Ma Guinée plurielle: Chroniques d'une Guinée ineffable à partir d'un blog
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Alimou SOW

Ma Guinée plurielle Chroniques d’une Guinée ineffable à partir d’un blog

Préface de David Kpelly

Ma Guinée plurielle

Alimou SOW

Ma Guinée plurielle Chroniques d’une Guinée ineffable à partir d’un blog

Préface de David Kpelly

© L’Harmattan, 2017 5-7, rue de l’École-Polytechnique, 75005 Paris http://www.editions-harmattan.fr ISBN : 978-2-343-12006-5 EAN : 9782343120065

DÉDICACE A vous ma mère, Nênan Adama, ma sœur Mariatou SOW, mon ami Boubacar DIALLO, reposez en paix ! À jamais dans nos cœurs et dans nos prières.

PRÉFACE Écrire la préface de ce livre, Ma Guinée plurielle, est pour moi un honneur et un acte de reconnaissance. Un honneur parce que les textes rassemblés dans ce recueil sont de la plume de celui qui est considéré, sans conteste, comme le porte-flambeau des blogueurs guinéens. Un acte de reconnaissance parce qu’il m’importe de dire merci au blogueur qui, depuis 2010, mieux que tous les manuels d’histoire et de géographie, les journaux écrits et télévisés, m’a fait connaître la Guinée, ce pays entré dans l’histoire de notre continent comme le premier pays africain francophone à avoir dit « Non » au colonisateur français, le fameux « Non » de Sékou Touré. Les textes rassemblés dans ce recueil, publiés entre 2010 et 2016 sur le blog éponyme hébergé par la plateforme Mondoblog de Radio France Internationale, sont un portrait de la Guinée d’aujourd’hui. Mais on y ressent des relents de la Guinée d’hier, celle qui, fière, avait réclamé son indépendance, ouvrant la voie de l’autonomie aux autres pays africains francophones, mais qui n’a pas pu, hélas, poser les bases d’un État réellement autonome, capable de se prendre en charge sur les plans économique, social, culturel… La locomotive d’Alimou Sow charrie tous les cris, les pleurs, les soupirs, mais aussi toutes les joies et tous les espoirs de la Guinée de son époque. On côtoie, de texte en texte, des fois dans le même texte, la pauvreté, la violence, la corruption, la gabegie, le népotisme, l’ethnocentrisme, l’incivisme… tous ces maux qui rongent nos États africains, du moins la majorité, depuis nos soleils des indépendances 9

qui, ayons le courage de l’affirmer, peinent encore à briller. Mais, loin de tomber dans le pessimisme, un pessimisme lassant, et finalement nuisible, l’auteur imprime une bonne dose d’optimisme à chacune des situations qu’il peint, allume des brèches d’espoir dans l’obscurité du désespoir qui l’entoure. Le message véhiculé dans chaque texte se résume dans la devise : « Voyez, la Guinée d’aujourd’hui, notre Guinée, se porte mal, mais elle se portera mieux si nous le décidons. » Le genre épistolaire semble être la préférence du célèbre blogueur. Les lettres se suivent, mais ne se ressemblent pas, ni par leurs destinataires, ni par le ton. Il y en a qui sont adressées à des vivants, d’autres à des morts, d’autres encore à… des objets ! Elles font, tour à tour, soupirer de tristesse, pleurer, sourire, rire… Autant on est touché par cette lettre que le blogueur orphelin adresse à sa regrettée mère, un passage comme « … Si la paume de mes mains est spongieuse, c’est parce que celle de tes mains était couverte de callosités au contact du pilon, de l’herbe et de la houe… » nous rendant très tristes parce que traduisant la dure réalité de femmes, de beaucoup de femmes que nous connaissons, autant on s’esclaffe en lisant une lettre adressée à… un frigo, un pauvre frigo venu de Bruxelles, vanté par son vendeur comme une « occasion en or », mais qui n’a jamais servi son propriétaire qui le traite de tous les noms d’animaux avant de le jeter, puisque, de toute façon, son destin en terre africaine est « de finir à la casse, en pièces détachées ou, pire, dans une décharge à ciel ouvert. » La faute du frigo ? Il n’a jamais rafraîchi les aliments que son maître lui confie. Pourquoi ? Parce qu’il manque d’électricité pour fonctionner ! « Pauvre bouc émissaire de frigo ! », se dit-on, entre deux éclats de rire, à la lecture de l’hilarante lettre. 10

Le lauréat du Prix du meilleur blog francophone du concours Best of Blogs de la radio allemande Deutsche Welle en 2013 n’invective personne, ne critique personne, n’accuse personne dans ses textes. Mais avec un humour décapant, il expose les situations, relate les faits, écrit le quotidien de sa Guinée natale, cette Guinée qu’il aime tant, mais à laquelle il a mal. À chacun de ses lecteurs de lire selon ses expériences, ses sensibilités, ses clivages, et d’en tirer ce qu’il peut. Du grand art ! David Kpelly Prix littéraire France-Togo 2010

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LA GUINÉE AU QUOTIDIEN

Conakry – Labé – Conakry : retour sur un voyage riche, mais éreintant Publié le 26 décembre 2016 Du trajet Conakry-Labé-Conakry que je viens de boucler au bout d’un voyage de cinq jours, j’en connais un rayon. Je le pratique en moyenne une fois par an depuis douze ans; depuis mon premier voyage à Labé en février 2004 à la faveur d’un cycle universitaire qui aura duré cinq ans… J’ai parcouru ce trajet, de jour comme de nuit, des dizaines de fois en Peugeot 505 – mulets de nos routes déglinguées –, une fois en autocar (caprice d’une ex-copine d’université qui a failli nous expédier six pieds sous terre sur la montagne de Yombokhouré) et une fois par avion, en 2015, dans le cadre d’un voyage professionnel. Quel que soit le type de véhicule utilisé, le voyageur Conakry-Labé s’en sort toujours avec un sentiment mitigé : la beauté d’un paysage à couper le souffle sur une route chaotique qui flanque à vos reins un formidable coup de vieux. Cette fois, c’est moi qui suis aux commandes. Ma troisième expérience de « long voyage » après un « Conakry-Télimélé » et un « Conakry-Boké » réussis au volant du même tacot: une Nissan Almera 2006, « occasion Bruxelles », plutôt correcte. Mais, comme « qui voyage loin ménage sa monture », je la soumets à un check-up complet la veille du départ. Les récits épiques, quelquefois 15

tragiques, sur cette route de 400 km au bout de l’enfer, laissent peu de place à l’improvisation pour s’y engager. Je suis debout dès potron-minet pour affronter, en solitaire, le tronçon jugé le plus difficile, Conakry-Kindia. 135 km que l’on accomplissait, il y a quelques années, en un peu moins de deux heures montre en main. Maintenant, il faut rajouter deux heures supplémentaires pour crapahuter sur la même distance devenue un parcours de rêve pour un rallye raid de type « Paris-Dakar », tant la route est en piteux état. Sous le poids de l’âge et surtout des poids lourds chargés à tout casser, le goudron s’est effrité au fil des saisons, formant des nids de poule devenus progressivement de larges cratères qu’on aurait dit provoquées par un puissant séisme. Des bulldozers s’activent à niveler ces trous géants dans un nuage de poussière permanent, interrompant intempestivement le trafic. Le capharnaüm ressemble à un paysage lunaire balayé par une puissante tempête extraterrestre. C’est dans ce chaos indescriptible qu’on tente d’appliquer les règles de la sécurité routière. Entre rigueur et excès de zèle. En plus de l’inamovible barrage de Kaka, à la sortie de Coyah, des checkpoints filtrants sont érigés tout le long de la route jusqu’à Labé. Les gendarmes veillent au grain. Pour passer, il faut montrer patte blanche. Les documents classiques du véhicule : permis de conduire, carte grise, certificat d’assurance, vignette (Taxe Unique sur les Véhicules) sont passés au peigne fin. Fait nouveau : il faut également disposer du triangle de pré-signalisation (triangle rouge), la trousse médicale de secours et un extincteur, décliné en « essinter » ou « egzinter » par certains agents, y compris à l’écrit sur les PV de contravention (100. 000 GNF pour une pièce manquante) ! Il faut donc tendre l’oreille et être bon en …anagrammes pour s’en tirer ! 16

En règle sur toute la ligne, je franchis les chekcpoints sans coup férir. À l’aller comme au retour, aucun agent ne m’a sorti « on est là pour vous » ou bien « levée de barrage », les fameuses formules pour abouler le bakchich de la corruption. À mon grand étonnement …et soulagement ! En dépit de cette attitude correcte (même si certains gendarmes me prenaient de haut), ce contrôle strict se heurte à un triple paradoxe. Premièrement, il est partial. Il concerne, paradoxalement, les véhicules personnels relativement en bon état et qui offrent plus de sécurité ; tandis qu’on ferme les yeux sur les défaillances des poids lourds et les véhicules de transport en commun (taxis-brousse, bus et minibus), des épaves en mouvement, dangereusement surchargées au point d’être flanquées de porte-bagages en extension, non prévus par le constructeur. Deuxièmement, dans une situation normale, il est indispensable de disposer des documents légaux du véhicule et les autres accessoires pour la sécurité des voyageurs. Mais, ici, la situation est tout sauf normale avec une route complètement défoncée et muette (pas l’ombre d’un panneau de signalisation), constituant le plus grand danger pour les usagers. En attestent les innombrables carcasses de véhicules gisant sur le bas-côté de la route, témoins d’autant d’accidents de circulation mortels. Enfin, la présence de ces nombreux barrages de contrôle contraste fort bien avec l’insécurité qui règne sur les axes routiers en province où des coupeurs de route sèment la terreur à la nuit tombée. On ne compte plus le nombre d’attaques à main armée souvent fatales aux voyageurs nocturnes. Première conséquence de la baisse du trafic la nuit : l’économie de la petite localité de Tamagali, sur l’axe 17

Kindia – Mamou, est à terre. Cette espèce de caravansérail naguère prospère où l’on s’arrêtait manger de la chèvre au milieu de la nuit, affiche une image pâle en cette fin décembre 2016. Contrairement à sa sœur, Linsan, où l’on continue de faire halte la journée pour manger : lait caillé, fonio, riz, brochettes de viande, taro… C’est au choix. C’est ce magnifique exemple d’entente et de solidarité entre deux localités voisines sur le fonctionnement de leur économie que les bandits sont en train de démolir, au nez et à la barbe des autorités … Ma Nissan ne bronche pas pour la montée harassante de Yombokhouré, dernier rempart avant d’accéder aux hauts plateaux du Fouta Djallon. Les villes défilent. Kindia est déjà loin derrière. Voici Mamou, ville carrefour, bâtie sur un confetti de petites collines abruptes que dévalent des moto-taxis à tombeau ouvert. Puis Dalaba, haut perchée sur le massif montagneux de Tamgué. Au loin, les minarets de la majestueuse mosquée de la ville se détachent dans la brume qui enveloppe la cité surnommée « la Suisse de l’Afrique » du fait d’un climat frais, particulièrement en cette fin d’année où l’harmattan sévit. Plus près, des pins verdoyants défilent à gauche dans un virage serré avant d’arriver au centre-ville qui n’a rien d’extraordinaire. Mais Dalaba reste cet exceptionnel mirador pour contempler, par beau temps, des magnifiques paysages aux plateaux encaissés. Pita est à une cinquantaine de kilomètres de là. Des virages en épingle de cheveux. Sébhory, Mitty, … Brouwal Tappé pour, enfin, entrer à Pita-centre. Moins de 5 minutes pour traverser la ville. Toujours la « Tappa-lappa », la fameuse miche de pain locale proposée sur des planches alignées sur le trottoir de la route principale. Je franchis le

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Koubiwol, la rivière qui ceint le côté ouest de la ville pour entrer dans « le Labé ». Pour railler la ruse supposée (ou réelle) des gens de Labé, la légende raconte que pour fixer la frontière entre Pita et Labé, les habitants des deux cités rivales s’étaient entendus de se lever aux aurores pour marcher les uns en direction des autres. La frontière serait établie pile au point de leur rencontre. Les habitants de Pita ont eu la désagréable surprise de rencontrer ceux de Labé juste à la sortie de leur ville. Comme convenu, ils s’étaient levés tôt le matin alors que les Labékas avaient marché toute la nuit ! Au bout de 12 heures de voyage (avec une pause d’une heure et demie), je fais mon entrée dans la cité de Karmoko Alpha Mo Labé, du nom de son fondateur. La ville est en pleine expansion où poussent des buildings élancés et des demeures cossues. La voirie urbaine en lambeaux, – comme à Conakry – la ville est écrasée par une chape de poussière ocre et salissante qui irrite les voies respiratoires. C’est à croire qu’un astéroïde est tombé sur la ville ! Quatre jours de séjour pour revoir de vieilles connaissances, parents et anciens amis de l’Université de Labé. Beaucoup de nouveautés pour le loisir et la gastronomie comme le dîner « Chez Kamal », un restaurant sympa où l’on mange bien au quartier Safatou. Mais aussi des adresses intactes comme l’éternel petit déjeuner au rondpoint Tinkisso chez Dian Kadiatou. Au menu : riz ou fonio à la soupe de poulet/ viande, ou au velouté « mafé nama ». ça ne désemplit jamais le matin, surtout en ce matin frisquet de décembre, la rigueur de l’harmattan se lisant sur la peau squamée et les lèvres gercées des clients, écharpes autour du cou, les mains dans les poches des jackets. Au bout de quatre jours, je reprends le chemin inverse pour rentrer à Conakry avec une halte à Dalaba, pour une 19

nuit au somptueux hôtel du Foutah, fondé dans les années 1930. Les bâtons de frites qu’on y mange ont des allures de pilons vigoureux. La pomme de terre sent la fraîcheur locale. Une fraîcheur que distribue également à l’état naturel le fameux « Kouratier » de l’hôtel du Foutah, le figuier sauvage de Guinée devenu carte postale de Dalaba. Je rentre à Conakry éreinté, mais plein de bons souvenirs foutaniens. Comme à chaque fois. Depuis 12 ans !

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Bienvenue à Pounthioun, où tradition et modernité se côtoient Publié le 18 septembre 2013 La voix du muezzin, portée par des haut-parleurs perchés sur les minarets de la coquette mosquée, déchire l’aube naissante se perdant au loin dans l’horizon qui se moire. Plus près, un coq donne la réplique. Des tisserins nichés dans le feuillage des manguiers se joignent au concert. Peu à peu, Pounthioun se réveille. Moi aussi. Je sors du lit au moment même où un timide rayon du soleil échappé de la montagne de Kolima tente d’entrer par l’embrasure de la fenêtre. Hadja Mariama, elle, est debout depuis 5 heures du matin. Peut-être même bien plus tôt. À son âge, on dort peu. Cette grand-mère de 75 ans, la démarche traînante, le physique marqué par la rigueur de la vieillesse, s’apprête à accomplir ce qui est devenu un rituel pour elle depuis près de 50 ans : chaque matin, elle fait la ronde de Pounthioun pour dire bonjour aux voisins et savoir s’ils ont passé la nuit en paix. Je décide de l’accompagner dans cette quête de nouvelles ; véritable travail du facteur. Un moyen pour moi de me rattraper. En trois ans d’absence, beaucoup d’évènements, heureux et malheureux, se sont accomplis à Pounthioun, un quartier où j’ai coulé cinq ans de vie d’étudiant au Centre universitaire de Labé. Je connais tous les recoins et presque chaque concession. 21

Je note quelques nouvelles naissances et beaucoup de décès. Des notables du quartier, parmi les plus respectés et influents, s’en sont allés à jamais. Dans l’enceinte de la petite mosquée jaune, le mausolée s’est agrandi d’une nouvelle pierre tombale surmontée d’un magnifique dôme. Hadja Mariama y jette un regard triste et secoue la tête de chagrin et de mélancolie. Elle se désole que « tous les sages sont en train de partir laissant derrière eux des maisons vides ». L’architecture de Pounthioun est en constante évolution. Parmi les maisons au style ancien, poussent désormais des étages carrelés et vitrés. Signe de prospérité des fils ressortissants du quartier. Les habitations sont parfois délimitées par de simples haies faites de tiges de bois. Ici, on partage tout, jusqu’au sel de cuisine. Les ruelles étroites qui faufilent entre les pâtés de maisons sont parsemées de graviers couleur ocre qui crissent sous nos pas traînants. Des herbes sauvages colonisent les terrains vagues, les vaches, repues de mousse, continuent à être les reines de la route où elles s’affalent et ruminent en toute tranquillité. Pounthioun, un des 28 quartiers de Labé, est écartelé entre tradition et modernité. Jusque dans un passé récent, cette sorte de villagequartier était constitué de pâturages autour desquels fumaient des cases rondes au toit de chaume. Le bétail s’abreuvait dans le Pounthiounwöl, la petite rivière qui ceint le côté ouest du quartier et dont il tire son nom. Image qui s’est considérablement effritée ces trente dernières années. L’exode a drainé les bras valides ailleurs. Dans certaines concessions, la pratique de l’élevage de bovins subsiste encore, matérialisée par de minuscules enclos accolés à des maisons modernes. Juste pour le symbole. Jadis, signe de richesse pour les pasteurs peuls musulmans, la vache est devenue un simple moyen de 22

perpétuer la tradition à laquelle s’accrochent désespérément les personnes du troisième âge de Pounthioun. Les petits-enfants, eux, ont la tête ailleurs. Dans une maison aux carreaux couleur grise, un groupe d’une demidouzaine de jeunes garçons est plongé dans un jeu vidéo projeté sur un écran de télé. Au-dessus de leurs têtes, sur le mur du salon, pendent des clichés jaunis par le temps de leurs grands-parents et arrière-grands-parents vêtus de Leppi (tissu local) et enturbannés. C’est à peine si les gamins lèvent la tête en nous voyant entrer. Nous les laissons jouer pour aller dire bonjour à une vieille femme qui a reçu la visite d’un serpent la nuit précédente. Le reptile a été massacré par les jeunes nous explique la vieille sans afficher la moindre émotion. Elle est plutôt préoccupée par un rhumatisme qui la cloue au lit en ce matin frisquet. Un thermomètre accroché au-dessus d’une jarre en terre cuite affiche 20 degrés Celsius. Les deux vieilles dames échangent des amabilités, s’en remettent à Dieu et lui rendent grâce de tout ce qui arrive, en bien comme en mal. Elles me couvrent d’interminables bénédictions pour un simple billet de banque. J’imagine que leurs fils ressortissants qui pourvoient le matériel et qui les ont emmenées aux lieux saints de la Mecque doivent être blindés de bénédictions. On termine la ronde en rendant visite à une autre vieille Hadja dont la concession fait face à un pylône de téléphonie mobile. Le ronronnement du groupe électrogène qui alimente le poteau n’est pas de son goût… Encore du gravier ocre, beaucoup de gravier qui tapisse la cour intérieure de sa maison. Des arbres fruitiers à foison : manguiers, avocatiers, orangers, papayers, citronniers forment un véritable verger. Tout près, quelqu’un élève des pigeons qui roucoulent et partent dans de lourds vols planés au-dessus des maisons. 23

Les yeux rongés par un glaucome, la vieille Hadja perd progressivement la vue, mais garde la mémoire sur ses origines qui correspondent aux miennes. Elle me raconte comment la jeune fille de 18 ans native de Télimélé est arrivée à Labé au moment où presque toutes les maisons de Pounthioun étaient des cases rondes. Son visage est ravagé par une profonde expression de mélancolie. La nostalgie prend le dessus, elle écrase une larme. Hadja Mariama met fin à sa traditionnelle ronde. Nous rentrons à la maison, elle satisfaite d’avoir pris des nouvelles, moi profondément ému et abreuvé des valeurs ancestrales qui cimentent les liens des habitants paisibles de cette localité depuis des années. Dans un monde quasi déshumanisé, cette belle balade m’a servi d’exorcisme et de ressourcement. Que vive Pounthioun, où tradition et modernité se conjuguent au pluriel.

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Tabaski à Kansaghi Publié le 19 octobre 2013 Ça me manquait grave ! Près de vingt ans de vie à Conakry et autant de fêtes de Tabaski, je voulais changer d’air et de… mouton. Changer pour aller manger les agneaux ruraux aux flancs de coteaux. Partir revivre le rituel de la célébration de la plus importante fête musulmane dans ce qu’elle a de plus authentique en pays peul. Cap sur Kansaghi, à 335 km de Conakry. Presque une journée de voyage à travers monts et vallées sur les routes de Télimélé. L’effort de la montée vertigineuse des cols du mont Loubha et les falaises abruptes de Sogoroyah est récompensé par la fraîcheur et la pureté de l’air ambiant une fois au sommet. Perché à 1.500 mètres d’altitude dans les contreforts du Fouta occidental, Kansaghi, un des 13 districts de Brouwal, est un distributeur naturel d’oxygène à l’état pur. Je respire un grand coup, comme pour chasser de mes poumons l’air pollué de Conakry. La nature s’étale dans toute sa grandeur, réduisant presque à néant les vains efforts de l’homme à la dominer. L’habitat, rare et rustique, est dispersé. Une stratégie des ancêtres selon les récits. L’histoire, transmise de bouche à l’oreille, raconte que le premier conquérant de la zone fut un certain Manga, armé de… tambours (kouloun). Rien que par le bruit de cet instrument à percussion et le feu qu’il alluma à plusieurs endroits pour effrayer l’ennemi, Manga réussit à chasser les 25

occupants de ce vaste plateau les obligeant à se réfugier en contrebas, sous la montagne. Le héros et ses tambours laissèrent leur nom à la localité, Manga-Kouloun, dont une partie est constituée d’une zone aride ainsi appelée Kansaghi en langue locale Poular. Parmi les dépositaires du récit, y en a qui ont une version beaucoup plus belliqueuse. Mais personne n’est en mesure de démentir, preuve à l’appui, celle de l’autre. Et c’est tant mieux. À l’école primaire de Kansaghi, on nous parla bien de la science de René Caillé et de la bravoure de Napoléon, mais pas de la tactique de Manga-Kouloun contre ses adversaires. Je m’égare… Revenons à nos moutons. Tabaski à Kansaghi. Je me revois à l’âge de dix ans, en compagnie de mes amis d’enfance… Le moindre bruit, le plus subtil parfum de campagne me parlent. Je suis en terrain connu, et même conquis. Sur ces interminables terres verdoyantes, j’ai coulé des jours heureux de mon enfance et une partie de mon adolescence. Comme jadis, la fête a lieu à Missidé, le village qui abrite la mosquée principale. Sauf cas exceptionnel, les prières des fêtes musulmanes ne sont pas effectuées dans la mosquée. Par tradition, elles se tiennent à l’extérieur à l’orée du village, sur une aire aménagée à cet effet qu’on assainit à l’approche de chaque fête. L’endroit reste inchangé : beau et simple. Presque figé dans le temps. Le parcours de la distance qui sépare la mosquée de cette aire de prière constitue le moment fort du cérémonial. L’imam, appuyé sur une longue canne surmontée d’une étoile, est escorté par une armée de sages qui répètent après lui des versets du Coran sous le son de la tabala traditionnelle, frappée à coups réguliers à l’aide des lanières aux extrémités remplies de cailloux. La procession est majestueuse. La symphonie, audible des kilomètres à la ronde, est captivante. 26

À pas lents, l’escorte rejoint l’aire de prière avec solennité. Les femmes, tenues à bonne distance, suivent la scène dans une discipline militaire. Le sermon est lu en arabe, traduit en Poular de façon littérale. L’imam ne développe pas, ne commente pas. Le profane se perd dans les allégories. Puis des rangées se forment. Par mérite d’abord, puis par âge. Au salut final de l’imam, je remarque un changement. Les garçons ne courent plus. À notre époque, sitôt le salut final prononcé nous sprintions pour nous retrouver à un endroit isolé afin de recomposer les nouveaux groupes d’amis au cours d’une mémorable compétition de lutte traditionnelle. Redoutable épreuve pour moi qui étais plus à l’aise avec la conjugaison des verbes du 2ème groupe que pour terrasser un adversaire. Je rusais pour y échapper, préférant la force du neurone à celle du muscle. La prière terminée, l’imam est raccompagné chez lui par un autre chemin que celui par lequel il est arrivé. Puis, il procède au sacrifice du mouton donnant ainsi le ton. La tradition d’Abraham se répète alors dans chaque concession, donnant lieu à une véritable tuerie dans les villages pendant les trois jours qui suivent la fête. Les morceaux de viande font la navette entre les hameaux. On offre, on reçoit. Tout le monde se régale. Dans la discipline et l’humilité. Malgré la pauvreté. Contrairement à Conakry, ici on ne vous harcèle pas pour un pauvre billet de banque. Chacun donne à son bon gré. Chacun se contente de ce qu’il a, de ce que Dieu lui a donné. Musulmans austères donc. Musulmans très tolérants, mais aussi très conservateurs. La célébration de chaque fête est déterminée par l’observation stricte du croissant lunaire. Pas de prédiction, pas de suivisme. Conakry, et même l’Arabie peuvent fêter

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la Tabaski aujourd’hui, Kansaghi le lendemain. Comme ce fut le cas cette fois en 2013. C’est cela la tradition dans la région du Fouta, ancienne théocratie au cœur des montagnes et des sources de la Guinée.

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Top 10 des clichés les plus loufoques sur les célibataires guinéennes Publié le 1er mars 2014 Quand on pose la question de savoir « quel genre de fille voudrais-tu marier ? » à un célibataire guinéen en quête d’épouse, la réponse se fait aussi vite que la diarrhée d’un cholérique : « Une fille bien éduquée, issue d’une bonne famille ». Une phrase qui pue l’hypocrisie à mille lieues. À la vérité, le cousinage, le régionalisme et l’endogamie sont les trois critères qui gouvernent actuellement le mariage en Guinée, pays au tissu social fortement laminé. À cela s’ajoutent la misère et la précarité qui ont conduit à la construction dans la conscience collective – conservatrice et machiste à souhait – de tout un schéma de clichés et de stéréotypes les plus loufoques sur les filles à marier. Mesdemoiselles, chères célibataires de mon pays, voici ce que les mecs en quête de femme pensent de vous sans jamais oser le dire. Bienvenue au pays des « on-dit » #10 – Les jeunes filles Elles ont entre 14 et 18 piges et respirent la santé. Elles sont prisées pour le parfum qu’exhale la fleur de leur jeune âge. Les hommes raffolent de la fraîcheur d’une jeune fille et tous les délices qui en émanent. Mais il y a le revers de la 29

médaille. On dit qu’elles vivent à 100 à l’heure et prennent leur mari pour leur petit ami. Verbe haut, comportement irrévérencieux. Elles mettront du temps à se défaire de leur carapace de gamine doublée de « fille à papa ». L’époux devient à la fois père, mère et prof. Il doit tout enseigner, avec une approche pédagogique basée sur la persuasion. L’avantage est qu’une fois domptée Monsieur est sûr d’avoir réussi à « fabriquer » sa femme à son image. #9 – Les miss À la vérité, tous les quêteurs veulent se marier à une belle femme. L’idée selon laquelle les hommes s’intéressent d’abord à la beauté intérieure est une grosse fumisterie savamment entretenue par eux. Le mâle guinéen est particulièrement porté sur la plastique des demoiselles. Le constat est simple : une belle fille, même chiante, a deux fois plus de chance de trouver un mari qu’une vilaine « bien éduquée et issue d’une bonne famille ». Et Dieu sait que les belles filles peuvent être une catastrophe ! Elles portent leur beauté comme un bouclier et s’imaginent que chaque regard masculin posé sur elle signifie : « Je veux de toi ». Une fois mariée, on dit qu’elles vont passer leur temps à se laver, se limer, se coiffer, se parfumer et se mirer. Un seul ongle cassé, Monsieur doit trouver une bonne pour faire la lessive, s’occuper de la cuisine et changer les couches de bébé. #8 – Les analphabètes Véritables usines à gosses, elles sont taillables et corvéables à volonté pour peu qu’elles tombent entre les mains d’un macho aveuglé par sa richesse. Elles sont souvent victimes de mariage forcé à cause de leur ignorance (surtout les villageoises). Réputés « béni-oui-oui », on pense que les analphabètes seront « femme au foyer ». Leur force réside dans la préparation de toutes sortes de mets, hyper salés ou hyper sucrés, qui ne tarderont pas à flanquer 30

un diabète carabiné à leur mari. On pense qu’elles sont dépensières, l’essentiel de leur préoccupation étant comment paraître belles dans les cérémonies de mariages, de baptêmes et de Sèrès. On les accuse aussi de transformer la maison de leur mari en cour du roi Pétaud où tous les parents du village débarquent sans crier gare. #7 – Les élèves et étudiantes On pense qu’elles sont éveillées et feraient bonne compagnie pour les sorties et le soutien moral. Mais en matière de dépenses, elles sont considérées comme le tonneau des danaïdes. Frais de transport et de scolarité, fournitures scolaires, argent de poche pour la lycéenne. Frais de transport et de scolarité, fournitures scolaires, argent de poche, plus tout un arsenal de chaussures, de fringues, de parfums, de perruques et de maquillage pour l’étudiante qui ne porte pas d’uniforme pour aller à l’école. On dit qu’avant de s’engager avec elles, il faut être sûr de soi. #6 – Les diplômées sans emploi C’est une espèce très recherchée. Elles ont l’avantage d’avoir terminé les études sans être trop jeunes ou trop âgées. Moins de dépenses donc. Elles sont en quête de deux choses : un mari et un job (pas forcément dans cet ordre). On dit que leur mariage ne passe pas inaperçu. Il doit être pompeux : cortège, réception, vin d’honneur et bectance à profusion. La légende veut qu’elles ne rentrent pas là où n’existe pas de télé (écran plat de préférence). En attendant de trouver un job, elles sont abonnées chez le pirate vidéo du carré pour se rincer l’œil dans les soap-opéras sudaméricains. #5 – Les travailleuses Celles-ci ont déjà un mari : leur travail. Ce sont les gardiennes du dicton (par elles inventées ?) selon lequel « le premier mari d’une femme, c’est son métier ». Celui qui les 31

épousera servira juste de faire-valoir. Pourquoi pas de body-guard ou de valet de chambre selon les circonstances. À la maison, on pense que ce sont elles qui portent la culotte. Dans une dispute, elles ont toujours le dernier mot, ragaillardies qu’elles sont par leur job. Celui à qui ça ne plaît pas, peut plier bagage. Les hommes qui les convoitent caressent l’idée de goûter au confort d’être assisté quand « c’est dur ». Dans les faits, ils sont réduits à vivre le pire dans l’expression « mariés pour le meilleur et pour le pire ». Si tu tombes sur une travailleuse amoureuse et généreuse, c’est ta chance. Tu entres au paradis. Sinon t’es bon pour le purgatoire. #4 – Les expatriées Elles suscitent la peur. On a de plus en plus tendance à se méfier de ces oiseaux d’ailleurs. Elles sont réputées « trop éveillées », « trop civilisées », surtout si elles vivent en Occident. Les expat’s traînent une image de femme mondaine qui n’enchante pas les hommes en quête d’épouse. Elles sont jugées un peu féministes sur les bords et ne cèdent pas un seul pouce s’agissant de leurs droits. C’est du genre à avoir l’essentiel de la collection Dalloz en tête. Si l’expatriée est une étudiante, ses chances de trouver un mari au pays, en dehors du cadre familial, se réduisent comme peau de chagrin. Elles ont beau farcir leur Mur Facebook de photos plus éclatantes les unes que les autres, la mayonnaise peine à prendre. Au pays on pense : « Si tu épouses celles-là, tu peux dire à dieu à ton autorité de mari ». #3 – Les divorcées C’est un produit de seconde main. Leur valeur s’est fortement effritée avec le premier mariage, surtout si elles ont déjà fait un enfant. Les hommes les prennent en « pneusecours » presque toujours comme 2e ou 3e femme. L’avantage avec elles, c’est l’expérience du foyer vécue 32

ailleurs. Ensuite, elles savent déjà qu’elles jouent leur dernière carte. Elles se sont assagies, échaudées par le premier divorce. Il se dit que quand elles arrivent, c’est généralement pour rester : pour le meilleur et pour leur vampire de mari. #2 – Les grandes sœurs Elles ont la trentaine bien révolue et la peau rugueuse. Pour retrouver leur fraîcheur de jeune fille, il faut feuilleter leurs nombreux albums photo jaunis par le temps. Elles sont soupçonnées d’avoir « fait la vie ». Les grandes sœurs sont à cheval entre les « divorcées » et les « travailleuses ». Elles n’ont pas de mari, mais se sont débrouillées à trouver un job. Abonnées aux marabouts, elles connaissent tous les secrets des philtres d’amour. Il paraît qu’une fois au foyer, elles savent entretenir leur époux qui devient un petit roi avec plein de gâteries. Le moindre de ses désirs se transforme en ordre pour madame. Malgré ce confort, ils sont peu nombreux à sauter le pas pour convoler en noces avec une vieille fille. #1 – Les cousines Elles sont, en théorie, à porter de main. « Les cousines sont faites pour les cousins », dit-on. Voilà un mensonge grossier. Sous nos cieux, un mariage entre cousins se termine souvent en eau de boudin. Ce mariage est censé perpétuer la sève, ressouder et raffermir les liens familiaux. Dans la plupart des cas, c’est le contraire qui se produit. Les disputes arrivent très vite. Chacun se croyant plus digne que l’autre, cousin et cousine finissent par détricoter les liens sacrés de leur mariage bâti sur du sable mouvant. Chaque famille se range derrière son enfant et la déchirure, inéluctable, s’approfondit. L’amour prend ses jambes à son coup, la parenté se fissure. C’est le divorce.

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Top 10 de types de maris guinéens préfabriqués Publié le 8 mars 2014 Il n’y a pas que les hommes qui ont des préjugés sur le sexe opposé. Les filles en ont aussi avec une certaine discrétion. Elles n’en parlent pas souvent, par pudeur, mais y pensent tout le temps. À la question de savoir quel type de mari tu voudrais épouser ? La réponse est convenue : « Un homme fidèle, responsable et qui m’aime », c’est-à-dire un héros de la collection Harlequin. Chimérique. Mais comme c’est le terrain qui commande, elles ont le choix entre : #10 – Les polygames « C’est Dieu qui nourrit » est la devise des polygames, véritables industries ambulantes de gosses (surtout les analphabètes) : 2, 3, 4 épouses (voire plus) et une ribambelle de marmots. Les polygames mènent une vie pimentée. Leur quotidien est fait de bruit et de querelles entre coépouses. Ils vivent au milieu d’un harem et passent leur temps à jouer au médiateur ou au sapeur-pompier. Ils contribuent à la réduction de la population de femmes célibataires, certes. Mais dans la plupart des cas, une femme qui épouse un polygame est une divorcée. Dieu commande aux polygames d’être équitables entre leurs épouses, mais beaucoup pensent que leur péril viendra de leur partialité en faveur de la « bâtè » (préférée). 35

#9 – Les tontons Ils ont d’jà franchi le cap de la cinquantaine, mais entendent toujours croquer la vie à pleines dents. On dit que les tontons adorent trois choses : la musique classique, l’actualité politique et les petites mineures auprès desquelles ils rêvent de se taper une cure de jouvence. Les tontons ont cela de tentant leur propension à dépenser pour leur « love ». Ils sont prêts à casser la tirelire pour entretenir la minette, élevée au rang de « bâtè », au détriment de leur 1ère, 2e ou 3e épouse. Ils traînent une image d’infidèles et disposent toujours d’un « second bureau », pense-t-on. #8 – Les débrouillards Ils sont employés chez tonton « Débrouillardise ». Ils sortent aux aurores et rentrent au crépuscule. Toujours avec la même incertitude. Toujours avec la même mine de macchabée déterré. Les débrouillards vivent au jour le jour. Les affaires sociales sont leur péché mignon. Dans l’espoir qu’on leur rende la monnaie quand ce sera leur tour. Ils détestent les femmes dépensières. Épouser un débrouillard, c’est comme jouer à la roulette russe : tu gagnes ou tu meurs. Toujours nerveux et aigris, ils ont la gâchette facile. Quand le ton monte, ils peuvent facilement distribuer des mandales à madame. Quand ils sont de bonne humeur, ils lui promettent des châteaux en… Espagne ! #7 – Les « démarreurs » Ce sont des machines à sous. On dit qu’ils « démarrent », ils sont donc pleins aux as : villa (s), voiture (s), compte (s) en banque (le fameux VVC) et tous les accessoires qui vont avec. Les démarreurs sont pour les filles célibataires ce qu’est la lumière pour les insectes : attractifs. Malheureusement, certaines arrivent pour se brûler les ailes. Les démarreurs se sentent forts de leur richesse. Ils sont convoités par everybody. C’est leur richesse qui parle pour eux quand ils sont en quête d’une 36

femme. Certes, y en a qui sont humbles et généreux, mais la plupart sont réputés casse-couilles, totalement aveuglés par leur argent. Les analphabètes d’entre ceux-là adorent collectionner les femmes, belles et nombreuses. En Guinée quand un « démarreur » meurt, ce sont deux ou quatre femmes qui partent en fumée veuvage ! #6 – Les diaspos Ce sont les Guinéens de la diaspora qui, grâce à Marc Zuckerberg, ont tous trouvé la terre promise : Facebook. Ils y vivent, s’organisent, organisent des concerts, des débats, des expositions, des exhibitions, des élections et même des marches de protestation. On dit qu’épouser un « diaspo », c’est partir habiter sur Facebook. C’est vivre l’amour par procuration. Trois ans, cinq ans, jusqu’à 10 ans de communication virtuelle sans rencontrer le bien-aimé. Y en qui se marient, causent, se querellent et divorcent sans jamais se voir ! Pourtant, les diaspos ont connu leur heure de gloire. Dans un passé très récent, ils avaient la côte auprès des belles demoiselles qu’ils raflaient à coup de billets d’euro ou de dollar. À l’époque, un « diaspo » était présumé « futur démarreur ». Mais ça, c’était avant. La crise est passée par là, Skype a remplacé le téléphone. Désormais, un « diaspo », s’il ne vit pas en Angola, est présumé « futur vigile » en Occident. #5 – Les étudiants Ils incarnent l’espoir, mais ils incarnent surtout la précarité. Derrière les chemises immaculées et repassées d’un étudiant guinéen se dissimulent la galère et le ressentiment. Ceux inscrits dans les écoles publiques comptent sur une misérable bourse abusivement qualifiée « d’entretien ». On pense qu’épouser un étudiant, c’est entrer par effraction à l’école de la vie où les cours sont dispensés par madame « la conjoncture ».

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#4 – Les cousins Ils sont les dignes représentants de l’endogamie. Un mariage entre cousins est un raccourci de mariage. C’est une liaison arrangée en famille. Une belle demoiselle aux yeux d’ambre se voit offrir à son boutonneux de cousin par son propre père. Quel gâchis ! Un mariage entre cousins qui réussit est un ferment de cohésion familiale. Malheureusement, c’est souvent le contraire qui se produit. On pense qu’épouser son cousin, c’est savoir avaler des couleuvres. Le problème est que le mari considère sa femme comme sa sœur et non pas comme son épouse légitime. Au moindre pépin, il se sent investi la mission de la « corriger ». La lune de miel ne tarde pas à devenir la lune de fiel. Le clash est retentissant. #3 – Les hommes en uniforme Ils constituent la dernière bouée de sauvetage à laquelle s’accroche une fille célibataire désespérée. Ils inspirent la méfiance. Policier, gendarme et militaire sont réputés autoritaires et violents. On pense, à tort ou à raison, qu’ils règlent les différends conjugaux non pas au tour de la table, mais à la force du ceinturon et des brodequins. Ils ont certes un revenu constant (leur solde) et une dotation en ration alimentaire à la fin du mois, mais comme leurs ennemis amis étudiants, ils connaissent aussi la précarité. Sur le champ de bataille de la loterie, les hommes en uniforme sont des guerriers invincibles. Quand ils implorent le Seigneur, c’est pour deux choses : toucher le jackpot ou bénéficier d’une élévation en grade. #2 – Les fonctionnaires On pense qu’ils sont plus pingres que Harpagon ; qu’on ne « mange pas leur argent ». Mais ont-ils seulement de l’argent à manger ? Payés au lance-pierre, les fonctionnaires (de l’État) mènent une vie de galérien : bancarisés, surendettés, frustrés. Le fonctionnaire guinéen 38

est un être écartelé et tendu en permanence. Il est irritable et lunatique. Pour les filles, entrer chez un fonctionnaire c’est entrer dans les « Sérès ». C’est s’abonner à la tontine et aux « Mamayas », faire la queue à « Yété Mali », ne pas rater le 20 h 30 de la RTG si le courant est de tour, laver et repasser (au charbon) « Abacost » et « Borsalino », apprendre à lire et à interpréter les résultats de « Guinée Games ». #1 – Les jeunes cadres : Ils sont reconnaissables à leur toilette impeccable : costard-cravate (même par 40 °C), souliers resplendissants, faux Rolex au poignet, iPhone ou SG4 constamment vissé à l’oreille. Ils sentent bon et parlent affaires. À midi, les jeunes cadres ne mangent pas : ils « déjeunent ». Dans les restos et non pas aux « tourne-dos » (gargotes). Ils sont la coqueluche des demoiselles en quête de mari, séduites par ce style de vie raffiné sorti tout droit des écrans télé. Il se dit que cette espèce de maris gère la popote familiale sur un tableur Excel. Chaque dépense est calculée au centime près. Leur boulot passe avant les affaires sociales qu’ils perçoivent comme des sources de dépenses imprévues. Ils louent des appartements sur mesure pour éviter tout envahissement familial. Travail – prospérité – liberté est leur devise, le scrabble leur « hobby ».

