La pénologie [2013 ed.]
 9782760633155, 9782760633209, 9782760633216

Table of contents :
Introduction
PREMIÈRE PARTIE
Le système pénal et la détermination de la peine
1
L’évolution des objectifs de la peine en droit canadien
Les objectifs de la peine dans le système pénal canadien
Les discours juridico-politiques à l’égard des objectifs de la peine
Le comité Ouimet
La Commission de réforme du droit du Canada
La Commission canadienne sur la détermination de la peine
Les discours législatifs à l’égard des objectifs de la peine et la Cour Suprême du Canada
R. c. Lyons [1987]
R. c. M. (C.A.) [1996]
R. c. Gladue [1999] et R. c. Proulx [2000]
Les discours législatifs à l’égard des objectifs de la peine et le Code criminel
La première expérience avec la codification d’objectifs de la peine au Canada en 1992 : l’article 743.6 (1)
2
Le rôle du juge et le pouvoir judiciaire
L’indépendance institutionnelle: pouvoir judiciaire et démocratie
L’indépendance organisationnelle: le juge et ses pairs
L’indépendance fonctionnelle: le juge et le processus décisionnel
DEUXIÈME PARTIE
Les peines
3
La peine d’emprisonnement
La prison, un temps d’isolement et de privations
Un temps de souffrance
Un temps de mise à l’écart
Un outil de contrôle des populations
Un contrôle à l’aune de la nouvelle gestion publique
Un contrôle de populations ciblées
Un espace de violence
La violence de l’institution
La violence des codétenus
4
La peine d’emprisonnement avec sursis
La création de l’emprisonnement avec sursis: un espoir d’alternative à l’incarcération
Une peine à l’application méconnue
L’utilisation de cette peine
Les conditions imposées et leurs manquements
Un impact sur le recours à l’incarcération mis en doute
Une peine dont l’admissibilité a rapidement fait l’objetde questionnements politiques et jurisprudentiels
R. c. Proulx
R. c. Wells
R. c. Knoblauch
R. c. Fice
La jurisprudence des cours d’appel
La réforme de l’emprisonnement avec sursis
5
La libération conditionnelle
Les origines de la libération conditionnelle au Canada
Les enjeux actuels en matière de libération conditionnelle
La gestion du risque
La tendance duale
Les commissions de libération conditionnelle et les types de mise en liberté sous condition
Les enjeux de la prise de décision
6
L’impact du casier judiciaire et le régime de réhabilitation
Le casier judiciaire
La réhabilitation
Le processus de réhabilitation
Les effets de la réhabilitation
Les limites de la réhabilitation
Le Canada resserre la Loi sur le casier judiciaireet restreint l’accès au régime de réhabilitation
TROISIÈME PARTIE
Les justiciables et les populations prises en charge
7
Les délinquants dangereux
Les repris de justice, 1948-1977
Les psychopathes sexuels criminels, 1948-1961, et les délinquants sexuels dangereux, 1961–1977
Les délinquants dangereux, 1977-1997, et les délinquants dangereux et délinquants à contrôler, 1997-
8
Les troubles mentaux, la responsabilité criminelle et l’incarcération
Les troubles mentaux
La déjudiciarisation comme option
Le cadre juridique et l’aptitude à subir son procès
La non-responsabilité pénale pour cause de troubles mentaux
Le trouble mental et la détermination de la peine
La peine d’incarcération et les personnes présentant un trouble mental
Les toxicomanies
La faible employabilité
Le vieillissement
L’itinérance
La déficience intellectuelle
Les enjeux relatifs aux soins et aux services à mettre en place
Le dépistage
L’évaluation des besoins
Les médicaments psychotropes
Les interventions psychosociales
La planification de la remise en liberté
9
Au bout de « la » peine? Les femmes âgées incarcéréesau Canada
Les femmes et le vieillissement, un processus différentiel
L’impact des discours sur le «bien vieillir»
L’impact de l’institution sur le processus de vieillissement
Les femmes âgées incarcérées: quelques chiffres
Vivre et vieillir en prison: le point de vue des femmes
Bibliographie

Citation preview

Page 1

e Canada a adopté récemment la Loi sur la sécurité des rues et des communautés établie dans la ferme intention d’aggraver les sanctions

pénales à l’égard de certains groupes de contrevenants en dépit de la diminution du taux de criminalité au cours des vingt dernières années. Cette loi s’inscrit dans la continuité des discours politiques centrés sur la protection des familles, la défense des victimes et la responsabilisation des

paramètres

L

16:36

jimenez • vacheret

15/08/13

Sous la direction de

Estibaliz Jimenez et de Marion Vacheret

La pénologie Réflexions juridiques et criminologiques autour de la peine

criminels. Son entrée en vigueur a suscité une attention médiatique considérable, ainsi que d’importants débats de société. En effet, qu'en est-il du droit de punir et de sa mise en œuvre ? De l’absolution à la condamnation, en passant par les peines d’emprisonnement à perpétuité et les amendes, les pratiques pénales sont nombreuses et complexes. Devant cette diversité, les auteurs ont choisi de se concentrer sur les mesures affectant, ou risquant d’affecter, la liberté des condamnés, dans un contexte où la prison reste le point d’orgue du système pénal canadien. En offrant une présentation simple et claire de la législation actuelle, ce livre très pertinent, écrit par plusieurs spécialistes, se veut un outil pratique à l’usage des étudiants et de tous les professionnels de ce domaine. EEstibaliz Jimenez, criminologue, est professeure régulière au Département de psychoéducation à l’Université du Québec à Trois-Rivières.

La pénologie

paramètres

PenologieF:Layout 1

Marion Vacheret, criminologue, est professeure titulaire à l’École de criminologie de l’Université de Montréal.

ISBN 978-2-7606-3315-5

29,95 $ • 27 e Couverture : Illustration Umberto Cirrito, d'après une photographie de Maaike Annegarn Aussi disponible en version numérique

www.pum.umontreal.ca

PUM

Les Presses de l’Université de Montréal

Pénologie.indd 2

13-08-15 13:41

i n t r o du c t i o n  3

pénologie

Pénologie.indd 3

13-08-15 13:41

Politique.book Page 2 Mercredi, 23. janvier 2008 9:49 09

4  pé n ol o g i e

Pénologie.indd 4

13-08-15 13:41

i n t r o du c t i o n  5

Sous la direction d’Estibaliz Jimenez et Marion Vacheret

pénologie Réflexions autour de la peine et de son application

Les Presses de l’Université de Montréal

Pénologie.indd 5

13-08-15 13:41

6  pé n ol o g i e

Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada Jimenez, Estibaliz Pénologie : réflexions autour de la peine et de son application (Paramètres) Comprend des références bibliographiques. ISBN 978-2-7606-3315-5 1. Sentences (Procédure pénale) - Canada. I. Titre. II. Collection : Paramètres. KE9355.J55 2013     345.71’0772    C 2013-941540-8 ISBN (papier) : 978-2-7606-3315-5 ISBN (pdf) : 978-2-7606-3320-9 ISBN (epub) : 978-2-7606-3321-6  Dépôt légal : 3e trimestre 2013 Bibliothèque et Archives nationales du Québec © Les Presses de l’Université de Montréal, 2013 Les Presses de l’Université de Montréal reconnaissent l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Fonds du livre du Canada pour leurs activités d’édition. Les Presses de l’Université de Montréal remercient de leur soutien financier le Conseil des arts du Canada et la Société de développement des entreprises culturelles du Québec (SODEC). Impr imé au C a na da

Pénologie.indd 6

13-08-15 13:41

Introduction

L’année 2012 a été marquée au Canada par l’adoption de la Loi sur la sécurité des rues et des communautés. Établie avec la volonté affirmée d’aggraver les sanctions pénales à l’égard de certains groupes de contrevenants, cette loi s’inscrit dans la continuité des discours politiques centrés sur la protection des familles, la défense des victimes et la responsabilisation des criminels, et ce, en dépit de la diminution du taux de criminalité au cours des 20 dernières années. L’entrée en vigueur de cette loi a suscité une attention médiatique considérable, ainsi que d’importants débats de société quant aux fondements du droit de punir et à sa mise en œuvre. Elle renforce les préoccupations autour du rôle attendu du système judiciaire et des fonctions attribuées à la peine. Pour certains, nous punissons trop – trop souvent, trop sévèrement, de façon inadéquate, voire inutile ; pour d’autres, notre système est trop laxiste ou trop doux – on parle alors de sentences bonbons. Et qui ne se souvient pas des « club fed » qui ont fait la une des journaux canadiens à la fin des années 1990 ? La détermination de la peine, le fonctionnement du système judiciaire, les profils de la population prise en charge et les fonctions de l’emprisonnement sont aujourd’hui discutés, dans un contexte où les coûts associés à la justice sont de plus en plus remis en question, en regard des « résultats » attendus et obtenus. Intrinsèquement constitutives de la pénologie, ou de l’étude de la sanction pénale, ce sont ces dimensions que nous aborderons dans cet ouvrage. Que l’on parle de condamnation, de sanction ou de châtiment, la pénologie s’inscrit dans une réflexion sur le droit de punir et de faire souffrir que s’accorde une société. Au Canada, la peine est dite plurifonctionnelle.

Pénologie.indd 7

13-08-15 13:41

8  pé n ol o g i e

Elle vise, selon le Code criminel, à la fois la dénonciation de l’acte, la réparation des torts causés, la dissuasion et la neutralisation des contrevenants potentiels, ainsi que la responsabilisation ou la réinsertion sociale des délinquants condamnés. Pendant longtemps les discours politiques, législatifs, administratifs et universitaires se sont concentrés sur la modération pénale, la reconnaissance de l’importance des mesures alternatives à l’incarcération et la limitation de l’usage de l’emprisonnement à tel point que la philosophie de réinsertion sociale semblait faire partie du sens commun. En fermant au Québec en 1996 cinq établissements de détention, réduisant ainsi la capacité carcérale de plus de 400 places, le très bref (il n’a duré que cinq ans) virage milieu qu’a connu la province au milieu des années 1990 en a été l’un des signes les plus profonds. En énonçant l’objectif d’une intervention pénale centrée sur la prévention, la résolution des conflits et une utilisation modérée et ciblée de l’emprisonnement, cette réforme se démarquait alors de la tendance que connaissait l’Amérique du Nord en général, en particulier les États-Unis. Toutefois, nous assistons aujourd’hui à des changements majeurs dans cette perspective. La responsabilisation des condamnés, la rationalisation des interventions et l’idée d’une peine vraiment méritée sont au cœur de la philosophie pénale actuelle. Changement de paradigme, les interventions pénales se concentrent maintenant sur le risque et sa gestion. Afin de réduire la probabilité de survenance des actes criminels, les connaissances scientifiques et le développement technologique sont mis à profit pour mieux gérer les populations prises en charge, dans un État non plus social mais sécuritaire. Les interventions pénales s’y appuient sur des discours de gestion rationnelle tant économique que sociale ou politique. Il est question de réduction des coûts de la criminalité et de la justice, d’investissements économiquement rentables en matière de lutte contre la criminalité ou encore de gains de capital social ou politique. Visant la sécurité publique par un recours accru à la sanction pénale, à la responsabilisation du condamné et à la neutralisation de certains groupes de contrevenants, le rétablissement de l’ordre social est devenu la formule clé de l’ensemble et une façon pour l’État de faire valoir sa force et ses compétences. La première grande réforme du Code criminel date de 1996. Depuis, et surtout à partir de 2006, nous assistons à une explosion de l’activité

Pénologie.indd 8

13-08-15 13:41

i n t r o du c t i o n  9

législative en matière pénale. Remettant en cause l’esprit de modération énoncé jusque-là, ce mouvement est caractérisé par l’entrée en vigueur de multiples projets de lois, concernant soit un allongement des peines, soit de nouvelles incriminations, ou une restriction du pouvoir discrétionnaire des juges. Ces actions ont enclenché une inflation pénale et carcérale, dont nous commençons à voir les répercussions. L’ensemble des politiques mises en place s’inscrit dans une dualité pénale. Certaines mesures, issues des grandes années durant lesquelles la réhabilitation prédominait, sont centrées sur la modération et l’insertion communautaire. D’autres mesures visent davantage la répression des actes criminels et la neutralisation, relativement longue, des contrevenants. La peine se conjugue alors sous de multiples formes. De l’absolution à une condamnation, à une peine d’emprisonnement à perpétuité, ou d’une amende à une ordonnance de probation, les pratiques pénales sont nombreuses et diversifiées. On retrouve parmi les sanctions non carcérales les travaux communautaires, instaurés au début des années 1980, qui impo­ sent au condamné une peine comportant l’exécution de travaux pour un organisme sans but lucratif, ou la probation, une sanction pénale permettant de purger sa peine dans la communauté, tout en demeurant sous la surveillance des représentants du service correctionnel. D’un autre côté, l’emprisonnement reste encore et toujours le point de référence en matière de pénalité. On y retrouve les peines privatives de liberté, à proprement parler, et leurs diverses modalités, comme la libération conditionnelle et l’ordonnance d’emprisonnement avec sursis, mesure hybride qui allie la réinsertion sociale et la punition du contrevenant. Que l’on soit sociologue, criminologue, travailleur social ou juriste, l’étude du droit de punir d’une société à l’égard de ses concitoyens nous paraît être fondamentale. Elle doit permettre de comprendre à la fois le processus pénal mis en œuvre, le sens de la peine, ainsi que les enjeux associés à une prise en charge pénale. Sans prétendre à l’exhaustivité, il s’agit de poser les jalons d’une réflexion de fond sur la législation canadienne actuelle, tout en amenant une réflexion plus large à propos des politiques pénales. Face à la diversité des mesures pénales existantes, notre choix dans cet ouvrage a été de nous concentrer sur les mesures affectant ou risquant d’affecter la liberté des condamnés, la prison étant encore aujourd’hui le point d’orgue tant du système pénal canadien que des discours politiques et sociaux actuels.

Pénologie.indd 9

13-08-15 13:41

10  pé n ol o g i e

La première partie de cet ouvrage est consacrée à l’acte de juger au sein du processus pénal. Sébastien Lachambre analyse les principes fondamentaux en matière pénale, les objectifs pénaux et les critères de détermination, et Françoise Vanhamme présente une réflexion sur le rôle et la place du juge dans ce fonctionnement. La deuxième partie jette un regard éclairant sur la notion de peine et sur ses formes particulières aujourd’hui. La prison étant au cœur de la pénalité contemporaine, Marion Vacheret fait l’analyse des peines prononcées. Les mesures non carcérales ou moins restrictives en matière de privation de liberté sous l’angle de l’ordonnance d’emprisonnement avec sursis sont examinées par Sandra Lehalle, puis Fernanda Prates analyse à son tour le régime de libération conditionnelle. Finalement, Estibaliz Jimenez traite des répercussions d’un casier judiciaire pour un condamné et du régime de réhabilitation. Finalement, dans la troisième partie, il sera question de la place faite à certains groupes sociaux dans le système pénal. À partir d’une réflexion sur les délinquants dangereux, les personnes atteintes de troubles mentaux et les condamnés âgés, Dominique Robert, Denis Lafortune et Véronique Strimelle mettent en lumière les enjeux associés à cette prise en charge. Loin d’être une conclusion formelle et définitive sur un système, cet ouvrage se veut un outil d’ouverture vers la réflexion et la discussion à partir d’une présentation simple et claire de la législation actuelle. Différents auteurs, différents thèmes et différents niveaux d’analyse et de réflexion favoriseront la compréhension d’un ensemble complexe d’informations. Cet ouvrage vise surtout à permettre à des étudiants de première année d’amorcer une certaine découverte du système pénal canadien. Avec entre autres des réflexions théoriques, plusieurs chapitres restent délibérément descriptifs, la compréhension des enjeux entourant le système pénal passant nécessairement par la connaissance de ce dernier.

Pénologie.indd 10

13-08-15 13:41

PREMIÈRE PARTIE

le système pénal et la détermination de la peine

Pénologie.indd 11

13-08-15 13:41

Pénologie.indd 12

13-08-15 13:41

1 L’évolution des objectifs de la peine en droit canadien Sébastien Lachambre

La structure actuelle des objectifs de la peine s’inscrit dans une tradition bien établie malgré l’apparition de nouveautés. Les objectifs les plus anciens demeurent présents (dissuasion, dénonciation, rétribution, réhabilitation et neutralisation) et de nouveaux s’y ajoutent (réparation et conscientisation du contrevenant), tout comme des changements législatifs récents incitent les juges à donner la priorité à la dénonciation et la dissuasion, dans le cas des peines à imposer pour des infractions ciblées. Ce chapitre montrera l’utilisation des objectifs de la peine en droit canadien et présentera l’évolution de ces derniers par l’étude de différents types de discours (législatif, jurisprudentiel et juridico-politique). L’étude de l’article 718 du Code criminel est fondamentale si l’on veut comprendre la structure des objectifs de la peine au Canada, mais elle est loin d’être suffisante. En effet, c’est seulement dans les années 1990 que les objectifs de la peine ont été codifiés, ce qui limite la capacité de ce changement à nous éclairer sur leur évolution. De plus, durant les décennies 1960, 1970 et 1980, certains des discours les plus détaillés sur les objectifs de la peine au Canada ont été produits par des commissions de réforme du droit. Ces discours juridico-politiques n’ont pas force de loi, mais ils influencent les décisions à la fois politiques (création de la loi) et juridiques (décisions des tribunaux dans des cas précis). Jusqu’aux années 1990, les cours d’appel des provinces jouaient un rôle important dans

Pénologie.indd 13

13-08-15 13:41

14  pé n ol o g i e

l’orientation de la détermination de la peine au Canada. La Cour suprême du Canada a également pris position à plusieurs reprises sur les principes et les objectifs de la peine. L’ensemble des décisions illustre comment les juges canadiens comprennent et utilisent les objectifs de la peine. Ce chapitre est divisé en quatre parties. Tout d’abord, l’ensemble des objectifs de la peine du système pénal canadien est présenté. Suivra une discussion sur les discours juridico-politiques suscités par les différents rapports de commissions de réforme du droit. Seront ensuite abordées certaines décisions de la Cour suprême du Canada, ce qui permettra de saisir la position de la plus haute cour du pays sur les objectifs de la peine. Enfin, trois articles du Code criminel seront exposés, de manière à montrer une nouvelle tendance en matière d’objectifs de la peine au Canada. Les objectifs de la peine dans le système pénal canadien

Un objectif de la peine consiste en l’identification d’une cible pour les peines. C’est une promesse, un souhait formulé à l’égard des peines. Les objectifs de la peine sont des réponses familières et rassurantes à des questions éthiques difficiles, par exemple : comment peut-on justifier les mesures les plus contraignantes que l’État peut imposer à ses citoyens (amende, prison et mort) ? Les objectifs de la peine contribuent à donner un sens socialement acceptable aux pratiques punitives déployées en réaction aux infractions criminelles. Rétribuer, dissuader, réhabiliter, neutraliser, dénoncer. Voilà des objectifs bien connus attribués aux peines imposées en droit criminel en vertu de l’article 718. Ces objectifs ont tous tenu un rôle dans les réflexions sur le droit criminel au Canada qui, à l’instar d’autres pays occidentaux, a connu une intense période de réflexion sur le droit pénal à partir des années 1950. Malgré tout, leur articulation et leur sens demeurent souvent mal compris. Historiquement, il y a eu une opposition forte entre deux courants philosophiques : le rétributivisme et l’utilitarisme. Pour le rétributivisme, punir tous les contrevenants est un devoir de l’autorité, peu importe les conséquences concrètes de l’imposition de la peine. La rétribution donne corps à cette fonction de la peine et elle est souvent illustrée par l’adage « œil pour œil, dent pour dent ». L’utilitarisme présuppose au contraire que l’imposition des peines doit entraîner des bénéfices pour la société ;

Pénologie.indd 14

13-08-15 13:41

L ’ é v o l u t i o n d e s o bje c t i f s d e l a p e i n e e n d r o i t c a n a d i e n  15

de manière générale, la peine doit servir à protéger la société du crime. La dissuasion, la réhabilitation et la neutralisation ont été les objectifs les plus couramment associés à cette fonction du droit criminel et de la peine. Enfin, une troisième fonction importante du droit et des peines a été progressivement discutée à partir de la fin du x ix e  siècle, mais son statut par rapport aux deux autres demeure incertain. Il s’agit de la réaffirmation des valeurs fondamentales de la société ou de la « fonction socio-pédagogique » (Van de Kerchove, 2005). L’idée de dénoncer le crime par la peine a accompagné la réflexion sur cette fonction de la peine. Depuis la fin du xv iii e siècle, par rétribution, on entend « punir pour punir » ou « punir pour faire justice » sans égard aux conséquences de la peine. Au cœur de cet objectif se trouve l’idée de punir de manière égale ou proportionnelle à la gravité du crime parce que la peine est méritée. Les années 1970 ont vu apparaître une variante de la position de Kant sous les traits du juste dû1. Lorsque la peine a pour objectif de dissuader, on punit soit pour faire peur aux contrevenants potentiels (dissuasion générale), soit pour éviter la récidive du contrevenant puni par la crainte de l’application d’une nouvelle peine (dissuasion spécifique). La peine doit être suffisamment sévère pour dépasser les avantages que la commission du crime pourrait procurer aux contrevenants2. Quant à elle, la réhabilitation peut être définie ainsi : punir de manière que les contrevenants deviennent respectueux de la loi ou, du moins, qu’ils ne transgressent plus les lois. La réhabilitation réclame l’administration de programmes de traitement qui doivent être appliqués en prison ou dans la communauté. Cet objectif a fait l’objet de nombreuses critiques à partir des années 1960, mais il demeure bien présent encore aujourd’hui3. Lorsque la peine vise la neutralisation, punir sert à réduire la capacité de commettre des crimes des contrevenants dangereux en les mettant à l’écart de la société. Cet objectif de la peine ne présuppose pas que les individus peuvent changer, seulement que la société peut bénéficier de la 1. Le châtiment est parfois utilisé comme synonyme de la rétribution. 2. L’intimidation peut parfois se substituer à la dissuasion. 3. Pour faire référence à cet objectif, on emploie aussi correction, réadaptation et réinsertion.

Pénologie.indd 15

13-08-15 13:41

16  pé n ol o g i e

mise à l’écart temporaire (parfois prolongée) ou permanente de certains contrevenants ou groupes de contrevenants4. Finalement, la dénonciation, à titre d’objectif de la peine, laisse entendre que punir est nécessaire pour que s’exprime la désapprobation de la société à l’égard du crime. Une telle expression peut être une fin en soi ou un moyen de consolider la désapprobation des citoyens honnêtes pour le crime. Cet objectif a été promu avec vigueur par le juriste anglais James Fitzjames Stephen. La dénonciation a été progressivement institutionnalisée en droit criminel, au moins à partir des années 1950 5. R. c. Willaert 6, de la Cour d’appel de l’Ontario, est une décision représentative des préoccupations en matière de détermination de la peine des années 1950 (et abondamment citée dans des décisions ultérieures). Dans cette décision rendue sur une affaire d’agression sexuelle, le juge MacKay indique que « la véritable fonction du droit criminel, en ce qui a trait à la peine, est dans l’amalgame judicieux (wise blending) de la dissuasion et de la réhabilitation, où la rétribution n’est pas complètement mise de côté7 ». Fait à noter, la réhabilitation est pour lui « ce qui permet d’avoir le plus d’espoir dans la plupart des cas, en matière de peine8 ». Cette décision est intéressante, puisqu’elle met en évidence l’importance d’amalgamer différents objectifs de la peine. Elle souligne également l’importance grandissante de la réhabilitation en droit criminel. Quelque quarante ans plus tard, en 1996, le législateur a enchâssé dans le Code criminel9 du Canada ce que bon nombre d’observateurs considèrent comme l’approche canadienne en matière d’objectifs de la peine, c’est-à-dire justement un amalgame de plusieurs objectifs (principalement la rétribution, la dissuasion, la neutralisation et la réhabilitation). De ce 4. En plus de la neutralisation, on retrouve l’idée de séparation, ou le besoin d’isoler le contrevenant. Parfois, les expressions « protection de la société » ou « prévention » sont utilisées pour définir cet objectif précis de la peine. 5. Avant que l’étiquette dénonciation ne soit adoptée, des périphrases jumelant notamment l’idée d’expression à la désapprobation, à l’indignation ou à la haine ont été observées. 6. R. c. Willaert, [1953] O.R. 282-289. 7. Traduit par l’auteur. 8. Traduit par l’auteur. 9. Référence complète du Code criminel (L.R.C. [1985], chapitre C-46), ciaprès « C. cr. ».

Pénologie.indd 16

13-08-15 13:41

L ’ é v o l u t i o n d e s o bje c t i f s d e l a p e i n e e n d r o i t c a n a d i e n  17

point de vue, aucun objectif n’a préséance sur les autres. Pour répondre aux exigences de différentes situations, des objectifs de la peine différents peuvent être privilégiés tout comme ils peuvent être combinés. Cette position est défendue par Manson (2001), Meyer et O’Malley (2005), Ruby et al. (2008), Jodouin et Sylvestre (2009) et Renaud (2009), pour n’en nommer que quelques-uns. Le législateur a également ajouté des « nouveautés » dans la mesure où la réparation du tort causé et la conscientisation des délinquants quant à leurs responsabilités, comme objectifs de la peine, ne sont apparues que marginalement au cours des décennies précédentes. Dadour (2007) écrit que la réparation est le désir du législateur de favoriser une « “remise en état” de la victime par le contrevenant ». Le Code criminel prévoit notamment des modalités de dédommagement de la part du contrevenant (C. cr. 742.3[2][e]), mais il peut aussi être question de travaux communautaires où c’est l’intérêt de réparation envers la société qui est promu. Renaud (2009) ajoute que cet objectif doit promouvoir la justice réparatrice en « encourageant » ou en « incitant » le contrevenant à cette fin. Quant à l’objectif prévu au paragraphe 718(f), Renaud invite à distinguer, dans la formulation même de l’objectif par le législateur, deux objectifs différents : responsabiliser le contrevenant quant à ses actions et l’amener à reconnaître les torts qu’il a causés aux victimes et à la collectivité. Selon lui, cet objectif peut notamment être utile lorsque l’accusé nie sa culpabilité. On peut remarquer que la rétribution n’apparaît pas comme objectif de la peine dans le Code criminel. On trouve cependant l’idée de « sanctions justes » dans l’introduction aux objectifs de la peine tout comme le « principe fondamental » est la proportionnalité, où la peine doit correspondre à la gravité du crime et à la responsabilité de l’infracteur. Ces idées sont avantageusement interprétées comme la réminiscence de la rétribution au Canada bien qu’elles peuvent prendre plusieurs sens. Ce point de vue est défendu entre autres par Dadour (2007), par Dumont (1997) et par Roberts et Von Hirsch (1999). Le droit criminel se déploie à l’intérieur de différents discours. Parmi ceux-ci, il y a bien entendu les décisions des tribunaux ainsi que ce qui a trait à la législation (lois, débats parlementaires, etc.), sans oublier les travaux de doctrine. Pour aborder l’évolution des objectifs de la peine, il

Pénologie.indd 17

13-08-15 13:41

18  pé n ol o g i e

faut aussi prendre en considération les rapports produits par les commissions de réforme du droit. Les discours juridico-politiques à l’égard des objectifs de la peine

Les commissions de réforme du droit, à mi-chemin entre les ouvrages de doctrine et le domaine législatif (Dubé et Cauchie, 2007), constituent des fenêtres sur l’état des discours sur le droit à un moment donné. Celles-ci sont citées par les décisions des tribunaux et elles peuvent aussi entraîner des réformes législatives. Elles ont aussi une plus grande flexibilité que d’autres discours juridiques, de telle sorte qu’elles ont la capacité d’innover. Seront discutés les rapports produits par trois commissions, soit celui du comité Ouimet (1969), ceux de la Commission de réforme du droit du Canada (1976) et celui de la Commission canadienne sur la détermination de la peine (1987). Ces rapports permettent de voir que des structures différentes de celle que l’on peut observer tant dans la décision R. c. Willaert que dans l’article 718 du Code criminel ont été explorées et laissées dans l’oubli. On voit également les traces de la continuité qui caractérise l’approche canadienne. Le comité Ouimet

Le Comité canadien de la réforme pénale et correctionnelle (aussi appelé comité Ouimet) a été établi en 1965, à la demande du ministre de la Justice du Canada, dans le but d’étudier le domaine correctionnel, de l’amorce du processus judiciaire à la remise en liberté et à la demande de pardon, et de faire les recommandations nécessaires. Son rapport a été publié en 1969. Comme le comité Ouimet le martèle tout au long de son rapport, « [l]e but fondamental de la justice criminelle est de protéger tous les membres de la société, y compris le délinquant lui-même, des conséquences d’une conduite hautement nuisible et dangereuse ». En même temps, on peut y lire ceci : La conception moderne du « sentencing » a vraiment le caractère d’un compromis. En effet, le magistrat est censé tenir compte des trois facteurs suivants : dissuasion, réadaptation et ségrégation, dans le but de protéger la société. […] [L]’on […] s’attend […] à ce qu’il […] tente de fusionner ces trois éléments pour en arriver à une décision appropriée (Ouimet, 1969).

Pénologie.indd 18

13-08-15 13:41

L ’ é v o l u t i o n d e s o bje c t i f s d e l a p e i n e e n d r o i t c a n a d i e n  19

Cette manière de concevoir la détermination comme l’intégration de plusieurs objectifs de la peine est proche de l’amalgame judicieux présent dans R. c. Willaert (1953). C’est sur la réhabilitation que le comité Ouimet porte le plus d’attention et c’est sur cette finalité qu’il fonde le plus d’espoir parce qu’il y voit « la meilleure protection sociale à long terme » (Ouimet, 1969). Qui plus est, Ouimet « fait ressortir la nécessité de traiter les délinquants au sein même de la collectivité, lorsque la chose est possible » (ibid.). Enfin, Ouimet considère que la rétribution doit être valorisée lorsqu’elle prend le sens suivant : « La société dit au délinquant : “Nous rejetons ce genre de comportement”, et elle traduit la force de ce sentiment dans la sévérité plus ou moins grande de la sentence imposée. » (ibid.) On peut y voit l’élargissement du sens de la rétribution pour voir apparaître les signes de la dénonciation (Lachambre, 2011). Pour donner suite aux travaux du comité Ouimet, le gouvernement du Canada a mis en place la Commission de réforme du droit du Canada pour étudier tous les aspects du droit, incluant la détermination de la peine. La Commission de réforme du droit du Canada

En 1971, le gouvernement du Canada instaure la Commission de réforme du droit du Canada (CRDC). Cette commission prend place dans un contexte où se côtoient l’optimisme de Ouimet pour la réhabilitation et la critique très forte de cet objectif de la peine de la part de juristes, de criminologues et de groupes sociaux divers. En plus de se réapproprier la réhabilitation valorisée à l’extérieur de la prison, la CRDC a aussi mis de côté les objectifs traditionnels que sont la rétribution et la dissuasion (1976a) pour les remplacer entre autres par la dénonciation et la neutralisation. En fait, pour la CRDC, il y a trois motifs seulement qui peuvent justifier le recours à l’emprisonnement : (a) neutraliser le délinquant qui présente un danger sérieux pour la vie et la sécurité personnelle des membres de la communauté ; ou (b) [dénoncer]10 un comportement que la société juge extrêmement répréhensible parce qu’il

10. La CRDC traduit parfois « to denounce » et « denounciation » par « stigmatiser » et « stigmatisation » ; il semble plus clair de maintenir « dénoncer ».

Pénologie.indd 19

13-08-15 13:41

20  pé n ol o g i e

constitue une violation grave des valeurs fondamentales ; ou (c) servir, en dernier ressort, de mesure de contrainte contre les délinquants qui refusent de se soumettre à d’autres sanctions pénales (CRDC, 1976b).

Chaque objectif de l’emprisonnement venait avec des modalités particulières. La détention visant la neutralisation pouvait s’étirer sur une période maximale de 20 ans. Lorsqu’il s’avérait nécessaire d’emprisonner un contrevenant pour dénoncer le comportement criminel, elle ne dépasserait pas trois ans11. La CRDC réaffirme aussi la pertinence de maintenir la réhabilitation comme objectif de la peine. Elle dit d’une part que « [l]a réadaptation sociale ne constitue pas une justification valable du recours à l’emprisonnement » (ibid.), rendant facultatifs les programmes thérapeutiques destinés aux détenus (ibid.). D’autre part, la CRDC recommande l’instauration d’une peine, appelée ordonnance visant l’amélioration des aptitudes sociales (formation professionnelle, suivi thérapeutique, etc.) (ibid.), applicable dans la communauté. C’est là que la réhabilitation continuerait d’avoir une emprise plus évidente sur le système pénal. En spécifiant à la fois des objectifs et des durées de détention maximales liées à chacun d’eux, la CRDC est parvenue à proposer des balises véritablement contraignantes au recours à l’emprisonnement. Cette manière d’encadrer le recours à l’emprisonnement sera reprise dans les propositions de réforme subséquentes, mais toujours un peu plus atténuées jusqu’à complètement disparaître. La Commission canadienne sur la détermination de la peine

Dans les suites des travaux de la CRDC, le gouvernement fédéral a jugé nécessaire de mettre en place en 1987 une commission portant spécifiquement sur la détermination de la peine. La Commission canadienne sur la détermination de la peine (CCDP) considère que la dissuasion, la réhabilitation et la neutralisation sont inefficaces ou des options inutilisables. Selon la CCDP, la dénonciation est surtout un processus communicationnel fondé sur la réaffirmation des valeurs et bien qu’il soit « clair 11. Les rapports de la CRDC contenaient probablement la promotion d’autres objectifs, comme la responsabilisation ou la conscientisation du délinquant, tout comme la réparation ou le dédommagement, mais la CRDC n’est pas claire à ce sujet, c’est pourquoi nous n’en parlons pas ici.

Pénologie.indd 20

13-08-15 13:41

L ’ é v o l u t i o n d e s o bje c t i f s d e l a p e i n e e n d r o i t c a n a d i e n  2 1

[qu’elle] est un facteur primordial de la détermination de la sentence », « ce ne peut pas en être en soi l’objectif global » (ibid.). Finalement, cette commission a jugé que le rétributivisme (incluant le juste dû) ne permet pas de justifier l’existence des peines. Il « [peut] [malgré tout] servir de principe pour évaluer le quantum de privation qui pourrait être infligé aux contrevenants » (ibid.). C’est de cette manière que la CCDP a « reconnu le besoin d’effectuer une synthèse entre les principes du rétributivisme et de la théorie du juste dû, d’une part, et les objectifs de type utilitariste, d’autre part » (ibid.). La CCDP a proposé la mise en place de sentences présomptives. Il s’agit de la codification de lignes directrices pour chaque infraction contenant une présomption d’incarcération ou non, la durée de cette incarcération (s’il y a lieu), la manière de prendre en compte les circonstances aggravantes et atténuantes, et l’autorisation de ne pas suivre la peine présomptive dans la mesure où cette décision est motivée. Ce cadre était explicite­ment fondé sur le principe rétributiviste de proportionnalité et visait l’imposition de « sanctions justes ». En appliquant les principes de proportionnalité, de modération et d’autres principes, le tribunal peut s’arrêter à l’une ou à plusieurs des considérations suivantes : i) dénoncer les comportements répréhensibles ; ii) dissuader le contrevenant et toute autre personne de commettre des infractions ; iii) séparer les contrevenants de la société, s’il y a lieu ; iv) compenser le préjudice causé à la victime ou à la collectivité ; v) inculquer au contrevenant le sens des responsabilités et favoriser les occasions susceptibles de l’aider à se réadapter pour devenir un citoyen productif et respectueux des lois (ibid.).

Enfin, la Commission a également recommandé qu’une « peine d’emprisonnement ne doit pas être imposée, ni sa durée déterminée, dans le seul but de réadapter un contrevenant » (ibid.). Cette manière de structurer la détermination de la peine, avec des balises relativement strictes, n’a pas été intégrée aux pratiques courantes du système de droit criminel canadien. En 1988, le Comité permanent de la justice et du solliciteur général sur la détermination de la peine, la mise en liberté sous condition et d’autres aspects du système correctionnel a conduit des audiences à la suite de la réception du rapport de la Commission canadienne sur la détermination de la peine. Il a notamment recommandé que les juges ne soient pas obligés de prendre en compte les sentences présomptives proposées par la CCDP.

Pénologie.indd 21

13-08-15 13:41

22  pé n ol o g i e

Dans les années suivantes, le gouvernement du Canada12, dans la continuation du processus de réforme amorcé quelques décennies plus tôt, a proposé d’intégrer à la place des sentences présomptives de la CCDP, comme principe, que « la peine doit être proportionnée à la gravité de l’infraction, au degré de responsabilité du délinquant ainsi qu’à toute autre circonstance atténuante ou aggravante ». On y voit de manière presque intégrale ce qui deviendra l’article 718.1 du Code criminel. Les rapports des commissions de réforme du droit dont nous venons de parler incorporent les préoccupations à l’égard de la réhabilitation lorsqu’elle prend place en milieu carcéral, mais ils lui réservent un rôle lorsqu’elle prend place dans la communauté. Ils remettent aussi en question les objectifs plus traditionnels de la peine (rétribution et dissuasion), avant de les réaffirmer sous une forme remodelée. Ces commissions pouvaient explorer ces avenues en raison de leur statut, à mi-chemin entre la réflexion sur le droit criminel et la proposition de réformes. La Cour suprême du Canada doit quant à elle prendre position sur des principes et les appliquer à des cas particuliers. Les objectifs de la peine servent à motiver les décisions prises. Les discours législatifs à l’égard des objectifs de la peine et la Cour Suprême du Canada

La Cour suprême du Canada, la juridiction d’appel de dernier ressort du pays, a dû prendre position à différents moments sur les objectifs de la peine avant de jouer un rôle plus important en cette matière à partir des années 1990. Quatre décisions du plus haut tribunal du Canada rendues pour résoudre des questions de droit peuvent contribuer à apporter un éclairage sur la manière dont les objectifs de la peine sont employés par la plus haute cour du pays. R. c. Lyons [1987]13

Au moment où le rapport de la CCDP était déposé, la Cour suprême du Canada a dû rendre une décision sur la constitutionnalité des dispositions 12. Le Parti progressiste-conservateur dirigé par Brian Mulroney était au pouvoir en 1990 et le Parti libéral du Canada dirigé par Jean Chrétien l’était en 1996 lors de l’entrée en vigueur de l’article 718. 13. R. c. Lyons, [1987] 2 R.C.S. 309.

Pénologie.indd 22

13-08-15 13:41

L ’ é v o l u t i o n d e s o bje c t i f s d e l a p e i n e e n d r o i t c a n a d i e n  23

sur les délinquants dangereux. Il s’agit des dispositions prévues par la loi pour protéger la société de contrevenants représentant pour elle un risque particulièrement élevé (maintenant dans l’article 753 du Code criminel). Au moment de la détermination de la peine, le procureur de la Couronne peut demander qu’un contrevenant soit reconnu délinquant dangereux et que la peine à imposer pour le cas en espèce soit remplacée par une peine à durée indéterminée. Lorsqu’une telle demande est accordée par le juge, le contrevenant est envoyé en détention pour une première période de sept ans avant de pouvoir demander sa remise en liberté. Il pourra refaire cette demande tous les trois ans. Contrairement aux peines imposées généralement, il n’y a pas de limite de temps au terme de laquelle le Service correctionnel du Canada et la Commission canadienne des libérations conditionnelles doivent obligatoirement remettre le contrevenant en liberté. À cette occasion, le juge Laforest a réaffirmé la manière canadienne de penser les objectifs de la peine, soit de trouver l’équilibre entre plusieurs d’entre eux. Il intègre tous les objectifs de la peine bien connus à l’exception de la dénonciation14. Le juge a amorcé sa réflexion en affirmant : « Dans un système rationnel de détermination des peines, l’importance respective de la prévention, de la dissuasion, du châtiment et de la réinsertion sociale variera selon la nature du crime et la situation du délinquant. » Poursuivant plus particulièrement sur la détention à durée indéterminée venant avec l’étiquette de délinquant dangereux, le juge Laforest ajoute qu’elle « représente simplement un jugement que l’importance relative des objectifs de réinsertion sociale, de dissuasion et de châtiment peut diminuer sensiblement dans un cas particulier et celle de la prévention s’accroître proportionnellement ». Cette décision est intéressante, puisqu’elle met dans la balance les différents objectifs de la peine et conclut que, dans un cas particulier, la neutralisation peut être la préoccupation principale et ainsi dégager le juge des « contraintes normales » que sont la rétribution, la dissuasion et la réinsertion sociale.

14. La dénonciation n’était pas encore un objectif de la peine systématiquement discuté à ce moment (Lachambre, 2011).

Pénologie.indd 23

13-08-15 13:41

24  pé n ol o g i e

R. c. M. (C.A.) [1996]15

Durant les pourparlers qui allaient mener, en 1996, à l’entrée en vigueur de la nouvelle partie XXIII du Code criminel portant sur la détermination de la peine, la Cour suprême du Canada a rendu une décision où les objectifs de la peine avaient un rôle à jouer. Dans R. c. M. (C.A.), le juge en chef Lamer a rédigé, au nom de la Cour suprême du Canada, une des décisions les plus souvent citées en matière de détermination de la peine. Dans un premier temps, il indique : Dans les limites du large éventail de peines minimales et maximales prévues par le Code, le législateur fédéral a conféré aux juges qui président des procès un pouvoir discrétionnaire considérable, qui les habilite à prononcer des peines justes et appropriées favorisant la réalisation des divers objectifs de la détermination de la peine, notamment les principes de dissuasion, de réprobation, de réadaptation et de protection de la société (para. 63).

De cette manière très générale, le juge en chef réaffirme l’importance des objectifs de la peine les plus souvent cités au Canada, à l’exception de la rétribution. Qu’en est-il de cet autre objectif de la peine ? Il poursuit ainsi en affirmant : « Notre Cour a reconnu que le châtiment est, dans notre droit criminel, un principe accepté et de fait important en matière de détermination de la peine » (para. 77). Qui plus est, la Cour cite le rapport de la CCDP pour qui « le châtiment est un facteur légitime et pertinent de la détermination de la peine » bien qu’il « n’apporte pas à [lui seul] une justification générale de l’application de sanctions pénales » (para. 78). Poursuivant sur ce thème, le juge Lamer ajoute : Le châtiment, en tant qu’objectif de la détermination de la peine, ne représente rien de moins que le principe sacré selon lequel les sanctions pénales, en plus d’appuyer des considérations utilitaristes liées à la dissuasion et à la réadaptation, doivent également être infligées afin de sanctionner la culpabilité morale du contrevenant (para. 79).

Pour la Cour suprême du Canada, la rétribution doit jouer un rôle en droit criminel, non plus tant à titre d’objectif de la peine, mais bien davantage comme principe orientant la sévérité des peines à imposer. C’est d’ailleurs vraisemblablement le rôle que le législateur a voulu lui faire 15. R. c. M. (C.A.), [1996] 1 R.C.S. 500.

Pénologie.indd 24

13-08-15 13:41

L ’ é v o l u t i o n d e s o bje c t i f s d e l a p e i n e e n d r o i t c a n a d i e n  25

jouer dans les discussions sur les objectifs de la peine et la codification qui suivrait. R. c. Gladue [1999]16 et R. c. Proulx [2000]17

Dans R. c. Gladue et R. c. Proulx, la Cour suprême du Canada propose une distinction entre ce qu’elle appelle les objectifs punitifs (dénonciation, dissuasion et neutralisation) et les objectifs correctifs (réhabilitation, réparation et conscientisation) que l’on trouve dans l’article 718 du Code criminel. Dans R. c. Gladue, la Cour suprême du Canada indique que « la jurisprudence canadienne en matière de détermination de la peine a mis principalement l’accent sur l’atteinte de certains buts, à savoir l’isolement du délinquant, l’effet dissuasif particulier et général, la dénonciation et la réinsertion sociale » (para. 42) ; c’est pourquoi la Cour interprète les alinéas a) à d) de l’article 718 comme « une reformulation des objectifs de base du prononcé de la peine ». Elle ajoute que « [c]e qui est nouveau, toutefois, se trouve aux alinéas e) et f ) qui, avec l’alinéa d), mettent l’accent sur les objectifs correctifs » (para. 43). Dans R. c. Proulx, la Cour suprême du Canada applique la distinction entre les objectifs punitifs et les objectifs correctifs à l’emprisonnement avec sursis, une nouveauté en droit criminel. À cette occasion, elle prend la position suivante : Parce qu’elle est purgée dans la collectivité, la peine d’emprisonnement avec sursis permet généralement de réaliser plus efficacement que l’incarcération les objectifs de justice corrective que sont la réinsertion sociale du délinquant, la réparation des torts causés aux victimes et à la collectivité et la prise de conscience par le délinquant de ses responsabilités. Cependant, elle est également une sanction punitive propre à permettre la réalisation des objectifs de dénonciation et de dissuasion. C’est cette dimension punitive qui distingue l’emprisonnement avec sursis de la probation (para. 22).

La situation de l’emprisonnement avec sursis, par la Cour suprême du Canada, sur un terrain mitoyen entre les objectifs correctifs et les objectifs punitifs peut servir à le faire accepter par le public et les acteurs du système pénal (Roberts, 2000). 16. R. c. Gladue, [1999] 1 R.C.S. 688. 17. R. c. Proulx, [2000] 1 R.C.S. 61.

Pénologie.indd 25

13-08-15 13:41

26  pé n ol o g i e

Ces décisions montrent comment les objectifs de la peine permettent de comprendre les pratiques pénales. Plus particulièrement, on peut y voir la nécessité ressentie par la plus haute cour du pays de maintenir un équilibre entre les considérations diverses. Selon la Cour suprême du Canada, les objectifs plus clairement punitifs doivent parfois être privilégiés (la rétribution, la dissuasion et la dénonciation), alors qu’à d’autres occasions, ce sont plutôt la réhabilitation et la neutralisation qui doivent être favorisées. Enfin, la Cour suprême du Canada reconnaît la nécessité d’intégrer les nouveaux objectifs que le législateur a codifiés à l’article 718 (la réparation des torts causés aux victimes et à la collectivité ainsi que la prise de conscience par le délinquant de ses responsabilités). D’autres articles du Code criminel sont aussi utiles pour comprendre l’évolution des objectifs de la peine au Canada. Les discours législatifs à l’égard des objectifs de la peine et le Code criminel

Les objectifs de la peine codifiés dans l’article 718 du Code criminel servent à orienter la détermination de la peine dans tous les cas. Cet article contient, en plus des objectifs eux-mêmes, ce qui est titré le « principe fondamental » de la détermination de la peine (C. cr. 718.1). 718. Le prononcé des peines a pour objectif essentiel de contribuer, parallèlement à d’autres initiatives de prévention du crime, au respect de la loi et au maintien d’une société juste, paisible et sûre par l’infliction de sanctions justes visant un ou plusieurs des objectifs suivants : a) dénoncer le comportement illégal ; b) dissuader les délinquants, et quiconque, de commettre des infractions ; c) isoler, au besoin, les délinquants du reste de la société ; d) favoriser la réinsertion sociale des délinquants ; e) assurer la réparation des torts causés aux victimes ou à la collectivité ; f ) susciter la conscience de leurs responsabilités chez les délinquants, notamment par la reconnaissance du tort qu’ils ont causé aux victimes et à la collectivité. 718.1 Principe fondamental – La peine est proportionnelle à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité du délinquant.

Le législateur a malgré tout prévu des articles intégrant les objectifs de la peine dans des cas plus limités. Ces articles permettent de voir

Pénologie.indd 26

13-08-15 13:41

L ’ é v o l u t i o n d e s o bje c t i f s d e l a p e i n e e n d r o i t c a n a d i e n  2 7

l’importance accrue que peuvent avoir la dissuasion et la dénonciation dans des cas particuliers. Qui plus est, le choix de survaloriser ces objectifs de la peine en particulier permet d’entrevoir un désir de punitivité accrue dans certains cas. La première expérience avec la codification d’objectifs de la peine au Canada en 1992 : l’article 743.6 (1)

Le projet de loi C-3618, de 1992, constitue la première expérience canadienne avec la codification d’objectifs de la peine dans le Code criminel. L’article 743.6 (1) du Code criminel (initialement 741.2) prévoit que le juge au procès peut forcer un détenu à purger la moitié de sa peine d’emprisonnement avant de pouvoir être admissible à la libération conditionnelle. Ce qui motivera cette décision sera la réprobation de la société à l’égard de l’infraction ou l’effet dissuasif de cette décision : 743.6 (1) Par dérogation au paragraphe 120 (1) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, le tribunal peut, s’il est convaincu, selon les circonstances de l’infraction, du caractère et des particularités du délinquant, que la réprobation de la société à l’égard de l’infraction commise ou l’effet dissuasif de l’ordonnance l’exige, ordonner que le délinquant condamné le 1er novembre 1992 ou par la suite, sur déclaration de culpabilité par mise en accusation, à une peine d’emprisonnement d’au moins deux ans […] pour une infraction mentionnée aux annexes I ou II de cette loi, purge, avant d’être admissible à la libération conditionnelle totale, le moindre de la moitié de sa peine ou dix ans.

