Du capitalisme au communisme : Le chemin est long et tortueux 9782951633704, 295163370X

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Du capitalisme au communisme : Le chemin est long et tortueux
 9782951633704, 295163370X

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CHRISTIAN

BROCHAND

Docteur en sciences de l'information et de la communication

Du

Capitalisme

au Communisme le chemin est long et tortueux

Du même auteur HISTOIRE DE LA TÉLÉVISION FRANÇAISE

(en collaboration),

Nathan, 1982. LE PETIT RETZ DU PAF (en collaboration), Retz, 1987. L'AVENTURE DE LA TÉLÉVISION (en collaboration), Nathan,

1987. Histoire générale de la radio et de la télévision en France. Tome 1: 1921-1944, la Documentation Française, 1994. Histoire générale de la radio et de la télévision en France. Tome II : 1944-1974, la Documentation française, 1994. Economie de la télévision française, Nathan/université, 1996.

Sommaire Introduction

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I. A la recherche de Marx et d'Engels

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IL Le XX e siècle 1°) 2°) 3°) 4°) 5°)

Impérialisme et socialisme Le socialisme d'État Le capitalisme d'État social La défaite Retour à un capitalisme sans entraves

III Que faire?

41 41 46 54 61 74 97

© Christian BROCHAND - Paris - 2000. 38, bd Vincent Auriol, 75013 Paris Membre de l'AAA.

Introduction L'émancipation de la classe ouvrière doit être l'œuvre des travailleurs eux-mêmes. (Statuts de l'AJT rédigés par Marx)

S

i le spectre du communisme ne hante plus ni l'Europe ni les États-Unis, ces derniers étant devenus apparemment le centre tranquille de l'impérialisme mondial, on est en droit de penser qu'il hante la terre entière à en juger par la variété des mesures prises par le capitalisme pour renforcer ses pouvoirs dans tous les domaines, politique, économique, militaire, technique, afin de maintenir les peuples sous sa domination. Pourtant, son avenir parait assuré quand on mesure l'effondrement du communisme et le vide des idées de cette fin de siècle que l'on ne saurait comparer au précédent. Lorsque l'on considère le dix-neuvième, on est frappé par la grande activité intellectuelle, de haut niveau, diversifiée, qui a marqué l'époque. Saint-Simon, Fourier, Hegel, Feuerbach analysaient la société tandis que d'autres comme Cabet et Owen ne s'arrêtaient pas à la théorie et passaient aux travaux pratiques. Leur œuvre a été reprise, continuée par Marx et Engels qui ont découvert le principe scientifique expliquant le développement des sociétés : le matérialisme historique. Ds ont permis ainsi l'accession au socialisme scientifique, ce qui ne signifie pas à un socialisme mécanique, dont les solutions sont établies à l'avance, mais à une évolution analysée de façon rigoureuse, à l'aide de la méthode appelée dialectique matérialiste. Un avenir, non pas radieux, mais fait de travail, d'études, de luttes,

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s'ouvrait, largement dégagé, devant les peuples, du moins ceux des pays développés. Hélas, on n'est jamais trahi que par les siens. Bien sûr, les disciples ont de tout temps nui à ceux qu'ils prétendaient servir, à moins qu'ils n'aient décidé de se servir d'eux ; et l'on connaît la vieille prière : « Seigneur, gardez-moi de mes amis, je me charge de mes ennemis ». Mais Marx et Engels ne méritaient pas un traitement aussi dur, ni aussi longtemps. On ne compte plus ceux qui, après les avoir glorifiés, leur ont tourné le dos ouvertement ou sournoisement ; et d'abord de leur vivant. Il y a eu les pressés, leurs contemporains, qui prétendaient vouloir faire la révolution tout de suite, et se sont ralliés souvent aux pouvoirs en place assez rapidement. Puis, au 20 e siècle, ceux pour qui cette nouvelle théorie constituait une science trop difficile et n'en ont retenu que quelques idées mal digérées ou déformées, tant dans les pays où les communistes ont réussi à parvenir au pouvoir, que dans ceux où ils ont échoué. Dans les premiers, on n'a su créer qu'un socialisme si primaire qu'il a fini par s'effondrer de lui-même tandis que dans les autres, les partis communistes, après une période faste correspondant à la première moitié du siècle, sombraient peu à peu dans un réformisme alimenté par les hauts revenus de l'impérialisme prélevant de fortes dîmes et tailles sur le Tiers-monde. Aujourd'hui, c'est ouvertement que les personnes se prétendant communistes rompent avec Marx et Engels dont pourtant les critiques semblent avoir été écrites hier à notre intention. A l'aube du troisième millénaire, tout est, non pas à reconstruire, mais à reconsidérer puisque les ravages du capitalisme sont plus grands que jamais. Etudier les analyses de Marx et Engels est une tâche imposée à ceux qui refusent de subir « le Talon de fer », pour reprendre l'expression de Jack London, en veillant cette fois à ne pas passer à côté de l'essentiel, de ce qui a été réellement écrit. Cette tâche accomplie, il importe de se livrer au travail qui a été le leur autrefois : analyser la société du vingtième siècle, ses problèmes, et proposer des solutions qui doivent impérativement porter atteinte au capital. Ce livre est un premier pas dans cette voie.

CHAPITRE I A LA RECHERCHE DE MARX ET D'ENGELS

Une révolution est un pur phénomène naturel qui obéit plus à des lois physiques qu'aux règles qui déterminent en temps ordinaire l'évolution de la société. Engels à Marx (1851)

Il ne pensait pas que les gouvernements dussent être détruits autrement que par ces forces aveugles et sourdes, lentes et irrésistibles qui emportent tout. J'ai observé que ce pays avait plusieurs fois changé de gouvernement sans que la condition des personnes y eût changé, sinon par un insensible progrès qui ne dépend point des volontés humaines. D'où je conclus qu'il est à peu près indifférent d'être gouverné d'une manière ou d'une autre, et que les ministres ne sont considérables que par leur habit et leur carrosse. A. France (Les opinions de J.Coignard)

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ourquoi donc faudrait-il s'intéresser aux travaux de ces deux hommes que l'ensemble du monde tient à l'écart, ou dissimule sous les bavardages de quelques savants Cosinus, qu'ils se prétendent communistes ou

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non ? Pourquoi s'intéresser à des analyses, des critiques, des propositions dont les beaux esprits s'accordent à dire qu'elles ont fait leur temps ? Et ce, alors que les expériences menées en leur nom ont échoué ou sont en échec ? En vérité, c'est peut-être aller un peu vite en besogne, condamner le socialisme bien rapidement et se contenter pour cela de justifications plutôt sommaires. D'une part, les censeurs de ce système, d'ordinaire bien patients à l'égard du capitalisme, donnent peu de chances à une nouvelle société dont un type seulement, le seul connu, a sombré. Les gens qui glorifient le capitalisme lui ont toujours pardonné ses méfaits, ont oublié très vite ses crimes, ceux-ci étant parfois affirmés avec impudence, pour faire peur, parfois dissimulés ou niés avec hypocrisie, souvent portés au débit d'un régime politique ou d'un homme. Mais n'y a-t-il pas quelque chose de commun pourtant, essentielle, au régime de Franco et à celui de l'Espagne d'aujourd'hui ? Au Chili de Pinochet et à la riante Suisse ? A la « démocratique » Suède et à la brutale Amérique, etc. ? N'est-ce pas le capitalisme, ce caméléon économique, tantôt dictature, tantôt démocratie bourgeoise, qui a tous les droits, notamment celui de changer à volonté de masque juridique, de se transformer, de muer, de s'adapter, d'évoluer, de se présenter sous un jour nouveau en fonction des nécessités politiques ? En bref, il y a eu mille sociétés différentes devant porter ce nom, mais dissimulées sous des appellations diverses, monarchie parlementaire, république présidentielle, dictature, État fédéral, république parlementaire, etc., et il peut y en avoir d'autres encore. Mais il n'existe qu'un système économique, fondamental et commun à tous ces États : le capitalisme. Le camp du socialisme, autre système économique, ne jouit pas des mêmes avantages et s'est vu discrédité sur le fond, les crimes n'étant pas portés au débit d'un régime politique. Il est

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vrai que la répétition, la multiplicité des fautes commises a facilité la tâche des réactionnaires. Cela n'autorise pourtant pas ces derniers, et d'autres, à prétendre que le socialisme ayant échoué une fois, il ne doit lui être accordé aucune autre chance sous des formes différentes et plus réfléchies. Ainsi la lutte opposerait ou a opposé d'un côté, une variété infinie de régimes en place depuis plusieurs siècles et de l'autre UN système élaboré par des besogneux n'ayant eu droit qu'à un essai socialiste. Et l'on voudrait voir le monde en rester là ? Non pas. Il est du devoir des communistes de se relever et de faire du nouveau en partant des travaux fondateurs dont la lecture ouvre des horizons différents. D'autre part, les analyses et les critiques de Marx et Engels sont indispensables au changement, pour lequel il faut disposer à la fois de peuples et d'idées, puisque la lutte qui « implique des armes matérielles exige aussi des armes spirituelles ». A leurs eux la philosophie trouve dans le prolétariat ses armes matérielles comme le prolétariat trouve dans la philosophie ses armes intellectuelles. Pour autant, ils n'ont pas fourni de recettes et se défendent d'avoir élaboré « une théorie historicophilosophique de la marche générale, fatalement imposée à tous les peuples, quelles que soient les circonstances historiques où ils se trouvent placés 1 ». Ils affirment que « notre conception de l'histoire est avant tout une directive pour l'étude et non un levier » et se sont toujours refusés à être « des marchands de système ». Afin que leurs lecteurs à la tête un peu dure saisissent convenablement leur point de vue, Marx précise : « nous n'arrivons pas face au monde en doctrinaires, avec un nouveau principe : voici la vérité, maintenant à genoux ! 1. MARX, Karl. Œuvres-Economie I. Paris: Gallimard, 1965. (Bibliothèque de la Pléiade.) p. CLXHI.

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[...] nous lui montrons seulement pourquoi il lutte véritablement, et la conscience est une chose qu'il doit acquérir même s'il ne le veut pas »2. Hélas, les armes fournies sont toujours là, rouillées, n'ayant pas ou peu servi. Il importe qu'enfin les masses s'en saisissent et n'attrapent point quelques vagues formules au lieu de la nouvelle conception critique, ou encore se dispensent du travail de réflexion nécessaire. Le grand danger qui menaçait la classe ouvrière au dix-neuvième siècle était déjà celui-ci et Engels soulignait le défaut de certains de ses amis déclarant en substance : « Pourquoi bûcher, le père Marx, dont c'est le métier de tout savoir, est là pour ça. » 3 Ce comportement s'est prolongé pendant des générations au sein de la classe des producteurs qui, pour finir, a cru pouvoir ignorer purement et simplement une théorie jugée inadaptée et dépassée, ou simplement fatigante à étudier et à appliquer. Le bilan est lourd et c'est à bon droit que l'ancien dirigeant communiste français Léo Figuères écrit : « la tendance constante du mouvement ouvrier et populaire français le porte au pragmatisme et à la sous-estimation de toute pensée théorique » 4 , travers aujourd'hui laigement répandu dans le monde. Pratiquée par les Grecs, développée par Hegel, la dialectique, associée par Marx et Engels au matérialisme est pour eux une arme et une méthode qu'ils approfondissent sans jamais renier ceux qui les ont précédé. Aujourd'hui, elle est considérée comme une habileté permettant d'esquiver les réalités gênantes, d'éviter la 2. MARX, Karl, ENGELS, Friedrich. Sur la littérature et l'art. Paris : Éditions sociales, 1954, p 137. 3. MARX, Karl, ENGELS, Friedrich. Correspondance, TIII, Janvier 1852-juin 1853. Paris : Éditions sociales, 1972. p 355. 4. FIGUERES, Léo. Histoire des communistes français. Pantin : le Temps des cerises, 1995, p. 34.

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confrontation des idées, de mentir avec adresse ; bref, une malhonnêteté intellectuelle. La vérité est tout autre : il s'agit de reconnaître que la vie et la mort ne sont pas dissociables ; qu'en chaque chose coexistent deux aspects contradictoires, le bien et le mal, pouvant se combiner en une catégorie nouvelle, et que chercher à éliminer le mal aboutit à éliminer le mouvement, c'està-dire la vie, c'est-à-dire le progrès, même si celui-ci n'est pas régulier et connaît des reculs et des « retours circulaires ». Ainsi, le mal est utile. Plus encore, c'est lui qui, en combattant l'ancien, le bien, joue le rôle de moteur et est à l'origine du développement de la société avec l'aide de la cupidité et des ambitions des hommes. Marx et Engels se réfèrent nettement à l'écrivain anglais Bernard de Mandeville : « l'auteur démontre que les vices sont indispensables et utiles dans la société présente. Ce n'était nullement une apologie de cette société » 5. Il faut d'ailleurs ajouter que les scientifiques que se voulaient Marx et Engels n'auraient pas laissé une œuvre aussi riche s'ils n'avaient rencontré une forte opposition : sans Proudhon, pas de Misère de la philosophie, sans Bruno Bauer, pas de Sainte Famille, sans Diihring, pas d'Anti-Diihring, etc. Leurs adversaires ont donc joué un rôle et ont été utiles : on approfondit et on progresse contre quelque chose ou quelqu'un. En résumé, il y a au cœur de cette conception du monde, l'idée que ce dernier n'est pas un ensemble de choses achevées, mais un ensemble de processus, compliqués malgré les apparences. Cependant, admettre cette thèse en parole ou par l'écrit est une affaire, et se montrer capable de l'appliquer face à la réalité de tous les jours, savoir démêler l'enchevêtrement des choses et reconnaître que

5. MARX, Karl. Œuvres-Philosophie III. Paris : Gallimard, 1982. (Bibliothèque de la Pléiade), p. 572.

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le mal d'aujourd'hui est le bien de demain, en est une autre. D y a souvent loin de la théorie à la pratique, les dirigeants dits communistes le savent bien et l'ont appris à leurs dépends, ou plutôt à ceux de leurs partis et de leurs peuples. Ils prétendaient généralement faire du marxisme à la manière de ceux dont Marx lui-même disait : « Tout ce que je sais, c'est que je ne suis pas marxiste, moi ! » Et Engels d'ajouter après avoir rapporté ces propos : « probablement il dirait de ces messieurs ce que Heine disait de ses imitateurs : "j'ai semé des dragons et j'ai récolté des puces". » Mais si les communistes ne sont pas des dialecticiens, à l'inverse, on rencontre des non communistes qui le sont, sans aucun doute possible. Ainsi Fellini déclarait un jour : « les rapports entre metteurs en scène et producteurs sont presque toujours dramatiques ; en tout cas, on ne peut les envisager en terme de collaboration, même la plus modérée. C'est toujours un duel d'astuces, de coups hauts et bas [...] Cela dit, je suis obligé d'ajouter que, personnellement, j'ai vraiment besoin du producteur [...] pour être stimulé à défendre mon film, à le protéger de toutes les attaques, les pièges, les défigurations, les embûches masquées en conseils affectueux, les trahisons qui le menacent, etc. » 6 . Ce qui revient à dire : j'ai besoin d'un adversaire qui m'oblige à le combattre et donc à progresser. Les découvertes sont rares en sciences sociales, faire du neuf est difficile et surtout, les antériorités partielles sont nombreuses. Ainsi la lutte de classes n'a pas été mise au jour -encore moins inventée- par Marx qui le reconnaît lui-même : « ce n'est pas à moi que revient le mérite d'avoir découvert l'existence des classes dans la 6. Télérama du 23 mai 1979.

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société moderne, pas plus que la lutte qu'elles s'y livrent. Des historiens bourgeois avaient exposé bien avant moi l'évolution historique de cette lutte des classes et des économistes bourgeois en avaient décrit l'anatomie économique... » 7 En revanche, on lui doit, en collaboration avec Engels, la découverte du matérialisme historique, c'est-à-dire la reconnaissance du rôle décisif que jouent en histoire, les relations économiques, les forces productives et la production jusqu'alors laissées de côté. Désormais, il est clair que la production économique et la société qui en résulte constituent la base de l'histoire politique et culturelle. « Ce n'est pas la conscience des hommes qui détermine leur existence, c'est au contraire leur existence sociale qui détermine leur conscience. » Les rejoignant plus tard, Anatole France devait écrire ce texte étonnant : « j e veux dire seulement qu'un ministre a peu de part à ses propres entreprises et qu'il n'en mérite ni la gloire ni la honte ; je veux dire que, si, dans la comédie pitoyable de la vie, les princes ont l'air de commander comme les peuples d'obéir, ce n'est qu'un jeu, une vaine apparence, et que réellement ils sont les uns et les autres conduits par une force invisible » 8 . Cette force s'appelle : rapports économiques. Autre non découverte, la force de travail, puisque Marx écrit que, selon Hobbes, la valeur d'un homme, c'est ce qu'on en donne pour l'usage de sa force. Mais c'est lui, Marx, qui a expliqué l'utilisation qui en est faite, a démonté le mécanisme de la plus-value, le secret de la production bourgeoise qui permet au capitaliste, même s'il paie au salarié ce que vaut sa force de travail sur le marché, de retirer de son activité une valeur supérieure permettant 7. MARX-ENGELS, réf. 3, p. 79. 8. FRANCE, Anatole. Les opinions de M. Jérôme Coignard. Paris : Calmann-Lévy, 1948. p. 36. (le Livre de poche.)

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l'accumulation de capital. On ne s'étonnera pas que le matérialisme historique ait été déformé, et d'abord du vivant de leurs auteurs comme le déplore Engels dans une lettre à Joseph Bloch en 1890 : « D'après la conception matérialiste de l'histoire, le facteur déterminant dans l'histoire est, en dernière instance, la production et la reproduction de la vie réelle. Ni Marx, ni moi n'avons jamais affirmé davantage. Si, ensuite, quelqu'un torture cette proposition pour lui faire dire que le facteur économique est le seul déterminant, il la transforme en une phrase vide, abstraite, absurde. » De tout ce qui précède, il découle que les bouleversements qui transforment la société ne sont pas le résultat des conflits inventés par la tête des hommes mais naissent d'abord entre les classes sociales existantes, suite à la prolétarisation des masses, à l'extension de l'armée industrielle de réserve (chômeurs) et à l'accumulation du capital à un pôle faisant pendant à la misère régnant à l'autre. Ces bouleversements ou révolutions constituent une nouvelle étape dans l'histoire de l'humanité, celle à venir consistant en la disparition de la société capitaliste par suppression du salariat et l'avènement d'une société sans classes. En aucune façon, il ne peut s'agir d'une société idéale, sans conflits d'aucune sorte. Le monde ne saurait aller demain vers un « avenir lumineux », une société parfaite, un État parfait étant des choses qui ne peuvent exister que dans l'imagination. La science s'élève des degrés inférieurs à des degrés de plus en plus élevés du savoir et Engels précise que « l'histoire des sciences est l'histoire de l'élimination progressive de cette stupidité, ou bien encore de son remplacement par une stupidité nouvelle, mais de moins en moins absurde » 9.

9. MARX, Karl, ENGELS, Friedrich. Études philosophiques. Paris : Éditions sociales, 1977. p. 245.

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De la même façon « les situations qui se sont succédé dans l'histoire ne sont que des étapes transitoires dans le développement sans fin de la société humaine progressant de l'inférieur vers le supérieur. Chaque étape est nécessaire et par conséquent légitime pour l'époque » 10. C'est une réalité objective échappant au volontarisme des hommes et le lecteur conviendra que nous sommes loin ici de ce que les anticommunistes ont réussi à faire passer pour une sorte de vérité révélée. Reste que s'il faut reconnaître que les périodes historiques doivent faire leur temps, l'on est aussi en droit de trouver enrichissante la lutte pour une société nouvelle, exaltant, enthousiasmant et même nécessaire, le combat contre une classe qui appartient au passé, en faveur d'un monde supérieur. A condition toutefois que cela ne conduise pas à des rêveries, au subjectivisme et au volontarisme. La classe appelée à mener ce combat novateur est nommée indifféremment par Marx et Engels classe ouvrière ou classe des producteurs, celle qui rassemble les travailleurs productifs, contraints d'abandonner aux capitalistes une partie de leur travail, la plus-value, ou effectue des actes destinés à féconder le capital donc à enrichir le capitaliste. Ainsi, pour appartenir à cette classe, il n'est point indispensable d'être placé directement sur la chaîne de production d'une usine ; il suffit d'être un « organe du travailleur collectif » n . Si Marx et Engels utilisent un peu plus souvent l'expression classe ouvrière, ce n'est pas limitatif dans leur esprit, c'est parce qu'à leur époque, les employés, techniciens et ingénieurs sont bien peu nombreux, mais leur vocabulaire ainsi que leurs analyses ne laissent place à aucune 10. ENGELS, Fredrich. Ludwig Feuerback Paris : Éditions sociales, 1976. p. 13. 11. MARX, réf. 1, p. 1002.

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équivoque. Dans le Manifeste, ils écrivent alternativement : l'ouvrier, le producteur, et évoquent ailleurs « la lutte de la classe des producteurs contre la classe des appropriateurs » 12. Et ceux-là sont surtout -quand il s'agit des Allemands émigrés à Londres- d'authentiques artisans travaillant au logis pour des patrons. En outre, ils remarquent que les exploités sont nombreux hors domicile et hors fabrique : un maître d'école, par exemple, «est un travailleur productif, non parce qu'il forme l'esprit de ses élèves, mais parce qu'il rapporte des pièces de cent sous à son patron ». De même un comédien, est un « ouvrier » productif s'il travaille pour le compte d'un entrepreneur de spectacles qu'il enrichit, ou encore un écrivain travaillant pour un éditeur lorsque « sa production est, dès le départ, subordonnée au capitaliste et ne s'accomplit que pour son profit. Une chanteuse qui vend sa voix à son propre compte est un travailleur improductif. Mais la même chanteuse, engagée par un entrepreneur qui la fait chanter pour toucher de l'argent, est un travailleur productif car elle produit du capital » 13. Notons enfin que, loin de séparer travail manuel et travail intellectuel, Marx considère que durant le processus de production «le travail manuel et le travail intellectuel sont unis par des liens indissolubles, de même que dans le système de la nature le bras et la tête ne vont pas l'un sans l'autre » 14. Ce qui n'est pas contradictoire avec la division du travail dans la société. Dès lors, on comprend aisément pourquoi nos auteurs considèrent que la classe ouvrière forme la grande masse de toute la nation, d'autant que des pans entiers appar12. MARX, Karl, la Guerre civile en France. 1871. Paris : Éditions sociales, 1952. p. 51. 13. MARX, ENGELS, réf. 2, p. 197. 14. MARX, réf. 1, p. 1.001.

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tenant aux autres couches de la population, paysans, artisans, capitalistes même, balayés par le développement de la société bourgeoise, tombent régulièrement dans le camp des producteurs. Quant à l'État capitaliste, que peut-on dire de ceux qu'il emploie ? La réponse est nette : « plus il fait passer de forces productives dans sa propriété, et plus il devient capitaliste collectif en fait, plus il exploite de citoyens. Les ouvriers restent des salariés, des prolétaires » 1S. Cette classe doit acquérir la conscience de son rôle indépendamment de ce qu'une de ses fractions ou ce que ses chefs du moment imaginent devoir faire aujourd'hui ou demain. Seule compte sa mission historique. Elle devra tôt ou tard s'y conformer ou PERIR, et c'est la tâche du socialisme scientifique de donner à cette classe la conscience des conditions qui lui permettront d'agir et de transformer la société. De plus, la critique doit « rendre l'oppression réelle plus oppressive encore en y ajoutant la conscience de l'oppression et rendre la honte plus honteuse encore en la faisant publique » 16, étant entendu que « l'intransigeance (est la) première condition de toute critique » 17. Conception complètement opposée à celle de la protection des salariés devant apparaître plus tard dans le monde communiste. Ce constat établi par Marx et Engels n'a rien de commun avec une sorte d'idéalisation de la classe des producteurs que l'on a pu rencontrer parfois au cours du vingtième siècle. Bien au contraire tous deux soulignent que l'existence du salariat repose exclusivement sur la concurrence que se font les travailleurs entre eux : « la 15. ENGELS, Friedrich. Anti-Duhring. Paris : Éditions sociales, 1950. p. 318. 16. MARX, ENGELS, réf. 2, p. 326. 17. MARX, réf. 1, p. CLXH.

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force du nombre est annulée par la désunion. La désunion des ouvriers est engendrée et perpétuée par la concurrence inévitable faite entre eux-mêmes » 18. Cette idée essentielle est exprimée dans le Manifeste : « cette organisation du prolétariat en classe est sans cesse détruite de nouveau par la concurrence que se font les ouvriers entre-eux » et répétée plus loin : « le salariat repose exclusivement sur la concurrence des ouvriers entre eux ». L'homme n'est pas naturellement bon et la solidarité des travailleurs ne va pas de soi -ce qui l'est, c'est l'égoïsme, la jalousie, l'envie, l'ambition-, elle est le fruit de la violence exercée par la classe exploiteuse. L'exploitation n'est pas suffisante pour faire reculer la division qui prend des formes très variées et oppose d'abord, les ouvriers de nations différentes. Marx souligne l'antagonisme profond entre les prolétaires irlandais et anglais, nourri par la bourgeoisie qui sait que réside là le moyen lui permettant de maintenir son pouvoir. « L'ouvrier anglais hait l'ouvrier irlandais comme un compétiteur qui déprime les salaires et le standard de vie. H sent pour lui des antipathies nationales et religieuses. » 19 Selon Marx, l'Irlande est le seul prétexte que l'Angleterre ait trouvé pour entretenir une grande armée permanente, laquelle, après avoir fait « ses études soldatesques en Irlande, a été lancée sur les ouvriers anglais ». Ce qui le conduit à la conclusion célèbre et catégorique : « le peuple qui subjugue un autre peuple se forge ses propres chaînes. » Bien d'autres divisions régnent naturellement au sein de la classe des producteurs, à notre époque : d'abord entre monde dit manuel et monde dit intellectuel ; ensuite entre ouvriers, employés, techni18. MARX, réf. 1, p. 1470. 19. MARX, Karl, MARX, Jenny, ENGELS, Friedrich. Lettres à Kugelmann. Paris : Éditions sociales, 1971. p. 137.

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ciens, ingénieurs et cadres ; enfin, au sein de chacune de ces catégories et même entre ouvriers à proprement parler. D'où il ressort qu'il importe de tout tenter pour faire disparaître les divisions et de ne rien entreprendre qui soit de nature à les opposer, par conséquent également d'écarter tout ce qui pourrait constituer une protection favorisant un certain nombre d'entre-eux et en ferait « politiquement des jaunes ». La critique de Marx et Engels du monde à vocation révolutionnaire va plus loin encore et ne ménage jamais ceux qui manquent à leur devoir historique. La classe ouvrière, dans tel endroit, peut montrer la plus grande passivité ; si cela est, ils ne manquent pas de l'écrire à leurs proches. Nulle part, dit Engels, « les ouvriers ne sont plus hébétés que dans l'East-End de Londres » 20. Aux Français maintenant : parce qu'ils font partie de l'industrie de luxe, les ouvriers parisiens (en 1864) sont « ignorants, vaniteux, bavards, prétentieux, pleins d'emphase » 21. Selon Marx, ces gens ont la tête pleine des phrases les plus vides de Proudhon 22, qui a fait un mal énorme. Bref, « ils font partie de la vieille saleté bourgeoise ». Contre ses intérêts individuels, l'ouvrier est intéressé aussi à prolonger la journée de travail, parce que c'est un moyen -le plus sûr- qui lui permet d'accroître son salaire quotidien ou hebdomadaire. Mais il arrive aussi, et Marx note le fait en Angleterre, que les ouvriers protestent et demandent que des chômeurs soient recrutés afin de satisfaire les besoins nouveaux. En résumé, la classe des producteurs n'est pas composée d'hommes dotés de qualités rares et révolutionnaires par essence, ce ne sont pas des « gentils » 20. MARX, ENGELS, réf. 2, p. 319. 21. MARX, réf. 19, p. 51. 22. Heureuse époque tout de même que celle où les ouvriers français lisaient Proudhon : aujourd'hui ils ne lisent plus.

