La theorie de la desintegration positive de Dabrowski : Un autre regard sur la surdouance, la sante mentale et les crises existentielles 1539114333, 9781539114338

Être surdoué, et ensuite ? Quel sens donner à sa vie, à la difficulté de vivre avec les autres ? Cette présentation de l

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La theorie de la desintegration positive de Dabrowski : Un autre regard sur la surdouance, la sante mentale et les crises existentielles
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La théorie de la désintégration positive de Dabrowski

Je vous invite à venir la découvrir...

Patricia LAMARE

La théorie de la désintégration positive proposée par Kazimierz Dabrowski (1902-1980) nous invite à réfléchir non seulement sur le phénomène de la surdouance mais aussi, et plus largement, sur la véritable nature de la santé mentale et la signification des crises existentielles qui émaillent nos vies. Théorie du XXe siècle, elle n’en reste pas moins très contemporaine pour nous aider à porter un regard nouveau sur ces sujets.

La Théorie de la

Désintégration Positive de Dabrowski Un autre regard sur la surdouance, la santé mentale et les crises existentielles

Patricia LAMARE

Sens & Lien

Patricia LAMARE Théorie de la Désintégration Positive de Dabrowski

Un autre regard sur la surdouance, la santé mentale et les crises existentielles.

Collection Sens & Lien

Janvier 2017 e

2 Edition septembre 2019

V16Az

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Remerciements Je ne peux qu’adresser ma plus chaleureuse gratitude à la Vie qui m’a permis ce parcours passionnant dans lequel j’évolue : pour cela un grand merci à mes parents Georgette et Claude. Puis, ma gratitude va directement à nos enfants Fanny, Clémentine, François et Jean qui nous accompagnent quotidiennement et nous ont poussé à appréhender de nouvelles idées, chercher d’autres solutions, nous ont encouragé dans nos diverses réorientations professionnelles. Enfin, toute ma reconnaissance et mon amour vont à Philippe, mari et compagnon de vie non seulement pour son soutien inconditionnel dans toutes mes quêtes, même les plus folles, ses idées les plus inattendues voire fantaisistes quelquefois mais qui ont toujours eu du sens, mais aussi et surtout son amour inconditionnel. Je suis particulièrement reconnaissante à la Vie de m’avoir permis de rencontrer Michael Piechowski qui a eu la bonté de bien vouloir relire cet ouvrage, d’y apporter les corrections et précisions nécessaires et de préfacer cette 2eme édition. Un grand merci à tous mes amis qui m’ont soutenue dans la rédaction de cet ouvrage, qui en ont assuré la relecture et ont su me transmettre des remarques très pertinentes et utiles, en particulier Nicolas et Hubert, qui furent d’une aide précieuse pour le graphisme et les dessins. Enfin merci à Cathy et à mes collègues, Juliette, Garance et Sarra de l’AFEP (Association Française pour les Enfants Précoces) Centre, particulièrement actifs sur le champ de la précocité et qui m’ont permis de rencontrer et d’intégrer un réseau de praticiens spécialisés dans ce domaine toujours en mouvance. ----

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Preface de Michael Piechowski This is a much needed book. Patricia Lamare has done a tremendous service to the French-speaking world by providing a clear and concise introduction to the theory that illuminates inner growth process. Dąbrowski was more fluent in French than in English. He did his doctoral work in Geneva, and went to Paris to hear lectures by Pierre Janet. Many of his seminal ideas were first published in Annales Médico-psychologiques. Years passed and no one in France picked up the thread of his theory until Patricia Lamare discovered his work just a few short years ago. Her book La Théorie de la Désintégration Positive de Dąbrowski is very much in the spirit of his profound understanding of emotional development. The subtitle announces it splendidly: Un autre regard sur la surdouance, la santé mentale et les crises existentielles. Dąbrowski developed his theory in order to bring hope and understanding to the gifted and creative whose lack of adaptation is looked upon as a weakness but is, in fact, moral strength. He investigated mental health in gifted children and adults. He took the intensity of their emotions, their sensitivity, and tendency toward emotional extremes, as part and parcel of their psycho-physical makeup. In their intensified manner of experiencing, feeling, thinking, and imagining, he perceived a potential for further growth. He saw inner forces at work generating overstimulation, conflict, and pain, but also involving a search for a way through the pain, strife, and disharmony. His theory is about how this takes place. The theory emerged from the neurology and clinical experience of the late 19th and early 20th century. Dąbrowski addressed the problem of the tension of unbearably intense emotional experience that can only be resolved through self-mutilation, suicide, or inner transformation. He identified the potential for advanced development in the qualities of heightened experiencing (overexcitabilities) and in the “own forces” of autonomous self-determination. Dabrowski’s idea that not everything that looks pathological is a dysfunction or maladjustment has yet to be more widely understood. Dąbrowski’s mission in developing his theory was to depathologize the characteristics of intense agonizing experience and instead to -7-

show that what used to be called psychoneurosis and thought of as mental illness is, in fact, a process of personal growth. Positive disintegration may look like an illness, and it feels like an illness to the individual suffering through it, but it is a natural process of inner transformation just like the caterpillar turning into a chrysalis that through profound inner upheavals turns into a butterfly. The caterpillar’s positive disintegration inside the chrysalis proceeds on automatic pilot, but for their inner transformation human beings need a pilot, one that is good and wise—a therapist or counselor who understands the nature of the process of advanced development. Patricia Lamare recognizes the validity of identifying potential for growth toward psychological health amidst existential anxieties, inner conflicts, and depressions. The well-conceived diagrams in the book facilitate grasping the essential concepts of the theory. She places the theory in the context of other psychological, philosophical, and spiritual perspectives. In this way the reader learns what is truly original that the theory offers. Distinctive to the theory of positive disintegration is a developmental concept of mental health. It is this concept that reorients psychotherapy with individuals, especially gifted and creative ones, struggling with inner conflicts and existential anxieties and depressions. In the last part of the book Patricia Lamare shares her insights into the developmental issues of gifted children, adolescents and adults. She makes a particular point of showing the emotional differences between boys and girls, men and women, each requiring a different approach. And she also includes insights into the spiritual aspect of emotional development. Gifted individual undergoing existential crises may discover the spiritual nature of their quest. Patricia Lamare approaches this subject knowledgeably, with sensitivity while drawing on a broad range of sources. Patricia Lamare has supplemented her book with inspiring excerpts, letters, and poems from Dąbrowski, Einstein, Mandela, Mnouchkine, and Medeiros that help the reader recognize elements of their own personal growth.

Michael Piechowski 26 sept 2019 -8-

A Tom et Mousse

« La guérison est la rencontre d’une blessure et d’un sens » Denis MARQUET (Nos enfants sont des merveilles – Ed. Nil)

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Introduction La découverte de la Théorie de la Désintégration Positive (ou TDP) de Dabrowski restera une étape-clé de ma vie personnelle et professionnelle. Elle est arrivée fortuitement en effectuant sur Internet des recherches sur la précocité. L’ambition de ce livre est de vous en faire partager l’essence et les répercussions non seulement sur le phénomène encore mal expliqué de la « précocité » (les termes en français centrés sur la performance intellectuelle et cognitive recouvrant imparfaitement cette réalité : surdoués, surdouance, haut potentiel…) mais aussi (surtout ?) sur le regard que nous portons sur la santé mentale et la signification des crises existentielles. Il demeure essentiellement une traduction et un résumé des travaux en langue anglaise de Michael Piechowski et de ses collaborateurs. Psycho-praticienne depuis près de 15 ans, j’ai découvert la précocité avec l’ouvrage de Jeanne Siaud-Frachin « Trop intelligent pour être heureux » qui a résonné non seulement avec ce que m’apportaient certains de mes patients dans leurs séances, mais aussi avec mon propre vécu. Depuis lors, mon intérêt pour ce sujet n’a cessé de grandir, et je fais désormais partie du réseau AFEP en tant qu’intervenante et animatrice d’un groupe de parole d’adultes. En parallèle, j’avais toujours ressenti que les crises existentielles que certains d’entre nous traversent - souvent avec ô combien de douleur - portaient en elles, intrinsèquement, une opportunité de croissance, de compréhension de ce que nous n’avions pas pu ou voulu comprendre jusqu’alors, une meilleure compréhension de soi, de nos valeurs, de ce que nous sommes au plus profond de nous-mêmes et qui peut être en contradiction avec la normalité/conformité que la société requiert. Enfin, sans nier la réalité de certaines pathologies psychiatriques, il me semblait que nombre de mes patients, même en pleine souffrance, « se portent plutôt bien » car ils se posent des questions et osent demander de l’aide pour amorcer leurs propres réponses : cela paraît très provocant de poser les choses ainsi, et pourtant certains de mes collègues et moi-même sommes de plus en plus nombreux à considérer que nous avons la chance de rencontrer - 11 -

des personnes qui, au-delà de leur souffrance, souhaitent activement la dépasser et « quitter la plainte », comme aurait dit François Roustang, pour « grandir ». Je vous invite donc à me suivre dans cette découverte de la TDP. Ne vous laissez pas impressionner par le vocabulaire un peu abscons de ses concepts : ils s’intégreront spontanément au fur et à mesure de la lecture… ou de la relecture. La 1e étape nous conduira à la découverte de l’homme qu’a été Dabrowski, car son parcours personnel illustre (et ce n’est pas un hasard !) la théorie qu’il a élaborée. Le 2e chapitre nous présentera la théorie et ses nombreux concepts dans une vision dynamique et intégrative. Nous examinerons ensuite, dans la 3e partie, les influences dont a bénéficié la TDP d’un point de vue philosophique, psychologique et spirituel. Le chapitre 4 nous montrera comment la TDP peut nous amener à remettre en question le principe de santé mentale. Il nous invitera à reconsidérer la maladie mentale, sujet d’actualité avec la publication récente du DSM V, ainsi que les techniques de prise en charge de nos patients. Enfin le dernier chapitre nous permettra de porter sur les crises existentielles un regard plus positif : considérées comme des crises de croissance, elles peuvent permettre aux praticiens de reconsidérer leur accompagnement auprès des sujets qui traversent de telles crises, de développer une nouvelle démarche d’accompagnement et de changer de position thérapeutique. Enfin, pour clore cet ouvrage, vous trouverez en annexe un lexique qui vous permettra tout au long de votre lecture de revenir vers une définition des principaux concepts. J’ai souhaité aussi y intégrer certains écrits de Dabrowski et d’autres « surdoués » afin de vous permettre de sentir sa sensibilité au-delà des concepts qui peuvent sembler très intellectuels de sa théorie. Je vous souhaite à toutes et tous une bonne et belle découverte, aussi intense que celle que j’ai vécue il y a quelques mois. - 12 -

Chapitre 1 L’homme Kazimierz Dabrowski Dabrowski est né le 1er septembre 1902, deuxième d’une fratrie de quatre enfants : un frère ainé, un frère et une sœur plus jeunes. Il sera confronté à l’expérience de la mort - qu’il qualifiera d’ « effrayante et d’incompréhensible » - très jeune puisqu’à l’âge de 6 ans il voit sa sœur de 3 ans mourir de la méningite. Il côtoiera de nouveau la mort lors de la première guerre mondiale en étant témoin d’une bataille livrée juste à côté de chez lui et qui le laissera avec l’image des corps des soldats morts aux positions et expressions figées dans l’horreur ou au contraire dans la paix ; il essaiera alors de trouver un sens à la guerre et à sa brutalité. Issu d’une famille dont le père est régisseur agricole à Lublin, il fut éduqué par des pasteurs et des prêtres. Très tôt, il fut mis en contact avec les livres et la musique. Etudiant précoce, il prépare dès le lycée les examens de première et deuxième année de la faculté de philosophie. Il entre ensuite à l’Université de Lublin pour y étudier psychologie, philosophie et littérature, puis part à Varsovie pour compléter son cursus et obtenir un master à Poznan. De nouveau il est directement confronté à la mort lorsque son meilleur ami se suicide sans raison apparente. Ce décès va être décisif pour Dabrowski : alors qu’il se vouait à devenir musicien professionnel, il décide d’étudier la médecine et le comportement humain. En 1928-1929, il reçoit une bourse de la Fondation Nationale pour la Culture Polonaise afin de partir étudier à Genève sous la direction d’Edouard Claparède, neuropsychologue et du psychologuephilosophe Jean Piaget. Il obtient son diplôme de médecine en 1929 à Genève ainsi que sa thèse « Les conditions psychologiques du suicide ». Il obtient également un « certificat de pédagogie » de cette même Université. En 1930, il part pour Vienne afin d’y étudier la psychanalyse sous l’égide de Wilhelm Stekel ; il y rencontrera lors de réunions psychanalytiques les plus grandes figures de la psychanalyse d’alors, y compris Sigmund Freud. En 1931, on le retrouve à Paris sous la direction de Georges Heuyer, pionnier de la pédopsychiatrie en France ; il assiste à des conférences - 13 -

données par Pierre Janet. Cette même année, il mène à Poznan un Ph.D. portant sur l’automutilation sous la direction de S. Blachowski. En 1933, il visite les Etats-Unis, invité par la Fondation Rockefeller de l’Université d’Harvard pour y étudier la santé publique de 1933 à 1934. En 1934, il revient en Suisse et devient Privat Docent (chargé de conférence) en pédopsychiatrie à l’Université de Genève et travaille de nouveau sous la responsabilité de Georges Claparède. Il retourne ensuite en Pologne pour y mettre en place des services de santé mentale puis, avec le soutien financier de la Fondation Rockefeller y développe l’Institut d’Hygiène Mentale d’Etat à Varsovie qui ouvre ses portes en 1935 et dont il restera le directeur jusqu’en 1948 - sauf pendant la période de l’occupation allemande. Pendant ce temps, il publie de nombreux travaux : sur le comportementalisme, sur l’automutilation en 1934 et un travail majeur sur la nervosité chez les enfants et les jeunes. C’est en 1937 que les prémices de sa Théorie de la Désintégration Positive apparaissent dans sa monographie présentée devant un public américain : « Bases psychologiques de l’automutilation » qui sera suivi en 1938 d’un article en Polonais suivi d’une traduction en Anglais : « Types of increased Excitability ». En cette fin des années 1930, il s’engage dans une association anthroposophique autour des travaux de Rudolf Steiner en Angleterre ; il s’intéresse en parallèle à l’éducation Waldorf, à la parapsychologie et aux sciences orientales ; il pratique la méditation chaque jour. La seconde guerre mondiale est une période très chaotique pour Dabrowski. Son plus jeune frère est tué en 1941 tandis que son frère ainé est envoyé en camp de concentration pendant l’insurrection de Varsovie. Les Allemands ferment dès 1939 l’Institut de Santé Mentale et Dabrowski est contraint de se déplacer à Zagorze, dans un «institut secret» dont la couverture est un Institut pour les Tuberculeux qu’il avait fondé préventivement en prévision du démembrement provoqué par la guerre, qu’il avait anticipés. Il y travaille de 1942 à 1945 dans ce qui sera un lieu de refuge d’enfants, d’orphelins de guerre, de prêtres, de soldats polonais, de membres de la Résistance et d’enfants juifs. En 1942, il est emprisonné par les Allemands, soupçonné de faire partie de la Résistance - 14 -

polonaise. C’est sa deuxième femme, Eugénia (qu’il épouse en 1940, sa première femme étant décédée de tuberculose) qui négocie sa libération ; il retrouve son poste de directeur à l’Institut de Santé mentale de Varsovie. Il devient ensuite psychiatre en juin 1948 à l’Université de Vroclav et prend la présidence de la Société Polonaise d’Hygiène Mentale. En décembre de la même année, il reçoit une bourse de la Fondation Ford et part aux Etats-Unis où il étudie la santé mentale, la neuropsychiatrie et la pédopsychiatrie. En 1949, les autorités polonaises ferment l’Institut de Santé Mentale et Dabrowski est déclaré persona non grata ; accusé à tort de vouloir s’enfuir avec son épouse, il est arrêté et emprisonné. Relâché, il est étroitement surveillé et assigné à travailler dans les stations de Kobierzyn et Rabia comme médecin pour soigner la tuberculose. Puis, réhabilité et de nouveau autorisé à enseigner à la chaire professorale de Lublin, il met en place de nouveaux des services de santé mentale en Pologne. Avec l’autorisation de voyager et le soutien de la fondation Ford, il assiste à de nombreux colloques internationaux de psychiatrie. Il rencontre, entre autres, Abraham Maslow avec lequel il aimait tenir de longues conversations. Dabrowski rejettera le concept de Maslow d’auto-actualisation (1970) par manque de prise en compte de la stratification du développement de l’autonomie et parce qu’il ne dissocie pas les aspects les plus bas et les plus élevés du Moi ; cette dissociation, selon Dabrowski entraîne l’inhibition des plus bas à terme. Néanmoins, Maslow apporte son soutien à l’ouvrage de Dabrowski : « Croissance mentale et désintégration positive ». C’est avec Aronson - éditeur de l’International Journal of Psychiatry que Dabrowski traduit en anglais « Désintégration positive ». Il semble que Dabrowski refuse alors un poste à l’Université de Brandei aux USA car il lui aurait fallu renoncer à sa nationalité polonaise, mais accepte un poste à l’Hôpital de Montréal en 1964 qui ne le lui impose pas. Il y rencontre Andrew Kawczak, avocat polonais et philosophe qui devient un collaborateur majeur. Après être devenu professeur à l’Université d’Alberta, sa famille déménageant à Edmonton, il est aussi professeur à Laval (Québec). C’est avec A. Kawczak et d’autres - 15 -

collaborateurs qu’’il publie en Anglais son deuxième ouvrage : « Formation de la personnalité dans la désintégration positive ». Un groupe d’étudiants, qui deviendront des co-auteurs de Dabrowski, se forme à Edmonton : Dexter Amend, Michael Piechowski, Marlène Rankel … Les années 70 marquent un dernier regain d’activité dans lequel Dabrowski se partage entre Alberta, Québec et la Pologne et pendant lesquelles il publie de nombreux livres en Polonais et en Anglais. On y retrouve « Mental growth through positive disintegration » (la croissance mentale dans la désintégration positive - 1970), « Psychoneurosis is not an illness » (« La névrose n’est pas une maladie » - 1972) et les 2 volumes « Multilevelness of emotional & instinctive functions » (stratification des fonctions émotionnelles et instinctuelles - publié en 1996). Dabrowski parlait couramment allemand, français et espagnol, pourtant la majorité de ses publications est en polonais et demeure non traduite. Le fait qu’il ait dispensé des cours en espagnol peut expliquer que la TDP soit présente en Amérique du Sud et en Espagne, ou certains ouvrages ont été traduits en espagnol tandis que des Centres Dabrowski ont ouvert au Pérou et en Espagne. Bien qu’il ait écrit quelques textes en français, ceux-ci n’ont eu que peu d’écho. L’anglais est la dernière langue qu’il apprit. En 1979, Dabrowski connait de sérieux problèmes cardiaques à Edmonton. Résolu à ne pas mourir sur sa terre d’adoption, il décide de revenir en Pologne, à Varsovie où il meurt le 26 novembre 1980. Il est inhumé à sa demande auprès de son ami Piotr Radlo dans la forêt non loin de l’Institut de Zagorze. De nombreux chercheurs ont continué son travail comme William Tillier qui a souhaité maintenir vivante sa théorie en conservant ses écrits originaux ainsi que toutes les publications en lien avec sa théorie. Il lui a dédié un site : http://positivedisintegration.com/ C’est certainement dans le champ de l’éducation des surdoués et de l’étude de la surdouance que la TDP est la plus utilisée. De nombreux projets de recherche et d’éducation y sont consacrés au Canada, Etats-Unis et Pologne.

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Chapitre 2 Présentation de la théorie de la Désintégration positive ou TDP La théorie de Dabrowski, ou Théorie de la Désintégration Positive est particulièrement utilisée en Amérique du Nord (Etats Unis et Canada) dans le domaine de l’étude et de l’éducation des « gifted » ou « talented », où elle continue d’être développée. Bien qu’elle soit également utilisée dans le monde entier, comme au Pérou ou en Argentine, elle reste peu connue et peu utilisée par les psychologues européens. C’est une théorie complexe, basée sur des concepts dynamiques entremêlés, dont l’abondance rend parfois l’abord difficile. Je vais donc essayer de vous la présenter le plus clairement possible, quitte à simplifier un peu dans un premier temps, afin de vous donner envie d’aller l’explorer plus avant. Tentative de définition préliminaire : « La TDP pourrait se définir comme l’expression de surexcitabilités, parties intégrantes du potentiel de développement, qui génère des dynamismes, provoquant croissance et crises de désintégration sur le chemin de l’idéal de la personnalité. » Les principales idées de la TDP se résument de la façon suivante :  La croissance psychique passe par des « crises de désintégration » qui permettent le développement progressif de chaque être vers son stade de développement complet. Chacun atteindra donc un stade qui lui est propre.  L’atteinte de la « véritable personnalité », telle que décrite dans la TDP, est le résultat d’une démarche difficile et non une donnée établie une fois pour toutes; C’est le résultat d’une longue introspection, portant sur soi et son propre comportement. C’est un chemin qui part du constat de « ce que je suis » (qui ne satisfait pas mon idéal de la personnalité) - 17 -

pour essayer d’atteindre « ce que je devrais être ».  Les psychonévroses constituent une part critique de ce processus de développement ; la dépression, l’insatisfaction de soi et l’anxiété viennent déranger l’ajustement et le confort, pour provoquer une introspection féconde. La santé mentale n’est donc pas l’absence de signes névrotiques mais bien leur présence.  La TDP ne s’arrête pas à la prise en compte de ce que nous nommons QI (Quotient Intellectuel). Au-delà de la dimension intellectuelle,  La TDP prend également en compte les aspects instinctifs et émotionnels… Ce qui est très utile dans la prise en charge des « surdoués ».  Il existe un « Potentiel de Développement », héréditaire, qui sert de base à toute possibilité de développement avancé.  Lorsqu’il se produit, le développement est obtenu par le franchissement de niveaux de développement successifs, comme les strates géologiques d’une montagne.

Le « développement stratifié » selon Dabrowski pourrait donc être comparé à l’escalade d’une montagne : Tout commence au camp de base, où l’on est en sécurité. Un beau jour, c’est plus fort que soi et on ne saurait identifier pourquoi, on se met en route. Pour arriver jusqu’au 1er col, la route est rude et on a peur de se perdre. Arrivés au col, beaucoup rebroussent chemin. Mais certains continuent, souvent malgré eux, poussés par - 18 -

une force qui les dépasse et qui balaye leurs appréhensions. Après le col la pente devient plus rude. Dans cette deuxième étape, entreprise sans guide, nombreux sont ceux qui se perdent ou s’arrêtent, car leur boussole perd le nord. Puis les choses s’organisent… On s’habitue à l’effort de grimper et on apprend à s’orienter tout seul, sans boussole, pour enfin arriver au sommet. Mais au sommet, l’oxygène est rare et il faut s’y habituer pour ne pas avoir envie de redescendre.

1 - La stratification ou niveaux de développement : Les « niveaux de développement » de Dabrowski sont des concepts très dynamiques et variables, qui diffèrent des concepts des stades de développement d’autres théories (cf. chap. 3). Dabrowski distingue 5 niveaux :

Fig. 1 : Niveaux de développement stratifié

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2 niveaux d’intégration (primaire et secondaire, respectivement le 1er et le dernier niveau) 3 niveaux intermédiaires et successifs de désintégration (niveaux II, III et IV)

 L’intégration Pour Dabrowski, il y a deux niveaux d’intégration pour l’être humain. L’intégration correspond à un état ou le fonctionnement est stable et cohérent, sans trop de questionnement ni d’inconfort. « L’intégration primaire », ou niveau 1, correspond à des structures - 19 -

mentales rigides produisant des réponses automatiques. Ces structures et ces réponses obéissent aux influences externes (de la société), preuve d’un fonctionnement reposant sur l’égocentrisme et la conformité. Dans « l’intégration secondaire », niveau le plus élevé du développement, le comportement n’est plus systématique et beaucoup moins influençable, plus volontaire et basé sur un fonctionnement plus élaboré. Tandis que l’intégration primaire concerne les individus influencés par ce que Dabrowski nomme le 1er facteur (la biologie) et le 2e facteur (l’environnement), l’intégration secondaire concerne les individus influencés par ce qu’il appelle « le 3e facteur ». La notion de 3e facteur est assez subtile : c’est l’ensemble de toutes ces choses, subtiles ou puissantes, qui permettent de s’affranchir des deux premiers facteurs. Ce 3e facteur permet donc à l’individu de devenir indépendant des 1er et 2e facteurs, de devenir plus intériorisé et de trouver la force de s’aligner sur ses propres valeurs, de vivre de façon autonome, plus authentique et altruiste. Le mouvement qui va de l’intégration primaire vers l’intégration secondaire peut ne jamais avoir lieu, se produire partiellement ou, plus rarement, s’opérer totalement. D’après Dabrowski, seul l’individu ayant atteint l’intégration secondaire peut revendiquer une personnalité propre, affranchie des influences biologique ou de l’environnement.

L’intégration primaire (ou rester au camp de base)

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A ce niveau il n’y a pas de place pour une croissance interne : pas ou peu de capacité d’introspection, donc pas de conflit interne ; la préoccupation de l’Autre est très limitée ou seulement dans le but de son exploitation. Les buts de vie sont la réussite matérielle et le pouvoir détenu sur les autres, souvent à leur détriment et/ ou dans un esprit de compétition. La vie y est modelée par l’influence et les pressions de la société, les valeurs y sont mesurées à l’aune de « la réussite » : argent et statut social. L’organisation mentale est cohérente et dédiée à la gratification des instincts, pulsions et besoins biologiques individuels, incluant les besoins sociaux. L’intelligence est focalisée sur l’intérêt et la gratification personnelle. Les réponses comportementales sont généralement automatiques et il existe peu ou pas de conscience de soi. A ce stade, le potentiel de développement est très limité, d’autant qu’il est accompagné par la peur de l’inconnu. Le moindre aléa ou imprévu provoque crise et frustration que l’individu est bien loin de percevoir comme une opportunité de croissance ou d’évolution. La crise se résout le plus souvent en revenant au statu quo ante, vers ce qui est connu et ne fait pas peur. Les problèmes non ainsi traités se représentent, inchangés, avec des interlocuteurs différents (mariage/ divorce à répétition, addictions affectives ou à des produits…). Ce niveau est souvent chargé de misanthropie ou de méfiance de l’Autre et de ce qui est différent ou étranger. Dabrowski note que certains de ces individus fortement influencés par le 2e facteur (l’environnement) peuvent se retrouver sur-socialisés, leur façon d’être au monde étant de se conformer fortement aux exigences de la société. Ils ont surtout besoin de l’approbation des autres et pourront, de ce fait, connaitre une belle réussite matérielle. Dabrowski identifie également un 2e groupe à ce niveau : les individus restés sous l’emprise du 1er facteur (biologie) et qui deviennent sociopathes. Ces derniers, avant tout motivés par la satisfaction de leurs propres besoins, instrumentalisent autrui pour arriver à leurs fins. Ce groupe comprend bien sûr les criminels mais aussi les individus ayant réussi au détriment ou par l’exploitation des autres. Pour la TDP, contrairement à ce qui peut être habituellement admis, une telle intégration, synonyme de réussite sociale et d’équilibre, est à l’opposé de la santé - 21 -

mentale, et ne constitue pas un niveau de développement psychologique. Dabrowski écrit : « L’état d’intégration primaire est contraire à la santé mentale. On constate que si l’individu moyen présente un niveau d’intégration primaire plutôt élevé, le psychopathe présente un niveau très élevé d’intégration. En effet, plus la structure d’intégration primaire est cohésive, moins il existe de possibilités de développement. Pour résumer, un niveau de santé mentale faible correspond à une forte intensité de fonctionnement automatique, les activités courantes étant très stéréotypées. »

L’intégration secondaire (ou atteindre le sommet) Elle constitue la pleine réalisation de l’idéal de la personnalité, une personnalité aboutie (cf. infra). Cet aboutissement est concrétisé par l’établissement d’une hiérarchie de valeurs propres à l’individu qui lui sert de « boussole morale » et guide ses actes. Le comportement est donc conduit à partir du 3e facteur (autonomie, volition, bienveillance vis-à-vis d’autrui). L’individu vit alors en harmonie interne car ses valeurs reflètent son vrai Moi, « ce qui doit être » et ne génère plus de conflit interne. Il peut rester quelques conflits externes car le sens de la justice sociale reste une source de motivation pour les actes sociaux et les changements à opérer. Ce niveau est rarement atteint. Peu de gens atteignent ce 5e et ultime niveau du développement de la personnalité. Afin d’illustrer ce niveau V, il est fréquent dans la littérature de décrire des exemples d’existences emblématiques : les vies d’Eleanor Roosevelt, Antoine de St Exupéry, Etty Hillesum et Abraham Lincoln ont fait l’objet d’études dans ce cadre. Susan Daniels et Michael Piechowski en donnent un exemple détaillé au travers de la vie de Peace Pilgrim (in Living with intensity, 2008). Peace Pilgrim entreprit une marche pour la paix en traversant les Etat-Unis à pied, d’une côte à l’autre, de 1953 à 1981. Le début de vie de Peace Pilgrim fut classique, en ce sens qu’elle était attachée au confort matériel. Elle obtint des diplômes d’études supérieures, ce qui lui permit de combler ses besoins matériels. Elle avait par ailleurs de nombreux talents artistiques : elle aimait danser et était l’auteur de pièces dont elle était aussi la costumière, l’éclairagiste et la productrice (voir le chapitre sur les SE). - 22 -

Se rendant compte peu à peu que toutes ses possessions matérielles ne la menaient à rien, elle prit part à des manifestations pacifistes et finalement, s’en remit à Dieu en prononçant ses vœux. C’est ainsi que commença sa croissance interne : elle simplifia sa vie, se débarrassa de toutes ses possessions et se mit en route vers les Appalaches pour tester sa capacité à vivre avec peu. Son projet initial était de marcher 25000 miles sur une durée de 11 ans ; finalement elle a marché pour la paix pendant 28 ans. Sa démarche la fit rejeter par nombre de ses amis et membres de sa famille, certains pensant qu’elle avait perdu la tête tandis que d’autres furent émus par son exemplarité. Dans ses écrits, Peace Pilgrim décrit l’expérience de moments de paix intérieure, qui lui permettent d’aboutir à un sentiment permanent de paix profonde : Je pouvais revenir et revenir encore au sommet de cette montagne et y rester de plus en plus longtemps et m’en échapper occasionnellement. [Vint un matin] où je sus que je n’avais plus à redescendre dans la vallée. Je savais que la lutte était derrière moi, que j’avais réussi à laisser ma vie derrière moi et trouver la paix intérieure. De nouveau, c’était un point de non- retour. Vous ne pouvez pas retourner au combat. La lutte est finie car vous ferez exactement le bon choix et personne ne peut vous influencer (Peace Pilgrim, 1983, p.22).

Peace Pilgrim mourut d’un accident de voiture ; tout le monde s’accorde sur le fait que son parcours de vie illustre le processus de croissance interne tel que décrit par Dabrowski et incarne la plus haute expression du niveau V.

 La désintégration Dabrowski nomme « désintégration » le processus qui peut conduire certains êtres de l’intégration primaire à l’intégration secondaire tout en soulignant que peu atteignent ce dernier niveau. S’il la qualifie de « positive », c’est parce que l’issue de cette désintégration, si elle est complète, est la pleine réalisation de l’idéal du soi. Cette « désintégration positive », se déroule en 2 phases : 1) dissolution des structures et fonctions mentales basses 2) création de structures et fonctions plus élevées (d’abord spontanée, puis organisée, (cf infra). Pendant ces phases de désintégration, - 23 -

les individus expérimentent de puissants conflits internes et externes, générant des émotions négatives intenses. Ces phases de désintégration peuvent être déclenchées par certaines étapes de vie comme la puberté, le milieu de vie, la ménopause ou le décès d’un proche. Les individus entrent alors en contact avec leur Moi le plus profond. Lorsqu’ils considèrent leur environnement, ils sont de plus en plus perturbés par l’écart qu’ils ressentent entre « ce que devrait être le monde » et « ce qu’il est réellement », ce que Dabrowski nomme le « conflit psychonévrotique ». Lorsqu’ils prennent conscience de cet écart, ces individus intériorisent les conflits et expériences négatives. L’organisation mentale préexistante qui guidait les comportements quotidiens se fissure. Le résultat de cette 1ère étape de la désintégration est plein d’ambiguïté et très inconfortable par rapport à l’état antérieur d’intégration primaire qui, lui, était beaucoup plus confortable, car très structuré et automatique. L’intégration primaire est un état très structuré qui ne requiert que peu de réflexion propre chez l’individu. D’un point de vue théorique, le potentiel de développement et si limité qu’il ne peut pas constituer le point de départ d’un développement. (Rethinking Dabrowski’s Theory I - M Piechowski) Si le potentiel de développement le permet, l’organisation mentale se dissout. Survient alors un fort état d’anxiété face à l’inconnu qui ne se réduira qu’en trouvant une nouvelle forme d’organisation plus élevée ou en retombant au niveau antérieur d’organisation, voire dans une stagnation entre 2 niveaux. Dabrowski nomme « désintégration négative » cette stagnation entre deux niveaux, car il n’y a pas d’espoir de résolution, ce qui pourra conduire à des pathologies psychotiques ou à une décompensation suicidaire. Dans le cas d’un niveau plus élevé, de nouvelles forces s’élèvent telles que la conscience de soi, la « boussole intérieure », l’autonomie. Une hiérarchie de valeurs se met en place sur laquelle l’individu pourra s’appuyer dans l’installation de sa nouvelle organisation interne plus élevée et intégrée. Tous ces éléments vont permettre à leur tour une résolution des conflits internes et une dissolution de l’anxiété. Dabrowski identifie 3 types de désintégration : unilatérale, stratifiée spontanée et stratifiée organisée. - 24 -

Niveau II : désintégration unilatérale: Se mettre en route Le 1er signe qu’un développement advient.

La désintégration unilatérale se produit pendant une crise de développement telle que la puberté, la ménopause ou dans les périodes où l’individu fait face à une difficulté externe stressante, ou encore sous des conditions psychologiques particulières comme la nervosité… » (Dabrowski, 1964).

A ce niveau, l’individu perçoit une tension interne mais son développement est encore essentiellement conditionné par son groupe social et des valeurs de conformité. Il expérimente alors une forme d’ambivalence, du doute et de l’insatisfaction par rapport à ce qu’il est ; cette déstabilisation ne peut toutefois s’appuyer sur un ensemble de valeurs internes. Il en résulte un ensemble de conflits internes que Dabrowski nomme « horizontaux » qui débouchent sur un chaos d’émotions et des comportements incohérents. Le développement pourra s’arrêter là, certaines personnes pouvant vivre leur vie entière à ce niveau. Dans certains cas, des troubles psychiatriques et des idées suicidaires peuvent faire évoluer l’individu vers la psychopathie ou le renvoyer au niveau inférieur plus sécurisant car plus familier. Dans certains autres cas, le développement pourra continuer vers le niveau III, au travers de nouvelles crises porteuses de développement ultérieur. Confusion et morosité sont caractéristiques de ce Niveau II. Les individus n’ont pas encore les moyens de faire face efficacement - 25 -

aux émotions intenses associées à cette nouvelle étape du conflit. Certains vont avoir recours à l’alcool, aux drogues et aller quelquefois jusqu’au suicide. D’autres vont accepter de faire face au stress et à l’anxiété, ce qui les met sur le chemin d’une désintégration plus profonde… et d’un possible développement plus avancé. L’issue de ce 2e niveau, que ce soit régression au niveau I, stagnation au niveau II ou transition vers le niveau III, dépend encore de la combinaison des 3 facteurs (biologie, environnement, et … le reste, qui constitue le 3e facteur) et surtout de la puissance du potentiel de développement. Mais la véritable tâche de croissance dont nous parlons ici consiste à conquérir le sens de soi-même et à l’intégrer à sa personnalité. Le premier obstacle, qui consiste à s’en remettre à une autorité extérieure - chef de famille, leader politique, figure religieuse, enseignant - revient à dépendre d’éléments extérieurs pour définir qui l’on est. Dans ce cas, le risque est de se conformer à des normes, d’essayer de répondre à des attentes externes et de renforcer le conditionnement social consistant à jouer un rôle attribué par les autres, à rechercher indéfiniment leur approbation. Dans cette situation, la conscience de soi ne pourra pas émerger. C’est un piège, que d’autres théories nomment la construction en faux-self, dans lequel tombent souvent les surdoués. Pour sortir de ce piège et faire émerger la conscience de soi, il faudra que ces figures d’autorité s’avèrent défaillantes, qu’elles aient tort ou deviennent intolérables. L’individu, se sentant trahi, pourra enfin s’autoriser à se tourner vers la connaissance de soi et se définir lui-même. La conscience subjective et la « voix intérieure » remplaceront progressivement l’acceptation passive de l’autorité extérieure. Pour certains, cette prise de conscience ouvre la porte à l’envie de mieux se définir, se respecter et franchir une nouvelle étape de développement : le niveau III de Dabrowski.

