La sémantique Aujourd'hui [Le Courrier du Livre ed.] 2702901999

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La sémantique Aujourd'hui [Le Courrier du Livre ed.]
 2702901999

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MICHEL SAUCET

la Sémantique Générale aujourd’hui

le courrier du livre

MICHEL SAUGET

LA SEMANTIQUE GÉNÉRALE AUJOURD’HUI 2e édition revue et augmentée

Le Courrier du Livre 21, rue de Seine, 75006 Paris

ISBN 2-7029-0199-9

© Le Courrier du Livre, Paris 1987

SOMMAIRE

Préface à la seconde édition ......................................................................

9

Chapitre 1 : La sémantique générale aujourd’hui ..............................

11 13

A. Korzybski .et son œuvre ................................................... Chapitre 2 : Le langage et le réel .............................................................

La connaissance de FUnivers ............................................... Les différentes langues .......................................................... Logique du langage et logique des chose ............................ Langage et simulation ........................................................... La carte verbale...................................................................... Chapitre 3 : Connaissance factuelle et connaissance inférentielle

Test de non-discernement des inférences............................ Chapitre 4 : Perception et projection .....................

Les pièges de la perception ................................................... Les projections ...................................................................... Chapitre 5 : L’abstraction et la conscience d’abstraire ...................

Le niveau de l’événement..................................................... L’abstraction.......................................................................... Le structurel différentiel....................................................... Le processus d’abstraction du point de vue organique....... La conscience d’abstraire ..................................................... Notion de modèle .................................................................. Chapitre 6 : Retour au langage ................................................................

Structure du langage aristotélicien....................................... Introduction à un langage non aristotélicien ....................... Intension et extension ........................................................... Les procédés extensionnels................................................... Les prémisses de la sémantique générale ............................ La multi-ordinalité................................................................ La réaction sémantique ........................................................ L’évaluation........................................................................... La réaction différée ...............................................................

17 17 22 23 24 25 27 31 35 37 40 41 42 45 48 55 57 59 61 61 68 70 71 75 78 82 84 84

Sommaire Chapitre 7 : Sémantique générale et société .......................................

89

Chapitre 8 : La communication ..............................................................

Le langage non verbal ........................................................... Langage digital et langage analogique............................

93 100 109

Chapitre 9 : Nos prémisses.......................................................................

113

Chapitre 10 : A propos du langage ..........................................................

121 121 125 126

Les bonnes et les mauvaises questions ................................ Le problème des conflits....................................................... Confusion des niveaux d’abstraction ................................... Chapitre 11 : La pratique de la sémantique générale ........................

L’image de soi ....................................................................... Le perfectionnisme ............................................................... Efficacité personnelle et sémantique générale .................... L’équilibre personnel ........................................................... Les médias ............................................................................ Chapitre 12 : Sémantique générale et épistémologie ........................

La nature et sa représentation............................................... Les lois de la nature............................................................... La cause et l’effet ................................................................... Le déterminisme ................................................................... Le principe de non-additivité ............................................... Chapitre 13 : Sémantique générale, développement personnel, thérapie...........................................................................................

133 134 137 138 145 160 167 168 169 171 172 173

Modèle, langage et thérapie .................................................. Sémantique générale et programmation neuro-linguistique

175 176 177

Terminologie .................................................................................................

181

Bibliographie ..................................................................................................

186

Préface à la seconde édition Ce livre est la conséquence d’une rencontre qui a entraîné une amitié. Il y a maintenant plus de dix ans, alors que j’errais rue Galande au quartier latin, mon attention fut attirée par une affichette apposée sur la vitrine d’une librairie aujourd’hui disparue « Paris des rêves ». Un message annonçait : « Sémantique générale, renseignements ici ». J’entrai et une dame charmante (et motivée) me permettait enfin de satisfaire ma curiosité. La sémantique générale n’était pas seulement une technique dont se servait un héros de science-fiction ’. Alfred Korzybski avait bien existé, il avait fondé un Institut de sémantique générale et de nombreux ouvrages, malheureusement pour la plupart en anglais, permettaient d’amorcer une réflexion sur le sujet. Bien des années se sont écoulées et l’intérêt que je portais à la sémantique générale ne s’est pas émoussé. Loin de là, puisque d’une simple curiosité « intellectuelle » celle-ci est devenue pour moi un incomparable outil de développement personnel dont j’apprécie chaque jour la pertinence dans les situations les plus diverses. De fil en aiguille, une formation personnelle puis l’animation de quelques dizaines de stages m’ont convaincu de l’intérêt de présenter un ouvrage accessible à un large public qui ne lit pas l’anglais et/ou qui souhaite disposer d’un document de consultation facile. La première édition étant épuisée, le Courrier du Livre a bien voulu se charger de la présentation de cette nouvelle mouture. Celle-ci diffère de la précédente par quelques corrections et ajouts, mais l’esprit est resté le même : faire un livre dont la structure facilite la lecture, notamment pour ceux qui par goût ou par nécessité l’appréhendent par bribes. Pour ces raisons, chaque chapitre a sensiblement la même disposition, à savoir une exposition du sujet suivie d’exercice(s) et d’un résumé, les mots spécifiques étant regroupés dans un lexique en fin de volume. Le livre se termine par une bibliographie commentée répondant, je l’espère, aux attentes légitimes de ceux qui souhaitent aller plus avant.

1.

Dans le roman de Van Vogt, Le monde des A, éd. J’ai lu.

Préface à la seconde édition

Enfin je ne voudrais pas terminer cette préface sans remercier avec émotion celles qui m’ont permis de mener à terme ce travail. Marie Sallée pour son amicale et subtile insistance, Marie-Thérèse Herry pour la relecture du manuscrit et Claudie, ma compagne, pour son affectueux soutien.

CHAPITRE 1 - Vous disiez que ce sont des élymes ? demanda l'abbé Petitjean en désignant les herbes. - Pas celles-là, observa l'archéologue. Il y a aussi des élymes. - C'est sans aucun intérêt, remarqua l’abbé. A quoi bon connaître le nom si l'on sait ce qu’est la chose. - C'est utile pour la conversation. - Il suffirait de donner un autre nom à la chose. - Naturellement, dit l'archéologue, mais on ne désignerait pas la même chose par le même nom, suivant l'interlocuteur avec lequel on serait en train de converser. - Vous faites un solécisme, dit l’abbé t.

La sémantique générale aujourd’hui Nous vivons une époque dont une des caractéristiques est l’énorme quantité d’informations qui journellement, quoique inégalement, parviennent à beaucoup d’entre nous. Que ce soit dans le domaine du développement personnel, de la thérapie, de la formation en entreprise, de la pédagogie en général 1 2, de l’information sociale et/ou politique, ou tout simple­ ment de l’interaction individuelle... bref, nous vivons les uns et les autres des situations où des « langages » se trouvent intimement mêlés à notre existence quotidienne. Que nous étudiions la philosophie, la psychologie, la politique, les mathématiques, etc., 1. Boris Vian : L'Automne à Pékin. 10/18. J’ai mis Boris Vian en exergue par reconnaissance, et peut-être pour provoquer une réaction chez le lecteur, car c'est la lecture du Monde des À, suivie de celle de La joueurs du À, tra­ duits brillamment par Boris Vian, qui m’ont poussé à m'interroger sur ce que pouvait bien être cette discipline venue d’Amérique. 2. J’emploie ici le mot « pédagogie » pour me conformer à l’usage. Pour des adultes « andragogie » conviendrait mieux.

La sémantique générale aujourd’hui c’est le langage qui nous permet de nous informer. Quelles que soient les disciplines enseignées, y compris les corporelles, il est bien rare en effet qu’elles ne fassent appel à une phase verbale. C’est dire l’intérêt que peut présenter une étude des rapports que chacun d’entre nous entretient avec le langage verbal et non-verbal. La sémantique générale, dont c’est une des facettes, apparaît ainsi comme une discipline sur les disciplines ou, si vous préférez, comme une métadiscipline. Nous voyons ainsi combien il peut être important d’élucider la nature des relations qui lient le langage à ce qu’il est censé représenter et quelle est l’influence qu’il a sur chacun d’entre nous. De plus l’hypermédiatisation de l’information fait que celle-ci nous parvient déjà travaillée, réduite, parfois même manipulée. Presque à notre insu, c’est à travers ces messages que nous élaborons nos représentations du monde dans lequel nous vivons. Dans cette perspective, il me paraît intéressant de se doter d’un « outil » efficace qui soit à la fois un moyen de développement personnel et de décodage du quotidien. Ceci appartient, entre autres, au domaine de la sémantique générale qui va s’intéresser à la manière dont nous appréhendons le monde, comment nous nous le représentons, comment nous communi­ quons à son sujet et quelle est l’influence du langage sur notre comportement. Mais la sémantique générale ne se limite pas, loin de là, à des décodages de la communication. Avant d’aller plus loin, présentons en quelques lignes le père de la sémantique générale.

A. Korzybski et son œuvre

Alfred Korzybski est né à Varsovie (Pologne) en 1879. Issu d’une famille de mathématiciens, d’ingénieurs et de scientifiques, il fait lui aussi des études d’ingénieur à l’institut polytechnique de Varsovie. En 1914, il s’engage comme volontaire dans l’armée russe. Blessé, il est envoyé comme expert d’artillerie au Canada et aux U.S.A. Après la guerre, refusant de rentrer en Russie, il occupe différents postes : recruteur pour l’armée franco-polonaise, conférencier pour le gouvernement américain, etc. Parallèlement, il poursuit une longue réflexion sur l’homme qui devait le conduire à la publication des ouvrages suivants : Manhood of humanity, en 1921 ; Time binding : The General Theory, en 1924-

13 1926 ; Science and Sanity. An Introduction to Non-Aristotelian Systems and General Semantics. Cet ouvrage fondamental, qui peut être considéré comme la somme de ses idées, a été publié en 1933. Dès la publication de son premier ouvrage en 1921, il décidait de s’installer aux Etats-Unis où, après avoir mené une activité de recherche acharnée, il fondait en 1938, à Chicago (Illinois), The Institute of General Semantics qu’il dirigea jusqu’à sa mort en 1950, après l’avoir transféré à Lakeville (Connecticut) en 1946. Il a, depuis, été à nouveau déplacé. Près de cinquante ans plus tard, le lecteur reste confondu par la somme de connaissances psychologiques, psychiatriques, philoso­ phiques et épistémologiques que A. Korzybski a su assimiler et articuler en une théorie cohérente qu’il a nommée « general semantics » après avoir été tenté par « human engineering » qui lui semblait mieux correspondre au but qu’il s’était fixé : « Donner à l'homme contemporain un outil intellectuel d’épanouis­ sement qui s’appuyait sur une meilleure compréhension de notre environnement. » Si le mot « sémantique » représente en France essentiellement une branche de la linguistique, domaine réservé aux universitaires, - il semble qu’aux USA la sémantique appartienne au vocabulaire journalistique. Dans cette optique, la sémantique étudie comment le langage peut servir d’instrument de manipulation à l’usage des spécialistes du marketing, des publicitaires, des politiciens, etc. La sémantique générale a des ambitions plus grandes. L’univers de chaque individu peut se concevoir sous deux aspects : 1. Le monde extérieur avec ses lois « objectives ». 2. Le monde intérieur, le moi, je, dont la connaissance se confond avec le comportement Le moi cherche constamment à s’adapter au monde extérieur pour améliorer un bien-être physique puis psychique. 11 y a deux façons d’y parvenir : - En modifiant le monde extérieur. Cest la technologie avec éventuellement ses outrances. - En modifiant notre attitude envers lui. Cest le développement et l’épanouissement personnels. A cet égard, la sémantique générale me paraît un outil privilégié. Si, comme nous le verrons, le langage verbal et non verbal établit la relation symbolique entre notre expérience et notre conceptualisation

La sémantique générale aujourd’hui du monde, la connaissance des mécanismes de représentation nous permet d’échapper à quantités de blocages, de présuppositions et d'a priori, qui figent les comportements et sont sources de mauvais ajustements à l’environnement psychologique et social.

De ce point de vue, la sémantique générale est différente des autres techniques d’épanouissement, car elle ne propose pas un travail sur le comportement, mais en amont, sur les rapports entre la réalité et le langage. Ainsi perçue, elle est un tremplin efficace pour aborder toutes thérapies ou la vie de tous les jours et n’est incompatible, en aucune façon, avec quelque position philosophique, sociale, psychologique, etc., que ce soit La sémantique générale nous propose d’échapper à la structuré aristotélicienne du langage pour qui l’univers est statique alors que la réalité est dynamique. L’univers, mon univers quotidien, ne sera plus jamais ce qu’il a été. Pour échapper à cette angoisse fondamentale, A. Korzybski suggère une révision radicale de notre relation au langage. « Les conditions psychologiques et même physiologiques d’une logique non aristotélicienne ont été résolument'envisagées dans le grand travail du comte Alfred Korzybski : Science and Sanity, an Introduction to Non-Aristotelian Systems and General Semantics3. » Pour celui qui vit la sémantique générale, toutes les pensées sont nuancées ; il échappe à la dictature du vrai/faux, blanc/noir, thèse/ antithèse qui sont comme les deux faces d’une même médaille, enfermant le raisonnement dans les aspects contradictoires d’une même réalité, alors que notre problématique se situe dans la recherche d’une démarche créative. Elle s’intéresse au comportement neurolinguistique de Françoise, Dominique, etc., et, de ce point de vue, se sépare nettement de la psycholinguistique plus orientée vers l’étude des processus cognitifs. Ainsi conçue, la sémantique générale est un outil de développement personnel simple et efficace, ne nécessitant aucune connaissance ou formation particulière. La sémantique générale est d’ailleurs enseignée à des enfants aux USA 4. Cest une véritable prophylaxie de la communication.

3. Gaston Bachelard : La philosophie du non ; P.U.F. 4. Voir bibliographie.

Résumé

Si la sémantique, discipline linguistique, traite du sens des mots et de leur évolution, la sémantique générale de Korzybski nous permet de prendre conscience du rapport que nous entretenons avec le sens que nous attribuons aux mots. C’est une approche neurosémantique.

CHAPITRE 2 « Il est grand temps de mettre en évidence une vérité si élémentaire qu'on rougit de l’écrire dès le début : L'éducation a pour but de protéger les parents du regard des enfants. Or, de tous les processus éducatifs, celui qui passe par la langue maternelle est le plus efficace, car le plus apte à masquer. En apprenant sa langue maternelle, l’enfant s’interdit d’utiliser un certain nombre de possibilités d’expression qui sont propres à d’autres langues 1. » ■

Le langage et le réel L’usage du langage nous parait tellement naturel, spontané, que nous le considérons allant de soi. La formation scolaire nous confirme dans cette idée d’un outil collectif dont les règles, la grammaire et la syntaxe en permettent un emploi plus ou moins efficace, plus ou moins esthétique, etc. Il est également admis que la souplesse du langage, son vocabulaire et sa ponctuation autorisent une description de la réalité dont la finesse est liée au talent du locuteur, à sa connaissance du vocabulaire et de la syntaxe. Or, une analyse simple du langage va nous permettre (et j’engage le lecteur à la faire simultanément à la lecture) de noter quelques remarques fondamentales de nature à nous faire prendre conscience de l’énorme conditionnement psychologique et intellectuel dû au langage. La connaissance de l’Univers

Par univers, je veux dire le tout, les choses, les êtres, ce qui le constitue, nos pensées, etc. Pour en parler, nous formons des phrases dont les constituants sont des mots. 1. Jean Guénot : Clefs pour les langues vivantes ; éd. Seghers.

Le langage et le réel

Le contenu d’un langage est implicitement lié à nos expériences sensorielles. Ce sont les termes représentant des expériences simples, liées à la survie, la culture, la nourriture, etc., qui furent créés en premier et les concepts abstraits ensuite. Le langage est donc une certaine façon d’organiser notre expérience. Les caractéristiques de notre environnement vont se traduire par des relations énergétiques (rayonnement, forces...) qui vont agir sur notre système nerveux. C’est finalement la réaction de notre structure nerveuse qui constitue la base de notre expérience. Le sens apparaît donc comme le lien entre le mot et l’expérience. Si le mot, comme symbole collectif, appartient à une communauté linguistique, le sens qu’il recouvre est indivi­ duel. Il n’y a pas deux personnes qui peuvent prétendre avoir strictement la même expérience et, à cet égard, je peux avancer qu’il y a pratiquement autant de langues que d’individus. Bien sûr, la différence entre deux langues étrangères est sans commune mesure avec celle que l’on trouve au sein d’une même langue parlée par différentes personnes. Et encore, qui n’a pas été témoin de problèmes d’incommunication ? Que représente la matière pour un physicien et que représente-t-elle pour le non-spécialiste ? Quelle idée nous faisons-nous d’une maladie, mentale ou physique (où se trouve la différence ?) par rapport à celle du thérapeute ? Nous aborderons plus en détail ce type de problème dans le chapitre consacré à la communication, privilégiant les rapports avec notre environnement immédiat. Dès que nous quittons cet environnement quotidien, il semble de plus en plus difficile d’utiliser notre vocabulaire de manière efficace et acceptable pour tous. Par exemple, beaucoup d’entre nous ont entendu parler de la représentation de l’atome de Bohr, toujours utilisée dans l’enseigne­ ment secondaire, comportant un noyau central entouré de couches d’électrons périphériques. A ce niveau, infiniment petit, les notions de masse, de dimension, de trajectoire, ont perdu leur sens usuel et ne sont utilisées que par habitude ou absence de concepts plus appropriés. Cette représentation simplifiée n’est plus admise par nos physiciens, si ce n’est d’un point de vue pédagogique. Il serait facile de montrer que la psychologie elle-même emprunte beaucoup au langage mécanique, celui de notre expérience

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musculaire, et qu’elle gagnerait en finesse d’analyse en créant son propre vocabulaire, mais sommes-nous véritablement libres de le faire ? « Parmi les relations qui s’établissent à chaque instant présent, entre notre système nerveux et le monde qui nous entoure, le monde des autres hommes surtout, nous en isolons préférentiellement certaines sur lesquelles se fixe notre attention ; elles deviennent pour nous signifiants parce qu’elles répondent ou s’opposent à nos élans pulsionnels, canalisés par les apprentissages socioculturels auxquels nous sommes soumis depuis notre naissance. Il n’y a pas d-’objectivité en dehors des faits reproductibles expérimentalement et que tout autre que nous peut reproduire en suivant le protocole que nous avons suivi. Il n’y a pas d’objectivité en dehors des lois capables d’organiser les structures. Il n’y a pas d’objectivité dans l’appréciation des faits qui s’enregistrent au sein de notre système nerveux. La seule objectivité acceptable réside dans les mécanismes invariants qui régissent le fonctionnement de ces systèmes nerveux, communs à l’espèce humaine 2. » Cette familiarité avec notre environnement nous a amenés progressivement à nommer les choses, créant au sein de celui-ci un découpage artificiel, conforme à notre perception. Or ce découpage, essentiellement lié à notre activité consciente, est considéré par la majorité d’entre nous comme représentatif de la nature des choses. Nous avons ensuite lié ces choses par des lois, considérant qu’à nouveau elles décrivaient le fonctionnement de l’univers. « Et cependant, bien des choses se contentent d’être. C’est l’homme qui les analyse, les sépare, les cloisonne et jamais de façon désintéressée. Au début, devant l’apparent chaos du monde, il a classé, construit ses tiroirs, ses chapitres, ses étagères. Il a introduit un ordre dans la nature elle-même, sans s’apercevoir que c’était le sien, qu’il était établi avec ses propres critères et que ces critères c’étaient ceux qui résultaient de l’activité fonctionnelle du système, lui permettant de prendre contact avec le monde : son système nerveux 3. » Dans cette citation, Henri Laborit me semble situer particulièrement bien le problème de l’homme exerçant son activité consciente sur le monde, le décrivant et l’interprétant grâce à un « outil » qu’il partage avec l’espèce, son système nerveux. 2. Henri Laborit. Eloge de la fuite, page 12 ; éd. Robert Laffont, 1976. 3. Henri Laborit : Eloge de la fuite, pages 64-65 ; éd. Robert Laffont. 1976.

Le langage et le réel Nous avons vu qu’il n’y a pas superposition exacte du sens que chacun met dans les mots, mais de plus, il est clair que nous organisons le monde en fonction de nos expériences passées, de notre éducation. Un Africain, menant une existence tribale, à qui l’on projette un film, ne « voit » pas la même chose que l’Occidental moyen et, d’une façon générale, participe d’une autre façon à l’expérience. Bien que cela semble difficile à admettre, notre perception visuelle, par exemple, c’est-à-dire des choses qui se trouvent dans l’espace, est organisée par l’éducation et le langage. Pour illustrer ce paradoxe, je propose une assez longue citation de J. Z. Young, nous parlant des aveugles de naissance, donc non conditionnés visuellement, qui recouvrent la vue grâce à une intervention chirurgicale. « Le patient, en ouvrant ses yeux pour la première fois, obtient peu ou pas de plaisir ; il trouve l’expérience douloureuse. Il signale seulement une masse tournoyante de lumières et de couleurs. Il est tout à fait incapable de saisir des objets par la vue, de reconnaître ce qu’ils sont ou de les nommer. Il n’a pas de conception d’un espace avec des choses dedans, quoiqu’il connaisse tout des objets et de leurs noms par le toucher. “Bien sûr, direz-vous, il doit prendre un petit peu de temps pour apprendre à les reconnaître par la vue.” Pas un petit peu de temps, mais très, très longtemps, en fait des années. Son cerveau n’a pas appris les règles de la vision. Nous ne sommes pas conscients qu’il existe de telles règles. Nous pensons que nous voyons, comme nous disons, “naturellement”. Mais nous avons en fait appris un ensemble de règles durant notre enfance. « Si notre homme aveugle doit utiliser ses yeux, il lui faut aussi éduquer son cerveau. Comment cela peut-il être fait ? A moins qu’il soit très doué et très persévérant, il ne pourra jamais apprendre à utiliser ses yeux complètement. D’abord, il distingue une masse de couleurs, puis, graduellement, il apprend à distinguer les formes. Quand on lui montre une tache d’une couleur, placée sur une autre, il verra rapidement qu’il y a une différence entre la tache et son environnement. Par contre, il ne reconnaîtra pas qu’il a déjà vu cette forme particulière avant, pas plus qu’il ne sera capable de lui donner son nom propre. Par exemple, un homme a qui on montrait une orange, une semaine après qu’il commençait à voir, dit que c’était de l’or. Quand on lui demandait quelle en était la forme, il répondait : “Laissez-moi toucher et je vous le dirai”. Après l’avoir fait, il dit que c’était une orange. Puis il regarda longtemps et il dit : “Oui, je peux voir que c’est rond.” Quand on lui montra ensuite un carré bleu, il

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dit qu’il était bleu et rond. U décrivit aussi un triangle comme un rond. Quand les angles lui furent indiqués, il dit : “Ah oui, je comprends maintenant comment on peut les « sentir ».” Pendant des semaines et des mois, après avoir commencé à voir, la personne peut seulement, avec de grandes difficultés, distinguer les formes telles qu’un triangle ou un carré. Si vous lui demandez comment elle fait, elle peut vous répondre : “Bien sûr, je regarde soigneusement, je vois qu’il y a trois angles aigus sur le côté d’une tache de lumière et quatre sur l’autre.” Mais elle peut ajouter, grincheuse : “Que diable voulez-vous justifier en disant que ça peut être utile d’apprendre cela ? La différence est seulement très légère et cela me prend beaucoup de temps pour le vérifier. Je peux le faire bien mieux avec mes doigts.” Et si vous les lui montrez les deux jours suivants, elle sera incapable de dire ce qui est un triangle et ce qui est un carré. « Le patient trouve souvent que le nouveau sens apporte seulement un sentiment d’incertitude et il peut refuser de faire des tentatives pour l’utiliser, à moins qu’il n’y soit forcé. Il ne fait pas spontanément attention aux détails des formes. Il n’a pas appris les règles, ne connaît pas quels traits sont significatifs et utiles pour nommer les objets et conduire la vie. Rappelez-vous que pour lui les formes précédentes ont été nommées seulement après avoir senti la disposition des côtés par le toucher. Cependant, si vous le convainquez que cela en vaut la peine, après des semaines de pratique, il nommera les objets simples en les voyant. D’abord, ils doivent être vus toujours dans la même couleur et sous le même angle. « Un homme ayant appris à nommer un œuf, une pomme de terre et un morceau de sucre, quand il les voyait, ne pouvait le faire quand ils étaient éclairés en jaune. Le morceau de sucre était nommé quand il était sur la table mais pas quand il était suspendu en l’air avec un fil. « Cependant de telles personnes peuvent apprendre progressivement. Si elles sont suffisamment encouragées, elles peuvent, après plusieurs années, développer une vie visuelle normale et sont même capables d’apprendre à lire 4. » Bien que nous soyons incapables de les imaginer, les perceptions du monde des différentes espèces doivent conduire à une réalité incroyablement différente de la nôtre. C’est notre anthropomorphisme qui nous conduit habituellement à juger les animaux, à leur prêter des 4 J Z. Young : Doubt and Certainty in Science in James T. McCay. The Management of Tinte, Prenlice Hall, 1965.

Le langage et le réel sentiments qui ne sont que la projection de nos propres repré­ sentations. Un chien n’est ni gentil ni méchant, en tant que chien. Il l’est par comparaison avec des comportements humains que nous interprétons comme tels. Je reviendrai ultérieurement sur les différences entre le langage animal et humain et la perception de l’environnement. Les différentes langues

Nous savons qu’il existe différentes langues à la surface du globe et ceci nous aide à prendre conscience du caractère arbitraire liant le référent (la chose dont on parle) au symbole le représentant (le mot). Ceux qui étudient ou ont étudié une langue étrangère savent la difficulté de trouver des correspondances exactes. Notre grand Descartes lui-même s’y était trompé : « Or l’assemblage qui se fait dans le raisonnement n’est pas celui des noms mais bien celui des choses signifiées par les noms ; et je m’étonne que le contraire puisse venir à l’esprit de personne. Car, qui doute qu’un Français et qu’un Allemand ne puissent avoir les mêmes pensées ou raisonnements touchant les mêmes choses, quoique néanmoins ils conçoivent des mots entiè­ rement différents 5 ? » Quoique nos organes des sens, notre système nerveux, soient sensiblement les mêmes pour toutes les races, nous découpons la réalité en fonction de critères différents bien souvent liés à l’expérience quotidienne des choses. C’est ainsi que, si pour un Français le mot neige, qualifiant un phénomène météorologique, est relativement non ambigu, l’Esquimau par contre, dont c’est l’environnement quotidien, choisira parmi plus de dix mots celui qui exprimera son observation. EXERCICE Quoique les structures des langues européennes soient assez voisines, il peut être intéressant de pratiquer une traduction mot à mot en négligeant le style, par exemple de l’anglais ou l’allemand en français ou toute autre langue. 11 apparaît immédiatement une organisation de la phrase assez différente qui traduit la façon dont nous organisons les choses. 5. Descartes : « Objection troisième sur la seconde méditation ».

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Ceci d’ailleurs a permis à Eugène Ionesco de l’illustrer de façon comique dans La cantatrice chauve. Le sinologue, s’il s’en trouve un parmi mes lecteurs, sera dispensé de faire l’exercice ! Cette prise de conscience du caractère artificiel des langues devrait susciter notre intérêt pour les différentes cultures, ayant généré des systèmes religieux, métaphysiques, scientifiques, etc., qui sont autant d’univers linguistiques possibles et nous amener à plus de tolérance. « On s’aperçut que l’infrastructure linguistique (autrement dit la grammaire) de chaque langue ne constituait pas seulement “l’instrument” permettant d’exprimer des idées, mais qu’elle en déterminait bien plutôt la forme, qu’elle orientait et guidait l’activité mentale de l’individu, traçait le cadre dans lequel s’inscrivaient ses analyses, ses impressions, sa synthèse de tout ce que son esprit avait enregistré 6. » Cette citation de B. L. Whorf exprime bien la problématique de celui qui s’interroge sur la nature de la connaissance et sa relation au réel. « Nous découpons la nature suivant les voies tracées par notre langue maternelle. Les catégories et les types que nous isolons du monde des phénomènes ne s’y trouvent pas tels quels, s’offrant d’emblée à la perception de l’observateur 6. » Logique du langage et logique des choses

Le langage possède une logique interne liée à sa structure. Nous pouvons par le langage démontrer, prouver, argumenter, et nous ne nous en privons pas, oubliant que nos affirmations portent sur des symboles et non sur les choses. Encore une fois, l’utilisation de ce formidable outil plaque sur la réalité sa propre logique, imposant aux choses, du moins au niveau du discours, de se plier à notre interprétation. Nous avons vu précédemment que les mots se sont formés au contact que notre espèce a eu avec la nature et nous avons évoqué la faible adéquation du langage pour traiter les problèmes à l’échelle non humaine. Or « de nouveaux types de logique pourraient éventuellement nous aider à comprendre pourquoi les électrons, la vitesse de la lumière ou d’autres composantes de la matière étudiées par la physique semblent 6 B. L. Whorf : Linguistique et anthropologie. éd. Denoel, Collection Médiations, 1969

Le langage et le réel se comporter de façon illogique, ou que des phénomènes qui se jouent du bon vieux sens commun peuvent néanmoins être vrais. Depuis longtemps les logiciens modernes ont fait remarquer que le mode de pensée, dit mécaniste, est arrivé à une impasse devant les grands problèmes que nous pose le recul des anciennes frontières de la science... » Car le mode de pensée mécaniste n’est peut-être qu’un type de syntaxe qui va de pair avec l’usage quotidien de M. Tout-leMonde, des langues indo-européennes occidentales, rendues plus rigides et systématisées par Aristote et par ses disciples du Moyen Age et de l’époque moderne 7. Au lieu de décrire ce qui se passe dans la nature, par ses découpages linguistiques et par sa structure, le langage en définitive nous donne une description des faits de conscience. Langage et simulation

Une dernière caractéristique du langage, sur laquelle je voudrais attirer l’attention du lecteur, est la suivante : Le langage est un instrument de simulation. Qu’est-ce que cela veut dire ? Je crois que cela peut se comprendre facilement en prenant un exemple. Imaginons que j’envisage de partir en vacances et que j’hésite entre un séjour en Tunisie, en Grande-Bretagne ou chez mes parents sur la Côte d’Azur. En réunissant les différents documents qui m’ont été remis par l’agence de voyages, je suis maintenant capable d’organiser en imagination les grandes lignes du déroulement de mon voyage : horaires, excursions, durée des différents séjours, frais, etc. Ces différents scénarios vont me permettre de décider sans avoir à faire les expériences, ce qui serait évidemment impossible. A partir de cette histoire très banale, nous pouvons généraliser cette approche et prendre conscience que la majeure partie de notre savoir est liée à cette capacité de simuler des situations et que c’est une des grandes différences qui nous sépare de la pensée animale en nous permettant d’accumuler des connaissances sans en faire l’expérience. « Le langage est métaphore, en ce sens qu’il ne fait pas qu’emma­ gasiner l’expérience, mais la transporte ou la traduit d’un mode à un autre 8. » 7. B. L Whorf : Linguistique el anthropologie ; éd. Denoel. Collection Médiations, 1969. X. Marshall Mcl.uhan : La galaxie Gutenberg, éd. Marne, 1967.

25 La carte verbale

La notion de carte et de territoire a été introduite par Korzybski pour nous permettre de comprendre facilement la relation que nous établissons entre les mots et les référents. Supposez que vous deviez effectuer un voyage en voiture dans une région que vous visitez pour la première fois ; vous allez vraisembla­ blement vous munir d’une carte routière. Ce que vous allez demander à cette carte routière, c’est d’être une représentation suffisamment fidèle du territoire que vous parcourez de façon à pouvoir programmer votre déplacement. En d’autres termes, c’est l’adéquation de la carte et du territoire qui va vous permettre de vous projeter dans l’avenir, c’est-à-dire de faire des prévisions. Ce que nous demandons à une carte, c’est d’être fiable, d’être un instrument efficace. Imaginez maintenant que, telles les cartes utilisées par nos ancêtres, il y a quelques générations, la carte que vous utilisez n’est pas digne de votre confiance, qu’elle prend quelque liberté avec le territoire, oubliant de-çi, de-là, quelques obstacles, ne respectant pas l’échelle, etc. La conséquence sera que vos prévisions seront entachées d’une certaine erreur, et même qu’une erreur ou omission de la carte pourra vous dérouter. Vous aviez déjà compris le sens de cette métaphore. La carte, c’est l’ensemble des mots que nous utilisons pour décrire une situation, une chose ; le territoire, c’est le référent. Une carte verbale est donc une carte dessinée avec des mots. Si j’annonce péremptoirement : « La population actuelle (1983) de la France est de quarante millions d’habitants », j’ai fait une carte verbale qui ne représente pas le territoire, le chiffre réel étant beaucoup plus élevé. Par contre, si je dis: «Korzybski est né en 1879 en Pologne, à Varsovie, et mort en 1950 aux USA », j’établis une carte conforme au territoire. Toutes les remarques précédentes, concernant la possibilité pour le langage de décrire le réel, s’appliquent à la notion de territoire. Il est important d’avoir cette idée présente en permanence à l’esprit : à chaque fois que je m’exprime, je dessine une carte verbale. Cette carte peut représenter une situation passée, le présent ou même être une projection dans l’avenir. La connaissance que nous avons accumulée, la mémoire des situations que nous avons vécues, sont des cartes verbales.

Le langage et le réel Ce qui est important n’est donc plus le répertoire de symboles, que chacun utilise pour s’exprimer, mais le répertoire d’expériences et la façon dont elles sont organisées. Nous retrouverons ces notions de carte et de territoire dans les prémisses fondamentales de la sémantique générale.

EXERCICE (en groupe)

Demandez à chaque personne de faire une description écrite, d’environ une vingtaine de lignes, d’un objet qui est le même pour tout le monde. Ensuite, faites expliquer le choix du vocabulaire. Il y aura certainement autant de cartes verbales que de participants.

Résumé

Le langage n’est pas un instrument neutre mis à la disposition d’une communauté linguistique. Le sens que nous mettons dans le mot est lié à nos expériences et nous est aussi personnel que nos empreintes digitales. Nous confondons trop souvent logique du langage et logique des choses. Les lois de la grammaire ne sont pas nécessai­ rement celles du monde. Il existe des langues différentes qui sont autant de modèles du réel. Parler, c’est interpréter le monde.

CHAPITRE 3 « ... Le caractère de l’histoire humaine, la conduite humaine et les institutions humaines dépendent non seulement de ce que l'homme est distinctement, mais aussi dans une large mesure, même décisive, de ce que lès humains pensent que l'homme est 1. »

Connaissance factuelle et connaissance inférentielle Vous trouverez à la fin de ce chapitre un exercice sur le nondiscernement des inférences. Vous pouvez indifféremment le faire avant ou après la lecture de cet exposé. Dans le premier cas, vous serez sensibilisé au sujet, tandis que, dans le second, vous pourrez vérifier si vous le maîtrisez. Pour illustrer la différence entre ces deux types de connaissance, imaginons la situation suivante (voir figure p. 24). Une ambulance est garée près du trottoir, face au numéro 22 où habitent les Durand. Que pouvons-nous faire comme commentaires à propos de cette situation ? Nous pouvons dire par exemple : - Une ambulance est arrêtée devant le numéro 22 ; - Cette ambulance est vide ; - Quelqu’un est malade chez les Durand ; - L’ambulancier est un ami des Durand ; - L’ambulance est en panne ; - C’était la seule place disponible pour se garer ; - L’ambulancier est l’amant de Mme Durand ; - Etc. Je peux immédiatement séparer ces remarques en deux groupes : - Les deux premières sont des énoncés factuels qui résultent de l’observation. 1. Cassius Jackson Keyser : Korzybskis concept of man in «Manhood of Humanity» by A. Korzybski. International non-aristotelian library publishing company.

Connaissance factuelle et connaissance inférentielle

- Les suivantes sont des énoncés inférentiels qui ne sont pas liés à des observations. Ce sont des déductions possibles de nos observations. Essayons maintenant de mieux saisir la différence entre ces deux types de connaissance, car ces deux notions seront très importantes par la suite. La connaissance factuelle est, comme son nom l’indique, liée à l’observation des faits. Ainsi, si j’entre dans ma salle de séjour et vois ma fille en train de regarder la télévision tout en feuilletant négligemment une revue, je fais des observations qui me conduisent à la connaissance factuelle de la situation. Bien sûr, cette observation, et c’est un aspect de la question qui sera développé plus loin, est liée à mes caractéristiques personnelles. Je fais mes observations en utilisant mes organes des sens avec leurs imperfections éventuelles. Certains détails peuvent m’échapper, qui seraient perçus par d’autres. De plus, mes préjugés, ‘mes connaissances, le vocabulaire dont je dispose, vont influencer mon comportement. Néanmoins, je peux affirmer que ma connaissance factuelle approche de la certitude. Il est d’ores et déjà important de noter qu’il s’agit de ma connaissance factuelle et non de

29

celle d’une autre personne quelle qu’elle soit. Je suis en effet seul à pouvoir faire des observations de l’endroit où je me trouve à un instant donné. Maintenant, je peux aussi faire une série de déclarations à propos de mes observations. Comme il est trois heures de l’après-midi, je pense que la présence de ma fille signifie que le professeur est absent. De plus, sa façon de regarder la télévision me laisse à penser que le programme ne l’intéresse pas. Je peux également dire qu’elle n’a sûrement pas de devoirs puisqu’elle « perd son temps » devant un programme sans intérêt. Cette fois-ci, le côté arbitraire de mes affirmations apparaît clairement. Ce n’est pas ce que je vois ici et maintenant qui détermine ce que je dis mais le jugement que je porte, compte tenu de ce que je sais, mes opinions, etc. Au lieu de dire, selon l’acception habituelle, que l’inférence est une sorte de raisonnement, je dirai que c’est une décision sur mon observation. Cela revient-il à dire que la connaissance inférentielle est une connaissance au rabais, sans intérêt ou indigne de confiance ? Pas du tout ! N’oublions pas que l’immense majorité de notre connaissance est de nature inférentielle. Ce que nous savons de l’univers, de la psychologie, de l’histoire est de nature principalement inférentielle. Mais, alors que dans le cas de la_ponnaissanœ factuelle, nous parlions de quasi-certitude, dans celui de la connaissance inférentielle, nous évoluerons sur une échelle du très improbable au très probable. très

très

improbable

probable

»

Il est important de comprendre que toutes affirmations au sujet du passé ou de l’avenir sont de nature inférentielle. Nous ne pouvons observer directement ni l’un ni l’autre. Alors Ravaillac n’aurait-il pas assassiné Henri IV en 1610? Tout Ankh Amon ne serait-il qu’un mythe ? Ce que nous pouvons dire, c’est qu’il est pratiquement certain que ces personnages ont existé et que leurs histoires sont assez bien connues. Mais qu’en est-il de Bouddha (Gautama) et même de notre Jeanne d’Arc ? Où commence la vérité des faits et où s’arrête la légende ? Certains pourraient prétendre que le raisonnement s’applique à l’étude de l’histoire, mais que les succès scientifiques d’aujourd’hui confirment largement le bien-fondé des hypothèses.

Connaissance factuelle et connaissance inférentielle

Quelques, remarques me semblent s’imposer : - L’observation de la nature a, de tout temps, amené les hommes à une réflexion sur la cause des événements. Les premiers dessins des grottes, le panthéon grec et sa mythologie et bien d’autres trésors de l’humanité en sont l’expression. Ces interprétations étaient-elles fausses ou vraies ? C’est une question qui me semble d’assez peu d’intérêt aujourd’hui. Etaient-elles utiles ? Oui, assurément, puisqu’elles contribuaient à positionner l’homme dans l’univers. Il faut noter d’ailleurs que, beaucoup plus qu’une explication, il s’agissait d’une interprétation. - L’efficacité d’une hypothèse scientifique est liée à son domaine d’application. La mécanique dite newtonienne permet de prévoir le fonctionnement d’une machine (automobile, train, etc.) mais ne s’applique ni à la microphysique ni à toute l’astronomie qui doit, entre autres, tenir compte des travaux d’Einstein. La prétention des scientifiques se limite à essayer de trouver des modèles explicatifs qui soient les plus universels et les plus applicables possible. Cela ne veut pas dire, bien sûr, que les préoccupations métaphysiques soient sans intérêt, cela veut dire qu’elles sont d’un ordre différent, même si elles s’appuient sur les résultats scientifiques. - Certaines notions très largement utilisées ne recouvrent aucune réalité, directement ou indirectement observable. Que l’on pense par exemple aux états du moi utilisés par l’analyse transactionnelle (parent, adulte, enfant) qui sont néanmoins des outils conceptuels particulièrement utiles pour l’étude de la personnalité et l’épanouisse­ ment personnel.

- Il n’y a aucune différence grammaticale ou syntaxique entre une affirmation factuelle et inférentielle. Les différences entre les deux types d’affirmations sont résumées dans le tableau ci-dessous : "77

Affirmations factuelles - Ne peuvent se faire qu’à la suite d’observations. - Ne concernent que ce qui est réellement observé. - Permettent d’approcher la certitude.

Affirmations inférentielles - Sont des décisions sur nos observations. - Ne présentent qu’un degré de probabilité. - Peuvent se faire en nombre illimité.

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Nous aurions tort de sous-estimer l’importance de la différence entre ces deux types d'affirmations et de connaissances. Nous faisons quotidiennement la confusion, prenant les uns pour les autres. Cette confusion est d’ailleurs entretenue par les spécialistes de la publicité en tous genres. A titre personnel, c’est une attitude qui peut être dangereuse dans certains cas. Exemple : je suis dans ma voiture arrêtée à un feu rouge. Le feu passe au vert et je me crois autorisé à démarrer sans m’assurer (connaissance factuelle) que la voie est libre. Combien d’accidents pouvons-nous imputer à cette négligence ! Il sera facile à chacun de trouver des exemples dans sa vie familiale, professionnelle et relationnelle. Si vous ne l’avez fait, commencez l’ensemble des exercices.

