La figure du patient au XVIIIe siecle 9782600014229

After Roy Porter's call for an history "from below", Rieder answer the call with a book on patient's

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French Pages 586 [593] Year 2010

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La figure du patient au XVIIIe siecle
 9782600014229

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Book

La figure du patient au XVIIIe siècle

RIEDER, Philip Alexander

Reference RIEDER, Philip Alexander. La figure du patient au XVIIIe siècle. Genève : Droz, 2010, 586 p.

Available at: http://archive-ouverte.unige.ch/unige:85706 Disclaimer: layout of this document may differ from the published version.

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Bibliothèque des Lumières Vol. LXXVI

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COMITÉ SCIENTIFIQUE DE LA

BIBLIOTHÈQUE DES LUMIÈRES Bronislaw BACZKO Jacques BERCHTOLD Alain GROSRICHARD Catherine LARRÈRE Didier MASSEAU Michel PORRET Renato PASTA Daniel ROCHE

(Université de Genève) (Université de Paris III) (Université de Genève) (Université de Paris I, Panthéon-Sorbonne) (Université François Rabelais, Tours) (Université de Genève) (Université de Florence) (Collège de France)

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PHILIP RIEDER

LA FIGURE DU PATIENT AU XVIIIe SIÈCLE

LIBRAIRIE DROZ S.A. 11, rue Massot GENÈVE 2010

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www.droz.org

ISBN: 978-2-600-01422-9 ISSN: 1660-5829 Copyright 2010 by Librairie Droz S.A., 11, rue Massot, Genève. All rights reserved. No part of this book may be reproduced or translated in any form, by print, photoprint, microfilm, microfiche or any other means without written permission.

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REMERCIEMENTS Mes remerciements vont en premier à François Walter qui m’a encouragé à entamer et à poursuivre cette quête en dépit de son éloignement des champs qui lui étaient familiers, et à Vincent Barras, toujours stimulant et enthousiaste, qui a accepté de suivre régulièrement l’avancement de ce qui n’était d’abord qu’un chantier, en tant que spécialiste de la médecine et du corps au XVIIIe siècle. Ma reconnaissance va également à Micheline Louis-Courvoisier, nos échanges et sa sensibilité pour l’archive ont contribué à alimenter chaque articulation de cette recherche, ainsi qu’à Séverine Pilloud, dont l’avis critique et les conversations m’ont soutenu à des intervalles régulières au cours de l’élaboration du manuscrit. Je remercie également Micheline et Séverine d’avoir mis à ma disposition leur base de données sur la correspondance médicale adressée à Tissot, me permettant ainsi de gagner un temps précieux dans l’identification d’un corpus cohérent de correspondants. Cette étude a bénéficié grandement du cadre stimulant de l’Institut d’histoire de la médecine de Genève, que tous ses membres passés et présents en soient remerciés. Andrea Carlino m’a communiqué sa rage de toujours interroger le pourquoi de la démarche historienne; Brigitte Clerc, bibliothécaire de l’Institut, toujours présente et encourageante, a grandement facilité toutes les démarches de recherche documentaire et bibliographique; Mona Aboud et Emmanuelle Maurizzo ont toujours été là pour donner un coup de main le cas échéant et Bernardino Fantini, le directeur de l’Institut, a toujours respecté scrupuleusement mes orientations de recherche. Ma gratitude se porte également vers le département d’histoire de la Faculté des lettres de l’Université de Genève, notamment Michel Porret pour son aide et son encouragement, Bronislaw Baczko dont les cours résonnent encore à mes oreilles, et Marc Neuenschwander dont la bienveillance et la générosité ont contribué à faire de l’année passée à enseigner avec lui un stage instructif et stimulant. Merci aussi à Jean-Daniel Candaux de m’avoir ouvert sa porte et donné accès à son importante collection de références relatives au XVIIIe siècle médical. La rédaction de cet

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ouvrage a été rendu possible grâce à un subside du Fonds national suisse de la recherche scientifique qui m’a permis de travailler pendant une année à l’Academic Unit for the History of Medicine à UCL (Londres) et où j’ai eu la chance de bénéficier de l’enseignement et des commentaires du regretté Roy Porter. A la Fondation Schmidheiny, je suis redevable d’une subvention généreuse qui m’a garanti la tranquilité nécessaire aux derniers mois de rédaction. Il me reste à remercier mes premiers lecteurs pour leurs conseils et critiques constructives, François Walter, Vincent Barras, Olivier Faure et Colin Jones, membres du jury de thèse, ainsi que Micheline Louis-Courvoisier et Eliane Lehmann. Pour que le manuscrit puisse devenir un livre, j’ai bénéficié de l’aide avisée de mes amies, conseillères en expression et virtuoses des coquilles indécelables, Brigitte Clerc et Laurence Miserez.

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« Il est évident [...] qu’il n’y a jamais d’être humain qui n’ait eu le sens, non seulement de son corps, mais aussi de son individualité spirituelle et corporelle à la fois.» Marcel Mauss, 19501.

INTRODUCTION L’idée de faire de la figure du patient un objet historique s’est imposée à la lecture des travaux réalisés par Alan Macfarlane sur le journal personnel (diary) d’un pasteur anglais vivant au XVIIe siècle, Ralph Josselin. Dans une monographie, The Family Life of Ralph Josselin (1970), Macfarlane propose une analyse fine des stratégies économiques, religieuses et sociales du pasteur. Le récit restitue la vie de sa famille dans un contexte historique précis et donne un aperçu original des relations sociales et de la vie quotidienne dans un village britannique au XVIIe siècle. L’auteur souligne à plusieurs reprises l’importance du journal du point de vue de la santé2. Pourtant, lorsqu’il commente un malaise mentionné dans le journal et appelé à y prendre une place importante, une infection au nombril, Macfarlane réduit son commentaire à une simple note en bas de page: les remèdes employés auraient « presque certainement » envenimé le mal3. Il consacre quatre pages à la santé des Josselin, constatant en passant «[qu’]une des nombreuses sources d’insécurité de cette période était l’incapacité de juger de la gravité d’une maladie ». Son commentaire des pratiques thérapeutiques de Josselin est sans appel. L’expérience du pasteur « démontrait à souhait que la médecine contemporaine ne pouvait que peu faire pour l’aider »4. A l’heure où Macfarlane écrit, la compréhension du mal physique et de son traitement semble être en voie de résolution. La bio1 2 3 4

Mauss 1993b, p. 335. Macfarlane 1991, p. xxiv; Macfarlane 1977, p. 170. Josselin 1991, p. 138. Les traductions de l’anglais sont de mon fait. Macfarlane 1977, pp. 170 & 172.

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médecine est à son zénith. Le docteur-médecin détient la somme du savoir sur la santé et soigne des patients prêts à se plier aux dictats de ceux qui savent. Il ne peut y avoir, semble-t-il alors, qu’une seule connaissance du corps et de ses maux, celle proposée par les sciences biomédicales. Ce savoir constitue le seul cadre référentiel envisageable pour comprendre l’évolution de la santé de Josselin et, de ce fait, le récit de Macfarlane infère que celui-là évoluait dans une société où les phénomènes biologiques étaient peu compris et les remèdes employés limités à des tentatives désespérées ou, au mieux, peu efficaces, contre la maladie. Notre connaissance des données relatives à la santé de Josselin n’a pas évolué depuis lors, mais dans l’intervalle la transformation du statut de la biomédecine dans notre société invite à les considérer autrement. Le monopole du docteurmédecin sur la santé individuelle et sur des moments clés de la vie (naissance et mort) a été remis en cause par des auteurs critiques5. Le sida est venu ébranler bien des certitudes sur la maîtrise biologique des médecins d’aujourd’hui et, en dépit des ressources considérables investies dans la recherche sur le cancer, les thérapies proposées ne répondent qu’imparfaitement aux espoirs. Ces critiques, ces remises en question, accompagnées du réveil d’une nouvelle volonté d’autodétermination du patient ont transformé notre appréhension du monde médical contemporain. Le malade d’aujourd’hui, quand il n’a pas recours à une thérapie dite alternative (homéopathie, acupuncture, naturopathie), voit ses droits renforcés, ses opinions écoutées. Ces transformations ont donné lieu à des études et à des commentaires de politologues, de journalistes, d’économistes, de sociologues, d’anthropologues, etc. Une approche historique peut également alimenter le débat contemporain. L’objectif des pages qui suivent est de démontrer qu’aujourd’hui, et certainement en grande partie en raison des transformations qui viennent d’être évoquées, la simple note en bas de page de Macfarlane mérite d’être érigée en chantier de recherche à part entière. Transformer la gestion de la santé en objet d’histoire ne peut se faire sans délaisser l’histoire des docteurs, des chirurgiens et des autres praticiens pour s’intéresser à l’usager des ressources médicales, qu’il soit désigné comme le malade, le client, le consommateur où encore comme le patient. L’entreprise passe aussi par une

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Un des plus influents est Illich 1975.

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confrontation avec une grande diversité de sources « laïques », c’est-àdire non médicales. Une première surprise y attend le chercheur. De nombreux fonds d’archives d’Ancien Régime contiennent des données sur des questions de santé. Ces documents sont imprimés ou manuscrits, ils peuvent être rédigés par le sujet souffrant, un proche ou un observateur plus lointain. La plupart des informations véhiculées par ces sources retracent ou commentent un vécu spécifique. Le récit se limite parfois à de simples constats de dysfonctionnements corporels pour s’étendre ailleurs à la description détaillée de maladies complexes. Le langage métaphorique peut être riche ou quasiment inexistant. L’ensemble forme un corpus disparate qui n’est pas totalement ignoré par l’historiographie de la médecine traditionnelle, mais il y sert le plus souvent de réserve d’anecdotes illustrant des arguments élaborés en fonction d’autres problématiques. Afin de regrouper ces données pour former un objet historique à part entière, il s’agit à la fois de procéder à un important effort de contextualisation historique et d’entreprendre une réflexion sur les pratiques médicales du passé. L’objet est ambitieux. Il touche à la fois le corps, le mal-être, la maladie, les soignants et les différents recours thérapeutiques dans une perspective très terre-à-terre centrée sur une figure peu connue, celle d’une personne qui cherche à rester en bonne santé ou encore, à retrouver une santé perdue. Celle-là même qui est désignée dans la littérature historique par le terme de patient. Qui est le patient? Si la figure du patient a été jusqu’à récemment peu étudiée, le champ de l’histoire de la médecine tel qu’il se profile depuis plus d’un demi-siècle incite à s’y intéresser. Henry Sigerist proposait en 1951 déjà une définition large des confins de la discipline. Il y englobait non seulement ce qui relevait des pensées et des actes médicaux, mais aussi les gestes de soins et les remèdes pris, qu’ils soient autoprescrits, conseillés par des laïcs ou commercialisés. Dans son exposé programmatique, il évoquait une possible histoire du patient, mais concédait que celle-ci était négligée. Sigerist avait lui-même tenté, deux décennies auparavant, une esquisse historique de l’attitude de la société à l’égard du malade, mais cette amorce n’avait pas été suivie6. Les raisons de cette négligence sont multiples et le 6

Sigerist 1951, pp. 7-17; Sigerist 1929a.

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constat fait en 1951 reste valable vingt ans plus tard. Le patient du passé est toujours représenté sous les traits du malade passif d’aujourd’hui7. Le patient demeure une figure fuyante et implicite dans l’histoire classique de la médecine. Sa place y est à la fois claire et constante: en tant que personne souffrante, le patient aurait des besoins objectifs, progressivement assouvis au fur et à mesure des avancées médicales8. D’autres traditions historiques comprennent, il est vrai, des données sur l’histoire du patient. C’est le cas de la tradition des pathographies, des « biographies médicales » de personnalités célèbres. La portée de ces travaux se limite le plus souvent à envisager des parcours d’individus appartenant à des sociétés historiques avec un outillage conceptuel d’un autre temps. Le résultat demeure peu informatif quant à l’histoire de la santé9. En marge de l’histoire des idées, des efforts plus ou moins conscients ont été faits pour intégrer la figure du patient dans le grand récit de l’histoire de la médecine classique. Au moins deux catégories de textes historiques en résultent. La première et la plus évidente répond au désir exprimé mais jamais pleinement réalisé, de constituer un panthéon des malades ayant permis des progrès médicaux10. Ce n’est pas un genre en soi, les récits de ces patients n’occupent en vérité que quelques paragraphes de travaux consacrés à une découverte importante ou à un nom célèbre. Les nécrologies et d’autres écrits hagiographiques forment un second ensemble de textes où un groupe de patients est mis en avant: les médecins malades. Le héros de ces récits parvient, par la finesse de la description clinique qu’il trace de sa propre (et souvent ultime) maladie, à apporter une dernière contribution au savoir médical. La nécrologie se trouve ainsi aux confins des écrits pathographiques et de ceux portant sur les malades utiles à la science11. Somme toute, le contenu de l’ensemble de ces textes véhicule peu de renseignements historiques. 7 8

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Voir Brockliss et Jones 1997; Faure 1995; Porter 1983; Loetz 1993. L’idée est simpliste comme le montre Luc Boltanski dans son étude sur la consommation de médicaments et David Le Breton dans ses travaux sur le corps et sur la douleur. Le Breton 1995; Boltanski 1971, p. 210. Voir plus bas p. 63 et suiv. La référence classique, citée par Roy Porter, est Guthrie 1945b. Pour l’identification de malades importants dans l’histoire d’une découverte, voir Grmek 1990. Par exemple Rentchnick 1983; Martin 1979.

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Depuis près de trois décennies, c’est aux yeux d’une nouvelle génération d’historiens que l’absence de l’usager des services médicaux est devenue choquante12. Ce n’est certainement pas par hasard que cet intérêt coïncide avec l’émergence de patients actifs, savants et vindicatifs13. Le projet d’ériger un chantier de recherche autour de la figure du patient est énoncé fermement en 1985 dans un article publié par Roy Porter. Il s’agit de rédiger une histoire du point de vue du patient, un patient qui n’est plus un partenaire ou un fairevaloir du médecin ou de la médecine, mais un acteur à part entière14. Alors que les quelques travaux qui touchaient au vécu de la maladie partaient de l’histoire des idées médicales et des biographies des grands médecins15, « l’histoire du patient » devait, selon Porter, permettre de considérer la santé et le recours à la médecine du point de vue des usagers. C’est un changement radical de perspective qui équivaut, selon la formule consacrée, à écrire l’histoire de la médecine « from below ». Si les travaux qui s’inscrivent dans cette dynamique se sont multipliés depuis, ils ne parviennent pas à proposer une histoire cohérente de la figure du patient. La confrontation des utilisations contemporaines et historiques du terme patient peut servir de point de départ pour saisir les causes de cet échec. En effet, le terme même de patient paraît inapproprié pour désigner une figure du monde médical de l’Ancien Régime. Il projette le malade dans une relation asymétrique avec un autre acteur, le docteur-médecin. Etymologiquement, patient provient du latin « patiens », c’est-à-dire « endurant, qui supporte avec constance les défauts d’autrui et qui souffre sans murmurer »16. Des dictionnaires de la fin de l’époque moderne confirment l’association constante d’une valeur passive avec le terme patient, ainsi qu’un usage du terme différent de celui d’aujourd’hui. Furetière définit d’abord l’adjectif « qui est constant, 12 13

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Parmi d’autres, Woodward et Richards 1977, pp. 29-30, Goubert 1991, p. 55. L’usage du terme patient est aujourd’hui contesté en raison de son inefficience à traduire l’autonomie décisionnelle revendiquée par le malade. Les pourvoyeurs de soins envisagent la possibilité de recourir à d’autres termes: client, consommateur, utilisateur. Voir par exemple l’éditorial du Lancet du 23 novembre 2000. La question est largement débattue. Neuberger 1999; Kernick 1999; Hodgkiss 2000. Porter 1985b. Des approches antérieures s’appuient le plus souvent sur des sources médicales. Par exemple Lebrun 1995; Peter 1971; Risse 1974. Dict. historique, Patient.

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endurant », pour ensuite évoquer le substantif : « Criminel qui attend, qui souffre la mort à laquelle il a été condamné ». Un second usage est proche puisqu’il désigne « celuy qui est entre les mains des chirurgiens, qui font sur luy quelque operation douloureuse »17. Le patient n’est alors pas simplement un malade inscrit dans une relation avec un thérapeute, mais un individu confronté à une douleur vive. Les écrits des XVIIe et XVIIIe siècles, manuscrits ou publiés, confirment cette réalité lexicale. Le terme patient est rare et, quand il est employé, il désigne une personne souffrant le martyre à la suite d’un traitement médical ou d’une opération. Ainsi, le batelier Sadoc, qui avait donné plusieurs lavements et un bain à Jean-Antoine Normendie (1713-1761), à l’agonie à la suite d’un lavement comprenant de l’esprit de nitre*, rapporte dans sa déposition que « le dit sieur Normendie se plaignoit de violentes crampes aux jambes; sur ce la Madame Normendie18 et le deposant se mirent à lui frotter les jambes ce que le patient trouvoit qui lui faisoit du bien.»19 Son témoignage et celui des autres particuliers présents attestent de la vive douleur éprouvée par le mourant, justifiant ainsi le recours au substantif patient pour le désigner20. L’usage fait du mot patient diffère clairement du nôtre. Contrairement à la langue anglaise du XVIIIe siècle où il porte la même ambiguïté qu’aujourd’hui, en français le terme patient désigne alors rarement celui qui recourt à un service médical21. Ainsi, si le terme demeure problématique pour les historiens anglais et allemands, pour l’historien du monde francophone il est anachronique et peu apte à désigner l’objet historique dont il est question ici22. La réalité lexicale engage à imaginer les usagers de 17

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Le sens du terme tel qu’il est décrit dans l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert est plus large et désigne « une personne qui est sous la direction d’un médecin ou d’un chirurgien, pour être guéri de quelque maladie ». L’auteur anonyme de cet article précise que c’est un mot dont « on se sert peu [...] en françois ordinaire » et propose l’emploi du terme « malade ». Madeleine-Lucrèce Normendie (?- 1766). Mise à part l’usage des majuscules qui a été modernisé, les citations prises dans des documents historiques sont retranscrites fidèlement. AEG, PC 10905, Declaration de Jean-Jaques Sadoc du 23 aoust 1761. Dans un autre contexte, l’auteur anonyme d’une recette pour un remède contre la rage emploie le terme patient pour désigner la victime souffrant de cette terrible maladie. ACV, P Charriere, Remèdes de Salomon de Sévery, Ce 4, Remède contre la rage. Parmi d’autres exemples, voir Smollet 1979, p. 30. Voir Porter 1985a, pp. 181-182; Porter 1985b, p. 3; Wolff 1998, p. 210.

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services médicaux sans leur associer un caractère passif. Faut-il recourir à un autre substantif ? Les termes de client, de malade ou de souffrant s’imposent comme des alternatives possibles23. Le concept de client a l’avantage de rendre compte du libre arbitre de celui qui consomme des commodités médicales, mais il colporte également une connotation libérale anachronique. « Malade » ou « souffrant » ont des acceptions qui ne recouvrent qu’imparfaitement l’objet envisagé. Malade désigne un état transitoire, c’est une étape qui suit la perte de santé et précède l’état de moribond ou de guéri. Pour distinguer entre ces états faut-il avoir recours au jugement du médecin24 ou aux affirmations du malade lui-même? La prévention médicale constitue une partie importante de l’histoire de la santé. L’acteur qui tente des remèdes prophylactiques n’est pas à proprement parler malade et, en conséquence, ce terme s’avère trop réducteur. Un même raisonnement pourrait être appliqué à l’usage du substantif souffrant. Le terme véhicule le risque de réduire le champ à l’histoire de la souffrance elle-même, un récit qui pourrait s’arrêter sur des réalités difficiles à situer dans une perspective historique. En définitive, ces deux termes excluent une série de pratiques et de stratégies qui sont difficiles à ignorer dans le cadre d’une étude historique centrée sur la santé prise du point de vue des laïcs. Ainsi, où situer des affirmations comme celle de Marie Romilly qui écrit, le mardi 28 octobre 1788 dans son journal: « J’ai passé ma matinée à soigner Dorette qui est fort bien mais qui a pris médecine »?25 La dialectique malade/en santé connaît des tensions complexes avant la médecine moderne. Qui est en bonne santé n’est pas forcément bien et qui est malade ne souffre pas forcément physiquement… En définitive, aucun terme contemporain ne s’impose de

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Il est utile de conserver en français la nuance établie entre le substantif « ill » (malade) et « patient » (patient), du moins dans un usage contemporain. « Malade » correspond à un mal-être subjectif de la maladie et « patient » renvoie à l’état de celui qui entre dans une relation thérapeutique. Il est plus difficile de traduire la nuance entre « illness » (un mal-être physique ressenti par le souffrant) et « disease » (une maladie au sens biologique): ces deux termes se traduisent par « maladie » en français. Ce terme est employé ici et plus bas au sens large, correspondant à l’usage au XVIIIe siècle, de celui qui fait profession de guérir les malades. Voir Furetière. AEG, Archives de la famille Romilly, Marie Joséphine Christine Romilly, Journal 1788-1789, f. 2.

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manière convaincante pour désigner la gestion de la santé du point de vue du non-médecin, du laïc. Pour des raisons de clarté, l’option prise ici est de désigner l’objet de cet ouvrage comme étant la figure du patient entendu dans son acception moderne26. Dans les articulations successives de cet ouvrage, l’ensemble des termes évoqués dans ce paragraphe sont convoqués aussi précisément que possible: le patient y désigne le malade traité par un médecin, le laïc le nonmédecin et le souffrant celui qui éprouve une douleur. L’objet historique qui se profile ensuite de cette analyse se trouve à la croisée de plusieurs domaines: l’histoire démographique (1), l’histoire de la mort (2) et l’histoire de la diffusion des écrits médicaux (3). (1) L’histoire de la santé doit beaucoup aux travaux des démographes qui fournissent des données sur la longévité, l’espérance de vie et les causes de mort des populations historiques. Un des apports les plus pertinents pour l’objet traité ici, est le constat que la médecine n’est pas responsable de la « transition démographique », soit le passage, à partir du milieu du XVIIIe siècle, d’une population caractérisée par une natalité et par une mortalité élevées vers une population à natalité et à mortalité faibles27. Ce constat engage à envisager d’autres variables comme le mode de vie (l’alimentation et l’hygiène) et la culture médicale laïque28. Le concept de « pathocénose », « les états pathologiques au sein d’une population déterminée, dans le temps et dans l’espace », lancé par Mirko Grmek il y a près de trente ans, a suscité des études qui permettent de décrire le contexte sanitaire auquel les acteurs historiques étaient confrontés29. La difficulté principale rencontrée par les auteurs de ces travaux est la traduction des nosologies d’Ancien Régime en des termes compréhensibles aujourd’hui30. Les travaux les plus pertinents pour notre propos sont ceux qui conservent les termes employés dans les sources histo26 27

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Voir par exemple Sigerist 1951, p. 15. Les modèles explicatifs les plus convaincants sont à la fois nuancés et complexes. Perrenoud 1993. Voir aussi Bourdelais 1997, p. 24. Parmi de nombreux auteurs, il faut signaler Mckeown 1977; Ramsey 1989; Riley 1987. Grmek 1969. Jean-Pierre Peter décrit les difficultés inhérentes à cette entreprise. Peter 1967, pp. 724-728.

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riques31. Ils permettent de confronter les considérations subjectives des parcours individuels aux données accumulées sur la vie collective32. Leur pertinence est avant tout contextuelle. (2) L’histoire de la mort est un objet de recherche proche de celui du patient. Les travaux portant sur l’évolution historique de l’attitude des populations face à la mort peuvent servir de point de départ à l’histoire des attitudes face à la maladie33. Les causes avancées pour donner sens à la mort sont recherchées dans le passé du malade, révélant par la même occasion des groupes de maladies désirables et de maladies non désirables. A titre d’exemple, l’habitude prise par la famille La Feronnays d’éviter le terme de phtisie en se référant à plusieurs malades souffrant de la poitrine, est interprétée par Philippe Ariès comme le refus d’accepter un diagnostic lourd34. Restitué dans le système nosologique d’alors, le sens de ce refus peut être interprété différemment. La conceptualisation d’une maladie comme une entité ontologique était alors rare, le paradigme humoral laissait une grande place à l’interprétation et surtout, suggérait que chaque maladie était singulière35. Ainsi, les membres de la famille La Feronnays observent les manifestations visibles de la maladie et y cherchent des signes qui leur permettent de considérer les maladies de leurs proches comme des phtisies peu dangereuses36. Ils guettent un pronostic favorable. (3) L’histoire de la vulgarisation médicale peut alimenter l’étude des savoirs médicaux laïcs et signale des transferts possibles de la médecine écrite vers la culture laïque. L’étude des représentations historiques du sain et du malsain, réalisée par Georges Vigarello, 31

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Par exemple Imhof et Lindskog 1974. Des nosologies rétrospectives sont parfois proposées pour faciliter l’interprétation de données. Perrenoud et Sardet 1991; Riley 1989, pp. 102-127. Par exemple, Imhof 1987. Pour un aperçu historique concis, voir Vovelle 1974; Ariès 1975. Ariès 1975, pp. 212-213. Il faut attendre le travail de taxinomie et de description de l’école anatomopathologique au début du XIXe siècle pour que des signes recueillis et observés deviennent, aux yeux du médecin, des repères plus fiables que l’interprétation du malade lui-même. Selon Roselyne Rey, au début du XIXe siècle, la phtisie « n’était pas encore identifié[e] comme telle, dans son unité et la spécificité de ses lésions ». Rey 1993, p. 185.

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s’appuie sur la production médicale entre le Moyen Age et aujourd’hui. L’auteur y décrit les idées dominantes de la médecine préventive et de la thérapeutique pour chaque période historique37. Son ouvrage constitue un cadre de référence pour évaluer l’adéquation des stratégies de malades avec les dogmes de la médecine de leur temps38. Le recours à une autre échelle, celle de l’individu, permet d’évaluer plus concrètement les sources réelles de la culture médicale laïque. Christian Holliger, par exemple, dans son analyse des écrits d’Ulrich Bräker, montre que ce dernier puisait ses références médicales dans trois sources: a) un savoir traditionnel, b) les calendriers et almanachs et c) les écrits de médecins célèbres39. Peu d’études offrent une analyse aussi détaillée, mais ensemble elles contribuent à la reconstruction du savoir médical des laïcs. La démographie historique, l’histoire de la mort et celle de la vulgarisation médicale attestent d’une évolution du savoir historique vers une perspective « from below », une histoire du quotidien. Si elles ont contribué à suggérer la possibilité d’une histoire de la figure du patient, cette histoire s’est aussi imposée par elle-même depuis les années 1980 sous la bannière de l’histoire sociale de la médecine. Cette école historique invite à considérer le monde des soins comme un marché, le terme adopté étant le « marché thérapeutique »40. Ce marché réunit à la fois de nombreux vendeurs de services médicaux (l’offre) et le public (la demande)41. Pour comprendre le fonctionnement du marché il s’agit de reconstruire les parcours de ceux qui recherchent des solutions thérapeutiques et sont appelés à choisir parmi les produits et les services offerts: la demande s’impose alors comme une entité historique à investiguer. LE « PATIENT » ET L’HISTOIRE Parmi les travaux qui fondent l’histoire du patient figurent des études sur un individu ou un groupe familial. Elles sont érudites et 37 38 39 40

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Vigarello 1993. Voir Bollene 1976; Laget 1984; Porter 1992b; Verry-Jolivet 1993; Rey 1991. Holliger 1995, p. 25. Voir Wear 1992, pp. 2-3; Cook 1986, pp. 28-69; McCray Beier 1987, pp. 8-50. Pour un apercu historiographique, voir Jenner et Wallis 2007. Voir les travaux sur les corporations et les praticiens irréguliers, notamment Pelling et Webster 1979; Ramsey 1988a.

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situent le parcours du malade dans un contexte soigneusement reconstruit42. Le parti pris de cerner au plus près les gestes quotidiens, les réseaux de soins et les stratégies médicales de quelques individus, permet d’accumuler une série d’exemples d’histoires de santé individuelles. Le journal déjà mentionné du pasteur britannique Ralph Josselin a été étudié systématiquement par Lucinda McCray Beier. Cette auteure reconstitue dans le détail les stratégies médicales de la famille Josselin, retraçant les parcours de santé des enfants, de l’épouse et du diariste lui-même43. La cohérence de la politique de santé du père de famille, sa conception de la santé et ses stratégies thérapeutiques sont ainsi reconstituées et l’ensemble forme un modèle utile, un exemple bien documenté44. Cette étude figure parmi les plus stimulantes, malheureusement, peu d’efforts ont été déployés pour déterminer dans quelle mesure de tels exemples sont représentatifs d’une époque ou témoignent au contraire de comportements originaux. Les cas connus, comme celui des Josselin, tendent à être érigés en exemples universels. Les avancées les plus remarquables proviennent d’études de cas, notamment celles qui suggèrent des moyens de reconstituer le sens historique des problèmes de santé. La piste la plus stimulante est celle qui aborde le sens donné au mal être. Le travail d’Angelica Braum et de Brigitte Schnegg sur la correspondance d’une femme de lettres, Julie Bondeli (1732-1778), en est une excellente illustration. Les auteures parviennent à démontrer que si Bondeli est victime de l’idéologie médicale de son temps, si elle adhère au principe de la faiblesse constitutionnelle de la femme et souffre de maladies à la mode, elle ne fait pas que subir. Dans sa correspondance avec le médecin Johann Georg Zimmermann (1728-1795), elle valorise la faiblesse de la constitution* féminine en l’associant à une exacerbation de la capacité intellectuelle des femmes. Des caractéristiques féminines connotées négativement se muent en attributs positifs et forment une

42

43 44

Porter 1985b, pp. 5-6; Wear 1987, p. 233. Pour des études centrées sur des parcours individuels: Anselment 1996; Cooper 2007; Forster 1986; McLean Ward 1992; Holliger 1995; Imhof 1995; Sander 1989; Piller 1999; Teysseire 1995a; Teysseire 1995b; Walser-Wilhelm 1993, pp. 33-47; Rankin 2008. McCray Beier 1985; McCray Beier 1987; Porter 1985b; Wear 1987. Le cas d’un second diariste anglais, Samuel Pepys, fait également référence, mais de manière plus diffuse. Porter 1985a. La seule monographie qui lui est consacrée est peu convaincante. Barker 1984.

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des facettes de l’identité de Bondeli45. Cet exemple est une invitation à chercher, au-delà de l’énumération des douleurs, le sens donné à la perte de santé par les individus concernés46. Cela dit, le cas de Bondeli est extrême et plus souvent, le sens inscrit par le malade est trivial. Ralph Josselin, par exemple, attribue l’origine d’un malaise à une consommation excessive d’huîtres qui, écrit-il « rencontrèrent tellement de phlegme » dans son estomac, « qu’y étant liés ils y restèrent tout en se corrompant »47. L’étude de telles interprétations, aussi communes qu’elles puissent paraître, est essentielle. Elle permet d’isoler les variables sanitaires auxquelles les contemporains prêtaient attention tous les jours. Une des finalités des pages qui suivent est de collecter ces interprétations afin de cerner le degré d’autonomie du malade dans l’interprétation de ses maux au XVIIIe siècle. Envisager la reconstruction du sens que pouvait prendre la maladie pour les laïcs engage à considérer le rôle prêté à la religion dans la perte de santé. Les responsabilités thérapeutiques endossées par des ministres protestants ou des prêtres catholiques contribuent à entretenir l’imprécision des frontières entre le médical et le religieux, tout en attestant de leur imbrication dans la vie courante48. Certains historiens se contentent de relayer la corrélation établie par les acteurs eux-mêmes entre leur parcours spirituel et l’évolution de leur santé, tout en précisant que l’association directe des deux sphères était rare49. L’étude réalisée par Sabine Sander sur le journal d’un pasteur piétiste donne à voir un cas de figure complexe: les maux de la femme du pasteur étaient interprétés comme découlant de son manque de piété alors que le pasteur expliquait ses propres maux à partir d’une grille de lecture basée sur l’hygiène ancienne, soit un mauvais régime ou un excès d’activité50. Plus original encore est le parcours retracé par Gudrun Piller d’une femme atteinte d’un cancer qui percevait sa maladie comme étant donnée par Dieu51. Il était 45 46

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Schnegg et Baum 1995, pp. 12 et suiv. En centrant son attention sur le corps dans les écrits personnels, Gudrun Piller suit une méthode similaire. Piller 2007. Cité dans Wear 1987, p. 241. Cette imbrication est ancienne, voir Porter 1997c, pp. 83-134; Siraisi 1990, pp. 17-47. Par exemple, Wear 1987. Sander 1989. Piller 1999, pp. 222-223. La même auteure poursuit cette voie dans son exploration du corps au XVIIIe siècle à travers des textes autobiographiques. Piller 2007.

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alors rare d’associer une mauvaise santé à une punition divine et seules les maladies épidémiques bénéficiaient parfois encore de ce statut. Un observateur contemporain va jusqu’à qualifier la conviction de souffrir d’une maladie d’origine divine comme un symptôme52. Tous ne vont pas aussi loin. Certains laïcs considèrent la religion comme une consolation et la maladie comme une épreuve. D’autres, plus nombreux, se contentent de remercier Dieu en cas de guérison53. Au-delà de ces quelques pistes de réflexion sur les interprétations possibles de la maladie, une grande partie de la production historienne est empirique. Pour des tentatives de modélisation plus ambitieuses, il faut se tourner vers des sociologues. Jens Lachmund et Gunnar Stollberg proposent l’analyse d’une série d’autobiographies allemandes identifiées comme émanant de la fameuse « Bildbürgertum », une classe universitaire et aisée de la bourgeoisie. Cette catégorisation, aussi artificielle soit-elle, permet de confronter les valeurs bourgeoises à des questions de santé54. Stollberg poursuit cette réflexion et nuance les clichés répandus sur la distinction entre la santé « naturelle » du paysan et la santé « artificielle » du bourgeois. La comparaison de ces deux groupes sociaux l’incite à examiner l’aspect social de la maladie et la qualification de la santé dans différents groupes sociaux55. Le travail de Stollberg participe ainsi à la remise en cause de la cohérence des groupes sociaux à la fin de l’Ancien Régime. Sa démonstration incite à tenir compte de la construction sociale du malade. Cette réflexion sociologique jette une ombre critique sur les travaux influents qui invitent, depuis les années 1970, à penser le malade avant tout comme étant imbriqué dans des rapports de pouvoir. On pense à Michel Foucault, mais c’est le sociologue Nicholas Jewson qui a le plus clairement esquissé un modèle diachronique des rapports de pouvoir à l’œuvre dans le monde médical. Son schéma peut être résumé comme suit. Pendant un âge d’or révolu, le malade et le médecin cohabitent dans un seul et même univers sémantique. Les plaintes du malade y sont enregistrées, un diagnostic et un pronostic établis; le malade écoute les conseils de son médecin avant de décider lui-même ce qu’il convient d’entreprendre. 52 53 54 55

FT, V/149.01.15.23, J. D’Arnay, Moudon, le 14/5/1767. Voir Digby 1997, pp. 296-297. Lachmund et Stollberg 1987. Stollberg 1997.

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Dans un deuxième temps, alors même que se développe la clinique hospitalière, le médecin concentre son attention sur le corps du malade, il en tire des observations qu’il confronte par la suite aux séquelles constatées sur les tissus lors de la dissection du cadavre du même patient: c’est l’ère de l’anatomie pathologique. Le malade subit le diagnostic et se réduit, du point de vue du chercheur, à l’organe atteint. L’avènement de la médecine moderne ou « médecine de laboratoire », voit se dessiner un troisième stade. La science permet alors de découvrir les agents microbiologiques responsables de certaines maladies. Ce n’est plus dès lors l’organe malade qui se substitue au patient, mais une réalité au niveau cellulaire56. Jewson décrit ainsi la perte de contrôle progressive du malade sur sa santé. Son article a connu un succès immense et marque la façon dont l’évolution du monde médical est pensée aujourd’hui. Le défaut principal du schéma, du point de vue qui nous occupe ici, est d’être conçu en fonction de l’évolution de l’élaboration du savoir médical. Des études empiriques révèlent que la corrélation qui y est établie entre l’organisation du monde médical et l’usager des services médicaux est simpliste. A titre d’exemple, on peut relever que si l’anatomie pathologique s’impose bien au XIXe siècle, elle s’épanouit alors dans les hôpitaux où ne sont traités que les malades socialement isolés et économiquement démunis. Il faudra attendre la deuxième moitié du XXe siècle pour que l’hôpital devienne un lieu de soins pour tous. Le malade aisé a conservé ainsi le contrôle de sa santé jusqu’à une période récente. Le modèle de Jewson, associé à des conceptions foucaldiennes, a connu un certain succès dans la production historique. L’historienne Mary Fissell a repris ce modèle dans son livre sur les usagers des services médicaux à Bristol en Angleterre au XVIIIe siècle. Elle y propose une histoire évolutive en trois moments. Au début du siècle, les praticiens se disputaient les malades sur un marché libre. La médecine orthodoxe permet, à mesure que le siècle progresse, d’asseoir le pouvoir d’un groupe social ascendant qui se sert des institutions médicales (le dispensaire et l’hôpital), pour consolider sa position dominante. Les chirurgiens y jouent un rôle toujours plus important. Fissell voit un aboutissement dans le développement des cliniques au début du XIXe et propose une conclusion proche de celle de Jewson: « La médecine hospitalière a dépouillé la

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Jewson 1976b.

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maladie de son sens [...] les patients devinrent des objets de recherches anatomiques.»57 Cette appréciation à la fois péremptoire et réductrice néglige l’existence d’une culture médicale laïque et ne tient pas compte des échanges constants entre les détenteurs de savoirs orthodoxes et les porteurs de savoirs empiriques. Le récit de Fissel, basé sur des sources administratives et professionnelles, traduit avant tout la réalité telle qu’elle est perçue par les praticiens et les administrateurs. Il est aujourd’hui important de dépasser cette grille de lecture en portant l’attention sur d’autres points de vue. Les faits historiques, solidement ancrés dans des écrits et des témoignages de laïcs, ne nient pas l’existence de rapports de pouvoir, mais démontrent que le modèle d’une gestion des relations entre malades et praticiens, imposée par en haut, ne résiste pas à l’épreuve des documents d’archives. Les valeurs culturelles, les stratégies et les attentes en présence sont complexes et souvent obscures. Des praticiens aux usagers Certaines informations sur le rôle de l’usager des services médicaux transparaissent dans des recherches centrées sur des pratiques soignantes. Une étude des rapports entre soignants et patients à Bologne entre le XVIe et le XVIIIe siècle, met en scène les autorités corporatives chargées de contrôler les soignants et de régler les différends entre soignants et malades. L’auteure, Gianna Pomata, y reconstruit les relations contractuelles entre soignants et soignés et décrit une organisation étonnante aujourd’hui. Les thérapeutes s’engagent à ne pas réclamer le paiement de leurs services avant la guérison du patient: c’est le modèle de la promesse de guérison. Pomata décrit le système de valeurs qui régit alors la relation thérapeutique et retrace le remplacement progressif de la promesse de guérison par le principe du soin payé quelle que soit l’issue du traitement58. L’histoire de la relation thérapeutique permet ainsi de reconstituer plus clairement ce que signifiait être un usager de services médicaux dans l’histoire. D’autres travaux analysent les dossiers de patients établis par différents praticiens. La recherche de Michael Macdonald sur les dossiers de « fous » laissés par le médecin astrologue Richard Napier (1559-1634)59 et 57 58 59

Fissell 1991, p. 148. Pomata 1998. MacDonald 1981.

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celle de Jean-Pierre Goubert sur la pratique de Louis-Marie Lavergne (1756-1831) sont du nombre60. L’étude de Barbara Duden sur l’œuvre médicale du médecin Johann Storch (1681-1751), celle de Brian Nance sur la pratique de Turquet de Mayerne (1573-1655) et le travail consacré par Lucinda McCray Beier à la pratique du chirurgien Joseph Binns (env.1619-1666) offrent des perspectives originales sur les activités de thérapeutes61. Ces auteurs s’efforcent d’isoler la nature de la demande des malades et de reconstruire l’enjeu des négociations entre soignants et soignés. Leur analyse du discours médical débouche sur une réflexion ambitieuse sur les liens unissant soignants et soignés. Parmi les documents composant les fonds médicaux, la correspondance adressée à un thérapeute s’est imposée ces dernières années comme une source particulièrement utile pour retrouver la voix du patient, ou plus précisément, la voix d’un des acteurs de la relation thérapeutique. Ces documents ont l’avantage d’offrir le récit d’une variété d’expériences médicales rédigées à la première personne du singulier62. Michael Stolberg figure parmi les auteurs les plus ambitieux. En s’appuyant sur plusieurs fonds d’archives éparpillés à travers l’Europe, il s’efforce de dévoiler le monde médical du patient dans son monumental Homo Patiens. Ce faisant, il soupèse le poids de la santé au quotidien, interroge la signification de la maladie et met en abîme le contenu médical d’écrits laïcs63. Son survol est atypique. Les fonds de correspondance médicale ont plus souvent permis de parcourir différents aspects de la relation thérapeutique et, indirectement, du marché médical. Les lettres adressées au célèbre médecin parisien Etienne-François Geoffroy (1672-1731) amènent Lawrence Brockliss à constater, notamment, que les correspondants étaient en fin de parcours thérapeutique. Ces malades n’ambitionnent plus la guérison, mais un simple « soulagement »64. Le statut médical plus modeste du médecin breton Louis-Marie Lavergne est 60 61 62

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Goubert 1992a. Duden 1991; McCray Beier 1987, pp. 51-96; Nance 2001. Les plus anciens sont des éditions de textes, par exemple, Oakley 1970. Cette catégorie de sources a d’abord suscité des travaux centrés sur le praticien, Risse 1974; Risse 1993. Voir aussi Meyer 1984 et pour un aperçu historiographique récent, consulter Pilloud, Hächler et Barras 2004; Ruisinger 2008, pp. 12-17. Stolberg 2003. Brockliss 1994, p. 105.

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une explication possible au fait que ses correspondants se plaignaient de maux plus communs. Le corpus incite Jean-Pierre Goubert à décrire les particularités d’une clientèle ordinaire et à s’interroger sur le ton particulièrement distant des lettres. Méconnaissance du praticien ou malaise face à la plume?65 Le fonds des lettres adressées au célèbre docteur lausannois, Samuel Auguste Tissot (1728-1797), a suscité plusieurs études. Un corpus de lettres rédigé par des malades « onanistes » permet à Michael Stolberg d’analyser la dynamique entre les expériences rapportées et le contenu des livres publiés par Tissot66. Micheline Louis-Courvoisier et Séverine Pilloud ont entrepris une étude systématique des lettres de patients adressées à Tissot. Elles s’interrogent notamment sur le sens de l’échange épistolaire dans le cadre de la relation thérapeutique, sur le rôle joué par les proches dans la rédaction de la lettre, et elles décrivent finement la figure du médiateur laïc67.Une étude particulière par Pilloud est centrée sur la structure narrative des mêmes lettres. Son travail confirme la construction intersubjective de la maladie. L’analyse littéraire des récits de patients lui permet de dévoiler la marge de manœuvre conséquente des auteurs dans le choix d’une interprétation68. L’ouvrage de Maria Marion Ruisinger sur la correspondance médicale adressée à Lorenz Heister (1683-1758) porte sur le patient en tant qu’acteur de la relation thérapeutique. Le parcours du patient sert de fil rouge pour explorer les rapports entre le soignant et ses malades, ainsi que le contenu médical des lettres69. Au-delà du cadre de la relation thérapeutique, les lettres adressées à des médecins constituent des sources riches en récits d’expérience corporelle. Pilloud et Louis-Courvoisier proposent une analyse détaillée des mots employés pour décrire des aléas corporels et offrent un aperçu des variables communément invoquées pour expliquer une transformation d’un état de santé. Leur travail condense des traces omniprésentes dans les sources en soulignant la prédominance du paradigme humoral en tant que grille interprétative70. 65 66 67

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Goubert 1992b. Stolberg 1996, notamment pp. 402-404. Louis-Courvoisier et Pilloud 2000. Voir aussi Pilloud 2000; Louis-Courvoisier 2001a. Pilloud 2008. Ruisinger 2008. Pilloud et Louis-Courvoisier 2003.

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Wayne Wild ambitionne pour sa part d’historiciser ce cadre référentiel dans une étude de consultations épistolaires adressées à des médecins britanniques. Il postule l’apparition d’une forme particulière d’individualité à partir du milieu du XVIIIe siècle. Le même auteur souligne le rapport entre les nouvelles théories nerveuses dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle et la rhétorique employée par des malades eux-mêmes. La nature des idées médicales sur les nerfs aurait contribué à façonner la voix du malade au point de lui communiquer une sensibilité personnelle et subjective: les savoirs médicaux nourriraient sans cesse la culture laïque71. Lisa Wynne Smith porte un regard critique sur ce modèle. En confrontant le corpus du parisien Geoffroy à celui d’un médecin anglais contemporain, Hans Sloane (1660-1753), elle met en évidence de nombreuses similitudes entre les mondes médicaux britannique et français. L’élargissement de son corpus lui permet de relativiser le modèle de Wild en démontrant que des lettres rédigées bien avant la vogue de la médecine des nerfs n’étaient pas dépourvues de considérations subjectives. En prêtant une attention particulière à la place de la douleur dans les récits de malades, elle montre l’importance pour le souffrant de pouvoir intégrer la douleur éprouvée dans un cadre théorique porteur de sens72. La recherche de sens émerge bien comme une clé essentielle pour envisager l’histoire de la figure du patient. Cela dit, la plupart des auteurs peinent à offrir un tableau d’ensemble et se concentrent sur une source, une figure médicale ou un aspect de la relation thérapeutique. Seuls Dorothy et Roy Porter ont cherché à rédiger une synthèse sur l’histoire du patient. Dans un premier ouvrage, Patient’s Progress, ils présentent un survol des pratiques, conceptions et raisonnements de patients dans le contexte de la relation thérapeutique. La multiplicité des discours rencontrée est énoncée et la progression de la médicalisation de la vie quotidienne décrite. Les auteurs peinent cependant à donner sens à l’ensemble et défendent le principe d’une augmentation de la demande de soins au XVIIIe siècle avec, en toile de fond, la croissance de la consommation et le renforcement des réseaux de diffusion des savoirs. La trame proposée est empruntée à d’autres histoires73. Leur second ouvrage, In Sickness and in

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Wild 2000 et Wild 2006. Smith 2008. Sur la douleur, voir aussi Goubert 1992b. Porter et Porter 1989.

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Health, porte de fait sur la question de la culture médicale laïque74. Il est articulé en trois parties: la santé (1), la maladie (2) et soi souffrant (3). L’approche est phénoménologique et la démonstration se présente comme une anthologie des attitudes et des pratiques face à la santé et à la maladie75. Le sens historique à donner aux variations constatées dans le temps demeure fragile. CONCEPTS ET MÉTHODES Le survol de la littérature historique qui précède donne une idée des nombreuses difficultés qui attendent celui qui cherche à transformer la figure du patient en véritable objet historique. Des données ponctuelles sur quelques individus ont été réunies; des réflexions stimulantes sur les rapports de force inhérents à la relation thérapeutique ont été avancées; l’importance du sens prêté à la maladie a été affirmée et un parallèle entre le geste thérapeutique et une commodité commerciale a été proposé. Peu a été entrepris pour coordonner les différentes sources identifiées et rédiger une histoire de la figure du patient76. La finalité de cet ouvrage est de faire un pas supplémentaire dans cette direction. Il s’agit de restituer l’usager des commodités médicales dans son contexte, de retracer ses stratégies et ses actions afin d’explorer le sens que pouvait prendre la santé au XVIIIe siècle. L’objectif étant esquissé, il reste à déterminer comment procéder. La problématique dans laquelle le patient est le plus souvent inscrit se rapporte à l’adéquation ou non de ses idées médicales avec les théories médicales qui avaient cours à son époque. Cette solution tend à mettre en valeur les liens entre le discours médical et les pratiques quotidiennes. Elle permet d’analyser la diffusion de nouvelles idées théoriques, mais ne répond qu’imparfaitement au questionnement énoncé plus haut. Afin de mettre en lumière les règles socioculturelles régissant la santé, il est nécessaire d’embrasser un spectre plus large en ajoutant d’autres questionnements, et donc d’autres « contextes ». Ceux qui seront mobilisés dans ce travail sont: 74

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Katharina Ernst propose une voie similaire afin de dépasser les confins de l’histoire du « patient » évoqué plus haut. Voir Steinbrecher 1998, p. 2. Porter et Porter 1988. Pour une analyse plus détaillée Rieder 2003. Voir Condrau 2007, pp. 525-526.

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– la culture médicale laïque; – les réseaux thérapeutiques laïcs; – le cadre social du patient. Ces trois contextes constituent à la fois la toile de fond et, indirectement, les objets de cette étude. Au-delà de l’analyse du discours et de l’énumération des pratiques, il faut établir ce qui est commun et, le cas échéant, mettre en évidence de quelle manière la singularité se construit. La mise en perspective des récits de santé ne peut se faire que grâce aux informations que fournissent d’autres récits contemporains. C’est la raison pour laquelle une des caractéristiques de ce voyage dans le monde du patient est la mobilisation d’un grand nombre de cas. Chacun d’eux contribue à fournir un cadre référentiel à d’autres cas. Le fil conducteur qui guide la démarche est le sens que pouvaient prendre, au XVIIIe siècle, la maladie et la santé. Evoquer le sens donné à la santé ou à la perte de santé implique d’entreprendre une réflexion qui va au-delà de la description du parcours d’un malade. La douleur est forcément présente dans cette histoire. L’historien n’est pas médecin et ne cherche pas à soigner les corps, mais à analyser les récits. L’analyse textuelle seule permet de saisir l’effet de chaque état maladif sur les activités quotidiennes et sur les parcours de vie. Parmi les facteurs capables de déclencher la prise de conscience initiale, celle de la perte de santé, on pense au dépassement d’un seuil de tolérance, à l’incapacité d’effectuer une tâche ou encore au rejet social. Mais la liste est historiquement conditionnée. Ainsi, pour retrouver le cheminement qui mène de la prise de conscience initiale d’un état de corps inhabituel à un processus d’élaboration de sens, il faut recourir à l’archive. Peu importe que le sens émerge dans un journal personnel, dans une lettre privée ou dans une correspondance médicale. Pour le malade, comme pour le mourant, l’explication du mal, la façon dont l’affection est perçue par d’autres, demeurent des facteurs primordiaux pour déterminer la façon dont l’expérience doit être vécue. L’état du corps est sans cesse l’objet d’observations et évalué en fonction de variables particulières. Une fois malades, nombreux sont les laïcs à prendre conscience de la précarité de leur état et à invoquer l’omnipotence de Dieu77. La maladie peut alors être lue comme un signe. Ainsi, le

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Voir sur cette question Georges S. Rousseau 1993, p. 28.

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diariste Samuel Pepys attribue un mal d’oreille, « que Dieu tout puissant, dans sa justice, m’a donné » au fait qu’il avait flirté avec une dénommée Lane dans un courant d’air78. Au XVIIe et au XVIIIe siècles, l’interprétation du mal-être, qu’il soit passager, chronique ou mortel, oscille entre des causes physiques, des causes morales et des causes spirituelles. Un des a priori sur lequel repose l’analyse qui suit, est que pour saisir le sens des interprétations laïques faites sur la santé, il s’agit de mettre en valeur le cadre culturel dans lequel celles-ci s’inscrivent79. L’approche de la culture médicale peut être réalisée avec des repères conceptuels élaborés dans d’autres domaines. La définition, par exemple, que donne l’ethnologue Clifford Geertz de la culture dans The Interpretation of Cultures est particulièrement stimulante. En postulant, à l’instar de Max Weber, que l’homme est « un animal suspendu dans des toiles de sens qu’il a tissé lui-même », il propose de considérer la culture comme étant formée par la somme des toiles tissées. L’analyse de la culture « doit être non point expérimentale à la recherche de lois, mais interprétative à la recherche de sens.»80 Une telle définition présente l’avantage d’être assez souple pour permettre le cadrage des vécus individuels, mais donne également accès à une appréciation des transformations progressives de la culture… Ce cadre demeure vaste et il importe de choisir la bonne amorce. Le point de départ ne peut être l’idéal du corps contemporain, un corps invisible aux sens, décrit par David Le Breton81. En effet, le corps indolore était rare dans le passé. Par ailleurs, si un même trouble médical peut inciter des patients à exprimer une série de plaintes différentes aujourd’hui, il y a lieu de penser qu’il en allait de même dans le passé82. Un monde sépare le ressenti d’un dysfonctionnement ou d’une douleur et l’interprétation de ceux-ci. La source sur laquelle travaille l’historien s’avère bien souvent peu explicite quant aux

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80 81 82

Wear 1987, pp. 239-240. Ce concept peut être défini comme regroupant l’ensemble des connaissances, des pratiques et des métiers médicaux. Meyer 1984, pp. 77-78 (n. 27). Geertz 1993, p. 5. Le Breton 1990, chapitres 5 et 6. Irving Kenneth Zola à montré l’importance de facteurs socio-culturels dans la prise de la décision de consulter. Zola 1966; Zola 1973. L’étude déjà citée de Boltanski 1971 va dans le même sens.

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processus menant des sensations à l’élaboration de sens; l’interprétation précède apparemment la mise en écriture. « La première défense contre la douleur (ou la maladie)» d’un individu, affirme Le Breton, « tient dans la signification que celui-ci lui appose.»83 Ce constat est sans doute anhistorique; c’est dans la nature du sens élaboré que des données historiques peuvent être isolées. Se concentrer sur la signification imputée aux incommodités et malaises ressentis constitue une clé d’entrée possible dans la compréhension de la culture médicale du XVIIIe siècle. En effet, le sens donné est rarement neutre, comme le relève Susan Sontag. Dans Illness as a Metaphor, cette auteure montre que les représentations relatives à différentes maladies connaissent une vie propre et indépendante des théories médicales84. La vie des métaphores et des représentations associées à des affections particulières permet ainsi d’éclairer les bases à partir desquelles les membres d’une société confèrent du sens au mal-être. Sans espérer maîtriser complètement ce niveau de réalité, il s’agit de demeurer attentif aux représentations associées à chaque accident de santé et d’en retracer, dans la mesure du possible, les origines85. La reconstruction de représentations culturelles passe par l’analyse des modalités d’élaboration et de transmission des savoirs. En renversant la perspective, suivant le projet énoncé par Porter, les cultures médicales peuvent être approchées à travers l’interaction entre chaque auteur et son contexte socioculturel86. Si les membres d’un groupe participent à la transmission et au renouvellement des idées et des valeurs propres à leur culture médicale, ils ont d’abord acquis celles de leur milieu familial. Aujourd’hui, cette culture est alimentée par des préceptes inculqués au cours de la première éducation. Parmi ces idées figurent des notions comme: il ne faut pas regarder le soleil de face; il est essentiel de dormir régulièrement; il ne faut pas prendre froid, etc. Ces « vérités » sont ensuite complétées par des cours de biologie à l’école. L’apprentissage aboutit à la compréhension sommaire du fonctionnement de certains organes et une première approche du monde cellulaire. Il peut être complété plus 83 84 85

86

Le Breton 1995, p. 71. Sontag 1990. Plusieurs travaux historiques s’inspirent de ce principe pour reconstruire les histoires de maladies particulières, notamment la goutte et l’asthme. Voir plus bas pp. 342-343. Porter 1985b.

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tard par des échanges avec un médecin, la lecture d’ouvrages de vulgarisation, la consultation de dictionnaires ou d’encyclopédies médicales, des discussions avec des amis ou encore, le recours à internet. Le résultat au niveau des connaissances objectives est variable, mais force est de constater qu’un grand nombre de laïcs sont aujourd’hui capables de proposer des interprétations biomédicales pour expliquer leurs symptômes87. Qu’en est-il au XVIIIe siècle? Une réponse sérieuse nous entraînerait loin de notre objectif, mais un aperçu des sources d’information disponibles permet d’esquisser des éléments de réponse. Les formations de base étaient alors peu standardisées. L’influence prépondérante était sans doute celle de la famille: le milieu domestique comprenait souvent un livre de recettes et un certain savoir-faire. Ces savoirs se transmettaient, mais les apprentissages étaient rarement formalisés, et il est difficile aujourd’hui d’en préciser la nature: les enfants participaient aux soins de leurs proches, veillaient à l’occasion les malades et assimilaient ainsi empiriquement des connaissances médicales. Les écoles n’offraient pas de cours de sciences naturelles; seuls les jeunes gens qui dépassaient l’apprentissage des rudiments de la lecture et de l’écriture pouvaient explorer de tels sujets. Enfants et adultes glanaient d’autres données dans des conversations privées avec des spécialistes, au chevet de proches malades, en observant des corps blessés. Les personnes instruites, un groupe surreprésenté dans les pages qui suivent, pouvaient aussi compléter leur savoir par des lectures d’ouvrages de médecine. Il existait une multitude de niveaux d’appropriation de ces différents savoirs. Belle de Zuylen se passionnait pour différents domaines, notamment la physique, mais également la médecine88. Tout comme Charles Bonnet, elle ne prendra jamais formellement des cours de médecine, mais tous deux liront des auteurs médicaux, dialogueront régulièrement avec des soignants, soit en face-à-face, soit par correspondance. Ils ont un autre point commun, c’est celui d’avoir pris à un certain moment eux-mêmes la responsabilité de leur propre corps. Ce seul titre conférait à tout un chacun une certaine aisance dans la gestion de maladies et dans l’usage de termes médicaux. Les manifestations corporelles, les dysfonctionnements 87

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Barbara Duden décrit l’élaboration contemporaine du corps féminin. Duden 1991, pp. 45-46. Charrière O. C., t. 1, pp. 72 & 77, Belle de Zuylen à Ditie de Zuylen, s.l., le 14 janvier 1768; Belle de Zuylen à James Boswell, Utrecht, le 16 février 1768.

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physiques et les symptômes étaient énoncés dans un langage que partageaient laïcs et soignants. Cette culture s’avère dynamique et véhicule des conceptions incompatibles avec les préceptes de la médecine d’aujourd’hui. La distance est si grande qu’elle tend à conditionner le regard de l’historien. Comment traiter cette différence? Comment aborder la question de l’absence d’« efficacité » souvent reprochée à la médecine du passé? Faut-il, comme d’autres, se référer à des « croyances » médicales? L’efficacité ancienne L’historien, comme le lecteur, possède un corps et tous deux, confrontés à des histoires de santé, ne peuvent éviter un sentiment d’empathie pour ceux dont le vécu corporel est relaté. Devant le nombre de symptômes et de malheurs exposés dans des manuscrits historiques, le lecteur guette des thérapies crédibles. L’arsenal thérapeutique ancien est-il efficace? La mauvaise santé, la maladie constituent une partie intégrante de la vie au cours de l’Ancien Régime89. De nombreux passages de la littérature historique dénoncent l’incapacité de la médecine des Lumières à guérir90. Les allusions à « l’inefficacité ancienne », à l’« impuissance » de la médecine et à l’absence de thérapies efficaces sont légion91. Certains auteurs n’hésitent pas à évoquer la déception des contemporains face à l’incurie des médecins92. Roy Porter estime que « les échecs répétés de la médecine dans la conquête des grandes maladies chroniques justifiaient le recours à l’automédication ou à une posture stoïque »93. De telles affirmations nous apprennent peu sur la gestion historique de la santé. Qu’entend-on par « succès thérapeutique »? Comment penser une comparaison de l’efficacité ancienne avec celle d’aujourd’hui? L’affirmation de Porter peut être contredite par le succès de praticiens comme Samuel Auguste Tissot et par les remerciements que 89 90 91 92

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Sawday 1997, p. 39. Notamment dans des ouvrages peu spécialisés en histoire médicale. Vial 1989. Parmi d’autres Bandelier 1996, Stolberg 2003, p. 45. Goubert 1992a, p. 43. Goubert est plus nuancé ailleurs et met en garde contre le recours à l’épistémologie médicale d’aujourd’hui pour analyser la médecine du passé. Goubert 1998, p. 37. La tradition de railler la médecine est ancienne. Le tout est de comprendre, comme le relève Françoise Loux, les raisons de ces discours et leur fonction. Loux 1987, pp. 84-85. Porter 1992a, p. 104. Voir aussi Brockliss et Jones 1997, p. 305.

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celui-ci recevait de patients satisfaits. Avant le XIXe siècle, les médecins ne forment pas un groupe dont l’efficacité est reconnue et ne bénéficient pas d’un monopole. C’est une évidence pour les contemporains. « Tout le monde reconnaissait que la pratique de l’art médical était difficile et l’empire de la douleur et de la mort inébranlée ; aucun groupe de médecins ne pouvait garantir la guérison et les patients mangeaient à tous les râteliers.»94 L’appréciation de la plume des Porter est séduisante, mais la corrélation entre les limites de l’art médical et le recours à une pluralité de praticiens doit être considérée avec précaution. Le succès des médecines douces aujourd’hui signifie-t-il que la biomédecine est devenue moins efficace ? A la réflexion, les interprétations sur l’inefficacité ancienne trahissent nos propres valeurs et attentes face à la médecine moderne. Nous jugeons aujourd’hui un remède selon une équation établie par François Dagognet : remède réel = remède global – effet placebo/confiance praticien/espoir95

C’est bien souvent en fonction d’une telle évaluation que les remèdes sont jaugés dans les travaux historiques. Même des prises de position plus nuancées sont empreintes de cette logique. Françoise Loux affirme, par exemple, que si les thérapies d’antan sont inefficaces à nos yeux, elles ne l’étaient pas dans le passé, et cette efficacité historique pourrait être expliquée par la notion « d’efficacité symbolique »96. La référence est toujours la médecine moderne: décider entre l’efficacité médicale et l’efficacité symbolique ne peut se faire qu’à l’aide de la biomédecine ! Expliquer l’organisation du marché médical d’Ancien Régime uniquement en termes modernes d’efficacité et associer ce principe à la progression du monopole médical, c’est oublier les apports de l’historiographie sur la constitution du monopole des médecins universitaires au XIXe siècle, une littérature qui démontre que la prise de pouvoir de la biomédecine sur le marché thérapeutique précède le développement de moyens thérapeutiques efficaces dans le sens biomédical du terme97. L’historiographie 94 95

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Porter et Porter 1989, p. 27. Dagognet nuance lui-même la portée de cette définition. Dagognet 1964, pp. 31 & 38-46. Loux 1987, pp. 92-93. Quelques exemples pris dans une littérature abondante: Latour 1984; Léonard 1981, Ramsey 1984, pp. 225-305.

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sur la santé véhicule des valeurs empruntées à nos propres attentes en tant que patients et repose à la fois sur une compréhension contemporaine de la guérison et sur une conception moderne de l’efficacité médicale. Le concept moderne d’efficacité est une logique étrangère au monde médical d’Ancien Régime. Le discrédit dont souffre la médecine pratiquée avant la Révolution dans les écrits historiques trouve son origine dans les souffrances et les plaintes des contemporains. Si certains patients ne sont pas satisfaits des prestations qui leur sont fournies, en va-t-il autrement aujourd’hui? Evoquer l’inefficacité reconnue de la médecine suggère la résignation des laïcs. Or, une telle attitude n’est pas attestée dans le passé. Si la mauvaise santé était fréquente au XVIIIe siècle, elle suscitait une combativité impressionnante des malades et de leurs proches98. Pour éviter de plaquer nos propres valeurs sur les récits de parcours de santé de laïcs, il est nécessaire d’échafauder une approche contextuelle. De nombreuses traces attestent du fait que les malades tentaient des thérapies et des régimes. Qu’en attendaient-ils? Qu’espéraient-ils des remèdes? Face à la variété des maladies, des attitudes et des caractères, il ne faut pas attendre une réponse univoque. Les éléments de réponse proposés dans cet ouvrage s’appuient sur une compréhension historique des remèdes consommés au cours de l’Ancien Régime. La base de cette approche repose sur une analyse des attentes que suscitent alors un remède « efficace ». En dépit de la vogue de théories médicales nouvelles (essentiellement iatromécaniques, iatrochimiques et nerveuses), le paradigme corporel dominant était le paradigme humoral. La maladie est associée à un déséquilibre des humeurs; une médecine efficace est celle qui parvenait à rétablir l’équilibre: elle agit sur le corps entraînant la possibilité d’une amélioration, mais aussi celle d’une aggravation. « Minette a toujours sa coqueluche » écrit Amélie de Saussure à son mari, « les accès yer au soir étoient assez forts. Ces poudres l’accablent le matin parce qu’elles la font beaucoup vomir. Cet après diné elle est mieux et a moins d’embarras quand elle tousse »99. Le remède n’est pas systématiquement sensé « guérir ». Il doit résoudre des obstructions, chasser des humeurs corrompues,

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Par exemple MacDonald 1981, pp. 75 et sqq. BGE, Archives Saussure 237/88, Amélie de Saussure à Horace-Bénédict de Saussure, Rolle, mardi après diné [1767].

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provoquer une purge, induire un vomissement, susciter une abondante sudation ou déclencher une diarrhée100. Le succès de ces opérations présage d’une amélioration de l’état de santé. Le vendredi 8 janvier 1796, la mère d’Angletine Charrière de Sévery se trouve « bien malade ». Le même jour « les evacuations ont commencé, elle a rendu beaucoup de bile surtout par les crachats, et alors le mieux a commencé ». Pour encourager ce mieux et poursuivre l’opération de vidange, la malade prend un émétique. Le 13, « on a mis les vesicatoires* aux bras le matin, et un entre les 2 épaules le soir ». Le 14, sa fille rapporte qu’« on a levé les vesicatoires qui commencent à rendre ». Le jour suivant la même rapporte simplement qu’« elles rendent bien »101. Le signe est encourageant: le remède opère. C’est pourtant la dernière entrée du journal relative à la santé de sa mère qui meurt le 17 en dépit de l’efficacité des remèdes ! L’issue n’est pas toujours aussi dramatique et les malades se déclarent souvent mieux ou soulagés après avoir pris un remède. En juin 1766, Belle de Zuylen rassure son frère Vincent sur l’évolution de la maladie de leur mère: « Elle prit hier une forte medecine aujourd’hui elle se trouve tout-a fait bien » conclut-elle102. Il faut relever qu’être « tout-a fait bien » n’est pas encore être guérie. Barbara Duden le constate dans son étude sur les patientes du médecin Storch: « Dans de nombreux cas où j’avais induit, à partir d’une perspective moderne, que la maladie avait empiré, je fus étonnée de lire qu’une « amélioration » avait été rapportée ». La conclusion de l’auteur peut être prise comme une règle à observer dans l’appréciation des remèdes traditionnels: « Les remèdes sont cohérents dans le cadre de la pratique de Storch uniquement si je les examine pour leurs effets supposés sur la nature et les fluides »103. Les malades eux-mêmes et leurs proches offrent des jugements sur l’efficacité de tel ou tel remède. Parfois, un mieux-être constaté

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Cette caractéristique a été relevée par nombre d’auteurs, voir Rosenberg 1979, p. 8; McCray Beier 1987, pp. 169-170; Porter et Porter 1988, pp.105-107. Pour une vue d’ensemble, voir Wear 2000, pp. 85-92. ACV, P Charriere Ci 33, Angletine Charrière de Sévery, [Journal], le 8 au 15 janvier 1796. Charrière O. C., t. 1, p. 482, Belle de Zuylen à Vincent Maximiliaan van Tuyll van Serooskerken, s.l., le 21 juin 1766. Duden 1991, p. 156 & p. 172. Voir aussi McCray Beier 1987, p. 5; Rankin 2008, pp. 129-130.

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après la prise du remède suffit pour attester de son efficacité. JeanLouis Odier (1780-1799) rapporte, dans une lettre datée du 10 mai 1798, que son « petit cousin a eu le croup ces jours derniers, mais heureusement qu’on y a porté remède assez à temps pour le sauver et qu’à présent il est complettement hors de danger »104. Ainsi, l’efficacité ancienne est une efficacité jaugée à partir de l’expérience individuelle. Comment considérer dès lors les nombreuses plaintes suscitées par des remèdes? Anthropologues et sociologues montrent qu’aujourd’hui encore, les attentes face à la médecine sont socialement et culturellement déterminées. Existe-t-il une société traditionnelle telle que l’imagine Luc Boltanski, possédant «la maîtrise collective d’une compétence collective qui, partiellement fixée sous forme de recettes et de dictons, rendrait possible la production d’un discours stéréotypé mais cohérent sur le corps et sur ses besoins »?105 La complexité des réalités décrites dans les manuscrits et la souplesse du paradigme explicatif qui prévalait alors, incitent à postuler l’existence d’une grammaire plutôt que d’un discours, une grammaire qui permettait de donner sens et, peut-être surtout, de s’accommoder de sa propre réalité. Les écrits de soignants portent un éclairage intéressant sur cette question. Le chirurgien Joseph Binns qualifie de « guéris » des patients qui pouvaient à nouveau fonctionner de manière autonome. Son taux de réussite est élevé: sur 671 cas, 265 guérisons sont rapportées, 62 patients auraient vu leur état progresser alors que 22 n’auraient pas bénéficié du traitement et seuls 53 seraient décédés106. Un succès comparable se lit dans les archives de la pratique médicale d’Albrecht de Haller à Berne (1731-1736), analysée par Urs Boschung. Haller estime avoir eu des effets positifs dans 68% des cas. Dans 10% des cas, il juge les effets de sa thérapie peu clairs et dans environ 20%, il perçoit des effets négatifs107. Les soignants constatent leur propre efficacité !108 104

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BGE, Ms fr 5641, f. 124. Les exemples sont nombreux. Une potion aurait sauvé Benjamin Constant enfant, selon Catherine Charrière de Sévery (1741-1796). Voir Charrière de Sévery 1978, t. 1, p. 137. Boltanski 1971, p. 232. Les 269 autres cas ne sont pas assortis d’une appréciation. McCray Beier 1987, pp. 86 & 96. Environ 50% des cas ne bénéficient pas d’un commentaire. Boschung 1996, p. 12. Il est vrai qu’ils ne se chargeaient pas des cas désespérés. Voir Wear 2000, p. 34.

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Statut des «savoirs médicaux»: que «croire»? L’efficacité de la médecine d’aujourd’hui n’est certes pas un critère utile pour juger celle d’hier. Quel statut prêter alors à l’ensemble des théories, convictions et représentations professionnelles et laïques relatives à la santé et à la médecine? Il n’y avait pas un seul savoir médical avant la médecine scientifique et le contenu et la forme des savoirs évoluaient au cours du temps. Dans la logique du marché thérapeutique et du raisonnement énoncé à propos de l’efficacité, le praticien qui revendiquait tel ou tel savoir pour légitimer ses activités, doit être apprécié non pas selon son rang professionnel, mais en fonction de sa crédibilité et de son succès contemporain: son influence médicale est intelligible au vu de son succès social et économique. Adopter une telle approche est un moyen de chercher à éviter les a priori sur la nature des savoirs et des compétences. Le chirurgien possède un savoir et un savoir faire qui diffère de celui du docteur universitaire, sans lui être, aux yeux du patient, inférieur. Comment faut-il considérer les différentes convictions, idées et interprétations sur le corps? Doit-on soutenir, à l’instar de Barbara Duden, qu’uriner par la bouche ou voir le sang menstruel s’écouler d’une plaie étaient des phénomènes réels?109 La question est complexe et l’option prise ici est pragmatique. Les phénomènes mentionnés par Duden étaient alors possibles ou pensables. Le nœud réside dans l’utilisation du terme de « croyance » comme catégorie analytique pour en rendre compte. La notion de croyance se glisse jusque dans la meilleure littérature historique pour désigner les conceptions de laïcs ou de soignants alternatifs110. En termes lexicographiques, la croyance est « l’action, le fait de croire une chose vraie, vraisemblable ou possible »111. Au XVIIIe siècle, il était du domaine du possible, par exemple, de croire en Dieu tout comme c’est le cas aujourd’hui. Roy Porter place sur le même pied les « croyances médicales » et la « foi religieuse »112. Croire, bien sûr, ne renvoie pas uniquement à une prise de position spirituelle, mais peut être associé à une conviction profane. Dans l’action de croire, il n’y a pas forcément de jugement sur la validité de l’action. Pourtant, « croire à » peut aussi se 109 110 111 112

Duden 1991, pp. 6-7. Porter 1985b, p. 4; Porter et Porter 1988, p. 8 Le Petit Robert (2008). Porter 1985b, pp. 4-5.

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référer à une croyance naïve, soit par exemple, « croire au père Noël »113. Dès lors, il y a danger que le lecteur perçoive une nuance péjorative dans la manière de présenter certaines réalités du passé. Autrement dit, l’emploi du terme de croyance pour désigner une conviction énoncée dans un texte historique est légitime dans la mesure où cette allusion ne s’oppose pas à une « réalité objective » élaborée au XXIe siècle. Afin de pouvoir considérer les notions médicales historiques comme des croyances, il faudrait également systématiquement se référer au savoir scientifique moderne comme une croyance114. Suivre une telle voie dans un ouvrage où il sera peu question de la médecine moderne présente un danger supplémentaire, celui de voir le lecteur, confronté à des allusions aux « croyances », les opposer lui-même à une objectivité que suggère le savoir scientifique moderne. Je préfère dès lors suivre certains ethnologues et renoncer à l’emploi de ce terme115. Une alternative plus pertinente pour l’histoire de la figure du patient consiste à recourir aux conceptions, aux représentations116 et aux savoirs117 pour expliciter la compréhension historique des maladies et des thérapies118. Dans cette perspective, il est superflu de répéter la stérilité de la pratique qui consisterait à recourir à des nosologies contemporaines pour décrire les maladies d’hommes et de femmes vivant au XVIIIe siècle. Renoncer n’est pourtant pas simple. Le schéma corporel biologique dicte notre façon d’appréhender le corps et la santé. Le choix fait ici est d’employer les termes propres aux sources en cherchant à leur redonner leur sens historique, soit les définitions des dictionnaires de langue d’alors. Sur ce point, la méthode adoptée est extrême: les différents niveaux du savoir sont enchevêtrés et le chercheur doit autant se méfier de ses propres pré113 114

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Dict. historique, article Croire. Une autre solution serait de définir spécifiquement l’action de croire comme « l’investissement des sujets dans une proposition, l’acte de l’énoncer en la tenant pour vraie – autrement dit, une « modalité » de l’affirmation et non pas son contenu ». Cette alternative est séduisante, mais constitue néanmoins une possibilité supplémentaire de confusion pour le lecteur. Voir Certeau 1990, p. 260. Voir Good 1994, pp. 1-24. Herzlich et Pierret 1984, pp. 15-19. C’est le parti pris de François Lebrun qui parle des « théories » et des « savoirs » médicaux. Lebrun 1995, pp. 54 & 103. George S. Rousseau et Roy Porter recourent aux « représentations culturelles » dans leur histoire de la goutte. Porter et Rousseau 1998, p. 1.

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jugés que du référentiel simpliste formé par un corpus de textes savants119. L’approche incite à se défaire de nos propres conceptions de la corporéité et de la médecine. C’est dans cet esprit anthropologique et dans une volonté de comprendre les phénomènes liés à la santé d’une façon ontologique, que l’altérité des discours est abordée dans chacune des quatre articulations de cet ouvrage. L’approche n’est pas sans failles méthodologiques. Un premier danger serait de prêter une foi déraisonnable à la voix du malade. A l’opposé du diagnostic rétrospectif se trouve la récupération naïve des liens de causalité suggérés par les sources elles-mêmes. Cette mise au point est importante, étant donné la facilité avec laquelle cet abus se glisse dans le récit. Ainsi, par exemple, lorsqu’il commente la biographie médicale d’Elizabeth Freke (16?-1714), Raymond Anselment insiste sur l’amour que porte cette diariste anglaise à son fils, « une sollicitude qui lui causa à une occasion, en apprenant le danger dans lequel se trouvait son fils, un tel bouleversement qu’elle tomba elle-même gravement malade »120. Ici, il n’est pas possible de savoir si l’interprétation est formulée par la diariste ou si elle est induite par l’historien; dans tous les cas, le lien de causalité me semble ambigu et à éviter. Le fait est que l’historien ne connaît pas les causes de la maladie ou du décès121. Par conséquent, les récits étudiés doivent conserver leur statut de récits. Il s’agit de porter le même regard critique sur toutes les interprétations. La cause évoquée par Théophile Rémy Frêne pour expliquer la mort d’un jeune homme talentueux, décédé à Paris en 1776 « de son trop d’application », doit avoir la même valeur, même si elle paraît moins plausible, que l’affirmation communément admise selon laquelle Milton serait devenu aveugle à la suite de ses excès de lecture. Ni l’une ni l’autre ne sont des propositions neutres qui vont de soi. Il s’agit d’opérer clairement la distinction entre les interprétations découlant des sources et celles avancées par l’historien122. 119 120 121

122

Duden 1991, pp. 1-49. Anselment 1996, p. 232. Même des auteurs sceptiques quant à l’efficacité des remèdes historiques se laissent emporter. Michelle Caroly, par exemple, écrit, après avoir insisté sur l’inefficacité des remèdes donnés à Louis XIV: «Vallot fit ses preuves en 1658, lors de la scarlatine du roi, en lui administrant du vin émétique qui le sauva ». Caroly 1990, p. 10. La maladie peut être conceptualisée comme « une série de mots, d’expériences, et de sentiments qui « allaient ensemble » communément pour les membres d’une société donnée ». Good 1994, p. 5.

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Le champ historique embrassé est impressionnant. Il est abordé ici de quatre perspectives distinctes élaborées à partir d’un même corpus de sources, chaque perspective occupant une des quatre parties de l’ouvrage. Dans la première partie, les écrits privilégiés sont rédigés à la première personne du singulier et l’œuvre d’auteurs issus de classes bourgeoises ou aisées. La capacité d’écrire avec une certaine facilité, indispensable pour produire ces textes, est bien un signe de distinction sociale. Pourtant, au-delà de ce constat, l’hétérogénéité est encore une caractéristique dominante. Parmi ces auteurs figurent un ministre contraint de travailler pour vivre, une aristocrate, un naturaliste aisé, une bourgeoise (épouse de ministre) et un étudiant en médecine. S’ils ne bénéficient pas d’une formation commune, ils n’appartiennent pas à des classes manuelles. Plutôt que d’offrir un exemple clé, ou encore un parcours type, l’option choisie est de suivre les parcours d’un nombre restreint d’individus. La finalité des récits préparés est de reconstituer les stratégies que le laïc élabore pour conserver ou retrouver la santé. En partant du modèle théorique esquissé par Giovanni Levi, il s’agit, dans chaque cas de décrire le comportement de l’individu à l’intérieur d’un monde qui lui est propre et dans lequel il bénéficie d’une certaine liberté d’action et d’interprétation123. La mise en parallèle de plusieurs « cas » permet justement d’évaluer la marge de manœuvre de chacun. La problématique abordée dans la deuxième section de ce livre est centrée sur le rôle de l’autre dans la gestion de la santé, et ce particulièrement du point de vue du souffrant. Le tableau est complété par l’étude des stratégies déployées par le groupe des proches du malade. Quand et qui s’agit-il de consulter? Quelles sont les attentes résultant du recours à un conseiller médical? Les deux dernières articulations du livre s’attachent à interroger la cohérence de la culture médicale laïque à travers les mots mobilisés pour décrire les sensations de mauvaise santé, mais également les commentaires et stratégies mises en œuvre par des laïcs pour conserver la santé. Au-delà des particularités individuelles, il y a bien, à mon sens, une culture médicale laïque au XVIIIe siècle. Elle ne se présente pas comme une série arrêtée d’entités nosologiques, mais plutôt comme un système culturel riche d’une multitude de variantes possibles. La cohérence de cette culture peut être cernée soit à partir de paradigmes com-

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Levi 1991.

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muns comme les composantes anatomiques, humorales ou nerveuses des corps, soit en fonction des conséquences de ceux-ci, comme la circulation des humeurs, le nécessaire renouvellement des fluides internes, le besoin en aliments et les incontournables évacuations, soit encore dans la constance du sens qui est attaché à des signes (ou symptômes) spécifiques. Ces quelques données peuvent être réinterprétées en fonction de facteurs extérieurs, notamment l’histoire du malade, son âge ou la saison de l’année. Pour saisir ces différents signes, une approche sémiotique (ou littéraire) s’est imposée. Elle permet en premier lieu de tenir compte de la diversité des discours, diversité condensée dans la métaphore des toiles d’araignée employée par Geertz. Les toiles comprennent alors aussi bien l’héritage familial en matière de santé, les discours élaborés dans la communauté, la rumeur publique, les lectures et l’expérience personnelle. La conception sémiotique comporte un second avantage, celui de réunir à la fois discours et actions sous un même dénominateur, celui de la recherche de sens124. L’identification des différentes toiles doit donc être une première étape dans la lecture des documents. C’est une voie vers ce que Geertz qualifie de « thick description »125.

124 125

Geertz 1993, pp. 5 & 10. L’emprunt d’outils conceptuels à Geertz est ici opportuniste et ne signifie pas l’adoption de l’ensemble de son système interprétatif. Le recours à l’anthropologie de Geertz en histoire a été critiquée pour différentes raisons, notamment en raison de la circularité inhérente à une approche herméneutique où le texte véhicule à la fois des critères de vérité et de signification. Cette question a été abordée dans les débats autour du livre de Robert Darnton, Le grand massacre de chats. Le parti pris, notamment dans la troisième partie de ce travail où la question de culture est abordée plus sérieusement, est de multiplier les sources utilisées dans la reconstitution de différents niveaux de sens possibles. Par opposition à Darnton, l’objectif n’est pas de mettre à jour les éléments symboliques d’une culture donnée, mais de rendre intelligible un discours particulier. Cette question ainsi qu’une autre, inhérente à cette approche herméneutique, la difficulté de sortir de l’histoire « immobile », sont reprises dans la conclusion. Voir Darnton 1985; Darnton 1986; Chartier 1985; Levi 1985; Levi 1991.

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« Ma santé ne se remettra jamais complettement. Mon esprit, que ma mobilité* rendoit inhabile a de longs ouvrages est devenu doublement incapable par mes maladies et mes chagrins, de sorte que vivre longtems ne serait que souffrir physiquement et moralement de grands et de petits maux. Il n’y a pas la moindre faste non plus que la moindre mélancolie dans ce que je vous dis: je suis moins triste et plus résigné que je ne le fus jamais.» Benjamin Constant, août 17891.

Etre malade est une expérience. Chercher à conserver ou à retrouver la santé en est une autre. Chaque épisode de santé dépend de la nature du mal certes, mais aussi du contexte historique dans lequel évolue le malade. Le principe est simple, mais pour découvrir ce qu’il signifie concrètement pour le laïc, il s’agit de pouvoir reconstruire les parcours et les stratégies thérapeutiques d’individus. Or, de telles reconstitutions sont laborieuses et le simple fait de pouvoir raconter l’enchaînement des maux propres à un cas prend des allures de victoire aux yeux de celui qui réalise l’incontournable compilation à partir de séries de documents où la santé n’est qu’un thème parmi d’autres. La mobilisation de telles données s’avère pourtant nécessaire. C’est lors de l’étape suivante, celle qui voit le lecteur devenir interprète, que les écueils sont les plus nombreux. Le vocabulaire employé dans les documents est flou, l’inconstance du point de vue de l’auteur et le nombre d’allusions apparemment contradictoires sont désarmants. La culture médicale dans laquelle baignent laïcs et praticiens est souple; la notion de maladie, tout comme celle de santé, varient. Une réalité claire transpire des écrits analysés plus bas. Au XVIIIe siècle, chacun prête une grande attention à l’inter1

Charrière O. C., t. 3, p. 144, Benjamin Constant à Isabelle de Charrière, s.l., le 4 août 1789.

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prétation des événements corporels. Le laïc, bien qu’aidé par ses proches, est celui pour qui l’enjeu est essentiel. Il arrête quelles sont les causes du passage d’un état corporel à un autre. C’est là un constat important. Chaque auteur bénéficie ainsi d’une certaine autonomie pour réinterpréter sans cesse l’histoire de sa santé. Retrouver le sens qui se construit à travers l’expérience personnelle, ou plutôt, dans une dialectique constante entre le corps vécu et la culture médicale, constitue la finalité de ce premier chapitre. Les cas analysés plus bas se singularisent par le fait qu’il est possible de les suivre sur plusieurs années, voire des décennies. Le sens surgit progressivement à la faveur du temps. Cerner l’interprétation donnée par chacun à son propre parcours est primordial en raison de l’importance que celle-ci prend dans la définition de soi. L’état de santé est un élément constitutif de l’identité personnelle, que l’on soit malade ou non, et prendre soi pour objet de réflexion engage ainsi à délaisser le mirage d’une histoire objective de la santé individuelle au profit d’une exploration de ses subjectivités. Aborder la question de l’histoire de la santé vécue nécessite la constitution d’un corpus de sources appropriées, soit des textes rédigés à la première personne du singulier et portant au moins partiellement sur le corps et la santé de leur auteur. Dans les fonds d’archives et suivant l’inspiration de l’archiviste, figure une première catégorie de textes répertoriée en tant que « journal », « autobiographie », « livre de raison », « mémoires » ou « journal intime ». Ces manuscrits sont relativement rares dans la région actuelle de la Suisse romande avant la fin du XVIIe siècle, mais plus nombreux après cette date2. Formellement, ils sont inégaux en longueur, en contenu, en style et bien souvent, les cahiers conservés ne forment qu’une fraction de l’œuvre originale. L’origine générique de ces textes et les modèles qui ont pu servir à leur auteur demeurent énigmatiques. Les racines historiques pourraient être le journal spirituel

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Il n’existe pas d’inventaires détaillés. Pour Neuchâtel et Genève, voir Jelmini 1994; Weibel 1997. Je suis redevable à Jean-Daniel Candaux qui a mis ses inventaires à ma disposition: « Fonds historiques genevois dépourvus de bon inventaire imprimé », Genève, 1972, 4 pp. dactyl. ; « Genève: Les agents culturels et leur formation », Genève, 19 pp., s.d., dactyl. Un inventaire existe pour la Suisse alémanique où l’évolution des textes est apparemment similaire. Piller 2007, pp. 17-19.

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protestant3, les biographies spirituelles catholiques4 et le livre de raison. Ce dernier constitue un genre commun et répandu, un fourretout où sont consignés des éléments de comptabilité, des rituels de passage (naissances, mariages, décès) et des événements marquants5. Les personnalités en vue contribuent à un autre genre, les mémoires, un récit typiquement articulé autour de la carrière publique de leur auteur6. Dans de tels écrits, la santé, la maladie ou un malaise prennent une place importante, mais anecdotique7. Le contraste des mémoires avec les textes plus intimistes est frappant. Prenons le Journal de Sébastien de Senarclens, de Chigny, Capitaine français (1685), des mémoires rédigés à la première personne du singulier. Une maladie contractée par l’auteur à Paris est décrite avec force détails: il s’agit d’un « flux au ventre ». Le narrateur en détermine la cause, la consommation de prunes suivie de trop de bière, « outre que cette maladie courait et que le froid de cette année la causait »8. Pourtant, l’allusion à cet épisode ne trouve une place dans le récit que parce qu’il motive l’ajournement de l’entrevue du principal protagoniste avec le roi. C’est un accident de parcours ! Considérés dans leur ensemble, qu’ils portent le titre de mémoires ou de journaux, une lecture cursive du contenu de ces manuscrits suffit pour se convaincre que ce ne sont pas des journaux intimes, du moins pas dans le sens de la définition littéraire de ce genre: des écrits à même

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Les écrits les plus connus sont anglo-saxons: Dupas 1982, p. 115; Mendelson 1987, surtout pp. 94 et suiv. Nicolas Paige cherche avec une certaine conviction à démontrer le rôle des journaux spirituels catholiques dans la genèse du genre autobiographique. Paige 1996. Le « Livre de raison » de Jérémie de Goumoëns, commencé en 1621, année de son mariage, retrace les naissances et les décès dans sa famille (ACV, P de Goumoëns 282). Le « Livre de note » de Jean Antoine Butini-Plantamour » (16931778) comprend aussi bien des dates importantes pour sa famille que des données sur le commerce (AEG, Arch. de la Famille Butini 1538-1772/2). Voir Robin-Romero 2005, p. 169 et plus généralement Cassan 2005 et Lemaître 2005. Les mémoires du XVIIe siècle français, souvent édités au siècle suivant, partagent ces caractéristiques. Consulter Briot 1994, p. 27. Voir les écrits de Jaques Flournoy (1645-1693) et de Perdriau (peut-être Jean, 1712-1786). Flournoy 1994; BGE, SHAG, Ms 6, Journal de Perdriau, pp. 14-15. ACV, PP 17 de Senarclens, 88.

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« de nous faire pénétrer dans l’intimité de son auteur qui l’écrit pour lui-même et qui livre ainsi sa personnalité, révèle les tendances, les réactions qui lui sont propres »9. Il est vrai qu’un courant intimiste, promis à un bel avenir et calqué sur le modèle des Confessions de Rousseau, s’impose tout à la fin de la période considérée ici10. A une ou deux exceptions près, les auteurs de notre corpus ont commencé à écrire avant la publication du livre de Rousseau et leurs œuvres ne peuvent être classées dans un seul genre littéraire. Les « journaux », des textes dont le contenu est organisé en une série d’entrées datées, sont nombreux. Ils sont rédigés avec une régularité variable, au cours d’un espace de vie plus ou moins long. Des éléments autobiographiques s’y glissent – l’auteur résume souvent plusieurs jours, semaines ou mois rétrospectivement – sans pour autant qu’il s’agisse, toujours selon les critères de la définition littéraire, de véritables autobiographies11. Horace-Bénédict de Saussure (1740-1799), par exemple, est précis dans ses annotations, et ses cahiers lui servent à consigner le détail de ses occupations quotidiennes. La présentation annonce une écriture au jour le jour, pourtant, la précision même de sa pratique d’écriture l’amène à relever, en date du 28 août 1769, une activité qui nie une telle régularité: ce jour-là il aurait « fini le présent journal depuis le 9 juillet jusqu’au 13 août »12. Il n’est pas le seul à procéder ainsi. Force est de constater que l’hétérogénéité des textes répond à celle des projets d’écriture. Ces textes impliquent un investissement à moyen ou à long terme. Rien d’étonnant, dès lors, à ce que les finalités des auteurs évoluent au cours de la période d’écriture. C’est particulièrement évident dans le journal de Théophile Rémy Frêne, un texte commencé en 1741 et complété régulièrement jusqu’aux premières années du XIXe siècle. Le journal répond ici d’abord à un projet pédagogique, devient plus tard un aide-mémoire des événements qu’il estime importants et, à différentes occasions, un espace où coucher ses réflexions sur des 9 10

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Leleu 1952, p. 5. L’écrit de Rousseau a servi de modèle, par exemple, pour Jean-Daniel Blavignac (1817-1876). AEG, Archives de famille, Blavignac 1ère série, I-II. Ils ne répondent pas aux critères génériques proposés par Philippe Lejeune. On y trouve bien l’unité du sujet et de l’auteur, la perspective rétrospective et la forme de prose. Par contre, la « quête d’unité » et le « pacte autobiographique » font souvent défaut. Voir Lejeune 1971; Lejeune 1996. BGE, Archives Saussure 102, Horace-Bénédict de Saussure, [Journal], 1769.