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Cinq choses que les célibataires (hommes) devraient savoir sur le mariage en milieu peul Publié le 26 avril 2015 Une idée, sans doute reçue, veut qu’en Guinée la proportion de filles célibataires soit nettement supérieure à celle des hommes du même état civil. Aucune étude n’existe pour étayer cette affirmation, ceux qui la colportent se fondant en général sur les données de quelques foyers où le nombre de filles domine celui des garçons. Toujours estil que des contingents entiers de célibataires hommes sont convaincus qu’il existe tellement de princesses au cœur à prendre qu’ils auront l’embarras du choix le jour où ils se décideront de convoler en noces et qu’avec un peu de chance ce sont ces princesses qui viendront demander carrément leur main ! Seulement, il y a cet impitoyable proverbe peul qui enseigne que « Mö yawi kouthioun ö souwâki » que l’on pourrait traduire littéralement par « celui qui minimise un morceau de viande n’est pas circoncis ». Autrement dit, sous-estimer un défi que l’on n’a pas affronté relève de l’imprudence ou de l’ignorance. Et, en dépit des apparences, le défi du mariage en milieu peul (de Guinée) n’est pas une mince affaire… Preuve par cinq. 1. Le choix de l’épouse : En fait de choix, c’est à une véritable quête que le mâle sera soumis. Vous ne le saurez que quand vous y serez confronté. On a beau supputer que 41

les filles célibataires sont à ramasser à la pelle, parvenir à dégoter l’une d’elles peut se révéler un réel parcours du combattant. Trois raisons à cela : la religion (l’islam) qui interdit d’avoir une relation avec sa future épouse avant le mariage, la famille qui détient le vrai pouvoir décisionnel et l’endogamie quasiment érigée en règle. À la fac, ton cœur d’étudiant célibataire s’emballe pour une belle fille que tu as vu faire mijoter des dizaines de marmites de mangues. Tu en parles au « vieux », qui en parle à son frère et voilà ton oncle qui te soupçonne de velléité d’épouser ton excopine et t’imposes l’une de ses boutonneuses filles. Si tu n’as pas de charisme, c’est-à-dire pauvre comme un étudiant de province, l’affaire est pliée. Si au contraire, tu as voix au chapitre, on passe par les liens familiaux pour te flanquer une pression qui t’oblige à accepter « Binta », ta cousine, comme femme. Les parents font les démarches nécessaires et on passe à l’étape suivante. 2. Le mariage religieux : C’est l’affaire des sages. Le mariage religieux est généralement scellé à la mosquée entre les deux familles devant les notables. Il précède obligatoirement celui civil. La présence des mariés n’est pas requise, celle de la fille étant même proscrite dans certains cas. La procédure, d’une durée variable, est un mélange de questions-réponses ponctuées d’une litanie de bénédictions extraites du Coran. Des enveloppes font la navette. Le minimum de la dot tourne autour de 500.000 GNF, sans maximum. Elle peut grimper suivant la richesse de l’homme ou la beauté de la femme ! Presque toutes les femmes peules étant belles, 500.000 GNF c’est prix de l’eau. La dot est accompagnée d’un lot de noix de cola au nombre impair (généralement 101), artistiquement emballé dans de larges feuilles sauvages nouées à l’aide des ficelles artisanales, le tout formant une longue tige verticale qui évoque un phallus en érection gorgé de Viagra. Tout un symbole. 42

3. La cérémonie traditionnelle : Le rite traditionnel du mariage chez les Peuls a fortement subi l’influence de la modernité et s’est enrichi d’autres cultures. Il n’est pas homogène et peut différer d’un clan à un autre, voire d’une famille à une autre. On retrouve cependant quelques traits communs dans la couleur : « Diomba » (la mariée) est d’abord drapée dans une toile blanche non cousue qu’elle remplace ensuite par un joli complet de couleur rouge. Pour accentuer la beauté de ce complet, la modernité veut qu’il soit recouvert d’un tapis de billets de banque neufs, tout comme le parapluie, également rouge, que tient la mariée. Comptez entre 200.000 et 500.000 GNF pour cette opération esthétique. À ce niveau, je me permets de commettre un délit d’initié : mettez le montant le plus élevé et faites en sorte que le complet soit cousu le maximum de gros billets. Achetez une lame et attendez le lendemain de la cérémonie, où vous serez plus fauché qu’un rat d’église, pour vous attaquer sans scrupule au complet de Madame. Ça s’appelle du « donnant donnant ». 4. La cérémonie civile : Elle représente tout ce qu’il y a de brillant, de bruyant et d’abondant. Un mariage civil en milieu peul, c’est d’abord de la bectance à foison. On ne lésine pas sur les moyens pour nourrir les invités dont on ne connaît jamais le nombre exact. Ce sont des mètres cubes de fonio et de Latsri-et-Kossan, les deux plats traditionnels, qui sont engloutis en quelques heures. Du début à la fin, il faut que les gens mangent, boivent et s’amusent. Pour la brillance, la mariée est au centre du soleil. Avant de se présenter devant l’officier de l’état-civil pour la signature de l’acte du mariage, votre princesse passe de longues heures dans un salon de coiffure où elle doit subir une opération chimique esthétique qui la transformera de fond en comble. Le saupoudrage peut la rendre méconnaissable (parfois de beauté, parfois de quelque chose d’indéfinissable). Puis, la miss factice est escortée dans un 43

vacarme assourdissant de motos et de voitures. Destination, la « Réception ». Avant, au village, les femmes se réunissaient autour de « Diomba » et chantaient de belles mélodies traditionnelles. Ça, c’était avant. Maintenant, ce sont des artistes, facturant leur prestation à prix d’or, qui prennent possession de l’arène. Ils enchaînent les dédicaces et dépouillent tout le monde jusqu’à épuisement. Le budget : Combien coûte un mariage chez nous ? Nul ne le sait avec précision. Tu fais l’intello, tu consultes et crées un tableur Excel sophistiqué pour inscrire toutes les lignes des dépenses. Le jour du mariage, on te sort des charges insoupçonnables qui rendent totalement caduques tes prévisions. Entre les entrées, faites des contributions des proches, parents et amis, et les sorties incontrôlées qui coulent de tes poches, difficile d’appliquer une quelconque opération comptable. De toute façon pour espérer s’en sortir, débrouillez-vous pour que le montant de la ligne des imprévus soit égal ou supérieur au total du budget. Si après tout ça tu râles, on a une formule couperet pour te recadrer : « Fâaladho djwö bhé haylaymbha ». Son équivalent en français serait « l’homme en quête d’épouse doit mouiller le maillot ». En Poular, le sens de l’expression est un peu plus ambigu et pourrait signifier : « L’homme en quête d’épouse doit secouer (sous-entendit le pantalon, ou bien les bijoux que cache celui-ci) ». Vous voilà avertis, chers célibataires.

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La drague au village, version Mademoiselle F. Publié le 22 septembre 2012 En novembre 2011, Fanny Roux, journaliste à Youphil, avait vu juste en titrant mon portrait : « Alimou Sow, de la brousse à la toile ». C’est vrai, je suis un enfant du village. Un vrai. 1989. Année de batifolage. Je devais avoir 9 ans et je ne connaissais encore que dalle de l’école des Blancs. Puisque c’est un an plus tard, en 1990, que je fus inscrit pour la première fois en classe de première année CP1, version Le Grand Meaulnes quoi ! À l’époque, dans cette partie de la Guinée où je vivais – une constellation de petits villages perchés sur un plateau fouetté par le vent – les gosses de mon âge passaient la maternelle à surveiller des troupeaux de chèvres rachitiques et casse-couilles qui nous faisaient chier à plein temps, ne voulant pas brouter autre chose que les feuilles des champs d’arachide mal protégés et dont le propriétaire était capable de piquer une crise d’apoplexie pour une simple feuille mangée ! C’était également l’époque où j’aimais le foot. L’authentique football, je veux dire. Celui qui vous procure une sensation d’accomplissement de soi et de montée d’adrénaline au-delà de la joie du simple fait de marquer un but. J’explique. Avant chaque match, fallait fabriquer le ballon rond (je dois avouer qu’il était plus souvent de forme ovale dans 45

notre cas). Pour cela, on prenait d’assaut la… brousse armés de couteaux et de coupe-coupe. À la recherche d’une espèce de liane à la sève collante. Du latex. Le pouce en érection de l’un d’entre nous était enduit de cette sève qu’on décollait délicatement une fois endurcie au contact de l’air. Nous soufflions dans cette sorte de capote pour obtenir un ballon. Ce dernier, fragile, devait être enroulé dans des dizaines de couches de latex badigeonné sur nos ventres crasseux. Nous obtenions ainsi une balle originale dont la durée de vie est estimée à environ une semaine avant qu’elle ne devienne ramollie et ovale comme un ballon de volleyball. S’en fout. On tapait dedans avec gaîté, en ayant le sentiment d’être de vrais Pelés. 1995. J’ai mûri. Classe de cinquième. Toujours premier de la classe. Celui qui savait conjuguer tous les verbes du premier groupe, mais était nul en division ; mon pire cauchemar étant celui des nombres décimaux. Et ma pure joie, la chasse à l’écureuil. Mais, en 1995 je ne chassais pas que l’écureuil hein. Et encore ! À Brouwal, chef-lieu de la sous-préfecture éponyme située à 7 km de mon village, vivait Mademoiselle F. Il se racontait de village en village, par monts et vallées que Mademoiselle F. était belle. Belle, gracieuse, propre et éveillée. Elle était devenue la coqueluche des marchés et des soirées bal-poussière, sans qu’aucun garçon de mon âge n’osât lui adresser la moindre parole ! J’entrepris de relever ce défi. À Brouwal, se tenait chaque samedi un marché hebdomadaire. Foire de produits maraîchers, des céréales, des animaux de la basse-cour qu’on vendait ou troquait, mais aussi foire d’intrigues coquines derrière les buissons, à l’orée du carré du petit marché.

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Je décidai de ferrer la go un samedi donc. Je dois avouer que, timide, je ne pris cette décision qu’après avoir été dopé par les descriptions fantasmées qu’un pote de Brouwal, voisin de Mademoiselle F., faisait de celle-ci. À l’entendre, je savais qu’il avait lamentablement échoué à conquérir le cœur de la miss. Mais c’était un mec sympa, qui avait le sens du partage. Samedi arriva. Je me mis sur mon 31. Oh, pas grandchose : un complet kaki grand évènement qu’un frère « diaspo », qui ignorait complètement ma taille réelle, m’avait offert. C’était un peu serré pour moi, le pantalon à la façon activiste Ansar-dine. Mais ça allait faire l’affaire avec quelques ajustements. Je complétai mon look par des plastiques aux pieds et un minuscule fichu triangulaire noué sur la tête, genre rebelle du RUF. Direction Brouwal. Arrivé au marché, mon pote éclaireur me débriefa rapidement. Mademoiselle F. était dans les parages. À l’époque, la drague au village se faisait toujours par l’intermédiaire d’un courtier. Bizarrement. On appela la princesse, également débriefée par mon ami de l’objet de la rencontre. Mademoiselle F., la quinzaine, jeune fille pimpante, verbe haut, regard de félin, était fraichement revenue de Conakry la capitale. Elle sentait le parfum de la ville, contrairement aux villageoises qui carburaient au beurre de karité à défaut duquel elles se servaient allégrement du jus d’orange pour faire briller leurs mollets et avant-bras. Ben oui, c’était ça, et elles étaient épargnées de l’hydroquinone et autres cochonneries de ce type. Cosmétique 100 % bio vous dis-je. Comme on le racontait, Mademoiselle F. était jolie. Elle était littéralement craquante. Cheveux défrisés, une mèche négligemment rabattue sur le coin, regard perçant, sourire taillé dans une affiche publicitaire « photoshopée » d’une marque de dentifrice. Je déglutis. 47

« Bonsoir ma sœur, je m’appelle… », entamai-je. Elle me coupa tout net, mis une main sur ma bouche et déposa un léger bisou sur ma joue gauche. Un geste qui, en ce temps, ne se voyait que dans les films. Je tressaillis. Mon pote-courtier resta interloqué. Elle me donna rendez-vous, sans que je ne le lui demande, pour samedi prochain. On se sépara sur ce succès inespéré et je rentrai chez moi, porté par une terrible joie dans le cœur. La nouvelle se rependit partout que j’avais conquis Mademoiselle F. et défié « Le Grand ». Mais de quel « Le Grand » s’agit-il ? Je n’allais pas tarder à le découvrir. Impatient, j’égrenais les jours de la semaine que je trouvais longue comme une année. Samedi finit par arriver. Mon complet-kaki-grand-évènement-porte-bonheur enfilé, j’avalai les 7 km qui me séparaient de Brouwal comme un Usain Bolt au sommet de son art. En sifflotant. À mon arrivée, le marché se vidait des vieilles femmes qui s’en allaient, un petit colis en équilibre sur la tête. Laissant la place aux jeunes tourtereaux. Je ne tardai pas à retrouver mon courtier de pote. « Elle est là ? », lui balançai-je en guise de salutation. « Oui, elle est là, mais Le Grand aussi ». Mais c’est qui Le Grand, explique-moi bordel. Il pointa son index à l’extérieur du marché vers un individu ivre, vautré au pied d’un arbre. Celui-ci tenait péniblement une grande bouteille d’alcool à moitié remplie. À côté de lui, Mademoiselle F., debout qui suppliait l’homme ivre de se relever. Mon sang ne fit qu’un tour. « Fonce », me suggéra mon pote. J’hésitais entre foncer et lui défoncer la gueule ! Lui qui m’avait jusqu’ici caché que celle que, moi Robin des Bois, je prenais déjà pour ma princesse avait un soûlard de copain que tout le monde appelait « Le Grand », puisque réputé impitoyable. C’est ce dernier qui rompit le silence le premier : « Petit, décréta-t-il à mon intention, si tu ne veux pas que j’écrase cette bouteille sur ta tête laisse celle-là 48

hein ». Mademoiselle F. ne pipa mot. Au bout d’un moment, elle vint me chuchoter à l’oreille d’aller l’attendre chez mon pote, qu’elle viendrait m’y rejoindre. Ce que je fis, la mort dans l’âme. J’attendis une heure, deux heures. J’attendis toute la nuit que je passai chez mon ami guettant le moindre bruit de pas. J’attendis une semaine, un mois, un an. J’attends jusqu’à maintenant, car depuis ce jour, je n’ai jamais revu Mademoiselle F. qui, je le sus bien plus tard, fut copieusement rossée par la suite par « Le Grand ». Elle repartit pour Conakry pour ne plus revenir à Brouwal.

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Le fatal baiser de « Madame Sassé » ! Publié le 13 janvier 2013 Il y a des baisers dont on devrait se passer. Fussent-ils offerts nuitamment et librement par une princesse à la beauté angélique. Cela peut faire sourire un fieffé coureur de jupons au sommet de son prestige. Et pourtant… Réjouissons-nous d’abord de leur fourberie. Le 21 décembre 2012 est passé, nous sommes toujours vivants. Les Mayas et leur maléfique calendrier se sont lamentablement plantés en prédisant la fin du monde. La Terre continue de tourner, les hommes et leurs conneries avec. Nous sommes à Labé, principale ville de la région du Fouta Djallon, à quelque 400 km de Conakry la capitale guinéenne. Près de 300.000 âmes peuplant 28 quartiers perchés à 1500 mètres d’altitude sur des collines abruptes entre lesquelles se faufilaient, jadis, quatre marigots d’eau douce (Doghora, Dombi, Pounthioun et Sassé). Température moyenne : 25 degrés Celsius. C’est dans ce paysage de carte postale qu’en 1755, un certain Alpha Mamadou Cellou (dit Karamökö Alpha) déposa sa canne et sa besace pour jeter les bases d’une petite mosquée, fondement de ce qui allait devenir le royaume du Fouta théocratique. Une véritable oasis de démocratie en terre africaine où l’alternance au pouvoir entre deux grandes Familles, Sorya et Alphaya, se faisait en 51

douceur tous les deux ans. L’islam pouvait se propager jusqu’à la côte pendant que les bœufs paissent aux flancs des collines et dans les bowés verdoyants. Le Peul et la vache ? C’est un peu l’histoire de l’œuf et de la poule. Labé reste une ville-pâturage ! Elle garde aussi intacts les secrets mystiques d’une cité naguère habitée par des païens (Peuls et Djallonkés) reconvertis à l’islam. Rites, interdits, mythes, légendes et croyances font partie de la vie sociale et animent celle-ci. À ce sujet, les Mayas n’ont rien inventé. Et comment ! Sassé est donc l’une des quatre rivières qui irriguaient la ville de Labé jusque dans un passé récent. Telle une mère nourricière, elle roulait ses eaux à travers la cité de Karamökö Alpha abreuvant ses habitants et leurs bêtes d’une eau douce, rafraîchissante et vivifiante. Ses berges étaient jalonnées de magnifiques jardins maraîchers parfaitement incrustés dans le milieu naturel. Lointain souvenir. Aujourd’hui, ce cours d’eau est presque inexistant, totalement enseveli par l’urbanisation sauvage doublée d’une pollution à grande échelle. À certains endroits, le lit de la rivière est devenu un marché ; une place qui marque la limite entre le quartier administratif de Kouroula et celui de Mosquée. Sassé n’est plus qu’un grand bazar noyé dans le vacarme de pots d’échappement, des cris de vendeuses de condiments, négociants de fripes, réparateurs de motos et autres charretiers impénitents. Au grand dam de « Madame Sassé » ! Qui est « Madame Sassé » ? Une femme au visage modelé avec une infinie harmonie au milieu duquel sont délicatement posés deux yeux d’ambre dont le bleu azur vous donne l’impression de vous noyer. Les contours de sa bouche, rehaussée par un nez aquilin, sont dessinés par des lèvres couleur mauves à la 52

pulpe tendre et charnue. Du haut de son mètre soixantedouze trône une tête à la chevelure abondante retombant sur deux obus plantés sur sa poitrine recouverte d’une peau veloutée. Voilà le portrait-robot que dressent ceux qui prétendent avoir vu « Madame Sassé », la gardienne de la rivière éponyme. Quel homme ne voudrait pas embrasser une telle créature ? Malheur à celui qui oserait ! Les dépositaires du récit fabuleux jurent que Madame Sassé était une diablesse aguichante qui, sous les traits d’un être humain, s’habillait légèrement la nuit pour tendre un piège aux coureurs de jupons. Elle se laissait facilement embarquer par les dragueurs enivrés par son élégance et son charme. Quelle désagréable surprise de se retrouver ensuite dans sa voiture ou dans sa chambre avec une tête de femme sur le corps d’un animal hérissé de poils ! Des fois, elle disparaissait comme par enchantement alors que vous la teniez entre vos bras, prêt à déposer un tendre baiser sur ses lèvres mauves. Ceux qui y parvenaient, toujours selon les narrateurs, perdaient immédiatement la tête, s’arrachant les cheveux et poussant des cris démoniaques. Le Capitaine Moussa Dadis Camara a-t-il embrassé « Madame Sassé » ? Question démoniaque pourriez-vous penser. Pourtant… Le 26 septembre 2009, l’ex-chef de la junte militaire qui a pris le pouvoir à la mort du président Lansana Conté, en décembre 2008, débarque à Labé en véritable chef de guerre. Pour « défier » ses détracteurs avait-il martelé au stade Saïfoulaye Diallo de la ville. Son impressionnant cortège composé des centaines de véhicules militaires transportant tout type d’armes traverse la ville noyée dans un immense nuage de poussière. Il passe par Sassé. Une erreur monumentale. Un chef ne passe jamais par Sassé dans un cortège, dit-on. La punition est immédiate. Au moment de faire le plein pour le retour, Dadis luimême arrache le pistolet à essence d’un pompiste pour 53

remplir le réservoir d’un véhicule diesel ! Premier malheur. Deux jours plus tard, le 28 septembre 2009, ce sont 150 personnes qui se faisaient violer et tuer au stade de Conakry par les hommes du capitaine Camara ! « Madame Sassé » n’avait visiblement pas apprécié la visite. On connaît la suite. Mythe ou réalité ? Allez-y comprendre quelque chose.

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Mes folles années d’étudiant : quand « Jet Lee » s’invite à la fac ! Publié le 26 mai 2014 La Guinée, terre de superstitions, a elle aussi ses « monstres du Loch Ness ». Tout phénomène extraordinaire, inattendu et surprenant trouve une explication proportionnellement irrationnelle. Ainsi, la conjonction de fléaux qui ravagent actuellement le pays (méningite, rougeole, charbon, choléra, sida, malaria et Ebola) n’a pas d’autre explication, aux yeux des superstitieux, qu’une punition divine infligée au peuple guinéen à cause de ses turpitudes. Ce sont les sept plaies… de la Guinée ! Patati et patata. L’analphabétisme aidant, les gens sont plus enclins à croire aux phénomènes paranormaux qu’à la plus élémentaire des démonstrations scientifiques. Mais il n’y a pas que les analphabètes qui soient superstitieux. Et comment ! Année 2004. Le Bac 2 et le défunt concours d’accès aux institutions d’enseignement supérieur en poche, je suis orienté – l’expression est consacrée – au Centre universitaire de Labé (CUL). Le site est situé à Hafia, une bourgade à 400 km au centre-ouest du pays et à 20 km de la ville de Labé, sur la nationale Pita-Labé. Vous l’aurez remarqué, l’abréviation du nom du Centre, CUL, en disait long sur son côté obscur… No man’s land 55

L’infrastructure ne paie de mine. Les cours sont dispensés dans deux bâtiments rustiques aux allures d’école primaire rurale construite près d’une colline au pied de laquelle s’étend une vaste plaine infestée de scorpions et de serpents à sonnette. S’écarter de la petite piste latéritique qui serpentait à travers la broussaille pour aller à l’école, équivalait à prendre de gros risques de morsure. Pas de dortoir ni de réfectoire. Les quelque 400 étudiants que nous étions étaient logés à leurs propres frais chez les habitants du coin (très hospitaliers) dans des bâtiments en chantier où l’on s’entassait à plusieurs pour éviter de partager une case ronde avec une colonie de guêpes ou une intégrale (surnom que l’on donnait aux serpents). Pour la bouffe, on mangeait ce que la nature nous offrait : pommes de terre (très bon marché), laitue, avocat, papaye, banane, orange, târo, mangue (en veux-tu, en voilà), etc. Pour la viande, ceux qui n’avaient pas la possibilité de s’offrir un kilo de filet de bœuf pouvaient partir à la chasse et rentrer avec une belle perdrix ou un joli agouti (Ebola n’était pas là). Les Tarzan avaient toujours la possibilité d’attraper un gibier encore plus gros. La brousse était pour nous un inestimable réservoir alimentaire. Mais aussi un formidable dépotoir d’ordures. Les toilettes, même turques, étant aussi rares que l’eau et l’électricité, chaque buisson était un W-C idéal ! Les abords des villages devaient être particulièrement riches en engrais naturel !!! Le courant électrique était donc pour nous un luxe inaccessible. Pour voir une ampoule allumée, fallait attendre le soir quand on mettait en route pour quelques heures le groupe électrogène de l’école. Quant à l’eau, l’unique forage du village, perpétuellement pris d’assaut, était souvent le théâtre de bagarres entre étudiants eux-

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mêmes, puis entre étudiants et villageois. Pire qu’un puits en Somalie. Jet Lee Bref, c’est dans ce Koh-Lanta local, avec ces conditions de vie spartiates, qu’un mystérieux phénomène apparut et bouleversa l’ordre établi. Ça a commencé par des murmures entre copains. Puis, peu à peu, certains étudiants ont élevé la voix. Les témoins disaient avoir reçu sa visite. La nuit. Pour les uns, c’était un homme tout de blanc vêtu qui surgissait au beau milieu de la chambre et restait là immobile. Pour d’autres, c’était une femme, une vieille femme édentée qui se penchait sur eux comme pour les embrasser. Pour d’autres encore, c’était un oiseau rapace aux griffes acérées et aux roucoulements glaçants. La nouvelle fit le tour du village. Un diable pour certains, un sorcier pour d’autres, voulait du mal aux étudiants. Panique générale. On ne dormait plus, de peur de recevoir sa visite nocturne. Rapidement, deux écoles naquirent pour interpréter le phénomène paranormal. Selon les adeptes de l’école du diable, on avait violé le domicile d’un esprit maléfique sur le chantier de construction des logements pour étudiants. Les partisans de la version du sorcier, eux, étaient formels : un sorcier de Hafia (Hafia = Paix en langue locale Pular) voulait punir les étudiants qui avaient dérangé la tranquillité de la localité et qui couraient les filles du village dont plusieurs étaient tombées enceintes. Un étudiant (sans doute un cinéphile) lui trouva un sobriquet assez original : « Jet Lee ». À défaut de pouvoir l’identifier, l’esprit avait au moins un nom. Bible et Coran furent mis à contribution pour exorciser le mauvais sort, chasser Jet Lee. Sans succès. Au contraire, les témoignages

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de vision se multiplièrent, plus effrayants les uns que les autres. Mais uniquement parmi les étudiants. Un matin, très tôt, le village fut réveillé par un retentissant concert de casseroles. Une partie des étudiants n’ayant pas fermé l’œil de la nuit avait décidé de donner l’alerte et d’affronter Jet Lee frontalement. Mobilisation à l’école. Le mot d’ordre est simple : on veut quitter Hafia. Deux étudiants, pâles comme des anémiés, se présentèrent comme les toutes dernières victimes de Jet. L’un d’eux affirmait avoir été griffé la nuit passée. Il portait de légères égratignures dont il était difficile de juger l’origine en toute objectivité. Mais il n’était pas permis de douter. Conclusion : nos vies sont sérieusement menacées. Branle-bas de combat. Tension à couper au couteau. Les responsables du Centre sont mis sous forte pression. Les étudiants veulent être transférés à Labé-ville pour y continuer les cours tranquillement. C’était une vieille réclamation d’ailleurs. Pour montrer notre détermination, une marche pacifique est organisée. Armés de rameaux, entonnant des chants guerriers, nous couvrons à pied les 20 km qui séparent Hafia de Labé. Entrée triomphale en ville. L’action mobilise toutes les autorités qui nous reçoivent et nous écoutent. Une seule réclamation : nous voulons rentrer en ville. Finalement, le transfert est acté. Le lendemain, nous votons à l’unanimité le départ de Hafia après 12 mois passés dans la localité. Personnellement, je n’ai jamais su l’existence de Jet Lee. Au fond, je ne l’ai jamais cru à cause de mon esprit cartésien qui s’accommode mal de certaines convenances. Je me suis solidarisé à cause des conditions de vie difficiles qui nous faisaient passer pour des Robinson. Ce dont je suis certain c’est qu’en ville, nous aurons trouvé un « Jet Lee » plus redoutable se manifestant à 58

travers la vie chère, la faim, la poussière et la précarité. Un Jet Lee avec qui nous vivrons quatre ans durant. Quant au monstre de Hafia, personne n’en entendit plus parler. Alors bizarre ou pas ?

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Au cœur de la forêt guinéenne, les trésors du Ziama Publié le 18 juin 2015 Dans ma tête, le massif du Ziama a toujours été cette tache baveuse que nous montrait notre Instituteur, Monsieur Diallo, sur une carte de la Guinée quelque part dans le sud du pays près d’une encoignure qui évoque le bec du perroquet. Vingt et un ans plus tard, j’ai la chance de toucher le Ziama du doigt, d’écouter ses multiples gazouillis, d’humer ses mille et une senteurs, de sentir sa fraîcheur équatoriale. Mais le confort est au bout de l’effort. Pour arriver au Ziama à partir de Guéckédou, le voyageur doit affronter le fameux tronçon de « l’enfer » Guéckédou – Kondébadou. Trente-cinq kilomètres parsemés de nids de poule, de crevasses et de véritables cratères, par endroits, dans lesquels pataugent des poids lourds surchargés au moteur fatigué. Des morceaux de goudron s’accrochant désespérément au sol argileux rappellent que la route était bitumée jadis. Le soulagement s’appelle Kondébadou (Macenta) où, au milieu de nulle part, surgit un ruban de bitume en parfait état qui serpente à travers la forêt et illumine les visages d’un sourire presque involontaire. L’habitat est très dispersé à travers un relief vallonné. Des hameaux défilent à intervalle irrégulier d’un côté et de l’autre de la route ; puis

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apparaît la ville de Macenta encastrée dans une cuvette cernée de montagnes granitiques. À 30 km de Macenta, changement de décor. Les clairières et les montagnes chauves font place à une forêt dense et humide. C’est le massif du Ziama avec son microclimat exceptionnel. Des arbres au tronc démesuré s’élancent dans le ciel formant une canopée céleste. La route franchit un col donnant accès à la cuvette de Sérédou située à 37 bornes de Macenta-centre. Nous sommes au cœur du Ziama. Le Ziama est un massif montagneux de la dorsale guinéenne, mais c’est aussi et surtout une réserve forestière de près de 120.000 hectares à cheval entre la Guinée et le Libéria voisin. Érigé en forêt classée depuis 1942, le site compterait plus de 1.300 espèces végétales. Un havre de paix pour pas moins de 547 espèces animales, dont 22 espèces protégées par la convention CITES pour le respect de laquelle la Guinée est un mauvais élève. Selon un vieux recensement daté de 2004, on dénombrait 214 éléphants, y compris le fameux éléphant nain d’Afrique. Ziama est classé patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 1980. Sa biosphère est si attractive que l’ancien gouverneur de l’Afrique-Occidentale française (AOF), qui avait pour résidence Dakar, venait se la couler douce ici même pendant ses vacances. Il s’était tapé une coquette cabane dans la montagne, à Quinadou, à 15 km de Sérédou-centre. La maison est aujourd’hui en ruines, au grand dam du maire de la commune rurale. Grâce à la fameuse forêt de quinquinas du Ziama, la Guinée disposait de l’un des premiers laboratoires de production de la quinine en Afrique. Les quinquinas sont toujours là, mais le labo lui est mort enterré. Un sort identique a frappé la célèbre scierie de Sérédou aux immenses hangars qui meurent à petit feu, rongés par la rouille sous le regard attendrissant du massif montagneux. 62

Le défi de la préservation des trésors de biodiversité du Ziama s’est toujours posé avec acuité. La majorité de la population riveraine dépend de la forêt d’où elle tire l’essentiel de sa nourriture à travers l’agriculture, la chasse et l’exploitation du bois. Les métiers les plus courants à Sérédou ? La menuiserie et le braconnage. Et si on lorgne de plus près, on ne sera pas surpris de découvrir un petit trafic d’animaux protégés. Depuis près d’un demi-siècle, différents projets ont été mis en œuvre pour préserver les richesses fauniques et floristiques de la réserve, avec plus ou moins de succès. Pour décourager les braconniers et les trafiquants des produits ligneux et animaliers, une unité d’une centaine de gardes forestiers non armés veille au grain. Autant dire, une goutte d’eau dans l’océan de verdure du Ziama. Pour préserver toutes ses richesses et espérer en tirer profit à travers l’éco-tourisme par exemple, il faut plus que des mesures coercitives. Il est impératif de développer des activités génératrices de revenus en faveur des riverains afin qu’ils fassent la substitution. Cela pourrait passer par le café, car le terrain est très propice. Quelques producteurs locaux, réunis en coopératives, essaient de perpétuer une culture domestique du caféier sur flanc de montagne. Leur combat consiste également à labéliser le café du Ziama aux saveurs exceptionnelles selon les connaisseurs. En tout cas, siroter une tasse de café du Ziama dans la maison réhabilitée de l’ancien gouverneur, à Quinadou, est un rêve que je caresse avec tendresse…

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Respirez, c’est la Basse-Guinée ! Publié le 15 mars 2013 Sortir. Sortir la tête des dossiers, ranger souris et clavier pour se refaire les idées le temps d’une journée. Sortir surtout de Conakry, ville surdimensionnée, ville-élastique, ville-capharnaüm avec ses rues étriquées et encombrées, ses quartiers surpeuplés, ses habitants stressés, pressés et indisciplinés, son air irrespirable empesté d’odeur de détritus brûlés à même la chaussée. S’échapper de ce chaudron de cité pour aller humer l’air pur de l’intérieur du pays, pour communier avec la nature qu’on a réussi à mutiler et à transformer dans la capitale. C’est le pari que mes collègues et moi avons réussi en ce jeudi 14 mars 2013. Cap sur Koba, dans la zone de Boffa. Un écrin de beauté à l’état pur niché au cœur de la Basse-Guinée, l’une des quatre régions naturelles du pays à l’origine du nom de « Rivières du sud » de la Guinée d’antan. Nos 4×4 avalent les quelque 150 kilomètres d’asphalte en un rien de temps. Le nez collé à la vitre, l’œil rivé à l’horizon, appareil photo dégainé, je redécouvre la beauté de mon pays en mode touriste. La ville de Dubréka franchie, les montagnes imposantes de la dorsale guinéenne défilent rapidement à ma droite, faisant place à un pays plat au paysage époustouflant. Des cocotiers élancés, des palmiers symétriquement rangés alternent avec des plaines verdoyantes et encaissées. L’habitat est dispersé. Les gamins couverts des poussières 65

courent les ruelles, l’air insouciant. Des femmes lavent le linge dans les cours d’eau sous les ponts. Des cases en banco et des maisons aux tôles rouillées rappellent le classement PNUD 2012 de la Guinée au rang de 178ème pays le plus pauvre au monde. Le grincement des quatre ponts métalliques de Tanènè, construits sur le Konkouré à la faveur du projet de l’usine d’alumine de Friguia, à Fria (première en Afrique, aujourd’hui à l’arrêt), confirme tristement ce classement. « Qu’avons-nous fait de nos 54 ans d’indépendance ? » J’ai failli poser la question au feu général Lansana Conté dont la statue est figée pour l’éternité à la sortie de Tanènè. Virage à gauche, nous entrons sur les terres de l’ancien président de la République, mort le 22 décembre 2008 et enterré ici. Une belle palmeraie, quelques routes bitumées et ds coquettes mosquées. Voici l’héritage qu’il a laissé à « ses parents » qui continuent à le bénir. Aucune infrastructure impressionnante. Je suis un peu déçu par rapport aux légendes qu’on entendait du temps de Conté faisant de Koba un pays de cocagne. Encore quelques kilomètres, cette fois sur une piste rurale poussiéreuse, avant d’arriver à Filaya où nous visitons un projet agricole. Quarante-cinq hectares de plaine de mangrove aménagés sur financement de l’Agence Française de Développement (AFD) dans le cadre d’un vaste projet riz. Des digues à perte de vue pour maîtriser l’eau salée d’un bras de mer. Le rendement est de 2,5 tonnes de riz à l’hectare, explique le coordinateur du projet qui emprisonne dans sa main une carte en couleur de la zone. Du riz 100 % bio, obtenu grâce à des techniques d’irrigation simples. On n’a pas les chiffres exacts sur le nombre de personnes impactées par le projet, mais des paysans dépenaillés, visiblement impressionnés par les visiteurs, se disent « satisfaits ».

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Je me dis qu’avec une politique agricole cohérente, la Guinée pourrait assurer son autosuffisance alimentaire et exporter ses excédents de production, surtout en riz. L’idée est géniale, mais reste un rêve pour l’instant. D’ailleurs, je ne puis m’empêcher de sourire en pensant à ces tonnes de riz blanc insipide en provenance d’Asie qu’on nous gave… Le soleil est au zénith, l’air devient chaud et sec. Un bon repas et une petite sieste s’imposent. Pour ça, il existe un endroit idéal situé à un jet de pierre de là : l’Auberge du lac. C’est un hôtel rustique installé sur un domaine de quatre hectares (dont un et demi exploité) situé en bordure d’un lac artificiel d’eau douce. Des bungalows en cases rondes au mur en béton et à la toiture de chaume. Savant mélange de tradition et de modernité qui se ressent jusque dans les 14 chambres disponibles de l’auberge. Clim, toilette moderne avec eau chaude, décoration sobre, propreté impeccable sur laquelle veille en permanence la charmante Laou Buée, la patronne du coin. J’imagine que le client ne regrettera pas les 500.000 GNF (55 euros) la nuitée. Au restaurant de la paillotte, vous pouvez siroter au choix, un Coca frais ou un verre de jus d’hibiscus fait maison et manger des brochettes de capitaine et du couscous… marocain. Le tout les pieds dans l’eau, les oreilles bercées par le chatouillant clapotis de l’eau bleue du lac. On respire la nature à pleins poumons. Un havre de paix dans lequel repose à tout jamais l’ancien président Lansana Conté dont aperçoit, de l’autre côté du lac, le mausolée qui se détache au milieu de la verdure. On ne sent pas le soleil qui glisse doucement à l’horizon. L’endroit fait rêver et donne envie de rester. Mais il faut vite rentrer à Conakry en faisant, si possible, un crochet sur les Cascades de la Soumba, site touristique situé près de Dubréka. On y arrive en début de soirée. Un peu déçus. Nous sommes en plein mois de mars, c’est l’étiage. L’eau a déserté les cascades et l’endroit est un peu 67

tristounet. Caprices de la nature, folies de l’être humain qui détruit son environnement immédiat et éprouve l’envie d’aller chercher ses bienfaits ailleurs… Je regagne Conakry, les poumons chargés d’air pur, l’esprit léger comme une plume avec l’envie de retourner si souvent d’où je viens. Pour respirer la Basse-Guinée !

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Où vas-tu donc, étudiant guinéen ? Publié le 18 juillet 2013 C’est ton jour. Celui que tu attends depuis bien longtemps. Depuis deux mois. Depuis trois ans. C’est le jour de la proclamation des résultats du Baccalauréat. Tu es déclaré admis ! Tu t’en fous de la mention, encore moins de ton rang. T’as vu ton nom, ton PV, ton école d’origine. C’est bien toi. Le reste n’est pas important. La joie t’envahit. Tu souris, tu ris. Tu sursautes, cries, passes des coups de fil de gauche à droite, distribues des SMS à tout va. T’en reçois. Amis et parents te complimentent, te congratulent. Tu en es ravi. Fier. Passera ? Passera pas ? Deux longs mois, depuis la tenue du Bac., que tu te poses ces questions. Des nuits blanches que tu repenses à la manière dont tu as traité telle ou telle épreuve. Des jours entiers que tu pries, implores le Tout Puissant d’exaucer ton vœu : celui de te donner le Bac. Tu l’as, ton bac. Tu dis Alhamdoulillahi. Bien que t’avais jeté un furtif coup d’œil sur la copie de ton voisin. Mais ce n’est pas ça tricher, tu n’avais pas d’antisèche sur toi. Ils ont dit « tolérance zéro », t’as respecté. Zéro faute. Tu repenses à l’année scolaire qui a été longue et mouvementée, comme toutes les années en Guinée. Dirigeants et Opposants, qui se détestent cordialement, ayant définitivement pris en otage la vie sociale du pays avec leur maudite politique. Tu revois le long chemin parcouru, les tonnes d’exos traités, les révisions, les séances 69

de lecture au bord de la mer, sous les lampadaires de la station-service du coin, à la lumière blafarde d’une lampe chinoise ou d’une bougie tueuse. Tu te repasses le film de tes longues journées de lycéen paumé. Obligé parfois de taper le Kanda (jeu) pour compléter le transport, d’aider la Vieille à écouler ses beignets ou ses haricots pour trouver le prix des cahiers, du table-banc. Pour assister le prof qui se marie, celui qui a un baptême, celui dont la femme est malade, la directrice qui part encore « en mission ». Tu revois tout cela, tu souris. Tu te dis que c’est fini. T’as relevé le défi, franchi le cap. Contrairement à certains potes, pleins de remords, d’amertume que le Bac a malheureusement laissés. Tu es désormais un étudiant. Adieu, le bleu-blanc. T’es devenu un grand. Bientôt on t’orientera. L’université. Là où les potes sont plus cools, les profs plus pro, les filles plus sexy, vu qu’elles ne sont pas en tenue. Tu jubiles. Si t’es lauréat, t’iras au Maroc : Casa, Rabat, Mohamedia ou Marrakech. Ce sera chouette. Si t’es pas lauréat, c’est pas grave. Dans un an ou deux, tu t’inscriras sur Campus France pour aller étudier en France. Là-bas ça bosse bien. Tu le sais, on te l’a dit. Tes frères partis ne sont pas encore revenus, mais leur profil Facebook parle pour eux. C’est tentant. Mais décevants, risquent d’être tes rêves jeune frère. Chiant ton quotidien. Ça commencera quand on t’orientera à l’intérieur du pays si tu bossais à Conakry. Faranah, Kindia, Kankan, Boké, Labé, ou N’zérékoré. Mais t’avais déjà entendu parler de ces coins où les étudiants ont pour fidèles compagnes la faim et la mangue. Tu entres en rébellion, mets en branle tes relations. Tu recours à la corruption pour désorienter ton orientation. C’est Conakry ou rien. Après quelques remous, des va-et-vient, beaucoup de billets de banque, tu obtiens gain de cause. Tu restes à Conakry, la 70

capitale. T’iras à Gamal ou Sonfonia, à défaut d’une université privée comme Gandhi ou Kofi. Bonjour la galère, la chaleur, les embouteillages, les cafouillages, les amphis pléthoriques. Tu découvres le système LMD pour lequel tes amis te traduiront : Laissemoi Me Débrouiller. Tu plonges dans les petites combines pour avoir des notes, pour éviter la seconde session. Tu redécouvres également les NTS, les Notes Sexuellement Transmissibles. Tu pénètres le monde des pécules impayés, des programmes bâclés, jetés par la fenêtre par des profs incompétents, des encadreurs arrogants et méprisants. Tu expérimentes les grèves étudiantes, t’encaisses les mesquineries, les jalousies, les hypocrisies et les délations de tes propres potes. Tu troques ton plat de « Lafidy » matinal contre du gaz lacrymal que viendront vous distribuer régulièrement les chacals de la police et de la gendarmerie. Tu goûtes aux délices de la matraque et du brodequin. Là t’es devenu étudiant. Un vrai. Mais un matin tu dis « assez » ! Et tu décides de tenter ta chance sur Campus France. Deux mois de galère à entrer des notes sur un site rebelle, à photocopier, légaliser, téléphoner, t’aligner, te bousculer au CCFG pour déposer ton dossier et passer un entretien. Tu gardes dans un coin de la tête que ton oncle ou ta tante vont te prêter les 7.000 euros exigés comme caution pour la première année d’études. Ils te l’ont promis. Admission et rendez-vous à l’Ambassade obtenus, on t’apprend que « nous ne pouvons pas te payer tout cet argent » ! Tu déchantes, redescends sur terre et entre en rogne. T’iras pas en France, pas cette année. Retour à la case départ. Gamal. T’auras perdu la moitié de l’année, t’es en session dans au moins trois matières, t’auras surtout contribué à gonfler le compte bancaire de Moustapha Naïté, en réactualisant tes pauvres 5.000 GNF durement gagnés dans son cybercafé poussif de Mouna. 71

T’en veux à tout le monde. Tu te démerdes maintenant pour obtenir ton diplôme de fin d’études pour foutre le camp d’ici. Quatre ans pour un carton de Licence qu’on te balancera à la figure. Que les entreprises te refourgueront à leur tour. « Formation inadéquate » qu’on te signifiera. Après avoir griffonné des tonnes de lettres de motivation et CV, envisagé l’aventure, essayé le marché Madina (Bordeaux), tenu un télécentre de quartier, déterré tes anciens talents de coiffeur, crié ta colère dans la Grogne matinale sur Soleil FM, tu reprendras ton souffle sous le manguier pour chercher une certification à la préparation du thé. Tu deviendras un inconditionnel de Guinée Games ou replongeras dans le Kanda pour gérer le quotidien stressant. Les gos te fuiront, te trouvant radin et pas « classe ». C’est le clash. Véritable desperado des temps modernes, tu deviendras « bambétocosable », « autoroutable », proie à toutes les tentations politiques. Ce n’est pas grave, tu cherches encore ta voie, Étudiant guinéen.

