"A cause de de la parole de Dieu et du temoignage de Jesus... ". Le temoignage selon l’Apocalypse de Jean. Son enracinement extra-biblique et biblique

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"A cause de de la parole de Dieu et du temoignage de Jesus... ". Le temoignage selon l’Apocalypse de Jean. Son enracinement extra-biblique et biblique

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ÉTUDES

BIBLIQUES

(Nouvelle Série n° 36)

"A CAUSE DE LA PAROLE DE DIEU ET DU TÉMOIGNAGE DE JÉSUS ••• "

Le témoignage selon l'Apocalypse de Jean Son enracinement extra-biblique et biblique. Sa force comme parole de sens

par

Isabelle DONEGANI

PAR 1 S Editions J. GABALDA et Cie 18, rue Pierre et Marie Curie

1997

ISBN 2-85021-099-4

PRIX:

350 F

"A CAUSE DE LA PAROLE DE DIEU ET DU TEMOIGNAGE DE JESUS ... "

Le temoignage selon l'Apocalypse de Jean Son enracinement extra-biblique et biblique. Sa force comme parole de sens

ETUD~8 BIBLIQUES (Nuuvelle

IS~rie.

N° 36)

"A CAUSE DE LA PAROLE DE DIEU ET DU TEMOIGNAGE DE JESUS ... "

Le temoignage selon l'Apocalypse de Jean Son enracinen1ent extra-biblique et biblique. Sa force comme parole de sens

par

Isabelle DONEGANI

PA'llls LIBRAIRIE LECOFFRE

J. GABALDA ET CIE, Editeurs RUE PIERRF: ET MARIE CURIE, 18

1997

Cette these a ete approuvee par la Faculte de Theologie de l'Universite de Fribourg, Suisse, en sa seance du 20 Juin 1995 sur la proposition de MM. les Professeurs G. ROUILLER (1 er rapporteur), H.J. VENETZ (2e rapporteur) et G. BEDOUELLE (Doyen)

VII

Remerciements Cette these de doctorat, presentee a la Faculte de Theologie de l'Universite de Fribourg (Suisse), a ete approuvee par son Conseil de Faculte en sa seance du 20 juin 1995 sur proposition des Professeurs Gregoire Rouiller (ler rapporteur), Hermann-Josef Venetz (2eme rapporteur) et Guy Bedouelle (doyen). Lors de sa soutenance publique, le 27 juin 1995, l'auteur a adresse a son auditoire ces quelques mots de gratitude.

M. lc Doyen, MM. lcs Profcsscurs, chers Parents et Amis, Permettez-moi, au terme de cette soutenance, de saisir l'occasion qui m'est offerte de remercier les personnes qui me sont cheres par le coeur autant que par l'esprit et qui ont permis ma these de voir lA jour et d'ctre mcn6e a terme. Je ne puis nommer chacun et pour n'oublier personne, je voudrais d'abord vous remercit:U' «tm chmmr», vous tous qui etes venus me temoigner votre amitie par votre presence en cette heure importante. Permettez pourtant que je me risque a citer les noms de quelques-uns parmi vous, et de quelques «ahsents». En premier lieu, dessein de Dieu «ohlige», c'est a mes parents que j'adresse mon Merci. Par leur amour et au prix de leur travail, ils m'ont offert le loisir d'etudier et de me passionner pour la Theologie et la Bible. Merci aussi a mon frere Michel. Bien que de deux ans mon cadet, il m'a ravi le droit d'ainesse en soutenant sa these en Sciences en 1992 deja. Ce fut stimulant de savoir que, devenu premier de cordee, il me precedait sur la voie d'un tel effort. Ce qu'il me disait il y a quelques mois a peine est rest6 grave en ma memoire: "Pensestu l'achever, oui ou non, cette these?" Question qui acheva de murir ma d~cision de mettre coute que coute le point final a cette entreprise. J'aimerais aussi remercier les Professeurs de notre Universite qui ont marque mes annees d'etudes. Parmi eux et avant tout mon directeur de these, M. Gregoire Rouiller qui, du debut a la fin de ce patient labeur, m'a encouragee a perseverer. Ses suggestions et remarques, son habilete a me tirer des impasses dans lesquelles je m'engageais parfois, ont ete un reel temoignage de sagesse et d'amitie. Merci aussi a Ernesto Borghi, son Assistant, qui a facilite les dernieres mises au point de la these par sa disponibilite et sa rapidite d'esprit. Merci, et la je remonte quelque peu le cours de l'histoire, n MarieChristine Varone, amie bibliste qui, en mes lointaines annees de College a Saint-Maurice, fut la premiere passionnee de la Parole de Dieu a m'en avoir transmis le virus.

a

Vill

REMERCIEMENTS

Merci a mes Soeurs en vie religieuse. Par leur compagnonnage, leur fidelite a ecouter la Parole et a vivre du temoignage de Jesus, elles ont litteralement «porte» cette these par leur presence et leur priere fraternelles. Je voudrais ici dire un Merci particulier d'abord a Sr Genevieve Vernay, notre Superieure Generale (aujourd'hui absente) et aux Soeurs de notre Conseil General, pour leur accompagnement et le souci porte a la formation des Soeurs. Merci, du fond du coeur, a Sr Adrienne Barras et Sr Berta Lütolf, qui m'ont soutenue sur le chemin de cette quete de sens et d'esperance, partageant mes questions et doutes, des premieres esquisses de la these a naitre jusqu'a sa realisation finale. Merci aussi, par-dela les mers, a Sr Nina-Colette Alexandre, compagne d'etude et de vie, ainsi qu'aux Soeurs de la Sainte Croix de Men.zin.gen, chez qui nous avons trouve logis et amitie durant les annees passees a Fribourg. Merci a Fran, c'est reconnaitre que le temoignage rend vaine toute raison d'etre d'une existence humaine en soi, et affirmer que cette existence a pour nous un sens seulement en fonction des autres. La mort d'un •autre», non pas a la place d'un autre. 11 n'y a pas, dans la vie humaine, des places interchangeables. 11 y a des temoignages de charite qui impliquent la vie de tous les hommes. 11 y a quelqu'un qui temoigne (par sa mort) que la solitude (celle de la loi et de tous ceux qui sont soumis a la loi) est inconcevable. On temoigne •pour toujours» ou l'on ne temoigne pas du tout; est-ce qu'on temoigne d'une interruption dans l'existence du temoigner et des ... temoignes? Toute la question est la. La requete de prendre la place du condamne X ou Y ou Z, est le temoignage de l'actualisation du kerygme evangelique •aime ton prochain comme toimeme». (. .. ) Pour l'humanite Oe prochain) la caritas qui comporte le sacrifice total, rend temoignage de la foi en le commandement divin" (p. 21). CASTELLI parle a ce propos de "dimension sacrale" du temoignage: "Chaque temoignage est-il incommensurable? Le probleme attend une reponse. L'impossibilite d'encercler l'acte du temoignage avec une serie tl'informations sur le temoignngc - informations toutes signitiantes aux fins de la description du geste, mais insignifiantes aux fins de sa determination - fait ainsi que la repm;i.se ne puisse etre a son tour qu'un temoignage". Nous aurons a dP.finir ce que nous entendons par •sacralite» en contexte plus specifique de revelation chretienne. 11 Peut-on accueillir sans reserve cette remarque de E. CASTELLI?: "La •signification» de tout temoignage est la possibilite meme d'etre significatif, ou mieux: l'impossibilite de ne pas etre significatif, a savoir: tout temoignage a un sens. Mais quel sens? Si tout temoignage est le temoignage de la possibilite (ou implique le temoignage de la possibilite), le probleme du faux temoignage se presente comme le probleme d'un temoignage au-dela de l'action de temoigner. Precisement parce que temoigner est le temoignage de la possibilite, la recherche du vrai temoignage est une equivoque. Un exemple: si un homme temoigne d'etre l'auteur d'un crime qu'il n'a pas commis, voulant sauver des represailles ennemies une population innocente (ou non) qui subirait les represailles si le coupable n'etait pas individue, cet homme pourrait-il etre accuse de faux temoignage? Juridique-

QU:e:TE DE SENS ET TEMOIGNAGE

9

que, soeur de millions d'autres humains, nous sentions exploser sous le souffle d'un Esprit qui veut, aujourd'hui encore, parler au coeur et faire toute chose nouvelle13. 1.2

LE TEMOIGNAGE OU ''LA MORSURE DU REEL"

Si le temoignage de valeurs humaines et religieuses authentiques est aussi avidement recherche aujourd'hui, c'est que la question du sens se pose a l'homme de maniere eminemment existentielle et concrete, tres souvent meme intense et dramatique. Tout vrai temoignage «derange» et interpelle, desinstalle et met en marche, appelle et invoque. 11 est la traduction en des fruits ayant exige une lente maturation d'une experience humaine aux racines spirituelles. S'il y a temoignage (temoignage «re~u», c'est-a-dire foi, conversion, engagement authentique de la personne), c'est qu'a telle heure et tel jour d'un passe plus ou moins lointain, il y eut une parole ou un geste, la voix d'un silence ou la qualite d'une rencontre qui fut temoignage (temoignage «emis», donne). Et chez celui qui en a ete temoin, beneficiaire (de vue ou d'oreille), un tel temoignage a engendre, mysterieusement et timidement encore parfois, pour parler le langage paulinien, un «homme nouveau», a co'incide avec le debut d'une «Vie nouvelle» en Christ. ment oui, mais pratiquement cet homme realiserait par son temoignage reel ce qu'il estime etre vrai en interpretant le kerygme •aime ton prochain comme toi-meme» selon son sens lc plus profond: impossibilite de separer le prochain de soi-meme, jusqu'au point de se sacrifier en rendant un faux temoignage susceptible de poursuites legales. Si, par contre, le faux temoignage est une fausse accusatiun contre un autre afin d'echapper a un chätiment, nous avons deux faux temoignages, mais le second diffärencie du premier, car la possibilite du malest le mal-etre de la possibilite (l'impossibilite): le detachement du temoignage de la communaute (des autres) = la negation du prochain = le non-temoignage". CASTELLI se fait ici encore plus subtil: "Mais est-ce que non-temoignage c'est trop dire? Est-il possible, le temoignage du mal? Tout le probleme est la. Non-temoignage parce que le prochain vient a etre instrumentalise, il n'est pas le prochain (celui qui doit etre aime, et seulement en tant qu'aime il est Je veritable prochain; la revelation evangelique nous l'apprend), et par consequent on ne temoigne pas (c'est devant quelqu'un que l'on temoigne), mais on le nie, ce prochain, en ne laissant subsister que le discours du temoigner (un langage)". CASTELLI cite en note (p. 25) Ja Pensee 299 de PASCAL: "... ne pouvant fortifier la justice, on a justifie la force". 12 F. NIETZSCHE notait non sans humour: "•Mourir pour la verite. NnnR ne nous ferions pas brüler pour nos opinions: nous n'en sommes pas assez sürs. Mais nous nous ferions brüler peut-etre pour pouvoir avoir et pour pouvoir changer nos opinions»" (in LP. 11nyageur et son ombre, par. 333. Cite par E. CASTELLI, Le probleme du temoignage, p. 16). Nous devrons nous poser («serieusement»!) Ja question de la distinction entre •opinion» et •verite». · 13 Le temoignage, parce qu'il se situe au confluent de !'initiative de Revelation et de Salut du Dieu Trois fois Saint et des plus hautes aspirations humaines et fraternelles, •parle» toutes !es langues et tous !es silences. Si l'etendard •New Age» fusionne aujourd'hui quetes sinceres et propositions fantaisistes (voire deliberement perverses), nul doute que Je temoignage chretien est le moyen privilegie d'une redecouverte de la Presence Une et amoureuse du Dieu de Jesus Christ, du personnalisme de son oeuvre de salut, dans l'Eglise et ses sacrements. ·

1U

P.ttEMIERE PARTIE, CHAPITRE 1

Nous ne voulons pas passer ici trop rapidement sur ce fait qui, dans notre propre demarche, a ete de grande importance. Dans notre these (que le Petit Robert definit comme une "proposition ou theorie particuliere qu'on tient pour vraie et qu'on s'engage a defendre par des arguments"!), nous nous sommes efforcee d'user d'une argumentation logique et d'un materiel technique qui soient au diapason de la science litteraire et exegetique moderne. Pourtant c'est de maniere beaucoup plus simple et existentielle que peu a peu s'est fait jour en nous, dans le puzzle tout d'abord eclate de notre enquete exegetique, le sentiment d'une unite mysterieuse. Au plus pres de notre vie et au gre de lectures diverses prenait corps une Verite du temoignage qui transcendait de toute part les limites du temps et de l'espace, des cultures et des religions et trouvait son lieu d'expression plenier da!ls "la parole de Dieu et le temoignage de Jesus" que nous revelait l'Ecriture sainte. Comment une telle «inculturation» du temoignage s'expliquait-elle? Nous ne pouvions eluder la question et osons risquer ici quelques elements de reponse. 1.1.1

LE COMPAGNONNAGE DE FRERES ET DE SOEURS

Premier emerveillement. La verite du temoignage nous rejoignit au travers du compagnonnage de frcrcs et de soeurs, familiers de longue date ou amis inesperes. Ils parlerent le langage de Dieu, traduisirent le mystere de sa Presence, manifesterent (le plus souvent a leur insu) la beaute et l'exigence d'une vie selon l'Evangile du Christ. Ils furent nombreux et se risquer a les nommer trahirait leur pre1:1ence, silencieuse et fäconde. 11 nous suffit de les remercier en confessant le soutien et l'apaisement qu'ils nous procurerent, la verification existentielle ainsi que la progressive clarification de nos pensees qu'ils nous permirent de realiser. Premier questionnement aussi. La question de la verite du temoignage se posa aussi a nous par l1intermediaire de la fougue et du zele acharnes rencontres dans certaines sectes qui, a l'instar des Temoins de Jehovah par exemple (leur commentaire de l'Apocalypse intitule La Revelation. Le grand denouement est proche!, New York, 1988, est spectaculaire d'imagination!), n'ont de cesse de frapper aux portes, jusqu'a ce qu'elles s'ouvrent. Le temoignage y est question de vie ou de mort. Nous avons rctrouve quelque chose de cette preoccupation (plus moderement et sensement pourtant). dans certains mouvements charismatiques des Eglises reformees (surtout aux U.S.A.) mais aussi de l'Eglise catholique, groupements qui peinent a trouver, dans la profondeur et la duree, les formes d'un authentique temoignagei4. Nous leur devons tout au moins, par l'etonnement a la fois admiratif et critique qu'ils susciterent en nous, d'avoir du approfon14 Sur l'histoire des groupes apparentes au mouvement pentecötiste, cf. F.-A. SULLIVAN, Charismes et renouveau charismatique, Pneumatheque, Nouan-le-Fuzellier, 1988.

QU:E!TE DE SENS ET TEMOIGNAGE

dir theologiquement le sens du temoignage et d'avoir ete amenee repenser avec plus d'audace notre propre presence missionnaire.

1.1.2

DETTE ENVERS

QU:~TEURS

11

a

DE SENS

Deuxieme emerveillement. La beaute du temoignage nous saisit par le biais de la lecture de plusieurs ecrivains dont nous retrouverons les noms, ici ou la15. Soutertainement d'abord puis de maniere de plus en plus insistante, certains d'entre eux illuminerent plus particulierement notre route: trois «anciens», EPICTETE, SOCRATE et AUGUSTIN (dont nous evoquerons la figure dans notre Deuxieme Chapitre), trois «contemporains», ANDRE COMTE-SPONVILLE, GABRIEL MARCEL et VIKTOR E. FRANKL, sur lesquels nous voulons nous arreter dans ce Chapitre. Deuxieme questionnement aussi. Leur presence, si personnelle, leur langage, inimitable, leur philosophie, originale16, nous sont apparus comme l'expression d'une unique parole, d'un meme temoignage. Quelle pouvait etre ce secret qui les rendait freres alors que tout semblait les separer?17 Nous l'avons mieux compris apres avoir rassemble, sans trop de souci logique ou chronologique, quelques-unes des grandes intuitions de ces auteurs. A divers titres, elles nous ont permis une approche plus profonde et globale de la realite du temoignage. A. EPICTETE ET COMTE-SPONVILLE. RIEN A ESPERER! Sans doute n'est-ce pas un hasard si c'est a l'occasion de la lecture de L 'amour la solitude d'ANDRE COMTE-SPONVILLE (recueil de trois entretiens) que nous avons (re)decouvert les Entretiens d'EPICTETE, ses intuitions sur la nature humaine conviee a la sagesse et la mission de temoin de Dieu devolue au sage-philosophe. Tous deux pratiquent avec delicatesse l'art de la parole parlee, echangee. Puisque nous reviendrons sur le grand sto'icien antique que fut EPICTETE dans notre Deuxieme Chapitre (cf. 11.3.2), nous nous arreterons surtout ici au petit livre L 'amour la solitude de COMTE-SPONVILLE18. 15 Une dP.ttP. immense nou11 lie, entre autres, a PAUL DAUDIQUEY (prlltre et poete "fidele aux humilies autant qu'a la beaute", qui nous initia a l'univers de REMBRANDT et de tant de peintres et poP.t.P.R), a deux p11ychologues contemporains a la pal'ule de vie, D.l!:NIS VASSE et MARIE BALMARY, ainsi qu'aux ecrits et a la •qu~te d'enfance» de CHRISTIAN BOBIN. 16 P. RrcoEUR, L'hermeneutique du temoignage (in CASTELLI E. Ed„ Le temoignage, pp. 3561) met en lumiere l'apport de quelques-uns de ces auteurs et parvient a degager, en philosophe, les lignes-directrices du temoignage. 17 L'epoque et le temps, d'abord (quelque 25 siecles separent SOCRATE de COMTE-SPONVILLE); la geographie et l'espace, ensuite (la Grece de SocRATE et d'EPICTETE; l'Afrique d'AUGUSTIN; l'Europe occidentale contemporaine de FRANKL, MARCEL et COMTE-SPONVILLE); mais aussi et surtout leur enracinement socio-culturel, philosophique et religieux si different. 18 Le titre du recueil - L'amour la solitude - est en fait celui du premier entretien avec

12

PREMIERE PARTIE, CHAPITRE I

Quand il nOUS tomba litteralement SOUS la main, notre these en etait a l'une de ces phases en crewc caracteristique de l'itineraire chaotique d'une telle recherche. Nous pietinions et, pour tout dire, en etions a nous interroger sur le bien fonde de la mener a terme. S'immisi;:ant allegrement dans ce vide beant, L 'amour la solitude nous offrit le souffle d'etonnement qui commeni;:ait a faire cruellement defaut. Alors que nous ignorions de l'auteur jusqu'a son propre nom, nous decouvrions un homme a la parole riche et intense qui rejoignait nos propres interrogations. L'esprit ayant horreur du vide, son temoignage d'erudit non pretentieux n'etait pa.s loin de nous faire penser qu'enfin un «contemporain» (proche par l'äge: ne en 1952, COMTE-SPONVILLE a 45 ans; et proche par la geographie: Paris est a deux pas) avait trouve la parole qui nous extrairait de la morbide insatisfaction dans lnquclle nous nous complaisions peu a peu. Coup de fouet intellectuel et coup de foudre a la fois, peu nous importait de savoir qui etait ce COMTE-SPONVILLE, a quelle suurce il puisait cette simple et douce indifference qui faisait sa force tranquille. 11 nous fallait cette assurance, nous nous plaisions a la recevoir de cette lecture, et cela etait bien ainsi. Ce jusqu'au jour ou, honnetete oblige, le sondage plus fouille effectue dans les autres ecrits de l'auteur a rendu manifeste ce que sa vision de l'homme, du monde et de leur destinee avait d'incompatible avec nos propres intuitions et surtout notre foi chretienne. Puurquoi des lors nous etendre sur lc sujet? D'nbord pour insister sur le bienfait non negligeable que nous valut une telle mesaventure. Telle fut prise qui croyait prendre, dirions-nous! N'avions-nous pas nous-mf!me ecrit, quelques semaines auparavant (dans les pages precedentes) que la lecture trop «impliquee», rapide et superficielle d'un temoignage (füt-il philosophique dans sa substance) peut se reveler fallacieuse si l'on se satisfait a trop bon compte de la fraicheur cueillie sur l'instant et de l'impression d'evasion et de legcrete communiquee, a vif, a meme l'angoisse et le doute? Cette premiere remarque, interessante sans doute pour l'anecdote, demande pourtant a etre prolongee. Pourquoi, alors que nous devons aujourd'hui formuler plusieurs critiques majeures a l'encontre des positions soutenues par COMTE-SPONVILLE, fut-il un temoin si important dans notre cheminement vers la verite, le temoignage a la verite? Sans confärer a ce Chapitre introductif des allures de «confessions», nous pouvons avouer que la lecture de L 'amour la solitude marqua en effet l'une des etapes-cles de notre decouverte renouvelee de la «centralite» du Christ et de son temoignage. C'est avec COMTE-SPONVILLE en effet que nous avons mesure, non sans tremblement, l'abime qui separe l'athee (füt-il, comme lui, le plus intuitif et sage des «hommes de bien») du croyant, chretien en l'occurrence. Non seulement l'abime, mais aussi le saut pardessus le desespoir, par dela vide et neant, qu'incarne et permet l'adhesion confiante a la Parole d'un Autre. Seduite puis ebranlee, peu importe: il convenait que nous reconnaissions ici notre dette envers COMTESPONVILLE. Dette existentielle, enracinee au plus intime des paradoxes et questionnements qui habitent le coeur de l'homme.

P. VIGHETTI. Son succes est patent puisque, edite en 1992, il en etait deja en 1995 a sa dixieme edition.

QUETE DE SENS ET TEMOIGNAGE

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1) L'eblouissement d'une vie vivante En memorial pour ce cheminement vers plus de lumiere, nous citerons d'abord, avant de les critiquer, quelques-unes des paroles que COMTE-SPONVILLE echange avec ses trois interlocuteurs dans L 'amour la solitude. Ce n'est ni l'eclat de la pensee, ni la dorure du verbe, encore moins la logique des raisonnements qui con!erent a ces entretiens leur authenticite mais bien la presence d'un homme aux doutes et angoisses peses, muris et humblement partages. 11 y a pourtant chez lui et la finesse d'analyse, et l'erudition, et l'art des reparties. 11 y a surtout cette pudeur quand les sujets abordes se font trop personnels (ses amours, l'amitie, les etres chers disparus„.); cette Aemine indifförence qui fait face a la rca.litc crue de la detresse humaine et propose sa maniere de lutter contre le desespoir qui mine si profondement notre siecle. COMTE-SI~ONVILLE serait-il des lors sto'icien? Dans l'un des chapitres de son Education philosophique19, il ne cache pas sa sympathie pour EPICTETE et l'influence marquante que le disciple de ZENON eut sur sa pensee20. Au moment pourtant de conclure les pages intitulees "La volonte contre l'espe· rance (a propos des sto'iciens)", c'est plutöt une invitation a une rcponse personnelle enracinee dans une volonte ferme de surmonter le desespoir qu'il laisse a ses lecteurs21; "Concernant le sto'icisme et la grandeur sto'ique („.): chacun y met bien ce que les sto'iciens en effet y mettaient, qui est la volonte sans leurre et sans faiblesse, tout entiere presente, a chaque instant, dans le jugement ou l'action. Sto'icisme, c'est courage; et courage, c'est volonte. Que cette volonte n'ait pas besoin d'esperance, qu'elle ne soit pleinement volonte, meme, qu'a la condition de se liberer de l'espoir et de la crainte, c'est pour nous, en ces temps de detresse et de desillusions, davantage qu'un encouragement. La volonte est ce qui reste quand l'espoir n'est plus possible, ou qui triomphe, quand l'espoir n'est plus necessaire. La vraie question, qui est encore la nötre, n'est pas de savoir si l'on peut atteindre ce triomphe (lequel, sauf pour le sage, n'est qu'une esperance comme une autre), mais si l'on peut se passei; de ce reste. «Si vous me demandez ce qu'est le bien de l'homme, disait Epictete, je ne puis repondre que ceci: c'est la 19 Parn en 1989 aux P.U.F, UnB education philosophique ra1111emble des textes divers quant objet mais dont le souci commun est celui du passe: celui de l'auteur lui-meme, celui des traditioM qui l'inspirent, celui des muitrcs qui l'ont forme et le gui.otira Toil Myou), sur lequel Thereens et Cyreneens s'accordent a nouveau. 22 CF. IDEM, Livre VI: Erato, Paris, 1963, VI.14, p. 14. 23 La Guerre du Peloponnese est parue apres la mort de THUCYDIDE (survenue vers 400,

TEMOIGNAGE ET GRECE ANTIQUE

59

Si nous nous tournons vers le Premier (le plus long) des 8 Livres constituant sa vaste fresque, nous mmArqnnns que THUCYDIDE n'y aborde pas d'emblee le recit de la guerre. En historien soucieux de rigueur rationnelle, il en expose d'abord les causes, dans le but evident de justifier PERICLES aux yeux de ceux qui le designaient comme l'unique responsable du conflit24. 11 souhaite de meme, dans l'analyse qu'il propose ensuite des forces en presence, justifier son propre projet historique et le plan qu'il donne ä. son oeuvre, eux aussi fortement critiques. Desireux de montrer l'interet du sujet aborde, TllUCYDIDE s'attache ainsi, dans sa Preface (Livre 1, eh. 1 ä. XXIII) distribuee en deux parties d'inegale longueur, ä. faire comprendre l'importance sans egale de la guerre du Peloponnese en comparaison d'Antres conflits antiques connus. Une premiere partie, plus longµe (Ch. 1 ä. XXl.2), nommee ä. juste titre «Archeologie», l'amene ä. se tourner vers les temps anciens. Scrutant le passe, il affirme qu'aucun evenement n'y eut beaticoup d'ampleur (1, 2-19). 11 defend cette these jusqu'au eh. XIX, pa1:11:11mt en rcvuc toutc l'histoire grecque depuis les origiues et notaut comhieu, suite aux progres de la vie maritimA la richesse ne cessa d'y croitre au point de permettre des regroupements de puissance et des entreprises toujours plus grandioses. Au moment d'achever ce long survol historique, THUCYDIDE s'attache ä. preciser la methode qui fut la sienne pour bätir cette demonstration et la rendre credible (eh. XX ä. XXl.1). Les difficultes liees a son enquete furent nombreuses. Quels indices et preuves croire (TEKµT)pt41 mcrTe-ucrm) quand on sait que les traditions se transmettent sans examen critique serieux (dßacravtcrTwc;)25, de generation en generation, laissant place en certains cas aux inventions les plus farfelues, ignoranten d'autres cas des faits par ailleurs bien attestes? Une telle indiffärence (cha>..at 'lTwpoc;: qui ne cause aucun souci) aboutit ä. se faire des idees fausses (ouK 6p06k) sur les evenements passes. Elle n'est pas l'apanage des Atheniens mais un phenomene generalise dont tous les Grecs sont coupables. 11 est plus facile, regrette THUCYDIDE, de se contenter d'idees toutes faites que de s'appliquer, patiemment et humblement, ä. la recherche de la verite (iJ (TJTTJO"Lc; Tflc; d>..T)0E(ac;). Voici ce_ texte, capital (eh. XX): sans doute a Athenes ou il rP.tnurna des la fin de11 hostilites), en 8 Livres. Son style simple et concis ne l'empeche pas de prendre de la hauteur et de s'abstraire des evenements pour porter sur eux un regard critique. Le souci d'objectivite dont il temoigne (cf. -entre autres le discours de PERICLES mentionnant le nombre important de victimes que fit la premiere annee de guerre, alors que lui-mP.mA, 'l'HTTCYDIDli:, defändait la cause d'Athenes) en a fait le fondateur de l'histoire au sens moderne du terme et l'initiateur de ce que l'on a nomme une historiographie «praimatique•. 24 Tout converge en fait dans ce Livre 1: la preface, le recit des incidents, l'analyse de la cause la plus vraie comme celle des forces en presence veulent mettre en exergue la personne de PERICLES et justifier la domination athenienne. 25 Nous retrouverons ßdaavoi; («mise a l'epreuve») plus tard, chez ARISTOTE et ANAXIMENE.

60

PREMIERE PARTIE, CHAPITRE II

"Voila donc ce que furent, d'apres mes recherches, les temps anciens. En ce domaine, il est bien difficile de croire tous les indices comme ils viennent (xaA.rnel ÖvTa rravTl E-efji:; TExµ11pL(Jl mcrTEucrm ). Car les gens, s'agit-il meme de leur pays, n'en acceptent pas moins sans examen les traditions que l'on se transmet sur le passe (0\. 'YelP d.vßpwrrm Telt:; nKoai:; Twv rrpoyE'YEVllµE:vwv, KUL i\v E:mxwpla mptcrLV iJ, oµotwi:; dßacravtcrrni:; Trap' aX.X.iJA.wv &xovTm). 2 C'est ainsi qu'a Athenes, on s'imagine communement que„. ('A81lvatwv youv To rrX.fjßoi:;„.) mais on ignore que (Kal ouK '(aaaLv ön„.)„. 3 Il y a egalement bien d'autres faits - encore actuels et dont le temps n'efface pas le souvenir - sur lesquels les autres Grecs se font, de meme, des idees inexactes (Ilox.Ael 8E: Kal d.AA.a ETL „. ouK 6p8wi:; o'(ovTm „.): ainsi l'idee que„. Telle est la negligence que l'on apporte en general a rechercht:lr la verit.e, a laquelle on prerere des idccs toutca foitcG (Oihwi:; UTaX.at rrwpoi:; To'ii:; rrox.Ao'ii:; Ti (iJTllmc; Tfji:; c'LX.118dai:; Kal E:rrl Tel ho'iµa µdx.Aov TpETTOVTaL ) .

La question centrale demeure celle de la credibilite des preuves et temoignages avances (cf. la recurrence du verbe TTLOTEUW). Lui-meme demeure confiant: les faits qu'il a passes en revue sont dignes d'une totale creance, contrairement a ceux amplifies des poetes ou enjolives des lolographes, CJ.lll demeurent a jamais inverifiables tant ils sont entoures d'un halo mythique deformant. Nous trouvons affirmee ici plus fortement et explicitement encore que chez HERODOTE cette exigence de verite (cf. T\ aATJ5EaTE:pov) qui caracterise l'historiographie grecque en plein developpement CXXI.1): "Cependant, on ne saurait se tromper en se fondant sur les indices ci-dessus ('EK 8E: Twv Elp11µE:vwv TEKµ11ptwv„. OUK ciµapTciVoL„.) et en jugeant, en somme, de cette fa~on les faits que j'ai passes 'en revue: on croira moins volontier1::1 lt:l1::1 poetes, qui ont celebre ces faits en leur pretant des bcautcs qui les grandissent, ou les logographes, qui les ont rapportes en cherchant l'agrement de l'auditeur plus que le vrai (KaL OÖTE TTOLT]TUL iJµvTiKaat TTEpl aUTWV ETTL TO µE'i(ov KocrµouVTEt:; µdx.Aov TTLO'TEUWV, OUTE wi:; X.oyoypcioL ewe:ernav ETTL TO rrpocraywy6TEpOV TiJ UKpocicrn i\ c'LA11BfoTEpov) - car il s'agit de faits incontrölables, et auxquels leur anciennete a valu de prendre un caractere mythique excluant la creance (drrLcrTwi:; E:rrl To µuBW&:i:; EKVEVLK11K6Ta); et l'on tiendra que, d'apres les signes les plus nets, ils sont, pour des faits anciens, suffisamment etablis".

wc;

La seconde partie de sa Preface est nettement plus breve (eh. XXI.3 a XXIIl.6). Elle nous ramene a la guere presente qui se revelera, "a consulter la realite meme" affirme THUCYDIDE (XX:l.2), plus importante que les evenements passes26. Le eh. XXII aborde a nouveau la question de la methode adoptee, mais en rapport cette fois avec les evenements presents. THUCYDIDE nous offre a cette occasion la cle de lecture des discours et recits dont il parseme son oeuvre27. 26

Dans eette seeonde partie, il traite d'abord de la methode relative au present (eh. XXII)

puis se hvre D. unc rupido oomparalson, posltiv11 c11tt11 foi11, 1:mLr11 la gu111·re t!u Pelnpnnnt'€pnv rro>..v Twv €µrrnpuw ), ce serait de beaucoup ,la meilleure forme de connaissance; 8 et Theopompe, que le meilleur homme de guerre est celui qui s'est trouve au plus grand nombre de batailles, et le plus habile orateur celui qui a pris part au plus grand nombre de debats politiques".

Nul doute que POLYBE n'eprouve guere de sympathie pour les historiens «rats de bibliotheques» qui n'ont qu'une connaissance livresque, indirecte et souvent faussee des evenements qu'ils narrent. Ils ont toutes les chances, au mieux, de "collationner les erreurs des historiens anterieurs". POLYBE pre:fere quant a lui etre un homme de terrain, braver perils et fatigues, peines et detresses. C'est cette information qui fait l'histoire, note-t-il fierement. La meilleure maniere de connaitre est d'etre present soi-meme aux evenements (rrapE'Lvm rrnaL To'Lc;; rrpayµciat)36. C'est la ce que devrait souhaiter tout veritable historien (TWV T.aßEiv ... E:m' aiiTwv TWV lpywv) a la guerre et aux epreuves narreesss. Les livres d'histoire (E:1Tl 1Tacrwv Twv cruvTcieEwv)s9, s'ils ne veulent ressembler a un decor de theätre ou

firme (mettant

38 S'ecartant aussi bien d'une conception oratoire (celle de THEOPOMPE) que livresque (celle de TIMEE) du genre, POLYBE souhaite que les hommes d'Etat se consacrent a l'histoire, et ceci non par simple desoeuvrement (comme CATON a la fin de sa vie) ou par dilettantisme (comme A. POSTUMIUS ALBINUS). Lui-meme accumula des notes tout au long de 1:!011 acLiviLe puliLiqul:l, l:lL Cl:l puul' ecd1·1:l l'hi1:1Lufrl:l Ul:l 1:!011 Ll:l111p1:1. Nuu1:1 1:1avu111:1 aussi qu'il voyagea (avec SCIPION ou envoye en mission par lui), participa aux sieges d'Heracleion en 109 et de Carthage, aux operations ntllitafres de Q. MARCIUS PHILIPPUS en Perrhebie, a la bataille de Magnesia et a la campagne de CN. MANLIUS VULSO contre les Galates. 39Nous retrouvons avvTa~u; chez POLYBE en 1. 3.2; III. 1.1; IV. 2.2; VIII. 2.5, pour designer specialement les ouvrages historiques. P. PEDECH (cf. IDEM, p. 150) traduit lrrl rraawv T6iv awTa~Ewv par «a l'interieur de tous les livres d'histoire»; de meme au § 5, l'expression

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revetir les faux semblants de l'eloquence d'apparat, doivent se payer au prix fort de la "participation personnelle" (aihoupc/>( a) et de "l'epreuve personnelle" (auTorra6ELa) de leur auteur aux actions qu'il decrit. Trois mots resument ainsi les divers degres d'experience directe des evenements que POLYBE attend de l'historien: aiiT6TITT]t;, auTOUpc/>la et m'ITorra6ELa4o. Les §§ 8-9 lui permettent de preciser la valeur a accorder a l 'enquete historique41 et de souligner les qualites attendues de l 'enq ueteur (6 rruv6av6µevoi;)'. Si l'informateur doit surtout avoir bonne memoire (im6µVT]aLt;), l'historien-enqueteur doit quant a lui faire preuve d'intelligence et de finesse d'analyse: savoir poser les bonnes questions aux temoins, critiquer les informations rapportees, les interpreter a bon escient dans le but de purvenir u ctnblir la verite des faits42. HERODOTE, THUCYDIDE, POLYBE. Notes conclusives

Ue survol historiographique nom; pennet de coni:iü.tler que la methodc «historique» elaboree par les trois grands noms de l'Antiquite qui ont retenu notre attention s'est progressivement elaboree et affinee. Nous pouvons en retenir les elenients-cles:

- HERODOTE deja prend soin de distinguer ses sources (effort d'information remarquable), met en valeur la necessite d'avoir vu (l'ötjJLi;) les evenements, d'en avoir entendu le recit (ciKouw ), d'en posseder ainsi, par les informations recueillies (laTop(a), une connaissance adequate (yvwµ11). Tout comme THUCYDIDE et POLYBE, il donne priorite aux faits qu'il R constates lui-meme de ses yeux (auTorrT€w; Tfy; €µfy; Öl/JLoi;, fji; €µfji; Ölj;Loi;). correspondante €m' auTwv T6iv €pywv: au sein de l'action elle-meme». 40 En III.4.13, POLYBE s'etait declare lui-meme mh6TTTTl..cociµcvoc; ypmf>frw Tiiv µapTvplav ck T(L)v(ci)icL(ov)) e il teste ehiamato testimoni davanti ai magistrati e al tribunale su eio eui fu presente o ehe sa, dopo aver prestato legale giuramento di attestare la verita relativamente a quanto sta seritto sulla tavoletta, e non testimoni di altro (6 8€ KAT)ßck µapTvpct TW €(tr}l. (Tfj)L cipxfjL ical E:trl T(Wt.) BLKaoTT)plwL E..fjoLc; et E(k) µapTuptav ica>..€w); le serment legal (o v6µLµoc öpicoc;53) portant sur la verite des attestations apportees (l'importance de d.>..119fj µapTupEtv); la mise par ecrit de la deposition (l'usage repete de ypacf>ELV ), en presence des membres du tribunal; l'insistance sur l'objet du temoignl:!.ge, qui ne peut etre que le fait meme auquel le temoin a assistP. ou qu'il connait föf>' ok trapi'jv il El8E(v); µTi 1TapEtvm µ118€ l8Ei:v); la prestation d'un serment analogue pour le cas ou l'homme appele a temoigner nierait tout ou partie de sa presence ou de sa connaissance des evenements en question (si la connaissance est restreinte, le temoignage 52

Nous le citons selon la traduction italienne du GLNT (µdpTuc KTA., 1277-78), le TWNT ne portant que !'original grec (tirl! de GRAECA HALENSIS Hrsg., Dikaiomata, p. 125) que nous intercalons ici dans le texte. 53 'O lip1eoc (de bp1elCw, faire preter serment, faire jurer; prendre a temoin, adjurer; cf. Mc 5, 7: adjurer quelqu'un au nom de Dieu) peut designer soit le serment lui-meme soit le temoin d'un serment, le dieu par lequel on jure.

PREMIERE PARTIE, CHAPITRE II~

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ne portera que ßur la partie connue des faits et un serment scellera son ignorance de la part obscure qui lui echappe)54, Comme son etymologie le soulignait deja, est ainsi µcipTvc; l'homme qui, de par son experience personnelle immediate d'une realite ou par la connaissance qu'il en a, est habilite a deposer a ce sujet devant un tribunal55, Avant THEOPHRASTE (vers 370-287 av. J.C.), la Grece connut en PLATON un vrai juriste. La fin du Livre XI de ses Lois constitue une source precieuse de renseignements sur le temoignage. En effet, bien qu'en philosophe il ordonne en un systeme de notions claires ce qui sans doute dans la pratique devait etre d'abord empirique, et bien qu'unc tcllo theorii1ation du droit56 rfwete a certains egards un caractere quelque peu imaginaire (PLATON reve d'une cite ideale ou ce droit serait applique), nous y trouvom1 uu reflet fiable de la pratique juridique non seulement d'Athenes, sa patrie, mais aussi des Etats voisins (doriens, voire meme cretois). Citons Lois XI, 937 a-d:57 "Si un temoin n'accepte pas de comparaitre de bon gre ('Eav nc; E:Kwv µT) µapTIJpdv ), la partie qui desirait son tl~moignage le fera citer; la citation venue, il sera tenu de se presenter au proces; alors, s'il connait les faits et consent a Mmoigner, qu'il temoigne (1cal f-av µcv cl8'fj Kal WE:>..11 µapTIJp€1v, µapTIJp€lTw); s'il pretend ne rien connaitre, il ne sera quitte qu'en prenant a serment, commc garants de son ignorance, les trois divinites, Zeus, Apollon et Themis; celui qui, appele en temoignage (o 8' de; µapTIJpl.av KAT16€k ), ne repond pas a l'appel, sera, devant la loi, responsable du dommage. Si le temoin cite se trouve etre juge dans l'affaire, son temoignage donne, il n'aura plus voix au jugement de ce proces ('Eav 8€ Tk TLva 8LK.Eu0ETQ. µapT'Up€LV Kal O'WTl'YOPflV) si elle a plu~ de quarante ans; elle pourra intenter une action si elle est sans mari; mais si elle en a un et qui vit, elle ne pourra que temoigner (µapTVpilcraL µ6vov). ~>.:n

54 La declaration d'ignorance faite sous serment porte le nom d'tewµoa(a (ARISTOPHANE, Eccl. 1026; DEMOSTHENE 1119,26). Suite a cette tewµoa(a, "dqm.la6w Ta) succede, sous lc titrc µdpTvpe:c;, la signature de chacun des temoins presents. Au dire de PLATON (Lois, XII, 953e)74, une crvyypa1' etait exigee pour l'acceptation d'une garantie. Celle-ci devait contenir toutes les clauses du contrat: "La caution par laquelle on se portera garant pour un antre, qu'on la formule SOUS forme de caution expresse, redigeant par ecrit toutes les clauseR de cette transactiuu, tm presence d'au moins trois temoins pour les sommes infärieures ä. mille (Kal lvavT(ov µapTvpwv µTi l!NiTTov TpLwv ), et de cinq au-dessus de mille". Les µcipTvpe:c; sont aussi necessaires a la validation des testaments75. Leur nombre est generalement fixe a six et leur description physique detaillee mentionne le plus de signes de reconnaissance possible (comme sur un mandat de recherche oti notre actuelle carte d'identite: cicatriccs, couleur des yA.ux, qualite des cheveux, etc.)76. Antre 70 E. LEISI, Der Zeuge im Attischen Recht, pp. 142-156, s'appuyant sur D:EMOSTHENE XLVIIl.2, distingue trois types de temoins: les dieux utilises comme temoins dans des serments; les temoins dans des transactions juridiques; les temoins dans des actes importants concernant les tribunaux. Nous reviendrons quant a nous sur la prise a temoin des dieux, fort importante dans l'antiquite. 71 Sur les papyri: TCHERIKOVER- FuKS, CPJ, qui citent µcipTUpEC: dans le vol. 1 en 1.6.18; XVIIl.12.29; XXIl.14.34; XXIV.23; XXV.20; MOULTON- MILLIGAN, The Vocabulary of the Greek Testament, pp. 389-390. Cf. encore: LATTE, Heiliges Recht, pp. 28-39; IDEM, Martyria, in PAULY- WISSOWA, Realencyclopädie XIV 2 (1930) 2032-2039. 72 PREISIGKE- BILABEL, Sammelbuch, citent plusieurs contrats datant du 111eme s. av. J.C. (III, 6709,6: achat d'un esclave; 6724a,18: accord d'un pret; 6759,18: contrat de location; TV, 7450,25) ainsi qu'un du 1er s. av. J.C. (V, 7532,24). Le contrat cite en V.7532,22ss. est double et porte la signature de six temoins. 73 Ti avyypa'Yl'l (de auyypciijlw: reprP.R1mtP.r avec, ou ensemble; composer, rediger; inscrire avec; et donc faire un contrat ecrit, s'engager par ecrit avec quelqu'un) designe la piece authentique, le traite, l'acte, le contrat, et par suite le document lui-meme. 74Cf. PLATON, Lois XI-XIII, T. XII (2e parlie), pp. 64-65. 76 MITTEis- Wn.r.KF.N, Grrtndzüge 1-11, ra11Semblcnt nombro de ces testamentll, pour la plupart conserves dans le PPetr. Certains datent du JIIeme (11,2,301.30; PPetr 1,1,11,13; 18,?.,4; 1:1,:l,ß; r1tc.), d'autres du 1er G. av. J.C. 76 Cf. PPetr. 1,19,30 (papyrus du IWnne s. av. J.C. = MITTEIS- WILCKEN, Grundzüge 11, 2,301,20ss.): µcipTVpEC:' ITcipLl>.ou 0Eaaa>J>c: Ti'jc: tmyovi]c: wc: tcmilv (TpLciic)ovm µfooc: µEyl0t:L µEAlxpwc µaicp01rpOOWTl"OC: TETav60pLE (ou:ll.fi µE) TWTl"WL µfowL ical cj>aicCic Trap' ocj>0a>.µl>v 8EEL6v„.