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victimes de « méchants », mais des êtres divers qui doivent se rassembler en dépit de tout ce qui les divise. Abordant le problème du collectif et de l'individu, Marx ne peut opposer ces deux termes. Supprimer la division du travail, objectif suprême, « voilà qui est impossible sans la communauté. Car c'est seulement dans la communauté qu'existent pour chaque individu les moyens de cultiver ses dispositions dans tous les sens ; c'est donc uniquement dans la communauté que la liberté personnelle devient possible » 23 . Approfondissant le sujet, il rappelle que les communistes ne prêchent aucune espèce de morale du type : aimez-vous les uns les autres, ne soyez pas égoïstes... « ils savent fort bien, au contraire, que l'égoïsme, tout autant que l'altruisme, est, dans certaines conditions sociales, une forme nécessaire de l'affirmation des individus. Les communistes ne veulent donc nullement [...] abolir l'homme privé au profit de l'homme général, de l'homme altruiste [...] Les communistes théoriciens [...] savent que cette opposition (général/privé) n'est qu'apparente, puisqu'un des aspects, l'intérêt dit « général », est sans cesse produit par l'autre, l'intérêt privé » 24 . Pour lui, il n'y a pas d'opposition véritable entre masses et individus et dans une lettre à Feuerbach, il évoque « l'unité des hommes, fondée sur la différence réelle des hommes » 2S. Si l'on étudie les rapports de Marx et Engels avec les partis, on constate que, d'une part, ce mot est employé dans deux sens différents et que, d'autre part, leurs liens avec les différents partis plus ou moins révolutionnaires ont été assez mouvementés. Deux sens en effet, car il 23. MARX, réf. 5, p. 1.111. 24. MARX, réf. 5, p. 1203/1204. 25. MARX, Karl. Œuvres - Économie IL Paris : Gallimard, 1968. (Bibliothèque de la Pléiade), p. LXIV.

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signifie, ou bien organisation, parfois clandestine, parfois publique, ou bien encore, le parti des prolétaires, c'està-dire la classe des producteurs considérée dans son ensemble. Ce qui ne manque pas de troubler certains des correspondants de Marx comme Freiligrath mais donne à celui-là l'occasion de préciser ses conceptions. Il faut avouer que la distinction n'est pas toujours facile à établir dans certains textes marxiens. Elle n'en est pas moins indiscutable comme le prouve ses lettres au poète allemand. L'une évoque « le parti qui se glorifie de te compter parmi ses membres ». Freiligrath, dans sa réponse, ayant rappelé la dissolution de la Ligue des communistes qui lui a permis de se libérer de tous les liens que lui imposait le parti en tant que tel et insisté sur sa volonté dès lors de rester étranger à ses actes et à ses décisions, Marx lui rétorque que depuis cette disparition de la Ligue, lui-même n'a plus appartenu à une organisation secrète ou publique et ajoute « aussi, le parti, compris dans ce sens essentiellement éphémère, a-t-il cessé depuis huit ans d'exister pour moi [...] je ne connais rien d'un « parti » au sens de ta lettre 26. [...] Par parti j'entendais le parti dans le grand sens historique du mot ». Cette idée était déjà exprimée il est vrai dans le Manifeste où l'on peut lire : « Cette organisation du prolétariat en classe, et donc en parti politique... » Outre cette position qui est de principe, fondamentale, Marx et Engels sont restés souvent méfiants à l'égard de groupes constitués d'hommes souvent peu dignes d'une confiance durable, comme l'histoire l'a montré et le montre encore. C'est fréquemment qu'ils ont vu des militants les abandonner lorsque les temps devenaient difficiles, à la suite de défaites politiques par exemple, 26. MARX, ENGELS, réf. 2, p. 378.

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comme ce fut le cas après les révolutions de 1848/1849 (disparition de la Ligue des communistes) et de 1871 (disparition de l'AIT). De plus leur dialectique matérialiste étant apparemment peu aisée à manier, il s'ensuivait des désaccords fréquents, nombre de leurs amis se limitant à des analyses sommaires. D'où des explosions rageuses chez les deux penseurs où l'on sent une profonde déception, surmontée à l'occasion d'une nouvelle poussée révolutionnaire. Ainsi Engels écrit-il à son ami en 1860 : « Sois enfin un peu moins consciencieux dans tes propres affaires ; ce sera toujours trop bon pour un public de pouilleux. Ce qui importe avant tout, c'est que la chose soit écrite et qu'elle paraisse, les faiblesses qui te gênent, les ânes ne les découvriront jamais. » 27 Dans un courrier à une parente, Marx reprend tristement les propos que lui tenait un oncle : « un ânier est toujours haï par les ânes ». En 1851, le même écrit à Engels : « C'en est terminé maintenant du système de concessions réciproques, d'avoir à assumer sa part de ridicule dans le parti avec tous ces ânes, c'en est fini du système des demi-mesures tolérées par scrupule, par devoir devant le public. » La réponse de son ami est au moins aussi rude : « Des gens comme nous, qui fuient comme la peste les positions officielles, qu'avons-nous à faire dans un parti ? Que nous chaut, à nous qui crachons sur la popularité, à nous qui nous troublons quand nous commençons à devenir populaires, un "parti", c'est-àdire une bande d'ânes qui ne jure que par nous parce qu'elle nous tient pour ses égaux ?... » Leur confiance allait indiscutablement en premier lieu à la classe des travailleurs elle-même comme en témoigne Engels dans une nouvelle préface au Mani44. MARX, réf. 1, p. C X L .

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feste : « Pour la victoire définitive [...] Marx s'en remettait uniquement au développement intellectuel de la classe ouvrière, qui devait résulter de l'action et de la discussion communes. » Les années 1848 et 1849 s'étant terminées aux yeux de Marx et Engels par la « défaite du parti révolutionnaire », c'est-à-dire de la classe ouvrière, les deux amis entrèrent dans une période de calme militant mais travaillèrent plus tard à la création de l'Association internationale des travailleurs (AIT) qui ambitionnait de réunir en une grande armée les prolétaires d'Europe et d'Amérique en mesure de lutter, c'està-dire les différentes tendances organisées du moment, qu'elles soient politiques ou syndicales. Cela les a conduits à laisser provisoirement de côté une partie du contenu du Manifeste et à adopter un programme plus ouvert facilitant l'adhésion d'organisations non communistes comme les Trade-Unions. Les sections nationales affiliées à l'AIT jouissaient d'une grande indépendance, le Conseil général se refusant à porter « un jugement théorique sur les programmes » nationaux, limitant son action à veiller à ce qu'ils ne contiennent rien qui soit en opposition avec celui de l'Association. Celle-ci avait pour objectif d'unifier, de généraliser les luttes, non de « leur prescrire ou de leur imposer un système doctrinaire quel qu'il soit ». Ce n'était pas là pour autant inciter ces sections à la passivité et Engels indiquait ce que devait être la tâche de la presse leur appartenant : « Avant tout discuter. Elle doit justifier, développer, défendre les revendications du parti, rejeter et réfuter les prétentions et thèses du parti adverse. » 28 Quant aux communistes, ils ont, normalement, sur le reste du prolétariat, l'avantage d'une vue précise des buts à 31. MARX, réf. 1, p. 1587.

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atteindre et des moyens à mettre en ouvre, et ont pour objectif « de développer chez les ouvriers une conscience aussi claire que possible de l'antagonisme violent qui existe entre la bourgeoisie et le prolétariat... » 29 Notons encore qu'enthousiasmé par l'action de la Commune de Paris, Marx, soulignait en 1871 que c'était là l'exploit le plus glorieux de notre « parti » depuis juin 1848, même si elle devait succomber. Or, on sait que la Commune, composée essentiellement de blanquistes et de proudhoniens, comptait dans ses rangs peu de membres de l'AIT. En 1885, Engels exposait 30 que le mouvement international, après avoir pris une première forme étroite, celle de la Ligue, et plus tard une seconde plus vaste, l'AIT, cette dernière lui était devenue une entrave et que « le simple sentiment de solidarité, fondé sur l'intuition d'une situation de classe identique, suffit à créer et à maintenir parmi les travailleurs de tout pays et de toute langue un seul et même grand parti du prolétariat. » Revenant sur le sujet l'année suivante à l'occasion du 15e anniversaire de la Commune, il réaffirmait que l'Internationale n'a plus besoin d'une organisation formelle : elle vit et grandit grâce à la coopération spontanée. Ni Marx ni lui-même, jusqu'à leur mort, ne seront plus membres d'un parti au sens étroit du mot, après la dissolution de l'AIT, et Engels refusera également d'apparaître comme représentant de telle ou telle formation allemande, arguant du fait que sa position internationale, acquise en cinquante années de travail scientifique, lui interdisait de se compromettre avec un camp. L'activité politique à laquelle ils convient les communistes est nécessaire, à la fois pour combattre la 29. Manifeste du parti communiste. 30. MARX, Karl. Œuvres-Politique I. Paris : Gallimard, 1994. (Bibliothèque de la Pléiade), p. 1122.

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bourgeoisie, adversaire naturel, et pour contrer ceux qui sont toujours prêts à s'écarter du combat essentiel et à se contenter de demi-mesures ; bref, les réformistes. Après avoir quitté l'Allemagne où il avait embrassé la carrière de journaliste, Marx se plaignait d'avoir été obligé de composer avec les pouvoirs et d'avoir été amené à lutter à coups d'épingle là où il aurait fallu utiliser la trique. Par la suite, avec Engels, il regrettera un certain nombre de compromis passés au sein de la Ligue notamment, afin de sauver l'unité de l'organisation le plus longtemps possible. Mais ces faits seront rares et de courte durée. Ils étaient tous deux trop rigoureux pour accepter longtemps cette situation et ne l'ont fait que pour aller à l'essentiel à un moment donné, faire comprendre au plus grand nombre, ce qu'est la voie révolutionnaire et détourner leurs amis d'un certain nombre d'illusions : celles du socialisme idéaliste prétendant que tous les hommes sont frères, ou les théories d'un Proudhon cherchant à débarrasser la société capitaliste de ses excès. La classe des producteurs doit se garder de deux dangers : la résignation et l'illusion. Le premier consiste à ne pas résister à la pression exercée par la bourgeoisie, à se laisser écraser peu à peu, ce qui lui interdit d'envisager des combats importants et la conduit à dépendre, comme cela s'est vu, des établissements charitables, laïcs ou appartenant aux églises, qui atténuent ou adoucissent son sort. Or, on sait quels sont les principes sociaux du christianisme. Ils prêchent « la lâcheté, le mépris de soi, l'abaissement, la soumission, l'humilité, bref, toutes les qualités de la canaille » 3 1 . (Rappelons à ce propos la force avec laquelle Engels condamnait Diihring qui, ne pouvant attendre que la 31. MARX, réf. 1, p. 1587.

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religion meure de sa mort naturelle, voulait l'interdire « et ainsi il l'aide à accéder au martyre et prolonge sa vie 32 »). Le second danger, celui de l'illusion, apparaît dans certaines conditions historiques et conduit à abandonner le combat contre la bourgeoisie et à se vendre en travaillant plus. Par exemple, dit Marx, « jamais la classe ouvrière d'Angleterre ne sembla si parfaitement résignée à l'état de nullité politique qu'après 1848 ». Il faut donc lutter. Mais encore faut-il que les revendications aient un caractère progressiste, révolutionnaire. Le programme du parti ouvrier allemand se borne, en 1875, à énoncer « la vieille litanie démocratique qui court le monde : suffrage universel, législation directe, justice populaire, milice du peuple, etc. [...] Rien que des revendications qui, pour autant qu'elles ne sont pas exagérées par une imagination débordante, ont déjà été réalisées » (Suisse, États-Unis) 33 . Ce programme de Gotha, plus célèbre par la critique qu'en a fait Marx que par ses analyses rigoureuses, se caractérise déjà par « son cliquetis démocratique [...] par la croyance au miracle de la démocratie ainsi que par un recours quasi-permanent à l'État quand les prolétaires ne doivent compter que sur eux-mêmes ». Ce combat n'est pas nouveau. Déjà en 1850, il avait repoussé au sein de la Ligue des communistes, des points de vue « anticommunistes » pouvant « tout au plus être considérés comme sociaux-démocrates » 34. Au long de leur vie de théoriciens et de militants, Marx et Engels ont été souvent contraints de lutter contre ceux qui, dans l'incapacité de se défaire de leur idéalisme, voulaient sans cesse remplacer la base matérielle de l'histoire par un ensemble de proclamations creuses 32. ENGELS, réf. 15, p. 356. 33. MARX, réf. 1 p. 1429.

34. MARX, réf. 30, p. 1083.

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fondées sur des idéaux de justice, de liberté, d'égalité, de fraternité, de vérité, de moralité, débouchant toujours sur des déclarations sentimentales. Il y a toujours chez ces gens, la recherche de combinaisons, de formules permettant de remédier aux défauts de la société, de procéder à des rapiéçages, sans causer le moindre tort au capital et au système de la plus-value. En somme, ils ne veulent pas abolir le pouvoir de la bourgeoisie mais demandent un exercice plus humain de ce pouvoir. Ils veulent débarrasser la société bourgeoise de ses excès pour la rendre supportable et éviter les conflits. L'on rencontre aussi chez ces gens, l'idée plus subtile que, comme le dit Engels, les actions politiques de premier plan sont le facteur décisif en histoire, qu'elles déterminent l'état économique, ce qui conduit naturellement à vouloir prendre le pouvoir politique et à limiter son action à ce domaine en passant des compromis au nom du réalisme politique tandis que d'autres, déjà, jouent les marquis de Posa 3S , comme le fait observer Marx. Or, si les compromis sont habituels, logiques de la part des classes possédantes qui ont en vue leur intérêt immédiat, tel n'est pas le cas de la classe des producteurs qui ne peut être que révolutionnaire. Rapidement, les réformistes sont amenés à montrer concrètement l'exactitude des remarques d'Engels notant que « le parlementarisme est une excellente école pour enseigner le respect de la tradition ». Or, la tradition est elle-même « une grande force conservatrice », « une grande force ralentissante, elle est la "vis inertiae" (force d'inertie) de l'histoire ».

35. Héros de la pièce Don Carlos, de Schiller : il se propose persuader le tyran grâce à son intelligence, de la justesse de cause. Devenu le symbole de ceux qui croient être capables modifier le cours de l'histoire par la force de leurs discours et leurs idées.

de sa de de

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Quant aux élections elles sont, pour Marx, simplement l'occasion de « décider une fois tous les trois ou six ans quel membre de la classe dirigeante devait "représenter" et fouler aux pieds le peuple au Parlement » 3 6 . En matière de démocratie, deux idées essentielles sont au cœur de la réflexion de Marx et Engels : l'État est fondamentalement totalitaire, et la démocratie, la liberté sont inséparables de la lutte menée par la classe des producteurs. L'État n'est, en effet, rien d'autre que la forme organisée de la violence à laquelle toutes les formes de société ont eu recours pour naître, se développer et durer. L'État est l'instrument nécessaire qui permet de maintenir, ordonner la domination de la classe exploiteuse du moment, ce qui est nécessaire puisqu'elle est minoritaire. Sauf, remarque Marx, lorsqu'il y a partage du pouvoir entre deux classes, ce qui fut le cas en Angleterre entre la noblesse et la bourgeoisie lors du grand compromis de la fin du 17e siècle. Quant à la démocratie, lui et son ami ont toujours considéré que la lutte en sa faveur et pour le communisme était un seul et même combat et ils ne sauraient être tenus pour responsables des crimes commis ultérieurement, parfois en leur nom : « dans tous les pays civilisés, la démocratie a pour conséquence nécessaire la domination politique du prolétariat, et cette domination est la première condition de toutes les mesures communistes » 37. La révolution étant une affaire trop grave pour être exportée ou imposée, ou seulement aidée de l'extérieur, même par des nationaux, ils s'opposent en 1848 à la constitution de légions allemandes et autres, chargées de rentrer dans leurs pays respectifs afin d'y aider une révolution éventuelle, cela constituant à leurs yeux une farce révolutionnaire :

36. MARX, réf. 12, p. 50. 37. MARX, réf. 5, p. 727.

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« Entreprendre une invasion dans une Allemagne alors en pleine agitation pour y importer de vive force de l'extérieur la révolution, c'était faire un croc-en-jambe à la révolution en Allemagne même, consolider les gouvernements... 38 » Dès 1847, dans un article de presse prémonitoire, Marx indiquait ce que rejettent les communistes en général et en matière de liberté en particulier : « Nous ne sommes pas des communistes qui veulent anéantir la liberté personnelle et faire du monde une grande caserne ou un grand atelier. H existe à la vérité des communistes qui en prennent à leur aise et qui nient et veulent supprimer la liberté personnelle qui, à leur avis, barre la route à l'harmonie ; mais nous, nous n'avons pas envie d'acheter l'égalité au prix de la liberté » 3 9 . A cette époque déjà, les atteintes à la liberté sont le fait de la bourgeoisie qui pourchasse les révolutionnaires dans toute l'Europe continentale et si, en Angleterre, les réfugiés bénéficient de l'habeas corpus et de la liberté de presse, ils ont également le droit de mourir de faim et les communards réfugiés à Londres sont licenciés dès que l'on apprend qui ils sont, tout comme Jenny, la fille de Marx. Nombre de communistes doivent s'exiler, qui aux États-Unis, qui en Australie. La démocratie bourgeoise a ses limites. Mais la Ligue des communistes, elle, si l'on en croit Engels était : « foncièrement démocratique, avec des autorités élues et toujours révocables ; ce seul fait barrait le chemin à toutes les velléités de conspiration qui exigent une dictature... » 40 D'où l'on conclut que tous deux n'excluaient pas qu'un tel malheur puisse survenir dans un parti. Et Marx rappelait à un ami beaucoup plus 38. MARX, réf. 30, p. 1116. 39. MARX, réf. 30, p. 993. 40. MARX, réf. 30, p. 1115.

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tard que : « Engels et moi, quand nous entrâmes pour la première fois dans la société secrète des communistes, nous le fîmes à la condition que les statuts écartent tout ce qui pouvait favoriser la foi dans l'autorité » 41 . En 1850, lors du désaccord survenu au sein de la Ligue des communistes, Marx déclarait que la majorité serait en droit de demander l'exclusion des opposants qui avaient violé les statuts, mais qu'il ne le ferait pas pour deux raisons. La première est que cela créerait un scandale inutile, la seconde est que ces gens, malgré leurs fautes, se croyaient sincèrement communistes. Plus tard rapporte Maximilien Rubel, le même blâma le conseil général de l'AIT de New York pour avoir suspendu une fédération : « Tout le monde et tous les groupes ont le droit de quitter l'Internationale ; lorsque cela arrive, le Conseil général doit simplement constater de manière officielle cette démission, mais nullement suspendre. » 4 2 Glorifiant la politique démocratique de la Commune en 1871, il notait qu'elle avait pris « des assurances contre ses propres mandataires et fonctionnaires en les proclamant, en tout temps et sans exception, révocables ». Enfin, on ne saurait quitter ce point sans examiner, ne serait-ce que brièvement, le comportement personnel de nos deux communistes scientifiques ou critiques auxquels certains osent faire porter, ne serait-ce que partiellement, la responsabilité du stalinisme. Dans une préface rédigée à l'occasion de la réédition de Y Anti-Duhring, Engels fait connaître ses conceptions en matière de lutte politique et de démocratie, et notamment sa décision de principe de ne rien changer au contenu de son livre pourtant dépassé sur certains points. S'il est vrai qu'il doit consacrer son temps en premier lieu à l'édition des 41. MARX, réf. 1, p. CLXm. 42. MARX, réf. 1, p. CLIV.

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volumes deux et trois du Capital, sa conscience répugne, dit-il, à toute modification : « Cet ouvrage est un ouvrage polémique et je crois devoir à mon adversaire de ne rien améliorer pour ma part là où il ne peut lui-même rien améliorer. » Il ajoute qu'il est d'autant plus dans l'obligation d'observer à son égard les « règles de bienséance de la lutte littéraire » que Diihring « a subi une honteuse iniquité de la part de l'Université de Berlin » puisque obéissant à Bismarck, celle-ci a accepté de chasser le professeur de son poste pour se voir imposer le médecin du chancelier prussien. Engels n'avait pourtant aucune estime particulière pour l'homme dont il dénonçait « l'ignorance ignare » mais il respectait la « liberté d'enseigner » et combattait pour elle. De son côté, Marx a eu l'occasion de dire ce qu'il pensait du culte de la personnalité, comme on ne l'appelait pas encore, et dans un courrier à Engels, lui dit son mécontentement devant l'enthousiasme excessif d'un de ses amis les plus proches : « Kugelmann m'agace quelquefois [...] par son enthousiasme. » Il le dit ensuite crûment dans une lettre à l'intéressé : « J'ai approuvé, quant au fond, ta correspondance avec Jacoby ; mais les éloges exagérés que tu me décernes pour mon activité m'ont absolument choqué. De la mesure en toutes choses si tu dois distribuer des éloges. Le vieux Jacoby lui-même est très digne d'éloge. Quel autre vieil extrémiste d'Europe a eu assez d'honnêteté et de courage pour se rallier si franchement au mouvement prolétarien ? » 43 Mais alors, que penser de la dictature du prolétariat dont il est l'inventeur ou plutôt le découvreur ? D'abord, le mot n'avait pas le sens qu'il a dans le temps présent, marqué par nombre de dictatures sanglantes ; ensuite, à 31. MARX, réf. 1 , p. 1587.

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ses yeux, dans le régime capitaliste, il y a dictature de la bourgeoisie. Celle du prolétariat est destinée à mettre bas l'appareil d'État de la classe des capitalistes, c'est une période transitoire entre le capitalisme et la société future, le communisme, pendant laquelle la classe des producteurs dans son entier travaille à supprimer les antagonismes de la société. D est évident dès lors que la dictature du prolétariat n'est pas autre chose que la démocratie s'incamant dans un ensemble de décisions voulues par la classe des producteurs, c'est-à-dire l'immense majorité des salariés, visant à détruire progressivement la société capitaliste et son appareil d'Etat. Il s'agit donc d'un progrès, d'une marche en avant, d'une amélioration de la démocratie, permettant d'aller « de l'inférieur vers le moins inférieur ». Afin que les choses soient bien nettes, notons que la conception de Marx en matière de démocratie le conduit à écrire : « Ni dans les écoles élémentaires ni dans l'enseignement supérieur, on ne doit enseigner des matières qui admettent une interprétation de parti ou de classe. 44 » Et si ses vues l'amènent à vouloir changer l'état de choses, ce n'est pas par des mesures administratives. Par exemple : « on doit être en mesure de transformer l'ordre existant, et c'est alors que le droit d'héritage disparaîtra de lui-même », mais cela ne signifie pas que l'on doit s'interdire, en attendant, de prendre des mesures pour augmenter l'impôt dans ce domaine. Là est le maître-mot de sa politique : changer l'ordre existant, ce qui amène les transformations souhaitées, et non transformer d'emblée, trancher brutalement, autoritairement. En somme, changer les causes, s'attaquer à elles, des conséquences positives en découleront nécessairement. 44. MARX, réf. 1, p. CXL.

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Ni l'un ni l'autre étaient sectaires en matière de création. Amené un jour à donner son point de vue à Minna Kautsky et à lui faire part d'un reproche « pour être impartial », comme elle le lui demandait, Engels écrit : « Vous éprouvez probablement le besoin de prendre publiquement parti dans ce livre, de proclamer à la face du monde entier vos opinions. C'est déjà fait. C'est du passé et vous n'avez plus besoin de le répéter sous cette forme. Je ne suis aucunement adversaire de la poésie de tendance comme telle. [...] Mais je crois que la tendance doit ressortir de la situation et de l'action elle-mêmes, sans qu'elle soit explicitement formulée, et le poète n'est pas tenu de donner toute faite au lecteur la solution historique future des conflits sociaux qu'il décrit 45 ». Plus tard, il fera une réponse dans le même esprit à une romancière anglaise socialiste : « Je suis loin de vous reprocher de ne pas avoir écrit un récit purement socialiste, un "roman de tendance", comme nous le disons, nous autres Allemands, où seraient glorifiées les idées politiques et sociales de l'auteur. [...] Plus les opinions de l'auteur demeurent cachées et mieux cela vaut pour l'œuvre d'art » 46 . Nos deux critiques étaient tout sauf dogmatiques, particulièrement avec les poètes envers lesquels ils se montraient très ouverts ainsi qu'en témoigne Eléanor Marx : « Marx disait que les poètes sont des originaux, qu'il faut les laisser aller leur chemin à eux, et qu'on ne doit pas leur appliquer la même mesure qu'aux gens ordinaires. » 47 Relève également de leurs conceptions démocratiques, la condamnation de toute forme de colonialisme, non pas pour des raisons de sympathie, mais dans 45. MARX, ENGELS, réf. 2, p. 314. 46. MARX, ENGELS, réf. 2, p. 317/318. 47. MARX, ENGELS, réf. 2, p. 333.

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l'intérêt même de la classe des producteurs. C'est ce qu'explique Marx en 1869 dans une lettre à propos de l'affaire irlandaise, ajoutant que les ouvriers anglais doivent faire cause commune avec les Irlandais ; « sinon le peuple anglais continuera à être tenu en lisière par ses classes dirigeantes parce qu'il est contraint de faire front commun avec elle contre l'Irlande. 48 » Dans le Capital, procédant à l'examen de la société américaine, il livre une réflexion plus originale : « Le travail sous peau blanche ne peut s'émanciper là où le travail sous peau noire est stigmatisé et flétri.49 » La lecture des œuvres de ces deux critiques révéleraient bien des surprises à ceux qui ont la condamnation d'autant plus facile qu'ils n'ont pas pris la peine de les parcourir. Serait-il excessif de les considérer comme les premiers écologistes ? Le lecteur en jugera à cet extrait du Capital :« chaque progrès de l'agriculture capitaliste est un progrès non seulement dans l'art d'exploiter le travailleur, mais encore dans l'art de dépouiller le sol ; chaque progrès dans l'art d'accroître sa fertilité pour un temps, un progrès dans la ruine de ses sources durables de fertilité.[...]La production capitaliste ne développe donc la technique et la combinaison du processus de production sociale qu'en épuisant en même temps les deux sources d'où jaillit toute richesse : La terre et le travailleur. 50 » Déjà, dans l'Idéologie allemande, œuvre de jeunesse destinée à effectuer leur « examen de conscience philosophique », Marx et Engels avaient écrit ces lignes : « "L'essence" du poisson de rivière, c'est l'eau d'une rivière. Mais cette eau cesse d'être son "essence" et devient pour lui un milieu, désormais inadéquat, dès que l'industrie 48. MARX, réf. 19, p. 134. 49. MARX, réf. 1, p. 835. 50. MARX, réf. 1, p. 998-999.

