Orateurs et sophistes grecs dans les inscriptions d'époque impériale 2711615731, 9782711615735

A partir de la fin du premier siècle de notre ère, la "Seconde Sophistique" voit s'imposer, au premier pl

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Polecaj historie

Orateurs et sophistes grecs dans les inscriptions d'époque impériale
 2711615731, 9782711615735

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Bernadette Puech

Orateurs et sophistes grecs dans les inscriptions d ’époque impériale

V R IN

ORATEURS ET SOPHISTES GRECS DANS LES INSCRIPTIONS D ’ÉPOQUE IMPÉRIALE

TEXTES ET T R A D IT IO N S Collection dirigée par M arie-Odile GOULET-CAZÉ

Richard GOULET

PhilippeHOFFMANN

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ORATEURS ET SOPHISTES GRECS OUVRAGES PA R U S D A N S L A C O L L E C T IO N

DANS LES INSCRIPTIONS D ’ÉPOQUE IMPÉRIALE

1.Richard Goulet, Études sur les Vies de philosophes dans l ’Anti^ tardive. Diogène Laërce, Porphyre de Tyr, Eunape de Sardes, 432 p. 2. Pierre Chiron, Un rhéteur méconnu : Démétrios (Ps.-Démétrios de Phalère). Essai sur les mutations de la théorie du style à l époque he enistique, 2001, 448 p. ), La servante et la consolatrice, 3Jean-Luc S o l è r e et Zénon K a l u z a (éd. la théologie au Moyen Age, 2002, La philosophie dans ses rapports avec 280 p.

par B e r n a d e tte PU E C H

Professeur à l’Université de Nancy 2

Préface de

Laurent Pernot Professeur à Γ Université de Strasbourg II

Ouvrage publié avec le concours du Centre National des Lettres

PARIS LIBRAIRIE PHILOSOPHIQUE J. VRIN 6, Place de la Sorbonne, Ve 2002

TEXTES ET TRADITIONS

Collection dirigée par M arie-O dile GOULET-CAZÉ, R ichard GOULET, P h ilip p e HOFFM ANN

Comité de lecture M ohammad Ali AMIR-MOEZZI, N eith ard BULST, W olfgang HÜBNER, M onique GOULLET, H enri HUGONNARD-ROCHE, Claudio MORESCHINI, M ichel NARCY, G eorge SALIBA

Couverture : Vase du peintre Douris © Bildarchiv Preußischer Kulturbesitz (Staatliche Museen zu Berlin Antikersammlung. Kat./Inv.-Nr. : F2285) Photographie : Johannes Laurentius

En application du Code de la Propriété Intellectuelle et notamment de ses articles L. 122-4, L. 122-5 et L. 335-2, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite. Une telle représentation ou reproduction constituerait un délit de contrefaçon, puni de deux ans d ’emprisonnement et de 150 000 euros d’amende. Ne sont autorisées que les copies ou reproduction strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective, ainsi que les analyses et courtes citations, sous réserve que soient indiqués clairement le nom de 1 auteur et la source.

© Librairie Philosophique J. VRIN, 2002 Imprimé en France ISBN 2-7116-1573-1

mémoire de mes parents

PRÉFAC E Voilà près d’un demi-siècle que Louis et Jeanne Robert ont attiré l’attention sur une inscription mentionnant un sophiste Antiochos, qui exerçait les fonc­ tions de curator à Sébastopolis au moment où cette cité éleva une statue à l’em­ pereur Sévère Alexandre, et qu’ils l’ont rapprochée d’une autre inscription, dans laquelle est célébré, en termes poétiques, «Philiscos, de haute sagesse, à qui les rois porte-sceptre ont donné aussi le pouvoir d ’arbitrage sur les domai­ nes, dans les cités de la Thessalie qui résonne du fracas des chevaux» (ici n° 9 et 199). De tels documents, écrivaient Louis et Jeanne Robert, portent «témoi­ gnage du rôle administratif que jouaient très souvent les rhéteurs à l’époque im­ périale, par leurs ambassades auprès des gouverneurs et des empereurs, par leur crédit auprès de ceux-ci, par leurs plaidoiries pour les villes et les provin­ ces devant les tribunaux romains, et aussi par les fonctions qu’ils pouvaient assumer dans l’administration romaine»1. Aujourd’hui, avec le recul du temps, on se rend compte que dans ces quel­ ques lignes le grand savant et son épouse traçaient les principales directions d’un domaine de recherche qui émergeait à cette époque et dont l’exploration approfondie a été menée ensuite, par eux-mêmes et par d’autres. Les inscriptions relatives aux orateurs et aux sophistes forment un groupe particulièrement intéressant au sein de l’immense matériel épigraphique que, dans tous les pays, les érudits ne cessent d’accroître et d’interpréter. A ce grou­ pe ont été consacrés des travaux fructueux au cours des dernières décennies, mais des travaux qui restaient totalement dispersés. C’est pourquoi le présent ouvrage vient à point. Il offre la synthèse que le monde savant attendait. Bernadette Puech est connue par ses recherches sur le cercle de Plutarque et sur les institutions de la Grèce impériale et par ses contributions au Diction­ naire des philosophes antiques et à L ’Année épigraphique. Pour réaliser la pré­ sente somme, elle a réuni une immense documentation, comprenant plusieurs centaines d’inscriptions et un nombre encore supérieur de publications impri­ mées. Chaque inscription a fait l’objet d’un examen critique, visant à établir le texte, à le traduire, à en extraire tous les renseignements possibles et à le mettre en série avec les textes parallèles. Il a fallu déjouer les pièges des homonymies, percer le langage doublement chiffré de la terminologie administrative et de la rhétorique encomiastique. Toutes les sciences ont été mises en œuvre : l’épigraphie, l’histoire et la littérature en général, et aussi l’onomastique, la numis­ matique, la prosopographie... Ainsi a été dressé, avec sûreté, un relevé complet des inscriptions mentionnant des orateurs et des sophistes grecs à l’époque de l’Empire romain. 1. L. et J. Robert, La Carie. Histoire et géographie historique, II, Paris, 1954, p. 319.

PRÉFACE

PREFACE

Le lecteur voit se lever devant lui une cohorte de soixante-seize orateurs et cinquante-huit sophistes, non compris les étudiants et les anonymes. Grâce au témoignage concret et irremplaçable des inscriptions —combiné avec les indi cations fournies par d’autres sources - on fait mieux qu’entrevoir ce que furent la vie et l’action de ces personnages. Au nom de leurs compétences littéraires et rhétoriques, ils enseignaient, prononçaient des conférences et des discours, pu­ bliaient des ouvrages. En même temps, ils jouissaient d ’un statut officiel, rem plissaient des fonctions publiques. Comme l’écrit Bernadette Puech, le sophiste était presque un magistrat municipal. Les plus grands exercèrent une influence politique au niveau de leur cité, de leur province, voire de l’Empire. La rhéto­ rique, au moment de l’Empire romain, comme à tant d ’autres moments de son histoire, était liée à l’action publique. Dans le domaine de la parole, les hommes de savoir étaient aussi des hommes de pouvoir. A travers ce livre, c’est tout le monde grec de l’époque qui ressuscite, avec ses valeurs et ses questions. Pêle-mêle: la culture, le respect de la chose intel­ lectuelle, le souci du beau langage, l’éthique personnelle et collective, l’identité hellénique, la religion des sanctuaires, les rapports entre Grecs et Romains, l’évergétisme et sa «servitude volontaire» (n° 234: έκουσίω άναγκρ). H ne sera plus possible, après pareille démonstration, de taxer la sophistique de pas­ séisme ou d’inactualité, comme on le fit jadis. ^ t En effet, c’est bien de la sophistique - la seconde sophistique - qu il s agi · L’enquête constitue une contribution capitale à l’histoire de ce mouvement, e une réponse à l’interrogation qui resurgit périodiquement: la seconde sophisti­ que a-t-elle existé? Certes, ce n’est pas le propos principal de Bernadette Puech que de répondre à cette question, car il lui suffit qu’il y ait eu des sophistes. Néanmoins son livre démontre, par la répartition chronologique et géographi­ que des documents, l’existence d’un phénomène d’ensemble. Il s’est produit sous le Haut-Empire, et encore ensuite, dans certaines provinces en particulier, une concentration sans précédent d’orateurs et de sophistes, qui entretenaient des relations mutuelles et exerçaient un rayonnement autour d eux. Cette constata tion est un argument très fort dans le débat sur la seconde sophistique. Avant d’engager le lecteur à faire connaissance avec les deutérosophistes, deux avertissements s’imposent. Dans cette foule les femmes se comptent sur les doigts d’une main, et 1 on ne sait pas grand-chose d’elles: Aufria, Iôannia... Signe des temps, bien sûr. Mais ij faut le souligner. Dans la mesure où la rhétorique et la sophistique étaient liées à la vie publique, les femmes y avaient difficilement accès. Par ailleurs, les inscriptions réunies ici sont des sources typées. Pour la plu­ part, il s’agit de documents officiels et honorifiques, destinés à proclamer des sentiments de reconnaissance et d’admiration pour les mérites et les services rendus. Ces documents appartiennent au monde de l’éloge, de la célébration. A les prendre au pied de la lettre, on risquerait de se faire une image déformée de la seconde sophistique et de ne retenir de celle-ci que qualités éminentes, bril­ lantes carrières, beaux sentiments et satisfaction générale.

Rappelons donc les mauvais côtés, dont Bernadette Puech n’avait pas à trai­ ter. Les sophistes avaient des défauts et parfois, peut-être, commettaient des crimes: par exemple, Aelius Aristide, avec toute son «excellence» (n° 44), n’en était pas moins un caractère fort difficile, et Hadrien de Tyr, «dévoué aux Muses» (n° 128), fut accusé de meurtre devant les tribunaux. De surcroît, la seconde sophistique, prise dans son ensemble, n’avait rien d’un milieu irénique; elle était traversée par les jalousies, les haines, les cabales. «Le potier en veut au potier», dit une citation d’Hésiode, usuelle en ce contexte2. Les rivalités pro­ fessionnelles mêlaient étroitement les trois sphères du sophiste: l’enseignement chaque fois qu’une chaire ou la faveur des disciples étaient en jeu, la rhétorique quand elles naissaient d’une prestation manquée et mettaient en cause le talent oratoire de l’adversaire, la politique lorsqu’elles reflétaient des dissensions à l’intérieur d’une cité ou des rivalités entre cités, au point de forcer parfois l’autorité romaine à intervenir pour rétablir la concorde. Les pamphlets de Lucien et les Vies des sophistes de Philostrate, qui nous renseignent à ce sujet, constituent une sorte de contrepoint ou d’antidote au point de vue peut-être un peu lénifiant représenté par les inscriptions. Mais laissons les sophistes à leurs querelles. On ne pourra plus lire aucun texte de la période sans le livre de Bernadette Puech, ouvrage de référence, qui n’a aucun équivalent en aucune langue et qui est appelé à faire date. C’est une contribution essentielle à l’histoire de la rhétorique, de la littérature et de la philosophie (rappelons le cas de cet Artémidôros [n° 47], qui, comme beaucoup d ’autres, était à la fois professeur de philosophie et professeur de rhétorique). La collection «Textes et Traditions» accueille un ouvrage d’une utilité rare, qui intéresse tous les antiquisants et offre une clé pour l’histoire intellectuelle, poli­ tique et sociale de l’Empire romain.

VIII

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Laurent Pernot Professeur à l’Université de Strasbourg II

2. Les travaux et les jours, 25-26 : Kat κεραμεύς κεραμεϊ κροτέει / καί τέκτονι τέκτων καί πτωχός πτωχώ φθονέει καί άοιδός άοιδώ. Hérode Atticus utilisa ces vers pour ridiculiser son maître Secundus, qui était fils de charpentier ; il lui suffit pour cela de changer un mot : Καί κεραμεύς κεραμεϊ κροτέει καί ρητορι τέκτων (d’après Philostrate, Vies des sophistes, I, 26, 544). Aelius Aristide loue Alexandras de Cotiaion, qui s’entendait avec tous ses collègues, d’avoir fait mentir Hésiode: Μόνος δε καί τον ’Ησίοδον ηλεγξεν έργω ψευδόμενον ποιήσαντα ότι καί άοιδός άοιδώ φθονέει (Oraison funèbre d ’Alexandros [or. XXXII], 11).

REMERCIEMENTS

Depuis le temps, déjà bien lointain, où le projet en a été conçu, la prépara­ tion de cet ouvrage a bénéficié de nombreux soutiens et encouragements : je suis heureuse de pouvoir exprimer ici ma gratitude à ceux qui les ont prodigués. À une époque où commençait à peine à se nuancer l’indifférence méprisante dans laquelle l’Université a longtemps tenu la seconde sophistique, en proposer l’étude au programme d’une année de Licence n’allait pas de soi : je suis de ceux qui doivent au professeur Jacques Bompaire d’avoir découvert ce monde aga­ çant et fascinant, si représentatif des contradictions de l’hellénisme dans son goût de la querelle et sa recherche de l’harmonie. C’est donc dans l’enthou­ siasme que, quelques années plus tard, désireuse de me consacrer à l’épigraphie sans rompre avec la littérature, j ’envisageai la constitution d’un recueil d’ins­ criptions relatives aux sophistes, sur la suggestion du professeur Simone Follet, qui n’a cessé depuis lors de suivre mes recherches avec patience et vigilance. Elle a dû, plus d’une fois, douter de la réalisation effective de cet ouvrage, re­ tardée par plusieurs autres travaux et par les aléas de la vie professionnelle; elle n’en a pas moins été constamment attentive à m’éclairer de ses conseils. Mes premiers pas dans les recherches épigraphiques ont été guidés aussi par Jean Pouilloux, qui m’a accueillie plusieurs fois à la Maison de l’Orient avec la bienveillance chaleureuse que tous lui connaissaient. Je tiens à saluer ici sa mémoire, ainsi que celles de Paul Roesch et Jean Marcillet-Jaubert, auprès de qui les jeunes chercheurs trouvaient la même disponibilité et la même généro­ sité: leurs conseils et leur exemple ont fait de ces brefs séjours des étapes essentielles dans ma formation. La préparation de ce recueil a été rendue possible par plusieurs missions du CNRS, qui ont permis la vérification sur pierre d’un certain nombre de lec­ tures: que Mireille Corbier, directrice de l'Année Epigraphique, et Athanase Rizakis, qui m’a invitée au KERA, en soient vivement remerciés, ainsi que l’École Française d’Athènes, pour son hospitalité et son aide efficace. L’accès aux pierres m’a été grandement facilité par Monsieur Charalambos Kritsas, directeur du Musée Épigraphique d’Athènes, et par les éphories d’Attique et de Béotie. Une première version de ce travail a constitué l’essentiel de mon dossier d’habilitation et a donc bénéficié des critiques et des suggestions précieuses de Madame Marie-Henriette Quet, de Messieurs Laurent Dubois, Paul Goukowsky et André Laronde. J’ai tiré également le plus grand profit des échanges avec

XII

REMERCIEMENTS

mes collègues antiquisants de ΓUniversité de Nancy, parmi lesquels je remercie tout particulièrement René Hodot, qui m’y a accueillie et toujours amicalement encouragée, et de la collaboration avec l’équipe de VAnnée Épigraphique, école de rigueur et d’œcuménisme scientifique. Ma profonde gratitude va évidemment aux directeurs de la collection «Textes et Traditions», qui ont bien voulu faire une place à ce livre. L’assis­ tance, matérielle et morale, de Richard Goulet tout au long de l’élaboration finale, son efficacité impavide devant les embûches informatiques les plus re­ doutables et la précision de ses relectures auront évité bien des catastrophes. Je remercie également Denis Arnaud, dont la compétence est venue à bout des problèmes complexes de polices. Il est enfin des puissances tutélaires dont le secours est indépendant de la durée ou de la proximité de leur présence. J’ai eu le privilège d ’être initiée à l’épigraphie en assistant aux derniers cours de Louis Robert. J’y ai vu comment le travail d’érudition, patient et austère, qui s’impose au chercheur prend son sens lorsqu’il essaie de recréer la vie du monde qu’il étudie. Plus tard, alors que des activités professionnelles trop éloignées de l ’univers culturel gréco-romain allaient me faire abandonner définitivement à la recherche, j ’ai retrouvé le mê­ me état d’esprit, soutenu par une curiosité allègre et passionnée, aux cours d’histoire romaine du Collège de France : les moments de pur bonheur intel­ lectuel qu’y dispensait Paul Veyne m ’ont interdit de renoncer. Sans ces influen­ ces roboratives, ce livre n’aurait pas été seulement envisagé.

Nancy, le 25 juillet 2002

... et les autres le contemplent, ravis: lui, avec sa diction assurée, avec sa réserve exquise, se distingue dans les assemblées et, quand il va par la ville, tel un dieu on l ’admire. Odyssée, VIII, 170-173.