Niveau III : désintégration stratifiée spontanée, ou « continuer l’ascension malgré les difficultés, sans vraie organisation ni boussole » Dabrowski note que la transition entre niveaux II et III n’est pas une - 26 -

transition douce mais ressemble plutôt à un saut quantique accompagné d’expériences liées au fait que le franchissement de cette étape est irréversible.

La perte de l’Intégration Primaire amorcée au niveau II se transforme en une remise en cause spontanée et involontaire des croyances, attitudes et émotions avec, potentiellement l’abandon de certaines d’entre elles qui seront jugées de moindre valeur par l’individu. C’est un niveau dominé par les dynamismes de désintégration (cf. infra). Le niveau III marque le début d’un développement émotionnel plus profond de l’individu. Dabrowski dira : « la désintégration est dite positive lorsqu’elle enrichit la vie, élargit l’horizon et apporte la créativité… » (1964).

Ce type de croissance nécessite la présence d’un potentiel de déve- 27 -

loppement (cf. infra) qui va permettre la création d’un milieu psychique interne (cf. infra) permettant à l’individu de chercher à atteindre « ce qui devrait être », en ne se contentant plus de « ce qui est ». Les conflits y sont donc « verticaux » (axés sur les valeurs et les concepts). Ce processus n’est pas linéaire car il est constitué d’une succession de « hauts et de bas » souvent empreints d’une forte intensité. Leur résultante reste malgré tout une pente ascendante. S. Daniels et M. Piechowski en donnent une illustration au travers du témoignage d’Eleanor Roosevelt : Pas à pas, douloureusement, je me mis à regarder en face chacune de mes peurs, les dominais puis trouvais assez de courage pour passer à la suivante. Ce n’est que dans ces moments-là que je me sentais vraiment libre. De toutes les connaissances que nous acquérons dans notre vie, celle-ci est la plus difficile. Mais c’est aussi la plus grande récompense. Avec chaque victoire, peu importe son coût et l’effort qu’elle nous a demandé, vient une confiance accrue et la force de rencontrer la prochaine peur (1960).

Le processus de désintégration est déclenché soit par un évènement externe (décès d’un être aimé, grave maladie, NDE) soit par un évènement interne comme une modification de la psyché (expérience mystique…). Les efforts pour tendre vers « le plus élevé et le meilleur de soi » engendrent désorientation, déstabilisation et même peur face à l’inconnu. La prise en charge thérapeutique à ce niveau ne devrait pas viser à guérir l’individu (puisqu’il vit une crise dont l’issue est salutaire pour lui) mais plutôt de l’accompagner dans ce processus, l’aider à expérimenter stress, anxiété voire épisodes dépressifs en tentant de leur donner un sens autre que la pure souffrance. En effet, selon Dabrowski, « il est caractéristique de constater que les états de tristesse et souvent les états de dépression sont rencontrés lors de transformations psychiques, de malchance, d’échec, de perte ; c’est là que la dépression prend place » (1973). A ce niveau, l’individu commence l’élaboration de sa propre échelle de valeurs et de sa « boussole morale ».

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Niveau IV : désintégration stratifiée organisée, ou «apprendre à s’orienter seul et persévérer vers le sommet»

A ce niveau, l’individu est actif et conscient, capable de constater et de rechercher activement la solution à ses conflits verticaux (de valeurs et de concepts), de se lancer des défis à lui-même. Il agit alors de façon délibérée, active dans la façon de gérer les crises et volontaire dans son propre développement. Il est de plus en plus capable de concilier ses idéaux avec sa vie en opérant des choix. « Ce qui devrait être va être » pourrait être sa devise. Dans ce processus, il se libère des conventions sociales et la compassion ainsi que de la responsabilité de soi-même et des autres prennent de plus en plus de place. « S’acheminer vers le sommet de la montagne » conduit vers la pleine réalisation du potentiel de l’individu ; c'est-à-dire la pleine conscience de soi et l’auto-détermination de sa propre personnalité. Parvenir au sommet de la montagne n’est pourtant pas une fin en soi : la croissance interne ne s’arrête pas là, elle va continuer vers un univers de plus grande conscience. Ce niveau est dominé par les dynamismes de création (cf. infra). Le niveau IV marque le début de l’Intégration Secondaire ; l’individu s’éduque et corrige ses erreurs lui-même, il devient conscient de ce qu’il doit apprendre et cherche par lui-même les sources d’information. Il a intégré sa hiérarchie de valeurs propres, qui pilotent ses actions et ses comportements quotidiens. - 29 -

On retrouve là le concept d’auto actualisation de Maslow, même si celui-ci, au contraire de Dabrowski, n’en décrit pas le processus. Maslow décrit les caractéristiques des individus en cours d’autoactualisation : sens moral, absence d’égoïsme, bienveillance et concentration sur les problèmes d’autrui, respect de chacun quelle que soit son origine raciale, sociale... Dabrowski se concentre plus sur le processus, en décrivant les concepts de potentiel de développement, stratification et désintégration positive, qui sont les pierres angulaires de sa théorie. Il faut reconnaitre que la frontière entre les niveaux IV et V de la TDP n’est pas encore bien définie ni explorée.

2 - Instinct et potentiel de développement : Selon la TDP, le développement ne peut se produire qu’en présence d’un « bon terreau » que Dabrowski nomme le Potentiel de Développement. Comme son nom l’indique, il est constitué de toutes les composantes contribuant au développement. Un potentiel de développement faible conduira à une croissance limitée, et laissera l’individu centré sur lui-même, mu par la conformité et la normalité. Un potentiel de développement fort crée des potentialités qui seront ou non activées lors de la croissance. Selon Dabrowski, le Potentiel de Développement est transmis génétiquement, ses caractéristiques variant d’un individu à l’autre. La fig. 2 en donne une 1ère approche :

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Caractéristiques internes du Moi

Instinct Potentiel de développement

5 Surexcitabilités

3 Facteurs Dynamismes

Fig. 2 : Potentiel de développement

Piechowski définit le Potentiel de Développement comme ce don qui gouverne le caractère et favorise la croissance psychique interne d’un individu. Voilà ce qu’il en dit rapporté au phénomène de la surdouance : La surdouance comporte plusieurs facettes incluant les talents spécifiques, des évènements favorables de l’environnement et des caractéristiques uniques de la personnalité… Le concept de Potentiel de Développement élargit notre conception de la surdouance en y adressant la personnalité comme étant corrélée à des capacités élevées. Ce modèle… réoriente les objectifs d’une éducation vers l’actualisation de soimême et un développement moral avancé plutôt que vers la simple productivité de la vie d’adulte... On reconnait souvent les surdoués pour leur énergie, leur enthousiasme, leur capacité à s’absorber dans leurs passions, leur vive imagination, leur sensorialité, leur sensibilité morale et leur vulnérabilité émotionnelle… Ces caractéristiques se retrouvent dans de nombreux domaines et talents tels que chez les écrivains, compositeurs, danseurs, acteurs, inventeurs, les leaders laïques ou spirituels. Elles sont d’ailleurs souvent aussi intenses à l’enfance qu’à l’âge adulte… Dabrowski démontra également que ce large éventail de canaux expérientiels, présent chez les créatifs, comme la recherche de perfection spirituelle, était corrélé à une croissance personnelle plus intense. Les personnes qui n’ont pas ce « feu » dans leurs veines considèrent cela comme différent, voire anormal ou névrotique… Cependant, pour Dabrowski, cette étiquette cache une réalité plus significative, le signe d’un don psychologique plus fertile. Il fit la preuve que les jeunes dotés d’un intellect supérieur à la moyenne, munis de capacités artistiques et d’un grand nombre de symptômes que certains qualifieraient de névrotiques (anxiété, compulsions, psycho-somatisations…) font souvent l’expérience - 31 -

de phénomènes augmentés. Il conclut alors que la « Nervosité et la psychonévrose sont des phénomènes normaux du cours du développement » (Dabrowski, 1972). Il les considérait comme des signes de développement… Lorsqu’on fait découvrir ces concepts à des surdoués et à leurs parents, il se produit une identification immédiate et une réaction de soulagement. Cela permet de donner un sens à ces réactions « extraordinaires ».

Dabrowski démontre qu'à des niveaux plus bas de développement, les individus restent à la merci non seulement de leur hérédité, mais aussi des conditions pendant la grossesse et la naissance, ainsi que des maladies qui affectent plus tard leur développement émotionnel (1er facteur) et de leur environnement (2e facteur). Ceux qui franchissent le fossé vers le développement stratifié montrent des signes du 3e facteur, ce dynamisme menant vers toujours plus d’autonomie et de « direction de soi-même ». Les dynamismes (cf infra) sont autant d’indicateurs de la richesse du milieu psychique interne de la personne et de sa capacité à la transformation. « Le but de cette transformation est d’harmoniser ses actions avec ses idéaux, d’incarner les préceptes de l’amour, de la compassion, de l’entraide et de l’action utile » (Piechowski, 1986).

 Instinct de développement

Les enfants et adultes surdoués possèdent ce bagage et le niveau d’intelligence nécessaire pour atteindre un haut niveau de développement ; malheureusement, l’actualisation de ce potentiel est rare. L’échec d’actualisation de ce potentiel, que ce soit dans les sphères émotionnelle, morale ou spirituelle est souvent lié au peu de cas qu’en fait notre société : un individu sera toujours mieux valorisé par sa carrière et sa réussite sociale, c'est-à-dire son potentiel d’agent de - 32 -

production que par la richesse de sa personnalité et la hiérarchie de ses valeurs. On note que les femmes parviennent à des niveaux de développement plus élevés que les hommes, le genre féminin étant vraisemblablement un peu moins soumis à la pression sociale sur l’aspect professionnel, les femmes ayant aussi reçu plus d’autorisation sur l’expression de leurs émotions. Se développer en tant que surdoué nécessiterait de faire un pas de côté par rapport à la productivité et à la conformité, aux normes prônées par nos sociétés. Dans ses travaux, Piechowski met en évidence le besoin « de trouver et nourrir le potentiel humain par l’altruisme, l’actualisation de soi-même et de hauts niveaux de développement moral » (Piechowski, 1992) : Nous avons besoin d’outils pour détecter et cultiver de tels potentiels. La théorie sur le développement émotionnel de Dabrowski en est un ; c’est une théorie traitant de la transcendance humaine vers une vie inspirée d’idéaux humains universels de fraternité, de paix, de service et de réalisation de soi. Cette théorie a émergé de l’expérience clinique riche de Dabrowski avec les surdoués, qu’ils soient enfants, adolescents ou adultes.

 Les facteurs de développement :

Dans sa vision du développement, Dabrowski identifie 3 facteurs qui influencent le comportement et le développement : •

Le 1er facteur, la biologie, est constitué d’éléments héréditaires et constitutionnels ; c’est la source du développement mais elle reste insuffisante pour un développement de plus haut niveau et doit être dépassé, sublimé. Ce facteur correspond à l’instinct de survie biologique (faim, lutte pour la survie, reproduction…) qui aboutit, s’il n’est pas dépassé, à un besoin basique d’autosatisfaction, à l’égocentrisme quel qu’en soit le coût pour - 33 -

autrui, à une obsession pour le succès matériel. •

Le 2e facteur, l’environnement, correspond à l’influence de l’éducation, de la socialisation, et de l’autorité morale externe (parents, éducateurs et toute figure d’autorité…). L’esprit critique qui permettrait une comparaison entre « ce qui devrait être » et « ce qui est » n’a pas de place ici car la réponse attendue est la norme et la conformité. Dabrowski démontre qu’il vaut mieux être doté d’un potentiel de développement fort, la qualité de l’environnement social devenant alors secondaire pour le développement. A l’inverse, un environnement social très positif, nourrissant et un potentiel de développement faible ne déboucheront pas sur un développement à plus haut niveau.



Le 3e facteur est un type particulier de dynamisme (cf. infra) qui ne peut s’activer que lorsque d’autres dynamismes sont enclenchés. Il correspond à un ensemble de choix conscients permettant d’accepter / affirmer / sélectionner / encourager les éléments positifs du milieu psychique interne ou de contrôler / maitriser / réduire ses instincts les plus bas. Il permet l’expression du véritable Moi en transcendant sa biologie et guide ainsi vers l’authenticité et l’autonomie. Il indique la voie de la maturité des structures mentales. Ce 3e facteur activé, l’individu n’est plus ni à la merci de ses besoins biologiques ni sous l’influence des conventions sociales. Muni de ce 3e facteur, l’individu mène alors une vie consciente, délibérée, choisissant de lui-même les actions à entreprendre à partir des valeurs qu’il aura sélectionnées (sa hiérarchie de valeurs).

 Les dynamismes

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L’interaction entre hérédité et environnement créé certaines forces internes autonomes appelées dynamismes. Les dynamismes sont fortement corrélés aux émotions, dans le sens étymologique du terme : « emovere », motiver le mouvement. La figure 3 donne une représentation synthétique de ce que recouvre le concept de dynamismes, qui est détaillé plus loin.

Fig. 3 : les dynamismes – représentation selon Piechowski

Piechowski fournit une description de ces dynamismes qui sont autant d’indices quant au niveau de développement atteint (cf. tableau 1 ci-après). D’après lui, les dynamismes sont des processus émotionnels d’autoévaluation plus ou moins conscient. La définition donnée par Dabrowski est la suivante : « Force mentale ou biologique contrôlant le comportement et son développement. Les instincts, moteurs et processus intellectuels combinés aux émotions sont les dynamismes » (1972). Ces dynamismes jouent un rôle déterminant dans le développement et constituent une autre pierre angulaire de la TDP. Dabrowski en décrit une vingtaine en relation avec le niveau de développement. Au - 35 -

niveau I, intégration primaire, il n’existe pas de dynamisme à l’œuvre. Les dynamismes du niveau II sont marqués par ce que la TDP nomme « ambivalence » ou « ambitendance » (difficilement traduisible), mettant l’accent sur le conflit initial entre « ce qui devrait être » et « ce qui est ». Le niveau III est marqué par l’insatisfaction de soi, les sentiments de honte et de culpabilité naissant de la différence perçue entre la réalité externe et l’idéal que l’individu porte en lui. En cheminant vers le niveau IV, l’individu va gagner en sentiment d’efficacité conféré par les dynamismes de conscience de soi et d’autonomie qui vont l’assister pour résoudre son conflit interne existant entre le moi présent et le moi idéal. Au niveau V enfin, c’est l’idéal de la personnalité qui s’active pour l’atteinte de ce moi idéal et de l’état d’harmonie qui en découle, nommée Intégration Secondaire dans la TDP. Mendaglio et Tillier (2006) remarquent que les dynamismes ont longtemps été négligés dans la littérature consacrée aux surdoués. Cette notion de dynamisme ajoute de la complexité au modèle de la TDP. En effet, les dynamismes dérivent des SE en apportant une dimension d’autoévaluation qui varie selon les différents niveaux de développement. (cf. infra). Niveau I : intégration primaire

Mentalité de survie D’abord concerné par la protection de soi et la survie ; auto-centrisme Vision instrumentalisée des autres

Niveau II : désintégration unilatérale

« Le roseau ploie au vent » (Mathieu, XI,7) Manque de direction interne ; fragmentation interne – plusieurs soi ; soumission aux valeurs du groupe ; relativisme des valeurs et croyances

Dynamismes du niveau unilatéral

Ambivalence Ambitendance e 2 facteur -> Fluctuations entre des sentiments opposés -> Actions au cours changeant et conflictuel -> Sensibilité à l’opinion d’autrui ; sentiment d’infériorité par rapport aux autres

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Niveau III : désintégration stratifiée spontanée

« Video meliora proboque deteriora sequor » (je cherche le meilleur mais je poursuis le pire) Ciceron Un sens de l’idéal mais non atteint ; des préoccupations morales ; hauts et bas internes

Dynamismes de la désintégration stratifiée spontanée

Ces dynamismes sont une façon de percevoir et d’évaluer le monde, les autres et soi-même de façon critique, conduisant au travail de la transformation interne.

Hiérarchie de valeurs et conscience sociale Hiérarchisation et empathie

Ce qui contraste avec : ce qui devrait être Valeurs universelles

Valeurs individuelles

-> Protestation contre la violation de principes éthiques

Mal adaptation positive et empathie

-> Réactions et jugements sur soi chargés émotionnellement

Insatisfaction de soi

-> Colère contre l’indésirable en soi ; autodénigrement

Sensation d’infériorité

-> Colère contre ce qui manque en soi, de ne pas réaliser son potentiel

Inquiétude vis-à-vis de soi-même

-> Disharmonie dans l’état interne

Etonnement vis-à-vis de soi-même

-> Surprise dans ce qui est indésirable pour soi

Honte

-> Honte de ses manques et du regard des autres sur son standard moral

Culpabilité

-> Culpabilité liée à l’échec moral ; besoin d’expier et réparer

Niveau IV : désintégration stratifiée organisée

« Sous la sérénité repose un chagrin maitrisé » Eleanor Roosevelt Auto-actualisation : idéaux et actions sont en ligne ; fort sens de la responsabilité pour le bien-être d’autrui et croissance interne

Dynamismes de la désintégration stratifiée organisée

Relation sujet-objet en soi-même e

3 facteur

-> Processus d’examen interne et autocritique de ses propres motifs et buts ; instrument d’autoconnaissance -> Pouvoir de choix et de décision pour sa vie propre. Autorégulation et d’autodétermination

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Responsabilité

-> Se charger de missions pour le développement de soi et des autres -> Responsivité empathique aux besoins sociaux

Transformation psychique interne

-> Restructuration interne profonde, aux conséquences durables au-delà d’un retour possible au bas niveau de fonctionnement -> Un programme de changement

Education de soi-même Auto-psychothérapie

-> Une psychothérapie sur-mesure, des mesures préventives

Autocontrôle

-> Régulation du développement et contrôle des interférences qui conduisent à l’autonomie

Auto-conscience

-> Compréhension de l’unicité de chacun ; de ses besoins développementaux et de sa responsabilité existentielle -> Confiance en son propre développement ; libération des conduites et motivation de bas niveau

Autonomie

Niveau V : intégration secondaire « Un champ magnétique dans l’âme » Dag Hammarskjöld La vie inspirée par un idéal puissant, tel que des droits égaux, la paix dans le monde, la compassion et l’amour universel, la souveraineté des Nations Idéal de personnalité

-> Le but ultime du développement- l’essence de l’être humain

Dynamismes se déployant au travers des niveaux Instinct de création

-> Devient le dynamisme du perfectionnement de soi

Empathie

-> Connexion, soin et aide interne

Conflit interne

-> Au début, un conflit de mécanismes ; puis le conflit devient émotionnel (mono-niveau) et conscient (multi-niveaux)

Identification à des niveaux plus élevés et à l’idéal de la personnalité Dés-identification

-> Distance mises par rapport aux bas niveaux et mécanismes centre de contrôle et de décision Etat de la volonté : I : identifié au mécanisme dominant II : multiple, fragmenté ou changeant de direction III : ascendant et descendant, conséquemment au niveau IV : unifié V : idéal de la personnalité

Tableau 1 : Niveaux de développement émotionnel selon la théorie de la désintégration positive de Dabrowski (Piechowski, 2003)

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Types de dynamismes

V Volition

IV

Cognitifs

Autocriti ques

III

Idéal de la personnalité Autonomie Authenticité Responsabilité Auto-éducation Autopsychothérapie Self contrôle Conscience de soi Transformation psychique interne 3è facteur Sujet-objet de soimême Désajustement positif Sentiments de culpabilité Sentiments de honte Etonnement de soimême Inquiétude à propos de soi-même Sentiment d’infériorité Insatisfaction de soi-même Hiérarchisation 2e facteur

II

I

Dynamismes à l’œuvre

Ambivalences « Ambitendances »

II

III

IV

xxx

XXXXXX

XXXXXX

----xx -xx --xx -xX

-----xxx xxxxXXX XXXXXX xxxXXXx Xx-

XXXXXX XXXXXX XXXXXX xx-

-xX -----xXX ------xx

XXXXXXXXXXXX xxxXXXX

XXXXXX XXXXXX

--

-xx ------XX

XXXXXX XXXXXX

XXXXXX XXXXXX

--

xXXXx-

--

-xXXx--

XXxxx--

--

xXXx--

--

xXXx--

--

xXXx--

--

xXXx--

--

-

XXXXXX

xxXX

Xx-

xxXX

Xx-

-

XXXXXX

xXx-

Tableau 2 : Les dynamismes. Représentation de Piechowski

Une autre représentation plus visuelle, mise au point, toujours par Piechowski est présentée dans le tableau 2.

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V

XXXXXX

De cette complexité résulte l’absence d’étude disponible des dynamismes sur un vaste échantillon de surdoués comparé à un échantillon de population moyenne. En 2004, Mendaglio et Pyryt ont analysé les exigences intellectuelles nécessaires à l’activation de dynamismes élevés tels que la conscience de soi et l’empathie ; il en ressort que l’intelligence est une condition nécessaire mais pas suffisante pour l’évolution vers un haut niveau de développement, ce qui est cohérent avec la vision de Dabrowski dans ses écrits originaux. Voilà de quoi remettre en question notre évaluation de la surdouance basée principalement sur l’évaluation d’un Quotient Intellectuel !

 Les 5 surexcitabilités (SE) :

Une SE est « une réponse plus intense que la moyenne aux stimuli et qui se manifeste par une excitation psychomotrice, sensorielle, émotionnelle, intellectuelle ou imaginative ou une combinaison de 2 ou plusieurs d’entre elles » (Dabrowski, 1972). La TDP décrit donc 5 formes de surexcitabilité ayant chacune un large champ d’expressions (cf. tableau 1). Etre surexcitable c’est expérimenter la vie de façon plus intense, vivace et profondément ressentie ; l’expérience est plus richement « texturée ». Les SE permettent une vie plus intense à ceux qui les expérimentent ; elles sont comme des « canaux » par lesquels affluent une infinité de nuances de couleurs, sons, goûts, révélations, visions, courants émotionnels… C’est un peu la différence de bande passante entre la fibre et le réseau hertzien. Certains auteurs parlent d’Equipement Originel (EO). Similaires aux tempéraments définis classiquement en psychologie, les SE sont iden- 40 -

tifiables très tôt dans la vie.

Fig 4 : Les 5 SurExcitabilités

Les enfants surdoués sont souvent plus actifs, dotés d’un plus haut niveau d’énergie et leur expérience de la vie plus intense voire extrême. Les expériences sensorielles sont aussi d’une plus grande richesse avec plus de détails, de relief, de contraste. Piechowski cite un exemple clinique de cet adolescent qui déclare : « Il me semble sentir plus d’odeurs, plus précisément que la plupart des gens. J’aime l’obscurité, les odeurs surannées, celle de la terre, des herbes et d’autres choses comme celles-ci. J’aime l’odeur de l’air propre du printemps et des arbres en fleurs, l’odeur des corps propres, particulièrement celle des cheveux » (2006). On retrouve souvent une combinaison des SE sensorielle et émotionnelle qui rend l’expérience de l’individu plus riche. Il est commun d’associer plus naturellement la SE intellectuelle aux surdoués, puisqu’on sait mesurer le QI. Janneke Frank (2006) écrit que si l’intelligence est la capacité à résoudre des problèmes, la SE intellectuelle est la passion de les résoudre. Lorsque SE émotionnelle et intellectuelle se combinent, l’esprit fournit la puissance intellectuelle de la concentration tandis que l’énergie émotionnelle maintient l’intérêt et la passion qui conduisent à l’aboutissement. - 41 -

Psychomotrice Surplus d’énergie : parole rapide excitation marquée, activité physique intense (jeux et sports rapides), pression à l’action (organisation), esprit de compétition Expression psychomotrice de la tension émotionnelle : parole et bavardage compulsifs, actions impulsives, habitudes nerveuses (tics, onychophagie), dépendance au travail, passage à l’acte Sensorielle Sensorialité augmentée et plaisir esthétique : voir, sentir, goûter, toucher, entendre, attrait pour les belles choses, sonorités des mots, de la musique, des formes, des couleurs et de l’équilibre Expression sensorielle de la tension émotionnelle : surchauffe, insatiabilité sexuelle, payer sa tournée, vouloir être sous les feux de la rampe Intellectuelle Activité intense de l’esprit : curiosité, concentration, capacité à soutenir un effort intellectuel, avide de lecture, sens de l’observation, souvenir visuel détaillé, planning tenu Tendance à poser des questions et résoudre des problèmes : recherche de vérité et de compréhension, élaboration de nouveaux concepts, ténacité dans la résolution des problèmes. Pensée réflexive : penser la pensée, amour de la théorie et de l’analyse, intéressé par la logique, pensée morale, introspection (mais sans auto-jugement), intégration intuitive et conceptuelle, indépendance de pensée (quelquefois très critique). Imaginative Libre imagination : utilisation fréquente d’images et de métaphores, facilité pour l’invention et la fantaisie, pour une visualisation détaillée, perception dramatique et poétique, pensée animiste et magique. Capacité à vivre dans un monde imaginaire : prédilection pour la magie et les contes de fée, création de monde à soi, compagnons imaginaires, dramatisation Imagerie spontanée comme expression de la tension émotionnelle : imagerie animiste, mélangeant réalité et fiction, rêves élaborés, hallucinations Faible tolérance à l’ennui : besoin de nouveau et de variété Emotionnelle Des émotions et ressentis intensifiés : pensées positives et négatives, émotions extrêmes, émotions et sentiments complexes, identification aux pensées des autres, conscience d’une large gamme de sentiments. Fortes expressions somatiques : tensions dans l’estomac, problèmes de cœur, rougissement, tachycardie, transpiration des paumes de mains Fortes expressions affectives : inhibition (timidité), enthousiasme, extase, euphorie, fierté, forte mémoire affective, honte, sentiments d’irréalité, peurs et anxiétés, sensation de culpabilité, questions sur la mort, humeurs dépressives et suicidaires. Capacité à de forts attachements et de profondes amitiés : fortes attaches et liens aux personnes, les choses sont dotées de vie comme les endroits, l’attachement aux animaux, difficulté à s’habituer à de nouveaux environnement, compassion, responsivité aux autres, sensibilité dans la relation, solitude. Sentiments très différenciés par rapport à soi-même : dialogue intérieur et autojugement Tableau 3 : Formes et expressions des surexcitabilités (Piechowski, 1999) - 42 -

A. Einstein, W. Disney, J.K. Rowling (créatrice de Harry Potter) sont des exemples d’expression de SE imaginative leur permettant d’exprimer leur créativité exceptionnelle. Cette SE imaginative se retrouve dans de nombreux domaines : littérature, arts, sciences, technologie, culture et relations interpersonnelles. Elle permet inspiration, intuition, invention et création de nouveaux possibles. La SE émotionnelle s’exprime par une vaste gamme d’émotions et de sentiments qui peuvent, là aussi être très intenses. Elle se remarque tôt chez les individus qui en sont dotés : souci de l’autre, empathie, compassion, soin et responsabilité de l’Autre dominent. La combinaison la plus riche semblerait être SE intellectuelle/ émotionnelle/ imaginative indiquant vraisemblablement le plus fort potentiel de développement. Il n’est pas de personne de talent qui ne manifeste à minima l’une des SE ; celles-ci sont la condition de base pour penser différemment, lutter pour la vérité et la justice. Malheureusement, plus leur expression est forte moins les pairs, les enseignants et autres figures d’autorité sont aptes à les accepter s’ils n’en sont pas dotés euxmêmes ; là nait le sentiment d’étrangeté et d’isolement, voire de souffrance et d’incompréhension souvent décrits par les précoces jeunes ou adultes. C’est pourquoi, il n’est pas toujours facile de repérer une SE ; certains enfants cherchant à se protéger, essaient de cacher leur extrême sensibilité, pouvant donner l’impression de ne pas être émotionnel et risquant à terme de se dissocier de leurs émotions et/ ou de se construire en faux-self, ce que nous retrouvons souvent dans notre pratique clinique et qui nécessitera un long travail d’ «archéologie » pour retrouver l’authenticité ainsi dissimulée. C’est encore plus dur pour les jeunes enfants qui ne comprennent pas – et qu’on n’aide pas à comprendre- leur intense sensibilité. Hélène Grimaud, pianiste de renom, décrit sa propre expérience, pleine d’hésitation et de contradictions en ces termes : "Faites-lui faire du sport ! » Sans aucun doute, quelqu’un remarque mon excessif niveau d’énergie, ma surabondance de vitalité qui pourrait s’exprimer dans les arts martiaux ou le tennis. Je les pratiquais mais cela - 43 -

ne me convenait pas… Ce que je n’aimais pas dans la danse classique n’était pas seulement la discipline elle-même mais surtout le costume. Rien ne me plaisait, pas plus le tutu que les chaussons ou le collant rose. Cela me donnait l’impression de ressembler à ces pou-pées qu’on offre à Noël : je les jetais contre le mur. La seule pensée que quelqu’un puisse me donner un tel attirail me révoltait. Imaginez comment je pouvais me sentir en y ressemblant.

Les enfants dotés de fortes SE se sentent souvent embarrassés et coupables d’être différents ; c’est encore plus évident à l’adolescence au milieu des multiples réaménagements, à cet âge où l’on cherche surtout à ressembler à ses pairs. Ils peuvent penser que quelque chose «ne tourne pas rond » chez eux, tant le contraste avec les autres est fort. Pour tenter de résoudre ce décalage qu’ils ressentent si fort, ils peuvent alors tenter de masquer leur intensité, essayer de paraitre « normal ». Cela n’aura qu’un temps car cette énergie et cette intensité « retenues » n’auront de cesse de s’exprimer, cette fois sous forme de découragement, de dépression ou d’anxiété. Souvent sensibles à la souffrance d’autrui, à l’injustice et aux critiques, ils peuvent se sentir ridiculisés et se retirer émotionnellement ; leur vitalité émotionnelle peut s’en retrouver émoussée. On peut considérer les SE comme une chance offerte aux surdoués pour ne pas oublier leurs talents mais, malheureusement, confrontés au rejet d’un environnement conformiste et normatif, elles sont souvent vécues comme un poids dont il convient de se débarrasser pour se sentir mieux et plus intégré ; cela revient à étouffer le vrai Moi (faux-self), tous ces aspects créatifs pouvant être considérés par la société comme des signes pathologiques (souvent identifiés comme des troubles bipolaires ou de la schizophrénie) (cf. chapitre sur la santé mentale, la TDP et les risques de faux diagnostics) plutôt que des signes avant-coureurs d’un fort potentiel de développement. SE et désintégration positive concourent ensemble au développement de l’individu : les SE provoquent les conflits internes tout en donnant les outils pour les dépasser, elles créent ce que Dabrowski nomme les psychonévroses qui, combinées aux conflits vont accélérer le développement, la recherche de nouvelles solutions inventives souvent plus complexes mais rapprochant toujours plus l’individu de son au- 44 -

thenticité.

Fig 5 : Les 8 formes d’intelligence de H. Gardner

Les équipes de cliniciens qui utilisent la TDP dans le champ de l’éducation des surdoués tendent à considérer que les SE constituent les véritables composantes de la surdouance. C’est pourquoi ils font l’hypothèse que la prise en compte de la force et de la richesse des SE pourrait permettre une compréhension plus profonde et plus riche de ce phénomène et révolutionnerait la prise en charge des surdoués. La vision de l’un d’eux, M. Piechowski, rejoint ainsi celle d’Howard Gardner qui a tenté d’élargir la conception de l’intelligence dans son fameux livre : « Frames of Mind » (1986). Le modèle de Dabrowski permet de décrire les modes de fonctionnement des divers types de surdoués : chacun est une combinaison unique d’intelligence, de talents et de SE. Cette façon de voir les choses permet d’expliquer la diversité d’intelligence et de parcours que l’on rencontre dans la population surdouée. - 45 -

 Caractéristiques internes du moi :

Echelle de valeurs ou hiérarchisation : c’est le résultat du processus de développement et d’activation des différents niveaux émotionnels qui prend sa source dans les conflits internes de valeurs et reflète l’existence de sentiments de valeurs élevées ou basses. Une hiérarchie de valeurs est une échelle de niveaux émotionnels plus ou moins élevés. Milieu psychique interne : ou milieu mental interne. C’est cette partie de la psyché avec laquelle l’individu entre en conflit avec luimême, ce lieu dans lequel la totalité des dynamismes mentaux du plus bas au plus haut niveau opèrent dans une organisation plus ou moins hiérarchisée. Il constitue donc le terreau du développement positif. Idéal de la personnalité : c’est un standard individuel à partir duquel l’individu évalue la structure de sa personnalité réelle. Il se développe à partir de son expérience et de son développement propre. L’idéal de la personnalité se forme de façon autonome et authentique, souvent au travers de luttes et de conflits face aux idéaux en cours dans la société. C’est une structure mentale qui est d’abord mise en place intuitivement et sert empiriquement pour former les contours de la personnalité de l’individu. Cet idéal de la personnalité devient de plus en plus unique au fur et à mesure de l’atteinte de niveaux de développement plus élevés et joue un rôle de plus en plus important dans le milieu psychique interne, particulièrement dans le « centre de commande / boussole morale » de l’individu. Ce processus se nomme dynamisation de l’idéal. La notion d’ajustement : La TDP décrit l’ajustement comme « un état d’harmonie résultant des efforts d’adaptation mis en place par l’individu vis-à-vis des - 46 -

autres, d’un schéma de comportement, d’un principe ou d’un idéal ». L’ajustement social est couramment compris comme étant la capacité à vivre en harmonie avec les normes sociales et de réussir à intervenir avec succès dans la société, ce qui équivaut pratiquement à se conformer aux standards sociaux, schémas, coutumes, croyances et évaluations en cours dans celle-ci. Cette vision de l’ajustement est traditionnellement largement perçue comme un signe de santé mentale, alors que le désajustement social, lui, est identifié comme un dysfonctionnement mental. Du point de vue de la TDP, cette vision est erronée et ce concept d’ajustement est inutile et perturbant. La TDP propose alors une distinction entre ajustement positif et négatif et désajustement positif et négatif. On peut résumer ces 4 positions comme sur la figure 6 ci-après. Tout comme certaines SE, combinées au potentiel et à la volonté de transformation, peuvent nous indiquer le niveau d’avancement du développement d’un sujet, le mode d’ajustement à la société, la capacité et la façon d’exercer un esprit critique face à celle-ci et ce qu’elle propose peuvent également nous donner des indices de l’étape où en est le sujet.

Fig 6 : Les 4 positions d’ajustement - 47 -

En simplifiant, nous pourrions résumer les différentes composantes de la TDP de la façon suivante : Chaque individu possède un potentiel de développement plus ou moins développé en grande partie héréditaire : c’est le terreau d’un développement futur de la personnalité qui peut advenir ou pas. Ce potentiel de départ se trouve placé dans un environnement social plus ou moins favorable au développement de la personnalité. Dabrowski note à ce sujet qu’un individu avec un potentiel de développement fort pourra toujours se développer dans un environnement défavorable, mais que l’inverse n’est pas vrai. Certains individus, dotés d’un potentiel de développement faible resteront au niveau de l’intégration primaire et se satisferont de combler leurs besoins biologiques (dynamisme du 1er facteur) et sociaux, se soumettant aux conventions sociales (2e facteur). Ils resteront à un niveau de questionnement que Dabrowski nomme « horizontal ». Certains d’entre eux, suite à un accident de vie (décès, maladie…) ou lors d’une crise de vie (adolescence, crise de la quarantaine, ménopause…) vont entrer dans un 1er processus de désintégration dite unilatérale, dans laquelle ils se remettront insuffisamment en question et finiront par « retomber » dans le niveau précédent d’intégration primaire ; dans ce groupe, on pourra retrouver aussi bien les psychopathes, les criminels, que les personnes à tendance suicidaire, voire des personnalités de pouvoir à forte réussite sociale sans foi ni loi et qui instrumentalisent autrui. Ceux qui ont le potentiel de développement suffisant et l’environnement propice vont être poussés par leurs dynamismes qui se développent, et vont poursuivre le développement de leur personnalité en mettant en place une échelle de valeurs ou hiérarchisation personnelle. De plus en plus conscients des autres, attentifs à « ce qui devrait être » par rapport à « ce qui est », ils sont donc dans un questionnement « vertical » ; cela ne se produira pas sans crise, avec de la honte, de la culpabilité, de l’anxiété : c’est la désintégration stratifiée spontanée. A ce niveau, les SurExcitabilités (SE) – cette capacité à recevoir plus intensément les stimuli internes et externes- entrent en jeu pour permettre à l’individu d’entrer toujours plus intensément en contact avec ses ressentis, ses sentiments - 48 -

et ses valeurs ; ces SE sont de 5 natures : intellectuelle, émotionnelle, imaginative, sensorielle et psychomotrice. Les SE et de nouveaux dynamismes (3e facteur, responsabilité de soi…), confèrent un potentiel de développement très élevé. L’individu évolue ensuite vers la désintégration stratifiée organisée, niveau auquel il va chercher à mettre en cohérence ses actes et ses idéaux, conscient d’Autrui autant que de lui-même. Peu d’élus évolueront vers le 5è niveau, l’intégration secondaire et atteindront ainsi leur idéal de personnalité, grâce à des idéaux puissants, des valeurs universelles. Le milieu psychique interne, quasi inexistant aux 2 premiers niveaux, constitué entre autres des dynamismes, est donc le cadre de toutes ces possibles évolutions. L’ajustement ou le désajustement, négatif ou positif, à ce que propose ou exige la société (normes, conformité) sont présents pour les niveaux I à IV. Ce n’est qu’au Niveau V que l’individu peut atteindre un état d’ajustement positif permanent. Nous pourrions schématiquement représenter les différentes composantes de la TDP de la façon suivante :

Figure 7 : Le parcours de la TDP (En plus grand ci-apres)

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Figure 7 : Le parcours de la TDP

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Chapitre 3 Influences des courants philosophiques, psychologiques, et spirituels dans la construction de la TDP. Note : Ce chapitre est la traduction du chapitre correspondant de l’ouvrage collectif « theory of positive disintegration » afin de positionner pour le lecteur non anglophone la TDP parmi les courants psychologiques.