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s'empare de cette rivière, dès qu'elle est polluée par des substances colorantes et d'autres détritus » 5 1 . Dans l'Anti-Duhring, Engels note que « la ville de fabriques transforme toute eau en purin puant » et conclut : « Ce n'est que par la fusion de la ville et de la campagne que l'on peut éliminer l'intoxication actuelle de l'air, de l'eau et du sol. » Il faut toute la suffisance de la « valetaille » (journalistes) de cette fin de siècle pour croire que l'ère de la communication a commencé du jour seulement où ils sont entrés eux-mêmes dans la carrière. Il convient donc de leur dédier ce petit couplet : « On croyait [...] que la formulation des mythes chrétiens dans l'empire romain n'avait été possible que parce que l'imprimerie n'avait pas encore été inventée. C'est tout le contraire. La presse quotidienne et le télégraphe qui répand ses inventions en un clin d'œil dans tout le globe fabriquent plus de mythes en un jour qu'on ne pouvait en fabriquer autrefois en un siècle. 52 » Ainsi, peu de sujets ont échappé à l'attention, aux remarques souvent acérées des deux amis, même pas la sexualité, bien que ce sujet n'ait été abordé qu'au détour d'un article de presse par Engels, à l'occasion d'un hommage rendu à un poète ami : « Ce en quoi Weerth était passé maître, ce en quoi il surpassait Heine (parce qu'il était plus sain et plus vrai), ce en quoi il n'a été surpassé dans la littérature allemande que par Goethe, c'est dans l'expression d'une sensualité et d'appétits charnels sains et robustes. Quelques-uns des lecteurs du Social-Démocrate seraient horrifiés si je me mettais à reproduire ici certains feuilletons de La Nouvelle Gazette Rhénane. [...] je ne peux m'empêcher de remarquer que pour les socialistes allemands aussi viendra le moment où ils devront rejeter ouvertement ce

51. MARX, réf. 5, p. 1077. 52. MARX, réf. 19, p. 201.

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dernier préjugé philistin allemand, l'hypocrite pruderie morale petite-bourgeoise qui ne sert d'ailleurs qu'à recouvrir des obscénités secrètes. » 53 On ne peut qu'être étonné en apprenant que les lecteurs de 1883 ne pourraient lire les feuilletons d'une gazette publiée quelques dizaines d'années auparavant. Le progrès social n'est pas un phénomène linéaire, disait à peu près Marx, qui fut le premier sans doute à lancer une enquête sociologique (1881) de 100 questions portant sur la condition ouvrière : métiers exercés, nature du patron (société ou capitaliste), nombre de personnes, sexe, âge, apprentis, lieu, machines, force motrice, nature de l'entreprise, garanties sociales, sécurité, émanations délétères occasionnant des maladies spécifiques, accidents, horaires, pauses, jours fériés, salaires, etc. Ce questionnaire fut tiré à 25.000 exemplaires en France et diffusé dans les sociétés ouvrières, les groupes socialistes ou les journaux. Abordons maintenant le domaine des erreurs commises par nos penseurs. La première, la plus grande, serait d'avoir annoncé une révolution mondiale qui ne s'est jamais produite, et d'abord en Europe occidentale. D serait facile de rétorquer que la fin du monde n'est pas encore arrivée, bien que l'impérialisme s'y emploie activement. Mais peut-être faudrait-il aussi que ces censeurs nous disent où Marx et Engels ont, dans leurs écrits théoriques, évoqué une sorte de fatalité de la révolution à la française de type 1789. Ds se sont limités à exposer que le développement du capitalisme conduisait à des crises inévitables, ce qui est une simple évidence, et que la classe des producteurs devait lutter ou périr. Jamais ils n'ont évoqué le moindre automatisme, la 53. MARX, ENGELS, réf. 2, p. 343.

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moindre inéluctabilité, bien au contraire. Alors venons-en plus sérieusement aux faits établis, et d'abord aux erreurs reconnues par les coupables eux-mêmes, donc, difficilement niables. Abordant la période de 1848 dans un texte daté de l'année de sa mort, Engels écrit : « L'histoire nous a donné tort, à nous comme à tous ceux qui pensaient de façon analogue. Elle a montré clairement que l'état du développement économique sur le continent était alors bien loin encore d'être mûr pour l'élimination de la production capitaliste. 54 » Engels reconnaît également la part de responsabilité qu'ils portent dans la mauvaise interprétation de la théorie matérialiste de l'histoire : « C'est Marx et moi-même, partiellement, qui devons porter la responsabilité du fait que, parfois, les jeunes donnent plus de poids qu'il ne lui est dû au côté économique. Face à nos adversaires, il nous fallait souligner le principe essentiel nié par eux, et alors nous ne trouvions pas toujours le temps, le lieu, ni l'occasion de donner leur place aux autres facteurs qui participent à l'action réciproque. Mais dès qu'il s'agissait de présenter une tranche d'histoire, c'est-à-dire de passer à l'application pratique, la chose changeait et il n'y avait pas d'erreur possible. » 55 Dans une autre lettre, le même interroge, prouvant ainsi l'absence, chez lui, de rejet, de mépris, de négation des facteurs politique, culturel, idéologique et de leur interaction avec l'économie : « Pourquoi luttons-nous donc pour la dictature politique du prolétariat si le pouvoir politique est économiquement impuissant ? » Sur ces différents points, il n'y a pas eu d'erreur décisive de leur part puisqu'il s'agit d'interprétations erronées de leurs écrits, même s'il est vrai qu'il y a eu sous-estimation des capacités de

54. MARX, réf. 30, p. 1129. 55. MARX, ENGELS, réf. 9, p. 240-241.

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développement du capitalisme, et cela, encore en 1895 chez Engels. D'une manière générale aussi, ils ont eu tendance à accorder aux hommes une confiance qu'ils ne méritaient nullement, pris collectivement ou individuellement. Parce que les intérêts des paysans vers 1850, en France, ne coïncident plus avec ceux de la bourgeoisie et s'y opposent, Marx conclut qu'ils trouvent leur « allié naturel et leur guide » dans le prolétariat des villes et que s'ouvrent naturellement à ses yeux de larges perspectives de combats communs victorieux. C'était, il est vrai, une possibilité théorique mais il n'y a jamais eu concordance de lutte. De même, la révolution qu'ils jugeaient possible et même probable en Allemagne, n'a jamais eu lieu. Si leur côté journaliste et militant les a conduits à pécher par optimisme, c'est que les luttes pour être menées exigent une conscience politique élevée absente dans les deux cas évoqués ci-dessus. Marx s'est parfois trompé dans ses jugements sur les hommes, lesquels sont toujours plus mauvais qu'on ne le croit. Ainsi, il écrivait à un de ses amis, au sujet du poète Freiligrath auquel il fut un temps très lié : « C'est un véritable révolutionnaire et un homme d'une honnêteté absolue, louange que je ne décernerais qu'à peu de personnes. » Or, ce parfait militant, ce parfait honnête homme quittera la Ligue afin de ne pas se commettre avec des gens peu recommandables... qui n'étaient pas membres du Parti naturellement, deviendra banquier, chantera, en 1870, les succès du militarisme prussien, et finira bras droit de Bismark. Autre erreur de Marx, à propos d'un ancien de la Ligue sur lequel il écrit en 1866: «Miquel et compagnie peuvent attendre longtemps pour devenir ministres prussiens. » Pour le premier, ce sera chose faite en 1870. La faute des deux amis aura été de ne pas, malgré leur connaissance des êtres, avoir mesuré l'écart existant entre des hommes véritables comme eux, doués d'une

À LA RECHERCHE DE MARX ET D'ENGELS

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intelligence supérieure, pour qui se réaliser était une nécessité primordiale, et la grande majorité du reste de l'humanité pour qui il faut vivre et pour cela se prête volontiers à bien des compromissions. Il leur échappait alors parfois des cris de colère devant l'instabilité, l'incompréhension même de leurs amis, parfois les plus proches : « public de pouilleux », « ânes ». Il leur a manqué peut-être la clairvoyance qui fut celle d'Anatole France : « Les humains, petits ou grands, ne sont, par eux-mêmes, que des bêtes féroces et dégoûtantes. » Mais peut-on être théoricien et aussi militant, sans se bercer parfois d'un peu d'illusions et d'espoirs excessifs ? On ne saurait cependant s'arrêter sans injustice à ces erreurs peu nombreuses et sans conséquences, sans évoquer aussi les éventualités, les affirmations qui se sont révélées exactes, indépendamment des analyses fondamentales. Si Marx a cru parfois en une révolution prochaine, il a aussi déclaré à des amis qui le combattaient dans la Ligue et lui reprochèrent de trahir en 1850 : « Nous disons aux travailleurs : il vous faudra traverser quinze, vingt, cinquante années de guerres civiles pour changer les conditions sociales et pour vous rendre vous-mêmes aptes à l'exercice du pouvoir. » 56 C'est dire qu'il croyait moins à La révolution qu'à une crise possible considérée comme une étape, à un moment révolutionnaire, pouvant prendre place dans une série de processus. En tant que chercheurs, lui et Engels ont livré des analyses importantes, confirmées par l'histoire, ce que leurs détracteurs cachent avec succès, pour autant qu'ils en aient connaissance. Examinant la situation en Russie, Marx y voyait dès 1870, la possibilité d'une révolution et dans une préface de 1882 au Manifeste, les 56. MARX, réf. 30, p. 1083.

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auteurs écrivent que ce pays « est l'avant-garde du mouvement révolutionnaire de l'Europe ». 57 C'est que dans de nombreux domaines, ce pays rencontrait une crise profonde, connue de Marx qui a appris le Russe afin de s'informer à la source de la situation, grâce aux documents officiels que lui transmettaient ses amis et relations. Déjà en 1878, il avait écrit : « La Russie se trouve depuis longtemps au seuil d'un bouleversement ; [...] Toutes les couches de la société russe sont en pleine décomposition, économiquement, moralement et intellectuellement. La révolution commence cette fois à l'est. » 5 8 Et l'on sait que 1905 et 1917 n'étaient pas loin. On n'aura garde d'oublier qu'en tant que spécialiste des questions militaires, Engels publia dans la Pall Mail Gazette de Londres, en 1870, une série d'articles où il concluait à la défaite inéluctable de l'armée française et à la capitulation de Sedan, ce qui lui valut une flatteuse réputation en Angleterre et au delà. Et cet homme a peutêtre été surtout bon prophète, hélas, lorsqu'il évoquait la probabilité de guerres mondiales « d'une cruauté inouïe, avec un dénouement absolument incalculable. 39 Mais il est temps de connaître la suite de l'histoire et de découvrir notamment le travail des disciples.

57. MARX, réf. 1, p. 1483. 58. MARX, réf. 1, p. CLXm. 59. MARX, réf. 30, p. 1131.

CHAPITRE H L E X X E SIÈCLE

1°) Impérialisme et socialisme

L

e système capitaliste possède d'énormes facultés de

développement et d'adaptation lui permettant de surmonter les épreuves que la vie lui impose : les temps de crises, de révolutions, sont suivies de périodes extrêmement favorables, d'aventures nouvelles qui sont exploitées à fond. Mais ce qui a permis au capitalisme de durer, c'est d'abord d'avoir su se transformer « en ce système universel d'oppression coloniale et d'étranglement financier de l'immense majorité de la population du globe par une poignée de pays "avancés" 60 ; ensuite, d'avoir eu affaire à des dirigeants communistes incompétents. Entreprise très tôt, la conquête des tenes lointaines, l'exploitation des populations, du sol et du sous-sol, a 60. LENINE. Impérialisme, stade suprême du capitalisme. Paris : Editions sociales, 1952, p. 12.

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permis aux pays capitalistes de donner un certain équi libre au développement des métropoles, de le régule dans une large mesure. L'excédent de population, indis pensable pour exercer une pression forte sur les salaire: peut devenir fâcheux lorsqu'il grandit au point d'entraî ner des mouvements de révolte. Si la classe ouvrièr anglaise est tombée au « degré zéro de la conscienc politique », c'est que le Royaume-Uni a pu expédier, ai dix-neuvième siècle, ses surplus de population gênante en Amérique, en Nouvelle-Zélande et en Australie, ce régions jouant ainsi un rôle important de soupape d sécurité (entre 1870 et 1910, plus de 20 millions d personnes ont émigré aux États-Unis). De plus, la mis en valeur de ces pays a procuré des matières premières bas prix et en même temps offert des débouchés nou veaux aux empires, y compris aux capitaux ne pouvar trouver à s'investir sur place. On n'en finirait plu d'énumérer les avantages que tire la bourgeoisie d l'impérialisme : les surprofits ainsi réalisés sont tels qu'i devient possible et avantageux pour elle d'entretenir de couches de collaborateurs dévoués idéologiquement cadres, journalistes, professeurs, etc., ainsi qu'une aris tocratie ouvrière importante, le tout constituant la bas économique du réformisme politique. Ce colonialisme créé et alimenté un chauvinisme et un nationalisme d grande puissance qui a divisé les prolétaires de nom breux pays et si la classe ouvrière anglaise était auss amorphe, c'est également parce qu'elle était achetée pa l'esclavagisme américain fournissant du coton à bas pri: aux fabriques de Grande-Bretagne ; en 1848, la boui geoisie française a déporté des milliers d'ouvriers ei Algérie, se débarrassant ainsi de révolutionnaires deve nus incapables de la combattre tout en faisant colonise pour son compte un pays loin d'être totalement soumis c'était faire d'une pierre deux coups. Peu à peu, c'est 1

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monde entier que l'impérialisme a mis sous sa coupe sans pour autant se donner les moyens d'empêcher, ni les crises économiques à proprement parler, ni les crises politico-sociales. La longue période qui s'étend de 1873 à 1895 ne connaît ni révolutions ni révoltes (sauf en 1894 aux USA), bien qu'elle ait été marquée par de nombreuses crises économiques affectant un ou plusieurs pays : 1873, 1882, 1890/1893. D'autres ont suivi : 1900, 1905/7, 1913, 1920, et 1929. Marx voyait juste lorsqu'évoquant la Russie, il considérait qu'elle connaissait de graves tensions dans bien des domaines et que, par suite, elle pouvait entrer dans une période révolutionnaire dans un proche avenir. Mais pour réaliser une révolution, il faut aussi des hommes, et ces hommes de culture révolutionnaire, la Russie en possédait dès le 19e siècle comme Engels le faisait observer en 1875 : « Dans la jeune génération russe, nous connaissons des hommes doués d'admirables capacités théoriques et pratiques et d'une haute énergie... » Marx, de son côté, remarquait que paradoxalement, il avait combattu vigoureusement le panslavisme et la Russie, et que c'était dans ce pays qu'il avait trouvé le meilleur auditoire en quantité et en qualité. L'événement se fit peut-être attendre plus longtemps que prévu mais la révolution n'en survint pas moins en 1905 dans ce pays, motivée par la crise économique imposant à la population une grande misère, aggravée par l'effort militaire de la guerre avec le Japon et la défaite qui s'ensuivit. Des luttes de plus en plus importantes entraînèrent la population et l'armée contre le régime. Dès le début de l'année, les soviets, comités de base, embryons d'un pouvoir nouveau apparurent. Négligeant les organes du tsarisme, ils instauraient une légitimité parallèle, adoptant leurs propres décisions, directives, libertés démocratiques, et la journée de travail de huit heures. En décembre, la révolution éclata, fut

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défaite, mais le pouvoir tenta d'apaiser l'opinion ei accordant quelques concessions avant de s'engager dan une lourde répression. Cependant, il ne lui fut pa possible de revenir entièrement à la situation antérieure la crise étant trop profonde et touchant toutes les couche de la population. Pendant ce temps, le partage du monde était achevé les zones d'influence réparties en fonction du rapport de forces du moment. En 1914, l'Allemagne avait moins di 3 millions de km 2 de colonies ; la France plus du triple et la Grande-Bretagne plus du triple de la France. C'es dire si, en Europe, deux grands pays comme l'Allemagni et l'Italie se sentaient floués. La nouvelle crise di capitalisme qui éclata en 1914, sous forme de guern mondiale comme l'avait prévu Engels, avait pour but di procéder au repartage du monde. Elle aboutit surtout à 1; chute du maillon faible de l'impérialisme, la Russie, oi une nouvelle révolution éclatait en 1917, victorieusi cette fois-ci. Les idées révolutionnaires qui s'étaien répandues en Europe sous l'influence principale de Mar et d'Engels, trouvaient leur application pour la premièr fois, dans l'enthousiasme logique de millions d'ouvrier dans le monde. Deux tentatives semblables eurent lieu ei 1919 en Allemagne et en Hongrie mais furent noyée dans le sang. Puis ce fut l'occupation des usines et de grands domaines agricoles en Italie, la grève générale ei Tchécoslovaquie en 1920 et des grèves durement répri mées avec des morts aux EU. Malgré ces défaites et 1: guerre qui décima le mouvement ouvrier, les syndicats si renforcèrent et se multiplièrent, des partis communiste furent créés un peu partout dans un monde entré dan une époque caractérisée d'une part, par l'existence de 1 première patrie du socialisme réalisant le rêve de 1; Commune de Paris, et d'autre part, l'existence d'ui capitalisme qui évoluait en créant des services public

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nationaux et en accordant des avancées sociales à la classe des producteurs. Le rapport des forces n'était plus toujours en faveur d'une bourgeoisie maintenant prise en tenaille entre ses couches populaires et un État socialiste présentant un grand danger que, ni la contre-révolution, ni l'intervention militaire des États impérialistes ne réussirent à vaincre. La Russie a su résister et battre la coalition réactionnaire, comme la Révolution française autrefois. Cette évolution du capitalisme ne pouvait empêcher des crises graves de se produire de façon répétée. Ce furent par exemple les grèves générales de 1926 en Angleterre et de 1927 en Autriche ; la grande dépression de 1929 à 1932 ; la grande grève française de 1936, suivie de la guerre civile en Espagne ; les exigences populaires en Europe se virent souvent opposer une réponse brutale s'incarnant dans un certain nombre de dictatures (Italie, Portugal, Allemagne, Espagne) qui conduisirent le monde à une nouvelle guerre générale. En sortirent de nouveaux États socialistes issus de pays plutôt pauvres dans tous les domaines, qui constituèrent aussitôt avec l'URSS un camp libéré du capitalisme, rejoint par la Chine en 1949 et Cuba en 1959. Parallèlement, la fin de la guerre marquait le terme de l'ère coloniale et bon gré mal gré, trop souvent à la suite d'un douloureux conflit, avec la France surtout, les pays maintenus en esclavage retrouvèrent peu à peu la liberté, aux Indes, en Asie, en Afrique. Un certain nombre d'entre eux, après avoir brisé leurs chaînes, constituèrent un camp dit des non-alignés. Né en 1955 à Bandoung d'une décision de la conférence afro-asiatique, animée par les présidents Sukamo, Nasser, Nehru et Zhou En lai, ce mouvement se voulait anti-colonialiste mais également résolu à se tenir à l'écart des camps capitaliste et socialiste. C'est avec les plus grandes difficultés que ces

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pays nouveaux tentèrent de conquérir leur indépendan économique, leurs richesses naturelles, obtenant dans domaine des résultats variables : en 1948, le Gouverr ment vénézuélien fut renversé par un coup État l'instigation des Américains ; en 1951, Mossadegh r tionalisa le pétrole iranien et fut chassé par un coup É pro-amencain ; en 1956, l'Égypte nationalisa le canal Suez, ce qui entraîna une guerre avec la France l'Angleterre, la première dirigée par les socialistes, seconde par les conservateurs, unis pour défendre ] intérêts de leurs capitalistes. Mais une forte pouss populaire eut lieu en 1968 en France ainsi que da d'autres pays à travers le monde. Au fond, malgré ] difficultés, l'évolution globale semblait conforme a souhaits de ceux qui étaient épris d'idéal révolutionnai et à Paris, on parlait en mai du « premier grand affrc tement capital-travail ». La suite montrera qu'il n' était rien et qu'il conviendrait plutôt de parler du demi

2°) Le socialisme d'État Si l'on se mêle de conduire les hommes, il ne faut p perdre de vue qu 'ils sont de mauvais singes [...] Qua on veut rendre les hommes bons et sages, libres, n, dérés, généreux, on est amené fatalement à vouloir i tuer tous. A. Frai Ce qu'on a appelé communément communisme guerre en Russie n'a pas de sens puisqu'il n'y avait guè de communisme là-dedans, rien de plus qu'une politiq pragmatique découlant du conflit. Attaquée de l'intérie puis de l'extérieur, la Russie socialisante fut simplemc amenée à adopter dans l'urgence les mesures qui s'imp saient afin de survivre en expédiant tant bien que mal 1 affaires. D fallait nourrir les soldats et les ouvriers

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l'industrie de guerre ; on prit donc tout aux paysans. La bourgeoisie fut dépossédée de ses moyens de production e t de son pouvoir. D n'en reste pas moins que les conceptions de Lénine étaient fondées sur la démocratie. C'est ainsi qu'il fut amené en 1917 déjà, à demander l'application d'un aspect de la réforme agraire adoptée précédemment sous les mencheviks, qui ne lui paraissait pas bon, mais qui était réclamé par les paysans : « En tant que Gouvernement démocratique, nous ne pouvons pas éluder les décisions prises par les couches populaires, quand bien même nous ne serions pas d'accord avec elles. En appliquant le décret dans la pratique, en l'appliquant sur les lieux, les paysans comprendront eux-mêmes où est la vérité. » 61 Allant plus au fond des choses et évoquant les contradictions qui agitaient la société du moment, il déclara qu'elles n'étaient pas un effet du hasard et qu'elles « ne peuvent être éliminées en quelques dizaines d'années ». Étant inévitables, elles ne sauraient, bien entendu, être écartées d'un revers de main, ou si l'on préfère, par des mesures administratives. C'est là très exactement la conception scientifique de Marx et Engels, un point de vue dialectique qui échappera complètement à ses successeurs. La conception de Lénine de la démocratie fut rapportée par le syndicaliste non communiste Gaston Monmousseau qui le rencontra en 1923 pour discuter de la situation du PCF auquel le Français ne voulait pas adhérer ainsi que beaucoup de ses amis, en raison du fait qu'il était dirigé par des politiciens. Lénine lui fit observer : « mais comment peut-on les chasser ? Nous, d'ici, ne le pouvons pas, ce n'est pas notre rôle, cela ne peut se faire qu'en France et non pas de l'extérieur, mais de l'intérieur du parti communiste ». Afin de donner satisfaction à son

61. PONOMAREV, B. Histoire du PCUS. Moscou : Editions en langues étrangères, 1960, p. 288.

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interlocuteur et à ses amis syndicalistes, Lénine fit sup primer l'article 11 des statuts de l'Internationale faisar obligation aux partis d'établir des relations organique avec les syndicats. D'autre part, on doit noter que si le bolcheviks ont toujours combattu les mencheviks et réci proquement, Lénine a lutté pour empêcher la scission a sein du parti social-démocrate. De 1903 à 1912, année o les mencheviks sont exclus en raison de la profondeur de divergences, il y a eu deux activités parallèles, bolchevi que et menchevique, avec organisation et propagand séparées au sein du parti. Après la révolution, Lénine tout fait pour éviter une scission et n'a jamais exel Trotski, ni Kamenev, ni Zinoviev qui ont pourtant men des actions contraires aux décisions de la majorité, et s'i a milité en faveur de la plus grande discipline au sein d l'organisation, c'est que les conditions de la clandestinit dans une Russie répressive l'exigeait. Ses trois opposant ne l'ont jamais respectée et même, en 1917, Kamenev c Zinoviev ont trahi en faisant connaître publiquement 1 décision du parti de déclencher l'insurrection ce qi conduisit Lénine à demander cette fois leur exclusion san l'obtenir. La paix revenue, compte tenu de la situation éconc mique grave résultant des destructions, Lénine fit adopte une nouvelle politique dans ce domaine, la NEP o Nouvelle politique économique. Elle consistait à révéra en partie sur les décisions expéditives prises antérieure ment et avait pour objectif de relancer l'activité, 1 production, tant dans l'agriculture que dans l'industrie. ] s'agissait concrètement d'un retour partiel au libéralism économique, donc au capitalisme, étape considéré comme nécessaire au développement. C'est que le pay était loin encore d'avoir atteint un niveau industrie important et Lénine, tout comme Marx, considérait qu'i n'était pas possible de brûler les feux. Les socialiste

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scientifiques ne sauraient se lancer dans des grands bonds en avant. Le socialisme sera atteint au terme de longues luttes très dures impliquant victoires et revers, et non par des décisions administratives et bureaucratiques. On ne l'instaure pas par décret mais parce que les producteurs l'ont massivement décidé. Or, les producteurs, en Russie, n'ont été gagnés au parti bolchevique que depuis 1917, au fur et à mesure du déroulement de la révolution. De plus, et c'est fort naturel, nombre d'entre-eux, sans expérience politique, sont influencés par le réformisme des mencheviks ou les défaitistes, encore nombreux dans le parti. Il faut donc savoir patienter et attendre que le temps, c'est-à-dire l'expérience, fasse son œuvre. La conception de Lénine est exposée dans la décision du Parti communiste russe du 12 janvier 1922 dans laquelle il est dit qu'il faut admettre « la compétition économique entre le socialisme en construction et le capitalisme tendant à renaître sur la base du ravitaillement des millions de paysans par le marché » 62 . Si les soviets ont opéré ce recul, c'est en raison du retard du pays, afin de pouvoir reprendre l'offensive contre le capitalisme dans des conditions nouvelles où se développerait librement l'activité économique, réglementée cependant par l'État. Cela signifie que les syndicats avaient pour tâche importante de défendre les intérêts de classe du prolétariat dans sa lutte contre le capital et qu'ils devaient être réorganisés en ce sens, avec notamment création de fonds de grève. En même temps, les entreprises socialisées adoptaient le principe du rendement commercial, c'est-à-dire qu'appelées à devenir prédominantes un jour, elles avaient 62. LENINE, V.I. Du rôle et des tâches des Syndicats dans les conditions de la Nouvelle Politique Economique. Paris : Editions sociales, 1949, p. 18.