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faits passés. Les transformations sont ici minimes, mais obéissent aux changements de perspective de Frêne13. Le journal de Louis Odier (1748-1817) évolue plus rapidement. Le projet initial, inscrit sur la page de garde et daté du 18 mai 1767, est ambitieux. Le diariste, alors âgé de 19 ans, se propose de diviser ses entrées quotidiennes en sept points distincts. Il imagine des rubriques sur ses activités, sur les événements remarquables du jour, sur « les ouï dire d’événements du passé », sur ses observations, sur ce qu’il a appris, sur le temps qu’il fait et en dernier lieu, une rubrique ajoutée le lendemain (19 mai), Valetudo: « Ma santé et celle de mes amis ». Pourtant, trois jours plus tard, dans ce qui est alors un nouveau cahier, Odier décide: « Je ne mets pas ici l’article Valetudo parce que nous [nous] sommes tous bien portés, et à l’avenir je ne le mettrai que lorsque je saurai que quelqu’un de ceux auxquels je m’intéresse est malade »14. Si l’évolution du plan éditorial est une caractéristique commune, quelques journaux conservent une forme constante au cours du temps. C’est le cas du journal de Catherine Charrière de Sévery. Un feuillet libre sur lequel l’auteure dévoile son projet d’écriture est inséré dans le premier cahier. « J’ai commencé ce journal en 1768 » écrit-elle « pour retrouver une fois des traces de ce que nous avons fait, et pensé, dans des tems qui seront effacés de notre mémoire, tous ces petits événements et ce[s] dates qui sont rapportés ici, ne peuvent être intéressants pour personne que pour mon ami et moi »15. Un des nombreux cahiers composant son journal porte la mention « Journal pour 1786-1789 des journées et soupers ». Ce titre résume bien une partie du contenu du journal, mais dans les entrées régulières se glissent également d’autres préoccupations. Il y est question de l’état de santé de l’auteure et de sa famille, d’événements politiques, de problèmes d’éducation, de différends avec son mari et de questions économiques16. L’hétérogénéité des textes illustre la difficulté qu’il y aurait à les classer dans un seul genre littéraire. Une de leurs caractéristiques est, précisément, d’être des écrits mixtes ou, et ce sera l’appellation retenue ici, des journaux personnels17. En effet, 13 14 15 16

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Voir plus bas pp. 132-134. Pour une perspective critique, voir Bandelier 1993. BGE, Ms fr. 5643/1, Louis Odier, Journal N° 2. ACV, P. Charrière, Ci 11, s.d., Catherine Charrière de Sévery, [Journal]. Voir par exemple ACV, P. Charrière, Ci 13, Catherine Charrière de Sévery, [Journal]. Le constat rejoint celui fait par Lejeune et Bogaert 2003.

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si on peut y trouver des données sur la domesticité et sur la vie quotidienne des auteurs, il n’y a pas systématiquement de tendance introspective. Bien souvent les textes jonglent entre l’autobiographie, la chronique publique, la chronique privée et l’introspection. Il n’est pas toujours possible de savoir ce qui a motivé l’adoption d’un projet d’écriture plutôt qu’un autre, mais certains textes contiennent eux-mêmes des allusions à leurs modèles. Le diariste Frêne évoque le « Livre de remarque » de son père dans les premières pages de son propre cahier. Il y a certainement dans les motivations du jeune auteur une volonté d’imitation, et peut-être de la part de son père, un projet pédagogique. Ailleurs, c’est le jeune âge des auteurs qui situe les premiers efforts de rédaction dans un contexte d’apprentissage18. C’est dans ce sens que peut être interprété le cadeau d’un cahier fait à Catherine Charrière de Sévery, âgée de neuf ans, par sa tante de Villars. Le cahier n’est pas vierge et comprend l’ébauche d’un précédent journal d’enfant qui a probablement servi de modèle à la jeune diariste appelée par la suite à tenir un journal une grande partie de sa vie19. Tenir un journal personnel ou écrire ses mémoires, est une pratique relativement courante dans les bonnes familles. Elle s’inscrit dans une tradition d’écriture familiale et d’échanges sociaux. Ecrire sur soi est perçu comme un moyen d’exercer l’esprit. « Je pense que dans l’indolente jeunesse qu’on la laissé avoir ce journal a été presque le seul exercice qu’ait eu son esprit, la seule education que son esprit ait receue » écrit Isabelle de Charrière de son amie Mme Sandoz20. Le contexte pédagogique dans lequel certains de ces écrits s’inscrivent suggère que l’écriture n’est pas aussi spontanée que le texte seul le laisse penser. Le rôle de tiers peut aller plus loin. Isabelle de Charrière incite son amie Henriette L’Hardy à écrire des mémoires et lui rédige même une amorce21. La façon dont la première s’immisce dans l’écriture personnelle de ses jeunes amies suggère que cette pratique n’est pas systématiquement une pratique

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Sur l’usage pédagogique de la correspondance, Caspard 1996. Le premier cahier est intitulé: « Livre de ce qui et pace à Lisle l’an 1736 » et est signé Lolotte [Charlotte] de Buren. ACV, P. Charrière, Ci 9. Charrière O. C., t. 3, p. 561, Isabelle de Charrière à Henriette L’Hardy, [Colombier], le 18 mars 1793. Charrière O. C., t. 3, pp. 551 & 561, Isabelle de Charrière à Henriette L’Hardy, [Colombier], les 13 et 18 mars 1793.

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solitaire. L’écriture obéit à des injonctions, suscite des réactions et des conseils de nature variable suggérant une première diffusion parmi des parents et amis. Charrière n’hésite pas à exhorter une autre amie à renoncer à son journal: « C’est une manière de confessional mais si on ne s’y amende pas on ne fait que s’accoutumer à ses fautes et à ses defauts.»22 Le rôle du tiers peut être plus direct encore. Dans son propre journal, Louis Odier rapporte s’être amusé avec son ami Mangeant en l’aidant à rédiger le journal de ce dernier. Mangeant écrivait et Odier dictait « et nous rions comme des fous »23. L’exemple engage à observer une certaine prudence dans l’interprétation du moi exprimé dans ces textes ! Que l’auteur soit aidé ou non, il est légitime de se demander à qui les écrits personnels étaient destinés. Le plus souvent l’écriture est en vernaculaire et demeure lisible pour un public large. Seul Horace-Bénédict de Saussure écrit, à l’occasion, le sien en latin avec des mots en grec, une manière d’en interdire l’accès à ses proches. Les quelques passages rédigés dans une forme primitive de sténographie dans le journal de Louis Odier font penser à un essai formel plutôt qu’à une tentative de dissimulation. Catherine Charrière de Sévery précise bien, pour sa part, que son journal doit lui servir d’aide-mémoire et par conséquent, la première lectrice n’est autre que la diariste elle-même à un âge plus avancé, un autre soi. Ces différents exemples montrent qu’il est difficile de généraliser. Cela dit, les destinataires logiques sont, dans l’ordre, le conjoint, les enfants et la postérité. Certains auteurs s’adressent explicitement à un lectorat précis. Jeanne-Marie Bellamy interpelle ses fils au détour d’une phrase. Les fils Prévost liront son journal, tout comme la fille de Louis Odier analysera avec soin les écrits personnels de son père24. Ces textes sont destinés à être lus et, parfois, relus. Une seconde famille de sources, la correspondance, est connue pour sa proximité stylistique et générique avec les journaux personnels25. La rédaction de lettres est une activité à la mode au 22

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Charrière O. C., t. 6, p. 64, Isabelle de Charrière à Isabelle Gélieu, s.l., le 30 avril 1800. Le journal personnel conservé d’Isabelle Gélieu est postérieur à cette période. Berthoud 1973. Odier tient ce journal pendant ses années d’études à l’Académie de Genève et à l’Université d’Edimbourg. BGE, Ms fr. 5643/1, Louis Odier, Journal N° 2. Voir BGE, Ms fr. 5643/1, Louis Odier, Journal N° 2, le 2 juillet 1767 et 1er janvier 1768; Jnl Bellamy, 11 août 1772. Parmi d’autres Grassi 1990; Beugnot 1990.

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XVIIIe siècle et l’environnement littéraire en est fortement marqué. Les romans épistolaires font fureur. Samuel Richardson, Johan Wolfgang von Goethe et Jean-Jacques Rousseau publient de véritables best-sellers composés de séries de lettres26. Les correspondants s’en inspirent, mais peuvent également s’appuyer sur les manuels de rédaction de lettres27. Des lettres échangées par des personnalités connues sont éditées28. Celles signées par Mme de Sévigné s’imposent comme un modèle pour les diaristes comme pour les correspondants29. Ce n’est pas un hasard. Outre leur élégance et leur style, ses lettres portent une préoccupation peu présente jusqu’alors dans les correspondances publiées, la réalité quotidienne30. La lettre rejoint ainsi le journal personnel et le roman dans une même valorisation des gestes et des sentiments domestiques. La santé y trouve une bonne place31. La lecture des lettres de Mme de Sévigné suffit pour s’en assurer. Les lettres personnelles conservées dans les archives romandes obéissent aux canons de l’écriture familière dont les lettres de Sévigné représentent alors un idéal32. Elles offrent un accès privilégié à des indications sur le rapport qu’entretiennent les individus avec leur santé. Si l’épistolaire est prisé par les femmes, les hommes s’y adonnent également33. Les correspondants les plus 26

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François Jost signale la publication d’un millier de romans épistolaires en Europe entre 1740 et 1820. Jost 1968, p. 95. Ces manuels s’adressent la plupart du temps à une population plutôt modeste. Altman 1986, p. 34. Des allusions, par exemple, aux lettres de Cicéron sont récurrentes. Charrière O. C., t. 2, p. 253, Constant d’Hermenches à Isabelle de Charrière, Bois de Vaud près Lausanne, le 10 novembre 1771; Charrière O. C., t. 3, p. 459, Isabelle de Charrière à Henriette L’Hardy, s.l., le 9 décembre 1792. Bellamy la cite à deux reprises. Voir aussi l’allusion faite à Sévigné dans le journal d’Henri-David de Chaillet. Jnl Bellamy, le 23 octobre et le 18 novembre 1772; Guyot 1946, pp. 69-70. Les lettres de Mme de Sévigné à sa fille sont régulièrement rééditées à partir de 1725. Jean-Frédéric de Chaillet (1747-1839) lit, par exemple, les Lettres de Gui Patin et conclut ne vouloir être « ni son malade ni son ennemi, car je crois qu’il les traitoit tous deux assez mal, la saignée et le sirop de roses pales me deplaisent souverainement ». Sur les remèdes employés par Patin, voir Franklin 1891, p. 20. Charrière O. C., t. 3, pp. 532-533, Jean-Frédéric de Chaillet à Isabelle de Charrière, [mars 1793]. Duchêne 1971, pp. 188-189; Altman 1986, pp. 29-30. Seule l’orthographe moins sûre des femmes les distingue des hommes. Grassi 1996, pp. 95 & 99.

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explicites s’adressent à des médecins. Ils retracent dans leurs lettres de véritables biographies médicales qui renvoient à une articulation particulière dans une histoire de santé, soit une impasse thérapeutique soit une crise grave34. Théophile Rémy Frêne, par exemple, isolé dans son village des Franches-Montagnes, doit, en cas d’urgence, rédiger une lettre pour obtenir des conseils et des produits médicaux. Ensemble, les écrits personnels et les lettres forment ce qui a été étiqueté comme des egodocuments, des textes rédigés à la première personne du singulier et où l’identité du narrateur coïncide avec celle de l’auteur35. L’essentiel ici est l’intérêt que présente leur contenu. Il y est question de la vie quotidienne d’individus, de leurs certitudes, de leurs inquiétudes et de leurs espoirs, mais aussi de leur corps et de leur santé. Les événements choisis pour être communiqués à un correspondant ou couchés dans un journal répondent à un tri et force est de constater que les détails contextuels et répétitifs sont de ceux qui sont le plus souvent écartés: l’environnement matériel, les habitudes, le train-train échappent en grande partie au lecteur36. Même les particularités physiques, les handicaps et les soins corporels ne sont que rarement mentionnés, et cela est vrai aussi bien pour la correspondance que pour les journaux personnels. Les informations sur les particularités corporelles surgissent le plus souvent indirectement. Caroline Chambrier fait allusion à une « brosse de dents » qu’elle aurait oubliée chez son amie et en réclame l’envoi. Son oubli fournit une indication précieuse et autrement inaccessible sur la nature des soins qu’elle apporte à ses dents37. Le lecteur du journal de Frêne apprend avec un quart de siècle de retard que celui-ci ne voit pas distinctement de loin38. Et si Louis Odier est également myope, c’est par la mention de la perte «[d’]une très bonne lorgnette montée en laiton » que le lecteur en est informé39. Ce dernier indice est confirmé plus tard lorsqu’étudiant à Edimbourg, Odier ne voit

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38 39

Pilloud 2000; Louis-Courvoisier et Pilloud 2000; Rieder et Barras 2001a. Consulter Dekker 2002, pp. 7-17. Voir à ce propos Foisil 1986. Cet oubli n’est signalé qu’à la fin de la lettre dont la rédaction s’étend sur trois jours… Charrière O. C., t. 3, p. 279, Caroline Chambrier à Isabelle de Charrière, s.l., les 23-25 février 1791. Soit en 1776. Jnl Frêne, p. 884. BGE, Ms fr. 5643/1, Louis Odier, Journal N° 2, le 30 mai 1767.

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qu’indistinctement une représentation théâtrale, ayant oublié sa lorgnette40. Les événements relatés et relevant directement du quotidien sont peu courants, mais en progression. L’intérêt croissant pour cet aspect de la vie dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle a déjà été révélé dans un contexte littéraire41. Il confère à cette période et à ces écrits une pertinence particulière pour aborder la figure du patient. Heureusement, la santé n’est que rarement reléguée au banc des informations peu intéressantes. L’auteur exprime souvent son point de vue sur son corps et sur sa santé, voire sur ceux de ses proches. Ecrire au praticien peut, notamment, exprimer le désir d’être rassuré, traduire un appel à l’aide, ou répondre à une inquiétude. Le patient attend généralement qu’on lui prescrive à la fois un régime alimentaire, un mode de vie et une ou plusieurs recettes médicinales. En dépit de leur diversité, les lettres adressées aux praticiens forment de loin la catégorie d’écrits la plus homogène du corpus constitué au cours de cette recherche. Les autres lettres, les écrits personnels et autres notes, aide-mémoires et brouillons conservés contiennent une manne d’allusions moins clairement articulées, souvent isolées de leur contexte, mais si nombreuses qu’on ne peut les ignorer. Face à ce foisonnement, il est légitime de s’interroger sur la raison pour laquelle la santé tend alors à prendre une telle place dans les écrits personnels au XVIIIe siècle. Les motivations des auteurs sont multiples. Le rôle thérapeutique de l’écriture y est parfois évident. Ecrire est un moyen d’assumer ses difficultés quotidiennes ou plus simplement, de réfléchir au sens de sa vie et, ce faisant, de son histoire… Poussée à l’extrême, l’idée mène à l’association entre maladie et créativité. Le lien est établi par des auteurs plus modestes que Keats ou Milton. Alors même que le corps est au plus mal et l’esprit à la limite du délire, des pensées, des élans ou des révélations obsèdent le malade qui finit parfois par les coucher sur le papier: J’invoque aujourd’hui les muses Parnasse, […] C’est pour bien railler, Ce rhume épouvantable,

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BGE, Ms fr. 5643/1, Louis Odier, Journal N° 2, le 15 février 1767. Voir Laqueur 1989. Charles Taylor en fait une articulation importante de son histoire de soi. Taylor 1992.

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Cette fluxion* bizarre, Qui sans cesse accablant ces membres ténébreux, Elle tourmente moi meme, Et dérange mes yeux42.

Antoine Louis Lullin rédige ces vers une année après la mort de son frère d’une maladie de la poitrine et peu de temps avant qu’il ne décède lui-même d’une affection similaire43. Ce sont bien les tourments de la maladie qu’il met ici en mots. La lecture de tels passages rappelle la complexité du rapport entretenu par chacun avec la santé et signale une des limites de l’interprétation historique. L’acte d’écriture embrasse des réalités distinctes : la mise à distance de la douleur, l’occupation des moments oisifs de la maladie, l’expression poétique et la créativité. Les auteurs se trouvent bien souvent aux confins du dicible. « C’est moins aujourd’hui par des douleurs dans l’organe que je suis averti de ces variations [du baromètre]» écrit Charles Bonnet de ses douleurs d’yeux, « que par un certain sentiment incommode dont je ne saurais donner l’idée »44. Les difficultés inhérentes à l’expression de la douleur et de la souffrance ont été développées par de nombreux commentateurs45. Si la finalité des auteurs et la réalité des douleurs nous échappent le plus souvent, il n’en demeure pas moins que la corrélation entre les maux et les mots est tressée dans un univers de sens. Ecrire, c’est aussi communiquer, ouvrir un dialogue : « Je puis souffrir longtems sans me plaindre, mais il me paroit aujourd’huy qu’un plus long silence agraverait mes meaux » écrit Marie Agier à Samuel Auguste Tissot46. Prendre la plume, c’est rompre le silence, faire le bilan, retracer son histoire et finalement, appeler à l’aide. Pour le pasteur Frêne, reconstituer la dernière maladie d’un proche décédé est l’occasion d’isoler les causes de la mort et, peut-être, de retrouver une certaine tranquillité d’esprit47. Dans d’autres textes, le rôle thérapeutique de l’écriture est plus explicite encore. Pour Bellamy, rédiger son journal constitue un moyen de mettre en scène ses inquiétudes sur sa 42 43 44 45 46 47

BGE, Ms Lullin 2/78, le 2 novembre 1746. Voir ici même p. 245 et suiv. BGE, Ms Bonnet 23, pp. 506-508. Voir l’ouvrage classique de Scarry 1985. FT, II/144.02.06.28, Marie Agier, Genève, le 9 septembre 1775. Voir Jnl Frêne, pp. 414-415 et pp. 2247-2252.

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santé et de lutter contre ses émotions48. Elle cherche constamment à combattre ses angoisses et son imagination dont elle redoute les conséquences sur sa santé. Son journal témoigne des différentes stratégies qu’elle invente pour y parvenir : soit en répétant comme un mantra le bonheur d’avoir un mari et des enfants en bonne santé49, soit en retraçant sa recherche constante de distractions50. L’apparence graphique de son texte atteste de son état d’esprit : à l’occasion serré et ordré, il paraît ailleurs délié et irrégulier51. Le style de Bellamy colle également à son état de santé. Lorsqu’elle est gagnée par la fièvre, ses phrases se raccourcissent, ses entrées deviennent lapidaires. Il ne faut pourtant pas exagérer la portée de ces interprétations. Les changements graphiques renvoient au moment de l’écriture et trouvent parfois des explications banales : « Mon écriture est horrible » glisse Isabelle de Charrière à la fin d’une lettre adressée à son frère, « parce que ma main est presque gelée. Je ne sens plus ma plume tant j’ai froid.»52 Si l’écriture peut attester d’une bonne santé, voire servir de thérapie, elle peut également s’ériger en danger pour la santé. Elle est alors associée à l’excès d’application53. Le ménagement des malades passe souvent par l’interdiction d’écrire. Affligée d’un trouble oculaire, Marie Charlotte Lullin se trouve en cure aux eaux d’Aix-lesBains. «Imagine-toi mon cher Lullin », écrit-elle à son frère, « que l’on a eu la cruauté de m’ôter mon écritoire, sous prétexte d’une certaine fluxion*». Elle aurait alors subtilisé une autre écritoire pour lui écrire54. La réponse de son frère est rassurante: « Je ne crains point, qu’écrire d’une manière si naturelle, si amusante, elle t’ait pu fatiguer »55. Les écrits plus lourds auraient un effet plus pesant. Lorsque 48 49 50 51

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Voir plus bas pp. 170-172 et pp. 408-419. Jnl Bellamy, le 17 octobre 1772. Jnl Bellamy, le 20 octobre 1772. Cette réalité invite à tenir compte de la matérialité des textes, voir Lejeune et Bogaert 2003. Charrière O. C., t. 3, p. 111, Isabelle de Charrière à Vincent Maximiliaan Tuyll van Serooskerken, s.l., [5 ou 12] novembre 1788. Dans le dernier tiers du XVIIe siècle, Mme de Sévigné attribue à plusieurs reprises les maux de sa fille à la pratique de l’écriture. Freudmann 1973, p. 87. BGE, Ms Lullin 2/5, Marie Charlotte Lullin à Jean Antoine Lullin, Aix-lesbains, s.d. BGE, Ms Lullin 2/19-23, s.l., s.d.

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la jeune Madeleine Bouillé, auteur de Repsima (1767), meurt, Constant d’Hermenches (1722-1785), qui n’a visiblement pas goûté cette pièce, écrit non sans ironie: « On dit que c’est la bile qui â tuée cette malheureuse, le desespoir de sa Repsima [...] voila la malheureuse qui périt d’une suite de sa couche »56. Le ton de d’Hermenches n’est pas sérieux, mais il joue avec une réalité reconnue: l’application nécessaire à la lecture et à l’écriture peut donner lieu à une détérioration d’un état de santé. De nombreux malades rendent eux-mêmes le travail de cabinet responsable de leur malaise ou de leur maladie57. S’il est utile d’insister ici si lourdement sur cette interprétation pathogène du travail intellectuel, c’est qu’elle a des répercussions directes sur les sources et contribue à expliquer pourquoi des consultations médicales sont alors fréquemment rédigées par un tiers. Au cours de son voyage de santé, Jean-Jacques Boissier (1717-1766), diagnostiqué hypocondriaque*, n’écrit que peu à sa femme restée à Genève. « Il ne luÿ convient absolument point d’écrire souvent » explique son médecin qui invite son épouse à « donér à Monsieur son époux de ses chères nouvelles sans exiger de réponse »58. Ecrire peut être dangereux, mais écrire à propos de choses émouvantes l’est davantage encore. Les pathologies de l’écriture sont généralement associées à une catégorie sociale particulière, celle des intellectuels dont les maladies sont décrites par Samuel Auguste Tissot dans La santé des gens de lettres (1768). Les hommes de lettres comme Rousseau et Bonnet connaissent ce danger médical. Comment concilient-ils ce péril sanitaire avec leur travail de cabinet?59 L’association de la pratique de rédiger ou d’étudier avec la fatigue corporelle, voire avec un problème de santé, est courante. En cas de maladie, par exemple, il n’est pas rare de dicter ses lettres60. Des actions thérapeutiques communes peuvent interdire l’écriture;

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Charrière O. C., t. 2, p. 81, Constant d’Hermenches à Belle de Zuylen, Besançon, le 8 avril 1768. Voir plus bas p. 66 le cas de Charles Bonnet. Les exemples sont nombreux, voir ici même p. 428. BGE, Ms Lullin 2/147, Marseille, le 17 octobre 1746. Le danger est inhérent à l’hygiène médicale d’alors. Tissot n’invente pas une maladie nouvelle. Sa démonstration s’appuye sur des écrits savants et des cas rencontrés dans sa pratique médicale. Tissot 1981. Dicter ses lettres est un moyen de signaler la gravité de son état tout en rassurant ses correspondants.

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Johanna Catharina van Tuyll, la belle-sœur d’Isabelle de Charrière, raconte avoir dû écrire une lettre « de la main gauche, ayant été saignée à la droite »61. La logique fonctionnelle ne prévaut pas toujours pour justifier la suspension d’une correspondance. Horace-Bénédict de Saussure cesse d’écrire en raison d’une « grosse fluxion* sur la joue » qui lui aurait «ôté la faculté d’écrire »; Henriette L’Hardy renonce, elle aussi, à écrire en raison d’une « grosse joue »62. La localisation précise de ces maux signale des indispositions peu dangereuses. Le risque est de voir le trouble physique s’aggraver à cause d’une pratique d’écriture. Il justifie l’incompatibilité de l’acte d’écrire avec l’état de faiblesse ou la maladie: « J’écris le moins que je peux » confie Nicolas Fatio (1664-1753) à son frère, Fatio de Duilier l’aîné, alors à Amsterdam: « Ma santé souffre considérablement lors que j’écris, et même lors que je copie quelque chose »63. L’écriture est considérée comme plus astreignante que d’autres actions. Alors qu’elle est convalescente en septembre 1792, Isabelle de Charrière est à même d’essayer un nouveau morceau au clavecin, mais continue à dicter sa correspondance64. Le potentiel pathogène de l’écriture induit une tension sous la plume d’épistoliers qui cherchent à concilier deux impératifs, celui d’obtenir des nouvelles rassurantes et celui de préserver la santé de leur correspondant. «Vous voudriez bien vous reposer tout-à-fait, chere Caroline » écrit Isabelle de Charrière, « ne plus m’écrire », alors même que sa lettre fourmille de questions exigeant des réponses65. La lecture peut être aussi pathogène que l’écriture, elle affecte directement l’organisme en raison de l’effort de concentration

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Charrière O. C., t. 3, p. 168, Johanna Catharina van Tuyll van SerooskerkenFagel à Isabelle de Charrière, s.l., [décembre 1789]. BGE, Archives Saussure 223/3/p. 77, Horace-Bénédict de Saussure à Judith de Saussure (copie mss), [Genève], le 3 décembre 1780; Charrière O. C., t. 3, p. 474, Henriette L’Hardy à Isabelle de Charrière, s.l., le 25 décembre 1792. BGE, Ms fr. 602/50, Nicolas Fatio à Fatio Duilier, le 9 décembre 1686. Charrière O. C., t. 3, pp. 418-419, Isabelle de Charrière à Jean-François Chambrier, le 29 septembre 1792. « Dites moi. 1° Comment vous et votre mari vous portez. 2° Si vous n’avez point de nouvelles de Mlle Michel. 3° Si vous avez encore M. de Roverea à Neuchâtel […]. Que faites vous? Comment vivez vous? Dites moi tout ce que vous aurez le loisir de me dire ». Charrière O. C., t. 5, pp. 424-425, Isabelle de Charrière à Caroline de Sandoz-Rollin, s.l., le 13 mars 1797.

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consenti et des émotions provoquées par les nouvelles ou les récits lus. La littérature médicale de la deuxième moitié du siècle le répète à souhait. La lecture de romans peut provoquer de véritables « passions romanesques », notamment chez les jeunes filles décrites unanimement comme particulièrement vulnérables, mais tout lecteur vit dangereusement. Choisir ses lectures peut avoir une portée sanitaire. Charles Chaillet justifie ainsi sa décision de ne pas lire un ouvrage de William Godwin: cette lecture pourrait provoquer une « légère ombre de mélancolie* obscurcissant encore plus celle qu’il y avoit dabord, peut la rendre tout à fait noire »66. Les auteurs sont conscients des effets que leurs ouvrages peuvent provoquer67. La lecture bénéficie du même statut que les remèdes puissants: elle affecte le corps en bien comme en mal. Les émotions ressenties par les lecteurs sont redoutées. « Chaque fois que j’attends une lettre de vous, j’ai une émotion douloureuse: un sentiment de crainte s’y mêle toujours » avoue Jean-François (1756-1826) à son père, le naturaliste Jean-André Deluc (1727-1817)68. Judith de Saussure s’inquiète de la santé d’une parente: « Ta lettre m’aurait fais le plus grand plaisir ma chère sœur, si il n’avoit pas été mêlé de peur. Je suis réellement attachée à Mme Lullin69 et le tableau que tu me fais de son état m’a vivement touché »70. La peur, la crainte, le désespoir et l’inquiétude sont des émotions à tendance pathogène ressenties en lisant. Des précautions sont prises pour protéger les lecteurs. « Je prie Monsieur de Charrière de ne pas le lire [le journal de Clery] avant vous car il me semble qu’il est si émouvant qu’il pouroit lui faire mal »71. Le succès de telles précautions n’est pas garanti ! L’aspect positif est que l’effet reconnu de la lecture sur la santé peut transformer cette pratique en instrument thérapeutique. Comme les laïcs cherchent à éviter les émotions fortes ou négatives (tristesse, 66

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Il s’agit de Things as they are, or the adventures of Caleb Williams (1794). Charrière O. C., t. 5, p. 233, Charles Chaillet à Isabelle de Charrière, s.l., [avril 1796]. Pour un aperçu de la littérature médicale, voir Wenger 2007. Huguenot Society, Londres, Famille Deluc, Fdl 1/1, Jean-François Deluc à Jean-André Deluc, Genève, mars 1778. Susanne Albertine Lullin de Langes de Lubières (1707 -1778). BGE, Archives Saussure 239, C2/84, Judith de Saussure à Amélie de Saussure, s.l., s.d. [juillet 1778]. Charrière O. C., t. 5, p. 515, Julie de Chaillet à Isabelle de Charrière, s.l., le 5 janvier 1799.

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peur), les lectures les plus convoitées sont les lectures divertissantes. Judith de Saussure, alors qu’elle souffre depuis plusieurs jours d’une maladie dont elle rend responsable la nouvelle de la mort d’une de ses amies, écrit à sa belle-sœur: « Je suis faible, agitée, affectée [...]. Ecrit moi ma chere sœur, j’ai un grand besoin de lettres qui me fassent plaisir »72. De telles formules reviennent régulièrement dans les lettres du siècle. La lecture de comédies relève même de l’ordonnance médicale. Gerard van Swieten (1700-1772), par exemple, raconte à Charles Bonnet s’être guéri de ses excès d’application par la lecture de comédies de Gordoni73. Des cas singuliers et compliqués nécessitent des textes spécifiques. Louis Odier rédige une véritable lettre thérapeutique à l’intention d’une cousine dont les idées sont considérées comme dérangées. Sa thérapie échoue: les parents de la malade estimant qu’elle n’était pas en état de lire…74 Lire et écrire sont ainsi des actions couramment associées à des stratégies thérapeutiques ou, du moins, à des enjeux de santé. Ce sont des activités nécessaires au travail de cabinet. Les parcours des hommes et des femmes de lettres permettent de revenir sur ces questions, mais surtout de les intégrer dans une problématique plus large. Les stratégies de vie et de survie exposées plus bas apportent des indications précieuses sur la culture médicale laïque et permettent d’explorer les sens que pouvaient prendre la santé et la maladie.

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BGE, Archives Saussure 239, C2/96, Judith de Saussure à Amélie de Saussure, Montpellier, le 4 juin [179?]. Prescrit par son maître Boerhaave. Roy Porter cite le cas d’un malade, invité par son praticien à lire le roman de Laurence Sterne, Tristram Shandy. Porter 1992a, p. 102. Il rédigera une seconde lettre assortie d’instructions précises aux proches sur comment lui administrer sa lecture thérapeutique. BGE, Ms fr 4153, Louis Odier à Andrienne Lecointe, s.d. [1779].

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« Il est certain que l’amour de l’étude est bien moins nécessaire au bonheur des hommes qu’à celui des femmes […]. Les femmes sont exclues, par leur état, de toute espèce de gloire, et quand, par hasard, il s’en trouve quelqu’une qui est née avec une âme assez élevée, il ne lui reste que l’étude pour la consoler de toute les exclusions.» Mme du Châtelet, 1746-17471.

I. CORPS PUBLICS OU CAS PRIVÉS? La qualité comme la quantité de documents concernant la santé d’une poignée d’individus permet de dresser autant de biographies médicales. Quatre sont développées en détail dans ce chapitre: celle de Jeanne-Marie Bellamy (1725-1785), une femme issue de la bourgeoisie genevoise; celle de la célèbre femme de lettres Isabelle de Charrière (1740-1805); celles d’un pasteur de campagne Théophile Rémy Frêne (1727-1804) et du naturaliste Charles Bonnet (17201793)2. D’emblée, le mélange entre célébrités et acteurs méconnus appelle un commentaire. Les parcours de santé des grands constituent des repères culturels, ce sont des cas médicaux connus par rapport auxquels les contemporains peuvent se situer3. C’est évident en vertu de l’effet qu’ont eu le succès de l’inoculation* des enfants du duc d’Orléans en 1766 et la mort de Louis XV de la variole en 1774 sur le développement de la pratique de l’inoculation. Des exemples

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Châtelet 1997, p. 53. Sur le cas de d’Horace-Bénédict de Saussure, Rieder et Barras 2001b; Rieder et Barras 2005, pp. 215-233. Les exemples de « cas » sont systématiquement cités soit par des vendeurs de remèdes, des praticiens attachés à des centres thermaux ou des auteurs d’écrits médicaux. Voir notamment les paragraphes consacrés à la thérapeutique plus bas p. 479 et suiv.

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particuliers attestent de l’impact du phénomène. « Nous avons été affligés sans l’etre de la mort de Madame la Dauphine qui est morte pour avoir trop été saignée après ses couches.»4 La saignée était alors une mesure prophylactique commune pour les femmes enceintes ou récemment accouchées5. La femme qui relaie cette nouvelle en juillet 1746, Marie Charlotte Boissier, est alors enceinte. Trois semaines plus tard, elle subit elle-même une phlébotomie. Elle choisit de le faire avant ses couches, certainement afin d’éviter le sort de la Dauphine6. Ainsi, les histoires de santé de célébrités telles que Rousseau, Bonnet et Saussure alimentent la culture médicale laïque et conditionnent des stratégies de santé. La différence avec les récits de santé de figures plus modestes est une question d’échelle plutôt que de nature. Les histoires de santé de personnalités locales sont également connues, quoique dans une sphère limitée. Ce principe est conforté par la présence dans les recettes familiales de récits de rétablissements d’un proche, d’une connaissance ou encore d’une célébrité. L’état de santé de figures publiques est le plus souvent évoqué dans un élan bienveillant. La publicité donnée à la santé de Voltaire est à ce titre emblématique. En mars 1773, par exemple, Isabelle de Charrière demande à Constant d’Hermenches des renseignements sur la santé de Voltaire et « s’il y a aparence qu’il en revienne ». La réponse lui apprend qu’on « le faisoit mort, a Geneve, et Mme Denis m’ecrivoit qu’il etoit hors d’affaire; il est certain qu’il n’â plus de fievre, et que les accidents ont cessé, mais le plus grand mal reste, c’est son aage, et cet abominable bise »7. Dans certains cas, ces échanges sur la santé de particuliers touchent l’intégrité de la personne souffrante. Les ennuis de santé de Jean-Jacques Rousseau étaient de notoriété publique8. Bonnet mentionne son cas dans une lettre où il fait part d’un entretien qu’il aurait eu avec Rey, un des éditeurs de Rousseau. « Je lui demandois si cet excitoyen étoit toujours 4

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BGE, Ms Lullin 2/212, Marie Charlotte Boissier-Lullin à Ami Lullin, Ruth, le 29 juillet 1746. Voir à ce propos Tissot 1993, pp. 247-250. L’enfant attendu est Jeanne-Françoise Boissier (1746-1838). BGE, Ms Lullin 2/214, Marie Charlotte Boissier-Lullin à Ami Lullin, Ruth, le 11 août 1746. Charrière O. C., t. 2, pp. 296-297, Constant d’Hermenches à Isabelle de Charrière, les 3 et 12 mars 1773. Différents épisodes sont rapportés dans les Mémoires secrètes, voir Plan 1912, pp. 49, 62, 74, 95, 122 et 138.

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tourmenté de la gravelle; il me répondit, que ce n’étoit point la gravelle, mais des chairs qui se formoient dans l’uretre. Il auroit donc besoin des chandelles de Daran ». Bonnet interroge son correspondant, le médecin Albrecht de Haller (1708-1777): « Ces canosités naissent elles chés ceux dont les mœurs ont été toujours austères?»9 Les victimes de maux vénériens souffraient de troubles urinaires, le fait était établi. Bonnet n’est pas le premier à suggérer un lien entre les troubles de Rousseau et ses mœurs; il relaie ici la rumeur diffusée notamment par Le sentiment des citoyens, une brochure anonyme attribuée à Voltaire, dans lequel Rousseau est dépeint comme un « homme qui porte encor les marques funestes de ses débauches »10. Rousseau réagit violemment en se voyant « traiter de coureur de bordel », lui qui n’y « fut de sa vie, et dont le plus grand défaut fut toujours d’être timide et honteux comme une vierge ». Il proclame n’avoir jamais eu « la moindre atteinte d’aucun mal de cet espèce » et rapporte que des médecins l’avaient même « cru conformé de maniére à n’en pouvoir contracter »11. On ne connaîtra jamais le fond de l’histoire. Plus importante ici est la facilité avec laquelle circule l’information sur les états de santé des uns et des autres12. Cette publicité peut constituer une gêne lorsqu’il est question d’une affection infâmante comme chez Rousseau, ou encore d’une maladie de poitrine voire d’une maladie de peau, deux affections réputées héréditaires. Pour se prémunir de l’opinion publique, la discrétion ne constitue pas une protection suffisante. Une lettre anonyme adressée à Haller n’accuse-t-elle pas le plus réservé des malades, Horace-Bénédict de Saussure alors un jeune marié, de compromettre sa santé dans la trop grande ardeur de ses rapports avec sa jeune épouse?13 Pour poursuivre cette exploration, il s’agit de mobiliser les avis exprimés par écrit et les échanges oraux rapportés par le même moyen. Trois Genevois célèbres, Bonnet, Rousseau et Saussure, ont su gagner la reconnaissance à la fois de leurs contemporains et de la postérité. L’étude de leur cas n’apporte rien de plus que celle 9

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Un autre éditeur de Rousseau, Guérin, aurait lui aussi abordé la question des maux de Rousseau. Mercier 1859, p. 73. Corr. Haller, p. 342, Charles Bonnet à Albrecht de Haller, Genève, le 21 juin 1763. [Voltaire] 1764, p. 6. Rousseau 1959, p. 632. Voir aussi Rousseau 1959, pp. 317 & 1595 (n. 5). Voir plus bas, p. 201 et suiv. Rieder et Barras 2001b, p. 513.

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d’hommes ou de femmes moins connus. Cela dit, leur parcours a été interprété à de nombreuses occasions depuis leur décès et le rapide survol de cette littérature engage à conclure que l’orientation prise par les pathographes est constamment idéologique: chaque génération attribue d’autres pathologies à ces hommes, et cela sur la base des mêmes plaintes et des mêmes symptômes. Si le diagnostic rétrospectif n’est ni inutile, ni systématiquement impossible, il révèle en dernière analyse davantage sur la culture de celui qui pose le diagnostic que sur celle du malade ou du monde médical dans lequel ce dernier évolue14. Or, c’est afin d’accéder à une meilleure connaissance des hommes vivant au XVIIIe siècle que leurs histoires de santé peuvent être utiles à l’historien. Ces récits sont rapportés dans des pathographies, de véritables biographies où la santé des acteurs prend sens en fonction de leur histoire de vie15. Cette tradition littéraire apporte un éclairage parfois significatif, mais toujours ambitieux, sur les figures historiques et se trouve être la niche où s’est épanouie la figure du malade. Des dirigeants politiques, des scientifiques, des savants et des hommes de lettres, célèbres en leur temps, ont suscité l’intérêt de praticiens, de littéraires et d’érudits en tout genre… Il est aujourd’hui possible de former de petites bibliothèques avec des ouvrages sur la santé de Louis XIV, de Milton, de Voltaire, de Georges III, de Pope et d’autres16. Comme tout genre, la pathographie a ses adeptes et ses modèles. David Bensoussan cite, par exemple, dans l’avant-propos de son ouvrage sur la santé de Rousseau, la lecture d’un article sur la maladie de George III d’Angleterre comme ayant joué un rôle de catalyseur pour son propre travail17.

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Jean Starobinski l’affirmait il y a plusieurs décennies: « On croit formuler un verdict scientifique, et l’on ne fait que plaquer un concept nosologique moderne sur une réalité trouble qui élude toute définition de ce genre. Le « moderne » en l’occurrence est ce qu’il y a de plus instable ». Starobinski 1961. Anne Hunsaker Hawkins définit le genre de la pathographie comme une forme d’autobiographie qui rapporte l’expérience personnelle de la maladie. Selon elle, ce genre serait né au XXe siècle. Les textes cités ici ne sont pas forcément autobiographiques, mais ils ont en commun d’être centrés sur des histoires médicales particulières. Hawkins 1993, pp. 1-30. Quelques exemples signalent un intérêt soutenu pour ce type d’approche: Caroly 1990; Deguéret 1924; Folman 1959; Wiltshire 1991. Bensoussan 1974, p. 7. George Pickering se lance lui aussi dans l’étude pathographique de plusieurs célébrités ensuite de la lecture d’un article de Douglas Hubble sur les maux de Charles Darwin. Pickering 1974, p. 18.

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Les pathographes renouent avec le fil de débats déjà animés du vivant de leur sujet. La finalité de leurs écrits est le plus souvent, outre des cas extrêmes comme celui de praticiens justifiant des soins donnés à un célèbre patient décédé18, de corréler les maux de personnalités connues avec leurs réussites ou, suivant les cas, leurs échecs19. « Peu a été dit de la santé de Pope et de sa portée sur son travail » se lamentent Marjorie Nicolson et George Rousseau dans la préface de leur étude sur la santé du poète20. Les récits pathographiques traitent le plus souvent d’un cas ou d’un petit nombre de cas. Ce genre contribue à façonner les portraits historiques des hommes et des femmes célèbres tels qu’ils nous sont parvenus. Au-delà de la question de savoir lequel des pathographes aurait raison, la perspective adoptée ici est de restreindre le cadre de notre problématique à l’usage qui a été fait des cas qui nous intéressent ici. Jean-Jacques Rousseau figure parmi les sujets favoris et les commentateurs sont nombreux à réinterpréter son cas. Du vivant de Rousseau, un grand nombre de ses amis et plusieurs de ses lecteurs étaient capables d’émettre un jugement sur son état de santé. Au siècle suivant, deux groupes professionnels se disputent l’histoire de son corps: les littéraires et les médecins. Les premiers cherchent à interpréter les affirmations de Rousseau pour comprendre son œuvre et s’appuient, le plus souvent, sur leur propre sensibilité et sur leur bon sens pour tirer des conclusions. Les seconds s’intéressent à reconstituer l’histoire de santé de Rousseau en fonction de nouvelles théories médicales. Le cas Rousseau sert alors à illustrer des entités nosologiques, voire encore à cautionner des découvertes médicales. Les deux traditions, la médicale et la littéraire, ne sont jamais complètement imperméables l’une à l’autre, mais elles se rejoignent au XXe siècle lorsque le savoir biomédical s’érige en clé universelle pour interpréter les maladies de figures historiques21. Un grand nombre de

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Voir le récit de justification des médecins de l’empereur Frédéric III. Bardeleben et Bergmann 1888. George Pickering cherche à démontrer l’importance de la maladie en tant qu’élément explicatif dans les œuvres de Charles Darwin, de Florence Nightingale, de Sigmund Freud et de Marcel Proust. Pickering 1974. Nicolson et Rousseau 1968, p. v. Le « bon sens » tend à perdurer pour distinguer le plausible de l’erroné. Voir par exemple les pathographes de Bonnet au début du XXe siècle, plus bas p. 70 et suiv.

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pathographes sont alors praticiens et les auteurs littéraires s’appuient lourdement sur leurs conclusions22. Ce phénomène dépasse le cadre du cas Rousseau. Marjorie Nicolson et George Rousseau, par exemple, ne citent pas moins de cinq médecins dans leur étude sur Alexander Pope. A la suite de ceux-ci, ils optent pour un diagnostic permettant d’expliquer l’ensemble des maux du poète, le « kyphoscoliosis ». Cette entité explique non seulement l’histoire clinique de l’homme malade, mais permet également de nuancer les affirmations de Pope lui-même23... D’autres pathographes tendent à reproduire plus fidèlement les avis de leur sujet. C’est le cas de la plupart des auteurs qui se sont penchés sur la vie du Genevois Charles Bonnet. DU « SYNDROME » DE L’HOMME DE LETTRES À CELUI DE CHARLES BONNET La cécité du naturaliste et de l’observateur de la nature que fut Charles Bonnet (1720-1793) n’a cessé de fasciner depuis son décès. La dégradation progressive de la vue de Bonnet était connue de ses contemporains; elle sera présentée par ses premiers biographes comme expliquant différentes articulations de sa vie et de son œuvre. L’année même du décès du naturaliste, son neveu, Horace-Bénédict de Saussure, offre un récit circonstancié de la vie de Bonnet. Dans son bilan, il contrebalance les maux éprouvés par l’homme par ses succès littéraires et son « bonheur domestique ». Les souffrances du naturalistes sont décrites comme une série de « privations cruelles », au premier chef desquelles figure l’impossibilité de poursuivre ses recherches. « Ses yeux, fatigués par l’usage, je devrois dire par l’abus du microscope, le forcèrent à cesser d’observer, dans le temps où les plus brillans succès lui donnoient des espérances plus brillantes encore »24. Dans un éloge plus détaillé livré au public une année plus tard, Jean Trembley propose une trame similaire. Dès les premiers travaux de Bonnet, sa « persévérance incroyable lui laissa de longs regrets; elle porta à ses yeux une atteinte dont il n’a jamais pû se remettre ». Mais les conséquences ne s’arrêtent pas là. « L’échauffe-

22 23 24

Sur le cas Rousseau, voir Rieder 2002, pp. 129-154. Voir Nicolson et Rousseau 1968, pp. 7-82. Saussure [1793], p. 24.

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ment, produit par une application aussi forte, subsista longtems. Des maux de dents atroces, epuisèrent presque sa patience »25. La corrélation entre les maux de dents et l’échauffement n’est ici qu’implicite, mais d’autres exemples contemporains confirment qu’il ne s’agit pas là d’un hasard. L’échauffement résulte d’un excès physique ou intellectuel et les problèmes dentaires figurent parmi les conséquences les plus communément mentionnées26. Trembley revient, plusieurs pages plus loin, sur les effets de ce premier échauffement. « Sa santé ne put résister à des travaux si continus et si multipliés. Il maigrissait et paraissait tomber dans le marasme; ses yeux fatigués par un usage constant du microscope, lui causaient de vives douleurs, que les variations du barometre semblaient augmenter »27. Pour Trembley, l’affaiblissement de la vue de Bonnet constituait un obstacle à surmonter et met bien en valeur la force de caractère du naturaliste: « Il tomba dans une melancolie qui lui serait devenue funeste, s’il n’avait trouvé dans son ame des ressources supérieures à ses maux » pour poursuivre sa carrière en étudiant des plantes28. Jean Simon Levesque de Pouilly, un troisième nécrologue, reprend le même argument. « L’usage immodéré que Charles Bonnet faisoit du microscope, fatiguoit ses yeux. Il ne pouvoit cependant se résoudre à leur procurer du repos qu’en les occupant d’objets, dont l’étude leur étoit moins pénible que celle de ces atômes animés qu’il est difficile de fixer, ou de suivre sous verre qui les soumet à nos sens »29. Le même poursuit plus loin. « Il n’avoit pas trente-cinq ans que ses yeux supportoient difficilement la fatigue que leur occasionnoient la lecture ou l’écriture. Cette contradiction fut de toutes les peines qu’il éprouva, une de celles qui exercaient le plus sa vertu. Elle avoit contribué à le porter de l’étude de la nature dans celle de la métaphysique.»30 Les maux de Bonnet s’avèrent, finalement, être des bienfaits pour le naturaliste. Saussure propose une explication appelée à devenir 25 26

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Trembley 1794, p. 16. Pour les dangers liés à l’échauffement, voir pp. 146, 310 et suiv. L’interprétation est reprise dans le long « extrait » que consacre François Naville à la brochure de Trembley l’année suivante. N[aville] 1795, pp. 491-492. Trembley 1794, p. 26. Trembley 1794, pp. 26-28. Levesque de Pouilly 1794, pp. 15-16 & p. 31. Cette explication est reprise par plusieurs commentateurs ultérieurs, par exemple Chodat 1939, p. 132. Levesque de Pouilly 1794, p. 113.

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classique: « Peut-être aussi a-t-il dû à cette imperfection de ses yeux, une partie du mérite de sa composition.» Afin de pallier à la faiblesse de sa vue, Bonnet aurait développé la capacité de conserver et de retravailler des dizaines de pages sans autre support que sa mémoire31. Le récit des maux de Bonnet, et là le parallèle avec certaines interprétations des maladies de Rousseau est frappant, vient en quelque sorte renforcer les traits forts de sa figure historique. Même la faiblesse d’ouïe, avancée souvent comme un mal progressant régulièrement pendant sa jeunesse, est présentée sous un jour positif32. Si ce défaut avait « beaucoup peiné cet excellent homme » en limitant ses échanges sociaux au seul dialogue, « sa conversation gagnoit en énergie ce qu’elle perdoit en étendue »33. Pourtant, Bonnet est sans cesse contraint à l’oisiveté et ce malgré sa volonté de travailler. « Les ménagemens qu’exigeait un corps usé par le travail l’empêchaient souvent de pousser les observations les plus simples »34. Le schéma d’ensemble est celui d’un homme au corps fatigué, contraint régulièrement à l’inactivité, déplaçant systématiquement son attention vers des champs à la portée de ses capacités physiques. Trembley rapporte que la santé de Bonnet, « quoique affaiblie par des travaux prématurés et qui n’étaient pas en proportion avec ses forces, avait cependant résisté à l’effet lent, mais sur des méditations continuelles, et grace à son genre de vie, à sa modération, sur-tout à la trempe de son caractère, elle s’était soutenue jusqu’à un âge assez avancé ». En mars 1788 pourtant, « elle commença à s’altérer, il survint des accidents graves, des indices d’hydropisie de poitrine commencerent à se manifester, la nature luttait avec force contre la maladie »35. Saussure mentionne les « maladies graves et douloureuses, des attaques d’oppression accompagnées des angoisses les plus pénibles » dont Bonnet aurait souffert à la fin de sa vie, mais il est plus mesuré dans son interprétation: « Il se les attira peut-être par des travaux longs et forcés, qu’il entreprit pour finir et perfectionner ses ouvrages.»36 Les trois témoins sont unanimes à

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Saussure [1793], p. 23. Trembley 1794, pp. 4-5; Caraman 1859, p. 3. Saussure [1793], p. 25. Trembley 1794, p. 126. Trembley 1794, p. 121. Saussure [1793], pp. 25-26.

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considérer l’ultime projet d’édition de Bonnet, la réédition de ses ouvrages, comme ayant précipité sa fin. « Il l’accomplit, et il est incontestable que dès-lors sa santé fut irrémédiablement altérée » affirme Saussure qui propose également d’établir une corrélation entre l’usure physique consécutive au travail et les troubles de son esprit à la fin de sa vie37. « Son cerveau avoit été fatigué par une contention d’esprit soutenue pendant toute sa vie, il lui arriva ce que Newton, Pascal et tant d’autres beaux génies ont éprouvé: sa maladie se portoit quelquefois sur les nerfs; alors il avoit des visions qui le trompoient d’abord, mais dont ensuite il reconnoissoit l’illusion.»38 Le parallèle avec cet illustre panthéon rapproche Bonnet d’autres traditions pathographiques et atteste de l’importance, déjà à cette époque, de l’interprétation des maux physiques dans les vies d’hommes célèbres. Trembley est plus prosaïque dans la narration de cet épisode. Pour lui, la fatigue du cerveau serait intervenue plus tôt, lorsque Bonnet avait renoncé à rédiger un second tome de l’Essai analytique: « Le cerveau de M. Bonnet épuisé par de longue méditations, se refusoit à un travail aussi considérable »39. Après avoir signalé la détérioration de son état de santé à partir de 1788, Trembley conclut à la va-vite: les « angoisses qui résultoient de ses maux, et qui sont plus difficiles à supporter que les douleurs aigus, n’affectaient point ses facultés intellectuelles » pour terminer avec un tableau romantique de Bonnet mourant paisiblement dans les bras de sa femme40. Ce dernier épisode reçoit un traitement plus nuancé, voire moral, sous la plume de Saussure. « Quoiqu’il eût encore quelques momens vraiment heureux, ses angoisses devinrent si fréquentes et si pénibles, qu’il en désiroit ardemment la fin, et que malgré la résignation la plus religieuse, il demandoit souvent à Dieu de le rappeler à lui.»41 Levesque de Pouilly propose la description la moins pudique des derniers mois de l’homme. Il mentionne de nouveaux troubles visuels. Bonnet « en reconnoissoit l’illusion; et par une suite de ses habitudes et de la pente qu’avoit pris son ame à se considérer ellemême, il travailloit à s’expliquer comment il se pouvoit que ses

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Saussure [1793], p. 27. Saussure [1793], p. 28. Trembley 1794, pp. 69-70. Trembley 1794, pp. 121-122. La formule est reprise dans N[aville] 1795, p. 496. Saussure [1793], p. 30.

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organes s’obstinassent à vouloir le tromper, malgré les efforts qu’il faisoit pour les rappeler à leur destination, et en quelque sorte à leur devoir »42. Les facultés de Bonnet s’avèrent faillibles. « Il crut un jour voir un homme, qui depuis long-tems lui étoit attaché, auquel il donnoit sa confiance, lui dérober, dans son secrétaire, des papiers importans ». Il était incapable de décrypter l’hallucination et sa femme, estimant, toujours d’après Lévesque de Pouilly, qu’il était dangereux de le désabuser, convainquit cet homme de demander pardon à Bonnet pour un larcin qu’il n’avait pas commis (voir figure 1)43. Cette anecdote est l’élément le plus original dans cet ensemble de récits très cohérents sur la vie de Bonnet dont la trame est reprise à peu de choses près par les commentateurs du XIXe siècle44. Les termes médicaux sont les mêmes. Les travaux de Bonnet auraient altéré « sa constitution*», un usage « trop assidu du microscope » lui aurait occasionné « de vives douleurs » aux yeux. L’auteur de ce récit, le Duc de Caraman évoque les chagrins et la mélancolie de Bonnet, avant que ce dernier ne trouve « des consolations dans la religion et dans une douce philosophie »45. Caraman se rapporte au mémoire de Trembley pour justifier le déplacement des investigations scientifiques de Bonnet vers le monde végétal et comme ses devanciers, il rend l’excès de travail responsable de sa mort46. Dans la première moitié du XXe siècle, une nouvelle génération d’auteurs reprend le même récit. En 1929, après avoir retracé le lien entre les troubles oculaires de Bonnet et ses excès de travail, Georges Bonnet ajoute: il « pense beaucoup, il a abîmé son cerveau par un exercice abusif de sa mémoire », reprenant ainsi l’argument de l’épuisement du cerveau proposé à la fois par Saussure et par Trembley47.

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Levesque de Pouilly 1794, pp. 120-121. Levesque de Pouilly 1794, pp. 121-122. Il y a des exceptions. Le court article de l’Encyclopédie de Dechambre se veut plus objectif : « Charles Bonnet avait de mauvais yeux; il sentit de bonne heure la nécessité d’abandonner l’usage du microscope qui l’eût probablement rendu aveugle de bonne heure ». Chéreau 1869, p. 68. Caraman 1859, pp. 50-51. Caraman 1859, p. 348. Caraman se trompe ici. Le médecin qui avait soigné Bonnet dans sa dernière maladie n’est pas Jean Antoine Butini (1723-1810), ami et médecin de Bonnet de longue date, mais Pierre Butini (1759-1838), son fils. Voir Saussure [1793], pp. 27-28. Bonnet 1929, p. 45.

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Figure 1: Au chevet de Charles Bonnet. BGE, Centre d’iconographie genevoise, gravure tirée de Levesque de Pouilly 1794, p. 128.

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Dans l’introduction biographique qu’il insère dans la première édition de l’autobiographie de Bonnet (1948), Raymond Savioz paraphrase Bonnet lui-même en retraçant l’évolution de sa santé. Ainsi, alors qu’il était encore étudiant, mais déjà naturaliste amateur, il ne put soutenir, rapporte Savioz, l’effort nécessaire à la préparation de son droit: « Ses yeux déjà fatigués l’empêchaient de fournir un dernier et énergique effort »48. Savioz reprend, en la simplifiant, la thèse de l’excès d’étude comme élément causal de la dégradation de la vue de Bonnet49. Un vent de prudence souffle sur les biographes de Bonnet écrivant dans la deuxième moitié du XXe siècle. Tous opèrent un tri discret dans les liens de causalité entre son activité et sa santé. André Lalande abandonne la plupart des corrélations entre les recherches de Bonnet et ses troubles de santé. Il se contente d’énumérer ses souffrances, relevant par exemple que le naturaliste était « atteint de carie dentaire généralisée ». Seul le lien de causalité entre les maux d’yeux et l’abus de microscope subsiste50. Quelques commentateurs prennent davantage de distance encore vis-à-vis de la tradition antérieure. Lorin Anderson emploie le conditionnel pour évoquer les liens entre l’excès de travail et les maux d’yeux de Bonnet51. D’autres sont plus pragmatiques. « Il consacra sa vie à l’étude, malgré les troubles de l’ouïe et de la vue dont il souffrit dès sa jeunesse » commente Gisela Luginbühl-Weber dans le court article qu’elle lui consacre dans le nouveau Dictionnaire historique de la Suisse52. C’est l’auteur de l’article Bonnet de la Dictionary of Scientific Biography, Paul-Emile Pilet, qui trouve la solution la plus élégante. Il constate d’abord que la naturaliste avait souffert toute sa vie d’« une santé précaire »53 pour citer, ensuite, Bonnet lui-même qui affirmait, dans un passage tiré de la préface des Recherches sur l’usage des feuilles dans les plantes (1754), un lien de cause à effet entre l’usage du microscope et ses maux.

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Savioz 1948, pp. 13 & 15. Bonnet redoutait effectivement alors une cataracte, voir ici même p. 74. Savioz 1948, pp. 15-38. Lalande [1948], p. 2. Anderson 1982, pp. 9-10. Http://www.snl.ch/dhs, consulté le 17 octobre 2009. Pilet 1970, p. 286.

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Les mauvais usages du corps pensant La cohérence historique du tableau clinique de Charles Bonnet engage à s’interroger sur le sens attribué par Bonnet à ses propres maux. Les sources sont abondantes. Outre une série de lettres autobiographiques, Bonnet est l’auteur d’une vaste correspondance54. S’il s’interroge sur l’origine de ses maux, il ne tait ni ses problèmes de santé ni les interprétations qu’il en fait. Son autobiographie n’est pas une pathographie, loin s’en faut. Le fil conducteur de la narration est sa production scientifique. D’autres aspects de sa vie sociale et familiale interviennent à mesure qu’ils interrompent, transforment ou agrémentent son travail de naturaliste. A ce titre, son état de santé est le plus souvent présenté comme une gêne. Sa première lettre autobiographique, datée du 15 juillet 1775, est consacrée à son enfance. Une déficience auditive aurait incité son père à le retirer du Collège. Le défaut ne serait pas « fort considérable » et n’aurait eu que peu d’effets sur sa carrière. Bonnet suit plus tard les classes de philosophie et de droit à l’Académie sans se plaindre de difficultés d’audition et il parvient à participer, encore des années plus tard, aux débats politiques en tant que membre du parlement des citoyens genevois, le Conseil des Deux Cents55. Bonnet conservera une dureté d’oreille toute sa vie. Ce défaut ne l’empêche pas de considérer que sa constitution* originelle était « très bonne ». Il décrit son tempérament comme étant « assez sanguin et un peu bilieux »56. En 1740, l’Académie des sciences reconnaît la valeur de ses premiers travaux. « Je me sentis embrasé de la soif de la réputation et du désir de mériter de nouvelles distinctions littéraires. Il s’en fallait peu que je ne me crusse déjà sur le chemin de l’immortalité. Je vous ouvre mon âme, et vous y voyez un amour trop vif de la gloire, qui devait bientôt me conduire à des excès nuisibles à ma santé »57. En effet, peu après cette première consécration, à l’âge de 23 ans, il doit revoir ses projets à la baisse en raison de son état de santé, rapporte-t-il trente

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56 57

Voir Savioz 1948 et Candaux 1993. Il cherche néanmoins à comprendre la cause de son défaut d’audition. Voir Corr. Haller, p. 69, Bonnet à Haller, Thônex, le 19 août 1755. Bonnet 1948, p. 335. Bonnet 1948, p. 60.

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années plus tard58. La première dégradation conséquente de sa santé survient une année après ces premiers signes: Ma santé, que j’avais trop peu ménagée, avait commencé à s’altérer en janvier 1744. J’étais devenu maigre et je paraissais menacé d’une langueur*. Mes yeux, que j’avais mis à de si rudes épreuves et à des épreuves si longtemps continuées, me faisaient souffrir des douleurs plus ou moins vives à chaque variation du baromètre. En 1745, je ne pouvais ni lire ni écrire sans une extrême fatigue et même sans douleur59. Il était survenu dans l’organe un dérangement dont je ne pouvais déterminer le siège et la cause prochaine. Il me semblait voir voltiger dans l’air des filaments déliés, qui montaient et descendaient ou allaient de droite à gauche ou de gauche à droite suivant les mouvements de ma tête. Je voyais plusieurs de ces filaments; ils étaient tous bien terminés et leur figure était très variée. Je vins à craindre une cataracte sur mes deux yeux; car j’avais lu dans un auteur de médecine que ces sortes de filaments étaient les avant-coureurs de la cataracte. Je fus forcé de renoncer à toutes espèces de travail; et ce qui fut pour moi un sacrifice bien plus douloureux, je fus contraint de renoncer entièrement à l’étude des insectes et à l’usage du microscope. Je fus donc privé en entier de ce qui avait fait jusqu’alors mes plus chers délices. Cette belle nature que j’aimais avec tant de passion sembla s’anéantir à mes yeux, et avec elle, la source la plus féconde de mon bonheur. Je tombai dans une sorte de mélancolie, qui m’aurait probablement jeté dans une maladie dangereuse, si la religion à laquelle j’étais très attaché, ne fut venue à mon secours.

Les principes thérapeutiques mis en œuvre dans cette première crise de santé sont « l’abstinence totale de travail, le régime et quelques remèdes » qui lui assurent un rétablissement lent, « pendant près de deux ans, je ne fis guère que végéter » se rappelle-t-il60. Ses dents le font souffrir. « L’échauffement61 que le travail avait produit me causa des odontalgies atroces, qui détruisirent en grande partie mes dents; et cette perte, toujours si sensible, le devenait bien davantage dans 58

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« Ma santé commençait à se ressentir du travail, ma vue s’affaiblissait de plus en plus.» Bonnet 1948, p. 79. Bonnet fait état du même mal-être en juillet 1745. British Library, Londres, Add 23,899/8, Charles Bonnet à Gabriel Cramer, Thônex, le 23 juillet 1745. Le repos et le renoncement à « l’application » sont des recommandations usuelles faites aux étudiants et aux hommes de lettres malades. Voir ici même p. 209. Voir pp. 310 et suiv. (échauffement) et p. 146 (échauffement et dents).

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l’âge peu avancé où elle me survenait. Un mal si violent exerça cruellement ma patience et l’épuisa plus d’une fois »62. L’odontalgie peut être apaisée par l’extraction des dents cariées; il n’en va pas de même des maux d’yeux. « Et combien était-il aisé de prévoir qu’un jeune observateur aussi ardent, je dirais mieux, aussi insensé » écrit-il en évoquant son retour au travail, « serait bientôt hors d’état de poursuivre ses recherches et qu’il ne tarderait pas à devenir le martyr de cette histoire naturelle pour laquelle il montrait tant de passion »63. C’est bien la figure de martyre de l’histoire naturelle qu’il revendique auprès de ses correspondants. En bon naturaliste, il détaille ses problèmes oculaires. « A l’approche des changements de temps, je sentais toujours dans le globe de l’œil des tiraillements accompagnés d’une certaine sensation plus ou moins douloureuse ou plus ou moins pénible, qui me causait une tristesse involontaire. J’éprouvais encore quelque chose d’analogue après le coucher du soleil et lorsque le serein commençait à s’élever »64. Le corps de Bonnet réagit au passage des saisons, c’est banal. L’influence néfaste de l’air du soir, le serein, soit une « vapeur froide et maligne », est largement admise au XVIIIe siècle65. Les effets induits impliquent des « sensations » difficiles à exprimer, ainsi qu’une émotion, la tristesse. Cette dernière n’est pas considérée comme un contrecoup à ses maux physiques, mais comme un symptôme de son mal-être général, voire une maladie en soi. La description que donne Bonnet de ses souffrances est intéressante. Contrairement à ce qu’affirmeront ses nécrologues, il se plaint moins d’une baisse de son acuité visuelle que de la fatigue et des douleurs occasionnées par ses yeux. La reconstruction de ses troubles oculaires permet de retrouver le sens que Bonnet donnait lui-même à ses maux et les stratégies qu’il mettait en œuvre pour y remédier. En 1749, Bonnet consulte Théodore Tronchin (1709-1781) pour ses yeux et se voit prescrire « un remede fort simple », écrit-il une décennie plus tard, « et qui me soulage toujours: c’est de l’eau commune avec un peu d’Eau de la reine d’Hongrie66 appliquée froide sur 62 63 64 65 66

Bonnet 1948, p. 84. Bonnet 1948, p. 64. Bonnet 1948, pp. 84-85. Académie 1694. « Alcoolat de romarin » selon Franklin. Le remède aurait été donné à Isabelle reine de Hongrie et était réputé guérir la goutte et diverses infirmités. Franklin 1891, pp. 221-222.

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l’œil »67. Il se trompe. Sa correspondance contemporaine des événements atteste du fait que Tronchin ne lui prescrivit que de l’eau froide et que c’est lui, Bonnet, qui décida d’y ajouter un peu « d’eau spiritueuse » sur les recommandations d’un ami « très versé dans l’optique »68. La modification est introduite après qu’il eut constaté qu’il écrivait avec plus de peine qu’auparavant. Une telle corrélation n’a rien d’exceptionnel au XVIIIe siècle; elle renvoie à la fois à une vision ontologique du corps et à la mobilité du mal intérieur69. Bonnet pense étonner son correspondant en rapportant avoir pris ce remède en hiver. « On m’a inspiré des craintes sur cette espece de bain: mais ces craintes bien ou mal fondées, n’auroient peut-être pas été capables de me faire renoncer » écrit-il en affirmant bien supporter le froid. Il s’appuie sur son propre ressenti et sa propre expérience, voire sur son propre intérêt, plutôt que sur le bon sens médical70. Une nouvelle détérioration de l’état de ses yeux l’incite à délaisser ce remède par la suite. Il se trouve alors « obligé de regarder certains objets de plus près pour les voir distinctement ». En 1752, l’état des yeux de Bonnet continue à décliner: Je vois beaucoup de nuages, dont les uns ont une forme bien déterminée, et paroissent etre des vaisseaux trop dilatés, et dont les autres ne semblent être qu’une humeur épaisse. Quand je porte tout à coup l’œil gauche sur le coté gauche, j’aperçois un balotement qui trouble un peu ma vision dans cette partie de l’œil. Il s’y joint quelque fois une lumiere ou un arc lumineux et coloré à la maniere de l’arc-en-ciel. Cet œil, depuis assés longtems le plus foible, c’etoit celui dont je me servois le plus quand j’observois les insectes au microscope. Je sens des douleurs plus ou moins vives dans le glaube de l’œil. Quelque soit le changement de tems, soit que ce changement doive se faire en beau soit qu’il doive se faire en pluye. Ces variations de temps me sont plus sensibles en été qu’en hiver; apparemment parce que les variations de l’atmosphére sont plus grandes dans la première de ces deux saisons que 67

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BGE, Ms Bonnet 70/f. 194, Charles Bonnet à J.-N.-S. Allamand (copie mss), Genève, le 8 août 1760. BGE, Ms Bonnet 70/f. 32, Charles Bonnet à Théodore Tronchin (copie mss), Genève, le 3 juillet 1752. Voir plus bas, notamment p. 315 et suiv. Tout comme Horace-Bénédict de Saussure nie les effets négatifs de ses courses alpines sur sa santé. Voir Rieder et Barras 2001b, p. 514. La réticence à procéder à des changements thérapeutiques en hiver était répandue. Ruisinger 2008, pp. 177-178.

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dans l’autre. J’éprouve a peu près les mêmes douleurs lorsque je reste trop longtems au soleil. Le serain m’affecte aussi, mais différemment. Il me cause une espece de cuisson au près de la prunelle. Cette cuisson devient une douleur plus ou moins vive suivant que le serain est plus ou moins fort. Une fenetre ouverte à l’entrée de la nuit m’incomode. Lorsque je me mets à lire les lettres et les lignes se confondent bientôt, et je sens la douleur. Remarquez, Monsieur, que je vois pourtant les plus petits objets avec la même distinction que je les ai toujours vus. Toute la differance consiste en ce que je ne puis les fixer aussi longtemps.

Bonnet insinue que la cause première de ses douleurs oculaires et de ses troubles visuels sont ses observations scientifiques: l’œil employé pour observer serait le « plus foible ». Il est moins affirmatif quant à la raison de la corrélation entre l’évolution de ses maux et celle du temps. « L’usage de l’eau froide peut-il changer le point de la vision?» Ou « un trop long repos seroit-il une des causes de cette douleur?» Il cherche un remède efficace. « Convient-il surtout que je fasse usage de l’œil foible, suivant les principes de M. Buffon?»71 Ou « un régime alimentaire pourroit-il me procurer quelque soulagement?»72. Andrieu, un oculiste itinérant, de passage à Genève en avril 175373, aurait estimé qu’il ne s’agissait point d’un « relâchement » selon l’avis de Tronchin, mais d’une « tension ». Il prescrit alors l’usage de l’eau tiède avec un peu d’esprit de vin74. Bonnet consultera encore Tronchin en 1754 ainsi que, plus tard, Jean-Antoine Butini (1723-1810), deux praticiens appelés à devenir ses amis. En dépit des nombreuses thérapies tentées, celles-ci ne lui « procurèrent aucun soulagement » écrira-t-il des années plus tard. « Mes yeux demeuraient faibles »75. En 1754, peu après les débuts de sa correspondance avec le médecin et naturaliste Albrecht de Haller, Bonnet profite d’une allusion faite par son correspondant à ses propres problèmes de vue76, pour lui 71

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Bonnet se réfère probablement ici au mémoire de Buffon sur le strabisme. Pour fortifier l’œil faible, cet auteur conseille de couvrir l’œil fort. Buffon 1743, pp. 241-243. BGE, Ms Bonnet 70/f. 32, Charles Bonnet à Théodore Tronchin (copie mss), Genève, le 3 juillet 1752. L’oculiste opère avec succès la cataracte du comte de Marsay. AEG, R.C., 253, p. 193, le 27 avril 1753. Bonnet 1948, p. 153. Bonnet 1948, p. 88. « Je me suis presque gâté les yeux sur les grenouilles et des crapaux ». Corr. Haller, p. 53, Haller à Bonnet, Berne, le 14 octobre 1754.

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conter ses déboires. Il pense trouver en Haller un compagnon d’infortune. « Depuis dix ans je me suis brouillé avec les microscopes et les insectes, je ne suis pas encore remis du mal qu’ils m’ont fait. Je suis obligé d’user de grands ménagemens. Il m’arrive quelquefois de sentir des tensions autour du globe de l’œil: je l’éprouve surtout aux approches des changements de tems. Les médecins que j’ai consulté ne se sont point accordé ». La multiplication d’avis contradictoires était une raison du discrédit du corps médical. Entre la solution thérapeutique de Tronchin et celle d’Andrieu, il ne sait que penser. Il réclame l’avis de Haller. « Je présume que vous êtes dans le même cas que moi, puisque votre mal à la même origine que le mien »77. Le parallèle que trace Bonnet entre ses maux et ceux de Haller soulève une question de logique: si l’excès d’observation provoque des troubles oculaires chez Bonnet, n’en doit-il pas aller de même pour d’autres observateurs de la nature? Ni Haller, ni les autres spécialistes consultés, n’abordent cette question. Dans sa réponse Haller rapporte avoir soigné ses yeux par le repos et la promenade. Il déconseille l’usage de remèdes et prône un comportement contraire: « Ne plus s’atacher à des objets trop petits ou trop eclairés, et [...] repandre le plus qu’il est possible sa vue dans la campagne et dans les bois »78. Bonnet entretiendra régulièrement Haller de l’état de ses yeux par la suite, engageant même son illustre correspondant à écrire plus lisiblement ! 79 Bonnet adapte sa méthode de travail et l’objet de ses recherches à ce qu’il considère être bien pour ses yeux. Son intérêt pour la botanique, à la fin des années 1740, serait né de son désir de ménager sa vue. Il passe encore, et pour les mêmes raisons, au cours des années 1750, à la métaphysique. « L’état de mes yeux ne me permettait pas la lecture, et je n‘avais pas toujours un lecteur dont je pusse disposer. Il ne me restait donc que la ressource de la méditation »80. Plutôt que de 77

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Corr. Haller, p. 55, Charles Bonnet à Albrecht de Haller, Thônex, le 6 novembre 1754. Corr. Haller, p. 57, Albrecht de Haller à Charles Bonnet, Berne, le 26 novembre 1754. Il communique des informations sur ses yeux à de nombreuses occasions entre janvier 1755 et mai 1775: Corr. Haller, pp. 62, 66, 130, 132, 220, 350, 539, 1010 & 1167. Pour la question de la lisibilité des lettres: Corr. Haller, pp. 198-199 & p. 334, Charles Bonnet à Albrecht de Haller, Genève, le 1er avril 1760; Charles Bonnet à Albrecht de Haller, Thônex, le 29 avril 1763. Bonnet 1948, p. 184.

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tenir des carnets de notes, Bonnet s’habitue à rédiger virtuellement, son cerveau devenant alors « aussi fidèle que du papier »81. L’expérience se révèle heureuse. « Si j’avois continué à jouïr de l’excellente vue que je tenois de la Nature, je n’aurois surement point abandonné les insectes: c’etoit une vraye passion que mes découvertes fortifioient. […] J’étois plutôt un être voyant qu’un êttre pensant. A mesure que ma vue s’est affoiblie, mon entendement s’est fortifié »82. C’est là une source possible des conséquences positives des troubles visuels avancées par ses nécrologues. Au quotidien cependant, ses maux le gênent. Bonnet peut parfois lire et écrire, mais ces deux activités lui sont interdites à d’autres moments. Les douleurs l’incitent sans cesse à renoncer au travail83. Les infirmités dictent ainsi à la fois le mode de vie du naturaliste et l’orientation de ses recherches. Les difficultés qu’il éprouve à communiquer avec Haller lors d’un voyage à Roche en sont une bonne illustration. Le seul fait d’admirer des paysages – pratique réputée reposante– lui aurait été contraire. « Je n’avois pas assés prévu que les chaleurs de Lavaux frapperoient sur eux un coup si durable: je me livrai trop encore sur cette route au plaisir de voir »84. Bonnet élève son interprétation de la dégradation de l’état de ses yeux en loi naturelle. « Il est sur que la Nature nous gouverne par le plaisir et par la douleur. La faim, la soif, le mal des yeux sont des avertissemens de cette bonne mére: et nous soufrons dés que nous ne les écoutons pas. Je pense meme que les microscopes ne sont pas contés entre les emplois pour lesquels les yeux sont faits »85. Cette étiologie de ses troubles oculaires est largement répandue de son vivant et cela par les offices de Bonnet lui-même86: 81 82

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Bonnet 1948, p. 99. BGE, Ms Bonnet 70/f. 194, Charles Bonnet à J.-N.-S. Allamand (copie mss), Genève, le 8 août 1760. Corr. Haller, p. 217, Charles Bonnet à Albrecht de Haller, Genthod, le 2 septembre 1760. Voir Corr. Haller, pp. 350 & 353, Charles Bonnet à Albrecht de Haller, Genthod, le 10 septembre 1763; Charles Bonnet à Albrecht de Haller, Genthod, le 30 août 1763. Corr. Haller, p. 352, Charles Bonnet à Albrecht de Haller, Genthod, le 2 septembre 1763. C’est un thème redondant dans ses lettres. BGE, Ms Bonnet 70/167, Charles Bonnet à Elie Salomon Reverdil (copie mss), Genève, le 24 mai 1760 et Ms Bonnet 70/194, Charles Bonnet à J.-N.-S. Allamand (copie mss), Genève, le 8 août 1760.

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Montesquieu, Haller, Tronchin et Allamand, pour ne citer que les plus connus, cautionnent son interprétation87. Bonnet rédige un rapport particulièrement détaillé sur ses troubles oculaires dans deux consultations qu’il adresse, en 1767 et en 1772, au célèbre médecin Gerard van Swieten. Les échanges entre les deux hommes attestent de l’assentiment du médecin à la logique interprétative de Bonnet; van Swieten aurait lui aussi souffert de troubles oculaires après avoir réalisé des observations au microscope. Dans sa première consultation, le patient décrit ses troubles visuels: « Je voyais dans l’air de ces points noirs qu’on a nommés mouches». Celles-ci se manifestent quand il regarde au loin. Sa vision de près serait restée bonne, mais ses « maux d’yeux » n’auraient cessé de croître, notamment à l’œil gauche, son meilleur œil et celui qu’il avait « condamné au microscope » précise-t-il. Si Bonnet recourt moins au microscope, il ne l’a pas totalement abandonné. L’image qui provient de cet œil conférerait un double bord à certains objets… Il pense à un début de cataracte, mais Butini l’aurait rassuré sur ce point. Il termine sa description par le constat d’une nouvelle détérioration, raison probable de la consultation: « Cet organe est devenu cette année si singulièrement sensible ou irritable que je ne puis même dicter quelque temps à mon secrétaire sans y renouveler les tensions ou les tiraillements dont j’ai parlé »88. En dissertant dans sa réponse des causes physiques de tels phénomènes visuels, van Swieten renvoie à ses observations de l’œil d’une baleine. Il y aurait découvert un « réseau de vaisseaux rouges placés devant la tunique de la rétine ». Les troubles pourraient s’expliquer par une perte de ressort des yeux à la suite d’un excès de tension. Van Swieten approuve le régime déjà adopté par Bonnet, ainsi que les bains d’yeux dans de l’eau froide mélangée à un huitième d’un spiritueux. Il recommande en plus un lavement « si le ventre n’est pas libre [...], car en poussant avec effort une selle trop dure, les vaisseaux de la tête se remplissent subitement »89. Dans une seconde lettre envoyée à van Swieten et datée du 18 mars 1772, Bonnet rebondit sur cette dernière idée en corrélant une nouvelle détérioration de sa vue aux diarrhées épidémiques qui avaient régné à Genève pendant l’hiver 87 88

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Pour Haller, voir ici même p. 78. Il affirme éviter les boissons chaudes, les vins et liqueurs, ainsi que les aliments trop actifs. Bonnet 1948, pp. 326-327. Bonnet 1948, pp. 327-328, Gérard Van Swieten à Charles Bonnet, s.d.

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précédent. Bonnet n’aurait que peu souffert « si vous en exceptés un leger relâchement dans l’estomac, qui n’a pourtant point été accompagné de diarrhée, mais le relâchement s’est fait sentir plus fortement que jamais à mes yeux »90. Le parallèle entre le relâchement des yeux et du ventre est explicite, attestant de l’association dans un même processus morbide de deux localisations corporelles distinctes. La logique est implacable: si l’état des yeux empire alors même qu’il souffre d’un relâchement du ventre, un phénomène de relâchement doit être responsable de la détérioration de l’état des yeux. La raison d’être de cette seconde lettre de Bonnet est une crise inquiétante, l’augmentation du nombre des « nubecules » affectant sa vision. Il décrit ce phénomène en des termes qui reflètent à la fois la minutie de ses auto-observations et la multitude des facteurs qu’il pense être pertinent: Le 12 du courant [mars 1772] à 6h 3/4 du matin, tandis que je me chaussois, ma chambre médiocrement éclairée, le baromètre à la hauteur moyenne, le thermomètre à 3 ou 4 degrés au dessus de la congélation à l’air extérieur, et à 9 ou 10 dans ma chambre; le vent du nord souffloit légèrement, il m’est survenu tout à coup une sorte d’éblouissement qui m’a paru produit ou précédé par un certain mouvement interne et très léger du cerveau.

Sa vision se brouille. « Je ne pouvais apercevoir les objets que par la partie supérieure de l’œil ». Il perd pratiquement la vue de son œil droit, son « bon œil ». Une bande transversale envahit son champ de vision. Cette vision restreinte lui fait penser à la migraine, il précise pourtant qu’il n’y était pas sujet et ne souffrait pas d’autres symptômes. La vision de Bonnet se rétablit les jours suivants, mais le mouvement ondulatoire de certains objets persiste. Cette nouvelle dégradation de sa vue ne peut plus être attribuée au microscope. Il ne lui reste pour l’expliquer que le mouvement de cerveau ressenti. Le cerveau s’impose alors progressivement comme la nouvelle cause de sa mauvaise vision. Là encore l’interprétation de Bonnet se trouve en accord avec les descriptions faites sur les effets pathologiques de la méditation par les médecins de son temps91. Le lien de cause à effet 90

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Van Swieten lui répond qu’un « hiver doux et humide peut avoir quelqu’effet sur le corps humain, mais il y a des causes plus probables qui ont agi sur la vue, car votre accident fut précédé des insomnies et d’un événement domestique fort douloureux ». BGE, Ms Bonnet 23, pp. 316 et suiv., Gérard Van Swieten à Charles Bonnet (copie mss), du 4 avril 1772. Wenger 2007, p. 180.

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est crédible. Le cerveau figure parmi les organes vulnérables des hommes de lettres92. Le cerveau de Bonnet, tout comme le microscope avant lui, est devenu un outil de travail. Dans sa lettre à van Swieten, Bonnet développe l’idée: «Vous jugés facilement, mon illustre confrère, [...] que mon cerveau est une forge qui a été échauffée trop longtemps, qui exige qu’on la laisse refroidir, et qu’on y fasse les réparations nécessaires. Comme il étoit originairement plus vigoureux que mes yeux, il a porté sur eux dans la méditation et dans la composition des coups d’autant plus facheux, qu’ils avoient été affoiblis par les observations microscopiques »93. Bonnet se propose donc de ménager sa tête en interrompant sa correspondance et en menant une vie « un peu plus animale ». Il prévoit une série de remèdes, « de légers toniques pour fortifier mon cerveau: la résine de quinquina, le mars, des eaux mercuriales, etc. […] mais » ajoute-t-il, « ce sont vos excellens conseils qui feront ma règle ». Dans sa réponse, van Swieten se proclame une nouvelle fois en accord avec les résolutions du malade. Le 28 juillet 1772, quelques mois plus tard, Bonnet est presque euphorique dans son récit des bons effets des eaux de Spa: « Ce remède commence à operer, et je m’en trouve bien, graces à Dieu ». L’invocation divine ensuite de l’amélioration d’un état de santé est courante à son époque. Dieu demeure l’ordonnateur de toutes choses, et comme de nombreux contemporains, s’il accepte la douleur sans plainte, il n’hésite pas à remercier Dieu en cas d’amélioration94. L’euphorie ne dure pas et Bonnet souffrira toute sa vie de ses yeux95. Dans son récit autobiographique, il détaille la variation des formes et de la disposition des « nubecules » qui gênent sa vision (voir figure 2). Il réfute, sur la base de sa propre expérience, l’hypothèse de l’oculiste Demours selon laquelle la forme et le nombre de ces « nuages » seraient constants et les formes elles-mêmes proviendraient de « l’humeur qui baigne le crystallin ». Selon Bonnet, « elles n’ont pas toutes le même siège ni la même cause ». Une des caractéristiques de son trouble, selon lui, est qu’il n’affecte pas la qualité de sa vision. En 1779, alors qu’il souffrait des 92 93 94 95

Tissot 1981, pp. 16-17. Bonnet 1948, p. 335. Voir plus bas pp. 115 & 136. Corr. Haller, p. 1033, Bonnet à Haller, à la campagne, le 28 juillet 1772. Voir aussi Wellcome Library, Londres, Charles Bonnet à Alfonso Bonfioli, de ma retraite, le 4 mai 1774.

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Figure 2: Esquisses des numbercules gênant la vision de Charles Bonnet. BGE, Ms Bonnet 23, p. 479bis.

yeux depuis plus d’un quart de siècle, Bonnet voit si bien « à l’œil nu les poils des dernières jambes d’une puce » qu’il peut les compter, alors que son dessinateur « n’avoit pu les compter qu’à l’aide d’une loupe »96. Sa faculté de voir est pourtant limitée et dix ans plus tard, il se plaint de ne pouvoir « lire deux ou trois pages d’un in octavo sans éprouver une certaine fatigue ». La succession des ménagements décidée par Bonnet ne suffit pas à enrayer la détérioration de sa santé. Comme ses contemporains, il souffre également d’indispositions peu explicites et de vagues maladies. Aussi mineurs soient-ils, ces maux sont perçus par le malade comme autant d’obstacles à son travail. Il est retenu successivement par « un mal de gorge accompagné d’enrouure » et « une fièvre de 96 97

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BGE, Ms Bonnet 23, pp. 506-508. Corr. Haller, pp. 236 & 274, Charles Bonnet à Albrecht de Haller, Genève, les 21 avril 1761 et 30 mars 1762. Corr. Haller, p. 542, Charles Bonnet à Albrecht de Haller, Genève, le 31 octobre 1766.

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rhume »97. Ailleurs il se trouve « incommodé »98, souffre d’un « vertige asses fort, accompagné de grands vomissements »99, d’« un violent rhumatisme qui s’étroit jette sur [s]on bras »100 et ce ne sont là que quelques exemples parmi d’autres. Le point commun de tous ces maux est de le contraindre au repos101. Plus préoccupante à ses yeux est la dégradation de son estomac, un organe réputé vulnérable chez les hommes de lettres102: « J’ai été malade; j’ai eu de la fièvre et un dérangement d’estomac, suite naturelle de mes petits travaux passés. Je tache à présent de fortifier ce viscère par quelques toniques et par la suspension du travail »103. L’estomac succède à ses yeux en tant qu’objet de plaintes, mais la cause du mal, le travail, et le remède, le repos, demeurent les mêmes104. L’année suivante, en dépit de nombreuses infusions de camomille, d’une cure de repos et de vin médicinal, le rétablissement tarde105. Le travail s’impose comme la cause commune à tous ses maux, mais l’étiologie du mal s’est déplacée: « Mon cerveau a asses et trop longtemps joué, et ce jeu a influé sur les fonctions de l’estomac, et par l’estomac sur le reste du corps. Il a encore influé sur les yeux, qui me font toujours la guerre »106. Comme ses problèmes oculaires, ses troubles d’estomac deviendront chroniques, alors que le repos s’impose durablement comme sa panacée personnelle107. Bonnet érige ainsi progressivement l’excès de travail en cause générale de ses troubles de santé. L’importance qu’il attache à la fois à cette interprétation de ses malaises et à son statut d’homme 99

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Corr. Haller, p. 555, Charles Bonnet à Albrecht de Haller, Genève, le 10 décembre 1766. BGE, Ms Bonnet 24, f. 221, Charles Bonnet à J.-N.-S. Allamand (copie mss), Leiden, le 17 janvier 1755. Corr. Haller, p. 65, Charles Bonnet à Albrecht de Haller, Genève, le 3 juin 1755. Le nombre et la diversité des citations présentés par Tissot pour étayer ce principe en est une confirmation: Tissot 1981. Voir Porter 1997a, p. 8; Villa 2007, p. 95. Corr. Haller, p. 399, Charles Bonnet à Albrecht de Haller, Genthod, 1er décembre 1764. BGE, Ms Bonnet 71, Charles Bonnet à Jean Turton (copie mss), le 11 août 1764. BGE, Ms Bonnet 71, Charles Bonnet à Jean Turton (copie mss), Genthod, le 21 février 1765; la camomille est un remède traditionnel pour le ventre, voir Loux et Richard, 1972, p. 272. BGE, Ms Bonnet 71, Charles Bonnet à Jean Turton (copie mss), le 11 août 1764. Vaj 2001, p. 272.

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de lettres se lit dans la constance avec laquelle il les réitère dans sa correspondance108. Un échange entre Bonnet et le célèbre JeanHenri-Samuel Formey (1711-1797) atteste de l’importance de ce schéma interprétatif. Dans une première lettre à Formey le 5 juin 1764, Bonnet s’étonnait de l’augmentation de la production scientifique, des engagements académiques et spirituels de son correspondant, alors à la fois professeur et pasteur. « Je crains bien que vous n’en abusés à la longue » poursuit-il « et que vous ne parveniez enfin à user avant le tems ces ressorts délicats que vous tenés dans un mouvement si continuel ». Il l’engageait – à son exemple – à restreindre ses activités109. La réponse est à l’opposé même de ce que Bonnet attendait. Formey nie la nécessité de modérer ses activités et incite, au contraire, Bonnet à suivre son propre exemple en se lançant littéralement à corps perdu dans le travail. « C’est à vous qu’il sied de pousser votre vol jusques dans les plus hautes régions » lui écrit-il: Je vous suivrai de l’œil tant que je pourrai, et je ne craindrai jamais pour vous le sort d’Icare. Bien loin de vous prêcher la continence dans ces travaux, je vous exhorte à vous y abandonner de plus en plus persuadé que c’est le moyen de vivre en un jour plus que ne font dans une année ceux qui passent leur tems à végéter ou à ruminer. Je ne regarde pas comme [illusoires] les motifs qui ont influé sur la partie précédente de votre vie: je les crois au contraire également dignes de l’approbation des hommes eclairés et pieux, et du suffrage décisif de l’être supreme. Quoi ! Un soldat useroit mille fois plus son corps et exposeroit tout autrement sa vie que nous ne l’avons fait et ne pourrions le faire sans y être incité que par des motifs qu’on veut appeler subalternes du prix des nôtres: et ce soldat feroit son devoir, un devoir même indispensable, tandis que nous serions blâmables, et peut etre punissables, d’avoir alteré notre constitution* pour arriver à la connoissance de la vérité, et prouver cette connoissance aux autres110.

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Ses correspondants l’exortent au repos. Par exemple BGE, Ms Bonnet 70 / f. 105, Charles Bonnet à J.-N.-S. Allamand (copie mss), Genève, le 22 juin 1759. Bonnet s’inquiète ailleurs que d’autres ne tombent dans les mêmes travers que lui et incite plusieurs de ses correspondants à la modération. Voir par exemple BGE, Ms Bonnet 71, Charles Bonnet à Jean Turton (copie mss), le 11 août 1764 et Charles Bonnet à Jean-Henri-Samuel Formey (copie mss), Thônex, le 5 juin 1764. BGE, Ms Bonnet 28/21, Jean-Henri-Samuel Formey à Charles Bonnet, Berlin, le 10 août 1764.

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Sans le savoir, Formey a touché une corde sensible. La réponse de Bonnet est indignée: Un homme de lettres, qui compose depuis plus de 26 ans sur des sujets la plupart très abstraits, et qui ne peut plus composer aujourd’hui sans avoir des dérangemens d’estomac, qui altèrent toutes ses digestion, qui le prennent même aux oreilles et qui le rendent fort sourd, un tel homme doit-il s’obstiner à composer avec la certitude de ne composer bientôt que dans une autre vie? Qu’aimés vous mieux, ou de conserver vôtre ami plus longtems ou de le perdre avant le tems. Voudriés-vous l’enlever à une femme, à des parens, à des amis qu’il chérit et dont il est chéri; et à une patrie à laquelle il se doit? Ce que je vous dis ici est très sérieux, et si vous m’aimés, comme je me flatte, vous serés le premier à m’exhorter au repos [...]. Je violerois la loi naturelle, si je ne prenois pas un repos nécessaire. Je puis me reposer sans honte; j’ai payé à la société un contingent honnête: je lui ai consacré mes plus belles années111.

Il n’avait jamais affirmé ailleurs une corrélation entre son travail et l’acuité de son ouïe, alors que sous l’emprise de l’émotion, il oublie de mentionner ses troubles oculaires ! Pour Bonnet, il s’agit d’affirmer clairement son statut d’homme de lettres souffrant de maux correspondants, un homme dont les sacrifices auraient assuré un droit au repos. Ce dernier thème revient régulièrement sous sa plume112. Le mal-être, la douleur ou le mauvais fonctionnement des différents organes (yeux, cerveau et estomac) l’inciteront régulièrement à réduire ses activités113. Promenades régulières dans les champs, repas légers et modération dans le travail sont le régime de vivre que Bonnet affirme suivre114. Le repos et la modération sont ses panacées. C’est une thérapeutique dépourvue d’effets secondaires et régulièrement invoquée pour rassurer ses proches. Si ce comportement répond à la 111

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Wellcome Library, Londres, Charles Bonnet à Jean-Henri-Samuel Formey, Genthod, le 21 septembre 1764. BGE, Ms Bonnet 71, Charles Bonnet à Jean Turton (copie mss), le 11 août 1764. Corr. Haller, p. 582, Charles Bonnet à Albrecht de Haller, Genthod, s.l. [Genève], le 4 mars 1767. BGE, Archives Saussure 238/174, Bonnet à H. B. de Saussure, De mon côteau, Dimanche le 4 février 1787; Corr. Haller, p. 490, Charles Bonnet à Albrecht de Haller, A Genève, le 26 avril 1766.

