à la faveur d’autres séances qui ne peuvent que les éclairer davantage en précisant les transformations qu’elles subiront. Il apparaît important et recommandé de toujours laisser le sujet exprimer — même pendant la séance — tous les sentiments et émotions et même les idées auxquelles donnent lieu ses images, pour retrouver, ainsi que je l’ai indiqué, par analogie de situation, dans quelles circonstances il a déjà vécu ou éprouvé des émotions,
des senti-
ments et exprimé des idées comparables. Il est cependant nécessaire, particulièrement lorsqu'on aborde les séances de descente, de toujours maintenir présents à son attention
les phénomènes éveillé comme
de dramatisation
observés dans le rêve
dans le rêve nocturne,
afin d’atténuer les
angoisses qu'il pourrait ressentir devant certaines situations inattendues et lui permettre une plus grande liberté d'action. Si on considère les réactions névrotiques comme des habitudes affectives comparables à des habitudes musculaires ou intellectuelles, c’est-à-dire comme des schémas dynamiques dans le sens que Pavlov donne à cette expression, des rêves éveillés bien conduits, utilisant intelligemment les représentations symboliques éclairées par le
142
QUELQUES
CONSIDÉRATIONS
CONCERNANT
patient lui-même, doivent permettre, dès le début, que s’éteignent des réflexes conditionnels anormaux. Dans la vie quotidienne, certaines situations servent souvent de signal au sujet qui y répond toujours par des réactions inadaptées qui lui sont devenues coutumières. Ces situations — qu’elles aient trouvé leur origine dans des phantasmes imaginaires ou dans la réalité — sont reproduites dans les scénarios des rêves éveillés, sous une forme symbolique et le soutien du psychothérapeute, faisant appel à l’imagination créatrice de son sujet, doit inciter celui-ci à des réactions différentes et mieux adaptées. Il attirera l’attention du sujet sur certaines images particulièrement révélatrices de possibilités nouvelles, permettant ainsi à des réflexes inadaptés de s’éteindre d’abord dans l’imaginaire du rêve, ensuite dans le réel, puis d’être remplacés
par d’autres schémas dynamiques mieux adaptés aux conditions de son existence actuelle. La psychothérapie se conçoit alors comme une véritable initiation du patient à réagir correctement à toutes les situations dans lesquelles il peut se trouver engagé.
LES
PREMIERS CONTACTS ENTRE LE ET LE PSYCHOTHÉRAPEUTE
PATIENT
Mais avant d'entreprendre cette initiation qui est, en même temps, une véritable rééducation, il faut évidemment
aborder discrètement les problèmes connus du patient, lequel ne peut pas toujours les exprimer. Il apparaît, au contraire, qu’en présence du psychothérapeute, de nombreux patients — même parmi les plus intelligents — ont du mal à définir avec précision leur état. Une conversation rassurante est d’abord nécessaire et doit porter : — en premier lieu, sur le genre de troubles dont se plaint le sujet, s’il peut toutefois les définir,
—
sur l'attention qu’il porte à son état de santé phy-
LES
DÉBUTS
DE
CURE
PAR
LE R. E. D.
143
siologique, les soins dont il a pu bénéficier pour y remédier, si cet état de santé laisse à désirer,
— sur son milieu familial, dans l’enfance puis dans l’adolescence et à l’époque présente, —
sur
ses
relations,
ses
amis,
son
milieu
d’abord, de travail
et ses conditions de travail, — sur son habitat, son hygiène de vie, ses heures de repas, de repos, ses occupations pendant ses loisirs, —
sur sa vie sentimentale
et sexuelle,
— sur ses aspirations et sur la manière dont il voudrait les voir se réaliser. Tous ces sujets ne peuvent, naturellement, qu'être effleurés dans une première entrevue et il faut y apporter la plus grande discrétion et le plus grand tact (1). Cependant, certains patients, au début, paraissent désireux de diriger la conversation vers des sujets qui semblent n’avoir aucun rapport avec les préoccupations qui devraient normalement les conduire vers le psychothérapeute. On ne doit pas leur en faire la remarque : ce sont en général des anxieux et ces diversions sont destinées à masquer
leur anxiété. Tout naturellement,
d'eux-mêmes,
ils finiront par aborder leur cas personnel. C’est la raison pour laquelle, lorsqu'on prend contact avec un patient nouveau, il faut pouvoir lui consacrer un temps plus long que celui qui est envisagé par la suite : c’est extrêmement important. Cette conversation, en supposant même qu'elle soit extrêmement
loyale de la part du patient,
ne constitue,
de toute manière, qu’une interprétation personnelle de son existence au travers de son optique particulière. A l'expérience, il se révèle que la plus grande partie des éléments qui la sous-tendent, en sont absents. (1) Cette prise de contact, chez certains sujets, ne peut s’eftectuer que lorsque le psychothérapeute leur a brièvement exposé la technique et les buts poursuivis. Ils sont alors mis en confiance et, à leur tour, acceptent d’aborder leur cas personnel (R. D. Notes sur les prises de contact en psychothérapie, 1963).