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Top 10 des fautes de français qui « collent les Guinéens à la peau » Publié le 15 août 2013 Le français est la langue officielle de la République de Guinée. Il est enseigné à l’école et parlé par au moins 28 % de la population estimée à 10,22 millions d’habitants et composée de multiples groupes ethniques dont il sert souvent de passerelle de communication. Contraint de s’adapter aux dialectes locaux, le français parlé en Guinée est parfois serti des perles qui feraient retourner Molière dans sa tombe ! Voici le top 10 de fautes de français qui collent les Guinéens à la peau : #10 – Des tribus et des… lettres : en dehors des traits physiques et des langues respectives, l’autre trait caractéristique des groupes ethniques de mon pays est leur accent quand ils parlent le français. Tout instituteur sait que l’exercice d’apprentissage de certains sons syllabiques français aux écoliers guinéens est un véritable cauchemar. Et ce, suivant les ethnies : • Les Peuls : le son « V » n’existant pas dans la langue Poular, faire dire à un Peul illettré « Vélo », « Voiture », « Vote », est un réel casse-tête chinois. Il simplifiera en remplaçant le « V » par « W » (ce qui donnera Wélo, Watir, Wôté). Pareil pour le son « Ch », « Sch ». Il est plus aisé pour un Peul analphabète (ou pas) de tuer son unique vache à lait par un coup de fusil que de prononcer les mots 73

« Chimie », « Châssis », « Schéma », « Psychiatrie », ou « Torche » ! • Les Kissis : ces habitants du sud de la Guinée semblent avoir un sérieux problème avec le son « GR ». Du coup, dans leur bouche le mot « Grave » devient parfois « Glave » ou « Clave ». D’ailleurs, l’oreille d’un Peul a toujours l’impression qu’un Forestier (Kissi ou Guerzé) a une braise dans sa bouche quand il parle !!! • Les Soussous : ce peuple côtier dont la langue est très parlée à Conakry la capitale sait pêcher du poisson, mais pèche dans la prononciation du son « Dia ». Les Soussous vexent souvent les « Diallo » et « Diakité » qu’ils appellent « Monsieur Yallo » ou « Madame Yakité ». • Les Malinkés : je ne connais pas un son précis que les Malinkés ne savent pas prononcer, mais ils ont le tic de transformer le mot « donc » en « Donkou » quand ils parlent. Et, soit dit en passant, personne au monde ne sait parler plus fort qu’un Malinké ou un Bambara du Mali (tous des Mandings). En Europe, quand deux femmes malinkés entrent dans un train, le silence s’enfuit par les fenêtres ! #9 – « Bonne voyage » : c’est une énigme. Personne ne sait pourquoi les Guinéens disent au voyageur « bonne voyage » alors qu’ils savent pertinemment que le nom « voyage » est masculin. La faute se retrouve même gravée sur des plaques situées au bord de la route. #8 – « Ça descend » : ce bout de phrase qu’on crie dans les transports en commun à Conakry est une traduction littérale en français de l’expression Soussou « ä goroma ». « Ça descend » ne signifie pas qu’un sac de riz descend, mais plutôt « arrêt demandé » ou bien « Je descends ». #7 – « Elle s’est accouchée » : typique invention guinéenne, cette expression veut dire tout simplement « elle a accouché ». Tant pis pour ceux qui essaient d’expliquer 74

que le verbe « accoucher » n’est jamais pronominal. Sans gêne on vous annoncera : « La femme de Fodé s’est accouché une fille ». #6 – « J’ai passé chez toi » : cette faute de conjugaison colle à la peau des collégiens guinéens comme leur tenue couleur kaki. La leçon portant sur « le verbe passer et les auxiliaires être et avoir » ne passe pas du tout, visiblement. #5 – « J’ai intervenu » : même problème que précédemment à la différence qu’ici, élève et parent d’élève conjuguent le même auxiliaire « avoir » devant « intervenir » qui, normalement, s’accompagne du verbe « être ». « J’ai intervenu entre mon fils et son maître ». #4 – « Idem que moi aussi » : les linguistes appellent ça une tautologie, ici on s’en fout. Dialogue sur la route de l’école : « Mon ami, j’ai faim ». « Idem que moi aussi » !!!! #3 – « Je les ai dit » : ce problème grammatical hante étudiants, cadres, journalistes et même des hauts dignitaires du pays. Beaucoup n’ont jamais su faire la différence entre les déterminants « le, la, les » et les pronoms personnels « la, lui, leur ». Paraît que même en Conseil des ministres on peut entendre dire : « Il faut la donner ce dossier » ! #2 – « Je vais me déjeuner » : cette formule qui ferait danser d’étonnement l’excellent Ivan Amar de RFI, est une autre traduction littérale de l’expression soussou « N’khassa n’dèyba » (je vais prendre mon petit déjeuner ». Matin de bonheur, tu entends un gaillard dans les bas-fonds de Kindia, assis devant un faramineux plat de Foutty, annoncer : « Je vais me déjeuner » ! #1 – « Faire partir » : la palme d’or revient à cette faute de français devenue un classique même dans nos amphithéâtres. Au collège, les profs ont enseigné que « quand deux verbes se suivent, le second se met à l’infinitif ». Alors beaucoup pensent que dans cette 75

expression « faire » est suivi du verbe « partir » alors qu’il s’agit du nom commun féminin singulier « Partie ». Faites-vous partie de ceux qui ne commettent pas ces fautes ? Connaissez-vous d’autres ? Je vous laisse la main pour les commentaires ; en attendant, je vais ME déjeuner !!!

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Parlez-vous le « guinéen » ? Top 10 des mots et expressions aux couleurs locales Publié le 27 mai 2016 D’emblée, je préfère lever tout équivoque : de manière générale, les Guinéens s’expriment très bien en français. Certains intellectuels ont un niveau irréprochable, surtout les fonctionnaires à la retraite vivant en zone rurale, qui parlent encore un français raffiné d’inspiration coloniale. Ce constat m’a été confirmé par de nombreux amis étrangers qui séjournent ou ont séjourné en Guinée. Mais comme partout ailleurs où le français, langue étrangère, s’est imposé comme langue officielle au détriment des dialectes locaux, les Guinéens, au fil des générations, ont acquis leurs « tics » de langage, leur façon de parler. Le résultat est éloquent. Des mots ordinaires ont fini par revêtir un sens qui peut soit dérouter, choquer ou faire sourire l’expatrié qui débarque pour la première fois à Conakry et qui engage la conversation. Voici, en toute subjectivité, un « top 10 » des mots et expressions français du jargon guinéen. • Chose : Le mot qui choque l’étranger. Dans la bouche d’un Guinéen ayant un mot au bout de la langue, « chose » est l’équivalent de « truc » ou « machin ». Quelqu’un qui a un trou de mémoire et qui cherche à se rappeler le nom de quelque chose voire de quelqu’un utilise « chose ». Les plus embêtés les alignent comme des perles qu’on enfile en se 77

donnant de violents coups de poing à la tête : « euh… chose, chose » Pan ! « euh… chose-là » tchipp. Ceux-là ont poussé l’audace jusqu’à créer le verbe « choser » qui ne veut absolument rien dire ! • L’autre là : C’est la version de « chose » se rapportant au nom d’une personne. Un individu dont on oublie le nom ou le prénom devient « l’autre-là ». Ce qui a le don d’agacer certains expatriés qui peuvent l’assimiler à du mépris, pire : à la chosification. Alors qu’il n’en est rien. C’est juste une panne sèche de vocabulaire qu’on essaie de compenser par une traduction directe d’un concept de sa langue maternelle en français. Évitez donc de blâmer l’autre. • C’est mesquin : dans le dictionnaire français, le mesquin est celui qui manque de générosité, l’avare. En Guinée, on dit souvent d’un travail qu’il est mesquin lorsqu’il demande de la concentration et de beaucoup de temps. C’est-à-dire un travail complexe, voire compliqué. Un problème mathématique : « c’est mesquin ». Un tableau croisé dynamique en Excel : « c’est mesquin ». Pour souligner la complexité de la tâche, on tire sur la dernière syllabe du mot : « c’est mesquiiinnn » ! • Escroc : Le Larousse définit l’escroc comme quelqu’un qui commet une escroquerie, c’est-à-dire qui trompe la confiance de quelqu’un en vue de le voler. Chez nous, dans le langage courant, un escroc c’est quelqu’un qui manque de franchise, qui rapporte, c’est-à-dire un hypocrite, un fourbe, un menteur. Et le pire des hypocrites est appelé ici par le nom bizarre de « Escroc-di-menteur ». Allez savoir d’où ça vient. • En cas de cas : Cette expression guinéo–guinéenne signifie en bon français « le cas échéant », c’est-à-dire si le cas se présente. Je m’excuse d’être aussi simpliste, mais il faut préciser également que dans l’entendement de beaucoup de mes compatriotes l’expression « le cas 78

échéant » signifie « le cas contraire » ! Vous ne trouvez pas que c’est mesquin tout ça ? • Moins un/moins cinq : Chez nous, ces deux expressions servent à souligner la très forte probabilité de la survenue d’un évènement ou d’une action. Elles sont l’équivalent de « il a fallu de peu », « in extremis », etc. Un joueur qui rate un penalty, c’est moins un il n’a pas marqué. Un camion qui manque d’écraser un piéton, c’est moins cinq le camion ne l’a pas tué. J’ignore si ces deux entiers négatifs sont utilisés puisque se rapprochant de zéro. D’ailleurs pourquoi ne dit-on pas par exemple moins trois ou moins sept… ? • Missionnaire : En réalité, nous ne donnons pas un sens très différent de ce mot de celui qu’il a dans le dictionnaire. Mais son emploi est si galvaudé en Guinée qu’il rappelle les Missions évangéliques en Afrique dans la période précoloniale. Il est très courant et désigne quelqu’un investi d’une mission officielle. Ainsi, un professeur qui se rend dans une université de province pour dispenser un cours en quelque temps est un missionnaire (étudiants, nous disions que le prof balance le cours par la fenêtre). Des hôtes venus de l’étranger en mission dans le pays sont des missionnaires. Ce sens du mot est sans doute une survivance d’un vieux vocabulaire colonial. • C’est doux : pour apprécier la saveur d’un mets, les Français s’exclament : « c’est bon » ! En Guinée, nous disons « c’est doux ». Le riz est doux, la sauce est douce, etc. En stage dans une rédaction parisienne fin 2011, cette expression faisait marrer mes collègues stagiaires qui ont fini par l’adopter pour me vanner régulièrement. • (Petit) plat : Attention, dans les foyers en Guinée, préparer un plat signifie faire la cuisine à l’occidentale. Ou en tout cas, cuisiner un aliment autre que ce qu’on mange habituellement à la maison, à savoir le riz et ses différentes variétés de sauces dont la débauche de couleurs rivaliserait 79

un arc-en-ciel de fin de saison. Donc, un plat ou un petit plat c’est soit du poulet rôti, de la grillade, des spaghettis façon façon ou quelque chose dans le genre un peu exotique. Dans les couples analphabètes, les possibles déclinaisons de l’expression sont « petit pilâ », chez les femmes peules, ou « petit pilan » chez les Soussou. • Pagaille : C’est bizarre, mais pagaille n’a pas toujours le sens de « désordre » ou de « confusion » dans la bouche de nos élèves et étudiants. Au contraire. En milieu scolaire, pagaille est assimilée à la plaisanterie. Le verbe « pagailler » made in Guinea désigne donc le fait de s’amuser, de faire de plaisanteries ou de se moquer gentiment. Bon, j’arrête de pagailler. Mais j’ai une question : vous retrouvez-vous dans cette belle pagaille de mots et expressions ? En connaissez-vous d’autres ? En cas de cas, partagez-les ci-dessous dans les commentaires. Ce n’est vraiment pas mesquin ça !

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Le surnom, l’autre identité du Guinéen Publié le 11 février 2013 A.O.B, ça vous dit ? Forcément oui si, comme des milliers de Guinéens en ce moment, vous terminez la soirée scotché devant la RTG (Radiotélévisions guinéenne) pour mater le procès dit de « l’attaque de la résidence présidentielle, procès devenu le Koh-Lanta guinéen, notre téléréalité de début d’année. De l’eau bénite pour la RTG depuis les fameux Dadis-shows de 2009 qui explosaient l’audimat de la télévision nationale. Qu’on ne s’égare point. Ce n’est pas le sort (de plus en plus évident) réservé aux accusés de ce procès qui m’intéresse ici. Encore moins le spectacle humiliant auquel se livrent urbi et orbi nos magistrats au vocabulaire pathétiquement pauvre. Ce qui m’intéresse donc, ce sont ces trois lettres devenues célèbres qui sonnent comme un nom de code : A.O.B, abréviation d’Alpha Oumar Boffa Diallo, surnom de l’un des prévenus du procès. Une banalité chez un Guinéen, de surcroît militaire dans le cas présent. Il existe, en effet, un lien quasi ombilical entre le surnom et mes compatriotes. Une sorte d’hérédité qui nous colle à la peau et constitue une marque de fabrique. Le phénomène est déroutant. Tout adulte guinéen a un sobriquet ou en a eu à un moment donné de sa vie ! Contrairement à l’eau et à l’électricité, le surnom est la chose la plus équitablement partagée dans ce pays. Grand ou petit, riche ou pauvre, 81

gouvernant ou gouverné, civil ou militaire chacun traîne, comme son ombre, un sobriquet. Si l’on s’appelle Mamadou ou Albert c’est toujours « dit » ou « alias » quelque chose. Un complément qui fait « trash » que l’on s’est choisi ou que les potes d’enfance ou de l’école vous ont affublé à vie. Lorsqu’on est l’auteur de son propre surnom, c’est souvent par identification à un héros ou à une héroïne. D’abord du cinéma avec les classiques du western américain où, hier, le célèbre bandit Fernando Sancho était une référence pour bon nombre de respectables Elhadj d’aujourd’hui. Suivent les Jacky Chan, Bruce et Jet Lee, James Bond, Dolf et autres Rambo, Nico et Commando. Dans le domaine de la musique, Michael Jackson et Céline Dion semblent avoir plus d’homonymes pour la génération 70-80. Pour celle de 90, les Mamadouba sont des Chris Brown, Ne-Yo, Soprano, Booba ou La Fouine. Dalanda et Fanta se font appeler Chakira, Rihanna ou Nicky Minaj. L’identification rime des fois avec imitation sur le plan vestimentaire, surtout pour les jeunes filles qui prennent la rue pour des podiums. Mais de tous les domaines, le sport reste le principal réservoir à sobriquets. Le football en tête. De la génération de Pelé à celle de Messi, du championnat local au mercato, les stars du foot sont adulées. Impossible de quantifier le nombre de Zidane, Ronaldo, Cristiano, Eto’o, Droba et Messi que nous possédons. Les héros du basketball aussi ont leurs admirateurs. Surtout la NBA américaine. Dans tout lycée ayant un terrain de basket, il existe un Thierno Mamadou BARRY ou un Fodé KEÏTA qui se fait appeler « Jordan » et qui est convaincu d’être une idole pour toutes les filles de son bahut. C’est dans l’armée que le phénomène prend toute son ampleur. Pour connaître le vrai nom d’un soldat guinéen, il faut carrément retrouver son acte de naissance. L’armée 82

symbolisant force et puissance, les surnoms militaires sont hautement évocateurs. Après les films de guerre et d’horreur, ils font appel à la faune sauvage (lion, cobra, tigre, scorpion, aigle), à la flore (baobab, ébène), à la géographie (suivant les terrains de combat), la géologie (volcan, lave, sommet) et même les catastrophes naturelles (ouragan, tsunami, cyclone). On retrouve aussi des noms de code comme « lieutenant AC », « capitaine 43 », « colonel Delta2 », « commandant A.O.B». L’armée israélienne pourrait même s’en inspirer pour baptiser leurs opérations « humanitaires » à Gaza et en Cisjordanie… Si vous n’avez pas choisi votre surnom de plein gré, on vous le colle d’office. Dans la vie courante, on fait recours à la géographie. Vous êtes confondu au nom de votre quartier, secteur, village, sous-préfecture ou préfecture. À l’école, ça se passe avec les potes ou un rival. Dans ce dernier cas, le sobriquet est loin d’être novateur. On te colle le nom d’un animal (cochon, singe, sauterelle), d’une notion d’étude (pi, valence, théorème), d’une simple idée (vecteur), ou d’un personnage de roman (Toto, Maloko, Barré Koulé, Gosier d’Oiseau, Jacques le fataliste), etc. Tout peut être surnom à l’école. Encadreurs et enseignants sont les premiers visés. Je me souviens de deux cas. Le premier, c’était au collège où on avait un surveillant général réputé impitoyable. Le mec, grand de taille, était aussi maigre et effilé qu’un Paul Kagamé en grève de la faim. On aurait dit qu’il était porté par le vent quand il marchait. Les élèves lui ont attribué le surnom de « Gombo Sec ». Si tu as le malheur de prononcer ça devant lui, tu étais soumis au supplice de curer et de récurer les latrines du collège. Un cloaque à te faire gerber les poumons. Le second cas, c’était à l’université. L’un de nos vicedoyens de faculté avait un physique trapu, une taille qui rappelle celle d’un pygmée d’Afrique centrale, la démarche traînante, les yeux perpétuellement injectés de sang. Les 83

étudiants ont conclu qu’il était le portrait craché de l’ancien footballeur camerounais, Pius N’Diéfi ! Si tu veux prendre des sessions (crédits) dans au moins cinq matières, hasardetoi de l’appeler ainsi. Dans les quartiers de la capitale Conakry, on retrouve les présidents célèbres du monde entier. Dans les villages les plus reculés du pays, les anciens combattants et les troubadours ont des surnoms au goût de la langue du terroir. Au Fouta par exemple on retrouve les Sarsan Manga, Kapourané Bhoye (comprendre sergent et caporal), ou Foula Niama Yawta (Foula qui mange et enjambe le reste), etc. Cette « surnominalisation » qui caractérise la société guinéenne a pris des proportions allant jusqu’au sommet de l’État. L’hebdomadaire satirique Le Lynx en fait son fonds de commerce. Tous les présidents et les ministres de la République sont affublés d’un sobriquet. Soit par déformation de leur nom, soit par référence à un fait historique les concernant. Ainsi, le premier président Ahmed Sékou Touré est appelé « Sékou le Tyran », son successeur général Lansana Conté surnommé « Fory Coco », le capitaine Dadis Camara « El-dadis », le général Sékouba Konaté « El-Tigre » et l’actuel président Alpha Condé « Alpha Grimpeur » pour avoir, au moment où il était opposant, escaladé le mur d’enceinte d’un stade suite à l’interruption d’un meeting par la police. Véritable quête de valeur et d’identité ou simple phénomène de société ? Vaste chantier pour les sociologues guinéens.

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La Guinée ou le supplice de Tantale Publié le 7 septembre 2014 Tard dans la nuit quand nous veillions et que je me blottissais contre elle, glacé par les hululements du hibou perché dans les branchages du bois qui jouxtait notre village de montagne, feu ma mère me disait souvent : « Alimou, Dieu n’a pas dit que le maudit n’aura pas son basin, mais il ne le portera point ». Je mis du temps, beaucoup de temps à percer le sens de cette citation qui me paraissait à la fois énigmatique et si absurde. « Comment pourrait-on avoir un joli basin et ne pas pouvoir le porter, surtout pendant les jours de fête ? », était la question qui hantait mon esprit enfantin sans que je n’eusse le courage de la lui poser de peur de la contrarier ou de paraître idiot à ses yeux et de compromettre ainsi notre complicité cimentée par la haute estime qu’elle avait de moi. Ce n’est que bien plus tard, quand mon esprit a commencé à se raffermir au contact des premières sourates du Saint Coran et que les leçons de géographie basiques de M. Diallo, notre maître d’école, balayèrent ma conviction selon laquelle les limites de la Terre s’arrêtaient à Sogoroyah – le plus lointain endroit que je connaissais à l’époque –, eh bien c’est à peu près à ce moment-là que je compris tout le sens de la parole proverbiale de ma mère.

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« Dieu n’a pas dit que le maudit n’aura pas son basin, mais il ne le portera point ». En personnifiant, je trouve que le pays que j’habite pourrait être ce « maudit » du dicton. Il est indéniable que la Guinée est une jolie femme à laquelle Dieu a donné un basin si riche que chaque millimètre carré de son tissu aurait été capable de faire baver d’envie Crésus en son temps. Des parures de toutes sortes qui sommeillent encore dans les tiroirs du temps en attendant de trouver la bonne combinaison pour les ouvrir. Les plus éloquents ont puisé dans les tréfonds de la métaphore pour affubler de la Guinée les qualificatifs les plus flamboyants : « Rivières du Sud », « Scandale géologique », « Château d’eau de l’Afrique », « l’Afrique en miniature », etc. Des titres ronflants dont on se gargarise depuis plus de 50 ans et qui laissent un goût métallique dans nos grandes gueules affamées, aphteuses et baveuses. La réalité crève les yeux : la Guinée est tout simplement un scandale. Ni géologique ni humain. Mais un scandale tout simple, au sens premier du terme. Nous, habitants de ce pays dit « béni des dieux » sommes à l’image de Tantale, ce personnage cannibale de la mythologie grecque puni à souffrir un triple supplice. Placé au milieu d’un fleuve, Tantale, malgré sa soif lancinante, ne peut boire son eau qui lui arrive pourtant jusqu’au menton. À chaque fois, qu’il baisse la tête pour prendre une gorgée, le niveau de l’eau baisse. Affamés, des arbres aux fruits mûrs l’entourent. Dès qu’il étend son bras pour en cueillir un, le vent qui souffle et qui lui rapproche les branches s’arrêtent. Le comble est qu’un énorme rocher tenu en équilibre au-dessus de sa tête menace de se détacher et l’écraser à tout moment. Transposons ce mythe dans notre réalité quotidienne de Guinéens et constatons l’effroyable similitude des faits. 86

Le bassin fluvial guinéen constitué d’une centaine de cours d’eau mis de côté, des spécialistes affirment que l’unique nappe phréatique située dans l’agglomération de Conakry suffirait à alimenter une bonne moitié du pays en eau potable. Pourtant certains habitants de la capitale, de moins de trois millions d’âmes selon les statistiques officielles, n’ont jamais accompli chez eux le simple geste de tourner un robinet pour faire couler de l’eau potable. Pourtant, la nuit, j’ai souvent peur qu’un avion n’atterrisse dans mon quartier prenant les lampes chinoises des vendeuses d’Attiéké dans la rue pour les balises de la piste d’atterrissage de l’aéroport de Gbéssia. Pourtant, dans l’épave de taxi-brousse qui s’y rend de façon hebdomadaire, il me faut 12 heures d’horloge pour rallier mon village situé à moins de 300 km de la capitale. Depuis toujours, je vois le train minier transporter de la terre rouge au port de Conakry, pourtant je continue à boire la bouillie de maïs du mois de ramadan avec des louches en plastique. Le sandwich que j’achète chez l’épicier du coin est emballé dans du papier-ciment. Visiblement, l’aluminium issu de notre bauxite, lui, sert à protéger les cigarettes qui défoncent les poumons de mes compatriotes fumeurs. Je pourrais multiplier les « Pourtant » à l’infini, mais ce serait enfoncer une porte ouverte et tomber dans la tautologie. Le diagnostic des maux qui minent la Guinée est fait, reste le remède miracle pour soigner la patiente. Hélas, le plus souvent c’est un cautère qu’on pose sur une jambe de bois. « Travail, Justice, Solidarité », trois mots nobles qui ornent les en-têtes des papiers officiels et qui constituent notre devise nationale. Trois mots devenus des coquilles vides dans la vacuité desquels raisonne notre hypocrisie 87

collective. Notre fierté exaltée à grand renfort de démagogie et de mensonge a viré au chauvinisme chez certains. Un terrible virus est venu balayer tout ça et nous prouver notre fragilité. Le terrible rocher qui plane sur la tête des Tantales que nous sommes se résume en trois termes : la politique, la division et le repli identitaire. Le fil qui retient ce rocher s’effrite dangereusement, à l’approche de chaque échéance électorale. Je laisse le soin aux sociologues, politiques et autres spécialistes d’étudier la cause de notre déliquescence. Et peut-être à en proposer des solutions. Je me borne à constater que le minimum de services me manque : l’eau, l’électricité, le transport, l’éducation de qualité, l’hygiène et la santé. Je m’en fous du nom de famille de celui ou celle qui peut me les apporter. Je me contrefiche de savoir comment il ou elle va procéder pour me les apporter. Je les veux juste. Puisque j’en ai le droit. Puisque je suis Guinéen et que la terre qui m’a vu naître me les a généreusement offerts. Bref, je veux porter mon basin, je veux me délivrer du supplice de Tantale.

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CES COMPATRIOTES AU PARCOURS EXCEPTIONNEL

Ces femmes au « métier d’homme » : Jeannette Haba, chauffeur professionnel Publié le 8 mars 2016 D’une fille, comme Jeannette, qui s’adonne à des activités habituellement réalisées par les hommes, on dit souvent qu’il s’agit d’un garçon manqué. Mais Jeannette Haba n’est pas un garçon manqué : elle fait nettement mieux que les garçons normaux ! Chauffeur professionnel en service au Bureau des Nations Unies pour les services d’appui aux projets (UNOPS), à N’Zérékoré, cette mère de famille de 40 ans cumule une expérience professionnelle à faire pâlir de jalousie le plus courageux des mecs. Dans un mois, Jeannette Haba fêtera son premier anniversaire à UNOPS dont elle a rejoint les équipes en avril 2015 après une courte période d’inactivité due à la crise Ebola qui a durement frappé la Guinée forestière obligeant la société minière où elle travaillait à s’arrêter. Une consécration pour cette battante « partie de rien » pour tutoyer aujourd’hui les sommets dans sa profession. Femme de défis Comme la plupart des chemins conduisant au succès, celui qu’a suivi Jeannette Haba a été sinueux et semé d’embûches. Mais qu’importe pour cette amoureuse de défis et du riz sauce feuille de patate. Son premier défi sur le plan professionnel, elle l’a relevé, haut la main, en 2002. À l’époque, le Bureau du 91

Fonds international de développement agricole (FIDA) basé à N’Zérékoré lance un appel à candidatures pour le recrutement de cinq (5) chauffeurs. Un ami, animé a priori d’une bonne intention, suggère à Jeannette de mettre en avant son statut de femme pour bénéficier d’un traitement de faveur de la part des recruteurs. Elle rejette poliment, mais fermement la proposition. « Je voulais concourir au même titre que les hommes, sans bénéficier d’aucun traitement de faveur lié à mon statut de femme », se rappelle-t-elle. La suite lui donne largement raison. Le coup d’essai se transforme en coup de maître. À l’issue des épreuves théorique et pratique, Jeannette, l’unique femme candidate, se classe quatrième sur les 320 dossiers déposés. Elle travaillera pendant cinq ans au FIDA. Pour le poste suivant, dans une Mutuelle de santé, elle fera mieux en surclassant tous les candidats hommes : 1ère sur 25 candidatures. Après plus de six ans d’expérience dans le privé, Jeannette change de secteur et de lieu de travail. Elle est recrutée par le Gouvernement et rejoint, en 2009, le ministère de l’Énergie et de l’Hydraulique à Conakry. Au plus fort de la campagne électorale de 2010 dans l’équipe du candidat Papa Koly Kourouma (ancien ministre de l’Énergie), Jeannette accomplissait jusqu’à deux allers-retours Conakry – N’Zérékoré dans la semaine. Elle travaillera près de deux ans et demi au compte du ministère avant de regagner sa ville natale de N’Zérékoré à la suite du décès brutal de son mari. Un épisode difficile à surmonter. Mais son moral est à l’image du physique imposant de cette femme Guerzé qui fait crisser la balance : solide. Self-made-woman Jeannette est une self-made-woman pure sang. Elle doit sa réussite en grande partie à une philosophie de vie toute 92

simple : « tout ce qu’un homme est capable de faire, une femme peut le faire également si elle le désire ». Son désir à elle d’embrasser le métier de chauffeur remonte de très longtemps. Devenue orpheline de père à l’âge de 17 ans, cette fille d’un couple de paysans du village de Gbowo (N’Zérékoré) s’est responsabilisée très tôt, bien que troisième d’une famille de 4 frères et sœurs. Ayant abandonné l’école en classe de 4ème année de l’élémentaire, Jeannette a rapidement pris conscience que sa vie ne sera pas un conte de fées. Sa mère veut qu’elle soit coiffeuse ou couturière de talent. Jeannette rêve de conduire une voiture. Son sens d’observation inné lui a déjà fait comprendre que pour émerger et réussir dans son milieu, il faut faire un métier diffèrent, un « métier d’homme ». Par deux fois, elle oblige sa maman d’aller reprendre la caution versée pour son inscription dans un salon de coiffure. Jeannette remporte le bras de fer. Désireuse de faire le métier de chauffeur par la pratique du terrain, elle n’hésite pas un seul instant à rejoindre le conducteur d’un vieux camion pour faire l’apprenti chauffeur ! Nous sommes en 1997. Oui, comme les jeunes hommes Jeannette s’accrochait sur les arceaux du camion qui sillonne les petits villages de N’Zérékoré pour alimenter les marchés hebdomadaires en produits locaux et manufacturés. Au bout de trois ans d’apprentissage, la jeune femme était non seulement capable de jauger le niveau d’huile d’un camion, monter la crique pour changer une roue crevée, poser la cale sur les pentes glissantes, mais aussi, et surtout conduire un poids lourd ! Forte de cette expérience pratique acquise à la sueur de son front, Jeannette peut passer à l’étape suivante.

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En l’an 2.000, elle s’inscrit à l’auto-école et obtient son permis de conduire au bout de trois mois. Elle commence immédiatement à travailler pour son propre compte. Son mari, également chauffeur, lui achète une Toyota Pick-up grâce à laquelle elle fait le transport en commun pendant deux ans sur le même parcours que durant ses années d’apprentissage en camion. C’est le piédestal pour grimper au FIDA… Près de deux décennies plus tard, Jeannette habite sa propre maison au quartier Boma de N’Zérékoré où cette veuve élève tranquillement son petit garçon et ses deux jeunes filles. Ces derniers sont également futurs héritiers de plusieurs parcelles de terrain grâce à leur mère, brave femme jouissant auprès de sa petite famille du fruit mûr de ses efforts dix fois bien mérités. Bien qu’ayant abandonné l’école à l’élémentaire, Jeannette Haba parle un français d’un niveau correct acquis aux côtés des centaines de cadres qu’elle a côtoyés et transportés. Elle s’enorgueillit également d’un bon niveau d’anglais parlé grâce à un court séjour à Monrovia, au Libéria. Mais de tous les succès de Jeannette, il existe un dont elle est particulièrement fière : en 20 ans de carrière au volant, Jeannette n’a jamais fait d’accident de circulation ! À toutes les jeunes filles guinéennes, Jeannette Haba a un message qui tient en neuf mots : « le premier mari d’une femme est son métier ». Venant d’elle, on ne peut que respecter. Bonne fête du 8 mars à Jeannette Haba et à toutes les femmes du monde.

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Ces femmes au « métier d’homme » : Solange Bamba, mécanicienne Publié le 8 mars 2016 Sa tenue, simple, est caractéristique : un pantalon quelconque assorti d’un t-shirt maculé d’huile de moteur et une cagoule repliée sur la tête pour protéger ses cheveux. Un morceau de carton en guise de tapis, Solange Bamba glisse avec agilité sous une voiture, armée d’une clé plate et d’un testeur électrique. Ses gestes coordonnés sont rapides, précis et bien huilés. Quelques minutes plus tard, elle ressort avec un diagnostic sans appel : il faut remplacer la douille des feux de brouillard avant, et au moins quatre ampoules grillées. Dans le service « électricité » de ce grand garage mécanique de Conakry écrasé par le soleil de mars, Solange Bamba fait figure d’exception : elle est l’unique fille du garage parmi la cinquantaine de travailleurs. Elle fait la fierté du chef de service, Maître Sagno, qui supervise le travail de six apprentis mécaniciens plus ou moins qualifiés. C’est à l’été 2014 que Maître Sagno a reçu Solange, accompagnée d’un oncle paternel. Il avoue avoir été un peu surpris à l’époque d’accueillir une fille, mais surtout frappé par la flamme qui brûlait dans les yeux de la jeune demoiselle amoureuse, non pas d’un quelconque prince charmant, mais de la mécanique. Les choses se sont passées en règle, c’est-à-dire dans la pure tradition guinéenne : dix

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noix de cola et quelques billets de banque pour sceller officiellement l’inscription de l’aspirante mécanicienne. Deux ans plus tard, le maître se dit « très satisfait » des performances de son élève. Le courage et l’intelligence de Solange sont reconnus et salués par tous ses collègues et même par certains clients, comme ce Monsieur rencontré surplace qui a tenu à le signifier directement au chef de service. « Elle est plus solide que les garçons » s’est réjoui l’homme. Pourtant, rien ne prédestinait Solange au métier d’électricienne auto. Quatrième d’une fratrie de six frères et sœurs, Solange Bamba est née en 1993 à Lola, à l’extrême sud de la Guinée, d’un père médecin à la retraite et d’une mère vendeuse de céréales. Inscrite à l’école, comme ses autres frères et sœurs, son père voulait faire d’elle une intellectuelle. Mais le rêve de la petite fille était loin de porter une blouse et de se farcir le Serment d’Hippocrate comme son géniteur de père. Sans pouvoir l’expliquer aujourd’hui, le cœur de Solange battait pour la mécanique auto. Elle ne se sentait pas « à l’aise » sur les bancs de l’école, d’où quelques difficultés scolaires. D’une santé fragile, elle est obligée d’abandonner ses études en classe de 9ème année du collège lorsqu’une maladie a failli la rendre paralytique. Son vœu secret de « quitter les bancs » est exaucé. La jeune fille débarque alors à Conakry chez un frère étudiant diplômé à qui elle fait immédiatement part de sa volonté : apprendre à réparer les voitures, et particulièrement le système électrique ! « Un choix de garçon » qui étonne, mais Solange tient bon. Elle balaie d’un revers de main les propositions de ses proches d’intégrer un salon de couture ou de coiffure, traditionnels points de chute pour filles déscolarisées. Elle ne veut pas faire comme les « autres » et déteste ces deux 96

métiers « où tu n’apprends rien de concret, en dehors de commérages oiseux ». Le frère et l’oncle se plient à ses desiderata. Gentille et souriante, elle s’intègre assez rapidement dans ce milieu exclusivement masculin bien qu’au début c’était un peu « gênant » se remémore-t-elle. Solange apprend vite, son maître appliquant les mêmes règles à tous ses apprentis sans distinction de sexe. Cette façon de faire la réconforte au point de la pousser à relever de grands défis dans la réparation des pannes. Elle a désormais trouvé toute sa place dans ce garage où elle se sent appréciée et respectée par ses collègues hommes, sans harcèlement. Le jeune apprenti, Maxime, reconnaît volontiers que Solange est sa supérieure hiérarchique, lui qui est arrivé ici il y a à peine une année. En dehors de son travail, qui l’absorbe tout de même six jours sur sept, cette chrétienne pratiquante consacre une partie du dimanche à l’église, l’autre aux affaires sociales en rendant visite notamment à des parents établis à Conakry et à quelques copines de son Lola natale. Pour l’instant, le travail de Solange ne lui permet pas de se prendre en charge, étant encore en phase d’apprentissage. Son frère qui l’héberge, l’habille et la nourrit gracieusement également. Quand elle peut, les dimanches, elle lui donne un coup de main dans le bar que gère celui-ci. Elle vit modestement et cela lui suffit largement. Du haut de ses 23 ans, cette belle Forestière de l’ethnie Kono au sourire éclatant n’est pas du tout portée sur le matériel. Solange est de l’espèce, ô combien rare, de jeunes femmes aux ambitions mesurées. Celle qui a parfaitement connaissance de l’existence de Facebook, mais feint n’avoir pas un « téléphone adapté » pour s’y connecter, ne se considère pas pour autant différente des autres filles. Mais quand on lui pose la 97

question de savoir de quoi a-t-elle le plus besoin en ce moment, la réponse, inattendue, tombe comme un couperet : « je rêve de posséder pour moi-même une mallette entière d’outils où il y a toutes sortes de clés » ! Elle est consciente de sa condition féminine, mais, à court terme, le mariage n’est pas une priorité pour Solange. À moyen et long terme, elle voudrait terminer son apprentissage et créer son propre garage de réparation de système électrique des véhicules, se donnant deux à trois années supplémentaires pour obtenir son « certificat ». À ce moment-là peut-être, elle se mariera. « Ce qui est sûr, rassure Solange, je laisserai le libre choix à mes enfants pour leur orientation professionnelle, mais je ferai en sorte de leur léguer mon métier de mécanicienne », conclut-elle. Bon vent à Solange et bonne fête du 8 mars à toutes les femmes du monde.

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Binta Laly Sow, le folklore dans le sang Publié le 20 avril 2012 Samedi 7 avril 2012, il est 23 heures à Tossokéré, une bourgade rurale perchée à plus de 1500 d’altitude dans les contreforts de Fouta occidental, à une quarantaine de kilomètres du chef-lieu de la préfecture de Télimélé. N’eût été l’obscurité ambiante, la vue sur les montagnes qui surplombent le fleuve Tominé à cheval entre Télimélé, Lélouma et Gaoual serait imprenable. Un homme accroupi près d’un groupe électrogène poussif pousse un ouf de soulagement. Après une bataille de deux heures, le technicien parvient, enfin, à mettre en route l’engin. À la grande satisfaction de nombreux mélomanes villageois qui ont fait le déplacement pour voir la star Binta Laly Sow. C’est jour de Hirdè (Bal) à Tossokéré. La scène, installée sur un Bowal à la lisière du village, est une haie circulaire recouverte de paille hâtivement fixée sur des piquets branlants. Un kit provisoire pour une nuit. Juste pour permettre à Binta Laly Sow, le «rossignol du Fouta», de donner de la voix. À 68 ans, la démarche lourde, un peu claudicante, cette «grand-mère» infatigable trouve encore de l’énergie pour chanter et danser. Malgré le poids de l’âge, un physique marqué par l’endurance, sa voix, elle, reste inchangée : tonique, mélodieuse, presque envoûtante. Portée par la guitare électrique de Saliou Barry, des castagnettes du 99

funambule Cissoko Barry, de la batterie de Saliou Kanté, la voix de Binta Laly qui fend la nuit paisible, est audible des kilomètres à la ronde, dans une bonne partie de la souspréfecture de Brouwal Sounki. Le morceau «Ä censaï euro», fait lever des volutes de poussière. Un pas en avant, un autre en arrière. Ça balance. Ça rebalance. La fièvre monte dans le public, des billets de banque – du franc guinéen – voltigent en l’air en signe de générosité. On est certes pauvre dans ces villages arides où la vie monotone est marquée par la précarité. Mais personne n’est résistible à la citation de son nom dans un Gallole (Chanson) de Binta Laly Sow. Quitte à s’endetter, à se ruiner, mais il faut donner quelque chose. Faire preuve de largesse, ne pas se montrer radin. Ce soir, le public bigarré est de tous âges. Ramatoulaye, jeune fille de 15 ans en complet pagne assiste pour la première fois à une soirée en live de sa «tante». Pour Alsény Sow, 42 ans, c’est une redécouverte chargée de nostalgie. Une soirée folklore de «Néné Laly», comme jadis. Comme il y a 30 ans en arrière. C’est à l’âge de 15-16 ans que la petite Fatoumata Binta, née dans la préfecture voisine de Lélouma, a commencé à pousser la chansonnette. À l’époque, à l’occasion des Kiléedji (entraides dans les champs) elle se servait de sa belle voix pour redonner de la vigueur aux laboureurs qui retournent la terre à la houe. Peu à peu, elle se lie d’amitié à des Nyamakala (Troubadours) violonistes pour organiser des soirées folkloriques dans les villages où les nuits étaient longues comme un a capella de Binta. Le succès ne tarde pas à venir. Sa renommée franchit la Tominé, voyage jusqu’à Binani dans Gaoual, Hérico dans Lélouma. De son village de Wouloun (Brouwal, Télimélé) où elle a grandi, à Tountouroun dans le Labé, elle connaît et sillonne tous les hameaux, un à un. Tout le monde, ou presque, la connaît. La célébrité est donc là, mais l’argent tarde à venir. 100

Au tournant des années 1995, le folklore peul, dans le sillage de Diéli Sayon Kouyaté, quitte le village pour entrer dans les studios d’enregistrement à Conakry. Binta Laly Sow surfe sur la vague et transporte son folklore dans la capitale pour enregistrer, en 1998, Walliyabhé Fouta son tout premier album. Musique nostalgique qui mêle proverbes peuls, saillies, dédicaces personnalisées, formules savantes le tout invitant à une plongée dans les valeurs culturelles peules, comme en témoigne le morceau éponyme Walliyabhé Fouta qui célèbre la grandeur du Fouta théocratique à travers ses Érudits. Bref, du folklore «modernisé» qui plaît. L’album se vend. Se pirate aussi. Six ans plus tard, en 2004, elle assaisonne son folklore d’ingrédients zouk dans l’album Foulaniou, sous le label de Syllart Productions. Huit titres très dansants. Mais toujours pas de sous. Juste de quoi vivre. Les retombées financières atterrissent dans les poches des promoteurs, producteurs et autres managers véreux qui exploitent l’analphabétisme de la diva qu’on ballotte dans toute la sous-région. Malgré ces deux albums, quelques singles, un duo avec la star sénégalaise Baba Maal, (Union sacrée, 2008) une tournée en Europe et en Amérique, Binta Laly ne roule pas sur l’or. Pas même dans sa propre voiture. Toujours flanquée d’une kyrielle de gosses qu’on lui donne par-ci par-là quand on manque de billets de banque, elle vit entre deux locations, n’ayant même pas, en 54 ans de carrière, son propre toit ! Affable et généreuse au point de vous offrir son cœur sur un plateau d’argent, Binta Laly Sow n’a aucun enfant biologique. Elle chante pourtant pour nourrir une famille toujours nombreuse, devenue presque un fardeau dont elle peine à supporter et à encadrer. Quand la situation devient intenable en ville, comme cette fois, le rossignol s’envole vers les villages de l’intérieur du pays sur les traces de ses pas d’enfance, 101

portant son folklore à bout d’ailes. Toujours avec gaîté. Pour le plaisir. Mais aussi pour le «vivre». Vivre au jour le jour. Pour joindre les deux bouts, en attendant un jour meilleur qui tarde à venir. C’est cela aussi la carrière d’un artiste en Guinée. Viva Binta !