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logique médicale en vogue et si Bonnet se proclame satisfait de cette stratégie passive, il ne cesse d’en essayer d’autres. Le tabac figure parmi les remèdes qu’il prendra régulièrement sur une longue période. En 1770, il rapporte consommer cette plante en poudre depuis 1758. Le tabac l’aurait libéré d’une fluxion* et de rhumes de cerveau. Il aurait cependant également eu des effets délétères. « Il me fait moucher fréquemment et l’action même de se moucher pousse le sang dans les vaisseaux déliés de la rétine, affoiblis chés moi, et dévenus ça et là un peu variqueux: peut être que le tabac a encore d’autres influences malignes sur les yeux: je soupconnerois qu’il en a encore sur la mémoire». La réduction de sa consommation de tabac affecterait négativement son sommeil, « précisément dans la proportion de la diminution du tabac. J’en suis venu enfin à ne dormir en 24 heures qu’environ 3 heures et d’un sommeil toujours inquiet ». Les bains de pieds et les infusions de fleur de millepertuis, prescrits à cette occasion, n’auraient pas suffi à rétablir la quiétude de ses nuits. En dépit de plusieurs tentatives pour interrompre sa consommation de tabac, il y reviendra toujours. Bonnet s’interroge sur les raisons de cette dépendance, ne trouvant dans La santé des gens de lettres de Tissot qu’une prescription115. Parmi les autres remèdes tentés par Bonnet figure une des thérapies les plus en vogue de son temps, les eaux minérales. En août 1765, il se rend à Perroy afin de boire les eaux de Rolle pour son estomac: « Il me semble, qu’elles me font quelque bien à l’estomac fort délabrée par le travail; mais la saison trop pluvieuse les rend foibles. Vous sçavés qu’elles sont un peu ferrugineuses »116. Il essayera avec sa femme, par la suite et sans succès notable, de boire différentes eaux en bouteille chez lui, à Genthod. Les observations de Bonnet sur ses propres désordres corporels témoignent à la fois de son désir de comprendre et de sa capacité à raisonner sur ses symptômes. Il ne se lasse pas de les interpréter: « J’ai un sentiment de soif presque continuel; assez fréquemment je manque de salive; ma bouche et mes lèvres deviennent sèches: je l’éprouve même à l’heure que je dicte ceci » écrit-il à Haller par 115

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Dans sa réponse, datée de Berne le 19 avril 1770, Haller affirme l’ignorance des médecins quant aux effets du tabac et propose un tabac plus faible. Corr. Haller, pp. 870-872, Bonnet à Haller, ma retraite, le 10 avril 1770. Tissot énumère une liste de dangers encourus par le consommateur de tabac. Tissot 1981, § 78, pp. 218-220. Corr. Haller, p. 434, Charles Bonnet à Albrecht de Haller, Perroy, 15 août 1765.

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exemple. «Vous savez mieux que moi, mon cher Hippocrate, que ces simptomes indiquent que l’âcre domine beaucoup et mes fréquens catharres en sont une autre preuve qui n’est malheureusement que trop démonstrative »117. Ses crises successives de santé l’inciteront à réduire toujours davantage sa charge de travail. A la fin de sa vie, une nouvelle épreuve de santé, l’asthme, s’ajoute à la liste de ses souffrances. L’ultime lettre conservée de sa main est datée du 12 septembre 1792. « J’ai été malade et tourmenté d’un asthme qui, en retenant le sang dans la tête, a causé un tel désordre dans ma vue que je ne puis plus lire ni écrire ni par conséquent distinguer les traits d’une figure et reconnaître l’objet [...]. Je ne puis même dicter quelques lignes sans me fatiguer beaucoup [...]. Je suis de plus travaillé d’une cruelle insomnie, que l’oppression entretient. Mon asthme est sec, convulsif et nerveux, et paraît être la suite de ces malheureux catarrhes qui m’ont fait une si cruelle guerre depuis quatre ans »118. Au printemps suivant, Bonnet serait « bien »119. Mais son mieux être n’est que provisoire, comme pour la plupart des auteurs malades, les derniers épisodes nous sont rapportés par la plume de tiers. Le syndrome Bonnet? Les aléas de la santé de Bonnet illustrent à la fois la diversité des remèdes et des conseils accessibles aux malades et l’importance pour ces derniers de donner du sens à leur maladie. Avec un entêtement qui tient du désespoir, Bonnet ne cesse de répéter l’origine de son mal-être. Tous ses maux, ou peu s’en faut, finissent par être associés à ses excès de naturaliste et d’homme de lettres. Il est significatif qu’il ait su imposer ses propres interprétations à la fois à ses contemporains et à la postérité. Sa volubilité trahit la cohérence de cette interprétation avec son identité et contraste singulièrement avec la discrétion d’autres, notamment son neveu Horace-Bénédict de Saussure. Celui-ci ne trouvera jamais d’explication plausible ou, ne faudrait-il pas dire, avouable, à ses maux. Seule la possibilité d’une tare héréditaire émerge de son parcours. Rien d’étonnant dès lors à

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BGE, Ms Bonnet 80, f. 154, Charles Bonnet au Dr Butini (copie mss), Genthod, le 22 janvier 1786. Savioz 1948, p. 36. BGE, Archives Saussure 237/252, Amélie de Saussure à Théodore de Saussure (à Londres), s.l., 18 mars [1793].

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ce que Saussure suive attentivement son état de santé dans ses carnets, tout en se montrant discret sur son état de santé en public... Ainsi, la figure historique de Bonnet, un homme usé par le travail, est de toute évidence l’œuvre du travailleur lui-même, alors que l’ambiguïté historique du corps de Saussure – un grand sportif malade – est le plus certainement la conséquence du silence du principal intéressé. L’accueil favorable que Bonnet réserve à l’ouvrage déjà cité de Tissot, De la santé des gens de lettres, dans lequel il lit la plupart de ses maux, n’est guère étonnant120. Le cas de Bonnet trouve même une place dans une édition ultérieure de cet ouvrage: Tissot y reproduit une phrase de Bonnet dans lequel celui-ci associait les excès d’observation avec la fatigue des yeux121. Le cas Bonnet ne rentre pas dans la littérature médicale de la même manière que le feront différents épisodes de la santé de Rousseau. Même l’échange entre Bonnet et van Swieten, ainsi que les longs développements de Bonnet sur ses problèmes de santé, n’occupent que peu ses premiers biographes122. Les médecins et chercheurs aux XIXe et XXe siècle n’ont que peu commenté les observations de Bonnet sur ses troubles oculaires (voir figure 2)123. Une poignée de médecins s’intéresseront aux descriptions faites par van Swieten de ses observations sur les yeux de baleines124. Un intérêt s’est manifesté plus récemment pour la corrélation entre les derniers troubles oculaires de Bonnet, ses hallucinations, et un cas exposé par Bonnet lui-même dans son Essai Analytique sur les facultés de l’âme. Il s’agit du cas de son grand-père, le père de sa mère, Charles Lullin (1669-1761), souffrant d’hallucinations après une opération réussie de la cataracte. Le malade voyait des objets ou encore des figures animées inexistantes, et cela sans atteinte apparente de son intellect. Au début du XXe siècle, le Genevois Théodore Flournoy publie le cas d’après un document inédit de la main de Bonnet125. Une nouvelle utilisation de cette histoire est 120 121 122

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Cité dans Emch-Deriaz 1992b, p. 76. Bonnet 1769, t. 1, p. 135. Voir Tissot 1991a, p. 30. Seul Trembley donne quelques précisions sur cette correspondance, réduisant les plaintes de Bonnet à la vision de « filamens » et aux méfaits du tabac. Les réponses de Van Swieten sont passées en revue plus longuement. Trembley 1794, pp. 107-108. Savioz 1948, p. 27. Sur les observations de van Swieten, voir Soleto 1968. Flournoy 1901.

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faite par Georges de Morsier qui propose en 1938 une définition clinique d’un « syndrome Charles Bonnet »: des hallucinations chez un sujet âgé pour lequel aucun diagnostic psychiatrique n’avait été établi126. Les caractéristiques cliniques de ce syndrome seront précisées par d’autres dans le deuxième tiers du siècle127. A l’heure de la rédaction de ce texte, c’est un syndrome reconnu sur le plan médical: la base de données medline signale 105 articles s’y référant128. FEMME DE LETTRES : LA VIE CHAOTIQUE D’ISABELLE DE CHARRIÈRE Après le parcours d’un homme de lettres, quoi de plus naturel que d’enchaîner avec le récit de celui d’une femme de lettres? Si une telle juxtaposition peut avoir un sens, il est important de souligner que ce sens n’est pas le même aujourd’hui que dans le passé. Dans les traités médicaux, le corps masculin se présente comme la règle et le corps féminin comme l’exception129. Le corps féminin possède la capacité extraordinaire de donner la vie et cette caractéristique s’accompagne de particularités médicales reconnues et dont il faut être conscient pour aborder les textes se rapportant à des santés féminines. Depuis l’Antiquité, le corps féminin était décrit comme un corps faible, froid et humide. L’absence de chaleur impliquait une incapacité à transformer toute la nourriture en sang et justifiait les règles. L’enracinement du dogme remonte à l’Antiquité, et les femmes du siècle étaient confrontées à cette donnée qui faisait office de réalité130. Les auteurs médicaux signalent une constitution* féminine délicat et sujette à des vapeurs émanant de la matrice. Ces vapeurs causeraient des inquiétudes et des colères, mais également

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Morsier 1938, p. 288. Voir Morsier 1967. L’histoire du syndrome a été traité dans Barras 1994. Aujourd’hui, la définition médicale est plus large: http://www.rnib.org.uk/xpedio/groups/public/documents/PublicWebsite/public_rnib003641.hcsp, consulté le 26 janvier 2009. Voir p. 375 et suiv. Pour un aperçu rapide, voir Berriot-Salvadore 1991. Michael Stolberg signale une réinterprétation théorique des règles dans la médecine savante qui ne trahiraient plus une faiblesse, mais une tendance à trop accumuler, c’est un modèle pléthorique. Stolberg 2005, pp. 92-93.

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de l’hystérie131. Certains médecins rendent des nerfs trop sensibles responsables des particularités féminines132. Si l’importance et la signification de ces écoles sont aujourd’hui débattues dans la littérature historique, les contemporains étaient peu systématiques dans leurs appréciations133. La lecture faite par Germaine de Staël des passages de Jean-Jacques Rousseau concernant les femmes constitue une bonne entrée en matière. Rousseau décrit la femme comme un être faible, possédant « un cœur plus sensible à la pitié, moins de vitesse à la course, un corps moins robuste, une stature moins haute, des muscles plus délicats »134. La vie sédentaire et domestique lui serait appropriée et même salutaire135. Dans la Lettre à d’Alembert, Rousseau compare la nature et la portée des occupations des deux sexes. Il affirme notamment que les femmes, en général, n’aiment aucun art, ne se connaissent à aucun, et n’ont aucun génie. Elles peuvent réussir aux petits ouvrages qui ne demandent que de la légèreté d’esprit, du goût, de la grâce, quelquefois même de la philosophie et du raisonnement […]. Mais ce feu céleste qui échauffe et embrase l’âme, ce génie qui consume et dévore, cette brûlante éloquence, ces transports sublimes qui portent leurs ravissements jusqu’au fond des cœurs, manqueront toujours aux écrits des femmes: ils sont tous froids et jolis comme elles136; ils auront tant d’esprit que vous voudrez, jamais d’âme; ils seraient cent fois plutôt sensés que passionnés137.

Le regard critique de la jeune Germaine de Staël sur ces propos dévoile à quel point celle-ci accorde du crédit aux idées courantes sur la faiblesse de la femme et même sur l’infériorité de l’intellect féminin. 131

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Hoffmann 1995, pp. 175-199, King 1998. Sur l’effet des émotions sur la santé lire Rublack 2002, pp. 2-4. Pour un développement plus conséquent, lire Wenger 2007, pp. 145-156. Voir p. 375 et suiv. Rousseau 1967, p. 173. Certains penseurs médicaux attribuent la venue régulière de règles à la vie sédentaire des femmes. La féminité serait ainsi élaborée socialement. Lord 1999, p. 46. Dans sa comédie Narcisse ou l’amant de lui-même, Rousseau met en évidence la « féminisation » des hommes de lettres. Voir Rousseau 1964, pp. 965-966. On retrouve ici, implicitement, les caractéristiques froides et humides de la femme telles qu’elles étaient énoncées depuis l’Antiquité (par opposition à l’homme chaud et sec). Rousseau 1967, pp. 199-200 (n. 2.)

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Le seul tort qu’au nom des femmes je reprocherois à Rousseau, c’est d’avoir avancé, dans une note de sa lettre sur les spectacles, qu’elles ne sont jamais capables des ouvrages qu’il faut écrire avec l’âme ou de la passion. Qu’il leur refuse, s’il le veut, ces vains talents littéraires, qui, loin de les faire aimer des hommes, les mettent en lutte avec eux; qu’il leur refuse cette puissante force de tête, cette profonde faculté d’attention dont les grands génies sont doués. Leurs foibles organes s’y opposent, et leur cœur, trop souvent occupé par leurs sentimens et par leur malheur, s’empare sans cesse de leur pensée, et ne leur laisse pas se fixer sur des méditations étrangères à leur idée dominante; mais qu’il ne les accuse pas de ne pouvoir écrire que froidement, de ne savoir même peindre l’amour. C’est par l’ame, l’ame seule qu’elles sont distinguées138.

La figure de la femme savante est encore un objet de dérision au XVIIIe siècle139. Les femmes comme Germaine de Staël et Isabelle de Charrière prennent des risques en s’exposant sur l’espace public, un espace clairement masculin. Peu nombreuses sont celles qui acceptent de s’y risquer. La notoriété des femmes de lettres n’est alors pas considérée d’un même œil que celle des hommes. Il faut donc considérer séparément hommes et femmes, mais non pas ignorer les femmes auteurs. La notoriété des femmes savantes était plus discrète; elles étaient exclues des sphères professionnelles et contraintes de s’épanouir dans des contextes appartenant à la sphère privée, notamment dans les salons. Une des conséquences est l’association des femmes à une écriture peu formelle ou familière. Ce constat a été fait à plusieurs reprises, d’abord pour le XVIIe siècle dans un contexte spirituel140, mais également au siècle suivant dans la mouvance qui accompagne la naissance du journal intime141. Que le genre épistolaire et les journaux soient, comme d’aucuns l’avancent, des écritures féminines ou non, force est de constater que les écrits personnels, rédigés par des femmes du siècle, sont nombreux et offrent un accès privilégié à certains aspects de la vie des femmes142. Le cas d’Isabelle

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Staël 1789, pp. 24-25. Wenger 2007, p. 159. Voir Le Brun 1984 et Le Brun 1986. Voir par exemple Lejeune 1993. Pour le contexte anglais, voir Mendelson 1987. Madame de Sévigné incarne le modèle idéal de l’épistolière. Les caractéristiques sont le naturel, l’absence de recherche, les bagatelles, etc. Voir Duchêne 1990; Nies 1978.

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de Charrière est à ce titre intéressant puisque sa notoriété était internationale et son parcours peut être mis en parallèle avec ceux d’hommes célèbres. Tissée dans la culture de l’amitié, sa correspondance active roule souvent sur la vie des uns ou des autres, sur les épreuves du quotidien, y compris la santé. De la jeune fille et des vapeurs Belle de Zuylen (1740-1805), appelée à devenir Isabelle de Charrière par son mariage en 1771 avec Charles-Emmanuel de Charrière, n’a rédigé ni journal ni mémoires retraçant l’histoire de sa vie et de ses aléas de santé. Cela dit, son cas est utile ici d’abord parce que les informations recueillies portent sur un temps long et ensuite, parce qu’Isabelle de Charrière exprime ouvertement ses opinions médicales. Des données éparses prises dans sa correspondance permettent la reconstruction de quelques éléments de l’histoire du rapport qu’elle entretenait avec son corps et sa santé. Peu a filtré de ses jeunes années143. Ses échanges avec Jeanne-Louise Prévost (17211785), une ancienne gouvernante, apportent les premières indications. Belle a alors quinze ans et venait d’être inoculée. A la suite de sa petite vérole artificielle, elle souffre d’un ulcère à l’œil et s’en inquiète144. Elle rapportera plus tard avoir été alors « triste, inquiete, pleine de tous les melancoliques doutes, qu’une vie uniforme, une santé delicate, une imagination vive et des sermons fanatiques peuvent occasionner »145. Belle souffre d’une maladie à la mode, les « vapeurs »146. Le diagnostic est inquiétant. Les vapeurs peuvent « rendre mélancolique, quelquefois même […] faire pleurer », resserrer le cœur, et embarrasser la tête147. Souffrir de vapeurs était une plainte courante des femmes aristocratiques ou bourgeoises qui considéraient leur santé comme étant très différente de celle de 143 144

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Godet 1973, p. 9 et suiv. ; Courtney 1993. Charrière O. C., t. 1, p. 86, Jeanne-Louise Prévost à Belle de Zuylen, Neuchâtel, le 6 octobre 1755. Charrière O. C., t. 1, p. 331, Belle de Zuylen à Constant d’Hermenches, Utrecht, le 21octobre 1764. Charrière O. C., t. 1, p. 97, Jeanne-Louise Prévost à Belle de Zuylen, Neuchâtel, le 3 avril 1756. Académie 1762, article Vapeurs. Les auteurs médicaux en mentionnent d’autres: léthargie, mélancolie, spasmes, pléthore humorale, imagination excessive, nausées, maux de têtes, etc. Vila 1998, p. 231.

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femmes d’autres conditions. Les lettres rassurantes que lui adresse Jeanne-Louise Prévost donnent une idée des représentations associées aux vapeurs. « Si les anges ont des vapeurs, pourquoi n’en auriez vous pas? Ceci est moins pour les autoriser que pour servir de calmant ou de palliatif à votre imagination qui a ce que vous me dite en a grand besoin vous pouvez encore vous dire que c’est un mal général qui même est assez à la mode ». Elle ajoute une donnée, anodine du point de vue médical, mais essentielle du point de vue des malades. Les experts disent qu’elles ne se logent que chez les personnes d’esprit et susceptibles de sentiments délicats, j’en crois bien quelque chose, cela n’empéche pas que je ne pense comme vous ma trés chére Belle, que le dérangement de la santé y a beaucoup de part148.

La jeune fille se défend de souffrir d’une maladie de l’esprit; l’origine de ses « vapeurs » serait physique149. La nuance est intéressante. La malade est-elle la seule qui puisse distinguer entre les deux étiologies possibles? Les vapeurs qui la terrassent dans sa jeunesse n’empêchent pas Belle de se féliciter de sa bonne constitution*. Elle est convaincue d’avoir hérité d’un bon sang et de capacités physiques satisfaisantes150. Comme d’autres femmes, elle s’inquiète de son imagination et ne semble pas être à même de maîtriser son corps. Pendant la décennie qui s’écoule entre ses vingt et ses trente ans, elle associe ses crises de vapeurs avec des moments de désespoir, d’inquiétude et parfois avec de la fièvre151. Elle est perçue comme une femme « vaporeuse », mais refuse de se laisser impressionner par le bons sens médical qui tend à corréler sa mauvaise santé avec ses incessantes 148

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Prévost conseille Belle de « s’amuser de tout » et de prendre de l’exercice pour rétablir sa santé. Charrière O. C., t. 1, p. 110, Jeanne-Louise Prévost à Belle de Zuylen, Neuchâtel, le 6 novembre 1758. Charrière O. C., t. 1, p. 112, Jeanne-Louise Prévost à Belle de Zuylen, Neuchâtel, le 18 novembre 1758. La corrélation entre des souffrances physiques, une certaine sensibilité et une intensité intellectuelle est alors reconnue. Villa 2007, p. 93. Charrière O. C., t. 1, pp. 498 & 511, Belle de Zuylen à Constant d’Hermenches, Zuylen, les 6 septembre et 5-7 octobre 1766. Charrière O. C., t. 1, p. 390, Belle de Zuylen à Constant d’Hermenches, s.l., les 25-28 février 1765.

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activités intellectuelles. « On trouve aussi mauvais » rapporte-t-elle à son ami Constant d’Hermenches, « que je veuille savoir plus que la plupart des femmes ». L’argumentation que développe Belle pour pouvoir continuer à s’instruire est médicale: « On ne sait pas que trés sujette a une noire melancolie je n’ai de santé ni pour ainsi dire de vie qu’au moyen d’une occupation d’esprit continuelle »152. La souplesse du paradigme médical lui permet ainsi d’affirmer que si la plupart des femmes souffrent dans leur santé quand elles étudient, il n’en est rien dans son cas. Au fil de ses lettres, il devient apparent que ses poursuites intellectuelles guident son agenda quotidien. Elle veille tard, lit beaucoup et dort mal. Ses lettres trahissent un état d’esprit changeant et une agitation intérieure chronique153. Afin de l’aider à retrouver le sommeil et la sérénité, D’Hermenches lui propose de prendre de l’opium en lieu et place du café154. Elle lui obéit et estime la drogue lui être nécessaire, mais se plaint d’un effet secondaire: elle aurait perdu l’appétit155. C’est vers cette période qu’il faut situer, selon Philippe Godet, son autoportrait. Un Portrait de Mlle de Z… sous le nom de Zélide fait par elle-même, adressé à sa mère, et dans lequel les dispositions de son corps sont placées aux côtés d’autres caractéristiques: Zélide est un peu voluptueuse; son imagination sait être riante même quand son cœur est affligé. Des sensations trop vives et trop fortes pour sa machine, une activité excessive qui manque d’objet satisfaisant, voilà la source de tous ses maux156.

Des activités intellectuelles lui seraient nécessaires. « Partout ou je suis il y a du haut et bas dans ma santé; partout une matinée entière de conversation et de promenade sans retraite et sans lecture, finit par le plus cruel mal-aise ». En dépit de l’avis commun, elle estime son activité préférée lui être bénéfique. La correspondance avec d’Hermenches prend du temps sur ses études et elle cherche à la 152

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Charrière O. C., t. 1, p. 129, Belle de Zuylen à Constant d’Hermenches, Z[uylen], le 9 septembre 1762. Charrière O. C., t. 1, p. 306, Belle de Zuylen à Constant d’Hermenches, Utrecht, les 13-18 septembre 1764. Charrière O. C., t. 1, pp. 262-263, Constant d’Hermenches à Belle de Zuylen, s.l., le 17 août 1764. Charrière O. C., t. 1, pp. 292 & 319, Belle de Zuylen à Constant d’Hermenches, Utrecht, les 4 septembre et le 17 octobre 1764. Cité dans Courtney 1993, p. 59.

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restreindre. Elle s’en explique à son correspondant en des termes médicaux: « Les ressorts les plus flexibles de mon ame ne doivent pas être mis sans cesse en mouvement.»157 C’est un aveu clair de l’effet que d’Hermenches, un homme marié, exerce sur elle ! La mobilité de son âme engendrée par sa correspondance s’ajoute aux sauts d’humeurs provoqués par les vapeurs qui lui seraient ordinaires. Ce schéma n’explique pas tout. Elle se plaint également de troubles à la mode, les maux de nerfs158. Ces trois catégories de souffrances ne sont que peu explicitées et s’apparentent à des symptômes plutôt qu’à des pathologies précises. Logiquement, les vapeurs issues du bas du corps, mais bloquées dans la cavité crânienne, doivent être associées à des troubles de la tête, voire de l’esprit, alors que les nerfs renvoient à des sensations affectant n’importe quelle partie le corps. Que signifient ces termes pour Belle? Parfois leur contexte d’énonciation contribue à en donner une idée. Elle est affligée, mais sereine en apprenant la nouvelle de la mort en couches de « la plus douce, la plus sage » de ses cousines, mais « tout à coup après avoir relu la lettre qui m’aprenoit la mort de ma cousine et parlé d’elle à Charles de Twickel il m’a pris un violent accès de vapeurs il a duré plus d’une heure, ce soir je suis bien »159. Elle connaît des hauts et des bas. Quelques semaines plus tard elle se proclame « bien » et rapporte même « engraisser », signe d’une bonne santé160. Les renversements de situation sont rapides; quelques jours plus tard elle touche le fond: « Je suis toujours également triste. Connoissez vous d’Hermanches le malheur d’une personne qui aprecie les biens et les maux attachez a sa destinée non d’après les jugemens de sa raison mais au gré de ses organes, au gré d’une imagination qui exagere tout; [...]. Mille hipocondreries* ridicules, mille chimeres extravagantes eloignent le repos. Je ne connois point de creature plus folle que moi […]. Votre amie est folle ce matin accablée des plus noires vapeurs

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Charrière O. C., t. 1, pp. 307-308, Belle de Zuylen à Constant d’Hermenches, Utrecht, les 13-18 septembre 1764. Charrière O. C., t. 1, p. 323, Belle de Zuylen à Constant d’Hermenches, Utrecht, le 18 octobre 1764. Charrière O. C., t. 1, p. 364, Belle de Zuylen à Constant d’Hermenches, s.l., les 25-27 décembre 1764. Charrière O. C., t. 1, p. 374, Belle de Zuylen à Constant d’Hermenches, s.l., les 14-18 février 1765.

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n’esperant rien; ne souhaitant rien, detestant toutes choses »161. Ses idées noires s’enracinent dans des préoccupations physiques. Que dire [...] d’une personne qui a souffert avec un courage heroïque en lisant en riant par intervalle, les plus horribles douleurs dans la bouche dans la tête dans le cou, sur le cerveau; et qui a prés quinze mois passés tranquilement sans rien souffrir se desespere de ce que ses dens qui paroissent belles ne sont pas bonnes qui croit a chaque instant les perdre qui en rêve la nuit, qui les regarde cent fois par jour, qui s’imagine qu’on n’est bonne a rien quand on n’a pas les dents parfaites qui s’étonne de trouver des amis des amans, un epoux…162

S’effrayer de tout est alors un symptôme reconnu de mélancolie. Face au désarroi de la jeune fille, le ridicule de ces traits doit être nuancé. L’importance des dents, leur bonne apparence, est une obsession commune dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle163. L’art dentaire se trouve alors à un tournant. L’arrivée massive de denrées attaquant les dents comme le sucre n’a pas encore donné lieu au développement de nouvelles méthodes de soins. L’odontalgie est le mal du siècle et les mauvaises dents une caractéristique physique commune. Les portraits que dresse Belle elle-même de femmes de la bonne société hollandaise comprennent systématiquement une mention de l’état de leur dentition164. L’obsession de Belle est à mettre en rapport avec la difficulté qu’elle éprouve à trouver un époux convenable. Pendant la décennie qui suit son vingtième anniversaire, Belle est une jeune femme convoitée, mais difficile à contenter sur le marché matrimonial; elle repousse plusieurs prétendants165. Ses souffrances persistent. « Soit disposition de mes nerfs soit tristesse je n’aurois qu’a ajouter un mot pour fondre en larmes, elles me viennent aux yeux la moindre idée attendrissante les feroit couler ». Elle reconnaît 161

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Charrière O. C., t. 1, pp. 390-391, Belle de Zuylen à Constant d’Hermenches, s.l., les 25-28 février 1765. La réponse est plutôt plate. D’Hermenches lui assure que quelques imperfections ne pouvaient que plaire à son futur mari étant donné qu’elles auraient pour effet d’amoindrir les prétentions de l’épouse. Charrière O. C., t. 1, pp. 410 & 413, Belle de Zuylen à Constant d’Hermenches, s.l., les 3- 6 mai 1765 et Constant d’Hermenches à Belle de Zuylen, Lille, le 18 mai 1765. Darnton 1985, p. 11. Voir plus bas pp. 184-185 et Porter et Porter 1988, p. 54. Voir à ce propos Godet 1905, pp. 37-126.

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pour excessifs son imagination et son emportement. Belle mène un combat contre elle-même. «Vous n’imaginez pas a quel point vont mes vapeurs, ma foiblesse d’esprit, mes dispositions à la plus sombre melancholie: j’ai entierement perdu la faculté d’aprecier dans mon imagination les objets selon les mesures et les poids de la raison »166. Plusieurs crises tournent autour de projets de mariage avortés. Elle cherche à les dissimuler à ses proches167. Des allusions à sa folie168, au fait que son sang « s’irrite a la moindre chose »169, reviennent alors régulièrement sous sa plume. Qu’il s’agisse d’angoisses chroniques ou d’une pathologie définie, elle fait part d’un grand désarroi face aux aléas de sa santé. Les temps de crises alternent avec des moments où elle se déclare en bonne santé170. Elle essaye différentes thérapies, éprouvant à l’occasion un soulagement passager. En été 1768, par exemple, elle a 28 ans et tente une thérapie hydraulique. « Je me plonge tous les jours dans une cuve d’eau froide » écrit-elle dans une lettre à son frère, « on m’en jette d’abord un pot tout plein sur la tête, j’entre dans la cuve je m’assois je me tourne et pendant que [je] suis a genoux le même pot se repand encore sur mon dos, j’enfonce ma tête je me releve et je sors.» Elle est ravie et n’aurait eu « ni migraine, ni maux de dens, ni maux d’oreilles » depuis six semaines, « mais en revenche beaucoup d’apetit et le corps fort alegre ». L’expression est originale. Un corps heureux exprime un bien-être physique, un état qui est rarement décrit positivement. La bonne santé était, hier comme aujourd’hui, caractérisée essentiellement par l’absence de symptômes. Son corps allègre ne suffit pourtant pas à garantir la santé. Dans la même lettre à son frère, elle se plaint des « noires exagerations de [s]on imagination » et conclut qu’il lui « est humiliant [...] de ne former sur les choses les plus intéressantes que des jugemens variables, passagers, par cela même 166

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Charrière O. C., t. 1, p. 449, Belle de Zuylen à Constant d’Hermenches, s.l., les 11-12 décembre 1765. « J’ai tout mis sur le compte des vapeurs, en cachant seulement mon visage pour essuyer mes larmes ». Charrière O. C., t. 1, p. 475, Belle de Zuylen à Constant d’Hermenches, s.l., les 18-19 juin 1766. Charrière O. C., t. 1, p. 488, Belle de Zuylen à Constant d’Hermenches, s.l., le 11 juillet 1766. Charrière O. C., t. 1, p. 475, Belle de Zuylen à Constant d’Hermenches, s.l., les 18-19 juin 1766. Charrière O. C., t. 2, p. 53, Belle de Zuylen à Constant d’Hermenches, Zuylen, le 7 septembre 1767.

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incertains »171. Les excès d’imagination sont une caractéristique féminine selon la littérature médicale. Il faut rappeler à ce titre les précautions qui entouraient traditionnellement la femme enceinte dont les émotions et l’imagination étaient considérées comme pouvant affecter directement l’enfant en devenir. L’imagination réputée excessive des jeunes filles est une raison pour laquelle on leur interdisait la lecture de romans172. Une imagination excessive est aussi une caractéristique possible, il faut le souligner, d’une personne sujette à des vapeurs. La crainte de voir une sensibilité exacerbée exercer une influence délétère sur la santé est courante. Ce n’est ainsi pas par hasard que son entourage s’inquiète des effets des émotions d’Isabelle sur sa santé. Constant d’Hermenches lui écrit en 1768, après la mort de sa mère: «Vous etes vive, et sensible, votre corps ne sera pas aussi fort que votre ame, vous serés encore malade ». Comme Prévost une décennie plus tôt, il lui conseille les distractions et plus abstraitement, d’éviter à la fois les pensées noires et le désespoir173. La répétition des mêmes conseils par deux observateurs distincts est intéressante et cautionne l’existence de ce qu’on pourrait qualifier comme un « bon sens médical ». L’enlisement de Belle dans ses vapeurs accompagne l’affirmation sociale de son statut de femme de lettres. Le parallèle est établi par ses correspondants qui lui assurent clairement que les vapeurs sont un signe de raffinement et de capacités intellectuelles exceptionnelles174. Même la mélancolie porte des valeurs positives. Le médecin Samuel Auguste Tissot concède que la mélancolie pouvait être propice aux auteurs en les incitant à poursuivre une seule idée, mais il insiste également sur le coût de cet avantage pour la santé175. Les positions prises par des médecins à l’époque des Lumières sont ici proches de celles affirmées par des non-médecins. Les lettrés sont réputés posséder des corps fragiles, voire débiles176. Le corps d’une femme devait naturel171

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Charrière O. C., t. 2, p. 121, Belle de Zuylen à Diederik Tuyll van Serooskerken, Zuylen, le 11 octobre 1768. Wenger 2007, pp. 137-169. Charrière O. C., t. 2, pp. 136-137, Constant d’Hermenches à Belle de Zuylen, Paris, le 25 décembre 1768. Vila 1998, pp. 80-88. Wenger 2007, p. 198. A titre d’exemple, le médecin Anthoine Le Camus (1722-1772) écrivait: « Il est facile de comprendre que souvent les facultés intellectuelles s’affaiblissent par

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lement moins souffrir des excès d’études. Et il est un fait établi que contrairement aux hommes de lettres qui sont considérés comme artificiellement sédentaires, les femmes réputées plus délicates et dont le rôle « naturel » serait de veiller aux tâches domestiques, étaient peu encouragées à faire de l’exercice177. Il n’y a qu’un pas à franchir pour valoriser, comme le fera Julie Bondeli, les spécificités de la constitution des femmes en associant les faiblesses féminines à une exacerbation de la fonction intellectuelle178. Des crises succèdent à des périodes de rémission dans la vie de Belle jusqu’à ce qu’elle atteigne l’âge de trente ans. A cette période de sa vie, son statut de laissée pour compte sur le marché matrimonial lui pèse, tout comme l’éprouve la cohabitation avec son père depuis la mort de sa mère179. Elle associe ses échecs sur le marché matrimonial avec son mal-être180. Seule la vie conjugale serait à même de la libérer à la fois de son père et de son corps malade. Pour une jeune fille, le mariage se présente comme une solution thérapeutique possible, un antidote aux vapeurs de femme célibataire181. Le raisonnement de Belle épouse une logique plus large: Mon malheur est tel que je ne puis esperer le retour de ma raison et de mon repos que d’un changement d’etat d’occupations et de climat, je ne puis changer qu’en me mariant et je me fais un scrupule très fondé ce me semble et point romanesque d’associer un mari à mon sort par la crainte où je suis de devenir encore plus melancolique quelque jour et peut-être tout a fait folle: de sorte que pour me donner à moi une chance d’être plus heureuse j’en fais courir une à l’homme que j’epouserois d’être très malheureux182.

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la force du corps. [...] On a pu remarquer que les hommes les plus savants et doués du plus beau génie étaient d’une constitution faible et étaient souvent infirmes ». Cité dans Wenger 2007, pp. 198-199. Ce que déplore Tissot 1981, pp. 137-138 & 241. Schnegg et Baum 1995, p. 12 et suiv. Charrière O. C., t. 2, p. 156, Belle de Zuylen à Diederik Tuyll van Serooskerken, Utrecht, le 27 novembre 1769. Charrière O. C., t. 2, pp. 178 & 180, Belle de Zuylen à Constant d’Hermenches, Utrecht, les 13 et 17 avril 1770. Les cycles menstruels de la jeune fille vierge étaient réputés irréguliers et le mariage est présenté par des autorités médicales comme une solution thérapeutique possible. Voir Lord 1999, pp. 50-51 & 60. Charrière O. C., t. 2, pp. 193-194, Belle de Zuylen à Constant d’Hermenches, Utrecht, le 5 juin 1770.

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L’été et l’automne 1770 la voient souffrir, selon ses propres mots, de migraines, d’un dévoiement* violent, de beaucoup de tristesse, de nerfs dérangés, de mal dormir, d’agitation, de fièvre, d’une étrange imagination, de vapeurs d’hypocondrie*, d’une profonde mélancolie et de vapeurs183. Le mariage avec l’ancien précepteur de ses frères184, est décidé au plus fort de ces malaises. S’agit-il d’un mariage thérapeutique? Les aléas (de santé) d’une femme mariée La célébration de son mariage au mois de février 1771 n’apporte pas les bienfaits escomptés. « La veille de mes noces » écrit la jeune mariée « je ne me portois pas trop bien j’avois un peu mal au dens et un peu d’angoisse de nerfs ». Le jour même, elle va moins bien encore. Après la cérémonie et le souper, «ils s’allerent tous coucher les uns avec leurs femmes etc. Le punch sans respect pour l’occasion rendit M. de Charriere un peu malade et mon inexorable mal de dens vint me tourmenter vers le matin comme si je ne n’eusse pas été une nouvelle mariée »185. Cette lettre est suivie d’un silence qui dure sept semaines; le 13 mai, elle reprend la plume: Vous savez que depuis trois mois je soufre tantôt de petites douleurs continuelles tantôt des accès de douleurs violentes qui duroient jusqu’à douze heures de suite ce qui me paroissoit très long, mais j’eus un accès de vingt quatre heure il y a quinze jours, et quelques jours après des accès de 32 heures qui revenoient comme une fievre tierce; le cerveau, les dents, l’oreille, le gosier la nuque du cou et la poitrine etoient attaqués tour à tour ou à la fois. les vapeurs qui interrompoient quelquefois le mal me paroissoient un bien; c’etoit ces tiraillemens de nerfs des battemens et

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Charrière O. C., t. 2, pp. 201-202, 204, 207, 225 & 211, Belle de Zuylen à Constant d’Hermenches, Zuylen, les 14-17 juillet 1770; Belle de Zuylen à Diederik Tuyll van Serooskerken, Zuylen, les 30 juillet, 9 août et 25 octobre 1770; Belle de Zuylen à Frederik Christiaan comte van Reede et Athlone, le 3 septembre 1770. Philippe Godet ne parvient pas à confirmer cette information, mais les éditeurs de la correspondance complète signalent la présence du nom de CharlesEmmanuel de Charrière dans le livre de caisse de son père de 1763 à 1765. Godet 1905, p. 168; Charrière O. C., t. 1, p. 616. Charrière souligne. Charrière O. C., t. 2, pp. 237-238, Isabelle de Charrière à Diederik Tuyll van Serooskerken, Utrecht, le 21 mars 1771.

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des souffrances insuportables, j’ai crié pleuré et gemi, je me suis trouvée très malheureuse186.

Un mois plus tard, elle essuie encore un « accès terrible », avant de voir sa santé s’améliorer. Le jeune couple se met alors en route pour un séjour à Paris, avant de s’établir définitivement, en septembre 1771, dans la maison des Charrière à Colombier187. Répondant désormais au nom d’Isabelle de Charrière, Belle éprouve encore des aléas de santé187. Ses maux ressemblent bien à ceux de la jeune fille et elle continue à se plaindre de « la plus lugubre imagination du monde »189. Les « accès de vapeurs » dont elle souffre paraissent être moins violents qu’auparavant: « Les accès n’en sont pas bien forts. Ils commencent toujours par sentir de la peine et de l’angoisse lorsqu’on parle haut ou que deux personnes parlent à la fois »190. Les vapeurs sont ici clairement socialement induites et attestent de la sensibilité extrême de l’auteure. Par la suite, les allusions à sa santé se font rares. Au cours de l’année 1772, elle signale de petits maux, souffre de migraines et prend des bains domestiques sur l’ordonnance de Tissot191. La mobilité*, soit la faculté de passer facilement d’une disposition (d’esprit, d’imagination) à une autre, et la céphalalgie vont supplanter progressivement ses vapeurs et sa mélancolie pour devenir ses principaux sujets de plainte. Est-ce là un simple changement de vocabulaire? La transition signale une évolution dans sa gestion du mal-être. Elle cherche désormais à contrôler sa mobilité. En 1795, une tension dans sa relation avec Benjamin Constant l’engage à interrompre sa correspondance avec ce dernier. 186

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Charrière O. C., t. 2, pp. 238-239, Isabelle de Charrière à Diederik Tuyll van Serooskerken, Utrecht, le 13 mai 1771. Charrière O. C., t. 2, pp. 240-241, Isabelle de Charrière à Diederik Tuyll van Serooskerken, s.l. et Paris, les 7 et 23 juillet 1771. Par exemple Charrière O. C., t. 2, p. 252, Isabelle de Charrière à Diederik Tuyll van Serooskerken, Colombier, le 6 novembre 1771. Charrière O. C., t. 2, pp. 252-253, Isabelle de Charrière à Diederik Tuyll van Serooskerken, s.l., le 9 novembre 1771. Charrière O. C., t. 2, pp. 259 & 260, Isabelle de Charrière à Frederik Christiaan comte van Reede et Athlone, le 30 décembre 1771 & Isabelle de Charrière à Diederik Tuyll van Serooskerken, Colombier, le 8 janvier 1772. L’année suivante elle écrit que ces bains lui « firent plutôt du mal que du bien ». Charrière O. C., t. 2, pp. 280 & 304, Isabelle de Charrière à Diederik Tuyll van Serooskerken, Colombier, le 20 juin 1772; Isabelle de Charrière à Catherine Charrière de Sévery, Colombier, le 19 mai 1773.

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« J’avois trop souffert et il faloit me garantir s’il etoit possible des insomnies palpitations, angoisses, que chaque mot chaque ligne de vous me donnoient depuis un tems considerable. Aussi mobile que vous et bien plus profondement sensible je me raffermis et me gueris à force de resolution et de constance »192. Ses facultés raisonnantes doivent lui permettre de dominer les maux occasionnés par cette mobilité. Un passage d’une de ses lettres à son neveu est à ce propos éloquent. Il suggère non pas un changement intrinsèque de sa santé, mais une meilleure maîtrise d’elle-même. « Je suis pétulante », lui écrit-elle « et je me mets de mauvaise humeur pour peu de chose, non que je sois exigeante ni pointilleuse mais je suis trop blessée de certaines absurdités, ou choses que je trouve absurdes »193. Son défaut serait héréditaire. « J’ai l’honneur de participer aux bonnes qualités des Tuyll et je sais mieux qu’une autre que tenant à beaucoup de susceptibilité, de sensibilité, de mobilité, elles ont grand besoin que l’application et la reflexion leur donne de la consistence; que sans cela nous sommes entrainés à droite et à gauche, que notre humeur est trop variable et notre conduite assez inconséquente »194. Elle ne distingue pas ses caractéristiques physiques de ses caractéristiques psychologiques: le corporel et l’esprit se rejoignent dans une commune réalité, l’être. Le corps d’Isabelle est l’objet d’autres préoccupations. Dix-huit mois après son mariage elle n’est toujours pas enceinte195. Afin de favoriser ses chances de devenir mère et rétablir sa santé, elle projette d’aller aux bains. David Langhans (1727-1813), médecin à Berne, lui prescrit les bains de Loèche. Elle aurait préféré Aix196. Elle se rendra finalement à Spa pour retrouver son père197. L’obser-

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Charrière O. C., t. 5, pp. 32-33, Isabelle de Charrière à Benjamin Constant, s.l., le 11 janvier 1795. Charrière O. C., t. 5, p. 429, Isabelle de Charrière à Willem-René van Tuyll van Serooskerken, s.l., le 4 avril 1797. Charrière O. C., t. 5, p. 599, Isabelle de Charrière à Dorothea Henriette van Tuyll van Serooskerken, s.l., le 16 ou 17 juillet 1799. Charrière O. C., t. 2, p. 289, Isabelle de Charrière à Catherine Charrière de Sévery, Colombier, le 17 novembre 1772. Charrière O. C., t. 2, p. 304, Isabelle de Charrière à Catherine Charrière de Sévery, Colombier, le 19 mai 1773. Charrière O. C., t. 2, p. 311, Isabelle de Charrière à Catherine Charrière de Sévery, Colombier, le 10 juillet 1773.

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vateur médical Samuel Auguste Tissot la trouve méconnaissable: « Elle est triste, ne parle point, et surtout ne bouge plus; on la dit enceinte, si elle ne l’est pas elle est bien malade »198. L’enfant ne vient pas; elle a 35 ans et désespère199. Au cours de la saison 1776, elle se rend enfin aux bains de Loèche. Sa santé en profite, mais en apprenant la nouvelle de la mort de son père, elle tombe à nouveau malade200. C’est peut-être pour rattraper ce contrecoup qu’elle retourne à Loèche l’été suivant, sans retrouver le mieux escompté. Je n’ai presque pas dormi en Valais, j’y ai été extremement purgée par les eaux et les bains m’ont donné un horrible poussée c’est à dire une espece d’eresipelle par tout le corps: c’est bien ce qu’on va y chercher mais on en soufre beaucoup, et le voyage qui a suivi cette cure à travers du paijs le plus chaud que je connoisse et le plus rempli d’insectes ne m’a guere moins fatigué que la cure elle même de sorte que je suis arrivée à Vevay n’en pouvant plus, je fis peur à Mlle des Marches qui m’y attendoit, mais cinq jours de repos dans ce joli Vevay, dans une bonne auberge m’ont assez bien remise. J’y ai mangé de la bonne volaille, et d’excellentes figues201.

Isabelle espère pourtant de bons effets à long terme202. Installée à Genève l’été suivant, elle y tombe malade et, désillusionnée, trouve refuge aux eaux de Plombières. « J’y trouverai à ce qu’on me fait esperer non la guerison d’un mal peut-être aussi ancien que moi mais un commencement de guerison [...], mes esperances pour l’effet des remedes est mediocre ». Six mois plus tard, elle est toujours souffrante. Elle se décrit comme se portant « tantôt bien tantôt mal, la tête bonne, l’estomac bon, un embaras presque continuel dans les reins dans le bas ventre, un peu maigre un peu pale souvent gonflée. Le printems le lait d’anesse de l’exercisse racommodent peut-être un peu tout cela ». La répétition des échecs thérapeutiques l’use et elle 198

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ACV, P Charrière Ba 104/6081, Samuel Tissot à Catherine Chandieu de Sévery, s.l., le 11 mars [1775]. Charrière O. C., t. 2, p. 317, Isabelle de Charrière à Catherine Charrière de Sévery, Colombier, le 12 ou le 13 juillet 1775. Charrière O. C., t. 2, p. 325, Isabelle de Charrière à Catherine Charrière de Sévery, [septembre 1776]. Charrière O. C., t. 2, pp. 341-342, Isabelle de Charrière à Vincent Maximiliaan Tuyll van Serooskerken, Colombier, le 30 août 1777. Charrière O. C., t. 2, p. 359, Isabelle de Charrière à Catherine Charrière de Sévery, Colombier, le 28 décembre 1779.

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désespère de maîtriser son corps. « Je ne comprens rien du tout à ma santé. Le froid le chaud m’incommodent et me conviennent tour à tour. Sans rien changer à ma conduite j’ai à me plaindre aujourdhui d’un devoyement* demain du contraire, etc. etc. etc.»203 Agée de 42 ans, elle entre dans une période chaotique. Jusqu’alors ses maux pouvaient être expliqués par son statut de jeune fille mélancolique emplie de vapeurs, par son mariage, par la mort de son frère ou par celle de son père. Mais, au seuil de « l’âge de retour », elle n’a aucune explication plausible à sa mauvaise santé; elle en est affectée. La crise est grave et sa vie de couple est ébranlée. En 1782, elle s’établit un certain temps seule à la Couronne à Neuchâtel. Les étés 1784 et 1785 la voient séjourner à Chexbres, seule. Ses médecins ne parviennent ni à la soulager, ni à l’aider à tomber enceinte204. Découragée205, elle s’engage dans une quête médicale qui la verra essayer différentes thérapies, notamment en 1783, celles proposées par le sulfureux charlatan, le comte de Cagliostro. Il faut attendre février 1785 pour qu’Isabelle établisse elle-même un bilan sur son état de santé: Je ne parle guere de ma santé parce qu’il y a peu de bien et aussi peu de mal serieux à en dire. Je soufre tous les jours d’une façon ou d’une autre mais pas plus aujourd’hui ni autrement qu’il y a deux ou trois ans, et je suis plus grasse, j’ai meilleur visage, je ne sens jamais ma tête. Il y a plus de 18 mois que je n’ai eu un bonnet sur ma tête si ce n’est la nuit. J’ai pour toute chaussure des bas de soye, et des pantoufles de taftas, je ne me sers jamais de chaufe pied, et je couche dans une chambre sans feu ni fourneau. Voila n’est-il pas vrai des cotés de robustesse comme disoit quelqu’un. Je [ne] vous dirai pas les mêmes merveilles de mon ventre; car de frequens gonflemens des pertes, des supressions, qui lui donnent toutes sortes de maux206. 203

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Charrière O. C., t. 2, p. 383, Isabelle de Charrière à Vincent Maximiliaan Tuyll van Serooskerken, Colombier, les 2 février et 16 mars 1782. Charrière O. C., t. 2, p. 388, Isabelle de Charrière à Vincent Maximiliaan Tuyll van Serooskerken, Neuchâtel, le 7 décembre 1782. Ses symptômes demeurent peu clairs. Godet suggère qu’il y aurait là une affaire de cœur avec un autre homme. Il s’appuie sur une allusion du journal de Chaillet et un récit imprécis de Benjamin Constant: Godet 1973, pp. 248-253; Constant 1957, pp. 142-143. Charrière O. C., t. 2, p. 457, Isabelle de Charrière à Dorothea Henriette van Tuyll van Serooskerken – de Pagniet, [Colombier], le 11 août 1784.

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Lors d’une nouvelle crise la même année, elle est soignée par Claude Gérard, un médecin établi à Payerne207: J’ai été si malade pendant deux mois que je n’ai pas pu ecrire et à peine le puis-je à present. Je suis sortie de Colombier dans le dessein de me remuer un peu et incertaine où aboutiroient mes courses. Je me portois pas bien, j’avois besoin de changer de place et de porter mes regards sur de nouveaux objets; je voyois en perspective comme je vous l’avois ecrit tantot l’Italie tantot Paris, tantot la vivante ville de Marseille et ses gays habitans, eh bien c’est à Payerne que je suis arrivée et restée, heureuse d’y avoir trouvé une bonne chambre dans une bonne auberge et un medecin très intelligent que je connoissois de reputation. A force d’orme piramidal et de petit lait me revoici en etat de tenir une plume208.

Isabelle fuit son environnement habituel. Son besoin de dépaysement est dépeint comme un besoin physique, mais il y entre peut-être des motivations domestiques209. En 1783, son ami Henri-David de Chaillet, commente son état dans son journal: « Mme de Charrière […] est malheureuse, et malheureuse si romanesquement si fort comme je l’ai été, que je ne puis voir en elle sans la plus tendre sympathie une créature de mon espèce. Elle est malheureuse par le besoin d‘être aimée passionnément, par l’insuffisance qu’elle trouve dans les amitiés vulgaires »210. Au plus fort des difficultés apparentes dont souffre le couple, son époux demeure compréhensif et même attentif. Ses conseils rappellent ceux que lui adressaient d’Hermenches bien des années auparavant: « Si votre ame etoit tranquile votre corps seroit bientot gueri »211. Isabelle ne sera jamais tranquille, mais au cours des années 1780, alors qu’elle se réfugie dans la musique, sa santé se rétablit212.

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Charrière O. C., t. 2, p. 474, Charles-Emmanuel de Charrière à Isabelle de Charrière, le 16 juillet 1785. Voir Olivier 1939/1962, t. 2, p. 945. Charrière O. C., t. 2, p. 489, Isabelle de Charrière à Jean-Pierre Chambrier d’Oleyres, le 2 septembre 1782. Godet 1973, p. 319; Courtney 1993, pp. 334-338. Guyot 1946, p. 106. Charrière O. C., t. 2, p. 494, Charles-Emmanuel de Charrière à Isabelle de Charrière, s.l., le 25 septembre 1785. Charrière O. C., t. 2, p. 490, Charles-Emmanuel de Charrière à Isabelle de Charrière, Colombier, le 3 septembre 1785. Selon Benjamin Constant, elle consomme alors de l’opium. Constant 1957, p. 147.

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J’ai été quelquefois si malade, d’autres fois si triste d’autre fois si absorbée par l’objet que ma bonne etoile m’avoit fait trouver […]. J’ai des maux habituels avec lesquels je suis etonnée que l’on vive, mais ils m’afoiblissent peu et ne m’empeche pas de passer tous les jours six ou huit heures à mon clavecin; ce n’est pas un gout c’est une fureur. Tous les jours je fais un menuet un allegro ou un andante. Je vous ecris de mon lit, dès que je serai levée je jouerai et noterai un air213.

La santé prend peu de place dans ses lettres au cours des années suivantes. La ménopause passée, elle pouvait s’attendre à bénéficier d’une meilleure santé214. Sa correspondance passive atteste pourtant du fait que le silence ne dissimule pas une santé florissante. Elle souffre de maux courants, de migraines215, d’un « devoyment*»216 et d’un débordement de bile217. C’est au cours de la décennie 1790218 que la bonne santé semble enfin l’emporter. Elle est à la fois plus optimiste et plus sereine. Depuis quelque tems quand j’ai bien souffert un jour d’un coté de ma tête le lendemain c’est de l’autre. Le mal dura près de 48 heures. J’ai depuis quelques jours tant de mal-aise, des battemens d’arteres si frequens dans les reins sous les côtes et partout que je me suis imaginée que tout alloit finir par un derangement total et mortel. Cependant les très bon intervalles que cela me laisse me font penser quelque fois que cela n’est pas si serieux219.

En effet, contrairement à un enrouement qui l’empêche de chanter220, les migraines ne lui interdisent ni la composition ni le chant. 213

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Charrière O. C., t. 2, pp. 499-500, Isabelle de Charrière à Vincent Maximiliaan Tuyll van Serooskerken, Paris, le 9 novembre 1786. Voir plus bas p. 131. Charrière O. C., t. 3, p. 129, Madeleine Delessert à Isabelle de Charrière, s.l., le 28 janvier 1789. Charrière O. C., t. 3, p. 162, Pierre-Alexandre Du Peyrou à Isabelle de Charrière, s.l., [10 ou 17] novembre 1789. Charrière O. C., t. 3, p. 179, Pierre-Alexandre Du Peyrou à Isabelle de Charrière, s.l., le 16 janvier 1790. Elle rassure souvent ses correspondants à ce propos, voir par exemple Charrière O. C., t. 4, p. 168, Isabelle de Charrière à Caroline de Sandoz-Rollin, s.l., le 6 septembre [1793]. Charrière O. C., t. 3, p. 281, Isabelle de Charrière à Benjamin Constant, s.l., le 3 mars 1791. Charrière O. C., t. 3, p. 210, Isabelle de Charrière à Benjamin Constant, s.l., le 21 mai 1790.

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Le 2 mars 1791, Isabelle rassure une amie à propos d’un mal de tête « à 11 heure du soir j’y avois encore mal. Au reste on se fait à tout car je chantois et composois dans mon lit Babillarde imortelle Echo que t’ai-je fait Tais toi-tais-toi cruelle Et garde mon secret221.

Des crises de migraine ponctuent sa correspondance, mais elle affirme avoir trouvé une stratégie thérapeutique222. « Je prens tous les jours des precautions contre la migraine du lendemain et avec tant de succès que depuis mardi passé quinze jours les deux cotés de ma tête on été exempts de tout mal.» Sa recette comprend une tisane (bois de réglisse, racine de patience et sassafrasse) et une cuillère à café d’elixir de longue vie. L’effet attendu est interne et se traduit, selon elle, par « une circulation plus libre de la bile et du sang »223. Les années se succèdent, les migraines aussi224, l’ensemble ponctué par d’autres maux peu graves225, vagues226 et rarement inquiétants227. Isabelle de Charrière continue à entretenir une correspondance importante, mais les allusions à sa santé s’y font rares. Elle ne dévoile des détails sur ce sujet qu’à une poignée de correspondants, à Henriette L’Hardy, à Isabelle Gélieu, à Caroline de Sandoz-Rollin et parfois à Benjamin Constant. A ces personnes, elle fait part de périodes 221

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Charrière O. C., t. 3, p. 280, Isabelle de Charrière à Caroline Chambrier, s.l., le 2 mars 1791. Voir Zadig, scene 1, acte 1/Echo. Charrière O. C., t. 3, pp. 190 & 212, Isabelle de Charrière à Caroline Chambrier, s.l., [mars-février ] 1790; Johanna Catharina van Tuyll van Serooskerken – Fagel à Isabelle de Charrière, s.l., [fin février/début mars] 1790; Isabelle de Charrière à Benjamin Constant, s.l., le 21 mai 1790., Charrière O. C., t. 3, p. 195, Isabelle de Charrière à Caroline Chambrier, s.l., [avril] 1790. Encore trois ans plus tard, elle emploie toujours cet elixir. Charrière O. C., t. 4, p. 388, Isabelle de Charrière à Benjamin Constant, s.l., les 8-11 avril 1794. Charrière O. C., t. 3, p. 386, Isabelle de Charrière à Henriette L’Hardy, s.l., [entre le 8 et le 12 juillet] 1792. Charrière O. C., t. 3, p. 297, Isabelle de Charrière à Caroline de Sandoz-Rollin, s.l., le 25 mai 1791. Charrière O. C., t. 3, p. 207, Benjamin Constant à Isabelle de Charrière, s.l., le 11 mai 1790. Charrière O. C., t. 3, p. 383, Isabelle de Charrière à Caroline de Sandoz-Rollin, s.l., le 7 juillet 1792.

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de bien-être228 et d’une série de maux: insomnies et « mal-aise »229, douleur à la jambe230, « tintement d’oreille »231, « mal incomode » et douloureux232, rhume233, fièvre et « embaras de gorge et à la poitrine »234. La rédaction à cette époque de Trois femmes donne lieu à un « accablement », selon son auteure et à un « gros rhume avec ses accompagnes mal de gorge et fievre »235. Des migraines et des insomnies continuent à la tourmenter236. L’hiver 1796-1797 correspond à un creux dans sa relation avec Benjamin Constant; un arrêté d’expulsion est dressé contre sa domestique et amie Henriette Monachon237. Isabelle passe une période difficile, à la fois malade et malheureuse238. Le ton de cet aveu tranche avec celui de la révolte et du désespoir des vapeurs de sa jeunesse. Elle s’est résignée à subir des périodes sombres. Le 11 mars, elle se décrit comme une plante battue et presque deracinée par toutes sortes de vents et d’inondations et que plus d’un voyageur a secouée sans merci en passant auprès d’elle. Je dis plante sans trop savoir de quelle

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Charrière O. C., t. 4, p. 653, Isabelle de Charrière à Benjamin Constant, s.l., le 2 décembre 1794; Charrière O. C., t. 5, pp. 162 & 185, Charles Chaillet à Isabelle de Charrière, s.l., [décembre 1795-janvier 1796]; Julie de Chaillet à Isabelle de Charrière, s.l., 3 janvier 1796. Charrière O. C., t. 5, p. 29, Isabelle de Charrière à Benjamin Constant, s.l., le 10 janvier 1795. Charrière O. C., t. 4, p. 268 et p. 271, Isabelle de Charrière à Benjamin Constant, s.l., les 16 et 20 novembre 1793. Charrière O. C., t. 4, pp. 376-377, Daniel De la Roche à Isabelle de Charrière, Lausanne, le 4 avril 1794. Charrière O. C., t. 4, p. 501, Henriette L’Hardy à Isabelle de Charrière, s.l., le 14 juillet 1794. Charrière O. C., t. 4, pp. 607, 611 et 615, Isabelle de Charrière à Benjamin Constant, s.l., les 14-16 et 18 octobre 1794; Isabelle de Charrière à Henriette L’Hardy, s.l., le 18 octobre 1794. Charrière O. C., t. 4, p. 685, Isabelle de Charrière à Benjamin Constant, s.l., le 29 décembre 1794. Charrière O. C., t. 5, p. 44, Isabelle de Charrière à Henriette L’Hardy, s.l., les 10-14 février 1795. Par exemple Charrière O. C., t. 4, p. 182, Isabelle de Charrière à Henriette L’Hardy, s.l., le 1er janvier 1795. Charrière O. C., t. 5, p. 259, Isabelle de Charrière à Caroline de Sandoz-Rollin, s.l., le 24 octobre 1796. Charrière O. C., t. 5, p. 292, Isabelle de Charrière à Caroline de Sandoz-Rollin, s.l., le 8 mars 1797.

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espece elle est. Moins humble que le roseau elle ne plie pas, moins altiere et moins forte que le chene un moindre vent la peut abattre tout-à fait. Je ne sai en verité comment elle poura se rafermir239.

Indécise quant à la thérapie à suivre240, elle interprète toujours l’évolution de sa santé. Une maladie infantile dont elle souffre en 1797 – peut-être la rougeole – l’incite à espérer une amélioration de santé, « c’est une depuration du sang dont on peut aussi bien se rejouir que se tourmenter. Les boutons sont à leur plus haut point de prosperité. Gros et rouges »241. Son évidente bonne humeur illustre bien le fait qu’être malade ne signifie pas systématiquement la survenue d’idées noires ou d’accablement. Certains maux seraient même thérapeutiques et permettraient, suivant une logique humorale, l’évacuation de fluides corporels viciés242. Au cours de ses dernières années, Isabelle de Charrière restreint toujours davantage les allusions à sa santé dans ses lettres. La réserve est peut-être induite par l’âge; elle redoute d’ennuyer ses amis plus jeunes. L’âge lui pèse pourtant, elle ne serait plus que l’ombre d’elle-même243. Elle continue à se soigner244, évoque quelques petits maux245 et s’efforce de rassurer ses correspondants246. Les lettres écrites au cours de la dernière année

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Soulignement de l’auteur de la lettre. Charrière O. C., t. 5, p. 295, Isabelle de Charrière à Caroline de Sandoz-Rollin, s.l., le 11 mars 1797. Charrière O. C., t. 5, p. 306, Anne Bontems à Isabelle de Charrière, Chatelaine, le 10 mai 1797. Charrière O. C., t. 5, p. 325, Isabelle de Charrière à Caroline de Sandoz-Rollin, s.l., le 27 juin 1797. Le raisonnement est classique. Voir l’avis du médecin Louis Odier sur le bouton d’un de ses patients. BGE, Archives Saussure 1/30, Louis Odier à HoraceBénédict de Saussure, Genève, le 15 juin 1790. Elle se plaint de solitude et de tristesse. Charrière O. C., t. 6, pp. 96, 542-543, Isabelle de Charrière à Willem-René van Tuyll van Serooskerken, s.l., le 8 juin 1800; Isabelle de Charrière à Willem-René van Tuyll van Serooskerken, s.l., le 16 septembre 1803. On lui annonce, par exemple, l’envoi d’un remède élaboré grâce à une « nouvelle recette » des apothicaires Le Royer et Tingry (Genève). Charrière O. C., t. 5, p. 375, Anne Bontems à Isabelle de Charrière, s.l., le 13 novembre 1797. L’échantillon de petits maux comprend un mal de ventre, de mauvaises nuits, des maux de tête, etc. Charrière O. C., t. 6, pp. 23, 37, 156, 160, 163, 170 & 172, 186, 438, 541, 576, 583, 594, 606, 608. Charrière O. C., t. 5, p. 467; Charrière O. C., t. 6, pp.154, 194, 261, 427, 588.

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de sa vie portent peu sur sa santé – d’autres sources révèlent pourtant qu’elle est alors bien malade247. Parmi ses proches, c’est à son confident le plus éloigné géographiquement, Benjamin Constant, qu’elle détaille ses maux. « Si je me portois mieux, je n’hésiterois pas à vous temoigner le desir de vous voir, mais ce qui me feroit de la peine me feroit beaucoup de mal ». Elle craint les « secousses » et dit même préférer l’ennui248… C’est au même qu’elle adresse sa dernière lettre. « Je pretens être mourante; mes amis n’en veulent pas juger comme cela parce que je n’ai aucune souffrance qui tue mais l’extinction de vie me paroit être la mort »249. Malade depuis plusieurs mois et « languissante » depuis quelques semaines, « un squire » l’aurait finalement emportée dans la nuit du 26 au 27 décembre 1805250. Hormis un lien de causalité possible, mais jamais avoué, entre ses activités littéraires et sa mauvaise santé, elle régit tout au long de sa vie l’essentiel de ses rapports à son corps en fonction de son expérience personnelle et selon une logique humorale. Sa mauvaise santé a suscité la curiosité de ses contemporains. Elle aurait même donné lieu à une tradition orale: Philippe Godet mentionne une rumeur qui aurait circulé après sa mort selon laquelle « on reconnut qu’elle était atteinte depuis l’âge de seize ans d’un mal intérieur, qui, si nous en croyons certaines allusions, n’est point étranger au fait qu’elle dut renoncer à la joie d’être mère »251. C’est là une confirmation de la publicité donnée à sa santé.

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Voir Godet 1973, pp. 342 et 362. En avril de la même année elle écrivait à peu près la même chose au même en se défendant de raconter les « choses facheuses » qui étaient survenues afin de ne point s’émouvoir ni se fatiguer. Charrière O. C., t. 6, pp. 594 & 604, Isabelle de Charrière à Benjamin Constant, s.l., le 28 avril et les 22-26 août 1805. Charrière O. C., t. 6, p. 611, Isabelle de Charrière à Benjamin Constant, s.l., le 10 décembre 1805. Selon l’acte de décès. Godet 1973, pp. 372-373. Godet 1973, p. 238.

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« Ma santé est mauvaise depuis quelque tems, souvent la vie m’ennuie et me fatigue.» Judith de Saussure [1779]1.

II. HOMMES ET FEMMES, PARCOURS ORDINAIRES Les récits abordés jusqu’ici concernent des cas discutés au XVIIIe siècle déjà. Ils ne diffèrent pas en nature de ceux d’individus moins exposés sur la place publique, mais la célébrité des patients amplifie la diffusion des informations médicales les concernant2. De bien des points de vue, les biographies de célébrités sont révélatrices de stratégies de santé possibles, attestant de la prévalence sociale d’un bon sens médical au sein même de la culture médicale laïque. Quelques points communs émergent de ce survol. Isabelle de Charrière adopte la même attitude que Jean-Jacques Rousseau et Horace-Bénédict de Saussure en niant l’étiologie logique de son mal3. Pour ces malades, leurs souffrances ne seraient pas causées par leur mode de vie. Tous trois parviennent à défendre une lecture originale de leur mauvaise santé en vertu du principe de la singularité de chaque corps individuel. Les cas de personnalités publiques servent d’exemple ou de cas de référence à des tiers qui les connaissent peu ou pas du tout4. Outre cet effet miroir, les parcours de gens ordinaires ne se distinguent que peu de ceux des célébrités. Tout au plus peut-on déceler une volonté plus forte de contrôler l’image de soi des figures publiques et, certainement, la conviction parmi les hommes et les femmes de lettres d’être des cas particuliers en raison des 1

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BGE, Archives Saussure 239, C1/16, Judith de Saussure à Horace-Bénédict de Saussure, Montpellier, s.d. [hiver 1779]. Wayne Wild constate une même publicité dans la société anglaise contemporaine. Wild 2006, pp. 122-124. Voir Rieder et Barras 2001b, p. 514; Rieder et Barras 2005, p. 220 et Rousseau 1959, p. 232. Voir ici même pp. 61-62.

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conséquences sanitaires reconnues du travail de cabinet. Si la quantité de documentation sur les personnalités est imposante, les traces de parcours de santé laissées par des gens ordinaires sont également nombreuses. Dans la plupart des cas, les informations ne couvrent qu’un épisode dans une vie autrement obscure. Quelques écrits permettent cependant de reconstituer sur un temps plus long les stratégies de santé d’un individu donné. Deux textes se distinguent ainsi par leur capacité à donner accès à un quotidien complexe, sans mise en scène apparente. Le premier est de la plume de Jeanne-Marie Bellamy (1725-1785), auteure d’un journal personnel d’une intériorité rare. Le second, également un journal, est tenu pendant une large tranche de vie par Théophile Rémy Frêne (1727- 1804): les premières pages sont rédigées au début de l’adolescence de leur auteur et les dernières près de soixante années plus tard. Ces auteurs très différents se rejoignent en attachant une certaine importance à des données sur leur propre santé et celle de leurs proches. CHRONIQUE D’UNE MALADIE ANNONCÉE: « QUAND HIVER ET HIVER SE RENCONTRENT, IL N’Y A PAS MOYEN D’ÉVITER LE GEL » Jeanne-Marie Bellamy est issue d’une bonne famille genevoise. A l’âge de 21 ans, elle épouse le ministre Abraham Prévost (17161784). Le couple appartient à la classe moyenne. Sans être riches, les Prévost ne connaissent pas la précarité. Au début d’août 1772, date à laquelle commence son cahier, Bellamy habite avec son mari et ses deux enfants un appartement de la maison Gallatin, cour StPierre au centre de la haute ville. Comme toute femme de son rang, elle n’a d’autre charge que celle de son ménage et de sa famille, tâches où elle est secondée par au moins deux domestiques. Elle dispose de temps libre, lit Buffon, Mme de Sévigné et d’autres. Outre ce qu’elle qualifie comme des « tracas de ménage », travail alternativement éprouvant ou délassant, suivant son état d’esprit, elle rend des visites, en reçoit, prend soin de ses amis, se promène, lit, etc. Ces activités sont énumérées dans les entrées de son journal où elle réserve également une place à ses préoccupations sur sa santé, sur celle des membres de sa famille. Ses enfants désignés comme « mon fils aîné » (René) et « mon fils cadet » (Pierre), occupent une place de choix dans le seul cahier conservé d’un journal

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plus conséquent5. En 1772, lorsque Bellamy ouvre ce cahier pour la première fois, elle se trouve à un tournant dans sa vie. Agée de quarante-sept ans, elle se considère comme vieille6. Ses enfants n’auront bientôt plus besoin d’elle et le moment où elle se retrouvera seule avec son mari n’est pas loin: c’est la fin d’une articulation dans sa vie de femme et de mère. Son journal peut être lu comme un dialogue noué avec un compagnon discret auprès duquel cette mère de famille peut se délester du poids de ses soucis, de l’ennui de la vie en société et de ses préoccupations valétudinaires. Bellamy rédige quelques lignes tous les jours ou peu s’en faut, la plupart du temps en fin de matinée, mais il lui arrive de prendre la plume plusieurs fois dans la même journée. A la fin du mois de septembre 1772, à peine un mois après le début du cahier, des inquiétudes nocturnes incitent Bellamy à s’interroger: « Sera ce une maladie grave que cela annonce?» Quelques semaines plus tôt, dans la nuit du 18 au 19 août, elle avait déjà connu une alerte, une « incommodité » accompagnée d’agitation et d’un sommeil mauvais. Des indications sur la qualité de son sommeil reviennent presque tous les jours sous sa plume. C’est un des premiers indices qu’elle guette pour évaluer l’évolution de sa santé7. Le 19 août, dans une grande agitation, elle se résout à consulter un soignant. Le jour même, elle reprend la plume une deuxième fois: « Ah ! Mon pauvre journal, tu ne sauras pas combien j’ai été à plaindre aujourd’hui. Dieu soit béni, je suis tranquilisée sur mon compte ». Son thérapeute a su la rassurer. Bellamy n’est pas à proprement parler malade, c’est sa santé à venir qui l’inquiète. Dans le même élan d’enthousiasme qui la voit libérée du poids de son angoisse, sans marquer de pause, son inquiétude se transpose ailleurs: « Hélas ma pauvre mère m’a fort épouvanté, elle a eu un grand vomissement qui 5

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René Guillaume Prévost (1749-1816), avocat, membre du Conseil des 200 (1782) puis du Petit Conseil (1790). Pierre Prévost (1751-1839), avocat, professeur de belles-lettres (1793); membre du Conseil des 200 (1786) et professeur de physique. L’article Vieillesse du Panckoucke, précise que les âges de la vieillesse (le retour, la caducité et la décrépitude) « commencent pour les uns à quarante ans, elles retardent pour les autres jusqu’à soixante-dix. Elles sont plus précoces chez les femmes; et il y a sous ce rapport une dixaine d’années de différence entre les sexes ». Dans le récit qui suit, les allusions à la qualité du sommeil ne sont mentionnées que lorsque Bellamy y lit une cause ou une conséquence d’un dérangement important.

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m’a bien émue, son médecin m’a pourtant peu rassuré ». L’âge de la patiente a sans doute incité le praticien à la prudence. La fragilité des personnes âgées était reconnue et des précautions particulières étaient prises pour pallier à la faiblesse de leur estomac et de leurs capacités digestives8. Cela dit, la rapidité avec laquelle l’anxiété de Bellamy se redéploye est frappante, d’autant plus que la raison pour laquelle le vomissement l’épouvante n’est pas claire. Dans une logique humorale, un vomissement spontané est généralement lu comme un remède naturel à un déséquilibre interne. S’il ne survient pas naturellement, il doit être provoqué par un vomitif9. L’inquiétude et l’agitation attestées le 17 septembre contribuent à « échauffer » Bellamy. Elle se plaint de « sueurs assés accablantes » et ajoute « il faut toujours que je me répète que cela est fort bon ». Quelle pression subit-elle pour s’obliger à le penser? On croit deviner ici l’expression de l’opinion commune qui caractérisait systématiquement la sueur comme étant bénéfique10.Toujours est-il que le lendemain, des « boutades de chaleur » la font souffrir. Elle cherche à se persuader qu’il s’agit d’un garant de bonne santé, « puisque on assure que c’est un bien ». En dépit de ses appréhensions, les signes qu’elle identifie ne donnent pas lieu à une maladie. Cela dit, avec deux fausses alertes en un mois, il est clair que Bellamy redoute quelque chose. Les symptômes qu’elle énumère: insomnie, inquiétude et chaleur indiquent un possible dérangement de santé à venir. En parcourant l’ensemble du journal, il est possible de distinguer trois éléments qui sous-tendent le regard qu’elle porte sur sa santé. D’abord, son inquiétude atteint son paroxysme au milieu de l’automne: la diariste est convaincue du danger que constituent pour elle cette saison et le froid qui l’accompagne. Le fondement de cette logique est propre à l’association, dans le schéma humoral, de l’automne et de la vieillesse, mais aussi de l’automne avec la mélancolie. Or, tout incite à penser que Bellamy se définissait elle-même comme mélancolique. Les mélancoliques, ne seraient-ils pas justement

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L’hiver, froid et sec, serait néfaste aux personnes âgées. Voir les articles Vieillesse et Hiver du Panckoucke. Voir l’article Vomissement du Panckoucke. Tissot dénonce l’idée répandue selon laquelle la sueur serait bonne pour la santé. Selon Tissot, la sueur épaissirait le sang et ne serait utile que dans certaines pathologies. Tissot 1993, § 14.

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enclins à l’introspection?11 La sourde angoisse qu’elle ressent ensuite de ne pouvoir bénéficier d’un pied-à-terre à la campagne est un autre élément contribuant à son malaise: elle souffre d’être séquestrée en ville toute l’année. D’une manière générale, l’espace de la ville serait néfaste pour la santé. L’air frais et les bienfaits de séjours à la campagne lui manquent12. Finalement, une autre cause d’inquiétude, peu explicitée, résulte d’une transition délicate dans la vie d’une femme: la ménopause13. De nombreux passages signalent qu’elle a conscience de vivre une période critique pour sa santé. Le premier novembre 1772, elle emploie elle-même la formule de « temps critique » pour désigner son état, un terme alors employé explicitement pour désigner la période même de la cessation des règles14: « J’ai passé une bonne nuit, ma santé est asés bonne, à ces émotions, et chaleur de tête près. Mais tout cela est peu de choses; je serai trop heureuse si je me tire de ce temps critique ». Les purges, vésicatoires et saignées qui se succèdent au cours de l’automne témoignent d’un désir d’évacuer des fluides viciés ou d’ébranler de possibles obstructions à l’intérieur de son corps, une stratégie cohérente à la fois avec l’incapacité prêtée au corps féminin vieillissant à expulser le sang superflu et avec l’accumulation attendue d’humeurs malsaines pendant la saison froide, causée par la faible transpiration des corps à cette saison. Tout concorde pour ébranler la bonne santé de Bellamy, et elle s’étonne d’être bien portante: «[Ma santé] est surprenante vû le cas où je suis, il faut en jouïr en remerciant Dieu qui la donne.»15 Si elle n’arrive pas à désigner plus clairement l’ennemi, c’est sans doute qu’outre les symptômes classiques de la pléthore (lourdeurs, perte d’appétit, etc.), de nombreuses maladies pouvaient naître de la ménopause16. Ironiquement, 11 12

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Sawday 1997, p. 43. Voir l’article Mélancolie du Panckoucke. Dans le journal de Bellamy la campagne est souvent qualifiée par des termes paradisiaques et opposée à la ville, présentée comme un lieu de mondanités et d’apparat. Les médecins s’accordent pour considérer la transition délicate. Tissot 1993, p. 245 & p. 247. Cette conception est partagée par les rédacteurs des articles Menstruation et Femme du Panckoucke. Louis Odier emploie la même expression pour qualifier la santé d’une femme quadraganaire. BGE, Ms fr 4158, Louis Odier à Daniel De la Roche, Genève, le 14 septembre 1795. Un autre terme est l’« âge de retour ». Stolberg 1999b, p. 417. Jnl Bellamy, 13 novembre 1772. Stolberg 1999b, pp. 409-411.

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encore une fois, elle ne jouit pas longtemps de sa bonne santé. La même nuit les choses se gâtent. L’entrée du 14 commence ainsi: « Beau temps, mais froid, mauvaise nuit. Santé médiocre ». En dépit de ce malaise, Bellamy poursuit ses activités ordinaires. Ses phrases deviennent plus courtes, presque télégraphiques. Les formules qui qualifient son état y sont vagues: « Malaise continue » et « même indisposition ». Le 16 novembre, elle insère sans explication le vocable « emplâtres »*17. Cette allusion laisse une grande latitude d’interprétation; seule l’importance qu’elle accorde ailleurs aux visites de médecins incite à penser qu’elle n’y a pas recours ici. Le remède est probablement autoprescrit. La diariste ne s’en plaint pas: le surlendemain elle ne déplore plus qu’un « peu de malaise » et le 19 novembre, elle place le vocable « santé » dans l’entrée correspondante de son journal. Elle reprend cette formule les jours suivants. Le 22, elle associe à nouveau « santé » et « gayeté ». Deux états dont elle souligne elle-même la simultanéité malgré, et elle en est étonnée, un temps froid et parfois humide18. Cinq jours plus tard, elle se plaint de « meaux de cœur » liés implicitement au mauvais temps de ce jourlà, mais associés à une autre cause: « Je suis assés bien, mais mon cœur est ému par mon cher fils aïné, il plaide dans ce moment en Conseil pour la première fois.» Une fois la tension passée, elle retrouve une « bonne santé » selon les entrées subséquentes du journal. C’est à un tel point que le 3 décembre (1772), elle en arrive à s’étonner de nouveau de la persévérance de cet état: « Le froid a augmenté cela est naturel, mais ma santé en a fait autant cela est étrange vû tant de choses qui devrai[en]t la déranger ». Au regard des corrélations qu’elle ne cesse d’établir entre son corps et son esprit, cette inquiétude peut être à la fois un pressentiment et la cause d’une maladie19. Le 5 décembre 1772, elle exprime clairement l’anxiété que provoque ses inquié17

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Posés sur l’abdomen, ils servent à « arrêter le vomissement, fortifier les entrailles, guérir les diarrhées ». Panckoucke, article Emplâtre. Par exemple Jnl Bellamy, 24 novembre 1772, « Santé, par conséquent gayeté ». Cette idée n’a rien d’original. Le médecin Louis Odier lui-même met sa future femme en garde contre ce danger: « Si jamais vous veniez à vous écouter à ce point, vous seriez d’autant plus malheureuse que vous êtes vive, tendre et sensible. Vous seriez plus affectée qu’une autre de vos propres maux, et vous ne tarderiez pas à en éprouver de réels par la peur que vous feroient ceux qui n’auroient du fondement que dans votre imagination ». BGE, Ms fr 4153, Louis Odier à Andrienne Lecointe, s.d. [1779].

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tudes: « Je voudrais en connaître [des remèdes] pour l’imagination, car je l’ai trop frapée de l’état où je suis, crainte de maladies, crainte de la mort, fuyés loin de moi, et qu’une résignation sincère, une douce tranquilité prenne vôtre place dans mon cœur souvent trop agitée »20. Elle décrit là un état d’esprit idéal, propice à une bonne santé21. Le journal ne révèle pas si c’est avec résignation ou angoisse qu’elle accueille un nouveau « malaise » ressenti le même jour. Celuici est indolore, mais la contraint à garder le lit « accablée ». Le lendemain elle écrit: « Toujours malaise continue, on en prend son parti, c’est un bien disent les experts ». Dans le malaise ou la maladie, Bellamy trouve une certaine sérénité ! Tomber malade répond à ses inquiétudes et soulage son attente. Les indications ne sont pas assez précises pour que le lecteur puisse cerner clairement les symptômes propres aux indispositions, accablements et malaises dont elle se plaint. Tout au plus peut-il supposer qu’il s’agit d’une évacuation (diarrhée, vomissements ou règles) ou d’une série de symptômes inquiétante (sueurs ou bouffées de chaleur). La suite donne encore une fois raison au pronostic des « experts »: le 8 décembre sa santé est décrite comme « bonne ». Le 14 déjà, avec l’arrivée d’un temps humide, elle souffre d’un « peu de malaise, de douleurs de reins ». Les maux de reins désignent généralement des douleurs de la région lombaire – c’est une douleur dont nombre de femmes contemporaines se plaignaient à la suite de la cessation de leurs règles22. Deux jours plus tard déjà, le 16 décembre, il n’en est plus question. « Matinée lugubre, j’ai été témoin d’une scène qui m’a déchirée. Ah éloigner de nôtre souvenir ces moments accablans et douloureux ». Le registre lexical mobilisé pour évoquer des impressions désagréables et des troubles de son état d’âme est le même que celui employé pour décrire ses désordres physiques. Son trouble est accompagné d’un « mal à la têtte ». « Je ne me sens pas la même ». Le commentaire est déroutant, mais le mal s’avère passager. Elle n’évoque plus sa santé avant le 21 décembre, date à laquelle elle fait part d’un malaise survenu la veille: « Je fus très mal à l’aise après soupé, j’ai la bile émue, je ne suis encore moins bien aujourd’hui. Je suis triste et accablée de l’état de mes chers parens [Duval]». 20

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D’autres femmes sont réputées malades à cause de leur imagination. Porter et Porter 1988, pp. 72-73. Voir Rublack 2002, p. 4. Stolberg 1999b, p. 409.

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Bellamy ne dévoile pas la nature des malheurs éprouvés par les Duval et n’évoque plus sa santé jusqu’au nouveau malaise qu’elle signale le pénultième jour de l’an23. La décision prise d’essayer un médicament le 8 janvier répond soit à un dérangement constaté antérieurement soit à une logique préventive. « Le temps est toujours froid, malgré cet obstacle, j’ai pris ce matin un denier de rhubarbe sur trois verres d’eau froide, j’ai de fréquens meaux de cœur, quoique je prenne beaucoup d’exercice ». La rhubarbe est un médicament purgatif, réputé efficace et souvent employé en petites doses à titre préventif. Bellamy ne précise pas si ce remède est la cause des maux de cœur ou destiné à les contrecarrer. Force est de supposer qu’elle en ressent le besoin elle-même, ni praticien ni conseil extérieur ne sont mentionnés. Qu’elle s’emploie, au moment même où elle prend des remèdes, à faire de l’exercice n’a rien d’exceptionnel – c’est une autre variable affectant la santé. On peut l’associer à l’attrait affirmée de l’auteur pour des plaisirs simples, la tranquillité et une compagnie réduite. Une telle hygiène de vie serait idéale selon la morale médicale de son époque24. La prise de la rhubarbe conditionne ses activités les jours suivants et illustre les conséquences sociales de la pharmacopée ancienne. Que l’on soit malade ou simplement inquiet, le fait de prendre médecine appelle des précautions, le repos et, le cas échéant, le maintien à proximité des lieux d’aisance. Il est courant de rester à la maison, d’éviter l’exercice et les échanges sociaux après avoir pris médecine. Bellamy garde la maison deux jours de suite, le troisième, c’est spécifiquement pour avoir pris ce purgatif qu’elle ne se rend pas à sa « société »25. Malgré des maux de cœur et le froid persistant, elle sort de chez elle le 11 janvier. Elle l’a peut-être regretté le 13, jour où elle est frappée par un malaise « inattendu, violent, accablant ». L’inattendu est le plus difficile à comprendre au regard de ce qui précède ! C’est en

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« Malaise survenu ». Jnl Bellamy, 30 décembre 1772. Bellamy s’intéresse au rôle que joue le mode de vie sur la santé. Le 21 mars 1773, elle s’enthousiasme pour un Mémoire, dans lequel on cherche à déterminer quelle influence les mœurs des François ont sur leur santé, rédigé par un médecin et dont elle prend connaissance dans le Journal Encyclopédique, décembre 1772, pp. 371-381. Les femmes genevoises avaient alors pour coutume de recevoir un groupe d’amies chacune à son tour chez elle. Voir Rousseau 1967, pp. 192-194 et la description qui en est faite par le voyageur britannique John Moore, Coulson 1988, p. 24.

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apostrophant le temps et l’âge qu’elle se met au lit. Elle y reste plusieurs jours, soit la journée entière, soit une partie seulement. Le 18 du même mois, elle passe « une mauvaise nuit » et se plaint de « beaucoup d’agitation, d’idées tristes, de malaises, le tems est très noire ». Ce n’est que le 20, soit sept jours plus tard qu’elle rapporte aller mieux, « quoique très accablée ». Le lendemain elle affirme être « passablement ». L’émotion et l’agitation provoquées par la mort du père de sa belle-sœur, la maladie de sa voisine, des lectures, le temps, etc. envahissent les entrées des jours suivants. Les malheurs d’autrui ont peut-être la capacité de lui apporter une sérénité relative, mais la nouvelle de la mort de sa voisine Mestrezat est la cause invoquée pour expliquer de nouvelles agitations nocturnes. Un « malaise » survient alors et persiste trois jours. Au cœur de l’hiver et quel que soit son état de santé, Bellamy cherche les causes dans les corrélations de son âge avec la saison. Le 11 février, elle est explicite: « Le froid est toujours très vif. J’y suis beaucoup plus sensible que les autres hivers, hélas quand hiver et hiver se rencontrent, il n’y a pas moyen d’éviter le gel ». Le lien entre son âge et la saison est ici clair et cette formule exprime bien ce qu’elle perçoit de l’état intérieur de son corps. Si le 15 février sa santé est décrite comme « assés bonne », le 17 une diarrhée survient. « Peut-être est-ce un bien, il faut tâcher de le croire. Le temps est froid et humide ». Tout comme les vomissements, le statut des diarrhées est ambigu dans un contexte humoral. Dans l’équation qui règle l’équilibre des fluides et des humeurs, une diarrhée peut être salutaire26. Tissot distingue la diarrhée subite, sans fortes douleurs ou fièvres comme étant « plutôt un bien qu’un mal; elles évacuent des matières amassées dès longtemps et corrompues, qui, si elles ne s’évacuaient pas, produiraient quelque maladie »27. Certains de ses patients lui écrivent dans l’espoir qu’il saura les aider à retrouver des diarrhées salutaires28. Dans le cas de Bellamy, la diarrhée est perçue comme un signe particulièrement favorable: les mélancoliques étaient réputés d’être sujets à la constipation29. 26

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Rousseau décrit les effets positifs d’une diarrhée dont sa belle-mère aurait souffert. Rousseau 1959, p. 457. Tissot 1993, § 325. FT, II/146.01.03.17, L. Arthaud, Vevey, le 16 janvier 1768. « On se trouve bien aussi d’entretenir une diarrhée artificielle lorsque les forces du malade le permettent, imitant ainsi la nature dans l’un de ses moyens de guérison ». Panckoucke, article Mélancolie, pp. 163, 176 & 179.

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La diarrhée peut cependant être néfaste, toujours selon Tissot, si elle dure plus de cinq ou six jours et si des douleurs l’accompagnent ou si elle affaiblit le malade30. Pour Bellamy, c’est la persistance du mal pendant deux jours qui l’incite à évoquer un phénomène similaire dont elle aurait souffert six ans plus tôt: à cette occasion, les symptômes auraient perduré une année entière ! Le lecteur comprend mieux son inquiétude31. Cette fois, l’inconfort ne se prolonge pas. Le 21 février elle est « mieux ». L’amélioration se confirme en dépit de sa conviction, encore répétée le 27 février, d’être en « crise ». Le 4 mars elle signale « des tournemens de tête [...] et [...] des vapeurs de chaleur qui me monte[nt] à la tête, et finissent par une petite sueur, ce sont des bouffées de sang, que faire, il faut que jeunesse se passe, et passe, on assure que cette indisposition est un brevet de santé. Allons, il faut le croire.» L’association du malaise avec son âge suggère un rapport possible avec l’état de transition qui caractérise la cessation des règles32. Le 8 mars, d’autres symptômes l’incitent à craindre, une fois encore, l’arrivée d’une maladie: «Voici un retour de l’hiver, le froid, la neige; la pluye, tout cela rend le jour très sombre. Je suis très mal à mon aise depuis hier. Je suis foible, la tête épuisée, les jambes lasses, et engourdie, à cela joint beaucoup d’émotion, je suis triste de tous ces malaises. Il me semble que je vais prendre une grande maladie ». A peine quelques mois après ses inquiétudes d’automne, voilà qu’au printemps Bellamy a peur de perdre la santé. On ne peut que constater le parallèle qu’elle suggère elle-même avec les aléas du temps. Ses symptômes (et la perspective qui les accompagne) ont un effet sur son état d’esprit. « Quand ma santé est si fort dérangée, il m’est difficile de m’égayer ». Elle aspire à rester tranquille, sans mondanités, en attendant que l’orage passe. Le lendemain son « mal-aise » continue et elle pense alors avoir besoin d’une saignée, tout en la redoutant. Elle fait venir Jean-Antoine Butini et ce dernier lui fait ou ordonne – il est impossible de préciser – une saignée. Son état de santé se 30

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La diarrhée peut être épidémique. BGE, Ms Bonnet 23, pp. 590-616, Charles Bonnet à Gérard Van Swieten, le 18 mars 1772. D’autres connaissent les mêmes incertitudes. Mme Bonnet souffre d’une diarrhée entre décembre 1760 et le mois d’août 1761. A cette date, son mari se demande encore s’il s’agit d’un bien ou d’un mal. Wellcome Library, Londres, Charles Bonnet à François De la Rive, [Genthod], le 19 juin 1761. Voir ici même p. 117 (n. 13).

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détériore, elle souffre d’une grosse fièvre et se déclare « abattue ». S’agit-il d’une maladie ou de l’effet du remède? Après cette crise, le retour à la santé est lent. La diariste est libérée de la fièvre, mais se plaint pendant plusieurs jours d’un malaise persistant. Les symptômes rapportés le 13 mars sont moins aigus. Bellamy est agitée et souffre d’une tête étourdie et de jambes faibles: son « sang circule mal » se plaint-elle. Néanmoins, elle rend des visites et le lendemain, se plaignant de faiblesse, tente « une prise de poudre tempérante »33. Aucun soignant n’est mentionné et force est de supposer qu’elle agit ici de son propre chef. La poudre est efficace. Le lendemain, le 14 mars 1773, elle rapporte: « J’ai passé une bonne nuit et me sens plus forte, et plus gaye, a un petit mal de tête près, ce n’est rien, hélas que je dois me trouver heureux, si je quitte à si bon marché de ce temps de crise ». Pour se rétablir tout à fait, elle entreprend plusieurs promenades, dont une en voiture à la campagne. C’est un exemple de l’importance pour elle de l’exercice dans la gestion de sa santé: la promenade en voiture est un exercice courant dans son milieu social. Le printemps aidant, Bellamy fuit la réclusion forcée de l’hiver et ressent le besoin à la fois d’exercice et de campagne. Le 17 mars, elle constate: « J’ai été moins bien qu’hier, aussi n’avois-je ni voiture, ni campagne »; les causes s’imposent d’elles-mêmes. Le lendemain, le 18 mars, sans aucune explication, elle rapporte avoir pris une purgation « qui a fait un bon effet ». Son bilan est mitigé. « Ma santé n’est […] pas bien forte, je suis fréquemment attaquée de ces vapeurs de sang à la tête, il me semble que c’est un ennemi redoutable qui me saisit traitreusement dans le temps où je suis calme et contente. Que faire à cela? Prendre patience comme pour tant de choses »34. Les métaphores guerrières employées ici sont étonnantes. La maladie n’est pas conceptualisée comme une entité venant de l’extérieur, mais plutôt comme une interaction malheureuse entre le corps, le temps et l’environnement. Est-ce son propre corps qui se rebelle contre elle? Comme ses contemporains, Bellamy se sent responsable, voire coupable, des aléas de sa santé. Son

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Probablement de la poudre tempérante de Stahl (sulfate de potasse, nitrate de potasse et cinabre), conseillée pour les convulsions, l’hystérie, les maladies nerveuses et les fièvres accompagnées de beaucoup de chaleur. Panckoucke, article Tempérante (poudre). Jnl Bellamy, 22 mars 1773.