La Théorie de la Désintégration Positive de Dabrowski offre une vision plus réaliste et particulièrement dynamique du développement de l’être humain tout au long de la vie. Si la dotation de l’héritage génétique est primordiale, beaucoup peut s’acquérir à condition de détenir un potentiel de développement suffisant et des conditions environnementales favorables au développement des capacités se manifestant dans les SE, tout en se détachant des normes extérieures sociales. La vie de Dabrowski est une bonne illustration d’un tel développement. Fortement éprouvé par le décès de sa sœur de 3 ans quand luimême en avait 6 puis, plus tard, par le suicide de son meilleur ami, par la rencontre brutale avec la guerre et tout ce qu’elle peut avoir d’effrayant pour un esprit sensible, la vie amena très tôt Dabrowski à rechercher du sens dans ce qu’il vivait ou mettait en place. Ce sens, il le rechercha à la fois dans le champ philosophique et psychologique mais aussi vraisemblablement dans le champ spirituel sans que, pour autant, la littérature à ce sujet ne soit très détaillée : il méditait chaque jour et ce, bien avant l’avènement de la Mindfulness ! Influences et convergences philosophiques La TDP est construite sur 4 idées philosophiques centrales : • Le développement stratifié • L’ « existo-essentialisme » • L’incompatibilité de la socialisation avec le développement de l’individu - 51 -



La nécessité de la désintégration dans le processus de développement.

Ces idées se retrouvent chez des philosophes tel Platon, Kierkegaard ou Nietzsche ou chez un Neuro-physicien comme John Hughlings Jackson qui ont influencé et conforté Dabrowski dans sa vision unique du développement humain et de sa personnalité.  Développement stratifié : Cette approche est vitale pour rendre compte de la large et complexe variété de phénomènes rencontrés dans la psychologie et le développement. En effet, les approches plus classiques rendent mal compte de la grande disparité existant entre les comportements les plus bas et les plus élevés. Pour Dabrowski, le développement stratifié est donc la pierre angulaire de sa théorie du développement de la personnalité. Platon, dans son mythe de la caverne, décrit 4 niveaux d’existence avec chacun son niveau de conscience et de perception. L’existence au niveau le plus bas est décrite comme faite d’opinions, d’ombres, de perceptions brutes, simplistes et erronées : le groupe qui regarde passivement la vie comme une ombre sur le mur de la caverne en face de lui.

Fig. 8 : Allégorie de la caverne

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Ces prisonniers sont enchainés, avec l’impossibilité de se retourner pour comprendre leur situation ; leurs sens sont tellement anesthésiés qu’ils ne peuvent même pas prendre conscience de leurs chaines. Ce jeu d’ombres est orchestré par des « marionnettistes » (représentants de l’Etat ou du système d’éducation) qui, derrière les prisonniers, utilisent ce jeu d’ombres pour décrire la vie telle qu’ils veulent la faire percevoir. Ce jeu d’ombres est possible grâce à une lumière artificielle, un feu de camp au fond de la caverne. A un moment, l’un de ces prisonniers commence à se poser des questions et prend la décision de partir à la découverte de la vérité pour se libérer et saisir la situation dans son ensemble : Platon le décrit comme le philosophe ou l’intellectuel. Il trébuche en se dirigeant vers une faible lumière en provenance de l’entrée de la caverne qui le guide dans un périple long et dangereux vers la surface : cela lui demandera beaucoup de force, de détermination et une forte motivation interne. Beaucoup s’y essaient mais peu réussissent. Pour ceux qui parviennent enfin à la surface, la vie prend alors une perspective complètement différente et un renversement de paradigme se produit dans leur perception. Platon reconnait que le réflexe du prisonnier parvenu à la surface pourrait être d’y rester et de profiter du soleil. Mais il décrit l’impératif moral de celui-ci de revenir vers ses pairs pour leur apporter la lumière. Malheureusement, il arrive que le prisonnier redescendant de la grande lumière vers celle, plus limitée, de la caverne ne puisse plus retrouver son chemin ; les prisonniers restant écoutent une histoire bizarre qu’ils sont incapables de comprendre et, ayant peur de ce qu’ils perçoivent comme la folie de ce prisonnier échappé, ils le tuent. Les individus de l’intégration primaire de Dabrowski ressemblent beaucoup à la majorité des prisonniers de la caverne de Platon qui acceptent passivement la socialisation, acceptent une réalité quotidienne sans questionnement critique. Pour Dabrowski, l’individu « bien socialisé » vit une existence imitative faite de rôles prescrits de l’extérieur, sans réelle conscience, d’individualité ou d’authenticité, à un niveau primaire et basique de développement. Le prisonnier échappé ressemble lui à ces individus qui, selon Dabrowski, munis d’un fort potentiel de développement et grâce aux dynamismes, leur - 53 -

hiérarchie de valeurs et leurs SE, aspirent à un développement complet vers ce qu’il nomme les niveaux IV et V. L’approche stratifiée de Dabrowski fait écho à celle de John Hughlings Jackson (1835-1911) qui, dans ses célèbres conférences de Cronian en 1884, décrit le système nerveux comme comportant plusieurs niveaux qui se distinguent par 3 variables : les niveaux les plus bas sont simples, plus organisés, automatiques et moins réfléchis/ les niveaux les plus élevés sont plus complexes, moins organisés, plus délibérés et volontaires. Jackson décrit l’évolution comme un mouvement du plus bas vers le plus élevé, vers plus de complexité, moins d’organisation. Dabrowski introduit ces attributs dans sa définition des niveaux les plus élevés : « par plus haut niveau psychique, nous décrivons un comportement plus complexe, conscient, une plus grande liberté de choix et donc une plus grande opportunité d’auto-détermination » (1972, p.70). En outre, Dabrowski insistait sur le fait que les niveaux les plus élevés différaient des niveaux les plus bas quantitativement et qualitativement ; la psychologie admet communément des différences quantitatives, ceux des différents niveaux d’intelligence quantifiés dans les tests de QI. Dabrowski pensait qu’un développement avancé met en œuvre un autre aspect en remarquant, par exemple que la perception de la réalité peut être très différente entre individus de haut et bas niveau. Ces différences qualitatives sont des caractéristiques importantes signant un développement avancé et proposent une base pour la classification de la personnalité et du développement plus précise. C’est en cela que l’approche de Dabrowski est précieuse lorsqu’on essaie de comprendre le monde complexe et pluridimensionnel de la surdouance.  Existo-essentialime : l’essence avant l’existence Dabrowski inventa ce terme afin de décrire sa synthèse unique de 2 visions traditionnellement disjointes de caractère humain : d’une part la vision essentialiste présente dans l’approche platonicienne et d’autre part l’approche existentialiste chère à Kierkegaard et Nietzsche, plus moderne. Pour les essentialistes, les choses et les organismes comportent des caractéristiques leur permettant de déterminer ce qu’ils sont et vont devenir. Dans l’existentialisme, ce sont nos choix qui font ce que nous sommes. - 54 -

Dabrowski, lui, considère l’essence de l’individu comme une fondation initiale de son développement bien que celle-ci puisse être submergée sous l’effet de l’individualisme et l’indépendance valorisés par la socialisation et la conformité sociale. L’héritage génétique de l’individu contribue fortement à son développement et il avait coutume de dire que les gènes les meilleurs ne peuvent être annihilés par le pire environnement alors que les pires gènes ne peuvent être améliorés par un environnement favorable. Chaque individu possède une essence interne composée de ses qualités centrales et de ses traits de personnalité unique. Mais cette essence n’est pas fixée définitivement ; on peut plutôt la considérer comme un potentiel amené à se développer ou pas. Cette essence peut par ailleurs être positive et ainsi accélérer le développement mais aussi négative et le ralentir voire l’empêcher. L’expression de l’essence individuelle se traduit au travers d’une série de choix individuels et conscients permettant une distinction entre « ce qui est plus moi » par rapport à « ce qui est moins moi ». Tandis que le développement progresse, la vision et la conscience de soi émergent : conscience des buts et des aspirations propres, de ses attitudes et relations aux autres. L’individu construit alors un idéal de personnalité à partir de cette essence initiale et de ses potentialités, de ses rêves et de ses aspirations. L’idéal de la personnalité devenant de plus en plus clair, l’individu peut constater l’écart entre son idéal du soi et son essence initiale et faire ainsi des choix conscients et volontaires quant à ce qu’il lui faut inhiber ou développer. L’expression pleine du caractère d’un individu reflète à la fois son essence et les choix qu’il fait. Le niveau de l’intégration primaire ne présente en théorie qu’un potentiel de développement limité et ne peut initier une désintégration. Un potentiel de développement et une volonté de transformation sont nécessaires pour initier une désintégration et la libération qui s’ensuit, permettant la création d’opportunités de découverte de la véritable essence individuelle et conduisant à la véritable compréhension de soi au travers de choix existentiels volontaires conscients et non subis. La succession de ces choix viennent former et affiner l’essence brute pour créer cette personnalité unique et autonome. Au-delà de cette essence, Dabrowski décrit d’autres facteurs internes - 55 -

critiques dans la détermination de la trajectoire développementale de l’individu : l’instinct créatif, celui de la perfection de soi, les dynamismes, la combinaison des moteurs et émotions fournissant l’énergie nécessaire à ce développement, et, enfin, une constellation de facteurs qu’il nomme potentiel de développement et définit comme « la dotation constitutionnelle déterminant le caractère et la potentielle extension de la croissance mentale pour un individu donné » (1972, p.123). En résumé, on pourrait dire que l’approche existoessentialiste de Dabrowski montre que l’individu doit prendre conscience de ses traits uniques de caractère - son essence- et pouvoir ainsi faire des choix volontaires qui expriment et dessinent cette essence, conduisant vers l’atteinte de l’idéal de la personnalité. Pour Dabrowski, « l’essence est plus importante que l’existence dans la naissance d’un être humain véritable » et il continuait en disant : « il n’y a pas de véritable existence humaine sans essence authentique ». Cette compréhension permet une appréhension puissante et nouvelle du développement humain.  La socialisation réprime l’autonomie En opposition aux systèmes de pensée en vigueur à son époque et encore de nos jours, Dabrowski rejetait la conception de la santé mentale comme absence de maladies psychiques ou comme mesure quantitative de l’ajustement social. Il fut influencé en cela par Jahoda (1958), psychologue viennois. Jahoda identifia les caractéristiques de la santé mentale comme étant les suivantes : la capacité à la perception de soi, la santé mentale étant proportionnelle au type de développement et à la capacité d’auto-actualisation, l’autonomie en termes d’indépendance de l’individu par rapport aux influences sociales, la capacité de percevoir la réalité et de devenir maître de son environnement. Dabrowski définit la santé mentale comme la présence de caractéristiques variées et nouvelles, qualitatives donnant en exemple la présence d’une hiérarchie de valeurs autonome et consciente qui reflète la personnalité unique de l’individu. Suivant la théorie de Jackson (cf. infra), Dabrowski fait l’hypothèse que les niveaux les plus bas de développement relèvent de structures psychologiques plus - 56 -

simples, plus organisées et plus résilientes ; il note néanmoins que ces structures sont souvent inféodées aux forces biologiques (instincts, qu’il nommera 1er facteur) et à l’influence de l’environnement social (2è facteur). Les idéaux, buts, valeurs sont subordonnés à des standards externes et ne laisse que peu de place à la conscience de soi, l’individuation et l’autonomie. L’individu « socialement moyen » montre une intégration unifiée, organisée et coordonnée de toutes les caractéristiques psychologiques formant la base traditionnelle d’une intégration psychologique traditionnellement reconnue positive. Dabrowski identifie alors 2 types d’intégration : la plus basse, selon lui, qui reflète une socialisation qu’il considère, au contraire des théories psychologiques classiques, a-développementale et la plus élevée, ou intégration secondaire, au développement avancé dans laquelle autonomie et auto-détermination reflètent la santé mentale. Pour Dabrowski, les individus restant au niveau d’intégration primaire ne peuvent faire preuve d’une personnalité individuelle ; il va même jusqu’à conclure que « l’absence de développement de la personnalité équivaut à l’absence de santé mentale » (1964, p.122). Dans sa description de l’intégration primaire, Dabrowski note que le comportement de ce niveau s’organise communément autour d’instincts et de pulsions d’autosatisfaction. Les rôles sociaux sont souvent produits et manipulés pour atteindre la satisfaction de l’ego. Dans une telle société, des individus charismatiques et forts peuvent s’y saisir de rôles leader et certains ne feront que continuer à se comporter égocentriquement, sans peu d’appréciation du dommage qu’ils causent et de leur responsabilité. L’image-type du psychopathe serait cet homme en costume-cravate, capable de gagner quel qu’en soit le prix, ce businessman ou ce politicien qui sera capable de toutes les justifications pour parvenir à ses buts. Pour Dabrowski, nos systèmes politiques ou éducatifs (les marionnettistes de Platon) encourage la création et la promotion d’individus sans foi ni loi, que ce soit dans le mondes affaires ou la politique ; une société qui développe et promeut de tels « gagnants » indique qu’elle est primitive et confuse (Dabrowski, 1970, p.118). Ainsi, Dabrowski réfute l’idée que la santé mentale serait l’ajustement de l’individu à des normes sociales domi- 57 -

nantes qui, selon lui, ne représentent en rien le développement humain authentique ou la fonction humaine. L’ajustement à une société elle-même confuse et primitive est, par essence, a-développementale et ne fait que tourner le dos à la découverte de l’essence authentique de l’individu ainsi qu’à l’exercice de son véritable choix, critère de santé mentale (Dabrowski, 1970). Avant lui, Kierkegaard (1813-1855) s’était senti concerné par l’impact de la socialisation sur l’authenticité de l’être humain, disant que la conformité aux rôles sociaux et à la doctrine de l’Eglise ne permet pas à l’individu « une véritable action ». Mac Donald saisit bien la position de Kierkegaard lorsqu’il écrit : La problématique centrale de Kierkegaard était de déterminer comment devenir chrétien au Royaume de Dieu. Cette tâche se révèle plus difficile pour les mieux éduqués car les institutions éducatives et culturelles en place tendent à produire des membres stéréotypés « de la foule » plutôt que de permettre aux individus de découvrir leur propre et unique identité ». (2006, section 2, parag. 1)

La "foule" dérobe à l'individu sa responsabilité personnelle. Plutôt que de définir le moi de l’individu au travers de règles et de rôles sociaux, Kierkegaard suggère que la seule vraie liberté d’un individu repose dans sa responsabilité d’être capable de choisir son propre moi, ses croyances et ses valeurs propres, ceci au travers de choix successifs que l’individu est amené à prendre dans sa vie quotidienne. On retrouve l’ajustement décrit par Dabrowski entre « ce qui est » et « ce qui devrait être ». Cette conscience n’est pas sans créer de doute par rapport à soi-même et de l’anxiété. Derrière une porte, nous avons le choix, soit de l’ignorer, soit de décider de ne pas la franchir – 2 choix passifs-, soit de la franchir en faisant face aux peurs et à l’anxiété qui accompagnent cette décision –un choix actif. Kierkegaard dit que ce choix d’ « aller voir ce qui est derrière la porte » est critique pour la création du moi. « Un être humain n’a accès à son propre moi qu’en le définissant lui-même, comme quelqu’un qu’il choisirait lui-même » (cité par Dabrowski, 1967, p.36). L’authenticité et la dignité humaine s’affirme et se démontre dans cette capacité à vivre et dépasser l’anxiété et dans la persistance à faire des choix dictés par les valeurs et la foi. Nietzsche est encore plus critique sur le rôle joué par la société ; il - 58 -

considère que les schémas de moralité ne sont que les « dogmes du jour » formant une morale de « meute » et qui ne font que nier les développements des valeurs propres de l’individu en imposant des normes moyennes et médiocres (Nietzsche, 1968, p.159). Nietzsche pense qu’en adoptant les normes dictées par la socialisation, l’individu n’honore pas son besoin de réévaluer régulièrement ses valeurs et sa propre responsabilité dans son développement, bref d’honorer sa moralité autonome. Ainsi, l’individu se contente de se conformer en perdant la motivation interne de se développer. Nietzsche rejette la religion car, selon lui, elle absout l’individu de sa responsabilité à son propre développement.  La désintégration dans le processus de développement L’approche de Jackson (1884) sur la maladie mentale a été primordiale dans sa compréhension en établissant que les niveaux plus élevés de développement, par leur complexité, permettent une moindre organisation et seraient donc moins stables, plus fragiles et plus sensibles à la dépression, l’anxiété et un questionnement/ remise en question continus. Pour Jackson, c’est la maladie mentale qui dissout ces niveaux les plus élevés pour laisser place à des niveaux inférieurs, plus simples et automatisés. Dabrowski s’oppose à cette dernière idée en soutenant que les décompensations et dépressions des niveaux élevés (les dissolutions de Jackson) ont un rôle prépondérant dans l’évolution de l’individu : pour faire face à cela, l’individu doit faire preuve de capacités développementales nécessaires à la transformation et la réorganisation de la composition psychique interne. Nous l’avons vu par rapport à la socialisation, Dabrowski pensait que l’individu doit se libérer de la pression de ses pairs et dépasser l’inertie créée par la socialisation : le développement psychologique nécessite, selon lui, une dissolution des intégrations antérieures et anciennes. Un véritable développement avancé ne peut se construire sur des fondations faites d’instincts biologiques ou de socialisation. Le développement avancé s’élabore à partir d’une inhibition consciente et délibérée des plus bas instincts ainsi que des pulsions d’autosatisfaction et des réactions sociales stéréotypées et automatiques. Il consiste en une expansion délibérée et consciente de caractéristiques autonomes qui - 59 -

s’expriment, par exemple, par l’émergence d’une hiérarchie de valeurs et la définition d’un idéal de personnalité. Pour Dabrowski, l’intégration secondaire s’accompagne nécessairement de longues périodes de désintégration, de conflits, de crises et de souffrance et, chez les individus particulièrement créatifs, de disharmonie, de nervosité voire de certaines formes de névroses que Dabrowski nomme psychonévroses (1970). Cette réorganisation ne serait pas d’abord cognitive ou intellectuelle mais belle et bien émotionnelle. La dénomination de « désintégration positive », qui peut paraitre au premier abord dissonante, présente l’avantage d’insister sur la direction positive du développement. Elle permet aussi de faire la distinction avec les désintégrations négatives de Jackson et de se démarquer des conceptualisations habituelles de la maladie mentales, ce qui en fait son originalité et son intérêt. La TDP définit 3 phases de désintégration : une désintégration initiale, dite « mononiveau » et 2 désintégrations dites « stratifiées », la 1ère dite spontanée et la 2è dite organisée. les conflits y sont dits « horizontaux » c’est-à-dire mettant en scène des conflits entre des pulsions, des caractéristiques et états émotionnels de même niveau. Ces conflits ne produisent pas de développement car ils ne permettent aucune « sortie par le haut » et souvent qu’une faible transformation ; ils n’aboutissent souvent qu’à une réintégration au niveau initial et, si ce n’est pas le cas, peuvent déboucher sur des crises sans issue conduisant à des passages à l’acte suicidaires ou à la psychose. Pour Dabrowski, le véritable développement passe par une forme de conflit qu’il nomme « vertical » entre les fonctions les plus basses et les plus élevées : c’est, selon lui, la « marque de fabrique » du développement. De façon ultime et de façon idéale, le développement culmine dans la mise en place d’une intégration qu’il nomme secondaire, basée sur l’auto-détermination. Dans « Ainsi parlait Zarathoustra », Nietzsche emprunte la métaphore du funambule pour nous dire que nous sommes le fil de celui-ci, le pont qui relie la condition animale à celle du Surhomme. Pour aller plus loin, nous devons emprunter cette corde, au risque de tomber dans le vide en dessous, pour tenter d’échapper à la condition animale. La foule rassemblée - 60 -

autour du funambule n’écoute pas Zarathoustra mais il nous alerte : « Toi, Surhomme, apprends ceci de moi : personne ici ne croit en ce Surhomme. Alors si tu veux t’adresser à eux, vas-y ! Mais la foule ferme les yeux et dit : « Nous sommes tous égaux » (Nietzsche, 1961). Nietzsche nous montre que les individus de cette foule ont accepté leur condition ainsi que leurs définitions collectives transmis par leur milieu culturel et social ; pour la foule, il n’existe pas de Surhomme ; tous sont égaux devant Dieu. C’est pourquoi Nietzsche a déclaré que Dieu est mort, permettant ainsi la résurrection et la libération du Surhomme, en lui permettant d’exercer son autonomie et de laisser s’exprimer son désir d’expression de ses potentiels les plus élevés : « Dieu est mort ; maintenant nous pouvons faire preuve de désir- et le Surhomme ainsi d’émerger » (Nietzsche, 1961). Malheureusement la foule autour de Zarathoustra réagit comme les prisonniers de la caverne de Platon avec le prisonnier « illuminé ». Il est considéré comme aliéné : « Je veux enseigner aux gens le sens de leur existence qui est ce Surhomme, l’éclair jaillissant de cet homme des ténèbres. Mais je suis toujours loin d’eux et ce que je veux leur dire n’atteint pas leur esprit » (Nietzsche, 1961). Les prisonniers de Platon comme la foule entourant Zarathoustra acceptent sans sens critique les idéaux de bien et de mal provenant des conventions culturelles et religieuses. Nietzsche nous demande de résister à cette soumission à la morale de l’esclave et de réfléchir par nous-mêmes. Au travers de Zarathoustra, il nous dit que le Surhomme doit dépasser son soi acculturé pour exercer son pouvoir dans une créativité spontanée et construire ainsi un véritable soi autonome. Les Surhommes dépassent ainsi le bien et le mal dans une réflexion profonde sur leurs instincts de base ; ils continuent en permanence à développer leurs propres valeurs de vie que l’on peut rapprocher de la hiérarchie de valeurs de Dabrowski. Il répond alors à ceux qui lui demandent le chemin … qu’il n’y a pas de chemin. Dans l’approche de Dabrowski, le cheminement vers le Surhomme requiert des changements d’ordre qualitatifs dans la façon de concevoir la vie ; l’ « ici et maintenant » prend une nouvelle perspective et la vie n’est plus vécue dans l’attente d’un avenir meilleur. Au contraire, chaque seconde d’existence est perçue et valorisée - 61 -

intrinsèquement dans sa contribution à l’existence entière. En éliminant Dieu, Nietzsche rend à l’être humain toute sa responsabilité de devenir juge de lui-même, de transcender et dépasser constamment son « vieux moi » et d’en créer un nouveau. Mais, comme Dabrowski plus tard, Nietzsche souligne bien le chaos et la difficulté suscité par la création de soi et nous invite à dépasser les « 7 diables » sur le chemin de notre développement. Cette volonté de récupération de pouvoir sur soi-même s’illustre à 2 stades dans le développement : la moralité sociale (ou 2è facteur de Dabrowski) est utilisée pour prendre le contrôle sur la nature, l’ « animal sauvage en nous » (ou 1er facteur) ; puis c’est la croissance de soi et le renforcement propre (3è facteur) qui permet de se développer librement hors des contraintes biologiques et sociales dans un dépassement de l’individu pour atteindre son idéal de personnalité ou niveau le plus élevé de lui-même, ou, comme le dit Nietzsche : « devenir la personne qu’il est » (1974). Cet idéal est endogène et non exogène : pas d’individu modèle à suivre car, comme le rappelle Nietzsche : « tous les idéaux sont dangereux » (1968). Toutefois, le modèle d’hommes exemplaires peut être inspirant dans l’initialisation d’un développement avancé mais le soi reste individualisé et personnel. D’ailleurs, Dabrowski réserve ce mot de « personnalité » uniquement à ceux qui ont atteint ce niveau de développement tout comme Nietzsche qui le fait correspondre au développement du Surhomme, rappelant que peu d’humains l’atteignent. Nietzsche, quant à lui, était inflexible sur le « but de l’humanité » qui s’illustrent dans les plus grands exemples de ces hommes qui se gouvernent et se créent euxmêmes en opposition aux individus-esclaves qui font partie de la meute. Comme Dabrowski et Jackson, Nietzsche fait état de ce potentiel individuel constitué de la complexité des émotions, de processus cognitifs riches et de volonté. Pour lui, comme pour Jackson et Dabrowski, plus le potentiel est riche plus l’individu est complexe. Il écrivait déjà : « les types les plus élevés montrent une complexité incomparable… ainsi la désintégration qui en résulte l’est aussi » et « Les formes de vie du type le plus bas et des membres de la meute sont plus simples et sont même virtuellement indestructibles » (Nietzsche, 1968). Pour lui, le besoin de désintégration est clair : - 62 -

« vous devez être prêt à bruler dans vos propres flammes car, comment pouvez-vous devenir neuf si vous n’avez pas été préalablement réduit en cendres ? » (Nietzsche, 1968). C’est un état d’extrême vulnérabilité et d’hypersensibilité (les surexcitabilités de Dabrowski) qui caractérise cette transition : « J’aime celui dont l’âme est suffisamment profonde dans sa capacité à être blessé et que la plus petite chose peut détruire ; malgré tout, il est heureux de traverser le pont » (Nietzsche, 1961). La graine doit mourir pour permettre à la plante de grandir. Nietzsche décrit une désintégration développementale générale et stratifiée, la souffrance conduisant à une séparation verticale qui permet au « héros » de se distinguer de la meute. Cette ascension conduit certes à la « noblesse » et, ultimement à la personnalité authentique de l’être humain, à l’atteinte de son moi idéal ; cependant elle rend l’humain solitaire, loin de la sécurité apportée par la masse et, pour ce philosophe, sans la compagnie de Dieu et son réconfort : « l’être philosophe est solitaire, non parce qu’il le souhaite mais parce qu’il trouve dans cette solitude quelque chose qui n’a pas d’équivalent ; tous ces dangers et ces souffrances qui lui ont été réservés » (Nietzsche, 1968). Le dépassement de cette solitude et de cette souffrance sont les traits-clés du Surhomme : « La souffrance et l’insatisfaction de nos besoins basiques sont une caractéristique positive car ces sensations créent une « agitation du sentiment de vie » et agissent comme un catalyseur de la vie » (Nietzsche, 1968). Le malheur, la tension et la souffrance doivent être endurés avec persévération, interprété et même exploité par l’âme pour cultiver force, inventivité et courage. En écho, Dabrowski écrit : « Nous ne sommes humains que parce que nous expérimentons la disharmonie inhérente au processus de désintégration » (1964) et « Tout processus créatif authentique consiste à perdre, diviser, écraser la réalité précédente. Tout conflit mental est associé à la rupture et la douleur ; tout pas vers l’existence authentique se combine avec chocs, chaos, souffrance, peine et détresse » (1973). Les manifestations physiques ont également une place majeure dans ce processus. Nietzsche en témoigne lorsqu’atteint de maladies longues et sérieuses tout au long de sa vie, il écrit : « je suis recon- 63 -

naissant aux maladies car elles nous débarrassent de certaines règles et de leurs préjudices » (1989). Comme Dabrowski le considère pour la maladie mentale, pour Nietzsche, la santé physique n’est pas une absence de maladie mais devient riche dans la façon dont l’individu y fait face, en fait sens pour transformer la maladie en autonomie. Ces approches diverses et convergentes rendent compte du processus complexe accompagné de phénomènes variés liés à ce que Dabrowski nomma la désintégration positive. Ils insistent tous sur le combat à mener dans l’affrontement au statu quo et l’anxiété, voire la peur même, qui en résultent. Chez Nietzsche comme chez Dabrowski, la création d’une échelle de valeurs personnelle à chacun ainsi qu’un idéal de soi sont nécessaires à cette évolution en devenant les guides de la croissance ; la désintégration devient l’élément central du développement humain. Même si les idées de Dabrowski peuvent paraitre – encore de nos jours- radicales aux yeux de la psychologie contemporaine, elles s’avèrent beaucoup plus utiles et moins radicales rapportées à la compréhension de développement psychologique, particulièrement dans le champ de la surdouance et de l’éducation des « intellectuellement précoces » comme le prouvent les travaux américains et canadiens récents. La TDP devient un nouveau paradigme pour la philosophie, la psychiatrie, la psychologie et l’éducation pour mieux comprendre le développement et la personnalité humaine. Nous allons voir maintenant les convergences et divergences de la TDP avec les courants psychologiques les plus connus : psychanalyse, approche centrée sur la personne de Rogers et les Big 5 plus connues aux USA que sur le continent européen. Influences, convergences et divergences avec les courants psychologiques du XXe siècle : La TDP de Dabrowski peut se comparer à d’autres théories de la personnalité, c’est-à-dire à toute tentative de décrire le développement humain d’un point de vue psychologique. Elle en diffère pourtant par 4 points essentiels et novateurs : • Les crises de vie font partie intégrante du développement et lui sont nécessaires - 64 -



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Le contraste dans la perception de la réalité entre les individus restés au niveau de l’intégration primaire et ceux qui se sont mis en route, qu’ils aient atteint l’intégration secondaire ou pas. La description du rôle du Potentiel de Développement comme inhibant ou promouvant à la fois le développement L’emphase mise sur l’aspect unique et authentique du développement de chaque individu vers son Idéal de Personnalité

La TDP s’inscrit dans le champ des théories humanistes de la personnalité et peut se rapprocher de certains travaux de Maslow ou Rogers avec toutefois un certain nombre de divergences. Elle s’inscrit également dans le champ des théories biologiques puisqu’elle considère que les SE font partie du système nerveux et qu’elle s’accorde avec la théorie de Jackson sur l’organisation stratifiée du système nerveux.

Sal Mendaglio, qui s’est intéressé à la TDP à partir de 1979 grâce à Michael Piechowski, continue avec d’autres à promouvoir et approfondir la TDP, notamment dans le champ de l’éducation des précoces. Il a étudié les divergences et convergences de la théorie de Dabrowski avec d’autres théories de la personnalité (Voir Dabrowski’s Theory of Positive Disintegration, 2008, p.249). Pour cette comparaison, il a choisi de retenir des théories largement connues et utilisées, s’appuyant lui-même sur les travaux de Maddi (1989) qui classifia les théories de la personnalité en 3 catégories : modèles du conflit, de l’accomplissement et de la cohérence. Le modèle des conflits postule 2 forces qui interagissent et produisent un conflit intérieur qu’on pourrait nommer « nature et éducation » ou - 65 -

encore « individu & société » et dont l’expression en Anglais est encore plus parlante : « Nature & Nurture ». Le conflit y est expérimenté de manière universelle et la vie y est considérée comme un compromis. L’individu doit s’efforcer d’établir un équilibre entre ces 2 forces ou nier l’une d’entre elles. Le modèle de l’accomplissement postule une seule force et le développement y est présenté comme un déploiement progressif de cette force à l’intérieur de l’individu. La seule motivation est l’actualisation des potentiels hérités dont l’accès peut être facilité ou empêché par la société. Le modèle de la cohérence ne postule aucune force présente dans l’individu et se focalise sur les réponses individuelles aux stimulations créées par l’environnement social dans la vie quotidienne. La motivation principale y est de maintenir la cohérence mais un feed-back incohérent en provenance de l’environnement peut créer chez l’individu un inconfort et, dans certaines circonstances, conduire au changement. Mendaglio fait rapidement le constat que la TDP n’entre dans aucune de ces catégories car elle postule 2 forces dans l’individu : biologie et environnement, nommés respectivement 1er et 2è facteur (1970). Le conflit y est omniprésent ce qui pourrait la rallier au modèle du conflit. Mais Dabrowski postule la présence d’une 3è force, le 3è facteur, force puissante interne d’autonomie qui prend racine dans les fondations biologiques de l’individu (1973) et, par cela, se rapproche du modèle de l’accomplissement de Maddi. Dans la TDP, les individus en cours de développement sont capables de noter les incohérences en eux et dans la société, la véritable personnalité étant, dans une large mesure, construite par des individus qui transcendent les influences du milieu social (1967). La TDP contient donc des éléments communs avec les modèles du conflit et de l’accomplissement. Comme Maddi, Mendaglio sélectionna la théorie de Freud pour sa comparaison ; entre Rogers et Maslow, il choisit Rogers pour les applications en psychothérapie car Dabrowski s’appuya lui-même sur son expérience psychothérapique pour bâtir et illustrer sa théorie. Il écarta d’autres théories beaucoup moins connues même si la psychologie existentielle (dont Yalom est un des représentants les plus - 66 -

connus) aurait pu être retenue sur les mêmes concepts clés tels que les valeurs, l’autonomie, l’authenticité et les émotions telles que l’anxiété et la dépression. Nous avons vu par ailleurs combien Dabrowski avait été influencé par la philosophie et notamment les travaux de Kierkegaard sur l’existentialisme. Mendaglio ajouta la théorie des « Big 5 », connue aussi sous le nom de « 5 factor model » très connu dans le monde anglo-saxon mais qui n’est pas une véritable théorie de la personnalité, plutôt une des approches les plus connues par son influence dans le mode psy. Mendaglio établit une comparaison de la TDP avec ces 3 approchesFreud, Rogers et Big 5- sur 4 axes que sont : la force biologique, la force sociale, la structure de la personnalité et les étapes de développement. En voici une synthèse sous forme de tableau récapitulatif :

Force biologique

Force sociale

Struct. de la person nalité

Etapes de développement

Les axes d’analyse (Bien que les étapes de développement de l’enfant selon Feud soient aujourd’hui plus que controversées un peu partout dans le monde, ce dernier reste incontournable en France, c’est pourquoi j’y fais référence).

Freud et Dabrowski décrivent une articulation d’étapes de développement, très différemment, avec un point commun : tous les individus ne traversent pas toutes les étapes. Chez Rogers pas d’étape mais une progression. Freud et Rogers l’abordent différemment. La TDP n’en décrit pas une structure mais des traits qui la constituent.

Pour Freud et la TDP, elle interagit avec la force biologique et produit le conflit chez l’individu. La nature du conflit est pourtant différente. Pas de force sociale chez Rogers : les conflits apparaissent mais ne sont ni inévitables ni nécessaires au développement de la personnalité. Commune aux 3 théories. Les instincts en sont une manifestation. Sine qua non au développement de la personnalité.