...tu voudrais tout particulièrement pour les cités, entre autres sources de prospérité, la force de l ’éloquence car, tu le sais bien, si on laisse s ’éteindre l ’éloquence, nous voilà ramenés au rang des Barbares. Libanios, À Julien (Lettre 369)

LES ORATEURS DANS LES INSCRIPTIONS Lorsqu’il publiait en 1969 son livre sur les sophistes grecs sous l’empire romain, G.W. Bowersock observait: «little attention has so far been directed to placing the sophistic movement as a whole within the history of the Roman empire»1. Stimulée par le vif intérêt qu’a suscité son livre, la recherche, au cours des trois dernières décennies a heureusement rendu ce constat périmé. Les études de G.W. Bowersock lui-même, de C.P. Jones, d’E. Bowie, de W. Ameling, de Th.Schmitz ont mis en évidence l’importance du phénomène culturel que constitue la «Seconde Sophistique» pour l’histoire politique et sociale des provinces grecques à l’époque impériale. Elles ont ainsi été amenées à recourir très largement au témoignage des inscriptions. L’œuvre de R. Syme et celle de L. Robert avaient ouvert la voie en montrant à quel point pouvait se révéler féconde la confrontation des textes et des témoignages épigraphiques. Cette prise de conscience est à l’origine de nombreux articles, qui ont précisé notre connaissance de tel ou tel rhéteur, ou de sa famille, à la lumière de la do­ cumentation épigraphique. Elle a enrichi les notes de bas de page des études lit­ téraires de multiples références aux inscriptions, auxquelles les spécialistes de la littérature d’époque impériale portent désormais beaucoup d’attention: les tra­ vaux de Ch. A. Behr, de G. Anderson, de L. Pernot, de S. Swain le montrent suffisamment. Mais si cette orientation nouvelle de la recherche a permis de combler en grande partie la lacune signalée par G.W. Bowersock, elle crée à son tour des besoins nouveaux. Parce que les documents épigraphiques sont souvent sollicités, les commentaires dont ils font l’objet se trouvent dispersés dans une masse d ’articles, de notes, d’allusions rapides et, comme il est normal, aboutis­ sent de temps à autre à des conclusions divergentes: le temps paraît venu de tenter une synthèse critique, qui essaie de dresser un bilan de ce qui peut être considéré comme acquis et de ce qui reste du domaine de l’hypothèse. Cette synthèse aurait pu prendre la forme d’un catalogue prosopographique, qui aurait résumé le contenu des documents sans en donner le texte. C’est un au­ tre choix qui a été fait, pour deux raisons. Les questions prosopographiques sont presque toujours délicates. Elles amènent à évoluer plus souvent dans l’univers des probabilités que dans celui des certitudes. Il a donc semblé important de fournir au lecteur les moyens de vérifier ou de critiquer les conclusions qui se­ ront ici présentées. D’autre part, ces inscriptions, que l’on évoque souvent mais que l’on cite plus rarement, ont paru mériter un peu plus qu’une allusion au dé1. Pour les références précises des études évoquées dans cette introduction, toutes fonda­ mentales pour la connaissance de la vie culturelle du monde grec sous l’empire, voir la biblio­ graphie générale en fin de volume.

LES ORATEURS DANS LES INSCRIPTIONS

INTRODUCTION

tour d’une phrase ou qu’une note de bas de page. Non qu elles soient toujours en dies mêmes des chefs d’œuvre d’éloquence ou de poesie, meme s il existe une littérature sur pierre dont les études d’E. Bowie, notamment, ont montre 1 interet. Mais parce que rien n’est laissé au hasard dans ces textes, parce que chacun des mots compte que sa place même est souvent hautement significative, une lecture précise, une analyse détaillée sont indispensables: seules, elles p e ^ n t d e faire apparaître, sous les formules conventionnelles qur pouvaient donner ï rmpression oue ces documents disent souvent la meme chose, les intentions pre­ cises qui ont guidé la rédaction de chacun d’entre eux. Leur rhétorique n a: sans doute nas l’éclat de ces exercices de vituosite qui ont fait la célébrité des personnages qu’elles évoquent, mais elle est riche de sens. Et me est quelquefois d’un grand intérêt. De la sophistique imperiale, les œuvres d’Aristide et de Libanios nous ont conserve les triomphes II revenu.aux.ins­ criptions de nous faire entendre ses balbutiements. L eloge funebre de' 1 « Théodôros répondait, dans le milieu où le jeune homme avait évolué a la defnution même que nous appliquerions à la Monodie sur Smyrne: c était la produc­ tion d’un rhètôr. C’est donc sous la forme d’un recueil d’inscriptions, dont le commentaire est développé, si besoin est, en une notice prosopographique, que 1 on a essaye d’analyser l’apport de la documentation épigraphique pour la connaissance de la rhétorique d’époque impériale. Pour une bonne partie des documents, 1 etablis­ sement du texte ne soulève pas de difficulté. Les petites bases de marbre soi­ gneusement gravées, qui portent une majorité d ’entre eux sont souvent tuen conservées et de déchiffrement facile. Dans certains cas, on dispose de rééditions récentes Les lectures ont cependant été systématiquement venfiees chaque fois que c’était possible, sur photographie le plus souvent, sur la pierre dans un certain nombre de cas. Les restitutions n’ont été gardées dans le texte que lors­ qu’elles pouvaient être considérées comme très probables : tout ce qui est de l’ordre de l’hypothèse est placé dans l’apparat critique. L’IDENTIFICATION DES ORATEURS

Ces documents demandaient d’abord à être rassemblés, ce qui impliquait une double démarche: d’une part, chercher dans les publications épigraphiques les inscriptions qui pouvaient être en rapport avec les sophistes et les orateurs déjà identifiés; d’autre part, relever celles qui désignaient comme tels des personna­ ges absents de la documentation littéraire. La documentation réunie ne prétend pas être exhaustive. Il suffit de parcourir les notices consacrées aux personnages déjà connus par la littérature pour constater que les inscriptions ne signalent pas toujours leur activité littéraire: sans Philostrate, nous ignorerions tout des liens de Damien d’Éphèse avec le mouvement sophistique ; sans Dion Cassius et Li­ banios, nous ne saurions pas qu’Avidius Hèliodôros et Flavius Eusèbios avaient mené une carrière rhétorique. Comme le montrent ces exemples, plus un per­ sonnage a de puissance, politique ou économique, dans sa cité, dans sa province

3

ou dans l’empire, plus il y a de risques que son rôle culturel soit occulté dans les inscriptions par sa position sociale. Or les intellectuels étaient très souvent issus des familles les plus influentes. Il est donc fort probable que plusieurs notables bien connus par la documentation épigraphique aient, sinon enseigné, du moins pratiqué la rhétorique comme un art sans que nous n’en sachions rien. Malgré tout, le triomphe de la Seconde Sophistique a remis au goût du jour le titre de sophiste et a conféré à celui d’orateur un prestige accru. Parmi les 184 personnages - étudiants non compris - étudiés ci-dessous, 134 se voient attribuer dans les sources l’une ou l’autre de ces qualités (76 orateurs, 58 sophistes). Le titre est le plus souvent bien détaché, en tête des autres ou à la fin du texte, et sa place laisse comprendre s’il est ou non en rapport avec le monument qui porte l’inscription. Il est d’ailleurs auréolé d’un tel éclat qu’il a gagné le monde latin, où il n’était pas d’usage, avant l’époque impériale, d’honorer quelqu’un en tant qu’orateur, comme ce fut le cas pour Flavius Agrippa, Sallius Aristainétos ou Egnatius Victor Lollianus1. Le dépouillement des publications n’a pas consisté pour autant à relever dans leurs index les occurrences des mots sophistes et rhètor, car les rédacteurs des inscriptions, eux aussi, ont le désir de bien dire et d’éviter, quand il se peut, les formules trop stéréotypées. Il devient alors beau­ coup plus délicat de distinguer les rhéteurs des autres hommes de lettres ou de pensée. Néanmoins, le souci de clarté est rarement absent des préoccupations des rédacteurs, qui font assez souvent appel à des périphrases sans ambiguïté: c’est le cas de toutes celles qui sont construites autour du mot logos. On n’a pas à s’interroger longtemps sur l’activité d’un personnage lorsqu’il est honoré λόγων ενεκα (Basileidès, Isidores, Zènon) ouèm λόγοις (Aristide), ni lorsqu’il est présenté comme τοΐς λόγοις διαφέροντα (Mètrophanès), voire comme βασι­ λεύς λόγων (Ploutarchos). Mais d’autres expressions sont moins faciles à inter­ préter. Quelqu’un dont on célèbre l’attachement à la paideia peut avoir enseigné la philosophie ou la poésie autant que la rhétorique : sans doute, compte tenu des thèmes développés dans l’inscription d’Argos, aurait-on pu se passer du secours de Philostrate pour identifier Antiochos d’Aigeai comme un rhéteur; mais les autres inscriptions qui se réfèrent à la paideia sont généralement moins éclairan­ tes2. Plus vague encore la référence aux Muses - Hadrien de Tyr se présente comme Μούσαισι μ έλ ω ν- dont le culte rassemble toutes les disciplines intel­ lectuelles et artistiques. On est tout aussi perplexe devant ceux qui se disent sophoi, ou dont on vante la sophia. La lecture des épigrammes donne néanmoins l’impression qu’il a pu exister une sorte de code en vertu duquel, dans les textes poétiques, les mots de cette racine sont plutôt appliqués aux «philosophes» - au sens très large que l’Antiquité donne à cette appellation3 - tandis que les 1. Voir, pour Aristainétos, l ’inscription de la statue élevée par Asculum, où l’épithète qualifiant l’orateur est détachée par la présentation, toute la ligne lui étant réservée. 2. L’excellence dans la paideia est une qualité fréquemment reconnue aux étudiants : le thème est très présent dans leurs épitaphes : voir .v.v. Iôannia et Mètrophanès. 3. Voir, sur ce point, la Préface de P. Hadot au premier tome du Dictionnaire des philoso­

phes antiques.

LES ORATEURS DANS LES INSCRIPTIONS 4

in t r o d u c t io n

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τγίπ sont reconnus à orateurs, lorsqu’on veut éviter les termes trop proc es e règle absolue la présence du mot logos. Mais il ne s agit certainemen . ^ Thessalie, et l’on aurait bien pu se tromper sur la spécmhte de Philae:os ^ ^ ^ μέγαν έν oocj>iq,si Philostrate n’avait pas redigesab.og P gs conStruites que, dans les épigrammes, la convention ait e q différemment aux deux autour de sophos ou de sophia puissent s app îque , -îosophes et les socatégories dont le nom est formé sur cette racine. P " , „rande que phistes1. Mais l’incertitude, avec des expressions e ce yp , a affaire à un devant une référence à la paideia, qui assure au moins qualifier homme de culture. Ce n’est pas le cas de l’adjecttf ^ d0 gouversimplement le comportement dans la vie courante ou i ^ est reconnue, nement d’un homme de pouvoir: Eupeithios, a qui ce donné le recours peut avoir été magistrat aussi bien que sophiste. n i n’ . au senS d’orateur fréquent, dans les inscriptions honorifiques, au titre e r . nombreux politique dominant, d’homme d’État, on peut consi e paroles2» notables honorés simplement « pour leur comporteme une époque où n’étaient pas tout à fait mis au même niveau qu un «ora eu > · honorifique, il les cités décernaient couramment ce titre comme une appe formule plus faut considérer que son absence a un signification. le recour Conseil ou vague entendait sans doute saluer telle intervention ponc partie des telle ambassade auprès du gouverneur, toutes choses qui f :té particuobligations courantes d’un bouleute et n’impliquaient pas u lière dans le domaine de l’éloquence. > dans C’est donc le parti de la clarté qui a été préféré : plutôt que d acc ^ ^ pas le doute, tous les personnages pour lesquels un lien avec a desdocuimpossible, avec le danger que cette incertitude rende le cor” , . e diluent ments évasif ou arbitraire et que les spécificités du milieu r 9 retenu dans un portrait de groupe un peu flou des gens de culture, ce r ^ que les hommes - et deux femmes - pour lesquels ce lien ai jbérément acbable. C’était s’exposer au risque d’être incomplet. Il a q a cepté: l’exhaustivité n’étant pas possible pour les raisons qui on objgCter paru préférable de privilégier la cohérence de 1 ensemb e. P ^ impor. que la distinction entre les diverses disciplines intellectuel e P des tante et qu’à toutes les époques un certain nombre de r eteurs on a„es philosophes ou des poètes. C’est précisément le cas de plusieurs e P ces étudiés dans ce recueil3. Mais ils distinguaient eux-memes exp 1 sociale, deux activités, qui n’avaient d’ailleurs pas tout à fait la meme on 1. Voir par exemple, outre le cas de Phihecos, l^ eftn m o n σοφίαις υπάτου ou, dans le n° 231, celle du sophvs y · »vov / j a M II, ', 288), 2. Par exemple ήθεσι καί λόγοις και σωφροσυνη κ „ö , teur influence sur les soucriptions, les orateurs sont honorés pas davantage. Dans les ins­ tallait bien, pourtant, définir nn>, ° ^ que teis dePuis l ’époque hellénistique, moins arbitraires possible. On « w Cf tte étude des limites chronologiques, le cpigraphique. Si le mot «sophiste, ° nC *a'ssd guider par la documentation document dont la rédaction remont 3pparaU’ aPPdqué à une collectivité, dans un uction grecque est plus difficile à h iadn au ^ s^ele a. C., mais dont la trahgnéedes Sept Sages, appelés 3 er ’ ou enc°re, au sens de savant - dans la hellénistique12, ce n’est pas avant i ramment de ce nom - dès la fin de l’époque sens où il est compris à l’époone de TraJan>au plus tôt, que le titre, au hue à des individus: le premier d’e 3 ^eCOnde Sophistique, est sûrement attricst bien identique à son homonym ° re.eax.Pourrait être Antonius Pollianus, s’il pas absolument certain. Cnôsos 6 ^ dait ma8*strat sous Trajan, ce qui n’est peut-être à la même époque Parm°njnU Ρ3Γ U° derm®s de R °me>appartenait dessous, anonymes non compris n ■ ^ autTes personnages enregistrés cila fin du Ier siècle, 41 se situent à 0nt„port®ce litre» 2 ont pu être actifs avant sont d’époque inconnue· 5 νίνη.Γ? PF6S certainement au neou au n f siècle; 5 s'ècle. n au Ive ou dans la première moitié du Ve

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le père et celui de Nicede la cité II faut te ^ LlnCPart'clpation plus discrète des orateurs à la vie pas connue^ Mak Ζ Γ " Ρ'Β' "a,urellema"·. de tous ceux don, l'époque n'es, fa» connue. Mais, d une maniéré pénpraio i„ ■ , . . a . . . parfaitement celui de Philostrate Ï T s Î x ' mSCnp,,°"S «*>'"> aue fiiiplmii» pVrceo ·* , , C,UI’ sans Pouvoir I expliquer vraiment, a senti parce que le fait n’a 13 deuxième moitié du Ier siècle. On notera, coïncide avec h difftf-i P3S 6te sufilsamment souligné, que cette évolution C’est on l’a dit un ° 3 Clt0yenneté romaine dans les provinces grecques. dence oui mérite 'fi ° ProsoP08raphie, mais c’est aussi une coïnci­ dence qui mente reflexion: au moment où ils devenaient citoyens de Rome, les

P°UF^

1. N° 281. 2. Voir infra le paragraphe sur la distinction entre «sophiste» et «orateur».

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Grecs ont trouvé dans la Seconde Sophistique la possibilité de proclamer très haut leur identité hellénique!. Les inscriptions ne permettent pas de combler la lacune créée, dans notre connaissance du mouvement, par l’absence d’historien des sophistes entre Phi­ lostrate et Eunape : le seul des personnages étudiés ci-dessous à avoir été sûre­ ment actif dans la deuxième moitié du IIIe siècle est M. lunius Minucianus. On ne peut en conclure à un hypothétique déclin de la sophistique et de la vie littéraire en général à cette époque; il s ’agit simplement d ’une coïncidence entre une dé­ faillance de la documentation littéraire et une autre de la documentation épigra­ phique: il existe bien, en Orient, une «crise du IIIe siècle», qui se manifeste no­ tamment par une raréfaction des inscriptions en général, liée certainement à un appauvrissement momentané des cités, peut-être aussi à un ralentissement des échanges qui a pu affecter la vie agonistique2. Le phénomène est sans rapport avec un quelconque assoupissement de l’activité littéraire: l’époque de Longin, de Plotin et de Porphyre n’a pas forcément été un vide culturel et l’influence de la rhétorique au plus haut niveau du pouvoir se fait encore très nettement sentir dans les lettres de Valérien et Gallien3. L’évolution qui impose à cette étude une limite inférieure ne concerne pas non plus le mouvement sophistique mais la documentation épigraphique. Dans le courant du Ve siècle, elle s’éteint peu à peu, non qu’il y ait eu moins de sophistes mais parce que la fonction des inscriptions a changé: elles ne reflètent plus, désormais, la vie de la cité. La dernière série de textes où les orateurs sont pré­ sents est celle de ces belles épigrammes en l’honneur de hauts personnages, composées au lveou dans la première moitié du Ve siècle. Mais le rôle qu’ils y tiennent n’est plus le même. A l’époque de la Troisième Sophistique4, l’orateur n’est plus la vedette qui fait la fierté de la cité, mais un professeur à qui l’on ne songe plus guère à élever une statue ; si son nom apparaît sur les monuments pu1. Voir infra: «Devenir Grec, rester Romain?». La Seconde Sophistique n’est certes pas, et P. Veyne (1999) a raison de le souligner, un «mouvement identitaire», au sens que nos contemporains donnent le plus souvent à cette expression: elle ne vise pas à restaurer dans le monde grec une conscience de soi qui ne s ’était jamais perdue ni ne plaide pour une «recon­ naissance» acquise depuis longtemps; elle n’en est pas moins une tentative de redéfinition de la place de l’hellénisme dans une oikouménè profondément modifiée par l’emprise de Rome; ce ne peut être un hasard si elle se développe à l’époque où les élites grecques acquièrent la citoyenneté romaine. 2. C ’est ce que suppose S. Swain, Hellenism and Empire, Oxford, 1996, p. 4, mais nous manquons d’éléments d’appréciation. Rien ne permet d’affirmer, avec F. Desbordes, La rhétorique antique, Paris, 1996, p. 157,que « l’étoile de la Sophistique a pâli». 3. Voir s. V. Pigrès. 4. J’emprunte l’expression à L. Pernot, Rhétorique I, p. 14, qui constate, à propos de l ’importance accordée à la littérature encomiographique, une répartition chronologique des textes qui rejoint celle des inscriptions : « les textes postérieurs au iiic s. ap. J.C. font l’objet de mentions plus occasionnelles. Avec la victoire du christianisme et les mutations du BasEmpire, les conditions changent; si forts que soient les éléments de permanence, c ’est une Troisième Sophistique qui commence, ou en tout cas une Seconde Sophistique bis. »