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attitude est à la fois pragmatique et fataliste: il faut prendre patience35. La nuit suivante est qualifiée d’inquiétante par Bellamy. « Mon cœur étoit triste quand je me suis levée, et ma tête pesante et chargée de vapeurs.» Elle associe dans un même élan sa tristesse et son mal de tête, sans chercher à décider lequel cause l’autre. Le 26 mars, elle reprend ses activités, « quoique je ne fus pas bien » et, le même jour, elle est confrontée à un dilemme: on lui propose la campagne Trembley en prêt. C’est une solution inespérée au confinement en ville. Elle décline l’offre et se félicite le lendemain d’être à nouveau en bonne santé. « Je crois que l’acte courageux que je fis hier m’a porté bonheur, ma douleur d’estomac est passée, je me sens gaye et bien à mon aise.»36 Pendant plusieurs semaines elle ne se plaint plus de symptômes aigus. Un retour de froid, le dernier jour du mois de mars, coïncide avec un nouveau malaise: Il fait très froid; gêle comme en hiver, je me sens mal la tête embarassée, un peu de malaise en général, mes vapeurs de sang à la têtte sont passées depuis deux jours, une indisposition quitte, l’autre vient. Heureuse encore qu’elle ne soit pas plus considérable, tout est pesant et fatiguant dans cet état [...] il faut se surmonter, et faire en sorte d’être content de soi pour être heureux.

La résolution « courageuse » est oubliée et elle se lamente de nouveau de vivre en ville. Le 5 avril, elle avoue aller mieux, comme ailleurs, le physique et le mental se suivent de près: « Je me sens du courage, cela pourrait venir de ce que je suis bien, j’ai passé une bonne nuit, et vient de conter une énorme savonade sans être fatiguée ». Après la lessive, une euphorie printanière envahit les pages de son journal. Le 10 avril, elle rapporte avoir lu « avec un grand plaisir » un sermon de Daniel de Rochemont (1720-1769) « sur la maladie d’Héréchias », « voilà un grand sujet de méditation » conclut-elle. La réflexion du pasteur s’appuie sur 2 Rois XX, 1-3: Ezéchias est « malade à la mort » et le prophète Esaïe lui déclare: « Ainsi a dit l’éternel; dispose de ta maison, car tu t’en va mourir ». Le thème entre en résonnance avec les préoccupations valétudinaires et morbides de Bellamy. Le ministre incite le fidèle à prendre conscience de sa fragilité: « Nous éprouvons tous les jours que nôtre façon de penser change à divers égards avec nôtre situation extérieure, et que l’état du corps influë 35

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D’autres se retouvent dans des impasses semblables: Lachmund et Stollberg 1987, p. 169. Jnl Bellamy, 27 mars 1773.

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beaucoup sur les dispositions de l’esprit »37. Le pasteur conclut à la nécessité de vivre chrétiennement, d’envisager la mort sans la craindre et de se préparer à rompre les « liens puissans » qui attachent à la terre. C’est là bien un des objectifs sans cesse répétés par Bellamy. Dans l’énumération des liens les plus difficiles à couper, Rochemont signale les « personnes avec lesquelles nous en jouissons, ces liaisons de sang et de l’amitié qui ont tant d’attraits pour un cœur sensible »38. C’est un point qui n’a certainement pas laissé Bellamy indifférente. Son attachement à ses « trois amis » la retient, écrit-elle à plusieurs reprises, fermement dans le monde. En dépit du réconfort apporté par ce sermon, le 11 avril, jour de Pâques, elle fait part d’un nouveau « malaise ». Le lendemain, ce dernier est associé à la fatigue et à la mauvaise humeur, avant d’être caractérisé, le 13 avril, comme un mal de reins. Devant la persistance de cette indisposition, elle prend de nouveau de la rhubarbe. La douleur s’atténue et elle anticipe un rétablissement. « Je vais chanter, j’espère, des louanges de la rhubarbe ». Pourtant, le 17 avril, elle constate des « douleurs au bas des reins, elles ont résisté à la rhubarbe, à l’exercice, et à bien des petits soins employés pour me guérir ». Bellamy se résigne à attendre, plutôt que de faire appel à un médecin. Elle cherche à calmer sa propre imagination et ses craintes. Le lendemain, après une bonne nuit et malgré le froid, elle ne peut que se féliciter d’avoir attendu. « Douleurs de reins diminuées, par une d’hiarée assés forte et sans douleur, la nature agit souvent toute seule, mieux qu’avec les remèdes.»39 La purge n’avait pas permis de retrouver un équilibre; la diarrhée permet le rétablissement de la situation répète-t-elle deux jours de suite dans son journal. C’est là encore une démonstration de la souplesse de son système explicatif. Un corps réchauffé L’été se rapproche et il fait beau. La santé de Bellamy est également au beau fixe. Elle mentionne un rhume, mais décide de l’ignorer. « Il faut troter quand on ne souffre point, il faut se regarder comme en santé ». Dans un premier temps le rhume paraît anodin40.

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Rochemont 1772, pp. 202-233. Rochemont 1772, p. 215. Jnl Bellamy, 18 et 20 avril 1773. Ce n’est pas une maladie inquiétante. Panckoucke, article Rhume.

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Son optimisme se maintient quelques jours, grevé par une légère inquiétude due à la persistance du rhume, qualifié le 25 avril de « rhume de cerveau ». La constance de son état de santé l’étonne, notamment face à un retour du froid à la fin du mois. Le 27 avril, elle écrit: « Temps d’hiver, grosse bise froide, les feux rétablis dans les chambres [...] malgré cela une bonne nuit, bonne santé, sont encore de mise ». Le terrain gagné par son rhume dès le lendemain est certainement plus logique à ses yeux. Qualifié encore deux jours plus tard comme un rhume « sans toux », l’indisposition commence à l’agacer. Elle se raisonne: « Il faut aller et venir comme si de rien n’étoit, ah vraiment, il y aurait bien à faire si on voulait écouter toute les misères de mon age, il vaut mieux aller son grand chemin sans faire semblant de les voir.» L’amélioration du temps au début du mois de mai doit apporter un mieux être. Le 2 mai, on croit entendre Bellamy s’exclamer: « Il fait un temps superbe, voilà le printemps bien établi, j’ai passé une bonne nuit. Je suis assés bien à ce petit rhume près, et à une douleur au bras gauche quand je fais certains mouvements. J’ai aussi la tête étourdie, enfin vieillesse entre de tous les côtés ». Le jour même, le temps se dégrade. Dans une deuxième entrée datée du même jour, Bellamy relève encore une fois l’évolution parallèle de ces deux variables. Le temps s’embrouille et ma santé de même, je n’ai pas été aussi bien cette nuit qu’à l’ordinaire, j’ai depuis hier une douleur au bras gauche, très vive dès que je fais du mouvement. J’ai eu beaucoup de peine à m’habiller ce matin, outre cela l’enrouement dure toujours, tout cela me tracasse et m’attriste, je crains les infirmités, je me sens une humeur catharale qui roule tantôt ici, tantôt là41.

Est-ce une maladresse d’expression, ou Bellamy établit-elle bien ici un rapport entre son rhume et ses maux de bras? De toute évidence elle suit l’évolution des symptômes et leur déplacement lui permet de lire les mouvements internes caractéristiques du corps humoral42. Un catarrhe est une fluxion* « qui tombe sur quelque partie du corps » et peut être associé à des changements importants de tempé-

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Jnl Bellamy, 2 mai 1773. L’importance du mouvement des maux a été relevée pour des malades au XVIe siècle: Pomata 1998, pp. 129-130. Pour plus d’éclaircissements, voir ici même p. 312 et suiv.

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rature43. Bellamy peut ainsi corréler le mal de bras et l’enrouement à une même fluxion. Le 3 mai, c’est une mère gaie qui prépare une chambre pour le retour de son fils. « Je me sens bien fatiguée sans en être incommodée au contraire la douleur au bras qui me tracassait c’est passé par l’exercice et la flanelle »44. L’arrivée de son fils est à même de compenser un nouveau retour de froid dehors, il neige. « Santé et gayeté se soutiennent » jubile-t-elle45. Le lendemain, pourtant, elle évoque un nouveau malaise. Cette fois elle se détermine à agir vite. « Je fus hier tout l’après-midi mal à mon aise, d’une espèce d’indigestion, en conséquence de quoi, j’ai pris ce matin un denier de rhubarbe infusé à froid sur trois verres d’eau et ainsi de suite pendant trois jours, je conte prendre la même dose ». La rhubarbe lui apporte satisfaction dès le lendemain. « Il fit hier un triste temps [...] malgré [le climat], et la rhubarbe je m’en trouvai très bien [...]. Pris encore la rhubarbe qui me fait merveille.»46 Elle tente le purgatif en espérant une amélioration à moyen terme et est étonnée, le lendemain de la première prise, de se sentir bien. Deux nouvelles la perturbent au cours du mois: la décision de son fils de quitter Genève et le suicide d’une connaissance. La santé de Bellamy triomphe pourtant de ces épreuves jusqu’au 21 mai. Au lever ce jour-là, « voilà un malaise qui revient et dont je me croyais guérrie pour jamais, il y a quatre mois que j’en étais exempté ». S’agit-il de la diarrhée? D’un retour inopiné de règles? Le seul indice tangible dans le texte est que les « experts » assureraient que « c’est un bien »47. Bellamy ne décrit pas avec précision ce qui lui arrive. Elle prévoit à contrecœur quelques jours de confinement domestique alors qu’il fait beau. Le « symptôme » dont elle fait état par la suite est un accablement qualifié de « sans douleur ». Le 26 du même mois, elle se déclare mieux. « J’espère être en état de sortir demain. C’est beaucoup pour moi de rester huit jours sans prendre l’air et sans faire d’exercice ». Le lendemain, elle est toujours « accablée » et se plaint des maux qui la transforment, selon

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Académie 1694; Furetière et Panckoucke. Voir aussi French 1993. Certains corps sont frottés avec de la flanelle (étoffe de laine) à des fins thérapeutiques. Académie 1740. Jnl Bellamy, 6 mai 1773. Jnl Bellamy, 8 mai 1773. Voir plus haut, p. 119.

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ses propres dires, en égoïste. Le 29 mai, enfin, elle peut écrire dans son journal « bonne santé ». A la fin du mois de mai, l’attention de Bellamy se porte sur ses « trois amis » souffrants: son mari se plaint d’une « fluxion*» aux yeux, son fils René est indisposé par une « fluxion » dans la région des dents et de la joue alors que son fils Pierre est blessé ensuite d’une chute. C’est donc avec étonnement, et sans en connaître les raisons, que le lecteur lit dans son journal, en date du 3 juin, qu’elle a commencé le petit lait et qu’elle s’en « trouvai bien hier, mal aujourd’hui. Ainsi vont toutes ces choses de ce monde, rien n’est constant, rien n’est égal ». Le petit lait était souvent pris dans la belle saison pour renforcer et engraisser le corps. En juin, Bellamy contracte un mal de gorge et se plaint « d’accablement ». Elle est alors préoccupée par le départ imminent de son fils Pierre pour la Hollande. Le 7 juin, elle souffre encore d’un nouveau mal de gorge. Dès le lendemain, sa crainte de tomber malade revient. « Je n’ai jamais eu tant besoin d’avoir la santé, j’ai à soutenir le départ de mon fils.»48 Elle se sent vulnérable et les signes qu’elle lit dans son corps sont inquiétants. « J’ai un accablement et des douleurs de rheins qui me font craindre quelque autre indisposition qui viendrai ». Elle poursuit ses activités sociales en dépit d’un état « très dolante ». Le lendemain déjà ses forces reviennent. Le 18, elle redoute un choc émotionnel à l’approche du départ de son fils. « Ma santé est passable, ce n’est pas ce qui me coute, hélas, la peine du corps n’est rien, mais la séparation douloureuse que je vais éprouver voilà ce qui me déchire ». Le 20 juin, Bellamy se trouve « pâle et abattue, je ne sai ce que j’ai, mais je ne suis à mon aise. Le temps est froid, et pluvieux, cela peut être cause de mon malaise, joint à la fatigue et aux circonstances dans lesquelles je me trouve, ce départ me peine terriblement ». Elle cherche à se distraire, une stratégie commune pour éviter un mal-aise49. Le 26 juin, son fils prend congé. L’émotion de la mère éclate. Elle pleure et se lamente, mais sa santé ne se détériore pas. « Ma santé continue à être bonne, je crois que l’exercice, et l’air de la campagne, le carosse, tout cela y a beaucoup contribué, car mes chers bons amis me manquent bien, et mon cœur en soupire souvent ». Le lendemain, elle se réjouit: « Le temps est toujours sombre et froid, on a presque pas

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Jnl Bellamy, 9 juin 1773. Voir ici même pp. 99, 411 et 413.

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quitté les habits d’hiver cet été, cela ne dérange point ma santé, j’en suis étonnée et contente ». Bellamy constate un changement de temps au mois de juillet et cesse ses bains dans le lac. Pendant plusieurs semaines tout va bien. Le 30 du mois, elle introduit un bémol. « Beau temps, mais bien frais pour la saison, bonne nuit, santé passable [...], je me sens la têtte pesante, et embarassée, j’espère qu’un peu de promenade me fera du bien ». Le 3 août, sa santé est encore satisfaisante. « Je ne m’ennuye point de cette divine, bonne santé, bonne nuit et beau temps ». Le lendemain elle prend cependant de la rhubarbe: « Un peu précaution, un peu nécessité, j’espère m’en trouver bien »50. Quelques jours plus tard, alors qu’elle a bien dormi et qu’il fait beau, elle s’étonne de l’arrivée « d’un malaise inattendu » qu’elle croyait « fini pour jamais […] peut-être, ne sera-t-il que passager »51. Son inquiétude croît. « Le malaise d’hier ne dura qu’une heure au plus, mais je fus tout le jour très accablée, […] ce matin, même malaise survenu à peu près à la même heure sans durer plus longtemps, je fais ce que je puis pour le surmonter, mais l’état de crise où je suis, m’affecte plus qu’il ne faudrait pour mon bonheur »52. Le mystérieux « malaise » revient par la suite à la même heure que les jours précédents, il « paroit être de durée » se résigne Bellamy. Le 10 août, elle passe la matinée au lit et le lendemain elle reste confinée chez elle; le « malaise dure et [l]’accable »53. Le 15, c’est « à peu près fini », son fils René revient de Paris. « La joye d’un côté, l’attendrissement de l’autre, les visites, tout cela me mit mal à mon aise, je n’ay pas autant dormi qu’à l’ordinaire ». Son malaise, toujours vague, se prolonge les jours suivants. Le 18 août, ses plaintes sont plus précises, elle se trouve « assés mal à [s]on aise la tête et les jambes, foible », elle est « triste et abattue ». L’humeur persiste encore deux jours plus tard. « Je suis assés bien, mais ne suis pas contente ». Le lendemain elle se plaint de nouveau de « diarrhée » et de « meaux de cœur », associés à des mondanités qu’elle déteste54. Le 23 août, elle est toujours « peu à [s]on aise » et le 24 elle décide d’essayer un peu de « rhubarbe », sans conteste le

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Jnl Bellamy, 4 août 1773. Jnl Bellamy, 7 août 1773. Jnl Bellamy, 8 août 1773. Jnl Bellamy, 11 août 1773. Jnl Bellamy, 21 août 1773.

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remède auquel elle recourt le plus souvent. Le résultat ne se fait pas attendre. « Je me sens beaucoup mieux qu’hier, j’espère avoir des forces pour reçevoir cet après-midi nombreuse compagnie ». Le 25 du même mois, elle poursuit le même traitement et conclut: « Ma journée d’hier passât très bien, la rhubarbe me fit du bien, elle m’en fait encore aujourd’hui, voilà beaucoup de biens ». A la fin du mois d’août, elle peut enfin se féliciter de retrouver une bonne santé et c’est avec l’entrée du 31 de ce mois que s’achève le fragment conservé de son journal: « Temps superbe, bonne nuit, bonne santé a un peu d’embarras d’estomac près, dont la diète, et l’eau m’a presque guérie en un jour»55. Cette note positive marque une étape dans l’histoire de la santé de Jeanne-Marie Bellamy qui déjouera encore « sa » maladie pendant treize ans. Le sens d’une chronique corporelle Le journal de Bellamy est exceptionnel par sa précision et les détails qu’il renferme sur la gestion au quotidien d’une santé particulière. Tout comme Saussure et Bonnet, Bellamy surveille de nombreuses variables pouvant affecter sa santé. A l’instar d’Isabelle de Charrière, elle attribue une grande importance à l’effet de ses émotions sur sa santé. Le danger que constitue l’imagination pour les femmes, régulièrement réitéré dans la littérature médicale, est clairement intégré dans le quotidien de ces deux auteures. Les conséquences sont impressionnantes. Maîtriser son état d’esprit exige une vigilance de tous les moments. Ainsi, Bellamy lutte contre son penchant « mélancolique » pour ne pas accroître encore le déséquilibre humoral qui se profile en automne, saison « sèche et froide », et dont les effets pouvaient être accrus par son âge et, vraisemblablement, son tempérament. L’autocontrôle est apparemment le moyen thérapeutique le moins efficace dans son cas. Les autres remèdes de Bellamy sont le régime (qu’elle évoque peu), les changements d’air, le sommeil, la promenade et surtout la régularité de ses évacuations corporelles. Dans un sens, et sans qu’elle l’exprime clairement, il est possible qu’à l’instar des femmes traitées par le praticien Johann Storch, Bellamy interprète son mal-être comme un engorgement interne56. Mis à part la « diète » et le « petit lait » signalés à la fin du 55 56

Jnl Bellamy, 31 août 1773. Duden 1991, p. 133.

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journal, les autres remèdes (purgatifs, saignées) mobilisés ont pour finalité d’évacuer les humeurs corrompues57. L’association de sensations ou de dérangements corporels avec des réalités humorales paraît infaillible. Bellamy se plaint de « bouffées de sang », de « vapeurs » qui lui montent à la tête et signifient un dérangement interne. La solution, une saignée, s’impose d’elle-même et sans qu’il soit nécessaire d’un avis médical. Nul autre que la malade elle-même n’est à même de « sentir » ce qui lui arrive et face à son autorité, le médecin ne peut qu’exécuter les desiderata de son client. L’attention soutenue de Bellamy sur son état de santé répond à un risque de déséquilibre important. Agée de 48 ans, elle n’est pas encore vieille, mais elle se considère comme au début de la vieillesse58. Ses inquiétudes saisonnières reflètent une logique médicale commune; l’automne serait nuisible aux personnes d’âge mûr et particulièrement aux mélancoliques59. Il faut encore ajouter à ce tableau l’« état de crise » consécutif à la cessation de ses règles. C’est là une autre caractéristique marquante du journal, celle de retracer les aléas d’une femme confrontée à « l’âge du retour », la période qui suit immédiatement chez les femmes la cessation des règles60. Cet épisode de la vie peut être situé dans deux environnements théoriques possibles. Il peut être associé soit au début du déclin du corps, trahi par son incapacité à expulser le sang superflu, soit à une conception novatrice et positive de l’arrêt des règles avancée par la nouvelle physiologie nerveuse. Cette dernière décrit les règles en termes d’excrétion glandulaire plutôt que comme une évacuation pléthorique; les règles irriteraient ou exciteraient l’utérus. Quelle que soit la physiologie retenue, l’interruption des règles demeure un épisode délicat auquel succède, dans la physiologie traditionnelle, une phase de déclin. Selon la logique nerveuse, le temps de l’inter-

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Le nombre de purgations et la saignée printanière nuancent la baisse supposée des thérapies d’évacuation au XVIIIe siècle, voir Vigarello 1993, pp. 156-158. Dans une lettre rédigée quelques trois années plus tard, Bellamy écrit à Charles Victor de Bonstetten: « C’est de la vieillesse que je suis malade, j’en suis convaincue ». BGE, Ms. Fr. 4734, f. 18, [septembre 1776]. Panckoucke, article Saisons, p. 419. L’expression « âge de retour » s’applique aussi bien aux femmes qu’aux hommes. Pour un exemple: Charrière O. C., t. 2, p. 462, Suzanne Moula à Isabelle de Charrière, Londres, les 10-11 mars 1785.

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ruption des règles serait critique*, mais la période qui lui succède verrait la femme mûre, délivrée des aléas d’un utérus excité ou irritable, à même d’aspirer à une bonne santé61. Bellamy emprunte peutêtre sa compréhension à un mélange de ces deux conceptions, mais il faut relever qu’elle considère le plus souvent les aléas de son corps en fonction des mouvements de ses fluides internes et reste solidement attachée à la logique humorale. L’éclat de vie particulièrement dense, retracé à partir du cahier de Bellamy, demeure insuffisant pour cerner sérieusement le sens donné par la diariste à ses aléas de santé sur le long terme. Il en émerge néanmoins l’image d’une femme victime, d’une femme dépassée par les éléments, par les accidents de la vie et même par son propre corps. C’est à un niveau de compréhension immédiat que la source s’avère parlante. Bellamy parvient souvent à interpréter ses aléas de santé, à trouver une cause aux symptômes qu’elle subit. Elle est clairement troublée lorsque l’évolution de sa santé ne suit pas ses attentes. L’incompréhension génère un stress conséquent. L’ignorance et la passivité sont alors rares en matière de santé. Comme Bellamy, les laïcs de son époque situent leur état de santé comme résultant d’un concours d’événements et d’influences. Rares sont ceux qui, comme Théophile Rémy Frêne, relèvent de telles données sur plusieurs décennies. UN HOMME, UNE VIE: LE PASTEUR FRÊNE (1727-1804) Théophile Rémy Frêne est né le 17 juin 1727 à Orvin, près de StImier dans les Franches-Montagnes. Son père est pasteur et assurera la première instruction de son fils : la lecture, les rudiments du latin et du grec. A quatorze ans, soit le 24 avril 1741, Théophile commence à tenir un journal intitulé Roole pour et par moi Théophile Remy Fresne62. La même année débutent des cours avec un précepteur : une indication qu’ici, comme ailleurs, les premières pages du journal s’inscrivent dans un projet pédagogique. Toujours âgé de

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Cet aperçu est repris de Stolberg 1999b, pp. 412-420. Les chiffres entre parenthèses dans le texte renvoient à la pagination du manuscrit reproduite dans l’édition moderne Jnl Frêne.

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quatorze ans, Théophile Rémy entamera des études de philosophie à Bâle, études qu’il poursuit en 1744 à Berne. Il est reçu pasteur le 13 mai 1745, peu avant ses dix-huit ans. Suit une période de flottement de plus de dix ans. Il remplace des ministres, mais ne parvient pas à trouver un engagement fixe alors même qu’il essuie déconvenue sur déconvenue sur le marché matrimonial. C’est à la fin de cette période de précarité professionnelle et émotionnelle que meurt sa mère (octobre 1754). Après ce traumatisme, la vie de Frêne va progressivement prendre forme : le bailli Imer lui propose sa fille en mariage (février 1756) et il est nommé suffragant successif de son père (juin 1757)63. Le 26 avril 1758, Frêne épouse Marie Marguerite Imer (1742-1807). Après une période de cohabitation avec le père de Frêne, le couple établit son propre ménage à Courtelary (février 1760) et ensuite à Tavannes (avril 1763). Le journal commencé à 14 ans l’accompagne à travers ces événements et bien audelà dans sa vie de père de famille, d’homme mûr et de vieillard. La raison d’être du Roole pour et par moi Théophile Remy Fresne n’est pas consignée dans le journal. Le jeune auteur se réfère pourtant au Livre de remarque de son père qui lui sert peut-être de modèle. Les entrées concernant les années 1727 à 1741 sont rédigées rétrospectivement, alors que la suite du texte obéit à une logique chronologique, sans qu’il soit possible d’attester de la régularité des entrées64: Frêne écrit souvent des résumés portant sur plusieurs jours, voire sur une période plus longue. Au cours de ses relectures, il lui arrive d’apporter des adjonctions, des corrections ou même de supprimer du texte. Un souci de précision l’incite à dater les annotations ultérieures qui sont clairement séparées du corps du journal dans l’édition moderne du texte (131). La nature du projet de Frêne se précise avec le temps, et le 27 janvier 1750, le manuscrit est rebaptisé Journal de ma vie. L’auteur affirme son intention de n’y insérer que « ce qui mérite qu’on s’en souvienne ». Un principe réitéré le 6 décembre 1752 alors qu’il projette d’en retrancher les descriptions dont il constate, à juste titre, la présence dans son journal (187). Cette résolution n’a que peu d’effets sur sa pratique d’écriture.

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Le suffragant successif assiste un pasteur en reprendra son poste une fois celuici vacant. Il précise la date d’écriture à plusieurs reprises. En 1774, par exemple, il ajoute les dates de plusieurs digressions, voir Jnl Frêne, pp. 723, 725 & 726.

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Cela dit, la nature de la relation que Frêne entretient avec son journal n’est pas explicite. Le texte ne s’articule pas autour de son évolution personnelle et prend la forme d’un aide-mémoire où il retrace les événements marquants de sa vie. L’habitude prise d’écrire sur des feuilles volantes, rédigées en écriture cursive, favorise une certaine autocensure65. Le voyage dans le journal qui suit est centré sur le rapport entre Frêne et sa santé, mais aborde également d’autres thèmes relatifs à la formation de son savoir médical et à ses échanges avec des soignants. De l’enfance à l’âge adulte Dès les premières entrées, la santé occupe une grande place dans le journal de Frêne. La période qu’il intitule la troisième époque de son enfance, soit les années 1736-1737, porte pour sous-titre: « Ma petite vérole ». C’est dire l’importance de cette maladie, la première à être mentionnée. Trente ans plus tard, au moment où son propre fils souffre de la rougeole, il se souvient d’avoir eu la même maladie en 1734 et la coqueluche l’année suivante, soit toutes deux avant sa petite vérole66. La raison pour laquelle ces maladies sont passées sous silence échappe au lecteur du journal; tout au plus peut-on supposer que ces événements ne lui ont pas paru importants alors qu’il rédigeait ses premières pages. Le constat est intéressant en soi: le diariste ne fait pas systématiquement état de sa mauvaise santé. Selon le récit de 1741, la petite vérole constitue, dans un premier temps, un danger. Quelques mois avant cette « époque », en été 1736, Frêne n’accompagne pas ses parents à la foire de Chaindon (18) « parce que la [petite] verole y regnoit ». Cette manœuvre ne fait que repousser l’échéance: la petite vérole atteint Péry à l’automne (19), portée par une voisine revenue, justement, de la foire de Chaindon. C’est sans grande surprise que le 29 octobre suivant Frêne tombe malade (21). Rétrospectivement, il concède que sa vérole fut « fort belle » et qu’elle sécha vite. Pourtant, alors qu’il croit en être guéri, il commence à souffrir de son œil gauche67. Frêne et ses parents asso-

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Quelques passages sont tronqués ou effacés ultérieurement. Bandelier 1993, p. 22. Jnl Frêne, p. 890. C’est un accident dont il n’est pas le seul à souffrir. Belle de Zuylen, par exemple, se plaint d’un « ulcère à l’œil » et le fils de M. Lanjuinais de Moudon

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cient ces symptômes à une « suite » de la petite vérole et c’est cette suite qui va conférer une grande importance à l’épisode dans la vie de Frêne. Son œil rougit et une tache y apparaît. Dans un premier temps aucun remède n’est tenté. Trois semaines après l’apparition de la tache, il est examiné par son parrain, un médecin établi à Bienne nommé Jean-Henry Herrmann (1696-1765). Les conséquences sont rapides: le soir même on lui coupe les cheveux, et trois jours plus tard il est saigné. L’enfant demeure confiné à l’intérieur pendant l’hiver et subit cinq purges et trois vésicatoires, opérations destinées à évacuer l’humeur attachée à son œil et à en chasser la tache68. En l’absence de signes d’amélioration, en janvier 1737, son père se rend à Neuchâtel pour consulter (23). L’inquiétude dont font preuve les Frêne tend à nuancer le fatalisme traditionnellement prêté aux parents vis-à-vis de la santé de leurs enfants: « Les docteurs de Neuchâtel dirent à mon père qu’il ne me falloit rien du tout faire et laisser agir la nature ». La stratégie d’attente est récompensée quelques jours plus tard: son œil s’éclaircit, et guérit « entièrement ». Le récit date de 1741. Il faut attendre de nouveaux problèmes oculaires en 1776 pour que le diariste confie avoir constaté une diminution de son acuité visuelle peu après sa guérison. La suite de sa petite vérole est rendue responsable de ce handicap. Près de quarante ans plus tard, il se souvient précisément du moment où il avait pris conscience de sa myopie. « Passant le matin près de la grosse vacherie de Péri, je ne pus lire l’inscription qu’on avoit mise à la maison nouvellement bâtie, ce qui fit beaucoup de peine à ma mère » (884). Au-delà du moyen par lequel la petite vérole serait arrivée au village, Frêne n’explicite pas sa compréhension de cette maladie. A l’âge de neuf ans, il subit les traitements qui lui sont prescrits. C’est tout aussi passivement qu’il rapporte avoir pris une « purge » un dimanche soir l’année suivante (26), sans qu’il soit possible de savoir si l’action est préventive ou curative69. Le prochain malaise consigné

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aurait eu « des infirmités, surtout des maux d’yeux » après avoir eu la petite vérole. Charrière O. C., t. 1, p. 83, Jeanne-Louise Prévost à Belle de Zuylen, [Neuchâtel], le 13 septembre 1755; FT, II/144.05.02.12, M. Lanjuinais, Moudon, le 25 janvier 1790. Garder la maison pendant et après une maladie est une précaution commune, voir p. 191. Jnl Frêne, p. 24. L’événement est assez marquant pour servir de repère dans le temps. Sur les purges autoprescrites, voir ici même p. 445 et suiv.

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dans le journal date de 1740, et c’est la simultanéité du mal avec le carnaval plutôt que sa gravité qui semble inciter l’auteur à en faire mention: « J’etoit à demi malade. Il s’étoient levez des boubons par dessus mon corps; on crut que c’etoit le pourpeux » (38). Il ne reviendra pas sur cet épisode, pas plus qu’il n’explicitera un mal de doigt (40). L’année suivante, 1741, celle du début de la rédaction du journal, Frêne fait état d’un rhume qui l’oblige à garder la maison pendant près de trois semaines (47). Etabli à Bâle pour ses études, Frêne y contracte la gale et, il ne l’avoue que des années plus tard, une « maladie de langueur*»70. André Bandelier associe à juste titre cette dernière maladie à son éloignement de sa famille, et cela, « malgré la proximité de plusieurs connaissances »71. L’état d’esprit de Frêne est plutôt mélancolique, une note rétrospective fait état de pensées relatives à la mort de ses parents. La langueur est cependant plus qu’un mal-être psychologique. La maladie est également caractérisée, comme l’illustrent les exemples de Bonnet et de Rousseau, par des symptômes physiques; elle donne à voir l’étroite corrélation existant alors entre l’état d’esprit et le corps. Pour la première fois, le jeune Frêne doit affronter seul une maladie. L’adolescent n’énumère pas le détail des remèdes pris. Il signale simplement un confinement domestique de trois semaines et plusieurs mois de démangeaisons. Sa guérison est la première occasion où un rétablissement est ponctué d’un « dieu soit loué » (51). La formule reviendra régulièrement par la suite marquer les retours à la santé du diariste, de sa famille et de ses proches72. La mention d’un lien entre Dieu et un mieux-être est répandue; la reconnaissance de l’omnipotence de Dieu ne l’empêche pas, comme ses contemporains, de chercher des solutions médicales à ses maladies et à celles de ses proches. Le passage de l’adolescence à l’âge adulte est insidieux pour le lecteur du journal. Les nombreux déplacements faits à pied, à cheval, ou encore, les cours de danse pris lors de son séjour à Bâle suggèrent un corps vigoureux (50). Le jeune Frêne n’est pas indifférent à sa propre apparence: trente-quatre ans plus tard, il se souvient

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Voir plus bas, p. 315. Bandelier 1993, p. 31 Le pasteur Ralph Josselin adopte une attitude similaire, quoiqu’il cherche également une logique cachée à ses souffrances et souhaite qu’elles soient bénéfiques à son âme. Macfarlane 1977, pp. 173-182.

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encore des remarques qu’on lui faisait alors qu’il était adolescent à Berne. « On trouvait que j’avais une mine de jeune fille » (96). En avril 1744, il souffre d’une colique pendant plusieurs semaines. La seule thérapie mentionnée est son confinement dans la maison paternelle (58). A Berne, quelques mois plus tard, seul une fois de plus, il est à nouveau frappé par une « forte colique ». Cette fois, il précise avoir pris deux lavements. De nouveau, dans une annotation ultérieure, il se souvient avoit été soigné par « la Justine [...] d’Aigle, sage, grande et assés belle fille de quelque 18 ans » et être resté confiné plusieurs jours chez lui73. Outre les quelques accidents relatés, la plupart des affections ne sont mentionnées qu’incidemment dans le journal. La perte d’une dent, signalée sans commentaire en date du 26 août 1751, en est une bonne illustration (178). Il faut attendre une note rédigée en 1776 pour qu’il avoue en avoir « été tourmenté depuis 1740 » (199). Ainsi, comme d’autres détails afférant à la vie domestique, bien des questions de santé sont noyées dans le quotidien; seuls les événements jugés importants trouvent une place dans le journal. C’est le cas des accidents; les chutes de cheval et les voitures renversées sont fréquentes. Au printemps 1748, Frêne tombe de sa monture et en garde « l’esprit tout égaré » pendant plusieurs heures: « Dieu soit loué, je ne me fis point de mal, si ce n’est que je m’écorchai un peu un doigt et une levre et que je me donnai un coup à la temple, ce qui fut cause sans doute de tout le dérangement d’esprit; et la chute n’eut point d’autre suite.»74 Cet épisode, comme sa petite vérole, est relaté avec plus de détails que la plupart de ses maladies et accidents. L’égarement d’esprit l’inquiète et Frêne prendra dès lors systématiquement l’habitude de souligner être rentré « heureusement » de ses déplacements. En 1752, il atteint sa majorité, soit l’âge de 25 ans, et prendra dès lors le contrôle de sa propre santé. Ainsi, lorsqu’il contracte la gale deux ans plus tard, il identifie lui-même l’origine du mal: « J’avois eu le malheur de gagner [la gale], en couchant avec le ministre Himely de Tramelan, à Tavanne chés M. Perregaux la nuit du 25 au 26 mars » (199). Le jeune pasteur écrit à Gaspard Witz, un apothicaire établi à Bienne, et reçoit par retour de courrier une purge, une tisane et du salpêtre

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L’annotation date de 1778. Jnl Frêne, p. 61. L’incident est rapporté en 1750. Jnl Frêne, p. 157.

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(pour se laver les mains) ainsi qu’un onguent75. Grâce à ces remèdes, rapporte le diariste, il en guérit en deux semaines. L’initiative rend compte du savoir empirique de Frêne et de la manière dont il parvient à gérer seul les aléas de sa santé. Cette responsabilité s’accompagne d’une curiosité constante pour le corps et la médecine. Parcours entre les savoirs médicaux Le Journal de ma vie de Frêne constitue une source précieuse pour évaluer les connaissances médicales d’un homme éclairé. Rousseau, Saussure et Bonnet ont, eux aussi, acquis un certain savoir médical. Pourtant, au-delà de leur expertise et de leur érudition, attestées à la fois par le contenu de leur bibliothèque et leurs liens avec des praticiens, il est difficile de constituer une image cohérente de la genèse de leur savoir. La régularité du projet d’écriture de Frêne permet d’aller plus loin. L’acuité de son regard dans des circonstances très différentes témoigne, en premier lieu, de son intérêt pour la chose médicale. Il observe les corps brisés au cours d’exécutions (51; 193). Les détails d’observations de corps exposés ou accidentés sont transcrits et signalent un désir d’instruction. Lorsque le tenancier du Cabaret de la Reuchenette est assassiné, Frêne se déplace pour voir le « cadavre de l’hote. Il avoit dix blessures, entrautre le cou coupé jusqu’au vertebres » (143). Sa curiosité morbide se porte par la suite sur d’autres cadavres. Le 2 avril 1785, c’est peut-être la volonté de comprendre les phénomènes de décomposition qui incite Frêne à aller « voir au cimetière d’ici [Tavannes] le squelete presque entier d’un homme dont on avoit enfoncé la bière à demi pourrie, en creusant la fosse d’un autre mort [...] c’étoit le squelette d’un grand homme et probablement anabaptiste, car il avoit encore la barbe, qui se detacha du menton lorsqu’on la touche » (1795). Les cadavres exposés sont l’occasion de nouvelles observations. Le 12 juillet 1773, en route pour Büren an der Aare, Frêne aperçoit les corps de deux pendus à Boujean. Aussi bien à l’aller qu’au retour, Frêne et ses compagnons inspectent ces corps: « En descendant de voiture et allant tout près de la potence » (653). Cette fascination pour la décomposition resurgit deux ans plus tard lorsqu’il relate la découverte du corps d’un soldat pendu: 75

Les remèdes proposés par Tissot sont similaires, soit une tisane (racine de chicorée), une purge et de l’onguent (souffre pilé, sel d’amoniac et graisse de porc). Tissot 1993, § 345.

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La partie inférieure, c’est à dire depuis les reins embas, s’étoit deja détachée et gisoit à terre [...]. Sans doute les grandes chaleurs de la saison, ayant d’abord occasionné la corruption et la vermine en son corps, avoient détruit les ligamens qui lioient la partie inférieure à la supérieure avant qu’ils pussent se dessecher et se durcir; ce qui seroit arrivé en hyver, au moyen de quoi l’infection n’auroit plus eu prise et la squelette auroit même pu rester entier, comme cela se voit assé souvent (863-864).

Le mot « infection » est utilisé ici pour désigner la pourriture. L’infection signale une « grande puanteur », mais aussi la « corruption » et la « contagion »76. Les liens possibles entre maladie et putréfaction sont explicités par Frêne dans un compte rendu du fonctionnement du théâtre anatomique de Strasbourg: « Les cadavres sains, c’est à dire de personnes éxécutées, noyées et mortes d’accidens violens et subits, sont bien plus estimés et se conservent bien plus longtemps pour l’anatomie que les cadavres de personnes décedées à la suite de longues maladies » (1306-1307). La pourriture cadavérique est ainsi la poursuite d’un processus déjà en cours dans le corps malade. Cette conception était dominante au Moyen Age, mais fait encore partie des représentations du corps malade à la fin du XVIIIe siècle77. Le corps mort n’est pas le seul corps qui intéresse Frêne. Pendant sa jeunesse, il est intrigué par l’anatomie féminine et les organes de la reproduction. En 1775, une rencontre fortuite avec un ami d’enfance est l’occasion d’évoquer des réminiscences de jeux d’eau avec d’autres enfants en été 1734. Il se souvient alors « de [s]’être confirmé, en voyant ces enfans qui folatroient et se renversoient, dans la différence des sexes, dont [il avait] conçu la première idée en voyant la Marion l’hyver de 1733 à 1734 » (859). Il consolide et approfondit ce savoir par la suite. Non sans se rassurer sur sa propre constitution: « J’eus occasion de voir de bien près les parties naturelles d’un de mes amis, d’en examiner le jeu et de les comparer avec les miennes.»78 Quelques années plus tard, à Berne, un ami lui prête De partibus generationi inservientibus libri duo... où il apprend à distinguer le vagin de l’utérus. Encore une fois, il n’en fait mention que 76

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D’après le Académie 1740. Ou encore « émanations malsaines », « putréfaction », signe de « maladies contagieuses » selon le Panckoucke. Voir Corbin 1986, pp. 11-23. Vigarello 1993, chapitre 1. Cette note est ajoutée en 1775. Jnl Frêne, p. 230.

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dans une notice de 1780, soit 35 ans plus tard. En 1747, se souvientil cette fois un demi-siècle après les faits, il eut une conversation avec M. Monin « sur les parties naturelles des femmes » (124). A la même époque, il se procure des estampes « licencieuses », acquisitions rapportées bien ultérieurement comme le sont une série d’autres informations sur son intérêt pour le corps nu et la sexualité. En 1780, il se rappelle la destruction en 1755 de quelques documents en latin de sa « composition, entr’autres de la description des parties naturelles d’une fille de 15 ans, en date du 21 juin 1749 » (82). D’autres passages rétrospectifs font état de l’observation et de la baignade de jeunes filles et de jeunes gens79 et finalement, un passage énigmatique porte sur les filles dont Frêne aurait examiné les parties naturelles (232). Frêne s’intéresse également à des livres d’histoire naturelle et de médecine. Il mentionne des livres aperçus dans les bibliothèques plutôt que lus: c’est le cas du Dictionnaire universel de médecine, de chirurgie, de chymie, de botanique... qu’il remarque chez le Major Gagnebin (148); c’est encore le cas de la Bibliothèque anatomique de JeanJacques Manget qu’il repère dans la bibliothèque de la Classe de Neuchâtel80. En lisant le Journal encyclopédique, il s’intéresse à des comptes rendus de livres de médecine81. Mais que lit-il vraiment? Il n’évoque qu’incidemment les livres médicaux de sa propre bibliothèque. C’est au moment de s’en séparer qu’il signale avoir possédé l’Anatomie de Winslow, un ouvrage de plusieurs centaines de pages destiné aux gens de métier (425). En 1802, il mentionne un exemplaire du Traité des maladies des femmes grosses (1680) de François Mauriceau (1637-1709) qu’il aurait acquis une trentaine d’années plus tôt82. De même, l’Avis au peuple sur sa santé de Tissot n’est cité que

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Les bains d’été sont des moments privilégiés (avec une forte connotation érotique) pour les adolescents. Voir Jnl Frêne, pp. 230 & 658. Dans la bibliothèque du Dr Neuhaus, Frêne remarque l’ouvrage de Bidloo, Anatomia humani corporis [...] (237); il repère un livre de Haller (Elementa phsiologiae corporis humani) chez le Dr Chatelain (451) et une traduction française de l’Anatomie de Kulmus dans le cabinet du Dr Chopard (787). Lors de son passage à Zurich en 1778, il consulte nombre de travaux anatomiques, dont les Grandes planches de Jenty sur la matrice de la femme enceinte (1148). Il « examine » les Tables anatomiques de Gautier en 1786 (1919). Voir Jnl Frêne, pp. 451-455. Bandelier 1996, p. 232 et Jnl Frêne, p. 3042.

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lorsque Frêne y cherche des remèdes pour sa famille83. L’énumération n’est pas exhaustive, mais elle permet de se faire une idée de la constance de l’intérêt du pasteur. D’autres passages du journal confirment le penchant de Frêne pour la médecine: il étudie la meilleure manière de rappeler les noyés à la vie84, assiste à une dispute de médecine à Bâle (162) et aborde à plusieurs reprises des questions de santé avec les praticiens qu’il rencontre. Ces échanges n’incitent que rarement le pasteur à réfléchir sérieusement sur des systèmes médicaux. Les phénomènes magnétiques constituent une exception: en mars 1787, il rapporte les propos de son beau-frère qui affirmait que la mode en était passée en France (2033). Le 21 du même mois, le Dr Wingan lui rapporte que « le magnetisme avoit sans doute et réellement de l’effet ou de l’influence, mais de peu de conséquence, pour la guerison des maladies, inutile dans la plûpart et seulement en palliatif dans les autres » (2034). L’intérêt de Frêne pour les sciences naturelles complète sa curiosité pour la médecine85. Au cours de ses jeunes années, il dissèque des agneaux et des brebis afin de se « fortifier » en anatomie86. Il achètera plus tard un Dictionnaire raisonné universel d’histoire naturelle (1515) et réalisera plusieurs observations au microscope avec des naturalistes. Ces connaissances sont augmentées par des renseignements recueillis de façon empirique. En octobre 1770, il profite de son passage à la Reuchenette pour « voir » le cancer au sein de la femme de son cousin87. Dans l’accomplissement de ses fonctions pastorales, il est confronté à plusieurs reprises à des corps malades ou accidentés.

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Le 5 janvier 1765, il soigne son fils de brûlures avec « l’onguent de Tissot » et le 24 octobre 1766, il donne à sa femme une « décoction d’orge recommandée en plusieurs endroits dans Tissot ». Jnl Frêne, pp. 423 & 488. En septembre 1765, Frêne cherchera à ranimer un enfant noyé. A cette occasion, il tient la victime tête en bas pour vider l’eau, la réchauffe dans un lit et cherche, ensuite, à lui faire avaler des liqueurs. Il mentionne un livre, Memoire sur la maniere la plus simple & la plus sure de rappeller les noyès à la vie, etc. 1759. En 1779, il décrit un soufflet conçu pour ramener les noyés à la vie. Jnl Frêne, pp. 434, 496 & 1306. La classe de philosophie pouvait stimuler un intérêt dans ce domaine. Lachmund et Stollberg 1987, pp. 175-176. Jnl Frêne, p. 156. Cette allusion figure à la fin de l’année 1750, mais la remarque est datée de 1779. Il se tient également au courant de la nature des blessures de connaissances, voir Jnl Frêne, pp. 231 & 588.

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Le cas le plus spectaculaire décrit par Frêne est celui d’une femme happée par des roues de moulin. Le pasteur dépeint une scène qui tient de l’horreur88. Son attitude est alors professionnelle. Elle l’est moins lorsque ses proches sont malades ou blessés. Il fait part d’une « foiblesse » lors de l’évanouissement de son père (232) et s’évanouit lui-même à l’occasion d’une des maladies de sa femme (2904). Nombre d’informations médicales sont glanées auprès de soignants. En janvier 1780, il décrit les effets physiques d’une blessure par balle dont souffre Marguerite Girod: « La jambe blessée n’étoit pas beaucoup enflée. La playe ne paroissoit pas enflamée ni en danger de gangrène, mais elle étoit grande: il y avoit un vuide de deux doigts entre les deux bouts de l’os » (1361). Le chirurgien Jean-Pierre Marchand (env. 1733-apr. 1806) n’a pas de scrupules à montrer la blessure au pasteur. C’est une attitude qui s’inscrit dans la publicité généralement donnée aux maux des uns et des autres; de nombreux soignants évoquent l’état de leurs malades avec des tiers, révélant ainsi des échanges constants entre la médecine professionnelle et la culture médicale laïque. Un ami médecin, Friedrich-Ludwig Watt (1737-1804), rapporte ainsi « que les fréquentes saignées donnoient l’hydropisie et affoiblissoit la vue, que sa sœur, feue Madame Neuhaus, qui se faisoit souvent ouvrir la veine et enfin morte d’hydropisie, étoit prèsque devenue aveugle lorsqu’elle expira » (2196). Le 30 octobre 1775, Frêne décrit l’état du cadavre d’un pasteur qui « avoit été ouvert le 28 et l’on avoit trouvé l’intérieur de son corps et les principaux visceres plein de squirres, et beaucoup d’eau dans la cavité du ventre, l’epiploon à peu près consummé, etc.» (870). Il rapporte ailleurs le récit fait par son ami médecin, lequel avoit eu occasion d’ouvrir le cadavre d’une veuve d’environ 50 ans, morte à la suite de plusieurs années de chagrin. Cette passion lui avoit tellement gaté la bile que cette liqueur s’etoit pétrifiée et que M. Watt ne trouva plus dans la vésicule du fiel* que 13 pierres brunes, savonneuses et cubiques, de la grandeur de dez mediocres. Il m’en montra quelques unes. Il m’apprit que les

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« Le visage, à prendre depuis les yeux, pendoit sur sa poitrine du coté droit, y compris la moitié du né et les machoires. On lui voyoit dans le fond du gosier. Le bras droit, par lequel elle avoit été prise par les roues rentrant l’une dans l’autre, etoit absolument brisé. D’ailleurs, le reste de son corps n’avoit point de mal, et quoiqu’elle ne pût plus parler, elle témoignoit assés qu’elle conservoit encore son bon sens. Je lui annoncois la mort et l’y préparois de mon mieux ». Jnl Frêne, p. 595.

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cadavres, quelqu’ait été leur mort, n’ont plus de sang, si ce n’est que quelquefois l’on retrouve un peu dans le cœur » (1354).

L’échange d’information sur la santé des uns et des autres est courant; le non-médecin côtoie de nombreux exemples de bonne ou de mauvaise santé. La curiosité de Frêne peut être conçue comme répondant à deux attentes complémentaires. La première est celle d’un homme cultivé intéressé par la médecine en tant que domaine scientifique; la seconde découle de la nécessité de trouver des solutions médicales pour lui-même et pour ses proches. Dans ce dernier contexte, Frêne communique sur un pied d’égalité avec ses amis médecins. Ses parents lui reconnaissent une compétence médicale et l’envoient en 1787 à Berne se renseigner sur les opérations de la cataracte faites par Pellier, un opérateur ambulant89. Il est question d’opérer sa belle-mère. Pellier lui débite un cours pratique d’ophtalmologie et lui « fit remarquer la difference qu’il y avoit pour l’opération de la cataracte entre l’abatement ou depression et l’extraction » (2113-2114). Frêne consulte encore deux docteurs établis à Berne, Rosselet et Herrenschwand90 qui lui conseillent M. Jützeler91: « Aussi opérateur-oculiste, aussi habile que M. Pellier92, aussi ambulant, comme lui », mais domicilié à Berne (2115). L’argument porte et il choisit Jützeler dont la résidence à proximité offre à ses yeux une garantie supplémentaire. La bonne santé d’un père de famille L’intérêt manifesté par Frêne pour les phénomènes morbides répond en premier lieu à la nécessité d’affronter régulièrement des crises de santé. La maladie peut être un événement traumatisant. C’est le cas en été 1755, lorsque Frêne ressent un violent mal d’estomac

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Peut-être le célèbre opérateur Guillaume Pellier de Quengsy (1751-1835), alors établi à Montpellier. Hirschberg 1977, § 380. Sur Herrenschwand, voir ici même p. 248 (n. 165). Abraham Schiferli rapporte qu’il fut l’élève de Desault et était connu dans toute la Suisse, en France et en Italie comme un excellent oculiste. Cité dans Hirschberg 1977, § 772. Selon les statistiques sur l’extraction citées par Hirschberg, Pellier de Quengsy prétendait (1783) que 87% de ses malades auraient retrouvé la vue alors qu’une publication médicale (1797) affirmait que Jützeler aurait su aider 117 des 143 malades traités à retrouver la vue. Hirschberg 1977, § 607.

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et manque de « tomber en pamoison » (210). Il se trouve alors à Bienne et son ami, le Dr Scholl, lui explique qu’une simple « indigestion » serait la cause de son trouble. S’il en convient ici, ailleurs il se trouve en désaccord avec ses médecins sur la cause et la nature de la maladie. Frêne fait toujours preuve d’un esprit critique vis-à-vis des avis de spécialistes. Lorsque sa femme souffre à la fois d’un gros rhume et d’un point de côté, Frêne craint une « pleurésie »*93; il constate avec satisfaction que le chirurgien lui ouvre la veine du côté opposé à celui de la douleur et que « cette seignée lui fit du bien; son sang étoit epais ». Il commente à plusieurs reprises l’efficacité des remèdes, à commencer par ceux que lui prescrit l’apothicaire Witz94. Frêne n’est pas toujours satisfait des services médicaux qui lui sont rendus: il juge insuffisants les remèdes que lui envoie le vieil ami de son père, le Dr Scholl, lorsque sa femme se trouve mal. A cette occasion, il en emploie d’autres pris dans un ouvrage de Tissot95. Son autonomie est conséquente. Bien souvent, il se passe d’aide extérieure et parvient à établir lui-même les causes de ses malaises. Le 18 février 1761, de passage à la cure de St-Imier, il éprouve des nausées qu’il attribue à l’odeur de peinture et à la chaleur (331)96. Un autre malaise survient le 17 novembre 1762: il se sent « indisposé », puis « opressé » à la poitrine et à l’estomac. « Le soir, moyennant un leger vomissement, l’oppression cessa, mais il succeda une toux seches des plus violentes, accompagnée de manque d’apetit et d’une malaise par tout le corps. Elle m’empechoit aussi de dormir et de parler » (358). Là encore, il n’évoque pas l’appui d’un praticien, mais chose plus rare encore, il ne cherche pas lui-même la cause de son malaise. A cette période de sa vie, le pasteur semble plus intéressé par un remède efficace que par l’étiologie des phénomènes morbides. Fautil en déduire que son état de santé ne le préoccupe alors que peu? Rien ne permet d’étayer cette idée. Les modalités qui l’amènent

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Voir ici p. 347 et suiv. Voir plus haut p. 137. Jnl Frêne, p. 487. L’odeur des hommes pouvait être malsaine selon la médecine de son temps. Lorsqu’il arrive le soir dans une auberge près de Lucerne où il n’y avait pas de chambre, Charles-Emmanuel de Charrière fait sortir deux hommes qui dormaient dans une salle pour ensuite l’aérer avant de s’y coucher. Aérer consiste notamment à y faire un feu et à y brûler des parfums. Charrière O. C., t. 2, p. 485, Charles-Emmanuel de Charrière à Isabelle de Charrière, le 18 août 1785.

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à prendre une décision thérapeutique ne sont pas toujours explicitées. Après un malaise, le 25 décembre 1762, il prend les pilules de Pierre Voumard qui lui « firent évacuer beaucoup de bile et d’ordure. Enfin, graces à Dieu, la chose alla mieux.» Voumard est chirurgien et résidait à Courtelary, le village dont Frêne était alors le pasteur. Une consultation informelle est peut-être à l’origine des pilules prescrites. L’ordonnance ici par un chirurgien de pilules à usage interne, formellement de la compétence de médecins, illustre la souplesse de la répartition des tâches entre différentes catégories de praticiens. Plus généralement, c’est lorsque la médecine domestique s’avère insuffisante et la maladie dangereuse qu’une aide extérieure est convoquée. Le 27 février 1763, Frêne qui souffrait d’un léger mal de tête la veille, rapporte: « Je me trouvai un peu mieux du côté de la tête, mais d’ailleurs assés mal à mon aise. Je prêchai et après midi fut fort mal à la poitrine, à l’estomac et en fièvre. Le soir, mon épouse écrivit à M. le Major Gagnebin pour qu’il vint me voir le lundi matin » (373374). La lettre est portée par le chirurgien Voumard: le malaise dépasse de toute évidence ses compétences. Gagnebin étant absent, c’est sans secours professionnels que Frêne surmonte le malaise. Le lundi, après « une assés bonne nuit », il se sent mieux et le lendemain, il envoie Voumard récupérer la lettre. La décennie de la trentaine est propice à Frêne. Immergé dans ses activités professionnelles et familiales, il n’est que rarement malade et ne souffre que d’affections qu’il estime peu graves. Même les maux de dents, la cause la plus fréquente d’allusions à la douleur dans le journal, se font rares. Frêne le relève lui-même, en septembre 1766, à l’occasion d’une douleur dentaire, il se rappelle n’en avoir pas souffert depuis 1751(480). Sous le coup de la souffrance, il se résout à faire arracher la dent qui en est responsable. Il attend pourtant un mois, soit jusqu’au 17 octobre avant de charger le chirurgien Prêtre de cette besogne (486). Le 8 novembre suivant, il constate la chute d’une « esquille97 de la machoire, à l’androit de la dent arrachée le 17 octobre » qui l’avait incommodé et inquiété depuis cette date. « Delors, la douleur passa peu à peu.»98 Au cours des années de sa maturité, c’est en tant que père de famille que Frêne se préoccupe

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Esquille: « Petit fragment d’un os, où il s’est fait une fracture ». Académie 1740. Jnl Frêne, p. 620. Jnl Frêne, p. 490.

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des maladies épidémiques qui sévissaient dans la contrée99. En 1767, il a quarante ans. Sa femme lui trouve « quelques cheveux gris » (493). En mars 1768, il rapporte l’impression de sentir davantage que les années précédentes les bises de mars (527), un signe du temps qui passe? La vieillesse du pasteur Le passage du temps est insidieux. Les années s’additionnent pourtant et l’attitude du pasteur face à la santé et à la mort évolue perceptiblement100. En novembre 1771, Frêne mentionne une « fluxion*» aux yeux(612). La fluxion se lit par l’ophtalmie qu’elle cause101. Il se soigne lui-même avec une purge, une tisane et garde la maison. L’évolution de la fluxion est décrite en détail: dans un premier temps, il souffre de l’inflammation de ses paupières et du fait que celles-ci restent collées le matin, une rougeur survenant dans un second temps, dans le blanc de l’œil gauche. L’inconfort dure plusieurs semaines (612). Le diariste concède que ses yeux vont mieux et à la fin de l’année: « Après la purge et la ptisane*, je me servis d’eau où étoit fondu du vitriol blanc, dont je me frottois les paupiers. Enfin, graces au Seigneur, cette incommodité se passa tout à fait » (618). Aucune allusion ne permet d’expliciter le choix de cette stratégie thérapeutique: s’agit-il encore d’automédication?102 Les années apportent leur lot de petits maux et d’inconforts. Il se plaint d’une blessure à la main et d’une nouvelle douleur dentaire en 1774 (678). Cette dernière est assortie d’un commentaire: la dent aurait déjà provoqué des douleurs l’année précédente. « La nuit qui suivit la visite, et je m’étois apperçu qu’elle se carioit, Je dois éviter de m’échauffer en fenaisons et en moissons » écrit-il dans son journal (678). L’association entre les maux de dents et les travaux des moissons paraît étrange aujourd’hui. Dans son Avis au peuple, Tissot avance trois causes distinctes aux maux de dents. Parmi celles-ci figurent

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Voir plus bas p. 222 et p. 349 et suiv. Pour un autre exemple d’un changement de perspective avec l’âge, voir McLean Ward 1992, pp. 53-54. Panckoucke, articles Fluxion et Ophtalmie. Voir le cas de Marie Charlotte Lullin, ici même p. 56. Frêne évoque à cette occasion d’autres douleurs dentaires. Jnl Frêne, pp. 618619.

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l’échauffement et les excès; l’idée est répandue103. Frêne décide de faire arracher la dent, mais l’absence du chirurgien Chopard et l’apaisement de la douleur l’incitent à renvoyer l’opération à une date ultérieure. Une nouvelle douleur éprouvée deux mois plus tard, le 3 mai, est passagère. Le 10 juin, toujours en 1774, il fait part de maux de dents et d’une fièvre qui l’empêchent de dormir. Le lendemain, la douleur s’estompe. « Mais une enflure s’en suivit, au point que la joue (qui étoit la gauche) se bouffit prodigieusement » (723). La situation se détériore. « L’ancien Feusier me fit dire que c’étoit un abcès et que pour le meurir il me falloit faire des gargarismes de lait chaud cuit avec de la sauge et une figue ou deux. En attendant que j’eusse de figues, on me cuisit de la creme, dont je me gargarisai avec soulagement la nuit du 11 au 12 » (724). Une connaissance lui procure ainsi un remède qu’il accepte sans discuter. Il se fait remplacer pour ses fonctions pastorales et, le 13 juin, le mal « se manifesta très distinctement dans la dent cariée »; il envoie immédiatement chercher M. Prêtre pour l’arracher, ce qui est fait de suite, et sera suivi d’une évacuation de pus. « L’espèce de petite douleur que j’avois continuellement me quitta tout de suite, l’enflure et la douleur commencerent à tomber [...]. Je restai à la maison pour favoriser mon entiere guérison, qui ne tarda pas, Dieu soit loué (724). C’est de nouveau un échauffement, cette fois résultant d’une nuit passée à combattre un incendie, que Frêne invoque pour expliquer, en décembre 1774, une enflure située au sphincter de son anus104. La même cause peut de toute évidence provoquer différents effets. Frêne se rappelle avoir souffert de cet endroit occasionnellement depuis 1754, soit vingt ans ! Toutes les souffrances ne sont pas bonnes à transcrire dans le journal et quand un malaise survient, Frêne cherche ses origines: c’est un indice de l’importance que revêt l’étiologie des maladies pour lui. Une cause possible de l’enflure serait la gale dont il avait

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Tissot 1993, chapitre VIII. Le dentiste lyonnais Pierre Auzébi, auteur d’un Traité d’odontalgie (1771) rend également des variations caloriques responsables de caries, notamment des repas chauds accompagnés de boissons fraîches. Voir Rousset 1962, p.19. Pour un exemple laïc, voir Charrière O. C., t. 4, pp. 261-262, Anna Elisabeth comtesse van Reede et Athlone-van Tuyll van Serooskerken à Isabelle de Charrière, La Haye, le 7 novembre 1793. Un des muscles « en forme d’aneau [...] qui servent à fermer et à reserrer les passages ou conduites naturelles ». Panckoucke, article Sphincter. Jnl Frêne, pp. 772-773.

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souffert en 1754. Dans son journal, il retrace l’évolution du mal au cours de l’intervalle de vingt ans: d’abord des démangeaisons à l’anus, ensuite une crampe douloureuse au même endroit, et finalement cette enflure au sphincter. « Peut être y a t’il quelque chose d’hemorhoidal, quoique jamais rien ne me soit coulé ». Une note plus tardive, datée de 1798, apprend le lecteur qu’il avait « eu d’ailleurs lieu de comprendre », depuis, que « la douleur, de tems à autre à l’anus, ne provenoit que de vents ». Toujours est-il qu’en 1774, le mal persistant, il songe à se faire opérer, mais la douleur passe et l’enflure se résorbe. Le meilleur remède serait un régime sobre et l’abstinence de vin105. De telles stratégies thérapeutiques sont de plus en plus communément avancées à mesure qu’il vieillit106. Lorsque sa santé est à nouveau perturbée quelques semaines plus tard, Frêne ne cherche plus les causes dans les excès physiques, mais dans l’effet de l’environnement sur sa santé. Il serait resté trop longtemps à l’intérieur de la maison. J’avois été resserré depuis plusieurs jours. Cela causa chés moi un tel dérangement que ledit 28 décembre, au sortir du diné, je me sentis une defaillance d’estomac, accompagnée d’un vertige qui me fit presqu’évanouïr et qui se termina par un violent vomissement. Cela me soulagea; mais un moment après, l’accès revint et se termina encore de même. Il revint pour le troisieme, mais non si violemment, et je vomis encore.

Survient alors le chirurgien Chopard, appelé par la femme de Frêne, mais déjà, l’« assaut » était passé. Il me trouva mieux; nous primes le thé ensemble. Il me dit qu’il ne falloit, pour me remettre, que de ne pas trop manger, d’autant plus que je commencoit depuis le matin a r’avoir le ventre libre. Je fus un jour ou deux un peu foible et derangé, mais j’allai beaucoup en selle. Rien ne me parut si bien me remettre que la salade de cresson; elle fortifioit mon estomac, me donnoit de l’appétit et facilitoit la digestion (774-775).

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Jnl Frêne, pp. 772-773. « Les alimens doivent être, à cette époque de la vie, simples et peu abondans […]. Les grands repas, les boissons trop abondantes, sont mortels aux vieillards […] le bon vin leur est salutaire pris modérément ». Panckoucke, article Vieillesse, pp. 37-38.

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Des accidents peu importants pour un homme plus jeune prennent une signification autre pour l’homme vieillissant. Le premier octobre 1775, en cherchant à protéger son chien, il tombe, se faisant mal à la jambe et à la main; de retour à la maison, il frotte sa jambe avec plusieurs eaux de vie et reste au lit plus longtemps le matin, « moyennant laquelle cure et, plus encore, la protection divine, cet accident n’eut d’autre suites qu’un boitement d’une huitaine de jours et une douleur de quelques semaines au poignet et au molet » (864). Un second accident survient au printemps de l’année suivante (1776): cette fois c’est au nez que Frêne se blesse en marchant dans l’obscurité107. L’attention avec laquelle il observe et analyse les fonctions de son corps croît. En avril 1776, le pasteur confie à son journal que depuis le mois de novembre de l’année précédente, il constatait en regardant « devant l’œil droit plus ou moins fortement comme un petit brouillard, comme une grosse mouche qui va et vient »108. C’est à cette occasion, près de trente an après les faits, qu’il se rappelle son ambition de jeune homme d’exceller au violon: en rentrant de son voyage à Lausanne, âgé de vingt ans, il pensait apprendre à bien jouer de cet instrument. Pourtant, en 1765, en écoutant jouer des musiciens, il aurait compris qu’il était trop tard pour qu’il devienne « habile dans cet instrument, qui d’ailleurs demande qu’on ait la vue bonne pour lire la musique de loin.»109 Le lecteur du journal avait pu inférer la vue faible de Frêne à la suite de la mention, en octobre 1773, de l’achat d’« une paire de lunettes pour vue courte » (665). La myopie l’accompagnera au cours de sa vie et, mise à part son ambition de violoniste frustrée, ne semble pas l’avoir perturbé dans son quotidien. Ce n’est qu’épisodiquement, notamment lorsqu’il voyage et cherche à distinguer des objets hors de la portée de sa vue, qu’il fait part d’une gêne110. A la veille de ses cinquante ans, Frêne donne l’impression d’être leste et se déplace souvent à pied. En 1776, il fait part d’un état mystérieux, un dérangement d’esprit passager. L’épisode est rapporté de façon assez concise pour être reproduit ici en entier: 107

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En 1784, il s’étonne de saigner au matin, l’intervalle depuis la dernière occurrence serait de huit ans. Jnl Frêne, pp. 883 & 1739. Jnl Frêne, p. 884. Jnl Frêne, p.1492, le 22 novembre 1782. Lors d’un voyage à Delémont, par exemple, il ne parvient pas à lire les noms des artistes et des graveurs figurant sur des estampes. Jnl Frêne, pp. 1294-1295.

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Le 29 décembre dimanche matin, j’avois la tete pleine. En prêchant, sur la fin du sermon, j’avois comme des reveries, ce qui me dura jusqu’au diné. Cependant personne ne s’en apperçut, à ce que je crois, et je fis le catechîme à Chaindon (919).

Il ne commente pas les « reveries », c’est étonnant: les aurait-t-il associées à un affaiblissement dû à l’âge? Le fait que personne ne s’aperçoive de ses maux s’impose comme un impératif pour Frêne à mesure que les années passent. Il prête attention aux petits accidents et se ménage. En février 1777, il trébuche, s’écorche « le coude gauche » et se fit « fort mal du coté droit au defaut des côtes, ce qui me dura quelque jours; cependant, le tout guérit sans autre remede que du repos et un peu de diette, Dieu soit loué » (921). D’autres douleurs l’inquiètent momentanément: une douleur au talon, une coupure, un « affaiblissement » de la mâchoire, un mal de gorge, une tache brune sur le bras111. Plus parlants sont deux ulcères qui le tracassent au début de l’année 1779, un situé au-dessous d’un genou et l’autre placé sur une fesse (1310). Ils ne suscitent pas de commentaires immédiats. Un malaise survient le 22 juin suivant. Après avoir consommé une soupe au lait, Frêne ressent des « serrements douloureux dans l’estomac » et est frappé de vomissements spasmodiques. Il se réfugie à la cure de Corgémont où le pasteur Morel lui donne de la thériaque de Venise et du thé: « Ce qui me remit parfaitement dans un quart d’heure, à de la foiblesse près » (1311). Frêne infère plus qu’il n’affirme le lien de causalité entre ce malaise et la soupe au lait. Une semaine après la crise, il prend une purge recommandée par le chirurgien Chopard: « Tant à raison de mon incommodité du 22 juin qu’à cause de mes ulceres » (1312). Le même remède peut être efficace contre différents maux. La prise d’une purge sept jours après son malaise évoque la théorie traditionnelle des jours critiques*. La durée des malaises génère un facteur d’enracinement et l’attention au rythme de la maladie confère au malade ou au praticien l’espoir d’inverser la tendance. A l’occasion d’une crise similaire deux ans plus tard, Frêne compare les deux malaises et conclut: « Alors, j’avois mangé beaucoup de pain fort chés Schaafroth; et ici j’en avois mangé à la vacherie du milieu, d’où je crois pouvoir conclure que ce pain est contraire à mon estomac, peut être à cause des poisettes » (1463). 111

Jnl Frêne, pp. 920, 1117, 1118, 1308 et 1368.

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En 1782, âgé de 55 ans et confronté à des difficultés financières, Frêne regrette non sans amertume de ne pouvoir envisager une retraite paisible: « Maintenant que mon age s’avance, je m’en vois frustré pour cette vie; ce n’est qu’au cimetiere que je puis esperer le repos » (1566). Il est aigri et s’interroge sur les mystères de la Providence112. Physiquement, il se plaint moins. Au début de l’année 1786, à la veille de ses soixante ans, s’il se déplace avec une canne, le nombre et la fréquence des déplacements qu’il effectue font penser à une canne de marcheur et non à un véritable soutien (1871). Pendant plusieurs années, à l’exception d’une vague « incommodité » ressentie à la suite d’un souper (1987), la santé de Frêne ne le préoccupe pas assez pour qu’il en fasse mention dans son journal. On est loin des jérémiades de diaristes anglais contemporains érigés en modèles par Dorothy et Roy Porter113. Ce n’est qu’au mois de mars 1788, à l’âge de 61 ans, qu’il fait état d’un nouveau malaise dans son journal. « Me sentant enrhumé, je passai une assés mauvaise nuit, et le matin j’étoit fort foible et accablé; toutefois, je ne fis semblant de rien et je me remis, Dieu soit loué, durant la matinée » (2182). La stratégie adoptée par Frêne de dissimuler ses malaises n’est pas nouvelle. Elle peut être motivée par plusieurs considérations, la plus probable est le souci de ne pas ébruiter l’affaire, histoire de ne pas inquiéter son entourage. En avril 1789, et sans en donner la raison, Frêne prend des « pillules de pulsatille soit coquelourde » fournies par le chirurgien Jützeler de Berne afin de « fortifier » sa vue (2304). Le diariste auraitil de la peine à lire? Son journal ne le suggère pas et la régularité des entrées laisse entendre que le problème n’est pas grave. De nouveau au mois d’avril, mais cette fois en 1798, Frêne constate avoir une « hernie à l’aine droit ». Son commentaire est révélateur: Elle n’étoit que petite et j’ai pu, Dieu soit loué, la conserver telle. Je ne puis m’imaginer d’autre cause que la violente toux que j’eux dans les commencements de l’an 1795, resultante d’une visite sur les lieux à la Vauche avec les Meuschler et l’ancien Pretre par un tems humide et sur un terrain extremement mouillé » (2928).

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Sur la fin de sa vie, Frêne remercie moins systématiquement Dieu à l’occasion d’un rétablissement. Jnl Frêne, 952, 1342, 1727 et 1780. Porter et Porter 1988, p. 103.

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Frêne demeure actif et mobile. Son attitude révèle pourtant un changement. Le 24 mai 1789, il rapporte dans son journal avoir fait une grasse matinée après un déplacement éreintant: « Non obstant quoi, nous ne fumes incommodés en rien » (2320). Frêne commence visiblement à s’inquiéter des conséquences d’excès physiques sur sa santé. L’année suivante, un nouveau déplacement à la belle saison, le 4 août, le contraint à rentrer tard: « J’etois fort alteré et bu beaucoup d’eau et de vin à souper » (2496). Deux principes de santé auxquels Frêne cherche à adhérer, un régime austère et un exercice modéré, sont bafoués ici. Il a tout lieu de considérer les excès rapportés néfastes pour sa santé. Or, il n’en est rien et il s’en étonne. Quelques pages plus loin, le diariste fait part de sa fatigue lors d’un voyage au château de Fuerstenstein dont « la montée étoit trop roide et escarpée pour moi, vû mon âge et surtout que j’étois déjà bien fatigué » (2505). Frêne se ménage, le message est clair. Il ressent les limites de son corps et redoute les activités et les accidents susceptibles de causer du tort à sa santé. Une aventure survenue un soir d’août en revenant à Tavannes est de ceux-là. Il se perd et, après une série de chutes sur une pente escarpée, dont une lui vaut « un coup à la tête si rude contre une pierre que je vis le feu devant les yeux », il décide de bivouaquer. Le lendemain, il retrouve son chemin et, en arrivant à la maison, décide avec sa femme de ne pas ébruiter l’affaire: c’est une nouvelle trace de son souhait de ne pas inquiéter ses proches. Il est étonné d’en être quitte à si bon compte: « Ce qu’il y a encore de bien surprenant, c’est que je ne me suis aucunement ressenti de cette avanture; à quelques contusions près qui ont passé dans peu de jours » (2835-2837). Dans les dernières années du siècle, Frêne mentionne une série d’accidents: une chute d’un cabriolet (2815), une piqûre d’abeille (2812-2813), un nouvel accident de circulation qui lui fait perdre momentanément ses esprits (2877-2878) et une chute dans l’escalier qui l’incite à garder la maison plusieurs jours (2944). En soi, ces événements ne sont pas graves, mais leur présence signale l’attention prêtée par le diariste à sa santé. Le moindre signe corporel inhabituel est consigné dans le journal114. De petites crises de santé se succèdent: le premier septembre 1798, il s’arrache une dent lui-même sans difficulté, une dent qui « branlait » et qui ne lui causait de la douleur que 114

Notamment des saignements de nez en janvier 1790 et en mars 1803. Jnl Frêne, pp. 2425 et 3076.

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lorsqu’il mangeait (2916); le 12 mars 1803, c’est une molaire, la dernière « de la machoire droite d’embas » qui tombe toute seule. A plusieurs reprises, sa santé lui cause de l’inquiétude. Le 20 avril 1801, il se rend à la Neuveville et consulte Watt pour une toux. Les remèdes sont préparés par l’apothicaire Schaltenbrandt. Frêne constate quelques lignes plus bas que « les remèdes que j’avois apportés de Bienne firent leur effet et je fus bientôt quitte de ma toux, graces à Dieu. Elle m’avoit beaucoup tourmenté, surtout à la Neuveville » (3007). Un autre malaise, une année plus tard, serait causé par des « knöpfli », des beignets gras et pâteux qu’il aurait consommés. C’est une « indigestion » et, le lendemain, jour de Pâques, il est constipé. « Je fis cependant toutes mes fonctions et Madame Desvoignes parisienne, veuve demeurant à Sacourt, me conseilla de prendre un lavement d’eau tiede, ou l’on auroit mis un peu de beurre fraix. C’est ce que je fis dès le soir et je rendis beaucoup de matière dures » (3035-3036). Frêne n’hésite pas, une fois encore, à suivre les conseils d’un non-médecin. Pourtant, le lundi de Pâques, les choses ne vont pas mieux et Frêne se résout à faire appel au Dr Schafter de Bienne, « je n’etois pas en état d’écrire, ma femme écrivit » par exprès115 et le messager « me rapporta des remèdes purgatifs ». Schafter se déplace à cette occasion. Il « dina chez nous, mais je ne pus pas lui tenir compagnie. Sans être alité, c.-a.d. au lit, je n’étois pas en état d’être à table ». Frêne poursuit: Les symptômes de ma maladie étoient une perte totale d’apétit et de forces: le vin me déplaisoit, mais non la bierre; ce que j’appetois le plus étoit l’eau fraiche de la fontaine. Il falloit qu’on m’habillât pour sortir du lit et me deshabillât pour m’y remettre, en m’y trainant et plaçant comme un enfant. Sans ressentir proprement de douleurs, j’étois dans un accablement total; j’étois pour ainsi dire toûjours assoupi, avec un peu de reveries. Puis vint une toux seche de poitrine qui m’incommodoit beaucoup, des boucheres autour de la bouche. L’épiderme par tout le corps se pêloit; les mains, les jambes et les cuisses au haut du genouil s’enfloit » (3035-3037).

A la fin avril, sa petite-fille s’arrête quelque temps à Tavannes pour le soigner. « Après avoir pris à suffisance les potions et poudre purgatives, et plusieurs lavemens ordonnés par M. Schafter et qui me firent évacuer beaucoup de bile, il me fournit une élixir fortifiante où

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Un exprès est un « messager chargé d’une mission déterminée » selon le Dictionnaire de la langue française d’Emile Littré (1872-1877).

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il entroit beaucoup de canelle; mais il ne fallut prendre ce dernier remede que lorsque les purgatifs et lavemens m’eurent bien nettoyé; moyennant quoi, cette élixir, dont je commençai à user et à ressentir les effets dès le commencement de mai, me ramena doucement les forces et l’appetit ». De toute évidence Frêne est satisfait du traitement et des remèdes qu’il reçoit. Au mois de mai, il se ménage et ses collègues le remplacent. Il ne reprendra ses fonctions pastorales que le 13 juin « afin de consolider, ce qui, Dieu soit loué, me réussit au point que les forces et l’appétit me revinrent ». La convalescence trouve également une place dans le journal; Frêne rapporte la disparition progressive des symptômes et signale que si l’enflure aux jambes perdure, il la soigne avec « quelques fumigations de grains de genevre, dont je m’impregnai un linge avec lequel je me frottai du bas en haut les jambes et les cuisses ». Son entourage le rassure: « Tout le monde me disoit que ce n’étoit rien que cette enflure, qu’elle avoit lieu à la suite de toute semblable maladie ». Quant à sa toux, Frêne rapporte l’avoir vaincue grâce à une tisane « composée de morceaux de reglisse et de Lychen Islandicum, etc., de l’ordonnance de M. Schafter ». Le plus étonnant pour Frêne est le changement déjà mentionné, de ne pouvoir boire du vin, et de n’apprécier plus que la bière et l’eau... Finalement, il conclut sur cet épisode: « M. Schafter et M. Felice pasteur de St-Imier, prattiquant aussi la médecine et qui m’étoit venu voir quelques fois, ont appellé cette maladie une fievre catharale. Elle a été epidémique dans cette paroisse au commencement de l’année et ce printemps plus de trente personnes, de tout age et de tout sexe, en ont été attaqués, mais aucune n’est morte » (30383040). Il est difficile de comprendre comment une fièvre catarrhale pourrait résulter d’une indigestion, mais la fièvre catarrhale pouvait être épidémique, « quand un grand nombre d’individus sont en même temps attaqués de catarrhe ». De nouveaux malaises annoncent une détérioration de la santé de Frêne, sans pour autant que celui-ci n’y prête une attention soutenue. A la fin du mois de mars 1803, Frêne, âgé alors de 75 ans, écrit: « J’ai oublié de mettre en son lieu que le 27 février dimanche, préchant à Chaindon, j’eu en lisant la priere, après le sermon, une oppression si forte sur la poitrine que je fus prêt à perdre connoissance et à tomber dans la chaire. Heureusement, cela ne dura qu’un moment; je continuai et personne ne s’apperçut de rien » (3076). Encore une fois, c’est le souhait de ne pas inquiéter qui l’emporte. Ce désir explique peut-être la part relativement faible des considéra-

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tions de santé dans le journal au cours des dernières années de sa vie. Son attitude n’est pas sans rappeler celle de son propre père. Pendant la dernière année de sa vie, Frêne ne mentionne pas de crises majeures; seul un « spasme très violent et douloureux à l’estomac » qui le perturbe pendant une minute, le 21 décembre 1803 après souper, lui donne l’occasion d’une nouvelle réflexion médicale. Il n’avait mangé qu’une soupe avec un verre de vin, l’ordinaire. Peu enclin à rendre son régime responsable du malaise, il attribue celui-ci à « quelque viande restée dans l’estomac et qui en fut poussée dans les intestins par le vin nouveau que je beuvois depuis quelques jours, ou par la compote de raves de l’année passée dont nous mangions le reste depuis quelques jours » (3103-3104). C’est l’occasion de constater une fois de plus que Frêne cherche l’origine du malaise dans une rupture avec ses habitudes... La dernière allusion à sa santé est datée du 15 mai 1804. Frêne écrit être « incommodé […] d’une constipation ». Il prend un lavement peu avant l’arrivée de visiteurs, une conjonction qui pouvait être gênante. « Le remede ne produisit pas d’abord son effet; et ce ne fut que l’après-midi qu’il opera et poussa une forte selle.» Il n’offre plus d’informations sur sa santé avant sa mort un mois plus tard, le 14 juin 1804. Les données sur la santé de Frêne, réunies au fil de la lecture du journal, sont impressionnantes par leur qualité et leur constance. Elles confèrent une idée des actions, des théories et des stratégies thérapeutiques du pasteur et permettent ainsi au lecteur de se faire une idée de la manière dont il appréhendait la santé et la maladie. Le journal de Frêne offre un regard sur l’histoire d’un individu pragmatique vis-à-vis des accidents biologiques qui le frappent. Son attitude est plus fataliste que celle de Bellamy, mais Frêne est aussi mieux renseigné et capable de trouver lui-même des explications à ses dérangements de santé. Si ses interprétations sont moins détaillées que celles de Bellamy, la portée temporelle du journal permet d’embrasser une grande tranche de sa vie et de reconstituer une série de relectures du passé de son corps en fonction de détériorations ultérieures. Ne souffrant pas d’une maladie chronique, Frêne restitue dans son journal un aperçu de ce que pouvait être la gestion au quotidien et sur le long terme de douleurs et de maladies courantes au XVIIIe siècle. A ce titre, la place que prennent les odontalgies, les douleurs les plus fréquemment évoquées, est frappante. Cette même durée permet de mettre en exergue l’évolution des stratégies thérapeutiques du diariste en fonction de son âge: à partir de ses 50 ans,

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Frêne cherche avant tout à dissimuler des malaises qui ne le surprennent plus vraiment. Au contraire, à ce stade, l’étonnement transparaît lorsqu’il ne tombe pas malade à la suite d’un comportement ou d’un événement perçu comme délétère. Pris dans son ensemble, l’expérience de santé de Frêne est banale. Seule la « petite vérole » paraît avoir eu une incidence marquante sur son parcours de vie. La manière dont le lecteur prend connaissance du lien de causalité établi entre sa vue réduite et sa petite vérole, près d’un demi-siècle après l’événement, incite à observer une grande prudence dans l’utilisation d’un journal comme reflet du quotidien et des préoccupations du moment. Tout fait ou événement n’y trouve pas une place immédiate. Ailleurs, des liens de causalité sont tissés avec une certaine assurance: il sait de qui il attrape la gale; il attribue une dent cariée aux excès de chaleur résultant d’un travail aux champs. A chaque nouveau problème de santé, Frêne s’efforce de trouver une cause. Les maux qu’il peut soigner de son propre chef sont traités brièvement. Il en va différemment des « crises » aiguës, des malaises qui lui font peur et qui l’obligent à recourir à des soignants. Ce sont les épisodes de cette dernière catégorie qui reçoivent le plus d’attention et qui l’amènent à formuler des hypothèses. Frêne mobilise alors ses facultés de déduction, d’analyse et de raisonnement. C’est là une caractéristique répandue parmi ses contemporains. Il ne se culpabilise pas d’avoir mal usé de son corps et ne rend pas ses maux responsables de ses malheurs. Somme toute, Frêne éprouve avant l’heure et avec un certain succès un idéal de rousseauiste: sans succomber aux vices urbains, il mène une vie paisible à la campagne.

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« Je souffre dans mon corps, parce qu’il est sensible à la douleur comme au plaisir phisique. Je souffre dans mon ame parce qu’elle [est] sensible aussi à la haine comme à l’amour. Cette sensiblité, falloit il nous en priver, parce qu’elle peut nous nuire? Otés le mal, que devient le bon?» Pierre-Alexandre Du Peyrou, octobre 17931.

III. « JE SOUFFRE DANS MOI »: MAUX ET SENS La particularité historique des récits de vie retracés plus haut se trouve dans la cohérence qu’offre chaque auteur dans sa propre appréhension de son parcours de santé et de ses stratégies en matière de santé. Cette cohérence peut être imputée à la fois à la richesse des sources et au fait que les textes sont rédigés à la première personne du singulier. Les expériences sont très différentes, les stratégies de santé également, mais en dépit de la nature éminemment subjective des parcours, leur mise en parallèle avec d’autres documents permet d’avancer quelques réflexions sur l’attitude des laïcs vis-à-vis de leur santé au XVIIIe siècle. Il est vrai que les difficultés sont multiples et de nombreuses précautions méthodologiques s’imposent. L’expression tant du bien-être que de la douleur demeurent des phénomènes culturels complexes, donnant lieu à des descriptions métaphoriques parfois obscures et par conséquent à des difficultés d’interprétation: « Je bouli dans moi tantot des jambe qui me tremble des voltige des batement d’estomact. Ne voudroit jamais sortir pour éviter le mauvais sans que je me fait si j’entent rire je souffre dans moi » écrit, par exemple, le genevois Jean-Louis Soubeyran dans une lettre

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Charrière O. C., t. 4, p. 229, Pierre-Alexandre Du Peyrou à Isabelle de Charrière, s.l., le 16 octobre 1793.

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adressée à Tissot2. L’extrait signale la distance culturelle qui nous sépare de cet auteur tout en rappelant, ne serait-ce que par sa forme, que les parcours retracés plus haut sont ceux d’individus issus des couches sociales les plus aisées et les plus cultivées de l’époque. Les récits dérivés de l’expérience des quatre acteurs dont les rapports à la santé et à la médecine ont été retracés plus haut, illustrent les limites de la narration à un autre niveau. Les auteurs ne s’expriment pas toujours clairement, rarement systématiquement et parfois, pas du tout, lorsque leur santé est menacée. A la recherche d’informations convergentes et d’une cohérence, force est de constater l’omniprésence du silence. Toutes les années de la vie de Jeanne-Marie Bellamy, outre les années 1772-1773, sont inaccessibles; Frêne, s’il tient souvent la plume, ne fait que rarement état de ses propres émotions et dilemmes. Même la plume bavarde d’Isabelle de Charrière se tarit face à la maladie. La douleur et le malaise, quand ils sont chroniques, ne sont pas forcément relevés. Ils font partie du quotidien. En dépit de ces lacunes, les cas retracés constituent les meilleurs exemples rencontrés de soi malade. Encore une fois, soi n’est pas ici n’importe qui. La grande cohérence du groupe de personnes mentionnées est frappante. Outre des relations de parenté évidentes, telles celles qui lient Horace-Bénédict de Saussure avec son oncle Charles Bonnet, ou encore entre Catherine Charrière de Sévery et sa cousine par alliance, Isabelle de Charrière, les autres destins évoqués se croisent et s’entrecoupent également. Les acteurs évoluent dans le même milieu. La petite-fille et à l’occasion, la garde-malade du pasteur Frêne est la pupille, la correspondante et l’amie d’Isabelle de Charrière; le fils de Jeanne-Marie Bellamy, Pierre Prévost, est un ami correspondant d’Isabelle de Charrière. Et les liens ne s’arrêtent pas là. Prévost est également un ami de Louis Odier qui fut lui-même un des étudiants et un des médecins de Saussure. Odier avait étudié avec Daniel De la Roche, un ami proche, le même De la Roche qu’Isabelle de Charrière rencontre à Paris. Certains se connaissent de réputation, les œuvres de Charles Bonnet et de Jean-Jacques Rousseau sont connus de tous. Ces liens signalent à la fois la cohérence du sondage et les limites sociales de cette étude. Les auteurs issus de classes plus modestes (manœuvres, artisans modestes, 2

FT, II/146.01.03.08, J. L. Soubeyran, Genève, le 30 juillet 1767.

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paysans) sont peu nombreux et, si les quelques lettres à l’orthographe phonétique et à la syntaxe défaillante pris dans la correspondance adressée à Tissot émanent de tels groupes sociaux, à l’instar de celle de Soubeyran citée plus haut, elles sont courtes et peu informatives. Il faut recourir à d’autres documents, des procès-verbaux de séances de tribunaux ou des comptes-rendus d’interrogatoires judiciaires pour se faire une idée de certaines stratégies mises en œuvre par des acteurs plus modestes… C’est là une autre question sur laquelle il s’agira de revenir plus loin. Chaque récit représente une porte d’entrée dans la logique de son auteur. Ensemble, ces histoires offrent un aperçu non pas, finalement, de la gestion de la douleur ou des maladies particulières, mais de la cohérence des parcours et surtout, ce sera le point principal abordé ici, du sens que pouvaient prendre la perception et la gestion de sa propre maladie dans une destinée individuelle. Ce sens se construit en fonction de réalités sociales et culturelles qui forment le canevas dans lequel les parcours individuels prennent place. Parmi ces réalités émergent des constantes. Socialement, la perspective du patient se trouve solidement imbriquée dans celles de ses proches et de ses voisins. C’est là un indice de la complexité de l’enracinement de soi dans le tissu social. La responsabilité et l’autonomie de l’individu face à sa santé forment une deuxième constante frappante. Que l’on soit plus ou moins souvent malade qu’aujourd’hui n’influe pas sur la nature de cette prise en charge de soi-même. La conscience de sa responsabilité sur sa santé conditionne l’existence et confirme l’importance identitaire du corps. Le canevas comporte un pendant culturel découlant du paradigme médical dominant, soit la particularité de chaque constitution. Le malade lui-même serait le meilleur juge de l’état de sa propre santé3. Horace-Bénédict de Saussure persévère dans ses courses alpines en dépit des conseils de son entourage de renoncer à de tels excès physiques; Jean-Jacques Rousseau s’efforce de convaincre que ses maux n’avaient pas une origine vénérienne4, alors qu’Isabelle de Charrière ne cesse d’affirmer les effets bénéfiques sur sa santé de ses entreprises intellectuelles. Ainsi, chacun peut prendre de la distance et en quelque sorte résister aux

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Cette vérité laïque est combattue par certains auteurs. Porter 1987, p. 22. Contrairement à la rumeur stimulée par une brochure attribuée à Voltaire. [Voltaire] 1764.

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multiples pressions issues de la culture médicale environnante. C’est là peut-être que la souplesse du système interprétatif dominant, le modèle humoral, est la plus évidente: en raison de la singularité des constitutions, les principes généraux s’appliquent, ou ne s’appliquent pas, suivant le cas5. Les négociations constantes entre praticiens, proches et malades autour des remèdes, de leur nature, de leur quantité et de leur fréquence sont une conséquence de ce trait. La différence entre la nature des parcours d’hommes et de ceux de femmes répond logiquement aux rôles distincts que joue chaque genre. La comparaison du journal de Frêne avec celui de Bellamy, par exemple, incite à aller plus loin pour suggérer une moindre introspection chez les hommes et une moindre attention portée par ceux-ci à leur propre santé6. D’autres hommes que Frêne se montrent concis dans l’évocation de leur santé. A titre d’exemple, dans une longue lettre détaillée, Charles-Emmanuel de Charrière se contente d’une ligne sur sa santé, alarmante en elle-même, il est vrai: « Ma dartre au front et sur le sourcil droit augmente journellement »7. Est-ce là l’expression d’une virilité sensée transcender les maux de tous les jours? Se plaindre de sa santé serait en tout cas un trait féminin pour certains. Isabelle de Charrière, par exemple, écrit à un correspondant: « Je n’aime pas à vous entendre dire que ceci ou cela vous fait du bien. Quel bien puisque vous etes toujours vacillant et foible ! Quelqu’un qui a toujours besoin de remedes se porte par consequent toujours mal […]. On croit que des aveux excusent et point du tout il produisent le degout; ils donnent à un homme l’aspect d’une femmelette »8. Cela dit, les corps eux-mêmes se distinguent moins clairement qu’aujourd’hui par leur genre: plusieurs hommes comme Louis Odier souffrent de vapeurs, des symptômes « féminins », et considèrent leur corps comme étant « féminisé », d’autres ont des écoulements périodiques (hémorroïdes) assimilés à des règles…. La figure de Rousseau est à ce titre évocateur. Il est 5

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Cette idée est reprise par des autorités médicales, notamment par Samuel Auguste Tissot dans son ouvrage sur la Santé des gens de lettres. Tissot 1991a. Isabelle Robin-Romero fait un constat similaire dans son analyse d’écrits français. Robin-Romero 2005, p. 183. Charrière O. C., t. 2, p. 432, Charles-Emmanuel de Charrière à Isabelle de Charrière, s.l., le 12 août 1784. Charrière O. C., t. 5, p. 207, Isabelle de Charrière à Camille de Malarmey de Roussillon, s.l., le 14 février 1796. Smollet se plaint des Françaises et des Italiennes qui ne cesseraient de parler de leur santé. Smollet 1979, p. 33.