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Force biologique

Force sociale

Structure de la personnalité

Etapes de développement

1 Psychanalyse de Freud La théorie de la personnalité est basée sur l’instinct sexuel ; la gratification de cet instinct fait expérimenter à l’individu plus de conflits liés aux règles et lois édictées par la société. 4 stades psychosexuels associés à ce que ère Freud nomme les zones érogènes : oral (1 année de vie), anal (2è année de vie), phallique (de 3 à 5 ans, comprenant le complexe d’Œdipe)) et génital. Si le développement de l’enfant n’est pas stoppé à l’un des 3 1ers stades, il s’achemine alors vers le stade génital, apogée du développement de la personnalité, stade qui ne manque pas de conflit car il doit se soumettre aux tabous sociaux. Ca, Moi et Surmoi structurent la personnalité. Le Ca est dépositaire des instincts ; sans demande sociale, le Ca constituerait la totalité de la personnalité. C’est donc le processus de socialisation qui rend nécessaire la totalité de la personnalité freudienne. Le Moi est au service du Ca, fonction mentale qui devient consciente des lois et attentes sociales, dans le but restant de la gratification des pulsions. Le Moi va se muscler pour limiter la punition et défendre l’individu contre l’anxiété et la culpabilité qui pourraient en résulter. C’est par l’inhibition ou le déplacement des pulsions que l’individu apprend à éviter la punition. Des mécanismes de défense - comme le déni, la sublimation et la projection - vont se lever pour régler le conflit et éviter l’anxiété. Ces mécanismes sont inconscients. Le Surmoi est un processus mental différencié du Moi et comportent règles sociales et attentes intégrées par les enfants dans une série de valeurs permettant de classer en « bon » ou « mauvais » comportements et pensées. L’émergence du Surmoi signe l’apparition de la culpabilité, régulateur interne du comportement tandis que la punition est un régulateur externe. La société civilisée est essentielle au fonctionnement de l’humanité mais pose problème car les besoins instinctuels ne peuvent y être satisfaits en permanence. Son rôle est de créer un ordre dans le monde chaotique et dangereux des auto-gratifications. Une inhibition des pulsions se créé dès les 1ères années de vie via les parents et les 1ers agents de socialisation au travers d’instructions directives, de punitions ou de menaces qui apprennent l’autorégulation. La présentation la + détaillée. Les instincts sont sous-jacents dans la structure de la personnalité de Freud. Le maintien de l’homéostasie et leur gratification est le motivateur du comportement humain. Les instincts sont somatiques. La tension créée dans le corps par le manque doit être réduite. La source et l’énergie des instincts sont constantes tandis que les objets en sont variables et il peut y avoir substitution d’objets. 3 types d’instincts : de vie, sexuel et de mort, introduit + tardivement dans la théorie. C’est l’instinct sexuel qui confronte le plus l’être humain aux injonctions et attentes sociétales. Pas de contrôle ni de conscience dans cette partie de la personnalité. La société ne permet pas la réalisation de tous les besoins, créant frustration et colère mais aussi l’émergence d’autres composants de la personnalité - 68 -

Structure de la personnalité

Etapes de développement

2 Rogers Pas de stades de développement. Le point culminant est la personne pleinement opérationnelle qui a différencié son concept de soi, a développé les besoins de son self positif, qui a pu développer une mauvaise adaptation mais a su y remédier. Les besoins sont de nature universelle : respect, amour, chaleur dispensée par les autres. Le regard positif doit être inconditionnel, synonyme d’acceptation et d’estime, sans jugement ou évaluation de la personne et de ses comportements. La considération positive de soi est une extension intégrée du regard positif des autres. Sans cela, l’individu développe des comportements et se focalise sur des expériences qui attirent le regard positif des adultes et le processus devient subversif. Les valeurs ne sont pas produites par le processus de valeurs interne de l’organisme mais par l’externe- la société- l’opinion des autres. La capacité de l’individu à fonctionner efficacement et librement est altérée. Les expériences incohérentes avec le concept de soi son inconsciemment perçues comme menaçantes si elles ne sont pas symbolisées par la conscience ; elles peuvent alors venir fracasser l’organisation de l’individu en étant contraires à ses conditions de valorisation ; les défenses se lèvent pour contrer cela. La désorganisation est un état très sérieux causé par l’échec des défenses. L’anxiété apparait causée par le contraste entre le soi et la conscience de l’expérience. Rogers n’est pas optimiste par rapport au devenir des individus expérimentant une telle désorganisation. Il nomme « réintégration » le processus en 2 phases d’élimination des défenses et d’assimilation des expériences effrayantes dans le soi. Ce processus repose sur le feed-back d’autrui au travers notamment d’un regard positif inconditionnel et pas seulement par les efforts de l’individu. La personne fonctionnant parfaitement bien possède une structure du soi cohérente avec son expérience. Cet ajustement psychologique et cette maturité ne sont pas statiques : on parle de « personne en construction ». L’organisme est le substrat biologique de la personnalité, le lieu de l’expérience sine qua non à la personnalité en constitue un champ phénoménal dans lequel des sensations et perceptions spécifiques émergent continuellement. L’expérience n’est pas une accumulation de faits mais la symbolisation et la conscientisation d’évènements sensoriels qui peut être juste ou erronée. Cette dernière crée des difficultés psychologiques chez l’individu. L’auto-expérience est une portion des toutes les expériences qui se forme à partir de l’interaction avec des adultes qui comptent et devient le « self » ou le « concept de soi ».

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Force sociale Force biologique

La société n’est pas une force antagoniste. La tendance à l’autoactualisation de l’individu n’est pas antagoniste à l’actualisation des potentiels hérités d’autrui. Ce qui est bon pour l’un sera bon pour les autres. Mais l’environnement social a une influence significative sur l’actualisation et le développement de la personnalité qu’elle peut favoriser ou empêcher. Le problème émerge lorsque le besoin de l’enfant d’un regard positif et inconditionnel n’est pas répondu et qu’il n’est pas valorisé pour lui-même mais pour la qualité de ses actions ; il apprend alors à évaluer ses expériences/ actions à partir des valeurs/ attentes d’autrui plutôt qu’à partir de sa tendance actualisatrice. Son éducation doit traduire acceptation et respect. Evoquée + brièvement. Tendance biologique universelle des individus à l’actualisation de potentiels hérités pour servir, maintenir et faire croître l’organisme. Dépasse l’auto-préservation en incluant un mouvement de libération du contrôle social externe vers l’autonomie. Pour cela, besoin d’un regard inconditionnel et positif qui est primordial pour le développement de la personnalité dans un besoin d’acceptation. L’évaluation ne doit pas se faire sur la qualité du comportement.

Etapes de développement

3 TDP 5 niveaux de développement ; la progression à l’intérieur de ces niveaux n’est pas universelle ni linéaire. Une dotation constitutionnelle favorable est première au développement avancé et se reflète dans le potentiel de développement. La personnalité est atteinte au travers d’un processus de désintégration positive qui détruit l’organisation mentale originale pour se réintégrer à un niveau plus élevé de fonctionnement se produisant lors de l’intégration secondaire. Seule celle-ci est considérée comme positive pour la santé psychique. Contrairement à Freud et Rogers, la désintégration peut être positive. La vision de la psychopathologie y est différente : Freud et Rogers « traitent » la névrose alors que Dabrowski y voit un indice du potentiel de développement avancé. L’individu doit comprendre la contribution essentielle de sa souffrance à son développement. Niveau I : intégration primaire, besoin biologique, obéissance aux normes sociales. Comprend les individus très socialisés et les psychopathes. Niveau II : désintégration unilatérale, niveau de transition dont le haut niveau d’anxiété créé fait soit revenir au niveau de l’intégration primaire soit avancer vers le Niveau III : désintégration spontanée stratifiée. La destruction de l’organisation mentale est orchestrée par les dynamismes qui font partie du potentiel de développement. L’individu se confronte au conflit spontané entre « ce qui est » et « ce qui devrait être » sous la houlette des dynamismes. Niveau IV : désintégration organisée stratifiée, sous le contrôle de l’individu, 3è facteur, auto-éducation et auto-psychothérapie. Niveau V : réintégration, intégration secondaire, idéal de la personnalité.

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Structure de la personnalité Force sociale Force biologique

Tandis que l’universalité de la personnalité existe chez Freud et Rogers, la TDP la voit comme une réalisation rare. Cohérente et harmonieuse, elle se caractérise par des valeurs humaines très positives et comme le plus haut niveau de développement humain. Les individus qui l’atteignent sont conscients d’eux-mêmes, autonomes, authentiques et responsables d’eux-mêmes comme des autres ; ils peuvent apprendre par eux-mêmes et mener leur propre auto-psychothérapie. La personnalité est une constellation de traits présents dans les théories humanistes de la personnalité et celle de Rogers. Une différence majeure est que la TDP réserve l’appellation « personnalité » au plus haut niveau de fonctionnement humain et non comme un attribut de l’humanité entière. Elle n’est pas ailleurs pas statique car l’auto-amélioration continue guidée consciemment par l’individu et son système de valeurs. La TDP propose 2 forces qui produisent ou non du conflit : Nature et Education (Nature & Nurture). Certains vont expérimenter très peu de conflit car ils vivent comme des robots en réponse aux demandes de la société. D’autres vont l’expérimenter au travers de la différence perçue entre ce que la société devrait être et ce qu’elle est vraiment. Plus le potentiel de développement est grand, plus il y aura conflit. L’environnement social entre en jeu dans le développement pour ses niveaux intermédiaires. Comme chez Rogers, la socialisation des enfants doit être menée avec beaucoup de sensibilité en acceptant leurs SE et en nourrissant compétences et talents. Le but n’est pas d’obtenir des individus ajustés à la société qui n’est pas un indicateur de santé mentale. Mêmes instincts que Freud mais interprétés différemment. Rôle central dont auto-préservation, sexuel, développemental, de mort, créatif et auto-perfectionnement. Ces instincts doivent être non seulement satisfaits mais surtout transformés pour assurer l’intégrité de la personne, pas seulement sa survie biologique. Cette transformation, contrairement à Freud, est consciente et motivée par les valeurs de l’individu. Différenciation de l’instinct et du potentiel de développement qui, lui comprend dynamismes, SE et compétences particulières. Ce potentiel de développement se manifeste tôt dans la vie. Le niveau de développement varie beaucoup d’un individu à l’autre. L’instinct de mort se décompose en 2 : externe, il inclut agression, haine et désir d’infliger de la douleur à autrui ; interne, il donne lieu au suicide mais aussi à la destruction des aspects primaires de l’organisation mentale. Ce dernier est nommé instinct partiel de mort et contribue au développement de la personnalité. L’instinct de créativité et d’auto-perfectionnement n’apparaissent que chez certains sur leur chemin de développement avancé ; ils s’ancrent dans le biologique et sont évidents chez les individus dotés d’un fort potentiel de développement.

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4 Les « Big Five » Modélisation de « 5 facteurs », tirée d’une approche lexicale de la personnalité (Allport & Odbert, 1936) à partir de l’analyse de 18000 mots selon plusieurs catégories : traits de personnalité, état d’humeur et activités, jugements sur la conduite de la personnalité et réputation, caractéristiques physiques, compétences et talents. Catell (1959) en extrait 4500 traits et 35 variables, éliminant 99% de la liste initiale ; à partir de leur analyse factorielle, il isole 12 facteurs de personnalité qu’il inclut dans son questionnaire des 16 facteurs de personnalité. er Les Big 5 consistent en 5 traits de personnalité de 1 ordre ou facteurs : • Le névrotisme, qui consiste en anxiété, hostilité, dépression, conscience de soi, impulsivité et vulnérabilité. • L’extraversion : chaleur, grégarité, assertivité, activité, recherche d’excitation et d’émotions positives. • L’ouverture : la fantaisie, l’esthétique, les sentiments, actions, idées, valeurs. La capacité à être agréable par la confiance, droiture, altruisme, conformité, modestie et sensibilité. • La conscientisation : la compétence, l’ordre, le sens du devoir, le combat pour la réalisation, l’autodiscipline et la délibération. Ce n’est pas une théorie de la personnalité mais il existe des recoupements : l’extraversion fait partie des types de personnalité de Jung ; l’ouverture à l’expérience est l’une de caractéristiques de Rogers. Par rapport à la TDP : Dabrowski ne s’intéressait pas aux types psychologiques car la question pour lui se porte sur la transformation liée à des processus de sublimation et d’acquisition de nouveaux traits et quelquefois opposés à la polarité de la dotation constitutionnelle liée à des processus de sublimation et d’acquisition de nouveaux traits et quelquefois opposés à la polarité de la dotation constitutionnelle.

En conclusion, Mendaglio note que la TDP comporte de nombreux éléments communs avec ces théories tout en les redéfinissant et apportant ainsi un nouvel éclairage plus dynamique : • • • • •

Les instincts basiques doivent être transformés et non satisfaits Les prescriptions de l’environnement doivent être transcendées et non obéies Le conflit prend racines dans les valeurs de l’individu et n’est pas le produit de la frustration des besoins Les idéaux doivent être vécus et non vidés de leur substance Les symptômes névrotiques ne doivent pas être traités pour s’en débarrasser mais célébrés - 72 -

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Les traits de personnalité ne sont pas statiques mais dynamiques La TDP place valeurs et moralité sur les devants de la scène Le développement intervient lorsque l’individu évolue de sa forme primitive vers des formes plus évoluées

C’est bien d’une théorie de la personnalité radicalement nouvelle dont il s’agit. Elle nous invite à reconsidérer des hypothèses communément admises à propos de la personnalité et du développement, à adopter une vision plus créative et peut quelquefois venir nous déranger dans ce que nous pouvions considérer comme « vrai ». TDP et spiritualité : Laurence F. Nixon (Ph.D. chaire du dépt. Religion de Dawson College à Montréal), dans l’ouvrage collectif « Dabrowski’s Theory of Positive Disintegration « (2008), apporte une contribution concernant les similitudes entre les niveaux de développement de Dabrowski et les étapes du processus de développement mystique telles que décrites par des érudits du mysticisme de cultures très variées. Dans cette étude, il se concentre particulièrement sur les facteurs de personnalité et environnementaux qui orientent un individu vers une vocation mystique – le potentiel de développement (particulièrement les SE)puis sur les moyens déjà identifiés par Dabrowski (lectures mystiques, journal intime, méditation et ascétisme) rapportés dans les autobiographies de mystiques et utilisés lors du processus de désintégration stratifiée organisée. Laurence F. Nixon commence par étudier les convergences concernant les SE et plus particulièrement celles qui ont été identifiées comme les plus souvent présentes dans le processus de désintégration positive, à savoir émotionnelle, imaginative et intellectuelle. Pour illustrer la SE émotionnelle, Nixon se réfère à 2 exemples : le 1er est celui d’une nonne allemande du XIVe siècle, Margaret Ebner (1291-1351) dans son livre « les révélations » où elle écrit : Je me suis retirée du monde. Je ne pouvais plus supporter ni conversation ni visite de quiconque, à l’exception de mes sœurs (les autres nonnes). Je ne supportais aucun discours, sauf au sujet de Dieu. Il m’était devenu tellement - 73 -

intolérable d’entendre les ragots ou d’autres mots déplacés prononcés en ma présence que je me mettais à pleurer.

Cette détestation des conversations mondaines est commune dans de tels récits autobiographiques. Plus loin, Ebner traduit l’empathie qui la saisit pour ses pairs humains mais aussi les animaux : Lorsque j’entendis quelqu’un en colère dire à nos serveuses « vous ne méritez pas de nous servir », je ressentis la peine envahir mon cœur, je pleurais et pensais « Dieu ne m’a jamais dit que je ne méritais pas de le servir… » Je ne supportais pas l’abattage du bétail et, lorsque je voyais qu’ils allaient être abattus, je pleurais et me disais que Dieu ne m’avait pas abattue pour mes méfaits. J’avais de la compassion pour toute chose et de la véritable compassion pour chacun, je souffrais pour eux tous, peu importe de quelle souffrance il s’agissait.

Swami Paramahamsa Yogananda (1893-1952), sage hindou, démontre, lui aussi, une forte surexcitabilité émotionnelle dans un passage comme celui-ci : Je me rappellerai toujours l’impuissante humiliation de l’enfance. J’étais pleinement conscient d’être incapable de marcher et de m’exprimer librement. Des vagues de prière émergeaient en moi tandis que je prenais conscience de l’impuissance de mon corps. Ma vie émotionnelle intense s’exprimait mentalement en plusieurs langues (1973).

Plus tard, se remémorant ses réactions émotionnelles en tant qu’adulte, il écrit : er

Mon tempérament est dévotionnel. Il fut pour moi déconcertant en 1 lieu de voir que mon gourou, saturé de jnana (connaissance spirituelle) mais sevré de bhakti (dévotion) ne s’exprime qu’en termes spirituels mathématiques et froids.

Même si on peut être amené à douter des témoignages présents dans les autobiographies, les biographies nous livrent d’autres éléments qui concordent sur l’expérience de Yogananda. Par exemple, Sananda Lal Gosh, proche de Yogananda raconte dans la biographie qu’il lui consacre l’extrême réaction émotionnelle de celui-ci à la mort de ses poissons rouges, lorsqu’il n’était encore qu’un petit enfant. Nixon illustre la SE imaginative par les exemples de Sainte Thérèse de Lisieux (1873-1897), d’une nonne bouddhiste zen, Satomi Myodo (1896-1978) et d’un célèbre Rinzaï Zen, Maître Hakuin Ekaky (16861769). Sainte Thérèse de Lisieux était dotée d’une excellente mémoire vi- 74 -

suelle qui lui permettait de mémoriser si intensément les souvenirs les plus anciens qu’elle pouvait avoir l’impression que les faits s’étaient produits la veille. Sa SE imaginative se manifestait également par sa capacité à raconter des histoires pleines de fantaisie : [Enfant], j’aimais raconter des histoires comme elles me venaient à l’esprit et mes camarades se plaisaient à se regrouper autour de moi pour les écouter… Cela a perduré longtemps encore et je m’appliquais à ce qu’elles soient toujours plus intéressantes, tant j’aimais percevoir les impressions qu’elles produisaient et les manifestations sur les visages.

Cette créativité a certainement prédisposé Thérèse à un engagement vers une lecture à teneur spirituelle et à la méditation, « outils » de développement psycho-spirituels. Satomi Myodo fait montre d’une double SE visuelle et auditive. Elle le relate dans sa description de sa réaction à la séparation de son mari : ère

Ma 1 hallucination se produisit lorsque le père de mes enfants me quitta… Je venais de terminer mon travail (aux champs) et me sentais très fatiguée ; je m’assis donc sur une meule de paille. Avant que je puisse être consciente de ce qui se produisait, je plongeais dans un état de transe… Soudain, de nulle part, surgit une voix grave qui m’appela par mon prénom : « Matsuno, Matsuno ! ». Je clignais des yeux et entendis de nouveau la voix me dire : « regarde par ici ! ». Je risquais un coup d’œil et… comme c’est étrange…un moment plus tôt, je voyais un champ poussiéreux et maintenant il était rempli de pois en fleurs. Je regardais plus précisément et… ce champ était recouvert de chenilles vertes… « Le monde humain est attaqué tout comme ce champ » fut le message simultané de la voix rejointe par ma propre intuition. Et puis « pop ! ». Le champ de pois disparut pour faire place à une forêt très dense.

La séparation d’avec son mari a certainement déclenché, chez Satomi, une phase de « maladie mentale » comme en témoigne le passage suivant, mais elle lui suggéra un idéal transcendant qui prit ensuite forme d’un idéal de personnalité comme le nomme Dabrowski : Depuis le départ de mon mari et pendant 2 ans, je fus dans un état mental spirituellement étrange. S’agissait-il d’un mysticisme bizarre ? Etait-ce de la démence ? Souvent, bien que me sentant dans mon corps, je m’envolais audessus du monde et de l’humanité et me dirigeais vers ce monde lointain de l’éternité sans commencement. Là, je me retrouvais enveloppée dans le cœur de Dieu. Je perdais ma forme et ne faisais plus qu’un avec Dieu, une petite lumière solitaire qui brillait tranquillement, oui très tranquillement. C’était un aboutissement indescriptible, plein de grâce. Cet état a perduré jusqu’à me retrouver dans le vide absolu et sombrer dans l’inconscience. De - 75 -

cet état, je continuais à avancer jusqu’à ce que les hallucinations reviennent.

Relire ce témoignage à la lumière de la TDP met en lumière les dynamismes à l’œuvre et permet de comprendre ce que Dabrowski nomme la Désintégration Positive stratifiée organisée. Les SE émotionnelle et imaginative y concourent toutes deux. Hakuin illustre, lui aussi cette forme de désintégration positive à un âge précoce dans le passage suivant : Lorsque j’eus 7 ou 8 ans, ma mère m’emmena au Temple pour écouter un sermon sur l’Enfer… De retour à la maison, je pris conscience des actes de ma courte vie et me dis que je n’avais aucune chance d’y échapper. Cela me mit la chair de poule et je ne savais quoi faire. En secret, je pris un chapitre du Canon du Sutra du Motus et du Dharani de la Grande Compassion et me le récitais jour et nuit. Un jour que je prenais mon bain, ma mère demanda à réchauffer l’eau et la domestique ajouta du bois au feu. Petit à petit, ma peau se mit à me piquer sous l’effet de la chaleur et le chaudron en fonte commença à gargouiller. Soudain, je me remémorais la description de l’enfer que j’avais entendue et me mis à crier dans un cri de terreur qui fut entendu dans tout le voisinage. De ce jour, je décidais de devenir moine.

La grande terreur éprouvée par ce jeune enfant rappelle les terreurs similaires, mal comprises, vécues par les enfants précoces. La SE intellectuelle s’illustre souvent dans une quête de sens, la tentative de satisfaire un intérêt spirituel ou philosophique, la recherche d’un maitre spirituel ou le recours à la méditation. Dans son ouvrage de 1999, Nixon illustre ceci par différents cas parmi lesquels celui d’Irina Starr, mystique chrétienne du XXe siècle, de Ram Chandra, yogi hindou (1899-1983) et d’un érudit célèbre, praticien du Bouddhisme Zen, D.T. Suzuki (1870-1966). Irina Starr témoigne de son intérêt précoce pour la philosophie et la religion, dans une tentative de nourrir sa curiosité intellectuelle : Il semble qu'il n'y ait pas eu de moment où je ne lisais pas, même précocement (à l’âge de 2 ans), je lisais tout ce qui me tombait dans les mains, mais ce qui m’intéressait le plus étaient les livres de philosophie, ou ceux traitant de religion ésotérique de la bibliothèque de ma mère.

Ram Chandra témoigne également d’une recherche métaphysique précoce sur la Réalité : son besoin cognitif fut dans un 1er temps comblé par la lecture de l’un des plus grands classiques de la spiritualité hindoue, la Baghavad Ghîta. Puis il choisit d’autres textes philoso- 76 -

phiques et, une fois adulte, se mit en quête d’un maître spirituel qui lui enseigna et lui transmit les instructions pratiques afin de le guider dans sa vie spirituelle : Depuis mes 9 ans, je ressentais une sorte de soif pour la Réalité mais cela me laissait confus et perplexe, un peu comme un homme en train de se noyer. Je commençais alors à lire la Baghavad Ghîta mais cela ne me transmit pas ce que je recherchais… Plus tard, je m’intéressais à la philosophie et commençais à réfléchir aux problèmes posés à ma propre manière. Ce n’est qu’à l’âge de 15, 16 ans que je commençais à lire des livres de philosophie.

Chez D.T.Suzuki, la recherche fut amorcée et provoquée par le décès de son père lorsqu’il avait 6 ans et qu’il fut conduit à se demander pourquoi il était amené à vivre une telle fatalité : Perdre son père à cette époque était peut-être encore plus difficile qu’aujourd’hui car tout reposait sur lui… l’éducation et la situation sociale pour la vie d’adulte. Tout cela, je l’avais perdu et à 17, 18 ans cette malchance me fit poser des questions sur mon karma. Pourquoi avais-je subi ces difficultés aussi jeune ? Mes pensées m’ont ensuite conduit vers la philosophie et la religion et, comme ma famille faisait partie de la secte Zen Rinzaï, il fut naturel pour moi de me diriger vers le Temple Rinzaï de Kananzawa et me renseigner sur le Zen auprès d’un prêtre. Mais comme beaucoup de prêtres Zen des temples de la campagne de cette époque, il ne savait pas grand-chose… J’avais l’habitude de discuter philosophie et religion avec les autres élèves de mon âge et je me rappelle m’être toujours demandé quelle était l’origine de la pluie… A cette époque, un nouveau professeur arriva dans mon école. Il enseignait les mathématiques… Mais il s’intéressait aussi au Zen… Il fit de son mieux pour que nous nous y intéressions aussi et distribua des copies de travail de Hakuin Zenshi « Orategama » (lettres écrites par Maitre Hakuin à destination de ses élèves). Je ne comprenais pas grand-chose mais, comme cela m’intéressait beaucoup, je me mis en quête d’un maitre…

Par son expérience précoce de la mort qui stimula une SE intellectuelle déjà présente, Suzuki donne du sens à son expérience, ce qui lui permettra ensuite de se lancer dans la pratique méditative. Cette même pratique méditative apporta les réponses souhaitées à l’activiste de la paix du XXe siècle, Peace Pilgrim (cf. infra), connue pour ses marches pour la paix dans le continent nord-américain. Cette pratique lui apporta une série de révélations qui l’amena à consacrer sa vie à des buts plus élevés et au développement supérieur de sa propre personnalité : - 77 -

A la fin du lycée, je me mis en quête de Dieu, mais mes efforts ne me menèrent nulle part… Qu’est-ce-que Dieu ? Qu’est-ce-que Dieu ? J’étais très insistante dans mon questionnement et je posais cette question à beaucoup de gens mais je n’obtenais pas de réponse ! Mais je n’allais pas abandonner comme cela. Je ne pouvais trouver Dieu à l’extérieur de moi, intellectuellement, alors j’essayais une nouvelle approche. Je fis une longue promenade avec mon chien et méditais sur la question. Puis j’allais au lit et dormis làdessus. Et le matin, je me réveillais et obtenais ma réponse depuis l’intérieur par le biais d’une petite voix très posée (1991).

Ce fut par une méditation intérieure que Peace Pilgrim trouva la réponse à ses questions ; la série de révélations qui s’ensuivit l’amena à consacrer sa vie à des buts élevés et au développement de sa personnalité. Nixon examine ensuite plusieurs composants du développement mystique qui font écho directement ou indirectement avec ce que Dabrowski décrit dans sa TDP : le rôle d’éléments extérieurs tout d’abord jugés comme négatifs (comme le décès), la crise ou l’expérience mystique comme illustration d’une désintégration positive, l’attirance pour des pratiques comme la lecture de biographies de mystiques, la méditation ou l’ascétisme, le rôle d’un guide spirituel dans cette déconstruction positive, autant d’éléments dont témoignent de nombreux mystiques dans leurs autobiographies. Pour Dabrowski, les conditions environnementales sont aussi importantes que la présence de SE dans la transformation psychique interne. Si la plupart des gens admettent facilement l’impact de conditions favorables dans le développement, ils sont moins enclins à comprendre l’inverse : l’impact positif de conditions apparemment défavorables. La TDP, paradoxale jusque dans son nom, considère que la désintégration de la personnalité est positive, tout comme la maladaptation sociale et la psychonévrose, tous considérés comme des catalyseurs de développement. Dabrowski écrit : L’auteur voudrait insister sur le fait que, selon lui, de telles transformations [psychiques] ne peuvent intervenir dans la sécurité totale ni lorsque les besoins basiques sont satisfaits. Pour développer les besoins et les émotions les plus élevés, il est nécessaire de vivre des frustrations partielles, des conflits intérieurs, un déficit sur certains besoins basiques, bref des difficultés… Pour rompre nos liens avec la banalité, les sens, la facilité qui nous rendent - 78 -

égoïste, individualiste, il est nécessaire de vivre la tristesse, le deuil, la dépression, les hésitations, la solitude, la conscience de la mort et toute autre expérience douloureuse… Cela signifie que, alors même que nous satisfaisons nos besoins primaires, il doit rester de l’insatisfaction afin de laisser place aux conditions nécessaires à la réalisation de l’Humain authentique, dans lequel peut alors apparaitre et mûrir la conscience et la sensibilité du sens de la vie, les préoccupations existentielles et transcendantes, une hiérarchie de valeurs, l’intuition et même la contemplation. Les expériences désagréables, surtout le choc existentiel et l’anxiété, aident à la croissance de la sensibilité, au développement de soi et des autres. Cela ne veut pas dire qu’un développement positif ne peut émerger d’expériences agréables ou de bonheur intense, qu’elles soient passées, présentes ou futures. Nous insistons particulièrement sur le rôle créatif des expériences « négatives » car elles sont souvent ignorées ou incomprises (1970).

Contrairement à Maslow, pour Dabrowski, les évènements négatifs de vie et les frustrations sont des occasions de grandir et ce sont les individus munis de SE qui tirent le mieux parti de conditions environnementales négatives comme celle du décès d’un proche. Dabrowski en témoigne : Une personne normale ne souffrira que d’une douleur légère à la mort d’une personne proche et cela ne lui laissera qu’une empreinte superficielle. Il n’en est pas de même pour les psychasthéniques ou les neurasthéniques, enclins à une analyse exagérée, à des phobies ou à la dépression, « se battant pour des idéaux et ayant le mal du pays de l’éternité » (1937).

C’est la combinaison des SE avec les expériences de perte qui, pour Dabrowski conduisent aux dynamismes autocritiques et aux idéaux présents dans une désintégration positive spontanée. Dans ce contexte, la crise mystique peut être considérée comme l’expression d’une désintégration stratifiée spontanée, une crise globale et durable de conscience qui peut durer plusieurs années ; celleci va permettre l’émergence d’une hiérarchie de valeurs, du contraste entre « ce qui devrait être » et « ce qui est ». Nixon en cite 2 exemples issus de 2 cultures religieuses différentes : tout d’abord celui de LinZhaoen (1517-1598) membre de la dynastie Ming, sage et mystique, dont la spiritualité est la résultante d’une combinaison entre Taoïsme, Bouddhisme et Néoconfucianisme : - 79 -

Lorsque je révisais mes examens, j'écrivis 2 essais : « Garder le cap » et « Suspendu à un fil ». A cette époque, tout le monde s’accordait à dire que mes écrits transcrivaient bien les préceptes énoncés chez Yao, Shun et Confucius. Moi aussi je me réjouissais de cela. Une année ou 2 plus tard, je pris conscience que lorsque j’essayais de les incarner, je n’en comprenais pas un traître mot. Mes mots reflétaient à peine ceux des Anciens. Je ne faisais pas que les trahir : je me trahissais moi-même. Me le reprochant amèrement, j’abandonnais mes examens et me consacrait à la voie des Sages et des Valeureux, bien déterminé à la faire mienne, dans mon âme et dans mes actes. Comment pourrais-je me permettre de répéter des mots sans sens pour moi ?

Le 2è exemple est celui de Sayyid Haydar Amuli (1319-1385), mystique musulman qui abandonna une brillante carrière au service d’un homme de loi iranien Fakhr Al-Dawlh pour poursuivre une transformation personnelle au travers du soufisme : Je venais de prendre mes fonctions au service [du juge iranien]. Ce n’était pas très longtemps après… j’avais atteint une belle position sociale et une richesse difficile à imaginer. J’étais parti pour vivre une vie de luxe, de prospérité et d’honneurs dans la vie mondaine avec mes amis et collègues de la ville. Je passais ainsi quelques temps, jusqu’à ce qu’un désir à la fois instinctif et naturel commence à émerger en moi et Allah me fit prendre conscience du Diable et de la corruption qui croissaient en moi dans mon ignorance et mon oubli de lui. Il me devint évident que je suivais un chemin fait de perversité, loin du chemin droit de la foi ; il me devint évident que je suivais le chemin de la perdition, proche du précipice du pécher et du crime. C’est à ce moment que je me mis à prier Dieu très profondément à l’intérieur de moimême ; je le priais de me libérer de mes actions- tous mes désirs et mes passions étaient orientées vers le monde et ses plaisirs. Je sentis en moi que je pouvais désormais m’orienter vers le réel et me diriger vers le chemin de Tawhid (l’Unité divine).

L’expérience mystique est appelée « extase » par Dabrowski ; il la définit comme « une absorption extrême de l’attention résultant d’une semi-transe, conséquence d’une intense contemplation d’un champ limité ; un état caractéristique des expériences mystiques » (1972). Ces expériences ont différentes fonctions : selon le niveau de développement dans lequel se situe l’individu, elles pourront être désintégratives ou intégratives. Nixon en cite un exemple, celui de ce mystique Hassidique du XIXe siècle, Isaak Eizik Komarno (1806-1874) : - 80 -

Je m’isolais du monde totalement. Cela se passa en 1823, au début de l’hiver. J’étais habitué à ne dormir que 2 heures par jour, passant le reste de la journée à étudier la Torah, le Talmud, le Code des Lois, le Zohar, les écrits de mon Maître (Isaac Luria) et les travaux du Rabin Moses Cordobera. Mais après toutes ces étapes, je retombais dans l’exiguïté de mon âme. De nombreuses forces démoniaques dures (Kelippot) se levèrent contre moi et me dissuadèrent d’étudier le Torah. Le pire de tout était cet état de mélancolie dans lequel j’étais précipité. Et mon cœur était dur comme un roc. Pendant cette période, le seul plaisir que je m’accordais était de boire un peu d’eau et de manger un morceau de pain par jour. Je n’avais aucun plaisir ni à l’étude de la Torah ni des prières que je récitais. La froideur et les forces démoniaques extrêmement puissantes qui m’étreignaient me tenaient en équilibre entre 2 chemins, dépendant de celui que j’allais choisir. Il y avait aussi beaucoup d’amertume, 1000 fois plus profonde que la mort ellemême. Mais, une fois que j’eus dépassé tout cela, tout-à-coup, une grande lumière m’envahit. A partir de ce moment, je me mis au service du Créateur de toutes choses avec un émerveillement invariant. Tout cela n’avait plus de prise sur moi. Après coup, je réfléchis de nouveau et réalisais que ma voie était de suivre ces Saints qui me conduiraient vers la Lumière… qui m’envelopperaient jusqu’à ce que je dispose des outils nécessaires pour l’intégrer.

Dans cet extrait, on peut remarquer le lien qui existe entre l’étude méditative de textes mystiques, l’ascétisme et l’expérience mystique. Ces trois éléments génèrent, comme le disait Dabrowski, « une énergie immense et grandissante pour permettre de gagner un contrôle plus puissant sur la nature instinctive ». En cela, il abordait la relation entre expérience mystique et son concept d’idéal de la personnalité : L’idéal de la personnalité agit comme une force de transposition vers la réalité idéale que l’individu atteint seulement par une véritable empathie, la contemplation mystique et l’extase, une réalité libre de tout égoïsme et des actions et préoccupations égocentriques. C’est la réalité de l’idéal, de la créativité et du perfectionnement de soi-même, à la frontière de la transcendance. Le centre de gravité se déplace vers des valeurs plus élevées et des idéaux qui représentent de façon équivalente les réalités objectives et subjectives et dote la transcendance de pragmatisme (1996).

Nixon cite un deuxième exemple en la personne de Flora Courtois, Américaine du XXe siècle et pratiquante du Bouddhisme, dans la révélation d’un idéal de personnalité transcendant : - 81 -

Me sentant centrée comme je ne l’avais jamais été, je savais que l’Univers tout entier était en chaque point. Ayant plongé au sein du vide, ayant perdu toute nécessité dans son ancien sens, je ne m’étais jamais sentie aussi dense, claire et décidée. Libérée de la séparation, me sentant une avec l’Univers, tout, y compris moi-même, était devenu à la fois unique et équivalent. Si Dieu est le nom donné pour décrire cette Présence dans laquelle je m’absorbais, alors tout était saint ou néant ; aucune distinction n’était possible. Tout était plein de sens, complet ainsi, chaque oiseau, bourgeon, libellule, atome, cristal avait sa propre importance. Comme les notes d’une grande symphonie, rien n’était petit ou grand, n’avait plus ou moins d’importance. Je voyais maintenant que la Sainteté et le Tout ne faisaient qu’un seul (1986).

Autobiographies de mystiques et TDP se répondent dans la compréhension du développement de la personnalité : les 1ères fournissent des données supplémentaires pour une meilleure compréhension du développement de la personnalité tandis que la 2nde est utile dans l’identification des caractéristiques des prédispositions communes des mystiques de toutes époques, dans la compréhension du développement mystique au travers des différents stades de la personnalité. D’ailleurs, Dabrowski se réfère souvent à tous les moyens de développement également mentionnés dans les autobiographies des mystiques, quelques soient les traditions et les époques pour inventorier les moyens de développement de la personnalité. La méditation fut pratiquée par Dabrowski toute sa vie dont on peut considérer qu’elle illustre bien tout le processus décrit dans sa Théorie de la Désintégration Positive. Dabrowski note au sujet de la solitude vécue au niveau III (Désintégration Positive Spontanée Stratifiée) « un besoin accru de réflexion, de méditation et de contemplation augmentent le besoin de solitude comme une condition nécessaire au développement des dynamismes de la désintégration stratifiée ». Il note également : ... un détournement graduel des formes externes de réussite. Il y a comme un transfert de charge vers la réussite morale, altruiste et créative. Les formes plus viles de réussite sont reniées pour de plus valeureuses. Quelquefois, il peut même se produire une élimination par à-coups des plus basses formes en tentant d’atteindre en force un idéal. Cela se remarque dans les formes initiales de générosité et de sacrifice de soi. Puis cela peut prendre la forme d’ascétisme et de renoncement à la vie mondaine. Le sens de la réus- 82 -

site se développe dans l’ascétisme et la contemplation.

Et : Il est bien connu que la méditation apporte une paix intérieure, une calme conscience de ses propres faiblesses, un équilibre dans ce qui a été atteint au milieu des luttes de la vie. Ce calme intérieur peut être considéré comme une inhibition méditative qui renforce nos réalisations. A de rares moments, certains pourront même atteindre les très hauts niveaux de réalité. Dans de tels moments, apparaissent de nouvelles visions qui nous stimulent dans notre ascension. Cette stimulation, résultat immédiat de l’expérience, est pleine de tension positive et sereine. Il s’agit d’une calme excitation « venue du dessus ». Nous pouvons nommer cela une excitation contemplative.