Quatre ans avant la codification des objectifs de la peine dans la nouvelle partie XXIII du Code criminel (C. cr. 718), le législateur a proposé une disposition intégrant des objectifs de la peine. Cet article suggère que le besoin d’exprimer la réprobation de la société à l’égard de l’infraction (qui deviendra simplement la dénonciation) ou de dissuader les contrevenants et les infracteurs potentiels peut être tel qu’il faille augmenter du tiers à la moitié la période d’emprisonnement à purger avant qu’un détenu soit admissible à la libération conditionnelle. Cette disposition peut entraîner une augmentation de la sévérité de la peine en restreignant la 18. Projet de loi C-36 : Loi régissant le système correctionnel, la mise en liberté sous condition et l’incarcération, et portant sur la création du Bureau de l’enquêteur correctionnel.

Pénologie.indd 27

13-08-15 13:41

28  pé n ol o g i e

capacité d’octroyer une libération conditionnelle. Il s’agit là d’un pouvoir non négligeable donné aux juges lors de la détermination de la peine et qui contrecarre l’idéal réhabilitatif toujours vivant dans le système correctionnel canadien, en limitant la prise en compte des progrès des détenus avant l’atteinte d’une durée plus longue de détention. Depuis 1996, différents amendements au Code criminel sont entrés en vigueur dont deux qui intègrent les objectifs de la peine : l’article 718.01 en 2005 et l’article 718.02 en 2009. On recommande aux juges d’« [accorder] une attention particulière aux objectifs de dénonciation et de dissuasion » dans les cas d’infractions perpétrées à l’égard des enfants (C. cr. 718.01) et d’infractions perpétrées à l’égard d’un agent de la paix ou d’autres personnes associées au système judiciaire (C. cr. 718.02). 718.01 Le tribunal qui impose une peine pour une infraction qui constitue un mauvais traitement à l’égard d’une personne âgée de moins de dix-huit ans accorde une attention particulière aux objectifs de dénonciation et de dissuasion d’un tel comportement. 718.02 Le tribunal qui impose une peine pour l’une des infractions prévues au paragraphe 270 (1), aux articles 270.01 ou 270.02 ou à l’alinéa 423.1(1)b) accorde une attention particulière aux objectifs de dénonciation et de dissuasion de l’agissement à l’origine de l’infraction.

Ces articles sont de portée « limitée », puisqu’ils ne concernent que certaines infractions ciblées. Ils constituent tout de même les premières lignes directrices légales données aux tribunaux en matière d’objectifs de la peine par le législateur dans la mesure où des objectifs de la peine lui sont, pour la première fois, imposés. Ils semblent malgré tout vouloir transmettre le message selon lequel ces infractions seront traitées avec plus de sévérité par les tribunaux. Peu d’attention a été accordée pour le moment à ces modifications de la part de la doctrine. Pour Renaud (2009), l’article 718.01 reproduit une jurisprudence bien établie. Il y voit une hiérarchisation formelle des objectifs de la peine pour ce type d’infractions. D’autres travaux seront nécessaires pour cerner les conséquences de ces dispositions sur les pratiques sentencielles. Comme source d’information sur les objectifs de la peine, les codifications sont limitées par nature par rapport à d’autres sources. Elles sont peu étendues et ne comportent pas d’explication sur le sens à leur donner. Elles permettent cependant d’entrevoir des directions à venir. C’est ainsi

Pénologie.indd 28

13-08-15 13:41

L ’ é v o l u t i o n d e s o bje c t i f s d e l a p e i n e e n d r o i t c a n a d i e n  29

que la priorité accordée à la dénonciation et à la dissuasion dans le cas de victimes vulnérables (les enfants) et d’acteurs du système pénal dans le Code criminel permet de voir poindre ce qui pourrait être l’amorce d’une modification de la structure des objectifs de la peine, où certains objectifs seraient formellement privilégiés. L’époque actuelle, marquée par le populisme pénal, pourrait fort bien voir d’autres modifications législatives similaires. *** La structure actuelle des objectifs de la peine s’inscrit donc dans une tradition bien établie, malgré l’exploration de nouvelles orientations et bien que des changements se produisent de manière subtile. Cette structure contemporaine des objectifs de la peine intègre un amalgame entre différents objectifs et principes ; l’article 718 du Code criminel en constitue la matérialisation. Depuis les années 1950, l’idée de châtiment mérité ne disparaît pour ainsi dire jamais. D’ailleurs, à partir des discussions en vue de la codification de 1996, l’idée de baliser formellement la sévérité des peines par les principes rétributivistes est reconnue. D’autres objectifs de la peine peuvent être poursuivis, ceux-ci pouvant à leur tour influencer à la fois les décisions à prendre sur les peines, mais aussi et surtout les perceptions du droit criminel. Ces objectifs n’ont jamais cessé de se côtoyer (à l’exception de propositions spécifiques) bien que l’accent que l’on a mis sur eux ait varié selon les périodes. Les objectifs plus récents que sont la réparation des torts causés à la victime et à la collectivité et la conscientisation du contrevenant se sont progressivement implantés à partir des années 1970. Il faut toutefois apprécier leur codification comme objectifs de la peine légitimes, en 1996, puisqu’ils pourraient en définitive jouer un rôle modérateur en matière de détermination de la peine. Il ne s’agit pour l’instant cependant que d’une possibilité, les objectifs les plus punitifs (la dénonciation et la dissuasion) étant plus visibles que jamais, notamment avec les changements récents leur donnant la priorité. La place laissée aux objectifs de la peine potentiellement plus positifs (c’est-à-dire ceux moins orientés vers la punitivité) demeure jusqu’à aujourd’hui incertaine. La dissuasion n’a jamais disparu des préoccupations sur la détermination de la peine. La dénonciation, quant à elle, a un parcours moins

Pénologie.indd 29

13-08-15 13:41

30  pé n ol o g i e

linéaire. Punir pour exprimer la désapprobation, l’indignation ou encore le dégoût de la société à l’égard du crime est un principe constant, au moins depuis les années 1950, bien qu’il ait fallu attendre les dernières années pour que le vocabulaire employé pour y faire référence s’homogénéise. La réhabilitation a été âprement discutée dans les dernières décennies, même si les limitations quant à son emploi pour justifier des peines carcérales n’ont pas été maintenues. Il est parallèlement possible de constater que des changements subtils cadrant la détermination et les objectifs de la peine se produisent. Les articles 718.01 et 718.02 donnent corps à ces modifications. Ils peuvent être des indicateurs d’un changement de paradigme à la pièce, dans la mesure où le législateur valoriserait certains objectifs de la peine en particulier. Bien que ces articles puissent reconnaître un état de fait et le codifier, ils ont tout de même pour conséquence de limiter davantage la possibilité que des objectifs plus positifs prennent une place plus prépondérante en droit pénal canadien. Qui plus est, la combinaison des objectifs de dénonciation et de dissuasion est généralement associée à la sévérité des peines (Renaud, 2009). Étant donné que ces changements semblent vouloir marquer l’importance que le législateur accorde à la répression de certains types de criminalité, il y a fort à parier que nous observerons d’autres articles de cette nature dans les prochaines années. Malgré tout, ils peuvent tout aussi bien constituer des exceptions inopinées, puisqu’ils pourraient ne pas être reproduits pour d’autres catégories d’infractions. Le temps apportera la réponse à cette question. Que penser, dans ce contexte, des modifications récemment incluses dans le projet de loi C-10, proposé par le gouvernement du Canada et adopté par le Parlement canadien, du point de vue des objectifs de la peine ? Les objectifs de la peine ne sont pas directement évoqués dans les amendements que contient le projet de loi C-10. Toutefois, ce projet de loi comporte l’ajout de plusieurs peines minimales obligatoires, ainsi que le rehaussement de peines minimales obligatoires déjà en place, tout comme il contient des modifications importantes aux règles encadrant l’octroi des pardons. Premièrement, les peines minimales obligatoires, très présentes dans le projet de loi C-10, sont fortement associées à certains objectifs de la peine, soit la dissuasion, la dénonciation et la neutralisation (par exemple, Doob et Cesaroni, 2001 ; Gabor et Crutcher 2002). Bien qu’ils ne soient pas spécifiés explicitement par les amendements contenus

Pénologie.indd 30

13-08-15 13:41

L ’ é v o l u t i o n d e s o bje c t i f s d e l a p e i n e e n d r o i t c a n a d i e n  31

dans le projet de loi C-10, ils pointent tout de même dans la direction adoptée par les modifications législatives précédemment mentionnées et indiquant un désir de rendre les peines en droit criminel plus sévères. En second lieu, les modifications aux règles d’octroi des pardons sous-entendent un recul certain de l’idée réhabilitative dans l’esprit du législateur. D’une part, le remplacement du terme « pardon » par « suspension du casier judiciaire » est bien entendu symbolique, mais il indique implicitement une plus grande aisance à réactiver le casier judiciaire en cas de récidive. Le message est clair : le Canada ne pardonnera plus les infractions passées ; il ne fera que suspendre momentanément les effets socioéconomiques du casier judiciaire. D’autre part, l’augmentation des délais pour obtenir une telle suspension du casier judiciaire ainsi que le retrait de cette option dans le cas de certaines infractions compliquent davantage le processus de réintégration des contrevenants à la société, un objectif de la sanction pénale auquel le Canada n’avait et n’a toujours pas tourné le dos malgré l’accroissement de l’importance attribuée à la dissuasion et à la dénonciation.

Pénologie.indd 31

13-08-15 13:41

Pénologie.indd 32

13-08-15 13:41

2 Le rôle du juge et le pouvoir judiciaire Françoise Vanhamme

Depuis deux décennies au Canada, les discours politiques et les dispositions légales manifestent une tendance croissante à créer de nouvelles infractions, à alourdir des peines en les assortissant de minima obligatoires ou de maxima plus élevés, à restreindre le champ d’application du sursis et à resserrer l’accès à la libération conditionnelle des détenus. Pourtant, différents auteurs, comme Landreville (2007) ou Webster et Doob (2007), observaient encore récemment que, malgré cette orientation discursive et légale imprégnée du « virage punitif », le Canada ne suivait pas la voie du « tout carcéral ». Ainsi, alors qu’en 1994 l’on dénombrait dans les établissements pénitentiaires du pays1 un taux de 154 détenus adultes pour 100 000  habitants, en 2004 il était réduit à 128. Selon les statistiques, cette régression a commencé en 1996, année d’entrée en vigueur de la Loi modifiant le Code criminel (détermination de la peine) et d’autres lois en conséquence, formulant les principes de modération dans la sanction et de présomption en faveur de peines dans la communauté, et créant la peine d’emprisonnement avec sursis2. Puis, à partir de 2005, le mouvement s’inverse. En 2010, le taux de détenus atteint 140, bien 1. En ce compris les pénitenciers fédéraux et les prisons des provinces et des territoires. 2. La coïncidence temporelle suggère une corrélation entre l’instauration de la loi et la régression du taux d’incarcération, mais la relation directe de cause à effet n’en est pas pour autant évidente.

Pénologie.indd 33

13-08-15 13:41

3 4  pé n ol o g i e

que seul un quart de cette augmentation concerne les condamnés, le reste étant les détentions provisoires3. Ce sont les groupes marginalisés et défavorisés qui continuent de peupler les prisons. La population autochtone y est particulièrement surreprésentée, et sa part dans la population carcérale s’est également accrue ces dernières années. Ces tendances interpellent certes l’ensemble de la pénalité, de l’activité politique et législative à celle des diverses agences de la filière pénale, depuis le constat des infractions jusqu’à la gestion de la population carcérale. Nous souhaitons toutefois nous pencher sur l’étape du jugement : quelle part prend-il dans cette dynamique ? Les statistiques montrent qu’entre 2004, année des derniers constats de Webster et Doob (supra) et 2010, le nombre des condamnations a augmenté de 2 %. Dans les peines qui en découlent, les probations ont crû de 7 % et les privations de liberté, de 19 %. Dans ce mouvement, si 7 incarcérations étaient infligées pour 10 probations en 2004, le rapport était de 8 sur 10 en 2010. La capacité de résistance du judiciaire face à la tendance discursive et légale imprégnée du virage punitif a été évoquée  par Landreville (2007) et par Webster et Doob (2007) : comment les juges ont-ils cette capacité de résister aux dispositions prévues en droit ? En considérant les données précitées, dont la proportion croissante des peines d’emprisonnement, cette capacité est-elle en voie d’effritement ? À cet égard, la Charte canadienne des droits et libertés4 garantit l’indépendance et l’impartialité des juges (art. 11 [d]). Sont-ils vraiment indépendants du politique et de son idéologie5 ? Enfin, au vu des caractéristiques sociales des personnes incarcérées, qu’en est-il aussi de l’impartialité dans le processus de jugement ? C’est la liberté 3. Entre 2004 et 2010, le nombre de prisonniers après condamnation a augmenté de 12 % (N = 1134) et celui des détenus avant jugement, de 36 % (N = 3467). Cette croissance des détentions provisoires s’était emballée au tournant du siècle et, depuis 2004-2005, leur nombre dépasse celui des adultes en détention après condamnation. La mise en détention avant jugement est ainsi un élément fondamental, sans pour autant être le seul, pour comprendre la dynamique de l’augmentation de la population carcérale. 4. Nous nous y référerons plus bas sous le terme de « la Charte ». 5. Nous entendrons par idéologie, ici, l’« ensemble plus ou moins cohérent des idées, des croyances et des doctrines philosophiques, religieuses, politiques, économiques, sociales, propre à une époque, une société, une classe et qui oriente l’action », selon le dictionnaire du Centre national de ressources textuelles et lexicales.

Pénologie.indd 34

13-08-15 13:41

L e r ô l e d u ju g e e t l e p o u v o i r ju d i c i a i r e  35

décisionnelle du juge qui sous-tend ces questions, et qui constitue l’objet de la présente contribution. Considérant la détermination de la peine (sentencing) comme une pratique sociale ancrée dans le contexte de la pénalité et de la société, ce texte s’organisera autour de la question de l’indépendance du juge lorsqu’il décide d’une peine dans le cadre du système de justice criminelle pour les adultes. Sur la base de l’analyse de De Riemaecker et al. (2000), nous examinerons cette question sous trois angles : l’indépendance institutionnelle du pouvoir judiciaire, notion qui renvoie à sa place au sein des autres institutions de l’État, puis l’indépendance organisationnelle du juge qui touche à son autonomie dans la conduite de son travail et, enfin, son indépendance fonctionnelle qui concerne sa liberté de statuer en toute conscience. Les travaux auxquels nous nous référerons émanent de recherches en science politique et en criminologie concernant la question de la détermination de la peine. Si cette contribution se centre sur la situation canadienne, elle mobilisera aussi, le cas échéant, le savoir international produit par la recherche. L’indépendance institutionnelle : pouvoir judiciaire et démocratie

La Constitution du Canada établit un régime politique de démocratie représentative. Cela signifie que la source du pouvoir en est la souveraineté populaire ; les citoyens, toutefois, mandatent certaines personnes pour les représenter, par la voie d’élections tenues à intervalles réguliers. Le pouvoir y est exercé, et partagé, par trois instances qui se contrôlent mutuellement. La première est le pouvoir législatif qui adopte les lois et surveille l’action de l’exécutif : c’est le Parlement, composé de la Chambre des communes formée par les élus de la nation et du Sénat. La deuxième est l’exécutif qui, pour diriger le pays, peut proposer des lois, met en œuvre celles qui sont promulguées, et met fin aux législatures : c’est le gouvernement, formé par le parti vainqueur aux élections. La troisième est le judiciaire, qui veille au respect des lois, en sanctionne les transgressions, les interprète et en contrôle la constitutionnalité ; les juges ne sont pas élus, mais nommés ; nous y reviendrons. Ces principes de la démocratie représentative ont pour fondement et objectif de protéger le citoyen de l’usage arbitraire du pouvoir et, parallèlement, ils veulent garantir à celuici l’exercice de ses libertés d’expression et d’action. La séparation des

Pénologie.indd 35

13-08-15 13:41

36  pé n ol o g i e

pouvoirs permet en effet la mise en œuvre du principe de la primauté du droit, selon lequel chaque citoyen, et ce compris tout élu ou organe étatique, est soumis. En matière criminelle, le principe de la légalité formulé par Beccaria (1764) « nullum crimen nulla poena sine lege » (pas de crime ni de peine sans loi) est directement régi par cette primauté du droit. À propos de la légalité du crime, c’est au niveau fédéral que se situe le pouvoir de légiférer dans ce domaine, ce qui permettrait de maintenir une distance face à certaines pressions populistes auxquelles les gouvernements provinciaux auraient pu être plus sensibles. Par contre, l’administration de la justice ressortit à la responsabilité des provinces et des territoires6. Pour mettre en œuvre le principe de légalité, il est indispensable de garantir au mieux l’indépendance du pouvoir judiciaire, afin que l’institution dans son ensemble et chaque juge en particulier gardent leur distance par rapport aux idéologies et aux pressions que pourraient exercer sur eux les citoyens ou l’État. On rappellera par exemple à ce sujet que le gouvernement est partie dans les procédures criminelles, puisque c’est la Couronne qui poursuit l’acte infractionnel. Ceci mène à la question suivante : comment se garantit cette indépendance ? La Charte, comme nous l’avons évoqué, garantit d’être jugé conformément à la loi, par un tribunal indépendant et impartial à la suite d’un procès équitable (art. 11 [d]). L’impartialité, c’est l’indépendance envers les parties : le juge doit rester neutre et sans idée préconçue envers elles. Dans le cas inverse, le principe veut qu’il se récuse, n’accepte pas d’exercer sa fonction dans l’affaire concernée. S’il ne le fait pas, les parties peuvent introduire une procédure en récusation. Sur le plan du statut professionnel, l’indépendance des juges est garantie par la sécurité de mandat et la sécurité financière. En ce qui concerne le premier point, la nomination d’un magistrat se fait sans période d’essai et pour une durée indéterminée ; seule une résolution commune des deux chambres du Parlement peut le démettre de ses fonctions, ce qui ne se serait jamais produit, selon Webster et Doob (2007)7. Quant au salaire des juges, il doit être stable et suffisamment élevé pour 6. Dans la suite du texte, nous entendrons « provinces » au sens large, en incluant les territoires. 7. En contre-exemple, dans certains États américains, les juges sont élus par les citoyens. Comme le souligne McCormick (1994), les gens ont peut-être dans ce cas les juges qu’ils veulent, mais, du coup, ces derniers ont perdu leur indépendance.

Pénologie.indd 36

13-08-15 13:42

L e r ô l e d u ju g e e t l e p o u v o i r ju d i c i a i r e  37

garantir l’intégrité et l’impartialité, dans les faits et dans l’impression que le public en a. Dans cette logique, ils n’ont pas à négocier leur rémunération : elle est établie en droit. Dès lors, comment s’organisent les nominations des juges ? Rappelons d’abord que le pouvoir judiciaire mobilise trois degrés de juridiction : la première instance, l’appel et, en dernier recours, la Cour suprême. En matière criminelle, la première instance se divise en deux niveaux selon la nature de l’infraction poursuivie : dit schématiquement8, la Cour provinciale entend la plupart des causes (plus de 90 %) et la Cour supérieure, parfois avec un jury, a compétence pour juger les cas considérés comme plus complexes et plus graves, dont les meurtres et les faits de trahison, de façon exclusive ; elle siège aussi comme degré d’appel de la Cour provinciale. Les provinces embauchent et salarient les juges provinciaux et c’est le pouvoir fédéral qui recrute ceux des hautes cours (supérieure, appel et suprême) et qui paye leur salaire. Toutefois, hormis la Cour suprême, les provinces ont la responsabilité d’organiser les tribunaux et de fournir aux juges le soutien nécessaire. Dans cette organisation, le processus de nomination a été spécifiquement critiqué en ce qu’il peut ouvrir la porte à des influences politiques susceptibles de contaminer l’indépendance judiciaire. Puisque ce sont les gouvernements qui nomment les magistrats, ils peuvent être tentés, explique la commission Bastarache (2011), de jouer de leur influence en faveur de candidats ayant la même allégeance politique ou des relations avec eux. Dans cette hypothèse, l’idéologie des juges nommés en raison de ces appuis peut refléter celle de ces influences. En outre, le fait que les hautes cours sont composées de façon non négligeable de juges provenant de cours « inférieures », suggère à McCormick (1994) la possibilité que certains comportements décisionnels (et motivations de jugement) soient tentés de s’orienter dans un sens idéologique censé favoriser leur promotion. Par contre, poursuit cet auteur, comme les partis au pouvoir changent au fil du temps, et que les juges sont inamovibles, les effets de ce mode de parrainage semblent limités, puisque, finalement, toutes les tendances s’en trouveront représentées ; de plus, la sélection des juges est faite à partir 8. Citons aussi pour mémoire les cours municipales qui, dans certaines villes, traitent du contentieux de la sécurité routière, des infractions provinciales voire de certaines autres infractions criminelles en procédure sommaire.

Pénologie.indd 37

13-08-15 13:42

38  pé n ol o g i e

d’une liste de candidats aux qualités reconnues, ce qui amenuise considérablement les risques d’une nomination inadéquate. Ces premières considérations ont ainsi montré la possibilité, créée par le processus de nomination et de promotion, d’une perméabilité des juges aux idéologies politiques dominantes, notamment lorsqu’ils décident d’une peine, mais son effet a toutefois été relativisé. Plus largement, elles ont dévoilé une institution judiciaire dont le rôle s’enracine dans l’État de droit, forte d’une indépendance circonscrite par le droit, dont elle est le gardien et l’interprète. L’on peut remarquer ici que dans cette configuration, c’est le judiciaire lui-même qui régule ses modes de relations avec les autres pouvoirs. En 1987 par exemple, la Cour suprême du Canada (le judiciaire) statuait dans l’arrêt MacKeigan vs Hickman que l’exigence d’indépendance (du judiciaire) impliquait que ni le pouvoir législatif ni l’exécutif ne peuvent empiéter sur les fonctions et les pouvoirs essentiels du tribunal, en l’occurrence demander à un juge de s’expliquer sur une décision qu’il a prise. Ce pouvoir important de régulation, et d’autoprotection, soulève maintenant une nouvelle question : qui contrôle les juges ? Il nous suggère aussi que, pour y répondre, il convient d’entrer dans l’organisation elle-même. L’indépendance organisationnelle : le juge et ses pairs

D’emblée, l’on peut comprendre que l’organisation du judiciaire en degrés de juridiction (supra) correspond à un contrôle des décisions qui s’effectue à l’intérieur même de cette institution. La Cour d’appel de chaque province ne mène en effet pas un nouveau procès en entier ; elle a trois fonctions liées au contrôle des tribunaux « inférieurs » que McCormick (1994) a synthétisées. D’abord, elle examine la pertinence d’une décision prise en première instance. Dit schématiquement, en matière criminelle, elle peut maintenir le premier jugement (ce qui serait fréquent), le renverser en changeant le verdict relatif à la culpabilité, modifier la nature ou la durée de la peine (ou tout autre élément), voire casser la première décision et renvoyer la cause devant un nouveau tribunal de première instance (ce qui serait le plus rare). Ensuite, la Cour d’appel vise à uniformiser les décisions prises dans son ressort et, partant, à baliser l’exercice du pouvoir discrétionnaire des juges (sur lequel nous reviendrons). Et enfin, ses décisions servent de guide aux juges de la province face à de nouvelles pro-

Pénologie.indd 38

13-08-15 13:42

L e r ô l e d u ju g e e t l e p o u v o i r ju d i c i a i r e  39

blématiques, dues par exemple à l’évolution sociale. La recherche a montré que ce type de contrôle hiérarchique peut produire des pressions plus ou moins implicites sur les choix de sentence que fera un juge (Vanhamme, 2009). En élargissant cette perspective, les activités qui découlent des fonctions de la Cour, ancrées dans un contexte social spécifique et une tendance culturelle « provinciale », peuvent apporter quelque lumière sur les différences dans les peines constatées entre les provinces, et qui se répercutent sur les taux d’incarcération, variables eux aussi selon les provinces (Roberts et Birkenmayer, 2000 ; Tucker, 2009). Quant à la Cour suprême, c’est la plus haute cour, l’ultime recours au Canada. Sa fonction est le contrôle constitutionnel des décisions (et des lois, le cas échéant). Ce faisant, sa jurisprudence sert de guide en droit, tendant ainsi à réguler l’application de la loi au niveau national cette fois. Son influence est considérable. Elle peut orienter ou contrer certaines politiques par la voie de sa jurisprudence. Par exemple, en 2002, se référant à la Charte, elle a statué dans l’arrêt Sauvé que les détenus avaient le droit de voter, contrecarrant sur ce point la tendance à l’exclusion associée au virage punitif. C’est elle aussi qui a déclaré, dans l’arrêt Wust (2000), qu’en principe, le juge était tenu d’accorder une réduction de peine lorsque le justiciable avait subi une détention provisoire, là où le Code criminel n’en mentionnait que la possibilité ; la Cour a laissé à chaque magistrat le soin d’en décider la durée, sachant que le double du temps passé en détention était à l’époque la pratique courante. Il faut cependant mentionner que, dans ce cas-ci, le législateur a balisé à son tour la position de la Cour : l’article 719 (3) du Code criminel9 précise maintenant que cette réduction se limitera dorénavant à un maximum d’un jour pour chaque jour passé sous garde10. À l’égard du principe d’harmonisation des peines, rappelons toutefois qu’il n’appartient pas qu’aux hautes cours de le régir : le Code criminel lui-même instruit le juge à ce sujet. L’article 718.2 (b) lui recommande en effet, toutes choses étant égales par ailleurs, d’infliger des « peines semblables à celles infligées à des délinquants pour des infractions semblables commises dans des circonstances semblables11 », invitant de ce fait les juges 9. Projet de loi C-25 entré en vigueur le 1er mars 2010. 10. Dans des cas exceptionnels, la réduction peut être d’un jour et demi et le juge devra s’en justifier explicitement (CC, 719 [3.1]). 11. On peut évidemment se demander si de telles similitudes peuvent exister. Une telle recommandation invite donc à procéder par analogie.

Pénologie.indd 39

13-08-15 13:42

40  pé n ol o g i e

à se référer aux décisions de leurs confrères. Cette instruction peut certes contribuer aux « tarifs » des peines qui varient entre les tribunaux, mais elle ne peut suffire à expliquer cette harmonisation locale, puisque les disparités de peine entre les tribunaux se constatent dans la plupart des systèmes pénaux occidentaux, que la directive d’harmonisation y ait été ou non explicitement formulée12. Certes, note McCormick (1994), un chef de corps pourrait recommander avec plus ou moins d’insistance une solution pour un jugement spécifique, mais il est difficile de concevoir qu’il tente d’orienter le comportement décisionnel de tous les juges. C’est en effet une autre dynamique qui favorise cette harmonisation locale : un réseau de communication informelle agit dans les tribunaux. Les magistrats se connaissent, parlent entre eux, échangent des observations et des idées sur leurs perceptions typiques de la criminalité et des criminels actifs dans la juridiction. Il peut aussi arriver qu’ils consultent l’un ou l’autre collègue sur les solutions qu’ils ont adoptées. D’autres communications se tiennent aussi avec les procureurs de la poursuite et de la défense hors des audiences. De la sorte se transmet, s’apprend et se reproduit, par socialisation, un modèle référentiel des « bonnes pratiques » décisionnelles en usage dans chaque tribunal. Et ce modèle, en tant que référence, a deux effets pratiques : d’une part, il fournit un guide de pré-solutions routinières pour les nombreuses décisions que le juge a à prendre sous la pression de sa lourde charge de travail ; d’autre part, il invite à s’y aligner. Dit autrement, le savoir implicite des bonnes pratiques exerce une certaine pression à la conformité, qui contribue de façon non négligeable mais tout à fait informelle à l’harmonisation des peines dans le tribunal (Vanhamme et Beyens, 2007). Ces modes de contrôle et d’autocontrôle des juges s’effectuent au sein même de l’organisation ; ils balisent le contenu des décisions. Plus largement, il convient aussi de rappeler l’existence du Conseil canadien de la magistrature qui a été créé en 1971, et des Conseils provinciaux apparus dans la foulée. Ces organes ont un pouvoir disciplinaire qui porte non plus sur le fond de la décision, mais sur la conduite des juges et en particulier sur leur intégrité. Par ailleurs, ils peuvent dans certains cas assumer 12. Voyez notamment Robert, Faugeron et Kellens (France), 1975 ; Hood (Royaume-Uni), 1992 ; Ulmer (États-Unis), 1997 ; Roberts et Birkenmayer (Canada), 2000 ; Vanhamme (Belgique), 2009.

Pénologie.indd 40

13-08-15 13:42

L e r ô l e d u ju g e e t l e p o u v o i r ju d i c i a i r e  41

un rôle d’avis dans le processus de sélection en vue de nominations et de promotions des magistrats. Il faut remarquer que ces Conseils sont formés principalement de juges et d’avocats, quoiqu’ils s’adjoignent, au niveau provincial, quelques membres « civils ». De ce survol des contrôles exercés sur les juges, un élément se dégage avec force : au nom de l’indépendance judiciaire, ce sont des juges, et plus largement des avocats, qui y procèdent. En résultante se dégage un groupe social « juridique » fortement autorégulé selon un mode corporatif. Centré sur ses propres logiques, il incite fortement à l’appartenance dans une visée de cohésion ; en effet, le « bon juge » sera celui qui montre qu’il s’inscrit dans les logiques que ce groupe valorise (Vanhamme, 2009)13. McCormick (1994) explique à cet égard que les juges sont recrutés parmi les avocats qui ont été retenus dans un processus de sélection rigoureusement mené par d’autres avocats et juges. De la sorte, avant même d’être engagés, et au-delà des interférences potentielles du gouvernement, ils ont déjà été évalués par leurs pairs, sur la base de leurs comportements professionnels et arguments de plaidoirie. C’est donc finalement le monde du Barreau qui constitue la principale appartenance des juges (ils en restent d’ailleurs des membres inactifs) et par conséquent leur premier public. C’est à lui que s’adressera la motivation d’un jugement, et c’est ce même auditoire qui y trouvera des critères d’évaluation de qualité : ses attentes orientent ainsi l’activité décisionnelle des juges. De la sorte, conclut McCormick, on pourrait dire que les juges sont indépendants du gouvernement, mais fortement dépendants de leur propre monde, celui du Barreau, celui du droit. Il s’agit là d’une balise très ferme qui encadre l’activité décisionnelle. Dans le processus de détermination de la peine, un juge n’applique en effet pas simplement la loi : il évalue le cas d’espèce dont il est saisi, établit des analogies à la lumière des précédents qu’il sélectionne, mobilise le savoir implicite en cours au tribunal (Vanhamme, 2009). L’interprétation est de ce fait inhérente à la prise de décision, et le juge doit disposer d’une zone de liberté pour y parvenir : la question du contrôle et des balises mène ainsi à celle du pouvoir discrétionnaire du juge, que nous allons explorer maintenant. 13. Sur les logiques et raisonnements valorisés par les juristes, voyez notamment McCormick (1994) et Schauer (2009).

Pénologie.indd 41

13-08-15 13:42

42  pé n ol o g i e

L’indépendance fonctionnelle : le juge et le processus décisionnel

Selon le principe de l’impartialité (supra), tout citoyen est égal devant la loi. Une décision équitable, au sens de « juste », de « ce qui est mérité », serait alors une décision qui satisfait au principe de proportionnalité au regard de la gravité de l’acte et de la responsabilité de son auteur comme le stipule l’article 718.1 du Code criminel, en respectant aussi le principe de l’harmonisation des peines. Sur ces bases, la recherche en détermination de la peine s’est depuis longtemps intéressée aux écarts à ces principes ; elle a ainsi posé la question de la disparité entre les peines dans des cas relativement similaires : qu’est-ce qui les fait varier ? Tout en soulignant l’importance persistante de la privation de liberté, la recherche quantitative en a, en effet, montré l’application sélective, comme pour les autres peines à disposition du juge (principalement le sursis, la probation, l’absolution ou leurs « équivalents » dans d’autres pays). Différentes variables influencent ainsi le choix de la peine, en nature et en durée. Vanhamme et Beyens (2007) en ont fait la synthèse. Ce sont d’une part des facteurs dits légaux comme la gravité de l’acte, le passé judiciaire ou encore le fait d’avoir subi une détention provisoire. Souvent, dans ce dernier cas, le juge ne va pas la contredire et inflige une privation de liberté qui la « couvre » par une durée au moins équivalente. À la frontière de ces facteurs dits légaux, le comportement du justiciable face au système pénal peut aussi faire varier la peine, comme ses aveux et la formulation de regrets. D’autre part, des variables nettement extralégales, liées à la personne même du justiciable, influencent la peine : l’âge, le genre, l’origine nationale ou ethnique, la situation professionnelle et pécuniaire, le niveau social et le degré d’instruction. Ces différentes variables, prises seules, ont une valeur explicative relative ; par contre, quand elles se cumulent et interagissent entre elles, leur effet devient plus net. C’est ainsi que Steffensmeier et ses collaborateurs (1998) en viennent à souligner le « punishment cost of being young, black, and male » aux États-Unis. Au Canada, nous l’avons mentionné, ce sont spécifiquement les Autochtones qui subissent ce prix14, sans pour autant en avoir le monopole. La réforme de la détermination de la peine en 1996 a voulu contrer cette 14. Les Autochtones constituent quelque 3 % de la population et leur part dans les détentions provisoires est de 21 % ; dans les détentions après condamnation en milieu provincial, de 27 % ; et dans celles en milieu fédéral, de 18 %.

Pénologie.indd 42

13-08-15 13:42

L e r ô l e d u ju g e e t l e p o u v o i r ju d i c i a i r e  43

tendance qui existait déjà à l’époque, en attirant particulièrement l’attention du juge sur les délinquants autochtones, lorsqu’il applique le principe de modération de la peine au regard des circonstances (Code criminel, art. 718.2 [e]). La Cour suprême, dans ses fameux arrêts Gladue (1999) et Wells (2000), a ensuite précisé que les circonstances dans lesquelles se trouvent les Autochtones sont effectivement particulières et comprennent notamment des différences culturelles. Malgré ces instructions pourtant, les statistiques montrent que leur surreprésentation dans les prisons a continué d’augmenter. Bref, ni la loi ni les arrêts de la Cour suprême ne sont parvenus à améliorer la situation au stade des condamnations. Le peu d’impact de ces nouvelles instructions légales attire l’attention sur les logiques qui président à la détermination de la peine. L’une des premières recherches influentes en ce domaine a été celle de Hogarth en 1971. L’auteur a mené une enquête auprès de 71 juges en Ontario, puis a procédé à une série d’analyses statistiques des données recueillies. Sa conclusion la plus fameuse est que l’on comprend mieux la détermination de la peine en ayant quelques informations sur le juge qu’en connaissant bien les faits du cas d’espèce. De telles affirmations, qui soulignent l’importance de la personne du juge et de son raisonnement, ont suscité l’intérêt de la recherche qualitative. Dit brièvement, dans le domaine du sentencing, la recherche qualitative aborde, en partie ou en tout, le processus décisionnel en tant que traitement de l’information et pratique sociale, et considère le juge comme un acteur social en interaction avec les parties et plus largement avec le contexte juridique, pénal, judiciaire, social et culturel dans lequel il évolue (Vanhamme et Beyens, 2007). Cette perspective a permis de souligner que la tâche de juger est complexe, voire parfois déstabilisante, de sorte que le juge a recours à différentes heuristiques pour en réduire la difficulté. Sa grande charge de travail n’y est sans doute pas étrangère, ni le fait que les objectifs des peines édictés par le Code criminel sont vagues et sans hiérarchisation15. Parmi ces méthodes pratiques, Robert, Faugeron et Kellens constatent, dès 1975, que le juge tend à sélectionner un nombre fort limité d’éléments du cas d’espèce. Son raisonnement favorise les catégorisations de type binaire. Ainsi, en ce qui 15. Ces objectifs sont énoncés dans l’article 718 du Code criminel : dénoncer, dissuader, neutraliser, réinsérer, réparer, responsabiliser, dans le but de contribuer au respect de la loi et au maintien d’une société juste, paisible et sûre.

Pénologie.indd 43

13-08-15 13:42

4 4  pé n ol o g i e

concerne la commission de l’infraction, il se demandera s’il s’agit d’un dérapage ou si elle appartient à une habitude délinquante ; à propos de l’accusé, si c’est un pauvre type ou un salaud ; en matière de comportement futur, si le justiciable a peu ou beaucoup de probabilités de récidiver ; et en relation avec la peine, si celle-ci doit ou non maintenir en liberté. Un éclairage a aussi pu être porté sur les variables menant aux disparités des peines. Ainsi, en ce qui concerne la gravité de l’acte, l’on soulignera d’abord que les définitions du Code criminel permettent d’y insérer des comportements de gravité diverse. Dès lors, la qualification juridique retenue doit être comprise comme une interprétation (Nonn, 1991). Il faut également la comprendre comme un énoncé social. En 1949, Garfinkel constatait en ce sens que dans les cas d’homicide d’un homme blanc par un homme noir, l’interprétation du juge se teintait d’une logique justicière (« Get the nigger ! »), alors que, dans le cas inverse, le juge (blanc) résistait à l’idée qu’il s’agissait vraiment d’un meurtre (« Murder ? »). Si l’évaluation de la gravité d’un fait peut varier de la sorte selon les représentations sociales du juge, elle peut aussi se modifier selon son évaluation de l’accusé en tant que membre de la société. Le magistrat jauge ainsi sa morale (Komter, 1994) et pose un diagnostic à propos de la « gravité sociale de sa délinquance » augurant, selon lui, du comportement futur de l’accusé (Vanhamme, 200 9). Dans ce processus diagnostique interviennent notamment : • •

• •



Pénologie.indd 44

les aveux, suivant la logique de sens commun voulant que « faute avouée [soit] à moitié pardonnée » ; les regrets, puisque éprouver du mécontentement envers soi-même, c’est assumer la faute commise et, par conséquent, déjà presque promettre de ne plus recommencer (à délinquer) ; le passé judiciaire, qui sert d’indicateur de la capacité de comprendre et d’apprendre sa leçon (pénale) ; le genre : pour Gelsthorpe et Loucks (1997), les femmes sont plus facilement vues comme psychologiquement perturbées (troubled) que les hommes, considérés plutôt, eux, comme fauteurs de troubles (troublesome) ; la situation professionnelle : Beyens (2000) a montré que le fait d’avoir un travail suggère au juge une insertion sociale favorable, tandis que celui d’être au chômage, une déficience personnelle ;

13-08-15 13:42

L e r ô l e d u ju g e e t l e p o u v o i r ju d i c i a i r e  45



et l’insertion sociale en elle-même : Vanhamme (2009) explique que celle-ci fournirait le rempart par excellence contre la délinquance.

Finalement, tous les facteurs extralégaux relevés par la recherche quantitative contribuent à structurer l’évaluation de la gravité de la délinquance et, par voie de conséquence, la peine. Il est clair que les ressources de l’accusé entrent en jeu dans le processus : ses compétences culturelles et sociales d’un côté, pour comprendre ce qui se passe, décrypter les attentes implicites du juge, savoir agir et réagir de façon adéquate ; et ses ressources pécuniaires de l’autre, car le fait d’avoir un bon avocat contribuera nettement à produire une meilleure défense (ibid.). La qualité des avocats, et leurs interactions avec le juge, influent en effet aussi sur la décision de ce dernier. Ces ressources des acteurs impliqués croisent les heuristiques mobilisées par le juge. Dans le contexte décisionnel, celui-ci procède à l’évaluation de la personne de l’accusé, ce qui teinte celle des faits et oriente vers la nature et la durée de la peine. Les disparités des peines se construisent dans ce processus interprétatif ; les seules caractéristiques des accusés ne suffisent pas à les expliquer. C’est bien le pouvoir discrétionnaire dont jouit le juge qui s’active dans ces évaluations. Chaque juge, en quelque sorte, serait aussi impartial qu’il lui est possible de l’être dans son contexte d’action. N’oublions pas en effet que le pouvoir discrétionnaire est inhérent à l’interprétation du cas d’espèce ; donc, il est nécessairement inclus dans le processus décisionnel et ce, d’autant plus que le juge évolue dans le flou quant aux buts de la peine. Au passage, l’on soulignera à ce sujet que ce même flou, renforcé par la palette des peines, mène à mobiliser une variété de buts dans les peines effectivement prononcées ; Landreville (2007) autant que Webster et Doob (2007) voient dès lors dans ce flou un facilitateur de la relative modération des peines au Canada. Ces caractéristiques importantes concernant le recours nécessaire au pouvoir discrétionnaire permettent également, dans la foulée, de percevoir une voie pratique par laquelle certaines dispositions légales peuvent se heurter à une résistance : les heuristiques mobilisées, les représentations et les savoirs pratiques issus de l’expérience professionnelle et sociale du juge, les interactions à l’audience sont autant d’éléments qui débordent du cadre du droit. Il faut cependant mobiliser ici certains de nos constats précédents pour souligner avec Tata (2002) que, de la même façon que le trou du donut n’est pas le donut mais est circonscrit par lui, le pouvoir

Pénologie.indd 45

13-08-15 13:42

46  pé n ol o g i e

discrétionnaire n’est pas du droit, mais est régulé par lui et surtout, comme nous l’avions mentionné, par ses propriétés puissantes d’orientation du raisonnement et d’appartenance. *** Dans le cours de notre exploration, nous avons progressivement pu apporter des éléments de réponse et des nuances aux différentes questions soulevées en introduction. L’une d’entre elles toutefois reste à aborder et ce, d’autant plus qu’elle porte sur l’insertion du sentencing dans la dynamique du « virage punitif ». La capacité de résistance du judiciaire face à la tendance discursive et légale imprégnée du virage punitif est-elle en voie d’effritement ? Différentes considérations qui ont émergé au fil de ce texte nous mènent à la réflexion suivante, qui porte plutôt sur une voie par laquelle cette capacité pourrait être amenée à s’amenuiser. L’institution judiciaire défend jalousement son indépendance et, pour la soutenir, notamment, elle s’active à produire une forte cohésion interne. Les contrôles autant que l’appartenance y contribuent (même si cette appartenance s’inscrit dans le monde juridique du Barreau). Rarement, on l’entendra revendiquer son pouvoir discrétionnaire ; au contraire, le discours « en droit » tend à voiler cette dimension inhérente à l’acte de juger. Les disparités dans les peines qui découlent de l’exercice de ce pouvoir pourraient constituer une raison de cette discrétion, d’autant plus qu’elles peuvent prêtent le flanc aux critiques des deux autres instances de pouvoir, le législateur et le gouvernement (ainsi que de la population). L’argument a en effet été brandi dans les années 1970, et a présidé au renversement des politiques réhabilitatives et à l’apparition des matrices de peines aux États-Unis, qui contrôlent étroitement la liberté décisionnelle du juge. Dans le même temps que le pouvoir judiciaire voile le rôle du pouvoir discrétionnaire, il passe aussi sous silence le côté créateur de l’acte de juger et le rôle politique qui s’y associe. Ce rôle politique, même voilé, semble pouvoir mener à des rétroactions mutuelles entre le judiciaire et les deux autres pouvoirs. Lorsque la Cour suprême « crée » de nouveaux droits au nom du droit (par exemple la remise obligatoire du temps passé en détention provisoire), le gouvernement et le législateur peuvent se joindre pour contrecarrer cette création. Dans l’autre sens, une loi peut être promulguée, mais avoir peu d’effet

Pénologie.indd 46

13-08-15 13:42

L e r ô l e d u ju g e e t l e p o u v o i r ju d i c i a i r e  47

dans son application par les juges. Si ce jeu d’interactions et de rétroactions s’intensifiait, par exemple dans une configuration légale plus orientée vers le « virage punitif », cela ne pourrait-il pas enclencher une dynamique d’escalade « à coups de droit » entre, d’un côté, le législateur et l’exécutif et, de l’autre, le pouvoir judiciaire ? Peut-être faudrait-il pour cela que l’institution judiciaire revendique franchement son rôle politique. Dans le cas contraire, pourrait-on s’attendre à un mouvement de retranchement stratégique du judiciaire dans la bulle de son monde ? Monde dans lequel, rappelons-le, le gouvernement est déjà arrimé par le truchement de la Couronne. La résistance du judiciaire aux tendances discursives et légales teintées du virage punitif risquerait-elle alors une érosion progressive ? Sous un tel jour, une indépendance judiciaire active se dévoile vraiment comme une clé de la démocratie et de l’État de droit.

Pénologie.indd 47

13-08-15 13:42

Pénologie.indd 48

13-08-15 13:42

DEUXIÈME PARTIE

les peines

Pénologie.indd 49

13-08-15 13:42

Pénologie.indd 50

13-08-15 13:42

3 La peine d’emprisonnement Marion Vacheret

La prison est la sanction la plus élevée dans l’archipel pénal de la majorité des sociétés occidentales. Utilisée depuis toujours, sinon comme peine principale du moins comme peine accessoire – en attente du prononcé définitif de la sentence–, cette mesure a pris une ampleur considérable à partir du xix e siècle, la liberté devenant le « bien civil le plus précieux ». Lieu d’exclusion sociale et d’isolement, espace physique et architectural déterminé, les hauts murs, les grillages tout comme les miradors de la prison sont les représentations extérieures d’une volonté collective délibérée d’exclure pour un temps déterminé certaines personnes du corps social. Largement utilisée comme sanction, cette institution, vue comme « idéale » en matière de lutte contre la criminalité, est ainsi devenue la peine par excellence, incontournable point de référence pour tout un chacun, suprême rempart visant la protection de l’ordre public. Pendant longtemps la prison a été vue comme un lieu de pénitence et d’amendement. Toutefois, les critiques qu’elle a subies pendant des décennies ont amené un certain élargissement de sa mission. Elle est présentée depuis les années 1960 comme un espace de rééducation possible des condamnés, dans la continuité de ce que préconisait le comité Ouimet (1969) lorsqu’il mentionnait que « l’un des rôles primordiaux de la prison est de rééduquer des gens pour leur permettre de vivre dans la légalité lorsqu’ils seront remis en liberté ». Forte de cette perspective, mais sans supprimer l’idée que la prison garde toujours le mandat de maintenir

Pénologie.indd 51

13-08-15 13:42

52  pé n ol o g i e

l’ordre social, l’institution carcérale canadienne a connu d’importants bouleversements. La prison d’aujourd’hui s’inscrit donc dans des logiques éclatées, que nous analyserons ici. La prison, un temps d’isolement et de privations

La peine privative de liberté a été présentée par les philosophes des Lumières – contrairement aux supplices pratiqués jusque-là – comme une peine humaine et respectueuse du condamné. Son intérêt et l’engouement dont elle a fait l’objet résident dans le fait qu’elle constitue une peine garantissant l’isolement social du contrevenant tout en étant modulable selon la gravité de l’acte. Dans le cadre de l’exécution de cette peine, le temps est d’une durée particulière, car il devient à la fois critère de sévérité de la peine et source de souffrance. Un temps de souffrance

L’institution carcérale, en tant que lieu où s’exécute une peine, constitue, à l’instar de ce que qu’a mis en lumière Goffman en 1961, une organisation punitive marquée par son caractère total et englobant. Dans celle-ci, les détenus sont soumis à une surveillance étroite et permanente et se retrouvent encadrés par une organisation rigoureuse et formelle de l’espace et du temps. Les gardiens étant mandatés pour observer les faits et gestes des condamnés et enregistrer les moindres événements de leur vie, un rapport mutuel de surveillance s’instaure entre « re-gardant » et « re-gardés ». Au cours des décennies, l’institution carcérale a évolué. L’arrivée de membres du personnel ayant un mandat centré sur la réinsertion sociale, l’amélioration des conditions matérielles de détention, le développement d’échanges avec la collectivité extérieure – comme la reconnaissance que les détenus conservent leurs droits de citoyens malgré leur détention –, ont changé en profondeur la vie des condamnés. Certains auteurs, comme Stastny et Tyrnauer (1982), ont parlé de l’effritement du caractère total de cette institution, d’échanges, de transparence et de perméabilité. Toutefois, peu importe sa durée et les conditions dans lesquelles elle se déroule, la privation de liberté reste une souffrance. Dès la fin des années 1950, Sykes a ainsi montré que la vie en détention engendrait de multiples privations.