TEST DE NON-DISCERNEMENT DES INFERENCES

Lisez soigneusement ces histoires et considérez que leur contenu est exact, même s’il vous semble imprécis. Répondez ensuite aux questions en entourant, selon votre choix, le « V » vrai, le « F » faux et le « ? » si vous pensez ne pas disposer des informations nécessaires pour décider. Histoire A Le téléphone sonna à 10 heures. Raymond eut un mouvement d’irritation car il n’aimait pas être dérangé. — Allô, Monsieur Desbois ? — Lequel ? — Le fils André. — Il est sorti, mais je peux prendre la commission. — Oui. C’est pour lui dire que le bridge avec les Maurand est reporté à jeudi. Jacques Maurand doit partir mardi pour Londres afin de régler une affaire d’importation de denrées périssables et il rentrera tard. — Je lui ferai la commission dès son retour de l’hôpital. — Au revoir. — Au revoir.

1. 2. 3. 4.

Desbois n’aime pas être dérangé le soir ...................... Desbois n’a qu’un seul fils ............................................. Jacques Maurand doit partir mardi pour Londres ... Jacques Maurand travaille dans l’alimentation .........

V F V F VF V F

? ? ? ?

Connaissance factuelle et connaissance inférentielle 5. 6. 7. 8.

Le bridge devait avoir lieu mardi soir......................... Jacques Maurand rentrera mardi dans la soirée ....... Dubois est un homme complaisant ............................. André travaille dans un hôpital ....................................

V V V V

F F F F

? ? ? ?

Histoire B Vendredi 21 mai, à 18 h 30, un enfant qui traversait la rue fut heurté par un véhicule. Les passants, qui se trouvaient sur le passage pour piétons, virent l’accident. L’enfant était assez sérieusement touché à la jambe et un médecin qui se trouvait là prit la décision de faire transporter l’enfant dans une pharmacie voisine en attendant une ambulance. La voiture, arrêtée à la suite de cet accident, gênait la circulation, et ses occupants la poussèrent le long du trottoir. La police, enfin arrivée, dressa un procès-verbal de l’événe­ ment et fit appel aux témoins.

1. Il s’agit de l’histoire d’un automobiliste renversant un enfant dans un passage pour piétons ....................................... V F ? 2. L’histoire se passe un vendredi 21 mai........................ V F ? 3. Heureusement, un médecin appelle une ambulance VF? 4. La voiture était endommagée par l’accident ............... V F ? 5. Le conducteur de la voiture reçut une contravention VF? 6. Aucune autre personne n’a été touchée par la voiture VF? 7. C’était un vendredi soir et la circulation était importante...... V F ? 8. L’enfant était touché à la jambe.................................... VF?

Histoire C Au cours de la réunion hebdomadaire des cadres de l’entreprise Duroyer, Alain Dufour, directeur financier, se plaint du manque de crédibilité de l’entreprise auprès des banques. Les commandes étaient en retard sur le budget et le plan de charges des ateliers était limité à trois mois. Raymond Dupré, directeur commercial, estimait que les investissements de promotion et de publicité sont difficilement acceptés par la direction générale. Le nouvel assistant dit qu’à son avis l’agence Médiapub offrait de meilleures conditions. André Durand, malgré sa jeunesse, était très écouté et il suggéra de solliciter à la banque un crédit de campagne pour relancer les affaires. Il obtint l’accord du P.D.G.

33 Alain Dufour se plaint auprès de M. Duroyer............ V F ? L’entreprise Duroyer a des difficultés financières .... V F ? La séance est présidée par M. Duroyer....................... VF? M. Duroyer est président-directeur général ............. V F ? Finalement l’histoire traite du conflit entre le directeur financier et le directeur commercial.............................. V F ? 6. Selon l’assistant, l’agence Médiapub offre de meilleures conditions............................................................................ V F ? 7. Le nouvel assistant jouit d’une audience attentive malgré sa jeunesse ............................................................................... V F ? 8. M. Duroyer donne son accord pour solliciter un crédit de campagne ............................................................................ V F ?

1. 2. 3. 4. 5.

Histoire A 1. ? Nous ignorons si l’histoire se passe à 10 heures du soir ou du matin et de quel Desbois il s’agit. 2. ? Cette précision n’est pas indiquée. 3. V C’est écrit dans l’histoire. 4. ? Et s’il travaillait chez un transitaire ! 5. ? Nous n’en savons rien. 6. ? Nous n’en savons rien. 7. ? Il n’y a pas de Dubois dans l’histoire. 8. ? Nous n’en savons rien. Voici un exemple où ce qui est affirmé est rarement lié au contenu de l’histoire. Voyons ce qu’il en est pour les suivantes. Histoire B 1. F II s’agit d’une affirmation sur l’histoire et non sur son contenu. II n’est pas dit explicitement que l’enfant a été renversé sur un passage pour piétons. 2. V C’est la première chose que nous apprenons. 3. ? Nous n’en savons rien. 4. ? Le récit est muet sur ce détail. 5. ? Nous n’en savons rien. Un procès-verbal n’est pas une contravention. 6. ? Nous n’en savons rien. 7. ? C’était un vendredi soir mais la circulation était-elle importante ? 8. V C’est écrit dans l’histoire.

Connaissance factuelle et connaissance inférentielle

Histoire C Je donne ici les réponses sans explications, permettant ainsi au lecteur d’exercer son esprit critique. 1. ?, 2. ?, 3. ?, 4. ?, 5. F, 6. V, 7. ?, 8. ?

Résumé

Nous pouvons faire deux sortes d’affirmations :

1. Des affirmations concernant ce que nous observons ici et maintenant, et qui nous conduisent à une connaissance factuelle. Elles n’intéressent par conséquent ni le passé ni l’avenir.

2. Des affirmations au sujet de ce que nous avons observé, tentant de décrire l’inconnu à partir du connu. C’est ce que nous appelons la connaissance inférentielle. Comme nos expériences personnelles sont évidemment très limitées, la majeure partie de nos connaissances est de nature inférentielle.

CHAPITRE 4 « Quant à l’homme, sa perception du monde est et restera toujours une construction de l’esprit, elle n’a pas d’autre existence démontrable t. »

Perception et projection Nous baignons dans un environnement avec lequel nous échangeons en permanence de l’énergie et de l’information. A chaque instant, une énorme quantité de signaux est traitée permettant la survie de l’organisme. Heureusement, ceux concernant le maintien de notre structure, ou résultant de l’acquisition d’automatismes liés à un apprentissage, ne sont pas perçus par la conscience, réservant notre vigilance aux événements importants. Nous pouvons décrire cet environnement et dire par exemple : « Cette fleur est rose » ; « Cet enfant est paresseux » ; « Mon oncle est avare ».

Cette façon de s’exprimer, largement répandue, semble signifier que les qualités appartiennent en propre aux choses ou aux êtres. Dans ces phrases, les qualités apparaissent comme évidentes et observables. Une étude plus attentive de la perception va nous conduire à une conception différente. Prenons la première affirmation : cette fleur est rose (voir figure). Si nous décomposons le processus de la perception, que se passe-t-il ? Le soleil émet une lumière dite blanche. Cette lumière blanche résulte en fait de la composition des différentes couleurs formant le spectre visible. C’est cette lumière blanche qui est décomposée dans le phénomène d’arc-en-ciel nous permettant de voir les différentes couleurs. 1. Schrodinger : « Mind and Matter » in Paul Watzlawick : Le langage du changement ; éd. du Seuil, 1980.

Perception et projection

Lorsqu’elle rencontre la surface de notre fleur, une partie seulement du spectre est réfléchie et vient frapper notre œil. Sans entrer dans les détails, je dirai que l’impact de la lumière sur notre rétine génère des excitations nerveuses (électriques) transmises par le nerf optique au cerveau. C’est ce signal électrique, analysé par le cerveau, qui crée la sensation de rose. Notre fleur n’est donc ni rose, ni d’aucune couleur en elle-même ; la réflexion de la lumière sur sa structure physique crée dans mon cerveau une sensation que je nomme rose. Mais, et ceci est une remarque très importante, bien que je dispose d’organes de perception et d’un système nerveux dont la structure est commune à mon espèce, l’homme, je suis le seul à présenter des caractéristiques qui façonnent mon identité, je suis seul à voir ce rose comme je le vois, et il en est de même pour toutes mes perceptions. Les porteurs de verres de correction savent que leur perception de l’environnement est modifiée, « améliorée » par ceux-ci. Quant aux daltoniens, leur vision des couleurs est assez différente de celle de la personne « normale ». Il est extrêmement important de bien comprendre ceci : La réalité, telle que nous la concevons, n ’a pas d’existence propre, c’est le produit de notre structure nerveuse. Cette symphonie de Beethoven qui m’émeut, cette tarte au citron que j’adore, ce paysage apaisant, ces amis chaleureux déclenchent dans mon organisme une série de signaux dont l’interprétation, par mon cerveau, conduit aux sentiments que j’ai évoqués.

37

Alors, comment se forme le sens que nous attribuons aux mots, ce qui fait que j’affecterai presque toujours le même mot à une même perception ? C’est au cours d’expériences répétées avec les choses que se forme le sens que nous mettons dans les mots. Bien évidemment, ces expériences sont strictement personnelles, ce qui fait que le sens que nous mettons dans les mots est aussi notre propriété. Quand j’annonce : « Ce matin, le ciel est bleu », ce que je décris, c’est ce qui se passe dans ma tête, pas la réalité. La preuve en est donnée par l’expérience consistant à exciter électriquement un organe des sens pour obtenir une sensation équivalente à celle qui serait obtenue par une perception « naturelle ». Ces expériences, pratiquées aussi sur des animaux, sont maintenant bien connues et ont prouvé, me semble-t-il, la relation entre notre conception du monde et un modèle nerveux de représentation. Korzybski, pour nous faire prendre conscience que le corps tout entier participe à l’expérience de notre environnement, employait l’expres­ sion « à l’intérieur de notre peau » que j’utiliserai aussi. La peau se présente en effet comme la limite géométrique de l’être. C’est elle qui nous permet d’affirmer notre moi par l’occupation d’une portion de l’espace, en opposition avec ce qui nous est étranger. Se mouvoir, saisir un objet, et d’une façon générale utiliser son corps et ses organes des sens participe de la connaissance du monde. Mais, comme nous le savons, la réponse de notre organisme à l’environnement se traduit par des phénomènes de nature différente. Si je vois passer une voiture dans la rue, cette observation met en jeu « à l’intérieur de ma peau » un système d’interprétation qui ne peut être expliqué par la mécanique. D’où à nouveau cette remarque qui me paraît fondamentale : Ce que nous « percevons », ce n’est pas le monde extérieur avec ses propres lois, mais le monde à l’intérieur de notre peau, avec également ses propres lois. Tout ce que nous pouvons faire, c’est nous représenter la réalité, mais cette représentation n’est pas la réalité. Le seul monde que nous connaissions est celui qui se trouve dans notre tête. Nous vivons chacun dans notre propre monde. Essayez donc d’expliquer ce qu’est la couleur bleue à un aveugle de naissance ! Les pièges de la perception

1. Nous avons tendance à ne voir que ce que nous espérons voir. Ce qui signifie que, lorsque nous observons quelque chose de nouveau,

Perception et projection

nous essayons de voir une image qui se trouve déjà dans notre mémoire.

Par exemple, qu’avez-vous lu sur le panneau ci-dessus ? • Vous n’avez pas la priorité ou • Vous n’avez pas pas la priorité. La plupart des gens qui connaissent ce texte, un classique de la littérature automobile, ne voient pas les deux « pas ». Nous avons tendance à voir avec notre mémoire, pas avec nos yeux. D’un certain point de vue, cette capacité est utile car c’est elle qui nous permet de rétablir l’identité d’objets lointains, dont nous ne distinguons pas les détails ; c’est elle aussi qui donne du relief à l’image que nous observons sur notre écran de télévision. 2. Nous essayons de voir ce qui correspond à notre préoccupation actuelle. Vous rêvez d’acheter une voiture peu vendue dans notre pays, mais qui vous fascine. Au cours d’une promenade, vous verrez presque tous les véhicules de cette marque, bien qu’ils soient très peu nombreux par rapport aux autres voitures, ce qui confortera votre arrière-pensée : « Après tout, cette voiture se vend pas mal ! » Essayez maintenant de vous promener avec les pensées d’un gamin, d’une jeune fille, d’un vieillard, d’une mère de famille faisant ses courses. Nous faisons en permanence une lecture de notre environnement qui reflète nos intérêts et nos buts à l’instant présent. 3. Nous avons tendance à percevoir ce que notre éducation nous a préparé à percevoir. Ceux qui ont voyagé en Afrique ou en Asie, par exemple, ont souvent vécu cette expérience : la comparaison de ce qu’ils voient, les

39 nourritures étalées dans les marchés, la circulation, les habitations, etc., avec leur environnement habituel, les incite à se poser des questions sur la possibilité de vivre dans un tel inconfort.

Notre imprégnation culturelle nous met véritablement des œillères et nous empêche, à moins d’efforts conscients, de saisir ce qui peut donner sa véritable dimension à une autre civilisation. Il est clair que je ne cherche nullement à éliminer, par une pirouette psychologique, ce que sont les vrais problèmes des pays en voie de développement. Cette cécité intellectuelle peut constituer un grand danger. En voici quelques exemples : - Le campagnard qui circule en ville et ignore les problèmes d’encombrement. - L’Européen explorant une contrée inconnue. Pensez aux conditions de vie dans le désert, dans une forêt tropicale, chez les Esquimaux. Alors que les populations autochtones ont trouvé des solutions pour exploiter les ressources du milieu, les Occidentaux sont obligés, pour survivre, d’emmener une partie de leur environnement. Avant de clore ce paragraphe, je voudrais vous poser une question : vous allumez une bougie, la posez sur la table puis vous quittez le salon en fermant la porte. Est-ce que la bougie éclaire encore la pièce ? Nous admettrons bien sûr que la bougie est en parfait état de fonctionnement ; d’ailleurs, vous pourrez retourner plus tard au salon et constater qu elle brûle encore. La réponse ? Eh bien non ! la bougie n’« éclaire » que dans la mesure où la lumière est perçue, c’est-à-dire dans la mesure, où une structure nerveuse est là pour recevoir cet impact de photons qui va se transformer en impressions lumineuses. En l’absence d’observateur, la bougie est le siège de phénomènes physico-chimiques liés a sa combustion et en particulier elle émet un rayonnement infrarouge (que nous traduirons par de la chaleur) et visible (l’éclairage).

Une autre remarque : certains livres ou certains films nous proposent des descriptions ou des montages de ce que pouvait être la vie préhistorique. Ceux-ci sont réalisés en utilisant notre structure nerveuse, en imaginant ce que pouvait être la vie et son environnement à l’époque. Malheureusement, cette structure n’existait pas encore et nous ne pourrons vraisemblablement jamais nous représenter la terre préhistorique.

Perception et projection Les projections

Nous faisons une projection quand nous mettons du connu sur de l'inconnu. Lorsque nous observons pour la première fois un objet, nous lui donnons la plupart du temps un nom qui correspond à une chose que nous avons expérimentée dans le passé. Nous avons également la fâcheuse tendance de projeter nos structures mentales dans la tête des autres, créant de véritables problèmes de communication et d’interprétation.

EXERCICE :

Fabriquez-vous une « tache d’encre » sur une feuille de papier que vous plierez en deux de façon à obtenir une image symétrique et demandez à quelques personnes de noter ce qu’elles peuvent identifier comme figure connue. Vous serez surpris de la diversité des réponses. La tache étant la même pour tout le monde, il apparait comme évident que le sens ne se trouve pas dans l’objet mais dans nos têtes. Souvenez-vous en permanence que celui qui s’exprime dit toujours quelque chose de lui-même, quel que soit le sujet de la discussion.

Résumé

Le monde tel que nous le connaissons est une création de notre propre structure nerveuse. Ce que nous décrivons, ce sont les interactions se produisant à l’intérieur de notre peau.

CHAPITRE 5 ... Etre une abstraction ne signifie pas qu’une entité n’est rien. Cela signifie simplement que son existence est seulement un facteur d'un élément plus concret de la nature 1.

L’abstraction et la conscience d’abstraire L’abstraction et son corollaire, la conscience d’abstraire, sont deux notions clés de la sémantique générale. Le sens habituel d’abstraire signifie séparer, extraire une partie d’un ensemble. En cela, l’abstraction est différente de l’analyse qui décompose un tout en ses différentes parties, mais n’en néglige aucune. Un concept abstrait est généralement une idée qui néglige les détails. Exemple : 1. Abstraction Si je considère un ensemble d’éléments :

et que je prélève les deux premiers, je les ai abstraits alors que je fais abstraction des trois suivants. J’abstrais :

I

A N. Whilehead : «The Concept of Nature» in A. Korzybski : Science and Sanity.

L’abstraction et la conscience d’abstraire et je fais abstraction de :

Attention : Faire abstraction signifie exactement le contraire d’abs­ traire. 2. Analyse La figure suivante peut être décomposée en trois parties :

Cette précision donnée, je vais pouvoir introduire les différentes notions qui vont nous permettre de passer du monde réel (non verbal) au monde de la connaissance, de la communication (verbal). Le niveau de l'événement

Pour autant que nous le sachions, le monde physique à son niveau le plus simple peut être décrit en termes de particules subatomiques, d’atomes, "puis de molécules pour se poursuivre et peut-être se terminer par des niveaux d’organisation de plus en plus complexes jusqu’à l’homme. D’autres notions, comme celle de champ, sont nécessaires pour expliquer les interactions entre ces différents éléments. Comme nous le verrons plus tard, nos savants qui sont devenus modestes nous proposent non une explication du monde mais des modèles permettant, dans telles et telles circonstances, d’expliquer tels ou tels phénomènes. D’ailleurs, la durée de vie de certains concepts scientifiques est tellement brève qu’il serait naïf de les considérer comme des certitudes. A ce point de mon discours, il est peut-être prudent d’informer mon lecteur qu’il ne s’agit pas d’une initiation à la physique mais d’une démarche qui va nous permettre de corriprendre comment se forme la connaissance en général, avec la création de concepts et de mots pour l’exprimer.

43

Quoi qu’il en soit, le niveau le plus élémentaire se situera, pour notre propos, au niveau submicroscopique. C’est ce niveau de base que j’appellerai le niveau de l’évenement. Cette notion, empruntée au philosophe anglais Whitehead, a été très largement utilisée par Korzybski. Etymologiquement et par définition, un événement, c’est ce qui arrive. Il est important de préciser que, dans la suite de ce chapitre, j’utiliserai le mot événement dans un sens assez différent, du moins superficiellement, de celui utilisé par la presse. Pour un journaliste, l’événement est un fait qui échappe au cours habituel des choses et mérite, par conséquent, d’être mentionné. En réalité, c’est une construction de l’esprit ; la nature ne connaît pas d’accident au sens anthropocentrique du terme et c’est notre évaluation de certaines circonstances qui nous détermine à parler d’événement. Pour l’habitant d’un petit village, le passage d’un cirque ambulant est un événement alors qu’au niveau national, au niveau de la presse audiovisuelle, il sera négligé et d’ailleurs ignoré. Le sens du mot « événement » que j’utiliserai maintenant est, bien que lié au précédent, assez différent quant au contexte dans lequel il sera utilisé. J’emploie, pour écrire ce texte, un stylo présentant certaines caractéristiques. Si je m’intéresse à ce seul stylo, d’un point de vue scientifique, je peux dire qu’il s’agit d’un événement qui est le siège de quantités de phénomènes physico-chimiques et dont la nature change constamment. Une formulation plus générale consiste à dire que toute partie de l’univers est le siège de processus dont « l’immobilisation » par le sujet percevant conduit à la notion d’événement. Comme le faisait remarquer A. N. Whitehead : « Un événement n’implique nullement un changement rapide. La persistance d’un bloc de marbre est un événement. La nature se présente à nous essentiellement comme un devenir 2. » En tentant une description de ce que je perçois de cet événement, je vais pouvoir dire par exemple : 1. Ce stylo a un corps en acier, il pèse x grammes, il se présente sous la forme d’un cylindre de telles dimensions, l’agrafe a telle forme, etc. Lorsque j’aurai décrit les qualités macroscopiques de mon stylo, c’est2. A. N. Whitehead : La science et le monde moderne, éd. Payot.

L'abstraction et la conscience d’abstraire

à-dire celles que je peux observer directement, l’utilisation d’un microscope me permettrait à nouveau d’énoncer un nombre d'affirmations tellement élevé que ce livre ne pourrait pas les contenir. Car, en effet, il serait toujours possible à quelqu’un de poser la question suivante : — Ne peut-on rien ajouter ?

- Si, il est toujours possible de dire plus en améliorant la finesse de l'observation. Nous venons de voir un aspect important de l’événement : la complexité d’un événement est infinie ou en tout cas dépasse largement les possibilités de connaissance de l’esprit humain. De plus, rien ne nous permet d’affirmer qu’il n’existe pas de caractéristiques transparentes qui nous échappent totalement. C'est pour nous faire prendre conscience de notre impossibilité à énumérer toutes les caractéristiques d’un événement que Korzybski a proposé d’utiliser le etc. (et la suite) à la fin d’une énumération. Cet etc., placé à la suite d’une phrase, permet d’appréhender les limites de nos affirmations.

2. Depuis que j’écris ce chapitre, certaines transformations se sont produites dans mon stylo, même si je ne peux pas les percevoir facilement. Par exemple : la quantité d’encre a diminué, la plume s’est usée, le corps du stylo aussi mais moins vite, sa température a changé au contact de ma main, etc. Là aussi une analyse soignée nous montrerait que ce stylo ne reste pas identique à lui-même. De plus, et c’est très important, cet événement a une histoire. Il n’a pas toujours eu cet aspect d’instrument d’écriture. Il a été acier brut, matière plastique, colorant, eau, etc. Il a donc un passé mais il a aussi un devenir et je peux inférer par exemple qu’il terminera sa vie, hors d’usage, dans une poubelle puis réduit en poussière par les services municipaux. Nous voyons qu’en ce qui concerne un événement il y a toujours eu quelque chose avant et il y aura quelque chose après.

3. Il n'existe pas deux ou plusieurs événements identiques (identique signifie : dont toutes les caractéristiques soient comparables terme à terme). Si je pouvais prendre une série de stylos, de même marque et du même modèle, je sais qu’un examen attentif me permettrait de trouver des différences. La familiarité avec une chose donne d’ailleurs la

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possibilité de la reconnaître presque immédiatement : je distingue sans peine ma voiture dans un parc où existe le même modèle de la même couleur. Seulement, certains détails (caractéristiques) rendent mon véhicule unique, même si la perception en est inconsciente. Dans un univers où chaque événement peut être affecté d’une coordonnée de temps et d’une coordonnée d’espace, il est difficile d’imaginer deux événements identiques. Nous avons l’habitude d’observer des événements répétitifs : la pendule du salon dont les aiguilles se retrouveront exactement à la même place dans douze heures, la série de photocopies reproduites à partir d’un original, les voitures fabriquées à la chaîne, etc., qui donnent l’illusion d’une véritable duplication n’échappent pas à la règle. Ces événements ne sont pas identiques en tous points. Un examen rigoureux permettrait de saisir des différences, sans compter celles qui nous échappent par nature. Pour nous résumer, il est important dans le cadre de la sémantique générale de se souvenir de trois caractères fondamentaux du niveau événementiel : a) Le nombre de caractéristiques est pratiquement infini (principe de complexité). b) Un événement change constamment. c) Il n’y a pas deux événements identiques (principe de non-identité). L’abstraction

Maintenant, considérons ce qui se passe lorsqu’une structure vivante réagit à un événement. Nous savons que tout organisme vivant est irritable. C’est cette irritabilité qui constitue sa réponse aux stimuli de son environnement interne et externe. Les êtres les plus simples, même unicellulaires, jouissent de cette faculté de réagir à des variations énergétiques du milieu. Au fur et à mesure que nous montons dans l’échelle de complexité, les réponses aux stimuli se diversifient pour culminer avec l’homme. Parallèlement, nous pouvons supposer que les « images du monde » des différentes especes deviennent de plus en plus élaborées. Néanmoins, la plus grande partie des caractéristiques des événements nous échappe. Par exemple, nous ne disposons pas d’organe pour détecter les ondes radioélectriques, les rayons X ou les rayons cosmiques.

L’abstraction et la conscience d’abstraire D’autre part, si nous considérons un sens comme la vue, nous savons que notre œil n’est sensible qu’à une partie du spectre. L’infrarouge nous échappe ainsi que l’ultraviolet, alors qu’il semble que la tortue par exemple soit capable de « voir » dans l’infrarouge et l’abeille dans l’ultraviolet. Nous le savons indirectement, sans pouvoir imaginer ce que cela représente pour ces organismes. De même pour l’ouïe, si les infrasons et les ultrasons nous sont inaudibles, il n’en est pas de même pour le chien qui entend des fréquences beaucoup plus élevées que nous. Le monde animal nous fournit quantité d’exemples où l’homme est « battu » dans certains domaines de perception. C’est cette réponse à l’environnement, cette sélection inconsciente des caractéristiques auxquelles réagit l’organisme que Korzybski appelle l’abstraction. ---------------- Stimuli

Structure vivante

Processus d’abstraction

_¡_________

Réponses

Le schéma ci-dessus est destiné à faire comprendre le processus d’abstraction, mais ne doit être en aucune façon considéré comme représentatif des phénomènes mis en jeu. En réalité, les choses sont un peu plus compliquées. Outre les caractéristiques sensorielles qui varient d’un individu à l’autre, ce que nous percevons est lié à des facteurs tels que notre position par rapport à la source de stimuli, notre état physique, et surtout notre état psychologique, qui nous conduit parfois à scotomiser certaines impressions que nous voulons ignorer. Notre schéma précédent doit donc se modifier pour tenir compte de cet aspect des choses. ------------------ Stimuli Organe des sens Psychisme

Processus d’abstraction —_________ Réponses

47 Cette capacité d’extraire de l’information de notre environnement est un phénomène très général. - Si je suis témoin d’un accident dans la rue, j’abstrais une partie des caractéristiques de la scène, en fonction de la position que j’occupe dans l’espace (angle de rue, éloignement, etc.) et de mon affectivité. Je peux avoir une véritable cécité pour des détails qui me gênent. - Dans une discussion, je n’entendrai que ce qui conforte mes opinions ou enfonce mes adversaires.

Exercice 1. Il peut être utile d’écouter une émission politique par exemple et de demander à plusieurs personnes de noter ensuite ce qu’elles en ont retenu. Si je vois un même film pour la deuxième fois, je suis surpris d’y trouver un certain nombre de détails qui m’avaient échappé. Il en est de même pour un livre, la visite d’une exposition, etc. Exercice 2. Cet exercice nécessite aussi la présence de plusieurs personnes qui se seront munies d’un papier et d’un crayon. Vous disposez une quinzaine de petits objets sur un plateau (gomme, paquet de cigarettes, bibelot, gadget, etc.) que vous laissez observer pendant une demi-minute environ. Puis vous demandez à chacun de noter ce qu’il a vu, après avoir caché votre plateau bien sûr. Si vous considérez que le contenu du plateau est un événement, dont chaque objet est une des caractéristiques, vous pouvez faire les observations suivantes : - le nombre d’objets mentionnés varie d’un individu à l’autre ; - les objets retenus ne sont pas les mêmes ; - certains objets ont reçu un nom qui ne correspond pas à la réalité ; - un paquet de cigarettes vide sera inscrit « cigarettes », l’observateur ayant fait l’inférence qu’il était plein.

Essayez de relier cette expérience à des situations quotidiennes du monde du travail, de la famille, des amis. Nous verrons plus loin que le processus d’abstraction peut et doit être maîtrisé dans la création de modèles. Il faut bien faire la différence entre l’abstraction et la mémorisation. J’abstrais certaines des caractéristiques d’un événement dont je ne retiendrai ensuite qu’une partie. Les deux phénomènes doivent être séparés, car l’un précède l’autre et leur nature est différente.

L ’abstraction et la conscience d’abstraire Maintenant que nous savons ce qu’est une abstraction, il est peut-être utile de se demander quel en est le résultat. Le résultat de cette abstraction du réel se traduit par des sensations et des affects qui s’organisent de telle sorte que nous projetons et voyons hors de notre corps des choses élaborées dans notre tête. Nous allons voir que l’abstraction est un processus très général qui va nous permettre de comprendre ce qu’est un objet, un nom représentant cet objet, un concept, etc., et, pour essayer de visualiser cette démarche, nous utiliserons un schéma célèbre en sémantique générale, le « structurel différentiel » proposé par Korzybski dès 1924. Par la suite, différents auteurs ont proposé des structurels différentiels « améliorés », mais je préfère utiliser celui-ci, à mon sens beaucoup plus clair. Chacun pourra en dessiner un pour son profit, le geste joint à la lecture facilitera la compréhension et la mémorisation du diagramme.

Le structurel différentiel

Nous avons vu ce qu’était un événement. Nous allons le représenter par une courbe dont la surface est limitée par une ligne brisée. A l’intérieur de celle-ci se trouvent des points symbolisant les caractéristiques de l’événement dont le nombre est en principe infini, du moins par rapport à notre capacité de perception. En dessous se trouve un cercle, c’est l’objet, doté lui aussi d’un certain nombre de caractéristiques. Enfin, c’est une série d’étiquettes rectangulaires, les mots, qui complètent ce schéma avec, encore une fois, des points pour représenter les caractéristiques. Les lignes joignant deux points, situés sur des symboles différents (événement, objet ou mot), représentent les caractéristiques abstraites. Celles qui partent d'un point et s’échappent sont les caractéristiques non perçues dans le cas de l’événement et abandonnées par notre système nerveux dans les autres. En toute rigueur, je n’ai pas le droit d’utiliser le terme « caractéristique » au niveau de l’événement puisque cela implique qu’il ait les qualités que je ne saurais reconnaître que dans un objet. Le caractère anthropomorphiste du langage ne me donne pas d’autres solutions. Pour expliquer ce schéma, je vais l’illustrer en prenant un exemple familier à la majorité d’entre nous.

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Si je regarde par la fenêtre de mon bureau, j’aperçois ma voiture sur un parking. Comme il a plu cette nuit, la carrosserie mouillée crée des zones lumineuses sous le soleil qui fait son apparition à travers les nuages, des traces de boue ornent le bas de la caisse et des gouttes d’eau tombent une à une du pare-chocs. Cette description est une abstraction faite à partir d’une réalité beaucoup plus complexe qui se trouve dans la rue et que je nomme événement Les détails que j’ai mentionnés : l’eau, l’éclat de la lumière, la boue ne sont pas partie intrinsèque de ma voiture, néanmoins je n’ai aucun mal à la reconnaître.

L'abstraction et la conscience d’abstraire

Cette observation, généralisée, me permet d’affirmer : « L’objet est la partie reconnaissable de l’événement. » Il est probable que demain les conditions atmosphériques, le lieu de stationnement, l’état des routes que j’aurai empruntées auront changé mais, soumis à ma perception; j’abstrairai une partie de ce nouvel ensemble de caractéristiques qui me permettra d’affirmer qu’il s’agit bien de ma voiture. C’est, sur notre structurel différentiel, ce qui est symbolisé par un rond : l’objet. Bien entendu, je peux faire cette observation en silence, sans nommer l’objet, en regardant simplement. C’est pourquoi je dis que nous sommes dans le monde silencieux ou non verbal. Cet objet qui se trouve devant moi, je peux maintenant l’étudier en tant qu’objet. Il a un poids, il se trouve à une certaine température, il a une longueur donnée et nous savons que je serais capable indéfiniment de poursuivre la description de cet objet, c’est pourquoi je mettrai tout simplement, pour clore ma description, un etc. Nous avons vu qu’il était destiné à nous faire prendre conscience de l’incapacité où nous sommes d’être exhaustifs sur un sujet. Si je souhaite nommer cette chose, je vais faire une abstraction de toutes ces caractéristiques se terminant par un etc., et je vais pouvoir dire que ma voiture est de telle marque, tel modèle, telle couleur, par exemple. C’est ce que Korzybski appelle le niveau de description parce qu’il concerne quelque chose qui existe, dont je vais pouvoir parler, la vendre par exemple. Mais, à ce niveau d’abstraction, certaines caractéristiques que je percevais dans mon observation n’ont pas de signification. Une Peugeot, tel modèle, n’est pas caractérisée par sa température, son odeur, son état hygrométrique, etc. Elle est définie par un ensemble de qualités permettant son identification comme Peugeot, ce qui la différencie sans hésitation d’un autre modèle éventuellement de la même marque. Si je fais une nouvelle abstraction, à partir de ce niveau de description, je vais à nouveau abandonner les spécificités de ma voiture Peugeot pour ne retenir que ce qui est commun à toutes les voitures. C’est une généralisation. En effet, le mot « voiture » est une inférence ; il est le symbole de quelque chose de non représentable, d’un concept. Si vous consultez un dictionnaire, vous verrez qu’une voiture est définie d’une manière très abstraite. Par exemple, le Petit Larousse nous propose : « voiture ; véhicule servant au transport des personnes et des choses ».

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Essayez maintenant d’acheter une voiture. C’est impossible ! Vous ne pouvez acheter qu’un modèle d’une marque déterminée avec telles options. La voiture est une généralisation ; les logiciens diraient une classe ou un ensemble qui n’a pas de représentation mais qui permet de communiquer. L’abstraction suivante va nous mener à une nouvelle inférence, un mot symbolisant une nouvelle généralisation : le « véhicule » qui, à son tour, abandonne les spécificités de la voiture. Vous avez sans doute compris que cette démarche peut être poursuivie indéfiniment, c’est pour cela qu’après la dernière étiquette se trouve un etc. Alors, la question qui se pose maintenant est : « A quoi tout cela sertil, qu’est-ce que cela peut changer dans ma vie de tous les jours ? » Tout d’abord, je dirai que ce schéma correspond à une réalité. Une structure nerveuse abstrait une partie de son environnement, ce qui se traduit par la perception d’un objet, partie reconnaissable de l’événement. C’est notre environnement matériel tout simplement. C’est le premier niveau d’abstraction qui utilise nos organes des sens et ne perçoit que l’aspect macroscopique des choses. C’est une abstraction au niveau non verbal. Il est évident que les caractéristiques que nous percevons à ce niveau sont plus nombreuses que celles qui permettent de le définir au niveau de description. Cette abstraction de second ordre permet de nommer une chose concrète. L’abstraction suivante, qui se traduit par une inférence, représente ce qui est commun à un ensemble de personnes, par exemple : la femme (en général) mais pas Catherine ou Hélène ; les médecins (en général) mais pas le docteur Durand, le docteur Dupont, etc. C’est cette démarche de l’esprit humain, l’abstraction, qui a rendu possible la création de quantités de concepts qui nous permettent d’interpréter notre univers psychologique, social, matériel, etc. Par exemple, les notions de temps et d’espace, qui interviennent dans quantité de raisonnements, ne sont que des inférences d’ordre élevé. Il est impossible d’isoler le temps, d’isoler l’espace. Tout ce que nous saurions faire, si quelqu’un nous le demandait, serait de présenter sa montre, de parcourir une surface par exemple. Il est bien évident que, dans ces cas-là, nous ne montrerions pas ces concepts isolés mais un mécanisme nous permettant de constater l’écoulement du temps et la surface d’un plancher sur laquelle nous pourrions marcher. Cette démarche très importante, qui consiste à utiliser le résultat d’abstractions, d’ordre élevé, pour expliquer ou peut-être plus

L'abstraction et la conscience d’abstraire exactement pour modéliser le réel au niveau non verbal, Korzybski l’appelait la circularité de la connaissance ; nous dirions aujourd’hui qu'il s’agit d’un feed-back ou d’une rétro-action. Cette démarche est figurée par la flèche qui part du etc. pour rejoindre l’événement. Il se peut que ce diagramme présente quelques difficultés pour certains des lecteurs. Aussi vais-je proposer un autre schéma qui exprime les mêmes choses sous une forme différente. Cette fois-ci, c’est une pomme qui servira de base à notre raisonnement. Deux colonnes parallèles représentent : - l’une, celle de gauche, les symboles généraux utilisés ; - l’autre, celle de droite, leurs applications à notre pomme. Nous démarrons bien sûr du niveau de l’événement qui, appréhendé par un individu, conduira à la perception d’une pomme et, à nouveau, par abstractions successives, nous pourrons mettre dans les cases les mots qui figurent à droite. Sur le schéma précédent (structurel différentiel), figure une flèche portant l’inscription : « ordre naturel d’abstraction ». Elle représente grossièrement le chemin fait par l’homme qui a pris conscience de son environnement. EVENEMENT NON VERBAL

O

OBJET Ma pomme "Canada”

MOT Niveau de description

MOT (Inférence 1) VERBAL

F

Pomme ‘‘Canada’’

MOT Inférence II

Pomme

MOT Inférence III

Fruit

ETC

ETC

* Il s'agit dans ce schéma d'une pomme que je suis supposé posséder, c’est-à-dire qu’elle est unique quant à ses caractéristiques (poids, couleur, saveur, taches, degré de maturité, etc.).

53 Au début, avant l’apparition du langage, il ne connaissait que les objets qui constituaient son univers quotidien. Puis, la nécessité de communiquer a dû le pousser à les symboliser par un langage rudimentaire. Enfin, la manipulation de ces symboles et l’observation du résultat obtenu l’ont vraisemblablement conduit à élaborer des concepts, c’est-à-dire des abstractions d’ordre de plus en plus élevé. C’est, d’une certaine façon, le chemin parcouru par l’enfant qui manipule d’abord son environnement immédiat sur lequel il apprendra à mettre des mots. Il faut dire que dans le cas de l’enfant, la présence des parents, qui lui parlent, modifie considérablement la situation. L’enfant ne naît pas, en effet, totalement démuni puisqu’il bénéficie de l’acquis dans un premier temps de ses parents, puis ensuite il est plongé dans un système culturel qui va littéralement le programmer (time-binding). EXERCICE Cet exercice est inspiré de celui proposé par Wendell Johnson dans People in Quandaries 3 et a pour but. de nous faire prendre conscience du monde silencieux. Prenez un objet (stylo, montre, galet, etc.) et observez-le en vous interdisant rigoureusement de verbaliser 4. Dès que des mots se présentent à votre esprit, posez l’objet puis reprenez-le. Faites cet exercice quelques minutes par jour et vous serez surpris de constater que vous pourrez progressivement augmenter la durée d’observation non « parasitée » par des mots. De quelques secondes au départ, vous pourrez « tenir » plusieurs minutes au bout de quelques jours. Vous pourrez alors passer à un autre objet, par exemple un fruit ou une fleur que vous poserez devant vous ; vous appréhenderez au niveau silencieux en utilisant cette fois-ci, outre la vision, la perception olfactive. Cet exercice se fait de préférence après avoir maîtrisé le précédent, car il est bien entendu difficile, sinon impossible, de conserver l’objet dans son état initial. Il est inutile de se livrer à de longs débats théoriques sur cette expérience qui a précisément pour but de nous montrer combien nos observations sont influencées par le langage. Est-ce ridicule, sans intérêt, superficiel ? Faites-le !

Je vais maintenant compléter le structurel différentiel. Le schéma suivant s’est enrichi de deux lignes verticales d’abstraction et à 3. Voir bibliographie. 4. Dans ce contexte, « verbaliser » signifie : parler à propos, mettre en mots.

L’abstraction et la conscience d’abstraire gauche d’un cercle représentant l’objet « animal ». J’ai dit et redit que l’abstraction est liée aux performances d’un organisme vivant en interaction avec son environnement. A gauche du schéma se trouve un cercle représentant l’objet tel que le percevrait un animal. Naturellement, il faudrait faire un dessin par animal, au sein d’une espèce ; mais surtout nous pouvons supposer que la perception d’un « objet » pour un chien et pour un oiseau par exemple est très différente et, de toutes les façons, c’est quelque chose que nous ne pouvons pas nous représenter. Evénement

ETC

ETC

ETC

Compte tenu de ce que nous savons de la psychologie animale, il est vraisemblable que leur univers se limite à la perception d’objets car, sans conception scientifique, il n’y a pas d’événement.

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En effet, l’idée d’un univers d’événements, possédant les caractéris­ tiques que nous avons précisées, fait appel à des abstractions d’ordre élevé que le cerveau animal ne peut élaborer.

J’ai néanmoins mis une étiquette sous le symbole de l’objet « animal » de façon à réserver une certaine forme d’abstraction et donc de symbolisation aux espèces les plus évoluées. Il existe semble-t-il certaines formes de communication animale qui supposent l’utilisation d'un minimum de symboles. De toutes les façons le nombre d’ordres d’abstraction dont un animal est capable est limité, alors qu’il est théoriquement illimité chez l’homme. Tout notre connaissance théorique est en effet liée à cette possibilité d’abstraction d’ordre de plus en plus élevé.

Plusieurs lignes verticales d’abstraction sont là pour nous rappeler que, à partir d’un même événement, des personnes différentes, vivant dans un autre environnement culturel, ne « verraient » pas le « même » objet et feraient des abstractions liées à cette perception. Par exemple, pour une civilisation ignorant l’électricité, que représenterait ce que je nomme une pile électrique ? Peut-être un objet décoratif, un gri-gri, un marteau ? Essayez d’imaginer sur votre structurel différentiel ce que vous pourriez mettre comme mots dans les différents niveaux d’abstraction.

Je ne saurais trop vous recommander, si vous en avez le goût et le courage, de dessiner un grand structurel différentiel, de l’afficher et de placer aux bons niveaux des exemples d’objets et de mots (niveau de description, concept, etc.). Vous serez surpris de l’intérêt heuristique de ce diagramme.