Ailleurs, Dabrowski explicite ce qu’il entend par réalité supérieure : La réalité d’un niveau supérieur s’exprime dans les conceptions philosophiques du développement, les expériences existentielles, le véritable mysticisme, la contemplation et l’extase. Au plus haut niveau, il ne s’agit plus de relations objectales ou psychosociales mais de la réalité de l’idéal. C’est le seuil d’une réalité transcendante qui se découvre à l’occasion d’une ère 1 expérience.

Nixon cite 2 exemples d'utilisation de la méditation d'une part dans une phase de Désintégration Spontanée Stratifiée (Niveau III) puis dans une phase d’Intégration Secondaire (Niveau V) : Le 1er, celui que Swami Purohit rapporte dans sa biographie comment le résultat de sa pratique méditative donna naissance à l’expérimentation des dynamismes de la Désintégration Positive Spontanée Stratifiée : Je me mis à la pratique de postures de yoga et pris des cours de méditation. Je dormais toujours sur un matelas d’herbes sans oreiller, prenais 2 à 3 bains par jour, allais au Temple, répétais le nom de Dieu même en société, essayant de garder mon esprit focalisé sur la seule pensée de Dieu. Ma conscience devint très sensible et me rendit lucide sur mes défauts. Je savais que j’allais devoir escalader les pentes de l’Himalaya et essayer de m’équiper de toute ma force afin de me qualifier pour la tâche qui m’attendait. (1932).

Le 2nd est celui rapporté par Gao Panlong de la Dynastie Ming (15321626) : Le jour suivant, sur le bateau, je fixais de mon regard le mat et mis en place des règles et consignes. Pendant la moitié de la journée, je pratiquais l’assise silencieuse tandis que pendant l’autre moitié, j’étudiais. Pendant l’assise silencieuse, je n’utilisais aucune méthode particulière mais suivait les méthodes Ch’eng et Ch’u dont on m’avait parlé en général, en les pratiquant - 83 -

une par une : avec intégrité et révérence considère la quiétude comme fondamentale, observe la joie, la peine et le bonheur avant qu’ils ne se manifestent, assis en silence, purifie ton esprit, réalise en toi-même le principe du Paradis. Tandis que je me tenais debout ou assis en train de manger ou de me reposer, ces pensées étaient continuellement présentes à mon esprit. La nuit tombée, je ne me déshabillais pas et ne m’endormais que lorsque j’étais épuisé. Dès le réveil, je retournais m’asseoir, répétant et alternant ces pratiques. Lorsque la matière de mon esprit était claire et en paix, il y avait ce ressenti d’habiter la Paradis et la Terre, mais cela ne durait pas.

Toutes les traditions mystiques et leurs représentants, nous l’avons vu, se rejoignent pour adopter différentes pratiques comme la méditation mais aussi l’ascétisme. La particularité de Dabrowski est de reconnaitre la valeur thérapeutique de telles pratiques qui n’étaient pas encore à la mode en son temps : même si l’on admet facilement que l’ascétisme fasse partie de la vie d’un sportif, un musicien, un danseur, l’idée que le développement de la personnalité nécessite certaines formes de sacrifice et d’oubli de soi n’est toujours pas répandue dans le champ des théories de la personnalité. Dabrowski y voyait, en complément de l’action de frustrations, de l’insécurité et des pertes un puissant moyen pour provoquer les conditions nécessaires à une Désintégration Stratifiée Organisée (Niveau IV) et une Intégration Secondaire : Dans le monde des valeurs culturelles, le sacrifice joue un rôle moteur… la souffrance et même la mort peuvent provoquer une nouvelle naissance et des valeurs plus élevées… Les expériences difficiles ne dissolvent pas nécessairement la vie psychique. Le jeûne, le contrôle de soi et l’ascétisme créent une résistance, renforcent la vigilance, augmentent la mobilisation pour entrer dans une lutte consciente, nous rendre sensible à la souffrance d’autrui, nous éveiller à une nouvelle conscience et créer une brèche dans notre attitude égocentrique par rapport au monde extérieur (1967).

L’ascétisme devient dans l’esprit de Dabrowski comme l‘instinct de la mort partielle ; il explique son rôle-clé dans l’élimination des structures les plus basse de la personnalité : Nous pouvons observer le rôle d’un instinct de mort partielle comme facteur de développement. C’est un programme conscient et délibéré de destruction des structures les plus basses de la personnalité. Pour atteindre cela, l’activité désintégratrice de certains dynamismes (tel que le rejet provoqué - 84 -

par le 3è facteur) peut s’accroitre afin de détruire les structures résiduelles des niveaux primitifs contenues dans le milieu psychique interne. Cela pourra prendre la forme d’ascétisme, d’oubli d’ambitions personnelles pour servir autrui et de frustrations délibérées et volontaires pour le besoin d’autrui (Dabrowski & Piechowski, 1977).

Dabrowski est familier des vies mystiques ; dans les études biographiques à l’origine de son travail sur la TDP (qui incluaient des personnalités comme Antoine de St Exupéry, Eleanor Roosevelt…) il intègre notamment l’étude de la vie de Saint Augustin de Hippo lorsqu’il discute de l’ascétisme comme permettant la mise en place de dynamismes développementaux et illustrant les fonctions développementales à l’œuvre. On a trop souvent tendance à envisager l’ascétisme dans sa version la plus sévère ; Nixon cite l’exemple d’un hindou, Gopi Krishna (1903-1984), à l’ascétisme plus modéré : … Je mis un point d’honneur à imposer ma volonté dans toutes choses, en commençant par les plus petites puis en élargissant aux aspects plus larges et plus complexes, m’imposant la pénitence par des tâches rigoureuses et pénibles, face auxquelles mon amour de la facilité se révoltait, consterné, jusqu’à ce que je sente une maitrise de moi-même, comme une conviction croissante que je ne pourrais plus redevenir une proie facile pour les tentations.

Les mentors, conseillers spirituels ou gourous sont souvent cités dans les écrits mystiques. Nixon en cite là encore des nombreux exemples et dans toutes les cultures, parmi lesquels celui de Parahamsa Yogananda (1893-1952), auteur de « Autobiographie d’un yogi » : Mon Gourou était très critique vis-à-vis de ses disciples… Il ne montrait aucune indulgence à ceux qui, comme moi, venaient à lui pour devenir disciple… Il parlait toujours clairement et réprimandait sévèrement…. Mais ma résolution était forte de laisser Shri Yukteswar « repasser les plis de ma vanité » … Je lui suis incommensurablement reconnaissant pour la façon dont il a fait voler en éclats ma vanité… le cœur de l’égocentrisme est difficile à déloger sauf par la rudesse. Après son départ, Dieu a trouvé sa voie sans obstruction. C’était l’habitude du Maitre de pointer les moindres imperfections négligeables avec un air de gravité sinistre… Le Maitre continuait à me disséquer quand et où il le choisissait… Après que j’eus abandonné toute rancœur, je ressentais moins l’impact de ma chasteté. D’une façon très subtile, le Maitre « fondait » dans une sorte de clémence. Et puis, je finis par démolir chaque mur de rationalisation et de réserve subconsciente derrière lesquels se réfugient généralement les humains. - 85 -

L’accompagnement de Shri Yukteswar semble suivre le même modèle en 2 étapes que celui recommandé par Dabrowski : la 1ère dans laquelle il s’agit de déloger et détruire l’égo et où l’individu a besoin d’être défié en permanence et la 2nde où l’individu reprend les rênes et assume la responsabilité de son propre développement muni de sa hiérarchie de valeurs et du 3è facteur. Toutefois, Dabrowski, témoin dans sa pratique clinique de l’extrême vulnérabilité de ses patients, qui peut aller jusqu’à l’idéation suicidaire, recommande d’autres moyens pour accompagner cette phase critique : écrire un journal « en insistant sur la réalisation de ses décisions propres et en notant ses succès dans le champ du développement de la personnalité (1967), « se recharger dans la nature » … Tous les éléments que nous venons de décrire et que l’on retrouve dans une majorité de parcours et de témoignages de mystiques sont autant de repères dans le parcours initiatique de la Désintégration Positive et du vécu, souvent à peine avouable de certains « hauts potentiels ».

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Chapitre 4 : La TDP : une vision révolutionnaire de la santé mentale et des risques de diagnostic erroné chez le précoce Entrer dans le paradigme de la TDP et dans sa vision dynamique de la construction de la personnalité nécessite de « faire un pas de côté » sur la compréhension de la santé mentale et son acception ordinaire. C’est aussi se munir de clés de compréhension différentes dans le domaine de la surdouance qui permettent un autre type de travail en psychothérapie et dans le domaine de l’éducation. Dans les premières années de son travail, Dabrowski a beaucoup insisté sur le besoin de réévaluer les fonctions autres que la capacité intellectuelle, évaluée par le Quotient Intellectuel (QI) pour tenter de mettre au point une définition, certes plus complexe, de ce qu’est l’être humain et de ses aspirations. Il est partisan d’une étude en profondeur de l’intelligence émotionnelle, terme encore peu répandu dans les années 60. Comme pour les capacités intellectuelles, Dabrowski a l’intuition qu’il existe différents niveaux de fonctionnement émotionnel, bien que plus difficiles à définir et évaluer mais tout aussi observables. Il pense qu’un bas niveau de fonctionnement émotionnel correspond au déterminisme biologique. En effet, nos comportements comme la façon dont nous répondons à notre environnement sont largement le produit du déterminisme biologique. A l’inverse, un niveau élevé de fonctionnement émotionnel nous permettrait d’exercer un autocontrôle et une auto-détermination dans nos réponses, nos attitudes et notre psychologie. Pour Dabrowski, il est clair que la psychologie ne peut établir une norme statistique de la santé mentale comme cela pouvait se faire dans l’établissement d’un QI. Il est ensuite amené à se questionner sur ce qu’est réellement la santé mentale et compare son point de vue à celui d’Hertherington qui la définissait comme « un haut degré - 87 -

d’intégrité personnelle, une conception de soi comme un tout homogène, sans conflit et la capacité à la réalisation de son propre potentiel tout en restant productif » (1966). Dabrowski, lui, définit la santé mentale comme : « la capacité individuelle et sociale d’un individu pour le développement pluridimensionnel (universel) pour se diriger vers des échelles plus élevées de valeurs et atteindre un idéal de la personnalité ». Pour Dabrowski, être simplement productif et adapté n’est pas un indicateur fiable de santé mentale et de développement actif. Au contraire, c’est en général le signe d’une intégration primaire, et beaucoup plus rarement le signe d’une intégration secondaire. Sa définition prend en compte les rôles positifs de la désintégration et du conflit dans le développement. Il en conclut que la majorité des individus souffrent d’un sous-développement des sphères émotionnelles et instinctuelles encouragé par des normes sociétales rigides et que l’individu moyen a tendance à ne se développer que sur une seule dimension, la plupart du temps intellectuelle, encouragée par un système éducatif lui aussi normatif. L’un des derniers livres de Dabrowski, resté non traduit, porte le titre de « In Search of Mental Health » (« A la recherche de la santé mentale ») tant ce thème est central dans l’ensemble de ses travaux. Sous l’influence des courants humanistes de la psychologie des années 60 et 70, nombreux furent les théoriciens et les praticiens qui cherchèrent à établir des critères fiables permettant de distinguer ce qui est ou non une pathologie mentale et ainsi de définir la santé mentale. Ce mouvement a été interrompu lors de la décade suivante avec l’émergence de modèles biologiques du trouble mental qui règnent toujours sur la psychologie et la psychiatrie actuelle ; la santé mentale s’y définit par défaut, comme absence de troubles mentaux. Cette vision est toujours vivace de nos jours. Puis ce fut l’avènement de la psychologie positive qui déplaça le débat du désordre mental vers le bien-être et la satisfaction (Seligman & Csikszentmihalyi, 2000) mais, selon la vision de Dabrowski, bien que bienvenue et nécessaire, cette vision demeure insuffisante. La TDP et son concept de stratification du développement reste encore de nos jours peu reconnue et encore moins acceptée par la psychologie et la psychiatrie dont elle vient renverser les paradigmes. Elle s’avère pourtant particulièrement - 88 -

adaptée dans le champ de la surdouance, là où les standards habituels peinent à s’appliquer. Dans son ouvrage « In Search of Mental Health », Dabrowski décrit 9 concepts majeurs de la santé mentale : Elisabeth Mika en reprend 5 dans « Dabrowski’s Theory of Positive Desintegration » qui battent en brèche les critères communément admis par la psychologie et la psychiatrie actuelles, ainsi que par l’ensemble de notre société : • La santé mentale n’est pas l’absence de troubles mentaux • La santé mentale n’est pas un état d’intégration psychologique sauf à un niveau de développement élevé • La santé mentale ne rime pas avec efficacité, productivité, conformité et adaptation • La santé mentale n’est pas l’équilibre mental • La santé mentale n’est pas le bien-être physique, mental ou social  La santé mentale n’est pas l’absence de troubles mentaux Pour Dabrowski, la présence de troubles psychologiques marque la présence de processus nécessaires au développement de la personnalité et non d’une quelconque pathologie psychiatrique. Ce qu’il décrit comme des états de « SurExcitabilité » ou la majorité des névroses ou ce qu’il nomme les psychonévroses sont « une condition nécessaire pour un développement intègre et l’une des conditions de base pour la santé mentale » (Dabrowski, 1996). Ainsi, la classification des troubles mentaux ne peut, selon lui, être un outil efficace pour définir santé et troubles mentaux. Bien sûr, il reconnait l’existence de troubles tels que la psychopathie et le retard mental comme clairement pathologiques en tant qu’ils empêchent définitivement le développement stratifié mais il met en garde contre les diagnostics erronés (souvent, nous le verrons, de troubles bipolaires ou de schizophrénie) qui empêchent de prendre en compte et d’accompagner de véritables développements positifs et créatifs. Certains psychologues et psychiatres américains ont d’ailleurs déjà pris leurs distances par rapport à la classification des troubles mentaux du DSM-V (établi par l’American Psychiatric Association et qui s’impose aussi en Europe) ; Elizabeth Mika déplore pourtant que, malgré de nouvelles étiquettes diagnostiques, notre compréhension du trouble mental n’ait que peu progressé. En effet, cette nouvelle approche - 89 -

supposerait que le clinicien adopte, à l’instar de Dabrowski, une approche stratifiée dans son diagnostic afin de déterminer ce qui, chez son patient, pourrait être a-développemental et donc pathologique ou au contraire traduire une croissance au travers d’une désintégration positive qu’il devrait encourager et accompagner activement.  La santé mentale n’est pas un état d’intégration psychologique sauf à un haut niveau de développement (Niveau IV- V) Dabrowski s’oppose à l’idée que l’état d’intégration psychologique – dans lequel les facultés mentales fonctionnent sans disharmonie ou interruption- soit une condition nécessaire à la santé mentale. Il rappelle que la disharmonie et la désintégration sont au cœur des SurExcitabilités, que les névroses et psychonévroses sont porteuses de forces développementales positives sans lesquelles le développement de la personnalité ne saurait avoir lieu. La SurExcitabilité, souvent associée à l’asynchronie, au surdouement et à la créativité introduisent une disharmonie et un chaos, sources d’évolution positive et de dynamismes développementaux. Dabrowski écrit : La surexcitabilité provoque d’abord des conflits, de la déception, de la souffrance dans la vie de famille, à l’école ou dans la vie professionnelle - pour faire court, elle conduit au conflit avec l’environnement extérieur. La surexcitabilité produit également des conflits internes en même temps que les moyens de les dépasser. Deuxièmement, la surexcitabilité accélère le processus psychonévrotique et troisièmement, les conflits et le processus psychonévrotique deviennent un facteur-clé pour un développement accéléré (1970, p.38).

Pour Dabrowski, la psychopathie est donc bien une forme d’intégration des fonctions mentales dans un bas niveau de développement, les pensées plus élevées en sont absentes et l’intelligence soumise à de bas instincts, ce qui interdit le développement (Niv I- II). L’intégration, telle que communément décrite, est associée à la maturité psychologique adulte atteinte après les tumultes de l’adolescence et leur lot de désintégration (cf ci-dessous). Cette maturité est valorisée par de nombreuses approches psychologiques et psychiatriques, encore de nos jours et communément acceptée par la société toute entière. Dans cette conception, un adulte serait donc cet être capable de s’adapter aux circonstances, d’agir comme les autres, d’être indépendant mais raisonnable et compréhensif vis-à-vis des autres. - 90 -

Pour Dabrowski, cette forme de maturité est incompatible avec la santé mentale, reposant sur une adhésion irréfléchie et sans esprit critique à des normes et standards de comportement bas et qui conduit plus à la stagnation qu’au développement. La plupart des surdoués et créatifs ne parviennent d’ailleurs jamais à ce type de maturité : ils sont perçus comme immatures, naïfs, trop ouverts, sensibles, idéalistes, romantiques et surtout inefficaces (voire improductifs…) dans leur comportement quotidien. Pour eux, Dabrowski élabora le concept d’« infantilisme positif » ou d’ « immaturité positive » (1973, p.153), traduisant ainsi ce type particulier d’immaturité pourtant associé à la créativité et à cette capacité pour un développement accéléré. Chopin, Van Gogh, Musset, Kafka, Shelley, entre autres, illustrent bien selon lui, cet état d’« immaturité positive ». Dans la vision de Dabrowski, le développement stratifié et la croissance accélérée ne peuvent faire l’économie de conflits internes et de frustrations qu’il juge inhérents à la désintégration positive ; c’est seulement lorsque nous rencontrons obstacles et frustrations dans la réalisation de nos projets et de nos désirs que nous pouvons expérimenter ces conflits internes et externes porteurs de notre véritable croissance et de la mise en place de solutions nouvelles et inventives. Grâce à ces conflits, l’individu doté d’un fort potentiel de développement va entrer dans une introspection, devenir conscient de la multitude de choix qui s’offre à lui ainsi que de la valeur plus ou moins élevée de ses pensées, sensations et comportement. Dans cette apparente confusion, l’individu va pouvoir mettre en place son propre « centre de contrôle » afin d’évoluer vers des pensées plus élevées et s’éloigner ainsi des fonctions instinctuelles, émotionnelles et cognitives plus basses. Ainsi, selon Dabrowski, l’individu mentalement sain pourra dépasser la désintégration positive et atteindre une authentique intégration secondaire partielle (Niveaux IV- V), certains, peu nombreux malgré tout, atteignant le niveau d’intégration secondaire (Niveau V).  La santé mentale ne rime pas avec efficacité, productivité, conformité et adaptation Ce concept est certainement le plus révolutionnaire de la TDP et le - 91 -

plus controversé car il met à mal ce qui est communément admis, met en danger une certaine notion de l’ordre et de la bonne marche de nos sociétés. Nombreux, en effet, ont été les psychologues et psychiatres, tels que Maslow, Jahoda, Allport et même Janet et d’autres à considérer la santé mentale dans cette exigence d’efficacité, de productivité et de conformité dans une forme de réalisme cognitif. Dabrowski n’adhère que partiellement à cette vision car il considère que le manque de réalisme cognitif peut être une valeur positive pour le développement en insistant sur la valeur de l’imagination et de l’intuition réveillant notre créativité, notre besoin de découverte et notre capacité à innover ; un réalisme cognitif trop prononcé peut brider créativité et croissance personnelle. Pour lui, l’efficacité et la productivité sont certes mesurables dans la sphère matérialiste mais ce sont des critères bien insuffisants dans la majeure partie des quêtes humaines dignes de ce nom ; il est certain que le développement émotionnel et la créativité peuvent ne pas se prêter aux mesures standards et délivrer immédiatement des résultats tangibles tels que les apprécie notre société libérale et matérialiste. Nous avons tous en tête certains de ces artistes qui n’ont pas été reconnus de leurs contemporains, ont vécu des vies misérables, jugés à l’aulne des critères inadaptés de leur temps. Les artistes sont souvent jugés inefficaces et improductifs, la valeur de leur travail niée ou sous-estimée. Le génie ne peut être évalué à l’aune de la normalité, de la productivité ou de la conformité. Sans rejeter totalement ces notions de productivité et d’efficacité comme critères d’évaluation de la santé mentale, Dabrowski ne leur accorde qu’une importance secondaire : ils ne sont pour lui que souvent constitutifs d’une adaptation stéréotypée et indifférenciée aux conventions sociales renvoyant à une intégration primaire et opposé à un développement accéléré, véritable indice de la santé mentale : La permanence de l’efficacité et de la productivité d’un individu ne peut s’harmoniser avec un développement positif et accéléré, avec la créativité ou l’originalité. Ces critères s’associent plutôt aux individus primitifs, stéréotypés, aux réactions automatiques qui sont autant de signes pathologiques. (1996, p .14)

On l'aura compris, Dabrowski s'oppose au réalisme cognitiviste qui - 92 -

revient à abandonner ses propres points de vue, standards et idéaux pour correspondre à ceux de la société. C’est là qu’il introduit ses concepts d’« inadaptation positive » ( cf infra ch. 2 : inadaptation d’un individu aux tendances les plus basses du comportement et ses impacts sur l’environnement) et son pendant l’ « adaptation positive » (adaptation dynamique à des niveaux plus élevés dans l’échelle de la réalité, des valeurs et des objectifs s’exprimant pleinement dans l’idéal de la personnalité de l’individu, l’adaptation à « ce qui devrait être ») et l’ « adaptation négative » (adaptation à la réalité, ses valeurs, ses buts dans les plus bas niveaux de la norme statistique, l’adaptation à « ce qui est »). On a souvent tendance à confondre « adaptation efficace » et « adaptation négative » en tant que signe de santé mentale ; pourtant, il ne s’agit souvent que d’une acceptation opportuniste, sans sens critique des normes sociétales, pragmatique, comme un compromis adopté sans y réfléchir vraiment ; dans cette posture, l’individu n’honore pas sa propre vérité ni ses convictions et peut se soumettre facilement à diverses idéologies sécurisant son statut social et ses biens matériels. L’efficacité apparente d’un tel comportement ne reflète, au fond, qu’une indifférence morale et intellectuelle, voire un manque d’intérêt pour le développement de soi et d’autrui. Portée à son extrême, l’adaptation négative conduit à la psychopathie, là où l’intelligence vient servir les plus bas instincts dans l’ignorance totale de l’autre au mieux instrumentalisé. L’individu dans l’adaptation négative ne s’encombrera pas de doute, de honte, de culpabilité ou d’empathie envers autrui à l’inverse de tout individu entrant en désintégration positive. Il atteindra même souvent des positions sociales influentes de pouvoir car sa capacité de confiance en soi, de décision, son agressivité, son efficacité et sa productivité impressionnent et sont valorisées par une société orientée vers le profit immédiat, court terme et facile. Dabrowski va plus loin en considérant la psychopathie comme « le plus grand obstacle au développement de la personnalité et des groupes sociaux » (1986) et en remarquant que notre incapacité (ou notre manque de volonté…) à identifier ce type psychologique de la psychopathie « génère une énorme souffrance, de la terreur de masse, une oppression violente, - 93 -

le génocide et le déclin de la civilisation » (1973). A l’inverse, on l’a compris, Dabrowski tient pour mentalement sains ceux qu’il nomme les psychonévrosés, ceux-là mêmes qui sont jugés inefficaces et inutiles dans notre société. Les conflits internes, les doutes, une conscience suractivée, les idéaux et les visions d’un monde meilleur, les ruminations mentales et le questionnement incessants qui les agitent les font juger inefficaces et décalés avec la réalité prônée par cette société ; d’ailleurs beaucoup de précoces se sentent décalés par rapport à leurs pairs, leur époque… Ils sont particulièrement sensibles aux changements car cela vient perturber les liens profonds qu’ils tissent avec lieux et personnes. Comme le remarque Dabrowski, les psychopathes ont des buts mais pas de valeurs, les véritables personnalités ont des valeurs et des buts (1970). Ces individus sont souvent jugés étranges ou pathologiques par les observateurs extérieurs mais leur comportement recèle un fort instinct de développement et un niveau d’adaptation positive élevé à « ce qui devrait être » et aux idéaux et valeurs les plus hauts. Ces individus, en plein développement accéléré, n’éprouvent plus de désir, d’énergie ou de compétences pour s’ajuster aux normes de la majorité. Ils sont par contre prêts et plein d’énergie pour transcender leurs limitations, au prix de dépressions, de crises personnelles, de conflits internes et externes afin de s’acheminer vers leur idéal de personnalité : dans ce cadre, ils savent se rendre efficaces et productifs, dans la recherche du sens de leur existence et de leur besoin de ne pas trahir leurs idéaux. La véritable santé mentale d’un individu ou d’un groupe social serait donc le fruit, dans un premier temps, d’une inadaptation positive aux normes d’une société (phase de dissolution) suivie d’une adaptation positive (phase d’élaboration) à un idéal propre fait de plus nobles valeurs humaines. La santé mentale n’est pas l’équilibre mental La biologie et la psychanalyse ont établi la santé mentale comme étant l’équilibre entre les forces majeures qui gouvernent nos comportements et les conditions externes changeantes pour produire un fonctionnement psychologique le plus efficace. Cette conception a marqué et continue d’alimenter l’idée communément admise que l’harmonie et l’absence d’excès seraient la meilleure approche. Pour - 94 -

Dabrowski, cette vision correspond à un niveau de développement faible, centré sur des actions répondant essentiellement à des impératifs biologiques et évitant les tensions et les trop grandes variations qui pourraient s’avérer difficilement supportables. A l’inverse, les individus dotés d’un fort potentiel de développement, de fortes SE et d’un riche milieu psychique interne, tendant vers leur idéal de personnalité, seront exposés au déséquilibre créé par la frustration, les conflits et les tensions, ce même déséquilibre qui les conduira à une croissance émotionnelle accélérée. Dans son ouvrage « in Search of mental Health », Dabrowski écrit: Selon les observations quotidiennes et les études cliniques, nous pouvons affirmer que chaque processus de développement authentique se construit sur la perte ou la désintégration des attitudes primaires de notre réalité interne et externe. Le conflit interne, souvent créatif en lui-même, s’associe avec peur et douleur ; chaque pas vers l’authenticité se paie par des chocs, de la tristesse et de la souffrance. (1996)

Ainsi, l’équilibre psychologique permanent serait contraire à un développement accéléré par désintégration positive. Au-delà, un état prolongé de stabilité psychologique pourrait être symptomatique soit d’une psychopathologie (psychopathie ou retard mental) ou du plus haut niveau de développement (niveau V) rarement atteint.  La santé mentale n’est pas le bien-être physique, mental ou social Ce concept est tellement intégré dans la santé mentale que peu de spécialistes osent le questionner. Dabrowski observe que ces définitions de la santé mentale basée sur le bien-être humain se révèlent trop souvent incompatibles avec l’expérience humaine peuplée de conflits internes, d’hésitations, de douleurs, de souffrance physique et mentale, d’expériences de perte et de deuils. Selon lui : … les valeurs les plus profondes prennent plus racine dans la tristesse et la dépression que dans l’autosatisfaction ou le contentement psychologique. Il ne peut y avoir de grande création sans grande tragédie ; il ne pourrait y avoir de réformes morales ou d’empathie profonde sans l’expérience de la tristesse, de la dépression, des conflits internes, des malentendus et même d’une certaine forme d’agonie. (1979)

Cette conception classique du bien être selon Dabrowski masquerait la réalité des sentiments et valeurs les plus nobles au profit d’une - 95 -

adaptation négative à de bas niveaux de réalité. Elle insiste sur l’équilibre mental et physique, l’hédonisme et le conformisme mais échoue à prendre en compte les aspects dynamiques du développement de la personnalité. Au contraire, chez les individus engagés dans un développement accéléré, ces périodes de « calme » et d’équilibre ne peuvent intervenir qu’après la résolution de multiples difficultés et d’inadaptation positive et ne seront que rares et furtifs. Dabrowski écrit : « un individu en cours de développement doit se sentir mal souvent, être tourmenté par la tristesse, l’anxiété et la dépression, les conflits internes et externes. Sans ces expériences, il ne peut y avoir de développement ni de croissance de la conscience de soi (1996). Ce concept a la vie dure ! Rares sont ceux qui tentent de le bousculer en proposant un autre angle de vue ; ainsi les sensations positives ne seraient pas suffisantes pour identifier la santé mentale et nous sommes encore loin d’une reconnaissance des expériences difficiles communément considérées comme négatives et pathologiquescomme faisant partie intégrante de la santé mentale et, au-delà, qui en seraient le véritable composant. Jusqu’à la psychologie positive, plus récente pourtant, qui insiste sur l’importance des sentiments positifs et l’absence des troubles mentaux (Seligman) qui vient encore confirmer cette croyance. Pour Dabrowski, la santé mentale est « la capacité de développement vers une compréhension, une expérience et une découverte pluridimensionnelles et la création d’une toujours plus grande échelle de réalité et de valeurs jusqu’à aboutir à un humain authentique et un idéal social » (1996). La santé mentale n’est donc pas un état mais un processus qui se caractérise par des tentatives de transcendance des limitations biologiques et du type psychologique de l’individu. La personnalité est le but ultime de ce processus et le résultat du développement au travers de la désintégration positive. Dabrowski insiste sur le fait que, sans cette forte hiérarchie de valeurs qui ne s’incarne que dans la vie de quelques individus au nom de « ce qui devrait être », il n’y a pas de santé mentale. La TDP propose donc un modèle unique du développement humain couvrant à la fois les aspects les plus désordonnés et chaotiques et exceptionnels ; c’est un modèle particulièrement applicable chez les - 96 -

individus surdoués et/ ou hypersensibles et/ ou créatifs. Elle permet de percevoir combien le concept de santé mentale communément admis et utilisé ne rend pas compte de la richesse de l’expérience et des efforts humains dans le développement émotionnel, moral et spirituel et donc pas seulement intellectuel. Au-delà, Dabrowski insiste sur le fait que plus nous rendons pathologiques les expériences désintégratives, plus nous stigmatisons des individus déjà momentanément fragilisés par leur croissance accélérée plutôt que nous les soulageons et plus nous favorisons l’émergence et la persistance de la psychopathie dans nos sociétés. Dabrowski nous invite donc à revisiter nos notions de la santé mentale tout en attirant notre attention sur les risques de diagnostic psychologique/ psychiatrique erroné concernant particulièrement la population des précoces. Les risques de diagnostic erroné : Il existe plusieurs risques de diagnostics erronés concernant la population des précoces (cf. tableau). On voit combien l’absence de diagnostic ou le diagnostic erroné peut se révéler dangereux pour l’individu par absence de traitement (qu’il soit médicamenteux ou psychothérapique) ou traitement inapproprié.

Fig 9 : Risques de diagnostics erronés - 97 -

Dabrowski et ses collaborateurs insistent sur la mauvaise interprétation de la surdouance et plus particulièrement des SE et de leurs manifestations dans le diagnostic ; la précocité est rarement prise en compte d’emblée dans le processus diagnostic alors que les auteurs du DSM V reconnaissent à l’inverse volontiers que les capacités mentales et le fonctionnement intellectuel, s’ils sont retardés ou limités, peuvent avoir un impact sur le comportement et induisent des implications dans le diagnostic… La plupart des cliniciens ne reçoivent d’ailleurs aucune formation sur les comportements typiques et les besoins des surdoués pas plus que sur leurs différences comportementales par rapport à la moyenne. Le clinicien est entrainé à faire des hypothèses et catégoriser les comportements de l’être humain, recherchant symptômes, syndromes et patterns qui le guideront dans une intervention largement guidée par le répertoire des pathologies qu’est le DSM. Ainsi, s’il considère les SE et la désintégration d’un individu comme systématiquement pathologique plutôt que comme une partie intégrante d’un processus de croissance, son intervention risque fort de se révéler inappropriée. L’absence de diagnostic ou le diagnostic erroné peuvent ainsi conduire soit à des effets secondaires soit à une absence de traitement. La présence seule d’indicateurs de comportement ne suffit pas à l’établissement d’un diagnostic selon la TDP ; il doit aussi se produire une dégradation de l’état de la personne telle que la décrit le DSM. Ainsi, on pourrait dire que l’hyperactivité seule n’est pas une condition suffisante pour un diagnostic de TDAH, sauf si elle interagit négativement dans la capacité à apprendre, montrer ses connaissances, interagir avec les autres ou dans toute autre interaction nécessaire à l’école ou au travail. La TDP nous apprend à dissocier l’hyperactivité d’une part des SE et du processus de désintégration d’autre part, potentiellement porteurs de croissance. Une difficulté supplémentaire s’ajoute car l’individu précoce se révèle la plupart du temps hors norme ; or, dans notre monde, nous avons tendance à considérer ce qui est différent comme anormal voire pathologique et devant être traité. Par ailleurs, notre culture accepte mieux aujourd’hui la pathologie mentale, désormais moins stigmatisée, ce qui a aussi conduit à une médication accrue pour traiter les - 98 -

symptômes de ces désordres et soulager par exemple les états d’anxiété et de dépression qui peuvent être jugés négatifs et surtout improductifs…La vision de la TDP diverge de ce point de vue en ce sens où elle considère ces symptômes non seulement comme productifs mais comme révélateurs d’un développement avancé en cours. En d’autres termes, percevoir les émotions comme une anxiété névrotique devant être éliminée à tous prix par l’utilisation de médicaments ne promeut pas la désintégration positive ni le développement de la personnalité afférant. Les symptômes ne doivent pas être éradiqués mais accueillis car ils sont porteurs de sens. E. Amend dans ‘Dabrowski’s Theory of Positive Desintegration’ cite l’écrivain F.A. Clark qui écrit : « nous trouvons du réconfort auprès de ceux qui sont d’accord avec nous, la croissance auprès de ceux qui ne le sont pas » ; selon la TDP, la croissance n’intervient que lorsque survient l’inconfort et la désintégration qui s’ensuit, conduisant à terme à l’intégration secondaire. Nous retiendrons donc qu’il peut être utile, voire efficace, de tester la précocité dans des cas où le diagnostic de TDAH, de troubles de l’attention, de dépression ou d’anxiété vont être posés et avant de mettre en place un traitement médical souvent susceptible de déclencher effets secondaires, accoutumance et suivi à vie. La défiance par rapport au phénomène de la surdouance est un autre frein au test de la précocité. Combien de fois entendons-nous des réflexions d’enseignants, de parents ou même de professionnels de la santé évoquant le fait que la surdouance est un phénomène de mode, que tous les parents voient un surdoué dans leur enfant ou que la surdouance ne donne pas droit à excuser des comportements jugés inacceptables. La surdouance donne lieu à des incompréhensions : la plus importante est que surdouance rime avec QI élevé et donc réussite obligatoire. Notre pratique clinique nous montre combien ceci est loin de la réalité : fréquentes sont les déscolarisations, difficultés d’apprentissage ou relationnelles… La 2nde est que la surdouance est plus connue sous son aspect intellectuel que son aspect émotionnel : c’est en cela que l’apport de la TDP, avec les notions de SE et de dynamisme, est utile pour une compréhension plus large et plus complexe de ce phénomène. Enfin, quand les difficultés rencontrées - 99 -

par les surdoués sont enfin perçues, elles sont souvent considérées comme un handicap, une gêne au développement lorsque pour la TDP ces difficultés sont un indice du développement en cours ce qui leur donne enfin un sens. Le comportement peut donc être recadré plutôt que traité ou excusé en rendant toute sa responsabilité et son autonomie au sujet. Dabrowski ne nie pas que certains comportements indiquent une pathologie qui doit être traitée en tant que telle, y compris par une médication pas plus que les individus surdoués puissent connaitre des difficultés psychologiques. Nous avons déjà parlé de sa compréhension de la psychopathie comme le fruit d’une désintégration unilatérale suivie ou pas d’un retour à l’intégration primaire. Malheureusement, nous sommes de plus en plus poussés, pour des raisons de coûts et de moyens, à poser un diagnostic rapide qui prend souvent la forme d’une prescription médicamenteuse et ne donne pas place à une investigation plus poussée notamment par rapport à la surdouance et/ ou l’hypersensibilité. E. Amend reconnait que trouver un praticien spécifiquement formé sur ces questions est difficile et il cite un site américain (SENG : Supporting Emotional Needs of the Gifted – www.sengifted.org) donnant des conseils à ce sujet. Il donne 2 exemples des conseils prodigués par cette association aux parents : « comment savoir si mon enfant a besoin de consulter un psychologue ou une thérapeute ? » et « le praticien auquel je souhaite faire appel est-il adapté à la problématique de mon enfant ? » : Comment savoir si mon enfant a besoin de consulter un psychologue ou un thérapeute ? Il n’est pas toujours facile de déterminer si un enfant pourrait tirer profiter d’une aide professionnelle. Afin de vous aider à décider, vous pourriez vous poser les questions suivantes : • L’intensité, la fréquence et la durée des comportements en question (accès de colère, crises de larmes, agressivité, retrait …) interagissent-elles avec la vie à l’école, la maison ou ailleurs ? • Ces comportements provoquent-ils des difficultés familiales ? Percevez-vous une augmentation de la rivalité dans la fratrie, des accrochages excessifs ou autre angoisse ? Ces comportements provoquent-ils un accroissement de la tension entre époux ? • Avez-vous constaté des changements marquants dans l’alimentation ou le som- 100 -



meil de votre enfant ? Un accroissement des troubles de l’humeur ? Pourriez-vous suspecter l’usage de drogues ou d’alcool ?