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pour devoir de réaliser des bénéfices, non de travailler à perte. Là encore, compte tenu des inévitables rivalités d'intérêts entre les entreprises et les excès de zèle administratif, les syndicats avaient le devoir absolu de défendre les intérêts des travailleurs. Pour Lénine, l'action de la classe ouvrière devait aboutir au renforcement de l'État prolétarien au moyen de « la lutte contre les déformations bureaucratiques de cet État, contre ses fautes et ses faiblesses, contre les appétits des classes capitalistes ». Voilà pourquoi « la lutte gréviste » ne pouvait s'expliquer et se justifier que par des déformations bureaucratiques de l'État, par des survivances du passé capitaliste dans ses institutions, et par le développement insuffisant des masses. Elles n'étaient donc pas inadmissibles. Enfin, le retour à la démocratie devait se manifester dans les syndicats par un retour à l'adhésion volontaire, aucune exigence n'étant formulée auprès des membres quant à leurs opinions politiques : « les syndicats doivent être sans parti ». L'alliance du prolétariat avec la petite paysannerie, tâche essentielle, ne pouvait se réaliser, toujours selon ce texte, que de façon « habile, prudente et graduelle », rompant en quelque sorte avec les erreurs parfois commises qui ont causé du tort à la révolution : « ingérence directe, mal préparée, incompétente et irresponsable dans les choses de l'administration ». Et Lénine d'évoquer des exemples de fautes graves commises : meurtres d'ingénieurs par les ouvriers des mines socialisées, suicide d'un ingénieur par suite des conditions de travail impossibles qui lui étaient faites par les communistes (l'affaire a été envoyée devant le tribunal). D'où l'appel lancé pour que tous sachent ménager « comme la prunelle de nos yeux, tout spécialiste qui, avec la compétence et l'amour qu'il a de son métier, travaille de bonne foi, fût-il idéologiquement tout à fait étranger au communisme ». Il fallait absolument

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obtenir que « les spécialistes », catégorie sociale particulière, vivent mieux sous le régime nouveau que sous le précédent, au point de vue matériel, juridique et humain. La solution ne pouvait passer que par un long travail d'éducation afin d'apprendre pratiquement aux ouvriers et à tous les travailleurs à gérer l'économie nationale, et pas seulement aux communistes. Le chemin tracé tenait en quelques mots : démocratie, lutte des classes, résolution des contradictions en dialecticiens, capacité à reconnaître que l'on ne peut faire l'économie des étapes historiques essentielles. En ce sens, la NEP n'avait rien à voir avec on ne sait quelle tactique très provisoire visant à gagner un peu de temps mais constituait bien au contraire une politique fondamentale de longue durée. C'est exactement la conception du monde et de son évolution telles que Marx et Engels les avaient exprimées. Les contradictions doivent aller à leur terme, et en ce sens, l'histoire de l'URSS semblait bien engagée, mais c'était compter sans un de ces hasards qui, selon Marx « entrent dans le cadre de la marche générale de l'histoire », en l'occurrence, la mort prématurée de Lénine. Dépourvus de cette « intransigeance » que Marx recommandait, les dirigeants soviétiques ont commis la faute tragique de laisser Staline au poste-clé de secrétaire général du parti qui lui donnait un pouvoir énorme. Eux-mêmes ont abandonné peu à peu la politique de prudence précédente au profit de mesures brutales et ont fait prendre à l'URSS en 1928 un tournant radical dans bien des domaines : marche à la collectivisation de l'agriculture avec des excès à l'égard des paysans moyens ; lutte contre les koulaks, paysans riches, dont certains furent exécutés ou déportés à la suite d'actions de sabotage ; nationalisation des banques, mines, usines, forêts ; tout cela dans les années qui suivirent. Cette

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politique bureaucratique trouva son complément au sein du PCUS. Alors que les opposants n'avaient jamais été exclus, ils furent désormais victimes de purges, d'autres furent emprisonnés et enfin, beaucoup furent exécutés ainsi que des militants dévoués, parfois après l'assassinat de compagnons de Lénine. Trotski fiit expulsé. La répression devint générale, aveugle et sourde. Elle se poursuivit, toujours sous l'impulsion de Staline, après la guerre, à l'égard de populations minoritaires, de peuples de l'URSS dont une partie avait collaboré avec les Allemands. Globalement, la souple politique initiée par Lénine fut remplacée par une politique expéditive, autoritaire, ne résolvant pas les problèmes mais tranchant systématiquement dans le vif. Ce n'étaient pas les peuples ni la classe ouvrière qui décidaient mais l'État, comme par une sorte de retour au « communisme de guerre » d'autrefois. Ce qui n'est pas vers est prose, disait Molière, et ce qui n'est pas prose est vers. L'URSS était socialiste puisqu'elle n'était pas capitaliste, mais c'était un socialisme d'État, et primaire, teinté d'imbécillité même puisque l'on sait que les autorités faisaient effacer sur les photos les personnes tombées en disgrâce. Ce régime obtint des succès non négligeables en matière d'éducation, de santé, d'économie pendant un certain temps, mais sa politique ultra-centralisée conduisit le pays à la stagnation. Le système des prix bloqués, loin d'être un acquis important, contribua à la rigidité de l'ensemble. Par dessus tout, il n'y avait plus de capitalistes, plus d'adversaires, supprimés de façon artificielle, donc plus de luttes, lesquelles sont indispensables au développement intellectuel, social et politique des salariés. Cette conception du pouvoir de Staline et héritée de lui, s'appuyait sur deux analyses fondamentales aussi fausses l'une que l'autre selon lesquelles, d'abord, la lutte des classes devait s'intensifier au fur et à mesure de

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l'édification du socialisme, et ensuite, après la guerre, la lutte des classes se situerait désormais à l'échelle mondiale entre les deux camps, capitaliste et socialiste. Or, la première thèse n'avait plus de justification puisque la classe des capitalistes ayant rapidement disparu, elle ne pouvait être dangereuse, sauf que, pour alimenter sa lutte des classes, Staline était contraint de trouver des ennemis ailleurs, par exemple chez les membres du parti qui le combattaient ou émettaient des réserves sur sa politique. Quant à la deuxième thèse, il faut lui opposer simplement que rien ne peut supplanter la contradiction fondamentale entre le capital et le travail. On ne peut que conclure ainsi : la dialectique du début a été remplacée par l'ignorance dont Marx disait qu'elle « est un démon qui, nous le craignons, provoquera encore de nombreuses tragédies » 63 . Mais en aucune façon on ne peut tenir le socialisme pour responsable des crimes de Staline. C'est ce qui explique pourquoi de très nombreux communistes soviétiques au sortir des camps où ils avaient souffert longuement, ne condamnaient pas le socialisme, non plus le PCUS, et parfois même considéraient que Staline avait été trompé, parce que dans leur esprit, il y avait incompatibilité entre ces crimes et le communisme. Marx faisait observer encore que « pour changer les choses, il est besoin d'hommes » ; ce sont les hommes qui font l'histoire, le socialisme donc, lequel vaut ce que valent ses constructeurs. Le professeur Jacques Berque apportait un jour à ce propos une explication d'historien, déclarant : « la révolution soviétique s'est laissée embourber par les mœurs russes, tout simplement. Ce qu'on condamne en Staline, au fond, c'est d'avoir été Pierre le Grand. Il n'y a pas une chose dans la condamnation de 63. MARX, ENGELS, réf. 2, p. 208.

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Staline qui n'ait été le fait déjà de la police du tsar » Cela est si vrai que l'on appelait Staline le Petit père de peuples, tout comme les tsars. Les mauvaises habitude sont difficiles à perdre.

3°) Le capitalisme d'État social Après la première guerre mondiale, bien qu'ait ét endigué le flot révolutionnaire qui a suivi la révolutioi russe d'octobre 1917, l'Europe est entrée dans une nou velle époque marquée par des défaites ou des reculs d l'impérialisme et des bourgeoisies nationales dans le domaines, politique, social, économique et idéologique, i la faveur de l'existence d'un pays socialiste, de la monté en puissance du mouvement ouvrier, un nouveau rappoi de forces s'est établi contraignant les capitalistes à réduir leurs surprofits impérialistes au bénéfice de la classe de producteurs. En France, dès 1919, le gouvernement instauré la journée de huit heures six jours par semaine. ] est vrai que dans les pays capitalistes les plus avancés, de mesures sociales avaient été adoptées dès les année 1880 : reconnaissance des syndicats, assurances maladi et accident, retraite, limitation de la durée du travail réglementation du travail des enfants, etc. Cela n'a pas ét sans peine : aux États-Unis, entre 1881 et 1886, plus d'u million de grévistes et des responsables syndicaux ont ét condamnés, parfois pendus ; en France, grèves en 1884 Anzin, en 1886 à Decazeville, en 1895 à Carmaux e Roanne, en 1899 au Creusot, en 1900 à Marseille, en 190 à Montceau-les-Mines, et de tous les mineurs en 1902 etc. La répression fut fréquente, souvent rude, parfoi féroce, mais les luttes revendicatives se multiplièrent e les victoires s'accumulèrent ; le droit aux vacances fi reconnu. En France : deux semaines, puis trois, quatre cinq. La protection sociale s'est étendue tandis que s généralisaient les systèmes de retraites. L'éducation de

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vint un droit pour tous. Peu à peu, l'embauche quotidienne disparut au profit de la mensualisation. Les salaires connurent, après la deuxième guerre mondiale, une hausse plus ou moins régulière mais indiscutable pouvant surprendre et faire triompher ceux qui n'ont jamais lu Marx, mais sûrement pas contredire celui qui a écrit autrefois : « Dans ces données, le progrès constant de l'accumulation doit même, tôt ou tard, amener une hausse graduelle des salaires. En effet, une partie de la plus-value, ce fruit annuel, vient annuellement s'adjoindre au capital acquis ; puis cet incrément annuel grossit lui-même à mesure que le capital fonctionnant s'enfle davantage ; enfin, si des circonstances exceptionnellement favorables -l'ouverture de nouveaux marchés au dehors, de nouvelles sphères de placement à l'intérieur, etc.- viennent à l'aiguillonner, la passion du gain jettera brusquement de plus fortes portions du produit net dans le fonds de la reproduction pour en dilater encore l'échelle. De tout cela, il résulte que chaque année fournira de l'emploi pour un nombre de salariés supérieur à celui de l'année précédente, et qu'à un moment donné les besoins de l'accumulation commenceront à dépasser l'offre ordinaire de travail. Dès lors, le taux des salaires doit suivre un mouvement ascendant. Ce fut en Angleterre, pendant presque tout le XVe siècle et dans la première moitié du XVIIIe, un sujet de lamentations continuelles. » M Dans ces conditions, il revient aux prolétaires « sous forme de paiement, une plus forte portion de leur propre produit net, toujours grossissant et progressivement capitalisé, en sorte qu'ils se trouvent à même d'élargir le cercle de leurs jouissances, de se mieux nourrir, vêtir, meubler, etc., et de former de petites réserves d'argent 65 ». Mais les chaînes du salariat ne sont 64. MARX, réf. 1, p. 1122-1123. 65. MARX, réf. 1, p. 1127.

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pas rompues pour autant et les règles fondamentales du capitalisme retrouvent leurs droits tôt ou tard. Les sociétés capitalistes ont évolué au cours de cette période dans un autre domaine, avec l'apparition, ou plutôt la multiplication des services publics et la création d'un capitalisme étatique. Si les premiers étaient de création ancienne puisque liés à la notion même d'État, leur nombre augmenta de façon importante au XIXe et au XX e siècles. La première explication est que le progrès social réalisé exigeait des implications nouvelles de nature administrative, par exemple un ministère du travail et des organismes lui étant rattachés ; une autre est que les gouvernements souhaitaient prendre le contrôle de certaines activités comme l'éducation, la poste, le téléphone, etc., pour des raisons d'intérêt général ou relevant de la sécurité d'État ; enfin, la dernière raison est circonstancielle : il s'agit plus précisément d'étatisations ou de décisions ordonnées par les événements. La grande crise née en 1929 a conduit les dirigeants américains, adeptes du libéralisme économique s'il en fut, à abandonner leur fermeté en ce domaine et à opter en faveur de l'intervention de l'État dans la production, les prix, la répartition, l'emploi. Le dirigisme gagna tous les gouvernements européens afin de faire face à la crise. Celle-ci passée, en France, l'État fut amené à s'emparer de compagnies de chemins de fer mal gérées, puis à créer la SNCF. D'autres sociétés devinrent sa propriété : les Potasses d'Alsace, le Crédit national, etc. et après la guerre, une deuxième vague d'étatisations eut lieu : la houille, les grandes compagnies aériennes, des entreprises dont les dirigeants s'étaient compromis avec les Allemands, des grandes banques, le gaz et l'électricité, etc. D'autres secteurs bancaires et industriels suivirent en 1981-1982. En tout, l'État contrôlait à cette époque environ 32 % de la production industrielle française. Partout dans le monde,

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sauf aux États-Unis, des pans entiers de la vie économique furent étatisés, otés pour diverses raisons de sous la coupe des capitalistes généralement furieux mais qui ne pouvaient s'y opposer. A ce mécontentement correspondait une véritable satisfaction au sein de la classe des producteurs puisque cette période a vu la disparition de la paupérisation au profit d'une progression du pouvoir d'achat, et le capitalisme d'État social garantir l'emploi. Voilà « le beau côté des choses ». Voyons le mauvais. Pour Marx, les lois sociales sont importantes car elles sont un moyen pouvant être saisi par les salariés pour faciliter leurs luttes et les encourager à aller plus loin dans la transformation de la société. Mais que s'est-il passé en Europe durant ce siècle ? On a considéré que le capitalisme s'était amendé ; ou que la société l'avait amendé et qu'il était devenu acceptable malgré quelques petites imperfections auxquelles il serait remédié tôt ou tard. Par suite, il n'était plus nécessaire de se battre plus avant et une grève, de temps à autre, était suffisante en vue de réveiller les politiques et les capitalistes traînant les pieds pour accorder des augmentations de salaires. Donc, inutile de faire une révolution pour les uns, et impossible aux yeux des autres en raison de l'existence d'une aristocratie ouvrière importante et de partis socialistes complètement gagnés à la défense du capitalisme. L'intégration des salariés était ainsi très largement acquise dans les pays occidentaux, sauf la France, comme on l'a vu en 1968. Mais ici aussi, lors du puissant mouvement de grève de mai/juin même si les salariés n'en portent pas la responsabilité principale, le mouvement des producteurs n'est pas allé au bout de ses possibilités en combattant pour obtenir des positions nouvelles et décisives dans les entreprises, donc dans le domaine économique, celui qui est le plus important. Compte tenu de la responsabilité particulière des salariés

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français découlant de ses traditions révolutionnaires aux yeux du monde, les conséquences ont été importantes au-delà des frontières. Les luttes, ailleurs, ont été freinées au lieu d'être encouragées. Cela s'appelle s'arrêter au milieu du gué, ne pas aller au bout de sa tâche, faillir à sa responsabilité historique, selon Marx. Le retour de bâton était inéluctable. D a pris la forme, pour commencer, dès les années 70, en Allemagne, en France et en Italie, de groupes gauchistes coupables de nombreux attentats et assassinats. Sans doute, étaient-ils, pour reprendre le mot de Lénine, « l'expiation de la classe ouvrière pour ses péchés opportunistes ». Les autres punitions devaient venir peu après. Quant aux étatisations, elle ne changeaient rien au système capitaliste lui-même, comme on a pu en avoir plus tard la preuve en France avec les aller-retour privé/public, sans que cela modifie en quoi que ce soit la situation des personnels concernés, pas plus que celle du public, qu'il s'agisse d'entreprises appartenant à l'État ou de sociétés mixtes. Pour Engels d'ailleurs, qui a connu le contrôle du gouvernement sur la poste, les chemins de fer ou le télégraphe, « l'État moderne n'est que l'organisation que se donne la société bourgeoise pour mettre toutes les conditions de la production capitaliste à l'abri des attaques, tant des capitalistes individuels que des ouvriers. » 66 Et d'ajouter, « ses ouvriers restent toujours des salariés, des prolétaires ». L'étatisation présente enfin l'avantage que les pertes, lorsqu'il y en a, sont toujours portées au compte de la nation et non à celui du privé. C'est-à-dire que ce sont les producteurs qui paient encore, ce qui prouve que les gouvernements sont bel et bien tous au service du

66. ENGELS, Friedrich. Socialisme utopique et socialisme scientifique. Paris : Editions sociales, 1948, p. 70.

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capitalisme. Un capitalisme d'État social, aussi social soit-il, n'est pas le socialisme. L'intégration des travailleurs leur permettant d'espérer pouvoir se procurer une voiture, puis une maison ou un appartement, voire des actions de leur entreprise à des prix avantageux, il existait une base économique favorable au renforcement du courant politique né au dixneuvième siècle et que Marx décrit ainsi : « On amputa les revendications sociales du prolétariat de leur pointe révolutionnaire pour leur donner une tournure démocratique ; on dépouilla les revendications démocratiques de la petite bourgeoisie de leur forme purement politique pour faire ressortir leur pointe socialiste. C'est ainsi que naquit la social-démocratie.[...] Le caractère particulier de la social-démocratie se résume en ce que l'on exigeait des institutions républicaines démocratiques non comme un moyen pour abolir deux extrêmes, à la fois le capital et le travail salarié, mais pour atténuer leur opposition et la changer en harmonie. » 67 II indique le moyen utilisé afin de parvenir au but recherché : « les petits-bourgeois démocrates souhaitent aux ouvriers un meilleur salaire et une existence assurée, et [...] pensent y parvenir au moyen d'occupations partielles procurées par l'État et par des mesures de bienfaisance. Bref, ils espèrent corrompre les travailleurs par des aumônes plus ou moins déguisées et briser leur force révolutionnaire en rendant leur situation momentanément supportable » 68 . La période de prospérité entamée vers 1950 a ainsi permis de renforcer l'influence des partis socialdémocrates et de ses variétés, allant jusqu'à gangrener les partis communistes eux-mêmes. Le courant politique réformiste autrefois populaire et excluant les représen-

67. MARX, réf. 30, p. 467. 68. MARX, réf. 30, p. 551.

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tants du capital, représente aujourd'hui toutes les cou ches de la société, y compris la grande bourgeoisie don il est l'agent fidèle, comme il l'a prouvé en se lançan dans des guerres, coloniales ou autres. Et cela es possible parce que si la classe des producteurs, au tempi de Marx, n'avait à perdre que ses chaînes et un monde j y gagner (au changement de société), cela n'est plus vrai Apparemment favorable aux salariés occidentaux dans l'ensemble, cette période n'a pas empêché 1< capitalisme de défendre avec succès ses intérêts impé rialistes chaque fois que cela était nécessaire en combat tant tous les mouvements révolutionnaires ou plus sim plement nationaux. On a vu les Américains intervenir lei armes à la main en Corée (1950), où ils ont eu recours i la guerre bactériologique 69 , au Liban (1958), à S Domingue (1965), au Viêt-Nam (1963) où le programmi américain Phœnix a conduit à l'élimination de 20.581 cadres vietcong entre 1968 et 1971 selon William Colby patron de la CIA, sans compter les interventions indirec tes au Guatémala, à Cuba, et dans l'ensemble de l'Amé rique latine. Par traité, en 1947, les États-Unis on imposé à cette dernière la formation militaire de sei officiers aux USA, dans le cadre de la guerre froide, afii de pouvoir mener efficacement la lutte contre le commu nisme et les activités sociales. Après la guerre, les Greci crurent que des élections allaient pouvoir se tenir libre ment mais c'était compter sans les Alliés, notammen Anglais : les communistes et les partisans étaient tro] forts et on leur imposa une guerre au terme de laquelle il: furent défaits. La volonté dominatrice des Américains si manifesta aussi auprès de pays européens comme 1; France dans le cadre de l'application du Plan Marshal 69. Le Monde diplomatique de juillet 1999.

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puisque les fonctionnaires du ministère des Finances, en 1947, étaient contrôlés sur place par des agents américains auxquels ils rendaient compte de leur activité 70 .

4°) La défaite A partir des années 70, la défaite est programmée. Défaite de la classe des producteurs des deux côtés du rideau de fer, et par suite, ailleurs. Notons d'abord la disparition du camp des non-alignés. Pendant des années, il joua un rôle positif dans les relations internationales. Mais son existence était artificielle car il s'agissait, à l'exception de la Chine, de pays capitalistes, et ils sont passés peu à peu dans le camp vassal de l'impérialisme, suite à des coups d'État suscités par les Américains, ou subventions aidant, et ces dernières ne manquent jamais quand il s'agit d'acheter un dictateur ou une partie d'un peuple. Les dirigeants américains et français se sont fait particulièrement remarquer en ce domaine, ceux-ci en Afrique, ceux-là dans le reste du monde. Par exemple en Indonésie en 1965, où le général Suharto a renversé le gouvernement et lancé l'armée dans une vaste répression contre les communistes ou supposés tels. Bilan : entre 500.000 et un million de morts et exécutions dont certaines ont eu lieu bien des années après. A sa façon, la disparition du camp des non-alignés montre qu'il n'y a pas de troisième voie, que l'on ne peut esquiver les problèmes fondamentaux. Échec ensuite du camp socialiste. A une période de développement a succédé la stagnation, puis les difficultés, et enfin l'effondrement. Les raisons sont de caractère politique et économique. Politique, avec la suppression de la démocratie. Les comités de base ou soviets ont été 70. JOBERT, Michel. Déclaration à la télévision (5è chaîne). Histoire parallèle, de Marc Ferro, du samedi 28 juin 1997.

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dépouillés de leurs responsabilités, le parti également en ce sens que la direction seule avait le pouvoir, tous ceux qui discutaient, émettaient des objections étaient considérés comme des adversaires. « A la place du grand mouvement historique, qui naît du conflit entre les forces productives des hommes [...] ; à la place de l'action pratique et violente des masses, qui seule pourra résoudre ces collisions ; à la place de ce mouvement vaste, prolongé et compliqué » 71, Staline et ses amis ont mis en œuvre un simple système de répression avec exécutions : les problèmes sont ainsi réglés en un tournemain. Du moins en apparence. D est vrai que la bourgeoisie a fait de même, notamment en France, en 1848, 1851, 1871 et dans les colonies. « Ainsi, ce sont les savants, les hommes capables de surprendre à dieu sa pensée intime, qui font l'histoire. Le menu peuple n'a qu'à appliquer leurs révélations. » Écrites à propos de Proudhon, ces lignes valent pour Staline et les communistes russes. Ce fut, c'est, l'erreur de tous ceux qui, communistes ou pas, ont cru ou croient que le changement peut venir d'en haut, et même arrive plus rapidement par ce chemin. Or, non seulement il n'est pas plus rapide, mais il ne vient pas. En politique extérieure, les dirigeants de l'URSS ont été incapables de gérer tous les problèmes graves qui se sont présentés, du fait de leur incompétence. Avant la guerre, ils n'ont pas organisé la défense de leur pays et après la victoire, ils ont accepté la proposition des occidentaux de faire de Berlin un symbole de l'union des Alliés et par suite de l'occuper conjointement. C'était faire preuve d'une naïveté énorme, montrer, après l'impréparation de la guerre, bien peu de sens de classe, ce qui a conduit le monde tout près d'un nouveau conflit armé. Ce furent 71. MARX, réf. 1, p. 1448.

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ensuite les révoltes en RDA, en Pologne, en Hongrie, en Tchécoslovaquie. Aucune de ces circonstances n'a incité les dirigeants du camp socialiste à réfléchir aux conditions dans lesquelles ils prétendaient édifier une nouvelle société. Une dernière chance leur a été donnée en 1968 en Tchécoslovaquie sans qu'ils se montrent capables de réagir autrement que par la brutalité et la répression, tout comme en URSS après la mort de Lénine. Ils ont rompu avec la Yougoslavie, puis avec la Chine socialistes et sont allés jusqu'à la guerre avec celle-ci, ce que Staline luimême n'avait pas fait avec celle-là, tandis que la Chine, à son tour, pratiquant la même politique, affrontait le Viêt-Nam libéré. Enfin, ils ont subi sans véritablement lutter pour la refuser, la politique de confrontation imposée par les occidentaux en 1945, Churchill en tête, lorsque ce dernier a décidé de tirer le "rideau de fer" avec l'accord des Américains, afin d'isoler les pays de l'Est. Le climat de tension qui a suivi a figé les positions chez les uns et les autres, empêché les évolutions internes des deux côtés et les transformations révolutionnaires, favorisé la course aux armements aux dépens des moins puissants, c'est-à-dire les pays socialistes, et masqué en partie la véritable opposition qui est celle du capital et du travail. Pour finir, on a assisté à la disparition de ce camp, sauf Cuba, la Chine et le Vietnam, qui se vendent peu à peu, par morceaux, à Coca-cola, au FMI, au pape, et à tous les capitalistes volontaires pour acheter usines, entreprises et salariés, sans défense puisqu'ils n'ont jamais connu de syndicats véritables. Le résultat est que le chômage déferle sur la Chine où l'on enregistre des dizaines de millions de licenciements et de personnes sans emploi, et dans le même temps, malgré les difficultés économiques, l'État se refuse à dévaluer afin de soutenir le camp impérialiste. Toujours prêts à imiter les occidentaux dans ce qu'ils ont de plus mauvais, les dirigeants de ces pays

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acceptent leurs productions et leur mode vie qui ont été ou sont autant d'échecs chez eux : transports, urbanisme, pollution, télévision américaine, autoritarisme, bureaucratie, interdictions, etc., avec naturellement, tôt ou tard, les mêmes résultats. Quel beau socialisme ! L'autre raison de l'échec est d'ordre économique. Marx et Engels ont souvent rappelé que l'on ne peut pas effectuer de grands bonds en avant, qu'il n'est pas possible de brûler les étapes, de se passer notamment de l'étape capitaliste pour des raisons tenant au développement industriel et agricole, et que les salariés devaient lutter « pendant quinze, vingt ou cinquante ans pour se rendre aptes à l'exercice du pouvoir ». D ajoutait ailleurs 72 : « des lois naturelles ne peuvent pas être supprimées absolument. Ce qui peut être transformé, dans des conditions historiques différentes, c'est uniquement la forme sous laquelle ces lois s'appliquent. » Rapportés à l'URSS, ces propos signifient qu'elle ne pouvait pas faire l'économie de la période historique du capitalisme et la supprimer. Ce qu'elle pouvait faire, devait faire, c'est en modifier le contenu en partie ainsi que les conditions, appuyer les revendications légitimes, accélérer le rythme de développement, le contrôler grâce à l'existence de la forme politique prise par le nouveau pouvoir : un gouvernement communiste chargé de faciliter la transition progressive vers un régime communiste au cours de la période d'économie mixte, puis socialiste. Ainsi s'explique et se justifie le retour au capitalisme effectué par Lénine avec la NEP et que ses successeurs ont cru pouvoir supprimer afin de faire court. Les conséquences ont été une accélération sans doute dans quelques domaines importants mais aussi une grande rigidité dans une éco76. MARX, réf. 30, p. 1128.

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nomie planifiée ou plutôt corsetée, incapable de la moindre souplesse et de prévoir tous les besoins à partir d'un certain stade de développement et de les satisfaire. Pourtant, dans un ouvrage très répandu, petit par la taille mais grand par le contenu, Engels avait indiqué que l'abolition des classes devient praticable, « non par la simple conviction, dans les masses, que l'existence de ces classes est contraire à l'égalité, à la justice ou à la fraternité, non par la simple volonté de les détruire, mais par l'avènement de nouvelles conditions économiques » 73 . Plus loin, il précise que l'on ne peut songer à la suppression des classes qu'à partir d'un niveau social et de développement économique. Appliquant leurs méthodes à l'agriculture, forçant la nature, ces soviétiques auraient pu tout aussi bien essayer de faire mûrir les fruits plus vite, sans attendre le temps habituel des récoltes : il aurait suffit de les chauffer avec un chalumeau ou par tout autre moyen aussi ridicule. Ainsi, s'il faut accepter le capitalisme, ce n'est pas à cause d'une tolérance coupable, c'est en raison de la faiblesse de la classe des producteurs, de son développement intellectuel et social insuffisant et qui ne peut progresser, s'élever que dans la lutte pour la défense de ses intérêts. Et tout ceci est lié au niveau de développement économique, lequel était faible en 1917 en Russie et plus encore en 1922. En dernière analyse, la raison fondamentale de cet échec du socialisme réside dans la méconnaissance de la dialectique : la contradiction est le moteur principal de l'histoire. Revenons à Engels : « dès que la contradiction cesse, la vie cesse aussi, la mort intervient». Or, en l'absence de bourgeoisie, il n'y avait plus de contradiction fondamentale et par suite plus de lutte de la classe 73. ENGELS, réf. 66, p. 72.