Le processus d’abstraction du point de vue organique

Korzybski, dans son opuscule Le rôle du langage dans les processus perceptuels 5, propose un schéma général permettant une visualisation et donc une meilleure compréhension du processus d’abstraction. Je le donne dans la figure suivante en négligeant certains détails qui, selon moi, sont une hypothèse sur la nature du phénomène. 5 Voir bibliographie.

L’abstraction et la conscience d’abstraire

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Niveaux silencieux

Bien que nerveux, intéresse, tiques, le

Niveaux silencieux

3

4

Niveaux silencieux

Niveaux verbaux

nous ignorions les modalités de fonctionnement du système nous pouvons schématiquement, dans le cadre qui nous c’est-à-dire celui des réactions linguistiques ou neuroséman­ découper de la façon suivante :

- Niveau 1. C’est le niveau des événements. C’est, comme nous l’avons déjà vu, un niveau silencieux ou non verbal. - Niveau 2. C’est l’impact de 1. Nos organes des sens réagissent aux caractéristiques physico-chimiques de l’événement et envoient un signal vers le cerveau. Nous sommes toujours au niveau non verbal. - Niveau 3. C’est la réaction au 2. Les signaux sont organisés en sensations, pensées, sentiments, etc., mais restent au niveau non verbal.

- Niveau 4. C’est la réaction linguistique à 3. Ce n’est qu’à ce niveau que nous mettons des mots sur nos perceptions. C’est enfin le niveau verbal. Malheureusement, beaucoup de gens ignorent les niveaux 2 et 3 et réagissent comme si le niveau 4 était le « ça » de l’événement. Quoique nous puissions dire, ce n’est pas le ça silencieux. Le « courtcircuit » des niveaux d’abstraction est probablement à la source de

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nombreuses confusions mentales que nous pouvons observer aujourd’hui et, c’est une hypothèse que je propose au lecteur, est peutêtre dû au fait que nous vivons dans un environnement hyperverbalisé où le symbole remplace bien souvent l’expérience. Ce schéma est à rapprocher de ce que j’ai dit dans le chapitre sur la perception.

La conscience d’abstraire

Nous avons vu qu’un organisme abstrait une partie des caractéris­ tiques de son environnement. Nous pouvons même inférer que, pour les animaux, cette abstraction est la seule réalité dont ils aient conscience, sauf peut-être dans le cas d’animaux supérieurs qui seraient capables de « conceptualisation ». En aucune façon, nous ne pouvons imaginer ce que peut être ce niveau d’abstraction pour un animal. Mais, en tout état de cause, nous admettons qu’il existe un état de conscience chez l’animal. Néanmoins, prenons garde à l’anthropomorphisme quand nous utilisons ces mots pour qualifier une attitude non humaine. Chez l’homme, nous atteignons une dimension différente : l’homme est en effet seul à avoir conscience de sa conscience. En d’autres termes, ses possibilités d’abstraction, de changement de niveaux, donc de généralisation, lui permettent presque indéfiniment cette réflexion sur sa propre activité. Lorsque nous nommons un objet, nous savons maintenant que nous n’utilisons qu’une partie des caractéristiques de celui-ci, celles qui sont relatives à l’utilisation de l’objet, qui permettraient éventuellement de l’acheter. Le nom ne couvre donc pas l’ensemble des caractéristiques de l’objet, celui-ci n’étant pas réductible à un symbole. Il en va de même à tous les niveaux. C’est la conscience que les différents niveaux d’abstraction ne représentent qu’une partie des caractéristiques du niveau précédent que Korzybski nomme la conscience d’abstraire. Alors que, pour l’animal, l’univers, c’est ce qu’il en abstrait, pour l’homme, la connaissance scientifique lui permet de prendre connaissance du niveau microscopique ou submicroscopique de l’événement. L’homme n’identifie pas l’objet avec l’événement, le mot avec l’objet, etc. Exemples : Lorsque nous consultons notre médecin, nous savons que

L'abstraction et la conscience d’abstraire

nous allons rencontrer un homme avec ses défauts et ses qualités, et pas seulement un spécialiste qui est une abstraction. lorsque nous achetons une voiture, nous obtenons non seulement un véhicule nous permettant de nous déplacer mais aussi un engin mécanique qui rouille, qui se salit, etc. Lorsque nous avons été témoins d’une scène, en la narrant, nous ne décrivons que la partie que nous avons abstraite, une grande quantité des caractéristiques nous échappant. Encore une fois, c’est la conscience d’abstraire qui nous permet de prendre la véritable mesure des faits et d’adapter notre comportement. Si la connaissance scientifique résulte d’une abstraction de la réalité, et qu’elle apparaît ainsi comme une forme de réductionnisme, le chercheur, le responsable, et même Monsieur Tout-le-Monde, dans son activité quotidienne, élaborent sciemment des modèles. Remarques Nous pourrions nous étonner de cette activité de notre esprit qui, par abstractions successives, élabore des idées de plus en plus générales. Mais essayons d’imaginer un univers constitué d’éléments que nous ne saurions faire entrer dans une classe. Dans cet univers par exemple se trouveraient Médor, Youki, etc., mais pas l’idée générale de chien, ou bien encore Les travailleurs de la mer de Victor Hugo, Science and Sanity de A. Korzybski, Pour comprendre les médias de M. McLuhan, etc., mais pas la notion générale de livre. Dans ce monde, il faudrait pour parler utiliser autant de mots qu’il y aurait d’objets de communication. La connaissance n’a pu se développer que par la négligence volontaire des détails concernant les cas individuels. C’est ce que Meyerson exprimait dans son paradoxe épistémologique. « E. Meyerson entend par là l’apparente contradiction que présente la science qui n’explique que par la réduction à l’identique et qui, par conséquent, ne saurait atteindre à l’explication complète sans faire évanouir son objet 6. » D’un autre côté, notre perception (non verbale) nous permet de reconnaître sans ambiguïté une personne de connaissance, même si celle-ci a modifié sa façon de se vêtir ou sa coiffure. C’est cette possibilité qui permet la vie quotidienne par l’identification de notre environnement. 6. André Lalande : Vocabulaire de la philosophie ; P.U.F., 1956.

59 Notion de modèle

Le modèle est la conséquence d’une nécessité ; abstraire pour connaître. C’est donc simplifier la réalité et, d’un certain point de vue, c’est une forme de réductionnisme. Sa réalisation passe par l’inventaire des faits significatifs. Il est par conséquent lié au but que l’on s’est fixé et se présente fondamentalement comme une hypothèse de travail. Sa caractéristique essentielle est d’être opératoire. Le modèle est bien entendu modifié au cours de ses utilisations qui sont autant de tests de validité. Nous utilisons dans la vie courante quantité de modèles qui sont des abstractions d’expériences répétées. Ils répondent donc à un problème et permettent de trouver des solutions. Ouvrir « machinalement » une porte suppose que nous disposions d’un modèle assez général de fonctionnement d’une porte. C’est tellement vrai que si, lors d’un voyage à l’étranger par exemple, nous tombons sur un type de porte qui nous est inconnu, nous échouons dans notre tentative et sommes obligés de fabriquer un nouveau modèle opératoire pour cette situation. Un responsable d’entreprise dispose d’un modèle de commandement ; les politiciens nous proposent des modèles de développement socioéconomique, etc. Les modèles sont régulièrement frappés d’obsolescence et c’est l’incapacité de certains responsables à le percevoir qui fige la connaissance que nous avons des faits et stérilise la recherche et l’action. Exemples : système politique, économique ; style de commandement ; enseignement (modèle didactique et pédagogique) ; modèle familial (relation épouse/époux, parents/enfants, modèle de la femme au foyer). La connaissance scientifique ne procède pas autrement et ne peut que proposer des modèles qui sont eux aussi des abstractions du réel. La classique opposition théorie/pratique trouve sa source dans l’application d’un modèle théorique simplifié sur une réalité beaucoup plus complexe. La recherche d’adéquation, si elle est nécessaire, doit se traduire par une modification ou l’élaboration d’un nouveau modèle tenant compte des caractéristiques précédemment négligées ou ignorées. Dans le cas des modèles, la conscience d’abstraire est sollicitée à son niveau le plus élevé.

L’abstraction et la conscience d’abstraire

Résumé

La matière vivante, en contact avec son environnement, en abstrait certaines caractéristiques. Cette procédure très simple chez les animaux, qui identifient cette abstraction avec leur environnement, permet à l’homme, par abstractions successi­ ves, d’élaborer les notions d’objets et de symboles (les mots) des différents niveaux de généralité. Le structurel différentiel peut être considéré comme un bon schéma conceptuel et opératoire de la sémantique générale, en nous permettant de visualiser le phénomène d’abstraction. La conscience d’abstraire, proprement humaine, est liée à notre capacité de connaître ce processus et d’éviter des identifica­ tions qui paralysent notre réflexion. L’abstraction est un processus qui concerne tous les organismes vivants. De l’amibe aux organismes supérieurs, nous pouvons supposer que chacun abstrait une partie de son environnement mais que seule l’espèce humaine en est consciente. L’abstraction consiste à ne retenir électivement qu’une partie des caractéristiques d’un événement. Elle ne doit pas être confondue avec l’analyse qui est une décomposition en unités élémentaires. La première abstraction se fait au niveau de l’événement. C’est elle qui nous permettra d’élaborer la notion d’objet, partie reconnaissable de l’événement. L’événement et l’objet appartiennent au monde silencieux ou non verbal. De l’objet, une nouvelle abstraction nous donnera la possibilité de le nommer. C’est le niveau de description qui ne retient que les caractéristiques donnant son individualité à l’objet.

Le prochain niveau est celui de l’inférence. Il concerne des notions ou des concepts qui n’ont pas de représentation. Je ne peux pas rencontrer un docteur (inférence) mais le docteur Durand, le docteur Dupont (niveau de description). Les premières abstractions qui intéressent nos centres nerveux inférieurs sont appelées abstractions de bas niveau (non verbal). Les suivantes, qui intéressent nos centres nerveux supérieurs, sont appelées abstractions de haut niveau. Le structurel différentiel nous aide à comprendre le passage du non verbal au verbal et représente de façon schématique les relations entre l’événement, l’objet et le mot.

CHAPITRE 6 «Ainsi l’anglais et les idiomes analogues nous amènent-ils à penser à l’univers comme à une collection d’objets et d’événements relativement distincts correspondant aux mots. C’est en fait l’image implicite de la physique et de l’astronomie classiques suivant laquelle l’univers est essentiellement une juxtaposition d’objets séparés de tailles différen­ tes 1. »

Retour au langage Le chapitre précédent nous a permis de comprendre les relations qui existent entre l’événement, l’objet et les niveaux symboliques (les mots). Dans celui-ci, nous allons prendre conscience de l’influence de l’aristotélisme sur le langage.

Structure du langage aristotélicien

Aristote (384-322 av. J.-C.) est l’un des fondateurs de la pensée occidentale. Son influence énorme au Moyen Age, grâce en particulier à saint Thomas et à la scolastique, se poursuit à notre insu automatiquement par l’utilisation du langage dont la structure est essentiellement aristotélicienne. Le syllogisme que d’aucuns prennent pour une démonstration absolue est également un héritage d’Aristote. Bien sûr, je n’ai nullement l’intention de critiquer Aristote qui est probablement un des plus grands génies de l’humanité. Toutefois, la pensée contemporaine ne peut se satisfaire d’un langage dont l’architecture interne est imposée aux faits. Nous avons pris l’habitude de penser et de nous exprimer, la plupart du temps, en termes de sujet-prédicat. 1. B. L. Whorf : Linguistique et anthropologie, éd. Denoel, Bibliothèque Médiations.

Retour au langage Dans la phrase suivante : « La neige est blanche », blanche est ce que j’affirme de la neige. Le prédicat (ici, blanche) est d’une façon générale ce que j’affirme ou nie d’un sujet (ici, neige). Implicitement, j’attribue à la neige la qualité de « blancheur » comme si elle lui appartenait en propre. Cette structure de langage confère aux choses des qualités ou des propriétés qui ne sont que le reflet d’une interprétation par notre structure nerveuse. Nous avons vu en effet, dans un chapitre précédent sur la perception, que les choses ne sont ni belles ni laides, ni ceci ni cela, mais que c’est nous, à partir de critères personnels, qui les gratifions de telles ou telles propriétés. Cette attitude favorise évidemment l’anthropomor­ phisme et la création de jugements de valeur. Si nous considérons maintenant ce nouvel énoncé : « Le fer est un métal », il apparaît une deuxième difficulté. Dans cette phrase, le verbe être peut être considéré comme représentant une identité : Fer E= métal 2 Il y a bien entendu confusion entre un cas particulier de métal, le fer, et une notion très générale, le métal, c’est-à-dire, pour revenir au structurel différentiel, qu’il y a confusion entre deux niveaux d’abstraction. Notre relation d’identité est en effet une relation d’appartenance. Je suppose que le lecteur aura déjà compris que le grand responsable de ces confusions est le verbe être que j’ai utilisé dans les deux affirmations précédentes. D’après Bertrand Russel, fréquemment cité par A. Korzybski dans ses ouvrages, le verbe être est utilisé selon au moins quatre modalités différentes dans des langues comme l’anglais ou le français :

1. Comme verbe auxiliaire. 2. Comme « est » d’existence. 3. Comme «est» d’attribution ou de prédication. 4. Comme « est » d’identité.

Ex. : Il est venu 3. Ex. : Nous sommes.

Ex. : La mer est bleue. Ex. : Le fer est un métal

Il semble difficile de ne pas utiliser le verbe être dans ses deux premières applications, car cela remettrait purement et simplement en 2. J’ai mis le signe = qui signifie identique. Dans la pratique, le signe = est souvent utilisé mais il prête à équivoque. Les familiers de la logique savent que le signe = ne peut être utilisé que lorsque le sujet et le prédicat ont même extension. 3. Dans cette expression, il ne s’agit pas d’un « être » d'attribution puisque l’attribut n’est pas relié au sujet.

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cause notre langue nationale. De plus, les inconvénients en sont très limités. En ce qui concerne le « est » d’attribution, cela modifie notre idée de la perception, comme nous l’avons vu, et nous conduit à « attribuer » précisément aux choses des qualités liées à ce qui se passe à l’intérieur de notre peau. Affirmer à un daltonien : « La cerise est rouge » ne déclenchera pas chez lui une sensation qui pourrait correspondre à la nôtre. J’ai seulement le droit de dire : « Cette cerise me semble rouge » ou « cette cerise m’apparaît comme rouge. » Dans cette formulation, le « est » a disparu, le rouge n’est pas un attribut de la cerise, mais une couleur que je perçois et reconnais en relation avec des expériences passées.

Le « est » d’identité est certainement celui avec lequel nous nous créons le plus de problèmes. Il introduit une idée de fixité dans un univers essentiellement mouvant, en devenir, en figeant la relation sujet-prédicat. Dans l’exemple : « Le fer est un métal », il serait plus opportun de dire : « Je classe le fer parmi les métaux. » Dans cette phrase, il est clair qu’il s’agit de mon activité consciente. Je me suis impliqué dans mon affirmation. Je pense qu’il est temps de faire un rappel sur la logique d’Aristote, dite aussi logique du tiers exclu. Je demande au lecteur qui ignorerait tout ou partie de ces notions de ne pas « décider » que cela dépasse son niveau de compréhension. Nous verrons en effet plus loin que notre comportement, face à l’inhabituel, est prédéterminé par un ensemble de prémisses. Voici donc l’énoncé de ces lois :

1. A est A. 2. A n’est pas non-A; 3. Il n’y a pas de milieu (ou de tiers) entre A et non-A

C’est le principe d’identité. C’est le principe de contradiction C’est le principe du milieu ou du tiers exclu.

Qu’est-ce que tout cela veut dire et quelles sont les relations avec le langage ? Je vais reprendre ces trois principes et les rapprocher de la problématique du langage. A est A. Dans cet énoncé, A est un symbole général qui peut représenter ce que l’on veut. Cela signifie par exemple :

Retour au langage - un mot est identique à lui-même. - une chose est identique à elle-même. Il est peut-être utile de rappeler que deux « choses » sont identiques quand elles sont comparables terme à terme. Si nous restons dans le domaine de la logique pure, cette affirmation est tout à fait recevable et n’appelle pas de remarque quant à sa validité. Maintenant, si j’essaie d’appliquer cette affirmation, non plus au niveau du raisonnement, mais sur des objets concrets, que se passe-t-il ? Nous avons vu précédemment que la nature ne nous offre jamais deux événements identiques, qu’elle se présente essentiellement comme un devenir. Est-ce que la lampe de bureau qui m’éclaire, tandis que j’écris ces lignes, a changé depuis le début de la phrase ? Oui, sans aucun doute même si ce changement est imperceptible. La reconnaissance que tout est changement dans la nature met en défaut le principe d’identité. Nous avons déjà vu que c’est le principe de non-identité qui est fondamental. Une interprétation trop rigoureuse du principe de non-identité aboutirait à l’impossibilité d’établir un raisonnement puisque ses composantes s’évanouiraient les unes après les autres. Rassurez-vous, il n’en est rien. Les abstractions d’ordre élevé (niveau verbal) sont relativement statiques et vous pouvez négliger le temps en première approximation. Par contre, il n’en est rien dès que vous considérez les abstractions de bas niveau (niveau non verbal) où la nature reprend ses droits.

A n'est pas non-A 4. Cette proposition signifie tout simplement qu’un objet, par exemple, est différent de tous les autres objets. Dans cette affirmation, non-A représente symboliquement tout ce qui n’est pas A. Un mot ne peut représenter à la fois une chose et d’autres choses. il n’y a pas de milieu entre A et non-A. Cela veut dire qu’il n’y a pas de solution intermédiaire. A est identique à lui-même, A est différent de ce qui n’est pas A. Il n’y a pas de troisième solution (tiers exclu). C’est ce principe qui entraîne le type d’orientation bivalente « soitsoit », « ou bien-ou bien », etc. Cela conduit à des énoncés du genre : - le capitalisme ou le communisme ; - la richesse ou la pauvreté. 4. Pour ceux qui auraient lu Le monde des À de van Vogt, je signale que À est identique à non-A et se lit A barré. À se retrouve d'ailleurs dans les ouvrages publiés par l’institut de sémantique générale (voir bibliographie).

65 Je reviendrai plus loin sur cet aspect très important du langage aristotélicien.

J’espère que le lecteur n’a pas trouvé ce petit rappel de logique trop difficile ; il exprime des choses simples selon une formulation inhabituelle. J’aurais pu exprimer les mêmes idées sous la forme : 1. A = A. 2. A # non-A. 3. Chaque chose est soit A, soit non-A. Il est juste de dire qu’Aristote était moins aristotélicien que ses exégètes et qu’il estimait qu’une chose n’était identique à elle-même qu’à un instant donné. Mais nous devons tenir compte de cette tradition culturelle que l’on retrouve dans le langage. Je crois d’ailleurs que le respect du principe de contradiction a constitué une phase historiquement utile en permettant l’épanouisse­ ment de la démarche et de la connaissance scientifiques. C’est l’étude du monde constitué en objets séparés les uns des autres et du sujet connaissant qui a permis l’élaboration des sciences « classiques » y compris la psychologie. La physique moderne a réintroduit l’observateur dans ses interpréta­ tions du réel, et le savant américain, John Wheeler propose de ne plus parler d’observateur mais de participant à l’expérience. Il faut tout de même signaler que la notion de champ s’oppose dans une certaine mesure à une conception d’un espace peuplé d’objets discrets. Le champ désigne en effet une région de l’espace où s’exerce une action qui est déterminée par sa nature physique. Le champ gravitationnel fait que tout objet matériel qui s’y trouve soumis est attiré proportionnellement à sa masse. Il existe d’autres champs physiques, tel que le champ électromagné­ tique, etc. Par extension et par analogie, cette notion a été étendue à la psychologie (champ psychologique, champ de l’inconscient), à la sociologie, à l’épistémologie (champ idéologique) et à bien d’autres domaines. Beaucoup plus qu’un jeu de langage, l’idée de champ appartient à un discours moderne sur la connaissance et, à cet égard, sa « récupération » par diverses disciplines me paraît de bon augure. C’est selon moi une notion qu’il est utile d’intégrer dans ses schémas conceptuels car elle dépasse la dichotomie aristotélicienne. Un exemple à la portée de pratiquement tout le monde est celui de l’aimant où, d’une part la notion de champ magnétique est aisément

Retour au langage comprise, en observant l’attraction qu’il exerce sur une aiguille en acier par exemple et où, d’autre part, la disjonction objetenvironnement est mise clairement en cause. La zone d’action de l’aimant est en effet différente de sa configuration géométrique. Nous allons maintenant essayer de comprendre pourquoi la réalité ne se présente pas comme une collection d’objets. Considérons le cas de cette bouteille de jus de fruits que je viens de poser sur la table après l’avoir sortie du réfrigérateur. Je peux en parler, la désigner par des mots, donc l’isoler verbalement de son environnement. Cette séparation artificielle néglige la réalité sousjacente à l’existence de cette bouteille. Par exemple : - Le poids de la bouteille provient de l’attraction de la terre. Sur la lune, son poids serait six fois moindre. - Les couleurs que j’observe sont liées à la nature de la lumière réfléchie et/ou diffusée avant d’atteindre mon œil. - La différence de température entre la bouteille et l’air qui l’entoure se traduit par un flux d’énergie. Une photo infrarouge, utilisant un film sensible à la chaleur, donnerait une image différente de ce que je vois. Les contours de la bouteille ne seraient pas définis avec précision mais remplacés par une zone de dégradés. - La partie de la table où elle est posée subit une microdéformation. - Ces relations évoluent au cours du temps. - Etc. Nous voyons, par cet exemple emprunté à la vie de tous les jours, qu’il est impossible de séparer un objet de son environnement. Le monde physique se présente essentiellement à nous comme un continuum. C’est, et je l’ai déjà dit, le langage qui crée des scissions verbales, artificielles, nommées élémentalisme. Si je prends des exemples dans le domaine de la psychologie, j’aboutis à des situations où l’on étudie le comportement humain en soi, alors que se comporter c’est réagir aux autres. Il serait facile de démontrer que les choses n’existent que par leurs relations avec leur environnement ; « être, c’est être en relation » a dit Cassuis J. Keyser s. Rien n’échappe à cette loi et l’on est coextensif au tout.

5.

To be is to be related

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PETIT DETOUR SUR LA CODIFICATION BINAIRE

Il m’arrive souvent, lorsque j’anime des séminaires de sémantique générale, et que je parle des limites de la logique aristotélicienne, de m’entendre dire : « Mais enfin les ordinateurs ne fonctionnent-ils pas en logique binaire et pourtant ce sont des appareils modernes ! » Certes, les ordinateurs sont des merveilles de notre technologie et "ils fonctionnent généralement en logique binaire. Mais il y a une confusion que je voudrais dissiper : une information et son codage sont deux choses différentes. Imaginez que vous ayez à donner une note entre 0 et 10 à un film que vous avez vu : 0 = mauvais ; 10 = bon. Les notes intermédiaires vous permettent de moduler votre opinion et d’échapper ainsi à un jugement bivalent. Vous utiliserez donc un des dix symboles pour vous exprimer : 0, 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9. Vous pourriez également utiliser la même échelle de valeurs en vous servant du codage binaire que je rappelle pour la beauté du raisonnement :

MAUVAIS

BON

0 1 2 3 4 5 6 7 8 9

0 1 10 11 100 101 110 111 1000 1001

Vous voyez que la colonne de droite (binaire) vous permet autant de souplesse de graduation que celle du milieu (décimale). Ce n’est qu’une question de codage. J’ajouterai que, alors que j’écris ces lignes sur les systèmes non aristotéliciens, mon système nerveux lui aussi fonctionne d’un certain point de vue sur un mode binaire, la nature ayant également « choisi » ce type de fonctionnement pour peut-être les mêmes raisons, entre autres la simplicité et la sécurité de fonctionnement. Que les mathématiciens, informaticiens et neurophysiologistes me pardonnent le réductionnisme de mon exposé ! Il est temps maintenant de voir comment il est possible d’échapper aux limites du système aristotélicien.

Retour au langage Introduction à un langage non aristotélicien

Nous avons vu que la structure du langage aristotélicien favorise les orientations bivalentes résumées par la forme « soit-soit » qui réduisent nos choix à l’alternative. Cette attitude très largement répandue est facilitée par le lexique qui nous offre surtout des mots exprimant des sens opposés : grand/petit, gentil/méchant, intelligent/ stupide, 'etc. Or, si nous étudions la nature objectivement, en prenant garde à nos automatismes intellectuels, nous pouvons faire des observations qui s’opposent à cette attitude.

Exemples. 1. Certains psychologues croient pouvoir « mesurer » l’intelligence en faisant passer aux enfants et aux adultes un ensemble de tests. Même si cette épreuve ne mesure pas l’intelligence, nous pouvons l’admettre comme représentative d’une vérité statistique. Par définition, c’est le score obtenu par le maximum d’individus qui sera le quotient intellectuel (Q.I.) moyen, c’est-à-dire 100. Les Q.I. se distribuent sur une courbe en cloche (courbe de Gauss), qui a l’allure ci-dessous :

Nous voyons qu’une population n’est pas constituée d’individus ou intelligents ou stupides mais principalement d’individus moyens.

2. Nous retrouverions la même courbe en remplaçant le Q.I. par la taille des individus. A une époque précise, il n’y a pas des grands ou des petits mais surtout des gens de taille moyenne. 3. Nous pourrions faire ce type d’observations pour des quantités de paramètres concernant les gens, les choses de la nature, les objets manufacturés, etc. Beaucoup d’observations peuvent se résumer sur la courbe cidessous :

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Je vais tenter de résumer les différences entre le système aristotélicien et le système non aristotélicien dans un tableau comparatif, afin de faciliter le travail du lecteur. Logique aristotélicienne

A est A. Un médecin est un médecin.

Un mot est un mot. A est différent de non-A.

Raymond ne peut être bavard et renfermé. Il n’y a pas de troisième solution. Un individu est croyant ou athée.

Logique non aristotélicienne

A ne reste pas identique à luimême au cours du temps. Un médecin est en même temps un père de famille, un époux, un joueur d’échecs, etc. Un même mot peut représenter une idée, la chose réelle, etc. A est A dans certaines circonstan­ ces et non-A dans d’autres. Raymond est bavard avec ses amis et renfermé dans son travail. Il peut y avoir une infinité de solutions. La spiritualité ne se réduit pas à cette alternative, mais à des options philosophiques, religieuses ou au­ tres.

Il est important de bien comprendre et retenir que, de même que la mécanique d’Einstein n’infirme pas la mécanique newtonienne, que la géométrie d’Euclide n’est pas détrônée par les géométries non

Retour au langage euclidiennes, la logique non aristotélicienne comprend et dépasse la logique aristotélicienne qui n’en est qu’un cas particulier. En aucun cas, il n’v a opposition entre les deux, ce qui nous ramènerait ipso facto à une orientation bivalente. Intension et extension

Nous vivons dans deux univers : l’un à l’intérieur de notre peau est celui des pensées, des sentiments, etc., qui résultent du fonctionne­ ment de notre système nerveux ; le second à l’extérieur de notre peau est celui de la réalité où se produisent des événements. Le premier est dit intensionnel, le second est dit extensionnel. Pour comprendre la relation qui existe entre ces deux mondes, je vais prendre comme exemple le problème de la définition. Les mots ont vraisemblablement été inventés par les hommes pour communiquer leurs expériences. Malheureusement, un même mot peut être associé à différentes expériences. Autrement dit, une même carte recouvre des territoires différents. Par conséquent, pour préciser le sens d’un mot, il peut être utile de citer l’expérience qui y est associée et c’est le rôle de la définition. Imaginez que quelqu’un vous demande ce qu’est une gomme (à effacer) par exemple. Vous pouvez proposer deux types de réponses : - le premier consiste à expliquer avec des mots la nature et l’utilisation de cet objet. Ex. : gomme : bloc de caoutchouc servant à effacer {Micro Robert). - le deuxième fera l’énumération des objets répondant à la définition ; dans cet exemple, toutes les gommes. Dans le premier cas, nous avons affaire à une définition en intension. Dans cette phrase, intension est écrit volontairement avec un « s » et est synonyme de compréhension. Le sens est voisin de celui de connotation. Dans le deuxième, il s’agit d’une définition en extension ou en énumération. Cette fois, le sens est voisin de dénotation. L’extension d’un mot ne pouvant être exhaustive, nous nous limiterons en pratique à fournir un maximum d’exemples suivis d’un etc. Par la suite, j’utiliserai les mots extension et intension dont l’emploi est courant en sémantique générale. Il y a une différence fondamentale entre ces deux définitions. La première définit un mot avec des mots, alors que la seconde montre des exemples. Autrement dit, l’une se situe dans le monde verbal, l’autre dans le monde non verbal.

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l’objet univers extensionnel

le mot « fleur » univers intensionnel

Les figures ci-dessus illustrent ces deux conceptions. A gauche se trouve l’objet réel à l’extérieur de notre peau ; à droite, dans l’esprit de Pierre, Paul, etc., le mot fleur avec les idées, les sentiments qui y sont associés. Bien sûr, ces idées et sentiments sont strictement personnels. J’ai déjà dit que ce que nous devons chercher à développer c’est la conscience d’abstraire, c’est l’adéquation de la carte et du territoire. En d’autres termes, nous devons avoir une orientation extensionnelle qui, sans cesse, nous ramène au niveau d’observation et non intensionnelle qui se contente de manipuler des symboles. Les procédés extensionnels

Des différentes analyses auxquelles j’ai procédé jusqu’ici, il apparaît que le langage a une structure différente de celle du réel. Or, dans la mesure où celui-ci nous sert à communiquer, à penser et à faire des prévisions, il est intéressant de se demander comment il serait possible de rendre la structure du langage conforme à la structure du réel et, cela est évident, sans modifier notre langue habituelle. A. Korzybski a proposé une solution, c’est l’utilisation des procédés extensionnels. LES INDICES

Lorsque je parle d’une pendule par exemple, j’utilise une généralisation, une catégorie qui s’applique à une clepsydre, une pendule à balancier, une pendule à quartz, etc.

Retour au langage L’utilisation d’un tel mot a pour effet de classer les objets offrant des similitudes et de nous cacher les différences. Dans l’exemple précédent, les différences entre une clepsydre et une horloge à quartz sont probablement plus importantes que les similitudes. Des affirmations, telles que : - Les jeunes sont violents (lesquels) ?) ; - la musique adoucit les mœurs (les symphonies de Beethoven, la musique militaire, le rock and roll, le slow ?) ; - j’ai horreur du poisson (lequel ?) ; ont pour effet de maintenir la pensée dans des stéréotypes qui sont autant d’entraves à son libre exercice. L’utilisation des indices va nous conduire à prendre conscience des différences individuelles et à adapter notre comportement aux circonstances. Le jeune 1 est différent du jeune 2, etc. La musique 1 est différente de la musique 2, etc. Le poisson 1 est différent du poisson 2, etc. Nous retrouvons ainsi la définition extensionnelle. Par exemple •. - Poisson = poisson 1 + poisson 2 + poisson n. Ce procédé permet de transformer un nom commun en nom propre et, comme je l’ai déjà indiqué, conduit à une évaluation qui découle des circonstances.

LES INDICES-CHAINES Les indices-chaînes constituent une généralisation du principe précédent. Cela se traduit par l’utilisation d’indices multiples affectés à différents critères. LES DATES

Un bordeaux 1982 est-il supérieur à un bordeaux 1979 pour certains connaisseurs ? Je n’en ai pas la moindre idée. Ce que je sais, c’est qu’il est différent. Dans un monde en devenir, où une même situation ne se reproduira jamais exactement de la même façon, l’utilisation des dates permet d’appréhender ce phénomène.

73 Le monde extensionnel change constamment mais le monde intensionnel ne bouge pas. Nous le savons, mais agissons-nous vraiment comme si nous en étions conscients ? N’est-il pas évident que des choses vraies à une date déterminée sont fausses aujourd’hui ? Exemple : On sert la meilleure choucroute de Paris dans le restaurant X (1972). Aujourd’hui (1983), le restaurant X est devenu un fast food. L’utilisation des dates avec le etc. que nous verrons plus loin est peutêtre le procédé le plus important dans notre tentative de rendre le langage conforme au réel. Cette incapacité de beaucoup d’entre nous d’intégrer le temps à leurs prémisses intellectuelles est en partie responsable de ce qu’il est fréquent de nommer le conflit des générations. Essayez par exemple d’indexer, c’est-à-dire d’imaginer le sens des mots suivants pour vos grands-parents, vos parents, vous-mêmes et vos enfants si vous en avez : - Patrie ; - Devoir ; - Travail ; - Loisir ; - Famille ; - Education ; - Etc. Pensez à votre enfance et vous constaterez dans certains domaines d’énormes différences entre l’univers extensionnel d’alors et celui d’aujourd’hui, bien que votre univers intensionnel soit le même. - Un récepteur-radio 1960 à lampes est différent d’un récepteurradio 1983 à transistors, bien qu’ils portent le même nom. - Le mot automobile en 1983 ne représente pas la même réalité qu’en 1950. Nous avons donc la nécessité, puisque vivant dans un monde en changement permanent, de modifier notre carte afin qu’elle s’adapte au territoire. C’est particulièrement vrai pour ceux qui font une carrière scientifique.

ETC.

Nous avons vu en détail dans un précédent chapitre que nous ne pouvons tout dire à propos d’un objet ou d’un concept ; il serait

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toujours possible d’ajouter quelque chose. C’est pour nous faire prendre conscience du caractère fragmentaire de notre connaissance des faits que A. Korzybski proposa l’utilisation du etc. Il signifie tout ce que nous ignorons ou ne pouvons savoir. Il nous rappelle que, quoi que nous puissions dire, ce n’est pas le ça silencieux. Il nous met en garde contre cette attitude, « le toutisme » (allness) qui nous donne l’illusion de tout connaître d’un sujet par exemple, alors que nos expériences sont limitées. LES GUILLEMETS

Les guillemets sont utilisés en sémantique générale pour rappeler le caractère élémentaliste du langage. Certains mots, en effet, comme « espace », « temps », « psychisme », etc., ne sont séparés qu’au niveau verbal, alors qu’ils ne peuvent l’être au niveau non verbal. De plus, ils nous engagent à nous méfier du caractère vague de certains mots qui sont utilisés dans une affirmation ou nous préviennent d’un sens légèrement différent de l’acception usuelle. LE TRAIT D’UNION Le trait d’union représente symboliquement les relations empiriques qui existent entre plusieurs choses. Par exemple, dans psycho­ sociologie, il nous indique que cette discipline n’est pas réductible à la juxtaposition des deux disciplines, mais est une technique qui réunit deux aspects d’un même problème séparés par le langage. Le trait d’union et les guillemets sont deux outils qui nous permettent de prendre conscience et de contrarier l’élémentalisme.

CONCLUSION

Nous avons vu que les procédés extensionnels sont des instruments efficaces qui nous permettent de rendre la structure du langage proche de la structure du réel. Je suppose que certains lecteurs se sont posé la question de l’utilisation pratique, quotidienne de ces procédés. Qu’ils se rassurent ! La pratique de la sémantique générale n’implique pas que le « sympathisant » se transforme en censeur, en ermite ou en clown. C’est à chacun de voir

75 quel bénéfice il peut obtenir de l’utilisation de procédés extensionnels. Néanmoins, je pense utile de donner quelques conseils issus de mon expérience personnelle. Il est évident qu’une grande partie des gens que vous rencontrez ignore jusqu’à l’existence de la sémantique générale et trop de zèle de votre part pourrait vous singulariser. Dans une communication écrite, il est relativement simple de dater, d’indiquer le lieu, de préciser les circonstances, etc. Qui n’a déploré de tomber sur des tarifs ou de lire des comptes rendus non datés, safis lieu et parfois sans auteur ? Dans une discussion, si l’utilisation d’indices peut sembler difficile, sinon « ridicule », il est souvent facile de les remplacer par un contexte. La personne qui prendra l’habitude d’utiliser ces procédés extensionnels sera surprise des résultats psychologiques qui l’entraîne­ ront petit à petit vers une orientation extensionnelle. D’ailleurs, ces instruments doivent être compris de façon non verbale ; ils doivent être utilisés extensionnellement. EXERCICE Prenez votre journal habituel, votre hebdomadaire, ou tout autre texte ayant une relation à l’actualité et mettez des traits d’union et des guillemets là où les termes vous semblent utilisés d’une manière élémentaliste. De même, datez et indexez, puis ajoutez un etc. lorsque vous sentez que c'est nécessaire. Si vous avez le temps, ne corrigez pas sur l’original mais écrivez le même texte avec les modifications dont j’ai parlé. Leur comparaison vous permettra probablement d’appren­ dre quelque chose sur votre attitude à propos de l’information.

Les prémisses de la sémantique générale

Dans une autre partie de cet ouvrage, j’ai déjà parlé de la carte et du territoire, cette analogie avec les mots et les référents. Je voudrais maintenant exploiter les ressources de cette métaphore, ce qui va me permettre d’élaborer les trois prémisses fondamentales de la sémantique générale. Prenez donc une carte routière et déployez-la sur une table. Je vous engage à le faire véritablement, car je pense que cela facilitera la compréhension et l’engrammation de ce que je vais dire. Vous allez pouvoir très simplement faire quelques observations : 1. Bien qu’il vous soit possible de prévoir et même de tracer votre itinéraire sur la carte, vous êtes parfaitement conscient qu’il s’agit d’un

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morceau de papier, ou de toute autre matière, sur lequel vous ne pourrez rouler avec votre voiture. La carte n’est pas le territoire.

2. Vous pourrez, si nécessaire, prendre une carte ayant une autre échelle si vous jugez qu’elle n’est pas assez détaillée. Néanmoins, quelle que soit cette échelle, vous ne trouverez pas sur cette carte les écoles, les garages, les arbres, les voitures, les mairies, les chemins, les ruisseaux, les petits aérodromes, etc. La carte ne représente pas tout le territoire.

3. Enfin, si la carte était suffisamment précise, elle devrait comprendre à une autre échelle, et parce que c’est une partie du territoire, la carte de la carte, la carte de la carte indéfiniment. C’est l’effet « Vache qui rit ». La carte est autoréflexive.

Voici regroupées les trois prémisses empiriques non aristotéliciennes de la sémantique générale : - La carte n’est pas le territoire. - La carte ne représente pas tout le territoire. - La carte est autoréflexive, qui, ramenées au domaine du langage, vont devenir : - Le mot n’est pas la chose. - le mot ne représente pas toute la chose. - Le langage est autoréflexif. Je vais maintenant relier ces prémisses à des notions que nous avons déjà vues. Tout d’abord, je vais préciser le sens de prémisse : dans mon propos, une prémisse est tout simplement une affirmation qui va servir de base à un raisonnement. Ces prémisses sont empiriques, car elles ne sont pas la conséquence d’une démonstration ou d’un raisonnement. Il est assez facile d’établir un parallèle entre le structurel différentiel et ■ces prémisses :

- Le mot n’est pas la chose. Nous avons vu sur le diagramme que nous sommes sur un niveau différent. Le mot est un symbole. Nous ne pouvons manger le menu du restaurant (le papier), le mot eau ne mouille pas et nous ne pouvons nous asseoir sur le mot chaise. Et pourtant, combien d’entre nous n’ont-ils pas un comportement qui suppose cette confusion !

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Nous verrons plus loin qu’elle est entretenue par les spécialistes de la manipulation.

- Le mot ne représente pas toute la chose. Le mot est une abstraction. Une certaine quantité de caractéristiques sont abandonnées lorsque nous utilisons un mot. Je l’ai déjà dit, l’emploi du mot voiture définit une application bien précise de cet objet, mais une voiture possède bien d’autres caractéristiques. - Le langage est autoréflexif. Nous avons vu que, pour être complète, une carte devrait se comprendre elle-même, et que nous aurions ainsi des cartes de cartes indéfiniment. Un autre bon exemple est donné par les galeries de glaces qui se trouvent dans certains parcs d’attractions et qui vous reflètent sans fin.

Maintenant, « supposez que vous tentiez de décrire ce que vous faites en ce moment. Evidemment, si vous êtes en train de décrire ce que vous faites en ce moment, vous décrivez la description que vous faites en ce moment. Et, comme avec la carte, si votre description se veut complète, elle doit nécessairement se développer comme une description de la description de la description, et ainsi de suite ». L’autoréflexivité est une notion qui change considérablement notre idée du langage, notamment sur sa capacité d’exprimer nos interrogations philosophiques. Beaucoup de problèmes métaphysiques en particulier vont se ramener à de faux problèmes. « La structure de notre langage, la structure du monde et la structure de notre système nerveux apparaissent être telles que n’importe quelle sorte de symbolisation, au niveau humain du moins, que ce soit la parole, l’écriture, les cartes, les dessins, les nombres ou quoi que ce soit, se trouve être potentiellement autoréflexive indéfiniment 6. » C’est le caractère autoréflexif du langage qui permet la formulation de paradoxes qui ont tant préoccupé les philosophes : - Tous les Crétois sont menteurs. Cette affirmation faite par un Crétois a laissé des générations de « penseurs » dans la perplexité. Si je suis Crétois et que j’affirme que les Crétois sont menteurs, j’accède au statut de menteur, donc ce que je dis est un mensonge et je ne suis pas menteur. Le problème du barbier, peut-être moins connu, soulève la même problématique : 6. Wendel Johnson : People in Quandaries, Harper and Row, Publishers.

