Droit français de l’intégration européenne 9782275039466, 2275039465

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Droit français de l’intégration européenne
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systemes_Cours_Droit francais de l_integration_Mise en page 1 26/01/15 18:39 Page1

Collection fondée par Michel BOUVIER Directeurs de collection : Michel BOUVIER, professeur à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne Laurent RICHER, professeur à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne Jean-Pierre CAMBY, fonctionnaire parlementaire

Alors que la construction européenne est généralement étudiée du point de vue de l’Union afin de décrire la forme de son appareil institutionnel ou le contenu de ses politiques matérielles, cet ouvrage adopte une posture différente consistant à observer l’intégration sous l’angle interne (national et local). Outre le développement du « dialogue des juges » en faveur d’une « intégration normative » des règles européennes dans l’ordre interne, la création de structures nouvelles – telles que le Haut Conseil des finances publiques (HCFP) chargé de la surveillance de l’équilibre budgétaire – atteste d’une « intégration organique » constitutive également de cette qualité nouvelle de la France : « État intégré à l’Union ». Cet ouvrage est destiné aux étudiants spécialisés en droit public (Masters 1 et 2) et aux universitaires et professionnels du droit ou de la politique menant une réflexion sur les implications de l’intégration européenne dans l’ordre normatif et institutionnel interne.

É. DUBOUT B. NABLI

Édouard DUBOUT est professeur à l’Université Paris-Est Créteil, et Béligh NABLI est maître de conférences à l’Université Paris-Est Créteil.

Édouard DUBOUT Béligh NABLI Droit français de l’intégration européenne

Le système juridique de la France fait l’objet de transformations liées aux rapports entre l’État et l’Union européenne. Celles-ci se manifestent par la création d’un ensemble de structures, de règles, de principes, de procédures, de techniques, et de solutions destinés à traiter spécifiquement de la question de la participation à l’Union européenne. Ce corpus est constitutif d’une discipline particulière du droit public : le droit interne de l’intégration européenne.

COURS

www.lextenso-editions.fr

ISBN 978-2-275-03946-6 25 €

Droit français de l’intégration européenne

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Édouard DUBOUT Professeur Université Paris-Est Créteil

Béligh NABLI

Maître de conférences Université Paris-Est Créteil

Droit français de l’intégration européenne

Retrouvez tous nos titres Defrénois - Gazette du Palais - Gualino Joly - LGDJ - Montchrestien sur notre site www.lextenso-editions.fr

© 2015, LGDJ, Lextenso éditions 70, rue du Gouverneur Général Éboué 92131 Issy-les-Moulineaux Cedex ISBN 978-2-275-03946-6 ISSN 0987-9927

Édouard DUBOUT est professeur à l’Université Paris-Est Créteil. Béligh NABLI est maître de conférences à l’Université Paris-Est Créteil.

Droit français de l’intégration européenne

Liste des abréviations COSAC : Conférence des organes (parlementaires) spécialisés dans les affaires communautaires CPM : Conseil de la politique monétaire CRE : Commission de régulation de l’énergie END : Experts nationaux détachés FSE : Fond social européen GAJA : Grands arrêts de la jurisprudence administrative GDCC : Grandes décisions du Conseil constitutionnel HALDE : Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité HCFP : Haut Conseil des finances publiques OCDE : Organisation de coopération et de développement économiques (remplace l’OECE dès le 30 septembre 1961) OECE : Organisation européenne de coordination économique (jusqu’au 30 septembre 1961) Rec. : Recueil de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union europénne RP : Représentation permanente SEBC : Système européen de banques centrales SGAE : Secrétariat général des affaires européennes SGAR : Secrétaire général aux affaires régionales et européennes SGCI : Secrétariat général du comité interministériel pour les questions de coopération économique européenne SGPFUE : Secrétariat général de la présidence française du Conseil de l’Union européenne T. confl. : Tribunal des conflits TSCG : Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance

AAI : Autorité administrative indépendante ACAM : Autorité de contrôle des assurances et des mutuelles API : Autorité publique indépendante ARAF : Autorité de régulation des activités ferroviaires ARCEP : Autorité de régulation des communications électroniques et des postes AREPO : Association des régions européennes des produits d’origine AREV : Assemblée des régions viticoles ARIE : Association des régions industrielles européennes ARN : Autorité de régulation nationale C. just. adm. : Code de justice administrative CBI : Comités budgétaires indépendants CCEN : Commission consultative d’évaluation des normes CCIC : Commission interministérielle de coordination des contrôles CE : Conseil d’État CEDH : Cour européenne des droits de l’homme CGCT : Code général des collectivités territoriales CIE : Comité interministériel sur l’Europe CJCE : Cour de justice des Communautés européennes CJUE : Cour de justice de l’Union européenne CNE : Conférence nationale des exécutifs CNEN : Conseil national d’évaluation des normes COREPER : Comité des représentants permanents

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Introduction La construction européenne voit sa légitimité contestée. Symbole de la globalisation, l’intégration européenne est perçue comme étant à l’origine d’une dilution non maîtrisée de la souveraineté nationale. Il est certain que si l’existence du pouvoir demeure d’origine interne, son exercice est désormais fréquemment orienté dans une perspective d’intégration européenne. L’une des manières d’éclairer les enjeux de cette contestation est d’identifier plus précisément ce que signifie la participation d’un État à l’Union, c’est-à-dire de mesurer à la fois sa part de souveraineté et d’européanité. Notre système interne d’organisation et de décision évolue pour permettre en son sein la réalisation de l’unification européenne. Certes, les signes institutionnels, normatifs et procéduraux de ce phénomène sont épars et donc difficiles à identifier et à systématiser. Il n’empêche, il existe au sein de l’ordre interne un ensemble de structures, de règles, de principes, de techniques, de procédures, et de solutions destinés à traiter spécifiquement de la question de la participation nationale à l’Union. C’est cet ensemble de transformations du système juridique interne que l’on propose de désigner comme formant le droit français de l’intégration européenne1. La construction européenne est généralement étudiée du point de vue de l’Union afin de décrire la forme de son appareil institutionnel, l’effet de ses normes ou le contenu de ses politiques matérielles. Cet ouvrage adopte une posture différente, un point de vue inversé, consistant à observer l’intégration sous l’angle de sa composante interne, dont il sera soutenu qu’elle constitue en définitive le support principal du droit de l’intégration. Dans cette perspective, il convient de présenter le champ d’étude consacré à la part européenne du droit interne (I), l’objet d’étude que représente la catégorie spécifique de l’État « intégré » (II), puis le ressort de l’étude tenant à la transformation de l’exercice du pouvoir interne (III), et enfin son résultat principal, à savoir identifier les directions dans lesquelles s’opère l’évolution européenne du système juridique interne (IV).

1. Sur les bases de cette idée, E. DUBOUT et B. NABLI, « L’émergence d’un droit français de l’intégration européenne », RFDA 2010, nº 5, p. 1021.

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I.

Le champ de l’étude : la part européenne du droit interne

Afin de rendre compte des évolutions du droit interne découlant de la participation à l’intégration européenne et de justifier ainsi l’émergence d’un champ disciplinaire, des approches quantitatives et qualitatives sont envisageables. Sans nier l’importance du premier, c’est ce dernier prisme d’analyse qui sera retenu par la suite dans le format limité de cette étude.

A. L’approche quantitative L’approche quantitative prend le parti de tenter de mesurer quelle fraction du droit interne peut être considérée comme étant directement ou indirectement d’origine européenne. Un tel indicateur, parfois fantasmé, permettrait de donner un ordre d’idée de l’influence des choix européens sur les décisions nationales, et partant d’évaluer l’autonomie nationale. Il est toutefois difficile de cerner précisément ce phénomène en s’accordant sur des critères précis d’influence. C’est pourquoi la science juridique préfère se contenter de recenser et d’observer la multiplication de l’appel au droit de l’Union dans l’élaboration et l’interprétation du droit interne2. Ce recensement permet de rendre compte de ce que la plupart des évolutions majeures et des discussions actuelles des grandes disciplines de droit interne, et même de droit international, proviennent de l’intégration européenne. Il n’existe plus guère de pans du droit interne qui soient épargnés par l’influence européenne, notamment sous l’impulsion des interprétations constructives de la Cour de justice. Le droit public3 comme le droit privé4 interne se trouvent de la sorte profondément modifiés par le droit de l’Union. L’importance quantitative grandissante de l’influence européenne sur le droit interne est révélatrice de sa dimension qualitative.

B. L’approche qualitative L’approche qualitative des transformations du droit interne découlant de la participation à l’intégration européenne s’emploie à mettre en avant une 2. Les chroniques consacrées à cette étude se sont multipliées, voir notamment à la Revue trimestrielle de droit européen : « Jurisprudence administrative française intéressant le droit de l’Union » (dir. D. RITLENG), « Jurisprudence judiciaire française intéressant le droit de l’Union européenne » (coord. EDIEC), « Jurisprudences nationales intéressant le droit de l’Union européenne » (dir. E. SAULNIER-CASSIA) ; à la Revue française de droit administratif : « Droit de l’Union européenne et droit administratif français » (par L. CLÉMENT-WILZ, F. MARTUCCI, et C. MAYEUR-CARPENTIER), ou encore à la revue Europe : « Application du droit de l’Union européenne par la Cour de cassation » (dir. S. BARBOU DES PLACES et A.-S. CHONÉ-GRIM). 3. J.-B. AUBY (dir.), L’influence du droit européen sur les catégories juridiques du droit public, Paris, Dalloz, 2010, 1006 p. 4. J-S. BERGE et M-L. NIBOYET (dir.), La réception du droit communautaire en droit privé des États membres, Bruxelles, Bruylant, 2003, 316 p.

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Introduction

mutation du fonctionnement systémique du droit interne. Le système juridique français demeure formellement interne quant à son origine, mais il se colore substantiellement d’européanité dans son régime. Cela se traduit par l’apparition et la modification dans le droit interne d’un ensemble de structures, de principes, de techniques et de raisonnements qui en renouvellent le mode opératoire. L’ordre juridique et institutionnel français regorge désormais de structures, de notions, de dispositions ou de régimes juridiques spécifiquement consacrés à la participation de l’État à l’Union. Cependant, ce droit particulier n’est contenu ni dans un texte national unique, ni dans une catégorie de norme juridique interne exclusive. Ses sources consistent plutôt en un ensemble disparate de règles écrites et jurisprudentielles, de dispositions normatives et non normatives5. Leur point commun nécessaire à la formation d’un système autonome au sein de l’ordre interne est d’entraîner un processus remarquable de « dé-banalisation » du droit de l’Union européenne qui glisse progressivement de l’assimilation à la singularisation vis-à-vis du droit international. C’est plus particulièrement aux évolutions systémiques que s’attache la thèse de la formation d’un droit interne de l’intégration européenne. En cela, le présent ouvrage s’inscrit davantage dans une perspective d’études de droit public consacrées à la théorie de l’État et de l’organisation du pouvoir. L’approche qualitative de l’influence européenne sur le droit interne offre une autre manière d’envisager la relation particulière qui unit l’État membre à cet ensemble plus vaste que représente l’Union. Cette relation est organisée au niveau de l’Union européenne, ou si l’on veut « en amont », et à ce titre elle est déjà largement étudiée. Mais il est une autre réalité, relativement négligée jusqu’à présent : le système de relation élaboré au niveau européen fait l’objet d’une réception et d’une adaptation nationales, au regard de la spécificité et de la malléabilité propres à chaque droit national qui internalise, « en aval » cette fois, la mise en relation des niveaux. Il s’agit en quelque sorte de la face interne du droit de l’intégration européenne. Le droit interne subit alors une déformation, allant jusqu’à provoquer l’émergence en son sein d’un soussystème de fonctionnement différent, propre à la relation entretenue par le droit interne et le droit de l’Union, que ce soit pour le réceptionner ou pour s’y projeter. Le droit interne de l’intégration se donne ainsi pour objet d’étude une figure juridique spécifique : celle de l’État « intégré » à l’Union européenne.

5. On aura l’occasion de constater que le Premier ministre privilégie l’instrument de la circulaire pour améliorer les modalités d’exercice des fonctions européennes de l’administration nationale.

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II.

L’objet de l’étude : la catégorie de l’« État intégré »

L’État joue un rôle décisif dans l’effectivité de l’intégration6. La conciliation de la souveraineté d’un État et son intégration à l’Union supposent une organisation et des normes particulières, spécifiques. La construction de la catégorie de l’« État intégré » comme objet d’étude a pour ambition de rendre compte de ce phénomène à la fois unique extrinsèquement et multiple intrinsèquement. À nouveau, c’est plutôt ce second aspect qui retiendra l’attention du présent ouvrage à travers l’analyse de l’exemple français.

A. L’unité extrinsèque L’unité extrinsèque de la catégorie d’État intégré à l’Union européenne provient de sa spécificité et de sa stabilité vis-à-vis des autres formes traditionnelles d’organisation du pouvoir décrites par la science juridique, et notamment celles de l’organisation internationale et de l’État fédéral. Le débat de l’existence d’une troisième voie au-delà des formes classiquement reconnues d’organisation du pouvoir est déjà largement balisé7. L’État intégré n’est autre que la forme juridique d’organisation du pouvoir à laquelle donne naissance le phénomène nouveau dans les relations internationales, décrit par P. Pescatore, qu’est l’intégration européenne8. L’expression suggère l’existence d’un type d’État dont la spécificité résulte de son appartenance à l’Union européenne, de son mode de rapport à l’organisation à laquelle il appartient9. Les États membres ne sont pas extérieurs ou tiers par rapport à l’Union : ils sont dans l’Union, de l’Union. L’État intégré entretient des rapports d’interdépendance avec l’organisation dont il est membre et avec les autres membres et ne saurait se résumer à des configurations conflictuelles et simplistes : celle d’une opposition de l’« Europe contre l’État » ou de « l’État contre l’Europe ». C’est plutôt une logique d’imbrication et d’interaction entre l’État et l’organisation qui est à l’œuvre. En devenant membre de l’Union, l’État admet de s’intégrer dans un ensemble plus vaste : « plus que signer un traité, les États (...), en le faisant, 6. J. RIDEAU, « Le rôle des États membres dans l’application du droit communautaire », AFDI 1972, p. 894. 7. O. BEAUD, Théorie de la fédération, Paris, PUF, 2007, 446 p. ; du même auteur, « Peut-on penser l’Europe comme une fédération ? », in F. ESPOSITO et N. LEVRAT (dir.), Europe : de l’intégration à la fédération, Bruxelles, Bruylant, 2010, p. 71 ; J. H. H. WEILER, “The Transformation of Europe”, The Yale Law Journal, vol. 100, nº 8, 1991, p. 2403 ; E. ZOLLER, « Aspects internationaux du droit constitutionnel – Contribution à la théorie de la fédération d’États », RCADI 2002, vol. 294, p. 43. 8. L’ouvrage de référence demeure : P. PESCATORE, Le droit de l’intégration : émergence d’un phénomène nouveau dans les relations internationales selon l’expérience des Communautés européennes, Leiden, Sijthoff, 1972, 99 p. ; réed. Bruxelles, Bruylant, 2005, 100 p. 9. Dans une logique similaire, certains auteurs parlent d’« État communautaire », voir V. CONSTANTINESCO et S. PIERRE-CAPS, Droit constitutionnel, Paris, PUF, 2004, p. 281.

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Introduction

ont adhéré au principe [d’intégration] dont ce traité est l’expression »10. L’État membre est « dans » l’Union en ce sens qu’il ne lui est pas extérieur11. Ce qui ne signifie pas pour autant que l’État intégré perd toute spécificité intrinsèque au regard de la diversité des systèmes juridiques des États de l’Union.

B. La diversité intrinsèque Le droit interne de l’intégration européenne est largement spécifique à chaque État membre de l’Union. Le statut d’État membre de l’Union européenne fondé sur des droits et obligations communs n’emporte pas l’émergence d’un droit interne commun de l’intégration européenne12. Non seulement le statut de membre n’est pas totalement uniforme – en raison notamment du phénomène de différenciation – mais le processus d’intégration européenne ne met pas fin à la diversité des traditions constitutionnelles, administratives, juridiques des États de l’Union qui disposent d’une autonomie institutionnelle et procédurale13. Cette diversité se prolonge ainsi dans le rapport juridique qu’entretient chaque État membre à l’Union européenne. La multiplicité intrinsèque de la forme juridique de l’État intégré est à la fois temporelle et spatiale. D’un point de vue temporel, il est clair que les caractéristiques de l’État intégré épousent les principales modifications de l’évolution perpétuelle de l’intégration européenne, qui en fait même sa marque de fabrique fonctionnaliste. La consécration du principe de primauté, la protection des droits fondamentaux, l’extension des compétences européennes, l’invention du Conseil européen, la parlementarisation de la prise de décision, pour ne citer que quelques exemples, sont autant d’étapes déterminantes qui se répercutent sur la structure du système juridique de l’État intégré à l’Union européenne. Toutefois, l’existence de la catégorie demeure préservée dans la mesure où le sens de cette évolution ne paraît pas être tracé à l’avance, l’objectif n’étant pas de conduire mécaniquement à une forme déjà connue d’organisation du pouvoir. Du point de vue spatial qui nous retiendra ici, la multiplicité intrinsèque de la catégorie d’État intégré provient de la diversité des systèmes juridiques internes des États membres. Il existe finalement autant de droits internes de l’intégration européenne et d’États intégrés que d’États membres de l’Union européenne. La réception interne du droit de l’Union européenne et la projection des intérêts nationaux au sein du système européen d’organisation du pouvoir se font selon les canaux 10. L.-J. CONSTANTINESCO, « Communication au Congrès international d’études sur la CECA », Actes officiels, Milano, Giuffrè, 1958, p. 618, cité par D. SIMON, Le système juridique communautaire, Paris, PUF, 2001, p. 83, nº 51. 11. Pour paraphraser P. PESCATORE, La Communauté et ses États membres. Actes du VIe Colloque de l’IEJE, Liège, Nijhoff, La Haye, 1973, p. 78. 12. C. GREWE, « Constitutions nationales et droit de l’Union européenne », Rép. Communautaire Dalloz, 2009, p. 5, § 7. 13. CJCE, 16 décembre 1976, Rewe, aff. 33/76, point 5 ; et Comet, aff. 45/76, point 13.

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et spécificités des systèmes internes préexistants dans la logique du principe d’autonomie institutionnelle et procédurale. Que ce principe connaisse des tempéraments, parfois importants, n’est pas douteux, mais il est une autre réalité peu contestable : celle de la diversité préservée des modes d’organisation internes du pouvoir. L’illustration de l’organisation étatique locale offre un bon exemple de la diversité intrinsèque de l’État intégré en fonction des particularités des droits des États membres. La Cour a ainsi précisé que « la notion d’État membre au sens de l’article 230, alinéa 2 CE, ne visant que les autorités gouvernementales des États membres », « cette notion ne saurait être étendue aux gouvernements des régions ou d’autres entités infra-étatiques sans porter atteinte à l’équilibre institutionnel prévu par le traité »14. Certes, il est clair que le droit de l’Union a peu à peu irrigué l’ensemble des domaines de l’action publique locale. La qualité d’État intégré engendre donc des conséquences notables pour ses composantes territoriales. Toutefois, il appartient à chaque État membre d’inclure ou non les intérêts de ses collectivités dans la manière de procéder à l’exécution du droit de l’Union ou dans celle de contribuer à son élaboration. Aussi le présent ouvrage s’attache-t-il principalement à observer le droit français de l’intégration européenne, au niveau national et local. En effet, les deux niveaux d’organisation interne voient leur manière d’exercer le pouvoir modifiée par l’appartenance de l’État à l’Union européenne.

III.

La cause de l’étude : l’adaptation de l’exercice du pouvoir interne

L’émergence du droit interne de l’intégration européenne comme discipline dotée d’un objet d’étude propre se fonde sur deux ressorts principaux. Le premier consiste en un dédoublement fonctionnel des organes étatiques. Le second, qui en fournit une justification, tient au besoin d’élargissement du cadre de représentation des intérêts au sein de l’État.

A. Un dédoublement de fonction Le principal mécanisme de fonctionnement d’un État intégré est celui du dédoublement fonctionnel de ses organes. Les autorités étatiques exercent une fonction européenne d’élaboration ou d’exécution du droit de l’Union européenne. Pour reprendre l’image proposée par Loïc Azoulai, le droit de

14. CJCE, ord., 26 novembre 2009, Région autonome des Açores c/ Conseil, aff. C-444/08 P, points 30 à 33.

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l’Union agit comme une « autorité d’occupation » du système interne15. Ce dédoublement est manifeste dans le domaine contentieux, le système juridictionnel européen accordant une place primordiale au juge national comme l’atteste désormais l’article 19 TFUE. La formule du Conseil d’État français employée dans l’arrêt Perreux selon laquelle le juge interne se reconnaît « juge de droit commun de l’application du droit communautaire » est éloquente16. Elle signifie que l’organe interne agit sur le fondement du droit de l’Union au sein duquel il estime trouver un fondement légitime à son action, y compris le cas échéant en modifiant proprio motu son mode de raisonnement et l’étendue de ses pouvoirs. L’appartenance à l’Union européenne ne se résume pas simplement à un transfert de compétences à l’Union européenne ; il s’agit aussi d’un transfert de loyauté des autorités étatiques vers l’Union. Le point d’imputation de l’action des autorités étatiques se déplace vers l’Union européenne en tant que justification ultime de la rationalité qui guide leur intervention. De cette façon, il est possible de comprendre que l’État demeure, comme tel, une entité indépendante au sens de la théorie classique de la souveraineté et de la puissance, tout en acceptant l’idée qu’il appartient à un ensemble plus vaste d’interdépendance au service duquel il met à disposition son appareil organique et normatif. Ainsi, par exemple, le développement d’autorités nationales de régulation agissant en réseaux transnationaux manifeste l’apparition de nouvelles formes d’exercice de la puissance publique au service de la réalisation d’un espace européen unifié. L’idée de la reconnaissance juridique d’un État membre à la fois indépendant et interdépendant pose les bases d’une évolution importante de la science du droit : celui de la formation d’une discipline consacrée à l’observation de la part d’extranéité d’un système de droit interne. Le droit de l’Union peut alors être considéré comme entraînant la construction d’un droit des rapports entre droits, en ce sens qu’il suscite l’organisation de la relation qui unit l’Union européenne avec les droits nationaux soit par le biais de principes de délégation de fonction, comme celui d’administration indirecte, soit au moyen de principes de limitation d’autonomie comme celui de primauté ou encore d’effectivité. De la dialectique de ces principes, qui à la fois potentialisent et assujettissent les autorités nationales, naît un système de rapports multiniveaux au sein duquel des intérêts non-exclusivement nationaux peuvent être pris en compte au niveau étatique.

B. Un élargissement du cadre de représentation Si les organes étatiques acceptent de mobiliser leurs moyens et leurs ressources au profit de la réalisation de l’intégration européenne, c’est qu’une raison profonde les incite à opérer un tel dédoublement fonctionnel. 15. L. AZOULAI, « Intégration juridique et légitimité », in L. FONTAINE (dir.), Droit et légitimité, Bruxelles, Anthémis, p. 311. 16. CE, 30 octobre 2009, Perreux, Rec., p. 408. Voir GAJA, 19e éd., 2013, p. 927.

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Elle tient à une prise de conscience que les États membres « ne sont plus en mesure de résoudre, à eux seuls, de manière autarcique, des problèmes sociaux, culturels, voire militaires, résultant du découplage de l’espace économique de l’espace territorial étatique »17. L’interdépendance recherchée et accrue par l’intégration conduit les autorités étatiques à devoir tenir compte d’intérêts externes dans l’exercice de leur pouvoir interne. L’espace intérieur européen ouvert aux individus leur permet de contester un usage exclusivement national du pouvoir public qui méconnaîtrait de façon injustifiée ou disproportionnée la spécificité des situations transnationales constituées entre plusieurs États membres. Le meilleur exemple en est probablement le principe de reconnaissance mutuelle qui amène les autorités internes à devoir tenir compte des réglementations adoptées dans d’autres États membres18. L’Union économique et monétaire est également une bonne illustration de l’interdépendance et de la prise en compte d’intérêts externes dans l’exercice du pouvoir interne. En France, la création du Haut Conseil de stabilité financière vise, outre la protection de l’intérêt budgétaire national, celui de l’intérêt plus large des États de l’ensemble de l’Union à coordonner leur politique financière et à éviter les risques systémiques qui les menacent de façon commune par la défaillance de l’un d’eux. Le champ des situations d’interdépendance augmentant à mesure que les échanges transnationaux s’intensifient, l’exercice de l’autorité étatique se trouve profondément déformé par l’incorporation dans la prise de décision d’intérêts externes au seul territoire national. Il est ainsi possible de comprendre l’intégration européenne non pas comme un rétrécissement de la sphère étatique, mais bien comme un élargissement du cadre de représentation à des intérêts, de façon « post-nationale »19. Le processus peut se comprendre comme un mouvement de dénationalisation de l’exercice du pouvoir interne. L’histoire politique et la culture juridique françaises sont centrées sur le modèle de l’État-nation selon lequel l’État personnifie juridiquement la nation, dans l’intérêt exclusif de laquelle il est censé agir. Le dédoublement fonctionnel de l’élargissement du cadre de représentation à des intérêts transnationaux, voire extranationaux, concrétise l’idée que l’intérêt dans lequel les organes étatiques agissent n’est plus exclusivement « national ». L’incorporation d’éléments externes dans l’exercice du pouvoir interne explique la direction que prend l’évolution du système juridique interne.

17. O. BEAUD et S. STRUDEL, in O. BEAUD, A. LECHEVALIER, I. PERNICE et S. STRUDEL (dir.), L’Europe en voie de Constitution, Pour un bilan critique des travaux de la Convention, Bruxelles, Bruylant, 2004, p. 19. 18. M. POIARES MADURO, We the Court : The European Court of Justice and the European Economic Constitution, Hart Publishing, 1998, 208 p. 19. N. MAC CORMICK, “Beyond the Sovereign State”, The Modern Law Review, vol. 56, nº 1, 1993, p. 1.

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Introduction

IV.

Le résultat de l’étude : les lignes d’évolution du système juridique interne

L’étude du droit interne de l’intégration européenne permet d’observer un double mouvement d’évolution parallèle : d’une part, la place du droit de l’Union dans le système interne devient ouvertement singulière, d’autre part et en retour, la relation intersystème devient plus diffusément syncrétique.

A. La singularisation intra-système Briser la summa divisio chère aux juristes et logiciens n’est toutefois pas chose aisée. Une des difficultés tenait à ce que la revendication du particularisme n’était pas nécessairement corroborée par l’existence d’un régime juridique de droit interne distinct de celui élaboré pour régir l’élaboration et l’application de l’ordre juridique international en général. Un décalage existait donc entre la prétention européenne à la spécificité et sa banalisation interne, tant les institutions que les normes communautaires et européennes continuant d’être le plus souvent considérées comme des objets de droit international classique et soumises au régime de droit commun des rapports internationaux20. Pour cette raison, il était courant de lire que « le Conseil d’État traite le droit communautaire comme une composante du droit international ou, pourrait-on dire, du bloc de légalité international applicable dans l’ordre interne »21. La posture traditionnelle selon laquelle le droit interne envisagerait le droit de l’Union européenne comme une émanation du droit international n’a désormais plus cours. Par une évolution lente, le système juridique qui découle des traités fondateurs des Communautés puis de l’Union européennes tend désormais à faire l’objet d’une réception particulière au sein des ordres juridiques nationaux. Dans sa décision du 19 novembre 2004 relative au Traité établissant une constitution pour l’Europe, constante depuis, le Conseil constitutionnel français a solennellement rompu avec la position assimilant l’intégration européenne à une relation de droit international en interprétant l’adoption de l’article 88-1 de la Constitution22 comme signifiant que « le constituant a ainsi consacré l’existence d’un ordre juridique communautaire intégré à l’ordre juridique interne et distinct de l’ordre juridique 20. Notamment D. WYATT, “New Legal Order, or Old ?”, European Law Review 1982, p. 147 ; A. PELLET, « Les fondements juridiques internationaux du droit communautaire », RCADE 1997, p. 193. 21. R. ABRAHAM, « Les normes du droit communautaire et du droit international devant le juge administratif français », in SFDI, Droit international et droit communautaires, perspectives actuelles, Paris, Pedone, 2000, p. 284. 22. Selon lequel « [l]a République participe aux Communautés européennes et à l’Union européenne, constituées d’États qui ont choisi librement, en vertu des traités qui les ont instituées, d’exercer en commun certaines de leurs compétences ».

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international »23. En découle notamment l’aménagement d’un régime original de hiérarchie des normes et de protections des droits, combinant notamment l’intégrité des droits fondamentaux constitutionnels et l’autorité du droit de l’Union européenne. Cette reconnaissance de spécificité de la place de l’intégration européenne dans l’ordre interne conduit à l’aménagement progressif d’un système de rapport propre aux relations européennes au sein même du système juridique interne, et notamment au sein du système constitutionnel. La construction d’un « droit constitutionnel de l’intégration »24 est nécessaire pour légitimer le processus d’intégration en droit constitutionnel et pour l’organiser, pour déterminer les modalités, la procédure, mais aussi les limites de l’intégration. Le Titre XV de la Constitution forme ainsi la Constitution européenne de la France en posant les dispositions fondamentales sur la base desquelles le droit interne fonctionnera différemment au contact des relations européennes. Il s’agit là des bases constitutionnelles propres au droit interne de l’intégration européenne. Ainsi, par exemple, les articles 88-4 et désormais 88-6 et 88-7 de la Constitution prévoient un mécanisme d’équilibre des pouvoirs propre à l’adoption de normes au niveau européen. De cette façon, la Constitution interne devient « duale », une part d’elle-même étant destinée à modifier le fonctionnement du système juridique interne pour permettre aux autorités nationales d’élaborer et d’exécuter le droit de l’Union européenne. La question déterminante devient celle de savoir à quel moment le fonctionnement du système interne bascule sur un mode européen. C’est tout l’enjeu de délimiter le champ d’influence interne du droit de l’Union européenne, dont l’appartenance déclenche le dédoublement fonctionnel des autorités nationales et la modification du système juridique interne de protection des droits et de répartition des pouvoirs qui gouverne leur action. Le système spécifique de fonctionnement du droit interne a pour finalité d’améliorer la communication entre le droit interne et le droit de l’Union européenne en effaçant la frontière qui sépare formellement les deux ensembles.

B. La syncrétisation intersystème Alors que les relations entre systèmes juridiques sont traditionnellement abordées sous l’angle de l’alternative entre monisme et dualisme, la situation particulière de l’Union européenne invite à penser le rapport unissant le système interne et le système européen sous le prisme du pluralisme. La particularité de cette troisième voie est d’abandonner la logique hiérarchique commune aux approches antérieures selon laquelle 23. Cons. const., 19 novembre 2004, Traité établissant une Constitution pour l’Europe, nº 2004505 DC, § 11. Voir GDCC, 17e éd., 2013, nº 18. 24. C. GREWE, « Constitutions nationales et droit de l’Union européenne », Rép. Communautaire Dalloz, 2009, §§ 41-118.

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Introduction

l’autorité d’un système s’imposerait à l’autre25. Contrairement au monisme qui prévoit que le système interne est subordonné au système européen, ou au dualisme qui soutient l’inverse, le pluralisme entend mettre en avant la nécessaire complémentarité des différents niveaux de production et d’exécution du droit dans un espace d’interdépendance accrue. Ce changement de paradigme dans l’appréhension des rapports intersystèmes est symptomatique dans la posture adoptée par le juge constitutionnel polonais selon laquelle « l’idée et le modèle du droit communautaire ont créé une nouvelle situation dans laquelle deux ordres juridiques autonomes sont parallèlement en vigueur dans un État membre » et que, par conséquent, « leur impact réciproque ne peut pas être exhaustivement décrit au moyen des théories du monisme et du dualisme traditionnelles dans la configuration droit national – droit international »26. Un système particulier de sources du droit interne de l’intégration européenne, combinant les différents niveaux normatifs, prend forme. Le syncrétisme qui découle d’une approche pluraliste des relations intersystèmes se traduit également par une fusion graduelle des organes et des normes de chacun des ensembles. On peut de la sorte comprendre l’association d’institutions de différents niveaux (européen, national, local) destinée à produire une norme d’application à la fois européenne et interne soumise à un régime juridique spécifique. C’est à ce stade et dans cette perspective qu’une reconsidération du principe de souveraineté comme critère juridique, autour duquel l’ensemble de la pensée juridique traditionnelle gravite, peut être envisagée. La singularisation de l’intégration européenne au sein même du système interne et la dilution corrélative de la frontière qui le séparait du système externe que représente l’Union européenne conduit à renoncer à devoir désigner un titulaire exclusif de l’autorité finale. Dans ce processus d’imbrication, le système juridique interne ne doit pas être considéré comme un simple réceptacle qui se contenterait de recevoir passivement des évolutions décidées au niveau européen, mais bien plutôt comme un support fondateur à l’autorisation (en amont) et à la réalisation (en aval) de telles évolutions. Finalement, la thèse que l’on présentera envisage le droit de l’intégration européenne comme étant avant tout le produit d’une spécialisation du système juridique interne. L’intégration est une question d’organisation du système interne. Le droit interne de l’intégration européenne peut se définir comme l’ensemble des transformations du fonctionnement du système juridique interne provenant de la participation d’un État à l’Union européenne. Ces transformations s’effectuent sur des plans à la fois organiques et normatifs qui sont les composantes de tout système juridique. Le droit national de l’intégration 25. M. POIARES MADURO, “Contrapunctual Law : European Pluralism in Action”, in N. WALKER (ed.), Sovereignity in Transition, Oxford, Hart Publisher, 2003, p. 501. 26. Cons. const., pol., 11 mai 2005, Traité d’adhésion, K 18/04, point 12. La Cour poursuit « une autonomie relative des deux ordres juridiques (national et communautaire) ne signifie pas qu’ils n’ont pas d’influence réciproque. Elle n’exclut pas non plus la possibilité d’un conflit entre le droit communautaire et la Constitution ».

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européenne est le produit de l’organisation progressive de la relation spécifique des organes internes (Partie I) et des normes internes (Partie II) avec le système juridique de l’Union européenne. Toutefois, les évolutions du droit interne ne s’opèrent pas exactement dans le même sens selon qu’elles concernent la relation organique ou la relation normative. Tandis que l’intégration organique reflète la spécificité du système institutionnel et procédural interne, l’intégration normative réalise l’unité du système normatif européen.

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Partie I LE SYSTÈME D’INTÉGRATION ORGANIQUE L’intégration européenne revêt une dimension organique pour l’Union, mais aussi pour les États. Le droit interne de l’intégration repose en effet sur un système d’organes qui entretient une relation particulière avec l’Union. La participation des organes de l’État dans les processus complexes d’élaboration et d’exécution du droit européen est inhérente à la « gouvernance multiniveaux », elle-même caractérisée par l’intrication des organes étatiques et européens et par l’imbrication des décisions nationales et européennes. Véritables instruments d’intégration, les organes de l’État sont aussi des organes pour l’Union. Telle est l’une des tensions constitutives de la qualité d’État intégré. Il n’empêche, la différenciation juridique continue de prévaloir : même lorsqu’ils ont pour objet ou fondement une fonction ou une obligation européenne, les actes des organes de l’État intégré sont imputables au seul État, non à l’Union1. En conséquence, les dommages causés par les organes étatiques dans

1. CE, 2 octobre 1981, GIE Vipal, Rec., p. 347 : « (...) les autorités chargées par le Gouvernement français de participer à l’exécution des engagements internationaux de la France, notamment en s’acquittant sur le territoire national des missions confiées aux États membres par le traité CEE ou par les règlements émanant des organes de cette Communauté, agissent en qualité d’autorités nationales et relèvent de la juridiction des tribunaux français ». Selon la Cour de justice, même si un organe est institué sur le fondement du droit de l’Union, il n’est pas pour autant rattaché à l’Union, dès lors que le recours direct contre ses décisions est à effectuer devant le juge national ; CJUE, 17 septembre 2014, Liivimaa Lihaveiaff, aff. C-562/12, point 47 : « Un comité de suivi institué dans le cadre d’un programme opérationnel destiné à promouvoir la coopération territoriale européenne ne constitue pas l’une de ces institutions ni l’un de ces organes ou organismes de l’Union ».

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l’exercice de leur fonction d’intégration engagent la responsabilité du seul État, non celle de l’Union2. L’identification organique de l’État n’en présente que plus d’intérêt. Construite autour de la notion d’autorité publique, la conception européenne de l’État recouvre un large éventail d’organes centraux ou fédéraux3 (exécutifs, mais aussi parlementaires4 et juridictionnels)5, d’organes infra-étatiques6 (fédérés ou locaux), voire d’« émanations de l’État » tels que les établissements publics7 ou les autorités administratives « indépendantes »8. Toutefois, la Cour de justice inclut également dans la catégorie des autorités publiques des entités se situant à la marge de la sphère publique, distinctes des organes étatiques proprement dits. Sa jurisprudence fait prévaloir l’appréciation fonctionnelle des entités concernées sur leur structure juridique. Ainsi, en matière de recours en manquement, l’acte incriminé est imputable à l’État, lorsque la violation du droit de l’Union est le fait d’organismes publics ou privés placés sous le contrôle de celui-ci et dotés de prérogatives de puissance publique9. Le manquement de l’État peut être constitué par une personne physique ou morale dépourvue de tout lien organique ou matériel avec la puissance publique10. Pour autant, les notions d’« autorité publique » et d’« organe de l’État » se croisent sans forcément se recouper11. Mieux, derrière cette « nébuleuse organique » qui caractérise la conception européenne de l’État, 2. CJCE, 5 mai 1970, Commission c/ Belgique, aff. 77/69 ; CJCE, 13 février 1979, Granaria, aff. 101/78 ; CJCE, 7 février 1979, Pays-Bas c/ Commission, aff. 11/76 ; CJCE, 12 juin 1990, Allemagne c/ Commission, aff. C-8/88 ; CJCE, ord., 1er octobre 1997, Regione Toscana. 3. CJCE, 14 juillet 1976, Kramer, aff. 6/76 ; CJCE, 5 mai 1970, Commission c/ Belgique, aff. 8/70. 4. CJCE, 14 décembre 1982, Watterkeyn, aff. jtes 314 à 316/81 et 83/82, point 14. 5. CJCE, 5 mai 1970, Commission c/ Belgique, aff. 77/69 ; CJCE, 18 novembre 1970, Commission c/ Italie, aff. 8/70 ; CJCE, 10 avril 1984, Von Colson, aff. 14/83. 6. Dans la mesure où les États fédérés, les régions, et les collectivités locales en général, risquaient de constituer autant de porte-à-faux entre les États et la Communauté, la Cour a exclu de prendre en compte les formes des États membres. La Cour a donc intégré l’ensemble des entités infra-étatiques dans la notion d’État. Voir par exemple, CJCE, 18 juin 1985, Steinhauser c/ Ville de Biarritz, aff. 197/84. Ceci étant dit, il ressort clairement de l’économie générale des traités que « la notion d’État membre, au sens des dispositions institutionnelles et, en particulier, de celles portant sur les recours juridictionnels, ne vise que les seules autorités gouvernementales des États membres des Communautés européennes et ne saurait être étendue aux gouvernements de régions ou de communautés autonomes, quelle que soit l’étendue des compétences qui leur sont reconnues », CJCE, ord., 1er octobre 1997, Regione Toscana c/ Commission, aff. C-180/97. 7. CJCE, 26 février 1986, Marshall c/ Southampton and South-West Hampshire Area Health Authority, aff. 152/84. 8. CJUE, 9 mars 2010, Commission c/ Allemagne, aff. C-517/08. La Commission avait introduit un recours en manquement contre l’Allemagne, en faisant valoir que, puisque ces autorités de protection des données faisaient partie de l’administration régionale et étaient soumises au contrôle de l’État, elles n’agissaient pas en pleine indépendance. 9. CJCE, 24 novembre 1982, Commission c/ Irlande, aff. 249/81, points 29 et 30. 10. Voir par exemple CJCE, 9 décembre 1997, Commission c/ France, aff. C-265/95. 11. Sur le cas des ordres professionnels, CJCE, 22 octobre 1983, Auer c/ Ministère public, aff. 271/82 ; CJCE, 15 décembre 1983, Rienks, aff. 5/83.

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Le système d’intégration organique

la participation à la Communauté puis à l’Union s’est longtemps réduite à une hypertrophie des organes centraux en général et des organes de l’exécutif en particulier. La volonté de renforcer la légitimité démocratique de l’intégration européenne a contribué à renforcer l’implication des organes parlementaires, mais aussi des organes locaux. Ce système d’organes d’intégration s’est plié à un impératif d’adaptation, selon des voies propres à chaque État membre, conformément à un principe d’autonomie procédurale et institutionnelle, à la fois consacré12 et limité13 par le droit de l’Union. Cette adaptation n’est pas synonyme de « révolution » organisationnelle ou institutionnelle. L’intégration européenne préserve l’« identité nationale » au sens de l’article 4 § 2 TUE : l’organisation verticale et horizontale du pouvoir sous la Ve République n’est pas remise en cause par la participation à l’Union. Les organes de l’exécutif continuent d’assumer l’essentiel des droits et obligations afférents au statut d’État intégré. Cette situation juridique est à l’origine d’une double dissymétrie dans l’élaboration et l’exécution du droit/des politiques de l’Union : entre l’exécutif et les autres organes nationaux, d’une part ; entre les organes nationaux et les organes locaux, d’autre part. Sans bouleverser l’ordre institutionnel de l’État, cette adaptation résultant de l’appartenance à l’Union et parfois traduite ou exprimée par l’idée ambiguë d’« européanisation » (des institutions nationales et/ou locales) concerne néanmoins l’ensemble du système d’organes de l’État. Leur intégration commande une spécialisation structurelle (Chapitre 1) et fonctionnelle (Chapitre 2).

12. CJCE, 15 décembre 1971, International Fruit Company et autres, aff. jtes 51 à 54/71, point 4 ; CJCE, 28 février 1991, Commission c/ RFA, aff. C-131/88, point 71. 13. Limites exprimées par la jurisprudence de la Cour de justice en vertu des principes de coopération loyale des États, d’équivalence et d’effectivité du droit de l’Union.

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Chapitre 1 La spécialisation structurelle des organes internes L’organisation structurelle de l’État intégré est constitutive de son identité nationale : elle relève de sa liberté souveraine et de son autonomie constitutionnelle. Telle est la signification de l’article 4, § 2, du traité UE, qui consacre une conception étatique et institutionnelle de l’identité nationale. Ainsi, selon l’article 4, § 2, du traité UE, l’identité nationale est « inhérente à leurs structures fondamentales politiques et constitutionnelles, y compris en ce qui concerne l’autonomie locale et régionale ». La liberté d’auto-organisation verticale et horizontale de l’État de l’Union est consacrée. Pour autant, celleci n’est pas absolue1, elle ne consiste pas non plus en un « droit à l’indifférence » aux adaptations rendues nécessaires par l’intégration européenne. C’est progressivement que la France s’est ainsi organisée à travers la création de structures spécialisées dans les « affaires européennes ». Bien qu’il se vérifie à l’échelon national et local, ce mouvement général de spécialisation structurel ne connaît pas la même intensité et revêt même un caractère asymétrique. On assiste ainsi à une indiscutable – quoiqu’imparfaite – spécialisation structurelle des organes nationaux (I) et locaux (II).

I.

La spécialisation structurelle des organes nationaux

Le phénomène de spécialisation structurelle se vérifie au sein du Gouvernement (A), du Parlement (B), des juridictions supérieures (C) et des organes indépendants (D).

1. L’identité nationale ne saurait remettre en cause l’impossibilité pour un État membre d’exciper de sa structure constitutionnelle pour ne pas appliquer le droit de l’Union ; voir CJCE, 4 mars 2004, RFA c/ Commission, aff. C-344/01 ; CJCE, 1er avril 2008, Gouvernement de la Communauté française, Gouvernement wallon c/ Gouvernement flamand, aff. C-12/06.

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A. Des structures gouvernementales spécifiques Au sein de l’exécutif, il convient de distinguer les structures politiques (1), des structures administratives interministérielles (2) et des structures administratives centralisées (3) spécialisées.

1. La création de structures politiques spécialisées Au sein même de la sphère gouvernementale, ont été institués un ministre délégué ou secrétaire d’État aux Affaires européennes et un Comité interministériel sur l’Europe.

• Le ministre délégué ou secrétaire d’État aux Affaires européennes Après une brève expérience sous la IVe République, l’idée d’instituer un poste ministériel chargé spécifiquement du suivi des affaires européennes s’est progressivement imposée sous la Ve République2. La création d’un organe ministériel spécialisé, placé au rang de ministre délégué ou de secrétaire d’État au gré des alternances et des remaniements ministériels, traduit l’ambivalence de l’appareil d’État dans sa conception de l’intégration européenne : si celle-ci n’est plus assimilable aux affaires étrangères, son autonomie n’est pas pleinement admise. Le ministère des Affaires étrangères n’a jamais accepté l’idée de se voir amputer des Affaires européennes et soutient le maintien du cordon ombilical politicoinstitutionnel qui les relie. De manière significative, la direction des affaires juridiques du ministère des Affaires étrangères continue d’assurer la représentation de la France dans le contentieux devant la Cour de justice. L’ambivalence de la spécialisation structurelle au sein du Gouvernement est révélée par le décret de nomination du ministre aux Affaires européennes, qui précise à la fois son rattachement au ministère des Affaires étrangères (ministère de tutelle auquel il est donc soumis hiérarchiquement) et son champ de compétence : il traite, par délégation du ministre des Affaires étrangères, l’ensemble des questions relatives à la construction européenne. Cette situation révèle également le refus d’admettre la dimension transversale des affaires européennes, lesquelles supposent un rattachement au Premier ministre ou au chef de l’État, compte tenu de l’équilibre institutionnel de la Ve République et de la primauté présidentielle en matière européenne. Du reste, la nature et la place ambiguës du ministre des Affaires européennes nourrissent des déficiences politiques et administratives qui pèsent sur sa capacité à mener une action autonome et efficace. Malgré son ancrage dans l’organigramme gouvernemental, il 2. À partir de 1978 – et hormis le premier « Gouvernement Chirac » (avril-août 1986) de la première cohabitation –, un poste ministériel dédié aux affaires européennes a été pourvu sans discontinuer.

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La spécialisation structurelle des organes internes

ne dispose ni d’une administration ou services propres3, ni de crédits propres4. La tutelle du ministre des Affaires étrangères et le primat présidentiel dans les affaires européennes sapent son autorité et sa capacité d’influence tant dans ses rapports avec les autres membres du Gouvernement que dans ceux qu’il entretient avec les acteurs politicoinstitutionnels de l’Union et des autres États membres. Signe de cette dévalorisation, lors de la formation (ou du remaniement) du Gouvernement, le ministre délégué ou secrétaire d’État aux Affaires européennes apparaît essentiellement comme une simple variable d’ajustement permettant au président de la République et au Premier ministre de satisfaire des exigences d’équilibre politique interne (au sein de la majorité présidentielle ou du parti majoritaire). Ce phénomène favorise l’instabilité ministérielle qui frappe cet organe gouvernemental. Ainsi, la nomination de Harlem Désir le 9 avril 20145 est en douze ans la douzième au poste de ministre délégué ou secrétaire d’État français aux Affaires européennes. Depuis Pierre Moscovici, qui fut ministre chargé des Affaires européennes pendant cinq ans dans le Gouvernement Jospin de 1997 à 2002, le portefeuille n’est jamais resté plus de deux ans aux mains du même titulaire. L’incapacité de cet organe ministériel à améliorer l’intégration des affaires européennes dans les « affaires gouvernementales » a contribué à l’institutionnalisation d’un Comité interministériel sur l’Europe.

• Le Comité interministériel sur l’Europe Au lendemain du rejet – par la voie du référendum du 29 mai 2005 – du projet de loi de ratification du traité établissant une Constitution pour l’Europe, le Premier ministre a tenté de réagir en exprimant sa volonté de donner aux questions européennes une place centrale dans le débat politique français. La décision6 de créer un « Comité interministériel sur l’Europe »7 (CIE) procède de ce volontarisme politique. 3. Outre son propre cabinet, le ministre ou secrétaire d’État peut simplement s’appuyer sur les fonctionnaires de la direction de l’Union européenne du ministère des Affaires étrangères et du SGAE. 4. Les crédits d’intervention et de communication mis à sa disposition sont inscrits dans la mission « Action extérieure de l’État » du ministère de tutelle, le Quai d’Orsay, plus particulièrement dans le programme « Action de la France en Europe et dans le monde ». 5. Décret du 9 avril 2014 relatif à la composition du Gouvernement, JORF nº 0085 du 10 avril 2014, p. 6560. 6. Signe de la solennité accordée à cette décision, son annonce publique est intervenue le 30 juin 2005 à l’Hôtel Matignon, à l’occasion de la première conférence de presse du nouveau Premier ministre Dominique de Villepin. 7. Décret nº 2005-1283 du 17 octobre 2005, JORF du 18 octobre 2005, p. 16488. Le Comité interministériel sur l’Europe succède au « Comité interministériel pour les questions de coopération économique européenne ». Créé en 1948, à la faveur du plan Marshall et de la création de l’OECE qui avait pour mission la mise en œuvre du plan de redressement (financier) européen, dit « plan Marshall ».

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Présidé par le Premier ministre, le CIE réunit les membres du Gouvernement (ministres ou même secrétaires d’État) concernés par l’ordre du jour qu’il a lui-même arrêté. Le CIE comprend néanmoins des « membres permanents » qui siègent auprès du Premier ministre, quel que soit l’ordre du jour. Il s’agit, selon l’article 1er du décret du ministre des Affaires étrangères, du ministre chargé de l’Économie et des Finances et du ministre chargé des Affaires européennes, soit des ministres ayant un champ d’action interministérielle. Si cette composition somme toute logique est calquée sur celle du Comité interministériel pour les questions de coopération économique européenne créé en 1948, l’évolution des compétences de l’Union serait de nature à justifier la présence du ministre de l’Intérieur parmi les « membres permanents ». Derrière la question de la composition du CIE, c’est son adéquation avec la réalité politico-institutionnelle de la Ve République qui se pose. Le CIE estil l’organe de direction idoine, étant donné l’absence du président de la République, organe étatique principalement en charge de la définition de la politique européenne (sur le fondement des articles 5 et 52 de la Constitution) de la France et habilité à l’incarner au sein du Conseil européen ? L’incidence de l’intégration européenne sur l’ensemble des politiques publiques ne devrait-elle pas conduire à imposer l’examen systématique des questions européennes à l’ordre du jour du Conseil des ministres présidé par le chef de l’État ?8 Le Conseil des ministres symbolise le lieu où s’exerce le pouvoir d’État, le cadre de prise de décision qui permet au président de la République de mettre en œuvre un pouvoir d’action et/ou une certaine faculté d’empêcher. Dépourvu de pouvoir décisionnel, le CIE relève finalement davantage de l’instrument de communication politique que de l’outil d’intégration européenne. Une fois passé l’effet d’annonce – de la création du Comité –, le recours à cet organe interministériel s’est fait de plus en plus irrégulier. Le Comité, dont le secrétariat général est assuré par le secrétariat général des affaires européennes, est tombé dans une forme de désuétude9 après le Gouvernement de Dominique de Villepin (mai 2005-mai 2007). En témoignent les rares réunions organisées à Matignon, par son successeur François Fillon (mai 2007-mai 2012). En dépit du volontarisme politique exprimé à sa création, le CIE n’a pas réussi à s’imposer ni dans l’ordre institutionnel ni dans le travail gouvernemental. Les interrogations sur sa pérennité contrastent avec l’ancrage dans l’appareil d’État des structures administratives interministérielles spécialisées dans les relations avec l’Union. 8. En ce sens, J.-L. SAURON, « L’adaptation de l’administration d’État à la mise en œuvre du droit de l’Union européenne », in J. DUTHEIL DE LA ROCHERE et J.-B. AUBY (dir.), Traité de droit administratif européen, Bruxelles, Buylant, 2014, p. 953. 9. En octobre 2014, la dernière réunion du CIE datait du 15 juin 2011.

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2. La création de structures administratives interministérielles spécialisées Des structures administratives ont été spécialement instituées pour assurer la coordination interministérielle au sein de l’État et l’interface entre l’Union et l’État : le Secrétariat général des affaires européennes, la Représentation permanente de la France à Bruxelles et la structure ad hoc que représente le Secrétariat général de la présidence française du Conseil de l’Union européenne.

• Une structure basée à Paris : le SGAE La spécialisation structurelle de l’appareil d’État a longtemps été symbolisée par un sigle : le « SGCI »10. Initialement chargé de la coordination interministérielle en vue de préparer les décisions du Gouvernement concernant la répartition de l’aide financière issue du « plan Marshall » et gérée par l’OECE11 (devenue OCDE), le SGCI a vu sa fonction étendue aux relations avec la Communauté européenne du charbon et de l’acier12, la Communauté économique européenne, la Communauté européenne de l’énergie atomique13 et l’Union européenne14. Pareille extension de son champ de compétences au-delà des seules questions économiques a rendu nécessaire de modifier une dénomination devenue incohérente et inadaptée. Un décret du Premier ministre du 17 octobre 2005 a donc institué le Secrétariat général des affaires européennes15 (SGAE) en lieu et place du SGCI. Le SGAE relève des services du Premier ministre. Un rattachement et une tutelle qui s’expliquent par sa vocation interministérielle, mais qui font encore l’objet de discussions. Dès sa naissance, deux ministères revendiquent leur légitime autorité sur le SGCI : le ministère des Affaires étrangères et le ministère de l’Économie et des Finances. Après une très brève période où le SGCI a été placé sous la tutelle du ministère des Affaires étrangères, le rattachement au Premier ministre s’est imposé au regard de la centralité de Matignon dans le travail gouvernemental et du pouvoir hiérarchique du Premier ministre sur l’administration d’État. C’est aussi pourquoi les diverses expériences ont échoué, qui plaçaient le SGCI sous l’autorité du ministre délégué aux Affaires européennes16. Le 10. Secrétariat général du Comité interministériel pour les questions de coopération économique européenne. 11. Décret nº 48-1029 du 25 juin 1948, JORF du 27 juin 1948, p. 6194. 12. Décret nº 52-1016 du 3 septembre 1952, JORF du 4 septembre 1952, p. 8746. 13. Décret nº 58-344 du 3 avril 1958, JORF du 4 avril 1958, p. 3257. 14. Extension aux activités du pilier « Justice-Affaires intérieures », par le décret du 21 mars 1994, JORF du 31 mars 1994, p. 4783. 15. Décret nº 2005-1283 du 17 octobre 2005, JORF du 18 octobre 2005, p. 16488. 16. Décret nº 81-689 du 3 juillet 1981, JORF du 4 juillet 1981, p. 1874 ; décret nº 83-314 du 19 avril 1983, JORF Lois et décrets du 20 avril 1983, p. 1229 ; décret nº 84-752 du 2 août 1984, JORF du 3 août 1983, p. 2568. Le SGAE est alors mis à la disposition du ministre délégué aux Affaires européennes. Décret nº 90-980 du 31 octobre 1990 relatif aux

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développement continu des compétences des Communautés, puis de l’Union, a conforté le choix de la tutelle du Premier ministre. Cette situation se traduit traditionnellement par le cumul des fonctions de secrétaire général du SGAE et de conseiller aux affaires européennes auprès du Premier ministre par une seule et même personne. Toutefois, il arrive que le secrétaire général soit directement rattaché à la présidence de la République. Après quelques précédents17, le Journal officiel du 11 avril 2014 annonçait la nomination de Philippe Léglise-Costa, conseiller pour les affaires européennes au sein du cabinet du président de la République, à la tête du SGAE18. Même si l’organe interministériel demeure administrativement rattaché aux services du Premier ministre, le symbole est fort et revêt une double signification : une reprise en main politique des dossiers européens par le chef de l’État et l’implication accrue du SGAE dans la préparation des conclusions du Conseil européen, véritable clef de voûte politique des institutions de l’Union au sein de laquelle le seul président de la République représente l’État. Cette évolution souligne une double adaptation à la réalité institutionnelle et politique de la Ve République et de l’Union européenne. Elle n’en soulève pas moins des interrogations en termes de fonctionnement démocratique, car, contrairement au président de la République, le Premier ministre est politiquement responsable de l’action européenne de l’exécutif devant le Parlement. Le discours portant sur le déficit démocratique (interne) de la participation française à l’Union risque de se renforcer. Si rien n’indique que cette pratique s’institutionnalisera, elle correspond en réalité à l’esprit et à l’équilibre présidentialistes du régime. Quoi qu’il en soit, l’autorité du SGAE sur les ministres/ministères s’appuie sur cette proximité avec le sommet de l’exécutif. Un tel lien entre le SGAE et Matignon ou l’Élysée souligne aussi l’importance croissante que prennent les affaires européennes dans les affaires de l’État. Administration de mission par excellence, la nature du SGAE se situe à la charnière de l’administratif et du politique. Cette position de pivot et d’interface conduit à le qualifier d’« administration d’état-major »19. L’organisation interne du SGAE repose sur des secteurs20 dont l’évolution correspond à l’architecture des compétences de l’Union, mais sans s’aligner sur les différentes directions

17.

18. 19. 20.

attributions du ministre délégué aux Affaires européennes, JORF du 4 novembre 1990, p. 13461. Jean-Réné Bernard a pris la tête du SGAE en 1967 et a conservé cette fonction en suivant George Pompidou de Matignon à l’Élysée en 1969. Ensuite, entre 1985 et 1990, Élisabeth Guigou a dirigé le SGAE tout en étant la conseillère chargée des affaires européennes au sein du cabinet du président François Mitterrand. Décret du 9 avril 2014 portant nomination du secrétaire général des Affaires européennes, JORF nº 0086 du 11 avril 2014. J.-L. QUERMONNE, L’appareil administratif de l’État, Paris, Seuil, 1991, pp. 29 et s. Il existe au sein du SGAE 19 secteurs opérationnels couvrant l’ensemble des domaines d’activité de l’Union européenne ; on peut les diviser en deux catégories : les secteurs thématiques (prioritairement chargés de la coordination interministérielle ainsi que de la transmission d’instructions à la Représentation permanente à Bruxelles) et les secteurs transversaux (chargés de coordonner les aspects logistiques).

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générales de la Commission européenne, ni sur celle du Gouvernement. Sa vocation interministérielle a naturellement conduit à regrouper en son sein un personnel pluridisciplinaire réunissant des agents aux compétences transversales, issus des différents corps et ministères21, ce qui lui assure une capacité d’expertise dans des domaines très variés. Symbole de la spécialisation structurelle de l’exécutif en matière européenne, le SGAE collabore étroitement avec une structure interministérielle basée à Bruxelles.

• Une structure basée à Bruxelles : la RP La Représentation officielle de l’État membre auprès de l’Union européenne, à Bruxelles, est assurée par une mission diplomatique spécifique : la Représentation permanente (RP). La RP participe au fonctionnement de l’Union et à ses processus de décision, elle se situe à l’interface de l’Union et de l’État. Elle n’en demeure pas moins soumise à l’autorité hiérarchique du Premier ministre et du président de la République. Les instructions nationales adressées via le SGAE s’imposent à elle. Le représentant permanent et le représentant permanent adjoint jouissent respectivement du rang d’ambassadeur et de ministre plénipotentiaire22. Sur le fondement de l’article 13 de la Constitution, les postes d’ambassadeurs, et donc de représentants permanents de la France à Bruxelles, sont laissés à la discrétion du seul président de la République. Mais une fois nommés, ces membres de l’administration centrale obéissent à l’autorité hiérarchique du Premier ministre et aux instructions nationales définies par le Gouvernement via le SGAE. Structure interministérielle, la RP constitue une sorte de « creuset administratif »23 où se côtoient diplomates et fonctionnaires issus de différents ministères mobilisés par la participation à l’Union. Son caractère permanent la distingue de certaines structures administratives interministérielles ad hoc.

• Des structures interministérielles ad hoc : le SGPFUE et la CCIC La capacité d’organisation et d’adaptation des structures de l’appareil d’État est mise à l’épreuve par l’exercice de la présidence (semestrielle) du 21. Le SGAE comprend près de 200 agents. Une grande majorité d’entre eux bénéficient d’une mise à disposition. Quant au secrétaire général du SGAE, le décret du 25 juin 1948 avait prévu que ce poste serait réservé à un fonctionnaire du ministère des Finances ; cette règle a été abrogée par le décret nº 77-1057 du 20 septembre 1977, JORF du 22 septembre 1977, p. 4666. 22. En France, les postes de représentant permanent et de représentant permanent adjoint sont traditionnellement confiés à des diplomates de carrière issus du ministère des Affaires étrangères. 23. Les fonctionnaires qui composent la Représentation permanente sont issus d’un large panel de ministères d’origine. Les services de la Représentation permanente comprennent des fonctionnaires des ministères techniques, pour la plupart en détachement. Néanmoins, pour la Représentation permanente de la France à Bruxelles, près de 40 % du personnel de catégorie A est issu du ministère des Affaires étrangères.

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Conseil de l’Union européenne. C’est là un moment aussi exceptionnel24 que sensible pour tout État membre. En France, cette fonction européenne est assurée par l’exécutif et donne lieu en pratique à la création d’un organe interministériel ad hoc : le Secrétariat général de la présidence française du Conseil de l’Union européenne (SGPFUE). Rattaché au ministère des Affaires étrangères (pour la présidence exercée en 2000), puis au Premier ministre25 (pour le dernier exercice datant du second semestre 2008), le SGPFUE est une structure légère26 et temporaire : le terme de la présidence française marque la fin de la mission du SGPFUE. Dans un registre plus technique, la Commission interministérielle de coordination des contrôles (CCIC) est une autorité d’audit créée27 pour répondre aux obligations européennes en matière de système de gestion et de contrôle des différents types de fonds structurels. Rattachée au Premier ministre, la CCIC n’en est pas moins un organe administratif indépendant des administrations concernées par son activité. Alors que les directeurs de ministère étaient majoritaires dans cette instance, son collège se compose désormais essentiellement d’inspecteurs généraux (finances, administration, affaires sociales, agriculture) nommés par le Premier ministre qui désigne le président. Cet organe collégial s’appuie sur une équipe administrative légère, à l’image des structures spécialisées créées au sein même des ministères.

3. La création de structures administratives ministérielles spécialisées Les ministères se sont progressivement, mais inégalement, pliés à l’impératif de spécialisation structurelle. La participation à l’intégration européenne a nécessité la création de structures administratives spécialisées et d’organismes publics techniques particuliers.