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caracteristique souvent dument notifiee: l'affirmation que, excepte dans le cas d'un analphahete qui doit alors le faire par procuration, la deposition est signee de la propre main du temoin: µapTupw T(j Tou &tva 8LaefiK1J77. 11 n'est pas rare non plus de voir cites des temoins dans des documents publics officiels. A Delphes par exemple, les archives mentionnant la liberation sacree accordee aux esclaves portent la formule conclusive suivante: µcipTUpEc;; ol lEpE1'c;; 1..lac; Eo-xarnc; µ..T)Se:k µ6vm Twv µapTupLwv e:lmv aÜTm)l04. Semblent-ils nous condamner et favoriser notre adversaire? - Tout l'art oratoire consistera a en detruire l'effet, a en montrer l'inconsistance du fait qu'ils ont ete extorques sous la crainte et la peur, et donc affirmer avec non moins de force "qu'ils ne sont pas veridiques" (out..T)0e:'lc;) et qu'il n'y a rien en eux qui soit "credible" (oVBlv fon m0Tov)105. 11 est frappant de voir apparaitre dans ces lignes, de maniere repetee et insistante, le vocabulaire et le theme de la verite (autour des mots a>..1l0e:La, Ci.>..T)0llc;, Tci>..T)0Ec;), celui de la credibilite, fiabilite (avec lTLOToc;, qui revient souvent)ios et, en antithese, l'idee de mensonge et de 104 "Ils semblent dignes de creance, parce qu'il s'y ajoute une certaine contrainte. 11 n'est donc pas difficile sur ce sujet non plus d'indiquer les arguments possibles, qui permettent, s'ils nous sont favorables, de les amplifier: a savoir que ce sont la les seuls temoignages veridiques". 105 "Nous sont-ils contraires et favorables 0. notro adversaire, on peut e11 detruin' l'effet, en disant contre tout ce genre d'aveux ce qui est la verite: en subissant cette contrainte, on dit JA fäux non moins que le vrai; si on a la forcc de l'endurer jusqu'au bout, 011 ne tlH pas la verite, et l'on ment facilement, pour en ~tre quitte plus vite. 11 faut contre de tels cas pouvoir invoquer des precedents reels, que connaissent les juges. (II faut dire que les aveux de la torture ne sont pas veridiques" (oi11c Elalv d>..TJ0i:ii; al ßdaavOL ). ARISTOTE conclut ainsi ce long developpement (r.f. Rhetoriq11e I,15, p. 1376b 31-32 0. 1377a 1-7, toujours selon M. DUFOUR, o.c., pp. 140-141): "II y a beaucoup de gens de sensibilite molle, ceux qui ont la peau dure comme pierre, et qui, 11yant l'äme bien trempee, peuvcnt ondurer la question avec constance; tandis que ceux qui sont läches et circonspects n'ont d'assurance qu'avant de voir les instruments de leur torture; aussi n'y a-t-il dans la question rien qui merite la creance (ülcrri: ovBlv EO'Tl 1Tl.e-yoµfoou). Vous reconnaitrez ainsi que tout ce qu'on debite communement sur mon compte est de meme valeur" (10 cd).

• Apologie 20e 7 et 21a 8. Apologie 20-21 est consacre a la science de SOCRATE et a la question de savoir ce qui fonde sa reputation et justifie les nombreuses calomnies dont il est l'objet. Dans sa defense, SOCRATE nc nie pas qu'il possede une «science/sagesse» (cro(a) propre a l'homme (20d), qu'il oppose a la "science plus qu'humaine" de ses advcrsaires. Avouant lui-meme qu'une telle affirmation peut paraitre presomptueuse, il fait appel a un temoignage exterieur a sa personne attestant que tout ce qu'il va dire n'est pas de lui et le deborde de toute part (20e 7): "Ce que je vais alleguer n'est pas de moi. Je m'en refererai a quelqu'un qu'on peut croire sur parole. Le temoin qui attestera ma science-sagesse, si j'en ai une, et ce qu'elle est, c'est le dieu qui est a Delphes" (µcipTUpa iiµiv '!Tap€€oµaL Tov 0ECJV Tov €v .M}'4>ok). SOCRATE prend ainsi d'abord a temoin quelqu'un que les Atheniens peuvent croire sur parole, le dieu de Delphes. 11 doit pourtant donner quelques precisions. Cherephon, son ami d'enfance, s'etait rendu a Delphes et avait ose demander au dieu s'il existait quelqu'un de plus savant/sage que SOCRATE. La reponse fut sans equivoque et le frere de Cherephon (deja decede), present au proces, peut temoigner (µapTupEiv; 21a 8) que SOCRATE n'invente rien. Sa vocation et sa mission de philosophe, il les a re~ues de la bouche meme de la Pythie de Delphes1a2: "- Vous connaissez certainement Cherephon. Lui et moi, nous etions amis d'enfance, et il etait aussi des amis du peuple; il prit part avec vous a l'exil que vous savez et il revint ici avec vous. Vous n'ignorez pas quel etait son caractere, combien passionne pour tout ce qu'il entreprenait. Or, un jour qu'il etait alle a Delphes, i1 osa poser au dieu la question que voici: - de gräce, juges, ne vous recriez pas en l'entendant; - il demanda donc s'il y avait quelqu'un de plus savant (crocpwTe:po.;) que mui (21a). Orla contre SOCRATE. 132 L'origine divine de sa mission, EPICTETE la soulignera aussi. Ce theme sera de meme au coeur des textes prophetiques de l'AT et des recits de vocation du NT (cf. entre autres celui de la mission de Jean de Patmos, selon Ap 1, 1-2).

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Pythie lui repondit que nul n'etait plus savant (µ118€va crocj>wTEpov dvm ). Cette reponse, son frere que voici pourra en temoigner devant vous (TOUTWV lTEpl 6 a8EA.cj>oc; uµ1v QUTOU OUTOCJl µapTupficrn), puisque Cherephon lui-meme est mort". • MdpTvl;; revie~t a deux reprises en Apologie 31c. SOCRATE affirme qu'il est dans l'interet des Atheniens de ne pas le faire perir injustement. lls se rendraient en ce cas coupables de mesestimer ce que la divinite leur a donne (30e). Trouveront-ils un autre homme attache a eux par la volonte des dieux pour les stimuler, les exhorter? Non, certes, car qui d'autre qu'un homme donne a la ville par la divinite (31a) pourrait vivre comme lui-meme a vecu? Negligeant tout interet personnel dans le seul but d'exhorter ses freres a devenir meilleurs, SOCRATE n'a jamais cherche a s'enrichir ou a exiger un salaire en echangc des conseils prodigues. Mcme ses plus habiles detracteurs n'ont pas eu l'audace de presenter un temoin associant un tel grief aux nombreux autres imagines contre lui: "Mais vous le voyez bien vous-memes, mes accusateurs, qui ont amasse contre mui tant de griefs si impudemment, n'ont pas ou lo front cependant de susciter un seul temoin pour deposer ici (rrapacrx6µEvoL µcipTupa) que jamais je me söis fait payer ou que j'aie rien demande". Pourquoi une telle gene chez deR gens par ailleurs si peu scrupuleux? Parce que sa pauvrete, son style de vie simple et son desinteret pour l'argent et la richesse, en temoignent: "J'en produis un, moi, de temoin (attestant) que je dis vrai: c'est ma pauvrete" (E:yw rrapixoµm TOV µcipTUpa wc; ci1'.T]6fj 1'.iyw, TIJV lTEVLQV ). Plus qu'une parole sur le detachement, c'est la coherence d'une existence marquee au quotidien du signe de la simplicite qui temoigne de l'aulhenticite de vic de SOC:RATE133.

• Apologie 32e. SOCRATE, suspecte de violer la loi et de troubler l'ordre public, affirme au contraire s'etre toujours abstenu de tout acte injuste, meme quand cette «abstention» aurait pu lui couter la prison ou la mort. 11 rappelle a son auditoire deux faits precis. Le premier, vecu SOUS la democratie, date de l'epoque OU il etait membre du Conseil: il refusa alors, seul contre tous, de voter la condamnation des dix strateges qui n'avaient pas recueilli les morts apres la bataille navale des Arginuses en 406, ceci pour ne pas ceder, au mepris de la loi, a la pression populaire exigeant de les condamner en bloc (31bc). Le second fut, au momenl ou l'oligarchie s'etablit, son refus de ceder au pouvoir des Trente et d'obeir par crainte de perdre la vie a 133 Pourquoi ne pas evoquer ici, analogiquement, l'hommage que la Premiere Epitre de Pit!1·1·tt rttnd nu ti\mnign11ge ·silencieux» de nombrcuGcG fommos dont les mari~ 1mnt recalcitrants a la foi: "Vous, les femmes, soyez soumises a vos maris, afin que, meme si quelquesu11~ reful'l11nt clP. croire a la Parole, ils soicnt, ouno purole, p;ap;nes par Ja conduite de leurs femmes, en considerant votre vie chaste et pleine de respect" (lP 3, 1-2). Nous est ainsi rappelee la necessite de maintenir tres «ouvert• notre champ d'enquete sur le temoignage. C'est le plus souvent «en actes• qu'il est donne et c'est alors qu'il est le mieux rel(u.

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leur ordre d'aller, avec quatre compagnons, chercher Leon a Salamine pour qu'on le mette a mort (32cd). Seul alors le sauva le renversement des Trente. Et SOCRATE de conclure (32e): "Ces faits vous seront attestes par de nombreux temoins" (Kal TOVTWV uµ'Lv ECJOVTUL lTOAAOL µcipTUpEC:::). • Ultime usage de l'expression Tiapacrxfoem µcipTupa: Apologie 34a. SOCRATE, nous l'avons releve, etait accuse de corrompre la jeunesse. S'il tel avait ete le cas, dit-il, pourquoi certains pa:rmi ces jeunes gens, ayant muri, ne se sont-ils pas presentes eux-memes au tribunal pour l'accuser de leur avoir donne de mauvais conseils? Ou du moins pourquoi les membres de leurs familles, s'en etant souvenu, ne sont-ils pas venus en demander reparation (33d)? Car beaucoup sont ll'i qni Rssistfmt Rn pror.P.R. Fit SOCR.ATE de citer Critobule, Eschine, Epigene, tous presents et peres de trois de ses jeunes disciples, Criton, Lysanias et Antiphon. Mais aussi les fils d'autres de ses disciples: Nicostratos, fils de Theozotides; Paralos, fils de Demodocos; Adimante, fils d'Ariston, et son frere Platon, lui aussi present. Et encore Ai:antodore, dont le frere Apollodore est present. SOCRATE conclut (34a): "Combien d'autres encore je pourrais nommer! Est-ce que Meletos, dans son accusation, n'aurait pas du citer quelqu'un d'entre eux comme temoin (1Tapaaxfo0m Mf'ATJTOV µapTUpa)? S'il l'a oublie, qu'il le fasse maintenant; je l'y autorise. Oui, s'il peut citer un seul (temoin) de ce genre, qu'il le nommc. Mais tout au contraire, juges, vous les trouverez tous egalement prets a m'assister, moi qui corromps leurs proches, moi qui les pervertis, au dire de Meletos et d'Anytos".

2) Un ü:leal ekve. Oheir a DiR.u plutot qu 'au.x komm.es Les divers exemples cites jusqu'ici sont tous tires de la phase initiale du proces. SOCRATE, accuse, y defend sa cause en invitant a la barre divers temoins (µcipTupa Tiapixoµm). Des hommes qui l'ont bien connu d'abord, certes. Mais aussi et surtout le dieu de Delphes auquel il doit sa vocation de penseur. Ou encore l'exemple de sa propre conduite et de sa vie de pauvrete. Nous comprenons par la l'importance qu'il attribue, comme lieu de verification supreme de toute parole et enseignement, au temoignage en acte, vecu dans une vie droite et juste. En faisant memoire dans son Apologie des heures les plus eprouvantes de son proces et de son injuste condamnation, PLATON laisse deviner quelque chose de ses convictions les plus intimes: c'est dans la souffrance, devant l'injustice et la haine, a l'approche de la mort, que son maitre a revele la pleine mesure de sa sagesse et de sa vertu. Ln vcritc de sa. pcns6e a trouvA Aon couronnement dans une mort acceptee dignement, sans revolte ni haine contre ses bourreaux. Le temuignage de sa vie uni au temoignage de sa mort fait de SOCRATE l'exemple antique par excellence de l'homme de bien, souverainement libre.

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PREMIERE PARTIE, CHAPITRE II

On aurait pu imaginer qu'a quelques heures de quitter cette terre, SOCRATE ait regrette telle parole ou tel acte qui, plus qu'un autre, aurait ete la cause directe de sa condamnation. 11 n'en est rien. Aucun regret chez cet homme qui jamais n'a economise ses forces ni voulu echafauder de plan d'action precis, encore moins calculer ses chances de vie ou de mort. Ce qui seul a compte et compte encore dans son existence, reaffirme-t-il, c'est de savoir "si ce qu'il fait est juste ou non, s'il se conduit en homme de coeur ou en lache" (28b)134. Lui-meme avait mis concretement en action un tel principe le jour ou, participant a une guerre, il avait brave la mort en restant fidelement attache au poste qui lui etait confie. Des lors, "quand un dieu m'avait assigne pour täche, comme je le croyais, comme je l'avais admis, de vivre en philosophant, en scrutant et moi-meme et les autres, moi, par peur de la mort, ou par une crainte quelconque, j'aurais deserte!" (29a). Impensable, aujourd'hui non moins qu'hier! Meme la perspective d'un possible acquittement ne le ferait changer d'attitude: "«Atheniens, je vom; sais gre et. je vous aime; mais j'obeirai au dieu plutöt

qu'a VOUS (m:(croµm 8E µ0.AAOV T4\ fü:Q i\ uµ'lv); et, tant que j'aurai Ull souffle de vie, tant que j'en scrai capable, soyez surs que je ne cesserai pas de philosopher, de VOUS exhorter, de faire la lei;:on a qui de VOUS je rencontrerai ... »" (29d).

Qu'est-ce qui compte, en effet, dans la vie? Est-ce la fortune, le desir de l'accroitre sans cesse, la reputation et les honneurs, comme le pensent la plupart des Atheniens? Ou au contraire la vie vertueuse d'une äme eclairee par la lumiere de la raison et de la verite'?135 SOCRATE reaffirme a plusieurs reprises son unique souci: rester fidele a la volonte des dieux, a la voix et a l'esprit divins qui ne cessent de l'envoyer et de stimuler, exhorter et morigener tout homme (30e). Cette voix qui, alors qu'habituellement elle le detourne de ce qu'il va entreprendre si cela n'est pas le bien, ne l'a pas retenu de dire la verite. S'opposer a l'opinion populaire, veiller a empecher dans la cite les injustices et les illegalites en devenant un homme public, n'est-ce pas courir a la mort? (32a). Sans doute, mais qu'importe! Lui-meme a demontre par de fortes preuves (TEKµ'f\pLa) qu'il n'avait pas peur de la mort. Et ces preuves, insiste-t-il, ne sont pas "des preuves verbales, mais de celles dont vous faites cas, des faits" (ou Myou.:;, ciAA.' ö uµEk TqJaTf, f!pyn; 82a) -, "non par des mots, mais par des actes" (ou My()),

134 Cf. Apologie 28d: "C'est que le vrai principe, Atheniens, le voici. Quiconque occupe un poste, - qu'il l'ait choisi lui-meme comme Je plus honorable, ou qu'il y ait ete place par un chef, - a pour devoir, selon moi, d'y demeurer ferme, quel qu'en soit le risque, sans tenir compte ni de Ja mort possible, ni d'aucun danger, plutöt que de sacrifier l'honneur". 135 Cf. Apologie 29b: "Ma seule affaire, c'est en effet d'aller par !es rues pour vous persuader, jeunes et vieux, de ne vous preoccuper ni de votre corps, ni de votre fortune aussi passionnement que de votre äme, pour Ja rendre aussi bonne que possible; oui, ma täche est de vous dire que Ja fortune ne fait pas la vertu, mais que de la vertu provient Ja fortune et tout ce qui est avantageux".

TEMOIGNAGE ET GRECE ANTIQUE

103

ciXA' lpy!.\); 32d)136, Rester fidele n sn mission est donc un devoir qui s'impose a lui, et cette prescription lui vient de Dieu: "Mais, pour moi, je l'affirme, c'est un devoir que la divinite m'a prescrit (lTpocrThaKTaL imo Tou 0EOiJ lTpaTTELV) par des oracles, par des songes, par tous les moyens dont une puissance divine quelconque a jamais use pour prescrire quelque chose a un homme" (33c). Cet appel est si fort qu'il ne peut imaginer vivre tranquille, sans discourir. "Je dis la verite", reaffirme-t-il a ses juges (32a): agir autrement serait "desobeir aux dieux" (29a): "Si je vous dis que ce serait desobeir aux dieux, et que, par consequent, je ne peux pas m'abstenir, vous ne me croirez pas, vous penserez que je parle ironiquement. Et si je dis, d'autre part, que c'est peut-etre le plus grand des biens pour un hommc quc de s'entretenir tous les jours, soit de la vertu, soit des autres sujets dont vous m'entendez parler, lorsque j'examine les autres et moi-meme, et si j'ajoute qu'une vie sans examen ne merite pas d'etre vecue, vous me croiriez bien moins encore. Pourtant, juges, je dis la verite" (38a).

Quant a la prediction qu'il adresse a ceux parmi les Atheniens qui l'ont condamne, elle n'est pas pour les rassurer: "Si vous vous figurez qu'en tuant les gens, vous empecherez qu'il ne se trouve quelqu'un pour vous reprocher de vivre mal, vous vous trompez. Cette maniere de se debarrasser des censeurs, entendez-le bien, n'est ni tres efficace ni tres honorable. Une seule est honorable et d'ailleurs tres facile: elle consiste, non pas a fermer la bouche aux autres, mais a se rendre vraiment homme de bien" (39e).137 A ceux qui l'ont soutenu, SOCRATE tient des propos plus paisibles. 11 leur expose la maniere dont il interprete ce qui lui arrive. Si son avertissement coutumier ne l'a pas retenu ni empeche de se rendre au tribunal, si a aucun moment la voix n'est intervenue quand il allait parler ou faire quelque chose, c'est que "sans doute, ce qui arrive est bon pour moi, et bien certainement c 'est nous qui nous trompons, lorsque nous nous figurons que la mort est un mal. Oui, ceci est pour moi une preuve decisive (TEKµTjpLOv). 11 n'est pas admissible que mon signe ordinaire ne m'eut pas arrete, si ce que j'allais faire n'eut pas ete bon" (40b). Que la mort soit un sommeil ou l'on ne voit plus rien (la suite des temps paraissant comme une nuit unique) ou qu'elle soit un dcpnrt de ce lieu vers un autre ou sont reunis tous les morts qui nous ont precedes (les juges veritables, les justes, les poetes d'autrefois et tous les sages avec lesquels nous pourrons continuer de causer), quel bonheur inexprimable! Rien ne fera departir SOCRATE de cette confiance a l'egard de la mort (€VEAm8at; Elvm lTpOt; TOV aavaTOV) ni de 136 Nous trouverons la mlime opposition entre "paroles" et "oeuvres" fortement affirmee chez EPICTETE. 137 L'Apocalypse narrera elle aussi le sort des deux temoins mis a mort pour avoir "cause bien des tourments" (11, 10: lßaadvtaav), par leurs paroles, aux habitants de la terre.

104

PREMIERE PARTIE, CHAPITRE II

cette verite, qu'il formule eloquemment: "Il n'y a pas de mal possible pour l'homme de bien, ni dans cette vie, ni au dela et que les dieux ne sont pas indiffärents a son sort. Le mien non plus n'est pas le fait du hasard; loin de la: je tiens pour evident qu'il valait mieux pour moi mourir maintenant et etre ainsi delivre de toute peine" (41d). SOCRATE n'en veut pas a ses accusateurs (on pense au pardon que Jesus puis Etienne et les martyrs chretiens accorderont a leurs bourreaux; cf. Lc 23, 34; Ac 7, 60), si ce n'est qu'ils sont blamables d'avoir voulu lui nuire. Ses dernieres paroles sont pour demander aux Atheniens de jouer a l'egard de ses propres enfants le röle que luim~me juuaiL euvt:H·s ses concitoyens: les punir et les tourmenter s'ils en viennent eux aussi a "se soucier de l'argent ou de n'importe quoi plus que de la vertu", ou a se croire superieurs a ce qu'ils sont en realite, negligeant ainsi l'essentiel (41e). Le proces se termine ainsi par le triomphe moral de l'accuse sur ses accusateurs et juges (42)138: "Mais voici l'heurc de nous en aller, moi pour mourir, vous pour vivre. De mon sort ou du vötre, lequel est le meilleur? Personne ne le sait, si ce n'est la divinite". C. LE SOCRATE DE PLATON. NOTES CONCLUSIVES En guise de conclusion, relevons quelqucs-unes des facettes de la riche personnalite de SOCRATE et des caracteristiques de sa vocation telles que PLATON nous les presente. Nous trouvons chez SOCRATE: • La conscience d'un appel venant de Dieu, d'une voix interieure a laquelle il doit obeir, qui l'avertit de ce qui est bien ou au contraire le previent contrc tout ce qui est mal. • C'est a une mission particuliere que le convie la divinite: exhorter ses freres a devenir meilleurs, a pratiquer la vertu, a elever leur äme et la rendre bonne, a ne pas se soucier du paraitre (fortune, argent, plaisirs terrestres) mais a rechercher d'abord le bien et la justice. • Lui-meme realise cette mission jusqu'a son dernier souffle, accomplissant en oeuvres et dans les faits ce qu'il enseigne en paroles, jour apres jour. • Comme tous les sages a la parole qui derange et appelle a un renouveau moral, SOCRATE fut l'objet de mepris, d'envies, de jalousies. Il subit la persecution que les hommes reservent aux justes. Et jusque dans la persecution, i1 demeura fidele a son poste. • Face a l'hostilite, face a la mort surtout, il resta serein, confiant qu'elle ne pouvait lui faire aucun mal, a lui qui toujours eut souci d"'obeir a Dieu plutöt qu'aux hommes" (Ap 29d: Tidcroµm 8€ µCiAA.ov TQ 6EQ 11 uµl.v). Une si haute definition de la vocation de l'homme trouvera ~chu .:r10e:la..~0ELav füwKELv; PLATON, Gorgias 482e) le but supreme de la recherche philosophique et PLATON quand il reprend a son compte le desir de perfection de son maitre: "Dedaigneux des honneurs chers a la plupart, je veux m'efforcer, par la recherche de la verite (nlV ci>..~0ELaV OKOlTC;jV), de me rendre aussi parfait que possible dans la vie et, quand viendra !'heure de mourir, dans la mort" (Gorgias 526d)173, C'est sans doute dans ce desir profond du Grec de trouver, dire et temoigner la verite que reside le secret de la percee spirituelle que l'histoire religieuse de l'humanite realisa gräce a lui. L'homme de bien qui vit en harmonie avec l'Univers cree et scs lois divines, recherche le juste, le vrai, le bon et le beau, est par la-meme temoin de Dieu et de son gouvernement providentiel du monde. Lc temoin appele par Dieu offre a ses freres l'exemple d'une activite noble et vertueuse et une parole qui donnc scns n lcur vie et meme a leur mort. 3) La parole de sens quetee avec ferveur et avidite par l'hommc du XXeme siecle, - nous demandions-nous au terme de notre Premier Chapitre -, n'etait-elle pas deja celle a laquelle aspiraient les sages pa'iens de l'Antiquite? Nous pouvons maintenant y repondre par !'affirmative. Ce n'est pas un hasard si CoMTE-SPONVILLE et nombre d'auteur~ contemporains se re:ferent a l'exemple de SOCRATE et aux ecrits d'EPICTETE comme a la source de "vie vivante" a laquelle ils puisent le courage d'assumer doutes et desespoirs. C'est sans risque d'exageration que nous pouvons considerer les grandes intuitions philosophiques et decouvertes spirituelles grecques comme les pierres d'attente de la Revelation et parler a leur propos de ''preparation evangelique". Dieu a inscrit au plus intime de l'intelligence et du coeur de l'homme des tresors de honte, de beaute, de justice et de verite (les "semina Verbi" du Concile Vatican 11) qui sont appels a la saintete et au bonheur et invitations secretes a remonter par eux a la Source, Dieu lui-meme. 172 Rappelons que la verite, dans le dualisme hellenistique et la gnose, est une realite metaphysique qui designe l'etre (l'essence, la nature des choses) en tant qu'il est intelligible et se revele a l'esprit de l'homme (TO USvTwc:l llv =Ti num.n =Ti ..~0ELav Elr p6vTL Kal cj>wTCaavn (Entretiens 1,4,31); rrpoi; Eßpm1v TI'jt; d>..118dac (IV,1,51); MARCAURELE: ,„Teil ycip Tfiv d>..~0ELav (VI, 21,2); DIOGENE LAERCE: drro Toil mivTOTf ,„TEtv Tfiv dM0ELav (Vitae IX, 70); PLUTARQUE: c'lpE~Lv trrl Tfiv d>..~0ELav (De audiendo 18 = Morales 48c); etc.

120

PREMIERE PARTIE, CHAPITRE II

4) Si l'on peut ainsi s'emerveiller de la force et de la bel}ute d'une telle demarche, veritable quete de Dieu con~u comme l 'Etre par excellence, l'on ne peut manquer de noter aussi ses limites, liees a l'immanence de ses premisses. L'homme est laisse a lui-meme, livre aux capacites limitees de sa raison, dans une demarche «ascendante» aux allures prometheennes. Qu'en sera-t-il dans le Juda'isme? A en croire le theologien et philosophe juif ABRAHAM HESCHEL174, ce sera desormais Dieu en quete de l'homme. Non plus le sage-philosophe, le plus religieux des hommes faisant de sa vie un monument-temoin au "Dieu inconnu" (cf. Ac 17, 23), mais le Seigneur de l'Univors (Createur du monde et de son harmonie, en qui chaque homme a la vie, le mouvement et l'etre) venant lui-meme a la rencontre de ses enfants. Total renversement des röles: une verite qui n'a plus a etre atteinte par une montee de l'äme vers le monde des Idees, uniques realites veritables; un chemin vers la verite qui n'est plus ascension vers Dieu175 mais don, par Dieu, de sa parole de vie. En abordant ainsi notre Troisicme Chnpitre et nous interrogennt sur l'originalite de la parole de sens que !'Alliance ancienne offre a ses fideles, nous garderons en memoire l'image stimulante de ces penseurs et sages pa'iens. Lorsque dans sa Loi puis en Jesus-Verite17s, Dieu se donnera lui-meme comme temoin de son amour pour les hommes, nous serons sans doute parvenus au sommet de la Revelation. Mais ce sommet portera toujours, en quelques-uns des secrets sentiers qui y conduisent, les traces lumineuses et souvent sanglantes de ces temoins de la verite qui, des quatre coins de l'horizon et de l'histoire, ont contribue a tisser la rohe de l'Epouse de l'Agneau (cf. Ap 6, 9-11; 19, 8; etc.) et attendent, dans la Jerusalem celeste, la recompense promise aux justes.

174 Cf. A. HB8Cfü:L, Dieu en quete de l'homme, Seuil, Paris, 1968. 175 I. DE LA POTTERIE (La verite, I, p. 30) note: "La chose est donc claire: ce qui est absolument fondamental dans la tradition grecque dualiste, dans les courants de pensee qui en derivent et dans le gnosticisme, c'est de situer la verite dans le monde celeste, d'en faire «la sphere meme de Dieu». 'AA.fi9€La y designe la realite meme du divin, pour autant qu'elle se revele et se manifeste aux hommes. C'est pourquoi les mots dA.fiBELa et To dA.T)9€c: y revicnncnt si fröquummunt quand il est questlon de Dleu lul-mllme, objet de contemplation et d'extase: des lors, l'äme ne peut atteindre la Verite-en-soi qu 'en s'elevant vers cette Roalite suprl!me du dlvln". 176 Le mouvement de la pensee johannique suit une ligne descendante: la verite vient d'en haut, eile est accordee a l'homme qui l'accueille dans la foi comme une gräce, un pur don. Et cette verite, c'est le Christ qui l'a entendue et fait connaitre, la revelant aux hommes en lui, dans sa Parole de Verbe incarne. Nous reviendrons sur ce theme de JesusVerite dans notre Quatrieme Chapitre (cf. notamment IV.2.3 D, point 4.)

121

Cho.pitre III LE TEMOIGNAGE DANS L'ANCIEN TESTAMENT ET LE JUDAISME

A en croire les documents qui nous sont parvenus, la notion de temoignage fut une realite humaine, sociale et religieuse tres importante dami le monde antique. Notre etude de la pensee et de la pratique greco-hellenistiques nous en a fourni une premiere et riche illustration. Nous pouvons poursuivre notre enquete et aborder dans ce TROISIEME CHAPITRE le monde semitique. Nous nous tournerons d'abord vers l'Ancien Testament et le vocabulaire hebreu du temoignage (III. l). Son etude nous permettra de clarifier plusieurs questions controversees touchant a la racine 11.ll et a ses derives et d'aborder les textes illustrant l'arricrc-fond lui aussi juridique du temoignage dans le monde semite. Nous explorerons ensuite les liens unissant le theme du temoignage a celui de l'alliance (III.2). S'ils s'enracinent dans la pratique socio-politique de tout le Moyen et Proche Orient semites, ils trouvent un echo particulier chez le peuple juif et dans les textes de l'AT, ou se dessine une «structure» d'alliance theologique qui Re preRente comme le lieu d'insertion et de maturation du temoignage religieux (III.2.1). Apres avoir precise qui sont les temoins d 'Alliance et les circonstances diverses dans lesquelles ils sont appeles a deposer (III.2.2), nous accorderons une attention speciale au Deutero-Isai'e, plus particulierement a Is 43-44 qui ouvre le temoignage biblique aux dimensions de l'univers et pose les jalons de plusieurs intuitions que developperont les auteurs du NT (III.2.3). Nous aborderons pour terminer la Bible grecque (III.3), pour nous interroger sur la comprehension qu'avaient les traducteurs alexandrins du theme du temoignage. Nous ne nous attarderoils que brievement par contre sur !es autres ecrits dn .Jndai"sm.e (Qumrän, apocalypses apocryphes, Flavius Josephe, Philon d'Alexandrie, etc.). Ceci parce qu'ih; ne nous semblent pas apporter (en ce qui regarde strictement l'etude de notre theme) d'element significatif nouveau que n'ont deja mis en lumiere l'AT et la

LXX.

122

PREMIERE PARTIE, CHAPITRE III

111.l ANCIENTESTAMENTHEBREU. ETUDE LEXICOGRAPIDQUE ET SEMANnQUE

11 apparait rapidement au lecteur de l'AT que le theme du temoignage constitue l'un des «phenomenes» socio-religieux lie a la pratique du droit en terre d'Israel. De ce point de vue, il se situe sur le meme arriere-fond que celui que nous avions baptise «proces a la verite» (au sens large) present dans la Grece classique et hellenistiquc. Ce Chapitre attestera qu'il marquait aussi de son empreinte, et ce a haute epoque deja (des le Ueme millenaire), les civilisations du Moyen et du Proche Orient voisines d'Israel. Or le droit, en Israel aussi, est «Sacre», «religieUX», inspire par la foi du peuple et SOil ecoute de la Loi de YHWH. S'il inspire ses coutumes et moeurs juridiques, c'est parce qu'il est re~u et salue comme l'expression de la volonte souveraine du Roi des cieux de gouverner son peuple en lui enseignant sa justice et sa droiture. L'idee moderne de «secularisation» et d'autonomie des realites terrestres, quelles qu'en soient par ailleurs les richesses, est etrangere a l'Ecriture et au climat d'unifiante saintete qui preside a la vie de l'Israel biblique. Ces quelques remarques nous permettent de reaffirmer le caractere indissocinblcmcnt uprofonc» et «religieux» du temoignage biblique et de reconnaitre le caractere schematique de certaines dissociations que nous devrons utiliser, notamment dans l'analyse des vocables de la racine du temoignage par laquelle s'ouvre notre etude. Nous attachant d'abord a scruter leur signification fondamentale, nous citerons en priorite les textes de temoignage profane qui s'y rererent mais serons souvent amenee a constater que tous (principalement les substantifs ,.P./Cl'"J.!! mais aussi m,.11/n'1.11/ni7.11) nous convient a partir a la recherche des enjeux et de la realite profonde du temoignage religieux, theme que nous aborderons plus specifiquement dans un second temps (cf. 111.2). Pour l'heure, prenons connaissance du vocabulaire du temoignage constitue par les derives de la racine hebra'ique ,(i).ll que sont i.p, n7.p, 11.ll, mi.p, n'1.p/ni7.p et i1"J~.llr;i. Les tableaux ci-apres permettent de visualiser l'ensemble de ces occurrences.

VOCABULAIRE DU TEMOIGNAGE DANS L'AT HEBREU

Les derives de la racine 'TW Toroh 1U1

1U1 hifil} autres

Gn 8x 2x: Gn 43,3.3

Ex 27x 3x: Ex 19,21.23; 21,29

-

Lv 3x Nb 15x

-

Dt 22x 5x: Dt 4,26; 8,19; 30,19; 31,28; 32,46

i.p

C'!.P -

3x: Ex 20,16; 22,12; 23,1

-

-

-

-

Lv5,1 2x: Nb5,13; 35,30 9x: Dt5,17; 17,6; 19, 15.16.18.18; 31,19.21.26

Nb35,30

-

5x: Dt 17,6.6.7; 19,15.15

-

n"T.p

mi.p

ii7.P 2x: Gn 21,30; 31.52

4x: Gn 31,44. 48.50.52

-

21x: Ex 16,34; 25,16.21.22; 26,33.34; 27,21; 30,6.6.26.36; 31,7.18; 32,15; 34,29; 38,21; 39,35; 40,3.5.20.21 2x: Lv 16,13; 24,3 12x: Nb 1,50.53.53; 4,5; 7,89; 9,15; 10,11; 17,19.22.23.25; 18,2

ii7u1i;i

-

-

-

-

-

-

-

-

-

-

-

-

-

-

3x:Dt 4,45; 6,17.20

-

ni7.p

Premiers prophetes 1U1

Jos 8x lS 5x 1R 4x 2R 5x

iui hif

I

autres

i.p

3x: Jos 22,27.28.34 2x: lS 8,9.9 3x: lS 12,5.5.5 3x 1R 2,42; 21,10.13 2x: 2R 17,13.15 -

mi.p Cl'!.P ii7.P 2x: Jos 24,22..22 2x: Jos 24,27.27 Jos4,16

n"T.p

-

-

-

-

-

2Rll,12

-

-

-

-

ni7.p

ii7~J1t;i

-

-

-

-

1R2,3 2x: 2R 17,15; 23,3

-

-

Demiers prophetes

1~.ll himJ

11.ll Is Jr

llx 15x

Am Mi Za

MI

2x

autres

1.!J

ls8,2 Is 19,20; 55,4 8x Jr 6,10; 11,7.7.7; 2x: 29,23; 42,5 32,10.25.44; 42,19 Am3,13 Mi 1,2 Za3,6 Ml2,14 Ml3,5

Cl''J.!l 6x: Is 8,2; 43,9.10.12; 44,8.9 4x: Jr 32,10.12.2·5.44

i1'J.!l -

ni".p

m1.!J

ni7.!l

i1'J~.llt;l

2x: Is 8,16.2D

-

-

-

-

-

-

Jr44,23

-

-

-

-

-

-

-

-

-

-

-

-

-

-

-

-

-

-

-

-

-

-

Ecrits 11.ll 1~.ll hifil autres Ps43x 2x: 50,7; 4x: 20,9; 81,9 119,61; 146,9; 147,6 Jb4x

Jb29,11

Prllx -

Rt 4x

-

Lm Lm2,13 Ne 7x 6x: Ne 9,26.29.30. 34; 13,15.21

lCh

1.!l Ps 89,38

m1.!J Cl''J.!J i1'J.!l 2x: 27,12; 7x: 19,8; 60,1; 35,11 78,5; 80,1.6; 119,88; 122,4

2x: Jb 16,8.19 Jb 10,17 llx: Pr6,19; 12,17; 14,5.5.25; 19,5.9.28; 21,28; 24,28; 25,18 3x: Rt 4,9.10.11 -

-

n"l.!J

ni7-!!

i1'J~.ll:;J

19x: 25,10; 78,56; 93,5; 8x: Ps 119,

99, 7;119,2.22.24.46.59. 14.31.36. 79.95.119.125.138.146. 99.111.129. 144.157 152.167.168; 132,12

-

-

-

-

-

-

-

-

-

-

-

-

-

-

-

-

-

-

-

-

-

Ne9,34

-

-

1Ch29,19 2Ch34,31

-

-

-

-

-

2Ch4x 2Ch24,19

-

-

-

-

2x: 23,11; 24,6

-

-

Rt4,7 -

-

Fragments hebreux du Siracide 1U1 Si 6 (7?)

1t!1hifil1 autres 2x: Si 4,11; 46,19

1.!/

C''J.!1

(43,9b?)

-

ni.p

m1.!1

ii"J.!1

-

*

3x: Si 34,23.24; 36,20

ni7.!1

ii"J1.!1J;l J -

Si45,5

-

Total des occurrences 11.!1 209

11.11 himI autres 42+4=46

1.!/

l

C''J.!1

45+24=69

ii"J.!/

m1.!!

4

49

n"".!!

l

ni-;r.!1

22+16=38

ii"J1.l1J;l 3

* D. BARTHELEMY - 0. RICKENBACHER (Konkordanz zum hebräischen Sirach, pp. 288-289) recensent 4 m1,!! (3 singuliers: 34, 23b.24b; 36, 20a et un pluriel 45, 5), 2 1111 hifil (4, 11 et 46, 19b) et un participe masc. sing. qal 1.!1 (43, 9b B/Mas), cas douteux que nous ne comptabilisons pas. E. HATCH - H.A REDPATH (A Concordance to the Septuagint, vol. 3 S·.ipplement, ajout II: Concordance to Portions of Ecclesiasticus with Hebrew Equivalents) mentionne les refärences suivantes (pp. 177 et 184): • E-mµapTI!pe-aSm: (1) 1-W hi. Si. 46.19 (1); • µapTup(a: (2) b. m1,!! Si.34(31).23; (2b): 34(31).24; (t, 2b marg.): 45.17 (A) t; • µapTUpLOv: (2) c. n11.P. Si.36.20; (2c): 45.17 (B S) t.

J

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PREMIERE PARTIE, CHAPITRE III

Quelques constatations emergent. l!) ... v. 30 II leur prepara un festin (i1~~r;i 'Ci;;r'? fD-ll!l), et ils mangerent et burent (1r:wi'~l 1'?:;it4•1). v. 31 Leves de bon matin, ils se prE\terent serment l'un a l'autre (1'J:I"'? 111'!' \\'=il~~i)".

TEMOIGNAGE ET ALLIANCE ANCIENNE

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• Ex 22, 9-12: les restes d'un animal. Sont examines en ce texte, au nombre deR delib:; donnant lieu a un dedommagement, les cas d'animaux qui, alors qu'ils aont confies a une tierce personne, sont voles, blesses voire meme tues. La restitution n'est pas obligatoire dans le cas ou l'animal ayant ete "completement dechire (par un fauve)", le gardien peut produire "en temoignage" (ip, ~i1!.':;I~ 'l?itl~ "J")Q-C~) ce qu'il reste de la bete dechiquetee (22, 12)46. • Ps 89, 38: la lune. Exaltant la figure du roi, le psalmiste proclame, developpant la promesse d'alliance veridique et de descendance royale deja enoncee par YHWH au V. 30: "v. 37 Sa posterite durera a jamais et son tröne autant que le soleil en ma presence, v. 38 comme la lune il subsistera a jamais, comme ce temoin fidele dans les nues" (i1'(1jl l!!l"~ pnr§:;i 1,V.1 c~ill Ji~~ n1;:i>)47. La racine JCM (avec son sens premier de solidite, stabilite) est presente ROUR 1a forme de son participe nifal 191..H· Alors quc Pr 14, 25 (cf. 14, 5) parlait de l'homme "temoin fidele", la plupart des commentateurs l'appliquent ici a la lune qui, "invariablement fidele a son cours, temoigne que l'ordre etabli par Dieu se realise indefectiblement"48.

E. YHWH

TEMOIN

Les objets ne suffisant pas a garantir le respect de l'engagement jure, ·Dieu est souvent invoque comme ultime garant d'un contrat profane. 11 le sera surtout, dans la litterature prophetique, comme temoin a charge dans le proces qui l'oppose a son peuple infidele. Nous y reviendrons au point 111.2.2 A. Rappelons simplement ici49 le röle tenu par YHWH dans l'alliance etablie entre Jacob et Laban. Au coeur de ce recit (Gn 31, 43-54 deja cite), l'auteur nous dit que Laban se place sous le regard de Dieu (qu'il qualifie de "guetteur") et fait directement appel a son temoignage (31, 50): "Si tu humilies mes filles et si tu prends des femmes en plus de mes filles, bien qu'il n'y ait personne avec nous, vois, Dieu est temoin entre moi et toi ). • Jos 24, 26-27. Apres que le peuple se soit engage, lors de l'assemblee de Sichern, a servir YHWH et a ecouter sa voix (cf. 24, ,22, plus loin), Josue "v. 26 ecrivit ces paroles dans le Livre de la Loi d'Elohim, il prit une grande pierre et la dressa la, SOUS le Chene qui etait dans le sanctuaire de YHWH. v. 27 Et Josuc dit a tout le peuple: «Voici que cette pierre servira contre nous de temoignage i1'')ll'? 1J;i-;;:i/r:i 'n~m p.~;:r 11).t:J car elle a entendu 108 •Temoin», absent du TM, se trouve dans la version syriaque. On peut le restaurer en raison de la suite du verset, du rapprochement possible avec le v. 27 mais aussi de l'analogi'1 que l'nn pP.nt P.tahlir avec l'etymologie de Galaad donnee en Gn 31, 47-48.51-52.

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toutes les paroles de YHWH par lesquelles il a parle avec nous, elle servira donc contre vous de temoignage il'1.P.'? 'c~; il0~01 pour que vous ntl puissiez renier votre Dieu»". Nous trouvons associes dans une meme fonction «memorative» le Livre de la Loi d'Elohim (qui remplace le livre de la Loi de Moi'.se (8, 31; 23, 6) et la pierre qui devient il'J.P. du pacte conclu a Sichern, qui ne fait que consacrer !'Alliance du Sinai'.. • Is 19, 16-25 (sans doute post-exilique) prefigure l'univers~lisme du DtIsai'.e. II annonce (cf. les 5 "en ce jour-la") la conversion de l'Egypte, sa reconciliation avec Assur et Israel ainsi que le partage par les trois peuples de privileges autrefois reserves a Israel: envoi d'un sauveur en cas d'oppression, liberation, connaissance et service de YHWH, offrande de sacrifices et d'oblations, voeux, etc. Nous y trouvons mention d'un "serment prete par YHWH des armees" (v. 18), d'un "autel dedie a YHWH" (iljil•';( 'ri~(l;l) et d'une "stele dediee a YHWH" (v. 19: iljil'7 i'I".(~~-'~" il;;l~r.i~). Le V. 20 poµrsuit: "Cela 1:1t:irvira de signe et temoin de YHW!I des armees au pays d'Egypte" (C~':J:\'r,l n~~ ni~~ il)il'';? 1;11'(~ ni~'( il!01). Les promesses faite a Abraham (Gn 12, 3) trouvent un debut de realisation dans cette benediction que partagent Assur, l'Egypte et Israel: "Benis soient l'Egypte, mon peuple, et Assur, l'oeuvre de mes mains, et mon heritage, Israfil" (19, 25)!