INTRODUCTION

LES ORATEURS DANS LES INSCRIPTIONS

blics, c’est souvent qu’il est un intellectuel de cour, qui a pour mission£ ^ clamer la gloire des puissants, comme le sophiste Eudèmos, ou qu il ta t im­ même partie des cadres de l’administration de 1 empire, univers ’ celui de Libanios sont peu présents dans la documentation epigrap îque ’ qu’on y retrouve un rhéteur ou un avocat de leur entourage, c es 1® . , parce qu’il a fait une brillante carrière politique, comme Flavius Eusebios ou préfet Majorinus. Le monde de la rhétorique, vu par les inscriptions, esJ ne partie celui de Philostrate. Néanmoins, jusqu au bout, les orateurs , ront à proclamer, comme leurs prédécesseurs de l ’époque automne, qui est sans doute la raison d’être du mouvement sophistique: 1 equivalence - euphémisme courtois dans l’expression d’une conviction de superion e gloire littéraire et de la puissance politique, fût-elle la plus haute . La répartition chronologique des documents a fait que cette étude est de nue, par la force des choses, une sorte de commentaire prosopograp iq Vies de Sophistes de Philostrate. La crédibilité de ce témoin pnvüegie l’histoire de la Seconde Sophistique a parfois été mise en question, mais a que récente en est venue à une appréciation globalement positive . a c logie qui se dégage de son ouvrage est en tout cas, le plus souvent, par ai ® cohérente. Tout au plus peut-on être surpris de la place de tel e îog P ’ comme celle de Rufus de Périnthe, qui arrive curieusement tard si ce sop > comme une inscription semble l’indiquer, était déjà actif sous Hadrien, a P de la biographie de Proclos de Naucratis et de la mention de Soteros P ’ avant le récit de la vie de Damien, est aussi inattendue. Mais ce peut-etr choix d’auteur: la tradition littéraire grecque n ’aime guère les plans trop rigo reux et trop prévisibles. Les biographies sont parsemées d anecdotes ou i cations qui fournissent des repères chronologiques précis. Ainsi la biograp d’Hadrien de Tyr permet de situer le temps des études d’Amphiclès de Chalcis ei de l’arrivée à Athènes de Philagros de Cilicie. Les informations eparses dans plusieurs autres Vies ont permis à I. Avotins de reconstituer la liste chrono og que des titulaires de la chaire impériale3. Elles donnent également un aperçu fonctionnement des écoles des sophistes, qui n ’est pas différent de ce ui e écoles philosophiques. On y arrive entre douze et vingt ans, car elles son o vertes aux paides comme aux meirakia4, mais elles offrent aussi aux anciens étudiants, rhéteurs déjà maîtres de leur art, les gnôrimoi du maître, un entraine­ ment beaucoup plus poussé, réservé à l’élite: Amphiclès de Chalcis, a rien

1. Voir s. V. Ploutarchos et Pyrrhos, et infra : «la puissance et la g

subjectivité de

2. Ainsi S. Swain .99.. p. .48-163. Il fau. na.us.Memen. fm« l ’écrivain, qui opère dans les données historiques une s données pour telles sont souligne A Billault 2000, p. 74-85 ; mais les informations qu, sont données pot celles dont l’auteur est sûr. 3 .1 . Avotins, «The Holders o f the Ch.ir of Rhetoric 324.

... u e r p 7 Q 1075 o 313Athens», HSCP 19 ,1 9 7 5 . P

4. Voir les biographies d’AthènodÔros d’Aenos et de Rufus de Périnthe.

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Tyr, Pausanias de Césarée en ont bénéficié auprès d’Hérode Atticus1. Le so­ phiste célèbre, souvent en tournée de conférences ou accaparé par sa carrière politique, n’est évidemment pas seul à faire l’éducation de ce petit monde. Comme les philosophes2, comme plus tard Libanios, il a auprès de lui des as­ sistants, qui encadrent les jeunes étudiants. C’est ce qui explique un détail qui pourrait passer pour une confusion de Philostrate, mais qui est en réalité un té­ moignage sur l’entourage d’Hérode: Sceptos de Corinthe faisait partie des étu­ diants d’élite du sophiste à l’époque où Hadrien de Tyr fut admis parmi eux, c ’est-à-dire aux environs de 130. On le retrouve aux côtés du maître vers 170, lorsqu’Alex andre de Séleucie, qui allait rejoindre Marc Aurèle en Pannonie, s’arrêta à Athènes: il était très certainement un assistant d’Hérode, un de ces rhètores si souvent évoqués dans les Lettres de Libanios. Philostrate est donc un témoin sûr, qui ne confond pas les époques. À l’examen, ses indications chrono­ logiques se révèlent parfaitement crédibles et elles ont été considérées avec la plus grande attention dans les notices consacrées aux sophistes qu’il mentionne: leur recoupement avec les données épigraphiques permet de reconstituer les grandes étapes d’une carrière3. La documentation épigraphique amène souvent à chercher à situer un per­ sonnage dans sa famille, à retracer l’histoire de celle-ci, à élaborer ou modifier un arbre généalogique. Il entre toujours dans ces constructions une part d’incertitude, qui tient notamment à l’obligation de définir un intervalle chro­ nologique vraisemblable entre les générations. Or, les quelques études prosopographiques contenues dans ce volume le montrent, il n’existait pas de norme en la matière et cet intervalle pouvait varier considérablement. Les historiens sont volontiers enclins à reconstituer la réalité en vertu des lois de la logique : on est tenté de se dire que, puisque le droit romain encourageait le mariage précoce, les Grecs, une fois devenus citoyens romains, devaient se marier tôt4. Peut-être auraient-ils dû, mais tous, manifestement, ne l’ont pas fait, même lorsqu’ils étaient parfaitement intégrés à la haute société romaine. Faut-il rappeler que le sénateur Hérode Atticus s’est marié à plus de quarante ans? En ce domaine au moins, mais il n ’est peut-être pas le seul, les dispositions des lois romaines sem­ blent avoir été considérées avec une respectueuse indifférence. L’exemple d’Hérode 1. Je ne comprends pas la remarque de P. A. Brunt 1994, p. 27, à propos d’Hérode: «we can hardly suppose that he had a formal school»; d’après la suite, l’auteur semble entendre par là qu’Hérode ne devait pas demander d’argent pour ses leçons; si son enseignement avait été gratuit, il ne fait pas de doute que Philostrate, son hagiographe, l’aurait signalé. 2. Sur les hétairoi des philosophes, voir J. Glucker, Antiochos and the Late Academy (Hypomnemata 56), Göttingen, 1978, p. 265-266. 3. Voir par exemple s.v. Amphiclès, Hadrien de Tyr, Lollianus. 4. P. Herz, Asiarchen, p. 96, commente de la façon suivante un stemma qui admet un intervalle de trente ans entre les générations : « Die Ansetzung von 30 Jahren für eine Genera­ tionenfolge ist sicherlich mehr als großzügig. Es handelt sich um Mitglieder der römischen Oberschicht, für die schon aus gesetzlichen Gründen ein wesentlich früheres Heiratsdatum und als Konsequenz eine dichtere Abfolge der generationen zu vermuten ist. Die lex Papia Poppaea vom J. 9 n. Chr. verlangte vom civis Romanus eine möglichst frühe Heirat».

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INTRODUCTION

est loin d’être isolé. Peut-être celui du sophiste Trophimos de Sidè, marié à soixan­ te-quatorze ans, n’est-il pas le plus représentatif. Mais dans plusieurs autres fa­ milles étudiées, comme celles d’Isée, de Nicagoras et Minucianus, ou encore cel­ le du philosophe Sarapion1, les hommes se mariaient rarement avant quarante ans. C’est vers cet âge aussi qu’Amphiclès de Chalcis semble avoir eu le fils que la mort lui enleva prématurément. Dans certaines familles athéniennes, en revan­ che, on constate parfois des mariages beaucoup plus précoces2. En l’absence de toute information sur le cas étudié, on a donc admis une différence d ’âge moyen­ ne de vingt-cinq à trente-cinq ans entre père et fils, sans hésiter à la supposer supérieure, si quelque repère chronologique le suggérait. « SOPHISTE », « ORATEUR », « PHILOSOPHE »

S’interroger sur la nuance qui peut distinguer l’appellation de «sophiste» et celle d’«orateur» est devenu une tradition: la question a été maintes fois discu­ tée et a donné lieu à des appréciations divergentes. Dans ce débat, c ’est essen­ tiellement le terme de sophiste qui a attiré l’attention. L ’étude de P. A. Brunt3 en a suffisamment fait apparaître les différentes nuances pour qu’il soit superflu de revenir sur le sujet. Un sophiste est un orateur qui, le plus souvent, se consacre à la fois à l’enseignement et à l’éloquence d ’apparat. Le nom, ou le verbe de même racine, est employé, à l’époque de la Seconde Sophistique, pour insister tantôt sur l’un de ces aspects, tantôt sur l’autre. S’y ajoute probablement une no­ tion de reconnaissance institutionnelle. Les grandes cités disposaient de chaires municipales- et, dans le cas d’Athènes au moins, d ’une chaire im périale- mais aussi d’un nombre limité de dispenses, qu’elles pouvaient accorder aux orateurs à succès pour les décharger des magistratures et des liturgies qui leur incom­ baient en tant que bouleutes4. Il existait ainsi une catégorie d ’orateurs consacrés par une reconnaissance officielle et il semble bien que, dans l’usage courant au moins, ce soit à eux que le titre de sophiste ait été, sinon réservé, du moins attri­ bué en priorité. C ’est certainement dans ce sens que Galien emploie le verbe σοφιστεύειν, lorsqu’il présente Hadrien de Tyr comme un ρήτωρ οϋπω σοφιστεύων: il n’a pas encore été nommé à la chaire d’Éphèse. Que le titre de sophiste ait été lié aux chaires, impériales et municipales, n’empêchait naturel­ lement pas un «orateur» d’enseigner pour le compte de la cité dans le cadre de l’éphébie, par exemple5, ou d’avoir son école privée : Aelius Aristide n’aurait ja­ mais accepté le titre de sophiste, au grand soulagement de ses concurrents qui redoutaient, insinue-t-il, de le voir briguer une chaire publique6, mais il n’en avait 1. Elle est étudiée avec celle des Flavii de Marathon, dans l’Annexe II. 2. Voir, dans l’Annexe II, les notes sur les Claudii de Mélitè. 3. P.A. Brunt, ibid. 4. Voir infra et s.v. Rufinus. 5. Les professeurs du gymnase ne semblent pas avoir jamais porté le titre de sophiste: voirr.v. Glaucias et Sospes. 6. Discours Sacré IV, 95 : voir infra.

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..ES O RA TEU RS DANS LES INSCRIPTIONS

pas moins ses propres élèves. C ’est peut-être précisément

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g assez

* la cité, attachée aa titre de s0]>hif siècle, comme s’il s'agiscouramment sur les monnaies, au π et au cieoi sait d’une fonction municipale. ,.n„nnrt hiéMais cette reconnaissance officielle ne permet pas e “ dè d By_ C h iq u e entre le titre de sophiste et celui J S) zance, mort à vingt ans, Flavius Modestus d At ’ nu’Aelius Dèmèinconnus par ailleurs, ne paraissent pas avoir et®Plu,s ,,A| ndrie élèvent une trios, par exemple, à qui les pensionnaires du Musee . aü sophiste statue comme à un «orateur». Dans l’édit de D.ocletien, * J ^ * £ £ * et du rhéteur seront évalués au même prix. Et s d avait ®X1 .. sjmultaprestige entre les deux titres, personne n’aurait eu idee e rodisias et nément les deux, comme le font Nilos, alias Hésyc îos, e o surtout l’illustre Denys de Milet, salué du double titre sur la Éphèse, et qui se contente, sur son sarcophage, du titre ora eu ^ . . . dg ja comprendre qu’il était appelé «sophiste» à 1 époque ou ι e r ,· et chaire d’Éphèse: cette hypothèse s’accorderait avec a remarq . .’ηε expliquerait aussi que Damien d’Éphèse, par exemple, ou Antiochos d A g portent pas le titre dans les inscriptions conservées. ^ Mais on pouvait aussi être sophiste et orateur en men3etemPS , pudnstrate et Lollianus, dont le monument à Athènes complète les indications présente lui-même une heureuse complémentarité entre inscripto . U il est salué du titre de sophiste, et l’épigramme, qui le dit aussi ρητηρα · On pouvait être, au cours d’une carrière, davantage «orateur» a certaines pe des (ainsi Hadrien de Tyr à l’époque où il se consacrait a 1 eloquence juch ), davantage « sophiste » à d’autres (le même Hadrien une fois qu i u i u i chaires d’Éphèse puis d’Athènes). C’est le bilan global qui amené Phi ostra classer finalement tel personnage dans telle catégorie, mais a tstmc 1013 rester un peu floue dans l’esprit de la plupart des contemporains. icome Pergame a dû se spécialiser dans les genres judiciaire et délibérant, puisque biographe le nomme (591), avec Aquila et Aristainétos, au nombre es «ora eurs illustres» qui furent disciples de Chrestos de Byzance; mais c est le titre (le so­ phiste qu’il porte sur la base de la statue que lui élève Pergame. Un familier de l’univers rhétorique, Iulius Pollux, explicite la distinction entre les deux termes, mais il la durcit sensiblement: en gros, comme le dit VOnomasticon, le sophiste est plutôt un professeur, un éducateur, un guide et 1 ° ’at®3ir plutôt un homme politique, un conseiller ou un panégyriste. Aelius Aristide (11, 190) complète, avec talent, la définition de Pollux : «Gouvernant, patron, profes-

1. On a parfois voulu établir une hiérarchie et considérer les sophistes comme l’élite de la rhétorique : voir .s.v. Falernus et F. Desbordes, op. cit., p. 156 : « les sophistes sont des rhéteurs, non pas tous les rhéteurs, mais ceux qui sont particulièrement brillants, qui occupent les chaires municipales, dont les exhibitions attirent les amateurs autant que les étudiants».

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INTRODUCTION

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fait üs fants, les orateurs le sont aux peuples: ils montrent ce qui doit^ rofesseut aa quent par leurs avis et leurs décrets». Mais l’orateur etav fonction sens précis du terme, le premier professeur de rhétorique. c -nej0fî d’ Flavius Artémldôros à Amyzon, de Glaucias et de Sospes au nés comme, sans doute, deTroilos, retor graecus àGadès. , -ist;e» P. A. Brunt dans les le mot «si * ^ torique»· Γ·f\. DlUlll a&montré lllUnllv que, UûUo tua textes tv/vivo littéraires, * coup attesté, à partir du 1er siècle a.C., dans le sens de «professeur beau1 rement, avec Dans les inscriptions, il n’apparaît régulièrement, avec ce ce sens, sens, cq ceptioU" , les attestations sont ex c _. plus tard. Avant la fin du 1er siècle de notree ère, ere les attestations sc nelles et d’interprétation incertaine. On en trouve une, isolée, au lN/ ^ |eS vüiU' est-ce un professeur de rhétorique que le σοφιστής mentionne p 7 11 queurs aux Amphiaraia d’Oropos et pourquoi apparaît-il dans ce ur voit faut attendre ensuite les dernières années du if siècle avant notre rpétoriqüe réapparaître le mot mais, cette fois encore, sans que le rapport avec ^ est soit certain: il s’applique à un historien, Clètonymos de Lato, en j ciaS' comparé aux Sept Sages2. On a donc probablement affaire à un emp ^ étant sique du mot au sens de «savant»3; il n’est pas impossible néanm ^ été donné le lien très étroit qui unit les deux disciplines, que cet lusto g imaussi un rhéteur. La dernière attestation apparemment antérieure a eP ^ ptopériale est une inscription d’Éphèse rappelant les privilèges garantis « 2,8 1) '■ > fesseurs (paideutai), sophistes et médecins» dans un édit des triumvirs tfa^cC' le texte original était donc rédigé en latin ; l’incertitude sur l’époque de ^ ^ tion ne permet pas de savoir quand il était passé, au sens d’orateur, da gue courante. ^ Le terme «sophiste» peut donc prendre des nuances différentes, 0p que, selon le contexte, ses connotations peuvent être laudatives, péjora 1 eS. neutres, souvent chez le même auteur4. Mais ce qui a sans doute rendu

1tCle „nt affaire „ , dorme pas ^ ^ pei m e t on a ce«£«e* é, 0u an de ces docunre V énurnere .,aVOcatàe co n ^ e , ,n;ens onctions P“bU^pigradez-vous des intellectuels: l’Asclèpieion de Pergame. La documentant)^ phique apporte une confirmation saisissante à l’image esquissee par gnages de Galien et d’Aelius Aristide. Si l’on était tenté d imputer a telir>de nation inquiète ou à la religiosité particulière d’Aristide le rôle d inspir ^ {eUr gardien vigilant de son œuvre et de conseiller en communication que et prête au Sauveur, les inscriptions de Pergame montrent qu il n en es qu’Aristide est loin d’être un cas isolé. Tout se passe comme si Asc epio. ^ ^ ^ désormais rivaliser avec son père dans le patronage des arts et lettres. encore l’Apollon de Didymes qui fixe les honneurs héroïques que erg à Marcellus et à l’évergète Rufinus - mais une stèle, à l’Asclèpieion, r ^ raCje que le sanctuaire était leur foyer-, c ’est Asclépios lui-même qui ren u une pour honorer Hermocratès, reconnaissant dans la suprématie inte ec a ^ mon> forme privilégiée d’excellence, qui donne accès à l’immortalité. Et si ^ avant Hermocratès, avait assidûment fréquenté le sanctuaire, ce n . ajent uniquement en raison de son état de santé : ses échanges avec le îeu ^ ressembler de bien près à ceux que relate Aristide, à en juger par a s Démosthène qu’Asclèpios, dans un songe, lui avait ordonné d ériger. Toutes proportions gardées, le petit Asclèpieion d ’Athènes a dû reven iq ^ un rôle analogue, vu le nombre d’orateurs, de philosophes et de poetes qui 1. Voir aussi L. Pernot. Rhétorique, I, p. 91 : «Les traités élémentaires... préparent au moins aux concours scolaires, auxquels les sophistes ont bien dû participer durant leurs étu­ des; mais tout se passe comme s’il s’élevait ensuite une barrière infranchissable entre la car­ rière sophistique et la carrière agonistique.»