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piquant de le voir se plaindre de vapeurs – un attribut féminin – tout en critiquant lui-même la féminisation de l’homme. Cherche-t-il à se présenter comme une figure emblématique de la décadence de la société? Saussure peut servir de contre-exemple; il défend discrètement l’image d’un homme viril, peu touché par les vices sociaux, et garde soigneusement ses problèmes de santé pour lui. La distinction sociale est plus rigide que la culture médicale dans sa propension à distinguer les genres !9 C’est aussi du côté des conventions sociales qu’il est tentant de trouver une explication à la différence perceptible entre l’écriture féminine et celle des hommes. Une habitude plus courante des femmes à s’évoquer soi pourrait être liée à la restriction de leur environnement social, à leur exclusion des sphères publiques et professionnelles10. D’un point de vue médical, leur mobilité*, leur imagination et leur émotivité excessives seraient des traits communs. Dans un univers souple, ce ne sont pas des caractéristiques rigoureusement féminines. Des hommes comme Benjamin Constant et Jean-Jacques Rousseau se reconnaissent des caractéristiques similaires. La proximité entre l’état d’homme de lettres et l’état de femme est ici frappante et certainement imputable au même mode de vie des deux groupes. Mais que l’individu soit femme ou homme de lettres, l’émotivité et l’imagination portent un potentiel pathologique. Les femmes souffrent ainsi souvent d’un mal compris et vécu comme étant autogénéré; le principe en est culpabilisant. Belle de Zuylen et JeanneMarie Bellamy se battent désespérément contre elles-mêmes. C’est entre leurs émotions, leurs inquiétudes, leurs états d’âmes et leur corp qu’elles doivent chercher un équilibre, et de toute évidence elles se retrouvent seules dans ce combat. L’angoisse, notamment quand elle porte sur leur santé, est exacerbée par la culture médicale dans laquelle elles évoluent. Bellamy est consciente que son âge est associé à des risques de santé. La situation de la jeune Belle de Zuylen est complexe. Elle sait que l’état marital était considéré comme le mode de vie le plus propice pour la santé des femmes, bien qu’elle-même 9

10

De nombreux auteurs analysent les modèles corporels dans la médecine de l’époque moderne à la suite de l’ouvrage de Laqueur 1990. Plus pertinent ici est le travail de Gianna Pomata qui montre que le corps féminin pouvait servir de modèle pour le corps masculin. Pomata 2001. La propension des femmes à parler de soi est signalée par plusieurs auteurs. Voir par exemple Grassi 1996, pp. 102-103.

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affirme n’espérer que des bienfaits indirects: en changeant de lieu, de climat et d’ambiance. Par comparaison, les textes de Frêne et de Bonnet sont plus posés. Le journal de Frêne n’atteste que de peu d’inquiétude quant à sa santé à venir. Le mal est souvent appréhendé comme un agent envahisseur contre lequel le malade déploie, renseignements pris, une stratégie arrêtée. L’inquiétude et l’angoisse le gagnent lorsque son corps échappe à son raisonnement: les défaillances inattendues, une excroissance énigmatique et une perte de mémoire provisoire sont là pour en attester. La petite vérole et la vieillesse sont les variables qui agissent le plus clairement sur son mode de vie. L’approche de Bonnet est plus analytique. Il s’agit pour lui de comprendre les processus morbides. Si plusieurs épisodes le voient sombrer dans le désespoir, il assume finalement ouvertement son rôle dans la détérioration de sa propre santé. Ces deux hommes se contentent de respecter les règles d’hygiène et ne connaissent apparemment pas les combats intérieurs comparables à ceux qui secouent Bellamy et Charrière. Il faut pourtant préciser que si les femmes sont plus émotives et sujettes à l’imagination, elles n’en perdent pas pour autant leur indépendance. De ce point de vue, il n’y a pas de différence perceptible entre les hommes et les femmes: Charrière et Bellamy sont aussi critiques des discours médicaux que les auteurs masculins. Ce fait en soi est intéressant parce qu’il diffère des constats faits par Séverine Pilloud sur les correspondantes féminines de Tissot: ces dernières seraient moins critiques de la médecine savante que les hommes11. La déférence exprimée par des femmes écrivant à Tissot peut être avancée comme une explication: s’adressant à un médecin renommé, un professionnel dans une sphère qui leur est interdite, les femmes pouvaient être amenées à adopter une rhétorique humble. N’est-ce pas là le meilleur moyen de s’assurer la bienveillance du médecin? La juxtaposition des récits de vie qui précède débouche sur le constat de l’importance pour soi, au XVIIIe siècle, d’élaborer une compréhension de ses maux. Elle atteste aussi du souci des acteurs historiques pour leur santé, souci qui s’exprime lourdement dans ces écrits et pourrait peut-être, en paraphrasant l’hypothèse stimulante de Madeleine Foisil, expliquer l’explosion du nombre d’écrits personnels dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle. Est-ce possible, comme le suggère cette auteure, que par le biais de l’expression des misères cor-

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Pilloud 2008, pp. 397-398.

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porelles, les auteurs de textes personnels glissent vers l’intime?12 La question reste ouverte. La complexité et l’étendue du champ interprétatif sont énormes. Les variables invoquées pour donner sens à sa santé révèlent le contexte culturel dans lequel les auteurs évoluent et peuvent changer en fonction de variables sociales13. Au premier abord, la faible présence de références à Dieu, ou la réduction des mentions à des formules toutes faites, est intrigante. L’omnipotence et l’omniprésence de Dieu sont pourtant largement reconnues. La guérison est parfois vécue comme une consolation. La foi de Bonnet fait office de baume sur ses maux. Il le répète sans cesse: chaque épreuve serait le garant d’un bonheur spirituel à venir. Pour les autres, notamment Frêne, la séparation entre le spirituel et le corporel se lit de façon plus nette. Dieu est le plus souvent invoqué – ou plus précisément remercié – d’une manière relativement abstraite ou rituelle14. Il faut recourir à d’autres documents personnels pour trouver des développements plus affirmés, notamment des textes plus proches du journal spirituel. Ce que je souffris dans cette fâcheuse maladie, le danger éminent que j’y courus me sont trop recens pour que j’aie besoin de les rappeller. Quoique je fusse résigné, Dieu ne trouva pas à propos de me retirer alors à lui. Il me rendit aux larmes de mes parens. Je fus si près de ma fin, que je dois reconnoitre qu’il m’accorda une seconde fois la vie. Je peux l’appeller à bon droit Mon Sauveur, et le Dieu de ma délivrance15.

Jean Antoine Lullin (1726-1745) s’exprime ainsi dans un examen de conscience rédigé peu après sa petite vérole. Est-ce la nature de cet exercice spirituel qui incitera l’adolescent à pousser plus loin que d’autres l’interprétation de ses maux? Le contexte spirituel de l’examen de conscience n’exclut pas une autre sphère, corporelle et médicale celle-là, dans laquelle la santé des jeunes Lullin est gérée comme on pourra le constater plus bas. Jean Antoine analyse clairement sa mauvaise santé comme venant de Dieu; les maladies jouent le rôle 12 13

14 15

Foisil 1986. Dans son étude sur les récits que fait Richard Baxter sur sa santé, Tim Cooper montre que la cause est d’abord associée à son activité dans l’armée de Cromwell, mais après la Restauration l’idée disparaît et Baxter rend sa consommation immodérée de fruits responsable de sa mauvaise santé. Cooper 2007, pp. 1-7. Voir Digby 1997, pp. 296-297. L’auteur du texte souligne. BGE, Ms Lullin 2/68-70, Lullin, Jean Antoine, Essai de revuë exacte de conscience, s.d.

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d’épreuves destinées à l’aider à retrouver le bon chemin. Peu avant sa mort, l’adolescent médite ainsi sur son parcours: Que de faveurs signalées n’ai-je point reçu de la riche et paternelle main de mon Dieu ! Ma naissance, ma famille et mes parens, mon caractere qui ne me porte point au mal et qui est susceptible de vertu, ma conservation des dangers de l’enfance, ma vie arrachée de la gueule du sepulture à l’age de 18 mois, les soins qu’on a pris de mon éducation, sa grace de tres bonne heure [...] cette afreuse petite verole dont il me retira d’une maniere inespérée, quantité de dangers connus ou ignorés [...] dix neufs années, chacune distinguée par quelque faveur bien marquée de sa bonté, mon infirmité actuelle qu’il m’envoie pour m’éclairer, pour me sanctifier et pour m’unir, me consacrer inviolablement à lui, voila sans doute de très grands biens et des voies d’une compassion continuellement soutenue !

Par le biais de l’expérience de la maladie, la Providence l’aurait empêché de succomber à l’oisiveté et aux attraits des plaisirs mondains. « C’étoit une grace de Dieu, qui diminuoit l’attrait de l’appas du siècle, et qui me reservoit à de toutes autres délices.» Il s’interroge ensuite sur la raison pour laquelle il survécut à la petite vérole. Pourquoi Dieu ne me retira-t-il point dans ma petite vérole, J’étois alors résigné? L’événement m’instruit qu’il vouloit que par principe, de propos prémédité, et de longue main, je me préparasse à lui. Je serois parti au dépourvu, sans me purifier, l’esprit et le cœur rempli de bagatelles, comme il parut par mes rèves tous frivoles, et avec quelque penchant pour le monde. Dieu m’a appelé depuis à la sainte cène, il m’a donné du temps pour me reconnoitre et pour me convertir, j’ai changé de gout, je partirai avec des lumières et des espérances16.

Sa conclusion est pleine d’espoir. Si sa maladie est « longue, elle empire peu à peu, elle n’est pas accompagnée de vives souffrances ». Il affirme avoir compris, grâce à elle, la frivolité des choses du monde, il « ne m’est donc pas douteux que Dieu m’aime, qu’il est revenu et qu’il accourt encore à mon aide, qu’il a dessein de me préparer à lui, O bonté ! O compassion et miséricorde infinie !» A côté des soins médicaux donnés au corps, le cadre interprétatif demeure ici profondément spirituel. C’est aussi le cas du frère cadet, Antoine 16

BGE, Ms Lullin 2/72, Lullin, Jean Antoine, Enumération des graces signalées de Dieu à mon égard, visibles dans le tableau de ma vie, s.d.

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Louis (1729-1747), atteint à son tour d’un mal similaire. Antoine Louis va même plus loin dans une préparation à la première communion rédigée peu après la mort de son frère aîné: Il n’y a pas jusques aux plus petites circonstances de ma vie, ou il [Dieu] m’aye donné des marques de sa bonté à mon égard […]. Dieu m’a sauvé ensuite des maladies de la jeunesse, il m’a sauvé d’une pleuresie que j’aie eue, il m’a sauvé de la cruelle grife de la petite vérole, en m’offrant devant les yeux l’exemple de mon cher frère, qui en étoit cruellement maltraité, et qui ne s’en est jamais relevé. Dieu ensuite dans un temps que j’étois prêt d’entrer dans monde m’a montré la fragilité des mêmes biens en retirant mon cher frère à la fleur de son âge et dans une situation assez heureuse. C’est là un grand motif qui m’engage à faire le bien. Car par vertu de quoi est ce que Dieu a retiré mon cher frère plutôt que moi? Ce n’est que par sa pure bonté, car j’étois surement plus coupable que ce cher frère17.

Une année plus tard, Antoine Louis présente un Dieu plus terrifiant: Dieu m’a exposé à une épreuve en m’envoiant une maladie. Doisje pendant que je sens son bras s’apesentir sur moi, dois je me jetter entre ceux du monde et de ses plaisirs [?] Au contraire je dois travailler à y résister pour apaiser la colère de Dieu. Je dois changer cette humeur triste et mélancholique et cette manière de penser singulière, je dois plus de gaieté, plus d’ouverture à mes parents, Il faut surmonter le mal et ne point se laisser abatre vu que les épreuves auxquelles j’ai été déjà exposé ne sont que très petites on comparaison de celles qui peuvent me survenir dans la suite. Je dois fréquenter les saintes assemblées autant que ma santé me le permettra. Je ne dois enfin plus être du monde. Dieu peut être m’apelle. Il veut que je sois désormais tout à lui18.

Alors que pour Jean Antoine la perte de santé constitue un obstacle et l’incite à se retirer du monde, une expérience positive dont les enseignements le rapprochent de Dieu, pour Antoine Louis, la maladie prend des allures plus mécaniques répondant à une série 17

18

BGE, Ms Lullin 2/87-128, Lullin, Antoine Louis, Résolutions à ma première Comunion de Noël 1745. BGE, Ms Lullin 2/87-128, Lullin, Antoine Louis, Communions de septembre et de Noël ce 24 décembre 1746.

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d’actions antérieures: c’est une punition divine. Une telle interprétation est extrême à l’époque des Lumières et absente des autres écrits étudiés. Elle n’est pas incompatible avec des explications médicales. La morale spirituelle trouve son pendant dans la morale médicale. L’humeur triste et mélancolique est une attitude spirituelle condamnée à l’échec, mais aussi une attitude physique pouvant aggraver la maladie comme en attestent les parcours de Charrière et de Bellamy19. De la même manière que le malade débusque les causes de l’ire divine, il peut reconstituer les causes de son mal-être20. Que le cadre interprétatif soit foncièrement spirituel ou médical, il permet de donner sens à un état de santé et fournit également une connaissance nécessaire pour élaborer une thérapie ou encore, un moyen d’éviter la répétition du même schéma dans l’avenir. Le sens est rarement absent des anamnèses, souvent longues, qu’adressent des malades au médecin Tissot. Nanti au départ d’une constitution particulière, l’état du malade résulte forcément de ses actions, émotions ou interactions avec l’environnement21. La plupart des habitudes et des actions peuvent être considérées comme néfastes, soit par leurs excès, soit par leur inadéquation avec une constitution particulière. La lecture des facteurs pertinents oscille entre des données spirituelles et médicales. L’examen de conscience rédigé par Antoine Louis Lullin en 1746, peu avant sa première communion, est à ce propos éloquent. Dans un passage où il est question d’abus de plaisirs, il signale celui de l’onanisme et en décrit les effets médicaux. Sa solution est de renoncer à de tels travers dans l’avenir et de se concentrer sur le travail22. En avril de l’année suivante, une nouvelle résolution le voit renoncer encore au jeu de paume23. D’autres excès, comme celui du travail intellectuel, sont aussi des causes reconnues de mauvaises santés. Tout comme les fidèles s’accusent de péchés, les malades débusquent les causes de leurs maux dans leurs plaisirs passés. « Je ne sais de quoi je me suis avisée d’avoir de l’oppression cet 19 20 21 22

23

Pour le pendant médical, voir Rublack 2002 et ici même pp. 93-101, 114-132. C’est aussi le cas d’Ulrich Bräker. Holliger 1995, p. 25. Voir plus bas p. 299 et suiv. L’exemple confirme la thèse de Michael Stolberg selon laquelle les méfaits de la masturbation étaient identifiés par les moralistes bien avant la publication de l’Onanisme de Tissot (1760). Stolberg 2000, pp. 2-3. Voir plus bas pp. 381-382. BGE, Ms Lullin 2/87-128, Lullin, Antoine Louis, Communion de Paque, le 8 avril 1746.

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automne »24 s’interroge Louise de Corcelles (1726-1796). De telles questions hantent constamment le malade et son entourage. La maladie, même pressentie, est un objet d’inquiétude. « Je ne dors pas et je suis tres agitée la nuit, j’ai crain di contribuer moi même, par tout ce que je puis avoir fait, c’est pourquoi j’ai cru devoir vous en informer » confesse une malade à Tissot25. Le recours au thérapeute vise à éviter un nouveau faux pas. « Je suis un jeune homme agé de 29 ans contre lequel il semble que la fortune et la nature d’un commun accord aient conspiré à rendre le plus malheureux des hommes » explique un jeune paraplégique. Il vient chercher conseil auprès de Tissot et évoque d’emblée différentes causes possibles à son handicap. « Je ne peu marcher depuis 6 ans, suite d’une maladie épidemique », annonce-t-il. Avant de poursuivre: « Je crois cependant que ce seroit temerité que d’en attribuer toute la cause à une suitte de cette terrible maladie ». Il écarte également l’abus de boissons et la « debauche des femmes » avant d’ajouter: « Je ne sais la masturbation en étoit cause, cependant cela du arrivait peu avant la maladie si non après » confesse-t-il avant d’évoquer plus sérieusement une possible cause héréditaire: « Nous sommes 5 enfans, 3 filles et 2 garçons, la première fut une fille acé faible d’esprit, un frère qui espère que non, et les deux autres filles qui s’en ressentent »26. On le voit ici, les variables sont nombreuses. Le malade scrute attentivement son passé, l’histoire de sa santé et celle de sa famille. Le Genevois Claret, par exemple, est particulièrement minutieux. Il résume dans huit pages serrées le détail de son tempérament et l’histoire de sa maladie, mais arrivé à la fin il ajoute: « J’oubliois de vous dire que 3 jours avant d’être malade j’avois eté à un enterrement d’une proche-parente ». L’émotion ressentie à cette occasion est une énième cause possible de sa maladie. L’événement date du 2 avril 1783, soit six années plus tôt. Il s’interroge encore: « Faisant soleil et bise, la tette decouverte ce que je n’ai jamais pu suporter long temps, je crus avoir atrappé un coup de soleil et je ne sais si je n’en eprouve 24

25 26

Charrière de Sévery 1928, p. 102, Louise de Corcelles à Catherine Charrière de Sévery, Lausanne, le 12 novembre 1773. FT, II/144.04.05.17, Marie Johannot, Morges, ce 7 janvier. Une note datée du 20 juillet 1777 précise que ce malade aurait déjà consulté M. Petit. La lettre est adressée à Tissot pour l’informer de son arrivée aux Trois Pigeons à Lausanne. FT, II/144.02.06.28, Marie Agier, Genève, le 9 septembre 1775.

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pas les suittes quoiqu’on m’ait dit que cela ne se peut pas »27. En dépit des difficultés qu’il rencontre dans la désignation des causes du mal, le malade finit le plus souvent par forger sa propre opinion. Les liens de causalités qui structurent les cas retracés plus haut sont les interprétations des malades eux-mêmes. La recherche médicale des causes peut être assez poussée. « Elle s’est apperçue » écrit Bonafont à propos des pertes inhabituelles jugées excessives de sa femme, « en introduisant un doigt dans sa nature qu’il y avoit une grosseur à la matrice ». Un chirurgien consulté confirme la découverte28. Les praticiens et les proches conseillent et donnent des avis, mais le malade est le seul à sentir la cohérence du discours avec le ressentir et à pouvoir juger les effets des thérapies tentées. Un tel constat est certainement banal dans un contexte où, comme nous le verrons par la suite, l’accent n’est pas mis sur le nom de l’affection dont le malade souffre, mais bien sur la cause première du mal et sur le pronostic. Face à la masse des écrits personnels, il est utile de considérer ensemble les cas particulièrement bien documentés de Rousseau, Saussure, Bonnet et Charrière. Ces malades sont lettrés, écrivent facilement et n’hésitent pas à disserter sur leur propre santé. Par ailleurs, leurs intérêts dépassent le cadre des écrits pour lesquels ils sont connus aujourd’hui et parmi leurs lectures figurent de nombreux livres de médecine. Le statut d’Isabelle de Charrière en tant que conseiller médical est reconnu de son vivant. Le catalogue de la bibliothèque de Saussure et le rôle actif qu’il joue dans la santé de ses proches atteste de son intérêt pour le médical. Rousseau, pour sa part, participe aux entreprises médicales de Mme de Warens, lit des livres de médecine et entretient des correspondances avec les praticiens les plus célèbres de son temps, Théodore Tronchin et Samuel Auguste Tissot. La correspondance de Bonnet avec Haller et Tissot, sa collaboration avec différents médecins sur le tænia, les monstres et plus généralement la physiologie comparée, attestent aussi bien de son intérêt que de son érudition. Ces trois laïcs ont un autre trait commun: ils font partie d’une des premières catégories profession27 28

FT, II/144.05.02.28, J. Claret, Genève, le 7 avril 1790. Le mari de la patiente en informe son médecin, François Verdeil (1747-1832) « a qui la chose ne parut pas conséquente », mais qui fait « visiter » Mme Bonafont par un chirurgien qui découvre un «skire ou dureté provenant du séjour des regles, ou morceau de sang ». FT, II/144, 03.04.31, M. Bonafont, Lausanne, le 26 mai 1784.

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nelles dont la santé serait, selon les spécialistes contemporains, affectée par l’exercice même de leur activité, le travail de cabinet. Selon l’hygiène médicale, tout métier pouvait être concerné par le danger représenté par l’environnement et les activités répétées. Isabelle de Charrière, par exemple, impute à la charge de Conseiller d’Etat la mauvaise santé de Sandoz : « Je doute qu’il puisse continuer un travail qui le prive de tout exercice et de presque toute recréation »29. Dans un même temps les premières études sur les maladies professionnelles sont réalisées, l’activité la plus stigmatisée est celle des auteurs30. Nos quatre protagonistes entrent dans cette catégorie. Le cas Bonnet est, selon le malade lui-même, tout à fait exemplaire des conséquences d’un excès de travail: il ressent l’effet de l’usure de son corps. En définitive, ses maux renforcent son identité de savant. La cause et l’effet doivent être liés. « Nous calculons assés mal, nous autres gens de lettres » écrit-il, c’est que nous ne sommes jamais sans passions; à la vérité ce ne sont pas celles des gens du monde; mais elles ne ruinent pas moins nôtre tempérament; elles sont encore d’autant plus dangereuses, qu’elles nous paroissent plus louables. Moi, qui me mêle de vous donner des conseils, combien n’ais-je pas des reproches à me faire de ce genre ! Il me semble, que si j’avois à revivre, je serois plus sage; et pourtant je ne sçais si je le serois en effet; car le démon du savoir se glisse bien facilement dans certaines têtes, et quand une fois il s’en est emparé, il n’est point d’exorciste qui puisse l’en déloger31.

Comme Jean-Jacques Rousseau, Bonnet cherche à imposer à ses contemporains et à la postérité une image cohérente de lui-même, en accord avec son œuvre. Si Rousseau est un homme vertueux, souffrant d’une constitution faible, Bonnet est un homme de lettres victime de son travail. Le succès rencontré par ces figures dans leur effort d’imposer leur propre compréhension de leurs maux trahit une large reconnaissance du fait que le malade lui-même est le seul à comprendre vraiment son corps32. Cela dit, imposer une interpréta29

30

31 32

Charrière O. C., t. 5, p. 324, Isabelle de Charrière à Jean-Pierre de Chambrier d’Oleyres, s.l., le 21 juin 1797. La publication de Tissot 1991a joue un rôle important dans cette prise de conscience. Corr. Haller, p. 377, Charles Bonnet à Albrecht de Haller, Genève, le 1er mai 1964. Voir à ce propos Rieder et Barras 2005, p. 220.

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tion originale de la maladie ne va pas de soi et nécessite des efforts constants. Charrière et Saussure partagent une même perplexité au regard de l’évolution négative de leur santé. Les efforts qu’ils déployent pour taire leurs maux s’explique peut-être par leur propre désarroi. C’est là une souffrance importante et peu commune au siècle des Lumières. Isabelle de Charrière ne peut se résoudre à concéder que ses activités intellectuelles et son mode de vie soient la cause de sa mauvaise santé. Le silence qu’elle observe sur ce sujet traduit certainement son désarroi. Quant à Horace-Bénédict de Saussure, l’exercice pris au cours de ses courses alpines aurait du le prémunir du syndrome de l’homme de lettres. Sa discrétion est peutêtre liée à la conviction de souffrir d’un mal héréditaire, mais sa dernière maladie semble sortir du spectre des maux familiaux et le laisse pantois: qu’a-t-il fait pour la mériter? Toutes ces célébrités malades ont légué à la postérité des images de femmes et d’hommes souffrants, une facette à part entière de leur identité historique. Le tableau est cohérent pour Charles Bonnet et Jean-Jacques Rousseau, mais plus ambigu pour Horace-Bénédict de Saussure et pour Isabelle de Charrière. La mauvaise santé s’impose, dans leur cas, comme un obstacle à leurs œuvres respectives. La cohérence apportée au parcours de chacun – en partie narrative, il est vrai – confère une unité à l’histoire des individus. Mais, à leur tour, ces individus sont-ils cohérents, ou autrement dit, sont-ils un? Le corps et l’esprit sont régulièrement invoqués séparément. A la suite de Dorothy et Roy Porter, il est possible de lire soit l’unité soit la dualité dans les textes33. L’état d’esprit et l’état du corps sont énumérés côte-à-côte: «Votre chère lettre […] me témoigne votre bonne santé et la gayté de votre esprit » écrit Jean-François Deluc à son père34. En commentant de telles affirmations, les Porter ont-ils raison de conclure au triomphe du dualisme chrétien et cartésien au XVIIIe siècle?35 Le savoir médical niait la séparation du corps et de l’esprit36. 33 34

35 36

Porter et Porter 1988, p. 60. Huguenot Society, Londres, Famille Deluc, Fdl 1/1, Jean-François Deluc à Jean-André Deluc, Amsterdam, le 23 février 1780. Porter et Porter 1988, pp. 61-94. Peter 1986, pp. 61-63; Jewson 1976a, pp. 372-373. Dans la pratique de Richard Napier les mêmes causes étaient rendus responsables de maladies physiques et psychiatriques. Logiquement, les remèdes choisis pour les soigner étaient aussi les mêmes. MacDonald 1981, p. 173 et suiv.

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En mettant de côté les enjeux philosophiques et théologiques, la situation s’avère pour le moins floue. Les résultats de l’enquête réalisée ici suggèrent une réalité nuancée. Dans la description détaillée qu’il adresse à Haller sur les problèmes de santé de sa sœur, HoraceBénédict de Saussure énumère plusieurs phénomènes distincts. Elle souffrirait de dartres et son sang se porterait à sa tête, laissant ses pieds froids. Il ajoute que les « humeurs accumulées dans la tête, causent de grands maux de tête, et beaucoup de tristesse »37. Les maux de tête et la tristesse sont deux phénomènes provoqués par une même cause. Dans une autre perspective, certains souffrent d’inquiétudes, d’agitation et d’angoisses: ce sont des symptômes, voire des malaises physiologiques et non pas simplement des états d’esprit38. D’autres se plaignent d’être « agités », un autre signe pathologique. Au quotidien, dans les écrits laïcs, si le corps et l’esprit peuvent être envisagés séparément, les liens entre ces deux entités demeurent importants. La distinction entre le corps et l’esprit peut être soutenue, par exemple, par le récit de la vie d’Isabelle de Charrière après son mariage. Mais en revenant à sa vie de jeune fille ou encore à l’année d’angoisse de Jeanne-Marie Bellamy, la situation est nettement plus complexe. Le mal-être est caractérisé par des symptômes touchant l’être plutôt que l’esprit ou le corps. Une solution est de voir là non pas du matériel pour nier la séparation du corps et de l’esprit, mais pour affirmer la richesse des corrélations possibles entre ces facettes de l’être. Isabelle de Charrière combat sa mobilité*, considérée comme innée. Pendant ses jeunes années, le contrôle lui échappe le plus souvent et si elle parvient finalement à vive en bonne intelligence avec sa santé, c’est en acceptant cette mobilité comme lui étant propre. Jean-François Deluc imagine lui aussi dompter ses maux par la raison. Il écrit à son père: « Je ne saurois vous dire qu’est ce qui a développé en moi de plus en plus cette malheureuse disposition à laquelle je ne sais donner un nom précis, à moins que ce ne soit une tendance à la mélancolie ». Elle le met, écritil encore « dans la position où je suis telle que je souhaite la mort ». Dans la même lettre, il cherche à expliciter ce qui lui arrive. Le premier élément de réponse est un antécédent familial: son frère aurait

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38

Haller et Saussure 1990, p. 476, Horace-Bénédict de Saussure à Albrecht de Haller, Genève, le 11 décembre 1773. Voir plus bas, pp. 308-310.

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souffert d’un mal similaire. Il ajoute une phrase énigmatique: « Cette disposition […] tient en partie à la position du corps ». Mais qu’entend-il par « position du corps »? On peut y lire soit la position de son corps dans la maison de commerce où il travaille, soit, et c’est l’interprétation que semble soutenir la suite de sa lettre, une disposition de son corps. Comme Charrière, Deluc envisage la raison comme un moyen thérapeutique pour se « vaincre » et « acquérir une certaine tranquillité »39. Pourtant, ne trouvant pas de cause évidente à son malaise, il postule qu’il s’agit de « fantômes de l’imagination ». Outre la raison et la bonne volonté de Dieu qu’il évoque en passant, il songe avant tout aux soins à apporter au corps: « Je vais tâcher de m’accoutumer à manger peu; l’engorgement des vaisseau qui empêche le libre cours des humeurs, contribue peut-être à entretenir cette disposition: je serois fâché que l’une ou l’autre des manières d’user de tabac fut un moyen parce que c’est un besoin de plus.»40 L’effet des émotions sur le corps, l’effet du corps sur les émotions et la difficulté de contrôler artificiellement son état d’esprit sont attestés chez la plupart des auteurs considérés. Cette réalité engage, pour le moins, à considérer l’être comme un tout, ou, suivant la formule de Karl Figlio, à considérer le corps comme une « extension inséparable de soi »41. Ce soi, aussi entier qu’il puisse paraître, n’est pas un être socialement isolé. Les maux et la mort des autres, notamment des proches, peuvent par les émotions qu’ils suscitent, s’avérer pathologiques pour soi. Heureusement, les liens sociaux ne sont pas que pathogènes. L’implication de l’entourage dans la santé de chacun est essentielle dans la prise en charge du malade.

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41

Huguenot Society, Londres, Famille Deluc, Fdl 1/1, Jean-François Deluc à Jean-André Deluc, Amsterdam, le 20 décembre 1779. Huguenot Society, Londres, Famille Deluc, Fdl 1/1, Jean-François Deluc à Jean-André Deluc, Amsterdam, 11 décembre 1779. Figlio 1977, pp. 273 & 285.

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« Le tems, qui consume nos plaisirs, consume aussi nos maux. Faits pour l’éternité toute idée née dans le tems se detruit imperceptiblement, et c’est la seule consolation que j’aye eu a des aflictions telles que les votres [...] la mort et l’eternité, objets odieux à l’homme, auxquels l’imagination se refuse, et que le miroir nous force a voir, lorsque nos plus proches nous les presentent.» Albrecht de Haller, janvier 17631.

Un tiers se glisse sans cesse dans l’histoire de soi et de sa santé. Il est l’ami, le père, la mère, le frère, l’enfant, le voisin, le cousin ou encore, le soignant. Le malade est rarement seul face à sa santé2. La finalité dans les pages qui suivent est d’explorer les contours de ce groupe et d’établir le rôle qu’il joue dans la prise en charge des soins et l’interprétation des maladies. Les sources utilisées traditionnellement pour reconstruire les rapports des sociétés historiques avec la santé proviennent le plus souvent d’archives médicales ou d’archives administratives. Il s’agit ici de mettre en lumière autre chose que les projets de santé publique ou les aléas de la relation thérapeutique, en envisageant la gestion sociale de la santé du point de vue du patient3. Le résultat est descriptif et contient des données dont certaines peuvent être considérées comme anodines et d’autres étonnantes. L’ensemble demeure pourtant nécessaire pour cerner la figure du patient. Le corollaire de l’approche développée dans les pages qui suivent est la réduction de la perspective. Plutôt que le patient considéré comme le non-médecin, le laïc tel qu’il est envisagé

1

2 3

Corr. Haller, p. 312, Albrecht de Haller à Charles Bonnet, Berne, le 3 janvier 1763. Voir le développement dans Piller 2007, pp. 73 -75. La mise de côté de la « relation thérapeutique » répond à la volonté déjà énoncée dans l’introduction d’éviter de projeter des valeurs contemporaines dans cette étude. Voir aussi Jütte 1992, p. 32; Duden 1992, p. 42.

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plus haut, il sera question ici de la personne malade. Malade non dans le sens de souffrant d’une maladie déterminée, mais dans une acception sociale : celui dont le statut de valétudinaire est reconnu par son entourage. La définition n’a rien de hasardeux. Avant la prise en charge institutionnelle des malades souffrant d’affections aiguës, des accidentés, des handicapés et des malades éprouvés par des douleurs chroniques, cette tâche était assurée par les proches, les amis, les voisins et les praticiens. Comment ces groupes opéraient-ils ? Les sources qui s’imposent d’office pour aborder cette problématique sont les écrits personnels et plus particulièrement la correspondance4. La lettre est, selon l’expression de Mireille Bossis, un « remède à l’absence ». La thérapie était répandue au siècle des Lumières. Les expériences décrites dans des correspondances éditées ou des lettres fictives servent même parfois de toile de fond aux conceptions médicales des lecteurs. Isabelle de Charrière, par exemple, compare le « rhumatisme de ceux qu’on appelle aigus ou inflamatoires » dont souffrait Alphonse de Sandoz à une maladie de Mme de Sévigné. Cette dernière en aurait eu « un de ses rhumatismes et quoiqu’elle fut bien plus âgée qu’Alphonse elle s’en tira fort bien »5. Sa correspondante connait l’histoire et lui rétorque que « Mme de Sévigné ne s’est guerrie tout à fait je crois qu’aux bains de je ne sais ou mais elle était plus agée que M. Sandoz »6. Le cas de la célèbre épistolière constitue ainsi un exemple utile près d’un siècle après son décès ! L’échange illustre l’importance que pouvaient alors prendre les récits de santé dans l’appréhension du corps et de la maladie de chacun. Des ragots sur des personnalités en vue se glissent dans les lettres – la circulation des données sur Rousseau, Saussure et Bonnet en attestent –, mais on y trouve également des informations sur des personnalités moins célèbres. C’est l’aspect presque systématique de telles informations qui confère à cette source sa valeur. La régularité même d’une correspondance rassure sur la continuité de la bonne santé de l’autre alors que l’irrégularité donne

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6

Walser-Wilhelm 1993, p. 33. Charrière O. C., t. 5, p. 52, Isabelle de Charrière à Henriette L’Hardy, les 26-28 février 1795. Charrière O. C., t. 5, p. 65, Henriette L’Hardy à Isabelle de Charrière, le 16 mars 1795.

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lieu à l’inquiétude. Après avoir attendu quinze jours une réponse d’Abraham de Crousaz, l’incertitude d’Ami Lullin quant au sort de son ami devient insupportable. « Ma lettre ou vos reponses ne seroient elles point interceptées, ou plustot ne seriez vous point malade. Tirez moi, je vous prie de cette inquiettude ou si vous etes trop occupé marquez moi seulement dans une ligne que vous avez bien recu ces différentes pieces, et que vous vous portez bien.»7 De telles requêtes sont monnaie courante. L’éloignement engage certains à réclamer une sincérité absolue de leur correspondant: « Si tu n’etois pas bien » écrit Amélie de Saussure à son mari, « j’exige absolument que tu me l’écrive naturellement »8. La correspondance tient ainsi lieu de dialogue où se mêlent assurances et appréhensions, tant les morts subites sont redoutées et la circulation des nouvelles incertaine. Il n’est pas rare d’apprendre les décès ou les maladies de proches bien après les événements. Henriette L’Hardy se désole, en octobre 1793, de la mort de son oncle Bonhôte. « Nous ne savions point qu’il fut malade des suites d’une chute » se plaint-elle9. Un mois plus tard, une correspondante lui annonce le décès du général Kalckreuth (1737-1818)10. La nouvelle sera démentie quelques jours plus tard. De telles occurrences tendent à alimenter l’inquiétude des correspondants11. Il est par conséquent peu étonnant que des échanges d’informations sur les états de santé constituent un ingrédient courant dans la correspondance au XVIIIe siècle. Dans une lettre adressée par Amélie de Saussure à son mari lors d’un séjour à Rolle, l’auteure rapporte: M. du Commun a un peu mieux passé la nuit. Hier au soir on étoit sans esperance, on craignoit même qu’il ne passat pas cette nuit qui en a un peu rendu. Je fermerois ma lettre ce soir afin de te donner des nouvelles. Minette a toujours sa coqueluche les accès yer au soir étoient assez forts. Ces poudres l’accablent le

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BCUL Dorigny, Fonds de Crousaz, VII/155, Ami Lullin à Abraham de Crousaz, Genève, le 31 mars 1734. BGE, Archives Saussure 237/109, Amélie de Saussure à Horace-Bénédict de Saussure, Rolle, s.d. [1767]. Charrière O. C., t. 4, p. 235, Henriette L’Hardy à Isabelle de Charrière, s.l., le [23/24 octobre1793]. Charrière O. C., t. 4, p. 180, Isabelle de Charrière à Henriette L’Hardy, s.l., le 24 septembre 1793. Par exemple Jnl Frêne, p. 587.

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mattin parce qu’elles la font beaucoup vomir. Cet après diné elle est mieux et a moins d’embaras quand elle tousse. Le rhume de ta petite femme va mieux, elle reste dans son lit jusqu’à 10h à se tenir chaudement. Petit M... se porte bien aussi12.

Extraits anecdotiques ou sources précieuses d’un quotidien oublié? Ces allusions trahissent à la fois l’importance de la lettre en tant que moyen de communication à distance, et l’inquiétude inhérente à l’éloignement dans une société où la fragilité de la vie était largement reconnue. Il ne faut pas oublier que la correspondance elle-même peut exercer, tout comme l’échange social qu’elle pallie, une action sur la santé. A l’occasion, c’est le contexte des échanges qui induit un mal-être. « Il ne me vient pas un paquet de lettres de mon paijs qui ne me rende malade » écrit Isabelle de Charrière à son frère, quelques mois après la mort de leur père13. C’est le souvenir de cet événement ou encore l’ennui provoqué par des questions de succession qui se révèlent pathologiques. Les nouvelles véhiculées sont redoutées pour les émotions qu’elles provoquent et l’effet de ces dernières sur la santé du récipiendaire. La conséquence peut être pathologique ou, plus rarement, thérapeutique. Un raisonnement déployé dans une lettre pourrait guérir une personne dont l’esprit serait dérangé14. Ailleurs, c’est la nature des informations reçues qui suscite des émotions et induit une variation de l’état de santé. « Les nouvelles l’avoient fort dérangées » écrit par exemple Jean-François Deluc de sa tante Vieusseux15, « mais depuis qu’elle a reçu plusieurs lettres de mon oncle qui lui annoncoient la bonne tournure que prennoit cette affaire […] elle se porte beaucoup mieux »16. Un tel mal-être n’est pas perçu comme étant superficiel, ni assimilé, comme il pourrait l’être aujourd’hui, à une manifestation psychosomatique. Le même auteur considère que l’acte même d’écrire pouvait se révéler 12

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BGE, Archives Saussure 237/88, Amélie de Saussure à Horace-Bénédict de Saussure, Rolle, mardi [1767]. Charrière O. C., t. 2, p. 331, Isabelle de Charrière à Vincent Maximiliaan Tuyll van Serooskerken, Colombier, le 28 décembre 1777. Voir aussi Charrière O. C., t. 2, p. 333. Voir plus haut p. 60. Probablement Barbe Vieusseux-Rotmond, la femme du frère de sa mère, JeanFrançois Vieusseux (1718-1781). Huguenot Society, Londres, Famille Deluc, Fdl 1/1, Jean-François Deluc à Jean-André Deluc, Genève, le 4 octobre 1775.

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pathogène pour son correspondant. « Je devrois ne pas écrire » commence-t-il en s’inquiétant des effets de la nouvelle qu’il transmet – son propre état mélancolique – sur la santé de son père17. Ainsi, l’auteur d’une lettre relayant de mauvaises nouvelles prend des risques avec la santé de son correspondant. Communiquer de telles informations s’apparente à faire circuler une lettre piégée !18 Les lettres portent néanmoins, et par la force des choses, de mauvaises nouvelles, mais également des requêtes désespérées. Marie Charlotte Lullin adresse un véritable appel au secours à ses parents, en septembre 1746. Elle cherche un moyen pour soulager son mari assailli par des idées noires. L’auteur achève sa missive en concluant que « l’ame est mal à son aise et il faut la soulager, je vous écris peut-être avec beaucoup trop d’affection sur ce sujet qu’il ne fasse pas sur vous trop d’impression parce que s’il plait à Dieu ce ne sera rien du tout et que vous nous rendrés tous heureux et tranquille, brulés je vous prie mon chiffon de lettre qui n’est pas fait pour durer plus longtemps que demain »19. La lettre ne fut pas détruite, et c’est tout à l’avantage du chercheur qui viole ainsi la volonté de l’auteur pour accéder à des voix depuis longtemps tues.

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Huguenot Society, Londres, Famille Deluc, Fdl 1/1, Jean-François Deluc à Jean-André Deluc, Amsterdam, le 11 décembre 1779. Voir ici même p. 414. BGE, Ms Lullin 2/216, Marie Charlotte Boissier-Lullin à Mme Lullin, le 3 septembre 1746.

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« Le visage, ce miroir fidèle de l’état de l’âme et du corps, est le premier à nous faire apercevoir des dérangements intérieurs.» Samuel Auguste Tissot, 17601.

I. MALADES EN COMMUNAUTÉ Des réflexions sur les origines des maux, sur leur nature, et sur les meilleures stratégies possibles pour retrouver ou conserver la santé sont constamment énoncées par les proches du malade, des connaissances et des tiers. L’étude des échanges sur le thème de la maladie sous-entend la reconstruction des valeurs et des attentes propres à la santé. La tâche est vaste, tout comme l’est la variété des situations. De nombreux exemples attestent à la fois de la diversité des conceptions et du regard constamment critique porté sur le malade. A une extrémité du spectre, l’état de santé peut être un objet de curiosité, voire de divertissement entre connaissances. Constant d’Hermenches, par exemple, se désole du décès d’un ami. « Quelques jours auparavant nous avions ri et causé delicieusement ensembles, […] nous nous etions tâté le poulx, j’avoix plus de fievre que lui ! Et le voilà dans le cercueil !»2 La prise du pouls était le moyen le plus courant pour mesurer une fièvre. Il n’est peut-être pas commun de prendre le pouls d’un ami, mais la scène racontée atteste du fait que des sentiments d’amitié pouvaient entraîner deux personnes à jouer au médecin l’un pour l’autre et à comparer leur état de santé respectif. Le ton adopté par d’Hermenches pour raconter cette anecdote témoigne autant de sa douleur de perdre un ami que de sa propre peur de mourir: un homme en meilleure santé que lui est mort ! L’effet miroir est évident3. A l’opposé de cette nonchalance 1 2

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Tissot 1991b, p. 62. Charrière O. C., t. 2, p. 253, Constant d’Hermenches à Isabelle de Charrière, Bois de Vaud, le 10 novembre 1771. La maladie et la mort d’amis renvoient à sa propre fragilité. Frêne signale dans son journal la mort d’amis ou de connaissances du même âge que lui. Jnl Frêne, pp. 175, 181 & 213.

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figure l’« alarme »4 ressentie par ceux qui voient en la maladie le danger de perdre un proche. Le malade, son apparence, les aliments et les boissons qu’il ingurgite et même ses fluides corporels et ses excrétions, sont scrutés par ses proches et font l’objet de débats et de réflexions. Face à cette analyse, le malade doit se montrer persuasif pour convaincre les observateurs souvent critiques. « Minette est mieux. Hier elle n’eut point de fièvre elle a passé une très bonne nuit; mon beau frère lui a trouvé le pou excellent ce matin, mais on diroit que la coqueluche se ranime, elle a beaucoup toussé ce mattin, elle a meilleur visage et peut être un peu de gaïeté.»5 La nature du sommeil, l’état d’esprit, l’apparence physique et les symptômes sont tous passés en revue pour évaluer l’état de santé de chacun. APPARENCES ET SANTÉ La lecture des physiognomonies et des corps est un réflexe commun au XVIIIe siècle, voire un passe-temps. Si le pendant savant, les théories de Gaspard Lavater (1741-1801) et de Jacques Louis Moreau de la Sarthe (1771-1826), est amplement documenté, il demeure aujourd’hui difficile de reconstituer la grammaire des appréciations courantes. Les yeux scrutent pourtant sans concession. L’état de santé, l’état d’esprit même sont reconnus comme influant sur la physionomie et permettent de ce fait une lecture de l’état de l’individu6. La physionomie d’un homme ou d’une femme en bonne santé se démarque de celle d’un ou d’une malade. « Je fus parfaitement contente de vos santés » écrit Louise de Corcelles aux Charrière de Sévery après une visite que ces derniers lui avaient rendue, « vous aviez bon visage, du matin au soir, voilà la seule chose distincte que j’ai su voir »7. Un coup d’œil suffit pour attester d’une bonne santé. Le visage « fort changé » est un critère important et 4

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Pour l’usage fait des termes « danger » et « alarme », voir plus bas p. 362 ou plus globalement Rieder 2007c, pp. 206-207. BGE, Archives Saussure 237/115, Amélie de Saussure à Horace-Bénédict de Saussure, Rolle, s.d. [1767]. L’association beauté et santé est commune, les recettes de cosmétiques figurent dans des recueils de remèdes. Voir Lanoë 2008, p. 12. Charrière de Sévery [1924], p. 66, Louise de Corcelles à Catherine Charrière de Sévery, s.l., 20 [septembre 1771].

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relevé à maintes reprises8. La même correspondante rêve elle-même de sa guérison au plus fort d’un malaise. « Je veux si bien faire qu’à votre retour vous ne reconnaîtrez pas votre amie, vous retrouverez une dame leste et gentille, n’ayant pas plus de foie sur la main, bon visage par-dessus le marché »9. Les critères d’appréciation restent la plupart du temps flous. Qu’est-ce qu’un « bon visage »? Le bon visage, comme le « mauvais visage », se constate sans nécessiter une description. « Ta mère [...] n’a pas bon visage mais elle est bien mieux » écrit Amélie de Saussure à son mari10. Le désaccord entre pathologie et apparence, rare à vrai dire, décrit ici une rémission dans la santé de la victime d’une maladie chronique. Plus souvent, la corrélation entre l’apparence et la santé est attendue, sinon exigée. « Je ne voyois pas enfler les jambes, ni changer le visage » écrit JeanJacques Rousseau dans un écrit concernant la maladie de M. Deschamps, « un hydropique prétendu ». Il faut attendre que Rousseau rende visite au malade et constate les « grandes douleurs au côté, enflure et tension considérable dans le bas ventre, de la fièvre, et le visage fort changé » pour qu’il altère son jugement11. Il accompagne à cette occasion le médecin Eustache-Philippe Laubel. C’est un moyen concret pour lui de se faire sa propre idée sur l’état du malade. Touche-t-il lui-même le « bas ventre tendu »? Le geste n’est pas avéré, mais la visite est une indication de la facilité avec laquelle on accède au malade. Le corps constitue ainsi un système sémiotique que les observateurs s’efforcent de décrypter. Les déformations, les traces physiques et les anomalies dermatologiques sont des signes d’un mauvais état de santé12. En 1770, Frêne rencontre un manchot âgé de 55 ans. « Un homme peut manquer d’un membre et devenir vieux »

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Voir Charrière O. C., t. 3, p. 256, Isabelle de Charrière à Jean-Pierre Chambrier d’Oleyres, s.l., le 27 décembre 1790. Charrière de Sévery [1924], p. 147, Louise de Corcelles à Catherine Charrière de Sévery, Lausanne, mardi. BGE, Archives Saussure 237/156, Amélie de Saussure à Horace-Bénédict de Saussure, dans mon cabinet, vendredi 21 juin [1771]. Rousseau 1905, p. 62. Le travail de Margaret Pelling sur les barbiers-chirurgiens de Londres illustre à quel point santé et apparence vont alors de pair. Solange Simon-Mazoyer signale l’importance de la dissimulation des défauts physiques au XVIIIe siècle. Pelling 1986; Simon-Mazoyer 2001.

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s’étonne-t-il13. Parmi les défauts relevés, certains sont esthétiques. Les cicatrices laissées par la petite vérole sont courantes et redoutées sur les visages du siècle14. D’autres traces renvoient à d’autres souffrances. Les mauvaises dents sont une faille fréquemment relevée dans les descriptions, alors même que les belles dents se muent en objets de mode et se trouvent, à la fin du siècle, exposées aux regards dans les portraits15. « Elle a de beaux cheveux une peau fine et un tein agreable, le cou charmant, la gorge belle la main et le bras très bien » écrit Belle de Zuylen d’une demoiselle qu’elle signale à son frère comme étant un bon parti. « De vilaines dents, les yeux doux et caressans, le né un peu de travers, un sourire gracieux qui donne a toute sa phisionomie je ne sai quoi de prevenant et de sociable ». Les dents sont ici le seul élément négatif16. Les mauvaises dents se trahissent par leur couleur, par leur absence ou encore par leur odeur. L’état des dents est systématiquement relevé dans l’évaluation de candidates possibles au mariage...17 Le canon est universel et impérieux pour la gent féminine. La cousine de Jean-Louis Odier est désolée d’avoir cassé une dent, « ce n’est pas pour elle qu’elle s’afflige, mais c’est pour son mari qui ne la trouvera plus aussi jolie »18. Certaines transformations transitoires du corps signalent un état maladif. La maigreur19, un teint pâle ou une couleur peu courante – rouge ou jaune, par exemple – voire encore des éruptions cutanées sont redoutés en société. L’apparence pathologique se construit à partir du constat d’un changement physique. « Je l’ai trouvé pâle. Par momens il avoit les yeux rouges » commente Isabelle de

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Jnl Frêne, p. 584. De nombreuses personnes redoutent d’être ainsi défigurées. Voir Staël 1980, p. 66. Voir notamment Jones 2000, p. 139-140. Roy et Dorothy Porter ont relevé un phénomène similaire en Angleterre. Porter et Porter 1988, p. 54. Voir la description d’une jeune fille par le jeune Jean-François Deluc. Huguenot Society, Londres, Famille Deluc, Fdl 1/1, Jean-François Deluc à JeanAndré Deluc, Amsterdam, le 3 avril 1780. BGE Ms fr. 5641/124, Jean-Louis Odier à Louis Odier, Paris, le 10 mai 1798. Pour un autre exemple: ACV, P Charrière Ci 33, Angletine de Sévery, [Journal], le 23 janvier 1787. Charrière O. C., t. 5, p. 79, Isabelle de Charrière à Henriette L’Hardy, s.l., le 4 avril 1795.

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Charrière du mari d’une de ses amies20. Une autre connaissance l’inquiète davantage. «Vous continuez de maigrir et j’en suis plus allarmée que vous ce n’est pas un grand malheur d’être maigre mais on ne maigrit que parce qu’on est malheureux ou malade »21. La maigreur ici stigmatisée est un des signes les plus courants et l’un des plus inquiétants. Une extrême maigreur peut signifier une maladie de poitrine22. A la mort de son père, le mari d’Isabelle de Charrière est affecté: « Jamais je ne l’ai vu si pâle si jaune si maigre si inquiet si agité, que les derniers jours de la maladie de son pere et ceux qui suivirent sa mort »23. Les malades souffrent du regard social et s’inquiètent de leur apparence … maladive. « Cette collique ou plutôt ce devoyment* violent, car il n’étoit accompagné d’aucune douleur me maigrit dans l’espace de 5 ou 6 jours de manière que je n’étois pas reconoissable » écrit M. Du Pan de Genève24. La maigreur confère une apparence maladive25. Certaines femmes cherchent à la combattre. Suzanne Baux entame une cure de lait d’ânesse afin de gagner en rondeurs pour plaire à son fiancé; d’autres consomment des commodités plus agréables comme la comtesse de La Rivière qui mange « entre’autres du sucre en nature que je croyois merveilleux pour m’engraisser »26. Le besoin de prendre du poids se heurte au danger d’en prendre trop: c’est une illustration de l’importance constante de la notion d’équilibre en matière de santé27. Si des régimes existent pour prendre du poids et des cures pour en perdre, il est plus difficile de modifier un teint pathologique. Le visage rouge signale une accumulation de sang à la tête. Mme Nancy de Brackel 20

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Charrière O. C., t. 5, p. 426, Isabelle de Charrière à Caroline de Sandoz-Rollin, s.l., le 26 mars [1796]. Charrière O. C., t. 5, p. 93, Isabelle de Charrière à Henriette L’Hardy, s.l., le 19 mai 1795. Charrière O. C., t. 5, p. 192, Juliette de Chaillet à Isabelle de Charrière, s.l., [janvier 1796]. La littérature de vulgarisation confirme ce trait. La maigreur prédispose, selon un Dictionnaire portatif de santé (1761), à la phtisie. Voir aussi Vigarello 2001, p. 31. Charrière O. C., t. 2, p. 367, Isabelle de Charrière à Vincent Maximiliaan Tuyll van Serooskerken, Colombier, le 12 août 1780. FT, II/144.03.04.23, M. Du Pan, Genève, le 18 août 1784. Certains patients s’en plaignent, voir par exemple FT, II/144.05.07.43, Mme A. H. Wilmsdorff, Orbe, le 8 avril 1790. FT, II/144.05.05.43, comtesse de La Rivière, Fribourg, le 1er janvier 1792. Voir, pour un exemple, Charrière O. C., t. 5, p. 277, Charlotte-Louise de Perregaux-de Gaudot à Isabelle de Charrière, s.l., le 16 décembre [1796].

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avait déjà consulté Tissot deux fois avant de lui adresser un courrier en février 1793. « J’ai habituellement les jambes froides, je sens très bien que le sang y circule mal », mais ce n’est pas ce qui la tracasse le plus. Elle ajoute, «[du sang] est toujours porté à ma tête », et « j’ai ce teint du matin au soir quel que soit mes occupations, mes maux de tête sont très fréquents mais lorsqu’il m’arrive d’en être exempte je n’en suis pas moins rouge seulement mon teint est une peu moins brouillé. Cette disposition me donne l’air beaucoup plus malade que je ne le suis réellement ». Plus loin, elle revient encore sur « ce teint pour lequel on ne cesse de me tourmenter, je vous demande en grace de me dire qu’elle peut en être la cause »28. Porter les signes de la maladie sans se reconnaître malade est insupportable. La couleur jaune est associée à une surabondance de bile29. Louise de Corcelles en souffre. Elle s’échappe à la campagne: « J’ai besoin de sentir l’air, je suis jaune et me veux faire un beau teint pour votre société de demain » explique-t-elle30. L’apparence et la texture de la peau sont également soigneusement observées. Les boutons peuvent signifier un sang âcre31. Leur apparition suscite rapidement l’inquiétude et des mesures thérapeutiques. Le comte Golowkin demande conseil à Tissot pour son fils: « Georges va toujours bien, mais son visage est fiévreusement rempli de boutons, ils disparaissent quelquefois mais c’est pour revenir en plus grande quantité, il a l’air tout couperosé surtout quand on l’a lavé, qu’il a été couché sur le visage »32. L’apparition de tout signe pathologique visible peut susciter de l’inquiétude et engager le malade à entamer une thérapie sérieuse, mais elle n’interdit pas une lecture esthétique du corps malade. Une « grande maladie » aurait donné à Mlle van Breugel « de la pâleur des yeux battus, et plus enfoncés », mais « cela est si assorti a son joli air simple, modeste et un peu indolent qu’on ne la souhaite pas plus belle »33. Le poitrinaire Diederik Tuyll van Serooskerken, pour sa 28 29

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FT, II/144.05.07.06, Nancy de Brackel, Yverdon, le 24 février 1793. Charrière O. C., t. 5, p. 205, Sophie Julie de Dönhoff à Isabelle de Charrière, s.l., le 12 février 1796. Charrière de Sévery [1924], pp. 147 & 151, Louise de Corcelles à Catherine Charrière de Sévery, s.l., s.d. et Lausanne, mardi. Voir plus bas pp. 231-236. Georges était né en 1762. Charrière de Sévery 1928, p. 29, le comte Golowkin, Potsdam, le 4 mars [1765]. Charrière O. C., t. 2, p. 167, Belle de Zuylen à Diederik Tuyll van Serooskerken, Utrecht, le 26 février 1770.

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part, est pris pour un « amoureux malheureux et hipocondre » lors de ses déplacements en France et en Italie34. La beauté romantique est déjà un canon esthétique. Des maux crédibles? Il n’est guère étonnant, face à la perspicacité des observateurs, que tous ne parviennent pas à convaincre de la réalité de leurs maux. « Egayez un peu M. Gaillard » écrit Isabelle de Charrière à Caroline Chambrier en février 1790, « dont le plus grand mal etoit de se croire malade »35. Etre malade confère un statut particulier dont certains sont soupçonnés d’abuser. L’excuse de la maladie est couramment invoquée par ceux qui désirent échapper à la société. Mme de Larnage, au plus fort de ses ébats avec Rousseau, n’évoque-t-elle pas des incommodités pour refuser les invitations qu’on lui adresse?36 Plus tard, Rousseau lui-même n’esquive t-il pas une comparution devant le Consistoire genevois sous le même prétexte?37 Dans la sphère publique, la stratégie est courante38. Charles Bonnet, par exemple, met en avant ses infirmités pour obtenir sa démission du parlement genevois. Quinze ans plus tard il avouera: « Je ne touchais dans ma Requête à mes infirmités que pour être plus assuré d’obtenir ma démission, car ces infirmités n’étaient point le principal motif de ma démarche »39. La maladie est une excuse régulièrement avancée en société et les interrogations quant au véritable état de santé de certains hommes politiques secouent l’espace public. Le récit fait par le

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Charrière O. C., t. 2, p. 72, Belle de Zuylen à Diederik Tuyll van Serooskerken, s.l., le 14 janvier 1768. Charrière O. C., t. 3, p. 185, Isabelle de Charrière à Caroline Chambrier, s.l., le 16 février 1790. Rousseau 1959, p. 254. Le Consistoire est le tribunal des mœurs mis en place à Genève à l’époque de Calvin. Douze « anciens », des laïcs choisis parmi les citoyens respectables (deux doivent être membres du Petit Conseil, dix du Conseil des Deux-Cents) siègent avec les pasteurs et sont chargés avec ces derniers de veiller sur la discipline ecclésiastique. Ordonnances ecclésiastiques (1576), éd. 1714, art. 69 & 70. Rousseau 1959, p. 626. La stratégie n’est pas nouvelle. Le Person 2000. Le discours est daté du 1er janvier 1769. Il refusait, le 31 décembre 1766, une nomination au Petit Conseil, en alléguant la même excuse. Bonnet 1948, pp. 232-233 & 229.

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diariste Perdriau, en avril 1738, du comportement de Pierre Le Fort (1676-1754) est à ce propos édifiant. Le Fort avait été mis en cause pour des propos tenus sur les troubles politiques qui secouaient Genève, il aurait alors « dit que la violence de sa maladie, et la situation dans laquelle se trouvait son esprit, l’avaient porté sans réflexion à dire ce qu’il avait dit ce qu’il reconnaissait avoir fait mal à propos ». Le monde politique genevois analyse ses affirmations. Les proches de l’homme politique sont interrogés; « le Dr Lefort disait il y a quelques jours au bas de la cité que son frère dans ses maux avait bien des grâces à rendre à Dieu en ce qu’ils n’affectaient en aucune manière l’esprit » alors que « le pasteur son frère avait dit d’un autre côté au ministre Hornecca que ce qu’il y avait de triste dans la maladie de son frère c’est quelle n’affectait pas moins l’esprit que le corps et [...] qu’il était hors d’état de penser au syndicat ». « Quel contraste !» constate le diariste40. Ainsi, les discours sur sa maladie et sur celle d’autrui sont omniprésents dans la société du XVIIIe siècle. La nécessité de convaincre constitue une première difficulté pour le malade. L’appréciation des laïcs est critique et bien souvent souveraine. Dans la description qu’il fait de ses années de Collège, Louis Odier se souvient de certains jours où, en raison de la rigueur de la saison, ses parents le retenaient une demi-journée à la maison. Ces moments auraient été les plus heureux de son enfance. Il rapporte un stratagème qu’il inventa pour en obtenir le renouvellement: Souvent nous faisions les malades exprès pour obtenir la dispense, mais on en étroit rarement la dupe. Je me souviens qu’un jour, voulant absolument esquiver cet ennuyeux Collège (doutant du succès d’un mal simulé pour me servir d’excuse), je m’avisai de m’en faire un réel. Je pris quelques unes des pailles de mon lit, et à force de me les mettre dans l’œil, et de me tourmenter à m’en bien frotter les blancs, je réussis à le faire à venir tout rouge, et à paraitre tout de bon en pleurs. J’attendis ensuite patiemment qu’on vint nous réveiller […]. On alla avertir ma mère de l’état où j’étois. Elle ordonna que je restasse au lit. Je fis semblant de croire que ce n’étroit rien et de vouloir me lever. Ses ordres furent positifs. Je restai. L’on envoya chercher le chirurgien ou l’apothicaire. Je tremblais qu’on ne découvrit ma fourberie. Heureusement, l’on ne s’en douta pas, et j’eus par dessus le marché et pour

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Les frères sont le médecin Jean-Ami Lefort (1683-1741) et le pasteur Isaac Le Fort (1685-1763). BGE, SHAG, Ms 6, Journal de Perdriau, pp. 14-15.

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surcroit de bonheur la satisfaction de voir réussir mon stratagème au point qu’on me fit garder la maison pendant deux ou trois jours sans lire ni écrire.

Le simulacre était insuffisant face au regard des parents; seule une vraie maladie pouvait les convaincre ! Si l’apparence ou l’attitude du ou de la malade éveillent un doute, il ou elle prend le risque de susciter la réprobation. « Ma sœur a aussi pris la fièvre chez nous » écrit Belle de Zuylen, « et nous en avons été fort en peine les premiers jours mais cela s’est réduit a faire l’enfant de toutes les manières; elle ne veut souffrir ni le bruit ni le jour et moi je ne veux pas mourir d’ennui auprès du lit d’une persone qui n’est plus malade »41. La plupart des laïcs ont l’habitude de côtoyer, de soigner et même de veiller des malades. La suspicion de tromperie surgit rapidement et confirme l’attention avec laquelle le malade est observé. Force est de constater que certains parviennent à convaincre, d’autres moins. Les limites sont floues. « Madame [Vende] quoiqu’en général hors de la classe de ceux que l’on nomme malades est bien loin d’être bien » rapporte Jean-François Deluc42. Le scepticisme d’observateurs peut être éveillé par un état maladif qui perdure ou un comportement jugé inapproprié. Les commentaires critiques de l’entourage signalent l’existence de normes d’apparence, de règles de conduite et d’attitudes types auxquelles le malade devait se conformer. Une mauvaise santé suscite des comportements attendus. La surprise en matière de santé est déconcertante, et pas seulement pour le ou la malade. La jeune Belle de Zuylen, par exemple, est désemparée lors d’une maladie de sa mère. On ne sait comment s’y prendre avec ses maux car elle ne les aprecie point au juste; dans ses discours et dans sa conduite elle les traite trop legerement, dans son imagination elle est sujette a leur donner trop d’importance. Cela n’est point etonnant et peut être regardé comme un heureux defaut puisqu’il naît du peu d’habitude qu’elle a d’être malade: ses maux sont des etrangers de nouvelles connoissances elle ne sait pas ce qu’ils valent quelle consideration on leur doit ni comment il les faut traiter43. 41

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Charrière O. C., t. 2, p. 140, Belle de Zuylen à Constant d’Hermenches, Utrecht, le 9 mars 1769. Huguenot Society, Londres, Famille Deluc, Fdl 1/1, Jean-François Deluc à Jean-André Deluc, Amsterdam, le 3 avril 1780. Charrière O. C., t. 1, p. 479, Belle de Zuylen à Vincent Maximiliaan van Tuyll van Serooskerken, s.l., le 20 juin 1766.

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Son commentaire est un indice de la rareté d’une telle méconnaissance. Pour les tiers, la maladie inhabituelle et inattendue d’un proche met en cause l’ordre des choses. C’est banal. « Les plaisirs de cet hiver celui de la comédie de société en particulier viennent d’être interrompu d’une manière cruelle » écrit Amélie de Saussure à sa bellesœur: « Saladin le colonel vient d’être attaqué d’une paralisie qui fait tout redouter et pour sa vie, ou si elle est épargnée, pour les suites de cette cruelle maladie. Tu ne sauroit croire quel voile noir cet accident à répandu sur la société.»44 Le désarroi des proches est récurrent. Le premier signe d’un malaise ressenti par un des membres d’une communauté est l’interruption de ses activités habituelles, soit en raison de la douleur, de l’incapacité physique ou des effets de remèdes. Les maux paraissent parfois bénins. Alphonse de Saussure (1770-1853), par exemple, fait part à sa tante Judith des troubles de sa tante Tronchin: elle « ne se porte pas très bien. Elle a des boutons dans la bouche qui l’incomode beaucoup et nous empechent d’aller à Genthod »45. L’exclusion de la société, surtout pour des maux si peu inquiétants, n’a rien d’ordinaire et suggère une volonté de solitude. A l’exception de quelques affections épidémiques qui mettent à distance proches et connaissances, la maladie est loin d’être l’occasion d’un colloque singulier tel que nous le connaissons aujourd’hui, réunissant le malade et son soignant sous le sceau du secret médical. La sociabilité est en premier lieu régie en fonction des moyens matériels de la vie domestique. Des groupes d’individus cohabitent dans une proximité aujourd’hui rare et cette intimité n’est pas exempte de considérations de santé. A titre d’exemple, Louis Odier rappelle un épisode de son séjour à Edimbourg: Comme Daintelina avoit mal aux yeux on mettoit toujours les chandèles sur la cheminée. Un soir, je dis que j’imaginois que l’effort qu’on faisoit pour voir dans le dark étoit plus nuisible même que la lumière, et qu’en conséquence on feroit bien de mettre les chandèles sur la table. Daintelina disoit bonnement qu’oui et je m’offrois déjà pour les prendre mais Tucker sans se donner la peine de dire un seul mot pour réfuter mes raisons, s’y opposa

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BGE, Archives Saussure 239/140, Amélie de Saussure à Judith de Saussure, Genthod, le 26 courant. BGE, Archives Saussure 239/175, Alphonse de Saussure à Judith de Saussure, Genthod, le 30 juin 1807.

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vivement et Madame Blacklock se joignit à lui comme de raison46.

Les activités en commun et la présence du malade dans son contexte social peuvent être une des causes de la publicité donnée à l’état de santé des uns et des autres. Cela dit, si le groupe domestique pouvait être étendu, et les activités communes variées, le seuil entre ce qui était de l’ordre du privé est différent de celui d’aujourd’hui. Certains prennent des remèdes en société et recourent aux services de leurs parents et amis. Lorsqu’elle se fait saigner pour des douleurs à une jambe, Isabelle de Charrière rapporte, par exemple, que son ami Pierre Malarmey de Roussillon tenait le bassin47. Ailleurs, ce sont les suites de la prise de vomitifs dont les proches sont les témoins48. Seuls les remèdes nécessitant des postures indécentes ou entraînant des conséquences violentes incitent à se dissimuler du regard de tiers49. Le retrait de Voltaire sur sa chaise percée est une action amplement commentée et à l’occasion, stratégique. LE GROUPE PATIENT : RENDRE VISITE, SOIGNER Au cours d’une maladie particulière, un équilibre s’établit entre les impératifs de santé et les bienfaits de la sociabilité. Le confinement domestique est une des premières stratégies adoptées contre le mal-être. C’est à la fois le premier indice social du malaise et une première étape dans la trajectoire du malade. La décision de s’isoler est souvent prise par le malade lui-même. « Un rhume opiniatre qui ma retenu à la maison m’a empeché de voir des personnes que vous m’indiquiez » écrit Claude de Salgas à Isabelle de Charrière. Excuse ou malaise ? Qu’un correspondant puisse se prévaloir d’un tel argument pour motiver son inaction atteste pour le moins que 46 47

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MHS, Z 92/1, Journal intime de Louis Odier, le 24 février 1772. Charrière O. C., t. 4, p. 271, Isabelle de Charrière à Benjamin Constant, s.l., le 20 novembre 1793. Sur le caractère public des saignées, voir Sawyer 1989, pp. 36-37. Charrière O. C., t. 4, p. 388, Isabelle de Charrière à Benjamin Constant, les 8-11 avril 1794. Le pasteur Frêne se voit refuser l’entrée chez certaines connaissances lorsque celles-ci avaient « pris médecine ». Jnl Frêne, pp. 1294 & 1816.

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l’argument était possible. Un mois plus tard, une nouvelle lettre annonce sa libération ; il ne serait sorti que deux fois dans l’intervalle50. Le confinement domestique ne signifie pas la solitude ; les proches accourent aux premières nouvelles51. Des activités récréatives peuvent être organisées autour du lit du malade52. Distraire fait partie des soins et la panoplie des visiteurs ne se limite pas à la parenté53. Se rendre auprès d’un malade retiré chez lui constitue un réflexe, voire une obligation sociale. Les visites sont régies par des considérations d’intimité, de rang social, mais aussi par d’autres critères. Lorsque la femme d’un collègue, souffrant d’un dérangement d’esprit, est installée en pension chez le praticien Chopard pour un séjour thérapeutique, Frêne y côtoie une connaissance, M. Beck qui « etoit aussi monté dans la chambre de Madame Bergeon, avec bien d’autres, pour voir »54. La curiosité est une motivation suffisante. Frêne lui-même satisfera à différentes occasions la sienne en rendant visite à des malades, parfois même des malades qu’il connaît peu... Plus souvent les motivations mentionnées par les visiteurs sont l’amitié, l’amour, la compassion ou le devoir. Une maladie grave restreint davantage les visites qu’un mal moins inquiétant. Quelques exemples signalent l’étendue des stratégies possibles. Amélie de Saussure fait part de l’évolution de la santé de sa belle-mère, « un peu plus enrhumée depuis deux jours », mais se veut rassurante, « il ne faut pas t’inquiéter de ce rhume de Madame de Saussure puisqu’elle me recoit il n’est pas considérable »55.

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Charrière O. C., t. 2, pp. 452-456, Claude de Narbonne-Pelet de Salgas à Isabelle de Charrière, les 25 janvier et 20 février 1785. BGE, Archives Saussure 223/2/p. 30, Amélie de Saussure à Horace-Bénédict de Saussure (copie mss), [Genève], lundi soir [1793]. Isabelle de Charrière évoque des « soirées » passées au lit de malades. Charrière O. C., t. 4, p. 673, Isabelle de Charrière à Henriette L’Hardy, s.l., le 16 décembre 1794. Il suffit de se référer aux relations étroites entre l’état d’esprit et la santé, voir ici même, pp. 170-172, 307 et suiv. Tissot l’écrit lui-même à plusieurs reprises par exemple Charrière de Sévery 1928, p. 43, Samuel Auguste Tissot à comtesse Golowkin, s.l., le 8 juin [1765]. Jnl Frêne, pp. 1780-1786. BGE, Archives Saussure 237/138, Amélie de Saussure à Horace-Bénédict de Saussure, s.l., [9 octobre 1787].

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M. Duval56 reçoit le jeune Deluc, qu’il ne connaît pas, dans sa chambre. Le jeune homme vient chercher des conseils professionnels et la nature peu inquiétante de sa maladie, la goutte, facilite certainement son accessibilité57. A l’occasion d’une maladie jugée grave, les visites permises ou interdites attestent de la nature des liens entre visiteur et malade. Les visiteurs les moins proches du malade sont les premiers à être renvoyés. Charles-Emmanuel de Charrière, cousin des Charrière de Sévery, ne côtoie que rarement ces derniers. Lorsqu’il leur rend visite en octobre 1794, on ne le reconnaît pas. Mme Charrière de Sévery « etoit malade et […] on lui avoit mis le même jour des vesicatoires ». Il ne la verra pas58. Par contre, réclamer la compagnie de ses proches, c’est affirmer la gravité de son état. « Je fus dans le cas de prier qu’on ne me laisse pas seule » précise Marianne Doxat de Champvent en décrivant un épisode de sa santé59. Ainsi, l’admission ou non du visiteur répond à une équation sociale et l’importance du groupe qui se presse au chevet d’un malade atteste de la nature de son enracinement social. Contrairement à ce que l’on pourrait supposer, veiller un ou une malade n’est pas une activité exclusivement féminine. Jean-Jacques Rousseau présente les soins donnés à un ami comme le gage de la vraie amitié. Il insiste sur le fait qu’il avoit veillé, en alternance avec l’abbé Guillaume Raynal (1713-1796), Melchior Grimm (1723-1807). « Nous partageames sa garde: l’abbé plus robuste et mieux portant y passoit les nuits, moi les jours, sans le quitter jamais ensemble, et l’un ne partoit jamais que l’autre ne fut arrivé »60. Il se souvient ailleurs avoir soigné ainsi plusieurs de ses amis61. Veiller une connaissance malade est un moyen d’exprimer la profondeur de son attachement. Les malades choisissent leurs visiteurs. Belle de Zuylen est convoquée par une Mme Loten, « bien malade ». Elle « m’a envoyé 56

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Il s’agit soit de David Duval (1711-1791) soit de son frère François Duval (1713-1790), tous deux négociants. Huguenot Society, Londres, Famille Deluc, Fdl 1/1, Jean-François Deluc à Jean-André Deluc, Genève, le 4 octore 1775. Charrière O. C., t. 4, pp. 618-619, Charles-Emmanuel de Charrière à Isabelle de Charrière, s.l., le 20 octobre 1794. FT, II/144.05.02.22, Marianne Doxat de Champvent, Yverdon, le 2 mai 1790. Rousseau 1959, p. 370. Il critique Diderot qui aurait omis de lui rendre visite alors qu’il était dans un état « des plus déplorables ». Rousseau 1959, pp. 460, 469 & 485.

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chercher pour s’egayer et se ranimer un peu »62. Mme d’Epinay, « un peu incommodée », se souvient Rousseau, « dit qu’on lui portât un morceau dans sa chambre et monta pour souper au coin du feu. Elle me proposa de monter avec elle; je le fis. Grimm vint ensuite »63. L’intimité de la malade s’accommode ici de deux visiteurs. De toute évidence il n’y a pas de règle absolue. Le fait de prendre des nouvelles d’un ou d’une malade est une attention courante. D’autres visites prennent des allures stratégiques. Belle incite, par exemple, son frère à rendre visite aux parents d’une jeune fille dont il est épris. «Vous pouriez y aller à présent peut-être, vous pouriez dire que je vous ai écrit leur indisposition, et ce seroit un pretexte pour votre visite qui plairoit beaucoup, parce que cela tiendroit de cette sensibilité qu’on aime tant a inspirer a ce que l’on aime.»64 De toute évidence, à un certain niveau d’intimité, à un degré d’amitié arrêté, il est de bon ton, voire nécessaire de rendre visite au malade chez lui. Dans certains milieux, ces visites occupent l’essentiel du temps. Judith de Saussure, par exemple, toute à ses obligations envers deux amis malades, affirme renoncer à toute autre activité65. A l’occasion, l’empressement de connaissances ne manque pas de surprendre. Alors qu’elle séjourne à Genève, Isabelle de Charrière est confinée à la maison par un gros rhume. Habituée à l’isolement de Colombier, elle est ravie de voir affluer des visiteurs. « J’ai eu du monde l’après diné, le soir, tous les jours, sans que j’aye eu besoin de prier personne » s’exclame-t-elle dans une lettre à son frère66. Les thérapeutes ne retrouvent pas leur malade seul. Au moment de la rencontre, un jour de l’été 1761, entre le docteur-médecin Gédéon Rabours (1710-1775) et Jean-Antoine Normendie au chevet de Judith Danse, outre la malade, trois per62

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La même rapporte ailleurs des visites de politesse rendues à d’autres malades. Charrière O. C., t. 2, pp. 165 & 274, Belle de Zuylen à Diederik Tuyll van Serooskerken, s.l. et Colombier, les 25 janvier 1770 et 23 avril 1772. Rousseau 1959, p. 466. Charrière O. C., t. 2, p. 45, Belle de Zuylen à Diederik Tuyll van Serooskerken, Rosendael, le 1er juillet 1767. BGE, Archives Saussure 239, C2/62, Judith de Saussure à Horace-Bénédict de Saussure, Paris, le 24 janvier [179?]. A une autre occasion, elle s’étonne d’être veillée pendant 7 à 8 nuits par plusieurs amis. Charrière O. C., t. 2, pp. 349 & 376-377, Isabelle de Charrière à Vincent Maximiliaan Tuyll van Serooskerken, Genève, les 21-23 mars 1778; Isabelle de Charrière à Dorothea Henriette van Tuyll van Serooskerken, Genève, le 30 juin 1781.

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sonnes sont à même de rapporter les termes de leur entretien: le mari, son frère et sa belle-sœur. Un quatrième parent, Daniel Danse, « ne se rapelle pas s’il étoit present où bien s’il a ouï dire »67. La malade est bien entourée. A Genève, au début du siècle, la situation est même jugée inquiétante par les instances religieuses. Cette sociabilité garantit-elle encore l’accès des pasteurs aux malades? L’ancien Ducommun se plaint de ce que « les pasteurs ne peuvent guère dire aux malades qu’ils vont voir des généralités qui n’aboutissent pas à grand chose, à cause des personnes qui se rencontrent auprès d’eux » et suggère que les ministres « n’y souffrissent aucuns tesmoins »68. Le Consistoire se trouve divisé sur cette question et aucune décision ne sera prise. Il n’est pas envisageable d’interdire, même momentanément, l’accès des proches aux malades. Les pasteurs devront accomplir leur œuvre consolatrice alors même que défilent parents et amis69. Les soins La mobilisation des visiteurs est un aspect des soins prodigués aux malades. La maladie d’un proche entraîne systématiquement une surcharge de travail pour la maisonnée70. Même les hommes et les femmes de bonne famille se transforment en soignants de fortune. « La maison de Monsieur le conseiller De la Rive » écrit son gendre, « est une véritable infirmerie, dont je suis le supérieur »71. L’impératif pour le malade et les proches est de faire en sorte que la maladie ne dure pas, ne prenne pas racine. Dans le feu de l’action, la santé du soignant peut être mise en péril. Ce danger n’incite que rarement les proches à restreindre leurs efforts. Les malades se montrent sensibles aux attentions reçues. « J’etais triste, degoutée de la vie, malade avec cela » rapporte Susanna Tulleken à une amie. Pourtant, « des personnes charitables m’ont tiré de la. Elles m’ont conduites a l’air, et donné du bon vieux vin qui n’etait pas du païs; Mme de Chatillon a fait attelér sa voiture. Ma femme de chambre m’a coeffé, 67 68 69 70 71

AEG, PC 10905. AEG, R. Consist., vol. 70, p. 35, le 30 août 1703. AEG, R. Consist., vol. 70, p. 43, le 20 septembre 1703. Le constat est banal. Par exemple Piller 1999, p. 220. BGE, Ms Bonnet 70 f. 255, Charles Bonnet à M. De la Lande (copie mss), Genthod, le 17 août 1761.

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et me revoila sur pied »72. Les exemples abondent. Les parents soignent et veillent leurs enfants qui leur rendent, à leur tour, les mêmes services73. Soigner ses parents est un devoir moral. En cas de négligence, des observateurs plus lointains s’en offusquent. Isabelle de Charrière vilipende vertement les proches d’une amie: « On ne fait pas pour elle ce qu’on devroit. Ses alentours n’ont pas d’yeux ou pas de cœurs ou pas de sens. Je vous assure que je la plains de me quiter et d’un autre coté je souhaite qu’elle parte vite; puisqu’on ne sait pas la soigner je n’ai d’espoir que dans le voyage »74. A Genève, les membres de la communauté qui négligent un parent malade peuvent être traduits devant le Consistoire et fustigés publiquement pour leur comportement75. Au-delà des commentaires sur le dévouement des proches, peu transparaît de l’organisation domestique et de la nature des soins donnés. Une série de tableaux réalisés par Ami Lullin lors des maladies de membres de sa famille donne une idée de la mobilisation des réseaux sociaux et de la domesticité. Dans un document dressé au mois de mai 1750, à l’occasion de la petite vérole de sa petite-fille, figurent les noms des visiteurs et des veilleurs. On y trouve M. de Lubières, un parent de Madame Lullin76, les médecins Rilliet et Mallet77 et d’autres, peut-être des amis: Jallabert78, Dauphin, Auber, de Rochement79. Une seconde colonne comprend la liste de veilleurs et de gardes-malades de la petite fille âgée alors de cinq ans. On y trouve des domestiques, la famille Lullin en avait sept: le nom de Charles revient cinq fois, celui de Bonabel trois fois, François et 72

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Charrière O. C., t. 4, p. 149, Susanna Tulleken à Isabelle de Charrière, Yverdon, le 17 août 1793. En été 1753, lorsque la mère de Théophile Rémy Frêne est attaquée d’une « colique epouvantable », son fils la veille. Jnl Frêne, p. 189; Louis Odier se souvient d’avoir été veillé par son père, voir ici même p. 215. Charrière O. C., t. 3, p. 213, Isabelle de Charrière à Caroline Chambrier, s.l., le 24 mai 1790. Les affaires s’égrènent sur plusieurs siècles. AEG, R. Consist. vol. 2, f. 8, le 5 novembre 1545; vol. 58, f. 77, le 11 août 1659; vol. 71, le 13 décembre 1703 et le 17 janvier 1704; vol. 72, le 3 novembre 1707. Née Susanne Albertine Langes de Lubières (1706-1778). Marc Rilliet (1680-1761). Il n’y a pas de traces à cette époque d’un « Mallet medecin » à Genève. Peut-être Jean Jallabert (1712-1768), le professeur de physique. Certainement François de Rochemont (1681-1780).

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David deux fois chacun alors que celui de Sandos et de « la femme l’horr.» figurent qu’une seule fois chacun (voir figure 3)80. Les noms n’apparaissent jamais deux jours de suite, suggérant une alternance ordonnée. La liste des veilleurs de la mère de l’enfant, Marie Charlotte Boissier (1725-1750), affligée par la même maladie, comporte une majorité de femmes alors que pour la fillette les hommes étaient plus nombreux. Les premiers jours de la maladie, Jeanne et Sara, probablement des domestiques, se relaient au chevet de la malade. Dès l’éruption des boutons, la surveillance devient plus sérieuse et un parent ou un proche veille chaque jour la malade aux côtés d’un domestique. M. Saladin veille avec Barthelemi, Mme Camp. avec Gabrielle et Mme Alleon avec Sara. Le huitième jour, dimanche, la mère de la malade veille avec « la servante de Mme Dupraz » et, ajoute Ami Lullin, « moi depuis 2 h. après minuit »81. Les veilleurs sont choisis par les Lullin dans leur environnement domestique ou parmi les amis et les parents. Des hommes et des femmes gardent des malades, même s’il apparaît peu courant pour un homme de veiller une femme à moins d’être un parent proche82. Les femmes de la maisonnée sont le plus logiquement sollicitées en premier et, lorsque la garde-malade vient d’au-dehors, elle est souvent choisie parmi les parentes ou connaissances dépourvues de charges familiales. Thérèse Forester (1786-1862), la belle-fille d’un ami d’Isabelle de Charrière, demeure auprès de cette dernière de 1801 à 1805 avec un statut vague qui tient de l’amie, mais aussi de la dame de compagnie et de la garde-malade: elle ne touche pas de gages, mais les Charrière l’habillent et pourvoient à ses besoins83. La même logique prévaut dans des couches sociales plus modestes. Eugénie Borel, fille de ferblantier, est appelée à quitter ses parents pour soigner un de ses frères blessés au siège de Lyon. Le frère en

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De nombreux témoignages signalent le rôle important des domestiques dans les soins. Charrière O. C., t. 5, p. 135, Isabelle de Charrière à Caroline SandozRollin, s.l., le 8 août 1795. Pour les domestiques de la famille Lullin, voir Walker 1998. BGE, Ms Lullin 2/175-176,Lullin, Ami, Journal d’une [barré: de deux] petite verole de 1750. La règle n’est pas absolue. Louis Odier signale une malade soignée par le frère de son mari. BGE, Ms fr 4153, Louis Odier à Andrienne Lecointe, s.d. [1779]. Sa présence et ses services sont appréciés par le couple vieillissant. Charrière O. C., t. 6, p. 603, Isabelle de Charrière à Therese Forester, s.l., le 27 juillet 1805.

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question avait amassé un petit pécule et, à sa mort, elle en hérite84. Un legs est un moyen courant de récompenser de tels offices et de compenser l’absence de salaire. C’est une pratique logique et tous sont étonnés, écrit Isabelle de Charrière, d’apprendre que Marianne Moula (1760-1826) n’hérite pas de Mme Cordier pour laquelle elle « a eu des soins […] admirables, des soins si degoutans si fatigans si douloureux !»85 La durée et la nature de la maladie, ou encore l’isolement social du malade incitent certaines familles à engager, souvent à regret, un garde-malade mercenaire86. C’est une dépense supplémentaire dans un budget déjà grevé par le coût des soins médicaux. Le métier de garde-malade est alors informel et se trouve aux confins de celui des employés de maison87. On y rencontre des veuves comme la dame Torrel qui fait profession « d’être garde auprès des femmes en couche, ou des malades » selon le Consistoire, inquiet pour ses filles laissées à elles-mêmes pendant ses absences88. Des hommes s’y emploient également. Le concierge de l’Hôtel de Ville à Genève, par exemple, veille à l’occasion un malade résidant à proximité89. Le recours à des gardes-malades externes est rare à l’Hôpital général de cette ville, mais était parfois pratiqué ailleurs90. Dans un cadre domestique, le recours à un garde-malade professionnel répond à une situation particulière. Les crises chroniques dans la santé de Salomon Charrière de Sévery (1724-1793) sont gérées par les membres de sa maisonnée. C’est à l’occasion de sa lente agonie en 1793 que sa femme engage le domestique d’un ami 84

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BGE, Archives Saussure 239, C3/134-135, Amélie de Saussure à Judith de Saussure, Genthod, le 25 octobre [1807]. Charrière O. C., t. 4, p. 572, Isabelle de Charrière à Benjamin Constant, s.l., le 24 septembre 1794. La connotation est négative, voir BGE, Ms fr 4151, Suzanne Baux à Louis Odier, Genève, le 21 mai 1772. C’est du moins ce qu’affirme Louis Odier en proposant l’établissement d’un bureau central répertoriant ces soignants. MHS, Z 92/5, Louis Odier, Premier mémoire sur les différentes professions médicales (lu le 25 janvier 1810 à la Société de médecine et de chirurgie). La moitié de la chambre où elles logent est sous-louée à un charpentier. Voir plus bas p. 255. Seuls une poignée de gardes-malades sont mentionnés dans les documents administratifs de cette institution. Louis-Courvoisier 2000, pp. 144-146. Ailleurs des hôpitaux engagent des veilleurs extérieurs pour la nuit, voir par exemple Gruber von Arni 2007, p. 328.

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pour le veiller91. Dans une autre famille, un garde-malade vient épauler l’épouse d’un malade incapable de se mouvoir seul92. Ailleurs, prendre un garde-malade peut suppléer à la maisonnée qui n’aurait pas envie de veiller elle-même le malade, lorsqu’il s’agit d’un domestique, par exemple93. Le recrutement des gardes-malades repose sur l’ouï-dire, mais quelques encarts dans la Feuille d’avis signalent que la presse pouvait compléter le réseau social, signe d’une commercialisation croissante des services médicaux94... La forte mobilisation de ces femmes semble aller de soi. D’une manière générale, confinées dans l’espace domestique qui est aussi celui du malade, les femmes jouent un rôle prépondérant dans la confection des remèdes et l’organisation des soins95. A l’exemple d’autres mères de famille et de maîtresses de maison, la cousine d’Isabelle de Charrière invoque régulièrement des soins à donner pour justifier les retards survenus dans sa correspondance; en 1791 ses deux enfants avaient attrapé la rougeole, l’une fut même « en grand danger »: Pendant 12 nuits je ne dormis pas j’etois levée ou couchée avec mes habits, enfin les rougoles qui ne sortoit pas se montrerent, la maladie allat mal, et il lui a fallu des soins dont on ne se fait pas d’idée pour prevenir que la poitrine ne fut attaquée, […] comme la femme de chambre etoit malade et que la veuve de Klos n’avoit point eu les rougoles, tout les soins nuit et jour tomberent sur moi96. 91

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Les comptes de la famille attestent de 6 livres versées à « Nicolas de Gibbon » pour ses veilles. ACV, P Charriere, Acb 879, « Livre de ménage ». Guyot 1946, p. 352, Charlotte Argand-de Chaillet à Charles-Louis L’Hardy, Coppet, le 15 mars 1813. AEG, R. Consist., vol. 70, p. 153, le 22 février 1703. « La femme Jaunin continue sa profession de garde-malade » et encore « Le Sieur Molland, garde-malade, informe qu’il habite maintenant en haut de la rue Du Boule, maison Bouvier ». Communication de Micheline Louis-Courvoisier, Feuille d’Avis, nos 37 & 39, les 28 septembre 1782 et 13 septembre 1783. Par exemple Charrière O. C., t. 3, p. 279, Anne-Caroline Tronchin-Boissier à Isabelle de Charrière, s.l., le 26 février 1791. Voir aussi Wear 2000, pp. 49-55 et, pour la diffusion des remèdes, ici même pp. 479-482. Des recherches récentes tendent à montrer que le rôle médical des mères de famille s’étendait bien audelà de l’espace domestique. Pour un survol historiographique, voir Fissell 2008. Charrière O. C., t. 3, pp. 258 & 260, Anne Elisabeth comtesse van Reede et Athlone-van Tuyll van Serooskerken à Isabelle de Charrière, les 2-6 janvier 1791 et le 7 novembre 1793.

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Les maîtresses de maison peuvent être accaparées par de telles activités. C’est le cas d’Amélie de Saussure en septembre 1786, affairée entre le lit de sa tante et la chaise longue de sa fille97. Ce n’est peutêtre pas tout à fait un hasard si le plus jeune veilleur attesté dans les documents est une veilleuse. D’une écriture d’enfant, Lolotte [Charlotte] de Buren rapporte le 4 septembre 1737: « ma tante Davene a ettes obligé de garder la chambre ». Et le lendemain. « J’ai ettes tout le jour vers ma tante Davene ou j’ai brodé et marqué les 3 chauson ». Elle passe les quatre jours suivants à veiller sa tante98. L’habitude d’être en première ligne face à la maladie est une des raisons pour lesquelles certaines femmes se muent en conseillères médicales. Isabelle de Charrière a suivi cette voie. Jeune fille, elle veillait les malades et cherchait à les égayer99. La responsabilité pouvait être lourde. En juin 1769, sa mère et son frère sont malades: « Je les ai peu quités, je suis chargé de milles soins, je n’écris pas une phrase qui ne soit interrompue; on entre, ou on m’apelle » confie-t-elle à un ami100. Dans la sphère familiale, Isabelle accumule ainsi un savoir médical pratique qu’elle mettra plus tard à la disposition de ses correspondants. Constant d’Hermenches en bénéficie à différentes occasions, notamment lorsqu’il prend part à la campagne de Corse101. Les frères d’Isabelle reçoivent également des conseils et même des prescriptions. Une fois mariée elle continue à jouer ce rôle, soignant alternativement son mari102, ses parents et ses amis103. Les conseils médicaux qu’elle donne attestent d’une certaine indépendance d’esprit et d’une 97

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BGE, Archives Saussure 237/191, Amélie de Saussure à Horace-Bénédict de Saussure, s.l., vendredi 28 septembre [1786]. ACV, P. Charrière, Ci 9, Lolotte [Charlotte] de Buren, Livre de ce qui et pace à Lisle l’an 1736. Charrière O. C., t. 1, p. 417, Belle de Zuylen à Constant d’Hermenches, s.l., le 29 mai 1765. Charrière O. C., t. 2, p. 147, Belle de Zuylen à Constant d’Hermenches, Zuylen, le 23 juin 1769. Belle avait lu le livre de Boswell sur la question Corse où San Fiorenzo est décrit comme un lieu malsain. Boswell 1768, pp. 25-26. Voir par exemple Charrière O. C., t. 5, p. 216, Isabelle de Charrière à Jean-Pierre Chambrier d’Oleyres, s.l., le 16 mars 1796. Elle prodigue bien souvent des conseils à Benjamin Constant. Charrière O. C., t. 4, pp. 434 & 586-587, Isabelle de Charrière à Benjamin Constant, s.l., les 1617 mai et le 29 septembre 1794; Charrière O. C., t. 5, p. 50, Isabelle de Charrière à Benjamin Constant, s.l., le 25 février 1795.