Israel,

t~moin

de son engagement a servir YHWH

Dans Je texte de !'Alliance de Sichern (Jos 24), il n'y a pas que le livre de la Loi et la pierre dressee qui soient convies a prendre acte de la decision d'Israel de renoncer aux autres dieux et de ne servir que YHWH seul. Le peuple lui-meme est pris a temoin de l'engagement fermement proclame (24, 22): "Alors Josue dit au peuple: «Temoins vous contre vous-memes (c~~ bi,~ C'?.P) que vous avez fait choix de YHWH pour le servir (il;:lilll 1~.P,'t ilJil;·n~ c~'? Cf;11tr:P c~~-·;i). Ils repondirent: «Temoins» (c•7.p ~1r;:i~·1)".

YHWHtemoin Alors que les traites profanes citaient comme temoins de nombreux dieux ou puissances divinisees, l'homme de l'AT prend YHWH, son unique Dieu, a temoin des faits et evenements importants de son histoire. L'expression utilisee revet souvent la forme d'un serment ou jurement. • Ainsi en 18 12, 5 (3x). Le roi a ete intronise et Samuel, äge, n'a plus qu'a disparaitre. II s'y resigne et apres avoir reproche une derniere fois aux Israelites d'avoir voulu un roi, les exhorte a demeurer fideles a YHWH et a le servir de tout coeur (cf. la demande de Josue, en Jos 24). Devant tout Israel, Samuel fait alors l'apologie de sa «judicature»: "II leur dit: «Temoin YHWH contre vous (c~; ilJil~ 1J:?), et temoin son oint (iM•u;ir;i 1,111), t:in ce jour d'aujounl'hui, que vous n'avez rien trouve dans ma main». Et ils dirent: «Temoin!» (1,11 ir;i~~1)' 1 .100 109 Si 46, 19 rappelle cet evenement, en utilisant le hifil ,'.\liJ pour qualifier la declaration de Samuel: "Avant lA t.Pmpli du aommoil ctcrnel, il tenwignu tl11vant le Seigneur et son

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PREMIERE PARTIE, CHAPITRE III

Dans les livres prophetiques, nous trouvons diverses formules presentant YHWH comme temoin a charge dans le proces qui l'oppose a son peuple infidele: • En Jr 29, 23, dans la lettre aux exiles de Babylone, YHWH, par la bouche de Jeremie, prononce un oracle, veritable annonce de punition a l'adresse des faux prophetes: "On dira: «Que YHWH te rende comme Sidqiyyahou, et comme Ahab, que le roi de Babel a fait rötir au feu!» v. 23 C'est qu'ils ont accompli une infämie en Israel, ils ont commis l'adultere avec les femmes de leur prochain, ils ont prononce en mon nom des paroles de mensonge sans que j'en aie donne l'ordre. Mais moi, je saisllO etj'en suis temoin, oracle de YHWH» (i1)i1;-ci~1 i/!J [.11'Ji'iJ] .111;1i1 ';;iJl;'l)". • Jr 42, 5. Dans une formule de serment et d'auto-imprecation, le peuple prend YHWH a temoin contre lui-meme pour le cas ou il n'obeirait pas au commandement transmis par l'intermediaire de Jeremie: "Et ils dircnt a Jeremie: «Que YHWH soit contre nous temoin veridique et digne de foi (J!~!.m n9,~ ;p,7 1J* 'i1!i1; ';:t;)lll si nous n'agissons pas suivant toute parole que YHWH, ton Dieu, nous aura adressee par toi". Nous sommes ici en pleine theologie de l'Alliance, avec des expressions typiques (en 42, 6: 2x "ecouter la voix de YHWH"; cf. Ex 19, 5) et une formule proche de la frequente Cllli 'i1p; ';:t; ou ~?-ci~. • En Mi 1, 2, l'oracle judiciaire est prononce en presence des peuples qui tous doivent connaitre le jugement que YHWH, temoin et juge, va porter contre Israel: "Ecoutez, peuples, vous tous! Sois attentive, terrc et ce qui t'emplit! Le Seigneur YHWH sera temoin contre vous112, le Seigneur, au sortir de son temple saint! (iP.'? 'ci~;i i1Ji1; '~'i~ ''i!'i )". • Selon Ml 3, 5, au Grand Jour du Jugement (cf. Ps 50, 7-21), YHWH sera "'1DQI? ;p au tribunal, juge qui agira vite contre les mechants parce qu'il aura ete lui-meme temoin de leurs injustices: "Je m'approcherai de vous pour le jugement (t!l\l~lil'?) etje serai un temoin prompt (i'. "'1DQ9 ;p,; LXX: µcipTua11s doute le Jour des Expin

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doute que, de~u de l'infidelite chronique du peuple, i1 sait ne devoir compter que sur la providence de YHWH. L'eschatologisation de la promesse est evidente, mais enracinee dans la continuite assuree par le pardon et l'eternelle fidelite de Dieu.

Le "Non pas comme l'alliance que j'ai conclue avec leurs peres" (v. 32) situe la «nouveaute» de cette alliance en opposition a celle conclue au Sinai: (cf. Ex 24, 8). Le drame de l'ingratitude d'Israel eclate quand est rappele l'amour liberateur qui avait preside a son etablissement, "le jour Oll je les pris par la main pour les faire Sortir du pays d'Egypte", dit YHWH133, qui prend acte de la rupture: "alliance ... mon alliance qu'eux-memes ont rompue bien que je fusse leur Maitre!" L'expression est forte: le peuple a "rompu l'Alliance" (i)~, hifil: 'r'.1'1:;i-n~ ~ipiJ), bien que YHWH fusse son "maitre" (t:J~ 'l'l7P-:;i ·;i~l!ll), c'est-a-dire sun «Seigneur», mais aussi, selon le sens du mot hebreu, son «epoux, mari». La dimension nuptiale et conjugale de l'Alliance est ainsi reniee par les trahisons repetees d'Israel. Le tableau est sombre et l'impasse du peche semble totale: le peuple a ete infidele a ses promesses, a son Dieu Pere, Epoux, Sauveur et Redempteur. Pour eviter le divorce, fatal, Dieu juue une carte nouvelle et promet l'interiorisation de la Loi (v. 33): "Je mettrai ma Loi dans leur sein et sur leur coeur je l'ecrirai" (deux expressions situees en parallelisme progressit). Elle ne sera plus ecrite sur des tables de pierre mais sur le coeur (::i'?,), la meme oll Jeremie deplore qu'est grav6 le peche du peuple: "Le peche de Juda est ecrit avec un stylet de fer, avec une pointe de diamant il est grave sur la tablette de leur coeur et aux cornes de leurs autels" (17, 1)134. Lorsque l'Alliance aura marque non seulement la chair mais aussi le coeur des hommes, la Loi leur sera conaturelle. Ils pourront vouloir ce que Dieu veut, aimer comme Dieu aime, penser selon l'esprit de Dieu. Accomplir la Loi et garder les commandements sera le fruit non d'une contrainte exterieure mais d'un libre assentiment au bonheur. La promesse est inoui:e: la Loi guidera, inspirera, illuminera la marche et le cheminement de l'homme de l'interieur, realisant une coi:ncidence parfaite entre la volonte de Dieu et sa reponse a sa vocation. Un rapport nuptial marquera cette appartenance reciproque (exprimee par la formule d'alliance: "Je serai leur Dieu, et eux seront mon peuple"), d'oll decoulera une parfaite connaissance: "Tous me connaitront, du plus petit tions, celebre avec une ferveur toute particuliere); de meme CD 8, 21: "Tous les individus qui sont entres dans la Nouvelle Alliance au pays de Damas". 133 L'image rappelle celle du prophete Osee parlant de Dieu comme d'un pere veillant sur !es pas de son enfant (cf. Os 11, 1-4; aussi Is 62, 4-5; etc.). 134 Le coeur, siege des sentiments et de l'affectivite, mais aussi de l'intelligence, de la volonte et de la memoire, foyer de liberte et de decision, ne sera plus etranger a !'Alliance, rebelle et incirconcis, comme s'en plaignait Je prophete: "Circoncisez-vous pour YHWH, . ötez le prepuce de votre coeur" (4, 1-4; cf. Dt 30, 6: "YHWH Dieu circoncira ton coeur"). Sur le coeur dans Ja Bible, cf.: I. DONEGANI, Heureux les purs de coeur car ils verront Dieu, Echos de St-Maurice 13 (3/1983) 169-199; surtout Jp,i; pp 183-191.

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PREMIERE PARTIE, CHAPITRE III

au plus grand" (v. 34). Une telle Alliance sera le signe que Dieu, qui avait donne !'Alliance premiere, la redonne, par-dela l'offense. Dans son amour, 11 ne se souviendra plus de la faute, parduunera le peche (v. 34b). Jeremie n'est pas le seul a professer une telle esperance. Ses disciples (cf. Jr 32, 40; 50, 5; Is 55, 3; 61, 8) mais aussi le prophete Ezechiel (representant une ecole theologique posterieure) · parleront d'une Alliance eternelle (Ez 16, 59; 37, 26, qui lui associe "Alliance de paix"; cf. deja 34, 25). Le chapitre 16 d'Ezechiel, qui presente sous forme allegorique l'histoire de Jerusalem, epouse infidele de YHWH se prostituant avec des dieux etrangers, trouve un heureux epilogue, aux vv. 59-63, dans le pardon offort par l'Epoux a sa bien-aimee, pardon qui scelle entre eux une alliance eternelle135. Ezechiel met en exergue (peut-etre plus encore que Jeremie), la fidelite de Dieu, son souvenir actif et efficace qui va permettre a son projet de perdurer (cf. v. 60). Son Alliance est infrangible et rien desormais ne pourra la briser. La formule d'appartenance fait place a une formule de reconnaissance (v. 62) maiA comme en Jr 31, c'est le pardon de Dieu (v. 63b) qui en est la source. Un atltre texte doit ctre mentionne qui, s'il ne renferme pas le terme

n'".1:\1, prolonge directement la meditation de Jr 31: la prophetie d'Ez 36, 16-28136. Nous y retrouvons nombre d'elements de la «structure» d'alliance. Une retrospective historique (36, 16-21) souligne dans un langage cultuel l'infidelite du peuple: alors qu'il habitait la terre de la promesse, terre sainte, bienfait de Dieu, il l'a souillee par ses actions impures et sa vie d'anti-alliance (sang repandu, saletes = idoles). Dieu, dans sa colere, l'abandonne a ses choix. En juge, il constate la non-justice, la non-alliance de sa conduite et de ses ac135 Cf. B. RENAUD, L'alliance eternelle d'Ez. 16, 59-63 et l'alliance nouvelle de Jer. 31, 3134, in LUST J .. (Ed.), Ezechiel and his Book, pp. 335-339. Ez 23 developpera cette allegorie en tra1tant un parallele entre Samarie et Jerusalem. Ces chapitres annoncent le theme des noces messianiques qui se repris dans le NT et trouvera son accomplissement dans l'Apocalypse (cf. Ap 19, 7; 21, 2; etc.). 136 La structure concentrique du texte met en exergue, comme en Jr 31, l'initiative divine. Une premiere partie (36, 16-21, sorte de prologue historique) souligne la culpabilite d'Israiil: alors qu'il habitait le sol (A ,vv. 16-17a), il le rendit impur par sa conduite (B v. 17b) et souleva la colere de YHWH dont le chätiment fut sa dispersion (C vv. 18-19). Cet exil fut lu par les nations comme l'echec meme du projet de Dieu, ce que l'auteur exprime theologiquement par "profaner le nom de ma saintete" (D v. 20), saint nom dont YHWH doit prendre compassion (E v. 21). La seconde partie (36, 22-28) redeploye ce mouvement en sens oppose (de l'intervention de Dieu a ses consequences benefiques pour Je peuple) en mentionnant un enchainement de bienfaits. "C'est pourquoi", commence par dire YHWH au v. 22 (E'), je vais agir pour mon saint nom. Profane par le peuple, il va etre sanctifie par l'action de Dieu qui fera eclater aux yeux des nations sa saintete, et les nations "sauront que je suis YHWH!" (D' v. 23). L'acte qui leur permettra cette reconnaissance sera le rassemblement du peuple et son retour sur son sol (C' v. 24). Cette fin d'exil s'accompagnera d'une purification qu'Ezechiel decrit comme le don d'un coeur et d'un esprit nouveaux (B' vv. 25-27). Une premiere conclusion a la prophetie est donnee au v. 28 (A'): il decrit le bonheur pour le peuple d'habiter a nouveau sur la terre de ses peres. Les versets suivants (36, 29-32) mettent en relief !es bened1ctions qui sanctionneront sa fidelite retrouvee

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tions, et c'est la malediction qui s'abat sur lui: perte de l'heritage, exil en terre etrangere, dispersion parmi les nations pa'iennes. Une telle malediction met pourtant en cause le Dieu Saint d'Israel luimeme (elle profane son Nom et sa Saintete) car elle est lue par les pa'iens comme un contre-temoignage de son amour et de sa puissance. C'est pourquoi Ez 36, 22-27 deploiera en reponse !'initiative salvifique de Dieu qui, "a cause du nom de sa saintete", va le sanctifier en se montrant saint aux yeux des nations, pour qu'elles connaissent sa veritable identite (cf. Is 40-55). Son action se manifestera en trois etapes: la restitution de la terre, annonce d'un nouvel exode (v. 24); une aspersion purificatrice (v. 25); et, finalement, pour que l'alliance ait une chance de demeurer, le don du coeur nouveau et de l'esprit nouveau (vv. 26-27; cf. deja Ez 11, 19-20; 18, 31): "v.26 Je vous donnerai un coeur nouveau (tli")i;r :i?. 'ci:;;i'? 'f:llJ~1) etc 'est un esprit nouveau que donnerai dans votre sein (c;?:;i1p:;i JP~ ilt/J1t) rr111); j'enleverai de votre chair le coeur de pierre q~~v :i'.n1~) et je vous donnerai un coeur de chair (;rp~ :i7). v.27 Je mettrai mon esprit dans votre sein (c?:;i1p:;i JP~ 'r.r1;-n~1) et je ferai en sorte que vous marchiez selon mes ordonnancfü1 et que vous observiez et pratiquiez mes regles".

S'il ne s'agit pas expressement d'alliance nouvelle, il s'agit bien de nouveaute. Ezechiel s'en explique: il ne suffit pas que la Loi soit gravcc sur le coeur (cf. Jr 31), il faut encore transplanter ce coeur. Il doit etre coeur nouveau (tti"Jf:I), coeur de chair, souple, vivant et docile et non coeur de pierre, dur et rebelle. Pour cela, il faut aussi changer l'esprit (nJi), principe du comportement. Cet esprit nouveau ne pourra etre que l'Esprit meme de Dieu (v. 27a). Ezechiel rejoint et prolonge ici les intuitions de Jr 31137. C'est bien d'une creation, d'une recreation du coeur, anime par l'Esprit de Dieu, que l'homme a besoin pour obeir de l'interieur et en nouveaute de vie a la Loi d'amour de son Dieu. Desormais, la vie d'alliance sera possible, comme le decrit le v. 27b: "Et je ferai que vous marchiez selon mes preceptes (;:i'?.o · "RQ::;i) et que vous gardiez et pratiquiez mes jugements (C\:)'tq~1 1"'1r;lt\il'l '~~t\ir;l1).138 Ce sera alors l'accomplissement definitif de la benediction d'alliance (v. 28a): "Vous habiterez le pays que j'ai donne a vos peres") et une vie de communion entre le peuple et son Dieu, exprimee a nouveau par la formule d'appartenance (v. 28b): "Vous serez pour moi un peuple (c*7 "? CQ',:;;rü et moi je serai pour vous un Dieu (C'il"':i~? c:i? il'il~ 'jJ~i)". Les vv. 29-30 exaltent la fäcondite bienfaisante de,. la .fici~·liti, de. füeu: delivre de ses impuretes, le peuple vivra dans une eternelle prosperite et fälicite. 137 Ne 9, 29-30 s'inscrit dans cette meme perspective, nous l'avons vu: c'est !'Esprit de YHWH qui temoigne par !es prophetes pour avertir !es hommes de se convertir au Seigneur et a sa Loi. Le NT fera confluer tous ces themes dans sa theologie du temoignage. 138 "Je ferai que" dit !'initiative de Dieu. Notons que !es trois verbes de Ja reponse d'alliance sont ceux de l'obeissance enfin possible (marcher l?i1, garder ir.ltzi et pratiquer i1tDll) tandis que !es deux substantifs sunt ceux Je plus souvent utilises comme synonymes de Torah (Cl'PCI et Cl'C:l~~i;i).

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PREMIERE PARTIE, CIIAl'ITRE III

B. UNE CERTITUDE : LES VERTUS D'UNE PIETE TORAHCENTRIQUE

Nous l'avons rappele au debut de ce paragraphe: l'ecole deuteronomique avait formule toute sa pensee autour de l'idee d'Alliance. Ses heritiers, les theologiens deuteronomistes (contemporains sans doute d'Ezechiel et du Dt-Isai'e), sont demeures fideles a cette intuition, en depit de la catastrophe de 587. Realisant l'edition exilique du Dt et des livres historiques et prophetiques, ils vont attenuer l'aspect de radicale «nouveaute» present en-34 Jr 31, 31-34. Et bien qu'ils lisent eux aussi dans la deportation et la captivite l'effet d'un jugement de Dieu, ils vont ·s'employer a souligner la part que prendra Israel dans le renouveau de !'Alliance. L'edition post-exilique du Dt en fournit un exemple interessant. Tout en conservant le schema des traites d'alliance (qui souligne la reciprocite de l'engagement), la tradition deuteronomiste opere un deplacement de perspective importantl39: en lieu et place de !'alternative envisageant le futur de !'Alliance comme un choix offert a Israel entre· benedictions (28, 2-14) ou maledictions (28, 15-25; textes preexiliques), elle les considere comme deux temps d'une histoire: aux maledictions qui s'abattront sur lc pcuplc elu (29, 19-28), temps d'epreuve et dP. pnrification, vont succeder des benedictions (30, 1-10) qui deboucheront sur une crc de plenitude et de gräce. L'exil n'apparait plus comme une impasse ou une , faillite totale mais comme un avatar, tragique sans doute, mais surmon-· table, de l'histoire de !'Alliance. A la difference des prophetes, cette tradition presente le salut comme une oeuvre conjointe de l'action de YHWH et de la volonte de conversion manifestee par le peuple au coeur meme de son epreuve (Dt 30, 1-3): "Lors donc que t'arriveront toutes ces choses, la benediction et la malediction qutl j'ai cxposees devant toi, si tu les rnppcllcs cn ton coeur„. si tu reviens vers YHWH, ton Dieu, et que tu ecoutes sa voix ... alors YHWH, ton Dieu, ramenera tes captifs et aura pitii:i de toi, il se remettra a te rassembler de chez tous les peuples ou t'aura disperse YHWH ton Dieu". La 139 D.J. McCARTHY (Treaty and Covenant, pp. 204-205) note a propos de Dt 4 et 29-30: "Why did a Dtic writer choose to frame the kerne! of the book within two speeches cast in covenantal form? (.„) 1 would suggest that there was a desire to surround the Dtic Code and its conclusion of horrendous curses with messages which offered hope. Notice that chapters 4 and 29-30 both change the curse-blessing alternative to a sequence which ends on a positive note. Both make use of the Wisdom theme of the ease and sweetness of the Law. Perhaps even the allusion to the fall of Moses in chapter 4 may be seen as a reason for hope: even the greatest of men sin, but sin is never the last word with a merciful God. Thus the writer of our chapters would indicate that the curses of chapter 28 were not the end and this in a most effective manner, adopting the literary form of the central part of the book but adapting it to a slightly different point of view. Or better, the evidence is complex, an example of the rhetorical skill and theological subtlety of the Dtistic writers. They adapt their speeches applying covenant to the needs of the moment as presented in their history. When the text luuk1:1 furward to a period of infidelity the sequcncc is actuated blessing and then curse (Jos 23,15-16) or curse alone (Jos 24,20). When the text looks back on infidelity ancl fu1·wa1·d to renewal and prosperity there is a thront with repentance and restauration (1 Sam 12,6-25). When the need to emphasize hope is acute the actuattltl cuu1e comes first, then the promioc of (rcnowod) b!ossing for a repentant pP.ople is presented at lenght (Dt 4,29 ff.; Dt 30)".

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dimension prophetique d'un renouveau eschaLolugique ciltle le pas a la certitude que c'est dans l'histoire presente que deja se realise la promesse d'interiorisation de la Loi de Jr 31, 31-34. Relecture post-exilique de Dt 6, 4-5 et 11, 8 a la lumiere de Jeremie, Dt 30, 11-14 note en effet: "Ce commandement que je te commande aujourd'hui, il n'est pas impossible pour toi et il n'est pas inaccessible140, il n'est pas dans les cieux ... il n'est pas au-dela de la mer ... , car tout pres de toi est la parole, dans ta bouche et dans ton coeur, pour la pratiquer". La tradition deuteronomiste, identifiant la vie d'Alliance a l'ecoute, a la meditation et a la pratique quotidienne de la Loi, propose ainsi une piete «torahcentrique» et legaliste qui, sans etre a comprendre ici au sens pejoratif du terme, marquera nombre de Psaumes et de livres de sagesse et ira en s'accentuant dans le Juda.lsme141.

C.

UNE MISSION : ISRAEL TEMOIN DE YHWH CONTRE LES NATIONS (ISAlE 43-44)

Abordons pour terminer le Deutero-Isale, qui ouvre notre etude du temoignage biblique sur des perspectives nouvelles et inedites, plus particulierement dans ses chapitres 43-44 qu'il importe de resituor clam1 leu1· cuulexle hhilurique142,

Les deportes juifs de Babylone ne semblent pas avoir ete victimes de persecutions. Le bien-etre et la tolerance religieuse dont ils beneficierent constitua pourtant µne insidieuse menace pour leur foi. Malgre leur attachement aux prieres et a la Torah, les dicux prestigieux des Babyloniens etaient fort seduisants (cf. les attaques contre eux: 41, 24; 42, 17). La deportation se prolongeant, le doute ne pouvait manquer de surgir dans l'esprit des exiles quant a la capacite de YHWH de mettre fin un jour a uue Lelle iuju1:1Lice (cf. 40, 27; 43, 22; 44, 14). Peu avant la fin de l'exil meme (550-539), l'apparition de Cyrus et ses victoires sur l'empire babylonien ne firent qu'accroitre un tel trouble (cf. 41, 2-3; 40-48: cycle de Cyrus), manifestant pour la premiere fois qu'une puissance etrangere qui ne connaissait ni n'adorait YHWH pouvait intervenir non pour punir mais pour sauver! Accueilli en liberateur par la population, surtout par les pretres du Dicu Marduk, Cyrus n'etait-il pas l'instrument de Marduk? Ses dieux n'etaient-ils pas tout puissants? Dans un tel contexte, le Second-Isa'ie intervint comme le prophete de la derniere chance. Les juifs deportes furent amenes a choisir entre l'apostasie ou un saut dans la foi considerable, convies qu'ils etaient a concevoir desormais YHWH non plus seulement aux dimensions d'Israel mais a celles de l'univers entier. 140 De meme la sagesse, source du bonheur. Bien qu'inaccessible a l'homme (cf. Jb 28; Qo 7, 24; Si 1, 6; Ba 3, 15), Dieu l'a revelee dans sa Torah (Si 24, 23-24; Ps 119; etc.) 141 Cf. J. BONSIRVEN, Judal:smo palootinicn au tcmps de rTP.111111-0hri1d;, Dßfl TV (1949) 11431285, surtout la conclusion 1270-1275. Notons que nous trouverons bientöt une illustration de ce «torahcentri11m11~ dans la LXX ot oa th6olo~c du t6moignage. 142 Cf. A.A. TRITES, Witness NT, pp. 35-47; F. VIGOUROUX, Sainte Bible Polyglotte, AT, T.V. (Ecclesiastique, Isai:e, Jeremie, Lamentations, Baruch), Paris, 1904; J.L. McKENZIE, Second Isaiah, 1968; P.-E. BONNARD, Le Second Isai"e. Son disciple et leurs editeurs. Isafe 4066, 1972.

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PREMIERE PARTIE, CHAPITRE III

Isa'ie 40-55 est donc avant tout theocentrique143. Les genres litteraires qu'il utilise melent Oracles de salut - exprimant soit la realite du Salut present, soit la prochaine delivrance et le retour en Terre promise (cf. 41, 8-13; 41, 14-16) - et proces d'alliance rappelant l'efficacite de YHWH. Ces ribs opposent parfois YHWH a Israel (cf. 42, 18-25; 43, 22-28144), mais le plus souvent YHWH aux faux dieux (cf. 41, 1-5.21-29; 43, 9-13; 44, 6-8; 45, 18-19.20-21.46.48). 11 suffit a notre propos de parcourir les textes dans lesquels le prophete exprime sa conception du temoignage: les deux rtbs opposant YHWH aux faux dieux d'Is 43, 9-13 et 44, 6-11 ainsi que Is 55, 3-4. Etant donne l'importance de telles pericopes (citees dans leurs versions hebra'ique et grecque et accompagnees de leur traduction fran..€yEd KUplOS b 0E6s. ETL cirr' cipxfls Kai. oiJK EO"TLV b EK Tuiv XELpwv µov E:~mpoi.iµEvas· rrmi]aw, Kai. TLS cirrOOTpE!jJEL airr6;

Depuis toujours je suis Moi, et personne ne delivre de ma main; j'agis: qui abolira?

*La LXX introduit l'imperatifyEVEa0E alors qu'au V. 12 elle sera plus proche de l'hebreu: uµE'i:s €µol µcipTUpES'.

..... .....

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Isaie 44, 6-11 V.

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Tts WoirEp E-yw; oTrrrw KaA.EaciTw KUL ETOLµaaciTw µOL acf>' 00 ETTOLT]GU liv6pwrrov ELS TW aiwva, Kal Tel E"rrEpx6µEva rrpo Tou €A.6E'iv avayyELAclTWGUV uµ'iv.

Qui est comme moi? Qu'il crie, qu'il le proclame et me l'expose; depuis que j'ai constitue un peuple et.ernel, ce qui se passe, qu'il le dise, et ce qui doit arriver, qu'il le leur annonce.

µTj TTUpaKaAUrrrEaßE" OUc arr' apxfjs l)VWTLaaaßE KUL arrfiyyELA.a Uµ'iv; µcipTUpE'S uµE'Lst lcrTE', Ei EcrTLV 6Eüs rr>.T]v E'µofr Kal oiJK: ~aav TÜTE.

Ne vous effrayez pas, soyez sans crainte, depuis longtemps ne vous l'ai-je pas annonce et revele? Vous, vous etes (TM: mes) temoins. Y aurait-il un dieu a part moi? II n'y a pas de Racher, je n'en connais pas!

ol rrA.ciaaoVTES Kat yA.VEA.T]aEL airroiJs· UAAcl alaxuveT]aOVTUL

Neant, tous ceux qui modelent leurs idoles, leurs meilleures oeuvres ne servent a rien! (TM: Leurs temoins) ne voient pas et ne savent pas, de sorte qu'ils seront couverts de honte .

TTclVTE'S OL TTAclUCOVTES 6E'OV Kal yA.ucf>oVTES c!vwcf>EA.'fl,

Qui a fa~onne un dieu et fondu une idole qui ne peuvent servir a rien?

rifr

:"r-Wi;:.s~-i~~ nf.i b':J '?OE:i-"i~;

9

~"· pf„:::i,~ .„C:Jv„-i~om il:c:tf c:Ji1"1.V1 ~11,„-s::::i.~ ~tl;;„-s~ • ,„ :~w~:. 1~P~

V. 10

Ainsi parle YHWH, roi d'Israel, YHWH Sabaot, son redempteur: Je suis le Premier et je suis le Dernier, a part moi, il n'y a pas de dieu.

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t.o? ~1„F,~ il~·~~

V.

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OÜTws A.E"yEL 0Eos b ßaaLA.EUs Tou [ apc.T]A. b puaciµEvos airrov 6EÜS aaßaw6 'Eyw rrpGrros Kat E"yw µETel Talrm, rrA.T]v E"µou oiJK foTLv 6Ep(KYJV auTOil). Ou encore la traduction litterale mais incomprehensible de m,.i? par µapTup(ov en

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PREMIERE PARTIE, CHAPITRE III

La construction ul:l ceLLe fonnule en contexte d'Allinncc mnnifcatc ln mecomprehension qu'ont eue les auteurs de la LXX de la portee du theme du temoignage exprime dans l'AT hebreu (cf. nous en citons d'autres exemples dans notre Annexe II). En effet, bien qu'en Dt 31, 19.26 ou Jos 24, 27.27, le Elc; µapTupLov + E:v suivi du datif de la personne corresponde au :i (il )i.u':i il'il' hebreu, son sens en est modifie. 11 n'y est plus question de temoin a charge «contre» Israel (:i) mais d'un temoin «parmi, en» Israel (E:v; cf. aussi l'autel-temoin de Jos 22). On peut en dire autant de l'appel a Dieu comme juge-temoin dans le rib de Mi 1, 2. Alors que le TM affirme: "Et le Seigneur sera temoin contre vous" (:i i.u), la LXX traduit: "Et le Seigneur sera temoin parmi vous" (Kal ~crrm KupLOc; E:v bµtv de;; µapTupLov ). Comme le note BEUTLER (Martyria, p. 111): "Die dramatische Wendung von der Androhung des Gerichts über die Völker zur Androhung des Gerichts über Israel scheint verwischt". On trouve un glissement de sens analogue en Is 55, 4: David, temoin pour/contre les peuples (TM: c•r.n~':i i.u) dcvient dans la LXX µapTiJpLov €11 l6vEO'LV de la bienveillance de Dieu.

2) n~i.p. La LXX traduit aussi environ 38x par Ta µapTupLov ou son pluriel Ta µapTupta l'hebreu n~i.p164. Nous touchons ici au coeur de la pensee des auteurs alexandrins. Heritiers en cela d'une intuition deja bien presente dans la tradition sacerdotale et qu'illustre l'usage de niil1 dans le TM, ils designent par "Le Temoignage", Ta µapTupwv, les tables (Ex 16, 34), les deux tables de pierre du temoignage (Ex 31, 18; 32, 15: al BUo iTAQK€t:;; TOiJ µapTup(ou) donnees par Dieu a Mo1se et portant gravP.P.s sur elle la Loi divine. Le coffret dans lequel celui-ci la deposa porte des lors le titre d"'arche du temoignage" (environ 35x: Ex 25, 10.22; 26, 33i;i;; 40, uA.21; Nb 4, 5; 7, 89; etc.: Ti KtßwToc;; TOiJ µapTuptou, pour n~i.v.;:r Ji,._,). Ccttc arche est placee dans la "tente du temoignage ": Ti OKT)Vft ToiJ µapTup(ou,. pour rendre n~i.P.;:r :;i~c:l65 en. Nb 1, 50.53; 10, 11; pour rendre n~i.v.;:r i,va- en Nb 17, 22.23; 18, 2; IIPar 24, 6). Notons que deux textes nous rapprochent des formules utilisees dans l'Apocalypse. Jos 4, 16 precise que mi~v Ji1l'J est bien l'Arche de !'Alliance .µbs urrtp Toii 'Aaaup(ou). En So 3, 8 par contre, les LXX ont retabli la banne ponctuation: non pas ,.!1'7 (TM: "Le jour oii je me leverai pour toujours") mais ,.V.'7: "Le jour oii je me Ieverai comme temoin a charge" (Els i)µlpav dvaaTdae:Ws- µou Els µapTUpLOv; trad. TOB). 164 Ainsi en Ex 16, 34; 25, 16.21.22; 26, 33.34; 30, 6.26.36; 31, 18; 32, 15; 37, 19; 40, 3.5.20.21; Lv 16, 13; Nb 1, 50.53.53; 4, 5; 7, 89; 9, 15; 10, 11; 17, 4.7.8.10; 18, 2; Jus 4, 16; IVR 11, 12; IIPar 23, 11; 24, 6; Ps 77, 5; 79 (titre); 80, 5; 118, 88; 121, 4. Notons que 8La~KTJ, qui traduit habituellement n•·:9 (270x environ), rend aussi m,.v. en Ex 27, 21; 31, 7; 39, 15 et Jos 4, 16. 165 Nb 9,15 porte b olKot; Toil µapTup[ou.

TEMOIGNAGE ET ALLIANCE ANCIENNE

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Le pluriel Ta µapTvpLa (environ 5Ux dans la LXX.) rend lui aussi le singulier m,-11 (surtout dans l'Exode). 11 est alors parfois utilise seul, absolument (Ex 40, 20; IIPo.r 23, 11; Ps 118, 88), mais le plus souvent comme qualificatif de l'arche et de son contenu. Ainsi le livre de l'Exode parle-t-il de Ti KLßWTOI;" TWV µapn1ptwv (3x, pour m,.P.lj' tii~: Ex 30, 6, qui renvoit a 25, 16.21)166, Lv 16, 13 qualifie lui TO lXacm')pLov de TO tut Twv µapTVplwv alors qu'Ex 30, 36 le situe plus precisement dtT€vavn Twv µapTllp(wv. Nb 17, 25A place le rameau d'Aaron f-vwmov TWV µapTup(wv. 3) n'i.p/n1·w. Le pluriel Ta µapn'.lpLa traduit le plus souvent (environ 39x) n'i.p/ni\.P,, caracteristique de la tradition deuteronomi(sti)que167, Hormis quelques usages disperses (Esd 19, 34; Si 45, 17, cf. Jr 30, 20 et 44, 23), nous le trouvons de maniere concentree: . •Dans les Psaumes (24, 10; 77, 56; 92, 5168; 98, 7; 131, 12), principalement le Ps 118, tluuL 22 des 23 occurrences de Ta µapTvpLa traduisent h'l~/n1,ll (seule celle du v. 88 rend m,-11). Les parallelismes synonymiques que l'auteur etablit avec &KmWµaTa, Kplµam, 'ITpoOTdyµaTa, f-vTo>.at, &a~KTI et v6µoc; ne laissent planer aucun doute quant a sa signification: «les temoignages» designent bien les prescriptions de la Loi de Moi'se169, • Dans les livres des Rois (IIIR 2, 3A; IVR 17, 15; 23, 3) et des Paralipomen.es (IPar 29, 19; IIPar 23, 11; 34, 31) •Dans le Deuteronomc (4, 45; 6, 17.20). Retenons simplement 4, 44-45: "v. 44 Voici la loi (i1'Jir-l."J/o v6µos) que Moi'se exposa devant les fils d'Israel: v. 45 ce sont les temoignages (n'i-110 n7"1;railm Ta µapTvpLa), les regles du droit (t:l'~tr011Kal Ta füKmWµam) et les sentences (t:l'l:J~~f;liJ1/Kal Ta KplµaTa) qu'a enonces Moi'se aux fils d'lsrael, apres leur sortie du pays tl'Egypte". L'usage de Ta µapTvpLa pour m-11/ni'W a intrigue C. DOGNIEZ et M. HARL170; "Le terme ta marturia (situe avant dikai6mata et krimata en 4, 45 et 6, 20; en apposition a entolai et associe a dikai6mata en 6, 17), cst cn correspondance avec 'edot; il est un des termes annoncant les prescriptions (il se retrouvera en ce sens en 4 R 17, 15; 23, 3; 1 Par 29, 19; 2 Par 34, 31; et surtout dans le Psautier: plus de vingt fois dans le Psaume 118!). A cöte du singulier marturion qui designe latente «du temoignage», le pluriel etonne pour designer des prescriptions. Dans la version grecque de l'Exode, la oii l'hebreu donne le singulier, on trouve marturia, le pluriel, pour designer, semble-t-il, «les tablettes» de la loi (voir Ex 25, 16.21; 30, 6.36; 40, 20 et l'Intr. en BA 2 p. 43; et encore Lv 16, 13 et Nb 17, 15). Le texte hebreu du Deuteronome, suivi par le traducteur, veut-il associer les lois du decalogue aux prescriptions de Moi'se? La version grecque 166 Notons que les tables de la Loi sont elles aussi qualifiees de TTMK€), IPar 13, 11 (ti·~:o 1p,107) ou IPar 20, 3& (1)1 ip1r.i7 ).

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PREMIERE PARTIE, CHAPITRE III

STRATHMANN (µcipm:; KTA., TWNT IV, 485) y voit une erreur de traduction qui pourtant «fait sens»: "Die Verwendung von µapn'.ipLov ist dabei zum Teil recht mechanisch und erklärt sich nur daraus, daß der Uebersetzer sich der Vorstellung überließ, der wiederzugebende hebräische Ausdruck hänge mit 1u1, 1.p irgendwie zusammen, auch wo das nicht der Fall ist und die so entstehende Uebersetzung bisweilen gar keinen Sinn ergibt. Dies gilt ganz allgemein von der Wiedergabe von 1.pir:i durch µapn'.ipLov (.„) Wenn der Ausdruck durch Ti O'Kl'lvii TOU µapTuplou wiedergegeben wird, so offenbar deshalb, weil der Uebersetzer in 1.pir:i irgendwie 1~l1, 1.p als Bestandteil witterte. Die Uebersetzung ist sprachlich falsch, aber sachlich nicht unzutreffend und jedenfalls nicht sinnlos". TRITES (Witness NT, p. 19) note de maniere plus positive apropos des diverses traductions: "These variations cannot simply be attributed to carelessness or ignorance on the part of the LXX translators, since at times they show an acute awareness of what they are doing. This is the case when they equate µapTupLOv with möe'd in the Pentateuch, for here the translation is the characteristic product of a Torah-centred theology. On the other hand, sometimes the translators misread the text and produced a meaning foreign to the original Hebrew; but such cases are almost accidentical and could not in the nature of things result in semantic change". Son usage massif et recurrent invite a opter pour une volonte manifeste (facilitee par les similitudes phonetiques des deux vocables 1l11o et il1)176 do donner a la «tente» (O'KT}VTl) la Valeur d'un temoignage (µapTupwv), d'une attestation provenant de Dieu lui-meme. Il convient nous semble-t-il, plutöt que d'erreur, de parler ici d'option theologique traduisant et accentuant une hermeneutique deja presente dans le TM et le Judai:sme palestinien. L'emploi stereotype aussi bien de (r,J aKTJviJ (roiJ) µaprvplov que de fi Ktßwro..aµßdvELv TTiv µapTuptav de quelqu'un (4x dans l'Evangile: Jn 3, 11.32.33; 5, 34; et lJn 5, 9a), ou, formule de sens analogue, d'avoir le temoignage, lXELV TTiv· µapTuptav (Jn 5, 36) ou lXELV TTiv µapTuptav lv airrci) (lJn 5, lOa), mais aussi de venir en vue d'un temoignage, lpxEo0m de; µapTuptav (Jn 1, 7), ou encore de temoigner le temoignage, µapTupta servant alors de complement d'objet interne puisqu'il depend du verbe de la meme racine (Jn 5, 32; lJn 5, 10c)36. Notons encore la formule aiiTll E:OTlv Ti µaprupta ... , ön de lJn 5, 9c.11. A l'instar de ce que nous avons constate pour µapTupetv, 27 des 30 usages de µapTup(a prennent un sens theologique profond et evoquent le temoignage rendu ii Jesus Christ et a son mystere de salut, dans le but de susciter la foi. Ce n'est que tres rarement (3x, Apocalypse compris), qu'il prend un autre sens: Jn 8, 17: "Et dans la Loi, la vötre, il a ete ecrit que le temoignage de deux personnes est Vrai {(Sn 8Vo avßpW'ITWV iJ µapTup(a a}.:rr 6fis €crrw ); 3Jn 12 deja cite; lJn 5, 9: "Si nous recevons le temoignage des hommes (el Tiiv µapTVplav Twv d.v6pwnwv Aa.µßavoµev ), le temoignage de Dieu est plus grand".

IV.2.2 REvELATION ET TEMOIGNAGE

A. LA STRATEGIE DU CROIRE37 Des son Prologue, porche d'entree recapitulant tout son Evangile, Jean s'incline devant le grand mystere de la foi chretienne: "Dieu, nul ne l'a jamais vu; le Fils unique, qui est tourne vers le sein du Pere, lui, l'a fait connaitre" (1, 18)a8. C'est la l'evenement central de l'annonce johannique: "Le Verbe est devenu chair et il a plante sa tente parmi nous" (1, 14). Envoye du Pere dans le monde, le Fils, luimeme Dieu et coeternel au Pere, cocreateur de l'univers, Vie et Lumiere veritables, a pour mission d'etre, aupres des hommes, l'exegete du Pere (cf. le E:Ke:'ivos e:ell'YllaaTo de 1, 18). A ceux avec qui il a voulu partager une meme chair, il revele le Pere «invisible» et son Royaume d'amour et de liberte. Dans la theologie johannique, le 36 H. STRATHMANN (µapTU..oµev uµ1v nlV (WTJV nlV alWVLOV )", • «clamer», Kpa(etv (Jn 1,15: "Jean temoigne a son Sujet, et il crie:" ('lwciVVl]S µapTvpe1 rrept airrou Kal KEKpayev Mywv), • «Confesser», oµoA6yew (Jn 1, 20: "Et il le confessa, et il ne nia pas, et il le confessa„. Kat wµoA6'Yl'laev Kat ouK itpvfiaaTO, KaL wµo>Jryf10'EV ÖTLj lJn 4, 2.14-15)".

La fonction du temoignage est donc essent.iellement «evangelisatrice» et positive. Le temoin desire que Jesus soit connu et accueilli dans une foi vive et aimante40. En envoyant son Fils dans le monde, le Pere n'a pas voulu sa condamnation mais que "le monde soit sauve par lui" (3, 16-17). La parole que Jesus adresse aux siens veut les introduirc dans un royaume de salut et de verite (18, 37: "Quiconque est de la verite ecoute ma voix). La strategie narrative que developpe l'evangeliste tout au long de son recit vise a conduire son lecteur a la foi en Jesus, et par la a la vie41. B. LES CIRCONSTANCES DU TEMOIGNAGE : JESUS EN PROCES

L'auteur met pourtant d'entree de jeu, des le Prologue, cartes sur table: Jesus Lumiere, "les tenebres ne l'ont pas saisi" (1, 5); le Verbe venu dans le monde, "le monde ne l'a pas reconnu" (1, 10); le Fils venu chez les siens, "les siens ne l'ont pas accueilli" (1, 11). Si donc dans son :Evangile, Ie temoignage est lie a Ia personne de Jesus plus etroitement encore que dans tout autre ecrit du NT, c'est a un Jesus conteste, en proie a l'hostilite du monde, rejete meme par les siens. La toile de fond du temoignage johannique est celle du proces oppo39 Cf. 1. DE LA POTTERIE, La verite, I, p. 42: "II parait evident que pour saint Jean, le verbe «parler» (lalein) a une valeur speciale. Dans tous les textes que nous avons parcourus, il est applique a la communication d'une parole revelee". 40 C'est ainsi que l'evangeliste dira de Jean qu'il. "vint pour rendre temoignage a la lumiere, afin que tous crussent par lui" (1, 7). Sa mission de baptiseur visait cette «epiphanie• de Jesus au peuple juif: "C'est pour qu'il (Jesus) filt manifeste a Israel que je suis venu baptisant dans l'eau" (1, 31). 41 Ainsi au coeur du Prologue le v. 12 met-il en exergue la dignite .d'enfants de Dieu des croyantfl: "A tous ceux qui l'ont accueilli, il a donne pouvuir ue uevenir enfants de Dieu, a ceux qui croient en son nom". C'est en Jesus, ajoutent les vv. 16-17, que ce don surcmincnt fut accompli: "Oui, de sa plenitude, nous avons tout i·e~u. et grllce pour grAce. Car la Loi fut donnee par Morse; la gräce et la verite sont venues par Jesus Christ". En livrant son evangile comme un tcmoignage, l'auteur lui-mllme affirme avoir mis par ecrit quelques-uns des signes accomplis par Jesus "pour que vous croyiez que Jesus est le Chrilit, le Fili de Dieu, et pour qu'en oroyant voufl aycz la vic en son nom" (20, 31).