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rent honorés1. Dans la descendance du stoïcien Sarapion comme dans la famille du sophiste Plutarque, la fidélité au sanctuaire et au culte d’Asclépios paraît s’être maintenue de génération en génération. Les orateurs furent relativement nombreux aussi à Eleusis - hiérophantes, hérauts sacrés, prêtres de l’autel2 - ce qui n’est pas surprenant: la prestance, la qualité de la voix et de l’action oratoire contibuaient grandement à la sem notès attachée à ces fonctions. Cette même sem notès était désormais attachée à l’éloquence, à laquelle les dieux portaient un intérêt si précis. Si les grands orateurs peuvent se permettre de traiter quelquefois les empereurs eux-mêmes avec désinvolture, c’est moins par arrogance person­ nelle qu’au nom d’une conception hautaine, héritée de Pindare, de la mission sacrée de l’homme de culture et de la position privilégiée que doit lui valoir, dans les sociétés humaines, cette familiarité avec le divin3. L’ORATEUR DANS LA SOCIÉTÉ

L’importance sociale des sophistes S’ils avaient été les seuls à penser ainsi, il n’y aurait évidemment pas eu de «Seconde Sophistique». Mais le nombre des hommages rendus par des cités ou des associations aux orateurs en tant que tels prouve que cette conviction trou­ vait un écho dans l’accueil que leur réservaient les populations. La signification de ces hommages, il est vrai, a donné matière à controverse: E .Bowie, dans son étude de 1982, porte à son propos une appréciation sensiblement différente de celle de G.W. Bowersock et estime que c’est leur origine sociale, bien plus que leur activité littéraire, qui explique le rôle social de ces personnages. Plus radi­ calement encore, R.R.R. Smith affirme que leur importance n’était pas suffi­ sante pour qu’ils aient pu, en tant que tels, recevoir très couramment des statues honorifiques4. Comme on l’a vu plus haut, la question est artificielle et fonciè­ rement anachronique, en ce qu’elle admet implicitement une division des rôles qui n’existait pas dans l’Antiquité: comme avant eux Démosthène et Cicéron, les 1. Voir s.v. Apollônios (n° 25), Glaucos, Ploutarchos, Ptolémaios (n° 227), Sosigénès. 2. Voir s.v. Apollônios, Glaucos, Nicagoras, Ptolémaios (n° 225). 3. L. Pernot, op. cit ., a mis en évidence, d’après les témoignages littéraires, ce lien, caractéristique de l’époque, entre culture et religion: «L ’inspiration divine est...un thème fréquent dans l’éloquence épidictique de l’époque impériale. Or c ’est là une nouveauté par rapport à l’époque classique... L’inspiration divine est..., en rhétorique, un trait spécifique à l ’éloquence épidictique de l ’époque impériale, à laquelle elle confère une dignité particulière. L’éloge a des liens privilégiés avec le sacré.» La documentation épigraphique ne fait que rendre plus sensible encore cette proximité entre l’orateur et le divin : ce n’est pas un hasard si toutes les inscriptions gravées à l’initiative d’Aristide sont des dédicaces à diverses divinités. 4. R.R.R. Smith 1998, p. 80: «Unlike the philosophers o f Athens in the third century B.C., professional philosophers and sophists of the Antonine age were not of a social impor­ tance qua professional thinker regularly to receive honorific portrait statues that might have survived to us». Le débat instauré, dans le domaine littéraire, entre G.W . Bowersock et E, Bowie, se prolonge ainsi, dans le domaine de la sculpture, entre R.R.R. Smith et P. Zänker (1995, p. 243-247 notamment), plus sensible à l’élément intellectuel.

INTRODUCTION

LES ORATEURS DANS LES INSCRIPTIONS

orateurs de l’époque impériale sont, en tant que tels, des hommes de culture et des hommes politiques. Il n’est peut-être pas inutile, pourtant, de voir de près comment les Anciens formulaient cette réalité, en examinant les inscriptions of­ ficielles qui honorent les orateurs et la manière dont elles présentent leur rôle social. On ne prendra en considération que les cas, 50 au total, où la partie du texte qui correspond à ce rôle est intégralement conservée, ou sûrement restituée. On trouvera à gauche les personnages pour lesquels la rédaction de l’inscription tait claire­ ment comprendre qu’ils sont honorés exclusivement ou principalement en qualité d’orateurs, soit qu’aucune autre fonction ne soit mentionnée, soit que l’activité rhétorique soit clairement désignée comme la raison de l’hommage (les avocats de la cité seront rangés dans cette caté­ gorie) ; à droite sont présentés les orateurs qui, même s’ils portent ce titre ou celui de sophiste, sont clairement honorés pour un autre rôle (curateurs, gouverneurs...). Les cas où activité po­ litique et activité rhétorique sont également mentionnées, que la rédaction se résume à une simple énumération ou qu’elle insiste sur l’équivalence des deux rôles, occupent la partie cen­ trale.

Antiochos d’Aigeai : rôle

Agrippa, pontifex, duumvir,

diplomatique fondé sur l’interprétation des mythes Aper : éthos et rôle culturel

orateur

Appalenus, orateur, curator1

Annianus, asiarque, orateur et Aristainétos, cursus sénato­ juriste

rial, orator maximus Juridicus

Septimius Apoiiônios, ora­

Cassianus Antiochos, direc­

Damien, diverses liturgies et

teur (Olympie), père de séna­ teurs, archiéreus d’Asie

teur du Mouseion, archonte des Panhellènes

magistratures2

Apsinès, sophiste (statue de

Cratèros, orateur, d’une fa­

Frontonianus, archiéreus

sa femme)

mille d’évergètes

d’Asie, agonothète, curator, évergète, pieux orateur (ho­ noré comme hestiouchos) Hermaphilos, sophiste, ago­ nothète, pontarque, archié­ reus, prêtre des empereurs (honoré sans doute comme pontarque)

Aristoclès, orateur (Olympie) Denys de Milet, orateur, so­ phiste, procurateur

Artémidôros, professeur de p Faustinus, duumvir, Panhel-

Lollianus Hedianus, asiar­ que, orateur, parent de séna­ teurs (honoré sans doute comme asiarque) Athènaios, archiéreus d’Asie, Jamblique, pour sa sagesse et Nicostratos, sophiste, titulaire néocore, orateur (honoré d’une chaire, curator la construction du rempart comme avocat de la cité) d’association, honoré comme ambassadeur Basileidès, Isidôros, orateurs Egnatius Victor Lollianus, Pardalas, archiéreus, stépha(Delphes) orateur, protecteur d’Athènes ; néphore, agonothète (ailleurs) gouverneur et de φ

lène, orateur de talent

1. Il est manifestement honoré par la cité dont il est curator. 2. C’est également le portrait d’un évergète, bien plus que celui d’un orateur, que brosse la biographie de Philostrate : voir s\v.

Cestianos, orateur

25

Ménécratès, stéphanéphore,

Pollianus, sophiste, fonda­

sophiste

teur, stéphanéphore (honoré sans doute comme fondateur)

Charidèmos Teuthras, des­ cendant d’archiéreus d’Asie, excellent orateur Crispinus Mètrotimos, ora­ teur (Olympie)

tor (1)

Ctèsias, orateur

Ploutarchos, sophiste et ago­

Diodotos, sophiste

Pyrrhos, praeses Cretae et

Nicomédès, néocore, sophiste Curtius Proculus, multiples fonctions

Philiscos, sophiste, cura­

nothète sophiste

Domnos, orateur (Delphes) Hermocratès, archiéreus d’Asie, archiéreus municipal, avocat de la cité ïsocratès, orateur (Delphes)

Isodèmos, orateur Lollianus d’Êphèse, sophiste Métrophanès, pour sa paideia

Phil— , sophiste (Delphes) Philostrate, sophiste Ptolémaios, sophiste Ptolémaios de Gaza, orateur hospes, orateur Sôtèros, sophiste Zenon, orateur (Olympie)

Sur 50 personnages, donc, 27 sont honorés spécifiquement en tant qu’orateurs et 10 pour leur action politique. La mention parmi les mérites du rang social, de parents évergètes ou sénateurs, n’apparaît que dans 5 cas. La réponse des ins­ criptions au débat sur le rôle social de l’orateur est donc sans ambiguïté. Encore a-t-on classé dans la catégorie neutre Denys de Milet, qui était probablement honoré plutôt comme sophiste que comme procurateur1 et Nicomédès de Perga­ me, dont la prostasia a probablement consisté en une plaidoirie pour la cité devant l’empereur; ce put être le cas aussi d’Egnatius Victor Lollianus à Athè­ nes; quant à Cratèros, il a été honoré parce qu’il appartenait à une famille d’évergètes mais son titre d’orateur est mis en évidence, seul sur une ligne, en tête de l’inscription. Parmi les 9 autres personnages qui apparaissent dans le double rôle d ’hommes politiques et d ’orateurs, 6 voient énumérer leurs magis­ tratures, liturgies et prêtrises, le titre d’orateur précédant ou concluant l’énu­ mération. L’état d’esprit qui inspire cette intégration de l’activité oratoire parmi

I. Les procuratèles mentionnées, sans précision, ne semblent pas contemporaines de l’inscription et n’ont pas non plus nécessairement concerné l’Asie.

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INTRODUCTION

LES ORATEURS DANS LES INSCRIPTIONS

les services à la patrie ou à la province' s ’exprime plus explicitement dans les trois autres cas, dont il n’est pas sans intérêt de noter qu’ils appartiennent à la période la plus tardive: les épigrammes pour Jamblique, pour Plutarque et pour Pyrrhos posent très clairement une équivalence, sur laquelle on reviendra, entre leur qualité de sophiste et le pouvoir ou l’action politique. Elles rejoignent la formule homérique, reprise par le fragment de Delphes en l’honneur du petit-fils de l’épimélète Hipparchos, qui disait déjà tout du rôle de l’orateur: μύθων τε ρητηρα, πρηκτηρα τε έργων12. Dans une très nette majorité des cas, donc, l’orateur est honoré ès qualités; c’est l’importance de son rôle dans la cité qui obtient une reconnaissance officielle. Même si cette reconnaissance pouvait amener certains d ’entre eux à «parler aux cités en supérieurs», comme Polémon3, elle avait pour contrepartie des obligations, civiques sinon juridiques, dont les sophistes n ’était pas dispensés à l’égard de leur patrie. Comme les autres évergètes, ils ont prodigué à leurs cités les bienfaits attendus : legs, fondations, distributions de blé ou d’argent, fi­ nancement de monuments, de spectacles ou de concours... À ces largesses tradi­ tionnelles, qui étaient le lot commun de toutes les grandes familles, ils pouvaient ajouter des formes plus spécifiques d ’évergétisme. Leur enseignement pouvait, comme dans le cas de Flavius Aelianus Artémidôros, être considéré comme l’une d’elles. Les orateurs, comme les juristes, étaient fréquemment amenés à se faire les avocats de la cité, de ses corporations ou de ses sanctuaires: ce fut peutêtre le cas d ’Annianus à Thyatire, sûrement celui d ’Athènaios pour Éphèse, d’Hermocratès pour Pergame et de Zèlos pour Aphrodisias. Les ambassades importantes, sur des questions qui nécessitaient l’appel à un orateur de talent pour plaider la cause de la cité4, en étaient une autre. Ils furent ainsi amenés quelquefois à se faire diplomates et à exercer une influence déterminante dans les relations entre cités: Antiochos d’Aigeai met son érudition et son pouvoir de conviction au service de sa patrie qui, en faisant reconnaître sa parenté avec Argos, voit sa position renforcée face aux prétentions de Tarse. Polémon, outre les succès diplomatiques mentionnés par Philostrate, obtient pour Smyrne l’appui d’un «peuple frère», Pergame probablement, secours précieux dans un contexte de rivalités exacerbées. Nicomédès dut avoir à user de tout son talent pour protéger Pergame de la colère de Macrin. Pigrès obtint pour Philadelphie une atélie normalement réservée aux métropoles.

Les mesures officielles qui introduisaient une distinction entre les sophistes et les autres notables ont pour principal effet, paradoxalement, de mieux faire connaître les règles auxquelles ceux-ci étaient assujettis, de mettre en lumière les subtilités du fonctionnement du système évergétique. Les sophistes reconnus of­ ficiellement par la cité et portés sur la liste, très restreinte, de ceux qui pouvaient être exemptés de liturgies1, étaient dispensés en droit, mais peut-être pas toujours en fait. On ne s’attardera pas sur le cas d’Aelius Aristide, qui présente cependant l’intérêt de montrer que le service de la cité, ou de la province, était un mérite que l’on faisait valoir dans les inscriptions honorifiques, mais qui n’avait pas pour autant été toujours recherché avec empressement ; ceux qui cherchaient à s’y soustraire, comme Aristide ou Favorinus, ne réagissaient sans doute pas autrement que les autres notables: la seule différence était qu’ils pouvaient espérer une échappatoire inaccessible aux autres; dans le cas de Favorinus, d’ailleurs, la prétention était sans fondement et il n’est pas impossible qu’il en ait été de même pour Aristide2. Plus instructif est le cas de Rufinus, qui était, lui, sûrement dans son droit. Il montre la sagesse des dispositions impériales qui avaient su instaurer, entre la cité et le notable privilégié qu’est le sophiste, un subtil équilibre des forces, reposant sur une dépendance mutuelle. Il montre aussi l’intensité de la pression à laquelle les cités soumettaient leurs évergètes: elle pouvait aboutir à des tensions, qui rendaient parfois l’intervention impériale né­ cessaire, mais que tout le monde s’empressait d ’oublier ensuite: les cités en fai­ sant gloire à leurs notables, comme d’un don librement consenti, des services qui leur avaient été arrachés, les notables en énumérant avec fierté, sur leurs mo­ numents privés, des fonctions et des liturgies dont ils se seraient volontiers dis­ pensés.

1. Le cas de Polémon n’a pas été pris en compte dans le tableau ci-dessus parce que le document officiel où il est mentionné n’est pas une inscription honorifique; mais son exemple va dans le même sens : la liste de Smyrne évoque les avantages acquis grâce à lui par la cité sans lui donner le titre de sophiste, mais il ne fait aucun doute que son talent et sa célébrité ont été décisives pour les obtenir de l’empereur. 2. //.IX , 443. 3. Philostrate, VS, 535. 4. Voir par exemple s.v. Hermocratès ou Isodèmos. D ’une manière générale, cependant, les sophistes ne semblent pas avoir été choisis comme ambassadeurs plus souvent que les autres bouleutes : on réservait sans doute leur intervention pour les cas les plus critiques.

L ’orateur dans sa province et dans l ’empire Le service de la cité n’était désormais, pour beaucoup, que la première étape, indispensable et essentielle, d’une carrière publique. Les institutions provincia­ les, l’administration impériale offraient d’autres possibilités, et l’histoire des fa­ milles des sophistes, et des notables provinciaux en général, est souvent celle d’une ascension: d’une influence strictement locale à la présidence de l’as­ semblée provinciale, l’accession aux postes procuratoriens, voire l’entrée au sénat. Les sénateurs, au nombre de cinq si Glabrion et Quadratus ont vraiment été des «sophistes», étaient sans doute des «orateurs» au sens le plus tradition-

1. De trois à cinq, depuis Antonin, selon l’importance de la cité: Modestinus, Dig. 27,

6, 2. 2. Favorinus n’enseignait pas dans sa cité d’origine et n’y était donc pas exempté de liturgies. Le cas d’Aristide est moins clair: il n’a apparemment jamais accepté d’être « so ­ phiste», au sens de professeur public, mais invoquait peut-être la clause de Γαγαν επιστή­ μων, selon laquelle un homme de culture particulièrement prestigieux pouvait, sans être titulaire d’une chaire, avoir droit à l’exemption. L’insistance de Smyrne semble cependant indiquer que la cité était dans son droit: sans doute la définition de Ι’αγαν επιστήμων étaitelle laissée à l’appréciation du gouverneur.