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- Dans un village, le barbier rase les gens qui ne se rasent pas euxmêmes et seulement ceux-là. Le barbier se rase-t-il ? S’il le fait, alors il ne rase pas que les gens qui ne se rasent pas eux-mêmes et, s’il ne le fait pas, il se désavoue. Vous avez ici deux exemples et vous pourrez en trouver d’autres où, du fait que le langage permet de parler à propos du langage, de faire des affirmations à propos des affirmations indéfiniment, nous sommes confrontés à des situations artificielles, fastidieuses, voire dramatiques. Dans le cas du paradoxe, c’est le fait que l’affirmation porte sur ellemême qui crée le trouble. Il y a confusion de niveau d’abstraction entre celui qui parle (niveau de description) et l’ensemble des Crétois (inférence). C’est bien une conséquence de l’autoréflexivité. Il faut tout de même dire que l’autoréflexivité a des aspects positifs et que, sans elle, la démarche cognitive serait impossible. L’autoréflexivité est à l’origine de la démarche mathématique, des théories comme la relativité ou la mécanique quantique et, bien entendu, de presque toute la connaissance de l’homme. Je ne voudrais surtout pas que le lecteur pense que l’autoréflexivité est une caractéristique regrettable du langage. Je lui demande seulement de bien réaliser que cette capacité de parler indéfiniment, sur ce que nous avons dit ou ce que dit l’autre, est à l’origine de quantités de querelles, de souffrances et de mauvaises interprétations. J’y reviendrai.

La multi-ordinalité

Je vais aborder maintenant une notion qui va nous permettre de mieux saisir celle d’autoréflexivité. Un terme multi-ordinal est un terme dont le sens dépend du niveau d’abstraction où il est utilisé. D’où le nom de multi-ordinalité pour ces mots qui sont employés à des ordres d’abstraction différents. Grossièrement, ces mots ont un sens qui varie selon le contexte. Prenons un exemple. Je peux apprendre à jouer aux échecs de façon désordonnée, laissant libre cours à ma fantaisie et faisant des essais au hasard. Par contre, quelqu’un peut m’enseigner une méthode de progression. Je peux donc apprendre à apprendre. Dans cette phrase où apparaît deux fois le mot apprendre, il est clair que le premier a un sens plus général que le second.

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Sur le structurel différentiel, ce mot occuperait deux niveaux différents correspondant à un ordre d’abstraction différent. Je crois que, beaucoup mieux que moi, A. Korzybski a introduit la notion de multiordinalité dans le passage suivant, extrait de Science and Sanity :

« Le lecteur doit être informé dès le début d’une innovation sémantique très fondamentale, c’est-à-dire de la découverte de la multi-ordinalité des termes les plus importants que nous avons. Ceci conduit à une utilisation constante de ces termes dans le sens multiordinal, extrêmement flexible. Des termes tels que “ou”, “non”, “vrai”, “faux”, “fait”, “réalité”, “cause”, “effet”, “accord”, “dé­ saccord”, “proposition”, “nombre”, “relation”, “ordre”, “structure”, “abstraction”, “caractéristique”, “amour”, “haine”, “doute”, etc., sont tels que s’ils pouvaient être appliqués à une affirmation, ils pourraient aussi être appliqués à une affirmation à propos de la première affirmation, et ainsi ultimement à toutes affirmations, quel que soit leur ordre d’abstraction. Les termes qui ont un tel caractère, je les nomme multi-ordinaux. La caractéristique principale de ces termes consiste dans le fait que sur différents niveaux, ou ordres d’abstraction, ils peuvent avoir différents sens, avec comme résultat qu’ils n’ont pas de sens général, car leurs sens sont déterminés seulement par le contexte qui établit les différents niveaux d’abstraction. Cela permet une grande liberté dans la manipulation des termes multi-ordinaux et élimine de très sérieux blocages psycho­ logiques, dont la nature animale est montrée par l’analyse et qui sont par conséquent pathologiques pour l’homme... Accidentellement notre vocabulaire est énormément enrichi sans devenir encombrant et devient très précis. Ainsi, un “oui” peut avoir un nombre indéfini de sens, dépendant du contexte dans lequel il est appliqué. Tel oui représente en réalité “oui” (“oui” illimité) mais ceci comprend “oui,”, “oui2”, “oui3”, etc., lesquels sont ou peuvent être différents. Toutes spéculations à propos de tels termes en général, comme par exemple : “Qu’est-ce qu’un fait ou une réalité ?” sont futiles et, en général, illégitimes, car la seule réponse correcte est que les termes sont multiordinaux et sans signification en dehors du contexte. Ceci règle beaucoup de questions sémantiques et de problèmes épistémologiques et nous donne la plus puissante méthode pour promouvoir une mutuelle liberté humaine d’expression, éliminant ainsi les incompré­ hensions et les blocages et conduisant à un accord. Avec l’introduction de la multi-ordinalité des termes, qui est un fait naturel quoique encore non noté, notre vocabulaire ordinaire est énormément enrichi ;

Retour au langage en fait, le nombre de mots, dans un tel vocabulaire naturel pour l’homme, est infini. La multi-ordinalité des termes est le mécanisme de la pleine conditionnalité des réactions sémantiques humaines ; elle élimine un nombre incroyable de vieux blocages animaux et est fondamentale pour l’équilibre mental L » Comment savoir si un terme est multi-ordinal ? C’est très simple. « Nous prenons une affirmation et la testons pour voir si un terme donné s’applique à elle. Ensuite, nous faisons une affirmation à propos de cette affirmation et à nouveau testons si ce terme s’applique à cette nouvelle affirmation de haut niveau. Si c’est le cas, le terme donné peut être considéré comme multi-ordinal car cette procédure peut s’appliquer indéfiniment s. » Quelle est l’importance de cette notion de multi-ordinalité ? Elle est considérable, car elle permet de mettre fin à quantités de questions angoissantes qui ont empoisonné et continuent de polluer le psychisme de beaucoup d’entre nous. Des formulations du genre : - Qu’est-ce que la vérité ? - Suis-je laid ? - Qu’est-ce que l’univers ? s’avèrent sans objet dès que l’on reconnaît le caractère multi-ordinal des mots : vérité, laideur, univers. La multi-ordinalité et l’autoréflexivité nous permettent un véritable changement de perspective en donnant une dimension différente au problème du sens général. Encore une fois, les questions du genre de celles que j’ai citées ne peuvent se concevoir que dans un contexte déterminé et n’ont pas de signification générale. C’est par la maîtrise de ces deux notions que nous pouvons améliorer nos communications et même reformuler nos propres choix d’éthique personnelle, en prenant conscience des pseudo-problèmes, des questions sans réponses et autres soucis existentiels. Loin de provoquer de l’imprécision, ou de l’incertitude, la conscience de la multi-ordinalité et de l'autoréflexivité génère une précision accrue du discours, et donne à celui qui s’exprime la possibilité de dominer son sujet. Les exemples de multi-ordinalité abondent, surtout de nos jours (1983) où l’homme s’interroge sur sa capacité à se connaître, à connaître les 7. A. Korzybski : Science and Sanity. op. cil 8. A. Korzybski : Science and Sanity. op cit

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autres et l’univers, et sur la valeur de cette connaissance, ce qui est fondamentalement une démarche autoréflexive. Certains ouvrages récents se font l’écho de cette quête. Par exemple : Paul Watzlawick 9 : La réalité de la réalité ; Pierre Bourdieu 10 : Leçon sur la leçon ; Edgar Morin 1 • : La nature de la nature ; La connaissance de la connaissance ; La vie de la vie. Ces recherches confirment cette opinion de A. Korzybski qui nous dit : « La multi-ordinalité est inhérente à la structure de la connaissance humaine 12. » L’homme est de toutes les espèces animales certainement le seul conscient de sa conscience. Je vais laisser de côté ces grandes interrogations, certes d’un immense intérêt, pour montrer comment la compréhension de la multiordinalité peut nous aider à résoudre des problèmes quotidiens. Comme je l’ai dit, avec la multi-ordinalité, nous évoluons sur des niveaux d’abstraction différents. Imaginez que, vivant en Afrique, peu importe où, j’ai été éduqué dans le mépris et la haine des Noirs qui, pour les raisons que nous savons, exercent souvent des fonctions subalternes. De plus, une observation superficielle me montre qu’ils sont moins instruits que les Blancs et que leurs aspirations sont très différentes. Pour la démonstration, je dirai que ce mépris est un sentiment d’ordre premier (niveau d’abstraction). Maintenant, supposez que, de retour en France, pour poursuivre mes études, je rencontre des Africains avec lesquels j’échange des opinions, je travaille et je poursuis les mêmes buts. Mes idées préconçues sur les Noirs évoluent et je me rends compte que l’Africain, dans un pays en voie de développement, est différent de l’Africain dans un pays industrialisé. La conséquence de cette prise de conscience se traduira par le mépris de mon mépris, c’est-à-dire par un sentiment de deuxième ordre (niveau d’abstraction). Donc, mon sentiment de deuxième ordre tendra à combattre mon sentiment de premier ordre. Nous avons là un exemple remarquable où l’exercice d’un même sentiment, à un niveau de généralisation différent, change 9. Ed. du Seuil, 1978. 10. Editions de Minuit. 11. Edition du Seuil. 12. Science and Sanity, op. cil

Retour au langage considérablement sa finalité. Bien sûr, ces deux sentiments sont de nature différente : - le premier se situe à un niveau plus primaire, celui du sentiment viscéral, - alors que le second fait appel à la réflexion et à l’éducation.

Voici quelques thèmes sur lequels je vous propose de réfléchir : - Quand vous avez pris rendez-vous chez le dentiste pour la semaine suivante, de quoi avez-vous peur ? - Avez-vous peur de votre peur ? - Aimez-vous votre amour pour quelqu’un ou aimez-vous la personne ? - L’intolérance accepte-t-elle l’intolérance ? - Sommes-nous libres de détruire la liberté ? Essayez de trouver d’autres exemples. Ce travail ne sera pas vain, il vous entraînera à reconnaître les différents niveaux d’abstraction et surtout à ne pas les confondre. De plus, vous ferez sans doute des découvertes sur vous-même. Je ne saurais faire mieux, pour clore ce paragraphe, que de citer A. Korzybski, parlant d’un mot qui est au centre de ce livre. « Signification (meaning) doit être considéré comme un terme multiordinal. car il s’applique à tous les niveaux d’abstraction et ainsi n’a pas de contenu général. Nous pouvons seulement parler légitimement de “significations” au pluriel 13. »

La réaction sémantique

J’ai déjà eu l’occasion de dire, au début de ce livre, que le langage n’est pas seulement un outil mis à notre disposition mais qu’il exerce sur son utilisateur une influence déterminante. Bien plus, celle-ci est différenciée selon le sens que nous attribuons au mot. C’est cette réaction au sens que nous attribuons au mot que A. Korzybski a nommé la réaction sémantique. C’est donc la réaction totale de l’organisme aux sens que nous donnons aux mots et autres symboles, quels que soient leurs niveaux d’abstraction. En langage clair, cela signifie que la perception d’un mot ou d’une phrase va entraîner un état ou une action du récepteur (celui qui reçoit le message). 13. A. Korzybski : Science and Sariily . p cil.

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Tout cela est bien connu, me direz-vous ; il y a longtemps que nous utilisons le langage pour commander par exemple et obtenir un effet. C’est exact. Néanmoins, l’idée de réaction sémantique englobe et dépasse cette remarque en en faisant l’articulation théorique entre les stimuli et l’état et/ou l’action en résultant. Ceci peut être schématisé de la façon suivante (voir figure ci-dessous) : Organisme

Stimuli (mots, symboles)

Sens

Réaction (Etat, A sémantique faction,/

Un stimulus est perçu par une personne qui va y réagir, c’est-à-dire fournir une réponse. Comme cette réponse est liée à la signification qu’elle lui attribue, je dis qu’il s’agit d’une réaction sémantique. Cette réaction sémantique est bien entendu personnelle, car il n’y a pas deux personnes qui mettent le même sens dans un stimulus. Il faut bien comprendre que par stimuli il ne s’agit pas exclusivement de mots. La sémantique générale, dans l’esprit de A. Korzybski, s’intéresse à tout ce qui fait sens pour nous à l’extérieur et à l’intérieur de notre peau. Nous baignons dans un environnement sémantique, disait-il. Notre réaction peut être verbale (exprimée ou non exprimée) et/ou non verbale. Nous pouvons réagir émotionnellement par des sentiments tels que : la peur, la colère, l’amour, etc. Nous pouvons aussi réagir physiquement par des gestes, la fuite, etc. En réalité, notre réaction n’est jamais seulement verbale. Elle a toujours une composante émotive et physique, c’est la partie silencieuse. Bien que la réaction sémantique soit un phénomène permanent, puisque nous réagissons continuellement à notre environnement, il est possible de se livrer à quelques expériences volontaires. Par exemple, observez une photo représentant une situation dramatique : famine, guerre, inondation, etc. Ceci est malheureuse­ ment facile et il suffit d’acheter son journal. Quelles sont vos réactions ? Vous sentez-vous ému d’abord puis enclin à dire quelque chose ? Essayez de voir l’influence du verbal sur le non-verbal. Y a-t-il conflit entre ces différents niveaux ? Vous pouvez imaginer d’autres expériences. Un exemple, qui aurait pu être dramatique, m’a été fourni par le docteur J.-P. C..., phlébologue. Il reçoit un jour un couple de jeunes mariés yougoslaves dont la femme avait un ennui à la jambe. A la suite de sçs observations, il annonce à la jeune femme

Retour au langage que son état nécessitait une légère intervention chirurgicale. A ce moment, il entend un grand bruit derrière lui. C’était le mari qui, entendant le mot « opération », s’était évanoui, avait fait une chute sur le dos et malheureusement s’était fracturé le crâne. Cette histoire, authentique, prouve bien l’engagement de l’organisme à la signification des mots, même si les réactions sont rarement aussi spectaculaires. Je dois dire, pour en finir avec cet exemple, que le mari et la femme ont recouvré la santé. Les mots, par l’intermédiaire de la réaction sémantique, sont un prodigieux outil de manipulation. Les publicitaires en sont tellement conscients qu’ils dotent les produits de leurs clients de noms évoquant : la mer, la montagne, le parfum des sous-bois, etc.

L’évaluation

Nous avons vu que le langage réalisait une véritable scission verbale du réel, alors que celui-ci est en réalité un continuum. C’est le cas en particulier pour l’activité psychologique qui est découpée artificielle­ ment en : sentiment, pensée, émotion, etc., alors que l’homme doit être considéré comme un tout dans un environnement interne et externe. Pour échapper à cet élémentalisme, j’utiliserai de temps à autre le mot évaluation qui peut être défini comme étant le processus se déroulant dans le psychisme d’un individu qui transforme les stimuli lui parvenant en modèles d’action. Exemple : le comportement d’une personne devant un incendie. L’évaluation ainsi définie consiste à abstraire de son environnement et, comme le souligne A. Korzybski, le processus d’abstraire peut être considéré comme un processus d’évaluation de stimuli.

La réaction différée

Si je pose la main, par mégarde, sur une plaque brûlante, je la retire avec précipitation en poussant un cri de douleur. Ce type de réaction, que l’on rencontre dans quantité de situations dangereuses pour l’organisme, s’effectue très rapidement et ne permet pas aux centres nerveux supérieurs d’évaluer le stimulus. Il en est de même pour le coup de sifflet de l’arbitre qui entraîne généralement l’arrêt du jeu, pour les signaux de sécurité sur certaines machines qui

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informent l’ouvrier d’un danger, etc. Ces signaux non verbaux sont destinés à entraîner une réaction, la plus rapide possible, ce qui est souhaitable la plupart du temps. D’autre part, la vie en société nous familiarise avec l’emploi de certaines formules conventionnelles du genre : bonjour, merci infiniment, ravi de vous connaître, enchanté, etc., qui entraînent chez celui à qui elles s’adressent un comportement stéréotypé habituelle­ ment défini par des règles conventionnelles. Dans ce cas-là également, la réponse de notre organisme n’est pas liée au contenu symbolique du signal et conduit à un comportement peu différencié. Il y a une troisième sorte de signaux qui génère aussi parfois des comportements stéréotypés, voire brutaux. Il s’agit de comportements observés au cours de discussions particulièrement passionnées où l’utilisation de mots tels que : capitalisme, communisme, fascisme, intellectuel, etc., entraîne des réactions qui ne doivent rien à la réflexion. C’est tellement vrai que ces mêmes mots peuvent à l’occasion servir d’insultes dans la bouche de certains, ce qui prouve en partie le caractère « déclencheur » de ces mots. Ces différentes situations sont donc caractérisées par une réponse rapide à un stimulus qui n’est pas évalué et à une gamme de réponses appartenant à un répertoire réduit de comportements. C’est la réponse à un signal, c’est presque le couple stimulus-réponse qui n’utilise pas, je l’ai déjà dit, les centres nerveux supérieurs. Il est bon de noter toutefois que quantité de comportements, liés à la pratique d’un culte, d’un sport, de la fréquentation d’un milieu social, relèvent de réactions aussi élémentaires. Les états exceptionnels tels que la peur, la haine, l’amour, etc., favorisent ce type de réactions rapides court-circuitant la phase symbolique. Quand je dis états exceptionnels dans la phrase précédente, il s’agit bien sûr de sentiments très profonds que l’on éprouve émotivement dans des circonstances particulières, et il est évident, heureusement, que l’amour par exemple peut être un sentiment permanent. Dans ces états, le langage que nous utilisons devient lui aussi extrémiste et oublie les nuances. Les orientations bivalentes et le toutisme mènent le jeu et nous utilisons des expressions telles que : absolument, toujours, jamais, tout le monde, personne, etc. En opposition à ces expressions stéréotypées, il existe un comportement que nous pratiquons tous et tous les jours et qui fait appel aux réactions symboliques. La conscience d’abstraire nous familiarise avec l’idée que les mots et les énoncés sont une abstraction

Retour au langage de quelque chose d’autre et que ce sont des symboles. La réaction symbolique consiste donc à réagir, non pas au symbole comme à un signal, mais au symbole comme représentant autre chose. Mais cette réaction au symbole prend un certain temps qui dépend du symbole lui-même, de nous et des circonstances. C’est la pratique et la maîtrise de ce petit délai qui nous permet d’élaborer une réponse adaptée au contenu du symbole et non de réagir comme si c’était un signal que nous appelons la réaction différée en sémantique générale. Ce n’est pas entièrement nouveau comme idée ; ce qui l’est, c’est l’analyse du processus. Certains vieux dictons vous encouragent à le faire : « Tourner sa langue sept fois dans sa bouche avant de parler » en est un exemple classique. Ce que nous suggère la sémantique générale, c’est de prendre l’habitude de pratiquer la réaction différée, de manière à ce que nos réponses soient plus adaptées à la situation. Ce délai est généralement d’une fraction de seconde et passe inaperçu dans une situation courante. Il peut exceptionnellement atteindre plusieurs secondes. Beaucoup d’entre nous, tel M. Jourdain qui faisait de la prose sans le savoir, pratiquent la réaction différée. Par exemple, observez les « débateurs » à la télévision, vous verrez très nettement que chacun se donne, d’abord par un petit délai avant de répondre, puis par la reformulation de la question notamment, le temps de préparer une réponse. Naturellement, il y a des cas où la réponse différée est inutile et même dangereuse. Dans celui de la conduite automobile, par exemple, il est indispensable de réagir rapidement aux différents signaux de sécurité. La pratique de la réaction différée est une action volontaire qui, grâce au contrôle du temps de réaction, et par conséquent à l’élaboration d’une réponse, permet une certaine maîtrise du comportement. C’est bien entendu du temps nécessaire à l’évaluation dont il est question et non d’une attente arbitraire et indifférenciée. Ce temps, extrêmement court dans la majorité des cas, passera le plus souvent inaperçu de votre interlocuteur. Par contre, le fait d’annoncer tranquillement son incapacité à répondre immédiatement, et solliciter un délai de réflexion, doit être classé dans la pratique de la réaction différée. Nous disposons d’un outil qui va nous aider à intégrer la réaction différée à notre comportement. C’est l’ensemble des trois procédés extensionnels : la date, les indices et le etc., qui, en nous obligeant à préciser les circonstances d’un événement, nous conduit à fournir une réponse plus appropriée et à un meilleur ajustement de nos conduites aux faits.

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Résumé

Les langues indo-européennes sont soumises aux règles de la logique aristotélicienne que nous pouvons exprimer ainsi : 1. A est A (principe d’identité). Une chose est identique à ellemême. 2. A est différent de non-A (principe de contradiction). Une chose ne peut être elle-même et autre chose. 3. Il n’y a pas de milieu (principe du tiers exclu). Il n’y a pas d’autre solution. En réalité, bien que le langage nous propose une description du réel, comme une collection de choses dans l’espace, celles-ci ne sont pas séparées mais en interaction. La structure du langage aristotélicien favorise les orientations bivalentes du type soit-soit, par exemple : grand ou petit, capitaliste ou communiste, etc. La réalité est différente puisque ce sont les situations intermédiaires qui sont les plus courantes, alors que les extrêmes sont rares. Exemple : il y a un maximum de Français dont la taille est moyenne et très peu de grands et de petits. Nous vivons dans deux univers : - L'univers intensionnel : c’est l’univers verbal des idées, des croyances, etc. - L 'univers extensionnel : c’est celui des événements, des faits, c’est un univers non verbal. Il est possible de rendre la structure du langage proche de celle du réel en utilisant les procédés extensionnels : les indices, les indices-chaînes, les dates, les guillemets, le trait d’union, etc. Par analogie, entre la carte et le territoire, A. Korzybski a énoncé les trois prémisses non aristotéliciennes de la sémantique générale : - Le mot n’est pas la chose. - Un mot ne représente pas toute la chose. - Le langage est autoréflexif.

Retour au langage

La multi-ordinalité nous permet de comprendre pourquoi certains mots n’ont pas de sens général. Le sens d’un terme multi-ordinal dépend du niveau d’abstraction où il se trouve ou, pour simplifier, du contexte. Nous réagissons chacun à la signification que nous attribuons aux mots. Cette réaction de l’organisme, considérée comme un tout, se nomme la réaction sémantique. Pour ne pas répondre aux mots comme à un signal, et permettre l’élaboration d’une réponse, qui tient compte de la valeur symbolique du message, nous avons intérêt à pratiquer la réponse différée qui permet une évaluation de celui-ci.

CHAPITRE 7 « Qu’est-ce que l’homme ? Qu’est-ce qu’un homme ? Qu’est-ce qu’un être humain ? Quelle est la marque de l’humanité la définissant ou la caractérisant ? A cette question, deux réponses et seulement deux ont été données au cours des âges, et elles sont toutes deux courantes aujourd’hui. Une des réponses est biologique : l'homme est un animal, une certaine sorte d'animal ; l’autre réponse est un mélange en partie biologique et en partie mythologique ou en partie biologique et en partie philosophique : l’homme est une combinaison ou l’union de l’animal avec quelque chose de supematurel 1. »

Sémantique générale et société Dans son premier livre paru en 1921 Manhood of Humanity 2 A. Korzybski s’interrogeait sur la spécificité de l’espèce humaine par rapport au monde végétal et au monde animal, l’homme excepté. Nous avons déjà discuté du danger de l’utilisation du verbe être, aussi A. Korzybski ne s’est-il pas demandé ce qu’est l’homme, question qui a passionné des générations de philosophes, et dont la réponse est une question d’éthique personnelle, mais ce que fait l’homme. Avant de voir ce que fait l’homme fondamentalement, il convient de préciser les fonctions du règne végétal et du règne animal. Nous savons que les plantes utilisent l’énergie du soleil pour la transformer en énergie chimique : c’est la photosynthèse. C’est pour cela que cette classe de vie est nommée « energy binding » 3. Cette expression signifie en français « reliant les énergies ». Elle fait partie de ces nombreuses expressions anglaises dont la traduction dans notre 1. A. Korzybski : Manhood of Humanity ; The International Non, Aristotelian Library Publishing Cy 1974. 2. Voir bibliographie. 3. Dans son livre Manhood of Humanity, A. Korzybski emploie l'expression « chemical binding ».

Sémantique générale et société

langue manque, pour le moins, d’élégance. Les plantes relient en effet deux sortes d’énergie : l’énergie solaire et l’énergie chimique. Les animaux, ne possédant pas la fonction chlorophylienne, se nourrissent de plantes et/ou d’autres animaux. Toutefois, pour trouver suffisamment de nourriture et se reproduire ils sont obligés de se déplacer, afin de couvrir leurs aires de chasse ou de pâture. Us possèdent donc, en plus de la fonction précédente, celle de relier des points de l’espace. C’est pourquoi cette classe de vie est nommée « space binding » (reliant l’espace) 4. L’homme, enfin, possède une caractéristique qui le sépare nettement des animaux. L’enfant ne naît pas démuni. Lorsqu'il vient au monde, il bénéficie de tout l’acquis des générations qui l’ont précédé : c’est cette capacité d’utiliser le capital du passé et de transmettre son propre savoir aux générations à venir que A. Korzybski nomme la classe de vie « time binding » (reliant le temps). J’ai dit que le processus d’abstraction était chez l’homme pratiquement illimité, c’est-à-dire qu’il lui est presque toujours possible de créer de nouveaux termes représentant des notions de plus en plus dépouillées de leur contenu, ce sont des inférences d’ordre de plus en plus élevé. Les résultats de ces abstractions constituent la connaissance et celle-ci est communicable. Ainsi, depuis que l’homme existe et étudie son environnement, interne et externe, il génère de la connaissance qu’il organise symboliquement par l’usage des mots. C’est en effet la possibilité de décrire une expérience, c’est-à-dire de la simuler avec des mots, qui montre la différence essentielle entre les animaux et nous. Les animaux disposent d’un système de communication, appelé parfois langage, qui traduit, pour autant que nous puissions le savoir, des états « affectifs », mais ils ne disposent pas d’un système de langage symbolique qui permet la transmission de la connaissance. C’est grâce au langage que l’homme assume sa fonction de « time binding ». Communiquer, c’est utiliser le système nerveux des autres et le sien. De plus, vivant dans une culture donnée, nous utilisons presque à notre insu une quantité prodigieuse de connaissances et de schémas intellectuels. Chacun d’entre nous peut prétendre avoir à sa disposition 4 II est vrai que certains animaux (éponge par exemple) ne sont pas mobiles, de même que certains végétaux n’ont pas de chlorophylle (champignons par exemple). Ce sont des cas particuliers qui n'infirment pas mon propos.

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un peu du système nerveux d’Aristote, de Newton, de Descartes, d’Einstein, etc., et bien sûr d’une foule d’anonymes. La fonction « time binding » résume assez bien ce que l’on comprend généralement par le mot civilisation. C’est encore une fois ce qui nous différencie des animaux : la capacité de symboliser la connaissance par des mots et de la communiquer. Nous n’avons en effet pas la nécessité de refaire, à chaque génération, toutes les expériences qui ont permis d'accumuler les connaissances qui sont à notre disposition, mais nous pouvons les étudier symboliquement grâce au langage écrit ou parlé. J’ai déjà eu l’occasion de le dire, le langage est un instrument de simulation. C’est en quelque sorte une métaphore du réel. D’un point de vue anthropomorphique, l’observation des animaux pourrait nous conduire à leur attribuer aussi la fonction « time binding ». Il y a une différence fondamentale entre l’homme et les animaux. Bien que nous puissions observer les oiseaux faire leurs nids, les abeilles s’occuper de la ruche, etc., il s’agit de comportements innés et l’expérience acquise ne sera pas transmise aux générations à venir. Il existe bien sûr des comportements « sociaux » chez les animaux, il y a une forme de dialogue entre les animaux et les hommes - avec les animaux domestiques et les animaux dressés mais, à ma connaissance, nous n’avons jamais observé de progrès dans le comportement animal. La fonction « time binding » semble bien être le privilège de l’espèce humaine. L’homme est le seul à pouvoir décider de son avenir. Ceci ne signifie pas qu’il prend les meilleures décisions, cela veut simplement dire qu’il en a la possibilité et la responsabilité. Malheureusement, cette responsabilité n’est pas clairement perçue par beaucoup d’entre nous et, d’une certaine façon, nous intervenons sur le système nerveux des autres sans nous soucier des conséquences. La seule injonction qui sera faite dans ce livre, c’est de prendre conscience de cette influence que nous avons sur les autres. Il n’y a pas un langage anodin et un langage sérieux ; dès que vous communiquez, vous déterminez une réaction chez l’autre qui engramme ce qu’il a entendu, au même titre que toutes les expériences qu’il vit, et par conséquent vous le modifiez.

Sémantique générale et société

Résumé

L’observation des espèces vivantes à la surface de la terre permet de définir trois classes de vie : 1. Energy binding. C’est la propriété des plantes de transformer une forme d’énergie en une autre.

2. Space binding. En plus de la propriété précédente, les animaux relient des points de l’espace. 3. Time binding. Cette fonction spécifiquement humaine représente la capacité que l’homme a d’utiliser l’acquis des générations précédentes, d’y ajouter le résultat de ses propres abstractions et de transmettre sa connaissance aux générations présentes et à venir.

CHAPITRE 8 « Le langage est le plus technique des systèmes de message. Il est utilisé comme modèle pour l’analyse des autres. En plus du langage, il y a d’autres méthodes utilisées par l’homme pour communiquer qui renforcent ou dénient ce qui a été dit avec des mots I. »

La communication Etymologiquement, communiquer signifie mettre en commun. C’est ainsi que les voies de communication permettent de mettre en commun des marchandises. Le sens moderne, être en relation, est très voisin, puisque nous verrons que, pour communiquer, il faut disposer d’un code commun, le système de la langue française, par exemple. La description et l’interprétation d’une situation de communication supposent, théoriquement du moins, la présence d’un observateur non impliqué dans l’expérience et qui va parler à son sujet. Il s’agit fondamentalement d’un métalangage. C'est la possibilité de ce métalangage, c’est-à-dire d’un langage à propos du langage (méta = sur) qui nous permet de décrire la communication comme un processus. Nous vivons à l’ère de la communication. Les psychologues nous assurent que nous ne pouvons nous épanouir que dans une communication authentique, déjouant les pièges de l’intersubjectivité : les sociologues déplorent que, dans la société moderne, nous ne communiquions plus, par faute du cloisonnement social, créé entre autres par l’entreprise, les grands centres d’habitation et la télévision, et enfin les ingénieurs nous assurent que nous n’avons jamais disposé d'autant de moyens techniques permettant la communication tous azimuts. Qu’en est-il réellement ? I

f.dward T. Hall : the Silent Language. Anchor Books, 1973.

La communication Nous allons essayer de comprendre ce qu’est la communication et comment la sémantique générale peut nous aider à analyser ce phénomène. La communication ne peut pas être appréhendée globalement, et nous verrons qu’il est utile d’étudier deux sous-systèmes : 1. La communication verbale. 2. La communication non verbale. Toutefois, avant d’aller plus loin, je pense utile de préciser les points suivants : - Il n’y a pas de communication verbale seule. Elle est toujours accompagnée d’autres formes de communication, comme les gestes par exemple.

- Il est impossible de ne pas communiquer ; le fait de se taire a une signification. - Nous ne sommes pas toujours conscients de communiquer non verbalement et encore moins de la signification du message. - La communication non verbale peut exister seule.

Malgré les importantes différences entre les deux systèmes, certaines notions sont communes. Dans les deux cas, la communication suppose au moins un émetteur (celui qui envoie le message), un récepteur (celui qui reçoit le message) et un canal de transmission. Par exemple, un fil dans le cas du téléphone ou l’air (canal' aérien) dans le cas d’une conversation entre personnes proches l’une de l’autre. Il est donc possible de représenter la communication par ce schéma devenu classique, dit aussi modèle cybernétique. C’est bien entendu un modèle parmi d’autres possibles qui offre l’avantage de sa simplicité. Il ne nous dit rien, bien sûr, sur l’origine du message, sur la qualité de la relation humaine et sur les motivations des participants.

Si l’on analyse le schéma de gauche à droite, il comprend : - Un Emetteur. Ce peut être une personne, une entreprise, n’importe quelle entité capable de fabriquer un message.

- Un Répertoire de signes C, dans lequel l’Emetteur puise des symboles pour les assembler selon un certain code, en fonction du message.

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- Un Canal physique dans lequel circulent les messages. C’est le système physique utilisé pour communiquer les ondes sonores dans la conversation, ou un récepteur à transistors par exemple, le texte imprimé dans une lettre, etc. - Du Bruit qui est de même nature que le Canal : bruit d’un camion qui parasite l’écoute, tache sur l’écran d’un téléviseur, « friture » sur la ligne téléphonique. L’usage est d’appeler « bruit » tout signal parasite, quelle que soit sa manifestation physique. - Un Répertoire de signes D, qui permet au Récepteur de décoder le message reçu. - Le Récepteur, à qui le message s’adresse. Cette situation est la plus simple que nous puissions imaginer puisqu’elle suppose une communication à sens unique de l’Emetteur vers le Récepteur. Telle quelle, elle nous donne la possibilité de faire quelques remarques de nature à mieux saisir ce qu’est une situation de communication et va, dans un premier temps, nous servir de base de raisonnement. Ce type de communication est illustré par la lecture d’un livre, l’écoute de la radio ou la présence à un meeting. Dans ces trois exemples, le Récepteur ne « répond » pas à l’Emetteur ou alors de façon différée par un courrier ou une intervention en fin de réunion. C’est donc pratiquement la forme la plus simple de communication de l’Emetteur vers le Récepteur et n’utilisant, en première approximation, qu’un seul code. Pour qu’il y ait communication, il faut que le Récepteur et l’Emetteur utilisent le même code, c’est-à-dire aient en commun un certain nombre de symboles, mais de plus les symboles doivent posséder la même signification pour les deux entités communicantes. Par exemple, les messages radiodiffusés sont émis en langue française qui est commune à une majorité d’individus vivant dans notre pays. Nous rencontrerons en pratique les trois cas de figure suivants :

(La zone hachurée correspond à l’intelligibilité du message.)

La communication

a) L’intelligibilité est nulle. Exemple : Vous voyagez dans un pays étranger dont vous ignorez la langue. Une communication purement écrite ou verbale vous échappe totalement. Nous verrons qu’en pratique de telles situations n’existent pratiquement pas. b) L’intelligibilité est partielle. Une partie plus ou moins grande des symboles est commune aux deux parties. C’est le cas le plus général. c) L’intelligibilité est totale. Il y a une parfaite superposition des répertoires de l’Emetteur et du Récepteur. C’est un cas théoriaue.

Jusqu’ici, j’ai exposé un schéma très classique de la communication qui n’a pas fait intervenir la sémantique générale. Nous allons voir maintenant ce que signifie communiquer. Si, par exemple, ayant laissé ma voiture dans un garage pour réparations et souhaitant connaître l’avancement des travaux, je téléphone au chef d’atelier, je vais obtenir les informations deman­ dées ; à savoir que telles et telles opérations ont été effectuées et que telles autres restent à faire. Je pourrai ainsi « participer » à l’environnement du chef d’atelier, non pas directement, mais par procuration grâce au langage : c’est l’expérience vicariale 2, c’est en quelque sorte une expérience qui remplace celle qui a été véritablement vécue par mon interlocuteur et qu’il tente de me restituer à travers le langage. Mais allons plus loin dans l’analyse de la communication. Supposez que vous soyez au téléphone décrivant à un ami votre jardin que vous voyez par la fenêtre. En réalité, vous êtes en train d’abstraire des caractéristiques de votre environnement et de fabriquer des symboles pour communiquer avec votre ami. A ce niveau, vous voyez que vous ne communiquez pas la réalité mais une abstraction de la réalité : le résultat de votre perception. Ce que vous dites n’est donc pas ce qui se passe à ¡’extérieur de votre peau, mais les interactions qui se produisent dans votre système nerveux. Le résultat de cette abstraction que vous voulez communiquer ne représente qu’une faible partie de la réalité. Communiquer, c’est donc créer un nouvel événement à l’extérieur de votre peau, de façon à créer chez l'interlocuteur, grâce à l’utilisation de symboles, la même perception que la vôtre. Evidemment, ce nouvel événement n’est pas celui que nous avons vécu, mais il est constitué par les mots que nous utilisons pour le communiquer (voir schéma page suivante). 2. Vicariale vient du latin vicarius. remplaçant. Pensez au vicaire, le remplaçant du curé.

97 Ce qui se passe (événement)

Ce que je perçois (observation)

Ce que je dis (description)

Le schéma ci-dessus nous indique de façon simplifiée la procédure d’abstraction. La flèche nous rappelle que nous nommons les choses en fonction du vocabulaire dont nous disposons. A l’autre extrémité, votre interlocuteur reçoit un message constitué par un phénomène physique, des ondes sonores dans le cas qui nous intéresse. De cet événement, il va à son tour abstraire une partie des caractéristiques.

Ce que j'entends

Ce que j’interprète

La connaissance a priori du vocabulaire de l’Emetteur va me permettre ’ de mettre des mots sur les « objets sonores » qui me parviennent. La communication la plus élémentaire se traduit par deux abstractions successives :

La communication - La première, au niveau de l’observation de l’Emetteur. - La deuxième, au niveau du Récepteur qui ne perçoit qu’une partie du message qui lui est destiné. Il s’agit là d’un système de communication très rudimentaire, mais qui nous permet d’ores et déjà de faire les observations suivantes : - Ce que je dis n’est pas ce que je vois. - Ce qu’il entend n’est pas ce que je dis. Nous allons maintenant voir ce qui se passe lorsqu’il y a un échange, autrement dit lorsque le Récepteur se transforme à son tour en Emetteur pour répondre. Un raisonnement simplifié pourrait consister à dire que, dans ce cas, il s’agit d’un double schéma dans lequel les entités communicantes sont alternativement Emetteur et Récepteur. En réalité, les choses se compliquent quelque peu par l’apparition d’un système de régulation, je veux dire régulation de sens et apprentissage (voir schéma p. 93). Vous avez probablement assisté à la scène suivante : au début d’une conversation concernant un sujet inhabituel, il y a une discussion animée comportant des échanges nombreux et courts. Ils ne traduisent ni la mauvaise foi ni la sottise des protagonistes mais la recherche d’un accord sur le sens des mots qu’ils emploient. Comment cela va-t-il se passer ? Lin des interlocuteurs fait une affirmation sur laquelle le second est en désaccord. Sa réponse traduit son sentiment ou, en d’autres termes, elle exprime la différence entre ce qu’il a compris, du sens voulu par son interlocuteur, et le sens qu’il attribue lui-même à l'affirmation. C’est cette différence qui va susciter chez le premier une réponse corrective de façon à l’annuler et, de proche en proche, par petites touches, ils obtiendront un consensus suffisant pour poursuivre utilement la discussion.

99 Cette méthode, qui consiste à littéralement réguler le sens des mots, en utilisant les différences de signification entre les deux interlocuteurs, s’appelle une rétroaction ou feed-back. Nous nous servons en permanence des systèmes rétroactifs : - La température de notre corps, - La composition de nos humeurs, - Les phénomènes économiques. - Les différentes machines, utilisent la rétroaction pour stabiliser certains de leurs paramètres. Un exemple classique est celui du chauffage central : vous affichez sur votre thermostat la température que vous estimez nécessaire à votre confort. La chaudière commence à chauffer l’eau, et lorsque celle-ci atteint la valeur choisie, le mécanisme s’arrête. N’ayant plus de source de chaleur, la température de l’eau diminue, ce qui a pour effet de créer une différence avec celle que vous aviez programmée. Par un procédé technique qui ne nous intéresse guère, cette différence de température sera traduite par un mouvement qui commande une vanne d’admission. Ce sont ces alternances de période de chauffe et de repos qui permettent de réguler (c’est-à-dire de rendre constante) la température de votre local. Vous voyez que c’est systématiquement la différence entre ce que vous avez décidé et ce que vous observez qui met en branle le système de régulation. C’est donc, toutes proportions gardées, la même chose dans la communication où c’est la différence entre ce que vous voulez faire connaître et ce qui est perçu qui sera utilisée pour réguler le sens de vos propos. Je l’ai déjà dit, vous devez avoir présent à l’esprit, en permanence, que vous êtes seul à utiliser les mots avec le sens que vous leur attribuez. Prenez l’habitude de poser la question : « Que voulez-vous dire ? » avant de décider que vous avez raison. Cela vous permettra de préciser le sens des mots, comme je viens de l’indiquer. Il est aussi évident que c’est la réponse de votre interlocuteur qui vous permet de savoir si votre message a été reçu avec le sens dont vous vouliez qu’il soit porteur. Pour être plus complet dans cette description du processus de la communication, j’ajouterai quelques détails pratiques : - Dans le schéma précédent, le canal est le même de l’Emetteur au Récepteur, et du Récepteur à l’Emetteur. Il peut arriver qu’il soit différent. Par exemple, dans le cas des émissions de télévision, où

La communication l’opinion du téléspectateur est sollicitée, deux canaux sont utilisés : la télévision (son + image) et le téléphone. Un autre exemple est la réponse écrite à une question orale.

- Une personne dispose de plusieurs codes, comme l’argot, le langage technique, le vocabulaire sportif, etc. - Au cours d’une communication, l’Emetteur tend à faire assimiler une partie de son vocabulaire par le Récepteur. C’est l’apprentissage et c’est un fait courant d’observer quelqu’un qui, après avoir saisi le sens d’un mot ou d’une expression, l’introduit dans ses propos immédiats. - Il y aurait beaucoup plus à dire sur la théorie de la communication et le lecteur intéressé trouvera des références dans la bibliographie.