216

PREMIERE PARTIE, CHAPITRE IV

sant, au coeur de l'histoire, la lumiere aux tenebres (1, 5.10-11; cf. le dualisme moral de Jean). L'existence terrestre de Jesus est le lieu ou cette opposition, aux dimensions cosmiques, va se concentrer et se manifester, a maintes reprises, avec toujours plus de force et de violence. Des le ministere de Jean d'ailleurs, l'evangeliste laisse pressentir que Jesus temoin est un martyr en puissance (Jn 1, 19.24). L'hostilite du monde y est symbolisee par les Juifs (notamment pharisiens et grands pretres), qu'il presente comme malveillants et inquisiteurs. La persecution ira, croissante, tout au long de la predication de Jesus (5, 10~18.37.38.40 ... ; 8, 12-20) et trouvera son apogee de haine et de mensonge dans sa Passion, notamment au moment de sa comparution devant Pilate (18, 40; 19„ 6.7.15) qui marquera l'heure de son temoignage supreme (18, 37). Nous retrouvons ainsi chez Jean cette atmosphere de proces qui constitue l'enracinement originel de la notion de temoignage, en Grece notamment. 11 n'est donc pas etonnant de voir, associes ä. µapn1pctv et µapnJp(a, un ensemble de termes relevant du langage juridique et judiciaire: juger (Kptvnv ), jugement (KptaLi; ), convaincre (€Alyxnv ), accuser (Kanwopctv ), nier (dpvfoµm); cause, motif de condamnation (Kanwop(a), etc. S. Jean parlera d'ailleurs de !'Esprit Saint comme de !'Esprit de verite qui agira aupres des disciples malmenes et persecutes comme d'un «avocat, defenseur» (irap.1787fs- lunv

ii µapTup(a

'f\11 µapTUpEt TT€p! f-µofJ.

Chacun de ses membres se structure autour du theme du temoignage. Dans les elements a, a' et a" centres autour du verbe µapTupe-tv, une rupture du parallelisme s'opere en raison du changement de sujet: le "je" de Jesus (a), present des le v. 30, fait place a "un Autre" (a') qui demeure le sujet de a" ("il" = cet Autre). Les elements b et b', usant du substantif µapTup(a, posent la question de sa verite (ciA.TJ0iJs, adjectif capital en theologie johannique). Or le renversernent du "non vrai" au "vrai" est lie au passage du "je" au "il", c'est-a-dire au passage par cette alterite dans la personne de celui qui temoigne49. En effet, le principe juridique qui sous-tend l'affirmation de 5, 31 est celui que transmet la Torah: un seul temoin ne suffit pas a valider une deposition (cf. Dt 19, 15: "De quelque peche qu'il ait peche c'est sur Je dire de deux ternoins ou sur le dire de trois temoins que le fait sera etabli"). De plus le droit judeo-palestinien surtout, qui acceptait qu'un accuse soit interroge, ne permettait en aucun cas qu'il temoigne en sa propre faveur (cf. Mishna Ketubot 2, 9), l'alterite comme le nombre des temoins devant assurer une certaine objectivite au temoignage. Jesus ici depasse cet arriere-fond Iegaliste connu. 11 ne s'agit pas pour lui de produire un, deux, trois ou cent temoins supplementaires attestant la verite de la guerison de l'infirme (il y avait foule autour de la piscine a ce moment-Ia). D'ailleurs, il ne parle que d'un seul temoin, car pour lui, le temoignage de cet "Autre" (d>J..os) suffit. 11 est tel, en qualite et verite, qu'il se situe dans un tout autre ordre que les temoignages habituels. Qui est cet Autre? Pour l'instant, Jesus ne nous le dit pas et ne dit pas non plus en quoi consiste son temoiguage. Ainsi, si tout le discours est prefigure ici, ce n'est que de maniere encore bien myste49

Notons que pour ~tre reconnu "vrai", le temoignage de cet Autre a besoin du temoignage du "Je" lui-mllme, commc lc lnisse entendre le "je sais qut!" tlt! IJ'. Nous verrons que Jean ne s'inquiete pas de cet apparent paradoxe, qu'il eclairera en 8, 14 quand Jesus, repondant aux pharisiens qui lui reprochent ouvcrtement de se rendre tP.moignage a luim~me, depasse la Loi judai'.que et affirme energiquement la valeur de son propre temoignage.

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PREMIERE PARTIE, CHAPITRE IV

rieuse. Jesus se plait a affirmer la presence de cet Autre qui temoigne en sa faveur et dorrt le temoignage prend une valeur durable et permanente (cf. les presents 6 µapTupwv et µapTupE1). La conscience qu'il a de l'existence de ce temoignage (cf. le o18a ön de 32b', qui nous oriente deja vers 8, 14)50 et surtout de sa totale verite-solidite (dX:r18fis), suffisent. Comme l'affirme M.-J. LAGRANGE, ce temoignage "apparait ici comme un premier rayon, pour eveiller l'attention"51. Tout devient plus clair et explicite pourtant dans la strophe des versets 5, 37-38:

:rr

a

Et le Pere gui m 'a envoye CELUI-LA

a'

at.emoigne au sujet de moi. Ni sa voix vous n'avez entendu ni son visage vous n'avez vu etsaParole vous n'avez pas en vous demeurant parce que celui g,u'a envoye

b'

a lui

b

c c' ~

c"

CELUl-LA

Kal 6 1Tlµl/Jas µE 1TaTI)p iKELVOS µEµapTUPTIKEV 1T€pl. lµoD. OÜTE wvi]v aUTOU 1TW1TOTE UKTJKOOTE OÜTE El8os ailToD E-wprumTE, Kal Tov X6yov auToD OUK EXETE EV uµ1v µE-vovTa,

ÖTl Öll UlTEaTElAEV iKELllOS, TOVT4J

vous ne croyez pas.

{Jµe'fs- or}

1TLUTEVETE.

•Jean met en valeur le demonstratif "celui-la" (EKE'lvos, en a et a'), commc pour bien manifester qu'enfin nous est offerte la reponse a la question du v. 32 sur l'identitc de cet Autre, dorrt l'action propre (elle aussi soulignee a deux reprises avec le verbe 1TEµ1Tw, qui attire l'attention sur celui qui envoie, et aTioaTE-Xhw, qui met l'accent sur la mission accomplie avec l'autorite meme de celui qui envoie) est d'avoir envoye Jesus dans le monde. La construction de ces versets est a nouveau admirable: alors que le debut enonce le temoignage donne par le Pere et que la fin deplore son rejet dans le refus meme de l'envoye Jesus, 50 0L8aTE

(present en certains manuscrits) a certainement remplace otBa comme le1;on facilitante car est vrai que, de prime abord, on ne voit pas comment Jesus, juste apres ce qu'il vient de dire au v. 31, peut en appeller a sa propre connaissance des choses. Pourtant faire intervenir les Juifs ici est aussi en contradiction avec ce que la suite nous revelera de leur refus du temoignage du Pere. "Sans cette elargissement du sens, le •je sais» qui vient rcnforccr lo t6moignag11 d11 J'„autr11" 1111rait difficilemP.nt. w~ ), et sa mission sera de designer Jesus a ses contemporains.

Ce refus de Jean de se presenter comme le Messie, Elie ou le prophete suscite chez .les pharisiens une nouvelle question, concernant cette fois son activite de baptiseur. Elle lui permet d'orienter l'interet des Juifs (et du lecteur) vers celui qui n'est encore a ce stade du recit qu'un mysterieux personnage, "un quidam" dont ils ne per1roivent pas .l'identite veritable: "Au milieu de vous se tient quelqu'un que vous ne connaissez pas" (µ€cros uµwv lO'T'TlKEV öv uµELS OUK ot8aTf67; v.26). Sa dignite est pourtant bien superieure a la sienne. Dans le: "Je ne suis pas digne, moi, de lui delier sa sandale" (v. 27), on peut en effet voir une allusion au droit matrimonial6s, plus particulierement aux lois concernant le levirat et a son rite de la halisa : "J'ai i>oif'' r.t "'l'nnt P.Rt r.nnRomme", la transfixion du coeur de Jesus ainsi que l'intervention de Nicodeme au moment de l'enoovolissement. Documentation complete et lecturP. fnnillP.r. rlP. la comparution devant Pilate dans: S. LEGASSE, Le proces de Jesus, II, pp. 490-526. 101 Schema inspire par 1. DE LA POTTERIE, repris par G. ROUILLER- M.-C. VARONE, Saint Jean, Echos de St-Maurice 3 (1978) p. 217. Cf. aussi G. RoUILLER, Passion et resurrection selon S. Jean (18 21), p. 23.

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Inserees dans un tel cadre, a la dynamique assassine, les scenes B et B' en revetent une dimension d'autant plus intense et clramatique. Commentons brievement la scene d'ouverture (A. 18, 28-32). Pilate sort du pretoire, rejoint les Juifs restes a l'exterieur (pour demeurer "purs", la Päque etant proche) et instruit la cause en s'enquerant du motif d'accusation (KaTT]'Yopla) porte contre Jesus. Les Juifs s'en tiennent pour l'instant a celui de "malfaiteur" (v. 30: KUKOV lTOLWV )102, qui justifie qu'ils le livrent a Pilate (prenant le relais de Satan et Judas; cf. le rrapa8l8wµL de 13, 2). Le procurateur romain, hesitant et opportuniste, prefärerait que le cas soit resolu de maniere interne, selon la Loi juive, mais sa proposition est rejetee (v. 31: 'Hµ'Lv OUK ~ernnv QlTOKTELVUl ou8lva). Du cöte des Juifs d'ailleurs, il y a longtemps que le proces est instruit, la cause entendue, et c'est la peine capitale qu'ils demandent au pouvoir en place d'executer103.

La scene qui nous interesse, la deuxieme (18, 33-38a), voit Pilate entrer a nouveau dans le pretoire. Ce «dedans» est aussi theologique: il convie le lecteur a choisir son camp, a se situer, l'espace d'une scene, dans une attitude d'ecoute de la revelation de Jesus et de foi dans le temoignage qu'il y rend. Le dialogue qui s'instaure entre Jesus et Pilatc dehutA .par une question-declaration capitale puisqu'elle porte sur la royaute de Jesus: "Es-tu le roi des Juifs" (v. 33: };u El 6 ßaaLAEUS TWV 'Iou8atwv; cf. Mc 15, 2; Mt 2, 2; Lc 19, 38). Ace moment du recit, une telle question est encore porteuse de bien des ambigu'itesrn4. La contre-question de Jesus veut clarifier le dehat. Quel sens Pilate donne-t-il a son interrogation? La pose-t-il de luimflme, selon la conception qu'il se foit du pouvoir et de la royaule, lui donnant une dimension politique? Alors certes, repondrait Jesus: "Non, je ne suis pas ro1!". Uu la pose-t-il parce qu'il adhere de quelque maniere a Ja croyance des Juifs? Une tellc hypothese revulse Pilate: qu'a-t-il cn commun avec ce peuple qu'il meprise (v. 35a MilTL E-yw 'Iou8a19s ElµL;)? La responsabilite de toute cette affaire (coup de pouce de l'Evangeliste evident ici) ne repose-t-elle pas sur la nation juive, gran~s-pretres en tete, qui l'ont livre a lui (TTapE8WKQV O'E Eµo(; cf. v. 30)? Evitant de repondre a la question de Pilate sur sa conduite ("Qu'as-tu fait?"; V. 35b), Jesus elargit le debat et, dans un premier temps, precise en quoi consiste sa royaute (v. 36): 102 Plus tard, les accusations se feront plus precises: Jesus s'est fait Fils de Dieu (19, 7) et s'est pretendu Rui (19, 30). 103 Notons l'habilete de Jean qui, bien que laissant Jesus en dehors de la scene, situe sa parole prophetique au-dessus des debats et complots humains (v. 32): Jesus savait et avait annonce de quelle mort il allait mourir (cf. peut-etre 3, 14; 8, 28; surtout 12, 32.33). 104 Dans l'Evangile, c'est Nathanael qui, le premier, s'etait ecrie: "Rabbi, tu es le Fils de Dicu, tu es le Roi d'Israel" (1, 49: uu d b ulbs Toii 0rnii, au ßaatAf-us Et Toll 'lapai'JA.), mais l'ambigui:te d'une royaute terrestre et militaire demeurait. Apres le signe de la multiplication dcG pains d'ailleurs, Jesus, "i,u:l rendant compte qu'ils allaient venir s'emparer de lui pour le faire roi ('lva TTotiJawatv ßaatMa), s'enfuit a nouveau dans Ja montagne, tout seul" (6, 15). C'est encore cette attente d'un messianisme royal que suppose l'acclamation de Ja foule lors de l'entree a Jerusalem: "•Hosanna! Beni soit celui qui vient au nom du Seigneur et 111 roi d'Isruöl" (12, 13: b ßaatAdJ~' ruil '! upai'JA.).

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PREMIERE PARTIE, CHAPITRE IV

"Mon Royaume n'est pas de ce monde; si mon royaume etait de ce monde, mes subordonnes combattraient pour que je ue sois pas livre aux Juifä; en realite mon royaume n'est pas d'ici".

La maniere dont Jesus parle de "ce monde" permet de comprendre que le Royaume dont il est question, son Royaumel05, est eschatologique, meilleur, du "monde a venir". Bien que deja inaugure et present sur cette terre, "il n'est pas de ce monde" (elvm ~crnv EK Tou K6crµov TouTov) dans la mesure ou il ne tire ni son origine, ni sa coherence, ni son sens de l'univers des hommes1os. Le Royaume de Dieu et de Jesus a ses lois propres, sa logique, ses structures, d'un tout autre ordre que celles de ce monde, celui "d'ici" (€vTeu0ev). Le meilleur exemple pour faire comprendre la distance qui separe ces deux types de royaute dP.mEmre, au temps de Pilate et aujourd'hui encore, celui de l'armee: si J~sus a ete livre aux Juifs (8. nouveau rrapa8o0w, cf. 18, 30.35), c'est que sa royaute ne s'appuie sur aucune force militaire et ne ressemble a aucune puissance terrestre! Tout malentendu est donc ecarte: il ne s'agit pas pour Jesus d'etre roi a la romaine (a la Pilate), pas plus que de satisfaire aux attentes guerrieres et politiques de tout un pan du messianisme juif esperant la venue. du Messie-Roi qui delivrerait le peuple de l'occupant romain et restaurerait le Royaume d'lsrael. Le debat n'est pourtant pas clos, et Pilate pose une nouvelle question (v. 37a): "N'est-ce donc pas que tu es, toi, roi? (OuKouv ßacrt>..eus E1 cru;)", qui permet a Jesus de s'exprimer plus clairement sur sa royaute. Sa reponse, solcnnclle, est magnifiquement construite (18, 37b)107: "«Toi, tu dis que je suis roi. Moi pour cela j'ai ete engendre, et pour cela je suis venu dans le monde, afin que je rende temoignage a la verite; quiconque etant de la verite ecoute ma voix»".

~u

>Jye:Ls IITL ßmrLAE"\Js ElµL. Els Tofrro

eyw

'Y€'YEVVT]µaL Kal Els TOVTO €>..ft>..u0a. Els Tov Kooµov, 'i.va µapTilf>1lo'w Tfl ciAT)0E:t~ • 'lTiiS b O'>v f°K Tfls ciAT)0Elas d.Koil€L µou Tijs cf>wvfjs.

105 Alors que le NT evoque le plus souvent le Ryaume "de Dieu", il est ici question du Royaume du Fils (cf. aussi Col 1, 13; Ep 5, 5; lCo 15, 24-29). ' 106 L'expression "etre de" (elvaL tic) ou "ne pas etre de" indique chez Jean soit la provenance (1, 46; 7, 22.52), soit une appartenance a (3, 1; 7, 50; 10, 26; 12, 20) pouvant aller jusqu'a la communion (lJn 2, 19). En Jn 8, 23, Jesus avait deja oppose en ces termes son origine (je suis d'en haut, je ne suis pas de ce monde) a celle des juifs (vous etes d'en bas, de ce monde). En 18, 36, le monde n'est sans doute pas a comprendre de maniere negative mais neutre. La nuance depreciative lui vient du pronom "ce" (tic ToO ic6aµou ro6Tou). Cf. encor-,i 17, 11.16. 107 Relevons: deux propositions introduites par deux pronoms ("toi", puis "moi"); deux elements paralleles introduits par deux ds T00To suivis d'un verbe au parfait; une finale en ~va indiquant le but de sa venue; enfin le rappel qu'un tel temoignage ne peut etre que re~u ou refuse.

TEMOIGNAGE ET «ECOLE JOHANNIQUE»

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L'expression ~u A.Eyns ön ßamA.Eus Elµt exprime sans douterns le consentement prudent de Jesus car si la notion de royaute est bien comprise, il n'a aucun motif de renier son titre de roi. La suite du verset lui permet d'ailleurs de preciser comment il exerce une telle royaute. Elle constitue une magnifique synthese de theologie johannique sur la venue du Royaume de Dieu, qui se deploie en trois temps: 1) Le temps de l 'envoi d'abord. 11 est evoque par deux expressions construites en parallelisme progressif, autour ·des verbes "naitre" et "venir". YEYEVVT]µm souligne la naissance de Jesus d'une femme, son incarnation (1, 14), qui le rend a jamais (cf. parfait-present) solidaire des hommes. €A.fiA.uaa souligne a la fois son origine divine et le but de sa venue Els Tov K6crµov. Alors que parfois Jesus l'evoque en utilisant l'aoriste !tA.Elov (venue alors comprise comme un fait du passe dont le but, a venir, est le but final de sa missionl09), il utilise ici un parfaitpresent qui equivaut presque a un "je suis parmi vous" (cf. 16, 28: "Je suis sorti du Pere et je suis venu dans le monde (€~fjA.0ov rrapa Tou rraTpos ml €A.fiA.u0a Els Tov K6crµov). Le but de cet €A.fiA.u0a n'est ainsi plus renvoye a l'oeuvre de salut a accomplir plus tard mais se realise dans le concret et tout au long de la vie de Jesus, dans la mesure ou son incarnation fait de lui une presence revelatrice, comme l'indique la suite du versetuo. · 2) Le temps du temoignage ensuite. Les deux Els TOUTO explicitant les uwtifi,; de l'e11vui sunt recapituMs dans le tva qui met en pleinc lumiere le but de la mission de Jesus: Yva µapTvpfiaw Tf,j ci.A.T]0Ffq . •Jesus temoigne en faveur de la verite (datif d'interet), c'est-a-dire pour la servir, la defendre, la faire connatlre et uimer des hommes111. Qu'est cette "verite"?112 L'auteur du Quatrifimp, F.wmgile ne l'identifie ni a la verite platonicienne (la realite ultime s'opposant au monde des phenomenes) ni a celle du dualisme gnostique (devalorisant le monde sensible): "On ne decele rien dans S. Jean de cette conception typiquement grecque, qui voit la verite dans l'essence meme des choses, la nature de 108 Cette expression a ete diversement interpretee et traduite: "Tu le dis: je suis roi" (BJ); "Toi-meme dis que je suis roi" (DELEBECQUE); "C'est toi qui le dis: je suis roi" (OSTY); "C'est toi qui dis que je suis roi" (TOB). 109 Ainsi 9, 39: l'option de l'homme, son disc11rn11ment face au Christ; 10, 10: le don de la vie aux hommes, en surabondance; 12, 27: l'accomplissement de l'oeuvre du salut au moment de l'"heure"; 12, 47: la realisation du salut du monde. Comme l'ecrit I. DE LA POTTERIE, La verite, l, note 59, p. 102: "On voit donc que, dans chacun de ces cas, le but de l'Incarnation est ce dernier stade a atteindre: par rapport au moment passe de l'Incarnation (indique par ~>.aov), ce but est projete dans l'avenir". 110 Les autres usages du parfait de lpxoµat en 3, 2.19; 7, 28; 8, 42.43; 12, 46 soulignent eux aussi la revelation apportee par Jesus. 111 Les Qunm1niens se presentaient comme etant "temoins de la verite", c'est-a-dire veridiques (cf. F.-M. BRAUN, L'arriere-fond judai:que du quatrieme Evangile et la communaute de l'alliance, RB 62 (1955) 5-44). Notons qu'en 3Jn 3 l'on retrouve cette formule, mais dans le sens d'un temoignage rendu a la fidelite doctrinale et a la conduite chretienne de Cai:us: "... freres qui rendent temoignage a ta verite". 112 Cf. deja nos remarques sur l'd>.119..-fi0e:ta: l 'enseignement que Jesus donne de la part de Dieu (fü8ax-fi; cf. 3, 2: fü8cicrKaAoc; ); [a paro[e revelatrice (A6yoc;; 8, 43) qu'il communique aux hommes par son Langage (>..a>..tci; 8, 43); la lumiere qu'il est en personne (cJ>wc;; 3, 19; 12, 46).

Ainsi dune, quand Jesus parle de la verite, il designe d'o.bord pur 10. la revelation messianique qu'il apporte d'en haut, en faveur de la'lllP.llP. il temoigne et qui est la raison d'etre de sa presence parmi les hommes. Pourtant il dira de lui-memc: "Je suis la verite" (14, 6)114, identifiant cette revelation au devoilement du mystere de sa propre personne. La verite est donc bien tout a la fois et indissociablement depuis l'Incarnation la revelation que Jesus apporte et celle qu 'il est. I. DE LA POTTERIE commente (La verite, I, pp. 104-105): "En temoignant pour lA verite, il temoigne pour lui-meme. 11 est essentiel, croyons-nous, sous peine de gauchir la vraie portee de cette parole de Jesus, de maintenir fermement l'un et l'autre de ces deux points de vue, et de les unir synthetiquement: d'une part, - et c'est de la qu'il faut partir - le mot €) mais surtout 4x au parfait: 19, 19: "il ötait ecrit" ('7]v llt y.:ypaµµt1•011); 19, 20· "Pt r.'P.tait P.r.rit 1m hebreu.„

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gravee (valeur du parfait) dans la memojre des Juifs qui lisent cet ecriteau comme dans celle des lecteurs de l'Evangile. C'est bien au Calvaire et sur la Croix, a travers sa Passion et sa mort, que Jesus devient pleinement et definitivement Roi. Sauveur du monde attirant a lui tous les hommes (12, 32), c'est en mourant qu'il livre l'Esprit (19, 30), veritable Agneau pascal (19, 33.36) et source du salut par le sang et l'eau qui coulent de son cöte (19, 34)121. Le recit de la passion s'acheve d'ailleurs sur un texte de Zacharie (12, 10) exprimant la foi des croyants regardant vers le Christen croix. Eleve de terre, le Christ-Roi manifeste la plenitude de la verite en exprimant la plenitude de l'amour de Dieu pour les hommes (cf. lJn 4, 9-10; Jn 3, 16). L'heure du salut et du jugement, deja anticipee symboliquement dans la scene du Lithostrotos (19, 13-16: Jesus y est Roi et Juge), devient pleinement effective dans cet unique mystere de la passion-mort-exaltation de Jesus. Dans S. Jean, note 1. DE LA POTTERIE122, "le jugement n'est donc rien d'autre que le rejet de la revelation apportee par Jesus, le refus d'accueillir sa parole de verite. Pareil jugement est deja condamnation, la Kpl.cnc; est une KaTciKpLCnc;; mais c'est l'homme lui-meme, par son choix negatif, qui prononce sa condamnation. (. .. ) Jesus avait porte son temoignage devant les hommes pour etre accueilli par eux avec docilite et foi (18,37): ce devait etre le fondement de sa royaute spirituelle. A la fin du proces, Pilate proclame ouvertement devant les Juifs cette royaute du Christ, mais eux n'ont que ce seul cri: «Enleve, enleve! Crucifie-le!». C'est ce choix qui les juge. On aper~oit donc tout ce qu'il y a de saisissant dans le fait meme que, exactement a cet instant, Jesus est la en silence devant eux, dans l'attitude dujuge. 11 est leur juge parce qu'ils ne veulent pas croire qu'il est leur roi".

(ical ~v yfypaµµtvov) et 19, 22.22: "O ytypmpa, ytypaa.

121 C'est la, nous aurons l'occasion de le developper dans notre prochain chapitre, l'une des grandes differences avec l'Apocalypse: si Jesus triomphe du monde et du Prince de ce monde (cf. 12, 31; 16, 33), ce n'est pas pour cela qu'il est acclame roi, mais parce qu'il est le maitre qui veut amener a la foi ses disciples par sa parole de verite et la force du temoignage de sa mort. Sa royaute est totalement orientee vers le salut des siens. Dans l'Apocalypse au contraire, «victoire du Christ» sur ses adversaires et «royaute» sont etroitement lies. Non parce que sa royaute s'inaugurerait par ce triomphe sur les puissances ennemies (l'auteur dira qu'elle le fut par sa victoire d'Agneau immole, par son sang, c'est-adire son sacrifice pascal) mais parce qu'elle se deploie et se continue dans l'histoire humaine par un combat sans merci contre Satan et les forces du mal, duquel il sortira victorieux. 1. DE LA POTTERIE ..EM>-T)Ka souligne sa permanence) que !'Esprit continucra de faire entendre. Car s'il a pa1'16 a ses disciples tant qu'il demeurait aupres d'eux, viendra Un temps Oll Sa revelation leur parviendra par l'Esprit Saint, qui ne sera plus seulement donne sur la priere du Fils (cf. 14, 16) mais "en son nom", par l'autorite et la puissance de sa personne. Deux verbes importants, situes en parallelisme progressif, recapitulent la mission du Paraclet: il enseignera (EKELVOS vµiis füBcieH 1TaVTaKat), c'est-a-dire fera le memorial (viroµvficrn iJµiis ircivTa) de la parole et de l'enseignement de Jesus (ircivm li Elirov vµl.v [f-yw]). L'Esprit reprenrrapaica>.erv (connus du NT) mais seulement rrapaic>.tjTo.lJTOJyen Tov K6crµov). Le verbe €>.fyXELV est fort: il signifie fondamentalement demontrer l'erreur ou les torts de quelqu'un142. Ainsi le Paraclet convaincra et fera apparaftre les torts du monde. L'enjeu de l'instruction d'une telle cause n'est rien moins que d'obtenir la revision du proces fait a Jesus. Il faut que, aux yeux et dans les coeurs des croyantsl43, Jesus soit rehabilite par l 'Esprit, et cela sur les trois points importants du peche, de la justice et du jugement (v. Sb). · Les vv. 9-11 le precisent: • En matiere de peche (v. 9), le Paraclet fera clairement comprendre aux hommes droits que tout (les Ecritures, les paroles et signes de Jesus) devait conduire a la foi. 11 demontrera ainsi que le peche consiste en un refu.R dP. r.roire en Jesus. • En matisre da juotice nussi (v. 10), l'Esprit de111011trera au.x. hummes qui ont juge Jesus comme un criminel et l'ont mis a mort au nom de la Loi qu'il etait le Juste par excellence (cf. lJn 2, 1) et qu'il avait vecu en totale communion d'amour avec la volonte de son Pere. En fait de justice, le Paraclet manifestera ainsi l'iniquite de la sentence de mort portee contre Jesus et exaltera par la-meme le bien-fonde de la foi en la Resurrection, oeuvre de justice du Pere (cf. "aller vers le Pere"; "ne plus me voir"). • En matiere de jugement enfin (v. 11), le Paraclet etablira que si jugement il y eut, ce fut celui du Prince de ce monde (b dpxwv Tou K6crµou TOVTov KEKpLTat; cf. 12, 31). Ainsi donc seul le Paraclet, dans les conditions de foi difficiles et troublantes du croyant dans le monde, saura «confondre» le peche et SaLau t!L muuLrtlr la justice et l'innocence de Jesus.

• Jn 16, 12-13a. La derniere promesse de !'Esprit se rapproche, par son contenu, de la deuxieme. Elle precise les modalites du memorial des paroles de Jesus que !'Esprit accomplit dans le croyant. Sa visee est recapitulative: "v. 12 J'o.i encore bien des choses a vous tlire mais vous ne pouvez pas les porter maintenant; v. 13 lorsqu'il viendra, !'Esprit de la verite, il vous conduiro. sur la route de la verite touL entiere". Deux temps sont supposes: la periode prepascale et celle postpascale. Avant Paques, "maintenant" (dpn), Jesus communique a ses disciples les paroles et enseignements qu'ils sont capables de comprendre144; ils ne sont pourtant pas en mesure de porter (ou 8Vvaa6E ßaani(nv) tout ce qu'il a a leur transmettre, et Jesus a encore beaUCOUp a leur dire (wETL 1TOAAcl 142 Dans le cadre d'un proces, cela necessite une enquete serieuse, un interrogatoire, une refutation des arguments avances, l'etablissement de la culpabilite et l'enonciation du chätiment. 143 E. COTHENET (Le Saint Esprit dans le corpus johannique, DBS XI (1987) 374) le note avec pertinence: "C'est dans le coeur du croyant que le Paraclet intervient pour demontrer, face aux objections t!L itux itccmiations du monde, que le Christ est dans son bon droit. Cette intervention est d'autant plus urgente que l'excommunication portee par la synngogue (cf. 16, 1·4) a jete les Ji.1:1ciplt!1:1 Jans un profond desarroi". 144 C'est ce long et onereux processus de revelation et de communication qui est mis en oeuvre, dans les Synoptiques, quo.nd J6ou11 propose sa parole sous fu1·wl:! dt! paraboles, une · parole qui est lentement explicitee et interiorisee sous l'action de la gräce et de l'Esprit (cf. plus particuli.ert!Wt!t!L Mc 4 eL Mt 13).

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EXW uµLV >..Eynv). Apres Paques, "lorsque viendra l'Esprit de la verite" (nouvel usage de €pxoµm; cf. 16, 8), c'est lui qui, patiemment, respectant leur liberte et leur accueil progressif de la verite, les "conduira sur la route" (b8TJy{iC7EL: 081JYEW) qui mene jusque "dans la verite tout entiere" (EV Tfl W..110e:tc,i 1TclCTIJ )145. Les versets suivants (16, 13b-15) sont entierement places sous le signe de laparole (2xM>-nv,cl.Kounv, 3xcl.vayye:>-e:tv). Bien qu'il n'ait pas de parole propre a dire (ou yap >-a>-ficre:L acf>' EUUTOU) et ne communique que ce que le Fils a revele de la part du Pere (aU' öcra UKOUcrEL >-a>-ficrn ), l 'Esprit se presente avec une mission prophetique de "devoileur-annonceur" de ce qui doit venir (Tel E-pxoµe:va UVU'Y'YEAEL Uµ:iV ). C'est lui qui, recevant la parole-revelation possedee pareillement par le Fils et le Pere (v. 15: mivTa öcra EXEL b nan'ip E-µci EcrTLV ), l'ayant entendue aupres d'eux, la "devoilera", rendant intelligible et clair ce qui etait reste mysterieux et confus et rendant ainsi gloire a Jesus (he:l:vos E-µE: ~aan)146.

Concluons. Ces promesses manifestent que, dans la perspective johannique, l'Esprit est temoin de Jesus en etant, selon l'expression de C. CHARLIER, "la presence dans l'absence"147. Le temoignage qu'il rend a Jesus est toujours lie a la vie du disciple d'apres Paques: - en tant que Paraclet, il exerce une fonction «discretiva». «Avocat-defenseur», il se fait partenaire du croyant dans son combat contre Satan et les puissances des tenebres. C'est lui qui condamne et confond le monde, denonce ses illusions, discerne ses pieges et mensonges, manifeste au disciple la pertinence de la parole de Jesus, la lumiere neuve qu'elle apporte sur les circonstances et evenements qu'il traverse. - en tant qu'Esprit de la verite, il exerce une fonction a la fois «memorativa» et «evangelisatrice». Continuateur de ce que Jesus a inaugure durant sa vie, il enseigne et fait memoire de la revelation qu'il leur a transmise, permet sa juste comprehension et son intelligence toujours renouvelee. Il appara!t ainsi non d'abord comme le Seigneur de la mission et du temoignage «ad extra» (perspective lucanienne, presente pourtant en Jn 20, 22) mais comme le serviteur de l 'interiorisation de la parole de Jesus. Vivant au coeur du croyant, il rend possible son adhesion de foi, la fortifie dans les epreuves (en contexte de haine et de persecution tout particulierement), neutralise ses tentations toujours renaissantes d'infidelite et de refus de croire en Jesus. C'est en realisant cette double mission que l'Esprit, present et actif dans le croyant qui rer;oit son temoignage, maintient vivantes et sereines sn foi, sa joie et sa charite. 145 TERTULLIEN, Adversus Praxean 2, 1, parle de l'Esprit comme du "deductor omnis veritatis". 146 D. MüLLAT, L'Evangile selon Saint Jean, in La Sainte Bible, 19602, pp. 166-167, a propos de Jn 16, 15: "L'Esprit ne fera que manifester les richesses du mystere de Jesus. 11 glorifiera Jesus. Mais Jesus lui-m~me ne fait que glorifier le Pere (17, 4), de qui il tient tout (3, 35; 5, 22.26; 13, 3; 17, 2). La revelation est donc parfaitement une; prenant sa source dans le Pore et s'operant par lll Fil11, 111111 ~'ad1ev11 dans l'F.Rprit, fl lA e-loirn rlu Fils et du Pere". · 147 Cf. C. CHARLIER, La presence dans l'absence, Bible et Vie chretienne 2 (19153) 61-715.

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G. LE «DISCIPLE QUE JESUS AIMAIT», TEMOIN OCULAIRE ET ECRIVAIN Il nous reste a evoquer un temoin important: "le disciple que Jesus aimait". Deux textes mentionnent directement son temoignage (Jn 19, 35 et 21, 24) mais plusieurs autres (tous, propres a S. Jean) nous aident a mesurer le poids que le Quatrieme Evangile lui accorde. • Jn 13, 23-25 tout d'abord. Lors du dernier repas, le narrateur nous dit qu"'a table, tout contre le sein de Jesus, se trouvait un de ses disciples, celui que Jesus aimait" (Els €K TWll µaOr]TWll avTOD EV Tc{) K6A.rrcp Tou 'I TJO"OÜ, öv rjyarra b '/ T]aoDs-). La mention du "sein" (K6A.rroc;) pourrait rappeler le Prologue (1, 18) et l'intimite decrite entre le Pere et le Fils, son interprete et revelateur. Plusieurs exegetes (dont J. ZUMSTEIN148) n'hesitent des lors pas a affirmer que le "disciple bienaime" est appele a jouer, a l'egard des disciples, un röle analogue de temoin et d'hermeneute du Christ. C'est lui precisement qui, lors de ce repas, sert d'intermediaire entre Pierre et Jesus dans le dialogue entame pour connaitre l'identite de celui qui livrerait le Maitre149. • Jn 19, 26.27. Nous retrouvons le «disciple bien-aime» (Kal Tov µa8T]TTJV rraprnTwrn öv -fiycirra), avec la mere de Jesus, au pied de la croix. Quel röle jouent ici ces deux personnages? Figures symboliques de l'Eglise dans sa vocation a la fois de mere et de disciple vivant de la foi15o, ils apparaissent comme les premiers «Sujets» du Christ-Roi, realisant en germe et de maniere symbolique la prophetie de Ca'iphe (11, 49-52: Jesus allait mourir pour rassembler dans l'unite les enfants de Dieu disperses) ei celle de Jesus lui-meme (12, 32-33: eleve de terre, il attirerait tous les hommes a lui). Ils manifestent, «en acte», l'unite suggeree par la tunique sans couture et non dechir6c des vv. 23-24. S'agit-il de Jean, . l'Apötre de 1, 40? Pas plus qu'en 13, 23, l'evangeliste n'indique son nom. Seul compte a ses yeux, pour lui comme pour la mcrc de Jesus, la relation personnelle qu'il entretient avec le Roi Crucifie et qui fa~onne son identite profonde. De ce point de vue l'on peut dire que "le disciple que Jesus aimait" est ici personnalite corporative du croyant, type et modele de tout temoin. • Jn 19, 35. Dans cette scene qu'il est a nouveau seul a rapporter (19, 31-37), l'evangeliste regroupe au v. 35 une serie impressionnante de vocables qui manifestent l'importance qu'il accorde a l'evenement decrit dans les vv. 31-34. Les Juifä en effet avaient demande a Pilate 148 Cf. J. ZUMSTEIN, La redaction finale de l'evangile de Jean (a l'exemple du chapitre 21), in KAESTLI J.-D.- POFFET J.-M.- ZUMSTEIN J. (Ed.), La communaute .iohannique et son histoire, pp. 207-:.180. Les pp. 226-228 traitent du disciple bien-aime, auquel l'auteur avait deja consacre l'article: «Le disciple bien-aime•» Foi et Vie 76 (1987) 47-58. 149 En Jn 18, 15-16, c'est le «disciple bien-aime» (designe ici comme "un autre disciple"; cf. l'expression en 20, 2) qui permet a Pierre d'entrer dans la cour du gr~nd-pretre. 150 Cf. M.-A. CHEVALLIER, La fondation de "l'Eglise" dans le quatrieme evangile: Jn 19/25,30, in IDRM, Sm1.f17.P dP niPll., TTT, pp. 61-71.

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que l'on brise les jambes des crucifies (pratique connue pour häter leur mort) et que l'on retire leurs corps afin de pouvoir les enterrer avant la nuit (selon le precepte de Dt 21, 23), surtout en ce sabbat precedant la Päque. Or l'auteur note qu'arrives devant Jesus et le voyant mort, les soldats ne lui briserent pas les jambes mais que l'un d'entre eux "piqua (frappa, blessa) son flanc par une lance et il sortit aussitöt du sang et de l'eau" (v. 34). Le sang, dans la perspective des mentions de la Päque, des allusions a l'Agneau pasc~l et du discours sur le pain de vie (6, 53-56), designe dans le Quatrieme Evangile le sang pascal, a la Valeur a la fois sacrificielle et purificatrice (cf. lJn 1, 7). Le sang qui sort du cöte de Jesus est le signe d'un temoignage a la verite (cf. 18, 37) porte jusqu'a l'extreme de l'oheissance et de l'amour (cf. 13, 1). Pour le croyant, il est signe de la plenitude de son mystere pascal sauveur dont !'Eucharistie (qui n'est visee ici que secondairement) demeure le memorial efficace pour tous les temps. L 'eau est liee, dans S. Jean, a la fäcondite de la parole, a la vie eternelle et surtout a l'Esprit Saint (cf. 3, 5; 4, 14; 7, 37-39; 16, 7; etc.). Elle symbolise ici la vie que Jesus deverse sur le monde et qu'il transmet en livrant l'Esprit (19, 30), manifestant ainsi la fäcondite de la croix que le bapteme offre au croyant151.

L'Evangeliste fait du «disciple bien-aime» (non mentionne comme tel, notons-le), le temoin de cet evenement et surtout de son sens salvifique: "Et celui qui garde la vision devant les yeux est temoin, et son temoignage est veridique, et cet homme-la sait qu 'il dit vrai, afin que vous aussi vous veniez a croire"1s2. Nous retrouvons les notes-types du temoignage: - le temoin est d'abord "celui qui a vu" (Kai o €wpaKÜK), qui "garde la vision devant les yeux", comme le traduit E. DELEBECQUB, soulignant la valeur du parfait grec. - celui qui a contemple "a temoigne et continue de temoigner" (nouveau parfait, µEµapTUpTtKEV). De quoi temoigne-t-il? Non de l'objet meme du temoignage (comme ailleurs: de Jesus, de la lumiere, etc.), mais du «fait significatif». Par son temoignage sur le sang et l'eau jaillis du cöte du Crucifie, il revele le sens de l'evenement de la croix. - "et son temoignage est veridique" (Kal .116Lv6i; en lien avec le temoignage quand nous aborderonl'l l'Apo~RlypRP. P.t lll mP.ntion r!P. ,JP.snl'l "tP.moin firlP.lP. P.t 11P.ridiquP.".

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5, 32; 8, 14) et l'usage de l'autre adjectif de la verite, pratiquement equivalent a d>..TJlkv6i;, d>..TJ~i;. - "pour que vous aussi vous croyiez" ('iva Kal uµe'LS 1TLO'Tdfo}riT€ ). Toujours le meme et unique but vise par le temoignage: la foi du lecteur.

Le jaillissement du sang et de l'eau du cöte ouvert de Jesus est salue comme l'accomplissement des propheties messianiques (vv. 36-37)154. Un tel temoignage, corrobore par ces deux citations scripturaires, re~oit ainsi une valeur normative. • Jn 20, 2.4.8. Nous retrouvons "l'autre disciple, celui que Jesus aimait" ('!Tpos TOV a>J..ov µa0rrrriv ßv E:cpiAe-L 0 'ITJO"OUS), en 20, 2, quand Pierre et lui-meme re~oivent de Marie de Magdala l'annonce de la disparition du corps de Jesus. Courant alors au tombeau, l'auteur note que "l'autre disciple", plus rapide (20, 4), arriva le premier, "vit et crut" (20, 8: 1eal elBe-v 1eal hriO"Teuaev). Une fois encore, celui-ci est presente au lecteur comme le modele du croyant, celui qui, etant de la verite (cf. 18, 37), a accueilli le temoignage de Jesus. Ayant vu le «signe» du tombeau vide, il a cru en Jesus Vivant, mais aussi sans doute, selon la portee du maTEUELV johannique, en Jesus Fils de Dieu, Verite. Le «disciple bien-aime» precede chaque membre de l'Eglise (meme Pierre) sur le chemin de la foi. • Jn 21, 7.20. Dans le chapitre 21, epilogue redactionnel de l'ecole johannique155, c'est encore "le disciple que Jesus aimait" (o µa0T]n1s E:1eetvos ßv i'Jychra ö 'I TJO"OUS) qui, seul a reconnaitre le Ressuscite dans celui qui apparait aux disciples au bord du lac de Tiberiade, dit a Pierre: "«C'est le Seigneur!»" (21, 7). Pourtant, la figure et la mission de Pierre sont bien mises en valeur dans le dialogue que .Jesus 154 Si

la seconde citation biblique est celle de Za 12, 10, la premiere semble fusionner Ex 12, 10.46 LXX et Ps 34 (33), 21. P. GRELOT y voit les traces d'une homelie grecque sur le texte de la LXX, "le reste d'une homelie sur Ex 12 dans le cadre de la Päque chretienne, avec une «Ouverture• tiree du Ps 34, 21" (lntroduction a la Bible III, vol. 8:. Homelies sur l'Ecriture, Desclee, Paris, 1989, p. 250). G. RoUILLER (Passion et resurrection selon S. Jean, p. 63) le note avec pertinence: ces deux citations "apportent la caution de l'Ecriture a ce

que le temoin sait etre une serie d'evenements capitaux qui culminent dans le jaillissement du sang et de l'eau". Ces evenements sont lies a la figure de l'Agneau pascal d'Ex 12, du juste persecute du Ps 34, de la conversion du peuple suscitee par le Seigneur et de l'immense lamentation pour le peche d'idolätrie commis (Za 12), dans l'esperance de ce jour annonce oii "il y aura une sou1·ce uuverte a la maison de David et aux habitants de Jerusalem pour (laver) le peche et pour la souillure" (Za 13, 1, sans doute inspire par Ez 36, 25 et Jr 31, 34). 155 C'est la double these defendue par J. ZUMSTEIN, La redaction finale de l'evangile de Jean, in KAESTLI J.-D.- POFFET J.-M.- ZUMSTEIN J. (Ed.), La communaute johannique et son histoire, pp. 213-214: 1) litterairement, l'Evangile porte la marque incontestable d'une redaction finale, distincte du travail de l'evangeliste (cf. 5, 28-29; 6, 51c-58; 13, 12-20; 21); c'est un texte en devenir, qui doit etre lu dan11 11on dynamisme intcrpr6tatif; 2) historiquement, le milieu dans lequel s'est developpe cet effort interpretatif (et la croissance du texte) est l'ecole johannique, "milietf structure et theologiquement coh6rcnt, dont l'activite consiste a transmettre, a expliciter et a actualiser la tradition dans un esprit de fidelite a son fondateur, le disciple bien-aime". La redaction finale, tout en prolongeant la tradition qui la precede, opere un developpement interpretatif du texte qui permet son «recadrage• en fonction du travail theologiquP. dP. l'P.r.nlP. P.t des question11 et difficultes ecclesiales nouvelles qui ont surgi.