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grande méfiance des professionnels. La figure de la femme soignante ne se cantonne pas qu’aux familles aisées. Elle est aussi attestée dans des milieux plus modestes. Claudine Darlay, par exemple, se voit rejetée par son mari sous le prétexte qu’elle distribue du poison. Elle explique « qu’il est vrai qu’elle s’est servie de sublimé104 pour des remèdes, mais que ce n’a jamais esté qu’au veu et sçeu de son mari »105. L’épouse affirme avoir appris à préparer ce remède d’un médecin, son oncle106. La proximité de la soignante et de l’empoisonneuse dans l’imaginaire est bien établie. Le savoir public Les santés des figures publiques suscitent de nombreux commentaires, mais le phénomène dépasse le cadre des seules célébrités. Des malades au profil modeste voient également leur état de santé débattu par des tiers. Mais que sait-on de la santé de parents, de voisins et de connaissances au XVIIIe siècle? Il n’y a en apparence que peu de limites. Les visiteurs accèdent au lit du malade, y laissent des conseils et en rapportent des impressions et des jugements. La discrétion est rare étant donné la constance avec laquelle les nouvelles sur la santé des uns et des autres sont échangées en société107. En constatant les détails évoqués par Michel Schüppach (1707-1781), chirurgien et uromante établi à Langnau, dans son analyse des urines d’un lausannois, César de Saussure (1705-1783) commente: « Tout le monde, à Lausanne, sait que M. Besson […] eut au mois de juillet et d’aoust de cette année 1773 une fièvre chaude affreuse, accompagnée d’un délire presque continuel, que la fièvre à la fin le quitta, mais que le dérangement d’esprit lui resta »108. La clairvoyance du praticien serait due à son réseau d’information et non à ses compétences médicales ! Qu’une jeune domestique, Rosette, soit 104

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Sublimé: « Mercure qui a été sublimé [élevé un corps volatil, par le moyen du feu dans un matras, ou dans une cornuë]». Académie 1694. Elle ne cesse pas pour autant ses activités. Cinq ans plus tard elle est traduite devant la Faculté pour plusieurs actes illégaux, dont la préparation de remèdes « avec des compositions mercurielles ». AEG, R. Consist. 70, p. 60, le 19 novembre 1703. AEG, R. Consist. 70, p. 66, le 6 décembre 1703. Le 18 décembre de la même année le Conseil ordonne au mari de reprendre sa femme. AEG, PC 5571. Voir à ce sujet Stollberg 1997, pp. 207-208. Biaudet 1956, p. 127.

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contrainte de subir un long voyage exposée aux intempéries, suscite l’indignation de la communauté neuchâteloise. « Hier elle pleuroit en parlant et cachoit ses larmes. Jusques aux hommes du peuple sont indignés » déplore Isabelle de Charrière. Sans se vanter de connaître cette fille, elle sait pourtant que « la fatigue des preparatifs lui redonna ses regles hors de tems. La pluye les fit passer elle fut très malade et souffrante »109. L’étendue du savoir de la communauté sur la santé de particuliers est saisissante. Peu de malades cherchent à dissimuler des informations sur leur état de santé, et quand ils s’y risquent, ils suscitent l’inquiétude de leurs proches. Le cas d’HoraceBénédict de Saussure est à ce titre emblématique. Un auteur anonyme se plaint à Haller: Le « mauvais état de sa santé inquiète beaucoup ses amis. Le silence qu’il observe là-dessus, des remèdes qu’il s’ordonne luimême peut-être imprudemment, qu’il compose et prend en secret leur font craindre que son état n’empire et qu’on ne vienne trop tard à son secours »110.

De nombreuses traces attestent de la réserve constante de Saussure sur son état de santé. Louis Odier, un de ses médecins, le confirme dans l’anamnèse détaillée présentée dans une conférence publique peu après son décès. Saussure aurait souffert de troubles digestifs et de vomissements, mais aurait dissimulé ce fait de sorte « que la plupart de ses amis et de ses parens avoient toujours ignoré qu’il fut atteint de cette infirmité »111. Dans le contexte de la publicité généralement conférée à la santé des uns et des autres, un tel trait surprend. Le silence de Saussure répond peut-être à l’inquiétude que des tiers ne le désignent comme souffrant d’un mal héréditaire, un cas de figure qui pouvait inciter un malade à aspirer à une certaine discrétion112. Il est évident aujourd’hui que la volonté de Saussure n’a pas été respectée. L’observation scrupuleuse des corps individuels incite les contemporains à se forger des opinions sur la constitution* propre à des familles dont plusieurs membres souffrent de symptômes inquié109

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Rosette ne tombera pas malade. Charrière O. C., t. 3, pp. 373 & 376, Isabelle de Charrière à Caroline de Sandoz-Rollin, s.l., le 17 juin 1792; Isabelle de Charrière à Henriette L’Hardy, s.l., [23 ou 30] juin 1792. Burgerbibliothek Bern, Correspondance Haller, XVIII 32/66, s.d. MHS Z 92/10, Louis Odier, Mémoire sur la dernière maladie et la mort du Citoyen H.-B. de Saussure (lû à la Société de physique et d’histoire naturelle) Rieder et Barras 2001b, pp. 510-519.

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tants. Plus globalement, l’attention prêtée par les membres de la famille et les amis aux moindres anomalies dans l’écoulement (ou non) de fluides corporels d’un proche est constante et extrêmement fine113. Les détails aujourd’hui soigneusement confinés à la relation thérapeutique étaient alors accessibles à un cercle plus large que la famille proche. On ne dévoile pourtant pas tout à n’importe qui. Le recours à des euphémismes comme « aller à la garde robe »114 signale une certaine retenue. Ami Lullin propose de retrouver son ami Abraham de Crousaz à Rolle: « Bien mortifié de ne pouvoir pas aller jusques à Lausanne [...] par une incommodité, je n’ose dire où, qui ne me laisse pas supporter la voiture qu’assez douloureusement »115. En société, les allusions scatologiques font rire certains. « La Sarras qui tout conté est l’homme le plus agreable de la Haije tomba dans les propos de chaise percée, car c’est le pivot ordinaire de ses gaietés » rapporte par exemple Constant d’Hermenches qui affiche une certaine distance critique116. Le rire dissimule-t-il une gêne? L’abondante sudation dont souffre Catherine Charrière de Sévery installée sur « la chaise percée » lors de la visite de la tante de son mari, Mme de Mex, trahit peut-être un embarras117. Dans le domaine de la santé, une distinction se dessine entre les proches tenus au courant des moindres détails médicaux et les autres renseignés de manière plus succincte. Des hommes s’exprimant à la place de femmes, de parentes ou de connaissances, évoquent leurs « époques », une « certaine époque », voire la « crise périodique » pour désigner les règles de celles-ci118. Leur savoir n’est pas aussi superficiel que le laissent

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L’importance des médiateurs dans les consultations orales ou écrites atteste de l’ampleur du phénomène. Les rôles joués par Saussure, Bonnet, Charrière et Frêne dans la santé de leurs proches en sont autant d’illustrations. Lire à ce propos Pilloud 2000; Louis-Courvoisier et Pilloud 2000, Louis-Courvoisier et Pilloud 2004. FT, II/144.03.04.31, M. Bonafont, Lausanne, le 26 mai 1784. BCUL Dorigny, Fonds de Crousaz, VII/267, Ami Lullin à Abraham de Crousaz, Geneve, le 18 janvier 1735. Charrière O. C., t. 1, p. 337, Constant d’Hermenches à Belle de Zuylen, la Haye, le 1er novembre 1764. ACV, P Charriere Ci 11, Catherine Charrière de Sévery, [Journal]. FT, II/144.05.07.08, M. Carrard-Tavel, Grandson, le 1er février 1793; II/144.05.01.18, J. de Bottens, Neuchâtel, le 14 décembre 1789; II/144.05.01.19, M. Prêtre, Neuchâtel, le 5 mars 1790.

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présager ces formules. M. Reverdil fait pudiquement allusion aux « époques » d’une amie allemande. Sa science va pourtant jusqu’à la connaissance de la chronologie des « suppressions » de celles-ci, l’apparence de ses écoulements mensuels, ordinairement « régulières et abondantes », et la cause de leur anormalité: maltraitée par sa famille, de « violentes émotions lui decompose naturellement le sang et sont rendu partie eau et le reste comme des petites parties attachées »119. D’une manière générale, il était difficile de dissimuler l’apparence, l’odeur et parfois le goût des fluides corporels des autres. Les conséquences ne sont pas toutes regrettables. La maladie de l’autre suscite d’abord une solidarité de voisinage. En cas de crise aiguë et surtout inattendue, les voisins sont les premiers sur les lieux. Le sautier de Normendie se tord de douleur lorsqu’il sort sur le palier avec sa femme pour appeler à l’aide. Ses voisins les Chapeaurouge sont les premiers sur place. Survient alors le docteur Gédéon Rabours. Mme Chapeaurouge quitte rapidement la scène, peut-être en raison du lavement qui est alors donné au malade. Elle est suivie de près par sa domestique, « le cœur lui faisant mal de voir souffrir M. Normendie »120. M. Chapeaurouge assiste aux tentatives faites par Rabours pour soulager le malade et « alla lui meme a la cuisine chercher une pleine écuelle d’eau tiède, qu’il la présenta au malade qui l’avala, ce qui l’aida a rendre son soupee qui le tourmentoit ». Il aborde alors la question de la cause de cette crise avec le praticien121. Parmi les malades connus de la collectivité, il faut signaler ceux dont la folie était reconnue. Leur présence n’est pas toujours appréciée. Ami Lullin s’inquiète du possible séjour d’un fou dans une pension où il désirait établir une protégée. « Il m’est revenu que l’on veut placer dans la meme pension que notre demoiselle un homme d’ici de 30 a 40 ans nommé Vieux qui est fou et mauvais fou, puisque dans un acces de manie, il a commis un horrible meurtre ». Et de demander à son confrère de tout faire pour empêcher que cet individu n’y soit pas reçu122… Il n’est pas toujour possible d’éviter les fous, notam119

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FT, II/144.04.02.16, Reverdil, Lausanne, le 17 juillet 1791. Barbara Duden signale que des célibataires consultant Storch pour des amies tenaient des propos similaires. Duden 1991, pp. 82-83. AEG, PC 10905, Deposition de Marie Elizabeth Jacottet du 25 aoust 1761. AEG, PC 10905, Deposition de Jean Jaques De Chapeaurouge du 24 aoust 1761. BCUL Dorigny, Fonds de Crousaz, VII/141, Ami Lullin à Abraham de Crousaz, Genève, le 3 mars 1734.

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ment lorsqu’il s’agit d’un parent ou d’un ami. « Dans ce moment Mme Tronchin ne consentiroit pas à vous voir; elle vous a nommée et vous croit à Rolles. Je vous ai dit que sa manie est de croire avoir etouffé son mari dans un bain avec l’aide de Cabanis et d’être reservée à un affreux suplice.» 123 En dépit de sa déraison et ses attitudes inadéquates, la malade est gardée par ses proches124. D’autres « fous » sont socialement intégrés. Lors de leur séjour à Baar, par exemple, la comtesse Dönhoff (1768-1834) et Henriette L’Hardy ne craignent pas de se promener avec un peintre dont la folie était reconnue; les manifestations de cet état ne sont, il est vrai, pas propres à effrayer ces deux femmes: « Il ne fait que chanter il parle sensément aux personnes qui le gènent un peu. La comtesse fut le voir hier il fut bien tant qu’elle lui parla.» Comme c’est le cas dans d’autres maladies, des laïcs n’hésitent pas à s’improviser soignants; la comtesse elle-même « croit qu’on pourrait le guerrir seulement en lui en imposant et en l’aidant a rappeller ses idées. Elle veut l’entreprendre »125. D’autres individus fous sont plus déraisonnables que folâtres. François Delachana (1645-1720), citoyen genevois et auteur étudié par Corinne Walker, est un fou reconnu qui élève une famille et exerce une activité professionnelle. Dépourvu d’inhibitions, Delachana n’hésite pas à critiquer des personnalités en vue dans la République; son statut un peu particulier fait de lui un des porte-voix du mouvement contestataire genevois au début du XVIIIe siècle: il ose dire tout haut ce que ces derniers pensent en toute discrétion. Sa « folie » lui vaudra d’échapper à la peine capitale lors de la crise politique en 1707126. La communauté et le malade Le mal-être, l’indisposition, l’alitement, la maladie et la simulation sont des phénomènes auxquels toute société doit faire face. Au cours 123

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Elisabeth-Charlotte Boissier venait de perdre son mari (Jean-Robert Tronchin), mort à Rolle le 11 mars 1793. Le praticien mentionné est le chirurgien FrançoisDavid Cabanis (1727-1794). Notamment « Caroline ». Charrière O. C., t. 4, p. 76, Charles-Emmanuel de Charrière à Isabelle de Charrière, s.l., le 21 mai 1793. Charrière O. C., t. 4, p. 152, Henriette L’Hardy à Isabelle de Charrière, [Baar], le 18 août 1793. Il est désigné comme « fou » par les membres du Conseil. AEG, R.C., t. 207, les 11 et 12 janvier 1707, pp. 30 & 33. Walker 1995.

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de l’Ancien Régime, non seulement était-il peu avisé de taire son état de santé en société, mais très difficile de bénéficier du secret médical. Une des raisons est probablement la propension des malades à consulter différentes sources et autorités médicales. Cela dit, quand ils cherchent à justifier une conduite, les laïcs n’hésitent pas à invoquer l’expertise des docteurs en médecine. Saussure cite l’avis de Jean-Antoine Butini pour motiver sa démission de sa chaire à l’Académie. Son propre fils, Nicolas Théodore, invoque les avis de plusieurs praticiens sur l’état de sa main afin de prolonger son séjour à Londres en 1793127. Les recommandations de médecins sont présentées informellement et si le certificat médical existe, il est plutôt rare128. Le malade doit convaincre lui-même de son état129. La reconnaissance du statut de malade est foncièrement sociale. Les pasteurs et les anciens tiennent régulièrement compte de l’état de santé des prévenus appelés à comparaître devant le Consistoire genevois. Daniel Brun, un adolescent convaincu d’avoir consulté une devineresse afin de retrouver l’amitié d’un certain Rodolf, est traité avec des égards particuliers en 1733 « attendu l’humeur mélancholique et triste de Brun »130. La maladie est une excuse qu’invoquent régulièrement les fidèles pour éviter une comparution. Les pasteurs connaissent leurs concitoyens, consolent les malades et se font leur propre opinion. Elle est parfois favorable au malade, comme dans le cas de Brun, ailleurs le contrevenant est simplement réassigné un autre jour131… C’est le cas de la femme d’Isaac Maudry. Accusée de vivre séparée de son mari, elle évoque une indisposition pour éviter une comparution devant le tribunal. Le pasteur Fatio (1659-1742) 127

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BGE, Archives Saussure 238/85, Nicolas Théodore de Saussure à HoraceBénédict de Saussure, Londres, le 6 mars 1794. Pour un exemple, voir Charrière O. C., t. 4, p. 235, Isabelle de Charrière à Ludwig Ferdinand Huber, s.l., le 24 octobre 1793 & Isabelle de Charrière à Henriette L’Hardy, s.l., le 24 octobre 1793. Un processus similaire est encore attesté aujourd’hui, mais il est plus courant de déléguer au médecin la responsabilité d’opérer une distinction entre malades et bien-portants. Waxler 1981. Une femme, qualifiée comme « malade et hydropique » est dispensée de comparaître alors qu’une femme enceinte est convoquée devant une commission réduite. AEG, R. Consist., vol. 81, p. 231, le 19 mars 1733; vol. 71, p. 342, le 4 mars 1706; vol. 89, p. 231, le 23 mai 1771. Pour une malade tolérée en dépit de son comportement passé, voir AEG, R. Consist., vol. 79, p. 40, le 20 avril 1724. AEG, R. Consist., vol. 72, p. 108, le 11novembre 1707.

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est en mesure d’éclairer ses collègues à ce propos: « La maladie de la femme Moudre étoit un prétexte, et ce n’étoit pas d’une nature à l’empêcher à venir n’ayant que les mains enflés.»132 La complaisance ou la dureté du tribunal face à l’initiateur d’un scandale devenu malade témoigne de sa capacité à évaluer l’état de santé de chacun. Le corps des pasteurs s’estime également compétent pour statuer sur l’état de santé de ses propres membres. L’emploi du temps des ministres est lourd et une décharge pour mauvaise santé était le moyen le plus simple d’en obtenir l’allègement133. Les délibérations consacrées à ces questions occupent une place importante dans les registres. Pour les six premiers mois de 1734, la question concernant la santé d’un membre est évoquée à 25 reprises. Cette même année, la Compagnie ne comporte que 24 membres (et 11 pasteurs pour la campagne). Tous les pasteurs ne sont pas malades. Cinq pasteurs réclament des décharges complètes, les autres ne sollicitent que des dispenses ponctuelles134. Dans les requêtes telles qu’elles sont couchées dans les registres, le vocabulaire est vague. Il est question de « maladie », « d’indisposition », et encore de « mauvaise santé ». Plusieurs membres obtiennent une décharge complète, renouvelée de trois mois en trois mois. Le pasteur Crommelin, se voit libéré de ses obligations le temps d’une cure aux bains d’Aix. Les symptômes dont il souffre ne sont pas énumérés et la décision est prise, comme dans les autres cas, sans l’intervention d’une autorité médicale. La réaction du pasteur Gaudy face à une rumeur l’accusant de ne travailler qu’à temps partiel, est révélatrice de la nature publique de l’état de santé de chacun: Quant aux dimanches, […] il est vrai qu’en cause de son incommodité cognue de toute la Compagnie il n’a pu continuer de prescher ce jour-là, mais qu’en place d’une action de dimanche dont il 132 133

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AEG, R. Consist., vol. 79, p. 282, le 28 mars 1728. Chaque pasteur doit assurer entre 100 et 130 actions par année, dont 50 à 80 sermons. Au cours du XVIIIe siècle, la question de savoir s’il faut alléger ou non les charges des pasteurs est débattue. Voir Bessonnet 1728, « préface »; Gaberel 1853-1862, t. 3, p. 33; Heyer 1974, p. 68. La décharge s’effectue aux dépens d’autres ministres, généralement les ministres de la campagne.Voir le règlement du 22 juin 1714 cité dans AEG, Registre de la Compagnie des Pasteurs, 24, p. 36, le 26 mars 1734. La Congrégation est un sermon présenté devant la Compagnie. La décharge définitive doit ensuite être obtenue du Conseil. Pour un exemple, voir AEG, R.C., 202, le 27 janvier 1702, p. 77.

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estoit chargé chaque mois, il auroit offert à la Compagnie d’en faire deux autres sur semaine, ce qu’elle auroit trouvé bon; et qu’ainsi faisant les cinq actions telles que la Compagnie lui avoit assignées, il a juste sujet de se recrier contre ce qu’on avance sans support contre vérité, qu’il ne faisoit tout au plus que moitié charge135.

Le registre ne précise pas de quelle incommodité il se plaignait pour justifier sa préférence. Est-ce la longueur de la cérémonie du dimanche qui la lui rend insupportable? Plutôt que la nature du mal dont souffre ce pasteur, c’est le fait qu’elle soit connue par l’ensemble des ministres qui est ici porteur de sens. C’est sur ce savoir public que le corps des pasteurs doit se déterminer. La tâche n’est pas aisée. Les membres sont tous adultes; les décisions sur les décharges ont trait à la crédibilité de chacun. Pour certains, l’affaire est simple. Jean-Alphonse Turrettini (1671-1737), par exemple, un théologien influant au début du XVIIIe siècle, est connu pour être malade et obtient aisément l’allègement de sa charge de travail136. D’autres, comme le pasteur Jean-Jacques Lambercier (1676-1738), lequel avance « certaines circonstances où il se trouve » pour réclamer une dispense sont déboutés. Ces circonstances ne sont pas forcément en rapport avec la santé et lorsqu’il énonce sa requête, Lambercier n’était actif que depuis un mois à la suite d’un congé pour « indisposition »137. L’analyse systématique des décisions sur de telles requêtes révélerait sans doute des données sur le capital confiance de chaque ministre. Il est intriguant de constater l’absence de telles négociations des registres du siècle précédent. En 1604, par exemple, la Compagnie n’octroie officiellement qu’une décharge, mais le retour du ministre Goulart « après une maladie de plusieurs sepmeynes » est signalé138. A cette date, la gestion du travail se fait de toute évidence de manière moins formelle qu’en 1734. La comparaison ne fait que renforcer le caractère public du savoir sur les corps des uns et des autres au siècle des Lumières. Les pasteurs ne sont pas les seuls à évaluer des états de santé. Les enseignants du Collège et de l’Académie doivent également s’ériger 135 136

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AEG, Registre de la Compagnie des Pasteurs, 18, p. 183, le 18 février 1701. AEG, Registre de la Compagnie des Pasteurs, 24, p. 25, le 26 février 1734. Sur Turrettini, voir Pitassi 1992. AEG, Registre de la Compagnie des Pasteurs, 24, p. 23, le 19 février 1734. Cahier, Campagnolo et al. 1989.

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en juges de la santé des élèves et des étudiants: renoncer à l’étude ou plus particulièrement, à toute application, est une recommandation courante faite aux écoliers malades139. Certains élèves, comme Isaac Louis Naville (1748-1801), sont absents pendant de longues périodes. Il « n’avoit suivi la classe que fort irrégulièrement, parce qu’il avoit été malade » se souvient un de ses camarades140. L’état de santé entre en ligne de compte dans l’évaluation des élèves et des étudiants. A la fin de l’année académique, les étudiants étaient soumis à l’appréciation orale et publique de leurs prestations. Sur six jugements rapportés en 1767 par Louis Odier dans son journal, cinq s’articulent autour de questions de santé. « On a dit à Mengeant, Joly, Vignier et Guillebeau qu’on avait égard à leur santé, qui ne leur avait pas permis de faire plus de progrès; qu’au reste on était très content d’eux »141. L’élève Le Fort est admonesté: « On lui a dit qu’on savait bien que ses études avaient été un peu négligées auparavant à cause de ses maladies, et autres raisons légitimes; mais qu’actuellement il était surprenant qu’ayant tout le temps et toute la santé nécessaire pour travailler, il ne l’eut pas fait ». La bonne santé ne suscite aucune complaisance. L’état de santé de chacun est connu de tous et l’avis d’un spécialiste n’est pas requis.

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Voir l’exemple développé plus bas p. 247. BGE, Ms Fr 4152, Louis Odier à Andrienne Lecointe, s.d. BGE, Ms fr. 5643/1, Louis Odier, Journal N° 2. le 26 mai 1767.

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« Quand on a des amis, les uns meurent, les autres souffrent; il en est d’imprudens; il en est d’infidèles. Leurs maux, leurs fautes, nous affligent autant que les nôtres. Leur perte nous accable, [...]. La bonne santé d’un ami ne nous réjouit pas tant que ses maladies nous inquiètent. [...]. Ne vaudrait-il pas mieux faire tout par devoir, par raison, par charité, et rien par sentiment? Je vois un homme malade, je le soulage autant qu’il m’est possible.» Belle de Zuylen, 17551.

II. OBSERVATEURS ET SOIGNANTS LAÏCS La personne appelée à soutenir le malade est souvent celle que les circonstances placent au bon endroit au bon moment. Elle se mue naturellement en confident et en conseiller médical. Certains malades cherchent à profiter de ces disponibilités, c’est le cas de M. Deschamps, qui consultait « beaucoup de gens ». Il s’adresse même à Jean-Jacques Rousseau « comme si [il eut] été médecin »2. Solliciter des avis de tiers constitue un processus courant avant d’arrêter une stratégie thérapeutique. L’attitude critique de Rousseau qui ne trouve pas le malade convaincant est une parmi de nombreuses réactions possibles; le rôle du laïc varie pour répondre aux particularités de la personne malade et à une appréciation de la gravité de sa maladie. Les correspondances débordent d’allusions à la santé de tiers et de conseils de santé adressés au destinataire. Les malades tiennent régulièrement leur entourage au courant de leur état de santé; la correspondance active de Bonnet est à ce propos exemplaire. «Vos 1

2

Charrière O. C., t. 1, pp. 89-90, Belle de Zuylen à Reinout Diederik Tuyll van Serooskerken, s.l., [1755]. Rousseau 1905. Voir plus haut p. 183.

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fidèles amis les solitaires, mon cher Aristide, avoient ignoré votre rechute » écrit-il à Philibert Cramer, « et vous leur avez fait un grand plaisir en leur apprenant cette consultation auprès du grand Hippocrate, et les espérances raisonnables qu’elle vous donne »3. Les nouvelles sur les états de santé et sur les avis des praticiens sont ainsi répandues dans un cercle plus ou moins large, en fonction des réseaux et de la personnalité de chacun. Le ton des laïcs est souvent décidé. « Ce que vous éprouvez à vos yeux, ma chère amie, est un effet très ordinaire des maux de nerfs » écrit par exemple Louise de Corcelles à une amie, « ménagez vos prunelles, je vous en prie, et lorsque vous y penserez le moins elles reviendront dans leur état naturel »4. Suzanne Baux, alors à peine sortie de l’adolescence, est à même de porter un jugement sur l’état d’une amie. « Madame Clavière est assez malade. De la Roche et M. De Rabours sont ses médecins, mais c’est une femme si faible, si épuisée, même dans la meilleure santé, que je crains beaucoup qu’une maladie ne soit audessus de ses forces.»5 Les craintes de laïcs ne sont pas toujours justifiées. Quelques jours plus tard, elle rapporte que « Mme [Clavière] est beaucoup mieux » et se déclare optimiste6. Les consultations épistolaires adressées à des praticiens confirment l’implication des proches, mais aussi l’embarras du malade ou de son entourage immédiat quand il s’agit de choisir entre plusieurs avis médicaux7. Le bon sens suggère parfois des stratégies que l’entourage s’emploie à scander d’une seule voix. « Beaucoup de gens qui nous font la grace de s’interresser à notre situation facheuse, et qui voudroient qu’un malade se guérit au moment même » écrit le pasteur Cart, père d’un enfant souffrant notamment de jambes enflées, « crient à la ponction, ou voudroient que la supuration s’établit aux jambes »8. La famille Cart se voit encore proposer « des cloportes dans du vin » par une connaissance dont le fils aurait contracté une maladie semblable. Un laïc ayant déjoué une maladie comparable 3

4

5 6 7 8

BGE, Ms Bonnet 78, f 88, Charles Bonnet à Philibert Cramer (copie mss), de ma retraite, le 28 janvier 1778. Charrière de Sévery [1924], p. 40, Louise de Corcelles à Catherine Charrière de Sévery, Lausanne, le 10 août 1769. BGE, Ms fr 4152, Suzanne Baux à Louis Odier, Genève, 21 août 1773. BGE, Ms fr 4152, Suzanne Baux à Louis Odier, Genève, 23 août 1773. Voir Pilloud 2000; Stolberg 2004, pp. 96-97. FT, V/144.03.06.14, M. Cart Roten, Vufflans-le-Château, le 8 mai 1785.

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jouit d’une assurance et d’une légitimité particulière. Le médecin Tissot, consulté par les Cart, doit choisir de tenir compte de tels avis ou de persévérer avec ses propres solutions thérapeutiques. Comme les avis médicaux, les avis de laïcs divergent sans cesse et sont à l’origine de dilemmes insolubles. Alors que son frère est malade à Aixles-Bains, Belle de Zuylen lui profère des conseils sur la manière de prendre sa prochaine décision thérapeutique, soit de retourner en Hollande soit de séjourner dans un pays chaud. « N’examinez cette question qu’avec des amis sages et qui ayent de l’experience là dessus et point du tout avec mon pere dont plus que jamais la sagesse et les excellentes intentions sont embarassées dans d’etranges theories sur la santé, et qui tire de ces theories d’eternelles maximes qui reviennent sans cesse avec une douceur la plus opiniatre du monde ». Elle l’engage à solliciter des avis éclairés, mais à prendre sa décision lui-même9. Si l’essentiel des soins du malade incombe à la famille, l’absence de parents ou des circonstances particulières incitent des tiers à participer à la prise en charge du malade10. La palette des actions répond à la variété des liens sociaux11. A l’occasion, un camarade ou un voisin peut pousser le dévouement jusqu’à assurer des veilles12. Lorsqu’un émigré français, Camille Malarmey de Roussillon, souffre d’une maladie de poitrine, c’est une amie qui le « tourmente », écrit-il à Isabelle de Charrière, « de la maniere la plus obligeante » pour qu’il se soigne13. Avant cet épisode, alors qu’il était à Smyrne, malade d’une « fievre pestilencielle », le même se rappelle avec émotion les soins empressés d’un ami alors que tous l’évitaient de peur de tomber eux-mêmes malades14. Les amis se substituent purement et simplement à la famille lorsque celle-ci n’assume pas son rôle. Le jeune 9

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Charrière O. C., t. 2, pp. 128-131, Belle de Zuylen à Diederik Tuyll van Serooskerken, Zuylen, le 7 novembre 1768. En juin 1767, par exemple, un ami de Salomon Charrière de Sévery assiste à une des crises d’oppression de ce dernier. Il reste auprès du malade un jour, et lui envoie des remèdes le lendemain. Jnl Sévery, le 29 juin 1769. Charrière O. C., t. 2, p. 383 & pp. 383-384, Isabelle de Charrière à Vincent Maximiliaan Tuyll van Serooskerken, Colombier, les 2 février et 16 mars 1782. Voir à ce propos Vincent-Buffault 1995, pp. 21 & 30. Charrière O. C., t. 4, p. 306, Camille de Malarmey de Roussillon à Isabelle de Charrière, Kisen, [le 3 janvier 1794]. Charrière O. C., t. 4, p. 320, Camille de Malarmey de Roussillon à Isabelle de Charrière, s.l., le 27 janvier 1794.

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André Deluc15 victime d’une maladie inflammatoire alors que « son frère n’était pas encore arrivé, en sorte que ses amis lui ont servi de garde » rapporte sa cousine, « ils étoient trois qui ne le quittoient point, ni jour ni nuit »16. Les voyageurs sont les plus exposés. Ils doivent se confier à des connaissances de fraîche date, voire à des étrangers17. Certains ne s’en remettent pas. Mme de Leveville est accueillie et soignée par les Charrière en été 1789 alors qu’elle souffre de la poitrine, « sans beaucoup d’espoir de la pouvoir sauver » commente Isabelle de Charrière le 7 juin. La malade décède le 13 août suivant18. LA FAMILLE ET LE CADRE DOMESTIQUE L’importance du rôle joué par la famille dans la prise en charge des malades au cours de l’Ancien Régime paraît évidente, même si elle est peu documentée. Les écrits personnels permettent d’expliciter cette fonction et de réaliser un inventaire des moyens mis en œuvre pour l’assumer. C’est bien de la santé des membres du noyau familial que chacun se soucie au premier chef. Les parents plus éloignés n’attirent pas toujours la même attention. Alors que la tante de Belle de Zuylen « se meurt de convulsions », sa nièce s’inquiète de devoir différer un voyage et n’est apparemment pas touchée émotionnellement: « C’est une vieille fille qui n’eut jamais un grand sens et qui depuis quelque tems n’en a qu’un si petit que ce n’est pas la peine de le compter pour quelque chose ainsi la perte est nulle.»19 Un tel cynisme est rare. Les proches se sentent responsables du maintien

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Jean-André Deluc (1763-1847), cousin de Jean-François, le destinataire de la lettre. Huguenot Society, Londres, Famille Deluc, Fdl 1/1, Mlle Deluc à Jean Deluc, Pâquis, le 15 août 1782. Malades à l’étranger, Jaques Louis Odier et Isabelle de Charrière en font l’expérience. BGE, Ms fr. 5641/159, Jacques Louis Odier à Amélie Odier, Veyrier, 1808; Charrière O. C., t. 2, pp. 376-377, Isabelle de Charrière à Dorothea Henriette van Tuyll van Serooskerken, Genève, le 30 juin 1781. Charrière O. C., t. 3, p. 143, Isabelle de Charrière à Jean-Pierre Chambrier d’Oleyres, s.l., le 7 juin 1792. Charrière O. C., t. 1, p. 430, Belle de Zuylen à Constant d’Hermenches, s.l., le 12 août 1765.

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de la santé des leurs et souffrent, le cas échéant, du peu de succès des soins. La maladie est un moment important, voire une articulation clé de l’histoire d’une vie; elle est souvent révélatrice de l’attention et du souci des proches. Les crises de santé exposent des sentiments dissimulés. Louis Odier, par exemple, illumine un portrait sombre de son père autoritaire et froid, avec le souvenir du soin qu’il prit à le soigner d’une maladie d’enfance. « Etant malade et ayant la fièvre », l’enfant s’imaginait que « la chambre était remplie de têtes de verre » et implorait son père de les en éloigner. Son père sut prendre, écritil, un ton qui calma ses « petites craintes ». Odier débusque de nouvelles traces de tendresse paternelle quelques années plus tard, lorsqu’il souffre de la petite vérole20. Les rôles joués par chacun peuvent ainsi s’effriter face à une menace sanitaire. La vie est fragile et tous le savent. L’attitude de la famille est souvent pragmatique et centrée sur l’intendance et le confort physique du malade. Il ne faut en déduire ni l’incompétence des praticiens ni l’insuffisance des infrastructures hospitalières, mais plutôt une règle qui voulait que les proches assument la prise en charge physique du malade alité, et que le recours à l’hôpital était rarement envisagé par des patients aisés. Le taux élevé de célibataires admis à l’Hôpital général de Genève atteste du fait que si l’institution pouvait remédier à une perte de santé, elle pallie avant tout à l’absence de parenté21. Les cas de personnes aisées admises dans l’établissement confirment cette configuration. David Develay, par exemple, s’y établit volontairement comme pensionnaire pendant plus de deux mois, persuadé que sa femme cherchait à l’empoisonner22. Il se trouve donc virtuellement seul. Le couple Les crises dues à la déraison ou à la maladie ne sont, fort heureusement, pas la norme. Au contraire, le souci de l’autre est régulièrement réaffirmé au sein de couples. Que le mariage procède d’une stratégie économique ou d’une attirance réciproque, le couple constitue une entité sociale et économique sous l’Ancien Régime.

20 21 22

MHS, Z 92/1, Journal intime de Louis Odier, Mon Père, s.d. Louis-Courvoisier 2000, pp. 71-72. Voir plus bas, p. 218 et Rieder et Barras 2001a, pp. 212-213.

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Le divorce est exclu dans le monde catholique et s’il est possible en territoire protestant, il demeure rare. C’est en règle générale et littéralement jusqu’à la mort que les époux s’engagent. Les premières préoccupations de santé coïncident avec la conception du projet de mariage. L’état de santé du conjoint avec lequel on envisage de vivre le reste de sa vie est une question abordée à la fois au regard de sa propre sensibilité et en vue des conséquences possibles sur sa descendance23. Un médecin peut être consulté. Les maladies les plus redoutées seraient des maladies de peau, les écrouelles, la teigne, les dartres et la phtisie24. Etonnamment, certains couples se forment dans des contextes pathologiques. Isabelle Gélieu rencontre son futur mari alors qu’elle se soigne à la campagne. Son fiancé affirme lui-même hésiter à s’engager en raison de sa propre mauvaise santé25. Dans ce couple, comme dans la décision prise par Isabelle de Charrière de se marier, la reconnaissance de l’action thérapeutique de la vie maritale, voire du dépaysement qui en est le corollaire, a peutêtre joué un rôle dans la décision finalement prise de s’épouser26. Prendre connaissance, pour ne pas dire prendre en charge la santé de l’autre, est de fait une étape dans l’histoire d’un couple. Louis Odier, veuf d’une femme phtisique, attache une importance particulière à la santé de celle qu’il compte épouser en secondes noces. Il se lamente des réticences de sa fiancée à se confier à lui: Je sens tous les jours plus véhément que vous êtes tout pour moi, que votre santé m’est infiniment plus précieux que la mienne, et que tandis qu’en général je fais peu d’attention à mes propres maux, je deviens d’une pusillanimité extrême sur les vôtres. Ce qui augmente peut être le souci que je m’en fais, c’est votre refus de me confier toujours la nature de vos souffrances. Ne croyez pas que je l’attribue à aucun autre motif qu’à votre timidité. Mais quand je réfléchis à la possibilité que vous deveniez malade, sans oser 23 24

25

26

Porter et Porter 1989, p. 109. MHS, Z 92/4, Louis Odier, Mémoire sur la discrétion médicale, le 2 juillet 1803 pour la Société de médecine et de chirurgie. Cette liste diffère légèrement de celle établie par Michael Stolberg qui compte trois maladies particulièrement stigmatisées (le cancer, l’hydropisie, et la phtisie) et d’autres qui pouvaient affecter le marché matrimonial (les maux touchant les organes de la génération, les hernies, l’épilepsie et les affections défigurantes). Stolberg 2003, pp. 71-75. Charrière O. C., t. 6, p. 294, Isabelle Gélieu à Isabelle de Charrière, s.l., les 6-7 mai 1801. Voir plus bas p. 380.

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m’avouer tout ce que vous sentez, je ne puis m’empêcher de frémir, surtout quand je considère que vraisemblablement vous ne vous affrenchirez de cette timidité avec moi qu’après notre mariage27.

Odier revient sur cette question à plusieurs reprises. Il mène même une enquête et apprend qu’elle souffre d’une colique et de diarrhée: Je sais qu’à compter de quatre en quatre semaines (c’est la période de la plupart des femmes) depuis le 28 mars, jour auquel Madame votre tante me dit que vous aviez vos règles, ce seroit demain qu’elles devroient revenir. Seroit-ce là la cause de vos maux de reins de cette semaine? En ce cas là, permettez-moi de vous dire que la promenade d’hier par la pluye et le mauvais tems étoit une grande imprudence. Ou auroient-elles été dérangées depuis ce tems là? Mais pourquoi Madame votre mère, qui sait que c’est un article si important dans la santé des femmes, ne me l’auroit-elle pas dit? [...] Faites-moi la grace, ma chere Driette, de vous ménager plus particulièrement dans ces tems là que dans tout autre, et pour peu qu’il y eut d’irrégularité, je vous conjure de ne point en faire un mystère, et d’en avertir sur le champ votre maman. Je crois devoir vous dire qu’il n’y a rien de plus essentiel dans la santé des personnes de votre age et de votre sexe28.

Par la réitération régulière de telles préoccupations, Odier gagne un certain contrôle sur le corps de sa future femme. Il l’accompagne à travers une fluxion*. « J’espère […] qu’à l’aide du nitre*, de la douce-amère, des bains, et du vif intérêt que je mettrai à vous guérir, vous le serez bientôt.»29 Le fiancé parvient ainsi à franchir une étape dans l’intimité qu’il cherche à établir avec sa future épouse. Une fois mariés, les époux comptent l’un sur l’autre pour faire face à la perte de santé. Si celle-ci se prolonge dans le temps, elle peut engendrer une remise en question de la cohésion économique et sociale d’une famille. Même Bellamy oublie ses propres maux lorsque son mari paraît défaillir. Elle envisage alors le pire. Je suis souvent tourmentée à l’idée que les soucis, et les peines dont il a été surchargé, n’abrêge sa vie, malgré son excellente santé, son employ, son activité naturelle et plaisir du bien, de sa famille, de ces amis, tout cela l’occupe plus qu’il ne faudrait30. 27 28 29 30

BGE, Ms fr 4153, Louis Odier à Andrienne Lecointe, s.d. [1779]. Ibidem. BGE, Ms fr 4153, Louis Odier à Andrienne Lecointe, s.d. [1779]. Jnl Bellamy, 11/10/1772.

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La peur de perdre l’autre est une préoccupation courante. Dans certains cas, l’argumentation est sommaire voire utilitariste. Le curial Briod, par exemple, écrit à propos de sa femme « qu’elle est une des plus braves qu’on puisse avoir ». Il aurait « d’autant plus de désir et d’intérêt à sa conservation et santé » qu’elle l’aide à soutenir ses 41 neveux et nièces31. Ailleurs, c’est le statut social qui est mis en avant pour justifier des soins32. De toute évidence, aux yeux de certains, les bons soins se méritent ! D’autres auteurs expriment un attachement plus romantique et affirment se soigner par amour pour leur conjoint. Salomon Charrière de Sévery, par exemple, écrit à sa femme en décembre 1780: « Je te dirai que la crainte d’être malade, à cause du chagrin que je sais que cela te cause, m’a fait prendre un soin de ma propre peau inouï»33. L’idée de se soigner par affection pour autrui se trouve chez Madame de Sévigné déjà…34 Assister et soigner son compagnon de vie sont des devoirs. L’autorité morale de la communauté y veille et, le cas échéant, le pasteur ou le curé stigmatisent sévèrement la négligence de ces obligations. Si soigner un partenaire peut être un devoir pesant, il arrive souvent que le conjoint souffre de voir son époux ou épouse malade. La charge émotionnelle et physique est lourde. Judith de Tournes, l’épouse d’un homme mélancolique, raconte avoir « passé de cruels moments »35. Sa situation est précaire: elle dépend d’un homme dont la santé mentale se trouve être compromise. Le désarroi de Mme Develay est plus grand encore: « Mon mari est attaqué d’une maladie, qui dérange ses idées, […] se croyant dans son délire, trahi, persécuté, empoisonné par moi ». Au-delà de la maladie du mari, décrite en détail dans le mémoire annexé à sa lettre, elle est confrontée à la perspective de se retrouver seule avec sept enfants et enceinte du huitième36... Ces femmes se retrouvent dans un rôle de soignant par 31

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33 34 35

36

Wayne Wild cite des propos similaires d’un médecin britannique concernant sa femme. Wild 2006, p. 95. FT, 139/4, Lucens, le 29 octobre 1786. L’anxiété particulière suscitée par la prise en charge de patients d’un rang social élevé ou d’enfants uniques justifierait des honoraires plus élevés. Rush 1794, p. 253. Charrière de Sévery 1978, t. 1, p. 167, 14/12/1780. Freudmann 1973, p. 84. Charrière O. C., t. 2, p. 479, Judith de Tournes-Rilliet à Isabelle de Charrière, [fin juillet ou août 1785]. FT, II/146.01.05.03, Elisabeth Antonette Develay, Genève, le 21 mai 1792.

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la force des choses, tout comme de nombreux époux. L’attention que prêtent Charles Bonnet, Horace-Bénédict de Saussure, Théophile Rémy Frêne et Charles-Emmanuel de Charrière aux maux de leur femme atteste que le mari se mue, suivant les circonstances, lui aussi en soignant37. L’intimité forgée au sein du couple donne lieu à une connivence au niveau des désordres les plus intimes qui ne manquera pas d’étonner le lecteur convaincu que le mariage, avant la période romantique, n’était qu’une histoire de gestion de patrimoine, ou au mieux un arrangement économique38. La comtesse Dönhoff affirme, par exemple, avoir formé un véritable couple thérapeutique avec le roi de Prusse Frédéric-Guillaume (1744-1797). « Quand jetais un peu indisposé, ou que la tête me faisait mal la presence du roi me soulageait, il mettait sa main sur ma tête, et le mal diminuoit […]. Mes mains, ma bouche, le toucher de mes doigts produisaient le même effet sur lui.»39 Le conjoint est le premier conseiller médical. « Je comprens tres bien l’impression qu’ont fait sur vous les vues de Chebres » écrit Charles-Emmanuel de Charrière à sa femme, « des vues semblables auroient fait la même impression sur moi si j’avois les nerfs plus sensibles; ce n’est que du plus au moins »40. L’époux ou l’épouse peut se montrer directif. « M. de Ch[arrière] avoit », écrit sa femme en 1796, un redoublement d’hemoroïdes qui me faisoit peur. J’ai exigé un regime si doux qu’il s’en trouve tout afadi, mais l’objet a été atteint. Et malgré ses réclamations et peu d’humeur et de malaise j’ai dit comme de la liberté de presse c’est egal, il faut ne point boire de vin ni de café, il faut ne songer qu’aux hemorroïdes41.

Lors d’une « attaque » dont son mari est la victime le 23 juillet de la même année, elle est présentée comme son médecin42. Quand la 37

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Sur ce dernier, voir notamment Charrière O. C., t. 2, p. 376, Isabelle de Charrière à Dorothea Henriette van Tuyll van Serooskerken, Genève, le 30 juin 1781. Sur l’histoire du couple, voir Macfarlane 1977, p. 95; Stone 1990, pp. 217-253 et Daumas 2004. Elle était une des épouses morganatiques du roi qui était polygame. Charrière O. C., t. 5, p. 204, Sophie Julie de Dönhoff à Isabelle de Charrière, Rolle, le 12 février 1796. Charrière O. C., t. 2, p. 415, Charles-Emmanuel de Charrière à Isabelle de Charrière, [Colombier], le 21 juin [1784]. Charrière O. C., t. 5, p. 258, Isabelle de Charrière à Caroline de Sandoz-Rollin, s.l., le 19 octobre 1796. Charrière O. C., t. 5, p. 156, Sara De Tournes à Isabelle de Charrière, Cologny, le 18 novembre 1795.

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maladie suscite l’inquiétude ou s’enracine, les époux peuvent être appelés à avoir recours à des spécialistes. Ils consultent alors l’un pour l’autre. La connivence au sein du couple s’étend jusqu’à la possession d’une bonne connaissance de l’état de santé de l’autre et donc, dans une logique humorale, de l’apparence des émanations, écoulements et évacuations de son corps43. Ce dernier point s’impose comme une évidence au gré de l’histoire des couples retracée plus bas. D’un point de vue pragmatique, l’homme est plus mobile et rencontre plus aisément un praticien lors de ses déplacements que son épouse, retenue le plus souvent par les tâches domestiques. Le couple Frêne est ici un bon exemple. Théophile Rémy entreprend des voyages afin de consulter des praticiens pour sa femme, alors que cette dernière consulte à l’occasion pour lui, mais toujours par voie de courrier44. Quelques documents exceptionnels permettent de retracer l’histoire des crises de santé de plusieurs couples. Sont-ils représentatifs? Il est légitime d’en douter. Le souci de la santé de l’autre est ostensiblement absent d’autres couples45. D’un point de vue pragmatique, ce sont les relations plus harmonieuses qui véhiculent le plus d’informations sur la santé au sein du couple. Une vie campagnarde : les Frêne L’histoire du couple formé par Théophile Rémy Frêne (17271804) et Marie Marguerite Imer (1742-1807) peut être retracée sur près d’un demi-siècle par le biais du journal de l’époux. La santé s’impose comme une préoccupation dès le départ. Frêne, le fiancé, disserte déjà avec son futur beau-père des dangers que représente « l’air de Neuchâtel » pour sa promise une année avant leur union46. Marie Marguerite était âgée de quinze ans. Elle cherchait l’appui de son fiancé pour rester dans cette ville en dépit de la réticence de sa famille, inquiète quant à l’incidence de ce séjour sur sa santé. Deux semaines avant leur mariage, en avril 1758, la santé de sa fiancée suscite l’inquiétude de Frêne:

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Ce phénomène est attesté ailleurs. Wear 1987, p. 235; Brockliss 1994, p. 89; Duden 1991, pp. 80-83. Jnl Frêne, pp. 374 & 3036. Du couple formé par Henri-David de Chaillet et sa femme, par exemple, voir Guyot 1946, p. 88. Jnl Frêne, p. 233, le 7 mars 1757.

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Je trouvai que Mlle Imer avoit été malade d’un mechant rhume le courrant de la semaine. Le 16 dimanche, elle n’étoit pas bien: elle se sentoit depuis la nuit précédente d’un point au coté. Elle prit des remedes du lieutenant Voumard. Le 18 mardy, le point continuait toûjours, le même lieutenant lui ouvrit la veine au bras oposé. Cette seignée lui fit du bien; son sang étoit epais (249)47.

Ce malaise est implicitement associé par l’époux au mariage dont il précède immédiatement la mention dans le journal; la corrélation contemporaine des émotions avec la santé dispense Frêne d’offrir ici un commentaire48. Quelques mois plus tard, une vague indisposition de la jeune mariée incite le couple à rechercher un avis professionnel. Frêne se rend à Bienne, le 28 juin 1759, afin de consulter le médecin Jean-Rodolphe Neuhaus (287). L’épisode ne trouve une place dans le journal qu’en raison du voyage qui en est le corollaire. La naissance du fils du couple huit mois plus tard incite à envisager cette indisposition comme une conséquence du début de la gestation de l’épouse. Dans le journal, cette première grossesse n’est mentionnée qu’à travers les railleries dont la future mère est la victime. De même, l’approche du moment de la délivrance ne se lit qu’indirectement, à travers la réticence croissante de la future mère à voir son mari s’éloigner du village49. En dépit de l’importance de ces événements pour le couple, le seul commentaire sur les trois grossesses successives de sa femme survient lors de la dernière, en avril 1761. Frêne mentionne alors que sa femme « commença à sentir bouger son enfant »50. Il serait erroné de conclure à l’indifférence du mari qui exprime ailleurs la profondeur de son attachement. Plusieurs années après la naissance de ses enfants, en 1787, il se souvient d’avoir lu les Aventures d’un homme de qualité qui s’est retiré du monde de l’abbé Prévost. La mort des femmes en couches y est un thème récurrent51. « En lisant par ensemble ce livre à Courtelari, avant les dernieres couches de 47

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51

Les chiffres entre parenthèses désignent la pagination originale du manuscrit reproduite dans Jnl Frêne. Voir plus bas p. 408 et suiv. Jnl Frêne, pp. 273 & 274. Jnl Frêne, p. 333. Il en va de même du ministre piétiste Philipp Matthäus Hahn. Sander 1989, p. 100. Deux épisodes sont pertinents ici. La grand-mère du héros meurt en mettant le père de celui-ci au monde. Une fille enceinte à laquelle le même porte secours est terrassée par la peur d’accoucher et finira par se suicider avant son terme. Prévost 1978, pp 13 & 39-42.

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mon épouse » se souvient-il « et pensant en moi même qu’elles pourroient me l’enlever, je ne pouvois retenir mes larmes que je tâchois de cacher »52. Les accouchements de Marie Marguerite Frêne sont heureux et sa santé demeure bonne. Elle ne connaît que de légères incommodités: diarrhée (382), « défaillance » (421), « mal de mère » (435)53, les inévitables « maux de dents »54, etc. La première grande frayeur suscitée par sa santé survient plusieurs décennies après leur mariage. A cette occasion, en prévention contre la dysenterie qui sévissait dans la contrée, Frêne fait prendre à sa femme de la rhubarbe, un purgatif puissant55. Les effets sont catastrophiques: La nuit suivante il lui prit, d’une part des maux de cœur et des vomissemens terribles et d’autre part de violentes trenchées56 suivies de fréquentes selles. A cela se joignit un violent mal de tête et ses règles, qui n’étoient point encore à leur termes survinrent. Les vomissements cesserent avant le jour. J’envoyai à Bienne chés M. le Docteur Scholl le matin vendredi 24 octobre. Environ midi, le mal de tête cessa, mais vers le soir les trenchées et les selles redoublèrent (487).

Frêne est désespéré. « Je n’oublierai de ma vie ce jour. J’étois dans des transes mortelle et au desespoir du mauvais succès d’un remède que j’avois conseillé à ma femme, ainsi qu’à nous tous, comme un préservatif contre la dysentrie ». Un exprès57 du docteur arrive le soir même, mais « ne disoit pas grand chose et [...] faisoit autant craindre qu’espérer ». En plus de la tisane et de l’essence de rhubarbe fournis par le praticien, Frêne décide de soigner sa femme au moyen d’une décoction d’orge extraite de l’Avis au peuple de Tissot58. Il 52 53

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Jnl Frêne, p. 348. Mère signifie églament « matrice », « mais en ce sens il n’a guere d’usage que dans ces phrases. Mal de mere. Vapeurs de mere». Académie 1694. Le « mal de mère » serait une « épithète synonymique de l’hystérie » et trouverait son origine dans l’existence en grec d’un seul mot pour désiger la mère et la matrice. Panckoucke, article Mal de mère, p. 136. Jnl Frêne, pp. 536, 593 & 808. D’autres recourent à la même précaution. Voir Jnl Sévery, le 3 juillet 1771. « Se dit en médecine de douleurs aiguës, violentes, que l’on souffre dans les entrailles ». Panckoucke, t. 55, p. 475. Un « courrier exprés » est un courrier « pour une cause ou un desein particulier ». La formule « envoyer un exprès » signifie envoyer un courrier. Furetière, article Exprès. Tissot 1993, p. 349, § 552.

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conclut que l’orge « calma les douleurs et apaisa la violence des trenchées », l’essence de rhubarbe « diminua les selles » et la tisane « fit aussi bon effet ». Marie Marguerite Frêne se remet lentement. Un ajout daté de 1802 signale que « depuis lors elle n’a plus été sujette au mal de mere, comme elle l’avoit été depuis ses premières couches » (488). Est-ce dire que l’aventure aurait eu des effets positifs sur la vie de sa femme? Frêne ne l’écrit pas explicitement, mais il l’infère. Dans tous les cas, ce « mal de mere » n’est attesté qu’une seule fois dans le journal, révélant à la fois l’absence de systématique dans les entrées de l’époux, mais aussi l’exclusion du journal de données courantes et d’événements répétitifs. Ainsi, la santé de Marie Marguerite Frêne ne connaît pas de crise majeure pendant près de trente ans. Au cours de cette période, le journal témoigne cependant de l’acuité du regard que l’époux pose sur la santé de sa femme. Une petite crise survenue dans la nuit du 8 au 9 mars 1774 en est un premier indice. A cette occasion, étant entrée dans la chambre de leur fille, Marie Marguerite réveille cette dernière qui en est épouvantée et pousse des cris, effrayant à son tour la mère. L’inquiétude de Frêne porte sur les suites possibles de cette émotion. Son soulagement subséquent en trahit l’ampleur: « Ni l’une ni l’autre de ces frayeurs n’ont eu de suite, Dieu soit loué »59. L’inquiétude est constante. Frêne cherche régulièrement à limiter les conséquences possibles d’émotions sur la santé de sa femme60. Il veille à ce qu’elle se fasse « ouvrir une veine » par le justicier Voirol alors qu’elle était « désolée » à la suite de la mort de sa mère61. Frêne, le fait mérite d’être relevé, ne mentionne aucune précaution semblable pour lui-même dans des moments de tristesse ou de vive émotion62. Frêne reconnaît ainsi explicitement une fragilité à la gent féminine. La même année, au mois de septembre, il s’indigne de la négligence de la servante responsable d’un feu et de la destruction d’une partie de son bien. Sa femme est « fatiguée et consternée » (747). Son état l’inquiète: « Ma femme auroit peut être perdu la santé » écrit-il. Les jours suivants lui donnent raison:

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Pour une autre occurrence similaire, voir Jnl Frêne, pp. 679-680. Lors d’une autre incendie, par exemple. Jnl Frêne, pp. 768 & 938. Jnl Frêne, pp. 2245-2246, 30 août 1788. Sur les émotions et la santé des femmes, voir Peter 1976, Berriot-Salvadore 1991 et plus bas p. 379 et suiv.

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Mon epouse, dont les regles avoient été supprimées par la frayeur de l’incendie du 4 septembre et qui furent encore arrêtées à la Neuveville la nuit du 28. au 29, qu’une terrible suffocation saisit mon épouse, mon épouse, dis-je, se trouva si mal le lundi 3 octobre et la nuit ensuite, que j’envoyai à 4 heures J. Henri chercher M. le docteur Watt, lequel arriva ici à midi pour le diné (759).

Le médecin Friedrich-Ludwig Watt (1737-1804) estime qu’il s’agit d’« un violent mal hystérique, qui n’étoit point dangereux pour la mort ». Marie Marguerite est pourtant convaincue de mourir sous peu. Frêne ne parvient pas à lui ôter cette idée de la tête. Pour faire face à la crise, il fait appel à sa belle-famille. Ses beaux-parents accourent. Le père et le mari voient l’état de la malade d’un même œil. « Nous comprennions que le mal ne diminueroit pas avant le retour des regles et que ce retour devant faire une époque de crise d’une très grande influence, soit en bien, soit en mal, il etoit de la derniere importance de prendre toutes les précautions pour que ce retour fut heureux.» Watt sanctionne cette interprétation et Frêne orchestre les soins sous sa direction. Le 18 octobre, le mari rapporte: L’époque du retour des regles approchant, M. Chopard vint ouvrir la veine à mon épouse au pied. Le même jour, de retour chés lui il nous envoya sa seringue et des lavements pour mon épouse, à laquelle j’en donnai un le même soir (dans l’anus s’entend et non dans la matrice). Je le réïterai le 19 mercredi au soir et le lendemain les regles parurent heureusement, graces à Dieu » (759-762).

La stratégie porte ses fruits, une semaine plus tard, Frêne confie à son journal que sa femme, « depuis ses dernières regles, qui avoient fort bien réussi, se portoit mieux » (764). Dans les premiers jours de novembre, Mme Frêne, alitée depuis un mois, se lève enfin. Son mari conclut que « ces maux de nerfs, dits mal de mere ou vapeurs, sont bien communs aujourd’hui, surtout chés les femmes » (772). Le constat est un indice de l’assimilation de nouvelles terminologies médicales. Les maladies nerveuses sont propres au discours médical contemporain, alors que les maux de mère constituent une entité nosologique depuis l’Antiquité63. Au cours des dernières années de sa vie, Frêne fait état d’autres crises dans la santé de sa femme. Une des plus violentes survient le 63

Sur le corps féminin, voir notamment plus bas pp. 375-382.

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8 octobre 1797. Sa compagne est « attaquée d’un grand mal de tête, d’un fort vertige, ne pouvant lever les yeux ni soutenir la lumière; ensuite vinrent de violens vomissemens et selles réïterées.» Elle est soignée par une ursuline et les remèdes proviennent de l’abbaye toute proche, « des especes de carminatives64 pour une ptisane*» (2903). L’incident de santé le plus impressionnant dans la vie de Mme Frêne survient quelques années plus tard, au début de l’année 1800. Elle a alors 58 ans et son malaise effraie son mari, témoin impuissant de ses divagations et de sa souffrance: Elle s’assoupissoit de tems en tems; puis tout d’un coup elle s’éveilloit, poussoit les mêmes hauts cris de douleurs et vomissoit; puis elle retomboit assoupie. Et ainsi alternativement; elle déchargea même son ventre au lit.

La malade s’endort finalement, veillée par son époux et leur domestique. « Mon Dieu, quelle fière nuit ! Je pensois que ma femme en mourroit peut être; et je prennois mon parti de mourrir après elle » se rappellera le diariste plus tard. Le lendemain matin, sa femme est plus tranquille, se plaint moins, mais elle serait « comme égarée ». A l’aube, l’époux fait parvenir un appel au secours au médecin Watt établi à Bienne. Le docteur « envoya quelques remèdes » et « assura qu’il viendroit le lendemain ne pouvant quitter plutôt ». C’est le surlendemain de la crise que Watt examine la malade qui va « un peu mieux », tout en demeurant « un peu égarée », selon les observations du mari. Le médecin prescrit un vomitif et un laxatif tout en assurant «[qu’] il n’y avoit rien à craindre quant à la mort ». Le plus surprenant aujourd’hui est la réaction du mari face au diagnostic du médecin. Le praticien « croyoit que cette attaque venoit d’une indigestion »; Frêne, pour sa part, estime « que c’étoit plûtot une violente attaque du mal de nerfs, provenant de ce que ma femme avait trop filé ayant les bras levés »65. Ce désaccord signale, encore une fois, l’autonomie que conserve le laïc par rapport aux praticiens, fussentils de ses amis. De toute évidence, la coexistence de plusieurs compréhensions de la maladie ne constitue pas un problème particulier. C’est là le dernier épisode dans la santé de l’épouse que le journal donne à connaître: Marie Marguerite Frêne survivra à son mari. 64

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« Il se dit en médecine des remèdes contre les maladies venteuses ». Académie 1762. Jnl Frêne, pp. 2969-2970.

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Un attachement moral : M. et Mme Bonnet La nature du lien qui unit les Frêne est clairement affective. L’union des Bonnet s’appuie sur des bases plus raisonnables. MarieJeanne De la Rive possède, selon son futur mari, cette « noblesse de caractere, cette delicatesse de sentiments » qui sied à « un homme qui pense et qui sent place le vrai bonheur ». La nature des liens du couple, rapporte le même, « sans être aussi vif et aussi pressant que l’amour en a tout le tendre, tout l’interret, et parce que nos sentiments tiennent beaucoup plus au moral qu’au physique nous pouvons compter sur leur durée »66. La fiancée s’inquiète, se souviendra Bonnet plus tard, « de ne pouvoir contribuer autant qu’[elle] le désirait » au bonheur de son époux en raison de la fragilité de sa santé. Cette inquiétude se révélera prémonitoire et, outre les maux de Bonnet retracés plus haut, une des constantes de leur vie commune sera la mauvaise santé de Marie-Jeanne Bonnet, et ce dès l’année qui suit celle de leur mariage: En juin 1757 [...] nous nous promenions souvent en carosse Madame De la Rive, ma femme et moi. Un jour que, dans une de ces promenades délicieuses, nous nous livrions au plaisir de l’amitié et à ceux que la belle nature offre toujours aux âmes faites pour les sentir, une roue du carosse se rompit et ma femme éprouva une violente commotion [...]. Ma femme était grosse et ne s’en était pas doutée. Une affreuse colique suivit immédiatement ce malheureux accident, qui fut suivie elle-même d’une fausse couche très fâcheuse67.

Le couple consulte plusieurs médecins, notamment Jean-Antoine Butini et le célèbre Théodore Tronchin. De ces entretiens, seuls des mentions ponctuelles subsistent dans la correspondance de l’époux. Par contre, les conseils qu’il demande à Albrecht de Haller sont bien documentés et signalent la constance de son implication dans la gestion de la santé de sa femme et les nombreux dilemmes auxquels il est confronté à ce titre. La première des requêtes qu’il adresse à Haller est triviale. Il lui demande de l’aider à se procurer de la liqueur anodine de Hoffmann, mal préparée selon lui par les apothicaires genevois. C’est un prétexte pour solliciter une véritable consultation.

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Corr. Haller, p. 84, Charles Bonnet à Albrecht de Haller, Genève le 21 avril 1756. Bonnet 1948, pp. 181 & 184.

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« J’oubliois de vous dire, que depuis environ cinq semaines que ma femme a fait sa fausse couche, elle a evacué presque chaque jour un peu de sang. Sa matrice n’est donc pas parfaitement refermée. Comme ma femme a un sang un peu acre, on peut soupçonner que cet écoulement est du à des acretés »68. Bonnet fait ici état d’un défaut structurel de la santé de sa femme, prévalent dans la famille De la Rive. La réponse lapidaire qui accompagne l’envoi par Haller de la liqueur anodine réclamée atteste de sa bonne volonté, mais également de son désir de ne pas trop s’impliquer. Bonnet relance pourtant son correspondant et demande une ordonnance précise et un avis sur une cure aux eaux de Pfeffers69 que « nos médecins » auraient préconisée70. Haller, plaidant son ignorance du « fonds du mal de Madame », s’en remet aux médecins du lieu71. Bonnet persiste à réclamer ses avis. Il interroge son correspondant sur les qualités des eaux de Pfeffers et de Gourniguel. L’une ou l’autre de ces eaux pourrait-elle contribuer à résoudre les obstructions dont sa femme souffrirait?72 L’excuse implicite pour solliciter encore l’avis de Haller est que les bains de Gourniguel se trouvent près de Berne. Face au silence de Haller, Bonnet lance un véritable appel de détresse deux semaines plus tard; il n’aurait plus que quelques jours de provision d’eau de Pfeffers et réclame l’envoi de quelques cinquante bouteilles de Berne73. Haller réagit immédiatement et expédie douze bouteilles en souhaitant « qu’elles fassent bien du plaisir à la malade »74. Bonnet ne se décourage pas. Il interroge Haller sur la corrélation possible entre les maux de nerfs dont souffre sa femme et de « trop 68

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Haller renvoie le 11 du même mois « une once de liqueur anodyne bien préparée » avec ses souhaits de bon rétablissement. Corr. Haller, pp. 114-115, Charles Bonnet à Albrecht de Haller, Genève, le 7 septembre 1757. Eau coulant auprès d’une abbaye suisse sitée à Coire (Grisons) et réputée pour ses vertus médicales. Corr. Haller, p. 115, Charles Bonnet à Albrecht de Haller, Genthod, le 13 septembre 1757. Corr. Haller, p. 116, Albrecht de Haller à Charles Bonnet, Genthod, le 18 septembre 1757. Corr. Haller, p. 120, Charles Bonnet à Albrecht de Haller, Genthod, le 14 octobre 1757. Corr. Haller, p. 121, Charles Bonnet à Albrecht de Haller, Genthod, le 31 octobre 1757. Il déconseille les eaux de Gourniguel. Corr. Haller, pp. 121-122, Albrecht de Haller à Charles Bonnet, Berne, le 4 novembre 1757.

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fréquentes saignées », il voudrait aussi savoir si du vin d’Alicante pourrait lui être profitable75. Haller se refuse à lui préparer une prescription, tout en laissant entendre que l’acier contenu dans le vin pourrait s’avérer salutaire76. Bonnet insiste pour obtenir son avis, sa femme aurait « une si haute opinion de vos lumieres qu’elle est fort disposée à faire de nouveaux essays »77. Son correspondant se laisse entraîner. « Si Madame Bonnet soutient le vin d’Alicante, elle soutiendra bien je pense le mars78, donné avec des amers*, et dans une petite dose proportionnée a sa delicatesse en commençant par 4 grains, montant jusqu’a 15, y ajoutant un grain palve et montant jusqu’a 3 ou 4 par jour »79. Le résultat est pitoyable, la patiente se trouve « languissante » dix jours après le début du traitement et les médecins genevois préconisent d’y renoncer80. Haller réitère la supériorité des conseils des médecins présents sur place, cautionne la cessation de l’acier en raison de l’arrivée d’une fièvre et préconise de la « quiquina » à raison de « trois dragmes par jour »81. Confronté à d’autres requêtes, il ne cesse d’encourager Bonnet à faire confiance aux médecins du lieu, notamment à Tronchin dont il devine la présence. En dépit des bonnes volontés mobilisées, Madame Bonnet ne se remet pas. En octobre 1758, « elle n’a presque pas quitté le lit » depuis quatorze mois. Sa « machine entière » souffrirait d’inertie82. De guerre lasse, l’époux cesse d’exiger de Haller des avis médicaux83. Trois ans après son accident, Marie-Jeanne est toujours grabataire. C’est en litière et en bateau qu’elle rejoint sa maison de cam75

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Corr. Haller, p. 133, Charles Bonnet à Albrecht de Haller, Genthod, le 7 février 1758. Corr. Haller, p. 135, Albrecht de Haller à Charles Bonnet, Berne, le 7 mars 1758. Corr. Haller, p. 136, Charles Bonnet à Albrecht de Haller, Genthod, le 17 mars 1758. Mars: « Terme de chimie, signifie le fer; et l’on donne le nom de mars à tous les médicamens dans lesquels il entre du fer ». Académie 1762. Corr. Haller, p. 137, Albrecht de Haller à Charles Bonnet, Berne, le 31 mars 1758. Corr. Haller, p. 138, Charles Bonnet à Albrecht de Haller, Genève, le 10 avril 1758. Corr. Haller, p. 140, Albrecht de Haller à Charles Bonnet, Berne le 8 mai 1758. Bonnet 1948, p. 185. Corr. Haller, pp. 155, 168 & 170, Charles Bonnet à Albrecht de Haller, Genève, les 6 février, 5 juin et 6 juillet 1759.

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pagne à Genthod pour profiter de l’air de la campagne recommandé par Tronchin84. Son état de santé se détériore encore et « deux fausse cotes » font leur apparition 85. Charles Bonnet en fait le récit à HenriLouis Duhamel de Monceau (1700-1782). Les praticiens genevois consultés estiment le phénomène bénin et déconseillent toute intervention. Survient un abbé itinérant qui tente une « opération ». Les effets sur la santé de l’épouse sont, selon son mari, catastrophiques86. L’épisode incite les Bonnet à renoncer aux thérapies violentes et à se ranger à la philosophie passive de Tronchin87. L’espoir renaît plus tard lors du séjour des Bonnet à Bex lorsque le couple rencontre Haller en personne88. Ce dernier recommande que Mme Bonnet fasse de l’exercice. Bonnet retrouve son optimisme et décrit sa femme comme faisant « beaucoup d’exercice a pié et en carosse »89. En décembre, il se trouve toujours à sa campagne de Genthod « pour continuer à éxercer les muscles de ma femme, conformément à vos bons conseils », rapporte-t-il à Haller90. L’hiver se passe mal et l’été suivant, un nouvel accident vient compromettre sa santé91. « Le 2 de ce mois » écrit Bonnet en août 1764, « en se promenant le matin sur la terrasse, elle mit le pié dans un trou caché sous l’herbe, et eut le malheur de tomber ». Les soignants consultés, le chirurgien Jacques de Harsu (1730-1784) et Tronchin, ne parviennent pas à s’entendre et, tout en enduisant la cheville de « l’eau d’arquebusade », décident d’attendre que l’inflammation soit résorbée avant

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Corr. Haller, p. 217, Charles Bonnet à Albrecht de Haller, Genthod, le 3 septembre 1760. Les vraies côtes sont celles d’en-haut, qui aboutissent à la poitrine. Les fausses côtes sont celles d’en-bas, qui n’aboutissent point au sternum ». Académie 1762. Voir ici même p. 290. BGE, Ms Bonnet 70 ff. 137 & 140-141, Charles Bonnet à M. de la Lande, le 14 janvier 1760 & Charles Bonnet à Henri-Louis Duhamel, du 28 janvier 1760 (copies mss). BGE, Ms Bonnet 70, f. 194, Charles Bonnet au J.-N.-S. Allamand (copie mss), Genève, le 8 août 1760. Corr. Haller, pp. 348 & 351, Charles Bonnet à Albrecht de Haller, Genthod, les 17 et 30 août 1763. Le seul ombre au tableau serait la persistance d’insomnies. BGE, Ms Bonnet 71, Charles Bonnet à Jean Turton (copie mss), Genthod, le 23 septembre 1763. Corr. Haller, p. 360, Charles Bonnet à Albrecht de Haller, Genthod, le 14 décembre 1763. Corr. Haller, p. 379, Charles Bonnet à Albrecht de Haller, Genthod, le 28 mai 1764.

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de se prononcer92. L’événement provoque une interruption dans la correspondance du mari93. Trois semaines plus tard, c’est un Bonnet perplexe qui interpelle une fois encore Haller sur l’état de sa femme dont la cheville demeure enflée. Il cherche un avis autoritaire. Les chirurgiens consultés ne parviennent pas à se mettre d’accord. S’agit-il d’un « léger déplacement dans un des os cunéiformes» comme le prétend le premier, ou de « l’attache du ligament du grand peronné» suivant l’avis du second? Faut-il attendre ou agir?94 Haller doute que « Madame Bonnet ait luxé l’os cuneiforme »95. Marie-Jeanne Bonnet ne connaîtra jamais un mieux-être durable96 et se décrit ellemême comme souffrante dans les lettres qu’elle adresse à ses proches97. Même après la mort de son époux en 1793, et en dépit du scepticisme que suscitaient les malades au long cours, elle tient à son statut de malade. Son identité, comme celle de son mari, se construit à partir de son état de santé. La meilleure illustration est la remontrance qu’adresse Amélie de Saussure à son fils pour des propos qu’il aurait tenu devant le frère de la malade. Ta tante Bonnet est en colère. Tu a dit à M. De la Rive qu’elle ne s’etoit jamais mieux portée que depuis la mort de son mari. Tu sais que la reputation d’une bonne santé est par elle redoutée. Elle etoit deja fachee de ce qu’un pareil propos avoit été insinué par Turton. Ainsi écrit que tu n’a point dit que sa santé s’etoit fortifiée au contraire, mais que le zele avec lequel elle servoit 92

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L’eau d’arquebusade est un remède courant. Elle est obtenue par la macération de plantes vulnéraires et sert pour toutes sortes de blessures/plaies. Franklin 1891, p. 217; BGE, Ms Bonnet 71, Charles Bonnet à Jean Turton (copie mss), le 11 août 1764. Corr. Haller, p. 386, Charles Bonnet à Albrecht de Haller, Genthod, le 7 août 1764. Corr. Haller, pp. 388-389, Charles Bonnet à Albrecht de Haller, Genthod, le 28 août 1764. Corr. Haller, p. 390, Albrecht de Haller à Charles Bonnet, [Roche], le 31 août 1764. Par exemple Wellcome Library, Londres, Charles Bonnet à Alfonso Bonfioli, de ma retraite, le 4 mai 1774; BGE, Ms Bonnet 78, f. 88, Charles Bonnet à Philibert Cramer (copie mss), De ma retraite, le 28 janvier 1778; BGE, Ms Bonnet 80, f. 154, Charles Bonnet au Dr Butini (copie mss), Genthod, le 22 janvier 1786; BGE, Archives Saussure 238/69, Alphonse de Saussure à HoraceBénédict de Saussure, 12 octobre 1786. BGE, Archives Saussure 238/184, Marie-Jeanne Bonnet à Horace-Bénédict de Saussure, s.l., le 5 mai 1770 et Genthod, le 3 novembre 1770.

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M. Bonnet lui donnoit des forces factices seulement pendant sa maladie enfin ecrit un article qu’on puisse montrer et qui appaise98.

Au-delà de la question de savoir précisément ce dont souffraient les époux Frêne et Bonnet, force est de constater que leur rapport à la santé était très différent. Les premiers se considèrent en règle générale en bonne santé, les seconds sont la plupart du temps malades. Cela dit, ces parcours très différents révèlent deux points communs qui méritent d’être soulignés. Le premier est que les couples forment un ensemble face à la maladie. La moindre évolution corporelle (ses évacuations, sa mobilité, etc.) et de l’état d’esprit de l’époux ou de l’épouse est observée et analysée par son conjoint; les variables classiques (alimentation, évacuations, sommeil, exercice, passions) sont attentivement intégrées dans cette évaluation. La seconde constante est le rôle que joue chaque membre du couple en tant qu’intermédiaire pour l’autre dans le labyrinthe qu’était alors le marché médical. Après le patient lui-même, c’est son conjoint qui connaît au mieux son corps; c’est le premier conseiller médical, mais aussi un porte-voix et un ambassadeur fiable dans les négociations engagées avec les soignants. Est-ce ce lien avec l’extérieur et une plus grande facilité rédactionnelle qui explique la conservation du seul point de vue des maris? La parenté De nombreux acteurs, qu’ils soient grands-parents, oncles, cousins ou neveux, voire même de parenté plus éloignée, s’immiscent dans la santé de chacun. Parmi les traces conservées de cette implication, celles qui émanent des écrits des familles Saussure, Bonnet et Lullin permettent de cerner quelques laïcs investis d’une aura médicale particulière. Parmi ceux-ci, Horace-Bénédict de Saussure émerge comme une figure exceptionnelle. Il prête une attention particulière à la santé de sa mère, de sa sœur, de sa tante, mais aussi de son épouse, Amélie de Saussure (1745-1817)99. Professeur de philosophie, homme de lettres et naturaliste, Saussure se rapproche par 98

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BGE, Archives Saussure 237/260, Amélie de Saussure à Théodore de Saussure, [Genève], le 29 octobre [1793]. Leur union fut bénie le 12 mai 1765.

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son savoir de la médecine savante100. Il lui arrive de recourir à sa bibliothèque pour trouver des solutions thérapeutiques pour ses proches101. Il rédige des consultations à propos de la santé de sa mère au célèbre médecin François Lamure (1717-1787), deux consultations épistolaires à van Swieten102 et plusieurs à Tronchin. Sa femme l’incite même à offrir des recommandations à d’autres parents103 et, en son absence, son père Nicolas, sa femme et leur fils Nicolas Théodore se chargent de le tenir au courant de la santé des autres membres de la famille104. Pourquoi Horace-Bénédict prend-il une place si importante dans la gestion de la santé de ses proches alors que son propre père était tout désigné pour remplir ce rôle? Plus que la passivité du père, c’est l’activité du fils qui justifie sa fonction. Mais encore, et c’est l’hypothèse la plus plausible, ayant hérité lui aussi de quelques caractéristiques du tempérament de sa mère, Saussure le fils s’impose comme un porte-voix privilégié pour décrire ses maux, comme ceux de sa tante et de sa sœur. La première trace de la prise en charge par Horace-Bénédict de Saussure de la santé de sa mère remonte à l’année de ses 22 ans. Sa mère bénéficiait alors déjà d’un statut bien établi de malade. La correspondance familiale évoque constamment sa mauvaise santé, qu’elle soit « meilleure » ou « un peu moins bonne ». La durée de la maladie motive le recours à une succession de conseillers médicaux. En 1763, son fils rapporte: Elle a vu M. Tronchin, mais il ne lui a jamais rien donné que des palliatifs; il y a 7 ans passés qu’elle le voit, et elle est aujourd’huy 100

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Il sera nommé associé étranger de la Société royale de médecine en 1779. BGE, Archives Saussure 5, pp. 21-22, Vicq d’Azyr à Horace-Bénédict de Saussure, Paris, le 18 juin 1779. BGE, Archives Saussure 239/37, Judith de Saussure à Horace-Bénédict de Saussure, Montpellier, 9 janvier [1786]. BGE, Archives Saussure 237/25-27, Horace-Bénédict de Saussure à Gérard Van Swieten, s.l., 12 août 1769 et 13 octobre 1769. BGE, Archives Saussure 237/98 & 106, Amélie de Saussure à Horace-Bénédict de Saussure, Rolle, s.d. [1767]. Ailleurs elle le charge de consulter pour sa sœur, voir pp. 448-449. BGE, Archives Saussure 237/64, 173, Nicolas de Saussure à Horace-Bénédict de Saussure, Frontenex, 26 décembre 1768 et Amélie de Saussure à Horace-Bénédict de Saussure, Genève, mercredi midi [1779]; Archives Saussure 238, Théodore de Saussure à Horace-Bénédict de Saussure, [Genève], le 21 septembre 1780 et Théodore de Saussure à Horace-Bénédict de Saussure, [Genève], s.d.

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plus malade qu’elle n’ait jamais été. Cela fait qu’elle a perdu la confiance qu’elle avait autrefois en lui105.

La malade s’adresse ainsi, par l’intermédiaire de son fils, à Albrecht de Haller, un médecin établi loin de Genève. L’habitude de la malade de cracher du sang et la crainte de la famille que ce symptôme ne lui confère l’étiquette de phtisique, font de la santé de cette dernière un sujet à traiter avec tact: un médecin éloigné géographiquement a plus de chances d’être discret106. La volonté de dissimulation est d’autant plus importante qu’Horace-Bénédict et sa sœur Judith auraient eux-mêmes hérité de sa constitution107. Cela dit, les données qu’il communique au praticien sur la santé de sa mère semblent plutôt crues, surtout sous la plume d’un fils: Ma mère eut ses règles il y a environ six semaines, comme nous avons eu l’honneur de vous le marquer. Elles venoient alors huit jours avant leur terme, et furent fort abondantes108.

Restituées dans le contexte de la médecine humorale, ces informations constituent la clé de l’état de santé d’une femme. La consultation que le fils rédige, en avril 1763, est motivée par une dégradation de la santé de la malade et atteste de l’attention avec laquelle le corps de celle-ci est observé. Saussure peut énumérer les composantes des remèdes pris par sa mère dans les cinq années précédentes, précisant par exemple qu’elle avait pris une préparation comprenant de l’eau de lys, du sirop de guimauve, de l’huile d’amandes et de l’eau de fleur d’orange prescrite par Butini les 8, 9 et 16 février 1760, soit plus de trois ans auparavant ! Sa lettre abonde en détails sur l’évolution des douleurs de la malade, de sa transpiration, de ses règles, de ses mouvements intestinaux et de ses crachats. L’ensemble n’occupe pas moins de dix pages dans l’édition moderne des lettres de Saussure !109 105

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Haller et Saussure 1990, p. 120, Horace-Bénédict de Saussure à Albrecht de Haller, le 7 avril 1763. Certains malades recourent à la consultation épistolaire pour les mêmes raisons. Ruisinger 2008, pp. 151-153. Ils souffrent de problèmes de digestion et, comme leur mère, d’un « principe de dartre » ou d’« acrimonie dartreuse ». Les maladies de la peau étaient associées à des humeurs froides et redoutées dans le public. Haller et Saussure 1990, p. 108, Horace-Bénédict de Saussure à Albrecht de Haller du 15 octobre 1762. Haller et Saussure 1990, pp. 120-130, Horace-Bénédict de Saussure à Albrecht de Haller, le 7 avril 1763.

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Il ne manque qu’un rapport sur ses urines, un oubli que le fils comble dans une lettre envoyée deux jours plus tard110... Le même Saussure joue un rôle important dans la gestion de la santé de sa sœur. Celleci se serait dégradée à la suite d’une calomnie relayée par la Correspondance littéraire de Grimm sur l’effet lubrique de sa présence sur la personne de Voltaire111. Une année plus tard, en décembre 1773, Saussure adresse une consultation pour son compte à Haller. La cause principale de ses maux proviendrait de la « peau séche et imperméable de la famille » dont sa sœur aurait hérité112. Elle serait à l’origine d’une « humeur de dartre » qui se « jette » sur sa peau, notamment au visage; « M. Tronchin l’appelloit une dartre érésipélateuse*» précise Saussure, qui n’est pas convaincu par ce diagnostic. « Ce n’est pourtant pas une dartre séche, car elle flue et même quelquefois avec abondance » et le sang de sa sœur aurait tendance à refluer vers le haut de son corps, vers sa tête. Les humeurs qui s’y porteraient causeraient alors « de grands maux de tête, et beaucoup de tristesse ». Saussure mentionne également une prédisposition à être constipée et traite sommairement l’histoire de ses règles, elles seraient « en bonne ordre » et sa sœur « se trouve ordinairement mieux pendant qu’elles coulent ». Elle aurait, outre ces maux, une toux sèche. Redoute-t-on, en raison des pathologies familiales, une maladie de poitrine, voire une phtisie? C’est possible. La description de son état est dressée en automne et l’hiver est présenté comme la saison qui lui serait la moins favorable. Dans sa lettre à Haller, Saussure s’exprime au nom du groupe familial. « Nous sommes » écrit-il « fort inquiets » et redoutons « que les suites ne soient encore pires »113. Le pire ne se concrétise pas, mais comme sa mère et sa 110

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Haller et Saussure 1990, p. 131, Horace-Bénédict de Saussure à Albrecht de Haller, le 9 avril 1763. En janvier 1773 et après avoir évoqué une rétention d’urine dont Voltaire aurait souffert, Grimm ajoute: « Comme le venin de la calomnie est intarissable, on n’a pas manqué de remarquer que mademoiselle de Sau… était revenue à Ferney deux jours avant la strangurie […]; on veut absolument lui attribuer tous les désordres qui arrivent dans l’économie animale dudit seigneur ». Grimm et Diderot 1812, t. 1, p. 420. Voir Proust 1987. Plusieurs médecins l’avaient décrété, notamment le professeur Baumel. BGE, Archives Saussure 239/215-216, Baumel à Judith de Saussure, Montpellier, 18 Messidor an XI. Haller et Saussure 1990, pp. 476-477, Horace-Bénédict de Saussure à Albrecht de Haller, Genève, le 11 décembre 1773.

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tante Bonnet, Judith conservera un statut de malade pendant une grande partie de sa vie114. Etablie à Montpellier dès 1777, les lettres qu’elle adresse à sa famille débordent de détails sur sa santé et sur les thérapies tentées115. Exilée dans un centre médical reconnu, elle consulte des praticiens prestigieux, mais continuera à réclamer des conseils de son frère, notamment sur l’usage de remèdes violents, tel le « sublimé corrosif » ou encore sur des modes médicales comme le magnétisme116. L’expertise d’Horace-Bénédict de Saussure est certes impressionnante, mais non pas extraordinaire au regard des récits détaillés adressés par d’autres médiateurs à des médecins. L’examen des documents relatifs à la petite vérole de l’épouse d’Horace-Bénédict, Amélie Boissier, confirme ce fait. Amélie tombe malade de la petite vérole au mois de mai 1750, elle est âgée de cinq ans. Un tableau de la main de son grand-père, le pasteur Ami Lullin (1695-1757), atteste à la fois de la minutie des observations dont elle fait l’objet et le besoin ressenti par ses proches de pouvoir suivre graphiquement l’évolution de sa santé (figure 3). Le tableau compte une seule page sur laquelle les entrées quotidiennes s’organisent chronologiquement, allant des premières fièvres du 4 mai au « tout va au mieux, il ne reste que quelques inquiétudes » rapporté le 18 du même mois. Deux semaines pendant lesquelles, pour chaque jour, une ligne est remplie: la première colonne comprend les noms des veilleurs, la deuxième comptabilise le nombre de visiteurs et la dernière résume les manifestations corporelles du jour117. La nature de ces données

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BGE, Archives Saussure 239/31, Judith de Saussure à Horace-Bénédict de Saussure, Montpellier, 1er avril 1780. BGE, Archives Saussure 239/9, 96 & 24, Judith de Saussure à HoraceBénédict de Saussure, Montpellier, [novembre 1778]; Judith de Saussure à Amélie de Saussure, Montpellier, le 4 juin; Judith de Saussure à HoraceBénédict de Saussure, Montpellier, 1er avril 1780. BGE, Archives Saussure 239/221, 26 & 35, Mme St-Felix De Moncan à Horace-Bénédict de Saussure, Montpellier, 17 août 1780; Judith de Saussure à Horace-Bénédict de Saussure, Montpellier, 12 avril 1780; Judith de Saussure à Horace-Bénédict de Saussure, Montpellier, s.d. [hiver 1781]. Le 16 mai, par exemple, le pasteur écrit: « Sommeil, chaleur, selle d’un boudin compact – les boutons sèchent, les yeux vont s’ouvrir. Le pouls fort, égal, peu fréquent. Midi, les yeux sont ouverts, les pustules sèchent, quelque agitation, crachats difficiles, les mains au lieu d’enfler tendent à leur état naturel, urines toujours abondantes.»

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Figure 3: « Journal d’une petite vérole de 1750 ». BPU, Ms Lullin 2/176.

est comparable à celles recueillies par Horace-Bénédict de Saussure lui-même près de 40 ans plus tard, en octobre 1789, sur la personne de la même Amélie Boissier, devenue entre temps sa femme. La maladie est qualifiée cette fois de « fièvre bilieuse », une appellation particulière à Genève, selon un médecin, étant donné que souvent la

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bile « n’y joue aucun rôle »118. La différence entre ces deux façons de noter se lit dans les détails: si dans le tableau du grand-père, deux semaines tiennent sur une page, une journée occupe une page dans le carnet de santé du mari. Alors que le premier se contente d’une chronologie par journée, le second suit chaque événement à la minute près. Le 27 janvier 1790, Saussure décrit sa femme comme « plus calme » à 5 h50 du matin, alors que son pouls s’élèverait à 120 battements par minute. Le même jour, à 11h15, le médecin Louis Odier vient également tâter le pouls de Mme de Saussure. Il compte 112 battements par minute. Saussure ajoute à côté de ce relevé son propre décompte, 118 battements. Pour ce seul 27 janvier, le pouls de la patiente est pris à douze reprises. Une troisième colonne du carnet comprend les différents symptômes (malaise, gêne, angoisse, chaleur), l’énumération des évacuations corporelles du jour (urines, selles, sueurs), ainsi que la liste des remèdes pris. Leur nombre et leur variété impressionnent: huile de ricin, quinine, eaux de Spa, vin de Bordeaux, lait d’ânesse, vésicatoires, et même un traitement électrique119. Saussure mobilise son réseau à l’occasion de cette maladie. Une consultation est transmise à sa sœur à Montpellier pour être soumise à Paul-Joseph Barthez (1734-1806)120. La réaction de Judith est une nouvelle illustration de l’étendue possible du savoir d’une parente sur un corps particulier. Elle complète les informations médicales en signalant l’âge des premières règles de sa bellesœur, « c’etoit la seule chose que je pus sçavoir qui eut été oubliée »121. Il va de soi qu’elle corrige la consultation. Judith de Saussure suit de près l’état de sa belle-sœur et, en malade avertie, ne manque pas

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BGE, Archives Saussure 1/21, Louis Odier, Mémoire à consulter (Genève, le 16 février 1790). Des traitements électriques avaient été tentés sur des paralytiques par le professeur de physique Jean Jallabert (1712-1768) au milieu du siècle déjà. Horace-Bénédict de Saussure lui-même évoque ses propres succès médicaux dans une lettre à Pierre Mauduyt de la Varenne en 1778. Bonnet 1948, p. 117; BGE, Archives Saussure 9/103-104v, Horace-Bénédict de Saussure à Pierre Mauduyt de la Varenne (brouillon de lettre), le 9 juillet 1778 et Archives Saussure 93, Journal de santé 1789-1794. Professeur de médecine à Montpellier depuis 1760. Voir Dict. historique de la médecine, pp. 277-286. BGE, Archives Saussure 239/49-50, Judith de Saussure à Horace-Bénédict de Saussure, Montpellier, 24 février [1790].

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d’adresser, à son tour, des conseils122. La correspondance échangée au sein de la famille à l’occasion de cette cure révèle l’implication d’autres membres de la famille dans cette maladie. Nicolas Théodore de Saussure (1767-1845), le fils du couple, relaie les informations de ses parents au médecin Louis Odier à Genève pour ensuite leur renvoyer les recommandations du médecin123. Les directions affluent sur la façon de prendre les douches. « M. Odier approuve bien que maman les prenne moins longues puisqu’elles la fatiguent »124 et ailleurs, qu’il s’agit de « prendre en tout 20 douches au plus et que par conséquent si elle en avoit onze lundi elle doit en prendre 8 ou 9 au plus depuis lundi jusques à son départ »125. Les enfants Les enfants comme Nicolas Théodore et Horace-Bénédict de Saussure s’immiscent dans la santé de leurs parents, mais les attentions vont avant tout dans l’autre sens. Le mauvais traitement d’enfants suscite la réprobation. L’historiographie révèle que l’attitude des parents répond à des facteurs sociaux, culturels et économiques qui varient avec le temps126. L’étude de la prise en charge historique de la santé des enfants constitue un moyen de reconsidérer les attitudes de parents. Un premier constat s’impose d’emblée: la mauvaise santé d’enfants, même très jeunes, suscite des angoisses et des émotions considérables127. « Notre cher enfant a pris les convulsions, nous avons eu une horrible allarme » rapporte Catherine Charrière de Sévery, mère d’un nourrisson âgé d’environ une année. Elle fait venir Tissot à plusieurs reprises. Des remèdes sont tentés: trois lave-

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Elle s’appuie sur ce qui se pratique à Montpellier pour proposer des bains entiers, des bains de jambes avec beaucoup de moutarde. BGE, Archives Saussure 239/47-48, Judith de Saussure à Horace-Bénédict de Saussure, Montpellier, 17 mai [1780]. Voir BGE, Archives Saussure 238/47, Nicolas Théodore de Saussure à HoraceBénédict de Saussure, s.l., lundi soir [1790]. BGE, Archives Saussure 238/48, Nicolas Théodore de Saussure à HoraceBénédict de Saussure, s.l., mardi à 9 heure [1790]. BGE, Archives Saussure 238/54, Nicolas Théodore de Saussure à HoraceBénédict de Saussure, [juillet-août 1790]. Ariès 1960; Flandrin 1976; Shorter 1977; Stone 1990; Gélis, Laget et Morel 1978; Pollock 1988. La perspective adoptée ici est proche de Rollet et Morel 2000, pp. 243 et suiv.