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des producteurs qui leur aurait permis de progresse Leur conscience elle aussi a donc stagné, puis régress Voici pourquoi le socialisme est mort. L'on demande sans doute pour quelles raisons il a mis autant de temj à mourir : c'est que la contradiction capital/travail est moteur principal, mais pas le seul. D en est d'autre comme le dévouement des communistes à leur pays, patriotisme des soviétiques durant la guerre et lors de reconstruction de la patrie, les habitudes, etc. Et si < socialisme était de bien mauvaise qualité, il était quai même un socialisme, donc a apporté des progrès dai nombre de domaines. On ne saurait trop méditer po finir, l'analyse de l'évolution de la société que Ma résume brièvement dans Misère de la philosophie : « I production féodale aussi avait deux éléments antagoni tes, qu'on désigne également sous le nom de beau côté de mauvais côté de la féodalité, sans considérer que c'e toujours le mauvais côté qui finit par l'emporter sur côté beau. C'est le mauvais côté qui produit le mouv ment qui fait l'histoire en constituant la lutte. Si, l'époque du règne de la féodalité, les économiste enthousiasmés des vertus chevaleresques, de la boni harmonie entre les droits et les devoirs, de la v patriarcale des villes, de l'état de prospérité de l'industr domestique dans les campagnes, du développement < l'industrie organisée par corporations, jurandes, maîti ses, enfin de tout ce qui constitue le beau côté de féodalité, s'étaient proposé le problème d'éliminer to ce qui fait ombre à ce tableau -servage, privilège anarchie- qu'en serait-il arrivé ? On aurait anéanti toi les éléments qui constituaient la lutte, et étouffé dans s< germe le développement de la bourgeoisie. On se sen posé l'absurde problème d'éliminer l'histoire » 74. 79. MARX, réf. 5, p. 659.

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Les soviétiques n'ont pas craint de s'y essayer. A leurs dépens, car ils ont disparu pour avoir tenté de supprimer ce qui était mauvais dans leur société, ainsi que les privilèges de leur temps. Mais le passé supprimé prématurément et arbitrairement par des mesures administratives et non par la vie, sans que le peuple puisse progresser aussi vite, quelles qu'aient été les mesures prises pour élever sa conscience par ailleurs, -et elles étaient pauvres- les conditions n'étaient pas réunies pour que la société poursuive sa marche en avant, bien au contraire. Qui pouvait désormais expliquer, montrer de façon vivante, concrète aux ouvriers récemment venus des campagnes que la société allait évoluer vers le communisme et non vers le capitalisme dont on n'ignorait pas les succès, et comment ? Et puisque la confrontation est nécessaire à la vie, la confrontation devait avoir lieu avec qui ? Qui devenait maintenant responsable de ce qui allait mal dans la société soviétique, sinon le socialisme puisqu'il n'y avait plus de capitalistes ? La Rochefoucault disait que la leçon des exemples vaut mieux que celle des préceptes. La propagande primaire et abstraite des dirigeants soviétiques eût été avantageusement remplacée par une bonne exploitation capitaliste, et cela d'autant mieux que le gouvernement aurait été parfaitement dans son droit en venant le cas échéant en aide aux salariés en lutte. Ou le parti communiste, normalement fait pour ça. Que les sentiments des dirigeants des pays socialistes à l'égard de leurs capitalistes aient été faits de profonde hostilité : soit, on le comprend. Mais il s'agissait de savoir si les conditions étaient réunies pour que soit dépassé ce système, s'il avait fait son temps, ou si, au contraire, il y avait en lui, dans ces pays, de grandes potentialités. La lutte des classes est nécessaire. Et par lutte des classes, il faut entendre lutte multiforme du prolétariat contre les capi-

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talistes et non poursuites, persécutions policières contr les bourgeois, condamnations, avec en plus le danger d croire que certains d'entre eux sont déguisés en commu nistes. Peut-on solliciter Engels pour une sorte d conclusion ? : « partout, une fonction sociale est à 1 base de la domination politique ; [...] la dominatioi politique n'a aussi subsisté à la longue que lorsqu'ell remplissait cette fonction sociale qui lui étai confiée » 75 . Les partis communistes devenant incapable de remplir cette fonction sociale, leur domination poli tique a fini par disparaître. Échec, enfin, du courant révolutionnaire dans 1 monde capitaliste où l'on a assisté à un recul général d la conscience de classe, aboutissant à l'abandon progrès sif des fortes positions occupées par les producteurs ai cours du siècle. Cette évolution a été facilitée pa l'apparition d'une notion nouvelle, d'une analyse tout fait fantaisiste d'un point de vue scientifique : la divisioi droite-gauche. La vanité des combats placés sur c terrain saute aux yeux de toute personne de bonne foi s elle consent à examiner le cas français, exemplaire en c domaine. Quels que soient le président de la Républiqu et le Premier ministre, les politiques extérieures e intérieures restent semblables, tous sont d'accord su l'essentiel, la défense des intérêts du capitalisme qu'il appellent intérêts de la France, au sein de toutes le conférences ou organisations internationales. Ces altei nances destinées à duper l'opinion publique se retrou vent dans les autres pays européens : Allemagne, Angle terre, Italie, Espagne, etc., sans qu'aucune crise véritabl apparaisse au sein de l'Europe ou avec les Américain! soit dans le domaine militaire, soit dans le domain 75. ENGELS, réf. 15, p. 212.

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politique ou économique. Cette division est parfaitement superficielle et nous y reviendrons. L'échec du camp socialiste, perceptible peu après le début de la deuxième moitié du siècle a eu des répercussions dans tous les peuples et dans tous les partis communistes. Mais surtout, ce qui marque l'évolution de ce monde, c'est le succès du capitalisme entre 1945 et 1973, la longue période de progrès économique sans crises. Il y a eu, bien sûr, des moments difficiles, voire des dangers de rupture comme en 1968, les guerres coloniales (approuvées par la majorité des opinions), mais le colonialisme fut remplacé par un néo-colonialisme aux mêmes effets, peut-être plus ravageurs encore ; la France, par exemple, resta présente en Afrique, politiquement, économiquement et militairement, par des interventions directes ou indirectes au service des dictateurs qu'elle a mis en place, c'est-à-dire au service de l'impérialisme français, et ce, quelle que soit la couleur du gouvernement. Les Américains, de leur côté, ont fait de même en Amérique latine et ont quadrillé le globe terrestre avec de nombreuses bases militaires permettant à leur armée d'être présente partout à tout moment. C'est ainsi qu'ils ont procédé à des agressions, soutenu ou préparé des régimes dictatoriaux dans de nombreux pays : Argentine, Brésil, Chili, Salvador, Honduras, la Grenade, Panama, Grèce, Turquie, en Asie, etc. Enfin, notons le soutien entier de l'impérialisme au dictateur cambodgien Pol Pot. A l'intérieur des pays économiquement développés, ce fut le triomphe du réformisme avec l'apparition de syndicatsassurances garantissant un pouvoir d'achat en hausse régulière, même si une part en était fictive en raison de l'inflation élevée. Les partis communistes eux-mêmes ont axé leur travail sur l'union de la gauche ou une union politicienne plus large encore, activité apparentée à celle de Sisyphe ou qui les a condamnés au rôle de domestique

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des socialistes au service du capital. L'idée de service public -grande conquête de ce siècle- a été mise à mal, parfois même réduite en pièces en raison du fait que les entreprises relevant de ce secteur ont été gérées par l'État capitaliste qui les a mises de plus en plus au service du secteur privé et de moins en moins au service du public ; du fait aussi que les salariés et les usagers n'ont pas combattu, lutté pour participer à leur contrôle, puis pour s'assurer la prépondérance dans leurs directions. In fine, cette politique a favorisé les privatisations, surtout lorsqu'elle s'est accompagnée de gestions sévèrement critiquées comme ce fut fréquemment le cas. L'année 1968 est importante car elle marque la fin d'une époque et la fin provisoire du courant révolutionnaire. Faute d'être allée jusqu'au bout de ses possibilités cette année-là, la France a reculé considérablement. La classe des producteurs en grève générale pour la première fois de son histoire n'avait pas en effet sorti les drapeaux rouges plantés aux frontons des entreprises qu'ils occupaient, pour revaloriser uniquement le SMIC et des salaires dont ils savaient, par expérience, que le capital saurait bien les annuler en quelques années, même si l'on y ajoutait un certain nombre d'avantages sociaux que l'on ne saurait négliger. Que voulaient-ils alors ? Rien ne peut-être affirmé de façon absolue, et l'on pense ici à Engels disant qu'à Paris en 1848 : « les masses prolétariennes elles-mêmes n'avaient encore, après la victoire, absolument aucune idée claire de la voie à suivre ». Il est permis de supposer tout de même qu'en 1968, ils mettaient leurs espoirs dans des gains de caractère à la fois économique et politique, ce qui ne veut pas dire que le pouvoir était « à ramasser ». Mais entre tout et rien, il y a beaucoup de place et c'est là qu'il fallait se situer, sur le terrain économique et social : lutter pour imposer des changements de structures, gagner des

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positions nouvelles sans attendre, au sein des entreprises, tant publiques que privées, démocratiser au maximum, ce qui avait été manqué au lendemain de la Libération et par la suite. Tout le pouvoir n'est pas à l'Élysée et à Matignon. Encore faut-il ne pas avoir pas une conception figée de la révolution, ne pas perdre de vue qu'il s'agit d'un processus de longue durée, fait d'avancées et de reculs, et par suite, qu'il est impératif de savoir saisir chaque occasion de pousser aussi loin que possible l'avantage du moment. Les risques pour la classe des producteurs en 1968 étaient limités au maximum et l'on ne peut oublier à ce propos Kugelmann regrettant la défaite de la Commune de Paris (1871) et par suite, le combat de la Commune elle-même, auquel Marx répondait : « Il serait fort commode de faire l'histoire universelle si on n'engageait la lutte qu'à la condition d'avoir des chances infailliblement favorables. » L'autre raison ayant conduit au recul est que le PCF était prisonnier de positions dogmatiques selon lesquelles le changement, nécessairement et uniquement politique, ne pouvait être le fruit que de l'union de la gauche c'est-à-dire entre le PCF et le PS, essentiellement. Ce dernier ayant refusé un accord, il n'y avait pas à ses yeux de progrès politique possible et il ne restait plus qu'à tenter d'obtenir le maximum dans le domaine social, puis de rentrer, ce qui se fit, non sans difficultés en raison des hésitations, même des résistances des salariés, ce qui prouve bien qu'ils voulaient autre chose. Cette position rigide rappelle celles des doctrinaires proudhoniens et blanquistes de 1871, à ceci près que ces derniers ont abandonné leurs doctrines fausses pendant la Commune et que, sur le terrain, ils ont pris les décisions positives que l'histoire connaît, tandis qu'en 1968, les dirigeants du PCF et de la CGT ont été incapables de s'adapter et s'en sont tenus jusqu'au bout

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au concept de l'union de la gauche. Ils se réclamaient pourtant de Marx qui disait : « Un seul pas du mouvement réel est plus important qu'une dizaine de programmes. » Or, ici, au mouvement réel, on a préféré, non un programme, mais une absence de programme, un espoir de programme. Et il s'agissait de l'unique grève générale réussie en France et même dans le monde, réalisant l'union de l'ensemble de la classe des producteurs : ouvriers, employés, techniciens, ingénieurs et cadres. Comment doit-on qualifier ce mois de mai ? Fut-il une victoire ? Apparemment oui, en ce sens que la grève était là, massive, la France paralysée ; non, en réalité, car le gain de cette grève fut nul ou plutôt la montagne a accouché d'une souris. Les graves conséquences de ce qui fut pis qu'une défaite en 1968, puisque le combat ne fut pas engagé, se sont fait sentir au cours des années et des décennies suivantes. On apprend dans un combat, on en tire des leçons, qu'il soit gagné ou perdu, mais là, il n'y a pas eu de lutte véritable et c'est ce qui pouvait arriver de pire, car ce qui a suivi, ce fut la déception, le découragement, le recul de la conscience et de la confiance. Le fait avait déjà été noté par Engels : « Certes, cette humeur révolutionnaire des masses avait presque toujours, et le plus souvent très vite, fait place à une lassitude ou à un revirement en sens contraire, aussitôt que l'illusion s'était évanouie et que la déception s'était produite » 76 . Quant à Marx, il répondait à Kugelmann au lendemain de la défaite de la Commune, qu'elle avait le choix entre « accepter le combat ou succomber sans combat. Dans cette dernière éventualité, la démoralisation de la classe ouvrière aurait été un malheur bien plus grand que la perte d'un nombre 76. MARX, réf. 30, p. 1128.

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quelconque de "chefs". C'est ce qui se passa exactement après 1968 : une démoralisation énorme dont les effets se font toujours sentir. Encore une fois, l'objectif à atteindre était celui de plus de démocratie dans tous les domaines, d'abord économique - ce n'est pas par hasard si de Gaulle a relancé plus tard l'idée de participation- et c'est pourquoi on parlait beaucoup d'autogestion, donc d'une transformation profonde des rapports de production au sein des entreprises. Naturellement, ce n'était pas un but facile à atteindre, mais de grandes forces étaient rassemblées, prêtes à agir, à se battre contre leur adversaire principal, le capitalisme, et si la victoire totale n'était naturellement pas envisageable, des gains étaient certains, les prétentions des producteurs ne pouvaient être totalement repoussées. De plus, quelle énorme expérience aurait été accumulée qui aurait permis de faire face dans les meilleures conditions à la situation nouvelle apparue en 1973. La démoralisation, la déception fut à la mesure de l'événement ayant avorté en France. Comme on le sait, qui n'avance pas recule. Faute d'avoir avancé ce pays a reculé, mais pas seul, car ce qui s'y passe, en bien ou en mal, a des répercussions positives ou défavorables ailleurs en raison de l'influence importante qu'il exerce dans le monde, en tant que terre de révolutions et de liberté. Ce n'est pas par hasard si, au cours des années suivantes, l'on vit apparaître en France, mais aussi en Allemagne et en Italie, des groupes extrémistes de gauche recourant au terrorisme : Action directe, la Fraction armée rouge et les Brigades rouges. En conclusion, une défaite terrible pour la classe des producteurs. Malgré l'offensive vietnamienne du Têt, cette année 1968 fut à marquer d'une pierre noire dans le monde où l'on a constaté de nombreux mouvements de révolte : l'armée a tiré sur une manifestation d'étudiants à Mexico

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et fait de nombreux morts ; au Japon, des émeutes contre les bases américaines furent durement réprimées. Mais le plus grave a eu lieu en Tchécoslovaquie où apparaissait une possibilité de changement vers plus de démocratie laquelle, malgré les efforts déployés par les dirigeants du PCF pour éviter le pire, fut stoppée net par les armées des pays communistes. Il n'y aura pas d'expérience socialiste nouvelle et c'est sans doute la dernière chance que possédait ce camp de survivre et d'échapper à la déchéance. Pendant ce temps, les États-Unis continuaient à massacrer au Vietnam jusqu'en 1975, année où ils se sont débarrassés de ce problème après l'avoir humainement et démocratiquement inondé de dioxine et autres défoliants. L'impérialisme a subi là une grave défaite -cela a été vite oublié- mais il devenait libre de ses mouvements et prêt à lancer la grande offensive contre un adversaire très affaibli, le camp socialiste, et un autre, celui de l'intérieur, la classe des producteurs, maintenant allégée de ses meilleures armes : conscience de classe et partis révolutionnaires revenus à leur activité préférée, comme au début du siècle, l'électoralisme.

5°) Retour à un capitalisme sans entraves L'étau desserré, le capitalisme peut donc reprendre la bataille contre son ennemi intérieur et partir à la reconquête de taux de profits plus importants. L'occasion lui en est donnée lors de l'augmentation du prix du pétrole dès 1973, ce qui est partiellement un prétexte puisque ce dernier n'intervient pas dans le coût de toutes les marchandises sur le marché. Cependant, un grand tapage informatif est effectué pour justifier, à partir de là, les hausses de prix importantes et répétées qui interviennent en cascades dans tous les domaines et se renouvellent en 1979 lors de la deuxième hausse du pétrole. En même temps, c'est l'occasion, dans les pays capitalistes, de

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procéder à une grande transformation de l'économie. Il est décidé de ne plus être tributaire au même degré de cette source d'énergie qui a déjà remplacé en partie le charbon, de lancer des programmes d'équipement nucléaires permettant au cours des années quatre-vingts, de fermer progressivement les houillères et de se débarrasser par là d'une main d'œuvre nombreuse et souvent révolutionnaire qui va en partie grossir les rangs des chômeurs réapparus progressivement depuis 1973. En France, la modernisation de l'industrie avait été reportée au cours des années 50/60 et les projets d'automatisation remisés au placard : il était plus rentable pour les patrons d'embaucher des bergers dans les douars d'Afrique du Nord, puis en Afrique noire sur de vagues promesses, ainsi que leurs propres paysans ruinés, tous recevant de bas salaires. Après être restée stable en France entre la Libération et 1964, avec 67 %, la proportion d'ouvriers spécialisés s'est élevée en 1970 à 78 %. Ce n'est pas par hasard : une main d'œuvre très diversifiée favorise la concurrence entre les salariés, phénomène qui, le chômage venu, avec la crise, rend les luttes plus difficiles. Les progrès de l'électronique permettent le moment venu, d'introduire la robotisation dans les usines et de se débarrasser ainsi d'une partie du personnel. La palette des armes entre les mains des capitalistes comprend également les déménagements à l'étranger, notamment en Asie. Bien que leur objectif soit d'abord la recherche de conditions économiques les plus favorables et non le licenciement, la réduction des emplois ou la fermeture d'entreprises conduit à la constitution d'une importante armée de réserve dans toutes les couches de salariés afin d'augmenter la pression sur les salaires. Non seulement les capitalistes investissent dans les pays dits émergents, mais ils font supprimer par leurs personnels politiques de tous bords qui, au delà de leurs querelles subalternes de

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partis font tous le même travail, les cordons douaniers protégeant les économies nationales, conformément à l'analyse de Marx : « La tâche proprement dite de la société bourgeoise est la création du marché mondial, tout au moins dans ses larges contours, et d'une production fondée sur lui » 1 1 . Le Manifeste notait déjà que « par l'exploitation du marché mondial, la bourgeoisie donne un caractère cosmopolite à la production et à la consommation de tous les pays ». et que le libre échange : « Dans l'état actuel de la société [...] c'est la liberté du capital. » Ce qui ne veut pas dire que Marx y soit hostile : « En un mot, le système de la liberté commerciale hâte la révolution sociale. C'est seulement dans ce sens révolutionnaire, Messieurs, que je vote en faveur du libre échange. » Enfin, dernière arme, celle de la privatisation des entreprises étatisées dans le passé. Renflouées avec l'argent des producteurs, ces sociétés ou services publics sont remis en totalité ou en partie à la bourgeoisie qui en tire de grands bénéfices. Naturellement, en cette période faste du capitalisme qui n'est pas sans rappeler celle du 19e siècle -entourée des mêmes scandales et des mêmes escroqueries- la spéculation fait rage dans tous les domaines. Les conséquences de cette reprise en mains de l'économie sont inévitables et partout semblables : chômage, fermetures d'entreprises et hausse des bénéfices pour les actionnaires. Si les bouleversements techniques conduisent à la création d'emplois nouveaux et même de métiers nouveaux, ils ne comblent pas loin s'en faut, les vides créés. Parallèlement, les gouvernements -« comités qui gèrent les affaires pour le compte du capital »s'attaquent aux garanties sociales et assurances maladies, 108. MARX, réf. 1, p. 181.

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génèrent une réglementation favorisant les emplois précaires. Pour faire avaler cette potion amère, on accorde des primes de licenciement ou de départs en pré-retraite, etc. Le capitalisme d'État social étant redevenu le capitalisme tout court, comme devant, les crises réapparaissent mais on préfère, si possible, prévenir les surproductions en détruisant des forces productives : fermetures d'usines, destruction de bateaux de pêche, mise en friche de terres à côté d'autres sols que l'on épuise toujours plus. Un certain nombre de luttes importantes ont lieu durant cette période, mais elles sont isolées et de caractère défensif en raison du trouble patent des salariés qui ne savent quels objectifs se donner. En France, les sidérurgistes brûlent les voitures et abattent les lampadaires ce qui est une régression par rapport aux canuts lyonnais. C'est du côté Anglo-saxon que vient le meilleur, et surtout des États-Unis où en 1973, dans un coin perdu du Kentucky, Brookside, des mineurs inorganisés décident de rejoindre le nouveau syndicat et de faire grève pour obliger leur compagnie à signer la convention collective de la profession. Ils avaient jusqu'alors tout subi, misère, silicose, accidents, justice et police au service de leurs patrons. Aidés par leurs femmes, ils résistent durant treize mois à tout : emprisonnements, pressions de toutes sortes, briseurs de grèves, groupes armés qui font un mort, pour finalement l'emporter, sans doute aidés par la présence de l'équipe de cinéma se trouvant sur place depuis le début et qui est menacée elle aussi. Peut-être la grève la plus longue et la plus dure de l'histoire des USA. D'autres grandes grèves vaincues, ont lieu en Grande-Bretagne, entraînant des mineurs opposés à la fermeture d'un certain nombre de puits, des métallurgistes de British Leyland, dont l'action est déclarée illégale et les dirigeants hors la loi, non seulement par le gouvernement, mais aussi par les

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patrons des TUC qui menacent ensemble les grévistes de licenciement. Il y a longtemps déjà que Marx et Engels avaient conseillé aux ouvriers anglais de se débarrasser de leurs chefs syndicaux. Les années quatre-vingts voient la bourgeoisie donner un grand coup d'accélérateur à cette reconquête de l'ensemble de l'économie, avec notamment l'active participation des conservateurs et des socialistes européens. Les salariés se lancent en France dans des combats défensifs puissants, mais limités à une catégorie professionnelle : infirmières, cheminots, etc. Les premières refusent même toute action commune avec d'autres victimes du capital, par égoïsme, faute d'un gâteau assez gros à se partager avec eux. La disparition du camp socialiste, au début de la décennie suivante, réjouit naturellement l'impérialisme qui peut exploiter désormais le monde entier en toute liberté, cette région tombant inévitablement sous sa coupe. Mais le capitalisme débridé ne peut aboutir qu'à des crises semblables à celles du passé et non plus latentes comme au cours de la période plus récente. Un premier krach général secoue le monde financier en 1987. Après une grande secousse subie en 1982, le Mexique connaît un nouveau séisme en 1994/1995 dont il ne se tire qu'avec l'aide des Américains et du Fonds monétaire international. Puis, c'est la grande dépression asiatique de 1997. Après une période de trente années de prospérité enviable et enviée, citée en exemple, les pays du sud-est de l'Asie découvrent maintenant la crise. Nombre d'entreprises connaissent la faillite, ce qui entraîne la misère pour des dizaines de millions de salariés. Les places financières des pays impérialistes se relèvent assez bien de l'onde de choc ainsi provoquée, mais le monde est entré désormais dans une période de crise permanente ponctuée de mini-krachs ou krachs rampants qui touchent ou menacent des régions ou pays jusque là plus ou

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moins épargnés comme la Scandinavie, l'Australie, l'Afrique du sud. Il est difficile d'établir un bilan de cette crise générale, si l'on veut toutefois se dispenser de sottises du genre : il s'agit de la disparition d'un monde ancien laissant place à un monde nouveau, ce qu'affirment les thuriféraires de la bourgeoisie. En réalité, la marche en avant de la bourgeoisie est à l'origine d'une profonde régression humaine, pis qu'un retour au dix-neuvième siècle, un retour à la barbarie dans tous les domaines, une crise globale du capitalisme à l'échelle mondiale et non limitée au secteur économique. La misère touche les pays riches dans lesquels on évalue à 37 millions le nombre de chômeurs et à 100 millions de personnes celles vivant sous le seuil de pauvreté, selon les critères du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), alors que selon le même organisme, en 1997, la somme nécessaire pour donner à la totalité du globe l'accès à l'éducation, à la santé, à l'eau et en chasser la pauvreté, s'élèverait à 460 milliards de francs pendant dix ans. Elle est inférieure à la fortune des sept personnes les plus riches du monde. Les dirigeants socialistes français expliquent qu'« il est impossible de vivre éternellement au-dessus de ses moyens » ce qui est l'aveu que le capitalisme n'a plus les moyens d'entretenir une aristocratie ouvrière ou qu'il est aujourd'hui possible de se passer de cette couche sociale privilégiée. Même les ingénieurs et cadres sont surexploités, travaillent au delà des horaires légaux, travaillent en mangeant, travaillent durant les transports, travaillent encore à la maison. Les enfants sont victimes d'un triple trafic en augmentation constante : l'adoption, le travail et l'exploitation sexuelle. Selon le BIT, deux cents millions d'enfants de cinq à quatorze ans besognent par force dans une centaine de pays. Quant à la pédophilie, elle atteint les

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sommets de l'horreur et du lucratif. Aux suicides qui touchent la jeunesse (40.000 tentatives par an en France) depuis le début de la crise -Marx notait en son temps que « les Berbères et les Tartares ne se suicident pas »s'ajoutent ceux des travailleurs licenciés en Corée, en Thaïlande et au Japon qui entraînent parfois leur famille dans la mort. Disparu avec la venue du capitalisme d'État social, le lumpenprolétariat, le sous-prolétariat, fait de vagabonds, de gens sans métier, pépinière de voleurs et de criminels de toute sorte, réapparaît. Le nombre des crimes est naturellement en augmentation, celui des condamnés aussi, et des États renouent avec la peine de mort. La prostitution, volontaire et surtout forcée atteint des niveaux jamais atteints dans le passé : en Europe de l'ouest, on évalue à plusieurs centaines de milliers le nombre de femmes venues des pays de l'est pour bénéficier des bienfaits de la liberté. Malgré les déclarations des gouvernements et les quelques petites mesures prises, les trafics de drogue s'amplifient et derrière la consommation, des collusions entre États et criminalité sont de plus en plus courantes. La crise affaiblit considérablement les couches populaires les plus pauvres et les rend vulnérables aux maladies parfois presque disparues et qui reviennent en force sous forme d'épidémies. Ailleurs c'est l'apparition de troubles cérébro-vasculaires massifs. Dans des pays du tiersmonde, l'impérialisme se comporte de façon parfaitement odieuse mais dans la logique du capitalisme : un grand groupe effectue des démarches auprès des mères pour les inciter à ne plus allaiter leurs enfants afin de leur vendre sa poudre de lait. Mais l'eau étant fréquemment contaminée, les bébés sont malades, d'où dépenses supplémentaires en matière de santé pour les pays en question et bénéfices pour les pays développés qui gagnent sur tous les tableaux : poudre de lait, médica-

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ments, aide médicale. La recherche du profit maximum conduit à des aberrations comme l'utilisation d'anabolisants, d'hormones de croissance, de farines animales dans les élevages intensifs, dont les humains sont finalement victimes potentielles et les Américains ont réussi à imposer leurs OGM (organismes génétiquement modifiés). Le stade, autrefois lieu privilégié de l'amateurisme, de l'honnêteté et de la formation, est devenu un concentré de toutes les tares de la société bourgeoise où l'on rencontre affairisme, violence, drogue, recherche du profit à tout prix, racisme, tricheries en tous genres, décisions politiques et partisanes, corruption. Cette dernière, qui était surtout un phénomène limité aux pays en voie de développement, s'étend au monde entier, favorisée par la mondialisation de l'économie et les vagues de privatisations. Il n'est pas rare de voir des ministres et des hommes d'affaires en prison. Enfin, la Terre ellemême est menacée par le capitalisme qui ne saurait rien respecter, et surtout pas l'environnement. Qu'il s'agisse de l'eau, venant à manquer même là où elle est abondante, des forêts, abattues sans discernement, de la désertification, ou des émissions de gaz, le tableau est inquiétant. Il est vrai que rien ne prouve scientifiquement que ce dernier point soit à l'origine du réchauffement de la planète, ni qu'il y a réchauffement, mais il est évident que l'on ne peut rejeter impunément chaque année des milliards de tonnes de gaz dans l'atmosphère (6,25 milliards en 1996). Mais comment résoudre ce problème sans heurter les intérêts du premier pays pollueur, et de loin, quand ce pays est le maître du camp capitaliste, les États-Unis ? Il faudrait encore évoquer l'illettrisme, l'analphabétisme, les SDF. Avec la disparition du camp socialiste, c'est sans aucune retenue que le capitalisme, au stade de l'impérialisme, peut pratiquer la politique de la canonnière.