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echange avec lui, en 21, 15-19: retablissant par une triple question ("m'aimes-tu?") le renieur de la passion dans son statut de disciple aimant, le Seigneur fait de lui le pasteur de ses brebis, le gardien de son Eglise. Il l'invite par un nouveau "suis-moi" (cf. 13, 36) a l'accompagner dans le martyre, pour la gloire de Dieu. On sent ici la volonte du redacteur final de preciser, aux yeux de son lecteur, la relation entre Pierre et le «disciple bien-aime», la responsabilite postpascale et ecclesiale de chacun156. Pierre apparait comme le partenaire privilegie de Jesus et re~oit du Berger lui-meme la charge du troupeau (de son unite dans l'ecoute commune de sa voix). Dans le dialogue qui se poursuit entre Pierre et Jesus (21, 20-23)157, ce n'est pourtant que du «disciple bien-aime» (oublie depuis le v. 7) qu'il est question, aussi bien dans la question de Pierre (vv. 20-21) que dans la reponse enigmatique de Jesus' (vv. 22-23) ou dans l'explication donnee par le disciple (vv. 24-25). · Suivons le fil du recit. Pierre, se retournant, voit, marchant a leur suite, "le disciple que Jesus aimait" (v. 20: ßx.€1TEL Tov µa8T)n']v öv iiyciTia 6 'I T)aoüs ). Pour que ne subsiste aucun doute sur la credibilite d'un tel temoin, Je redacteur rappelle le geste du disciple lors du dernier repas: c'est bien "celui-la meme qui, durant la repas, s'etait penche sur sa poitrine et avait dit: «Seigneur, qui est-ce qui te livre?»"158, Pierre s'interroge (v. 21): "Seigneur, et lui?", quelle sera sa mission? Les vv. 20-23 permettent au narrateur de rappeler (en inclusion) les paroles de Jesus a son propos: "Si je veux qu 'il demeure jusqu 'a ce que je vienne, que t'importe". Il refute ainsi la legende ayant pretendu que celui-ci n'etait pas mort, legende sans doute due a une interpretation erronee du "demeurer" (µ€vnv) compris comme l'assurance d'une permanence corporelle. La suite du texte eclaircira ce point.

• Jn 21, 24-25. Ces versets qui clöturent l'Evangile fournissent la cle de lecture du «demeurer» et ,precisent sous quelle forme le «di§lciple bien-aime» prolonge sa presence et son action au sein de l'Eglise post-pascale. Nous pouvons les lire en parallele et en echo avec la «premiere conclusion» (a la fois theologique et litteraire) de l'Evangile, en 20, 30-31159:

156 Selon J. ZUMSTEIN, l'ajout du chapitre 21 a pour fonction de donner a l'Evangile un statut reconnn rlans et par les Eglises chrP.tiennes de la fin du 1er s. Ainsi cet epilogue, tout en reconnaissant l'autorite des donnees contenues dans le corps de l'Evangile, opere un «recadrage» (a la portee avant tout ecclesiologique) par "l'attribution de l'evangile au disciple bien-aime d'une part, par l'articulation de la relation entre Pierre et le disciple bien-aime d'autre part" (La redaction finale de l'evangile de Jean, in o.c„ p. 229). 157 Cf. 1. DE LA POTTERIE, Le temoin qui demeure; le disciple que Jesus aimait, Bi 67 (1986) 343-359. 158 Ce geste est reste comme le si~ne distinctif du «disciple bien-aime». Une tradition patristique designe d'ailleurs Jean (!) comme b f-mcrTI]0Lo.Aa µE:v Kal d>.Aa OT)µE'ia, 20, 30; Kal dAAa. 1TOAAcl a E1TOLTJO'EV, 21, 25). On peut entendre par la l'ensemble des paroles et gestes du Verbe fait chair desireux d'etre reconnu dans son etre de Fils et d'Envoye du Pere. Ces signes furent faits "sous les yeux de ses disciples" (20, 30) et 19, 35 n'a pas manque d'insister sur la vision dont le «disciple bienaime» fut le Mneficiaire. Ainsi en 21, 25 le narrateur peut-il conclure: Ofrr6s- tcrTlV o µa6T]n1s 6 ~W.JlT11r1llv 1TEpl ToilTwv. C'est grace a son temoignage qu'il demeurera, par-dela sa mort. 11 est et demeurera, a travers les siecles, "le temoignant" (participe present 0 µapnipwv )160.

ow

Comment temoigne-t-il? Par l'ecrit. Ce qui va assurer la perennite de son temoignage, c'est sa mise par ecrit. 21, 24 place en parallelisme progressif les deux expressions: o µapTUpwv 1TEpl TovTwv Kal 0 ypdl/;a:; ravra. Peu importe si beaucoup de signes "n'ont pas ete ecrits" (parfait yeypaµµ€va) "dans ce livre-ci"161 (20, :10) parce que, note l'auteur avec insistance en 21, 25 (dans une relative fort complexe), "il est encore, faites par Jesus, beaucoup d'autres choses dont je crois que la redaction, si elles viennent a etre decrites une par une, trouvera le monde lui-meme incapable d'en simplement contenir tous les livres que l'on ecrit"!162 3)

160 Notons que Jesus recevra un titre analogue dans l'epilogue de l'Apocalypse (22, 20). 161 E-v Tc\i ßtßM(jl TOVT(jl, c'est-a-dire l'oeuvre ecrite qui s'acheve ici. Nous avons deja souliIP10 l'importance du verbe «P.crire» a propos de l'episode du «titulus•, en 19, 19-22. 162 Traduction de E. DELEBECQUE, La mission de Pierre et celle·de Jean: note philologique sur Jean 21, Bi 67 (1986) 335-312. Ioi, p. 342. Notons, en 21, 25, l'insislanl!tl sur le verbe

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L'important est que "ceux-la ont ete mis par ecrit" (20, 31a: nouveau parfait).

TQUTa 8€

y€ypmrTm,

L'ecrit prend le relais de l'absent et re~oit ainsi une valeur «testamentaire». S'il comporte sans doute de nombreux risques (la faiblesse, l'ignorance, la vision partielle voire mE\me partiale de l'auteur, niais aussi l'incompetence ou la mauvaise interpretation du lecteur, etc.), il permet pourtant la concentration sur l'essentiel et sa memoire perpetuee. 11 suppose surtout un lecteur, un acte de lecture et, au terme, une demarche d'appropriation. Cette forme particuliere de temoignage qu'est l'ecriture trouve ainsi une place de choix dans la Revelation judeo-chretienne, qui lui attribue ses lettres de noblesse et porte a son achevement ce que toute tentative de communication humaine r~ve de realiser. J. CALLOUD conclut ainsi sa lecture de Jn 20, 30163; "L'ecriture ne met pas sous les yeux 111 visibilite du Corps. Elle en est la perte. Mais elle en manifeste le retrait. C'est ce qui l'ordonne au croire. On peut croire sans voir, mais il n'est pas possible de croire sans lire, et inversement. C'est l'Ecriture qui donne Corps a la foi de l'autre disciple, au tombeau vide, comme c'est le livre ou sont recueillis les signes operes par Jesus qui est le tenant lieu du Corps ressuscite. C'est autour du Nom, qui dit l'absence du Corps, que le recit selectionne et organise les «signes», comme c'est autour du Nom que le lecteur risque sa vie. Au croisement de la lecture, qui s'enfonce toujours plus avant dans l'impense du Texte, et du desir, qui est sans appui, survient le croire". Sur Jn 21, 24, il note: "Ainsi se trouve_ pose~, aux cötes de la figure du berger, celle de l'ecrivain (v. 24): le r6le de l'Ecriture n'est-elle pas, en effet, non point de sauver de la mort ce que Jesus a dit et fait, mais de s'offrir, jusqu'a ce qu'il vienne, a l'interpretation des lecteurs, afin que la verite clP. l'A11trP. travaille dans leur corps, jusqu'au seuil de la rencontre".

4) La reception du temoignage par ·la communaute. La communautc s'associe pleinement au temoignage du «disciple bien-aime» appele a perdurer a travers les siecles: "Nous savons", dit-elle (avec le o\'.8aµEv souvent rencontre) "que son temoignage est vrai" (ön .lm:tv montre qu'avant de reagir elle a fixe les regards sur un spectacle etonnant. Pierre et Jean, alertes, se precipitent. Jean court plus vite et arrive le premier. II passe la tete a l'interieur du tombeau et voit, ßMrrEL, que les bandes sont gisantes. Comme Marie de Magdala il fixe ses regards, sur un autre spectacle etonnant. Pierre arrive a son tour. Entre dans le tombeau il observe, 9€Wp€t, les bandes gisantes, et aussi la serviette, non pas gisant avec les bandes, mais roulee a part. S'il observe, c'est qu'il cherche a comprendre; mais il ne comprend pas. Pendant ce temps-la Jean est entre a l'interieur; un travail s'est opere en lui. Dans la penombre du sepulcre, soudain il cesse d'etre aveugle et la lumiere de la foi est projetee dans son esprit: •il vit et crut». Ce •il vit» se confond avec tous les «je vis» de Jean quand il dit lui-mllme quelle fut a Patmos sa vision. Le ·ih de l'evangile et le •1c", de l'Apocalypse sont, a des äges differents, une seule et meme personne. C'est de ce que Jean vit en esprit que la foi naquit en lui. S'il eut ainsi le privilege de voir, un jour du Seigneur, tout ce qui, du present, du passe et de l'avenir des hommes, lui etait revele dans le ciel, c'est parce que, depuis un autre jour, inoubliable, de sa jeunesse, il possedait la foi". 192 P. ROLLAND, L 'origine et la date des evangiles, p. 158: "L'interpretation par Justin d'un regne terrestre rle mille ans est certainement erronee, mais l'attribution de l'Apocalypse a Jean l'Ap.ötre est trop proche de sa redaction pour qu'on puisse en douter. Jean a re~u ses revelations a Patmos SOUS le regne de Domitien, de la il s'est rendu a Ephese apres la mort du tyran en 96 (Clement d'Alexandrie), et c'est a Ephese qu'il a redige son evangile (lri'mee de Lyon). Les epitres et l'evangile de Jean furent ecrits apres 96, lorsque sevissait l'erreur de Cerinthe, vers 98 ou 100, mais il est impossible d'etre plus precis".

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• Un «Jean» bien reel mais different de l'Apotre. Jean ne serait dans ce cas pas un pseudonyme, et l'auteur n'aurait alors pas tenu compte des regles de l'apocalyptique traditionnelle. • Un «Jean» (peut-etre «le Presbytre»?), different de l'auteur du Quatrieme Evangile (et a plus forte, raison du fils de Zebedee) maisjouissant d'une grande autorite dans l'Eglise et se situant dans la tradition ou «ecole johannique». La question qui se pose est en effet de savoir s'il est possible d'attribuer a une meme plume l'Evangile et l'Apocalypse. De nombreux points de convergence attestent du caractere profondement johannique de cette derniere et permettent de la situer dans le cadre de l'«ecole johannique»193 mais d'importantes divergences de vocabulaire, de style et surtout de theologie semblent exclure qu'il s'agisse d'ecrits d'un meme auteur194. Bien que la recherche reste ouverte en ce domaine, cette ultime proposition nous parait la plus satisfaisante. Elle nous invite a aborder un probleme toujours a l'etude: celui de la date de redaction de l'Apocalypse. Les auteurs hesitent en effet entre l'acceptation de l'indication fournie par IRENEE, qui la situe "vers la fin du regne de Domitien" (Adv. Haer. 5,30,3), c'est-a-dire aux alentours de !'an 95, et une date anterieure195, avant !'an 70 et la destruction de Jerusalem, pour tout, ou du moins partie, du livre196. 193 Cf. D.M. SMITH Jr, Johannine Christianity. Some Reflections on its Character and Delineation, NTS 21 (1974-75) 222-248; 0. BöCHER, Das Verhältnis der Apokalypse des Johannes zum Evangelium des Johannes, in LAMBRECHT J. (Ed.), L'Apocalypse johannique, pp. 289-301 (tables comparatives pp. 295-301); IDEM, Johanneisches in der Apokalypse des Johannes, NTS 27 (1981) 310-321; P. PRIGENT, L'Apocalypse, p. 371, conclut: "Ce livre, quoique d'un genre litteraire fort different du quatrieme evangile, doit etre lu comme un ecrit johannique. II faut donc se garder d'accorder aux elements proprement «apocalyptiques» une importance primordiale: ce ne sont que des mots, des phrases et des images qui ne commandent pas le discours. Celui-ci veut exprimer un message evangelique dont la specificite le rapproche de l'evangile de Jean". Le lien entre l'Apocalypse et l'«ecole johannique» est par contre refute par E. SCHÜSSLER FIORENZA (The Quest for ,Johannine School: The Apocalypse and the Fourth Gospel, NTS 23, 1977, 402-427) et A. YARBRO COLLINS (Crisis and Catharsis, pp. 25-53). 194 L'Apocalypse ignore certains mots-cles de l'Evangile: lumiere, tenebres, verite, amour, monde (au sens negatiO, etc; elle parle de l'agneau, mais utilise un autre vocable pour le designer; sa pneumatologie est tres differente, et moins developpee; etc. M.-E. BOISMARD (o.c., p. 53), favorable a l'hypothese d'une «ecole johannique», est de ce point de vue plus nuance que PRIGENT et accentue davantage les differences existant entre les deux ecrits. La conclusion de P. GRELOT sur ce sujet (Semitismes, DBS 67 (1992) 421) va dans le meme sens: "Une seule chose reste certaine: apres l'analyse minutieuse de la langue, l'auteur ne peut pas etre le meme que celui de l'evangile et des lettres de Jean (cf. Mussies, p. 351 sv.), car personne ne peut modifier a un tel point les structures fondamentales (et inconscientes) de la langue qu'il parle et ecrit". 195 W.G. BAINES, The Number of the Beast in Revelation 13:18, Heythrop Journal 16 (1975) 195-196, qui voit Vespasien dans le chiffre 666, propose la date de 72-73. 196 Ainsi selon M.-E. BOISMARD (L'Apocalypse ou les Apocalypses de S. Jean, RB 56 (1949) 507-541; IDUJM, L'Apocalypse, in La Sainte Bible, Pal'is, 19u93, pp. 7-26), un mllme auteur aurait compose deux Apocalypses differentes mais au contenu voisin (d'ou les nombreux doublcts et parnllclismes), 9. des dates differente!! et dans des contextes histuriqueio tliffärents. La plus ancienne (texte II) daterait de Neron (54-68), la seconde (texte 1), du regne de Vespasien (69-79) ou peut-ötre de Domitien (81-96) mais en tout cas d'apres 70, les deux documents ayant ete ensuite unifies, au prix de quelques manipulations maladroites (1, 4; 11, 8, 11tc.) 11t de l'adjonction dos chapitrco 1 3 contenant les Lettres (texte

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Parmi les representants de la these «ireneenne», retenons nombre d'auteurs «anciens» (EUSEBE, JERÖME, VICTORIN DE PETTAU, etc.) et }es exegetes «modernes» Optant pour l'unite de composition du livre (PRIGENT, VANNI, KRODEL, etc.).197 A ete avance par T. ZAHN comme argument «externe» a l'appui de cette date le fait que ni le Pasteur d'Hermas (ecrit a Rome durant la premiere moitie du Ileme s., ni la Premiere Lettre de Clement (ecrite de Rome vers l'an 100) ne semblent connaitre l'Apocalypse! Une telle ignorance s'explique mieux si l'Apocalypse venait d'etre ecrite que si elle etait deja connue depuis 25 ans! Les defenseurs d'une date anterieure a 70 se fondent sur certaines allusions a la situation de l'empire romain que l'on trouverait dans l'Apocalypse (notamment au eh. 17) et sur certaines considerations th6ologiques qui tendraient a la situer non a la tin mais au debut de l'«ecole johannique». Citons quelques noms: A.A. BELL, The Date of John's Apocalypse. The Evidence of Some Roman Historians Reconsidered, NTS 25 (1979) 91-102 (qui complete l'argumentation de ROBINSON et precise la date de 68-69); K.L. GENTRY, Before Jerusalem fell: Dating the Book of Revelation, Tyler Texas, 1989; B. NEWMAN, The Fallacy of the Domitian Hypothesis. Critique of the Irenaeus Source as a Witness for the Contemporary-Historical Approach to the Interpretation of the Apocalypse, NTS 10 (1962ss) 133-39; P. TRUDINGER, The "Nero Redivivus" Rumour and the Debate of the Apocalypse of John, St Mark's Review 131 (1987) 43-44 (durant le regne de Galba: avril 68-juin 69. C'est l'option de la plupart des commentateurs fran1tais et allemands des XVIII et XIX~rue s.); J.A.T. ROBJNRON, RP.dating thP. New Testament, London, 1977 (entre fin 68 et debut 70, puisque, selon l'auteur, l'cnsemble du NT a ete redige avant 70!); J. STOLT, Om dateringeu af Apukalypseu, Dansk Teologisk Tidsskrift 40 (1977) 202-207 (sous Claude, entre 41-54!); H. ULRICHSEN, Die sieben Häupter und die zehn Hörner. Zur Datierung der Offenbarung des Johannes, Studia Theologica 39 (1985) 1-20. L'article de J.C. WILSON, The Problem of the Domitianic Date of Revelation, NTS 39 (1993) 587-605, propose de situer la redaction de l'Apocalypse SOUS le regne de Galba ou meme deja de Neron. 11 merite quelques remarques. Refusant la these. de la pseudepigraphie, l'affirmation d'Irenec et lcs conclusions erronees de LIGHTFOOT (persecution sous Domitien), WILSON fonde son argumentation sur trois III), de peu posterieurs au texte 1. BOISMARD peina a situer Ap 11, 1-13 et en fit une sorte d'ajout au texte II dont le propos aurait ete de rapporter le fait nouveau de la mort de Pierre et de Paul. Selon lui, Ap 11, 1-13 et 11, 19 (texte II) dateraient ainsi d'avant 70 tandis qu'Ap 11, 14-18 (texte 1) serait a situer apres 70. Reconstitution qui sans doute fait de l'Apocalypse une suite logique et coherente de propheties mais, faute de methotle et de criteres objectifs, demeure hautement hypothetique et subjective, et echappe a toute vraie critique. 197 Cf. C.J. HEMER, Unto the Angels of the Churches. 1. Introduction and Ephesians, Buried History 11 (1975) 4-27; F. STAGG, Interpreting the liook of Hevelation, Review and

F.xpoRition 72 (1975) 331-343.

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points principaux: 1) Le 666 d'Ap 13, 18 designe Neron (p. 598). Remarquons que pour les auteurs situant l'Apocalypse vers 95, ce "Nero redivivus" etait Domitien! 2) La Prostituee-Babylone d'Ap 17, 9-11, c'est Rome, et les rois sont les empereurs romains. Notons que tout le monde s'accorde a le reconnaitre, la question etant de savoir pour quelle succession d'empereurs opter!; 3) Ap 11, 1-2 presupposerait clairement que le temple de Jerusalem est encore debout (p. 604). Notons aussi que plusieurs auteurs d'ailleurs favorables a la datation «domitienne» (de CHARLES a YARBRO COLLINS) admettent qu'Ap 11, 1-2 a ete ecrit avant 70, par un auteur different, puis incorpore par le Jean «domitianique» et interprete symboliquement. WILSON propose ainsi les conclusions suivantes (p. 605): "First, Revelation was written in an historical background of recent persecution. The persecution of 95 and 96 was the creation of Eusebius and Lightfoot, not of Domitian. The persecution under Nero in 6'1and65 is a documented historical fact. Second, the five kings who hnvc fallen in Revelation 17.10 are either Augustus, Tiberius, Caligula, Claudius and Nero or Julius, Augustus, Tiberius, Caligula and Claudius. The one who «is» is either Galba or Nero. The ones who have not yet come cannot be fitted into any subsequent Roman history. Third, the Temple is still standing in Revelation 11.1-2. These three conclusions point to the date of Revelation. lt was written either during the reign of Galba, between June of 68 and January of 69 or the latter part of the reign of Nero, after the persecution of Christians in 64-5". Conune rapide critique, remarquons: 1) que voulant favoriser les arguments internes, WILSON en vient en fait a «fossiliser» les textes, negligeant tonte dimensinn symbolique (cf. Ap 11); 2) que l'affirmation d'un arriere-fond de persecutions recentes ne pouvant etre celles dues a Domitien est a nua11cer1oa. En effet, si 11011 admet aujou1·d1hui que, suut1 Trajan (98-117) et sans doute deja sous Domitien (81-96), les chretiens ne furent pas ouvertement et massivement poursuivis, la situation religieuse etait pourtant tendue dana l'empire, et marqnee pl'lr llTIP. gTl'lnrle insecurite (autant pour les Juifs que pour les chretiens). A plusieurs rcpriscs, des flambees de violence eurent pour cible les chretiens, et la mention de la mort d'Antipas (Ap 2, 13) peut tres bien se comprendre dans un tel contexte.

Concluons. Avec une majorite d'auteurs favorables a l'unite de redaction, sans doute pouvons-nous dater approximativement l'Apocalypse des annees 95, hypothese qui concorde avec la forte probabilite que l'oeuvre se situe au terme et non au debut de la production scripturaire du «Cercle johannique» CEvangile, Premiere Epitre, Apocalypse)199. 198 Cf. P. PRIGENT, Au temps de l'Apocalypse. 1. Domitien, RHPR 54 (1974) 455-483; III. Pourquoi les persecutions?, RHPR 55 (1975) 341-363. 199 J,'('nF.lemhlP rh.1 prnhl~m"' ('F.lt P.t\1diP. par: J.W. TAEG:ER, Johann11aapokalyp11A und johanneischer Kreis, 1989 et surto'ut J. FREY, Erwägungen zum Verhältnis der JohannesapokalypRP. ?.11 d1m iihrieP.n Rchrift.P.n OP.R um, in M. HENGEL, Diir johann1ri11ch1r Frage, 1993, Appendix, pp. 326-429. Apres examen du vocabulaire, de la syntaxe et du style, sans oublier les contacts theologiques, l'auteur parle lui aussi d'P.cole johannique et ne resoud pas ce qu'il nomme "eine bleibende Aporie"! Sur les temoins dans les divers ecrits: pp. 389-393.

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IV

C. COMPOSITION ET STRUCTURE Des les premiers commentaires de l'Apocalypse, les exegetes se sont interroges sur la logique interne et la dynamique qui soutient et guide le deploiement de ses images et symboles (de ses versets initiaux jusqu'a sa conclusion) et lui donnent ce visage si particulier que nous lui connaissons. Qu'ils parlent de «plan», de «structure», d'«architecture», de «composition du livre», de «divisions et subdivisions», etc., peu importe: l'histoire de cette recherche demontre que l'oeuvre ne se laisse emprisonner dans aucun a-priori intellectuel ou dogmatique. Meme scrutee avec une methode litteraire adaptee (comme tente de le faire l'exegese actuelle), elle echappe pour une grande part a notre logique et maitrise. Sa complexite et sa richesse stylistique, grammaticale et symholique ainsi que l'existence de phenomenes litt~raires typiques et recurrenti,, unl fail uailre ue numbreuses propositions de decoupage. N ous en retiendrons deux, qui suffisent a baliser notre parcours: celle de U. VANNI d'abord, qui nous offrira de recapituler l'histoire de la problematique et nous fournira un cadre de lecture satisfaisant; celle de M. GOURGUES ensuite, que nous suivrons de plus prP.R (leR dimensions plus restreintes de cet article nous le permettent) et qui nous donnera de gouter deja au texte meme de l'Apocalypse, a sa coherente et subtile architecture. La «struttura minima>> d'Ugo Vanni

U. VANNI, apres avoir parcouru toute l'histoire de la recherche (des premiers commentaires de VICTO:fllN DE PETTAU et TYCONIUS, au IVeme s., jusqu'a l'etude de J. LAMBRECHT, en 1980) et mene une enquete stylistique et litteraire approfondic sur le texte de l'Apocalypse200, propose une structure qui respecte la part litteraire du livre de l'Apocalypse. Son interet et sa force resident dans le depassement du dilemme «succession»/ «recapitulation» qui divisa au cours des siecles les auteurs en deux camps en apparence irreconciliables. Un survol des positions soutenues nous aide a mieux apprecier la vision «unitaire» aujourd'hui le plus souvent defendue et que l'etude de VANNI contribua fortement a asseoir. L'initiateur de la theorie de la «recapitulation» fut VICTORIN deja, pour qui "l'Apocalypse n'expose pas une seule serie d'evenements futurs, mais repete les memes successions d'evenements sous diverses formes" (E.B. ALLO, Saint Jean. L 'Apocalypse, p. CCXL). 11 eut pour emules TYCONIUS (qui rompit avec le millenarisme et opta pour une lecture tres spiritualisante) et S. AUGUSTIN, dont les principes exegetiques furent respectes par les auteurs latins, et ce jusqu'a l'apogee de l'ecole scholastique (ainsi PRIMASIUS, CASSIODORE, B:EDE LE VENERAilLE, 200 Cf. U. VANNI, La struttura letteraria dell'Apocalisse,

19802 (premiere ed. 1970).

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BERENGAUD, BRUNO D'ASTI, ALBERT LE GRAND, etc.). L'exegese fanta1::1magorique et delirante de JOACHIM DE FLORE (t 1202) poussa pourtant la theorie de la recapitulation au-dela des limites du bon sens et I'interpretation realiste qu'il donna des symboles de l'Apocalypse, les appliquant jusgue dans leurs moindres details a telle realite precise de l'histoire de l'Eglise (la Bete d'Ap 13 = l'lslam; la deuxieme = les heretiques patarins; les tetes d'Ap 17 = les empires pa'iens infideles de son epoque, etc.) contribua a faire perdre le sens profond du livre201, Au siecle suivant, NICOLAS DE LYRE (1329) et son ecole virent dans l'Apocalypse "une prophetie complete de l'histoire universelle, ou plutöt de l'histoire ecclesiastique, depuis le temps de saint Jean jusqu'a la fin du monde. Pour y reconnaitre tant de details, il fallait bien renoncer aux grandes vues concises compatibles avec la theorie de la recapitulation; la Prophetie fut donc pour eux un expose suivi, chronologique et sans r~ptfütions, des ~v~nements de l'avenir" (cf. ALLO, o.c„ p. CCLI). Ils furent suivis, entre autres, par LUTHER et ses disciples avant que, a la Renaissance et au XVIIeme s„ un tel systeme d'histoire ecclesiastique ne soit rejete, du cöte protestant d'abord (par THEODORE DE BEZE notamment) puis catholique, gräce a l'oeuvre de Jesuites espagnols qui reconnurent que "parmi les evenements historiques du passe, l'~pocalypse ne contient d'allusions precises qu'ä ceux des debuts de l'Eghse" (cf. ALLO, o.c, p. CCLV)202.

Ainsi preoccupee par l'identification de details historiques et la quete du sens immediat des symboles, marquee par des presupposes speculatifs et doctrinaux, l'exegese mit longtf~mps a privilP.giP.r, clans sa recherche du plan de l'Apocalypse, l'usage de criteres litteraires2oa. Ce n'est que progressivement, des la fin du XIXeme s„ qu'elle s'orienta de maniere de plus en plus affirmee vers la recherche de la structure litteraire et des procedes de composition propres a l'auteur lui-meme. Dans un esprit fortement teinte de romantisme et de positivisme, la methode «historico-litteraire» qui prevalut durant la seconde moitie du XIXeme s. se pencha d'abord avec interet sur le contexte historique et cul201 Certains de ses disciples (fanatiques rattaches pour la plupart a la frange des Franciscains spirituels en revolte contre Rome) n'hesiterent pas a identifier l'Antechrist ou les deux Bl!tes au pape lui-meme ou a l'empereur, et de telles idees, vehiculees par diverses sectes, penetrerent avec succes les couches populaires, y preparant le terrain a la Reforme. 202 Les propheties devaient donc trouver une autre voie d'interpretation. RIBEIRA (1591) les lut comme des annonces visant les derniers temps de l'Eglise et du monde, tandis qu'ALCAZAR (1614 et 1619, suivi entre autres par GROTIUS et BOSSUET) crut y discerner les grandes lignes de l'histoire de la lutte de l'Eglise naissante contre les Juifs d'abord, les pai"ens ensuite. 203 lT VANNT (8tmttu.m, p. 14) note: "L'int.eresse in qualche modo letterario per l'Apocalisse 11asce culla Leuda della ricapilulaziu11!! e sl i;vlluppa parallelamente con essa. Quando ritorn11 111 tP.nclP.nz11 111l'iclP.ntifir.11ziomi r.onr.rP.t11, Flill nella teori11 della successione cronolo· gica, sia in quella della ricapitolazione materializzata, l'interesse lette.rario declina o scompare. Ne deduciamo una conseguenza importante. Per una valutazione degli elementi letterari si esige un certo distacco da quello ehe e il racconto nella sua espressione concreta. La forma letteraria deve essere isolata - anche se, ovviamente, non divisa - dal contenuto".

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turel «natal» de l'Apocalypse. Le systeme de «l 'histoire de l 'epoque» auquel elle. donna naissance eut pour postulat fondamental celui de la co'incidence du contenu de l'Apocalypse avec les evenements contemporains de Jean, chaque symbole devant avoir un sens precis (cf. RENAN). C'est pourtant de l'application decantee et mftrie de cette exegese zeitgeschichtlich que naquit une attention reelle a la «litteralite» de l'oeuvre. L'arc chronologique auquel on attribua les scenes s'elargit progressivement, amenant les auteurs a reconnaitre le caractere composite du livre, ses particularites linguistiques et stylistiques, une pluralite d'auteurs, une pluralite de parties aussi. CHARLES (Studies in the Apocalypse, pp. 59-78, bientöt suivi par ALLO, o.c., pp. CCLXVCCLXVIII) regroupa sous trois categories les nombreuses propositions emises qui, du point de vue de la structure litteraire, s'equivalent toutes: l 'hypothese redactionnelle (un ecrit de base, retravaille par un ou plusieurs editeurs), l'hypothese des sources (une compilation de divers ecrits complets, de plus ou moins egale dimension, juxtaposes plus que fondus les uns avec les autres) et l'hypothese des fragments (une oeuvre d'une seule main, avec pourtant insertion volontaire de fragments plus anciens, surtout juifs). Emportee par sa propre dynamique et sans doute aussi par reaction contre l'arbitraire de ses propres theorisations, la methode "historico-litteraire" en vint a affirmer de maniere de plus en plus nette l'unite litteraire de l 'oeuvre, ce qu'illustrent les oeuvres produites entre les annees 1886 et 1907204. Ainsi ERBES (1891) y reconnut-il un ecrit de base chretien et VON SODEN (1905) un ecrit juif; WEISS (1904) souligna l'importance du redacteur, mettant en relief sa personnalite litteraire; VON WEIZÄCKER (1886-1906), SABATIER (1888), BOUSSET (1896-1906), MOFFAT (1905), CALMES (1907) ou WELLHAUSEN (1909) allerent encore plus loin dans ce sens. Dans la premiere edition de son commentairc, cn 1909 deja, H.B. SWETE ehe viene detto, eonsiderato indipendentemente dalla composizione del libro. 11 problema della struttura letteraria non viene ancora trattato direttamente. Ma l'attenzione della eritica 11i e ormai 11po11tata 11ul fatto letterario, specialmente sul rapporto tra fonti e redazione finale, al punto da rendere spontaneo il passagio allo studio della strutLu1·a:.r.iuuti ltiLLllrnl'ia vti1·a

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.IJ!U.IJlia".

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recapitulation, le second par son souci «eclaire» de la defendre. • De l'avis de CHARLES, l'Apocalypse se compose de trois parties. Deux sont de dimensions restreintes (prologue et epilogue) tandis que la troisieme, plus complexe, constitue une grande lettre qui forme le corps du texte (1, 4-22, 5). Selon lui 0, p. xxv), les evenements decrits suivent un ordre chronologique strict, a l'exception pourtant de trois passages qui brisent le mouvement et la chronologie du drame (Ap 7, 9-11; 10, 111, 13205; 14) et ne s'expliquent que comme additions «prophetiqu~s» dont le but (du moins pour les deux premieres) est d'encourager l'Eglise a rendre temoignage jusqu'au martyre: Le livre reprend ensuite un developpement ferme jusqu'en 20, 3, mais des 20, 4 les anomalies se multiplient, et ce jusqu'au chapitre 22, produisant un texte qui, bien que presentant une physionomie grammaticale identique a celle des chapitres precedents, est "incoherent and self-contradictory" (II, p. 144). Pour sortir d'un tel dilemme, CHARLES elabore l'hypothese suivante: Jean, auteur de l'ensemble de l'Apocalypse, l'a laisse inachevee et c'est a un redacteur final (qu'il qualifie de "inintelligent" et "stupid"!) que sont attribuables les obscurites des derniers chapitres. N'ayant rien compris au texte de Jean, il en a bouleverse les elements, que CHARLES s'emploie a reconstituer dans leur ordonnance primitive. Sans nier la valeur exegetique d'un tel commentaire, il ne fait pas de doute pourtant que ni les pretendues «interpolations» et «erreurs» du redacteur final ni la structure litteraire presentee (I, pp. xxiv-xxv) ne resistent a une analyse serieuse des textes (cf. VANNI, Struttura, pp. 22-25). • C'est plus particulierement dans son analyse d'Ap 21-22 (o.c„ p. 342) qu'ALLO reproche a CHARLES son idee de succession chronologique rectiligne de l'Apocalypse (comme si chaque nouvelle periode devait decrire un fait presente comme posterieur a celui qui le precede!) et le «COUp de gräce» qu'elle porte a la theorie de la «recapitulation». Il demeure lui-meme prudent: "D'ailleurs la «recapitulation» que nous defendons„. doit s'entendre, naturellement, cum grano salis, et non a la maniere rigide de certaines epoques anciennes: ce n'est pas une repetition pure et simple, donc oiseuse, des memes evenements SOUS differents symboles" (o.c, p. XCIV). Prefärant s'inspirer de certaines vues de SWETE, il s'attacha, avant de presenter le plan de l'Apocalypse (Ch. VIII), a en commenter les "procedes de composition litteraire (Ch. VII, pp. LXXVIII-XCVI) qu'il ordonne autour d'un certain nombre de «lois» lui paraissant reguler toute la composition de l'oeuvre et manifester a l'evidence son unite et homogeneite: * la loi de l 'embottement, avec ses anticipations, dont la fönction est analogue a celle jouee, en poetique, par la concatenatio; * la loi des ondulations, qui realise comme un developpement des themes en volutes, par «ondes concentriques» qui reprennent et explicitent ce que deja contenait leur premiere mention (ainsi les redites d'Ap 12); * la loi de perpetuite de l 'antithese, dont la plus fondamentale (qui court a travers tout le livre) manifeste l'opposition entre deux societ.es, deux cites (celle des amis de Dieu et celle de ses ennemis) et qui ressort surtout a partir d'Ap 16, 4-7 (quand l'Ange des 205 Nous reviendrons ainsi sur sa position en analysant le texte des deux temoins d'Ap 11, 113.

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eaux approuve le jugement qui va fondre sur Babylone) mais aussi a la fin des visions preparatoires precedant les septenaires ainsi qu'a chaque sixieme moment des septenaires (celui des Lettres excepte), dont le but est de resumer les resultats du processus de destruction presages par les visions preparatoires; * la loi des deux phases, ou deux temps durant lesquels les elus et les mechants agissent: tandis que les elus vivent l'epreuve sur la terre et triomphent au ciel, les impies paraissent triompher sur terre, avant d'etre definitivement vaincus206, ALLO conclut (p. XCIII): "L'Apocalypse est donc bien, au sens large, un ecrit rythme„.; ces parallelismes recherches ou spontanes, ces anticipations fixes, ces volutes, lui donnent bien l'aspect d'une sorte de poeme, ou d'un ecrit intermediaire entre la prose et la poesie. La correspondance seule des parties qui «recapitulent» lui imprime deja quelque chose de ce caractere". Si la demarche et la methode de ALLO peuvent etre sur plusieurs points critiques207, son attention au fait litterairc, les intuitions qu'il formula ainsi que le plan qu'il proposa (cf. o.c., pp. XCVIII-mm, stimulerent la recherche de nombreux critiques. Nous pourrions evoquer encore ici la reconstitution de M.-E. BOISMARD (cf. deja note 196) qui, bien qu'arbitraire et subjective, est citee comme passage oblige par la plupart des introductions a l'Apocalypse; les propositions pertinentes d'A. YARBRO COLLINS ou E. SCHÜSSLER-FIORENZA; les «pistes» nouvelles envisagees (a la lumiere de l'apocalyptique juive) par KEMPSON, MUNOZ LEÖN ou SMITH20s; etc. 11 nous semble pourtant prefärable de nous en tenir, a ce stade de notre etude, a ce que U. VANNI proposa comme planen 1980 dans la seconde edition de sa Struttura et que prudemment il qualifie aujourd'hui de "«struttura minima», di basc, ehe puo essere ulteriormente completata"209. Elle se fonde sur la mise en lumiere d"'elementi strutturali letterariamente rilevabili" (Struttura, pp. 105ss.) qui introduisent ou concluent le livre (prologue et epilogue), explicitent l'activite de l'auteur (les injonctions a prophetiser) ou encore jouent, au coeur de l'oeuvre, un röle structurel important: l'expression ä 8et yevfo0m, les septenaires, les trois ot'Ja(, la formule typique ciO'TpaTral Kal wval Kat ßpovTm ainsi que les doxologies. Ces phenomenes litteraires ont une incidence sur l'architecture d'ensemble de l'Apocalypse, synthetisee dans ce tableau: 206 C'est Ja une remarque que nous developperons. Dans l'Apocalypse, la Cite de Dieu est toujours presentee sous un double etat: de persecution et d'epreuve d'une part, mais aussi de protection et de securite interieure sur terre et de triomphe au ciel, d'autre part. 207 C'est surtout pour sa preoccupation apologetique que ALLO fut critique. Voulant a tout prix defendre l'unite du .livre, il parla de la «psychologie de l'auteur» (distinguant sans trop de nuance le «conscient», le «voulu» de l'«inconscient»), un auteur qui, si l'on s'en tient a cet ensemble de «lois» qu'il aurait suivies, ressemble plus a ALLO lui-m~me (ou a tout autre exegete occidental par trop rationaliste) qu'a un auteur semite du 1er s.! 208 Nous reviendrons sur ces propositions recentes dans l'introduction a Ap 11. 209 Cf. u. VANNI, L'Apocalisst: F.sPgP.~i dPi hrn.n.i flr.Plti, p. a.

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1, 1-3: TITRE INTRODUCTIF (ä. tout le livre) Iere PARTIE: 1, 4 - 3, 22. LE SEPTENAIRE DES LETTRES 1, 4-8: dialogue liturgique 1, 9-20: apparition du fils de l'homme 2, 1 - 3, 22: sa parole aux sept Eglises lleme PARTIE: 4, 1- 22, 5 Premiere section: 4, 1 - 5, 14. Introduction Deuxieme section: 6, 1 - 7, 17. Septenaire des sceaux Troisieme section: 8, 1 - 11, 14. Septenaire des trompettes Quatrieme section: 11, 15 16, 16. Triple signe, contenant le septenaire des coupes Cinquieme section: 16, 17 - 22, 5. Conclusion 22, 6-21: DIALOGUE LITURGIQUE FINAL VANNI justifie par une analyse detaillee la delimitation de ces unites (nous y reviendrons quand nous lirons les textes relatifs au temoignage contenus dans l'une ou l'autre de ces sections). L'interet majeur d'une telle structure, nous l'avons dit d'emblee, consiste dans son depassement du dilemme «succession»/«recapitulation» par la prise en compte des elements textuellement fondes de l'une et de l'autre theorie. Ainsi est-il important de reconnaitre: - le developpement lineaire, cette «ligne» le long de laquelle court l'intrigue principale du drame qui, par un crcscendo discernable dans la succession des differentes parties, parvient a un acte final et conclusif dans la presentation de la Jerusalem nouvelle210. Un certain nombre de motifs litteraires traversent «lineairement» tout le livre: ainsi les vocables Ka0ilµEvoc;, d.pvtov ou 6p6voc;, ou encore les mentions des coupes, des prieres des saints, de l'encens et de l'autel, du cavalier victorieux, etc., qui constituent comme un fil unificateur des sections. C'est l'action dynamique des septenaires (deja relevee notamment par ALLO) qui permet un tel mouvement, realisant "lo sviluppo lineare ehe fa muovere in avanti lo svolgimento di ciascuna serie fino al settimo elemento: questo, apparentemente vuoto di contenuto, ingloba di fatto tutto quello ehe segue" (Struttura, p. 303). Un tel progres est surtout perceptible dans la Seconde Partie, ou l'on passe de la contemplation 210 Cf. U. VANNI, Struttura, Ch. V: "Sviluppo lineare ascendente tra le singole sezione.",

pp. 206ss. L'auteur souligne l'imbrication dynamique des septlinaires: "II primo settenario include, come settimo elemento, il settenario seguente e questo fatto letterario si ripete alla fine di ogni serie settenaria. Ne risulta, quindi, un unico grande settenario, ehe abbracia tutto il materiale del libro e sfocia nelle conclusione finale. Le varie sezioni cosl. determinate si susseguono in une sviluppo lineare, caratterizzato da un prima e un dopo, da un movimento in crescendo ehe, passando per le singole sezioni, si conclude in quella finale, dove raggiunge 11 suo culmine" (Struttura, p. l!49).

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PREMIERE PARTIE, CHAPITRE IV

«immobile» de la liturgie celeste (eh. 4-5) a la presentation encore fragmentaire soit des protagonistes de la lutte soit de son sort final (6, 1-7, 17) puis a une mise en marche encore lente dans la 3eme section des trompettes (8, 1 - 11, 14). Le mouvement atteint, dans une acceleration croissante, son point culminant dans la 4eme section des trois signes (11, 15-16, 16), oii. l'on per~oit qu'il est devenu irreversible et ne peut que s'accomplir dans la section conclusive (la 5eme: 16, 17-22, 5), veritable sommet de ce «devenir articule» forme par l'imbrication de chacune des sections.