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ments, une potion le premier jour, et ensuite, cinq jours plus tard lors d’une nouvelle crise de convulsions, des vésicatoires128. Pendant cette crise, la mère, bien que ne nourrissant pas elle-même son enfant, dort avec lui alors que deux membres de la maisonnée le veillent129. L’intervention du docteur Tissot trahit la condition sociale des parents; ailleurs le soignant convoqué aurait certainement été un chirurgien, un apothicaire ou un laïc. Les parents d’enfants malades sont nombreux parmi les fidèles qui sont repris par le Consistoire genevois pour avoir consulté un prêtre ou recouru à un rituel de guérison catholique: le désarroi des parents les incite à explorer toute source de soulagement possible130. Une attention constante, plus médicale encore, est attestée par le nombre et le détail des relevés consignés par plusieurs couples dans des journaux consacrés à leurs enfants. René Prévost (1749-1816) tient un journal d’éducation où la santé de sa fille et de son fils occupe une large part. Son fils est examiné une première fois par un docteur, Charles Dunant (17441808), à l’âge de trois mois131. On ne perçoit aucune trace de résignation dans l’attitude face à la mauvaise santé de nourrissons et ce n’est pas qu’une question de statut social. Des attentions similaires se retrouvent dans des sphères moins aisées. La mère de Prosper Monachon, la femme de chambre d’Isabelle de Charrière, place son fils en nourrice et suit sa progression avec attention, n’hésitant pas à changer sa nourrice lorsqu’elle estime les soins donnés à son enfant insuffisants132. Ainsi, en dépit des idées répandues sur le fatalisme des parents dans le passé133, de nombreux documents attestent du fait que les familles tentent de soigner enfants et nourrissons134. Il n’y a pas de 128 129 130 131

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Jnl Sévery, le 23 janvier 1771. Jnl Sévery, du 28 avril au 5 mai 1767. Voir Rieder 2010. BGE, Ms Suppl. 880, René Prévost et Olympe Prévost-Dassier, Journal d’éducation de Marianne et de Charles Prévost, du 23 juillet 1786. Charrière O. C., t. 4, p. 31, Isabelle de Charrière à Caroline de Sandoz-Rollin, s.l., le 13 avril 1793. Corollaire de l’idée énoncée dans certains travaux selon laquelle les parents s’attachaient peu aux enfants âgés de moins de deux ans. Voir Shorter 1977; Desnos 1997, pp. 51-52 et particulièrement DeMause 1975. Voir plus bas p. 246. Si l’étude de Michael Macdonald sur la pratique de Richard Napier, au début du XVIIe siècle, révèle peu d’enfants parmi la clientèle de ce soignant (7% des patients ont moins de dix ans), la nature de sa pratique

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différence apparente dans la nature des remèdes donnés aux adultes et de ceux administrés aux enfants, seul l’adaptation des doses signale une prise en compte de la moindre corpulence des plus petits: Frêne, par exemple, prescrit un purgatif d’un dragme de rhubarbe à chacun de ses enfants, deux dragmes à sa femme et trois pour luimême135. Ce principe est cautionné par la plupart des recettes de remèdes: l’enfant, en fonction de son âge, prend seulement une fraction de la dose d’un adulte136. La fragilité de la vie d’un enfant était reconnue. Comment les parents géraient-ils cette vulnérabilité? En cas de crise, les praticiens consultés offrent des avis et non pas des assurances. Confrontés à nombre de conseils distincts, les parents se trouvent isolés lorsqu’il s’agit de prendre une décision thérapeutique. C’est une lourde responsabilité. Les précautions prises par certains parents suscitent des moqueries de tiers. Belle de Zuylen raconte l’amitié naissante entre son neveu Arent et le fils de son amie d’Athlone, Frits. « Ne voilà t’il pas votre pusillanime beau frere qui se met en tête que le mal de Frits et l’odeur qu’on sent dans sa chambre le matin avant qu’elle soit airée pouront nuire à son fils ». Le père consulte des médecins et sépare les enfants137. Comme ici, la mesure la plus courante face au danger est d’en éloigner l’enfant. C’est un réflexe commun face aux épidémies récurrentes de petite vérole. Agé de quelques années seulement, le jeune Théophile Rémy n’accompagne pas ses parents dans un lieu où « règne » la petite vérole138. Pendant plusieurs années, les Charrière de Sévery déplacent leurs enfants afin d’éviter la maladie. Ils envoient leur fille Angletine, alors âgée de 11 mois, à Mex en hiver 1771 pour fuir la petite vérole qui régnait à Lausanne139. Au printemps 1772, après quatre mois d’ab-

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médicale et le fait que sa clientèle vient de loin pourraient expliquer ce phénomène. Le faible nombre de consultations épistolaires pour des enfants doit être associé à l’urgence même des crises dans les maladies infantiles. Les pratiques que nous avons rencontrées confirment la précocité des interventions médicales pour des nourrissons constatée dans McCray Beier 1987, p. 188; MacDonald 1981, pp. 40-43; Brockliss 1994, p. 85; Brockliss et Jones 1997, p. 297 et ValiciBosio 1988, p. 119 et suiv. Jnl Frêne, p. 487. ACV, P Charrière, Ce 1-Ce 4. Charrière O. C., t. 2, p. 200, Belle de Zuylen à Diederik Tuyll van Serooskerken, Zuylen, le 9 juillet 1770. Jnl Frêne, p. 18. Jnl Sévery, le 27 novembre 1771.

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sence, le nourrisson prend le chemin inverse pour éviter cette fois la petite vérole à Mex140. La stratégie est commune dans les grandes familles. Les familles moins fortunées, comme les Frêne, se résignent simplement à voir leur enfant tomber malade lorsque la petite vérole règne dans leur village. La seule alternative est de tenter l’inoculation*, une pratique controversée et risquée141. C’est le chemin que prend la comtesse Dönhoff pour sa fille, née le 4 janvier 1793. Elle sera inoculée le 21 février suivant142. Les stratégies mises en œuvre pour éviter que l’enfant n’attrape la petite vérole naturellement variaient en fonction des moyens de la famille. Les autres maladies infantiles ne suscitent pas de mesures préventives particulières; les parents se concentrent sur les symptômes. « Elles ont un commencement ou une sorte de cocluche » écrit une mère en relatant les maladies de ses filles. L’une d’entre elles, Marianne âgée d’un an, est secouée par des convulsions. La mère consulte l’ouvrage de Tissot. « Elle pouroit bien avoir des vers » hasarde-t-elle et décide de lui donner les remèdes appropriés143. « Quant ils auront fait leur effet et que la toux sera passée j’espere pouvoir la baigner et que ce remede et le beau tems feront passer ce comencement de maladie angloise et la fortifiro[nt]». Les propos de la mère renvoient à l’équivalent de trois entités nosologiques aujourd’hui. Un parasite, la coqueluche et le rachitisme, mais le point sur lequel le doute n’est pas permis, c’est l’inquiétude maternelle. « Je vous demande pardon ma chere sœur de ce detail ennuiant, mais je suis si affectée de tout cela que je ne puis m’en taire »144.

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Jnl Sévery, les 2 & 3 mars 1772. Voir Peter 1979, Maehle 1995, Wenger 2006. Charrière O. C., t. 3, p. 524, Henriette L’Hardy à Isabelle de Charrière, s.l., le 21 février 1793. Plus tôt dans le siècle, il était coutumier d’attendre que l’enfant soit plus âgé pour procéder à cette opération. A l’occasion de leur inoculation* en 1756, Anne et Jeanne Françoise Boissier étaient âgées de plus de 10 ans. BGE, Ms Lullin 2/177-178, Journal de l’inoculation de la petite vérole à Fanchette et à Manon Boissier. La toux et les convulsions sont citées dans la lettre. Tissot inclut les convulsions dans la liste des symptômes de cette maladie et propose, en guise de remède, la « grenette » ou un mélange d’extrait de noix et de cannelle qui devait être suivi d’une purge ou d’une poudre de quina. Tissot 1993, § 388-389 Charrière O. C., t. 2, p. 165, Johanna Maria de Perponcher-Sedlnitzky à Belle de Zuylen, s.l., entre le 15 et le 30 avril janvier 1770.

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Les enfants d’abord : les familles Odier et Lullin Comme pour les adultes, la maladie d’un enfant peut mobiliser toute la maisonnée. Louis Odier rapporte, par exemple, dans une de ses lettres, un accident survenu quelques décennies plus tôt à son frère cadet, Joseph, alors âgé de sept ans. « Il se cassa la jambe en sautant » rapporte Odier. Le chirurgien Baumgartner (1702-1790) « déclara qu’il s’étoit cassé le petit os de la jambe seulement, mais qu’il ne resteroit pas moins six semaines au lit ». Alité, l’enfant s’ennuyait et afin qu’il ne pleure pas et qu’il restât tranquille, on lui passoit toutes ses fantaisies, et on cherchoit à l’amuser. Nous passions nos soirées auprès de son lit, occupés à jouer pour le divertir. Mais quand il perdoit, le jeu l’ennuyoit. Pour qu’il y prit quelque plaisir, il faloit qu’il gagnat. On nous recomendoit de perdre toujours, et comme de notre côté nous n’avions point assez de générosité pour lui faire volontiers ce sacrifice de notre argent, on nous en donnoit tous les jours un peu pour cela145.

L’anecdote illustre le poids que la prise en charge d’un enfant malade pouvait représenter pour la maisonnée. Les crises particulières s’accompagnent d’inquiétudes plus générales sur la santé de chaque enfant. Parmi les enfants Odier, la santé d’Amélie est jugée moyenne. Son père dresse son état médical à l’âge de 4 ans146. Elle est un enfant bien portant, mais qui jusqu’à présent sans avoir eu aucune maladie grave a été un peu retardée et n’a pas été bien robuste. Son père se porte bien et a en général jouï jusqu’à présent d’une bonne santé, mais il n’est pas non plus et n’a jamais été d’une forte constitution, en sorte qu’à cet égard le père et la fille doivent être considérés comme au pair. Sa mère étoit d’une santé très florissante; mais quoiqu’elle soit encore très fraiche et très bien portante, ses couches ont un peu altéré la force de son tempérament, et elle est sujette à plusieurs petites incommodités. Son ayeul et son ayeule du côté paternel sont morts. Son ayeul maternel est mort aussi; mais sa grand-mère Le Cointe se porte bien, quoique sujette à quelques dartres qui empêchent qu’on ne puisse considérer sa santé comme au dessus du pair, jouï de la

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BGE, Ms fr 5153, Louis Odier à Andrienne Lecointe, s.d. Il propose d’en préparer un sur ce modèle pour chacune des filles choisies pour les rentes viagères, les fameuses « 30 têtes ». Lüthy 1959/1961, t. 2, pp. 464-487

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meilleure santé possible. Il n’y a jamais eu parmi eux aucune maladie héréditaire. Ses parens maternels ont toujours été et sont encore d’une bonne santé; mais sa tante (Madame Dassier) a eu l’année passée une maladie nerveuse qui a donné de l’inquiétude147.

En août 1798, l’adolescente sera envoyée à Orbe chez Pierre-Frédéric Jaccard (1768-1820)148, spécialisé dans l’éducation physique, qui se voit confier la mission de corriger un défaut de rectitude de son dos149. Si le résultat de cette tentative douloureuse n’est pas connu, d’autres entreprises thérapeutiques mènent à l’échec. Le 28 octobre 1788, Louis Odier rapporte à son collègue De la Roche que son « fils Ami est malade d’une petite fièvre bilieuse »150. L’enfant est alors âgé de cinq ans. Un mois plus tard, Odier est soulagé, son fils « commence à se remettre un peu de sa fièvre bilieuse »151. Pourtant, seulement cinq mois après la première mention de cette maladie, c’est un Odier décomposé qui prend la plume. « C’est avec le cœur bien serré que je répons à votre dernière lettre, mon cher De la Roche. Mon pauvre petit Ami, le plus beau, le mieux constitué et en apparence le plus robuste de mes enfans est mort ce matin d’un hydrocephale ». Le père retrace l’histoire de sa maladie afin de « soulager [s]on affliction » écrit-il. Le récit révèle à la fois le détail des soins, la compassion du père et le désarroi du médecin: Il étoit né en 1783. Ma femme l’avoit nourri 18 mois. Il n’avoit jamais été un instant malade, si ce n’est quelques legers maux accidentels qui n’avoient jamais eu la moindre prise sur sa constitution; [...] le 25 octobre dernier en revenant de l’école, il eut un frisson qui fut le premier symptome d’une fièvre bilieuse qui dura

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BGE, Ms fr 4158, Louis Odier à Daniel De la Roche, Genève, le 23 septembre 1788. Celui-ci était effectivement connu pour sa dextérité mécanique. En 1791, après la mort de Venel, il reprendra l’Abbaye à Orbe où s’organisent des cours pour sages-femmes et une clinique d’orthopédie « non sanglante ». Olivier 1939/ 1962, t. 2, pp. 963-964 & 1064-1065. BGE, Ms fr. 5641/262, 270, 271, 273, Amélie Odier à Andrienne Odier, s.l., s.d. BGE, Ms fr 4158, Louis Odier à Daniel De la Roche, Genève, le 28 octobre 1788. BGE, Ms fr 4158, Louis Odier à Daniel De la Roche, Genève, le 29 novembre 1788.

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près de trois semaines, mais qui se guérit assez facilement par de legers purgatifs. Tout le mois de décembre il fut assez bien, mais un peu pâle. Le 5 janvier, nous eumes une incendie terrible dans notre voisinage qu’on éteignit avec de l’eau bouillante, comme vous l’avez su et qui boulversa toute la ville, parce qu’il faisoit une forte bise, et un froid terrible. Soit l’émotion qui lui donna cet événement, soit le froid qui pénétra peut-être ce soir là dans notre appartement par les fenetres que la curiosité faisoit ouvrir de tems en tems lui donnèrent une rechute. Il reprit la fièvre, un peu de diarrhée, et quelques vomissemens de tems en tems. Mais ces symptômes ne durerent que quelques jours. Le syrop magistral les arrêta. Il étoit en pleine convalescence et très bien, lorsque la prise d’armes du 27 [janvier] lui donna probablement de l’émotion. Il vît passer les corps morts sous nos fenêtres. Il entendit les coups de fusil et d’arquebuse qu’on tiroit à St-Gervais. Tous les propos qu’on tint devant lui, le frappérent probablement beaucoup; mais il ne parut s’en mal trouver que le 29 lorsque vers les 3 h. il vit au travers de la fenêtre fermer les boutiques et courir avec précipitation. Cela lui donna sur le champ un frisson. Il vint tout tremblant dire à sa maman ce qu’il avoit vu et en tira la conséquence que bientôt on alloit dépaver et qu’on se tueroit. On le rassura; mais le mal étoit fait. Dès ce moment il n’a pas cessé d’avoir un peu de fièvre avec des paroxysmes irréguliers et un peu de diarrhée. Dans la nuit du 5 au 6 de février, cette diarrhée augmenta beaucoup. Il se levat plusieurs fois, prit froid peut être, et le lendemain vers les 9h il fut tout à coup saisi de vomissemens continuels avec une telle prostration de forces que son pouls se perdit totalement et qu’on ne pouvait le réchauffer. J’employai sur le champ les moyens les plus actifs, pour faire cesser le vomissement.

L’état de son fils ne fait qu’empirer. Odier s’adresse aux collègues en qui il a le plus confiance, Gaspard Vieusseux (1746-1814) et JeanAntoine Butini (1723-1810), mais ne parvient pas à sauver son fils. Le lendemain du décès, il reprend la plume pour poursuivre son récit: Quelle triste journée, mon cher De la Roche. Ce matin j’ai fait ouvrir mon pauvre Ami. Cette après-midi je l’ai conduit au cimetière. Quelles déchirantes fonctions ! C’en est donc fait pour toujours. Je ne le verrai, ni ne l’entendrai plus, et je serai réduit à me consoler de sa mort par la perspective des maux qu’il auroit pu endurer, s’il avoit vécu plus longtems. Le pilore étoit resserré, la partie supérieure et interne de l’estomac étoit enflammée.

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L’extrémité gauche du colon très resserrée; toutes les glandes mesentriques obstruées, ainsi que celles du petit épiploon; un peu d’eau dans les ventricules du cerveau, mais peu; le cervelet très mol et pâle, et ce qu’il y a de plus étonnant, de plus triste et de plus consolant à la fois tous les poumons farcis en dehors et en dedans de petits tubercules mols, blanchâtres et comme en efflorescence. Il seroit donc devenu phtisique, lui qui avoit la voix si bonne, qui n’avoit jamais eu d’oppression, et jamais de toux que les trois derniers jours de sa vie; et encore si peu que je n’y faisois aucune attention !152 Je supprime bien des réflexions désolantes. Je n’ai ni la force, ni l’indiscrétion de vous en dire davantage153.

Le désespoir du père est palpable. De nombreux témoins signalent que son cas n’est pas exceptionnel. « M. et Mme Sandoz ne sont pas non plus en florissante santé » écrit Isabelle de Charrière à son neveu, « la mort d’un de leurs enfans, né après que vous les avez vus, a porté à la sensibilité paternelle au cœur et à la santé de M. Sandoz une atteinte affreuse »154. L’émotion ressentie par un parent peut expliquer un dérangement survenu dans sa propre santé. « La mort de la petite Barde […] paroit avoir fait une vive impression sur son père qui est dès lors malade lui-même d’une fièvre bilieuse legere à la vérité, mais accompagnée d’une grande foiblesse de corps et d’ame »155. S’il est possible de trouver de la désinvolture, voire du fatalisme, c’est sous la plume d’observateurs éloignés. L’attitude de Belle de Zuylen, en 1770 lorsqu’elle apprend le décès de la fille de sa sœur, en est une bonne illustration. « La petite Marianne de ma sœur est morte de la coqueluche après des souffrances incroyables. Elle se portoit si bien que c’est dommage »156. Isabelle de Charrière, ellemême sans enfant, refuse de s’attacher aux nourrissons et engage les parents à faire de même. Certaines familles sont particulièrement éprouvées par les maladies d’enfants. C’est le cas de la famille Lullin. Le pasteur Ami Lullin

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Cette autopsie pratiquée sur un enfant n’est pas un cas isolé, voir McCray Beier 1987, p. 152 et ici même p. 496 et suiv. BGE, Ms fr 4158, Louis Odier à Daniel De la Roche, Genève, le 14 mars 1789. Charrière O. C., t. 6, p. 543, Isabelle de Charrière à Willem-René van Tuyll van Serooskerken, s.l., le 16 septembre 1803. BGE, Ms fr 4158, Louis Odier à Daniel De la Roche, Genève, le 11 août 1786. Charrière O. C., t. 2, p. 187, Belle de Zuylen à Diederik Tuyll van Serooskerken, s.l., le 10 mai 1770.

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est un des hommes les plus riches de Genève. Il épouse, le 28 août 1724, Susanne Albertine Langes de Lubières157. Le couple aura trois enfants: Marie Charlotte (1725), Jean Antoine (1726) et Antoine Louis (1729). La famille est unie. Ami Lullin se montre exigeant, mais ses enfants répondent à ses attentes et sont visiblement à l’aise dans des relations où piété, affection et respect trouvent une place. Les premières maladies des enfants sont traitées par les parents avec l’aide de praticiens du voisinage. Adolescent, Jean Antoine fait allusion à une maladie grave « où l’on desesperoit de la prolongation de mes jours » dont il aurait souffert à l’âge de dix-huit mois. « La Providence m’en retira lorsqu’il sembloit qu’il ne restoit presque plus de remèdes.»158 Cette interprétation est étendue à toutes ses maladies d’enfance et réitérée dans un second examen de conscience l’année suivante. L’adolescent envisage les effets de sa première maladie: elle « a pu contribuer à une espèce de lenteur qui m’a été habituelle à plusieurs égards »159. Comme la petite vérole de Frêne, la maladie dont il avait souffert nourrisson s’inscrit ainsi dans la compréhension qu’il a de son propre être et explique les défauts qu’il se reconnaît. Les autres maladies d’enfance de Jean Antoine, comme celles de son frère, Antoine Louis, n’occupent que peu de place dans les documents familiaux où seules des « maladies de la jeunesse » et une « pleurésie*» sont mentionnées160. C’est sans problèmes majeurs que les deux garçons atteignent l’adolescence. Le parcours de leur sœur aînée, Marie Charlotte, est un peu plus chaotique et compte une « fièvre continuë avec des redoublements » essuyée à l’âge de 7 ans161 et une tache blanche gênant sa vision à 12 ans. A cette occasion, ses 157 158

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Voir Walker 1998. Le livre de comptes de la famille confirme la réalité de cette maladie. Le 26 janvier 1729, le chirurgien Antoine Sabourin (1692-1757) est payé pour deux années de rasage (1728 et 1729), la maladie « du petit J. A. Lullin » ainsi que pour « diverses saignées faites au domestiques ». BGE, Ms Lullin 73, Compte de caisse par Sieur Jean Rodolph Coch commencée le premier janvier 1729, jusques au 31 décembre dite année inclus. Je remercie Anastazja Winiger-Labuda pour cette information. BGE, Ms Lullin 2/68-70, Jean Antoine Lullin, Essai de revuë exacte de conscience, s.d. BGE, Ms Lullin 2/87-128, Antoine Louis Lullin, Résolutions à ma première Comunion de Noël 1745, s.d. BCUL Dorigny, Fonds de Crousaz, VII/65, Ami Lullin à Abraham de Crousaz, Genève, le 1er septembre 1732.

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parents consultent tout azimut. Ils ont peut-être essayé la «Recette du Chevalier Sloane contre l’inflammation des yeux»162, envoyée par une connaissance de la famille, ou suivi les conseils adressés par Antoine Fizes (1690-1765), professeur de médecine à Montpellier. Ce médecin concluait à des restes d’une ophtalmie qu’il projette de dissiper en rendant « la masse de sang » plus fluide163. L’issue est heureuse. Mais d’autres crises de santé marquent les annales familiales. En octobre 1742, Jean Antoine attrape la petite vérole. Il est âgé de 16 ans et la maladie l’atteint, selon ses propres écrits, au moment même où il commençait à gagner en application et entamait sérieusement sa formation religieuse. « Mais », écrit-il, « que les choses de la vie sont incertaines ». Le lecteur ne peut manquer de percevoir ici un sentiment d’injustice. L’interprétation que Jean Antoine fait de sa maladie n’est pas explicite, il remercie simplement Dieu de l’en avoir délivré. L’adolescent en sortira affaibli; il gardera la maison trois mois et sa convalescence s’étalera sur six mois. Une année après sa petite vérole, en octobre 1743, il contracte une « fièvre quarte »* accompagnée d’une toux: L’etat de ma santé déjà [mot barré] alterrée ne me permit pas d’y prendre trop de part [aux études]; je m’appliquai les mois suivans à me préparer pour mon second examen de philosophie lorsque le mal s’étant déclaré, on m’ordonna de suspendre toute application et l’on renvoia mon examen après feries. L’état ou je me trouvai dès lors, attaqué de fièvre quarte par intervale, et toujours de toux, quelque fois de crachemens de sang, et de sueurs, soumis à des remèdes continuels et à un régime austère m’obligea à rallentir, et ensuite à discontinuer toute sorte d’étude. Mon occupation imposée est mon infirmité avec ses suites164.

Les grandes maladies requièrent du malade un investissement de tous les instants; l’adolescent n’a plus le droit d’étudier en raison des conséquences possibles d’une telle application sur sa santé. Alors que la petite vérole ne semble pas avoir suscité de réaction particu162

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BGE Ms Lullin 2/179, Recette du Chevalier Sloane contre l’inflammation des yeux. Il prescrit une saignée au pied, une purge, une « fontenelle au bras gauche avec la pierre a cautere », des collyres et un régime strict. BGE, Ms Lullin 2/143, Antoine Fizes à [Ami Lullin], Montpellier, le 4 janvier 1737. BGE, Ms Lullin 2/68-70 (s.d.), Jean Antoine Lullin, Essai de Revuë exacte de conscience.

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lière, la fièvre quarte prend des allures qui inquiètent sa famille: Jean Antoine crache du sang. Un diagnostic d’« obstruction et ulcération dans les glandes du poumon » est posé en juillet 1744, soit neuf mois après le début de la maladie. En mars 1745, les symptômes deviennent alarmants. Les frissons sont plus fréquents, plus violents et les sueurs abondantes. Le printemps est froid et orageux, une cause possible, selon Lullin, du déclin de la santé de son fils. La maladie dure maintenant depuis plus d’une année. De nombreux conseils reçus de médecins étrangers attestent d’un élargissement de l’aire de consultation. Le médecin Jean-Frédéric Herrenschwand (17151798)165, établi à Morat, est particulièrement zélé. Il ne cache pas aux Lullin la nature de la maladie de leur fils. Trouvez bon, monsieur, qu’après de mures reflections, je vous dise ingénument, que l’origine de sa phtisie, ses progrès non obstant l’usage des bons médicaments employés, et la complication qu’il a éprouvé de fièvre d’accès, vu l’estat de votre air et la nature de l’atmosphère qu’il habite, m’assurent également de la nécessité de la changer le plustost possible166.

La meilleure solution thérapeutique serait un voyage de santé à Montpellier. D’autres voix vont dans le même sens. Un remède portant le titre Remède indiqué contre la phtisie par M. Molens l’apothicaire de Lyon, figure dans le même dossier et se termine par une injonction similaire: « Il faudroit changer d’air, la chose est même regardée comme essentielle.»167 La multiplication des avis favorables à un voyage de santé finit par exercer une véritable pression sur les Lullin168. En sus de l’inquiétude de la famille, cette option est à l’origine de conflits de conscience. Ami Lullin est pasteur, il peut se permettre financièrement d’abandonner son ministère, mais il est aussi moralement engagé auprès de sa communauté. La consultation 165

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Herrenschwand sera conseiller aulique du prince de Saxe-Gotha, médecin des gardes-suisses à Paris, conseiller intime et médecin du roi de Pologne (1767-) et médecin de la ville de Berne (1779-). Il bénéficie d’une certaine renommée, voir Jnl Frêne, p. 1807 & pp. 2114-2115. BGE, Ms Lullin 2/145, Johann Friedrich von Herrenschwand à Ami Lullin, s.l., le 7 mars 1745. BGE, Ms Lullin 2/166, s.d. « Le public n’a pas manqué de me conseiller vingt petits remèdes différents et surtout les voiages ». BGE, Ms Lullin 2/149, Lullin, Ami, Brouillon de lettre adressée à Tronchin, 11/5/1745.

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détaillée relatant la maladie de Jean Antoine et datée du 11 mai 1745, répond à la nécessité de prendre une décision. L’attention prêtée par la famille aux moindres détails de la maladie y est attestée. L’heure à laquelle chaque symptôme se manifeste, soit des sueurs, des fièvres et des tremblements, est relevé minutieusement. Le pouls du malade est pris à maintes reprises. Ses crachats, urines et selles sont décrits avec soin, parfois avec un souci qui dépasse la simple observation. La consultation offre une véritable analyse de certains fluides corporels: ses crachats seraient inodores, mais « mis dans l’eau il y a depuis long tems une portion, plus ou moins considérable qui se détache, va au fonds, et tient de la nature du pus; quelquefois cette portion a été très petite, et les crachats ont paru mieux liés et un peu jaunâtres ». De même, les urines seraient peu colorées, « et un morceau de papier mis dedans paroit un peu jaune »169. Le dilemme qui motive une large diffusion de cette consultation est explicité dans une lettre adressée à Théodore Tronchin qui a probablement accompagné une copie de la consultation de mai 1745: La dissertation de De Saux170 m’a mis au fait sur cet article et que mon fils montant tous les jours à cheval, partant la belle saison a Genthod dans l’air pur néanmoins quelque peu humide lui convient bien lorsque en hyver dans un bon appartement assé [barré] chaud et airé n’en a pas été moins bien171.

La consultation ne mentionne pas le diagnostic de phtisie172. Plus que d’apposer une étiquette sur la maladie, la famille cherche à valoriser les singularités à la fois du malade et des symptômes. La référence directe à la dissertation de Desault est une trace des recherches faites par les Lullin sur la maladie de leur fils. L’auteur de la consultation, probablement Ami Lullin lui-même, stipule clairement que les parents du patient étaient en bonne santé, réfutant ainsi implicitement le terrible diagnostic de « phtisie héréditaire »173. Il insiste sur la particularité du cas. Alors que Desault affirme qu’un des moyens de 169

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BGE, Ms Lullin 2/159-161, Monsieur L..... agé de 18 à 19 ans, daté du 13 mai 1745. Pierre Desault (1675-1737). Desault 1738. BGE, Ms Lullin 2/149, Ami Lullin à Théodore Tronchin (brouillon de lettre), le 11 mai 1745. Ce trait rappelle l’attitude de la famille La Feronnays abordée dans l’introduction. Voir plus haut p. 17. Panckoucke, article Phtisie, p. 53 et suiv.

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distinguer la phtisie du rhume est le goût amer qui accompagne les crachats de sang des phtisiques, l’auteur du mémoire précise que « le malade ne s’apercoit d’aucun mauvais goût à la bouche »174. Un redoublement de fièvre et de sueurs au mois de mars 1745 convainc néanmoins l’auteur de la consultation que, suivant le schéma de Desault, le malade se trouverait dans la deuxième phase de la maladie. L’intertextualité est évidente. Si Desault regrette que les auteurs médicaux n’aient pas signalé « des embarras très considérables dans le foye » caractéristiques de la phtisie, l’auteur de la consultation insiste sur le fait que des médecins étaient « persuadés, qu’outre les obstructions qu’il y a dans les glandes du poumon, il y en aussi dans les viscères du bas ventre, sur tout dans le foye, quoi qu’elles ne s’apercoivent point au toucher »175. Parmi les mesures thérapeutiques mentionnées dans la consultation, se trouve l’exercice à cheval. Or, l’équitation est un des principaux remèdes proposés par Desault, lequel citait le cas d’un malade guéri par un voyage et précise « qu’on doit attribuer à l’utilité des voitures, et non au changement d’air »176. Cette affirmation constitue une des pierres angulaires de la dissertation de Desault et se base sur une conception originale de la cause de la phtisie. La maladie ne résulterait pas, comme le voulait la tradition médicale, d’une ulcération du poumon, mais bien de « tubercules en foule » faites par des vers177. Desault explique l’effet thérapeutique des voyages par les secousses du cheval ou de la voiture qui seraient nuisibles aux tubercules178. Ainsi, l’interprétation de Desault évite aux Lullin de devoir envoyer leur « fils mourrir ailleurs qu’entre [leurs] bras »: l’équitation à la campagne et le séjour en ville dans un appartement bien chauffé seraient à même de compenser les bienfaits du voyage et du changement d’air179...

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Pour Desault, le changement de goût des crachats est le signe du passage de la première phase à la seconde phase de la maladie. Desault 1738, pp. 337-338. Voir aussi Panckoucke, article Phtisie, p. 64. BGE, Ms Lullin 2/159-161, Monsieur L..... agé de 18 à 19 ans, le 13 mai 1745. Desault 1738, pp. 357- 359. Desault 1738, pp. 351-356. Les autres remèdes sont des « fondans » et des « apéritifs ». Desault nie la nécessité de voyager, mais recommande l’air de la campagne. Desault 1738, pp. 362363 & 379. BGE, Ms Lullin 2/149, Ami Lullin à Théodore Tronchin (brouillon de lettre), le 25 mai 1745.

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La stratégie curative des Lullin agrée au praticien Wetzel qui se contente d’interpréter l’évolution de la maladie, suggérant que « la matière maligne » se serait jetté « sur les visceres du bas ventre »180. Il en aurait résulté une obstruction du « foie et le pancréas », qui aurait « épaissi » les humeurs et rendu « difficile » la circulation dans les poumons. En conséquence, le médecin propose un régime spécifique181... Théodore Tronchin est à la fois plus critique et ouvertement pessimiste. « Je crains bien que pour cette fois, que la nature, la cause, la durée, et le progrès de la maladie de vôtre cher fils ne me réduisent à faire de vœux inutiles pour son rétablissement.»182 Sans se prononcer sur le dilemme du voyage de santé, il met en garde les parents contre les frictions mercurielles et propose une légère modification de régime ainsi qu’une prescription. Un bon tiers de sa lettre s’attarde sur Desault: Ce Desault sur le témoignage de qui, il semble que vous faites fonds, n’a jamais mérité Monsieur, la plus petite portion de votre estime. C’est un homme qui a joué le role de romancier dans la médecine, et qui n’en peut imposer qu’à ceux qui ne le conoissent pas, ou qui ne veulent pas le connoitre. Il seroit peut être bon que son livre fut mort avec lui, puisqu’il peut encore en imposer, mais il lui survivra peu183.

Aucun des praticiens consultés ne remet en question l’enchaînement qui mène de la petite vérole à la maladie pulmonaire. Jean Antoine Lullin meurt chez lui, dans la nuit du 7 au 8 novembre 1745, âgé de 19 ans. L’inscription dans le « Livre des morts » précise simplement son décès « de phtisie ». Son père est effondré. Il prend la plume pour inscrire l’événement dans le « Journal de famille »: Je ne sais comme j’ai la force de marquer que Dieu a retiré cette nuit à une heure quarante minutes mon cher fils ainé Jean Antoine d’une phtisie dont il a été attaqué à la suite de sa petite vérole et de la fièvre quarte* et qui a duré plus de dix huit mois. 180

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Wetzel a certainement lu une version antérieure de la consultation, sa réponse étant datée du 21 avril 1745. Il préconise un régime et ordonne un remède. BGE, Ms Lullin 2/154, Wetzel, Dr (à Brougy), Lettre adressée à Ami Lullin concernant la maladie de son fils, Jean Antoine, le 21 avril 1745. D’autres praticiens sont tout aussi francs. Brockliss 1994, p. 101; Lachmund et Stollberg 1992a, pp. 57-59. BGE, Ms Lullin 2/152, Théodore Tronchin à Ami Lullin, le 25 mai 1745.

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Mon Dieu ! Quelle affliction ! Que ta grace nous la rende salutaire ! Il a été enterré à St-Gervais près de ma bonne mère le lendemain mardy à 2 heures après midi, agé de dix huit ans, dix mois, vingt jours. Ce cher enfant m’a donné de grandes consolations dans le cours de sa vie et de sa maladie. Je dois me préparer à le suivre184.

L’affliction ne l’empêche pas de solliciter une autopsie du corps de son fils, autopsie pratiquée au domicile de la famille185. Répond-elle au désir de connaître la nature de la maladie? La pratique de faire faire ou, du moins, de conserver un rapport de l’autopsie du corps d’un proche n’est pas rare au XVIIIe siècle186. Dans le cas des Lullin, cette curiosité est peut être aiguisée par le fait que leur second fils, Antoine Louis, souffre d’une maladie similaire. Les archives familiales ne contiennent que peu d’informations sur l’évolution ultérieure de la santé de ce dernier, reflet peut-être d’une perte de confiance en la médecine187. Les attentions des parents ne sont cependant pas moindres. Un document extraordinaire témoigne des soins qu’ils prodiguent à leur second fils (figure 4). Une ligne est consacrée à chaque jour des quatre derniers mois de sa vie, énumérant les visites médicales, ses symptômes, ses évacuations corporelles et les remèdes pris. Antoine Louis décède le 7 avril 1747, deux ans après son frère et trois ans avant leur sœur aînée, emportée en 1750 par la petite vérole. « Nos enfans en nous précédant rendent la vie à venir encore plus notre desir et notre patrie » se lamente Ami Lullin188.

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BGE, Ms Lullin 11/1-8c, (s.d.), Lullin, Ami, Journal de Famille. Voir aussi BCUL Dorigny, Fonds de Crousaz, VII/337, Ami Lullin à Abraham de Crousaz, Ruth, le 13 novembre 1745. BGE, Ms Lullin 2/165bis, Certificat de M. Coudougnan du 9 novembre 1745 sur l’ouverture du corps du pauvre Lullin, le 9 novembre 1745. Voir plus bas p. 96 et suiv. Herrenschwand rédige une consultation à son sujet en octobre 1746. BGE, Ms Lullin 2/147, Johann Friedrich von Herrenschwand à Ami Lullin, Marseille, le 17 octobre 1746. BCUL Dorigny, Fonds de Crousaz, VII/365, Ami Lullin à Abraham de Crousaz, Genève, le 23 janvier 1753.

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Figure 4: Journal de la maladie d’Antoine Louis Lullin (1747). BGE, Ms Lullin 2/130.

RÔLES LAÏCS La prise en charge par la famille de la santé des enfants est une tâche délicate en raison des nombreuses interprétations médicales possibles. Les maladies des enfants Lullin corroborent dans une certaine mesure un soupçon énoncé assez communément, quant à

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l’importance de l’automédication et des soins domestiques. Les données exposées ici offrent une appréciation qualitative de la demande de services médicaux. Chaque situation est singulière, le discours médical l’affirme avec conviction. L’importance de l’implication des proches (famille, voisins et amis) demeure une constante. Outre son rôle dans les soins donnés au malade, ce groupe constitue également une source de connaissances et de conseils. « On ne peut s’empecher » écrit Isabelle de Charrière à une amie en été 1797, « de parler de gens qui interessent autant que vous et votre mari. Mille gens sont vos medecins » avant d’insérer l’avis pris du docteur Liegtenhan qui rendait l’environnement de travail de son mari, un véritable « cloaque », responsable de la maladie189. La conceptualisation des échanges sociaux dans lesquels s’inscrit le malade se réalise au mieux par le biais de la métaphore de la représentation théâtrale190. La mise en scène de la maladie (ou de la santé) permet de reconstituer les rôles joués par chacun et de rendre compte des stratégies permettant d’établir, de consolider et de maintenir des interprétations particulières. Les débats autour du voyage de santé de Jean Antoine Lullin sont une illustration du potentiel interprétatif de ce modèle, mais aussi du caractère éminemment dramatique de la représentation. Le rôle de soignant ou de « médecin » non rémunéré est régulièrement endossé par des hommes et des femmes qui n’ont d’autre formation que leur propre expérience, leurs lectures et les récits entendus en société. Alors que la forte présence des femmes auprès des malades et l’habitude de certains hommes, comme Frêne, Bonnet et Saussure, à servir d’ambassadeurs auprès du monde extérieur pour les membres de leur domesticité, signale une répartition des rôles en fonction du genre, celle-ci doit être nuancée. Le hasard, le destin peut-être, expliquent l’implication de certains dans des histoires de santé. De nombreux acteurs des deux genres affichent des motivations désintéressées. Les conseils offerts par des laïcs aident les malades à s’orienter, ou à se perdre, dans les deux réseaux de soins parallèles, le réseau laïc et le réseau professionnel191. La frontière entre les deux groupes de soignants correspondants n’est pas toujours claire. Un rideau se lève sur la vie de Jean Antoine de Normendie lorsqu’il est pris de douleurs violentes en été 189

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Charrière O. C., t. 5, p. 330, Isabelle de Charrière à Caroline de Sadoz-Rollin, s.l., le 3 juillet 1797. Telle qu’elle est définie par exemple par Lachmund et Stollberg 1992b. Le fait est attesté dans d’autres contrées. Piller 1999, pp. 225 & 232.

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1761; sa femme préside aux soins jusqu’à la venue de Gédéon Rabours (1710-1775), le médecin. Ce praticien fait donner au malade une première série de lavements à base d’huile d’olive et une seconde à base de lait. Si Madame de Normendie lui administre habituellement des lavements, à cette occasion le batelier Sadoc s’en charge. Il ne semble posséder d’autre qualification pour cet office que d’avoir été attablé avec Rabours lorsque celui-ci fut appelé. Sadoc frotte ensuite les jambes de l’agonisant, sous la direction de la femme du malade, et lui prépare un bain192. Il est aidé dans cette dernière tâche par le concierge de l’Hôtel de ville, Antoine Metral, lequel rapporte dans sa déposition avoir soigné Normendie à d’autres occasions193. Sadoc et le concierge ont peutêtre touché une rémunération pour leurs services, mais ils ne figurent sur aucune des listes officielles de soignants. Ils appartiennent au groupe aux contours indistincts de pourvoyeurs de soins du voisinage, les soignants occasionnels. Le statut social de ces acteurs est ici modeste, d’autres proviennent de milieux plus favorisés. Des maîtres et des maîtresses, par exemple, se muent en soignants de domestiques ou de connaissances issues de couches sociales défavorisées qu’ils traitent à l’aide d’ouvrages de vulgarisation194. La tâche est entreprise dans une logique paternaliste, mais non sans émotion195. Certains sont acculés à l’action. En octobre 1777, Louise de Corcelles rapporte la défaillance subite d’un domestique. Louison, tout-à-coup un soir, en me couchant, se portant à merveille, prend une convulsion, un frisson, un point, une grosse fièvre, comme si on la lui avait jetée et tout de suite crache le sang; c’est ainsi que marchent à grands pas les pleurésies* que je n’avois point l’honneur de connaître, mais que je sais à présent sur le bout du doigt. Avoir un médecin au milieu de la nuit et au Jura, jugez ! Je me jette dans l’Avis au peuple196. 192 193 194

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AEG, PC 10905, Declaration de Jean Jaques Sadoc du 23 aoust 1761. AEG, PC 10905, Declaration d’Antoine Metral du 23 aoust 1761. La pratique de donner des soins médicaux à des inférieurs hiérarchiques est solidement implantée. Brockliss et Jones 1997, pp. 261-262; Goubert 1992a, pp. 178-179. Il est vrai que certains envoient leurs domestiques malades dans des établissements caritatifs, Louis-Courvoisier 2000, p. 72. Isabelle de Charrière prend, en hiver 1786, soin de sa « femme de chambre qui est malade ». Charrière O. C., t. 2, p. 498, Isabelle de Charrière à Jean-Pierre Chambrier d’Oleyres, Paris, le 10 février 1786. Voir aussi Charrière O. C., t. 3, p. 587, Isabelle de Charrière à Henriette L’Hardy, le 28 mars 1793. Elle a pu lire la recommandation de procéder à une saignée dans Tissot 1993, § 95.

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Elle soupçonne rapidement une pleurésie et décide une saignée... La malade sera sauvée, mais non sans peine. « J’ay tout observé et si bien servi ma pauvre malade qu’elle est grâce au ciel échappée; mais ce n’est pas tout plaisir qu’une pleurésie; cette maladie se complique, se varie comme un serpent; on ne peut se dire guéri que le quatorzième jour passé »197. Sa correspondante, Catherine Charrière de Sévery, recourt au même ouvrage lorsqu’un de ses domestiques souffre de la dysenterie198. Ces femmes peuvent être assimilées au groupe de médiateurs invités par Samuel Auguste Tissot à soigner les malades qui se trouvent hors de l’atteinte des soignants professionnels199. Le livre de Tissot est ainsi constamment consulté à des desseins charitables200. Soigner fait partie des œuvres caritatives habituelles des femmes aisées. Madame Loÿs de Chandieu prend en charge une « malheureuse » fille de 18 ans, rencontrée à Ecublens et souffrant d’une suppression de règles. L’ouvrage de Tissot ne lui est que d’un faible secours, n’étant pas explicite sur cette question201. Loÿs de Chandieu craint que la suppression ne soit à l’origine d’une maladie, la jeune fille ayant été réglée pendant deux ans et s’étant « très bien portée ». Avant d’adresser une consultation à Tissot, elle avait déjà pris sur elle de suspendre « les poudres que lui a donné un passant » et qui « ne lui a pas procuré le moindre soulagement »202. Pourtant, la malade souffre depuis six mois et dépérit au lit depuis trois semaines; le mal serait « invétéré » et Loÿs de Chandieu n’ose prescrire les remèdes conseillés par Tissot pour renforcer la constitution de la jeune femme (la limaille de fer) et traiter les suppressions (bains de pieds tièdes, petit-lait et du nitre)203. Elle suivra la malade 197

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Elle aurait également lu Boerhaave. Charrière de Sévery [1924], Louise de Corcelles à Catherine Charrière de Sévery, Corcelles, le 9 octobre 1777, pp. 139-140. Jnl Sévery, le 3 juillet 1771. Tissot 1993, p. 51. « N’ayez besoin du livre de Tissot que pour faire des œuvres pies ». Charrière de Sévery [1924], Louise de Corcelles à Catherine de Sévery, Les Jaunins, le 13 août [1770], p. 52. Tissot 1993, §§ 351-352 & 354. Effectivement, Tissot prescrit d’éviter dans ces cas « des purgatifs, des délayants, des bouillons d’herbes, des sels ». Tissot 1993, §360, p. 245. Ces remèdes auraient « souvent réussi; mais il faut d’autres fois des soins appropriés à chaque cas particulier, et par-là on doit consulter ». Tissot 1993, § 362, p. 246.

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pendant plusieurs semaines et adressera encore deux lettres à Tissot pour le tenir au courant de la progression du traitement204. Le rôle des laïcs n’est pas limité aux maladies peu graves. Un récit extraordinaire adressé par le conseiller Polier à Tissot signale un cas de figure extrême. Polier avoue être le magnétiseur par charité, « mais sans doute mal éclairé », de Mlle Sirvin205. S’agit-il du même Polier « qui pratiquait le magnétisme sur le lac et avec tant de succès que ses victimes en attrapaient des coliques » selon une autre source?206 Quoiqu’il en soit, dans le mémoire qui accompagne son aveu, Polier identifie deux causes de la maladie: des règles précoces provoquées par une excursion à cheval et la veille d’un frère malade « dans une chambre renfermée, et ou cette maladie putride produisoit un air corrompu ». A Castres, la malade se fait magnétiser avec un certain succès, mais le « magnétiseur rompit son traitement et partit »; la malade fait une rechute. Forcée de rentrer à Cossonay, elle aurait été soignée pendant plusieurs mois par François Verdeil207 avant de se faire à nouveau magnétiser, cette fois par le domestique de M. de Servan et le somnambule Louison208. Elle rejette alors son magnétiseur. « M. Servan m’écrivit à la campagne pour me suplier de venir au secours de cette infortunée » raconte Polier pour justifier une nouvelle intervention motivée par « la charité active qui l’animoit » et « le vif espoir de procurer la guerison de cette interessante fille ». Il obéit aux moindres désirs de la malade, aux dépens, écrit-il, de sa propre santé. Polier s’épuise et tombe malade à son tour. La malade suit alors un régime avant de…faire une nouvelle rechute. Polier continue à la magnétiser, moins régulièrement, parfois suppléé par un tiers, sur les instructions de Franz Anton Mesmer (17341815) lui-même. L’état de la malade demeure inquiétant et les bains de Loèche sont tentés, sans succès. C’est donc en désespoir de cause que Polier fait appel à Tissot209. Sa pratique, comme les électrisations 204

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FT, II/144.05.03.12-14, Mme de Loÿs de Chandieu, Lausanne, les 12 & 22 décembre 1792 et le 12 janvier 1793. FT, II/144.04.01.08, M. le conseiller Polier, Lausanne, le 9 juillet 1788. Perrochon 1971, p. 57. Sans doute François Verdeil (1747-1832), praticien à Lausanne. Olivier 1939/1962, t. 2, pp. 1065-1066. Un somnambule, souvent une femme, accompagne le magnétiseur et peut prescrire des remèdes. Ramsey 1988a, pp. 195-196. FT, II/144.04.01.09, M. le conseiller Polier, Lausanne, le 9 juillet 1788.

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réalisés par Saussure, signalent la collaboration possible entre des soignants laïcs et des soignants réguliers. Polier n’est certainement pas rémunéré pour ses services, les motivations morales et philanthropiques qu’il invoque pour justifier son implication font partie de celles qui pouvaient inciter un non praticien à revêtir le rôle de soignant.

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« Un médecin vrai et honnête ne sauroit manquer de s’attirer non seulement le respect de ses collègues, l’estime de la postérité, l’immortalité duë au mérite, et la douce satisfaction d’avoir fait son devoir malgré les préjugés.» Louis Odier, mars 17731. « Je dirois volontiers le contraire de ce que dit un jour le chirurgien Cabanis2. Aimez vous mieux, lui disoit-on, qu’un bras soit cassé que démis? J’aime tout repondit-il. Moi, je n’aime rien.» Benjamin Constant, 17913.

III. LES « SECOURS »: L’INTERVENTION DES PROFESSIONNELS La reconstruction de parcours singuliers et collectifs face au malêtre et à la maladie atteste de l’importance des pratiques médicales laïques. La recherche de la meilleure solution thérapeutique possible est une constante, tout comme l’est la primauté de l’avis du malade et de son entourage dans la prise de décisions thérapeutiques4. L’habitude largement répandue de recourir à un nombre important de conseillers confirme l’intérêt de penser la gestion de la santé sous l’Ancien Régime en termes de marché5. Les médiateurs laïcs servent 1 2 3

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BGE, Ms fr 4151, Louis Odier à Suzanne Baux, Amsterdam, le 22 mars 1773. Le chirurgien genevois François-David Cabanis (1727-1794). Charrière O. C., t. 3, p. 265, Benjamin Constant à Isabelle de Charrière, s.l., le 8 janvier 1791. Ce principe est avancé pour les malades anglais du XVIIe siècle, Sawyer 1989, p. 32. Sur ce concept, voir McCray Beier 1987; Cook 1986; Rieder 2005; Jenner et Wallis 2007.

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non seulement de voix et de plumes au malade, mais également de guides sur le marché médical. Ainsi, au cours du chemin complexe emprunté individuellement ou collectivement pour conjurer une mauvaise santé, ou encore pour conserver une santé précaire, des aides extérieures au cadre domestique et informel sont recherchées et conseillées. La perspective de l’usager de ces services constitue ici l’occasion de reconsidérer l’offre médicale. Au XVIIIe siècle, le terme « secours » désigne la prise en charge médicale, mais aussi le soutien caritatif 6. Les écrits contemporains attestent de ces deux sens. Dans une lettre à Tissot, le prêtre Fournier l’emploie dans le sens de « moyens de subsistance » à lui donnés7, alors que le même terme désigne les prestations rendues par certains laïcs aux séances des convulsionnaires à Paris8. Offrir des soins est une activité associée à la philanthropie. C’est un premier indice des difficultés rencontrées par les soignants qui cherchent à s’imposer en tant que professionnels. Les pourvoyeurs de services médicaux qui ne sont ni des proches, ni des voisins, forment une catégorie qu’il est utile de considérer séparément. On peut y classer les trois métiers traditionnels de la santé9, mais il faut également y faire une place pour les soignants irréguliers dont l’image historique est le plus souvent conditionnée par les œillères des instances de la répression10. Mathew Ramsey se méfie de la distorsion de l’image historique des irréguliers, mais se refuse à considérer les praticiens comme étant interchangeables. Il affiche une certaine admiration pour l’œuvre et la pratique des soignants universitaires: « Les docteurs des Lumières ont au moins nettoyé l’arsenal médical de beaucoup de ce qui était sans valeur dans l’ancienne materia medica.»11 Le travail et le dévouement de certains praticiens réguliers inspire le respect. Pourtant, l’approche incite Ramsey à adopter une certaine méfiance vis-à-vis 6

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« Charité qu’on fait à quelqu’un, protection, assistance qu’on lui donne dans ses besoins.» Et parmi les exemples cités figure: « Dans les maladies aiguës il faut avoir promptement du secours», Furetière. FT, II/144.05.07.18, M. Fournier, Fribourg, le 1er janvier 1793. Les secouristes étaient des participants actifs qui, dans un premier temps, retenaient simplement les convulsionnaires, mais pratiqueront par la suite une série de gestes plus actifs, poussant et pressant différents objets sur les corps convulsionnaires, Maire 1985, pp. 103-149. Médecin, chirurgien et pharmacien. Voir Benveniste 1945. Voir Goubert 1977a; Goubert 1977b; Faure 1988, p. 81. Ramsey 1988a, p. 9.

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d’autres praticiens, soupçonnés notamment d’œuvrer pour leur propre intérêt12. L’absence de documents produits par les soignants irréguliers incite pourtant à se méfier des jugements à l’emporte-pièce13. L’altruisme des irréguliers serait-il moins prononcé que celui des professionnels reconnus? La question mérite d’être posée. La suspicion d’agir avant tout pour des raisons bassement mercantiles peut être énoncée à l’égard de tout soignant. En abandonnant la logique dichotomique propre à la plupart des études portant sur la pratique médicale14, la solution retenue par Olivier Faure, celle de considérer toutes les classes de praticiens sur le même pied, est l’approche qui cadre au plus près avec la problématique abordée ici. « En fait de médecine, une longue expérience, une pratique de plus de 40 ans, et surtout de fréquens et heureux succès ne sont-ils pas préférables à une savante théorie puisée dans une université?» s’interroge César de Saussure en louant la pratique de Schüppach, un empirique célèbre15. Sa méthode n’est-elle pas, selon une lettre publiée dans le Mémorial d’un Mondain, « moins celle d’un charlatan, que toutes celles de la plupart des autres médecins »?16 La réunion des pourvoyeurs de services médicaux dans une seule catégorie est logique du point de vue de l’usager, mais également de la lexicographie17. Furetière, par exemple, définit le médecin comme « celui qui a estudié la nature du corps humain, et des maladies qui luy arrivent, qui fait profession de les guerir ». Il précise qu’il y a des « médecins » des facultés de Paris, de Montpellier, etc., mais médecin signifie également « celuy qui communique un remede qu’il a appris ou esprouvé à celuy qui en a besoin ». C’est dans ce sens plus large que le terme est employé au XVIIIe siècle18. A Genève, certains apothicaires et un grand nombre 12

13 14 15 16 17

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Ramsey s’interroge souvent sur leurs motivations, conclut parfois à leur faible crédibilité, mais ne pose de telles questions que pour les praticiens irréguliers. Par exemple Ramsey 1988a, pp. 197 & 200. Voir Jones 2000, pp. 120-122 & 135; Porter 2001, p. 11. Pour un développement historiographique, voir Lindemann 1996, pp. 73-74. Biaudet 1956, p. 145. Un autre exemple Imhof 1995, pp. 21-22. Lamberg 1776, t. 1, p. 182. Voir Gérard 1973, p. 89; Faure 1988, pp. 62 & 81-83; Pelling et Webster 1979, p. 166, Sawyer 1989, p. 36. Cette habitude trahit la variété des statuts pouvant entraîner une personne à officier en tant que médecin, mais également la tradtion héritée du latin medicus, un terme employé pour désigner les praticiens établis et reconnus. Voir Park 1998, p. 129.

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de chirurgiens seraient des médecins suivant cette définition, n’hésitant pas à se charger de malades et à leur prescrire des remèdes19. Louis Jurine, chirurgien de formation, pratique la médecine à la fin du siècle20. D’autres soignants se qualifient eux-mêmes comme des médecins, sans s’appuyer sur une formation particulière21. Le cousin de Théophile Rémy Frêne, ministre à Sornetan, y « exerce avec succès la médecine et la chirurgie »22. De nombreux hommes d’Eglise soignent, mais d’autres spécialistes revendiquent également le pouvoir de guérir23. Le « grand médecin » demeure, pour certains savoyards au XIXe siècle, le bourreau de Chambéry et la corporation des soignants genevois se plaint à plusieurs reprises, entre 1718 et 1729, de la concurrence du bourreau genevois, Bénédict Pasteur24. La liste pourrait être étendue. L’essentiel demeure que l’ensemble de ces soignants, qu’ils soient de formation académique, artisanale ou empirique, parviennent à convaincre les malades aussi bien de leur compétence que de leur bonne foi25. Une des caractéristiques des soignants réguliers est d’être agrégés à un corps de métier, une autre est leur capacité à se faire payer pour leurs services. La rémunération est une question importante puisqu’elle contribue à définir juridiquement la pratique illicite de la médecine. Comme les proches du malade, les guérisseurs traditionnels n’ont pas pour habitude de faire payer leurs services. C’est le groupe de praticiens le moins accessible d’un point de vue historique26. Ils sont, 19 20 21

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Voir Rieder 2005, pp. 47-48 et McCray Beier 1987. Barras et Louis-Courvoisier 1999. Un itinérant de passage se présente comme: « Un médecin, ami de l’humanité, versé dans les sciences et une longue pratique en Savoie, offre gratuitement ses avis au public pour les différentes maladies tant récentes qu’invétérés. Logé au Grand café à Carouge ». Information communiquée par Micheline LouisCourvoisier, Feuille d’Avis, n° 15, le 12 avril 1774. De tels praticiens sont parfois reconnus par des docteurs. Faure 1988, pp. 87-88. Jnl Frêne, pp. 1705-1706 & 1911-1912. Au XVIIe siècle en Angleterre, le pasteur est appelé avant tout autre soignant. Wear 1995, p. 3. Voir l’exemple de Richard Baxter, Cooper 2007, p. 12. Une perquisition faite dans la maison du bourreau aurait révélé une « officine médico-pharmaceutique » impressionnante. Porret 1998, p. 128. Alison Klairmont Lingo rapporte le cas d’un empirique défendu devant un tribunal à Montpellier par des laïcs contre les attaques des docteurs. Lingo 1986, p. 592. Dans son étude sur les pratiques professionnelles et populaires, Mathew Ramsey cherche à cerner ce groupe à travers les travaux d’ethnographes de la fin du XIXe siècle. Ramsey 1988a.

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du moins, à peine plus visibles que les conseillers amateurs. Tous les soignants doivent s’adapter aux attentes de leurs clients, s’intégrer dans le tissu social du lieu où ils se trouvent et justifier du prix de leurs services. Saisir les traits du soignant est ainsi un moyen de comprendre ce que la population de malades, déclarés ou en devenir, pouvait attendre de leurs services. Même en considérant les soignants comme un groupe, il est nécessaire de tenir compte du statut de chacun. Le parti pris ici est de qualifier, quand l’information est disponible, chaque praticien suivant sa formation. Le docteur en médecine porte un titre dont le prestige est alors médiocre, mais il peut s’appuyer sur ses réseaux sociaux, généralement aisés et bien établis27. Les chirurgiens et les apothicaires offrent des services à toutes les classes sociales et sont bien connus dans leur voisinage. Ils profitent d’un monopole géographique circonscrit. Etiqueter les figures irrégulières, celles qui ne sont pas agrégées à une corporation, pose des problèmes autrement conséquents. La distinction entre le charlatan et l’empirique demeure floue. Ramsey emploie le terme empirique pour se référer aux praticiens sans cursus formel et il est tentant de le suivre dans cette voie28. Les usages sémantiques contemporains incitent pourtant à opérer quelques distinctions. Selon l’Académie, un empirique est celui « qui s’attache plus à quelques expériences particulières dans la médecine, qu’à la méthode ordinaire de l’art »29. C’est un soignant formé par sa pratique30. Le charlatan peut être un empirique, mais le terme désigne des praticiens itinérants particuliers, un « vendeur de drogues, de thériaque, qui débite dans les places publiques sur théâtres » selon la première édition de l’Académie31. La connotation du terme charlatan peut être péjorative32. Furetière décrit le charlatan comme un « faux médecin », c’est un « enjoleur », qui cherche à convaincre le 27 28

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Pour l’Angleterre, voir Birken 1987. Ramsey 1988a, pp. 132-133. C’est une désignation que proposaient les médecins contemporains qui voulaient assimiler les itinérants à la secte médicale des empiriques active à l’époque de Galien, voir Lingo 1986, p. 583. Académie 1694. Tout comme en anglais, tout « empiric » n’est pas un « quack », Thompson 1928, p. 24. Académie 1694. Dans la quatrième édition de ce dictionnaire « theriaque » est remplacée par « orvietan ». Ramsey 1988a, pp. 132-133.

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chaland « par des flatteries et des hableries, pour en tirer avantage »33. Le terme de charlatan, comme celui de « quack » en Grande-Bretagne, désigne l’autre, le soignant différent34. Il était courant de qualifier de charlatan un soignant au bénéfice d’une formation similaire à la sienne, mais affichant une autre attitude35. Cela dit, les figures de médecin et de charlatan sont proches. « Plusieurs disent que pour être médecin, il faut être un peu charlatan » précise le l’Académie36. Si le médecin se doit de cultiver son image publique, le charlatan est lui-même régulièrement dépeint comme imitant le docteur !37 Quel que soit le statut médical du soignant, il n’existe pas, au XVIIIe siècle, de code professionnel reconnu38. Le médecin s’habille comme les autres membres de l’élite urbaine, alors que les itinérants se distinguent par des habits riches et voyants39. La pratique de tous est régie par les codes sociaux40. Les vendeurs de remèdes et les opérateurs itinérants sont sur ce plan défavorisés. Issus le plus souvent de classes sociales modestes, les itinérants doivent convaincre rapidement. Ils font preuve de leur compétence soit en opérant publiquement41, soit en fournissant des attestations, des certificats paraphés par des patients puissants ou célèbres. Certains perpétuent des traditions plus anciennes en promettant la guérison42. Ils peuvent accompagner leur baratin de représentations théâtrales mettant en scène plus ou moins directement leur adresse. La palette des straté33 34 35

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Cette acceptation est signalée dans les éditions successives de l’Académie. Pour une réflexion sur le terme « quack », consulter Porter 2001. Des docteurs aussi différents que Louis Odier et Théodore Tronchin désignent certains confrères comme des charlatans. Cet usage est bien établi puisque charlatan « se dit aussi », précise l’article de l’Académie, « d’un médecin qui est hableur, qui se vante de guérir toutes sortes de maladies ». Voir aussi Porter 1993, pp. 75 et suiv. Académie 1694. Ramsey 1988a. Maio 1999, p. 184. Voir Lingo 1986, p. 586; Brockliss et Jones 1997, p. 231. En Grande-Bretagne, les compétences sociales du « gentleman » sont indispensables en bonne société. Maio 1999; Fissell 1993; Jewson 1976a. Voir plus bas p. 291 et suiv. Delaunay 1922, p. 219; Rieder 2007b, p. 144. Cette pratique était répandue au XVIe siècle et survivait dans des milieux modestes. Voir Pomata 1998 et pour des promesses de guérison au XVIIIe siècle, voir Ramsey 1988a, p. 287; Olivier 1939/1962, t. 2, pp. 701-702.

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gies commerciales est large et les patients se communiquent volontiers des avis sur chaque soignant. Quel que soit son statut, le praticien tient compte du rang et des moyens du malade et cherche à se faire valoir avantageusement. Les exceptions étonnent. L’accoutrement ostensiblement grossier de Schüppach et son mépris des conventions sociales ne manquent pas de frapper ses malades et ses visiteurs43: tout malade, quel que soit son rang, devait se présenter à son « audience » afin de recevoir ses conseils médicaux44. Les attitudes, les riches vêtements et les nombreux domestiques de Joseph Frédéric Hilmer le placent, aux yeux de ses patients, parmi les charlatans45. Ils ne l’en consultent pas moins. Les charlatans se présentent comme des innovateurs et suscitent l’intérêt des malades, mais aussi de praticiens. C’est le cas de Cagliostro qui convainc de nombreux malades de sa bonne foi, affirmant notamment « qu’il ne demanderoit pas mieux que de mourir sur un échafaud, à l’appui de quelques vérités qu’il auroit soutenues et que cela valoit mieux que mourir comme un sot de maladie et dans son lit »46. Les malades pour leur part cherchent avant tout la preuve de capacités de guérison. Les itinérants peuvent se prévaloir de spécialités ou de remèdes miracles traitant une série de maux distincts, alors que les praticiens établis sont tenus d’employer un arsenal thérapeutique orthodoxe, ne serait-ce que pour pouvoir répondre de leurs actes devant l’autorité médicale du lieu. Les praticiens sédentaires agissent le plus souvent au su de tous. Ils doivent également assurer un « service aprèsvente » et ne peuvent promettre plus qu’ils ne pourront assurer47. Leurs engagements sont souvent modestes, « tout le monde convient que la médecine est une science qui roule presqu’entiérement sur des probabilités » écrivent Louis Odier et Daniel De la Roche dans une adresse au public48. Les médecins ne manquent pas de le répéter à leurs patients. De ce fait, adopter une bonne attitude et un compor43 44

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Biaudet 1956, p. 121. César de Saussure raconte la déconvenue du Cardinal de Rohan qui avait convoqué Schüppach à son chevet, sans succès. Biaudet 1956, p. 138. Les opérateurs, également itinérants, étaient assimilés au groupe des charlatans selon Furetière. Voir Rieder 2007b, pp. 144-147. Charrière O. C., t. 3, p. 187, Isabelle de Charrière à Jean-Pierre Chambrier d’Oleyres, s.l., 20-21 février 1790. Le bilan après le passage d’un itinérant peut être mitigé. Voir Sardet 1993. Odier et De la Roche 1773, p. 1.

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tement professionnel relèvent de l’équilibrisme. Odier reproche à son collègue De la Roche ses maladresses et ses hésitations; il insiste sur ce que devrait être l’attitude idéale, soit « l’art d’avoir toujours une contenance ouverte et de ne dire jamais que ce qu’on veut bien dire, art qui n’est pas moins utile au médecin qu’à l’homme d’Etat »49. En cas d’incertitude, écrit-il à sa fiancée, il adopte lui-même « l’assurance d’un homme suffisamment instruit et parfaitement sûr de son fait »50. Trop d’assurance peut être un défaut. Louis Odier critique l’absence de « tact » du célèbre Tissot, indispensable selon lui au bon médecin: « J’ai eu en dernier lieu une preuve assez frappante du peu de tact médical de M. Tissot, malgré sa grande érudition.» Il cite le cas d’un nourrisson, âgé de 4 jours, très beau et très robuste en apparence, tomba malade au 4e jour après sa naissance. Il pleuroit surtout lorsqu’on lui touchoit le ventre qui étoit fort tendre, et il avoit beaucoup de chaleur et de fièvre. M. Tissot fut appellé. Il dit que ce n’étoit rien et qu’il n’y avoit pas le moindre danger. Il ordonna deux gouttes de laudanum, et rien de plus. Le lendemain même prognostic, mais plus affirmativement encore. Même ordonnance. Le 3e jour, l’enfant mourut. Une sangsuë, des fomentations et quelques lavemens auroient pu le sauver. Mais à coup sûr, il ne faloit pas dire que ce n’étoit rien. Le plus chétif praticien auroit, ce me semble, soupçonné d’abord une colique inflammatoire. Mais Tissot n’est qu’érudit51.

Si la remarque d’Odier est empreinte d’envie, il défend ici une prudence courante parmi les praticiens, celle d’énoncer clairement les limites de leur savoir-faire52. Les soignants sédentaires s’appuient sur des réseaux familiaux, s’efforcent de bénéficier du patronage d’hommes influents, se font connaître en rédigeant des brochures et des livres et en soignant gratuitement les malades les plus pauvres. Si

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BGE, Ms fr 4158, Louis Odier à Daniel De la Roche, [Genève], 26 décembre 1793. Sur De la Roche, voir aussi Charrière O. C., t. 4, p. 271, Benjamin Constant à Isabelle de Charrière, s.l., le 19 novembre 1793. BGE, Ms fr 4152, Louis Odier à Andrienne Lecointe, Genève, s.d. [1779]. BGE, Ms fr 4158, Louis Odier à Daniel De la Roche, [Genève], s.d. [1793]. En cas de doute, il était plus sûr d’annoncer un pronostic pessimiste, Porter et Porter 1989, pp. 146-147; Brockliss et Jones 1997, p. 303. Certains auteurs médicaux préconisent de ne prendre aucun cas à la légère. Rush 1794, p. 248. Voir aussi ici même p. 251 (n. 182).

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les docteurs sont conscients de naviguer à vue dans un épais brouillard, d’hésiter devant l’arsenal impressionnant de remèdes disponibles, ils sont également convaincus d’être les meilleurs pilotes disponibles. EMPATHIE, TACT ET DISTANCE PROFESSIONNELLE Samuel Auguste Tissot insiste sur la douceur et l’empathie nécessaire au médecin53. Ce sont des qualités qui lui sont reconnues et qui contribuent à son succès54. Lorsque M. de Montrond, l’oncle de Catherine Charrière de Sévery, est malade, cette dernière note que Tissot leur rend des soins inouïs, d’abord deux fois par jour des visites, sans compter qu’il y court si on le fait demander à l’extraordinaire, il a passé des heures à consoler Manon et à pleurer avec elle et à faire des amitiés au pauvre malade, qui le font pleurer (d’attendrissement) dans son lit55.

Louis Odier défend, pour sa part, une attitude plus distante56. Cela dit, il existe un atout pour celui qui exprime de l’empathie, c’est d’avoir éprouvé lui-même la même maladie57. En recommandant à un de ses patients, souffrant de « douleurs qui commençant dans la région du rein droit, suivent le cours de l’uretère, et aboutissent au testicule » de consulter son ami De la Roche, Odier insiste sur le fait que ce dernier ayant souffert lui-même d’« une maladie à peu près semblable » et en étant guéri, il l’aurait « mieux étudiée que personne »58. C’est encore un titre accessible à tout praticien quel que 53

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D’autres médecins avancent des idées similaires. Maio 1999, pp. 182-183, Emch-Deriaz 1992b, p. 122. Voir aussi McCullough 1993. L’humanité et la générosité sont des qualitées prêtées à Tissot par ses patients. Voir, par exemple FT, II/144.05.04.14, Polier de Loÿs, Lausanne, le 8 février 1792; Masson de Pezay 1771, p. 394. Voir aussi Emch-Deriaz 1992b, pp. 189 & 200. Charrière de Sévery 1978, t. 2, p. 166, s.d. BGE, Ms Fr 4153, Louis Odier à Andrienne Lecointe, s.d. [1779]. La figure la plus célèbre à exploiter ce créneau est le médecin britannique George Cheyne qui inclut un paragraphe sur « Le cas de l’auteur » dans son ouvrage The English Malady. Voir à ce propos Porter 1991b. BGE, Ms fr 4158, Louis Odier à Daniel De la Roche, Genève, le 24 octobre 1794.

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soit son statut professionnel59. Les soignants sédentaires comme Odier et De la Roche évoluent dans le même milieu que leurs patients; leur réussite dépend de compétences sociales60. Samuel Auguste Tissot, lui aussi un praticien sédentaire, bénéficie d’entrées dans les meilleures familles de la région de Lausanne et tient à élargir toujours davantage son réseau. Alors qu’Isabelle de Charrière s’établit à Neuchâtel, son frère lui apprend que « M.Tissot […] a une grande impatience de vous connoitre et d’etre connu de vous, vous l’aimerés, il se propose un voyage a Neufchatel »61. Tissot se rendra effectivement à Colombier pour rencontrer les Charrière. Son objectif avoué est social, mais le praticien et l’ami se confondent et Tissot évoque les santés d’amis en commun qui sont aussi ses patients62. Les relations entre le praticien et ses malades tiennent bien souvent autant de l’amitié que de la relation professionnelle, du moins en ville63. Le secret médical en pâtit. Les patients comme les soignants répandent des nouvelles sur la santé des uns et des autres64. Les exemples abondent et rien n’indique que les patients s’en offusquent65. Etre soigné par un ami constitue un cas de figure idéal. De nombreux patients écrivent à Tissot pour le tenir au courant de l’évolution de leur condition: «Vous nous avez montré trop d’intérêt pour ne pas me flatter que vous voudrez bien partager mes joies » écrit une 59 60

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Voir aussi Ramsey 1988a, p. 139; Ruisinger 2008, pp. 85-87. Charrière O. C., t. 4, p. 376, Daniel De la Roche à Isabelle de Charrière, Lausanne, le 4 avril 1794. Charrière O. C., t. 2, p. 246, Diederik Tuyll van Serooskerken à Isabelle de Charrière, Lausanne, le 1er septembre 1771. En septembre 1772, il la rassure quant à l’état de santé de Louise de Seigneux qui décédait le 19 septembre de la même année. La correspondance médicale adressée à un praticien actif dans un environnement rural est décrite par Jean-Pierre Goubert comme peu chargée émotionnellement, Goubert 1992b, pp. 40-41. Tissot évoque l’état de certains de ses patients dans sa correspondance avec les Golowkin, voir par exemple Charrière de Sévery 1928, pp. 43-44, Tissot à la comtesse Golowkin, s.l., [le 4 septembre 1765]. Voir les commentaires d’Isabelle de Charrière sur les soins que lui prodiguait Abraham Liechtenhan (1766-1813). Charrière O. C., t. 3, p. 415, Isabelle et Charles-Emmanuel de Charrière à Henriette L’Hardy, s.l., le 13 septembre 1792. Plus souvent, ces transactions passent pour des échanges sociaux anodins. Le chirurgien Prêtre, de passage pour arracher une dent au pasteur Frêne, lui décrit la maladie de langueur de la mairesse de Soncerbos « ajoutant qu’il la regardoit comme incurable ». Jnl Frêne, p. 624.

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habitante de Vevey en décrivant l’amélioration de la santé de sa sœur66. Un tel suivi n’est pas l’apanage des seuls docteurs; l’empirique et le chirurgien Michel Schüppach (1707-1781) ne procède pas différemment67. S’agit-il de personnalités généreuses, poussées par la sentimentalité en vogue ou, plus cyniquement, de stratégies de « self promotion »? Peu importe, il s’agit d’un comportement efficace. L’empathie ainsi exprimée, sans la déférence polie inhérente aux égards dus par des subalternes68, tend à suggérer l’égalité sociale des deux acteurs. L’attitude connaît des limites et l’empressement peut devenir suspect. La comtesse de Champagne rapporte des critiques concernant Tissot. « Certains passants qui venaient d’arriver de Plombières disaient que M. Tissot avait été faire sa récolte et sa quête aux eaux; qu’il prendrait le prétexte d’y retourner chercher sa femme, pour grappiller quelques louis, que c’était un vrai charlatan, qui n’aimait que l’or, qu’il mourait de faim chez luy et qu’il avait besoin de ces pirateries-là »69. La suspicion est toujours possible, comme l’est l’usure de la patience du praticien. Gabriel Bégue par exemple, patient de Tissot depuis 30 ans, s’indigne en septembre 1792. «Vous m’avés dit que ma maladie étoit la même qu’elle étoit il y a vingt ans et que vous ne pouviés me donner d’autres conseils que ceux que vous me donnates alors »70. Même Tissot se lasse des malades souffrant d’affections chroniques71.

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FT, II/144.05.06.17, Mme Roquefeuil, Vevey, le 27 novembre. Il était connu pour sa compassion. A chacune des deux visites que César de Saussure lui rend, Schüppach l’engage à le tenir au courant de l’évolution de sa santé. Biaudet 1956, pp. 113-114, 121, 130 & 144. Sur ce praticien, voir Wehren 1985. Jean-François Monod (1674-1752), chirurgien à Morges dans sa correspondance avec une patiente à qui il doit 20 écus. ACV, P Charrière Ba 2817, JeanFrançois Monod à Angletine-Charlotte Chandieu-Villars, s.l., s.d., Charrière de Sévery 1978, t. 2, p. 138, lettre du 1er août 1774. FT, II/144.05.05.01, M. Gabriel Bégue, Aubonne, le 3 septembre 1792. Charrière de Sévery 1928, p. 41, Samuel Auguste Tissot au comte Golowkin, s.l., le 15 mai [1765]; ACV, P Charrière Ba 104/6084 & 6092, [Samuel Auguste Tissot] à Catherine Chandieu de Sévery, s.l., le 27 [?] & s.l., mecredi 26 [avril 1780].

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MALADES ET PRATICIENS : L’APPARTENANCE? Un malentendu subsiste au sein de la relation thérapeutique. Les praticiens établis font référence à « leurs » malades. Ils font mine d’éviter d’empiéter sur les patients des autres praticiens et s’efforcent de contrôler eux-mêmes l’influence de tiers sur « leurs » malades72. La réciproque est loin d’être vraie. La plupart des malades évitent de dépendre directement d’un praticien. Ils réclament des conseils « d’un » praticien et non du « sien ». De fait, le malade et son entourage restent critiques. Il suffit de peu pour qu’un deuxième avis soit sollicité73. Charles-Emmanuel de Charrière consulte Tissot, mais un nouvel accident l’incite à discontinuer les remèdes de ce dernier; il s’adresse alors « au medecin de Neuchatel »74. Se reposer sur un seul praticien est perçu comme une erreur. « Mlle Petitpierre a eu de la fievre ce printems; elle n’a voulu voir que M. Liegtan qui l’a traitée comme d’une fievre ordinaire; elle ne s’est point rétablie, elle a perdu le sommeil, la fievre est devenue continue »75. Horace-Bénédict de Saussure, dont Odier proclame avoir été « le » médecin depuis de nombreuses années, ne se réfère pas à ce dernier comme à « son » médecin. Il en parle comme du « médecin de notre ville dans le quel j’ai la plus grande confiance »76. Il recourt à d’autres praticiens, notamment à Butini et à Tissot, sans se mettre entièrement entre les mains de quiconque. L’expérience commune incite à suivre cette voie. Benjamin Constant tombe malade à Lausanne en été 1793. Il est soigné par le Dr Scholl: « Les bains du lac, un régime excessivement strict, point de veilles, et la dure obligation de me lever tous les matins, en me réveillant, semblent me remettre.» Six semaines plus 72

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Brockliss et Jones 1997, pp. 297-302 & 304. Le suivi régulier est limité pour ceux dont la clientèle était dispersée. En 1816, en 1445 visites, Louis-Marie Lavergne aurait soigné 500 malades différents (moins de 3 visites chacun). Goubert 1992a, p. 239. Ce fait, signalé à plusieurs reprises plus haut, est confirmé par d’autres études. Jütte 1992, p. 34. Charrière O. C., t. 2, p. 189, Charles-Emmanuel de Charrière à Belle de Zuylen, Colombier, le 28 mai 1770. Charrière O. C., t. 2, p. 431, Charles-Emmanuel de Charrière à Isabelle de Charrière, s.l., le 12 août 1784. Archives Saussure 221/6, p. 39, Horace-Bénédict de Saussure au Dr Cappa (copie mss), s.l., [1797].

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tard, il obtient l’autorisation de sortir de chez lui et l’assurance d’être rétabli dans les deux semaines. A ce stade, Scholl est « son » médecin77. Dix jours plus tard, pourtant, l’appréciation du malade est plus critique, les remèdes de Scholl auraient « beaucoup augmenté » son mal. La consultation d’un second soignant l’aurait convaincu qu’il souffrait « d’une tumeur hémorroïdale qui s’est jetée sur la vessie et a causé une inflammation et une rétention, que des remèdes très déplacés que m’a donnés un médecin systématique ont beaucoup augmentées ». Le nouveau praticien l’aurait « confirmé dans [s]on mécontentement du premier ». L’attitude est risquée78. Au-delà des conseils laïcs et des réseaux informels de soins, comment et pourquoi recourt-on à un pourvoyeur de soins rémunéré? Peut-on expliquer le choix d’un praticien par des variables émotives, sociales ou médicales? Les chapitres précédents attestent du fait que les laïcs gèrent le plus souvent aussi bien les soins que les décisions thérapeutiques eux-mêmes et, s’ils recourent à un soignant, c’est avant tout en quête d’un conseil ou d’un service particulier. Les situations sont multiples. Le désarroi face à l’inattendu, l’insuccès d’une première série de remèdes et la durée du mal-être sont autant de raisons apparentes pour recourir à une aide professionnelle: « Depuis 15 jours je souffre de douleur dans la tête, et surtout dans le coté droit et au front, j’ai peine a respirer » se plaint Marie Johannot de Morges, « de mon conseil j’aye fait tous les remedes qui m’avoit eu fait du bien, comme des vesicatoires aux oreilles et derrière le d’eau [dos], des bains de vapeur a la tête j’ai de même cherché à attirer les humeurs au jambes par des bains de pieds » précise-t-elle, mais « jusqu’à présent tout cela ne m’a pas débarassée » conclut-elle, motivant ainsi son recours à Tissot79. Il arrive que les patients résistent plus longtemps et n’appellent un docteur qu’en dernier recours80, d’autres consultent encore et encore afin de ne laisser aucune voie thérapeutique inexplorée81... Quel que soit le schéma adopté, le praticien reçoit tous les jours des appels au secours de malades, mais aussi des

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Charrière O. C., t. 4, pp. 167 & 227, Benjamin Constant à Isabelle de Charrière, [Lausanne], le 27 août et les 16-18 octobre1793, Voir Lachmund et Stollberg 1992a, p. 53. FT, II/144.04.05.17, Marie Johannot, Morges, le 7 janvier. Morel 1979. Voir ici même p. 438 et suiv.

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proches de ceux-ci82. Les attentes peuvent être affectées, sociales, convenues ou au contraire, énormes: « Je souffre, je vois les progrès du mal, je n’ai aucun obstacle à leur opposer. Vous m’aviés fait espérer vos secours » écrit un jeune homme d’Yverdon au désespoirt d’être sans nouvelles de Tissot83. Le temps qui passe est un facteur aggravant. Plus la maladie dure, plus des avis sont recherchés engendrant par là d’autres incertitudes. Les dilemmes et les hésitations des Bonnet et des Lullin face à la multiplication des conseils reçus n’ont pas besoin d’être réitérés ici. Certains malades se plaignent explicitement des pressions exercées par des tiers. Mme Doxat de Champvent, par exemple, souffre du « gonflement » de ses gencives, mais ce qui la tourmente davantage encore c’est que « chacuns vient m’efrayer sur les effets facheux que ces remédes preparés avec le mercure peuvent produire »84. La multiplicité des avis est caractéristique du marché thérapeutique et c’est une réalité déconcertante pour les usagers de services médicaux. Pour un malade, le choix du praticien répond à des impératifs personnels. En l’absence de règles de conduite précises, les histoires de malades et de leurs proches suggèrent quelques pistes sur les modalités des recours aux services médicaux. Face à une offre thérapeutique abondante, les laïcs « essayent » différents prestataires de services médicaux tout comme ils éprouvent leurs remèdes. Il en découle souvent des avis tranchés sur l’efficacité de chacun85. Les choix des malades ne sont pas systématiquement conditionnés par la nature de la formation du praticien, ni par son appartenance à un groupe social particulier86. Le malade peut recourir à des soignants quel que soit leur statut social: en 1640, par exemple, le chirurgien Pierre Blandin se rend à la cam82

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La consultation de Madame Develay adressée à Tissot est à ce titre exemplaire (voir p. 218). Certains consultent à l’insu de leur conjoint, voir Louis-Courvoisier et Pilloud 2000, p. 941. FT, II/144.05.05.22, Monsieur F. L. Gauteron, Yverdon, le 7 octobre 1792. Tissot avait lui-même prescrit ces remèdes. Le médecin simplifie son ordonnance initiale et préconise un espacement des prises de mercure. FT, II/144.05.02.22, Marianne Doxat de Champvent, Yverdon, le 2 mai 1790. FT, II/144.05.02.32, Nancy de Brackel, Yverdon, le 9 mai 1790; IS 3784/ II/149.01.01.28, Mme Gothrie, St-Croix, le 6 mai 1765. Andrew Wear signale le cas d’un malade qui délaisse les conseils de plusieurs docteurs pour essayer le remède proposé par une vieille femme. Barbara McLean Ward cite un comportement similaire à Boston. Wear 1995, pp. 6-7; McLean Ward 1992, p. 48.

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pagne pour consulter un empirique à propos de la santé de son oncle, le médecin Pierre Blandin87. Les conseillers médicaux de Frêne peuvent être organisés en treize catégories allant du laïc au docteur médecin en passant par le ministre, l’apothicaire, etc. Dans son journal, le groupe statistiquement le plus pertinent quand il s’agit de sa propre santé est celui des laïcs. Une analyse plus fine révèle pourtant qu’en cas de problème de santé grave, Frêne fait appel à des docteurs en médecine qu’il connaît et avec lesquels il entretient des relations sociales régulières88. Le phénomène illustre la fragilité des docteurs: Théodore Tronchin lui-même ne parvient pas à retenir sa fille qui se fait opérer par un abbé itinérant !89 Le recours par le même malade à des soignants et à des conseillers avec des statuts médicaux très différents est largement attesté dans les correspondances adressées aux médecins. Mlle Glardon entame le récit de sa maladie par une rencontre faite alors qu’elle était âgée de six ans avec des « personnes peu habiles » qui l’incitèrent à se faire frotter le corps avec du mercure pour guérir de la gale. Samuel Hedelofer90, « médecin d’Yverdon », lui procure plus tard deux pilules qui la débarrassent de la gale. Elle conserve pourtant des rougeurs pendant dix ans pour lesquelles elle aurait « consulté plusieurs médecins, qui ont ordonné la saignée et des tisannes ». « Messieurs Six et Cronor d’Orbe »91 lui conseillent alors un voyage à Loèche pour soigner ses « obstructions au foye »92. C’est sur ce dernier point qu’il cherche un avis. Plusieurs variables peuvent expliquer la préférence donnée à un soignant plutôt qu’à un autre. Les plus évidentes sont le réseau social, l’opportunité, la réputation et la proximité. Les documents demeurent peu bavards sur le cheminement menant à opter pour un praticien plutôt que pour un autre et les affirmations directes des

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Au siècle suivant, le très rationnel Charles Bonnet peut envisager de confier sa santé ou celle de sa femme à des praticiens ambulants moyennant quelques précautions. Rieder et Tourn 2009, pp. 140-141. Pour des constats similaires, voir Wild 2006, p. 30. Voir Rieder 2006b, pp. 40-41. BGE, Ms Bonnet 70 ff. 140-141, Charles Bonnet à Henri-Louis Duhamel du Monceau (copie mss), Genève, le 28 janvier 1760 Samuel Hedelofer(?-1796), chirurgien pensionné d’Yverdon de 1770 à 1776. Olivier 1939/1962, t. 2, pp. 958-959. François Six « serait » médecin de Montpellier, Olivier 1939/1962, t. 2, p. 1054. FT, II/144.04.01.01, s.n., s.l., s.d..

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malades sont empreintes de flatterie. Cela dit, à une époque où le voyage coûte cher, la proximité est un argument important. Les familles aisées, habituées à des « secours » urbains, dépendent en général de la ville où la concentration de praticiens diplômés est la plus forte93. Catherine Charrière de Sévery, souffre d’une douleur à l’épaule lors d’un bref séjour en ville en mai 1772 et se déclare « contente d’être à portée des secours »94. En dépit de leur éloignement – leur domaine se trouve à 9 km au nord-est de Morges – les Charrière de Sévery recourent à un praticien de Lausanne lorsqu’une maladie est aiguë ou dure depuis un certain temps95. Une crise dans la santé de Salomon Charrière de Sévery en été 1768 peut servir à illustrer la stratégie familiale. Le 27 juin, Salomon est « très enrhumé et incommodé ». Le lendemain il garde le lit dans un état de « foiblesse qui m’a bien effrayé et affligé » rapporte sa femme. Vingtquatre heures plus tard il semble mieux, mais le surlendemain il est au plus mal. Le 1er juillet, le couple quitte Sévery. « Nous sommes partis pour Lausanne pour nous approcher des secours. M. Tissot a trouvé que c’étoit une fièvre catharale et a ordonné les remèdes » 96. Le déménagement de la famille en 1780 constitue un rapprochement de la ville: Mex, leur nouveau domaine se trouve à seulement à 9 km de Lausanne. Ils accourent pourtant toujours précipitamment à la ville en cas de crise. Le 26 juillet 1789, par exemple, « comme j’étois couchée et endormie à 11h », rapporte Catherine Charrière de Sévery, «Vilhelm est venu me réveiller, son père s’étoit trouvé mal. Je me suis levée; une heure après nous sommes partis pour Lausanne, et arrivés avant 3 heures. Mon cher ami étoit déjà bien, il a pris de l’eau chaude et un lavement qui l’a dégagé. Quelle nuit ! Vilhelm nous a menés en carosse par la nuit noire dans moins de 5 quarts d’heure »97. L’urgence engage parfois le malade à recourir au praticien le plus proche. Un dénommé Claret rapporte s’être trouvé mal lors d’une sortie sur la Treille, une promenade publique à Genève. « Je pus par93

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La démonstration a été faite pour la région lyonnaise au début du XIXe siècle par Faure 1988, pp. 63 et sqq. Jnl Sévery, le 4 mai 1772. L’éloignement est un critère essentiel, alors que la question financière paraît être une question relativement moins importante. Voir Sawyer 1989, p. 45. Jnl Sévery, du 27 juin au 1er juillet 1769. Jnl Sévery, le 26 juillet 1789.

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venir a m’aberger dans la maison où j’avois un ami qui m’assista de tous les secours possibles d’après les avis de M. Cabanis que le hasard nous procura »98. Vivre à proximité d’un praticien est une incitation à recourir à ses services. En mai 1706, Marguerite Réal fait appel aux services du chirurgien Annibal Justamont, habitant au troisième étage de la maison où elle réside. Justamont lui aurait ouvert deux veines aux pieds « pour la faire saigner ce qu’il fit si excessivement et en telle quantité en deux grands vaisseaux » rapporte son mari. Marguerite elle-même prétend qu’il ne « vint point de sang » et invoque cet échec pour expliquer deux autres visites de Justamont pendant la nuit et en l’absence de son mari, la dernière à quatre heures du matin99. Face à la colère de son époux, Marguerite l’accuse d’avoir lui-même eu recours aux services d’un guérisseur spécialisé dans les maladies vénériennes100. L’affaire illustre la capacité des malades à trouver les services dont ils ont besoin, que ce soit pour une simple saignée répondant à un sentiment de pléthore, ou des soins sophistiqués pour traiter un mal considéré par tous comme honteux. Un même cadre de vie, une même appartenance sociale ou des origines communes sont autant de variables qui guident le choix. André Sauvan, réfugié de Genève et originaire du Dauphiné, se laisse persuader par deux itinérants avec les mêmes origines, de subir une opération pour son hernie inguinale101. Vivre dans le même voisinage et appartenir au même milieu facilitent certainement la prise de contact, mais ne conditionnent pas systématiquement le choix du soignant102. Alors qu’elle est enceinte et malade d’une fièvre bilieuse, la femme d’Abram Desclé, pourtant suivie par les docteurs Manget et Vieusseux103, prend des poudres fournies par le capitaine Mayer résidant à l’Ecu de France, à Châtelaine. Son époux les achète pour la somme de 53 florins, mais refuse de payer le louis d’or que

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FT, II/144.05.02.28, J. Claret, Genève, le 7 avril 1790. AEG, R. Consist. 72, pp. 3 & 6, les 3 et 10 juin 1706. AEG, R. Consist. 72, p. 9, le 24 juin 1706. AEG, PC 7169, les 15-19 mai 1724. Katherine Park suggère une « hiérarchie de recours » dictée par le statut social du malade: le malade s’adresserait en premier lieu à un soignant issu du même milieu que lui-même. Gianna Pomata constate une réalité plus contrastée à Bologne. Park 1998, pp. 129-131; Pomata 1998, pp. 121-123. AEG, PC 13043, Déclaration de Gaspard Vieusseux, le 18 novembre 1777.

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Mayer réclame pour ses soins en « alleguant que s’il se sentoit en etat de la guerir, il ne devoit rien demander d’avance »104. Le principe de l’acquittement des remèdes à la réception est clairement établi, celui du payement du prix des conseils donnés est moins spontané. Les patients ont l’habitude de régler le docteur et le chirurgien à la fin de l’année pour leurs services et l’empirique en cas de guérison seulement... L’économie de la santé est complexe et les malades le découvrent progressivement, au gré de leur parcours thérapeutique. Ils commencent logiquement avec le praticien le plus proche, le « médecin d’ici », une formule qui revient à plusieurs reprises dans la correspondance adressée à Tissot. Dans les villes, le médecin d’ici est un parmi d’autres. Le regard porté sur ses médecins n’est ni objectif, ni constant. Nicolas Théodore de Saussure (17671845), s’attarde sur quelques figures médicales dans une lettre à sa tante. J’ai rencontré l’autre jour Butini le fils […]. Il est toujours le heros de ses malades, surtout dans le sexe féminin. Il sait leur persuader qu’il en est amoureux et qu’il les fait vivre. Nous avons à Genève, une vieille dame de Goloffkin qui se ruine à lui faire des presents: elle a donné dernièrement, mille louïs à Madame Butini, et de plus un service de porcelaine et un schall de cachemire, independament du compte qu’elle a payée au mari. Je ne sais pourquoi avec tout son esprit et tout son savoir, il ne m’inspire qu’une médiocre confiance.

Il poursuit: « j’aime mieux Odier avec ses experiences, on voit qu’il a la passion de son art et qu’il songe plus a guerir ses malades qu’à leur plaire.»105 L’âge et les connaissances médicales sont des critères de choix régulièrement énoncés. Les soignants plus jeunes sont plus disponibles. Sans contraintes, ils sont parfois engagés pour servir et accompagner des malades particuliers106. Johann-Jakob Gerwer (1721-1804), inspecteur des églises de la prévôté de Moutier-Grandval, « étant indisposé » se déplace avec le « médecin et chirurgien Gachet de Cerlier »107. L’expérience gagnée par le praticien lui servira ensuite sur le marché médical où elle est prisée. Il y a cependant 104 105

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AEG, PC 13043, Déclaration du Sieur André Desclé, le 17 novembre 1777. BGE, Archives Saussure 239/160, Nicolas Théodore de Saussure à Judith de Saussure, Chambésy, le 13 juillet 1807. Voir plus bas p. 467. Jnl Frêne, p. 1878.