• Des cellules administratives spécialisées Les départements ministériels ont été contraints d’adapter progressivement leur organisation interne en créant des structures spécialisées – aux dénominations diverses : bureaux ou simples missions – 24. L’événement est d’autant plus exceptionnel que l’exercice se raréfie sous l’effet de l’élargissement. De 1995 à 2020, la France n’aura présidé le Conseil de l’Union européenne qu’à trois reprises : 1995, 2000, 2008. Dans une Union à 28, une « présidence française de l’Union européenne » ne survient que tous les quatorze ans. 25. Décret nº 2007-1028 du 15 juin 2007, JORF du 19 juin 2007, p. 10506. 26. Le SGPFUE a réuni et mobilisé une vingtaine de fonctionnaires mis à disposition par les ministères concernés et dirigés par un secrétaire général nommé en Conseil des ministres. 27. Décret nº 93-985 du 6 septembre 1993 instituant une Commission interministérielle de coordination des contrôles portant sur les actions financées par les fonds structurels, JORF du 8 septembre 1993, p. 11215 ; modifié par le décret nº 2002-633 du 26 avril 2002, JORF du 30 avril 2002, p. 7785. Abrogé par le décret nº 2008-548 du 11 juin 2008 ; décret nº 2011-2110 du 30 décembre 2011 modifiant le décret nº 2008-548 du 11 juin 2008, JORF du 1er janvier 2012.

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dans le traitement des questions afférentes aux relations avec l’Union. Si elles sont le plus souvent rattachées aux directions juridiques ou aux services chargés des affaires internationales, de rares ministères ont créé des sous-directions spécialement dédiées aux affaires européennes28. Pourtant, dans son rapport annuel 2007, le Conseil d’État considérait que, dans la majorité des cas, un service des affaires européennes au sein de chaque ministère n’était plus aussi indispensable qu’au début des années 1990, époque où se négociaient près de 300 directives nécessaires à la réalisation du marché intérieur29. Il est vrai que les affaires européennes sont désormais traitées par les directions et les bureaux compétents ou « de droit commun », qui les gèrent comme des « affaires intérieures ». Dans la logique intégrative, une telle internisation accuse un degré plus poussé encore que la spécialisation structurelle : non contentes de se différencier des affaires internationales, les affaires européennes se trouvent incluses dans la gestion des politiques publiques nationales. Toutefois, la création de services européens ne s’est pas forcément accompagnée d’une diffusion de la culture européenne dans les administrations centrales. Elle a parfois renforcé l’autonomisation des intérêts sectoriels et l’affirmation des intérêts ou logiques ministériels particuliers. Plus largement, les carences des ministères persistent et trahissent une perception insuffisante de la dimension européenne de leur champ d’action. Un besoin d’« acculturation » et d’inculturation qui se fait encore cruellement sentir.

• Des organismes publics techniques spécialisés Le respect du droit de l’Union est à l’origine de la création d’organismes publics placés sous l’autorité des ministres compétents, mais leur nature juridique échappe parfois aux catégories classiques du droit administratif français. Il existe au sein de l’exécutif des institutions autonomes soumises au principe de spécialité, au premier rang desquelles se trouvent les établissements publics et des structures assimilées constituant des unités de gestion et de décision. La création de tels organismes peut correspondre à une adaptation structurelle à une exigence d’origine européenne. Ainsi, l’administration indirecte de la Politique agricole commune (PAC) est à l’origine de la création d’offices agricoles remplissant le rôle d’organismes d’intervention dans l’organisation et la régulation des marchés. La réforme des offices agricoles en 2006 a permis de rationaliser l’organisation française en matière d’organismes d’intervention et d’organismes payeurs agricoles. Il ne subsiste que quatre organismes30 de la douzaine existant au 28. Une sous-direction propre aux « affaires européennes » a en effet été instituée au ministère de l’Agriculture, puis au ministère de l’Économie. 29. Rapport public du Conseil d’État, 2007, L’administration française et l’Union européenne : quelles influences ? Quelles stratégies ?, Paris, La Documentation française, 2007, pp. 299-300. 30. Deux à compétence nationale : l’Agence de services et de paiement (ASP) et FranceAgriMer (FAM), et deux avec une compétence géographique limitée : la Corse

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début des années 2000. Après cette première phase de fusion des offices, une nouvelle phase a eu lieu dans le cadre de la révision générale des politiques publiques31. Ces organismes jouissent en principe d’un statut de droit public ou semi-public. Il s’agit en règle générale d’établissements publics industriels et commerciaux, ce qui n’exclut pas la possibilité pour eux d’exercer des missions à caractère administratif et inversement. Ils continuent surtout de dépendre de l’administration nationale et des règles du droit administratif français, malgré le contrôle exercé par la Commission et la Cour des comptes européenne. Le juge administratif a déjà eu l’occasion de le souligner : c’est « en tant qu’autorité nationale » que l’Office national interprofessionnel des céréales (ONIC) est chargé de la mise en œuvre des règlements européens32. La Cour de cassation elle-même admet que ces organismes remplissent alors une mission de service public administratif pour en déduire la compétence du juge administratif33. Le Tribunal des conflits rappelle néanmoins que cette compétence juridictionnelle ne s’étend pas « aux personnes de droit privé qui appliquent un dispositif d’encadrement administratif d’origine communautaire (...) dans le cadre des rapports contractuels classiques »34. La prise de conscience politique de la logique intégrative de la Communauté, puis de l’Union, a été plus tardive encore au Parlement. Elle a toutefois permis la création d’organes parlementaires spécialisés.

B. Des structures parlementaires spécifiques La spécialisation structurelle du Parlement dans les affaires européennes s’est traduite par la création de structures politiques (1) et de structures administratives (2).

1. La création de structures politiques spécialisées Les assemblées parlementaires françaises disposent chacune d’une commission aux affaires européennes et contribuent à l’institutionnalisation de la coopération interparlementaire européenne.

• Des organes parlementaires spécialisés Jusqu’en 1979, aucun organe interne à l’Assemblée nationale ni au Sénat n’était spécifiquement chargé du suivi des questions européennes. Des réticences d’origine politique (exprimées par le Gouvernement ou par des parlementaires) et constitutionnelle (la limitation du nombre des

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pour l’Office du développement agricole et rural de la Corse (ODARC) et l’outre-mer pour l’Office de développement de l’économie agricole de l’outre-mer (ODEADOM). Cela a donné lieu à la fusion, d’une part, de l’AUP et du CNASEA pour former l’ASP et, d’autre part, de cinq des six offices agricoles actuels pour former le FAM. CE, 26 juillet 1985, ONIC, Rec., p. 233. Cass. civ. 1re, 13 avril 1999, OFIVAL, Bull. 1, nº 138, p. 90. A. RACLET, Droit communautaire des affaires et prérogatives de puissance publique nationales, Paris, Dalloz, 2012, p. 34.

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commissions permanentes par l’article 43 de la Constitution de 1958) ont fait obstacle à une telle spécialisation structurelle. Il est vrai que le Parlement français était réputé associé à la construction européenne via la délégation nationale – dont les membres étaient issus de la Commission des affaires étrangères de chacune des chambres et qui était désignée pour siéger à l’« Assemblée des Communautés européennes », futur Parlement européen. Le 10 juin 1979 signe la fin de ce lien organique avec l’élection au suffrage universel direct des députés du Parlement européen et marque un tournant. La volonté d’adaptation structurelle s’est alors fait jour de mieux impliquer le Parlement dans l’intégration. Faute de pouvoir instituer de nouvelles commissions permanentes, la formule de la « délégation parlementaire » a permis de contourner l’interdit constitutionnel. La loi du 6 juillet 197935 a institué ainsi des structures sui generis du droit parlementaire36, des organes spécialisés dans les affaires européennes au sein de chacune des assemblées parlementaires, quand on aurait pu imaginer un organe commun aux deux chambres. La création des « délégations parlementaires pour les Communautés européennes », devenues en 1994 « délégations pour l’Union européenne », a ouvert la voie à l’institutionnalisation des affaires européennes au Parlement. L’intensification de l’activité normative de l’Union et de l’action européenne du Gouvernement a souligné les limites d’une structure spécialisée fondée sur le modèle de la simple « délégation parlementaire ». En 2007, le rapport public du Conseil d’État et celui du Comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions de la Ve République proposaient respectivement la création d’une « Commission parlementaire pour les affaires européennes »37 et d’un « Comité des affaires européennes »38. Le renforcement statutaire des organes parlementaires spécialisés dans les affaires européennes a été consacré par la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 : l’article 88-4 de la Constitution a été complété en vue de permettre l’institution d’une commission chargée de suivre les affaires de l’Union européenne au sein de chacune des deux assemblées parlementaires39. La nouvelle dénomination et le passage de la « délégation » à la « commission » – même non permanente – marquent la volonté du constituant français de valoriser la spécialisation structurelle du Parlement dans les affaires européennes, élément constitutif de la revalorisation de l’institution parlementaire dans son ensemble. Ce volontarisme n’est pas allé jusqu’à inscrire la nouvelle commission dans la catégorie classique des 35. Loi nº 79-654 du 6 juillet 1979 modifiant l’ordonnance nº 58-1000 du 17 novembre 1958, JORF du 7 juillet 1979, p. 1643. 36. P. AVRIL, J. GICQUEL, J.-É. GICQUEL, Droit parlementaire, Paris, LGDJ, coll. « Domat Droit public », 5e éd., 2014, nº 103 et s. et nº 327 et s. 37. Conseil d’État, Rapport public 2007, op. cit., p 363. 38. Proposition nº 49 in Une Ve République plus démocratique, Paris, La Documentation française/Fayard, 2007, p. 59. 39. Article 88-4, alinéa 3 de la Constitution.

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« commissions permanentes », pourtant centrale dans la vie parlementaire, et ce alors que la même révision constitutionnelle a porté le nombre des commissions permanentes de six à huit. De plus, les règlements des deux assemblées n’ont pas repris l’idée du « comité Balladur » qui préconisait la mise en place, au sein de chaque commission permanente, de groupes de suivi des questions européennes composés de parlementaires également membres de l’organe parlementaire spécialisé. Régi par les règlements respectifs des deux assemblées, le fonctionnement de ces commissions parlementaires ad hoc se rapproche des règles touchant aux commissions permanentes, mais comporte des spécificités que l’on retrouve dans la grande majorité des commissions des affaires européennes des États de l’Union : elles ne sont pas compétentes pour l’examen de projets ou de propositions de loi, y compris les textes tendant à la ratification d’un traité européen ou à la transposition d’une directive ; alors que chaque commission législative a un domaine déterminé de compétences, les commissions des affaires européennes ont une activité transversale et peuvent être amenées à examiner tout sujet dès lors que l’Union s’en saisit. Désignés pour la durée de la législature, ses membres sont soumis au principe de « double appartenance » : ils appartiennent en principe, dans le même temps, aux autres commissions spécialisées du Parlement (dans une volonté d’affermir la conscience des enjeux européens dans l’ensemble des travaux parlementaires) ; leurs effectifs sont moindres que dans les commissions parlementaires et leurs membres sont désignés de manière à assurer non seulement, comme pour toute commission, une représentation proportionnelle des groupes politiques, mais aussi une représentation équilibrée des commissions permanentes, dans le respect de la composition politique des assemblées. En qualité de membres des organes parlementaires spécialisés dans les affaires européennes, les députés et sénateurs de ces commissions participent à la coopération interparlementaire institutionnalisée à travers la COSAC, signe de l’existence d’un réseau parlementaire européen.

• Un organe de coopération interparlementaire Dans le cadre de l’« espace parlementaire européen », les parlements nationaux et le Parlement européen ont développé des relations structurées et organisées en réseaux à l’origine d’instruments de coopération interparlementaire. Ce n’est qu’à partir des années 1990 que de réelles initiatives politiques ont été prises en faveur d’une coopération bilatérale horizontale (entre parlements nationaux) et verticale (entre parlement national et Parlement européen), d’ordre essentiellement informel. À l’inverse, la coopération interparlementaire multilatérale s’est progressivement institutionnalisée. Lors d’une Conférence des présidents des parlements de l’Union européenne tenue en mai 1989 à Madrid, l’idée est née de réunir périodiquement une Conférence des organes (parlementaires) spécialisés dans les affaires communautaires (COSAC). La paternité de la COSAC revient du reste à Laurent Fabius, alors président de

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l’Assemblée nationale. Depuis 1989, la COSAC est devenue le cadre de référence en matière de coopération interparlementaire au sein de l’Union40. Toutefois, ses avis ou contributions n’engagent pas les parlements nationaux. Au demeurant, les délégations des organes spécialisés des parlements nationaux ne disposent pas de délégation de pouvoir, ni de mandat susceptible de lier les parlements nationaux. Le Protocole nº 13 sur « Le rôle des parlements nationaux dans l’Union européenne » annexé au traité d’Amsterdam41 a reconnu l’intérêt et l’enjeu de la coopération interparlementaire. L’institutionnalisation est relative, puisque le COSAC demeure en marge du système institutionnel de l’Union, et le champ comme la portée de ses avis sont encore strictement limités. Le développement de structures parlementaires est prolongé par la création de structures administratives spécialisées.

2. La création de structures administratives spécialisées Les assemblées ont institué des structures administratives spécialisées externe et interne.

• Une structure administrative externe spécialisée L’Assemblée nationale et le Sénat disposent dorénavant chacune d’une « antenne » permanente auprès des institutions de l’Union à Bruxelles. L’Assemblée nationale dispose depuis 2003 à Bruxelles d’un bureau de Représentation permanente auprès de l’Union européenne. Ce bureau est à la disposition des différents organes de l’Assemblée nationale et de l’ensemble des députés. L’antenne du Sénat auprès des institutions européennes a été inaugurée dès mai 1999, à l’initiative de son nouveau président Christian Poncelet, et bénéficie depuis d’une installation dans les locaux de la Représentation permanente de la France et dans ceux du Parlement européen. Ces structures administratives spécialisées basées à Bruxelles sont rattachées aux services des affaires européennes institués au sein des deux chambres.

• Un service administratif interne spécialisé La création d’un « service des affaires européennes » au sein de chacune des deux assemblées témoigne d’une spécialisation structurelle au cœur même de leur organisation administrative interne. Ces services propres aux affaires européennes – et distincts donc des « services des affaires internationales » préexistants – relèvent du service législatif des deux assemblées et assurent notamment le secrétariat administratif des 40. Elle se réunit deux fois par an à l’invitation du Parlement de l’État qui exerce la présidence du Conseil de l’Union. 41. Le Protocole nº 13 annexé au traité d’Amsterdam, sur le rôle des parlements nationaux dans l’Union européenne, est devenu le protocole nº 9 dans la version consolidée des traités.

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organes parlementaires politiques spécialisés : les Commissions des affaires européennes. Au sein de l’État, l’intégration européenne a également nécessité la création d’organes indépendants du Parlement et surtout de l’exécutif.

C. Des structures spécifiques au sein des juridictions Le principe selon lequel le juge national assure la fonction de « juge européen de droit commun » exclut l’idée de créer une « juridiction interne spécialisée dans les affaires européennes ». L’exercice de cette fonction s’est néanmoins traduit dans l’organisation du Conseil d’État (1) et de la Cour de cassation (2) par la création de structures (administratives) spécifiques.

1. La création d’une délégation de droit européen au sein du Conseil d’État Dans le cadre de sa fonction non pas contentieuse ou juridictionnelle, mais consultative, le Conseil d’État s’est d’abord adjoint des correspondants pour les questions européennes au sein des sections, avant d’instituer une cellule de droit communautaire (en 1998), devenue une cellule de veille européenne (2008). Rattachée à la section (administrative) du rapport et des études, la cellule spécialisée a été intégrée le 1er février 2012 à la « délégation au droit européen » du Conseil d’État, qui réalise à la demande des membres du Conseil d’État toute recherche relative à des questions de droit européen.

2. La création d’un bureau de droit européen au sein de la Cour de cassation Au sein du service de documentation, des études et du rapport de la Cour de cassation, un bureau de droit européen a été institué. Outre qu’il répond à des demandes de recherches, celui-ci s’attache à suivre la jurisprudence des juridictions européennes et à diffuser des « messages d’alertes » destinés aux magistrats de la Cour de cassation, au sujet des arrêts les plus importants rendus par la Cour de justice et la Cour européenne des droits de l’homme. Au sein du service de documentation, l’activité de ce « bureau » s’articule avec celle de l’« observatoire de droit européen » qui assure également la diffusion du droit européen et du droit comparé par la production d’études thématiques et de la veille jurisprudentielle.

D. Des structures indépendantes spécifiques Si l’ouverture à la concurrence de secteurs jusqu’alors caractérisés par la situation de monopole d’un opérateur historique (contrôlé par l’État) a provoqué une adaptation juridico-institutionnelle de l’interventionnisme

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public42 à travers la création de régulateurs sectoriels indépendants (1), l’Union économique et monétaire exige également des garanties d’« indépendance » pour des institutions budgétaires et financières (2).

1. La création de régulateurs sectoriels indépendants La conception européenne de l’« indépendance » du régulateur sectoriel a favorisé l’institution de nouvelles autorités administratives.

• L’exigence d’indépendance La prévention contre les situations de conflit d’intérêts des « autorités publiques-opérateurs économiques » suppose, selon le droit de l’Union, le respect d’une double condition : une indépendance du régulateur vis-à-vis des opérateurs économiques du marché concerné, d’une part ; un exercice neutre des prérogatives de régulation, d’autre part. La première exigence constitutive de la conception européenne de l’indépendance vise les opérateurs historiques/publics présents dans les industries de réseau qui jouissent de pouvoirs de réglementation du secteur, autant de prérogatives constitutives d’un avantage manifeste sur les opérateurs concurrents. Les décisions individuelles qui affectent des situations ou des droits subjectifs des opérateurs sur le marché doivent être prises dans des conditions qui en garantissent l’impartialité. Cette exigence repose sur des fondements juridiques et trouve son origine dans la logique fonctionnelle de la Commission européenne et de la Cour de justice visant à mettre un terme au cumul des fonctions de régulation et d’exploitation dans le secteur des services en réseau, lequel cumul caractérisait, au début des années 1980, la plupart des États membres. La séparation des fonctions de régulation et d’exploitation, imposée par le droit européen de la concurrence43 et les directives sectorielles, devait garantir « l’égalité des chances » entre les opérateurs44 afin de prévenir d’éventuels conflits d’intérêts dans des secteurs nouvellement ouverts à la concurrence. À cette condition de séparation entre régulateur et opérateur s’ajoute une seconde, qui tient au fait que l’ouverture effective à la concurrence implique l’exercice neutre de la fonction de régulation non plus par l’opérateur historique, mais par son actionnaire principal : l’État45. De là provient la dissociation actionnaire/régulateur46. Suivant le modèle français des services publics de réseau, chacun des secteurs concernés était organisé autour d’un opérateur historique fortement intégré en situation de monopole (de droit), assurant à la fois des activités de fourniture et de 42. J. SIRINELLI, La transformation du droit administratif par le droit de l’Union européenne. Une contribution à l’étude du droit administratif européen, Paris, LGDJ, 2011, pp. 201 et s. 43. CJCE, 20 mars 1985, République italienne c/ Commission, aff. 41/83. 44. CJCE, 19 mars 1991, République française c/ Commission, aff. C-202/88 ; CJCE, 19 mars 1991, RTT c/ GB Inno BM SA, aff. C-18/88. 45. J. SIRINELLI, op. cit., p. 205. 46. S. RODRIGUES, « Les circonstances communautaires de l’émergence des autorités de régulations nationales », CDE, nº 2, 2004, p. 2.

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gestion de réseau. Ce cumul de fonctions caractéristique de l’opérateur public constituait un obstacle à l’ouverture effective à la concurrence de ces marchés sectoriels : il y a « danger de discrimination et d’abus quand les compagnies contrôlent à la fois les réseaux d’énergie et la production ou la vente, protégeant les marchés nationaux et empêchant la concurrence »47. L’opérateur verticalement intégré peut en effet être tenté de discriminer l’accès à son infrastructure essentielle au détriment de ses concurrents sur le marché aval et/ou de pratiquer des tarifs d’éviction de ces derniers. Ces distorsions de concurrence sont prohibées par principe par le droit de l’Union. La neutralité de l’opérateur public verticalement intégré et la garantie de non-discrimination dans l’accès au réseau supposaient donc la séparation de ces activités. Cette séparation fonctionnelle est exigée par une série de directives sectorielles – sur l’électricité, le gaz, le transport ferroviaire et les postes-télécommunications – d’ouverture à la concurrence. La séparation fonctionnelle propre à garantir l’indépendance du gestionnaire de réseau implique d’abord une séparation comptable. Celle-ci consiste à séparer, au sein de l’opérateur historique, l’entité chargée de commercialiser l’accès aux infrastructures et à garantir un traitement strictement équivalent à celui des autres opérateurs. Les opérateurs intégrés doivent établir des comptes dissociant les coûts de chaque activité développée : ceux liés à la gestion du réseau, d’une part, et ceux dus à la fourniture du service. Ce principe de séparation comptable peut s’avérer difficile à mettre en œuvre en pratique. Ainsi, dans le secteur de l’électricité, la directive 96/92/CE du 19 décembre 1996 rend nécessaire a minima la séparation comptable entre les activités de production, de transport, de distribution et les autres activités ainsi que l’indépendance, « sur le plan de la gestion », du gestionnaire du réseau de transport, la loi nº 2000-108 du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service public de l’électricité, transposant la directive 96/92/CE dans le droit national. Si l’article 25 de la loi impose à Électricité de France, aux distributeurs non nationalisés et à la Compagnie nationale du Rhône, d’effectuer la dissociation comptable de leurs activités de production, de transport et de distribution d’électricité ainsi que, le cas échéant, des autres activités, le texte ne prévoit pas de séparation comptable entre les activités de production d’électricité sous monopole et les activités de production sous régime concurrentiel, ni de distinction, au sein du transport et de la distribution, entre les activités de réseau et les activités de commercialisation48. Aussi la séparation comptable ne suffitelle pas à garantir l’égalité d’accès aux réseaux pour tous les opérateurs. L’indépendance fonctionnelle effective du gestionnaire de réseau a donc conduit à renforcer le principe dans le sens d’une séparation organique et 47. Communication de la Commission du 10 janvier 2007, Une politique de l’énergie pour l’Europe, COM/2007/1, point 3.1.1. 48. Conseil de la concurrence, Avis nº 00-A-29 du 30 novembre 2000 relatif à la séparation comptable entre les activités de production, transport et distribution d’électricité.

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juridique approfondie. Une volonté exprimée par la Commission49 et mise en œuvre par les droits nationaux. En France par exemple, le gestionnaire du réseau public de transport d’électricité est un service autonome interne à l’établissement public EDF, appelé « EDF-RTE », indépendant sur le plan de la gestion des autres activités d’EDF et qui a bénéficié du transfert de la propriété des infrastructures nécessaires à son activité propre. On pourrait également citer dans les secteurs ferroviaire et du Gaz, les statuts analogues de Réseau ferré de France et de GRT Gaz. La question de l’indépendance se pose également pour le régulateur du marché sectoriel. L’indépendance est entendue dans un sens fonctionnel et non organique : elle ne s’attache pas à un type particulier d’organe administratif50. Juridiquement – et conformément au principe d’autonomie institutionnelle de l’État – le droit de l’Union ne prévoit pas l’obligation de créer une nouvelle institution spécialisée dans la régulation du secteur concerné, ni même de créer une institution organiquement séparée des administrations centrales. La plupart des directives de libéralisation imposent seulement l’institution d’un organe indépendant des parties qui permette notamment de mettre en œuvre l’accès des tiers aux réseaux, indépendamment de l’influence des parties prédominantes dans le secteur51. La création d’un régulateur indépendant de l’administration centrale n’est rendue nécessaire qu’au regard de la proximité de l’État avec l’opérateur historique en situation de monopole. Si le risque de conflit d’intérêts est écarté, la régulation du marché peut continuer à être assurée par l’autorité publique et ses formes administratives traditionnelles. Ainsi, dans le secteur ferroviaire, la directive 2004/49/DE du 29 avril 2004 oblige les États membres à créer une autorité nationale de sécurité ferroviaire, sans toutefois interdire qu’il s’agisse d’une administration centrale/ ministérielle dès lors qu’elle est indépendante des entreprises ferroviaires, des gestionnaires de l’infrastructure et d’autres intéressés52. En France, le législateur a choisi de confier cette mission à un établissement public de sécurité ferroviaire53, qui répond à la conception fonctionnelle de l’indépendance malgré son lien organique avec le pouvoir exécutif. Dans le secteur aérien, après l’entrée en vigueur des quatre règlements européens sur le « ciel unique » du 10 mars 2004, la Direction générale de l’aviation civile (DGAC) – rattachée au ministère des Transports – s’est vue reconnaître la « régulation économique du secteur ». Cette nouvelle 49. Communication de la Commission du 10 janvier 2007, Perspectives du marché intérieur du gaz et de l’électricité, COM (2006) 841 final, point 1.3. 50. G. MARCOU, « Les autorités administratives “dépendantes” et “indépendantes” dans le domaine de l’intervention économique de la puissance publique », in G. MARCOU et J. MASING, Le modèle des autorités de régulation indépendantes en France et en Allemagne, Société de législation comparée, 2011, p. 66. 51. Rapport public 2001 du Conseil d’État, Les autorités administratives indépendantes, op. cit. 52. Directive 2004/49/DE du 29 avril 2004, préambule, § 22, et art. 16. 53. Loi nº 2006-10 du 5 janvier 2006 relative à la sécurité et au développement des transports créant notamment l’établissement public de sécurité ferroviaire (EPSF), JORF nº 5 du 6 janvier 2006, p. 217.

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fonction de régulation est à l’origine de la création en son sein d’une Direction de la régulation économique54, ainsi que de deux « services à compétence nationale »55 : la Direction des services de la navigation aérienne56 (DSNA) et la Direction de la sécurité de l’aviation civile57 (DSAC), toutes trois placées sous l’autorité du Directeur général de l’aviation civile. Parfois les directives de libéralisation sont plus contraignantes, par une définition plus exigeante du cadre institutionnel dans lequel doit s’inscrire le régulateur sectoriel. L’indépendance ou la séparation structurelle tend à être exigée. À titre d’exemple, deux directions d’un même ministère ne sauraient être considérées comme indépendantes l’une de l’autre58. Cette conception élargie de l’indépendance favorise l’institution de structures autonomes des administrations centrales, présentant des garanties statutaires d’indépendance. Pour autant, le modèle des AAI ne représente pas forcément la réponse idoine aux exigences européennes. Celles-ci peuvent se montrer particulièrement fortes et pointilleuses pour le cadre institutionnel et les garanties d’indépendance de l’autorité de régulation59. Les directives nº 2009/72/CE et nº 2009/73/CE du 13 juillet 2009 relatives au marché intérieur de l’électricité et du gaz60 l’attestent. L’exigence de la personnalisation juridique du régulateur va au-delà du critère fonctionnel de l’autonomie réelle et appelle à une « indépendance symbolique caractérisée par l’attribution de la personnalité morale »61.

• L’institution d’organes indépendants L’apparition des catégories d’autorités administratives indépendantes62 (AAI) et d’autorités publiques indépendantes (API) n’est pas liée à l’intégration européenne63. L’Union ne dispose d’ailleurs pas de compétence générale pour établir des AAI dans les États membres. Reste 54. Article 10 du décret nº 2005-471 du 16 mai 2005, JORF nº 113 du 17 mai 2005, p. 8534. 55. Il s’agit de structures chargées de missions permanentes au sein des ministères, placées sous l’autorité directe du ministre (même si elles peuvent bénéficier d’une certaine autonomie opérationnelle) et relevant d’« une logique gestionnaire s’articulant dans un renouvellement de la centralisation étatique au service d’une politique déterminée ». J.-F. BOUDET, « Les services à compétence nationale », RFDA 2009, nº 5, p. 995. 56. Décret nº 2005-2000 du 28 février 2005. 57. Décret nº 2008-1299 du 11 décembre 2008 créant la direction de la sécurité de l’aviation civile, JORF nº 0289 du 12 décembre 2008. 58. CJCE, 27 octobre 1993, Taillandier, aff. C-91/94. 59. J. SIRINELLI, op. cit., pp. 208-210. 60. Directive nº 2009/72/CE du 13 juillet 2009 concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité et abrogeant la directive 2003/54/CE, JOUE du 14 août 2009, nº 211 du 14 août 2009, p. 55 ; directive 2009/73/CE du 13 juillet 2009 concernant des règles communes pour le marché intérieur du gaz naturel et abrogeant la directive 2003/55/CE, JOUE nº 211 du 14 août 2009 p. 94. 61. J. SIRINELLI, op. cit., p. 203. 62. C’est la loi du 6 janvier 1978 qui, en créant la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), a introduit pour la première fois dans le droit positif la notion d’autorité administrative indépendante (AAI). 63. J. ZILLER, « Les autorités administratives indépendantes entre droit interne et droit de l’Union européenne », RFDA 2010, p. 901.

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que le droit européen de la concurrence et la nécessité d’instituer des autorités de régulation ont joué un rôle décisif dans la naissance d’une série d’AAI dans le domaine de la régulation des secteurs de réseau. L’exigence de neutralité et la prohibition des conflits d’intérêts ont favorisé l’institution par le législateur français d’autorités de régulation sectorielle sous la forme de cette catégorie64, ambiguë et discutée du droit administratif français, y compris quant à son caractère prétendument « indépendant » de l’exécutif, voire du Parlement. Même si les deux catégories fonctionnelles d’AAI ne correspondent pas à une summa divisio rigide et formelle, il est possible de distinguer celles qui assurent une mission de régulation économique de celles qui sont chargées de la protection de libertés et droits fondamentaux65. Or malgré l’inflation des AAI dans l’appareil d’État français, peu sont celles dont l’institution procède directement des obligations européennes. On peut néanmoins citer, en matière de protection des droits fondamentaux, le cas de l’ancienne Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (HALDE)66 dont la création découle des exigences tirées de la directive 2000/43/CE du Conseil du 29 juin 2000 relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d’origine ethnique67. Surtout, les exigences européennes d’ouverture à la concurrence des secteurs des services publics en réseaux, notamment les télécommunications, l’énergie, la poste ou le transport ferroviaire, sont à l’origine de l’institution d’autorités nationales de régulation dite « sectorielle », entrant dans la catégorie des AAI. Il s’agit de l’Autorité de régulation des télécommunications68 (ART) – devenue l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes69 (ARCEP) –, de la Commission de régulation de l’électricité70, devenue la Commission

64. M. LOMBARD, « Pourquoi les autorités indépendantes en matière économique ? Typologie de leurs missions », in G. MARCOU et J. MASING, Le modèle des autorités de régulation indépendantes en France et en Allemagne, op. cit., pp. 152 et s. 65. CJUE, 9 mars 2010, Commission c/ Allemagne, aff. 517-08, op. cit., § 25. 66. Loi nº 2004-1486 du 30 décembre 2004 portant création de la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité. Abrogée par l’article 22 de la loi nº 2011-334 du 29 mars 2011. 67. JOCE nº L. 180 du 19 juillet 2000, p. 22. La directive 2000/43/CE demande dans son article 13, paragraphe 1er que « [l]es États membres désignent un ou plusieurs organismes chargés de promouvoir l’égalité de traitement entre toutes les personnes sans discrimination fondée sur la race ou l’origine ethnique. Ils peuvent faire partie d’organes chargés de défendre à l’échelon national les droits de l’homme ou de protéger les droits des personnes ». Cette obligation sera reprise notamment par la directive du 23 septembre 2002 dans le domaine de l’égalité entre hommes et femmes. 68. Loi nº 96-659 du 26 juillet 1996 de réglementation des télécommunications, JORF nº 174 du 27 juillet 1996, p. 11384. 69. Loi nº 2005-516 du 20 mai 2005 relative à la régulation des activités postales, JORF nº 117 du 21 mai 2005, p. 8825. 70. Loi nº 2000-101 du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service public de l’électricité, JORF du 11 février 2000, p. 2143.

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de régulation de l’énergie71 (CRE) ; ou de l’Autorité de régulation des activités ferroviaires72 (ARAF), qualifiée par le législateur d’Autorité publique indépendante, catégorie formellement distincte des AAI. Enfin, l’Autorité de contrôle des assurances et des mutuelles (ACAM) est issue de l’ancienne Commission de contrôle des assurances qui avait été créée par la loi nº 89-1014 du 31 décembre 1989 portant adaptation du Code des assurances à l’ouverture du marché européen. Sa nouvelle dénomination est issue de l’article 14 de la loi nº 2005-1564 du 15 décembre 2005, portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de l’assurance. Certes, contrairement à la CRE, l’ARCEP ne s’est pas vu conférer la personnalité morale, et ce malgré des fonctions analogues. Mais du point de vue européen, l’essentiel – sur le plan statutaire – réside ailleurs. Le statut des membres de ces autorités et les règles de fonctionnement ont vocation à garantir l’impartialité de leurs décisions – source de leur propre légitimité –, malgré des liens avec l’administration (via notamment leur composition) et le Parlement (via ses fonctions budgétaires, de contrôle et d’évaluation). Ces organismes publics tendent à satisfaire aux conditions cumulatives de l’indépendance, à savoir la collégialité, l’auteur de la nomination de ses membres (soit les plus hautes autorités de l’État), l’irrévocabilité de ses membres par le pouvoir exécutif, un régime d’incompatibilité relativement strict, exigence du contradictoire en matière procédurale. Les États membres qui ne disposaient pas encore d’un organisme de contrôle de la concurrence, ou dont l’organisme de contrôle n’était pas suffisamment indépendant pour l’exercice des fonctions qui leur étaient attribuées par ce règlement ont dû créer des AAI en charge du contrôle de la concurrence. En France, si l’institution du Conseil de la concurrence – devenu Autorité de la concurrence73 – n’est pas directement due à une exigence européenne, l’extension de ses missions et le renforcement de ses pouvoirs le sont indéniablement74. Qu’une AAI ait été créée ou non parce qu’une directive de l’Union ou qu’un article issu des traités le requiert, le législateur national est tenu au 71. Loi nº 2003-8 du 3 janvier 2003 relative aux marchés du gaz et de l’électricité et au service de l’énergie, JORF du 4 janvier 2003, p. 265. 72. Loi nº 2009-1503 du 8 décembre 2009 relative à l’organisation et à la régulation des transports ferroviaires et portant diverses dispositions relatives aux transports, JORF nº 0285 du 9 décembre 2009, p. 21226. 73. Loi nº 2008-776 du 4 août 2008 relative à la modernisation de l’économie, JORF nº 0181 du 5 août 2008, p. 12471. 74. Voir la loi d’habilitation nº 2004-237 du 18 mars 2004, fondement de l’ordonnance nº 2004274 du 25 mars 2004 portant simplification du droit et des formalités pour les entreprises ; ordonnance nº 2004-1173 du 4 novembre 2004 portant adaptation de certaines dispositions du Code de commerce au droit communautaire de la concurrence transposant la réforme issue du règlement nº 1/2003 du Conseil du 16 décembre 2002 relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité. L’ordonnance dote l’Autorité de concurrence de pouvoirs nouveaux inspirés de ceux des autres autorités nationales de concurrence.

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respect du droit de l’Union. Cela peut avoir une incidence sur la manière dont sont exercés les pouvoirs de l’AAI, sur le type de garanties appliquées pour garantir son indépendance. L’affaire C-424/07 met parfaitement en lumière la problématique du fondement juridique interne ou européen de la création de l’AAI75. Il s’agissait d’une procédure en manquement engagée par la Commission contre l’Allemagne, qui avait adopté en 2007 une loi modifiant sa législation sur les télécommunications, en particulier en ce qui concernait les possibilités d’action de l’Autorité de surveillance des télécommunications allemande. Dans la mesure où les directives européennes pertinentes fixent les fonctions des autorités de régulation nationale (ARN), la Cour condamne la modification de ces fonctions par le législateur national tendant à réduire la marge de manœuvre de l’ARN dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire qui lui a été confié sur la base de la directive.

2. Des structures budgétaires ou financières indépendantes La Banque de France et le Haut Conseil des finances publiques sont des structures sui generis dont l’indépendance à l’endroit du Gouvernement et du Parlement résulte directement d’exigences européennes liées à l’Union économique et monétaire.

• L’adaptation de la Banque de France L’indépendance de la Banque de France date de la loi du 4 août 199376, qui a modifié son statut en application du titre VI du traité de Maastricht et du transfert de compétences en matière de politique monétaire vers le « Système européen de banques centrales » (SEBC) composé de la Banque centrale européenne et des banques centrales nationales. Cette indépendance vis-à-vis du pouvoir politique est une obligation résultant de la conjonction des articles 108 et 109 E du traité de Maastricht. L’article 1er de la loi du 4 août 1993, modifié par la loi nº 93-1444 du 31 décembre 1993, lui donne pour mission de définir et de mettre en œuvre la politique monétaire en vue « d’assurer la stabilité des prix », et ce alors que l’article 4 de la loi du 3 janvier 1973 définissait la compétence de la Banque de France dans ce domaine comme une simple contribution à une politique alors menée par le Gouvernement. L’article 1er de la loi du 4 août 1993 consacre le transfert de la compétence de la politique monétaire du Gouvernement à la Banque de France dans le cadre de la mise en place de l’Union économique et monétaire et du SEBC. Il revient au Conseil de la politique monétaire (CPM), dont les membres sont désignés pour six ans sur des listes proposées par les présidents du Sénat, de l’Assemblée nationale et du Conseil économique et social, de définir et de mettre en œuvre la politique monétaire française en dehors de 75. CJUE, 3 décembre 2009, Commission c/ Allemagne, aff. C-424/07. 76. Article L. 141-1 du Code monétaire et financier qui reprend pour la Banque de France l’exarticle 108 du traité CE.

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toute instruction d’une personne ou d’un organisme extérieurs. Il s’agit de préserver les membres du CPM de toute influence dans la conduite de la politique monétaire à travers une indépendance institutionnelle et personnelle des membres de la Banque de France. Cette indépendance se double toutefois de relations organisées avec les pouvoirs publics : le gouverneur de la Banque de France, membre du Conseil, qu’il préside, assisté de deux sous-gouverneurs, remet un rapport annuel au président de la République et au Parlement, et peut être entendu par les commissions des finances des assemblées – à sa demande ou à la leur. En vertu de ce statut hybride, la Banque de France a été qualifiée de personne publique sui generis77. Une qualification applicable au Haut Conseil des finances publiques.

• La création du Haut Conseil des finances publiques La surveillance de l’équilibre budgétaire offre un nouveau domaine significatif du système d’intégration organique à travers la création d’un organisme indépendant de l’exécutif et du Parlement, mais relevant de l’État : le Haut Conseil des finances publiques (HCFP). Créé par la loi organique du 17 décembre 2012 relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques78, le HCFP résulte directement de l’article 3 du Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG), qui stipule que le mécanisme de correction des écarts à la règle d’équilibre structurel doit inclure des dispositions relatives au « rôle et [à] l’indépendance des institutions chargées, au niveau national, de vérifier le respect de cette règle ». La référence à une institution indépendante chargée de surveiller la politique budgétaire des États membres figure également, plus ou moins explicitement, dans plusieurs règles de droit dérivé de l’Union européenne79. Au-delà même des prescriptions du TSCG et du droit de l’Union, la création de « comités budgétaires indépendants » (CBI) constitue l’une des voies souvent préconisées ces dernières années pour contribuer au redressement des finances publiques. La création d’un « comité budgétaire indépendant » – distinct de la Cour des comptes – avait été suggérée en 2010 par le groupe de travail présidé par M. Michel 77. CE, 22 mars 2000, Syndicat national autonome personnel Banque de France c/ Banque de France, req. nº 203854 ; Juris-Data nº 2000-060155. 78. Loi organique nº 2012-1403 du 17 décembre 2012 relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques, JORF nº 0294 du 18 décembre 2012, p. 19816 ; décret nº 2013-144 du 18 février 2013, relatif à la constitution initiale du Haut Conseil des finances publiques, JORF nº 0042 du 19 février 2013, p. 2785. À noter que le Conseil constitutionnel a explicitement jugé que « le législateur organique peut, pour que les règles énoncées au paragraphe 1 de l’article 3 du traité prennent effet (...) adopter des dispositions (...) relatives, notamment, (...) aux institutions indépendantes intervenant tout au long du processus budgétaire » ; Cons. const., 9 août 2012, TSCG, nº 2012-653 DC, § 24. 79. Voir par exemple le règlement nº 1466/97 du Conseil du 7 juillet 1997 relatif au renforcement de la surveillance des positions budgétaires ainsi que de la surveillance et de la coordination des politiques économiques, tel que modifié par le règlement nº 1175/2011 du Parlement européen et du Conseil du 16 novembre 2011.

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Camdessus et chargé de proposer les voies d’une mise en œuvre du principe d’équilibre des finances publiques80. Indépendant du Gouvernement et du Parlement, le HCFP est néanmoins placé auprès de la Cour des comptes, institution qui dispose elle-même d’une indépendance constitutionnellement garantie. La création du HCFP était-elle nécessaire au regard des fonctions de la Cour des comptes ? Le simple élargissement des compétences de la Cour des comptes (par le renforcement de son rôle d’« alerte » en matière budgétaire et par l’attribution de compétences nouvelles en matière de prévisions macroéconomiques) aurait conduit à transformer substantiellement son rôle, en la faisant intervenir au stade de la préparation des textes financiers et en rompant sa position d’équidistance entre le Parlement et le Gouvernement81. La création d’un HCFP « placé auprès de la Cour des comptes » et présidé par son Premier président – siégeant aux côtés de huit autres membres82 nommés pour cinq ans – présente l’avantage de tirer profit des compétences de la Cour des comptes sans s’y limiter ni mettre de côté le Parlement dans le nouveau dispositif. Plus largement, son statut satisfait aux préconisations de la Commission européenne, pour qui les organismes chargés d’assurer la surveillance du mécanisme de correction des écarts à la règle de solde structurel doivent s’appuyer « sur des dispositions législatives nationales assurant un degré élevé d’autonomie fonctionnelle, à savoir : i) un régime statutaire ancré dans le droit ; ii) la liberté par rapport à toute interférence, en vertu de laquelle ces organismes n’acceptent pas d’instructions et sont habilités à communiquer publiquement en temps utile ; iii) des procédures de nomination fondées sur l’expérience et la compétence ; iv) l’adéquation des ressources et l’accès approprié à l’information afin de remplir le mandat donné »83. Le degré relativement élevé de spécialisation structurelle des organes nationaux contraste avec celui des organes locaux.

80. Groupe de travail sur la mise en place d’une règle d’équilibre des finances publiques, Réaliser l’objectif constitutionnel d’équilibre des finances publiques, Paris, La Documentation française, juin 2010, p. 33. 81. L’article 47-2 de la Constitution dispose qu’elle « assiste le Parlement et le Gouvernement dans le contrôle de l’exécution des lois de finances et dans l’application des lois de financement de la Sécurité sociale ». 82. Le collège, présidé par le Premier président de la Cour des comptes, est composé de quatre magistrats de la Cour, de cinq personnalités qualifiées et du directeur général de l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE). 83. Communication de la Commission du 20 juin 2012, « Principes communs aux mécanismes nationaux de correction budgétaire », COM(2012) 342 final.

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II.

La spécialisation structurelle des organes locaux

Les organes locaux – des collectivités territoriales en particulier – n’échappent ni au « fait intégratif », ni aux obligations inhérentes à l’intégration. Longtemps indifférents et passifs, les organes locaux ont réagi par une spécialisation structurelle interne (A) et externe (B). Si le mouvement est réel, sa généralité et son intensité sont limitées.

A. Des structures internes spécifiques La spécialisation structurelle interne des organes locaux demeure contrastée, tant verticalement (entre niveaux territoriaux) qu’horizontalement (entre organes locaux d’un même échelon). Force est pourtant de reconnaître une relative insuffisance dans l’adaptation organisationnelle des collectivités territoriales, et ce malgré la création de services administratifs locaux spécialisés (1) et la participation d’élus locaux à des instances mixtes compétentes en matière européenne (2).

1. La création de structures administratives locales spécialisées Les principales associations françaises de collectivités locales créées aux principaux niveaux de décentralisation – l’Association des régions de France (ARF), l’Association des départements de France (ADF) et l’Association des maires de France (AMF) – ont institué au sein des collectivités territoriales une structure spécialisée dans la veille européenne. Reste que la spécialisation structurelle se vérifie essentiellement au niveau des organes régionaux. Les Conseils régionaux ont en effet développé au sein de leur administration des structures adaptées aux enjeux des fonds européens, notamment pour la gestion des fonds structurels84. Si la plupart des régions françaises continuent de confier les affaires européennes à une direction ou à un service commun à l’« Europe » et à l’« International », la dimension européenne de leur activité prévaut85. Toutefois, ces structures légères – moins d’une dizaine d’agents – laissent souvent place à un simple « chargé d’affaires européennes » ou à un fonctionnaire territorial référent en la matière. Dans tous les cas, le positionnement dans l’organigramme ne s’accompagne pas forcément de moyens adéquats. Une cellule « Europe » peut ainsi être progressivement 84. Voir le rapport de J.-L. CAIVEAU et alii, L’ingénierie européenne des régions : quelle organisation pour quelle performance ?, novembre 2002, CNFPT-INET, p. 7. 85. Au sein par exemple de la Direction générale des services du Conseil régional Ile-deFrance, il existe une « unité Affaires internationales et européennes » spécialisée dans la coordination des actions européennes mises en place par la Région et dans le suivi des fonds structurels et des programmes européens.

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utilisée dans une direction de Relations internationales et perdre ainsi sa vocation initialement spécifique. Les structures spécialisées exercent, par définition, des missions transversales sur des logiques de projet commun. La collaboration avec les autres services et la sensibilisation de leurs agents aux affaires/enjeux européen(nes) constituent un enjeu. Or peu de services « Europe » disposent de chargés de mission ou d’opérateurs délocalisés dans les autres directions86. Ces derniers peuvent être rattachés hiérarchiquement et budgétairement au « service Europe », mais en étant fonctionnellement délocalisés dans d’autres directions (du développement économique et de l’emploi, de la formation professionnelle, de l’enseignement supérieur), celle du Conseil régional par exemple. Trop souvent, les directions opérationnelles ne disposent pas non plus d’un correspondant « Europe », qui leur soit rattaché hiérarchiquement et qui, dans le cadre de leur mission, travaille en partie sur des aspects européens. Au mieux, il s’agit de gestionnaires du FSE. Le plus souvent néanmoins, les personnes qui travaillent sur des dossiers européens ou sur un programme d’action européenne dans les directions le font sans que cela soit formalisé. Il est très rare dans ces conditions d’obtenir un degré de sensibilisation réel des services. Il sera en effet extrêmement difficile au « service Europe », sur la base d’un simple lien fonctionnel ponctuel, de demander à ces correspondants de se mobiliser sur certains dossiers quand cette mission complémentaire n’est pas valorisée au sein de leur direction87. Cette difficulté souligne l’enjeu de l’acculturation de la fonction publique territoriale aux obligations et droits européens. Cette relative adaptation organisationnelle interne est complétée par la participation d’élus locaux à des instances mixtes compétentes en matière européenne.

2. La création d’instances mixtes compétentes sur les affaires européennes Des initiatives nationales sont à l’origine de la participation d’élus locaux à des instances mixtes dont le champ de compétence inclut les affaires européennes. La nécessité d’améliorer les conditions du dialogue entre l’État et les collectivités territoriales a motivé la création d’une Conférence nationale des exécutifs (CNE). Évoquée par le Premier ministre dans sa déclaration de politique générale du 3 juillet 2007, la CNE a été installée à l’issue de sa première réunion organisée à Matignon, le 4 octobre 2007. Constituant un outil partenarial entre le Gouvernement et les exécutifs des collectivités territoriales, la CNE a été pensée comme un lieu de concertation privilégié entre les différents responsables politiques, afin notamment d’améliorer l’association des collectivités territoriales à la 86. J.-L. CAIVEAU et alii, op. cit. 87. Ibid.

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définition et à l’élaboration des normes européennes qui les concernent. Au sein de cet organe de concertation siègent les ministres des collectivités territoriales et de l’Outre-mer ainsi que les présidents des trois grandes associations d’élus (AMF, ADF, ARF) et trois de leurs membres. La passivité de cette instance est analogue à celle de la Commission consultative d’évaluation des normes (CCEN). Organe mixte créé par l’article 97 de la loi de finances rectificative pour 200788, sa composition est marquée par la présence de représentants de l’État (dont deux parlementaires) et d’élus locaux89 (au nombre de 13 sur 22 membres de la commission). Cette composition accuse un certain nombre de défauts : outre que les structures intercommunales (les EPCI) n’y sont pas représentées (bien qu’elles soient concernées par le droit de l’Union), les représentants des collectivités territoriales sont issus des grandes associations, excluant de fait certaines collectivités. La volonté de dynamiser l’activité de l’instance a ouvert la voie à une rénovation de son cadre juridico-institutionnel. La loi du 17 octobre 201390 a remplacé le CCEN par le Conseil national d’évaluation des normes (CNEN). Le décret d’application91 renforce ses prérogatives en vue de lutter contre l’inflation normative – y compris d’origine européenne – que subissent notamment les collectivités territoriales. Sur ses 36 membres, le CNEN est composé d’une forte proportion d’élus locaux représentant différents échelons ou organes : quatre conseillers régionaux (élus par le Collège des présidents des conseils régionaux) ; quatre conseillers généraux (élus par le Collège des présidents des conseils généraux) ; cinq conseillers communautaires (élus par le Collège des présidents des établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre) ; dix conseillers municipaux (élus par le Collège des maires). L’insuffisance de la spécialisation structurelle interne des organes locaux est en partie compensée par le développement d’une spécialisation externe.

88. Loi nº 2007-1824 du 25 décembre 2007, loi de finances rectificative pour 2007, JORF du 28 décembre 2007, p. 21482. 89. Décret nº 2008-994 du 22 septembre 2008 relatif à Commission consultative d’évaluation des normes, JORF du 23 septembre 2008, p. 14677. Voir aussi la circulaire du Premier ministre du 22 septembre 2008, JORF du 23 septembre 2008, p. 14663. 90. Loi nº 2013-921 du 17 octobre 2013 portant création d’un Conseil national d’évaluation des normes applicables aux collectivités territoriales et à leurs établissements publics, JORF nº 0243 du 18 octobre 2013, p. 17147. 91. Décret nº 2014-446 du 30 avril 2014 portant application de la loi nº 2013-921 du 17 octobre 2013 portant création d’un Conseil national d’évaluation des normes applicables aux collectivités territoriales et à leurs établissements publics, JORF nº 0102 du 2 mai 2014, p. 7578.

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B. Des structures externes spécifiques Les interrogations sur le fondement juridique de la représentation extrainstitutionnelle des collectivités territoriales (1) n’ont pas empêché le développement de ce phénomène de spécialisation externe (2).

1. Le fondement juridique de la représentation extrainstitutionnelle des collectivités territoriales À travers l’installation de « bureaux de représentation » ou d’« antennes » (régionales voire départementales) à Bruxelles, les collectivités territoriales tentent de nouer des rapports directs avec les institutions de l’Union sans passer par le canal étatique. Distinctes de la délégation nationale au sein du Comité des régions, les délégations des collectivités territoriales à Bruxelles posent question quant à leur nature juridique. Même si ces structures ne contestent pas la compétence exclusive de la représentation internationale de l’État, leur fondement et leur régime juridiques interrogent le droit international, européen et interne. Les collectivités infra-étatiques n’étant pas des sujets de droit international, leurs « représentations » échappent aux procédures d’accréditation applicables à la représentation diplomatique d’une entité étatique auprès d’une organisation internationale. Ainsi, l’ouverture de ces bureaux ne fait l’objet d’aucune accréditation ni auprès de l’Union, ni auprès de la Belgique92, État hôte dont le territoire accueille le siège de l’Union et celui de la représentation. Au niveau européen, malgré l’afflux des délégations régionales et locales présentes à Bruxelles, les institutions de l’Union n’ont pris aucune initiative en faveur de la création d’un statut juridique (européen) en faveur de ces représentations93. Si l’article 10, § 4, du projet de Charte de l’autonomie régionale (élaborée au sein du Conseil de l’Europe) prévoit le droit pour les régions de créer de telles structures de représentation, les institutions de l’Union comme la Commission et le Parlement européen soumettent leurs agents et activités à la réglementation applicable (en matière notamment de contrôles et de restrictions) aux entités ou organismes de lobbying. Enfin, sur le plan interne, l’absence de fondement juridique explicite a pu provoquer des situations conflictuelles, voire litigieuses, entre le pouvoir central et des collectivités infra-étatiques quant à la possibilité qu’auraient ces dernières d’ouvrir un bureau de représentation à Bruxelles. Malgré la 92. La Belgique s’abstient de toute forme de reconnaissance. Elle prévoit seulement une procédure d’inscription volontaire qui recense les bureaux de représentation présents à Bruxelles. Toutefois, l’absence d’inscription sur ce registre n’emporte aucune conséquence juridique quant au statut ou à la capacité d’un bureau à représenter sa région. 93. La Commission européenne considère que les agents travaillant pour les bureaux de représentation à Bruxelles sont soumis, au même titre que les employés des représentations d’intérêts professionnels ou catégoriels, au contrôle et restrictions applicables aux lobbyistes.

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forme unitaire de l’État, l’action extérieure des collectivités territoriales est cependant autorisée en France depuis que la loi du 2 mars 198294 a reconnu le principe de la « coopération transfrontalière ». La circulaire du Premier ministre du 12 mai 198795 établit une sorte de « code de bonne conduite » pour les élus locaux dans les contacts d’information avec la Commission européenne, lesdits contacts étant autorisés sous réserve que le Gouvernement (via le préfet) ou la Représentation permanente à Bruxelles en soient préalablement avisés. Si la circulaire du 26 mai 1994 rappelle que les collectivités territoriales ne sont pas des sujets du droit international, leur capacité juridique à mener des relations extérieures a été étendue par la loi du 6 février 1992 relative à l’administration territoriale de la République96, qui consacre la « coopération décentralisée » entre collectivités européennes97 (sous condition d’autorisation du Préfet de région). Ce fondement législatif a facilité la mise en place de bureaux dépendant directement de la volonté des collectivités territoriales mandantes et composés de fonctionnaires détachés98. Les délégations des collectivités françaises (contrairement à celles des entités infra-étatiques allemandes ou espagnoles) ne bénéficient donc ni d’autorisation explicite (de l’État), ni d’un statut officiel. L’ouverture de ces bureaux, il est vrai, ne dépend ni de la décision souveraine des États ni de l’Union, et encore moins de la Belgique. Elle découle en fait de la décision unilatérale d’une collectivité (ou d’un groupe de collectivités). Cette liberté d’initiative a conduit à la création d’une variété de structures de représentation extrainstitutionnelle des collectivités locales qui ne répondent pas à un modèle unique.

2. La création de représentations extra-institutionnelles des collectivités territoriales Malgré l’« insécurité juridique » induite par l’absence de fondement juridique particulier99 ou de statut spécifique, les collectivités locales françaises et les régions en particulier (auxquelles s’associent parfois leurs propres départements) ont décidé de disposer de telle structure de 94. Loi nº 82-213 du 2 mars 1982 relative aux droits et libertés des communes, départements et régions, JORF du 3 mars 1982, p. 730. Loi nº 82-214 du 2 mars 1982 portant statut particulier de la région Corse, JORF du 3 mars 1982, p. 748. 95. Circulaire du Premier ministre du 12 mai 1987 relative à l’action extérieure des collectivités territoriales, complétant la circulaire 2063/SG du 10 mai 1985, JORF du 16 mai 1987, p. 5391. 96. Loi d’orientation nº 92-125 du 6 février 1992 relative à l’administration territoriale de la République, JORF du 8 février 1992, p. 2064. 97. La loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales permet la création de districts européens, groupements locaux de coopération transfrontalière fondés à l’initiative des collectivités territoriales. 98. L. MALO, Autonomie locale et Union européenne, Bruxelles, Bruylant, 2010, p. 61. 99. Exception faite de la Nouvelle-Calédonie, puisque selon l’article 31 de la loi organique nº 99-209 du 19 mars 1999 (JORF du 21 mars 1999, p. 4197), cette entité à statut particulier « peut disposer d’une Représentation permanente auprès de la Communauté européenne ».

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représentation individuelle ou collective100. Suivant en cela une tendance européenne née dans les années 1980, les antennes régionales françaises ont ainsi « investi » Bruxelles, parallèlement au développement de la politique régionale européenne. À la variété des dénominations de ces structures présentées sous forme de « bureaux de représentation » ou d’« antennes » (régionales, voire départementales) s’ajoute la variété des statuts des employés de ces structures. Les collectivités territoriales françaises ont institué leur bureau de représentation sous la forme juridique d’associations ou de syndicats mixtes, composés de fonctionnaires détachés de leurs collectivités (ce qui correspond souvent au transfert à Bruxelles du « service Europe » préexistant au sein de la collectivité) et/ou de contractuels. Les moyens d’action – financiers, humains et matériels – des bureaux de représentation des entités infranationales varient également, notamment en fonction de la forme (unitaire, régionale ou fédérale) de leur État. Partant, les collectivités locales françaises souffrent de la comparaison avec les moyens dont disposent les délégations des entités infranationales issues d’États fédéraux (voir en particulier les Länder allemands comme la Bavière ou la Rhénanie du Nord) ou régionaux (Espagne). Afin de mutualiser leurs moyens et pour réaliser des économies d’échelle, certaines régions françaises ou différents niveaux de collectivités (conseil régional et/ou plusieurs conseils généraux et/ou des structures intercommunales) se sont regroupés au sein d’une même représentation. Certaines antennes régionales représentent ainsi les intérêts d’autres collectivités territoriales101 ou établissements publics situés sur leur territoire. La représentation des collectivités locales auprès des institutions de l’Union est aussi assurée par des structures de nature associative, des bureaux de représentation d’associations de collectivités. Il s’agit de structures de droit privé qui formellement n’assurent pas la représentation des collectivités, mais celle des seules associations. Si celles-ci sont souvent sectorielles102 et transnationales – au-delà des frontières de

100. À l’instar des premiers bureaux de représentation de collectivités locales françaises à Bruxelles, ces structures peuvent regrouper ou associer diverses régions (du « Grand Sud » en 1987 ou du « Grand Est » en 1989). 101. Le bureau Ile-de-France Europe à Bruxelles (depuis 1999) représente la région Île-deFrance, ainsi que les Conseils généraux de Seine-et-Marne, de l’Essonne, de SeineSaint-Denis, du Val de Marne et du Val d’Oise. 102. Il s’agit d’associations « cherchant à regrouper de manière horizontale des types de collectivités en fonction de leur spécificité économique (pêche, industrie, agriculture, viticulture...), de leur situation économique (montagne, fluviale, maritime...) ou de leur niveau (commune, villes, départements, régions...) ». P.-Y. MONJAL, op. cit., p. 86. Parmi les structures associatives créées par des collectivités locales ayant des secteurs/intérêts économiques stratégiques en commun : l’Association des régions industrielles européennes (ARIE), l’Assemblée des Régions viticoles (AREV) et l’Association des Régions européennes des produits d’origine (AREPO).

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l’Union européenne103 ou transfrontalières104 –, les bureaux de représentation d’associations de collectivités peuvent être purement nationaux, regroupant des entités infranationales d’un seul et même État membre. En outre, la collaboration/coordination des « services Europe » des grandes associations françaises de collectivités territoriales s’est prolongée et formalisée par la création d’une structure de représentation commune à Bruxelles : la Maison européenne des pouvoirs locaux français. Celle-ci résulte d’une convention signée en décembre 2005 entre les présidents d’associations représentatives des collectivités territoriales : outre l’ARF, l’ADF et l’AMF105, l’Association des maires des grandes villes (AMGV), l’Association des petites villes de France (AMGVF) et la Fédération des villes moyennes (FMVM). Les régions les plus puissantes semblent se détourner des organisations dont la vocation trop généraliste n’est plus entièrement adaptée à leurs besoins. Elles préfèrent dorénavant s’investir dans des structures de représentation en adéquation avec leurs intérêts particuliers. Il s’agit de structures dites catégorielles dans la mesure où leurs objectifs sont en lien direct avec l’objet de leur appellation. Il existe en fait une véritable nébuleuse d’associations ou d’organisations représentant des intérêts catégoriels dominés par des caractéristiques spécifiques, liées à une géographie ou à une activité économique commune. La spécialisation structurelle asymétrique entre les organes nationaux et locaux est commandée par la répartition déséquilibrée des fonctions d’intégration inhérentes aux droits et obligations de l’État de l’Union. La question organisationnelle revêt ici un enjeu contentieux, car le membre étatique ne saurait arguer de son organisation constitutionnelle pour se soustraire à ses propres obligations juridiques106. Elle a aussi une dimension métajuridique : l’acculturation et la formation de la fonction publique d’État et de la fonction publique territoriale sont nécessaires à 103. Au-delà même des frontières de l’Union européenne, le Conseil des communes et régions d’Europe (CCRE), ainsi que l’Assemblée des régions d’Europe (ARE), visent à représenter les intérêts des collectivités territoriales en Europe. En 1951, le Conseil des Communes d’Europe (CCE) est la première association européenne des pouvoirs locaux. À noter que, contrairement à ces deux dernières associations, « Eurocités » regroupe des communes issues des seuls États membres de l’Union européenne. Créée en 1986 sous l’impulsion de la Commission européenne, cette association est étroitement associée par l’institution de l’Union à l’élaboration de la politique/législation européenne en matière de gestion des villes. 104. En sus de l’Association des régions frontalières européennes (ARFE), à noter par exemple, la Communauté de travail des régions alpines (l’ARGE ALP), la Communauté de travail des Alpes occidentales (la COTRAO), la Communauté de travail des Pyrénées (la CTP). 105. L’AMF dispose également de son propre bureau de représentation. 106. CJCE, 1er avril 2008, Gouvernement de la Communauté française et Gouvernement wallon c/ Gouvernement flamand, aff. 212/06, point 58 ; CJCE, 10 juin 2004, Commission c/ Italie, aff. C-87/02, point 38 ; CJCE, 26 octobre 2006, Commission c/ Autriche, aff. C-102/06, point 9.

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l’exercice effectif et efficace des fonctions européennes des organes internes. L’intégration organique ne saurait en effet se réduire à une spécialisation structurelle. L’organe est par définition l’« [i]nstrument d’une fonction »107. L’intégration organique procède ainsi d’une spécialisation fonctionnelle.