Le praticien auquel je souhaite faire appel est-il adapté à la problématique de mon enfant ? Il est vital de trouver un thérapeute qui comprend la surdouance. Afin de déterminer si le professionnel comprend la surdouance et ses caractéristiques/ problèmes, vous pourriez poser les questions suivantes : • Les surdoués ont-ils des besoins particuliers ? Comment diffèrent-ils des enfants normo-pensants ? • Constatez-vous des problèmes ou comportements particuliers chez les surdoués ? • Quels besoins sociaux ou émotionnels particuliers avez-vous noté chez les précoces ? • Comment dissociez-vous les comportements dus à un TDAH et les caractéristiques d’un surdoué ? Quel pourcentage de votre cl • ientèle est surdoué ?

SE et diagnostic erroné : Les SE – réponses augmentées aux stimuli de toutes espèces- sont une grosse source d’erreur dans le diagnostic et l’étiquetage de pathologies. Les précoces, dotés de sensibilité exacerbée peuvent montrer des signes durables ou fréquents facilement mal interprétés, notamment en pathologies mentales. Les SE et leur manifestation peuvent souvent être confondues avec des troubles de l’humeur, de l’attention, avec de l’impulsivité, de l’anxiété : trop d’activité, d’émotions, de sensibilité inconfortables pour l’entourage qui va avoir

Figure 10 : SE et diagnostic erroné

tendance à minorer ces manifestations, à les ignorer ou, pire, à mal - 101 -

les interpréter en les vidant de leur sens profond. L’enfant ou l’adulte qui reçoit ce jugement va être amené à considérer sa propre attitude comme anormale, problématique, se sentir indésirable, inacceptable ou trop différent, ce qui va accroitre encore son malaise déjà présent ; dans ce cas il ne pourra considérer ses SE comme une aide à son développement mais plutôt comme un obstacle et aura tendance à cacher ou à renier sa véritable nature. Cela conduit beaucoup de précoces, notamment les laminaires à se construire en faux-self. Voyons maintenant comment chacune des SE peut être mal interprétée selon les critères diagnostiques habituels : •

La SE psychomotrice peut être confondue avec un comportement impulsif (passage à l’acte) ou compulsif (bavardage…), nervosité excessive ou extrême esprit de compétition. Si le clinicien s’arrête à la seule revue des comportements, un diagnostic de TDAH ou de troubles anxieux ou obsessionnels/ compulsifs peut être posé. Ce diagnostic va conditionner un recours à une médication dans le cadre du traitement. Au lieu d’encourager un développement à un plus haut niveau et la croissance de l’individu, le traitement va tenter de mettre fin à des comportements gênants socialement.



La SE sensorielle, souvent présente chez les artistes et les créatifs, implique une expérience augmentée d’un ou de plusieurs sens. Alors qu’un individu « normal » va ressentir du plaisir au contact d’une œuvre d’art, l’individu doté d’une SE sensorielle va, lui, l’expérimenter. Il peut en découler une surcharge émotionnelle qui s’accompagne d’une anxiété et d’une nervosité extrême. On trouve d’ailleurs dans cette population artiste une forte proportion d’individus souffrant de troubles mentaux que Dabrowski interprète comme autant de symptômes de désintégration, c’est-à-dire de pas vers la croissance. Ces individus aux perceptions augmentées risquent d’être diagnostiqués comme « pathologiques » car leurs réactions sortent de la norme habituellement acceptée : un garçon réagissant violemment à un bruit trop fort, une petite fille ne supportant pas certaines odeurs ou un autre enfant percevant le clignement insupportable - 102 -

des lumières peuvent subir un tel diagnostic erroné alors qu’il ne s’agit pour eux que de perceptions augmentées dont ils ne sont pas responsables, leur champs et leur intensité de perception étant plus larges que la moyenne. •

La SE intellectuelle, la plus facilement associée aux enfants précoces, renvoie à une fin insatiable de connaissances et de compréhension. Certains d’entre eux vont tellement se concentrer sur un champ de connaissances qu’ils vont pouvoir en oublier, de bonne foi, tout le reste, causant apparemment un désintérêt temporaire ou une déconnection avec d’autres personnes ou sujets. Un diagnostic de la maladie d’Asperger peut alors être posé ; il pourra être évacué chez un adulte qui aura connu jusque-là un développement normal, mais chez l’enfant, il peut être raisonnable d’évoquer ce diagnostic. Les troubles anxieux tels la phobie sociale ou les troubles de la personnalité (personnalité évitante, pattern d’inhibition sociale et d’hypersensibilité à l’évaluation négative) ou la personnalité schizoïde (pattern de détachement social et d’expression émotionnelle limitée) pourront également être évoqués.



La SE imaginative met en jeu une richesse d’imagination, l’amour de la fantaisie et une perspective originale de la vie. Les individus doté de cette SE peuvent se perdre dans des rêves éveillés, créer des mondes avec leurs animaux en peluche ou d’autres jouets, avoir un ami imaginaire… Ce type d’imagination peut potentiellement conduire à des possibilités non encore explorées telles des découvertes ou des inventions étonnantes mais aussi des peurs à couper le souffle. De telles productions fantastiques peuvent emmener ces individus loin des choses que d’autres considèrent comme plus importantes dans le moment, telles que ranger sa chambre, faire ses devoirs. De tels comportements peuvent être diagnostiqués comme un TDAH par leur manque de concentration et la distraction qui l’accompagne. A l’âge adulte, de tels comportements peuvent être confondus avec une perte de la réalité même si ce même adulte sera capable de dévelop- 103 -

per d’incroyables nouvelles approches de résolution de problème ou d’inventer un nouveau produit. Si une telle personne est perçue comme trop absente par rapport au monde qui l’entoure, son rêve éveillé pourra être interprété comme une hallucination schizophrène et dissociative. •

La SE émotionnelle met en jeu une grande attention portée aux autres et une capacité forte à l’empathie. Chez les précoces, cette SE peut être tellement portée à l’extrême qu’elle créé des émotions complexes, une expression affective extrême, une large gamme de sentiments, des hauts et bas thymiques, une sensibilité à fleur de peau, autant de troubles qui peuvent faire penser à un trouble bipolaire. Si la thymie se révèle majoritairement négative, le clinicien pourra s’orienter vers un diagnostic de dépression majeure ou de trouble dysthymique moins sévère mais plus durable. L’anxiété qui accompagne cette SE peut également orienter vers un diagnostic de troubles anxieux, de l’anxiété généralisée ou un trouble panique.

Alors comment s’y prendre ? Dabrowski ne nie pas que certains individus souffrent de véritables pathologies psychiatriques requérant les moyens classiques de soins tels la psychothérapie et la médication. Il ne croyait pas que toutes les formes de névroses ou de psychoses étaient porteuses de signes de développement à un plus haut niveau tels que définis dans la TDP. Il reconnait également que même les individus surdoués peuvent souffrir de véritables troubles psychologiques, particulièrement ceux dont la base est biologique comme dans le cas d’un déséquilibre chimique. Ce que recommande la TDP c’est de ne pas passer au travers d’un diagnostic de précocité mettant non seulement en avant des compétences intellectuelles hors normes mais surtout tout ce qui accompagne ce diagnostic et plus particulièrement les SE qui sont autant de signes d’un développement avancé en cours qu’il ne faut pas traiter pour s’en débarrasser mais au contraire accueillir avec bienveillance et accompagner avec vigilance. Seuls certains cliniciens avec une solide connaissance en psychopathologie mais surtout sensibilisés et formés à la TDP auront une chance d’établir un bon - 104 -

diagnostic différentiel. Ils devront aussi mettre leur patient à l’aise et savoir créer un bon lien thérapeutique pour conduire leur patient à accepter plutôt que renier ou fuir cette part intégrante de lui-même si atypique, ferment du véritable développement de sa personnalité mais si contrasté avec ce qu’attend l’environnement social, ses normes et ses exigences de conformité. La recherche sur les diagnostics erronés n’en est encore qu’à son début. Les questions qui se posent actuellement sur ce sujet sont entre autres les suivantes : • Quel rôle joue l’environnement dans le diagnostic erroné ou l’attribution ? • Comment la perception personnelle d’un individu influence sa façon de considérer son problème ? • Comment le renforcement positif peut conduire l’individu à la désintégration positive et au développement ? • Les étiquetages traditionnels en matière de santé mentale sontils aidants ou, au contraire, pénalisant dans le processus de développement des individus surdoués ? • Les manifestations d’anxiété sont-elles plus propices que d’autres dans le développement de la personnalité ? • Comment peut-on mieux distinguer une désintégration positive d’une désintégration pathologique ? Où se situe la ligne de démarcation entre le désajustement positif et négatif ? Les recherches continuent au sein de la communauté Dabrowski pour saisir plus scientifiquement les intuitions du fondateur de la TDP, plus particulièrement sur les phénomènes de SE et de dynamismes, qui devraient amener à des interventions toujours plus ciblées et plus adéquates.

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Chapitre 5 Une autre vision des crises existentielles Qu’est-ce qu’une crise existentielle ? C’est un moment dans la vie d’un individu où celui-ci va questionner ses fondations les plus profondes, ses croyances les plus ancrées et se mettre en recherche du sens de la vie, de son but et de sa valeur. Le courant existentialiste en littérature est celui qui a le mieux décrit cette recherche introspective. La crise existentielle peut être confondue ou coexister avec divers types de symptômes : dépression massive, remise en question de sa propre vie, ressenti d’être seul ou isolé du Monde, nouveau regard sur sa propre mortalité, perte ou recherche du sens de la vie, vision du Monde et de sa vie qui vole en éclats, suites d’un évènement traumatisant… La crise existentielle fait souvent suite à un évènement de vie particulier : trauma psychologique, mariage, naissance des enfants, séparation, perte majeure d’un proche ou d’un travail, une grande peur, un nouvel amour, prise de drogue, les enfants quittant le nid, les tournants de la quarantaine ou de la cinquantaine … Ces évènements provoquent une introspection souvent inattendue chez l’individu qui, directement ou indirectement, va devoir faire face à l’idée de sa propre mort, sa finitude et son impermanence. La crise existentielle pourra se manifester par une soudaine anomie (absence de soumission aux normes) ou par ce que l’on nomme couramment la « crise de milieu de vie », provoquée par un regard nouveau posé sur sa propre existence. Chez les surdoués, cette crise est en général plus précoce. Ils sont en effet confrontés plus tôt aux questions fondamentales de la mort, de l’écologie, de la guerre et plus globalement du but de la vie humaine, du fait de leur hypersensibilité, de leurs SE, de leur grande capacité à l’empathie et de leur rapport distancié à la norme et à la conformité. Avec une approche classique, ce type de crise va être pris en compte comme une dépression, avec les moyens médicaux et thérapeutiques correspondants. Alors que la TDP, qui apporte un éclairage tout à fait original et positif sur ce type de crises, propose donc d’autres moyens pour y faire face. James T. Webb – psychologue américain réputé - fondateur de - 107 -

l’association SENG (Supporting Emotional Needs of Gifted Children ; www.sengifted.org) a particulièrement étudié les crises existentielles chez les enfants et adultes surdoués en s’appuyant sur la théorie de la désintégration positive de Dabrowski. Il identifie 2 types de circonstances dans lesquelles une dépression existentielle peut apparaitre : • Suite à un trauma, une perte (d’un travail par exemple) ou un décès ; une expérience de désintégration liée à la perte de contrôle sur sa propre vie, à un sentiment d’impuissance qui réveille des questions existentielles sur le sens de la vie et la conception du Monde • De manière apparemment spontanée ; pourtant elle couve souvent depuis longtemps et prend source dans des questionnements là aussi existentiels sur la perception et le sens de la vie, les pensées sur la marche du Monde, la place de l’individu dans ce Monde. Quelle qu’en soient les circonstances, ce type de crises peut mettre en danger la vie-même de l’individu et représente de toute façon un défi extrême en même temps qu’une opportunité de croissance, comme le soutient Dabrowski. Les surdoués, enfants, adolescents ou adultes sont statistiquement plus exposés et plus intensément concernés par ces dépressions existentielles : ils vivent plus intensément leur vie, sont plus sensibles voire hypersensibles à leurs ressentis intérieurs comme extérieurs, plus idéalistes et sont particulièrement affutés pour percevoir les incohérences et les absurdités des valeurs et des comportements dans leur environnement. Ils sont ainsi rapidement conduits à se poser des questions sur la nature et le but de leur vie et de ceux qui les entourent. Ils peuvent aussi se sentir très « petits » et impuissants par rapport à la résolution des problèmes qu’ils perçoivent avec acuité et qui, du coup, les troublent profondément. La spirale infernale de l’isolement et du sentiment d’étrangeté En se basant sur la TDP, Webb note que ce sont surtout les individus dotés d’une intelligence (toujours au sens large) au-dessus de la moyenne qui sont sujets à ces phénomènes. Suite à leurs tentatives - 108 -

de se comprendre eux-mêmes et de comprendre le Monde, ces personnes sont confrontées à des questionnements existentiels qui provoquent ruminations, analyse et recherche d’informations. Ces préoccupations existentielles différencient cette population de la vaste majorité de ceux qui restent enfermés dans les occupations quotidiennes – travail, repas, tâches domestiques – (niveau I de la TDP). Ces individus sont en recherche de lois ou de réponses universelles et savent déceler injustices, incohérences et hypocrisie. Ces questionnements conduisent à un une quête idéaliste rarement fructueuse. Cette quête peut rapidement déboucher sur une forme de désespoir ; comme le formulerait Dabrowski, ils sont à la fois conscients de « ce qui est » et de « ce qui devrait être », mesurent en permanence l’écart entre la réalité et leurs idéaux tout en réalisant que leur capacité à « faire bouger les choses » reste très limitée. De là naissent frustration et déception. En plus d’être capables de dépister l’hypocrisie de leur époque (duplicité, arbitraire, manque de sincérité et absurdités), ils osent aussi remettre en cause les traditions qui leur paraissent insensées ou inutiles, ce qui peut leur valoir d’être mis à l’écart car ne pensant pas comme la majorité ou la moyenne des figures d’autorité ou des pairs. Il leur devient difficile de partager leurs sujets d’intérêt ou d’inquiétude, ce qui les isole d’autant plus et renforce encore ce désespoir déjà si présent. Webb cite G.B. Shaw : « L’homme raisonnable s’adapte au Monde ; l’homme déraisonnable persiste à essayer d’adapter le Monde à lui-même. Ainsi, le progrès est entre les mains de l’homme déraisonnable. » Afin de trouver leurs réponses, ils vont devoir chercher loin de leurs repères quotidiens car ils ont faim de trouver cette connexion avec des semblables afin de partager leurs centres d’intérêt. Les enfants et adultes surdoués souffrent de se sentir différents ; ils ont souvent entendu qu’ils étaient « trop » (…idéaliste, sérieux, sensible, intense, impatient…) ou avaient un sens de l’humour étrange. L’humour décalé de Woody Allen nous renseigne à ce sujet lorsqu’il dit : « Il est difficile de maintenir une pensée élevée. On est obligés de continuer à se vendre des choses à soi-même, et certaines personnes sont meilleures que d’autres pour se mentir à elles-mêmes. Si vous regardez la réalité trop en face, cela vous tuera. » Les enfants particulièrement peuvent se sentir perdus - 109 -

dans un monde absurde et comprendre rapidement que les adultes en charge de l’autorité n’en sont pas dignes. Certains disent qu’ils se sentent comme des extraterrestres abandonnés attendant que le vaisseau amiral vienne les chercher pour les ramener vers leur planète d’origine. Les contacts avec les pairs, les enseignants, les adultes en général peuvent devenir extrêmement complexes. Lorsque cette intensité se combine avec différentes SE, vient la frustration de la limitation du temps et de l’espace. Ils ressentent qu’ils n’ont pas assez de temps pour développer tout ce que leur cerveau leur propose, même si leur journée compte plutôt 27 heures que les 24 vécues par la moyenne des individus, tant leur intensité est forte. Ils doivent donc opérer des choix et supportent mal l’arbitraire de ces choix ce qui créé de potentielles nouvelles frustrations, d’autant plus que choisir c’est aussi renoncer. C’est pourquoi on peut les voir souvent indignés (« Ce n’est pas juste ! ») et en colère ; comme cette colère est souvent incomprise par l’environnement elle se transforme en tristesse voire en dépression. Seligman parle d’ « impuissance apprise ». Se débattant dans la dépression, ils vont chercher à trouver des repères, des points d’appui, découvrir le sens de la vie car ils sont conscients bien avant leurs pairs de la finitude de la vie, de son impermanence, d’être seuls, tous petits dans l’infini et du poids qui repose sur leurs épaules dans les choix qui guideront leur vie. Ils sont en quête du sens de la vie, autant de questions que Dabrowski rapporte à la désintégration positive et ses périodes de profond inconfort ou même de désespoir mais signes évidents d’un développement de la personnalité. Les crises existentielles sont souvent associées à l’adolescence, le milieu de la vie et/ou la ménopause. Chez les surdoués, ces crises interviennent souvent plus tôt dans l’existence (certains parlent de crise de quart ou de tiers de vie) et se répètent plus fréquemment et plus intensément au cours de la vie. Certains enfants encore jeunes peuvent vivre de véritables dépressions, pas toujours identifiées, car cachées ou mal interprétées. Webb résume ainsi les différentes étapes identifiées par Erikson (1959), Levinson (1986) et Sheehy ainsi que les développements qui devraient correspondre : • 18-24 ans : « lancer ses racines », partir du nid. - 110 -









25-35 ans : « expérimenter la vie », s’établir dans la vie comme adulte, faire des choix professionnels, envisager le mariage, les enfants. 35-45 ans : « décade de la dernière chance », crise d’authenticité, comprendre qu’on est au milieu de sa vie, réévaluation de soi et de ses relations, faire le choix entre faire encore plus d’efforts/ se retirer du jeu/ changer sa vie 45-55 ans : « renouveau ou résignation », redéfinition continue des priorités, changement ou renouvellement dans les relations, changement de rôle, les enfants quittent le nid, les parents vieillissent ou meurent, prise de conscience plus profonde de sa propre mortalité 55 ans et + : « régénération », acceptation ou révolte à l’idée de la retraite, les amis/ mentors meurent, évaluation de la vie professionnelle, nouvelle relation avec la famille, changements physiques, acceptation de soi ou rejet.

Chez les surdoués, ces crises seront donc souvent plus nombreuses, intervenant plus tôt et plus intensément dans la vie. Il est donc évident qu’être surdoué dans ce contexte n’est pas souvent synonyme de bonheur, de contentement et de réussite mais bien de tous ces ingrédients qui signent la désintégration. Même cette désintégration est positive, synonyme de développement de l’individu vers son idéal de la personnalité. Webb fait référence à May Segoe (1994) qui, dans le tableau 11 ci- après, a décrit les forces et fragilités liées à l’état de surdouance des adultes. Dans ces conflits créés par la coexistence de ces forces et faiblesses, 4 sont particulièrement représentatifs de la désintégration et créent l’anxiété et la dépression : • L’acceptation des autres/ la déception et le cynisme • L’acceptation de soi/ l’autocritique et la dépression • Les inévitables sentiments/ l’efficacité de la logique et des approches rationnelles • Trouver son sens personnel/ atteindre des objectifs tangibles et reconnus - 111 -

Atteindre une réintégration positive nécessite donc à l’individu d’atteindre un certain nombre de ces objectifs ou au moins un certain niveau de confort interne quant à sa façon de vivre le mieux possible (pas de satisfaire) ses diverses caractéristiques. Quelques pistes pour vivre mieux les questions existentielles et la dépression qui les accompagnent Webb évoque 3 grandes pistes :  Apprendre à se connaitre soi-même  Apprendre et comprendre notre mode de relation aux autres  Savoir mettre en place des stratégies aidantes Cf tableau 4 Apprendre à se connaitre soi-même : Les surdoués vivent souvent en désynchronisation du temps et des autres ce qui les isole encore plus et leur donne ce sentiment d’étrangeté au Monde. Lorsqu’on a entendu toute sa vie, « tu es trop … sensible, critique, sérieux, intense, complexe… », il est important de comprendre que, même si cette extrême sensibilité parait anormale aux normo-pensants, elle est normale chez les individus surdoués. Cette découverte soulage déjà beaucoup l’anxiété. Dans cette compréhension et cette connaissance de soi, il peut aussi être utile de faire siennes les 3 vérités énoncées par Arthur Schopenhauer : • •



Ce que nous possédons matériellement est temporaire et ne peut nous fournir un confort durable Ce que nous représentons aux yeux des autres est aussi éphémère que les biens matériels, car ces opinions sont susceptibles de changer rapidement ; de plus, nous ne savons jamais vraiment ce que les autres pensent de nous Notre véritable nature est ce qui importe vraiment

Et Yalom de renchérir : « L’équanimité interne prend sa source dans le fait de savoir que ce ne sont pas les évènements qui nous perturbent mais l’interprétation que nous en faisons. » Se connaitre soimême ainsi que ses schémas de pensée doit donc devenir prioritaire dans la quête des individus surdoués. - 112 -

Forces Capacité à percevoir le potentiel ; attentes élevées par rapport à soi et aux autres ; pensée critique Capte et intègre rapidement l’information Grande quantité d’informations dans des domaines variés et avancés ; intérêts et compétences diversifiés ; talents multiples Motivation intense et complexe ; haut niveau d’énergie ; persistant, comportement guidé par les objectifs Indépendant, ne compte que sur luimême ; créatif et inventif ; aime à trouver d’autres façons de faire les choses Recherche de sens et de cohérence dans les systèmes de valeurs et les comportements de soi et des autres Sensible aux autres ; désir de relations émotionnelles intenses Se concentre sur causes et effets ; a besoin de s’appuyer sur faits et preuves Sens développé de l’humour ; capable de rire de soi-même

Fragilités Besoin de réussite et de reconnaissance ; intolérance par rapport aux autres ; à la poursuite de standards excessivement élevés ; en avance sur leur temps Impatient face à la lenteur des autres ; peut être perçu comme « M / Mme je sais tout » Difficultés pour choisir un métier ; frustré par le manque de temps ; se sentir différent des autres ; solitude existentielle ; peut être perçu par les autres comme étant en contrôle permanent La détente est difficile ; n’aime pas les interruptions ; peut négliger les autres pendant les périodes où il est focalisé sur ses centres d’intérêt ; têtu Difficulté à déléguer et faire confiance aux autres ; rejet de ce qui est déjà établi ; dérange les habitudes et les projets des autres Très critique, souvent défaitiste ou cynique à propos des autres ; quelquefois « chef » et dominant Très sensible à la critique des pairs ; relations intenses avec les mentors qui peuvent s’avérer très décevantes Difficulté avec les aspects humains illogiques tels que les sentiments, les traditions et toutes les choses qui doivent être « admises » sans question Un humour qui peut ne pas être compris par tous ; peut se concentrer sur l’absurde des situations ; l’humour peut être utilisé agressivement vis-àvis des autres ou pour les maintenir à distance

Tableau 4 : Forces et fragilités liées à l’état de surdouance des adultes

Il n’est donc pas étonnant que la population surdouée ait plus recours à la psychothérapie que la moyenne de la population. Ce phénomène - 113 -

semble également avoir une dimension générationnelle, puisque les surdoués des générations récentes se heurtent à l’incompréhension des générations d’après-guerre voire du baby- boom. Une étude sur ce sujet a été menée par Deborah L. Ruf, psychologue éducationnelle : De l’étude qualitative d’un échantillon de 110 personnes surdouées entre 20 et 83 ans, il ressort qu’aucun individu âgé de plus de 60 ans n’a eu recours à un travail psychothérapique, alors qu’un tiers de la population entre 40 et 60 ans y ont eu recours, la proportion s’approchant de la moitié pour les moins de 40 ans. Tous, pourtant, relatent avoir vécu difficilement leur différence en tant que surdoués. 75% évoquent facilement leur lutte intellectuelle pour trouver leur place dans ce Monde ainsi que le sens de celui-ci. 56% rapportent une forme d’abus, physique ou psychologique dans le traitement éducatif qu’ils ont reçu, presque tous des fessées ou des claques, souvent prônées dans les éducations d’après-guerre, et 19% parlent d’abus purement sexuel (qui va de paroles déplacées aux attouchements par adulte) et 15% d’abus physique caractérisé : seulement un cas aura fait l’objet d’une déclaration aux autorités… La majorité de l’échantillon reconnait qu’à l’époque, ces types d’abus n’étaient pas reconnus comme tels : l’objet de leur consultation se définissait plutôt par la dépression, la tristesse et l’impuissance qu’ils ressentaient. Ruf nomme la génération d’après-guerre la « GI generetion », bâtie sur le self-control et l’action : cette génération a dû faire face à des besoins de l’ordre de la survie, que Maslow qualifierait de 1er et 2è niveaux (besoins physiologiques et de sécurité), qui ont mené la majorité de ses membres à ne pas évoluer vers les plus hauts niveaux que Dabrowski décrit dans les niveaux III, IV de la désintégration positive. La majorité d’entre eux s’est contentée de la norme et de la conformité à « ce qui est » sans se soucier de son développement interne, de son échelle de valeurs ni de « ce qui devrait être ». A l’inverse, les générations suivantes qui n’ont pas eu à faire face aux grands conflits du XXe siècle et à leurs implications (peur, privations…) ont été et sont plus facilement en contact avec leurs besoins d’appartenance, d’estime voire d’accomplissement de soi. Le contraste est évidemment encore plus important chez les surdoués dotés de ces SE et de cette hypersensibilité qui les caractérisent. La « GI generation » de leurs parents et éducateurs leur a alors demandé - 114 -

de s’ajuster socialement et émotionnellement. Mais plus leurs différences étaient importantes, plus l’environnement a pu réagir violemment en rejetant les comportements non conformes aux attentes de la société ou, pire, en n’apportant aucun encouragement ni reconnaissance, ce qui vient renforcer subtilement et dramatiquement un manque de confiance en soi déjà inné chez les surdoués. Le décalage isole les surdoués de leur propre famille ou milieu normopensants, ce qui génère mésestime de soi et dépression. De nombreux adultes surdoués portent en eux cette colère intarissable de ne pas avoir été respectés, considérés selon leurs véritables natures et besoins mais plutôt comme une source de problèmes sans solution, d’enfants « trop » …. Sensibles, jusqu’au-boutistes, impatients… D’où ce sentiment persistant d’inadaptation qui les conduit à vouloir savoir « ce qui ne va pas en eux » et les conduisent donc en thérapie. Souvent, les surdoués réagissent mal à une autorité infondée (ou qui leur semble infondée !) ce qui les conduit à placer leur communication sur un mode défensif, voire agressif (ou perçu comme tel). Ils peuvent sembler rigides et difficilement influençables, notamment dans le milieu du travail à l’âge adulte. Ils doivent comprendre le sens du travail qu’il leur est confié pour accepter de s’y engager. Pourtant ils s’avèrent être les plus manipulables, cette fois-ci par les vrais manipulateurs, pervers narcissiques, qui sauront les séduire par un niveau d’intelligence et de vivacité d’esprit et qui sauront les utiliser à des fins moins nobles : c’est le piège de l’extrême empathie qui habite la majorité des précoces. Webb propose quelques axes de travail pour faciliter et fluidifier notre connaissance de soi-même

Fig 11 - Connais-toi toi-même - 115 -

Apprendre et comprendre notre mode de relation aux autres Comme ils se sentent souvent décalés par rapport à la moyenne de leurs pairs et qu’ils ont peine à gérer leurs émotions, les surdoués sont souvent maladroits dans leur communication et dans leur rapport à autrui. Dans ce cas, le thérapeute peut proposer un certain nombre de méthodes ou de points de repères dits de développement personnel : on peut citer la Communication Non Violente (ou CNV), la PNL (Programmation Neurolinguistique), l’Analyse Transactionnelle (ou AT) avec le triangle dramatique et beaucoup d’autres méthodes ou clés de compréhension qui soulagent et apportent un peu de flexibilité et de confort au quotidien. Mais cela ne suffit pas : la clé, comme nous l’avons développé précédemment, réside dans le fait de se nourrir soi-même avant même d’envisager d’aider les autres, ce qui est pourtant la démarche de la majorité des surdoués, guidés par l’empathie. Ainsi, l’individu va apprendre un sain narcissisme qu’il aura tendance à confondre, du moins au début, avec de l’égoïsme. Parmi les axes de réflexion que les professionnels peuvent proposer, en voici quelques-uns : • Quelles sont mes valeurs fondamentales, mes principes qui feraient que, si je ne les respecte pas, je souffrirais ? • Que puis-je mettre en place pour m’occuper de moi, faire en sorte que j’aille bien, et, dans un 1er temps, sans m’occuper du regard des autres et de ce qu’ils peuvent penser de moi ? Si j’avais une baguette magique, que pourrais-je souhaiter pour moi ? • Cette souffrance que je ressens ne marque-t-elle pas une évolution en cours au plus profond de moi-même, les signes d’une désintégration positive qui m’invitent à la réalisation de moi-même et de ma dignité humaine ? • Dois-je gérer l’inconfort que cette transformation génère dans mon entourage ? • Dois-je pardonner la maladresse ou le rôle que m’a fait subir mon entourage, ou me mettre en paix avec eux ? • Si je me place au dernier jour de ma vie, qu’aurais-je dû avoir mis en œuvre dès aujourd’hui, pour partir en paix, avoir le sentiment du « devoir accompli » ou mieux, du respect de mes valeurs ? • … - 116 -

Il s’agit de récupérer sa responsabilité, de sortir de la plainte, de se mettre en route à la conquête de soi et de réserver son empathie à des occasions plus rares mais plus qualitatives aussi. Le ressenti de solitude est fréquent chez les précoces : ils auront du mal à entrer en contact avec les autres car ils se sentent trop différents et décalés et/ou les questions existentielles qui les préoccupent ne leur semblent pas partageables avec d’autres. Et pourtant, les relations interpersonnelles sont peut-être encore plus nécessaires pour cette population en recherche d’échanges et de soutien affectif. Il leur suffit quelquefois de savoir que, quelque part, un autre être humain se pose le même type de questions (et/ou a déjà tenté d’y répondre) pour apaiser leur anxiété. Webb propose quelques questions à se poser pour tendre à (ré) équilibrer ces relations : • Comptez-vous dans votre entourage une personne qui vous accepte telle que vous êtes, en dehors de votre rôle social ? • Vos relations sont-elles essentiellement authentiques ou sont-ce des rôles sociaux ? • Ressentez-vous le besoin de contrôler l’autre comme vous vous contrôlez vous-même ou êtes-vous capable de relâcher ce contrôle ? • Vos capacités analytiques et logiques vous empêchent-elles de recevoir et de donner de l’affection ?

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Fig 12 : Conseils pour les relations interpersonnelles

Puis il propose quelques exercices qui peuvent permettre aux surdoués de reprendre une juste distance dans leurs relations avec les autres (cf Fig 12)

Savoir mettre en place des stratégies aidantes Face à l’anxiété et à la dépression, 2 grands types de stratégies sont possibles : la stratégie que je qualifierais, en faisant référence à Dabrowski, de niveaux I/ II d’intégration primaire et la stratégie des niveaux III/ IV d’intégration secondaire. Webb en décrit quelques-unes ainsi :

Fig 13 : Stratégies de coping selon Webb

Les stratégies d’adaptation liée à l’intégration primaire sont moins adaptatives et moins efficaces à long terme : elles agissent un peu comme un pansement sur une jambe de bois ; elles limitent le champ - 118 -

de la pensée et de l’action et donc l’expression du potentiel de développement. Les secondes sont plus adaptatives en ce sens où elles tendent à encourager et maintenir un équilibre chez l’individu qui lui permettra de mieux faire face aux différentes étapes nécessaires et souvent douloureuses de désintégration. … et, au-delà, rechercher le sens de l’existence Les surdoués sont très souvent en quête de sens… de ce qu’ils font, des faits et gestes de leur entourage, de la nature de ce qui les entoure, et cela depuis leur plus jeune âge. Sans cette ancre de compréhension, les surdoués amenés, pour la plupart, à vivre les étapes de la désintégration positive augmenteront le risque de dépression, d’anxiété et d’angoisse. Ils peuvent être amenés à se poser la question des rôles qu’ils jouent dans la société et leur entourage : sont-ce des rôles ou l’expression de ce qu’ils sont au plus profond d’eux-mêmes ? Ils peuvent aussi se questionner sur l’objectif de leur vie, sur les valeurs qui leur sont propres et qu’ils ne veulent à aucun prix abandonner. D’autres iront chercher leurs réponses dans une quête spirituelle ou philosophique plus élaborée. Le surdoué a besoin de comprendre qui il est, comment il interagit avec son entourage, son environnement… et l’Univers ! Pour la suite de ce chapitre, je vous invite à explorer ces questionnements dans 4 cas de figure : chez l’enfant, l’adolescent puis les femmes et les hommes. L’enfant surdoué, l’anxiété, le stress et la dépression Les enfants surdoués sont inégaux devant le stress et l’angoisse : certains vont pouvoir l’éviter ou en faire un allié et d’autres en seront encombrés toute leur vie. Nous ne connaissons pas encore les raisons de ces différences. Pourtant, il est certain que tous sont munis d’une perception plus aigüe de la réalité (un système nerveux autonome plus réactif ?) qui est une des origines de leur stress. Ceci est renforcé par le fait que cette sensibilité n’est pas toujours reçue de façon appropriée par l’entourage qui soit ne le comprend pas, soit le perçoit négativement ou se moque de cette hypersensibilité. Tout d’abord, définissons le stress : - 119 -

Sur le plan physiologique le stress est avant tout une ressource : c’est une réponse biologique et physiologique adaptée à une sollicitation de l’environnement, pouvant provoquer les 3 réactions à notre disposition pour ma la survie, à savoir : affrontement, fuite ou sidération. Mais il peut être un trouble s’il y a sur-sollicitation de l’organisme, physiquement et/ou psychiquement, conduisant à l’épuisement avec troubles de différents types : → Physiologiques : surtension artérielle, migraines, troubles du sommeil, intestinaux, musculo-squelettiques, problèmes cardiovasculaires. → Psychologiques/ psychosomatiques : fatigue, nervosité, ennui, sensibilité accrue, dépression, difficulté de concentration, perte de mémoire → Comportementaux : agressivité, troubles alimentaires variés, problèmes sexuels, dépendances (alcool, drogues, tabac, jeux, sexuelle, anxiolytiques…), baisse de l’ambition Tout se passe schématiquement ainsi :

D’un point de vue biologique, plusieurs zones du cerveau interagissent pour transmettre l’information au corps et déclencher la réaction qui semble la plus appropriée à la situation. Là encore, schématiquement, on pourrait le résumer comme suit :

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Dans la littérature psychologique et médicale moderne, on entend souvent parler de « stress positif », ce type d’excitation qui serait nécessaire à nous faire sortir de notre zone de confort et explorer de nouvelles possibilités, de nouvelles réponses, là où nous aurions envie d’avoir recours à nos vieilles et bien connues recettes. Ce stress positif aurait donc pour vocation de nous faire évoluer en nous faisant découvrir de nouvelles voies de comportement. Mais quelquefois, la quantité de stress est telle que notre organisme (corps + psychisme) n’y peut faire face. C’est Hans Selye, endocrinologue canadien, qui a décrit le premier en 1936 ce phénomène de surcharge qu’il a appelé le Syndrome Général d’Adaptation (SGA) :