Pénologie.indd 52

13-08-15 13:42

L a p e i n e d ’ e mpr i son n e me n t  5 3

Synonyme de perte de liberté, l’enfermement entre quatre murs est également synonyme de contraintes de toutes sortes – perte d’intimité en raison de l’observation constante dont les détenus font l’objet et de l’étroite promiscuité avec les codétenus ; perte d’autonomie en raison du caractère contrôlant de l’organisation carcérale, laquelle décide et impose un mode de vie au condamné selon un programme strict ; ou encore perte de sécurité en raison de la violence physique et psychologique qui règne derrière les barreaux. Infantilisation, exploitation et domination font partie du quotidien carcéral, rendant l’enfermement encore plus contraignant et difficile que la simple privation de liberté. Selon sa durée, la peine est purgée dans un établissement provincial ou fédéral. Chaque service correctionnel provincial est responsable de l’administration des peines d’emprisonnement inférieures à deux ans, des mesures non carcérales, des détentions avant jugement, ainsi que de la surveillance dans la collectivité pour toutes les libérations anticipées. Chaque province a sa propre législation, construit ses propres institutions et décide du régime carcéral qu’elle juge pertinent. De l’autre côté, toutes les peines privatives de liberté égales ou supérieures à deux ans, régies par la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, sont purgées dans des pénitenciers fédéraux. Ceux-ci sont classés selon leur niveau de sécurité – minimum, médium, maximum – et administrés par le Service correctionnel du Canada. Ainsi, les conditions de détention peuvent varier considérablement selon le lieu où est détenu le condamné et plus encore dans les prisons provinciales qui sont extrêmement différentes d’un établissement à l’autre et d’une province à l’autre. Plus la cote sécuritaire de l’établissement est élevée, plus la personne incarcérée voit sa liberté de mouvement – ou liberté résiduelle – restreinte et surveillée au quotidien. Le caractère pénible de l’emprisonnement en est alors accentué. Dans ce cadre, les détenus vivent dans un espace-temps spécifique. Temps d’attente, temps mort, temps perdu, temps de rupture ; le temps est également un instrument de contrôle pour les autorités judiciaires et carcérales. Les condamnés ont un temps à faire, à meubler, à combler, – le temps de la peine – et chacun doit s’y adapter. Marchetti (2001) parle d’un temps infini auquel sont soumis notamment les condamnés à de longues peines. Pour Vacheret et Lemire (2007), ce temps demande une adaptation spécifique, un aménagement, une organisation temporelle propre. Ils

Pénologie.indd 53

13-08-15 13:42

5 4  pé n ol o g i e

rappellent que cette adaptation au temps de la peine se déroule en plusieurs étapes et varie d’une personne à l’autre, selon ses ressources personnelles et sociales. Pour tous les condamnés, quelle que soit la durée de leur sentence, il s’agit d’un temps d’arrêt par lequel il faut passer pour atteindre la sortie. Ainsi, une fois incarcéré et isolé socialement, le quotidien de l’institution, les occupations possibles et l’accès à un travail et à une rémunération minimale deviennent les préoccupations prédominantes. Parallèlement, alors même que la vie de tous les jours continue à l’extérieur et que la société change, la rupture avec son passé et avec ce qui en constituait la réalité engendre une perte de repères. La vie dehors et ce qui s’y déroule perd de son acuité, ce qui rend la sortie et la libération d’autant plus difficiles, et ce plus encore lorsque la sentence est longue. Un temps de mise à l’écart

Le temps de la peine est décidé par le juge en fonction des indications du Code criminel et selon l’analyse qu’il fait de la situation. Généralement la peine mentionnée au Code criminel est indiquée comme une peine maximum – on parle d’une infraction passible d’une peine de 6 mois, 1 an, 2 ans, 5 ans, 10 ans, 14 ans ou d’un emprisonnement à perpétuité – au-delà de laquelle le juge ne peut aller, mais en deçà de laquelle il est libre de décider de la mesure qu’il juge la plus adéquate. Toutefois, que l’on parle d’exemplarité, de dissuasion, de peines « justes » et « vraiment méritées », ou encore de résoudre le problème de la disparité des sentences, des peines minimales obligatoires ont été introduites dans le Code criminel. Tentant, selon le législateur, de répondre soit à la gravité de l’acte pour lequel la personne a été reconnue coupable, soit à la dangerosité éventuelle du coupable, ces peines ont connu un essor considérable dans les années 1990 et 2000 (Roberts, 200 5). À l’heure actuelle, près de 30 infractions contenues dans le Code criminel canadien sont associées à une peine minimale obligatoire d’emprisonnement. Les meurtres au premier et au deuxième degré, les infractions commises avec une arme à feu, les cas d’actes criminels commis sur mineurs, de délinquance sexuelle ou encore les poursuites pour conduite avec facultés affaiblies sont ciblés par ce type de mesure. Dans ces cas, le législateur contraint le juge à sanctionner minimalement l’accusé, quelle que soit l’analyse faite de la situation qui doit être jugée. Il s’agit d’imposer au

Pénologie.indd 54

13-08-15 13:42

L a p e i n e d ’ e mpr i son n e me n t  55

condamné un temps obligatoire de privation de liberté, tout en restreignant le pouvoir discrétionnaire d’évaluation et d’interprétation des juges. La nécessité d’isoler une personne du corps social n’est donc plus à établir pour que celle-ci le soit. Au Canada, la prison est considérée par beaucoup comme une peine « idéale », voire la seule « vraie » peine. À ce titre, la mise à l’écart du condamné est largement utilisée et reste la mesure privilégiée tant dans les discours politiques que dans les discours médiatiques. De ce fait, bien que stables depuis plus de 30 ans, les taux de détention canadiens sont relativement élevés. Selon les données du Ministère de la Sécurité publique du Canada (2012), avec une proportion, en 2011, de 117 détenus pour 100 000 habitants, le Canada est le sixième pays qui incarcère le plus au monde, derrière les États-Unis, la Nouvelle-Zélande et l’Angleterre, entre autres. Il recourt davantage à la peine privative de liberté que la majeure partie des pays d’Europe comme l’Italie, la France, le Danemark, la Norvège ou encore la Finlande. Il faut noter toutefois un important décalage dans les taux d’incarcération selon les provinces et territoires canadiens. Certains incarcèrent beaucoup plus, comme les Territoires du Nord-Ouest (677), le Yukon (220), la Saskatchewan (157) ou encore le Manitoba (140), que d’autres, comme la Nouvelle-Écosse (40), le NouveauBrunswick (52), le Québec (63) et Terre-Neuve (65), créant une fracture dans les pratiques pénales entre les provinces de l’est et celles de l’ouest. De plus, les courbes de détention varient considérablement selon la mesure elle-même. Ainsi, si depuis le début des années 1980, la proportion des peines de deux ans et plus est restée relativement stable – elle représente et a toujours représenté environ 40 % des peines d’emprisonnement –, celle des peines inférieures à deux ans a connu de son côté au cours des dernières décennies une importante diminution, passant de 50 % dans les années 1980 à 25 % aujourd’hui. De fait, le taux général d’incarcération – qui aurait dû baisser au cours des dernières décennies – ne l’a pas fait en raison de l’inflation du recours à la détention avant jugement. Dauvergne (2012) indique ainsi que si en 1980-1981, il y avait 17 prévenus pour chaque tranche de 100 000 habitants âgés de 18 ans et plus, en 2010-2011, ce nombre s’élevait à 48 par 100 000 habitants. Elle précise qu’en 2010-2011, au cours d’une journée typique, « les adultes en détention provisoire représentaient 53 % des adultes sous garde dans les établissements provinciaux et territoriaux, alors que ceux en détention après condamnation en constituaient 45 % ».

Pénologie.indd 55

13-08-15 13:42

56  pé n ol o g i e

Parallèlement, l’analyse des données statistiques sur le recours à l’emprisonnement montre que si plus de 85 % des sentences d’emprisonnement sont inférieures à six mois, de nombreux condamnés se retrouvent soumis à une peine d’emprisonnement à vie. Depuis 1976, avec l’abolition de la peine de mort, ces peines sans fin constituent une part importante des peines privatives de liberté. Selon les données du Ministère de la Sécurité publique du Canada, plus de 23 % des détenus fédéraux, soit près de 5200 personnes, à raison de 160 à 190 admissions par année, purgent actuellement ce type de sentence. S’ils peuvent, sous réserve de l’évaluation de leur dossier par la Commission des libérations conditionnelles du Canada, bénéficier d’une libération après un nombre d’années déterminé par le juge au moment du prononcé de la sentence – entre 10 et 25 ans pour les condamnés pour meurtre au deuxième degré, après 25 ans pour les condamnés pour meurtre au premier degré –, leur sortie reste assortie d’une surveillance à vie dans la collectivité. La durée de la condamnation joue alors un rôle fondamental à la fois dans la façon dont le prisonnier va s’intégrer et s’adapter au milieu carcéral et dans sa réinsertion sociale future. Flanagan (1995) parle de l’impact dévastateur d’une longue sentence, tant au plan social que psychologique. Pour Lameyre (2004), ce temps peut mener à l’anéantissement même de la personne. Par ailleurs, les évolutions législatives des années 2010 à 2012 et l’entrée en vigueur de lois nettement plus sévères, notamment la Loi sur la sécurité des rues et des communautés, prévoyant entre autres de restreindre le pouvoir des juges par l’imposition de peines minimales et de limiter l’accès à des mesures non carcérales comme le sursis, engendrent depuis peu une augmentation inquiétante du nombre de détenus. Si pendant longtemps le Canada a été considéré comme un pays dans lequel, selon Doob et Webster (2006), les discours publics punitifs ne se reflétaient pas ou peu dans les pratiques judiciaires, « Talk Tough – Act Softly », cette tendance semblerait commencer à changer. Un outil de contrôle des populations

La pénalité contemporaine est marquée par des discours sécuritaires, centrés sur la mise en œuvre d’une gestion rationnelle des risques et des ressources du système pénal. Au cœur de cette rationalité se trouve la prison

Pénologie.indd 56

13-08-15 13:42

L a p e i n e d ’ e mpr i son n e me n t  57

qui, par son effet d’isolement social, est vue comme l’outil de contrôle par excellence des délinquants et de la criminalité. On retrouve alors deux dimensions cohabitant : la protection de la collectivité et la préparation à la réinsertion sociale des condamnés. Dans cette perspective, la responsabilisation du condamné est devenue la clé de voûte de l’ensemble. Un contrôle à l’aune de la nouvelle gestion publique

Pendant les années 1990 et 2000, les politiques canadiennes à l’égard de l’institution carcérale se sont transformées. À partir du développement d’outils statistiques de prédiction des comportements et de classement, la prison est devenue un outil de gestion rationnelle des populations criminelles. Au moyen de calculs probabilistes sur la récidive potentielle des contrevenants pris en charge, il s’agit d’exercer le meilleur contrôle possible sur les individus risquant de commettre des actes criminels considérés comme dangereux pour la société. De ce fait, on gère et on classe des populations dans le but de neutraliser les condamnés présentant des risques élevés de récidive selon un processus administratif, structuré et rationnel. La justice, ainsi conçue dans un tel système, s’approche de ce que Feeley et Simon (1992) appellent la « nouvelle pénologie » ou « justice actuarielle », dans laquelle la recherche d’efficacité s’allie à celle d’assurance sociale contre les risques. Les discours en matière de pénalité sont parallèlement empreints de notions de rationalisation, de rentabilité économique et de diminution des coûts. Les interventions s’appuient sur un raisonnement économique et sur l’idée de mettre en place la meilleure gestion possible des ressources. Dans cette perspective, au cours des dernières décennies, les concepts de plan d’action, de gestion des services, de coordination des interventions, d’amélioration des résultats, d’imputabilité, de clientèle, sont devenus les mots clés du fonctionnement de la justice pénale actuelle et, donc, de l’institution carcérale. Selon Gilling (2010), basées sur une amélioration du rapport coût-efficacité et sur un plus grand pragmatisme dans la gestion des administrations publiques, les prisons, imputables de l’ensemble de leurs décisions, ont des comptes à rendre aux contribuables. Efficacité, efficience, rapidité sont devenues les mots clés du processus de privation de liberté. Cette recherche d’efficacité se concentre sur ce que l’on pense être la demande de sécurité de la population. Cette dernière s’attend à être

Pénologie.indd 57

13-08-15 13:42

58  pé n ol o g i e

protégée, rassurée, prémunie contre les risques liés à la criminalité. L’enfermement et donc la neutralisation des contrevenants sont alors présentés comme la solution idéale – voire la seule possible – pour y répondre. On considère de façon générale que cette neutralisation devrait avoir un impact considérable en matière de protection de la collectivité, puisqu’elle permettrait la mise hors d’état de nuire des délinquants les plus actifs. Leur emprisonnement engendrerait alors une diminution importante des taux de criminalité, et plus spécialement des actes criminels considérés comme graves ou entraînant des risques sérieux pour la collectivité. Les mesures mises en place prenant leur source dans la médiatisation d’événements rares, mais de forte intensité émotionnelle, le recours à la prison comme outil de maintien de l’ordre s’inscrit alors dans un contexte politique de gouvernementalité par l’inquiétude et de justice spectacle. Cette recherche d’efficacité s’inscrit également dans la continuité de l’idéal de réhabilitation apparu dans les années 1970. La présence de plus en plus importante des professionnels de la réinsertion sociale et l’idée de prendre des décisions objectives et rationnelles en matière de prise en charge ont, au cours des décennies 1980 et 1990, influencé les modalités d’intervention. Visant la transformation, surtout psychologique, des délinquants, au sens de Andrews et Bonta (1998), de multiples programmes destinés à travailler avec eux sur les facteurs à l’origine de leur délinquance ont été développés. La mise en œuvre de cette perspective est directement liée à l’avènement des sciences humaines, notamment des sciences comportementales. C’est la réforme du condamné au sens foucaldien du terme qui trouve là toute sa splendeur : « De simple démarche réformatrice, le traitement acquiert dès lors le statut d’activité thérapeutique que lui octroie désormais cette légitimité scientifique. » (Quirion, 2006) Il s’agit de mettre à profit le temps de détention, temps où la personne est condamnée, pour qu’elle change de comportement et qu’elle résolve ses problèmes et ses difficultés personnelles. Toutefois, dans la perspective d’une gestion rationnelle des fonds publics, il est attendu que le détenu se responsabilise et participe activement à la résolution de ses problèmes. Progressivement, il est alors de plus en plus considéré par l’État comme un client, un consommateur de services, les services de l’incarcération.

Pénologie.indd 58

13-08-15 13:42

L a p e i n e d ’ e mpr i son n e me n t  59

Un contrôle de populations ciblées

L’analyse du profil des populations captives soulève divers questionnements sur cette perspective de gestion. En effet, non seulement plus du cinquième (21 %) des causes présentées devant les tribunaux sont relatives à l’administration de la justice (défaut de comparaître, manquement à une ordonnance de probation, entre autres), mais la vulnérabilité sociale, économique et psychologique des condamnés semble s’aggraver avec le temps. Force est de constater aujourd’hui que tel que le montrent les recherches, le profil actuel des détenus comprend une proportion de plus en plus importante de consommateurs de psychotropes, de sans-abri et de déficients intellectuels. Les dépendances à des substances psychoactives ou encore les maladies comme l’hépatite ou le VIH-sida créent une situation préoccupante. De même, la moyenne d’âge des détenus et la proportion de condamnés âgés de 50 ans et plus augmentent, ce qui pose divers problèmes comme la question des soins de santé physique, de l’accompagnement en fin de vie, des décès en détention et de l’inadaptation architecturale ou organisationnelle des établissements face à des personnes en perte de mobilité. S’y rajoutent les risques de victimisation de cette population vulnérable de la part de codétenus plus jeunes. Parallèlement, on trouve de nombreux cas de problèmes de santé mentale chez les personnes incarcérées. De façon globale, non seulement entre un cinquième et la moitié de la population carcérale, selon la définition qui en est donnée, serait affectée par des troubles de santé mentale, mais encore la plupart des incarcérés qui présentent des troubles mentaux graves et persistants auraient en même temps d’autres problèmes sociaux ou médico-psychologiques. Cette situation est d’autant plus problématique que les services offerts en milieu carcéral ne répondent généralement pas aux besoins de ces populations. De manière générale, les lieux, les équipements, les installations et la formation du personnel sont souvent considérés comme inadéquats. Face à cette population, le mandat attribué à l’institution de devoir mettre en place des plans d’action précis et structurés autour de buts communs – la protection de la collectivité et la préparation à la réinsertion sociale – se complexifie avec la multiplication des problématiques éprouvées. Préparer la sortie d’un condamné âgé en perte d’autonomie, mais ayant un passé d’insertion sociale relativement stable, ne peut être

Pénologie.indd 59

13-08-15 13:42

60  pé n ol o g i e

organisé de la même façon que l’insertion sociale d’une personne sans domicile fixe, sans formation et souffrant de diverses psychoses. La protection de la société se conjugue alors sous toutes sortes de formes : insertion professionnelle, désaffiliation de son groupe criminel, diminution de sa consommation de substances psychoactives, fonctionnement social minimal, entre autres, formes sur lesquelles il est attendu, dans la perspective actuelle, que l’institution carcérale travaille de façon coordonnée, efficace et économiquement rationnelle. Il s’agit là d’un défi que les modifications législatives et administratives des dernières années, en engendrant une augmentation de la population carcérale dans un contexte de diminution des moyens octroyés aux services correctionnels, rendent d’autant plus ardu à accomplir. Un espace de violence

L’institution carcérale est un univers de coercition en soi. En privant de liberté des individus, l’institution exerce une violence sur les personnes qui y sont détenues. Parallèlement, en tant qu’univers de privations et de vécu dans une promiscuité étroite, les tensions font intrinsèquement partie de la prison. Les études ont largement montré que la violence, physique, verbale et psychologique, était très présente dans les institutions carcérales, que l’on parle d’agressions sexuelles, de conflits reliés aux trafics, de violences dues à la promiscuité et à la vie collective, ou encore de pressions psychologiques et d’encadrement extrêmement coercitif (Edgar, O’Donnell, Martin, 2003 ; Wood, 2006). La violence de l’institution

Dans une étude menée au milieu des années 2000, Vacheret a décortiqué certains des éléments constitutifs de la violence de l’institution sur les condamnés. Les détenus font l’objet d’une surveillance et d’un contrôle constants, formels et informels, de la part de tous les intervenants du milieu et, quel que soit le but attribué à la peine, l’enregistrement des faits et gestes de la personne incarcérée reste un élément central du fonctionnement de la prison. Toutes les sphères de la vie personnelle, judiciaire et carcérale de l’individu, tout comme son comportement institutionnel, sont observés. L’objectif de l’ensemble de ces observations est de vérifier

Pénologie.indd 60

13-08-15 13:42

L a p e i n e d ’ e mpr i son n e me n t  61

non seulement le respect des règlements internes au sens large, mais surtout le « bon comportement institutionnel » du détenu, son conformisme face aux attentes en matière de suivis de programme et son rattachement à des normes comportementales attendues. On parle donc autant de non-implication dans des trafics internes que d’une implication dans les programmes, ou encore de ne pas avoir de relations avec certains codétenus. Les recommandations à des sorties anticipées comme les décisions de transferts dépendent largement des résultats de cette surveillance, ce qui engendre incertitude, stress et dépendance. La violence des codétenus

Parallèlement, depuis les années 1970, les auteurs sont généralement unanimes pour dénoncer la présence de violence entre codétenus. Si la violence verbale et psychologique – menaces, insultes ou intimidation – est extrêmement présente en milieu carcéral, la violence physique semble également faire partie du quotidien des détenus. Cooley (1993) indique que 47 % des personnes qu’il a rencontrées ont vécu un ou plusieurs actes de victimisation au cours de l’année précédant son étude. Dalton (1999) mentionne qu’en Australie, le taux d’homicides pour 1000 prisonniers est 7 fois plus élevé que les taux d’homicides dans la communauté extérieure. En France, L’Observatoire international des prisons (2005) constate une augmentation des violences physiques, des actions collectives ou des rixes entre détenus, et parle dans certains cas « d’actes de torture et de barbarie ». En Grande-Bretagne, Edgar, O’Donnell et Martin (2003) mentionnent que 19 % des détenus sondés dans leur recherche disent avoir été victimes d’agression. Enfin, selon Human Rights Watch (2001), bien que très peu dénoncée, la violence sexuelle semble particulièrement problématique dans les institutions américaines. *** Temps de souffrance, outil de contrôle, espace de violence, la prison s’inscrit dans des logiques éclatées aux répercussions importantes pour les personnes incarcérées. Toutefois, elle reste encore aujourd’hui largement utilisée comme sanction pénale, et ce, malgré de nombreuses critiques. Présentée comme une mesure utile en raison de son impact

Pénologie.indd 61

13-08-15 13:42

62  pé n ol o g i e

potentiel sur la criminalité et sur la réinsertion sociale des condamnés, les discours qui justifient son usage font foison. Face à ces discours de plus en plus présents et audibles, la question de la raison d’être de cette institution se pose avec acuité. La durée des peines, les conditions de détention, le profil particulièrement fragile et vulnérable des populations captives nous amènent à affronter des situations humainement problématiques et socialement discutables. Les enjeux de l’emprisonnement ne peuvent être dissociés de son recours et il convient peut-être de le garder en mémoire.

Pénologie.indd 62

13-08-15 13:42

4 La peine d’emprisonnement avec sursis Sandra Lehalle

L’emprisonnement avec sursis est une peine souvent mal comprise et peu populaire. Panacée de la réforme de 1996 sur la détermination de la peine, sa création s’inscrivait dans la recherche d’alternatives sérieuses à l’incarcération. Il s’agit, en effet, d’une sanction intermédiaire qui, dans les faits, ressemble à la fois à une probation intensive et à une libération conditionnelle instantanée prononcée par un tribunal. En visant à la fois des objectifs punitifs et des objectifs réparateurs, elle est une peine hybride dont la sévérité dépend principalement des conditions facultatives imposées au cas par cas par les juges qui choisissent de l’imposer. C’est justement la perception qu’il s’agit d’une peine trop conciliante qui fait du sursis la cible d’une politique criminelle de plus en plus répressive. Les modifications du Code criminel de 2007 et de 2012 viennent restreindre l’usage de cette peine en précisant une liste d’infractions inadmissibles et en supprimant du même coup le pouvoir discrétionnaire des juges de choisir cette sentence, pouvoir pourtant consacré par la Cour suprême dans l’arrêt Proulx en 2000 . Ce chapitre entreprendra donc de présenter la création de l’emprisonnement avec sursis et ses objectifs afin notamment de situer cette mesure parmi les diverses peines utilisées au Canada. Nous ferons ensuite mention des enseignements de la recherche sur la mise en application de l’emprisonnement avec sursis avant d’aborder le débat que cette peine a engendré sur les scènes publique et politique ainsi que les recours

Pénologie.indd 63

13-08-15 13:42

64  pé n ol o g i e

judiciaires qui ont contribué à en clarifier divers aspects dont l’admissibilité. Après avoir détaillé la récente réforme dont a fait l’objet l’emprisonnement avec sursis, nous conclurons par une réflexion sur l’avenir de cette peine sacrifiée sur l’autel d’une politique criminelle néolibérale toujours plus punitive. La création de l’emprisonnement avec sursis : un espoir d’alternative à l’incarcération

L’emprisonnement avec sursis a été introduit dans la législation canadienne en 1996 dans le cadre de la réforme de la détermination des peines qui aspirait à des sentences plus justes et plus cohérentes par la formulation de principes et d’objectifs. Il existait alors un consensus sur l’usage excessif de l’emprisonnement au Canada. À sa création, l’objectif de cette nouvelle peine consistait donc à réduire l’utilisation de l’incarcération en permettant aux condamnés d’effectuer leur sentence d’emprisonnement inférieure à deux ans au sein de la communauté. Lorsqu’une personne est déclarée coupable d’une infraction – autre qu’une infraction pour laquelle une peine minimale d’emprisonnement est prévue – et condamnée à un emprisonnement de moins de deux ans, le tribunal peut, s’il est convaincu que le fait de purger la peine au sein de la communauté ne met pas en danger la sécurité de celle-ci et est conforme à l’objectif et aux principes visés aux articles 718 à 718.2, ordonner au délinquant de purger sa peine dans la collectivité afin d’y surveiller le comportement de celui-ci, sous réserve de l’observation des conditions qui lui sont imposées en application de l’article 742.3 (art. 742.1 dans sa version initiale). L’octroi d’un sursis devait donc répondre à certaines exigences : • • • •

Pénologie.indd 64

il doit s’agir d’une infraction pour laquelle le Code criminel n’établit pas de peine minimale d’emprisonnement ; le juge doit déterminer que la peine d’emprisonnement devrait être inférieure à deux ans ; le juge doit être convaincu qu’en purgeant sa peine dans la collectivité, le délinquant ne constitue pas un danger pour la sécurité de celle-ci ; le juge doit être convaincu que le sursis est compatible avec les objectifs et les principes de détermination de la peine énoncés dans le Code criminel.

13-08-15 13:42

L a p e i n e d ’ e mpr i so n n e me n t a v e c su r si s  65

Cette peine d’emprisonnement, purgée dans la communauté, est soumise au respect de diverses conditions. En effet, tout délinquant condamné à une peine d’emprisonnement avec sursis est automatiquement soumis au respect de cinq conditions obligatoires mentionnées dans l’article 742.3 (1). Il s’agit de ne pas troubler l’ordre public et d’avoir une bonne conduite ; de répondre aux convocations du tribunal ; de se présenter à l’agent de surveillance dans les deux jours ouvrables, puis selon les modalités que celui-ci fixera ; de rester dans le ressort du tribunal sauf permission et de prévenir le tribunal ou l’agent de tout changement d’adresse, de nom, d’emploi ou occupation. De plus, des conditions facultatives et personnalisées peuvent être imposées par le tribunal pour assurer la bonne conduite du délinquant et éviter qu’il ne récidive. L’article 742.3 (2) en mentionne quelques-unes telles que s’abstenir de consommer de l’alcool ou des drogues, suivre un traitement, accomplir des travaux communautaires, dédommager la victime ou ne pas posséder d’arme. En cas de non-respect des conditions imposées, que celles-ci soient obligatoires ou facultatives, le délinquant comparaît devant le tribunal qui peut alors décider de ne pas agir, de modifier les conditions facultatives, de suspendre l’ordonnance et d’ordonner de purger en prison une partie de la peine qui reste à courir, ou encore de mettre fin à l’ordonnance de sursis et d’ordonner que le délinquant soit incarcéré jusqu’à la fin de sa peine. En matière de preuve, il suffit que le tribunal soit « convaincu par une preuve prépondérante » que le délinquant a enfreint une condition de l’ordonnance « sans excuse raisonnable dont la preuve lui incombe » (art. 742.6). Une peine à l’application méconnue

Les quelques recherches entreprises sur les pratiques de l’emprisonnement avec sursis dans les différentes provinces canadiennes nous permettent d’en apprendre davantage sur l’usage de cette peine, les infractions concernées, les caractéristiques des délinquants, les conditions imposées et la gestion de leur non-respect, mais se révèlent insuffisantes sur le plan tant de leur contenu que de leur constance pour tenter de dresser un portrait du sursis tel que pratiqué au Canada.

Pénologie.indd 65

13-08-15 13:42

66  pé n ol o g i e

L’utilisation de cette peine

Force est de constater tout d’abord que si les données disponibles sur cette peine sont plus fournies qu’elles ne l’étaient en 1999, il subsiste des carences importantes qui limitent l’analyse de l’utilisation de l’emprisonnement avec sursis au Canada. Certaines provinces ont commencé à comptabiliser les peines avec sursis en 2000 ou en 2002 seulement, et d’autres, comme le Québec, ne le font toujours pas. Statistique Canada ne fournit donc que des données partielles sur le nombre de peines d’emprisonnement avec sursis prononcées dans le pays et il n’est nullement possible de procéder à une analyse fiable de leur évolution. Les recherches recensées s’accordent sur le fait que l’absence ou le caractère partiel des données disponibles sur le sursis constitue un obstacle réel à l’étude de son impact. Les chiffres disponibles nous permettent cependant de constater que l’emprisonnement avec sursis a connu un certain succès lors de sa création. Entre 1997-1998 et 2002-2003, le nombre de condamnations à cette peine a presque doublé. Pour l’année 2002-2003, Statistique Canada recense 12 887 personnes subissant un emprisonnement avec sursis, soit 8 % du compte quotidien total des délinquants dans le système correctionnel. Pour la même année, les admissions pour emprisonnement avec sursis sont au nombre de 19 204, soit 5 % de toutes les admissions. Toutefois, depuis 2002, le nombre d’admissions pour emprisonnement avec sursis a fluctué. Entre 2005 et 2007, on note une baisse importante de ces admissions. En 2005-2006, Statistique Canada relève que cette diminution est exacerbée par une forte tendance observée dans les provinces de l’Ouest, notamment en Alberta (-10 %) et en ColombieBritannique (-8 %). À partir de 2007, la tendance est de nouveau à l’augmentation et, pour 2008-2009, on compte 18 400 admissions, soit environ 13 500 adultes purgeant un emprisonnement avec sursis, ce qui représente une augmentation de 4, 5 % en 1 an. En 2009-2010, Statistique Canada recense 11 634 emprisonnements avec sursis sur 262 616 condamnations pour adultes. Ces peines représenteraient donc une petite proportion des peines infligées, environ 4,5 % des causes qui ont donné lieu à une condamnation. De ce nombre, 3833 concernaient des infractions contre les biens, 2575 des crimes contre la personne et 2304 des infractions de trafic de stupéfiants.

Pénologie.indd 66

13-08-15 13:42

L a p e i n e d ’ e mpr i so n n e me n t a v e c su r si s  67

Comme les recherches existantes le montrent, les disparités régionales dans l’usage du sursis sont apparues évidentes dès les premières années. Si le Québec et l’Ontario ont accordé près de 55 % de tous les sursis, leur usage de cette peine diverge. Mis à part les données démographiques, on note que certaines provinces comme l’Alberta et l’Ontario privilégient davantage l’incarcération que d’autres comme la Saskatchewan et le Québec, ce qui explique un nombre similaire de sursis malgré un plus grand nombre de condamnations criminelles en Alberta et en Ontario. Par exemple, en 1998-1999, 42 % des condamnés en Ontario ont eu à purger une peine d’emprisonnement ferme en comparaison de 28 % au Québec. Certaines provinces utilisent clairement le sursis plus que d’autres. Ces divergences transparaissent aussi dans la longueur des sentences de sursis, l’Alberta ayant la durée moyenne la plus élevée de 9,3 mois. Les conditions imposées et leurs manquements

Indépendamment du nombre de sursis ou de leur durée, c’est la question des conditions y étant attachées qui suscite beaucoup d’attention. Il est difficile de mesurer la sévérité de l’emprisonnement avec sursis par rapport à celle des autres peines, puisque, contrairement à la peine d’emprisonnement, dans le cas du sursis, celle-ci dépend davantage de la nature des conditions imposées et de la sanction apportée judiciairement au manquement à ces conditions que de sa durée. Le caractère contraignant des conditions est un élément fondamental dans l’étude de cette peine, mais il s’agit malheureusement d’un élément sur lequel il n’existe pas de données statistiques complètes (Statistique Canada ne recueille pas de données sur la nature des conditions dont sont assorties les ordonnances). Quelques études, souvent limitées à une province, nous permettent de détailler les conditions attribuées par les juges. À titre d’illustration, Landreville, Lehalle et Charest (2004) rapportent pour la province de Québec une augmentation du nombre de conditions imposées de 2,9 à 3,7 entre 1999 et 2002. Ils soulignent qu’en dépit de la grande diversité des conditions imposées, les assignations à domicile (24 heures sur 24) et les couvre-feux (soirée et nuit) sont présents dans près de 86 % des sursis pour l’année 2001-2002. Les interdictions de consommer drogues et alcool se retrouvent dans près de 39 % des ordonnances de sursis, suivies des interdictions de fréquenter certaines personnes (environ 33 %) ou lieux (23 %).

Pénologie.indd 67

13-08-15 13:42

68  pé n ol o g i e

Dans le cas de la Colombie-Britannique, une étude menée par North (2000) met en évidence, pour l’année 1999, une moyenne de 3,2 conditions imposées. Celles de couvre-feu et de détention à domicile étaient présentes dans seulement 17,8 % et 7,3 % des ordonnances. Les conditions les plus fréquentes sont celles de counseling (44,2 %), de traitement en résidence (37,1 %) ou encore de travaux communautaires (20,6 %). Ces spécificités régionales peuvent s’expliquer par des divergences de structures permettant une mise en œuvre et un contrôle du respect de ces conditions. La même mise en garde doit être faite lorsque l’on tente de comparer les taux de manquement ; l’étude de la Colombie-Britannique avance un taux de 37,6 % pour 1999 et celle du Québec, de 22,9 % pour 2001-2002. Dans ces études, que les auteurs eux-mêmes disent incomplètes, le manquement donnerait lieu à une suspension du sursis dans 11,4 % des cas au Québec et 17,8 % des cas en Colombie-Britannique. La révocation (et donc l’incarcération pour la durée restante de la peine) est la conséquence de 37,5 % des manquements aux conditions en Colombie-Britannique et de 21,2 % de ceux du Québec. Une étude plus récente pour la province de Québec indique que peu de premiers manquements (9 %) sont sanctionnés d’une révocation de l’ordonnance de sursis par les tribunaux, mais leur répétition entraîne la révocation (11,5 % au deuxième et 29,4 % au troisième) (Dufour, Brassard et Guay, 2009). Un impact sur le recours à l’incarcération mis en doute

La question de l’impact du sursis sur la réduction du recours à l’incarcération ainsi que la problématique de l’élargissement du filet pénal sont les deux thématiques les plus souvent abordées par la doctrine. Selon Statistique Canada, la création de cette nouvelle peine a bien offert aux tribunaux une solution de rechange à l’incarcération et a ainsi eu un impact direct sur la diminution des admissions dans les établissements carcéraux. Cependant, il n’y a pas suffisamment de données statistiques sur la détermination de la peine au Canada pour pouvoir affirmer avec certitude que la peine d’emprisonnement avec sursis a entraîné une réduction du taux d’incarcération. Certaines études affirment que les peines avec sursis ont eu pour effet de diminuer les taux de nouvelles détentions. D’autres soulignent que, dans certaines provinces, la diminution du taux d’incarcération observée est supérieure au nombre de peines avec sursis

Pénologie.indd 68

13-08-15 13:42

L a p e i n e d ’ e mpr i so n n e me n t a v e c su r si s  69

prononcées et serait donc plutôt due à des changements politiques en faveur de solutions alternatives à l’emprisonnement et à l’affirmation législative du principe de la modération dans le recours aux peines d’emprisonnement. À l’opposé, certaines recherches décèlent un élargissement du filet pénal et un recours accru à l’emprisonnement avec sursis pour des délinquants qui auraient reçu une sanction non privative de liberté avant que cette peine soit créée. De plus, cette analyse de l’élargissement du filet pénal montre du doigt l’augmentation des incarcérations pour manquements aux conditions imposées, de plus en plus nombreuses, aux condamnés au sursis. Dans plusieurs provinces, une proportion croissante de délinquants jugés coupables d’un manquement à leur ordonnance sans excuse raisonnable ont été placés en détention. Entre 1998 et 2001, cette proportion passe de 65 % à 74 % au Manitoba et de 42 % à 50 % en Ontario. Au Québec, des données partielles semblent au contraire indiquer une diminution importante des décisions prises par les juges de révoquer le sursis et d’incarcérer (de 63 % en 2000 à 43 % en 2001), mais cette diminution pourrait tout aussi bien être imputable à des changements dans la gestion de la surveillance du sursis. Une peine dont l’admissibilité a rapidement fait l’objet de questionnements politiques et jurisprudentiels

Dès ses débuts, cette peine a suscité de nombreuses réactions et controverses, notamment sur la question des délits admissibles. Du moment que la peine infligée était de moins de deux ans, la loi ne prévoyait aucune exception en matière de délits autres que ceux pour lesquels une peine d’emprisonnement minimale est prévue. Or, si une étude réalisée auprès des victimes indique que le sursis est généralement bien accepté par cellesci, ce n’est pas le cas pour les crimes violents très graves (Roberts et Roach, 2005). Cette thématique des crimes violents est d’ailleurs au cœur de la perception publique et politique de cette sentence récemment modifiée. Nombreux sont ceux qui se sont exprimés à l’encontre des sentences d’emprisonnement avec sursis pour les meurtres, les agressions sexuelles et les cas de conduite avec facultés affaiblies causant la mort (Brodbeck, 2009). Certaines associations comme MADD Canada (2004) se sont activement investies pour faire interdire cette sentence jugée trop douce pour certaines infractions. En 2000, Roberts soulevait à juste titre la

Pénologie.indd 69

13-08-15 13:42

70  pé n ol o g i e

question de savoir si le gouvernement fédéral allait pouvoir résister aux pressions de nature politique en faveur de l’adoption d’une liste d’infractions non susceptibles de donner lieu au prononcé de l’emprisonnement avec sursis. Cette idée d’une présomption contre le recours aux ordonnances de peines avec sursis pour certaines infractions semblait, en effet, favorisée par beaucoup, particulièrement par les ministres fédéraux, provinciaux et territoriaux responsables de la justice qui ont réaffirmé en 2005 leur souhait de réforme en ce sens. À deux reprises, en 1999 (projet de loi C-302) et en 2005 (projet de loi C-70), conservateurs et libéraux ont d’ailleurs tenté une telle réforme. C’est également à l’occasion de recours judiciaires que l’on retrouve ce débat sur l’admissibilité de certains délits souvent remise en question en lien avec les objectifs atteints par cette peine. Depuis la création de l’emprisonnement avec sursis, la Cour suprême du Canada et les cours d’appel de diverses provinces ont eu à quelques reprises à se prononcer sur cette peine. Si dans l’affaire R. c. Gladue1, la délinquante en question n’était pas admissible à un emprisonnement avec sursis, puisque sa sentence était supérieure à deux ans, cet arrêt propose un premier aperçu de la position de la cour qui accueille cette peine comme la réponse législative à une augmentation inquiétante du taux d’incarcération. Il faudra attendre 1999 pour que la Cour suprême accepte de se pencher sur cinq appels, provenant de différentes régions du pays, et donc de se prononcer sur l’interprétation et l’application de l’emprisonnement avec sursis, dans l’arrêt Proulx. R. c. Proulx

En 2000, la Cour suprême du Canada2 s’est notamment prononcée sur la nature de l’emprisonnement avec sursis et ses objectifs. Dans une décision unanime, la Cour est venue établir les principes directeurs régissant le 1. R. c. Gladue, [1999] 1 S.C.R. 688 (par. 39). 2. R.  c. Proulx (2000), Cour suprême du Canada (2000 CSC 5), Ottawa, Canada. La Cour suprême a accordé l’autorisation d’interjeter appel dans cinq affaires provenant de différentes régions du pays (Manitoba, Colombie-Britannique et Terre-Neuve), et qui soulevaient toutes la question de l’interprétation et de l’application des nouvelles dispositions du Code criminel en matière d’emprisonnement avec sursis.

Pénologie.indd 70

13-08-15 13:42

L a p e i n e d ’ e mpr i so n n e me n t a v e c su r si s  7 1

régime de condamnation à l’emprisonnement avec sursis et clarifier la distinction entre l’incarcération, l’emprisonnement avec sursis et la probation ainsi que leurs objectifs respectifs. La Cour affirme alors que l’emprisonnement avec sursis est « une sanction punitive propre à permettre la réalisation des objectifs de dénonciation et de dissuasion » (par. 22) ; cette peine vise par conséquent des objectifs à la fois de punition et de réinsertion sociale, à la différence de la probation qui est essentiellement une mesure de réinsertion sociale3. La Cour souligne que l’emprisonnement avec sursis doit avoir un effet plus punitif qu’une ordonnance de probation et doit donc être assorti de conditions à caractère punitif restreignant la liberté du délinquant. Elle fait appel à la créativité des juges pour imposer des conditions adaptées tant au délinquant qu’à l’infraction commise et également propres à assurer la sécurité de la société et affirme que « des conditions comme la détention à domicile ou des couvre-feux stricts devraient être la règle plutôt que l’exception » (par. 36). L’arrêt précise que l’emprisonnement avec sursis n’est pas forcément une peine moins sévère que l’incarcération en général, même si elle est une peine moins sévère que l’incarcération d’une même durée. Concernant les objectifs visés, la Cour mentionne : […] la peine d’emprisonnement avec sursis permet généralement de réaliser plus efficacement que l’incarcération les objectifs de justice corrective que sont la réinsertion sociale du délinquant, la réparation des torts causés aux victimes et à la collectivité et la prise de conscience par le délinquant de ses responsabilités (para. 22).

Puisque cette peine peut avoir un effet dénonciateur et dissuasif, elle apparaît plus appropriée que l’incarcération quand il est possible de combiner des objectifs punitifs et des objectifs correctifs (par. 113), 3. Dans le cadre d’une condamnation à l’emprisonnement avec sursis, les conditions obligatoires sont au nombre de cinq au lieu de trois pour une ordonnance de probation ; un délinquant peut se voir ordonner de suivre un programme, ce qui ne se fait qu’avec son consentement dans le cas d’une probation ; finalement, toute autre condition peut être ordonnée par le juge dans le but d’éviter la récidive du délinquant, alors que, pour la probation, d’autres conditions peuvent être ajoutées dans un but de protection de la société et de réinsertion sociale du délinquant.

Pénologie.indd 71

13-08-15 13:42

72  pé n ol o g i e

même si l’incarcération reste préférable lorsque les objectifs punitifs sont particulièrement pressants (par. 114). Concernant le raisonnement d’attribution de la mesure, la Cour suprême affirme qu’il ne faut pas interpréter l’article 742.1 littéralement en exigeant que le juge décide d’abord d’infliger une peine de prison d’une durée déterminée avant de considérer la possibilité que celle-ci soit purgée dans la communauté. En soulignant l’impossibilité de dissocier la durée de la peine de son lieu d’exécution, la Cour affirme qu’il n’y a pas nécessité d’équivalence entre la durée de l’ordonnance de sursis et la durée de l’emprisonnement qui aurait été infligé. L’arrêt Proulx vient aussi mettre fin au débat à savoir s’il existe présomption d’exclusion de l’application du sursis à certaines infractions. La Cour suprême s’oppose à de telles exclusions qui introduiraient une rigidité incompatible avec le processus individualisé de détermination de la peine. Il est donc clairement affirmé que même si la gravité reste pertinente pour déterminer si le sursis est justifié, cette peine est possible pour tout type d’infraction. Finalement, la Cour suprême précise que lorsqu’un délinquant manque à l’une des conditions qui lui sont imposées, il est présumé qu’il purgera le reste de sa condamnation en prison. Après l’arrêt Proulx, la jurisprudence de la Cour suprême concerne principalement la question de l’attribution ou non d’une peine d’emprisonnement avec sursis à la place d’une peine d’emprisonnement ferme, comme l’illustrent les arrêts Wells, Knoblauch et Fice. R. c. Wells4

À l’occasion d’un recours concernant un Autochtone condamné à 20 mois d’incarcération pour agression sexuelle, la Cour suprême est venue clarifier les étapes d’examen de la possibilité d’un emprisonnement avec sursis pour un délinquant autochtone. Elle rappelle que si la possibilité d’une peine d’emprisonnement avec sursis ne peut être écartée par présomption, dans les faits, les infractions violentes et graves devront entraîner l’emprisonnement pour les délinquants autochtones aussi souvent que pour les délinquants non autochtones. L’application de l’alinéa 718.2 (e) du Code ne signifie pas que les délinquants autochtones doivent toujours recevoir la peine qui accorde le plus de poids aux principes de la 4. R. c. Wells, [2000] 1 R.C.S. 207.

Pénologie.indd 72

13-08-15 13:42

L a p e i n e d ’ e mpr i so n n e me n t a v e c su r si s  73

justice réparatrice et le moins de poids aux objectifs comme la dissuasion, la dénonciation et l’isolement. R. c. Knoblauch5

En l’espèce, la Cour suprême a affirmé qu’il n’est pas exclu d’imposer des peines d’emprisonnement avec sursis à des délinquants atteints de troubles mentaux. Cet arrêt confirme la décision du juge du procès d’imposer une peine avec sursis à purger dans une aile psychiatrique sécuritaire jusqu’à décision contraire des psychiatres. L’enjeu de ce cas était principalement celui du risque que présentait le délinquant pendant qu’il purgeait sa peine dans la collectivité. Dans ce cas, si la gravité du préjudice pouvait être importante en cas de récidive, les conditions imposées par le juge, notamment que le délinquant réside dans une unité psychiatrique sécuritaire, faisaient en sorte que le risque n’était pas plus élevé qu’il ne l’aurait été pendant son incarcération dans un pénitencier. Ainsi, cet arrêt montre que les conditions facultatives qui peuvent être assorties à l’ordonnance de sursis permettent à cette peine de tenir les délinquants pour responsables de leurs infractions et de respecter les principes de détermination de la peine sans pour autant incarcérer le délinquant. R. c. Fice6

Dans cet arrêt, la Cour suprême vient restreindre l’admissibilité à l’emprisonnement avec sursis en affirmant que celui-ci n’est pas destiné aux délinquants qui méritent d’être incarcérés dans un pénitencier. Elle rappelle qu’un juge doit examiner la gravité de l’infraction et la culpabilité morale du délinquant pour établir si une peine de moins de deux ans et donc un emprisonnement avec sursis est envisageable. En l’espèce, la Cour suprême statue que la détenue aurait dû être incarcérée et non pas purger sa peine dans la communauté. L’arrêt précise également que la période passée par une détenue en détention présentencielle n’est pas un facteur atténuant pouvant influer sur les peines et, par conséquent, sur l’admissibilité à une peine d’emprisonnement avec sursis.

5. R. c. Knoblauch, [2000] 2 R.C.S. 780. 6. R. c. Fice, [2005] 1 R.C.S. 742.

Pénologie.indd 73

13-08-15 13:42

74  pé n ol o g i e

La jurisprudence des cours d’appel

À l’échelle des cours d’appel, on constate une jurisprudence qui vise à donner des lignes directrices aux tribunaux inférieurs. Dans certains cas, comme R. c. Bhalru et R. c. Khosa7, la Cour d’appel de la ColombieBritannique confirme que la peine d’emprisonnement avec sursis assortie de conditions restrictives est conforme aux principes de détermination de la peine. En s’appuyant sur l’arrêt Proulx, elle affirme que cette peine peut avoir un effet dissuasif et dénonciateur général pour les infractions relatives à la conduite automobile dans certaines circonstances. Il est cependant fréquent de voir les cours d’appel rejeter le sursis jugé inadéquat pour certaines infractions. Dans l’arrêt R. c. F (GC)8, il était question de savoir si cette peine était appropriée dans le cas d’un délinquant sexuel pédophile. La Cour d’appel de l’Ontario a alors imposé la détention en précisant que l’emprisonnement avec sursis devrait être rarement imposé dans de tels délits, notamment en accord avec le principe de proportionnalité de la peine avec la gravité du délit et du degré de responsabilité du délinquant. Dans l’affaire de fraude R. c. Coffin9, la Cour d’appel du Québec rejette également l’emprisonnement avec sursis et inflige une peine d’emprisonnement en insistant sur le même principe de détermination de la peine. Elle souligne aussi l’importance des objectifs de dénonciation et de dissuasion ainsi que le principe d’harmonisation des peines infligées à des délinquants condamnés dans des cas similaires10 de fraudes importantes et de longue durée. La réforme de l’emprisonnement avec sursis

En 2007, une modification du Code criminel entérine cette jurisprudence. Le projet de loi C-911 est venu modifier l’article 742.1 du Code criminel afin que ne soient plus admissibles à l’emprisonnement avec sursis lorsque poursuivies par mise en accusation et punissables d’une peine maximale d’emprisonnement de 10 ans : 7. 2003, BCCA 645. 8. 2004, 71 O.R. (3d) 771 (C.A.). 9. 2006, QCCA 471. 10. L’arrêt recense, en annexe, plus de 50 décisions consensuelles sur les peines de ce genre d’affaires. 11. Intitulé Loi modifiant le Code criminel (emprisonnement avec sursis).