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Boubacar « Sanso » Barry, le handicap comme force Publié le 23 juin 2012 Il aurait pu faire comme ces nombreuses personnes physiquement diminuées qui squattent les principales artères encombrées de Conakry à tendre la sébile pour leur survie. Parce qu’on lui avait signifié qu’il n’était « pas évident », « pas possible » qu’il réussisse, que son destin était de devenir un « Karamoko », un marabout. Il aurait pu, comme ses pairs, accepter cette image stéréotypée selon laquelle le handicap est synonyme de « précarité », « d’indigence », donc « d’échec ». Mais ça, c’est méconnaître la détermination, l’opiniâtreté et la fougue de « Sanso », né Boubacar Barry il y a de cela 30 ans. Sourire éclatant, les biceps musclés par les efforts de locomotion, il ne manque à ce garçon que deux jambes pour soulever des montagnes. Ses jambes à lui sont ramollies par une impitoyable poliomyélite qui l’a à jamais cloué au sol depuis l’âge de quatre ans. Ce qui n’empêche pas Boubacar « Sanso » Barry de rejoindre chaque matin, à bord de son tricycle motorisé, le bureau du site d’informations guineeconakry.info où il officie en tant que rédacteur depuis septembre 2010. C’est que lorsqu’on est armé de la ferme volonté de réussir, lorsqu’on se fixe comme défi de « prouver qu’entre le handicap physique et l’échec social il n’y a pas de fatalité », on met toutes les chances de son côté. Et l’on fait fi de « cette conception dévalorisante, ces stéréotypes, ces 103

préjugés et cette attitude figée du Guinéen » à l’égard des handicapés. Tout ce qui caractérise « Sanso », l’aîné d’une fratrie de six frères et sœurs, fils d’un modeste commerçant et d’une ménagère, arrivés à Maferinyah (75 km de Conakry) voilà un quart de siècle, loin de leur Boulliwel natal(Mamou). Il manque, certes, des jambes à Boubacar Barry, mais pas d’admiration de la part des proches et amis qui l’ont côtoyé et attribué, sans qu’il ne sache trop pourquoi, ce sobriquet de « Sanso », déformation de la prononciation du nom de Fernando Sancho (1916-1990). Un acteur espagnol de films westerns américains qui jouait souvent le crapuleux bandit mexicain, comme dans Django tire le premier (1967) ou encore un pistolet pour Ringo (1965). Des films que « Sanso » n’a encore jamais visionnés. À la place du colt de Fernando Sancho, Boubacar « Sanso » se sert, lui, d’un stylo pour analyser et décrypter l’actualité nationale et africaine sur son site, dont l’un des fondateurs n’est autre que Justin Morel Junior, l’éloquent ex-ministre de la Communication du gouvernement Lansana Kouyaté (2007). Rencontre entre un communicant chevronné et un aspirant journaliste passionné. Le résultat est une amitié soudée qui fait que le premier, par magnanimité, accueille le second sous son toit depuis juillet 2011. Il le « dépose » également au bureau dans sa voiture, certaines fois. La pluie peut rouler des tonnerres désormais. De ces amitiés cimentées dans la sincérité, Boubacar « Sanso » est un habitué. La convivialité du personnage y force. Septembre 2000, faute de lycée à Maferinyah, le jeune homme débarque à Conakry, après sa réussite au Brevet d’Études du Premier Cycle (BEPC). Direction le quartier de Gbesssia où il se lie d’amitié avec Abdoulaye Diallo dont la famille l’adoptera et l’hébergera pendant 11 ans (septembre 104

2000 – juillet 2011). Gratuitement. Puisqu’il est nécessiteux, mais surtout attachant. Opiniâtre, convivial, attachant donc. Mais aussi doué. « Sanso » a du neurone. Il le prouve au compte du lycée Bonfi en 2002 au Baccalauréat première partie Sciences sociales, où il s’aligne deuxième de la République ! Un an plus tard, en 2003, il fait un peu moins en se classant 36ème de la République au Bac 2. Lauréat par deux fois, « Sanso » n’ira pourtant pas au Maroc comme les autres candidats « normaux ». Handicapé et fils de pauvre, ça ne pardonne pas. Tu te fais « oublier », « parce que j’étais naïf peutêtre », sourit-il. Il se contentera, la mort dans l’âme, d’une inscription en sociologie à l’Université Gamal Abdel Nasser de Conakry après sa réussite au défunt Concours d’accès aux Institutions d’Enseignement supérieur. Pas parce qu’il tenait à aller au Maroc, non, mais parce qu’il avait opté pour la filière droit avant d’être orienté, malgré lui, en Sociologie. Orientation qu’il ne regrette pourtant pas aujourd’hui. « Si c’était à refaire, je le referais ». Puisque celle-ci l’a mené vers sa passion : la communication et le journalisme. Un métier qui lui permet de s’évader, de partager, mais aussi de se retrouver dans son élément, son passe-temps étant le débat, son modèle Nelson Mandela pour la capacité incomparable de l’ancien leader de l’ANC à pardonner. Une qualité dont il a besoin au quotidien dans une société où les gens dits « normaux » n’éprouvent majoritairement aucun égard pour les handicapés. Ni dans la recherche de l’emploi, encore moins dans les transports en commun. Puisque « pour les gens normaux, handicap est égal à laideur, ce qui n’attire pas toujours de la sympathie » analyse « Sanso ». Celui qui a soutenu un thème de mémoire de 60 pages, en compagnie d’un ami handicapé, Diané Ousmane, sur le 105

thème « Handicapés et emplois en Guinée : cas des diplômés des Institutions d’Enseignement supérieur de Conakry » en sait quelque chose. Cela lui a permis de comprendre que les « personnes normales illettrées ont une conception inconsciente, culturelle du handicap. Elles ne cherchent pas à comprendre notre quotidien, notre vie ». Cette catégorie-là est pardonnable. Par contre, les personnes lettrées, l’État en premier, qui en sont suffisamment informées, sont inexcusables » s’insurge « Sanso ». De même que pour l’emploi et la mobilité, il est conscient que la vie sentimentale des handicapés est encore plus compliquée. Même s’il aspire à fonder une famille. Juste deux conditions qui ne sont pas encore réunies : trouver la personne compatible et le minimum de matériel pour vivre. On l’a vu, Sanso est un battant, il y arrivera non ?

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J’ai rencontré Oscar, le caricaturiste du satirique Le Lynx Publié le 10 mai 2011 « Il possède des capacités à travailler de façon autonome ; c’est un étudiant intelligent qui a de l’avenir », disait de lui en 1989 Dr Paul Condé, Doyen de la Faculté des Sciences biomédicales de l’université de Conakry (Actuelle Gamal). Vingt-deux ans après, la déclaration s’est avérée prémonitoire pour Oscar, Chef du service Illustration et Caricatures de l’hebdomadaire satirique Le Lynx. Chaussé de verres correcteurs et armé d’un sourire charmeur, il me reçoit ce vendredi après-midi dans les locaux exigus et surchauffés du Journal. Petit tour dans son bureau : occupé. On se contentera des fauteuils du couloir d’entrée qui sert d’antichambre. J’ouvre le débat : « Monsieur, vous êtes connu sous le pseudo de Oscar, veuillez vous présenter ». Il me glisse une magnifique carte de visite qui indique « Ben Barry Youssouf Oscar ». Comme tous les lecteurs du Lynx, Youssouf Ben Barry me fait sourire chaque lundi. Je le prenais pour un Goliath, je découvre un Peul de 49 ans imberbe dont la démarche est soutenue par une béquille. Né à Gaoual, Youssouf Ben Barry alias Oscar a eu une enfance itinérante. Son père, Elhadj Boubacar Seydi, originaire de Labé (Dara-Labé) était trésorier payeur qui vit au gré des mutations. C’est à Kindia à l’École Primaire de l’Application Youssouf est admis comme auditeur libre à seulement quatre ans. Il se révèle un doué, surtout pour le dessin dont on lui découvre 107

des talents précoces. « En classe de 4ème c’est moi que le maître désignait pour dessiner la carte de la Guinée au tableau ». Trois ans plus tard, il faisait porter par ces camarades du Collège du « Baffons » les portraits grand format, dessinés de sa main, de Samory Touré, Alpha Yaya Diallo, Lumumba ou de Che Guevara lors des défilés à Kindia. Doué, le petit « Ben » est aussi un « turbulent ». Après un transfert à Forécariah, il se fracture la jambe gauche lors d’une partie de tennis dans la cour du Gouverneur d’alors. Petit séjour à Conakry (Enta) auprès d’un guérisseur traditionnel avant son retour à Kindia où il décroche, sans coup férir, l’examen d’entrée en 7ème année puis le Brevet à Gaoual, enfin le baccalauréat à Kindia au lycée 8 novembre. Cap sur Conakry à la fac de Donka. Il opte pour la Biochimie. C’est précisément à la fac que sa passion de communicateur se matérialise. On ne renonce pas à un don. Après l’université, il y fait la rencontre d’anciens journalistes du quotidien Horoya : Karamoko Bayo, Jean Soumaoro, Mody Sori Barry,… Ensemble, ils ressuscitent le « Foniké Magazine », un journal pour ados. Il s’occupe de la maquette et des illustrations. En 1990, il trouve une opportunité singulière de se perfectionner comme maquettiste. En rejoignant « La Nouvelle République », un pamphlet créé par l’ancien opposant Bâ Mamadou, Ben Barry prend ses premiers cours de Page Maker sur un Macintosh ! « Nous étions, mon ami Thierno Aliou Diallo et moi, les tous premiers Guinéens à être formés à la conception d’un journal avec un ordinateur en 19891990 », se souvient-il. Son baptême de feu pour le montage de journal, il l’a accompli bien plus tôt. C’était en 1987 au sein de « InterConakry », plaquette publicitaire de format A5 tenue par un Franco-Ivoirien, Yves Van-Ycoute. « Nous montions le 108

journal à la main », précise-t-il. Il signait ses dessins « Ben Barry ». Ensuite « Ben Oscar » deux ans plus tard dans « L’évènement de Guinée », magazine économique fondé par un certain Boubacar Sankaréla Diallo et édité en Belgique. La Nouvelle République où il fait la connaissance de Bah Lamine (BML), Diallo Souleymane et William Sassine est un tremplin pour la création du Lynx, premier journal satirique de Guinée. Il est lancé en 1992. Ben Youssouf Barry adopte définitivement le pseudo de « Oscar ». « D’où vient ce surnom de Oscar ? « Ce sont mes amis de la fac qui me l’ont trouvé. Ils disaient qu’ils ont trouvé leur Oscar en parlant de moi », m’explique-t-il. Chaque lundi, il « croque » à travers son crayon les personnalités qui font l’actu en Guinée. « Fory Coco », le personnage de l’ex-Président Lansana Conté qu’il a inventé l’a rendu notamment célèbre. « Justement Oscar, une anecdote circule comme quoi le Président Conté a demandé un jour à voir celui qui le caricature de cette façon et tu as été convoqué… ». Il secoue la tête : « non, c’est très beau et bien dit, mais ce n’est pas vrai. Il ne m’a jamais dit ça. Ni convoqué. Par contre, lors d’une rencontre aux Cases de Belle vue, Conté m’a lancé une blague en me demandant de lui reverser ses droits d’auteur, car je me fais de l’argent sur sa tête, disait-il ; sinon, il me fout en prison et retire ma femme… ». Mariam Sylla, la mère de ses quatre enfants, sa « douce moitié » comme il l’appelle, est une Soussou (comme Conté) de Dubréka. Et si Oscar n’a pas été inquiété par Conté, il a fait « un peu de taule » en caricaturant Kadiatou Seth, la seconde épouse de celui-ci. Une routine pour les responsables du Lynx aux débuts du satirique. Physique d’intello, personnage attachant Youssouf Ben Barry est un touche-à-tout. Dessinateur de presse, journaliste, infographiste licencié en PAO (publication 109

assistée par ordinateur) et maintenant Directeur d’entreprise de publicité (BBG). Les rencontres, colloques internationaux, festivals de bandes dessinées, il est toujours invité. Adulé, ses amis s’appellent Jean Plantu (Cartooning for peace), Lassane Zohoré (Gbich, Abidjan), TT Fons (Goorgoorlu, Dakar) et Najad (iconovox, Paris)… S’il regrette le manque de dessinateurs de presse en Guinée, il se réjouit à l’idée que ceux qui ont été à son école au Lynx sauront prendre la relève. Même si beaucoup de lecteurs ont du mal à se passer du « coup de crayon de Oscar ».

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Thierno Diallo, arbitre guinéen à 18 ans Publié le 25 février 2012 Il kiffe le rap, aime les croque-monsieur au saumon, adore le marketing. Mais sa passion reste le foot. Ses copains tapent dans le ballon, lui applique les règles du jeu. Il correspond à la loi N° 5 : Arbitre. Il a potassé un bouquin de 400 pages compilant les dixsept règles et articles qui régissent le football, a accompli un stage d’un mois sanctionné par un examen théorique et pratique. Il a ferraillé dur pour obtenir le sésame. L’effort a payé. Thierno Diallo, 18 ans, détient une licence d’arbitre de football depuis trois ans. Aujourd’hui, il dirige des matchs des moins des 17 ans (U-17) dans tout le district des Yvelines (France). Inscrit en classe de 1ère, Sciences et technologies de gestion (STG) au lycée Jean-Baptiste Poquelin de SaintGermain-en-Laye (Yvelines), Thierno est un bosseur. Il partage ses week-ends entre révisions des cours, travaux domestiques et sa passion d’arbitre, en passe de devenir une profession. Il est 10 heures ce dimanche matin. « Lettre à mon public » de Kerry James entre les deux oreilles, il prépare son sac. Cartons (Jaune et Rouge), un sifflet, une montre, un maillot, une fiche de paie et l’indispensable licence. Direction Houilles-Carrières, à 10 minutes de chez lui (Vernouillet). Son ancienne équipe Houilles, affronte Château, deux formations des moins de17 ans. C’est donc 111

avec une certaine émotion qu’il officiera le match cette après-midi. « Ça va être un peu dur, mais faut que je le fasse », sourit-il, dans un accent de jeune banlieusard de Paris. Sa « M’man », comme il appelle sa mère avec qui il habite, le dépose en voiture. Elle ne cache pas sa fierté pour son fils. « Il apprend à se prendre en main », se réjouit-elle. Thierno perçoit une rémunération qui varie entre 65 euros (pour les 14-15 ans) et 76 euros (16-17 ans) par match ; avec un minimum de quatre matchs par mois. De quoi se faire un peu d’argent de poche « pour me coiffer, m’acheter des chaussures et économiser pour les études post-bac » explique-t-il ; avant de se reprendre : « mais aussi d’envoyer un peu de sous au pays ». Bosseur, mais aussi généreux envers les siens. Lui qui dit pouvoir s’habiller avec 50 euros au Marché à Puces de Clignancourt (quartier de Paris), raillent « des gens qui dépensent de fortes sommes dans de vieux habits ». Bosseur, généreux et modeste donc. Le gendre parfait ! Quand Thierno parle du pays, il fait référence au sien, la Guinée. Cet enfant peul taillé dans du roc (1 m 75, 68 kilos) est né à Conakry des parents originaires de la préfecture de Pita (350 km de Conakry). Il y fait ses premiers pas d’écolier, notamment à Wanidara (quartier nord Conakry), puis au village à l’école primaire de N’diré (Timbi-Madina, Pita). Fin 2002 il débarque à Paris aux côtéx de sa mère. Ils habitent Saint-Germain-en-Laye, quartier général du club éponyme (PSG). Ils ont même le privilège singulier d’être à un jet de pierre de « Château-Vieux » et du stade d’entraînement des Parisiens ! Une baraka pour le poussin, amoureux du ballon rond et des croque-monsieur au saumon qu’il prépare lui-même. Le petit Thierno intègre le club US Lepecq (Yvelines) au poste de milieu de terrain (N° 6), il se fait vite remarquer. Mais au fil du temps, la passion de l’arbitrage prend le 112

dessus. La raison ? « J’avais envie de connaître les règles du jeu. J’aime l’autonomie que donne le métier d’arbitre ». Ça lui permet tout aussi de bourlinguer et de découvrir des contrées lointaines. « Parfois, on me demande d’aller arbitrer un match dans un coin que je ne connais pas, je regarde juste sur une carte et j’y vais ». Aujourd’hui, le rêve de Thierno est d’intégrer le prestigieux Centre Régional de Formation Jeunes Arbitres – Pôle espoirs de Paris et d’embrasser une carrière internationale. « Arbitrer les matchs de la CAN se serait bien hein » rêve-t-il. Son cœur balance tout aussi pour un BTS en Marketing, pourquoi pas un Master. Car devant sa passion de l’arbitrage la lucidité lui rappelle qu’une « carrière d’arbitre dure 10 ans. Il faut avoir un métier ». Préfère-t-il vivre en France ou en Guinée après ses études ? Choix cornélien. « J’aimerais vivre en Guinée, sans être coupé de la France, cette dernière m’a beaucoup donné », répond-il après une longue hésitation. En mars prochain, Thierno Diallo espère enregistrer un morceau de rap avec son pote Hatim, vainqueur d’un concours initié par le rappeur français Mister U (Younes Latifi). Une perspective qui l’enchante : « ça va être cool ». Avec un bon niveau d’anglais, une maîtrise quasi parfaite de l’allemand (il a passé six mois à Hanovre), ce garçon a plus d’une corde dans son arc. Pour son bien et probablement celui de son pays de naissance, la Guinée.

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Un septuagénaire de génie nommé Abdoulaye Bah Publié le 30 novembre 2013 S’il fallait résumer son parcours en une phrase, ce serait celle-là : une vie digne d’être vécue. C’est aussi le titre d’une interview qu’il a accordée en mai 2013 au site Global Voices avec lequel il collabore depuis cinq ans, assidûment. Et bénévolement. À 72 ans bien sonnés, Abdoulaye Bah, citoyen italien et retraité de l’ONU, est un web-activiste débordant d’énergie. Sa galanterie l’a conduit à découvrir le web 2.0. « Un soir de décembre 2008, raconte Abdoulaye Bah, j’étais alors à la retraite. Pour ne pas me disputer avec ma femme sur le choix du programme télé, je me suis mis à chercher une activité bénévole sur Internet ». Il tombe sur Global Voices et en tombe amoureux. Il se déchaîne. Déjà près de mille publications traduites ou écrites en français. Dans la foulée, il crée un profil Facebook, un compte Twitter et surtout un blog : Conakry Express. C’est le déclic pour cet amoureux de grandes causes et de chapeaux de feutre. Sur son blog, à l’origine « né pour diffuser des informations sur les graves atteintes aux droits humains en Guinée lors des émeutes du 28 septembre 2009 », Abdoulaye Bah revisite les pages sombres de l’histoire récente de ce pays, notamment le régime dictatorial du premier président Ahmed Sékou Touré. Avec pédagogie, il plante sa plume dans la plaie de ce douloureux épisode de l’histoire de la Guinée ensevelie sous le sang et 115

les larmes dont on sent le funeste fumet au fil des billets de blog. Une façon d’exorciser le mal qu’il couve depuis de longues années, souvent loin de sa Guinée natale. Abdoulaye Bah est, en effet, un globe-trotter. Né en juin 1941 à Gongoré-Pita (Moyenne-Guinée) il est citoyen italien où il est arrivé il y a un demi-siècle. Aujourd’hui, il partage sa vie entre Rome et Nice, de l’autre côté des Pyrénées. Son CV est une sorte de mappemonde sur laquelle l’on voyage à travers les continents avec comme boussole l’Organisation des Nations unies. 1975-1977, Addis-Abeba, Éthiopie : Commission économique de l’ONU pour l’Afrique (Uneca). Abdoulaye est rédacteur en chef du magazine Études des populations. Puis, il passe à l’Organisation des Nations unies pour le développement industriel (ONUDI) qu’il connaît comme sa poche pour y avoir travaillé pendant 19 ans (1978-1997). On le retrouve ensuite dans diverses missions de maintien de la paix ou d’organisation d’élections de l’ONU : Cambodge, Rwanda, Haïti. Ce fonctionnaire international, spécialiste en statistiques n’en est pas moins un talentueux journaliste. Il a prêté sa plume à de nombreuses revues italiennes imprimées ou en ligne : Amicizia, Solidarietà, Chiamafrica, Quaderni Radical, etc. Il a également été correspondant depuis Rome et Nice pour le groupe de presse guinéen, Le Lynx – La Lance. Blogueur, fonctionnaire onusien, statisticien, journaliste, mais aussi humanitaire et traducteur. On l’a écrit, le massacre de 28 septembre 2009 pousse Abdoulaye Bah à créer Conakry Express. Mais il était déjà membre actif du Forum de l’association des victimes du régime de Sékou Touré. Membre également de plusieurs ONG de défense des droits de l’homme, il a participé à la création de Pafodeg (Participation et Formation pour le Développement 116

en Guinée). Ce grand-père polyglotte (il a appris au moins sept langues !) a plus d’un tour dans son sac. Il a mené, dans les années 1960, de nombreux travaux de recherche et de traduction pour l’École de statistique de Florence en Italie. Expérience qu’il met au service du réseau mondial de blogueurs, Global Voices, depuis décembre 2008. Cet activisme débordant est né probablement de son engagement précoce en politique. Années 1960 – 70 : le monde est en ébullition. Les soleils des indépendances brillent de mille feux en Afrique, la guerre du Vietnam fait rage, lutte contre l’apartheid en Afrique du Sud, lutte contre la ségrégation raciale en Amérique. De toutes ces convulsions, le Parti radical italien est en première ligne. Abdoulaye Bah en devient membre. Il égrène les fruits des combats du parti dont il est fier de nos jours : initiative pour la création de la Cour pénale internationale, débat pour un moratoire sur la peine de mort, mobilisation contre les mutilations génitales féminines. Pourtant, son destin aurait pu connaître une tournure moins lénifiante. En 1967 à la fin de ses études à Florence, le petit génie part chercher du travail à Paris. Objectif : trouver le prix du billet d’avion pour rentrer en Guinée. Son père l’apprend et saute dans un avion pour aller l’en dissuader. Le père sauve ainsi le fils des affres du régime révolutionnaire de Conakry. Il retourne finalement en Italie par la ruse pour vivre dans la clandestinité (sans-papiers). Il finit par trouver du boulot grâce à un prêtre. Deux ans plus tard, en 1969, il rencontre son âme sœur : une Italienne. Abdoulaye Bah, le musulman de Pita, dont le grand-père est mort à la Mecque, se marie au Vatican sous le coup de trois exigences : respecter la religion de son épouse, ne pas s’opposer à l’éducation catholique des enfants, reconnaître l’insolubilité du mariage célébré à l’église. Piqué par la flèche de l’amour, M. Bah accepte les yeux fermés et convole en noces. 117

Résultat : trois fils avec la liberté pour chacun d’embrasser la religion de son choix. Cela ne pose de problème à personne, surtout pas au père qui avoue ne pratiquer aucune religion. Les voies du Seigneur étant insondables, Abdoulaye Bah a interprété le rôle d’un cardinal zambien dans le film « Habemus Papam » du célèbre cinéaste italien Nanni Moretti. « Une pure coïncidence » commente l’intéressé. Vu son parcours, on pourrait s’imaginer que le Vieux s’est assagi et a fini d’accomplir son œuvre. Il n’en est rien. Le 4 mai passé, il a été victime d’une agression raciste dans un restaurant italien à Nice. De quoi raviver sa fougue d’étudiant engagé des années 60. Il crie sa rage dans un billet de blog et engage une nouvelle bataille : la lutte contre la résurgence du racisme. Un noble combat dans lequel l’infatigable Abdoulaye Bah pourrait faire de Christiane Taubira et de Cécile Kyenge des alliées de taille. N’est-ce pas Monsieur Claudy Siar ?

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CONAKRY, UNE CAPITALE DANS TOUS SES ÉTATS !

Lectures déambulatoires dans les rues de Conakry Publié le 31 décembre 2015 Matin frisquet de fin décembre. Le klaxon strident du train minier, faisant écho à la voix amplifiée du muezzin, déchire l’aube naissante dans une chorale sublime. Une ombre en haillons faufile entre deux murs, une planche garnie de baguettes de pain en équilibre sur la tête. À l’est, le soleil, l’air timide, entame l’ascension harassante du mont Kakoulima. Conakry émerge progressivement de son lit, drapée d’un épais voile formé par les volutes de poussière et de fumée s’échappant des vieilles guimbardes devenues le décor de la ville. Comme à l’accoutumée, je suis debout dès potron-minet. Baskets aux pieds, maillot de jogging au dos, je mets à profit quelques jours de congé de fin d’année pour dégonfler une petite bedaine qui commence à s’installer sournoisement me flanquant un aspect d’officier des douanes africain. La pente raide sur la route qui traverse notre quartier est une sacrée aubaine. Je vous en dirai des nouvelles l’année prochaine… Cette activité sportive, sporadique, est également une aubaine pour redécouvrir Conakry sous un autre jour : celui de l’écriture et des inscriptions urbaines. Ça a l’air totalement badin, mais ma curiosité innée et mon amour acquis pour la lecture m’ont permis de comprendre que Conakry est un véritable livre ouvert. On peut y lire les transformations continues de la ville, son 121

essor économique, ses fantasmes et ses codes, mais aussi ses douleurs et ses plaies cicatrisées ou encore ouvertes. Pour peu qu’on y prête attention, Conakry parle à celui qui écoute, instruit celui qui lit. Pour s’en rendre compte, le meilleur moyen est de déambuler dans les quartiers, de préférence à pied. Sur les deux principaux axes routiers de la capitale, les autoroutes Fidel Castro et Leprince, le florilège des affiches publicitaires géantes témoigne de l’entrée de la ville de plain-pied dans la société de consommation qui s’universalise. Ici, un panneau d’opérateur de téléphonie mobile annonce des tarifs mirobolants, là une société de paris incite à miser gros pour toucher le jackpot. Miroir aux alouettes pour une jeunesse en proie au chômage, déchirée entre espoir de rester et rêve de partir. Entre les deux affiches, brusque changement de thème : un Alpha Condé candidat, en costume-cravate, étale sur 18 mètres carrés de vinyle un sourire photoshopé. Le slogan de campagne qui barre le panneau est sans appel : « Le progrès en marche ». Ma curiosité également, Monsieur le président. En avant. Plus loin, sur les hauteurs de Bambéto, une main anonyme a tracé à la chaux sur un pan de mur branlant : « Vive l’UFDG ». À côté, on distingue le dessin maladroit d’un lance-pierres. Mieux que quiconque un gendarme de Conakry sait interpréter ce « message » dans ce quartier qualifié, à tort ou à raison, de « contestataire ». Le « combat » politique s’étale à ciel ouvert. Redescente dans cet autre quartier de banlieue : Sangoyah. Une épaisse couche de poussière ocre tapisse les toitures des maisons en taules ondulées. Quand les ruelles sont bitumées, elles mènent généralement chez un ancien dignitaire du pouvoir. Mais shiitt, mieux vaut se taire, car

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comme partout ailleurs, les murs ont des oreilles. Mieux, ici ils parlent ! Justement à l’angle des deux rues, on peut lire au mur, écrit par un riverain dans un français approximatif, « interdit de jeter des ordures ici, amende 150.000 FG ». Une interdiction que portent quasiment tous les murs de Conakry. Elle matérialise le conflit entre voisins autour de la gestion des déchets que l’on balance où l’on peut, faute de collecte et de circuits de ramassages organisés et efficaces. « Interdit d’uriner ici » est l’autre inscription qui décore les murs des quartiers ; baromètre de l’absence de toilettes publiques. Au-delà du montant de l’amende qui varie suivant la courbe de l’inflation (dans les années 90, elle tournait autour de 5.000 francs), les deux formules sont souvent complétées par une menace de sévices corporels auxquels s’exposent les contrevenants. Ainsi, on retrouve les variantes : « interdit d’uriner ici, amende 100.000 francs, plus 50 coups de fouet », « amende 200.000, plus bastonnade », « amende 50.000, plus 2 heures de combat ». La meilleure que j’ai trouvée est celle qui, pour souligner la rigueur de la punition, était illustrée d’une image montrant une paire de ciseaux qui coupent un pénis urinant. Aïe ! Douloureux aussi est le pari fou de ce… malade mental qui prend les fondations de l’échangeur de l’aéroport Gbessia pour un tableau qu’il s’acharne à peindre à la craie ou au charbon de bois. Des bouts de phrase sortis des méandres de son imagination alternent avec de célèbres proverbes et des citations d’auteurs connus. Un monologue en écriture, le temps que l’impitoyable flotte de Conakry lave les murs du pont. Puis, notre artiste se remet à l’œuvre, et le cycle recommence. Les taxis, eux, ont choisi l’encre indélébile pour faire parler leurs engins sans âge. Si à Dakar, les taxis-ville arborent une queue de vache à l’arrière-train, ceux de 123

Conakry sont porteurs de messages. Messages de gratitude à l’endroit du Seigneur, « Grâce à Dieu », aux parents, « Grâce à ma mère », ou à un obscur bienfaiteur, « merci maître ». Ces bouts de phrase peints sur les véhicules en disent long sur la traversée du désert de leurs propriétaires qui ne cachent point leur joie d’en sortir. Sur un taxi interurbain au décor exubérant, l’on précise que c’est la réussite de « l’enfant de Horé-Fello ». Un Magbana suranné porte, lui, tout « l’espoir de Banamorydougou ». Un poids lourd au moteur fatigué ploie sous des tonnes de bananes plantain en provenance du sud du pays. Si l’on se fie à l’inscription haut placée sur la cabine, c’est « Jack Bauer » qui est au volant. En réalité, Maître Niankoye, éreinté par le trajet difficile et brûlé par le soleil de Faranah puise dans ces dernières réserves d’énergie pour livrer sa cargaison fragile au marché forestier de Tanéné à Conakry. « Bonne chance », en lettres capitales, barre tout le flanc gauche d’un « School bus » surchargé en route pour Kankan. De la chance, en a vraiment besoin la centaine de passagers de cet ancien autocar américain dans lequel pétaient, jadis sur les routes du Mississippi, une trentaine d’écoliers américains. On continue, certes, à péter dans cette épave d’autocar sur les virages en épingle de Yombokouré, mais pour d’autres raisons… De l’Amérique, nous vient également Madonna, en posture lascive sur un poster qui colonise les taxis. On se croirait à la veille d’un concert de la superstar à Conakry, ville qu’elle ne saurait même pas géolocaliser sur son Google Earth. Ce sont des banderoles en percale, tendues entre deux poteaux, qui annoncent les concerts à Conakry. Fantaisies d’écritures et fautes d’orthographe se disputent la vedette sur ces bouts de tissus qui inondent les axes routiers. Les enseignes d’échoppes de quartier, d’atelier de couture et de coiffure, sont le porte-étendard de ce massacre organisé de 124

l’orthographe. Ici, la prononciation d’un mot passe avant le respect des règles d’écriture. Qu’importe ! « Pouleh rauty » ou « poulet rôti » ne change pas la saveur de votre plat dans ce resto de banlieue. Conakry est dépourvue de graffitis, excepté quelques inscriptions murales que l’on rencontre par exemple au quartier Wanindara, inspirées par le lointain hip-hop américain des années 90 que de petits délinquants tentent de perpétuer. À Kaloum, au centre administratif, les murs témoignent de la guerre des factions de jeunes manipulés par les politiques locaux. Désignée capitale mondiale du livre en 2017, Conakry offre d’ores et déjà une littérature murale riche et diversifiée. Un livre dont chaque coin de rue est une page ouverte. Il suffit de lever le regard pour en saisir le sens. Bonne lecture et bonne année 2016.

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Salons de coiffure de Conakry, fragments « d’ailleurs » Publié le 27 avril 2013 Poussez la porte d’un salon de coiffure de Conakry : vous entrez dans la troisième dimension ! Un monde fascinant où les frontières s’effacent, une sorte de grotte d’Ali Baba qui recèle des trésors insoupçonnés. Sésame, ouvre-toi. On tombe sur une scène à s’arracher les cheveux. Lionel Messi en sueur décoche un sourire candide à un Oussama Ben Laden impassible, lui-même occupé à reluquer la poitrine ensorcelante de la star Nicky Minaj ! Non, ce n’est ni un cauchemar, ni un film au scénario pourri. C’est le chef d’œuvre d’une mise en scène qu’on ne peut trouver que sur les murs d’un salon de coiffure de ma capitale. Précision de taille avant d’aller plus loin : il s’agit ici des salons de coiffure pour hommes. Je ne sais pas si un jour j’aurai le courage de franchir la porte d’un salon pour dames, une de ces mini-industries dont le produit fini est un concentré personnifié de la Chine ! Je m’égare… Disons qu’un salon de coiffure (homme) remplit, certes, sa fonction première : celle d’être un lieu où l’on peut vous refaire la beauté. Une gamme de mille et un modèles de coiffures des plus loufoques aux plus artistiques à votre disposition : ras congolais, Craig David, Singleton, Snoop Dog, Livio, zèbre, tête de mort, etc. Une lame et un simple peigne fin (pour la tondeuse électrique, revenez quand le 127

courant rebelle de Conakry décidera de pointer le nez). Avec ce matériel rustique, un gars s’attaque à votre tête qu’il tord, tond et sculpte en moins de vingt minutes. Pour une misère (moins de 0,5 euro) et dans des conditions d’hygiène souvent douteuses. En contrepartie, l’ambiance d’un salon est toujours fun. Si le courant est de « tour », une chaîne musicale ou un écran télé crachent de la musique en permanence. Sinon la conversation bat son plein entre clients, gérant et désœuvrés qui cherchent à tuer le temps. Les ragots et les potins du quartier sont passés au crible, l’actu sportive et politique est disséquée, commentée, passée au… peigne fin. Les rumeurs se ramassent à la pelle. À Conakry, c’est dans les bars-cafés et les salons de coiffure que les footballeurs des championnats européens sont recrutés et formés, là que les ministres de la République sont nommés et destitués, que les coups d’État sont orchestrés, là que les élections sont organisées et validées ou non, là que les présidents tombent malades, guérissent ou meurent. Ce sont des parlements en miniature dont le pouvoir est renforcé par l’absence d’une vraie Assemblée nationale dans le pays depuis décembre 2008. Les salons, c’est aussi et avant tout un business. Dans un pays où le secteur informel tient l’économie par la bride, les salons de coiffure constituent autant de points de chute pour de nombreux chômeurs, dont des sortants d’université qui ont fini par ranger leurs diplômes sous le matelas, à force d’écumer la ville à la recherche d’un emploi introuvable. On arrête de couper les cheveux en quatre pour prendre le peigne et la lame rasoir. Il faut vivre. Mais, de tous les aspects d’un salon de coiffure guinéen, le plus fascinant reste le décor. Celui-ci est pensé. Les propriétaires y accordent une importance capitale. Mi-salle d’exposition photos, mi-tableau d’affichage de cinéma, les salons de coiffure croulent sous le poids des affiches et 128

autres posters dont ils sont tapissés dans une logique que ne comprennent que les auteurs. Des stars du showbiz d’Hollywood côtoient des icônes de l’islam wahhabite, de gros poissons de la jet-set du football européen posent un regard rieur sur la coiffure des modèles ghanéens ou nigérians. Tout le monde y trouve sa place. Dans la tolérance la plus complète. Un véritable cas d’école. Ces posters ne sont pas uniquement destinés à cacher la misère des murs décrépis et la tôle mangée par la rouille d’un studio de quatre mètres carrés chauffé à blanc. Ces fragments d’ailleurs traduisent aussi l’expression d’une génération à l’écoute du monde extérieur par la bénédiction d’une mondialisation débridée. L’expertise de la Chine et du Nigéria en matière de fabrication de posters pacotilles est mise à contribution à grande échelle. Le résultat est une photothèque du monde reconstituée entre quatre murs. Cette espèce de syncrétisme culturel illogique est également perçue comme un dérivatif pour s’échapper, du moins spirituellement, à la dure réalité du quotidien de Conakry la capitale. Une façon de partager la vie des célébrités à travers leur image. Ça s’appelle vivre le bonheur par procuration même si, comme le disait le poète Senhgor, « on ne peut pas se désaltérer au seul souvenir d’une eau déjà bue ».

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Dans la peau d’un chauffeur de taxi de Conakry Publié le 26 septembre 2013 Je bosse 16 heures par jour. Sept jours sur sept. Pour un salaire mensuel de 150 000 GNF. Depuis 10 ans. Je connais la capitale guinéenne mieux que ma poche. Je m’appelle Alpha*. J’ai 32 ans. Je suis chauffeur de taxi à Conakry. Mais Alpha, c’est à la maison. Au boulot, je me fais appeler « Rafale » par les potes. Je ne tire pourtant sur personne. C’est à cause de mon côté « chaud-chaud » qu’ils m’ont collé ça. Sinon, sur la route, mon lieu de travail, c’est souvent « maître » ou « taximan » qu’on m’appelle. Parfois « taxi » ou « taximètre », mais tout le temps « sofééri », « mètèr », « maudit » ou « le bâtard ». Des qualificatifs devenus des sobriquets qui me collent à la peau et dont j’ai fini par m’accommoder sans soucis. De Conakry, j’ai fini aussi par m’accommoder. Cette ville atypique, cette non-ville, une sorte de mélange de bourgade rurale et de cité urbaine, sans eau, pour une grande partie, et sans électricité. Toujours encombrée. Une capitale-moi, dont je prends les couleurs chaque jour, où je fonds par mimétisme comme un caméléon. Conakry, c’est moi, moi c’est Conakry. Une cité qui vit à 100 à l’heure. Vitesse à laquelle je roule habituellement à bord de mon taxi chéri. Mon taxi ! Mon outil de travail, mon bureau, ma boutique, mon magasin, ma muse, mon amulette. Celui qui 131

m’habille, me nourrit, me loge, me fait sourire souvent, me fait chier tout le temps. Une petite Nissan Sunny peinte en jaune, comme tous les taxis de Conakry. J’ignore son âge exact. Y en a qui disent qu’il est fatigué, vu son état. Ce n’est pas mon avis. Extérieurement, il lui manque, certes, les feux rouges, les clignotants, l’essuie-glace de la vitre arrière et les deux rétroviseurs. Il porte aussi une grosse toile d’araignée sur le pare-brise avant, des traces de coups de fouet sur les flancs, au capot et sur le toit. À l’intérieur, seuls le démarreur, les ceintures de sécurité, et les manivelles pour monter les vitres font défaut. Plus quelques boutons sur le tableau de bord. Le reste est parfait. Il roule cool. À quoi servirait tout ça d’ailleurs ? Inutiles, les feux de stop et clignotants quand je peux freiner « bouge-pas » et tourner où je peux, quand je veux. Qui n’a pas vu les chauffeurs de voitures personnelles clignoter à gauche pour aller à droite ? Des chauffards qui ont obtenu leur permis dans les auto-écoles et qui veulent se comparer à nous. Inutile aussi l’essuie-glace, puisque la glace elle-même est inexistante, remplacée par un écran plastique. Rares sont les pare-brise qui survivent aux étreintes quotidiennes entre taxis, ou quand l’axe Bambéto-Cosa est en ébullition. Un caillou a vite fait de le péter où d’y imprimer une jolie toile d’araignée. Presque tous les taxis de Conakry portent une ! Un furtif coup d’œil par la vitre est mieux que le rétroviseur. Les coups de fouet, quant à eux, sont l’œuvre des maudits policiers de la route. Mes pires ennemis. Ces affamés passent tout leur temps à me rançonner et à cravacher ma Nissan par des bouts de tuyau qu’ils brandissent comme des Talibans en plein Kaboul ! Y a longtemps qu’ils ont perdu l’usage du sifflet. Celui-ci est remplacé par des coups de pieds et de cravaches pour réguler la circulation. Une révolution chez nous !

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Pour le démarreur, deux bouts de fils dénudés font l’affaire. C’est instantané. Comme dans les films quand les bandits volent une voiture. Sinon je le fais pousser pour l’allumer. C’est là qu’il me fait chier ce taxi. Pour la ceinture de sécurité, obligatoire pour le chauffeur, j’ai une corde je colle à la poitrine à l’approche d’un contrôle de police. Ça marche nickel. Sinon un billet de 1000 francs peut acheter l’infraction. Tout comme l’absence de permis, de carte grise ou d’assurance. Assurance de qui ? Mon œil. S’en fout aussi des manivelles pour les vitres. Tu les laisses intactes, c’est un salaud de petit mécanicien qui te les volera un jour. Un tournevis que je détiens sert de manivelle générale quand il pleut où quand le taxi devient « un four », complainte des passagers emmerdeurs. Ah les passagers ! Je me demande pourquoi ils me haïssent tous ? Ces inconnus pour qui je ne suis pas Alpha, mais « taxi », « maître » ou « le bâtard ». Des individus que je ne connais ni d’Ève ni d’Adam, mais qui m’insultent et me maudissent à longueur de journée. Alors ils s’étonnent que je ne réponde pas à leurs lamentations lorsqu’il y a une crise de taxis le matin pour descendre « en ville » où pour remonter en banlieue le soir. C’est mon heure de gloire ces deux moments. Il me plaît de les voir se bousculer comme des animaux pour monter dans mon taxi qu’ils ont fini par défoncer. Quand j’en ai marre, je roule en mode « déplacement ». Muet comme une carpe quand ils me demandent « maître c’est où ? ». Intérieurement, je réponds : « C’est en enfer, sale connard ». Petit rectificatif. Ce taxi ne m’appartient pas en fait ! Il est à un « Vieux » que je maudis tous les jours à mon tour. Je dis « MON » taxi, puisque je le gère, il est entre mes mains. C’est comme ça chez nous. Ce que tu détiens ou soutiens t’appartient. Ainsi, quand mon équipe Barça joue 133

contre le Real, je ne dis pas Barça est opposé au Real Madrid. Je dis « nous allons déculotter les Madrilènes ». Donc, mon taxi appartient à ce vieux grabataire qui m’exige une recette journalière de 60 000 francs. Je supporte aussi les frais de carburant, 20 litres par jour, les infractions que je commets tout le temps, les futiles cotisations syndicales, les frais de réparation en cas de pannes mineures et la rémunération des coxeurs, ces petits morveux, voleurs de téléphones portables par excellence qui passent leur temps à aboyer les noms des quartiers de Conakry pour rameuter les clients contre un billet de 500 francs. Pour couvrir tous ces frais, plus la recette journalière et mon « pain du jour », je roule comme un damné. Un piéton qui me hèle quand la circulation est fluide, je peux piler même à 100 à l’heure pour le prendre. Je suis un rat d’embouteillage. Je connais tous les raccourcis. Partout où peut passer une Sunny, je passe. Fût-ce le sas d’une aiguille ! J’embarque deux personnes devant, et quatre derrière. Je souris souvent au volant quand j’entends les passagers râler sur la surcharge. Ce qu’ils ignorent, c’est que pour moi, ce ne sont pas des personnes qui sont assises dans mon taxi, mais des montants de 1.500 francs, coût du tronçon. Alors, qu’ils soient gros, gras, maigres, hommes, femmes, jeunes, vieux, sains, malades, serrés ou confortablement assis, je m’en tape. Comme s’en tape le proprio du taxi qui ne gobe jamais quand je lui dis que la journée n’a pas été bonne. Alors c’est le tacot qui trinque. Il arrive que je le sous-loue à un pote en galère qui, lui aussi, s’en donne à cœur joie. C’est ainsi jusqu’à ce qu’il rende l’âme ou que le propriétaire, se rendant compte de mes magouilles, me le dépossède. Alors je transhume chez un autre. C’est ainsi depuis 10 ans. Je tourne en rond. Mais j’aime ça. Je vis de ça. Je suis un taxi de Conakry. 134

Conakry, côté pile Publié le 23 février 2015 Dans le palmarès des villes propres où il fait bon vivre, Conakry est en queue de peloton. Les habitants de la capitale guinéenne sont sempiternellement pressés, stressés et cassants. À bien regarder leur habitat sur une carte, on comprend leur situation : ce n’est pas facile de vivre dans un cigare ! Plus de deux millions de personnes sont entassées sur une bande de terre en forme de cigare géant qui plonge dans l’océan sur 40 km de long, avec en moyenne 8 km de large. Deux routes parallèles servent de voies de circulation qu’empruntent chaque jour des dizaines de milliers de véhicules presque toujours au même moment et dans le même sens. Même au cinéma on ne saurait récréer un capharnaüm plus abouti. La promiscuité, les frustrations, la galère et les rancœurs, entretenues par des discours politiques ravageurs font que, durant les 20 dernières années, la cité est devenue un volcan en ébullition où la moindre humeur s’exprime dans une violente éruption : les ordures quittent, un temps, les fossés pour la chaussée, des pare-brise volent en éclats avant que les écœurés n’hument du lacrymogène pour se calmer. Pour échapper à ce chaudron incandescent à la quête d’un bol d’air frais, il faut gagner les terres de l’intérieur du pays ou prendre le large. Mon choix porte sur la seconde option.