107. G. CORNU, Vocabulaire juridique, Paris, PUF, 2002, p. 620.

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Chapitre 2 La spécialisation fonctionnelle des organes internes Parmi ses diverses significations, la participation à l’Union consiste d’abord pour l’État à « prendre part à »1 l’édification de cet ordre institutionnel et juridique européen. En cela, le principe de participation est inhérent à l’intégration et revêt une dimension fonctionnelle. Il suppose en effet pour les organes étatiques d’adopter des comportements positifs (agir) et négatifs (s’abstenir), de prendre des actes juridiques et matériels. Ces derniers s’inscrivent dans des processus d’élaboration et d’exécution du droit de l’Union qui s’articulent à différents niveaux : européen, national et local. Ces « actes de participation » pris en vertu des droits et obligations afférents au statut de l’État intégré sont constitutifs d’une spécialisation fonctionnelle en matière d’élaboration (I) et d’exécution (II) du droit de l’Union.

I.

La spécialisation fonctionnelle en matière d’élaboration du droit de l’Union

La spécialisation fonctionnelle en matière d’élaboration du droit de l’Union revêt un caractère asymétrique. Seuls les organes centraux bénéficient en effet des prérogatives liées à la définition des positions nationales et à l’adoption des actes de l’Union. Hormis le cas particulier des collectivités ultramarines, le consentement des collectivités territoriales françaises n’est nullement exigé. Cette situation d’exclusion tranche avec l’implication des entités infra-étatiques des États fédéraux ou même régionaux. La participation des collectivités territoriales françaises à l’élaboration du droit de l’Union est de nature essentiellement informelle et indirecte. Ce déséquilibre se vérifie dans la répartition des fonctions de représentation-négociation (A), de consultation (B), de coordination (C) et de décision (D), exercées par les organes internes dans le cadre de l’élaboration du droit de l’Union.

1. Participer, c’est « [p]rendre part à (qqch.) » ; Le Nouveau Petit Robert.

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A. La fonction de représentation-négociation La représentation de l’État au sein du système institutionnel de l’Union est monopolisée par des organes de l’exécutif national, fonction qui leur assure de participer directement à la négociation des actes primaires et dérivés européens (1). Ce statut privilégié contraste avec la simple représentation informelle et/ou indirecte des collectivités locales dans les négociations européennes (2).

1. La représentation de l’État La représentation de l’État est répartie entre le président de la République, les membres du Gouvernement et des administrations nationales.

• La représentation-négociation par le chef de l’État Le Conseil européen permet au président de la République de représenter la France au sein de cette institution clef de l’Union et d’exercer directement les prérogatives constitutionnelles qu’il tient des articles 5 et 52 de la Constitution. Composé essentiellement des « chefs d’État ou de Gouvernement des États membres »2, le Conseil européen jouit d’une montée en puissance institutionnelle et politique qui le place au cœur de la gouvernance de l’Union, en général, et de l’élaboration du droit primaire, en particulier. Même si le Conseil européen est dépourvu de pouvoir normatif, cette enceinte foncièrement interétatique donne les impulsions et fixe les orientations politiques de l’Union, n’hésitant pas non plus à se saisir de dossiers plus techniques (fonctionnement du mécanisme européen de stabilité, union bancaire...) susceptibles d’aboutir in fine à l’adoption d’actes primaires (par les États) ou dérivés (par les institutions co-titulaires du pouvoir législatif). Le siège de la France au sein du Conseil européen est occupé par le président de la République en sa qualité de chef de l’État. Placé à la tête de la délégation nationale dans laquelle se côtoient ministre(s)3 – voire le Premier ministre, en particulier en période de cohabitation – et fonctionnaires4, il dirige les « négociations » au nom de l’État lesquelles peuvent aboutir in fine à la « conclusion » des traités de révision (ordinaire ou simplifiée) et traités d’adhésion.

2. Article 15, § 2 TUE. 3. Les chefs d’État et de Gouvernement sont assistés de leur ministre des Affaires étrangères. Le ministre de l’Économie et des Finances peut assister le président de la République lorsque le Conseil européen examine les questions relatives à l’Union économique et monétaire. 4. L’usage veut que la délégation nationale comprenne le ministre délégué aux Affaires européennes (ou un autre ministre), ainsi qu’un « cercle » de fonctionnaires nationaux au premier rang desquels le représentant permanent de la France à Bruxelles.

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• La représentation par un membre du Gouvernement Pour les membres du Gouvernement, la fonction de représentation au Conseil de l’Union à Bruxelles fait partie intégrante de leur fonction ministérielle. Co-titulaire des pouvoirs législatif et exécutif, institution intergouvernementale par excellence, le Conseil de l’Union « est composé d’un représentant de chaque État membre au niveau ministériel, habilité à engager le Gouvernement de l’État qu’il représente et à exercer le droit de vote »5. Même si depuis le traité de Maastricht l’exigence que le représentant de l’État soit membre du Gouvernement central a été supprimée, le principe constitutionnel de l’unité et de l’indivisibilité de la République continue de fonder les seuls ministres (français) à exercer cette fonction d’intégration au niveau européen. Les ministres assurent cette fonction de représentation, non pas en qualité de plénipotentiaires accrédités par le président de la République, mais en qualité de membres du Gouvernement de l’État membre. Si cette fonction de représentation n’est pas de nature « passive » ou d’ordre protocolaire, les ministres défendent la position nationale qui a été fixée par la procédure (de coordination) interministérielle. La représentation de l’État membre au sein du Conseil de l’Union n’appartient pas à un ministre exclusif. Cette fonction n’est pas réservée au ministre des Affaires étrangères6 ou au ministre délégué aux Affaires européennes7, qui siègent au Conseil « Affaires générales ». Les conseils spécialisés regroupent les ministres concernés par l’ordre du jour et donc par l’objet des propositions d’acte. Toutefois, la définition juridique de la composition du Conseil permet d’imaginer que le représentant de l’État membre (dès lors qu’il est de niveau ministériel) peut représenter le Gouvernement au sein des formations compétentes par domaine d’activité, y compris sur des sujets qui ne relèvent pas de sa compétence ministérielle nationale. Aussi, en cas d’empêchement du ministre compétent, il peut être remplacé par un ministre délégué, voire un secrétaire d’État chargé du même domaine. La fréquence et l’intensité de cette fonction ministérielle dépendent de son champ de compétence. En effet, en dépit du développement des compétences européennes, celles-ci n’intéressent pas tous les départements ministériels de manière égale. Le degré d’implication des ministres reste lié aux priorités données à certaines politiques européennes. L’examen de la participation des ministres aux réunions du 5. Article 16, § 2 TUE. 6. Toutefois, à l’origine de la construction européenne, le Conseil était exclusivement composé des ministres des Affaires étrangères. Bientôt, ceux-ci en sont venus, sur des questions toujours techniques, à faire appel à des ministres spécialisés. Cette tendance s’est accrue avec le développement des compétences des Communautés et de l’Union. 7. Le ministre délégué aux Affaires européennes représente la France au Conseil « Affaires générales », en soutien ou en remplacement de son ministre de tutelle, le ministre des Affaires étrangères.

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Conseil de l’Union révèle un phénomène d’absentéisme. Une réalité qui contrevient à l’obligation de coopération loyale fondée sur l’article 4, § 3, du traité UE. La Cour de justice en a elle-même déduit un « devoir de ne pas prendre de mesure susceptible d’entraver le fonctionnement interne des institutions de la Communauté »8. Existe-t-il pour autant une « obligation positive » de représentation/participation qui pèserait sur les États membres et exclurait la pratique de la « chaise vide » ? Il convient de souligner ici la valeur injonctive de l’indicatif utilisé dans l’article 16 du TUE qui porte sur la qualité du représentant national, non sur sa participation. Le ministre n’est pas l’unique figure nationale présente au sein du Conseil : le membre du Gouvernement est à la tête d’une délégation nationale composée d’un nombre limité de fonctionnaires. Ces derniers ont la responsabilité de représenter l’État – plus en amont dans le processus décisionnel européen – au sein d’organes de l’Union.

• La représentation par des fonctionnaires d’État La représentation de l’État par des fonctionnaires d’État se vérifie dans les processus d’élaboration des actes tant primaires que dérivés. Cette fonction est assurée essentiellement par la Représentation permanente de la France à Bruxelles. Dans le cadre des négociations des traités (de révision ou d’adhésion), de hauts fonctionnaires – il s’agit le plus souvent de représentants permanents à Bruxelles – mandatés par le président de la République ou agissant sous son autorité, assurent la représentation de l’État dans le cadre de travaux de type préparatoire, au sein d’un groupe ad hoc. Ils sont assistés le cas échéant de groupes plus techniques, en vue de la rédaction des projets de traités. Dans les processus d’élaboration du droit dérivé, l’État peut être représenté par des fonctionnaires : soit dans la phase de négociation des actes législatifs ou délégués, au stade préparatoire de la réunion du Conseil (au sein de groupes de travail et au sein du COREPER) ; soit dans la phase de négociation des actes d’exécution, au sein des comités intergouvernementaux constitutifs du système dit de « comitologie ». Au sein même du Conseil de l’Union, en pratique, les ministres se font parfois représenter par le représentant permanent ou son adjoint. Enfin, la représentation de la France devant la Cour de justice est assurée par la direction des affaires juridiques du ministère des Affaires étrangères.

2. La représentation des collectivités locales La Constitution interdit aux organes locaux de pouvoir représenter officiellement la France et de s’exprimer au nom de l’État (dans les négociations) au sein de l’Union. Les collectivités territoriales bénéficient néanmoins de modes de représentation alternatifs : indirect et institutionnel d’une part, direct et péri-institutionnel d’autre part. 8. CJCE, 15 septembre 1981, Lord Bruce, aff. 208/80.

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• La représentation indirecte et institutionnelle À défaut de pouvoir exprimer la volonté de l’État au sein du Conseil, les collectivités territoriales françaises trouvent dans le Comité des régions un moyen indirect d’être représentées dans le système institutionnel de l’Union. L’article 146 issu du traité de Rome de 1957 a été modifié par le traité de Maastricht afin de mettre le droit primaire en adéquation avec la pratique répandue parmi des États fédéraux ou régionaux de faire participer certaines entités fédérées ou régionales lorsque le Conseil devait se déterminer sur des matières relevant de leur champ de compétence constitutionnel. L’article 146 TCE énonce alors que « le Conseil est formé par un représentant de chaque État membre au niveau ministériel habilité à engager le Gouvernement de cet État membre ». L’exigence que le représentant appartient au Gouvernement de l’État membre est donc supprimée. Pourtant, ce libellé n’habilite pas de manière générale les collectivités locales à être représentées au Conseil. Il permet seulement que le représentant de l’État membre (et par extension des membres de la délégation nationale) n’appartienne pas forcément au Gouvernement central. Depuis l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, l’article 16, § 2, TUE rappelle le rang ministériel du représentant, son habilitation à engager le Gouvernement de l’État « qu’il représente » et précise qu’il exerce le droit de vote de l’État membre. Si un État membre use de cette liberté de pouvoir être représenté et engagé par une autorité infra-étatique de rang ministériel, celle-ci est censée agir au nom des intérêts de l’État, non de sa collectivité. Bien que l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, l’Espagne et le Royaume-Uni usent de cette faculté, le caractère unitaire ou indivisible de la République française fait constitutionnellement obstacle à toute habilitation en faveur d’un organe local pour représenter et exprimer la volonté de l’État. Des représentants des collectivités territoriales peuvent néanmoins faire partie de la délégation nationale qui négocie les projets de politique régionale de l’Union européenne à Bruxelles. Il existe un cadre institutionnel européen idoine pour la représentation des collectivités infra-étatiques proprement dites. Héritier du Conseil facultatif des collectivités régionales et locales (créé en 1988), le Comité des régions a été institué par le traité de Maastricht en vue d’assurer la représentation des différents niveaux de collectivités des États membres. Cet « organe de l’Union » – le Comité des régions ne jouit pas du statut d’institution de l’Union à part entière – est composé de représentants des collectivités régionales et locales titulaires d’un mandat électoral ou responsables politiquement devant une assemblée élue au suffrage universel9. La France compte ainsi une délégation nationale de 24 membres (nombre proportionnel à son poids démographique au sein de l’Union) : 12 représentants régionaux, 6 représentants départementaux et 9. Article 305 TFUE.

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6 représentants communaux10. La sélection/nomination des membres des délégations nationales relève de l’autonomie institutionnelle et procédurale de l’État membre. Dans le cas français, les modalités de désignation des membres de la délégation – préalablement au dépôt de la liste au Comité des régions – ne sont pas fixées par un texte écrit, mais résultent d’une pratique coutumière. Après consultation des principales associations de collectivités territoriales – l’AMF, l’ADF et l’ARF –, le ministre de l’Intérieur soumet au Premier ministre la liste des membres de la délégation française fixée selon des critères géographiques, territoriaux et politiques. Toutefois, l’autorité gouvernementale ne dispose que d’un pouvoir de proposition en la matière : la liste est en effet transmise au Conseil de l’Union pour approbation, l’institution européenne disposant du pouvoir de décision11. La nature intergouvernementale du Conseil conduit à ce qu’en pratique, il se borne à confirmer les listes proposées par les gouvernements des États membres. Quoi qu’il en soit, cette procédure interne et européenne souligne l’emprise étatique sur la représentation même des entités infra-étatiques au niveau de l’Union. Cette forme de représentation directe et institutionnelle s’avère moins autonome que celle assurée par les délégations ou bureaux des collectivités territoriales à Bruxelles.

• La représentation directe et péri-institutionnelle Les délégations ou bureaux des collectivités territoriales présents à Bruxelles assurent une fonction de représentation auprès des institutions de l’Union. Il s’agit de défendre leurs intérêts propres, avec leurs moyens propres, sans dépendre de la volonté ou de l’interface étatique. Disposer de leur propre représentation auprès de l’Union européenne est un acte de volonté, un acte unilatéral de la collectivité territoriale qui traduit une « prise de conscience »12 de l’intérêt à être représenté à « Bruxelles », pôle de pouvoir décisionnel et normatif. À travers leur fonction de représentation et grâce aux contacts (informels) noués avec les services et membres des institutions de l’Union, ces délégations font office de « passerelles », de « relais » ou d’organes de liaison ou de dialogue13 entre les organes de l’Union (DG de la Commission européenne, députés du Parlement européen, Comité des régions, etc.) et les organes locaux. Toutefois, l’appartenance des collectivités territoriales françaises à un État unitaire signifie que leurs bureaux de représentation ne sauraient faire concurrence à la Représentation permanente de la France à Bruxelles. Leur existence n’est juridiquement concevable que dans le respect du monopole de l’exercice de la souveraineté externe par le pouvoir central. Le principe de 10. Et autant de suppléants respectifs. 11. Le Conseil statue à la majorité qualifiée sur la liste proposée par chaque État membre. 12. M. HUYSSENUNE et T. JANS, « Bruxelles, capitale de l’Europe des régions ? Les bureaux régionaux, acteurs politiques européens », Brussels Studies, nº 16, 25 février 2008, www.brusselsstudies.be, p. 1. 13. Ibid., p. 7.

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coordination et de coopération prévaut ici en toute logique. Le canal étatique – via en particulier la Représentation permanente – est encore nécessaire. Du reste, le Conseil d’État a évoqué le caractère « trop dispersé et peu visible »14 de ces représentations locales à Bruxelles.

B. La fonction de consultation Des organes nationaux (1) et, dans une moindre mesure, des organes locaux (2) ont développé une fonction de consultation.

1. La consultation d’organes nationaux Les administrations nationales et le Conseil d’État se sont spécialisés dans une fonction consultative propre à l’élaboration du droit dérivé de l’Union.

• La consultation de l’administration La consultation des membres de l’administration d’État se vérifie au niveau national et au niveau européen. Au niveau interne, la définition de la position nationale est le produit d’une procédure interministérielle centralisée dans laquelle les ministères ou administrations centrales concernées directement ou indirectement par le projet de texte européen sont appelés à s’exprimer et à prendre position. Au terme de processus intra-ministériels, les observations écrites des ministères concernés sont transmises au SGAE qui a la responsabilité de dégager une position interministérielle nationale unique, soit la position de l’État. Au niveau européen, les administrations nationales sont consultées selon diverses modalités et conditions. Il convient ici de distinguer le système des comités consultatifs, des comités d’exécution de la comitologie au sens strict. Dans le premier cas, les comités purement consultatifs créés par la Commission interviennent essentiellement dans le cadre de la procédure législative européenne. Avant d’émettre une proposition d’acte, la Commission se livre traditionnellement à une réflexion préalable juridiquement non obligatoire. Cette consultation en amont permet à l’institution européenne titulaire du droit d’initiative de recueillir des informations techniques exhaustives – indispensables pour asseoir sa future position ou ses choix –, mais aussi (et surtout) de sonder les premières réactions des États membres en vue de faciliter, en aval, l’adoption, puis la mise en œuvre15 du texte. La Commission européenne sollicite ainsi l’assistance de groupes consultatifs composés de 14. Conseil d’État, Rapport public pour 2007, op. cit., p. 290. 15. Les administrations concernées qui devront entrer en action au nom du principe d’administration indirecte pour assurer l’exécution matérielle de l’acte de l’Union.

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fonctionnaires/experts nationaux16. Issus des ministères, ils apportent leurs compétences techniques aux nombreux « comités » qui se voient saisis des avant-projets ou informés des réflexions de la Commission. Juridiquement, la position de ces experts nationaux n’engage pas le Gouvernement. C’est pourquoi, en principe, ces fonctionnaires ne sont pas munis d’une sorte de mandat ni d’instructions officielles. Le caractère informel et juridiquement facultatif de cette « participation consultative » tranche avec le formalisme et la portée de certains avis rendus par les comités d’exécution issus de la « comitologie »17 au sens strict, à savoir la participation de fonctionnaires des ministères – qui ici représentent fidèlement leurs États respectifs – au sein des comités techniques dont la composition/nature est intergouvernementale et qui rendent des avis au terme de deux types de procédures sur les actes d’exécution pris par la Commission18. En cela, ils participent au niveau de l’Union à l’exécution normative des actes législatifs européens.

• La consultation du Conseil d’État Le rôle consultatif du Conseil d’État dans l’élaboration du droit trouve une actualisation en matière européenne. Outre l’avis obligatoire portant sur les projets de loi autorisant la ratification des traités portant sur l’intégration européenne, la compétence consultative de droit commun19 du Conseil d’État est mobilisée20. Les avis rendus sur la base de sa fonction consultative classique demeurent toutefois encore rares. Citons néanmoins le cas où le Conseil d’État a été saisi par le Premier ministre d’une demande d’avis sur la constitutionnalité d’une proposition de règlement du Conseil de l’Union sur les litiges relatifs au brevet communautaire21. En dehors de cette compétence consultative de droit commun, le Conseil d’État a bénéficié d’une extension-spécialisation de sa fonction consultative dans le champ de l’élaboration du droit dérivé de l’Union. Ce mouvement a 16. Cette catégorie diffère de celle des « experts nationaux détachés » (END), fonctionnaires nationaux mis à disposition des institutions de l’Union (en grande majorité à la Commission) par leur ministère d’origine. La Commission recrute le candidat de son choix. 17. L’article 291 du TFUE introduit par le traité de Lisbonne a fondé la réforme des procédures de comitologie ; voir règlement 182/2011 du 16 février 2011, JOUE du 28 février 2011, p. 13. Si les comités restent en place, ils ne fonctionnent que dans le cadre de deux procédures (au lieu des cinq précédentes) dites « consultatives » et d’« examen ». La saisine du Conseil a été remplacée par la saisine d’un comité d’appel qui a tout du Conseil, à l’exception du nom. Ce système offre une certaine flexibilité à la Commission et lui impose aussi quelques obligations quant au moment où elle peut exécuter des mesures qui ont fait l’objet d’une « absence d’avis » du comité. 18. CJCE, 17 décembre 1970, Köster, aff. 25/70. 19. Article L. 112-2 du Code de justice administrative. 20. Depuis la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, le Conseil d’État peut également être saisi pour avis par le président de l’Assemblée nationale ou du Sénat de toute proposition de loi déposée sur le bureau de l’une des deux assemblées avant son examen en commission. 21. Rapport public 2002, EDCE, nº 53, Paris, La Documentation française, pp. 196-199.

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été amorcé avec l’application de l’article 88-4 de la Constitution22, dans laquelle il incombait au Conseil d’État de déterminer le caractère législatif ou réglementaire des textes européens et d’indiquer ainsi au Gouvernement ceux à transmettre aux assemblées parlementaires. Le Conseil d’État procédait de la sorte à un « filtre » ou contrôle formel qui délimitait le champ d’application de l’article 88-4. À ce titre, le Conseil d’État pouvait également attirer l’attention du Gouvernement sur les « difficultés juridiques prévisibles »23 de certains actes dérivés en phase d’élaboration24. La procédure était néanmoins passablement inadaptée à ce type de contrôle juridique préventif sur le fond. Si la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 a rendu obsolète le rôle de « filtre » assuré jusqu’alors par le Conseil d’État, le Gouvernement garde la faculté de saisir le Conseil d’État pour avis des difficultés juridiques qui apparaissent spécifiquement en cours de négociation de projets d’actes de l’Union. La circulaire du 9 novembre 199825 stipulait déjà que le Conseil d’État pouvait être saisi par un ministère ou le SGAE lorsque la proposition de texte communautaire risquait d’entraîner de sérieux problèmes d’articulation avec le droit interne. Cependant, cette circulaire ne permettait pas au Gouvernement de demander de tels avis sur l’ensemble des questions susceptibles de surgir lors d’une négociation. Le Premier ministre a fini par instituer une nouvelle procédure consultative du Conseil d’État, visant spécialement les propositions d’actes dérivés : la circulaire du 30 janvier 200326 invite en effet le Premier ministre27 à saisir le Conseil d’État de toute difficulté juridique (y compris de nature constitutionnelle) survenant au cours des négociations d’une proposition d’acte de l’Union. La saisine du Conseil d’État a ainsi vocation à répondre aux interrogations d’ordre juridique identifiées dans la définition des positions françaises dans la négociation européenne. Enfin, au sein de la section du rapport et des études du Conseil d’État, la délégation du droit européen réalise à la demande des membres du Conseil 22. Article introduit par la loi constitutionnelle du 25 juin 1992 et modifié successivement par les lois constitutionnelles des 25 janvier 1999 et 23 juillet 2008. 23. Rapport public 2000, EDCE, nº 51, Paris, La Documentation française, p. 64. 24. Voir l’exemple de l’avis rendu au sujet de la proposition de directive relative à la protection des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données ; CE, ass., 10 juin 1993, note E/93.01.29. INT. Les réserves du Conseil d’État ont permis de renforcer la position des négociateurs français à Bruxelles et de mettre à niveau la future directive 95/46 au regard de la jurisprudence constitutionnelle. 25. Circulaire « relative à la procédure de suivi de la transposition des directives communautaires en droit interne », JORF du 9 novembre 1998, pp. 16948-16949. 26. Circulaire du Premier ministre en date du 30 janvier 2003 relative aux demandes d’avis du Conseil d’État au stade de la négociation des directives et décisions-cadres communautaires, nº 4 904/SG, in Conseil d’État, Rapport public 2002, op. cit., p. 108. 27. L’opportunité de la saisine fait l’objet d’une expertise interministérielle qu’il appartient au SGAE de conduire. La circulaire du 21 juin 2010 relative à la participation du Parlement national au processus décisionnel européen précise que, sur demande de l’une ou l’autre des assemblées, le Gouvernement examine l’opportunité d’une telle saisine pour les textes transmis au titre de l’article 88-4 de la Constitution.

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d’État toute recherche relative à des questions de droit (de fond ou de forme) ; elle a une fonction d’expertise et d’information28 complétée par un travail de veille juridique. Le volume et la complexité des problèmes de droit dont la délégation est saisie29 témoignent de l’incidence du droit de l’Union sur le droit national.

2. La consultation des organes locaux Au niveau de l’Union, bien que renforcées par le traité de Lisbonne30, les attributions du Comité des régions demeurent essentiellement d’ordre consultatif31. Le degré d’influence de la délégation française sur les avis adoptés est difficilement mesurable. Au niveau national, les collectivités territoriales restent trop peu sollicitées dans les processus d’élaboration des positions nationales constitutifs de la production du droit et des politiques de l’Union. Il existe néanmoins une différence de régime juridique applicable en la matière. En effet, quand la consultation de certaines collectivités ultramarines est obligatoire, celle des « collectivités métropolitaines » est purement facultative.

• La consultation obligatoire des collectivités ultramarines La catégorie particulière des collectivités ultramarines a obtenu le droit de participer au processus de production des actes dérivés de l’Union. Cette participation évoquée par la circulaire du Premier ministre du 12 mai 198732 sera consacrée par une série de lois organiques portant sur le statut particulier de ces collectivités ultramarines et prévoyant un dispositif d’information et de consultation (sous forme de résolutions exprimant une position juridiquement non contraignante) applicable aux propositions d’actes de l’Union les concernant, quel que soit le domaine normatif (législatif ou réglementaire) dont leur contenu relève. La loi organique nº 96-312 du 12 avril 199633 a inauguré cette forme d’association en reconnaissant la fonction consultative de l’assemblée 28. La délégation au droit européen édite des dossiers d’information sous forme de bulletins mensuels (contenant l’analyse des principaux arrêts de la Cour de justice, un recensement des activités, documents et projets des institutions de l’Union, mais aussi les décisions du Conseil constitutionnel et du Conseil d’État les plus importantes en matière d’application du droit de l’Union). Source : www.conseil-etat.fr. 29. Voir Conseil d’État, Rapport public 2013, p. 357. 30. Le traité de Lisbonne lui permet de saisir la CJUE pour des actes législatifs s’il estime que le principe de subsidiarité n’est pas respecté. 31. Sa consultation est obligatoire lorsque la Commission européenne ou le Conseil ont à se prononcer dans certains domaines concernant les collectivités locales (transports, éducation, formation professionnelle, fonds structurels, etc.) ; elle est facultative, pour tous les domaines, lorsque le Parlement européen, la Commission ou le Conseil l’estiment nécessaire. 32. Circulaire du Premier ministre du 12 mai 1987 relative aux relations internationales de la France et à l’action extérieure des régions et départements d’outre-mer, JORF du 16 mai 1987, p. 5393. 33. Loi organique nº 96-312 du 12 avril 1996 portant statut d’autonomie de la Polynésie française, JORF du 13 avril 1996, p. 5701.

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de Polynésie – par le vote de « vœux » – au sujet des (seules) propositions d’actes de l’Union relevant de l’application de la décision nº 91/482/CEE du Conseil et portant sur des compétences de la collectivité. Non seulement le champ d’application de ce « droit à participation » a été étendu et renforcé34, mais la Nouvelle-Calédonie s’est vu reconnaître un droit similaire35. Le ministre chargé de l’Outre-mer doit en effet consulter le Congrès de Nouvelle-Calédonie sur les propositions d’actes de l’Union concernant cette collectivité, qui a la faculté d’émettre un avis durant les délais impartis (un mois en principe, sauf déclaration de l’urgence) sous la forme d’une résolution. La loi organique du 21 février 200736 reconnaît également aux assemblées des collectivités d’outre-mer de Mayotte et de Saint-Pierre-etMiquelon le droit d’être consultées et d’émettre des avis. Ce droit est applicable aux propositions d’actes de l’Union pris en application des clauses des traités qui leur sont applicables et qui ont des conséquences sur leur situation. Le changement de statut de Mayotte37 l’a fait glisser dans la catégorie des départements d’outre-mer. Or les articles L. 4433-3-2 et L. 3444-3 du CGCT issus de l’article 44 de la loi du 13 décembre 2000 prévoient que le ministre de l’Outre-mer consulte obligatoirement les conseils régionaux et généraux des régions et départements d’outre-mer sur les propositions d’actes de l’Union pris en application de l’article 349 du traité TFUE, c’est-à-dire des politiques qui les concernent. Ces collectivités – auxquelles s’ajoutent Saint-Barthélemy et Saint-Martin – ont ainsi la possibilité d’exprimer une position sous forme d’avis sur les textes contenant des dispositions particulières à leur égard. Les avis des conseils régionaux et généraux doivent être transmis au représentant de l’État dans un délai d’un mois à compter de la transmission de l’acte, sauf si l’urgence est déclarée (le délai est alors réduit à quinze jours). Cette fonction consultative se prolonge par une faculté d’initiative reconnue à l’assemblée délibérante des régions et départements d’outremer38, mais aussi de Saint-Martin, Saint-Barthélemy, Mayotte et SaintPierre-et-Miquelon39. Ces organes délibérants ont le droit d’adresser au Gouvernement (ou au ministre de l’Outre-mer, dans le cas du conseil général mahorais) des propositions portant application de l’article 349, § 2, 34. Article 135 de la loi organique nº 2004-192 du 27 février 2004, JORF du 2 mars 2004, p. 4183. 35. Déjà prévu par l’article 89 de la loi organique du 19 mars 1999, ce dispositif est confirmé par l’article 33 de la loi organique nº 2009-969 du 3 août 2009 relative à l’évolution institutionnelle de la Nouvelle-Calédonie et à la départementalisation de Mayotte, JORF du 6 août 2009, p. 13095. 36. JORF du 22 février 2007. 37. Loi organique nº 2010-1486 du 7 décembre 2010 relative au département de Mayotte, JORF du 8 décembre 2010, p. 21480. 38. Articles L. 4433-3-2 et L. 3444-3 du CGCT. 39. Voir respectivement les articles LO. 6351-13, LO. 6251-11, LO. 6161-11 et LO. 6461-13 du CGCT, issus directement de la loi organique du 21 février 2007.

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du TFUE. Ils ont également la possibilité de proposer des mesures adaptées à la situation de leur collectivité. Destinataire de ces propositions, le Gouvernement n’est pas tenu de les défendre au niveau de l’Union ni même de les transmettre à la Commission européenne (détentrice d’un monopole du droit d’initiative législative). En cela, la faculté d’initiative concédée à ces organes de collectivités d’outre-mer demeure pratiquement restreinte. Enfin, les présidents des assemblées délibérantes des départements et régions d’outre-mer, de Saint-Martin, Saint-Barthélemy, Saint-Pierre-etMiquelon, ainsi que le président du Gouvernement de Nouvelle-Calédonie ont le droit de demander à l’État de prendre l’initiative de négociations avec l’Union européenne en vue d’obtenir des mesures spécifiques utiles au développement de leur territoire. Même si ni l’État ni l’Union ne sont liés par cette demande, en cas d’ouverture de telles négociations européennes les représentants de la collectivité qui sont à son origine pourraient y participer (au sein de la « délégation nationale »). Sans grande portée effective, ces droits ou prérogatives sont constitutifs malgré tout d’un statut privilégié par rapport à celui des collectivités métropolitaines, dont la consultation par le Gouvernement est purement facultative.

• La consultation facultative des collectivités métropolitaines Les collectivités métropolitaines n’ont aucune prérogative à faire valoir en matière d’élaboration du droit de l’Union. Le droit français ne leur reconnaît pas de « droit à être consulté », ni même à être informé sur les projets de textes de l’Union ; sauf à admettre que le Sénat représente les collectivités territoriales (art. 24, alinéa 3 de la Constitution) et leur permet ainsi de bénéficier d’un droit d’information et d’expression « indirect »... Partant, leur information ou consultation est à la discrétion du Gouvernement. Dans la lignée de la volonté exprimée par la Commission européenne40, une circulaire du Premier ministre du 19 décembre 200541 préconise que les assemblées locales puissent débattre des projets d’actes 40. Commission européenne, Gouvernance européenne, Livre blanc, OFPCE, 2001, p. 17 ; voir aussi communication relative au « Dialogue avec les associations de collectivités territoriales sur l’élaboration des politiques de l’Union européenne », COM [2003], 811 final, 19 décembre 2003. 41. Circulaire du Premier ministre du 19 décembre 2005 relative à l’association du Parlement, des collectivités territoriales, des partenaires sociaux et de la société civile aux processus de décision européen, JORF du 9 février 2006, p. 2073. JORF nº 34 du 9 février 2006, p. 2073 : « Avec les collectivités territoriales et les élus locaux : 41. 1. Vous devrez inviter les assemblées locales à débattre des questions européennes dans le cadre de leurs compétences. 41. 2. Vous devrez consulter plus systématiquement les associations d’élus sur les projets de textes européens. 41. 3. Vous bénéficierez à cet effet d’une réorganisation de la fonction de veille du Secrétariat général des affaires européennes et de la représentation permanente pour que l’interface entre les autorités européennes et les collectivités territoriales sur les questions européennes soit mieux assurée. »

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de l’Union affectant leurs compétences, et que le Gouvernement consulte systématiquement les associations d’élus sur ces mêmes textes. Toutefois dans la pratique, cette volonté est loin de se traduire en acte. Il conviendrait donc de formaliser un « droit de participation », notamment sous la forme que suggérait le Conseil d’État en se référant aux expériences d’autres États de l’Union, à savoir la création d’un organe ad hoc représentant les collectivités territoriales et consulté par le Sénat, dont le rôle « serait de donner, le plus en amont possible du processus de décision communautaire afin d’être compatible avec les délais qu’il impose, un avis sur l’impact technique et financier des avant-projets de textes puis des propositions de textes communautaires touchant aux compétences des collectivités territoriales »42. Faute d’organe spécialisé, deux instances auxquelles participent des représentants des collectivités territoriales sont susceptibles d’exprimer un avis sur des projets d’actes de l’Union. Ainsi, la Conférence nationale des exécutifs (CNE) est une instance délibérante chargée notamment du suivi des projets et propositions de réforme européens qui les concernent. La pratique montre néanmoins qu’elle est loin de s’être spécialisée dans les affaires européennes : peu active, la CNE se focalise de fait sur des problématiques financières/fiscales locales, sans encore avoir établi de lien avec les obligations européennes applicables en la matière. Le même constat s’impose pour l’ancienne Commission consultative d’évaluation des normes (CCEN). Certes, la commission devait être obligatoirement consultée sur les propositions d’actes législatifs de l’Union (par définition, contraignants et de portée générale) ayant un impact technique et financier sur les collectivités territoriales43. La saisine de la CCEN incombait au SGAE. Or, si les avis rendus de la commission étaient juridiquement obligatoires, en pratique elle était rarement saisie des projets d’actes législatifs de l’Union. Le SGAE privilégiait en effet une appréciation restrictive de l’impact technique et financier pour des actes de l’Union sur les collectivités territoriales44. Le remplacement du CCEN par le Conseil national d’évaluation des normes (CNEN) n’a pas encore permis d’améliorer cette situation, du fait notamment que sa saisine continue de dépendre de l’appréciation discrétionnaire du Gouvernement et du SGAE45.

42. Conseil d’État, Collectivités territoriales et obligations communautaires : étude adoptée le 23 octobre 2003 par l’assemblée générale du Conseil d’État, Paris, La Documentation française, 2004, p. 57. 43. Article L. 1211-4-2 du Code général des collectivités territoriales (CGCT) introduit par la loi nº 2007-1824 du 25 décembre 2007, op. cit. 44. Si le SGAE décide de la saisine de la commission, c’est le ministère chef de file dans la négociation européenne qui est censé élaborer la fiche d’impact et la transmettre à la commission. 45. Loi nº 2013-921 du 17 octobre 2013, op. cit.

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C. La fonction de coordination Au sein du Gouvernement, les fonctions de coordination administrative (1) et politique (2) se conjuguent et s’articulent tout au long de la préparation de la position nationale qui sera défendue dans les procédures d’élaboration du droit de l’Union.

1. La coordination administrative Conformément au modèle de l’appareil politico-administratif français, la position de l’État sur les projets d’actes de l’Union est avant tout le produit d’une coordination interministérielle centralisée. Outre la fonction de coordination temporaire du SGPFUE exercée spécifiquement durant la présidence française du Conseil de l’Union, la coordination administrative en matière européenne échoit au SGAE. Lorsque le ministère « chef de file » a déterminé sa position, celle-ci est confrontée à celle des autres ministères concernés afin que soit arrêtée une position nationale commune. Celle-ci est le produit d’une procédure de coordination interministérielle articulée autour du SGAE, dont la proximité politique avec le sommet de l’exécutif renforce l’autorité. Le SGAE assure ainsi la coordination et l’arbitrage entre les multiples positions des ministères et arrête une position unique/nationale, transmise sous forme d’instructions à la Représentation permanente française à Bruxelles, laquelle est en position d’interface, de médiateur/lien organique entre l’appareil politicoadministratif national et celui de l’Union. Si d’aventure l’autorité du SGAE n’est pas suffisante pour procéder aux arbitrages nécessaires, recours est fait au Premier ministre. On passe alors du principe de la coordination non hiérarchisée au recours à l’arbitrage du Premier ministre. Pour les cas sensibles et exceptionnels ou en cas de désaccord profond, une décision à un niveau politique s’impose donc.

2. La coordination politique La question de la coordination des organes nationaux revêt une importance cruciale pour l’unité et l’efficacité de la position nationale dans le processus d’élaboration du droit de l’Union. Outre le rôle politique du ministre/secrétaire d’État chargé des Affaires européennes (qui œuvre à la lisibilité de l’action européenne du Gouvernement auprès des parlementaires et des institutions de l’Union), il revient au Premier ministre de garantir l’unité de la position nationale et d’en assumer la responsabilité politique au nom de l’exécutif. Seule la persistance de différends au niveau interministériel nécessite l’arbitrage du Premier ministre46. Celui-ci peut théoriquement réunir les ministres concernés au sein d’un CIE qu’il préside ou d’une réunion de ministres, au terme de laquelle il tranche définitivement entre les positions ministérielles pour 46. J. MASSOT, Le chef de Gouvernement en France, Paris, La Documentation française, 1979, p. 164.

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arrêter la position française officielle. Même si, en pratique, ce cadre tend à être délaissé, le CIE est précisément chargé d’examiner les questions relatives à la participation de la France à l’Union en vue notamment de renforcer la coordination gouvernementale. Ce cadre du travail gouvernemental devait permettre au Premier ministre de rendre régulièrement ses arbitrages et d’exprimer de manière plus transparente les positions ou « exigences » de l’État dans les négociations européennes. Or, la logique présidentialiste du régime de la Ve République fait qu’un dossier européen peut être tranché in fine à l’Élysée, où se concentre le pouvoir décisionnel.

D. La fonction de décision La fonction décisionnelle est complexe en ce sens où elle s’articule entre la décision nationale adoptée par l’exécutif portant sur les (projets d’) actes de l’Union (1) et le contrôle politique et juridique dont ils font l’objet (2).

1. La décision nationale sur les actes de l’Union Les organes de l’exécutif sont habilités à exprimer la volonté de l’État et donc la position nationale dans les processus d’élaboration des actes primaires et dérivés de l’Union.

• La décision nationale portant sur les projets d’actes primaires La position nationale et l’engagement de l’État à consentir aux actes primaires dépendent de l’accord de volontés des organes de l’exécutif et du Parlement. L’article 52 de la Constitution47 fonde le président de la République à définir et à fixer la position de l’État sur l’ouverture et la conclusion des négociations des actes primaires en général, et dans les procédures d’élaboration des traités de révision48 (ordinaire ou simplifiée) et d’adhésion49, en particulier. La position nationale de l’État est unique et s’identifie à celle que définit le président de la République. Celui-ci revêt ses habits institutionnels d’« arbitre » et de « capitaine »50 au moment de prendre les décisions politiques qui arrêtent la position de l’État membre au cours des négociations intergouvernementales. Hormis les quelques nuances qu’apporte l’hypothèse d’une « cohabitation », le président de la République ne souffre aucune concurrence institutionnelle de la part du Premier ministre, du ministre des Affaires étrangères ou encore du ministre délégué aux Affaires européennes. 47. L’article 52, alinéa 1 de la Constitution précise que le président de la République négocie au nom de l’État les « traités internationaux », dits traités en forme solennelle. L’article 53 mentionne pour sa part que les accords en forme simplifiée sont négociés par le Gouvernement. Ils sont soumis ultérieurement à une simple approbation. 48. Article 48 du traité UE. 49. Article 49 du traité UE. 50. J. MASSOT, L’arbitre et le capitaine, Paris, Flammarion, 1987, 320 p.

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L’article 52 de la Constitution de 1958, fidèle à la tradition constitutionnelle française, attribue au président de la République la compétence d’exprimer la volonté de l’État sous la forme de deux actes : la signature et la ratification des traités. Si la Constitution de 1958 n’habilite pas explicitement le président de la République à signer les traités internationaux au nom de l’État, le pouvoir de négocier induit traditionnellement celui de signer. Toutefois, comme l’atteste la pratique, des membres du Gouvernement dûment mandatés par le président de la République peuvent procéder à l’acte de signature d’un traité de révision ou d’adhésion. Ainsi, depuis 1958, les traités de révision ou d’adhésion51 ont été signés au nom du président de la République française par le Premier ministre et/ou le ministre des Affaires étrangères52, voire par le ministre délégué aux Affaires européennes53. Cet acte arrête définitivement le texte et l’authentifie, mais ne signifie pas que l’État a exprimé son consentement à être lié. L’autorisation législative de ratification des traités européens est une exigence constitutionnelle dont dépend l’expression du consentement de l’État à être lié par le traité. L’article 53 de la Constitution impose en effet une autorisation législative de ratification de certains engagements internationaux54, dont relèvent manifestement les traités portant sur l’intégration européenne55. Cette loi d’autorisation résulte en principe de la compétence parlementaire. De fait, la majeure partie des traités de révision et d’adhésion ont été ratifiés sur autorisation du Parlement56. Toutefois, la prérogative du Parlement se résume à un choix binaire : voter ou rejeter le projet de loi autorisant la ratification. En outre, au sein des actes primaires, les traités d’adhésion font désormais l’objet d’un dispositif constitutionnel particulier prévu à l’article 88-5 de la Constitution. Les projets de loi autorisant la ratification des traités d’adhésion sont en effet soumis directement au peuple par voie 51. Sous la IVe République, les Communautés européennes sont nées de traités (fondateurs) signés par les plénipotentiaires des six États fondateurs. 52. Par exemple, le traité sur l’Union européenne a été signé par le Premier ministre Pierre Bérégovoy et le ministre des Affaires étrangères Roland Dumas, tandis que l’Acte unique européen a été signé par ce dernier en qualité de plénipotentiaire désigné par le président de la République. 53. Le 25 avril 2005 à Luxembourg, Claudie Haigneré, alors ministre déléguée aux Affaires européennes, a signé le traité d’adhésion à l’Union européenne de la Bulgarie et de la Roumanie. 54. CE, 18 décembre 1998, SARL du parc d’activités de Blotzheim et SCI Haselaecker, Rec., p. 483. 55. L’objet du traité ou accord doit figurer parmi les matières énumérées dans l’article 53, alinéa 1 de la Constitution. Cette liste réunit les traités de paix, de commerce, ceux qui engagent les finances de l’État, ceux qui modifient des dispositions législatives, ceux qui concernent le statut des personnes ou qui sont relatifs à la cession d’un territoire. S’y ajoutent les traités ou accords relatifs à l’organisation internationale. 56. Sous la IVe République, le traité instituant la Communauté européenne de défense n’a jamais pu entrer en vigueur après le rejet du projet de loi tendant à autoriser sa ratification par l’Assemblée nationale française en juin 1954.

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de référendum. Ce principe a été introduit par la loi constitutionnelle du 1er mars 2005 afin de donner la garantie aux citoyens français que leur approbation doit obligatoirement être obtenue avant l’adhésion de nouveaux États à l’Union. Cet engagement a été pris par le président de la République Jacques Chirac dans le but d’écarter le spectre d’une adhésion de la Turquie et de favoriser ainsi la ratification du traité établissant une Constitution pour l’Europe lors du référendum du 29 mai 2005. Il est rapidement apparu que cette obligation constitutionnelle faisait peser sur chef de l’État et sur l’avenir de l’Union une exigence procédurale et politique disproportionnée. Ce « verrou référendaire » a été partiellement levé par la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 sur la modernisation des institutions de la Ve République, qui atténue l’automaticité de la procédure référendaire. L’alinéa 2 de l’article 88-5 prévoit ainsi que le Parlement peut décider, en votant une motion adoptée en termes identiques par les deux assemblées à la majorité des trois cinquièmes, qu’un projet de cette nature sera soumis au Congrès ; dans ce cas, l’autorisation législative de ratification doit obtenir la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés, conformément à la procédure prévue au troisième alinéa de l’article 89 de la Constitution. L’expression du consentement définitif de l’État intégré intervient au moment de la ratification discrétionnaire du traité par le président de la République. La loi d’autorisation ne lie pas le président de la République. Il garde toute sa liberté : le chef de l’État est seul juge de l’opportunité de ratifier un traité de révision ou d’adhésion. Le président de la République ne jouit pas d’une telle faculté juridique dans les processus d’élaboration du droit dérivé, dans lesquels le Gouvernement se trouve en position d’exprimer la volonté de l’État.

• La décision nationale portant sur les projets d’actes dérivés Il revient aux membres du Gouvernement d’exprimer la volonté de l’État au sein du Conseil de l’Union, co-législateur de l’Union. Une fonction valorisante pour le ministre : « à Paris les ministres décident parfois, mais approuvent le plus souvent les choix du président de la République ou du Premier ministre », alors qu’ « à Bruxelles, les ministres décident souvent »57. L’assertion mérite d’être nuancée. Même exprimée par un ministre, la décision de soutenir ou non la proposition de la Commission reste une décision du Gouvernement au terme d’une procédure interministérielle centralisée, coordonnée par le SGAE et arbitrée par le Premier ministre. Le ministre présent en Conseil s’exprime au nom et pour le compte de l’État, suivant la position définie par le Gouvernement. Cette exigence s’inscrit dans la droite ligne des mœurs politico-administratives françaises, les ministres connaissant pertinemment les contraintes interministérielles et le caractère hiérarchique de la décision rendue par le Premier ministre. 57. H. OBERDORFF, « La France : État-membre de l’Union européenne », in G. DUPRAT (dir.), L’Union européenne, droit politique, démocratie, Paris, PUF, 1996, p. 95.

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Si le règlement intérieur du Conseil permet au ministre d’être remplacé par le représentant permanent, celui-ci précise toutefois que la délégation de vote n’est admise qu’en faveur d’un autre représentant d’État membre au Conseil. Ainsi, un fonctionnaire occupant le siège de l’État en l’absence de son ministre est privé du droit de vote et ne peut engager son État. Outre l’expression de la décision nationale, les ministres siégeant au Conseil participent à la prise de décision du Conseil lui-même, dans l’exercice de ses compétences législative, exécutive et budgétaire. Cette fonction décisionnelle concentrée dans les mains des organes de l’exécutif n’échappe pas à tout contrôle.

2. Le contrôle des décisions nationales et européennes Des organes nationaux exercent des fonctions de contrôle politique ou juridique dans le cadre de l’élaboration du droit de l’Union.

• De la fonction de veille et d’influence au contrôle politique Si des organes nationaux et locaux assurent une fonction de contrôleinformation et de veille sur les activités des institutions de l’Union, l’action européenne du Gouvernement fait l’objet d’un contrôle proprement politique de la part des organes parlementaires. L’activité politique, normative et administrative de l’Union européenne est suivie par les organes nationaux et locaux de l’État. La Représentation permanente joue un rôle central dans la communication des informations issues des institutions de l’Union et des RP des autres États membres avec lesquelles elle est en contact direct et continu. La RP est l’interlocuteur direct du SGAE qui centralise et diffuse l’information provenant des instances européennes (Conseil, Commission, Parlement...) auprès des différents ministères, mais aussi des assemblées parlementaires. Ces dernières disposent désormais de leurs propres sources. Les antennes des assemblées parlementaires basées à Bruxelles ont en effet pour objectif essentiel d’approfondir l’information des députés et sénateurs sur l’activité politique et normative des institutions de l’Union. Les délégations ou bureaux des collectivités locales basées à Bruxelles recueillent et transmettent au niveau local les informations sur les activités des institutions de l’Union (actes, politiques et programmes européens en préparation) dès lors qu’elles sont en lien avec les compétences et les intérêts des collectivités mandantes. Cette fonction de veille trouve un prolongement dans des activités d’influence destinées pour les collectivités locales à promouvoir leurs positions et intérêts spécifiques dans les processus décisionnels européens. En outre, dans le montage des dossiers de financements européens pour des projets menés par le territoire, les collectivités locales tentent d’influer les appels à proposition de la Commission (en amont) et la mise en œuvre par les porteurs de projets

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des programmes de financement (en aval)58. Les bureaux ou délégations de représentation jouent ici un rôle essentiel de veille, travail à la fois politique et technique consistant à recueillir les informations (le plus en amont possible), à identifier les programmes (appel d’offres) auxquels les entités infranationales sont susceptibles de candidater, à influencer la répartition de ces fonds et à apporter leur soutien technique au moment du montage des dossiers. Il est difficile d’évaluer la capacité d’influence de ces bureaux ou délégations. Certains exemples montrent néanmoins l’efficacité de leur influence en faveur de la prise en compte des intérêts des collectivités territoriales59. Une telle influence serait mieux garantie en cas de consultation systématique. Si les intérêts locaux ne sauraient être qualifiés d’intérêts privés ou catégoriels60, la volonté d’influencer les institutions de l’Union (la Commission et le Parlement européen en particulier) participe d’une logique de « lobbying » étrangère à notre culture politicoadministrative structurée par l’opposition entre intérêt général et intérêts particuliers. Le « lobbying » individuel des collectivités locales s’accompagne d’une amorce de concertation/coordination entre les bureaux de représentation des entités infra-étatiques – la Maison européenne des pouvoirs locaux français en particulier – et l’État, via le SGAE et la Représentation permanente française à Bruxelles. Les institutions de l’Union ne sont pas seules à faire l’objet d’un suivi. La question du contrôle politique de l’action européenne prend une dimension plus aiguë au sein de l’État. Elle s’inscrit au coeur des relations entre le Gouvernement et le Parlement de la Ve République. Outre les procédures classiques d’engagement de la responsabilité du Gouvernement61, des procédures parlementaires ont été spécialement instituées en vue de contrôler son action européenne. Celles-ci procèdent d’une logique de « soft-contrôle » visant plus l’information et l’influence politique des assemblées parlementaires que le renversement du Gouvernement. Les organes parlementaires spécialisés dans les affaires européennes sont au cœur de l’exercice de ces modalités de « contrôle-information » et de « contrôle-influence ». Le traité de Lisbonne reconnaît aux parlements nationaux un droit à l’information. Son effectivité dépend de la transmission directe (par les institutions européennes) ou indirecte (via le SGAE mais aussi les antennes des deux assemblées basées à Bruxelles) des projets d’actes européens. 58. P.-Y. MONJAL, Droit européen des collectivités locales, op. cit., p. 90. 59. Voir le cas des recommandations de la Maison européenne des pouvoirs locaux sur le contenu de la directive-cadre nº 2008/98/CE du 19 novembre 2008 relative aux déchets. 60. Les délégations représentent des acteurs publics et défendent l’intérêt général du territoire. Les bureaux de représentation ne constitueraient pas des lobbies classiques. Ils ne défendraient donc pas des intérêts privés, mais une position commune de la région sur un thème qui touche particulièrement à ses préoccupations. En ce sens, N. LEVRAT, L’Europe et les collectivités territoriales, PIE – Peter Lang, 2010, p. 181. 61. Article 49 de la Constitution.

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Les chambres parlementaires ne sont pas passives : elles peuvent solliciter des informations ou même débattre des affaires européennes. Outre le recours aux traditionnels instruments de la fonction parlementaire de contrôle que représentent les auditions (du ministre des Affaires étrangères/européennes, mais aussi de membres des institutions de l’Union) et la publication de rapports d’informations, il est remarquable que la séance publique accorde désormais une place croissante à l’intégration européenne. Une séance par mois est ainsi consacrée aux enjeux européens lors d’un débat préalable à chaque Conseil européen : le Gouvernement fait au Sénat et à l’Assemblée nationale une déclaration, laquelle est suivie d’un débat permettant d’associer les parlementaires aux sujets essentiels qui seront inscrits à l’ordre du jour de l’institution de l’Union. Si les commissions des affaires européennes participent amplement à ce travail d’information, elles assurent une large part de la fonction de « contrôle-influence » dont peut désormais se targuer le Parlement. Plus novateur, l’instrument que représente la résolution parlementaire de l’article 88-4 de la Constitution va au-delà du simple droit à l’information sur l’action européenne du Gouvernement. Proscrites jusque-là par le Conseil constitutionnel62, les résolutions parlementaires ont été réhabilitées par la volonté du pouvoir constituant de renforcer la participation des assemblées dans le processus d’élaboration du droit dérivé63. La révision constitutionnelle préalable à la ratification du traité de Maastricht en 1992 a permis à l’Assemblée nationale et au Sénat d’adopter des résolutions sur les projets ou propositions d’actes des Communautés et de l’Union européenne comportant des dispositions de nature législative. La réforme constitutionnelle du 23 juillet 200864 a parachevé l’extension continue du champ d’application de l’article 88-4 de la Constitution en permettant aux assemblées de s’exprimer sur « tout document émanant d’une institution de l’Union ». Les commissions des affaires européennes examinent l’ensemble des textes que le Gouvernement soumet au Parlement et peuvent décider de l’adoption d’une proposition de résolution. Celle-ci est transmise à l’une des commissions permanentes compétente au fond et susceptible d’adopter la résolution proposée par l’organe parlementaire spécialisé dans les affaires européennes. À la différence de l’adoption de conclusions qui engagent seulement la Commission des affaires européennes, les résolutions expriment la position de l’assemblée parlementaire dont relève l’organe 62. Cons. const., 24 juin 1959, Règlement de l’Assemblée nationale, nº 59-2 DC ; Cons. const., 24 juin 1959, Règlement du Sénat, nº 59-3 DC. 63. Loi constitutionnelle nº 92-554 du 25 juin 1992, ajoutant à la Constitution un titre : « Des Communautés européennes et de l’Union européenne », JORF du 26 juin 1992, p. 8406. 64. Loi constitutionnelle nº 2008-724 du 23 juillet 2008 sur la modernisation des institutions de la Ve République, JORF nº 171 du 24 juillet 2008. Voir aussi la circulaire du 21 juin 2010 relative à la participation du Parlement national au processus décisionnel européen, JORF nº 0142 du 22 juin 2010, p. 11232.

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spécialisé. La nature de ces résolutions est comparable à un simple avis juridiquement non contraignant, d’un caractère purement consultatif. Si le mécanisme de « réserve d’examen parlementaire »65 est de nature à accroître la capacité d’influence des résolutions parlementaires (sur la position gouvernementale), celles-ci ne sauraient être confondues avec un quelconque mandat impératif66. Il s’agit moins pour les parlementaires de pouvoir imposer leur position ou de condamner les choix et décisions du Gouvernement que de lui suggérer des orientations en vue de la négociation européenne. En pratique, les membres du Gouvernement présents en Conseil sont prêts à tenir compte des résolutions parlementaires qui résultent de la résolution, tant qu’elles ne bouleversent pas les fondamentaux de la position gouvernementale définie au terme du processus de coordination interministérielle. Mieux, le Gouvernement n’hésite pas à les instrumentaliser pour asseoir (la légitimité démocratique de) sa propre position dans les négociations européennes... Le mécanisme d’adoption des résolutions européennes prévues par l’article 88-4 a inspiré celui de l’article 88-6 de la Constitution, disposition qui définit les modalités de mise en œuvre en France du contrôle de la subsidiarité confié par le traité de Lisbonne aux parlements nationaux. Il s’agit pour les assemblées parlementaires de pouvoir contrôler et garantir le respect du principe de subsidiarité67. Le dispositif de contrôle comporte deux mécanismes de nature différente. En amont, le Parlement français peut émettre une résolution « portant avis motivé sur la [non-]conformité au principe de subsidiarité » sur une proposition d’acte législatif européen68. La résolution peut être adoptée même hors des sessions, précision importante 65. Mécanisme désormais défini par la circulaire du Premier ministre du 21 juin 2010 relative à la participation du Parlement au processus décisionnel européen et par lequel les assemblées parlementaires peuvent se prononcer sur une proposition d’acte avant son adoption par le Conseil de l’Union. Le Gouvernement doit ainsi vérifier que le Parlement n’a pas manifesté son intention de prendre position sur une proposition d’acte européen en lui laissant un délai minimum de huit semaines à compter de leur transmission s’agissant des projets d’actes législatifs et de quatre semaines pour les autres projets d’actes. Ces délais s’insèrent dans le délai de huit semaines prévu par le protocole sur le rôle des parlements nationaux, annexé au traité de Lisbonne, au cours duquel le Conseil de l’Union, saisi d’une proposition législative de la Commission, ne peut adopter une position commune ni prendre de décision. Il existe toutefois une procédure d’examen d’urgence qui permet au Gouvernement de demander au président de la Commission des affaires européennes de se prononcer directement sur un projet d’acte européen, sans réunir la commission, lorsque le calendrier européen impose l’adoption urgente d’un texte. 66. Cons. const., 17 décembre 1992, Résolution complétant le règlement de l’Assemblée nationale pour l’application de l’article 88-4 de la Constitution, nº 92-314 DC, § 7. 67. L’article 88-6 de la Constitution – modifié par la loi constitutionnelle nº 2008-724 du 23 juillet 2008 – résulte du protocole sur l’application des principes de subsidiarité et de proportionnalité annexé au traité de Lisbonne. 68. Voir la première mise en œuvre de l’article 88-6 de la Constitution, Rapport d’information déposé par la Commission des affaires européennes sur la conformité au principe de subsidiarité de la proposition de directive modifiant la directive 2003/96/CE restructurant le cadre communautaire de taxation des produits énergétiques et de l’électricité (COM [2011] 169 final/nº 6212).

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au regard de l’enjeu que constitue le respect des délais d’adoption69. Il appartient au président de chaque assemblée concernée de transmettre l’avis motivé aux présidents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission européenne70. En aval, ce contrôle politique se double d’un éventuel contrôle juridictionnel a posteriori intervenant après l’entrée en vigueur d’un acte de l’Union. L’article 88-671 offre en effet à l’Assemblée nationale et au Sénat la faculté de donner un « carton rouge » en vertu duquel le Parlement peut présenter un recours devant la Cour de justice s’il estime que le principe de subsidiarité n’a pas été respecté. Ce recours prend la forme d’une résolution transmise au Gouvernement, par laquelle chacune des deux assemblées agit en véritable requérant autonome72. Derrière le pouvoir de contrôle sur le contenu de l’acte législatif européen, l’article 88-6 confère aux assemblées parlementaires un moyen d’orienter l’action du Gouvernement. Ce dernier se trouve en effet incité à défendre la position du Parlement au sein du Conseil au cours de la procédure d’adoption de l’acte en cause, voire ensuite devant la Cour de justice par le biais du recours en annulation. Les « motions » fondées sur l’article 88-7 de la Constitution sont plus contraignantes encore, puisqu’elles expriment la faculté d’opposition du Parlement à la modification des règles d’adoption de certains actes de l’Union73. Ayant pour objet exclusif d’opposer un refus et étant dispensée de toute obligation de motivation, la motion a vocation à être approuvée ou rejetée « en bloc ». Ce droit de « veto parlementaire » se réduit à deux hypothèses de modification des règles d’adoption d’actes de l’Union comportant une « clause passerelle » : la première correspond aux procédures de révision dite « simplifiée » prévues par l’article 48 TUE et mettant en œuvre des « clauses passerelles » pouvant jouer dans deux cas74 ; la seconde hypothèse concerne la modification des règles d’adoption des actes relevant de la « coopération judiciaire civile » entre les États membres75. Si les modalités d’initiative et de discussion de ce type de 69. Voir l’article 6 du protocole sur le contrôle du principe de subsidiarité et de proportionnalité annexé au traité de Lisbonne. 70. Si les avis motivés sur le non-respect du principe de subsidiarité par une proposition de la Commission européenne représentent au moins un tiers des parlements nationaux, la Commission doit réexaminer sa proposition (« carton jaune »). Les projets d’actes dénoncés par la moitié des parlements nationaux peuvent être rejetés dès la première lecture et à la majorité simple par le Conseil de l’Union européenne ou par le Parlement européen (« carton orange »). 71. Conformément à la prérogative reconnue par le premier alinéa de l’article 8 du protocole sur l’application des principes de subsidiarité et de proportionnalité, annexé au traité de Lisbonne. 72. Pour autant, le recours ne peut être présenté directement par les assemblées parlementaires devant la Cour de justice. Sa transmission au greffe de la Cour incombe au Gouvernement, comme le prévoit expressément le protocole annexé au traité de Lisbonne. 73. Un droit reconnu par l’article 48 du TUE et l’article 81 du TFUE. 74. Voir le troisième alinéa du 7 de l’article 48 du traité UE. 75. Voir l’article 81 du TFUE.

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motion ont été déterminées par le règlement de chaque assemblée, la procédure requise par l’article 88-7 suppose l’adoption d’une motion en termes identiques par les deux assemblées. Le Sénat et l’Assemblée nationale sont ainsi placés sur un pied d’égalité76. Surtout ce mécanisme reconnaît au Parlement la faculté de s’opposer à une décision européenne consentie par le président de la République – au sein du Conseil européen, une hypothèse assez rare sous la Ve République pour être soulignée. Une telle prérogative heurte manifestement l’esprit originel de la Ve République. Enfin, une modalité particulière de contrôle parlementaire mérite d’être soulignée. Il s’agit du débat dont fait l’objet la contribution financière de l’État au budget européen. La contribution de la France est principalement retracée sous la forme d’un prélèvement sur recettes au profit de l’Union européenne qui regroupe les ressources propres versées par la France au budget européen. Ce « prélèvement (annuel) sur les recettes de l’État » est autorisé en loi de finances77. Dans la logique intégrative, cette pratique est une anomalie juridique. Elle n’en revêt pas moins une réelle signification politique. L’article 200 du traité CEE a organisé le financement initial des Communautés européennes sur la base de contributions étatiques. Les ressources propres ne pouvant être établies que progressivement, le traité prévoyait également un système temporaire de financement fondé sur des contributions nationales. Ainsi, les premiers budgets des Communautés européennes ont été financés sur la base des contributions étatiques obligatoires. Au cours de la période 1958-1970, le budget européen était pourtant financé intégralement par des contributions des États membres. Le Conseil européen de Luxembourg d’avril 1970 a introduit pour la première fois un système de ressources propres pour le budget de la Communauté, dans le but d’accroître son autonomie financière vis-à-vis des États membres78. Entre 1979 et 1988, ce système a toutefois connu une crise, les ressources propres étant devenues insuffisantes. Le Conseil européen de Bruxelles de juin 1988 a donc créé une nouvelle ressource fondée sur le revenu national brut (RNB) des États membres. Ainsi, la volonté de doter l’Union d’un financement direct et autonome a échoué, 76. La procédure est analogue à celle qui a été instituée pour permettre aux deux assemblées de soumettre un projet de loi au référendum en application de l’article 11 de la Constitution. 77. Le montant de la contribution française au profit de l’Union européenne (prélèvement sur recettes et ressources propres traditionnelles nettes) a été multiplié en valeur par six entre 1982 et 2015, passant de 4,1 Md€ en 1982 à 23,2 Md€ en 2015, à périmètre constant. Si la France est le second contributeur derrière l’Allemagne, en solde net (contributions au budget européen moins les dépenses de l’Union en France), elle est considérée comme un contributeur de second rang, car elle est un important bénéficiaire de la PAC. Source : www. performance-publique. budget. gouv. fr/.../ressources/.../jaune2015_. 78. L’article 311 du TFUE dispose que « [...] Le budget [de l’Union] est, sans préjudice des autres recettes, intégralement financé par des ressources propres ».