Pénologie.indd 74

13-08-15 13:42

L a p e i n e d ’ e mpr i so n n e me n t a v e c su r si s  75

• les infractions constituant des sévices graves à la personne (au sens de l’article 752 de cette loi) ; • les infractions de terrorisme ; • les infractions d’organisation criminelle. Cette modification législative n’a cependant pas été jugée suffisamment restrictive, puisqu’en 2009 un autre projet de loi (C-42)12 parrainé par le ministre de la Justice conservateur proposait de supprimer, à l’article 742.1, le renvoi aux infractions constituant des sévices graves à la personne et d’interdire le sursis pour toutes les infractions passibles d’une peine maximale d’emprisonnement de 14 ans ou d’emprisonnement à perpétuité, ainsi que pour certaines infractions passibles d’une peine maximale d’emprisonnement de 10 ans et poursuivies par mise en accusation. En proposant d’ajouter 39 infractions aux 36 déjà rendues inadmissibles par la loi de 2007, ce projet C-42 incluait donc certaines infractions contre les biens. S’il est mort au feuilleton avec la prorogation du Parlement de décembre 2009, ce projet serait repris à l’identique par le projet C-1613 déposé en 2010, mais non adopté avant la fin de la session parlementaire. Lorsque le gouvernement conservateur dépose, en 2011, le projet de loi omnibus C-10 (Loi sur la sécurité des rues et des communautés14) qui regroupe divers projets de loi n’ayant pas été adoptés durant la session parlementaire précédente, on y retrouve la réforme de l’emprisonnement avec sursis. Restreindre l’usage du sursis compte parmi les priorités du gouvernement conservateur pour lequel une liste élargie des infractions inadmissibles au sursis s’inscrit dans son engagement envers la sécurité des Canadiens. Or, la liste d’infractions de cette nouvelle loi diffère un peu de celle contenue dans l’ancien projet de loi C-16, puisque certaines infractions sont ajoutées (l’enlèvement d’une personne de moins de 12. Intitulé Loi mettant fin à l’octroi de sursis à l’exécution de peines visant des crimes contre les biens ainsi que d’autres crimes graves. 13. Intitulé Loi mettant fin à la détention à domicile de contrevenants violents et dangereux ayant commis des crimes contre les biens ou d’autres crimes graves. 14. Intitulée Loi édictant la Loi sur la justice pour les victimes d’actes de terrorisme et modifiant la Loi sur l’immunité des États, le Code criminel, la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et d’autres lois.

Pénologie.indd 75

13-08-15 13:42

76  pé n ol o g i e

14 ans et le vol d’un véhicule à moteur) et que d’autres sont supprimées (l’enlèvement par un parent ou un tuteur). Si la loi supprime de l’article 742.1 du Code la mention des infractions constituant des « sévices graves contre la personne », les agressions sexuelles et le harcèlement criminel sont cependant expressément mentionnés dans la liste des infractions. Ainsi, l’article 742.1 modifié du Code criminel stipule : « Le tribunal peut ordonner à toute personne qui a été déclarée coupable d’une infraction de purger sa peine dans la collectivité afin que sa conduite puisse être surveillée – sous réserve des conditions qui lui sont imposées en application de l’article 7142.3 –, si elle a été condamnée à un emprisonnement de moins de deux ans et si les conditions suivantes sont réunies. » Suit une liste d’exceptions mentionnant que le sursis est exclu s’il s’agit : •







d’une infraction poursuivie par mise en accusation et passible d’une peine maximale d’emprisonnement de 14 ans ou d’emprisonnement à perpétuité15 ; d’infractions de terrorisme ou d’organisation criminelle poursuivies par mise en accusation et passibles d’une peine maximale d’emprisonnement de 10 ans ou plus ; d’une infraction poursuivie par mise en accusation et passible d’une peine maximale d’emprisonnement de 10 ans16, et dont la perpétration entraîne des lésions corporelles ou met en cause l’importation, l’exportation, le trafic ou la production de drogues ou encore l’usage d’une arme ; d’une infraction poursuivie par mise en accusation de bris de prison, harcèlement criminel, agression sexuelle, enlèvement, traite de personnes, enlèvement d’une personne âgée de moins de 14 ans, vol d’un véhicule à moteur, vol de plus de 5000 dollars, introduction par effraction dans un dessein criminel, présence illégale dans une maison d’habitation.

Ainsi, en dépit des nombreuses controverses sur son contenu et sa procédure expéditive, cette loi adoptée en mars 2012 est venue modifier profondément l’emprisonnement avec sursis en une peine beaucoup plus 15. Entre autres la possession de monnaie contrefaite, le parjure et la fabrication de preuves. 16. Entre autres la fraude à l’identité, la possession d’outils de cambriolage, le proxénétisme et l’abandon d’enfant.

Pénologie.indd 76

13-08-15 13:42

L a p e i n e d ’ e mpr i so n n e me n t a v e c su r si s  7 7

sélective. Sont désormais exclues du sursis pas moins de 32 infractions au Code criminel et à la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, 30 infractions prévues aux lois fédérales ainsi que certaines infractions selon la mise en accusation et certaines circonstances. Puisque la plupart des nouvelles infractions « graves » ne représente qu’une minorité des cas de sursis, ce seront certainement le vol de plus de 5000 dollars et l’introduction par effraction, deux crimes « non violents », qui seront le plus touchés et donc plus sévèrement punis après la réforme. *** Qu’il s’agisse d’associations d’avocats17, des sociétés John Howard et Elizabeth Fry, du Conseil canadien de la sécurité, du Bureau de l’enquêteur correctionnel, etc., nombreux sont les professionnels qui se sont prononcés contre la réforme du sursis maintes fois proposée depuis 1999 et finalement achevée en 2012. Parmi les critiques de la réforme, certains, comme l’Association canadienne de justice pénale (2006), regrettent que cette modification législative ait été suscitée par des cas médiatiques atypiques. Pour quelques experts, cette réforme s’écarte beaucoup trop des motivations qui avaient justifié la création du sursis en 1996, notamment accorder une plus grande place à la justice corrective, réduire le recours à l’incarcération ainsi que les coûts financiers de celle-ci. Concernant l’argument du recours au sursis pour réduire l’incarcération, il était déjà mis à mal par la crainte d’un élargissement du filet pénal lorsque le sursis est imposé aux délinquants qui n’auraient pas eu de sentences privatives de liberté ou lorsqu’il est suspendu ou révoqué et que les délinquants sont incarcérés de façon expéditive, sans que s’applique la norme de la preuve au-delà de tout doute raisonnable. Les études peinent à se prononcer sur la réussite de cette peine en tant qu’alternative à l’incarcération. Cependant, cette question risque fortement de se trouver désuète si le domaine d’application de l’emprisonnement avec sursis continue de rétrécir telle une peau de chagrin à chaque nouvelle modification du Code criminel. S’il est certain que restreindre les infractions susceptibles de sursis va dans le sens d’un plus grand recours à la détention, l’on peut aussi penser 17. Association des avocats de la défense de Montréal (ADDM), Association du barreau canadien (ABC).

Pénologie.indd 77

13-08-15 13:42

78  pé n ol o g i e

que cette peine risque de contribuer à l’élargissement du contrôle pénal si elle se retrouve désormais cantonnée à quelques infractions marginales qui n’auraient peut-être pas fait l’objet de mesures pénales ou en tout cas d’alternatives communautaires moins restrictives. Concernant l’argument financier, il est redouté que la réforme du sursis entraîne un coût très élevé, surtout quand on réalise que chaque groupe de 15 personnes condamnées à un sursis plutôt qu’à la détention permet d’économiser environ 1 million de dollars18. Le directeur parlementaire évalue la facture de cette réforme à 137 millions pour les provinces. Certaines d’entre elles, comme le Québec, ont d’ailleurs exprimé leur désaccord à assumer les coûts de cette loi ainsi que leur volonté de tout mettre en œuvre pour limiter la portée de cette réforme. Il convient de s’attendre également à un impact important de cette loi sur les pratiques des procureurs au moment des mises en accusation. À ce sujet, le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles (2007) souligne que cette réforme aura vraisemblablement des répercussions sur le système canadien d’aide juridique en raison de la réduction du nombre de plaidoyers de culpabilité et de l’augmentation du nombre d’appels. Dans l’ensemble, beaucoup dénoncent cette réforme19 regrettable, injustifiée voire contre-productive pour le processus de justice. Elle correspond cependant à la tendance néolibérale actuelle plus punitive qui privilégie le recours à la détention plutôt que les peines alternatives ; au point que l’on peut même se demander si cette sanction pénale n’est pas condamnée à la marginalité voire à l’extinction.

18. Cet argument est souvent repris sur la base des chiffres du Centre canadien de la statistique juridique qui indique qu’un détenu incarcéré dans un établissement provincial ou territorial coûte environ plus de 50 000 dollars par an contre 1800 dollars environ pour la surveillance d’un délinquant dans la collectivité (y compris les peines avec sursis, la probation, la surveillance des personnes en liberté sous caution, les modes facultatifs de paiement d’une amende et la mise en liberté sous condition). 19. Réforme entrée en vigueur le 20 novembre 2012.

Pénologie.indd 78

13-08-15 13:42

5 La libération conditionnelle Fernanda Prates

Les dernières décennies ont été marquées par des changements majeurs au sein des politiques criminelles. À l’instar du champ pénal plus général, le système correctionnel canadien a été touché par des transformations, tant en ce qui concerne les discours que sur le plan législatif. Dans ce chapitre, nous analyserons les transformations législatives sur la mise en liberté sous condition au Canada. Nous aborderons les transformations les plus significatives sur le plan législatif et, de là, nous dégagerons deux tendances importantes en matière de libération conditionnelle, soit l’importance que ne cesse de prendre l’évaluation du risque et la tendance duale. Ensuite, nous traiterons du rôle des commissions de libérations conditionnelles, tout comme des types de mises en liberté en vigueur dans le système correctionnel canadien. Puis, nous examinerons les enjeux actuels reliés à la prise de décision en matière de libération conditionnelle. Nous conclurons en mettant en lumière l’impact des changements législatifs sur la nature même de la libération conditionnelle, comme sur les pratiques correctionnelles. Les origines de la libération conditionnelle au Canada

L’idée de la libération conditionnelle remonte à la fin du xv iii e siècle. Elle trouve ses origines notamment dans le système de pardon australien, lequel permettait au gouverneur de récompenser la bonne conduite de certains détenus en mettant fin à leur peine (Nicolas, 1981). S’inspirant

Pénologie.indd 79

13-08-15 13:42

80  pé n ol o g i e

grandement du Penal Servitude Act de l’Angleterre, le Parlement canadien adopte, en 1899, la première loi des libérations conditionnelles. Cette mesure était alors utilisée essentiellement comme une forme de pardon ou de faveur occasionnelle réservée aux délinquants primaires, à la discrétion du ministre de la Justice. Pendant les 70 années qui ont suivi l’adoption de cette loi, la nature de la libération conditionnelle au Canada oscille entre « le pardon-récompense et l’humanisme gratuit et influent » (ibid.). Cette mesure représente, selon Nicolas, « d’autant plus un cadeau qu’il n’existe à peu près pas de mesure d’aide ou de contrôle des personnes libérées conditionnellement » (ibid.). En 1953, un comité fut chargé de faire l’enquête sur la mise en liberté sous condition. Sous la présidence d’un juge de la Cour suprême, Gérald Fauteux, ce groupe présente son rapport final en 1956, dans lequel on trouve de nombreuses critiques à l’égard de la mise en place des libérations conditionnelles. Le rapport souligne le fait que la libération conditionnelle est utilisée principalement pour inciter les détenus à un bon comportement en prison, plutôt que pour les motiver et les encadrer en vue d’une meilleure resocialisation lors de leur retour dans la société. Pour Fauteux, la libération conditionnelle ne devrait pas être comprise comme le résultat d’un processus de réadaptation, mais comme un instrument même de resocialisation. Ce comité met en lumière également le rapport entre la réadaptation des détenus et la sécurité du public, en soutenant que la correction du justiciable est une condition intrinsèque à la sécurité de la société, c’est-à-dire qu’en « corrigeant les détenus, on se trouve par le fait même à protéger le plus grand nombre » (Robert, 2011). Dans son rapport, le comité recommande que les détenus soient évalués non seulement à partir de leur conduite en prison, mais surtout sur la base des éléments capables d’indiquer les chances de réussite de la libération conditionnelle, comme le progrès du détenu, son changement d’attitude et ses probabilités de réadaptation. Néanmoins, la recommandation la plus importante du comité est sans doute la création d’une commission des libérations conditionnelles ayant la compétence exclusive pour décider des demandes de mise en liberté. En 1959, à la suite des recommandations du rapport Fauteux, l’ancienne Loi sur les libérations conditionnelles est abrogée et remplacée par la nouvelle Loi sur la libération conditionnelle, laquelle définit le régime de remise en liberté connu aujourd’hui. Le Service des pardons est éga-

Pénologie.indd 80

13-08-15 13:42

L a l i bé r a t i on c on d i t i on n e l l e  81

lement aboli et la Commission des libérations conditionnelles du Canada (CLCC) est créée. Avec l’arrivée de la nouvelle loi – dans laquelle le principe de resocialisation est consacré –, la libération conditionnelle n’est pas seulement comprise comme une simple récompense de la bonne conduite en prison, mais comme une étape essentielle dans le processus de réadaptation du détenu. Elle vise à la fois la protection du public et la réhabilitation du détenu, et est accordée seulement lorsque la détention a exercé son « effet positif maximal » (CLCC, 2010). En 1969, le comité Ouimet recommande la décentralisation de la Commission pour permettre à celle-ci de tenir des audiences avec chaque candidat à la mise en liberté. Cette recommandation est mise en place en 1972 avec l’ouverture du Bureau régional du Québec, à Montréal. La fin des années 1980 fut une période difficile en matière de libération conditionnelle. Des cas de récidive des libérés font souvent la manchette des journaux, engendrant une méfiance dans la population à l’égard de cette mesure. Une enquête réalisée au milieu des années 1980 montre qu’à cette époque, l’opinion publique percevait la Commission comme trop indulgente envers les détenus (ibid.). C’est dans ce contexte qu’en août 1988, le Comité permanent de la justice et du solliciteur général, présidé par David Daubney, publie son rapport sur les services correctionnels fédéraux, intitulé Des responsabilités à assumer. Le rapport présente de nombreuses recommandations qui visent une réforme profonde du système des libérations conditionnelles, afin de rétablir la confiance du public envers la justice pénale et de responsabiliser le justiciable, « c’est-à-dire que si l’on enfreint la loi, on doit en assumer la responsabilité » (Daubney, 1988). L’idée de responsabilisation du justiciable, liée à la protection de la société, consolide la notion selon laquelle la mise en liberté sous condition représente somme toute un privilège accordé au détenu : « Fini le temps où la liberté conditionnelle était une “étape naturelle et logique” du processus pénal. La liberté doit se mériter. » (Robert, 2001) En réponse au rapport Daubney, le gouvernement dépose en 1990 le document de consultation Vers une réforme, dans lequel il propose une réforme du système des libérations conditionnelles de façon à accroître la sécurité du public, en soutenant notamment que le risque de récidive et la protection de la société doivent dorénavant être les principaux critères pris en compte lors d’une décision de mise en liberté sous condition. Le rapport Daubney et les pressions populaires et politiques aboutissent au dépôt du projet de loi

Pénologie.indd 81

13-08-15 13:42

82  pé n ol o g i e

C-36, lequel remplace la vieille loi de 1959 par la nouvelle Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition de 1992. Cette loi changera sensiblement le système des libérations conditionnelles au Canada. Les enjeux actuels en matière de libération conditionnelle

L’accroissement de la sévérité dans les modifications introduites par la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (1992) reflète un changement plus profond de la nature même de la libération conditionnelle. Avec la nouvelle loi, il devient clair que la mise en liberté sous condition ne vise plus la réadaptation du détenu, mais plutôt la protection du public. Prenons par exemple l’admissibilité à la semi-liberté, qui, avec la nouvelle loi, est alors retardée, passant du sixième de la peine à six mois avant la date d’admissibilité à la libération conditionnelle. Cette modification gardera en prison plus longtemps les détenus condamnés à plus de trois ans et permettra aux magistrats de fixer la date d’admissibilité à la libération conditionnelle à la moitié de la peine en ce qui concerne les personnes emprisonnées en vertu d’une infraction grave liée à la drogue. Avant la loi, cette admissibilité était fixée de façon automatique à un tiers de la peine ou après trois ans d’emprisonnement. Si cette loi impose des mesures nettement plus sévères aux crimes graves, elle prévoit aussi des solutions de rechange à l’incarcération pour les crimes moins graves, comme c’est le cas de la procédure d’examen expéditif, qui permettait d’accélérer le traitement des demandes de mise en liberté sous condition pour les détenus purgeant leur première peine dans un pénitencier et qui n’avaient pas été condamnés pour un crime violent ou relié à la drogue. Les détenus admissibles au programme d’examen expéditif pouvaient alors demander la libération conditionnelle totale après avoir purgé le tiers ou sept ans de la peine, selon la période plus courte. Cette mesure a été élargie en 1997 pour inclure la semi-liberté. Ainsi, les détenus ayant droit à la procédure d’examen expéditif étaient admissibles à la semi-liberté après avoir purgé le sixième de la peine ou six mois1 et non pas six mois avant l’admissibilité à la libération conditionnelle totale, comme c’est le cas pour la majorité des détenus. Par ailleurs, la nouvelle loi introduit les notions d’évaluation et de gestion du risque. La détermination du risque posé par le détenu devient 1. Selon la période la plus courte.

Pénologie.indd 82

13-08-15 13:42

L a l i bé r a t i on c on d i t i on n e l l e  83

en effet le critère prépondérant et la préoccupation fondamentale pour la Commission des libérations conditionnelles du Canada : La Commission et les commissions provinciales peuvent autoriser la libération conditionnelle si elles sont d’avis qu’une récidive du délinquant avant l’expiration légale de la peine qu’il purge ne présentera pas un risque inacceptable pour la société et que cette libération contribuera à la protection de celle-ci en favorisant sa réinsertion sociale en tant que citoyen respectueux des lois. (art. 102)

En 1996, le projet de loi C-45 modifie l’article 745 du Code criminel pour retirer aux personnes condamnées pour meurtre le droit de demander une révision judiciaire du délai préalable à leur mise en liberté sous condition. Ce délai étant de 25  ans d’emprisonnement, le détenu pouvait néanmoins demander une révision après avoir purgé au moins 15 ans de sa peine. En s’attaquant aux détenus présentant un risque élevé de récidive, le projet de loi C-55, adopté en 1997, crée la catégorie des « délinquants à contrôler », lesquels pourront être soumis dorénavant à une ordonnance de surveillance pour une période maximale de 10 ans lors de leur remise en liberté. À la lumière de cette production législative, la littérature dégage deux grands mouvements en matière de libération conditionnelle : l’importance sans cesse croissante de l’évaluation du risque et l’aspect dual de cette politique. La gestion du risque

Depuis le milieu des années 1970, l’évaluation et la gestion du risque se trouvent au cœur des préoccupations en matière de libérations conditionnelles. On constate un changement profond des objectifs de cette mesure qui passe de celui de la sécurité au risque et à sa gestion, au moyen notamment de mécanismes de neutralisation (Hannah-Moffat et Shaw, 2000). Ces transformations sont associées dans la littérature à l’émergence d’une « nouvelle pénologie » (Feeley et Simon, 1992, 1994) qui se manifeste depuis quelques décennies dans le champ pénal général. L’intérêt pour les causes du crime se déplace vers ses effets et l’on ne cherche plus à corriger les individus, mais plutôt à gérer les risques qu’ils représentent. Ce modèle étant de nature essentiellement prédictive, il se consacre à réduire les torts plutôt qu’à les éliminer. Il ne s’occupe pas des problèmes sur le plan individuel, mais plutôt des statistiques générales du risque. Ce faisant, il repère

Pénologie.indd 83

13-08-15 13:42

84  pé n ol o g i e

les facteurs du risque plutôt que ses causes. Il s’agit alors d’un système fondé sur une « logique statistique dans laquelle les explications théoriques s’effacent au profit du calcul de probabilité » (Quirion et D’Adesse, 2011). Cette gestion des individus se base de plus en plus sur des techniques actuarielles de gestion du risque, qui ont remplacé au fil des années les évaluations cliniques traditionnelles, fortement critiquées par leur caractère subjectif et discrétionnaire (Mooney et Daffern, 2001). Actuellement, le recours aux grilles actuarielles « est devenu la norme, un passage obligé avant de prendre une décision » (Vacheret, 2007). En effet, depuis les années 1980, le Canada considère l’évaluation actuarielle comme la méthode de référence en milieu correctionnel. Promu par des chercheurs convaincus de sa supériorité (Bonta, 1996 ; Grove et al. 2000), l’usage de ces échelles est présenté comme le moyen d’éliminer la subjectivité présente dans le jugement clinique en la remplaçant par une classification plus neutre et efficace. Ce virage actuariel s’inscrit alors dans une tendance plus large d’efficience, d’obligation de rendre compte et d’uniformisation des pratiques en milieu correctionnel. Les échelles reposent sur une combinaison de variables corrélées statistiquement à la récidive, par exemple l’impulsivité, les attitudes négatives à l’égard de la loi, la toxicomanie, une mauvaise relation familiale ou un mauvais rendement à l’école ou au travail (Sécurité publique Canada, 2007). Elles comportent des règles qui montrent comment combiner les facteurs de risque préétablis pour calculer les « scores » totaux qui seront ensuite associés à la probabilité de récidive du détenu (Dawes et al., 1989). Ces outils actuariels opèrent alors le « fractionnement du sujet, c’est-à-dire la substitution, par une série de facteurs de risques, de ce qui était autrefois vu comme une “identité criminelle”. Les individus sont décomposés en variables et ces dernières sont corrélées et regroupées pour former des profils gradés selon le niveau de risque » (Robert, 2011). Quoiqu’amplement utilisés dans le milieu correctionnel canadien, ces outils comportent néanmoins des limites. D’abord, étant donné la prédominance de l’usage des facteurs statistiques, cette méthode ne permet pas la prise en compte de l’évolution de l’individu au fils du temps (Cooke et Michie, 2009). Deuxièmement, vu leur tendance à individualiser les facteurs évalués, ces échelles ne prennent pas en compte les variables structurelles plus larges (pauvreté, pouvoir discrétionnaire de la police,

Pénologie.indd 84

13-08-15 13:42

L a l i bé r a t i on c on d i t i on n e l l e  85

racisme) qui peuvent également influer sur le risque de récidive (HannahMoffat et Shaw, 2001). Ce faisant, les outils actuariels opèrent sur une catégorisation plutôt simplifiée qui omet de son cadre d’autres aspects systémiques plus profonds. On soulève finalement que l’évaluation rigide, voire mécanique, qui découle des outils actuariels peut mener à des catégorisations inéquitables, puisqu’elle ne prend pas en compte nécessairement certaines spécificités de l’individu évalué, comme son origine ethnoculturelle ou son genre (Petersilia et Turner, 1987 ; Martel et al., 2011). La tendance duale

Depuis les années 1970, plusieurs auteurs remarquent un changement majeur dans le champ de la pénalité. Garland (2001) appelle le « virage punitif » le mouvement, entrepris par certains pays occidentaux, qui se caractérise par le déclin de l’idéal réhabilitatif du système pénal, par la réémergence d’une pénalité expressive, par une attention grandissante aux droits des victimes au détriment de ceux des justiciables, par le placement de la pénalité au sein des débats politico-médiatiques et par l’inflation carcérale. Face à un État économiquement affaibli, Garland observe le renforcement de la fonction politique de la justice pénale, laquelle est utilisée à la fois pour susciter le soutien populaire et pour gérer les populations socialement exclues. La thèse du « virage punitif » a été remise en question par rapport au contexte canadien, notamment parce que celui-ci aurait conservé de l’État providence des convictions et des pratiques moins punitives (Landreville, 2007). Au Canada, on serait moins en face d’une homogénéisation des logiques et des pratiques punitives et plutôt dans une tendance duale en matière correctionnelle. Cette tendance duale qui se développe au Canada depuis les années 1980 fait référence au « fait de punir de plus en plus sévèrement les “vrais” infracteurs alors qu’à l’inverse, les “petits” infracteurs sont traités avec une souplesse croissante » (Robert, 2001). Des mesures plus répressives sont adoptées pour neutraliser les infracteurs à haut risque, alors que des mesures peu contraignantes sont instaurées pour ceux à faible risque (Vacheret et Cousineau, 2005). Il s’agit alors d’une double rationalité : la rationalité de protection de la société alors qu’il s’agit des infracteurs dangereux et la rationalité de la réhabilitation pour les infracteurs primaires (Robert, 2001).

Pénologie.indd 85

13-08-15 13:42

86  pé n ol o g i e

En ce qui concerne le premier volet de cette tendance (rationalité de protection de la société), la production législative des dernières années semble en effet s’inscrire dans ce mouvement : en 1986, le projet de loi C-67 autorise la CNLC à maintenir, dans des cas spécifiques, un détenu en incarcération jusqu’à l’expiration de la peine. En 1992, le projet de loi C-36 retarde l’admissibilité à la semi-liberté, qui passe du sixième de la peine à six mois avant la date d’admissibilité à la libération conditionnelle totale. En 1997, le projet de loi C-55 instaure un suivi postsentenciel pour les « délinquants à contrôler ». Une tendance de neutralisation sélective  des contrevenants dangereux se dessine, fondée sur l’idée de protection de la collectivité. Si, du point de vue législatif, ce mouvement plus répressif paraît bien présent au Canada, il semblerait qu’on ne puisse pas en dire autant du second volet (rationalité de la réhabilitation) de cette tendance, quand on examine les récents changements législatifs en matière de libération conditionnelle, plus particulièrement les projets de loi C-59 et C-10. En mars 2011, le projet de loi C-59 a été adopté pour abolir la procédure d’examen expéditif accordée aux détenus non dangereux et à faible risque de récidive. La procédure d’examen expéditif, nous l’avons déjà souligné, visait à remettre en liberté le plus tôt possible les détenus présentant un faible risque pour la société. Il s’agissait alors d’un exemple clair de l’orientation réhabilitatrice de la tendance duale. Toutefois, dorénavant, les auteurs de crimes non violents qui en sont à leur première incarcération dans un pénitencier fédéral ne seront plus admissibles à la semi-liberté au sixième de leur peine. Aussi, leur libération conditionnelle ne sera pas accordée si la Commission estime qu’ils risquent de commettre une infraction sans violence avant la fin de leur peine. Avant ce projet de loi, les détenus admissibles à la procédure d’examen expéditif bénéficiaient d’une présomption en faveur de leur libération ; la libération était accordée sauf dans les cas où la Commission avait des motifs raisonnables de croire que le détenu commettrait une infraction avec violence avant la fin de sa peine. Avec l’adoption du projet de loi C-59, on voit peut-être un signe de changement d’orientation de la politique en matière de libération conditionnelle. Un signe qui est d’ailleurs renforcé lorsque l’on prend connaissance de certaines dispositions du projet de loi C-10 2, adopté par la Chambre des communes le 5 décembre 2011. À l’heure actuelle, ces dispo2. Loi sur la sécurité des rues et des communautés.

Pénologie.indd 86

13-08-15 13:42

L a l i bé r a t i on c on d i t i on n e l l e  87

sitions ne sont pas en vigueur, car le projet de loi doit encore être approuvé par le Sénat. Il semble toutefois que cette dernière étape de la procédure législative sera franchie sans difficulté, vu que le Sénat est composé majoritairement de sénateurs du Parti conservateur, qui a proposé ce projet de loi. La troisième partie du projet de loi soumet des modifications majeures à la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, de façon à resserrer les règles concernant la libération conditionnelle des détenus fédéraux. Les changements présentés permettront au Service correctionnel d’obliger les détenus à porter un dispositif de surveillance à distance (art. 64). Le projet de loi prévoit en outre la possibilité pour un agent de la paix d’arrêter sans mandat un individu qui a violé ou qui est en train de violer une condition de sa libération conditionnelle (art. 92). Aussi, il porte le délai d’attente de six mois à un an suivant un refus de la Commission d’accorder la semi-liberté ou la libération totale (art. 78 et 79). Finalement, le projet propose la suspension automatique de la libération conditionnelle ou de la liberté d’office des personnes condamnées à une peine d’emprisonnement supplémentaire (art. 89). Soulignons que ces mesures de resserrement sont destinées à tous les détenus fédéraux sans distinction faite en relation aux risques qu’ils posent. On observe alors que la sévérité montrée à l’égard des « délinquants dangereux » semble se prolonger graduellement aux « petits délinquants ». Mentionnons finalement que la pratique en matière de libération conditionnelle semble suivre la tendance de resserrement remarquée dans le champ législatif. De nombreux auteurs observent à ce propos une baisse graduelle, dans les dernières années, des taux de libération conditionnelle au Canada. En effet, durant les cinq dernières années, le taux d’octroi de la libération conditionnelle totale a diminué à l’échelle tant fédérale que provinciale. En 2010-2011, il a diminué de 2 % dans le premier groupe, se situant à 39 %, et il a baissé de 6 % dans le second groupe, se situant à 31 %. Les taux d’octroi de la semiliberté à l’échelle fédérale et provinciale ont également diminué en 20102011 ; ils sont respectivement descendus à 62 % (-4 %) et à 43 % (-4 %) (CLCC, 2012b). À l’inverse, le nombre de détenus libérés en libération d’office augmente continuellement. En ce qui concerne les détenus fédéraux, le taux est passé de 41 % en 1993-1994 à 65 % en 2003-2004 (Landreville, 2007). En 2008-2009, sur les 9300 mises en liberté sous condition accordées, plus de la moitié (5676) concernaient la libération d’office. Ce resserrement s’amplifie malgré le fait que la majorité des mises en liberté sous condition

Pénologie.indd 87

13-08-15 13:42

88  pé n ol o g i e

se terminent avec succès. En 2008-2009, par exemple, 70 % des libérations conditionnelles ont été achevées avec succès, et l’on a mis fin à seulement 7 % d’entre elles en raison de la perpétration d’une nouvelle infraction (Juristat, 2010)3. Certes, les solutions de rechange à l’incarcération sont toujours au cœur de la politique correctionnelle canadienne, mais à la lumière des dernières remarques, on peut se demander si l’orientation réhabilitratrice n’est pas en train de stagner et d’être progressivement remplacée par la rationalité de protection sociale présente dans la tendance duale. Les commissions de libération conditionnelle et les types de mise en liberté sous condition

La responsabilité en matière correctionnelle au Canada est partagée entre les gouvernements fédéraux, provinciaux et territoriaux en fonction de la durée de la peine imposée au justiciable. Les individus condamnés à une peine d’emprisonnement de deux ans ou plus sont pris en charge par le gouvernement fédéral, soit le Service correctionnel du Canada, alors que les personnes condamnées à une peine de moins de deux ans, à une peine d’emprisonnement avec sursis ou encore détenues en attente de leur procès sont sous la responsabilité des systèmes correctionnels provinciaux et territoriaux. Le Service correctionnel du Canada est responsable de l’incarcération des détenus, de leur préparation à la mise en liberté au sein de la communauté et de la surveillance des individus libérés sous condition. La Commission des libérations conditionnelles du Canada est un tribunal administratif indépendant qui a compétence exclusive pour accorder, refuser, annuler ou révoquer la libération conditionnelle des justiciables. Son président rend compte au Parlement par l’entremise de Sécurité publique Canada. Toutefois, ce dernier n’a pas le pouvoir légal de donner des directives à la Commission dans le cadre de l’exercice de son pouvoir décisionnel, ce qui vise à assurer l’intégrité du processus décisionnel en matière de libération conditionnelle (CLCC, 2011a). Selon son énoncé de mission, la Commission des libérations conditionnelles du Canada « contribue à la protection de la société en favorisant la réintégration en temps opportun des délinquants comme citoyens res3. Dans 23 % des cas, la libération a été mise à terme en raison d’un manquement aux conditions.

Pénologie.indd 88

13-08-15 13:42

L a l i bé r a t i on c on d i t i on n e l l e  89

pectueux des lois ». La Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition et son règlement d’application constituent le cadre législatif prescriptif qui oriente les politiques de la Commission des libérations conditionnelles du Canada et ses décisions. Son mandat est régi également par le Code criminel, la Loi sur le casier judiciaire, la Loi sur la protection des renseignements personnels et la Loi sur l’accès à l’information. Au-delà des détenus fédéraux, la Commission a le pouvoir de décider de la mise en liberté sous condition des personnes détenues dans des prisons territoriales et aussi dans la majorité des provinces, puisque seulement le Québec et l’Ontario ont leur propre commission de libération conditionnelle. L’audience de libération conditionnelle vise à assister les commissaires dans leur évaluation du risque posé par le détenu s’il se voit octroyer une mise en liberté sous condition. De façon générale, l’audience se déroule dans l’établissement où la personne est incarcérée. Durant l’audience, les commissaires examinent le cas du détenu avec celui-ci, son agent de libération conditionnelle et la personne qui l’assiste. Dans la plupart des cas, les commissaires communiquent leur décision à la fin de l’audience. La législation fédérale définit les modalités d’aménagements de peine susceptibles d’être accordées à la fois par le directeur d’établissement carcéral et par la Commission des libérations conditionnelles du Canada. Dans la plupart des cas, les permissions de sortir et le placement à l’extérieur sont accordés par le directeur du pénitencier, alors que les demandes de semi-liberté, de libération conditionnelle totale et de libération d’office sont toujours évaluées par les commissions de libération conditionnelle au niveau fédéral et provincial. Les permissions de sortir constituent normalement la première forme de mise en liberté obtenue par le détenu qui se trouve sous la responsabilité du Service correctionnel du Canada. Cette mesure permet la réintégration temporaire des détenus dans la collectivité dans certains cas spécifiques. Il en existe deux types : la permission de sortir avec escorte et la permission de sortir sans escorte, les deux étant d’une durée maximale de 15 jours. Dans le cas de la permission de sortir avec escorte, les détenus peuvent la demander dès le tout début de leur peine. Par rapport à la permission de sortir sans escorte, les critères d’admissibilité varient selon le type et la durée de la peine4. Les détenus condamnés à une peine de 4. Les personnes incarcérées dans un établissement à sécurité maximale ne sont pas admissibles à ce programme.

Pénologie.indd 89

13-08-15 13:42

90  pé n ol o g i e

trois ans ou plus y sont admissibles après avoir purgé le sixième de leur peine ; les détenus condamnés à une peine de moins de trois ans y sont admissibles après avoir purgé six mois de leur peine ; et les détenus condamnés à perpétuité ou à une peine de durée indéterminée y sont admissibles trois ans avant leur date d’admissibilité à la libération conditionnelle totale. Le placement à l’extérieur est un programme qui permet à certains détenus à faible risque de récidive de travailler dans la collectivité pour une durée maximale de 60 jours. Il s’agit d’une activité bénévole et non d’un emploi rémunéré. Normalement, les détenus peuvent demander un placement à l’extérieur après avoir purgé le sixième de leur peine ou six mois, selon la période plus longue. La semi-liberté est une mesure de liberté anticipée utilisée pour préparer le détenu à la libération conditionnelle totale ou d’office. Elle est habituellement accordée pour six mois, durant lesquels le détenu participera à des activités dans la collectivité. Le détenu en semi-liberté doit retourner tous les soirs à une maison de transition ou à son établissement correctionnel. En ce qui concerne la période d’admissibilité, les détenus condamnés à perpétuité peuvent demander la semi-liberté trois ans avant leur date d’admissibilité à la libération conditionnelle totale, et les autres détenus peuvent la demander six mois avant leur date d’admissibilité à la libération conditionnelle totale. La libération conditionnelle totale permet au détenu de purger le restant de sa peine dans la collectivité. Il n’est pas tenu de rester dans une maison de transition, mais il doit se présenter régulièrement à un agent de liberté conditionnelle pour lui faire part de tout changement important sur le plan tant personnel que professionnel. La plupart des détenus peuvent demander une libération conditionnelle totale après avoir purgé le tiers de leur peine à moins que le juge n’ait ordonné, lors de la sentence, qu’une période minimale de 10 ans ou que la moitié de la peine soit purgée avant que le détenu puisse accéder à cette mesure. Les individus condamnés à perpétuité pour meurtre doivent quant à eux purger entre 10 et 25 ans de leur peine avant de pouvoir présenter une demande de libération conditionnelle totale. La libération d’office constitue une mesure de dernier recours destinée aux détenus qui n’ont pas bénéficié de la libération conditionnelle totale. La plupart des détenus deviennent automatiquement admissibles à cette

Pénologie.indd 90

13-08-15 13:42

L a l i bé r a t i on c on d i t i on n e l l e  91

forme de libération après avoir purgé les deux tiers de la peine, exception faite des détenus condamnés à une peine d’emprisonnement à perpétuité ou d’une durée indéterminée, qui n’ont pas accès à cette forme de libération. Soulignons également que si la Commission estime qu’il existe des motifs raisonnables de croire que le détenu commettra une infraction causant la mort ou un dommage grave à une autre personne, une infraction d’ordre sexuel à l’égard d’un enfant ou une infraction grave en matière de drogue avant l’expiration de sa peine, elle peut maintenir l’individu en incarcération jusqu’à la fin de cette dernière. Les enjeux de la prise de décision

Ces dernières années, de nombreuses recherches se sont intéressées aux facteurs pris en compte par les intervenants pour décider de la mise en liberté sous condition des détenus. Au Canada, la politique décisionnelle en matière de libération conditionnelle est fondée sur trois principes fondamentaux, à savoir la protection de la société, la réinsertion sociale des détenus et la limitation des restrictions à la liberté des anciens détenus alors qu’ils se retrouvent dans la collectivité. D’après le Manuel des politiques de la Commission des libérations conditionnelles du Canada (2012a), au moment de rendre une décision sur la mise en liberté sous condition, les commissaires doivent déterminer si le détenu constitue un risque inacceptable pour la collectivité et si sa libération anticipée contribuera à son insertion sociale. Pour évaluer le risque présenté par le détenu, les commissaires examinent une série de renseignements, les plus courants étant : • •

• •

Pénologie.indd 91

les mesures actuarielles ; les antécédents criminels et sociaux du détenu (comme la nature et la gravité de l’infraction, les manquements antérieurs aux conditions de la surveillance, les relations conjugales et familiales, les études et le travail, la toxicomanie, des problèmes de revenu, l’affaiblissement des liens avec la collectivité, l’historique des comportements violents) ; les motifs invoqués et les recommandations formulées par le juge qui a imposé la peine ; les renseignements obtenus des victimes ;

13-08-15 13:42

92  pé n ol o g i e











les facteurs influant sur la maitrise de soi (comme la présence de troubles mentaux, d’une déviance sexuelle ou d’une vulnérabilité face à l’influence de ses fréquentations criminelles) ; la réceptivité aux programmes et aux interventions (comme les programmes de traitement de la toxicomanie, de prévention de la violence, de rattrapage scolaire, l’assistance religieuse) ; le comportement en établissement et dans la collectivité (comme le non-respect des règles d’établissement, l’incarcération et les mises en liberté sous condition antérieures, la participation aux activités organisées par des membres d’organisations criminelles) ; le changement chez le détenu (comme son progrès dans la réalisation de son plan correctionnel, les signes montrant une volonté de changement et la motivation pour le faire, les résultats de sa participation aux programmes correctionnels, les rapports professionnels évaluant les résultats de la participation du détenu à des programmes de traitement psychologique ou psychiatrique) ; le plan de libération et les stratégies de gestion dans la collectivité (comme le type de mise en liberté demandée, la mesure dans laquelle le plan de libération tient compte du risque chez le détenu et des sources de soutien social, les facteurs de stress du milieu, les renseignements au sujet de la collectivité d’accueil, les mesures prises pour prévenir la récidive) (CLCC , 2012a).

Si, selon le Manuel des politiques de la Commission des libérations conditionnelles du Canada, les commissaires font face à une gamme très vaste de critères et de renseignements pour rendre leur décision, la littérature dans le domaine recense un nombre plus réduit de facteurs qui sont effectivement pris en compte par ces intervenants au moment d’accorder ou non la liberté provisoire aux détenus, parmi lesquels nous soulignons la nature et la gravité de l’infraction (Vacheret et Cousineau, 2005), les antécédents judiciaires (Feder, 1997), le mauvais comportement en prison (Heubner et Bynun, 2006), le comportement futur du détenu (Carrol et al., 1982), son potentiel de réinsertion estimé (Vacheret et Cousineau, 2005), sa capacité de changer positivement (Hannah-Moffat et Yule, 2011) et aussi son attitude envers les victimes (Burns et al., 1999). L’écart entre les critères et les informations mises à la disposition des intervenants et leur utilisation concrète pourrait s’expliquer par le fait que le besoin

Pénologie.indd 92

13-08-15 13:42

L a l i bé r a t i on c on d i t i on n e l l e  93

d’intégrer un large volume d’information dans un court espace de temps peut, paradoxalement, amener les décideurs à une simplification des stratégies de prise de décision par l’intermédiaire de la limitation et de la sélection des critères et des renseignements effectivement pris en compte pour rendre une décision (Gobeil et Serin, 2009). L’alourdissement de la quantité de données mises à la disposition des intervenants semble engendrer également une disqualification de la parole du détenu, laquelle est souvent reléguée au deuxième plan, derrière les évaluations et les recommandations provenant des agents pénaux, des professionnels de la santé mentale et des autorités correctionnelles. Comme le souligne Vacheret (2007), « cette extériorité semble conférer une valeur plus élevée, plus forte, plus reconnue aux jugements, évaluations et prédictions portées sur le condamné, que tout ce que ce dernier pourrait dire ». Parallèlement, la complexité de ce processus réduit le contact entre les agents pénaux et les détenus. Cette distance entre l’évaluateur et l’évalué peut engendrer, chez le premier, une connaissance plutôt abstraite et théorique du cas qui conduirait à son détachement de la personne évaluée. Ainsi, au Canada, les critères sont pris en compte par les agents pénaux de façon notamment à évaluer le risque présenté par la libération anticipée du détenu (Padfield, 2002 ; Shute, 2007). C’est en s’appuyant sur les facteurs de risque déterminés par les échelles actuarielles que les intervenants sont appelés à prendre une décision. L’utilisation de ces outils n’est pas sans impact sur la pratique décisionnelle des intervenants en matière de libération conditionnelle. D’une part, le caractère standardisé et systématique de l’évaluation actuarielle, combiné à une perception d’objectivité et de scientificité de ces instruments, peut conduire à un sentiment de déresponsabilisation chez le décideur, c’est-à-dire qu’il peut être « amené à ne pas se sentir réellement concerné par les conséquences de sa décision » (Vacheret, 2007). D’autre part, l’automatisation de l’évaluation actuarielle semble avoir transformé la nature même de l’évaluation réalisée par les intervenants. Si, dans l’évaluation clinique traditionnelle, l’intervenant jouissait d’un important pouvoir discrétionnaire pour sélectionner et combiner les informations disponibles, dans l’évaluation actuarielle, ce pouvoir discrétionnaire se voit profondément réduit, puisque le recours aux grilles statistiques préétablies limite la capacité de l’intervenant de sélectionner et de combiner des informations autres que celles préalablement désignées dans les échelles actuarielles. Ses fonctions

Pénologie.indd 93

13-08-15 13:42

94  pé n ol o g i e

sont ainsi reléguées, dans certains cas, « à un simple rôle technique d’application mécanique des outils mis à [sa] disposition » (ibid. ; Quirion et D’Adesse, 2011). *** La libération conditionnelle a subi de profondes transformations au cours de ses plus de 100 ans d’existence. De mesure de « pardon-récompense » qui se limitait à stimuler chez les détenus un bon comportement en prison, elle est reconnue aujourd’hui comme une mesure importante, voire essentielle à la resocialisation des justiciables. Son parcours a été semé de nombreux obstacles, et il l’est toujours. À ce propos, à partir des années 1980, une tendance de resserrement de la mise en liberté sous condition a commencé à être mise en place, comprenant un discours à la fois de responsabilisation du détenu, de gestion du risque et de protection de la société. S’inscrivant dans une logique d’efficience et d’uniformisation, les évaluations cliniques traditionnelles sont graduellement remplacées par les grilles actuarielles standardisées. L’avènement de cette neutralité actuarielle se fait cependant en détriment d’autres aspects tout aussi importants, puisque le caractère décontextualisé et généralisateur des facteurs sélectionnés par ces outils ne rend pas compte nécessairement des facteurs structuraux plus larges dans lesquels le sujet évolue, ni des spécificités découlant entre autres des origines ethnoculturelles ou du genre des individus évalués. Parallèlement, les dernières décennies ont vu émerger ce qui a été identifié comme une tendance duale en matière correctionnelle, c’est-à-dire la mise en place d’une double rationalité, la première étant celle de la protection de la société et destinée aux « délinquants dangereux » et la deuxième renvoyant à la rationalité de la réhabilitation, qui a trait notamment aux « petits criminels ». Si on constate en effet la présence toujours grandissante de la première des rationalités, le ton punitif et uniformisateur présent dans les dernières modifications législatives semble indiquer que la rationalité de la réhabilitation serait en train de se faire progressivement remplacer par la rationalité réductionniste de protection de la société. Les changements en matière de libération conditionnelle ont marqué non seulement la nature et les buts envisagés par cette mesure, mais aussi les pratiques professionnelles des agents pénaux, notamment en ce qui

Pénologie.indd 94

13-08-15 13:42

L a l i bé r a t i on c on d i t i on n e l l e  95

concerne leur pratique décisionnelle. La complexification et l’alourdissement du processus d’évaluation actuariel engendreraient à la fois une simplification des stratégies de prise de décision et un écart entre l’évaluateur et l’évalué, ce qui conduirait à un détachement du premier à l’égard du second. On observe d’ailleurs que le caractère prédéterminé des grilles actuarielles semble avoir changé le rôle même des agents pénaux en matière de libération conditionnelle, lequel était basé précédemment sur une relation d’aide et de soutien et qui paraît se limiter actuellement au contrôle des détenus et à la gestion des dossiers. Au cœur de ces transformations se trouve, d’ailleurs, la notion de risque. Cependant, depuis quelques années, cette notion semble passer du risque « raisonnable à celui de l’absence de risque » (Hannah-Moffat et Shaw, 2001). Il n’en reste pas moins que, malgré cet « intense désir de certitude [qui] a rendu les techniques actuarielles irrésistiblement séduisantes » (Harcourt, 2011), les agents pénaux chargés de décider de la mise en liberté sous condition évoluent toujours dans un contexte d’incertitude qui est intrinsèque à la prise de décision dans le champ pénal. Aussi sophistiqués que puissent être ces outils actuariels, de nombreux facteurs psychologiques, familiaux et sociaux constituent des obstacles importants à l’infaillibilité de la décision en matière de libération conditionnelle. Le fait de transmettre une image « infaillible » de cette décision fragilise en fait la confiance de la population à l’égard de cette mesure, puisque chaque faille peut prendre des proportions démesurées, qui conduisent même à une remise en question de l’intégralité de ce système. D’ailleurs, ce cycle vicieux a été observé par Brodeur (1990), qui constatait, il y a déjà plus de 20 ans : « The more forcefully that a parole board claims to make accurate risk assessment, the more the public will be shocked when the board is shown to have made a mistake. […] The result will be renewed pressure for stiffer criteria of release and for more rigid supervision in the community, until early release mutates at last into “zombie” parole. »

Pénologie.indd 95

13-08-15 13:42

Pénologie.indd 96

13-08-15 13:42

6 L’impact du casier judiciaire et le régime de réhabilitation Estibaliz Jimenez

La partie XXIII du Code criminel1 est consacrée à la détermination de la peine. On y énonce les peines pour adultes, les principes et les objectifs pénologiques. Pour les adultes contrevenants, le Code criminel canadien prévoit une approche plurifonctionnelle de la peine (Dumont, 1993 ; Dadour, 2007). La peine doit contribuer, en vertu de l’article 718, à la prévention du crime, au respect de la loi et au maintien d’une société juste, tout en atteignant les objectifs de dénonciation, de dissuasion, d’isolement, de responsabilisation, de réparation et, finalement, de réinsertion sociale. Ces six objectifs pénologiques n’obéissent à aucune hiérarchisation (ibid.). Comme un grand nombre de pays, le Canada a choisi, depuis plus d’un siècle, d’assortir ses mesures pénales coercitives d’un objectif de rééducation. En effet, favoriser la réinsertion sociale des personnes contrevenantes est un des objectifs poursuivis par le législateur2, approche visant à réduire les risques de récidive dans le but de protéger la société de façon durable. Les personnes judiciarisées demeurent des citoyens à part entière et ont droit aux mêmes services et droits que la population en général. Elles sont capables d’évoluer positivement et sont responsables de leur 1. Code criminel (C. cr.), L.R.C. (1985), ch. C-46. 2. C. cr., art. 718 (d).