- l'aspect «recapitulatif» evident de certaines pericopes, incarne par nombre d"'elementi spostabiliti in avanti e indietro rispetto allo sviluppo generale in avanti"211. Nous les trouvons principalement dans ce que beaucoup d'auteurs considerent comme des anomalies grammaticales (cf. plus loin, notre lecture d'Ap 1, 4-8) ou des faiblesses du langage de Jean, notamment dans son frequent melange des temps, sans necessite logique apparente et meme a l'encontre de toute «bonne logique» (cf. plus loin, notre lecture Ap 11, 1-3, qui bouscule toute loi temporelle). C'est dire que Jean, en rompant a plusieurs reprises le developpement «lineaire» de son oeuvre, indique clairement par la a son lecteur que le mouvement chronologique qu'il y dessine par un avant et un apres ne doit pas l'abuser: la revelation qu'il lui propose est au-dela de tout temps determine, n'est prisonniere d'aucun fait Oll evenement «chronologiquement» situe, mais revet une valeur d'eternite, proprement «metahistorique»212. II convie par la son lecteur a une demarche interpretative perilleuse, l'invitant a se situer et s'impliquer dans une histoire en marche vers son terme sans pour autant oublier de prendre une juste distance avec ses lois et contingences, pour ctrc cupublc de lu lirc cn profondeur, d'y discerner ses enjeux theologiques et les prolongements existentiels qui pourront illuminer sa vie2rn. 211

Cf. U. VANNI, Struttura, Ch. VI: "Elementi ruotandi lungo l'asse di sviluppo", pp. 246ss. 212 VANNI conclut sa Struttura en repondant a cette interrogation capitale (pp. 253-254): "Com'e possibile, pero, uno sviluppo in crescendo ehe sia rapportato a dei fatti e simultaneamente si situi al di sopra del prima-dopo del rapporto temporale? (. .. ) La molteplice e polivalente articolazione con la quale si presenta tale sviluppo di base, ci fornisce come una serie inesaurabile di ·forme a priori• di intelligibilita teologica; nella quale dovra essere immessa la •materia• dei singoli periodi storici concreti, con le lore varie implicazioni. Ma una volta trascorso il periodo storico, la •materia• sfugge, per cosl. dire, alla sua ·forma• entrando ormai nel passato e lasciandola vuota, pronta a dare la sua intelligibilita a un nuovo periodo storico". La plupart des interpretations ·historicisantes• et donc erronees de l'Apocalypse qui se sont succedees a travers les siecles (notamment celle de JOACHIM DE FLORE) s'expliquent par le fait que leurs auteurs n'avaient pas saisi cette ·disponibilite metahistorique• des symboles qu'elle renferme. 213 Une telle structure, fondamentalement litteraire, s'harmonise parfaitement avec son •contenu• theologique, ne creant aucune opposition entre forme de l 'expression et forme du contenu. Son interet majeur consiste peut-etre dans l'•appropriation• qu'elle suggere au lecteur de realiser, l'invitant a jouer en toute liberte son röle de •Sujet interpretant• (cf. VANNI, L 'Apocalisse, Ch. IV: "L'assemblea ecclesiale •Soggetto interpretante• dell'Apocalisse", pp. 73ss.) . .h:n l'elaborant, VANNI reprena1t a son compte !es decouvertes les plus

TEMOIGNAGE ET «ECOLE JOHANNIQUE»

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Michel Gourgues et ks trois «Scenarios de la fin»

Adopter une telle «structure minimale de base», a la fois solide et souple, ne ferme la porte a aucun developpement ulterieur, notait Vanni. Un article de M. GoURGUES214 nous semble de ce point de vue particulierement interessant. 11 nous permet non seulement de penetrer plus avant dans le texte de l'Apocalypse et ses articulations mais encore, rejoignant notre theme du temoignage, de le situer sur un arriere-plan qui pourrait bien etre la toile de fond de l'Apocalypse: la theologie de l'Alliance parvenue a sa pleine expression. Nous evoquerons cet aspect au terme de notre parcours (cf. Deuxieme Partie, 11.3. Temoignage et Alliance dans l'Apocalypse. Notes conclusives) mais l'article de GOURGUES nous offre de preciser des maintenant ses principaux points d'1rncrage structurels. 11 convient donc que nous suivions d'assez pres sa reflexion et, tout en relevant en notes quelques points «discutables», soulignions surtout ses remarques pertinentes sur l'importance de la notion d'Alliance dans la structuration du livre. Prenant en compte (dans une perspective elle aussi tres synchronique) le texte final de l'Apocalypse, GOURGUES organise l'ensemble de ses visions autour des 4 grands septenaires que sont: les lettres aux Eglises (1, 4-3, 22); les sept sceaux (4, 1-8, 1); les sept trompettes (8, 2-11, 19) et les sept coupes (12, 1-22, 5). L'existence d'un epilogue, .cp aiJToi) 'I wciWIJ, 1.2 as- lµapTup11aEV TOV Myov (ange) TOU 0Eou Kal Tiiv µapruplav 'I11crou XpLaTOU Bcra ElBev.

22,16

'Eyw 'I 11crous ElTEµl/sa Tov dyyEMv µou µapTupfiaaL iJµ.1v TaiJTa €1Tl Ta1s EKKATJO'LatS.

ange (Jesus)

22,18

MapTupca lyoo · lTaVTl TTJTElas Tou ßLßA1ou ToiJTou·

Jean

22,20

M.yEL 6 µapTupQv TaiJTa, Nat, €pxoµat Taxu.

Jesus

ti 1,2 1,9

6,9

µapTup(a (9x)

... 8s €µapTVpTJcrfv TOV Myov Tou 0EOu KaL T1'V Jesus µapTup(av 'I11aoO XpLaToO öcra ElBEv. Christ 'Eyw 'IwaVVT)S, b d.BE"Ac/>OS uµwv Kal O'U'YKOLVWVOS EV Jesus TlJ 0Alt/JE"L Kal ßacrLAdq Kal UlToµovij EV 'I TJO'OV, E"yEv6µ11v E"v Tfj vficrcp Tfj KaAouµlvi:i IlciTµcp 8Ld TOV Myov Tou 0Eou Kal T1'v µapTup(av 'I11aoO. Kat ÖTE" "flvOLeEv TT)V lTEµlTTT)V crc/>pay'LBa, dBov (Jesus) UlTOKciTW TOV 0UO'LaO'TT)p( OlJ TQS iJsvxas TWV foc/>ayµlvwv füa Tov Myov Tou 0E:ou Kal 8Ld T1'v µapTup(av ftv dxov.

p. 380): "On renoncera a degager de l'Apocalypse de Jean un plan harmonieusement compose de grnndcs pnrties ou la matiere se reparLiL'aiL a 11un tuur en une succession de paragraphes logiquement ordonnes. On se contentera de presenter les unites litteraire11 identifiables en en degagcnnt brievenient le message. Ainsi pre.utlrat-on conscience: - de la reelle progression qui conduit de la vision inaugurale a celle du monde nouveau, - du caractere quasi systematique de la dcmarche qui revient sans cesse sur les milmes themes pour en faire valoir chaque fois des aspects nouveaux, - et de l'intention resolum1mt pmphP.tiqnP. rl'un texte qui 1111 propose avnnt tout d'nppeler les chretiens a un temoignage incarne avec ses risques et ses gloires".

229 P. PRIGENT (L'Apocalypse,

296

PREMIERE PARTIE, CHAPITRE IV

11,7

Kat ÖTav TEA.fowow Tiiv µapTvp(av aimi>v, TO 0T)plov deux TO civaßa1vov EK TilS' cißucmou 1TOLiiaEL µET' m'm:;)v temoins 1T6Af"µov Kat vLKiiaEL airrois Kat ci1TOKTEVE1 airrot'.is.

12,11

Kat airrot 8Ld TOV iiya:rrriaav

12,17

Kat wpyta0T) 6 8pciKWV E:rrt Ti] yuvmK( Kat cirrfjA.0Ev TIOLfjam 1T6A.Eµov µETa Twv A.oL1Twv Tou am~pµaTos auTfls TWV TTJpOVVTWV TclS' EVTOAaS' TOU 0EOu Kat tx6vnw Tiiv µapTup(av 'I TIO'Oil.

E-v(Kllaav airrov füa To atµa Tou cipvtov Kat freres, Myov TTlS' µapTuplas aüni>v Kat OUK martyrs Tfiv !Jsux"fiv airrwv Cixpl eavchou. Jesus

19,lOa Kat E1TEaa lµ1Tpoa0Ev Twv 1To8wv auTou 1TpoaKuvfjaa.L Jesus aun'i). Kat AE'YEL µOL, "Opa µTi· auv8ouMs aov ElµL Kat Twv ci8EA.~wv aov T~v tx6vTwv Tiiv µapTup(av 'IT'laoi)· Tl!> 0E0 1TpoaKWT]aov. 19,lOb

ti

yap µapTup(a 'I TIO'oO E-aTL v To rrvEuµa Tfjs 1Tpo~11TElas.

Jesus

20,4

Kat el8ov 0p6vo1JS' Kal €Kci0Laav E:1T' airrous Kal Kptµa €8601) airro1s, Kal Tas !Jsuxas Twv 1T€1TEAEKLaµevcuv Bta Tiiv µapTup(av 'I T'IO"oil Kal füa Tov Myov Tou 0EOu Kat o'lnVES' ou 1Tp00'€KUVT]aav TO 0T)plov ou8E: Tfiv ElKOVQ airrou Kal OUK EAaßov TO xcipayµa E1Tl TO µhw'ITOV Kat E-rrt TTJV XE1pa a1hwv. Kal E(TJT)TE(r deux croooLv i}µ€pas XLAl.as füaKocrtas E~KoVTa TTEpLßEßAT)µ€- temoins VOL O"clKKOl.JS. Kal Et8ov TI]v yuva'LKa µE0ooucrav EK TOD ai'.µaTOs Twv temoins ciytwv Kal EK TOV atµaTOS' Tci>v µapT1'.Jpwv 'lllaoO. de Jesus

Nous pouvons commenter ces diverses occurrences et preciser, afin de dessiner les axes d'etudes qui structureront notre Deuxieme Partie, quels en sont les sujets.

Le vocahulaire: bilan kxicographique Le nombre des vocables de la racine µapTu est restreint dans l'Apocalypse, l'auteur n'usant que de 4 de ses 13 derives neotestamentaires (µ,apTVpELV, µapTup(a, µcipTUt; et µapTUpLOV) et ignorant, a l'instar de l'Evangile et des Epitres johanniques, le passif µapTupw0m et tous les termes composes, notamment le frequent 8wµapTupEcr0m. De plus, leurs 19 occurrences situent l'Apocalypse (comparativement a d'autres oeuvres aux «dimensions» quasi identiques) bien apres l'Evangile de Jean (47/203x du NT) ou le livre des Actes (39x)230. Le traitement morphologique et syntaxique de ce vocabulaire met en lumiere l'originalite dont fait preuve l'auteur de l'Apocalypse: • Contrairement a l'Rvangile de Jean (qui lui prerere µapTupELV), il attribue une place privilegiee a 1j µapTvpla. Dans ses 9 occurences, nous remarquons son utilisation dans l'exp:r;ession Ti µapTup(a 'I ncroü (XpLcrToO), inconnue de l'Evangile et des Epitres, utilisee souvent en parallelisme avec "la parole de Dicu". Les verbes desquels elle depend sont varies mais significatifs: µapTupE'lv, en 1, 2 (avec µapTup(a comme complement d'objet interne), EXELV surtout, en 6, 9; 12, 17 et 19, 10 (sens different de Jn 5, 36, nous le verrons)2a1. L'usage de la preposition Blei, introduite par les verbes d'action crcf>ci(w, egorger (6, 9), VLKciw, vaincre (12, 11), TTEAEK((w, decapiter (20, 4), indique dans quel contexte est porte le temoignage et quelles en sont les consequences pour le temoin. 230 Notons qu'une telle •mise en infäriorite• numerique (4 vocables, 19 usages), par ailleurs relative (en regard des Synoptiques notamment - Mt: 12x/ Mc: llx/ Lc: 9x -, l'Apocalypse fait figure de •haut lieu• du temoignage!), n'est pas propre au traitement du theme du temoignage et ne signifie aucun ·desinteret• de la part de l'auteur. Nous remarquons meme que Jean a opere une sorte de •selection semantique•, ne conservant que son vocabulaire •tle base•. Nous preciserons bientöt en quoi choix des vocables, concision des formules et caractere stereotype des expressions (autant de caracteristiques par ailleurs connues de l'apocalyptique en gifa~ral) contribuent a donner un relief et une intensite particuliers a notre theme. 231 MapTvp(a, toujours au singulier, y est present sous 3 formes: le nominatif (19, lOb: ii yap µapTVpla), le genitif (12, 11: 8La Tov Myov Tfjs µapTvplas mhcilv) mais surtout l'accusaLif (7x, eu 1, 2.9; 6, 9; 11, 7; 12, 17; HI, lOa et 20, 4).

PREMIERE PARTIE, CHAPITRE IV

298

• o µdpTVC: n'apparait dans les ecrits johanniques que dans l'Apocalypse (5x). 11 y revet trois formes: nominatif (en 1, 5; 2, 13 et 3, 14, le µcipTUc; etant qualifie de TTLO"T6c; OU mcrroc; KaL a)\1')6LV6c;) mais aussi datif (en 11, 3, To'is 8ucrlv µcipTucrLv complement d'objet indirect de 8u'>crw) et genitif (en 17, 6, Twv µapTupwv complement du nom ai'.µaToc;). La caracteristique de ces deux dernieres formes est d'etre suivies de genitifs (µou en 11, 3 et 'IT}croiJ en 17, 6) exprimant la relation d'etroite dependance unissant le temoin a Jesus. • MapTvp€f11, tres johannique, n'apparait que 4x dans l'Apocalypse, dans le Prologue (1, 2) et l'Epilogue (22, 16.18.20). Contrairement a la syntaxe johannique (µapTupE'Lv suivi du datif ou construit avec TTEpL ou ön), il y est toujours suivi d'un complement a l'accusatif (1, 2: µapTUp!LV TOV Myov TOU ewu Kal TIJV µapTuptav; 22, 20: µapTUpELV TafJTa). En 22, 16 (µapTUpELV uµ1v TaUTa) et 22, 18 (µapTupE'Lv TTaVTL Tc\i UKOUoVTL Tous Myous ), l'accusatif de l'objet sur lequel porte le temoignage est accompagne du datif de la personne en faveur de laquelle ce temoignage est donne232 . • Quanta TO µapTVpLOll (19x dans le NT, surtout dans l'expression juridique Eie; µapTUpLov des Synoptiques), il apparait en Ap 15, 5 (hapax johannique) comme l'une des deux evocations neotestamentaires (avec Ac 7, 44) de la tente du temoignage si frcquemment mentionnee dans la LXX. Notons qu'ici l'expression cst complcmcnt du nom va6c;: 6 vaa Kal To "D, >.iyEL icVpws b 0€6s, b ciiv Kal b ~v Kal b E:px6µEvas, b traVTOKpQTwp. Cet ultime memorial d'une parole de Dieu (allusion a Is 41, 4; 44, 6) est situe «hors temps», dans l'eternel present du Di~u principe et finde toute Ce passage du "vous" au "nous" indique que Jean (•auto-implique» par la performativite du recit) se situe maintenant comme membre de la communaute, participant de sa destinee liturgique. 9 L'analepse permet aux croyants de faire memoire du sacrifice de Jesus (don de sa vie, sang, par amour), pour les liberer de leurs peches et les constituer royaume et prl\trP.11 pour leur Dieu et Pere. 10 Notons que dans la LXX, va( n'est pas une simple transcription de dµl\v et que les deux termes ne sont pas strictement equivalents. U. VANNI (Liturgical Dialogue, note 6, pp. 350-351) note: "The basic meaning both terms have in their contexts appears to be different: va( looks back and is a reply to a word or a deed, which is presented as accomplished; dµl\v looks forward and always has a nuance of futurity expressed spontaneously by means of the optative ylvOL To and is directed at a duty to be done or an aspiration to be realized. (... ) All this suggests that we give to va( dµl\v of 1. 7b the different meaning of the acceptance ofthe oracle in 1.7a (expressed by va() and a desire (indicatP.d by dµJ\v) that the future coming of Christ, expressed by the content of the oracle, be r.ealized". Nous retrouverons un element de sanction analogue dans les "Viens„. Oui... Amen, viens, Seigneur Jesus" d'Ap 22, 17.20.21. Sur les correspondances entre Ap 1, 4-8 et 22, 6-21, cf. I.2.1.

8

304

DEUXIEME PARTIE, CHAPITRE 1

chose. 11 prP.nd ici valeur de sanction, la parole d'auto-presentation de Dieu etant accueillie, reprise et confessee par Jeanll.

B. JESUS TEMOIN ET LA TRIPLE BENEDICTION D'AP 1, 4-5a Commentons la benediction des vv. 4-5a qui porte, comme en son sommet, la mention de Jesus Christ, b µ..TJO"LaL, qui fait d'elles les heritieres du peuple de !'Alliance appele (€K-Ka>..f w ), rassemble et choisi par YHWH comme son bien propre (cf. Ex 19). EnimitP. la repetition de l'article dans le rats- ETITa €icic>..TJcrl.ms rriis Eli Tfl 'Acrl.q., qui souligne leur enracinement dans un contexte historique et geographique precis et connu, que Jean developpera plus tard13. Enfi.n le symholisme du chiffre sept, qui leur donne d'evoquer, par-dela leurs particularismes, 1'€icK>..TJcr(a universelle a laquelle il adresse sa prophetie. Certaini:i14 unL voulu voir ici la traditionnellc salutatio 6piatolnire, avec sa superscriptio ('lwliWTJS) et son adscriptio (rn'is E1TTcl €KK>..TJcrl.ms Ta'is €v Tfl 'Acrl.q.). 11 est vrai sans doute qu'avec sa mention de l 'auteur et des destinataires et ses souhaits de gr{J,ce et de paix, notre verset a toutes les apparences d'une adresse. Des le v. 5b pourtant, le ton change radicalement et si Jean s'est peutetre lointainement inspire du modele epistolaire, nous devons admettre qu'il est demeure tres libre dans l'usage qu'il en fait. Son propos semble moins etre celui d'ecrire une lettre pastorale a la S. Paul15 que de rediger 11 Le "dit le Seigneur" du v. 8 (qui rappelle l'oracle d'Am 3, 13: "Ecoutez et temoignez-le contre la maison de Jacob, dit le Seigneur YHWH, le Dieu des armees") indique que cette parole divine est assumee par Jean, qui la prononce au nom de Dieu. 12 Nou1:1 reviendrons sur l'auteur et son temoignage (cf. 11.2: Ap 1, 2 et 22, 18). 13 En 1, 11, il donnera le nom de ces communautes de la province romaine d'Asie (cöte occidentale de l'Asie Mineure et Phrygie continentale); en 1, 20, il approfondira le mystere de leur identite; en Ap 2 et 3; il adressera a chacune une lettre particuliere. 14 J.-P. CHARLIER, Comprendre l'Apocalypse, pp. 38-39: "Cette adresse est de style epistolaire si bien que toute l'Apocalypse se presente comme une lettre, de par la volonte expresse de l'auteur". G.A. KRODEL, qui parle de l'Apocalypse comme d'une "Prophetic-Apocalyptic Circular Letter", note (Revelation, pp. 51-52): "As a prophetic letter„., Revelation was somewhat long in comparison to Paul's letters, and an apocalypse had never been written as a letter before. So he called it a biblion but sent it as a letter. („.) As a whole, his letter was meant to function as an exhortation to be conquerors, to worship God, to persevere, and to cut out accomodation and compromise". KRODEL, interesse par les rapprochements possibles avec la rhetorique greco-latine, conclut (p. 56): "No one would suggest that John had studied Aristotle's Rhetoric or his Topics. However, our prophet could read and write in Greek and think in Hebrew, and such an ability was not commonplace in antiquity. (. .. ) If John could produce a work of such exquisite literary artistry, like our book, then he was an educated person who knew about rhetoric, just as our high school graduates know about social studies even thouih they have never read Marx". 15 La perspective epistolaire est rejettee par CAIRD, MOUNCE, BEASLEY-MURRAY, SWEET, J.J. COLLINS, D.L. BARR, D.E. AUNE, L. THOMPSON, D. HILL, M.E. BORING, etc. Pour A. YARBRO COLLINS (The Combat Myth, p. 7), l'Apocalypse est d'abord destinee a la lecture

LI!: 'fEMOIGNAGE DE JESUS SELON L'AP

une oeuvre apocalyptico-prophctique au service des conunuuauLes tiennes.

"Grace a vous et paix.„

305 chr~­

II

Si les Grecs connaissaient la salutation epistolaire simple "rejouistoi, salut", xa(pELV (a laquelle PLATON prefära la formule plus morale "bon succes", EÜ rrpciTTELV, qui devint d'usage courant, du moins parmi les classes cultiveeslG), c'est S. Paul qui, le premier, lui accorda un caractere fortement religieux et sacre11, innovant meme en ajoutant au voeu de xcipLc;; (JIJ, faveur royale et divine accordee au partenaire d'alliance) celui de Elpfiv11 (Ci?~, salut juif p;:ir excellence). En les pla~ant dans une sorte de parallelisme synthetique1s, l'Apötre soulignc commcnt la generosite bienveillaule et gratuite du Dieu de !'Alliance (sa xapLc;;) s'accomplit dans l'acces sans reserve aux biens messianiques (recapitules dans 11Elpfiv11 de !'Alliance nouvelle) accorde en plenitude par le Ressuscite a ses disciples (cf. le Elpfivi, uµ1v repete de Jn 20, 19.20). Dans l'Apocalypse, le 'H xapLS' TOU KUp(ou' I11crou µETa rravTwv de 22, 21 fäit sans doute echo au salut initial dP. 1, 4b-5. Si la grace souhaitee n'y a peur source que le Seigneur Jesus, on peut supposer que l'auteur, qui qualifie son oeuvre de "Revelation de Jesus Christ" (1, 1), la place tout entiere sous le signe du Christ et de sa faveur divine. Une teile inclusion, loin de «fermer» le livre, ouvre sa finale sur la vie du lecteur et l'avenir de la communaute dans son attente active et desormais eclairee de la venue du Christ. L'experience de purification (cf. Ap 1-3) et de discernement (Ap 4-22) quc Jean s'est employe a suggerer19 debouche ainsi sur une existence et une liturgique; son "revetement epistolaire" la presentant comme un document ecrit sous dictee a pour fonction de souligner le caractere divin de son message. De meme P. PRIGENT (L'Apocalypse, p. 15): "Celui qui a ecrit cela avait l'espoir, ou la certitude, que le livre entier serait l'objet d'une lecture cultuelle". U. VANNI (Liturgical Dialogue, note 11, pp. 355-356) maintient sa position, malgre les critiques de M. KARRER, Die Johannesoffenbarung als Brief, p. 29. 16 Cf. les deux lettres echangees entre AHISTOTE et ALEXANDRE LE GRAND; la lettre d'ANTIOCHUS EPIPHANE aux Juifs, en IIM 9, 19: xa(pELv Kal vyLa(vnv Kal €V rrpciTTELv; dans le NT: le xa(pELV de Je 1, 1; le 'AyaTTT]TE, TT€pl TTQVTWV Ellxoµa( cri: i:uo8oiicr0m Kal vyta(V€LV, Ka0WS €UoOOiiTa( aov TJ !jivxil de 3Jn 1, 2. 17 Cf. C. SPICQ, Epitres pastorales, pp. 12-14: "L'Apötre souhaite la gräce divine: n'est-ce point rattacher a Dieu tout le bonheur de la vie? «Soyez joyeux• (xa(pELv), ainsi saluait le Grec; «agissez moralement, ayez des reussites vertueuses• (i:v rrpciTTELv), souhaitait Platon; «ayez la faveur divine• (xcipu: ), tel est le voeu paulinien". 18 Paul ouvre ses lettres selon le formulaire connu: adresse, action de gräce (sauf aux turbulents 'Galates) et priere. La salutation xcipts vµ1v rnl dpiJVTJ apparait, identique, en Rm 1, 7; lCo 1, 3; 2Co 1, 2; Ga 1, 3; Ep 1, 2; Ph 1, 2; Col 1, 2; lTh 1, 1; 2Th 1, 1. De meme Tt 1, 4; Phm 1, 3; ou encore lP 1, 2 (xcipts liµ1v Kal dpiJVTJ rr>.118vv0d11l; 2P 1, 2, repris par CLEMENT DE ROME dans ses Lettres aux Corinth.iens. lTm 1, 2 et 2Tm 1, 2 lui ndjoignent le souhait de "misericorde" (l>.rnc:), formule reprise avec quelques nuances par 2Jn 3, Jude 2 (xcipLC: cede sa place a dyciTTT]) et le Martyre de Polyca.rpe. 19 Avec U. VANNI, nous attribuons ainsi a Ap 1, 4-8 la fonction de preparer la communaute a la purification penitentielle (theme de 1, 4-3, 22) et a l'exercice du discernement (theme de 4, 1-22, 5). 11 y a, dans l'Apocalypse plus que dans tout autre ecrit, communication de vie entre l'oeuvre ecrite et la pratique chretienne qu'elle veut eclairer.

306

DEUXIEME PARTIE, CHAPITRE 1

marche vers la, Jerusalem celeste dont il laisse a ses auditeurs le soin de dessiner et d'nssumer les contours. En Ap 1, 4, loin d'etre realise, un tel programmc cst implorc par Jean comme benediction sur "vous" (uµtv), les membres de la communaute20. Accomplissant en leur faveur la mission re1tue de Dieu21, il agit comme instrument et mediateur de cette gräce et paix dont la suite de la salutation devoile avec ampleur la source: de la part de l'Etant et 'le 11,..Etait et 'le Venant et de la part des sept esprits qui (sont) devant son tron.e 1,5 et de la part de Jesus Christ, le temoin le fidele, le premier-ne des morts et le prince des rois de la terre.

ano o wv

Kal b ~V Kal b €px6µevas Kal lmn Tli\V f-ma 'ITVE:Uµ.d.TU>V Ci. #"vwmov Tov 6p6vou airrov 1.5 1 b wv Kal b ~v Kal o €px6µEvoc; renferme plusieurs incorrections grammaticales qui n.e devaient pas manquer de la faire sonner quelque peu «harbare» a des oreilles grecques.

20 Le generique Tats l1e1e>..11alaLs fait place a un uµtv qui prend une resonnance particuliere dans le dialogue en raison de l'alternance "vous"-"nous": Jean-narrateur dit "nous" aux vv. 5b-6 (cf. note 8), mais ici, agissant comme president de celebration, il s'adresse aux chretiens en "vous". 21 Cette mission est decrite dans le Prologue. L'envoi de l'ange et les visions dont Jean est le Mn~flciaire le rendenL i:umpetent pour parler et agir comme prcaidcnt de celebration. La manipulation realisee (Ap 1, 1-3), Jean peut accomplir la performance demandee: n a le deuoir tl'agir en t.ewoinl le vouloir de le faire a l'adresse doll Egliscs/ le pouvoir de le realiser de par son intronisation comme l'un des maillons de la chatne du temoignage/ le savoir, par vision. Notons qu'il n'en sera pas toujours de meme et que Jean ne cachera pas son non-savoir quand, a deux reprises (19, 10 et 22, 8-9), il sera rabroue par l'ange qu'il voulait adorer!

LE TEMOIGNAGE DE JESUS SELON L'AP

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Le drr6 qui conunande le genitif introduit trois participes substantives au nominatif (avec l'article 6 )22, De plus l'imparfait de dµL n'ayant pas de participe, l'auteur conserve l'indica.tif 6 ~v (litt. "le Tl-Fltait")23, Enfin le ö f-px6µe:vos intervenant en lieu et place du b f:a6µe:voc; attendu introduit une rupture de symetrie dans la construction de la formule. Notons qu'additionnees ade nombreuses autres24, de telles irregularites ont fait douter des connaissances que l'auteur pouvait avoir de la langue grecque. Bien que le debat ne soit pas clos25 et les avis fort divergents26, nous remarquons que des la formule suivante, Jean respecte les usages grammaticaux (VAalCi') 1TQVTOS 1TV€VµaTOS d.1ea0dpTOv; et c'est

DEUXIEME PARTIE, CHAPITRE l

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(To) TIVeilµa (Too 0eoO) (le) souffie (de Dieu)

de llx ä. 14x (selon que l'on inclut ou pas 11, 11; 17, 3; 21, 10)

(Ta) TIVevµaTa (dyLa: 05lsv.1., MA) Twv irpocf>rlTWV (les) souffies (saints) des prophetes

22,6

To TIVEiJµa Tfji; irpocf>rlTelas le souffle de la prophetie

19, 10 (+ 22, 6 si l'on assimile Td TIVE\JµaTa TWV irpocf>rlTWV a TO irveOµa Tfji; 1Tpocf>r1Telas)

Tel [eITTel] TIVevµaTa (ToD ßeoD)

4x: 1,4;3, 1;4,5;5,6

total47

de 17 a21x

Contrairement a l'Evangile de Jean, l'Apocalypse ignore !es formules "le defenseur de la verite" .et "lc Souffle de la verite" mais utilise en propre l'expression "souffie de la prophetie" (nous en reparlerons apropos de 19, 10) et surtout ccllc quc nous examinons maintenant, les sept souffl,es (de Dieu), inconnue du reste du NT et que l'auteur utiliRP.. a qnatre reprises: - 1, 4: "de la part des sept esprits qui (sont) devant son tröne" (Kat J:yEL b lxwv Tel E1TTel TIVE\JµaTa Tou ßeol) Kat TOUs E1TTel äoT€pas) - 4, 5: "Et, brillant devant le tröne, sept torchP.R dP. fäu qui sont les sept esprits de Dieu" (Ci elow Tel E1TTel TIVevµaTa ToD ßeoD) - 5, 6: "Et je vis, au milieu du tröne et des quatre Vivants, et au milieu des Anciens, un Agneau debout, comme egorge ayant sept cornes et sept yeux qui sont les sept esprits de Dieu envoyes dans toute la terre" (ot elcrLV Tel [eITTel] irvevµaTa Tou ßeoD ..c'w61 rrapa TOLS ßaO'LAEUO'lV Tils yfjs au v. 28 et au v. 38 la formule o µcipnJS €v oupav41 mcrT6s. Nous savons par aillenrR qm~ ce Ps 89 fut interprete messianiquement dans la tradition juive, ce qui rend possible que Jean l'ait connu comme tel. A l'arriere-plan d'une telle trilogie peut aussi se trouver le l8ou µaprvpwv €11 €011wL11 8€8wKa at'.JT6v, äpxol/Ta 1.Efiµwv yl1111TaL ical maTos cipXLEpEUS ), qui, de par sa mediation entre Dieu et les hommes, expie les peches du peuple. "Misericor.dieux"(l>.Etjµwv) comme le Dieu de l'Alliance qui l'envoie (Ex 22, 26; 34, 6; Ps 86, 15; 103, 8; 111, 4; 116, 5, etc.), 11 est solldaire de la descendance d'Abraham et porte secours a ceux qui sont eprouves. "Fiable" (maT6c;; cf. lS 2, 35: "Je me susciterai un prAtre sllr"; 19'-'~ l!J!l> \'( 'f:1C'P.Ql/ lf pla 1TLaT6v) dit son accreditation devant Dieu (cf. Tci 1TpOs Tov 8E6v) mais signale aussi sa pdelite et perseverance dans la souffrance, jusqu'a la mort redemptrice, et donc la confiance absolue que les hommes peuvent lui accorder. He 3, 2 dit encore de Jesus, apötre et grand-pretre de notre profession de foi, qu'il est "fidele a celui qui l'a institue (1TLaTOV ÖVTQ T4i lTOLfiaavTL QUTOV)".

LE TEMOIGNAG.I!: Dh: JESUS SELON L'AP

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Notons que mcrToi; peut aussi parfois etre rendu par fidele, croyant (surtout chez Paul, qui insiste sur la rr(crni;; cf. Ep 1, l; Col 1, 2; 1Tm 4, 10.12; etc.), perseverant et tenace dans la foi, malgre les souffrances et tribulations. Cette nuance n'est pas absente de nos versets puisque c'est a travers son sang, dans sa fidelite jusqu'a la Croix, que l'Agneau immole a livre son temoignage (cf. 1, 5b). L'accent principal demeure pourtant Cl}lui de credible, digne de foi, sflr6B. Jesus est "le fiable par excellence" (E. DELEBECQUE, L 'Apocalypse, p. 161), le temoin sur lequel les chretiens d'Asie peuvent compter, sa parole et son temoignage etant solides et dignes de confiance.

En 19, 11, Jean de Patmos dira: "Et voici un cheval blanc, et celui qui le montait (R'RppP.llP.) Fin.ble et Veridique" (mcnos Kat d>.:r10tv6!> ). Pas plus qu'en 3, 14 l'application a Jesus Christ n'est explicite puisque le sujet est simplement nomm~ ö Ka0riµEvos. 11 ne fait pourtant pas de doute (du fait principalement de l'association mcrT6c-d>.:r10LV6s deja presente en 3, 14 et du parallele des dcux formules avec celle de 1, 5) que ce cavalier est bien le Christ. Nous remarquons que celui que 19, 13 designe comme "la parole de Dieu" et 19, 16 du titre de "Roi des rois et Seigneur des seig11eurs" apparni't commP. un cavalier qui juge et fait la guerre et non plus comme "le temoin". Sa Fiabilite-solidite et sa Verite ont pennis suu iutrunisation royale et seigneuriale, ou du moins l'ont precedee. 'TTLO"TOS Kal aA110LV6S, tous deux epithetes de 6 Ka0riµEVOS et utilises sans article, prennent une valeur quasi nominale. «Fiable» et «Vrai» (quoi qu'il en soit du participe passif douteux Ka>..ouµEvos) deviennent ainsi comme deux noms propres definissant l'etre de Jesus, qu'Ap 3, 7 designc comme ö a>.:r10LV6s. Achevons notre lecture de la benediction d'Ap 1, 4b-5 par l'analyse des deux derniers titres attribues a Jesus Christ. Ils contribuent a preciser notre comprehension du ö µcipTui; ö mcrT6i; . ••• l.e premier-ne des morts

En designant Jesus comme 0 1TpWTOTOKOS' TWI/ V€Kpwv, Jean reprend a son compte l'idee biblique et juive de premier-ne, presente notamment dans le Ps 88, 28 deja cite qui rapporte une parole de YHWH a son Roi-Messie: "Et moi je l'etablirai comme premier-ne" (Kayw rrpwT6ToKov 0ricroµm QUTOV ). TlpwT6TOK05' (LXX 130x pour rendre l'hebreu ii:::l::,l) contient une nuance de faveur et de privilege: il designe le beneficiaire des premices de la vi-

68 C'est aussi par "digne de foi, que l'on peut croire" qu'A. VANHOYE (Pretres anciens, Pretre nouveau, pp. 113-119) traduit Je mcrT6c; d'He 2, 17 (et non par «fidele-, comme le font o. MICHEL: la fldehte de .JP.1111R il t.TllVP.TR les epreuveli et lei tribulations; c. SPICQ: an fidelite a remplir sa mission selon les·prescriptions divines; ZEDDA: Ja fidelite passee de Jesus envers Dieu; "Gesü, il quale fü fädele 11 r.nlni r.hP. le fece"). VANHOYE 11'appuye sur Ja definition qu'en donnent les dictionnaires (o.c., note 15 p. 115): "Cf. M.A. Bailly, Dictionnaire grec-frani;ais: «qu'on peut croire, digne de foi>„ Liddell-Scott-Jones, Greek-English Lexicon: «to be trusted or believed•; W. Bauer, Wörterbuch zum NT: «Glauben oder Vertrauen weckend, glaubwürdig•".

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DEUXIEME PARTIE, CHAPITRE 1

gueur, celui qui obtient la part de choix dans l'heritage ou se situe comme le premier (qualitativement) d'une serie. Dans la tradition biblique, premier-ne s'applique avant tout ä. Israel, peuple bien-aime beneficiant de la faveur divine, mais aussi au Messie, comme l'exprime ExR 19, 7: "R. Nathan dit: « ••• comme j'ai fait de Jacob un premier-ne, selon Ex 4, 22 (mon premier-ne est Israel), ainsi ferai-je du roi-messie un premier-ne, selon Ps 89, 28" (Ed. Soncino, pp. 237-238). De meme Pesiqta 34 (159b) sur Jr 31, 19: "Ephra'im (le messie) est mon premier-ne (cite par BILLERBECK III, 677). Des 8 usages de 'lTpWT6ToKos dans le NT, six sont rapportes au Christ et deux aux membres du peuple de Dieu. IlpwT6ToKos rapporte au Christ souligne: • la dignite et les droits de Jesus (Lc 2, 7: "Elle enfanta son fils premier-ne"; Kal he:Ke:v Tov ulov airrfjs Tov 'lTpwT6ToKov ), • sa vocation de frere aine (Rm 8, 29: "Car ceµx qu'il a d'avance discernes, il les a aussi predestines ä. reproduire l'image de son Fils, afi.n qu'il soit l 'afne d'une multitude de freres"; e:ls Ta e:lvm aiiTov 'lTpwT6ToKov E:v · tTo>J..o'Ls ci8e:Acj>o'Ls ), • sa primaute dans l'ordre de la creation naturelle (Col l, 15: "Il est l'image du Dieu invisible, le premier-ne de toute creature"; '!TpWT6TOKOS '!TUOTJS KTtcre:ws; He 1, 6: "Et de nouveau, lorsqu'il introduit le Premier-ne dans le monde"; dcraya'Y'l Tov '!Tpc11T6TOKov fls n'Jv olKOuµEVTlV ), • sa primaute comme 'l'ete de l'Egfüie qui est son corps, lui qui est le "Principe, Premier-ne d'entre les morts" (Col l, 18: ös fonv cipxii, 'lTpwT6ToKos EK Twv ve:Kpwv). IlpwT6ToKos rapporte aux hommes s'applique: • l'un ä. l'Israel de l'alliance ancienne (He 11, 28): "Par la foi, il (Mo'ise) celebra la Päque et fit l'aspersion du sang, afin que l'Exterminateur ne touchät point les premiers-nes d'Israel (Ta 'lTpwT6ToKa 0ly1J aiiTwv; neutre pluriel), • l'autre ä. l'Israel nouveau de la Jerusalem celeste (He 12, 23): 11 Mais vous VOUS etes approches ... v. 23 et de l'assemblee des prcmicrs-ncs qui sont inscrits dans les cieux"; Kal EKKATlO'Lg '!TpWTOT6Kwv a'!Toye:ypaµµ€vwv EV oupavo'Ls ). 11

11

Le Judai:sme ne semble pas avoir developpe l'idee de premier parmi plusieurs freres, ce que prectsement Jean met en valeur dans le genitif Twv ll€Kpw11, "de ceux qui sont morts". Ne:Kp6i; revet le plus souvent dans l'Apocalypse (13x) le sens tres concret et realiste d'une personne morte, devenue cadavre (11, 18; 14, 13; 16, 3; 20, 5.12.13)69. Le Christ dira de lui-meme: "J'ai ete mort" (E:ye:v6µTlv 11€Kpk; 1, 18; 2, 8). Le genitifTwv ve:Kpwv exprime ainsi la totale solidarite de Jesus avec ses freres en humanite70. Ressuscite et vivant, il est 'lTpwT6TOKOS parce qu'il recapitule et prefigure en lui, chef et tete de l'Eglise Oe dpxwv suivant l'indiquera), la destinee des hommes promis ä. partager sa vie, pour les eternites d'eternites. Ce titre de premier-ne des morts focalise ainsi notre regard de lecteur-auditeur de l'Apocalypse sur la Resurrection de Jesus (face lumineuse de son mystere pascal deja evoque dans le titre de temoin fidele) et met en exergue ses consequences pour les membres de 69 Seuls 1, 17 et 3, 1 font exeeption et prennent un sens metaphorique. 70 U. VANNI (L 'Apocalisse, p. 110, note 18) souligne eette nuanee associative_: "L'espressione sembra debba intendersi in senso assoeiativo: «primogenito di eoloro ehe sono morti», piuttosto ehe generieamente «primogenito risorto dai morti»".

LE TEMOIGNAGE DE JESUS SELON L'AP

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l'Eglise. L'expression neotestamentaire la plus proche est sans doute celle de Col 1, 18, qui exalte le Christ comme Tt!tl:l tlu corps, c'est-adire de l'Eglise, comme "Principe, Premier-ne d'entre les morts" (avec la preposition EK: ös EOTLV apxfl, 1Tf:>CUTITTOKOS EK TWV VEKpiilv ) • .•• le prince des rois de 1a terre Jean developpe ce theme de l'..Ov 1Tapa TOLS ßacrL AEUO'LV Tijs yfls du Ps 88, 28. L'Apocalypse n'utilise qu'ici 6 dpxwvn mais l'idee de domination qu'il renferme (on le traduit par chef, prince, etc.) rejoint celle de lu suuveraine royaut~ du Christ, fortement affirmee tout au long du livre, notamment en 17, 14 et 19, 16, dans l'expression "Seigneur des seigneurs et Roi des rois". La polemique contre les "rois de la terre", symbole du pouvoir politique romain et de tout pouvoir idolätre et despotique, fait ici sa premiere apparition. Elle se presente comme le prolongement de l'affirmation fondamentale de la theologie de l'Alliauce tlont Jean est l'heritier: soul YHWH est prince, Roi, souverain de la terre. Confärer ce pouvoir au Christ revient a confesser sa propre divinite72. Roi et Seigneur, il exerce des maintenant sa royaute sur les puissances terrestres a l'oeuvre d~ns l'histoire73. Passons a la lecture de notre second texte, Ap 3, 14, reservant a la fin de son etude quelques conclusions englobant aussi nos remarques sur Ap 1, 5. 1.1.2 L'AMEN TEMOIN PARLE AUX CHRETIENS DE LAODICEE (AP 3, 14)

C'est en Ap 3, 14 que Jean qualifie pour la seconde fois Jesus de µciple temoin le fidele et veridique, Ie principe de la creation de Diou". Les elements «nouveaux» apportes au dossier de notre formule se situent: 1) dans l'ajout du qualificatif ..€yE:L KVpLos ). Jean coniere ainsi au narrateur de la Lettre la dignite meme de Dieu et a sa parolc prophetique une importance egale a celle de la Parole de Dieu. · Mais qui parle dans ces Lettres? Si nous les resituons dans l'ensemble d'Ap 1-3, nous constatons qu'elles font suitc au dio.logue liturgique de 1, 4-8 et a la vision du Christ ressuscite, Fils d'homme et juge eschatologique qui parlti tiL apparatt a Jean en 1, 9-20. C'est lui qui, ii deux reprises (au debut et a la fin de lo. vision), ordonne a Jean d'ecrire ce qu'il voit pour l'envoyer aux Eglises: "Ce que t~ vois, ecris-le dans un livre (ypdljsov e:ls ßLßMov) pour l'envoyer aux sept Eglises (1, 11)••• Ecris donc (ypaljsov ovv) ce que tu as vu et ce qui est et ce qui va arriver dans la suite" (1, 19)77. Un message important doit rejoindre, par la voie du temoignage ecrit, les chretiens en proie a diverses tribulations et persecutions, et les Lettres en sont depositaires. Le meme imperatifypdljsov, repris dans chaque adresse (2, 1.8.12.18 et 3, 1.7.14), repercute ainsi a l'intention de chaque communaute ce.t ordre «originel» et souligne la qualite de narrateur «omniscient» de Jean de Patmos, rendu competent par le Christ pour transcrire et transmettre son message78. 76 Nous ne suivons pas D. AUNE, The Form and Function of the Proclamation to the Seven Churches (Revelation 2-3), NTS 36 (1990) 182-204, qui veut lire l'origine de cette expression dans les edits imperiaux. 77 II est possible de comprendre a dBES comme se referant a la vision inaugurale, a Elalv a la situation des communautes telle que les Lettres vont les decrire et a µl>.M:L yEvfo6aL µETii TailTa a ce qu'Ap 4-22 devoilera de l'histoire des hommes et de l'Eglise impliques dans une lutte sans merci entre le bien et le mal, Dieu et Satan. II est vrai, en ce sens, que le a 8Ei 'YEVEa0aL µi.rTii TailTa de 4, 1 fait echo a 1, 19 ca Bd en lieu et place de a µlMEL). Nous pouvons pourtant aussi penser que Jean ne souhaite pas distinguer ici entre un passe, un present et un futur. En ce sens, Ap 1, 19 fournit plutöt une cle d'interpretation de la technique narrative de l'Apocalypse. C'est tout au long de son oeuvre d'ailleurs que Jean offre a son lecteur des indices lui permettant de decoder ses visions, d'interpreter la realite ("ce qui est", present ou futur). Cf. J.R. MICHAELS, Revelation 1,19 and the Narrative Voices of the Apocalypse, NTS 37 (1991) 604-620), qui comprend a Elalv comment "what it signifies". 78 En conclusion (22, 7.9.10.18.19), Jean soulignera encore l'importilnce d'un tel temoignage: s'il a pris soin d'ecrire ses visions (objct de l'ensemble de l'Apocalypse), ce n'est pas par gout artistique ou desir de passer a la posterite, mais sur ordre divin, pour que la "re-

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DEUXIEME PARTIE, CHAPITRE I

Comme en 1, 5, le Christ se voit ici presente par une trilogie de titres, dont le premier eRt o 'Aµi)v. D6rivee de la racine 1c._ deja explicitee a propos de mcrT6.ljAF1n, 12x par d>-116L116.11e- illmitrnnt, du eilte grec, l'idee de devoilement, de mise on lumiere. Comme le note J. GUILLET (TMmes bibliques, note 95, p. 41), il est ainsi facile de meconnaitre la richesse de la notion biblique de verite, "un langage vrai au sens grec, c'est-a-dire qui traduit exactement la realite des choses, est en meme temps digne de toute confiance, au sens hebrai'.que".