INTRODUCTION

nel du mot, c ’est-à-dire des personnalités politiques influentes, mais aussi des avocats célèbres, qui intervenaient dans les affaires jugées par l’empereur, comme Lollianus et Aristainétos, dont un document exceptionnel nous retrans­ met, «en direct», les plaidoiries. Leur succès au barreau n ’a certainement pas compté pour rien dans la brillante carrière que l’un et l’autre ont parcourue: les monuments qui leur furent élevés insistent, de façon assez inhabituelle, sur les qualités morales de ces grands personnages, dont l’autorité et le prestige sem­ blent liés davantage à un charisme personnel qu’aux fonctions exercées. Les orateurs étaient surtout très présents dans les assemblées fédérales et pro­ vinciales, quelquefois simplement en tant que délégués de leur patrie (trois Panhellènes, un synèdre au koinon thessalien), mais assez souvent aussi à la tête de cette assemblée: on relève neuf asiarques, un pontarque, un helladarque, trois archontes des Panhellènes. Proculus de Mégare a représenté sa patrie à la fois, et à plusieurs reprises, dans la Confédération béotienne, à l’Amphictyonie et au Panhellènion. Certains paraissent avoir franchi le premier degré d ’une carrière équestre qu’ils n’ont peut-être pas poussée plus loin, comme Frontonianus avec son ser­ vice militaire, ou Flavius Glaucos comme avocat du fisc. Mais Denys de Milet, et peut-être Philiscos de Thessalie, furent procurateurs. C ’est au rang d’une procuratèle aussi que se place la charge de secrétaire impérial, ab epistulis graecis, qu’exercèrent Avidius Heliodoros, Iulius Vestinus, Hadrien de Tyr, Sempronius Aquila ou l’un de ses proches, et surtout le talentueux Antipatros d ’Hiérapolis, dont le style baroque traduit si bien le climat de l’époque de Sévères. La charge était perçue comme hautement honorifique, comme le montre le cas d’Hadrien de Tyr, qui la reçut en hommage alors qu’il était mourant, mais correspondait à un travail réel et important : les lettres rédigées par ces secrétaires étaient un des véhicules, et non le moindre, de l’idéologie impériale. La qualité de leur rédac­ tion s’était accrue au fil du temps, et les sophistes en avaient si bien fait leur af­ faire qu’ils avaient constitué cet exercice en un nouveau genre littéraire, dont les règles et les objectifs étaient objets de débats entre eux : on a conservé la « lettre ouverte» de Philostrate de Lemnos, qui rappelle les principes essentiels, en cri­ tiquant implicitement le travail d’Aspasios de Ravenne. La fonction permettait de côtoyer les empereurs, d ’être admis à leur Conseil, comme Antipatros, qui partagea d’ailleurs ce privilège avec son gendre Hermocratès. Elle constitue un exemple particulièrement significatif de promotion sociale par la rhétorique : si la majorité des orateurs appartenaient, de naissance, à l’aristocratie des cités, leur maîtrise du verbe permettait à quelques-uns de s’élever très au-dessus de leur condition et d’exercer une influence sur les empereurs eux-mêmes1.

1. On ne développera pas ici ce point qui a été traité de façon détaillée dans le livre de G. W. Bowersock. Voir aussi S. Fein, Die Beziehungen der Kaiser Trajan und Hadrian zu den literati, Stuttgart/Leipzig, 1994.

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Un air de gravité: image et valeurs Cet «orateur» que l’on voyait partout désormais, depuis l’école de la plus modeste bourgade jusqu’au conseil des souverains, à quoi ressemblait-il? Com­ ment était-il vu de ses contemporains et comment prétendait-il lui-même être vu ? Après avoir évoqué les caractéristiques du style de Marcus de Byzance, Philostrate poursuit: «L ’expression de ses sourcils et l’air méditatif de sa phy­ sionomie révélaient en Marcus un sophiste»1. Une certaine façon de froncer les sourcils avait toujours distingué, dans les sociétés antiques, les gens importants et les intellectuels: les sculpteurs de l’époque impériale en useront et en abuse­ ront2. La remarque de Philostrate confirme que le personnage du sophiste conci­ liait, jusque dans son maintien, les caractéristiques de l’orateur et celles du phi­ losophe. On n’en regrette que davantage que, sauf exceptions rarissimes, ne nous aient été conservées, des monuments élevés aux sophistes et aux orateurs, que les bases3. Peut-être aurait-on pu vérifier du premier coup d’œil ce qui distin­ guait un orateur d’un sophiste ! II y a lieu d’en douter, pourtant: les rares bustes ou portraits conservés d’orateurs définissent un type parfaitement en accord avec l’esprit déjà constaté dans la rédaction des inscriptions, avec les listes de fonctions civiques qu’elles énuméraient: un modèle d’intellectuel-citoyen, qui ne se distinguait en rien de l’ensemble des gens bien nés de sa patrie, posant euxmêmes en pépaideuménoi4. 1. VS, 528 : T6 δέ των όφρύων ήθος και ή του προσώπου σύννοια σοφιστήν έδήλου. 2. Voir R.R.R. Smith, Cultural Choice, pi. XII. C’est la même expression du visage qui, dans le Banquet de Xénophon (VIII, 3), désigne Hermogène comme un philosophe. 3. Les études de P. Zänker, The Mask of Socrates, et de R. R.R. Smith comportent des remarques très intéressantes sur l’image de l’intellectuel à cette époque. Il convient néanmoins de garder à l’esprit, en les lisant, l’écart considérable entre le nombre de statues élevées aux orateurs et celui des portraits conservés : la diversité des représentations pourrait avoir été un peu plus grande qu’ils ne l’ont pensé. Parmi les monuments étudiés ici, les seules statues peutêtre conservées sont celles de Cestianos (en toge, un rouleau à la main), qui est décapitée, et celle de Frontonianus : pour ce dernier, si la statue du Musée National est bien la sienne (voir i.v.), elle donne une représentation inattendue, et pourtant significative, de l’orateur, à l’époque des guerres de Marc Aurèle: gardien du foyer commun (hestiouchos) et chevalier romain, qui avait accompli les tres militiae, il a droit à une statue équestre, très proche par le style de celle de Marc Aurèle sur le Capitole : serein et déterminé, il montait peut-être ainsi, auprès du foyer, la garde de la cité. Sur la participation active des Grecs de ce temps à la défense de leur terre et de l’empire, voir P. Veyne 1999, p. 540-541. - La seule image sûre est, à vrai dire, le portrait de l’orateur Proculus sur son sarcophage : drapé, à la grecque, dans un himation qui découvre le buste (tenue vestimentaire philosophique, voir R,R.R. Smith, art. cit., p. 65), le coude droit appuyé sur une colonnette, il tient un rameau de laurier ou d’olivier qui repose sur son bras gauche ; penché en avant, le regard tendu, peut-être, vers la Muse qui l’inspirait, il a bien une attitude empreinte de la sunnoia chère à Philostrate. 4. Voir P. Zänker, p. 243 : «Unlike the images of ascetic philosophers, those of the ele­ gant sophists cannot with certainty be identified among the plethora of preserved portraiture of the Antonine and Severan periods. If we take the portrait of Herodes Atticus as our standard, it is not all that different from those of other kosmetai derived from Late Classical models». R.R.R.Smith, p. 79, insiste sur la «modeste réserve» d’Hérode Atticus sur son portrait, qui donne à voir «non pas un intellectuel grec, un Grec, simplement».

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INTRODUCTION

LES ORATEURS DANS LES INSCRIPTIONS

Au moins les inscriptions nous ont-elles conservé le portrait intellectuel et moral, évidemment très idéalisé, des orateurs. Naturellement, leur excellence dans le domaine de la paideia est souvent évoquée ; on admire les mille facettes d’une culture véritablement exhaustive : τάν έν πα ιδεία ι τελειότατα pour Antiochos d’Aigeai, την έν ρητορική καί ποιητική καί έν τη λοιπή πάση σοφίμ ποικιλωτάτην καί άσύνκριτον μεγαλοφυείαν pour Mussius Aper; Mètrophanès est un jeune homme ηθει τε φιλοσόφω καί παιδεία καί τοϊς λόγοις διαφέρων. On loue l’agrément de leurs discours, καλοί καί ήδιστοι (Aufria), qui ont la douceur du miel (μείλιχος σοφιστής, Nilos), au point qu’il a fallu inventer un nouveau canon des Dix Orateurs, où vient prendre place Collega Macedo : si prestigieuse que soit cette promotion, elle n’égalera pas celle du regretté Modestus, qui se range, lui, aux côtés des Sept Sages. Car les monu­ ments ne sont qu’un signe matériel de leur gloire : Dexippos est κλεινός, αγάκλειτος, Hèliodôros ένδοξος, Isodèmos δοκιμώτατος, Proclos κυδήεις Έλλάδι πάση, tandis que son homonyme a gagné, en Italie, κλέος έξοχον. Leur supé­ riorité dans le domaine de la culture (έξοχος, διαφέρων) est telle qu’à force d’être les premiers, ils sont les seuls (μόνος καί πρώτος, Egnatius Lollianus); voilà qui justifie l’émerveillement des foules (θαΰμα, θαυμασιώτατος) devant ces familiers des Muses: Cornutus est θρεπτήρ Μουσών, Hadrien de Tyr Μούσαισι μέλων et chacun d’eux, pour avoir reçu, comme Harpocration, δώρα Μουσέων μέγιστα, peut être salué comme τρις μάκαρ. Car la séduction de leur discours est le reflet de vertus plus profondes qui se manifestent à la fois dans le sentiment qui anime leur éloquence et dans la conduite de leur vie: aussi les λόγοι ne peuvent-ils être séparés des ήθη (Aper, Basileidès et Isidôros, Mètrophanès). Leur respect de la loi (ευνομία, Pyrrhos) dans l’exercice du pouvoir, leur dévouement à leur patrie (εϋνοια, Athènaios, Crispinus Mètrotimos, Egnatius Lollianus, Nicomédès, Proculus de Mégare, Ptolémaios), sont animés d’un zèle généreux (φιλοτιμία, σπουδή). Leur cor­ rection et leur bienveillance (κοσμίως καί φιλοφρόνως, Antiochos d’Aigeai) sont à l’égal de leur talent. Bref, ils sont inimitables (άμείμητος, Aper), tant leur existence est méritante (τδ ένάρετον του βίου, Marcellus ; αρετή βίου, Sôtèros). Aussi représentent-ils l’incarnation d’un idéal humain (καλοκαγαθία, An­ tiochos d’Aigeai, Faustinus, Isocratès; ανδραγαθία Aristide): ils ont atteint l’excellence (αρετή, Antiochos d’Aigeai, Athènaios de Thyatire, Collega Ma­ cedo, Dexippos, Hèliodôros, Hermaphilos, Isodèmos, Proculus de Mégare, Pto­ lémaios de Gaza, Sôtèros ; αριστος, Charidèmos, Lollianus d’Éphèse). Cette excellence, précise l’inscription en l’honneur d’Aper, est inscrite dans leur nature, elle vient d ’une aptitude innée à la grandeur: μεγαλοφυία. Th. Schmitz ajustement souligné que le lien ainsi posé entre le talent et la nature traduit une conception aristocratique, selon laquelle l’ordre social est régi par une loi de nature qui assure la domination du supérieur sur l’inférieur1. C ’est ce postulat qui donne toute sa portée à l’éloge d ’Aper: une supériorité, dans

quelque domaine que ce soit, n’est reconnue que si elle apparaît comme natu­ relle, et non comme le fruit du travail et de l’exercice. Il explique aussi que l’on insiste, chaque fois que l’on peut, sur la diversité des mérites du personnage ho­ noré: les Anciens ont une conception globale de l’excellence; une nature su­ périeure peut difficilement l’être dans un seul domaine et être quelconque ail­ leurs; de même que les souverains perses prouvaient leur excellence dans des parties de chasse, ou Néron dans les théâtres, les orateurs devaient s’imposer par un ensemble de qualités, et pas seulement par une compétence technique. Cet état d’esprit rend compte aussi de l’importance du rhéteur en tant qu’éducateur: les étudiants doivent acquérir auprès de lui un ascendant «naturel», en accord avec leur supériorité sociale qui est un fait acquis mais qui doit s’exercer avec douceur et avec grâce1. Pour autant, il ne suffit pas à rendre compte du mouve­ ment sophistique en général: le succès de l’éloquence d’apparat n’est certaine­ ment pas l ’effet d ’un besoin nouveau de justification pour une domination des élites établie depuis longtemps. Peut-être répond-il plutôt à une interrogation de ces élites elles-mêmes sur leur propre définition.

1. Th. Schmitz, Bildung und Macht, p. 45-50.

Devenir Grec, rester Romain ? Les orateurs et l ’hellénisme Le titre, qui pastiche, en l’inversant, celui d’une étude désormais célèbre2, ne prétend certainement pas se rapporter à l’ensemble des orateurs étudiés ici: il tend à attirer l’attention sur une minorité d’entre eux, mais une minorité non né­ gligeable, qui n’a jamais été prise en considération et qui, pourtant, doit avoir son importance pour la signification d’un mouvement dont les représentants se nommaient les «Hellènes». Les réflexions, même les plus nuancées, sur la Se­ conde Sophistique, sur le rapport de l’hellénisme et de la romanisation sous le Haut-Empire, tout en faisant la part de l’évolution chronologique et de l’iné­ vitable diversité des réactions humaines, n’en posent pas moins les questions en termes de relation entre «les Grecs» et «les Romains», quand ce n’est pas entre la partie grecque et la partie romaine de l’empire. Cette présentation paraît impliquer l’existence de deux entités intemporelles et immuables, dont l’une viendrait se superposer partiellement à l’autre, par un accroissement de son extension géographique, avec l’établissement de la domination romaine, mais qui resteraient nettement distinctes. La documentation épigraphique invite à ap­ porter quelques retouches à ce tableau d’ensemble.

1. Voir P. Brown, Pouvoir et persuasion, p. 65 : «On ne se contentait pas de donner aux notables un insigne de supériorité sociale. Les jeunes gens qui se pressaient dans la classe de Libanius considéraient leur position sociale comme acquise... Ce qui importait était la tâche autrement plus délicate de rendre cette supériorité sociale «naturelle» parce qu’enracinée dans les talents personnels propres aux êtres supérieurs». On peut parler, comme Th. Schmitz, très influencé par Bourdieu, de processus de légitimation du pouvoir, à condition de préciser que l’idée de légitimation était étrangère aux préoccupations des individus : leur domination allait de soi et n’avait pas besoin d’être justifiée. Mais ne pas paraître personnellement digne de cette domination aurait été déchoir à ses propres yeux et aux yeux de ses pairs. 2. G. Woolf, Becoming Roman, Staying Greek.

LES ORATEURS DANS LES INSCRIPTIONS INTRODUCTION

. depuis Certes, une majorité d’orateurs est issue de ces élites m unicipals ^ ul’ vajent des siècles, dominent la société grecque: si les arbres généalogiques préciêtre établis, pour les deux derniers siècles avant notre ère, avec autant qUe sion que pour la période impériale, ce que ne permet pas l’absence du reP constitue le gentilice, on pourrait souvent suivre l’histoire des farnl ^ertajnes nantes, dans les diverses cités, sur une période de cinq siècles. Dans jns_ d’entre elles, le sentiment aristocratique était très vif et se traduit ans ^ criptions par une insistance toute particulière sur la généalogie: on y Tj^rode descendants de Thémistocle, de Callimachos, de Périclès et de Conon , g a_ Atticus ne pouvait faire moins que de descendre d ’Hermès, d ’Hérac es, .^ cides d’Égine et de Thésée12. Dans cette aristocratie sociale, ou para e ^ ateur elle, se définissait aussi une aristocratie intellectuelle : on était volontiers ou philosophe de père en fils, ou de grand-père en petit-fils, et 1 on se pr° tus issu d’Isée, d’Hippodromos, du stoïcien Sarapion, ou de Plutarque et e ^ .jjeS Mais les orateurs ne se recrutaient pas uniquement dans ces vieilles des grecques; le lecteur sera peut-être frappé par la fréquence, dans ce re .anUS) noms latins. Car ces «Hellènes» s’appelaient aussi Annianus, Aper, Pr .uS> Aquila, Collega, Cornutus, Crispinus, Falernus, Faustinus, ^*r^lUS’ janus, Germanus, Iulianus, Lollianus, Majorinus, Marcellus, Marcus, in^eVerUs, Modestus, Musonius, Pollianus, Proculus, Rufinus, Rufus, Secun us, ^^ Sospes, Sylla, Varus, Vestinus. Le fait ne témoigne pas seulement u SU,,^eiiél’onomastique latine en pays grec. Bon nombre de ces champions e anl_ nisme sont d’origine occidentale: c ’est le cas, évidemment, des co ons, ^ ment des Corinthiens, parmi lesquels on remarque tout particulièremen ^^ mille des Sospes, qui fournit deux orateurs à deux générations d inter ^ premier dès le dernier quart du f r siècle, et qui transmettra, avec son n talent d’orateur dans la grande famille athénienne des Claudii de e 1 sieurs orateurs d’Éphèse ou des grandes cités d ’Asie Mineure son P ^ blement des descendants d’Italiens: ainsi les Hordeonii, attestés P euj. règne de Néron, sont manifestement une famille italienne, arrivée en f ie par. être avec un publicain. Les Mussii, peut-être des negotiatores, aaxclu^ s une tient Aper, d’Iasos, se sont établis en Carie avant le milieu du i s)e^ ’ jssu époque postérieure, le cas d ’Egnatius Victor Lollianus est caract ris iq d’une grande famille italienne dont une branche s’était établie a Pruse, i ^ même tellement intégré à l’aristocratie romaine que l’on a mis en dou , son origine bithynienne3. Inversement, Aristainétos, aristocrate de ’ -re devenu un orator maximus latin autant que grec. La partie orientale de connaît un brassage culturel: l’hellénisation des Italiens s y déve oppe P lement à la romanisation des Grecs. 1. Voir les notices consacrées à P. Aelius (?) Apollônios et à Glaucos ainsi que l’Annexe II. 2. Voir Chr. Settipani, Continuité, p. 485-490. 3. Sur les Egnatii, voir l’étude de F. Chausson, «Les Egnatii et l’aristocratie italienne», JS 1997, p. 211-311, notamment p. 216-217.