Le langage non verbal

C’est un truisme de dire que le langage non verbal est à la mode. De nombreuses organisations nous proposent de participer à des groupes d’épanouissement personnel où nous apprendrons à lire le langage de notre corps, à nous exprimer sans mots et à sentir au lieu de penser. Certes, ces démarches sont utiles ; néanmoins, il est juste de dire que l’intérêt pour le langage non verbal n’est pas nouveau et que celui-ci a des caractéristiques et des performances qui le différencient très nettement du langage verbal, même s’il le complète. J’ai déjà dit qu’il n’y a pas de langage verbal sans langage non verbal. En ce qui concerne l’écrit lui-même, l’écriture, le choix du papier, la mise en pages, les couleurs, la disposition du texte sont des procédés de communication non verbale qui peuvent renseigner le lecteur sur l’état d’esprit du rédacteur, ou même qui sont utilisés sciemment par certains écrivains pour faire passer un autre message que celui du texte. Le lettrisme en est un bon exemple. Quant à la communication parlée, elle s’accompagne toujours d’une communication non verbale. Les inflexions de voix, la précipitation, le chuchotement, la voix forte et toutes autres manifestations doivent être considérées comme non verbales bien qu’elles affectent le langage parlé. « Viens ici », dit d’une voix douce, d’une voix neutre, en criant, représente successivement : une invitation, un ordre et une menace. Le fait d’utiliser un langage non verbal, associé au langage verbal, complique notre schéma général de la communication ci-dessous :

101

En effet, sur ce schéma simplifié, nous retrouvons notre Emetteur et notre Récepteur, chacun utilisant plusieurs codes et plusieurs canaux pour communiquer (sur le schéma, j'ai représenté un système simple montrant une communication de E vers R). Exemple : L’Emetteur E dit à R par le canal 1 (canal sonore) : « Approchez-vous » tandis que, par le canal 2 (canal visuel), il exprime une menace en agitant un bras. Les deux canaux sont utilisés, le deuxième précisant le sens de l'affirmation. Maintenant, vous pouvez imaginer une situation où l’Emetteur ouvrirait ses bras en faisant la même affirmation d’une voix douce. Il s’agit bien sûr d’une séquence totalement différente. Dans ces deux situations, je n’ai pas tenu compte, pour des raisons de simplification, du message non verbal constitué par l'intonation et qui emprunte aussi le canal 1. Vous voyez ainsi que la simple utilisation de deux codes, un verbal et un non verbal, appelle les remarques suivantes : - Le langage non verbal peut renforcer le langage verbal. - 11 peut aussi, et parfois à l’insu de l’Emetteur, infirmer ce qui est dit. changer ou compléter le sens de l’affirmation verbale. Dans la réalité, nous utilisons une quantité très élevée de canaux et de codes non verbaux. Il faut d’ailleurs faire à leur sujet les mêmes réserves que pour la communication verbale. Il y a une « intelligibilité » non verbale d’individu à individu, mais aussi les codes non verbaux qui sont affaire de systèmes culturels. C’est ce qui fait qu’un étranger est généralement reconnu sans même qu’il ouvre la bouche. Par sa façon

La communication de s’habiller, son allure, les distances qu’il prend avec les autres, etc., il est immédiatement reconnu comme étranger à notre culture. Pour pouvoir communiquer totalement dans un pays étranger, il faut posséder à la fois la langue verbale et la langue non verbale.

LES DIFFÉRENTS LANGAGES Nous allons maintenant étudier quelques langages extrêmement courants, mais qui ne sont pas toujours perçus comme tels. Nous avons vu comment il était possible de se représenter un système de communication en tant qu’observateur. Si maintenant, nous nous plaçons du point de vue psychologique, que se passe-t-il ? Communiquer va se traduire par la création de symboles. Nos pensées et nos sentiments sont représentés par un système de symboles dont l’interprétation par les autres doit, par association avec des situations vécues, et liées aux mêmes symboles, créer chez l’autre les mêmes pensées et sentiments. Mais je l’ai déjà dit, c’est un événement entièrement nouveau qui n’est pas celui vécu par la personne qui communique son état. En d’autres termes, ce sont des phénomènes électrochimiques, qui se déroulent à l’intérieur de notre peau, qui vont commander nos muscles selon des schémas appris, de façon à « fabriquer » des symboles. Le langage non verbal peut être direct ou indirect. Dans le premier cas, il utilise les nombreuses mimiques de la face, les mouvements des mains, des bras ou du corps tout entier. Dans le second cas, c’est par l’utilisation de matériel qu’il produit : des sons, des images et même des pictogrammes très officiels comme ceux du code de la route. De plus, nous verrons qu’une grande partie des messages non verbaux sont parfois inconscients comme ceux destinés à affirmer une position sociale par exemple. Nous allons maintenant parler sommairement de quelques systèmes de communication non verbale avant d’étudier les caractéristiques fondamentales du langage non verbal et du langage verbal. LE TOUCHER

Nous utilisons quotidiennement le toucher pour communiquer. Par exemple : la tape amicale sur la joue, sur les épaules, la caresse et la banale poignée de main.

103 LE MOUVEMENT

En remuant certaines parties de notre corps, nous pouvons exprimer des sentiments ou donner des indications. Par exemple : le haussement d’épaules, les mouvements de la tête, signifiant notre acquiescement ou notre refus, le clignement de l’œil, divers gestes avec la main, sont des signes symboliques dont le sens est saisi par un groupe humain ou par un sous-groupe, telle une profession qui a codifié un répertoire de signes. L’index tendu est un exemple de signe quasi universel pour indiquer une direction ou intimer un ordre. La grimace de douleur, le sourire, le froncement des sourcils, les courbettes, les gestes de soumission, sont d’autres illustrations de communication non verbale. Comme exemple de communication professionnelle, il est possible d’observer notamment les instructions données à un pilote lorsque l’avion rejoint son aire de parking ou celles fournies au grutier sur un chantier. LES SYSTEMES SONORES

Par l’émission de cris, de gémissements ou en frappant des coups sur une surface résonnante, nous exprimons des sentiments de douleur ou de plaisir.

LES SYSTEMES VISUELS Les dessins, les photos, les pictogrammes, les alphabets sont des systèmes visuels. Les schémas, tels les schémas électriques, sont des systèmes de communication non verbale avec un symbolisme rigoureux. Les monuments eux-mêmes doivent être considérés comme des systèmes de communication sociale, dont le but peut être l’exaltation collective pour la patrie, le respect des morts, etc. Tous ces systèmes ont en commun l’utilisation d’une production symbolique, dont le sens est admis par une collectivité (avec les réserves habituelles sur la signification que chacun donne aux symboles). Il existe d’autres langages silencieux qui ne se fondent pas sur la création de symboles mais sur l’utilisation du temps, de l’espace, des couleurs, etc. Le silence lui-même est une forme de communication que l’on rencontre dans différentes circonstances :

La communication - le silence de la personne qui vient de subir une remontrance ; - celui de l'invité qui ne dit mot pendant toute une réunion ; - l’absence de réponse après un « bonjour » de votre part. Dans la majorité des cas, le silence traduit les sentiments de refus, de réprobation ou d’accord sur quelque chose que l’on regrette. Le silence est souvent, en effet, une manière d’éviter de donner son accord verbal en lui substituant un silence « éloquent ».

LE LANGAGE DU TEMPS

La banalisation des appareils à mesurer le temps ou le plus souvent à indiquer l’heure, tels que les montres, les horloges publiques, la radio, la télévision, etc., crée l’illusion que le temps est objectivable et le même pour tout le monde. S’il existe une mesure scientifique du temps, qui a permis l’élaboration des lois physiques, il n’en reste pas moins que nous percevons subjectivement le temps, qui varie d’un individu à l’autre, et selon les circonstances. EXERCICE

Faites lire un texte à haute voix dans un groupe, par une personne, et demandez à chacun la durée de l’écoute. Bien entendu, vous aurez pris soin de repérer le début et la fin de l’opération sur votre montre. L’expérience ne doit durer que quelques minutes. Vous serez surpris d’obtenir des réponses indiquant un temps qui varie parfois du simple au triple. Une expérience aussi simple montre à quel point la perception du temps est liée à la personne, mais aussi bien sûr à l’intérêt porté à l’expérience. « Je n’ai pas vu passer le temps » est une expression qui se passe de commentaires. Notre culture occidentale a privilégié le temps. Nous vivons dans un système social dominé par la gestion du temps. Les horaires définissent notre temps de travail, sa fréquence et les loisirs sont souvent considérés comme l’absence de contrainte temporelle. De plus, ce temps est valorisé en fonction de celui qui l’utilise : le temps du président-directeur général, qui accorde un entretien, n’est pas celui de l’employé. De même, la notion de

105 temps à la campagne est différente de celle de la ville. C’est plutôt la notion du travail à effectuer qui est importante. Il y aurait beaucoup de commentaires à faire sur le temps et la durée, mais je me limiterai à l’usage du temps comme langage. Si vous avez un rendez-vous à 15 heures et que, depuis 14 h 30, vous attendez pour être reçu, cela a une signification. Par exemple, il se peut que ce rendez-vous soit tellement important qu’il vous angoisse et que, pour être sûr de ne pas être en retard, vous ayez pris des précautions disproportionnées. Cela peut également traduire un manque de confiance en vous et le besoin de vous positionner en situation de dépendance. Cela peut correspondre également à un souci d’organisation. Quoi qu’il en soit, ce n’est pas un hasard. Imaginez la situation contraire : vous arrivez avec un retard d’une demi-heure. Cette fois, votre comportement risque d’être taxé de désinvolture, marque votre peu d’intérêt pour ce qui va se dire, et soyez sûr que votre interlocuteur comprendra le message. Bien entendu, les cas de force majeure ne sont pas concernés par cet exemple. Il faut noter toutefois que ces « jeux » sur le temps, très souvent inconscients, sont de véritables projections de la personnalité. La perception du temps, comme langage, dépend des différentes cultures. D’une façon schématique, il est possible de dire que les pays les plus industrialisés imposent une exploitation du temps rigoureuse. La nécessité de disposer d’un certain nombre de personnes en même temps suppose, en effet, le respect des horaires. Par contre, les voyageurs qui visitent certains pays d’Afrique ou d’Asie sont surpris du manque d’intérêt pour le temps, du nonrespect des horaires. Il faut éviter de juger, et la sémantique générale doit nous y aider. Rien ne prouve que l’agitation qui saisit un grand nombre de nos contemporains soit porteuse d’une plus grande valeur qûe le calme ou la nonchalance du paysan africain. Quoi qu'il en soit, nous pensons tous plus ou moins manquer de temps et c’est certainement un des marchés de l’avenir. Car, si celui-ci s'écoule inexorablement, nous pouvons, dans un même temps, et grâce à une amélioration de notre efficacité, en faire un meilleur usage. Or, faire plus de choses dans un même temps, c’est subjectivement vivre plus longtemps. Il y a déjà beaucoup de monde sur ce marché.

La communication

LE LANGAGE DES COULEURS

La couleur est également un moyen de communication. D’ailleurs, ce sont les couleurs que nous percevons en premier chez les autres. Le choix de la couleur des vêtements et de l’association des teintes est une forme de comportement, c’est-à-dire en définitive un mode de communication. S’habiller de façon « voyante », afin de se faire remarquer, est une indication sur la personne qui ne possède peut-être pas d’autres moyens de se singulariser. La femme qui se présente avec une robe de couleur agressive chez des amis émet un message sur elle-même et sur ses amis. Encore une fois, ce message peut être inconscient. Les couleurs que vous trouvez dans l’appartement d’une nouvelle relation sont significatives de son état d’esprit. D’ailleurs, d’une manière générale, les couleurs semblent avoir une influence sur notre comportement. Selon leurs destinations, les murs d’une salle ne seront pas tapissés de la même couleur : certaines couleurs, telles que le jaune, l’orange et le rouge, sont considérées comme stimulantes alors que le bleu et le vert pastel incitent au calme. Il est vrai que, dans ce domaine aussi, le sens que nous attribuons aux couleurs est un phénomène culturel. Le noir est la couleur du deuil chez nous alors qu’en Inde c’est le blanc.

LE LANGAGE DE LESPACE

L’organisation de l’espace peut être considérée comme une des formes de communication sociale les plus archaïques puisqu’elle est liée à la notion d'espace corporel et d’espace vital. Les animaux ont inventé des systèmes de marquage du territoire destinés à informer leurs congénères qu’ils se trouvent sur leurs aires de chasse. Les hommes ont codifié un nombre incalculable de règles sur l’espace. De plus, l’espace est perçu différemment selon qu’il est proche ou lointain. Dans le premier cas, l’étude des phénomènes proches s’est constituée en science sous le nom de proxémique. La proxémique est une théorie psychologique de l’homme « centre du monde » qui privilégie les relations se déroulant dans son environnement immédiat. Il est en effet évident que la notion de proximité et d’éloignement est relative à celui qui s’exprime. C’est une notion très évolutive

107 puisqu’elle est constamment modifiée par les progrès technologiques. L’espace peut être perçu de différentes façons : - celui de la géométrie, c’est-à-dire, pour rester simple, celui qui est lié à la notion de surface peuplée de nos objets familiers, - et celui de distance réductible à la possibilité de communiquer plus ou moins facilement. C’est cette deuxième notion d’espace qui évolue le plus vite grâce au téléphone, à la télévision, à la voiture et à l’avion. Si nous restons maintenant dans l’espace proche, nous voyons qu’il est possible de faire une véritable lecture du code spatial. La distance entre vous et un ou plusieurs interlocuteurs traduit la nature de vos relations. Nous savons, par exemple, qu’une distance très réduite caractérise une discussion confidentielle ; si la distance s’allonge, elle peut rester privée mais son caractère est moins personnel. L’organisation de l’espace dans une entreprise ou une administration est une excellente illustration de notre capacité à créer des symboles. Il y a généralement une organisation verticale et une organisation horizontale de l’espace. Il y a, bien sûr, des considérations pratiques qui président à l’arrangement de celui-ci. Par exemple, dans une entreprise, le magasin, le service expéditions et les ateliers seront si possible au rez-de-chaussée. Cependant, la direction se trouvera souvent au niveau le plus élevé alors que les autres services occuperont des étages dont le choix ne correspond pas toujours à des considérations stratégiques. De même, au sein de chaque service, l’espace alloué à chaque personne n’est pas forcémènt dicté par des nécessités pratiques. Le bureau du. directeur est plus vaste que celui du chef de service et celui qui s’y présente se tient à une distance respectueuse. L’armée est allée plus loin dans la codification de l’espace puisque certaines distances ont été et sont peut-être encore normalisées. D’une manière générale, le respect est fonction de la distance. Ici encore, il existe des différences culturelles entre pays qui, parfois, créent des difficultés de communication au cours de voyages d’affaires ou de tourisme. La potion de territoire, que j’ai évoquée au début de ce chapitre, n’est pas spécifique aux espèces animales. Beaucoup d’entre nous aiment se retrouver aux mêmes places dans des réunions périodiques, telles que le restaurant d’entreprise, la place dans la salle de cours, le siège devant le téléviseur, etc., et considèrent comme une véritable atteinte à leur liberté l’occupation de leur siège favori. Les familiers des stages

La communication et séminaires connaissent bien cette propension de certains participants à s’asseoir aux mêmes places et à éventuellement s’offusquer du nonrespect des « positions acquises ». Le changement de position, par la rupture avec le micro-environnement ainsi constitué, détruit la sécurité psychologique de l’intéressé et altère les relations qu’il a créées avec les autres et le leader.

CONCLUSION Je n’ai pas voulu dans ce chapitre faire un panorama de la communication verbale et surtout non verbale. Il existe des ouvrages spécialisés 3 qui traitent ces questions beaucoup mieux que je ne saurais le faire. Mon propos, dans le cadre de la sémantique générale, est d’amener le lecteur à prendre conscience de l’omniprésence de la communication. Du point de vue qui nous intéresse, le comportement de chacun d’entre nous est une situation de communication. Nous ne pouvons pas ne pas communiquer. Il n’y a d’ailleurs, à ma connaissance, pas de mot pour qualifier une telle hypothèse et nous émettons en permanence une quantité de signaux dont une grande partie est inconsciente. La frontière entre signaux conscients et inconscients est d ailleurs relativement floue. Au restaurant, par exemple, choisissez-vous votre place parce que vous estimez que vous seréz servi plus rapidement ou bien parce que, inconsciemment, vous souhaitez passer inaperçu ? Votre façon de vous habiller répond-elle à des critères esthétiques ou au besoin de vous faire remarquer, d’être séduisant ou d’être conforme à l’idée que vous vous faites du cadre, bien dans sa peau et son costume ? A partir de votre comportement, chacun fait une lecture consciente et/ou inconsciente et projette sur vous un certain jugement. La perception qu'ont les autres de vous est une abstraction de votre réalité et ne soyez pas surpris d’être apprécié différemment en fonction des gens et des circonstances. Bien plus, votre conduite inconsciente peut créer une image de vous éloignée de la réalité, alors que vous cherchez à en promouvoir une autre. C’est là aussi la conscience d’abstraire qui peut vous aider à maîtriser ces situations. 3. Voir bibliographie.

109 Langage digital et langage analogique

Il se dit beaucoup de choses sur le langage verbal et le langage non verbal. Pour certains, le langage non verbal est un épiphénomène dont l’importance est secondaire et vient accessoirement compléter le sens de nos déclarations. Il s’agit de paralangages dont l’importance n’est certes pas négligeable mais doit être située au bon niveau, c’està-dire comme souvenir de notre ancien état animal. Pour d’autres, le langage non verbal est le vrai langage, le langage total, celui de la sincérité. En réalité, le langage verbal et le langage non verbal sont deux systèmes de communication différents : - le premier établit des relations arbitraires entre le nom et la chose, - le second a des relations directes avec la chose à communiquer. Par comparaison avec les ordinateurs, ces deüx systèmes de langage ont été appelés digital et analogique. Il existe en effet deux types d’ordinateurs : - les ordinateurs digitaux (ou numériques), - et les ordinateurs analogiques. Dans un ordinateur digital, les données traitées sont codées sous une forme qui n’a qu’un rapport arbitraire avec ce qu’elles évoquent, ce sont des signaux binaires, c’est-à-dire par tout ou rien, dont la combinaison va représenter les données à traiter et les opérations à effectuer. Il s’agit d’un choix technologique lié à la plus grande facilité à réaliser des circuits à deux états. Iæs ordinateurs analogiques traitent des signaux dont la forme est représentative des phénomènes étudiés. Une grandeur mécanique, dans un système physique, sera traduite en grandeur électrique « analogue », quant à son évolution dans le temps par exemple. Si maintenant nous revenons aux langages, comment les choses se passent-elles ? Dans le cas du langage verbal, si je dis : « le camion transporte des légumes », il n’y a aucune relation particulière, si ce n'est une convention entre la phrase ci-dessus et les faits. Elle est composée conformément au lexique et à la syntaxe et s’inscrit correctement dans le système de la langue française. Il est évident qu’un Danois, un Anglais ou un Allemand pourraient transmettre la même information mais avec un code différent. Maintenant, considérons ce qui se passe dans un message non verbal. Prenons quelques exemples :

La communication - Au volant de ma voiture, je viens de dépasser un autre véhicule par la droite et me rabats sur lui, l’obligeant à ralentir ; c’est la vulgaire « queue de poisson » qui suscite chez le conducteur lésé un mouvement d’agitation de sa main ouverte au niveau de son visage. - « Viens ici », lance cet homme en serrant les mâchoires et les poings. - « Tu sais que tu commences à m’ennuyer », dit cette femme à un ami en souriant largement et en ouvrant légèrement les bras.

Les deux situations précédentes montrent comment le message non verbal modifie le message verbal. Dans ces exemples simples, l’interprétation est facile : - les mouvements de bras de l’automobiliste m’infligent une correction symbolique ; - les mâchoires et les poings serrés de cet homme sont une promesse de conflit ; - et l’attitude de cette femme (son message non verbal est ici fondamental) contredit sa déclaration. Dans ces exemples, le comportement de celui qui s’exprime est en relation avec ce qu’il veut exprimer. En d’autres termes, il y a une relation analogique entre la signification du message et son expression, d’où l’utilisation de la formule : communication analogique. D’après les exemples cités, et la généralisation du raisonnement le confirme, il est possible d’énoncer les caractéristiques très différentes de ces deux systèmes de communication. Dans la mesure où se comporter c’est communiquer quelque chose aux autres, je dirai que le langage non verbal est pratiqué par toutes les espèces animales, y compris l’homme, et par conséquent qu’il est apparu bien avant le langage verbal. Il est spécialisé dans tout ce qui concerne la relation, c’est-à-dire l’expression de sentiments tels que l’amour, la peur, l’agressivité, etc. Par contre, son registre est relativement faible et il est incapable d'exprimer la temporalité. C’est le langage de l’instant mais c’est un langage permanent. Enfin, c’est un langage qui ignore la subtilité des conditions logiques, telles que : si, alors, et, ou, et la négation, chères aux langages informatiques. Le langage digital, privilège de l’homme, permet la transmission de la connaissance ; il est à l’aise pour décrire des objets mais finalement peu adapté à l’expression des sentiments qui sont soulignés par le comportement. Il dispose d’une syntaxe logique, élaborée et c’est lui qui permet la fonction « time-binding » propre à l’espèce humaine.

Ill

L’homme est seul à utiliser ces deux langages et doit fréquemment traduire l’un dans l’autre. L’antériorité du non verbal sur le verbal en fait, à un certain niveau (celui de la relation), un langage plus général. C’est celui que nous utilisons lorsque nous ignorons la langue dans un pays étranger ; c’est aussi de cette façon que nous communiquons avec les animaux. Ces derniers, même « ceux qui comprennent tout », perçoivent notre langage verbal de façon analogique en reconnaissant un sens entre les signaux que nous produisons et la relation qui s’instaure. J’ai établi ci-dessous un tableau comparatif entre ces deux types de communication. Langage non verbal

Langage verbal

Commun aux espèces anima­ les, y compris l’homme 4.

Privilège de l’homme.

Exprime la vie de relation : peur, amour, colère, respect, etc.

Etablit des rapports arbitrai­ res entre les symboles et les référents.

le

Dispose d’une syntaxe lo­ gique très élaborée.

Communication permanente (comportement).

Traite du passé, du présent et de l’avenir.

Communication consciente et/ou inconsciente.

Convient à la description des objets et des situations.

Est plus verbal.

général

que

Exprime difficilement la vie de relation. Permet la transmission de connaissances. Fonction « time-binding ».

Communication consciente.

4. Le principe est commun pour les différents systèmes.

La communication

Résumé

La communication suppose la présence minimum d’un Emetteur et d’un Récepteur communiquant par un canal qui est tout simplement le support physique du message, comme l’air pour les ondes sonores. Il faut, de plus, qu’Emetteur et Récepteur utilisent un code commun, le système de la langue française par exemple. Dans une communication bilatérale, Emetteur et Récepteur changent successivement de rôle et cherchent à ajuster le sens du message grâce à la rétroaction. Il existe deux types principaux de communication : - La communication verbale. - La communication non verbale. Communiquer, c’est créer un nouvel événement pour notre interlocuteur, dans le but de le faire participer à ce que nous avons vécu. Il connaîtra donc notre expérience par procuration : c’est l'expérience vicariale. Pour communiquer non verbalement, nous utilisons les langages de l’espace, des couleurs, du temps, le toucher, le mouvement et quantité d’autres. Le langage verbal emploie des symboles qui n’ont qu’une relation arbitraire avec ce qu’ils représentent ; c’est pour cela qu’il est parfois nommé langage digital. Il est spécifiquement humain et nous permet de nous exprimer sur le passé, le présent et l’avenir et de transmettre des connaissances (time­ binding). Il possède une syntaxe logique développée. Le langage non verbal plus général s’applique surtout à la vie de relation et exprime des sentiments tels que : le respect, la peur, l’amour, etc. Il est toujours superposé à la communication verbale.

Dans la mesure où se comporter c’est communiquer, il est impossible de ne pas communiquer.

CHAPITRE 9 « ... Celui qui prend des décisions consciemment a toujours le choix de ne pas obéir à une théorie qui prédit son comportement 1. »

Nos prémisses J’ai déjà eu l’occasion de dire que nous avons chacun notre propre conception du monde, liée à nos expériences personnelles. Nous voyons le monde, non pas tel qu’il est mais tel que nous le supposons être. Ces représentations du monde sous-entendent un ensemble de prémisses qui vont littéralement déterminer notre comportement quotidien. Si je n’y prends garde, et si je ne suis pas conscient de l’influence de ces présuppositions, je vais verrouiller mon raisonnement et répéter inlassablement le même type de scénario. Le schéma ci-dessous va nous faciliter la compréhension de ce phénomène et nous montrer comment échapper à son déterminisme.

PI représente un ensemble de prémisses qui va entraîner un comportement C1. P2 représente un ensemble de prémisses qui va entraîner un comportement C2. Ces deux relations sont univoques ; il n’est pas possible d’obtenir le résultat C2 à partir de Cl. Il faut faire le détour. Autrement dit, il faut changer nos prémisses. 1 Howard Nigel : « Paradoxes of Rationality » « Theory of Metagames and Political Behavior » in P. Watzlawick, J Wbakland and R. Fisch : Changements, paradoxes et psvchotérapie. éd. du Seuil. 1975

Nos prémisses La flèche en traits discontinus (PL C2) représente un chemin impossible ; c'est la flèche PI, P2 qu’il faut suivre. Quelques exemples choisis dans différents domaines de la connais­ sance vont illustrer ce qui précède :

- En physique. L’idée d’un espace homogène, illimité, simple contenant, dans lequel évoluent des objets au cours du temps, conduit à la géométrie euclidienne, à la mécanique newtonienne et à une impasse sur le plan cosmologique. Le changement de prémisses par Einstein à savoir la conception d’un espace-temps non homogène, modifié par la présence de matière, permet d’expliquer certaines anomalies astronomiques et établit l’équivalence de la masse et de l'énergie, ce qui conduit à la production d’énergie nucléaire. La théorie de la relativité d’Einstein n’apporte pas de réponses à toutes les questions qui se posent en physique théorique, notamment en mécanique quantique, et sera vraisemblablement modifiée ou remplacée par un autre système de prémisses. - Dans le monde du travail. Taylor, par exemple, proposait une méthode de travail permettant de décomposer les tâches en mouvements élémentaires puis de les recomposer d’une manière plus adaptée à la production. Ceci autorise l’utilisation, d’une main d’œuvre non qualifiée, l’ouvrier n’étant qu’un agent de production dont les paramètres sont connus. Cela conduit au travail en miettes et au travail à la chaîne avec les conséquences humaines que nous savons. L’influence d’un système de prémisses sur la vie quotidienne de millions d’individus est clairement établie. Nous allons voir maintenant comment une autre conception de l’individu peut changer radicalement l'ambiance d’un atelier. Les théories d’Herzberg ne partent pas des nécessités technologiques mais d’une théorie scientifique des besoins de l’homme au travail. Cette théorie, appelée « théorie des deux facteurs de motivation », est une présentation plus contrastée de l’échelle de motivations d’Abraham Maslow. En recherchant quels sont les facteurs de satisfaction et d’insatisfaction au travail, elle conduit à la notion d’enrichissement des tâches. Cette fois-ci, l'efficacité n’est pas obtenue par une rationalisation mécanique du travail humain mais par la recherche des conditions permettant l’épanouissement de l’homme dans l’entreprise. Cette présentation très simplifiée du taylorisme et de l’enrichissement

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des tâches permet de comprendre comment des prémisses différentes conduisent automatiquement à des résultats différents. - En psychologie. C’est bien entendu dans le domaine personnel que l’influence des prémisses est la plus importante. C’est aussi, et c’est heureux, le cas où il est le plus facile de les changer. Si, en effet, chacun peut faire un travail sur soi, il est beaucoup plus difficile et beaucoup plus long de changer les institutions. Certaines prémisses sont assez classiques : Exemples : • Je ne comprends rien aux mathématiques. Cette affirmation, assez répandue chez nos contemporains, débouche sur une attitude de refus de tout dialogue ou de toute information où interviennent des chiffres. Elle est tellement bien ancrée chez certaines personnes qu’une simple courbe, montrant l’évolution du cours du nickel dans les dix précédentes années, au journal télévisé, ne fera même pas l’objet d’une tentative de compréhension. Si vous prenez le temps d’expliquer de quoi il s’agit, le raisonnement est généralement compris sans peine. Seulement voilà, la personne a décidé qu’elle ne comprenait rien aux maths, alors !

Une meilleure formulation serait : • Je n’ai jamais eu de bonnes notes en mathématiques (peut-être parce qu’on ne m’a jamais expliqué ou que les professeurs n’étaient pas très pédagogues, etc.). Cela ne m’intéresse pas particulièrement. L’importance de ces prémisses est considérable. Essayez donc par exemple de trouver, dans les affirmations suivantes, celles qui pourraient s’appliquer à vous-mêmes : - Je ne comprends rien à la peinture moderne. - Je ne suis pas doué pour les travaux manuels. - Je ne saurai jamais dessiner. - Ceci n’est pas un travail de femme. - Je ne suis pas un intellectuel et cela me dépasse. - Je ne comprends rien à la musique. - Je n'ai jamais pu apprendre une langue étrangère. - Etc. Vous avez certainement reconnu une ou plusieurs affirmations que vous vous faites silencieusement et qui oblitèrent votre liberté d’agir. Vous parviendrez difficilement à dessiner si vous avez décidé, ou si

Nos prémisses quelqu’un a décidé pour vous (un parent ou un professeur par exemple) que vous ne savez pas dessiner. Pour réussir, il faut changer vos prémisses. Bien sûr, il n’est pas question dans cette problématique de se transformer en artiste. J’ai pu assister à la métamorphose d’une participante à un séminaire de sémantique générale, Danielle, qui était venue sur l’insistance d’une amie. Chacun se présente et elle annonce : « De toute façon, je suis venue pour faire plaisir à Untel, mais tout ça me dépasse. Je ne suis pas une intellectuelle. » Le séminaire se déroule normalement avec une participante peu motivée qui ne semble pas s’intéresser aux travaux du groupe. Un mois plus tard, elle s’inscrit à un autre séminaire de sémantique générale et se présente avec une foule de questions qu’elle avait préparées. Elle avait compris que l’opposition : intellectuel/non-intellectuel est un faux problème. Je voudrais terminer sur une remarque : il est souvent utile d’adapter son système de prémisses aux circonstances. Notre capacité d’adaptation à des situations différentes est liée à notre facilité à changer nos conceptions en fonction de celles-ci. Un ingénieur n’a nullement intérêt à utiliser les équations de la théorie de la relativité pour calculer un moteur, bien au contraire. Ce qui est préjudiciable, c’est de s’en tenir à une position et de refuser d’en sortir pour une raison de confort intellectuel. Il serait facile de citer d’autres domaines où le choix des prémisses est déterminant quant aux conséquences. En médecine, l’approche allopathique s’appuie sur la prémisse que les maladies doivent être guéries avec des remèdes de nature contraire à celles-ci : la fièvre avec des antithermiques, l’inflammation avec des anti-inflammatoires, etc. L’approche homéopathique, au contraire, s’inspirant de la loi des similitudes, recherche la guérison par l’utilisation de substances semblables à celles qui provoquent la maladie. L’acupuncture, de son côté, nous propose une conception de l’homme et de la maladie basée sur l’équilibre du yin et du yang. Indépendamment de tout jugement que nous pourrions porter sur l’elficacité ou la spécificité de ces trois orientations médicales, nous voyons comment trois ensembles de prémisses très différentes conduisent à des conceptions de la maladie et à des traitements eux aussi éloignés les uns des autres, et pourtant il s’agit des mêmes hommes avec les mêmes maladies. Dans cet exemple, il apparaît clairement que les hypothèses, qui servent de bases aux recherches thérapeutiques dans ces trois

117 disciplines ne sont pas la seule conséquence d’observations médicales mais résultent de choix quasi idéologiques. Les solutions seront donc inévitablement liées aux prémisses. La compréhension intellectuelle de l’influence de nos prémisses sur notre comportement est loin d’être suffisante. Pour celui qui sent le besoin de « changer » quelque chose à son existence, la démarche va généralement nécessiter les étapes suivantes : 1. Prise de conscience de l’existence de prémisses régissant nos schémas de vie et connaissance technique de cette problématique.

2. Recherche et formulations de nos propres prémisses. Cette phase, difficile, ne doit pas se traduire par quelques formules creuses mais par l’analyse systématique des situations au cours desquelles l’influence des prémisses est déterminante. 3. Choix d’une nouvelle attitude jugée plus satisfaisante quant aux conséquences prévisibles et son application concrète. C’est le plus long, car cela demande généralement beaucoup de temps et de courage pour abandonner son confort intellectuel et le remplacer par un effort quotidien. Ce que je viens de dire de la procédure du changement de prémisses suscite trois remarques : 1. Le changement de prémisses ne correspond pas obligatoirement à un progrès, avec les réserves qui s’imposent, mais ne traduit qu’un changement d’attitude. Par exemple, l’obligation de travailler peut être considérée comme la contribution de chacun à la production nationale, permettant de mettre des biens à la disposition des gens et assurant leur bien-être. Une autre attitude devant le travail peut conduire certains à diviser la société en deux groupes : - ceux qui savent utiliser les possibilités du système social comme « machine à faire de l’argent », - et les autres. Bien que cet exemple soit caricatural, il n'en reste pas moins qu’il montre comment deux positions différentes, sur le phénomène « travail »,’ vont conduire leurs partisans à un comportement quotidien assez différent.

2. Le changement de prémisses intéresse aussi les institutions. Pour une entreprise, se considérer comme une organisation dont la finalité est de fabriquer des produits, ou bien comme une organisation

Nos prémisses

dont la recherche permanente est de vendre des produits correspondant aux attentes de son marché, constitue un changement important de position qui a fait souffrir plus d’un responsable. 3. Il y a une hiérarchie des systèmes de prémisses et le choix d’un système en entraîne plusieurs autres. La meilleure illustration est peut-être le cas des prémisses aristotéliciennes remplacées par les non-aristotéliciennes, qui est suivi par une série de conséquences considérables sur le plan psychologique et même neurosémantique comme nous l’avons déjà vu.

Je voudrais terminer par une précision qui s’applique pratiquement à tout travail sur soi. C’est la différence qui existe entre une attitude et un comportement : - L’attitude, c’est la position intellectuelle que nous prenons sur un sujet précis. Exemple : Je suis contre le racisme, je considère que les femmes ont les mêmes droits que les hommes, etc. - Le comportement, c’est l’ensemble des réactions que nous aurons dans une situation donnée. Exemple : Une personne appartenant à une ethnie différente de la mienne est promue à un poste de responsable ; je m’y oppose avec énergie. Les gens qui font des enquêtes auprès du public connaissent bien ce type de difficultés. Les sondages font état de positions personnelles qui ne correspondent pas toujours à la réalité quotidienne. Ce sont, bien entendu, les attitudes jugées gratifiantes qui faussent les statistiques. Enfin, une remarque importante : il est relativement simple de changer d’attitude, dès lors que vous en admettez le bien-fondé et que vous en acceptez les conséquences. 11 est beaucoup plus difficile de se comporter en accord avec ses nouvelles orientations. Le poids des habitudes, le confort intellectuel, la facilité, l’entourage, etc., sont autant d’obstacles à un véritable changement. « ... On croit généralement qu’une personne doit changer ses attitudes avant de pouvoir changer sa façon d’agir, c’est inexact. Notre expérience auprès de centaines de clients, à l’entrainement à l’affirmation de soi, les commentaires de milliers de lecteurs et les nombreux rapports présentés par nos collègues en clientèle et en recherche démontrent que le comportement peut être changé en premier et que cela est généralement plus facile et plus efficace 2. » 2. R. E. AJberti et M. L. Emmons : Affirmez-vous ' Edisem Inc., 1978.

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Résumé

Nous nous conduisons en fonction d’un système de prémisses, c’est-à-dire à partir de schémas préétablis dans nos différents domaines d’implication : conceptions psychologique, sociale, économique, médicale, systèmes de valeurs, etc. A ces prémisses correspondent des attitudes et des comportements. Si nous souhaitons changer notre comportement, il est nécessaire de changer nos prémisses ; il n’y a malheureuse­ ment pas de raccourci.

CHAPITRE 10 «L'homme a été nommé l'animal parlant. L’homme n’est pas semblable à un animal, bien sùr, précisément parce qu 'il peut parler. Les animaux ont leurs problèmes et leurs tragédies, mais l’homme semble être la seule créature qui puisse, en parlant, se créer des difficultés qui, autrement, n'existeraient pas L

A propos du langage Dans ce chapitre, je parlerai de quelques problèmes quotidiens, parfois douloureux, dont l’existence est directement liée à nos possibilités d’expression.

Les bonnes et les mauvaises questions

Nous passons une grande partie de notre temps à nous poser des questions dont les réponses nous semblent essentielles pour donner un sens à notre vie. Combien d’entre nous n’ont-ils pas été perturbés par des interrogations du genre : - La vie a-t-elle un sens ? - Suis-je aussi efficace que les autres ? - Suis-je belle ? - Est-ce que gagner de l’argent peut constituer un but dans la vie ? Il est bon de poser et de se poser des questions. C’est d’ailleurs plus la qualité de celles-ci que leur quantité qui est importante. Le développement personnel est lié précisément aux réponses que nous saurons donner à une quête sur soi. De la nature des questions dépendra l’intérêt des réponses. Or, victimes d’un véritable impérialisme du langage, nous avons tendance l. Wendell Johnson : People in Quandaries , Harper and Row.

A propos du langage à croire qu’une question peut recevoir une réponse dès lors qu’elle est formulable. L’histoire de la pensée, de la philosophie et de la religion en particulier est truffée de pseudo-questions qui ont passionné des générations de phraseurs et tellement amusé Rabelais. Ce que je vais dire maintenant ne doit pas être considéré comme un exposé théorique sur les questions métaphysiques mais comme l’analyse d’un aspect extrêmement concret de la sémantique générale. Nous allons voir qu’il y a différents types de questions : - les questions auxquelles nous ne pouvons pas répondre, nous verrons pourquoi, et qui débouchent souvent sur des interrogations inutiles ; - les questions auxquelles nous pouvons répondre. La différence entre ces deux types de questions sera facile à saisir, en l’illustrant par des exemples. Voici deux questions ayant un aspect volontairement caricatural : - Comment gagner plus d’argent ? - Quel est le sexe des anges ? Si la réponse à la première question n’est pas facile, beaucoup seront d’accord avec moi pour dire qu’il existe des solutions. C’est une question à laquelle il est possible de donner une réponse. La deuxième question peut entraîner un sourire. C’est une question à laquelle nous ne pouvons pas répondre, bien qu’elle ait préoccupé quantité de théologiens au Moyen Age. Si nous regardons de plus près ce qui fait la différence entre ces deux types de questions, nous voyons qu’elle est fondamentale. Dans le premier cas, nous pouvons concevoir une procédure permettant d’apporter une solution au problème posé. Dans le second cas, nous ne pouvons pas imaginer d'expériences nous donnant la réponse. En d’autres termes, la possibilité d’organiser une procédure non verbale (expérience) signifie que nous avons posé une question à laquelle il est ou sera possible d’apporter une réponse. Ce type de question est, pour cette raison, appelée question extensionnelle. Rappelez-vous que le monde extensionnel est le monde non verbal. Dans le deuxième cas, l’impossibilité de créer une expérience fait de ce problème, strictement verbal, une question intensionnelle. Néanmoins, nous avons eu tous à répondre à ce type de questions qui sont réglées par des procédures essentiellement verbales. C’est le cas du choix politique qui doit être décidé avant l’expérience. Dans cette conjoncture, c’est un vote qui détermine la majorité.

123 Dans une banale discussion familiale ou amicale, c’est souvent celui qui parle le plus fort, ou le dernier, qui entraîne l’approbation. Les questions de théorie, donnant lieu à de longues spéculations, appartiennent au domaine extensionnel, car il sera toujours possible de vérifier le bien-fondé du raisonnement par une expérience. C’est typiquement la démarche scientifique que l’on retrouve dans les sciences de la nature ou en psychothérapie par exemple où une hypothèse d’école est confirmée par une pratique thérapeutique. Naturellement, ces résultats sont valables à une date déterminée et doivent être remis en question pour tenir compte des évolutions inévitables. Il est important, pour notre propre équilibre, de bien comprendre ce qui sépare ces deux types de questions :

- Les questions extensionnelles (non verbales) reçoivent des réponses liées à certaines expériences. Elles sont généralement bien perçues par ceux qui se les posent et leurs solutions restent du domaine des possibilités matérielles. - I^es questions intensionnelles (verbales) sont souvent les plus traumatisantes, car elles ne reçoivent pas de réponses permettant de s’en libérer.

C’est l’utilisation de termes multi-ordinaux qui engendre la formulation de questions auxquelles nous ne pouvons répondre. En effet, ces mots ont un sens qui varie en fonction du niveau d’abstraction (du contexte), et nous avons vu qu’ils n’ont pas de sens général. Parmi ceux-ci se trouvent des mots tels que beau, laid, vrai, faux, pourquoi, bien, mal, etc. Ces mots, particulièrement affectionnés par des gens mal dans leur peau, apparaissent dans des questions du style : - Pourquoi suis-je sur terre ? - Suis-je beau ? - Est-il bien de se sacrifier pour les autres ? - Suis-je aussi intelligent que mes amis ? - Pourquoi cela n’arrive-t-il qu’à moi ? Il est bien évident qu’il n’y a pas de réponses à de telles questions, si ce ne sont des réponses basées sur l’utilisation du langage. - ELst-il bien de se sacrifier pour les autres ? Dans quel contexte ? S’agit-il de travailler pour élever sa famille, de faire une totale abnégation de soi, de se tuer au travail ? Etc. ?

A propos du langage - Suis-je beau ? Par rapport à qui ? Dans quel environnement ? Pour qui ? Je peux être beau pour telle personne et laid pour telle autre. Il s’agit là de problèmes psychologiques très réels créés de toutes pièces par une utilisation inadaptée du langage. Ce qui est utile, c’est de se poser de bonnes questions. Et, avant d’y répondre, il faut être sûr qu’elles sont bien formulées. « Il ne peut y avoir de réponse précise à une question vague 2. » L’incapacité à formuler de bonnes questions conduit à la croyance que nous sommes en train de résoudre un problème parce que nous nous agitons ou nous angoissons. Ces attitudes ne sont pas génératrices de solutions. 11 se peut également que nous pensions que la solution passe par la rencontre d’un expert (thérapeute par exemple) ou d’un livre adéquat qui va nous donner une réponse. Il n’en est rien. La solution passe par la formulation de questions qui débouchent sur l’action. Voici ci-dessous quelques exemples de questions mal formulées (inutiles) transformées en questions constructives.Questions inutiles

Questions constructives

Pourquoi mon travail est-il si loin de chez moi ?