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Mais, 20 ans de vie à Conakry n’ont pas effacé mes souvenirs d’enfance de petit berger peul sur les hauts plateaux de la partie occidentale de la région du Fouta Djallon. Je sais faire le Tarzan en balançant au bout d’une liane entre deux rochers, mais pas accrocher un appât sur une ligne pour aller à la pêche. Bref, la phobie de l’océan a fini de me convaincre que je pourrais me noyer dans un verre d’eau. Pourtant, je me jette à corps perdu pour l’archipel des îles de Loos. Le 14 février est en effet une occasion plus que… romantique pour rendre visite à mes insulaires compatriotes ou sombrer dans l’Atlantique façon Jacques Dawson dans Titanic. Notre Titanic à nous sera une pirogue, longue d’une quinzaine de mètres, à l’arrière de laquelle est flanqué un moteur Yamaha aux vrombissements pas très rassurants. Pas rassurants non plus le matelot occupé à vider l’eau de mer infiltrée dans la coque… Pour 50 000 francs la traversée, une vingtaine de personnes prennent place à bord, serrées en rang d’oignons. Gilets de sauvetage enfilés, on met le cap sur les îles de Loos. L’image n’est pas sans rappeler les embarcations de fortune des immigrés clandestins qui affrontent la Méditerranée. Je me tape l’Ayatal Koursiou en rafale pour chasser l’idée maléfique de ma tête. L’archipel des îles de Loos, situé à une dizaine de km à l’ouest du port de Conakry, est composé de trois îles principales : Kassa, Tamara et Room par ordre de distance de la terre ferme. Elles forment une sorte de demi-cercle autour duquel sont parsemés des îlots inhabités de faible importance. L’ensemble représente un certain havre de paix particulièrement prisé par les expats en quête d’exotisme et de loisir. Kassa, l’île la plus proche de Conakry est également la plus grande et la plus peuplée. Elle a été récemment érigée 136

en sous-préfecture dans une certaine confusion des textes… À l’exception de quelques endroits, Kassa a la réputation d’être envahie et polluée ; donc moins attrayante. Ce n’est pas trop à mon goût. Tamara a un côté sauvage avec très peu d’habitations et d’hôtels. C’est encore une île vierge, toutes proportions gardées. Pour les amateurs de randonnées à la découverte d’endroits inédits, c’est la destination privilégiée. J’adore la randonnée, mais ce sera pour une autre fois. Je suis plutôt en quête de calme, d’air frais, d’eau turquoise et de sable fin, bref du romantisme en ce 14 février. Tout ce qu’offre Room, à 11 km des côtes de Conakry. Il est 10 heures tapantes. Le moteur de la pirogue pétarade de plus en plus fort. L’embarcation prend son élan et s’élance sur les commandes d’un mec baraqué à la peau en écailles, brûlée par le soleil de Guinée. Un genou plié, il tient une barre de fer verticale en guise de gouvernail. De furtives images de « Dents de la mer » défilent dans ma tête. Dieu, sauve tes créatures… Pas sûr que le Seigneur m’entende puisqu’un groupe d’expatriés d’origine russe pèchent juste devant moi en buvant de la vodka à grandes lampées. Ils fument, nous enfument et dévissent bruyamment. Dans leurs conversations désarticulées reviennent pêle-mêle, la guerre à l’est de l’Ukraine, le statut de la Turquie en tant que pays européen ou non. Le tout noyé dans des effluves de vodka russe et de Marlboro. Une scène moins amusante que les plongées spectaculaires à la verticale des sternes qui capturent des petits poissons qu’ils emportent manger sur les berges du port de Conakry. La technique de pêche de ces oiseaux est bluffante !

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Voici Kasa qui défile à notre gauche. Sur les côtes rocheuses aux allures de falaises, des femmes sèchent de petites crevettes sur des pagnes colorés. Plus loin apparaît un hôtel en cases rondes surmontées d’un toit conique de tôle ondulée. Tout autour de l’île, de vieux pêcheurs solitaires, torse nu, bravent le soleil de midi et la mer à la recherche de quelques capitaines et de langoustes. Au bout d’une heure de voyage surgit l’île Room. À gauche de la petite bande de terre en forme de « 8 », une enfilade de résidences privées sur la plage, à droite le village de l’île. Au milieu de deux, entre une langue de sable et des rochers basaltiques, les pirogues déversent autochtones, touristes et randonneurs. Mon hôtel est situé sur l’autre versant auquel on accède par une ruelle rocailleuse qui serpente à travers une forêt de palmiers qui dandinent sous le vent. Ici, la plage est immaculée, quoique parcimonieuse. Le ressac des vagues sur les falaises, la pureté de l’eau et de l’air font oublier le tumulte de Conakry et vous plongent dans un calme romantique. En parlant de romantisme, beaucoup ignorent que la beauté de Room donna autrefois à l’écrivain écossais Robert Louis Stevenson le décor pour son roman mythique « L’île au trésor » ! En tout cas, de petits malins ont flairé le trésor caché de l’île en y faisant pousser des hôtels aux tarifs qui frisent le scandale pour un service et un confort minimalistes. La chambre à 100 euros et un vague petit déjeuner qui dope votre appétit au maxi. Au resto de l’hôtel, le menu tracé sur un tableau noir annonce la couleur : deux tranches de filet de capitaine à 130 000 GNF. Je me suis sauvé pour retrouver les pêcheurs au village en contrebas. Au bout de quelques minutes de conciliabules, Naz, un grand gaillard, prend sa pirogue pour me ramener deux gros capitaines qui frétillent encore. Deux heures plus tard, ma femme et moi nous avions écaillé, vidé 138

et grillé le poisson. Installés à l’ombre d’un baobab, le regard rivé sur l’île de Tamara de l’autre côté de la mer nous avons dégusté ces délicieux capitaines. Ça fait partie des bons plans de Room où je reviendrai plus souvent pour humer l’air pur et manger du poisson frais, les pieds dans l’eau. J’aime ce Conakry-ci.

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31 décembre à Conakry, vices et vertus d’une fête Publié le 3 janvier 2013 Le 31 décembre 2012 a vécu. J’en garderai un souvenir désopilant. Et c’est tant mieux, eu égard au drame enregistré au stade Houphouët-Boigny d’Abidjan en Côte d’Ivoire… À Conakry, l’ambiance était au rendez-vous. Partout. En dépit de tout. Beaucoup de parents auront été tour à tour persuasifs, conciliants, menaçants et même agressifs à l’égard des enfants; les imams, dans leurs sermons du vendredi, ont prévenu, défendu, maudit, invoquant la Géhenne et tous les supplices du Purgatoire contre les musulmans contrevenants. Rien n’y a fait. Comme par le passé, le réveillon du 31 décembre 2012 a été célébré dans la joie et l’allégresse, à l’unisson. En Guinée, les fêtes ont cela de vertueux qu’elles sont fédératrices. Les différences religieuses et surtout les clivages ethniques instrumentalisés par des discours politiques sectaires sont toujours mis de côté pour casser la baraque. Dans l’équité, l’égalité, la fraternité et la laïcité. Et qui dit que nous ne respectons pas notre Constitution qui prône ces valeurs inspirées par la Bible ? En tout cas, pas Nicki Minaj ! Cette pimpante star d’origine Trinidadienne au nom bizarre et dont les décolletés laissent apercevoir une poitrine capable de provoquer un infarctus du myocarde 141

même chez un activiste d’Ansar-dine, a vu sa côte de popularité monter en flèche à l’aube de 2013 à Conakry. Par imitation. Il se raconte qu’elle est à l’origine d’une espèce de chaînette fixée aux sourcils en signe de beauté. C’est devenu ici un véritable phénomène de mode à l’occasion des dernières fêtes de fin d’année. Pour un résultat franchement effrayant. Les commerçants ont inondé le marché de répliques chinoises d’autocollants de la chaînette de Nicki Minaj, contribuant à créer des personnages de films d’horreur dans les rues de notre capitale. La nuit, sous l’effet de la lumière, les filles ont carrément une allure de clown ! Ce qui a donné le ton pour la sape du « 31 ». Sape à l’occidentale, du moins pour les garçons. Souliers, chemise, veste et cravate. Ç’a été plus au moins respecté, plus ou moins élégant. C’est une question de goût, mais c’est surtout une question de moyens. Certains se sont saignés des quatre veines pour acheter à prix d’or (pour une qualité chinoise) leur smoking de soirée. D’autres ont marchandé, essayé et finalement acheté les « costumes-occasions » du légendaire marché à fripes de Bordeaux à Madina (longue vie à Bordeaux) ; les plus fauchés ont tout simplement appliqué le système « Yéfoussé » (emprunter). Les partisans de cette dernière catégorie étaient reconnaissables à leur tenue serrée ou – surtout – ample, la veste du grand frère banquier faisant office de peignoir pour eux ! Pour les filles, c’était en veux-tu en voilà. Tous les goûts, toutes les couleurs. Il y avait certes des élégantes dans une tenue impeccable, belle à marier et parfumées comme une fleur. Puis, il y avait les autres : les Nicki Minaj, les Rihana, les Koumba, mais aussi les Léopoldina. Certaines étaient fagotées comme pour entrer dans une scène de théâtre : longue robe en polyester, escarpins plastiques, boucles d’oreilles en cerceau, chaînette au pied, Nicki Minaj à l’œil, maquillage à outrance, le tout dans un 142

accident de couleur à faire pâlir de jalousie un arc-en-ciel ! Avec ça, tu leur adresses un « bonsoir » normal, et c’est dans la gorge qu’elles partent chercher le « R » de leur « bonsoir » de réponse, après t’avoir dévisagé de la tête aux pieds. Attention hein, c’est de l’intégration culturelle universelle vous dira-t-ton ! Et puis des goûts et des couleurs… Mais de cette culture de masse qui nous vient d’ailleurs, c’est la coiffure qui a battu tous les records de représentativité le 31 décembre à Conakry. Hommes et dames. Mais les dames plus que les hommes. Perruques et mèches ont valsé sur quasiment toutes les têtes, formant des chignons et des tresses plus originales les unes que les autres. Maquillages made in China, ongles en provenance de Dubaï ont complété le décor. Pour le plus grand bonheur de vendeurs de pacotilles et de patronnes des salons de coiffure. Pour le plus grand malheur des poches des mecs. Car il fallait non seulement s’habiller, mais aussi habiller, coiffer, maquiller, épiler et limer la cavalière ! Tant pis si, sur le plan économique, le pays affiche toujours une inflation à deux chiffres, tant pis si à l’approche des fêtes les vendeurs de produits et services font emprunter une courbe ascendante à leurs prix. C’est ton problème si tu as dû implorer plusieurs fois le Seigneur pour gagner à GuinéeGames avant la fête. Ce n’est pas le problème de la cavalière. Et c’est là que je respecte l’homme guinéen. En dépit de la crise, non pas seulement conjoncturelle, mais foncièrement structurelle qui nous prend à la gorge, les traditionnels bouchons de Conakry étaient de la partie en ce lundi 31 décembre 2012. S’en fout : ce que femme veut, Dieu veut. Pourtant, y a des filles qui ont les chichis chevillés à l’âme. Quoi que tu fasses, elles restent impossibles à combler. La nuit du « 31 », j’ai vu un mec se plier en quatre 143

pour tenter d’arracher un sourire à sa copine qui tirait la gueule tel un pélican, pour un rien. Des câlins qui ont manqué sans doute à cette autre « plaquée » (cocue) qui a fini par craquer, pleurant à chaudes larmes. Pathétique. Face à la crise et aux embouteillages, beaucoup ont trouvé la parade en organisant des dîners dansants chez un pote du quartier. Cela avait le double avantage de fêter cool et de minimiser les dépenses en cotisant. Des dîners qui peuvent comporter de mémorables surprises. Cette nuit, au cours d’un de ces dîners, j’ai fait une découverte qui m’a laissé sur le carreau : les serviettes de table pour s’essuyer les mains et la bouche étaient en fait des papiers toilettes ! Personne ne le savait, alors chuut, gardez ça pour vous. Bonne et heureuse année 2013 !

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Conakry by night, version 2015 Publié le 8 novembre 2015 Conakry est ineffable. C’est une ville bouillonnante qui vit à 100 à l’heure. Agressive et stressante le jour, elle est calme et apaisante la nuit en cette fin d’année 2015. Quand le soleil incandescent décline derrière l’archipel des îles de Loos, la cité vous rend au centuple ce qu’elle vous aura pris la journée. Une équité que les noctambules ont bien comprise. Je suis un des leurs ce samedi soir là. J’ai craqué pour une sortie en boîte de nuit organisée par un ami de Facebook à l’humour vif et tranchant. Une première depuis quasiment mes années d’adolescent timide que les potes du quartier étaient obligés de traîner pour aller danser à l’occasion de grandes fêtes de fin d’année. J’ai toujours préféré potasser un bouquin de 500 pages que d’aller me défoncer les tympans et les chevilles dans une discothèque surchauffée de Conakry. J’abhorre danser. L’idée de serrer une fille sur un air de zouk était pour moi la pire torture psychologique qui soit. Peur de danser faux, peur de piétiner ma cavalière ou de lui faire sentir la dureté de mes tibias d’enfant berger des montagnes… Du temps a passé. J’ai également plus d’assurance avec ma cavalière de ce soir (ma femme). Au volant, je suis bluffé par le contraste de la circulation entre le jour et la nuit. Les voies de circulation de la capitale, éternels parkings géants et marchés le jour, retrouvent leur raison d’être la nuit. Tout est dégagé, faisant 145

apparaître la largeur réelle des routes, inimaginable aux heures de pointe. À 2 H du matin, on peut se taper un tour complet de la capitale et sa banlieue tentaculaire en moins d’une heure d’horloge ! Routes dégagées, mais aussi éclairées. Du moins, les deux principales qui desservent la presqu’île de Kaloum : les autoroutes Fidel Castro et Le prince, tracées en parallèle et reliées entre elles par des « transversales » à la manière d’un chemin de fer. Les noctambules, excités par la fluidité de la circulation, écrasent le champignon sous la lumière blafarde des centaines de lampadaires solaires plantés en rang d’oignons entre les deux voies autoroutières. Le malheur est vite arrivé. Un motard a été écrasé à Koloma, près du siège de la télévision nationale. Preuve, s’il en était besoin, que les nombreux check-points installés aux principaux rondspoints ont d’autres objectifs, que de décourager les chauffards roulant à tombeau ouvert. Au niveau de l’un de ces « barrages routiers », au quartier « Cité Enco5 », deux garçons sont soumis à une séance humiliante de pompes verticales devant leurs petites amies qui en rigolent (ah les meufs !). De jeunes gens paisibles, sans moyens de déplacement, qui profitaient simplement de la fin des vacances pour s’amuser. Les autoroutes sont peut-être éclairées, mais les idées sont encore obscurantistes dans ce pays… Malgré l’heure tardive, les abords des routes sont animés. Le courant du barrage de Kaléta fait monter la tension tous les soirs chez les fêtards des cabarets. Dans presque chaque quartier, des spectacles folkloriques (pôodha) très populaires réunissent des nostalgiques qui noient leurs soucis dans le Skool et la cigarette, esquissant des pas de danse mal assurés. Rendez-vous incontournables des ouvriers, manœuvres, petits commerçants et femmes divorcées. 146

Pour danser, les étudiants et les diplômés, eux, préfèrent les discothèques. Les plus huppées sont concentrées le long des deux corniches, nord et sud, de Conakry dans la proche banlieue de la capitale, notamment dans les quartiers de Kipé, Taouyah et La Camayenne. Mon ami « organise » au « Crisber », à Kipé, l’une des discothèques les plus populaires de Conakry. La seule fois que j’ai dansé ici, ça s’appelait le « Climax ». C’est peu de dire que ça a changé depuis. Côté décor et installations, tout a été revu et corrigé : pistes de danses modernes, reposoirs propres, éclairages au top, espaces mieux insonorisés et surtout bien climatisés. Il faut vraiment épuiser un album entier de techno ou de reggae pour sentir ses aisselles humides. La sécurité est également omniprésente. Des videurs traînant des quintaux de muscles veillent au grain. La seule fausse note (partagée avec d’autres lieux), c’est l’absence d’aire de parking. Les véhicules s’alignent le long de la route générant un petit bouchon alentour. Je doute également que la boîte soit équipée des issues de secours et de plan d’évacuation en cas de sinistre. Pour l’animation, je suis un peu déçu. Trop de Dancehall et de hip-hop américains ultra saturés (Dj Quick, Patoranking, Wandecoal, etc.). J’ai certes eu du Korede Bello avec son captivant « Godwin », mais pas assez de Guinéens. Enfin, j’étais choqué de voir les petites filles, à l’accoutrement aux effets Viagra, se déchaîner sur le très vulgaire clip « Coller la petite » du Camerounais Franko (Kinguè Franck Junior). La nuit s’étire. Les articulations sont fatiguées, les ventres vides. La faim étant la plus fidèle compagne des sortants de soirée de danse, des vendeurs de viande sont stratégiquement installés à l’affût aux alentours du rondpoint « Centre Émetteur » à Kipé. Chèvre et poulet grillés au menu. 147

Des noctambules affamés, assis à califourchon sur des bancs en bois, démembrent impitoyablement des poulets braisés sous les néons du centre Plazza Diamond situé de l’autre côté de la route. Ça dévisse bruyamment entre deux bouchées de chèvre ou de poulet entrecoupées de longues lampées de breuvage. Il est déjà 3 H du matin. Personne ne semble se soucier de l’heure. Conakry est définitivement une capitale qui ne dort jamais.

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Ces quartiers de Conakry où l’on ne crie pas « wéé té fa » Publié le 2 juin 2012 Ce soir-là, elle n’en revenait presque pas ! Venue passer le week-end en famille, ma cousine était tout baba de voir nos gamins du quartier sautiller, gambader, taper des mains et pousser des stridents « wéé té fa » (youpi, la lumière) pour saluer l’arrivée de la fée électricité dans nos foyers. Tout aussi hébétée de constater, 10 minutes après, les visages qui s’empourprent et les quolibets qui fusent à l’endroit d’Électricité de Guinée (EDG) après le délestage. Ma cousine a perdu l’habitude du yo-yo de notre courant rebelle. Et nous, on était effarés de son étonnement ! Ma cousine a du bol. Elle habite Cimenterie, un quartier de la banlieue est de Conakry qui abrite un centre émetteur et une usine (Ciments de Guinée) grâce auxquels le courant ne manque quasiment jamais dans le coin. Elle se la raconte en nous expliquant qu’elle a toujours du lait frais, de l’eau glacée, du jus, des légumes et des fruits dans son frigo. Que son ventilo est toujours sur « ON », qu’elle peut préparer une sauce pour 2-3 jours, repasser ses habits au fer électrique, chauffer de l’eau au thermoplongeur si ça lui chante. Elle explique, avec force détails, les séries et films qu’elle s’est tapés ou qu’elle peut mater à tout moment de la journée ou de la nuit. Bref, ma cousine nous prouve qu’elle a de la lumière, qu’elle baigne dans la lumière.

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Un moment, on se demandait si elle disait vrai, si elle vivait réellement à Conakry, tant son monde illuminé est féerique. Irréaliste à nos yeux. Eh oui, en dépit de l’obscurité légendaire dans laquelle est plongée notre capitale Conakry à tout moment de l’année, ce depuis plus de 50 ans, il y a des quartiers bénis dans la banlieue. Des quartiers où les enfants de crient pas « wéé té fa » le soir ; cette rengaine qui célèbre le retour du courant dans les foyers un jour sur deux, un jour sur trois, quatre, cinq, etc. Ou une heure sur 48. Impossible de le prévoir. Ceux qui sont chargés du dispatching, ou plutôt les délestages doivent avoir été des gamins qui ont raté leur vie à force de jouer au Nintindo ou à la Tetris. Tant ils aiment appuyer sur les boutons. Un moment, c’est « courant fa », un moment c’est « ä siga » par leur volonté. À place des carrés qu’ils agençaient sur leur Game Boy d’enfance, c’est du matériel électroménager chèrement acquis que ces pyromanes EDGistes font péter à longueur de journée. S’ils ne s’amusent tout simplement pas à déclencher des incendies meurtriers à distance, comme dans Super Fireman ! Il existe donc à Conakry des quartiers ou des secteurs éclairés en permanence. Des rares coins qui, à la nuit tombée, se détachent et forment, à travers leurs villas cossues, des îlots de lumière dans notre océan d’obscurité. Cimenterie, Kipé, Bellevue, Dixinn-Landréyah, Kountiyah, Camp Alpha Yaya Diallo. Des endroits célèbres dont les habitants se plaisent à prononcer le nom avec emphase quand ils indiquent à quelqu’un où ils habitent. Récemment, un collègue m’a demandé dans un chat Facebook comment ça allait à Conakry. Je le supposais être à Dakar ou New York avant qu’il ne me révèle qu’il vit à Kipé ! Cela m’a immédiatement rappelé ce spot publicitaire, devenu populaire, qui passait à la RTG comparant deux 150

marques de tôle. Ça se terminait par la phrase : « vraiment, tôle c’est pas tôle ». Vraiment, quartier c’est pas quartier ! Ici, l’on ne se réveille pas à 1 H du mat’ pour brancher son téléphone. Ici, il y a longtemps que la crise immobilière a explosé. Il faut être un « grand quelqu’un » pour loger dans ce « Tanga Nord » de Conakry, ville cruelle par ses extrêmes. Pas de classe moyenne dans la capitale guinéenne. Il y a d’un côté les extrêmement riches, snobes et peu nombreux, de l’autre les extrêmement pauvres, plus denses, affables et hypocrites. Ces endroits sont en général favorisés par des installations qui requièrent une présence permanente du courant électrique (Cimenterie, Camp Alpha Diallo) ou accueillent un hôte de grande marque. C’est le cas de Kipé qui avait l’honneur d’héberger le plus grand suzerain du royaume. Jusqu’à une nuit de fin juillet 2011, quand des soldats fêlés sont venus défoncer la hacienda présidentielle au lance-roquettes. Échaudée, Sa Majesté a fini par rejoindre le palais Sékoutouréyah, plus sûr, au cœur de Tanga Nord (Kaloum) où le courant ne coupe pas, ou rarement. Le prési parti, le jus est resté. Au grand bonheur des ex-voisins. C’est ça aussi Conakry où le développement se fait par affinité ou par bon voisinage. Un bon matin ton voisin, simple Directeur, dont le groupe électrogène qu’il allume chaque soir t’empêche de dormir, est bombardé ministre ou ambassadeur. Quelques jours après, ton coin enclavé sent l’odeur du bitume. Avec un peu de chance, il fait disparaître le refrain « wéé té fa » du répertoire musical discordant des gamins de ton ghetto.

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Ces catastrophes qui ont ôté le cache-sexe de Conakry Publié le 29 juillet 2015 La scène, filmée avec un téléphone portable, est digne d’un documentaire de National Geographic Channel tourné à l’archipel des Bissagos. On y voit trois personnes juchées sur l’épave d’un congélateur traversant les deux voies de l’autoroute Fidel Castro de Conakry à la nage ! Cela s’est passé au quartier Bonfi où le temps s’est arrêté ce samedi 25 juillet 2015 en fin d’après-midi. De mémoire d’homme, rarement la capitale guinéenne n’a été autant lessivée que pendant les 10 derniers jours de ce mois de juillet 2015. Une semaine, quasiment sans interruption, les vannes du ciel sont grandes ouvertes déversant des mètres cubes d’eau sur chaque millimètre carré du sol de Conakry. Puis arriva ce qui devait arriver. Des catastrophes en cascade : inondations, éboulements, accidents de circulation. Au moins quatre personnes ont perdu la vie depuis le début du déluge, selon les médias. Sur les principaux axes routiers, les caniveaux ont recraché sur la chaussée tout ce qu’ils avaient dans le ventre offrant un spectacle dégueu. Dans les anciens quartiers de Conakry, comme celui au nom évocateur de Tombo, les vieilles maisons ont l’air d’être bâties sur des pilotis, certaines n’étant accessibles qu’en radeau de fortune de type vieux congélateur. 153

Plusieurs citoyens sont courbaturés à force d’évacuer les eaux pour déblayer leur …Tombo. Les nouveaux quartiers, en haute banlieue, n’ont pas été épargnés. Évidemment pas dans les mêmes proportions que pour « la vieille ville ». Les intempéries savent, elles aussi, distinguer le riche du pauvre. Décidément, 2015 est un millésime poisseux pour les habitants de Conakry déjà éprouvés par des décennies de malaria et près de deux ans d’Ebola. Dans la nuit du 13 au 14 juin dernier, une tornade accompagnée des vents violents avait balayé la ville provoquant des dégâts matériels et humains considérables. Au moins un mort et des centaines de maisons détruites ou endommagées. De ces dégâts, l’opinion publique n’avait choisi de retenir qu’une histoire à dormir debout selon laquelle un manguier arraché par le vent se serait replanté tout seul dans un quartier de la capitale ! Œuvre signée des épiciers de la rumeur. Cette banalisation des drames humains est caractéristique de Conakry, cité ineffable. Elle est révélatrice de la haute idée qu’ont les habitants et leurs dirigeants de la vie humaine. Ici tout est banal, puisque tout est banalisé. Le citoyen qui balance des ordures dans les caniveaux destinés à drainer les eaux de ruissellement, c’est une banalité. Les commis de l’État qui vendent des parcelles à des citoyens dans des zones réservées, le même État qui revient casser les constructions, c’est anodin. Les femmes qui mangent et pataugent dans les détritus des marchés à longueur de journée, c’est banal. Le taxi et ses passagers qui se tuent en s’encastrant dans la carcasse d’un camion-remorque garé au beau milieu de la chaussée, c’est un non-événement. 154

Les jeunes qui barrent la route pour jouer au foot et qui cassent les pare-brise des conducteurs, on s’en fout c’est banal. Les militaires qui fendent les files de véhicules, roulant à tombeau ouvert dans les embouteillages, c’est vicinal. Les petits délinquants de Madina qui font pleurer des femmes tous les jours en volant leur téléphone portable au nez et à la barbe des forces de sécurité, ce n’est rien. Bref, en attendant d’être la capitale mondiale du livre en 2017, Conakry est la capitale de l’insouciance et du laisseraller. Chacun fait ce qu’il veut en s’asseyant sur le droit des autres. Le résultat est une anarchie à ciel ouvert qui règne sur une presqu’île de près de 50 km de long. Et quand les éléments de la nature se déchaînent comme cette fois, ils balaient tout sur leur passage ôtant par la même occasion le cache-sexe de notre invulnérabilité supposée. À bien observer Conakry, la réalité saute aux yeux. C’est une ville qui a chassé un village. On le sent à travers la flore essentiellement constituée d’arbres fruitiers, plantés non pas pour embellir une quelconque rue, mais pour répondre à un besoin primaire : calmer la faim. Ce sont ces manguiers, avocatiers, et palmiers qui ont causé les plus gros dégâts dans la nuit du 13 au 14 juin dernier. La « ville-village » continue pourtant de s’étendre sauvagement se livrant chaque jour à la férocité de la force destructrice de la nature. Bien que la Guinée tout entière soit exposée constamment à des vents violents, à des inondations et à des séismes, le pays ne dispose d’aucun moyen sérieux pour prévenir ces catastrophes naturelles. Encore moins de plans d’évacuation de la ville de Conakry, cette bande de « Gaza » guinéenne à la merci des intempéries.

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Notre plan Vigipirate ? Euh… Vigi quoi ? Et pour l’organisation des secours, revenez le 31 février pour en parler. Samedi, 20 juillet 2013 (encore en juillet !) un séisme a frappé une bonne partie du pays et notamment la capitale Conakry. Il a fallu attendre plusieurs jours pour qu’un responsable de la Direction nationale de la géologie prenne la parole pour annoncer fièrement que selon ses collègues du Centre sismique de Mbour, au Sénégal, la magnitude du tremblement de terre était de 2,5 sur l’échelle de Richter (sic). Quelle prouesse ! Cette fois, c’est après une semaine de déluge que la Direction nationale de la météorologie (DNM) s’est fendue d’un communiqué pour nous dire quelle quantité de pluie nous avons prise dans la gueule durant les sept derniers jours. Je rappelle également qu’après la violente tornade de juin, ils ont eu la gentillesse de nous révéler la vitesse du vent qui nous a secoués : 90 km/h ! À la décharge de ces services, il faut reconnaître qu’ils végètent dans un dénuement complet. Matériels obsolètes, vieillissement du personnel, manque d’investissement et de motivation. La DNM ne dispose même pas d’un site web ou d’une page Facebook (c’est gratuit non ?) pour publier ses communiqués post-dégâts ! Avez-vous croisé un élève guinéen qui aspire à devenir un Texan Camara, euh… pardon, un météorologue ? Ou bien un sismologue ? Ou encore un océanographe ? Tout le monde veut être journaliste, juriste, informaticien, banquier, minier, diamantaire, argentier, président, etc. Et on en est là. En tout état de cause si vous attendez le bulletin météo d’avant le journal TV pour décider ou non de prendre votre parapluie à Conakry, c’est que vous êtes vraiment, mais alors vraiment mal barré !

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Tayaki, un village de Conakry écartelé entre beauté et précarité Publié le 6 décembre 2016 La pression écrasante que Conakry exerce sur ses habitants pris en étau entre des déchets éternels, des embouteillages légendaires, des moustiques mutants et une chaleur de fournaise, pousse les Conakrykas hors les murs à la quête d’air pur et d’un peu d’exotisme. Les week-ends, il n’est pas rare de croiser de petites bandes de copains en partance pour les îles de Loos, au large de la capitale, pour aller recycler l’air de leurs poumons pollués. Au point qu’un micro-phénomène de tourisme de proximité est en train de se mettre doucement en place autour de Conakry dans un rayon de 150 km. Ce dimanche, j’ai sauté le pas pour suivre un groupe de 13 filles, dont 10 de l’Association Africaine des Professionnelles de la Communication (APAC). Destination ? Tayaki ! Son nom à six lettres évoque une île perdue sur l’archipel du Japon, y compris pour les habitants de la capitale dont la plupart n’ont jamais entendu parler de Tayaki. Pourtant, ce village relève de Kobaya, l’un des quartiers nord de la commune urbaine de Ratoma dans l’agglomération de Conakry. Pour se rendre à Tayaki, il faut mouiller le maillot, au propre comme au figuré. Aucun moyen de déplacements hormis la marche à pieds !

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Tayaki n’est pas une île à vrai dire. C’est une espèce d’immense radeau flottant au milieu des marécages à près de quatre kilomètres des côtes de Kobaya. On y accède en suivant un chemin fait des digues de protections de carrés rizicoles formant un vaste réseau de boyaux à travers les marais. Bien que nous soyons à la fin de la saison des pluies, il vaut mieux être chaussé de bottes, le pantalon retroussé au-dessus des genoux pour patauger dans la boue. À défaut, se mettre carrément pieds nus. Attention aux chutes ! La terre dégorgeant d’eau est particulièrement glissante. C’est la saison de la moisson. Armés des faucilles, des paysans récoltent le riz en coupant les tiges d’un geste vif. À notre passage, l’un d’eux se redresse pour se plaindre d’une mauvaise récolte, l’eau de mer ayant franchi les digues et envahi les rizières. Un autre, travaillant en solo, enchaîne des refrains de reggae pour se donner du courage. La senteur du riz mûr embaume les champs tout le long de notre chemin. Un instant, je me sens transporté dans mon enfance villageoise à Télimélé… Après une heure de marche et plusieurs bouteilles d’eau vidées, surgit Tayaki. Une poignée de maisons rustiques négligemment disloquées sur une langue de sable : murs en banco, toitures en tôle ou en chaume. La plage, bande de sable d’une dizaine de mètres de large, s’étire en ligne droite à perte de vue. Une flopée de pirogues mouille au large, bercée par le clapotis des vagues. C’est le port de pêche de Tayaki. Assis dans une pirogue, un groupe de pêcheurs brûlés par le soleil et l’eau de mer démêle un filet, tandis que des gamins jouent dans le sable à attraper des crabes vivants aux pinces acérées. 158

Premier constat : la plage est sale près du village. Pour dénicher un endroit propre et ombragé, il faut pousser un à deux kilomètres plus loin. Nous installons notre camp de base à l’ombre bénie d’un palmier isolé. L’endroit est magnifique. Les filles font la cuisine, je les berce avec des blagues plus ou moins inspirées. 13H. Les gros morceaux de viande du barbecue sont charriés par des litres de jus de fruit en brique. Je me fais même damer le pion par les… dames en matière de rapidité pour avaler ! Petit tour de…sable pour recueillir les avis sur la sortie. Toutes les 13 filles se montrent élogieuses et en redemandent, tressant des lauriers à l’initiatrice de la sortie, Asmaou Barry, présidente d’APAC. 15H. Partie de jeux, puis marée basse qui laisse découvrir un sol noir, boueux. On aurait dit des pierres volcaniques disposées régulièrement. C’est l’heure du retour. Mais Tayaki ce n’est pas seulement la plage au sable fin. C’est aussi et surtout une population à dominance Baga qui lutte pour sa survie et à qui il faut parler. Le village, de près d’un millier d’habitants, est dépourvu de tout. Aucune infrastructure digne de ce nom : pas de route (on l’a vu), pas d’eau, pas d’électricité, pas de service de santé, pas même une école sérieuse. C’est en pirogue que les villageois partent à Lambanyi ou à Kobaya pour chercher de l’eau potable. Pour l’école, ce sont deux âmes charitables (dont une femme expatriée) qui se battent pour les enfants : déjà un hangar couvert de tôles et protégé par des bâches, deux tableaux noirs, quelques tables-bancs pour un effectif total de 42 élèves de la première à la troisième année. M. Camara, le seul instituteur du village, fait comme il peut. 159

Les parents d’élèves également. Ils cultivent le riz pour nourrir la famille, pêchent et revendent une partie du produit afin de subvenir aux autres besoins. Ce sont eux qui rémunèrent le maître d’école à hauteur de 5.000 francs par enfant le mois. A côté de ces deux activités principales, il y a la production de vin de palme, une filière tenue visiblement par d’anciens réfugiés sierra-léonais. Des gaillards qui ravitaillent Conakry du liquide blanc laiteux qu’ils transportent en packs de trois bidons de 10 et 20 litres accrochés à chaque extrémité d’un bâton calé entre les deux épaules. Sur quatre km de marche, voire plus. Un boulot de malade ! Au coucher du soleil, un petit marché forain de vin de palme se crée à l’orée du quartier Kobaya. Un vin que l’on soupçonne frelaté si l’on en juge par le nombre de sachets de bière vides qui jonchent le chemin de Tayaki. Un cocktail qui rougit les yeux et échauffe les esprits. De par la beauté de sa plage et son emplacement idéal, Tayaki possède tous les atouts pour être un village touristique non pollué, soupape de la capitale. En attendant, Tayaki est une bourgade à la marge de Conakry, perdue dans des marécages aux eaux troubles !

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LETTRES DE MON PLEURER-RIRE…

Lettre à mon frigo ! Publié le 1er juin 2013 Mon « cher » frigo, C’est à la lumière blafarde d’une lampe chinoise agonisante que je t’écris cette lettre. J’espère qu’elle te trouvera en l’état, c’est-à-dire en un morceau. Dans le cas contraire, ton destin en terre africaine de Guinée était, de toute façon, de finir à la casse, en pièces détachées ou, pire, dans une décharge à ciel ouvert. Voilà près d’une semaine que nous nous sommes séparés après huit mois de cohabitation pas franchement amicale. Aucun service rendu ! Je ne te regrette point. Je ne te cache pas que j’en avais marre de ta présence futile et qu’il fallait donc mettre un terme à cette désagréable promiscuité. Tu m’encombrais inutilement. Quel désenchantement ! Octobre 2012. Sentant mon niveau de vie emprunter, enfin, une courbe ascendante après avoir côtoyé, durant de longues années, les valeurs négatives (à mon corps défendant), je pris sur moi la décision de mettre un peu de fraîcheur dans ma vie en t’achetant. Tu venais de Bruxelles et tu étais présenté par le revendeur, véritable marchand de tapis, comme une « occasion en or ». Je t’acquérais avec grande espérance. Espérance de pouvoir étancher ma soif avec de l’eau fraîche, de manger en deux jours quelques lasagnes de bœuf en conserve, de prendre un yaourt en dessert, de 163

mordre dans une pomme non ratatinée ou encore de pouvoir siroter un rafraîchissant verre de jus d’hibiscus tropical. Espérance aussi de vivre un fantasme d’adolescence J’ai passé une bonne partie de mon adolescence dans une concession en banlieue de Conakry où, dans les années 1990, nous faisions partie des rares habitants du quartier à posséder une antenne parabolique pour capter les images des télévisions étrangères. Les transitions publicitaires entre les programmes télés montraient d’appétissantes friandises, des pommes fraîches et des surgelés qui nous faisaient baver d’envie, mes amis et moi. « Dans quelques années nous aurons tout ça chez nous, dans nos congélateurs », se consolait-on entre potes envieux. Dix-huit ans plus tard, en dépit d’un changement de statut (et une tentative pour l’habitude alimentaire), je n’ai toujours pas ça chez moi, dans mon congélateur. Par ta faute, maudit frigo ! Je ne t’ai quasiment jamais vu allumé. Jamais entendu. Aucun ronronnement. Toujours silencieux, nuit et jour. Muet comme une carpe. Avec ta carapace d’un blanc laiteux, tu étais sempiternellement recroquevillé sur toi-même dans ce coin de ma chambre que tu colonisais injustement. Pas parce que tu étais en panne. Tu pétais la forme, mais tu refusais obstinément de t’allumer et de me rafraîchir. Après les longues journées de travail, les embouteillages ankylosants de Conakry, je rentrais chez moi dégoulinant de sueur, haletant de soif. Déshydraté. Mon envie irrésistible de prendre un rafraîchissant n’avait d’égale que la déception et la colère qui m’envahissaient après avoir ouvert ta porte pour tomber sur une chaleur suffocante venue de tes entrailles. Même déception le matin au réveil quand je caresse le désir de recharger mes batteries avec un verre de jus d’orange. Pourtant, un 164

frigidaire, à ce que je sache, ça doit cool, dans le vrai sens du terme. Tu ne l’as jamais été, cadavre de frigo ! Combien de boîtes de conserves infectes, de plats de salade détériorés et des fruits pourris j’ai dû extraire de ton ventre pour la poubelle ? Salmonellose et fièvre typhoïde sont des cochonneries que tu as voulu me refiler à maintes reprises. J’ai résisté. Je voulais beurrer ma vie, tu t’acharnais à m’ôter celle-ci ou m’envoyer dans un lit d’hôpital-mouroir de Conakry. Tu es cynique, petit frigo. Un frigo, un bureau ou… une armoire à chaussures ? Malgré cette relation pour le moins… glaciale entre nous, j’ai vainement essayé d’être tolérant et même conciliant avec toi. J’ai voulu te garder, te rendre utile en te trouvant un autre job, une autre utilisation par substitution. D’abord, je t’ai essayé comme table à manger : tu étais trop haut, donc inadapté. Plan de travail : ta surface glissante rendait improbable toute stabilité. Armoire pour ranger les habits et chaussures : exigu et trop humide, tu pourrais foutre en l’air mes falzars new-look de nouveau Chargé de communication. Alors j’ai préféré te foutre hors de ma vue pour respirer la chaleur à pleins poumons et remâcher tranquillement ma soif inextinguible. Un sort que partageront très bientôt tes anciens voisins, notamment le téléviseur, qui me regarde plus que je ne le regarde, et le ventilo aux pâles immobiles. Tu as juste ouvert la voie. Appareils électriques : sans pitié je vous foutrai à la porte un à un. Y compris ces ampoules toujours-éteintes, ce PC et ces téléphones qui se croient invulnérables. J’arracherai prises et interrupteurs, rallonges et thermoplongeurs pour vous plonger dans les abysses des décharges obscures de Conakry, puisque vous ne servez quasiment à rien. Traîtres que vous êtes.

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Mon souci est de trouver une remplaçante à ma chère bien-aimée lampe chinoise aujourd’hui à l’agonie. Car même sa lumière, quoique blafarde, m’est préférable à votre présence futile. Ça au moins c’est clair. À dieu « cher » frigo ! Glacialement.