Pénologie.indd 97

13-08-15 13:42

98  pé n ol o g i e

prise en charge dans le processus de réinsertion sociale (Ministère de la Sécurité publique du Canada, 2010). Pourtant, dans les faits, une fois que le condamné a purgé sa peine, le casier judiciaire demeure le principal obstacle à sa réinsertion dans la société (Bernheim, 2010) et l’individu doit faire face à de nombreux impacts judiciaires. En plus des difficultés à trouver un emploi et un logement, les ex-détenus peuvent être victimes de discrimination et de préjugés sociaux. En 1969, le rapport Ouimet dénonçait déjà le fait que la divulgation du dossier criminel des délinquants est un obstacle important à leur réinsertion sociale. Dans un tel contexte, la suspension du casier (communément connue comme le « pardon » ou la « réhabilitation ») permet aux personnes qui ont un casier judiciaire de voir les informations relatives à leurs antécédents judiciaires retirées des bases de données des condamnations et être conservées séparément, le tout dans le but de faciliter l’accès à l’emploi, à l’éducation et à la réinsertion sociale. Toutefois, la suspension du casier judiciaire est conditionnelle à plusieurs critères d’admissibilité qui actuellement, dans un contexte de virage punitif, deviennent davantage restrictifs. Dans ce chapitre, le casier judiciaire et le processus de réhabilitation tels que prévus dans la législation canadienne sont présentés. Une attention particulière est portée aux nouvelles tendances législatives qui resserrent l’accessibilité et la portée de la réhabilitation et à leurs impacts corollaires sur les ex-délinquants ayant purgé leur peine en totalité. Le casier judiciaire

Au Canada, Le Code criminel et la Loi sur le casier judiciaire3 ne définissent pas le casier judiciaire, également appelé « dossier judiciaire ». Celui-ci peut être défini comme un fichier qui contient la liste des condamnations pénales d’une personne en vertu des lois et des règlements fédéraux, ainsi que ses empreintes digitales (Landreville, 2004 ; Dumont, 1993, 1995). Plus concrètement, il s’agit d’un dossier criminel où sont inscrits les renseignements suivants : nom et prénom, numéro de casier judiciaire, accusation(s), condamnation(s), condamnation(s) condition­ 3. Loi sur le casier judiciaire (LCJ), Loi relative à la réhabilitation des condamnés qui se sont réadaptés, L.R.C. (1985), ch. C-47.

Pénologie.indd 98

13-08-15 13:42

L ’ i mpa c t d u c a si e r ju d i c i a i r e e t l e r é g i me d e r é h a bi l i t a t i o n  99

nelle(s) et (inconditionnelles), date associée à chaque condamnation, lieu de condamnation, arrêt de procédures, accusation(s) retirée(s), acquittement ainsi que l’information sur les empreintes digitales . Les infractions aux règlements municipaux ou aux lois provinciales n’apparaissent pas dans un casier judiciaire. Les Services de gestion des renseignements judiciaires (SGRJ) mettent à jour et tiennent plus de 600 000 casiers judiciaires chaque année. Ils saisissent l’information sur les casiers judiciaires dans la banque de données de l’identité judiciaire du Centre d’information de la police canadienne (CIPC) (GRC, 2009). Quatre millions de casiers judiciaires existent actuellement au Canada (ibid.), soit 15 % de la population adulte (Bérard, 2010 ; McKay, 2010). Selon le professeur Pierre Landreville (2004), étant donné que les personnes reconnues coupables d’infractions criminelles sont surreprésentées dans les groupes socioéconomiques défavorisés, on peut raisonnablement faire l’hypothèse qu’au moins le tiers des hommes de ces groupes portent le fardeau d’antécédents judiciaires. Plusieurs études juridiques réalisées tant aux États-Unis et en Europe qu’au Canada ont amplement documenté le fait que les conséquences légales des condamnations pénales sont très nombreuses (Landreville, 2004 ; Bernheim, 2010) : difficulté à se trouver un emploi, à adhérer à un ordre professionnel et à occuper certaines charges publiques ; difficulté à louer un logement et à contracter une assurance ; interdiction de voyager et d’entrer dans certains pays ; difficulté à adopter un enfant ou à parrainer un membre de la famille qui souhaite immigrer. Le casier judiciaire a également un impact important sur l’image de soi et sur l’identité personnelle de l’individu. La stigmatisation provoquée par les antécédents criminels touche directement la personne condamnée, mais aussi sa famille et ses proches. Le casier judiciaire peut en conséquence être considéré comme une prolongation de la peine infligée, voire comme une peine supplémentaire (Bernheim, 2010). La professeure et pénaliste Hélène Dumont (1996) affirme même : Ces incapacités sont si nombreuses qu’en les combinant toutes ensemble, les concepts de dégradation civique et de mort civile, historiquement associés à la peine capitale et disparus du droit civil québécois, survivent encore, sous une forme diffuse et morcelée, dans de multiples incapacités juridiques consécutives à diverses condamnations pénales.

Pénologie.indd 99

13-08-15 13:42

100  pé n ol o g i e

Le casier judiciaire est généralement conservé jusqu’à ce que la personne condamnée ait atteint 80 ans, moment où il est éliminé. Il y a toutefois plusieurs exceptions à cette règle, entre autres lorsque l’individu visé a commis un acte criminel au cours des 10 dernières années ou a été condamné à une peine d’emprisonnement à perpétuité ou désigné « délinquant dangereux ». La réhabilitation

Afin de limiter les effets négatifs du casier judiciaire, les personnes ayant fait l’objet d’une condamnation relative à une loi fédérale ou à ses règlements peuvent présenter une demande de réhabilitation en vertu de la Loi sur le casier judiciaire. La réhabilitation, communément appelée le « pardon », permet que soient gardés à part les casiers judiciaires des personnes adultes qui ont été déclarées coupables d’une infraction criminelle au Canada4. Le pardon est une mesure officielle dont l’objet est d’effacer la honte d’une condamnation (CLCC, 2011a) et de favoriser la réintégration sociale. La Loi sur le casier judiciaire est promulguée en 1970 afin de permettre aux ex-détenus pouvant démontrer qu’ils ont réintégré la société avec succès d’amoindrir les conséquences du casier judiciaire. Il s’agit d’un pas législatif dans la bonne direction (Landreville, 2004) dans le cadre de l’objectif pénologique de réhabilitation. Toutefois, ce n’est qu’en 1985, avec la promulgation de la Loi sur les droits de la personne5, que les personnes ayant obtenu un pardon pour une condamnation criminelle sont protégées contre la discrimination, obtenant ainsi le droit de bénéficier des prestations de services ou de postuler à un emploi dans un organisme fédéral. Il est également interdit aux employeurs d’enquêter sur une condamnation passée d’un employé. En 1992, les modifications apportées à la Loi sur le casier judicaire confèrent à la Commission des libérations conditionnelles du Canada 4. Les personnes qui ont été déclarées coupables d’un crime à l’étranger et qui ont été transférées au Canada en vertu de la Loi sur le transfèrement des délinquants (L.R.C. [1985], ch. T-15) ou de la Loi sur le transfèrement international des délinquants (L.C.  2004, ch. 21) peuvent également faire une demande de réhabilitation. 5. Loi canadienne sur les droits de la personne (L.R.C. [1985], ch. H-6), article 2.

Pénologie.indd 100

13-08-15 13:42

L ’ i mpa c t d u c a si e r ju d i c i a i r e e t l e r é g i me d e r é h a bi l i t a t i o n  101

(CLCC)6 un pouvoir décisionnel en matière de pardon. Ainsi, la CLCC a la compétence exclusive de délivrer, de refuser ou de révoquer des suspensions de casier judiciaire relatives à des condamnations pour infractions à des lois ou à des règlements fédéraux du Canada7. Le processus de réhabilitation

Pour pouvoir présenter une demande de suspension du casier judiciaire, la personne condamnée doit respecter plusieurs exigences8. Tout d’abord, elle doit avoir purgé toutes ses peines en totalité. La peine est purgée en totalité lorsque la personne condamnée a payé toutes ses amendes, suramendes et frais, a entièrement exécuté les ordonnances de restitution et de dédommagement, a fini de purger la peine d’emprisonnement, y compris la période de liberté conditionnelle ou de liberté d’office, et a satisfait à toutes les conditions de l’ordonnance de probation. Les personnes condamnées à une peine d’emprisonnement à vie ou indéterminée et sous ordonnance de surveillance de longue durée ne sont pas admissibles au pardon9. Par ailleurs, après la période consécutive à l’expiration légale de la peine, le demandeur doit avoir attendu durant une certaine période. La période d’attente dépend de l’infraction visée10. Dans le cadre des absolutions, conditionnelles ou inconditionnelles, il n’est pas nécessaire de faire une demande de réhabilitation : les condamnations seront automatiquement retirées du système des casiers judiciaires après un an ou trois ans respectivement11. La Commission peut accorder la réhabilitation seulement lorsqu’elle est convaincue que le demandeur s’est bien conduit pendant la période d’attente déterminée par l’infraction visée et qu’aucune condamnation n’est survenue pendant cette période12. Elle doit être également assurée 6. La Commission des libérations conditionnelles du Canada, anciennement appelée Commission nationale des libérations conditionnelles, en tant que partie intégrante du système de justice pénale, prend des décisions sur la libération conditionnelle et le pardon, et formule des recommandations en matière de clémence. 7. LCJ, art. 2.1. 8. LCJ, art. 4.1 (1). 9. LCJ, art. 4.01. 10. LCJ, art. 4.1 (1). 11. LCJ, art. 6.1 (1). 12. LCJ, art. 4.1 (1) (a).

Pénologie.indd 101

13-08-15 13:42

102  pé n ol o g i e

que la suspension du casier apportera au demandeur un bénéfice mesurable et que l’octroi du pardon ne sera pas susceptible de déconsidérer l’administration de la justice13. Le processus d’octroi de réhabilitation a été renforcé récemment avec les nouveaux amendements apportés à la Loi sur le casier judiciaire qui, comme nous le verrons plus loin, resserrent maintenant les critères d’admissibilité dans certaines circonstances. La CLCC a aussi le pouvoir de révoquer le pardon et de faire en sorte que les dossiers sur les infractions que le pardon visait soient de nouveau classés avec les autres dossiers sur les condamnations dans trois circonstances14 : la personne est condamnée pour une nouvelle infraction à une loi fédérale ou à ses règlements punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire ; il existe des preuves convaincantes que la personne réhabilitée a cessé de bien se conduire ; la demande de réhabilitation comportait une déclaration inexacte ou trompeuse ou dissimulait un point important. Bien que la plupart des réhabilitations soient accordées, environ 11 % seulement des personnes ayant un casier judiciaire en font la demande. En 2009-2010, en dépit d’une baisse de 10,3 %, qui l’a fait passer à 32 106, le nombre de demandes de pardon reçues était à son deuxième plus haut niveau depuis la création de ce programme, en 1970 (CLCC, 2011a). En 2011, le taux d’octroi/de délivrance du pardon est resté stable, à 98 % (ibid., 2011b), avec 24 139 réhabilitations. Ce nombre de réhabilitations est infime si on tient compte des 250 000 condamnations devant les tribunaux de juridiction criminelle pour adultes chaque année (Landreville, 2004). Depuis l’adoption de la Loi sur le casier judiciaire, en 1970, plus de 440 000 personnes ont obtenu un pardon ; de ce nombre, environ 97 % des pardons sont encore en vigueur, ce qui signifie que la vaste majorité des personnes réhabilitées continuent de vivre dans le respect des lois au sein de la collectivité (CLCC, 2011b). Les effets de la réhabilitation

L’octroi de la réhabilitation prouve la bonne conduite de la personne condamnée et le fait qu’aucune autre condamnation n’est survenue pen13. LCJ, art. 4.1. (1) (b). 14. LCJ, art. 7.

Pénologie.indd 102

13-08-15 13:42

L ’ i mpa c t d u c a si e r ju d i c i a i r e e t l e r é g i me d e r é h a bi l i t a t i o n  103

dant la période consécutive à l’expiration légale de la peine15. La réhabilitation a pour effet immédiat de cesser toute incapacité ou obligation que la condamnation pouvait entraîner en vertu d’une loi fédérale16. Ainsi, tous les renseignements sur les condamnations sont retirés du système informatique du Centre d’information de la police canadienne (CIPC), et aucun renseignement sur les condamnations ne peut être communiqué sans l’autorisation du ministre de la Sécurité publique17. La Loi sur le casier judiciaire stipule qu’aucun formulaire de demande d’emploi utilisé au sein de la fonction publique fédérale ne peut renfermer des questions qui obligeraient un réhabilité à révéler une condamnation visée par un pardon18. Cela s’applique également aux sociétés d’État, aux Forces canadiennes ou à tout organisme relevant du gouvernement fédéral. Légalement, après l’octroi du pardon, la condamnation en cause ne devrait plus ternir la réputation du demandeur19. La mise à l’écart d’un dossier criminel du casier judiciaire facilite l’obtention d’un emploi et réduit l’humiliation inutile dans d’autres aspects de la vie (Kulik, 2011). Cela respecte la Charte canadienne des droits et libertés20 qui prévoit que tout inculpé a le droit « d’une part de ne pas être jugé de nouveau pour une infraction dont il a été définitivement acquitté, d’autre part de ne pas être jugé ni puni de nouveau pour une infraction dont il a été définitivement déclaré coupable et puni » (article 11(h)). Par ailleurs, l’article 18.2 mentionne : « Nul ne peut congédier, refuser d’embaucher ou autrement pénaliser dans le cadre de son emploi une personne du seul fait qu’elle a été déclarée coupable d’une infraction pénale ou criminelle, si cette infraction n’a aucun lien avec l’emploi ou si cette personne en a obtenu le pardon. » L’octroi de pardons joue un rôle important dans la réinsertion sociale des personnes qui ont un casier judiciaire. Le président de la Commission des libérations conditionnelles du Canada a affirmé que « le régime des pardons présente un double avantage : il favorise la réadaptation des personnes concernées et il accroît la sécurité dans les collectivités en encou15. LCJ, art. 2.3 (i). 16. LCJ, art. 2.3 (b). 17. LCJ, art. 6.2. 18. LCJ, art. 8. 19. LCJ, art. 5. a) (ii). 20. Charte canadienne des droits et libertés, Loi constitutionnelle de 1982, ch. 11 (R.U.), Annexe B.

Pénologie.indd 103

13-08-15 13:42

104  pé n ol o g i e

rageant ces personnes à mener une vie honnête et à bien se conduire » (Gouvernement du Canada, Sénat, 2010). Ainsi, l’octroi d’un pardon est considéré comme un aspect d’une réadaptation durable (Association du Barreau canadien, 2011). Selon l’Association canadienne de justice pénale (2011), il s’agit sans aucun doute d’un programme des plus efficaces, qui contribue à réduire la criminalité et à protéger la société. Les limites de la réhabilitation

Le casier judiciaire ne disparaît pas et la réhabilitation n’efface pas le fait qu’une personne ait été condamnée pour une infraction. La réhabilitation vise à faire cesser les répercussions négatives d’une condamnation, mais n’a pas pour effet d’effacer rétroactivement la condamnation ni d’annuler les interdictions annexées (par exemple l’interdiction de conduire ou de posséder une arme). De plus, la personne « réhabilitée » ne peut nier l’existence de sa condamnation ou de ses démêlés avec la justice, mais elle peut dire qu’elle a reçu une réhabilitation (ou un pardon). La réhabilitation accordée en vertu de la Loi sur le casier judiciaire a une portée limitée. Elle s’applique uniquement aux dossiers conservés dans le domaine de compétence fédérale. Les corps policiers provinciaux, municipaux et les organismes provinciaux ne lui sont pas assujettis et, d’une façon générale, la loi ne peut interdire l’échange d’informations transmises par les médias ainsi que la cueillette et la diffusion d’informations sur les citoyens par des agences privées. Toutefois, beaucoup d’organismes provinciaux ou municipaux chargés d’exécuter la loi collaborent en restreignant l’accès à leurs dossiers une fois qu’ils sont avisés qu’un pardon a été octroyé ou délivré. D’autre part, les condamnations d’ordre sexuel comportent également des limites dans le cadre de milieux d’emploi, de stages d’étude ou de bénévolat œuvrant auprès des enfants ou des personnes vulnérables où l’éventuel employeur peut consulter le casier judiciaire du condamné21. En effet, la vérification des antécédents en vue d’un travail auprès de personnes vulnérables (VAPV) fournit aux organisations l’information essentielle pour évaluer l’aptitude des postulants à travailler et à interagir avec les personnes les plus vulnérables de la société, notamment les enfants, les personnes âgées ou handicapées (GRC, 2011). 21. LCJ, art. 6.3.

Pénologie.indd 104

13-08-15 13:42

L ’ i mpa c t d u c a si e r ju d i c i a i r e e t l e r é g i me d e r é h a bi l i t a t i o n  105

Toute condamnation ultérieure pour une infraction punissable par voie de mise en accusation entraîne la nullité automatique de la réhabilitation22. Le pardon ne garantit pas non plus l’entrée dans un autre pays ou l’obtention d’un visa (CLCC, 2012). Le Canada resserre la Loi sur le casier judiciaire et restreint l’accès au régime de réhabilitation

À partir du début du nouveau millénaire, la Loi sur le casier judiciaire établit un processus de resserrement dans le but de limiter l’accessibilité à la réhabilitation. En 2000, elle est modifiée, notamment en ce qui a trait à la protection particulière des personnes vulnérables, en permettant à la Gendarmerie royale du Canada d’attirer l’attention en incluant une indication dans les dossiers des personnes ayant été condamnées pour une infraction sexuelle et ayant obtenu un pardon (GRC, 2011). En 2010, deux cas particuliers font la manchette et mettent en cause le régime du pardon. D’abord, la révélation que l’ancien entraîneur de hockey et agresseur sexuel Graham James avait obtenu un pardon en 2007 après trois ans et demi derrière les barreaux pour des crimes de nature sexuelle impliquant trois jeunes joueurs. Ensuite, le fait que Karla Homolka, déclarée coupable d’homicide involontaire et qui a passé 12 ans en prison après l’atroce mort de deux adolescentes en 1990, devienne admissible au pardon. À l’époque, la Commission des libérations conditionnelles du Canada ne prenait généralement pas en compte la nature du crime commis dans le processus du pardon. Afin de se prémunir contre l’arbitraire, la loi doit toujours être générale et ne doit pas être créée pour des exceptions ou des cas particuliers. Or, en réaction à la polémique entourant le régime de pardon et plus précisément pour contrer le pardon de Karla Homolka, le projet de loi C-23A (Loi limitant l’admissibilité à la réhabilitation pour des crimes graves) a été adopté précipitamment et à l’unanimité en juin 2010. Les nouvelles modifications à la Loi sur le casier judiciaire allongent la période d’inadmissibilité au pardon à 10 ans (au lieu de 5) pour toute personne reconnue coupable de délit grave contre la personne en vertu de l’article 752 du Code criminel, et certains délinquants sexuels deviennent inadmissibles au pardon. 22. LCJ, art. 7.2.

Pénologie.indd 105

13-08-15 13:42

106  pé n ol o g i e

Avec les amendements à la Loi sur le casier judiciaire, la Commission doit maintenant être assurée que la suspension du casier soutiendra sa réadaptation en tant que citoyen respectueux des lois au sein de la société. À cet effet, elle acquiert le pouvoir de mener des enquêtes relativement aux demandes de pardon afin que ses décisions tiennent compte de critères additionnels, comme la nature, la gravité et la durée de l’infraction, les circonstances entourant la perpétration de l’infraction et les renseignements relatifs aux antécédents criminels du demandeur. Les évaluations accrues dues aux modifications législatives entraînent une hausse importante des frais du traitement d’une demande de pardon23. Le coût d’une demande de pardon pour un dossier criminel vient ainsi de quadrupler24. En mars 2012, le controversé projet de loi C-10 (Loi sur la sécurité des rues et des communautés25) émanant du gouvernement conservateur26 est adopté. La philosophie de ce projet de loi est fondée sur la prémisse que la population ne se sent pas en sécurité face à la criminalité et qu’il faut, pour protéger la société, des approches plus répressives et des lois plus encadrantes en matière de criminalité. Dans l’ensemble, la Loi sur la sécurité des rues et des communautés facilite les peines privatives de liberté, réduit les possibilités de peines avec sursis et conduit à des peines de prison 23. Arrêt modifiant l’arrêté sur le prix à payer pour des services en vue d’une réhabilitation (DORS/2012-12), le 8 février 2012, art. 3. Toute personne visée au paragraphe 3(1) de la Loi sur le casier judiciaire qui présente une demande de réhabilitation à la Commission des libérations conditionnelles du Canada en vertu de cette loi doit payer la somme de 631 dollars.  24. Depuis le 23 février, les frais pour présenter une demande de la suspension du casier sont passés de 150 à 631 dollars. 25. Le projet de loi C-10 (Loi sur la sécurité des rues et des communautés) est un projet de loi omnibus pour réformer la justice criminelle canadienne regroupant neuf projets de lois : Loi édictant la Loi sur la justice pour les victimes d’actes de terrorisme et modifiant la Loi sur l’immunité des États, le Code criminel, la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et d’autres lois. 26. Le 2 mai 2011 le Parti conservateur a obtenu le mandat de former un gouvernement pour une troisième fois et cette fois-ci en étant majoritaire à la Chambre des communes. Stephen Harper avait promis qu’un gouvernement majoritaire ferait adopter tous ses projets sur la loi et l’ordre dans les 100 jours de la session parlementaire suivant son élection.

Pénologie.indd 106

13-08-15 13:42

L ’ i mpa c t d u c a si e r ju d i c i a i r e e t l e r é g i me d e r é h a bi l i t a t i o n  107

plus longues. Le gouvernement conservateur privilégie ainsi la répression et freine la réhabilitation. L’entrée en vigueur de la Loi sur la sécurité des rues et des communautés émet des restrictions substantielles au régime de réhabilitation en le rendant moins accessible. Le titre intégral de la Loi sur le casier judiciaire est remplacé par la Loi relative à la suspension du casier judiciaire des condamnés qui se sont réadaptés. En outre, la loi, en vertu des nouvelles réformes, remplace le terme « réhabilitation » par l’expression « suspension du casier », choix terminologique qui traduit la mise de côté de l’objectif pénologique de réhabilitation. Elle allonge la période d’inadmissibilité pour la présentation d’une demande de suspension du casier à 5 ans au lieu de 3 dans le cas de toutes les infractions punissables sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire, et à 10 ans dans le cas de toutes les infractions punissables par voie de mise en accusation, au lieu de 5 ans27. Elle rend aussi certaines personnes inadmissibles à la suspension du casier, soit celles qui ont été condamnées pour une infraction sexuelle envers un mineur et celles qui ont commis plus de trois infractions dont chacune a fait l’objet d’une poursuite par voie de mise en accusation, ou, dans le cas d’infractions d’ordre militaire passibles d’emprisonnement à perpétuité, s’il leur a été infligé pour chacune une peine d’emprisonnement de deux ans ou plus28. Finalement, la Commission devra présenter un rapport annuel comportant notamment le nombre de demandes de suspension de casier présentées durant l’année et le nombre d’entre elles où la suspension a été ordonnée29. Plusieurs organismes de défense des droits dénoncent les nouvelles modifications apportées à la Loi sur le casier judiciaire du fait qu’il sera plus difficile, même impossible, pour les ex-détenus d’obtenir un pardon. Ces modifications ne tiennent pas compte du retour du délinquant dans la société. Si le nombre de personnes admissibles à une suspension de casier judiciaire est réduit, la stigmatisation d’une condamnation peut persister indéfiniment (Association du Barreau canadien, 2011). En outre, puisque de nombreux crimes sont commis par des jeunes et que les jeunes adultes (18-24 ans) sont surreprésentés parmi les causes instruites par les 27. LCJ, art. 4.1 (1). 28. LCJ, art. 4. (2). 29. LCJ, art. 11.

Pénologie.indd 107

13-08-15 13:42

108  pé n ol o g i e

tribunaux de juridiction criminelle (Dauvergne, 2012), cela risque de faire en sorte qu’une personne soit condamnée à jamais pour une erreur de jeunesse (Bérard, 2010). Or, il ne sert à rien de l’humilier davantage, car cela ne ferait qu’accentuer les difficultés liées à l’obtention d’un emploi ou d’un logement (ibid.), fait qui risque d’avoir pour effet inattendu de rendre la société moins sécuritaire (Bernheim, 2010 ; Association du Barreau canadien, 2011). Des consultations publiques tenues à propos de la hausse des frais d’une demande de réhabilitation ont généré des objections de la part de la GRC, du ministère de la Justice et de Sécurité publique du Canada. De plus, des détracteurs (par exemple la Société Elizabeth Fry et la Société John Howard du Canada) affirment également que le coût plus élevé ne fera qu’accroître la difficulté, pour les ex-détenus, de se bâtir une nouvelle vie. Cet élément diminue les possibilités de réinsertion sociale. *** Il arrive un moment où la peine est terminée. La Loi sur le casier judiciaire a été adoptée afin de permettre aux ex-délinquants ayant eu une bonne conduite de réintégrer la société. La réinsertion sociale est le meilleur moyen de protéger la société de façon durable (Ministère de la Sécurité publique du Canada, 2010) et l’octroi de la réhabilitation est dans la ligne directe de cet objectif. Mais, durant la dernière décennie, des amendements à la loi sont venus en limiter la portée, et les pratiques de stockage et de dissémination de l’information ont amplifié les effets négatifs du casier judiciaire (Landreville, 2004). Les nouvelles dispositions de la Loi sur le casier judiciaire rendent la réhabilitation plus difficile à obtenir. Avec de telles mesures, on prolonge la période où une personne judiciarisée est « étiquetée » et souvent stigmatisée, et ce malgré le fait qu’elle est devenue respectueuse de la loi. Toutes ces modifications à la Loi sur le casier judiciaire relèguent au second plan les objectifs de réadaptation et de réinsertion sociale, des objectifs clés de la détermination de la peine en vertu du Code criminel30 afin d’améliorer la sécurité publique. Ainsi, la professeure Dumont (1995, 2000) a déclaré à l’époque : « On ne croit plus à la réhabilitation ; par conséquent, on empêche des individus 30. Art. 718 d.

Pénologie.indd 108

13-08-15 13:42

L ’ i mpa c t d u c a si e r ju d i c i a i r e e t l e r é g i me d e r é h a bi l i t a t i o n  109

de tenter légitimement d’y arriver. Ces derniers resteront à jamais stigmatisés. Encore une fois, le populisme pénal a eu raison sur la raison en matière de pardon. » En 1969, le comité Ouimet insistait sur l’importance d’apprendre à considérer le délinquant non pas comme l’ennemi de tous, mais bien « comme un membre de la société » (Dubé, 2007). Or, comme l’écrit Landreville (2004), la situation de ceux qui ont des antécédents judiciaires s’est aggravée. En conséquence, il est impératif que l’on se penche de nouveau sur cette question qui touche un nombre très considérable de citoyens.

Pénologie.indd 109

13-08-15 13:42

Pénologie.indd 110

13-08-15 13:42

TROISIÈME PARTIE

les justiciables et les populations prises en charge

Pénologie.indd 111

13-08-15 13:42

Pénologie.indd 112

13-08-15 13:42

7 Les délinquants dangereux Dominique Robert

Quelles sont les figures suprêmes du danger criminel au Canada ? Quelles sont les permanences et les ruptures qui les traversent et comment s’insèrent-elles dans la pénalité au Canada ces dernières décennies ? Pour répondre, bien que partiellement, à ces questions, la présente contribution porte sur la transformation de la notion de danger telle qu’on peut la saisir à l’aide de deux sentences d’exception qui se trouvent sous la partie XXIV du Code criminel canadien1 : la sentence indéterminée et l’ordonnance de surveillance de longue durée. La première concerne les délinquants dangereux. Cette étiquette renvoie aux catégories d’infracteurs qui ont été ciblés par la sentence indéterminée dans l’histoire : les repris de justice (1948-1977), les psychopathes sexuels criminels (1948-1961), les délinquants sexuels dangereux (1961-1977) et les délinquants dangereux proprement dits (1977-). La deuxième sentence d’exception dont il est question ici a vu le jour en 1997 et s’applique aux infracteurs qu’on appelle des « délinquants à contrôler ». Après l’expiration de leur mandat d’incarcération, ces personnes sont soumises à une surveillance dans la communauté pour une période allant jusqu’à 10 ans. Notre objectif est de retracer les changements dans la construction des différentes catégories d’infracteurs et la justification des sentences à 1. Le maintien en incarcération aurait aussi pu être considéré dans ce chapitre bien qu’il s’agisse d’une modalité de libération conditionnelle et non d’une sentence d’exception à proprement parler.

Pénologie.indd 113

13-08-15 13:42

114  pé n ol o g i e 1948

1961

1977

1997

Repris de justice

Psychopathes Délinquants sexuels sexuels criminels dangereux Délinquants dangereux

Délinquants dangereux et délinquants à contrôler

l’étude. La contribution s’appuie sur l’idée que les objets sociaux sont construits par les pratiques sociales. Aussi, puisque notre objet est un construit juridique, nous nous basons notamment sur l’analyse des pratiques du droit (jurisprudence). Puisqu’il est aussi un construit politique, nous nous intéressons de plus aux rationnels mis en évidence par les décideurs afin de justifier les mesures à l’étude, aux commentaires livrés dans les rapports de comités et de commissions d’enquêtes examinant ces mesures ainsi qu’aux quelques informations quantitatives tirées de ces documents ou de rapports gouvernementaux sur le nombre et le profil des personnes qui ont reçu des sentences d’exception. Nous verrons que, quelles que soient l’époque et la catégorie d’infracteurs dont nous parlons, la capacité du système de justice à reconnaître le danger est maintes fois remise en question. Plus encore, le profil des personnes visées par les sentences d’exception et les finalités de la peine mobilisées pour justifier ces sentences sont très variables. Nous sommes face au flou du danger. Les repris de justice, 1948-1977

En 1938, la Commission royale d’enquête sur le système pénal du Canada, mieux connue sous le nom de commission Archambault, propose une série de recommandations qui visent à moderniser le système pénal canadien. Les recommandations qui en découleront sont en droite ligne avec les changements amenés au système pénal britannique au début du siècle.

Pénologie.indd 114

13-08-15 13:42

L e s d é l i n q u a n t s d a n g e r e u x  115

L’une d’entre elles concerne l’adoption des dispositions sur les repris de justice : […] il restera toujours une certaine proportion des criminels, dont la tendance au mal est incorrigible et que les efforts de relèvement2 ne changeront pas. Ces gens-là deviennent des criminels endurcis pour qui les barreaux de fer et les murs des prisons ne sont plus un objet de terreur et chez qui ne demeurent aucun espoir ni désir d’amendement, si toutefois ils les ont jamais éprouvés. C’est cette lie de la société, inutile et coûteuse, à l’égard de laquelle les prisons canadiennes n’ont pas adopté les mesures voulues. (Archambault, 1938, p. 228)

La Seconde Guerre mondiale cause un délai, mais le 1er janvier 1948, les dispositions sur les repris de justice entrent en vigueur3. La loi stipule que les infracteurs de 18 ans et plus qui ont au moins 3 condamnations passées4 pour des actes criminels passibles de 5 ans d’emprisonnement ou plus et qui persistent dans la voie du crime seront incarcérés pour une durée indéterminée. Comment les tribunaux interprètent-ils le fait de mener une vie criminelle continue ? Dans les premières décennies de leur existence, la grille de lecture qui sous-tend l’application des dispositions sur les repris de justice est noyautée par la dichotomie entre le citoyen travailleur responsable et le professionnel du crime sans inscription sociale légitime. La grande majorité de ceux qui sont déclarés repris de justice sont des individus qui ont commis des infractions bénignes contre la propriété ou encore des infractions de possession de drogue. Plus encore, les fréquentations de ces personnes laissent croire qu’elles sont ancrées dans le milieu interlope et leur dossier d’emploi est plus qu’insatisfaisant aux yeux des juges. Aucun emploi durable n’est noté. Trop peu d’efforts sont déployés pour trouver ou conserver un travail. Les infracteurs ne subviennent pas convenablement aux besoins de leur famille. Inversement, ceux qui montrent de l’ardeur au travail et une volonté d’assumer leurs responsabilités familiales ne sont pas perçus par les tribunaux comme menant une 2. Le terme relèvement est une expression qui pourrait aujourd’hui équivaloir à réhabilitation. 3. Loi modifiant le Code criminel, 1947, c. 55 art. 18. 4. À partir de 1953-1954, la loi précise qu’il doit s’agir de condamnations à des moments distincts et qu’être reconnu coupable de trois chefs d’accusation pour un même événement ne suffit pas. Loi concernant le droit criminel, 2-3 Elizabeth II, chap. 51, part. 21, 1953-1954.

Pénologie.indd 115

13-08-15 13:42

116  pé n ol o g i e

vie criminelle continue et, dès lors, ne sont pas déclarés repris de justice. Le travail, comme inscription sociale et comme discipline, semble être le facteur principal qui guide les tribunaux dans leurs jugements entre la fin des années 1940 et le milieu des années 1960. Dans cette perspective, les repris de justice sont des personnes réputées asociales, pour qui les valeurs de travail et d’économie sont des abstractions et pour qui le vol et le recel sont des stratégies de survie. Pour ces personnes, les méthodes de normalisation ont échoué et elles doivent donc être tenues à l’écart de la collectivité. Vers le milieu des années 1960, cependant, la grille de lecture des tribunaux change et la mention du travail et des fréquentations « malhonnêtes », bien qu’elle demeure, n’est plus le critère suprême pour établir qui sont les repris de justice. En effet, les marginaux qui commettent des infractions contre la propriété ou encore des infractions de possession de drogue et qui refusent le travail ou d’autres formes d’inscription sociale licites ne représentent plus, en soi, une menace légitimant le statut de repris de justice. La menace digne des sentences indéterminées est désormais l’atteinte à l’intégrité physique d’autrui telle qu’elle se traduit dans les infractions contre la personne et le trafic de drogue5. À cette époque, on juge que l’on peut tolérer le risque que représentent les infractions contre la propriété commises par des personnes souffrant de « problèmes d’adaptation sociale ». C’est encore plus vrai si ces personnes sont prêtes à se soumettre à une forme de traitement. Ainsi, le danger, tel qu’on peut le saisir dans la jurisprudence, a changé de profil bien avant l’abrogation de ces dispositions sur les repris de justice en 1977. Cela explique sans doute que leur usage ait diminué, en général, à partir de la fin des années 1960. Entre 1948 et 1977, 173 personnes sont déclarées repris de justice. Le tableau 1 indique que l’application des dispositions présente des disparités régionales notables. Elles sont d’ailleurs considérées discriminatoires sur cette base et aussi parce qu’elles ne sont utilisées que pour certains récidivistes.

5. Par opposition à la simple possession.

Pénologie.indd 116

13-08-15 13:42

L e s d é l i n q u a n t s d a n g e r e u x  117

tableau 1 Nombre d’individus déclarés repris de justice de 1948 à 1976, par période et par région Région

1948-1957

1958-1967

1968-1976

Total

Maritimes

4

2

0

6

Québec

2

6

28

36

Ontario

13

2

4

19

Prairies

20

14

5

39

Colombie-Britannique

13

56

4

73

Yukon et Territoires du Nord-Ouest

0

0

0

0

52

80

41

173

Total Tiré de Leggatt (1984).

En effet, pour la même période au Canada, on dénombre beaucoup plus de récidivistes que les 173 personnes ciblées par les dispositions sur les repris de justice. Compte tenu de sa rare utilisation, on peut douter de la portée dissuasive de la mesure. De plus, la criminalité des individus déclarés repris de justice est essentiellement dirigée contre les biens ou les stupéfi nts6. Finalement, le statut de repris de justice est donné, en moyenne, à un âge assez avancé dans leur « carrière criminelle » (40 ans), au moment où la violence s’estompe dans la carrière typique des infracteurs. Ce faisant, la majorité des personnes soumises à la détention préventive constituent davantage un « embarras » qu’une menace7. On peut donc douter du bien-fondé de neutraliser ces personnes.

6. Le comité Ouimet affirme que l’effet dissuasif est léger et que l’application est discriminatoire, puisque seuls quelques récidivistes reçoivent une sentence indéterminée, générant ainsi un fort sentiment d’injustice chez ceux qui sont ciblés. Un examen du profil des 80 repris de justice incarcérés au Canada, à ce moment, montre que près de 40 % d’entre eux n’ont jamais commis d’infractions graves contre la personne, 27,5 % n’ont même jamais commis d’infractions contre la personne. Ils auraient pu être gérés suivant les dispositions régulières du Code criminel (Ouimet, 1969, p. 268). 7. « Un tiers peut-être des personnes incarcérées comme repris de justice semblerait avoir constitué une menace grave à la sécurité d’autrui. » (Ouimet, 1969, p. 268.)

Pénologie.indd 117

13-08-15 13:42

118  pé n ol o g i e

Pratt (1990) a suggéré que l’avènement des assurances et de la société de consommation ont rendu caduques les dispositions sur les repris de justice. Selon cette interprétation, la production industrielle, la consommation de masse et la généralisation des programmes d’assurances permettent de remplacer facilement les biens et de couvrir les pertes matérielles. Les petits crimes contre la propriété ont donc perdu de leur caractère « dangereux ». Ainsi, les dispositions sur les repris de justice ont paru archaïques et ont été abrogées. À partir de ce moment, le danger investit presque uniquement le corps : ce sont les infractions contre la personne qui deviennent les réelles menaces méritant une sentence indéterminée. Les psychopathes sexuels criminels, 1948-1961, et les délinquants sexuels dangereux, 1961–1977

Parallèlement, en 1948, un autre emprunt législatif est fait par le Canada, aux États-Unis cette fois. On calque alors la loi de 1947 du Massachusetts sur les délinquants sexuels, qui est elle-même reprise presque textuellement d’une loi du Minnesota de 1939. Le projet de loi visant la détention préventive des « psychopathes sexuels criminels » est adopté cette année-là : À mon sens, cette disposition constitue la première mesure que le Parlement du Canada ait prise pour mettre un terme à ce genre de délit qui se généralise et qui sème la crainte dans l’esprit des parents des enfants qui, résidant dans les villes, viennent en contact avec des étrangers. (Débats, J. Diefenbaker8, 1948, p. 5342)

L’urbanisation et l’anonymat qu’elle entraîne sont, à cette époque, une source de craintes. On incarcérera donc pour un minimum de deux ans, et ensuite pour une durée indéterminée, une personne reconnue coupable d’une infraction sexuelle listée9 et qui est en plus « un individu qui, d’après 8. Député du parti d’opposition (progressiste-conservateur). 9. Les comportements visés par la section sur les psychopathes sexuels criminels de la loi de 1948 comprennent les infractions prévues aux articles 292 (attentat à la pudeur d’une personne de sexe féminin), 293 (attentat à la pudeur d’une personne de sexe masculin), 299 (viol), 300 (tentative de viol), 301 (rapports sexuels avec une fille de moins de 14 ans), 302 (rapports sexuels avec une fille de plus de 14 ans, mais de moins de 16 ans), selon la numérotation en vigueur en 1948.

Pénologie.indd 118

13-08-15 13:42

L e s d é l i n q u a n t s d a n g e r e u x  119

son inconduite en matière sexuelle, a manifesté une impuissance à maîtriser ses impulsions sexuelles et qui, en conséquence, est susceptible d’infliger autrement une blessure, une perte, une douleur ou un autre mal à toute personne10 ». Après qu’ait été faite la preuve de la culpabilité, deux psychiatres doivent être entendus sur le caractère psychopathique de l’infracteur. C’est seulement dans le cas où il est reconnu psychopathe sexuel criminel que le coupable pourra être détenu pour une sentence indéterminée. L’objectif poursuivi par cette sentence est ambigu. En effet, contrairement aux dispositions sur les repris de justice qui sont présentées comme une mesure de neutralisation d’abord et avant tout, et de dissuasion ensuite, la détention préventive est ici désignée comme une forme de traitement, une détention ayant des visées curatives11. Par contre, un peu plus d’une décennie après leur entrée en vigueur, la commission McRuer (1959) statue que les dispositions sur les psychopathes sexuels criminels sont inefficaces. D’une part, les tribunaux canadiens utilisent très peu la mesure, limitant ainsi le caractère dissuasif qu’elle pourrait avoir. D’autre part, la définition de « psychopathe sexuel criminel » fait l’objet de nombreuses critiques. Les psychiatres de l’époque s’opposent vivement à l’utilisation du terme, puisqu’il n’a aucun sens clinique précis et ne correspond à aucune thérapeutique donnée contrairement à ce que les profanes pourraient croire. Aussi, la commission recommande de changer le terme pour celui de « délinquant sexuel dangereux ». Plus qu’un changement de terme, elle suggère une nouvelle définition. En effet, plusieurs psychiatres avouent être incapables de reconnaître des impulsions non maîtrisées volontairement ou involontairement. Il sera donc proposé que l’on change, dans la loi, les termes « impuissance à maîtriser ses impulsions » par « absence ou manque de maîtrise de ses impulsions ». En 1961, plusieurs des recommandations de la commission McRuer entrent en vigueur, et le terme « psychopathe sexuel criminel » est remplacé par « délinquant sexuel dangereux12 ». 10. Loi modifiant le Code criminel, 1948, c. 39, art. 43. 11. Voir les débats à la Chambre des communes : J. Diefenbaker, 1948, p. 5342, et J. L. Ilsley, 1948, p. 5343. En 1954, on élargit les « critères d’admissibilité » à la catégorie « psychopathes sexuels criminels » pour inclure les infractions de tentatives aux infractions sexuelles déjà visées ainsi que les infractions de grossière indécence, de bestialité et de sodomie. 12. D’autres modifications législatives entrent aussi en vigueur, notamment l’abolition de la sentence ferme de deux ans précédant la sentence indéterminée,

Pénologie.indd 119

13-08-15 13:42

120  pé n ol o g i e

En 1967, l’arrêt Klippert de la Cour suprême du Canada13 vient semer le doute sur certaines dispositions de la section sur les délinquants sexuels dangereux. Klippert a été reconnu coupable de grossière indécence, puisqu’il a eu des relations sexuelles avec des adultes de même sexe qui étaient consentants. Les relations sexuelles entre adultes de même sexe étant criminalisées, Klippert, qui s’identifie comme homosexuel, remplit la condition selon laquelle il « commettra vraisemblablement une autre infraction sexuelle ». Pour cette raison, la Cour suprême rejette l’appel de Klippert et celui-ci est déclaré délinquant sexuel dangereux et incarcéré pour une durée indéterminée. Cette décision n’est pas sans soulever la consternation chez plusieurs14. Sur cette lancée, le comité Ouimet (1969) sur la réforme pénale et correctionnelle s’interroge sur le fait que les sentences indéterminées ne visent pas, encore une fois, les bonnes personnes. Cette enquête survient alors qu’en Grande-Bretagne et aux États-Unis, des dispositions similaires ont été abrogées ou fortement critiquées, puisqu’elles ne s’attaquaient qu’au « menu fretin » et aux « nuisances » plutôt qu’à ceux qui représentent un réel danger. Le comité Ouimet suggère de remplacer les dispositions sur les délinquants sexuels dangereux et, pour des raisons similaires, celles sur les repris de justice, par une loi sur les délinquants dangereux plus générale qui viserait un danger grave. Dans cette proposition, la sentence indéterminée ne cherche pas à punir, mais bien à neutraliser les personnes et on ajoute une disposition qui permet de déclarer quelqu’un délinquant sexuel dangereux dans les trois mois suivant le prononcé de la sentence. Auparavant, la demande d’audience devait être soumise entre le verdict et le prononcé de la sentence. 13. Klippert c. R., [1967] S.C.R. 822. 14. Voir notamment la réaction du juge Cartwright (dissident), Klippert c. R. (1968) 2 CCC 129, p. 135-138. Des amendements législatifs en 1968-1969 retrancheront de la définition ce qui a conduit à la sentence indéterminée de Klippert, c’est-à-dire la condition explicite selon laquelle l’infracteur commettra une infraction sexuelle dans l’avenir (Loi de 1968-1969 modifiant le droit pénal, 19681969, c. 38, art. 76). De plus, ces mêmes amendements décriminalisent les relations sexuelles entre adultes consentants dans un lieu privé (Loi de 1968-1969 modifiant le droit pénal, 1968-1969, c. 38, art. 7). Ce faisant, conformément au souhait du premier ministre Trudeau, l’État se retire des chambres à coucher des citoyens, et la « grossière indécence » entre adultes consentants ne sera plus prise en considération pour déterminer le statut de délinquant sexuel dangereux.

Pénologie.indd 120

13-08-15 13:42

L e s d é l i n q u a n t s d a n g e r e u x  12 1

en attendant qu’elles ne présentent plus de danger et puissent être mises en liberté. Le rapport Ouimet favorise en effet la réhabilitation. Le rapport Goldenberg (1974) et la Commission de réforme du droit du Canada (1976) appuieront l’élimination des dispositions sur les repris de justice et les délinquants sexuels dangereux. En 1977, elles seront remplacées par des mesures sur les délinquants dangereux. L’analyse de la jurisprudence sur les psychopathes sexuels criminels et sur les délinquants sexuels dangereux montre que les tribunaux se sont questionnés sur ce qui constitue une inconduite en matière sexuelle. Ce sont les actes sexuels contre des enfants et aussi, jusqu’en 1969, des personnes de même sexe que l’infracteur qui sont particulièrement ciblés. Toutefois, le critère par excellence mis en évidence par les tribunaux pour déterminer l’inconduite sexuelle est l’absence de « consentement » de la victime. Ainsi, les contraintes et les violences physiques et sexuelles exercées par un client dans le cadre de la prostitution ne sont pas considérées comme une inconduite sexuelle, puisque les travailleuses du sexe acceptent, initialement, d’avoir des relations sexuelles avec le client. L’inconduite sexuelle exige aussi, d’après les tribunaux, une inscription dans le temps. Certaines décisions déclareront un individu psychopathe sexuel criminel sur la base de deux antécédents de même nature ou encore sur la base d’une similitude dans les façons de faire. En ce qui concerne l’incapacité ou la difficulté à contrôler ses impulsions sexuelles, entre 1948 et 1977, certains juges estiment suffisant qu’une personne soit reconnue coupable d’une infraction listée dans la loi. Cette interprétation sera prédominante dans l’arrêt Klippert, comme on l’a vu plus haut. Entre 1948 et la fin des années 1960 environ, d’autres juges croient au contraire que l’infracteur doit avoir une impuissance constitutive à contrôler ses impulsions. Cette dernière est démontrée, aux yeux des juges, par l’usage de la force dans l’accomplissement des infractions sexuelles. Inversement, le fait de se désister ou encore le fait de soutirer le « consentement » des victimes par le paiement de faveurs sexuelles ou par la « séduction » sont perçus comme des preuves de la maîtrise des impulsions sexuelles. Cette maîtrise permet fréquemment d’éviter aux personnes reconnues coupables d’infractions sexuelles listées le statut de psychopathes sexuels criminels ou, plus tard, celui de délinquants sexuels dangereux. Une autre condition à remplir pour être déclaré psychopathe sexuel criminel ou délinquant sexuel dangereux concerne le comportement futur.