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ses ressources étant majoritairement liées aux contributions des États membres. Le recours au mécanisme de « prélèvement sur recettes » maintient un lien formel avec le budget national. Le Gouvernement use à cette fin de la formule équivoque du « prélèvement sur recettes » pour comptabiliser dans la présentation budgétaire de la loi de finances annuelle les ressources propres allouées à l’Union européenne79. Depuis la loi de finances pour 1993, les assemblées parlementaires procèdent en effet à un vote sur un article spécifique de la première partie du projet de loi de finances initiale, portant sur les prélèvements sur recettes au profit de l’Union. Le vote sur cet article est précédé d’un débat portant spécifiquement sur le montant de la contribution française au budget européen. En officialisant la technique du prélèvement sur recettes, l’article 6, alinéa 4 de la loi organique nº 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances80 (LOLF) confère un fondement juridique à la pratique coutumière et entérine la spécificité de la contribution de la France au budget européen par rapport aux contributions étatiques aux organisations internationales. Il n’empêche, l’ambiguïté sur la nature de l’intervention du Parlement en la matière n’est pas totalement levée. Celle-ci suspend officiellement le versement des ressources propres au bon vouloir des parlementaires. La lecture de l’alinéa 4 de l’article 6 laisse penser que les parlementaires auraient la faculté de rétrocéder directement un montant déterminé des recettes au profit de l’Union. En conditionnant « la rétrocession » d’une fraction des ressources propres de l’Union au vote du Parlement, l’article 6, alinéa 4 de la loi organique est contraire aux engagements européens de la France et pose un problème de conformité avec l’article 88-1 de la Constitution81. On peut légitimement s’interroger sur la base juridique sur laquelle pourrait se fonder le Parlement pour intervenir sur le montant de la participation française au budget européen. Compte tenu des engagements européens de la France en la matière, le fait d’« avaliser le principe d’un vote de la représentation nationale sur des recettes qui ne lui 79. L’article 200 du traité CEE établit le financement initial des Communautés européennes sur la base de contributions étatiques, un mode de financement propre aux organisations internationales traditionnelles. Les ressources propres ne pouvant être établies que progressivement, le traité prévoyait également un système temporaire de financement fondé sur des contributions nationales. Ainsi, les premiers budgets des Communautés européennes ont été financés sur la base des contributions étatiques obligatoires assimilées à des charges du budget général et soumises aux règles contraignantes appliquées aux dépenses de l’État. Si à partir du 1er janvier 1971 (en vertu de l’article 269 du traité CE), le budget général des Communautés fut progressivement alimenté par un système dit de « ressources propres » – qui ont par définition une nature fiscale –, les prélèvements européens s’apparentent davantage à un système de contributions budgétaires qu’à un transfert de produit fiscal spécifique à l’Union. 80. Loi organique nº 2001-692 du 1er août 2001, JORF du 2 août 2001, p. 12480. 81. Hypothèse écartée par le Conseil constitutionnel, qui, après avoir exprimé une interprétation sous réserve, a considéré que « l’article 6 ne méconnaît aucune règle ni aucun principe de valeur constitutionnelle » ; Cons. const., 25 juillet 2001, nº 2001-448 DC, § 20.

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appartiennent plus » est irrecevable dans la mesure où « l’idée même de rétrocession d’une recette que l’État aurait en quelque sorte encaissée indûment, constitue la négation concrète de toute idée de ressources propres » de l’Union européenne82. Les prescriptions du droit de l’Union tirées du principe de l’autonomie budgétaire de l’Union ne prêtent pas à équivoque sur ce point. La mise à disposition des ressources propres présente un caractère obligatoire, et tout manquement est systématiquement sanctionné. Les obligations de l’État membre placent le Parlement dans une situation de compétence liée, qui exclut tout pouvoir d’autorisation parlementaire. Son vote ne saurait, par définition, avoir valeur d’autorisation. Le prélèvement sur recettes au profit de l’Union correspond au volume des ressources fiscales à l’endroit desquelles le Parlement français a perdu tout pouvoir d’autorisation budgétaire. En cas de vote négatif, c’est-à-dire dans l’hypothèse d’un refus parlementaire du versement des ressources propres, l’État membre français n’en est pas moins tenu de verser la contribution due. À défaut, il s’expose de surcroît à une condamnation pour manquement par la Cour de justice. Dans ces conditions, afin de ne pas confondre le vote du Parlement sur la participation financière de la France au budget européen avec un vote d’autorisation budgétaire, il suffirait peut-être de soustraire au corps de la loi de finances l’inscription du montant du prélèvement européen pour, éventuellement, le faire apparaître à seul titre d’information dans des documents annexes sans valeur législative. On ne peut ignorer cependant, qu’au-delà de considérations juridiques, l’intervention du Parlement national représente un enjeu de « souveraineté budgétaire » ainsi qu’une arme politique pour le Gouvernement dans une confrontation éventuelle avec les institutions de l’Union. À la faveur de la révision constitutionnelle rendue nécessaire par la déclaration d’inconstitutionnalité du traité de Maastricht83, les parlementaires, sous l’impulsion des sénateurs84, ont obtenu du Gouvernement le droit de saisine (direct) du Conseil constitutionnel sur le fondement de l’article 54. Cette réforme a contribué à renforcer le contrôle de constitutionnalité des projets d’actes primaires de l’Union. Les propositions d’actes dérivés n’échappent pas non plus à tout contrôle juridique.

• Le contrôle juridique sur les projets d’actes de l’Union Un contrôle de constitutionnalité est susceptible d’être exercé selon des procédures et modalités différentes, tant sur les projets d’actes dérivés que sur les traités européens. 82. L. LEVOYER, L’influence du droit communautaire sur le pouvoir financier français, Paris, LGDJ, 2002, p. 46. 83. Loi constitutionnelle nº 92-554 du 25 juin 1992, JORF du 26 juin 1992, p. 8406. 84. À l’initiative de membres du groupe RPR, le Sénat a en effet proposé un article modifiant l’article 54 de la Constitution qui étend à 60 députés ou sénateurs la possibilité de saisir le Conseil constitutionnel d’un engagement international ; JOS Débats, séances du 10 juin 1992, pp. 1543-1547 et du 16 juin 1992, pp. 1734-1735.

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Il n’existe pas de procédure de contrôle de constitutionnalité a priori propre aux projets d’actes (primaires ou dérivés) de l’Union. Toutefois, le contrôle de constitutionnalité des propositions de droit dérivé peut résulter d’une saisine du Conseil d’État dans le cadre de sa compétence consultative fondée notamment sur l’article L. 112-2 du Code de justice administrative85. Ainsi, le Gouvernement a consulté à plusieurs reprises le Conseil d’État à la suite d’une demande d’avis particulier. Considérés comme des demandes d’avis analogues à celles que le Gouvernement peut présenter au Conseil d’État sur toute question, les dossiers qu’il soumet au Conseil d’État portent majoritairement sur des propositions d’actes dérivés qui n’étaient pas encore parvenues au stade avancé de la proposition de la Commission au Conseil de l’Union. Cette pratique a été confortée par la circulaire du Premier ministre en date du 9 novembre 1998, laquelle prévoit que le Conseil d’État « peut être saisi par un ministère ou le SGCI lorsque la proposition de texte communautaire risquerait d’entraîner de sérieux problèmes d’articulation avec le droit interne »86. Cependant, la circulaire ne permettait pas au Gouvernement de demander de tels avis sur l’ensemble des questions juridiques susceptibles de surgir lors d’une négociation. Cette inadéquation a souligné tout l’intérêt d’étendre la compétence consultative du Conseil d’État aux propositions d’actes dérivés dans le cadre d’une procédure consultative spécifique. Tel est l’objet de la circulaire du 30 janvier 200387 qui invite le Gouvernement à s’appuyer sur le conseil juridique du Conseil d’État pour lui soumettre les « difficultés juridiques » survenant au cours des négociations d’une proposition d’acte de l’Union européenne. Cette procédure a été mise en œuvre de manière remarquable au sujet d’un projet de convention d’entraide judiciaire entre l’Union européenne et les États-Unis88. Si le Conseil d’État est également saisi pour avis des projets de loi d’autorisation de ratification des traités européens, seul le Conseil constitutionnel peut être saisi pour procéder à un contrôle de constitutionnalité a priori de l’engagement européen proprement dit. En 85. Disposition qui prévoit que « [l]e Conseil d’État peut être consulté par le Premier ministre ou les ministres sur les difficultés qui s’élèvent en matière administrative ». 86. Circulaire du Premier ministre du 9 novembre 1998 relative à la procédure de suivi de la transposition des directives communautaires en droit interne, JORF nº 261 du 10 novembre 1998, p. 16948. 87. Circulaire du Premier ministre du 30 janvier 2003 relative aux demandes d’avis du Conseil d’État au stade de la négociation des directives et décisions-cadres communautaires, nº 4 904/SG, in Rapport public 2002, nº 53, EDCE, Paris, La Documentation française, p. 108. 88. CE, avis, 7 mai 2003, Projets d’accords entre l’Union européenne et les États-Unis d’Amérique en matière d’extradition et d’entraide judiciaire, RFDA 2003, p. 467. Dans l’avis nº 368.976 rendu le 7 mai 2003, le Conseil d’État a pu ainsi éclairer le Gouvernement au cours de la négociation européenne, notamment sur la compétence de l’Union européenne pour conclure des accords avec des pays tiers sur la coopération policière et judiciaire en matière pénale et sur le nécessaire respect des principes constitutionnels français concernant les droits de la défense et la possibilité de refuser une extradition pour les infractions à caractère politique.

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vertu de l’article 54 de la Constitution relatif à la procédure de ratification des engagements internationaux, le Conseil constitutionnel est susceptible d’être saisi pour procéder au contrôle de la constitutionnalité des traités portant sur l’intégration européenne89. Intervenant entre la signature et l’autorisation législative de ratification du traité, cette saisine n’est ni automatique ni obligatoire. Le contrôle de constitutionnalité des traités signés se trouve donc tributaire d’une décision politique, d’une initiative discrétionnaire des autorités de saisine. En pratique, l’usage veut que les traités d’adhésion ne fassent pas l’objet d’une saisine du Conseil constitutionnel. En revanche, la saisine est prévisible et va presque de soi pour un traité de révision90. Seul un contexte politique propre à la « cohabitation » peut amener les autorités compétentes à s’abstenir de recourir à leur droit de saisine. L’Acte unique et le traité de Nice l’attestent. Une conception extensive de la notion d’« engagements internationaux » et l’étendue de l’examen auquel il procède permettent au Conseil constitutionnel d’assurer un vaste filtrage constitutionnel des projets d’actes primaires de l’Union. Le contrôle au fond de ces actes négociés par les organes de l’exécutif trace les contours d’un seuil de constitutionnalité au-delà duquel la censure du Conseil constitutionnel fait obstacle à la ratification du traité, sauf révision de la Constitution. Le seuil est franchi quand le Conseil constitutionnel déclare que les engagements internationaux qui lui sont soumis « contiennent une clause contraire à la Constitution, remettent en cause les droits et libertés constitutionnellement garantis ou portent atteinte aux conditions essentielles d’exercice de la souveraineté nationale »91. En cas de censure, le Conseil constitutionnel ne saurait se prévaloir du pouvoir de faire totalement obstacle à la ratification des traités européens. Ce qui fait écrire à Georges Vedel que « [s]i les juges ne gouvernent pas, c’est parce que, à tout moment, le souverain, à la condition de paraître en majesté comme Constituant, peut, dans une sorte de lit de justice, briser leurs arrêts »92. Le contrôle de constitutionnalité des traités de révision ne doit donc pas être appréhendé comme un « verrou constitutionnel ». Il s’agit moins pour le Conseil constitutionnel d’être le « censeur » des organes de l’exécutif (et surtout, du président de la République) qui ont négocié le traité au nom de l’État, que de jouer un rôle 89. Le contrôle de constitutionnalité prévu par l’article 54 de la Constitution s’applique aux traités ou accords supposant une telle autorisation et portant sur les domaines mentionnés à l’article 53 de la Constitution. Les traités d’adhésion ne semblent pourtant lever aucune difficulté constitutionnelle au regard des autorités de saisine, puisque celles-ci n’ont jamais jugé bon de soumettre l’un de ces traités à l’examen du Conseil constitutionnel. 90. Sur les derniers traités de révision ordinaire et simplifiée : Cons. const., 20 décembre 2007, Traité de Lisbonne, nº 2007-560 DC ; Cons. const., 9 août 2012, Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l’Union économique et monétaire, nº 2012-653 DC. 91. Cons. const., 19 novembre 2004, Traité établissant une Constitution pour l’Europe, nº 2004505 DC, § 7. 92. G. VEDEL, « Schengen et Maastricht », RFDA 1992, nº 2, p. 180.

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d’« aiguilleur » du pouvoir constituant dérivé93, seul apte à surmonter les incompatibilités avec la Constitution présentes dans le traité. Les décisions qu’il rend n’ont pas la nature politique que revêtent celles que d’autres organes étatiques prennent dans les processus d’élaboration du droit (primaire et dérivé) de l’Union. L’étendue et l’intensité de la spécialisation fonctionnelle des organes locaux pour l’élaboration du droit de l’Union contrastent avec celle des organes nationaux. L’association indirecte et lacunaire des organes locaux à l’élaboration du droit de l’Union s’explique par les faibles prérogatives ou droits qui leur sont reconnus en la matière. À l’inverse, ils sont tenus par un étroit réseau d’obligations juridiques qui rééquilibre quelque peu la répartition des fonctions d’intégration afférentes à l’exécution du droit de l’Union.

II.

La spécialisation fonctionnelle en matière d’exécution du droit de l’Union

L’intégration européenne se caractérise par un système dit d’« administration indirecte » ou d’« exécution décentralisée ». La compétence de principe des États en matière d’exécution94 et l’obligation de coopération loyale95 érigent les organes internes, déconcentrés en agents d’exécution du droit de l’Union. L’exercice de cette compétence mobilise les organes politiques, administratifs et juridictionnels de l’État, mais aussi ses démembrements (collectivités territoriales, établissements publics, etc.), ainsi que leurs moyens juridiques, financiers et humains. L’organisation de cette compétence d’exécution est laissée à la discrétion de l’État intégré, au sein duquel sont réparties les fonctions d’exécution normative (A), d’exécution administrative (B), mais aussi des fonctions de contrôle budgétaire (C) et de sanction (D).

A. La fonction d’exécution normative Outre le fait que les États participent à l’adoption des actes normatifs d’exécution de l’Union, au niveau national ils édictent des actes juridiques à caractère contraignant et général en vue de l’exécution effective du droit de l’Union en droit interne. Le caractère indivisible de la souveraineté commande l’unité du pouvoir normatif de l’État et, par voie de conséquence, une centralisation de l’exécution normative (interne) du droit de l’Union. Il revient donc aux organes centraux d’adopter les mesures 93. Cons. const., 2 septembre 1992, Maastricht II, nº 92-312 DC, § 9. 94. Article 291, § 1 TFUE. 95. Article 4, § 3 TUE.

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nationales de compléments, d’application ou de transposition (1), au moyen de divers instruments juridiques nationaux (2).

1. L’exigence de mesures nationales La portée et l’intensité de l’exécution normative varient selon l’effet direct de l’acte européen : la compétence nationale est résiduelle pour les règlements (directement applicables par définition), tandis qu’une mesure nationale de transposition est nécessaire pour réaliser les objectifs fixés par les directives. Partant, il convient de distinguer les mesures nationales d’application, des mesures nationales de transposition.

• Des mesures nationales d’application L’adoption par l’Union d’actes dérivés de portée générale peut nécessiter l’adoption par l’État de mesures nationales complémentaires ou d’application à caractère général. L’étendue de cette compétence d’exécution normative varie néanmoins selon la nature de l’acte européen concerné. D’abord, l’hypothèse d’une intervention normative nationale complémentaire peut concerner des dispositions non directement applicables des traités, c’est-à-dire des dispositions insuffisamment claires et précises, laissant aux États une marge d’appréciation. Ensuite, malgré leur caractère directement applicable – excluant toute mesure de réception en droit interne – une intervention normative nationale peut s’avérer nécessaire pour les règlements « incomplets ». Cette compétence résiduelle se fonde soit sur une habilitation expresse inscrite dans le règlement lui-même, soit sur une habilitation générale fondée sur l’obligation générale de coopération loyale des États96. Si la Cour de justice a finalement admis cette compétence résiduelle des États97, elle n’en a pas moins encadré leur pouvoir d’appréciation au nom du principe d’application uniforme du droit de l’Union98. Il convient ainsi pour l’État de se « borne[r] à assurer l’exécution »99 du règlement, sans en affecter la portée et la signification normatives100. La fonction d’exécution normative se présente en des termes particuliers pour les directives européennes. L’acte de transposition dans le droit national se distingue en effet des mesures de compléments ou d’application.

• Des mesures nationales de transposition La « transposition » est l’opération par laquelle un État destinataire de la directive procède à l’adoption de toutes les mesures nécessaires à sa réception et à son incorporation effective dans l’ordre juridique national par 96. D. SIMON, Le système juridique communautaire, Paris, PUF, 2001, p. 105. 97. CJCE, 27 septembre 1979, Eridania, aff. 230/78. 98. CJCE, 17 décembre 1970, Synacomex, aff. 34/70. 99. CE, 22 décembre 1978, Syndicat viticole des Hautes-Graves de Bordeaux, Rec., p. 826. 100. CJCE, 18 juin 1970, Krohn, aff. 74/69.

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les véhicules normatifs appropriés. Elle exige, d’une part, l’insertion en droit interne de l’ensemble du contenu normatif de la directive et, d’autre part, qu’il soit procédé à la totalité des abrogations et modifications nécessaires en vue d’assurer la meilleure articulation entre la norme nationale de transposition et le droit interne préexistant. La simple obligation de résultat et la marge d’appréciation attachées à la transposition des directives la rapprochent d’une véritable « participation des États membres (...) à l’élaboration des actes législatifs communautaires »101. Pourtant, l’acte de transposition s’avère contraignant pour l’État intégré. La transposition en droit interne des directives européennes dans les délais impartis est une exigence européenne et constitutionnelle102 (voir infra Partie 2, Chapitre 2, I). Certes, l’acte de transposition ne suppose pas l’adoption de mesures nouvelles si le droit en vigueur au moment de l’adoption de la directive respecte déjà ses propres prescriptions ; il ne doit pas non plus en principe aller au-delà de ce qu’exige la directive. Reste que les directives sont de plus en plus détaillées et laissent ainsi peu de marge d’appréciation aux États. Or la transposition doit être complète103 et les interdictions qu’elles expriment doivent être textuellement reproduites dans la mesure nationale. Lorsque la directive énumère les conditions de mise en œuvre d’une règle, les mesures nationales de transposition ne peuvent introduire de conditions supplémentaires104, non plus que d’exceptions ou de dérogations non prévues par la directive. Lorsque la directive réserve cette possibilité, le texte de transposition doit en définir précisément le champ d’application et les modalités de contrôle105.

2. La forme des mesures nationales L’adoption de mesures nationales complémentaires, d’application ou de transposition des règles européennes ne déroge pas à la répartition rationae materiae des compétences normatives internes entre le Parlement et les organes de l’exécutif106. Il y a par conséquent un éclatement de la fonction d’exécution normative : la loi, l’ordonnance et les actes réglementaires sont autant d’instruments juridiques nationaux au service de l’intégration européenne.

101. C. BLUMANN et L. DUBOUIS, Droit institutionnel de l’Union, Paris, Litec, 2013, p. 386. 102. Cons. const., 10 juin 2004, Loi pour la confiance dans l’économie numérique, nº 2004-496 DC. 103. CJCE, 27 avril 1988, Commission c/ France, aff. 252/85. 104. CJCE, 23 novembre 1989, Parfumerie Fabrik, aff. 150/88. 105. CJCE, 8 juillet 1987, Commission c/ Belgique, aff. 247/85. 106. CE, 28 décembre 1992, Fédération nationale des exploitants d’abattoirs prestataires de service, Rec., p. 459 ; CE, 2 octobre 1981, Mama M’Bodj, Rec., p. 345.

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• L’exécution normative par voie législative Si la transposition, le complément ou l’application de règles européennes suppose parfois l’adoption d’une loi constitutionnelle107 – suite à un contrôle de constitutionnalité108 – ou d’une loi organique109, elle prend le plus souvent la forme d’une loi ordinaire (lorsque les dispositions relèvent du domaine législatif). Même si la voie référendaire n’est pas théoriquement exclue, ce « législateur-exécutant » s’exprime par la voie parlementaire110. Or les parlementaires s’accommodent mal du rôle de simple « exécutant ». Il est vrai que l’exécution normative du droit de l’Union ne s’apparente pas à une compétence législative de plein exercice et place le législateur national dans une situation juridique de compétence liée. Aussi les exigences afférentes au délai de transposition des directives mettent en lumière les contraintes procédurales, techniques et politiques qui pèsent sur un travail parlementaire, lui-même tributaire du travail gouvernemental (mobilisation des administrations centrales et interministérielles pour l’élaboration des projets de loi dans les délais prescrits). Face aux difficultés rencontrées pour l’exercice de cette fonction d’exécution normative par voie législative, le Gouvernement a créé une catégorie de projets de loi ad hoc, portant « diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire », les « DDAC », devenus « DDADUE »111 (avec la substitution de l’Union à la Communauté européenne). Concrètement, il s’agit de transposer « en bloc » plusieurs directives ou de procéder à de nombreuses modifications législatives par 107. La loi constitutionnelle nº 2003-267 du 25 mars 2003 relative au mandat d’arrêt européen, JORF nº 72 du 26 mars 2003, p. 5344. 108. Sur le contrôle de constitutionnalité des « lois de transposition » exercé par le Conseil constitutionnel, voir infra, Partie 2, Chapitre 2, I, A, 2. Il convient également de souligner le contrôle de constitutionnalité susceptible d’être effectué par le Conseil d’État au titre de sa fonction consultative. Du reste, la loi constitutionnelle nº 2003-267 du 25 mars 2003 sur la décision-cadre relative au mandat d’arrêt européen résulte précisément d’un « avis d’inconstitutionnalité » rendu par le Conseil d’État ; CE, avis, 26 septembre 2002, RFDA 2003, p. 465. 109. Loi organique nº 2012-1403 du 17 décembre 2012 relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques, JORF nº 0294 du 18 décembre 2012, p. 19816. 110. Par exemple, voir la loi nº 2014-535 du 27 mai 2014 portant transposition de la directive 2012/13/UE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2012, relative au droit à l’information dans le cadre des procédures pénales, JORF nº 0123 du 28 mai 2014, p. 8864. 111. Comme pour les autres projet de loi, le projet de loi portant DDADUE est soumis aux dispositions de l’article 39 de la Constitution et de la loi organique nº 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l’application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution. Néanmoins, la nature particulière du projet de loi de transposition a des conséquences sur le contenu de l’étude d’impact qui doit être élaborée au niveau national. L’étude d’impact d’un projet de loi comprenant des mesures de transposition d’une directive doit ainsi comporter : le délai de transposition et la présentation du contenu de la directive ; un renvoi à l’étude d’impact simplifiée réalisée par la Commission européenne ou un résumé des négociations ; un commentaire du tableau de transposition, annexé à l’étude d’impact ; pour les projets de loi transposant des directives, les raisons ou les lacunes dans le dispositif en vigueur qui ont conduit les États membres à proposer à l’Union européenne de légiférer en la matière.

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un seul et même texte législatif regroupant des dispositions qui n’ont pas forcément de liens entre elles, mais qui relèvent d’un secteur d’activité commun, et donc de la compétence d’un même ministère. Certains n’ont pas manqué de fustiger la procédure suivie par cette catégorie de projets de loi aux allures de « baudets législatifs »112. Aussi le recours à cette catégorie de lois doit-il être encouragé à titre de procédure subsidiaire. D’ailleurs, bien qu’il soit destiné à résorber le retard de la France en matière de transposition de directives, le Gouvernement ne fait pas grand usage de ce type de loi113, qui peut aussi avoir pour objet la ratification d’ordonnance d’application ou de transposition d’un acte de l’Union114. Or les lois « DDADUE » comme le recours aux ordonnances par le Gouvernement tendent à souligner l’inadéquation plus ou moins avérée de la procédure parlementaire à la fonction d’exécution normative.

• L’exécution normative par voie d’ordonnance Même si les parlementaires demeurent rétifs à l’idée de déléguer leur pouvoir législatif, le Gouvernement n’hésite pas à opter pour un recours aux ordonnances afin d’assurer l’exécution normative d’actes de l’Union dont les dispositions relèvent du domaine législatif115. Il est vrai que les ordonnances de l’article 38 de la Constitution présentent deux caractéristiques déterminantes en la matière : elles sont adaptées à l’urgence et aux domaines techniques. Le recours aux ordonnances a contribué à résorber de manière « urgente » les retards de la France dans la transposition de directives européennes. Cette pratique n’en présente pas moins, pour le Gouvernement, des contraintes politiques et procédurales : l’accord de volontés des assemblées parlementaires et du président de la République. Le Conseil d’État a admis la pratique de la ratification implicite des ordonnances de transposition116, mais il a précisé dans un avis que la loi qui habilite le Gouvernement à transposer une directive par ordonnance ouvre une simple faculté sans procéder elle-même à cette transposition117. 112. B. MATHIEU et M. VERPEAUX, « Chronique de jurisprudence constitutionnelle », nº 19, mars-juillet 1998, p. 18. 113. Voir récemment la loi nº 2014-201 du 24 février 2014 portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne dans le domaine de la santé, JORF nº 0047 du 25 février 2014, p. 3250 ; la loi nº 2013-619 portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne dans le domaine du développement durable, JORF nº 164 du 17 juillet 2013, p. 11890. 114. Par exemple, la loi nº 2014-201 du 24 février 2014 portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne dans le domaine de la santé procède notamment à la ratification de l’ordonnance nº 2012-1427 sur le commerce électronique des médicaments et la mise en conformité de cette vente avec les obligations communautaires découlant de la directive 2011/62/UE. 115. Voir l’ordonnance nº 2013-676 du 25 juillet 2013 modifiant le cadre juridique de la gestion d’actifs (JORF nº 0173 du 27 juillet 2013, p. 12568) transposant dans le droit national la directive nº 2011/61/UE du Parlement et du Conseil du 8 juin 2011 (directive « AIFM »). 116. CE, 19 mars 2003, Association des élus de montagne, Rec., p. 623. 117. Avis du Conseil d’État sur le projet de loi portant réforme du régime d’indemnisation des catastrophes naturelles comportant notamment une habilitation à transposer la

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• L’exécution normative par voie réglementaire Enfin, l’exécution normative peut emprunter la voie décrétale. Mieux, le pouvoir réglementaire national est le pouvoir normatif de droit commun en la matière. En fonction du caractère directement applicable ou non de l’acte de l’Union, l’exécution normative est alors assurée par le pouvoir réglementaire d’exécution des lois ou par le pouvoir réglementaire autonome. Pour les règlements européens, du fait de la faible marge de manœuvre allouée aux États de l’Union, un rôle restreint, d’ordre « administratif », leur est consenti, le propre du pouvoir réglementaire étant l’exécution des lois. Pour les directives, le fait que les ministères aient participé directement à leur élaboration explique qu’ils soient privilégiés pour leur transposition dans l’ordre interne. Nombre de mesures nationales de transposition de directives relèvent de l’article 37 de la Constitution, tandis que l’application des règlements ne nécessite, en principe, que l’usage du pouvoir réglementaire d’exécution des lois, fondé sur l’article 21 de la Constitution. La compétence réglementaire d’exécution des lois est étendue à l’exécution du droit de l’Union directement applicable. Souvent, l’adoption et la publication de la loi de transposition n’équivalent pas à une transposition complète. Il est généralement nécessaire que les actes réglementaires d’application de la loi soient pris pour que la transposition soit complète. La compétence de principe du Premier ministre pour assurer l’exécution des lois (article 21 de la Constitution) est étendue à l’exécution du droit de l’Union directement applicable. Le Gouvernement est alors dans une situation analogue à celle où il se trouve pour l’exécution des lois nationales : il est détenteur d’« une compétence subordonnée et liée et donc [d’] une fonction de caractère exécutif »118. La pratique gouvernementale peut s’appuyer sur le fameux avis du Conseil d’État du 20 mai 1964. Le Gouvernement « exécute » non seulement les règlements, mais aussi les décisions de l’Union par voie de décrets comme s’il s’agissait d’exécuter des lois nationales. Cette lecture extensive du domaine réglementaire conduit le Gouvernement à prendre des décrets d’exécution des règlements portant sur des domaines relevant de l’article 34. L’exécution normative proprement dite du droit de l’Union échoit quant à elle en grande partie au pouvoir réglementaire autonome, consacré par l’article 37 de la Constitution. Le pouvoir réglementaire général apparaît comme le pouvoir de droit commun pour la transposition des directives ou l’application des règlements et décisions de l’Union. Partant, le Premier ministre et les autres membres du Gouvernement auxquels il lui est directive 2009/138/CE du 25 novembre 2009 ; Rapport public 2013, Paris, La Documentation française, p. 258. 118. P.-H. TEITGEN, « L’application du droit communautaire par le législatif et l’exécutif français », in J. RIDEAU (dir.), La France et les Communautés européennes, Paris, LGDJ, 1975, p. 795.

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possible de déléguer son pouvoir réglementaire se trouvent investis d’un rôle non négligeable dans l’exercice de la fonction d’exécution normative. La mise en œuvre de dispositions européennes directement applicables ou la transposition de directives prennent ordinairement la forme d’un décret du Premier ministre, contresigné par les seuls ministres concernés. Les services des ministères sont également amenés à transposer quelques mesures mineures contenues dans des directives par la voie de l’arrêté ministériel119. Des ministres signent parfois conjointement des actes réglementaires s’ils sont plusieurs à être concernés120. Bien qu’elle soit contestée par la Cour de justice, certains ministères recourent en pratique à la circulaire pour assurer l’application, voire la transposition du droit de l’Union. L’emploi de cet instrument particulier répond à un souci d’efficacité, de rapidité et de souplesse dans le respect des délais de transposition121. En outre, les ministres usent de ces instruments pour constater l’abrogation des textes nationaux qui résultent de plein droit d’un règlement et pour en expliciter les conséquences122. Que les États membres doivent prendre ou non des mesures d’exécution normative, il s’avère en pratique nécessaire pour eux de procéder à l’exécution administrative du droit de l’Union au niveau national.

B. La fonction d’exécution administrative La fonction d’exécution administrative découle directement de la compétence d’attribution de l’Union et des carences d’un système institutionnel dépourvu d’une administration opérationnelle, de terrain, suffisante pour assurer l’exécution effective – matérielle et individuelle – du droit de l’Union. Partant, l’exécution administrative du droit de l’Union 119. Comme l’atteste l’arrêté du 13 octobre 1978 transposant la directive du Conseil du 29 juin 1978, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à la teneur en plomb de l’essence. 120. Par exemple, le décret nº 89-648 du 31 août 1989 modifiant le décret nº 79-981 du 21 novembre 1979 portant règlementation de la récupération des huiles usagées, pris pour l’application des directives 75/349 du 16 juin 1975 et 87/101 du 22 décembre 1986, dont l’article 5 prévoit que la procédure d’attribution des agréments sera fixée par arrêté conjoint des ministres chargés de l’Environnement, de l’Économie, du Budget et de l’Industrie ; JORF, Lois et décrets, 14 septembre 1989, p. 11599. 121. C’est par une simple circulaire que le Gouvernement a souhaité remplir l’une de ses obligations communautaires découlant de la directive 93/22/CEE du Conseil du 10 mai 1993 concernant les services d’investissement dans le domaine des valeurs mobilières. 122. Par exemple, dans l’affaire dite du libre établissement des marins en France, sur la base du règlement communautaire nº 1612-68 du 15 octobre 1968, relatif à la libre circulation des travailleurs dans la Communauté, l’Assemblée nationale a adopté un projet de loi modifiant le Code du travail maritime de 1926. Face au refus du Sénat d’adopter cette même loi nationale d’exécution du droit communautaire, la France a été condamnée par un arrêt en manquement de la Cour de justice, rendu le 4 avril 1974 (aff. 107/73). Au lieu de choisir à nouveau la procédure parlementaire et d’encourir le risque d’une nouvelle confrontation avec le Sénat, le Gouvernement a adopté une circulaire, le 2 mai 1975, et envoyé aux organismes professionnels compétents un avis indiquant que l’article 3 du Code maritime de 1926 n’était plus opposable aux ressortissants de la Communauté.

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repose essentiellement sur les administrations nationales (1), des autorités indépendantes (2) et des organes locaux (3).

1. L’exécution par l’administration nationale L’administration nationale assure une fonction d’exécution administrative qui permet la mise en œuvre quotidienne et concrète du droit de l’Union sur le territoire national. Exercée dans le respect des principes de l’administration indirecte et de la coopération loyale – avec la Commission européenne et les autres États intégrés –, cette fonction recouvre des obligations positives (de faire) et négatives (de ne pas faire), des actes matériels et individuels. La mise en œuvre peut consister à rendre effectives les règles européennes dans des cas d’espèce et des situations concrètes. Toutefois, si l’administration nationale est effectivement compétente, celle-ci n’est pas exclusive de toute intervention des organes de l’Union.

• La compétence de l’administration nationale Même dans les domaines relevant de la compétence exclusive de l’Union (PAC ou politique commerciale commune), il incombe essentiellement à l’État intégré d’assurer l’exécution administrative du droit européen. Une responsabilité prégnante en matière d’exécution du budget de l’Union, activité qui suppose de collecter des ressources budgétaires de l’Union et de veiller à leur réemploi (soit directement, soit en supervisant les organismes publics d’intervention qui procèdent aux dépenses correspondantes). En l’absence d’une « administration fiscale européenne », l’administration nationale se mobilise à deux étapes dans les opérations financières, lesquelles exigent des actions de nature différente. En amont, il incombe aux services douaniers et fiscaux nationaux de procéder à la perception des prélèvements qui alimentent les recettes du budget de l’Union. Le remplacement des contributions financières par des ressources propres ne s’est pas accompagné de l’institution d’une administration européenne de perception, collectant elle-même les ressources propres qui alimentent le budget européen. Il en résulte l’absence de tout lien direct entre le particulier (en qualité de contribuable) et l’Union. Les services administratifs nationaux ne se contentent pas d’encaisser les recettes de l’Union. En aval, les administrations nationales assurent la gestion des dépenses de l’Union – ou la redistribution des fonds européens – sur le territoire national. La Commission européenne assume l’essentiel de l’exécution du budget européen, mais plus de 80 % des dépenses sont effectuées sur le territoire et par l’intermédiaire des États. Les dépenses prévues par le budget européen dépendent donc en grande partie de l’action des administrations des États. En France, la dépense est effectuée sous l’égide de la Commission européenne par l’intermédiaire du Trésor public et de la Banque de France. L’Agence comptable du Trésor constitue

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la tête du réseau des comptables de l’État. Elle opère la conversion des fonds européens en fonds nationaux et relève le compte-pivot (un compte unique ou global) d’exécution du budget de l’Union, tel un comptable, pour ce qui concerne les flux financiers transitant par les caisses publiques.

• L’exécution administrative partagée Lorsqu’il assure l’exécution administrative d’un acte de l’Union, l’État n’est pas seul à agir : l’intervention de ses organes s’accompagne également d’une action exécutive de la part d’organes de l’Union123. L’exécution administrative résulte en effet de l’exercice d’une compétence partagée entre l’administration nationale et la Commission donnant lieu à des mécanismes de « co-administration », à savoir des procédures juridiques complexes faisant intervenir une série d’administrations/organismes et d’actes juridiques, nationaux et européens124. L’exécution administrative relevant de la compétence exclusive de l’administration française n’exclut pas toute coordination ou coopération avec la Commission et les administrations nationales des autres États de l’Union. Au contraire, afin d’assurer une application uniforme du droit de l’Union, la décision de l’administration française est souvent le produit d’un processus de coopération, de concertation ou de coordination administrative125. Ces mécanismes complexes illustrent la coexistence des modalités d’exécution par l’Union et par l’État intégré126. L’association des administrations nationales et de la Commission pour la mise en œuvre concrète du droit européen du marché intérieur s’effectue selon des modes plus ou moins institutionnalisés et structurés. Des réseaux d’administrations nationales et européennes se développent ainsi tant pour le contrôle des concentrations ou (de manière plus approfondie) la répression des pratiques anticoncurrentielles, la circulation d’information/ d’expertise que pour la régulation ou interrégulation de marchés sectoriels par des organes indépendants.

2. L’exécution par des autorités indépendantes L’intégration européenne a largement contribué à l’affirmation de la notion de régulation dans le droit (public) français. Celle-ci correspond à un type d’activité exécutive exercé au niveau national, mais qui s’articule avec le niveau européen. 123. J. ZILLER, « Exécution centralisée et exécution partagée : le fédéralisme d’exécution en droit de l’Union européenne », in J. DUTHEIL DE LA ROCHERE, L’exécution du droit de l’Union, entre mécanismes communautaires et droits nationaux, Bruxelles, Bruylant, 2009, p. 116. 124. S. CASSESE, « Le droit administratif européen présente-t-il des caractères originaux ? », in Mouvement du droit public. Mélanges en l’honneur de Franck Moderne, Paris, Dalloz, 2004, p. 1191. 125. J. SIRINELLI, op. cit., pp. 185-191. 126. J. ZILLER, op. cit.

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• La régulation nationale Toujours délicate à définir, la notion de régulation trouve dans le « marché » un terrain privilégié d’application. Elle renvoie ici aux mécanismes juridico-économiques complexes qui organisent un secteur et établissent en son sein des équilibres qui ne peuvent advenir par les seules forces du marché127. Caractérisée par l’exigence d’impartialité de l’autorité qui l’exerce, cette recherche d’équilibre économique par des autorités publiques contribue à rénover un droit public économique (ré)orienté vers la protection et le renforcement de la concurrence. La régulation de marché est devenue l’une des formes prégnantes de l’action de la puissance publique en France. Cette fonction est assez récente : elle s’est développée sous l’effet d’obligations européennes portant sur la libéralisation et l’ouverture à la concurrence des secteurs des services publics en réseaux dans lesquels un opérateur public historique disposait d’une situation de monopole128 (énergie, transports, poste, télécommunications). Le développement de cette fonction s’accompagne de son « corollaire hypothétique »129 : l’interrégulation.

• L’interrégulation européenne Conformément à l’exigence européenne de dissociation des fonctions de régulateur et d’opérateur, les États de l’Union ont mis en place des « autorités de régulation nationales » (ARN) juridiquement séparées et fonctionnellement indépendantes des organismes intervenant dans le secteur qu’elles contrôlent. Elles sont en effet chargées de veiller à la bonne application des règles de concurrence dans les différents secteurs progressivement libéralisés et d’arbitrer les litiges éventuels entre les opérateurs des secteurs des télécommunications, des postes, de l’électricité et du gaz naturel. Le développement des ARN a nécessité de la part de l’Union d’agir dans le sens d’une coordination de leur action en vue d’une application uniforme et efficace des règles européennes. La fonction de régulation s’articule ainsi aux niveaux national et européen, par secteurs d’activités, ce qui nécessite des mécanismes de mise en relation des régulateurs. Ces « interrégulations »130 entre régulateurs nationaux et européens sont de plus en plus organisées et formalisées par le droit dérivé de l’Union, et ce suivant deux types de configuration institutionnelle131 : la participation des ARN à un réseau de régulateurs incluant une autorité européenne, d’une part ; l’intégration de 127. M-A. FRISON-ROCHE, « Les nouveaux champs de la régulation », RFAP, nº 109, 2004, p. 53. 128. Voir les articles 60 et 106 TFUE. 129. G. KOUBI, « Présentation du neuvième numéro consacré aux Régulations », Jurisdoctoria, nº 9, 2013, p. 19. 130. J. ZILLER, « L’interrégulation dans le contexte de l’intégration européenne et de la mondialisation », in « Régulation », RFAP, 2004, nº 109, p. 17. 131. P. IDOUX, « Régulateurs nationaux et régulateurs européens », RDP, nº 2, 2014, pp. 292 et s.

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représentants des ARN au sein des organes d’un régulateur européen, d’autre part. Le développement de ces modes de relations s’accompagne d’un renforcement de l’autorité des régulateurs européens sur les régulateurs nationaux132. Dans le cadre du droit de la concurrence, un tel réseau revêt une importance fondamentale en raison du rôle confié aux autorités nationales de concurrence dans l’application des articles 101 et 102 du TFUE. Les pouvoirs des ARN sont instillés et/ou renforcés par les directives. Les AAI concernées émettent des actes dont la nature juridique est variable. Nombre d’entre eux ressortissent à la catégorie du « droit souple » ou soft law, susceptibles d’être classés selon cette nomenclature : « travaux de concertation », codes de bonne conduite, communication et actes d’« orientation »133. Ces actes peuvent néanmoins produire des effets juridiques – et donc être susceptibles de faire l’objet de recours134 – y compris de nature coercitive.

3. L’exécution par les organes locaux L’intégration verticale de l’Union est rendue effective par l’exécution du droit de l’Union par les organes locaux décentralisés et déconcentrés, compétents également en matière de gestion des fonds européens. Cette spécialisation fonctionnelle des organes locaux en matière d’exécution du droit de l’Union constitue un enjeu pour l’État lui-même, seul sujet des recours en manquement du fait de la violation du droit de l’Union.

• L’exécution par des organes décentralisés Les collectivités territoriales sont tenues de respecter les obligations juridiques de l’État135, y compris en matière d’exécution des actes et politiques de l’Union entrant dans leur champ de compétence. Les politiques publiques conduites par les collectivités territoriales (marchés publics, délégation de service public, aides publiques) sont soumises au respect du droit de l’Union. Or le droit de l’Union recouvre et donc régit la majeure partie des champs d’action ou domaines de compétences des 132. Ibid., p. 296. 133. Selon Jean-Yves OLLIER, directeur de la CRE, cité in J.-B. AUBY, « Les AAI, encore et toujours », Droit administratif, mai 2014, p. 2. 134. CE, 3 mai 2011, SA Voltalis, req. nº 331858. 135. Si l’État doit répondre des manquements commis par les collectivités infra-étatiques (CJCE, 5 octobre 2000, Commission c/ France, aff. C-16/98 ; CJCE, 31 janvier 2008, Commission c/ France, aff. C-147/07), le recours en responsabilité concerne directement les collectivités dès lors que leur comportement infractionnel vis-à-vis du droit de l’Union a entraîné un préjudice. Le 4 septembre 2014, la Cour de justice a rendu un nouvel arrêt condamnant la France pour le non-respect de la directive 91/676/CEE, dite « directive nitrates », sans pour autant prononcer d’amende ; CJUE, 4 septembre 2014, Commission c/ France, aff. C-237/12. Le risque d’une prochaine sanction pécuniaire se précise, et ce alors que l’article 33 du projet de loi portant réorganisation territoriale de la République permettrait à l’État de contraindre les collectivités à supporter les conséquences financières des arrêts de la CJUE.

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entités décentralisées136. Considérées par la Cour de justice comme de simples « émanations de l’État »137, les collectivités territoriales sont liées – au même titre que les organes centraux – par l’obligation de l’État de respecter le droit de l’Union138, y compris d’assurer son application effective et uniforme. Les actes ou manquements des collectivités locales sont susceptibles d’engager la responsabilité de l’État membre devant la Cour de justice. Leur fonction d’exécution suppose d’édicter des actes entrant dans leur champ de compétence et de s’abstenir d’adopter des mesures locales ou d’appliquer des mesures nationales (législatives ou réglementaires) contraires au droit de l’Union. Au niveau du droit national, à défaut de disposition constitutionnelle explicite et spécifique139, le fondement interne de cette spécialisation fonctionnelle des collectivités territoriales résulte de la combinaison des articles 1, 72 et 88-1 de la Constitution140. Cette fonction d’exécution a été explicitée par la jurisprudence administrative à travers une chaîne d’obligations et d’invocabilités : obligation d’interpréter le droit national conformément au droit de l’Union (invocabilité d’interprétation) ; obligation de procéder à l’abrogation des actes réglementaires ou au retrait des décisions individuelles contraires au droit de l’Union (invocabilité d’exclusion) ; obligation de substituer la norme européenne d’effet direct au droit national incompatible (invocabilité de substitution). Dans cette dernière hypothèse, les organes locaux se retrouvent confrontés à des cas de contradictions entre droit national et droit de l’Union. Or la violation du second par le premier – ayant pour origine un manquement des organes centraux ou déconcentrés – ne saurait justifier l’adoption de mesures locales ou l’application de mesures nationales incompatibles avec le droit de l’Union. Ainsi, les décisions des organes locaux qui n’ont pas écarté le 136. L’environnement (protection de la biodiversité, gestion des déchets et de l’information du public), mais aussi le domaine des marchés publics et des délégations de service public... Si la « clause de compétence générale » permet en principe d’agir dans tous les domaines de l’action publique dans la mesure où un intérêt public local est en jeu, le Premier ministre Manuel Valls a proposé, lors de son discours de politique générale devant l’Assemblée nationale le 8 avril 2014, de la supprimer pour les régions et départements. 137. M. HECQUARD-THERON, « La notion d’État en droit communautaire », RTDE, octobredécembre 1990, p. 695. 138. CJCE, 25 mai 1982, Commission c/ Pays-Bas, aff. jtes 96/81 et 97/81 ; CJCE, 10 mars 1987, Commission c/ République italienne, aff. 199/185 ; puis en des termes plus généraux et explicites, CJCE, 22 juin 1989, Fratelli Constanzo c/ Commune di Milano, aff. 103/88. Sur le cas d’une violation imputable à une collectivité locale, CJCE, 4 juillet 2000, Haim, aff. C-424/97. 139. À l’image de l’article 117, alinéa 1 de la Constitution italienne et l’article 139.2 de la Constitution espagnole, le professeur J.-B. Auby préconise que la Constitution précise que « [les collectivités] sont responsables à leur niveau de la bonne mise en œuvre du droit communautaire » ; in « Modifier la Constitution pour poursuivre la décentralisation », Pouvoirs locaux, nº 49, juin 2001, p. 112. 140. M. BOULET, Les collectivités territoriales françaises dans le processus d’intégration européenne, Paris, LGDJ, 2012, pp. 105 et s.

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droit national contraire au droit de l’Union sont annulées141. Le cas des directives est topique. Si l’obligation de transposition incombe aux organes réglementaires et législatifs nationaux, en cas de défaillance de leur part, les collectivités devront à l’expiration du délai de transposition appliquer directement la directive dont les dispositions sont claires et inconditionnelles et écarter ainsi le droit national contraire142. Le cas échéant, les particuliers pourront se prévaloir des directives non transposées contre une collectivité et pas uniquement contre l’État. Les collectivités territoriales ne peuvent exciper des défaillances de l’État pour justifier le non-exercice de leur fonction d’exécution. Inversement, en cas de violation de l’une de ses obligations, l’État ne peut pas se retrancher derrière la collectivité qui serait à l’origine de ce manquement143. L’autonomie locale, même lorsqu’elle est garantie par la constitution nationale, n’est pas un moyen recevable pour la Cour, l’État intégré ne pouvant, selon la formule (jurisprudentielle) consacrée, « exciper de dispositions pratiques ou situations de son ordre juridique interne » pour justifier le non-respect de ses obligations144. Cette fonction d’intégration induit des contraintes pratiques et juridiques pour les entités infra-étatiques décentralisées. Elle pèse sur leur « libre administration »145. La répartition complexe des compétences entre l’État et les collectivités territoriales et entre les différentes catégories de collectivités, les contraintes de l’organisation décentralisée (nombre et foisonnement de collectivités territoriales146, superposition de structures et imbrication des compétences), les défaillances étatiques (notamment pour l’obligation de respecter les délais et de transposition des directives), ainsi que la faible association des collectivités à l’élaboration du droit de l’Union européenne affectent l’exercice de cette fonction d’intégration147. L’extension des compétences de l’Union a multiplié les interférences entre le champ d’application du droit de l’Union et le champ de compétences des collectivités locales. Ainsi, les interventions économiques des collectivités locales doivent se plier aux exigences européennes en 141. CE, 6 février 1998, Tête et association sauvegarde de l’Ouest Lyonnais, Rec., p. 30. 142. CE, 20 mai 1998, Communauté de communes de Piémont de Barr, Rec., p. 202. 143. CJCE, 10 juin 2004, Commission c/ Italie, aff. C-87/02 ; CJCE, 1er avril 2008, Gouvernement de la Communauté française et Gouvernement wallon c/ Gouvernement flamand, aff. C-212/06. 144. Voir par exemple, CJCE, 8 février 1973, Commission c/ Italie, aff. 30-72 ; plus récemment, CJUE, 15 octobre 2014, Commission c/ Italie, aff. 323-13. 145. Selon l’alinéa 3 de ce même article 72, les collectivités territoriales s’administrent librement dans les conditions prévues par la loi. 146. En ce sens, voir Rapport du Conseil d’État, Collectivités territoriales et obligations communautaires, op. cit. Malgré la perspective d’une réduction du nombre de régions, la France se caractérise par une multiplicité de centres décisionnels locaux. À cet égard, elle fait clairement figure d’exception dans le paysage territorial européen. Sur les plus de 92 000 collectivités territoriales que compte l’Union européenne, la France totalise plus du tiers des entités infra-étatiques européennes. 147. En ce sens, voir Rapport du Conseil d’État, Collectivités territoriales et obligations communautaires, op. cit.

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matière de passation de marchés publics et d’aides publiques. Sur ce dernier point, l’article 1er de la loi du 13 août 2004 prévoit que lorsqu’une décision de la Commission ou de la Cour de justice enjoint à une collectivité de procéder à la récupération d’une aide illégale148, celle-ci devra s’exécuter, et le cas échéant, l’entité décentralisée devra supporter les sanctions financières qui résultent d’une possible condamnation de l’État pour non-récupération ou récupération tardive de l’aide149. En outre, les difficultés des collectivités territoriales à respecter les réglementations de la politique européenne de l’environnement150 – et ses normes restrictives dans les domaines de la gestion des déchets, de l’eau, de la protection de la biodiversité, de la protection des sols, de la lutte contre le changement climatique, etc. – sont à l’origine de condamnations de l’État membre. La France a notamment été condamnée pour l’absence de plan et de programme nécessaire à l’élimination de certains déchets dangereux151 et pour la non-mise en conformité d’installations existantes avec les normes européennes en vigueur152. L’applicabilité des règles européennes et, par extension, la spécialisation fonctionnelle en matière exécutive relèvent de régimes différenciés. Si les collectivités métropolitaines sont pleinement soumises à l’obligation d’exécution du droit de l’Union, les collectivités d’outre-mer ne sont sujettes qu’à une application résiduelle. L’applicabilité du droit de l’Union diffère suivant les collectivités d’outre-mer153 (COM). Outre le cas de l’île de Clipperton, il convient en effet de distinguer le régime applicable aux régions ultrapériphériques (RUP) – Guadeloupe, Guyane, Martinique, La Réunion et Saint-Martin154 – et celui des pays et territoires d’outre-mer (PTOM). Ce dualisme recoupe le plus souvent celui des catégories institutionnelles de collectivités situées outre-mer consacrées par le droit interne français. En effet, toutes les RUP sont des départements et régions d’outre-mer relevant de l’article 73 de la Constitution, régis par l’assimilation législative tandis que les PTOM regroupent, outre les terres australes et antarctiques françaises, les COM à spécialité législative relevant de l’article 74 de la Constitution. Cette situation limite les risques de violation du droit européen, puisque les collectivités qui y sont le plus 148. 149. 150. 151. 152. 153.

CJCE, 12 juillet 1973, Commission c/ Allemagne, aff. 70/72. M. BOULET, op. cit., p. 180. Article 191, § 2 TFUE. CJCE, 2 mai 2002, Commission c/ France, aff. C-292/99. CJCE, 18 juin 2002, Commission c/ France, aff. C-60/01. Il convient de ne pas confondre le champ d’application territorial du droit de l’Union européenne avec son champ d’application personnel. Les ressortissants d’outre-mer, du fait qu’ils jouissent de la nationalité de leur État membre de rattachement, sont citoyens de l’Union (articles 20 à 25 du TFUE). Ainsi, sur la base de ce critère personnel de nationalité, certaines des dispositions du TUE leur sont applicables, notamment celles concernant la libre circulation des personnes et le libre établissement sur le territoire de l’Union européenne. Ils sont par ailleurs électeurs et éligibles au Parlement européen. 154. Cette dernière collectivité est une région ultrapériphérique depuis le traité de Lisbonne.

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strictement soumises sont celles qui disposent de la marge de manœuvre normative la plus réduite.

• L’exécution par les organes déconcentrés Les services déconcentrés de l’État et les préfets constituent un rouage d’exécution des politiques européennes en France. Organe d’exécution des politiques européennes, le préfet assure également le « contrôle d’européanité » des actes des collectivités décentralisées. Les obligations européennes modifient les conditions d’intervention et les prérogatives des préfets155, garants de l’unité de l’État et du principe constitutionnel de l’indivisibilité de la souveraineté. Le préfet de région est « responsable de l’exécution des politiques de l’État dans la région, ainsi que (...) des politiques communautaires qui relèvent de la compétence de l’État »156. Les compétences de mise en œuvre de la politique de l’État dans des domaines transférés à l’Union (culture, emploi, santé publique, cohésion économique et sociale) se trouvent elles-mêmes sous l’influence directe du droit de l’Union157. En matière de libre circulation des personnes, il revient aux préfets de contrôler le respect des conditions requises auprès des citoyens européens pour jouir du droit de séjour de plus de trois mois, d’appliquer la procédure d’enregistrement et de délivrance de l’attestation d’enregistrement et de vérifier le respect des conditions de reconnaissance du droit de séjour permanent158. Les préfets de département ont plus particulièrement à connaître du droit européen de la concurrence et des aides d’État dans les compétences qui leur incombent en matière de prévention et de traitement des difficultés des entreprises. La dimension préventive de la fonction exécutive du préfet n’est pas négligeable, puisque la violation des règles applicables expose les bénéficiaires de telles aides au remboursement des sommes perçues illégalement. Chargé « des intérêts nationaux, du contrôle administratif et du respect des lois »159, le préfet exerce un pouvoir de contrôle de légalité a posteriori des actes des collectivités territoriales. Le représentant de l’État a la faculté : soit de déférer au juge administratif les actes des collectivités territoriales (déféré qu’il peut assortir d’une demande de suspension)160 qui lui sont 155. V. MICHEL, « Décentralisation européenne et déconcentration nationale : les modalités d’européanisation des services territoriaux de l’État », RFAP, nº 114, 2005, p. 219. 156. Article 2 du décret nº 2004-374, du 29 avril 2004, JORF du 30 avril 2004 ; modifié par le décret nº 2010-146 du 16 février 2010, JORF nº 40 du 17 février 2010. 157. De même, les préfets sont en situation de compétence liée quant à la délivrance de titres de séjour à des citoyens des autres États membres du fait de la liberté de circulation des citoyens de l’Union. 158. Directive 2004/38, du 29 avril 2004, relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres. 159. Article 72, alinéa 6, de la Constitution. 160. Prévu par les articles L. 554-1 du C. just. adm. et L. 2131-6 du CGCT.

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obligatoirement transmis161 ; soit, en vertu d’un pouvoir d’évocation, de demander communication d’actes autres que ceux soumis à l’obligation de transmission à des fins de contrôle, voire de déférer devant le tribunal administratif162, le recours pour excès de pouvoir étant assorti le cas échéant d’une demande de référé suspension163. Si la différenciation de ces deux voies de recours (déféré préfectoral et recours en excès de pouvoir)164 demeure équivoque, l’essentiel réside dans le fait que le contrôle de légalité des actes locaux inclut, conformément aux articles 72, alinéa 3 et 88-1 de la Constitution, le contrôle du respect des obligations européennes et constitutionnelles de l’État de l’Union165. L’interprétation souple faite par le Conseil d’État des dispositions relatives au contrôle de légalité permet à ce contrôle d’appréhender un très grand nombre de situations de violation du droit de l’Union. Il conduit à soumettre au juge tous les actes adoptés par une collectivité territoriale sur la légalité desquels le préfet a des doutes, notamment au regard d’obligations européennes. À ce titre, il doit en toutes circonstances, et notamment lorsque l’action de l’Union repose sur une loi, prêter attention à la compatibilité des mesures de transposition et d’exécution adoptées par les organes nationaux avec le droit de l’Union. Outre le recours possible aux procédures d’urgence de droit commun (suspension sur déféré et référé suspension), le préfet dispose d’instruments qui découlent directement de la directive « recours »166. En cas de violation des obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles la passation de l’ensemble des contrats administratifs de la 161. La liste des actes transmissibles a été réduite – permettant un recentrage du contrôle sur les actes les plus significatifs – par la loi nº 2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales (article 140), la loi nº 2007-1787 du 20 décembre 2007 relative à la simplification du droit (article 13) et par l’ordonnance nº 2009-1401 du 17 novembre 2009 portant simplification de l’exercice du contrôle de légalité. 162. Articles L. 2131-3, L. 3131-4, L. 4141-4 du CGCT. 163. Le référé suspension se substitue au sursis à exécution. Loi nº 2000-597 du 30 juin 2000 relative au référé devant les juridictions administratives, JORF du 1er juillet 2000, p. 9948. 164. Les limites de la procédure de déféré préfectoral ont conduit le Conseil d’État à reconnaître un fondement constitutionnel à l’étendue des compétences préfectorales en matière de déféré. Cette interprétation a permis d’accroître le champ d’application du contrôle aux décisions non soumises à l’obligation de transmission. Le préfet peut ainsi déférer au juge administratif n’importe quel acte d’une collectivité qui lui paraît méconnaître la légalité (marchés publics, fonction publique, interventionnisme économique...) ; CE, sect., 28 février 1997, Commune du Port, Rec., p. 61. 165. Le Conseil constitutionnel a souligné que le contrôle administratif prévu à l’article 72, alinéa 3, de la Constitution doit permettre « d’assurer le respect des lois et, plus généralement, la sauvegarde des intérêts nationaux auxquels, de surcroît, se rattache l’application des engagements internationaux contractés à cette fin » ; Cons. const., 25 février 1982, Loi relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions, nº 82-137 DC. 166. Directive nº 2007/66/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2007 modifiant les directives nº 89/665/CEE et nº 92/13/CEE du Conseil en ce qui concerne l’amélioration de l’efficacité des procédures de recours en matière de passation des marchés publics, JOUE du 20 décembre 2007, L 335, p. 31. Directive transposée par l’ordonnance nº 2009-515 du 7 mai 2009 relative aux procédures de recours applicables aux contrats de la commande publique, codifiée aux articles L. 551.1 et s. du C. just. adm.

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commande publique est soumise, le représentant de l’État a une faculté d’intervenir et de saisir le juge administratif soit a priori (avant la conclusion du contrat) en introduisant un référé précontractuel167, soit a posteriori (après la signature du contrat) grâce au référé contractuel168. Il est vrai qu’à l’instar des aides publiques aux entreprises versées par les collectivités169, de la fonction publique territoriale ou de l’environnement, les relations entre les collectivités locales et les marchés publics (ou les délégations de service public) représentent un « domaine à risque » pour la légalité européenne des actes locaux170. Ces domaines sensibles compliquent l’exercice de la fonction de « filtre » qu’assure le préfet en matière de contrôle de la légalité européenne des actes locaux. En effet, l’introduction du recours n’est ni automatique ni systématique : le contrôle de la légalité européenne des actes locaux concernés suppose l’action du préfet, une action de veille de ses services juridiques. Malgré la réduction du nombre des actes concernés par l’obligation de transmission au préfet171, le nombre d’observations, de déférés ainsi que de procédures d’urgence n’a cessé de décroître. Toutefois, la fonction du préfet revêt en la matière une dimension proprement précontentieuse, puisque les services préfectoraux peuvent être saisis pour délivrer leur analyse ou expertise juridique sur une question de droit de l’Union. Si les grandes collectivités territoriales ont les moyens financiers de compléter ces demandes d’avis par une expertise juridique externe, la fonction de conseil qui s’exerce en amont de la fonction juridictionnelle est plus fortement sollicitée dans les sous-préfectures situées en milieu rural172. En pratique, le contrôle de légalité des services préfectoraux n’est pas suffisamment assuré. Les agents en charge du contrôle de légalité doivent être mieux formés aux questions récurrentes de droit de l’Union qu’ils sont susceptibles de rencontrer dans l’exercice de ce contrôle173. Au vu des insuffisances du contrôle a posteriori, il est utile de souligner le pouvoir de contrôle de légalité a priori qu’est susceptible d’exercer le préfet, et qui consiste à pouvoir se substituer à l’action communale dans des cas extrêmes d’illégalité174, y compris en matière de manquement à des 167. Articles L. 551-1 et 5 du C. just. adm. 168. Article L. 551.14 du C. just. adm. 169. En matière d’aides publiques, la violation des règles applicables expose les bénéficiaires de telles aides au remboursement, souvent des années après, des sommes perçues illégalement. Le préfet remplit dès lors un rôle précontentieux majeur à travers une fonction d’information à l’endroit de divers acteurs locaux. 170. Voir les rapports du Gouvernement au Parlement sur le contrôle a posteriori des actes des collectivités locales et des établissements publics locaux, pour les années 20042006 ; pour les années 2007-2009 ; pour les années 2010-2012, DGCL, avril 2014. 171. Mouvement enclenché par la loi nº 2001-1168 du 11 décembre 2001, poursuivi par l’article 141 de la loi nº 2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales, la loi nº 2007-1787 du 20 décembre 2007 et l’ordonnance nº 2009-1401 du 17 novembre 2009. 172. M. BOULET, op. cit., p. 264. 173. Conseil d’État, Obligations communautaires et collectivités territoriales, op. cit., p. 75. 174. Articles L. 2122-34 et L. 2215-1-1 du CGCT.