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DEUXIEME PARTIE, CHAPITRE I

Des 28 usages d'd>..T)0Lv6c; dans le NT, seuls 5 n'appartiennent pas a la litterature johannique (Lc 16, 11; 1Th 1, 9; He 8, 2: T) crKllvfi Ti d>..T)0Lvf]9~; 9, 24; 10, 22), qui en fait un usage frequent (Jn 1, 993; 4, 23.3794; 6, 32; 7, 28; 8, 16; 15, 1; 17, 13; 19, 35; lJn 2, 8; 5, 20.20.20). Un bilan concernant l'Apocalypse est vite etabli puisque de tous les vocables de la racine d>..1'0-, l'auteur ne retient qu'd>..T)0Lv6c;, qu'il utilise a 10 reprises, rapporte au Christ (3x), a Dieu (4x) et auxparoles (3x). ci>t.718iv6t: est ainsi d'abord (dans la chronologie litteraire du livre) attribue a Jesus. Ces trois occurrences eclairent notre comprehension de son etre et de sa mission de temoin. - 3, 7: "Eta l'ange de l'Eglisc qui cst a Philadelphia, ecris: «Voici ce que dit le Saint, le Veridique (faB€ MyR b liyLOs, b ci>..T10Lv6s ), celui qui a la clef

de David; celui qui ouvre, et personne ne fermera et qui ferme et personne n'ouvre". Le premier usage de ci>..T10Lv6s apparait dans la titulature de la Lettre a l'Eglise de Philadelphie, dans laquelle le fils d'homme de 1, 13 decline quatre de ses titres, les deux premiers sous la forme d'un adjectif substantive: b liyLOs, b ci>..T)0LV6s, les deux derniers de deux participes presents95 eux aussi substantives et introduits par l'article defini: 01! L'auLeu1· uppu1:1e la tente (de la rencontre, du tcmoignago; of. Ap 15, 5) a la Tente ce· leRte, d'origine divine (edifiee par le Seigneur: lmiCE11 ), qui lui sert de modele surnaturel, eternel et dont elle n'est, sur terre, que le type, l'ombre, l'image, la prefiguration. Une telle construction (nom + epithete dk118L1161; substantive), qui permet de mettre en valeur une realite en la comparant a une autre, jugee de moindre qualite, est connue des ecrits johanniques (cf. note suivante). 93 Jean designe Jesus comme "la lumiere, la veritable" (To cj>Gis To dk118w611: Jn 1, 9; lJn 2, 8), "le pain du ciel, le veritable" (TOii dpTOll t1e TOU oupa11oii TOii d>..116L11611: 6, 32), "la vigne, la veritable" ('ij dµTl'EAos 'iJ d>..118L111': 15, 1). L'innovation semantique qui jaillit de la predication (pour le moins «bizarre») de telles realites a la personne de Jesus et conduit le lecteur a une vision nouvelle et theologiquement capitale de l'lltre de Jesus. Entre la lumiere qu'ont pu lltre les prophetes, la Torah et d'autres realites de l'histoire du salut et Jesus-Lumiere definitive, il y a le saut inou1 d'une promesse a son accomplissement suprllme. En se presentant comme "le pain du ciel, le veritable" (cf. aussi Jn 6, 35.41.48.51), Jesus veut de mllme a la fois se situer a l'interieur de la tradition biblique et juive de la manne illustrant la providence de Dieu pour son peuple, et la faire s'accomplir en sa personne, de qualite et valeur incomparablement superieures. Quant a la «metaphore vive» (terme emprunte a R.ICOEUR) par laquelle Jesus lui-ml\me s'autopresente (force du lycü ElµL de revelation) comme la vigne veritable, elle fait de lui, par l'utilisation du Symbole de la vigne designant (en ls 5 notamment) l'ensemble du peuple d'lsrael, l'Israi!l nouveau, la personnalite corporative du nouveau peuple de Dieu. Ainsi, dans les ecrits johanniques, ciA118Lv61; souligne-t-il la particularite et la nouveaute de l'lltre et de la mission de Jesus. Envoye du Pere, il est mandate par Celui qui est Le Veridique pour porter aux hommes la revelation de son amour. Tout en lui est re!(u de Dicu. Tout en lui vient de Dieu: ses paroles et ses gestes, sa mission et son apostolat. Une telle communion de volonte et une telle proximite s'originent dans une identite de nature: Jesus est le Fils, il est le Verbe, il est Dieu. En lui toutes les premices de revelation, toutes les lentes et patientes preparations de l'AT trouvent leur achevement. Toutes les promesses de Dieu sont "oui" en Jesus, dit Paul (cf. 2Co 1, 20). Si Jean peut dire qu'il est La Lumiere, Le Pain, La Vigne, c'est analogiquement, au sens ou il realise en sa personne, pleinement et parfaitement, la mission symbolique et revelatrice de ces realites. 94 Si dans la LXX puis a plusieurs reprises dans l'Apocalypse d>..110L116..Tt6Lvi) fonv), parce que je ne suis pas seul, mais (il y a) moi et le Pere qui m'a envoye".

Mais pour l'auteur de l'Apocalypse il ne fait pas de doute que c 'est aussi et «prioritairement» a Dieu que revient, dans la ligne de la theologie veterotestamentaire, le titre d'd.A110tv6c; (cf. notre analyse d'Ap 6, 10; 15, 3; 16, 7 et 19, 2 dans !'Annexe IV). A trois reprises enfin, d.A110Lvo( (au pluriel) qualifie ol Myot, des paroles plus ou moins explicitement attribuees a Dieu (19, 9; 21, 5; 22, 6; cf. Annexe IV). Nous pouvons ainsi en conclure que: 1) Dans l'Apocalypse, d.>.110tv6c; conserve le sens qui est le sien dans la LXX et le NT: vrai, veridique, veritable, ceci dans la mesure ou la verite d'un etre ou d'une chose est verifiee et accreditee par sa solidite et sa fiabilite. 2) Dans l'Apocalypse, d>.110w6c; designe Dieu considere dans sa fonction de juge et de goel (6, 10) et qualifie ses voies et jugements ("justes et veridiques"; 15, 3; 16, 7; 19, 2), mais aussi ses paroles ("fideles et veridiques"; 21, 5; 22, 6).

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DEUXIEME PARTIE, CHAPITRE 1

3) Seul le Christ, considere a egale dignite divine, re~oit de meme le titre de "Veridique" (3, 7). Lui que dans sa vision inaugurale (1, 9-20), Jean contemple comme le fils de l'homme eschatologique accomplissant le jugement devolu par Daniel a l'Ancien siegeant au tribunal devant les livres ouverts (cf. Dn 7, 7-14), il n'est pas surprenant de le voir, dans les Lettres, adresser avec fermete et vigueur aux Eglises un jugement d'approbation ou de condamnation. s~ parole de temoin fidele et veridique (3, 14), par laquelle il rejoint l'Eglise de Laodicee dans toute la force de son authenticite et de sa credibilite, sera aussi celle qui, au jour du grand jugement final, etablira toute justice (19, 11), recompensant ceux qui ont participe a la victoire sur Satan et le monde, contlanrnant et detruisant tout mal et toute forme de negativite. L'ajout de aA.T]0Lv6i;; au titre de "temoin fidele" oriente ainsi le regard du lecteur vers ce devoilement de verite et cette manifestation pleniere de la Justice divine dont le Christ Jugc sera l'acteur de par sa victoire, elle qui lui donne de sieger, a egalite de pouvoir, sur le tröne de son Pere (cf. 3, 21).96

„. le principe de 1a creation de lJieu L'Amen et Temoin est aussi apxT] Tils KTLOEWS' TOU ernu. L'expression, par l'usage de Yi apxfl comme par celui de ,Yi KTLcrLi;;, rapproche Ap 3, 14 de l'hymne christölogique qui ouvre l'Epitre aux Colossiens, plus particulierement Col 1, 15.1897. Comment la comprendre? Parcourir les trois usages de cipxfi dans l'Apocalypse nous aide a en saisir le sens et la portee.

96 Cf. N.G. ROONEY (MapTup(a, pp. 15-16): "The word d>..110Lv6.; in Apocalypse is generally connected with judgment ... God is the holy and true judge (6, 10). Here Christ is called "true" in the same sense ... The essential quality of the judgment of God is that it will certainly occur. Thus Christ's witness is "worthy of faith" and "true" in the sense of certain". 97 Nous avons deja note combien Col 1, 18 et son l$s lcrnv dpxfl, rrpwT6ToKos EK Twv vEKpwv eclairait leb rrpwT6ToKo..TJ0Lv6c dans les seuls chapitres 19 a 22.

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«compagnon-de-service» (cf. 6, 11)158. L'affi.rmation est de taille et fait sans doute piece a la tentation d'idolätrie pouvant pervertir le processus de transmission de la .H.evelation. Les puissances celestes elles-memes tombent sous le coup de l'interdiction de toute image (cf. Ex 20, 4) et sans doute Jean se doit-il de le rappeler a ses lecteurs159. L'injonction repetee: "Devant Dieu prosteme-toi" (19, 10; 22, 9) rappelle ainsi que lui seul est adorable, ses messagers etant tous parfaitement egaux dans le Service de sa Parole160.

19,9 "Et il me dit: «Ecris: Heureux ceux qui sont appeles au diner de la nocc de l'Agneau. Et il me dit: «Celles-ci sont les paroles veritables de Dieu».

22,6-7 "Et il me dit: «Celles-ci les paroles fideles et veridiques, et le Seigneur, le Dieu des esprits des prophetes, envoya son ange montrer a ses serviteurs ce qui doit arriver bien vite. v.7 Et voici, je viens vite. Heureux celui qui gardc lcs pnrolcs de la prophetie de ce livre.

22,8-9 v.8 J'etais, moi, Jean, celui qui entendais et voyais ces choses. Et lorsquc j'cntcndis ot voyni, a Et je tombai devant ses pieds pour je tombai pour me prosterner me prosterner devant lui (1TpooKwfiaat) devant les pieds de l'ange qui me montrait cela. (1TpooKwfiC1aL airrc'.ji). b Et il me dit: «Vois a ne pas! v.9 Et il rne dit: «Vois a ne pas! ("Opa µii) ("Opa µii) 19,10

158 Que l'on traduise "Je suis serviteur comme toi et comme tes freres" (BJ; OSTY) ou "serviteur avec toi et tes freres" (nuance du auv), le sens est identique. Le "je suis un compagnon de service, pour toi et pour tes freres" de la TOB attenue l'aftirmation de stricte egalite, ne retenant que la mediation de Service de revelation accomplie par l'ange. 169 Une telle «angelolätrie» (judeo-chretienne ou pregnostique, peut-etrc pratiquee par les Nicolai:tes?) est aussi denoncee, dans la meme aire d'Asie Mineure, par Col 2, 18. Cf. He 1-2; Jude 6; 2P 2, 4.11. Interdiction identique dans l'Ascension d'lsai"e VIl,21. 160 La polemique anti-idolätrique est sans conteste active dans l'Apocalypse qui affirme sous de multiples formes que la gloire et l'adoration ne reviennent qu'a Dieu seul. Cf. M.E. BORING, The Theology of Revelation. •The Lord Our God the Almighty Reigns», Interpretation 40 (1986) 257-269.

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Je suis compagnon-de-service de Je suis compagnon-de-service de toi toi et de tes freres (ovv8ovMs crou et de tes freres (ou118ovMs crou elµL Kat TWV ci&A!pWv crou), elµL Kat Twv ci&A!pWv oov ), les prophetes (Twv upoc/>11Twv ), d e ceux qui ont le temoignage de Je- et de ceux qui gardent les paroles sus (rw11 lx611rw11 11]11 µaprupla11 de ce livre (Kat TWV TllPOVVTWV Tous 1rpofJ); Myovs Tou ßLßAlou TOUTou); f devant Dieu prosterne-toi» (Tlil 0e4> devant Dieu prosterne-toi»" (Tlil 0e4> '!TpoO"KWrJO"OV) upooKi'.lvllcrov ). g Car le temoignage de Jesus est l'esprit de la prophetie" (i) ydp µapTVpta 'I llO"OU EO"TLV To wefJµa Tils upoc/>11Telas ).

c

L'element e, en 19, 10, designe les freres de Jean comme "ceux qui ont le temoignage de Jesus". L'expression, identique a celle de 12, 17 (Twv E-xovTwv Tiiv µapTvptav 'IT)crou) rappelle 6, 9 (füa Tiiv µapTvptav ~v elxov) et peut s'cntcndre d'un genitif subjectif; conuue y autorise ce troisieme et dernier usage specifiqnP. de l'auxiliaire lxnv en lien avec la µapTvp(a. Lcs chrotiens se reconnaissent dans uu "avoir" qui les unit dans l'ecoute et l'adhAsion de foi au temoignage rendu pur Jesusrn1. Ces memes chretiens sont designes en 22, 9 comme "ceux qui gardent les paroles de ce livre". Ces deux formules s'eclairent et s'appellent l'une l'autre: le temoignage de Jesus que les chretiens ont, la Parole et les commandements de Dieu qu'ils gardent, s'offrent a leur accueil, pour leur beatitude (22, 7; cf. 1, 3), par la mediation des "paroles de la prophetie de ce livre" (22, 7.9) que Jean re~oit mandat d'ecrire. , Repetee pour etre elucidee en 19, lOc (element g), l'expression "le temoignage de Jesus" est introduite par un ycip qui souligne sa fonction d'explicitation: "Le temoignage de Jesus, c'est en effet le souftle de la prophetie" (fonv epexegetique, ici accompagne d'un attribut avec article). Une telle repetition rend ainsi suspecte l'inversion des deux membres proposee par certains commentateurs arguant du fait que le predicat ne porte generalement pas l'article en grec. Refusant des lors d'attribuer ce röle a To rrvEuµa Tfjs upoT)TElas, ceux-ci expliquent "le souftle de la prophetie"162 (sujet) par ce qui serait son objet "le te161 M. ZERWICK (Analysis philologica, p. 592) maintient les deux genitifs: "cf 12,17 testimonium quod Jesus dedit: et quod est de Jesu". R.H. CHARLES (The Revelation, II, p. 130), qui ne voit ici qu'un simple doublet de 22, 9 (19, lOc = glose marginale du Ti µapTvp(a 'I11aoiJ de 19, lOb, sans doute ajoutee tardivement), bien qu'il reconnaisse la possibilitf\ d'un genitif subjectif ("the testimony borne by Jesus ... according to 1.2, 12,17, means the sum of the revelation made by him), ajoute: "But the words that follow, Ti yap µapTvp(a 'I11aoiJ KTA., require us to make them «the witness to Jesus»". 162 L'expression "le souffle de la prophetie" (cf. tableau) n'apparait pas ailleurs dans le NT. Enracinee dans la tradition biblique et juive et sans doute d'usage courant dans le Judai"sme de l'epoque, elle distingue fortement la pneumatologie de l'Apocalypse de celle du milieu johannique, et meme de S. Luc, qui met pourtant lui aussi en valeur le souffle

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moignage de Jesus", et traduisent: "Car l'esprit de la prophetie est le temoignage de Jesus"l63. 11 ne nous semble pourtant pas qu'ici plus qu'ailleurs il soit necessaire de postuler un genitif objectif pour que la pleine signification du verset soit respectee. Ce que les freres "ont", c'est le temoignage rendu par Jesus, l'evangile qu'il a annonce et vecu, lui que l'auteur nomme a deux reprises o µcipTuc; (1, 5; 3, 14) et (nous le verrons bientöt) 6 µapTupwv TauTa (22, 20), celui qui est a l'origine du temoignage de l'ange a l'adresse des Eglises (µapTupfj'am, 22, 16). "Le temoignage de Jesus", cette Parole de Dieu attestee par lui, est le souffie qui anime la prophetie et inspire tous les prophetes: Jean, dans sa prophetie ecrite (1, 2; 10, 9-11), mais aussi les chretiens, prophetes par vocation (22, 10, element d) et l'Eglise entiere (Ap 11, 3.6.7.10). Apres avoir dit des chretiens qu'ils "ont le temoignngc de Jesus", Jean eprouve ainsi une nouvelle fois le besoin de situer ce temoignage a l'origine du dynnmisme de la parole que pro· longent, dans l'Eglise, les temoins et les prophetes. Ap20, 4

Decapites a cause du tenwignage de Jesus et u cause de la pamk de Dreu

Le dernier usage de 'fi µapTup(a 'I riouu apparait au coeur du chapitre 20 qui, plus que tout autre au cours des siecles, a nourri l'imaginaire des commentateurs de l'Apocalypse et donne lieu aux propositions les plus fantaisistes concernant l'interpretation des mille ans (le fameux Millenium) durant lesquels les chretiens sont appeles a regner avec le Christ avant quc lc Dragon (jusque-Ia tenu enchaine et jete dans l'abime) ne soit reläche puis vaincu a l'occasion d'un ultime combat avec les forces divines et que le jugement eschatologique ne soit rendu par Dieu. Dans la vision qui interesse notre propos (20, 4ss.), Jean commence par montrer des trönes, pour indiquer la dignite de ceux qui viennent y prendre place, aynnt rcl(U un jugement favorable: "Et je vis des trönes, et ils allerent s'asseoir sur eux, et jugement164 leur fut donne". Precisant leur identite et a quel titre ils meritent un tel honprophetique (cf. Ac 2, 18ss., qui associe Esprit repandu, mission de prophetiser et evangelisation du monde, qui commence par les Douze et Pierre). Sur ce point precis, l'affirmation qui court tout au long de l'Apocalypse est que le temoignage rendu a Jesus par les chretiens est de !'ordre de la prophetie, comme l'affirme S. Paul, qui classe l'drr0Kd>.u1j1Li; au rang des manifestations du souffie de prophetie (cf. lCo 14, 29-30). Ap 22, 6, notons-le, situe la prophetie sous l'autorite du Seigneur ("le Dieu des esprits des prophetes") qui anime les rrvEuµaTa humains des prophetes de son rrvEilµa divin (cf. lCo 14, 32). 163 Ainsi M. ZERWICK (Analysis philologica, p. 592), qui maintient les deux genitifs: "1TVE'Oµa TTp. videtur esse subj. fi µapT. pral!dic.: 1:1piritu11 pruphllticus se manifestat in testimonio quod redditur de Jesu, quo praedicatur testimonium quod attulit Jesus". De meme E.B. ALLo, L 'Apucalypse, p. 301: "Le sens est que la prophetie s'appuie' sur le temoignage rendu par Jesus, et touchant Jesus ('ITlcroO serait ici, peut-etre, genitif de sujet et genitif d'objet a la fois), et que possedent, avec plus ou moins de profondeur d'intelligence, tous ceux qui ont la foi, mais les prophetes a un degre plus eminent". 164 To Kplµa, avec la valeur concrete de chose jugee, du resultat de la Kplcrti;.

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neur, Jean evoque ensuite "les ämes de ceux qui se trouvaient decapites a la hache a cause du temoignage de Jesus et a cause de la parole de Dieu". L'image est crue: ceux qui au ciel regnent et jugent ont subi sur terre l'acharnement violent de leurs ennemis, qui les ont "decapites a la hache" (Kal TclS' !JJuxas TWV 1TETTEAEKLcrµ€vwv ). Comme en 1, 2; 1, 9; 6, 9 et aussi, avec les nuances relevees, 12, 17, c'est 8Lci n]v µaprvp{av '/'r]aov KaL 8La TOV Myov TOU arnu (redoublement du 8Lci, comme en 6, 9) qu'ils subissent ainsi le martyre. Ni l'inversion des deux membres de la formule ni l'absence de EXELV ne suffisent a troubler le lecteur qui discerne ainsi a la source du temoignage des chretiens le "temoignage de Jesus" (genitif subjectif) que ses disciples prolongent par leur parole, leurs gestes et toute leur existence, scellant de leur sang leur fidelite a l'Agneau immole. Eux qui "ne s'etaient pas prosternes devant la Bete ni devant son image et n'avaient pns re~u la marque sur leur front et sur leur main", Jean l'affirme: "Ils vecurent et regnerent avec le Christ pendant mille ans". Prenant en compte l'ensemble de ces indiccs, nous pourrions ainsi proposAr pour 20, 4 le «tai::gum» suivo.nt: "Et je vis.„ les temoius qui ont ete decapites a cause du temoign.age de Jesus qu'ils avaient et a cause de la parole de Dieu qu'ils gardaient". Nous aurions ainsi rassembles les differentes pieces dP. cette mosa'ique qua Jean de Po.tmos affectionne pour dire l'enracinement du temoignage chretien en celui de Jesus, lui-meme fonde dans la Parole de Dieu. C'est du lien a etablir entre "parole de Dieu" et "temoignage de Jesus" que nous voulons maintenant traiter. 1.3.3 PAROLE DE DIEU ET TEMOIGNAGE DE JESUS : QUEL PARALLELISME?

Si l'hypothese du genitif subjcctif de l'expression Ti µapTup(a '1 ricrou (XpLcrTou) s'est ainsi faite de plus en plus vraisemblable au fil de la lecture des textes et des remarques proposees, il est une de ses caracteristiques majeures que nous n'avons pas encore scrutee: son utilisation repetee en parallele avec 6 Myoc; Tou 0e-ou (4x: 1, 2; 1, 9; 6, 9; 20, 5) et al EVTOA.al TOU 0e-ou (12, 17)165, Une telle insistance elle seule peut-etre plus significative que l'ensemble des elements evoques jusqu'ici) justifie que nous pretions attention a cette figurelitteraire particuliere qu'est le parallelisme. La grande diversite de formes qu'il revet dans la Bible ainsi que l'usage qu'en fait Jean dans l'Apoca-

ca

105 Nous avons de milme rapproche le Twv tx6vTwv n]v µapTuplav 'h1croil de 19, lOb du Twv Tl)pGVVTWV TOUS Myous Toil ßtßhlou TOVTOU de 22, 9. J.-P. CHARLIER (Comprendre l'Apnca.lypse, II, p. 150) veut aller plus loin: "D'oii il suit, par voie de parallelisme, que •temoignage de Jesus», c'est-a-dire l'Evangile, et •les paroles de ce livre»„. sont synonymes. L'Apocalypse est bien un evangile". Nous ne pensons pas quant a nous qu'il y a lieu de •fusionner» ainsi les deux expressions qui ne forment pas, a proprement parler, un parallelisme.

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DEUXIEME PARTIE, CHAPITRE 1

lypse exigent qµe nous tentions d'en saisir non seulement l'origine mais aussi la portee et les implications majeures pour la comprehension de notre formule.

A.

PARALLELISME, NATURE DU LANGAGE HUMAIN ET MENTALITE HEBR.Al'.QUE

Avant meme d'etre un phenomene litteraire, le parallelisme est une figure de pensee qui s'enracine dans l'experience universelle d'apprehension du reel. L. ALONSO SCHÖKEL s'est applique avec succes a demontrer ses liens avec la nature du langage humainl66: "Le langage humain «articule» les donnees, nos experiences, qui sont un «COntinuum», par consequent informes. Articuler signifie diviser le «COntinuum» en pieces qui peuvent etre recomposees: de cette fa\:Oll, le «continuum» peut etre apprehende avec plus de precision, fixe avec plus de fidelite et simplifie dans ses elements. Tous les elements peuvent en particulier etre combines en groupes distincts; ceci fäit du langage un systeme vivant de signes, apte a n'importe quelle situation (Weisgerber). L'articulation se realise au profond de l'esprit (Humboldt), aux «champs du 1Angage» (Trier), dans le rythme, dans la syntaxe. Le processus de diffürenciation successive et le processus de simplification, maintenant une vive tension de forces, agissent simultanement dans le langage. II en resulte que nous ne partons pas toujours de perception de pluralite, mais que la pluralite d'elements - qu'ils soient syntactiques ou de vocabulaire - est le fruit d'une articulation precedente".

Le parallelisme peut ainsi, de maniere generique, etre defini comme "une articulation binaire de propositions symetriques ou proportionnees. (... ) Le facteur forme! est ce qu'il y ade commun a tous les parallelismes. Quant au contenu des propositions ou des elements arti166 Cf. L. .ALONSO SCHÖKEL, Poesie hebraique, DBS VIII, 47-90; parallelisme, 65-72; ici, 68. Depuis sa these de doctorat soutenue en 1957 (et publiee en 1963 a Barcelone sous le titre: Estudios de poetica hebrea jusqu'a son.Manual de poetica hebrea, Madrid, 1987; edition italienne: Manuale di poetica ebraica, Brescia, 1989), .ALONSO SCHÖKEL n'a cesse de faire progresser les recherches sur la poesie hebraique. Dans son approche du parallelisme, il fut redevable a plusieurs auteurs (cites in DBS, 65-68) qui en elargirent considerablement l'approche. Entre autres L.I. NEWMANN, Studies in O.T. Parallelism, 1918, qui resitua le parallelisme hebreu dans le cadre de la litterature universelle, et E. NORDEN, Die antike Kunstprosa, 1915, qui parla du parallelisme comme du "principe formel le plus important.„ et l'origine de toute poesie" (p. 814). Mais c'est surtout un auteur iberiq,ue, DAMAso ALONSO, Seis calas en la expresi6n literaria espafl.ola, Madrid, 1951, qui resitua le parallelisme dans la perspective plus englobante de la pensee et du langage humains: "La pensee humaine emane deja moulee comme un registre de 'singularites et de pluralites; ce moulage est reflechi par le langage. La litterature de toutes les epoques, et en particulier la poesie, tend vers la representation analytique des contenus de pluralites, et surtout des pluralttes de ressemlillWCl!I!. Lorsque les membres de ces plurnlites aont complexes, l'ordination elocutive peut suivre deux chemins opposes: le paratactique et l'hypotactique. Souvent au1111i l'elucution passe d'une tactique a une nutrc„. Ce jaillissement, 11ingulier ou pluriel, de la pensee creatrice et le deploiement m~me des contenus pluriels, specialement de ceux qui sont lies par la ressemblance, appartiennent au moulage profond de l'expression litteraire. Ils appartiennent au style le plus profond" (pp. 18-19; cite par ALoNSO SCHÖKEL, Poesie hebraique, 68).

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371

cules, il regne une certaine variete" (IDEM). En Ap 1, 2 comme dans les autres lieux ou apparait notre formule, l'articulation binaire et la symetrie des propositions sont evidentes, les deux membres se correspondant jusque dans leur longueur: au Tov Myov Tofl 0rnu (ou Tele; EVTOAclc; TOU 0rnil) fait echo le TIJV µapTuplav 'I 11crou (XpLOTOU), le Kat assurant la simple liaison des deux membres. Bien que le parallelisme constitue un phenomene d'essence universelle present dans taute tentative d'expression du reel par le langage, ce sont pourtant, entre tous, les poetes hebreux qui excellerent dans son usage. L'eveque anglais R. LOWTH (1710-1787) n'affirmait-il pas deja que les muses hebra'iques etaient celles dont on pouvait dire "avec plus de raison que des autres :muses, amant alterna Camenae"? D'ou l'abondante utilisation du parallelisme dans la Bible, qui permet a ses auteurs de mettre en valeur et d'exalter une realite par un redoublement ou «reduplication» de son expression167. Or i1 est evident que Jean, dans l'Apocalpyse, use de tous les tresors du terreau d'expression et de culture semites qui nourrissent sa pensec et fäi;onnent son langage. Pour tlecrire ses visions, exprimer l'indicible et lui donner seus, il fait oeuvre de poete et recourt a un lnngngc image. Pour dire Dieu et l'hh~toire, le salut en Jesus et la destinee humaine promisc a la beatitude de la Jerusalem celeste, il opere par touches successives et approximations multiples, d'essence symboliques, tendant toutes a exprimer la richesse du mystere revele sans jamais d'ailleurs pouvoir en epuiser la plenitude de Realite. Dans la formule qui nous interessc, pour donner corps et poids a son affirmation, Jean dedouble ainsi et reduplique la realite qu'il veut porter a expression et situe en parallelisme "la parole de Dieu et "le temoignage de Jesus (Christ)". Il donne ainsi a son lecteur le temps de les contempler et de mieux percevoir la richesse de la Realite fondatrice de sa foi: Dieu a parle, et sa parole s'est faite entendre dans le temoignage de Jesus Christ. Prefärant a l'analyse et a la diffärenciation successive une vision globale, en bloc, il embrasse dans une tolle expression, comme en uue totalite, la Revelation de Dieu accomplie en Jesus Christ, objet de ses visions, de son temoignage et de la prophetie chretienne. II

167 De fait la parataxe (juxtaposition) correspond a quelque chose de tres profond dans la mentalite hebrai:que, qui aime les visions globales, se repetant et permettant une approche du reel sous des angles et points de vue divers et nuances. Ainsi lorsqu'un hebreu a acheve l'exprP.RAinn verbale par laquelle il vout communiquer la vision inLegl'ative qu'll a de la realite, il n'hesite pas a reprendre cette totalite pour la presenter une nouvelle foie dane une seriP. vP.rh11lP. equivalente. Ce qui fait diro a L. ALONSO SCHÖKEL (se l'efärant a PEDERSEN, Israel, its Life and Culture, p. 305) que chez les Hebreux, "il n'existe pas de champ en dehors de l'affirmation, car l'enonce veut embrasser une totalite" (Poesie hebrai:que, 76). C'est l'une des raisons sans doute qui explique pourquoi les poetes bibliques preferent la synonymie a l'antithese.

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B. REPETITION, PARALLELISME SYNONYMIQUE ET PARALLELISME SYNTHETIQUE

a

Si parallelisme il y a, la question essentielle consiste pourtant preciser le rapport que Jean etablit ainsi entre "parole de Dieu" et "temoignage de Jesus". En d'autres termes: quel poids theologique revet une telle formule. Car l'histoire de la recherche poetique systematique sur l'Ecriture nous l'apprend: le parallelisme est un instrument riche et souple, aux formes d'expressions multipleslGS. Le premier auteur l'avoir introduit dans les etudes bibliques, R. LOW'rH169, classa sous trois grandes especes les divers degres de correspondance pouvant exister entre ses deux membres et parla des

a

parallelismes synonymique, antithetique et synthetique110.

a

L. ALONSO SCHÖKEL prefära quant lui s'en tenir aux seules categories de la synonymie et de l'antithese, n'explicitant jamais son abandon de la notion de parallelisme synthetique autrement que par le caractere tres formal que lui attribuait LOWTH. Nous pensons pourtant qu'un tel parallelisme trouve place dans l'analyse du procede de synonymie et en avons repere plusieurs indices dans l'etude qu'en propose ALONSO SCIIÖKEL lui-mcmc et dont l'une des plus fäcondes in168 Sous «paralleliame• en effet, L. AT.ONRO SCHÖKEL (Poesie hebraYque, 72) passe en revue un ensemble impressionnant de formes qu'il qualifie d'«organon» indispensable a l'etude de la poesie biblique: "L'investigation doit tenir campte des possibilites diverses: paralleles synonymiques ou antithetiques, binömes topiques et originaux, binömes polaires comme extremes ou comme moities, parallelismes isoles ou en serie enumerative, correspondance par pieces ou en bloc, membres correlatifs, selection descriptive, binömes, groupes a trois ou a quatre termes, enumeration stylisee ou anarchique, etc.". 169 R. LoWTH donna dans la Prelectio 19 de son ouvrage de 1753 De sacra poesi Hebraeorum (= Ler;ons sur la poesie sacree des Hebreux, Lyon, 1812) une definition dense du parallelisme qui allait servir de refärence a toutes les recherches ulterieures: "Poetica sententiarum compositio maximam partem constat in aequalitate et similitudine quadam, sive parallelismo· membrorum cuiusque periodi, ita ut in duobus plerumque membris res rebus, verbis verba, quasi demensa et paria respondeant. Quae res multos quidem gradus habet, multam varietatem, ut alias accuratior et apertior, alias solutior et obscurior sit". Quant au parallelisme synonymique, i1 le definissait ainsi: "Primam constituunt speciem denuo parallela synonima, cum proposita quacumque sententia, eadem denuo exprimitur allis verbis idem fere significantibus (non la raison formelle mais le contenu). Quae exornatio omnium fortasse frequentissima est, et persaepe magnam habet accurationem et concinnitatem" (les commentaires entre parentheses sont d'ALONSO ScHOKEL, Poesie hebral:que, 66). 170 Plus tard les exegetes completerent ce tableau, decouvrant de nouveaux types de parallelisme, precisant le vocabulaire et multipliant les divisions possibles. Citons simplement les categories mises en lumiere par R.C. MOULTON (The Literary Study of the Bible, 1896), qui parle de parallelisme alterne ABAB, inverse ABBA, entrecroise ACBC, enchaine AB BC CD .. „ inclusif A BBCCDD A, ternaire, ternaire double, etc.; celles de B. GRAY (ExpT 1 (1913) 421; 2 (1913) 45), qui renonce au parallelisme synthetique (point faible de l'analy&e de LoW'l'H) et flATlP. rlP. parallP.liHme complet CADC BCD), incomplet (ABC AB) et avec compensation (ABC BCD); la division logique proposee par J.M. BOVER (Estudios EcclHiaaticos 19?.8, p 111'1) qni di11tingue le paralUlisme propre ou paratactique (synonymique ou antithetique) du parallelisme impropre ou synthetique (hypotactique ou syntactique) ainsi que les expressions utilisees par D. GoNZALO MAESO: parallelisme par identification, par contraposition, par integration. Autres refärences bibliographiques in L. ALONSO SCHOKEL, Poesie hebral:que, 67.

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tuitions est de traiter la synonymie hebra'ique non comme une subdivision sccondnire du parallelisme mais comme l'un des nombreux degres de l'ample et developpe phenomene stylistique hebreu qu'est la repetition. Dans tout reduplication ou dedoublement, note-t-il, le fait marquant est que "le volume verbal. est dedouble et articule en deux membres equivalents, sa!'-s que le mouvement syntactique avance" (Poesie hebra'ique, 73). Elargi aux limites du verset ou de la phrase, ce processus engendre ce que nous nommons un «parallelisme synonymique». Dans le ös E:µapTup11ae:v Tov Myov TOD 0e:oD Kai. Tiiv µapTuptav 'I 11aoD XpLaTou d'Ap 1, 2 par exemple, avonsnous une illustration d'une telle "repetition synonymique" (entendue au sens large de "duplication d'un concept, d'une image, d'une action, d'un membre syntactique, d'un enonce")? Oui et non. Car ici encore il convient de preciser les termes utilises. Le «parallelisme synonymique», au sens strict, devrait consister, au niveau du contenu, en une repetition du premier element dans lesecond. Un certain arret est marque dans le temps, une certaine retenue dans le langage, mais sans que le flux verbal ne s'interrompe. Pour utiliser la terminologie de DAMAso ALONSO, on serait alors en presence de «syntagmes non progrcssifs» dnns lesquels les mots s'additionnent Rans que le processus syntactique ne progresse (au contraire il bifurque oh ayµoov de 6, 9; le Twv 'IT€'1T€AEKLO"µf:vwv de 20, 4). Dans les rares cas ou il n'y a ni participe ni verbe «avoir», l'implication totale des chretiens est signifiee soit par la mention de leur acte de temoigner (ainsi le µapTvpEtv de Jean cn 1, 2 et surtout le contexte de 1, 9, qul nous apprend sa condition d'exilC), soit par l'utilisation d'autres vocables indiquant leur participation concrete a la croix et a la gloire du Christ (12, 11)178.

Le temoignage fid~le du chretien ouvre sur une imitation et configuration totales a la destinee de son Seigneur crucifie179. Un autre indice le confirme: quand Jean introduit ce theme, il utilise de maniere repetee1so la preposition 8ui + accusatif («a cause de»). 11 montre par Iä. combien le temoignage donne par Jesus - qu'il garde et dont il vit en s'en faisant le messager et temoin -, combien ce temoignage est a la fois cause de persecution et de mise a mort et gage de victoire. C'est ainsi "a cause du temoignage de Jesus" que Jean est relegue a Patmos (1, 9); "a cause du temoignage de Jesus" que certains hommes sont "egorges" (6, 9), d'autres "decapites" (20, 4); c'est enfin "a cause du temoignage de Jesus" que tous sont assures de "vaincre" Satan et le mal (121 11), apres y avoir laisse leur vie pourtant.

N ous pouvons ainsi proposer la conclusion suivante concernant l'usage de la formule Ti µapTVpla '111croii (XpLcrToii) dans l'Apocalypse: • Son genitif apparait, stricto sensu, comme un genitif subjectif. Ce qui interesse l'auteur et son lecteur, constituant l'objet de leur foi commune, leur «catechisme de base», c'est ce dont Jesus a temoigne et temoigne. Pour les chretiens de tous les temps, sa parole-temoignage demeure lampe pour les pas, lumiere pour la route, Torah 178

Nous pourrions ainsi, sans mutation de sens, privilegier l'usage de notre formule en 11, 7 et traduire: "Et lorsqu'ils auront acheve le temoignage de Jesus qu 'ils avaient". De meme en 12, 11: "a cause de la parole du temoignage de Jesus qu 'ils avaient". 179 C'est tout le theme d'Ap 11, 1-13 (cf. 11.1). 180 Les seules exceptions sont 1, 2; 12, 17 et 19, 10.10, la construction de ces versets ne permettant pas son utilisation.

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DEUXIEME PARTIE, CHAPITRE I

nouvelle et definitive eclairant leur foi et leur agir. La quasi-definition de 19, lOc est a interpreter dans ce sens: le temoignage de Jesus est l'esprit (ce qui donne vie, sens et dynamisme) a l'oeuvre prophetique de Jean d'abord, mais aussi a la proclamation des prophetes chretiens et au temoignage de l'ensemble d~s membres de l'Eglise du Christ. Rappelons-le pourtant: une telle option n'est pas le fruit d'un choix grammatical (ouvert et disponible aussi bien au genitif du sujet que de l'objet). Elle decoule de la lecture en «structure» de la formule, plus particulierement de son usage en parallele avec "parole de Dieu" et "commandements de Dieu" (indirectement "foi de Jesus") et surtout de l'emploi du verbe "avoir" (et "garder"), qui opere une distinction nette des sujets entre Jesus et ceux qui "ont" son temoignage.

• Le temoignage rendu par Jesus durant sa vie terrestre (paroles, gestes, divers moments de son mystere pascal...) se situe a tel point au coeur du mystere de foi du chretien que pour celui-ci rien n'egale le desir de 11«avoir», c'est-a-dire de l'accueillir, d'en vivre concretelllent et dP. lP. prolonger par sa propre µapTVpla, jusqu'a mourir s'il le faut. Etudier une telle formule ouvre ainsi tout naturellemenl 1:mr l'u11ulyse du. tP.rnnignage chretien, ces dcux t6moignages n'en faisant qu'un, dont le Christ est a la fois la source et le but.

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Chapitre II

LE TEMOIGNAGE DES CHRETIENS DANS L'APOCALYPSE

Jesus temoin a livre un temoignage, l'auteur de l'Apocalypse le souligne a plusieurs reprises. Pourquoi en fait-il ainsi la pierre de fondation de sa theologie du temoignage? Sans doute parce que, frere et compagnon dans l'epreuve, la royaute et la perseverance d.es destinaires de sa prophetie, il sait combien sont fragiles et menacees la foi, la charite et l'esperance des chr6tiens dnns un monde ou Satan, loin cl'avoir dit son dernier mot (cf. 12, 17), mene la vie dure aux amis de Dieu. 11 sait, pour l'experimenter dans sa propre chair d'exile de Patmos, que seul le temoignage de Jesus Christ, ecoute, accueilli, vecu et annonce, peut faire piece aux doutes et tentations assaillant les chretiens par les armes de la l!luductrice et sanguinaire Bnbylone (richesse, pouvoir, luxe, etc.), aux assauts de revolte montant en leu1·s coeu1'1S tlevanl l'apparente victoire de l'injustice et de In violence exercees a l'encontre de ]eurs propres personnes, au seul titre de CA qu'ils sont et de ce qu'ils croient. La focalisation du temoignage apocalyptique sur Jesus et les siens trouve ainsi dans la strategie de senset d'esperance que Jean deploie dans son oeuvre sa cause et sa raison d'etre. L'auteur ne. veut/peut evoquer le temoignage de Jesus independamment de la formidable source de contemplation, de louange et de courage qu'il suscite chez les croyants. Nous avons note en commentant la formule µapTup(a 'I 11crou qu'il faut maintenir ensemble cette double affirmation: il s'agit du temoignage rendu par Jesus (genitif subjectif) et pourtant Jean ne s'y attarde, SOUS la forme d'un memorial de foi et de verite, que pour mieux mettre en relief ce qu'il realise ou est appele a maintenir vivant ·dans la personne de ceux qui ont le temoignage de Jesus. Nous nous trouvons ainsi, en abordant ce Chapitre, dans une situation analogue a celle rencontree precedemment: si, pour les besoins de l'analyse, nous allons porter notre regard plus specifiquement sur le temoignage des chretiens, nous constaterons rapidement que Jean nous le donne a contempler dans ses liens de dependance etroits avec celui de Jesus. Aucun des textes que nous allons lire (a l'exception en partie de 15, 5) ne dissocie ce qui, dans l'economie chretienne de la redemption par l'Agneau, est un seul et unique mystere de vie et de salut. Nous aborderons ainsi dans ce Chapitre: D'abord et principalement (cf. 11.1) la pericope d'Ap 11, 1-13 qui deploie, a travers la descliptiou de la uel!lliuee des deux t~moins, toute une theologie du temoignage chretien.

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DEUXIEME PARTIE, CHAPITRE II

Ensuite et plus rapidement (cf. 11.2) certains textes deja parcourus lors de notre etude du "temoignage de Jesus", mais lus ici SOUS l'angle de la vie chretienne, et d'autres qui en completent harmonieusement les donnees fondamentales (notamment Ap 2, 13; 12, 11et17, 6).

11.l AP 11, 1-13. LA VOCATIONDESDEUXTEMOINSPROPHETES Du vocabulaire du temoignage, Ap 11, 1-13 ne renferme de fait que deux vocables: µapTvpe:c; en 11, 3 et µapTvpta en 11, 7. A la difference des occurrences etudiees jusqu'ici pourtant, ils sont inseres dans une pericope qui decrit, de maniere ample et imagee, la mission et la vocation des temoins chretiens dans le monde. Cela justifie que nous en fassions l'exegese complete et mettions en valeur l'apport significatif qu'elle fournit a une theologie neotestamentaire du temoignagel. 11.1. l

REMARQUES PRELIMINAIRES

Avant d'entrer dans la lecture des versets, il importe de porter un regard d'ensemble sur notre texte et les questions qu'il nc manquc pas dt:l susciter, relatives: a sa position d.ans la structurc de l'Apocnlypsc et a sa delimitation; aux contradictions internes qu'il semble porter et qui ont suscite l'hypothese de sources anterieures que Jean reutiliserait; au desar\!onnant langage «historico-symbolique» utilise, qui a donne lieu a des lectures fort variees, mais souvent reductrices et historicisantes. A. AP 10, 1-11, 14 ET LE SEPTENAIRE DES TROMPETTES La description de la destinee des deux temoins fait partie integrante du septenaire des trompettes, et ce quelle que soit l'ampleur que l'on attribue a cette unite. Ainsi A. YARBRO COLLINS (The Combat Myth, pp. 13-29) voit-elle en Ap 8, 2-11, 19 le troisieme des sept septenaires qui structurent l'Apocalypse (prologue, sept parties, epilogue). E. SCHÜSSLER-FIORENZA (The Book of Revelation, pp. 175-176) au contraire, partisane d'une structure «chiastique», situe notre texte au centre du livre (D: Small prophetic scroll 10, 1-15, 4) et insere Ap 11, 15-19 avant cette partie, dans la vision du livre aux sept sceaux (4, 1-9, 21 + 11, 15-19).

1 Selon B.P. ROBINSON, The two Persecuted Prophet-Witnesses of Rev 11, ScriptB 19 (111988) 14-19, Ap 11 recapitulerait meme le sens du livre entier, oeuvre qui s'ouvre avec le theme du temoin (1, 2.5) et s'acheve avec lui (22, 20).