Pénologie.indd 121

13-08-15 13:42

122  pé n ol o g i e

Cet aspect implique, au premier chef, les experts-psychiatres. Pour la plupart des infracteurs sexuels entre 1948 et 1977, il y a une forme de présomption de récidive. Bien qu’à la fin des années 1970, les jugements commencent à faire état de la difficulté de la psychiatrie à prévoir le comportement futur d’un individu, les tribunaux, assistés des psychiatres, continuent à tenter de le faire. Conformément aux dispositions sur les psychopathes sexuels criminels qui ont cours entre 1948 et 1961, la loi précise que le tribunal doit être convaincu que l’infracteur est susceptible « de s’attaquer, ou d’infliger autrement une blessure, une perte, une douleur ou un autre mal à toute personne ». À cette époque, toutes les infractions sexuelles ne sont pas perçues comme remplissant cette condition. Ainsi, la récidive vraisemblable d’un infracteur qui commettrait des actes sexuels non violents n’est pas de facto considérée comme une attaque ou encore l’imposition d’une douleur, d’une blessure ou d’un autre mal. Ce doute tient au statut qui est conféré aux victimes à l’époque. En effet, les personnes qui se sont ainsi « laissé » convaincre, y compris les enfants, sont représentées non pas comme des victimes, mais plutôt des complices. Ainsi, jusqu’à la fin des années 1950 environ, les tribunaux estiment que le statut de psychopathe sexuel criminel ou de délinquant sexuel dangereux vise à protéger des victimes d’une agression et non des victimes « coupables » de participer au crime. Avec l’entrée en vigueur, en 1961, des dispositions sur les délinquants sexuels dangereux, le libellé de cette condition est légèrement modifié. Dorénavant, si on pense que la personne qui respecte les autres conditions peut commettre dans le futur une infraction sexuelle, quelles qu’en soient les caractéristiques, la sentence indéterminée s’applique. Certains ont interprété l’émergence des dispositions sur les psychopathes sexuels criminels et des délinquants sexuels dangereux dans les années 1930 et 1940 dans les pays anglo-saxons comme une manifestation des préoccupations pronatalistes de l’époque (Pratt, 1997). Suivant cette thèse, tout ce qui constitue une menace à la croissance, au bien-être de la population ainsi qu’aux valeurs familiales doit être éliminé. Cela expliquerait le fait que les dispositions sous examen se sont appliquées particulièrement aux crimes contre les enfants et aux crimes impliquant des homosexuels. Les mêmes interprétations suggèrent qu’avec la croissance de la population, après la Seconde Guerre mondiale, les préoccupations pronatalistes ont décru, entraînant une perte de popularité pour les sen-

Pénologie.indd 122

13-08-15 13:42

L e s d é l i n q u a n t s d a n g e r e u x  123

tences indéterminées imposées aux infracteurs sexuels. Notre analyse de la jurisprudence canadienne montre que l’usage de la violence et de la contrainte ainsi que la question du « consentement » semblent aussi être des éléments significatifs dans les décisions rendues. Entre 1948 et 1977, il y aurait eu 109 individus déclarés psychopathes sexuels criminels ou délinquants sexuels dangereux. tableau 2 Nombre d’individus déclarés psychopathes sexuels criminels ou délinquants sexuels dangereux de 1949 à 1977, par province Province

49- 52 53-56 57-60 61-64 65-68 69-72 73-77 Total

Île-du-Prince-Édouard

0

1

0

0

0

0

0

1

Nouvelle-Écosse

0

1

0

0

0

2

0

3

Québec

3

0

0

1

2

4

0

10

Ontario

1

9

2

10

4

2

6

34

Manitoba

0

0

0

1

1

0

0

2

Saskatchewan

0

2

0

1

0

1

1

5

Alberta

1

3

0

1

0

2

3

10

Colombie-Britannique

2

4

4

4

15

9

2

40

Territoires du N.-O.

1

0

0

2

1

0

0

4

Total

8

20

6

20

23

20

12

109

Données tirées de Greenland (1976) et de Greenland (1984).

Les psychopathes sexuels criminels et les délinquants sexuels dangereux viennent majoritairement de la Colombie-Britannique et de l’Ontario. Seule une fraction des individus déclarés délinquants sexuels dangereux ont menacé gravement la vie ou la sécurité des victimes (Greenland, 1976). Les autres ont eu des comportements offensants et grossiers, mais n’étaient pas physiquement violents. Plusieurs ont aussi une déficience intellectuelle. Bref, l’arbitraire de l’application de ces dispositions est soulevé. On peut penser que la loi donne un faux sentiment de sécurité en incarcérant « a pathetic group of socially and sexually inadequate individuals » (Greenland, 1984). Les mesures sur les délinquants dangereux proposées en 1977 tenteront de mieux cibler le danger.

Pénologie.indd 123

13-08-15 13:42

124  pé n ol o g i e

Les délinquants dangereux, 1977-1997, et les délinquants dangereux et délinquants à contrôler, 1997-

Le Peace and Security Bill, présenté par le gouvernement libéral de Pierre Elliott Trudeau en 1976-1977, couvre une panoplie de domaines du droit pénal, mais les modifications proposées ont toutes la même visée affichée : assurer une plus grande protection de la société canadienne. Partie intégrante de ce projet de loi, les nouvelles dispositions sur les délinquants dangereux s’appliquent à des personnes ayant commis ce qui est perçu comme des « sévices graves à la personne ». Pour être reconnu « délinquant dangereux », deux profils sont possibles : le profil violence ou le profil agression sexuelle. Le premier requiert tout d’abord d’avoir été reconnu coupable d’infractions punissables de 10 ans d’incarcération ou plus15 et impliquant l’emploi de violence ou une tentative de violence, une conduite dangereuse pour la vie ou la sécurité d’autrui ou encore être susceptible d’infliger des dommages physiques ou psychologiques graves. De plus, il faut que l’infracteur constitue un danger, c’est-à-dire soit que la répétition de ses actes démontre qu’il est incapable de se contrôler et permet de croire qu’il causera des sévices graves ; soit que, par la répétition continuelle, il montre une indifférence marquée quant aux conséquences de ses gestes ; soit encore que l’acte est de nature si brutale qu’il nécessite une forme de contrainte hors de l’ordinaire. Le deuxième profil de l’étiquette de délinquant dangereux est d’avoir été reconnu coupable d’une infraction d’ordre sexuel16 ainsi que d’avoir eu une conduite antérieure dans le domaine sexuel qui démontre son incapacité à contrôler ses impulsions sexuelles et laisse prévoir que la personne causera des sévices ou autres maux. Cette nouvelle loi requiert le témoignage de deux psychiatres « et toute autre preuve qu’elle [la cour] considère pertinente, y compris la preuve de tout psychologue ou criminologue17» dans les cas de tout délinquant 15. Excluant les infractions de trahison, de haute trahison et de meurtre au premier degré ou au deuxième degré. 16. Les infractions concernées sont : 144 (viol), 145 (tentative de viol), l’infraction ou la tentative des infractions suivantes : 146 (rapports sexuels avec une personne du sexe féminin âgée de moins de 14 ans ou de plus de 14 ans mais de moins de 16 ans), 149 (attentat à la pudeur d’une personne de sexe féminin), 156 (attentat à la pudeur d’une personne de sexe masculin) ou 157 (grossière indécence). 17. Loi de 1977 modifiant le droit pénal, 1976-1977, c. 53, art.14.

Pénologie.indd 124

13-08-15 13:42

L e s d é l i n q u a n t s d a n g e r e u x  125

dangereux. Si le tribunal déclare l’infracteur délinquant dangereux, il peut lui imposer la détention dans un pénitencier pour une période indéterminée. Quelques années après son entrée en vigueur, la loi de 1977 sur les délinquants dangereux devient la cible de critiques. On lui reproche de ne pas éviter les écueils dénoncés dans les lois précédentes dont la difficile identification des délinquants dangereux et l’impossibilité de savoir ce qu’un individu fera dans l’avenir. En 1988 en Ontario survient la mort de Christopher Stephenson, un garçon de 11 ans agressé sexuellement et ensuite poignardé par un homme qui était en libération d’office. La décennie qui suivra sera marquée par l’activité des autorités politiques et gouvernementales qui examineront plusieurs modalités pour empêcher qu’un tel acte ne se reproduise. Parallèlement à ces discussions, la confiance en notre capacité de distinguer les infracteurs dangereux de ceux qui ne le sont pas et aussi d’évaluer le risque qu’ils représentent renaît. On investit en effet beaucoup d’espoir dans les nouveaux outils actuariels pour prévoir la violence. Trois mesures voient alors le jour. La première consiste en l’élargissement de l’article 810 du Code criminel sur l’engagement à ne pas troubler l’ordre public pour les personnes qu’on soupçonne capables de commettre une infraction sexuelle ou des sévices graves. La deuxième est un système national de repérage des délinquants à risque élevé. Il s’agit en fait d’un dispositif dans la banque de données du Centre d’information de la police canadienne qui permet aux procureurs, dans tout le Canada, d’inscrire une note au dossier d’un infracteur mentionnant qu’il est un candidat potentiel à la désignation de délinquant dangereux. La dernière est la création de la catégorie « délinquants à contrôler ». En effet, le ministre de la Justice de l’époque, le libéral Allan Rock, fait adopter la Loi modifiant le Code criminel (délinquants présentant un risque élevé de récidive) en 1997. La partie XXIV du Code criminel est alors renommée « Délinquants dangereux et délinquants à contrôler ». En plus d’apporter des modifications procédurales aux dispositions existantes sur les délinquants dangereux, dont celle de rendre obligatoire l’imposition d’une sentence indéterminée pour les délinquants dangereux18, de nou18. Les modifications apportées aux dispositions sur les délinquants dangereux comprennent essentiellement les mesures suivantes : l’ajout d’une période supplémentaire de six mois suivant l’imposition de la sentence pour intenter des

Pénologie.indd 125

13-08-15 13:42

126  pé n ol o g i e

velles mesures sont créées pour les personnes qui sont réputées présenter encore un risque à l’expiration de leur mandat d’incarcération. Il s’agit de l’ordonnance de surveillance de longue durée. Cette dernière s’applique aux personnes reconnues coupables des infractions sexuelles listées dans la loi19 et qui présentent un risque élevé de récidive20, risque qui peut toutefois être géré dans la collectivité. Au moment du prononcé de la sentence, le tribunal peut imposer, à l’expiration du mandat d’incarcération, une période de surveillance dans la communauté pour un maximum de 10 ans. Ainsi, la fin du xx e siècle semble porter les voix de ceux qui veulent conserver sinon durcir les peines exceptionnelles, particulièrement à l’égard des « criminels à haut risque ». La prochaine modification législative d’importance, datant de 2008, s’inscrit aussi dans cette mouvance. À ce moment, afin de participer à « l’édification d’un Canada plus fort, plus sûr et meilleur21 », le ministre de la Justice, le conservateur Rob Nicholson, présente un projet de loi omnibus visant à punir plus sévèrement les criminels violents, dangereux procédures en vue de faire déclarer un infracteur délinquant dangereux (art. 753[2]) ; l’imposition obligatoire d’une peine de détention indéterminée pour les individus déclarés délinquants dangereux (art.  752.1[4]) ; l’abrogation de l’obligation pour le tribunal d’entendre deux psychiatres – maintenant un seul expert neutre suffi (art. 757) ; le report du premier examen en vue d’une mise en liberté après sept ans plutôt que trois ans pour les délinquants dangereux (art. 761). 19. En 1997, les infractions concernées correspondent aux articles 151 (contacts sexuels), 152 (incitation à des contacts sexuels), 153 (exploitation sexuelle), 173(2) (exhibitionnisme), 271 (agression sexuelle), 272 (agression sexuelle armée), 273 (agression sexuelle grave) (c. 55, art. 4). En 2002, on ajoutera à cette liste d’infractions sexuelles les suivantes : 163.1(2) (production de pornographie juvénile), 163.1(3) (distribution de pornographie juvénile), 163.1(4) (possession de pornographie juvénile), 163.1(4.1) (accès à la pornographie juvénile), ainsi que l’article 172.1 (leurre) ou encore le fait d’avoir commis un acte grave de nature sexuelle lors de la perpétration d’une autre infraction (2002, ch. 13, art. 76). 20. Le risque de récidive est considéré comme élevé pour des raisons semblables chez les délinquants à contrôler et chez les délinquants dangereux commettant des infractions sexuelles. Le risque est considéré comme élevé lorsque le délinquant a accompli des actes répétitifs qui permettent de croire qu’il causera la mort ou des sévices graves à autrui ou lorsque la conduite sexuelle antérieure laisse prévoir qu’il causera des maux ou sévices (c. 55, art. 4). 21. Débats, R. Nicholson, ministère de la Justice et procureur général du Canada, conservateur, 2008, http ://www.parl.gc.ca.

Pénologie.indd 126

13-08-15 13:42

L e s d é l i n q u a n t s d a n g e r e u x  12 7

et récidivistes. Un ajout important sera fait aux dispositions sur les délinquants dangereux : la présomption de délinquant dangereux pour une personne reconnue coupable une troisième fois d’une infraction primaire22 pour laquelle elle a reçu une peine d’emprisonnement de deux ans ou plus23. Cette présomption fait que le poids de la preuve est dans le camp de l’infracteur. Celui-ci devra convaincre le tribunal qu’il ne mérite pas le statut de délinquant dangereux 24. À l’inverse, les dispositions de 2008 réinstaurent ou clarifient la possibilité pour le tribunal d’imposer non pas une sentence indéterminée, mais une sentence fixe à un individu déclaré délinquant dangereux ou encore une peine de deux ans ou plus assortie d’une ordonnance de surveillance de longue durée pour une période maximale de 10 ans. Finalement, avec la Loi sur la sécurité des rues et des communautés25 sanctionnée le 13 mars 2012, le durcissement des peines se poursuit et des ajouts à la liste des infractions indiquant un risque élevé de récidive et menant potentiellement à une ordonnance de surveillance de longue durée sont faits26. 22. Les infractions primaires sont les suivantes : 151 (contacts sexuels), 152 (incitation à des contacts sexuels), 153 (exploitation sexuelle),155 (inceste), 239 (tentative de meurtre), 244 (décharger une arme à feu avec une intention particulière), 267 (agression armée ou infliction de lésions corporelles), 268 (voies de fait graves), 271 (agression sexuelle), 272 (agression sexuelle armée, menaces à une tierce personne ou infliction de lésions corporelles), 273 (agression sexuelle grave), 279(1) (enlèvement). 23. Projet de loi 2008, ch. 2, art. 42(2). 24. Dans l’arrêt R. c. Mack, [1988] 2 R.C.S. 903, la Cour suprême du Canada avait déjà statué que la présomption d’innocence ne s’applique pas en matière de déclaration de délinquant dangereux, qui est une modalité de la sentence, puisque la culpabilité a déjà été prouvée. 25. Le titre complet étant : Loi édictant la Loi sur la justice pour les victimes d’actes de terrorisme et modifiant la Loi sur l’immunité des États, le Code criminel, la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et d’autres lois (c. 1, 60-61 Elizabeth II). 26. Il s’agit des articles 170 (père, mère ou tuteur qui sert d’entremetteur), 171 (maître de maison qui permet des actes sexuels interdits), 171.1 (rendre accessible à un enfant du matériel sexuellement explicite), 172.2 (entente ou arrangement – infraction d’ordre sexuel à l’égard d’un enfant), 212(2) (proxénétisme),

Pénologie.indd 127

13-08-15 13:42

128  pé n ol o g i e

La jurisprudence qui s’est accumulée depuis 1977 en matière de délinquants dangereux (profil infracteur violent) montre premièrement que l’on assiste, à partir de la fin des années 1990, à l’émergence d’une préoccupation nouvelle pour le comportement futur, pour le contexte et les causes des comportements passés ainsi que pour les possibilités de traitement. Puisque les tribunaux mobilisent les experts psychiatres sur ces trois aspects, on pourrait dire qu’il y a une certaine « psychiatrisation » des délinquants dangereux (profil infracteur violent). Deuxièmement, vers le même moment, l’analyse des décisions des tribunaux montre que ceux-ci sont désormais prudents dans le choix des éléments qui composent les récurrences dans les comportements. Les juges excluent certaines infractions, surtout les infractions juvéniles, qui sont normalisées dans le milieu de vie marginal où vivent certains infracteurs pour lesquels une déclaration de délinquant dangereux a été sollicitée. En écartant ainsi les éléments qui relèvent de la marginalité, on se retrouve à redéfinir le danger. En gros, on pourrait dire que les aspects qui permettaient de déclarer un infracteur repris de justice des années 1940 à la fin des années 1960 sont exactement ceux qui empêchent de le déclarer délinquant dangereux à la fin des années 1990. Troisièmement, les tribunaux se préoccupent maintenant de savoir si l’infracteur sous examen correspond aux caractéristiques associées au groupe d’individus déclarés délinquants dangereux antérieurement au Canada27. Ainsi, une logique actuarielle semble poindre dans la grille de lecture de certains jugements. En ce qui concerne les décisions sur les délinquants dangereux (profil infracteur sexuel), deux éléments sont notables. Alors que la question est encore débattue à la fin des années 1970, tout au long de la période à l’étude, on assiste au renforcement de l’idée que les infractions sexuelles listées dans la loi constituent, en soi, des infractions graves. À la fin des années 1990, c’est dorénavant un état de fait. De la même façon, si on pense qu’un infracteur peut commettre une agression sexuelle à l’avenir, cela suffit à remplir la condition selon laquelle il faut démontrer qu’il causera 212(2.1) (infraction grave – vivre des produits de la prostitution d’une personne âgée de moins de 18 ans) ou 212(4) (infraction – prostitution d’une personne âgée de moins de 18 ans). 27. Voir tout spécialement R. c. N (L.) (1999) 137 CCC (3d) 97.

Pénologie.indd 128

13-08-15 13:42

L e s d é l i n q u a n t s d a n g e r e u x  129

des sévices graves ultérieurement. La seconde transformation notable concerne les rapports entre la psychiatrie et le droit. Alors que les premiers jugements confinent l’usage des témoignages des psychiatres à la détermination de la sentence (doit-on donner une sentence indéterminée ou non ?), à partir du début des années 1980, les choses changent. On assiste à la psychiatrisation du statut même de délinquants dangereux (profil infracteur sexuel). L’analyse de la jurisprudence montre aussi qu’au fil du temps, la sentence indéterminée a pu jouer sur les deux tableaux : neutralisation et réhabilitation. En fait, au tournant du xxi e siècle, les tribunaux présentent la sentence indéterminée comme une sentence qui redonne à l’infracteur la responsabilité de son présent et de son avenir. Les tribunaux jugent qu’un infracteur responsable utilise les services et les programmes offerts en détention pour se réhabiliter et réussir à obtenir sa mise en liberté sous condition. La sentence indéterminée n’est plus perçue comme une option de dernier recours pour les échecs sociaux et correctionnels ; elle se présente comme une occasion, pour les infracteurs, de reprendre leur vie en main. Plus largement, les sentences indéterminées et, dans leur foulée, les ordonnances de surveillance de longue durée deviennent une façon de faire endosser aux infracteurs les risques qu’ils représentent. D’après les données institutionnelles disponibles, au 10 avril 2011, 546 individus ont été désignés délinquants dangereux depuis 1978, et 710 ont reçu une ordonnance de surveillance de longue durée depuis 1997. La très grande majorité des délinquants dangereux purgent une sentence indéterminée. Près des trois quarts (71,4 %) des ordonnances de surveillance de longue durée sont pour une période de 10  ans (Sécurité publique Canada, 2011a, p. 105). Alors que les femmes sont sous-représentées dans ces catégories d’infracteurs, les Autochtones sont massivement surreprésentés. En effet, seule une femme fait partie du groupe de délinquants dangereux, alors que 26,4 % de ce groupe sont des Autochtones28 (ibid., 2011a). Dans la même veine, seulement huit femmes ont été déclarées délinquantes à contrôler, alors que 26 % des délinquants faisant l’objet d’une telle ordonnance ont déclaré être d’origine autochtone (ibid., 2011b). 28. Les Autochtones représentent 18,5 % de l’ensemble de la population carcérale fédérale (Sécurité publique Canada, 2011a, p. 103), alors qu’ils ne représentent que 3,8 % de la population canadienne (Statistique Canada, 2008).

Pénologie.indd 129

13-08-15 13:42

130  pé n ol o g i e

On note qu’à partir de 1993, le nombre d’individus déclarés délinquants dangereux annuellement augmente sensiblement. tableau 3

2008-2010

2006-2008

2004-2006

2002-2004

2000-2002

1998-2000

1996-1998

1994-1996

1990-1992

1988-1990

1986-1988

1984-1986

Total1

2010-2011

13 20 16 20 20 19 24 40 45 40 49 40 41 56 65 26 543

1992-1994

1980-1982

9

1982-1984

1978-1980

Nombre

Années

Nombre d’individus déclarés délinquants dangereux de 1978 à 2011

Tiré de Sécurité publique Canada (2011a). 1. S’ajoutent à ce nombre trois personnes qui n’ont pas de date de désignation, pour un total de 546.

Quand on s’attarde à la distribution géographique des délinquants dangereux, la disparité, notée plus tôt dans l’utilisation des dispositions sur les repris de justice, les psychopathes sexuels criminels et les délinquants sexuels dangereux, se perpétue et ce, depuis l’entrée en vigueur des dispositions sur les délinquants dangereux. En effet, les données suivantes montrent que la Colombie-Britannique et l’Ontario combinés sont à l’origine de plus de la moitié des déclarations de délinquants dangereux 29. Les ordonnances de surveillance se répartissent, elles aussi, inégalement. Au Québec, en Ontario et en Colombie-Britannique, on recense plus de 70 % de tous les cas depuis 1997 (Sécurité publique Canada, 2011a). Il est difficile d’avoir un profil plus détaillé de l’ensemble des individus déclarés délinquants dangereux au Canada depuis 1977 et délinquants à contrôler depuis 1997. On sait par contre que plus de 70 % d’entre eux ont présentement à leur dossier au moins une condamnation pour infraction sexuelle (ibid.). D’après une recherche menée sur un échantillon de 29. Données relevées le 10 avril 2011. Le nombre de délinquants dangereux ne comprend pas les décisions qui ont été infirmées. Les individus déclarés délinquants dangereux qui sont décédés sont inclus dans le nombre total de délinquants déclarés dangereux (Sécurité publique Canada, 2011a).

Pénologie.indd 130

13-08-15 13:42

L e s d é l i n q u a n t s d a n g e r e u x  131

tableau 4 Nombre d’individus déclarés délinquants dangereux de 1978 à 2011, par province Province

Nombre

Province

Nombre

Terre-Neuve et Labrador

11

Saskatchewan

52

Nouvelle-Écosse

17

Alberta

46

Île-du-Prince-Édouard

0

Colombie-Britannique

Nouveau-Brunswick

8

Yukon

Québec

61

Ontario

222

Manitoba

10

112 1

Territoires du Nord-Ouest

5

Nunavut

1

Total

546

Tiré de Sécurité publique Canada (2011a).

64 délinquants dangereux incarcérés en Colombie-Britannique et en Ontario (Bonta et al., 1996), l’infraction à l’origine des procédures de déclaration de délinquants dangereux est, dans la très grande majorité des cas, une infraction d’ordre sexuel (92,2 %) commise à l’endroit de femmes (dans 86,2 % des infractions sexuelles). Selon la même recherche, plus de la moitié des individus déclarés délinquants dangereux peuvent être définis comme des pédophiles. La proportion est un peu plus élevée chez les délinquants à contrôler (Sécurité publique Canada, 2011a) Dans l’échantillon analysé par Bonta et ses collaborateurs (1996), la majorité des individus déclarés délinquants dangereux n’ont pas été déclarés coupables d’agressions physiques (54,1 %) ou d’infractions sexuelles violentes (60,7 %) par le passé. L’étude conclut néanmoins que les dispositions sur les délinquants dangereux ciblent bien des délinquants violents qui représentent de hauts risques. Dans les dernières années, la nature du danger semble se diversifier quelque peu. Par exemple, le statut de délinquant dangereux a été donné à une personne qui, infectée par le VIH-sida, a eu des relations sexuelles non protégées avec des partenaires sans révéler sa séropositivité30. Plusieurs partenaires ont ainsi été infectés et deux sont morts des conséquences de l’infection. Il sera intéressant de suivre la façon dont le danger criminel se définira (ou non) à la frontière de la santé publique dans les années à venir. 30. R. c. Aziga [2008] O.J., n° 2431.

Pénologie.indd 131

13-08-15 13:42

132  pé n ol o g i e

*** Repris de justice, psychopathes sexuels criminels, délinquants sexuels dangereux, délinquants dangereux et délinquants à contrôler, tant de figures exceptionnelles que produit le droit criminel canadien. Les mesures d’exception que sont les sentences indéterminées et les ordonnances de surveillance de longue durée sont riches en enseignements criminologiques et pénologiques. Finalités de la peine, prédiction, responsabilisation, capacité d’identifier et de catégoriser le danger, tous ces enjeux se retrouvent au cœur de la formulation et de l’application de ces mesures d’exception. Il est notable que la sentence indéterminée a été justifiée, dans l’histoire, par sa capacité à neutraliser, ses effets dissuasifs et, plus récemment, sa capacité à réunir gestion du risque et réhabilitation. Il s’agit d’une sentence somme toute bien polyvalente. Plus encore, les sentences indéterminées et les ordonnances de surveillance de longue durée nécessitent que l’on puisse se projeter dans l’avenir et prévoir le comportement d’un être humain. Le bien-fondé d’une telle entreprise et les succès en la matière sont encore, de nos jours, fort débattus et la prudence reste de mise. La majorité des analyses empiriques concernant la sentence indéterminée remettent en question notre capacité à prévoir et à distinguer les « vraies » menaces. L’application très variable des dispositions sur les délinquants dangereux, historiquement et géographiquement, repose la délicate question des pratiques discriminatoires en la matière. D’un côté, l’on pourrait penser que les sentences d’exception sont des initiatives matérialisant le pouvoir suprême de l’État. Celui-ci prend la responsabilité de contenir les cas extrêmes. De l’autre côté, les infracteurs pour lesquels l’espoir est réduit au minimum continuent néanmoins d’être définis comme des personnes possédant suffisamment de libre-arbitre et de compétences sociales pour devoir gérer les risques qu’ils représentent et opérer les « bons choix ». L’incarcération pour une durée indéterminée est alors présentée comme une occasion de se réformer. En effet, l’interprétation des dispositions sur les délinquants dangereux n’est pas indépendante des transformations plus larges qui se produisent en pénologie, notamment l’introduction des logiques actuarielle et prudentielle. Il paraît juste d’affirmer que les délinquants dangereux sont perçus comme des

Pénologie.indd 132

13-08-15 13:42

L e s d é l i n q u a n t s d a n g e r e u x  13 3

« déchets toxiques » dont on veut minimiser les risques (Simon, 2007). Cependant, d’après les jugements des tribunaux, il semble que nous n’ayons pas complètement renoncé à l’idée de recycler ces matières dangereuses. En fait, on renverse maintenant la responsabilité et c’est aux individus déclarés délinquants dangereux de se recycler et de se transformer eux-mêmes. Les sentences d’exception sont un angle particulièrement riche pour explorer les sensibilités populaires et les outrages qu’une culture juge devoir singulariser. Du vol répété à la transmission du VIH-sida en passant par l’agression sexuelle, les figures menaçantes se transforment et l’étude des sentences d’exception, quand on les examine en action par l’intermédiaire des pratiques politiques et juridiques qui leur donnent vie, nous permet de faire cette anthropologie du danger.

Pénologie.indd 133

13-08-15 13:42

Pénologie.indd 134

13-08-15 13:42

8 Les troubles mentaux, la responsabilité criminelle et l’incarcération Denis Lafortune

Chaque semaine, plusieurs personnes atteintes de troubles mentaux se présentent devant les tribunaux parce qu’elles sont accusées d’un délit. Compte tenu de leurs nombreuses vulnérabilités, il faut alors s’interroger sur le sens que prennent les actes qu’elles ont commis, les poursuites dont elles font l’objet, la peine qu’elles pourraient mériter et, en définitive, la privation de liberté qui les attend. On peut se demander si, au moment des faits, ces individus étaient capables d’apprécier la nature et la gravité de leurs actes. On peut également remettre en question la manière dont ils comprennent la nature des poursuites dont ils font l’objet, ainsi que les conséquences qu’elles auront sur leur vie. Par ailleurs, il est permis de douter du fait que les objectifs de conscientisation, de responsabilisation et de dissuasion poursuivis par la peine soient atteints compte tenu des perturbations affectives et cognitives qui caractérisent certains troubles psychiatriques. Enfin, même si dans plusieurs pays occidentaux la situation tend à s’améliorer avec les années, il s’avère que la prison n’est pas un lieu de soins. Au contraire, le milieu carcéral tend à aggraver les symptômes. Par exemple, la cohabitation des détenus atteints de troubles mentaux avec d’autres qui en sont exempts risque d’être tendue et problématique. Aussi, nombreuses sont les raisons de s’inquiéter d’une situation qui, à première vue, ne répond ni aux exigences de la réinsertion sociale, ni à celles de l’intervention clinique, ni à celles de la sécurité du public.

Pénologie.indd 135

13-08-15 13:42

136  pé n ol o g i e

Dans ce chapitre, les notions de troubles mentaux (modérés et transitoires ou graves et persistants) seront définies et quelques programmes de déjudiciarisation visant à rediriger les personnes vulnérables vers des soins et des ressources communautaires seront décrits. Nous poursuivrons l’exposé par une présentation du cadre juridique entourant la notion d’aptitude à subir son procès et celle de non-responsabilité pénale pour cause de troubles mentaux 1. Cela dit, quand la personne est à la fois reconnue apte à subir son procès et criminellement responsable d’un délit, elle se retrouve souvent dans un milieu carcéral. C’est pourquoi nous dresserons un portrait des personnes atteintes de psychopathologies qui encourent une peine privative de liberté. Les problèmes concomitants de toxicomanie, faible employabilité, vieillissement, itinérance et limites intellectuelles seront évoqués. Finalement, nous soulèverons les enjeux relatifs aux services et aux soins que ces personnes devraient normalement requérir lorsqu’elles sont incarcérées. Les troubles mentaux

D’emblée, il importe de préciser ce qu’il faut entendre par « trouble mental » lorsqu’il est aussi question de délinquance. Dans les milieux juridiques, le jugement qu’a prononcé la Cour suprême du Canada dans l’affaire R. c. Cooper2 fait autorité. On y lit que la maladie mentale comprend  [...] toute maladie, tout trouble ou tout état anormal qui affecte la raison humaine et son fonctionnement à l’exclusion, toutefois, des états volontairement provoqués par l’alcool ou les stupéfiants, et des états mentaux transitoires comme l’hystérie ou la commotion. Afin d’appuyer une défense d’aliénation mentale, la maladie doit, bien sûr, être d’une intensité telle qu’elle rende l’accusé incapable de juger la nature et la qualité de l’acte violent ou de savoir qu’il est mauvais.

Habituellement, dans les milieux médicaux et psychosociaux, les soignants se réfèrent davantage au Manuel diagnostique et statistique des 1. La loi provinciale P38, sur la protection des personnes dont l’état mental présente un danger pour elles-mêmes ou pour autrui, ne sera pas discutée ici. Elle s’applique à toute personne dont l’état mental présente un danger grave et imminent pour elle-même ou pour autrui. Toutefois, elle ne relève pas du champ pénal. 2. R. c. Cooper, [1980] 1 R.C.S. 1149.

Pénologie.indd 136

13-08-15 13:42

L e s t r o u bl e s me n t a u x  137

troubles mentaux (DSM-IV, American Psychiatric Association, 1995), où la notion de trouble mental est conçue comme  [...] un modèle ou un syndrome comportemental ou psychologique cliniquement significatif, survenant chez un individu et associé à une détresse concomitante (par exemple, symptôme de souffrance), à un handicap (par exemple, altération d’un ou de plusieurs domaines de fonctionnement), ou à un risque significativement élevé de décès, de souffrance, de handicap ou de perte importante de liberté […].

Par ailleurs, le DSM-IV précise que ce modèle ou syndrome ne doit pas être simplement la réponse attendue et culturellement admise à un événement particulier. Cela veut dire que les réactions de deuil, par exemple, ne devraient pas être considérées comme un trouble mental. Il existe, bien entendu, différents types de troubles mentaux, chacun pouvant être d’une gravité variable. La schizophrénie et les troubles anxieux, par exemple, sont deux conditions très différentes, que ce soit sous l’angle de la détresse vécue, des handicaps présentés ou des risques encourus. La condition psychopathologique est dite modérée et transitoire lorsqu’elle répond à des critères diagnostiques précis, qu’elle est suffisamment importante pour entraver le fonctionnement habituel d’un individu et qu’elle nécessite une intervention ou un traitement spécifique. En milieu carcéral, les troubles modérés et transitoires les plus fréquemment rapportés sont les troubles liés à la consommation de substances, les troubles anxieux, les troubles du sommeil et les troubles de l’adaptation, auxquels s’ajoutent certains troubles de l’humeur (Côté et Hodgins, 2003)3. Par troubles mentaux graves et persistants, on entend plutôt les psychoses, la dépression majeure et le trouble bipolaire. Parfois s’y ajoute le trouble de la personnalité limite, compte tenu des importants dysfonctionnements cognitifs, affectifs et relationnels qui le caractérisent. Selon le National Institute of Mental Health (1987), pour qu’il y ait gravité et persistance, à l’un ou l’autre des diagnostics qui viennent d’être mentionnés il faut ajouter deux spécificités. La première est une invalidité importante et récurrente venant limiter les activités principales de la personne, comme une employabilité réduite, le besoin d’aide sociale, la difficulté à établir un réseau de soutien, le besoin d’aide pour l’hygiène personnelle, pour la préparation de ses repas ou la gestion de son argent). 3. La dysthymie ou le trouble dépressif atypique, par exemple.

Pénologie.indd 137

13-08-15 13:42

138  pé n ol o g i e

La seconde est une trajectoire de consultations caractérisée par des traitements intensifs ou prolongés, par exemple un séjour à la salle d’urgence ou encore une hospitalisation. Il est difficile de connaître avec précision la fréquence et la nature des contacts qu’établissent les personnes atteintes d’un trouble mental avec le système de justice pénale étant donné qu’il existe, entre les divers secteurs d’intervention, d’importantes différences dans la manière dont les psychopathologies sont définies et mesurées (par observations, interviews ou instruments structurés, par exemple). On sait néanmoins que les personnes atteintes d’un trouble mental grave sont plus susceptibles que les autres d’entrer en contact avec les policiers à titre d’auteurs présumés d’infractions. Selon Crocker, Hartford et Heslop (2009), elles sont aussi plus enclines à faire l’objet d’une inculpation, à commettre plusieurs délits et à récidiver rapidement. Or, comme nous le verrons dans la section suivante, toutes ces interactions avec des représentants des forces de l’ordre ne mènent pas nécessairement à une comparution devant un juge. La déjudiciarisation comme option

Les programmes de déjudiciarisation tentent d’identifier précocement les personnes atteintes de troubles mentaux qui entrent en contact avec le système de justice pour leur éviter le processus de judiciarisation. Pour y arriver, il s’agit de mettre en place les moyens par lesquels une personne est identifiée durant le processus d’arrestation, puis redirigée (« diversion ») vers des ressources appropriées. Il faut donc que soit implanté un système adéquat de services de santé mentale, traitements des toxicomanies, dépannages, logements et autres services sociaux, afin qu’on puisse s’y adresser. Au Québec, au cours des années 1990, quelques programmes de déjudiciarisation sont apparus, notamment l’Urgence psychosociale – Justice (UPS-J), le Programme d’encadrement clinique et hébergement (PECH) et l’Urgence Détresse (Laberge, Morin et Landreville, 2000). Ces dispositifs sont généralement destinés aux auteurs de délits mineurs tels qu’un méfait (infraction consistant à détériorer un bien, à le détruire ou à gêner l’utilisation qu’on peut en faire), un vol de moins de 1000 dollars ou une infraction dans les transports en commun (retarder le départ d’un train, par exemple). Webanck (2003) s’est intéressé plus précisément aux

Pénologie.indd 138

13-08-15 13:42

L e s t r o u bl e s me n t a u x  139

interventions faites aux cours municipale et provinciale de Montréal, dans le cadre des services de l’UPS-J. Ses résultats illustrent bien ce qu’on entend par « éviter l’incarcération ». Ainsi, une fois que l’UPS-J entre en action : •

• • • • •

24 % des accusés sont référés à un centre d’aide pour toxicomanes, un centre local de services communautaires (CLSC), une ressource d’hébergement, un centre de crise, un refuge ou un autre organisme d’aide ; 15 % s’engagent auprès de la cour à mieux participer au suivi psychiatrique, médical ou psychosocial dont ils sont déjà l’objet ; 14 % sont orientés vers une évaluation de leur aptitude à comparaître au tribunal ou une évaluation de leur responsabilité criminelle ; 12 % s’engagent à se présenter rapidement à l’urgence psychiatrique de leur centre hospitalier pour y rencontrer un médecin psychiatre ; 5 % demeurent en détention préventive parce que la cour juge que cette mesure est nécessaire ; enfin, 17 % des interventions ne donnent lieu à aucune recommandation spécifique, puisque les accusés ne le requièrent pas.

Dans ce type de programmes, ajoute Webanck, le recours à un cadre juridique et une peine ne devrait pas nécessairement représenter un échec clinique. En effet, pour certains accusés, l’avenue pénale s’avère impérative non seulement pour assurer la sécurité d’autrui, mais aussi pour dissuader la récidive et favoriser une attitude responsable. Lorsqu’il y a judiciarisation, compte tenu de la grande diversité des présentations cliniques, on peut concevoir que toute personne souffrant d’un trouble mental et se présentant devant un juge n’est pas forcément apte à comprendre la nature des poursuites dont elle fait l’objet. Dans les faits, au Canada, seulement un petit nombre d’accusés invoquent les troubles mentaux lorsqu’ils comparaissent devant un juge. Le cadre juridique et l’aptitude à subir son procès

Lorsqu’une personne a commis un délit relevant du Code criminel et qu’elle souffre d’un trouble mental, il se peut qu’en vertu de l’article 672, son « aptitude à subir un procès » soit remise en cause. La notion renvoie à l’état mental de l’accusé au moment du déroulement des procédures

Pénologie.indd 139

13-08-15 13:42

140  pé n ol o g i e

judiciaires. Le principe sous-jacent veut que toute personne poursuivie devant un juge soit « présente » pour faire face aux accusations portées contre elle. Or, cela n’implique pas seulement une présence physique. En effet, une personne accusée peut être considérée comme « absente » si elle est incapable de comprendre le processus auquel elle doit faire face. De manière générale, la loi présume que toute personne est apte à subir un procès. Cela signifie que la défense ou la poursuite doit soulever la question et faire la preuve du contraire (art. 672.23). De façon plus concrète, une personne est inapte à subir son procès si, à cause d’un trouble mental, elle ne comprend pas la nature et l’objet des poursuites ainsi que les conséquences éventuelles de celles-ci ou si elle n’est pas en mesure de communiquer adéquatement avec son avocat. Selon Latimer et Lawrence (2006), les accusés jugés inaptes à subir leur procès sont un peu plus âgés (37 ans en moyenne) que ceux jugés non responsables pour cause de troubles mentaux (35 ans). Bien que l’aptitude à subir son procès soit une question judiciaire, au Canada, ce sont les psychiatres qui sont habituellement appelés à l’évaluer. Or, l’absence de critères spécifiques pour déterminer cette aptitude a conduit les cliniciens à mettre au point leurs propres méthodes d’évaluation, axées principalement sur l’entretien. Dans ce contexte, il faut déplorer le peu de convergence entre les critères utilisés d’un clinicien à l’autre et souligner le besoin de développer des instruments validés permettant de soutenir le jugement professionnel des experts. Si une personne est trouvée inapte à subir son procès, alors les procédures judiciaires sont suspendues. Dans la plupart des cas, le juge peut ordonner que l’accusé soit placé dans un établissement de soins psychiatriques ou remis en liberté sous surveillance dans la collectivité. Au Québec, si la personne a commis un délit grave, cet établissement sera souvent l’Institut Philippe-Pinel de Montréal. Le placement en vue d’un traitement ou d’un séjour en établissement peut être de durée indéterminée, mais l’accusé doit être réexaminé chaque année et le poursuivant doit présenter le cas au juge tous les deux ans pour évaluation. Enfin, il est à noter que si la personne devient apte à subir son procès, elle peut y être envoyée.

Pénologie.indd 140

13-08-15 13:42

L e s t r o u bl e s me n t a u x  141

La non-responsabilité pénale pour cause de troubles mentaux

Dans sa mise en contexte historique, Pilon (2002) rappelle que, depuis longtemps, les tribunaux canadiens ont le pouvoir de dégager une personne de sa responsabilité pénale si elle a accompli des actes alors qu’elle était incapable de discernement. Le principe qui est sous-jacent stipule cette fois que l’État doit, pour qu’une personne soit reconnue coupable d’un acte criminel, « prouver non seulement qu’elle a commis un acte illégal, mais également qu’elle avait l’intention coupable de le faire ». En d’autres termes, une personne ne saurait être tenue criminellement responsable d’un acte si son état mental à ce moment-là la rendait incapable d’apprécier la nature et la gravité de l’acte ou l’empêchait de se rendre compte qu’elle se conduisait mal. En pareil cas, si la personne souffrant de troubles mentaux constitue néanmoins une menace pour les autres, il se peut que l’État doive exercer un certain contrôle sur elle. Se fondant sur des règles adoptées en Angleterre dans l’affaire M’Naghten, le droit canadien a incorporé pour la première fois le principe de défense fondée sur l’aliénation mentale dans le Code criminel de 1892. On y établissait que l’accusé était présumé légalement sain d’esprit jusqu’à preuve du contraire. Cela dit, lorsqu’il y avait acquittement pour cause d’aliénation mentale, l’accusé devait être « strictement gardé » et ce, « jusqu’à ce que le bon plaisir du lieutenant-gouverneur soit connu ».  En 1975, la Commission de réforme du droit du Canada (CRDC) s’est penchée sur la nécessité de réformer le traitement par la justice pénale des accusés atteints de troubles mentaux. Parmi les diverses recommandations formulées dans son rapport, l’une préconisait qu’on choisisse les mesures pénales ouvertement et conformément à des critères connus, et que cellesci soient sujettes à révision et d’une durée déterminée. Concrètement, au lieu de s’en remettre au mandat du lieutenant-gouverneur, la Commission proposait un processus d’audition permettant de déterminer les mesures appropriées dans le cas des personnes acquittées pour cause d’aliénation mentale (CRDC, 1976). En 1983, les auteurs d’un document de travail du ministère de la Justice en sont venus à soulever la question de la conformité des pratiques alors en vigueur avec les dispositions de la Charte canadienne des droits et libertés. Deux ans plus tard, le ministère de la Justice proposait le remplacement de la formule du mandat du lieutenant-gouverneur par celle

Pénologie.indd 141

13-08-15 13:42

142  pé n ol o g i e

d’une commission d’examen4 se réunissant dans chaque province. Le 2 mai 1991, la Cour suprême jugeait contraire aux articles 7 et 9 de la Charte canadienne des droits et libertés le paragraphe 542(2) du Code criminel ordonnant la détention de personnes acquittées pour cause d’aliénation mentale5. C’est ce qui a poussé la ministre de la Justice de l’époque, Kim Campbell, à déposer le projet de loi C-30. Lorsque la plus grande partie de celui-ci a été proclamée en 1992, le tribunal n’était plus obligé d’ordonner qu’un accusé soit « strictement gardé » après avoir constaté sa non-responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux. Le tribunal avait désormais le choix d’ordonner des mesures appropriées ou de laisser la commission d’examen prendre cette décision. Depuis 1992, les décisions pouvant être rendues par la commission comprennent la détention en hôpital, la libération conditionnelle ou la libération inconditionnelle. La loi oblige toutefois le tribunal ou la commission d’examen à imposer la décision la moins sévère ou la moins privative de liberté, compte tenu de la nécessité de protéger le public, de l’état mental de l’accusé et de sa réinsertion sociale éventuelle. Enfin, toute décision d’une commission d’examen qui n’est pas une libération inconditionnelle doit être revue chaque année. De nos jours, l’article 16 du Code criminel énonce que la « responsabilité criminelle d’une personne n’est pas engagée à l’égard d’un acte ou d’une omission de sa part survenu alors qu’elle était atteinte de troubles mentaux qui la rendaient incapable de juger de la nature et de la qualité de l’acte ou de l’omission, ou de savoir que l’acte ou l’omission était mauvais ». Chacun est présumé ne pas avoir été atteint de troubles mentaux de nature à ne pas engager sa responsabilité criminelle. Cette présomption peut toutefois être renversée, la preuve de troubles mentaux se faisant par prépondérance des probabilités. La partie qui entend démontrer que l’accusé était affecté de troubles mentaux de nature à ne pas engager sa responsabilité criminelle a la charge de le prouver. Dans l’affaire Kjeldsen

4. La Commission d’examen des troubles mentaux rend des décisions concernant les personnes qui font l’objet soit d’une décision d’inaptitude à subir leur procès, soit d’un verdict de non-responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux. Elle siège toujours en formation d’au moins trois membres, dont un avocat et un psychiatre. 5. R. c. Swain, [1991] 1 R.C.S. 933.

Pénologie.indd 142

13-08-15 13:42

L e s t r o u bl e s me n t a u x  143

c. La Reine6, il a été clarifié que, pour qu’un accusé soit jugé capable d’évaluer la nature et la qualité d’un acte, il suffit qu’il ait la capacité de savoir ce qu’il faisait (il frappait violemment une personne à la tête avec une pierre, par exemple), en plus d’avoir la capacité d’apprécier et de comprendre les conséquences physiques pouvant résulter de son geste (il causait des lésions corporelles susceptibles d’entraîner la mort, par exemple). La capacité d’entrevoir les conséquences émotives d’un geste (faire subir un choc post-traumatique à la victime, par exemple) n’est pas un facteur à considérer dans l’appréciation de l’aliénation mentale. Au Québec, entre 350 et 400 personnes sont déclarées non criminellement responsables pour cause de troubles mentaux chaque année. La majorité d’entre elles ont un diagnostic du spectre de la schizophrénie. Le trouble mental et la détermination de la peine

Quand la personne accusée est à la fois reconnue apte à subir un procès et criminellement responsable d’un délit, le juge peut tenir compte de son état mental pour déterminer sa peine. En effet, tant chez les jeunes que chez les adultes, des conditions peuvent être assujetties à une mesure non privative de liberté, comme une période de probation (surtout pour les jeunes) ou l’ordonnance de suivre un programme d’assistance et de surveillance intensives. L’une de ces conditions peut aussi être la participation à un programme dans un centre de traitement de la santé mentale. Cela dit, la grande majorité des personnes souffrant d’un trouble mental se retrouvent en milieu carcéral. Un grand nombre d’études se sont d’ailleurs penchées sur les liens entre psychopathologies et délits chez les délinquants adultes en détention. La section suivante les présente de façon succincte. La peine d’incarcération et les personnes présentant un trouble mental

« Les prisons, dans de nombreuses régions du pays, sont devenues des centres de crise psychiatrique de dernier recours », écrivaient Osher, Steadman et Barr en 2003. Selon Santé Canada (2002), 20 % des Canadiens 6. Kjeldsen c. La Reine, [1981] 2 R.C.S. 617.