144
CONSIDÉRATIONS
QUELQUES
CONCERNANT
Dès les premières séances de rêve éveillé, ces éléments
ignorés, négligés ou dissimulés intentionnellement, apparaissent symboliquement, dans ce « langage intime » de l’image qui s'exprime avec d’autant plus de liberté que la plupart des sujets en ignorent le sens. La conversation avec le psychologue peut se poursuivre tout au long de la cure, complétée par l'étude des rêves nocturnes et des rêves éveillés, chaque séance ayant alors un double but, un double rôle d’anamnèse et de synthèse. Elle sera organisée comme suit : le patient sera interrogé sur les événements de sa vie survenus depuis sa dernière visite; il sera prié de lire sa relation de la séance précédente et de la commenter, en s’efforçant de se remémorer, avec l’appui du psychothérapeute, les images oubliées; il pourra évoquer ses rêves nocturnes, ceux du moins dont il se souvient, et dont certaines images — ainsi que je l’ai indiqué — pourront être reprises et servir de thème de départ pour d’autres rêves éveillés. Ici une remarque doit être faite car elle a été confirmée par de nombreuses expériences : certains patients se déclarant incapables de se souvenir de leurs rêves nocturnes au début de la cure,
arrivent —
après quelques
séances
de rêves éveillés —
à retrouver, parmi les chaînes d’images ramenées à la conscience par l’ascension et la descente, celles de leur
rêves nocturnes dont ils disaient ne plus se souvenir.
Ils
sont réintroduits dans un univers onirique avec lequel ils n’avaient plus qu’un contact limité. Le lien entre la vie de relation et la vie intérieure est rétabli, l'unité de la personnalité se reconstitue peu à peu et devient un facteur important de la guérison.
ORGANISATION
Lorsque,
dans
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une
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même
séance,
DES
SÉANCES
l’analyse
À
des rêves
nocturnes ou du dernier rêve éveillé est entreprise et qu'un nouveau rêve éveillé est fait par le sujet, cette
LES
DÉBUTS
DE
CURE
PAR
LE R. E. D.
145
séance dure alors environ deux heures : une heure d’interprétation et une heure pour le nouveau rêve éveillé dirigé. Mais certains de mes élèves font alterner une séance d’une heure — pour l'interprétation des rêves éveillés et nocturnes — avec une autre séance d’une heure — pour un nouveau rêve éveillé. Lorsqu'un malade se révèle assez gravement atteint, il est préférable de faire des séances à des intervalles assez rapprochés et d’une durée plus longue, bien que l’importance du scénario et le nombre des images ne soient pas toujours en fonction de la durée du rêve : c’est le rythme auquel travaille le patient et aussi l’importance de ses inhibitions qui les déterminent : un patient travaillant très lentement n’aura, en une heure, que peu d’images; un patient plus doué, plus imaginatif, moins inhibé peut, dans un même laps de temps, en entrevoir un beaucoup plus grand nombre. — Il y a également un facteur de fatigue qui peut jouer et certains patients se fatiguent très vite, d’autres travaillent mieux le matin que l’aprèsmidi ou le soir, après une longue journée de travail. C’est au psychothérapeute de discerner ces particularités et d'essayer de les adapter à ses horaires personnels. Mais ces détails ont quelquefois beaucoup d'importance dans les rapports avec des êtres qui sont particulièrement sensibilisés au climat qui les entoure. De toute manière, une séance, pour être agissante, doit durer au moins une heure. C’est la durée minimum pour permettre un travail efficace et ne pas traumatiser un patient en lui permettant ainsi d’épuiser son rêve et d'aller jusqu’au bout de certaines images qui, interrompues, ne peuvent pas toujours être reprises dans un climat moins favorable ou dans un état d’esprit différent.