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Lettre de Paris à un ami de Conakry Publié le 3 mars 2012 Mon cher ami, Ma décision est prise. Mon sac est prêt. Je rentre au bled ! D’ici, j’entends ta réaction : « Il est fou lui ; revenir ici après avoir foulé Fötéta (Occident) ! » Non, je ne suis pas fou, mais je comprends ton choc. À la fin de cette lettre, tu comprendras mes motivations. Cher ami, que les choses soient claires, mon intention n’est pas de gâcher ta soirée ou de te décourager de tenter ta chance pour le visa. Encore moins de faire des révélations sur des « secrets de vie » de nos compatriotes vivant ici. Je voudrais juste te livrer un témoignage à travers le regard neuf de quelqu’un qui avait longtemps rêvé de l’Europe, de Paris, de sa Tour Eiffel, de ses banlieues, de l’accent de ses habitants. Je « chökhö » Tiens, en parlant d’accent, tu remarqueras sans doute que je Chökhö (imiter l’accent parisien) davantage. On m’accusait d’jà de le faire un peu au pays, alors après cinq mois passés à Paris et dans sa banlieue, autant t’avertir que les choses ont empiré. Tu l’as sans doute remarqué quand j’ai écrit « d’jà » au lieu de « déjà ». Eh ben, tu m’entendras désormais marquer mes surprises et étonnements par un gros « Putain », souligner mes négations par un « Bah non ! », les affirmations par un 167

« Bah oui ! ». Je m’exclamerai en te disant « Tu m’étonnes » au lieu de « Exactement ». Pour te redemander ce que tu viens de dire, je ne dirai plus « quoi ? », mais « comment ? », pour apprécier les délicieux plats de riz au mafé Haako (feuilles) que ta maman sait si bien faire je dirai « c’est très bon » au lieu de « c’est très doux ». Désormais, le « R » dans « Paris », mourra, étouffé dans ma gorge ! Tu sais mon pote, j’ai même découvert une autre dimension pour les notions de « s’il vous plaît », « pardon » et « merci ». Pour un rien dans le métro, on te dégaine un « pardon » pendant qu’on se méfie de toi. Une phrase comme « Je prendrais un verre d’eau », commence quasi systématiquement par un « s’il vous plaît » et se termine par un « merci » ! Quelqu’un qui vient de te dépasser sans t’adresser le moindre « Bonjour » ô combien indispensable chez nous, est capable de se planter à te tenir une porte ouverte 15 secondes durant, en signe de politesse ! Des pratiques sociales françaises difficiles à décrypter pour le Guinéen que je suis, comme cette manie qu’ont les gens de se moucher bruyamment pendant que tu manges ou de renifler les aliments. Ta grand-mère te tuerait rien que pour ça ! J’ai compris donc que nos compatriotes qui retournent au bled avec cet accent français, et qu’on raille souvent, ne font pas exprès de l’afficher. Du moins, pour la plupart d’entre eux. Car pour te faire comprendre par les gens d’ici, il faut imiter leur façon de parler. Sinon, t’as droit à des regards livides, des écarquillements d’yeux horrifiés. Et c’est réciproque, je pense. Ne dit-on pas que le milieu fait l’homme ? Vantardises d’un Mbénguiste (celui qui vient de la France) me rétorqueras-tu. Soit.

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Les potes et toi, je vous entends déjà dire « Le Parisien ou le Français est de retour » lorsque je me pointerai sous le manguier où nous nous gavons d’Attaya (thé) à longueur de journée. Quand je tournerai le dos, les plus gentils diront « Il n’a même pas grossi, on dirait qu’il n’était pas en Europe. En plus, il est fringué comme un blédard ». Pour d’autres, plus tranchants, je serai un « maudit » d’être rentré. Je comprendrai tout le monde, sans en vouloir à personne. Car depuis la Guinée, il est très facile de juger. Juger sans savoir. Juste un « petit 100 euros » Il faut venir pour comprendre. Comprendre pourquoi ton cousin, ton frère, ta sœur, ton beau-frère de Fötéta, ne t’appelle pas si souvent, pourquoi il ne t’envoie pas un « petit 100 euros » ; même pas » un « iPhone », un Blackberry ou un laptop. Tu penses que ton cousin t’a oublié « comme il est dans le beurre maintenant ». Tu devrais pourtant savoir que malgré la galère de chez nous, c’est probablement toi qui es dans le beurre avec les « petits cent euros » que ta sœur te balance de temps en temps. Ta sœur, elle, est souvent dans la merde ici, empêtrée dans les couches d’insupportables gosses dont elle n’ose même pas crier dessus, ou occupée à briquer chaque soir une pile d’assiettes de ta taille dans un resto où elle est forcée de toujours sourire aux clients, malgré l’angoisse des appels intempestifs des parents au pays. Ici, ton cousin sort à six heures du matin pour aller à la fac, pendant que tu pionces paisiblement à Conakry sous une moustiquaire. Il rentre tard le soir dans son studio parisien loué à 600 euros le mois pour prendre un bain vite fait et continuer au centre commercial où il assure la sécurité, si ce n’est pas pour livrer des pizzas par moins huit degrés la nuit. Cher ami, quand tu viendras, tu comprendras la formule « métro, boulot, dodo ». Tu sauras mieux ce que signifie « le temps, c’est de l’argent ». Tu arrêteras de te 169

plaindre qu’on ne t’appelle pas assez, car pendant que toi tu guettes la moindre sonnerie ou SMS qui tombe sur ton téléphone, ici ton frère n’a même pas le temps de décrocher le sien. Puisque tu ignores même la notion de répondeur pour lui laisser un message quand tu le harcèles, la prochaine fois que tu réussiras à le joindre pour qu’il t’envoie 50 euros pour tes frais de scolarité (en réalité pour emmener ta nouvelle go en boîte), c’est pour lui dire « j’ai essayé plusieurs fois de te joindre, je tombe toujours sur ton répondeur » ! Tu ignores qu’à chaque fois que le code 224 s’affiche sur son simple Nokia, c’est une source d’angoisse pour ton frère : un parent malade ? Un décès ? Non, c’est encore son Vieux (le père) qui n’arrête pas de lui dire « Mamadou, tu sais que ton copain qui est en Suisse là va envoyer ses parents à la Mecque cette année ? Tu sais qu’il a couvert sa maison de Yattaya, qu’il a acheté une nouvelle parcelle à Coyah, que… ». ! Mais il se retient et dit : « Oui papa, ne vous en faites pas, vous irez à la Mecque ». Alors, mon cher ami difficile de grossir dans ces conditions. Même si on mange bien ici et pas très cher. OK, je serai mal fringué puisque je ne porte pas un jean Levi’s de 150 euros, une chemise Pierre Cardin à 200 balles décrochée aux Galeries Lafayette. Pour le phone, je me contenterai d’un Samsung d’entrée de gamme négocié à Château Rouge ou Barbès. Je rentre même si… Je rentre donc au pays. Je sais pourtant que sur place, tu continues à jouer au PMU et au Loto en espérant décrocher, un jour, le jackpot faute d’un emploi, même indécent. Je n’ignore pas l’existence de l’insupportable épreuve de trouver un taxi pour aller déposer un CV En-Ville le matin ou pour rentrer à la maison le soir. J’ai appris que les 170

Chinois nous ont offert 100 bus, mais je ne me fais aucune illusion quant à l’amélioration du transport urbain dans notre capitale au bord de l’AVC. Enfin, je sais que la malédiction politique continue à hanter le pays, que Bambéo reste Bambéto, que les militaires guinéens restent égaux à eux-mêmes, que pour un téléphone portable tu peux passer de vie à trépas, que le chômage a encore un bel avenir chez nous… En dépit de tout, je reviens. Une perspective envisagée par beaucoup de nos compatriotes de la diaspora. Ils sont juste angoissés par l’instabilité politique du pays, l’épreuve du retour, les regards et les langues des proches parents, les lamentations d’une épouse qui passe son temps à claquer les « petits 100 euros », péniblement réunis, dans des mariages pompeux et des basins Bamako fringants. En attendant mon arrivée, je te souhaite bonne chance pour tes démarches pour le visa, si tu en as engagées cette année encore. Le mien expire dans moins d’un mois et je n’ai aucune envie pour l’instant de caraméliser mon identité dans du « Sukkar » bruxellois ! À très bientôt. Amicalement.

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Réponse à la lettre de Paris Publié le 30 mars 2012 M’barin (mon ami), C’est d’un trait et à la lumière de la bougie que j’ai lu ta lettre de Paris. Elle m’a profondément secoué. En trempant ta plume dans l’encre du courage, tu m’as permis de voir sous un jour nouveau les réalités de la vie occidentale de nos compatriotes. Comme une rivière en crue, son contenu a charrié bien de rêves et de fantasmes que je nourrissais à l’égard de Fötéta. Pour ce, je te dis bravo et merci. Bravo aussi pour ta compréhension si rapide des aspects culturels et linguistiques des Parisiens. Mine de rien tu as enrichi mon vocabulaire de blédard avec tes nouvelles expressions que j’ai d’ailleurs commencé à expérimenter autour de moi avec un résultat certes mitigé. À cet instant, je t’entends dire « Tu m’étonnes ». Eh ben (ça aussi c’est de toi) sache que cette expression fait un tabac parmi nos potes. Au moindre avis partagé, des « tu m’étonnes » fusent de partout. À ce rythme, je crains qu’elle ne se ringardise trop rapidement. Ça galère au bled Par contre, quand l’autre jour, repu du très doux « Mafé Haako » de ma mère, je lui ai lancé « c’est très bon maman » en guise de compliment, elle m’a planté un regard effrayant ! J’ai vite ravalé ma nouvelle expression made in France pour ne pas gâter l’ambiance bon enfant qui règne entre la Vieille et moi depuis quelques semaines. Depuis 173

qu’elle est convaincue que j’ai décroché un job en me voyant sortir chaque matin armé d’un cartable poussiéreux. Un vieux cartable qui contient en fait le programme et les combinaisons du jour de Guinée-Games, le nouveau jeu de hasard qui n’en finit pas d’agrandir le trou de mes poches. M’barin, inutile de te dire que ça galère au pays, tu le sais déjà. Rien n’a changé, malgré le changement tant annoncé et qu’on ne cesse de nous seriner. Honnêtement, je suis carrément devenu pessimiste pour l’avenir de notre Guinée. Tout petit, j’entendais dire qu’hier était mieux qu’aujourd’hui, mais que demain ça ira. Vingt-cinq ans après, on me répète la même rengaine. Je me demande c’est quand demain et aimerais vivre ce « hier » inaccessible. En attendant, je ronge mon frein sur le douloureux présent. Les allers-retours incessants entre mon quartier de banlieue et Kaloum pour la recherche d’un boulot introuvable ont non seulement usé les semelles de tous mes souliers, mais aussi mon moral. J’ai fini par tomber dans le système D. Profitant de la pénurie d’électricité qui ne semble pas vouloir divorcer avec la Guinée, j’ai installé une petite station de charge pour téléphones portables devant notre concession. Le malheur des uns faisant le bonheur des autres, je ne suis pas content quand j’entends les gosses du coin s’époumoner « Wéé té fa » pour se réjouir, un jour sur deux, du retour du courant maléfique de l’EDG (Électricité de Guinée) dans les foyers. Les maigres sous que je tire de cette minable activité servent à rafraîchir mes connaissances mathématiques du lycée en peaufinant les combinaisons de Guinée-Games. La calvitie me guette à force de calculs prédictifs. Mon diplôme de Maîtrise d’informatique peut toujours dormir dans le placard de maman en attendant que je touche le jackpot. Alors mon cher ami, ce sont là quelques raisons qui justifient mon envie de changer de décor, de fouler Fotéta 174

comme beaucoup d’autres potes. Cependant, comme je l’ai dit, ta lettre a mis un sérieux bémol à ce désir. Car je saisis mieux les enjeux. J’admets tes reproches. Je comprends à présent la gêne de ma sœur de Fötéta quand je lui ai demandé une fois de me trouver un MacBook Pro pour mes cours d’algorithmique. Au téléphone, elle m’avait répondu par un « ni oui, ni non », sur Facebook par un LOL ambigu ! J’ai pigé les « Je te rappelle dans quelques minutes » sans suite de mon cousin étudiant à qui je parlais sans cesse d’un écran télé 3D pour mon ghetto (piaule). À chaque fois, je l’entendais siffler bizarrement au bout de la ligne avant d’abréger sèchement notre conversation. Je me rends compte que je voyais naïvement la vie occidentale en 3 D. Sans lunettes. Mon ami, si je fais ce mea-culpa en admettant mes erreurs de jugement vis-à-vis de mes proches de Fötéta, ceux-ci ne sont pas exempts de tout reproche. Loin s’en faut. J’aurais aimé que ce soit mon propre frère qui me dise les vérités de ta lettre. Pourquoi ne m’a-t-il jamais dit quel boulot il pratique là-bas ? Quand je lui pose la question il me répond invariablement : « je me débrouille petit ». Si je savais que ma sœur faisait la plonge et payait si cher son loyer, penses-tu que je me serais permis de lui demander un PC de plus de 1000 euros ? Pourtant, sur Facebook chacun se fait passer pour une icône. Figure-toi que, sans jamais aller à Paris, je connais pratiquement tous les détails de la Tour Eiffel et alentours, de la place du Trocadéro au Champ-de-Mars. Juste en feuilletant les albums photo de profil Facebook des proches parents vivant à Mbengué. J’ai constaté d’ailleurs qu’en hiver c’est pire. Pendant que nous subissons ici la rigueur de l’harmattan en janvier-février, on nous expose sur Internet de l’épiderme doux et reluisant. J’avoue que c’est tentant. 175

L’envers du décor D’accord pour tes explications quand tu me dis que tu « chökhö » davantage. Toi, tu as fait les bancs (lettré). Mais je n’arrive pas à comprendre pourquoi mon cousin, analphabète de surcroît, essaye de me parler au téléphone comme un Fôté (Blanc) deux semaines à peine après son arrivée à Paris. Je ne pige pas non plus le comportement de certains qui débarquent ici en provenance d’Europe et qui affichent ostensiblement un style bling-bling pour lequel ils passeraient pour de cons ailleurs. L’autre jour par exemple j’ai eu un mal de chien à reconnaître le pote d’un frère de retour au bled. Un mec avec qui on jouait au Kanda au bord de la mer et qui est revenu au pays avec dreads et piercing, parlant un charabia inintelligible. Les belles gos du quartier qu’il a fini de nous piquer une à une ne parlent que de lui et ne jurent que par sa maudite Toyota décapotable. Après la lecture de ta lettre, je devine facilement qu’il a dû se taper un découvert bancaire abyssal pour quelques semaines de vacances, loin de ses assiettes à laver, pour se permettre une telle fanfaronnade ici. Il est facile de crâner à Conakry, même avec 200 euros en poche. Mais « 100 n’nara » (pas de quoi) ! De toute manière, ça ne va pas durer. Il finira bien par se faire plumer par le tandem formé de ces inoxydables nanas de Conakry et la nuée de laveurs de chat (lèche-bottes) qui tournent autour de lui et qui l’appellent « le Grand ». Il deviendra bientôt petit et « maudit » d’être revenu. « Conakry c’est technique », lui diront ses ex-lieutenants quand ils auront fini de le traire comme une vache à lait. Mon ami, tu décides de revenir en toute conscience. Je te souhaite la bienvenue. Comme tu l’as rappelé, c’est le statu quo dans le bled. La politique continue à pourrir le climat sécuritaire et social, Conakry est une capitale 176

perpétuellement engorgée, mourir sur les routes du pays est une banalité, le chômage reste le meilleur employeur… Mais t’inquiète, tu retrouveras la chaleur humaine qui a dû te manquer en cinq mois hors du pays. Tu retrouveras aussi ce petit quelque chose indéfinissable qui fait que Conakry est toujours attachant, malgré la chaleur, la poussière, la misère et les impitoyables moustiques qui te déploieront le tapis rouge à l’aéroport de Gbessia. Si on m’accorde le visa, je tenterai ma chance. Dans le cas contraire, je le prendrai avec philosophie et ne pleurerai pas. Car ma perception de Fötéta a radicalement changé. Et c’est tant mieux. A très vite M’barin. Ton pote de Conakry.

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Énième lettre de (dé) motivation… Publié le 13 décembre 2010 « En attendant de vous en convaincre, je vous prie d’agréer, Madame, Monsieur, l’expression de mes salutations distinguées ». Depuis presque trois ans, c’est la énième formule de conclusion que je trace au bas d’une lettre de motivation. Comme dans les précédentes lettres, j’ai pris le soin d’écrire avec application sur du papier blanc format A4, en respectant les marges au millimètre près. C’est ainsi que nous l’enseignait, avec des grands gestes, M. Sanoh, avare en notes, dans son cours de Techniques de l’Expression à l’Université de Labé. Pourtant, ni la façon élégante de plier la lettre avant de l’insérer dans l’enveloppe ni l’inspiration aux nombreux modèles de lettres, tirés à grands frais sur Internet, n’ont changé ma situation : je suis encore et toujours au chômage. J’ai beau éplucher chaque numéro du LYNX en commençant par les annonces, auxquelles je réponds régulièrement, la réponse à mes lettres de motivation reste invariable : le silence. CV et lettre de motivation sont toujours traités avec le même soin. Et chaque acte de candidature pour un poste à pourvoir est une source de tension. Mon téléphone affiche un numéro inconnu après un dépôt de dossier, je me précipite dans un coin relativement calme, pensant que c’est 179

le futur employeur. C’est souvent une erreur d’un autre diplômé sans emploi voulant joindre une nouvelle fille cible, ou bien un bip d’un parent de Kansagui en lutte avec le réseau perdu ! À notre sortie de l’Université de Labé en février 2008, beaucoup d’amis me lançaient : « toi, tu n’auras pas de problème d’emploi avec ta mention Très-Bien ». Je répondais avec philosophie, en disant que ce n’est pas toujours évident. Le philosophe qui m’habitait à l’époque a aujourd’hui sacrément raison. Le plus amusant c’est quand, une semaine après le dépôt des dossiers, celle que vous avez aidée à écrire sa lettre vous appelle pour demander : « on t’a appelé ? Moi, on vient de me dire de me présenter demain pour le test ». Avant, j’avoue que ça me révoltait en repensant au cours de M. Sanoh. Mais maintenant ça m’amuse, ayant compris la connotation du mot « test » dans cette phrase. Après cette longue expérience d’écriture de lettres de motivation avec le plus grand raffinement, j’ai compris, enfin, que je faisais fausse route. En Guinée, espérer trouver de l’emploi en comptant uniquement sur son diplôme, quelle que soit la mention, est une entreprise hasardeuse. Un simple coup de fil d’un oncle à M. le Directeur vaut mille lettres et CV au style recherché ! Cela est d’autant plus vrai que même décrocher un stage d’un mois dans une banque, c’est la croix et la bannière. D’aucuns pensent d’ailleurs que toutes les exigences sur le profil des candidats dans les avis de recrutement sont purement farfelues ; surtout pour ce qui concerne les années d’expérience. En tout cas, bien de postulants ont eu la désagréable surprise de retrouver leur fameuse lettre de

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motivation en guise d’emballage en achetant des cacahuètes chez la vendeuse du coin. Je voudrais tellement revoir mon professeur de Techniques de l’Expression pour lui suggérer d’actualiser son cours !

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Lettre post-mortem à mon ami Boubacar Diallo Publié le 17 juin 2011 Mon très cher ami Boubacar Diallo, Tu m’obliges à t’écrire cette lettre posthume en utilisant le passé ; exercice bouleversant pour moi. C’est dans mes larmes que je trempe mon stylo pour tracer ces lignes. Je tente d’exorciser le mal qui me ronge. De chasser cette boule de feu coincée dans ma gorge. J’essaie, en vain, de combler le grand vide que tu me laisses. « Man » (c’est comme ça on s’appelait non ?), tu es parti ! Oui, tu es parti à jamais ! Nous venons de t’accompagner à ta dernière demeure ce vendredi 17 juin 2011. Tu reposes désormais, et pour l’éternité, au cimetière de Sangoyah-Marché à Conakry. Loin de Tougué de tes parents, loin du Sénégal de ta naissance et de ton enfance, loin de Labé de ton adolescence et de tes études scolaires et universitaires. J’ai du mal à le croire ! Pourtant c’est vrai, tu t’en es allé définitivement. Grande est ma tristesse, immense est mon chagrin en ce jour ! Une foule compacte à la mosquée de mon quartier où tu es arrivé ce vendredi dans une caisse recouverte des couleurs nationales. Signe de respect et de reconnaissance. Nos amis de l’Université sont venus, les yeux perlés. Tes parents sont là. Ta mère, entourée de tes sœurs, Binta et Maïmouna, tente d’encaisser le coup avec peine. Ta fiancée Halimatou Baldé est également présente. Elle a le regard 183

perdu, les yeux gonflés. Elle est inconsolable depuis deux jours. Tes compagnons d’armes sont également venus en nombre. Ils ont déployé de gros moyens. L’hommage qu’ils viennent de te rendre à l’état-major de la Gendarmerie est digne de celui d’un Colonel ou d’un Général. Le cortège funèbre s’est ébranlé pour le cimetière sous la mélodie déchirante des pleurs et de la trompette. Mais « Man », pourquoi tu m’as fait ça ? Pourquoi t’es parti sans me prévenir ? Pourtant, on avait un programme toi et moi. Je devais éditer la carte de faire-part de ton mariage prévu pour ce vendredi 24 juin. « Man, je compte sur toi » ! N’est-ce pas ce que tu m’avais dit au téléphone à ce propos le jeudi 9 juin à 20 heures ? J’avais promis de faire la carte, mais j’étais loin d’imaginer que tu ne la recevras jamais. Que tu n’auras pas besoin d’elle. J’ignorais que c’était là notre dernière conversation… Ce mercredi 15 juin au matin, je m’apprêtais justement à t’appeler pour quelques détails concernant la carte. C’est alors que j’ai reçu le terrible coup de fil de Binta Diallo : « Alimou, notre ami Boubacar est décédé dans un accident » ! Tout de suite, je ne l’ai évidemment pas crue. Je ne comprenais pas bien ce qu’elle me disait. Quel Boubacar ? Suis-je parvenu à articuler. Binta ne pouvait plus parler. Elle a juste pu dire « appelle son numéro ». Eûtelle parlé davantage, je ne l’aurais pas comprise, tétanisé que j’étais à mon tour. Péniblement, j’ai composé ton numéro. Au bout du fil, ton cousin Mamadou Alpha Baldé m’a répondu avec les pleurs et lamentations des femmes en fond sonore. J’ai chancelé puis la brume a couvert mes yeux. C’est à Sangoyah chez ton oncle Elhadj Kenda que les salutations d’usage ont été organisées. Beaucoup de monde. Des femmes qui se lamentent, des hommes aux yeux humides. Ta mère, que dis-je, NOTRE chère mère, Nénan Aïssatou Diallo était là. Elle avait précipitamment quitté 184

Labé en apprenant ton accident de moto le mardi aux environs de 20 heures. « Voici mon fils Alimou », a-t-elle crié d’une voix étouffée en m’apercevant. La phrase m’a littéralement transpercé. Je n’ai pas pu soutenir son regard. Ta fiancée Halimatou Baldé était également là. Celle-là même dont tu me parlais la dernière fois qu’on s’est vu. « Man, je l’aime et je crois qu’elle me convient comme femme » m’avais-tu confié. Je lui avais alors parlé au téléphone par ton entremise. Je l’avais trouvée aimable. Halimatou est inconsolable depuis que t’es parti, Boubacar. Tristes sont aussi nos amis de l’Université. Informés par téléphone de ton « départ », ils ont immédiatement rallié Sangoyah. Maouloud, Douah et Rahim sont venus presque ensemble. Les deux Binta, Diallo et Seck, puis Aminata et Abass nous ont rejoints un peu plus tard. Retrouvailles émouvantes, spectacle déchirant ! Les autres ont tous été tenus au courant soit par téléphone, soit par Internet à travers notamment le Groupe CAECUL sur Facebook. J’avais aussi pris le soin d’envoyer un SMS à Saliou Dian qui est au village à Satina. Elle est désemparée. « Boubcar » (ainsi t’appelais notre prof d’anglais, Meghan Gallagher), c’est en février 2004 que nos chemins se sont croisés au Centre Universitaire de Labé à Hafia. Je me rappelle comme si c’était hier le jour où l’on a échangé pour la première fois. T’avais, comme à ton habitude à l’époque, une casquette grise vissée sur la tête. À ton accent, j’ai vite compris que tu venais du Sénégal. « Boubacar sénégalais », se plaisaient à t’appeler nos amis de MIAGE. Souvent, tu tentais de les rectifier en voulant cacher ton accent Ouolof sans le réussir. Notre amitié a commencé là. Nous l’avons définitivement scellée lorsque tu es venu habiter avec moi à « La Cité parisienne » après le départ de Saïdou qui avait choisi de rejoindre ses potes à l’hôtel.

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Cherif, Lamine (Grand Frère), Mamady et moi-même avions trouvé en toi un compagnon de rêve. Ton calme, ta docilité et ta gentillesse nous avaient tous emballés. Nous avions surtout trouvé en toi un véritable cordon bleu. Tu avais professionnellement modifié le goût fade de nos sauces en apportant ton savoir-faire culinaire. J’étais le plus maladroit parmi tous et tu te moquais gentiment de moi quand je me vantais d’être un « spécialiste en omelette » ! Pendant ce temps, la préparation du mafé Hako (sauce feuille), du mafé Tiga (arachide), la soupe… n’avait pas de secret pour toi. Nous te faisions des remarques du genre : « ta femme aura des problèmes pour te nourrir mon ami ». Tu répondais en riant que tu lui apprendrais la cuisine s’il le faut. Même Saliou Dian (Zal Dian pour toi) et Batoma qui nous donnaient régulièrement un coup de main respectaient « ta marmite ». Mon cher ami Boubacar, à Hafia nous nous étions vite trouvé des affinités, des points communs comme l’amour de la radio et la lecture. Nous discutions sans cesse des sujets d’actualité couchés sur nos lits superposés, dans les nuits glaciales de décembre. Tu occupais le Numérateur, moi le Dénominateur. Nous rations rarement une édition de « Journal du Proche et du Moyen-Orient » sur RFI avec Kamel Jaïder. Tu es le premier à me révéler en 2005 l’existence d’un certain Barack Obama, Sénateur américain d’origine kenyane. Nous reprochions ensemble à Saliou Dian de ne pas s’intéresser à l’actu. Elle finira, sous la pression, par acheter un transistor à Labé. Après notre transfert à Labé-ville (à cause de Jet Lee), nos journées étaient rythmées par la navette, à pied, entre Dâka, Pounthioun et l’École d’Application où nous recevions les cours. Toi, moi et Saliou Dian formions un groupe très soudé et complice. Te souviens-tu des « piqueniques de mangues » que nous organisions à trois chez moi à Pounthioun ? Des virées que nous faisions chez ta mère à 186

Dâka ? La maman nous obligeait à rester pour manger, se montrant soucieuse de notre situation d’étudiants. Elle nous défendait de nous promener sous le soleil, se préoccupant de nos moindres faits et gestes. Enfin, elle aimait à nous répéter : « cherchez à épouser une femme mes enfants, l’espérance de vie de votre génération est trop courte » ! Parole prémonitoire d’une mère. Tu es parti à une dizaine de jours de ton mariage ! Man, c’est toi qui as développé mon goût pour le cinéma. T’étais un cinéphile indécrottable qui me résumais des dizaines de films, de la passion à l’action : Man On the Fire, Enough, j’en passe… La série « 24 heures chrono » faisait partie de nos favoris. Un seul épisode manqué équivalait à une journée entière de dépit. Les prouesses de Jack Bauer et le génie de Chloé O’Brian nous fascinaient. Je n’osais résister à tes invitations au cinéma Dâka pour voir un film. Des noms d’acteurs comme Denzel Washington, Samul L. Jackson ou Will Smith me sont devenus familiers grâce à toi. Côté études, t’avais une inclinaison pour les Maths, bien que nous fassions Anglais-Bureautique au début. C’est tout naturellement que tu décrochais souvent la plus haute note en Statistique et Comptabilité. Lors des grèves récurrentes que nous organisions pour dénoncer nos conditions de vie et d’études, tu as toujours été à mes côtés. Galvanisés que nous étions par les grèves générales de janvier-février 2007 qui avaient secoué toute la Guinée, les esprits s’échauffaient assez souvent entre étudiants concernant la marche à suivre. Tes conseils m’ont été précieux alors que j’assumais le poste de porte-parole du Conseil des Étudiants. Mon cher ami, c’est ensemble que nous critiquions le comportement néfaste de l’Armée guinéenne. Surtout après les évènements de 2006 et 2007. Pourtant, tu viens de nous quitter avec le grade de margis-chef en service au Ministère de la Défense nationale. Là, était ton destin. À l’Université, 187

on avait tenté, toi et moi, plusieurs fois de décrocher un visa d’étudiant pour la France. Nous obtenions à chaque fois des inscriptions dans les universités. Toi à Valenciennes en AES, moi à Caen en Langues. Nous finissions toujours par nous heurter à la barrière financière. On abandonnait pour reprendre l’année suivante. Même chose pour la DV Lottery. Tu m’encourageais à jouer : « Man, tant que je vis je jouerai à la loterie américaine », me disais-tu. Cette année encore t’avais joué, je sais, mais même si tu gagnes tu n’iras pas en Amérique ! Le Tout Puissant Allah t’a choisi une autre destination. Comme notre amie, la regrettée Kindy Diallo en décembre 2009. Notre diplôme de Maîtrise en Administration générale en poche, l’armée était donc la cadette de tes pensées. Mais tu as fini par te plier aux jonctions répétées de ton oncle maternel, Ibrahima Diogo Diallo, pour intégrer la Gendarmerie en 2008. Les vibrants succès que tu n’as cessé d’y collectionner ne m’ont guère étonné, te connaissant. Ton nom est connu dans toutes les unités de la Gendarmerie. Récemment, tu me soufflais prudemment que tu étais pressenti « gagnant » d’un concours pour l’école militaire de Melun en France… Personne ne peut échapper à son destin, nous dit-on. Tu n’aimais ni la moto, ni l’Armée (au début). Pourtant, tu as quasiment succombé au champ de bataille sur une moto ! Après le flou qui a régné sur les circonstances exactes de l’accident qui t’a emporté, des témoignages concordants affirment que tu as heurté un piéton à Sonfonia T6. Tu revenais à l’École Nationale de la Gendarmerie dans la nuit du 14 juin 2011, après une permission pour la préparation de ton mariage. C’est dans la matinée du 15 juin, à 7 heures, que tu as rendu l’âme au CHU de Donka. Le piéton s’en est sorti, lui, avec une fracture de la mâchoire et des contusions aux hanches, m’a-t-on rapporté.

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Mon cher Boubacar, j’ai mille et une choses à te rappeler, mais cette lettre commence à être longue. Je sais que là où tu es, tu as tout le temps devant toi ! Je garderai de toi l’image d’un ami fidèle, généreux, honnête et sincère qui a su être mon confident des années durant. Je n’oublierai jamais ton sourire éclatant et ton esprit fertile. Notre religion, l’islam, nous défend de verser des larmes sur le mort, mais honnêtement j’ai du mal à sécher les miens. C’est trop pesant pour moi. Je m’associe à notre chère mère, Nénan Aïssatou, à tes petites sœurs, Ramatou et Binta, à Saliou Dian ainsi qu’à tous nos autres amis pour prier pour toi. Comme pour mon petit neveu Abdoulaye à côté de qui tu reposes désormais, j’érige une stèle dans mon cœur pour ne jamais t’oublier. Man, à la vie à la mort, je te garderai en mémoire jusqu’au jour où jour où je te rejoindrai. Que ton âme repose en paix. À dieu mon cher ami !

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Lettre de chagrin à ma mère Publié le 21 mars 2014 Ma très chère petite maman, En ce 21 mars, comme chaque 21 mars, j’aurais aimé avoir le talent du poète Senghor pour me souvenir de toi dans une ode aux vers perlés d’amour et de tendresse. J’aurais voulu posséder la prose de Camara Laye pour te décrire, en des mots si simples, l’irremplaçable vide que tu as laissé. Hélas ! Je me contenterai de ma plume effilochée de blogueur pour te griffonner ces quelques lignes empreintes de chagrin qui consume mon âme depuis 24 mois. Maman, voilà deux ans que tu es partie. Tu reposes à jamais à Fârâto, en terre gambienne, où le 21 mars 2012, par une belle fin de journée ensoleillée, nous t’avons accompagnée à ta dernière demeure. Je n’oublierai jamais cet instant pathétique où, le tout dernier à quitter le cimetière, je jetai un dernier regard sur ta tombe recouverte de terre ocre sachant que je ne te reverrai plus. Les voies du Seigneur sont vraiment impénétrables : naître dans les confins de Télimélé, en Guinée, et aller se reposer pour toujours au cœur de la Gambie. J’ai séché mes larmes pour pleurer de l’intérieur. Mon cœur saigne. J’ai compris que rien, même pas la mort, ne peut entamer l’amour d’un fils pour sa mère et sans doute, vice-versa. La mort t’a ôté de mon regard pour te replacer 191

dans le sarcophage de mon cœur où tu vivras tant qu’il palpite. Jamais nous n’avons été si proches Nênè ! J’ai compris aussi qu’une mère c’est comme le bonheur : on l’apprécie quand on l’a perdue. Je te regrette beaucoup maman même si, comme le recommande notre religion, je rends grâce à Allah qui m’a gratifié le bonheur de grandir aux côtés de ma mère, contrairement à toi qui as perdu la tienne dès la naissance. C’est dur de perdre une maman. Dans cette épreuve du deuil, du chagrin et de la mélancolie, j’essaie d’avancer, de me rendre utile pour mériter ta confiance et ta fierté. À chaque fois que je lève les yeux dans le ciel, où tu te trouves dans la félicité de Dieu, j’ai peur de croiser ton regard réprobateur pour la moindre incartade. Maman, je suis devenu un homme. Ton « taureau », comme tu te plaisais à me valoriser exagérément – mon aspect fluet me rapprochait plutôt d’un taurillon non ? –, se bat dans des corridas à la dimension de tes espérances. Je me porte bien, je travaille, je bouge, je blogue, je blague. Grâce à Dieu, par tes bénédictions. Je suis devenu un homme, disais-je. Ton fils s’est marié maman ! Une petite princesse venue de Télimélé-ville. Elle s’appelle Ramatoulaye. C’est encore un petit poussin que je prendrai dans mon sein avec toute la délicatesse que j’ai héritée de toi. T’inquiètes. Dommage que tu ne sois pas là pour orchestrer les préparatifs de la célébration du mariage civil qui pointe à l’horizon. Dommage que tu n’aies pas été là pour régler les détails du mariage religieux célébré au tout début de cette année. Je sais toute l’aura que tu aurais tenu à imprimer à ces évènements. Je vois ton empressement à diffuser la nouvelle auprès de tes amies qui me fendillent souvent le cœur en me rappelant vos meilleurs moments ensemble. Le plus dur pour moi, c’est de retourner à sachant que je ne 192

vivrai plus l’instant magique d’être accueilli par toi ; sentir ton odeur de femme rurale parfumée au cambouis et à la bouse de vache. Maman, le jour où j’ai signé mon premier contrat à durée indéterminée, j’ai écrasé une larme. J’étais déchiré entre la joie du nouvel employé et le chagrin d’être orphelin de mère. Tu n’as pas pu profiter des fruits de l’arbre que tu as planté et arrosé de ton sang et de ta sueur. Tu t’imagines tout le bonheur que j’aurais éprouvé de te voir rentrer des lieux saints de la Mecque à mes frais ? Tu en rêvais, je voulais le réaliser, mais le destin s’est interposé. Loin de moi la volonté de te payer (pourrais-je jamais ?), mais ça aurait été une manière de te prouver que tes efforts n’ont pas été vains. Je sais les conditions dans lesquelles tu nous as élevés. Comme toutes les mères de notre contrée, tu as trimé. Tu t’en es allée le dos voûté, non pas sous le poids de l’âge à 68 ans, mais sous l’effet du dur labeur des travaux champêtres et de la vie de femme au foyer. Les corvées d’eau aux aurores sous la rosée, les matins secs et frisquets de fin d’année, le potager à entretenir, la tapade à bichonner, la cuisine à faire, les gamins et les bêtes à nourrir et à surveiller… Bref, être femme au village c’est savoir être à la fois au four et au moulin. C’est consacrer tout son temps aux autres sans en avoir suffisamment pour soi-même. C’est de l’altruisme ! Je garde encore l’image de ces femmes rentrant des champs, trempées jusqu’aux os, un fagot de bois en équilibre sur la tête. Souvent la faim dans le ventre. Ce n’était pas que la fumée dans les cases qui rougissait vos yeux, mais aussi l’épreuve de la vie. Comment garder la ligne, être belle et raffinée dans ces conditions ? Votre beauté est interne, celle externe vous a été volée.

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Je suis conscient que si ma peau est lisse aujourd’hui, c’est parce que la tienne a été rugueuse maman. Si la paume de mes mains est spongieuse, c’est parce que celle de tes mains était couverte de callosités au contact du pilon, de l’herbe et de la houe. Pour prouver aux autres ce que je sais faire, je leur fourbis un papier appelé CV. Toi, il te suffisait de tendre la main où était écrit le livre d’une existence aguerrie sur le champ de bataille de la survie. Tu nous as élevés dans la pauvreté matérielle, mais dans le respect et la dignité. Tu n’imagines pas le bonheur et la fierté que je tire de mon éducation et de la ligne de conduite que tu nous as tracée, mes frères et sœurs et moi. Nous te remercierons et te béniront jusqu’au jour où, Dieu dans sa mansuétude, nous réunira tous ensemble au Jardin d’Éden. Repose en paix Nênan Adama Oury ! Je t’aime.

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LA SANTÉ À L’OMBRE D’EBOLA

Ebola dans la cité : réalité, fantasmes et paranoïa Publié le 31 mars 2014 De leur abri haut perché sur les crêtes ferrugineuses des monts Nimba, les singes du sud de la Guinée boivent du petit-lait ! Depuis quelques semaines, les primates assistent, sans doute effarés, à un spectacle des plus absurdes. Leur redoutable prédateur, l’homo Guinéenus, se bat contre un ennemi invisible dans un combat déloyal, puisque à armes inégales : Ebola ! C’est à la radio, quelques rares fois, que j’entendais parler de cette saloperie incurable qui tue les gens atrocement loin là-bas dans l’ancien Zaïre, terre d’instabilité. Le virus Ebola sévissait en Afrique centrale, notamment en Centrafrique et en RDC où il a été découvert en 1976 près d’une rivière qui porte le nom d’Ebola. Comment cet inconnu a-t-il pu se taper un safari de milliers de kilomètres, traversant une dizaine de pays pour atterrir en Guinée pour faire coalition avec la malaria, le sida et le choléra contre une population déjà éprouvée par un quotidien loin d’être tendre ? En avait-il marre des fesses des rebelles maï-maï et autres fripouilles de la Seleka et anti-balaka ? Mystère. Toujours est-il qu’Ebola est là, avec son cortège de malheurs et de désolation. Plus de 100 cas et des dizaines de morts tués par une fièvre foudroyante accompagnée de vomissements, de diarrhées et de saignements. Une contagion à travers les fluides biologiques. Aucun vaccin ni 197

remède. Un cocktail qui fait que devant Ebola, le sida fait figure de rhume des foins. Rumeurs. On dit. Puis panique générale qui n’a pas tardé à virer à la paranoïa depuis la découverte de quelques cas à Conakry la capitale. Les médias s’en sont mêlés, la rue et les réseaux sociaux ont récupéré la rumeur pour laquelle la Guinée est une véritable industrie. Bonjour les anecdotes, les situations tragi-comiques et les dérives à la con. Un petit importateur de produits cosmétiques doit une fière chandelle au filovirus Ebola. Il se demandait que faire d’une quantité importante de gel de mains qui arrivait à expiration quand l’annonce a été faite que le virus ne résiste pas au gel anti bactériologique, au savon, au chlore et à l’eau de Javel. Sa marchandise est partie comme des petits pains. Désormais à Conakry, tous les jours c’est journée internationale de lavage des mains. À l’entrée de grands restaurants, de certaines écoles, ONG, institutions, banques et assurances, des vigiles armés de seaux d’eau javellisée appliquent les consignes à la lettre. Lavez-vous les mains avant de rentrer. Les épiceries sont déjà en rupture de stock de chlore et d’eau de Javel. Ce dimanche j’ai été chatouillé en voyant l’un de ces paranos se promenant dans la rue sous 35 °C, les mains rôtissant dans des gants de toubib. Il saluait à bonne distance, voyant Ebola en chaque individu croisé. Les Chinois, qui marchent en troupeau dans une Conakry chauffée à blanc, ont tous la bouche masquée par un cachenez. Donc votre Kung-fu peut être neutralisé par Ebola ? Des années successives d’épidémie de choléra n’avaient pas pu rendre les Guinéens si prévoyants et hygiéniques. Mais aussi hystériques.