Pénologie.indd 143

13-08-15 13:42

14 4  pé n ol o g i e

sont atteints d’un trouble mental à un moment ou un autre au cours de leur vie. Par rapport à ces taux populationnels, dans les établissements de détention, les personnes qui présentent des troubles mentaux sont « surreprésentées ». Ainsi, Blaauw, Roesch et Kerkhof (2000) ont synthétisé les résultats d’études de prévalence provenant de 13 pays européens et ils arrivent à la conclusion que 63 % des incarcérés satisfont aux critères d’un trouble mental. Les études récentes tendent à montrer que la prévalence des psychopathologies de tous ordres est de trois à quatre fois plus élevée au sein des populations carcérales que dans la population générale. Chez les femmes incarcérées, les données disponibles laissent supposer que les taux sont équivalents (American Psychiatric Association, 2000). Par exemple, une étude canadienne a mesuré la prévalence de troubles mentaux chez 76 détenues de la Prison des femmes (Blanchette, 1996). Le taux de prévalence des troubles mentaux observé est de 58,5 %. Les troubles modérés les plus fréquents sont ceux liés aux substances (70 %) et aux états de stress post-traumatique (33 %). Par ailleurs, les femmes incarcérées semblent plus à risque de suicide que les hommes qui sont en détention. En ce qui concerne les troubles mentaux graves et persistants, au Québec comme ailleurs dans le monde, les études indiquent que de 2 à 3 % de la population générale adulte en souffre (ministère de la Santé et des Services sociaux, 2005). Or, ces taux sont bien plus élevés en prison. Selon Côté et Hodgins (2003), on peut considérer que, dans les pénitenciers fédéraux, 22,5 % des détenus souffrent de psychopathologies graves et persistantes. Dans une méta-analyse publiée dans The Lancet, Fazel et Danesh (2002) passent en revue 62 études internationales portant sur 22 790 détenus qui viennent de 12 pays. Ils concluent à des taux, chez les hommes incarcérés, de 3,7 % de psychoses chroniques et 10 % de troubles dépressifs majeurs. Chez les femmes, ils constatent 4 % de psychoses chroniques et 12 % de troubles dépressifs. On trouve donc quatre fois plus de psychoses ou de dépressions dans les milieux de détention que dans la population générale. Il est à noter que la plupart de ces incarcérés ont simultanément d’autres problèmes psychosociaux. Les toxicomanies

En plus des troubles mentaux proprement dits, la situation des incarcérés plus vulnérables se caractérise généralement par d’importants problèmes

Pénologie.indd 144

13-08-15 13:42

L e s t r o u bl e s me n t a u x  145

liés à la consommation d’alcool et de drogues. Le dépistage, la prise en charge et la remise en liberté s’en trouvent complexifiés. En outre, la consommation peut venir modifier le tableau clinique et le pronostic d’un problème de santé mentale. Sur le plan de la santé physique, il faut souvent compter avec une infection virale, comme le VIH-sida, l’hépatite B ou l’hépatite C. Sur le plan de l’état mental, des comportements impulsifs, imprévisibles et erratiques sont plus susceptibles de se manifester. Finalement, ces habitudes de consommation interfèrent généralement avec la motivation d’apporter du changement dans sa vie et avec l’observance des traitements psychosociaux ou psychopharmacologiques proposés. La faible employabilité

Aux États-Unis, selon James et Glaze (2006), plus de 30 % des personnes ayant des problèmes de santé mentale sont sans emploi depuis au moins un mois au moment de leur incarcération. Le non-emploi, l’oisiveté et l’accumulation de dettes étant d’importants facteurs de risque de récidive, plusieurs projets d’intervention tentent d’accroître l’employabilité des incarcérés présentant des troubles mentaux. Le vieillissement

Par « incarcérés âgés », il faut entendre ceux qui ont 50 ans ou plus, puisque, dans les populations carcérales, le processus de vieillissement est accéléré d’environ 10 ans. On peut penser qu’un certain nombre de déliriums, de démences, d’amnésies et d’autres troubles cognitifs sont plus susceptibles d’apparaître dans une population vieillissante. La dépression serait aussi très répandue parmi les délinquants âgés. Par ailleurs, dans un échantillon de 203 incarcérés anglais âgés de 60 ans et plus, Fazel et ses collaborateurs (2004) ont trouvé un taux de prescription de médicaments psychotropes ne dépassant pas les 9 %. Ils ont donc l’impression que les services de santé britanniques répondent mal aux besoins de ce public. On peut évidemment se demander ce qu’il en est au Canada.

Pénologie.indd 145

13-08-15 13:42

146  pé n ol o g i e

L’itinérance

Posant en quelque sorte un « triple problème », l’itinérance, l’incarcération et les psychopathologies sont souvent associées les unes aux autres. Cette parenté entre problèmes de santé mentale, itinérance et incarcération a permis de poser la thèse de la criminalisation des problèmes sociaux. Pour Laberge et ses collaborateurs (1995), « la criminalisation peut […] être conçue comme le mouvement qui consiste à définir une situation ou un comportement inacceptable comme un crime, en d’autres termes à lui attribuer un surplus de sens qui définit l’instance de gestion la plus appropriée, à savoir le système pénal ». Cette thèse vise surtout les personnes habitant les grandes villes, qui sont responsables de délits mineurs et sans violence. À ce propos, on évoque souvent la loi de Penrose selon laquelle il existerait une relation inversement proportionnelle entre le nombre de places disponibles en milieu carcéral et le nombre de places disponibles en milieu psychiatrique. Autrement dit, quand un gouvernement ferme un hôpital, il créerait une situation telle qu’il devrait probablement ouvrir une prison. La déficience intellectuelle

Depuis 30 ans, les professionnels qui pratiquent dans le milieu carcéral considèrent qu’on y trouve de plus en plus d’incarcérés aux prises avec une déficience intellectuelle. Le dépistage de cette condition mentale par le personnel correctionnel reste très lacunaire. Plusieurs ont souligné la difficulté à identifier ces individus à leur entrée dans le système de justice criminelle (Crocker et al., 2007). Or, si elles ne sont pas identifiées rapidement et si on les place tout simplement dans les secteurs réguliers, les personnes présentant une déficience intellectuelle deviennent en général les boucs émissaires des autres incarcérés. En outre, elles ont de la difficulté à comprendre les exigences des agents de correction et à tirer profit des programmes courants. Elles sont aussi soumises à un plus grand nombre de mesures disciplinaires (American Psychiatric Association, 2000). Les enjeux relatifs aux soins et aux services à mettre en place

Si l’environnement carcéral n’est pas un endroit approprié pour recevoir des soins et des services, les détenus y ont néanmoins droit. Au Canada,

Pénologie.indd 146

13-08-15 13:42

L e s t r o u bl e s me n t a u x  147

le Bureau de l’enquêteur correctionnel (2007) a maintes fois placé les services de soins en santé mentale dans les « secteurs à problème ». La réforme des politiques et des services de santé mentale dans les prisons est devenue une priorité, tout comme dans beaucoup d’autres pays d’ailleurs. De manière à synthétiser les différents enjeux entourant la prise en charge des incarcérés souffrant de troubles mentaux, nous les avons regroupés autour de cinq axes : le dépistage lors de l’admission, l’évaluation plus approfondie des besoins advenant un dépistage positif, l’usage approprié de médicaments psychotropes, la mise en place d’interventions psychosociales et la planification de la remise en liberté. Le dépistage

En milieu carcéral, l’identification des besoins en matière de santé mentale est une étape première et cruciale. Parmi les indicateurs de besoins figurent au premier chef : les symptômes psychotiques aigus, les complications liées à l’usage et au sevrage soudain de substances psychotropes, ainsi que la détresse psychologique découlant de l’arrestation, de la condamnation et de l’incarcération. Il importe de détecter précocement les signes et les symptômes de ces problèmes afin de prévenir les passages à l’acte autoagressifs, hétéroagressifs ou d’éventuelles hospitalisations. Or, selon Blaauw, Roesch et Kerkhof (2000), qui se sont intéressés à un échantillon de pays européens, en moyenne il n’y a qu’un pays sur deux où le dépistage des psychopathologies se fait à l’aide d’une procédure standardisée. Au Canada, dans une étude de Hodgins et Côté (1990), 52 % des détenus ont affirmé qu’ils n’avaient jamais parlé de leurs problèmes de santé mentale avec un professionnel ou un médecin. Selon le Bureau de l’enquêteur correctionnel (2007), dans les pénitenciers fédéraux, les services de dépistage ne sont pas adéquats, de telle sorte que le nombre réel de personnes contrevenantes souffrant de troubles mentaux graves est probablement sous-estimé. D’un rapport de recherche à l’autre, il s’avère que certains détenus risquent davantage de passer entre les mailles du filet, notamment ceux qui souffrent de dépression majeure, sont plus âgés, viennent d’ethnies ou de cultures minoritaires.

Pénologie.indd 147

13-08-15 13:42

148  pé n ol o g i e

L’évaluation des besoins

Selon Ford et ses collaborateurs (2007), en aval d’un dispositif de dépistage efficace, il faut prévoir une observation et une évaluation plus approfondies, assumées par des professionnels formés aux problèmes de santé mentale. Dans les 24 heures suivant un dépistage positif, une évaluation psychiatrique en bonne et due forme devrait être faite lorsque la symptomatologie d’un incarcéré l’exige. Parfois, il importe aussi d’héberger le nouvel arrivant dans une infirmerie ou un secteur « intermédiaire » où il sera mieux supervisé et de le mettre en contact avec des médecins et autres professionnels de la santé mentale. Pour le Council of State Governments Justice Center (2002), il faut « utiliser les résultats de l’évaluation de l’état mental pour développer un plan individualisé de services, d’hébergement et de fréquentation des programmes tout en s’assurant que cette information suive le détenu chaque fois qu’il est transféré vers un autre établissement ». Pour soutenir une meilleure planification de l’intervention destinée aux personnes présentant des troubles mentaux, un certain nombre d’instruments sont d’ailleurs en cours de développement. Par exemple, le Camberwell Assessment of Need (Harty et al., 2003) évalue 22 dimensions relatives à l’état de santé mentale et à l’adaptation psychosociale, notamment la nature et la gravité des symptômes psychotiques, l’usage d’alcool et de drogues, les compétences nécessaires à la vie autonome, la capacité d’entretenir des relations intimes, la santé physique ou la capacité d’utiliser les ressources communautaires et le transport en commun. Malheureusement, à ce jour, ce type d’instrument n’est que rarement utilisé dans les milieux carcéraux canadiens et américains. Les médicaments psychotropes

Au sein des établissements de détention, les médicaments psychotropes représentent la forme de traitement psychiatrique la plus utilisée. Les taux de prévalence disponibles indiquent qu’en cours d’incarcération, la prescription de ces médicaments touche de 10 % (Beck et Maruschak, 2001) à 33 % des détenus (Kjelsberg et Hartvig, 2005). Selon nos travaux, durant leur passage dans les prisons provinciales du Québec, 18 % des incarcérés (34 % des femmes et 13 % des hommes) se font prescrire au moins un médicament psychotrope (Lafortune et Vacheret, 2009). Les benzodiazé-

Pénologie.indd 148

13-08-15 13:42

L e s t r o u bl e s me n t a u x  149

pines, antidépresseurs et antipsychotiques de nouvelle génération, sont les traitements les plus couramment utilisés. Ces prescriptions n’étant pas mutuellement exclusives, les taux de polypharmacie se situent souvent à 40 % et plus. Sommers et Baskin (1991) ont analysé les facteurs associés à la prescription de médicaments psychotropes en milieu carcéral. Ils constatent que certaines caractéristiques sociodémographiques (âge, sexe, ethnie) et délictuelles (crime violent ou non) peuvent influencer la décision de prescrire un médicament au moment de répondre à un trouble mental modéré ou transitoire, mais qu’elles n’interviennent pas de façon significative en cas de trouble mental sévère ou persistant. Par ailleurs, aux États-Unis, la prescription de médicaments antipsychotiques puissants est plus importante dans les jails (locaux) que dans les prisons (d’États ou fédérales). En effet, les administrateurs de ces établissements seraient plus préoccupés par une stabilisation rapide de l’état mental des détenus, compte tenu du nombre élevé de personnes à traiter et de la durée des peines qui est relativement courte. Les interventions psychosociales

Human Rights Watch (2003) rappelle que, dans un établissement de détention, entre les infirmeries et les secteurs réguliers, il y aurait lieu de mettre en place des secteurs intermédiaires situés dans des lieux distincts. Dans ces secteurs, il serait tout d’abord possible de recruter et d’embaucher du personnel souhaitant travailler avec des incarcérés psychiatrisés. De plus, selon Lovell et ses collaborateurs (2001), une programmation misant sur des interventions psychosociales adéquates permet une réduction significative des symptômes psychiatriques et des agressions sur le personnel, tout en favorisant une plus grande participation dans les activités de formation et les ateliers de travail. Plusieurs interventions psychosociales ont démontré leur efficacité auprès des personnes contrevenantes présentant des psychopathologies et des toxicomanies. Parmi celles-ci, on peut mentionner les communautés thérapeutiques, le traitement cognitivo-comportemental reposant sur la résolution de problèmes et la gestion du stress, des guides d’autogestion des médicaments psychotropes et des programmes de prévention de la rechute (toxicomanies). Malheureusement, en pratique, ces services sont rarement offerts. Par exemple, en 2001, on ne trouvait de secteurs intermédiaires que dans 36 %

Pénologie.indd 149

13-08-15 13:42

150  pé n ol o g i e

des établissements américains (National Commission on Correctional Health Care, 2002). La planification de la remise en liberté

Bien que la planification de la remise en liberté soit une étape très importante de la prise en charge correctionnelle, il semble qu’elle reste relativement peu investie par les intervenants et décideurs. Dans le pire des cas, les détenus ayant des problèmes de santé mentale sont libérés en emportant une provision de médicaments, la recommandation de consulter un organisme extérieur et la surveillance d’un agent de libération conditionnelle. Les principaux obstacles à une planification plus efficace de la remise en liberté tiennent principalement à la fragmentation des services sanitaires et sociaux dans la communauté et à la sous-estimation des services sociaux requis pour ces personnes (Kirby et Keon, 2006). De nombreuses études ont pourtant souligné les bienfaits d’un meilleur travail de liaison entre l’établissement de détention et la communauté, ainsi que l’importance à accorder à des services prélibératoires intensifs dispensés en prison par un organisme communautaire spécialisé en matière de santé mentale (Wilson et Draine, 2006). Au Québec, nos propres travaux ont bien montré que par rapport aux antécédents de prise en charge, les incarcérés pour qui on a identifié un « problème de santé mentale » ont plus souvent (28 %) fait l’objet de mesures de probation multiples (de 3 à 10 antécédents) que les autres détenus. Cela montre à quel point ils ont du mal à respecter et à comprendre le sens de leurs obligations. *** Dans plusieurs pays occidentaux, on a tenté de diminuer le nombre d’individus ayant des problèmes de santé mentale dans le système judiciaire. Selon la majorité des études de prévalence publiées en Amérique du Nord et en Europe, il n’en demeure pas moins que de 55 % à 80 % de la population carcérale présente un ou des troubles mentaux. Dans ce contexte, la prise en charge des détenus présentant des problèmes de santé mentale se heurte toujours à d’importantes difficultés. Faute de ressources, de personnel spécialisé ou tout simplement d’espaces aménagés, ces détenus se retrouvent dans une situation de grande précarité (Vacheret et Lafortune,

Pénologie.indd 150

13-08-15 13:42

L e s t r o u bl e s me n t a u x  15 1

2011). Or, dès l’arrivée d’une personne dans un établissement de détention et jusqu’à sa remise en liberté, il serait indispensable qu’un processus de dépistage, d’évaluation, de classement, d’élaboration d’un plan de séjour et d’accompagnement s’installe pour intervenir auprès d’elle le plus efficacement et positivement possible. De nombreuses études ont aussi souligné les bienfaits d’un meilleur travail de liaison entre l’établissement de détention et la communauté. Tous s’entendent sur la nécessité de mieux former et soutenir le personnel, qu’il s’agisse de policiers, d’intervenants communautaires ou d’agents correctionnels, ce qui suppose un investissement de temps et une mobilisation des ressources. Cela dit, avant toute chose, il faudrait sans doute que la situation des personnes atteintes de troubles mentaux qui comparaissent devant les tribunaux devienne une priorité pour les décideurs.

Pénologie.indd 151

13-08-15 13:42

Pénologie.indd 152

13-08-15 13:42

9 Au bout de « la » peine ? Les femmes âgées incarcérées au Canada Véronique Strimelle

Durant la dernière décennie, le phénomène du vieillissement des populations occidentales a été au cœur d’un grand nombre de recherches et de rapports. Ingénieurs biomédicaux, biologistes, économistes, sociologues, démographes et philosophes continuent de se pencher sur les différentes facettes de cette question et sur son impact personnel et sociétal. La recherche criminologique a elle aussi abordé ce sujet, en prêtant une attention particulière au vieillissement en milieu carcéral. Plusieurs de ces recherches ont montré que, comme pour la population dans son ensemble, la population des délinquants plus âgés croissait dans les divers établissements de détention. Les statistiques tendent d’ailleurs à illustrer que le nombre de détenus plus âgés augmente à un rythme plus rapide que pour les autres catégories d’âge et ce, dans plusieurs pays d’Europe et d’Amérique du Nord (Montjean, 2003). S’intéressant au vieillissement de la population carcérale québécoise sous responsabilité fédérale, Landreville a noté que ce vieillissement s’explique notamment par la diminution des admissions de détenus de moins de 25 ans et par une augmentation des admissions des 35 ans et plus. Sur le long terme, ces variations du nombre de détenus sont encore plus frappantes, comme le suggère l’étude de Cusson, précisant qu’en 1975, les détenus âgés de moins de 25 ans admis dans les établissements fédéraux

Pénologie.indd 153

13-08-15 13:42

15 4  pé n ol o g i e

composaient 58 % de la population carcérale alors qu’en 2000, ce chiffre était tombé à 18 %. À l’inverse, le nombre de détenus âgés de plus de 35 ans est passé pour cette même période de 13 % à 47 %. Plus récemment, le Rapport annuel du Bureau de l’enquêteur correctionnel (RABEC) pour 2010-2011a confirmé cette tendance, en constatant qu’un nombre croissant de délinquants étaient incarcérés dans des pénitenciers fédéraux à un âge plus avancé. En 2009-2010, 20,3 % des délinquants avaient entre 40 et 49 ans au moment de leur admission, ce qui constitue une augmentation de 16,3 % par rapport au début de la décennie. L’étude de Landreville confirme aussi les données récoltées pour l’ensemble du Canada, où la population des détenus condamnés à un emprisonnement à perpétuité ou d’une durée indéterminée a augmenté. Une récente étude démographique portant sur la population carcérale canadienne sous responsabilité fédérale a d’ailleurs permis de brosser un tableau plus précis de la question du vieillissement en prison. On y constate, entre autres, une nette augmentation de l’âge moyen et médian des détenus condamnés pour de longues durées, alors que l’âge reste relativement stable pour les délinquants libérés, tout comme pour ceux condamnés à des peines moins sévères (Tesseron, 2009). Cette même recherche a montré que si les entrées et les sorties demeuraient constantes, on pouvait projeter que le nombre de détenus de 50 ans irait encore en augmentant dans les prochaines années. Plusieurs explications ont été avancées pour justifier la hausse du nombre de détenus plus âgés : une telle situation reflète l’augmentation générale du nombre de personnes de 50 ans et plus dans la société. La hausse du nombre d’admissions de personnes de 35 ans et plus dans les pénitenciers fédéraux serait aussi liée au fait que certains délits sont désormais plus sévèrement poursuivis et punis par la loi, comme les infractions de nature sexuelle, qui sont, en général, commises par des délinquants de plus de 35 ans. Cusson et Landreville soulignent d’autre part qu’en raison du durcissement des lois pénales, les détenus restent plus longtemps sous mandat fédéral, avec des possibilités de demande de libération anticipée de plus en plus restreintes, ce qui prolonge la durée du séjour en prison. Selon l’enquêteur correctionnel, les nombreuses modifications législatives et les réformes en matière de politiques et de détermination des peines ont eu pour effet non seulement d’augmenter le nombre de per-

Pénologie.indd 154

13-08-15 13:42

L e s f e mme s â g é e s i n c a r c é r é e s a u C a n a d a  155

sonnes incarcérées, mais aussi de limiter l’accès à des formes de liberté surveillée, ce qui fait en sorte que les détenus purgent leur peine en prison, plutôt que sous supervision dans la collectivité. Parmi ces mesures restrictives, il cite notamment la mise en place de peines minimales obligatoires, le resserrement des critères de libération conditionnelle, l’élimination de certaines formes de mise en liberté et l’élargissement du nombre d’infractions entraînant une peine de durée indéterminée. L’allongement de la durée de la détention et l’âge plus avancé auquel certaines personnes délinquantes sont arrêtées seraient donc liés à la mise en place de mesures plus sévères à l’égard de certaines catégories de délinquants et à un durcissement global des politiques pénales se concrétisant par l’allongement des peines et l’accès plus restreint aux diverses formes de libération anticipée. Une telle situation n’est pas sans conséquence pour les services correctionnels ; il s’agit d’un bouleversement majeur qui aura des répercussions certaines sur la qualité de vie des populations détenues, mais qui exigera également une adaptation de la part du système qui les prend en charge. Certains chercheurs annoncent un changement radical de vocation de ces lieux d’enfermement qui, selon les prédictions les plus alarmistes, pourraient, d’ici quelques années, ressembler à des hospices plutôt qu’à des pénitenciers (Tesseron, 2009). Le vieillissement carcéral pousse aussi à s’interroger plus globalement sur le sens que devraient prendre les nouvelles formes d’intervention destinées à ces populations plus âgées. Comment penser la « peine » et la « punition » par rapport à des personnes qui ont souvent plus besoin de soins que de contrôle ? Comment allier la dimension punitive, dissuasive, rétributive et les exigences du soin dans les lieux d’incarcération ? Comment penser la réhabilitation future de ces groupes ? Quelles formes d’intervention privilégier pour aider à la réinsertion de personnes qui n’auront probablement plus accès à un emploi une fois sorties ? Les défis sont nombreux et portent tant sur la nature de la pénalité à appliquer que sur sa pertinence même. Jusqu’à présent, la population des détenus âgés a souvent été présentée sans distinction de genre. Depuis quelques années, un champ de la recherche criminologique commence à émerger et à se pencher plus spécifiquement sur les femmes âgées en détention ainsi que sur celles qui quittent la prison.

Pénologie.indd 155

13-08-15 13:42

156  pé n ol o g i e

Dans ce chapitre, nous nous intéresserons à ces femmes, à leur situation et à leur vécu dans le contexte carcéral canadien, car il semble bien que leur expérience de l’incarcération diffère beaucoup de celle des hommes et des femmes plus jeunes. Nous brosserons un rapide tableau de la situation générale des femmes âgées au Canada. Ensuite, nous décrirons la situation actuelle des détenues âgées en prison au Canada en essayant de déterminer qui sont ces femmes et ce qui caractérise leur expérience de l’incarcération. Finalement, nous nous interrogerons sur les défis que présente cette population en matière d’intervention et d’aide à la réinsertion. La perspective théorique dans laquelle nous nous inscrivons s’inspire largement des écrits féministes considérant que les prisons représentent des lieux d’oppression où les femmes font encore l’objet de ségrégation en raison de leur genre, de leur âge, de leur appartenance ethnique et de leur situation socioéconomique. Nous voulons aussi nous interroger sur la pertinence du maintien et du renforcement des mesures privatives de liberté par rapport à ces populations qui, globalement, ne présentent que peu de danger pour la sécurité du public. L’analyse présentée ici se fonde essentiellement sur l’étude de documents. Pour trouver les textes que nous désirions analyser, nous nous sommes d’abord basée sur notre propre connaissance de ce champ d’étude. Nous avons également consulté différentes productions statistiques relatives aux femmes détenues au Canada, en Angleterre et aux États-Unis. Nous avons en outre abordé les productions relatives à la question du vieillissement des femmes sous un angle sociologique, gérontologique et démographique, ainsi que les travaux plus spécifiquement criminologiques. Nous avons enfin eu recours à plusieurs analyses criminologiques portant plus généralement sur les enjeux théoriques et pratiques liés à la question des femmes aux prises avec le système pénal. Les femmes et le vieillissement, un processus différentiel

Vieillir est un processus auquel personne n’échappe. Pourtant, si cette expérience est commune à tous, elle se vit très différemment suivant les conditions socioéconomiques, le genre, l’état de santé, la présence de proches. L’âge est aussi perçu différemment suivant les cultures. Alors que, pour certaines, l’âge représente une forme de sagesse et de prestige,

Pénologie.indd 156

13-08-15 13:42

L e s f e mme s â g é e s i n c a r c é r é e s a u C a n a d a  157

il est plutôt vu dans nos sociétés comme synonyme de dégradation, de dépendance ou même de fardeau. Pourtant, à la suite du développement et de l’amélioration des politiques de santé, l’espérance de vie des personnes âgées vivant dans le monde occidental s’est considérablement accrue depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Sur le plan économique, la situation générale des personnes âgées a également connu de nettes améliorations avec par exemple la mise sur pied des régimes publics de pensions de vieillesse et de retraite. Considérant les statistiques disponibles sur la situation générale des personnes âgées et plus particulièrement des femmes, vieillir en bonne santé est cependant loin d’être la norme. Du point de vue socioéconomique, les femmes âgées sont dès le départ désavantagées par rapport aux hommes, puisqu’elles sont plus susceptibles de vivre dans la pauvreté, seules et en moins bonne santé (Santé Canada, 1999). Elles ont aussi en majorité un plus faible niveau de pension de retraite, qui s’explique par le fait que beaucoup d’entre elles ont travaillé à temps partiel durant leur carrière ou qu’elles se sont consacrées avant tout aux soins de leur famille. De plus, les femmes âgées qui ont exercé un métier ont essentiellement travaillé dans le secteur des services, où les emplois sont généralement plus précaires et mal rémunérés (Strimelle, 2007). Les problèmes de survie économique touchent en outre un plus grand nombre de femmes seules à la suite du décès de leur conjoint, le veuvage joint à une trajectoire d’emploi irrégulière étant souvent un facteur d’appauvrissement. Les femmes âgées moins scolarisées et à bas revenus sont enfin parmi les groupes les plus susceptibles de connaître des problèmes de santé physique et mentale. Les femmes vieillissantes sont aussi le plus souvent caractérisées par les changements que subit leur corps. Au fur et à mesure qu’elles prennent de l’âge, l’apparence physique des femmes s’éloigne des normes sociales occidentales qui privilégient la jeunesse et qui considèrent le vieillissement comme une forme de déchéance. Cet intérêt marqué pour la jeunesse n’est pas sans conséquence sur la manière dont les femmes âgées sont perçues et se perçoivent elles-mêmes. Nombre d’entre elles se sentent désormais invisibles, asexuées, ignorées (Shantz, 2010).

Pénologie.indd 157

13-08-15 13:42

158  pé n ol o g i e

L’impact des discours sur le « bien vieillir »

Actuellement, les discours d’inspiration néolibérale viennent encore renforcer de tels stéréotypes en présentant le temps de la vieillesse comme une période de la vie où, moyennant des choix individuels raisonnables et une autoresponsabilisation, les personnes peuvent gérer efficacement le processus de vieillissement. En définissant ainsi les conditions du vieillissement idéal, ces discours font de la santé un objectif quasi moral, stigmatisant et marginalisant les personnes qui ne peuvent se conformer à de telles attentes. Faisant reposer la responsabilité du « bien vieillir » sur les épaules des seuls individus, de tels discours ignorent également le poids des structures socioéconomiques par rapport auxquelles certaines personnes n’ont que peu de contrôle, en raison notamment de leur pauvreté et de leur vulnérabilité. Dans ce contexte, les femmes âgées, généralement plus pauvres que les hommes, ont donc beaucoup moins de chances de « bien » vieillir. Ce bref constat sur la situation des femmes âgées au Canada permet déjà de relever que la notion d’âge est très relative et qu’il n’existe donc pas une seule façon de vieillir ni de concevoir la vieillesse. Vieillir est aussi une question de discours et de perceptions. Même si ce processus semble moins difficile à vivre qu’auparavant, plusieurs groupes sociaux ne bénéficient pas de tels avantages en raison de leur genre, de leur situation économique et sociale et de leur trajectoire de vie. C’est le cas de bien des femmes dont nous avons constaté la vulnérabilité face au processus de vieillissement, vulnérabilité encore accentuée par les discours sur l’âge qui leur imposent des modèles auxquels la plupart d’entre elles ne peuvent se conformer. Dans la section suivante, nous verrons que ces formes de rejet et de minorisation affectent encore plus les femmes âgées incarcérées. L’impact de l’institution sur le processus de vieillissement

À quel moment une personne peut-elle être considérée comme âgée ? Étant donné que le fait de vieillir est largement tributaire du milieu et des conditions de vie, il est normal de constater que les définitions et les critères varient beaucoup en la matière. Une personne est généralement qualifiée d’âgée à partir de 65 ans, c’est-à-dire à l’âge qui correspond théoriquement au départ à la retraite

Pénologie.indd 158

13-08-15 13:42

L e s f e mme s â g é e s i n c a r c é r é e s a u C a n a d a  159

selon la définition que partagent les pays membres de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE). De leur côté, les services correctionnels canadiens classent les personnes de 50 ans et plus comme âgées ; plusieurs recherches ont en effet souligné que le processus de vieillissement est plus accéléré chez les populations incarcérées en raison de leur situation socioéconomique, de leur état de santé et de leurs habitudes de vie. D’après ces recherches, le processus de vieillissement naturel peut être accéléré de 10 ans ou plus en prison (RABEC, 2011). Les conditions de vie durant l’incarcération contribueraient aussi largement à cette accélération, comme le soulignent les travaux de Codd et de Aday. D’après ces chercheurs, les problèmes de santé chroniques que connaissent nombre de femmes emprisonnées sont encore accentués par les conditions de vie en prison. Les femmes ont effectivement à subir les répercussions de l’incarcération tant sur le plan mental (isolement, dépression, perte de motivation et d’estime de soi) que sur le plan physique (régime alimentaire de mauvaise qualité, peu d’activités récréatives, mobilité restreinte et accès difficile aux locaux). Les femmes âgées incarcérées : quelques chiffres

Actuellement, les femmes représentent environ 1  contrevenant sur 10 admis en détention au niveau fédéral. Même si elles constituent une petite proportion de l’ensemble de la population incarcérée, leur nombre est en constante augmentation depuis les années 1990. En effet, durant cette période, les femmes incarcérées représentaient 4 % de la population incarcérée au niveau fédéral et 7 % au niveau provincial (Trevathan, 1999). En 2008-2009, les femmes représentaient 6 % des personnes admises en détention en milieu fédéral (sentences de deux ans et plus), 12 % de celles admises en détention après condamnation en milieu provincial ou territorial (sentences de moins de deux ans) et 13 % des personnes admises en détention provisoire (Calverley, 2010). Parmi cette population, il faut noter la proportion importante des femmes autochtones dont le nombre a lui aussi progressivement augmenté au fil des années. Ainsi, en 2004, les femmes autochtones totalisaient 30,4 % des admissions en détention après condamnation (Beattie, 2006), alors que, pour la période 2008-2009, elles représentaient 37 % de cette

Pénologie.indd 159

13-08-15 13:42

160  pé n ol o g i e

même catégorie et 28 % de toutes les femmes admises en détention provisoire (Calverley, 2010). D’après la Société Elizabeth Fry, les types de crimes pour lesquels les femmes sont incarcérées reflètent surtout les réalités sociales, politiques et économiques auxquelles elles font face. Ainsi, les femmes ne commettent pas en général de délits considérés comme violents. Selon Statistique Canada, seulement 16 % d’entre elles sont condamnées pour des délits violents, et 44 % pour des crimes contre les biens et notamment le vol à l’étalage. Enfin, en 2007, les services correctionnels du Canada mentionnaient que, sur tous les crimes pour lesquels les femmes purgeaient une peine fédérale, 18,1 % étaient liés à la drogue (Elizabeth Fry Society, 2009). En 2009, la police a dénombré environ 233 000 auteures présumées et 776 000 auteurs présumés (adultes et jeunes) d’une infraction au Code criminel au Canada. Les infractions dont les femmes et les adolescentes étaient le plus souvent les auteures présumées étaient le vol de moins de 5000 dollars, les voies de fait de niveau 1 ainsi que les infractions contre l’administration de la justice (par exemple le défaut de comparaître devant le tribunal ou le manquement à une ordonnance de probation) (Mahony, 2011). En 2009, parmi les infractions avec violence dont les femmes étaient les auteures présumées, la victime était le plus souvent le conjoint ou un autre partenaire intime (46 %), une connaissance (29 %), un étranger (14 %) et un autre membre de la famille (12 %) (ibid.). Le taux auquel les femmes sont inculpées d’infractions avec violence a augmenté au cours des 30 dernières années. En effet, il a presque triplé entre 1979 et 1997, et il a continué de croître jusqu’en 2001, après quoi il est demeuré plutôt stable (ibid.). La hausse du taux de crimes violents commis par les femmes est surtout attribuable à une augmentation du taux d’inculpation relativement aux voies de fait de niveau 11. Ces données 1. Selon l’article 265 (1) du Code criminel, commet des voies de fait, ou se livre à une attaque ou à une agression, quiconque, selon le cas : d’une manière intentionnelle, emploie la force, directement ou indirectement, contre une autre personne, sans son consentement ; tente ou menace, par un acte ou un geste, d’employer la force contre une autre personne, s’il est en mesure actuelle ou s’il porte cette personne à croire, pour des motifs raisonnables, qu’il est alors en mesure actuelle d’accomplir son dessein ; en portant ostensiblement une arme ou une imitation, aborde ou importune une autre personne ou mendie. Les voies

Pénologie.indd 160

13-08-15 13:42

L e s f e mme s â g é e s i n c a r c é r é e s a u C a n a d a  161

ne signifient donc pas nécessairement une augmentation réelle de la délinquance des femmes. Ce changement serait plutôt à mettre en lien avec les changements opérés au sein des politiques pénales et sentencielles qui se caractérisent par une plus grande sensibilité et une plus grande sévérité à l’égard de certains types de crimes qui étaient autrefois moins pénalisés (Strimelle, 2007). En ce qui concerne la question de l’âge, le vieillissement est aussi marqué chez les femmes ; on constate effectivement une augmentation de l’âge moyen des femmes incarcérées sous mandat fédéral. Les femmes âgées de 50 ans et plus y sont passées de 5 % en 1981 à 10 % en 1998 (Dell et al., 2001). Parallèlement, le nombre de femmes condamnées à perpétuité est également en hausse, ce qui implique un allongement des peines pour plusieurs femmes qui passeront donc probablement leur vieillesse en institution (ibid.). Une plus récente étude menée cette fois auprès de la population carcérale québécoise a souligné en outre l’augmentation de l’âge moyen des femmes incarcérées. Alors qu’en 1992, l’âge moyen des femmes admises sous mandat provincial était de 31,7 ans (Frigon et Strimelle, 2003), il était passé à 37,1 ans pour la période 2007-2008. Durant cette dernière période, les femmes de 45 ans et plus représentaient 26 % du nombre de femmes incarcérées sous mandat provincial au Québec (Giroux et Frigon, 2011). La présence de femmes âgées plus nombreuses en prison pose la question de leur adaptation dans le cadre carcéral. Elle vient aussi transformer la perception, l’image que nourrit le public sur le stéréotype de la détenue, qui est souvent présentée comme une personne jeune et dont les formes de délinquance sont principalement le vol à l’étalage, les délits violents contre la personne et les délits reliés aux drogues. Après avoir brièvement situé la question des femmes âgées sous un angle plus quantitatif, nous aimerions maintenant nous intéresser à leur expérience de l’incarcération et aux questions que leur présence suscite sur les modes d’intervention à leur appliquer en milieu correctionnel et post-correctionnel. de fait de niveau 1 consistent à commettre des voies de fait selon l’une ou l’autre des définitions de l’article 265 (1) du Code criminel. Le niveau 1 regroupe les infractions d’inflictions illégales de lésions corporelles ainsi que les autres voies de fait. (Sécurité publique du Québec, Statistiques sur la criminalité commise dans un contexte conjugal, Définitions des infractions contre la personne.)

Pénologie.indd 161

13-08-15 13:42

162  pé n ol o g i e

Vivre et vieillir en prison : le point de vue des femmes

Jusqu’à présent, aucune recherche qualitative indépendante n’a été menée au Canada sur la situation des femmes âgées en milieu correctionnel fédéral et provincial. C’est que cette population représente encore une minorité parmi les femmes incarcérées, ce qui explique sans doute pourquoi peu de chercheurs ont consacré des études à cette population. Le fait que, dans le système de justice pénale, les femmes et les filles sont surtout des victimes plutôt que des auteures de crimes expliquerait aussi partiellement l’intérêt moindre accordé aux femmes contrevenantes en général. Leur nombre restreint ne permettrait pas non plus de cerner facilement la particularité de leurs expériences carcérales face à celles, largement majoritaires, des hommes. In fact, older female offenders still remain almost invisible in women’s studies research and teaching. The intersection of multiple oppressions based on gender, age, race and ethnicity, and sexuality have served to exclude older female offenders from academic debate, not only in « traditional » areas of scholarship, but also within female studies. (Codd, 1998)

Les recherches menées par Flynn aux États-Unis et par Wahidin en Angleterre permettent néanmoins de caractériser quelque peu l’expérience des femmes âgées en prison et en libération conditionnelle. Flynn a identifié trois types de détenues âgées durant ses recherches : celles qui ont commis un premier délit, celles qui sont considérées comme des délinquantes « de carrière » et, enfin, celles qui subissent une longue peine et qui vieillissent en prison. En ce qui concerne la première catégorie, les femmes incarcérées une première fois le sont majoritairement pour avoir commis des crimes graves, surtout des homicides, commis tard dans leur vie. Les victimes de ces crimes sont en général un conjoint abusif. Pour ce qui est de l’adaptation au milieu carcéral, Flynn considère que ces femmes sont peu préparées au choc de l’incarcération ; en revanche, elles présentent un danger minime pour la sécurité publique et semblent se réinsérer assez facilement dans la société une fois qu’elles bénéficient de mesures de libération conditionnelle. La seconde catégorie est celle des délinquantes dites « de carrière », qui ont subi plusieurs incarcérations et qui peuvent avoir des problèmes de dépendance à l’alcool ou aux drogues, problèmes qui sont souvent à l’origine de leurs démêlés avec la loi. Ce groupe semble s’adapter assez facilement au milieu carcéral ;

Pénologie.indd 162

13-08-15 13:42

L e s f e mme s â g é e s i n c a r c é r é e s a u C a n a d a  163

toutefois, le processus de réinsertion après libération s’avère beaucoup plus difficile pour elles. Enfin, les femmes de la troisième catégorie, celles qui ont subi une longue peine d’emprisonnement après avoir commis un ou plusieurs crimes graves dans leur jeunesse, forment le groupe le plus institutionnalisé, car elles ont passé une grande partie de leur vie en prison, ce qui représente évidemment un écueil lors de leur libération, étant donné que leur mode de vie s’est largement articulé autour du rythme carcéral et qu’elles ne disposent que rarement de réseaux de soutien et d’outils de réinsertion à la sortie. Si les femmes âgées ont connu des expériences différentes avant leur incarcération, Flynn constate cependant que la plupart d’entre elles occupent une même position en prison : elles sont très peu visibles, souvent isolées physiquement et psychologiquement ; elles ne peuvent participer à nombre d’activités offertes par manque de mobilité physique et par le peu d’adaptabilité du milieu à leurs besoins particuliers. Plusieurs femmes souffrent également de problèmes de santé chroniques pour lesquels le milieu carcéral ne peut offrir de soins appropriés. En ce sens, l’institution semble encore plus fragiliser cette population en accentuant son sentiment d’invisibilité, d’isolement et d’inutilité. Flynn souligne que la situation de ces femmes est d’autant plus problématique que la plupart d’entre elles présentent un danger très faible pour la société et que des mesures non carcérales permettraient non seulement de mieux répondre à leurs besoins, mais aussi d’atténuer l’impact négatif des longues périodes d’incarcération. « Most who have studied the special problems and needs of the older female offender have long agreed that more humane sanctioning alternatives could often achieve the same crime-reduction benefits as does lifelong incarceration. » (Flynn, 2002) L’étude de Wahidin sur les femmes âgées de plus de 50 ans dans les prisons anglaises vient renforcer l’interprétation faite précédemment. Pour l’auteure, incarcérer quelqu’un ne signifie pas seulement qu’on lui ôte la liberté. La nature du pouvoir exercé en milieu correctionnel, les logiques et les pratiques institutionnelles peuvent avoir des effets dévastateurs sur la façon dont les détenues se perçoivent et vivent leur expérience en prison. L’isolement, l’absence de reconnaissance de la part des détenues plus jeunes, la perte progressive des capacités physiques et mentales, le manque d’activités motivantes constituent autant de

Pénologie.indd 163

13-08-15 13:42

164  pé n ol o g i e

situations que les détenues âgées ont à subir une fois qu’elles sont incarcérées. L’auteure soutient que cette forme de violence institutionnelle touche plus particulièrement les femmes âgées qui se trouvent souvent reléguées aux marges de la population détenue et incapables de participer aux activités de la vie de tous les jours. Les témoignages de ces femmes font ressortir deux points saillants. Tout d’abord, l’expérience de l’incarcération accentue les côtés négatifs du vieillissement en privilégiant des attitudes stigmatisantes, voire infantilisantes à l’égard des détenues âgées. En second lieu, l’institution contribue souvent à créer une image stéréotypée de la délinquante âgée : celle d’une femme considérée comme improductive physiquement et économiquement, pour laquelle il y a en somme peu de place dans l’institution comme il y en a d’ailleurs aussi très peu dans la société en général. À ce sujet, Wahidin mentionne également que les attentes implicites du milieu institutionnel obligent souvent les femmes âgées à se conformer à un modèle comportemental auquel elles ne souscrivent pas nécessairement. Certaines interviewées ont souligné à cet effet qu’elles devaient malgré elles jouer le rôle de la nounou, de la conseillère, de la « bonne grand-mère » auprès des plus jeunes ; une attitude que d’aucunes considèrent comme réductrice et infantilisante, d’autant plus que certaines détenues âgées disposent encore d’un certain potentiel de réinsertion et que plusieurs d’entre elles ont pu accumuler des expériences positives sur les plans professionnel, familial et personnel avant leur incarcération. Les recherches que nous venons de décrire portent aussi sur les changements à apporter au système correctionnel afin de tenir compte des besoins de cette population en croissance. Outre le recours privilégié à des mesures alternatives non privatives de liberté, les auteures soulignent l’urgence de repenser les politiques et les pratiques d’intervention auprès des femmes âgées incarcérées en établissant des programmes de soins spécifiques et en s’assurant d’aménager les lieux d’incarcération de manière à faciliter leur accessibilité pour celles qui sont en perte d’autonomie. Il serait également important de former le personnel correctionnel de façon à tenir compte de la spécificité de cette nouvelle « clientèle ». Au Canada, le récent rapport du Bureau de l’enquêteur correctionnel a lui aussi mis en évidence plusieurs préoccupations à propos de la population âgée incarcérée dans les pénitenciers fédéraux.

Pénologie.indd 164

13-08-15 13:42

L e s f e mme s â g é e s i n c a r c é r é e s a u C a n a d a  165

Une première préoccupation concerne l’accès aux programmes correctionnels dont le modèle devrait être révisé afin de vérifier si les programmes en question sont pertinents, accessibles et utiles pour les délinquants plus âgés qui ont souvent besoin de mesures spéciales pour y participer. En ce qui concerne les programmes, l’enquêteur correctionnel déplore aussi le fait que ce sont les détenus plus jeunes qui ont souvent la préséance par rapport aux plus âgés en matière d’accès, ce qui empêche ces derniers de participer aux programmes de relation d’aide, d’éducation ou de formation professionnelle. La structure des programmes devrait en outre être révisée de manière à ne plus être uniquement concentrée sur l’employabilité et les compétences utiles sur le marché du travail. Une seconde préoccupation porte sur les conditions de détention. Les pénitenciers canadiens ayant été conçus pour une population majoritairement jeune, l’enquêteur correctionnel suggère que les lieux d’incarcération soient rénovés et réaménagés de façon à répondre aux besoins spéciaux des détenus âgés et que tout nouvel établissement tienne compte de ces besoins lors de sa construction. Constatant que les détenus âgés, en tant que groupe, « sont considérés au bas de l’ordre social en prison » (RABEC, 2011, p.  22), l’enquêteur correctionnel remarque que certains d’entre eux peuvent être soumis à des tentatives d’intimidation par les plus jeunes. En ce sens, le placement des détenus âgés dans des unités spéciales pourrait garantir une plus grande sécurité, mais pourrait également favoriser l’isolement et la marginalisation de ce groupe. En matière de libération conditionnelle, l’enquêteur correctionnel souligne qu’un certain nombre de délinquants âgés en phase terminale meurent en prison, alors qu’ils auraient pu avoir accès à la libération conditionnelle à titre exceptionnel ou à la prérogative royale de clémence2. 2. Suivant l’article 121de la Loi sur les services correctionnels et la mise en liberté conditionnelle, la libération conditionnelle à titre exceptionnel peut être octroyée à un délinquant dans les cas suivants : il est malade en phase terminale ; sa santé physique ou mentale risque d’être gravement compromise si la détention se poursuit ; l’incarcération constitue pour lui une contrainte excessive difficilement prévisible au moment de sa condamnation ; il fait l’objet d’un arrêté d’extradition pris aux termes de la Loi sur l’extradition et est incarcéré jusqu’à son extradition. La prérogative royale de clémence (PRC) est une prérogative exercée par le gouverneur général ou le gouverneur en conseil (c’est-à-dire le Cabinet). Il s’agit d’un genre de recours en grâce accordé dans des circonstances exceptionnelles aux personnes qui le méritent ayant commis une infraction à une loi fédérale.

Pénologie.indd 165

13-08-15 13:42

166  pé n ol o g i e

Le Bureau de l’enquêteur correctionnel impute cette situation à de nombreux problèmes systémiques au sein du service correctionnel, entre autres le retard dans la préparation des examens en vue d’une libération anticipée, alors que les demandes concernent souvent des cas qui semblent répondre aux critères de la loi. Un autre obstacle serait le taux d’octroi de la libération anticipée dont la tendance est généralement à la baisse. Enfin, ces libérations pour des raisons compassionnelles se heurtent aux objectifs et aux priorités en matière de justice pénale comme l’exemplarité de la peine, la dissuasion et la neutralisation. Dans cette perspective, « leur condition ne constitue pas en soi une raison suffisante de leur accorder un pardon conditionnel ou une libération conditionnelle pour des raisons de compassion » (ibid., p. 25). Finalement, le Bureau de l’enquêteur correctionnel souligne la nécessité pour le service correctionnel de mettre au point une stratégie nationale concernant les délinquants âgés. En 2000, le service correctionnel avait créé une Division des délinquant(e)s âgé(e)s et désigné un groupe de travail chargé de présenter plusieurs recommandations en vue d’améliorer la situation de cette population. Dans la foulée, un programme expérimental appelé « programme RELIEF » avait été élaboré en vue de favoriser la réinsertion sociale des hommes âgés ou avec une déficience qui purgeaient une peine de longue durée. Le programme avait été mis en pratique dans le centre correctionnel communautaire Sumas en ColombieBritannique où on offrait des soins adaptés dans une aile résidentielle autonome par un personnel spécialement formé pour prendre soin de ces groupes de détenus (Stewart, 2000). Malheureusement, de telles initiatives ont été abandonnées et les recommandations faites par le groupe de travail n’ont pas été appliquées jusqu’à présent. Même si le rapport du Bureau de l’enquêteur vient à point nommé, on peut néanmoins regretter encore une fois que ces requêtes concernent les besoins des délinquants âgés en général, sans prendre en compte les besoins spécifiques des femmes. On le voit, tout reste encore à faire pour mieux connaître cette population encore largement invisible, mais ô combien présente au sein du monde carcéral. Le gouverneur général ou le gouverneur en conseil s’appuie sur la recommandation du ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile ou d’au moins un autre ministre pour accorder la clémence. (Commission des libérations conditionnelles du Canada, 2011b).

Pénologie.indd 166

13-08-15 13:42

L e s f e mme s â g é e s i n c a r c é r é e s a u C a n a d a  167

La population carcérale du Canada est, pour une bonne part, invisible et inconnue. Les femmes incarcérées ont tout particulièrement tendance à être occultées dans notre société, en raison de leur nombre relativement peu élevé et du fait que leurs crimes font rarement les manchettes. Certains observateurs ont aussi fait remarquer que les directeurs d’établissements sont souvent « aveugles » à certains besoins cruciaux des femmes purgeant une peine de ressort fédéral, et que le système correctionnel fédéral, conçu surtout pour accueillir des hommes, continue de ne pas répondre aux besoins et aux intérêts des femmes.  (Commission canadienne des droits de la personne, 2003).