Lorsqu'un patient manifeste certaines difficultés d’adaptation à la technique, il est toujours préférable de pratiquer quelques séances ascensionnelles assez rapprochées avant d'aborder certains scénarios de descente que nous allons exposer maintenant. Entretiens sur le rêve éveillé.
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Le GIREDD
À la mort de Robert Desoille, un ensemble de praticiens du Rêve Éveillé Dirigé, psychiatres, psychologues, et médecins ayant une formation psychologique et psycho-pathologique, se sont regroupés pour la diffusion, le développement et l’enseigne-
ment du Rêve Éveillé Dirigé en psychothérapie.
Le GIREDD (Groupe International du Rêve Éveillé Dirigé de Desoille) se veut absolument fidèle à la pensée et à la méthode de Robert Desoille. Prolongeant le travail de Robert Desoille, le GIREDD organise des séminaires et des groupes de recherche afin de poursuivre les approfondissements théoriques et techniques de la méthode, tant chez l’adulte que chez l’enfant et chez l’adolescent. Les recherches menées par ses membres ont pour objet de développer tel aspect déjà souligné par Robert Desoille, d'éclairer de manière
nouvelle
telle zone
anciennement
étudiée,
d'offrir
sous un langage parfois nouveau une explication jusqu'ici exprimée en d’autres termes. Le GIREDD est représenté dans une dizaine de pays étrangers. Il assure l’enseignement didactique du Rêve Éveillé Dirigé selon des règles précises de recrutement exigeant la formation clinique, psychologique et psychopathologique nécessaire à la pratique de toute psychothérapie. Le GIREDD
possède un organe de diffusion, la revue « Études
Psychothérapiques
». Son siège social se trouve 79, boulevard
Exelmans, Paris 16e.
ACHEVÉ
D’'IMPRIMER LE 1®T JUIN 1973 SUR LES PRESSES DE L'IMPRIMERIE BUSSIÈRE, SAINT-AMAND (CHER)
—
No
d'impression:
330
—
Dépôt légal : 2° trimestre 1973.
Imprimé
en
France
COLLECTION
DIRIGÉE PAR GÉRARD
SCIENCE DE L'HOMME,
MENDEL
oo
ENTRETIENS SUR LE RÊVE ÉVEILLÉ DIRIGÉ EN PSYCHOTHÉRAPIE
Réunis après la mort de Robert Desoille, ces Entretiens sur le Rêve Eveillé Dirigé ont été composés à partir de réunions de travail qui avaient lieu chez lui avec un nombre restreint d'auditeurs et amis.
Nicole Fabre a regroupé ces Entretiens autôur des thèmes dominants de la pensée desoilienne et en a structuré la présentation dans un but didactique autour des grands problèmes propres à toute psychothérapie. Comment permettre la libération des affects les plus profonds ? Comment accueillir et faire évoluer les fantasmes les plus archaïques? Comment libérer le langage intime ? Comment mobiliser ce que la névrose a paralysé ? Comment favoriser une juste sublimation ? Comment faire face aux situations transférentielles ? Au long des Entretiens le lecteur sera sensible à la fois au classicisme d'une authentique démarche psychothérapique et à l'originalité d'une méthode spécifique dont rend compte une pensée nuancée et vigoureuse. Les problèmes techniques y sont abordés avec précision. Un humanisme P1 certain se dégage de l'ouvrage.
PAYOT,
{MP. GROU-RADENEZ, PARIS 7306
106, Boulevard
ISBN
2-228-21
Saint-Germain,
630-5
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