Que puis-je faire pour rappro­ cher mon travail de mon domicile ?

Pourquoi ne plais-je pas à mes collègues ?

Que puis-je faire pour me rendre sympathique ?

Comment les gens trouventils le temps de faire tant de choses ?

Comment puis-je organiser mon emploi du temps et faire ce qui m’intéresse ?

Etc.

Etc.

Exercice Faites une liste des questions personnelles qui vous embarrassent et mettez en regard des questions reformulées dans le sens d’une action concrète. N’oubliez pas que, si vous vous en tenez à leur première expression, vous serez capable, grâce à l’extraordinaire pouvoir du langage, de rationaliser votre situation actuelle et, par conséquent, de rester sur un statu quo. Lorsque vous ne trouvez pas de solution à un problème, vous devez 2. Wendell Johnson : People in Quandaries . Harper and Row

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reformuler votre question. Souvenez-vous que la solution d’un problème dépend de la façon dont il est posé. En conclusion, ne perdez pas votre temps et surtout ne vous torturez pas à essayer de répondre à des questions inutiles et sans réponses possibles.

Le problème des conflits

Nous vivons tous, plus ou moins, des situations conflictuelles. Que ce soit en milieu familial, dans le travail ou dans le couple, ou même avec soi-même, il est difficile d’imaginer une vie quotidienne parfaitement sereine et, à tout prendre, ennuyeuse. Les conflits, s'ils sont inévitables, ont leur utilité. En tant que générateurs de situations dramatiques (au sens étymologique), ils permettent aux tensions de s’exprimer et, par leur résolution, sont à la source de progrès. Peut-on imaginer une société sans conflit, statique et bloquée dans son état ? C’est impensable et c’est tant mieux. Toutefois, il faut se souvenir que les conflits n’ont pas que des aspects positifs et sont la cause de souffrances. Là aussi, la sémantique générale peut nous aider. Si l’on observe la genèse d’un conflit, cela commence par un fait, par une discontinuité dans un ensemble de comportements dont l’interprétation, par les protagonistes, donne matière à discussion. Bien souvent, le fait incriminé n’est là que comme prétexte et la situation conflictuelle se développe par les échanges verbaux. Nous entrons là dans l’interminable série de reproches sur les reproches, de remarques sur les remarques, dont le conflit se nourrit. Ce n’est plus la raison du conflit qui est importante, c’est le type de relation créé entre les acteurs. Méfions-nous du pouvoir des mots. La carte n’est pas le territoire. Dans de nombreux cas, il est possible de résoudre, ou du moins de limiter considérablement le conflit, en revenant au niveau de description. Cela signifie en clair : cessons de discuter et voyons quel est le fait précis qui a créé cette situation. Ceci permet de donner au conflit sa véritable dimension et se traduit souvent par une très nette amélioration des rapports. Ce procédé de résolution de conflit n’est pas la panacée, notamment lorsque l’utilisation d’un fait est voulue ou lorsqu’un événement

A propos du langage particulier est provoqué, afin d’en donner une exploitation idéologique. C’est souvent le cas en politique et dans les conflits d’entreprise où il s’agit parfois d’une véritable manipulation. Dans ce cas, la sémantique générale peut nous aider, si nous sommes partie prenante, à éviter de tomber dans ces pièges du langage dont l’utilisation est, pour certains, un véritable métier.

Confusion des niveaux d’abstraction

Ce chapitre est suivi d’un exercice qui, comme celui sur le nondiscernement des inférences, peut se faire avant ou après lecture des notions de base. Je vous suggère d’y jeter un œil avant de vous décider. La confusion des niveaux d’abstraction est certainement la cause la plus fréquente de troubles psychologiques et de la mauvaise adaptation des gens à leur environnement. Nous avons vu que, par une procédure d’abstractions successives, le réel était appréhendé de la façon suivante : Evénement —► Objet —► Description —► Inférence 1 —• Inférence 2 — Inférence 3 —» Etc. Cette capacité est réservée aux humains à partir du niveau inférentiel et nous permet de créer des outils symboliques pour connaître et utiliser notre environnement. Néanmoins, il y a un revers à la médaille et, si nous n’y prenons garde, nous risquons, et parfois nous y sommes encouragés, de prendre un niveau pour un autre, c’està-dire de faire une confusion de niveaux d’abstraction. Par exemple, de prendre le mot (niveau de description) pour ce qu’il symbolise : une inférence pour le niveau de description ou une inférence d’ordre élevé pour une-inférence d’un ordre inférieur. Certains trouveront peut-être cette présentation naïve et seront tentés de dire : je sais bien que je ne peux pas manger le mot raisin, que je ne peux pas obtenir l’heure sur le mot réveil, etc. Certes, cela ne pose pas de problème particulier pour les mots que je viens d’utiliser et il est peu vraisemblable que quelqu’un tente ce genre d’essais, mais qu’en est-il pour des mots tels que : maladie, cancer, syphilis, sexe, homosexualité, argent, salaire, etc. ? Dans ces quelques exemples, certains ne réagissent-ils pas comme si le mot était la chose ? En d’autres termes, n’identifient-ils pas le fait avec l’idée qu’ils s’en font ? Rappelez-vous qu’il y a encore quelques années l’annonce à la radio

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ou à la télévision du décès d’une personne, à la suite d’une longue maladie, signifiait généralement qu’elle était morte d’un cancer. Ce mot était soigneusement expurgé du vocabulaire des présentateurs, car il entraînait des réactions sémantiques jugées regrettables. Nous avons également longtemps pensé que la non-évocation des maladies vénériennes limiterait leur expansion, avec , le résultat que l’absence d’information à leur sujet a dû, au contraire, favoriser la propagation de ces maladies. La mort est aussi un mot que notre civilisation occidentale se refuse à utiliser comme un symbole. Dans les exemples que je viens de citer, les gens réagissent comme si les mots étaient les choses qu’ils symbolisent. L’identification, dans notre société surverbalisée, constitue certaine­ ment une des caractéristiques fondamentales de notre civilisation. Bien que notre univers quotidien paraisse dominé par la science, ou plus précisément par la technologie, je crois que nous vivons dans une société mythique. La société traditionnelle avait établi des relations symboliques avec la nature et créé ses propres mythes, mais elle gardait ses racines et avait probablement un contact direct avec les choses. Aujourd’hui, beaucoup d’entre nous perdent leur autonomie de pensée dans la manipulation de symboles, établissant des rapports de symbole à symbole, et identifiant leur personnage aliéné à leur construction mythique. Le système économique actuel, indépendamment de toute orientation politique, favorise la création de ces constructions puisqu’elle se traduit habituellement par une augmentation de la consommation. Les publicitaires, ies politiciens, et bien d’autres sans doute, ont depuis longtemps compris que le véritable pouvoir passe par la maîtrise de la production symbolique. Dans la mesure du possible, ils essaient dans leurs propos d’évoquer des grands principes (santé, beauté, jeunesse, liberté, richesse, vigueur, etc.) qui sont des abstractions d’ordre élevé et n’ont, par conséquent, pas de réalité concrète. Us restent sur le plan des idées et créent des cartes sans territoire. Il n’est pas question, bien sûr, d’attaquer qui que ce soit mais de suggérer au lecteur, conscient des différents niveaux d’abstraction et de leurs identifications, de faire la part des choses et de juger avec une approche extensionnelle. Comme le dit excellemment Gaston Bachelard : « Le monde où l’on pense n’est pas celui où l’on vit l » 3. Gaston Bachelard : La philosophie du non ; P LF, 1966.

A propos du langage J’ai essayé de montrer comment l’homme d’aujourd’hui (1983), qui prend connaissance du monde, principalement avec des mots, est amené parfois malgré lui à identifier le mot et la chose qu'il représente. Déjà, A. Korzybski stigmatisait cette attitude qu’il nommait l'objectivation, c’est-à-dire la confusion entre ce que nous percevons des caractéristiques de l’objet et une abstraction d’ordre supérieur. Bien entendu, le langage favorise et entretient cette erreur puisqu’il attribue aux choses des propriétés qui sont une création de notre esprit. Si je dis de quelqu’un qu’il a le sens de l’honneur, je ne fais qu’énoncer ce que son comportement me fait lui attribuer comme « qualité ». Il ne possède pas le sens de l’honneur comme je possède une voiture par exemple. Le mot « propriété », que j’ai employé plus haut, est lui-même sujet à caution puisqu'il symbolise les caractères qui appartiennent « en propre » à une chose ou un individu. Il serait possible de montrer que la structure des langues indoeuropéennes est le reflet de choix épistémologiques implicites, entre autres la croyance que notre environnement est doué de propriétés qui sont découvertes par notre activité consciente. Je voudrais donner ci-dessous un dernier exemple de confusion de niveau d’abstraction, c’est celui de ce qui a été nommé l’aliénation encyclopédique. Il y a de nos jours une curiosité pour le savoir qui est valorisée par l’opinion publique. « Il est bien de savoir » et, évidemment, pour les commerçants « il est bien de vendre du savoir ». Cela s’est traduit par la création d’un nombre élevé d’ouvrages et de périodiques encyclopédiques, concernant les sujets les plus divers, tant est grand cet appétit de connaissance. Nous ne pouvons d’ailleurs que nous féliciter de cette grande diffusion qui a permis de mettre ces ouvrages à la portée du plus grand nombre. Néanmoins, certains ont « les yeux plus grands que le ventre », si je peux oser cette métaphore pour les nourritures spirituelles, et signent des contrats qui les engagent à acheter des collections entières qu’ils n’auront sûrement jamais le temps de lire. C’est la confusion du contenant et du contenu qui crée l'illusion d’un savoir potentiel à la disposition de l’acheteur. Tant qu’il n’est pas lu et engrammé, un livre n’est qu’un bloc de papier et un peu d’encre, du moins lorsque l’on reste dans le domaine de la connaissance. Il existe un cas où la confusion de niveaux d’abstraction conduit à une altération de la vie de relation, c’est celui du blocage sémantique. Le

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meilleur moyen pour comprendre ce dont il s’agit c’est de l’illustrer par un exemple. Jacqueline V. n’a pas de chance ; du moins c’est ce qu’elle pense. Il y a deux ans, elle a connu un homme avec qui elle décidait de lier son avenir tant ses préoccupations et ses idées semblaient proches des siennes. Hélas ! le couple ne dura pas et très vite elle comprit qu’elle n'était qu’un objet assurant le confort nécessaire à l’épanouissement de son ami. Un peu plus tard, une nouvelle rencontre se solda, et pour des raisons voisines, à un résultat identique. Une dernière expérience, un scénario quasi identique, aboutit à une séparation traumatisante. « Tu vois, me dit-elle, ma mère avait bien raison, tous les hommes sont égoïstes. » Il est sans doute vrai que Jacqueline V. a rencontré trois personnes qui, de son point de vue, se sont montrées égoïstes. Il serait certainement utile que notre amie se demande ce qui, dans son comportement, l’a conduite à se lier avec de tels hommes. Ce que je veux montrer, c’est le mécanisme du blocage sémantique. Jacqueline V. a rencontré des hommes bien réels, mettons Jean, Xavier et Simon. Sur le diagramme ci-dessous, ils figureraient au niveau de description. Or, l'affirmation : tous les hommes sont égoïstes concerne une classe d’individus - les hommes - qui sont sensés posséder en commun l’égoïsme. Il y a donc confusion de niveaux d’abstraction entre une description représentée par les noms de chacun de ces individus et une inférence dont le sens est « bloqué » sur celui de quelques expériences personnelles. Pour Jacqueline V., tant qu’elle n’aura pas : 1. pris conscience de cette distorsion sémantique, 2. et accepté une remise en question d’elle-mème par un travail personnel, tous les hommes seront égoïstes. L,’histoire populaire de l’Anglais qui, débarquant en France, remarque une femme rousse et en déduit que toutes les Françaises sont rousses en est une illustration. Ce type de blocage n’est pas rare. Il s’en faut de beaucoup, et, à la limite, nous pourrions admettre que, par suite de la diversité des expériences individuelles, personne n’échappe à cette problématique. Néanmoins, ne seront considérées comme blocages sémantiques que des situations engendrant de réelles difficultés dans la vie de tous les jours.

A propos du langage

Etc

Exercice L’exercice suivant est une application directe des remarques précédentes. Il faut lire très soigneusement les instructions Dour le faire avec profit.

TEST D’IDENTITÉ

Instructions. Vous trouverez ci-dessous un certain nombre de phrases exprimant une opinion. Si vous pensez qu’une affirmation est toujours vraie, entourez le V ; si vous pensez qu’elle n’est pas toujours vraie, entourez le F ; et si vous hésitez, choisissez le ?. 1. Les pompiers éteignent l’incendie ............................ V F ? 2. La vérité sort de la bouche des enfants ..................... V F ? 3. Il n’y a pas de fumée sans feu ...................................... V F ? 4. Les hommes sont plus forts que les femmes............ V F ? 5. Les chiens sont gentils ................................................. V F ? 6. L’avion va plus vite que le train ....................................V F ? 7. La musique adoucit les mœurs ................................... V F ? 8. Les Américains sont modernes ................................... V F ? 9. L’air est plus sain à la campagne ................................ V F ? 10. Les Français sont cartésiens......................................... V F ? 11. Les produits naturels sont sans danger....................... V F ? 12. Les femmes vivent plus longtemps que les hommes VF? 13. Trop manger fait grossir .............................................. V F ? 14. L’exception confirme la règle ........................................ V F ?

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15. L’instruction permet d’obtenir les meilleures situa­ tions ............................................................................ V F ? 16. Les Japonais sont jaunes .............................................. V F ? 17. Le crime ne paie pas ...................................................... V F ? 18. Le noir est la couleur du deuil .................................... V F ? 19. L’heure exacte est donnée par l’horloge parlante ...VF? 20. Les lois protègent l’individu ........................................ V F ? 21. Les médecins guérissent les malades ......................... V F ? 22. Les Indiens portent des plumes sur la tête................ V F ? 23. Les armes sont dangereuses......................................... V F ? 24. Un séjour à la montagne est bon pour la santé......... V F ? 25. La nuit est faite pour dormir ........................................ V F ? 26. Toute vérité est scientifique......................................... V F ? ZI. Le mieux est l’ennemi du bien.................................... V F ? 28. Le sport est bon pour la santé...................................... VF? 29. La publicité est mensongère ....................................... V F ? 30. Les Français sont xénophobes.................................... V F ? 31. Les dictionnaires donnent le sens exact des mots ...VF? 32. Les orphelins sont malheureux................................... VF? 33. Les Russes sont communistes .................................... V F ? 34. Le travail est la clé de la réussite ................................ V F ? 35. Les appareils électro-ménagers soulagent la femme VF? 36. Les couteaux coupent .................................................. V F ? 37. Les pauvres sont vertueux........................................... V F ? 38. Les sectes sont dangereuses ......................................... V F ? 39. Fumer donne le cancer................................................. V F ? 40. La sagesse vient avec la maturité ................................ V F ? 4L L’amour est aveugle .................................................... V F ? 42. Les patrons exploitent les ouvriers ............................ V F ? 43. L’argent ne fait pas le bonheur ................................... V F ? 44. Les trains français sont précis .................................... V F ? 45. Les oiseaux peuvent voler ............................................ V F ?

Correction : Nous allons choisir quelques exemples significa­ tifs : 11. Les produits naturels sont sans danger (F). Ce n’est pas toujours vrai. L’amanite phalloïde est un produit tout à fait naturel, comme l’arsenic d’ailleurs ! 16. Les Japonais sont jaunes (F). Ce n’est pas toujours vrai. Les indigènes japonais, les Aïnous, sont de race blanche. De plus, j’ai personnelle­ ment rencontré au Japon des « Noirs japonais ».

A propos du langage

39. Fumer donne le cancer (F). Tout le monde ne fait pas un cancer en fumant. 45. Les oiseaux peuvent voler (F). Les autruches aussi ?

Vous l’aviez déjà compris, c’est le (F) qu’il faut entourer dans tous les cas. Il n’y a pas une seule affirmation qui soit toujours vraie. Exercez-vous à en chercher les raisons. Vous apprendrez certainement quelque chose sur vous. Si vous faites cet exercice sincèrement, vous serez surpris de voir à quel point ce genre d’identification est à la base de nombreuses attitudes et décisions. Résumé L’utilisation quasi automatique du langage ne nous permet pas toujours de prendre conscience de problèmes dont il favorise l’apparition. La possibilité de formuler des problèmes nous fait croire à leur réalité, même s’ils n’ont d’autre existence que verbale. Nous devons formuler ou reformuler des questions qui mènent à l’action. Les questions, dont les réponses se trouvent dans le regard des autres, n’ont pas d’intérêt général et doivent être envisagées avec circonspection. Les situations conflictuelles, résultant d’une « escalade » verbale, trouvent souvent leurs solutions dans le retour au « niveau de description », c’est-à-dire à l’examen des faits qui sont véritablement à l’origine du malaise. Ce retour au « niveau de description » donne sa véritable dimension au conflit et permet souvent de « dégonfler » les arguments des parties concernées. Enfin, la confusion des niveaux d’abstraction, extrêmement commune, source d’une mauvaise adaptation à notre environnement, conduit aux blocages sémantiques et fait de nous les victimes des manipulateurs professionnels.

CHAPITRE 11 « The proof of the pudding is in the eating. » (Proverbe anglais)

La pratique de la sémantique générale Nous avons surtout vu, jusqu'à présent, quelques notions théoriques de sémantique générale en les illustrant parfois d’exemples qui peuvent être considérés comme des applications pratiques. S’il est vrai que la sémantique générale déroute, quelquefois, par une présentation un peu scientifique, voire provocante, des faits, il n’en reste pas moins que c’est dans la pratique qu’elle trouve sa justification. A cet égard, elle va se révéler comme particulièrement efficace dans les problèmes de communication, de négociation et, d’une façon générale, de relation avec les autres. Elle trouvera enfin son utilité dans la relation avec soi-méme et j’évoquerai les problèmes d’image de soi, de perfectionnisme, etc. Lorsque vous vous éveillez, le matin, vous entrez dans deux univers : celui du monde silencieux où se produisent des événements et celui du monde verbal où les choses sont nommées et leurs relations codifiées selon des « lois » humaines. Vous aurez ainsi à vous impliquer dans des domaines très variés comme l’éducation des enfants, le travail, la science, la morale, etc. Ces divisions sont ia conséquence de l’interprétation par l’homme de son environnement et ne sont nullement représentatives d’une quelconque « nature » des choses. Ce monde que vous n’avez pas créé, vous allez néanmoins l’habiter et votre intérêt sera de vous y adapter le mieux possible. Nous avons vu que le monde verbal, le monde intentionnel, est une représentation personnelle constituant un cadre de références qui servira de base à notre action. Puisque votre histoire individuelle est unique, vous possédez en propre un système d'interprétation qui découle de votre formation, de

La pratique de la sémantique générale

vos lectures et, d’une façon générale, de votre expérience des choses. Il en est de même pour chacun d’entre nous et vous aurez quotidiennement des transactions avec des gens qui ont chacun leur système de représentation et qui, par conséquent, parleront chacun leur langue. Même si votre interlocuteur parle un excellent français, le sens qu’il met dans les mots, et qui est lié aux expériences qu’il a vécues en relation avec ces mots, lui est strictement personnel. Loin d’être négative, la constatation que chacun dispose d’un système personnel d’évaluation est extrêmement encourageante. Ce qui fait la richesse d’une société, c’est la diversité de ses membres. C’est à celle-ci que l’on doit le formidable potentiel de créativité qui caractérise l’espèce humaine. D’ailleurs, l’histoire naturelle des espèces témoigne de cet élan vers la dissemblance. Les organismes les plus élémentaires, unicellulaires, se reproduisent par bipartition, c’est-à-dire que la cellule mère donne naissance à deux cellules filles qui lui sont strictement identiques. Cela se traduit pratiquement par le maintien d’un ensemble de caractéristiques immuables. La sexualité, apparue plus tard, permit la création d’êtres différents, uniques, par le jeu de combinaisons génétiques. Chez l’homme, cette diversité a atteint son maximum de possibilités et s’épanouit au sein de cultures qui modèlent, en partie, son comportement en fonction des différences individuelles. Ces différences individuelles entre nos systèmes de représentation sont, toutes choses égales d’ailleurs, l’équivalent des systèmes beaucoup plus vastes que sont les différentes cultures et doivent conduire elles aussi aux conséquences suivantes : - l’unicité de chaque personne exige sa reconnaissance par les autres, - le droit à la différence n’est que la constatation d’une réalité évidente. Il n’y a pas deux êtres identiques sur cette planète. Parmi ces différences, celles résultant de nos cartes mentales, en particulier de l’image de soi, sont les plus importantes. L’image de soi

Chacun est conscient d’avoir une image de soi, mais combien d’entre nous sauraient la décrire et en parler ? Qu’est-ce qu’une image de soi ? C’est l’ensemble des idées que nous avons sur nous-même sur le plan physique et mental.

- Sur le plan physique, quels que soient nos véritables allures et comportements, nous nous faisons de notre présence dans l’espace une

135 idée personnelle. Elle concerne, entre autres, notre taille, notre corpulence, notre démarche, notre sûreté ou notre gaucherie, notre résistance physique et, d’une façon générale, l’engagement du corps dans les différentes circonstances où il est impliqué.

- Notre image mentale intéresse l’ensemble des caractéristiques psychologiques que nous nous attribuons : intelligence, perspicacité, chaleur humaine, capacité à assimiler de nouvelles connaissances, à communiquer, etc. Elle fait d’ailleurs largement appel à nos prémisses.

Les cartes mentales se traduisent naturellement par des cartes verbales dont le sens est strictement personnel. Je me considère comme grand parce que, pour moi, grand c’est telle taille ; je me crois chaleureux parce que, pour moi, cela correspond à telle attitude. Nous retombons sur le problème général du sens et l’image de soi est difficilement communicable car elle met en jeu des termes dotés d’une grande charge affective. La notion d’image de soi est fondamentale, car c’est elle qui détermine notre comportement et nos sentiments. C’est à partir d’elle que nous pouvons imaginer comment nous réagirons dans une situation future. Elle est comptable de nos possibilités et servira de cadre à la projection que nous pouvons faire de nous-même. Il est utile d’avoir une idée assez précise de son image de soi. L’expérience prouve que ce n’est pas fréquent et que beaucoup d’entre nous ont du mal à exprimer comment ils se voient. De plus, cette image est rarement complète et propose une distorsion de la réalité qui n’est pas exempte de jugements de valeur. Ces « étiquettes », dont nous nous parons, ne sont pas innocentes. Elles nous entraînent, à notre insu, à nous conformer à ce qu’elles représentent. Ainsi, une personne qui considère qu’elle est susceptible pensera que ce caractère relève de sa nature et se montrera véritablement susceptible. A contrario, des « étiquettes » positives auront un effet favorable sur notre personnalité. Ce sont ces constatations qui permettent une utilisation constructive de l’image de soi. En effet, comment s’est construite l’image de soi ? Elle s’est constituée à partir de l’éducation que nous aurons reçue et surtout des expériences vécues. Depuis notre naissance, nous « expérimentons » notre environnement et Obtenons des réponses. C’est ainsi que chacun d’entre nous a, par exemple, le souvenir de ses résultats scolaires qui ont décidé de ses aptitudes dans les différentes matières enseignées, alors qu’il ne s’agit

La pratique de la sémantique générale que des résultats d’expériences particulières, dans tel environnement, avec tels professeurs. Rappelez-vous, d’ailleurs, combien d’enfants sont marqués par l’étiquette qui leur a été attribuée, bonne ou mauvaise, et se comportent de façon à la confirmer, du moins tant qu’ils ont le même enseignant. Plus tard, nos expériences professionnelles, amoureuses, etc., vont entraîner une série de réponses qui s’organiseront en modèle qui sera le cadre définissant notre comportement, c’est l’image de soi. Cet aspect « expérientiel » de l’image de soi, qui ne nous appartient pas génétiquement comme la couleur de nos yeux ou de nos cheveux, est une donnée favorable, car nous pouvons, bien sûr par un effort volontaire, réorganiser le champ de nos expériences et par conséquent modifier notre image de soi. Elle peut l’étre globalement ou ponctuellement sur certains points critiques. Nous avons en effet des cartes mentales qui correspondent à notre comportement conjugal, familial, en entreprise, avec nos amis, etc. Pour faire un travail sur soi, il est évidemment indispensable de se bien connaître.

- La première étape sera de découvrir son image. Pour cela, concentrez-vous et écrivez sur une feuille de papier une liste d’affirmations vous concernant physiquement et psychologiquement ; cette liste doit être longue - vous n’êtes pas seulement défini par deux ou trois mots - et rédigée à la première personne du singulier : je suis... Prenez la peine d’écrire des phrases entières et non une énumération de qualités et de défauts (selon vous !). Cette liste établie, vous serez peut-être surpris d’y trouver des affirmations que vous n'aviez jamais formulées. 11 est inutile, même nuisible, de se faire aider dans cette démarche. Il existe en effet deux images de soi : - celle pour vous, - et celle pour les autres. Elle sont parfois très différentes, et leur comparaison, si elle est possible, ne manquera pas de vous surprendre !

- I a deuxième étape consistera à choisir quelle partie de votre image vous souhaitez modifier. Bien entendu, votre projet doit être réaliste et limité à un domaine où les effets positifs apparaîtront dans un délai que vous jugerez raisonnable. - Enfin, la troisième étape verra la réalisation pratique. Elle consistera à mettre en œuvre de nouvelles méthodes de penser, à modifier son répertoire de comportements, de façon à engrammer de nouvelles expériences qui, peu à peu, transformeront une partie de l’image de soi.

137 Il est de la plus haute importance pour vous de bien comprendre ce que j’ai dit précédemment. En nous dotant d’étiquettes, correspondant à l’image que nous voulons promouvoir, nous nous programmons littéralement pour obtenir le résultat recherché, un peu à la manière d’un ordinateur. Ce n’est qu’une analogie et je ne cherche nullement à comparer l’homme à un ordinateur, aussi perfectionné soit-il. Les Américains, qui ont fait beaucoup de recherches et écrit quantité d’ouvrages sur l’efficacité et l’épanouissement personnels, appellent ces étiquettes des « self-fulfilling prophecies » (ou formules d’auto­ accomplissement O. Ce sont donc des affirmations à notre sujet qui nous permettront d’orienter notre conduite future dans la mesure où nous les croyons vraies aujourd’hui

Le perfectionnisme

Je voudrais dire quelques mots d’un des aspects du perfectionnisme, celui qui est lié à une attitude de recherche d’exhaustivité des connaissances. Nous savons tous à peu près ce qu’est un perfectionniste : c’est quelqu’un qui mène une recherche inlassable, parfois pathologique, de la perfection. Nous connaissons, et nous sommes peut-être de ces êtres qui passent une grande partie de leur existence à accumuler des connaissances et qui vivent une véritable angoisse devant l'ampleur de la tâche. Cette attitude, qui semble égocentrique et/ou introvertie, est en réalité une distorsion du comportement social. Chacun souhaite être apprécié et reconnu par les autres et le perfectionniste essaie, grâce à l’accumulation de savoir, d’être le meilleur et de susciter l’approbation et l’estime des autres, en d’autres termes detre inattaquable. La sémantique générale peut nous aider à résoudre de tels problèmes et surtout à les recadrer dans leurs véritables dimensions. Nous avons déjà vu qu’il est impossible de parvenir à une connaissance totale de quoi que ce soit. Il y a toujours un etc. De plus, cette connaissance passe par nos filtres personnels et ne recouvrira que partiellement celle des autres. Pour bien se sentir dans sa peau, il est indispensable de vivre cette conscience d’abstraire. Bien entendu, il ne suffit pas de comprendre un trouble pour le faire disparaître, mais c’est la première phase sans laquelle rien n’est possible. La I

Dont l’équivalent français est : réalisation automatique des prédictions.

La pratique de la sémantique générale

compréhension intellectuelle doit être suivie d'une phase pratique où la personne doit s'efforcer d'établir des relations saines basées sur un système d'évaluation réaliste. D'ailleurs, ne l'oubliez pas, la duree de vie des connaissances est de plus en plus courte et nous ne pouvons être que les experts du passé.

Efficacité personnelle et sémantique générale

Dans ce qui suit, je voudrais montrer comment la sémantique générale peut nous permettre d'augmenter notre efficacité personnelle, que ce soit en entreprise, dans le cadre d'un travail personnel, ou tout simplement pour executer une tâche, quelle qu’en soit la finalité. Bien entendu, les rubriques que je vais envisager ne s’appliquent pas dans tous les cas. mais chacun choisira celles qui l’intéressent en fonction de sa problématique. N’oublions pas que nous passons environ un tiers de notre journée à travailler et que cela peut être aussi une opportunité d’épanouissement personnel. 11 y a d'ailleurs longtemps que la sémantique générale appartient à l’arsenal des techniques enseignées aux responsables d’entreprise, dans le but d'accroître leur rendement et leur disponibilité, notamment aux USA où elle est née. Nous allons voir ensemble quels sont les domaines où un outil comme la sémantique générale peut apporter une aide non négligeable. Si nous découpons artificiellement l'activité d'un individu au travail, nous pouvons définir quelques grands axes où chacun pourra, peu ou prou, se sentir concerné. Naturellement, en fonction de ses responsabilités, chacun pourra pondérer l’intérêt des rubriques. Dans son activité quotidienne, l'homme au travail est, en gros, appelé à effectuer les tâches suivantes : - s'informer ; - distribuer l’information (émettre des messages) ; - former les autres ; - gérer son temps ; - gérer son travail. Cette liste n’est pas limitative, loin de là. S’informer. Dire qu'aujourd'hui il est nécessaire de s’informer est un truisme. Nous savons par exemple que les connaissances reçues par un médecin, un ingénieur, et d’une façon générale par ceux qui utiliseront un savoir technique, quel qu’en soit le domaine, sont souvent obsolètes avant d’avoir été exploitées.

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Imaginez par exemple ce que serait le comportement d’un informaticien formé il y a dix ans ét qui n’aurait, par conséquent, aucune idée sur ce qui peut être considéré comme une petite révolution sociale : la micro-informatique. En remontant encore plus loin, comment un médecin de nos jours pourrait-il ignorer les applications des antibiotiques ? Il serait facile de montrer, et la sémantique générale nous y encourage, que les connaissances que nous avons accumulées au cours de nos expériences ne s’appliqueront pas toutes à l’avenir. En d’autres termes, il faut «indexer» nos connaissances: l’électronique (1983) est différente de l’électronique (1970). D’autre part, et comme je l’ai dit plus haut, il est dérisoire d’imaginer que nous pourrons nous tenir à jour en permanence. Il suffît de jeter un coup d’œil sur les listes de publications, concernant un sujet donné, pour voir qu’à la limite nous ne pourrions que prendre connaissance des titres des communications. Nous devons donc choisir consciemment les informations que nous souhaitons retenir et ne pas systématiquement lire tous les livres paraissant sur le sujet de nos préoccupations et nous abonner aux revues spécialisées. Si, non conscients de la prolifération des documents, nous cherchons à tout prix à nous informer, notre journée entière n’y suffira pas et nous serons angoissés. Ce qu’il faut changer, c’est notre attitude par rapport à l’information et nous organiser. Nous savons que, lorsque nous prendrons connaissance d’un texte, nous en ferons à notre insu une abstraction et qu’un autre lecteur n’en retiendra pas exactement la même chose. Les raisons en sont diverses, mais sont, entre autres, liées à nos préoccupations du moment, à notre niveau d’information sur le sujet et, souvent, nous cherchons à nous gratifier en y trouvant la justification de nos idées. Cette relativité de la connaissance, que nous prenons d’un ensemble d’informations, doit nous aider à la gérer en nous libérant de toutes prétentions à l’exhaustivité. Sachez d’abord qu’un lecteur moyen lit 27 000 mots à l’heure 2 et qu’un livre courant de 125 000 mots nous demandera environ cinq heures de lecture, si elle ne présente pas de difficultés particulières. Ayez ces chiffres présents à l’esprit et vous comprendrez pourquoi il est indispensable de modifier notre relation à la chose écrite. Vous avez plusieurs méthodes pour limiter votre temps de lecture : 1. Utiliser les livres et les revues comme une source de références. 2. Français Richaudeau : La lecture rapide. Marabout service.

La pratique de la sémantique générale Dans ces conditions, vous ne prendrez connaissance que des passages présentant un réel intérêt pour vous. N’oubliez pas que la durée de vie d’un savoir est si brève que vous prenez le risque inutile de perdre votre temps en mémorisant des notions qui seront frappées d’obsolescence avant leur utilisation. 2. Abandonner la lecture des textes qui ne confirment pas vos espérances. Il n’y a rien de déshonorant à renoncer à perdre son temps. De plus, dans le cas contraire, vous acceptez d’être deux fois plus lésés ; la première pour avoir acheté un ouvrage sans intérêt pour vous et surtout la seconde pour y avoir consacré votre temps précieux. 3. Pratiquer la lecture rapide. Cette méthode n’exclut pas, bien sûr, les deux précédentes, car il ne servirait à rien de lire rapidement des ouvrages ne présentant pas d’intérêt pour vous. Il est impossible de présenter ici une méthode de lecture rapide, car cela sort du cadre de ce livre. Il existe d’ailleurs d’excellents ouvrages sur le sujet et je conseille au lecteur de s’y reporter 3. Cette méthode utilise divers procédés comme la lecture sélective, l’écrémage, l’anticipation, etc.

Cette attitude à l’égard de l’information ne doit pas se limiter aux textes mais intéresse tous les médias. L’information nous parvient, en effet, par la télévision, la radio, l'affiche, la photo, etc. Comme dans tous les cas où nous sommes en relation avec un événement quelconque, nous en faisons une abstraction, et la conséquence pratique, c’est que, soumis à un même environnement sémantique, nous n’en appréhendons pas les mêmes choses. Plusieurs personnes participant à une conférence, ou visitant une exposition, n’en retiendront pas les mêmes aspects. Distribuer l’information. La création de messages obéit à certains principes qui en améliorent l'efficacité. Tout d’abord, le message sera différent s’il est oral ou écrit :

- Le message oral. Il néglige souvent la syntaxe et utilise largement la redondance 4, Son architecture est souvent anarchique. Dans le cas où les destinataires ont un droit de parole, il y a une possibilité de régulation de sens, et la précision de la communication s'améliore (voir le chapitre sur la communication). Enfin, le message oral fait souvent largement appel aux techniques non verbales. 3. Voir par exemple François Richaudeau : La lecture rapide: Marabout service. 4. Redondance : répétition d'une information sous une autre forme.

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- Le message écrit. Il obéit à des règles beaucoup plus strictes. Il respecte en principe la grammaire et son développement est linéaire. Du fait de la possibilité de relecture, la redondance est en principe évitée. Il ne peut servir de support qu’à des choses officielles puisque, étant généralement archivé, il deviendra la mémoire auxiliaire de l’utilisateur qui pourra, éventuellement, s’y référer. Il ne doit parvenir qu’aux seuls intéressés, et il faut, pour améliorer la transmission, que l'auteur prenne soin de le dépouiller de toutes informations qui ne les concernent pas. Il existe bien entendu d’autres méthodes de communication telles que le téléphone, le télex, le magnétoscope, etc., sur lesquelles je ne m’étendrai pas. Ce qui m’intéresse, c’est d’apprécier comment la pratique de la sémantique générale peut s’insérer dans une situation de transmission de message. Quel que soit le mode utilisé, il faut se rappeler quelques principes de base qui sont également vrais dans beaucoup de cas où il est important de transmettre une information : - Les messages doivent être courts et clairs. - Us ne doivent pas donner d’informations inutiles. - Ils doivent être élaborés en fonction du /des destinataire(s). Former les autres. La formation des autres, et d’une façon plus générale le partage de la connaissance, suppose chez celui qui est impliqué dans cette démarche un sens aigu de sa responsabilité. Nous avons vu que nous organisons notre vie en fonction d’un système de représentations, en relation avec nos expériences vécues et, par conséquent, avec notre formation. Or, de la même façon que nous pouvons faire différentes cartes géographiques d’un territoire (physique, politique, économique, etc.), la présentation de pratiquement n’importe quel type de connaissance utilisera un vocabulaire lié aux préférences du formateur (carte verbale). Malheureusement, chaque expression, chaque mot enferme une chose dans une signification. 11 nous appartient donc de choisir soigneusement les mots que nous utilisons en fonction des résultats que nous escomptons. Ces remarques sont généralement valables pour toutes communications. De plus, trois remarques me semblent s’imposer : - Ce que vous dites n’est pas ce que vous avez expérimenté. - Ce qui est entendu n’est pas ce que vous avez dit. - Ce qui est interprété n’est pas ce qui est entendu.

La pratique de la sémantique générale En effet, pour la rendre transmissible, nous codons notre expérience en mots. Ce sont eux qui structurent nos images mentales en fonction du sens que nous leur attribuons. Cette verbalisation 5 va donc réduire la connaissance à une forme transmissible, c’est-à-dire va être symbolisée par le langage. C’est l’existence de cette procédure qui nous empêche de communiquer totalement notre expérience, ce qui justifie ma première remarque. Pour réaliser cette communication, nous avons déjà dit que nous sommes amenés à créer un événement qui n’est pas l’expérience que nous avons vécue, mais la conséquence de phénomènes nerveux à l’intérieur de notre peau. C’est de ce nouvel événement (verbal et non verbal) qu’une autre structure nerveuse fera une abstraction, ce qui explique la deuxième remarque. Quant à la troisième, elle trouve sa justification dans l’interprétation qui est faite, en fonction du sens que chacun met dans les symboles (mots, gestes) qu’il a perçus. Enfin, pour en terminer avec la formation, je dirai que celui qui la dispense doit utiliser au maximum des méthodes non verbales pour améliorer la communication. La technologie nous offre aujourd’hui des quantités d’outils qui favorisent la prégnance des informations, comme les systèmes audiovisuels. De plus, l’orateur, par exemple, n’hésitera pas à souligner son exposé par des gestes et des démonstrations, utilisant ainsi plusieurs canaux de communication, ce qui facilitera la mémorisation. Un bon exposé doit d’ailleurs faire appel à ces deux aspects complémentaires .- L’argumentation. Elle utilise les mots et s’adresse à l’univers intentionnel de l’auditeur. - La démonstration. Elle utilise des gestes et concerne l’univers extensionnel.

Gérer son, temps. « Je manque de temps », « cela prend trop de temps », « Ah ! si j’avais le temps », etc. Ces affirmations, que nous avons presque tous entendues ou prononcées, traduisent notre désarroi devant un phénomène inéluctable : l’écoulement du temps. Avant de poursuivre, il me semble important de préciser ce que nous devons comprendre par la notion de temps. Il y a à ce sujet une confusion de niveau d’abstraction extrêmement fréquente. Il convient 5. Au sens anglo-saxon de « to verbalize », littéralement « mettre en mots ».

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de faire la différence entre le temps perçu, qui est une sensation, et le temps officiel, celui des scientifiques, qui est mesuré par les horloges : - Dans le premier cas, il est habituel de parler de durée, qui est le temps vécu. - Dans le second cas, il s’agit d’une abstraction d’ordre élevé que nous ne pouvons pas nous représenter. Comme nous l’avons déjà vu, il est en effet impossible de se représenter le temps sans l’associer à un quelconque événement qui en donne la mesure. La durée est une donnée individuelle et même, pour chacun d’entre nous, varie selon les circonstances de la vie. Nous avons tous plus ou moins vécu des situations pénibles où le « temps ne passe pas » ou, au contraire, des expériences agréables où « nous n’avons pas vu passer le temps ». Outre les sentiments de plaisir ou de déplaisir, la perception du temps est très souvent relative à la façon dont iJ est utilisé. Le temps pendant lequel je serai parvenu à faire beaucoup de choses m’apparaîtra subjectivement plus long que celui pauvrement utilisé. C’est cette remarque qui va nous permettre d’envisager une meilleure gestion du temps. Puisque nous ne pouvons pas modifier le temps, qui s’écoule inexorablement, nous allons tenter de faire plus de choses pendant le même temps, en d’autres termes augmenter notre rendement. Accroître son rendement revient à accroître son temps. Ou bien accroître son rendement revient à libérer une partie de son temps pour en disposer à sa guise. Comment cela va-t-il se traduire en pratique ? D'une façon générale, le manque d’efficacité n’est que la constatation de l’obsolescence de nos méthodes intellectuelles. Dans un monde en changement, il ne peut être question d’utiliser son temps comme pouvaient le faire nos parents. 11 est également exclu de vouloir passer quinze heures par jour à travailler. Sauf cas tout à fait exceptionnels, une telle attitude n’est que le reflet d’une inadaptation à son travail ou bien elle sert de paravent à un problème de nature psychologique. 11 convient donc pour gérer son temps : - de décider que la journée normale de travail doit être suffisante pour exécuter sa tâche ; sinon, il faut savoir se décharger d’une partie de son travail dont l’exécution ne nécessite pas particulièrement notre compétence ; - d’extraire de l’environnement sémantique (faire une abstraction volontaire) les seules informations dont on a besoin et ne pas vouloir tout traiter ;

La pratique de la sémantique générale - de se ménager chaque jour un temps d’autoformation. Le contact quotidien avec la réalité des choses ne suffit pas ; il est bon de se réserver un temps de réflexion pour rationaliser la connaissance et en faire un modèle d’action. C’est notre capacité à élaborer de nouveaux modèles qui nous rend efficace. La gestion du temps a bien d’autres aspects qui échappent au cadre fixé ; les applications de la sémantique générale et la littérature sont abondantes à ce sujet. Un dernier conseil cependant : il vous arrive peut-être de vous dire que vous aimeriez faire telle chose, si seulement vous en aviez le temps. Faites-le ! Vous verrez que vous saurez presque toujours récupérer le temps perdu et qu’il ne s'agissait que d’un prétexte pour ne pas vous engager.