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obligations européennes. C’est pourquoi la loi relative aux responsabilités locales du 13 août 2004175 prévoit dans le domaine des aides aux entreprises et de la gestion des fonds structurels européens que les collectivités territoriales puissent supporter les conséquences financières des condamnations pouvant résulter pour l’État de l’exécution tardive ou incomplète de décisions de récupération ou la charge des corrections et sanctions financières décidées à la suite de contrôles nationaux et européens ou par des arrêts de la Cour de justice. Il est prévu au sens de l’article L. 1612-15 du CGCT que cette charge constitue une dépense obligatoire. Cette procédure a pour avantage de rendre plus évidente et transparente l’obligation pour les collectivités d’assumer les conséquences financières des manquements au droit européen qu’elles ont commis. Élément remarquable, cette spécialisation fonctionnelle s’étend de plus en plus à la gestion des fonds structurels.

• La gestion des fonds européens Les différents fonds structurels (FEDER, FEOGA, FSE) qui incarnent les instruments financiers de la politique régionale – dite de cohésion – de l’Union représentent une source financière non négligeable pour le développement local. L’obtention de ces aides financières constitue un véritable enjeu économique pour les collectivités concernées. Les institutions de l’Union européenne, dans le cadre des politiques structurelles d’aide aux territoires défavorisés, souhaitent privilégier les collectivités territoriales comme interlocutrices. Or la distribution et l’utilisation de ces aides financières leur échappaient traditionnellement au profit des préfets de région. On assiste néanmoins à un transfert progressif de cette fonction de gestion des fonds européens aux organes décentralisés. Jusqu’à la loi du 27 janvier 2014 de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles176, la France a fait le choix d’une gestion déconcentrée des financements européens, assumée au nom de l’État177 par les secrétariats généraux aux affaires régionales des préfectures de région. Les préfets de région étaient chargés de l’application des mécanismes afférents aux fonds structurels, éléments essentiels de la politique régionale de l’Union européenne. Le droit français avait reconnu au préfet de région la compétence de droit commun pour la gestion des fonds structurels. C’est dans le cadre de la loi du 6 février 1992 175. Loi nº 2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales, JORF nº 190 du 17 août 2004, p. 14545. 176. Loi nº 2014-58 du 27 janvier 2014 de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles, JORF nº 23 du 28 janvier 2014. 177. Service rattaché au Premier ministre, la Délégation interministérielle à l’aménagement du territoire et à l’attractivité régionale (DATAR) coordonne la mise en œuvre des programmes européens financés par les fonds structurels (fonds européens de développement régional, fonds social européen) dans le cadre de la politique de cohésion, ainsi que le pilotage interministériel des actions de coopération transfrontalière et transnationale.

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attribuant la gestion des politiques nationales et communautaires en matière de développement économique que le représentant de l’État s’est vu confier l’autorité de gestion et de paiement des fonds structurels, pour les objectifs 1 et 2. Responsables de la régularité et de l’efficacité des fonds, ainsi que de la mise en œuvre des opérations financées par les crédits communautaires, les préfets de région sont également chargés de mobiliser les ressources financières adéquates pour accroître les chances de bénéficier des fonds européens – en vertu du principe d’additionnalité des aides régionales – et d’assurer la vérification et le traitement des dépenses afin de garantir le suivi des programmes européens. Le préfet de région est ainsi autorité de gestion du document unique de programmation (DOCUP) et, en règle générale, autorité de paiement. Il est donc, à ce double titre, l’autorité juridiquement responsable de la mise en œuvre des programmes européens et de leur gestion financière. La préfecture est alors le lieu de coordination des divers échelons locaux et d’intermédiation avec les autorités centrales. L’administration déconcentrée est également mobilisée pour le contrôle des fonds structurels. La Commission exerce le contrôle de la gestion des fonds par les États membres, ces derniers contrôlant à leur tour la bonne gestion de ces fonds par les bénéficiaires. Les subventions supérieures à 23 000 euros font ainsi l’objet d’un visa préalable lors de l’engagement juridique présenté au contrôleur financier placé auprès du trésorier-payeur général de région. Par ailleurs, le contrôle de légalité réalisé par les services placés sous l’autorité du préfet permet de vérifier la régularité des actions de soutien retenues lors des délibérations des collectivités locales. À ces contrôles de régularité s’ajoutent des contrôles de qualité, par audit interne, qui ont pour objectif de s’assurer du bon fonctionnement du système de gestion qui mobilise de nombreux intervenants. Ces contrôles sont réalisés par le secrétaire général aux affaires régionales et européennes (SGAR), assisté, si besoin est, du trésorier-payeur général de région. La relative inefficacité de la gestion déconcentrée des fonds structurels (sous-consommation des crédits européens) a poussé le Premier ministre178, puis le législateur, à associer davantage les collectivités au processus de distribution des fonds, à travers le principe de partenariat entre ces dernières, la Commission européenne et l’État. Dans le respect du cadre défini par l’article 37-1 de la Constitution et sous l’influence du règlement européen du 25 juin 2002179, la loi du 13 août 2004 relative aux 178. Circulaire du 15 juillet 2002 relative à l’amélioration du dispositif de gestion, de suivi et de contrôle des programmes cofinancés par les fonds structurels européens ; suivie par les circulaires interministérielles des 19 août 2002, 27 novembre 2002 et 24 décembre 2002. 179. Règlement nº 1605/2002 du Conseil du 25 juin 2002 portant règlement financier applicable au budget général des Communautés européennes, JOUE du 16 septembre 2002, L 248, p. 1.

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libertés et responsabilités locales180 a ouvert la voie à l’expérimentation de la gestion décentralisée des fonds structurels par les collectivités territoriales (ou groupement de collectivités territoriales). L’article 44-I de la loi pose en effet qu’à titre exceptionnel et expérimental et dans le cadre d’une convention avec l’État, les collectivités territoriales (les régions et la collectivité territoriale de Corse en particulier, qui jouissent d’un droit de préemption par rapport aux autres entités infra-étatiques) peuvent à leur demande expresse se voir confier par l’État, lequel dispose d’une compétence discrétionnaire et non d’une compétence liée, « la fonction d’autorité de gestion et celle d’autorité de paiement de programmes relevant, pour la période 2000-2006, de la politique de cohésion économique et sociale de la Communauté européenne ». Ce fondement législatif à l’expérimentation intervient néanmoins à la suite d’un précédent : sur le fondement du règlement européen du 21 juin 1999181 (d’application directe), la région Alsace a été autorisée dès 2002 à exercer la fonction de gestionnaire de fonds structurels. Les fonctions d’autorité de gestion du préfet de région ont ainsi été transférées au conseil régional d’Alsace. Renouvelée et actualisée par la loi du 4 août 2008182, l’expérimentation est désormais étendue grâce à la loi nº 2014-58 du 27 janvier 2014 de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles183. Celle-ci transfère aux régions la gestion des fonds européens – jusqu’alors assumée par les organes déconcentrés – pour la période 2014-2020. Le décret pris pour l’application de l’article 78 de ladite loi184 fixe les conditions dans lesquelles l’État peut confier tout ou partie de la gestion des programmes des fonds structurels et d’investissements européens aux collectivités territoriales, en qualité d’autorité de gestion ou en vertu d’une délégation de gestion185. Le domaine des relations financières entre l’Union et les États fait l’objet d’une fonction de contrôle spécifique. 180. Loi nº 2004-809, du 13 août 2004, relative aux libertés et responsabilités locales, JORF du 17 août 2004, p. 14545. Dispositif actualisé par la loi nº 2008-776 du 4 août 2008 relative à la modernisation de l’économie, JORF du 5 août 2008, p. 12476 ; abrogé par le règlement nº 1083/2006 du Conseil du 11 juillet 2006 portant dispositions générales sur les FEDER, le FSE et le fonds de cohésion, JOUE du 31 juillet 2006, L 210, p. 25. 181. Règlement nº 1260/1999 du Conseil du 21 juin 1999 portant dispositions générales sur les fonds structurels, JOCE nº L 161 du 26 juin 1999, p. 1. 182. Loi nº 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l’économie, JORF nº 0181 du 5 août 2008, p. 12471. 183. Loi nº 2014-58 du 27 janvier 2014 de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles, JORF nº 23 du 28 janvier 2014, p. 1562. 184. Décret nº 2014-580 du 3 juin 2014 relatif à la gestion de tout ou partie des fonds européens pour la période 2014-2020, JORF nº 0129 du 5 juin 2014, p. 9461. 185. La demande d’une région ou d’un groupement d’intérêt public tendant à exercer la qualité d’autorité de gestion de programmes européens ou tendant à se voir confier par l’État tout ou partie de la gestion d’un fonds européen par délégation de gestion est adressée au représentant de l’État compétent, accompagnée de la délibération de l’organe compétent.

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C. La fonction de contrôle budgétaire et financier Les relations budgétaires et financières entre l’Union et l’État intégré font l’objet d’un dispositif national d’information (1), de surveillance (2) et de contrôle (3).

1. L’information sur les relations financières entre l’Union et l’État Cette fonction est matérialisée par un document officiel d’information et d’analyse : le jaune « relations financières avec l’Union européenne » annexé au projet de loi de finances. Chaque année, la direction du budget rédige, en étroite concertation avec les assemblées parlementaires186, ce document budgétaire proposant des données chiffrées et détaillées sur les recettes et les dépenses de l’Union européenne. Il rend compte de l’intégralité du budget et dresse un bilan des flux financiers entre la France et l’Union. Parmi les trois parties constitutives de ce document187, les considérations politiquement les plus sensibles portent sur le « solde net » de l’État, à savoir la différence entre ce qui est versé par la France au budget européen et ce que verse l’Union à la France (les dépenses européennes effectuées sur le territoire français au titre des différentes politiques publiques, comme la PAC). L’intérêt porté par les États à ces « retours financiers » atteste la prévalence des intérêts nationaux sur la logique d’intégration ou de solidarité dans les relations (financières) État/Union ou État/État. Ces tensions financières inhérentes au processus intégratif sont également alimentées par la surveillance des finances publiques nationales.

2. La surveillance des finances publiques nationales Les États intégrés sont soumis à l’obligation de maîtriser leurs déficits publics. Posée par le traité de Maastricht, cette contrainte générale est complétée par une procédure de convergence des politiques économiques et monétaires nationales et une procédure de surveillance des budgets nationaux et des déficits excessifs. Cette dernière a été renforcée par les règlements CE nº 1466/97 et nº 1467/97 du 7 juillet 1997188 adoptés par le Conseil, complétant la résolution du Conseil européen d’Amsterdam de 186. Outre les assemblées parlementaires, le jaune « relations financières avec l’Union européenne » est également adressé à différents interlocuteurs, tels que les ambassades, les cabinets ministériels ou les correspondants budgétaires dans les ministères. 187. La première partie du jaune « relations financières avec l’Union européenne » propose une présentation générale du cadre financier pluriannuel et du système des ressources du budget de l’Union européenne. La seconde partie porte spécifiquement sur la procédure budgétaire annuelle et l’impact sur le prélèvement sur recettes. Enfin, la dernière partie du jaune budgétaire porte sur la compréhension des politiques européennes à travers une lecture sectorielle du financement de l’Union, à la fois exhaustive, puisque les chiffres y sont détaillés, et synthétique, puisqu’une synthèse budgétaire donne un aperçu global de chaque politique sectorielle. 188. Règlement nº 1466/97 du Conseil du 7 juillet 1997 relatif au renforcement de la surveillance des positions budgétaires ainsi que de la surveillance et de la coordination des politiques économiques, modifié par le règlement (CE) nº 1056/2005 du Conseil du

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juin 1997 instituant un « Pacte de stabilité et de croissance » (PSC) en vue de garantir la coordination des politiques budgétaires nationales et d’éviter l’apparition de déficits budgétaires excessifs. Ce Pacte impose aux États de la Zone euro d’avoir à terme des budgets proches de l’équilibre ou excédentaires. Or la crise financière et des dettes souveraines de 20082009 ont souligné le caractère inopérant du PSC. L’Union économique et monétaire (UEM) a donc rénové et affermi sa gouvernance en se dotant d’une procédure de surveillance budgétaire et macroéconomique. Celle-ci résulte de la combinaison du paquet législatif dit « six-pack » du TSCG et du paquet législatif dit « two-pack »189. Ce dernier recouvre deux règlements destinés à affermir, d’une part, le suivi et l’évaluation des projets de budget des États membres de la zone euro ainsi que la correction des déficits excessifs et, d’autre part, la surveillance des États confrontés à des difficultés financières. Outre l’exigence faite aux États membres de présenter à l’avance leur projet de budget de l’année suivante à l’Euro-groupe et à la Commission européenne, ce règlement prévoit en effet un suivi des projets de budget des États membres de la zone euro. La surveillance européenne des politiques budgétaires nationales s’inscrit ainsi dans le cadre du « semestre européen », qui prévoit que les États membres transmettent aux autorités européennes leur programme de stabilité (ou de convergence pour les États non membres de la zone euro), ainsi que leur programme national de réforme, chaque année avant la fin du mois d’avril190, la Commission produisant ses observations en juin de manière à ce que les gouvernements les intègrent dans les budgets nationaux de l’année suivante pour discussion par les parlementaires. Or, la surveillance du budget national est une fonction qui échoit également à des organes internes. Ce dispositif national de surveillance témoigne de la face interne de la gouvernance économique européenne. L’article 50 de la LOLF a complété la partie de l’article 32 de l’ordonnance de 1959 relative aux documents devant accompagner les projets de loi de finances de l’année consacrée au « rapport économique, social et financier », en vue notamment de prendre en considération les engagements européens de la France. Le débat parlementaire sur la loi de finances est ainsi l’occasion d’un examen du programme à transmettre aux instances de l’Union. Cependant, depuis l’introduction des lois de programmation des finances publiques, ces dernières s’avèrent être les outils privilégiés d’examen des perspectives pluriannuelles d’évolution des comptes publics. Conformément à l’article 14 de la loi de programmation des finances publiques pour les années 2001 à 2014, maintenu en vigueur par la loi de programmation suivante, le Gouvernement adresse désormais 27 juin 2005 et par le règlement nº 1175/2011 du Parlement européen et du Conseil du 16 novembre 2011. 189. Entrés en vigueur respectivement le 13 décembre 2011, le 1er janvier 2013 et le 30 mai 2013. 190. Article 4 du règlement du Parlement européen et du Conseil du 29 septembre 2010, modifiant le règlement (CE) nº 1466/97 du Conseil du 7 juillet 1997, op. cit.

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au Parlement le projet de programme de stabilité au moins deux semaines avant sa transmission à la Commission européenne. Le Parlement peut donc en débattre et se prononcer par un vote. En outre, le règlement européen du 21 mai 2013191 exige que, parmi ces organes, une part essentielle de cette fonction soit exercée par des entités indépendantes. En France, le HCFP a été institué (supra) en vue précisément d’apprécier le réalisme des prévisions macroéconomiques du Gouvernement et de vérifier la cohérence de la trajectoire de retour à l’équilibre des finances publiques avec les engagements européens de l’État. L’idée générale est bien de favoriser une vision impartiale des finances publiques nationales. À cette fin, le Haut Conseil est habilité à rendre des avis (simples), dont l’objet précis varie. Une première catégorie vise à apprécier le réalisme ou la crédibilité des prévisions macroéconomiques (prévisions de croissance du PIB, évolution des prix, environnement international, etc.) sur lesquelles repose la préparation des principaux textes du Gouvernement qui régissent les finances publiques : projets de loi de programmation des finances publiques, projets de loi de finances, projets de loi de financement de la Sécurité sociale, projets de loi de finances rectificative et projets de programme de stabilité et de croissance transmis chaque année à la Commission européenne et au Conseil de l’Union européenne. Le second type d’avis porte sur la cohérence de la trajectoire de retour à l’équilibre des finances publiques (de l’État, des collectivités territoriales, de la Sécurité sociale) avec les objectifs pluriannuels de finances publiques et les engagements européens de la France au sens du TSCG. Lorsque le Gouvernement présente un projet de loi de finances ou de financement de la Sécurité sociale au mois de septembre de chaque année, le HCFP se prononce sur la cohérence de ces textes avec la programmation pluriannuelle. Il est alors conduit à examiner si les prévisions de recettes et de dépenses présentées par le Gouvernement sont compatibles avec « la trajectoire de retour à l’équilibre structurel des finances publiques ». Ainsi, lors de la présentation du projet de budget pour 2015, le 1er octobre 2014 par le Gouvernement, le HCFP a estimé que ce texte recelait « plusieurs fragilités » et que la prévision de croissance de 1 % en 2015 paraissait optimiste192. Dans l’hypothèse d’une divergence d’analyse entre les textes gouvernementaux et le fruit des réflexions du HCFP, celui-ci peut recourir à un « mécanisme de correction automatique » qui devra conduire le Gouvernement à effectuer les corrections requises. Toutefois, les avis du HCFP demeurent juridiquement non contraignants : ils sont purement consultatifs. À défaut d’être forcément pris en considération par le 191. Règlement nº 473/2013 du Parlement européen et du Conseil du 21 mai 2013 établissant des dispositions communes pour le suivi et l’évaluation des projets de plans budgétaires et pour la correction des déficits excessifs dans les États membres de la zone euro. 192. Avis nº 2014-05 relatif aux projets de lois de finances et de financement de la Sécurité sociale pour l’année 2015 ; www.hcfp.fr/Avis-et-publication/Avis.

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Gouvernement, ces avis ont une incidence politique (nationale et européenne) non négligeable de nature à renforcer l’intensité du contrôle exercé par le juge constitutionnel193, ce dernier disposant par ce biais d’une nouvelle source d’expertise pour analyser les textes financiers. Par ses avis motivés, le HCFP a un rôle très significatif au regard de la sincérité des prévisions qui accompagnent tout travail budgétaire gouvernemental.

3. Le contrôle de l’exécution des fonds européens Les fonds européens exécutés dans le cadre de la gestion directe et de la gestion indirecte (dépenses administratives, extérieures, de compétitivité, etc.) sont contrôlés par les services de la Commission. Chacune de ses directions générales dispose de ses propres structures d’audit interne. Les structures nationales sont chargées quant à elles de contrôler l’ensemble des dépenses dont elles partagent la gestion avec la Commission, c’est-àdire principalement les dépenses agricoles et les fonds structurels. Une fois la perception opérée, l’administration nationale doit encore en effectuer la constatation et la mise à disposition à l’Union. Les services administratifs nationaux sont chargés de superviser l’ensemble des opérations de contrôle et de récupérer les sommes indûment payées ou éludées. La France a installé des mécanismes de contrôle des dépenses européennes effectuées sur son territoire. Concernant les contrôles des fonds structurels, les dispositifs de contrôle qui s’inscrivent dans le cadre de la programmation 2007-2013 (pour la nouvelle programmation 2014-2020, le dispositif est en cours d’élaboration) interviennent à divers niveaux. Le premier niveau correspond aux gestionnaires des fonds structurels et aux organismes payeurs en matière agricole qui sont chargés du contrôle primaire des bénéficiaires des dépenses européennes. La direction du budget du ministère de l’Économie et des Finances assiste la Commission européenne dans son rôle de gestion du budget et de paiement des dépenses de l’Union. Les services administratifs nationaux sont chargés de superviser l’ensemble des opérations de contrôle et de récupérer les sommes indûment payées ou éludées. L’inspection générale des finances s’est vue assigner la mission de coordonner tous les services relevant du ministère de l’Économie, des Finances et du Budget ou soumis à sa tutelle. Dans le cadre de ses missions ordinaires, elle assure le contrôle de la bonne exécution des opérations. Il revient à l’Inspection générale des finances de diriger les missions conjointes de contrôle des ressources propres, associant contrôleurs français et agents mandatés de la Commission. L’inspection générale des finances a la responsabilité complète des opérations : de la préparation du programme à la coordination des réponses aux observations des « agents mandatés » de la Commission, en passant par l’exécution des missions. Enfin, l’Inspection générale des 193. Le Conseil constitutionnel a précisé que dans l’exercice de sa fonction de contrôle de la constitutionnalité des lois financières, il lui revient de prendre en compte ces avis. Décision nº 2012-653 DC du 9 août 2012, op. cit., cons. 27.

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finances prête son concours aux services de l’administration centrale en vue de donner les suites utiles aux contrôles associés. Au regard de l’ampleur de la tâche, une division des contrôles européens a été créée à cette fin. Le contrôle de second niveau est assuré par les secrétaires généraux pour les affaires régionales (SGAR) et les organismes payeurs. Le SGAR effectue le contrôle du service fait portant sur l’intégralité des dossiers de demande de fonds structurels. Il est tenu de contrôler, par sondage, au moins 5 % des dépenses éligibles avant la clôture de chaque intervention. Il exerce par ailleurs, un contrôle de qualité de la gestion, à travers des audits internes spécifiques. Pour les subventions supérieures à 50 000 euros, un visa du contrôleur financier placé auprès du trésorierpayeur général est nécessaire. Quant aux organismes payeurs des aides agricoles, ils exercent les contrôles sur place et sur pièces préalables à l’octroi des fonds. Dans le cadre du système intégré de gestion et de contrôle, ils sont également chargés de contrôles a posteriori de la dépense. Ces contrôles ont été complétés, en 2007, par des déclarations d’assurance spécifiques à chaque organisme par lesquelles les directeurs certifient que leurs comptes sont complets, sincères et offrent des assurances raisonnables quant à la régularité des opérations sous-jacentes. Trois commissions nationales exercent ensuite un contrôle de troisième niveau, rendant compte de la qualité des contrôles de premier et deuxième niveaux à la Commission. La Commission interministérielle de coordination des contrôles (CCIC) a été créée pour auditer l’efficacité ou fiabilité des systèmes de gestion et de contrôle mis en place par les services gestionnaires et d’exécution des programmes européens. Elle est destinataire des contrôles effectués tant par les inspections générales et les administrations centrales que par les services déconcentrés des départements ministériels concernés afin d’en évaluer les résultats. Lorsque des irrégularités sont repérées, les inspecteurs qui la composent, issus de divers corps administratifs (inspection générale de l’administration, des finances, des affaires sociales...), transmettent leurs conclusions à l’Office européen de lutte anti-fraude (OLAF). Enfin, elle rédige un rapport annuel et un résumé annuel à destination de la Commission, fondant les déclarations de ses directeurs généraux. La Commission interministérielle de coordination des contrôles des opérations financées par le FEAGA (CICC-FEAGA), instituée par le décret du 10 mai 1996, exerce des contrôles a posteriori pour les dépenses non comprises dans le système intégré de gestion et de contrôle et assure une mission générale de suivi et d’information des divers contrôles réalisés, des irrégularités relevées et des sanctions appliquées, dont elle informe la Commission. La Commission de certification des comptes des organismes payeurs (CCCOP ou C3OP), instituée par un décret nº 95-1322 du 28 décembre 1995, vérifie le respect des critères d’agrément par les organismes payeurs des aides agricoles et examine leurs comptes

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conformément aux normes internationales d’audit. Elle établit, chaque année, un rapport annuel de certification par organisme payeur des aides agricoles qu’elle transmet à la Commission. Enfin, la Cour des comptes française est par principe compétente, concurremment à la Cour des comptes européenne, pour la vérification externe des opérations financières de l’Union européenne se déroulant sur le territoire national, dès lors que cette compétence s’inscrit dans ses attributions propres, constitutionnelles et législatives. En pratique, ce n’est que très progressivement que la Cour des comptes tend à exercer son contrôle, avec deux types d’objectifs : d’une part, vérifier la régularité de l’exécution des fonds européens en France, gérés par les entités qui en ont la charge, et exercer ainsi un « contrôle des contrôles » qui la place en aval des dispositifs de contrôle interne ex-post par les organes et inspections interministériels ou ministériels ; d’autre part, s’assurer de la conformité aux intérêts financiers nationaux de la gestion des fonds, certes enregistrés au budget de l’Union, mais d’origine française. La Cour des comptes et les chambres régionales des comptes exercent, quant à elles, une fonction d’auditeur externe lorsque l’utilisation des fonds européens a des répercussions sur les finances publiques nationales ou locales. Un chapitre du rapport public annuel de la Cour est notamment consacré au résultat des contrôles des fonds européens. Depuis 1999, elles disposent de la possibilité de contrôler les bénéficiaires directs des aides européennes et, à ce titre, mettent l’accent sur les dépenses agricoles du FEAGA en raison de leur importance dans les retours français et des enjeux financiers des refus d’apurement. La Cour des comptes coopère avec la Cour des comptes européenne, notamment par l’intermédiaire d’un comité de contact. Cette fonction relativement novatrice de contrôle budgétaire et financier est instillée et exigée par le droit de l’intégration, dont l’exécution effective et efficace suppose la sanction de sa violation.

D. Une fonction de sanction L’intégration européenne est confrontée à des manifestations de « résistances » de la part d’organes étatiques et non-étatiques, de personnes publiques et privées. C’est pourquoi l’exécution effective du droit de l’Union suppose que sa violation soit sanctionnée. La compétence d’exécution de l’État intégré inclut la compétence pour prévoir et appliquer des sanctions nationales194. Bien que l’Union ne soit pas démunie en la 194. Voir C. HAGUENEAU-MOIZARD, « Sanction nationale du droit communautaire : “sanctions effectives, proportionnées et dissuasives” », in J. DUTHEIL DE LA ROCHERE (dir.), L’exécution du droit de l’Union, entre mécanismes communautaires et droits nationaux, op. cit., p. 205.

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matière195, force est de reconnaître le déficit de pouvoir coercitif qui la caractérise encore. Véritables « bras séculiers »196 de l’Union, les États de l’Union ont à instaurer des sanctions nationales (1) qu’ils auront à appliquer eux-mêmes en cas de violation du droit de l’Union (2).

1. L’instauration de sanctions nationales Les États de l’Union sont tenus, au moins au nom de l’obligation de coopération loyale, de prévoir des sanctions en cas de violation du droit de l’Union197. Dans l’établissement des sanctions pour violation du droit dérivé, les États jouissent d’un large pouvoir d’appréciation, ayant en principe toute latitude pour définir ces sanctions au niveau matériel et sur le plan procédural. Toutefois, les États sont tenus au nom des principes d’effectivité et d’équivalence d’édicter des sanctions efficaces et dissuasives. À cet égard, si les États gardent une certaine liberté de choix quant à la nature – pénale, administrative et/ou civile – de la sanction198, l’Union ne s’interdit pas d’encadrer les sanctions administratives199 et les sanctions pénales200 nationales. En effet, la compétence normative de l’État pour déterminer les sanctions infligées pour la violation du droit de l’Union peut se trouver encadrée par la norme européenne exécutée et par la détermination jurisprudentielle des caractères des sanctions. L’institution européenne auteur de l’acte peut établir une liste des sanctions appropriées. Mieux, l’État intégré se trouve dans l’obligation d’instituer des sanctions « effectives, proportionnées et dissuasives »201, même en l’absence de base juridique dans l’acte de droit dérivé mis en œuvre. Fondée sur les principes de primauté du droit de l’Union et de coopération loyale, une telle obligation conditionne l’étendue de l’autonomie institutionnelle202 et procédurale de l’État. Ainsi, lors de la poursuite des infractions du droit de l’Union, les instances nationales sont liées par l’exigence de diligence issue du principe d’équivalence, qui se traduit par l’obligation de procéder à l’égard des violations du droit de l’Union avec la même diligence que celle dont les autorités font preuve dans la mise en œuvre des législations nationales correspondantes203. En revanche, si le droit national prévoit déjà des 195. Voir I. PINGEL (dir.), Les sanctions contre les États en droit communautaire, Paris, Pedone, 2006. 196. R. KOVAR, « L’effectivité interne du droit communautaire », in La Communauté et ses États membres, colloque de l’IEJE, La Haye, M. Nijhoff, 1973, p. 202. 197. La compétence d’édicter et d’appliquer des sanctions est partagée entre l’Union et ses États membres. 198. Voir les conclusions de l’avocat général Van Gerven sous l’arrêt CJCE, 2 octobre 1991, Vandevenne, aff. C-7/90, point 8. 199. CJCE, 27 octobre 1992, Allemagne c/ Commission, aff. C-240/90. 200. CJCE, 13 septembre 2005, Commission c/ Conseil, aff. C-176/03. 201. CJCE, 21 septembre 1989, Commission c/ Grèce, aff. 68/88. 202. CJCE, 15 janvier 2004, Intervention Board for Agricultural Produce et Pencoyd Farming Partnership, aff. C-230/01. 203. CJCE, 21 septembre 1989, Commission c/ Grèce, aff. 68/88, point 25.

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normes nationales de sanction (de quelque nature que ce soit) applicables aux violations du droit de l’Union, la fonction de sanction n’exige pas l’adoption de mesures répressives spécifiques204. À titre d’exemples, les sanctions pénales ou administratives prévues par le droit français de l’environnement résultent essentiellement de la transposition de directives européennes. Le préfet dispose ainsi d’un arsenal complet de sanctions administratives à l’encontre des pollueurs : contraindre un particulier à exécuter des travaux, les faire exécuter d’office, ordonner la saisie de produits dangereux, etc. En outre, nombre d’infractions sont sanctionnées par des peines d’emprisonnement ou d’amende et des cas d’engagement de la responsabilité pénale des personnes morales sont prévus205. Enfin, il convient de souligner l’intérêt du projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République206 présenté le 18 juillet 2014 en Conseil des ministres. L’article 33 de ce texte prévoit en effet que « les collectivités territoriales et leurs groupements supportent les conséquences financières des arrêts rendus par la Cour de justice de l’Union européenne à l’encontre de l’État [...] pour tout manquement au droit de l’UE qui leur est imputable en tout ou en partie ». Ainsi, dans l’hypothèse d’une condamnation de l’État français pour non-respect du droit de l’Union, celuici pourrait se retourner vers les collectivités locales. Selon l’exposé des motifs du projet de loi, cette disposition vise à permettre la participation des collectivités territoriales au paiement des amendes lorsque ce manquement est constaté dans le cadre de l’exercice d’une compétence décentralisée.

2. L’application des sanctions nationales Des sanctions nationales pour violation du droit de l’Union sont susceptibles d’être prises par divers organes nationaux. La fonction contentieuse et les pouvoirs de sanction de certaines AAI sont mobilisables en vue de l’exécution du droit de l’Union. Ainsi, quelques autorités dont celles qui ont été créées en vertu d’une obligation européenne – comme l’ARCEP et la CRE – disposent d’un pouvoir de règlement des différends leur permettant de statuer sur certains litiges, après instruction contradictoire. Le règlement du Conseil nº 1/2003207 est à l’origine du renforcement des pouvoirs de l’Autorité de concurrence208. Le renforcement 204. Par exemple, directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, JOCE du 30 avril 2004, L 158. 205. Voir M. PRIEUR, Droit de l’environnement, Paris, Dalloz, 2004, pp. 909 et s. 206. Cette disposition constituerait le nouvel article L. 1611-10 du CGCT. 207. JOCE nº L 1, 4 janvier 2003, p. 1. Entré en vigueur le 1er mai 2004 et complété dans l’ordre interne par l’ordonnance nº 2004-1173 du 4 novembre 2004, JORF du 5 novembre 2004, p. 18689. 208. Voir la loi d’habilitation nº 2004-237 du 18 mars 2004, fondement de l’ordonnance nº 2004-274 du 25 mars 2004 portant simplification du droit et des formalités pour les

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de son pouvoir décisionnel s’exprime notamment dans la possibilité qu’il a d’assortir sa décision d’astreintes afin de garantir le respect d’injonctions. En conséquence, l’Autorité de concurrence peut décider des sanctions pécuniaires en cas de non-respect des injonctions et des engagements. Ce pouvoir de sanction des AAI est parfois assimilé à un pouvoir juridictionnel. Les juges nationaux, « juges européens de droit commun », exercent un pouvoir de sanction particulier qui s’inscrit dans un cadre national. Au sein de l’État, le juge national (constitutionnel, administratif et judiciaire) est l’ultime garant de l’exécution effective du droit de l’Union. « Juge de droit commun de l’application du droit communautaire » selon le Conseil d’État dans l’arrêt Perreux209, tout en restant rattaché à son État/ statut interne210, le juge national doit remédier à l’(in)action des organes étatiques dans les limites de ses propres compétences internes. La jurisprudence de la Cour de justice contraint le juge national à exercer tous ses pouvoirs, dès lors qu’ils sont nécessaires à l’exécution effective et uniforme du droit de l’Union, et ce même si des règles de droit national s’y opposent211. Il doit faire usage de ses pouvoirs, y compris de ses pouvoirs coercitifs, afin d’assurer la protection des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union. Ainsi, lorsque l’administration méconnaît ses obligations européennes – qui relèvent de la fonction d’exécution –, le juge administratif doit faire usage de ses pouvoirs d’injonction et d’astreinte. Ces derniers n’ont pas le même objet, mais offrent de véritables « armes » complémentaires au juge administratif lorsqu’il assure le respect des obligations attachées à l’exécution du droit de l’Union. L’utilisation de ces pouvoirs est la conséquence de la compétence liée de l’administration dans le cadre de l’exercice de la fonction exécutive. Dans la mesure où il existe une obligation d’exécution pesant sur l’autorité administrative compétente, le juge administratif est appelé à user de ses pouvoirs d’injonction212 et

209. 210.

211. 212.

entreprises ; ordonnance nº 2004-1173 du 4 novembre 2004 portant adaptation de certaines dispositions du Code de commerce au droit communautaire de la concurrence transposant la réforme issue du règlement nº 1/2003 du Conseil du 16 décembre 2002 relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité. L’ordonnance dote l’Autorité de concurrence de pouvoirs nouveaux inspirés de ceux des autres autorités nationales de concurrence. CE, 30 octobre 2009, Perreux, Rec., p. 408. L’avocat général Philipe Léger l’a fort bien résumé dans ses conclusions rendues dans l’affaire Köbler : l’expression de « juge communautaire de droit commun » ne doit pas être entendue « de manière littérale, mais plutôt symbolique. En effet, lorsque le juge national connaît du droit communautaire, c’est en tant qu’organe d’un État membre, et non en tant qu’organe communautaire, à la suite d’une opération de dédoublement fonctionnel » (point 66, aff. C-224/01). CJCE, 19 juin 1990, The Queen c/ Secretary of State for Transport, ex parte Factortame Ltd et autres, aff. C-213/89. CE, 20 mai 1998, Communauté de communes du Piémont de Barr, Rec., p. 202. Des tribunaux administratifs ayant reconnu l’incompatibilité entre la loi du 3 juillet 1998 et la directive du 2 avril 1979 sur la conservation des oiseaux sauvages ont prononcé des injonctions à l’adresse des préfets pour que la chasse des oiseaux migrateurs soit fermée à la date butoir du 31 janvier 1999, voir TA Marseille, 26 janvier 1999, FNE, req.

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d’astreinte213 pour contraindre celle-ci à adopter la mesure nécessaire au respect de l’obligation. En outre, la garantie de la primauté du droit de l’Union assortit le contrôle d’inconventionnalité (ou d’« euro-compatibilité » en l’occurrence) des lois d’une éventuelle sanction. Si le principe est admis, ses effets sont limités. La sanction de l’incompatibilité consiste simplement pour le juge à écarter l’application de la loi au cas d’espèce. La déclaration d’inconventionnalité d’une loi ne fait pas disparaître cette dernière de l’ordre juridique interne. Un tel pouvoir échappe aux juges ordinaires. En revanche, le juge national est susceptible de condamner l’État à réparer les conséquences dommageables causées du fait de la violation du droit de l’Union. En matière de sanctions pécuniaires, le principe de la responsabilité de l’État complète utilement celui de la réparation de l’indu, même s’il convient de distinguer les deux types d’action, pour des raisons de fond mais aussi du fait de la distinction des contentieux. Au-delà de ces formes de sanction judiciaire nationale, l’exécution juridictionnelle du droit de l’Union place le juge national/européen de droit commun au coeur de la régulation des rapports normatifs entre droit interne et droit de l’Union.

nº 986986 ; TA Caen, 19 janvier 1999, Association FNE, req. nº 981516 ; TA Amiens (2 espèces), 31 décembre 1998, Association FNE, req. nº 982412 et req. nº 982766. 213. CE, 18 janvier 1999, Rassemblement des opposants à la chasse, req. nº 187059. Le Conseil d’État a jugé qu’une décision du ministre de l’Environnement refusant de faire figurer le bruant ortolan dans la liste des espèces protégées contredisait la directive du 2 avril 1979 sur la conservation des oiseaux sauvages. Constatant que le ministre n’avait pas pris les mesures d’exécution de l’arrêt, le Conseil d’État a menacé de prononcer une astreinte contre l’État si le ministre ne justifiait pas avoir pris ces mesures dans un délai de deux mois.

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Partie II LE SYSTÈME D’INTÉGRATION NORMATIVE Assemblement d’organes, le système interne est aussi ordonnancement de normes. Il est devenu classique dans le discours juridique d’assimiler l’État à un ensemble ordonné et centralisé de normes au sommet duquel figure une Constitution. L’organisation des normes en droit interne se trouve néanmoins profondément perturbée par la participation de l’État intégré à l’Union. Non seulement la frontière entre les normes internes et les normes européennes est altérée par une perméabilité accentuée, mais en outre l’ensemble de la structure normative du droit interne se trouve modifié par l’intrusion du droit de l’Union en son sein. Dans ce processus d’imbrication des ordres juridiques, le juge national joue un rôle central. Quarante ans après le juge européen dans son célèbre arrêt Costa1, le juge constitutionnel français a reconnu « l’existence d’un ordre juridique communautaire intégré à l’ordre juridique interne »2. Comment comprendre cette figure nouvelle, celle d’un droit à la fois séparé et intégré, dans le même temps externe et interne ? Une façon de résoudre cette contradiction apparente est de considérer que le système normatif interne connaît, en raison de l’appartenance de l’État à l’Union, un processus de dissociation. Par-là, on entend signifier qu’une partie du système interne d’organisation des normes juridiques obéit au contact du droit de l’Union à un mode distinct de raisonnement et de fonctionnement. Sous l’angle normatif, le droit français de l’intégration européenne recouvre la manière avec laquelle le droit interne aménage la mise en relation de normes qui, 1. CJCE, 15 juillet 1964, F. Costa c/ ENEL, 6/64. 2. Cons. const., 19 novembre 2004, Traité établissant une Constitution pour l’Europe, nº 2004505 DC, § 11. Voir GDCC, 17e éd., 2013, nº 18.

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bien qu’issues de niveaux de production différents, ont vocation à interagir. En découlent certaines complications qui perturbent l’ordonnancement traditionnel des normes au sein du droit national. S’observe tout d’abord un processus de dénationalisation du système normatif interne. L’ordre juridique interne se trouve investi par des normes comprenant une dose, directe ou indirecte, d’extranéité européenne. Le fondement de cette présence interne des normes européennes demeure encore incertain, selon que l’on considère qu’il procède nécessairement d’une médiation constitutionnelle, et plus particulièrement de l’article 88-1 de la Constitution, ou au contraire qu’il provient d’une relation immédiate entre juges nationaux et juges européens que permet notamment le renvoi préjudiciel à la Cour de justice de l’article 267 TFUE. Quoi qu’il en soit, la conséquence pratique de la dilution de la frontière entre le droit interne et le droit de l’Union européenne se manifeste par la présence de normes européennes invocables selon un système particulier devant le juge interne, mais aussi par l’apparition de catégories de normes nouvelles en droit interne, comme celle par exemple de « loi de transposition d’une directive », qui font l’objet d’un régime spécifique qui n’est plus exclusivement national, mais teinté d’une forte dose d’européanité. L’intégration du droit interne et du droit de l’Union s’accompagne ensuite d’un phénomène concomitant de réorganisation du système normatif national. Le propre d’un système normatif est d’être agencé selon un mode d’articulation cohérent et vertical, afin qu’il puisse fonctionner de façon prévisible. Il est désormais récurrent qu’au contact du droit de l’Union européenne le régime d’application des normes évolue, aboutissant à singulariser nettement dans le droit interne les situations dans lesquelles une norme européenne est en cause. Que ce soit sous l’angle de la validité, de l’invocabilité, de la compétence de contrôle, ou encore des pouvoirs du juge, les situations nationales relevant du champ européen font l’objet d’un maniement normatif à part. Apparaissent là encore dans le raisonnement des notions et techniques inédites, propres à la présence des normes européennes dans l’ordre interne, comme celle d’« identité constitutionnelle » ou encore celle de recherche d’« équivalence » entre normes. Une forme d’incertitude parfois problématique en découle, qui remet en cause les principes de base de l’organisation du système normatif interne. En partant du constat qu’au sein de l’ordre juridique français se développe un système spécifique destiné à organiser la mise en relation des normes nationales et européennes, il est proposé d’en étudier la portée et le sens en examinant dans un premier temps dans quel cadre spécifique il est procédé à l’incorporation des normes européennes en droit interne (Chapitre 1), et en s’intéressant plus particulièrement dans un second temps au cadre renouvelé d’articulation des normes européennes avec les normes internes (Chapitre 2).

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Chapitre 1 Le cadre interne d’incorporation des normes Le système normatif interne aménage l’incorporation des normes européennes en son sein. Le droit de l’Union intègre de cette façon le droit interne en deux étapes successives. L’incorporation s’opère tout d’abord au stade de l’acceptation des traités relatifs à l’Union européenne qui demeure conditionnée à la satisfaction d’un ensemble de dispositions constitutionnelles à la fois générales, communes à l’ensemble du droit international et inscrites dans le titre VI « Des traités et accords internationaux » de la Constitution (articles 52 à 55), mais également propres à la participation de l’État intégré à l’Union sur le fondement du titre XV intitulé « De l’Union européenne » (articles 88-1 à 88-7). C’est pourquoi l’ancrage constitutionnel du droit de l’Union dans le droit interne passe préalablement par le respect d’un cadre interne de ratification (I). Ensuite, une fois cette étape fondatrice satisfaite, l’incorporation du droit de l’Union européenne s’effectue grâce à un régime complexe et largement spécifique de recours aux normes européennes devant le juge interne chargé d’en assurer le respect. Il forme le cadre interne d’invocation du droit de l’Union (II).

I.

La ratification interne des normes européennes

Le droit de l’Union, sans s’affranchir totalement des contraintes constitutionnelles propres à la réception des normes internationales, bénéficie d’un statut de plus en plus particulier en droit interne dès le stade de sa ratification. Toutefois, dans le même temps, il est clair que subsiste une volonté de sauvegarder l’autonomie nationale, et plus particulièrement ses règles constitutionnelles qui demeurent le point de passage incontournable de la réception des normes européennes dans l’ordre interne. L’objectif est notamment que la Constitution nationale continue d’apparaître comme la seule source de l’autorité du droit de l’Union, à l’instar du régime de ratification des traités internationaux. La conjugaison de ces deux exigences, d’ouverture et d’autonomie, souvent contradictoires entraîne une certaine complexité des modalités

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constitutionnelles de ratification du droit de l’Union. Les conditions posées à cette étape première de l’incorporation du droit de l’Union européenne dans l’ordre interne sont d’ordre formel (A) et substantiel (B).

A. Les conditions de forme Les conditions formelles à la ratification des traités relatifs à l’Union européenne sont d’une part communes à toute ratification d’un traité international (1), d’autre part propres à la ratification de certains traités relatifs à l’intégration européenne (2).

1. La procédure ordinaire La procédure constitutionnelle de ratification des traités européens a pour objet de conférer une autorisation législative à l’engagement interne et fait l’objet d’un contrôle uniquement formel.

• L’objet de la procédure La condition procédurale principale à la ratification des traités européens est de respecter la répartition des compétences prévues à l’article 53 de la Constitution entre les différents organes internes. Elle se décompose en plusieurs éléments. Selon l’article 53, alinéa 1er, de la Constitution, « les traités de paix, les traités de commerce, les traités ou accords relatifs à l’organisation internationale, ceux qui engagent les finances de l’État, ceux qui modifient des dispositions de nature législative, ceux qui sont relatifs à l’état des personnes, ceux qui comportent cession, échange ou adjonction de territoire, ne peuvent être ratifiés ou approuvés qu’en vertu d’une loi ». La Constitution distingue donc différentes procédures selon l’importance qualitative du traité. Si la lettre de l’article 53, alinéa 1er, ne semble pas requérir une approbation parlementaire afin de ratifier un traité d’intégration européenne, la pratique constitutionnelle montre qu’une approbation populaire, c’est-à-dire par référendum, est parfois sollicitée. Bien que le champ d’application de l’alinéa 1er de l’article 53 soit relativement vague, il est clair que les traités relatifs à l’Union européenne, à la fois comme traités de commerce, mais surtout en tant que « traités ou accords relatifs à l’organisation internationale » nécessitent une loi pour être ratifiés. En effet, si tout traité relatif à l’organisation internationale ne nécessite pas une approbation législative, car cela engloberait la quasi-totalité des traités, il n’en demeure pas moins que sont concernés par cette autorisation parlementaire les traités « créant une organisation internationale permanente investie de pouvoirs de décision ou imposant des renonciations ou des limitations de souveraineté de la France »1. Tel est assurément le cas des traités d’intégration européenne. Le but de cette procédure est que les 1. Mémorandum français transmis en janvier 1953 au Secrétariat des Nations-Unies, cité par A. PELLET, « Article 53 », in F. LUCHAIRE et G. CONAC (dir.), La Constitution de la République française, Paris, Economica, 1987, p. 677.

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transferts ou limitations de souveraineté ne soient pas de la compétence discrétionnaire de l’exécutif, et ce d’autant plus que ces transferts ou limitations dans le cadre de l’Union européenne dépossèdent bien souvent le pouvoir législatif national au profit d’un accroissement des pouvoirs de l’exécutif siégeant dans les institutions européennes. L’article 53, alinéa 1er, permet donc au pouvoir législatif de limiter les risques d’arbitraire dans la conclusion des traités internationaux, mais aussi de préserver ses propres prérogatives. Il s’agit pour autant d’un droit de regard très limité qui se contente d’accorder une autorisation au pouvoir exécutif sans modification quant au fond du traité ni quant au moment de sa ratification définitive. L’approbation parlementaire est par conséquent formelle et confère une sorte de crédit démocratique à l’engagement de la France.

• Le contrôle de la procédure Initialement, seule l’existence de la ratification ou de l’approbation d’un traité était constatée par le juge administratif sans que le contenu de l’acte lui-même ne puisse être contesté2. C’est ainsi notamment que la contestation de la validité de la loi autorisant le président de la République à ratifier le traité de Rome de 1957 a été purement et simplement rejetée par le Conseil d’État3. Cela ne voulait cependant pas dire qu’aucun contrôle n’était exercé sur la régularité de la ratification. Le Conseil constitutionnel peut en effet être saisi de la constitutionnalité de toute loi ordinaire en vertu de l’article 61 de la Constitution, et donc y compris de celles autorisant la ratification d’un traité4. De même, sur le fondement de l’article 54 de la Constitution, le juge constitutionnel a été amené à subordonner la ratification du traité communautaire du 22 avril 1970 modifiant certaines dispositions du budget des Communautés à une autorisation parlementaire en ce qu’il a estimé que ce traité touchait à des matières législatives5. Ce contrôle du juge constitutionnel est néanmoins souvent indirect et surtout aléatoire, car conditionné à une saisine a priori, préalable à l’adoption de la loi de ratification (article 61) ou à la ratification du traité lui-même (article 54). Une hypothèse supplémentaire de contrôle demeure ouverte dans le cadre de la question prioritaire de constitutionnalité (article 61-1), bien qu’elle soit soumise aux conditions strictes propres à cette procédure. Néanmoins, après de longues années de refus, le juge administratif s’est finalement résolu à contrôler le respect de l’article 53 de la Constitution, en en faisant une condition à l’incorporation des normes internationales dans l’ordre interne, dans un arrêt d’Assemblée du 18 décembre 1998, SARL du parc d’activités de Blotzheim et SCI Haselaecker6. Dans cette affaire, tout en 2. CE, 5 février 1926, Dame Caraco, Rec., p. 125. 3. CE, 3 mars 1961, Sieur André et Société des tissages Nicolas Caimant, Rec., p. 154. 4. Voir notamment, Cons. const., 30 décembre 1975, Consolidation des dettes commerciales, nº 75-60 DC, Rec., p. 28. 5. Cons. const., 19 juin 1970, Autonomie financière des Communautés et accroissement des pouvoirs budgétaires du Parlement européen, nº 70-39 DC. 6. CE, 18 décembre 1998, SARL du parc d’activités de Blotzheim et SCI Haselaecker, Rec., p. 483.

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écartant le grief, le Conseil d’État accepte de vérifier si l’accord entre la France et la Suisse prévoyant une extension de l’aéroport de BâleMulhouse (et l’expropriation des sociétés requérantes) requérait une approbation parlementaire. Les raisons d’un tel revirement sont doubles. D’une part, il était clair que l’absence de contrôle du respect de l’article 53 entraînait un risque de violation impunie des dispositions de la Constitution. D’autre part et surtout, il semblerait que la motivation de l’arrêt tienne à l’acceptation corrélative, depuis l’arrêt Nicolo du 20 octobre 1989, de donner effet aux normes internationales dans l’ordre interne sur le fondement de l’article 55 de la Constitution. Or, l’article 55 dispose que les « traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont dès leur publication une autorité supérieure aux lois [...] », et pose donc une condition de régularité de la ratification et notamment de respect de l’approbation législative préalable qu’il appartient au juge de contrôler, notamment à l’encontre d’un acte d’exécution de ce traité. La conditionnalité de l’article 55 justifie donc la vérification du respect de l’article 53 avant d’incorporer une norme internationale conventionnelle dans l’ordre interne7. Pour autant, après en avoir reconnu le principe, le Conseil d’État a posé des limites à son contrôle de la régularité de la ratification des traités. En premier lieu, seul le décret de publication de l’engagement international peut être attaqué devant lui et non l’acte de ratification lui-même. En second lieu, seule la procédure de ratification peut être contrôlée et non le fond de l’acte de ratification8. Le grief peut être invoqué non seulement par voie d’action, mais également par voie d’exception9. En matière européenne, cette procédure ordinaire se double de conditions procédurales spécifiques.

2. Les procédures spéciales Il arrive que l’autorisation de ratification des traités européens par le pouvoir législatif ordinaire soit jugée insuffisante pour garantir une assise démocratique à la poursuite de l’intégration. Une procédure plus contraignante d’autorisation est alors enclenchée, de façon soit facultative soit désormais obligatoire.

• Le recours facultatif au référendum Au regard de l’importance des transferts compétence consentis, la condition constitutionnelle va parfois jusqu’à requérir une autorisation du pouvoir constituant lui-même, et non plus seulement législatif. L’article 53 alinéa 3 mentionne bien qu’une approbation populaire, plus précisément des « populations intéressées » ce qui là encore est relativement vague, est nécessaire en cas de modification de l’assise territoriale nationale par un 7. En cela, le juge administratif a été rejoint par le juge judicaire : Cass. civ. 1re, 29 mai 2001, ASECNA c/ M. N’Doye, RGDIP, 2001, p. 1003. 8. CE, 8 juillet 2002, Commune de Porta, Rec., p. 260. 9. CE, 23 février 2000, Bamba Dieng, Rec., p. 72 ; CE, 5 mars 2003, Aggoun, Rec., p. 77.

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traité. Tel n’est pas le cas des traités relatifs à l’Union européenne. Néanmoins, s’inspirant de cette disposition et eu égard au degré d’importance et de quasi-irréversibilité de l’engagement envisagé, le président de la République a eu par trois fois recours à l’article 11 alinéa 1er de la Constitution afin de soumettre à référendum un projet d’engagement européen. En effet cet article prévoit que « Le président de la République [...] peut soumettre au référendum tout projet de loi [...] tendant à autoriser la ratification d’un traité qui, sans être contraire à la Constitution, aurait des incidences sur le fonctionnement des institutions ». La première consultation eut lieu le 23 avril 1972 à propos de l’adoption d’un projet de loi tendant à autoriser la ratification du traité de Bruxelles prévoyant l’adhésion du Danemark, de l’Irlande, de la Norvège et surtout de la Grande-Bretagne, dont on sait que le général de Gaulle y était jusqu’alors farouchement opposé. La seconde consultation populaire s’est tenue le 20 septembre 1992, référendum par lequel les Français se prononcèrent favorablement à la ratification du traité de Maastricht. Enfin, le dernier cas de recours à l’article 11, alinéa 1er, préalablement à la ratification d’un traité européen se solda le 29 mai 2005 par un refus du peuple français de ratifier le traité établissant une Constitution pour l’Europe. Dans l’ensemble de ces hypothèses, la volonté populaire supplante la volonté parlementaire, et le dernier référendum en est une bonne illustration, puisque si seule la voie parlementaire avait été choisie il est plus que probable que le traité eut été ratifié, comme le démontre l’adoption du traité de Lisbonne. Dans cette dernière hypothèse, il est surprenant que la révision constitutionnelle nécessaire à la ratification du traité constitutionnel européen fût opérée avant l’acceptation de cette ratification par le peuple, ce qui a eu pour conséquence d’engendrer une révision à deux niveaux de la constitution : un premier niveau afin de permettre la ratification du traité, et un second niveau uniquement en cas d’entrée en vigueur de ce traité. Contrairement à l’article 53, alinéa 1er, le recours à l’article 11, alinéa 1er, n’est pas obligatoire : le président de la République est totalement libre d’en appeler ou non à la caution populaire avant de ratifier un traité européen. Toutefois, elle est en passe de devenir progressivement une condition nécessaire à la ratification de certains traités relatifs à l’Union européenne.

• Le recours obligatoire au référendum ou au Congrès L’article 88-5 de la Constitution prévoit une procédure spéciale pour la ratification des traités d’adhésion à l’Union européenne. Il dispose que « Tout projet de loi autorisant la ratification d’un traité relatif à l’adhésion d’un État à l’Union européenne est soumis au référendum par le président de la République. Toutefois, par le vote d’une motion adoptée en termes identiques par chaque assemblée à la majorité des trois cinquièmes, le Parlement peut autoriser l’adoption du projet de loi selon la procédure prévue au troisième alinéa de l’article 89 ». Il est précisé par ailleurs que « cet article n’est pas applicable aux adhésions faisant suite à une conférence intergouvernementale dont la convocation a été décidée par le Conseil européen avant le 1er juillet

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2004 ». Sous cette réserve des adhésions négociées avant cette date, il impose la convocation d’un référendum pour tout traité prévoyant une nouvelle adhésion. Avec la perspective d’une éventuelle adhésion de la Turquie à l’Union européenne, cette disposition impose de requérir un assentiment renforcé à l’élargissement. En effet, il est clair que dans le rejet du traité constitutionnel européen, les craintes, fondées ou non, liées à l’abolition des frontières avec les nouveaux pays membres ont joué un rôle non négligeable. C’est une prise de conscience que la taille de l’Union fait partie intégrante de la forme d’Europe désirée par les citoyens. Face aux risques de blocage, un assouplissement a été prévu sous la forme d’une procédure de révision constitutionnelle par le Congrès, ce qui requiert quand même un certain consensus politique. On retiendra donc que le droit primaire de l’Union européenne doit préalablement à son incorporation en droit interne faire l’objet d’une procédure de ratification constitutionnelle désormais contrôlée et parfois renforcée. Des conditions de fond sont également exigées.

B. Les conditions de fond On verra dans quelles hypothèses le contrôle substantiel de compatibilité à la Constitution du droit primaire européen est déclenché (1), avant d’en présenter les motifs (2).

1. Le déclenchement du contrôle Le contrôle de fond du respect de la Constitution par les traités relatifs à l’Union européenne préalablement à leur ratification découle principalement de l’article 54 de la Constitution. Antérieurement à 1992, la saisine était relativement limitée puisque les parlementaires ne pouvaient la déclencher. C’est pour cette raison que le juge constitutionnel a admis qu’il puisse être saisi, sur le fondement de l’article 61, alinéa 2, dont les possibilités de recours ont été élargies à 60 députés ou 60 sénateurs dès 1974, de la constitutionnalité d’une loi autorisant la ratification d’un traité10. Par ce biais, peut donc également être opéré un contrôle préventif du respect de l’intégrité de la Constitution. Cette possibilité de saisine, plus limitée rationae temporis en raison du délai de saisine qui doit intervenir entre l’adoption de la loi de ratification et sa promulgation, a perdu en partie de son intérêt depuis la révision de 1992 et l’élargissement des possibilités de saisine du Conseil sur le fondement de l’article 54 par 60 députés ou 60 sénateurs. Quant au contrôle a posteriori d’une loi de ratification sur le fondement de l’article 61-1, son éventualité n’a pour le moment pas été examinée. En l’état par conséquent, les articles 54 principalement et 61 accessoirement de la Constitution permettent au 10. Cons. const., 17 juillet 1980, Loi autorisant la ratification de la convention franco-allemande additionnelle à la Convention européenne d’entraide judiciaire en matière pénale du 20 avril 1959, nº 80-116 DC.

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Conseil constitutionnel, directement pour le premier et indirectement pour le second, de se prononcer préalablement à la ratification d’un traité afin de préserver l’intégrité constitutionnelle. En cas d’incompatibilité, la seule alternative consiste soit à ne pas ratifier le traité, soit à réviser la Constitution. De cette manière la supériorité de celle-ci reste, du moins en apparence, sauve. Si ce contrôle ex ante concerne potentiellement une large partie des engagements internationaux de la France, il a entraîné, s’agissant de l’intégration européenne, un certain nombre de modifications substantielles de la Constitution. La première saisine du juge constitutionnel quant à la comptabilité d’un traité communautaire avec Constitution eut lieu en vertu de l’article 54 à propos de l’augmentation des pouvoirs du Parlement européen par le traité de Bruxelles de 1970. Toutefois, le juge constitutionnel interne n’y vit pas un motif de révision de la Constitution11. Ensuite, en 1976, le Conseil constitutionnel fut saisi sur le fondement de l’article 54 de la décision d’élire le Parlement européen au suffrage universel. Là encore, la juridiction constitutionnelle n’y vit pas d’atteinte aux pouvoirs du Parlement national, ni à la souveraineté nationale, au motif principal que cette modification n’avait pas pour conséquence de créer une souveraineté européenne12. Postérieurement, le Conseil constitutionnel fut également saisi, sur le fondement de l’article 61 cette fois, de la constitutionnalité de la loi autorisant la ratification des accords de Schengen en matière de libre circulation des personnes. Jugeant que le contenu de ces accords n’était pas contraire à la Constitution en ce qu’il n’emportait pas de transfert de souveraineté, le Conseil constitutionnel se prononça là encore en faveur de la validité de la loi de ratification déférée13. Le tournant de la modification constitutionnelle préalable à la ratification des traités européens eut lieu en 1992 avec l’avènement de l’Europe politique et le saut qualitatif de l’intégration. Depuis cette date, le Conseil constitutionnel fut saisi à six reprises, aboutissant dans certains cas à des décisions d’incompatibilité et à des révisions de la Constitution : —

en 1992, préalablement à la ratification du traité de Maastricht14 ;

— en 1993, sur le fondement de l’article 61, à propos de la loi mettant en œuvre la convention de Schengen15 ; 11. Cons. const., 19 juin 1970, Autonomie financière des Communautés et accroissement des pouvoirs budgétaires du Parlement européen, nº 70-39 DC. 12. Cons. const., 30 décembre 1976, Décision du Conseil des communautés européennes relative à l’élection de l’Assemblée des Communautés au suffrage universel direct, nº 76-71 DC. 13. Cons. const., 25 juillet 1991, Loi autorisant l’approbation de la convention d’application de l’accord de Schengen du 14 juin 1985 entre les gouvernements des États de l’Union économique Benelux, de la République fédérale d’Allemagne et de la République française relatif à la suppression graduelle des contrôles aux frontières communes, nº 91-294 DC. 14. Cons. const., 9 avril 1992, Traité de Maastricht, nº 92-308 DC. 15. Cons. const., 13 août 1993, Maîtrise de l’immigration, nº 93-325 DC.

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— en 1997, avant la révision opérée par le traité d’Amsterdam16 ; — en 2004, afin de permettre la ratification – finalement rejetée par référendum – du traité établissant une Constitution pour l’Europe17 ; — en 2007, lors de la ratification du traité de Lisbonne18 ; — en 2013, pour permettre la ratification du traité sur la stabilité, la coopération et la gouvernance dans l’Union économique et monétaire, mais en ce cas le Conseil n’a pas décelé d’incompatibilité19. On remarquera que les trois traités fondateurs et deux traités de révision ont échappé au contrôle préventif de compatibilité. Tout d’abord, les traités de Paris et de Rome instituant la CECA, la CEEA et la CEE n’ont tout simplement pas pu faire l’objet d’un tel contrôle puisque la Constitution de 1958 n’était pas encore en vigueur au moment de leur ratification. Le Conseil constitutionnel a bien été saisi de la conformité à la Constitution de ces traités initiaux lors de l’examen de leur modification en 1970, mais il a refusé de se prononcer sur la question au motif que « lesdits traités ont été régulièrement ratifiés et publiés et sont, dès lors, entrés dans le champ d’application de l’article 55 de la Constitution »20. Quant à l’Acte unique européen de 1986 et au traité de Nice de 2001, le Conseil constitutionnel n’a pas été saisi préventivement de leur conformité à la Constitution, alors même qu’il aurait très bien pu l’être au regard des nouveautés apportées par ces deux textes. Finalement, quatre révisions constitutionnelles ont été nécessaires pour permettre la ratification des traités relatifs à l’Union européenne. La révision constitutionnelle suite à un constat d’incompatibilité peut prendre deux voies : soit la voie normale parlementaire conformément à l’article 89 de la Constitution ; soit, de manière plus exceptionnelle, directement la voie référendaire sur le fondement d’une interprétation de l’article 11 de la Constitution. À chaque fois, s’agissant de l’Union européenne, la loi de révision constitutionnelle a été approuvée par le Congrès à la majorité des 3/5, mais dans deux cas la ratification a été subordonnée à la tenue d’un référendum : une première fois avec succès lors du traité de Maastricht, une seconde avec moins de réussite pour le traité constitutionnel européen. Dans les quatre cas pour lesquels une révision constitutionnelle s’est imposée pour intégrer le droit primaire européen à l’ordre interne, le Conseil constitutionnel français a décelé différents types d’incompatibilité avec la Constitution.

16. Cons. const., 31 décembre 1997, Traité d’Amsterdam, nº 97-394 DC. 17. Cons. const., 19 novembre 2004, Traité établissant une Constitution pour l’Europe, nº 2004505 DC. Voir GDCC, 17e éd., 2013, nº 25. 18. Cons. const., 20 décembre 2007, Traité de Lisbonne, nº 2007-560 DC. 19. Cons. const., 9 août 2012, Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l’Union économique et monétaire, nº 2012-653 DC. 20. Cons. const., 19 juin 1970, Autonomie financière des Communautés et accroissement des pouvoirs budgétaires du Parlement européen, nº 70-39 DC.