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C’est dans les transports en commun que la situation devient ingérable. Faut voir les gars se faire encore plus petits pour ne pas se toucher dans un taxi où s’entassent jusqu’à sept gaillards. Chacun a la gueule tirée qui plonge dans le décor. On se veut moins tactiles, chaque cas de fébrilité étant suspicieux. Ce week-end, un drame a été évité de justesse dans un bus de transport en commun sur l’autoroute Fidel Castro. Dans l’autocar plein comme un œuf, la chaleur était suffocante. C’est à ce moment-là que quelqu’un pris de nausée a vomi à l’intérieur ! C’est le sauve-qui-peut. Le conducteur a détalé le premier abandonnant le bus sur place d’où s’échappaient les passages dans un chaos indescriptible. Plusieurs cas de blessés légers. Tant pis, mieux vaut avoir un bras cassé qu’Ebola dans le ventre. Moins amusante est la bêtise de ce prof d’université qui relaie une connerie devant ses étudiants selon laquelle il serait déconseillé de s’asseoir avec un Forestier au risque de contracter la maladie. Il a failli être lynché par ses propres étudiants, toutes ethnies confondues. Par ailleurs, de petits malins s’amusent à faire de la publicité intrusive en diffusant des SMS selon lesquels un médecin chercheur guinéen vivant au Sénégal a trouvé un remède miracle et bon marché contre la fièvre Ebola, c’està-dire de l’oignon cru ! Des âneries. Mais dans cette Ebolaphobie, la panique n’est pas uniquement au niveau individuel. Elle est aussi étatique. C’est toute l’Afrique de l’Ouest, en émoi, qui est tétanisée. Le Mali, l’autre poumon de la Guinée, annonce des mesures préventives, la Côte d’Ivoire a constitué une cellule de crise, le Liberia et la Sierra Leone sont déjà suspectés d’abriter la maladie, et le Sénégal vient de fermer sa frontière terrestre au nord-ouest de la Guinée bloquant des milliers de personnes dans les deux sens. Youssou N’Dour, 199

qui devait se produire à Conakry le 29 mars, a été contraint d’annuler son concert in extremis. Pourtant, le risque de transmission de l’Ebola est très faible comparé à certaines grippes comme celle aviaire ou le coronavirus qui a ravagé le Moyen-Orient l’année dernière. Mais si vous voulez avoir la tête carrée, allez répéter ça à un analphabète chômeur qui a la rumeur chevillée à l’âme… Ebola est vraiment garçon hein. Il a déclenché un tsunami de paranoïa par-delà les frontières guinéennes, mais il a néanmoins le mérite d’avoir réussi à baisser la tension à Conakry sur le front social. On oublie les problèmes d’eau, d’électricité et d’insécurité pour faire face au redoutable ennemi commun qui ne fait pas de distinguo entre partisans et opposants. Il les mange tous à la même sauce. Justement en parlant de sauce, les rats, les écureuils, les macaques et les agoutis du pays pavoisent. Ils ont bénéficié d’un sursis inespéré et sans doute pour une longue durée. Les défenseurs de l’environnement, en particulier de la faune, peuvent prendre leur congé sabbatique. Les braconniers et autres singivores sont tombés sur os. Ebola kö dougoulaa (Ebola est néfaste)

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Conakry, manger une pizza par temps d’Ebola Publié le 26 septembre 2014 Conakry, samedi après-midi. Accoudé à la balustrade d’un balcon, je contemple et écoute les pulsions de la ville, vaste puzzle aux pièces violemment disloquées. Loin làbas, dans le ciel pourpre de Kaloum, le soleil, d’un pas hésitant, s’en va se coucher dans une mare de métal fondu. L’ombre des cocotiers qui bordent la côte s’étire et ondoie sous l’effet de la brise marine chargée d’odeur saline. Peu à peu, un voile noir recouvre les quartiers de la capitale qui retrouvent progressivement un calme inquiétant. Le ciel gronde, un chien aboie au loin, le klaxon tympanisant du train minier retentit. Pourtant, c’est décidé, ce soir j’irai manger une pizza. Ce n’est pas tant le goût tropicalisé de cette spécialité d’origine italienne qui me manque, mais l’envie de mettre le nez dehors et rompre avec ce quotidien de plus en plus monotone se résumant en auto-boulot-dodo. C’est aussi l’occasion de briser les chaînes de ce confinement physique et mental que la tragédie Ebola nous a imposé depuis six mois, à notre corps défendant. Justement, sur le front Ebola, les nouvelles ne sont pas bonnes. Les statistiques grimpent. L’épidémie se répand, les foyers se multiplient à travers le pays. La fièvre monte gravement. Au Sud, l’obscurantisme a pris le dessus par endroits. À N’Zérékoré, un village jusque-là inconnu du 201

grand public, Womey, est tristement entré dans l’Histoire. Huit membres d’une équipe de sensibilisation y ont payé de leur vie l’ignorance et la bêtise humaines. Mon indignation est sans nom. Vu de l’intérieur, le pays est comme ostracisé. Le vrombissement des avions dans le ciel de Conakry a considérablement diminué. Les étrangers ont fait leurs bagages, désertant les zones minières, les hôtels, les restos et… la bande passante sur Internet ! Depuis quelque temps, la connexion est devenue étonnamment fluide. Les téléchargements sont lénifiants. Vu de l’extérieur, sous le prisme des médias – nouveaux et anciens – toute la Guinée n’est qu’un océan d’Ebola. Beaucoup se sont barricadés de peur d’être contaminés. L’amitié, la solidarité et la convivialité ont laissé place à la suspicion et à la stigmatisation. Ebola va certainement faire son entrée dans les cursus de formation en relations internationales. L’épidémie a ouvert un nouveau chapitre pour cette discipline. Pourtant, nous vivons. Le cœur de Conakry palpite. Toujours le même chaos sur les deux principaux axes routiers : les mêmes taxis jaunes indélicats, les mêmes cadavres de Magbana chargés à ras bord, le même joli vacarme qui rythme la vie des habitants de ma capitale avec les klaxons qu’on pousse à fond, les invectives, les aboiements des Coxeurs qui arrondissent leur fin de journée par de petits larcins sur les passagers. Les marchés sont bondés, les cafés animés. Les rumeurs et les ragots, l’essence même des Conakrykas, vont bon train. Mais les habitudes se bouleversent. Dans les milieux intellectuels, on se serre de moins en moins la main privilégiant les salutations à distance. Le chlore, le savon, l’eau de javel et le gel antibactérien sont devenus des compagnons de tous les jours. À chaque endroit public son seau de solution chlorée. Jamais les Guinéens ne s’étaient 202

autant lavé les mains. Résultat : Ebola a chassé le choléra. Pour l’instant. Dans les hôpitaux, la méfiance et la peur se sont installées. La résignation aussi, car tout le monde n’est pas logé à la même enseigne. Quand, de passage au marché de Matoto, je vois chaque jour ces femmes pataugeant dans la fange, plus préoccupées à vendre leurs fruits et légumes pour nourrir leur famille qu’à l’application d’une quelconque mesure d’hygiène, ma conviction selon laquelle c’est « Dieu qui protège » se raffermit. S’asseoir sur un tas d’immondices et tremper ses doigts dans une solution chlorée pour manger des boulettes de poisson infectes est une scène ubuesque que j’observe presque tous les jours. Une scène de théâtre délirante jouée en temps réel. De toute façon, avec ça, on ne pouvait pas y échapper : c’était soit Ebola ou choléra. Dieu qu’on aurait préféré ce dernier si seulement on avait eu le choix… Je décide donc d’aller manger une pizza, en compagnie de madame et de quelques amis que j’ai réussi à embarquer dans mon bateau. Direction, un petit restaurant de la haute banlieue de Conakry. Le voile noir qui recouvre la ville est de plus en plus épais. Le resto, alimenté par un groupe électrogène, apparaît comme un îlot de lumière au milieu de l’océan d’obscurité. L’endroit, fleuri, semble propret et même coquet. À l’entrée trône le fameux seau d’eau chlorée. Lavage de mains obligatoire supervisé par un vigile baraqué. Sur des chaises en plastique, dans la pénombre des néons installés sur une terrasse, de jeunes couples murmurent au-dessus d’un poulet aux frites. Étonnamment, il y a du monde. Joyeux. En fond sonore, discrètement, des haut-parleurs distillent du zouk antillais et des airs locaux. On s’installe autour d’une longue table. 203

J’esquive la carte que me tend le serveur ayant une idée préméditée de ce que je suis venu manger. Au bout de quelques minutes d’attente, notre table se remplit : assiette de charwarma, poulet aux frites, brochettes de viande, brochettes de lotte… et bien sûr ma pizza ronde. Une Napolitaine réadaptée, délicatement posée sur une rondelle de bois emmanchée. Classe ! Je la dévore avec boulimie, me pourléchant même les doigts trempés de la petite sauce épicée qui l’accompagne. À côté, les cuisses de poulet sont désossées dans un macabre cliquetis de fourchettes et de couteaux. On se taille une bavette. J’évite soigneusement le sujet Ebola. On s’envoie une tonne de vannes sur des thèmes moins déprimants. Les filles rigolent aux larmes. Deux heures après que la pizza se soit reposée dans mon estomac, un crachin vient nous rappeler que nous sommes en saison de pluies. Avant la séparation, les filles tiennent à respecter la tradition des sorties : les mecs se partagent la douloureuse pendant qu’elles sortent les smartphones et se tapent des selfies à qui mieux. Le résultat ce sera demain, sur Facebook. Bonne nuit et bonne digestion.

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À Télimélé, le virus Ebola s’est cassé la gueule : voici pourquoi Publié le 20 juillet 2014 Disons-le d’emblée : à Télimélé, chez moi, Ebola a trouvé garçons ! Le redoutable virus s’y est heurté contre une résistance inattendue, héroïque et même historique. Les professionnels de santé en sont encore tout baba ! Les autorités sanitaires ne l’ont pas encore officiellement annoncé, mais l’épidémie d’Ebola a été très vraisemblablement vaincue à Télimélé. Avec brio. Depuis plus de 21 jours (période d’incubation de la maladie), les rapports de l’OMS répètent la même phrase concernant la préfecture : « Aucun nouveau cas, zéro malade, zéro décès, il n’y plus de contact à suivre ». Du coup, le centre de traitement d’Ebola de Sogoroyah situé à 15 km du centre-ville a été fermé. Bien que la vigilance reste de mise, l’agitation du mois de juin nourrie par les rumeurs les plus folles s’est estompée. La tempête est passée. Fin mai, l’épidémie d’Ebola qui sévissait jusqu’ici à Conakry et surtout en région forestière a été déclarée à Télimélé créant ainsi un nouveau foyer de la maladie et semant la psychose. Je suis l’une des premières victimes collatérales. Mon mariage civil prévu pour se tenir le 15 juin à Télimélé-ville est reporté, plusieurs invités saisis de panique, ayant décliné poliment, mais fermement l’invitation.

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Si l’organisation de la riposte contre la maladie au plan local a été unanimement saluée, c’est surtout le taux de guérison des personnes infectées par le virus qui intrigue. Celui-ci est sans précédent à en croire les spécialistes. Sur 23 malades admis au centre de traitement, 16 en sont sortis complètement guéris ; soit un taux de létalité de seulement 30 %, contre 65 % en moyenne à l’échelle nationale ! Sur la totalité des cas confirmés de la préfecture (26), la fièvre n’a tué que 10 personnes, les trois autres décès étant intervenus avant l’installation du Centre de traitement de Médecins sans frontières, donc pas pris en charge. Une centaine de contacts avaient été identifiés et suivis, seule une infime partie a développé la maladie. C’est du jamais vu ! À titre de comparaison, la préfecture de Guéckédou, épicentre de la maladie en Guinée, a enregistré au 12 juillet 2014 : 168 cas, dont 135 décès, soit un taux de létalité de 80 %. Dans les autres localités affectées par l’épidémie, le taux de létalité dépasse les 50 % (sauf à Conakry où il était de 44 % à la même date). La question est simple. Pourquoi un taux de guérison si élevé à Télimélé ? La réponse ne tient pas en une ligne. Dans un article publié le 10 juillet sur le site de la Fondation Reuters, des chercheurs interrogés avancent plusieurs hypothèses : • Culturellement, certains spécialistes pensent que la gestion des dépouilles mortelles est différente entre Télimélé, en Basse Guinée, et la Guinée forestière. Le contact avec les défunts est rare en Basse Guinée, pays musulman. Ce qui, selon cette théorie, limiterait la quantité de virus inoculée dans le corps des contacts ; • Il se peut aussi que la prise en charge des patients soit plus efficace au centre de traitement de Télimélé qu’ailleurs. Il est démontré qu’une prise en charge assez tôt 206

augmente jusqu’à 10 % les chances de guérison des patients atteints d’Ebola ; • D’autres chercheurs imaginent aussi qu’une mutation virale ait pu avoir lieu, c’est-à-dire une version Ebola moins tueuse serait allée chez nous ; • Génétiquement, les personnes infectées à Télimélé pourraient être résistantes au virus mortel. Comme pour certaines maladies incurables y compris le SIDA, il existe en effet des personnes naturellement prédisposées à lutter contre les germes ; • Enfin, les résultats étonnants enregistrés à Télimélé seraient dus à des erreurs d’analyses de laboratoire. Cette hypothèse voudrait que les résultats des analyses effectuées dans les unités de laboratoires internationaux délocalisés en Guinée, soient parfois erronés. Cela peut arriver, confirme un spécialiste, mais rarement nuance-t-il. De toutes ces hypothèses, la piste génétique retient mon attention. Pour deux raisons, sans doute discutables. Mais bon… 1. À Télimélé, le foyer de la fièvre – importée de Conakry – a été le village de Sogoroyah dans la commune rurale de Sâarè Kaly, à 15 km du centre-ville. Sogoroyah est, en termes de superficie, l’un des plus grands villages de la Guinée, bâti sur une plaine au pied d’une falaise de calcaire et s’étendant sur plusieurs km. L’agriculture maraîchère y est très développée ainsi que celle de tubercules. Le niveau de vie de la population est relativement élevé. Sogoroyah est un village « Roundè » peuplé majoritairement de descendants d’esclaves. Physique de catcheurs aux muscles pétillants de féculent, les natifs de la contrée sont réputés « robustes » et « endurants ». Aux antipodes de nos corps frêles de bergers Peuls arpentant les flancs de coteaux. 207

J’ai grandi plus haut sur la montagne, à une vingtaine de km de Sogoroyah. Les jeudis, jour de marché, nous descendions la montagne, mes amis d’enfance et moi, pour venir nous approvisionner en pain, bonbons sucrés (mourabounga) et autres babioles pour bambins que nous revendions dans nos villages à prix d’or. Notre hantise était de croiser les jeunes incirconcis de Sogoroyah. Ces gamins nous flanquaient la trouille au point qu’on ne se hasardait jamais à se déplacer en solitaire. Vous me direz que je grossis un peu le trait, mais je me laisse imaginer que le virus Ebola a eu la même trouille que nous pour oser s’attaquer aux habitants de ce coin. Leur génome est fait d’acier. 2. La deuxième raison est purement culturelle et consolide la première. Il est apparu en effet qu’en matière de polygamie, les pères de famille de Sogoroyah ne font pas dans la dentelle. On y aurait découvert un patriarche qui a au moins 12 épouses ! Supposons que ce viril monsieur soit génétiquement résistant au virus Ebola et que chacune de ses femmes lui donne cinq gosses. À lui seul, il a aura créé un petit village de 60 personnes Ebola-résistantes ! La suite c’est comme les amitiés sur Facebook, les liens (de mariage) se créent et se développent. Si cette hypothèse venait à être confirmée, Ebola aura trouvé son tombeau en Guinée et la polygamie connaîtrait ses lettres de noblesse. Et bien sûr, Sogoroyah sera notre nouveau Facebook où on ira créer de liens (de sang) pour blinder notre immunité. Pour les incrédules qui persistent à croire que tout ceci n’est que batifolage, rappelez-vous de l’étymologie du nom de notre préfecture. Télimélé vient de deux mots : Téli désigne une essence végétale particulièrement résistante. La légende raconte que le Téli vit trois siècles : un siècle avec le feuillage, un siècle effeuillé, et un 208

siècle couché au sol avant de se décomposer. Méli ou Mélé signifie toxique (Télimélé = arbre toxique). Il n’y a donc aucune raison que les habitants de Télimélé ne soient pas immunisés contre cette maléfique bestiole nommée Ebola. CQFD.

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Un an d’Ebola, la cata ! Publié le 31 décembre 2014 À l’heure des bilans et des rétrospectives des faits marquants de l’année écoulée, je voudrais revenir sur l’évènement qui m’a le plus sonné au cours des 12 derniers mois. Il s’agit, sans suspense, de la tragédie Ebola. 2014 aura été l’année la plus désastreuse dans l’histoire de la Guinée indépendante. C’est un peu notre année zéro. Personne, ici, ne risque de regretter ce millésime durant lequel un malheur nommé Ebola s’est abattu sur le pays, faisant de ses habitants, du jour au lendemain, d’indésirables pestiférés dans les quatre coins du globe. Tout est parti du sud du pays. En début d’année, la presse locale rapporte des cas de décès attribués à « une maladie mystérieuse » en Guinée forestière, notamment à Guéckédou et à Macenta. Cela dure environ deux mois (janvier et février). Le 21 mars, les autorités annoncent que la « maladie mystérieuse » en question n’est autre que la fièvre hémorragique à virus Ebola. Stupeur. Puis interrogations. Qu’est-ce qu’Ebola ? Quels sont ses modes des transmissions ? Peut-on en guérir ? Comment la maladie est-elle arrivée en Guinée ? Face à l’absence ou au retard des réponses à ces questions, que chacun se posait dans son for intérieur, les populations ont fini par tomber dans le déni. Des rumeurs, relayées par téléphone arabe, ont commencé à courir niant l’existence d’Ebola en Guinée. Certains analystes de bar-cafés de Conakry ont vite fait 211

d’attribuer l’origine de la rumeur au pouvoir en place pour des « fins politiques » selon eux. Vérités et contrevérités se mêlent et s’entrechoquent. De la cacophonie, commence à naître le doute. Tergiversations jusqu’au plus haut sommet de l’État. Quelle attitude faut-il adopter ? On nage dans le flou total. Médecins Sans Frontières (MSF) est la première organisation à sonner le tocsin. Elle déclare que la maladie est très dangereuse et que si rien n’est fait, elle pourrait se propager et causer d’énormes dégâts. Une sorte de prémonition, puisque c’est ce qui est arrivé finalement après que le Libéria et la Sierra Léone aient déclaré des cas. Panique générale. La presse étrangère se mêle dans la danse et réoriente ses projecteurs sur les trois pays « ébolatés » après la guerre de Gaza. Le 13 août, l’état d’urgence sanitaire est décrété après moult hésitations. La Guinée devient ostracisée. Les expatriés plient bagages, laissant derrière eux des hôtels déserts. Les États voisins, pris de frilosité, ferment leurs frontières en cascade. L’isolement culmine quand l’Arabie Saoudite déclare les pèlerins guinéens indésirables pour le Hadj 2014. C’est l’apocalypse chez les candidats au départ. Jamais cela n’était arrivé en Guinée, pays à nette dominance musulmane. Même avant la naissance de l’aviation, nos fidèles musulmans avaient accompli ce pilier de l’islam en se rendant aux Lieux saints de l’Islam à pied ou à dos de cheval… Les réticences d’admettre la maladie et l’hostilité contre les personnels soignants se multiplient à la vitesse de propagation de l’épidémie qui touche désormais l’ensemble des quatre régions naturelles du pays. Un pas est franchi mi-septembre avec le massacre d’une équipe de huit personnes parties sensibiliser à Womey, un village de N’Zérékoré perdu dans la forêt. L’indignation et la honte dépassent les frontières guinéennes. 212

Fin septembre, les fêtes de l’indépendance prévues à Mamou, le 2 octobre, sont reportées sans surprise au mois de décembre. La rentrée scolaire et universitaire, elle, est renvoyée sine die. Ebola fait comprendre qu’elle ne joue pas. Ce que confirment les économistes de la Banque mondiale qui annoncent une baisse de 2,1 % du PIB de la Guinée en 2014. Sur le plan humain, l’épidémie continue à faire des ravages : 1.697 décès sur 2.695 cas au 29 décembre 2014, selon l’Organisation mondiale de la santé ! Et l’on continue à égrainer les macabres statistiques. Mais satané Ebola n’a pas que refroidi les relations avec nos voisins, détruit l’économie et surtout enlevé de précieuses vies humaines. La maladie nous oblige également à modifier nos comportements, les plus naturels : serrer la main du voisin, accueillir et prendre soin d’un proche malade, laver et enterrer nos morts selon nos traditions et religions. Personnellement, Ebola a rendu dingue l’hypocondriaque qui m’habite. Un mal de tête passager, la moindre fièvre, un léger gargouillement ventral me font systématiquement penser à Ebola, sans raison. Impossible de tomber normalement malade à cause de ce maudit virus. Pourtant, nous vivions presque harmonieusement avec notre cher paludisme, notre fidèle fièvre typhoïde et nos inséparables dysenteries amibiennes. Ebola est venu casser tous ces liens d’affection séculaires. En 2014, il nous a même privés du choléra saisonnier de l’hivernage à Conakry. Avant, nous amenions ces maladies dans nos centres de santé pour les tuer. Maintenant, elles nous tuent à la maison de peur d’aller choper Ebola dans les hôpitaux délabrés. Voyez combien ce virus est sadique… Ebola nous a également prouvé nos carences en matière d’organisation et d’équipement. On pensait pouvoir venir à 213

bout de l’épidémie en six mois. Un an plus tard, on ne voit toujours pas le bout du tunnel ; et sans l’aide de la communauté internationale, les ravages auraient été sans doute plus catastrophiques. 2015 est une année pleine d’espoir pour nous donc même si l’horizon est loin d’être dégagé : rentrée scolaire et universitaire incertaine, menace de grève générale des syndicats, meeting à haut risque de l’opposition, élections locales et présidentielles, en principe, et bien sûr la cata Ebola et son cortège de dégâts. Dieu sauve nous !

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UN GUINÉEN À LA DÉCOUVERTE DU MONDE

Mon premier voyage en avion ! Publié le 5 avril 2011 « Tu vas voir, Dakar c’est beau et grand » ! « L’aéroport international Lépold Sédar Senghor est impressionnant. C’est tout le contraire de Gbessia » ! « Oh, tu pars pour Dakar ? Non, mais c’est magnifique la capitale sénégalaise » ! Et encore et encore… Aujourd’hui j’ai un mal de chien à me remémorer du nombre de fois qu’on m’a bassiné les oreilles avec de telles phrases. Du coup, avant mon départ de Conakry, l’image idyllique de Dakar que je me suis construite dans la tête était à faire pâlir Manhattan de jalousie. Une vision que Sénégal Airlines a réussi à émousser au bout de 1 h 25 min de vol. Déjà, à deux jours de mon départ, l’excitation était maximale. D’abord pour la grande retrouvaille, et la formation avec RFI Mondoblog, mais aussi et surtout pour le voyage lui-même. Je me disais « voilà, enfin, ta première occasion de monter dans un avion ». Oui, pour certains, ça peut paraître banal, voire puéril de parler de mon premier voyage en avion. Mais, après tout ce temps que je me suis tapé les Magbanas et taxis jaunes de Conakry, les Peugeots 505 interurbaine, embarquer dans un avion, que j’ai toujours vu à distance, mérite réellement ce billet. Et comment ! Le jour J, le dimanche 3 avril donc, fallait se pointer à l’aéroport International Conakry-Gbessia à l’heure. Sur le 217

billet c’était marqué 15 h 25 pour le départ. Pour des mesures de sécurité, et tel que suggéré par l’équipe d’encadrement de RFI Mondoblog, il fallait venir 2 heures à l’avance pour ceux qui ont l’habitude des avions, et 3 heures pour nous autres. J’ai rajouté 2 heures supplémentaires aux trois heures conseillées ! Histoire d’éviter « Maman, j’ai raté l’avion ». En fait, ce dimanche coïncidait au retour en Guinée de l’opposant Cellou Dalein Diallo. Alors pour éviter toute tracasserie, il fallait vraiment venir tôt ; quitte à passer toute la journée à l’aéroport, mais à l’intérieur. Pour l’occasion, je voyageais avec mon compatriote Mondoblogueur Fodé Kouayaté, également bleu en matière d’avion. Une paire parfaite, pire que Sidiki et Souké ! À 10 heures pétantes nous voici à Conakry-Gbessia. Fodé en chemise, pantalon jean et souliers. Pareil pour moi, sauf pour mon pantalon qui était en tissu et la veste pendante au bras gauche. Deux heures trente minutes d’attente et les formalités d’embarquement commencent. Ça se déroule sans encombre et très vite. Après, il faut prendre un escalier, passer les bagages aux rayons X avant de rejoindre le hall d’attente. Pour monter dans le hall, on a le choix entre un escalier ordinaire et un autre roulant. Je choisis ce dernier. Ah oui, avec tous les commentaires sur l’aéroport de Dakar, l’escalier roulant est un test opportun. Pour le passage aux rayons X : RAS, tout se passe nickel. On prend place, les bras en ailes de vautour, sur les nouveaux sièges du hall relooké de l’aéroport. À un moment, j’ai eu un sourire de fierté lorsque j’ai vu d’autres voyageurs novices se prendre en pleine gueule la vitre des portiques d’entrée du hall ! Entre temps arrive le ministre de la Sécurité, Mamadouba Toto Camara. Inspection et distribution des ordres aux agents présents sur les lieux. Je pense que c’est lié au retour de Cellou. Et puis, je le surprends faire une 218

confidence à un accompagnateur : « nous allons bientôt renouveler tous les passeports guinéens ». Aux environs de 14 h 30, le vol DN 022 de la compagnie Sénégal Airlines en provenance de Dakar se pose sur le tarmac. Passagers et fret débarquent. Quarante minutes plus tard, la speakerine, à découvert, qui répétait anxieusement son texte devant moi, annonce d’une voix chevrotante « … embarquement immédiat… ». Une stagiaire, sans doute. J’ai le siège 14 B, juste à côté de Fodé. Avant le décollage, chacun passe le dernier appel ou SMS pour annoncer qu’on a pris place. P’tite démo pour la sécurité par le personnel navigant, puis l’avion vrombit et tourne pour prendre son élan. Quand il a lâché le sol, j’ai eu une drôle de sensation : crampes d’estomac accompagnées de brefs spasmes ! Pareil pour mon ami. Une heure vingt-cinq minutes de vol, un repas sommaire, nous atterrissons à l’Aéroport Léopold Sédar Senghor de Dakar Yof ! Je suis tout de suite étonné par mon manque d’étonnement. L’image féérique que j’avais de l’Aéroport et de « Dakar la magnifique » s’évaporent instantanément ! C’est vrai que Yof est plus grand que Gbessia, mais où sont les escaliers roulants et complexes qui alternent ? Où sont les gratte-ciel et les rues clean de la ville ? J’espère qu’à côté de la « Terranga » sénégalaise (hospitalité) que je commence déjà à sentir à l’Espace Thialy où nous résidons, je découvrirai, durant mon séjour, le côté « magnifique » de Dakar. En tout cas, ce nouveau voyage a été « BONNE », comme on dit chez moi.

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Fötéta, ma foi ! Publié le 20 décembre 2011 On me l’avait pourtant dit, mais je n’y avais pas cru. À mon départ de Conakry pour Paris, quelqu’un m’avait discrètement soufflé qu’« une fois en Europe, tu serais obligé de tempérer ta ferveur religieuse ». Sa sentence me parut énigmatique, mais l’intéressé se borna à esquisser un sourire pudibond lorsque je lui demandai comment et pourquoi. En deux mois de séjour en France, j’ai largement pu vérifier la véracité de la confidence. J’ai perdu le nord. Au figuré comme au propre. L’assiduité et surtout la ponctualité dans l’accomplissement des cinq prières quotidiennes obligatoires (un des cinq piliers de l’Islam) que j’observais au pays ont pris un sacré coup de rabot ici. À Conakry où je mène une vie de blogueur-chômeur-CDDiste-à-l’occasion, seul l’appel du muezzin pouvait nous extirper, mes amis et moi, des interminables discussions au tour du thé où on tuait le temps, assassinait et ressuscitait Ben Laden, défendait où vilipendait Kadhafi, pourfendait ou soutenait le pouvoir d’Alpha Condé à longueur de journée. Il n’y a pas plus fidèle musulman qu’un diplômé chômeur guinéen. La fin de chaque prière est une occasion en or pour lui de se rapprocher d’Allah pour l’implorer à trouver un job. Un boulot rémunéré pour arrêter de se taper le matin un bol Big Max de Bandé-Khita (riz rassis) ou une tartine d’un demi-Tappa-Lappa (pain local) rempli à ras bord de haricots préparés à grand renfort de bicarbonate de 221

sodium. C’est le Togué, ou Kosovo pour les inconditionnels. L’élection d’Alpha Condé n’a pas changé la donne. Le chômage et la précarité sévissent de plus belle. Ils sont célébrés dans une belle formule moqueuse en langue Soussou : « Mangué Nènè, Khamé Nènè » (traduisez : nouveau président, nouvelle famine). Trouver donc un job ou se casser. « Flyer » comme on dit à Conakry. S’envoler pour Fötéta (Occident). Et me voilà à Fötéta, mais pas pour l’aventure bien sûr. En deux mois de séjour, la piété que je portais en bandoulière dans ma petite mosquée de quartier est devenue une courbe qui évolue en dents de scie. Dieu Sait que la foi et la volonté sont présentes. Mais la rareté des mosquées et lieux de prière dans Paris, le rythme de vie infernal, l’insuffisance de l’hygiène dans les toilettes pour le musulman (papiers toilette à la place de nos traditionnelles bouilloires en plastique) oblige à faire du Sonni Ali Ber en cumulant les prières le soir avec une bonne dose de courage et des décalitres de café. « Ô vous qui avez cru ! Quand on appelle à la Salât du jour du vendredi, accourez à l’invocation d’Allah et laissez tout négoce. Cela est bien meilleur pour vous, si vous saviez ! » C’est écrit noir sur blanc dans le Saint Coran (Sourate 62 – Verset 9). Et de deux ! Ce vendredi, c’est avec joie que j’ai répondu à l’appel. J’ai pu accomplir la prière collective, hebdomadaire et obligatoire à la grande mosquée de Paris. C’était le deuxième. Oui, le deuxième vendredi en deux mois. Soubouhânallahi ! Ne me blâmez pas, vous savez pourquoi. La première fois que j’y suis allé, je venais d’arriver et j’étais porté par cette excitation touristique de découvrir les monuments emblématiques de Paris dont la grande mosquée. C’était l’époque où je me déplaçais dans trois zones parisiennes à l’aide de mon Passe Navigo (carte de transport électronique). Après trois semaines de 222

rechargement à raison de près de 25 euros par semaine, je me suis aperçu que mon maigre budget était en train de fondre comme neige au soleil. Comme beaucoup d’autres resquilleurs, j’ai vite fait de niquer les tourniquets d’accès aux gares, jouant au chat et à la souris avec les contrôleurs de la SNCF, me moquant des formules poétiques tracées à l’intérieur des bus du genre « Qui saute par-dessus un tourniquet, risque de tomber sur un contrôle à quai ». Que celui qui ne l’a jamais fait me jette la première pierre. Pour la bouffe, je fais le maxi pour éviter le porc et l’alcool. Sans être sûr de réussir. En fait, l’alcool rentre dans la composition de plusieurs aliments, dont certains chocolats, à ma grande surprise. Dans la cuisine française, il est aussi à la base de préparation de certaines sauces aux noms bizarres : sauce à l’oseille, cuisse de grenouille à la crème. Amoureux de la viande devant l’éternel, je vise les menus comportant les mots « bœuf » et « volaille » à la cantine de RFI sans me soucier de l’étiquette Halal. Depuis que j’ai visionné cette vidéo m’apprenant que l’entreprise française DOUX censée produire de la viande Halal a réussi à vendre des poulets électrocutés et égorgés à la chaîne en Arabie Saoudite (à la Mecque !) et qu’une autre, FINI, fabrique et commercialise en France des bonbons estampillés « Halal » avec du porc, c’est avec suspicion que je regarde ces cinq lettres. Halal est une simple étiquette qu’on peut coller sur du jambon charentais. Pour ma part, je me sers de la belle formule Bismillahi (au nom d’Allah) pour « halaler » les aliments que j’ingurgite. De la modération avec obligation. Dieu comprendra, Inch’Allah.

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RFI, cuisine interne Publié le 25 octobre 2011 « Quand tu arrives à RFI, on te fait avaler une horloge », me souffle Laurent Sadoux. L’homme d’Afrique Midi à la voix caverneuse, « une voix qui me fait un terrible effet » de l’avis d’une fidèle auditrice de Guinée, esquisse un sourire victorieux en sortant du studio 158 de la Maison de la Radio. Trente minutes, montre en… tripes, pour annoncer la tombée de Bani-Walid aux mains des combattants du CNT, le ralliement à Ellen Sirleaf de Prince Johnson, le charcutier de Samul Doe, le procès de Malick Noël Seck, le « pourfendeur » de la candidature du « Vieux » Wade, etc. Le tout entrecoupé de jingles, courtes pauses et petites pubs dosées à la seconde près. À RFI Laurent Sadoux et Afrique Midi, c’est un peu comme du fonio et la sauce gombo. Ça va forcément ensemble. Difficile d’avaler l’un sans l’autre. Eh oui, j’ai toujours été frappé par l’image de ces vieux cultivateurs accrochés aux flancs d’une colline quelque part au Fouta Djallon prenant une pause pour écouter Afrique Midi sur un vieux transistor balançant au bout d’un rameau. « Afrique Midi, c’est doux avec Sadoux », poétisait l’un d’eux, devenu Laurent-dépendant. C’est entendu que RFI est très écoutée en Guinée et en Afrique en général. C’est, de toute façon, le vivier de l’auditoire de la radio… Les voix de RFI résonnant dans l’habitacle d’une vieille Peugeot 505, dans un salon huppé, ou à l’intérieur d’une masure en palissade sont devenues 225

familières. Combien de fois ai-je dormi à Labé, un poste radio chinois collé à l’oreille, avec le rythme de la voix d’Emmanuelle Bastide à l’époque de son émission l’École des Savoirs ? Combien de jeunes filles sont tombées sous le charme du « Bonjour, très heureux de vous retrouver » guttural de Juan Gomez d’Appels sur l’actu ? Combien de patients trouvent du réconfort en écoutant simplement le générique de Priorité Santé que pilote délicatement Claire Hédon ? Tiens, l’autre jour à sa sortie du studio, je l’ai appelée « Docteur » en assistant à son émission en compagnie de Docteur Catherine Solano qui anime la chronique que vous savez. Le lapsus était trop juste ! Et quand Mamane me malmène avec : « tu es Peulh du Fouta toi, vous ne pouvez pas le cacher », j’ai souri. Puisque physiquement, lui et moi, on a tellement des similitudes que je n’ai pas manqué de lui faire la remarque : « tiens Mamane, tu ressembles à un Peul toi aussi ». Et il révèle : « c’est vrai, du côté de ma mère je suis Peul ». Quoi qu’il en soit, un Nigérien est un Peulh, morphologiquement… À l’autre bout du monde sur un poste radio, un baladeur numérique ou un téléphone portable on n’entend que la voix de l’animateur à laquelle on finit par s’habituer. On ignore souvent qu’il y a toute une équipe derrière. En effet, de l’autre côté de la baie vitrée s’activent de petits diables incroyablement agiles. Dans leur jargon, ces virtuoses de la technique ne jurent que par console, mic, boutons, enregistrement, etc. J’ai même entendu une expression assez originale avec Didier Bleu de l’équipe de Priorité santé : « ça répisse partout ! » Traduisez : « il y a de l’écho partout ». Enfin, c’est ce que j’ai cru comprendre en entendant le crachotement discret que faisaient les hautparleurs.

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Au Service Afrique où « je stage » depuis un peu plus d’une semaine, tout est normal jusqu’à ce qu’un ponte de type Kadhafi décide de se faire capturer et massacrer. Alors là c’est ruée. Tous les journalistes deviennent des athlètes à force de sprinter entre le bureau et la cabine d’enregistrement des interviews. Je suis loin d’avoir tout découvert dans ces interminables labyrinthes circulaires de la Maison de la Radio qui abrite RFI. Henry Bernard, l’architecte de ce « véritable temple du monde de la radio en France » devait être payé au kilomètre des couloirs ! Un bémol tout de même : après deux semaines de fréquentation, je m’y perds de moins en moins !

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« Belgo », Little Guinea à Bruxelles Publié le 3 novembre 2013 Vendredi après-midi, rue de Liverpool à Anderlecht. La prière hebdomadaire vient de se terminer dans la mosquée d’à côté. La place est noire de monde, au sens premier du terme. Ça discute partout, par petits groupes, entre Africains. Un léger vent automnal, prémisse de l’hiver bruxellois, oblige à garder les mains dans les poches. Dans la forêt des chéchias qui coiffent les têtes, émergent de nombreux Poutos, le très caractéristique bonnet traditionnel peul. « Ici, c’est un peu comme Madina », me sourit un ami improvisé guide. La comparaison avec Madina, le principal marché de la capitale guinéenne, est parfaite. À plusieurs milliers de kilomètres de Conakry, la communauté guinéenne de Belgique a reconstitué une petite Guinée à « Belgo » un carré coincé entre la commune d’Anderlecht et celle de Molenbeek-Saint-Jean, au cœur de Bruxelles. Belgo est le diminutif de la Belgo Malienne nv, une société d’export installée à Anvers, en Belgique, et fondée en août 1975 par un certain Dedrie Willy. Progressivement, elle ouvre des bureaux à Paris et à Bruxelles. L’immense entrepôt de la société, situé rue de Liverpool à Anderlecht, finit par imposer le préfixe « Belgo » au quartier. Belgo, paradis de l’occasion-Bruxelles. C’est la porte du voyage sans retour vers l’Afrique de tous ces articles de 229

seconde main qui inondent de plus en plus les rues de la capitale guinéenne : voitures, matelas, pneumatique, mobilier de bureau, électroménager, pièces détachées… et tutti quanti. Des objets, parfois muséaux, amassés et expédiés au pays à tour de bras. Au-delà de la question de respect des normes de sécurité qui entoure cette activité florissante, c’est avant tout un business qui emploie et qui nourrit de nombreuses familles installées en Belgique ou restées au pays. Directement ou indirectement. De multiples activités parallèles se sont peu à peu développées autour de Belgo. La plupart exercées par des compatriotes guinéens. Dans un local exigu se bouscule une vingtaine de personnes. Dans les rangs, désordonnés, on s’interpelle en langue soussou et surtout poular. Un homme assis derrière un comptoir bancal est pendu au téléphone. Il égrène des chiffres et des codes inintelligibles. Un autre compte frénétiquement des liasses d’euros et délivre des reçus. C’est un bureau de transfert d’argent, « le plus important du pays en direction de la Guinée » me souffle-t-on. C’est en fait un tout-en-un. Au fond de la petite salle s’étale une enfilade de cabines téléphoniques pour, éventuellement, prévenir le correspondant de l’envoi du mandat. Tout autour, des articles divers sont jetés en vrac allant des canettes Vimto aux copies DVD du théâtre ouestafricain, y compris le fameux « Pessé » de Guinée. « Ce bureau ne désemplit pas, même en période de crise » me glisse mon accompagnateur. C’est la preuve de l’importance de la manne financière rapatriée par la diaspora guinéenne de Belgique, de loin la plus importante d’Europe. Une diaspora non dépaysée. Un peu plus loin, à l’angle des deux rues, une petite faim nous conduit à pousser la porte d’un bistrot qui ne paie pas de mine, vu de l’extérieur. Dedans, une dizaine de 230

personnes attablées. Tout le monde est guinéen, du serveur au dernier client. Au menu : riz sauce feuille (manioc), riz au gras, fonio avec son inséparable sauce veloutée. La cuisine foutanienne presque au grand complet. Ces Guinéens de Belgique, de retour au pays, devraient avoir un sourire en coin quand surplace on se préoccupe à leur trouver des plats européens… Dans le petit resto, l’ambiance est joviale. Conviviale même. Les discussions sont animées. Entre deux blagues et les affaires sociales, reviennent les législatives guinéennes et le processus de sortie de crise qui polarisent les débats. Un leitmotiv. La solidarité de la communauté se lit sur les murs intérieurs. Des annonces, ici un coiffeur « professionnel », là un tailleur, sont fixées au mur du bistrot. Dans la rue, discrètement, les affaires vont bon train bien que ce soit la Toussaint, jour férié. Des affaires qui n’échappent pas à la vigilance des autorités locales. Sur la rue de Liverpool, truffée des caméras de surveillance, un poste de police veille sur la sécurité et la tranquillité du coin. Il est situé en face de l’entrepôt Belgo. Pourtant tout semble être normal et licite. Pas de problème, tant que les agents de police ne décèlent pas du désordre ou de l’encombrement des voies de circulation. Je me projette à Madina qui accueille la plupart de ces « occasions Bruxelles ». Les pièces détachées (pas forcément venues de Belgique) y sont revendues sur une partie du marché qui porte bien son nom : la Casse. Des pièces souvent volées au port de Conakry sur les véhicules d’occasion importés, et refourguées par des petits malins aux propriétaires des mêmes véhicules des fois. L’astuce qui consiste à démonter les accessoires et les planquer dans un endroit caché de la voiture n’est plus une panacée…

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Comme à Madina, rares sont les Guinéens qui habitent Belgo. Ils viennent ici pour travailler et regagnent, le soir, leurs logements situés dans les quartiers plus éloignés. Finalement, je sors de Belgo pour retourner à mon hôtel situé rue de la Loi, le centre d’affaires de Bruxelles, avec le sentiment d’avoir effectué un saut dans une Guinée en miniature !

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Gorée : émouvant et triste souvenir ! Publié le 28 avril 2011 « Chaque heure dans cette maison ouvrait une tombe et faisait couler des larmes ». Bureau du conservateur de la Maison des Esclaves de l’île de Gorée à Dakar, au Sénégal. Cette citation, punaisée au mur, est tracée sur une simple feuille de papier de la main du regretté Joseph N’DIAYE, ancien conservateur de la Maison. On ne se rend pas au Sénégal pour une première fois sans faire le détour à Gorée. Et l’on ne sort pas indemne d’une visite de Gorée, symbole de « l’une des pages les plus douloureuses de l’histoire de l’Humanité ». Je rentre d’un « pèlerinage » de ce lieu chargé de mémoire, ému aux larmes. Comme bien d’autres, de ma mémoire ne sortiront jamais ces images : les voiliers dans lesquels étaient entassés des hommes et des femmes, la Porte du voyage sans retour, les chaînes… Des images que j’avais toujours vues dans un manuel d’histoire ou à la télé. En foulant le sol de Gorée, j’ai pu mesurer l’étendue des dégâts, de la tragédie. Comme sur un écran, j’ai vu défiler en quelques minutes, quatre siècles d’Esclavage : Kunta Kinteh, Toussaint Louverture, mais aussi Victor Schœlcher. J’ai révisé et compris tous mes anciens cours d’HistoireGéographie en palpant les murs de la Maison des Esclaves. C’est par ici que commence la visite après la fixation du cadre.

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Longue de 900 m sur 300 de large, l’île de Gorée est distante de seulement 4 km de Dakar. Avec une population d’un millier d’habitants environ, elle est l’une des communes d’arrondissement de la capitale sénégalaise. Le guide, rompu dans l’art de la narration, nous explique que le navigateur portugais Dinis DIAS, fut le premier Européen à arriver en 1.444 sur l’île, alors appelée Bêer par les autochtones. Elle sera reconquise par les Hollandais en 1.627, puis par les Français en 1.667. La Maison des Esclaves elle-même est un bâtiment à étage avec un double escalier en arc de cercle qui orne la façade. Au centre, la fameuse porte du Voyage sans retour. De chaque côté du minuscule couloir qui mène à cette porte, des cellules exiguës dans lesquelles étaient entassés les esclaves. Les murs sont épais et froids. À l’entrée d’une espèce de labyrinthe, c’est marqué « Cellule des récalcitrants ». Là, m’explique-t-on, étaient maintenus enchaînés des jours durant les esclaves qui se révoltaient face aux conditions de vie inhumaines. Il me semble entendre, venu d’outre-tombe, l’écho de leurs hurlements lugubres à travers les murs sombres. À l’étage supérieur sont conservés, intacts, des éléments qui témoignent de la barbarie. Des fers qui servaient à entraver pieds et mains, de lourdes chaînes horriblement « noires », de longs et hideux fusils de traite. Sur une longue affiche, je lis : « […] Entassés dans l’entrepont, cale aménagée entre les deux ponts du navire, véritable boîte à sardines dont la hauteur permet rarement la station debout (1 m à 1 m 80), les esclaves sont enchaînés les uns contre les autres. Hors les moments de rassemblement sur le pont supérieur pour les exercices de dégourdissement et le lavage à l’eau de mer, ils sont enfermés et subissent la claustration, la puanteur, et les effets des maladies. La nourriture, à base de céréales et de haricot, est pauvre, insipide et monotone. Elle est uniquement destinée à 234

assurer la survie des esclaves ». Puis, sur une autre : « […] Enchaîné, à moitié nu, marqué au fer rouge, l’esclave devient un être anonyme, sans famille ni nom propre. Identifié par un numéro, il porte, tel un fardeau, les signes extérieurs de sa condition servile […] ». Asservissement, servitude, déshumanisation… Les mots ne sont pas assez forts pour décrire l’horreur qu’ont pu vivre ces hommes et femmes, victimes de la couleur de leur peau. Envahis par l’émotion, nous décidons de sortir de la Maison des Esclaves. Mes superbes accompagnatrices, Hadiatou et Sory Binta DIALLO me conduisent au Mémorial de Gorée, situé sur la crête de l’île. Dans l’allée pavée qui nous y mène sont exposés des toiles, des tableaux peints de figurines et de scènes retraçant la culture des habitants de Gorée et du Sénégal en général. Nous croisons des touristes, un tableau sous un bras, un appareil photo sous l’autre. Le Mémorial de Gorée du Castel, inauguré par l’ex-Président Abdou Diouf le 31 décembre 1999, représente un voilier renversé. Il symbolise ainsi l’abolition de la traite négrière. Plus loin, deux énormes canons rouillés pointent vers Dakar où le soleil se couche dans un débauche de couleurs. Il faut vite redescendre pour ne pas louper le départ de la chaloupe qui effectue la navette Dakar-Gorée. Nous finissons par nous embarquer à 19 heures. Une fois à bord, je jette un dernier regard sur l’île et me rappelle de cette autre affiche signée Joseph N’DIAYE : « Béni ! Soit ce lieu qui me renvoie si souvent à mes ancêtres martyrs ».