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Les Américains se posent ouvertement en gouvernement du monde et se permettent désormais d'ignorer superbement l'ONU. Leurs méthodes sont toujours les mêmes en gros : il y a la méthode douce ou fourbe qui consiste à acheter les électeurs et les hommes politiques comme ils l'ont fait au Nicaragua, en Pologne et en Russie, ou à fomenter des troubles faisant peur à la population ; il ont recours également à la méthode brutale qu'ils mettent éventuellement au point avec leurs amis putschistes ou appliquent eux-mêmes directement dans le pays en cause, comme par le passé : Irak, Soudan, Afghanistan, Yougoslavie. Ils n'admettent aucune résistance à leurs décisions. Chacun doit s'incliner, y compris leurs alliés réticents comme peuvent l'être en certaines circonstances la France ou la Russie, et indépendamment du régime considéré, qu'il soit plus ou moins démocratique ou qu'il soit autoritaire. Une dictature n'est pas un ennemi du seul fait que son pays est privé de liberté. Il est de bonnes et de mauvaises dictatures, selon qu'elles sont ou pas obéissantes et de même, un pouvoir légal peut-être un adversaire à abattre, dès lors qu'il prétend être indépendant. En outre, l'impérialisme sait que le capitalisme partant « à la chasse, par tout le globe, du consommateur nouveau, limite à domicile la consommation des masses à un minimum de famine et sape ainsi son propre marché intérieur » 78 ce qui ne peut que conduire à des protestations et des révoltes. Il existe aussi entre le Nord, riche et inconscient, et le Sud, pauvre et humilié, un décalage ne pouvant persister éternellement, d'autant moins que la situation du Sud commence à gagner le Nord. Cette évolution risque de conduire à des grèves, des troubles, 78. ENGELS, réf. 15, p. 314.

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des révolutions, et l'impérialisme a pour tâche d'intervenir afin de régler le problème à son avantage par la force. En outre, les capitalistes savent depuis longtemps que les guerres sont utiles, voire nécessaires : elles permettent d'entraîner l'armée, de tester les armes et, sur le plan politique, de montrer sa force, de faire peur, de détourner l'attention vers l'extérieur et de refaire éventuellement l'unité de la nation contre l'adversaire tout en créant un climat d'insécurité propice aux mauvais coups en tous genres. En cela, les impérialistes ne font qu'appliquer les recommandations contenues dans le rapport d'experts américains de 1967 présenté dans un livre de M. Galbraith, ancien collaborateur de J.F. Kennedy. Selon ces éminents intellectuels, la paix ne peut être un objectif souhaitable car « il ne serait certainement pas dans l'intérêt le mieux compris d'une société stable de parvenir à la faire régner». Les avantages de la guerre sont évidents selon ces messieurs : presque tous les progrès économiques sont dus à la guerre ; elle résout les problèmes des stocks ; elle permet de conserver en qualité et en quantité, les pauvres dont une société a besoin aussi bien à titre de stimulant que pour maintenir la stabilité de l'organisme qui assure le pouvoir ; la guerre est une source d'inspiration indispensable aux créateurs ; elle dissipe l'ennui ; elle permet de maîtriser la qualité et le degré du chômage ; les dépressions cycliques ont eu lieu au cours de périodes où les dépenses militaires étaient insuffisantes et il faudrait un programme de destruction moyenne par année d'au moins 10 % du produit national brut. Mais que faire, interroge cet aréopage prêt à tout pour sauver le système capitaliste, au cas où la guerre disparaîtrait ? Il faudra trouver un ennemi de remplacement, peut-être la pollution totale, considérée comme une menace contre la survie de l'espèce, ou la réintro-

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duction sous une forme masquée d'une forme d'esclavage. Donc, il faut un adversaire, si possible bien « effrayant », et à défaut, pouvoir en inventer un en cas de besoin. C'est ce qui a été fait avec Saddam Hussein, le tyran irakien, soutenu par les occidentaux jusqu'à ce que leur approvisionnement en pétrole semble menacé par une politique qu'ils ne contrôlent peut-être plus tout à fait Alors, on prétexte que ce dictateur sanguinaire s'est emparé d'un petit État sans réalité, le Koweït, créé artificiellement par l'impérialisme -ce n'est qu'une dynastie- pour massacrer des centaines de milliers de personnes. La défense de ce pays est une bien pauvre raison, inacceptable par les Arabes qui se refusent généralement à approuver ou à condamner mais comprennent, tout comme n'importe quel honnête homme. Car c'est un fait que l'unité de la France n'a pas été un don de dieu ou de la nature mais s'est réalisée au long des siècles par le fer et par le feu, la démocratie et le droit des gens y tenant peu de place. C'est un autre fait que l'unité italienne s'est réalisée il y a cent ans de la même façon et l'on peut en dire autant de celle de l'Allemagne dont les grands artisans, Mettemich et Bismark le cédaient peu à S. Hussein sur le plan de la barbarie. C'est un fait que l'histoire se réalise ainsi généralement, et non à la suite d'un référendum. Est-ce que les Arabes demandent raison aux occidentaux de la manière dont leur unité s'est réalisée ? Par exemple encore, celle des États-Unis ? La guerre de Sécession aurait elle été une promenade de santé ? C'est l'impérialisme qui a présidé à l'établissement des frontières actuelles du Moyenorient après la disparition de l'empire ottoman, et de façon tout à fait arbitraire qui, depuis lors, a été constamment condamnée par les intéressés. Dans ces sortes d'affaires, seuls comptent les intérêts économiques et

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politiques, tandis que la justice n'y a aucune part. Le droit international dont se gargarisent les bourgeois occidentaux n'est qu'un sabre de Joseph Prudhomme : il sert à défendre les peuples (en théorie) et au besoin à les combattre (en pratique). Il sert surtout à défendre les intérêts impérialistes dans la région du Moyen-Orient et des Balkans, importante par ses réserves de pétrole, tout comme sont importants les pays par lesquels on peut y accéder, comme la Yougoslavie. On exige de l'Irak qu'il respecte la moindre virgule des textes de l'ONU mais personne n'a réagi lors de l'occupation de la moitié de Chypre par la Turquie, ni à l'occupation par Israël des territoires libanais, syrien, ni à son refus d'obéir aux décisions de l'ONU se rapportant au problème palestinien, lesquelles ont plus de cinquante ans, ni aux agressions des États-Unis à la Grenade ou à Panama, ou encore aux interventions des gouvernements français en Afrique, qu'ils soient de droite ou socialistes. Ce point mérite qu'on s'y arrête car depuis la « décolonisation », la France installe et entretien là-bas tous les dictateurs qui ont mis leur pays au pillage. Il est vrai que les capitalistes français y ont trouvé et y trouvent leur compte malgré les sommes importantes versées par État au titre de la coopération, lesquelles sont le plus souvent dilapidées en réalisations inutiles, somptuaires, en cadeaux, enfin, en rémunérations élevées versées aux coopérants qui prennent la place des nationaux. Cette situation qui n'est pas propre à la France encourage l'émigration des cadres et les boursiers africains partis étudier dans les pays de l'Union européenne refusent presque toujours de regagner leur pays d'origine. Il est évident que ce débauchage -normalement interdit par l'ONU- coûte cher à l'Afrique. L'Organisation internationale pour les migrations (OIM) évalue à environ 100.000 le nombre de cadres expatriés, et au même

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nombre, les spécialistes des pays développés qui sont en poste en Afrique, laquelle est perdante dans tous les domaines. Gendarme par excellence de cette région, la France est le premier pays à tirer profit de cette situation favorable à son économie, et l'on peut même rencontrer à Paris des néo-colonialistes peut-être autrefois anticolonialistes qui n'hésitent pas à dire : « notre économie a besoin des immigrés ». Ces bons apôtres ne se sont apparemment jamais posé la question de savoir si l'Afrique n'avait pas, elle aussi, besoin de ses hommes pour régler les problèmes auxquels elle est confrontée. Lorsque l'opposition rwandaise a lancé une offensive en 1990 le gouvernement français a envoyé aussitôt ses parachutistes à Kigali pour défendre le pouvoir en place, comme il le fait d'habitude et quand, en 1994, les miliciens hutus ont commencé les massacres, c'est dans la plus totale passivité que les soldats français restés présents y ont assisté, et si, après la victoire de l'opposition, l'armée tricolore est intervenue dans le pays, ce fut afin d'aider les assassins à déporter la population vers les États voisins. Pour se limiter aux années quatre-vingt-dix, notons les interventions au Gabon en 1990, au Zaïre en 1991/1992, en Centrafrique en 1996, etc. La politique visant à imposer l'ordre américain dans le monde s'exprime en 1999 en Yougoslavie avec l'intervention armée de l'OTAN qui apporte dans ce pays la guerre en prétendant y apporter la paix, et ce, avec l'aide des gouvernements anglais, allemands, italien et français, tous dirigés par des socialistes, toujours prêts à verser le sang des autres quand il ne le faut pas. Afin de mener à bien tous ses projets, le capitalisme a besoin de moyens adaptés, qui ne relèvent pas seulement de l'armement militaire, et constituent des instruments de travail quotidien. Les États, d'abord, ont beaucoup changé depuis Marx et sont aujourd'hui des

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excroissances énormes, coûteuses, grevant lourdement les budgets nationaux afin d'assurer les tâches de la bourgeoisie dans tous les domaines. Ce rôle accru des États, et par là même des gouvernements, présente l'avantage énorme et méconnu des communistes depuis la seconde moitié du vingtième siècle, de déplacer les responsabilités du capitalisme vers l'État, des bourgeois vers les ministres, et par suite, de dissimuler les vrais coupables. C'est là le rôle principal de la démocratie : faire en sorte que les peuples, étourdis par les débats et combats politiciens se détournent de l'essentiel et ne combattent pas le capital. Le commerce mondial, la politique mondiale prenant de plus en plus d'importance, apparaît la nécessité de confronter les points de vue, de justifier les décisions, en même temps que d'échapper au contrôle des peuples. On a vu ainsi surgir d'innombrables organismes, rencontres formelles, informelles, forums, conférences, mondiales ou nom, ayant pour objet de débattre mais aussi et surtout de décider de ce qui est bon pour l'humanité tout entière sans que celle-ci soit consultée. Citons dans le désordre : la Trilatérale, le G7, le G8, le FMI, la Banque mondiale, le forum de Davos, l'OCDE, l'OMC, le CCI, le GATT, l'AMI etc., Parmi ces organismes, ceux produits par l'Europe occidentale méritent une attention particulière puisque ce sont les pays le plus développés économiquement et historiquement les plus turbulents. Les centres de décision sont dispersés au Luxembourg, à Bruxelles, à Strasbourg ; les responsables, bien qu'ayant tous pouvoirs, sont anonymes ou presque, échappent à un véritable contrôle, ce qui ouvre la voie à toutes sottes de dérives ; ses fonctionnaires sont innombrables et souvent incompétents parce qu'éloignés des réalités. L'Europe a pris le chemin inverse de celui dont rêvait Marx lorsqu'il appelait au dépérissement de État, c'est-à-dire à plus de démocratie, c'est-à-dire tou-

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jours plus de responsabilité à la base. Analysant les Mystères de Paris dans la Sainte Famille, Marx souligne ironiquement que Rodolphe, en « critique pur », combat le mal, non chez lui, mais chez autrui, ajoutant : « D lui faut une double législation, l'une pour sa propre personne, l'autre pour les personnes profanes » 79 . Ainsi de l'impérialisme. D édicté des règles morales et politiques, des lois internationales que les peuples doivent respecter. Lui, se contente de les imposer aux autres. Les Nations unies ont installé à la Haye en 1993, un Tribunal pénal international. En réalité, il s'agit d'un groupe de marionnettes nommées par les pays impérialistes et qui ne peut être autre chose car tant qu'il y aura des classes, la justice sera une justice de classe et les juges ou les jurés, nommés par la classe dominante, appliqueront des règles et la politique définies par les classes ou pays dominants, ici les grands pays capitalistes, qui ont pour objectif premier la défense de leurs intérêts économiques. L'idée d'un tel tribunal n'est pas nouvelle puisqu'en 1956, il était question de réunir un groupe de juristes internationaux fondant leur activité sur un certain nombre de textes, de 1919, des articles du Traité de Versailles, et d'autres plus récents : déclaration de Moscou de 1943, traité de Londres de 1945, loi de Berlin de 1945, par exemple. Si l'on en est resté au stade des velléités, c'est que les premiers appelés à subir les foudres de ce tribunal étaient les responsables de l'opération de Suez, dénoncés comme criminels de guerre : Guy Mollet, Anthony Eden et Ben Gourion. En somme, il faut veiller à avoir raison en temps utile et prendre soin de se placer du côté du manche. Cette idée n'a pu trouver d'application qu'avec la disparition du camp socialiste et désor79. MARX, réf. 5, p. 659.

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mais, le capitalisme ne craint plus de voir ce tribunal se tourner vers lui pour lui demander des comptes sur l'action menée en Indochine, à Madagascar, en Algérie, au Vietnam, en Palestine, en Amérique latine, au Rwanda, etc. ; de voir taquiner Bébé Doc, Mitterrand, Bongo, Mobutu, les présidents américains, etc. Les uns sont morts, les autres hors d'atteinte. Lorsqu'on évoque les massacres, il s'agit toujours de ceux perpétrés par des pays hors G8, relevant de la responsabilité de petits pays, jamais de ceux qui ont été commis par les occidentaux. Qui jugera les assassins du village vietnamien de My lai en 1968, soit cinq cents personnes massacrées compris les vieillards, les femmes, les enfants et les bébés ? Un seul condamné, gracié peu après. Le TPI reproche à la Serbie de protéger des coupables venus de Bosnie, de crimes à l'égard des Kosovars et dans le même temps, les chefs des assassins rwandais et autres se promènent librement dans les capitales européennes, et l'on peut voir défiler à Riga d'anciens SS lettons, sous les yeux de survivants juifs dont les proches ont été exécutés non loin de la ville. Faut-il rappeler la complaisance des occidentaux à l'égard de Pinochet, des généraux chiliens, argentins, grecs et turcs ? S'il y a, comme on le voit, deux catégories de criminels, les bons et les mauvais, il y a également des affaires extérieures dont on ne peut se mêler, et d'autres dont il est nécessaire de se préoccuper. Ou plutôt il y a des entreprises semblables qualifiées dans certains cas d'intérieures et dans d'autres, d'extérieures, sans que la justice et le droit abstraits ne parviennent à s'y retrouver. La Tchétchénie est une affaire intérieure russe dans laquelle le monde ne doit pas intervenir ; même chose pour les kurdes de Turquie ; en revanche, celle des kurdes d'Irak est extérieure à ce pays, ce qui justifie des bombardements, ainsi que celle du Kosovo. L'absence d'opposition à l'impérialisme permet

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aux Américains de se passer de l'avis de l'ONU et du Conseil de sécurité au nom d'un droit imaginaire de « légitime défense » appliqué à l'Afghanistan et au Soudan, soupçonnés aujourd'hui d'abriter des terroristes désormais anti-américains alors qu'ils étaient alliés hier. On répond ici à des actes limités par une répression massive. Si les pays occidentaux, par le passé, ont dénoncé les atteintes à la démocratie dans les États socialistes, ils étaient bien mal placés pour le faire puisque pareillement coupables, et on le constate encore aujourd'hui dans tous les domaines. Interdits de travail, mis à l'index, sanctionnés, les communistes peuvent en témoigner. Il y a peu, le Premier ministre français donnait la leçon au dirigeant chinois qu'il recevait et en même temps faisait matraquer les personnes qui distribuaient des tracts déplaisants non loin de là : tout un symbole de la politique impérialiste en matière de droits de l'homme. Un directeur est-il nommé à un poste important dans un service régional public dans les années quatre-vingts en France ? Après enquête, les Renseignements généraux demandent et obtiennent sa mise à l'écart par le gouvernement socialiste parce qu'il est communiste. Pendant des générations, les États Unis ont refusé d'accorder des visas aux communistes souhaitant connaître leur pays ; même attitude de la part des autorités de Paris à l'endroit des soviétiques d'origine française qui voulaient rendre visite à leur famille. Plus grave, pendant l'ère Me Carthy, des hommes ont été poursuivis, persécutés, poussés à la délation, emprisonnés, interdits de travail du seul fait de leurs opinions ou de leurs relations, se sont suicidés, ont, comme les Rosenberg, été exécutés. Enfin, comment ne pas évoquer les murs, après la chute de celui de Berlin, puisqu'il en existe aussi de bons et de mauvais. Celui édifié autrefois en Allemagne était à abattre paraît-il,

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mais il est difficile -et personne ne s'y essaie- de nous expliquer avec des arguments convaincants ce qui fait que celui séparant les deux Corées est justifié ; que celui édifié entre le Mexique et les États-Unis l'est tout autant ; ainsi que celui -de plusieurs dizaines de kilomètres- entourant la ville de Mexico, au delà duquel il est interdit de s'installer; et celui enfin, qui clôt l'enclave espagnole en terre marocaine (double haie grillagée protégée par des frises de barbelés avec équipements de vidéo-surveillance). Jusqu'au début des années cinquante, personne ne pouvait tenter de passer les frontières, française, suisse, italienne ou espagnole clandestinement sans risquer de recevoir un coup de fusil expédié par les douaniers. Mais cela était légitime car venant de pays ayant tous les droits. On terminera ce bref tour d'horizon par des morts et des déportés : ceux des étrangers exécutés aux États-Unis, en violation de l'accord de Vienne signé par Washington stipulant qu'ils ont droit à une assistance consulaire ; ceux enfin, des aborigènes australiens enlevés à leurs familles, et des enfants anglais parfois baptisés orphelins pour les besoins de l'opération et déportés en Australie et en NouvelleZélande. Et ils osent se qualifier États de droit ! Nous venons de voir tout le mal dont le capitalisme est capable malgré les crises passées et présentes qu'il a subies. Les raisons expliquant cette situation ont déjà été données. Aux erreurs, aux fautes, à l'inculture de la classe des producteurs s'ajoute l'intelligence de la bourgeoisie qui a toujours su se livrer à un travail idéologique et de propagande permanent et habile. Chez les premiers et leurs organisations les plus avancées, les partis communistes, on a préféré l'activité pratique à l'étude de la théorie, l'étude des programmes à la critique de la réalité et du mouvement réel. Peu à peu, le principe fondamental selon lequel l'émancipation de la classe ouvrière doit

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être l'œuvre de la classe ouvrière elle-même a disparu ainsi que l'internationalisme et le matérialisme ; l'idéalisme l'a emporté sur ce dernier en compagnie de l'opportunisme, du parlementarisme, des pratiques politiciennes, du carriérisme. Au patronat disant autrefois aux ouvriers, « Nous sommes indispensables car nous vous donnons du travail ; sans nous, vous mourriez de faim », ceux-ci répondaient : « les patrons ne peuvent se passer de nous, c'est-à-dire de notre travail ; nous, nous pouvons nous passer d'eux ». Quelle régression au cours du siècle puisqu'aujourd'hui, on constate ou l'on entend l'inverse : les patrons peuvent se passer de leurs salariés en spéculant après avoir fermé boutique, et les ouvriers ne savent que se plaindre en quémandant un repreneur, le plus puissant possible, c'est-à-dire ayant fait ses preuves en matière d'exploitation des salariés. On aura tout vu ! A l'inverse, la bourgeoisie sait combattre. Marx disait que les capitalistes ont toujours raison, que l'un d'eux peut quelquefois se tromper, jamais la classe dans son ensemble, c'est-à-dire qu'elle a les moyens de défendre parfaitement ses intérêts. L'histoire de ce siècle lui donne cent fois raison. Le seul fait que le capitalisme survive à ses crimes alors que le socialisme a disparu pratiquement en est la preuve. Prenons l'exemple du Cambodge : il faut naturellement le contrôler et mâter son peuple et ses dirigeants quand ils sont insoumis. L'impérialisme, dans un premier temps a naturellement soutenu les Khmers rouges et combattu les Vietnamiens venus au secours des populations martyrisées en même temps qu'ils ripostaient aux attaques de Pol Pot ; puis, la paix revenue, ils demandent le jugement des chefs criminels ayant déposé les armes, sachant que cela aura pour conséquence de relancer la guerre. Encore un exemple, plus modeste, celui de Hong-Kong qui montre que l'impérialisme ne fait jamais de cadeau et lutte toujours, même lorsque c'est

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sans espoir. D ne cède rien, par principe. Il est exemplaire par son esprit de classe. Les Anglais ont refusé pendant un siècle à ce territoire la moindre concession démocratique. Vient le moment de leur départ ; ils mettent alors en place un système électif leur convenant à ce moment, dont ils savent bien que les Chinois ne l'accepteront jamais. Mais cela ne fait rien, ils luttent malgré tout en installant derrière eux une bombe à retardement qui fonctionnera peut-être un jour. Il faut dire que ses instruments de travail, nous les avons évoqués, sont nombreux, divers et que l'on peut y ajouter les universités, instituts, médias, etc., c'est-à-dire des lieux de réflexion mais également de propagande, car la bourgeoisie n'a jamais, contrairement à la classe des producteurs, abandonné ce terrain pourtant traité parfois de la façon la plus primaire et la plus vulgaire. Le camp socialiste en a fait les frais : les décorations qui ornaient en masse la poitrine des hommes politiques et des généraux soviétiques ayant assuré la victoire des alliés sur le nazisme donnaient un spectacle grotesque ; mais le pape, l'église, ses pompes et ses œuvres ne le sont pas moins et ne suscitent que le plus grand respect ; Lénine embaumé est le fait de primitifs, tandis que les Américains ont eu d'excellentes raisons de conserver le cerveau d'Einstein ; les satellites soviétiques avaient parfois des ennuis qui prouvaient péremptoirement leur mauvaise qualité et celle de leurs savants, les réparations effectuées étant le fait de vulgaires bricoleurs, tandis que les mêmes problèmes survenus aux Américains naissaient de l'adversité que ceux-ci parvenaient le plus souvent à surmonter grâce à leur énergie indomptable et à leur très haute technicité : de mauvais amateurs face à de grands professionnels ; les gérantes malades qui étaient maintenus à la tête de l'URSS durant les vingt dernières années étaient une véritable honte pour cet Etat qui aurait été bien

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inspiré en imitant l'Occident, dirigé par des Reagan, Pompidou, Mitterrand, sans compter le pape polonais qui, tous, ont montré, il faut le croire, une lucidité admirable et su quitter le pouvoir dès qu'ils ont senti diminuer leurs forces ! On sait pourtant que Jean-Paul II est accompagné en permanence par plusieurs médecins, suivi dans ses voyages par une ambulance parfaitement équipée et que les hôpitaux du voisinage sont en alerte au cours de ses déplacements ; lorsque tel communiste évoque un texte de Marx, c'est un dogmatique airiéré ; mais si tel autre individu récite la Bible ou le Coran, c'est un érudit. Élèves et étudiants doivent pourtant connaître les auteurs, y compris les plus anciens et les citer dans leurs copies afin de montrer qu'ils les ont lus, au long de leurs études, à l'exception de Marx et d'Engels naturellement. Ainsi, les communistes ont toujours tort puisque les idées dominantes sont les idées de la classe dominante laquelle possède en outre tous les moyens de propagande nécessaires à sa politique. Quant à la classe des producteurs, dans la traditionnelle Europe des révolutions, elle est mal en point pour avoir négligé le danger souligné par Marx : « travailler plus, gagner plus, et devenir politiquement des jaunes » g0. Le mal ne s'est pas limité à ce continent puisqu'il a gagné, notamment en 1973, les mines de cuivre du Chili dont l'aristocratie ouvrière a largement contribué à la chute de l'Unité populaire par sa grève. Pour sa punition, la classe des producteurs connaît une situation qui la ramène au dix-neuvième siècle où elle était réduite « à se mettre aux genoux du riche, pour obtenir de lui la permission de l'enrichir » 81, où il était prouvé qu'en Grande-Bretagne, les pires criminels des 80. MARX, réf. 1, p. 465. 81. N. Linguet, cité par MARX, réf. 1, p. 1693.

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bagnes « travaillent bien moins durement, et sont beaucoup mieux nourris que les travailleurs agricoles » 82. Avec la disparition des engagements à durée indéterminée au profit de la précarité, du retour à l'achat de la force de travail pour une courte durée, voire à la journée, on assiste à une régression, énorme, car elle s'accompagne de conditions de travail de plus en plus dures, surtout pour les femmes. C'est, diront certains, un véritable retour à l'esclavage, ce qui est naturellement faux car les capitalistes ne le voudraient pas, eux qui, en Amérique du nord, ont autrefois imposé par la force et avec de lourdes pertes, sa suppression et son remplacement par le salariat, parce qu'ils y avaient intérêt. Mais l'état de salarié est de plus en plus douloureux à supporter, parfois plus que celui d'esclave puisque les frais occasionnés par un ouvrier se limitent à un salaire destiné à le nourrir, lorsqu'il s'agit des rémunérations les plus basses, tandis que l'esclave doit être nourri, lui aussi, mais également acheté, ce qui représente un investissement important comportant un risque, et de plus doit être logé, vêtu, soigné le cas échéant etc., ce qui est beaucoup plus coûteux. Un mineur de Harlan county le disait implicitement en rapportant cette phrase d'un patron de la mine, qu'il n'a jamais oubliée : « un homme, ça se remplace, mais le mulet, il faut l'acheter ». D'où il ressort que le mulet a plus de valeur qu'un homme. Pour cet individu, acheter un homme, un esclave serait une régression économique, un investissement plutôt dangereux d'ailleurs en raison des fréquents accidents. D'une manière générale, selon Marx, l'appartenance à une classe exploitée, en tant qu'esclave, serf ou salarié est toujours un esclavage, direct dans la premier cas, indirect dans les 82. Livre bleu anglais de 1863, cité par MARX, réf. 1, p. 459.

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autres. Voilà où le capitalisme a conduit le monde en cette fin de siècle, alors que les conditions semblent réunies pour assurer la pérennité de son régime économique et politique. Mais ne conviendrait-il pas de dire aussi : voilà où nous ont conduit les dirigeants communistes, tant à l'ouest qu'à l'est en raison de leurs erreurs et de leurs fautes dont la liste est longue ? Certaines ont déjà été abordées, d'autres le seront plus loin : révolution russe, dévoyée en 1928 ; étatisation et non nationalisation des services publics en Europe dans les années 1920 et 1930 ; camp socialiste dévoyé après 1945 ; étatisation encore à l'ouest après 1945 ; recul devant le processus révolutionnaire, en 1968 en France, puis incapacité à riposter de façon constructive à la crise depuis 1973 en maintenant les entreprises en activité. Encore une fois, Marx n'avait-il pas raison de craindre l'ignorance des hommes ?