Fig 14 - Syndrome Général d’adaptation (SGA) - Hans Selye

On voit dans ce schéma comment un surplus de stress peut générer épuisement et dépression. Pour les enfants comme pour les adultes, c’est ce phénomène qui est en cause dans le vécu du stress, à la diffé- 121 -

rence près que chez l’enfant le cerveau n’est pas encore parvenu à maturité et qu’il est donc moins préparé et capable de recevoir cette surcharge. Annemarie Roeper (1918 – 2012), qui a travaillé sur ces questions d’hypersensibilité chez les enfants surdoués donne une définition plus psychologique. Elle se pose la question du récepteur du stress chez l’être humain : cœur ? cerveau ? corps ? Selon elle, la réponse au stress dépend de l’état de l’individu qui le reçoit mais aussi de son état de développement et du caractère unique de sa personnalité. Elle en conclut que c’est le Moi qui reçoit le stress, dans toute sa complexité et unicité : « C’est la Moi qui expérimente le stress. Le Moi est le témoin et le stress est l’œil du témoin » (2004, 2007). Ce qui implique que ce qui sera stressant pour un individu ne le sera pas pour un autre. Elle définit le Moi comme étant « l’intérieur de la personne pour lequel tout le reste est extérieur ». Elle fait ensuite la distinction entre le 1er type de stress qui se développe entre la Moi intérieur (le « cœur du Moi ») et les Mois extérieurs (les Mois que nous affichons pour l’extérieur) et le 2è type de stress qui prend racine dans le Moi intérieur et y demeure. Ainsi doit-on, selon Roeper, se demander si les Moi intérieur et extérieurs sont bien alignés/ partenaires ou au contraire antagonistes (rappelons-nous de la construction en faux self) et, dans ce cas, elle envisage le processus éducatif comme le nourrissement positif de la relation entre les Mois interne et externes ; c’est tout le travail effectué par les équipes utilisant les travaux de Dabrowski appliqués à l’Education sur le Continent Nord-Américain. Selon Roeper, les enfants précoces qui ont un processus de pensée complexe sont souvent mal ou pas du tout compris, ce qui leur vaut un feed-back souvent négatif ou inapproprié (voire pas de feed-back du tout…). Ces critiques provoquent leur perplexité et vont accroitre encore un peu plus le manque de confiance et d’estime de soi inhérent à leur personnalité. Pour éviter cela, certains d’entre eux peuvent prendre la décision plus ou moins complexe de ne plus échanger avec le monde extérieur et de travailler dans une certaine forme de solitude, voire d’isolement, sur leurs projets, idées, conceptions du monde : un décalage supplémentaire est alors à l’œuvre. Ils - 122 -

peuvent souffrir d’un manque d’interaction intellectuelle et créative, certains s’enfermeront dans les livres ou les nouveaux supports de connaissance voire dans le jeu. Ce manque de feed-back peut, à son tour, provoquer une frustration et de l’ennui qui se transforment en stress. A ce phénomène s’ajoute la pression mise par l’entourage à l’annonce de la surdouance : « puisque tu es surdoué, tu dois réussir », injonction parentale et scolaire. C’est négliger l’extrême complexité de la surdouance qui, selon la théorie de Dabrowski, se définirait plutôt par l’interaction des 5 SE, sur le terrain plus ou moins fertile du potentiel de développement. Dans le cas d’une attention particulièrement portée sur les performances scolaires, le « faire », ce sera le don de l’enfant qui recevra l’attention et non l’enfant lui-même, nouveau facteur de stress. La pression interne dans cette population provient selon Roeper de plusieurs facteurs qu’elle identifie ainsi : • La perception acérée de l’état du Monde et des dangers qu’il court et le ressenti d’impuissance face à ce phénomène. Ce peut être aussi le décalage entre ressentir ce qu’il faudrait faire et ne pas oser en parler autour de soi de peur d’être rejeté • La compréhension que les adultes ne sont pas aussi compétents ou assurés qu’ils veulent bien le dire ou paraitre face à ces situations. Les attentats du 11 septembre, ou ceux plus récents de Paris le 13 novembre 2015 ont plongé nombre de surdoués dans la stupeur et un questionnement sans fin qui ne trouve pas réponse dans le monde des adultes tous aussi désarçonnés. Ils peuvent alors être pris dans le paradoxe suivant : ils se sentent très engagés à changer le Monde, mais comme ils sont bouleversés par des sentiments profonds et une conscience aigüe de la réalité, ils se retrouvent plongés dans la sidération • La colère, la frustration et l’envie de faire quelque chose d’utile sont provoqués par ce fréquent et intense sentiment d’injustice, pour soi et dans la société toute entière. Sans soutien de l’entourage, un sentiment d’impuissance, d’incompréhension et d’isolement peut s’installer et créer de nouvelles tensions internes. - 123 -

Roeper décrit ensuite les différentes sources de stress interne négatif vécues par l’enfant précoce :

Fig 15 : Sources de stress négatif interne chez l’enfant surdoué - Roeper

Ces sources ne sont bien évidemment pas exhaustives mais elles participent toutes à créer chez l’individu surdoué manque de confiance en soi, sentiment d’étrangeté, tendance à reculer devant l’obstacle/ l’épreuve, procrastination et retrait. Nous avons vu que le stress comporte aussi une composante positive lorsque les conditions sont favorables. Le stress est présent dans la recherche créative et peut la stimuler dans la résolution de problèmes complexes et d’un certain dépassement de soi. Pour bien utiliser leur stress, les enfants surdoués vont avoir besoin d’être entourés et compris. L’entourage proche doit les aider à comprendre leur stress et à l’utiliser à bon escient, ce qui les aide à stabiliser leur état interne émotionnel et affectif, à se sécuriser suffisamment pour oser se lancer dans ce qu’ils peuvent ressentir comme de nouveaux défis. Malheureusement, de nos jours les parents et enseignants semblent penser que, pour ces enfants, l’accent éducatif doit être porté sur le développement intellectuel là où il devrait être mis sur l’accompagnement à la croissance émotionnelle et personnelle, ses visions et sa sensibilité profonde qui sous-tendent son développement plus global et plus profond. Le fondement du développement du sens du moi est orienté dès le plus jeune âge car les enfants intériorisent rapidement la façon dont les parents les perçoivent ; c’est leur seule source de discernement de ce qu’ils sont dans le monde. Si les parents perçoivent leur enfant - 124 -

comme une extension d’eux-mêmes pour combler leurs besoins ou leurs rêves, l’enfant devient dépendant de ses parents et ne pourra conquérir son autonomie, son « vrai Moi ». Les parents doivent veiller à leurs propres besoins et rêves pour ne pas les « déléguer » à leur enfant. L’enfant doit être perçu comme un être unique, séparé et autonome. De la même façon, le parent doit faire preuve d’empathie auprès de son enfant, sans identification mais avec le désir de répondre à son besoin d’exploration et de développement propre ; l’accompagnement éducatif est un délicat et subtil équilibre entre permissivité et cadre éducatif. L’enfant précoce a besoin d’être soutenu face à ses tensions internes et externes et la famille doit pouvoir représenter pour lui un cocon dans lequel il peut venir trouver refuge et espace pour reprendre haleine dans sa découverte de lui-même et du Monde. Ainsi l’empathie, la compréhension et le nourrissement émotionnel sont les soutiens essentiels du développement du Moi de l’enfant. Bien compris et bien soutenu pendant l’enfance, l’individu disposera des bonnes compétences pour faire face à toutes les pressions qu’elles soient internes ou externes. L’écoute et le respect sont essentiels au développement de l’enfant dans la construction de son Moi et construisent les bases d’une relation saine parent- enfant lorsque celui-ci sera devenu adulte. Que nous soyons parents, enseignants ou accompagnants, nous devons fournir à de tels êtres si sensibles un feed-back approprié, une validation et le respect de sa vérité et de son expérience ; c’est ainsi que nous pouvons le plus efficacement les accompagner et les encourager sur ce dur chemin du potentiel élevé. Adolescent, jeune adulte, crise d’adolescence et du « quart de vie » : L’adolescence est communément considérée comme une période de réaménagement de la psyché accompagnée de troubles et de changements tant biologiques que psychiques. Erickson (1950, 1968) décrit l’adolescence comme une période de crise d’identité et de conflit, processus interne pour acquérir une personnalité propre et trouver une place dans un monde plus vaste que celui de la famille. Alors que le mot « puberté » se réfère plutôt à la biologie et à la maturation sexuelle, le terme « adolescence » se réfère à la transition - 125 -

culturelle et psychosociale vers l’âge adulte. Dans « Living with Intensity », P.Susan Jackson et Vicky Frankfourth Moyle parlent de l’adolescence comme d’un état de désintégration en référence à la TDP. Cet état ne doit donc pas être considéré comme dysfonctionnel mais plutôt comme un grand changement à l’œuvre chez l’individu en chemin pour la construction du Moi. Plus particulièrement chez les surdoués, l’adolescence ne va pas se définir uniquement au travers de caractéristiques typiques du développement mais surtout au travers d’expériences peu communes et particulières à cette population. Une capacité cognitive accrue, des changements dans le fonctionnement social/ émotionnel et une croissance dans la réalisation morale caractérisent cette période de vie. C’est le moment de l’émergence d’un Moi autonome, là où régnait la norme psychologique et l’identification de l’enfance dans une réévaluation opéré par le jeune au travers de ses « nouveaux yeux » et de ses nouvelles compétences. Il est fréquent que chez les enfants très précoces, cette « conscience adolescente » apparaissent très tôt, bien plus tôt qu’à l’âge dit adolescent : dans la pratique, on peut en percevoir des signes vers 9 ou 10 ans. L’ado précoce va chercher à explorer toutes ses dimensions qui lui permettront d’interagir avec le Monde, voire de l’impacter de façon innovante. Il a besoin de trouver un sens à la vie, à ce qu’on lui enseigne aussi mais, pour cela, il aura aussi besoin de s’affilier dans une sphère de contact plus large et plus profonde qui va lui permettre d’explorer ses « 1ères fois » dans lesquelles se dessineront ses valeurs morales, son orientation sexuelle, sa capacité de communication et de conscience spirituelle, autant d’aspects du Moi en construction. Des pulsions créatives complexes et des urgences psychosexuelles alimentées par les changements hormonaux font surface. On comprend que l’ado s’engage alors dans une période remplie de turbulences émaillées d’urgences à la découverte, de nouveauté et de questionnement existentiels. Le timing et le tempo de cette mutation varient pourtant d’un individu à l’autre. L’une des difficultés de cet âge est de parvenir à maintenir une forme de continuité du Moi au milieu de ce flux d’évolution alors que l’ado est poussé en dehors de « ses frontières » par une forme primaire d’évolution qui imprègne chacune de ses cellules : cela va nécessiter - 126 -

d’aller de l’avant sans visibilité consciente en laissant derrière soi ses schémas psychologiques familiers et cela, souvent, dans l’incompréhension de l’environnement proche et ses normes installées. Cette évolution va requérir une centration de l’individu sur luimême ; ceci n’est pas nouveau pour les précoces qui, depuis longtemps (toujours ?) restent très attentifs à ce qui se passe en eux, leurs émotions, les réactions de leur corps. La nouveauté qui émerge de cette période, c’est la méta conscience qu’ils ont du Monde et de l’impact potentiel de leurs compétences. Ce qui peut créer un sens développé de la responsabilité individuelle tant vis-à-vis de soi que du Monde. Cette responsabilité peut être ressentie comme un fardeau car le jeune est alors pris dans un paradoxe : d’une part, il ressent qu’il doit écouter cette force interne inévitable qui émerge en lui mais, d’autre part, il ne pourra être sûr de la nature et du champ des compétences qui s’éveillent. Il pourra être aussi mal à l’aise avec le choix (ce qui peut se prolonger à l’état adulte…) car faire un choix c’est exclure toutes les autres possibilités qu’il aurait pu choisir. Ces êtres possèdent également un sens aigu de leur responsabilité vis-à-vis des autres et ressentent fortement l’interconnexion entre les choses, les gens. C’est pourquoi, lorsque les idées les plus riches émergent dans cette période, l’ado a besoin de soutien, d’empathie, de compréhension mais aussi d’un cadre éducatif subtilement dosé pour à la fois le protéger mais l’inviter à faire ses propres expériences. Une autre caractéristique notable chez les ados précoces est l’asynchronie entre développement physique et psychique qui contribue à brouiller les messages pour l’entourage et pour l’ado luimême : certains pourront avoir une maturité psychique dans un corps d’enfant ou, à l’inverse, dans un corps d’adulte manifester des attitudes témoins d’une immaturité notamment affective. Il n’est pas rare de rencontrer dans cette population un enfant de 8 ans très précoce d’un point de vue cognitif mais en retard du point de vue physique. Il existe encore moins de règles chez les précoces que chez les normo-pensants mais cette asynchronie chez l’ado précoce peut considérablement l’affecter au travers de ses extrêmes sensibilité et empathie. Il ne faut pas oublier que l’ado précoce, muni de son « imagination sans âge » qui le décale de la moyenne, éprouve de - 127 -

la difficulté à entrer en contact avec ses pairs, ce qui peut le freiner dans son développement socio-affectif qui ne peut se produire sans contact. Cette période de transformation déjà délicate pour le normo-pensant s’avère encore plus sensible pour le jeune précoce dans ses tentatives à faire siens ses aspects de conscience en dehors de la norme ; certains peuvent même penser qu’ils sont « fous » ou anormaux ce qui concourt aux frustrations, désespoirs et angoisse bien décrits dans la TDP lors de la désintégration positive. Doté d’une cognition au stade de la pensée abstraite couplée à des compétences imaginatives hors normes et émaillée de moments de claire perception d’un développement moral et éthique, il est normal qu’un tel individu connaisse des moments intenses de frustration, de confusion et de flottement. Alors, comment soutenir et aider dans sa quête cet adolescent en construction ? Nous avons tenté de décrire les principaux écueils/ difficultés auxquels se heurte l’ado dans cette période de réaménagement et de construction du Moi authentique (quand tout se passe bien…) ? Selon Jackson et Franckfourth diverses réactions se manifestent chez ces jeunes : certains vont traverser des crises liées à la frustration de ne pas être comme les autres et de ne pas être compris qui peuvent être suivies de moments de renfermement pendant lesquels des sentiments de honte et de dégoût de soi dans cette incapacité ressentie à se contrôler. Pour certains, c’est leur obstination qui va croitre tandis que d’autres, en intériorisant leur frustration, vont devenir spectateurs passifs de l’hypocrisie et des comportements qu’ils ressentent incohérents chez les autres. D’autres plongeront dans le renoncement et la passivité, épuisés, impuissants dans leur désir de vivre leur idéal ou encore déprimés de constater qu’ils ont pu blesser quelqu’un. Pour les adultes qui entourent l’ado précoce, il est avant tout important de créer un lien de confiance ; ceci ne peut s’établir que si l’adulte est lui-même observateur critique de son propre comportement et sait répondre aux comportements d’autrui sans jugement et dans l’empathie. L’ado précoce qui vit dans son être tous ces changements majeurs a en lui un énorme désir de connexion et de pleine intégration pour le soutenir dans l’élaboration de son identité séparée, unique ; il a aussi - 128 -

besoin de cohérence et de congruence. L’absence ou l’impermanence de relations satisfaisantes, riches et cohérentes peut amener le jeune à l’«implosion » et à la dépression grave, à l’anorexie et aux conduites suicidaires ou de destruction (scarification…), à l’addiction. Selon Jackson et Moyle, l’adulte accompagnant le jeune surdoué doit être vigilant sur 2 points : • Le développement interrompu : il apparait chez l’individu sensible au potentiel de développement élevé lors de la manifestation d’un évènement externe ou de facteurs qui viennent causer une blessure et provoquent fragmentation et/ou dissociation. On peut retrouver là un environnement non validant dans lequel l’enfant ne se sent pas à sa place tout comme un environnement « sur validant » abusif pour l’enfant et générant de la pression. Des incidents mineurs pris individuellement mais répétés peuvent causer chez ces individus des lésions indélébiles du tissu psychique et donc durables. Les aspects en pleine croissance de l’enfant peuvent alors être fixés à cet âge. La région de la psyché sera difficile à atteindre par la suite car l’individu saura mobiliser toutes les défenses nécessaires pour éviter toute répétition ou intrusion. Insistons sur le fait qu’il peut ne s’agir que d’évènements apparemment bénins. • Les fonctionnalités refoulées : lorsque l’enfant à fort potentiel n’utilise pas ou ne montre pas certains aspects riches de luimême, ceux-ci peuvent être détruits ou fragmentés, bien cachés, voire enterrés. Il en résulté un dysfonctionnement sur 2 plans : 1) cela diminue la vitalité de l’individu, 2) l’énergie utilisée pour la protection n’est plus utilisable pour une croissance saine et spontanée. Cette fonctionnalité réprimée peut aussi provenir de l’énergie investie par l’ado pour protéger un autre (parent fragile ou malade, frères et sœurs plus jeunes et/ ou malades…). Il est donc primordial que l’adulte responsable d’enfants surdoués soit capable de veiller à la satisfaction de ses propres besoins. Enfin, ces mêmes auteurs décrivent les facteurs extérieurs susceptibles de rendre encore plus complexe cette période chez les ados précoces, comme repris dans la figure ci après. - 129 -

Fig 16 - Influences extérieures néfastes au développement de l’ado précoce

L’isolement des adolescents par rapport au reste de la société Les collèges et lycées modernes n’offrent que peu d’opportunité d’interaction avec d’autres classes d’âge. Si l’on garde en tête la nature asynchrone des adolescents à fort potentiel, l’importance cruciale qu’ils accordent à la communion, à l’accès aux forces intergénérationnelles et aux divers types de relations sont vitaux pour eux. Le développement de l’adolescent peut être empêché ou impacté négativement par de tels environnements homogènes. Les parents et enseignants doivent encourager les activités intergénérationnelles. La pression à la conformité subtile ou… moins subtile Il existe une pression de la part des pairs, des parents, des accompagnants, des médias et de la culture populaire à se conformer à des standards externes. Même si différents domaines de vie exercent des demandes différentes et ont des attentes souvent contraires, tout cela requiert de la part de l’adolescent qu’il se conforme de façon normative, sans respecter leur individualité unique. Parents et enseignants doivent accepter l’expression unique de l’individualité de ces êtres. Le manque de conscience du phénomène de la surdouance Les professionnels de la santé et les éducateurs sont souvent mal formés et inconscients du phénomène global de la surdouance. Beaucoup sont prompts à diagnostiquer les états désintégratifs comme négatifs. Souvent, certaines excentricités deviennent des critères de diagnostic et des comportements authentiques (mais non-normatifs comparés à la majorité de la population) sont perçus comme patholo- 130 -

giques. L’emphase mise sur les manifestations extérieures Les adolescents sont souvent jugés sur des comportements extérieurs, observables. Cette focalisation simplificatrice nie la vie interne et authentique de l’enfant surdoué. L’emphase mise sur l’atteinte de résultats Souvent on remarque une emphase portée sur le talent qui finalement se focalise uniquement sur la performance et la compétition, au détriment d’un développement plus serein de la totalité des compétences de l’enfant. Ceci peut aussi conduire à imaginer une certaine importance de soi puis, à l’inverse, des sentiments d’inadéquation profonde et de dépression. La vie par procuration Les « mères copines » et les parents « hélicoptères » peuvent devenir trop identifiés ou trop impliqués dans leurs activités, même s’ils cherchent sincèrement à favoriser le développement de leur enfant. En vivant par procuration au travers de leurs enfants, ils se privent, euxmêmes et leurs enfants, d’engagements profonds avec les autres et le monde autour d’eux. Peu ou pas d’accès à des environnements encourageant l’authenticité Il est rare de se sentir en confiance pour livrer son vrai moi, ses désirs les plus profonds et ses plus grandes peurs, là où l’engagement envers les autres est accepté et encouragé et où les passions peuvent s’exprimer. Cela peut paraitre particulièrement décourageant pour un adolescent qui aspire ardemment à des échanges authentiques et de l’intensité et qui désire faire siennes ses sensations et cognitions. La préoccupation de l’adulte à fournir un environnement idéal et optimal Cette préoccupation provoque, chez les parents, une l’anticipation qui laisse peu de place à la flexibilité ou à une individuation unique. Elle a pour origine le désir d’assurer la réussite de l’enfant - mais elle le prive de la nécessaire expérience de la lutte et de l’imprévu, dérobant l’expérience de la vitalité. Ces parents de la « GI génération », de bon niveau culturel et au style de vie aisé, ont à cœur de placer leurs - 131 -

enfants dans les situations les plus avantageuses possibles. Ce faisant, ils leurs épargnent plus ou moins volontairement les épreuves et les défis nécessaires au développement de l’individu. (Le paragraphe suivant est extrait de Living With Intensity, ch. 4 p.68 et suivantes)

• •













Jackson et Moyle donnent ensuite quelques directions pour le soutien à ces êtres hypersensibles et précoces dans cette période de désintégration positive : Encourager les contacts et engagements intergénérationnels Rendre hommage sincèrement à la personnalité digne et unique de l’essence de l’enfant, tout en adressant ses besoins d’être guidé et de fixer avec lui des limites Prêter attention aux aspects de sagesse et d’éthique - autant que faire se peut - en choisissant soigneusement les cheminements et le processus de décision Participer aux tâches de développement en guidant en conscience et avec l’engagement de ressources proportionnelles à la capacité interne de l’enfant (potentiel et compétence) Comprendre que les facteurs chance sont incontrôlables et son représentatifs d’une interaction authentique avec un environnement vivantils suscitent une croissance accélérée, une solide maturation, la flexibilité et la résilience de la personnalité d’un enfant Fournir des occasions à l’adolescent en construction de prendre des responsabilités et des décisions, en sécurité. Cette compétence en cours d’acquisition requiert une communication efficace entre les parents et leur enfant et une confiance sincère dans la sagesse inhérente à tout adolescent en développement Proposer des occasions de rencontre avec des « mentors », avec de « vrais pairs » et de même, agir en tant que mentor et conseiller afin d’entrainer leurs dimensions interpersonnelles et nourrir la construction de leur communauté Permettre une construction qui intègre des sujets permettant ou encourageant une pensée originale, développement la prise de risque intellectuels, requérant un engagement total de l’intellect, une vision du monde, des aspects sociaux/ émotionnels et un raisonnement moral

Amy Clements Blackburn et Deborah B. Erickson, dans un article de 1986 du Journal of Counseling & Development, rapportent de leur étude de la littérature existante sur le sujet des crises adolescentes 5 - 132 -

grandes difficultés auxquelles peuvent se heurter les précoces :

Fig 17 : 5 résultantes de la crise d’adolescence chez le surdoué





L’immaturité développementale concerne plus les garçons que les filles ; ceci semblerait provenir du développement plus tardif de l’aire visuelle lié à des difficultés d’apprentissage ou des retards de développement. Souvent, à l’âge préscolaire, on peut noter un retard des fonctions visuelles et auditives chez ces garçons plus habitués dans leurs jeux aux emplois d’onomatopées, là où les filles y sont plus entrainées à une expression verbale plus sophistiquée. A l’entrée à l’école, le petit garçon peut ressentir une frustration alors qu’il n’est pas compris par l’enseignant, qu’il fait preuve d’hyperactivité là où l’enseignant attend qu’il se tienne calme. Le petit garçon verra aussi son enthousiasme pour l’école diminuer au fur et à mesure qu’il expérimentera la difficulté ; il pourra alors devenir hyper agité, distrait pour lui et pour les autres. Même si l’hypersensibilité fait partie du tableau de la surdouance, celle-ci conduit l’individu à percevoir des signaux faibles qui vont le distraire. Souvent, avant que le jeune garçon surdoué soit prêt d’un point de vue développemental au système éducatif traditionnel, il est déjà étiqueté difficile, immature, lent ou hyperactif ce qui peut provoquer une image dévalorisée de lui-même, sa pulsion de création pouvant alors être soit utilisée à l’extérieur dans d’autres activités (le meilleur des cas) soit mise à profit de conduites de destruction ou non-productives. Ce parcours chaotique précède de nombreux ados garçons à l’école. La conduite d’échec : celle-ci affecte autant les garçons que les filles, juste avant et après l’entrée au collège. Une tendance à ne - 133 -

pas atteindre partiellement ou totalement les objectifs et les consignes fixées émerge d’une réaction contre-productive à la demande pressante de conformité de l’environnement. Les auteurs analysent 5 raisons possibles à cela. 1. La personnalité et le milieu social de l’enfant, dès le plus jeune âge, liés à un manque de confiance et de persistance dans l’atteinte des objectifs, 2. Des attitudes négatives, antisociales et d’auto-sabotage, liées à un manque de régulation interne et à une victimisation qui ne permet pas la mise en place d’une responsabilisation et d’une autonomisation, 3. La pression à la conformité car la pensée divergente est souvent mal accueillie par l’entourage ; cela peut conduire à une restriction du champ imaginatif et créatif, au rejet de l’école, au retrait social, à la conduite antisociale, la délinquance et la maladie mentale. 4. Certains vont se fondre dans la masse pour se faire oublier et sacrifier leur curiosité, leur appétit de vie et créer ainsi de l’ennui, 5. Le perfectionniste plongé dans un monde de compétition peut s’y perdre et, se sentant sous pression, peut être amené à considérer qu’il vaut mieux ne pas participer plutôt que d’être le second. • La peur de la réussite chez la fille : les filles sont plus exposées à ce phénomène, confrontées rapidement à la réussite dans la société. Alors qu’au primaire, comme les garçons, elles ont été encouragées à la réussite, à l’adolescence, les valeurs sociétales peuvent les rattraper : capacité à trouver un mari, séduction, beauté physique, modestie, dépendance et flexibilité sont des valeurs encore largement transmises aux filles dans nos sociétés. Elles reçoivent donc 2 messages quasiment irréconciliables et diamétralement opposés. Elles peuvent être amenées à choisir entre réussite et féminité. Ainsi, de nombreuses femmes n’atteignent pas leur potentiel de réussite, freinées par la pression sociale à la conformité des genres et peuvent considérer ce succès comme un facteur d’isolement. - 134 -





Trop de potentiel… trop de choix… pas de choix : les ados surdoués sont fréquemment intéressés par de multiples domaines et piégés dans le dilemme du choix au moment des orientations. « Choisir, c’est mourir un peu » est la 1ère pression à laquelle ils se soumettent eux-mêmes. Pourtant certains, cédant à la pression ambiante, vont tenter de poursuivre toutes leurs aspirations ; leur énergie se disperse et ils peuvent se décourager à ne pas réussir selon les standards qu’ils se sont eux-mêmes fixés ainsi que pour ne pas décevoir leur entourage et/ ou mentors. Ceux qui parviennent à focaliser leurs efforts peuvent aussi éprouver une difficulté à s’apercevoir qu’ils réussissent et se lancer dans une course sans fin vers la perfection… qu’ils n’atteindront jamais. Dans les 2 cas c’est l’estime de soi qui peut être gravement touchée. Le perfectionnisme est l’un des traits qu’on retrouve fréquemment chez les précoces mais il ne joue pas souvent en leur faveur. D’une part, il peut bloquer celui qui se fixe des objectifs trop élevés et, ayant peur de ne pas les atteindre, préfèrera ne pas s’engager sur l’obstacle de peur de l’échec, son imagination fertile lui annonçant toutes sortes de catastrophes à venir. Les manifestations qui en découlent sont la procrastination et la difficulté à l’engagement. Celui qui dépasse cette étape peut être confronté à une autre difficulté : la paralysie devant la compétition avec d’autres tout aussi ou plus performants. Là c’est la peur de ne pas arriver le 1er qui peut inhiber tout engagement.

Ces mêmes auteurs donnent quelques conseils pour accompagner ces précoces qui peuvent être en grande souffrance : • Leur permettre de développer une estime de soi réaliste reposant sur la compréhension de leurs forces et faiblesses • Leur permettre de bâtir un solide sens de la responsabilité de soi qui ne repose ni sur la fatalité ni sur autrui • Leur permettre de mettre en place une motivation et une évaluation de soi-même en les dégageant de la compétition avec autrui et en les refocalisant sur des objectifs personnels et l’autoévaluation • Leur apprendre que le Moi est en construction permanente plu- 135 -



• • •







tôt qu’un produit à jamais fini Leur apprendre à cerner leurs besoins et motivations ainsi que ceux d’autrui et à utiliser leur capacité d’empathie et d’identification pour la coopération plutôt que pour la compétition Leur apprendre l’acceptation de leurs erreurs et l’apprentissage qu’ils peuvent en tirer afin de réduire leur peur de l’échec Encourager les techniques de brainstorming et de recherche de solutions pour nourrir leur pensée créative et divergente Leur enseigner l’assertivité dans leur communication avec autrui sur le thème des différences et de leurs implications sans devenir agressif ou odieux Leur transmettre des méthodes afin d’utiliser leur frustration et leur stress de façon créative plutôt que d’alimenter un burn-out, fréquent dans cette population à l’âge adulte Développer leur capacité à demander de l’aide, à apprendre de tout un chacun, quel que soit le niveau d’intelligence, le talent ou la compétence de celui-ci Développer leur sens de l’humour sur eux-mêmes et les évènements qu’ils ne peuvent contrôler afin de ne pas prendre tout au sérieux et de ne pas se dévaloriser.

Crises existentielles chez les femmes : Dans notre pratique clinique, il est fréquent de constater 2 âges critiques chez les femmes : 30/ 35 ans (… et plutôt 30 ans chez les surdouées) et 50 ans. Linda Kreger Silverman et Elisabeth Schuppin, elles, parlent de « points de non-retour » comme autant d’invitation à un niveau de développement plus élevé et une indication qu’une croissance, commencée plus tôt mais passée jusque-là inaperçue, est à l’œuvre. Cette vision s’inscrivant directement dans la TDP peut permettre un regard différent sur ce type de situation et inviter les thérapeutes que nous sommes à envisager d’autres voies d’accompagnement plus positives elles aussi ! La crise de milieu de vie fait vivre une véritable désintégration du Moi, une perte de la définition de soi qu’on pensait inaltérable. Ces femmes peuvent se sentir « vidées » de ce qu’elles ont été jusque-là (sens, rôle, place dans la société…) et qu’il ne leur reste plus rien de leurs fondations d’avant, ce qui s’avère terrifiant - 136 -

Les causes de cette dissolution peuvent s’avérer être de plusieurs ordres : • La perte tout d’abord : perte d’un être cher, divorce, la résolution de ne plus avoir d’autre enfant, décès des parents, départ des enfants, perte de son rôle, de son utilité vis-à-vis des enfants et du conjoint • Le stress de tout mener de front : travail à l’extérieur, tenue de la maison, veille sur la famille, crise existentielle du conjoint • Un sentiment plus flou de désespoir sans « bonne raison » ou de dévalorisation sans pouvoir en identifier clairement la cause. Les femmes sont amenées à se questionner sans réponse sur « ce qu’elles ont mal fait » et la dépression commence à tout recouvrir La réponse à un tel malaise se traduit encore souvent par des conseils portant sur le « faire », négligeant totalement les émotions et sentiments en jeu dans ce type de périodes : trouver un nouveau hobby, devenir volontaire dans une association… La validité de ces sentiments n’est ni prise en compte ni reconnue et les femmes se sentent incomprises. Les crises de la trentaine et de la cinquantaine chez les femmes présentent des points communs et des divergences. Dans les 2 cas, il y a perte des anciens repères sans, dans un 1er temps, imaginer qu’on puisse en retrouver de nouveaux, ce qui créé un profond désespoir et un désalignement. Tout ce qu’on pensait acquis est remis en question : on assiste à une véritable révolution intérieure. Dans les 2 cas, il peut aussi s’agir de pertes qui agissent comme déclencheurs de la crise. Pour certaines, trentenaires ou quinquagénaires, une révolution qui n’a pas pu prendre place dans l’adolescence, se manifeste sur le tard. Dans le cas de la crise de la trentaine, on assiste plus particulièrement à une 1ère évaluation de sa propre vie : à 35 ans les femmes savent souvent qu’elles ont eu leur dernier enfant et il leur faut faire le douloureux deuil de la maternité. Elles évaluent aussi leur vie de couple et certaines décident même d’y mettre fin car celui-ci ne correspond plus aux nouvelles attentes qui émergent mais qui sont encore floues. Dans notre société où le « jeunisme » est promu, ces femmes peuvent - 137 -

ressentir que leur apparence ne correspond plus tout à fait aux normes en vigueur et peuvent s’en désespérer : en effet, les modèles qui nous présentent la mode vestimentaire ont souvent la moitié de l’âge de ces trentenaires et pourraient presque être leurs filles, le contraste peut devenir insoutenable. Au travail, elles parviennent souvent à des positions qui nécessitent disponibilité mais ne permet aucun droit à l’erreur ; elles se retrouvent à gérer tout de front (famille, travail, maison…) et la pression devient insupportable, ne laissant que peu de place pour s’occuper de soi. Le conjoint est souvent lui-même pris dans la pression de son propre emploi ; les couples s’éloignent jusqu’à, pour certains, ne plus savoir pourquoi ils sont encore ensemble. La « femme de », la « mère de », la » fille de » peut ne plus savoir qui elle est réellement… si elle l’a jamais su, ayant pu jusqu’à cet âge, délivrer ce qu’on lui demandait dans ces différents rôles sans se préoccuper de ses propres désirs ou besoins dans une construction en faux-self persistante. Alors la femme peut se retrouver totalement perdue : ce à quoi elle a répondu jusqu’à maintenant ne la satisfait plus mais elle n’a pas encore identifié qui elle était au plus profond d’elle-même et se retrouve dans un « no woman’s land » effrayant et insupportable. Confronté à ce type de cas, le thérapeute doit d’abord, comme le conseille Dabrowski et la TDP, rassurer sa patiente sur l’utilité d’une telle crise et lui faire comprendre qu’il s’agit vraisemblablement d’une « crise de croissance » salutaire certes difficile à vivre mais qui va l’amener vers son vrai Moi qu’il lui reste découvrir. Commence ensuite pour le thérapeute avec sa patiente un long travail que je nomme d’« archéologie » qui consiste à faire émerger du sujet ce qui a toujours été là pourtant mais qui n’a pu s’exprimer pour diverses raisons. On peut fréquemment observer un processus similaire à celui du deuil tel que décrit par Elisabeth Kubler-Ross : déni, alternance colère/ tristesse, marchandage, dépression et acceptation. Chez ces femmes, le processus est souvent bien entamé et nous les rencontrons au stade du marchandage (avec elle-même) ou de la dépression et devons donc les accompagner vers l’issue du processus vers l’acceptation et les nouveaux choix qui s’offrent à elles. Nous pouvons rencontrer beaucoup de résistances, particulièrement par rapport à la conformité et aux normes que ces - 138 -

personnes ont bien intégrées : elles sont souvent rattrapées par leur mauvaise conscience vis-à-vis de leurs enfants, ne se sentant pas suffisamment disponibles pour eux ; au travail, elle doivent faire leurs preuves souvent plus intensément et longtemps que leurs collègues masculins ; à la maison, elles se doivent d’être la femme d’intérieure idéale ; vis-à-vis du conjoint, et malgré toutes ces contraintes, elles se doivent de rester l’amante désirable et disponible. Au milieu de toutes ces contraintes, elles risquent de perdre le contact avec ellesmêmes si tant est qu’elles l’aient déjà établi… A la cinquantaine, si certaines causes demeurent les mêmes que pour la trentaine, d’autres causes émergent, bien spécifiques à cette tranche d’âge. La biologie et les changements hormonaux qui se produisent, quelquefois de nombreuses années avant la véritable ménopause, affectent profondément la thymie. Les modifications corporelles qui se produisent – changement de schéma corporel, embonpoint, dessèchement de la peau, sécheresse vaginale… - renvoient à ces femmes l’image de leur vieillissement inévitable dans une société où, nous l’avons vu, le jeunisme créé de l’intolérance par rapport à tout ce qui ne lui est pas conforme. Se sentant moins désirables, elles peuvent aussi se sentir moins désirées par leur partenaire qui, potentiellement dans sa crise de la cinquantaine, peut avoir envie d’aller butiner des fleurs plus fraiches… Pour celles qui n’ont pas ou plus de partenaires, la rencontre s’avère de plus en plus difficile par la rareté des rencontres et l’âge qui n’attire plus les hommes de leur génération. Au travail, elles sont considérées depuis l’âge de 45 ans comme des séniors, traduire « trop chères », « pas assez malléables » ou « pas dans le coup » ; leur carrière professionnelle, à de rares exceptions près ne peut plus se développer. C’est aussi l’âge où les enfants quittent le nid, nouveau processus de deuil pour ces femmes qui, leurs enfants devenus indépendants, peuvent se sentir inutiles, sans but ; si cette mutation n’a pas été anticipée, elle peut s’avérer être très difficile à vivre. Dans cette phase de vie, les quinquas ont aussi à accompagner et gérer le vieillissement de leurs parents et se confronter, souvent durement, à l’idée de leur propre mort. Là encore, le thérapeute va devoir accompagner la personne dans tous les deuils à mettre en place tout en permettant à la personne de faire sens de - 139 -

son expérience et de se projeter dans un nouveau futur, celui de la maturité ; la TDP est alors très utile pour réintroduire du sens et des caps dans une vie qui les a perdus. Crise existentielle chez les hommes : Si le phénomène de la crise existentielle chez la femme n’est pas encore bien compris, celui de l’homme l’est encore moins, entre autres peut-être parce que biologiquement l’andropause n’est pas aussi bien cernée que la ménopause, ni dans ses effets ni dans sa temporalité et que socialement l’homme se doit encore d’être fort. Nous verrons à la fin de ce chapitre qu’elle ne se vit pas non plus de la même façon pour les femmes et les hommes. Nous gardons en tête avec la TDP, que toute crise générative est annonciatrice d’un travail en profondeur de réaménagement qui, s’il est poursuivi jusqu’à son terme, amène l’individu vers des niveaux plus élevés de développement. Plusieurs auteurs ont travaillé sur ce sujet concernant la gent masculine. La carte heuristique ci après, « 4 regards sur les étapes de la vie chez l’homme », donne un résumé afin de mieux nous repérer et surtout mesurer l’apport inédit de la TDP. Nous l’avons vu dans le chapitre 3, la majorité des théories, qu’elles soient philosophiques ou psychologiques, envisagent les différents stades de vie comme étant invariables et devant être traversés par chacun. Du point de vue de la TDP, il n’en est rien puisque les équipes travaillant sur le sujet estiment que 80% de la population ne dépasseront pas le niveau II de désintégration primaire. Pour ces personnes, la crise de vie consistera en un moment de perte de repères dont aucun véritable enseignement ne sera tiré. Ces personnes changeront peut être d’emploi, de compagne et auront de nouveaux enfants, s’installant encore un peu plus dans l’inertie, la norme et la conformité à la société qui les encourage à « ne pas trop changer ».