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Dakar Mondoblog-2013 Publié le 11 avril 2013 Mon premier billet depuis Dakar était censé faire une immersion au cœur de la Médina, la vieille ville de la capitale sénégalaise devenue, au fil des ans, le « little Guinea » de Dakar. Pour arpenter, avenue Blaise Diagne, les travées du marché Tilène à la rencontre de mes compatriotes guinéens, incontestables marchands de quatre saisons, mais aussi légendaires tenanciers d’échoppes dans les ruelles sablonneuses du quartier où, sur le toit des habitations, fleurissent des antennes paraboliques pour capter les images de la télévision guinéenne, passerelle entre un Sénégal adoptif et une Guinée natale régulièrement secouée par des remous politiques suivis à la loupe. Revirement donc. Pour vous convier à l’arrière-cuisine de la formation Mondoblog saison 2 organisée à Dakar au Sénégal sous la houlette de l’émission l’Atelier des médias de RFI, avec une flopée de partenaires. • Blogs

Prenez 52 blogueurs francophones (d’âge et de profils différents) venus d’une vingtaine de pays. Armez-les de smartphones et d’appareils photo numériques, puis lâchezles dans une ville que la plupart découvrent pour la première fois. Vous obtenez une véritable agence de presse. En quelques jours de séjour à Dakar, ce sont des dizaines de billets de blog mis en ligne et des centaines de photos 237

postées sur Facebook et Twitter pour raconter au présent Dakar ce que Oumar Ndao, écrivain contemporain sénégalais, qualifie d’« ineffable » dans sa fresque consacrée à la capitale du pays de la Teranga (hospitalité). Si Dakar est ineffable, le Camerounais René Jackson Nkowa, littéralement tombé sous le charme de la ville, peut la chanter dans une ode pleine de mélancolie. Sous « Le Mandat » d’Ousmane Sembène, autre écrivain sénégalais, le compatriote de René, William Bayhia, jette un regard historique sur le Dakar contemporain. Son billet de blog enchante France Inter au point d’être lu, in extenso, dans l’émission… « l’Afrique enchantée » enregistrée en public mardi 9 avril à la galerie Le Manège de l’Institut français de Dakar. Enfin, la startup Nalam Services remet une couche en lançant, le même mardi, au même endroit, l’application N’Dakarou qui invite à une visite virtuelle de Dakar, l’ineffable. Ineffable est aussi ma joie pour le franc soutien des Mondoblogueurs à la candidature de mon blog aux Bobs 2013. On vote tous les jours, certains font la promotion. Comme le polyvalent Gaïus Kowene et le Guinéen vivant en Ukraine, Mamady Keïta, qui m’ont consacré un article. La blogueuse béninoise Sinathou, elle, s’est carrément autoproclamée Communauty Manager de la candidature de Ma Guinée Plurielle. Sur son Twitter, elle s’emballe parfois. Pourvu que ça dure jusqu’au 7 mai prochain… • Blagues

Dakar-Mondoblog ce sont les billets de blogs, la formation, les ateliers, certes, mais c’est aussi les moments de détente. Les blagues. On se réveille avec les vannes qui partent le matin au petit déjeuner à l’Espace Thialy, une

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auberge devenue petite pour la soixantaine de blogueurs et encadreurs, et presque espagnole, par conséquent… L’humour ivoirien étant indétrônable, les blogueurs ivoiriens, emmenés par Suy Kahofi et Cyriac Gbogou, tiennent le pavé. Et le jettent souvent dans la… mer, comme lors de l’excursion sur l’île de Gorée organisée dimanche 7 avril au bord de la chaloupe Coumba Castel où l’ambiance était fun, à l’aller comme au retour. Ambiance aussi le matin, à l’aller, et le soir, au retour, dans les minibus qui font la navette entre Thialy et l’Agence universitaire de la francophonie où se déroule la formation. William Bayiha, encore lui, a le bagout et porte la philosophie en bandoulière. Que ce soit sur la civilisation noire aux Amériques ou bien sur la question freudienne du viol, William est imbattable. Et ça, tout le monde en est convaincu. Sauf, manifestement, Nicolas Dagenais le Québécois philosophant sur son blog depuis Berlin et Daye Diallo, le Guinéen de Montréal qui traite de politique internationale avec pédagogie. Daye se mesure souvent à William sous le regard du sage Nicolas. Au grand désespoir de Manon Heugel, sensible à la pollution sonore. C’est d’un minibus écolo qu’il lui faut, Manon. • Blues Moins d’une semaine hors de leur pays, y en a qui commencent à avoir le blues. La faute au… riz. Céréale décliné en plusieurs versions de Thiep, plat mythique sénégalais, le riz est omniprésent et s’impose aux Mondoblogueurs. On le mange matin, midi et soir. Au grand désespoir d’Axelle Kaulanjan, venue de la Caraïbe et habituée à d’autres spécialités culinaires. Cette « dictature du riz » a même inspiré de jolis textes ce jeudi matin à l’atelier d’écriture animé par l’auteur Khady Hane.

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Entre le Sénégal où il séjourne et la France où il vit, Adjmaël se sent comme dans un no man’s land. Il veut rentrer dans son pays natal, les Comores. Ce que vont faire ce week-end des dizaines d’autres Mondoblogueurs après un séjour sans doute inoubliable au pays de la Teranga. Bon vent.

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Le Prix du « Meilleur blog francophone » expliqué aux Guinéens Publié le 3 juillet 2013 Depuis le 7 mai 2013, je suis devenu un homme riche. Très riche. Immensément riche ! Je pèse combien ? Cinq mille, dix mille, cent mille, peut-être même… un million d’euros ! Merci à la Deutsche Welle. Que dis-je, merci à la calculette magique. Le 7 mai dernier, le blog que vous lisez a été désigné « Meilleur blog francophone » 2013 du concours des Best of Blogs de la Deutsche Welle à l’issue du vote du public. L’annonce de cette victoire m’a fait passer instantanément, dans la tête de certaines personnes, du statut de blogueur à celui de « démarreur » et, à Conakry quand on dit de quelqu’un qu’il démarre, n’allez pas croire qu’il fonctionne au diesel hein ; comprenez que l’intéressé est plein aux as. La calculette interne de certains compatriotes m’a hissé au prestigieux rang de ceux qui ne connaissent pas la boue hivernale, la chaleur et les moustiques-drones de Conakry ; de ceux pour qui les taxis-fours, les petits-déj au pain farci de haricot noir, les longues journées sans eau et les interminables nuits sans électricité, ne sont que des légendes urbaines des temps modernes.

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Je peux donc renouveler ma garde-robe aux Galeries Lafayette à Paris, me taper des grasses matinées à la chaîne, abandonner mon boulot pour aller racheter des actions à la bourse de New York, me faire une Bentley et drainer un harem des plus belles nanas du pays. Puisque je suis devenu un Crésus local, dans leur imagination. Les calculs estimatifs sournois ont commencé bien avant l’annonce des résultats du vote du public. Y en a qui ont fait recours à l’allusion : Jeune homme, on a appris la bonne nouvelle, on va voter pour toi. Si tu gagnes, puisque tu gagneras, j’imagine que tu n’iras pas en Allemagne pour rien ? Sous-entendu : À combien s’élève le montant que tu iras chercher en Allemagne ? J’ai esquivé. Quand les résultats sont tombés, les enchères ont monté d’un cran. Mes titres aussi. « Le boss », « Le Grand », « Le Big » me gratifie-t-on. À chaque fois, je formule une prière : « ne me vendez pas aux bandits armés de Conakry, please » ! Puis sont arrivées les mises en garde à peine voilées : Tu fais notre fierté Alimou, mais petit on est là hein, et on t’a vu grandir. Traduisez : « nous avons participé à ton éducation, nous attendons notre part de ce que tu vas percevoir ». Je me fends d’un sourire gêné. La médiatisation de la victoire ne m’a pas fait que du bien. En rentrant du boulot, je croise un vieux dans mon quartier, transistor collé à l’oreille. Il fonce sur moi comme un rapace, se plie en deux et décrète à mon intention en faisant de grands gestes : Mon fils, j’ai entendu ton nom ici, dans ma radio ! Je te bénis, tous les sages d’ici te bénissent. Vraiment, tu fais

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notre fierté. Mais cherche à augmenter les bénédictions hein ? D’accord papa. Mais ne croyez pas que ce prix soit… Il me coupe court : Laisse tomber « Mignan » (petit-frère) ! Quand le Blanc parle de Prix, ce qu’il y a de quoi. On connaît, on a tout entendu, tu as gagné le meilleur Prix, alors n’essaye pas de brouiller les pistes. Je ravale mon explication. A vrai dire, le mot « Prix » qui accompagne ce titre de meilleur blog francophone est une épine dans mon pied. Sous nos cieux, « Prix », comme dans prix du pain, prix du sucre, prix du Cola, évoque directement des espèces sonnantes et trébuchantes. Alors n’essayez pas d’expliquer à un analphabète que gagner un prix ce n’est pas gagner de l’argent liquide. Que c’est juste un titre honorifique, un carton, un papier. Mieux, une simple dénomination. Vous passerez pour un menteur patenté. Pire, un radin qui ne veut pas partager ! D’ailleurs chez nous, les policiers sont les premiers à vous signifier que « c’est pas papiers qu’on mange ». Et les vendeuses de beignets, elles, savent que c’est DANS papiers qu’on mange… leurs beignets ! difficile d’être un livre en Guinée… Dans ce cas, comment faire comprendre que ce prix du meilleur blog francophone n’est pas le Mo Ibrahim ? Qu’il n’y a aucune rémunération pécuniaire qui s’y rattache et que la seule chose qui le matérialise est un certificat accompagné d’un mini-lecteur MP3 offerts par la Deutsche Welle (innovation 2013) ? Comment convaincre que le voyage de douze jours que j’ai effectué en France et en Allemagne, mi-juin, a été entièrement pris en charge par l’Institut Français de Paris et non pas par la Deutsche

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Welle qui ne convie pas les gagnants de la catégorie langue ? Tout un programme… Je suis conscient que partager reste une valeur cardinale sous les tropiques et que créer une fondation, quand on est riche, pour défendre une cause ou lutter contre un fléau est une action hautement gratifiante. Mais nous n’en sommes pas là avec ce Prix. Peut-être un autre dans un futur proche. Qui sait ? Celui-ci récompense près de trois ans d’efforts accomplis dans des conditions pas souvent optimales. Il est comme il est : modeste et simple comme un clic ! Et je l’aime ainsi. Sa particularité réside cependant dans le fait que c’est VOUS, chers lecteurs, qui me l’avez offert. La Deutsche Welle n’a fait qu’entériner votre choix. Alors vous savez de quoi il est fait, pas besoin d’explication (sic).

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Covoiturage Bruxelles – Paris : quand les fraudeurs prennent le volant Publié le 20 janvier 2015 Le « covoiturage ». Joli néologisme désignant l’utilisation d’une même voiture particulière par plusieurs personnes effectuant le même trajet. Ce mode de transport permet d’alléger le trafic routier et de partager les frais. Trouvaille à la fois économique et écologique. Désormais, des applications mobiles rendent la pratique ludique. Il est possible de choisir son trajet, réserver une place et même payer son frais de transport en quelques clics. À l’occasion d’un voyage Bruxelles – Paris, j’ai voulu tester le covoiturage. Manque de pot, je suis tombé sur des magouilleurs durs à cuire. Dimanche 10 h 30, gare du Midi au cœur de Bruxelles. Le thermomètre affiche zéro degré. Ressenti : –2, à cause du vent qui souffle. J’ai des acouphènes dans les oreilles et les mains transies de froid. Un colosse de près de deux mètres, la tête à moitié enfoncée dans un bonnet rayé, m’intercepte. « Paris ? – Oui. – C’est par ici, venez. Donnez-moi votre sac. » Aidé d’un autre gaillard, mon interlocuteur – j’apprendrai plus tard qu’il se fait appeler Adolphe – 245

entrepose mon sac à l’arrière d’un véhicule garé à l’angle des deux rues. Il m’annonce qu’il ne reste que trois personnes et que nous allons bientôt bouger pour Paris. Génial, je vais pouvoir voyager en dépit du fait que le covoitureur que j’ai réservé via l’application mobile a annulé son voyage in extremis. Ici, pas la peine de faire de réservation en ligne. Les gars sont prêts à tout moment. En somme, la « solution gare du midi » est tout bénef. Enfin, a priori. Première déception : le tarif : 30 euros le trajet Bruxelles – Paris ! Contre 20 euros à travers l’application, y compris les frais de réservations (on peut trouver même moins cher). Devant mon étonnement, Adolphe se montre ferme, mais joue les gentils. Il nous offre un café, mon accompagnateur et moi, en attendant le départ. Dix minutes plus tard, le véhicule est complet. Une, deux, trois, quatre… neuf personnes y compris le conducteur Adolphe ! La porte coulissante de la Ford Transit se referme sur nous. Cap sur Paris. Personne ne semble être choqué de notre inconfort accentué par l’intérieur de la camionnette complètement en rade. Pas plus que moi ; j’ai vu pire sur les routes d’Afrique. Tant pis. Chacun fourre son nez sur son mobile. Ce n’est pas ce matin qu’on va socialiser… Ma voisine de siège est pendue au téléphone depuis une heure. Elle roucoule, sans doute avec un mec qui passe son dimanche sous la couette. Le conducteur a la bonne idée de détendre l’atmosphère avec de la musique congolaise (RDC). Soukouss. Roumba. Il maîtrise les refrains de toutes les chansons qu’il imite en avalant des gâteaux roulés dans une feuille d’aluminium posée sur le tableau de bord à portée de main. J’ai compris que notre voyage risquait de partir en couille lorsque, à la première station d’essence, Adolphe demande à trois passagers de le régler afin qu’il puisse faire 246

le plein de carburant. C’est pas bon signe ça, me dis-je intérieurement. Mais bon, comme on est en Europe… Après une heure et demie de trajet, le chauffeur annonce une pause pipi de 5 minutes à une station-service en territoire français. Il en profite pour demander aux autres passagers de s’acquitter de leurs frais de transport en toute discrétion. Il empoche 150 euros. On remet les gaz. L’autoroute du Nord est fluide. Le regard rivé sur l’asphalte, notre Adolphe siffle les refrains en dodelinant de la tête. Deux kilomètres après le second péage, un bruit bizarre se fait entendre de la voiture. Adolphe se rabat et se gare pour vérifier. Lui et moi mettons pied à terre. Un tour et mes soupçons se confirment : crevaison de la roue arrière gauche. « Tu as au moins une roue de secours ? Non, je n’en ai pas » répond-il. J’ai d’abord pensé qu’il ironisait sur ma question débile jusqu’à ce que je l’entende pousser un juron en Lingala, « Mama nan ngaï », les deux mains croisées sur la tête. On est mal barré. Pas de roue de secours. La nouvelle fait l’effet d’une bombe dans la Ford d’où l’on s’extirpe l’air hébété. Les reproches pleuvent sur Adolphe qui encaisse sans broncher. Pour notre sécurité, le chauffard est prié de traîner le véhicule jusqu’à la bande d’arrêt d’urgence située quelques mètres plus loin et de poser le triangle de présignalisation. L’Adolphe n’a pas de triangle de présignalisation ! Pas même de crique pour soulever le véhicule, encore moins de clé de roue pour démonter celle-ci. Et quelqu’un de sortir cette comparaison : « Même les charrettes tirées par un âne en Afrique valent mieux que ça », en désignant du menton notre vaisseau amiral Ford Transit. Nous sommes à exactement 42 kilomètres de Paris, bloqués sur l’autoroute A2 sans solution en vue.

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La tension monte. Le conducteur indélicat est sommé de nous trouver une solution dare-dare. Le gars est tellement imprudent qu’il n’a même pas de crédit sur son téléphone pour joindre ses comparses. On lui prête main-forte. « Allô Pépé… Okenda Wapi… Bruxelles ? Oh là là !!! » Il raccroche le téléphone, le visage déconfit, et répète sans cesse : « Matata, Matata ». L’angoisse d’Adolphe grimpait à mesure que le temps passait. Huit passagers dans un véhicule déglingué et dépourvu de tout, faisant du transport illégal de personnes… il avait bien des raisons de s’inquiéter avec toutes ces forces de l’ordre qui se promènent, un couteau entre les dents, après les attentats à Charlie Hebdo. Après une heure trente minutes d’attente, un de ses copains vient nous transbahuter à Paris, Porte de la Chapelle. Entre-temps, d’autres covoitureurs avaient déjà appelé des proches pour venir les chercher. Le covoiturage est un bon plan pour voyager à moindres frais. Malheureusement, des fraudeurs se sont engouffrés dans la brèche, profitant des failles du système. Au détriment des usagers. En France, la loi punit lourdement le transport illégal des personnes (trois ans de prison et 45 000 € d’amende), mais rien n’empêche quelqu’un de transporter des personnes dans sa voiture. Ce qui est interdit, c’est de les faire payer au-delà des droits de péage et des frais de carburant. Bon bref, c’est assez flou pour décourager des types comme Adolphe qui peuvent se taper jusqu’à deux allerretour Paris-Bruxelles par jour, à raison de 240 euros par voyage. Sortez vos calculettes pour voir combien ils peuvent gagner par mois.

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Du bon temps à Clermont-Ferrand à la suite d’un voyage éreintant Publié le 21 août 2016 Je savoure le bon temps que je passe actuellement à Clermont-Ferrand, je le vois comme la récompense suprême de mon exécrable voyage Conakry – Paris via Casablanca, qui a failli transformer mes vacances d’été en pétard mouillé. Vingt-quatre heures de retard au départ de Conakry à cause d’une avarie technique de l’avion avec pour conséquence directe la perte – non remboursée – de ma réservation d’hôtel prépayée à Paris. S’y ajoute la torture psychologique de voler dans un avion dont la roue crevée a été remplacée. « L’avionphobe » qui habite en moi, gavé d’horribles images de catastrophes aériennes sur National Geographic Channel, a failli péter un câble à 11 mille pieds d’altitude ! La perte de ma valise (retrouvée et rendue après quatre jours) fut la cerise sur le gâteau que m’a servi Royal Air Maroc. Shoukran ! Mais les choses ont commencé à partir en vrille bien avant mon arrivée à l’aéroport de Gbessia Conakry. Quelque temps avant mon départ de la maison, ma cheville droite est victime d’une entorse à la suite d’un violent coup de porte. Un incident qui aurait dû me pousser à annuler mon voyage si j’avais été superstitieux (comme le sont la plupart de mes compatriotes), mais je suis plutôt d’un esprit cartésien. Mon incrédulité face à certaines croyances populaires est-elle à la base de ma mésaventure ? Possible. 249

Adolescent, au village, j’ai vu des voyageurs rebrousser chemin après plusieurs kilomètres de marche et annuler ou reporter leur voyage, simplement parce qu’ils avaient croisé un individu soupçonné de sorcellerie ou parce qu’ils avaient buté sur une pierre du pied gauche (ou droit) ! Pour conjurer le mauvais sort du voyage, certains consultaient le Marabout pour savoir quel jour partir, à quelle heure et quelle direction prendre au départ. D’autres avaient recours à un drôle de GPS : la poule couveuse ! On devait surprendre une poule en train de couver ses œufs pour suivre impérativement la position de celle-ci en sortant de la maison, quitte à foncer, tête baissée, directement dans la broussaille si le chemin y menait ! Hélas, je n’ai pas de poule couveuse pour savoir quelle est la bonne direction à prendre. Ce qui est certain, c’est qu’un billet d’avion de près de mille dollars était en jeu si je décidais d’annuler délibérément mon voyage. Je préfère affronter un sorcier ayant des cornes que de laisser partir en fumée une telle somme… Mais c’est de l’histoire ancienne. Les charmes de l’Auvergne sont en train de poncer tous les mauvais souvenirs de cette mésaventure… Ce qui frappe le voyageur qui arrive pour la première fois à Clermont-Ferrand par la route du nord, c’est le relief. La monotonie des plaines du centre est brusquement cassée par la chaîne des volcans du Massif Central qui surgit à l’horizon. La ville, capitale de l’Auvergne, se trouve confinée dans une sorte de cuvette cernée par un chapelet de volcans éteints (nommés les Puys) dominés par le très célèbre Puy-de-Dôme. Le spectacle est plus parlant depuis le toit de la majestueuse Cathédrale Notre-Dame-de-l’Assomption de Clermont. Pour deux euros, l’effort de l’ascension des 245 marches de l’une des tours du monument est récompensé par une vue panoramique à 360 degrés sur la cité. Au 250

premier plan, des maisons aux toitures en tuile rouge flammé, au second, les HLM des quartiers périphériques (avec la « Muraille de Chine » qui se détache nettement) et, à l’arrière-plan, des demeures cossues, accrochées au flanc des montagnes, complètent le décor de carte postale qui s’offre à mes yeux sous un ciel bleu azur. L’église, comme la plupart des édifices environnants, est bâtie avec la Pierre de Volvic, une roche volcanique noirâtre qui confère un aspect sombre et un tantinet triste à la vieille ville de Clermont. Une tristesse accentuée par des rues quasi désertes, l’été ayant charrié les Clermontois actifs vers les plages du Sud de la France. Je descends de la Cathédrale pour monter encore plus haut : au Puy-deDôme. Sous la conduite d’un ami guinéen, aventurier dans l’âme, et qui connaît Clermont-Ferrand comme sa poche, nous décidons, en compagnie de deux Auvergnats et d’un couple d’amis compatriotes, de gravir la montagne à la marche. Après trois quarts d’heure d’une montée éreintante, nous voilà au sommet du volcan qui culmine à 1.465 m d’altitude. Pas de bol, le temps est couvert rendant la visibilité nulle. On m’explique rapidement que, par beau temps, la vue serait imprenable sur la ville de Clermont et la plaine de la Limagne. Je reviendrai, c’est décidé… On dévale le flanc nord de la montagne par le Chemin des chèvres pour traverser une plaine qui rappelle les paysages irlandais magnifiés dans la série « Game of Thrones ».Notre « gamme » à nous, c’est l’ascension du Pariou, l’autre volcan éteint de la chaîne. Il est moins abrupt que le Puy-de-Dôme, surtout grâce à un immense escalier en bois de 528 marches qui mènent jusqu’au cratère en forme d’entonnoir. Le temps est devenu plus clément pour admirer Clermont. Et pour pique-niquer. On redescend pour rentrer à la maison après 17 km de randonnée, les muscles en feu. 251

Depuis, je suis retourné au sommet du Puy-de-Dôme, mais cette fois par le Panoramique des Dômes, le magnifique train électrique à crémaillère qui déverse des fournées de touristes au sommet de la montagne, toutes les 20 minutes en été. J’ai pu admirer tout ce que le brouillard masquait lors de la première visite : au sommet, les vestiges du Temple de Mercure (édifice construit à l’époque galloromaine), la ville de Clermont-Ferrand, la plaine de la Limagne et des paysages montagneux entrecoupés de vallées à couper le souffle. Sur les dômes des petits volcans éteints, se sont formés au gré du temps de magnifiques lacs à l’eau d’un bleu profond : Gour de Tazanat, lac Aydat, lac de la Cassière, etc. Des hauts lieux du tourisme auvergnat, intelligemment mis en valeur pour la baignade, le vélo ou pour de somptueuses randonnées pédestres. Sur le flanc nord du Puy-de-Dôme, des casse-cou s’élancent dans le vide depuis le sommet, accrochés à de minuscules cordes de parapente. À chaque décollage, un frisson me parcourt la colonne vertébrale ! J’ai pourtant eu ma dose d’adrénaline au parc d’attraction et animalier du Pal, situé dans la commune de Saint-Pourçain-sur-Besbre, à un peu plus de 100 km de Clermont. Vingt-six attractions et un parc zoologique de 700 animaux. La nature est partout. À l’attraction Azteka, on a pris un train fou qui dévale des pentes raides et des virages serrés à une vitesse vertigineuse, à vomir toutes ses tripes ! À l’arrêt, je sentais la terre se dérober sous mes pieds. Un truc de ouf ! Clermont-Ferrand, c’est le relief et la nature, on l’a vu, mais c’est bien sûr aussi les fromages (l’ADN de la région) : le Bleu d’Auvergne, la Fourme d’Ambert, le Rocamadour, le Saint-Nectaire, le Gaperon… La liste est longue. Je me suis limité au Saint-Nectaire, pris seul ou avec du pain, et au Bleu d’Auvergne fondu dans un savoureux Hamburger dont mes papilles se souviendront 252

longtemps. J’avoue que mes pressentiments sur les formages français, endurcis par le rebutant Camembert, commencent à s’émousser. Clermont, c’est aussi la ville de la roue. Celle de Michelin dont on aperçoit les sites de la société un peu partout dans la cité. C’est un peu l’âme de ClermontFerrand. C’est ici que le fameux pneu Michelin est fabriqué depuis 1891. Plus d’un siècle après, Clermont et Michelin roulent toujours ensemble ! Enfin, c’est également ici, dans la commune voisine de Chamalières, que les fameux billets de Franc CFA sont imprimés avant d’être expédiés en Afrique dans les zones UMOA (Union monétaire ouest-africaine) et CEMAC (Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale). Clermont-Ferrand, ville des volcans, de la roue et des fromages, mais également ville du savoir où est né Blaise Pascal, mathématicien, physicien, philosophe, inventeur de la calculette et auteur de « Les Pensées » où il affirme : « Le silence éternel de ces espaces infinis m’effraie ». À propos de l’Auvergne, je reprends la citation à mon compte.

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TABLE DES MATIÈRES

DÉDICACE ...............................................................................7 PRÉFACE LA GUINÉE AU QUOTIDIEN .............................................13 Conakry – Labé – Conakry : retour sur un voyage riche, mais éreintant.......................................................................15 Bienvenue à Pounthioun, où tradition et modernité se côtoient .............................................................................21 Tabaski à Kansaghi...............................................................25 Top 10 des clichés les plus loufoques sur les célibataires guinéennes .............................................29 Top 10 de types de maris guinéens préfabriqués ..................35 Cinq choses que les célibataires (hommes) devraient savoir sur le mariage en milieu peul .....................41 La drague au village, version Mademoiselle F. ....................45 Le fatal baiser de « Madame Sassé » ! .................................51 Mes folles années d’étudiant : quand « Jet Lee » s’invite à la fac ! ...................................................................55 Au cœur de la forêt guinéenne, les trésors du Ziama ...........61 Respirez, c’est la Basse-Guinée ! .........................................65 Où vas-tu donc, étudiant guinéen ? ......................................69 Top 10 des fautes de français qui « collent les Guinéens à la peau » .............................................................................73 Parlez-vous le « guinéen » ? Top 10 des mots et expressions aux couleurs locales ..............................................................77 Le surnom, l’autre identité du Guinéen ................................81 La Guinée ou le supplice de Tantale ....................................85

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CES COMPATRIOTES AU PARCOURS EXCEPTIONNEL ..................................................................89 Ces femmes au « métier d’homme » : Jeannette Haba, chauffeur professionnel ........................................................91 Ces femmes au « métier d’homme » : Solange Bamba, mécanicienne ........................................................................95 Binta Laly Sow, le folklore dans le sang ..............................99 Boubacar « Sanso » Barry, le handicap comme force ........103 J’ai rencontré Oscar, le caricaturiste du satirique Le Lynx .107 Thierno Diallo, arbitre guinéen à 18 ans ............................111 Un septuagénaire de génie nommé Abdoulaye Bah ...........115 CONAKRY, UNE CAPITALE DANS TOUS SES ÉTATS ! .................................................119 Lectures déambulatoires dans les rues de Conakry ............121 Salons de coiffure de Conakry, fragments « d’ailleurs »....127 Dans la peau d’un chauffeur de taxi de Conakry ................131 Conakry, côté pile ...............................................................135 31 décembre à Conakry, vices et vertus d’une fête ............141 Conakry by night, version 2015 .........................................145 Ces quartiers de Conakry où l’on ne crie pas « wéé té fa » .......................................................................149 Ces catastrophes qui ont ôté le cache-sexe de Conakry .....153 Tayaki, un village de Conakry écartelé entre beauté et précarité ......................................................157 LETTRES DE MON PLEURER-RIRE… ............................................161 Lettre à mon frigo !.............................................................163 Lettre de Paris à un ami de Conakry...................................167 Réponse à la lettre de Paris .................................................173 Énième lettre de (dé) motivation… ....................................179 Lettre post-mortem à mon ami Boubacar Diallo ................183 Lettre de chagrin à ma mère ...............................................191

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LA SANTÉ À L’OMBRE D’EBOLA .................................195 Ebola dans la cité : réalité, fantasmes et paranoïa ..............197 Conakry, manger une pizza par temps d’Ebola ..................201 À Télimélé, le virus Ebola s’est cassé la gueule : voici pourquoi .....................................................................205 Un an d’Ebola, la cata ! ......................................................211 UN GUINÉEN À LA DÉCOUVERTE DU MONDE ........215 Mon premier voyage en avion ! ..........................................217 Fötéta, ma foi ! ...................................................................221 RFI, cuisine interne ............................................................225 « Belgo », Little Guinea à Bruxelles ..................................229 Gorée : émouvant et triste souvenir !..................................233 Dakar Mondoblog-2013 .....................................................237 Le Prix du « Meilleur blog francophone » expliqué aux Guinéens........................................................241 Covoiturage Bruxelles – Paris : quand les fraudeurs prennent le volant ...............................................................245 Du bon temps à Clermont-Ferrand à la suite d’un voyage éreintant .........................................................249

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Guinée-Conakry aux éditions L’Harmattan

Dernières parutions

La naissance de Conakry Fille du vent et de l’Atlantique

Lehideux-Vernimmen Raymond

Conakry, que l’Unesco a choisie comme «capitale mondiale du livre 2017», a vu le jour dans des circonstances méconnues. Ses concepteurs étaient des marins, ils l’ont dessinée en s’inspirant du vent, sur une île mystérieuse battue par l’océan. En moins de vingt ans, ils ont bâti «la plus belle ville d’Afrique» et «une escale essentielle» sur ses routes atlantiques. Les navigateurs urbanistes l’ont alors ouverte sur l’intérieur du continent. Ils l’ont reliée aux hauts plateaux du FoutaDjalon, aux immenses plaines du Sahel et aux richesses drainées par le fleuve Niger. Pionnière sur ces axes commerciaux, la dynamique Conakry a devancé toutes ses rivales : Dakar, Freetown, Monrovia et Abidjan. (17.00 euros, 152 p.) ISBN : 978-978-2-343-11666-2, ISBN EBOOK : 978-978-2-14-003307-0 Toi Guinée, tu m’as pris dans tes bras !

Couriol Daniel

L’auteur de ce livre a souhaité faire partager le récit de sa rencontre avec un pays, un peuple et ses artistes, et non raconter l’histoire d’une mission culturelle en Guinée. Rencontre forte, passionnément subjective, voilà cinq années où, comme directeur du Centre culturel franco-guinéen (CCFG) pour le compte du ministère français des Affaires étrangères, il aura essayé de faire vivre cette maxime de Rabelais : «Chose divine, non de prendre et recevoir, mais d’élargir et de donner». (Harmattan Guinée, 16.50 euros, 172 p.) ISBN : 978-978-2-343-11720-1, ISBN EBOOK : 978-978-2-14-003297-4 Karamo Sékou Diafodé Nabé L’érudit humaniste de Banko-Woulada

Moussa Nabé Ladji Fodé

Le narrateur de ce livre retrace les pérégrinations des Nabes ou Djakana, de la tribu des Marakhas, venant de Djafounou (République du Mali) pour se fixer définitivement dans l’actuel village de Banko (préfecture de Dabola). Cet essai historique réhabilite et met en exergue, pour les générations futures, les différentes étapes de l’assimilation du Coran par les talibys. Devenus plus tard des disciples,

ces élèves ou disciples se mueront pour certains dans la grande famille du saint homme, ou créeront à leur tour des villages satellites autour de Banko. (Harmattan Guinée, 11.00 euros, 74 p.) ISBN : 978-978-2-343-10119-4, ISBN EBOOK : 978-978-2-14-002759-8 L’ethnicité en Guinée-Conakry Au prisme de l’organisation sociopolitique

Diakhaby Oumar

Ce livre tente d’apporter une explication au mal dont souffrent les Guinéens : l’ethnicité. En effet, cette forme d’organisation sociale, fondée sur la différenciation des acteurs en fonction de leur origine supposée, est de nos jours une référence inquiétante pour la cohésion et la concorde sociales. Cette situation s’explique par le fait que la Guinée ait été constituée par une adjonction de territoires sur lesquels vivaient des groupes ethniques n’ayant aucun projet politique de se constituer en État-Nation. Le modèle politique et social n’a pas été remis en question par les générations actuelles pour une organisation plus inclusive et intégrationniste. (Harmattan Guinée, 25.00 euros, 254 p.) ISBN : 978-978-2-343-10339-6, ISBN EBOOK : 978-978-2-14-002878-6 Guinée Nantou, l’héritière légitime

Junior Didier

Il n’y a pas d’homme célèbre sans une femme courageuse derrière lui. Alpha Condé n’a pas été seul pendant ses quarante années de lutte. Nantou a joué à côté de lui le rôle de partenaire, fidèle, sincère, désintéressée, intègre. Se battant pour ses idées, elle a été persécutée, harcelée, et sournoisement marginalisée pendant l’exercice du pouvoir par le jeu d’intérêts de ceux qui s’en mettaient plein les poches. Elle est une personnalité incontournalble dans l’avenir politique de la Guinée. (Coll. Les Impliqués, 12.00 euros, 90 p.) ISBN : 978-978-2-343-11247-3, ISBN EBOOK : 978-978-2-14-002961-5 Regard sur le secteur minier guinéen

Diaby Fodé - Préface d’Ibrahima Soumah

Ce secteur minier guinéen n’évolue pas et ne satisfait pas les besoins de l’économie nationale. La Guinée a une vocation minière et compte jouer un rôle de premier plan en Afrique et dans le monde. Cet ouvrage est une contribution de l’auteur pour la relance des activités minières et une source d’information et de consolidation des connaissances géologiques, du potentiel minier et de sa gestion. (Harmattan Guinée, 27.50 euros, 280 p.) ISBN : 978-2-343-11047-9, ISBN EBOOK : 978-978-2-14-002802-1 L’enseignement technique et la formation professionnelle en République de Guinée «Le parent pauvre»

Kandé Alama - Préface d’El Hadj Almamy Diaby

Malgré une augmentation sensible du nombre d’apprenants dans les institutions d’enseignement technique et de formation professionnelle (ETPF), la part de financement de ce secteur est restée constante pendant plus de 20 ans. Cette

faible allocation budgétaire ne peut contribuer à une rapide croissance de l’ETFP ni à une formation de haut niveau. Or, la garantie d’un emploi est assurée par l’acquisition d’une formation de qualité. Voici une réflexion essentielle pour un développement durable et l’émergence de la Guinée. (Harmattan Guinée, 19.50 euros, 188 p.) ISBN : 978-2-343-10124-8, ISBN EBOOK : 978-978-2-14-002728-4 Journal d’une année sur les rives de la Seine Souvenirs d’un Guinéen stagiaire à Paris

Toure Jean-Marie

Un stage de français langue étrangère au Centre international d’études pédagogiques (CIEP) de Sèvres permet à l’auteur de ce récit de découvrir Paris, sa tour Eiffel, son Arc de triomphe, son métro, l’avenue des Champs-Élysées, la chapelle de la Médaille miraculeuse de la rue du Bac, la basilique du SacréCœur, Notre-Dame, le RER, les bateaux-mouches, et «Galpi», le supermarché de la licence et du sexe. D’autres Guinéens, une Dominicaine, une Libanaise, deux Léonaises et des Vietnamiens sont ses compagnons de stage. (Harmattan Guinée, 16.00 euros, 148 p.) ISBN : 978-2-343-10116-3, ISBN EBOOK : 978-978-2-14-002700-0 L’épopée de Bokar Biro selon Farba kéba Sow de Labé L’homme, l’Almami et la conquête coloniale du Fuuta Jallon

Balde Maladho Siddy

Cette épopée présente la vie et l’œuvre historique de l’Almami Bokar Biro, qui a été le dernier souverain à régner sur le trône de Timbo, la capitale du Fuuta théocratique. En français et en puular, ce texte présente, dans la perspective d’un griot du terroir, une nouvelle version de l’histoire de Bokar Biro, qui permet de comprendre non seulement la vie dans les cours princières et maraboutiques, mais aussi d’autres domaines importants et variés comme l’histoire, la géographie, l’économie, la religion, l’administration, les considérations sociales et culturelles, les alliances et la politique extérieure du Fuuta Jallon, surtout dans la seconde moitié du XXIe siècle. (Harmattan Guinée, 27.00 euros, 260 p.) ISBN : 978-978-2-343-10392-1, ISBN EBOOK : 978-978-2-14-002411-5 La responsabilité des père et mère en droit guinéen Étude prospective à la lumière du droit français

Koïta Sékou Maouloud - Préface de Clotilde Brunetti-Pons

Ce livre aide à saisir la différence entre le droit coutumier et le droit moderne guinéens sur la question de la responsabilité des père et mère du fait de leur enfant mineur. L’auteur suggère de substituer à un régime de responsabilité parentale pour faute prouvée un régime de présomption de faute des père et mère dans le contexte d’un développement préconisé des mécanismes d’assurance. Le manque de dynamisme de la jurisprudence guinéenne a conduit à inviter le législateur à réformer le Code civil, tant pour en clarifier les dispositions que pour les faire évoluer. (Coll. Études africaines, 36.00 euros, 348 p.) ISBN : 978-2-343-07651-5, ISBN EBOOK : 978-2-14-002414-6

Précis de fiscalité des affaires en République de Guinée

Bombi Balde Mamadou

La politique fiscale est un indicateur majeur de mesure de la performance de la politique économique du pouvoir exécutif. L’évolution de la fiscalité guinéenne, ces dernières années, en est une illustration parfaite, tant les réformes en matière d’impôts directs et indirects sont nombreuses. Face à l’exigence de modernisation du système fiscal, la maîtrise des contours de cette science devient indispensable pour les étudiants auxquels s’adresse principalement cet ouvrage. L’objectif est de contribuer à l’émergence d’un système fiscal guinéen moderne, à travers les éléments de droit fiscal comparé fournis. (Harmattan Guinée, 20.00 euros, 194 p.) ISBN : 978-2-343-10120-0, ISBN EBOOK : 978-2-14-002010-0 Guinée La réforme scolaire de 1968 – Un grand rêve brisé ?

Loua Zaoro Hyacinthe Préface d’Ansoumane Doré

La réforme scolaire de 1968 en Guinée, une révolution culturelle ? Une explosion de la culture artistique et musicale ? Une formation de l’esprit patriotique ? Un rêve brisé ? La réforme de 1968 est-elle vraiment une réussite ? La meilleure manière de répondre à ces questions est de donner la parole aux enseignants, aux parents et aux élèves eux-mêmes. Tel est l’objectif de l’auteur. Résultat d’une recherche sociologique, cet ouvrage convie le lecteur à la réflexion, à la méditation et à une critique constructive de la réforme scolaire de 1968, en vue d’inventer l’école de demain. (Coll. Afrique : politiques publiques, sécurité, défense, 17.50 euros, 162 p.) ISBN : 978-2-343-10080-7, ISBN EBOOK : 978-2-14-001883-1 Enquête sur les décès La procédure pénale policière

Cisse Mohamed Avec la collaboration de Hassane Bah

Cet ouvrage servira de guide pour les Officiers de police judiciaire (OPJ) lors des investigations concernant les cas de découverte de cadavres. Il résume les opérations de saisine, de transport sur les lieux, de constatations de la datation de la mort et de description des blessures mortelles. L’auteur de ce manuel étudie également les interactions entre les différents acteurs de la chaîne d’investigation, afin de mieux établir les documents administratifs nécessaires. Les multiples disparitions et enlèvements de personnes dans des circonstances non élucidées demeurent préoccupants, il importe donc d’avancer sur cette thématique. (Harmattan Guinée, 21.50 euros, 208 p.) ISBN : 978-2-343-09693-3, ISBN EBOOK : 978-2-14-001973-9

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Ma Guinée plurielle Chroniques d’une Guinée ineffable à partir d’un blog La locomotive d’Alimou Sow charrie tous les cris, les pleurs, les soupirs, mais aussi toutes les joies et tous les espoirs de la Guinée de son époque. On côtoie, de texte en texte, des fois dans le même, la pauvreté, la violence, la corruption, la gabegie, le népotisme, l’ethnocentrisme, l’incivisme… Tous ces maux qui rongent les États africains, du moins la majorité, depuis les soleils des indépendances qui, ayons le courage de l’affirmer, peinent encore à briller. Mais, loin de tomber dans le pessimisme, un pessimisme lassant, et finalement nuisible, l’auteur imprime une bonne dose d’optimisme à chacune des situations qu’il peint, et allume des brèches d’espoir dans l’obscurité du désespoir qui l’entoure. Le message véhiculé dans chaque texte se résume dans cette devise : « Voyez, la Guinée d’aujourd’hui, notre Guinée, se porte mal, mais elle se portera mieux si nous le décidons. » Alimou SOW se définit comme « un enfant du village ». Né en 1980 à Pountougouré, il a passé sa jeunesse dans ce petit village de montagne de la sous-préfecture de Brouwal, préfecture de Télimélé. Brillant élève, « premier de la classe », amoureux des mots et de la langue française, il est inscrit en sciences sociales au lycée Yimbayah, à Conakry, puis sort diplômé en administration générale du Centre universitaire de Labé en 2008. Il s’oriente très vite vers le journalisme – sa vocation –, et collabore avec plusieurs médias guinéens avant d’effectuer un stage à RFI en 2011. Il a par la suite collaboré avec de nombreux médias nationaux et étrangers : Radio Espace, Le Défi, Jeune Afrique, Slate Afrique, Acteurs publics, Canal Plus, etc. Il crée son blog en octobre 2010 à la faveur du concours Mondoblog de RFI. Depuis août 2012, il travaille pour la délégation de l’Union européenne en Guinée au poste de chargé de communication. http://lims.mondoblog.org Illustration de couverture de l’auteur.

ISBN : 978-2-343-12006-5

26 €