CHAPITRE m Q U E FAIRE ?

Avant Descartes, on discutait plus commodément ; les siècles passés sont bien heureux de n'avoir pas eu cet homme là. Fontenelle

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t vous ne connaissiez pas Marx, cher monsieur ! mais le vingtième siècle nous a débarrassé de tous ces raisonneurs et le monde est à nouveau libre de dire n'importe quoi, sauf de pratiquer la critique avec rigueur. Revenons aux choses sérieuses. En ces temps où le rationalisme a disparu, où l'illusion est reine et les charlatans ses valets, il importe d'abord de combattre fermement sur le terrain des idées, puisque certains semblent n'avoir rien appris ou tout oublié de l'histoire contemporaine, et de chasser les mythes. Au premier rang de ceux-ci on trouve les maîtres à penser issus des universités. La raison de leur déchéance est double : nous savons que l'impérialisme a les moyens d'acheter les salariés intellectuels dont il a besoin et la défaite de

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1968 a laissé la voie libre aux idées les plus réactionnaires venues -et ce n'est pas par hasard- le plus souvent de France. Le recul de la conscience révolutionnaire a favorisé l'incompétence de ces gens en philosophie, en histoire, en sociologie, et ensuite, le refus de prendre en compte les analyses de Marx et Engels ont conduit au triomphe de l'irrationalisme, des sectes, des religions, et de nombreuses nouvelles versions du vieil idéalisme revenant tour à tour à la mode : existentialisme, structuralisme, empirisme, néopositivisme, phénoménologie, fonctionnalisme, déconstruction, postmodemité, relativisme, etc., tout est bon pour éviter ce qui pourrait conduire au matérialisme historique et à la dialectique. Mais refuser de s'engager dans la voie scientifique, c'est se vouer inexorablement à patauger dans les marécages ou les sables mouvants dans lesquels ont disparu tant de ces nouveaux concepts. Le résultat est que si les sciences dures ont considérablement progressé au cours du 20e siècle, on ne peut en dire autant des sciences molles qui ne méritent peut-être même pas le nom de sciences. Comment pourrait-il en être autrement quand on apprend que pour tel « grand philosophe » -français naturellement- Marx jugeait le capitalisme « injuste », alors que tout comme Engels, au contraire, il considérait qu'il n'y avait pas d'injustice dans ce système économique et que les drames qu'il provoquait étaient inhérents à sa nature même ainsi qu'à toutes les sociétés divisées en classes antagonistes. Autant s'offusquer de ce qu'il y a des esclaves dans un système esclavagiste, ou des serfs dans un système féodal. Il faisait observer dans sa critique du programme de Gotha, que sur la base du mode de production actuel, la distribution du fruit du travail est équitable, comme l'affirment d'ailleurs les capitalistes. C'est pourquoi il proposait d'« effacer cette devise conservatrice : un salaire équitable pour une journée de

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travail équitable » et d'inscrire ce mot d'ordre révolutionnaire : « abolition du salariat » 8 3 . Engels de son côté, reprenant une phrase de Hegel (en l'inversant) écrivait : ce qui est réel est rationnel et tout ce qui est rationnel est réel, même s'il est destiné avec le temps à devenir irrationnel. S'en prenant aux élites, Marx dénonçait à un ami « l'immense médiocrité intellectuelle de ces mandarins savants » 84 , notait à propos d'un de ses compatriotes : « professeur de philosophie allemande, il avait sur moi l'avantage de ne rien comprendre à la chose », et condamnait les universitaires qui lui écrivaient être entièrement convaincus par les arguments du Capital mais se disaient obligés de se taire. Plus tard, Engels évoquait dans son Feuerbach, « les ratiocinations des chargés de cours qui plastronnent actuellement en Allemagne sous le nom de philosophes » après avoir repoussé « les éclectiques brouets que l'on sert sous le nom de philosophie ». La situation ne s'est pas améliorée depuis, et surtout pas en France 85 où certains professeurs ont particulièrement la rage d'être dans le monde de petits personnages et sont parmi les plus importants inventeurs de doctrines nouvelles, abandonnées au bout de quelque temps, mais qui peuvent fort bien revenir plus tard à la mode, au gré de leur fantaisie, des demandes ou de leurs intérêts. La pensée ravalée au rang de costume. Ils se permettent de condamner ceux qu'ils appellent les maîtres-penseurs -lire Marx en premier heu- ou fabricants de certitudes qui « ont voulu tout organiser ». S'agissant de Marx et Engels, le mot certitudes est drôle 83. MARX, réf. 1, p. 533. 84. MARX, réf. 19, p. 118. 85. Le lecteur étudiera avec profit l'excellent ouvrage de SOKAL, Alan, BRICMONT, Jean : Impostures intellectuelles. Paris : éditions Odile Jacob, 1997. 276 p.

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quand on sait que le second a écrit que la « philosophie dialectique dissout toutes les notions de vérité absolue définitive [...] on renonce dès lors à toute vérité absolue », dans son Feuerbach, et précédemment : « mais les choses vont encore plus mal pour les vérités étemelles dans le troisième groupe de sciences, les sciences historiques » 86. Enfin, cela a été déjà dit mais il faut le rappeler, ils n'ont pas voulu organiser à l'avance une société communiste, préférant laisser le champ libre au mouvement réel. Alors, à quoi bon tous ces philosophes, sociologues et historiens de la chaire, systématiquement hostiles à un Marx qu'ils n'ont pas lu, qui ne savent rien expliquer, même pas les guerres coloniales ou impérialistes et ne pèsent en rien sur les destinées des nations ? Se refusant à travailler au progrès dans le monde, incapables de l'analyser, ils sont inutiles, servent tout au plus à conforter la société en place qui les paie et lorsqu'ils s'engagent, c'est toujours du côté du capitalisme, de la réaction et de l'idéalisme à l'image des tenants actuels du postmodemisme et du relativisme. Ils disparaîtront avec la renaissance d'un courant révolutionnaire mûri, comme autrefois « la révolution de 1848 mit toute la philosophie de côté avec la même désinvolture dont Feuerbach avait usé avec Hegel » 87. Le modèle, est un mythe à chasser également. Le système politique soviétique est vitupéré depuis longtemps maintenant et l'on déplore que nombre de révolutionnaires aient dû, plus ou moins volontairement, sacrifier à ses dogmes et se placer dans ses perspectives. Personne ne se plaindra de la disparition de ce modèle. Mais pourquoi faudrait-il en proposer absolument un autre aux peuples pour le remplacer ? Voire plusieurs ? A 86. ENGELS, réf. 15, p. 122. 87. ENGELS, réf. 10, p. 24.

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en croire quelques pseudo-philosophes, il faudrait être en mesure de fournir un modèle alternatif au capitalisme 88, étant entendu naturellement que le monde du travail n'a pas son mot à dire dans cette affaire qui est du ressort des intellectuels de studio probablement. Ce travers frappe partout « en la machine ronde », bien au delà des cercles parisiens, puisque le sous-commandant Marcos, au Chiapas, prétendait que c'est un drame pour le monde de n'avoir pas su élaborer un nouveau projet de société après la chute du mur de Berlin. En réalité, le drame, c'est de refuser le socialisme sous prétexte que la tentative de l'Est a échoué. Quant au projet de société, en élaborer un serait ni plus ni moins revenir au principe du modèle, tant décrié il y a si peu encore, et ce qu'il ne faut surtout pas faire. Les pères fondateurs s'y sont toujours opposés : « Le socialisme n'apparaissait plus maintenant comme une découverte fortuite de tel ou tel esprit de génie, mais comme le produit nécessaire de la lutte de deux classes [...]. Sa tâche ne consistait plus à fabriquer un système social aussi parfait que possible, mais à étudier le développement historique de l'économie qui avait engendré d'une façon nécessaire ces classes et leur antagonisme, et à découvrir dans la situation économique ainsi créée les moyens de résoudre le conflit » 89. Parmi les mythes dont il est encore nécessaire de se débarrasser, figure celui de Guevara. Ni penseur, ni homme d'action -sauf à tenir pour action n'importe quelle activité armée-, on le loue comme s'il était l'un et l'autre. Son seul mérite fut d'avoir le courage physique d'être guérillero. C'est peu, à la portée du premier venu, et lorsqu'il fallu passer aux choses plus sérieuses, le 88. L'Humanité du 29 juin 1995. Ce n'est qu'un exemple entre beaucoup d'autres. 89. ENGELS, réf. 15, p. 57-58.

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pouvoir conquis, c'est-à-dire construire une société nouvelle, ce qui est infiniment plus difficile, il prit conscience de ses limites, de ses insuffisances et repartit entreprendre ce qu'il savait faire le mieux : la guerre, ou plutôt le simple coup de main, de beaucoup plus facile. Cela où personne ne le demandait, ce qui montre les limites de ses conceptions démocratiques, confirmées par l'ancien secrétaire général du Parti communiste de Bolivie dans une émission de télévision : « J'ai rencontré le Che dans le maquis. D m'a dit : "ici, c'est moi le chef. Ou tu te soumets, ou tu t'en vas". Je suis parti. » Et certains osent prétendre qu'il condamnait le culte illimité de l'autorité, vantent sa tentative d'inventer un nouveau mode d'exercice du pouvoir, qu'il a très tôt abandonné au profit de travaux pratiques des plus simplistes comme en témoigne cette déclaration aux paysans d'un village : « il n'y a pas de route, pas d'eau, pas d'école. Alors, allons à La Paz. La seule solution, c'est la mitrailleuse ». Cette conception de l'exportation de la révolution ne s'est jamais rencontrée chez les vrais communistes comme Marx et Engels, eux qui, en 1848, on le sait, s'opposaient à la constitution des « légions » réunies à Londres en vue de faire la révolution en Europe, pourtant avec des nationaux. Son culte s'explique par le fait que son action n'a jamais été dangereuse pour la bourgeoisie laquelle, dans ces conditions, ne verrait pas d'un mauvais œil son exemple suivi par les révolutionnaires à venir puisqu'il conduit tout droit au cimetière. Autre mythe, aux conséquences infiniment plus graves, bien qu'aussi peu sérieux, celui de la gauche, et par voie de conséquence, de la droite. Ces notions fort anciennes ont une justification uniquement parlementaire et se rapportent à la disposition des différents groupes de députés dans les hémicycles. Hors de la chambre des députés, elles découlent de préoccupations électoralistes,

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politiciennes et réformistes exclusivement et n'ont aucun point commun avec les analyses scientifiques fondamentales auxquelles se livraient Marx et Engels, qui ne les ont d'ailleurs presque jamais utilisées. Et pour cause. Bien que certains, notamment en France, aiment à défendre les « valeurs de la gauche », on attend toujours de savoir en quoi elles consistent, tout comme on attend l'Arlésienne. Les valeurs sont d'ailleurs éminemment variables dans le temps, tout comme à la Bourse, et celles de la gauche, si on parvenait à les définir, nous amèneraient sans doute à constater qu'elles ont été foulées aux pieds par ceux qui étaient chargés de les défendre. Ce qui est fâcheux pour la gauche dans cette dualité gauche/droite, c'est que cette dernière prétend elle aussi être détentrice de valeurs. Et si l'on découvrait qu'un certain nombre de celles-ci sont communes aux deux camps ? Quelle horreur ! C'est sans doute pourquoi personne ne se hasarde à aller plus loin que de vagues appels. Le seul peut-être à avoir eu ce courage, est un homme de droite, Jacques Ellul, au détour d'un entretien : « Mes parents [...] m'ont élevé dans les valeurs traditionnelles de la droite : l'honneur, la rectitude de vie, la fierté de ne jamais céder à aucune pression, l'orgueil sans doute, la réaction contre toute autorité, l'individualisme... » 90 Faut-il en conclure -a contrarioqu'à gauche l'on rencontre déshonneur, malhonnêteté, soumission, etc. ? Revenons à ce qui est fondamental. La société capitaliste se divise en classes sociales et non en ensembles de droite et de gauche. Si, dans la classe des producteurs, on trouve des groupes sensiblement différents les uns des autres et dont les bulletins de vote sont eux aussi on ne peut plus variés, l'essentiel n'est pas là, 90. Communication et langages. N° 106, p. 56.

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mais dans le fait qu'ils génèrent tous un surprofit grossissant le capital quels que soient leurs choix politiques. Aujourd'hui, au sein de la classe de la bourgeoisie, on trouve également des bulletins de vote de différentes couleurs et les gouvernements qu'ils soutiennent ne sont pas forcément les mêmes. En France, les capitalistes partagent de façon égale leurs votes entre la droite et les socialistes. Cela prouve que le principal est ailleurs que dans ces jeux politiciens n'ayant rien de commun avec une analyse rigoureuse. Il est dans la lutte de la classe des producteurs sans distinction, contre les exploiteurs, également sans distinction. Le combat gauche unie contre droite est un combat réactionnaire, un combat qui n'est en rien scientifique, en rien communiste puisqu'il est à la fois opportuniste et sectaire. Opportuniste, et gravement, puisque cette union de la gauche rassemble des producteurs et une partie de leurs exploiteurs ainsi que le personnel politique qui leur est dévoué. Autant dire que c'est un mariage scandaleux. Sectaire, tout aussi fortement, puisque prétextant d'un bulletin de vote de couleur fâcheuse, elle exclut et même repousse, rejette la partie des producteurs qui se situe à droite. Comme nous voilà loin du célèbre mot d'ordre, « Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! » qui lui, allait à l'essentiel, ne s'en remettait pas à des combinaisons parlementaires et ne divisait pas le monde du travail. Où que ce soit, sous toutes les latitudes, n'importe quel communiste a pu se rendre compte qu'il se trouvait parfois en accord sur un point avec un homme classé à droite, et en désaccord avec tel autre déclaré de gauche. En France, on va toujours plus loin que dans les autres pays, soit dans la voie révolutionnaire, soit dans la voie réactionnaire et poussant au maximum cette duperie qu'est l'union de la gauche ainsi que la notion même de gauche, certains ont mis en avant le concept de « peuple de gauche ». On

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touche ici, il faut le dire clairement, à l'ignoble car s'il y a un peuple de gauche, cela veut dire qu'il y a un peuple de droite, et donc ces gens ont divisé le peuple français en deux, le bon peuple et le mauvais peuple. Il fut un temps où tous les partis évoquaient la nécessité de rassembler et, en tout cas, s'interdisaient de voir deux peuples en France. Voilà à quelles aberrations on arrive quand on abandonne les bases matérialistes. Si Marx et Engels envisageaient des accords avec les socialistes, c'était sous conditions et « pour autant que ces socialistes ne se mettent pas au service de la bourgeoisie » 91. Or, les socialistes du vingtième siècle ne sont pas des gens qui se trompent quelquefois et qu'il faut aider par la discussion ou avec lesquels on peut passer des compromis. Ils se sont toujours trouvés du mauvais côté de la barricade, du côté du manche et du capitalisme, même de l'impérialisme. Le cas français mérite qu'on s'y arrête tant il est parlant. Il montre à quel point le parti socialiste et le parti communiste se sont trouvés systématiquement en opposition sur tous les problèmes cruciaux dont la liste suivante n'est pas complète : 1923, occupation de la Rhur et répression qui verse le sang allemand ; 1925, guerre coloniale au Maroc ; 1936, non intervention en Espagne ; 1938, Munich ; 1940 drôle de guerre et Pétain ; 1947, guerre d'Indochine ; 1948, répression à Madagascar ; 1956, agression contre l'Égypte pour défendre les intérêts de l'impérialisme français et relance de la guerre d'Algérie ; 1958, refus de lutter contre le putsch d'Alger et alliance avec les partis réactionnaires ; 1988, gouvernement avec la droite ; 1991, agression contre l'Irak, puis interventions militaires diverses en Afrique pour y défendre les 91. MARX, réf. 1, p. 1586.

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positions de l'impérialisme français. En 1996, le premier secrétaire du parti socialiste regrettait que le gouvernement français ne soit pas intervenu militairement plus tôt à Bangui pour y défendre la dictature centrafricaine. Ce parti socialiste a les mains pleines de sang et au plan économique, il a notamment libéré les prix, imposé la désindexation des salaires, favorisé les contrats à durée déterminée, inventé les TUC et autres stages destinés à dissimuler la réalité du chômage. Dans le reste de l'Europe, l'histoire n'est pas fondamentalement différente et le parti social-démocrate allemand au pouvoir couvrait en 1919 l'assassinat de Rosa Luxembourg et de Karl Liebknecht, puis décidait plus tard de « laisser faire l'expérience nazie ». Aujourd'hui, en ces temps où douze gouvernements sur quinze de l'Union européenne sont dirigés par des socialistes, rien dans la politique de cette Europe ne se trouve changé par rapport à la précédente. L'alliance entre socialistes et communistes est une alliance contre nature disait fort justement le français Jean Lecanuet. En effet, elle unit des révolutionnaires, en principe fermes défenseurs de la classe des producteurs, et des défenseurs du capitalisme. C'est d'ailleurs pourquoi les socialistes ont gouverné en France avec des partis de droite tout au long de la IV e République et aussi sous la V e , refusant l'union avec un PCF plus fort qu'eux, et s'ils acceptent aujourd'hui ce qu'ils repoussaient hier, c'est d'une part, que le PCF est devenu plus faible, et d'autre part, que ce parti n'est plus révolutionnaire. Dans ces conditions, ils jugent Iran de lui faire jouer un rôle d'appoint, de marche-pied. Étrangers à ces combinaisons, les Français se prononçaient en 1994 par sondage en majorité en faveur d'une transformation sociale et, fait remarquable, il y avait parmi eux autant de personnes classées à droite que de personnes classées à gauche. Il importe donc aujourd'hui que partout les

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communistes rompent avec cette conception imposée par les politiciens au sein de la classe des producteurs, Russie y compris, au moment où, dans les peuples, nombreux sont ceux qui disent : « j ' y ai cru, mais l'idée a été mal ou pas appliquée ». Il convient en effet de redonner une forme rationnelle à cet idéal fondé sur la dialectique matérialiste en s'inspirant de la méthode critique de Marx, lequel, selon Engels : « s'en remettait uniquement au développement intellectuel de la classe ouvrière ». Car c'est d'elle que peut venir le changement, ou plutôt de la classe des producteurs, et non des politiciens de gauche carriéristes. Encore un mythe, dont est particulièrement affecté le monde occidental (les riches espèrent toujours se racheter par des aumônes) : celui de l'humanisme, mais naturellement, il s'agit d'un humanisme primaire, lequel ne va pas jusqu'à lutter contre les massacres, par exemple celui du Rwanda, c'est-à-dire s'opposer aux intérêts de l'impérialisme. Le temps des grandes manifestations anti-colonialistes est passé. Lui succède celui des pleurnicheurs, des plaintes, des gémissements, de la mendicité, des secours en tous genres. On a connu autrefois l'époque des duchesses et des marquises entretenant leurs pauvres ; il y a eu ensuite celle de la bourgeoisie organisant des aides aux malheureux afin de leur permettre de supporter les pires maux, évitant ainsi des révoltes pouvant mettre en danger la société. Marx condamnait vivement le rôle joué par ces organismes de secours comme l'Armée du salut et s'en prenait à ceux qui : « ne voient dans la misère que la misère, sans y voir le côté révolutionnaire, subversif, qui renverse la société ancienne » 92 . Ce texte est à rapprocher du poème en 92. MARX, réf. 9, p. 99.

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prose de Baudelaire intitulé « Assommons les pauvres » dans lequel l'auteur conte l'aventure d'un homme rouant de coups un pauvre jusqu'à ce que ce dernier, « retrouvant l'orgueil et la vie » grâce à cette « énergique médication », se révolte et rende à son adversaire ce qu'il lui a donné, ce qui lui vaut les félicitations du narrateur lui recommandant de ne pas oublier la leçon et de la transmettre. L'humanisme primaire se manifeste aussi à l'égard des immigrés modernes, pauvres à l'arrivée mais souvent riches au départ de leurs pays ; s'exprime dans les activités sociales diverses menées dans les sociétés par les syndicats ou comités d'entreprises et servent objectivement à compléter le travail mené dans les quartiers par les organisations « humanitaires », notamment auprès des couches moins défavorisées, c'est-à-dire à maintenir ou élargir une aristocratie ouvrière. Or, le problème n'est pas de secourir mais d'aider à lutter. Dans un premier temps, il est nécessaire de desserrer l'étau dans lequel les salariés sont pris par les capitalistes afin de pouvoir entreprendre des luttes de plus grande envergure. C'est ce que l'on constate déjà depuis les années quatre-vingt dix dans le monde puisque les producteurs se rendent compte peu à peu qu'ils ne peuvent tabler sur une évolution favorable du capitalisme et qu'il ne faut pas confondre un capitaine d'industrie avec un capitaine de l'Armée du salut. Dans les pays les plus développés réapparaît une certaine conscience de classe fondée sur la crise subie par les travailleurs. Parmi ces luttes, notons celles des américains de United Parcel Service (UPS) qui se sont engagés dans une grève, certes pour défendre les droits acquis, mais ce qui est remarquable, également pour faire bénéficier les travailleurs à temps partiel de l'entreprise, d'un statut moins désavantageux. Fait nouveau en Amérique, ce mouvement a reçu le soutien de la majorité de

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la population et l'a emporté : toutes les luttes précédentes aux États-Unis avaient été perdues par les salariés du moins depuis 1981. Si ce combat est important, c'est parce qu'il témoigne d' un haut niveau de conscience puisque les salariés les mieux payés ont été solidaires des employés qui l'étaient beaucoup moins, mais c'est aussi parce que ce pays joue à notre époque le rôle joué par l'Angleterre au siècle précédent. « L'Angleterre domine le marché mondial. Un bouleversement des conditions politico-économiques dans n'importe quel pays du continent européen, dans tout le continent européen sans l'Angleterre, c'est une tempête dans un verre d'eau. La situation de l'industrie et du commerce à l'intérieur de chaque nation est dominée par ses relations avec d'autres nations, dépend de son rapport au marché mondial. Or, l'Angleterre domine le marché mondial, et la bourgeoisie domine l'Angleterre » 9 3 . Le propos est d'actualité. Comme il suffit de remplacer Europe par Monde et Angleterre par EU, les communistes ne peuvent qu'enregistrer avec satisfaction le fait que l'AFL-CIO, centrale syndicale américaine, a changé sa direction récemment, la transformation ayant eu lieu sous la pression de la base. Partout sur le globe, des mouvements nationaux et puissants éclatent : Italie en 1994, France en 1995, Brésil en 1997, où le Mouvement des paysans sans terre (plus de mille morts depuis 1985) organise des marches pour l'obtention d'une réforme agraire, Corée du Sud, Russie, Danemark, Australie, en 1998, etc. Autre fait remarquable, l'apparition d'actions transnationales entraînant des salariés d'une même corporation où d'une entreprise ayant des usines dans plusieurs pays. Certains événements tendent à montrer que la classe des producteurs est

93. MARX, réf. 30, p. 138/139.

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en voie de se constituer : en France, le syndicat patronal de la métallurgie notait en 1997 le durcissement des luttes dans les conflits sociaux et « le ralliement des cadres à des procédés illégaux ». Passons sur ce savoureux regret du recours à l'illégalité de la part de gens qui, dans l'histoire, ont fait souvent tirer la troupe ou la police sur de pacifiques manifestants, ont licencié sous des prétextes divers les militants syndicaux qui les gênaient, au mépris des règles, parfois les ont pendus, empochent aujourd'hui d'énormes subventions publiques en violant les obligations qui les accompagnent, persécutent les femmes, pratiquent le pot de vin comme un art, considèrent l'abus de bien social (ABS) comme un droit divin, et retenons l'essentiel : les çadres, longtemps instruments de la politique patronale sont en train d'acquérir une conscience de classe et participent aux luttes avec leurs compagnons de production. De plus, les solidarités commencent à jouer à l'échelle internationale puisque les dockers de Liverpool ont pu, en 1997, continuer la lutte grâce aux dons provenant de la côte ouest des E.U. Les chômeurs, restés à l'écart des luttes pendant longtemps, contrairement à leurs prédécesseurs des années trente, commencent à manifester, en France, puis en Allemagne. Tous ces combats ne sont malheureusement pas à la hauteur des nécessités en raison pour une part de l'attitude des dirigeants syndicaux et politiques qui, loin d'avoir le courage de Marx disant «J'ai toujours bravé l'opinion momentanée du prolétariat », ou d'Engels écrivant « ... ne pas cesser d'être progressiste et s'opposer aux appétits réactionnaires des ouvriers et à leurs préjugés » 94, ne veulent pas s'opposer à la pratique étendue des heures supplémentaires dont la suppression 94. MARX,ENGELS, réf. 3, p. 83.

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permettrait le recrutement de nombreux salariés. Marx avait déjà noté dans le Capital que « l'ouvrier est également intéressé à prolonger la journée de travail, parce que c'est le moyen d'accroître son salaire quotidien ou hebdomadaire » 95, et que l'oisiveté forcée d'une partie de la classe ouvrière condamnait l'autre à un excès de travail, le tout au bénéfice des capitalistes qui ont créé cette armée industrielle de réserve. C'est pourquoi il réclamait des lois coercitives à l'égard du patronat et aussi à l'égard des salariés eux-mêmes. Réduire la journée de travail, et le faire réellement, c'est alléger du même coup la pression sur les salaires, et il est de toute nécessité que les luttes des travailleurs y conduisent ainsi qu'à la suppression des heures supplémentaires. Il y a beau temps que les économistes distingués, contemporains de Marx s'y opposaient au nom du développement et de la santé de l'économie - avant de voir leurs démonstrations réduites à leur véritable valeur, c'est-àdire rien, par le Bill de lOh 30 en Angleterre- car la douzième heure était celle qui, selon eux, rapportait justement du bénéfice aux capitalistes. La même chanson a été serinée en France, avec le même succès, en 1936, à l'occasion de la semaine de 40 heures : les capitalistes ne pouvaient pas payer. Ils ne peuvent jamais payer. La suite prouve toujours qu'ils peuvent et que l'économie s'en porte mieux. L'autre forme de lutte -que recommandait également Marx au siècle dernier- est l'interdiction du travail des enfants qui, plus que jamais, est d'actualité. Le lecteur aura remarqué qu'il s'agit là en partie de luttes d'une forme classique, permettant de faire pièce aux empiétements du capital, non de transformer la 95. MARX, réf. 8, p. 1053.