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Si l’on ajoute au nombre des orateurs d’origine occidentale ceux qui viennent de villes ou de régions d ’hellénisation récente (Arabie, Commagène), on comprend l’importance du rôle de ces propagandistes de la paideia qui allaient de cité en cité proposer un même modèle d’excellence, accessible à tous les hellénophones cultivés, quelle que fût leur origine: l’hellénisme qui triomphe à cette époque ne se confond pas avec la grécité. Les orateurs contribuaient aussi à assurer la cohésion idéologique de l’Orient romain en imposant un idéal d’équi­ libre, d’harmonie et d’unité, qui pouvait réduire les effets perturbateurs des tensions et des rivalités latentes, à l’intérieur et à l’extérieur des cités. Ce que les inscriptions nous apprennent de l’activité diplomatique d’Antiochos d’Aigeai ou de Polémon apparaît comme une application pratique des principes et des idéaux exprimés dans l’œuvre de Dion de Pruse et d’Aelius Aristide. Il n’est d ’ailleurs pas impossible que la force assimilatrice de l’hellénisme, qui a donné à ce mouvement son extension, n’ait eu, aux yeux mêmes de ses re­ présentants, un caractère un peu inquiétant. Les caractéristiques les plus voyan­ tes du mouvement sophistique - raffinement et éclat de l’expression, référence au passé classique, recherche puriste de l’atticisme - ont été souvent comprises comme des modes de différenciation sociale. La sophistique impériale serait une nouvelle forme de justification de la domination des élites : tout en donnant à leur public, par la communion dans le culte de l’hellénisme, l’illusion gratifiante d ’appartenir au même monde qu’eux, les orateurs auraient fixé les nouveaux critères qui distinguaient les élites de la masse silencieuse1. Cette explication ne paraît pas rendre compte de l’essentiel. S’il est une époque en Grèce où les bar­ rières sociales étaient clairement définies, c’est bien celle du Haut-Empire, et elles l’étaient selon un principe politique : il y avait les citoyens qui étaient admis au Conseil (les décurions) et les autres. Dans la communauté civique, les codes en vigueur depuis toujours - la façon de se vêtir, de contrôler sa voix, ses gestes et ses regards, de manifester sa culture, dans la conversation, par des allusions littéraires bien senties - devaient suffire, comme autrefois, à distinguer un groupe de l’autre. Mais tout ne se jouait plus au sein de la communauté civique. Le nouvel ordre politique rassemblait dans un même immense ensemble, que l’on finissait par confondre avec Voikouménè, un nombre considérable de cités plus ou moins hellénisées, liées par des échanges commerciaux et culturels in­ tenses. Les exigences linguistiques et stylistiques de la Seconde Sophistique pourraient avoir été inspirées par le désir de protéger la pureté de l’hellénisme, menacé par son propre succès et par la vaste diffusion de la langue grecque, de sauvegarder l’authenticité de l’identité hellénique à une époque où la moitié du monde connu prétendait, désormais, être grecque2. Mais comme elles étaient, plus facilement peut-être que les autres marques de reconnaissance des élites, accessibles à quiconque avait la possibilité de se former auprès d’un maître bien choisi, elles ont surtout renforcé la cohésion des couches dirigeantes de la moitié

1. Cette idée est notamment au centre des analyses de Th. Schmitz. 2. C’est aussi l’analyse de S. Swain, Hellenism and Empire, p. 411.

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INTRODUCTION

orientale de l’empire, communiant dans la Fierté de partager une paideia dont la supériorité brillait de tout son éclat dans les salles de rhétorique1. Conclusion : la puissance et la gloire Mais la puissance unificatrice de la paideia a surtout eu pour effet de mettre en exergue un certain nombre de valeurs, adoptées par les nouveaux Grecs comme par les anciens. Parmi elles, les monuments des sophistes signalent parti­ culièrement deux notions, qui auraient pu être antithétiques, mais dont la ré­ conciliation pourrait constituer la définition même de la Seconde Sophistique. L’une apparaît dans la liste des fonctions exercées par ces personnages, et se ré­ vélait sans doute aussi dans leurs bustes ou leurs statues: c ’est la complémen­ tarité entre le rôle de l’orateur et celui du citoyen. L ’autre est attestée par le nombre des monuments honorifiques et s’exprime avec fierté dans plusieurs épigrammes, comme celle que les fils de Dexippos composèrent pour leur père, comme l’épitaphe de Musonius ou l’oracle d’Asclèpios pour Hermocratès: c’est la primauté de la culture, considérée comme la principale source d ’excellence.

LES ORATEURS DANS LES INSCRIPTIONS

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Pyrrhos posent la même équivalence entre pouvoir politique et supériorité intel­ lectuelle. C’est elle que proclament les multiples références à la gloire des so­ phistes. Dans l’esprit de Pindare, guidés et protégés par Apollon et Asclépios, les «rois des mots» rétablissaient, dans le cadre administratif de l’empire romain, le règne de l’hellénisme1.

Depuis longtemps, Rome avait reconnu la supériorité de la culture grecque et appuyé sur cette reconnaissance l’idée d ’un traitement privilégié à réserver aux Grecs dans l’empire. Lorsqu’elles commencent à fournir elles-mêmes les cadres de l’administration de cet empire, les élites grecques imposent du même coup à l’ensemble des autorités «romaines» en Orient leur propre idéal culturel. Il va permettre de corriger le rapport hiérarchique de gouvernant à gouverné par un style de relations presque égalitaires, inspiré par le sentiment d ’appartenir au même monde. P. Brown a montré que cette réalité avait survécu aux boulever­ sements du iiic siècle et était toujours présente dans l’Antiquité tardive2. C’est même à cette époque qu’elle se traduit le plus nettement dans la rédaction des inscriptions. Le préfet du prétoire Herculius est assurément un grand personna­ ge, un «trésorier des lois». Mais le sophiste Plutarque, se posant, face à lui, en «trésorier des mots», n’a manifestement pas le sentiment de lui être inférieur. Et pour cause: c’est en «roi» (de l’éloquence) qu’il est honoré par les Athéniens; Herculius ne pourrait plus suivre. Les épigrammes pour Jamblique et pour 1. Parce que l’on a souvent insisté, à juste titre, sur cette force unificatrice de la paideia, il convient de remarquer que la communauté de langue et de valeurs qu’elle renforçait faisait sa place à une certaine diversité de styles : on pouvait faire une grande carrière de sophiste en conservant un aspect «rustique» (άγροικότερος comme Hippodromos, VS 618) ou un accent régional prononcé, comme Pausanias de Césarée et sa diction cappadocienne (594). 2. Pouvoir et persuasion, p. 63-64: «Ce qui importait... était que la paideia unît des segments de la classe dirigeante en conflit potentiel. Elle rassemblait administrateurs impé­ riaux et notables provinciaux dans le sentiment partagé d’une commune excellence. (...) Les gouverneurs cherchaient encore à rencontrer, dans l’élite locale, des hommes qui appréciaient la paideia autant qu’eux. C’était une marque de leur statut qu’ils pouvaient emporter avec eux jusqu’aux cités les plus lointaines... À travers une paideia partagée, ils instauraient un système de communication immédiate avec des hommes qui leur étaient souvent parfaitement étrangers. Ils indiquaient surtout qu’ils étaient semblables et qu’ils connaissaient les règles du jeu».

1. L’abondante documentation épigraphique relative au premier « roi » de l’éloquence, Hérode Atticus, a été rassemblée et analysée par W. Ameling; elle n’est évidemment pas reprise ici.

LES INSCRIPTIONS ACOUSILAOS Ier / IIe

1

siècle

Athènes

Athènes : inscription évoquant le legs d’Acousilaos d’Azènia à la cité. Fragment de la partie supérieure d’une stèle de marbre pentélique, avec fronton couronné d’un acrotère. Remployé dans une rue d’époque impériale tardive, près de l’Odéon. Haut. 61, larg. 35, ép. 7,3. Haut, lettres: 2,2 (1. 1), ca 1,6; la taille des lettres est assez irrégulière, y compris en cours de ligne ; leur nombre peut avoir présenté des variations assez sensibles d’une ligne à l’autre. Interponction aux lignes 1 et 4. Inv. I 6507.

Éditions : B.D. Meritt, Hesp. 32, 1963, n° 25 p. 24-25 et phot. pl. 6 (SEG 20, 498; une suggestion de restitution de J. et L. Robert dans Bull. 1964, 117); S. Follet, «Un ami de Plutarque, l’orateur athénien Glaukias», dans Opôra. La belle saison de l ’hellénisme, A. Billault éd., Paris, 2001, p. 90-92)1. ’Αγαθή I ΊΓύχΙη] [— ca 10 — j Άκουσιλάου Άζηνιέος κατα[λιττόντος κατά διαθήκην] [τη ττόλει * μυ]ριάδας δέκα εις χωρίων άγόρα[σιν έττί υπάτων Σεττιδίου] [Φίρμου καί] Κλαυδίου Σεουήρου ♦ Κλαυδ[ίου δ ε .......... κ α ί-----------] 5 [ca 3-4- τ6 άργύρι]ον άριθμησάντων άργυρο[ταμίαις καί ? Άουιδίου - - ] [Νιγρείνου τ]ου πρεσβευτοΰ καί άντιστ[ρατήγου---- ca 12----- ] [---- ca 12----- Γ]λαυκία θελήσαντος του [διαθεμένου έκδανεΐσαι τα] [χρήματα τούς άργ]υροταμίας εως άγορασ[θή αν τα χωρία καί τήν πρό-] [σοδον καταθεΐ]ναι ήτις κατ’ ενιαυτόν έδ[ίδοτο— ca 16 — ] 10 [---- c a l l ----- ] Άουιδίου Νιγρείνου τού π[ρεσβευτοΰ καί άντιστρατή-] [γου περί των άγορα]σθέντων χωρίων εν δρο[ις — ca 19 — ] [---- ca 17-19----- ]ς εις τε τήν τειμ ή[ν......................... ] [...................................... ]τε Γλαυκίου [--------------------] [.........................................]μα vac. τα ρήμ[ατα-----------------] 15 [................................ ]ηοί κλη[ρονόμοι...........- ................]

1. Les lemmes ne mentionnent que les reproductions intégrales des inscriptions, de même que les bibliographies ne signalent pas les simples mentions, sans apports précis pour le texte ou le commentaire. Les éditions antérieures au CIL et au CIG ne sont pas sytématiquement indiquées. Les références des corpus sont données dans la bibliographie en fin de volume.

ACOUSILAOS 2 déb.: [τήι μέν πόλει] Meritt, mais le début de la ligne était vraisemblablement occupé par un gentilice; Τι. Κλαυδίου Follet. 2 : Ά ζη νιέ (ω )ς Meritt; il doit s ’agir d’une graphie archaïsante plutôt que d’une erreur du lapicide. 2 fin : restitution de Meritt, imposée par es renseignements apportés par la Souda (voir com m entaire); elle correspond a 1 étendue de la lacune; la formule d’invocation permet en effet de situer le milieu des lignes après epsi on du démotique à la I. 2, après le second oméga de χωρίων à la 1. 3, a 1 interponction a a . , ce qui implique une lacune d’une vingtaine de lettres à la fin des lignes sur toute 1 '"s^r'Ptl° n ' a cassure à droite étant verticale) et d’environ 10 lettres au debut de la ligne 3. 3 de .. res . Follet; [δηναρίων μυ]ριάδας Meritt. 3 : ά γ ο ρ ά [ν ] Meritt, mais un substantif designant une action, comme άγορα[σμόν] (suggestion du Bull., voir bibliographie), άγορα σμα ν] (c . Magnesia 116, 20) ou ά γόρα [σιν] (Follet) conviendrait sans doute mieux. 3-4: [Σεττι| ου Φίρμου] Κλαυδίου Follet; voir ci-dessus pour la disposition du texte. 4 -5 : Κλαυ μου Άκουσιλάου καί | των ά μ φ ’ α ύ τ]όν Follet. 5 : ou [έπΊ ’AoinôtouJ (voir commentaire;, άργυρο[ταμίαις t à χρήματα καί | του δ εινός τ]ου πρεσβευτοϋ Follet. 6-7: comme ι es permis d’hésiter sur le rôle exact de Glaucias, et compte tenu de l ’étendue de la lacune, o restitution ne peut être qu’hypothétique, mais ά ν τ ισ τ [ρ α τ ή γ ο υ έπιτηρήσαι αχ)τ®■ 1 έπιτρέψαντος Γ]λαυκία (Follet) donne un sens assez proche de celui qui est propos dessous dans le commentaire. 7-8: θελή σ α ντος τοϋ [διατεθειμένου ταϋτα? | διοικεισ . τους άργ]υροταμίας Follet. Le testateur est assez couramment désigné par *5 διαθέμενος : TAM U, 301 et 3 0 4 ; Aphrodisias, doc. 50; P. Oxy 1 6 1901,11.78 a 84; «Gi/ i 361, 1. 21. 8-9: rest. Follet; άγορασ[θώ σιν] Meritt. 9 : rest. Meritt; έδ[ιδοτο εξ ™ τω Follet. 9-10: rest. Meritt; π[ρεσβευτοΰ και ά ντι]σρ α τή γου περί τω ν άγορα]σ εντων χωρίων (Follet) donnerait une 1. 10 trop courte. On renoncera ici à tout essai de restitu i n pour les lignes 11 et suivantes, pour lesquelles quelques lettres seulement sont conserv e . S.Follet propose: χωρίων έν δρο[ις τής ’Α ττικής | δντω ν γνώ μη ν ά ποφ ηναντοις ε Ç την τειμή[ν των χωρίων καί τήν | κατ’ ενια υτόν τοϋ ελαίου άττόδοσιν του) τε 1 αυκ [και των άργυρο|ταμιών άντιγραψάντων τοΰτο τδ έπίκρι]μα τα ρή[ματα τής δια ήκη I άπετέλουν δ τε Γλαυκίας κ]αι οί κ λ η [ρ ονόμ οι---- ]. « A la Bonne Fortune. Vu que [— ] Acousilaos, d Azènia, a légué Ipai ... à la cité sous le consulat de Settidius Firmus et ?] Claudius Severusi cei^ deniers pour l’achat de terres ; vu que Claudius [— et — ] ont regle [ a s _ aux trésoriers publics [et qu’Avidius Nigrinus], le légat propreteur, La_ "J ‘ Glaucias, [le testateur] ayant exprimé la volonté que les trésoriers pu i IP tassent l’argent à intérêts ?], en attendant que les terres fussent achet es, e q fût mis en dépôt] le revenu annuel que produisait [— ] ; vu qu Avidius îg -’ le [légat propréteur a —] à propos des terres qui ont été achetées dans es im [du territoire de la cité —] et que pour le prix [— ] Glaucias [— ] les termes les héritiers ...»