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W.R. KEMPSON (Theology in the Revelation of John, p. 38, cite par F.F. MAZZAFERRI, The Genre of. .. Revelation, p. 343), qui divise l'Apocalypse en 4 visions, isole dans la deuxieme (4, 1-16, 21) Ap 8, 2-11, 19. Parmi les propositions plus recentes, ouvertes a la litterature apocalyptique apocryphe, D. MUNOZ LEÖN (La estructura del Apocalipsis de Juan), voulant tenir simultanement double section et division septenaire, isole comme element de transition entre l'Apocalypse du Jour de YHWH (4, 1-9, 21) et l'Apocalypse des Betes (12, 1-16, 21), Ap 10, 1-11, 19. Se basant sur la structure de IV Esdras et III Baruch, C.R. SMITH (The structure of the Book of Revelation), prolongeant les intuitions de KEMPSON et MUNOZ LEÖN sur une division bipartite, celles de J.J. COLLINS sur le genre apocalyptique, de E. SCHÜSSLER-FIORENZA sur l'intercalation de certains textes et de A. YARBRO COLLINS sur les appendices separes des Visions de Babylone et de Jerusalem, et soumettant l'ensemble de ces considerations au "structural indicator" que constitueraient les "en esprit" ponctuant le recit de l'Apocalypse, propose une structure qui nous parait fort hypothetique. Basee sur le presuppose que "the «Long Vision, in Revelation, then, follows a pattern frequently found in apocalyptic: ascent to heaven, then revelation of the course of earthly events" (p. 392), cette division distingue en effet dans la premiere partie ("John's heavenly ascent"): l"'Heavenly Journey" (4, 1-9, 21 + 11, 14-19", la "Transition" (10, 1-11) et l"'Historical Vision" (11, 1-13 + 12, 1-16, 21 + 19, 11-21, 8). Qualifier Ap 11, 1-12 d"'historical vision", parler d'Ap 11, 1-2 comme d'une "reference to the destruction of Jerusalem at least ten years past", voir en Ap 12, 1-17 (sur la base de l'etude de S. SOWERS, The Circumstances and Recollection of the Pella Flight, TZ 26 (1970) 305-320) une section qui "continues the story by symbolically depicting the escape of the Jerusalem church to Pella", perspective qui se verrait confirmee par les etudes recentes (cf. E. SCHÜSSLER-FIORENZA, The Book of Revelation, pp. 85-108; ou A. YARBRO COLLINS, Crisis and Catharsis, pp. 34-50) distinguant l'auteur de l'Apocalypse de l'«ecole johannique» et faisant de lui "an itinerant Palestinian prophet who migrated in the wake of the fall of Jerusalem and came to settle in Asia Minor" (p. 391) ... , tout cela releve d'un ensemble de criteres d'appreciation de l'«historicite» d'une telle narration que nous ne partageons pas, pour des raisons que nous indiquerons en cours de lecture. Notons, parmi les commentaires recents, le decoupage «original» propose par J.-P. CHARLIER (Comprendre l 'Apocalypse, I, pp. 201ss.) qui considere Ap 11, 1-14 comme le coeur (element F) de la structure concentrique du septenaire des trompettes qui s'etendrait de 8, 2 a 14, 5 et qu'il intitule: "Histoire des hommes et Incarnation de Dieu". Les sonnerics des 6 premieres trompettes (elements A, B, C, D, E) constitueraient ainsi les preparatifs de la mort et de la resurrection du Dieu incarne (F: 11, 1-14). Commentant la demarche generale de ce septenaire, CHARLIER note (p. 206): "Toute la pensee s'articule autour de la Resurrection, annoncee par l'Evangile missionnaire et permise par le risque de l'Incarnation". Il poursuit, apropos d'Ap 10, 1-12, 12 (p. 208): "Comment d'ailleurs ne pas remarquer la curieuse ordonnance du panneau central (E; F, E') qui developpe a rebours l'Incarnation, la Resurrection et l'assimilation de l'Evangile prophetique? Certes, le propos ici ne saurait etre historicisant,

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c'est-a-dire descriptif chronologiquement des evenements du salut. L'ordre choisi est celui de la predication qui deduit l'lncapiation de la Resurrection et n'apprend celle-ci que par l'ingestion de l'Evangile, «parole de Dieu et temoignage de Jesus-Christ» (Ap 1, 2)". Nous aurons l'occasion, en cours de lecture, de notifier pourquoi ni la division proposee ni son commentaire ne nous convainquent.

Avec une majorite d'auteurs, nous optons pour un septenaire des trompettes se deployant de 8, 1 a 11, 142. A la mention du «contenu» du septieme sceau (8, 1-5) succede en effet la sonnerie des six premieres trompettes, la septieme (11, 15) englobant deja ce que deploiera la section du triple signe (11, 15-16, 16), Ap 11, 15-19 servant a la fois de tram1ition et d'ouverture a cette nouvelle sectiona. Le mouvement litteraire caracteristique de ce septenaire des trompettes est de plus accentue des la quatrieme trompette (8, 12-13) par la mention de trois "malheur/"4 se superposant a la succession des sonneries. Le premier «malheur» semble co'incider avec les desastres (longuement decrits: 9, 1-11) lies a la sonnerie de la cinquieme trompette puisqu'en 9, 12 l'auteur note: "Le «malheur!», le premier est passe: voici qu'il vient encore deux «malhe11r!» apres cela". De mfüne le deuxieme «malheur» est delimite: apres qu'ait sonne la sixieme trompette (9, 13) et que trois plaies se soient abattues sur la terre (9, 13-21), Jean affirmc cn 11, 14n: "Le malheur, le deuxieme, est passe". Quant au troisieme, il commence en 11, 15 avec la sonnerie dP. la Reptieme trompette, comme l'indique le v. 14b: "Voici que le «malheur!», le Lroisieme, vient vite (~PX€TaL Taxv)!". Puisque aucune indication n'est donnee de sa fin, on peut lcgitimcnt supposcr que, lie au deferlement des puissances sataniques, il co'incide avec le contenu de la derniere trompette et s'etende, comme lui, a toute la suite du livre5. 2 Le To Tp(TOv nv6..ap(8Lov n'apparait qu'en Ap 10, 2.8.9.10 et signifie un tout petit livre puisqu'il s'agit d'un diminutif rlA f11f1Mp1011, lui-m4me diminutif de ßtßACov. 14 A. FEUILLET, Le chapitre X de l'Apocalypse, in IDEM, Etudes johanniques, pp. 228-245. Ici pp. 231ss. 15 Ces "incarichi di profetare" sont "quei brani in cui, non solo l'autore si riferisce alla sua esperienza, ma, oltre a cio, interviene un elemento esterno esplicito, ehe mette l'autore in rapporto diretto con la sua opera da iniziare, continuare o finire" (U. VANNI, Struttura, p. 134)

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contribuant a etablir sa structure, il fait a juste titre remarquer (pp. 136137, note 8): "L'azione profetica di Giovanni non si suppone mai interrota prima: quindi non c'e bisogno di un reincarico radicale e assoluto; acquista invece un significato chiaro e concreto un rinnovo parziale dell'incarico di profetare, relativo e circoscritto a un contenuto limitato da manifestare, quelle appunto del ßLßAcip(füov. Trovano allora il giusto posto le osservazioni di Charles et Bousset sul contenuto del ßLßA.ap(füov, ma sono integrate dalla prospettiva piii generale aperta dal rinvio della· manifestazione del contenuto riservato, non scritto nel ßLßAciptBLov, ai giorni del settimo angelo"l6. P. PRIGENT de meme, affirmant qu'Ap 11, 1-14 decrit le ministere prophetique des deux temoins, note (L 'Apocalypse, p. 152): "De la a penser que les deux temoins incarnent ou realisent le contenu du petit livre en assumant la vocation proph6tique qui en etait le contenu, il n'y a qu'un pas et il faut le franchir. (. .. ) Le petit livre remis au voyant pour qu'il proph6tise est a la fois la revelation de la necessite de l'engagement prophetique dans le plan christocentrique du salut et, correlativement, l'appel adresse aux chretiem1 puur qu'ils entrent dans ce plan et exercent le ministere prophetique. En d'autres mots si le livre scelle annonce la venue du Christ, le petit livre precise la part quc los hommes doivent assumer dans cette perspective: on n'attend pas passivement; le ministere des prophetes contribue a l'achevement final".

11.1.2

LEU'l'U.H.E

D'AP 11, 1-13

Notre lecture d'Ap 11, 1-13 est facilitee si nous gardons en memoire le mouvement d'ensemble dans lequel s'insere notre pericope, mouvement que nous pouvons recapituler ainsi: - 8, 1: ouverture du 7eme sceau, •..EyovTETJTEucrovcrw est consideree par plusieurs auteurs comme simfü1irP. a celle du v. 2: e86f:h1 TOLS €0vEcrLv Km ... rraTficrovcrLv. Il faut pourtant noter que les verbe::; sont maintenant tous deux au fuLur, que la phrase exprime une seule idee et que le f-860TJ du V. 2, U l'uoriste, etait a prendre en SOll sens premier de «livrer, abandonner», ce qui n'est plus le cas ici. - La formule 8Wcrw ... Kal rrpoc1>TJTEUcrovcrLv est frappante par le fait que 8wcrw est construit sans complement44. Nous pouvons la considerer comme un hcbra'isme correspondant a i~:m.„ Jn~i et la comprendrP. ainsi: "Je donnerai a mes deux temoins la mission et le pouvoir de prophetiser".

Tout est important dans ce verset. Procedons par etapes45. 43 U. VANNI note (L 'Apocalisse, pp. 375-376): "Siamo, rispetto alla conclusione finale risolutiva, ehe possiamo chianiare strettamente escatologica, in una fase previa, pre-eschatologica. La Gerusalemme di ogni eta nelle fase pre-eschatologica puo essere profanata, schiacciata dalle forze ostili. In essa possono trovarsi simultaneamente e coabitare, come nella Gerusalemme ehe uccise Cristo, elementi positivi e negativi". C'est la, remarque-t-il, une caracteristique de la section des trompettes (8,1-11,13): sa "parzialita intrastorica: l'azione della storia della salvezza, appena messasi in moto, registra dei momenti di involuzione, dei momenti in cui le forze positive sono di fatto superate e sconfitte da quelle negative. E il trionfo effimero ma clamoroso del male". 44 Anacoluthe semblable en 3, 9: "Voici, je donne, pris dans la synagogue de Satan, de ceux qui disent qu'ils sont juifs" (lllou lltllcli f:K ... ). L'Apocalypse utilise trois constructions differentes de füllwµL compris en ce sens idiomatique: 1) füllwµL + infinitif, •permettre», est la construction la plus frequente (2, 7; 3, 21; 6, 4; 7, 2; 13, 7.15; 16, 8). Notons que 13, 15 regroupe les deux sens, litteral et idiomatique: "Et il fut donne a elle de donner un esprit a l'image de la Bete" (Kat E:ll60Ti aim\j lloilvm TTVEilµa ). L'idiome, bebrai:que (cf. Est 9, 13), est present aussi en Jn 5, 26; 2) lllllwµL + tva + subjontif, en 9, 5 et 19, 8; 3) le E-86ai, aim\i f-~ouofo TTOLi\..ilcrwcrLv) donne lieu a une interpretation plus ouverte puisque Jean, qui sans doute evoque d'abord par la l'ensemble des fleaux decrits en Ex 7 a 11, fait probablomont o.ussi o.llusion a l'extermination des Egyptiens dans la Mer Rouge (Ex 14, 19-27). L'atteste le rappel pathP.tiqne de cet evenement dans la bouche des Philistins terrorises par l'arrivee dans le camp israelite de !'Arche de l'Alliance de YHWH, en lS 4, 8: "Malheur a nous! Qui nous delivrera de la main de ces dieux puissants? Ce sont ces dieux qui ont frappe les Egyptiens de toute sorte de plaies (il~r;i-':i~:\) C~'J~r;i-n~ C'?.'i\iJ) dans le desert". IR 4, 8 LXX porte de fait une formulation voisine de celle d'Ap 11, 6: o&roL ol 0Eol ol lTaTaeavTES Tiiv AtyvlTTov E-v lTciOlJ lTATJ'YiJ Kal E-v Tfj E-pilµcp. C'est dire que Jean, en ce v. 6b., dans une vision synthetique et recapitulatrice, apres avoir evoque la premiere plaie (Ex 7), fait mention de la victoire du peuple elu a la Mer des Jones (Ex 14), etape decisive de la sortie d'Egypte puisqu'elle marqua le point de depart de sa marche a travers le desert vers la Terre Promise. Dans cette liberation, tout est de YHWH et tout est de Mo'ise, son prophete puissant en oeuvre et en. parole65, Au terme de ces deux versets, une chose est certaine: participant a l'E-eoucr(a divine et a celle du Christ (cf. Mt 7, 29; etc.), les temoins prolongent l'oeuvre prophetique et salvifique des grandes figures de l'Alliance ancienne. lls sont de nouveaux Elie, Jeremie et Mo'ise auxquels Dieu accorde protection et liberte tout au long de leur ministere prophetique. A l'image d'Etienne aussi (cf. Ac 6, 10), rien ni personne ne peut tenir tete a la sagesse et a !'Esprit qui les animent. 65

Remarquons d'ailleurs que l'auteur de l'Apocalypse use abondamment du livre de l'Exode et de sa symbolique (cf. nom de Dieu, elements de theophanies, arche d'alliance, tente du temoignage, etc.) et se plait a decrire les fleaux s'abattant sur la terre en reprenant et amplifiant l'imagerie des plaies d'Egypte (cf. Ap 8-9; 16, etc.).

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Ils detie1111ent un pouvoir souverain, "autant qu 'ils le veulent" (6craKLC: Mv: «chaque fois que»)66, a proportion de l'urgence et de l'importance de leur mission.

C. AP 11, 7-10. PERSECUTION ET MORT DES TEMOINS: LA REJOUISSANCE DES IMPIES

Le temps du temoignage est aussi celui de la persecution et meme si rien ne peut «nuire» aux temoins, ils n'en sont pas moins executes! Une lecture rapide d'Ap 11, 7-10 permet d'en situer les personnages et de saisir le mouvement que l'auteur imprime a cette strophe. • Les personnages. 11 y a d'abord les deux temoins-prophetes (vv. 7a et lOb), que Jean ctnblit dnns une etroite communion aV(lC "leur Seigneur crucifie" (v. 8). Le camp oppose est celui de la Bete qui regne sur la grande ville, s'allie la collaboration d'hommes pris "d'entre les peuples, tribus, langues et nations" (v. 9a) et la sympathie de "ceux qui habitent la terre" (v. 10). • Les m.01wem.en.ts. Nous remarquons que le texte imit un cMveloppement. part.icu lier: - Les verbes d'action sont majoritairement regroupP.R, en inclusion, dans les vv. 7 et 10. Ainsi au v. 7, au temoignage accompli succede le dechainement de la Bete qui monte de l'abime pour faire la guerre aux temoins, les vaincre et les tuer (4 formes verbales). De meme au v. 10, la rete organisee par les habit.ant.s de la t.erre est. exprimee par une succession de 3 verbes: se rejouir, etre dans la joie, s'envoyer des presents. - Au centre par contre (vv. 8-9) regne un «Statisme» traduisant bien l'atmosphere de mort qui caracterise la ville. La phrase nominale du v. 8 met en evidence les cadavres des temoins laiss.es a l'abandon dans une cite comme figee par ses crimes repetes contre le Seigneur et contre les siens! Meme le ßAltrOVCJLV du V. 9a, s'il dynamise quelque peu la scene, ne reussit pas a faire naitre chez ceux qui contemplent les cadavres la volonte d'accomplir les rites de sepulture requis. Au contraire: il les renforce dans l'idee perverse d'interdire leur ensevelissement (v. 9b)!

66

Notons le triple usage de 00.rn aux vv. 5-6. Signifiant un desir non retlechi, spontane, nature! (a la difference de ßou>.oµm qui indique une volonte deliberee et retlechie), il est applique deux fois aux adversaires des temoins (v. 5) puis ici aux temoins eux-ml!mes (v. 6). Jean ne semble pas se poser de la ml!me maniere que ses lecteurs du xxeme s. la question de la «juste» ou de l'«injuste guerre» et ne fait preuve d'aucun scrupule a user d'un vocabulaire si cru et violent. Ce n'est pas le cas, semble-t-il, d'un auteur comme C.H. GIBLIN (Revelation 11.1-13, p. 442 et note 33, p. 457), qui tente a plusieurs reprises dans son article de «sauver la situation» et note: "The prophetic description looks solely to their ability to protect themselves and to the penalty suffered by hostile adversaries if the latter intend to harm them". Commentant la forme differente sous laquelle se prescntc chaque fois 00„rn (ind. pres; subj. aor.; lav + subj. aor.), il note: "The general progression seems to suggest possible, not actual use of force or of power". R.H. CHARLES (Thc Reuelation, I, p. 284), qui releve lui aussi la difficulte ("Are we to suppose that whoever cherished even a wish to injure the witnesses was to be destroyed by fire?"), propose de la resoudre "by taking 0l>w> as a mere auxiliary. Thus we should have, "If any man will hurt them". The fact that 0üw means "to desire" in 6 does not make this impossible".

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v. 7 Et quand ils auront accompli leur temoignage, la Bete, celle qui nionte de l 'abtrne, fera la guerre avec eux et !es vaincra et !es tuera. La protection divine dont jouissent les prophetes n'implique nullement qu'ils ne subiront ni injures, ni vexations, ni tortures, ni meme, au terme, la mise a mort. Pourtant, note Jean, cela n'adviendra pas avant que leur temoignage ne soit "accompli ". Si le verbe TEAEW («mener a son terme, a sa fin, a son TEAO;1>". THEODOTION traduit ttrrolEL rr6>.Eµov µETa Tcilv äylüill 1-Wv Ti µEyciA.T]), et en 17, 18, qui fournit la cle de son enigme en disant qu'elle a "la royaute sur les rois de la terre": il s'agit donc de Rome, la capitale imperiale7s. Les 5 occurrences d'Ap 18, 10.16.18.19.21 vont dans le meme sens, la "grande ville" y etant expressement identifiee avec Babylone (18, 10), condamnee puis detruite. Deuxieme equivalence: "laquelle est appeUe selon l'Esprit Sodome et Egypte". Jean precise que cette cite peut etre qualifiee de Sodome et d'Egypte. Attardons-nous d'abord sur le d6but de la formule: 78 Plusieurs auteurs (BOUSSET, WEISS, CALMES, SPITTA, WELLHAUSEN, etc.) s'en sont tenus Ils sont des lors contraints de biffer la mention de la crucifixion (qui renvoie trop explicitement a Jerusalem), que plusieurs considei:ent comme un essai d'harmonisation posterieur.

a cette exegese •realiste•.

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'fins79 KaMl.Tm est l'equivalent de iJ(o) KaAf>vµEVT1(oi;;) que l'on trouve en 1, 9; 12, 9; 16, 16. llvEuµanKv. Comme le note E. DELEBECQUE, "le verbe ~>..ltrnv, «regarder», ou «voir», selon les cas („.) a conserve toute sa vitalite dans la langue commune et celle des evangelistes. („.) Verbe expressif, il suggere un regard intense, appuye, braque dans une direction donnee lorsqu'il est suivi d'un complement direct"97. Les habitants de la ville sont donc sans excuse: ils n'ignorent rien du crime et ont tout loisir d'en mesurer l'abjection en contemplant les restes des temoins! Mais tout regard n'«envisage» pas (selon l'expression de P. BAUDIQUEY), ne convertit pas. Le lecteur chretien le sait, qui se souvient de la passion de Jesus et des differents regards portes sur le Crucifie par ceux qui "leverent les yeux vers celui qu'ils trnnspercerent" (cf. Za 12, 10 cite par Jn 19, 37)98. Certains, selon l'expression johannique, ont vu eL c1·u, ce que S. Luc traduit en son lnngngc cn soulignant que, parmi le peuple qui se tenait Ia, regardant (0Ewpciiv, Lc 23, 35a), il y eut non seulement ces chefs et soldats qui se moquaient de lui et l'injuriaient (Lc 23, 35b-38) mais aussi: ce centurion qui, "ayant vu ce qui etait arrive (l8c~v To yEvoµEvov), glorifin Dieu disant: «Vraiment, cet homme-la P.tait juste»" (23, 47); toutes ces foules qui, accourues pour ce spectacle (0Ewpta), ayant-vuen-spectateurs ce qui s'etait passe (0Ewp'ficravTEpatvou €rr' auTfj, oiipavl -, et les saints et les apötres et les prophetes, car

101 Tobie au contraire est loue pour avoir enseveli, au peril de sa vie, les defunts de son peuple (Tb 2, 3ss.; 12, 12). Cf. la tragedie d'Antigone dans la litterature grecque antique. 102 Jean eut peut-etre a l'esprit, au moment d'ecrire cette scene, un evenement qui marqua fortement les habitants de Jerusalem. L'historien FLAVIUS JOSEPHE rapporte en effet le martyre de deux pretres juifs, Ananos et Jesus, mis a mort vers l'an 68 par les extremistes Idumeens et dont les cadavres furent abandonnes sans sepulture dans les rues de Jerusalem (BJ, IV,5,5): "Je ne crois pas me tromper en disant que la mort d'Ananos fut le premier acte de la prise de Jerusalem: les murs de la ville furent renverses et la cause des Juifs ruinee des le jour ou l'on vit, au milieu de la ville, le grand-pretre egorge, lui qui presidait au salut commun. (. .. ) Ces hommes qui avaient jadis porte le vetement sacre et preside au culte universel, veneres des etrangers venus dans la ville de toutes les parties du monde civilise, etaient exposes nus aux regards; ils etaient la proie des chiens et des betes sauvages". Si Jean est trop libre pour simplement transcrire ici cet evenement, pre· cis et ponctuel, il n'cst pas impossible que la memoire d'un fait aussi spectaculaire, troublant et exemplaire, ait pu, entre autres allusions, l'inspirer. 103 Ce v. 10 est une belle illustration du melange des temps frequent "dnns l'Apocalypse. Nous y trouvons le present (KaToLKolivTE"S, KaTOLKollvTas ), l'aoriste (lßaadvurav) et le futur (xatpouaLv, Eucf>pa(vovTaL, irlµljsouaLv ). 104 Luc est l'evangeliste de la joie. II utilise, Evangile et Actes confondus, 12x Ti xapd, 19x xalpE"LV et Bx E"Ucf>pa[vE"LV.

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Dieu en la jugeant, a juge votre cause" - ön lKpLVEV b 0Eos To Kptµa vµwv a traduire: TOB = "car Dieu, en la jugeant, vous a fait justice; BJ ="car Dieu, en la condamnant, ajuge vQtre cause" -)105.

U airrfjs difficile

La fäte des ennemis de Dieu prend ainsi l'allure d'une anti«eucharistie». Et cette «messe noire» celebrant la victoire du mensonge et du mal se prolonge: "Ils s 'enverront des dons les uns aux autres". C'est ici l'unique usage de To Bwpov dans l'Apocalypse alors que le terme revient 19x dans le NT, surtout chez Mt (9x), oii. il prend le sens d'«offrande». Tandis qu'en Mt 2, 11 les mages, tout a la joie de suivre l'astre qui les conduit au Sauveur, lui apportent des presents, dans cette rete orchestree par la Bete et ses adorateurs, c'est l'antiadoration qui se poursuit et trouvera son apogee dans les chapitres 12 et 13. Son caracterc sacrilege ressort fortcmcnt d'une comparaison avec Ne 8, 10-12 ou Est 9, 19.22 decrivant les retes de l'Alliance celebrees a la Gloire du Vrai Dieu. En Ap 11, un tel echange de cadeaux exprime la cohesion satanique et le «ferme propos» qui soudent les ad 0rateurs de la Bete, bien decides a s'engager sans repentir dans la voie de l'impiete et cie l'idolätrie. Um;i telle parodie et perversion ne peuvent naitre que dans des coeurs fermes a la parule des temoins. La fln. du verset l'exprime clairement: "car ces deux prophetes tourmeni~rent ceux qui habitent sur la terre". Les deux temoins sont a nouveau 4ualifies dans leur ~tre et mission de ''prophetes" (cf. 11, 3.6) a la parole «douloureusement» accueillie puisqu'elle "tourmente, torture" (€ßaad.vLaav). Remarquons l'usage de l'auriste €ßaO"oßfoµm (95x NT) permettent de le preciser. Nous le trouvons a deux reprises avec la negation "ne pas" (1, 17; 2, 10)118 dans une invitation a ne pas ceder a la peur (sens negatif du terme). Dans les quatre autres occurrences (11, 18; 14, 7; 15, 4; 19, 5)119, son sens est 116 Cette "haleine de vie" (l:l"M norzil) de Gn 2, 7 correspond au "soufile de vie" (o"n mi) de 6, 17 et a l"'haleine d'esprit de vie" (O"M mi-norzil) de 7, 22. 117 Sur le symbolisme du geste et la position debout, cf. U. VANNI, L 'Apocalisse, note 42, p. 48. 118 En Ap 1, 17 dans le traditionnel: "Ne crains pas" accompagnant la vision du Fils de l'Homme, et en 2, 10 quand le Seigneur lui-mAme rassure l'Eglise de Smyrne: "Ne crains pas de ce qu'il te faudra souffrir". 119 Ainsi en Ap 11, 18: "ceux qui craignent ton nom"; 14, 7: "craignez Dieu et rendez-lui gloire"; 15, 4: "Qui ne te craindrait, Seigneur, et ne glorifierait ton nom?"; 19, 5:· "Louez

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positif. La crainte y exprime la reconnaissance de la saintete de Dieu, la louange et l'adoration de la creature pour son Createur. La crainte sera donc peur ou au contraire adoration en proportion et a la mesure de l'etat de peche ou de saintete de l'homme face a Dieu. Quand le Saint se manifeste a lui, l'homme faible et surtout pecheur prend conscience de la distance adorable et redoutable qui l'en separe. S'il est juste, serviteur, partenaire d'Alliance, sa reaction sera d'etonnement et d'admiration emerveillee, de joie et d'acclamation liturgique. Si au contraire il est impie, il sera saisi d'effroi et de terreur. C'est le cas, dans notre texte, des hommes qui refusent d'ecouter la parole des temoins, de la prendre pour lumiere de vie et festoient a l'annonce de leur mort. Leur frayeur est "grande" (µ€yas), c'est-a-dire, selon l'usage constant de l'adjectif dans l'Apocalypse (80x sur les 243 du NT, dont Sx dans le seul chapitre 11)120, a la mesure du caractere transcendant et surnaturel du drame qui se joue sous leurs yeux. Car Jean l'affirme une seconde fois: cette crainte "tomba sur ceux qui les observaient". Notons d'abord la force de l'expression "crain.te qu.i tnmba sur" (aor. de €m-TThrTw + ETTl)121. Puis l'usage par Jean, non plus du verbe ßAETTELV (v. 9) mais 8cwp€w, qui reviendra au v. 12. Tres johannique (32 de ses 58 occurrences du NT), ce verhe qui traduit le plus souvent les racines hebrai:ques ii~i ou mn, signifie une vision bien con.crete: "11 indique l'observation curieuse de celui qui s'interesse a ce qu'il voit au point de vouloir en percer le secret lorsque ce sens n'est pas evident"122. C'est dire que la maniere d'agir de Dieu rendant souffle et redressant ses temoins suscite chez les «spectateurs» (ol 8ewpouvTe.:;;) de la scene une attention manifestant tout a la fois leur stupeur et leur desir de comprendre ce qui est ·en train de se derouler et les depasse totalement. On pourrait dire qu'une telle contemplation accelere encore le processus de veridiction des «Spectateurs»: leur peur est redoublee quand ils constatent leur erreur, qui eclate au grand jour dans cette oeuvre de rehabilitation divine. notre Dieu, vous tous ses serviteurs, vous qui le craignez". 120 Serie impressionnante en quelques versets! Ap 11, 8: la ville la grande; 11, 11: une grande frayeur; 11, 12 et 11, 15: une grande voix; 11, 13: un grand tremblement de terre; 11, 17: la grande puissance de Dieu, 11, 18: les grands de la terre; 11, 19: une grande grele. 121 L'expression est connue de l'AT (Ex 15, 16; Ps 55, 5; etc.). Dans le NT, elle est lucanienne (principalement en lien avec l'Esprit qui "tombe sur quelqu'un"). Liee a la crainte, elle qualifie positivement l'attitude de Zacharie a l'apparition de l'ange (Lc 1, 12: "Et, ayant vu, Zacharie fut trouble et la crainte tomba sur lui") et celle de la population d'Ephese devant la reaction de l'homme possede par un esprit impur quand on eut prononce sur lui le nom de Jesus (Ac 19, 17). 122 Cf. E. DELEBECQUE, .Je vis» dans l'Apocalypse, p. 160. De meme J.-:N. ALETTI (L'art de raconter Jesus Christ, note 16, p. 175), 8. propos des ßcwp(a et ßrnpilcravn:c; de Lc 23, 47-49: "La traduction cherche a respecter la repetition («spectacle», theöria); cela n'implique aucune exteriorite, comme lorsqu'on dit de quelqu'un qu'il est reste spectateur, qu'il n'est donc pas entre dans le drame en acteur, en s'y impliquant. Le terme grec indique un regard prolonge, plein d'interet - qui n'a rien de detache ou de lointain".

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v. 12a Apres la vision, l'audition. Ces deux sens sont aussi importants l'un que l'autre dans la symbolique apocalyptique, la parole venant expliciter les visions, souvent enigmatiques: "Et ils entendirent une grande voix venant du ciel leur dire: «Montez ici»". Nous pouvons proposer plusieurs remarques. Premiere interrogation, dont l'enjeu depasse une question de pure critique textuelle: faut-il retenir la le~on f\1rnucra (lere pers. du sing. aor.) attestee par certains manuscrits (dont le P47) et qui revient en 12, 10? Jean, l'auteur, serait alors le sujet de cet acte d'audition, ce qui n'etonnerait guere quand on sait que l'Apocalypse privilegie ilK:oucra (27x, ou 28 si l'on comptabilise 11, 11) et ne connait que 18 (ou 17) autres formes de ce verbe. C'est ainsi que l'ont compris entre autres ALLO, BOISMARD et DELEBECQUE qui, dans un article paru en 1989, notait12a: "La premiere personne du singulier parait prefärable a l'\K:OUO'QV, «entendirent», donne par d'autres manuscrits". Nous remarquons pourtant qu'une telle le~on rompt l'unite de deroulement de la scene. A ce stade du recit, nous sommes encore dans la description de la vision et l'auteur contemple la passe d'arme qui se joue tintre les t~moins et leurs ~nnemis. Nous prefärons donc lire l'aoriste pluriel T\K:OUO'aV124, }e RUjet etant }e meme qu'nu V. 11, c'est-a-dire ltis deux prophetes designes ensuite par le pronom at'JTo1st2s. Que les temoins aient l'exclusivite de cette audition ou que leurs ennemis entendent aussi la voix126, peu importe. L'essentiel est de noter l'intervention de cet interlocuteur peu banal que la construction meme de la phrase met cn valeur. Comme le note E. DELEBECQUE dans l'article cite, la forme ijK:ovaa (i\icoooav de meme, pour notre propos) se presente dans l'Apocalypse sous deux aspects differents: A) suivie d'un simple complement direct, substantif ou pronom relatif (9x: 4, 1; 5, 11-12; 6, 7; 7, 4; 9, 16; 14, 2; 19, 1.6); · B) suivie d'un complement lie a un participe present dont on peut se demander s'il est lie avec le verbe «entendre». Deux cas de figure se presentent alors. 1) Si le participe est a l 'accusatif, il n'est pas completif et peut etre rendu en fran\:ais soit par un participe present, soit par une relative dont le verbe est a l'imparfait. Directement lie au complement du verbe «entendre», le participe s'applique alors au moment ou Jean entendit la chose. II est de valeur temporelle, donc circonstancielle127. 2) Si le parti123 Cf. E. DELEBECQUE, ..J'entendis• dans l'Apocalypse, RT 89 (1989) 85-90. Citation note 2, p. 85. . 124 'f\icouaa etant la forme quasi constante, il est en effet plus vraisemblable que certains manuscrits aient corrige 'f\icovaav en 'f\icouaa. Notons de plus que 'f\icovaav est atteste par la plupart des grands manuscrits: M, A, C, P, 2053, etc. 125 E. DELEBECQUE l'admit lui-m~me, publiant une retractatio a ce propos dans l'ouvrage posthume de 1992 (J, 'Apocalypse, p. 205). 126 R.H. CHARLES 1sif de civakaµßa11co, 11prendrc, saüür de bas en hnut, enlever, cmportcr•-, qui rend le plus souvcnt l'hcbreu ~tvl ou MI''· • Lc 24, 51: "Et il arriva, pendant qu'il les benissait, qu'il se separa d'eux et il etait emporte au ciel" (füfoTll cirr' QUTWll Kal civE'cpEpHO ELS TOV oupav6v ). Luc utilise d'abord un verbe d'eloignemcnt (fü-(aTaµm' a l'aoriste) puis civa€pco («porter de bas en haut, emporter, enlever») qui traduit l'hebreu n'ni hifil ou i~p hifil. •Ac 1, 2: "„. jusqu'au jour ou, ayant donne ses ordres aux apötres par !'Esprit Saint, ceux qu'il avait choisis, il fut enleve" (civütjµcf:>STJ ). Mcme forme que Mc 16, 19: aoriste passif de civaAfiµßcivw. • Ac 1, 9.10.11: "Et ayant dit ces choses, eux regarclant il fu.t eleue (ßAE'TTOVThlV niin.1v E-TTtjpST]), et une nuee l'a soustrait de lcurs yeux (Kal ve-cj>ÜTJ !JrreAfißEv aiJTbv cirro Twv 68aAµwv aimilv). v. 10 .l!:t comme ils etaient fixant les regards vers le ciel (ciTe-vl(ovTEt;; ~aav Eli:; TOV oiipavov ), pendant qu'il s'en allait (rroprnoµCvO\J QUTOU ), et voici que deux hOlllllU~S s'etaient presentes a eux en vetements blancs; V. 11 Ils leur disaient: «Hommes Galileens, pourquoi vous tenez-vous regardant vers le ciel (Tl E:aTifEA1J). La nuee (hebreu p.11) est l'environnement de toute theophanie, ce qui explique sans doute la presence en Ap 11, 12 de l'article defini ,;.

86eu.

Cachant et revelant a la fois la presence de Dieu, elle est mentionnee, dans l'A'l', au Sinai: (Ex 19, 16; 24, 15-16), sur la tente de la reuniun (Ex 40, 34.35), sur le temple (lR 8, 10-12; Is 6, 4; IIM 2, 7-8), etc. Dans le NT (25x), elle est presente lors de la Transfiguration du Christ (Mt 17, 5.5 et II Mc 9, 7; Lc 9, 34) ainsi qu'au moment de son Ascension, selon Ac 1, 9. Jesus lui-meme s'annoncc comme le fils de l'homme venant sur les nuees du ciel avec puissance et gloire (Mt 24, 30 et II, repris cn Mt 26, 64 et II, devant le Sanhedrin). Elle est souvent mentionnee dans l'Apucalypse (7x): en 1, 7, au sujet du Christ: "Voici il vient avec los nuccs" (influence de Dn 7, 13 comme en Mt 26, 64); en 10, 1, c'est l'ange venu du ciel qui est "revetu de nuee"; en 11, 12, pour accompagner l'ascension des temoins; en Ap 14, 14.14.15.16, nuee blanche sur laquelle est assis le Fils de l'Homme pret a moissonner la terre et a vendanger la vigne.

Comme Morse et Elie sous les traits desquels Jean a deja presente leur ministere (vv. 5-6) mais surtout a l'image de leur Seigneur crucifie et ressuscite, les deux temoins sont ainsi emportes au ciel, "et leurs ennemis les contemplent" (Kal E:0EWPT'IO"av auTous ol E:x0pol mr 'Twv). Le terme d'ennemis (ol E:x0po(; 32x NT) n'apparait que 2x dans l'ApocalypE;e, ici et au v. 5, alors que tout le livre evoque le terrifiant combat opposant le Christ et ses temoins au Dragon et a ses adorateurs. Certains commentateurs ont cru discerner ici une allusion aux succes terrestres de l'Eglise continuant a se repandre et a croitre apres les periodes de violentes persecutions (ainsi ALLO) et comme une confirmation de .l'adage de TERTULLIEN: "Sanguis martyrum, semen christianorum". Nous pensons plutöt que si l'auteur insiste a nouveau sur la vision (cf. v. 9 et 11), s'il souligne que l'ascension des temoins (comme auparavant leur mort et leur resurrection) n'echappe pas aux regards de leurs ennemis, c'est dans le but d'attester et de certifier une verite de foi: les martyrs sont dans la gloire de Dieu. Par l'identification de leur destinee a celle du Fils de l'Homme Juge eschatologique, il souhaite convaincre ses lecteurs de la participation des martyrs non seulement a la mort et a la resurrection de l'Agneau, mais aussi a sa gloire eternelle. Les yeux de la

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foi les voient deja regner au ciel (cf. 20, 4)132. Leurs ennemis ne vont pas tarder a devoir se rendre a cette «evidence» !

v. 13 "Et en cette heure-la survint un grand seisme". Le theme de l'«heure» (T] wpa: 106x dans le NT, dont lOx dans l'Apocalypse), eher a l'Evangile de Jean (ou tout tend vers son accomplissement dans la passion-resurrection du Christ), est aussi parfois charge d'un sens theologique dans l'Apocalypse: c'est le temps du jugement, de la manifestation de la verite133. 11 y conserve aussi son sens premier, temporel et chronologique134. C'est le cas dans notre verset qui insiste sur la simultaneite et la colncidence parfaite existant entre l'ascension des temoins et le moment du "grand seisme" (aELaµos- µ€ya.s) qui en est comme le retentissement cosmique. L'image du tremblcment de terre s'inspire sans dout.e d'Ez :38, 19-20, prophetie terrifiante de la destruction de Gog, l'adversaire de Dieu: "Dans ma jalousie, dans le feu de ma furie, je le dis: oui, ce jour-la, il y aura un grand tremblement de terre (?1il f!ill„) sur le sol d'Israel. Les poissons de la mer, lcs oiseaux du ciel, les betes sauvages, tout ce qui rampe sur le sol et tous les etres humains a la surface du sol trembleront devant moi; les montagnes s'abnttront, les parois rucheuses H Affondrcront, toutcs les murailles tomberont a terre". 'l'raduisant le plus souvent dans la LXX l'hebreu f!ill„, 6 crncrµ6i; apparait 14x dans le NT, principalement dans les apocalypses synoptiques, pour decrire la fin des temps et les signes annonciateurs du jugement (Mt 24, 7 II Mc 13, 8 // Lc 21, 11; cf. Is 24, 19-20; Ag 2, 6-9). Mt 27, 54 note de plus qu'au moment de la mort de Jesus, un "seisme" fait naitre la foi chez le centurion et ceux qui regardent la scene, et Mt 28, 2 qu'un "grand seisme" accompagne la descente de l'ange venant rouler la pierre du tombeau135. La moitie (7x) des occurrences neotestamentaires trouvent logiquement place dans l'Apocalypse:136 6, 12: un grand seisme accompagne l'ouverture du 6eme sceau; 8, 5: des tonnerres, des voix, des eclairs et un seisme 1

132 S. Paul s'exprime d'une maniere analogue en 1Th 4, 17 quand il utilise l'imagerie apocalyptique pour prefigurer ce que sera la resurrection des morts: ".„ ensuite nous, les vivants, qui serons restes, ensemble avec eux (les morts) nous serons enleves dans les nuees (aprra'Yl'la6µe:0a lv ve:ylAau:), a la rencontre du Seigneur, dans les airs". 133 Ainsi en Ap 3, 3, l'heure de la mort, du jugement, qui vient comme un voleur; 3, 10, l'heure de l'epreuve; 14, 7, l'heure du jugement; 14, 15, l'heure de moissonner. 134 Ainsi en Ap 9, 15, l'heure en comparaison du jour, du mois et de l'annee; 17, 12, la marque d'un temps tres bref concede aux rois de la terre; 18, 10 dit que Babylone sera jugee en une heure, ce qui se verifie en 18, 17.19: une heure a suffi pour detruire Babylone et devaster toutes ses richesses. 135 Autres occurrences hors de l'Apocalypse: Mt 8, 24 et le "grand seisme" sur la mer en furie; Ac 16, 26 et le "si grand seisme" qu'il permet la liberation de Paul. Le verbe adw est moins frequent (5x NT, dont Ap 6, 13), mais son contexte litteraire est semblable. 136 R. BAUCKHAM, The Eschatological Earthquake in the Apocalypse of-.John, NT 19 (1977) 224-233 fournit une analyse detaillee du symbole. C.H. GIBLIN (Revelation 11.1-13, p. 445) refuse d'y voir toujours la marque du jugement eschatologique final: "Only at the climax of the third septenary„. is earthquake linked operatively with the very 'end of the end' (16. 17: flyove:v). A 'preliminary moment' seems to be in question both in 6. 12 and 11. 13„.". II fait ainsi remarquer (note 44, p. 457) que ''Bauckham does not, however, sufficiently distinguish the 'theological moments' of 11.13 and 16. 19".

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eclatent apres que l'ange eut jete le contenu de son encensoir sur la terre; 11, 13.13: un (grand) seisme accompagne le moment de la glorification des temoins; 11, 19: des eclairs, des voix, des tonnerres, un seisme et une forte grele se produisent apres la sonnerie de la 7eme trompette dechainant le jugement de Dieu; 16, 18.18: apres le versement de la 7eme coupe se produisent des eclairs, des voix, des tonnerres et un si grand seisme que jamais il n'y en eut aucun de pareil.

Le seisme est ainsi l'un des phenomenes cosmiques faisant partie des signes traditionnels qui, dans la litterature biblique et apocalyptique, annoncent la fin des temps et l'heure du jugement eschatologique. Souvent, comme ici en Ap 11, 13, il est qualifie de "grand" pour indiquer sa force et sa puissance extraordinaires, proprement surnaturelles et constatables a ses effets: "et le dixieme de la ville tom.ba et des nurw; d'honunes, sept millc, furent tues da.ns lP. seisme". La ville est celle decrite au v. 8, symbole de tout lieu habite Oll se joue le drame du choix entre Dieu et Satan et Oll provisoirement triomphe la Rf\t,p,137. Touchec par le seisme, une partie de la cite "tomba" (~'ITE:O'E:V, aor.). Dans notre verseL, c'est le sens premicr et materiel de 'IT( 'ITT(•) quA l'auteur retient. Quc peut-il arriver d'autre a une villc ennemie apres un seisme que de s'ccrouler, d'etre detruite?138 L'effondrement ne touche pourtant qu'une partie de la ville, comme le souligne le symbolisme des nombres dans lequel «dix» (8lKa) aussi bien que «le dixieme» (To 8lKaTov)139 representent une grandeur limitee et jouent un röle analogue a celui du «tiers» (8, 7; etc.) ou du «quart» (6, 8; 137 R.H. CHARLES oßoc; y(vEcr0m141 l'idee de «crainte» exprimee au v. 11. Mais il ne s'agit plus ici de peur, voire de crainte servile eprouvee face un jugement definitif. Nous la li-

a

140 R.H. CHARLES l.Reuelation, I, p. 81) note qu'en Nh 1, 2.20; 3, 40.43, 6~·6µaTa trnduisant l'hebreu nir::irli "mcnno •persons» reckoned liy name". 141 Hapax .iohannique, nous 111 rP.trouvon11 ch11z Luc (24, 6: In crainte des femwe11 luni de la rencontre avec les deux «anges»); 24, 37 Oors de l'apparition du Christ ressuscite aux Onze); Ac 10, 4 (lorsque Corneille se trouve en presence de l'ange) et Ac 24, 25 (la crainte eprouvee par Felix lors du jugement de Paul).

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sons plutöt comme l'accomplissement de l'attente de certains prophetes et psalmistes envers les nations pai"ennes (Ps 67, 7; 22, 27-29; Is 45, 23): qu'elles «craignent» le Seigneur, le reconnaissent comme le Maitre de l'univers et le seul vrai Dieu (cf. lS 12, 24; Dt 6, 2.13.24; etc.)142. C'est ce qu'exprime la fin du verset. Le repentir des ennemis des temoins, suite a tout ce qu'ils ont vu et contemple, se manifeste par leur adoration: "ils donnerent gloire au Dieu du ciel" (Kal ~Bw1