Gérer son travail. La gestion de son travail, quel qu’en soit le niveau, suppose la maîtrise d’un savoir-faire. Ce sont les expériences passées, qui ont consisté en essais suivis d’échecs ou de réussites, qui ont permis d’élaborer des modèles qui ne retiennent en principe que les résultats positifs. Bien entendu, ces modèles qui sont des abstractions volontaires ne s’appliquent pas tout de go aux cas concrets proposés à notre compétence, car, nous le savons, la réalité est toujours plus complexe que sa représentation. Les modèles retenus doivent être différents selon le niveau de responsabilités auquel ils sont utilisés. Pour le P.-D.G. d’une grande entreprise, par exemple, savoir qu’il dispose de 2 000 ouvriers de telle spécialité et de 8 000 de telle autre lui suffit pour gérer son affaire et prendre des décisions ; il est inutile pour lui de se soucier des différences individuelles. Pour un chef de service, il sera nécessaire de connaître l’exacte répartition au sein de ces groupes et nous savons que le contremaître, qui connaît bien son personnel, affectera des tâches en fonction des différences individuelles, de façon à obtenir les meilleurs résultats. Bien gérer en ce qui nous concerne consistera à utiliser des modèles au bon niveau d’abstraction. Ce que je viens de dire est également vrai pour tous les modèles utilisés en entreprise. Là aussi, la notion d’obsolescence doit être en permanence le souci des responsables.

145 L’équilibre personnel

C’est certainement l’aspect le plus motivant de la sémantique générale. J’ai déjà dit que nous vivons tous une double vie : - D’une part, nous vivons dans le monde des idées, des sentiments, des modèles, etc., que, en l’état actuel de nos connaissances (1983), nous estimons être le résultat de notre activité nerveuse qui organise les événements en représentation. C’est le monde à l’intérieur de notre peau que nous avons déjà nommé le monde intensionnel.Celui-ci représente pour nous la réalité, en fait notre réalité. - D’autre part, à l’extérieur de notre peau, se trouve le monde réel, le monde des événements, auquel nous appartenons bien sûr. C’est le monde extensionnel. Si nous n'y prenons garde, et parce que c’est plus facile, nous substituons l’un à l’autre, réglant notre comportement sur nos systèmes de représentation. Car, ne l’oubliez pas, notre système nerveux est incapable de faire la différence entre la réalité et ce qu’il croit être la réalité. Imaginez le nombre de croyances politiques, religieuses ou autres, pour lesquelles les hommes se sont massacrés, tous persuadés du bienfondé de leurs causes ! Dans notre civilisation de la communication, nous avons pris de plus en plus l’habitude de faire confiance à ce qui se dit plutôt qu’à ce-qui se fait. Or, nous rappelle Edward T. Hall : « Ce que font les gens est fréquemment plus important que ce qu’ils disent . » La possibilité de disposer à domicile de systèmes d’information comme la radio, la télévision, les journaux, etc. favorise la création d’un univers personnel où les relations directes avec le réel sont limitées. Chacun peut donc se créer chez lui un univers coupé de la réalité, confondant les différents niveaux d’abstraction, celui des événements et celui du discours sur les événements. Il ne me paraît pas exagéré de dire que cette coupure entre le réel et sa représentation est favorable à l’instauration d’une tendance schizoïde, voire schizophrénique. Ce qui caractérise ces états, c’est que la perception du réel est remplacée par une construction verbale intériorisée. Cela conduit au repli sur soi, voire à l’autisme, et la personne qui présente cette affection a des difficultés à s'insérer dans le contexte social et à agir, sans compter bien sûr ses troubles de 6. Edward T. Hall : The silent language ; Anchor Books, 1973

La pratique de la sémantique générale l’affectivité. Il semblerait qu’aux L'.S.A. la moitié des malades mentaux soit des schizophrènes. Bien entendu, il y a des degrés dans cette maladie, et beaucoup de penseurs en sont certainement victimes, sans que cela soit véritablement gênant. Ces troubles de la personnalité sont dus au fait que, dans ce cas, les hypothèses et les croyances ne sont pas vérifiées. Elles sont tenues pour vraies sans être confrontées à l’expérience puisqu’elles sont identifiées aux faits. Il y a confusion entre la carte et le territoire. Même si la carte évolue de temps en temps, elle n’est pas comparée au territoire. Pour éviter ces troubles de la personnalité, nous cherchons, dans le cadre de la sémantique générale, à développer une orientation extensionnelle. C’est-à-dire à proposer une attitude qui soit une interrogation permanente sur l’adéquation de nos cartes et du territoire représenté. 11 n’est pas question de prétendre que la sémantique générale peut guérir la schizophrénie, mais seulement de proposer en quelque sorte une prophylaxie du langage, de façon à éviter les troubles neurosémantiques que son mauvais usage peut entraîner. Dans cette perspective, je voudrais envisager d’abord comment nous pouvons concrètement améliorer notre utilisation du langage, en voir les conséquences pratiques dans notre vie quotidienne, et enfin étudier notre relation avec quelques médias qui font partie de notre environnement. L écoute L’écoute, qui passe pour une des activités les plus simples du monde, est sûrement aussi une des plus mal connues. Elle semble tellement évidente et naturelle que personne ne prend la peine de l’enseigner. Il existe des manuels sur les moyens d’expression, sur la rédaction, mais pas sur l’écoute. Et pouilant il y a beaucoup à dire sur ce sujet. Entendre n’est pas écouter. Notre environnement est généreux en bruits et sons de toutes natures. Les médias sonores nous inondent de messages dont l’intérêt est inégal. Cette familiarité avec les sons a dévalorisé la parole et émoussé notre qualité d’écoute. Pour se protéger de ces sollicitations parasites, notre cerveau a mis en place un système de sécurité et débranche sélectivement notre vigilance. Nous prêtons attention à certains bruits ou sons qui concernent notre sécurité par exemple, mais nous négligeons les bruits d’environnement

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(bruits de voitures, sonneries téléphoniques, discussions des autres tables au restaurant, etc.). Il faut se persuader que l’écoute est une activité consciente et volontaire. Je prends la décision d’écouter un message. Pour être efficace, l’écoute doit respecter certaines règles : - La première, qui est fondamentale, c’est de laisser parler notre interlocuteur (conférencier, collègue, ami, etc.) sans lui couper la. parole ; il est vraiment trop facile de terminer sa phrase ou son exposé en imposant nos conclusions sur ses propres hypothèses. - Pendant l’écoute, ne pas préparer sa réponse en ressassant ses propres arguments. Cette attitude très répandue ne permet pas une écoute active et nous prive partiellement du message qui nous était destiné. La réponse que vous donnerez ne sera pas fonction de ce qui vient d’être dit mais de votre réaction sémantique aux premiers mots utilisés. C’est l’occasion de vous rappeler ce qu’est la réaction différée ei de la pratiquer.

- Il est important de séparer les faits (ce qui s’est produit réellement) des opinions (les sentiments que m’inspirent les faits). N’oubliez pas que, dans de nombreuses discussions, il n’y a pas de vainqueurs car la plupart d’entre elles portent sur des opinions et non sur des faits. A titre d’illustration de ce qui vient d’être dit. observez un débat politique ou économique à la télévision. - Chaque orateur laisse-t-il la parole à son adversaire sans l’interrompre ? - La discussion porte-t-elle sur des faits ou des opinions ? - Sentez-vous de la part de chacun un intérêt pour ce que dit l’autre ou la volonté de faire passer a tout prix son propre message ? Enfin, n’oubliez pas que nous disposons chacun de notre propre système d’évaluation et faites un effort pour essayer « d’entrer » dans le système de l'autre. C’est un des secrets de la communication. EXERCICE

A faire en groupe si possible, mais peut également s’exécuter à deux. Ecoutez un exposé sur un sujet controversé et rédigez un résumé des arguments de l’orateur. Si vous êtes plusieurs, comparez vos résumés et demandez à celui qui a parlé s’il en accepte les termes et sinon, pourquoi. Vous observerez que, généralement, les textes

La pratique de la sémantique générale proposés trahissent la pensée de l’auteur, afin de conforter celle du rapporteur. Une dernière remarque . lors de l’écoute d’une personne, quelles que soient les circonstances, vous ne devez pas perdre de vue qu’elle utilise, pour s’exprimer, des symboles verbaux et non verbaux. Ces derniers apportent un complément d’informations à ce qui se dit et peuvent même infirmer les propos de votre interlocuteur. J’ai déjà largement commenté le fait que la structure de notre langage favorise certaines modalités d’expression qui dans le cadre de la sémantique générale, sont considérées comme mauvaises. C’est pour tenter de s’affranchir de ces difficultés que je vais vous proposer quelques tournures et surtout quelques mots clefs dont l’utilisation régulière apportera, à votre insu, une modification de votre perception des choses.

JE - SELON MOI - ON

Le « JE » n’a pas bonne presse. Son utilisation trop systématique expose celui qui s’exprime à se faire remarquer pour son égocentrisme. L’éducation traditionnelle considérait comme immodeste de s’expri­ mer à la première personne et suggérait un mode plus impersonnel. Cet usage, sans que nous en soyons conscients, perpétue la vision-d’un univers dont les attributs se trouvent dans les choses et non dans nos têtes. J’ai déjà dit que, bien que nos structures nerveuses soient très voisines au sein d’une même espèce, il existe certaines différences (principe de non-identité) qui rendent unique notre relation à notre environnement. De plus, chacun d’entre nous a une expérience qui ne peut être comparée à aucune autre et, comme le dit l’expression populaire, chacun vit sa vie. C’est la somme des expériences que vous avez vécues, depuis votre naissance, qui forme votre personnalité et par conséquent votre jugement. Vous êtes donc seul juge de ce qui vous arrive et ne pouvez vous exprimer qu’à la première personne : *- Ce film n’est pas un chef-d’œuvre, mais je le considère comme un chef-d’œuvre. - Il ne fait pas froid dans cette pièce, mais je trouve qu’il fait froid dans cette pièce.

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Vous viendrait-il à l’idée de dire : « Il fait faim », au lieu de « J’ai faim » ? Une autre formule, qui vous permet d’échapper aux pièges du langage, consiste à utiliser l’expression : « pour moi » ou « selon moi » : - Ce cassoulet est-il bon ? Pour moi, oui. - Quelle est la meilleure façon de s’initier à la poterie ? C’est, selon moi, de profiter de ses vacances pour faire un stage. Au retour d’un voyage en Grèce, il est inutile d’entamer une polémique avec la personne qui vous accompagnait sur les beautés du pays et l’intérêt de la visite. Vous ne parleriez pas de la même chose et la discussion serait sans issue. Vous argumenteriez chacun pour des événements qui se déroulent à l’intérieur de votre peau, pas pour la Grèce perçue selon vos sensibilités individuelles. Cela n’empêche pas les échanges de point de vue, heureusement. Il y a une chose importante que je voudrais dire ici, car elle est souvent cause de difficultés. Notre expérience des choses change l’opinion que nous en avons ; ce qui signifie qu’il est normal que les opinions de chacun évoluent. Il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis, paraît-il. Nous ne devons donc pas en faire grief aux autres mais accepter leur point de vue. C’est d’ailleurs ce qui nous permet d’apprendre et d’évoluer. N'oubliez pas également que nous avons tendance à rationaliser nos comportements. Si vous demandez à quelqu’un pourquoi il a fait telle ou telle chose, alors qu’il vous semble qu’une autre décision s’imposait, il vous donnera généralement quantité d’arguments qui, selon lui, prouveront le bien-fondé de son action. Cette démarche, c’est la rationalisation. C’est elle aussi qui vous donne la possibilité de justifier l’achat d’une voiture trop chère pour vous, alors qu’un autre modèle suffirait à vos besoins. La rationalisation consiste à s’inventer des raisons acceptables, par votre esprit critique, pour légitimer une conduite dont vous voulez ignorer les vrais motifs. La connaissance de ce phénomène ne peut que nous confirmer dans l’idée de nous exprimer avec un « JE ». Je voudrais terminer en dénonçant une habitude qui me paraît pernicieuse : c’est l’utilisation généralisée de « ON ». Nous avons la fâcheuse manie d’employer ce « personnage » dans nombre de phrases où, en dernier ressort, cela est une façon de ne pas nous engager. Le « ON » est utilisé habituellement dans deux cas : - Il se substitue au « NOUS ».

La pratique de la sémantique générale

Exemple : On part lundi pour Avignon.

- 11 remplace le « JE » selon deux modalités : a. Dans la phrase : On est bien ici, « ON » signifie « JE » puisque nous ne sommes pas dans la tête des autres. b. Dans l’expression ; On a bien raison de dire que ce sont toujours les mêmes qui paient, « ON » représente la conscience publique ; en réalité, cette phrase devrait être traduite par : je souscris à l’affirmation que... il est souhaitable de limiter, ou mieux d’éviter, l’usage de ce petit mot qui dépersonnalise nos affirmations et nous dispense d’en être responsables. Le petit effort de formulation que cela implique sera largement récompensé par la qualité et la précision de notre communication.

POUR AUTANT QUE JE SACHE Nul ne peut prétendre tout connaître sur un sujet. J’ai dit plus haut que la croyance en cette possibilité peut conduire à des troubles psychologiques si elle se traduit par une recherche névrotique de connaissance. D’un autre point de vue, croire que l’on sait tout ou presque sur une chose ne peut mener qu’à un esprit fermé. Si nous prenons la précaution d’utiliser la formule « POUR AUTANT QUE JE SACHE », avant de répondre à une question, nous faisons preuve d’humilité et évitons d’entraîner dans l’erreur ceux qui nous écoutent et qui, souvent, se déchargent de l’obligation de se faire une opinion par eux-mêmes en utilisant celle de 1’ « expert ». Nos cartes verbales sont incomplètes et régulièrement remises en question. N’oubliez pas qu’un seul fait nouveau peut changer l’idée que nous nous faisions d’un sujet que seuls des sots peuvent prétendre maîtriser complètement. Dites-vous bien aussi que si vous reconnaissez une erreur, vous n’êtes pas ridicules, mais, au contraire, vous avez amélioré vos connaissances.

LES INDICES QUI - QUOI J'en ai déjà largement parlé. Rappelez-vous que nous vivons dans un univers où il est impossible de trouver deux choses rigoureusement

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identiques, point par point. Malgré cette constatation, le langage nous offre le même mot pour nommer des choses différentes : - Un homme est un homme, énonce le dicton. Non, il y a l’homme 1, l’homme 2, etc., ou plus simplement, il y a Durand, Dupont, etc., et je peux écrire : - l’homme 1 n’est pas l’homme 2 ; - Durand n’est pas Dupont, de même : - le stylo 1 n’est pas le stylo 2. Je peux même affirmer que, parmi des modèles de machines à laver fabriquées en série, il y aura des différences individuelles qui entraîneront des variations au cours de l’utilisation (performances, fiabilité, etc.). Les indices « QUI », « QUOI » nous permettent de prendre conscience que nous nous intéressons à une personne ou une chose définie. Je l’ai déjà dit, cette procédure permet de transformer un nom générique en nom propre et, théoriquement, de donner un nom à chaque chose qui existe dans notre univers. L’utilisation d’indices telle qu’elle est montrée ci-dessus, a un aspect caricatural et artificiel. Mais, si nous regardons autour de nous, il est facile d’en trouver des exemples pratiques : A première vue, votre combiné téléphonique ne diffère guère de celui de votre voisin, si ce n’est qu’il a un numéro (indice) différent. Dans votre immeuble, chaque étage porte un numéro, et peut-être chaque appartement un autre signe distinctif. L’utilisation d’indices est d’ailleurs très largement employée dès qu’il s’agit d’identifier une chose appartenant à un ensemble d’éléments identiques. Il est plus simple de noter sur notre carte grise le numéro d’immatriculation de notre voiture que ses caractéristiques individuel­ les qui permettraient de la différencier des autres sans équivoque. Il en est de même pour une foule de renseignements administratifs. Indépendamment de tous les cas que je viens de citer, où les indices existent bel et bien, il faut que vous soyez convaincu que ces indices, comme tous les indices proposés par la sémantique générale doivent - au niveau silencieux - s’intégrer dans vos raisonnements et comportements. - Il n’est pas nécessairement évident que si vous rachetez le même modèle de voiture que le précédent, vous en aurez obigatoirement le même usage.

La pratique de la sémantique générale - Ce n’est pas parce que vous rendrez visite à un médecin qu’il vous comprendra comme le faisait le précédent : • Le médecin 1 n’est pas le médecin 2.

- De même, si une personne exécute correctement un travail en un temps donné, deux personnes n’en feront pas obligatoirement deux fois plus pendant le même temps. Les individus ne sont pas identiques, et par conséquent ni additionnels ni interchangeables : - 1 homme + 1 homme = 2 hommes (niveau inférentiel). - Dupont + Durand = Dupont + Durand (niveau descriptif).

L’INDICE QUAND Nous venons de voir que l’utilisation des indices « QUI », « QUOI » nous permettait de faire apparaître le caractère unique de chaque chose dans notre langage. Mais cette notion est insuffisante. En effet, j’ai écrit plus haut ; « L’homme 1 n’est pas l’homme 2 » ou « Dupont n’est pas Durand », mais je dois écrire aussi : « Dupont 1980 n’est pas Dupont 1981 » et « Durand 1982 n’est pas Durand 1970 ». Ces deux nouveaux indices sont là pour nous rappeler une autre caractéristique des événements, à savoir qu’outre le fait que la nature ne nous offre jamais deux événements identiques, un événement ne reste pas identique à lui-même. Tout n’est que changement et vousmême, depuis que vous avez commencé la lecture de ce chapitre, avez changé. De même que les cartes routières doivent être changées de temps à autre, afin d’être des documents fiables, nos cartes verbales qui se sont constituées à partir de nos expériences doivent être réactualisées. Naturellement, il n’y a pas de règle, certaines changent rapidement, d’autres lentement. Nous hésitons souvent à modifier nos cartes, car cela détruit notre confort intellectuel et notre sécurité Et pourtant, le rôle de ces cartes est de nous permettre de faire des prévisions qui correspondent au territoire. 11 ne sert à rien d’utiliser des idées surannées qui ne peuvent que mener à des déceptions. Le fameux conflit des générations est dû en grande partie à l’emploi de cartes différentes. De ce point de vue, l'intégration de la notion de temps, dans nos schémas conceptuels, est un facteur qui combat efficacement le vieillissement intellectuel.

153 D’ailleurs, la croyance en la validité de nos connaissances, si elle nous conduit à faire des erreurs de prévisions, est en plus un frein à leur remise à jour. Pour avoir le goût de s’informer, il faut au moins être convaincu de la nécessité. Cela ne signifie nullement que nous devons considérer nos connaissances passées. comme inutiles ou méprisables, mais que celles-ci constituent souvent une base sur laquelle s’édifie le nouveau savoir. D’ailleurs, le savoir est fréquemment cumulatif ; nos anciennes conceptions sont utiles (time-binding) même si la science moderne nous propose des discontinuités vertigineuses dans ses approches. Cette notion de changements, liés au temps, est particulièrement vraie pour les êtres humains. S’il est évident et observable que nos systèmes de représentation changent avec le temps, les acteurs de ces changements sont bien entendu les hommes. C’est donc des changements de ceux-ci qu’il faut être conscients ; les amis, les parents, les êtres que nous avons connus, ne seront plus ce qu’ils ont été et notre attitude doit tendre vers une disponibilité permanente à nous adapter à leur personnalité actuelle. La méconnaissance de cet aspect de chacun d’entre nous ne peut que conduire à des difficultés de relation. En conclusion, nous devons être vigilants et tester nos cartes verbales en permanence, de façon à en vérifier l’adéquation avec le territoire.

L INDICE OU (lieu) L’indice OU (où) a pour rôle de nous rappeler que les choses se trouvent dans un environnement dont nous pouvons rarement les séparer. Je reviens à l’exemple précédent: «Dupont 1980 n’est pas Dupont 1981 » peut à nouveau se subdiviser en ; « Dupont 1980 au travail n’est pas Dupont 1981 en vacances», et: «Dupont 1982 au travail n’est pas Dupont 1982 en vacances». Notre ami Dupont en 1980 est un employé tranquille. Il est ponctuel, respecte le règlement de son entreprise, effectue son travail consciencieusement et donne généralement satisfaction à ses supérieurs hiérarchiques. Il a peu d’amis parmi ses collègues car il ne cherche pas à se lier et utilise une bonne partie de ses loisirs à suivre des cours de formation professionnelle. En août 1980, il s’inscrit à un club de vacances où il libère son affectivité bloquée le reste de l’année, et participe à un maximum d’activités collectives. Il noue des amitiés éphémères et passe plutôt pour une personne sociable.

La pratique de la sémantique générale

Janvier 1982 voit l'aboutissement des efforts de Dupont pour obtenir une promotion. Il est nommé responsable d’un service ; l’absence de familiarité avec les autres, qu'il avait soigneusement entretenue, facilite l'exercice de sa nouvelle fonction, et il est considéré par ses anciens collègues comme autoritaire, prétentieux mais compétent. En août 1982, il décide de retourner au club de vacances où il était en 1980. Il a beaucoup changé. Persuadé que sa nouvelle position sociale ne lui permet pas de se commettre avec n’importe qui, il crée des distances et ne se lie superficiellement qu’avec de rares personnes qui lui semblent d’un niveau acceptable. Même un ancien « ami » de son séjour d’il y a deux ans ne trouve pas grâce à ses yeux. Cette histoire vraie (le nom est changé bien sûr) illustre l’influence de deux paramètres sur le comportement d’une personne : le temps et l’environnement. En 1980, Dupont en vacances et Dupont au travail sont deux personnages presque étrangers l’un à l’autre, et en tout cas dont il aurait été difficile de déduire le comportement en vacances en fonction de son attitude au travail et vice versa. En 1982, la personnalité de Dupont a considérablement évolué et se manifeste en fonction du cadre de vie. Il est important de se poser la question OC (où) quand nous pensons à quelqu’un. J’ai personnellement connu des gens qui, dans des petits groupes de formation, se montraient ouverts, communicatifs, et qui, retrouvés plus tard fortuitement, semblaient à peine me reconnaître. N’oubliez pas que le comportement de chacun d’entre nous résulte de notre interaction avec l’environnement. Si vous changez l’environne­ ment, vous changez le comportement. Donc l’indice OU (où) nous rappelle que nous ne pouvons pas séparer ces deux notions bien que le changement puisse parfois être très important ou passer inaperçu, toutes les nuances entre ces deux états étant possibles. DANS UNE CERTAINE MESURE

La nature ne nous propose pas que des alternatives. Nous avons vu que le système d’orientation bivalente, qui est presque de facto inscrit dans notre langue, nous incite à porter des jugements soit/soit - ou bien/ou bien. Dans une orientation extensionnelle, nous chercherons à penser d’une manière nuancée. Pour beaucoup de questions, la réponse par oui ou par non est une caricature de la réalité et nous enferme dans le réductionnisme.

155 Il y a bien évidemment d’autres formules qui peuvent être utilisées, telles que : - Jusqu’à un certain point ; - Dans telles limites ; - Etc. Exemples : Questions

Réponses

Le café est-il bon pour la santé ?

Jusqu’à un certain point.

La sémantique générale assure-t-elle notre équilibre mental ?

Jusqu’à un certain point.

Faut-il utiliser son temps de loisirs pour s’instruire ?

Dans une certaine mesure.

Sur le plan pratique, évitez de considérer votre vie comme une suite d’alternatives. Il est peu vraisemblable que les choix professionnels, affectifs, moraux, etc., se posent à vous en termes de oui ou non, de vrai ou faux, ou de blanc ou noir. Vous résoudrez sans doute de nombreux cas pratiques en remplaçant le OU par un ET non aristotélicien. -- Doit-on se consacrer à son travail OU se dévouer pour sa famille ? - Je pense qu’il faut se consacrer à son travail ET se dévouer pour sa famille. Mais les deux, DANS UNE CERTAINE MESURE. Vous verrez que bon nombre de pseudo-problèmes disparaîtront d’eux-mêmes si vous remplacez le OU par le ET. Vous pouvez également écrire, et cela devient de plus en plus fréquent, ET/OU.

LE VERBE ETRE

J’ai déjà dit beaucoup de mal du verbe ETRE. Il est sans doute le principal responsable de toutes ces identifications qui altèrent notre jugement. Dans le langage courant, il est relativement facile de prendre l’habitude d’utiliser les verbes : sembler, paraître, appartenir, etc., ou bien de transformer sa phrase de façon à exprimer ses propres sentiments.

La pratique de la sémantique générale Exemples Formulation aristotélicienne

Formulation non aristotélicienne

Le Parthénon est superbe.

Je trouve le Parthénon su­ perbe.

J.S-. Bach est le plus grand musicien de tous les temps.

Je considère J.-S. Bach comme le plus grand musi­ cien de tous les temps.

Ce chemisier est violet.

Ce chemisier m’apparaît vio­ let.

Manger des huîtres est répu­ gnant.

Je n’aime pas les huîtres.

Un Américain D. David Bourland Jr a mis au point une langue qui permet de s’exprimer sans le verbe ETRE ; c’est le E-PRIME, c’està-dire en fait l’anglais sans le verbe ETRE. Bien que je ne vous conseille pas cet exercice, que je trouve particulièrement difficile, je vous donne ci-dessous in extenso la traduction d’un article sur le Eprime paru dans le Time du 23 mai 1969.

Le « E-PRIME »

Depuis plusieurs années maintenant^ D David Bourland Jr a consciencieusement épuré de son discours et de son écriture toutes les formes du verbe être, la première fois qu’il essaya, il attrapa un mal de tête. Maintenant la pratique vient si naturellement que les auditeurs ou les lecteurs de Bourland ne voient probablement pas l’omission. Au contraire, ils sont agréablement frappés par la lucidité de son expression qui est louablement non ambiguë sinon toujours très lyrique. Quand la plupart des gens veulent rendre un jugement dur sur euxmémes avec un « Je ne suis pas bon en maths », Bourland voudrait exprimer la pensée avec moins d’immuabilité : « Je n’ai pas eu de bons diplômes en maths » ou « Je réussissais moins bien en maths que dans les autres matières ».

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Différent de ce musicien californien qui une fois écrivit une nouvelle sans la lettre « e » juste pour voir si c’était possible, Bourland, 40 ans, n'est pas un visionnaire excentrique. C’est le président très habile d' « Information Research Associates », une Mc. Lean Va, réservoir de matière grise, qui fabrique des systèmes homologués pour l’U.S. Navy. Bourland, qui a un diplôme universitaire de Harvard en administration des affaires, fut aussi un étudiant de l’institut de sémantique générale de Lakeville Conn, où il devint un ardent disciple des théories linguistiques du prophète de la sémantique générale Alfred Korzybski. D’après Korzybski, le verbe être est un mot dangereux et mal utilisé qui est responsable de la plupart des difficultés sémantiques de l’espèce humaine. Dépassant le maître, Bourland a dirigé une croisade personnelle pour l’adoption du « E prime » qui est le nom de la langue anglaise moins le verbe « être ».

TOUT EST CHANGEMENT L'objection sémantique au verbe être est basée sur certaines convictions philosophiques. L une est un sévère rejet d’un axiome de logique classique, le principe d'identité : c'est A est A ou une rose est une rose. En fait, argumentait Korzybski. le principe de base n'est pas l’identité mais, comme l’elliptique philosophe présocratique Héraclite le dit, tout est changement Le temps et le mouvement sont inexorables et dans la fraction de seconde ou une rose est décrite elle a déjà commencé à s'altérer.

La seconde conviction philosophique est que le langage influence le comportement (behaviour). L’espece humaine est beaucoup moins informée de l’implacable réalité du changement simplement parce que le langage est dominé par le verbe être qui implique une qualité statique de permanence illusoire. Notre langage, dit Bourland, reste le langage des absolus. Le grand coupable reste le verbe être. Ln des maux sémantiques apporté par « être » est qu’il tente l’homme dans des jugements de valeur erronés.

La pratique de la sémantique générale Korzybski notait sèchement qu’une rose n’est pas du tout « rouge » pour ceux qui sont affligés d’une cécité des couleurs et que la rougeur elle-même n’est pas une réalité mais une qualité de lumière réfléchie à laquelle la description rouge est arbitrairement assignée. Korzybski suggérait une meilleure façon de s’exprimer : « Je classe la rose comme rouge » ou « Je vois la rose rouge ».

CONCLUSIONS NON DEMONTREES

Le « E prime », insiste Bourland, a certains avantages sur l’anglais conventionnel. Certaines questions, que les sémanticiens aussi bien que beaucoup de philosophes analystes considèrent comme pauvre­ ment structurées, « Qu’est-ce que l’homme ? » « Qu’est-ce que l’art ? » ou le fameux « être ou ne pas être » d’Hamlet, disparaissent simplement comme non posables. Un autre avantage est l’élimination de phrases essentiellement vides : « Les garçons sont des garçons » ou « Nous savons que c’est la meilleure chose à faire ». Un troisième avantage est que l’utilisateur du « E prime » ne peut trouver refuge dans des énoncés vagues, basés sur des conclusions non démontrées par les faits, qui commencent par : « Il est connu que » ou « il est certain ». En dépit du flair rhétorique émouvant de la déclaration de l’indépendance, Bourland a même l’intention de la réécrire dans l’intérêt de la clarté sémantique. Dans le texte standard, la première phrase se lit : « Nous tenons ces vérités pour évidentes que tous les hommes sont créés égaux, qu’ils sont dotés par leur créateur de certains droits inaliénables et que parmi ceux-ci il y a la vie, la liberté et la poursuite du bonheur. »

Une version quelque peu plus prosaïque en langage « E-prime » donne : « Nous faisons les assertions suivantes : tous les citoyens ont des droits politiques égaux. Tous les citoyens en vertu de leur existence ont certains droits inaliénables comprenant la vie, la liberté et la poursuite du bonheur. »

Bourland note avec une certaine satisfaction qu’un certain nombre de communications scientifiques, pas toutes faites par des disciples de Korzybski, sont maintenant écrites en « E prime ». Il est en train

159 d’écrire un livre sur « comment parler et écrire sans recourir au verbe être ».

A partir de son expérience personnelle, il prétend que l’utilisation du « E prime » oblige à une consciente mais salutaire révision de notre façon de nous exprimer dans la vie. « Dès que vous réalisez que, à chaque fois que vous dites “est” vous dites un mensonge, dit-il, vous commencez à penser moins à l’identité des choses et plus à leurs fonctions. Je pense qu’il est plus dur d’être malhonnête maintenant. »

Pour nous résumer, c’est par l’usage conscient de certaines tournures et de certains mots que nous pouvons échapper à la structure aristotélicienne du langage. Cet entraînement linguistique conduit à des modifications neurosémantiques qui ont une influence sur notre aptitude à nous adapter à notre environnement. C’est en effet la capacité d’élaborer des cartes verbales conformes au territoire et la conscience d’abstraire qui constituent, dans une certaine mesure, la supériorité d’une personne pratiquant la sémantique générale par rapport à une autrq. Ces habitudes de langage doivent être utilisées le plus souvent possible, même sur le mode silencieux, de façon à devenir quasi automatiques. Il n’est pas suffisant de comprendre intellectuellement la sémantique générale, il faut la pratiquer et la rendre inconsciente. Essayez d’apprendre le judo dans un livre ! Le maître Kawashi disait : « 10 % d’inspiration. 90 % de transpiration. » Cette formule peut sans doute s’appliquer à la sémantique générale. N’est-elle pas une sorte de judo de l’esprit ? Le tableau suivant donne quelques exemples de mots à éviter et ceux suggérés pour les remplacer : Mots à éviter

Mots conseillés

Toujours Jamais Identique Tous Aucun Etre

Souvent Rarement Similaire La plupart Peu Sembler, Paraître, Appartenir à, Etc.

Etc.

La pratique de la sémantique générale

Autant que faire se peut, il faut proscrire de son vocabulaire des mots tels que : parfaitement, absolument, complètement, exhaustivement, etc., qui donnent l'illusion d’épuiser les différents aspects d'un sujet. Le tableau ci-dessous rappelle les conditions d’utilisation des indices QUOI, QUAND, OU (où) et des formules SELON MOI, POUR AUTANT QUE JE SACHE et DANS UNE CERTAINE MESURE : Ce que nous savons

Comment nous l’exprimons

Les qualités ne sont pas dans les choses mais dans nos tètes

Pour moi Selon moi

Nous ne pouvons pas tout connaître sur une chose

Pour autant que je sache

Il n’y a pas deux événements identiques dans l’univers

Indice QUOI ou QUI

Les choses ne restent pas identiques à elles-mêmes

Indice QUAND

Un événement ne peut pas être séparé de son environne­ ment

Indice OU (où)

Les choses ne se présentent pas en termes d’opposition (soit/soit)

Dans une certaine mesure

Les médias

Les médias envahissent notre environnement. Dans nos sociétés modernes, il est impossible d’ignorer la radio, la télévision, le disque, l’affiche, le cinema et bien sùr le livre qui. lui, fait partie de notre système culturel depuis des siècles. Ce sont eux qui assurent la circulation des idées et des informations, et leur pouvoir semble considérable. Il est pratiquement impossible de leur échapper, et.il me parait intéressant, dans le cadre d’un ouvrage consacré à la sémantique générale, d'essayer d’appréhender leur mode d’action et leur influence.

161 LE LIVRE

11 fait tellement partie de notre univers quotidien que seuls certains spécialistes se posent aujourd’hui des questions à son sujet. 11 appartient à la culture classique, et c’est même bien souvent la seule source de connaissances, sauf pour les ouvrages de fiction. Dans un livre, quel qu’en soit le sujet, vous n’avez accès qu’à l’univers intensionnel de l’auteur. S’il s’agit d’un ouvrage touristique, ce que l’auteur décrit n’est pas le paysage ou les habitants mais ce qui se passe à l’intérieur de sa peau. Ce qu’il a vu, nous ne le saurons jamais ; ce qu’il nous communique, c’est une abstraction de la réalité qu’il a traduite en mots. Cette verbalisation de l’expérience dépend de la richesse du vocabulaire qu’il utilise et du sens qu’il attribue aux mots. Rappelez-vous : - Ce qu’il voit n’est pas la réalité. - Ce qu’il écrit n’est pas ce qu’il pense. - Ce que vous lisez n’est pas ce qu’il a écrit. - Ce que vous interprétez n’est pas ce que vous avez lu. Entre l’événement, perçu par le narrateur, et l’idée que vous vous en faites, il y a une chaîne d’abstractions successives liées aux personnalités de chacun d'entre vous. C’est donc au niveau de la lecture la relation psychophysiologique, que vous entretenez personnellement avec le livre, qui déterminera le sens et l’information que vous y trouverez. Le livre est une collection d’informations symboliques : les mots, les phrases, et même l’organisation du livre, dont la signification est l’affaire de chacun. - La première remarque qui en découle, c’est qu’il n’existe pas deux personnes qui feront exactement la même « lecture » d’un livre. Lorsque vous pensez discuter d’un ouvrage avec quelqu’un, vous ne discutez pas véritablement de lui mais de la relation livre/lecture de chacun.

- La deuxième remarque, c’est que si vous « relisez » un livre, vous ne « referez » pas la même expérience car, entre-temps, vous aurez changé (vous devez intégrer le temps dans votre comportement : indice QUAND) et par conséquent votre lecture aussi. Qui d’entre vous n’a pas fait cette expérience qui lui a permis de découvrir de nouvelles choses ?

La pratique de la sémantique générale Enfin, il me semble utile de dire quelques mots des livres rédigés il y a longtemps et des traductions. Voici une phrase qui pourrait appartenir à un roman : « Epuisé par la chaleur, il déposa son sac sur le sol, ôta une partie de ses vêtements et s’assit lourdement sur un banc. » Si l’histoire est contemporaine et se déroule en France, je suis à peu près capable d’imaginer la situation ; j’ai moi-même été incommodé par la chaleur, je me représente le soulagement éprouvé lorsque j’ôte ma veste par exemple et j’ai déjà utilisé un sac et un banc. Ce qui fait que je suis capable d’associer une expérience avec pratiquement chaque mot utilisé par l’auteur. Comme dans cet exemple, il est censé appartenir à la même communauté culturelle que moi, je peux inférer que nous nous comprenons à peu près, avec les importantes réserves que j’ai indiquées plus haut. Maintenant, si cette phrase est extraite d’un roman du Moyen Age, dont le français a été modernisé, a-t-elle le même sens ? Franchement, je n’en sais rien. Quelle idée se faisait-on de l’épuisement physique à cette époque ? A. quoi ressemblait un sac, comment était fait un banc ? Quel soulagement pouvait-on espérer en ôtant un vêtement de l’époque ? Autant de questions que, généralement, nous ne nous posons pas car nous supposons implicitement que notre sémantique correspond à la sémantique de ce temps-là. Dans le cas d’une traduction, quelle que soit la compétence de l’interprète, il est illusoire, pour les mêmes raisons, d’espérer faire participer fidèlement le lecteur à l’univers de l’auteur. D’ailleurs, certains ne parlent-ils pas du talent de tel ou tel traducteur ? Si tel roman traduit est un succès, cela veut dire que ce nouveau roman (la traduction) est une œuvre de qualité. Quelle idée pouvons-nous nous faire aujourd’hui de l’espace mythologique, de l’espace biblique ou, plus généralement, de l’espace historique ?

LES JOURNAUX Albert Camus a dit quelque chose comme : « Le journaliste est l’historien du présent. » Certes ! mais comment écrit-on l’histoire ? Pour un journaliste, un fait est quelque chose qui, dans une société donnée, présente un certain degré de singularité.

163 Pour la « nature » il n’y a pas de faits, il y a des événements (au sens que nous donnons en sémantique générale) qui se suivent et qui, de temps à autre, susciteront l’intérêt d’une classe d’individus. De plus, le journaliste, soucieux de la thèse qu’il veut soutenir (opinions politiques, confessionnelles, etc.), ne retiendra que les faits confortant ses idées. Il fera donc une abstraction volontaire du réel en oubliant délibérément ceux qui ne vont pas dans le bon sens. Nous savons que priver une chose de son environnement revient à trahir la vérité. Enfin, rappelez-vous : la carte n'est pas le territoire et. en toute rigueur, ce que vous apprenez en lisant un journal c’est ce qui est écrit dans le journal, tant mieux si cela correspond à la réalité.

LA TÉLÉVISION La télévision, quant à elle, réalise une série d’abstractions considérable, liée d’une part aux procédés techniques et d’autre part aux choix décidés par les réalisateurs. Il serait tout à fait hors du propos de cet ouvrage de donner des justifications techniques, mais il faut se souvenir que le fait de voir quelque chose à la télévision ne suffit pas à prouver quoi que ce soit, puisque c'est une toute petite partie de la réalité. Il faut se méfier de l’énorme séduction de la télévision, qui pourrait être comparée à « l’information courante », comme nous avons « l’eau courante ». Cette facilité d’utilisation nous permet de vivre l’actualité par procuration, sans l’expérimenter nous-même et facilite ainsi une orientation intensionnelle. Il serait possible de faire sensiblement les mêmes remarques sur les autres médias comme la radio, le cinéma et tous les vecteurs d’informations. Dans tous ces cas. c'est une abstraction de la réalité qui nous est proposée ; cela ne veut pas dire que c'est sans intérêt, cela veut dire qu'il faut en être conscient. LA PUBLICITÉ

Quels que soient les médias utilisés : radio, télévision, cinéma, affiche, etc., la publicité s’adresse à l’univers intensionnel de son public. Elle crée des cartes sans territoire. Le publicitaire ne cherche pas à vous vendre ce que vous allez acheter mais une image flatteuse

La pratique de la sémantique générale correspondant souvent aux désirs cachés de chacun d’entre nous, par exemple : - Vous n’achetez pas des oranges mais de la santé. - Vous n’achetez pas une savonnette mais la garantie de garder une peau satinée. La publicité exploite aussi, depuis longtemps, les possibilités du langage :

- L’orientation bivalente. Elle est récupérée par les publicitaires. Par exemple, dans la propagande politique : « Votez pour notre formation politique ou c’est le chaos. » « Il n’y a pas d’autre formule. » Beaucoup de « produits », au sens du marketing, sont présentés comme la « solution » à votre problème, tous les autres étant des pisaller.

- L’utilisation des inférences. Les faits sont rarement vendeurs. Par contre, les déductions, que nous pouvons faire sur eux, ne sont limitées que par notre imagination. La publicité en fait largement usage et entretient la confusion entre les faits et les inférences. - La fabrication d’une image. C’est sur l’image de soi (pour les autres) que le public peut anticiper la conduite d’un candidat politique lorsqu’il sera élu. Les publicitaires vont donc s’efforcer de fabriquer un candidat rassurant, actif, sincère, etc. Cette image semble au moins aussi importante que les conceptions politiques du postulant. 11 y a bien d’autres techniques utilisées par les spécialistes de la communication de masse : - Le rassemblement autour d'ennemis communs comme le chômage, l’inflation, le cancer, etc. ; - L’utilisation de mots magiques (enfance, santé, privilèges) ; - L’usage de la peur (si vous ne prenez pas telle décision, vous risquez...) ; - La répétition d’un même message qui s 'inscrit insidieusement dans votre mémoire, etc. Ces remarques ne veulent pas dire qu’il faut supprimer la publicité, loin de là, mais qu’il faut être conscient de son mode d’action afin d’éviter de se faire manipuler.

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Dans ces conditions, elle devient une source d’informations non négligeable puisque c’est généralement à travers elle que le grand public est informé de l’apparition de beaucoup de produits courants. C’est aussi une remarquable manifestation de créativité et de recherches esthétiques.