La première inscription de ce corpus est une parfaite t · nhjaue pour la plémentarité de la tradition littéraire et de la documentation epig P 943) connaissance de la vie culturelle antique. La brève notice e a , distrait, consacrée au rhéteur Acousilaos d ’Athènes n ’éveillerait qu u j e cet nuancé de prudence, sans l’éclatante confirmation que lui aPP° e avait été acte public de la cité. Le lexicographe indique en effet qu Acous lao formé à la rhétorique à Athènes (ήράσθη λόγων εν Αθηνοας) . t on taller à Rome sous le règne de Galba pour y poursuivre une carne retient seulement qu’elle lui avait permis de faire fortune et de legu en cent mille deniers1. Le document officiel confirme le legs e son . p , 1· λθηναΐος ών, Ά γ α θ ο κ λ εία ς ■ουτος ήράσθη λόγω ν έν Ά θ ή ν α ις καί έλθών εις ωμΐ]ν έϊτΐ Γάλβα διέτριβεν έν λόγοις ρητορικοϊς καί χρηματισάμενος έ ν τώ τελευτάν

ACOUSILAOS

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précisant sa destination ; c ’est une vingtaine d’années avant le règlement de cette succession, sous Nerva, qu’avait été levée l’interdiction faite aux citoyens ro­ mains de léguer leurs biens à des cités1. Si les restitutions retenues ici sont les bonnes, l’inscription donne la date exacte du testament d’Acousilaos: Claudius Severus, nommé à la ligne 4, ne paraît pas avoir exercé de fonctions en Achaïe ni avoir eu de liens avec Athènes ; il a pu en avoir avec Acousilaos, qui a vécu à Rome plus de quarante ans, et être son exécuteur testamentaire, mais c’est plus probablement en tant que consul, comme l’a admis S. Follet, qu’il apparaît ici, pour indiquer la date selon l’usage romain: l ’inscription mentionne ensuite la mission en Achaïe d ’Avidius Nigrinus, de peu postérieure à ce consulat, qui correspond au dernier trimestre de l’année 1 1 2 . La stèle récapitulait d’abord, en une série de génitifs absolus apparemment, les principales étapes de l’acquisition des terres. Après la mention du legs, avec son montant, sa destination et sa date (lignes 2-4), était évoquée la remise de la somme à la cité par deux héritiers ou exécu­ teurs testamentaires d’Acousilaos2 : l’interponction de la ligne 4 marque apparemment l’ou­ verture de ce deuxième génitif absolu. La même structure grammaticale paraît avoir été repro­ duite ensuite, avec la mention au génitif d’un légat propréteur; si c’est bien le cas, la place du datif [Γ]λαυκία à la ligne 7 oblige à situer dans la lacune des lignes 6/7 le participe dont le légat était le sujet, θελήσαντος appartenant alors à un quatrième génitif absolu3 qui, en se ré­ férant au testament, justifiait sans doute les dispositions précédemment indiquées. Le nom du légat impérial est conservé, avec le début de son titre, à la ligne 10 : il s’agit certainement de Caius Avidius Nigrinus, attesté par ailleurs dans cette fonction entre 114 et 116, car aucun

κατέλιπεν ’Αθηναίοις δέκα μυριάδας έκ τόκων. Δώδεκα μυριάδας, dans l’édition Adler, est une erreur de lecture. La mention έκ τόκων pourrait signifier que la somme léguée corres­ pondait aux intérêts d ’un placement réalisé par Acousilaos, à moins qu’elle ne soit une allusion, maladroitement elliptique, aux opérations financières évoquées aux lignes 8-9 de la stèle; il ne s ’agit pas, en tout cas, d’une fondation testamentaire dont les intérêts auraient été destinés à l’achat de terres, mais d’une somme léguée une fois pour toutes, même si elle a été temporairement placée en attendant les acquisitions (voir infra). La somme est coquette, sans être exceptionnelle : sur les montants connus de donations, voir M. Sartre 1991, p. 154-155. 1. L’autorisation d’hériter fut accordée à toutes les cités de l’empire par Nerva, mais ne fut officialisée par un sénatusconsulte que sous Hadrien, ce qui a pu laisser subsister un certain flou juridique à l’époque de Trajan; voir Ulpien, Regulae, 24, 28; Civitatibus omnibus quae

sub imperio populi Romani surit legari potest ; idque a divo Nerva introductum postea a se­ natu, auctore Hadriano, diligentius constitutum est. Mais l’interdiction avait-elle jamais été respectée ailleurs qu’à Rome même? En tout cas, en cette matière comme en bien d’autres, l’usage l’a certainement emporté sur le droit. Comme le rappelle P. Veyne 1976, n. 149, p. 508 : «en cette affaire le fait précédera et dépassera le droit; n’oublions pas que le jus civile ratiocine sur les pratiques effectives et les fait entrer tant bien que mal dans ses concepts plus souvent qu’il ne fixe la règle du jeu.». C’est bien ce qu’énonce Pline le Jeune, qui n’avait rien d’un anarchiste, lorsqu’il évoque un legs analogue en faveur de Côme (Ep. V, 7) : « il me sem­ ble que la volonté du défunt (je me demande comment les juristes prendront ce que je vais dire) doit passer avant le droit.» Des attestations de legs de terres à des cités grecques ont été rassemblées par A.H.M . Jones 1940, n. 67 p. 246 et 359. 2. Rien ne permet de supposer que la somme ait été remise par Acousilaos lui-même, comme l’impliquerait la restitution proposée par S. Follet. 3. Une autre solution n’est pas exclue : introduit par έπί, le nom du légat, sous la tutelle duquel la cité libre d’Athènes était momentanément placée, aurait pu dater la remise effective de la somme au trésor public.

autre corrector des cités libres d’Achaïe n’est connu à ce jour sous Trajan1. Fils et neveu de proconsuls d’Achaïe qui s ’étaient liés d ’amitié avec Plutarque, Avidius connaissait suffi­ samment la province pour débrouiller les questions délicates de bornages territoriaux: c ’est dans ce rôle qu’il apparaît, comme à Delphes, aux lignes 10-11 de l ’inscription2.

Un certain Glaucias est mentionné à la ligne 7, entre deux indications d’ordre financier: le versement de la somme à la caisse publique (1. 5) et le rappel d’une clause du testament à propos de son usage par les comptables de la cité en attendant l’achat des terres (1.7-8). Le rôle de Glaucias semble donc avoir eu trait à des opérations financières. Le testateur avait apparemment voulu que la cité, avant l’achat, fasse travailler la somme léguée : le prêt à intérêts étant la solution la plus commode pour une période restreinte, la restitution du verbe έκδανίζειν paraît probable. À la ligne 9 , le substantif féminin antécédent du relatif, en rapport avec la mention κ α τ’ ενιαυτόν, ne peut être que πρόσοδος, mais l’on peut hésiter sur la provenance de ce revenu annuel, car le mot, s’il s’applique le plus souvent au rapport d ’une propriété foncière, peut désigner aussi les intérêts d’un placement3: il pourrait s’agir du rapport du placement temporaire de la somme, puisque la mention de l ’acquisition effective des terres ne vient qu’ensuite (1.11). Glaucias paraît bien, dans cette affaire, avoir fait of­ fice de banquier, chargé de faire fructifier l’héritage et de garder les profits en dépôt. S. Follet incline à l’identifier avec un rhéteur de ce nom, connu de Plu­ tarque, en qui elle reconnaît aussi le père de T. Flavius Glaucias, d ’Achames, éphèbe dans la première décennie du IIe siècle (IG II2 2017,1. 9 et 11)4. Ce rap­ prochement ne serait pas incompatible avec les activités bancaires que laisse entrevoir l’inscription: les élites culturelles du temps ne se tenaient nullement à l’écart du monde de la finance5. Il impliquerait simplement que l’intervention de Glaucias, prévue par le défunt, était donc sans rapport avec les décisions du légat, dont la mention à la ligne 6 serait alors une simple indication de date. 1. Sur les correctores dans les provinces grecques, voir C. Vatin, Delphes à l ’époque impériale, Paris, 1965 (thèse inédite déposée à la bibliothèque de la Sorbonne), p. 129-151 (137-140 pour Nigrinus); J.H. Oliver, «Imperial Commissionners in Achaia», GRBS 14, 1973, p. 389-405; E. Guerber, «Les correctores dans la partie hellénophone de l’empire romain du règne de Trajan à l’avènement de Dioclétien », Anatolia Antiqua 5, 1997, p. 211248. Il n’y a pas de raison de supposer qu’Avidius ait gouverné la province proconsulis loco, comme le pensait E. Groag, Die römischen Reichsbeamten von Achaia bis auf Diokletian, Vienne, 1939, col. 54-57, suivi par B.E. Thomasson 1984, col. 193 : les inscriptions l’auraient l’indiqué. Le dossier de Delphes qui reproduit les arbitrages d’Avidius à propos de conflits territoriaux avec les cités voisines, FD III, 4 ,2 9 0 à 296, date probablement de l ’automne 114: voir le commentaire d’A. Plassart, p. 41. En 117, le même personnage est légat de Dacie. 2. La mission de Nigrinus illustre bien l’étroite imbrication de la vie culturelle et de la vie politique : lorsque cet ami de Pline le Jeune (Ep. V, 13 et 20 ; VII, 6) eut à connaître des affai­ res de Delphes, l ’un des prêtres d’Apollon était Plutarque et l’un des jeunes sénateurs qui formaient le conseil du légat était Flavius Arrien. 3. Voir B. Laum, Stiftungen I, p. 148. 4. Sur l’identification du rhéteur Glaucias, voir s.v. 5. Le père d’Hérode Atticus avait consenti des prêts à la cité, puisque le rhéteur déduisit cette dette de la rente léguée par son père à ses concitoyens (Philostrate, VS II 549); Dion de Pruse admet, même s’il ne souhaite pas s’attarder sur le sujet, qu’il prête à intérêts (46,8).

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ACOUSILAOS

ACOUSILAOS

Si l’on maintient l’interprétation selon laquelle Nigrinus a confié une mission à Glaucias, il faut supposer, dans la lacune des lignes 6/7, un participe au génitif et un infinitif (les complé­ ments proposés par S. Follet, [τ]οΰ πρεσβευτοΰ και άντιστ[ρατήγου έπιτηρησαι αύτά I έπιτρέψαντος Γ]λαυκία, sont en accord avec l’interprétation développée supra), ce qui ne laisse pas de place pour un gentilice ; or, si Glaucias est le père de l’éphèbe d’Acharnes, il était citoyen romain (Flavius). La seule raison qui pourrait expliquer l’absence du gentilice serait celle qu’invoque S.Follet: que le texte renvoie au testament, où le nom était complet. Mais si le rôle de Glaucias était prévu par le testament, le légat n’avait pas à intervenir à ce propos et n’était mentionné que pour préciser l ’année où le legs avait été versé. On pourrait alors restituer, exempli gratia, aux lignes 6-7: Κλαυδ[ίου δέ --- και --- 1 — το άργύρι]ον άριθμησάντων άργυρο[ταμίαις- έπί Ά ουιδίου I Νιγρείνου τ|οΰ πρεσβευτοΰ και αντι­ σ τρ ά τη γο υ Υνα παρακαταΐτιθώνται αυτό Γ]λαυκία.

Le corrector eut en tout cas à dire si les terres acquises se trouvaient dans les limites du territoire attique ( 1. 11 ) ; peut-être avait-il interdit, pour prévenir le ris­ que de litiges analogues à ceux dont il avait à connaître ailleurs, d’acheter des propriétés extérieures au territoire de la cité1. Des prestations rhétoriques d’Acousilaos, nous ne savons rien : la notice de la Souda et l’inscription s’accordent à montrer qu’elles n’étaient pas le moyen le plus sûr de s’assurer une gloire posthume.

FLAVIUS AGRIPPA ier-lle siècle

Césarée de Palestine

PIR2 F198

2 Césarée : statue de l’orateur Flavius Agrippa, ancien duumvir de la colonie. Colonne de granit, de 58 cm de diamètre, avec chapiteau (diam. 68). Haut. 80. Trouvée en juillet 1889 au lieu-dit M ijam äs, à six kms environ au nord-est du site de Césarée, Interponction en fin de ligne (1 et 4).

Éditions: K. Zangemeister, ZPDV 13, 1890, p. 25-30, d’après une copie de G.Schumacher (CIL III Suppl. 12082 ; AE 1891, 1 ; ILS 7206; B.H. MacClean, The Ancient World 2, 1997, n° 1 p. 186); traduction et phot, dans E. Graf von Mülinen, ZPDV 31, 1908, p. 241. M(arcum) Fl(auium) Agrippam pontif(icem), II viral(em) Col(oniae) I(primae) Fl(aviae) Aug(ustae) Caesareae, ora­ torem, ex dec(urionum) dec(reto) pec(unia) publ(ica). 4: d’après la copie de G. Schumacher, des traces d’une lettre martelée, apparemment un X, sont visibles avant pec(unia).

1. S. Follet suppose que le légat avait évalué le prix des terres et de la redevance en huile que la cité pouvait en tirer ; mais une ingérence aussi précise dans la vie économique des cités ne semble pas avoir fait partie des attributions d’un corrector·, voir E. Guerber art cit p. 243.

AGRIPPA «(Statue de) M(arcus) Fl(avius) Agrippa, pontife, ancien duumvir de la Colonia Prima Flavia Augusta Caesarea, orateur, en vertu du décret des décurions, sur les ressources publiques.»

Bibliographie: M.M. Rostovtzeff, « L ’inscription de l ’arc de triomphe de Djerasch», CRAI 1934, p. 271-272; L.I. Levine, Caesarea under Roman Rule, Leyde, 1975, p. 37; J. Ringel, Césarée de Palestine, Paris, 1975, p. 145-146; B. Lifshitz, «Césarée de Palestine, son histoire et ses institutions», ANRW II, 8 (1977), p. 498-499. Le notable honoré ici à titre d’orateur avait mis son éloquence au service de la colonie de Césarée, peut-être à l’occasion d’une ambassade. Si c ’est à Rome, ou auprès de l’administration impériale, qu’il avait eu à défendre les intérêts de ses concitoyens, son intervention avait été délivrée en latin, désormais langue offi­ cielle à Césarée, comme le prouve l’inscription. Mais, pour être devenue, sous Vespasien, colonie romaine, la cité bâtie par Hérode n ’avait pas cessé d’être le foyer de culture grecque qu’avait voulu son fondateur1 : au IVe siècle encore, elle encouragera très activement la rhétorique grecque2. De cette implantation pro­ fonde de l’hellénisme, l’inscription de la statue d ’Agrippa, alors même qu’elle atteste la romanisation de la cité, apporte paradoxalement une nouvelle preuve, car elle a été pensée en grec avant d’être rédigée en latin. Les précédents éditeurs ont remarqué son caractère «grécisant» et l’absence parmi les inscriptions publi­ ques latines d’un document comparable, alors que l’épigraphie grecque fournit de nombreux exemples analogues. Et pour cause: c ’est un usage spécifiquement grec que perpétue ici la cité de Césarée, en élevant une statue à celui qui a été son porte-parole dans une affaire précise3; le mot orator, absent à l’époque des inscriptions latines, est la traduction de ρήτωρ. Comme dans les documents grecs de même nature, il indique à la fois une performance occasionnelle et une activité permanente. Flavius Agrippa peut avoir été un professeur de rhétorique, comme le pense B. Lifshitz, ou simplement un lettré versé dans cet art, auquel ses concitoyens avaient habituellement recours dans les circonstances de la vie

1. Voir J. Ringel, op. cit., p. 78 : «Césarée peut (...) être considérée comme un chaînon dans l’œuvre d’hellénisation du pays». Sur la permanence de la culture grecque dans la colonie romaine, puis sa «déromanisation» à partir du IIIe siècle, voir L.I. Levine, op. cit., p. 35-40. 2. Libanios, Or. 3 1,4 2 , se plaint que Césarée ait su attirer chez elle un sophiste d ’Antio­ che: «Puissè-je ne pas voir des maîtres d’ici émigrer vers une autre cité (...). Il est insuppor­ table, assurément, il est impardonnable que les gens d ’Antioche passent, dans l’amour des lettres, pour inférieurs à ceux de Césarée. Ces derniers, par l’ampleur de leurs promesses, ont convaincu votre sophiste de préférer la plus modeste des deux cités à la plus grande. » 3. L’emploi de l ’accusatif prouve que la colonne n’était pas une colonne funéraire, comme le croit L.I. Levine («Agrippa undoubtedly belonged to the local decurionate which had appropriated funds for his burial and tombstone»), mais bien le support d ’une statue honorifique. Un théâtre romain s’élevait au lieu-dit où a été trouvée l’inscription : il est possi­ ble que, suivant un usage fréquemment observé dans les cités grecques, la statue ait été érigée à l’intérieur ou aux abords de ce théâtre.

AGRIPPA

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politique pour lesquelles ses talents le qualifiaient (discours officiels, am­ bassades, procès...). Il est donc tout à fait possible, et même probable, étant donné l’environnement culturel qu’offrait Césarée, qu’il ait pratiqué la langue grecque autant que la langue latine. Cette probabilité serait plus forte encore si l’identification parfois avancée pour le personnage honoré pouvait être sûrement établie1. On lui connaît en effet au moins un homonyme qui, à la même époque, avait des liens avec la même province: le fils de Flavius Josèphe, Simonidès, qui avait pris le surnom d’Agrippa2. Né en 78, il devait être à peu près contemporain du duumvir de Césarée, que son cognomen désigne comme un protégé d’Agrippa II, comme l’était aussi Flavius Josèphe. Parmi les domaines que celui-ci avait reçus de Vespasien et de Titus, certains peuvent avoir été situés sur le territoire de Césa­ rée, ce qui expliquerait la présence dans cette cité du fils de l’écrivain3. Mais, pas plus que la fin de la vie de Josèphe, la destinée de ses fils n’est connue: le rapprochement avec l’orateur de Césarée est donc une simple hypothèse. Un autre homonyme est attesté en Transjordanie, à Gérasa: un arc de triomphe fut édifié par cette cité, en 129/30, sans doute à l’occasion de la visite d’Hadrien, avec les fonds qui lui avaient été légués à cet effet par Flavius Agrippa, qui devait être l’un des personnages les plus fortunés et les plus influents de la région4. Il se peut qu’il ne fasse qu’un avec l’orateur de Césarée et peut-être aussi avec le fils de Josèphe. Mais Gérasa était voisine de la principauté d’Agrippa, qui englobait une partie du Hauran. Plus d’un notable de la région a dû rechercher la protection du prince et obtenir par lui, sous les Flaviens, la citoyenneté romaine ; plus d’un a pu manifester sa reconnaissance en donnant à son fils le nom de son bienfaiteur: les trois personnages connus sous le nom de Flavius Agrippa peuvent donc n’avoir aucun lien entre eux.

1. Proposée par Zangemeister, elle a été acceptée par Mommsen {CIL) et Stein ; Dessau la juge arbitraire. 2. Flavius Josèphe, Autobiographie, 76, 427: Σιμωνίδης... ό καί Ά γ ρ ίπ π α ς έπικληθείς. Voir Μ. Hadas-Lebel, Flavius Josèphe. Le juif de Rome? Paris, 1989, p. 224, où il faut rectifier la date de la naissance de Simonide: 78 (neuvième année du règne de Vespasien). 3. Josèphe avait d’abord reçu de Titus, en dédommagement pour ses propriétés de Jéru­ salem ravagées par la guerre de Judée, un domaine «dans la plaine» (έτέραν χώραν έν πεδίφ), Autobiogr. 76, 422; Vespasien y avait ajouté γην ούκ όλίγην έν rrj ’Ιουδαίοι (loc. cit., 425). 4. L’inscription a été publiée par M.M. Rostovtzeff, art. cit. (bibliographie).