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société, problème fondamental et impossible à esquiver comme certains l'ont cru longtemps, puisque les crises sont revenues avec leur cortège de malheurs et de misères à travers le monde entier. La première question qui se pose est de savoir si les révolutionnaires, c'est-àdire d'abord les communistes, ont su mener leur barque convenablement ou s'ils ont fait fausse route. Si l'on doit reconnaître qu'ils ont mené des luttes dures et fermes dans de nombreux cas, s'ils ont pris de justes positions lors des guerres de toute nature, ils se sont trompés dans leur combat pour le socialisme et leur erreur n'a fait que s'aggraver au cours des vingt dernières années de ce siècle. Par exemple : ce que l'on appelle abusivement les nationalisations ont été demandées, avec insistance, avec aveuglement, alors que l'on sait depuis longtemps que soustraire un secteur d'activité au contrôle du capital est inutile, voire nuisible, si ce même capital en conserve la direction grâce à son gouvernement. Revenons un moment au cas français qui a connu au lendemain de la première guerre mondiale, une vague de nationalisations dans un climat marqué par une campagne des organisations ouvrières en faveur de la gestion des entreprises d'État, partagée entre les usagers, le personnel et les pouvoirs publics. La Libération a entraîné en 1945, un nouveau train de nationalisations à l'origine desquelles on trouve la volonté de confisquer les sociétés ayant collaboré avec l'occupant et la doctrine anticapitaliste qui a poussé aux opérations semblables dans le passé. Mais cette condamnation provisoire du capitalisme se doublait d'un refus formel de l'étatisme et déjà au congrès de la CGT en 1920, même un Léon Jouhaux déclarait : « Nous n'entendons pas remettre à un fonctionnarisme périmé, la direction de la production de laquelle nous attendons une somme de bonheur plus grand [...] Ce que nous voulons par nationalisation, c'est

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le retour à la nation des propriétés collectives et c'est l'exploitation sous le contrôle de la nation, par la coopération des producteurs et des consommateurs. » La majorité au pouvoir en 1946 a les mêmes positions et le rapporteur de la loi sur la nationalisation de l'électricité et du gaz affirme : « Nous voulons laisser l'étatisme à la porte. » Le principe de la représentation des intérêts des consommateurs se généralise alors sous la forme de la gestion tripartite : un tiers de représentants des usagers, un tiers de représentants des personnels, un tiers de représentants de l'État. Il s'agit de marquer la volonté de placer l'État sur un pied d'égalité avec les autres éléments de la nation directement concernés par la bonne marche de l'entreprise : les personnels et les usagers ou consommateurs. S'il n'est pas écarté de la gestion de l'établissement, l'État voit son rôle limité -ou devant se limiter- à un contrôle financier et comptable. En revanche, les personnels ne sont plus considérés comme des étrangers dans leur entreprise puisqu'ils sont associés à sa direction et les usagers, dont la société a pour objet de satisfaire les besoins, ne « subissent plus la politique égoïste des capitalistes ». Ces principes démocratiques n'ont pratiquement jamais été appliqués en raison du départ des ministres communistes du gouvernement et des désaccords politiques fondamentaux séparant les anciens partenaires. Les socialistes et le Mouvement Républicain Populaire (MRP) ont tourné le dos à leurs propres déclarations mais il faut dire que les révolutionnaires, communistes et syndicalistes, se sont désintéressés de la gestion des entreprises publiques, ainsi que les usagers, alors qu'il aurait fallu peser au contraire d'un poids toujours plus grand pour s'en assurer le contrôle. En résumé, au lieu d'une nationalisation, il y a eu une étatisation, jusqu'à nos jours, partout dans le monde et personne ne s'en est offusqué dans aucun pays, alors

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qu'une lutte d'envergure aurait dû se dérouler sur ce terrain essentiel puisqu'il s'agit ni plus ni moins de soustraire, ou pas, d'importants secteurs économiques à l'emprise capitaliste, afin de les rendre à la nation, donc de faire du communisme. Et encore une fois, sans les confier à un gouvernement qui n'est pas autre chose qu'un comité chargé des affaires de la bourgeoisie. Cela n'a pas été et il y a eu depuis lors, étatisations, puis privatisations, inévitables puisque se situant dans le courant du retour en force de la bourgeoisie qui ne rencontre plus d'opposition véritable. Dans cette situation, il sera plus facile désormais aux salariés qui l'avaient oublié, de comprendre ce qu'est le capitalisme, ses comportements, la nécessité de le combattre, l'obligation même dans laquelle ils se trouvent de mettre fin à sa domination. Ce retour en arrière n'était pas obligatoire mais pour l'éviter, il ne fallait pas s'arrêter en chemin ; on devait conduire la lutte à son terme. Cela n'ayant pas été fait, il faut en subir les conséquences, inévitables, et tenter de reprendre la marche en avant. On connaît le dicton : à quelque chose malheur est bon et Marx disait lui-même autrefois, « je suis enchanté de voir ces méfaits du gouvernement prussien, ils vont agiter l'Allemagne ». Il faut que les méfaits des privatisations agitent les salariés, mais dans la bonne direction, celle de l'intervention en faveur de véritables nationalisations en rompant avec les étatisations. Autre erreur, mais n'est-ce pas la même, qui consistait, tournant toujours le dos aux conceptions de Marx et Engels, à donner la primauté au politique sur l'économie, à considérer que la venue au pouvoir, d'une façon ou d'une autre, est la tâche principale des révolutionnaires. Engels évoquait pourtant « l'émancipation du prolétariat au moyen de la transformation économique de la production » et il ne peut y avoir le moindre doute sur

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l'interprétation pouvant être donnée à cette phrase puisque Marx déclarait dès 1850 : « la Commune de Paris 96 prouve qu'il n'est pas nécessaire d'être au gouvernement pour faire quelque chose » 97 . Parvenir au pouvoir est considéré par les communistes comme la seule voie possible pour le changement alors que les socialistes scientifiques tiennent la révolution pour un processus et savent que « la propriété privée ne peut être convertie en propriété commune que peu à peu ». C'est oublier aussi l'exemple des capitalistes, pourtant éclairant : ils ont d'abord fondé des fabriques, des entreprises, développé les villes, donc se sont lancés dans des activités économiques, puis créé les conditions de leur participation à la vie politique, notamment dans les communes, aux Parlements régionaux, ont même joué un rôle dans le domaine de la culture, la Renaissance peut en témoigner. Ce n'est pas par hasard si l'Italie est historiquement le premier pays capitaliste. Si plus tard, les bourgeois ont pu prétendre au pouvoir central, c'est que leurs positions étaient fortes, que leurs arguments étaient irrésistibles, c'est-à-dire que le temps était venu pour la société d'un changement de peau, d'une mue complète. C'est ainsi que se fait l'histoire. Or, d'abandon en abandon, refusant d'expliquer de façon critique la société capitaliste et ses tares, les partis communistes actuels sont en quelque sorte revenus au XIX e siècle avant Marx, avant même les socialistes utopiques. Ils se limitent à un désaveu de ce qui est « ultra » dans le libéralisme, de ce qui est excessif. Autant dire que l'on ne s'attaque plus aux « causes de ces effets » et que l'on admet un capitalisme assagi. C'est un retour à Proudhon, le petit bourgeois à 96. Il s'agit naturellement de la Commune de Paris de 1789 à 1793. 97. MARX, réf. 30, p. 1085.

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propos duquel Marx écrivait : « Tous veulent l'impossible, c'est-à-dire les conditions de la vie bourgeoise sans les conditions nécessaires de ces conditions » 98 . En deux mots, on veut les avantages d'une société sans les inconvénients de cette même société et l'on se refuse à voir qu'ils sont inséparables. Quant à l'ultra-libéralisme, on se demande où peut bien se situer la limite entre lui et le libéralisme, et comment l'on pourrait stopper les sociétés aux abords de cette frontière interdite, c'est-àdire en somme, arrêter l'histoire dans son développement. Rien de moins. Prétendre dire au capitalisme : non, vous allez trop loin, arrêtez-vous, est un enfantillage. D n'y a pas d'ultra-libéralisme mais un capitalisme qui se développe logiquement, sans entrave, poussant les feux et ses avantages toujours plus loin et qui continuera à le faire tant que la classe des producteurs ne décidera pas de l'en empêcher. Il n'est qu'une voie possible, celle du combat. «Pour nous, il s'agit, non de transformer la propriété privée, mais uniquement de l'anéantir, non de masquer les antagonismes de classe, mais d'abolir les classes ; non d'améliorer la société existante, mais d'en fonder une nouvelle » « et leur cri de guerre doit être : "la révolution en permanence ! " » Révolution en permanence ? Mais oui, cela est naturel et inévitable, s'agissant d'un processus étalé sur une longue période connaissant inévitablement des hauts et des bas, voire des reculs. La classe des producteurs -comme ce fut le cas de la bourgeoisie naguère- mettra longtemps avant d'imposer sa société et son pouvoir. Les capitalistes existaient depuis plusieurs siècles avant de venir au gouvernement. La révolution prolétarienne a commencé il y a près de deux siècles, mais si le deuxième se termine mal, il reste 98. MARX, réf. 1, p. 1448. 99. MARX, réf. 30, p. 552.

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ncore des chances pour que la situation tourne enfin à on avantage après des expériences souvent douloureues. Cela nécessite toutefois de réunir des forces imporantes. Si, dans les pays développés, les conditions ubjectives sont défavorables hélas, en raison du retard tiéorique de la fraction la plus avancée des producteurs, 'est-à-dire les communistes, les conditions objectives ont favorables au changement. Depuis les années oixante-dix, les salariés ont grandi en nombre et sont ine immense majorité en mesure d'imposer une nouvelle olitique économique à ceux qui prétendent fermer les ntreprises et licencier massivement. D'autre part, ils ne isquent plus de se voir opposer comme autrefois, la nasse des petits paysans et commerçants : ils ont disparu tour l'essentiel. Ce n'est pas sans importance puisque ilarx le faisait observer « l'initiative [...] révolutionnaire lartira de la France, (mais) l'Angleterre seule peut servir le levier pour une révolution [...] C'est le seul pays où il l'y a plus de paysans ». Quant aux commerçants, un ;rand nombre d'entre eux se retrouve aujourd'hui salarié u service des capitalistes des supermarchés qui les ont ibligés à fermer boutique. Évolution inévitable et posiive grossissant la classe des producteurs. Mais le nomire ne suffit pas. Il faut aussi la conscience de la lécessité de la lutte. Engels souligne que : « là où il 'agit d'une transformation complète de l'organisation ociale, il faut que les masses elles-mêmes y coopèrent, [u'elles aient déjà compris elles-mêmes de quoi il etoume, pour quoi elles sont censées intervenir [...] un ravail long, persévérant est nécessaire » 10°. Ce rôle de larti (classe des producteurs) est d'autant plus important |u'il faut bien reconnaître que l'on ne peut compter

00. MARX, réf. 30 p. 1135.

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indéfectiblement sur les partis en tant qu'organisations, comme le prouve l'expérience. Le salut peut venir des salariés ; des formations politiques, cela est moins sûr si l'on se rapporte à leur histoire : Ligue des communistes, AIT, PCUS, PCF, PCI, etc.. qui n'ont pas été capables -quoique certains en aient dit- de pratiquer le socialisme scientifique de façon sérieuse et continue. De plus, le glissement a été général et inexorable dans les temps modernes : à des hommes intelligents, honnêtes et courageux succèdent tôt ou tard des incapables, puis vient le temps des petits-bourgeois carriéristes, presque partout. H faut donc faire la révolution économique en permanence, faire du communisme maintenant, comme le disait Marx. Mais qu'est-ce que cela signifie ? Cela veut dire que depuis un quart de siècle dans la vieille Europe, la classe des producteurs a perdu un temps précieux en laissant la bourgeoisie fermer une énorme quantité d'entreprises quand le devoir et l'intérêt des salariés et de la nation commandait qu'elles soient maintenues en activité, ce qui pouvait être fait au moyen de la création, par exemple, d'une coopérative. Comment peut-on se dire communiste et laisser passer l'occasion de supplanter les capitalistes en leur prenant un moyen de production qu'ils abandonnent ? Quand trouvera-t-on une circonstance plus favorable ? C'est ce qui a été fait par des mineurs de Tower Colliery au Pays de Galles sous une certaine forme, et avec succès : ils ont sauvé production et emplois. En France, la loi prévoit même la reprise d'entreprises par les salariés (RES) sans que ces derniers usent véritablement de cette possibilité. C'est une très grave erreur que d'avoir cru nécessaire de prendre le pouvoir pour changer l'ordre économique et donc, d'attendre pour changer les rapports de production, que les salariés accèdent à la direction politique. La grande révolution française a été à la fois un couronnement (si

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'on ose dire) et un nouveau départ. La voie que doit uivre la classe des producteurs, et qui reste ouverte à lie en cette période de crises répétées, est voisine de elle suivie naguère par la bourgeoisie : s'emparer des ilus larges secteurs de la vie économique, avec l'aide des irganisadons révolutionnaires puisque « l'émancipation conomique des classes laborieuses est le grand but uquel tout mouvement politique, en tant que moyen, ioit être subordonné » 101. Aux yeux de Marx, la création le coopératives est naturellement souhaitable mais tout ussi naturellement, «elles n'ont de valeur qu'autant [u' elles sont des créations autonomes des travailleurs et 1e sont protégées ni par le gouvernement ni par les ourgeois » 1 0 2 . La Commune de Paris de 1871, leilleure communiste que ceux d'aujourd'hui, n'avait ni tatisé, ni nationalisé les ateliers et fabriques fermés par îurs propriétaires, mais les avaient remis aux associaions d'ouvriers. C'est sans doute dans son analyse de la Commune que Marx s'exprime le plus clairement sur ce ujet : « Mais si la production coopérative ne doit pas ester un leurre et un piège ; si elle doit évincer le ystème capitaliste ; si l'ensemble des associations coopératives doit régler la production nationale selon un >lan commun, la prenant ainsi sous leur propre contrôle t mettant fin à l'anarchie constante et aux convulsions ériodiques qui sont le destin inéluctable de la producion capitaliste, que serait-ce messieurs, sinon du commnisme, du très « possible » communisme ? » 103. On ibjectera sûrement à cette proposition générale, que les oopératives existent depuis fort longtemps et que la face lu monde n'en a pas été changée. Sans doute, mais Marx 01. MARX, réf. 19, p. 159. 02. MARX, réf. 1, p. 1427. 03. MARX, réf. 12, p. 52-53.

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avait déjà attiré l'attention sur le point suivant : « ... la coopération des travailleurs, si elle reste circonscrite dans un cercle étroit, si quelques ouvriers seulement font des efforts au petit bonheur et en leur particulier, alors cette coopération ne sera jamais capable d'arrêter les monopoles qui croissent en progression géométrique ; elle ne sera pas capable de libérer les masses, ni même d'alléger de façon perceptible le fardeau de leur misère » 104. Il ajoute que des mesures doivent être prises pour empêcher les coopératives de dégénérer en sociétés par actions. Ces dangers évoqués par Marx ne peuvent être niés par les Israéliens, décidés au lendemain de la création de leur État, à fonder une société laïque et socialiste par la formation de kibboutz dans lesquels la vie collective était d'ailleurs poussée à l'extrême, et même au delà. Aujourd'hui, il ne reste pratiquement rien de ce beau projet dans un pays clérical où les coopératives disparaissent, et où la banque fondée par les syndicats est passée dans le secteur privé. Pourquoi cette évolution-régression ? Sans aucun doute parce que les animateurs de ce mouvement ne sont pas allés jusqu'au bout de la logique de leur action, et parce qu'ils ont appuyé la politique réactionnaire de leur gouvernement acceptant que ce pays devienne le fer de lance de l'impérialisme dans cette région du monde. Redisons-le, les métamorphoses sociales découlent non de la politique, mais de l'économie d'abord. « l'État, le régime politique constitue [...] l'élément secondaire, et la société civile, le domaine des relations économiques, l'élément décisif » 105. Dans tous les pays, au long du XX e siècle, a été recherchée la rupture avec l'état de choses présent, le capitalisme, par un changement poli104. MARX, réf. 1, p. 466^67. 105. ENGELS, réf. 10, p. 73.

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ique, c'est-à-dire par le haut. Ce fut une grossière erreur. Jn changement politique, même important ne peut ransformer les rapports sociaux existants de façon adicale. C'est l'inverse qui est vrai. Et naturellement le touveau ne peut supplanter l'ancien qu'à la condition l'être assez fort pour cela. Encore faut-il qu'il existe léjà. D'où il appert qu'il est grand temps de travailler à réer, à faire exister « une réalité nouvelle et viable », lonc introduire le changement par le bas et non pouruivre des activités politiciennes en haut. Si l'on veut igir sur la société, par conséquent, il faut transformer 'économie et plus précisément les rapports sociaux, et ïngels précise : « il s'ensuit que les nouvelles conditions Iconomiques doivent aussi contenir en elles-mêmes, à un legré plus ou moins développé, les moyens d'écarter les ncongruités constatées. Il faut donc employer son esprit, ion à inventer ces moyens, mais à les découvrir dans les aits matériels de la production donnée » 106. Le moyen irincipal, dans le monde actuel, celui qui doit sauter aux r eux de tous, c'est la continuation de la vie de l'entreirise par les salariés lorsque les capitalistes prétendent la èrmer, et la réouverture de celles qui ont été abandonnes. Un exemple d'une telle autogestion, à la fois leureux et malheureux, a été fourni par les salariés usses de Vyboig qui, en 1998, ont chassé les propriéaires de leur usine qui en avaient décidé la liquidation, :t les ont remplacés par des dirigeants élus. Après une tériode de relance réussie puisque la production est epartie et que les salaires ont été à nouveau versés, 'entreprise a été mise en échec par l'opposition conjur é e des anciens propriétaires et du pouvoir régional nais surtout en raison de l'absence de soutien de la part 06. ENGELS, réf. 66, p. 58.

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des autres producteurs, des organisations nationales normalement constituées pour les aider : syndicats et partis. Que d'autres entreprises placées dans une situation voisine se soient levées également et le rapport de forces pouvait être inversé avec l'appui de la population. Donc, on prend les choses en main ici, où la situation est mûre et non là, où elle ne l'est pas, et où cela se fera plus tard. Ce ne sera pas chose aisée naturellement. D faudra passer par de longues luttes, des processus plus ou moins heureux, qui transformeront cependant la société et les hommes, même si ces derniers ne le seront pas complètement puisqu'ils sont en majorité mauvais en raison de la division de la société en classes antagonistes et de la concurrence qui les oppose. Même lorsqu'ils semblent assagis et policés, sommeille en eux les plus bas instincts et, succédant à une période de civilisation véritable, peuvent venir des temps affreusement cruels à des degrés divers : Allemagne nazie, Palestine, Vietnam, Irak, Rwanda, Yougoslavie, etc. en portent témoignage. Sur le fond, il n'y a rien à espérer de l'homme immédiatement et la méfiance doit rester la règle, mais on ne peut attendre qu'il devienne meilleur pour lutter et changer le monde. D'autant que des améliorations sont possibles comme ont pu le constater tous ceux qui ont lutté, participé à de grandes grèves durant lesquelles on a vu se développer une fraternité, des solidarités, un véritable humanisme nouveau, lequel ne dure toutefois que ce que durent les roses, c'est-à-dire une grève. La lutte terminée, l'homme futur disparaît avec elle. Raison de plus pour justifier la révolution permanente qui tend à le changer de façon positive. Un autre exemple de coopération, frappant, puisé dans la production existante comme le demande Engels, est fourni par l'actualité informatique. Il existe dans ce monde nouveau et en expansion rapide, une entreprise, américaine naturelle-

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ment, aux mains de l'homme le plus riche du monde, et qui se trouve en situation de monopole à l'échelle du globe. Or, un programmeur finlandais a créé en 1991 un système d'exploitation capable de rivaliser de plus en plus avec celui, très coûteux, mis au point par la dite société, grâce au fait qu'il est gratuit et constamment enrichi, amélioré par de multiples bonnes volontés. Comment ne pas réfléchir à ce commentaire d'un spécialiste : « D n'existe pas d'entreprise assez riche -pas même Microsoft- pour lutter contre les talents conjugués des meilleurs programmeurs de la planète. » Ce logiciel représente donc une menace grave pour le géant américain qui a conquis le monde et peut maintenant le perdre à la condition que les utilisateurs en décident ainsi. Et comment - au risque de choquer son initiateur- qualifier son action et celle de ses confrères, autrement qu'en la désignant sous le nom de communisme puisqu'il s'agit d'un travail fabriqué et amélioré en coopération à l'échelon mondial par des centaines ou des milliers d'experts, et mis à la disposition de tous, librement, gratuitement ? D'autres logiciels peuvent être élaborés, ou le sont, de la même façon dans tous les domaines. C'est cela « le mouvement réel », et ce peut être encore la création d'entreprise du type de la banquecoopérative fondée au Bengladesh afin de permettre à environ deux millions de femmes, l'immense majorité de ses membres, de bénéficier d'un grand nombre de micro-crédits. Cette association a depuis essaimé dans de nombreux pays, pas seulement les plus pauvres puisqu'elle existe aux EU, en Norvège, au Maroc, où seules les femmes ont accès aux prêts car « les hommes ne sont pas sérieux ». Apparemment, la femme est l'avenir de l'humanité. D'autres coopératives ont été créées au Burkina Faso pour améliorer les activités agricoles, la commercialisation, l'artisanat, la santé,

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l'éducation, etc. On remarque que dans ces activités, les partis, au sens occidental et « démocratique » du terme, ne tiennent guère de place, laquelle est occupée par des groupements que -si l'on osait- on rapprocherait volontiers des soviets de base. Mais l'expérience des pays capitalistes en matière de démocratie n'est pas la seule pouvant être retenue. Un homme État africain a un jour nettement condamné « les implants » occidentaux dans son continent, particulièrement le système d'élections opposant systématiquement des partis « pour » et « contre », pratique débouchant presque toujours sur des conflits armés, et pratique complètement étrangère à la tradition de cette partie du monde. La meilleure des démocraties consiste ici à désigner d'un commun accord, et après discussion, celui, ou ceux, que l'on estime les plus aptes dans le village. Le mouvement réel prend d'autres formes d'économie solidaire, les LETS, par exemple, (Local Exchange trading système) nées au Canada en 1976, qui sont des échanges de savoir-faire au moyen d'une monnaie locale originale interdisant toute spéculation. Ces associations, après avoir émigré dans d'autres pays anglo-saxons, ont pris pied en France sous le nom de SEL (Système d'échanges locaux) ou autres, ainsi qu'en Italie. Dans les Pyrénées, les adhérents disposent d'un carnet de bons d'échange permettant de se passer du franc. Voilà qui n'est pas sans rappeler furieusement Robert Owen et ses « bazars du travail, établissements pour l'échange de produits du travail au moyen d'une monnaie papier du travail, dont l'unité était constituée par l'heure de travail » 107. Revenons aux coopératives futures évoquées précédemment. D leur faudra se donner les moyens d'une 107. ENGELS, réf. 15, p. 302.

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véritable indépendance économique, se soustraire à l'influence, aux exigences des banques et pour ce faire, créer leur propre établissement de crédit, naturellement sous forme associative, avec l'appui concret, la participation de tous les salariés et de toutes les organisations révolutionnaires quittant leurs guichets habituels pour rallier cette coopérative. Leurs productions devront passer par des circuits originaux, indépendants eux aussi. C'est dire que dans tous les domaines, il faut faire du neuf, le mot d'ordre étant : vider le capitalisme de sa substance. Tout ceci ne peut s'obtenir sans luttes difficiles, surtout dans les vieux pays développés, mais cela doit se faire. Au cours de ces combats permanents pour faire reculer le capitalisme, réduire ses sphères d'influence, la conscience grandira peu à peu et conduira les salariés à s'imprégner de la nécessité de transformer la société plus en profondeur et le moment viendra où il sera nécessaire de prendre le pouvoir politique afin d'accélérer le cours des choses, le rôle d'un gouvernement populaire éventuel étant d'aider, de faciliter cette évolution, non de décider du cours de l'histoire ou de l'écrire à la place du peuple. Paraphrasant Engels, on dira qu'il n'est pas possible de demander à quelques dirigeants de réaliser ce que seule peut faire l'humanité entière dans son développement progressif. En attendant, dans le régime capitaliste, même gangrené par le socialisme en actes, le gouvernement restera « l'organe social qui maintient l'ordre social ». Il est, de nos jours plus encore qu'à l'époque de Marx, une grande trouvaille dans le jeu politicien du capital : une sorte de fusible du « système démocratique », qui sert, si l'on préfère, de bouc émissaire partout. Y-a-il un fort mécontentement dans tel pays ? Le gouvernement part, à la suite d'élections ou par des voies plus brutales, et il est remplacé par un autre... qui fait la même politique, à peu de choses près,

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et le capitalisme reste intact. Il importe de rompre avec cette conception et en tout cas, pour ce qui est des communistes, ils doivent comprendre la nécessité d'être dans l'opposition car, s'ils n'y sont pas, qui prendra la défense des intérêts des salariés ? Qui organisera leurs luttes ? Qui portera condamnation de ce régime s'ils participent à sa défense ou à sa conduite ? Envoyer des ministres communistes au gouvernement est une faute grave car cela signifie qu'il est possible de changer les choses par le haut -totalement illusoire- et que par voie de conséquence, le travail en bas est inutile, d'où démobilisation des producteurs. Une opposition vigoureuse est une nécessité et seuls les communistes, du moins jusqu'à présent, étaient capables de jouer ce rôle. Ceci ne vise pas naturellement les communistes portés au pouvoir par leurs concitoyens afin d'y conduire une politique révolutionnaire. Mais dans ce cas encore, l'opposition des contraires, l'union dialectique, reste une réalité, le rapport des forces est simplement changé. Dans cette situation, la nouvelle classe opprimée, celle des capitalistes continue à exister, à combattre, à aiguillonner le pouvoir en place et les producteurs afin que ceux-ci ne cessent pas de lutter et soient amenés peu a peu a les supplanter et à les faire disparaître en prenant leur place. La contradiction fondamentale sera alors résolue par l'avènement d'une société nouvelle, la société comuniste. Les pères fondateurs n'ont jamais dit autre chose. Selon eux, le moment venu, la classe des producteurs viendra au gouvernement et se « servira de la suprématie politique pour arracher peu à peu tout espèce de capital à la bourgeoisie » 108. Ce sera le rôle de la société devenue socialiste, achevant, complétant ce 108. MARX, réf. 1, p. 181.

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qui avait été commencé sous le capitalisme, transformant aussi l'Etat et le mettant bas peu à peu, ce qui préparera ainsi la société communiste. « Entre la société capitaliste et la société communiste, se situe la période de transformation révolutionnaire de l'une dans l'autre. A cette période correspond également une phase de transition politique, où l'Etat ne saurait être autre chose que la dictature révolutionnaire du prolétariat » 109. La voie qui attend l'humanité est celle de la lutte, pour autant qu'elle ait une histoire à venir, après les erreurs et les échecs passés, et l'état de délabrement actuel de la classe des producteurs. Mais s'il reste un espoir, malgré toutes les occasions manquées, il ne faut plus se leurrer : « point de franche lippée, tout à la pointe de l'épée », rien n'est assuré, bien au contraire. Rappelons Engels et son propos sur l'armée de prolétaires « qui doit, ou périr misérablement, ou accomplir cette révolution ». Ce que Marx confortait dans un parallèle fréquent chez les deux amis : « l'ouvrier doit saisir un jour la suprématie politique pour asseoir la nouvelle organisation du travail ; il doit renverser la vieille politique soutenant les vieilles institutions, sous peine, comme les anciens chrétiens qui l'avaient négligé et dédaigné, de ne voir jamais leur royaume de ce monde» 1 1 0 . Chrétiens d'autrefois et communistes du vingtième siècle ont vu leurs clergés respectifs s'emparer du pouvoir et diriger sans demander aux masses leur avis, alors que le mot d'ordre était et reste : « Producteurs de tous les pays, unissez-vous ! » Ceux-ci doivent enfin saisir le conseil et le mettre en pratique s'ils veulent échapper au «Talon de fer», construire une société nouvelle, et jouer ainsi le rôle que l'histoire leur a assigné.

109. MARX, réf. 1, p. 1429. 110. MARX, réf. 30, p. LXXX.

Composé et imprimé par JOUVE 18, rue Saint-Denis, 75001 Paris N° 288778F. Dépôt légal : janvier 2001