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2. L’exercice du contrôle Selon le juge constitutionnel interne, et en vertu d’une formule presque constante, la Constitution autorise la participation de la France à l’Union européenne, sauf « lorsque des engagements souscrits à cette fin ou en étroite coordination avec cette fin contiennent une clause contraire à la Constitution, remettent en cause les droits et libertés constitutionnellement garantis ou portent atteinte aux conditions essentielles d’exercice de la souveraineté nationale »21. Trois motifs possibles d’incompatibilité sont ainsi pointés : la présence d’une clause contraire, la méconnaissance des droits fondamentaux constitutionnels, ou l’atteinte aux conditions essentielles d’exercice de la souveraineté nationale.

• La clause contraire Au titre de la première catégorie d’incompatibilité, on trouve les « clauses contraires » à la Constitution. Le meilleur exemple est probablement l’extension du droit de vote et d’éligibilité des citoyens européens aux élections municipales prévues par le traité de Maastricht (ex-article 8 B, actuellement article 21 § 2 b) TFUE). Dans sa décision Maastricht I le Conseil constitutionnel y voit une contrariété avec le principe de la représentation nationale de l’article 3 de la Constitution, en ce que notamment les élections municipales ont une incidence sur les élections sénatoriales, qui font partie de l’expression de la volonté nationale. Il relève « qu’il est spécifié au quatrième alinéa de l’article 3 que "sont électeurs, dans les conditions déterminées par la loi, tous les nationaux français majeurs des deux sexes, jouissant de leurs droits civils et politiques" ». Le juge poursuit « la désignation des conseillers municipaux a une incidence sur l’élection des sénateurs ; qu’en sa qualité d’assemblée parlementaire le Sénat participe à l’exercice de la souveraineté nationale ; que, dès lors, le quatrième alinéa de l’article 3 de la Constitution implique que seuls les "nationaux français" ont le droit de vote et d’éligibilité aux élections effectuées pour la désignation de l’organe délibérant d’une collectivité territoriale de la République et notamment pour celle des conseillers municipaux ou des membres du Conseil de Paris »22. Dès lors, le Conseil constitutionnel conclut « qu’en l’état, l’article 8 B, paragraphe 1, ajouté au traité instituant la Communauté européenne par l’article G de l’engagement international soumis au Conseil constitutionnel, est contraire à la Constitution ». Il s’agit en ce cas d’une contradiction « positive » des deux textes qui prévoient chacune des dispositions différentes. L’actuel article 88-3 de la Constitution a ainsi dû être ajouté afin d’y remédier. Le second exemple de contradiction entre le contenu des textes interne et européen nous est donné dans la décision Traité établissant une Constitution pour l’Europe. En l’espèce, il ne s’agissait pas d’une 21. Cons. const., 9 août 2012, Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l’Union économique et monétaire, nº 2012-653 DC, § 10. 22. Cons. const., 9 avril 1992, Traité de Maastricht, nº 92-308 DC, § 26.

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contradiction stricto sensu, mais plutôt un « vide » constitutionnel s’agissant des prérogatives reconnues par le traité européen aux parlements nationaux, et que la Constitution française ne prévoyait pas : « Considérant que le droit reconnu au Parlement français de s’opposer à une modification du traité selon le mode simplifié prévu par l’article IV-444 rend nécessaire une révision de la Constitution afin de permettre l’exercice de cette prérogative ; qu’il en va de même de la faculté qui lui est conférée, le cas échéant selon des procédures propres à chacune de ses deux chambres, d’émettre un avis motivé ou de former un recours devant la Cour de justice dans le cadre du contrôle du respect du principe de subsidiarité »23. Dans ce cas, la contrariété peut être qualifiée de « négative » dans la mesure où le droit prévu par le traité communautaire ne l’est pas dans la Constitution nationale. Elle est à l’origine des articles 88-4 à 88-7 de la Constitution, ajoutés précisément afin de conférer au Parlement national une véritable fonction européenne24. On remarquera, mais il y sera revenu, que l’inscription du principe de primauté dans le traité établissant une Constitution pour l’Europe, en son article I-6, n’a pas été considérée comme une « clause contraire » à la Constitution au motif que ce principe découle déjà, mais c’est une nouveauté à ce moment-là, de l’article 88-1 de la Constitution.

• La méconnaissance des droits et libertés que la Constitution garantit La deuxième catégorie d’incompatibilité tenant à la méconnaissance des droits et libertés que la Constitution garantit n’a pour le moment pas servi de fondement à un constat explicite d’incompatibilité. Dans la décision Traité établissant une Constitution pour l’Europe, le Conseil constitutionnel a estimé, de façon maladroite, que la Charte des droits fondamentaux, intégrée au nouveau traité, était compatible avec la Constitution. Première étrangeté, seules certaines dispositions de la Charte ont été analysées alors même que plusieurs autres, voire la totalité, auraient pu faire l’objet d’un contrôle. Le Conseil constitutionnel ne précise pas les raisons qui ont motivé ce choix sélectif. En outre, la solution de compatibilité est discutable à bien des égards. Notamment, s’agissant du principe de laïcité visé à l’article 1er de la Constitution de 1958 que le juge constitutionnel considère comme insusceptible d’être remis en cause par l’article 10 de la Charte relatif à la liberté religieuse, le raisonnement suivi est critiquable. Le juge français se fonde sur les Explications du Praesidium qui a rédigé la Charte des droits fondamentaux, qui elles-mêmes renvoient à la Convention européenne des droits de l’homme telle qu’interprétée par la Cour de Strasbourg, afin d’en déduire une absence d’incompatibilité entre l’article 10 de la Charte et l’article 1er de la Constitution nationale. La maladresse provient de ce que 23. Cons. const., 19 novembre 2004, Traité établissant une Constitution pour l’Europe, nº 2004505 DC, § 41. Voir GDCC, 17e éd., 2013, nº 25. 24. Voir, supra, Première partie.

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le juge constitutionnel fait référence pour estimer les interprétations du droit européen compatibles avec le principe constitutionnel de laïcité à l’arrêt de chambre de la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Leyla Sahin, pourtant frappé de renvoi et par conséquent inexistant juridiquement25. Il s’agit d’une tentative de justification d’une noncontrariété entre les textes qui s’explique probablement par la volonté de minimiser la portée de la ratification et de ne pas ériger à son encontre d’obstacles politiquement insurmontables. Cette deuxième catégorie d’incompatibilité pourrait néanmoins être exploitée dans le cadre d’un éventuel contrôle a posteriori sur le fondement de l’article 61-1 de la Constitution, si les conditions d’ouverture d’un tel contrôle sont réunies.

• L’atteinte aux conditions essentielles d’exercice de la souveraineté nationale Plus fréquemment, une incompatibilité peut résulter, selon la terminologie du juge constitutionnel, d’une « atteinte aux conditions essentielles d’exercice de la souveraineté nationale ». Tant la formulation que son appréciation sont ambiguës. L’ambiguïté de la formule provient de la référence à la « souveraineté ». Qu’est-ce que cela signifie juridiquement, et peut-on ou non la limiter ? Certes, l’alinéa 15 du Préambule de 1946 précise que « sous réserve de réciprocité, la France consent aux limitations de souveraineté nécessaires à l’organisation et à la défense de la paix ». C’est pourquoi le Conseil constitutionnel utilisait dans un premier temps l’expression de « transferts de souveraineté » afin d’examiner si ceux-ci étaient ou non compatibles avec la Constitution. Mais cette approche interniste de la souveraineté, conçue de manière quantitative, comme une somme de compétences que l’on pourrait donc limiter ou dont on pourrait transférer une partie, n’est guère cohérente avec l’approche internationaliste de la souveraineté. En effet, selon cette dernière acception, la souveraineté est définie de manière non plus quantitative (une somme de compétences), mais davantage de manière qualitative comme l’absence de pouvoir supérieur. En droit international, la souveraineté des États, et plus précisément leur égale souveraineté, signifie ainsi qu’aucun d’eux n’a de supérieur dans l’ordre juridique international. En ratifiant un traité, l’État ne limite pas sa souveraineté, mais au contraire il l’exerce en acceptant de se soumettre librement à certaines obligations vis-à-vis d’autres États souverains. À partir de cette analyse, la souveraineté en droit international ne peut être limitée ou accrue. C’est pourquoi, dans sa décision Maastricht I, le juge constitutionnel français abandonne l’expression de « limitations » ou « transferts de souveraineté » pour celle « d’atteinte aux conditions essentielles d’exercice de la souveraineté ». Il n’en demeure pas moins qu’il 25. Ibid., § 18. CEDH, 29 juin 2004, Leyla Sahin c/ Turquie, req. nº 4774/98. L’arrêt de chambre a néanmoins été confirmé sur le fond par la Grande Chambre dans son arrêt du 10 novembre 2005.

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faut ensuite identifier ce que sont ces « conditions essentielles » susceptibles de faire obstacle à la ratification d’un traité. Là encore, la jurisprudence n’est pas des plus claires. Il ressort que l’atteinte à l’exercice de la souveraineté découle de la combinaison de deux critères : l’attribution à une organisation d’une compétence jugée régalienne d’une part, et les modalités d’exercice de cette compétence attribuée à l’organisation d’autre part. Au titre des compétences régaliennes, deux exemples permettent d’illustrer une telle atteinte aux conditions d’exercice de la souveraineté nationale : la mise en place d’une monnaie unique par le traité de Maastricht26, ainsi que celle d’un éventuel parquet européen dans le traité établissant une Constitution pour l’Europe27. Dans les deux cas, c’est principalement la sensibilité des domaines concernés, considérés comme relevant de l’imperium étatique qui explique le constat d’incompatibilité. Au titre des modalités d’exercice des compétences européennes, le critère décisif tient à ce que les procédures de décision prévues par le traité dans un domaine sensible de compétence aboutissent à priver la France de son autonomie. Plus précisément, l’absence de conformité entre la Constitution et le traité provient d’une procédure de décision prévoyant un vote à la majorité qualifiée au Conseil de l’Union et non à l’unanimité. Dans ses décisions Maastricht I et Amsterdam, le Conseil constitutionnel estime que le passage à la majorité qualifiée comme mode de votation au sein du Conseil de l’Union en matière de politique migratoire et de contrôle aux frontières rend incompatible avec la Constitution l’attribution de compétence envisagée28. Il en va de même s’agissant des clauses passerelles, qui permettent, sans procédure de révision, de passer du mode unanimitaire au mode majoritaire dans l’exercice d’une compétence relativement sensible29. La clause de la Constitution qui a permis de couvrir ces incompatibilités est celle de l’article 88-2 de la Constitution, initialement consacrée aux politiques monétaires et migratoires, mais désormais limitée à la question du mandat d’arrêt depuis la modification de l’article 88-1 qui couvre la participation de la France à l’ensemble des 26. Cons. const., 9 avril 1992, Traité de Maastricht, nº 92-308 DC, § 43 : « Considérant qu’il résulte des dispositions applicables à compter du début de la troisième phase de l’Union économique et monétaire que la réalisation d’un semblable objectif se traduira par la mise en œuvre d’une politique monétaire et d’une politique de change uniques suivant des modalités telles qu’un État membre se trouvera privé de compétences propres dans un domaine où sont en cause les conditions essentielles d’exercice de la souveraineté nationale ». 27. Cons. const., 19 novembre 2004, Traité établissant une Constitution pour l’Europe, nº 2004505 DC, § 28 : « qu’appelle également une révision de la Constitution, eu égard à la portée que revêt une telle disposition pour l’exercice de la souveraineté nationale, l’article III-274, relatif à la création d’un Parquet européen, organe habilité à poursuivre les auteurs d’infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union et à exercer devant les juridictions françaises l’action publique relative à ces infractions ». 28. Cons. const., 9 avril 1992, Traité de Maastricht, nº 92-308 DC, § 49 ; Cons. const., 31 décembre 1997, Traité d’Amsterdam, nº 97-394 DC, §§ 24 et 25. 29. Par exemple, Cons. const., 19 novembre 2004, Traité établissant une Constitution pour l’Europe, nº 2004-505 DC, §§ 33 à 35. Voir GDCC, 17e éd., 2013, nº 25.

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politiques européennes telles que prévues par le traité de Lisbonne. De la combinaison de ces deux critères, celui de l’importance de la compétence attribuée et celui du mode d’exercice de la compétence, il faut penser que plus le domaine en cause est sensible, moins il sera nécessaire que le degré de contrainte décisionnelle pesant sur l’État le soit ; et inversement, moins le domaine est important, plus un degré de contrainte décisionnel significatif sera nécessaire pour qu’il y ait atteinte aux conditions essentielles d’exercice de la souveraineté nationale. Les actes fondateurs de droit primaire relatifs à la poursuite de l’intégration européenne doivent préalablement à leur incorporation en droit interne faire l’objet d’une procédure de réception constitutionnelle de plus en plus spécifique et complexe. Passé cette étape première, le droit de l’Union, primaire et dérivé, intègre l’ordre juridique interne. C’est alors la question de son invocabilité devant le juge interne qui est déterminante pour son incorporation effective parmi les normes applicables en droit interne.

II.

L’invocation interne des normes européennes

Le juge national joue un rôle déterminant dans la pénétration des normes européennes au sein du droit interne et la formation d’un système normatif interne propre à l’appartenance à l’Union. Après le refus réitéré du Conseil constitutionnel de garantir le respect du droit de l’Union dans l’ordre interne30, c’est au juge ordinaire qu’incombe cette fonction. Il lui revient la tâche de faire respecter le droit de l’Union par les autres organes étatiques ainsi que le cas échéant par les personnes privées en s’assurant qu’il puisse être effectivement invoqué devant lui. Le juge français a progressivement reconnu un régime particulier d’invocabilité au droit de l’Union combinant plusieurs impératifs potentiellement contradictoires : l’effectivité des droits conférés, la spécificité de certaines normes, et la diversité des systèmes juridictionnels nationaux. Comme le Conseil d’État l’a explicitement consacré dans son arrêt GISTI du 11 avril 2012, les possibilités de se prévaloir du droit de l’Union devant le juge national font l’objet d’un raisonnement, de principes, et de techniques spécifiques, dont ne bénéficient pas les normes de droit international dans l’ordre interne31. S’illustre de la sorte la particularité du droit de l’intégration normative, comme système sui generis d’incorporation des normes européennes dans l’ordre interne. L’office du juge national s’en trouve profondément modifié 30. Cons. const., 15 janvier 1975, IVG, nº 74-54 DC, §§ 3 et s. ; Cons. const., 12 mai 2010, Loi relative à l’ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d’argent et de hasard en ligne, nº 2010-605 DC, § 11. 31. CE, 11 avril 2012, GISTI, Rec., p. 142.

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tant sur la manière d’invoquer les normes européennes (A), que sur les moyens dont il dispose pour les faire respecter (B).

A. Les formes d’invocation Progressivement, quatre formes différentes d’invocation des normes européennes devant le juge interne ont été dégagées, chacune obéissant à des conditions propres. Elles s’identifient en fonction de la finalité recherchée par le requérant qui s’en prévaut : substituer la norme européenne comme droit applicable (1), écarter le droit national contraire (2), interpréter le droit national dans un certain sens (3), et enfin réparer un préjudice découlant de la violation du droit de l’Union (4). Initialement réfractaire à certaines des potentialités contentieuses qu’elles recèlent, le juge national s’est progressivement rallié à ces différentes formes d’invocation des normes européennes devant lui sur le fondement notamment de l’article 88-1 de la Constitution.

1. L’invocabilité de substitution L’invocabilité de substitution désigne la faculté de se prévaloir devant le juge national d’une norme européenne afin de la faire appliquer, telle quelle, dans l’ordre interne. La norme européenne se substitue ainsi à la norme interne applicable pour produire ses pleins effets dans l’ordre juridique national. C’est ce qu’on nomme traditionnellement en droit international « l’effet direct », et qui constitue le degré de justiciabilité maximale d’une norme d’origine externe dans l’ordre interne. En ce cas, on peut considérer qu’il n’existe plus de réelle différence entre la norme interne et la norme européenne qui est pleinement incorporée. Néanmoins, cette invocabilité est soumise à certaines conditions en fonction du type de normes invoqué. À cet égard, il convient de distinguer l’invocabilité de substitution des règlements et des décisions qui n’est pas soumise à conditions, de celle des dispositions de droit primaire et des accords internationaux que l’Union a conclus qui doit en remplir certaines, et enfin de l’invocabilité de substitution des directives qui reste exceptionnelle.

• Les règlements et les décisions Les règlements, comme les décisions, sont en vertu des traités considérés comme des actes directement applicables dans l’ordre interne sans mesure nationale de transposition. S’agissant des règlements européens, l’article 288 TFUE est explicite et la Cour de justice a tiré très tôt les conséquences de leur caractère « directement applicable », que ce soit dans les litiges verticaux opposant un particulier au pouvoir public32, ou dans les litiges horizontaux opposant deux personnes privées33. Fort de la lettre du traité, le Conseil d’État français a 32. CJCE, 11 mars 1965, Betriebskrankenkasse der Heseper Torfwerke c/ Van Dijk, aff. 33/64. 33. CJCE, 12 décembre 1974, B.N.O Walrave et L.J.N Koch, aff. 36/74.

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rapidement accepté de reconnaître un tel effet direct aux règlements34, le jour même où, dans son emblématique jurisprudence Cohn-Bendit, il en refusait le bénéfice aux directives communautaires malgré la position contraire du juge européen35. Toutefois, il existe des règlements communautaires dits « incomplets », c’est-à-dire qui ne sont pas autosuffisants et qui nécessitent une intervention étatique complémentaire susceptible de faire « écran » à l’invocabilité de substitution. Dans cette hypothèse, l’action des autorités nationales est le plus souvent liée, cellesci ne disposant finalement d’aucune marge de manœuvre. Il est donc logique que, dans ce cas également, il soit possible pour un particulier d’invoquer le règlement pour qu’il s’applique directement dans l’ordre interne36. Néanmoins, dans une décision qualifiée de « quelque peu surprenante »37, la Cour de justice a refusé de reconnaître un effet de substitution aux dispositions d’un règlement dans la mesure où une intervention étatique comprenant une certaine marge d’appréciation était nécessaire à la réalisation de ses dispositions38. Dans ces cas, c’est davantage l’utilisation du règlement comme outil normatif qui est défectueuse que la cohérence de la théorie de l’effet direct. S’agissant des décisions européennes, et bien que l’article 288 TFUE ne mentionne que leur caractère « obligatoire », la Cour de justice a également reconnu rapidement la possibilité de demander leur application directe devant le juge interne39. Le Conseil d’État n’a pas fait de difficulté pour lui emboîter implicitement le pas40. Par définition là encore, la décision impose directement des droits ou obligations sans nécessiter, en principe, de mesure de transposition. Si tel est parfois le cas, l’effet direct est néanmoins possible puisque la compétence étatique sera liée et dépourvue de tout pouvoir discrétionnaire. Le juge administratif français ne semble d’ailleurs pas s’intéresser à la teneur de la décision, ni à son destinataire en estimant que les pouvoirs publics peuvent s’en prévaloir contre les particuliers41. Selon la jurisprudence européenne, il convient pourtant de distinguer d’une part la décision adressée aux particuliers qui peut être invoquée afin de s’appliquer directement aussi bien dans un litige vertical qu’horizontal dans lequel ce particulier est partie, et d’autre part la décision adressée aux États qui ne saurait jouer que dans les litiges verticaux et non dans des litiges horizontaux. En effet, la décision crée alors directement des droits ou obligations, mais envers l’État uniquement. 34. 35. 36. 37. 38. 39. 40. 41.

CE, 22 décembre 1978, Syndicat viticole de Hauts Graves de Bordeaux, Rec., p. 826. CE, 22 décembre 1978, Cohn-Bendit, Rec., p. 524, cf. infra. CJCE, 27 septembre 1979, Eridania SpA et autres, aff. 230/78. D. SIMON, Le système juridique communautaire, Paris, PUF, 2001, p. 322. CJCE, 11 janvier 2001, Monte Arcosu Srl, aff. C-403/98. CJCE, 6 octobre 1970, Franz Grad, aff. 9/70. CE, 3 février 1975, Rabot, Rec., p. 81 ; CE, 10 janvier 2001, Région Guadeloupe, Rec., p. 7. CE, 12 octobre 1979, Syndicat des importateurs de vêtements et produits artisanaux, Rec., p. 373.

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Un particulier peut donc s’en prévaloir à son encontre42, mais non à l’encontre d’un autre particulier à l’instar de la solution dégagée à propos des directives43.

• Les dispositions de droit primaire Pour qu’une disposition contraignante de droit primaire puisse s’appliquer telle quelle en droit interne encore faut-il d’une part qu’elle crée des droits au profit des particuliers, et d’autre part qu’elle soit suffisamment claire, précise, et surtout inconditionnelle. Dans l’arrêt fondateur Van Gend en Loos qui pose le principe d’émancipation des normes européennes hors de la logique classique de droit international et du dualisme qui la caractérise, la Cour de justice a énoncé une présomption en faveur des traités fondateurs à s’appliquer immédiatement dans l’ordre interne des États membres, quelque soit leur degré ou mode d’ouverture au droit international44. Toutefois, l’ensemble des dispositions de droit primaire n’est pas concerné par l’effet de substitution. Des dispositions purement institutionnelles ne conférant aucun droit aux particuliers, ou encore des dispositions trop vagues se contentant de fixer des objectifs laissant une large marge de manœuvre aux États ne bénéficient pas de l’invocabilité de substitution45. Le juge administratif français suit le même raisonnement46, en s’attachant notamment au caractère complet de la disposition européenne47. La plupart des dispositions des traités font maintenant l’objet d’une position claire quant à leur capacité à s’appliquer directement dans l’ordre interne. S’agissant de l’importante Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, un distinguo a été opéré entre les « droits » et les « principes », notamment sociaux, qu’elle consacre, avec l’idée que seuls les premiers produiraient une pleine invocabilité de substitution, tandis que les seconds n’auraient pas un tel effet sur le droit interne. Interrogée par la Cour de cassation française sur la portée de ces dispositions, la Cour de justice a refusé de reconnaître leur faculté à créer des droits subjectifs directement invocables48. De plus, il faut distinguer une fois encore selon le destinataire de la disposition invoquée. Si la norme de droit primaire s’adresse uniquement aux États, alors, en principe, seul un effet direct vertical sera reconnu. En revanche, certaines dispositions notamment en matière de libre circulation et de libre concurrence visent également les individus, dans ce cas, l’effet direct complet, c’est-à-dire à la fois vertical et horizontal, sera le plus souvent accordé et la disposition du traité pourra 42. 43. 44. 45. 46. 47. 48.

CJCE, 10 novembre 1992, Hansa Fleisch, aff. C-156/91. CJCE, 7 juin 2007, Carp SNC, aff. C-80/06. Voir infra. CJCE, 5 février 1963, Van Gend en Loos, aff. 26/62. CJCE, 17 mars 1993, Sloman Neptun, aff. jtes C-72/91 et C-73/91. CE, 10 février 1967, SA des établissements Petitjean et autres, Rec., p. 63. CE, 8 juin 1979, Confédération générale des planteurs de betteraves, Rec., p. 269. CJUE, 15 janvier 2014, Association de médiation sociale, aff. C-176/12.

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être appliquée directement par le juge interne dans un litige entre personnes privées. Tout dépendra de l’interprétation du juge européen49.

• Les traités internationaux conclus par l’Union européenne Le régime d’invocabilité devant le juge interne des dispositions des accords internationaux conclus par l’Union européenne est en apparence similaire à celui des traités communautaires, bien qu’en pratique sensiblement plus restrictif. Pour que les dispositions d’un tel accord soient appliquées directement dans l’ordre interne par le juge national, il faut, outre la double condition précédemment invoquée qu’elles confèrent des droits et qu’elles soient suffisamment claires, précises et inconditionnelles, que la nature de l’acte en cause ne s’y oppose pas. En effet, c’est fort logiquement au regard de la spécificité proclamée des traités communautaires, que la Cour de justice refuse de reconnaître aux traités internationaux « classiques » le même régime juridique. Alors que les dispositions des traités communautaires bénéficient d’une présomption d’effet direct dans l’ordre interne, les dispositions des traités internationaux conclus par l’Union ne se sont pas vues accorder une telle présomption50. S’applique à leur égard le régime de droit commun de la reconnaissance de l’effet direct en droit international, qui demeure relativement exceptionnelle51. La condition supplémentaire pour appliquer directement une disposition d’un traité international conclu par l’Union européenne dans l’ordre interne tient à la recherche de l’intention des parties au traité52. De surcroît, une seconde différence avec le régime de l’effet direct des traités communautaires existe afin de faire appliquer directement les dispositions d’un accord international conclu par l’Union : elle tient à l’appréciation de l’inconditionnalité de la disposition53. En pratique, cette jurisprudence plus restrictive explique que la Cour de justice ait à plusieurs reprises refusé de reconnaître un effet direct aux accords GATT54 puis OMC55. Les juridictions administratives françaises semblent accepter ce 49. Ainsi, alors que l’ex-article 119 TCE (157 TFUE) posait une obligation aux seuls États de ne pas tolérer de discrimination fondée sur le sexe en matière de salaires, la Cour de justice a néanmoins reconnu un effet direct horizontal à ce principe dans un litige opposant une salariée à son employeur (CJCE, 8 avril 1976, G. Defrenne c/ SABENA (Defrenne II), aff. 43/75). 50. CJCE, 26 octobre 1982, Kupferberg und Cie KG AA, aff. 104/81, point 17. 51. CPJI, 3 mars 1928, Compétence des tribunaux de Dantzig, Rec., série B, nº 15, pp. 17-18. 52. Voir les conclusions de l’avocat général Darmon sous CJCE, 30 septembre 1987, M. Demirel, aff. 12/86, point 18. 53. Alors que la Cour de justice considère comme inconditionnelle une disposition des traités communautaires impliquant une action ultérieure dès lors que cette action est liée, l’inconditionnalité d’une disposition de l’accord international ne sera établie que dans la mesure où celle-ci « n’est subordonnée dans son exécution ou ses effets, à l’intervention d’un acte ultérieur » quel qu’il soit (en ce sens, CJCE, 31 janvier 1991, Office national de l’emploi c/ B. Kziber, aff. C-18/90, point 15). 54. CJCE, 12 décembre 1972, International Fruit Company NV et autres c/ Produktschap vor Groenten en Fruit, aff. 21 à 24/72. 55. CJCE, 5 octobre 1994, Allemagne c/ Conseil, aff. C-280/93 ; CJCE, 9 septembre 2008, FIAMM, aff. C-120/06 et C-121/06 P.

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régime qui reste dans la logique internationale classique et font application directe dans l’ordre interne des dispositions d’un accord passé par l’Union dès lors que la Cour de justice a admis leur effet direct56. De la même manière, sur le fondement de l’effet direct de l’accord euro-méditerranéen conclu entre l’Union européenne, ses États membres et l’Algérie, la Cour de cassation a étendu le bénéfice de certaines prestations familiales aux enfants d’immigrés malgré le droit national contraire57.

• Les directives européennes S’agissant des directives européennes, la situation est plus complexe, ce qui a entraîné des divergences de vues entre le juge européen et le juge interne, désormais en grande partie révolues depuis l’arrêt Mme Perreux du Conseil d’État français qui consacre un alignement sur la position européenne58. Le postulat de départ est que les directives ne bénéficient pas, en principe, de la possibilité de s’appliquer directement dans l’ordre interne. Selon la lettre de l’article 288 TFUE, régulièrement mise en avant par le juge administratif français, une directive « lie tout État membre destinataire quant aux résultats à atteindre tout en laissant aux instances nationales la compétence quant à la forme et aux moyens ». La marge d’appréciation laissée à la discrétion des autorités nationales et le fait que les États soient présentés comme les destinataires exclusifs des directives invitent à penser que les dispositions de celles-ci ne sont pas susceptibles d’être invoquées de créer directement des droits au profit des particuliers devant le juge national. Toutefois, dans un arrêt Van Duyn, la Cour de justice a admis non seulement que les directives européennes s’intègrent immédiatement à l’ordre juridique interne, mais également qu’elles peuvent à titre exceptionnel y produire un effet maximal de substitution59. Le fondement de cette jurisprudence réside dans l’effectivité du caractère obligatoire des directives. Celui-ci serait en effet battu en brèche, si les justiciables n’avaient pas la possibilité de tirer profit des droits qu’elles confèrent en cas de non-transposition ou de mauvaise transposition de la part des États. La reconnaissance de la possibilité d’invoquer une directive afin d’en faire appliquer directement les dispositions vient ainsi sanctionner une défaillance étatique dans la bonne transposition de la norme européenne. Cette logique sanctionnatrice gouverne les conditions à remplir pour que la

56. Par exemple, CAA Paris, 1er février 2000, Bangalay, req. nº 97PA02332 ; CAA Douai, 13 février 2003, Guillien, req. nº 00DA01236. 57. Cass., ass., 5 avril 2013, Rachid X., pourv. nº 11-17.520. À la même date sur le fondement de l’accord CEE/Turquie, voir Cass., ass., 5 avril 2013, Tékin X., pourv. nº 11-18947. 58. CE, 30 octobre 2009, Perreux, Rec., p. 408. 59. CJCE, 4 décembre 1974, Van Duyn, aff. 41/74.

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disposition de la directive puisse produire un tel effet maximal dans l’ordre interne. Elles sont au nombre de trois : — Fort logiquement, la première condition tient à ce que le délai de transposition de la directive soit expiré, faute de quoi on ne saurait considérer qu’une défaillance de transposition soit survenue60. — La deuxième condition découle de ce que la défaillance sanctionnée provenant des autorités nationales, la directive ne peut être invoquée qu’à leur encontre. De sorte que les directives ne sont invocables à fin de substitution que dans les litiges verticaux ascendants, ce qui exclut à la fois les litiges horizontaux entre particuliers61 et les litiges verticaux descendants62. Ainsi, en réponse à une question de la Cour de cassation française en ce sens, la juridiction européenne a fermement rappelé que « même une disposition claire, précise et inconditionnelle d’une directive visant à conférer des droits ou à imposer des obligations aux particuliers ne saurait trouver application en tant que telle dans le cadre d’un litige qui oppose exclusivement des particuliers »63. De même, c’est la raison pour laquelle le juge administratif français refuse aux autorités publiques de se prévaloir de leur propre turpitude afin d’opposer aux administrés une directive qu’il n’aurait pas, ou incorrectement, transposée64. Cette condition pose toutefois problème sur le point de savoir si la situation est de forme publique (ou verticale) ou de forme privée (ou horizontale). Le juge européen adopte une conception large des situations verticales en estimant qu’une directive peut être opposée à fin de substitution non seulement à l’égard d’une personne publique agissant à titre pourtant privé en privilégiant un critère organique65, mais également à une personne privée agissant pour le compte ou aux moyens de la puissance publique en adoptant cette fois un critère fonctionnel66. Par ailleurs, tous les organismes publics, y compris décentralisés ou déconcentrés, sont concernés67. — La troisième condition est plus classique en exigeant que la disposition de la directive invoquée confère des droits aux particuliers et soit suffisamment claire, précise et inconditionnelle. Ainsi, par exemple, une disposition d’une directive conférant un droit à être payé en cas d’insolvabilité d’un employeur, sans toutefois que soit précisé le débiteur d’une telle obligation, ne remplit pas une telle condition68. 60. CJCE, 5 avril 1979, T. Ratti, aff. 148/78, point 46. 61. CJCE, 14 juillet 1994, P. Faccini Dori, aff. C-91/92, point 24. 62. CJCE, 8 octobre 1987, Kolpinghuis Nijmegen, aff. 80/86 ; CJCE, 3 mai 2005, Berlusconi, aff. C-387/02, C-391/02, C-403/02. 63. CJUE, 24 février, 2012, M. Dominguez, aff. C-282/10, point 42. 64. CE, 23 juin 1995, SA Lilly France, Rec., p. 257 ; TA Toulouse, 2 février 2011, nº 1100417. 65. CJCE, 26 février 1986, H. Marshall, aff. 152/84. 66. CJCE, 12 juillet 1990, Foster, aff. C-188/89 ; CJCE, 5 février 2004, Rieser International Transport, aff. C-157/02. 67. CJCE, 22 juin 1989, Fratelli Costanzo, aff. 103/88. 68. CJCE, 19 novembre 1991, Francovich et Bonifaci, aff. jtes C-6/90 et C-9/90.

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C’est notamment sur la base de la satisfaction de ces conditions que le juge judiciaire français, en se réclamant ouvertement de la jurisprudence européenne pertinente, s’est prononcé en faveur de l’effet direct de la directive sur le retour des étrangers en situations irrégulières, aboutissant en l’espèce à invalider le « délit de séjour irrégulier » instauré par le droit français69, tandis que le juge constitutionnel interne n’y avait pas vu d’inconstitutionnalité70. Alors que le juge européen avait toutefois admis l’existence d’une certaine marge de manœuvre aux autorités nationales au sein de ce domaine sensible de la compétence migratoire et pénale dans l’arrêt Achugbabian sur saisine de la Cour d’appel de Paris71, la Cour de cassation fait preuve d’un certain zèle, allant au-delà même de ce qu’exigeait la directive européenne afin d’en assurer la pleine efficacité. Longtemps hostile à l’idée d’appliquer directement les dispositions d’une directive aux termes de l’arrêt Cohn-Bendit du 22 décembre 197872, le Conseil d’État français a épousé le raisonnement européen par un revirement symbolique dans l’arrêt Mme Perreux du 30 octobre 200973. Il est vrai que la résistance du juge français à l’approche européenne de l’effet de substitution des directives faisait figure de rempart de papier pour au moins deux séries de raisons. Tout d’abord, elle ne concernait que la contestation des actes administratifs individuels, ce qui permettait grâce à un usage élargi de l’exception d’illégalité de faire jouer la directive à l’encontre des actes de portée générale sur la base desquels l’acte administratif individuel se fondait74. Ensuite, la résistance administrative à l’incorporation immédiate des directives dans l’ordre interne ne concernait pas les autres formes d’invocabilité des normes européennes permettant au justiciable d’obtenir un résultat fort proche de la pleine substitution. Mettant fin à cette résistance plus apparente que réelle dans l’arrêt d’Assemblée Mme Perreux, le Conseil d’État se reconnaît explicitement « juge de droit commun de l’application du droit communautaire » et assume d’exercer une fonction européenne directement fondée sur le traité européen et « en outre » sur l’article 88-1 de la Constitution. Se justifie alors pleinement d’appliquer au cas d’espèce le raisonnement européen propre à l’incorporation des directives dans l’ordre interne en vérifiant si les conditions à l’effet de substitution étaient réunies pour permettre à la requérante de se prévaloir de la directive afin de bénéficier du régime probatoire favorable qu’elle prévoit en vue de contester un acte administratif individuel attaqué comme discriminatoire. En l’occurrence, le juge administratif estime que les deux premières conditions d’absence de 69. Cass. crim., 5 juin 2012, avis nº 9002 ; Cass. civ. 1re, 5 juillet 2012, arrêts nº 959, pourv. nº 11-30.371 ; nº 965, pourv. nº 11-30.530 ; arrêt nº 960, Achraf B., pourv. nº 11-19.250. 70. Cons. const., 3 février 2012, M. Mohammed Akli B., nº 2011-217 QPC. 71. CJUE, 6 décembre 2011, Achugbabian, aff. C-329/11. 72. CE, 22 décembre 1978, Cohn-Bendit, Rec., p. 524. 73. CE, 30 octobre 2009, Perreux, Rec., p. 408. Voir GAJA, 19e éd., 2013, p. 927. 74. CE, 8 juillet 1991, Palazzi, Rec., p. 276 ; CE, 30 octobre 1996, SA Cabinet Revert et Badelon, Rec., p. 397 ; CE, 6 février 1998, Tête, Rec., p. 30

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transposition dans le délai prévu et de dimension verticale ascendante du litige sont bien remplies. En revanche, la directive laissant subsister une incertitude quant à sa capacité de couvrir tous les types de contentieux, le juge l’estime insuffisamment précise pour produire l’effet souhaité et servir, seule, de base à la résolution du litige. Il faut alors se tourner vers une autre forme d’invocabilité pour se prévaloir utilement de la norme européenne en droit interne.

2. L’invocabilité d’éviction Il s’agit d’une invocabilité dont la spécificité a été dégagée progressivement devant le juge européen puis devant le juge interne, qui présente certains intérêts mais aussi certaines limites par rapport à la substitution.

• La spécificité de l’éviction L’invocabilité d’éviction entretient des rapports étroits avec l’invocabilité de substitution, au point que l’on pourrait les confondre. Toutefois, une nuance évidente les sépare qu’illustre bien le cas tranché par l’arrêt Mme Perreux évoqué à l’instant. Dans cette affaire, la requérante souhaitait bénéficier du régime de renversement de la charge de la preuve d’une discrimination prévu par la directive européenne fautivement nontransposée à l’époque des faits. Elle recherchait donc à faire appliquer la norme européenne, et non à faire écarter la norme nationale contraire, qui en l’occurrence n’existait pas. Or, l’invocabilité d’éviction ne joue que dans ce sens, négatif, d’exclusion du droit national contraire sans permettre de bénéficier pleinement des avantages de la norme européenne. Son effet est par conséquent plus limité. C’est pourquoi un régime différent a été aménagé qui, s’agissant des directives, s’avère plus souple sur deux des conditions requises pour s’en prévaloir, mais qui demeure encore ambigu sur l’une d’elles : la nature du litige en cause. C’est effectivement à propos de la question débattue de la portée des directives européennes dans l’ordre interne que la Cour de justice a dégagé ouvertement une invocabilité autonome d’éviction en dispensant le requérant de satisfaire à la première des conditions requises pour s’en prévaloir, et qui découle pourtant de la logique fondatrice de sanction d’une défaillance étatique de transposition, tenant à l’expiration du délai de transposition75. Presque curieusement, le Conseil d’État français a facilement accepté dans un arrêt France nature environnement qui fait expressément référence à la position du juge européen que les associations requérantes puissent invoquer une directive afin de tenter d’écarter le droit national manifestement contraire, alors même que le délai imparti pour la transposer n’était pas encore expiré76. L’invocabilité du droit de l’Union européenne joue alors à titre préventif et uniquement en cas de contrariété flagrante, si bien que certains auteurs 75. CJCE, 18 décembre 1997, Inter-Environnement Wallonie ASBL, aff. C-129/96, points 44-46. 76. CE, 10 janvier 2001, France nature environnement, Rec., p. 10.

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parlent d’une invocabilité « de prévention »77. Dans ce cas, alors que l’effet de substitution n’est pas possible, celui d’éviction l’est, marquant la différence de régime des deux formes d’invocabilité. Il convient néanmoins que le droit national soit « de nature à compromettre sérieusement la réalisation du résultat prescrit par la directive »78. On notera avec intérêt que nulle mention n’est en revanche faite à la qualité de la disposition invoquée, et plus précisément à sa faculté de conférer un droit subjectif et à son caractère suffisamment clair, précis, et inconditionnel. Par conséquent, même des dispositions ne satisfaisant pas à cette dernière condition sont susceptibles d’être invoquées à fin d’éviction du droit national contraire.

• L’intérêt de l’éviction L’ensemble des dispositions contraignantes du droit de l’Union semble bénéficier de l’effet d’éviction, même si certaines catégories normatives paraissent plus particulièrement concernées dans l’ordre interne. Le cas des principes généraux du droit de l’Union mérite que l’on s’y attarde en raison de leur incorporation à la fois tardive et singulière au sein de la légalité administrative française. Reconnaissance tardive puisqu’elle n’intervient expressément que par l’arrêt Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles du 11 juillet 2001, à propos du principe de confiance légitime, que pourtant le juge administratif français se refuse de consacrer comme tel en dehors du champ d’application du droit de l’Union européenne79. Cette particularité montre que le système normatif appliqué par le juge national varie selon qu’il agit dans sa fonction de juge interne ou de juge européen. La singularité découle ensuite de ce que la portée reconnue aux principes généraux du droit de l’Union européenne dans l’ordre interne comme moyen de contrôle du droit national contraire diffère sensiblement de celle accordée aux principes généraux du droit international. Tandis que ces derniers ne bénéficient dans l’ordre interne que d’une valeur supa-décrétale et infra-législative80, les principes généraux du droit de l’Union européenne jouissent d’une valeur supérieure, identique à celle des traités européens dont ils sont considérés comme procédant à suivre le juge administratif aux termes de l’arrêt Syndicat national de l’industrie pharmaceutique81. Une nette dissociation est ainsi opérée dans le système interne selon que la norme non-écrite d’origine externe soit de nature internationale ou européenne, confirmant la perception spécifique du droit de l’intégration européenne dans l’ordre interne. Pour en revenir au cas problématique des directives, une ambiguïté subsiste sur la condition relative à la nature du litige pour revendiquer 77. 78. 79. 80. 81.

D. SIMON, Le système juridique communautaire, op. cit., pp. 442-443. CE, 10 janvier 2001, France nature environnement, op. cit. CE, 11 juillet 2001, FNSEA, Rec., p. 340. CE, 28 juillet 2000, Paulin, Rec., p. 317. CE, 3 décembre 2001, SNIP et autres, Rec., p. 624.

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l’éviction d’une norme nationale devant le juge interne. Dans les méandres d’une jurisprudence hésitante, la règle de principe est qu’une directive n’est pas invocable dans un litige horizontal entre particuliers, y compris à fin d’éviction du droit national contraire82. Ainsi, les directives ne sauraient produire un tel effet devant le juge judiciaire français saisi d’un litige entre particuliers. Comme pour l’invocabilité de substitution, cette position d’absence d’effet horizontal se justifie par la volonté de ne pas faire subir à un particulier la charge de la méconnaissance du droit de l’Union européenne par les autorités nationales législatives ou réglementaires. Toutefois, une exception a été aménagée lorsque la directive invoquée est combinée avec une autre norme du droit de l’Union européenne qu’elle met en œuvre, et plus particulièrement un principe général du droit de l’Union européenne83 ou un droit fondamental consacré par la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne84. Il n’est toutefois pas certain que l’ensemble des autres dispositions du droit de l’Union soit invocable afin d’évincer le droit national contraire dans les litiges opposant des parties privées. Dans des affaires polémiques, la Cour de justice l’a admis s’agissant des libertés économiques de circulation consacrées par le traité en permettant à des entreprises de faire écarter sur leur fondement des dispositions de conventions collectives dans un litige les opposant à des syndicats85. Pour contourner cette difficulté de l’effet des normes européennes dans les litiges privés, il faut se tourner vers la solution conciliatrice de l’interprétation conforme.

3. L’invocabilité d’interprétation Contrairement aux formes précédentes, l’invocabilité afin d’interpréter le droit national à la lumière de la norme européenne n’est pas animée par une logique sanctionnatrice ou conflictuelle. Fondée sur l’obligation de coopération loyale des juges internes découlant de l’article 4 § 3 TUE, son principe repose sur l’utilisation de leur pouvoir d’interprétation du droit interne, inhérent à leur fonction de juger, dans un sens favorable au respect du droit de l’Union. Pour cette raison, cette forme d’invocabilité offre de nombreuses potentialités supplémentaires de se prévaloir du droit de l’Union dans l’ordre interne, et elle a reçu un accueil favorable chez les juges nationaux.

82. CJUE, 24 février 2012, M. Dominguez, aff. C-282/10 ; CJUE, 15 janvier 2014, Association de médiation sociale, aff. C-176/12, point 36. 83. CJCE, 22 novembre 2005, W. Mangold, aff. C-144/04. 84. CJUE, 19 février 2010, S. Kücükdeveci, aff. C-555/07. 85. CJCE, 11 décembre 2007, Viking Line, aff. C-438/05 ; CJCE, 18 décembre 2007, Laval un Partneri, aff. C-341/05. Voir également, s’agissant d’un litige de droit du travail, CJCE, 6 juin 2000, Angonese, aff. C-281/98 ; CJCE, 17 juillet 2008, Raccanelli, aff. C-94/07.

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• Le principe de l’interprétation conforme Le principe de l’obligation d’interprétation conforme a été posé par la Cour de justice, encore une fois s’agissant des directives86, avant d’être étendu à l’ensemble des normes européennes obligatoires87, et même aux normes non-obligatoires dites encore de soft law88. Les conditions traditionnellement examinées pour les autres formes d’invocabilité deviennent indifférentes dans le régime de l’interprétation conforme. Ainsi, la faculté de se prévaloir de la norme européenne devant le juge interne afin d’interpréter le droit national joue quelles que soient les qualités intrinsèques de la disposition invoquée et, s’agissant des directives, y compris avant l’expiration de leur délai de transposition89. Surtout, l’interprétation conforme est admise quelle que soit la nature du litige, y compris par conséquent dans le contentieux privé des litiges horizontaux opposant des personnes privées90. Le juge français s’est rapidement approprié cette forme d’invocabilité en interprétant ouvertement le droit national conformément au droit communautaire, même si celui-ci n’est pas d’application directe91. Dans un arrêt remarqué Association ornithologique et mammalogique de Saône et Loire, le Conseil d’État a entrepris de faire jouer l’invocabilité d’interprétation conforme à l’égard des normes constitutionnelles internes92. En l’espèce, le juge administratif a interprété l’article 37, alinéa 2, de la Constitution comme imposant une obligation pour le Premier ministre de modifier par décret une loi incompatible avec le droit de l’Union alors que, prise à la lettre, la disposition constitutionnelle ne prévoit qu’une simple faculté de la faire. De la sorte, l’effet d’interprétation exerce une influence plus certaine sur le droit constitutionnel interne que ne le font les invocabilités précédentes guidées par une logique hiérarchique d’articulation entre les ordres juridiques (cf. infra, Chapitre 2).

• L’intérêt de l’interprétation conforme L’interprétation conforme permet une application indirecte du droit communautaire, par la médiation du droit interne. À la différence de l’effet direct classique qui opère une substitution du droit de l’Union européenne au droit interne, l’interprétation conforme consiste en une « transfusion »93 de la substance de la norme européenne au sein de la norme interne 86. CJCE, 10 avril 1984, Von Colson et Kamann, aff. 14/83, point 26. 87. CJCE, 4 février 1988, M. Murphy et autres, aff. 157/86, à propos des dispositions des traités ; CJCE, 16 juin 2005, M. Pupino, aff. C-105/03 à propos d’une décision-cadre. 88. CJCE, 13 décembre 1989, S. Grimaldi, aff. C-322/88, point 18. 89. CJCE, 8 octobre 1987, Kolpinghuis Nijmegen Bv, aff. 80/86. 90. CJCE, 13 novembre 1990, Marleasing SA, aff. C-106/89. 91. CE, 22 décembre 1989, Cercle militaire de la caserne de Mortier, Rec., p. 260. 92. CE, 3 décembre 1999, Association ornithologique et mammalogique de Saône et Loire, Rec., p. 379. 93. Y. GALMOT et J-C. BONICHOT, « La CJCE et la transposition des directives en droit national », RFDA 1988, nº 1, p. 2.

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interprète qui continue de servir de base principale à la résolution du litige. En pratique, cela aboutit souvent au même résultat, qui est l’application des prescriptions européennes, mais par l’intermédiaire du droit interne auquel le juge confère un sens conforme au droit de l’Union. En effet, l’interprétation est un puissant moyen de création du droit, dans la mesure où le juge peut choisir de dépasser le texte de la norme (interprétation exégétique) pour privilégier son contexte ou sa finalité (interprétation systémo-téléologique). Il est ainsi possible de faire produire au droit interne les mêmes effets que ceux recherchés par le droit de l’Union : l’interprétation conforme est alors plus intéressante que l’éviction, en ce qu’elle permet in fine de bénéficier, certes indirectement, de l’application des prérogatives ou avantages prévus en droit de l’Union. Pour reprendre l’exemple de l’affaire Mme Perreux, le juge administratif s’est employé à interpréter le droit interne applicable aux moments des faits en matière de preuve de la discrimination dans un sens conforme à ce que prévoyait la directive européenne sur la charge probatoire, permettant ainsi de faire bénéficier des avantages prévus par la norme européenne tout en continuant de statuer sur le fondement de la norme interne94. Le renvoi préjudiciel en interprétation, prévu par l’article 267 TFUE, permet au juge interne de connaître la signification précise du droit de l’Union européenne, afin d’adapter sa propre interprétation du droit interne. Dans l’affaire Forrest, le Conseil constitutionnel français s’est résolu à s’engager dans cette voie en interrogeant la Cour de justice à titre préjudiciel sur l’interprétation de la décision-cadre sur le mandat d’arrêt européen95, avant d’interpréter le droit national transposant ce texte dans le système pénal français96. Toutefois cette mise en compatibilité des ordres juridiques demeure étroitement dépendante de la bonne volonté du juge interne, et des hypothèses subsistent dans lesquelles, volontairement ou non, le juge national s’écarte de l’interprétation préconisée par le juge européen97. Malgré ses vertus, l’interprétation conforme connaît certaines limites. La première tient à la circonstance dans laquelle une telle interprétation irait à l’encontre même de la norme interne dont le juge ne peut modifier totalement le sens. En cas de contradiction flagrante et insurmontable, il est logique que le juge se refuse à toute interprétation contra legem qui irait à l’encontre de sa fonction d’appliquer la loi98. Il faut alors avoir recours à l’effet d’éviction pour faire écarter cette norme irréductiblement incompatible. La seconde limite à l’effet d’interprétation conforme a été CE, 30 octobre 2009, Mme Perreux, op. cit. Cons. const., 4 avril 2013, nº 314-2013 P QPC ; et CJUE, 30 mai 2013, aff. C-168/13 PPU. Cons. const., 14 juin 2013, nº 314-2013 QPC. Par exemple, Cons. const., 29 avril 2011, CGT et autres, nº 2011-122 QPC, qui s’écarte de CJCE, 18 janvier 2007, CGT et autres, aff. C-385/05. La pleine connaissance de cette jurisprudence européenne par le juge constitutionnel français est attestée par sa mention à la note 6 du commentaire aux Cahiers de la décision nº 2011-122 QPC. 98. CJUE, 24 février 2012, M. Dominguez, aff. C-282/10, point 25 ; CJUE, 15 janvier 2014, Association de médiation sociale, aff. C-176/12, point 39. 94. 95. 96. 97.

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dégagée en matière pénale lato sensu : une interprétation aboutissant à introduire ou aggraver une sanction n’est pas possible, car ce serait contraire à la sécurité juridique et surtout au principe de légalité des délits et des peines qui veut que toute personne poursuivie encourt une sanction préalablement définie99. La dernière limite à l’effet d’interprétation est évidente : l’invocabilité d’interprétation conforme est impossible lorsqu’il n’y a tout simplement pas de droit interne à interpréter. Cette invocabilité connaît ainsi la même limite que l’effet d’éviction qui ne sert à rien en cas d’absence de norme interne contraire. Dans ce cas, seule la réparation du préjudice subi pour non-respect du droit de l’Union européenne est envisageable.

4. L’invocabilité de réparation L’invocabilité de réparation conduit à se placer sur un plan encore différent, en basculant d’un contentieux de la légalité à un contentieux de la responsabilité. Son principe est de fonder un requérant à se prévaloir du droit de l’Union européenne devant le juge interne afin d’obtenir réparation du préjudice subi par sa violation. De cette façon, l’invocabilité de réparation peut jouer aussi bien subsidiairement, c’est-à-dire lorsque les autres formes d’invocabilité n’ont pas été possibles ou utiles, ou alors elle peut être revendiquée cumulativement, à savoir en plus d’une autre forme d’invocabilité. Par exemple, un particulier ou une entreprise pourra demander au juge national non seulement d’appliquer directement la norme européenne au litige pour faire cesser son inobservation, mais également de réparer le préjudice subi durant cette violation. Il s’agit par conséquent de deux aspects différents qui ont conduit à une distinction progressive du régime de l’invocabilité de réparation devant le juge national. Des évolutions profondes du droit interne de la responsabilité en ont découlé.

• Le principe de la réparation C’est dans l’arrêt Francovich et Bonifaci et toujours sur le fondement de l’article 4 § 3 TUE posant une obligation de coopération loyale, que la Cour de justice a pour la première fois posé le principe de la responsabilité de l’État du fait d’une violation du droit de l’Union qui lui est imputable, ouvrant de cette manière à tout justiciable qui s’en prétend victime un accès au juge national pour en réparer les dommages100. En l’occurrence, l’impossibilité pour les requérantes d’obtenir l’application directe de la directive prévoyant leur droit à être payées (la condition de précision faisant défaut), et l’inutilité de réclamer l’éviction ou l’interprétation conforme d’un droit national inexistant, ont conduit le juge européen à poser le principe de l’obligation de réparation afin de ne pas tolérer qu’une absence de transposition puisse s’avérer impunément préjudiciable aux justiciables. La 99. CJCE, 17 juin 1987, Pretore di Salo, aff. 14/86. 100. CJCE, 19 novembre 1991, Francovich et Bonifaci c/ Italie, aff. jtes C-6/90 et C-9/90.

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portée de cette dernière, et parfois ultime, forme d’invocabilité a été progressivement élargie. Elle joue à l’encontre de n’importe quel organe administratif quelle que soit sa nature, y compris décentralisée101. Surtout, le juge européen s’est montré indifférent à la fonction de l’organe national à l’origine d’une violation du droit de l’Union, l’étendant à l’action du législateur national dans l’arrêt Brasserie du Pêcheur et Factortame III102. Enfin et en toute cohérence, la jurisprudence de la Cour de justice sur l’effet de réparation se devait d’être étendue à l’activité non plus de l’administration ou du législateur, mais également à celle du juge national. Le pas est franchi dans l’arrêt Köbler103. La jurisprudence d’une juridiction suprême – en l’occurrence la juridiction supérieure administrative autrichienne – organe de l’État, peut être constitutive d’une violation du droit de l’Union et entraîner de la sorte un droit à réparation au bénéfice des particuliers. Selon le juge européen cette solution est particulièrement justifiée au motif que c’est précisément au juge national de faire respecter le droit de l’Union en droit interne. Quoique logique, cette extension se heurtait à différents arguments non négligeables notamment l’autorité de la chose jugée, ou encore l’indépendance des juges. L’ambivalence de la fonction européenne des juges nationaux révèle alors ses limites. Enfin, une dernière hypothèse demeure encore indécise : celle dans laquelle la violation du droit de l’Union est commise par une personne privée. Deux solutions sont envisageables. La première consiste à en déduire un nouveau fondement de responsabilité civile devant le juge judiciaire national ainsi que la Cour de justice l’a requis s’agissant de la violation des règles de concurrence104. La seconde consisterait à imputer à l’État une violation de la norme européenne dans une situation entre personnes privées, en raison de son abstention à l’avoir empêchée ou à y mettre fin105.

• Le régime de la réparation Des conditions spécifiques sont néanmoins nécessaires pour revendiquer l’invocabilité de réparation. Comme tout contentieux de la responsabilité, celui de l’engagement de la responsabilité de l’État du fait de la violation du droit de l’Union requiert la satisfaction de trois exigences principales : — La première est que la norme invoquée crée des droits au profit des particuliers. On retrouve une condition découlant de la nature subjective de la réparation, liée à un dommage individualisé. Toutefois, comme l’illustre 101. CJCE, 4 juillet 2000, Haïm, aff. C-424/97. 102. CJCE, 5 mars 1996, Brasserie du Pêcheur c/ Allemagne et The Queen c/ Secretary of State of Transport ex-parte Factortame Ltd et autres, aff. jtes C-46/93 et C-48/93. 103. CJCE, 30 septembre 2003, G. Köbler c/ Autriche, aff. C-224/01. 104. CJCE, 20 septembre 2001, Courage et Crehan, aff. C-453/99 ; CJUE, 5 juin 2014, Kone et autres, aff. C-577/12. 105. Pourrait plaider en ce sens, l’arrêt de la CJCE, 9 décembre 1997, Commission c/ France (dit « guerre des fraises »), aff. C-265/95, imputant à l’État un manquement au droit de l’Union pour ne pas avoir empêché les agissements d’opérateurs privés contraires aux règles de libertés de circulation garanties par les traités.

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l’affaire Francovich et Bonifaci, la norme européenne créant un tel droit subjectif n’a pas à être suffisamment claire, précise et inconditionnelle106. — La deuxième condition, probablement la plus vague, tient à ce que la violation du droit de l’Union européenne doit être « suffisamment caractérisée », ce qui implique de franchir un certain seuil de gravité dans la méconnaissance de la norme européenne, lui-même appréciable selon un faisceau d’indices tenant notamment à la marge de manœuvre de l’État, au caractère intentionnel ou non de la violation, à l’attitude de l’organe en cause, à la clarté des normes en cause ou de la jurisprudence européenne. Des hypothèses telles que la non-transposition d’une directive ou le prononcé préalable d’un arrêt de manquement à l’encontre de l’État récalcitrant en offrent des exemples. Dans l’affaire Köbler, la Cour de justice s’est montrée souple à l’égard de la violation émanant d’une juridiction suprême nationale en estimant que le critère de caractérisation manifeste n’était pas rempli malgré une méconnaissance assez grossière de ses obligations européennes par la juridiction interne. — La troisième et dernière condition consiste en la présence d’un lien de causalité entre la violation alléguée et le préjudice subi. Aucune précision n’étant fournie au niveau européen quant aux motifs susceptibles de rompre ou d’atténuer ce lien de causalité, c’est au niveau national d’en aménager plus précisément le régime. De façon générale, l’appréciation de ces conditions est effectuée par le juge national dans le cadre de l’autonomie institutionnelle et procédurale reconnue au système interne de responsabilité, sous la réserve classique de respect des principes d’équivalence et d’effectivité107. Contrairement à ce que l’on aurait pu attendre, les juridictions nationales ont là encore adopté une attitude plutôt conciliante aux évolutions du système interne de responsabilité de l’État que ces développements de la jurisprudence européenne ont provoqué. Il n’est pas surprenant que les juridictions françaises se soient pliées assez facilement au principe, déjà bien connu, de responsabilité pour faute de l’administration en l’étendant à celle découlant de la violation du droit de l’Union. Tandis que la faute lourde fut un temps requise bien qu’admise souplement par le juge judiciaire108, une faute simple de l’administration a été reconnue suffisante pour engager la responsabilité de l’État membre sur ce fondement par le Conseil d’État dans les arrêts Arizona Tobacco Products et Philip Morris France109 puis Société 106. CJCE, 19 novembre 1991, Francovich et Bonifaci, op. cit. 107. Voir infra, B. 108. Cass. com., 21 février 1995, United Distillers France et autres, GP, 10 décembre 1995, p. 27. 109. CE, 28 février 1992, Arizona Tobacco Products et Philip Morris France, Rec., p. 80. Auparavant, seule la responsabilité sans faute de l’État, exigeant la preuve d’un dommage anormal et spécial, était susceptible de servir de fondement au préjudice découlant d’une méconnaissance par l’administration agissant dans l’intérêt général des normes communautaires, voir CE, 23 mars 1984, Société Alivar, Rec., p. 127.

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martiniquaise de concession110. En revanche, l’éventualité de devoir engager la responsabilité du législateur pour violation du droit de l’Union européenne s’avérait plus problématique. En vertu du principe constitutionnel de séparation des pouvoirs, le juge administratif était réticent à l’idée de considérer comme fautive l’expression de sa volonté par le législateur démocratiquement élu. C’est pour cette raison que le régime de la responsabilité de l’État du fait des lois est longtemps resté cantonné à une responsabilité sans faute, pour dommage grave et spécial entraînant une rupture d’égalité devant les charges publiques111. Mais une fois dépassée la barrière du contrôle de légalité de la loi au regard du droit de l’Union depuis l’arrêt Nicolo112, le passage à l’engagement de la responsabilité législative devenait la prochaine étape. Elle fut franchie, pour une fois, sur le fondement de la méconnaissance par le législateur d’une disposition de l’autre branche du droit européen qu’est la Convention européenne des droits de l’homme dans l’arrêt Gardedieu du 8 février 2007113, mais dont le raisonnement est fortement inspiré du droit de l’Union comme le montre la simultanéité de cette décision avec celle de l’arrêt Arcelor rendu le même jour114. En l’espèce, le juge administratif construit un nouveau régime spécifique de responsabilité du fait des lois pour « méconnaissance d’un engagement international » par le législateur français, ici en raison d’une loi de validation contraire aux exigences du droit à un procès équitable protégé par l’article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l’homme. Dans un arrêt Société d’éditions et de protection route du 23 juillet 2014, le Conseil d’État a confirmé l’applicabilité de ce régime de responsabilité en cas de méconnaissance par le législateur français des normes du droit de l’Union, et plus particulièrement dans cette affaire des principes généraux non écrits de sécurité juridique et de confiance légitime115. Ces avancées dans l’encadrement de la fonction législative interne sur le fondement des normes européennes sont d’autant plus remarquables qu’elles remplacent, et parfois dépassent, les contraintes constitutionnelles qui pèsent sur son exercice. La bienveillance du juge interne à l’égard de l’autorité du droit de l’Union européenne sur l’organe législatif national et des conséquences à en tirer en termes d’engagement de la responsabilité de l’État aurait pu s’effriter au moment d’en étendre la logique à la fonction juridictionnelle, c’est-à-dire à l’égard du juge interne lui-même. Pourtant dans un remarquable arrêt Gestas du 18 juin 2008, le Conseil d’État français a accepté le principe d’engager la responsabilité de l’État du fait d’une violation du droit de 110. 111. 112. 113. 114.

CE, 26 février 1999, Société martiniquaise de concession, req. nº 154053 et 154054. CE, 14 janvier 1938, SA La Fleurette, Rec., p. 25. CE, 20 octobre 1989, Nicolo, Rec., p. 190. CE, 8 février 2007, Gardedieu, Rec., p. 78. CE, 8 février 2007, Société Arcelor atlantique et Lorraine et autres, Rec., p. 55. Voir GAJA, 19e éd., 2013, p. 888. 115. CE, 23 juillet 2014, Société d’éditions et de protection route, req. nº 354365, § 7.