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ALEXANDROS

ALEXANDROS

TITUS FLAVIUS ALEXANDROS

cité, devait être une consécration1. C ’est en tant que sophiste que Flavius Alexandras d’Hypata est honoré, même si, comme Amphictyon, il a d’autres liens avec le sanctuaire2. À la différence de celles de ses fils, mentionnés par Philostrate, sa carrière n’est pas attestée par d’autres sources, mais une ins­ cription d’Échinos permet de situer l’époque de Vacmè d’Alexandros. Cet acte d’affranchissement fait partie d’une série de quatre gravés sur le même bloc, et dont l’ordre de succession chronologique est donc ainsi assuré: il est sûrement postérieur à 133/4 et antérieur au milieu du siècle. Flavius Alexandras y figure comme magistrat éponyme, en tant que stratège du koinon thessalien3. Son identité avec le sophiste honoré à Delphes n’est pas douteuse4: la citoyenneté romaine est encore à cette époque relativement peu répandue parmi les magis­ trats fédéraux, ce qui réduit considérablement le risque d’homonymie, et le père de Phoinix et Phylax était délégué de sa patrie à l’assemblée fédérale. Plutôt que cette qualité, l’inscription de Delphes aurait évidemment mentionné, si elle l’avait pu, la stratégie: la statue a donc été élevée au plus tard au début des an­ nées 140. A cette époque, Alexandras avait au moins un fils en âge d’étudier la rhétorique5: lui-même devait donc être né entre 90 et 100 et l’apogée de sa carrière doit se placer dans le deuxième quart du IIe siècle.

IIe siècle

Hypata

PIR2 F 199

3 Delphes : statue du sophiste Flavius Alexandras, élevée par ses fils. Le même personnage apparaît, en tant que stratège du koinon thessalien, dans un acte d’affranchissement d’Échinos. Base de marbre blanc-gris, brisée à l’arrière. Trouvée entre le mur polygonal et 1 autel de Chios. Haut. 72,5, larg. 51,5, ép. max. conservée 32. Haut, lettres : ca 3 (moyenne), 2 pour les additions des lignes 5-6. Écriture et marges irrégulières. Inv. 3215.

Éditions: Th. Homolle, BCH 21, 1897, p. 154-155; É. Bourguet, ibid., p. 475 ; J. Pouilloux, REG 80, 1967, p. 379-385 (FD III, 4,4, 474 et pl. 26 A); photographie publiée également par J. Bousquet, BCH 8 8 , 1964, p. 393, fig. 8 .

5

10

Ά μφικτυόνων δόγματι Τίτ> Φλάβιον Α λ έ ­ ξανδρον τον σοφιστήν [Τιτ.] Φλά. Φοΐνιξ και Φύλαξ τον π α τέ­ ρα καί διδάσκαλον, σύνεδρον Θεσσαλών, 'Υ παταΐον.

5-6: comme l’a vu É. Bourguet, un seul dédicant était mentionné à l’origine: T(t. Φλά. | Φύλαξ. Le nom de Phoinix a été ajouté ultérieurement: on a effacé le prénom et ajouté, en lettres plus petites et empruntées pour certaines à l’écriture cursive (ξ,α), Φοΐνιξ à la fin de la I. 5 et καί au début de la 1. 6 (lu κη par Homolle). «En vertu de la décision des Amphictyons. Les Fla(vii) Phoinix et Phylax (ont élevé la statue de) Ti(tus) Flavius Alexandras, sophiste, leur père et maître, délégué de Thessalie, citoyen d’Hypata. »

Bibliographie: C.P. Jones, «Alexander the Epicurean », BCH 96, 1972, p.265-267 ; H. Bouvier, «Poètes et prosateurs de Thessalie dans les inscrip­ tions» dans La Thessalie, Actes de la Table Ronde de Lyon 21-24 juillet 1975, Paris, 1979, p. 260; B. Puech, « Prosopographie des amis de Plutarque», ANRW II, 33,6 (1992), p. 4834-4835. Plus encore qu’Olympie, le sanctuaire de Delphes attirait penseurs et hommes de lettres, venus participer aux Pythia ou donner des conférences : y avoir sa statue ou son hermès, élevé par les soins de ses disciples ou à l’initiative de la

La banalité du nom d ’Alexandros rend arbitraires les identifications propo­ sées avec des homonymes connus par les inscriptions attiques, et fragile égale­ ment le rapprochement qui a été suggéré avec un philosophe épicurien, ami de Plutarque6; de plus, comme l’a rappelé C.P. Jones, les qualités de sophiste et de philosophe épicurien semblent avoir été difficilement compatibles.

1. Voir H. Bouvier 1985. Pour les rhéteurs et sophistes, outre Phoinix et Phylax, les fils d’Alexandros, et Hérode Atticus, voir s.v. Apollônios, Aufria, Basileidès, Domnos, Glaucos, Isidoras de Gaza, Isocratès d’Acharnes, Phil— de Byblos, Philiscos, Sôtèros. 2. La décision des Amphictyons a consisté uniquement à accorder l’autorisation d’élever la statue, qui est un monument privé. 3. Στρ(ατηγοϋντος) Φλαβίου ’Α λέξανδρου... Les inscriptions ont été publiées par L. Gounaropoulou, Τέσσερις καινούριες απελευθερω τικές επιγραφές από τον Αχινό Λ αμίας, dans Amètos. Melanges offerts à M. Andronicos, Thessalonique, 1987, p. 251-259 et pl. 53 ; pour la date du texte où apparaît Flavius Alexandras, voir p. 257. 4. Elle a été signalée par S. Follet, Bull. 1988,110. 5. D ’après le texte définitif de l’inscription, Phoinix et Phylax étaient tous deux élèves de leur père à cette époque. Mais l’addition du nom de Phoinix peut être soit une rectification immédiate, en réparation d’un oubli, soit un ajout postérieur, de plusieurs années éventuelle­ ment. Le caractère assez peu soigné de la correction pourrait être invoqué en faveur de la se­ conde hypothèse, mais la gravure originale n’étant pas un modèle de perfection stylistique, il est difficile de trancher. Il n’est pas impossible que Phylax ait été l’aîné (le nom de Phoinix a été ajouté avant le sien, mais c ’était la seule possibilité qu’offrait la disposition du texte) et, à l’époque de la consécration, le seul fils en âge de suivre l’enseignement de son père. 6. La suggestion est de J. Pouilloux, art. cit.·, pour le détail, voir B. Puech, art. cit. et DPhA I 105 ; contra H. Bouvier, art. cit., pour qui le sophiste est sans aucun doute l’ami de Plutarque.

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IIe ou IIIe

siècle

ALEXANDROS

AMPHICLÈS

ALEXANDROS

pourrait être aussi un professeur de rhétorique ou un avocat d ’Alexandrie. II paraît antérieur à l ’homonyme qui plaidait vers le milieu du IVe siècle1 mais pourrait être celui qui est attesté sous Marc Aurèle2.

Égypte?

FLAVIUS AMPHICLÈS

4 Memphis : base de statuette consacrée par le rhéteur Alexandros. Fine plaque de marbre constituant le socle d’un groupe de statuettes. Haut. 3,2, larg. 44, ép. 15. Inscription sur la tranche. Lettres de forme lunaire, sauf Vepsilon et le sigma carré. Provenant des fouilles de Petrie, la pièce a été offerte au British Museum en 1908.

Éditions : Arch. Anz■ 24, 1909, col. 422 (,Sammélbuch 2074); Bull. Ann. d ’Égypt. 1909/10, p. 70 (,Sammélbuch 6182); IBM IV 1071. Photographie dans Petrie -Walker,Memphis I, pl. 53. Νίλωιγονιμωτάτωι ’Αλέξανδρος ρήτωρ. « Au Nil très fécond, l’orateur Alexandros. »

Comme l’indiquent le qualificatif appliqué au dieu-fleuve et les dimensions du support de l’inscription, c’est un groupe de statuettes représentant probable­ ment le dieu entouré des Pècheis et tenant la corne d’abondance, tel qu’il appa­ raît notamment dans le groupe du Vatican et sur les monnaies d ’Alexandrie1, qu’avait consacré Alexandros. Selon l’usage observé en Égypte dans les inscrip­ tions votives, les proscynèmes et les signatures de pèlerins, le dédicant indique simplement son nom et son activité ; la place disponible ne lui offrait d’ailleurs pas d’autre possibilité. Il n’est donc pas absolument certain qu’il ait été natif de la province: le voyage en Égypte étant une étape inévitable de l’itinéraire de tout Grec cultivé, il pourrait s’agir aussi d ’un visiteur. La banalité du nom interdit toute tentative d’identification : si l’on ne peut exclure un rapport avec le rhéteur du IIe siècle dont un fragment a été conservé2, ou avec Claudius Alexandros, commentateur de Démosthène, dont l ’époque est inconnue3, ou même avec Alexandre de Séleucie, dont Philostrate (572) indique qu’il avait visité l’Égypte et remonté le Nil, s’aventurant jusqu’au pays des «gymnosophistes», le dédicant

IIe

siècle

Chalcis, Athènes

PIR2 F 201 VS 578,585-586

5, Région de Chalcis : hermès du jeune Amphiclès, fils du rhéteur. 6 , Chalcis : hermès ou base de statue portant les mêmes. 7? Éleusis : consécration datée par l’archonte des Panhellènes Fl. Amphiclès. Un Flavius Amphiclès est également mentionné à Thespies sur la base de la statue de sa fille Amphicléia et dans deux catalogues agonistiques. À Delphes, l’inscription de la statue de Flavius Philinos indique que son beau-père s’appelait Flavius Amphiclès. Politika. Hermès acéphale de marbre blanc, réutilisé comme pilier dans l ’église de la Vierge à Politika (25 km au nord-ouest de la ville moderne de Chalcis). Haut. 152, larg. et ép. 27 à 31. Lettres carrées, de facture très soignée, sans apices : ΕΣΩ. Usage de l’apostrophe aux lignes 2 ,9 et 11. Ponctuation marquée par deux points à la ligne 7 et interponction séparant les malédictions et bénédictions successives dans l ’inscription en prose.

Éditions: Ad. Wilhelm, Eph. Arch. 1892, col. 173-177, n° 71; G. Pappabasileiou, Athena 4, 1892, p. 633-636, n° 2 (5y//2891, sans l’épigramme); IG XII, 9,1179 (Syll3 1240, sans l’épigramme; Herodes Atticus II n° 212).

5

10 1. Voir BMC Alexandria , pl. XXI. F.H. Marshall (IBM) renvoie à juste titre à la statuefontaine du Musée du Vatican, qui pourrait dater de l’époque d’Hadrien (A. Adriani, Reper­ torio d ’arte dell’Egitto greco-romano I A, Palerme, 1961, p. 52-53) : elle est pour nous l’illus­ tration la mieux conservée du type que devait reproduire la statuette. La longueur du support indique en effet que le dieu-fleuve était allongé et l’épithète choisie conviendrait particuliè­ rement bien au type du Nil aux seize coudées, introduit, apparemment, par Vespasien, et dont la célébrité est attestée par les descriptions de Lucien et de Philostrate: voir D. Bonneau, La crue du Nil. Ses descriptions, ses explications, son culte, Paris, 1964, p. 337-340 (on com­ prend mal la justification de la datation indiquée sans commentaire, n. 3 p. 378, pour notre inscription : Ier s. a. C.) et LIMC VI, 1, p. 424-429, et 2, p. 720-726. 2. Rhet. Gr. III, p. 1-6 Spengel. 3. Souda A 1128; il était lu encore à la fin du Ve siècle, comme le montre une lettre conservée sur papyrus et commentée par H. Maehler, «Menander Rhetor and Alexander Claudius in a Papyrus Letter », GRBS 15,1974, p. 305-311.

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Χαΐρον εγώ λοετροΐσι καί | είσέτι τοΐσδ’ έσορώμαι | Ά μφικλέης, χώρου | δεσπόσυνος φιλιού. | Ναι μην καί γένεος φερε|κυδέος εξ υπάτων με [ δέρκεο, Πειερίδων hed. | οΰποτε λησάμενον. | Κρατί δ ’ έπηώρηντ’ δπι|θεν κομόωσαι εθειραι· | ού γάρ εκερσ’ ηβα, άλ|λά πότμος προλαβών. Προαγορεύω τοις κατά τον χώρον τόνδε· έπικατάρατος δστις μή φείδοιτο κατά τόνδε τόν χώρον τοΰδε του έργου καί της είκόνος της ειδρυμένης, άλλα άτειμάσει η μεταθήσει όρους έξ όρων

1. Voir le papyrus, daté de 340, publié par C.J. Kraemer Jr. et N. Lewis, «A Referee’s Hearing on Ownership», TAPA 68, 1937, p. 357-387. 2. P. Oslo 3, SO.

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AMPHICLÈS

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40

η υβρίσει μιάνας η αίκίσεται ή θραύσει η τι μέρος ή σύμπαν ή εις γην άνατρέψει καί κατασκεδάσει καί αμαυρώσει· τοΰτόν τε Θεός πατάξαι απορία καί πυρετώ καί ρίγει καί έρεθισμώ καί άνεμοφθορία καί παραπληξίμ καί άορασία καί έκστάσει διανοίας· καί εΐη άφαυή τα κτήμα­ τα αύτοΰ, μή γη βατή μή θά­ λασσα πλωτή μή παίδων γονή · μηδέ οίκος αυξοιτο μηδέ καρπών άπολαύοι μηδέ οίκου, μή φωτός μή χρήσεως μηδέ κτήσεως, επισκόπους δέ έχοι Έ ρεινύας. Εί δέ τις εύθετοίη καί τηροίη καί συμφυλάττοι, των λώων άπολαύοι εύλογοΐτό τε έν παντί δήμω καί πληθύοι αύτώ οίκος παίδων γοναϊς καί καρπών άπολαύσεσιν, έπισκοποίη δέ Χάρις καί 'Υ γεία.

18: έξορ(ύσσ]ων Dittenberger Sylt2 (correction abandonnée à la suite de la publication du second hermès). «Je me plaisais aux bains, et à présent encore à ceux que voici l’on peut me voir, moi, Amphiclès, le jeune maître de cet endroit bien-aimé. Oui, regardemoi, moi l’enfant d’une famille chargée de gloire, d’une lignée de consuls, qui jamais n’ai négligé les Piérides. Sur mon cou flottent mes longs cheveux: ce n’est pas l’adolescence qui les a fauchés, mais la mort qui l’a devancée. J’avertis ceux qui passent sur ce terrain : maudit soit quiconque, passant sur ce terrain, au lieu de respecter ce bâtiment et l’effigie qui y est élevée, les profanera, déplacera les bornes du bornage, outra­ gera (ce monument) en le souillant, l’abîmera ou le brisera totalement ou en partie, l’abattra à terre, en causera l’effondrement ou la destruction; celui-là, que Dieu le frappe de détresse, de fièvre, de frisson, d’exaltation, de miasmes destructeurs, de délire, d’aveuglement et d’égarement de l’esprit; que ses biens soient anéantis ; qu’il n’y ait pour lui ni terre praticable ni mer navigable, ni des­ cendance; que son patrimoine ne fructifie pas; qu’il ne profite pas de ses récoltes ni de sa maison, ni de la lumière du jour ni d’aucune jouissance ou pos­ session ; qu’il ait pour gardiennes les Érinyes.

AMPHICLÈS

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Ceux qui en revanche le laisseraient en bon état, veilleraient sur lui et contri­ bueraient à le préserver, qu’ils jouissent des meilleurs avantages, qu’ils soient bénis en toute nation et que leur maison s’agrandisse par leur descendance et le profit de leurs récoltes, qu’ils soient sous la garde de Charis et Hygie.» 6

Chalcis. Bloc de marbre, avec moulures en haut et en bas. Le tiers supérieur de la surface inscrite a été martelé. Trouvé dans les vestiges du fort vénitien, lors de la construction du pont de l’Euripe. Les dimensions, haut. 78 (Ziebarth ; le chiffre donné par Matsas, 34, est manifes­ tement erroné), larg, ca 45 (le bloc s’élargit dans sa partie inférieure), ép. 44, évoquent davan­ tage une base de statue qu’un hermès. Hauteur des lettres : 1,4. Lettres très étroites et serrées dans la partie centrale.

Éditions ; I. Matsas, Athéna 11,1899, p. 289-292 ; IG XII, 9,955. Προαγορεύω τοΐς [κα]τά τον [χ]ώ[ρον τ]ό[νδε][έπι]κατάρατος, όστ[ις] μή [φε]ί[δοι]το κα]τά τόν[δε τον] [χ]ώρον τουδε του έργου καί τ[ή]ς ε[ίκ]όνος [τής είδρυμέ][νης], άλλα άτειμάσει ή μεταθήσει όρους έξ όρων [ή ύβρίσει] 5 [μιάν]ας ή αίκίσεται ή θραύσει ή τι μέρος ή σύμπαν ή [εις γην άνα][τρέψ]ει καί κατασκεδάσει κα[ί άμ]αυ[ρώ]σει· τούτον τε Θεός [πατάξαι] [άπ]ορίμ καί πυρετώ καί ρείγει καί £έρ]εθ[ι]σμ[