Résumé

La sémantique générale fonde son intérêt sur la possibilité d’une pratique, c’est-à-dire d’un ensemble de conduites qui se traduiront par un gain psychologique et l’épanouissement personnel. Nous vivons dans deux univers : celui des mots, et des mots sur les mots, c’est l’univers intensionnel ; celui des faits, c’est l’univers extensionnel. En sémantique générale, nous chercherons à développer une orientation extensionnelle, en faisant l’hypothèse que l’équili­ bre psychologique et même physiologique est dû à une adaptation aux faits, c’est-à-dire que nous tendrons, autant que faire se peut, à utiliser des cartes qui soient conformes au territoire.

L’image de soi est l’ensemble des opinions que nous avons sur nous-mêmes et conditionne les réponses que nous donnerons dans différentes circonstances. Nous pouvons changer notre image de soi et littéralement nous programmer pour manifester des comportements plus satisfaisants. En particu­ lier, les mots que nous employons pour nous juger ont un effet sur notre avenir Nous nous arrangeons pour confirmer ce que nous pensons de nous (prédiction autodéterminante). Le perfectionnisme, consistant à vouloir maîtriser un domaine de connaissance, ignore un point fondamental : il est toujours possible d’ajouter quelque chose à ce que nous savons, il y a toujours un etc.

lu sémantique générale nous offre des outils d'efficacité personnelle. En particulier, son usage méthodique pour : s’informer, communiquer, utiliser des modèles adéquats, gérer son temps, permet d’améliorer son « confort » dans le travail.

La pratique de la sémantique générale

Une des causes majeures de déséquilibre personnel est la confusion de la réalité et du discours intérieur que nous pouvons faire à son sujet. 11 est normal d’élaborer un système de représentation ; il est anormal de le confondre avec le réel, et de substituer l’un à l’autre. Certaines habitudes verbales peuvent nous aider à rendre la structure du langage plus proche de la structure du réel. L’utilisation du JE, SELON MOI, nous permet de réaliser que les propriétés que nous attribuons aux choses sont dans nos têtes. POUR AUTANT QUE JE SACHE exprime la limite de ce que nous savons sur un sujet et les indices QUOI, QUAND, OU (où) nous rappellent la non-identité de deux événements : le fait qu’un événement ne reste pas identique à lui-même, et enfin l’influence de l’environnement. Il est recommandé d’éviter l'usage de certains mots et de les remplacer par d’autres qui favorisent une approche non aristotélicienne du réel : SOUVENT au lieu de TOUJOURS, RAREMENT au lieu de JAMAIS, SIMILAIRE au lieu d’IDENTIQUE, LA PLUPART au lieu de TOUS, PEU au lieu d’AUCUN, etc. Les médias qui envahissent notre vie, même à notre domicile, avec la télévision, nous offrent des abstractions du réel qu’il serait dangereux de confondre avec celui-ci. Ils encouragent une orientation intensionnelle et, comme tel, le crédit que nous leur accordons doit être réévalué.

CHAPITRE 12 « Car, ne peut-on penser que les scientifiques, à l’instar des dames avec leurs chats, projettent sans le savoir les structures linguistiques d'un type particulier de langue sur l’univers et voient ces structures dans la nature elle-même ? Un changement de langue peut transformer notre conception du cosmos 1. »

Sémantique générale et épistémologie Ce chapitre traite de l’aspect cognitif de la sémantique générale. Le lecteur, peu versé dans le raisonnement scientifique, peut sauter immédiatement à la conclusion sans s’autoculpabiliser. Néanmoins, je pense que sa lecture n’offre pas de difficultés particulières et s’insère assez bien dans cette approche. Je n'ai pas l’intention d’évoquer de grands problèmes philosophiques, qui d’ailleurs s’inscriraient souvent en faux contre la position que j’ai prise au cours de cet ouvrage, mais d’apporter quelque éclaircissement sur notre façon de décrire et d’interpréter le réel. L’épistémologie (du grec epistêmê - science, et logos - discours) traite précisément du rapport de la pensée et du réel. Si la sémantique générale ne traite pas d’épistémologie, elle prend par contre quelques positions à son sujet. Tout d’abord, elle repose sur l’hypothèse d’un monde objectif et non projectif, c’est-à-dire qui existe indépendam­ ment de toute idée que nous pouvons avoir sur lui. La connaissance de notre environnement va se faire par le truchement de nos organes des sens qui vont découper le réel en multiples réalités olfactives, visuelles, auditives, thermiques, etc., mais qui ne seront pas le monde. « Jamais nous ne percevrons le monde dans sa réalité, mais seulement le retentissement des forces physiques sur nos récepteurs senso­ riels » 1. Benjamin L. Whorf : Linguistique el anthropologie, éd. Médiations, 1969. 2. F. P Kiipratick : « Explorations in Transactional Psychology » in Edward T. Hall : La dimension cachée, Ed. du Seuil. 197 l

Sémantique générale et épistémologie

Ce dont nous prenons connaissance, ce n’est pas des choses mais des relations entre les choses. Dans la mesure où l’univers utilise un nombre limité d’éléments, mais où ses manifestations sont illimitées, ce que nous percevons, c’est une partie des relations existant entre les éléments d’un ensemble, c’est-à-dire une structure. Nous voyons donc, et Korzybski en faisait le fer de lance de sa théorie, que toute connaissance est connaissance d’une structure. C’est sur cette notion de structure, et sur la hiérarchie des structures, que Korzybski a fondé la sémantique générale qui, nous l’avons vu, privilégie la notion d’ordre d’abstraction. Rappelons ici que l’ordre naturel d’abstraction part de l’événement pour aller vers l’objet, puis le niveau d’abstraction, enfin les inférences d’ordre de plus en plus élevé. L’enfant qui naît dans un univers verbalisé va prendre connaissance de son environnement par son expérience personnelle, mais également par l’éducation dont le véhicule est principalement le langage. Il va donc être conduit à projeter sur le monde des notions qui vont exister dans son esprit. En d’autres termes, il va inverser l’ordre naturel d’abstraction. Ce qui est acceptable d’un enfant l’est moins d’un adulte, et la sémantique générale est là pour nous rappeler comment nous devons ordonner nos abstractions. Ce sont les caractéristiques des événements, dont la nature est le siège, qui - électivement - agissent sur nos organes des sens et nous font attribuer à ce que nous percevons des qualités de couleur, d’odeur, de forme, etc., qui sont des productions de notre système nerveux. Rien ne nous permet d’affirmer qu’il n’existe pas de caractéristiques d’événements qui nous échappent totalement. A titre d’illustration, je citerai le cas des rayons cosmiques qui nous pénètrent de part en part, sans danger bien sûr, mais dont nous ne connaissons l’existence que depuis peu de temps alors que l’homme et toutes espèces animales ont toujours été traversés par eux. Il est vraisemblable qu’il existe d’autres propriétés de la nature qui nous échappent pour l’instant, mais que nous pouvons espérer découvrir, et il est non moins vraisemblable que nous ignorerons certaines caractéristiques définitivement. L’homme n’est pas nécessairement la mesure de l’univers.

La nature et sa représentation

C’est un problème qui a déjà été largement évoqué plus haut. Nous ne découpons pas la nature en fonction de critères qui lui

169 appartiennent, mais en fonction des mots dont nous disposons. Alors qu’elle se présente essentiellement à nous comme un continuum, la structure aristotélicienne de notre langage nous la montre comme un espace peuplé d’objets séparés les uns des autres. C’est la croyance en cette disjonction du contenant et du contenu qui nous a même conduits à séparer l’observateur de la chose observée. Pendant des siècles, nous avons entretenu l’idée d’une science objective. Là science « classique » s’est toujours préoccupée de l’influence de l’observateur sur l’observé et a imaginé des quantités de méthodes qui en tenaient compte, c’est-à-dire qui l’évacuaient de l’expérience. Cette attitude oublie une notion fondamentale : c’est nous qui décrivons et interprétons le réel dont nous faisons partie. « Un monde totalement dépourvu de sujet, c’est-à-dire d’où toute subjectivité aurait disparu pour obéir au dogme scientifique d’objectivité absolue, échapperait, en admettant qu’une telle objectiva­ tion soit possible, à toute perception et défierait donc toute tentative de recherche 3. » S’il est vrai que nous pouvons observer la lune sans modifier son mouvement, il est beaucoup plus difficile d’étudier le comportement d’un chien sans le modifier ou de photographier un ami sans se sentir impliqué. La physique moderne, et en particulier la mécanique quantique, nous a montré l’impossibilité de négliger l’observateur dans une expérience. Un physicien américain, John Wheeler, propose d’ailleurs de ne plus parler d’observateur mais de participant à l’expérience. Les implications du langage sont considérables puisque cette approche n’autorise plus une description de la nature mais lui substitue une interaction observateur/observé. Enfin, par l’utilisation du langage, l’homme oblige le réel à se plier à sa syntaxe et à son vocabulaire, imposant de la sorte une structure qui, si l’on considère notre langue, est. figée depuis plusieurs siècles. Les lois de la nature

Les lois de la nature sont-elles découvertes par l’homme à la suite de ses recherches scientifiques ou bien sont-elles créées par lui ? L’un et l’autre. Les lois de la nature, les lois scientifiques ne représentent pas tout à fait ce que « l’homme de la rue » imagine. Dans son activité 3. Watzlawick : Le langage du changement, éd. du Seuil.

Sémantique générale et épistémologie

quotidienne, chacun d'entre nous peut observer des similitudes dans des séries d'événements et en déduire instinctivement qu'ils sont liés. Il est également possible de fabriquer des situations où des événements dont nous contrôlons les paramètres sont observés. Par la répétition de ces expériences et l’observation de récurrence, les scientifiques déduisent ce qu'ils nomment les « lois scientifiques ». Ce sont en réalité des abstractions d’ordre élevé qui négligent les différences individuelles d’une observation à l’autre. En fait, les lois ainsi formulées s’appliquent à des expériences idéales, non perturbées par l’environnement, y compris l’observateur, et qui ne retiennent qu'un petit nombre de variables. Il s’agit d’expériences qui se déroulent dans un milieu qui n’existe pas, car il est toujours plus complexe que celui dans lequel elles sont supposées se dérouler. Le but de ces lois est de nous permettre de faire des prévisions, c’està-dire de faire l’inférence que, ayant découvert les lois qui gouvernaient certains événements passés, nous pouvons généraliser et en déduire le futur. Par exemple, nous avons presque tous entendu parler de la loi de la chute des corps. Galilée s’est rendu célèbre en prouvant, par des expériences qu’il fit en lâchant des objets du haut de la tour de Pise, que la vitesse acquise par des coips en chute libre était indépendante de leurs masses (leurs poids). Si vous faites l’expérience vous-même, en lâchant de votre balcon différents objets : du papier,’ une plume, une bille métallique, etc., vous constaterez que, loin de confirmer cette loi, les objets vont tomber à des vitesses très différentes et même, s’il y a du vent, certains vont prendre de l’altitude. Pourquoi ? Tout simplement parce que cette loi s’applique dans le vide parfait et suppose que les objets ne sont soumis à aucune autre force. J’ignore d'ailleurs comment Galilée s’y est pris. C’est un cas théorique et, je le répète, cette loi comme toutes les lois scientifiques est une abstraction. Naturellement, nos scientifiques savent tout cela et il existe des lois plus complexes qui intègrent ces différentes variables. Mais cela ne change rien au problème ; la nature sera toujours plus complexe et ces nouvelles lois ne sont encore qu’une abstraction. La difficulté d'isoler des variables pour faire une observation apparaît plus clairement dans les sciences sociales où les lois ne s’appliquent qu’avec quantité de réserves et permettent difficilement la quantification. En définitive, ce que le scientifique va chercher à faire, c’est établir un modèle, c’est-à-dire une réduction de la réalité, sur lequel il pourra appliquer des lois connues et faire des prévisions. Ce modèle

171 s'appliquera dans un cadre limité et sa seule vertu sera d’être utile. Dans ces conditions, si les prévisions ne sont pas conformes à ce que laissait prévoir la théorie, c'est que le modèle ne représentait pas adéquatement la réalité et qu’il ne s'applique pas au problème considéré. C’est ainsi que les modèles évoluent et que nos représentations s'affinent.

La cause et l’effet

Il est d’usage d’attribuer une cause à un effet. Sauf cas très particuliers relevant de la foi par exemple, un événement auquel nous ne savons pas attribuer une cause crée un problème de compréhension. Pourtant, sans que nous en soyons véritablement conscients, le monde poursuit sa course autour de nous et des milliards d’événements se produisent chaque seconde dans l’univers sans que nous en soyons le moins du monde préoccupés. Nous avons vu qu'un événement ne reste pas identique à lui-méme, donc qu'il change S’il change, serait-ce que quelque chose l’v pousse ? Si je lâche le stylo que j'utilise pour écrire ces lignes, il tombe sur la table. Pourquoi ? Parce qu'il est soumis a la pesanteur ou parce que je l ai lâché ? Vous pouvez me répondre : c’est un faux problème, votre stylo est un objet physique soumis à une force physique : la pesanteur. Oui, sans doute, mais si je ne le lâche pas, va-t-il tomber ? Je vais au restaurant et, en lisant le menu, je suis tenté par des coquilles Saint-Jacques à la bordelaise. Le garçon, à qui je les commande, m’annonce que les dernières ont été servies à mon voisin de table arrivé avant moi et que, de toute façon, par suite du mauvais temps qui sévit depuis une semaine, les livraisons sont réduites en quantité. Mon voisin, qui entend la conversations me précise qu’habituellement il vient déjeuner plus tard mais qu’aujourd’hui, par suite d'une coupure de courant, il a quitté son bureau plus tôt. Alors, pourquoi ne puis-je manger mon plat favori ? Parce qu’il y a une panne d'électricité, parce qu’il y a une tempête ou parce que mon voisin l’aime aussi ? Je pourrais par association introduire indéfiniment des causes et même mettre en cause (c’est le cas de le dire) les savants qui ont permis la découverte de l’électricité. Si je prolonge mon raisonnement jusqu’à l'absurde, je vais pouvoir remonter jusqu’à l’origine des temps. Bien entendu, ce n’est pas avec ce genre de discours que nous pouvons agir sur quelque chose.

Sémantique générale et épistémologie

Il nous fait donc choisir les causes sur lesquelles nous déciderons de jouer. Généralement, ce sont les plus importantes ou celles sur lesquelles nous savons pouvoir agir. Une bonne formule dont il faut se souvenir, c’est de ne pas parler de la cause mais d’UNE cause, d’un phénomène. D’ailleurs, la pluralité des causes est très utilisée. Songez un instant aux discussions économiques, politiques, sociologiques, et même psychologiques où, selon la thèse défendue, c’est l’une ou l’autre cause qui est retenue. Une autre façon de choisir consiste souvent à ne retenir que les causes qui sont près de l’événement d'un point de vue temporel ou spatial. C’est à nouveau une procédure d’abstraction qui ne retiendra que les causes efficientes. Par exemple, je suis tenté d’établir une relation de cause à effet entre l’exposition au soleil et la couleur que prend ma peau. Il faut d’ailleurs se méfier de la présence simultanée de plusieurs événements qui peuvent faire prendre pour cause ce qui n’est que fortuit : je mets en marche mon récepteur FM et j’entends une suite de Bach ; cela ne prouve pas que j’obtiendrai le même résultat à chaque fois. Pour prendre un exemple plus sérieux, la prise simultanée de plusieurs médicaments ne permet pas toujours d’isoler celui qui est efficace. Nous avons d’ailleurs une fâcheuse tendance à croire que lorsque deux événements se suivent, l’un est à l’origine de l’autre. C’est peut être la cause de certaines superstitions qui se sont fondées sur des coïncidences.

Le déterminisme

Le déterminisme pourrait être résumé par le principe : les mêmes causes produisent les mêmes effets. Cette formule, qui est passée dans le langage courant, doit être complétée par la supposition que les conditions de l’expérience sont les mêmes. Si nous menons une série d’expériences et faisons des mesures précises, nous n’obtenons pas exactement les mêmes valeurs, et, pour en expliquer les différences, nous faisons l’inférence que les caractéristiques de l’environnement ont changé, mais sans pouvoir le

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prouver car c’est la notion de déterminisme qui justifie la démarche scientifique. La physique moderne a conduit les chercheurs à une notion de déterminisme moins rigoureuse. En particulier, le principe d’indéter­ mination de Heinsenberg, qui stipule que nous ne pouvons pas connaître à la fois la vitesse et la position d’une particule, a créé en son temps une petite révolution. Pour en terminer avec cette notion, je dirai que c’est une inférence utile qui justifie la démarche scientifique. Abandonner cette inférence conduirait à renoncer à traiter les maladies, par exemple, sous prétexte que leur déterminisme ne peut pas être prouvé de façon rigoureuse.

Le principe de non-additivité

Le principe du déterminisme absolu a été énoncé par le célèbre astronome et mathématicien Laplace : « Une intelligence qui, pour un instant donné, connaîtrait toutes les forces dont la nature est animée et la situation respective des êtres qui la composent, si d’ailleurs elle était assez vaste pour soumettre ces données à l’analyse, embrasserait dans la même formule le mouvement des plus grands corps de l’univers et ceux du plus léger atome ; rien ne serait incertain pour elle et l’avenir comme le passé serait présent à ses yeux. » Aujourd'hui, ce genre d’affirmation nous fait sourire. Elle procède du raisonnement aristotélicien pour lequel les qualités sont dans les choses. Par conséquent, si nous connaissons les caractéristiques de deux produits x et y, nous pouvons en déduire celles du résultat de leur association. Korzybski nous rappelle que toute connaissance est connaissance de structure, c’est-à-dire de la somme des relations qui lient les éléments d’un ensemble. Les caractéristiques des choses qui résultent de la combinaison de leur structure et éventuellement de celle de l’observateur ne peuvent pas être additionnées. C’est l’holisme : le total est plus que la somme des parties. Un atome d’hydrogène + un atome d’hydrogène ne donnent pas deux atomes d’hydrogène mais une molécule. Du cuivre 4 de l’étain donnent du laiton dont les propriétés ne peuvent se déduire de celles de ses constituants. Un ensemble d’individus de compétences différentes forme une équipe dont les

Sémantique générale et épistémologie performances ne se réduisent pas à la somme des connaissances individuelles. Cette théorie se rapproche de celle de l’émergence qui nous rappelle que l’évolution dans la nature n’est pas continue, linéaire mais procède par sauts.

Résumé

La sémantique générale intervient dans la théorie de la connaissance, c’est-à-dire qu’elle se préoccupe des relations entre nos expériences et le réel. Nous appréhendons le réel à travers nos organes des sens et le conceptualisons avec le langage. Ce faisant, nous lui imposons de se plier au découpage verbal et supposons que notre syntaxe permet de décrire les lois de la nature. Ces lois sont une abstraction du réel qui néglige les différences d’une expérience à une autre.

Nous avons l’habitude de supposer que chaque effet a une cause et une seule. Ce que nous prenons habituellement pour la cause est généralement une cause qui précède l’événement de la façon la plus rapprochée. Le nombre de causes est pratiquement illimité, mais, pour obtenir un effet, nous choisissons d’agir sur les plus efficaces ou du moins sur celles qui nous sont accessibles. Itti déterminisme est la reconnaissance des relations unissant les causes et les effets ; il justifie la démarche scientifique et, à cet égard, doit être considéré comme une inférence utile. Les éléments de la nature ne peuvent s’additionner comme des quantités abstraites. Une famille n’est pas trois personnes par exemple, mais une nouvelle entité ; un mécanisme n’est pas une association de pièces, mais un moteur par exemple. C'est la non-additivité : le total est plus que la somme des parties.

CHAPITRE 13

Sémantique générale, développement personnel, thérapie... L’animation de quelques dizaines de stages de sémantique générale m’a convaincu d’une chose. La plupart des participants ne viennent pas pour apprendre une « technique » nouvelle mais pour satisfaire une attente dont la sémantique générale sera l’éventuel moyen. En effet, nous assistons depuis quelques années à un ensemble de démarches personnelles dont le dénominateur commun est la recherche d’un mieux-être, voire d’un plus-être. Celles-ci s’appuient sur l’utilisation de techniques telles que l’analyse transactionnelle, la gestalt, la bioénergie, la P.N.L. (programmation neuro-linguistique) etc., et/ou l’exploitation des récentes découvertes concernant les caractéristiques de notre cerveau. En ce qui concerne ce dernier point, la thèse de R.W. Sperry et de ses prédécesseurs sur la spécialisation hémisphé­ rique va peut-être considérablement modifier les idées que nous avons sur la thérapie, l’art, l’apprentissage, etc. Face à cette situation, le lecteur peut ressentir le besoin de situer sa démarche et notamment chercher à élucider les liens, s’ils existent, entre la sémantique générale et d’autres approches.

Modèle, langage et thérapie

La multiplicité des possibilités thérapeutiques, par exemple, peut créer un doute dans l’esprit de beaucoup de personnes. Comment est-il possible qu’il existe autant de « théories » ? Pourquoi certains font-ils appel à celle-ci plutôt qu’à celle-là. Y a-t-il des « théories »

Sémantique générale, développement personnel, thérapie... vraies et des théories fausses ? A ce questionnement, la sémantique générale peut apporter une réponse différente. Nous avons vu au cours de cet ouvrage que nous pouvons appréhender le réel selon différents niveaux d’abstraction qui sont rappelés ci-dessous : Niveau Niveau Niveau Niveau Etc.

de l’événement de l’objet de description d’inférence

Ce que nous rappelle ce schéma, c’est que le premier niveau de « réalité » se situe au niveau de l’événement, niveau indicible, sur lequel le langage n’a pas prise du moins en première approxima­ tion. Le deuxième niveau, également silencieux, nous permet d’objectiver une partie de l’événement en sélectionnant certaines de ses caractéristiques. Cette fois le langage intervient par réflexivité, comme je l’ai évoqué précédemment en mentionnant le rôle du langage dans la perception. C’est le niveau d’observation, qui sera suivi du niveau descriptif où, à nouveau, par réflexivité des mots seront utilisés et une « décision » sera prise quant à la nature de l’observation. Puis interviennent des généralisations dont le niveau d’abstraction est de plus en plus élevé. Essayons maintenant de comprendre ce que cela signifie dans la pratique. Voici un homme (niveau de l’événement) que j’observe et qui manifeste un certain comportement (niveau de l’objet). Je peux décrire (faire une abstraction) son comportement un utilisant des structures de langage et des mots qui me sont familiers compte tenu de la culture que j’ai reçue, de mes orientations éthiques, etc., et de la socio-culture dont je suis imprégné. Je vais enfin en négligeant certains détails élaborer une théorie qui modélisera le comporte­ ment de l’homme et non celui de Pierre ou Jean. C’est le propre de la démarche scientifique ou cognitive de passer du singulier au général. Bien entendu ce raisonnement est caricatural mais il entraîne certaines conséquences. 1. Une théorie est une simplification du réel qui ne prend en compte que ce que nous décidons de regrouper dans une même classe. Ainsi, si vous lisez un ouvrage de psychanalyse, il ne parle pas de vous mais de l’homme générique. 2. La théorie (ou le modèle) n’est pas liée de façon indissoluble à ce qu’elle est censée expliquer, elle est le reflet d’une certaine culture et de la personnalité de son/ses initiateur(s).

177 3. Il peut exister simultanément plusieurs modélisations relatives à des sujets similaires. 4. Enfin, et cela me paraît particulièrement important, cette pluralité de possibilités ne doit pas vous interdire de souscrire à celle(s) qui semble(nt) vous convenir personnellement. C’est en effet cette capacité que nous avons d’engrammer des modèles (des cartes) qui nous permet d’avoir des comportements sociaux et d’évoluer. Ceci nous est possible grâce au langage symbolique qui est une caractéristique proprement humaine. Envisager de faire une thérapie fondée sur l’analyse transaction­ nelle, par exemple, suppose la com-préhension des « états du moi » et l’acceptation implicite de progresser avec ce modèle. 5. Parce que la sémantique générale nous conduit à une réflexion sur le langage elle se positionne, je le rappelle, comme une discipline sur les disciplines, ou si vous préférez comme une métadiscipline. Il n’y a donc pas d’opposition, de contradiction ou d’incompatibilité entre la sémantique générale et d’autres ap­ proches mais bien au contraire une relation synergétique. A nouveau souvenez-vous : LA CARTE N’EST PAS LE TERRITOIRE QU’ELLE REPRE­ SENTE Sémantique générale et programmation neuro-linguistique

Il existe au moins une technique qui utilise directement certains apports de la sémantique générale de Korzybski, c’est la P.N.L. Il y a une quinzaine d’années deux Américains, Richard Bandler et John Grinder, mettaient en commun leurs connaissances et créaient la P.N.L. (programmation neuro-linguistique). Le premier était un spécialiste de l’informatique alors que le second enseignait la linguistique, tous deux étant docteurs en psychologie. Nous pouvons inférer que le nom de cette discipline n’est pas étrangère à la culture de ses initiateurs : PROGRAMMATION parce que durant notre existence nous élaborons et utilisons de véritables « programmes » produisant des résultats similaires dans des circonstances variées. NEURO car c’est notre système nerveux qui traite et interprète les messages qui nous parviennent. LINGUISTIQUE parce que le langage, substrat privilégié de la pensée, modèle littéralement nos représentations. Malgré cette appellation « impressionnante » la P.N.L. ne nous

Sémantique générale, développement personnel, thérapie... propose pas une autre théorie psychologique qui viendrait s’ajouter à la liste déjà longue des « nouvelles thérapies ». Elle est fondée sur une démarche différente : l’observation de thérapeutes particulière­ ment efficaces tels que Virginia Satir, Milton Ericson et Fritz Péris qui pratiquent diverses techniques, les a convaincus que ce que font ceux-ci est beaucoup plus important que ce qu’ils disent. La théorie s’efface devant la pratique et c’est l’étude des comportements qui servira de guide.

Notre lecture du monde Nous percevons le monde par l’intermédiaire de nos organes des sens. Ceux-ci ouvrent des fenêtres sur notre environnement. Ces fenêtres se nomment la vue, l’ouïe, le sens kinesthésique et l’olfaction. Les praticiens de la P.N.L. parlent de VAKO. V pour la vue, qui, selon certains spécialistes, traite jusqu’à 80 % de l’information qui nous parvient. A pour l’auditif : c’est le canal de réception sonore mais c’est aussi le siège de l’équilibre. K pour kinesthésique : c’est le sens du toucher associé à la perception de notre corps. O, pour olfactif, auquel s’ajoute le goût. Ces deux sens contribuent étroitement à la formation du « goût », une bonne partie de celui-ci provenant en effet de sensations olfactives. Or, s’il est évident que nous percevons notre environnement grâce à nos organes des sens, il est moins connu que chacun privilégie un canal à partir duquel se constitueront la plupart de nos représenta­ tions. Le canal préféré peut être repéré de manière simple en analysant le vocabulaire utilisé par l’interlocuteur. Quelques exemples feront mieux qu’une longue explication. Les mots employés reflètent la nature du canal. VISUEL : voir, regarder, montrer, clair, clarifier, brillant, vague, terne, etc. Ex : je ne vois pas où vous voulez en venir, cette affaire n’est pas claire pour moi. AUDITIF : entendre, écouter, parler, dire, accord, désaccord, harmonie, etc. Ex : vous me proposez un accord, mais comment l’entendez-vous ? KINESTHESIQUE : sentir, toucher, relaxé, ferme, dur, froid, sensible, etc. Ex : je ne sens pas la nécessité de...

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Lorsque votre interlocuteur s’exprime, il vous indique par le truchement de ces prédicats comment il construit son expérience interne. Le système de représentation utilisé par une personne peut également être connu en observant le mouvement de ses yeux. Selon leurs positions, nous savons s’il s’agit d’une image construite, d’une image évoquée, d’un souvenir auditif ou d’une construction, ou enfin d’une sensation kinesthésique. Je n’ai pas la place dans le cadre de cette courte référence à la P.N.L. de développer ce dernier aspect qui, bien que spectaculaire, doit être considéré comme un modeste chapitre de cette technique.

Les applications de la P.N.L. La P.N.L. est concernée par deux grands domaines : la communi­ cation et le changement. 1. La communication. Nous savons aujourd’hui que pour commu­ niquer efficacement, il faut rencontrer l’autre dans son modèle du monde. Une manière efficace sera, après avoir déterminé son canal préférentiel, de s’exprimer en utilisant les mêmes prédicats. 2. La thérapie. La P.N.L. fournit aussi un moyen de changement. Pour cela elle utilise différents moyens qui se nomment ancrage, recadrage, recherche de l’excellence, etc. Mais quelle que soit la technique utilisée, il faut se souvenir que nous ne pouvons pas changer le monde mais la représentation que nous en avons. Conclusion. La présentation de la P.N.L. que j’ai faite pourra paraître à certains particulièrement indigente. Mon propos n’était pas de les initier à cette technique mais de montrer comment la sémantique générale de Korzyski a fourni un matériel conceptuel qui a contribué à son élaboration. Enfin je ne doute pas que dans l’avenir, l’admirable travail d’Alfred Korzybski apparaîtra en filigrane dans de nombreuses démarches. C’est en tous cas le souhait que je formule.

TERMINOLOGIE

Il est clair que la maîtrise d’une discipline passe par celle de son vocabulaire. C’est la recherche constante d’adéquation entre le sens d’un mot et ce qu'il représente qui constitue le véritable travail neurosémantique et qui entraine des changements durables de notre personnalité. « Utilisez les mots techniques, ils travaillent pour nous », disait A. Korzybski ; c’est pour cette raison que j’ai jugé utile de terminer cet ouvrage d’initiation à la sémantique générale par une brève terminologie. Le lecteur y trouvera la définition de quelques mots fréquemment utilisés dans les livres spécialisés et dont les acceptions échappent quelque peu au sens généralement admis. Cette terminologie n’évite pas, bien sûr, les difficultés de langage évoquées dans les pages précédentes, en particulier à l’autoréflexivité, mais telle qu’elle est je pense qu’elle peut rendre service aux néophytes. J’ai également pensé à ceux qui se tourneraient vers la littérature américaine et j'ai donc fourni la traduction anglaise des mots cités dans ce lexique (voir bibliographie). Nota : C’est volontairement que energy binding, space binding et time-binding sont laissés en anglais. Leur traduction difficile et inélégante ne pouvait que conduire à la confusion. Abstraction (Abstraction). Propriété de l’organisme de n’étre conscient que d’une partie des caractéristiques d’un événement. Ex. : Interpréter un événement comme un objet. Nommer un objet (description). Définir une classe (inférence).

Terminologie Autoréflexivité (Self-reflexiveness). Propriété du langage dont les mots sont définis par d’autres mots, eux-mêmes définis par d’autres mots, etc. Carte verbale (Verbal map). Ensemble des mots utilisés pour décrire, pour représenter des événements. Elle est propre à chaque individu.

Circularité de la connaissance (Circularity of knowledge). Procédure épistémologique consistant à utiliser des concepts, résultant d’abstractions d’ordre élevé, pour expliquer la structure du réel. Confusion des niveaux d’abstraction (Confusion of levels of abstraction). Attitude consistant à identifier les différents niveaux d’abstraction : la chose pour l’événement, le mot pour la chose, etc.

Connaissance factuelle (Factual knowledge). Connaissance résultant de nos observations. Ex. : Il neige. Connaissance inférentielle (Inferential knowledge). Connaissance déduite de nos observations. Ex. : Il va pleuvoir.

Conscience d'abstraire (Conciousness of abstracting) Capacité propre à l’être humain de savoir qu’il n’est conscient que d’une partie des caractéristiques d’un événement.

Définition extensionnelle (Extensional définition). Enumération des référents auxquels s’applique la définition. Définition intensionnelle (Intensional définition). Procédé consistant à définir un terme en nommant ses propriétés. Elémentalisme (Elementalism). Scission verbale, liée à la structure aristotélicienne du langage, consistant à isoler artificiellement les choses au moyen de mots, alors que la réalité doit être considérée comme un continuum.

Energy binding.

Caractéristique du monde végétal d’énergie en une autre. Evaluation (Evaluation).

de transformer une forme

183 Processus se déroulant dans le psychisme d’un individu qui transforme les stimuli lui parvenant en modèle d’action. Ex. : Le comportement d’une personne devant un incendie. L’interprétation d’une question et la formulation d’une réponse. Evénement (Event).

Ce qui arrive. « Je donne le nom d’événement à un phénomène spatio-temporel. Un événement n’implique aucunement un change­ ment rapide. La permanence d’un bloc de marbre est un événement 1. ». Langage (language). Ensemble de symboles, de sigr ,;s (mots, ponctuation) et de règles (grammaire) dont la combinaison permet de communiquer aux autres l’état interne d’un individu (sentiments, connaissance...). C’est le mode d’expression verbale de la pensée.

Langue (Tongue). Système de communication utilisé par un groupe. Ex. : La langue allemande, la langue française. Multi-ordinalité (Multiordinality). Caractéristique des termes dont le sens varie en fonction de leur

degré de généralité (niveau d’abstraction). Ex. : L’homme est conscient de sa conscience. Apprendre à apprendre. Non-élémentalisme (Non-élémentalism).

Voir Elémentalisme. Non-Identité (Non-identity). Postulat empirique fondamental stipulant que, dans le monde physique, il ne peut exister plusieurs événements ayant rigoureuse­

ment les mêmes caractéristiques. Ordre naturel d’abstraction (Natural order of abstracting). Démarche neurosémantique consistant à respecter l’ordre suivant si

nous voulons penser et nous exprimer sainement : Evénement —• Objet —> Mot. Orientation (Orientation). Ensemble de prédispositions régissant notre conduite et lié en partie

aux modèles linguistiques. 1. N. Whitehead : La science et le monde moderne, éd. Payot.

Terminologie Prémisses (Prémisses).

Principes conscients ou inconscients en fonction desquels nous orientons notre conduite. Ex. : Conceptions politiques, spirituelles. Hypothèses scientifiques. Procédés extensionnels (Extensional devices). Procédés permettant de rapprocher la structure du langage de celle du réel en utilisant des indices, indices-chaînes, dates, etc., favorisant la conscience d’abstraire. Ex. : La France 1983 est différente de la France 1945. Réaction à un signal (Signal reaction).

Réaction non différée. Réaction différée (Delayed reaction). Temps de réponse permettant d’évaluer avant d’agir. Le délai conduit à utiliser les centres nerveux supérieurs. Réaction sémantique (Semantic reaction). Réaction de l’organime, considéré comme un tout, au sens que nous

attribuons aux mots et aux divers stimuli. Référent (Referent). Chose réelle ou imaginaire symbolisée par un mot.

Ex. : Chaise, peur, faim. Sémantique (Semantics). La sémantique est une partie de la linguistique qui traite de la signification et de l’évolution du sens des mots. Sémantique générale (General semantics). Créée par A. Korzybski, la sémantique générale traite de l’influence du langage sur le comportement de chacun.

Space binding. Capacité complémentaire du monde animal de relier une partie de territoire à une autre (voir Time Binding). Symbole (Symbol). Chose utilisée pour en représenter une autre. Dans mon propos, la relation entre un symbole et ce qu’il représente est arbitraire. Time binding. Capacité spécifique de l’espèce humaine d’assimiler et d’utiliser les

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connaissances des générations passées, d’y ajouter sa propre expérience et de transmettre le tout aux nouvelles générations. Toutisme (Allness).

Attitude consistant à penser que nous pouvons abstraire toutes les caractéristiques d’une chose. Ex. : Je connais toute l’Afrique. Vous n’allez pas m’apprendre comment parler à un enfant Validité (Validity). Caractère de ce qui est conforme au raisonnement

Ex. : 3 + 2 = 5. Vérité (Truth).

Caractère de ce qui est conforme au réel. Ex. : Paris est la capitale de la France.

BIBLIOGRAPHIE

SEMANTIQUE GENERALE Livres de KORZYBSKI (Alfred) Science and Sanity The International Non-Aristotelian Library Publishing Company. (La Bible ! Mais ouvrage long - 800 pages - et nécessitant quelques connaissances scientifiques. La lecture de l’ouvrage suivant suffira au lecteur moins exigeant.) Selection from Science and Sanity The International Non-Aristotelian Library Publishing Company. Manhood of Humanity The International Non-Aristotelian Library Publishing Company. (Lecture réservée aux seuls exégètes de la pensée d’Alfred Korzybski. Il en est de même pour l’ouvrage suivant.) Time Binding : The General Theory Institute of General Semantics. Le rôle du langage dans les processus perceptuels The International Non-Aristotelian Library Publishing Company. (Le seul ouvrage de A. Korzybski traduit en français à ce jour. Excellente introduction à certains aspects de la sémantique générale.)

Autre Livres BULLA DE VILLARET (H.), Introduction à la sémantique générale de Korzybski, Le Courrier du Livre, 1973. HAYAKAWA (S.), Langage in thought and Action. Harcourt Brace Jovanovich, inc. Fourth edition. JOHNSON (Wendell), People in Quandaries. Harper and Row. KEYES (Kenneth S.), How to develop your Thinking Ability. McGraw-Hill. LEE (Irving J ), How to Talk with People. International Society for General Semantics, 1982. MINTEER (Catherine), Words and what they do to You. Institute of General Semantics. (Ce livre traite de l’enseignement de la sémantique générale à des enfants.) POTIER (Robert R ), Making Sense. Globe Book Company, Inc., 1978. WEINBERG (Harry L). Levels of Knowing and Existence. Institute of General Semantics. 1973.

187 Lectures complémentaires

BACHELARD (Gaston), La philosophie du non. P.U.F. BATESON (Gregory), La nature et la pensée. Editions du Seuil, 1984. FABUN (Don), Communications, the Transfer of Meaning. Glencoe Press, 1977. HALL (Edward T.), La dimension cachée. Editions du Seuil, 1971. HALL (Edward T.), The Silent Language. Anchor Books, 1973. HALL (Edward T.), Au-delà de la culture. Editions du Seuil, 1978. HALL (Edward T.), La danse de la vie. Editions du Seuil, 1984. LABORIT (Henri), L’agressivité détournée. 10/18. LABORIT (Henri), L’homme imaginant. 10/18. LABORIT (Henri), Biologie et structure. Idées. LABORIT (Henri), La nouvelle grille. Idées, 1982. PICOCHE (J.), Précis de lexicologie française. Nathan-Université, 1977. RAPOPORT (Anatol), Operational Philosophy. International Society for General Semantics, 1969. WATZLAWICK (Paul), Le langage du changement. Editions du Seuil. WATZLAWICK (Paul), La réalité de la réalité. Editions du Seuil. WATZLAWICK (Paul), Une logique de la communication. Editions du Seuil. WHORF (Benjamin Lee), Linguistique et anthropologie. Collection Médiations, Denoël-Gonthier. Pour les « poètes » et les amateurs de science-fiction

CARROLL (Lewis), Tout Alice. Garnier, Flammarion, 1979. PIRANDELLO (Luigi), Un, Personne et Cent Mille. Collection l’imagi­ naire, Gallimard, 1982. VAN VOGT (Alfred), Le Monde des À. Editions J’ai Lu. VAN VOGT (Alfred), Les Joueurs du À. Editions J’ai Lu. VAN VOGT (Alfred), La fin du À. Editions J’ai Lu, 1984. (Ces trois romans de science-fiction ont, sans conteste, fait connaître la sémantique générale en France.) VIAN (Boris), L’automne à Pékin. 10/18. VIAN (Boris), Traité de civisme, Christian Bourgois, éditeur, 1979.

Bibliographie Programmation neuro-linguistique (P.N.L.)

CAYROL (Alain), DE SAINT-PAUL (Josiane), Derrière la Magie. Inter Editions, 1984. CAYROL (Alain), BARRERE (Patrick), La programmation neuro­ linguistique P.N.L. Les Editions ESF-Entreprise Moderne d’EditionLibrairies Techniques, 1986. (Ces deux ouvrages proposent une importante bibliographie.)

Ces ouvrages sont en vente à la Librairie « La Méridienne » 14, rue du Dragon, 75006 Paris. Nota : Il existe une autre possibilité de s’informer sur la sémantique générale, c’est de devenir membre des organismes suivants. L’inscrip­ tion est ouverte à tous, mais, malheureusement pour les franco­ phones, les publications sont en anglais.

Institute of general semantics. Membership and Publications Services. 163 Engle Street, Englewood, New-Jersey, 07631 U.S.A. Les membres de l’institut reçoivent un bulletin annuel. International society for general semantics. P.O. Box 2409. San Francisco, California 94126. Les membres reçoivent une revue trimestrielle dont le titre est ETC.

Achevé d'imprimer le 19 novembre 1987 dans les ateliers de Normandie Impression S.A. à Alençon (Orne) N° d’imprimeur : 871972 Dépôt légal : novembre 1987

La sémantique générale de Korzybski n’est pas une discipline lingtiis tique comme pourrait le laisser supposer son nom. Formalisée dans les années trente, elle s’inscrit dans ce mouvement humaniste qui devait faire sortir la psychologie du laboratoire pour déboucher sur un enscm ble de techniques telles que la gestalt, l’analyse transactionnelle, la programmation neuro-linguistique, etc. La démarche qui est suivie dans ce livre amène le lecteur A concevoir le langage comme une des modalités du comportement humain. Véritable prophylaxie du langage, la sémantique générale est un outil de développement personnel efficace qui concerne la manière dont Chacun perçoit son environnement, le modélise et le communique. Bien que cette approche concerne notre vie quotidienne, les ensei gnants, les formateurs (donc les parents) les thérapeutes et ceux que passionne la problématique de la connaissance y seront particulièrement sensibles. Ses implications sont nombreuses et sa position particulière de métadiscipline (toutes connaissances nécessitent un langage pour être transmises) en font un outil méthodologique exceptionnel.

L’AUTEUR

Michel Saucet a une formation d’ingénieur. Après quelques années de recherche technique, il a orienté sa carrière vers le marketing et la gestion avant de se consacrer au conseil et à la formation. Depuis, il anime régulièrement des stages de sémantique générale dans les entreprises et auprès de personnes souhaitant, dans un cadre associatif, faire une démarche de développement personnel. Membre de l’Institute of General Semantics (U.S.A.) il est très impliqué dans le développement de cette technique en France.

ISBN 2-7029-0199-9

80 F