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l’Union imputable à une juridiction suprême, et par conséquent à luimême116. En effet, alors que la jurisprudence Darmont excluait cette éventualité en raison de la condition de respect de l’autorité de la chose jugée qu’elle posait117, limitant par là la responsabilité aux seules juridictions inférieures, l’arrêt Gestas abandonne cette condition, mais uniquement, et c’est ce qui est proprement remarquable, lorsque la faute du juge découle d’une violation du droit de l’Union européenne. Une fois encore, le droit de l’Union suscite l’émergence d’un régime juridique particulier au sein du droit administratif interne. Toutefois, la condition de faute lourde pour engager cette responsabilité demeure maintenue, ce qui diminue en pratique fortement ses probabilités de réalisation, mais il n’est pas certain que pareille exigence soit fortement éloignée de l’interprétation rigoureuse de la condition de méconnaissance « suffisamment caractérisée » du droit de l’Union effectuée par la Cour de justice dans l’arrêt Köbler118. Le juge judiciaire français s’est montré toutefois plus réservé. Dans un arrêt Société McCormick Guadeloupe, la Cour de cassation n’a pas consacré, sans toutefois l’écarter totalement, la possibilité de déclarer sa propre responsabilité pour violation manifeste du droit de l’Union européenne en raison d’un manquement à son obligation de saisine de la Cour de justice à titre préjudiciel119. De ces quatre formes différentes et complémentaires d’invocation du droit de l’Union européenne devant le juge interne que sont la substitution, l’éviction, l’interprétation et la réparation, le justiciable tire de larges perspectives d’assurer son plein effet dans l’ordre interne, se faisant ainsi le principal vecteur de l’intégration européenne. C’est en s’adressant directement à l’individu, en l’investissant de droits dont il peut revendiquer le bénéfice devant son propre juge national, que le génie de la construction européenne progresse. Des conséquences plus profondes en découlent, notamment quant à l’individualisme que cette instrumentalisation engendre et la fragilisation des moyens d’action et de protection collective. Si le juge national a progressivement accepté de s’y engager en suivant très largement le cadre d’incorporation du droit de l’Union élaboré par le juge européen, c’est aussi parce qu’il y trouve certains avantages dans les moyens d’exercer son office.

B. Les moyens de l’invocation Si l’identification et le régime des différentes manières de se prévaloir du droit de l’Union devant le juge interne proviennent assez largement d’une construction jurisprudentielle européenne progressivement adoptée par les juges nationaux, la mise en œuvre concrète de cette incorporation se fait 116. 117. 118. 119.

CE, 18 juin 2008, Gestas, Rec., p. 230. CE, 29 décembre 1978, Darmont, Rec., p. 542. CJCE, 30 septembre 2003, G. Köbler, op. cit. Cass. civ. 1re, 26 octobre 2011, Société McCormick Guadeloupe, Bull. 1, nº 181.

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selon les voies de droit et les mécanismes du système institutionnel et procédural interne propre à chaque État. Ce principe d’autonomie institutionnelle et procédurale présumant la capacité du système interne à assurer la pleine incorporation du droit de l’Union a été rapidement consacré120. Toutefois, il est fortement nuancé par deux autres principes posés au niveau européen qui encadrent cette marge de discrétion organisationnelle accordée au système national : les principes d’équivalence et d’effectivité121. Le premier prévoit que le droit de l’Union ne doit pas être moins bien protégé devant le juge interne que ne le serait une norme nationale : en ce sens la norme européenne doit bénéficier d’une protection au moins équivalente à celle de la norme interne. Le second impose que les spécificités propres à chaque système national n’aient pas pour conséquence de rendre « pratiquement impossible ou excessivement difficile » l’exercice des droits issus du droit de l’Union. Un seuil minimal d’effectivité est ainsi exigé, pouvant conduire à ce que la norme européenne soit même mieux protégée que la norme nationale. Sur le fondement de ces exigences d’équivalence et d’effectivité, les moyens dont dispose le juge national pour exercer son office ont progressivement été augmentés, jusqu’à lui conférer certaines prérogatives dont il ne disposerait pas s’il n’exerçait pas une mission de juge européen. Tant l’étendue de sa compétence (1) que celle de ses pouvoirs (2) s’en trouvent modifiés.

1. La compétence du juge interne Pour que le droit de l’Union européenne puisse être considéré comme pleinement incorporé à l’ordre interne, encore faut-il qu’un juge national soit en mesure d’être saisi pour en assurer le respect. Cela pose la question de l’étendue de la compétence du juge interne, et celle d’une éventuelle concurrence de compétence entre juges.

• L’extension de la compétence juridictionnelle Dès le célèbre arrêt Simmenthal, la Cour de justice a posé le principe du dédoublement fonctionnel des juges nationaux saisis d’une norme européenne et de la possibilité qui leur est offerte sur ce fondement de s’émanciper du cadre institutionnel et procédural national afin de se reconnaître compétent pour assurer leur fonction de juge européen122. En l’espèce, la Cour de cassation italienne était confrontée à une difficulté constitutionnelle de taille : alors que le requérant invoquait devant elle à fin 120. CJCE, 16 décembre 1976, Rewe, aff. 33/76, point 5 et à la même date Comet, aff. 45/76, point 13 : « en l’absence de réglementation communautaire [...], il appartient à l’ordre juridique de chaque État membre de désigner les juridictions compétentes et de régler les modalités procédurales des recours en justice destinés à assurer la sauvegarde des droits que les justiciables tirent de l’effet direct du droit communautaire ». 121. Par exemple, CJCE, 10 juillet 1997, R. Palmisani, aff. C-261/95, point 27 ; CJCE, 26 janvier 2010, Transportes Urbanos c/ Servicios Generales, aff. C-118/08, point 31. 122. CJCE, 9 mars 1978, Administration des finances de l’État c/ SA Simmenthal, aff. 106/77.

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d’exclusion la contrariété d’une loi nationale au droit communautaire, la juridiction interne judiciaire ne disposait pas selon le droit procédural national de la compétence nécessaire pour écarter immédiatement la loi litigieuse, celle-ci appartenant en vertu de la Constitution au seul juge constitutionnel. Consultée par voie préjudicielle sur cette difficulté, la Cour de justice invite le juge interne à ignorer l’obstacle procédural et à assurer le plein effet du droit communautaire en écartant « de sa propre autorité » la loi contraire123. Incompétent pour contrôler la loi sur le fondement de la Constitution, le juge interne le devient sur le fondement du droit de l’Union. Cette habilitation lui confère ainsi une raison d’agir en faveur de la pleine incorporation des normes européennes dans l’ordre interne en lui octroyant la capacité, jusqu’alors inimaginable, d’opposer sa volonté à celle du législateur national. L’effectivité requise par le droit de l’Union européenne dans l’accès au juge rejoint celle protégée par le droit de la Convention européenne des droits de l’homme. Dans un arrêt Johnston, la Cour de justice a posé le principe du « droit à une protection juridictionnelle effective » lui permettant de s’assurer que les juridictions nationales fassent l’objet d’un accès suffisant pour que les justiciables puissent faire valoir les droits qu’ils tirent de l’ordre juridique européen124. Désormais, c’est l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux qui sert de fondement à l’encadrement de l’accès au système juridictionnel interne. Par ailleurs, le traité Lisbonne officialise pour la première fois le rôle primordial attribué au juge interne en son article 19, § 1, TUE dont le deuxième alinéa dispose : « Les États membres établissent les voies de recours nécessaires pour assurer une protection juridictionnelle effective dans les domaines couverts par le droit de l’Union ». Dans le système français, le bouleversement principal est évidemment venu de la compétence que se sont reconnue les juges ordinaires, à chaque fois à propos d’un litige d’origine communautaire, de contrôler la loi interne dans les arrêts Société des cafés Jacques Vabre pour le juge judiciaire125 et Nicolo pour le juge administratif126. Ce tournant de l’histoire institutionnelle française a toutefois eu lieu sur le fondement de la Constitution nationale, et plus précisément de son article 55, et du refus du juge constitutionnel, agissant en tant que tel, d’en assurer le contrôle127. L’origine de cette mutation s’enracine bien néanmoins dans le terreau de l’intégration européenne et de la revendication d’incorporation immédiate formulée par le juge européen à laquelle le juge interne accède. D’autres exemples peuvent également être avancés de l’extension de la compétence 123. Ibid., point 29. 124. CJCE, 15 mai 1986, M. Johnston, aff. 222/84. 125. Cass., ch. mixte, 24 mai 1975, Administration des douanes c/ Société des cafés Jacques Vabre, Bull. 4, p. 6. 126. CE, 20 octobre 1989, Nicolo, Rec., p. 190. Voir GAJA, 19e éd., 2013, p. 653. 127. Cons. const., 15 janvier 1975, IVG, nº 74-54 DC. Voir GDCC, 17e éd., 2013, nº 15.

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de contrôle du juge interne sur le droit national sur le fondement de l’exercice d’une fonction européenne. La création d’un régime spécifique de responsabilité de l’État du fait des lois par les arrêts Gardedieu et Société d’éditions et de protection route a déjà été évoquée128. De même, la jurisprudence Société Tropic Travaux du Conseil d’État, ouvrant une voie de recours spéciale aux tiers évincés par un contrat conclu en méconnaissance des règles européennes de concurrence, est une illustration de ce que le respect effectif du droit de l’Union européenne justifie d’élargir l’étendue de la compétence du juge interne129.

• La concurrence des compétences juridictionnelles De négatif, par absence de compétence suffisante, le conflit peut également devenir positif, par concurrence de compétence entre les juges pour connaître d’un litige. La concurrence peut tout d’abord avoir lieu entre juges nationaux. En droit français, la distinction des contentieux judiciaire et administratif est généralement ramenée aux origines mêmes de ce dernier et à une lecture stricte du principe de séparation des pouvoirs. C’est ainsi en vertu de la jurisprudence Septfonds130 que, sauf rares exceptions131, les tribunaux judiciaires ne pouvaient logiquement connaître de la légalité des actes administratifs132. Cette incompétence peut toutefois s’avérer préjudiciable au justiciable qui, lors d’un litige privé, se voit contraint de formuler ou d’attendre une saisine parallèle afin qu’une question incidente de légalité administrative ne soit tranchée par une autre juridiction. Dans la logique précédente de recherche d’effectivité du contrôle, le Tribunal des conflits a ajouté une nouvelle hypothèse de compétence judiciaire pour connaître de la validité d’un acte administratif en cas de contrariété alléguée au droit de l’Union. Dans l’arrêt SCEA Du Chéneau du 17 octobre 2011, le Tribunal des conflits a modifié de façon spectaculaire sa jurisprudence antérieure en investissant le juge judiciaire de la compétence de contrôle d’un acte administratif soit pour en admettre la légalité en l’absence de difficulté sérieuse, soit au contraire pour en constater l’invalidité, mais uniquement en cas de violation du droit de l’Union133. En l’espèce, la société requérante se voit ainsi dispensée d’attendre l’issue d’une saisine préjudicielle du juge judiciaire vers son homologue administratif afin de savoir si l’organisme défendeur était en droit de lui réclamer des cotisations autorisées par 128. CE, 8 février 2007, Gardedieu, Rec., p. 78 ; CE, 23 juillet 2014, Société d’éditions et de protection route, req. nº 354365. 129. CE, 16 juillet 2007, Société Tropic Travaux Signalisation, Rec., p. 360. Voir GAJA, 19e éd., 2013, p. 905. 130. T. confl., 16 juin 1923, Septfonds, Rec., p. 498. 131. Découlant de la protection de la propriété privée ou de la liberté individuelle, de la nécessité de résoudre un litige pénal, ou encore en matière de fiscalité indirecte. Voir GAJA, 19e éd., 2013, p. 956. 132. T. confl., 23 octobre 2000, Boussadar, Rec., p. 775. 133. T. confl., 17 octobre 2011, Préfet de la région Bretagne, Préfet d’Ille-et-Vilaine c/ SCEA du Chéneau c/ INAPORC, Rec., p. 698. Voir GAJA, 19e éd., 2013, p. 956.

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décret, dont elle soutenait qu’il méconnaissait l’interdiction européenne des aides d’État. Pour fonder cette modification de la répartition des compétences juridictionnelles, le Tribunal mobilise à la fois le principe d’effectivité du droit de l’Union dégagée par la Cour de justice et celui de spécificité du droit de l’Union découlant de l’article 88-1 de la Constitution dans une formule fortement inspirée par la jurisprudence Simmenthal qui mérite d’être intégralement retranscrite : « s’agissant du cas particulier du droit de l’Union européenne, dont le respect constitue une obligation, tant en vertu du traité sur l’Union européenne et du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne qu’en application de l’article 88-1 de la Constitution, il résulte du principe d’effectivité issu des dispositions de ces traités, telles qu’elles ont été interprétées par la Cour de justice de l’Union européenne, que le juge national chargé d’appliquer les dispositions du droit de l’Union a l’obligation d’en assurer le plein effet en laissant au besoin inappliquée, de sa propre autorité, toute disposition contraire ; qu’à cet effet, il doit pouvoir, en cas de difficulté d’interprétation de ces normes, en saisir luimême la Cour de justice à titre préjudiciel ou, lorsqu’il s’estime en état de le faire, appliquer le droit de l’Union, sans être tenu de saisir au préalable la juridiction administrative d’une question préjudicielle, dans le cas où serait en cause devant lui, à titre incident, la conformité d’un acte administratif au droit de l’Union européenne ». De cette façon, le droit de l’Union bouleverse en profondeur le système juridictionnel national au point de gommer la distinction des contentieux autour de laquelle il s’est entièrement construit. La concurrence de compétence peut ensuite avoir lieu entre le juge national et le juge européen, ou plus précisément entre un contrôle effectué sur le fondement du droit constitutionnel national et un autre effectué sur le fondement du droit de l’Union européenne. En France, l’hypothèse ne s’est logiquement présentée qu’au moment de l’introduction d’un contrôle a posteriori de constitutionnalité des lois. Il est probable que cette évolution remarquable provienne pour partie de l’incohérence à contrôler la loi sur le fondement des normes internationales et européennes après son adoption, notamment depuis l’arrêt Nicolo134, et à ne pas pouvoir le faire sur le fondement de la Constitution135. Pour autant, l’introduction de ce nouveau contrôle de constitutionnalité prévu par l’article 61-1 de la Constitution risquait de faire largement double emploi avec le contrôle de conventionnalité des lois déjà effectué par les juges administratifs et judiciaires. Pour éviter toute concurrence probablement préjudiciable à la nouvelle procédure de contrôle de constitutionnalité qui oblige le requérant à déposer une nouvelle requête, le législateur organique français a choisi de la rendre « prioritaire » par rapport au

134. CE, 20 octobre 1989, Nicolo, op. cit. GAJA, 19e éd., 2013, p. 653. 135. CE, 6 novembre 1936, Arrighi, Rec., p. 966 ; CE, 20 octobre 1989, Roujansky, RFDA 1989, p. 993.

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contrôle de conventionnalité de la loi136. De sorte que la formulation d’une question prioritaire de constitutionnalité empêche le juge ordinaire de se prononcer sur le respect par la loi des normes conventionnelles, et plus particulièrement de la Convention européenne des droits de l’homme et de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne dont les dispositions sont très largement équivalentes à celles de la Constitution nationale garantissant des droits et libertés. Perplexe sur la question de savoir si ce nouveau dispositif ne l’empêchait pas d’exercer pleinement sa mission de contrôle du respect du droit de l’Union, la Cour de cassation française a saisi la Cour de justice. Dans son arrêt Melki et Abdeli du 22 juin 2010, la juridiction européenne s’est prononcée dans le sens d’une neutralisation de la priorité accordée par le système français au contrôle du respect de la Constitution sur le contrôle du respect du droit de l’Union, faute de laquelle l’effectivité de la fonction européenne du juge national s’en trouverait altérée137. Dans cette affaire, était en cause une loi autorisant les contrôles d’identité sans motif dans certaines zones frontalières dont la compatibilité avec la liberté de circuler était contestée tant au regard de la Constitution que du droit de l’Union. De façon ferme, mais conciliante, la Cour de justice s’est uniquement fondée sur l’effet utile de la procédure européenne de renvoi préjudiciel pour estimer que le dispositif national ne devait pas priver le juge interne de la faculté ou de l’obligation de la saisir sur le fondement de l’article 267 TFUE. Avant que la Cour de justice ne se prononce, les juges administratif et constitutionnel avaient de concert anticipé sa réaction en estimant que, malgré la lettre de la loi organique, le juge ordinaire devait rester libre de statuer sur la compatibilité de la loi nationale avec le droit de l’Union européenne indépendamment de la circonstance qu’une question prioritaire de constitutionnalité ait été parallèlement formulée, et donc de saisir à cet effet la juridiction européenne138. Manifestement, le juge national exerçant une fonction européenne se trouve en mesure de jouer un rôle constitutionnel, éventuellement concurrent à celui de la juridiction interne spécialisée dans cette tâche. Initiée le 4 avril 2013, la surprenante saisine préjudicielle de la Cour de justice par le Conseil constitutionnel français dans l’affaire Forrest est symptomatique de cette prise de conscience139. En engageant pour la 136. Article 23-5, alinéa 2 de la loi organique nº 2009-1523, du 10 décembre 2009, relative à l’application de l’article 61-1 de la Constitution (JORF du 11 décembre 2009, p. 21379) : « En tout état de cause, le Conseil d’État ou la Cour de cassation doit, lorsqu’il est saisi de moyens contestant la conformité d’une disposition législative, d’une part, aux droits et libertés garantis par la Constitution et, d’autre part, aux engagements internationaux de la France, se prononcer par priorité sur le renvoi de la question de constitutionnalité au Conseil constitutionnel ». 137. CJUE, 22 juin 2010, Melki et Abdeli, aff. jtes C-188/10 et C-189/10. 138. Cons. const., 4 avril 2013, J. Forrest, nº 2013-314 P QPC. 139. Cons. const., 12 mai 2010, Loi relative à l’ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d’argent et de hasard en ligne, nº 2010-605 DC, §§ 14 et 15 ; CE, 14 mai 2010, Rujovic, req. nº 312305 : « d’une part, ces dispositions ne font pas obstacle à ce que le juge administratif, juge de droit commun de l’application du droit de l’Union européenne, en assure l’effectivité, soit en l’absence de question prioritaire de constitutionnalité, soit au

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première fois le dialogue avec le juge européen, le juge constitutionnel français amorce une réappropriation du contrôle d’européanité qui, jusqu’à présent, l’avait laissé indifférent. En l’espèce, la voie choisie demeure étroite. Le Conseil constitutionnel s’est focalisé sur l’article 88-2 de la Constitution qui fait expressément référence à la question spécifique du mandat d’arrêt européen afin d’interroger la Cour de justice sur la conformité de la loi française à la décision-cadre établissant la procédure de mandat européen en ce qu’elle limitait les possibilités de recours. Le précédent montre toutefois que la saisine est parfaitement possible en pratique malgré le délai court du contrôle de constitutionnalité, et rien par conséquent n’empêche d’en étendre la possibilité à d’autres hypothèses d’interprétation ou de validité du droit de l’Union sur le fondement de l’article 88-1 de la Constitution et de la spécificité du régime des lois nationales de transposition qui en découle140. Dilatateur de compétence juridictionnelle, le droit de l’Union européenne l’est aussi des pouvoirs du juge interne.

2. Les pouvoirs du juge interne Des illustrations de ce que le droit de l’Union augmente les pouvoirs du juge national, notamment vis-à-vis des autres organes normatifs de l’État ont déjà été signalées. C’est notamment le cas dans le contentieux de la responsabilité qui accentue le contrôle exercé par le juge ordinaire sur l’activité du législateur interne141. D’autres exemples tirés du contentieux des référés ou des moyens d’ordre public peuvent être mis en avant.

• Le contentieux de l’urgence Le contentieux de l’urgence offre un bon exemple de la faculté pour le juge national de puiser dans le droit de l’Union une justification à l’extension de ses prérogatives. Le propre de ce contentieux, introduit relativement tardivement dans le système administratif français, est de permettre la suspension des actes des autorités normatives alors même que leur illégalité n’est pas encore avérée. Il s’agit par conséquent d’une arme importante aux mains des juges qui statuent rapidement et, le plus souvent, de façon non collégiale. Au nom de l’efficacité du droit de l’Union, le juge interne est invité à en faire usage, y compris en s’octroyant un pouvoir qu’il ne détient en principe pas sur le seul fondement du droit interne. Dans la célèbre affaire Factortame I, la Cour de justice, saisie à titre préjudiciel par le juge britannique, a enjoint aux juridictions internes d’accorder une protection provisoire au requérant en cas de risque terme de la procédure d’examen d’une telle question, soit à tout moment de cette procédure, lorsque l’urgence le commande, pour faire cesser immédiatement tout effet éventuel de la loi contraire au droit de l’Union ; que, d’autre part, le juge administratif dispose de la possibilité de poser à tout instant, dès qu’il y a lieu de procéder à un tel renvoi, en application de l’article 267 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne ». 140. Voir infra Chapitre 2. 141. Voir supra A, 4.

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probable de violation du droit communautaire, alors même que la procédure interne ne l’y autorisait pourtant pas142. Mobilisant une fois encore le principe de l’arrêt Simmenthal, la formule du juge européen est on ne peut plus explicite : « la pleine efficacité du droit communautaire se trouverait tout aussi diminuée si une règle du droit national pouvait empêcher le juge saisi d’un litige régi par le droit communautaire d’accorder les mesures provisoires en vue de garantir la pleine efficacité de la décision juridictionnelle à intervenir sur l’existence des droits invoqués sur la base du droit communautaire »143. Par souci de parallélisme, la Cour de justice a également estimé que le juge interne avait le pouvoir non pas seulement de suspendre provisoirement l’application d’une mesure interne présentant un risque de contrariété avec le droit de l’Union, mais également de surseoir à l’exécution d’une mesure nationale d’application d’une norme européenne dans l’hypothèse où cette dernière serait gravement soupçonnée d’invalidité144. Dans les deux cas, le juge national est invité à s’attribuer le pouvoir de prononcer des mesures provisoires, y compris à l’égard de la loi. Or, le juge administratif français se montre particulièrement hésitant à suspendre provisoirement l’application de la loi dans une procédure de référé, estimant que le législateur doit bénéficier d’une forme de présomption de validité de ses actes, un privilège renforcé du préalable, pour emprunter le langage administrativiste, qu’un contrôle superficiel, rapide, et provisoire ne saurait renverser. Après l’avoir refusé de façon générale alors qu’était alléguée une violation de la Convention européenne des droits de l’homme145, le Conseil d’État s’est finalement résolu à admettre de suspendre provisoirement la loi dans le contentieux en référé dans l’ordonnance du 16 juin 2010, Mme Diakité, mais, une fois encore, uniquement en cas de risque de violation du droit de l’Union illustrant la spécificité de la protection dont il bénéficie dans l’ordre interne146.

• Le relevé d’office L’idée que le juge national puisse déployer certains pouvoirs pour faire respecter le droit de l’Union, alors qu’il n’en détient pas de tels pour s’assurer du respect du droit national est profondément perturbatrice. Elle aboutit à hiérarchiser l’attachement au respect de la légalité selon l’origine de la norme de référence du contrôle. Dit autrement, le sentiment qui peut en découler est que le respect de la légalité européenne serait plus digne de protection que celui de la légalité interne. La discussion sur le point de savoir si le juge interne doit se reconnaître le pouvoir de relever d’office une violation du droit de l’Union témoigne de la réticence à susciter ce sentiment de hiérarchisation des contrôles de légalités interne et européenne, d’autant 142. CJCE, 19 juin 1990, The Queen c/ Secretary of State for Transport, ex-parte Factortame, aff. C-213/89. 143. Ibid., point 22. 144. CJCE, 21 février 1991, Zuckerfabrik Südderdithmarschen, aff. C-143/88 et C-92/89. 145. CE, 30 décembre 2002, Carminati, Rec., p. 510. 146. CE, 16 juin 2010, Mme Diakité, Rec., p. 210.

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plus qu’une élévation généralisée de la violation du droit de l’Union européenne comme moyen d’ordre public pourrait s’avérer contraire au principe de l’égalité des armes et pénaliser trop lourdement l’une des parties147. Sur ce point, la Cour de justice a adopté une attitude plutôt prudente. En ce que le relevé d’office permet certainement d’améliorer l’effectivité de l’incorporation du droit de l’Union dans l’ordre interne, le juge national peut s’affranchir d’une interdiction de le faire découlant du système procédural interne148. Cela ne veut pas pour autant dire qu’il ait l’obligation de relever d’office ce moyen, à la condition dans ce cas qu’aucun moyen de droit national ne puisse l’être, faute de quoi le principe d’équivalence serait méconnu149. Seul le domaine de l’interdiction des clauses abusives fait l’objet d’une véritable obligation pour le juge national de se reconnaître le pouvoir d’en relever d’office l’illégalité au regard du droit de l’Union150. Dans la continuité de cette relative prudence européenne, les juridictions nationales sont hésitantes sur la question de se reconnaître le pouvoir de soulever d’office un moyen tiré du droit de l’Union européenne. Si la Cour de cassation adopte une attitude favorable en acceptant de s’affranchir des règles nationales afin de relever d’office les moyens tirés du respect du droit de l’Union151, le Conseil d’État dans la lignée de sa jurisprudence Morgane refuse quant à lui de s’y rallier, motif pris que les moyens tirés d’une violation du droit international ne sont pas des moyens d’ordre public152. Toutefois, la cour administrative d’appel de Paris dans un arrêt Julien du 1er juin 2005 a entendu déroger à ce refus en soulevant d’office la question de la comptabilité de dispositions fiscales nationales par rapport à une directive, en soulignant son caractère exhaustif et précis153. Encore une fois, un statut contentieux particulier au droit de l’Union semble se dessiner. En définitive, le système normatif interne connaît de profondes évolutions au moment d’incorporer les normes européennes en son sein et de diluer la frontière apparente qui les sépare des normes internes. Avec elle s’estompe aussi sa justification tenant à l’idée que les normes européennes seraient « venues d’ailleurs ». La réalité du droit positif montre au contraire qu’elles font partie intégrante du système interne, mais selon des procédés, des raisonnements et des techniques de maniement qui obéissent à une logique propre mâtinée d’inventions européennes et d’adaptations internes. La question qui se pose dès lors est de savoir comment s’effectue la cohabitation des normes dans ce nouveau système d’intégration. 147. CJCE, 25 novembre 2008, Heemskerk, aff. C-455/06. 148. CJCE, 14 décembre 1995, Peterbroeck Van Campenhout & Cie SCS c/ Belgique, aff. C-312/93. 149. CJCE, 14 décembre 1995, Van Schijndel, aff. C-430/93. 150. CJCE, 4 juin 2009, Pannon, aff. C-243/08, point 22. 151. Cass. com., 30 mai 2000, Association de fabricants industriels de rillettes du Mans, Bull. 4, nº 111, p. 99. 152. CE, 11 janvier 1991, SA Morgane, Rec., p. 9 ; CE, 6 décembre 2002, Maciolak, Rec., p. 426. 153. CAA Paris, 1er juin 2005, M. Julien, req. nº 00PA03825.

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Chapitre 2 Le cadre interne d’articulation des normes La pensée juridique traditionnelle représente le droit comme un ensemble organisé de normes doté d’une unité de validité découlant d’une norme unique supérieure, dénommée pour cette raison « constitution ». Cette représentation se justifie non seulement pour une raison politique « un peuple, un droit », mais aussi pour une raison juridique « un litige, une solution ». En effet, le peuple français en vertu de son choix de vivre ensemble ne saurait être soumis à des normes qu’il n’a pas choisies sauf à perdre sa souveraineté et ultimement sa liberté. Il convient par conséquent que les normes externes, même incorporées à l’ordre interne, s’articulent harmonieusement avec les normes supérieures de l’ordre national dont elles tirent in fine leur validité. De la même manière, en cas de litige il convient en dernier ressort qu’une solution unique soit donnée sur le fondement d’une norme supérieure. Si plusieurs normes différentes se revendiquent supérieures et qu’elles font l’objet d’interprétations différentes, alors un même litige pourrait recevoir plusieurs solutions, éventuellement opposées, et dans ce cas le droit ne remplirait plus sa fonction de résolution des litiges. Ces raisons expliquent la persistance, jugée par certains indépassable, de l’approche hiérarchique de l’organisation des normes au sein d’un ordre juridique. Toutefois, l’intégration européenne, et plus particulièrement le dédoublement fonctionnel des juges internes qui vient d’être évoqué, conduit à remettre en question cette approche traditionnelle des rapports de systèmes. L’évolution de la conception et des techniques d’articulation des normes internes et européennes au sein même du droit national montrent que si le cadre hiérarchique d’organisation normative n’est pas ignoré, il est du moins réaménagé en vue d’éviter les risques de conflits auxquels il mène (I). Parallèlement, l’importance prise par les juges nationaux dans la mise en cohérence des normes internes et européennes fait que se développe un cadre dialogique de coopération juridictionnelle au sein duquel peut se concevoir le dépassement d’une logique strictement hiérarchique (II).

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I.

L’articulation hiérarchique interne

La hiérarchie des normes est loin d’être ignorée dans l’articulation des normes internes et externes par le système national, mais elle s’effectue s’agissant des normes européennes à l’aune d’un fondement constitutionnel spécifique qu’est l’article 88-1 de la Constitution. Contrairement à la clause de l’article 55 qui précise la place et le rang des traités internationaux dans l’ordre interne, l’article 88-1 de la Constitution se contente de prendre acte de la participation de la France à l’intégration européenne. Surtout, sur le fond, l’irruption des normes européennes dans l’ordre interne modifie le sens de la hiérarchie des normes et les solutions traditionnelles qu’elle commande en raison de la présence de normes formellement internes mais dont la substance ou la fonction est européenne. Au terme d’une profonde évolution, la position globale qui se dessine ainsi en droit français consiste à considérer que les normes européennes s’articulent de façon hiérarchique avec les normes infraconstitutionnelles (A) et de façon non-hiérarchique avec les normes constitutionnelles (B).

A. La hiérarchie des normes infra-constitutionnelles La question de la hiérarchie entre les normes européennes et les normes nationales infra-constitutionnelles est désormais une histoire bien connue, dont on se contentera de rappeler les grandes lignes (1), pour se concentrer sur les modifications qu’entraîne l’intégration européenne sur la hiérarchie entre les normes nationales elles-mêmes (2). Enfin, un point spécifique sera consacré à la question de l’articulation des normes européennes et des normes internationales, elles aussi incorporées à l’ordre juridique interne (3).

1. La hiérarchie sur les normes nationales Il est désormais acquis, bien que l’évolution fût lente et même réticente, que les normes européennes bénéficient d’une primauté sur les normes internes infra-constitutionnelles, qu’elles soient de nature administrative ou législative.

• La primauté sur l’acte administratif On se souvient que le régime de la légalité de l’acte administratif a connu une évolution importante avec l’arrêt Alitalia, rendu à propos de la méconnaissance d’une directive européenne, en posant une obligation d’abrogation des règlements administratifs contraires à une norme supérieure, y compris européenne1. Ainsi l’ensemble des actes administratifs réglementaires, qu’ils soient postérieurs ou antérieurs à une 1. CE, 3 février 1989, Compagnie Alitalia, Rec., p. 44. Voir GAJA, 19e éd., 2013, p. 644.

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norme européenne contraire, doit disparaître de l’ordre juridique assurant la plus grande partie de l’exigence de primauté des normes européennes sur les normes administratives internes. On sait aussi que la situation est plus compliquée pour les actes individuels, ainsi qu’en cas de disparition rétroactive, ou retrait, de l’acte administratif. Pour des raisons tenant à la sécurité juridique, elle-même d’ailleurs reconnue comme principe applicable à l’ordre administratif dans l’arrêt KPMG dont les liens avec le droit européen sont également étroits2, les actes individuels créateurs de droit bénéficient d’une stabilité renforcée qui peut aller jusqu’à leur maintien en dépit de leur illégalité passé un délai de quatre mois, comme le juge administratif l’a consacré dans l’arrêt Ternon3. Un doute peut subsister quant à la compatibilité de cet aspect particulier du régime français des actes administratifs avec les exigences de la primauté du droit de l’Union européenne. Dans un arrêt Kühne et Heinz, la Cour de justice n’est pas restée indifférente à l’exigence de garantie de la sécurité juridique malgré l’illégalité d’un acte administratif, dans un contexte toutefois particulier de décision juridictionnelle interne devenue définitive et couvrant indirectement par là l’acte administratif litigieux de l’autorité de chose jugée4. Toutefois, dans un arrêt Byankov, le juge européen s’est expressément fondé sur les principes d’effectivité et d’équivalence pour exiger la disparition rétroactive d’un acte administratif interne, en l’espèce une mesure d’interdiction de quitter le territoire, pourtant définitive5. Enfin, dans la saga d’origine française de l’affaire CELF, le cas particulier du contrôle des aides d’État, particulièrement concerné par la question du retrait des décisions administratives les autorisant en cas d’absence de notification de la mesure à la Commission, fait l’objet d’une solution complexe selon que la mesure nationale, bien que non notifiée et par conséquent en principe nulle, puisse être éventuellement maintenue en cas de compatibilité sur le fond avec le respect de la concurrence6. Dans ce cas uniquement, seuls les intérêts du montant perçu en violation du droit de l’Union européenne doivent être récupérés7.

• La primauté sur l’acte législatif Le régime de l’acte interne législatif a été fortement modifié depuis l’acceptation des juges ordinaires d’en contrôler la compatibilité au droit de l’Union, et de manière générale aux engagements internationaux. Rendus à

CE, 24 mars 2006, Société KPMG et autres, Rec., p. 154. Voir GAJA, 19e éd., 2013, p. 875. CE, 26 octobre 2001, Ternon, Rec., p. 497. Voir GAJA, 19e éd., 2013, p. 807. CJCE, 13 janvier 2004, Kühne et Heinz NV, aff. C-453/00. CJUE, 4 octobre 2012, Byankov, aff. C-249/11. CAA Paris, 5 octobre 2004, Centre d’exportation du livre français, req. nº 01PA02717 ; CE, 29 mars 2006, req. nº 274923 ; CJCE, 12 février 2008, CELF c/ SIDE, aff. C-199/06. 7. CJUE, 11 mars 2010, CELF II, aff. C-1/09. 2. 3. 4. 5. 6.

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presque vingt-cinq ans d’écart, les arrêts Jacques Vabre8 et Nicolo9 resteront les décisions fondatrices de l’érosion du légicentrisme français et de la souveraineté politique du législateur national. Leur adoption pose les fondements de l’insertion d’un contrôle a posteriori de constitutionnalité des lois dans le système juridique français : la loi étant soumise au respect des conventions et du droit de l’Union, après son adoption, il devient logique qu’elle le soit aussi au respect de la Constitution. Comme cela a été déjà mentionné10, le droit européen est également à l’origine de l’invention d’un régime spécial de réparation du fait d’une violation des engagements internationaux, complétant ainsi le contrôle de légalité du juge ordinaire par un contentieux de la responsabilité11. Ce régime a été appliqué pour la première fois s’agissant de la violation par la loi interne du droit de l’Union, en l’occurrence des principes de sécurité juridique et de confiance légitime, dans l’arrêt du Conseil d’État du 23 juillet 2014, Société d’éditions et de protection route12. Il en résulte que la loi française est désormais hiérarchiquement subordonnée, au terme d’un contrôle juridictionnel qui en garantit le respect, tant à la Constitution qu’au droit de l’Union. Certaines difficultés d’articulation des contrôles peuvent en découler, comme l’a illustré l’épisode de l’affaire Melki et Abdeli13, à la suite duquel un consensus a été trouvé pour estimer que les deux contrôles pouvaient être effectués simultanément ou successivement14. Sur le fond, les deux contrôles, du respect de la Constitution et du respect du droit de l’Union, sont susceptibles d’aboutir à des résultats différents, les normes de contrôle de même que les juges interrogés étant différents, plaçant ainsi le juge ordinaire face à des situations embarrassantes. Ainsi, par exemple, dans l’affaire Winner Wetten, la Cour de justice a estimé que le droit de l’Union imposait la mise à l’écart immédiate de la loi nationale contraire, alors que le juge constitutionnel national s’était expressément prononcé en faveur du maintien provisoire de cette même loi, également jugée contraire à la Constitution, afin d’assurer une certaine sécurité juridique. Dans ce cas le juge ordinaire, en tant que juge européen de droit commun, peut être amené à s’écarter de la position du juge constitutionnel15, dont le respect s’impose pourtant aux autres autorités juridictionnelles internes, comme le souligne l’article 62, alinéa 3, de la Constitution française. La question de la 8. Cass., ch. mixte, 24 mai 1975, Administration des douanes c/ Société des cafés Jacques Vabre, Bull. 4, p. 6. 9. CE, 20 octobre 1989, Nicolo, Rec., p. 190. Voir GAJA, 19e éd., 2013, p. 653. 10. Voir supra sur l’invocabilité de réparation, CJCE, 5 mars 1996, Brasserie du Pêcheur c/ Allemagne et The Queen c/ Secretary of State of Transport ex-parte Factortame Ltd et autres, aff. jtes C-46/93 et C-48/93. 11. CE, 8 février 2007, Gardedieu, Rec., p. 78. 12. CE, 23 juillet 2014, Société d’éditions et de protection route, req. nº 354365, § 7. 13. CJUE, 22 juin 2010, Melki et Abdeli, aff. jtes C-188/10 et C-189/10. 14. Cons. const., 12 mai 2010, Loi relative à l’ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d’argent et de hasard en ligne, nº 2010-605 DC, §§ 14 et 15 ; CE, 14 mai 2010, Rujovic, req. nº 312305. 15. Voir CJUE, 15 janvier 2013, Krizan et autres, aff. C-416/10.

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fusion, ou du moins d’une meilleure articulation, du contrôle de la loi nationale au regard du droit de l’Union d’un côté et au regard de la Constitution d’un autre côté, mérite d’être posée. Dans sa décision OGM du 28 mai 2014, le Conseil constitutionnel a manqué l’occasion de le faire16. Saisi d’une loi interdisant la culture de maïs OGM dont la contrariété au droit de l’Union était plus que probable en vertu d’une jurisprudence antérieure de la Cour de justice, le juge constitutionnel interne saisi d’un contrôle a priori refuse d’examiner ce moyen en estimant que seules les lois « de transpositions des directives » sont couvertes par l’article 88-1 de la Constitution et l’obligation corrélative (bien qu’implicite) de ne pas être manifestement incompatible avec la directive transposée. En l’occurrence cette loi « normale » n’a pas à faire l’objet d’un contrôle, même sommaire, de compatibilité au droit de l’Union devant le juge constitutionnel. Il faudra attendre son entrée en vigueur et la saisine du juge ordinaire pour y procéder, ce qui semble peu compatible avec les principes d’effectivité et même d’équivalence. La restriction de la portée du contrôle de l’article 881 aux seules mesures nationales de mise en œuvre du droit de l’Union se justifie mal. Elle s’explique probablement par la particularité du régime qui en découle, qui modifie en profondeur le fonctionnement classique de la hiérarchie des normes dans l’ordre interne entre les normes nationales elles-mêmes.

2. La hiérarchie entre les normes nationales Les actes nationaux de « mise en œuvre » du droit de l’Union européenne font l’objet d’un traitement spécifique ; soumis au respect de la hiérarchie des normes européennes, ils échappent, en grande partie, à la hiérarchie des normes internes. Ils jouissent ainsi, dans le droit national, d’une forme d’« immunité » paralysant partiellement ou totalement le contrôle d’une norme nationale pourtant hiérarchiquement supérieure. Cette spécificité concerne aussi bien les actes administratifs d’exécution du droit de l’Union que les actes législatifs de transposition du droit de l’Union.

• Le régime de l’acte administratif d’exécution En premier lieu, l’acte administratif d’exécution du droit de l’Union bénéficie d’une certaine immunité au regard de la loi nationale. En ce cas, la conformité au droit de l’Union européenne permet de couvrir la nonconformité à la loi. Ainsi, l’autorité administrative qui manque à son obligation de prendre les mesures nécessaires à la bonne application de la loi échappe néanmoins à la sanction, dès lors que cette loi est elle-même considérée comme contraire au droit de l’Union17. Toutefois, l’immunité est limitée aux moyens de légalité interne de l’acte administratif, les moyens de 16. Cons. const., 28 mai 2014, Loi relative à l’interdiction de la mise en culture des variétés de maïs génétiquement modifié, nº 2014-694 DC. 17. CE, 18 juin 1993, Institut français d’opinion, Rec., p. 178 ; CE, 20 décembre 2000, Géniteau, Rec., p. 634.

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légalité externe continuant d’être normalement opposables, notamment celui du respect de la répartition compétence18. En outre, cette immunité de l’acte administratif ne remet pas fondamentalement en cause la hiérarchie interne des normes dans la mesure où elle se justifie ellemême par la primauté du droit de l’Union européenne sur la loi consacrée par les articles 55 et 88-1 de la Constitution. En second lieu, l’acte administratif d’exécution du droit de l’Union européenne bénéficie d’une certaine immunité vis-à-vis de la Constitution nationale. Le régime mis en place est néanmoins plus complexe, ne seraitce que parce qu’il n’est toujours pas admis que le droit de l’Union européenne prime sur la Constitution française. Cette situation particulière de la confrontation d’un acte administratif de mise en œuvre du droit de l’Union d’un côté et de la Constitution nationale d’un autre côté est à l’origine de l’adoption de la célèbre décision Arcelor du Conseil d’État19. Dans cette affaire bien connue, la société requérante invoquait la violation de la Constitution par l’acte administratif national de transposition de la directive sur les quotas d’émission de gaz à effet de serre, et plus particulièrement du principe d’égalité, de la liberté d’entreprendre et du droit de propriété inscrits dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Le risque de procéder à ce contrôle aurait été de confronter indirectement la directive européenne et la Constitution nationale, et de mener à une impasse : le juge européen privilégiant la directive et le juge national la norme constitutionnelle... Le conflit de normes aurait conduit à un conflit de juges et, in fine, à un conflit d’ordres juridiques se revendiquant mutuellement autonomes. Afin d’éviter une telle situation, le juge administratif français a considéré qu’étant saisi d’un acte administratif d’exécution du droit de l’Union européenne, il se trouvait dans l’exercice de sa fonction de juge européen, ce qui l’amenait en réalité à s’interroger sur la validité de la directive au regard des normes supérieures invoquées par le requérant, en l’espèce les principes d’égalité, la liberté d’entreprendre et le droit de propriété. Ces normes supérieures étant consacrées non seulement dans la Constitution française, mais aussi de façon équivalente en tant que principes généraux du droit de l’Union (et désormais au sein de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne), le juge national se trouve en réalité saisi d’une question de validité de la directive européenne au regard de ces principes. Estimant qu’un doute sérieux existe sur le respect du principe d’égalité, le Conseil d’État, conformément à sa fonction de juge européen, a décidé de saisir la Cour de justice d’une question préjudicielle en appréciation de validité. La Cour de justice ayant répondu que le principe d’égalité avait bien été respecté par le législateur européen, la directive devait être considérée comme valide sous l’angle du principe européen 18. CE, 30 juillet 2003, Association Avenir de la langue française, Rec., p. 249. 19. CE, 8 février 2007, Société Arcelor Atlantique et Lorraine et autres, Rec., p. 55. Voir GAJA, 19e éd., 2013, p. 888.

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d’égalité20. La protection de ce principe étant présumée équivalente dans l’ordre interne et dans l’ordre européen, le respect du principe d’égalité garanti par la Constitution française s’en trouve mécaniquement assuré. De cette façon, l’acte administratif d’exécution du droit de l’Union a échappé au contrôle direct de sa compatibilité avec la Constitution nationale tout en procédant sur le fond à une vérification des droits fondamentaux des requérants. L’ubiquité de ces normes supérieures de protection, présentes à la fois dans le droit constitutionnel interne et dans le droit constitutionnel de l’Union, permet ainsi de « translater » le conflit de normes qui passe d’un conflit entre deux normes internes (l’acte administratif versus la Constitution nationale) à un conflit entre deux normes européennes (la directive versus les principes supérieurs du droit de l’Union européenne). L’impasse du conflit d’autorité a pu de la sorte être évitée. Un raisonnement similaire a été élaboré s’agissant des lois internes de transposition du droit de l’Union européenne.

• Le régime de l’acte législatif de transposition La catégorie constituée par les lois nationales de transposition des directives européennes obéit à un régime hiérarchique à part. Subordonnée en principe au respect de la Constitution, la loi interne en raison de son objet particulier de mise en œuvre du droit de l’Union européenne échappe pour partie au contrôle de constitutionnalité. Cette immunité a été reconnue de façon à la fois tardive et partielle. La question se pose de savoir si le législateur interne, lorsqu’il agit dans le cadre de sa fonction d’exécution normative du droit de l’Union21, se trouve soumis au respect de la Constitution. Initialement, aucune différence ne semblait être opérée au bénéfice de cette fonction particulière, étant entendu que le respect de la Constitution devait être pleinement assuré. L’hypothèse d’une révision préalable de la Constitution avant l’adoption d’une mesure de transposition s’est même réalisée sur le fondement du contrôle préventif effectué après avis du Conseil d’État à propos de la loi interne de transposition de la décision-cadre sur le mandat européen22 qui a amené la révision constitutionnelle introduisant l’article 88-2 de la Constitution23. Cet exemple montre bien que si une certaine prudence constitutionnelle était observée s’agissant des mesures de transposition, ces dernières n’échappaient pas à un plein contrôle de constitutionnalité, conduisant au besoin en cas de contradiction avérée à une révision constitutionnelle. Cette situation risquait néanmoins de s’avérer problématique et source de blocage, au regard de la difficulté de réviser la 20. CJCE, 16 septembre 2008, Société Arcelor Lorraine et autres, aff. C-127/07. 21. Voir supra, Partie I, Chapitre 2, II. 22. CE, avis, 26 septembre 2002, décision-cadre du Conseil de l’Union européenne du 13 juin 2002 relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres, RFDA, 2003, p. 465. 23. Loi constitutionnelle nº 2003-267 du 25 mars 2003 relative au mandat d’arrêt européen, JORF nº 72 du 26 mars 2003, p. 5344.

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Constitution. C’est pourquoi le juge constitutionnel s’est orienté vers la définition d’un régime constitutionnel spécifique des lois de transposition. L’immunité du législateur dans sa fonction d’exécution normative du droit de l’Union a finalement été consacrée dans le cadre du contrôle a priori de constitutionnalité des lois. Dans sa décision fondatrice Loi pour l’économie numérique, le juge constitutionnel a identifié l’existence d’une obligation constitutionnelle de bonne transposition des directives sur le fondement d’une lecture constructive de l’article 88-1 de la Constitution24. Il en découle que la loi de transposition n’a en principe pas à subir un contrôle de constitutionnalité au regard du respect des autres dispositions constitutionnelles. Néanmoins deux réserves nuancent cette immunité de principe et compliquent le régime constitutionnel des lois de transposition ainsi que le Conseil constitutionnel le précise dans sa décision Loi relative au secteur de l’énergie25. Elles concernent d’une part les dispositions législatives contrôlées, et d’autre part les dispositions constitutionnelles invoquées. En premier lieu, seules les dispositions législatives transposant des dispositions « inconditionnelles et précises » d’une directive échappent au contrôle de constitutionnalité26. À défaut, une marge de manœuvre est laissée à la discrétion du pouvoir législatif qui redevient passible du contrôle de constitutionnalité dans l’utilisation de cette latitude qui lui est offerte. Cette première réserve amène le juge constitutionnel à vérifier implicitement que le législateur national a bel et bien respecté la directive européenne, faute de quoi, agissant hors du cadre de ce que requiert la stricte transposition, il redevient susceptible de faire l’objet du contrôle de constitutionnalité. Toutefois, ce contrôle implicite demeure sommaire : il est limité aux dispositions « manifestement » incompatibles avec la directive27. En second lieu, en raison de la nature des dispositions constitutionnelles invoquées cette fois, le contrôle de constitutionnalité de la loi de transposition est réactivé en cas de remise en cause » d’une règle ou d’un principe inhérent à l’identité constitutionnelle de la France »28. La formule, importée du droit comparé29, ne permet pas de savoir quelles sont 24. Cons. const., 10 juin 2004, Loi pour la confiance dans l’économie numérique, nº 2004-496 DC. 25. Cons. const., 30 novembre 2006, Loi relative au secteur de l’énergie, nº 2006-543 DC. Voir GDCC, 17e éd., 2013, nº 18. 26. Cons. const., 10 juin 2004, Loi pour la confiance dans l’économie numérique, nº 2004-496 DC, § 9. 27. Cons. const., 30 novembre 2006, Loi relative au secteur de l’énergie, op. cit. § 7. 28. Ibid., § 6. 29. Les commentaires aux Cahiers du Conseil constitutionnel renvoient l’origine de cette réserve, « y compris dans sa formulation » à la décision de la Cour constitutionnelle italienne, 13-21 avril 1989, SpA Fragd c/ Amministratione delle Finanze, sent. nº 232/89, FI, 1990, I, p. 1855. Le Président Mazeaud établit par ailleurs expressément une parenté avec la célèbre jurisprudence allemande Solange (Cour constitutionnelle allemande, 29 mai 1974, BverfGe, vol. 37, 271, « Solange I » ; 22 octobre 1986, Bverfg, vol. 73, p. 339, « Solange II » ; 7 juin 2000, EuGrZ, 2000, p. 328, « Solange III »), dans son intervention au colloque de Venise du 16 décembre 2006, « L’évolution de la jurisprudence du Conseil constitutionnel sur les lois de transposition des directives ».

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les normes qui, parmi les dispositions constitutionnelles, font l’objet de cette protection renforcée au point de justifier une méconnaissance de l’exigence elle aussi constitutionnelle de transposition des directives découlant de l’article 88-1. Une forme de hiérarchie nouvelle est ainsi introduite au sein même des normes constitutionnelles qui garantit ultimement la supériorité de la Constitution nationale et sa place au sommet de l’ordre juridique interne (voir infra, B). Pour l’instant, seules les lois internes de transpositions des directives sont concernées par ce régime spécifique, et la question demeure ouverte de l’étendre à l’ensemble des lois d’application du droit de l’Union. Ensuite, l’immunité des lois de transposition des directives au regard de la Constitution a été étendue au contrôle a posteriori de constitutionnalité effectué sur le fondement de l’article 61-1 de la Constitution. Dans l’affaire Kamel D., le juge constitutionnel français était saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité à l’encontre d’une disposition législative du Code d’entrée et de séjour des étrangers30. S’appuyant sur l’origine européenne de la disposition litigieuse transposant la directive sur le statut de réfugié, le Conseil constitutionnel s’estime incompétent sur le fondement de l’exigence de transposition posée par l’article 88-1 de la Constitution. Il estime en effet « qu’en l’absence de mise en cause d’une règle ou d’un principe inhérent à l’identité constitutionnelle de la France, le Conseil constitutionnel n’est pas compétent pour contrôler la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de dispositions législatives qui se bornent à tirer les conséquences nécessaires de dispositions inconditionnelles et précises d’une directive de l’Union européenne »31. Sont de la sorte reprises les deux conditions auxquelles est subordonnée l’immunité de la loi de transposition : la transcription des dispositions inconditionnelles et précises de la directive, et l’absence de conflit avec une règle ou un principe inhérent à l’identité constitutionnelle de la France. Immunité devant le juge constitutionnel ne veut cependant pas dire totale impunité. Il faut alors au requérant demander l’interprétation et éventuellement contester la validité de la directive elle-même au regard des normes supérieures du droit de l’Union, et notamment la Charte, en invitant le juge national à poser une question préjudicielle en ce sens à la Cour de justice. En principe, le juge interne compétent pour y procéder est le juge ordinaire dans le cadre du contrôle de conventionnalité, mais l’éventualité n’est pas à écarter que le juge constitutionnel s’en charge. Elle s’est réalisée dans l’affaire Forrest, sur le fondement spécifique de l’article 88-2 de la Constitution, à propos de la loi française de transposition de la décisioncadre sur le mandat d’arrêt européen32. En raison de l’abstention de la Cour de cassation d’avoir saisi elle-même le juge européen, le Conseil constitutionnel y a procédé malgré la brièveté de la procédure de question 30. Cons. const., 17 décembre 2010, Kamel D., nº 2010-79 QPC. 31. Ibid., § 3. 32. Cons. const., 4 avril 2013, J. Forrest, nº 2013-314 P QPC.

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prioritaire en interrogeant en urgence la Cour de justice sur l’interprétation de la décision-cadre que la loi litigieuse transposait.

3. La hiérarchie avec les normes internationales La spécificité du droit de l’Union dans l’ordre interne se manifeste par la question de son articulation avec le droit international, lui-même incorporé dans l’ordre interne. La question est compliquée par le fait que certains traités internationaux font partie du droit de l’Union.

• La distinction du régime des normes européennes et internationales Une question surgit de la différenciation progressive au sein de l’ordre interne entre les normes européennes et les normes internationales : celle de leur place respective. Tandis que les normes issues du droit de l’Union européenne tirent leur autorité dans l’ordre interne directement des traités européens et de l’article 88-1 de la Constitution, les normes issues des traités internationaux continuent de relever de l’article 55 de la Constitution. En cas de conflit entre ces deux types de normes, une hiérarchie est-elle établie ? La question n’est pas clairement résolue dans la jurisprudence interne. Dans l’arrêt Kandyrine de Brito Paiva du 23 décembre 2011, le Conseil d’État était saisi d’une contradiction alléguée entre un accord international bilatéral franco-russe, limitant le remboursement d’emprunts aux seuls nationaux français, et la Convention européenne des droits de l’homme, notamment le principe de nondiscrimination dans la jouissance du respect des biens33. Il estime qu’en pareille situation de risque de conflit entre deux normes internationales d’égale valeur dans l’ordre interne, leur conciliation doit se faire selon les techniques classiques de droit international et qu’à défaut l’administration peut choisir d’en privilégier l’une d’elles, sous réserve d’engager éventuellement la responsabilité de l’État dans l’ordre interne ou dans l’ordre international. Le plus intéressant dans cette position de principe est que l’Assemblée du contentieux réserve expressément, au moyen d’un obiter dictum qui ne s’imposait pas dans les circonstances de l’espèce, la situation particulière dans laquelle « serait en cause l’ordre juridique intégré que constitue l’Union européenne ». Mobilisant une fois de plus le langage de l’intégration, le juge interne signifie par cette formule qu’une solution différente que la simple conciliation devrait être apportée en cas de conflit entre une norme internationale et une norme issue du droit de l’Union européenne. L’idée suggérée serait que le droit de l’Union occuperait dans l’ordre juridique interne une place supérieure à celles des traités internationaux. Il s’agit d’une excellente illustration de ce que le droit de l’Union européenne est perçu par les acteurs et l’ordre juridique internes comme « autre chose » que du droit international. 33. CE, 23 décembre 2011, Kandyrine de Brito Paiva, Rec., p. 623.

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Le cadre interne d’articulation des normes

• Le cas des traités internationaux intégrés au droit de l’Union Toutefois, l’articulation précise des deux types de normes, internationales et européennes, n’est guère définie pour la raison que l’accord international peut également faire partie, directement ou indirectement, du droit de l’Union lui-même. Tel est par exemple le cas de la Convention européenne des droits de l’homme au respect de laquelle le droit de l’Union s’oblige, du moins en substance, conformément à l’article 52, § 3, de la Charte des droits fondamentaux et prochainement, s’il aboutit, de façon formelle conformément au processus d’adhésion de l’Union à la Convention. L’arrêt Conseil national des barreaux du Conseil d’État français rendu le 10 avril 2008 à propos de l’obligation pour l’avocat de dévoiler des informations confidentielles en cas de soupçon de blanchiment d’argent est symptomatique de cet enchevêtrement et de l’indétermination corrélative de la place hiérarchique des différentes normes dans l’ordre interne34. Saisi de la légalité d’un décret, faisant application d’une loi transposant une directive européenne, pour violation des droits fondamentaux garantis dans la Convention européenne des droits de l’homme, le juge administratif estime qu’il relève de la compétence de la Cour de justice, en cas de doute sérieux, de trancher la question de la validité du droit de l’Union. Toutefois, son office de juge européen l’autorise à considérer qu’il n’est pas tenu de renvoyer la question par la voie préjudicielle dès lors qu’il estime le droit de l’Union conforme aux exigences de la Convention. En ce cas, le droit international recouvre une certaine forme d’autorité à l’égard du droit européen dérivé dans l’ordre interne, mais uniquement, lorsque comme en l’espèce, la norme internationale a été pleinement incorporée dans le droit de l’Union européenne. C’est alors la hiérarchie propre à l’ordre juridique européen (selon laquelle les traités d’effet direct conclus par l’Union priment sur le droit dérivé) que le juge interne met en œuvre en droit national. Ces illustrations montrent bien que le fonctionnement hiérarchique de l’ordre juridique interne est profondément perturbé par la présence des normes européennes, soulignant la spécificité du phénomène d’intégration sous l’angle de l’articulation des normes. Ce prisme hiérarchique est même, semble-t-il, abandonné au moment de penser les rapports entre les normes européennes et les normes constitutionnelles nationales.

B. L’hétérarchie avec les normes constitutionnelles ? La question de l’autorité respective du droit de l’Union européenne et de la Constitution nationale fait l’objet d’un débat sans fin. Le droit de l’Union européenne tirant sa force dans l’ordre interne de la Constitution nationale et du consentement de l’État français d’y participer librement qui y est inscrit aux articles 88-1 et suivants, on ne saurait considérer qu’il lui soit 34. CE, 10 avril 2008, Conseil national des barreaux, Rec., p. 129.

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supérieur. À l’inverse est-ce à dire que la Constitution nationale soit nécessairement supérieure au droit de l’Union européenne ? Ce serait méconnaître la position de la Cour de justice qui affirme le contraire sur le fondement de son pouvoir d’interprétation autonome conféré les actes constitutifs de l’Union européenne, eux-mêmes autorisés sur le fondement desdites dispositions constitutionnelles... Le résultat de cette approche circulaire est de rendre la question de l’autorité ultime largement indécidable sur l’espace européen. Cette indétermination est potentiellement problématique en ce qu’une même situation peut recevoir différentes solutions selon le juge saisi, créant un climat d’incertitude constitutionnelle que le recours au droit cherche précisément à éviter : le droit a pour finalité de mettre fin aux conflits non d’en créer. Pour contourner cette difficulté, la solution consiste à abandonner l’idée d’une autorité constitutionnelle ultime et par conséquent d’une hiérarchie entre les normes européennes et les normes constitutionnelles. C’est dans cette direction que s’oriente progressivement l’organisation de l’ordre juridique interne (1), sans toutefois pouvoir renoncer totalement à un pouvoir résiduel du dernier mot en cas de conflit (2).

1. L’abandon apparent de la hiérarchie : la recherche d’équivalence constitutionnelle Assimilé au droit international conventionnel, le droit de l’Union européenne a longtemps été considéré comme revêtu d’une portée infraconstitutionnelle dans l’ordre interne. Cette position découlant de l’interprétation de l’article 55 de la Constitution selon laquelle les traités ont une valeur supérieure à la loi mais demeurent inopposables à la Constitution, entre lesquelles ils s’intercalent au sein de la pyramide interne des normes, est expressément consacrée par le juge administratif dans l’arrêt Sarran et Levacher35, et par le juge judiciaire dans l’arrêt Fraisse36. Il s’agissait dans les deux cas de confronter le dispositif électoral néo-calédonien, découlant de dispositions constitutionnelles, avec le pacte international relatif aux droits civils et politiques, ce pour quoi les juges nationaux se déclarent incompétents et rejettent les griefs tirés de la norme internationale. Logiquement, pareille innocuité a été étendue au droit de l’Union européenne afin de préserver l’intégrité constitutionnelle de l’ordre juridique. Dans l’arrêt SNIP, le Conseil d’État confirmera, sans que cela ne fût nécessaire, que le principe de primauté du droit de l’Union, affirmé par la Cour de justice n’a lui-même pour fondement qu’un traité international instituant la juridiction qui l’énonce, et qu’il ne saurait par conséquent remettre en cause la suprématie de la Constitution au sommet de l’ordre juridique interne37. On comprend alors qu’en cas de conflit entre le droit de l’Union et le droit de la Constitution, ce dernier l’emportera. 35. CE, 30 octobre 1998, Sarran, Levacher et autres, Rec., p. 368. 36. Cass., plén., 2 juin 2000, Fraisse, Bull. 4, p. 7. 37. CE, 3 décembre 2001, Syndicat national des industries pharmaceutiques, Rec., p. 624.

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Le cadre interne d’articulation des normes

Le tournant eut lieu avec l’adoption, bien qu’avortée, du traité établissant une Constitution pour l’Europe, dont l’article I-6 prévoyait expressément pour la première fois que le droit de l’Union prime sur le droit national38. Dans sa décision Traité établissant une Constitution pour l’Europe, afin d’éviter de voir dans cette disposition une clause contraire à la Constitution nécessitant une révision, plus qu’improbable, de celle-ci, le juge constitutionnel exerçant son contrôle préventif de ratification du traité sur le fondement de l’article 54 de la Constitution39 a été conduit à interpréter l’article 88-1 de la Constitution comme abritant déjà implicitement ce principe de primauté, rendant par là les deux textes constitutionnels pleinement compatibles sans avoir à réviser sur ce point la Constitution interne40. Le fait que le traité constitutionnel européen ait été rejeté n’enlève rien à la pérennité de l’interprétation ainsi donnée qui fait corps avec la norme de l’article 88-1. De cette façon, bien qu’il ne soit jamais entré en vigueur, l’article I-6 du traité constitutionnel a eu de profonds effets sur le droit national auquel l’ordre juridique de l’Union est ouvertement reconnu « intégré »41. À partir de ce moment charnière, le fondement constitutionnel interne de l’autorité du droit de l’Union s’est autonomisé, l’article 88-1 étant utilisé de façon cumulative avec l’article 55 de la Constitution, puis de façon pleinement indépendante. Il n’est toutefois pas si évident d’identifier en quoi l’articulation des normes européennes et des normes constitutionnelles s’en trouve modifiée. Tandis qu’auparavant le juge ordinaire s’estimait incompétent pour procéder à leur confrontation garantissant de facto l’intégrité constitutionnelle, désormais le droit de l’Union apparaît certes doté d’un fondement spécifique, mais sans que les conséquences précises en cas de conflit avec une disposition constitutionnelle ne soient clarifiées. L’aboutissement concret du changement d’attitude vis-à-vis du droit de l’Union n’intervient qu’avec l’arrêt Arcelor du Conseil d’État, précédemment évoqué42. C’est à cette occasion, mettant en scène une confrontation entre un décret d’exécution du droit de l’Union et la Constitution française, que le juge administratif se refuse à toute analyse hiérarchique pour déplacer le conflit vers l’ordre juridique européen et renvoyer à la Cour de justice le soin de le résoudre au regard de son propre catalogue constitutionnel, reconnu équivalent à celui du droit interne. Grâce à cette reconnaissance d’équivalence, le tropisme hiérarchique devient inutile permettant la cohabitation parallèle de l’autorité des normes européennes et des normes constitutionnelles en 38. L’article était rédigé ainsi : « La Constitution et le droit adopté par les institutions de l’Union, dans l’exercice des compétences qui sont attribuées à celle-ci, priment le droit des États membres ». 39. Voir supra, Chapitre 1. 40. Cons. const., 19 novembre 2004, Traité établissant une Constitution pour l’Europe, nº 2004505 DC. Voir GDCC, 17e éd., 2013, nº 25. 41. Ibid. § 11 : « le constituant a ainsi consacré l’existence d’un ordre juridique communautaire intégré à l’ordre juridique interne et distinct de l’ordre juridique international ». 42. CE, 8 février 2007, Société Arcelor Atlantique et Lorraine et autres, Rec., p. 55. Voir GAJA, 19e éd., 2013, p. 888.