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Fig 18 : 4 regards sur les étapes de la vie chez l’homme

Suivre cette injonction à « ne pas trop changer » comporte le risque d’une nouvelle désintégration quelques années plus tard car la conquête du vrai Moi n’aura pu avoir lieu. Certains reviendront dans leurs « anciennes traces » pour s’y ennuyer, devenir aigris de n’avoir pas su saisir les opportunités de cette vie et viendront rejoindre tous ceux qui en sont au stade de l’intégration primaire. Dans ces moments où la désintégration positive émerge, le thérapeute doit accompagner son patient dans toutes les phases : excitation d’entrevoir un avenir plus riche, peur de s’aventurer à l’aborder, découragement lorsque la personne à l’impression de stagner ou de régresser, difficulté à se dégager de la norme et de la conformité à l’environnement. C’est le moment riche de la découverte du vrai Moi, souvent ignoré ou oublié où le patient peut avoir peur de ce qu’il découvre de lui-même et de l’impact que cela aura potentiellement dans sa vie, dans ses choix. Un thérapeute ayant lui-même parcouru (ou parcourant encore…) ce difficile mais excitant chemin de découverte de soi saura mieux que quiconque accompagner de façon non directive ce type de trajectoire, en veillant toutefois à ne rien induire ; le recours au témoignage bien ciblé peut être utile. Christophe André et Coll. dans leur livre récent « les psys se confient » (2015, Ed. O. Jacob) témoignent de la puissance du témoignage du Psy dans le travail thérapeutique, s’il est utilisé stratégiquement bien sûr. Jim Conway (ouvrage cité précédemment) cite quelques stratégies - 141 -

pour aider ces hommes à passer le cap de la crise de milieu de vie, alliant biologie, comportementalisme et psychologie : 1. Veiller à son régime alimentaire, le métabolisme se ralentissant 2. Réintroduire l’exercice physique tant pour réguler le poids que pour entretenir le cœur 3. Mettre en place des checkups réguliers 4. Vérifier les dosages hormonaux de testostérone « libre » (biodisponible) et pas seulement le niveau « total » 5. Veiller à réduire les sources de stress par l’exercice et la relaxation mais aussi se permettre de parler de ses problèmes aux proches 6. Entretenir sa vie sexuelle même si cet aspect se fond maintenant dans d’autres notions telles que l’intimité, l’amitié, le partage, la spiritualité 7. Dormir ! S’astreindre à ne pas se coucher après 23h, la plage de 23h à 2h du matin constituant la phase de réparation, de sommeil profond réparateur : toute heure volée à ce créneau est dommageable à la santé physique et mentale 8. Avoir un ami ou un groupe d’amis de confiance auxquels se confier librement sur ses problèmes 9. Approfondir ses relations. D’abord avec son conjoint (pilier central dans ce moment difficile) puis avec les relations ; se lancer dans un groupe de réflexion politique, social… 10. Repenser sa carrière ; « quel est mon véritable objectif dans la vie ? ». Comment mettre en adéquation vos talents et compétences avec votre vie professionnelle plutôt que pour l’argent ou le pouvoir ? Se reconnecter à ce qu’on aurait voulu ou rêver faire jadis. 11. Réexaminer ses valeurs. Passer de « que dois-je faire ? » à « pourquoi je fais ce que je fais ? ». Comment optimiser au mieux le rapport argent/ temps/ énergie ? Ai-je besoin de tout ce que j’ai accumulé jusque-là ou de cet objet/ loisir qui me tente ? 12. Rechercher une stabilité émotionnelle au travers de la spiritualité 13. Encourager le développement de la personne unique que nous sommes 14. Se débarrasser des obligations inutiles ; prioriser et se débarras- 142 -

15. 16. 17. 18.

ser de 10% minimum des obligations Apprécier la variété et la complexité de la nouvelle vie qui émerge Se reconnecter aux amitiés du passé Rechercher sa spiritualité S’associer consciemment et encourager les changements internes à l’œuvre

Autant de directions positives pour accompagner ces grands troubles qui prennent place lors de la crise de milieu de vie dont certaines comme l’étude de ses valeurs, la réflexion autour de l’objectif vrai de la vie, le recours à la spiritualité, le rééquilibrage argent/ pouvoir/ temps/ énergie/ valeurs pourraient être issus de la TDP ! Les différences femme-homme dans la crise du milieu de vie Si la temporalité de la crise existentielle est différente chez les hommes et les femmes, ses manifestations et ses ressentis le sont aussi. Dans une compilation de l’Association Forty-Fifty (40- 50) établie par Hart, chercheur, sont exposées les différences significatives de vécu entre hommes et femmes lors de cette crise du milieu de vie : Comme le relève la théorie de Dabrowski, le modèle masculin dominant de nos sociétés renvoie l’image d’un homme dans la force de l’âge devant être fort et pour lequel la dépression ne peut constituer qu’un signe de faiblesse. Sa réaction va alors s’organiser autour de l’ « automédication » via des antidotes pour se sentir bien ; les signes de la dépression peuvent alors quasi disparaitre à la vue de l’entourage qui comprendra encore moins l’effondrement qui s’ensuivra. L’apparition des signes tangibles de la dépression se fera plus tardivement et les sujets à traiter plus graves et plus durement vécu encore. Paradoxalement, la femme aura plus de permissions pour exprimer son malaise et se mettra plus vite en route pour mettre en place de vraies solutions, aura moins tendance à projeter son malaise sur le Monde mais plutôt à s’auto-attribuer (trop quelquefois) ses propres difficultés et les solutions à leur apporter : c’est

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Dépression existentielle féminine

Dépression existentielle masculine

Se rend responsable de ses problèmes Se sent triste, au bord des larmes

Rend responsable autrui de ses problèmes Est irritable et ne pardonne rien à autrui Connait des problèmes pour s’endormir et rester endormi Suspicieux et sur ses gardes Peut être ouvertement hostile Attaque quand il se sent blessé Sur réagit et en est désolé après coup Pense que le Monde a tout mis en place pour le faire échouer Sans repos et agité Perd le contrôle de sa colère/ peut avoir des attaques de rage Emotions étouffées, ignorées Frontières personnelles étanches, rejette l’Autre Se sent honteux de ce qu’il est Se sent frustré si pas assez mis en valeur Nie ses fragilités et ses doutes Peur très forte de l’échec Besoin d’être le meilleur pour se sentir en sécurité Utilise l’alcool, la télé, le sport et le sexe comme automédication Convaincu que ses problèmes se résoudraient si leur conjoint(e), leur enfant, leur collègue, parent, ami… les traitaient mieux Se demande « Suis-je assez aimable ? »

Dort plus qu’à son habitude Vulnérable et facilement blessé Essaie de rester aimable Se retire quand elle se sent blessée Souffre souvent en silence Pense qu’elle était vouée à l’échec Ralentie et nerveuse Contrôle sa colère/ peut connaitre des attaques de panique Dépassée par ses sentiments Laisse les autres dépasser les (ses) bornes Se sent coupable pour ce qu’elle fait Ne se sent pas confortable à recevoir des compliments Accepte ses fragilités et ses doutes Peur très forte de la réussite Besoin de se fondre dans la masse pour se sentir en sécurité Automédication à base d’amies, de nourriture et d’amour Convaincue que ses problèmes se résoudraient si elle était… (meilleure épouse, mère, collègue, fille, amie…) Se demande « Suis-je assez aimée ? »

Tableau 5 – différences significatives de vécu entre hommes et femmes lors de la crise du milieu de vie

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certainement pourquoi, les cabinets de psychothérapie sont fréquentés aux ¾ par des femmes ! Pour terminer, nous pouvons illustrer ces propos sur les crises de vie par le modèle des cycles de vie familiale du Dr Lee Combrick- Graham : Le schéma suivant illustre les forces intégratives (de rapprochement) et désintégratives (de désengagement ou de centration sur soi) à l’œuvre selon les périodes de vie :

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ANNEXES : Lexique Textes et poèmes Bibliographie

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Lexique

(Source : W.Tillier sur www.positivedisintegration.com)

1er facteur

Biologie ; les éléments constitutionnels héréditaires, insuffisants pour un développement avancé. Correspond à l’instinct de survie biologique (faim, lutte pour survivre, reproduction…) qui aboutit, s’il n’est pas dépassé, à un besoin d’autosatisfaction, l’égocentrisme, l’obsession du succès matériel.

2è facteur

Environnement, correspond à l’influence de l’éducation, de la socialisation, de l’autorité morale externe (parents, éducateurs…). L’esprit critique en est absent car la seule réponse disponible se fait par la conformité et le respect de la norme introjectée. Seul un potentiel de développement fort peut permettre de passer au 3è facteur, ce qui ne serait pas possible en présence seule d’un environnement positif.

3è facteur

Indépendant des 2 premiers facteurs (hérédité et environnement). Son rôle est d’opérer sélectivement dans le choix ou le rejet de certaines qualités, inclinations, intérêts pu désirs proposés er e par les 1 et 2 facteurs. C’est un filtre. Dynamisme d’évaluation ayant un rôle primordial dans le développement de l’autonomie et de l’authenticité. Il émane d’une hérédité et d’un environnement positifs.

Ajustement

Etat d’harmonie résultant des efforts d’adaptation mis en place par l’individu vis-à-vis d’autrui, d’un schéma de comportement, d’un principe ou d’un idéal. Ajustement négatif (ou a-développemental) : résulte de l’acceptation de la conformité, des normes, coutumes en cours, sans évaluation critique. Peut aussi résulter de l’absence de réévaluation de ses propres besoins.

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Anxiété existentielle

Etat d’anxiété apparaissant dans un niveau élevé de développement, qui prend en compte la conscience de sa propre existence et de la responsabilité qui en découle. La peur pour l’Autre prévaut sur la peur pour soi-même. Type d’anxiété qui émane de la SE psychique, composée d’éléments d’empathie et intellectuels sur fond de dilemme humain du choix existentiel. Se réfère également à l’universalité de l’expérience humaine telle qu’exprimée par St Paul : « Si quelqu’un est faible, le suis-je aussi ? Si quelqu’un commet une erreur, mon cœur va-t-il se laisser envahir par l’indignation ? ».

Autonomie

Indépendance d’esprit développée consciemment en se dégageant des drivers de bas niveau et des influences de l’environnement extérieur ; elle n’est possible qu’à partir du développement d’autres dynamismes dans le milieu psychique, particulièrement le 3è facteur. C’est un dynamisme de liberté intérieure.

Auto Psychothérapie

Mesures psychothérapiques, préventives ou changement de conditions de vie qu’on s’applique à soi-même pour contrôler un possible déséquilibre mental.

Centre de contrôle

Dynamisme qui détermine chaque acte de l’individu ainsi que toute la gamme de ses comportements, ses projets et aspirations. Il permet la planification, la programmation, l’organisation, la collaboration dans les décisions concrètes.

Conflit positif

Un conflit qui incite et intensifie les forces développementales en désintégrant les structures et fonctions des niveaux les plus bas et en approfondissant la conscience de soi ainsi que la transformation psychique interne. L’apparition de conflits internes inhibe et sublime les conflits externes. Ainsi le stress, les expériences de vie difficiles, l’anxiété et les dépressions sont autant de signes d’un développement positif.

Désintégration

Désorganisation, dissolution ou perte des fonctions et structures mentales. Processus pouvant - 148 -

permettre à certains individus de passer de l’intégration primaire à l’intégration secondaire. Peu atteignent néanmoins ce dernier niveau. L’atteinte de l’intégration secondaire correspond à la pleine réalisation de l’Idéal du soi.

Développement Passage des structures et de fonctions les plus basses vers de plus élevées, résultat de la désinmental tégration positive.

Développement Développement limité à un talent ou compétence, à une gamme limitée de capacités et unilatéral

fonctions mentales. A ce stade, on remarque l’absence d’instinct créatif et d’empathie. Tombant sous le contrôle d’un centre de contrôle primitif, peut conduire à la psychopathie et la paranoïa.

Drivers primitifs

Forces intervenant au niveau de l’intégration primaire. Leur action est très intense, rigide, automatique, egocentrique et sous un contrôle uniquement biologique. Elles manquent de composants conscients tels l’empathie et l’inhibition. Par exemple, le driver sexuel au niveau primitif empêche un engagement personnel envers le partenaire sexuel ainsi que les considérations d’inconfort et de blessure de l’Autre.

Dynamisme

L’interaction entre hérédité et environnement créé certaines forces autonomes appelées dynamismes. Force biologique ou mentale de différentes natures, champs, niveaux de développement et intensité qui impacte le comportement, les actes, le développement ou la régression de l’individu. Les instincts, drivers et processus intellectuels combinés aux émotions constituent les dynamismes. Ceux-ci jouent un rôle déterminant dans le développement.

Echelle de valeurs

Résultat du processus de développement et d’activation des différents niveaux émotionnel qui prend source dans les conflits internes et reflète l’émergence de sentiments de valeur élevée ou au contraire basse. - 149 -

Empathie

Capacité à comprendre et prendre part aux émotions et expériences d’autrui. Forme évoluée de la syntonie – plus primaire, impulsive et renvoyant à la grégarité – qui appartient à une gamme plus évoluée d’émotions, contient d’importants composants intellectuels, résulte de la transformation psychique interne et du processus de désintégration positive à l’œuvre. Capacité à répondre par le bénévolat, la réactivité et la volonté d’assister autrui mais aussi capacité à exprimer les divergences de vue par rapport à ses attitudes et actes.

Etonnement vis-à-vis de soimême

Impression de surprise par rapport à ses propres qualités mentales. L’un des dynamismes les plus précoces du développement, de nature cognitive, à l’œuvre dans la transition entre désintégration unilatérale et stratifiée, qui s’accompagne d’inquiétude et d’insatisfaction vis-à-vis de soi-même.

Fonctions primaires

Fonctions émotionnelles primitives opérant au niveau de l’intégration primaire et caractérisées par l’automatisme, l’impulsivité, le stéréotype et déterminées constitutionnellement, comme par exemple les pulsions sexuelles ou l’instinct maternel.

Hiérarchisation

Processus de développement et d’activation de différents niveaux émotionnels qui émane d’un conflit de valeurs lui-même reflet de l’existence de sentiments correspondant à des valeurs basses et élevées. Une hiérarchie de valeurs permet de classer les émotions selon leur appartenance aux niveaux bas ou élevés

Honte

L’un des dynamismes les plus précoces dans le développement, détresse et embarras conscients résultant d’une prédominance de la sensibilité tournée vers l’extérieur par rapport à la sensibilité interne. Se combine souvent avec la somatisation

Idéal de personnalité

Standard individuel selon lequel l’individu évalue sa structure de personnalité. Elaboré de façon - 150 -

autonome et authentique, il émerge souvent dans le conflit et la lutte et en opposition aux idéaux en cours de la société. C’est une structure er mentale construite intuitivement en 1 lieu et qui sert ensuite à la construction de la personnalité. Il devient de plus en plus distinct au fur et à mesure du franchissement des niveaux de développement et joue un rôle particulièrement important dans le milieu psychique interne et le centre de contrôle interne. Ce processus se nomme « dynamisation de l‘idéal. Se rapprocher de son idéal de personnalité permet de se rapprocher de ce qui devrait être au détriment de ce qui est, de se dégager des bas niveaux d’émotions et de pulsions.

Identification

Consiste à comprendre et expérimenter les états mentaux, aspirations, attitudes et activités d’autres personnes. La capacité d’identification n’est possible qu’à un niveau élevé de développement mental universel via un processus de désintégration positive. La conscience de soi et l’identification authentique n’est possible que reposant sur la fondation d’un milieu psychique interne riche. Elle est précédée et associée à des dynamismes tels que « sujet-objet », le 3è facteur et la transformation du milieu psychique interne.

Inquiétude vis à vis de soiMême

Sensation de manque d’aisance avec soi-même ; l’un des dynamismes les plus précoces du développement marquant le début de la désintégration stratifiée.

Insatisfaction De soi-même

Capacité à désapprouver certains des éléments présents dans sa propre structure mentale ; forme précoce du 3è facteur, puissante force de motivation pour un développement conscient.

Instinct

Dynamisme de base ou force présents dans la vie des êtres humains et des animaux.

Instincts primaires

Simples, automatiques, involontaires, inconscients ou faiblement conscients, stéréotypés et déterminés par la constitution de base, ils opè- 151 -

rent au niveau de l’intégration primaire. Ils sont caractérisés par une grande intensité, un manque de flexibilité, de l’automatisme, de l’égocentrisme et le contrôle par la biologie. Ils ne sont pas contrôlés par la réflexion, l’empathie ou l’inhibition.

Instinct d’autoperfection

Tendance à vouloir atteindre des niveaux de développement élevés, mettant à contribution la totalité de la structure mentale de l’individu et plus particulièrement les sphères morale et empathique ; s’éveille et se développe à la fois au niveau de la désintégration stratifiée, opère en collaboration avec le dynamisme de la transformation du milieu psychique, de l’idéal de la personnalité ; conduit directement à la formation de la personnalité véritable.

Intégration

Incorporation de différentes fonctions dans une structure coordonnée, créant un équilibre dynamique contrepoids des réponses névrotiques. Correspond à un état et/ ou un fonctionnement stable et cohérent, sans trop de questionnement ni d’inconfort.

Maladie mentale

Absence ou déficience des processus qui permettent le développement. Peut se mettre en place à des bas niveaux de fonctionnement intégrés et primitifs ou d’une désintégration négative, a-développementale qui peut conduire à la dissolution des structures et fonctions mentales.

Milieu psychique interne

Partie de la psyché dans laquelle l’individu entre en conflit avec lui-même, l’intégralité des dynamismes mentaux de plus ou moins haut niveau de conscience opérant à partir d’une organisation plus ou moins hiérarchisée. Ces dynamismes coopèrent entre eux mais cela n’exclut pas les conflits dans le développement. Ils participent activement au processus de désintégration positive en transformant les fonctions - 152 -

et structures mentales pour les amener à un plus haut niveau de développement vers une personnalité totalement développée. Ils peuvent être divisés en 2 familles : les dynamismes unilatéraux (ambivalence, ambitendance) et les autres, stratifiés. On peut estimer qu’un noyau de ce milieu psychique interne existe déjà dans les niveaux de développement primitifs mais il ne déclenche pas de transformation psychique, les drivers de base étant à l’œuvre à ce stade, il peut se produire des formes de déséquilibre et de conversion somatique qu’on nommera primitive.

Nervosité

Surexcitabilité se traduisant dans les mouvements, les sens, l’affect, l’imagination et l’intellect. Cette surexcitabilité n’est pas nuisible aux fonctions mentales

Névroses

Perturbations mentales accompagnées d’un dysfonctionnement du système nerveux sympathique ou des désordres d’autres organes. S’accompagnent de désordres psychosomatiques.

Niveaux de développement

2 niveaux d’intégration : primaire (niveau 1) et secondaire (niveau 5) 3 niveaux de désintégration : unilatérale (niveau 2), stratifiée spontanée (niveau 3) et stratifiée organisée (niveau 4).

Personnalité

Organisation stable et harmonieuse de qualités mentales et fonctions raffinées qui est le résultat du processus complet de la désintégration positive et d’un développement mental conduisant à l’universalité. Cette organisation émerge dans les niveaux de désintégration stratifiée.

Don qui gouverne le caractère et favorise la Potentiel de développement croissance psychique interne de l’individu (Pie-

chowski). Plus ou moins développé, c’est le terreau du développement futur de la personnalité.

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Potentiel de développement négatif

Prédisposition constitutionnelle à la psychose, la psychopathie ou le retard mental ou tout autre désordre sévère empêchant le développement ou conduisant à la dissolution de la vie mentale.

Psychonévrose

Syndrome qu’une désintégration positive est à l’œuvre avec des symptômes de dysharmonie, de conflits dans le milieu psychique interne et avec le milieu externe. La source de la dysharmonie et des conflits provient d’une douance héritée et d’une capacité à accélérer le développement par la désintégration positive vers l’atteinte de la personnalité, c’est-à-dire vers une structure cohérente des fonctions de l’intégration secondaire. La psychonévrose n’est pas considérée comme pathologique par la TDP mais plutôt comme des forces à l’œuvre pour le développement mental. Les formes les plus primaires en sont la psycho-somatisation tandis que les formes les plus évoluées sont des luttes internes conscientes alors que les frustrations ne sont plus automatiquement converties en somatisation.

Psychonévrose existentielle

Psychonévrose apparaissant à un niveau de développement élevé dont les préoccupations dominantes sont existentielles ; selon le type de névroses (dépression, anxiété, obsessionnelle ou infantile) ses composants varient.

Régression positive

Régression au service de l’ego. Régression temporaire vers une période émotionnelle plus précoce, ou retrait des activités quotidiennes dans un but d’isolement. Ceci est causé par une saturation ou par un besoin de repos psychique ou un besoin de temps afin d’intégrer une expérience. La régression positive permet à l’individu de se préparer pour un déploiement de son potentiel créatif, prévient les désordres mentaux, préserve et développe l’autonomie. Elle est fréquente chez les sujets dotés de SE imaginative et émotionnelle. - 154 -

Santé mentale

Fruit du fonctionnement de processus amenant vers des niveaux de fonctionnements plus élevés qu’ils soient mentaux, sociaux, esthétiques et leur organisation vers une échelle en accord avec l’idéal de personnalité.

Sujet-objet de soi-même

Capacité d’introspection à s’observer et s’évaluer soi-même de façon critique, observée chez les individus en cours de développement accéléré et universel. L’intérêt pour leur monde intérieur peut devenir momentanément prévalent sur l’intérêt porté vers l’extérieur. L’introspection n’est pas seulement intellectuelle mais surtout émotionnelle. Forme d’instinct cognitif en corrélation avec le 3è facteur, le centre de contrôle et l’idéal de la personnalité. L’un des principaux dynamismes à l’œuvre dans la désintégration positive.

SurExcitabilités psychiques (SE)

Réponse plus intense que la moyenne aux stimuli et qui se manifeste de 5 façons : par l’intellect, la psychomotricité, l’émotion (affectivité), l’imagination ou la sensorialité, ou une combinaison de plusieurs de ces SE.

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Dabrowski :

Lettres, textes et poèmes

Bienvenue, ô Névrosés Soyez les bienvenus, ô Névrosés Pour votre sensibilité dans l’insensibilité de ce monde Votre incertitude dans ce monde d’incertitude Lorsque vous ressentez les autres comme vous-mêmes Lorsque vous ressentez l’anxiété du monde et son étroitesse sans fond, son arrogance Lorsque vous lavez vos mains salies par la crasse du monde Pour votre peur de rester bloqués dans les limitations du monde Pour votre peur de l’absurdité de l’existence Pour votre subtilité à ne pas dire aux autres ce que vous voyez en eux Pour votre maladresse à gérer les choses pratiques et Votre habileté à gérer les choses inconnues Pour votre réalisme transcendant et votre manque de réalisme quotidien Pour votre exclusivité et votre peur de perdre les amis proches Pour votre créativité et votre capacité à vous extasier Pour votre inadaptation à « ce qui est » et votre adaptation à « ce qui devrait être » Pour vos immenses capacités que vous n’utilisez pas Pour votre appréciation retardée de la réelle valeur de votre splendeur qui ne permet jamais l’appréciation de ceux qui viendront après vous Pour votre capacité à vous occuper des autres avant vous-mêmes, et votre pouvoir divin à être maltraité par des forces brutales Pour tout ce qui est prescient, non-dit et infini en vous Pour la solitude et l’étrangeté en vous Soyez les bienvenus.

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Ce n’est pas encore le moment Ce n’est pas le moment Entre toi, entre la continuité de la conscience, il y a une forêt sombre Elle s’éclaircit déjà Il y a déjà de la lumière qui la traverse Mais autour de toi – que la nuit Au loin pointe l’aube Mais autour de toi, juste à côté de toi Rôde l’inconnu L’inconnu se rapproche de toi Supporte, ressaisis-toi, au loin il y a l’aube Elle frappe au carreau.

Une représentation de la désintégration positive N’avons-nous pas cette sensibilité vis-à-vis de nous-mêmes et des autres ; Ne nous-posons-nous pas des questions sur le bien et le mal dans le monde ; Cela n’agite-t-il pas notre potentiel de développement La peur, la tristesse et la créativité ne nous conduisent-elles pas à la peur et aux tremblements ? La nervosité, la névrose et la sensation d’infériorité ne créent-ils pas en nous une hiérarchie Un chemin de croissance vers l’humanité et la liberté ; Notre inadaptation Dont nous souffrons, Et notre combat pour nous diriger vers ce que nous devrions être, Mais nous avons des obsessions, des régressions positives, nous ne pouvons Réconcilier réalité avec amour ; N’est-ce-pas ce désespoir, ces pensées suicidaires, Lorsque nous sommes terrifiés par la souffrance du monde, Qui crée en nous ce milieu, hiérarchique, N’inspire-t-il pas notre créativité ? Je pense que tout cela est une perte positive, C’est le renouveau de la vie. C’est la cause principale des transformations ; C’est pourquoi nous sommes si nombreux, nerveux, névrose Et de grands artistes C’est pourquoi l’ascension joue contre nous. Contre cette intégration psychique. C’est pourquoi nous allons dans l’ombre pour trouver la lumière. C’est pourquoi nous allons dans la maladie pour trouver la santé, C’est pourquoi nous entrons dans la peur et les tremblements Pour trouver nos rêves d’une réalité différente ; Parce qu’ils ne semblent pas seulement être des rêves que nous rencontrons - 157 -

dans la peur, Trébuchant dans les champs de la tristesse ; Et à travers de l’anxiété névrotique Car qui trouverait, qui apprendrait, qui chercherait S’il ne souffrait, s’il n’avait peur, s’il ne devait s’agenouiller dans la poussière, Et envelopper sa propre âme Ainsi, ne rejetons pas la névrose, la nervosité, Car elles peuvent constituer le chemin royal, long et haut vers le pays de la croissance et peut-être aussi de l’amour, Et peut-être aussi vers une réalité plus élevée.

Humilité Humilité est courage Mais pas servilité ; Courage car il doit en être ainsi, Non pas dû à une pulsion, Non pas à un tempérament, Mais par vérité ; L’humilité est un manque de démonstrativité, C’est l’amour sans ses complications, C’est l’autonomie pas seulement venant des autres, Mais aussi à l’intérieur de soi et contre soi ; C’est l’identification à la compréhension, à la gentillesse mais sans approuver le mal ; C’est la modestie qui n’est pas préoccupée d’elle-même C’est le sens de la mission sans grandeur, C’est la coopération sans domination et sans subordination C’est être indépendant de ce que les autres disent Mais en même temps une attention intense à ce que les autres disent et font lorsqu’ils sont authentiques L’humilité c’est une union avec la vérité en soi et au-dessus de soi Une union qu’on ressent intuitivement sans avoir besoin de la voir Une union qu’on recherche Une union qu’on désire C’est la compréhension silencieuse qu’on ne sait rien Qu’on ne comprend rien, Même si on a cette compulsion de savoir et de comprendre, la compulsion de voir Qu’on a cette responsabilité de se rappeler et d’oublier ce qui fait mal ; C’est cette conscience que la parfaite grandeur n’existe nulle part comme le parfait amour et la parfaite certitude de la sagesse.

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Albert Einstein - Lettre à sa fille

Lorsque j’ai proposé la théorie de la relativité, très peu m’ont compris, et ce que je vais te révéler maintenant à transmettre à l’humanité va choquer l’incompréhension et les préjugés du monde. Je te demande de conserver ces lettres aussi longtemps que nécessaire, d’attendre des années, des dizaines d’années, jusqu’à ce que la société soit suffisamment avancée pour accepter ce que je vais expliquer ci-dessous. Il y a une force extrêmement puissante pour laquelle, jusqu’à présent, la science n’a pas trouvé une explication officielle. C’est une force qui comprend et régit toutes les autres, et est même derrière tout phénomène qui opère dans l’univers, et qui n’a pas encore été identifiée par nos soins. Cette force universelle est l’Amour. Lorsque les scientifiques étaient à la recherche d’une théorie unifiée de l’univers, ils ont oublié la plus invisible et la plus puissante des forces : L’Amour est lumière, qui éclairent ceux qui la donnent et la reçoivent. L’Amour est la gravitation, car elle fait que certaines personnes se sentent attirées vers les autres. L’amour est « le courant électrique », car il multiplie ce que nous avons de meilleur et permet que l’humanité ne s’éteigne pas dans son égoïsme aveugle. L’Amour révèle et se révèle. Par Amour, nous vivons et mourons. L’Amour est Dieu et Dieu est Amour. Cette force explique tout et donne son sens premier à la vie. Il s’agit de la variable que nous avons ignorée pendant trop longtemps, peut-être parce que l’Amour nous fait peur, puisque c’est la seule énergie de l’univers que l’homme n’a pas appris à gérer par sa volonté. Pour donner une visibilité à l’Amour, j’ai fait une simple substitution dans mon équation célèbre. Si au lieu de E=mc2 nous acceptons que l’énergie de guérison du monde puisse être obtenue à travers l’Amour multiplié par la vitesse de la lumière au carré, nous arrivons à la conclusion que l’Amour est la force la plus puissante qui existe, car il n’a pas de limite. - 159 -

Après l’échec de l’humanité dans l’utilisation et le contrôle des autres forces de l’univers, qui se sont retournées contre nous, il est urgent que nous nourrissions d’un autre type d’énergie. Si nous voulons que notre espèce survive, si nous voulons trouver un sens à la vie, si nous voulons sauver le monde et chaque être sensible qui l’habite, l’Amour est LA et seule réponse. Peut-être nous ne sommes pas encore prêts à fabriquer une bombe d’amour, un appareil assez puissant pour détruire toute la haine, l’égoïsme et la cupidité qui dévastent la planète. Cependant, chaque individu porte à l’intérieur un petit mais puissant générateur d’Amour dont l’énergie est en attente d’être libérée. Lorsque nous aurons appris à donner et à recevoir cette énergie universelle, chère Lieserl, nous pourrons affirmer que l’Amour conquiert tout, est capable de transcender tout et chaque chose, car l’Amour est la quintessence de la vie. Je regrette vivement de ne pas pouvoir exprimer ce qui, dans mon cœur, a palpité silencieusement pour moi toute ma vie. Il est peutêtre trop tard pour demander pardon, mais comme le temps est relatif, j’ai besoin de te dire que je t’aime et grâce à toi, j’ai atteint l’ultime réponse. Ton père : Albert Einstein

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Mandela - extrait du discours prononcé lors de son intronisation à la Présidence de la République d’Afrique du Sud en 1994 Notre peur la plus profonde n’est pas que nous ne soyons pas à la hauteur. Notre peur la plus profonde est que nous sommes puissants au-delà de toutes limites C’est notre propre lumière et non pas notre propre obscurité qui nous effraie le plus. Nous nous posons la question : « qui suis-je, moi, pour être brillant, radieux, talentueux et merveilleux ? ». En fait, qui êtes-vous pour ne pas l’être ? Vous restreindre, vivre petit, ne rend pas service au monde. L’illumination n’est pas de vous rétrécir pour éviter d’insécuriser les autres. Nous sommes nés pour rendre manifeste la gloire du divin en nous. Elle ne se trouve pas seulement chez quelques élus ; elle est en chacun de nous, et au fur et à mesure que nous laissons briller notre propre lumière, nous donnons inconsciemment aux autres la permission de faire de même. En nous libérant de notre propre peur, notre présence libère automatiquement les autres.

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Martha Medeiros « Morre lentamente » Il meurt lentement celui qui ne voyage pas, celui qui ne lit pas, celui qui n'écoute pas de musique, celui qui ne sait pas trouver grâce à ses yeux. Il meurt lentement celui qui détruit son amour propre, celui qui ne se laisse jamais aider. Il meurt lentement celui qui devient esclave de l'habitude et faisant tous les jours les mêmes chemins. Celui qui ne change jamais de repère, ne se risque jamais à changer la couleur de ses vêtements ou qui ne parle jamais à un inconnu. Il meurt lentement celui qui évite la passion et son tourbillon d'émotions. Celles qui redonnent la lumière dans les yeux et réparent les cœurs blesses. Il meurt lentement celui qui ne change pas de cap lorsqu'il est malheureux au travail ou en amour celui qui ne prend pas de risques pour réaliser ses rêves, celui qui pas une fois dans sa vie, n'a fui les conseils sensés. Vis maintenant !! Risque-toi aujourd'hui !! Agis tout de suite !! Ne te laisse pas mourir lentement !!

Martha Medeiros,

(Attribué parfois par erreur à Pablo Neruda)

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Ariane Mnouchkine, fondatrice du Théâtre du Soleil - Vœux 2014, adressés à Médiapart Mes chères concitoyennes, mes chers concitoyens, A l'aube de cette année 2014, je vous souhaite beaucoup de bonheur. Une fois dit ça... Qu'ai-je dit? Que souhaite-je vraiment ? Je nous souhaite d'abord une fuite périlleuse et ensuite un immense chantier. D'abord fuir la peste de cette tristesse gluante, que par tombereaux entiers, tous les jours, on déverse sur nous, cette vase venimeuse, faite de haine de soi, de haine de l'autre, de méfiance de tout le monde, de ressentiments passifs et contagieux, d'amertumes stériles, de hargnes persécutrices. Fuir l'incrédulité ricanante, enflée de sa propre importance, fuir les triomphants prophètes de l'échec inévitable, fuir les pleureurs et vestales d'un passe avorte a jamais et barrant tout futur. Une fois réussie cette difficile évasion, je nous souhaite un chantier, un chantier colossal, pharaonique, himalayesque, inouï, surhumain parce que justement totalement humain. Le chantier des chantiers: Expérimentons nous-mêmes, expérimentons, humblement, joyeusement et sans arrogance. Que l'échec soit notre professeur, pas notre censeur. Cent fois sur le métier remettons notre ouvrage. Scrutons nos éprouvettes minuscules ou nos alambics énormes afin de progresser concrètement dans notre recherche d'une meilleure société humaine. Car c'est du minuscule au cosmique que ce travail nous entrainera et entraine déjà ceux qui s'y confrontent. Comme les poètes qui savent qu'il faut, tantôt écrire une ode à la tomate ou à la soupe de congre, tantôt écrire les châtiments. Sauver une herbe médicinale en Amazonie, garantir aux femmes la liberté, l’Egalite, la vie souvent. Et surtout, surtout, disons à nos enfants qu'ils arrivent sur terre quasiment au début d'une histoire et non pas à sa fin désenchantée. Ils en sont encore aux tout premiers chapitres d'une longue et fabuleuse épopée dont ils seront, non pas les rouages muets, mais au contraire, les inévitables auteurs. Il faut qu'ils sachent que, ô merveille, ils ont une œuvre, faite de mille œuvres, à accomplir, ensemble, avec leurs enfants et les enfants de leurs enfants. Disons-le, haut et fort, car, beaucoup d'entre eux ont entendu le contraire, et je crois, moi, que cela les désespère. Quel plus riche héritage pouvons-nous léguer à nos enfants que la joie de savoir que la genèse n'est pas encore terminée et qu'elle leur appartient. Qu'attendons-nous? L'année 2014, la voici - 163 -

Bibliographie et sources Dabrowski’s Theory of Positive Disintegration – Sal Mendaglio – Great potential press Living with intensity – Susan Daniels & Michael Piechowski – Great potential press « Mellow out» they say. If I only could. Intensities and sensitivities of the young and bright – Michael Piechowski – Yunasa Books

Sites Internet: positivedisintegration.com sengifted.org www.zebras-crossing.org surchauffe-du-bulbe.jimdo.com educ.ucalgary.ca/profiles/salvatore-sal-mendaglio educationaladvancement.org/tag/michael-piechowski www.talentdifferent.com/tag/william-tillier www.gifteddevelopment.com/author/linda-silverman https://www.researchgate.net/profile/R_Falk/publications search.ebscohost.com (Laurence F. Nixon)

Sens & Lien www. patricia-lamare-psychotherapie.fr

V2 mai 2019

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