*** Reprenant les analyses faites par Pires et Faugeron et ses collaborateurs sur les justifications des sanctions pénales, Combessie constatait que les logiques de justification de l’emprisonnement trouvaient souvent leur seule légitimation dans le modèle de différenciation sociale visant à enfermer l’individu pour l’aider à se réadapter. Cette volonté de resocialiser les individus s’adresse en grande partie à ceux qui sont encore en mesure d’exercer un travail à leur sortie de détention. Si cette volonté de resocialiser peut se justifier pour des détenus plus jeunes – avec un succès tout relatif –, comment y recourir pour les détenus plus âgés pour qui trouver un travail à la sortie est quasiment impossible ? Si l’on considère maintenant l’orientation plus punitive prise par les politiques pénales visant à incarcérer un plus grand nombre de personnes délinquantes, en invoquant le souci de protéger la société et de prévenir les risques de récidive, la question de la pertinence de l’incarcération des détenus plus âgés, et particulièrement des femmes, se pose. Les femmes âgées ne sont généralement pas évaluées comme dangereuses et elles ont un moins fort potentiel de récidive que les hommes. Âgés ou non, comme le mentionnait l’enquêteur correctionnel, la logique pénale exige que les délinquants subissent leur peine, la question étant de savoir si l’incarcération représente une solution appropriée pour eux. La présence de plus en plus grande de détenus âgés dans les pénitenciers et les prisons provinciales pousse ainsi à s’interroger sur la pertinence des formes d’intervention pratiquées à leur égard, surtout en ce qui concerne le recours à des mesures privatives de liberté. En effet, si l’incarcération peut se justifier dans le cas de personnes présentant un danger avéré pour la société, comment motiver son

Pénologie.indd 167

13-08-15 13:42

168  pé n ol o g i e

recours quand il s’agit de personnes qui présentent en général un faible risque de récidive et qui sont souvent affectées par de grandes fragilités physiques et mentales ? Dans une perspective plus pénologique, comment arriver à maintenir le caractère réprobateur de la peine, sans ajouter à celle-ci une dose de souffrance qui est souvent présentée comme « méritée », mais qui, dans les faits, peut se révéler inhumaine et totalement improductive ? Afin de mieux tenir compte de ces préoccupations, il semble urgent de prêter une plus grande attention aux conditions de détention des femmes plus âgées au Canada, à la singularité de leurs expériences, ainsi qu’aux attentes sociales qu’elles doivent affronter. Il s’avère indispensable de mener des recherches approfondies sur la situation et les besoins de cette population restreinte, mais croissante. Il est tout aussi urgent de mener un examen critique des rationalités pénales justifiant les mesures adoptées envers cette population et, ce faisant, d’envisager d’autres approches non exclusivement pénalisantes et privatives de liberté pour permettre à ce groupe déjà largement stigmatisé de « vivre le bout de sa peine » dans la dignité et avec les soins adéquats.

Pénologie.indd 168

13-08-15 13:42

Bibliographie

ADA Y, R., Aging Prisoners : Crisis in American Corrections, Praeger, Westport, 2003. ALLEN, F., The Decline of the Rehabilitative Ideal : Penal Policy and Social Purpose, Yale University Press, New Haven, 1981. AMERICAN PSYCHIATRIC ASSOCIATION, Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders : DSM-IV. American Psychiatric Association, Washington, 1995. AMERICAN PSYCHIATRIC ASSOCIATION, Psychiatric Services in Jails and Prisons : A Task Force Report of the American Psychiatric Association, American Psychiatric Association, Washington, 2000. ANDREWS, D. A. et J. BONTA , The Psychology of Criminal Conduct, Anderson Publishing, Cincinnati, 1998. ARCHAMBAULT , J., Rapport de la Commission royale d’enquête sur le système pénal du Canada, Imprimeur de la Reine, Ottawa, 1938. ARNOT , H., « Recalls : Contested Facts and Risk Assessment », dans N. PADFIELD (dir.), Who to Release, Willan Publishing, UK, 2007, p. 1-16. ASSOCIATION CANADIENNE DE JUSTICE PÉNALE, Énoncés de principes, Le pardon, 2011. ASSOCIATION CANADIENNE DE JUSTICE PENALE, Mémoire au Comité permanent de la justice et des droits de la personne (Sécurité publique et protection civile), Chambre des Communes, 39e législature, 1re session au sujet des modifications au Code criminel du Canada (emprisonnement avec sursis), 2006. En ligne. http://www. ccja-acjp.ca. ASSOCIATION DU BARREAU CANADIEN, Mémoire sur le projet de loi C-10, Loi sur la sécurité des rues et des communautés, 2011. En ligne. http://www.cba.org. BA STARACHE, M., Présentation du rapport de la commission, Allocution du commissaire, Gouvernement du Québec, Commission d’enquête sur le processus de nomination des juges de la Cour du Québec, des cours municipales et des membres du Tribunal administratif du Québec, Québec, 2011. En ligne. www.cepnj.gouv. qc.ca. BEATTIE, K., « Les services correctionnels pour adultes au Canada, 2004-2005 », Juristat, vol. 26, no 5, 2006. En ligne. http://www.publications.gc.ca/. BECCARIA , C., Des délits et des peines, Droz, Genève, 1965.

Pénologie.indd 169

13-08-15 13:42

170  pé n ol o g i e

BECCARIA , C., Des délits et des peines. Dei delitti e delle pene, ENS Éditions, Lyon, (1764/2009). BEC K, A. J. et MARUSCHA K, L. M., Mental Health Treatment in State Prisons, Justice Statistics, special report, Department of Justice, Washington, 2001. BENTHAM, J., An Introduction to the Principles of Morals and Legislation, Methuen, Londres, 1982. BÉRARD, F., Projet de loi C-23, Loi modifiant la Loi sur le casier judiciaire et d’autres lois en conséquence, Mémoire soumis au Comité permanent de la Sécurité publique et nationale, Chambre des communes du Canada par l’Association des services de réhabilitation sociale du Québec et appuyé par le Regroupement des intervenants en matière d’agressions sexuelles, 2010. En ligne. http://www.asrsq.ca. BERNHEIM, J.-C., Impact du casier judiciaire. Un fardeau à supporter collectivement, Association des services de réhabilitation sociale du Québec et Comité consultatif clientèle judiciarisée adulte, 2010. En ligne. http://www.asrsq.ca. BEYENS, K., Straffen als sociale praktijk. Een penologisch onderzoeknaar straftoemeting, VUB Press, Bruxelles, 2000. BLAAUW, E., R. ROE SCH et A. KER KHOF , « Mental Disorders in European Prison Systems. Arrangements for Mentally Disordered Prisoners in the Prison Systems of 13 European countries », International Journal of Law and Psychiatry, vol. 23, no 5-6, 2000, p. 649-663. BLANCHETTE, K. et L. MOTIUK, Les problèmes graves de santé mentale chez les délinquantes : enquête comparative, Service correctionnel du Canada, Ottawa, 1996. BONTA , J., « Risk-Needs Assessment and Treatment », dans A. T. HARLAND (dir.), Choosing Correctional Options That Work, Sage, Thousand Oaks, 1996, p. 18-32. BONTA , J., A. HARRIS et al., Projet de recherche concernant les dossiers de la Couronne. Étude sur les délinquants dangereux/The Crown Files Research Project : A Study of Dangerous Offenders, Solliciteur général du Canada, Ottawa, 1996-01. BROD BEC K, T., « Perverse Sentencing for Burning Child », The Edmonton Sun, 19 juin 2009, p. 15. BUZZETTI, H., « Projet de loi C-10, Peines avec sursis : une facture de 137 millions pour les provinces », Le Devoir, 29 février 2012. CALVERLEY, D., « Les services correctionnels pour adultes au Canada 2008-2009 », Juristat, vol. 30, no 3, 2010. CARRIER , N., « Sociologies anglo-saxonnes du virage punitif : Timidité critique, perspectives totalisantes et réductrices », Champ pénal/Penal field, vol. 7, 2010. En ligne. http://www.champpenal.revues.org. CA SAVANT , L. et T. DUPUIS, Projet de loi C-43 : Loi sur le renforcement du système correctionnel fédéral, Service d’information et de recherche parlementaires, Bibliothèque du Parlement, 2009. En ligne. http://www.parl.gc.ca. CA SAVANT , L. et T. DUPUIS, Résumé législatif du projet de loi C-39 : Loi modifiant la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition et d’autres lois en conséquence, 2007. En ligne. http://www.parl.gc.ca. CODD , H., « Older Women, Criminal Justice, and Women’s Studies », Women’s Studies International Forum, vol. 21, no 2, 1998, p. 183-192.

Pénologie.indd 170

13-08-15 13:42

bi bl i o g r a ph i e  17 1

COMBESSIE, P., Sociologie de la prison, La Découverte, Paris, 2001. COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES JURIDIQUES ET CONSTITUTIONNELLES, Observations au onzième rapport du comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles (Projet de loi C-9), 2007. En ligne. http://www.parl. gc.ca. COMMISSION CANADIENNE DE S DROIT S DE LA PER SONNE , Protégeons leurs droits : examen systémique des droits de la personne dans les services correctionnels destinés aux femmes purgeant une peine de ressort fédéral, Mémoire présenté au parlement, Ottawa, 2003. En ligne. http://www.chrcccdp.ca/. COMMISSION CANADIENNE SUR LA DÉTERMINATION DE LA PEINE, Réformer la sentence : une approche canadienne, Ministère des Approvisionnements et Services Canada, Ottawa, 1987. COMMISSION DE RÉFORME DU DROIT DU CANADA , Désordre mental dans le processus pénal, 1976. COMMISSION DE RÉFORME DU DROIT DU CANADA , Études sur l’emprisonnement, Approvisionnements et services, Ottawa, 1976. COMMISSION DE RÉFORME DU DROIT DU CANADA , Notre droit pénal, Information Canada, Ottawa, 1976a. COMMISSION DE RÉFORME DU DROIT DU CANADA , Principes directeurs : sentences et mesures non sentencielles dans le processus pénal, Information Canada, Ottawa, 1976b. COMMISSION DES LIBÉRATIONS CONDITIONNELLES DU CANADA , Rapport de surveillance du rendement 2009-2010, Division de la mesure du rendement, 2011a. COMMISSION DES LIBÉRATIONS CONDITIONNELLES DU CANADA , Manuel des politiques de la Commission des libérations conditionnelles du Canada, vol. 1, no 1, 2011b. En ligne. http://www.pbc-clcc.gc.ca/. COMMISSION DES LIBÉRATIONS CONDITIONNELLES DU CANADA , Fiche d’information – Suspension du casier, 2012. COOKE, D. J., et C. MICHIE, « Limitations of Diagnostic Precision and Predictive Utility in the Individual Case : A Challenge for Forensic Practice », Law and Human Behaviour, vol. 34, no 4, 2009, p. 259-274. COOLEY, D., « Criminal Victimization in Male Federal Prison », Revue canadienne de criminologie, vol. 35, no 4, 1993, p. 325−362. CÔTÉ, G. et S. HODGINS, « Les troubles mentaux et le comportement criminel », dans M. LE BLANC , M. OUIMET et D. SZA BO (dir.), Traité de criminologie empirique, Presses de l’Université de Montréal, 2003, p. 503-548. COUNCIL OF STATE GOVERNMENT S JUSTICE CENTER , Criminal Justice / Mental Health Consensus Project, Council of State Governments, New York, 2002. CROC KER , A. G. et al., « Rate and Characteristics of Men with an Intellectual Disability in Pre-Trial Detention », Journal of Intellectual & Developmental Disability, vol. 32, no 2, 2007, p. 143-152. CROCKER , A. G., K. HARTFORD et L. HESLOP, « Gender Differences in Police Encounters Among Persons with and without Serious Mental Illness », Psychiatric Services, vol. 60, no 1, 2009, p. 86-93.

Pénologie.indd 171

13-08-15 13:42

172  pé n ol o g i e

CULLEN, F. et K. E. GIL BERT , Reaffirming Rehabilitation, Anderson Publishing, Cincinnati, 1982. CUSSON , J.-F., Réinsertion sociale des délinquants âgés : Défis à relever. Mémoire de maîtrise en criminologie, Université de Montréal, 2004. DADOUR , F., De la détermination de la peine : Principes et applications, LexisNexis, Markham, 2007. DALLAO, M., « Keeping Classification Current », Corrections Today, juillet 1997, p. 86-88. DALTON, V., « Prison Homicide in Australia : 1980 to 1998 », Australian Institute of Criminology, Trends & Issues in Crime and Criminal Justice, vol. 103, 1999. DAUBNEY, D., Des responsabilités à assumer. Rapport du Comité permanent de la justice et du solliciteur général sur la détermination de la peine, la mise en liberté sous condition et d’autres aspects du système correctionnel, Approvisionnements et services, Ottawa, 1988. DAUVERGNE , M., « Statistiques sur les services correctionnels pour les adultes au Canada, 2010-2011 », Juristat, no 85-002-X Statistique Canada, Ottawa, 2012. p. 1-28. DAUVERGNE, M., « Statistiques sur les tribunaux de juridiction criminelle pour adultes au Canada, 2010-2011 », Juristat, no 85-002-X Statistique Canada, Ottawa, 2012. En ligne. http://www.statcan.gc.ca. DAWES, R. M., D. FAU ST et P. E. MEEHL , Clinical versus Actuarial Judgment, Carnegie Mellon University, Pittsburgh, 1989, p. 1668-1674. DE RIEMAEC KER , X. et al., Statut et déontologie du magistrat, La Charte, Bruxelles, 2000 . DELL , C., R. SINCLAIR et R. BOE , Caractéristiques des femmes d’âge adulte purgeant une peine fédérale au Canada. Tendances de 1981 à 1998, Direction de la recherche, Service correctionnel du Canada, Ottawa, 2001. DOOB, A. et C. CESARONI, « The Political Attractiveness of Mandatory Minimum Sentences », Osgoode Hall Law Journal, vol. 39, no 2-3, 2001, p. 287-304. DOOB, A. N. et C. M. WEBSTER , « Countering Punitiveness : Understanding Stability in Canada’s Imprisonment Rate », Law & Society Review, vol. 40, no 2, 2006, p. 325-367. DUBÉ, R. et J.-F. CAUCHIE, « Enjeux autour de l’évolution du droit criminel moderne. Quand les variations de la périphérie défient l’autorité redondante du centre », Déviance et Société, vol. 31, no 4, 2007, p. 465-485. DUBÉ, R., « Éléments de théorie sur les commissions de réforme du droit et l’innovation cognitive en matière de justice pénale : contributions conceptuelles de Michel Foucault et de Niklas Luhmann », Champ pénal/Penal field, Séminaire Innovations Pénales, 2007. DUFOUR , I., R. BRA SSARD et J.-P. GUA Y, « Sursis, récidive et réinsertion sociale », Canadian Journal of Criminology and Criminal Justice, vol 51, juin 2009, p. 303-327. DUMONT , H., « Contrer la contre-réforme en matière punitive : comment s’y prendre et comment repenser la réforme de la pénologie canadienne », dans Institut canadien d’administration de la justice, Détermination et l’exécution des peines : La pénologie mise en pratique, Éditions Thémis, Montréal, 2011.

Pénologie.indd 172

13-08-15 13:42

bi bl i o g r a ph i e  173

DUMONT , H., « L’état du droit canadien sur le pouvoir d’accorder la grâce », Cahiers de défense sociale, 2006, p. 147-169. En ligne. http://www.defensesociale.org. DUMONT , H., « Le casier judiciaire : criminel un jour, criminel toujours ?  », dans A. POUPART (dir.), Les journées Maximilien-Caron : Le respect de la vie privée dans l’entreprise, Éditions Thémis, Montréal, 1995, p. 107. DUMONT , H., « Le pardon, une valeur de justice et d’espoir, un plaidoyer pour la tolérance et contre l’oubli », Revue canadienne de criminologie / Canadian Journal of Criminology, vol. 42, no 3, 2000, p. 299-322. DUMONT , H., Pénologie : le droit canadien relatif aux peines et sentences, Presses de l’Université de Montréal, 1993. DUMONT , H., « De la loi C-41 à la loi C-55 : la détermination de la peine avec une main de fer dans un gant de velours », dans P. HEAL Y et H. DUMONT , La détermination de la peine : une réforme pour hier ou pour demain / Dawn or Dusk in Sentencing, Éditions Thémis, Montréal, 1997, p. 85-108. DUR KHE iM, É., De la division du travail social, PUF, Paris, 1998. EDGAR , K., I. O’DONNELL et C. MARTIN, Prison Violence, Willan Publishing, Cullompton, 2003. ELIZA BETH FR Y SOCIET Y OF TORONTO, Les femmes en conflit avec la loi : quelques faits, 2009. En ligne. http://www.efrytoronto.org/. ENQUÊTEUR CORRECTIONNEL , Rapport annuel du Bureau de l’enquêteur correctionnel 2006-2007. En ligne. http://www.oci-bec.gc.ca/ ENQUÊTEUR CORRECTIONNEL , Rapport annuel du Bureau de l’enquêteur correctionnel du Canada 2010-2011, Imprimeur de la Reine, Ottawa, 2011. FAUGERON, C., A. CHAUVENET et P. COMBESSIE, Approches de la prison, De Boeck Université, Paris, 1996. FAUTEUX, G., Rapport d’un comité institué pour faire enquête sur les principes et les méthodes suivis au Service des pardons du Ministère de la Justice du Canada, Imprimeur de la Reine, Ottawa, 1956. FA ZEL , S. et J. DANESH, « Serious Mental Disorder in 23 000 Prisoners : a Systematic Review of 62 Surveys », The Lancet, vol. 359, no 9306, 2002, p. 545-550. FA ZEL , S. et al., « Unmet Treatment Needs of Older Prisoners : A Primary Care Survey », Age and Ageing, vol. 33, no 4, 2004, p. 396-398. FEDERAL PROVINCIAL TERRITORIAL WOR KING GROUP ON SENTENCING , Report, Federal/Provincial Territorial Ministers Responsible for Justice, Nova Scotia, 2001. FEELEY, M. et J. SIMON, « Actuarial Justice : the Emerging New Criminal Law », dans D. NEL KEN (dir.), The Futures of Criminology, Sage, London, 1994, p. 173-201. FEELEY, M. et J. SIMON, « The New Penology : Notes on the Emerging Strategy of Corrections and its Implications », Criminology, vol. 30, no 4, 1992, p. 449-474. FLANAGAN , T. J., Long-Term Imprisonment. Policy, Science and Correctionnal Practice, Sage Publications, Thousand Oaks, 1995.  FL YNN, E., « Life at the Margins : Older Women Living in Poverty », dans J. FIGUEIRAMc DONOUGH et R. SARRI (dir.), Women at the Margins : Neglect, Punishment, and Resistance, The Haworth Press, New York, 2000, p. 203-227.

Pénologie.indd 173

13-08-15 13:42

174  pé n ol o g i e

FORD, J. et al., Mental Health Screens for Corrections, National Institute of Justice, Washington, 2007. FRIGON, S. et V. STRIMELLE , Insertion et maintien en emploi des femmes judiciarisées au Québec, Emploi Québec, Montréal, 2003. GA BOR , T. et N. CRUTCHER , Les effets des peines minimales obligatoires sur la criminalité, la disparité des peines et les dépenses du système judiciaire, Ministère de la Justice, Gouvernement du Canada, Ottawa, 2002. GAGNÉ, N., Le sursis d’emprisonnement : une alternative à l’incarcération qui augmente le contrôle social ? École de criminologie, Université de Montréal, 1999. GARFINKEL , H., « Research Note on Inter- and Intra-Racial Homicides », Social Forces, vol. 27, 1949, p. 379-384. GARLAND, D., « Les contradictions de la “société punitive” : le cas britannique », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 124, 1998, p. 49-67. GARLAND, D., The Culture of Control, Crime and Social Order in Contemporary Society, University of Chicago Press, 2001. GEL STHORPE, L. et N. LOUC KS, « Magistrates’ explanations of sentencing decisions », dans C. HEDDERMAN et L. GEL STHORPE (dir.), Understanding the sentencing of women, Home Office Research Study 170, Home Office, London, 1997, p. 22-53. GENDARMERIE RO YALE DU CANADA , Services canadiens d’identification criminelle en temps réel, 2009. En ligne. http://www.rcmp-grc.gc.ca/. GENDARMERIE RO YALE DU CANADA , Vérifications des antécédents en vue d’un travail auprès de personnes vulnérables, 2011. En ligne. http://www.rcmp-grc.gc.ca/. GIROUX, L. et S. FRIGON, Les femmes confiées aux services correctionnels, Direction de la recherche des services correctionnels, Québec, 2011. GOLDENBERG, C. H., La libération conditionnelle au Canada, Information Canada, Ottawa, 1974. GOUVERNEMENT DU CANADA , Vers une réforme : un cadre pour la détermination de la peine, les affaires correctionnelles et la mise en liberté sous condition, Imprimeur de la Reine, Ottawa, 1990. GOUVERNEMENT DU CANADA , Débats de la Chambre des communes, 1948. GOUVERNEMENT DU CANADA , Débats de la Chambre des communes, 2008. En ligne. http://parl.gc.ca/. GOUVERNEMENT DU CANADA , Témoignages, Sénat, Comité permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, 3e session, 40 e législature, 22 juin 2010. GREENLAND, C., « Dangerous Sexual Offender Legislation in Canada, 1948-1977 : An Experimentation that Failed », Revue canadienne de criminologie, vol. 26, no 1, 1984, p. 1-12. GREENLAND, C., « Les délinquants sexuels dangereux au Canada », dans COMMISSION DE RÉFORME DU DROIT DU CANADA , Études sur l’emprisonnement, Appro­ visionnements et services, Ottawa, 1976, p. 264-297. GREEN SPAN, E., « Unconditionally a Bad Idea », The Kingston Whig-Standard, 23 juin 2009, p. 5.

Pénologie.indd 174

13-08-15 13:42

bi bl i o g r a ph i e  175

GROVE, W. M. et al., « Clinical Versus Mechanical Prediction : A Meta-Analysis », Psychological Assessment, vol. 12, no 1, 2000, p. 19-30. GROVE, W. M. et P. E. MEEHL , « Comparative Efficiency of Informal (Subjective, Impressionnistic) and Formal (Mechanical, Algorithmic) Prediction Procedures : The Clinical-Statistical Controversy », Psychology, Public Policy, and Law, vol. 2, no 2, 1996, p. 293-323. GRUPP, S., Theories of Punishment, Inidiana University Press, Bloomington, 1971. GUARNIERI, C. et P. PEDER ZOLI, La puissance de juger. Pouvoir judiciaire et démocratie, Michalon, Paris, 1996. HANNAH-MOFFAT K. et M. Sh aw, « Situation risquée : le risque et les services correctionnels au Canada », Criminologie, vol. 34, n° 1, 2001, p. 47-72. HANNAH-MOFFAT , K. et C. YULE , « Gaining Insight, Changing Attitudes and Managing “Risk” : Parole Release Decisions for Women Convicted of Violent Crimes », Punishment & Society, vol. 13, no 2, 2011, p. 149-175. HARCOURT , B., « Surveiller et punir à l’âge actuariel, Généalogie et critique (Partie II) », Déviance et Société, vol. 35, 2011, p. 163-194. HART Y, M. A. et al., « Inverse Care for Mentally Ill Prisoners : Unmet Needs in Forensic Mental Health Services », The Journal of Forensic Psychiatry and Psychology, vol. 14, no 3, 2003, p. 600-614. HODGINS, S. et G. CÔTÉ, « The Prevalence of Mental Disorders Among Penitentiary Inmates », Canadian Mental Health, vol. 38, 1990, p. 1-5. HOGARTH, J., Sentencing as a Human Process, University of Toronto Press, Toronto, 1971. HOOD , R., Race and Sentencing, Clarendon Press, Oxford, 1992. HUMAN RIGHT S WATCH, Ill-Equipped : U.S. Prisons and Offenders with Mental Illness, New York, 2003. HUMAN RIGHT S WATCH, No Escape. Male Rape in US Prison, New York, 2001. INSTITUT DE RECHERCHE ET D’INFORMATIONS SOCIOÉCONOMIQUES, Coûts et efficacité des politiques correctionnelles fédérales, Note socioéconomique, IRIS, Montréal, 2011. JAMES, D. J. et L. E. GLA ZE, Mental Health Problems of Prison and Jail Inmates, Bureau of Justice Statistics, Washington, 2006. JODOUIN, A. et M.-È. SYLVE STRE, « Changer les lois, les idées, les pratiques : réflexions sur l’échec de la réforme de la détermination de la peine », Les Cahiers de droit, vol. 50, no 3-4, 2009, p. 519-584. JOHN HOWARD SOCIET Y OF AL BERTA , Conditional Sentences, 2012. En ligne. http:// www.johnhoward.ab.ca. KANT , E., Métaphysique des mœurs, Volume 1 : Doctrine du droit, J. Vrin, Paris, 1968. KIR BY, M. J. L. et W. J. KEON , De l’ombre à la lumière – la transformation des services concernant la santé mentale, la maladie mentale et la toxicomanie au Canada, 2006. En ligne. http://www.parl.gc.ca/. KJEL SBERG , E. et P. HARTVIG, « Too Much or Too Little ? Prescription Drug Use in a Nationwide Prison », International Journal of Prisoner Health, vol. 1, 2005, p. 75-87.

Pénologie.indd 175

13-08-15 13:42

176  pé n ol o g i e

KOMTER , M. L., « Moraal en dwang in de rechtszaal », Tijdschrift voor Criminologie, vol. 36, no 3, 1994, p. 199-217. KULIK, I., Points de vue sur les questions reliées à la justice pénale : une compilation d’énoncés de principe, Association canadienne de justice pénale, Ottawa, 2011. LA BERGE, D. et al., Maladie mentale et délinquance : deux figures de la déviance devant la justice pénale, Presses de l’Université de Montréal, 1995. LA BERGE, D., D. MORIN et P. LANDREVILLE , « Pratiques de déjudiciarisation de la maladie mentale : le modèle de l’Urgence psychosociale-justice », Criminologie, vol. 33, no 2, 2000, p. 81-107. LACERTE, P., L’emprisonnement avec sursis en matière d’agression sexuelle, École de criminologie, Université de Montréal, 2001. LACHAMBRE, S., La théorie de la dénonciation : émergence et institutionnalisation en droit criminel (Thèse de doctorat inédite), Université d’Ottawa, 2011. LAFORTUNE, D. et M. VACHERET , « La prescription de médicaments psychotropes aux personnes incarcérées dans les prisons provinciales du Québec », Santé mentale au Québec, vol. 34, no 2, 2009, p. 147-169. LAMEYRE, X., « Le temps de la peine. Entre sujétion temporelle et subjectivation existentielle », dans S. GA BORIAU et H. PAULIAT (dir.), Le temps, la justice et le droit, Presses Universitaires de Limoges, Limoges, 2004, p. 163-184. LANDREVILLE , P., « Le vieillissement de la population pénitentiaire du Québec : réflexions à propos des théories et des paradigmes en criminologie », Sociologie et Sociétés, vol. 33, no 1, 2001, p. 53-66. LANDREVILLE , P., « Le casier judiciaire : un frein à la réinsertion sociale », Porte ouverte de l’Association des services de réhabilitation sociale du Québec (ASRSQ), vol. 16, no 2, Montréal, 2004. LANDREVILLE , P., « Grandeurs et misères de la politique pénale au Canada : du réformisme au populisme », Criminologie, vol. 40, no 2, 2007, p. 19-51. LANDREVILLE, P., S. LEHALLE et M. CHAREST , L’emprisonnement avec sursis au Québec : impact de l’arrêt Proulx et du nouveau cadre de gestion, CICC, Montréal, 2004. LAPRAIRIE, C., Les ordonnances de sursis à l’emprisonnement par province et territoire - Rapport définitif (6 septembre 1996 - 30 septembre 1999), Ministère de la Justice, Ottawa, 1999. LATIMER , J. et A. LAWRENCE, Les systèmes de commissions d’examen au Canada : survol des résultats de l’étude de la collecte de données sur les accusés atteints de troubles mentaux, Ministère de la Justice du Canada, Ottawa, 2006. LEGGATT , S. M., The Report of the Inquiry into Habitual Criminals in Canada, ministre de la Justice et Solliciteur général du Canada, Ottawa, 1984. LOVELL , D. et al., « Evaluating the Effectiveness of Residential Treatment for Prisoners with Mental Illness », Criminal Justice and Behavior, vol. 28, no 1, 2001, p. 83-104. MADD Ca na da , Plus de 33 000 pétitionnaires demandent l’élimination des condamnations à l’emprisonnement avec sursis, Communiqué du 16 novembre 2004. En ligne. www.madd.ca.

Pénologie.indd 176

13-08-15 13:42

bi bl i o g r a ph i e  17 7

MAHONY, T., Femmes au Canada : rapport statistique fondé sur le sexe. Les femmes et le système de justice pénale, Statistique Canada, Division de la statistique sociale et autochtone, ministre de l’Industrie, Ottawa, 2011. En ligne. http://www.statcan. gc.ca/. MANSON , A., The Law of Sentencing, Irwin Law, Toronto, 2001. MANSON , A., « L’emprisonnement avec sursis : L’approche canadienne à la réforme pénologique ou un autre saut dans l’inconnu », dans Ministère de la Justice, Le nouveau visage de l’emprisonnement avec sursis, 2000, p. 9-26. MARCHETTI, A. M., Perpétuités, Plon, Paris, 2001. MC CORMIC K, P., Canada’s Courts. A Social Scientist’s Ground-breaking Account of the Canadian Judicial System, James Lorimer, Toronto, 1994. Mc HUGH, M., « Risk Assessment and Management of Suicides in Prison », Prison Service Journal, vol. 113, 1997, p. 4-8. Mc KA Y, R., Résumé législatif du Projet de loi C-23B : Loi supprimant l’admissibilité à la réhabilitation pour des crimes graves, Bibliothèque du Parlement, 2010. Mc RUER , J., Rapport de la Commission Royale d’enquête sur le droit pénal en matière de psychopathie sexuelle criminelle, Imprimeur de la Reine, Ottawa, 1959. MEYER , J. et P. O’MALLE Y, « Missing the Punitive Turn ? Canadian Criminal Justice, “Balance”, and Penal Modernism », dans J. Pr at t et al, (dir.), The New Punitiveness, Willan Publishing, Cullompton, 2005, p 201-217. MINIST ÈRE DE LA SANTÉ ET DES SERVICES SOCIAUX, Plan d’action en santé mentale 2005-2010. La force des liens, Québec, 2005. MINIST ÈRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE DU CANADA , La réinsertion sociale des personnes contrevenantes : une sécurité durable, Plan d’action gouvernemental 20102013, Ottawa, 2010. MINIST ÈRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE DU CANADA , Aperçu statistique : le système correctionnel et la mise en liberté sous condition. Rapport annuel 2011, Ottawa, 2011a. MINIST ÈRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE DU CANADA , Le système correctionnel et la mise en liberté sous condition au Canada : notions générales, Ottawa, 2011b. MONT JEAN, M.-H., Et si l’incarcération accélérait le processus de vieillissement ? 2003. En ligne. http://prison.eu.org/ MOONEY, J. et M. DAFFERN, « Institutional Aggression as a Predictor of Violent Recidivism : Implications for Parole Decision Making », International Journal of Forensic Mental Health, vol. 10, no 1, 2011, p. 52-63. NATIONAL COMMISSION ON CORRECTIONAL HEALTH CARE, The Health Status of Soon-to-Be-Released Inmates, vol. 1, Chicago, 2002. NATIONAL INSTITUTE OF MENTAL HEALTH, Towards a Model for Comprehensive Community-Based Mental Health Systems, Washington, 1987. NICOLA S, M., « Un rappel historique de la libération conditionnelle : deux volets d’une évolution », Criminologie, vol. 14, n° 2, 1981, p. 73-80. NONN, E., « Significations et interprétations de la gravité des événements violents : Le cas des voies de faits traitées à la Cour municipale de Montréal », Criminologie, vol. 24, no 2, 1991, p. 31-55.

Pénologie.indd 177

13-08-15 13:42

178  pé n ol o g i e

NORTH, D., « Analyse empirique de l’emprisonnement avec sursis en ColombieBritannique », dans Ministère de la Justice, Le nouveau visage de l’emprisonnement avec sursis, 2000 , p. 81-93. O’MALLEY, P., « The Risk Society Implications for Justice and Beyond », Report Commissioned for the Department of Justice, Victoria, Australia, 1999. O’MALLE Y, P., Crime and the Risk Society, Ashgate Dartmouth, Sydney, 1998. O’MALLE Y, P., « Risk, Power and Crime Prevention », Economy and Society, vol. 21, no 3, 1992, p. 252-275. OBSERVATOIRE INTERNATIONAL DES PRISONS, Les conditions de détention en France, La Découverte, Paris, 2005. OSHER , F., H. J. STEADMAN et H. BARR , « A Best Practice Approach to Community Reentry From Jails for Inmates With Co-Occurring Disorders : The Apic Model », Crime & Delinquency, vol. 49, no 1, 2003, p. 79. OUIMET , R., Rapport du comité canadien de la réforme pénale et correctionnelle. Justice pénale et correctionnelle : un lien à forger, Information Canada, Ottawa, 1969. PACIOCCO , D. et J. ROBERT S, Sentencing in Cases of Impaired Driving Causing Bodily Harm or Impaired Driving Causing Death, Conseil canadien de la sécurité, Ottawa, 2005. PAR KER , H., M. SUMNER et G. Ja rv is, Unmasking the Magistrates, Milton Keynes Open University Press, Philadelphie, 1989. PARLEMENT DU CANADA , Résumé législatif du projet de loi C-10 : Modifications à la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, 2012. En ligne. http://www.parl.gc.ca. PETER SILIA , J. et S. TURNER , « Prediction and Racial Minoritie », dans D. M. GOTTFREDSON et M. TONR Y (dir.), Prediction and Classification, Crime and Justice 9, University Of Chicago Press, 1987. PILON , M., Troubles mentaux et droit pénal canadien, Division du droit et du gouvernement, Ottawa, 1999. PIRES, A., « En guise de conclusion : un nœud gordien autour du droit de punir », dans C. DEBUYST et al., Histoire des savoirs sur le crime et la peine. Tome III : La rationalité pénale et la naissance de la criminologie, Presses de l’Université de Montréal, Presses de l’Université d’Ottawa, de Boeck Université, Montréal, Ottawa, Paris, 1998, p. 207-219. PRATT , J., « From Habitual Criminals to Reformative Detention : The Origins of the Modern Punishment System of New Zealand », Criminal Justice History, 1990, p. 55-87. PRATT , J., « Governing the Dangerous : An Historical Overview of Dangerous Offender Legislation », Social & Legal Studies, vol. 5, 1996, p. 21-36. QUIRION, B. et L. D’ADE SSE, « De l’évaluation clinique au calcul de probabilité : le recours aux outils actuariels dans les pénitenciers canadiens », Criminologie, vol. 44, n° 2, 2011, p. 225-250. QUIRION, B., « Traiter les délinquants ou contrôler les conduites : le dispositif thérapeutique à l’ère de la nouvelle pénologie », Criminologie, vol. 39, no 2, 2006, p. 137-164.

Pénologie.indd 178

13-08-15 13:42

bi bl i o g r a ph i e  179

RA YNOR , P. et G. ROBINSON, Rehabilitation, Crime and Justice, Palgrave Macmillan, Basingstoke, 2005. RENAUD, G., The Sentencing Code of Canada. Principles and Objectives, LexisNexis, Markham, 2009. ROBERT , D., « Transformations récentes de la législation fédérale sur la mise en liberté sous condition au Canada. Une lecture à la lumière des écrits sur la notion de risque », Criminologie, vol. 34, n° 1, 2001, p. 73-99. ROBERT , P. (dir.), C. FAUGERON et G. Kel l ens, « Les attitudes des juges à propos des prises de décision », Annales du Droit de Liège, vol. 1-2, 1975, p. 23-152. ROBERT S, J., Peines d’emprisonnement obligatoires dans les pays de Common Law : Quelques modèles représentatifs, Ministère de la Justice du Canada, Division de la recherche et des statistiques, Ottawa, 2005. En ligne. http://www.justice.gc.ca/. ROBERT S, J. V. et A. VON HIR SCH , « Legislating the Purpose and Principles of Sentencing », dans J. ROBERT S et D. P. COLE (dir.), Making Sense of Sentencing, University of Toronto Press, Toronto, 1999, p. 48-62. ROBERT S, J. V. et A. BIR KENMAYER , « Sentencing Patterns in Canada : Recent Trends », dans J. V. ROBERT S, Criminal Justice in Canada A reader, Harcourt Brace, Toronto, 2000, p. 89-98. ROBERT S, J. V. et C. LAPRAIRIE, Rapport de recherche concernant la condamnation à l’emprisonnement avec sursis : aperçu des résultats de recherche, Ministère de la Justice du Canada, Ottawa, 2000. ROBERT S, J. V. et K. ROACH, « Conditional Sentencing and the Perspectives of Crime Victims : A Socio-Legal Analysis », Queen’s Law Journal, vol. 30, 2005, p. 560600. ROBERT S, J. V., « Conditional Sentencing : Issues and Problems », dans J. V. ROBERT S et D. P. COLE (dir.), Making Sense of Sentencing, University of Toronto Press, Toronto, 1999, p. 77-97. ROBERT S, J. V., « The Evolution of Conditional Sentencing in Canada : An Empirical Analysis », Criminal Reports, 6th Series, vol. 3, 2002, p. 267-283. ROBERT S, J. V., D. ANTONOWIC Z et T. SANDER S, « Conditional Sentences of Imprisonment : An Empirical Analysis of Optional Conditions », Criminal Reports, vol. 30, no 5, 2000, p. 113-125. ROBERT S, J., « L’énigme du Sphinx : l’emprisonnement avec sursis après l’arrêt de la [sic] R.c. Proulx de la Cour suprême », dans Nouveau visage de l’emprisonnement avec sursis : compte rendu de symposium, Ministère de la Justice du Canada, Ottawa, 2000, p. 43-57. ROBERT S. J. V. et T. GA BOR , « The Impact of Conditional Sentencing : Decarceration and Widening of the Net », Canadian Criminal Law Review, vol. 8, 2004, p. 33-49. RUBY, C. et al., Sentencing, Lexis Nexis, Markham, 2008. SANDER S, T. et J. V. ROBERT S, « Public Attitudes towards Conditional Sentencing : Results of a National Survey », Canadian Journal of Behavioural Science, vol. 32, no 4, 2000, p. 199-207. SANTÉ CANADA , La santé des femmes âgées, 1999. S.l.n.d. SANTÉ CANADA , Rapport sur les maladies mentales au Canada, Comité de rédaction sur les maladies mentales au Canada, 2002.

Pénologie.indd 179

13-08-15 13:42

180  pé n ol o g i e

Sc ha uf er , F., Thinking Like a Laywer. A New Introduction to Legal Reasoning. Harvard University Press, Cambridge, 2009. SÉCURITÉ PUBLIQUE CANADA , Aperçu statistique : Le système correctionnel et la mise en liberté sous condition. Rapport annuel 2011, Ottawa, 2011a. SÉCURITÉ PUBLIQUE CANADA , Le système correctionnel et la mise en liberté sous condition au Canada : notions générales, Ottawa, 2011b. SÉCURITÉ PUBLIQUE CANADA , Modèle d’évaluation et de réadaptation des délinquants fondé sur les principes du risque, des besoins et de la réceptivité, 2007. En ligne. http://www.securitepublique.gc.ca. SÉCURITÉ PUBLIQUE DU QUÉBEC , Statistiques sur la criminalité commise dans un contexte conjugal. Définitions des infractions contre la personne. En ligne. http:// www.securitepublique.gouv.qc.ca. SHANT Z, L., « Spare Some Social Change ? : Older Women’s (Re)Integration Struggles in Neoliberal Communities », dans V. STRIMELLE et F. VANHAMME (dir.), Droits et voix : La criminologie à l’Université d’Ottawa, Presses de l’Université d’Ottawa, 2010, p. 159-176. SIMON, J., Governing Through Crime : Criminal Law and the Reshaping of American Government 1965-2000, University of Chicago Press, 2007. SOMMER S, I. et D. R. BA SKIN, « Assessing the Appropriateness of the Prescription of Psychiatric Medications in Prison », Journal of Nervous and Mental Disease, vol. 179, 1991, p. 267-273. STA STNY, C. et G. TYRNAUER , Who Rules the Joint ?, Lexington Books, Toronto, 1982. STATISTIQUE CANADA , « Adult Criminal Court Statistics, 1998-99 », Juristat, vol. 20, no 1, 2000 . STATISTIQUE CANADA , « Adult Criminal Court Statistics, 2005-2006 », Juristat, vol. 20, no 1, 2006. STATISTIQUE CANADA , Le Quotidien, 16 décembre 2005. En ligne. http://www.statcan. gc.ca. STATISTIQUE CANADA , Le Quotidien, 27 octobre 2004. En ligne. http://www.statcan. gc.ca. STATISTIQUE CANADA , « Les services correctionnels pour adultes au Canada, 20082009  », Juristat, 2010. STATISTIQUE CANADA , Peuples autochtones du Canada en 2006 : Inuits, Métis et Premières Nations, Recensement Canada, Ottawa, 2006. STEFFENSMEIER , D., J. ULMET et J. KRAMER , « The Interaction of Race, Gender, and Age in Criminal Sentencing : The Punishment Cost of Being Young, Black, and Male », Criminology, vol. 36, no 4, 1998, p. 763-198. STEPHEN, Sir J. F., A History of the Criminal Law of England, Burt Franklin, New York, 1883. STEWART , J., « Programme visant à favoriser la réinsertion sociale des délinquants âgés ou avec une déficience qui purgent une peine de longue durée (RELIEF) », Forum/Recherche sur l’actualité correctionnelle, vol. 12, no 3, 2000, p. 40-44.

Pénologie.indd 180

13-08-15 13:42

bi bl i o g r a ph i e  181

STRIMELLE, V., « À la recherche d’une population invisible : les femmes âgées en prison au Canada », Revue de droit pénal et de criminologie, septembre-octobre 2007, p. 816-840. SYKES, G. M., The Society of Captives, Princeton University Press, Princeton, 1958. TATA , C., « Accountability for the Sentencing Decision Process : Towards a New Understanding », in C. TATA et N. HUTTON , Sentencing and Society, International Perspectives, Ashgate, Alderschot, 2002, p. 399-428. TESSERON, A.-L., Le vieillissement de la population carcérale sous responsabilité fédérale au Canada : vers des « pénitenciers-hospices » ?, Social and Economic Dimensions of an Aging Population (SEDAP), Research Paper no 253, Hamilton, 2009. TREVATHAN, S., « Les femmes incarcérées dans les établissements fédéraux, provinciaux ou territoriaux », Forum/Recherche sur l’actualité correctionnelle, vol. 11, no 3, 1999, p. 9-12. TUC KER , S., Instability within Stability. Conflicting Trends beneath Canada’s Overall Incarceration Rate, Thèse de maîtrise, non publiée, Université d’Ottawa, 2009. ULMER , J. T., Social Worlds of Sentencing. Court Communities Under Sentencing Guidelines, State University of New York Press, Albany, 1997. VACHERET , M. et G. LEMIRE, Anatomie de la prison contemporaine, Presses de l’Université de Montréal, 2007. VACHERET , M. et D. LAFORTUNE, « Prisons et santé mentale, les oubliés », Déviance et Société, vol. 35, no 4, 2011, p. 485-501. VACHERET , M. et M.-M. COUSINEAU, « L’évaluation du risque de récidive au sein du système correctionnel canadien : regards sur les limites d’un système », Déviance et Société, vol. 29, no 4, 2005. VACHERET , M., « Scientificité, technicisation et mécanisation, la déresponsabilisation des agents pénaux », Actes du colloque Le pénal aujourd’hui, Montréal, 2007, p. 165-175. VACHERET , M., J. DOZOI S et G. LEMIRE, « Le système correctionnel canadien et la nouvelle pénologie : la notion de risque », Déviance et Société, vol. 22, no 1, 1998, p. 37-50. VAN DE KERCHOVE, M., « Les fonctions de la sanction pénale », Informations sociales, no 127, 2005, p. 22-31. VANHAMME, F., « On ne me reconnaît pas nécessairement sans ma toge », Déviance et Société, vol. 36, no 3, 2012. VANHAMME, F., La rationalité de la peine. Enquête au tribunal correctionnel, Bruylant, Bruxelles, 2009. VANHAMME, F. et K. Beyens, « La recherche en sentencing. Un survol contextualisé », Déviance et Société, vol. 31 no 2, 2007, p. 199-228. VON HIR SCH , A., Doing Justice : the Choice of Punishments. Report of the Committee for the Study of Incarceration, Hill and Wang, New York, 1976. WACQUANT , L., « The Great Penal Leap Backward : Incarceration in America from Nixon to Clinton », dans J. PRATT et al., The New Punitiveness, Trends, Theories, Perspectives, William Publishing, Portland, 2005, p. 85-100.

Pénologie.indd 181

13-08-15 13:42

182  pé n ol o g i e

WACQUANT , L., Les prisons de la misère, Raisons d’agir, Paris, 1999. WAHIDIN, A., « Reconfiguring Older Bodies in the Prison Time Machine », Journal of Aging and Identity, vol. 7, no 3, 2002, p. 177-193. WAHIDIN, A., Older Women in the Criminal Justice System : Running Out of Time, Jessica Kingsley, London, 2004. WAHIDIN, A., « ‘‘No problems – old and quiet’’ : Imprisonment in Later Life », dans A. WAHIDIN et M. CAIN (dir.), Ageing, Crime and Society, Willan Publishing, Portland, 2006, p. 171-192. WEBANC K, T., « Regard sur l’intervention de l’Urgence psychosociale-Justice (UPS-J) auprès des accusés qui présentent des troubles mentaux », Psychiatrie et Violence, 2003. WEBSTER , C. M. et A. N. DOOB, « Punitive Trends and Stable Imprisonment Rates in Canada », Crime and Justice : A Review of the Research, vol. 36, 2007, p. 297-369. WIL SON, A. B. et J. DRAINE, « Collaborations Between Criminal Justice and Mental Health Systems for Prisoner Reentry », Psychiatric Services, vol. 57, 2006, p. 875-878. WIL SON , J. Q., Thinking About Crime, Basic Books, New York, 1975. WOOD , J., « Gang Activity in English Prisons : The Prisonners’ Perspective », Psychology, Crime & Law, vol. 12, no 6, 2006, p. 605-617. ZIMRING, F. et G. HAWKINS, Deterrence, University of Chicago Press, Chicago, 1973.

Pénologie.indd 182

13-08-15 13:42

Table des matières

7

Introduction PREMIÈRE PARTIE

le système pénal et la détermination de la peine 1. L’évolution des objectifs de la peine en droit canadien Sébastien Lachambre

13

2. Le rôle du juge et le pouvoir judiciaire Françoise Vanhamme

33

DEUXIÈME PARTIE

les peines

Pénologie.indd 183

3. La peine d’emprisonnement Marion Vacheret

51

4. La peine d’emprisonnement avec sursis Sandra Lehalle

63

5. La libération conditionnelle Fernanda Prates

79

6. L’impact du casier judiciaire et le régime de réhabilitation Estibaliz Jimenez

97

13-08-15 13:42

TROISIÈME PARTIE

les justiciables et les populations prises en charge 7. Les délinquants dangereux Dominique Robert 8. Les troubles mentaux, la responsabilité criminelle et l’incarcération Denis Lafortune

113

135

9. Au bout de « la » peine ? Les femmes âgées incarcérées au Canada 153 Véronique Strimelle Bibliographie

Pénologie.indd 184

169

13-08-15 13:42

Page 1

e Canada a adopté récemment la Loi sur la sécurité des rues et des communautés établie dans la ferme intention d’aggraver les sanctions

pénales à l’égard de certains groupes de contrevenants en dépit de la diminution du taux de criminalité au cours des vingt dernières années. Cette loi s’inscrit dans la continuité des discours politiques centrés sur la protection des familles, la défense des victimes et la responsabilisation des

paramètres

L

16:36

jimenez • vacheret

15/08/13

Sous la direction de

Estibaliz Jimenez et de Marion Vacheret

La pénologie Réflexions juridiques et criminologiques autour de la peine

criminels. Son entrée en vigueur a suscité une attention médiatique considérable, ainsi que d’importants débats de société. En effet, qu'en est-il du droit de punir et de sa mise en œuvre ? De l’absolution à la condamnation, en passant par les peines d’emprisonnement à perpétuité et les amendes, les pratiques pénales sont nombreuses et complexes. Devant cette diversité, les auteurs ont choisi de se concentrer sur les mesures affectant, ou risquant d’affecter, la liberté des condamnés, dans un contexte où la prison reste le point d’orgue du système pénal canadien. En offrant une présentation simple et claire de la législation actuelle, ce livre très pertinent, écrit par plusieurs spécialistes, se veut un outil pratique à l’usage des étudiants et de tous les professionnels de ce domaine. EEstibaliz Jimenez, criminologue, est professeure régulière au Département de psychoéducation à l’Université du Québec à Trois-Rivières.

La pénologie

paramètres

PenologieF:Layout 1

Marion Vacheret, criminologue, est professeure titulaire à l’École de criminologie de l’Université de Montréal.

ISBN 978-2-7606-3315-5

29,95 $ • 27 e Couverture : Illustration Umberto Cirrito, d'après une photographie de Maaike Annegarn Aussi disponible en version numérique

www.pum.umontreal.ca

PUM

Les Presses de l’Université de Montréal