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évitant le conflit entre elles. La question demeure néanmoins de savoir ce qui se passe en cas d’absence au sein du droit de l’Union de dispositions considérées comme équivalentes à celles de la Constitution nationale. En pareille hypothèse, le conflit semble inévitable et la hiérarchie resurgit.

2. Le maintien résiduel de la hiérarchie : la sauvegarde de l’identité constitutionnelle Il a déjà été noté que les lois de transposition des directives perdent, par exception, leur immunité constitutionnelle de principe en cas de « mise en cause d’une règle ou d’un principe inhérent à l’identité constitutionnelle de la France ». Par conséquent, en pareille hypothèse, la loi interne, et donc indirectement la norme européenne qu’elle transpose, se trouve assujettie au respect de la Constitution. L’origine de cette réserve de constitutionnalité est étroitement liée à la spécificité reconnue aux normes européennes dans l’ordre interne. Initialement, le juge constitutionnel français avait évoqué l’existence de dispositions « expresses » contraires susceptibles de faire obstacle à l’autorité du droit de l’Union dans l’ordre interne, mais l’inadaptation de ce qualificatif l’a rapidement conduit à adopter la terminologie d’identité constitutionnelle. Cette dernière est en outre très proche de la notion d’identité « nationale », consacrée en droit de l’Union européenne à l’article 4, § 2, TFUE, et présentée dans le traité constitutionnel européen comme un contrepoids au principe de primauté qu’il consacrait. La conséquence de la référence à l’identité constitutionnelle pourrait être de réactiver la logique hiérarchique de primauté de la Constitution, ce qui amène à devoir identifier plus précisément le champ et les limites de cette notion.

• L’exception : l’identité constitutionnelle L’étendue de ce que recouvre précisément l’« identité constitutionnelle », voire « nationale », demeure incertaine. Aucun exemple n’a pour le moment été donné en droit français de ce qu’est l’identité constitutionnelle, au point que son usage, et le maintien résiduel de la hiérarchie qui en découle, devrait rester exceptionnel. À la question de savoir ce que recouvre la formule de « règle ou principe inhérent à l’identité constitutionnelle », la jurisprudence ne répond pas clairement en refusant d’avancer un critère explicite de qualification. Il faut plutôt y voir une notion fonctionnelle que véritablement circonscrite, dont l’objet est d’assurer la coexistence intégrée des ordres juridiques internes et européens en évitant les conflits entre eux. Conformément à la logique de l’arrêt Arcelor43, l’identité constitutionnelle française est susceptible d’être révélée par l’absence d’équivalence de la norme interne dans l’ordre européen. Dans cet exemple, le fait que l’ordre juridique européen offre une protection jugée équivalente du principe d’égalité permet la translation de la question de droit vers la Cour de justice, et a contrario signifie qu’un tel principe ne 43. Ibid.

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relève pas de l’identité constitutionnelle de la France. Comprise de la sorte, la notion d’identité constitutionnelle se confondrait alors avec la notion de spécificité constitutionnelle : relèverait de l’identité constitutionnelle une norme propre au droit constitutionnel national qui ne serait pas protégée de façon équivalente dans l’ordre européen. Toutefois, cette approche n’est pas entièrement satisfaisante, l’identité faisant aussi référence à une forme d’essentialité, à des caractéristiques fondatrices, elle ne disparaît pas du simple fait qu’elle est également protégée dans un autre ordre juridique. C’est d’ailleurs plutôt en ce sens que la notion d’identité « nationale », consacrée en droit de l’Union, est interprétée dans la jurisprudence de la Cour de justice afin de justifier certaines dérogations au strict respect des exigences européennes du marché intérieur. Ainsi, par exemple, dans l’affaire Sayn-Wittgenstein, le principe d’égalité, tel qu’interprété au regard de l’histoire constitutionnelle autrichienne et de l’abolition des privilèges, a été considéré cette fois comme rattachable à la sphère de l’identité nationale afin de justifier une atteinte à la liberté de circulation des citoyens découlant d’un refus de transcription d’un titre nobiliaire à l’état civil44.

• L’exception à l’exception : l’approbation constituante L’exception de porter atteinte à l’identité constitutionnelle comme moyen de réactivation de la logique hiérarchique connaît une limite, c’est-à-dire une exception à l’exception. Le Conseil constitutionnel contrôle les éventuelles atteintes à l’identité constitutionnelle de la France provenant du droit de l’Union au travers des lois nationales de mise en œuvre, « sauf à ce que le constituant y ait consenti »45. Le juge constitutionnel singularise la situation dans laquelle une révision constitutionnelle a expressément autorisé la remise en cause de règles ou principes constitutionnels. Dans ce cas, l’incompétence du Conseil constitutionnel pour contrôler les révisions constitutionnelles fait que la norme européenne ainsi couverte par l’approbation constituante retrouve une pleine immunité et, à travers elle les mesures nationales d’exécution du droit de l’Union européenne. Le fondement de cette couverture constituante demeure, là encore, particulièrement incertain. En toute rigueur, seule une clause spéciale de la Constitution, comme par exemple celle de l’article 88-2 relative au mandat d’arrêt, est susceptible de couvrir le risque de contradiction du droit de l’Union à l’identité constitutionnelle française, et non la clause générale de l’article 88-1 dès lors que la réserve d’identité constitutionnelle est déjà une exception à son respect. Sur ce point également, des éclaircissements devront être progressivement apportés afin de concilier l’autorité du droit de l’Union et l’intégrité de la Constitution. 44. CJUE, 22 décembre 2010, Sayn-Wittgenstein, aff. C-208/09. 45. Cons. const., 30 novembre 2006, Loi relative au secteur de l’énergie, nº 2006-543 DC, § 6 : « la transposition d’une directive ne saurait aller à l’encontre d’une règle ou d’un principe inhérent à l’identité constitutionnelle de la France, sauf à ce que le constituant y ait consenti ». Voir GDCC, 17e éd., 2013, nº 18.

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Le fonctionnement hiérarchique du système normatif français est profondément modifié par l’intégration des normes européennes en son sein. Les mesures nationales de mise en œuvre du droit de l’Union obéissent à un régime largement spécifique destiné à tenir compte du consentement volontaire de l’État intégré à participer à l’Union et à admettre le bien-fondé des exigences qui en découlent. Ultimement, la question de l’articulation des normes fondatrices des deux ordres juridiques demeure posée, conduisant les juges internes et européens à éviter de la trancher clairement au moyen d’un dialogue institutionnalisé.

II.

L’articulation dialogique interne

Procédant d’une intégration « par le droit », la construction européenne est pour grande part le fruit d’une intégration « par les juges ». L’histoire de l’émancipation du droit de l’Union hors de l’ordre international et de son intégration dans l’ordre national découle d’une œuvre principalement jurisprudentielle dont la clef de voûte réside dans le système sui generis de coopération juridictionnelle mis en place. Ce système de « dialogue des juges »46 entre les niveaux internes et européens s’effectue sur la base du renvoi préjudiciel. La procédure de renvoi préjudiciel instaurée à l’article 267 TFUE, véritable « instrument de coopération judiciaire » ainsi que le qualifie la Cour de justice47, organise non seulement la répartition organique des rôles respectifs des juges internes et européens, mais surtout fonde la transformation fonctionnelle des juges internes en juges européens. Le juge interne devient ainsi l’organe « pivot » de l’intégration des ordres juridiques. En acceptant le cadre européen de la coopération juridictionnelle, les juges nationaux opèrent un dédoublement fonctionnel qui permet de concevoir l’idée d’une intégration des ordres juridiques. Ce cadre européen de coopération comprend différents éléments nécessitant une transformation de l’office du juge interne (A). Il se heurte par ailleurs à certaines limites qui révèlent l’ambivalence de la fonction de juger en présence d’un ordre « intégré » (B).

A. Les éléments de la coopération juridictionnelle L’engagement des juges internes dans ce processus de coopération s’apprécie principalement au moment de la formulation de la question préjudicielle, d’une part (1), et de l’exécution de la réponse préjudicielle, d’autre part (2). 46. R. LECOURT, L’Europe des juges, Bruxelles, Bruylant, coll. « Droit de l’Union européenne, Grands écrits », 2008 (réédition de l’ouvrage publié en 1976), p. 266. 47. CJCE, 15 mai 2003, Salzmann, aff. C-300/01, point 28.

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1. La formulation de la question préjudicielle Si la participation des juges ordinaires au renvoi préjudiciel, bien qu’initialement réticente, semble désormais acquise, celle du juge constitutionnel français demeure plus problématique même si une évolution se dessine.

• La participation du juge ordinaire Initialement, l’attitude du juge interne français, et plus particulièrement celle du juge administratif, à l’égard de la procédure de renvoi préjudiciel à la Cour de justice a longtemps été teintée d’une certaine méfiance, voire défiance. On se souviendra qu’à l’occasion du célèbre arrêt Cohn-Bendit, emblématique de la résistance française à l’intrusion européenne, le commissaire du Gouvernement avait proposé à l’Assemblée du contentieux de saisir la Cour de justice d’une question préjudicielle, sans que la formation de jugement ne le suive sur ce point48. Pourtant, en vertu de l’article 267 TFUE, le juge national de dernière instance a l’obligation d’opérer un renvoi préjudiciel lorsqu’une des parties soulève une question d’interprétation du droit de l’Union, et notamment d’éventuelle incompatibilité du droit national avec celui-ci. Conformément à la jurisprudence de la Cour de justice, cette obligation d’activer le renvoi préjudiciel s’étend à tous les juges nationaux, quel que soit le niveau d’instance, dès lors qu’est soulevée cette fois devant lui une question de validité du droit de l’Union européenne49. La justification de l’obligation de renvoi préjudiciel étant tirée du besoin d’application uniforme du droit de l’Union, elle vaut quel que soit le juge national saisi d’un litige au sujet de son application dans l’ordre interne. Ainsi, bien que le contrôle juridictionnel européen soit largement décentralisé au profit des juridictions nationales, une certaine unité d’interprétation et d’application du droit de l’Union peut être garantie. L’office du juge national s’en trouve largement modifié, le privant potentiellement d’une latitude d’adaptation importante, ce qui explique la réticence à satisfaire pleinement à l’obligation de renvoi préjudiciel. Afin de limiter la portée de l’obligation de renvoi pesant sur lui, le Conseil d’État a développé dans l’arrêt Société des pétroles Shell-Berr la théorie de « l’acte clair » conditionnant le renvoi à ce que l’interprétation du droit de l’Union sollicitée par le requérant présente une difficulté suffisante, faute de laquelle le juge administratif ne s’estime pas tenu, de sa propre appréciation, de solliciter la position du juge européen50. Pareille entorse à l’obligation de renvoi risquait de remettre profondément en cause l’application uniforme du droit de l’Union dans les États, chaque juge national demeurant libre de déterminer à partir de quand la solution doit être considérée comme suffisamment « claire », c’est pourquoi, dans l’arrêt CILFIT, la Cour de justice a entendu 48. CE, 22 décembre 1978, Cohn-Bendit, Rec., p. 524. 49. CJCE, 22 octobre 1987, Foto-Frost, aff. 314/85. 50. CE, 19 juin 1964, Société des pétroles Shell-Berr, Rec., p. 344.

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subordonner le déclenchement de cette exception à l’obligation de renvoi à des conditions strictes51, sans toutefois parvenir à s’assurer pleinement de leur respect. Ce temps de la crispation et de l’hostilité du juge interne à l’égard de la question préjudicielle semble désormais, au moins partiellement, révolu. Un simple aperçu chiffré suffit pour souligner une l’implication croissante du juge administratif en faveur de la coopération avec le juge européen : tandis qu’il n’avait posé que 18 questions préjudicielles à la Cour de justice entre 1970 et 1999, ce sont 62 questions qui ont été formulées entre 2000 et 2012. Les raisons de ce changement d’attitude sont nombreuses et complexes. Elles tiennent probablement tout d’abord à une acculturation progressive des juges nationaux à la chose européenne, en partie grâce à une meilleure connaissance et maîtrise de son fonctionnement. Ce qui fait qu’un climat de confiance s’établit progressivement entre les niveaux juridictionnels, conduisant la Cour de justice à admettre ouvertement l’idée d’un pouvoir d’interprétation du juge interne en cas d’absence de difficulté sérieuse. Dans une décision Fidenato du 6 mai 2013, la Cour de justice a été jusqu’au bout de cette habilitation en répondant par voie d’ordonnance à un renvoi préjudiciel en interprétation au motif notamment que la réponse demandée « ne laisse place à aucun doute raisonnable »52. Ensuite, une certaine responsabilisation du juge national par le droit européen luimême est perceptible. Le meilleur exemple en est probablement le rôle qui lui est dévolu dans le contrôle de la légalité européenne. Malgré l’élargissement du recours en annulation devant le Tribunal de l’Union européenne, les actes législatifs européens continuent en l’absence de mesure d’exécution d’être susceptibles de recours directs en annulation ainsi que la Cour de justice l’a jugé dans l’arrêt Inuits et doivent par conséquent nécessairement être contestés devant le juge national53. Ce dernier opère de cette manière une sorte de filtre préalable au contrôle de validité du droit de l’Union européenne, en se réservant le pouvoir d’estimer l’acte européen valide. Le juge interne participe ainsi à l’exercice de la fonction juridictionnelle européenne, conformément à la rédaction de l’article 19, § 1, TUE issu du traité de Lisbonne. Il n’est pas douteux que la fonction européenne du juge national l’expose à certaines contraintes et à une attention accrue à l’égard du juge européen. Toutefois, en retour, 51. CJCE, 6 octobre 1982, CILFIT, aff. 283/81, points 16 et s : « l’application correcte du droit communautaire peut s’imposer avec une évidence telle qu’elle ne laisse place à aucun doute raisonnable sur la manière de résoudre la question posée. Avant de conclure à l’existence d’une telle situation, la juridiction nationale doit être convaincue que la même évidence s’imposerait également aux juridictions des autres États membres et à la Cour de justice. Ce n’est que si ces conditions sont remplies que la juridiction nationale pourra s’abstenir de soumettre cette question à la Cour et la résoudre sous sa propre responsabilité. Toutefois, l’existence d’une telle possibilité doit être évaluée en fonction des caractéristiques du droit communautaire et des difficultés particulières que présente son interprétation ». 52. CJUE, 6 mai 2013, Fidenato, aff. C-542/12, point 17. 53. CJUE, 3 octobre 2013, Inuit Tapiriit Kanatami et autres, aff. C-583/11 P.

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l’office européen est source de potentialisation du juge interne. Il l’investit de pouvoirs importants54, notamment vis-à-vis du législateur national en obtenant le titre pour en contrôler la volonté et en engager la responsabilité, s’érigeant ainsi comme concurrent du juge constitutionnel, qui quant à lui demeure pour le moment largement à l’écart du cadre européen de coopération juridictionnelle.

• La participation du juge constitutionnel L’insertion du juge constitutionnel français dans le dialogue préjudiciel avec la Cour de justice se heurte à des difficultés tant techniques que théoriques. Elles ne paraissent toutefois pas insurmontables, comme en témoigne la première saisine préjudicielle effectuée par le Conseil constitutionnel. Certains arguments militent même en faveur du renforcement de la relation entre le juge constitutionnel interne et le juge européen. Au titre des obstacles techniques et structurels à l’engagement du dialogue constitutionnel européen a régulièrement été mise en avant la brièveté des délais au sein desquels le juge constitutionnel français doit rendre sa décision. Il est certain que, dans le cadre d’une saisine a priori sur le fondement de l’article 61 de la Constitution, il paraîtrait excessivement paralysant pour l’action législative de devoir reporter l’entrée en vigueur d’une loi soupçonnée de contrariété au droit de l’Union à l’achèvement d’une procédure de renvoi préjudiciel dont la durée moyenne, hors cas d’urgence, est d’environ seize mois. Cet argument de bon sens en appelle toutefois un autre qui, jusqu’à présent, n’a pas été explicitement formulé comme tel. L’impossibilité pratique d’un dialogue préjudiciel dans le cadre du contrôle a priori de constitutionnalité ne doit pas non plus conduire à renoncer à toute possibilité de le faire dans le cadre du contrôle a posteriori de l’article 61-1 de la Constitution. Dit autrement, il devient nécessaire de considérer comme une circonstance « nouvelle », permettant un double contrôle à la fois a priori et a posteriori, le fait de soulever devant le juge constitutionnel une question relative au droit de l’Union européenne à l’égard d’une loi qui aurait déjà fait l’objet d’un contrôle préventif de constitutionnalité, faute de quoi l’impossibilité pratique d’opérer le contrôle a priori se répercuterait mécaniquement sur le contrôle a posteriori, motif pris du nécessaire respect de l’autorité de chose jugée qui interdit en principe le cumul des deux procédures de contrôle de constitutionnalité. À défaut, l’éventualité du dialogue entre les juges constitutionnels et européens se limiterait au contrôle des seules lois nationales n’ayant pas fait l’objet d’une saisine du juge constitutionnel avant leur promulgation. L’autre argument technique qui pouvait être soulevé tenait à la nature juridictionnelle du Conseil constitutionnel français, au regard notamment de ses modalités de composition et de fonctionnement un peu particulières. En effet, seuls les organes qualifiables de « juridiction » au 54. Voir supra Chapitre 1, II, B.

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sens large de la jurisprudence de la Cour de justice peuvent la saisir à titre préjudiciel55. Implicitement, la Cour de justice a écarté un tel argument en acceptant de répondre à la demande adressée par le Conseil constitutionnel dans l’affaire Forrest56. L’affaire Forrest a parfaitement démontré la faisabilité pratique du dialogue préjudiciel entre la Cour de justice et le juge constitutionnel français statuant a posteriori dans le cadre de la question prioritaire de constitutionnalité. Grâce notamment à l’activation de la procédure préjudicielle d’urgence déclenchée par la Cour de justice en raison de la privation de liberté dont souffrait le requérant qui faisait l’objet d’un mandat d’arrêt européen57, le délai de trois mois au sein duquel le Conseil constitutionnel doit statuer a été quasiment respecté58. En outre, rien n’interdit de le suspendre, le temps que le juge européen livre sa réponse, la loi interne continuant en ce cas à s’appliquer. La réticence du juge constitutionnel s’explique davantage par des arguments théoriques découlant de son monopole d’interprétation de la Constitution et de la suprématie de celle-ci au sein de l’ordre juridique interne. Symptomatique de cette timidité à s’engager pleinement dans la voie de la coopération préjudicielle, le choix de prendre appui sur l’article 88-2 de la Constitution, au regard des circonstances de l’espèce et du fait que la loi litigieuse transposait la décision-cadre sur le mandat d’arrêt européen auquel cette clause constitutionnelle fait référence, peut laisser entendre qu’il s’agit d’une hypothèse tout à fait exceptionnelle dont la survenance n’a guère de chance de se reproduire fréquemment. Il est certain que comme l’article 882 de la Constitution dispose expressément que « la loi fixe les règles relatives au mandat d’arrêt européen en application des actes pris par les institutions de l’Union européenne », la conformité de cette loi à une autre disposition constitutionnelle dépend de son interprétation et, par conséquent, de l’interprétation du droit de l’Union, en l’occurrence celle de savoir dans quels cas la personne faisant l’objet d’un mandat d’arrêt peut former un recours suspensif contre l’exécution une telle décision. Toutefois, réserver l’hypothèse de la saisine à la seule loi relative au mandat d’arrêt exagérerait sa singularité, ainsi que celle de l’article 88-2 de la Constitution, alors que l’article 88-1 offre un fondement similaire pour justifier d’interroger le juge européen avant de statuer sur une loi qui transposerait le droit de l’Union. Il est vrai que, ce faisant, le juge constitutionnel se prive d’une partie de son pouvoir de libre interprétation d’une part de ce qui relève de la stricte transposition et de ce qui relève de 55. 56. 57. 58.

CJCE, 30 juin 1966, Vaassen-Göbbels, aff. 61/65. CJUE, 30 mai 2013, Jeremy F., aff. C-168/13 PPU. Ibid., point 31. Le Conseil constitutionnel avait été saisi le 27 février 2013 par la Cour de cassation d’une question prioritaire de constitutionnalité relative à la loi de transposition de la décisioncadre sur le mandat d’arrêt européen (QPC) ; il a saisi à son tour la Cour de justice le 4 avril 2013 d’une question préjudicielle en interprétation, qui lui a répondu le 30 mai, avant que le juge constitutionnel ne rende sa décision définitive le 14 juin 2013.

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l’autonomie politique nationale, et d’autre part de l’éventuelle contrariété du contenu de la loi litigieuse avec les droits fondamentaux correspondants dans l’ordre juridique de l’Union européenne à ceux que la Constitution nationale garantit. Comme l’illustre l’affaire Melloni, rendue également à propos du mandat d’arrêt européen, mais sur saisine du juge constitutionnel espagnol59, l’interprétation donnée par le juge européen peut conduire le juge constitutionnel interne à revoir sa jurisprudence et l’interprétation de sa propre Constitution afin de le rendre compatible avec les exigences du droit de l’Union. En scindant artificiellement contrôle de conventionnalité et contrôle de constitutionnalité, le Conseil constitutionnel français apparaît isolé dans le paysage européen et se prive de participer plus activement au dialogue qui s’intensifie entre la Cour de justice et les juges constitutionnels des autres États sur la définition des grands équilibres constitutionnels européens. En 2013, la Cour de justice a rendu son premier arrêt préjudiciel sur saisine du juge constitutionnel espagnol60 et a été interrogée pour la première fois par le juge constitutionnel allemand61. Le moment semble venu que le juge français prenne le train en marche et participe lui aussi à la construction du droit constitutionnel européen. Plusieurs arguments plaident en faveur d’une telle évolution. Tout d’abord, s’agissant des lois de transposition, l’ensemble de la construction conciliatrice imaginée dans l’arrêt Arcelor par le juge administratif62 afin d’éviter le blocage et l’insécurité découlant de revendications concurrentes d’autonomie et autorité63 repose précisément sur la possibilité de rechercher des normes supérieures protégées de façon équivalente entre les deux ordres juridiques afin de confier à la Cour de justice la tâche de s’assurer que le droit de l’Union respecte bien les droits fondamentaux. En se privant de cette possibilité de transfert par la voie préjudicielle, le juge constitutionnel se voit placé face à une alternative insatisfaisante en chacune de ses branches : soit contrôler la loi de transposition et donc indirectement le droit de l’Union qu’elle transpose en méconnaissant de la sorte la compétence du juge européen ; soit, ce qu’il choisit en principe de faire en référence à l’article 88-1, ne pas contrôler la loi de transposition64 en créant un vide de protection qui ne pourra être comblé que par le juge ordinaire dans le cadre du contrôle de conventionnalité. L’inconvénient de cette posture est d’entraîner un risque d’incohérence entre les contrôles de constitutionnalité et de conventionnalité, alors qu’une centralisation devant le même juge de la loi serait plus cohérente. À défaut, le risque est celui d’une discordance entre 59. 60. 61. 62. 63.

CJUE, 26 février 2013, Melloni, aff. C-399/11. Ibid. Voir la requête dans l’affaire Gauweiler, C-62/14. Voir supra, I. CE, 8 février 2007, Société Arcelor Atlantique et Lorraine et autres, Rec., p. 55. Voir GAJA, 19e éd., 2013, p. 888. 64. Sauf l’hypothèse d’atteinte à l’identité constitutionnelle de la France, à moins que, exception à l’exception, le constituant n’y ait consenti. Voir supra, I, B.

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les positions des juges constitutionnels et ordinaires65. Plus radicalement, si le renvoi préjudiciel par le Conseil constitutionnel saisi de la loi nationale de transposition devait se confirmer, il manquerait d’arguments pour ne pas l’étendre à propos de n’importe quelle loi susceptible d’entrer en conflit avec le droit de l’Union, que son objet soit ou non de mettre en œuvre le droit de l’Union européenne. En effet, il est difficile de délimiter précisément ce qui relève ou non de la mise en œuvre du droit de l’Union européenne et, en tout état de cause, la logique de l’arrêt Simmenthal66 ainsi que celle des principes d’équivalence et d’effectivité est d’inciter tout juge national saisi dans le cadre de sa compétence à ne pas s’interdire de contrôler le respect du droit de l’Union par les autorités nationales, y compris donc le juge constitutionnel. Enfin, la création d’une nouvelle procédure d’avis préjudiciel devant la Cour européenne des droits de l’homme, sur le fondement du Protocole nº 16 à la Convention, qui institue une « question principale de conventionnalité », devrait inciter le juge constitutionnel interne à se saisir du contrôle de conventionnalité afin de participer au concert européen d’interprétation des droits fondamentaux. Il est vrai néanmoins que la participation du juge national au renvoi préjudiciel l’engage presque inéluctablement à se conformer à la réponse donnée par le juge européen.

2. L’exécution de la réponse préjudicielle Une fois la décision prise d’engager la coopération préjudicielle avec la Cour de justice, le juge national doit adapter la solution délivrée au litige interne en tenant compte de la position du juge européen. Toutefois, les juges européens et nationaux n’ont pas eu la même conception du fonctionnement de la procédure préjudicielle et de leurs pouvoirs respectifs dans ce cadre. En droit français, le débat s’est concentré autour de la portée ultra petita des arrêts préjudiciels de la Cour de justice et de la faculté d’aménager dans le temps les effets de la solution finale.

• La portée ultra petita Dans son arrêt Roquette Frères, afin de donner une réponse au juge national qu’elle considère utile, la Cour de justice a estimé qu’elle pouvait statuer ultra petita, au-delà des limites de la saisine67. Elle se reconnaît ainsi le pouvoir de répondre à des questions qui ne lui ont pas été posées. L’équilibre d’ensemble des rôles respectifs du juge national et du juge 65. Voir, par exemple, CJUE, 15 janvier 2013, Krizan et autres, aff. C-416/10. 66. CJCE, 9 mars 1978, Administration des finances de l’État c/ SA Simmenthal, aff. 106/77. 67. CJCE, 15 octobre 1979, Roquette Frères, aff. 145/79, point 7 : « Si, dans le cadre de la répartition des fonctions entre les juridictions nationales et la Cour pour l’application de l’article 177 du traité [267 TFUE], il appartient aux juridictions nationales de décider de la pertinence des questions posées, il reste cependant réservé à la Cour de dégager de l’ensemble des éléments fournis par la juridiction nationale ceux des éléments du droit communautaire qui appellent, compte tenu de l’objet du litige, une interprétation ou une appréciation de validité ».

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européen dans le système de coopération s’en trouve modifié, le juge européen pouvant déterminer, une fois saisi, l’étendue de sa propre compétence. Le Conseil d’État français a longtemps été hostile à cette position lui préférant la logique qui sous-tend les renvois préjudiciels dans la procédure nationale, à savoir la limitation de l’effet de la solution préjudicielle aux limites du cadre de la question posée. Dans son arrêt ONIC du 26 juillet 1986, le juge administratif a clairement estimé que les solutions dégagées par la Cour de justice statuant à titre préjudiciel et dépassant les limites de la question posée ne s’imposaient pas au juge du fond avec l’autorité de la chose jugée68. Il s’écartait de la sorte de la position du juge judiciaire qui, de son côté, acceptait de prendre en compte largement la jurisprudence préjudicielle du juge européen69. L’enjeu de cette résistance n’est pas neutre en ce qu’il conditionne la maîtrise par le juge national de l’étendue de sa participation à la coopération juridictionnelle. En conservant le pouvoir de circonscrire la portée de la réponse à ce qu’il juge nécessaire au bon exercice de son office, le juge interne demeure en mesure de définir l’emprise européenne sur la solution du litige interne. À défaut, la théorie de l’acte clair à laquelle le juge français est attaché70, selon laquelle certaines questions échappent à l’obligation de renvoi en raison de leur absence de difficulté sérieuse, serait également fortement remise en cause. Le ralliement tardif du juge administratif français à la reconnaissance de la faculté de juger ultra petita par la voie préjudicielle n’en est que plus remarquable. Vingt ans après sa première position de principe, le Conseil d’État, dans l’arrêt Société De Groot, accepte71 finalement de se conformer à un arrêt préjudiciel du même nom dans lequel la Cour de justice avait statué au-delà de la question posée par le juge administratif, en se prononçant sur la conformité d’un arrêté administratif au regard du droit primaire, en l’occurrence du principe de libre circulation des marchandises, alors que le Conseil d’État ne l’avait interrogée, dans une perspective parfaitement opposée, que sur la validité du droit dérivé applicable à la situation72. Le juge interne français accepte ainsi de se plier à une solution qu’il n’avait pourtant pas sollicitée. Toutefois, le juge administratif précise que l’autorité de renvoi doit conserver entier son pouvoir de qualification des faits, le juge européen ne statuant en principe que sur une question de droit, bien qu’en pratique la frontière soit parfois poreuse entre ce qui relève des questions de fait et des questions de droit.

• La portée rationae temporis Un autre héritage de la conception française, selon laquelle le contentieux de la légalité porte sur des normes qu’il s’agit d’interpréter et 68. 69. 70. 71. 72.

CE, 26 juillet 1985, ONIC, Rec., p. 233. Cass. com., 10 décembre 1985, SA Roquette Frères, Bull. 4, nº 290. Voir supra, A, 1. CE, 11 décembre 2006, Société De Groot En Slot Allium BV et Bejo Zaden BV, Rec., p. 512. CJCE, 10 janvier 2006, De Groot en slot Allium BV et Bejo Zaden BV, aff. C-147/04.

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de censurer, tient à ce que la solution préjudicielle qui fait corps avec la norme est nécessairement rétroactive. Bien que cette position soit fort logique et qu’elle reçoive pour cette raison un écho dans le contentieux européen, la Cour de justice y a apporté un tempérament de taille en admettant exceptionnellement qu’un arrêt préjudiciel ne produise des effets qu’ex nunc, c’est-à-dire uniquement pour l’avenir73. Cette position s’est heurtée également à la résistance du juge administratif français, motif pris que la limitation des effets dans le temps des arrêts préjudiciels invalidant un acte européen privait les justiciables d’une remise en l’état rétroactive de leur situation antérieure au constat d’illégalité. Il faut attendre la jurisprudence Association AC ! pour que le juge administratif abandonne finalement cette position de principe en acceptant de moduler dans le temps les effets de ses décisions74, s’octroyant ainsi le pouvoir de se conformer pleinement aux arrêts préjudiciels du juge européen ne statuant que pour l’avenir. Allant jusqu’au bout de la logique, le Conseil d’État a également accepté de moduler rationae temporis les effets de sa propre jurisprudence dans l’arrêt Société Tropic Travaux, anticipant de cette façon assez largement la transposition de la directive sur les recours en matière de marchés publics75. Au prix de certaines contraintes, mais également au bénéfice d’avantages nouveaux, les réticences des juges nationaux à exercer leur office européen en épousant le cadre de fonctionnement de la coopération juridictionnelle européenne ont été progressivement dépassées, la prochaine étape étant celle du plein ralliement du juge constitutionnel français. Il ne faut pas toutefois ignorer que le système préjudiciel comprend des failles intrinsèques, qui laissent irrésolues certaines difficultés.

B. Les limites de la coopération juridictionnelle La principale difficulté que soulève la transformation du juge national en juge européen dans le cadre d’un ordre juridique intégré provient de l’ambivalence de sa situation, dont le caractère schizophrénique est source d’incertitude. L’ensemble du système et la bonne articulation des normes internes et européennes reposent en dernier ressort sur le volontarisme du juge interne d’œuvrer en vue de cette fusion des ordres juridiques. Cette « bénévolance » du juge national, pour reprendre la formule de Guy Canivet76, se traduit par un manque de fermeture du système de coopération juridictionnelle. En principe, le juge interne se voit invité de 73. CJCE, 8 avril 1976, Defrenne, aff. 43/75. 74. CE, 11 mai 2004, Association AC ! et autres, Rec., p. 197. Voir GAJA, 19e éd., 2013, p. 860. 75. CE, 16 juillet 2007, Société Tropic Travaux Signalisation, Rec., p. 360. Voir GAJA, 19e éd., 2013, p. 905. 76. G. CANIVET, « Les influences croisées entre juridictions nationales et internationales. Éloge de la bénévolance des juges », Revue de science criminelle 2005, p. 799.

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façon paradoxale à faire preuve d’autodiscipline dans l’exercice de sa fonction européenne (1). Ce n’est que timidement et exceptionnellement qu’un contrôle externe permet de s’assurer que le juge interne exerce correctement son office européen (2).

1. Le paradoxe du contrôle interne Que se passe-t-il lorsque, comme on en a vu certains exemples, le juge interne s’écarte du cadre européen au sein duquel il est censé assurer sa fonction de gardien d’un ordre juridique intégré ? Si le juge interne est garant du respect du droit de l’Union par les individus et par les autres autorités internes, en revanche aucun organe n’a le pouvoir de le contraindre à le faire, sauf le cas échéant le constituant lui-même. Pour tenter de combler ce vide et l’incomplétude qui en découle, la Cour de justice a posé dans l’arrêt Köbler le principe de la responsabilité de l’État du fait de l’activité de ses juridictions suprêmes77. Ainsi, un justiciable dont les droits issus de l’ordre juridique européen aurait été manifestement enfreints par une juridiction nationale de dernière instance peut demander sur ce fondement réparation du préjudice qui en découle. Toutefois, cette demande en réparation doit être formulée devant le juge interne lui-même, juge de droit commun de l’application du droit de l’Union européenne en droit interne. La conséquence de cette construction est que le contrôle du respect de leur office européen par les juridictions suprêmes nationales s’effectue ultimement devant ces mêmes juridictions et selon le régime national de responsabilité du fait de la justice. Le paradoxe de cette situation est manifeste dans l’arrêt Société McCormick Guadeloupe rendu par la Cour de cassation française78. Dans cette affaire, la société requérante se plaignait d’une violation du droit de l’Union en raison d’une taxe nationale, dite « octroi de mer », frappant les importations outre-mer. Après avoir épuisé les différents degrés de juridiction, la Cour de cassation déboute la société requérante de sa demande en s’abstenant d’interroger à titre préjudiciel la Cour de justice sur la portée du droit européen applicable en la matière en vertu de la théorie de l’acte clair : aucune difficulté sérieuse ne se posant à ses yeux, le juge judiciaire s’estime dispensé de son obligation de renvoi préjudiciel. En désaccord avec l’application de cette exception à l’obligation de renvoi préjudiciel, le droit européen étant complexe sur la question des taxes internes, la société requérante estime que le juge national a manqué à son devoir de coopération loyale avec le juge européen et cherche par conséquent à engager sa responsabilité en demandant réparation du préjudice qui en découle devant ce même juge national. De sorte que, dans son arrêt du 26 octobre 2011, la Cour de cassation est conduite à vérifier par elle-même qu’elle n’a pas commis de faute lourde ou, en l’occurrence, un 77. CJCE, 30 septembre 2003, G. Köbler c/ Autriche, aff. C-224/01. 78. Cass. civ. 1re, 26 octobre 2011, Société McCormick Guadeloupe, Bull. 1, nº 181.

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déni de justice en s’abstenant d’interroger la Cour de justice à titre préjudiciel. De façon prévisible, le juge judiciaire national s’estime satisfait de la manière dont il a exercé son office européen. La faible probabilité d’autosanction du juge national dans l’exercice de son office européen explique probablement l’absence de réelle réticence à admettre le principe même d’une telle responsabilité, tout en sachant qu’en pratique le juge interne restera maître de sa mise en œuvre. Il est toutefois hautement symbolique que le Conseil d’État ait accepté d’abandonner sa jurisprudence Darmont pour rendre possible l’engagement de sa propre responsabilité, en admettant qu’une entorse soit faite à la règle jusqu’alors absolue du respect de l’autorité de chose définitivement jugée79. Dans l’arrêt Gestas, le juge administratif dégage ainsi un nouveau régime de responsabilité par lequel il se reconnaît lui-même potentiellement faillible dans l’exercice de sa fonction européenne, uniquement pour faute lourde, et surtout exclusivement pour violation du droit de l’Union européenne80. Malgré cette avancée de principe, force est par conséquent de reconnaître que l’obligation pour le juge interne de jouer le jeu de la coopération juridictionnelle, et notamment de saisir la Cour d’une question préjudicielle, n’est pas véritablement sanctionnée, ce qui soulève le problème de la motivation de la décision de renvoyer ou non une question à l’appréciation du juge européen. C’est sur ce point qu’une perspective d’évolution est envisageable.

2. La faiblesse du contrôle externe Afin de conférer une certaine complétude à l’existence d’un ordre juridique intégré au droit interne, convient-il d’exercer une forme de contrainte sur l’office européen des juges internes afin de les inciter à coopérer ? Par elle-même, l’ambition paraît contradictoire, la coopération devant rester principalement consentie et non imposée. Pourtant, il semble également contestable de confier à l’appréciation du juge interne le pouvoir de modeler à sa guise le degré d’une intégration acceptée constitutionnellement. Jusqu’à présent, la Cour de justice ne s’est pas avancée trop ouvertement sur le terrain glissant de la coercition vis-à-vis des juges internes en se contentant d’en évoquer l’éventualité. Il est vrai que le concours des juges internes lui demeure absolument nécessaire et que la sanction n’est pas la meilleure façon de se l’attirer. De façon quelque peu inattendue, la fermeture du système de coopération pourrait provenir de la Cour européenne des droits de l’homme, en tant que gardienne de la loyauté des rapports entre le juge interne et la Cour de justice. Une conversation à trois voix s’engage alors.

79. CE, 29 décembre 1978, Darmont, Rec., p. 542. 80. CE, 18 juin 2008, Gestas, Rec., p. 230.

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• Par la Cour de justice de l’Union européenne Dans un premier arrêt Commission c/ Italie, du 9 décembre 2003, la Cour de justice a évoqué la possibilité de prononcer un manquement sur le fondement de la procédure de l’article 260, § 1, TFUE, et éventuellement les sanctions financières consécutives en cas de manquement sur manquement pour une violation du droit de l’Union émanant de la combinaison d’une loi et d’une jurisprudence nationales en matière de remboursement des taxes81. Dans un second arrêt Commission c/ Italie, du 24 novembre 2011, la Cour de justice s’est prononcée sur le système interne de responsabilité des juges nationaux, duquel ressortait une quasiimpossibilité d’engager une telle responsabilité en violation du principe d’effectivité et de la jurisprudence Köbler dont l’objet est précisément, comme on l’a vu, que le juge national puisse faire preuve, au moins en théorie, d’autodiscipline. L’hypothèse était particulièrement complexe puisqu’elle mêlait le principe d’un autocontrôle par le juge interne luimême et celle d’un contrôle externe, par la Cour de justice, de la possibilité d’un tel autocontrôle82. La procédure visait par conséquent à sanctionner l’impossibilité pratique du contrôle par le juge interne du bon exercice de son propre office de juge européen. En définitive, la Cour de justice condamne par la voie du manquement la jurisprudence restrictive de la Cour de cassation italienne paralysant en pratique la mise en œuvre de sa propre responsabilité en cas de violation caractérisée du droit de l’Union. Par analogie, si le système français de mise en cause de la responsabilité des juges pour violation du droit de l’Union s’avérait trop restrictif en pratique, par exemple au regard de l’interprétation retenue de la faute lourde ou du déni de justice, la France s’exposerait, elle aussi, à une procédure de manquement. Le manquement « judiciaire » reste toutefois une arme très radicale, qui explique que la Commission et la Cour en fassent un usage parcimonieux. Ainsi, les résistances emblématiques au droit de l’Union, comme le fut par exemple la position du Conseil d’État dans l’arrêt Cohn-Bendit à propos de la portée des directives dans l’ordre interne, n’ont pas fait l’objet de telles sanctions en manquement, même s’il est vrai qu’en pratique des solutions de contournement avaient été aménagées.

• Par la Cour européenne des droits de l’homme L’éventualité d’un contrôle externe du bon exercice de sa fonction européenne par le juge interne pourrait également provenir, de façon plus inattendue, de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. Dans l’arrêt Michaud c/ France du 6 décembre 2012, la Cour de Strasbourg était saisie par des représentants de la profession d’avocat des suites de l’arrêt Conseil national des barreaux, précédemment évoqué83, 81. CJCE, 9 décembre 2003, Commission c/ Italie, aff. C-129/00. 82. CJUE, 24 novembre 2011, Commission c/ Italie, aff. C-379/10. 83. CE, 10 avril 2008, Conseil national des barreaux, Rec., p. 129. Voir supra, I, A, 3.

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par lequel le Conseil d’État français avait conclu à la validité de la directive européenne sur la lutte contre le blanchiment d’argent, imposant dans certains cas une obligation de trahison du secret professionnel84. Toutefois dans cet arrêt, le juge administratif, agissant en tant que juge européen, n’avait pas renvoyé la question de la validité de la directive à la Cour de justice estimant que celle-ci s’était déjà prononcée de façon suffisamment claire dans une affaire similaire initiée par la Cour constitutionnelle belge. Pourtant, les arguments soulevés par les requérants dans l’affaire française étaient sensiblement différents de ceux invoqués dans l’affaire belge, ce qui a conduit la Cour européenne des droits de l’homme à considérer que le juge français en s’abstenant de renvoyer la question nouvelle à la Cour de justice ne l’avait pas mise en mesure d’exercer un contrôle suffisant sur la validité de la directive au regard des droits fondamentaux et notamment du secret professionnel, couvert par le droit à la vie privée protégé par l’article 8 de la Convention. En conséquence de quoi, la Cour de Strasbourg a refusé de faire jouer le bénéfice de la présomption de protection équivalente dont bénéficie en principe le droit de l’Union dans le système de la Convention85. Elle a estimé que puisque le juge interne n’avait pas actionné le renvoi préjudiciel sur la validité du droit de l’Union en empêchant la Cour de justice d’exercer son contrôle, il lui revenait de s’assurer que le droit fondamental à la vie privée n’avait pas été enfreint. La Cour européenne des droits de l’homme sanctionne ainsi implicitement le manquement du Conseil d’État à son obligation de renvoi. De façon plus explicite, dans un arrêt Dhahbi c/ Italie du 8 avril 2014, l’absence de renvoi à la Cour de justice par le juge judiciaire interne saisi d’une question d’application de l’accord euro-méditerranéen est considérée par la Cour européenne des droits de l’homme comme étant à l’origine d’une violation du droit d’accès au juge, couvert par l’article 6, § 1, de la Convention86. Dans cette affaire, ce n’est pas tant le refus de saisine préjudicielle qui est dénoncé que le manque de motivation de ce refus qui ne permet pas au justiciable de savoir précisément pourquoi le renvoi préjudiciel a été jugé inutile par le juge interne. Sur le fondement de ce contrôle exercé par la Cour européenne des droits de l’homme, le juge interne se voit de la sorte contraint de justifier ouvertement et de façon convaincante les raisons pour lesquelles il estime ne pas avoir eu à saisir la Cour de justice d’une question de droit européen, suffisamment claire ou déjà éclairée. Le juge conventionnel des droits de l’homme devient le garant de l’office européen du juge interne comme clef de voûte de la construction d’un ordre juridique intégré. Ainsi prend forme un système complexe d’articulation, au travers d’un dialogue juridictionnel multi-niveau au sein duquel le juge interne, véritable porte-parole du système juridique intégrant l’appartenance de l’État à l’Union, occupe un rôle central. 84. CEDH, 6 décembre 2012, Michaud c/ France, req. nº 12323/11. 85. CEDH, 30 juin 2005, Bosphorus Hava c/ Irlande, req. nº 45036/98. 86. CEDH, 8 avril 2014, Dhahbi c/ Italie, req. nº 17120/09.

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182

Index alphabétique A Adhésion, 68 et s., 79, 117 et s., 161 Administration – centrale, 25 et s., 86 et s. – locale, 44 et s., 90, 94 Assemblée nationale, 30 et s., 41, 71 et s. Autonomie (institutionnelle et procédurale), 9, 19, 21, 37, 58, 106, 140, 143 Autorité (administrative indépendante), 38 et s., 90, 107 Autorité (chose jugée), 139, 142, 153, 169, 173, 176

– juridictionnelle, 112, 178, 137, 147, 166 et s. COREPER, 56, 27 Cosac, 32 et s.

D

Banque de France, 41 et s., 87 Budget – européen, 75 et s., 87, 100, 115 – national, 12, 35, 40 et s., 76 et s., 100 et s. Bureau du droit européen, 34

Décision – européenne, 70, 75 Décentralisation, 44, 90 et s., 97, 107, 131, 139 Dédoublement, 10-12, 14, 143, 151, 166 Délégation – au droit européen, 34 – de représentation, 47 et s. Directive, 29, 35-40, 81-82, 85-86, 92-93, 107, 126-127, 130-135, 150, 152, 155-159, 161, 164, 177-178 Droits fondamentaux, 9, 13, 39, 121-122, 128, 135, 147, 156-157, 161, 171-172, 178 Dualisme, 14-15, 128

C

E

Co-administration, 87 Collectivités (locales), 44 et s., 53 et s., 62 et s., 104, 107 Comité interministériel sur l’Europe, 23, 66 Comitologie, 56, 59 et s. Commission aux affaires européennes, 30 et s., 70 Conférence intergouvernementale, 117 Conseil constitutionnel, 13, 42, 62, 72, 77-79, 115, 119-124, 137, 147-148, 155, 158-159, 165, 169-171 Conseil d’État, 34, 59-62, 78, 84, 95, 108, 114115, 126-127, 130, 132-133, 136, 140-142, 145, 149-150, 154, 156, 160-163, 173-178 Conseil européen, 9, 24, 26, 54, 72, 75, 100, 117 Constitutionnalité (contrôle de), 77-79, 83, 146, 148, 157-158, 169, 171 Consultation, 59 et s., 71, 116 et s. Contrôle politique, 70 et s. Conventionnalité (contrôle de), 146-147, 159, 171-172 Coordination, 73, 88-89, 98, 103-104, 121 Coopération – administrative, 28-29, 37 – interparlementaire, 30 et s.

Effectivité – principe (d’), 143 et s., 150, 153, 155, 172 Effet direct, 81, 91, 126 et s., 161 Équivalence – principe (d’) 106, 112, 140, 143, 162-163 État – intégré, 7-10, 17, 19, 53, 80, 88, 92, 100, 105-106, 111, 113, 166 Exécution – administrative, 80, 86 et s. – normative, 80 et s. – juridictionnelle, 107, 109, 111-112.

B

F Finances publiques, 75-76, 100 et s. Fonction, 80, 86, 100, 105, 122, 125, 134-135, 139, 141, 145, 152, 156, 165, 168, 174 Fonctionnaire, 27, 56, 59-60, 70 Fonds structurels, 28, 44, 97 et s., 103 et s.

G Gouvernance, 17, 54, 100-101 Gouvernement, 22-27, 31, 41, 43, 45, 49, 53, 55-57, 60-61, 63 et s., 77-78, 83-85, 101102, 166

183

Droit français de l’intégration européenne – indépendant, 28, 38 et s., 88 et s., 107 et s. Ordre public (moyens d’), 148, 150

H Habilitation, 56-57, 81, 144, 148 Hétérarchie, 161-162 Hiérarchie, 13, 151 et s., 164-165

P

I Identité – constitutionnelle, 112, 158-159, 164-166 – nationale, 19, 21, 165 Information, 43, 48, 59, 62, 64, 70-71, 100-101 Intégration, 5 et s., 17-19, 21, 24,28, 31, 33, 38, 53, 80, 86, 90, 111-113, 151-152, 166 Interrégulation, 88-89 Invocabilité – d’éviction, 133-155 – d’interprétation, 138-142 – de réparation, 135-138 – de substitution, 126-136

J Juge – dialogue des juges, 148, 179 et s. – gouvernement des juges, 79 – juge de droit commun du droit de l’Union européenne, 10, 108, 111, 125 et s. – juge constitutionnel, 103, 111, 118 et s., 169 et s. – pouvoirs du juge, 148, 166 et s.

L Loi – domaine de la, 32, 83, 85 – d’autorisation, 68, 69, 77 et s., 114 et s. – d’habilitation, 40, 107 – de ratification, 23, 115, 118, 119 – de transposition, 32, 61, 78, 81 et s., 112, 155 et s., 165, 170

M Ministre aux Affaires européennes, 22 Monisme, 14 et s.

N Négociation, 53 et s., 61 et s., 64, 67, 73, 78

O Ordonnance, 82, 84 Organe – étatique, 10, 17, 53 et s., 108, 139 et s. – local, 18 et s., 43 et s., 62 et s., 90 et s., 121 – national, 66 et s., 80 et s.

Parlement – européen, 31 et s., 42, 47, 62, 93 – national, 26, 30 et s., 39 et s., 43, 61, 67 et s., 82, 117, 122 Pluralisme, 14 Puissance publique, 11, 18, 89, 131 Préfet, 48, 94 et s., 107 Président de la République, 23 et s., 42, 54 et s., 67 et s., 75, 79, 84, 115, 117 Primauté, 9, 11, 22, 106, 109, 152 et s., 156, 162 et s. Principes – généraux du droit, 134, 156

Q Question – préjudicielle, 112, 137, 142, 144 et s., 156, 159, 161, 166, 176 et s. – principale de conventionnalité, 172 – prioritaire de constitutionnalité, 115, 146 et s., 159 et s., 170

R Ratification, 23, 115, 118, 119 Référendum, 23, 69, 75, 114, 116 et s., 120 Référé, 95 et s., 148 et s. Règlement – autonome, 85 et s., 91, 152 – européen, 30, 81, 127, 135 Régulation, 4, 11, 24, 35, 37 et s., 88 Renvoi – préjudiciel, 112, 137, 142, 144 et s., 156, 159, 161, 166, 176 et s. Représentation, 11 et s., 22, 32, 47 et s., 54 et s., 121 Représentation permanente (RP), 25 et s., 33, 48, 56, 64, 66, 70 Résolution, 62, 72 et s. Responsabilité, 18, 66, 71, 109, 138 et s., 145, 148, 154, 168, 175 et s. Rétroactivité, 153, 174 Révision – constitutionnelle, 321, 60-61, 72, 77, 117 et s., 157, 165

S Sanction, 77, 90, 93, 97, 104 et s., 130 et s., 176 et s.

184

Index alphabétique

Secrétariat général aux Affaires européennes (SGAE), 4, 25 et s., 59, 61, 65 et s., 69 et s. Sénat, 30, 32-33, 41, 60, 64-65, 70, 72, 74-75, 77, 86, 118, 121 Service public, 30, 36, 39, 90, 91, 96 Souveraineté, 5, 7, 11, 15, 58, 77, 79-80, 94, 114-115, 119, 121, 123 et s., 151, 154

– de révision, 56, 68-69, 74, 79 – international, 114, 129, 162 Transposition, 32, 61, 78, 81 et s., 112, 155 et s., 165, 170

U Urgence, 63, 73, 84, 95-96, 148, 160, 169-170

T

V

Traité – d’adhésion, 68 et s., 79, 117 et s., 161

Veille, 34, 42, 44, 62, 64, 70-71, 87, 89, 96 Veto, 74

185

Table des matières LISTE DES ABRÉVIATIONS .............................................................................

4

INTRODUCTION .................................................................................................

5

Le champ de l’étude : la part européenne du droit interne ............ A. L’approche quantitative......................................................................... B. L’approche qualitative ........................................................................... II. L’objet de l’étude : la catégorie de l’« État intégré »......................... A. L’unité extrinsèque ................................................................................ B. La diversité intrinsèque ........................................................................ III. La cause de l’étude : l’adaptation de l’exercice du pouvoir interne A. Un dédoublement de fonction ............................................................. B. Un élargissement du cadre de représentation ................................ IV. Le résultat de l’étude : les lignes d’évolution du système juridique interne ........................................................................................ A. La singularisation intra-système ....................................................... B. La syncrétisation intersystème ...........................................................

6 6 6 8 8 9 10 10 11 13 13 14

PARTIE I LE SYSTÈME D’INTÉGRATION ORGANIQUE ...............................................

17

CHAPITRE 1 La spécialisation structurelle des organes internes ...............................

21

I.

I.

La spécialisation structurelle des organes nationaux ..................... A. Des structures gouvernementales spécifiques ............................... 1. La création de structures politiques spécialisées ................................ 2. La création de structures administratives interministérielles spécialisées ........................................................................................... 3. La création de structures administratives ministérielles spécialisées

B. Des structures parlementaires spécifiques ..................................... 1. La création de structures politiques spécialisées ................................ 2. La création de structures administratives spécialisées ....................... C. Des structures spécifiques au sein des juridictions ...................... 1. La création d’une délégation de droit européen au sein du Conseil d’État ...................................................................................................... 2. La création d’un bureau de droit européen au sein de la Cour de cassation ...........................................................................................

187

21 22 22 25 28

30 30 33

34 34 34

Droit français de l’intégration européenne

D. Des structures indépendantes spécifiques ...................................... 1. La création de régulateurs sectoriels indépendants ............................ 2. Des structures budgétaires ou financières indépendantes ..................

34

II. La spécialisation structurelle des organes locaux............................ A. Des structures internes spécifiques .................................................. 1. La création de structures administratives locales spécialisées ...........

44 44 44

2. La création d’instances mixtes compétentes sur les affaires européennes ..........................................................................................

45

B. Des structures externes spécifiques .................................................

47

1. Le fondement juridique de la représentation extra-institutionnelle des collectivités territoriales ................................................................. 2. La création de représentations extra-institutionnelles des collectivités territoriales .................................................................

CHAPITRE 2 La spécialisation fonctionnelle des organes internes ............................. I.

35 41

La spécialisation fonctionnelle en matière d’élaboration du droit de l’Union..................................................................................................... A. La fonction de représentation-négociation ...................................... 1. La représentation de l’État .................................................................... 2. La représentation des collectivités locales ........................................... B. La fonction de consultation ................................................................. 1. La consultation d’organes nationaux .................................................... 2. La consultation des organes locaux ...................................................... C. La fonction de coordination ................................................................. 1. La coordination administrative .............................................................. 2. La coordination politique ....................................................................... D. La fonction de décision......................................................................... 1. La décision nationale sur les actes de l’Union ..................................... 2. Le contrôle des décisions nationales et européennes ..........................

II. La spécialisation fonctionnelle en matière d’exécution du droit de l’Union..................................................................................................... A. La fonction d’exécution normative ..................................................... 1. L’exigence de mesures nationales ........................................................ 2. La forme des mesures nationales ........................................................ B. La fonction d’exécution administrative ............................................. 1. L’exécution par l’administration nationale ............................................ 2. L’exécution par des autorités indépendantes ........................................ 3. L’exécution par les organes locaux ....................................................... C. La fonction de contrôle budgétaire et financier .............................. 1. L’information sur les relations financières entre l’Union et l’État ........ 2. La surveillance des finances publiques nationales ..............................

188

47 48

53 53 54 54 56

59 59 62

66 66 66

67 67 70

80 80 81 82

86 87 88 90

100 100 100

Table des matières 3. Le contrôle de l’exécution des fonds européens ................................... D. Une fonction de sanction ..................................................................... 1. L’instauration de sanctions nationales .................................................. 2. L’application des sanctions nationales ..................................................

103

105 106 107

PARTIE II LE SYSTÈME D’INTÉGRATION NORMATIVE ................................................ 111 CHAPITRE 1 Le cadre interne d’incorporation des normes .......................................... 113 I.

La ratification interne des normes européennes .............................. A. Les conditions de forme....................................................................... 1. La procédure ordinaire .......................................................................... 2. Les procédures spéciales ...................................................................... B. Les conditions de fond.......................................................................... 1. Le déclenchement du contrôle .............................................................. 2. L’exercice du contrôle ............................................................................

II. L’invocation interne des normes européennes .................................. A. Les formes d’invocation ....................................................................... 1. L’invocabilité de substitution ................................................................. 2. L’invocabilité d’éviction .......................................................................... 3. L’invocabilité d’interprétation ................................................................ 4. L’invocabilité de réparation .................................................................... B. Les moyens de l’invocation.................................................................. 1. La compétence du juge interne ............................................................ 2. Les pouvoirs du juge interne .................................................................

113 114 114 116

118 118 121

125 126 126 133 135 138

142 143 148

CHAPITRE 2 Le cadre interne d’articulation des normes .............................................. 151 I.

L’articulation hiérarchique interne........................................................ A. La hiérarchie des normes infra-constitutionnelles ........................ 1. La hiérarchie sur les normes nationales .............................................. 2. La hiérarchie entre les normes nationales ........................................... 3. La hiérarchie avec les normes internationales .................................... B. L’hétérarchie avec les normes constitutionnelles ? ....................... 1. L’abandon apparent de la hiérarchie : la recherche d’équivalence constitutionnelle .................................................................................... 2. Le maintien résiduel de la hiérarchie : la sauvegarde de l’identité constitutionnelle ....................................................................................

II. L’articulation dialogique interne ............................................................ A. Les éléments de la coopération juridictionnelle ............................. 1. La formulation de la question préjudicielle ..........................................

189

152 152 152 155 160

161 162 164

166 166 167

Droit français de l’intégration européenne 2. L’exécution de la réponse préjudicielle ................................................. B. Les limites de la coopération juridictionnelle ................................. 1. Le paradoxe du contrôle interne ........................................................... 2. La faiblesse du contrôle externe ...........................................................

172

174 175 176

BIBLIOGRAPHIE ................................................................................................ 179 INDEX ALPHABÉTIQUE ................................................................................... 183

190

Collection Systèmes La collection Systèmes entend répondre au besoin de synthèse et de spécialisation des savoirs qui s’affirme aujourd’hui. Destinée aux étudiants mais également à un public plus large, elle présente des ouvrages clairs et concis, permettant aux lecteurs d’approfondir leurs connaissances sur des sujets tels que droit constitutionnel, droit administratif, droit des affaires, droit civil, droit social, économie, administration, finances publiques, fiscalité, finances locales, sociologie et philosophie juridiques, droit européen... La collection Systèmes se décline aujourd’hui en trois séries : la série Cours, adressée principalement aux étudiants en droit et science politique ; la série Pratique, à destination des professionnels, autour de problématiques qui les intéressent directement dans leur pratique quotidienne ; et la série Perspectives, qui a pour vocation de proposer des sujets de réflexion. Les derniers ouvrages parus dans cette collection sont : ABATE B. : La nouvelle gestion publique, 2e éd., 2014. ABATE G. : Le régime fiscal des sociétés de personnes, 2014. AKHOUNE A. : La réforme de la gestion budgétaire et comptable publique, 2013. ALBERT J.-L. : Fiscalité et personnes publiques, 2012. ALVENTOSA J.-R. : Les outils du management public, 2012. ALVENTOSA J.-R. : Management public et gestion des ressources, 2012. AUBY J.-B. : La décentralisation et le droit, 2006. AUBY J.-B. : La globalisation, le droit et l’État, 2e éd., 2010. BAILLEUL D. : Le service public local du tourisme, 2010. BAILLEUL D. : Le procès administratif, 2014. BARILARI A. et BOUVIER M. : La LOLF et la nouvelle gouvernance financière de l’État, 3e éd., 2010. BASDEVANT-GAUDEMET B. (sous la direction de) : Contrat ou institution : un enjeu de société, 2004. BASTION J.-Cl. et CHABANNIER N. : Le droit des élections locales, 2004. BERLORGEY J.-M. : Le droit d’asile, 2013. BLACHÈR P. : Le Parlement en France, 2012. BOSSIS G. et ROMI R. : Droit du cinéma, 2004. BOUINOT J. : La ville intelligente, 2004. BOUTAYEB C. : Droit matériel de l’Union européenne, 3e éd., 2014. BOUTAYEB C. : Droit institutionnel de l’Union européenne, 3e éd., 2014. BOUVIER M. : Introduction au droit fiscal général et à la théorie de l’impôt, 12e éd., 2014.

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Droit français de l’intégration européenne

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Droit français de l’intégration européenne TEITGEN-COLLY C. (sous la direction de) : La convention européenne des droits de l’Homme 60 ans et après ?, 2013. TRAORÉ S. : L’usager du service public, 2012. TÜRK P. : Le contrôle parlementaire en France, 2011. YOLKA P. : Droit des contrats administratifs, 2013. ZERAH D. : L’exigence de la gouvernance mondiale, 2013.

Imprimé en France - JOUVE, 1, rue du Docteur Sauvé, 53100 MAYENNE N° 2186553X - Dépôt légal : février 2015

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Collection fondée par Michel BOUVIER Directeurs de collection : Michel BOUVIER, professeur à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne Laurent RICHER, professeur à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne Jean-Pierre CAMBY, fonctionnaire parlementaire

Alors que la construction européenne est généralement étudiée du point de vue de l’Union afin de décrire la forme de son appareil institutionnel ou le contenu de ses politiques matérielles, cet ouvrage adopte une posture différente consistant à observer l’intégration sous l’angle interne (national et local). Outre le développement du « dialogue des juges » en faveur d’une « intégration normative » des règles européennes dans l’ordre interne, la création de structures nouvelles – telles que le Haut Conseil des finances publiques (HCFP) chargé de la surveillance de l’équilibre budgétaire – atteste d’une « intégration organique » constitutive également de cette qualité nouvelle de la France : « État intégré à l’Union ». Cet ouvrage est destiné aux étudiants spécialisés en droit public (Masters 1 et 2) et aux universitaires et professionnels du droit ou de la politique menant une réflexion sur les implications de l’intégration européenne dans l’ordre normatif et institutionnel interne.

É. DUBOUT B. NABLI

Édouard DUBOUT est professeur à l’Université Paris-Est Créteil, et Béligh NABLI est maître de conférences à l’Université Paris-Est Créteil.

Édouard DUBOUT Béligh NABLI Droit français de l’intégration européenne

Le système juridique de la France fait l’objet de transformations liées aux rapports entre l’État et l’Union européenne. Celles-ci se manifestent par la création d’un ensemble de structures, de règles, de principes, de procédures, de techniques, et de solutions destinés à traiter spécifiquement de la question de la participation à l’Union européenne. Ce corpus est constitutif d’une discipline particulière du droit public : le droit interne de l’intégration européenne.

COURS

www.lextenso-editions.fr

ISBN 978-2-275-03946-6 25 €

Droit français de l’intégration européenne