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des limites. Lorsque François Louis Gauteron d’Yverdon tombe malade, ses parents l’adressent au médecin de la ville, Louis Portefaix (1718-1810) âgé de 75 ans108. Gauteron décrète pourtant ne plus vouloir faire appel à ce praticien. « Il est fort âgé, et sujet à des accidens qui altèrent beaucoup sa mémoire: au commencement de l’hyver dernier il la perdit presqu’entièrement; il est mieux dès lors, mais les mêmes accidens peuvent se renouveller à son âge, et dans de tels momens ses erreurs seroient bien dangereuses »109. La proximité et la disponibilité du praticien, la nature de ses connaissances, son expérience, son âge ainsi que le coût de la consultation influencent les stratégies de recours, mais n’expliquent pas tout. La réputation du praticien est une donnée fondamentale; certains attirent des malades qui vont jusqu’à s’établir dans leur voisinage afin de bénéficier de leurs services. La circulation d’histoires de patients incite les malades à consulter le praticien dont le nom est associé à une guérison, surtout s’il souffre d’une affection similaire110. Le malade et son entourage sont déjà insérés dans des réseaux bien avant qu’il ne soit question de malaise ou de maladie. La bonne société compte des médecins qu’il est difficile d’ignorer. Les Frêne et les Prévost sont les égaux sociaux des Butini et Watt qui les soignent. Les Charrière, les Charrière de Sévery, les Bonnet et les Saussure se positionnent certainement au-dessus de leurs praticiens. La gestion quotidienne de la santé et les relations souvent amicales entretenues avec les médecins traitants font, dans certains cas, du recours médical une simple variation des échanges sociaux quotidiens. En août 1755, Frêne ressent une douleur vive à l’estomac alors qu’il est chez le docteur Scholl111. Ici, les interlocuteurs sont sur un pied d’égalité et la relation thérapeutique s’inscrit dans une relation d’amitié. Lorsque le commerçant Claret souffre d’une attaque à l’âge de 56 ans, des « deux medecins membres de ma société et de mes amis » écrit-il, « un l’apprit, vola a mon secours se plaind qu’on ne l’ait pas mande de suitte ». Il est bientôt secondé par un autre ami, puis par un troisième praticien appelé en consulte. La rencontre avec

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Voir Olivier 1939/1962, t. 2, p. 1030. FT, II/144.05.05.19, Monsieur F. L. Gauteron, Yverdon, le 10 juillet 1792. Le fait est presque trivial et constamment relevé. Voir Rankin 2008, p. 126 et ici même p. 456. Scholl diagnostique une indigestion. Jnl Frêne, p. 210.

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un praticien est de ce fait bien souvent informelle. Les soignants ne retrouvent pas les malades, faut-il le rappeler, dans un espace professionnel, mais bien dans l’espace social ou domestique. En été 1794, avant de partir aux bains, Saussure rencontre Butini chez son oncle et c’est là que le médecin lui fait part de ses recommandations112. Les praticiens encouragent leurs clients et leurs amis à agir ainsi et emploient à l’occasion leur réseau social comme relais pour communiquer avec leur malade113. C’est en accompagnant une malade « en démence » chez Schüppach que Frêne consulte l’uromante sur l’état de santé de sa mère114. Le médecin Gédéon Rabours rencontre Normendie au chevet d’une de ses malades et offre un avis sur les coliques dont ce dernier souffre115. Le praticien est de toute évidence médecin où qu’il soit et quelle que soit l’occasion. Même malade et en cure, le médecin Gérard116 peut encore offrir ses services. Il « est rempli d’attentions pour nous » et ses « directives nous sont très utiles » rapporte Marianne Moula. Le soignant curiste bénéficie d’une autorité accrue pour avoir éprouvé les bains luimême117. La collaboration entre certains malades et des praticiens de proximité est peu visible et pourtant souvent entretenue sur le long terme. Insérées dans des échanges sociaux informels, ces rencontres ne laissent que peu de traces. Les écrits personnels sont ici d’une aide précieuse. Frêne est en bons termes avec la plupart des docteurs qu’il côtoie. Friedrich Salomon Scholl (1708-1771) est l’ami et un des conseillers médicaux de ses parents. Le fils le côtoie en société et

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BGE, Archives Saussure 237/235 & 245, Amélie de Saussure à HoraceBénédict de Saussure, Conches, les 26 juin et 7 juillet 1794. FT, II/144.05.03.14, Mme de Loÿs de Chandieu, Lausanne, le 12 janvier 1792. Si Abraham de Liechtenhahn néglige de rendre visite à M. de Charrière malade, il prend la peine de se renseigner auprès de ses amis, afin de pouvoir lui envoyer des conseils par correspondance. Charrière O. C., t. 5, p. 206, Abraham de Liechtenhahn à Isabelle de Charrière, s.l., le 13 février 1796. Jnl Frêne, pp. 202-203. AEG, PC 10905, Déclaration du sieur François Jean Felix du 22 aoust 1761; Déposition de Dame Judith Danse du 22 aoust 1761; Déposition de Dame Marie Françoise Lombard du 22 aoust 1761; Déposition de Guillaume Danse du 22 aoust 1761. Voir plus haut p. 106 (n. 208). Il souffre d’un rhumatisme au pied. Voir plus haut, pp. 267-268.

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l’appelle en cas de maladie118. La mort de Scholl en mai 1771 oblige Frêne à s’adresser ailleurs119. Trois ans plus tard, il fait venir de Bienne en urgence le docteur Friedrich-Ludwig Watt. Les deux hommes se croisent à Bienne quelques temps après, Watt « me fit promettre de diner chés lui à mon retour », relève Frêne dans son journal120. C’est le début d’une série de visites amicales. En avril 1777, Frêne dîne et couche chez les Watt lors d’un passage à Bienne121. Les rencontres se multiplient et Watt évoquera à plusieurs occasions sa pratique avec Frêne qui recommandera les services médicaux de son nouvel ami à sa belle famille122. En raison de points de vue politiques divergents, Frêne et Watt espaceront leurs rencontres à la fin du siècle et il n’est plus question de Watt dans les trois dernières années du journal. Il sera remplacé par un autre docteur de Bienne, le beaufrère de sa petite-fille, Charles Théodore Schaffter (1770-après 1832)123. Cela dit, le recours au docteur en médecine est réservé aux crises graves. Pour les maux ordinaires, Frêne consulte directement un apothicaire ou un chirurgien, voire encore un conseiller laïc124. S’adresser au célèbre Samuel Auguste Tissot est un acte relativement anodin dans la région lausannoise; il est là un praticien de premier recours. Charles-Emmanuel de Charrière fait appel à Tissot de façon irrégulière pendant des années, à chaque fois il aura soin d’essayer d’abord l’arsenal des remèdes domestiques. En janvier 1772, il souffre d’un « mal à la mâchoire et a tout un coté de la tête » et cela depuis au moins trois mois, ce mal « a été très violent quelquefois et il a resisté à tous les remedes dont on s’avise dans ces occasions », raconte sa femme dans une lettre à son frère, « seulement on n’avoit pas fait de saignée. M Tissot que j’ai consulté par une lettre a conseillé la saignée et le petit lait: hier on a fait l’une, aujourdhui on commence l’autre »125. 118 119 120 121 122

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Jnl Frêne, p. 518. Jnl Frêne, p. 598. Jnl Frêne, p. 764. Jnl Frêne, p. 933. Une semaine plus tard, son beau-frère prend les remèdes prescrits par Watt. Jnl Frêne, p. 882. Jnl Frêne, pp. 3036-3040. Par exemple M. Schaltenbrand. Jnl Frêne, p. 813. Voir aussi Rieder 2007a, pp. 166-167. Charrière O. C., t. 2, p. 260, Isabelle de Charrière à Diederik Tuyll van Serooskerken, Colombier, le 8 janvier 1772.

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Catherine Charrière de Sévery a presque systématiquement recours à Tissot, un « proche » de la famille. Est-ce le résultat d’une forme originale de consommation de commodités médicales, conséquence du statut social élevé des Charrière de Sévery ? Ou encore, d’une confiance particulière attachée à la personne de Tissot, élevé tout comme Catherine à l’Isle? Au cours de l’année 1769, Tissot rendra visite au moins dix-sept fois à la famille Charrière de Sévery126. « Eu une visite de 2h30 de mon ami Tissot » écrit-elle le 15 mai 1769. Tissot est à la fois médecin et ami de la famille. Les dix interventions médicales, chacune comprenant plusieurs visites, se soldent toutes par la guérison du malade. Cela dit, en mars 1769 les Charrière de Sévery ont toutes les raisons d’en vouloir au médecin. Le 26 du mois, le fils du couplé âgé de moins de deux ans « étoit pâle et avait la diarhée ». Le lendemain Catherine purge l’enfant et consulte Tissot; ce dernier « m’a dit » écrit-elle « qu’il n’y avoit rien à craindre ». Pourtant, le lendemain à quatre heures du matin, « notre cher enfant a pris les convulsions, nous avons eu une horrible alarme ». Tissot accourt et prescrit « une potion, et puis un lavement, qui a été reiteré 3 fois ». Le médecin revient quatre fois et, le soir, l’enfant est mieux127. Aucun reproche ne lui est adressé et il demeurera un proche de la famille. La place prépondérante qu’il occupe dans l’encadrement médical des Charrière de Sévery se lit dans les 51 recettes ou conseils médicaux de sa plume parmi les quelques 390 prescriptions, recettes et conseils médicaux conservés par la famille128. Un inventaire sommaire de la collection suffit pour montrer la prépondérance de Tissot. La collection comporte des recettes transmises par des laïcs ou recopiées dans des livres et d’autres documents datant d’avant 1751, année de l’établissement de Tissot à Lausanne129. Les quelques traces laissées par des médecins contemporains de Tissot confirment le fait que la famille n’hésite pas à consulter ailleurs. Les autres soignants signent ensemble 31 recettes ou ordonnances médicales. L’identité de certains n’est pas claire: un 126

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Notamment à l’occasion de l’accouchement de Mme de Nassau. Jnl Sévery, les 25 et 27 août 1769. Jnl Sévery. ACV, P. Charrière, Ce 1- Ce 4. C’est le cas des trois prescriptions signées par Pierre Elisée Maurice (env. 17001785), et de quatre recettes établies par un certain Godin. Olivier 1939/1962, t. 2, p. 948.

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Vulmude, un chirurgien oculiste St-Yves130 et un Van Swift signent chacun une recette. Les auteurs identifiés sont des médecins établis sur les bords du Léman. Le nom du célèbre Théodore Tronchin figure sur une recette alors que les praticiens Abram-Frédéric Scholl (1757-1835)131, Ignace Voulonne132, Abram Chapuis (1748-1820)133 et Gaspard Joly (1718-1795) fournissent deux prescriptions chacun. Le nom du chirurgien genevois François-David Cabanis (17271794)134 apparaît 4 fois. Emmanuel Exchaquet (1719-1801) s’impose comme le praticien le plus important pour la famille après Tissot avec 7 prescriptions. Etabli à Aubonne, Exchaquet soigne à plusieurs occasions Salomon Charrière de Sévery pour son asthme, non sans susciter des inquiétudes sur la réaction possible de Tissot. Le 28 octobre 1790, Catherine écrit: « Le bon Exchaquet est venu diner avec nous, j’avois une peur afreuse que Tissot ne vint le même jour »135. Tissot finira d’ailleurs par se vexer, mais restera le médecin de référence et un ami de la famille136. A l’exemple des Charrière de Sévery, les laïcs doivent faire face aux susceptibilités des praticiens locaux, surtout lorsqu’ils sont de leurs amis. Les précautions prises témoignent de la difficulté. M. Bonafont, après avoir été informé par François Verdeil (1747-1832) de la présence d’une grosseur dans la matrice de sa femme, s’adresse à Tissot afin « de faire les remedes les plus efficaces pour la considération d’une épouse qui m’est chere » précise-t-il, « je voulais, Monsieur, secretement vous consulter et après vous avoir entendu vous faire appeller en consulte si le cas l’exige »137. Il ne s’agit pas de froisser Verdeil… De toute évidence, si les praticiens célèbres travaillent facilement avec des médecins distants, la collaboration avec des médecins locaux peut s’avérer difficile.

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Peut-être Charles St-Yves (1669-1736), oculiste parisien, ou encore son élève Léoffroi qui porte le même nom. Voir Hirschberg 1977, § 336 & 356. Olivier 1939/1962, t. 2, pp. 1050-1051. Emigré à Lausanne entre1792 et 1798. Olivier 1939/1962, t. 2, p. 1071. Olivier 1939/1962, t. 2, pp. 880-881. Gautier 1906, p. 500. Les soins qu’il donne à Salomon sont mentionnés à différentes reprises dans le journal de sa femme (p. ex. le 5 novembre 1790). Jnl Sévery. Charrière de Sévery 1978, p. 172. FT, II/144.03.04.31, M. Bonafont, Lausanne, le 26 mai 1784. Pour un autre exemple, Charrière O. C., t. 5, p. 88, Isabelle de Charrière à Henriette L’Hardy, s.l., les 2-5 mai 1795.

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Les spécialistes établis : sages-femmes et dentistes Les sages-femmes et les dentistes sont indispensables. Ils font en général partie de la même communauté que leurs clients. Qu’on attende un heureux événement ou qu’on souffre d’une dent cariée, à un moment donné le laîc requiert des soins immédiats. L’éloignement du domicile de la sage-femme en titre de la commune peut être un sujet d’inquiétude à la campagne, alors qu’en ville sa disponibilité n’est pas toujours garantie: il arrivait que plusieurs femmes accouchent en même temps138... Lorsque la parturiente réside dans un lieu isolé, la sage-femme peut être amenée à s’établir à demeure. A l’occasion du second accouchement de Marie Marguerite Frêne, la sagefemme s’installe chez elle le 19 février pour assurer une délivrance qui n’aura lieu que le 9 mars139. Si la sage-femme est traditionnellement entourée d’un groupe de femmes140, il lui arrive d’officier seule. « Henriette prit mal dimanche à 9 heure du soir mais n’apella la sage femme que hier à 5 heure du matin. A 5 du soir elle etoit delivrée. Elle a beaucoup souffert mais sans donner un moment d’inquietude à la sage femme qui a été toujours seule avec elle »141. Traditionnellement, la sage-femme se chargeait des accouchements sans complications et, en cas de difficulté, faisait appel à un chirurgien. Au XVIIIe siècle, ce fonctionnement est remis en cause par la velléité de chirurgiens d’assurer les accouchements142. Dans l’arc lémanique, la sagefemme demeure bien intégrée, quoique certaines sont critiquées. Louise Ambos « accouche bien, avec patience, douceur et adresse », mais elle « ne sait que cela et n’a que mediocrement de sens » selon 138

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Charrière O. C., t. 3, pp. 487-488, Isabelle de Charrière à Henriette L’Hardy, s.l., le 23 janvier 1793 & Isabelle de Charrière à Caroline Sandoz-Rollin, s.l., le 31 janvier 1793. En 1726 à Genève, la sage-femme Huguenin abandonne une femme en couches pour aller en assister une autre. AEG, P.C. 7369. Les Frêne vivent alors à Courtelary et l’accoucheuse vient de Péry. A l’occasion du premier accouchement de Mme Frêne, ce n’est qu’au commencement du travail que l’on envoie chercher la sage-femme. Jnl Frêne, pp. 280 & 309. Pour l’accouchement dans la société traditionnelle, voir Musacchio 1999 et Gélis 1988. Charrière O. C., t. 3, p. 350, Isabelle de Charrière à Caroline de Sandoz-Rollin, s.l., 3 avril 1792. Pour une bibliographie, voir Fissell 2008. Les principes et les valeurs de la pratique des femmes comme des hommes diffèrent. Sur le point de vue des sagesfemmes voir Marland 1993 et pour l’ascension du chirurgien-accoucheur consulter Wilson 1995.

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Isabelle de Charrière143. La sécurité assurée par des accoucheurs réputés plus savants en matière d’anatomie serait supérieure. Ainsi, si une sage-femme est présente dès le début du travail de Lisette Ambos un samedi soir de l’année 1799, la douleur « a été très supportable jusqu’au dimanche soir ». Alors, « les douleurs devenant tres violentes on a voulu un chirurgien ». L’arrivée du chirurgien est redoutée. Elle offense la pudeur des femmes et signifie souvent une intervention dangereuse pour la mère et l’enfant à venir. La famille Ambos a de la chance. Le premier chirurgien fait appel à un second « qui dans trois minutes a su accoucher la pauvre miserable »144. L’inventaire des praticiens-accoucheurs actifs à Neuchâtel dressé par Isabelle de Charrière en 1793, en prévision de l’accouchement de la comtesse Dönhoff, signale un groupe hétéroclite. En l’absence de complications, Dublé145 et Leschaux seraient compétents. « Il ne faudroit penser à d’autres que dans le cas dont Dieu preserve» poursuit-elle, « par exemple je regarde entre nous Leschaux146 comme un grand ignorant en fait d’accouchemens et si j’avois été auprès de Mme Sandoz quand elle fut si mal j’aurois envoyé chercher M. Perlet ou M. Liegtan.»147 Les qualités qu’elle prête à l’homme désigné comme l’homme de la situation sont révélatrices : « M. Liegtan le fils148 […] est savant et vient tout fraichement de l’Hotel-Dieu et de ses etudes faites sous le meilleur chirurgien et medecin à la fois de Paris et peut-être de l’Europe »149. L’âge et l’expérience personnelle cèdent le pas ici à la formation dans un environnement hospitalier. Si l’évolution des professions actives dans le domaine de l’obstétrique au XVIIIe siècle trahit une sensibilité nouvelle, les dentistes

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Charrière O. C., t. 3, p. 467, Isabelle de Charrière à Henriette L’Hardy, s.l., le 15 décembre 1792 Charrière O. C., t. 5, p. 537, Anne Bontems à Isabelle de Charrière, s.l., les 9-12 février 1799. Charles-Louis La Gacherie Dublé (1715-1800). Voir aussi Charrière O. C., t. 3, p. 496, Isabelle de Charrière à Henriette L’Hardy, le 9 février 1793. Charrière O. C., t. 3, p. 467, Isabelle de Charrière à Henriette L’Hardy, s.l., le 14 décembre 1792. Abraham Liechtenhahn (1766-1813). Certainement Félix Vicq d’Azyr (1748-1794). Charrière O. C., t. 3, p. 483, Isabelle de Charrière à Henriette L’Hardy, s.l., le 3 janvier [1793].

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répondent à des besoins impérieux et toujours croissants. Le mal aux dents est le mal du siècle150. Les odontalgies suscitent de nombreuses plaintes et pouvaient avoir des conséquences terribles151. La dernière maladie du Prince Frédéric, en 1782, commence par une rage de dent. La dent est arrachée mais « la machoire étoit toute cariée ou gangrennée, d’où il résulte que la masse du sang se corrompit; et le Prince, après avoir souffert le fer et le feu des opérateurs dans sa bouche et excessivement enduré, prit congé d’une maniere édifiante de toute sa cour le 10 octobre jeudi et expira le lendemain »152. Le nombre élevé de caries constatées au XVIIIe siècle doit être corrélé avec la progression de la consommation de sucre et de chocolat. D’autres dégradations dentaires sont provoquées par l’utilisation fréquente du mercure contre les maladies vénériennes et les éruptions cutanées153. Comme pour les autres soins du corps, les soins préventifs sont rarement mentionnés. C’est dans une section particulièrement détaillée de son journal d’adolescent que Louis Odier insère des informations sur ces soins corporels. Le premier janvier 1768, il écrit: « Je me lève, […] je sonne et demande un verre d’eau avec lequel je me lave la bouche et les dents ». De tels récits sont rares, le quotidien et l’anodin sont peu consignés dans les écrits personnels. Il faut que le « petit buche de bois » employé par Frêne pour nettoyer ses dents se casse dans sa gencive pour qu’il en fasse mention dans son journal154. Une solution usuelle aux maux de dents est l’extraction. Certains spécialistes offrent pourtant de réaliser des obturations (avec du mercure ou de l’étain), de consolider des dents branlantes avec du fil d’argent, le limage des dents, la cautérisation et encore l’implantation de fausses dents155. La plupart des laïcs n’ont accès qu’à des extracteurs. Les dentistes ne bénéficient ni d’une formation standardisée, ni d’une organisation corporative. En l’absence 150

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Avec 17 mentions, les maux de dents sont l’affection la plus fréquemment mentionnée par Frêne dans son journal. Voir Rieder 2006b, p. 38. Jnl Frêne, p. 1573. Jones 2000, p. 123; Cox 1996, pp. 85 et suiv. Jnl Frêne, p. 280, février 1759. Brille 1949; Cecconi 1959; Panckoucke, article Dent. Les obturations demeurent rares, Margaret Cox n’en répertorie que sur 3 les 100 dentitions retrouvées lors de fouilles sous Christ Church. Sur le même échantillon, seuls 9 individus avaient des « ponts » ou des prothèses partielles. Cox 1996, pp. 85–89.

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d’un spécialiste, c’est le chirurgien qui fait office d’arracheur de dents. Certains sont peut-être soignés dans les boutiques, mais le jeune Louis Odier, âgé de 19 ans, fait venir le chirurgien Jean Baumgartner (1702-1790) chez lui, le 3 août 1767 à 2h de l’après-midi. « Il m’a arraché une dent. Je lui ai donné un quart d’écu »156. Les Frêne recourent la plupart du temps à des chirurgiens pour les débarrasser de leurs dents cariées, mais il y a des exceptions. En janvier 1771, après avoir souffert pendant près d’un mois, Marie Marguerite Frêne se fait arracher une dent par Jean Pierre Bueche, « un paysan de Court, ingénieux, inventif : il fait des instruments d’arracheur de dents et beaucoup d’autres encore »157. CharlesEmmanuel de Charrière se « met entre les mains » du dentiste La Doucette, mais c’est une occasion isolée. Les Charrière se plaignent peu de leurs dents158. Rares sont les contemporains à pouvoir s’en vanter. Le plus grand nombre souffre longtemps d’odontalgies avant d’agir, dans l’espoir que le problème se résoudra naturellement. Pendant cette attente, la dent est traitée avec les moyens du bord – des poudres et des potions sont disponibles sur le marché159 – et c’est seulement après avoir tout essayé et lorsque le seuil de douleur devient inacceptable, que le souffrant fait appeler un arracheur de dents. Le fils aîné de Jeanne-Marie Bellamy souffre déjà le 30 mai 1773 de « douleurs au dents »160. Il est décrit comme triste et affecté de langueur* les jours suivants. C’est une « fluxion*». L’abcès provoque une enflure dans la bouche et sur la joue. Le 10 juin, il « veut sortir malgré son enflure, le séjour de la chambre lui fait un grand mal ». Le 12 juin, l’abcès est percé, mais ce n’est que le 17 qu’il est réputé « mieux » et un mois plus tard, René Prévost se fait arracher la dent161. Le nom du praticien n’est même pas mentionné: la palette des personnes disposées à assurer ce service est large et l’acte n’est pas corrélé avec une dextérité particulière. Le chirurgien Etienne 156 157 158

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BGE, Ms fr. 5643/1, Louis Odier, Journal N° 2, le 3 août 1767. Jnl Frêne, p. 593. Charrière O. C., t. 5, p. 180, Isabelle de Charrière à Isabelle Gélieu, s.l., s.d.[1796-1800]. Odier en prescrit à sa fiancée et Mme Frêne essaie sans succès « le remede de M. David de Paris ». BGE, Louis Odier à Andrienne Lecointe, Genève, s.d.[1779]; Jnl Frêne, p. 593. Jnl Bellamy, le 30 mai 1773. Jnl Bellamy, le 17 juillet 1773.

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Mathieu (1743-1826) arrache plusieurs dents de l’un ou l’autre des membres de la famille Charrière de Sévery. A une occasion, la dent « sans qu’il y ait de sa faute a cassée, cassée la racine une seconde fois », rapporte Angletine, âgée d’un peu moins de 19 ans162. Elle ne s’attarde par sur les inconvénients, ni sur la douleur de l’opération ratée. Sa mère ne mentionne qu’incidemment l’accident; « cela nous a désolé » commente-t-elle dans son propre journal163. De tels accidents ne sont pas rares164 et on ne renoncera pas pour autant aux services de Mathieu, mais Angletine se rendra à Nyon quelques mois plus tard « pour faire arracher l’autre mauvaise dent » par un second dentiste165. Cette famille, comme d’autres familles aisées, recourt parfois aux services de dentistes plus performants. Le 7 janvier 1771, Catherine Charrière de Sévery annonce dans son journal que « Pelletier166 nous a accomodé les dents à mon bon ami et à moi ». L’opérateur reste dîner avec ses clients167. La nature des « accommodements » n’est pas précisée168. Pour des services plus performants, les Charrière de Sévery n’hésitent pas à parcourir de longues distances169. Wilhelm se rendra à Lyon pour y faire « arranger » ses dents170. Sa sœur aimerait bien faire de même. Le projet ne se réalisera pas, mais leur mère conviendra d’un rendez-vous avec le dentiste, Philibert Jambon (1741-1809), expert de la Communauté des maîtres en chirurgie de la ville de Lyon171. Le 17 mai 1791, les Charrière de Sévery arrivent à 10h du matin « à l’Ecu de Genève, ou nous nous sommes arangés et avons bien diné, à 4 heures M. Jambon est

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ACV, P Charriere Ci 33, Angletine de Sévery [Journal], le 6 juillet 1789. Jnl Sévery, le 6 juillet 1789. Pour un autre exemple, voir Charrière O. C., t. 2, p. 395, Suzanne Moula à Isabelle de Charrière, Londres, le 26 janvier 1784. ACV, P Charriere Ci 33, Angletine de Sévery, [Journal], le 9 novembre 1789 et le 3 août 1790. Olivier 1939/1962, t. 2, p. 1016. Jnl Sévery, le 7 janvier 1771. A une occasion, leur fille Angletine se fait cautériser une dent à domicile, Charrière de Sévery 1978, t. 2, p. 152. Charrière O. C., t. 2, p. 376, Isabelle de Charrière à Dorothea Henriette van Tuyll van Serooskerken, Genève, le 30 juin 1781. Jnl Sévery, le 22 octobre 1789. ACV, P Charriere Ci 33, Angletine de Sévery, [Journal], le 15 octobre 1790; Baron 1999; Rousset 1962, pp. 7-13 & 28.

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entré dans la chambre, grande joie de le voir, il a travaillé aux dents d’Angletine »172. Le lendemain « M. Jambon a travaillé tour à tour à nos quatre bouches » et toute la compagnie assiste à une comédie avec le dentiste. Le surlendemain, à 8h30, Mlle Hardy et les StCierges arrivent et « Jambon a travaillé dans leurs bouches, puis après avoir revu les notres et coupé les cors de Louison, il est parti à midi pour Lion »173. Les opérateurs et les miracles Des prestations chirurgicales sont plus rarement sollicitées que ceux des sages-femmes et des dentistes. Quand ils s’adressent à un opérateur, les laïcs s’attendent à un certain service, si ce n’est l’accomplissement d’une promesse plus ou moins explicite de guérison. En 1732, Pierre Reynet se plaint du soldat Jonquière, un empirique qui en lieu et place d’une simple saignée lui aurait ouvert « la membrane externe de l’artère orbitale » le rendant inapte au travail. Trois maîtres chirurgiens réalisent une expertise et Jonquière sera condamné à payer un dédommagement de 50 écus blancs174. Les chirurgiens agrégés sont mieux défendus. En juin 1708, François Dunand porte plainte devant la Faculté genevoise contre Robert Dentand (1672-av.1730), maître chirurgien. A la suite d’une blessure accidentelle à l’épaule gauche, il sollicite l’aide de Dentand, qui « auroit entrepris de la réduire et mesme en auroit promis la guérison ». La guérison n’intervenant pas, il s’estime lésé. Dentand nie « avoir promis la guérison de la ditte dislocation, représenta qu’il auroit esté appellé plusieurs jours après laditte dislocation et qu’il avoit fait tout ce qui dépandoit de l’art de la chirurgie »: c’est la version que retiendront ses juges et collègues qui l’acquitteront de toute faute175. Les praticiens défendent le principe de la prestation rémunérée, alors que le malade se réfère à la tradition de la promesse de guérison176. Tronchin explicite cette polarisation en associant les

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Jnl Sévery, le 17 mai 1791. Jnl Sévery, les 18 et 19 mai 1791. AEG, R. C., vol. 231, le 16 décembre 1732. AEG, Santé F1, p. 174, du mercredi 22 juin [1707]. Certains chirurgiens promettent encore de guérir. Voir par exemple Charrière O. C., t. 5, pp. 155-156, Sara De Tournes à Isabelle de Charrière, Cologny, le 18 novembre 1795.

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promesses aux soignants empiriques. « Toute la différence qu’il y a alors entre un charlatan et un medecin, c’est que celui-là promet beaucoup, et que celui-cy ne promet rien.»177 La réalité est moins tranchée et même les docteurs attitrés sont acculés à s’engager quant au pronostic. Daniel De la Roche « promet de me remettre bien vite » écrit Suzanne Tulleken après avoir souffert une opération douloureuse contre la fluxion* de poitrine, l’introduction d’une « mèche allumée »178... Pour le malade, toute intervention physique est un événement redouté179. Avant d’affronter la douleur et les conséquences possibles d’une intervention, il doit être entièrement persuadé de l’utilité de l’opération; une fois celle-ci accomplie, il en subira seul les conséquences. Montesquieu ne se résoudra à subir l’opération de la cataracte « que lorsque je n’y verrai plus », écrit-il180. Les opérateurs ne poussent pas à la consommation. Frêne suit pendant plusieurs jours Jützeler, l’oculiste, qui n’insiste pas, observe le diariste, lorsque le malade n’est pas lui-même convaincu. La plupart des malades sont méfiants, voire réfractaires. Claude NarbonnePelet de Salgas (1728-1813) admet la nécessité de faire enlever son loup181: « Il n’est question que du temps où il me conviendra le mieux de subir cette opération. L’on me conseille d’attendre pour cela le printemps, et j’y suis assez disposé.»182 D’autres sont moins courageux. Louise de Corcelles devant se faire opérer « de la petite loupe »183 évite Tissot lorsque le terme fixé arrive. « Si quelque chose pouvoit l’excuser c’étoit les aprehensions de ma famille et les sollicitations qu’on me faisoit de tout éssayer avant d’en venir là », écrit-elle à Tissot184. L’opération fait peur et constitue un tournant dans une 177

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BGE, Archives Tronchin 205/253-254, Théodore Tronchin à M. Vallier, 17 2/3 1762. Charrière O. C., t. 5, p. 58, Suzanne Tulleken à Isabelle de Charrière, Lausanne, le 10 mars 1795. Margarethe E. Milow-Hudtwalcker (1748-1794) se voit proposer une opération de son cancer du sein en décembre 1791, mais ne se résout à l’opération qu’en janvier 1793. Piller 1999, pp. 225-228. Bonnet 1948, p. 153, Montesquieu à Charles Bonnet, Paris, le 6 mai 1754. « On appelle Loup une sorte d’ulcère qui vient aux jambes ». Académie 1762. Charrière O. C., t. 2, p. 381, Claude de Narbonne-Pelet de Salgas à Isabelle de Charrière, Genève, le 4 janvier 1782. « Tumeur enkistée, qui vient sous la peau, qui s’élève en rond, et s’augmente quelquefois jusqu’à une grosseur prodigieuse ». Académie 1762. FT, II/144.05.02.26, Louise de Corcelles, Vevey, le 17 janvier 1790.

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histoire de santé. C’est un acte désespéré et souvent l’ultime espoir de guérison. Une fois le diagnostic établi et la nécessité d’opérer admise, il s’agit de trouver l’homme capable d’effectuer l’opération requise. Les opérateurs pratiquant des interventions complexes (hernie, cataracte, fistule, calculs rénaux, inoculation*) sont rares. Les écrits personnels comme les correspondances attestent de l’importance des avis communiqués dans des réseaux de laïcs sur les prestations d’opérateurs spécifiques185. La réputation des chirurgiens établis peut inspirer une confiance suffisante pour attirer des malades d’ailleurs. M. D’Aubonne de Lausanne, par exemple, se place entre les mains du chirurgien Cabanis et se rend à Genève pour être opéré186. Les opérations chirurgicales impliquent de remettre sa destinée et son bien-être entre les mains d’un seul homme, et contrairement à la médecine, le patient et sa famille ne peuvent tempérer le traitement. Le choix du praticien s’avère ainsi primordial. Les pratiques d’inoculation démontrent, s’il le faut encore, l’importance de l’exemple dans la persuasion de particuliers. Lorsque la mère de Belle de Zuylen décide de tenter l’opération, l’inoculateur choisi est M. Williams, un anglais. Il s’installe à demeure pour l’occasion « et ne nous quitera point tant que durera la maladie » écrit Belle à son frère. Elle énumère les arguments qui avaient convaincu sa famille: « Il connoit la pratique de Sutton sans être un de ses initiés missionaires, il a inoculé 5 cent personnes en Wiltshire et en dernier lieu la petite Brown avec beaucoup de succès ». Il a une recommandation, sa prestance et ses propos « annoncent un homme de sens, un medecin prudent et habile et un très honnête homme simple et sensible »187. Williams est présentable, instruit et a donné des preuves de sa compétence. Si dans ce cas, les arguments balayent les hésitations, l’indécision est courante et peut déboucher sur des mésaventures regrettables. L’opération des fausses-côtes de Mme Bonnet en est

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Voir à ce propos Rieder 2007b, pp. 144-147. Charrière de Sévery [1924], p. 103, Louise de Corcelles à Catherine Charrière de Sévery, s.l., le 12 novembre 1773. Cabanis était un chirurgien réputé. Parmi ses spécialités figure la fistule lacrimale pour laquelle il avait conçu une nouvelle technique. Sur l’attrait de chirurgiens provinciaux, Brockliss et Jones 1997, pp. 564-565. Charrière O. C., t. 2, p. 127, Belle de Zuylen à Ditie Tuyll van Serooskerken, Zuylen, le 7 novembre 1768.

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une bonne illustration. La malade était alitée depuis deux ans lorsque l’arrivée d’un abbé opérateur « que l’on annonce comme le grand réparateur des torts de la Nature », remet en cause l’attentisme prôné par les médecins. Les Bonnet sont impressionnés par les succès de l’opérateur qui « lui donnent beaucoup de célébrité ». L’abbé rend alors visite à la malade en l’absence de son mari. A son retour, Mon épouse m’apprit ce que je n’aurois jamais soupçonné, qu’il l’avoit trompée, et qu’il avoit opéré en lui faisant accroire, qu’il ne faisoit que la palper pour s’assûrer de l’etat des cotes. Elle étoit seule: elle appelle un domestique l’abbé continue à palper, c’est a dire a opérer. Mon épouse s’en appercoit et veut l’arreter; elle lui dit les choses les plus propres à lui faire craindre les suites de l’opération; Il va toûjours son train, et dit en suite que la chose est à peu près faite. Il fallut donc bien le laisser achever.

Bonnet est scandalisé; l’abbé s’était engagé à n’opérer qu’en sa présence. L’absence de l’accord explicite de la patiente est extraordinaire. Si Bonnet exprime son indignation, celle-ci est plus nuancée qu’on aurait pu le penser: J’aurois pu le traiter comme il méritoit, mais rendant justice à ses intentions, je me bornai à lui representer avec moderation combien il s’etoit oublié, et combien il étoit à désirer qu’il sçut profiter de cet exemple pour etre plus prudent et plus réservé à l’avenir. Il me demanda pardon, et confessa ingénûment son tort. Ce n’est pas un malhonête homme; il est charitable; mais il a une confiance aveugle dans son talent. Il n’a presque que ses doigts, et sa tête est vuide de connoissances anatomiques. Son ignorance en ce genre ne lui permet pas de distinguer les cas ou son talent ne scauroit se déployer avec succès. Il ne scait pas s’il n’offensera point des parties molles placées dans le voisinage des parties dures sur lesquelles il opère: et comment le scauroit-il, il ignore même jusqu’au nom de ces parties188.

L’attitude des Bonnet est conciliante. Les patients avaient l’habitude d’endosser la responsabilité des opérations subies, même lorsque l’intervention n’avait pas réussi. « Le defunct n’a rien imputé à Lafon si ce n’est dans les derniers momens de sa vie qu’il dit que Lafon auroit mieux fait de ne l’avoir pas operé », raconte sa veuve à l’offi188

BGE, Ms Bonnet 70, ff. 140-141, Charles Bonnet à Henri-Louis Duhamel du Monceau(copie mss), le 28 janvier 1760.

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cier de justice189. Le réfugié Sauvan, pour sa part, aurait concédé peu avant son décès que « ces gens là l’avoient mis dans l’état ou il étoit, que cependant il leur pardonnoit de bon cœur »190. Les opérations constituent souvent le dernier espoir de rétablir une santé depuis longtemps compromise191. L’enjeu pour les laïcs se situe au niveau de la décision initiale et du choix de l’opérateur, surtout lorsqu’il est itinérant. Les renseignements sont pris dès l’annonce de sa venue192. Une fois arrivé, ses performances sont analysées avec soin et, parfois, relayées à des malades éloignés. Charles Bonnet, grand admirateur de l’auteur de l’Esprit des lois, lui conseille Andrieu, oculiste qui a de la réputation et qui me paraît la mériter, ayant passé dans notre ville, je l’ai consulté. Sur l’inspection de mes yeux, il a jugé que mon mal provient non de relâchement, comme on l’avait présumé, mais de tension. Il m’a donc conseillé de l’eau tiède avec un peu d’esprit de vin. […] Que ne puis-je Monsieur, vous exprimer à mon gré combien je désirerais que ce même Andrieu pût devenir l’auteur du rétablissement de votre vue193.

La quantité d’information réunie sur chaque opérateur confirme l’importance prêtée au choix à la fois de la méthode opératoire et du praticien. Elle renseigne également sur le mode de fonctionner des soignants ambulants. En 1749, c’est par affiche qu’Ami Lullin apprend l’arrivée d’un oculiste, une affiche qui lui fait espérer « un second Taylor », soit un oculiste habile194. Le savoir théorique d’Hilmer, éprouvé à son arrivé par la Faculté genevoise, est qualifié de « médiocre »195. Cependant, « l’expérience et la dexterité peuvent

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Lafon sera simplement admonesté par le syndic Fatio. AEG, PC 11723, Declaration de la veuve de feu Sieur Louis Benjamin Macaire, le 23 mai 1768. AEG, PC 7169, Declaration d’Isabelle Sauvan, née Noblet du 19 mai 1724. BGE, Ms Bonnet 70, ff. 110-111, Charles Bonnet à M. De la Lande (copie mss), Genève, le 28 août 1759. Les itinérants annoncent leur passage à l’avance. Ramsey 1988a, p. 135; Delaunay 1922, pp. 214 et suiv. Lettre datée du 1er avril 1754 et citée dans Bonnet 1948, p. 153. Le chevalier John Taylor (1703-1772) avait voyagé en France, en Allemagne et en Hollande entre 1733 et 1736. En 1736, il sera nommé oculiste de George II et recevra des doctorats en médecine de Bâle, de Liège et de Cologne. Voir Thompson 1928, pp. 282-285; Porter 2001, pp. 69-82. Pour une analyse plus détaillé de l’enquête de Lullin, voir Rieder 2007b, pp. 144-147.

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suppléer aux Lumières » et on lui accorde la permission d’opérer. Interrogé, Hilmer affirme n’opérer que les cataractes bien mûres et soigner les troubles de l’œil avec des poudres ou des liqueurs. Il affiche une attitude qui est assimilée à de la charlatanerie: il appelle à toute occasion des laquais en « se donnant des airs d’importance »196. L’oculiste s’établit aux Trois rois et commence à opérer « devant un assés grand concours de monde et il continuë en général en présence de ceux qui souhaitent d’en etre témoin, quoiqu’il ne soufre pas longtems les gens qu’il soubconne de métier ». L’opération publique s’inscrit dans une véritable campagne publicitaire et on rapporte qu’Hilmer « opère avec legereté et hardiesse ». L’opérateur a alors entre 25 à 30 ans et une physionomie « très heureuse »197. Ami Lullin met l’oculiste à l’épreuve en lui présentant sa vieille gouvernante. Elle était aveugle depuis six ans et deux chirurgiens avaient déclaré l’opération de la cataracte inutile198. Hilmer examine la vieille femme et « sur le champ et sans hesiter, il a prononcé comme eux que le mal etoit incurable et qu’il seroit inutile d’opérer.»199 Lullin interroge ensuite les personnes opérées, discute avec l’opérateur et dresse même une « liste de ses opérations »200. Le rapport final, daté du 27 avril, présente un bilan sur les premiers jours du séjour de Hilmer à Genève. « On est toujours plus unanime à convenir que pour la dexterité de la main le Sieur Hilmer est très habile, qu’il opere legerement et en peu de secondes, mais on ne lui donne pas la même confiance pour la théorie et le savoir.» Sa conclusion éclaire la finalité de l’enquête menée sur Hilmer: « Si vous avés besoin d’opération, vous pouvés etre assuré que vous ne pouvés vous servir d’un meilleur oculiste.»201 Le rapport de Lullin sur l’opérateur est plutôt favorable. Son enquête n’est pas un phénomène isolé. Près d’un 196

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BCUL Dorigny, De Crousaz, Genève, le 19 août 1749. BCUL Dorigny, De Crousaz, Genève, le 23 août 1749. BCUL Dorigny, De Crousaz, Genève, le 27 août 1749. BCUL Dorigny, De Crousaz, Genève, le 29 août 1749. BCUL Dorigny, De Crousaz, Genève, le 23 août 1749. BCUL Dorigny, De Crousaz, Genève, le 27 août 1749.

VII/345, Ami Lullin à Abraham de Crousaz, VII/349, Ami Lullin à Abraham de Crousaz, VII/353, Ami Lullin à Abraham de Crousaz, VII/357, Ami Lullin à Abraham de Crousaz, VII/349, Ami Lullin à Abraham de Crousaz, VII/353, Ami Lullin à Abraham de Crousaz,

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quart de siècle plus tard, en octobre 1787, Théophile Rémy Frêne connaît des soucis analogues lorsqu’il cherche un opérateur pour sa belle-mère qui souffrait elle aussi de la cataracte. Après avoir consulté un opérateur itinérant et pris conseil auprès de plusieurs médecins, la possibilité de disposer de soins postopératoires incite Frêne à opter pour Jützeler, opérateur établi à Berne et pensionné par les autorités de cette ville202. Il n’y a pas d’urgence et c’est sept mois plus tard que Jützeler arrive au village du pasteur. Sa présence suscite un attroupement. « M. Migy Directeur des forges du Prince et bien d’autres malades aux yeux, prévenus de l’arrivée de ce fameux oculiste à Tavanne, vinrent le consulter.» Les jours suivants, Jützeler examine les yeux de la belle-mère de Frêne. Il réalise alors une « dissection et explication des deux yeux d’un veau tué fraichement par le boucher d’ici.» La démonstration, à cette occasion, de l’opération de la cataracte par abaissement, ainsi que de la technique plus moderne par extraction, convainc la famille. Le 17 mai, trois jours après son arrivée, l’opérateur « éxécuta heureusement sur les deux yeux » l’opération de la cataracte par extraction. Jützeler demeure chez les Frêne une semaine pour soigner sa patiente203. L’opérée est très affaiblie. Sa vue ne s’améliore que peu. Au mois de juillet, « elle distinguoit les couleurs et pouvoit soutenir la clarté ». Sa santé décline cependant et elle meurt peu après. Frêne attribue ce dépérissement non à l’opération elle-même, mais « le vésicatoire, la saignée, la diète un peu severe, ordonnés tout de suite, ont, quoique d’usage en pareils cas, bouleversé la machine corporelle de la patiente »204. S’il est vrai que les résultats n’étaient pas toujours miraculeux, la souffrance des patients n’est pas toujours vaine. Certains malades sont comblés, comme Buisson, signalé par Lullin, ou le bisaïeul de Bonnet opéré par Andrieu. Les résultats dépassent parfois les espérances des opérateurs eux-mêmes. Il en est ainsi pour M. Chaillet de St-Aubin (1712-1803), souffrant d’une « grosseur énorme dans les bourses comme une tete d’un enfant ». Après différents essais, une amputation totale est tentée. Le patient survit au grand étonnement de tous, y compris de son opérateur205. 202 203 204 205

Pour les démarches de Frêne, voir ici même p. 143. Jnl Frêne, pp. 2205-2212, du 14-24 mai 1788. Jnl Frêne, pp. 2247-2251, le 2 septembre 1788. Charrière O. C., t. 2, p. 494, Charles-Emmanuel de Charrière à Isabelle de Charrière, s.l., le 19 septembre 1785.

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LES SECOURS : UN BILAN Les attitudes et les stratégies des malades attestent empiriquement de l’importance de trois des cinq facteurs avancés par Ronald Sawyer pour expliquer le choix des patients: (1) la proximité (2) un lien personnel (3) les compétences particulières. Le rôle joué par deux autres facteurs proposés par cet auteur, l’argent et l’idéologie médicale, doit être nuancée. La place prise par l’argent dans la relation thérapeutique est peu documentée. S’il est évident qu’un malade démuni ne pouvait exiger d’être soigné par Cagliostro, Tissot ou Schüppach, voire même par un docteur en médecine, il est tout aussi vrai que ces praticiens attiraient et soignaient régulièrement des malades incapables de leur verser des honoraires et adaptaient couramment le prix de leurs prestations à la bourse du client. Est-ce dire que les nantis et les pauvres profitaient d’une même manière du marché médical? Il est évident que non, ne serait-ce que par les problèmes financiers que pouvaient susciter un déplacement. Les besoins en commodités médicales variaient cependant en fonction du statut social. « Je trouve que ce n’est pas être bien malade que de n’être que délicate je vois tant de malheureux obligé avec leurs maux d’essuyer des travaux pénibles qu’il me semble que ceux qui sont au dessus de cet état sont fort heureux.»206 Cette assertion de JeanneLouise Prévost sous-entend deux états de maladie distincts en fonction d’appartenances sociales. La différence entre les corps de riches et ceux de pauvres est confirmée par les auteurs médicaux du siècle207. Les cas rapportés ici renvoient au point de vue des lettrés et des nantis. Les quelques traces se rapportant à des milieux plus modestes confirment qu’il y a là un autre modèle, un rapport à la santé et à la maladie distinct. Obligés de travailler pour gagner leur vie, les artisans et les ouvriers se déclarent malades du moment où ils ne sont plus en mesure de réaliser leurs tâches quotidiennes208. L’équilibre précaire de l’économie domestique est dès lors affecté209. L’artisan André Sauvan aurait explicitement invoqué la nécessité de 206

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Charrière O. C., t. 1, p. 48, Jeanne-Louise Prévost à Belle de Zuylen, Nyon le 5 juin 1754. Par exemple Tissot 1981; Tissot 1770. Entre les deux extrêmes, il subsiste encore toute une palette de situations. Voir Piller 1999, p. 220. Piuz 1985, notamment p. 269.

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pouvoir travailler afin de convaincre sa femme qu’il devait subir une opération de l’hernie. Les malades d’origine modeste qui se rendent au cimetière de St-Médard afin de profiter des guérisons spectaculaires et miraculeuses, se plaignent la plupart du temps d’affections qui remettent en question leur capacité à gagner leur vie210. Travailler est un impératif qui passe avant le confort corporel pour les manœuvres et les artisans211. Cette première division sociale du mode de recours aux services médicaux invite à nuancer d’emblée l’adéquation communément admise entre les idées du praticien et les conceptions du malade. Le passage rapide de patients d’un médecin local, à une célébrité éloignée comme Tissot, avant de consulter un chirurgien uromante comme Schüppach, laisse entendre que ce n’est pas la théorie médicale du praticien qui séduit le malade, mais sa réputation et ses succès thérapeutiques. Pour le laïc, recourir à l’avis de plusieurs praticiens ne répond pas au désir de trouver une nouvelle interprétation pour expliquer un malaise212, mais plutôt à la volonté d’accumuler différents avis. Ami Lullin, par exemple, multiplie les consultations pour son fils, sans jamais se soumettre complètement à l’un ou à l’autre des praticiens. Plus parlant encore est l’exemple de Charles Bonnet qui continue à consulter des médecins genevois sur la santé de sa femme, à interroger Haller et d’autres correspondants sur le même sujet, tout en s’adressant à des praticiens irréguliers. Le motclé définissant le rapport entre le malade et son entourage, le praticien y compris, est la négociation. Les laïcs négocient avec les thérapeutes. Ce rôle actif du laïc engage à questionner le modèle du processus de « médicalisation », comme un mouvement venant d’en haut, suivant le modèle esquissé par Michel Foucault et d’autres213. L’usager exerce une pression constante sur le marché et c’est au nom de ses intérêts que la répression de l’exercice illégal demeure faible avant la Révolution214. Ce principe suggère un modèle d’évolution des paradigmes médicaux basé non pas uniquement sur la médecine pensée par des académiciens et des cliniciens, mais en fonction des 210 211

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Maire 1985, pp. 88-90. Voir aussi Jütte 1992, p. 27; Gray 2007. Le double modèle semble avoir perduré jusqu’au dernier tiers du XXe siècle, Boltanski 1971. Lachmund et Stollberg 1992a, pp. 63-64. Foucault 1975; Foucault 1979. Sur l’histoire du concept, voir Nye 2003. Pauthier 2002, pp. 325-457.

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attentes du public payant. La disparition progressive de rituels de type magique ou surnaturel, dès la fin du XVIIe siècle, doit être assimilée à la préférence d’une partie du public pour d’autres logiques rationnelles. De même, la pratique des autopsies domestiques atteste de la volonté laïque de comprendre des mécanismes pathologiques cachés du regard, exerçant ainsi une pression qui a peut-être favorisé la médecine anatomo-clinique appelée à se développer dans les décennies suivantes. Le schéma demeure complexe et le patient, bien qu’il détienne en tant que client un ascendant certain sur le soignant, ne peut être réduit à celui qui domine la relation thérapeutique215. La domination présuppose des frontières professionnelles nettes séparant les deux acteurs, or les exemples retracés dans ce chapitre signalent que cette distance fait bien souvent défaut. Le praticien est à l’occasion malade, il est aussi intégré dans le réseau social et familial de ses malades. Dans la négociation, le praticien bénéficie d’un capital savoir et d’un capital symbolique, alors que le malade fait jouer son capital social et économique. La négociation peut être rude. Pour le praticien, la difficulté réside dans la nécessité de s’imposer dans l’espace social où il réside tout en vivant en bonne intelligence avec ses collègues216. Le jugement social porté sur les deux acteurs est une réalité avec laquelle ceux-ci doivent composer.

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Selon Jewson 1976b. L’interaction constante entre ces deux sphères est attestée jusqu’à la fin du XXe siècle. Waxler 1981.

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« L’homme est un, je l’avoue; mais l’homme modifié par les religions, par les gouvernements, par les lois, par les coutumes, par les préjugés, par les climats, devient si différent de lui-même qu’il ne faut plus chercher parmi nous ce qui est bon aux hommes en général, mais ce qui leur est bon dans tel temps ou dans tel pays.» Jean-Jacques Rousseau, 17581.

Au fur et à mesure des récits individuels et collectifs rapportés dans les premiers chapitres de cet ouvrage, des corrélations théoriques entre le contexte médical et les événements relatés ont été établis, le rationnel qui présidait aux décisions thérapeutiques a été reconstitué et les modalités décisionnelles énumérées. Le point de vue et la marge de manœuvre des laïcs en émergent et confèrent un certain relief à la figure nommée, faute de mieux, le patient. Le tableau, aussi complexe soit-il, ne répond qu’imparfaitement aux questions qui hantent cette enquête. Quelle place le corps occupe-til dans la vie de chacun au XVIIIe siècle? Quel sens les malades donnaient-ils à leurs maux? Aux fins d’éclairer ce double questionnement, les deux chapitres qui suivent seront centrés sur la culture médicale laïque2. L’objectif est de proposer un tableau d’ensemble qui tienne compte du cadre esquissé dans les chapitres précédents et, en paraphrasant Clifford Geertz, de reconstituer les plans, les recettes et les instructions qui conditionnent les attitudes et les gestes en matière de santé3. Au centre de cette analyse se trouve le corps, le corps tel qu’il était alors vécu, soit une « substance étendue et impénétrable ». Ce n’est ni la seule définition ni la seule compréhension du corps qui avait

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Rousseau 1967, p. 67. Lachmund et Stollberg 1992b; Jütte 1992, p. 23. Geertz 1993, p. 44.

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cours, mais cette définition reflète une ignorance anatomique répandue et trahit le point de vue de celui dont le regard ne pouvait percer l’enveloppe extérieure du corps. La définition est utile et s’oppose explicitement à une compréhension contemporaine du corps, défini dans un dictionnaire d’aujourd’hui comme la « partie matérielle d’un être animé ». En effet, à la différence de notre corps, le corps renvoie, au cours de l’Ancien Régime, à l’homme ou à la femme dans son ensemble, et non seulement dans sa composante physique4. Il semble en effet inapproprié de considérer séparément le corps et l’esprit alors que la distinction est continuellement niée ou, au mieux, ambiguë dans les écrits laïcs. Dans la même logique, le premier impératif qui guide l’analyse qui suit est d’éviter deux écueils méthodologiques, soit de plaquer les écrits laïcs sur l’histoire des théories médicales, soit d’assimiler les maux d’hier à ceux d’aujourd’hui5. Il ne sera donc question ni de termes médicaux modernes ni spécifiquement de l’hygiène ancienne, dont les variables, les « six choses non naturelles », reviennent pourtant constamment sous la plume de tout un chacun6. Ces deux voies mises de côté, la solution retenue est à la mesure de la radicalité de la démarche adoptée: le fil conducteur ne peut être que le discours laïc lui-même. Quoique nous n’accédons jamais à l’expérience même, mais à des récits d’expériences, je suis convaincu qu’il est nécessaire, à la suite de Barbara Duden, de cerner au plus près le lien entre l’expérience vécue et le signifiant linguistique afin d’élaborer une connaissance historique du corps7. La tâche est complexe; le sens des termes mobilisés pour évoquer la santé n’est que rarement explicité. Isabelle de Charrière, par exemple, s’interroge sur la santé du fiancé d’une amie: « Son regime ne seroit-il point de nature à lui tendre trop ce je ne sai quoi qu’on appelle nerfs?»8 « Nerf » renvoie pour elle à une qualité du corps sus-

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Académie 1762 et Larousse. Voir Peter 1967, pp. 724-728. Les « six choses non naturelles » sont l’air, la nourriture et la boisson, le sommeil et la veille, le mouvement et le repos, les évacuations, les passions de l’âme. Ils constituent alors les variables permettant d’apprécier et de contrôler l’évolution de la santé individuelle. Emch-Deriaz 1992a; Niebyl 1971; Rather 1968; Lécuyer 1986; Pilloud et Louis-Courvoisier 2003. Duden 1992, p. 40. Charrière O. C., t. 3, p. 205, Isabelle de Charrière à Caroline Chambrier, s.l., [mai et octobre] 1790.

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ceptible de tension ou de relâchement, mais est-ce tout? Devant l’imprécision des auteurs, il est malaisé de construire des physiologies laïques cohérentes. Une des finalités des pages qui suivent est d’interroger ce flou, de cerner de plus près les termes employés et d’explorer la portée des variables mobilisées par les laïcs pour expliquer leur état de santé9. Ainsi, la prémisse sur laquelle repose l’exploration de l’environnement culturel qui suit, est la conviction que s’il y a des manières distinctes de vivre son corps, ces différentes appréciations se déclinent suivant une grammaire culturelle donnée10: les fonctions naturelles du corps, les sensations corporelles sont déterminées culturellement11. Les modalités d’appropriation du savoir sur la santé, peu formalisées, rendent malaisée la reconstruction des bases du savoir laïc sur ces questions. La santé est pourtant une valeur forte au XVIIIe siècle. Le fait est attesté par les nombreuses stratégies mises en œuvre pour la retrouver. Le portrait dressé par le médecin Louis Odier du malade obsédé par sa santé, représente un extrême possible: J’ai été consulté plus d’une fois en secret par des malades de ce genre, qui dans le monde paroissoient parfaitement bien, et qu’on n’auroit jamais soupçonnés d’avoir besoin de moi, mais qui au fonds étoient rongés d’inquiétudes sur leur propre santé, attachoient la plus grande importance aux plus petits maux, palissoient d’effroi aux moindre malaises, calculoient soigneusement le tems qu’ils dormoient, mesuroient attentivement ce qu’ils mangeoient et buvoient, ne jouissoient de rien pour ne jamais se perdre de vue, n’osoient ni se livrer à la gayeté, ni vivre comme les autres, et souffroient d’autant plus de cette contrainte, qu’ils n’avoient rien de plus à cœur que de la cacher. Le médecin pour ces gens là est un Dieu, surtout s’il leur donne beaucoup de remèdes, dont leur chambre est toujours remplie et leur imagination toujours avide. S’il cherche à les désabuser, il perd bientôt toute leur confiance, et c’est pour cela qu’ils finissent toujours par être la dupe des charlatans. Leur table est toujours couverte de livres de médecine. Ils étudient tous les jours leur Tissot12 et ne vivent que pour craindre de mourir13. 9 10 11 12 13

Voir Starobinski 1974, pp. 176-177. Mauss 1993a; Kern Paster 1993, pp. 3-4. Voir Illich 1986. Tissot 1993. BGE, Ms Fr 4153, Louis Odier à Andrienne Lecointe, s.d. [1779].

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La caricature du malade imaginaire est intéressante ici parce qu’elle met en évidence des réflexes communs: l’observation attentive à la fois du corps et des signes de santé. Beaucoup se dit, beaucoup se fait pour préserver ou retrouver la santé. Ce souci n’est alors pas nouveau, mais la production d’une quantité importante de documents sur les santés individuelles est une particularité du siècle. Une seconde particularité mérite d’être relevée ici. Les corps des Lumières entretiennent des rapports incessants avec un environnement étendu. La constance des relations entre microcosme (le corps) et macrocosme (le monde, l’univers) est attestée depuis l’Antiquité, mais la portée de cette interaction répond, au XVIIIe siècle, à un recentrage sur l’environnement immédiat. Le macrocosme s’étendait auparavant aux astres. Aux XVIe et au XVIIe siècle, en consignant la naissance d’un nouvel enfant, ou tout autre moment important de la vie de famille, les chefs de famille ne manquaient pas de relever des données astronomiques. « Le 17 de juin 1621 à deux heures du matin » écrit Jérémie de Goumoëns, « au signe de la balance, à la lune croissant, ayant pleu à Dieu de delliez ma femme du fruict de son ventre, laquelle est accouchée d’une fille au jour susdit »14. Les traces de liens établis entre les corps terrestres et les corps célestes sont alors répandues, le principe est diffusé dans de nombreux livres de vulgarisation médicale tel Le pronosticateur charitable (1666)15. A l’époque des Lumières, le corps astral s’avère moins central à la compréhension de la vie. Des almanachs populaires continuent à orchestrer une médecine préventive (saignée, purge) en fonction de la position des astres. Les malades eux-mêmes énoncent parfois encore des liens entre leur santé et certaines configurations astrologiques. « En général M. [Sturler] est plus incommodé pendant les équinoxes et à l’epoque de quelque variation un peu considérable de l’athmosphère » rapporte Jean-Joseph Berguer (1738-1816)16. Le rapport du corps avec les phases de la lune revient régulièrement dans les

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ACV, P de Goumoëns 282, Jérémie de Goumoëns, Livret d’annotations de nostre mariage et où je me suis allié. Jour de nos nosces arrivée à Gumoens [mot illisible] de ma femme et de nos enfans. Voir La Martinière 1666, p. 1. Sur la médecine « astrologique » du XVIIe siècle, consulter Kassel 1999; MacDonald 1981. Dans ce cas, comme dans l’affirmation analogue faite par Bonnet, les équinoxes, renvoient à des moments de l’année. FT, II/144.03.04.30, Berguer, Morges, le 16 mars 1784.

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récits de malades17. Dans le troisième tiers du siècle, un praticien peut encore s’intéresser aux effets attribués à la lune dans le savoir populaire18. Ce sont là des permanences. Plus généralement, au XVIIIe siècle, hommes et femmes prennent racine dans l’environnement physique immédiat: le lieu, les émanations miasmatiques, la végétation et l’alimentation sont des facteurs explicatifs régulièrement invoqués pour donner sens à la santé ou à la maladie. Le corps est perméable à son milieu et à son environnement. « Je me transplante à la fin de ce mois chez mon aimable voisine » écrit Jeanne-Louise Prévost en 175519. Le recours à la métaphore botanique, aujourd’hui rare, est courant au XVIIIe siècle20. Il exprime le lien étroit reliant chaque corps avec son environnement physique et social21. L’enracinement de l’être est l’une des caractéristiques les plus marquantes de la réalité médicale vécue. Si les interactions entre le corps et l’environnement prennent une place importante parmi les multiples facteurs avancés pour donner sens à la santé, les discours laïcs renvoient à de nombreuses autres variables auxquelles les sensations ressenties par le patient sont associées. Les cultures médicales laïques intègrent et mélangent, sans effort apparent, une variété de registres sémantiques et théoriques22. N’appartenant ni forcément à une culture élitaire, ni à une culture populaire, les écrits laïcs doivent permettre de saisir à la fois des conceptions communes relatives à la santé et les interactions ou les négociations entre des connaissances anciennes et des savoirs médicaux nouveaux. Cerner ce qu’il peut y avoir de collectif dans l’expérience de santé revient en premier lieu à explorer comment cette expérience se communique. Le concept de maladie est un 17

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La recette d’un « Reméde contre la goutte et le rhumatisme », portant le nom de Louise de Corcelles et datée de 1781 précise qu’il s’agit de prendre le remède les trois derniers jours du dernier quartier de la lune. ACV, P. Charrière, Ce 4. Peter 1989, p. 107. Charrière O. C., t. 1, p. 71, Jeanne-Louise Prévost à Belle de Zuylen, Neuchâtel, le 10 mai 1755. Pour d’autres exemples: Charrière O. C., t. 1, p. 389, Belle de Zuylen à Constant d’Hermenches, s.l., les 25-28 février 1765; Charrière O. C., t. 3, p. 430, Henriette L’Hardy à Isabelle de Charrière, le 24 octobre 1792; Charrière O. C., t. 6, p. 170, Isabelle de Charrière à Ludwig Ferdinand Huber, s.l., le 1er novembre 1800. Se transplanter signifiait auparavant changer de pays. Furetière. Voir Dict. historique, t. 2, p. 2156. Isabelle de Charrière recourt sciemment à une métaphore botanique à l’occasion d’une de ses maladies, voir plus haut, pp. 109-110. Voir Wear 1989.

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premier repère essentiel. Il se construit logiquement par opposition à celui de santé ou plus précisément de bonne santé. La bonne santé n’est cependant pas une notion stable à travers le temps. Si David Le Breton peut définir le corps sain d’aujourd’hui comme étant indolore et dépourvu de sensations désagréables, il n’en va pas forcément de même dans le passé23. De nombreux récits témoignent du fait que l’amélioration de l’état de santé peut être corrélée avec d’autres variables que la seule disparition de la douleur24… La douleur ressentie lors d’une crise de goutte, par exemple, peut être un gage de bonne santé25. La définition du corps sain échappe ainsi bien souvent au lecteur et, dans un sens, la quête elle-même est sans doute anachronique. Au regard des mots, la santé se construit alors positivement, étant une « convenable disposition et temperament des humeurs et des parties du corps animé, qui est cause qu’il fait bien ses fonctions » selon Furetière26. L’état de santé se décrit aussi bien que l’état de maladie et comprend une échelle du moins vers le plus avec des variantes en fonction de la constitution de chacun: il est possible de bénéficier de peu de santé sans pourtant être clairement malade. Mme Fayod, par exemple, est décrite par son médecin comme étant « d’une constitution délicate, un genre nerveux irritable, une poitrine foible, l’estomac digérant passablement bien, mais naturellement constipée, jouissant de peu de santé »27. L’évêque de Meaux est lui aussi né « avec une constitution délicate » et sa jeunesse sera caractérisée par une « santé très chancellante »28. L’état de santé peut comprendre des maux usuels. « Je n’ai rien de nouveau à vous dire de ma santé » écrit Charles-Emmanuel de Charrière à sa femme alors qu’il est convalescent, « j’ai eu hier au soir mon abattemen, mon haletement ordinaire qui paroit etre fievreux »29. L’habitude signifie 23

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Cette réalité se lit dans l’usage du verbe guérir en anglais (to heal). Selon Georges Rousseau il signifie à la fois « rendre la santé » (« to cure ») et soulager (« to soothe »). Ainsi, « guérir » quelqu’un ne signifie pas systématiquement l’aider à retrouver une bonne santé. Georges S. Rousseau 1993, p. 27. Voir particulièrement Duden 1991, pp. 156 & 172. Porter et Rousseau 1998. L’exemple donné est: « Les paysans ont une santé, une complexion robuste ». FT, II/144.05.01.34, Ricou (père), Bex, le 2 août 1790. FT, II/144.04.02.18, Mémoire à consulter pour M. De Polignac, s.n., Lausanne, le 1er octobre 1791. Charrière O. C., t. 5, p. 241, Charles-Emmanuel de Charrière à Isabelle de Charrière, s.l., le 10 mai 1796.

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ici plutôt la stabilité de l’état de santé que la bonne santé, mais certains maux sont tolérés, voire encouragés30. Ailleurs, en dépit d’une bonne santé, des remèdes sont pris31. Si la santé connaît de nombreux paliers ou variations, la maladie est avérée quand la santé est appréhendée comme un état appartenant au passé: la bonne santé est du temps d’avant la maladie. L’état de maladie est systématiquement accompagné par le souci des auteurs de renverser une tendance morbide, de mettre fin à la progression du mal. Ainsi, la maladie se présente d’abord comme un état de santé « dérangé », une détérioration en cours32. « Depuis six mois ma santé est entierement dérangée » se plaint une correspondante française, après avoir disserté sur « les malheurs de la France ». Le corps physique et le corps politique, l’auteure l’infère elle-même, se troublent ici l’un l’autre et ce moins par l’effet microcosme/macrocosme que par l’influence éprouvée des émotions sur l’état de santé33. La perte de santé, une étape succédant à son dérangement, est qualifiée dans les écrits de malades par une série de signes touchant aussi bien des sensations (inconfort, douleur), des incapacités motrices (engourdissement, paralysie), des manifestations corporelles inhabituelles (enflures, démangeaisons, irritations cutanées), ou encore des écarts par rapport au fonctionnement habituel du corps. Un réflexe, souvent inconscient du lecteur moderne, consiste à retrancher le subjectif (agitation, peur, inquiétude, etc.) de l’objectif (malfonction, enflure, tumeur, irritation cutanée, etc.). La réintroduction de données subjectives, énoncées tout à fait sérieusement par les malades et leurs proches, est un moyen de saisir la complexité de l’appréhension de la santé au XVIIIe siècle. Les données subjectives s’avèrent nécessaires pour traduire les enjeux relevant d’états de santés particuliers34. Elles cautionnent l’idée que le corps est alors

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Voir ici même p. 321 et suiv. « Je jouis toujours de mon bien-être c’est à dire de l’absence de mes maux, je prendrai encore demain du quina et je croirai en avoir assés ». Charrière O. C., t. 3, p. 571, Marianne Moula à Isabelle de Charrière, le [20 ou 21] mars 1793. Un exemple Charrière O. C., t. 2, p. 308, Isabelle de Charrière à Vincent Maximiliaan Tuyll van Serooskerken, s.l., le 21 juin 1773. Voir aussi Sander 1989, p. 102. Charrière O. C., t. 5, p. 152, Marie-Anne-Jeanne Saurin à Isabelle de Charrière, Rocheguion, le 30 octobre 1795. Voir à ce propos Duden 1992, pp. 42-43.

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considéré comme un tout35. Ce constat soulève le problème de la fiabilité d’autres mots que le lecteur pense comprendre sans effort. Des mots anodins et usuels comme fièvre, maladie, asthme ou rhume, par exemple, renvoient à des réalités et à des définitions distinctes de celles d’aujourd’hui. A titre d’exemple, la « fièvre » est une « maladie qui vient d’une intemperie chaude et seche du sang et des humeurs, qui du cœur se communique à tout le corps par les veines et les arteres, et qui se connoît par une violente agitation du pouls et qui est ordinairement precedé d’un frisson » selon le dictionnaire de Furetière qui consacre encore deux colonnes et demie à l’énumération des différentes fièvres. C’est loin de « l’état maladif caractérisé principalement par une élévation anormale de la température du corps » proposé par un dictionnaire moderne. Au XVIIIe siècle, outre la sensation de « l’intemperie chaude et seche », c’est bien un « frisson » d’abord, et un pouls élevé, ensuite, qui caractérisent la fièvre36. L’évolution sémantique ne suffit pas à signifier les transformations au niveau du vécu de la maladie, ni même au niveau du sens, mais légitime le parti pris ici d’éviter de recourir naïvement au sens commun ou au savoir médical moderne pour donner sens à des récits historiques37. Force est de constater que la grammaire des maux résulte d’un bricolage constant entre savoirs particuliers, savoirs généraux, savoirs anciens et savoirs nouveaux. La tâche est complexe pour celui qui y cherche la cohérence et l’analyse des termes mobilisés dans le discours laïc qui suit n’a pas la prétention d’être exhaustive. Elle est basée à la fois sur la définition des mots les plus couramment employés et de ceux qui sont les plus difficiles à saisir. Toutes les possibilités ne peuvent être abordées; il en existe une infinité. Les symptômes décrits par les malades sont innombrables, touchent à toute la géographie corporelle et embrassent une forêt de métaphores38. L’objectif ici n’est pas d’en établir un inventaire, mais d’esquisser les grands traits du paysage sémantique de la santé. 35 36

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La perspective adoptée ici est proche de celle de Vila 1998, p. 5. Le frisson est effectivement mentionné par plusieurs auteurs. Voir ici même pp. 255 & 243. La finalité rejoint celle énoncée dans Loux 1987, p. 94. Parmi de nombreux exemples, citons l’abbé Spicher, souffrant de « baillements ». FT, II/144.05.01.05, M. Fegeli, Fribourg, le 25 décembre 1789. Il n’est pas le seul, voir Charrière de Sévery 1928, p. 57, comtesse Golowkin à Tissot, [Monnaz], s.d.

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I. NOMENCLATURE LAÏQUE DE LA SANTÉ Les sensations corporelles désagréables et les symptômes morbides sont au XVIIIe siècle, tout comme aujourd’hui, fréquemment caractérisés dans un premier temps de façon peu précise. Les termes employés pour désigner ces états sont nombreux: mal, malaise, malade, douleur, incommodité1. Certains changements dans les usages relèvent de modes langagières; il est précieux de se décrire comme « incommodé » aujourd’hui, alors qu’il n’en était rien dans le passé. Le recours à des termes peu précis renvoie à la découverte de sensations nouvelles pour le sujet, des sensations encore étonnantes, voire simplement difficiles à expliciter. A ce stade, l’inconfort et la douleur demeurent peu compréhensibles. La fréquence des allusions à des « incommodités » ou à des « malaises » met en évidence une zone d’ombre, un « no man’s land », entre la santé et la maladie, une période indéterminée qui perdure ou s’interrompt sans avertissement ni explication. Dans un même temps, l’absence de telles plaintes dans les écrits d’Horace-Bénédict de Saussure et encore leur rareté chez Frêne, trahissent une réserve dont le sens socioculturel doit être interprété. Face à un mal-être persistant, peu de malades se satisfont d’un constat vague. Le mal peut alors être localisé plus clairement. « J’avais du mal aise qui est devenu mal de gorge » se plaint César d’Ivernois2. D’autres registres sémantiques permettent de catégoriser certains maux et de leur conférer du sens, tout en dévoilant quelque chose sur l’état de celui ou de celle qui souffre. Au premier chef, il faut signaler une série de termes apparemment peu propres à décrire la maladie, mais qui se rattachent clairement à la santé par

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Les récits du premier chapitre en sont des illustrations, voir notamment pp. 83 et 118. Charrière O. C., t. 5, p. 446, César d’Ivernois à Isabelle de Charrière, s.l., le 5 mai [1798].

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leur contexte d’énonciation. Ce sont, tout à la fois, des symptômes, des états d’esprit et des états de corps. Ensemble, ces mots décrivent l’être comme un tout. L’« agitation » est un terme à situer dans cette catégorie. Défini par l’Académie comme un « ebranlement, secouement », il désigne un état d’être particulier3. L’agitation peut être intérieure. « J’en ai été malade » écrit Isabelle de Charrière à un correspondant, « de fatigue et de mouvement dans le sang, ou les nerfs, ou le cœur »4. C’est une véritable révolution de l’intérieur, un ébranlement de l’être qui est ici signifié. Le terme revient régulièrement, sans autre précision, dans le journal de Bellamy, pour caractériser son état de santé5. Il scande les entrées du livre de santé tenu par Horace-Bénédict de Saussure lors de la grande maladie de sa femme et des tableaux de Lullin retraçant les maladies de ses proches6. L’agitation est souvent incompatible ou contraire au bon sommeil et dans ce sens, selon l’hygiène ancienne, pathogène. Elle est ainsi un indicateur de l’état de santé, voire un signe prémonitoire d’une perte de santé à venir7. Etre « agité » s’oppose, dans l’esprit du lecteur d’aujourd’hui, à un second terme alors courant pour désigner le malaise, l’« accablement ». L’opposition n’est pas systématique dans les discours de malades. Selon Furetière, l’accablement est « une charge excessive sous laquelle on succombe » et exprime, au figuré, un état de corps et d’esprit, soit un état d’être8. L’accablement9 ou le fait d’être accablé10, termes courants, renvoient à de nombreuses situations différentes. Mme Bonnet se plaint d’être accablée du « poids de [ses] maux »11, mais l’accablement peut être d’ordre intellectuel. 3 4

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« Se dit aussi figurément, des troubles et des passions », Académie 1694. Charrière O. C., t. 6, p. 160, Isabelle de Charrière à Ludwig Ferdinand Huber, s.l., le 16 octobre 1800. Voir plus haut, p. 121. De nombreux exemples ont été énoncés plus haut. Pour les chroniques de Lullin et de Saussure, voir ici même p. 235 et suiv. Il revient régulièrement dans les écrits adressés à Tissot. Parmi d’autres exemples: FT, II/146.01.03.18, L. Arthaud, Vevey, le 16 janvier 1768. L’Académie 1694 donne une définition similaire en citant, notamment, l’emploi au figuré dans le sens: « Ne vous laissez point accabler au mal, à la douleur, à la tristesse ». Voir ici même pp. 109, 127, 128 et153. Voir plus haut pp. 96, 119, 129 et 151. BGE, Archives Saussure 238/184, Marie-Jeanne Bonnet à Horace-Bénédict de Saussure, s.l., le 5 mai 1770.

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C’est le cas de l’accablement dont se plaint régulièrement Bellamy au plus fort de ses craintes de santé12. Le statut d’un deuxième couple de mots, l’« inquiétude » et « l’angoisse », est similaire. Tous deux qualifient un malaise, peuvent être un symptôme et sont, à l’occasion, employés pour décrire la nature du sommeil13 ou pour servir d’indicateur de la dégradation de la santé. « Notre petite Amélie » commence sans autre la comtesse Golowkin dans une lettre à Tissot, « a mal à la gorge, elle a de la peine à avaler, la langue fort chargée, point de sommeil, beaucoup d’inquiétude et la bouche, la langue et les gencives rouges »14. La constance des références aux « angoisses » pour décrire la dernière maladie de Bonnet suggère leur capacité à résumer son état de santé15. Ce sont, dans les deux cas, des symptômes parmi d’autres16. Les états d’inquiétude, d’angoisse, d’agitation et d’accablement peuvent être prémonitoires d’une maladie, l’occasionner ou en être des symptômes17. L’inquiétude et l’angoisse ressenties par Bellamy, et attestées dans son journal, signalent un danger: générées par un état de santé donné, elles peuvent causer à leur tour une aggravation de cet état18. Le sens attribué à ces symptômes ou états se construit le plus souvent rétrospectivement. Ainsi, après avoir décrit le trouble croissant de son mari, maux de tête, angoisse et moments de tristesse, Mme de Tournes conclut à « une éruption qui s’annonce depuis longtems et n’est que très imparfait »19. Les mêmes termes d’agitation, d’accablement, d’inquiétude et d’angoisse20 ponctuent les 12 13 14

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Voir p. 128. Voir p. 87. Charrière de Sévery 1928, p. 55, comtesse Golowkin à Tissot, Monnaz, s.d., [1766-1767]. Voir p. 68 et suiv. Employé comme adjectif, le terme peut qualifier des états du corps. Rousseau se plaint, par exemple, d’une enflure de ventre si « inquiétante » qu’elle rend les habits insupportables. Rousseau et Tissot 1911, Jean-Jacques Rousseau à Samuel Tissot, Bourgoin, janvier [1769]. Voir p. 102. D’autres émotions comme la « crainte » et la « peur » peuvent également jouer un rôle pathogène, voir plus bas pp. 387 & 414. Les proches cachent communément leurs inquiétudes aux malades. Par exemple Charrière de Sévery 1928, p. 61, comtesse Golowkin à Tissot, [Monnaz], s.d. Charrière O. C., t. 2, p. 477, Judith de Tournes-Rilliet à Isabelle de Charrière, s.l., les 23-25 juillet 1785. C’est un « symptôme » récurrent. Charrière de Sévery 1928, pp. 61-62, comtesse Golowkin à Tissot, [Monnaz], s.d.

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récits de maux adressés à Tissot. Ils sont parfois liés à des composantes corporelles, de nombreux malades souffrant, par exemple, « d’inquiétude de sang »21. En définitive, si le corps et l’esprit peuvent constituer deux parties d’un tout, l’utilisation des quatre termes passés en revue ici démontre que les liens qui les unissent sont forts: ils renvoient à des sensations intérieures. L’échauffement est également induit par les sens et peut être rattaché au groupe précédent. Comme d’autres mots issus du registre sémantique de la santé, le terme est polysémique et ne prend un sens médical qu’en fonction du contexte. Il désigne alors un état ou une sensation corporelle. L’échauffement est le plus souvent associé à une cause identifiée, à un excès de l’être. Bellamy, anxieuse, se décrit parfois comme « échauffée » et « inquiète »22. Plusieurs niveaux d’échauffement sont décrits. « Mon épouse âgée de 42 ans, est d’un temperament naturellement assez fort, mais très échauffée » écrit M. Bonafont à Tissot, décrivant ainsi un « échauffement » structurel23. « Mon sang est échauffé effroyablement » rapporte Benjamin Constant, « j’ai des dartres sur les bras et les mains et la moindre écorchure s’enflamme tout de suite »24. L’échauffement du sang se lit ici à même la peau. C’est un constat visuel. L’échauffement peut aussi bien être causé par une source extérieure que par un excès physique, ce dernier étant plus courant. C’est une origine possible aux maux d’Horace-Bénédict de Saussure25, mais des individus moins célèbres en souffrent également. Mme Rostaing s’échauffe au cours de « promenades un peu longues »26, alors que c’est le carrosse qui échauffe Marianne Moula27. La chaleur extérieure influence celle du corps. La première crise urinaire de Rousseau aurait été provoquée par la chaleur estivale, alors qu’un excès physique serait responsable de sa seconde crise28. La belle-sœur 21 22 23

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Par exemple FT, II/144.04.01.01, s.n., s.l., s.d.. Parmi d’autres exemples, Jnl Bellamy, le 17 septembre 1772 FT, II/144.03.04.31, Cete Bonafont, Lausanne, le 26 mai 1784. Pour la question du tempérament, voir plus bas p. 365 et suiv. Charrière O. C., t. 3, p. 102, Benjamin Constant à Isabelle de Charrière, s.l., le 8 [septembre 1788]. Rieder et Barras 2005, p. 219. FT, II/144.05.07.35, Mme Rostaing, Fribourg, le 6 décembre 1793. Charrière O. C., t. 5, p. 39, Marianne Moula à Isabelle de Charrière, s.l., [février 1795]. Rousseau 1959, pp. 350-351 & 361.

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d’Isabelle de Charrière s’habille en fonction de sa « crainte du chaud »: elle porte une camisole de laine à même le corps, un bonnet et un chapeau. Elle est à l’occasion « obligée brusquement » d’ôter son chapeau « parce que tout d’un coup le feu me monte à la tête »29. Différents mécanismes peuvent causer un échauffement, notamment un excès d’application30. L’échauffement corporel n’est pas une maladie en soi, mais ne cesse d’être stigmatisé comme la cause première d’une maladie. Il peut résulter d’un événement isolé. Un correspondant de Tissot s’échauffe au carnaval de Bordeaux31, alors qu’un autre, M. Develay, tombe gravement malade au lendemain d’un souper « dans une chambre extrêmement chaude, cette chaleur jointe au différens vins qu’il avait bu à diner, et un peu de caffé à l’eau l’avait extrêmement échauffé »32. De toute évidence, les origines de la chaleur sont multiples et ne présagent pas de la nature des effets. Bonnet, « échauffé » par son excès d’application, et Frêne, « échauffé » au travail des moissons, souffrent tous deux d’odontalgies. L’échauffement peut être associé à un état plus précis et, plus clairement pathologique, il devient « inflammation ». André, le cousin de Jean Deluc, après avoir quitté Genève investie par une coalition de troupes sardes, françaises et bernoises le 12 juillet 178233, « étoit allé à pied à Neuchâtel pour voir ses parens d’abor après l’entrée des troupes » écrit sa sœur. « Sans doute que cette course l’avoit échauffé; à son retour il a eu une maladie inflamatoire » rapporte-t-elle34. L’« inflammation » est proche de l’échauffement. Ce terme qualifie plus précisément le mal-être que les substantifs précédents, soit par la localisation de la sensation désagréable35, soit par la nature de la sensation éprouvée. « Inflammation » désigne « l’âcreté et l’ardeur qui survient aux parties du corps enflammées »36. Furetière arrête 29

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Charrière O. C., t. 5, p. 481, Johanna Catharina van Tuyll van SerooskerkenFagel à Isabelle de Charrière, s.l., [septembre 1798]. Les cas de Belle de Zuylen et de Charles Bonnet en sont de bons exemples. Voir ici-même p. 74 et Charrière O. C., t. 1, p. 306, Belle de Zuylen à Constant d’Hermenches, Utrecht, les 13-18 septembre 1764. FT, II/144.02.02.08, Madame Gounon Laborde, Mémoire à consulter. FT, II/146.01.05.03, Elisabeth Antonette Develay, Genève, le 21 mai 1792. Binz 1981, p. 45. Huguenot Society, Londres, Famille Deluc, Fdl 1/1, Mlle Deluc à Jean Deluc, Pâquis, le 15 août 1782. Le mal de tête, le mal à l’œil, etc. Académie 1694.

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qu’inflammation « se dit aussi des humeurs qui s’eschauffent dans le corps ». Dans les écrits laïcs, le terme peut être employé pour qualifier une douleur située à un endroit précis ou une maladie déclarée. Ainsi, les malades se plaignent aussi bien d’inflammations de la paupière, de la poitrine, de rhumatisme, de sang, de cheville, de vessie, que de maladies ou de coliques inflammatoires37. FONCTIONNEMENTS INVISIBLES Les sensations donnent des indications sur le fonctionnement intérieur du corps. L’interprétation de ces signes est élaborée à partir d’une physiologie fondamentalement hydraulique. La fluidité s’impose comme une des principales caractéristiques de l’intérieur (invisible) du corps et les malades expriment à la fois maux et sensations à travers des concepts relevant de la dynamique des fluides (humeurs) et de leurs déplacements. M. Bude de Boisy, dont Tissot avait inspecté auparavant la gorge douloureuse, voit sa santé se détériorer. Le 23 avril 1793, il écrit à Tissot pour faire état d’un symptôme nouveau: « J’ai eu depuis avant hier un peu mal a une dent, et dans les environs.» L’interprétation avancée est hypothétique, mais signale la possibilité de déplacements internes. « Je ne sais si une partie de l’humeur de la gorge s’y est portée, car le mal de cette dernière partie a un peu diminué.»38 Le mal se divise et se déplace. Le constat tient de l’expérience vécue et est appuyé par au moins deux substantifs signifiant le mouvement, des mots employés pour décrire une interprétation précise du dysfonctionnement interne. La « fluxion », par exemple, désigne d’après l’Académie (1694), un « escoulement d’humeurs malignes sur quelque partie du corps » ou, selon Furetière, une « chute d’humeurs sur quelque partie du corps ». Le nombre d’allusions à des fluxions tend à confirmer l’idée énoncée par Gianna Pomata selon laquelle la présence de fluxions serait plus lisible que les principes galéniques de l’équilibre humoral39. L’attention du laïc est alors attirée par une possible concentration d’humeur,

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Voir ici même pp. 146, 176, 229, 271, 320 et 381. FT, II/144.05.07.04, M. Bude de Boisy, Vevey, le 23 avril 1793. Pomata 1998, pp. 35-42. Voir aussi Rankin 2008, pp. 129-130.

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identifiée par une sensation, par l’écoulement même de l’humeur à la surface du corps40, ou encore par l’inflammation qu’elle provoque comme dans le cas du rhumatisme, de la goutte, de la fluxion à la joue41 ou de la fluxion aux dents42. La fluxion est caractérisée par le mouvement. L’humeur corrompue « se jette » en quelque partie ou « se porte sur » un organe du corps43. Dans le langage des malades ou de leurs praticiens, le résultat est un déplacement de la douleur. « Aussitôt que la tétte ne soufre pas les douleurs se jettent dans l’estomach »44 se plaint un patient de Tissot. Un autre terme, l’« épanchement », est utilisé, dans un sens analogue, pour désigner l’accumulation d’une humeur en un lieu, signifiant ainsi également la mobilité interne. Des épanchements sont constatés lors d’ouvertures cadavériques, notamment dans les cerveaux de Rousseau et de Saussure45. La présence du terme dans des rapports d’autopsie suggère son appartenance à un registre savant. L’hypothèse est étayée par son absence des dictionnaires courants. Dès la troisième édition de l’Académie, il est doté du sens d’« effusion ». L’épanchement d’humeurs appartient pourtant au vocabulaire laïc dans la deuxième moitié du siècle. « Le pauvre professeur Turrettin est retenu à Genève par un épanchement de bile qui l’abbat et l’attriste beaucoup » écrit Claude de Salgas46. Ici l’épanchement touche l’ensemble de l’être, alors qu’ailleurs seule une partie est affectée. La fille de Jacob Vernet, souffrant d’une suppression de ses règles corrélée à une obstruction, « est obligée de se coucher sur le coté droit, sans quoi il s’épanche de la bile qui provoque la toux »47.

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Comme pour une fluxion à l’œil, voir plus haut pp. 56, 128 & 146. C’est un mal dont souffre Horace-Bénédict de Saussure. Voir plus haut p. 58. Voir ici même p. 128. Horace-Bénédict de Saussure emploie cette formule pour décrire le déplacement d’une « humeur de dartre » visible sur la peau de sa sœur, alors que le praticien Wetzel l’emploie pour décrire une maladie localisée dans les viscères. Respectivement Haller et Saussure 1990, pp. 476-477, Horace-Bénédict de Saussure à Albrecht de Haller, Genève, le 11 décembre 1773 et ici même p. 251. FT, II/144.05.01.01, C. de Diesbach, Carouge, le 16 décembre 1789. Odier 1816, pp. 226-227; Girardin 1824, pp. 24-27. Charrière O. C., t. 2, p. 377, Claude de Narbonne-Pelet de Salgas à Isabelle de Charrière, s.l., le 5 octobre 1781. Burgerbibliothek, Bern, N Haller 1084, Jacob Vernet à Albrecht de Haller, Loèche, le 29 juin 1761.

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L’intérieur du corps vivant, rarement vu, toujours deviné, répond ainsi à une dynamique de déplacement, de circulation, de renouvellement et de transformation que chacun s’efforce de saisir. Un des impératifs propre à ce fonctionnement occulte est la capacité du corps à accumuler. Au quotidien, la force, le pronostic favorable, la santé du corps se lisent dans sa faculté à emmagasiner et à prendre, ou à conserver du poids48. Une certaine force physique est nécessaire à la guérison. « Le corps est fort maigre à en juger par ce qui est guéri de l’enflure » écrivent les parents Cart dans une lettre concernant la santé de leur fils. Les poudres de scille49, d’yeux d’écrevisse et de nitre* prescrits par Tissot « agissent par les selles et les sueurs. Celles-ci ont eu lieu trois fois [...]. La diminution de l’enflure produite par les sueurs a toujours été très sensible. Elle l’auroit été davantage si le corps avoit eu plus de force. Mais depuis le milieu de janvier qu’il est affecté, il n’a pu qu’en perdre »50. L’absence de « force » peut s’avérer fatale. « On ne croioit pas dabord sa maladie dangereuse » annonce la belle-sœur d’Isabelle de Charrière en se reférant à la tante de cette dernière, « mais ses forces l’aiant abandonnées très subitement elle est morte mercredi passé »51. La « faiblesse », mais aussi l’« abattement » signalent la perte d’énergie et de forces. Le sens est général, mais dans la pratique, l’abattement renvoie le plus souvent à un état d’esprit, alors que la faiblesse signale presque systématiquement un trouble physique52. Employés de concert, ils décrivent un épuisement global. « Il est infiniment mieux et l’on pouroit dire retabli sans l’abattement et la foiblesse qui lui restent encore » écrit Isabelle de Charrière de son mari53. La faiblesse et l’abattement sont communément invoqués pour désigner l’état du malade à la suite d’une évacuation du corps, l’œuvre soit d’une expulsion naturelle comme un « dévoyement », soit d’une évacuation 48

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La faiblesse, la perte de forces et de poids sont perçus comme étant maladifs. Voir ici même pp. 182-183. Plante des côtes méridionales de l’Europe diurétique et favorisant l’expectoration. Nouv. dict. hist. de médecine. FT, V/144.03.06.15, M. Cart Roten, Vufflens-le-Château, le 25 mai 1785. Charrière O. C., t. 4, p. 232, Dorothea Henriette van Tuyll van Serooskerken-de Pagiet à Isabelle de Charrière, Utrecht, le 18 octobre 1793. Académie 1694. Charrière O. C., t. 4, p. 683, Isabelle de Charrière à Henriette L’Hardy, s.l., le 27 décembre 1794.

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artificielle produite, par exemple, par une saignée54. Ces états sont le plus souvent ponctuels et peuvent être désignés par un autre terme, celui de « langueur*». La langueur est décrite comme un « abattement, estat d’une personne qui languit », c’est-à-dire qui est « consumé peu à peu par quelque maladie » selon l’Académie. «Vous ne sauriez croire quelle langueur » écrit Louise de Corcelles à Catherine Charrière de Sévery, « votre absence et celle des Bressonnaz me donne »55. La langueur signifie des états parfois peu distincts de l’abattement. « La Villardin » écrit la même, « était dans la langueur, un reste de mal de gorge, de la veille, l’avait un peu défaite »56. Se sentir « languissant » demeure un état vague mais signale généralement un épuisement de l’être57. La langueur qualifie également un état de faiblesse et/ou d’abattement qui, s’il perdure, peut dégénérer en « maladie de langueur »58. Mouvement, fluidité : pathologies cinétiques Le dépérissement, qu’il soit exprimé comme une faiblesse, un abattement ou une langueur, correspond à une extrémité de l’économie pathologique. La borne opposée se caractérise par la surabondance d’une ou de plusieurs humeurs59. Cette pléthore peut être ressentie. « Une trop grande abondance de sang est, je crois, mon mal » postule Mme Brackel, victime d’une fièvre bilieuse au cours de laquelle elle aurait été insuffisamment purgée60. L’« obstruction » est une autre cause de déséquilibre interne, le « bouchement des vaisseaux et des conduits par lesquels se portent les humeurs et les

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Voir respectivement FT, II/144.05.07.35, Mme Rostaing, Fribourg, le 6 octobre 1793 & ici même p. 123. Charrière de Sévery [1924], p. 111, Louise de Corcelles à Catherine Charrière de Sévery, Lausanne, le 20 octobre 1774. Charrière de Sévery [1924], p. 100, Louise de Corcelles à Catherine Charrière de Sévery, s.l., s.d. Dans son livre de comptes, Angletine-Charlotte de Chandieu-Villars insère ses dernières volontés, « me sentant languissante ». ACV, P Charriere Ada 1012, le 24 janvier 1751. Voir plus bas p. 338. Pour une discussion de la pléthore dans les textes antiques, voir Kuriyama 1995, pp. 27 et suiv. FT, II/144.05.02.32, Nancy de Brackel, Yverdon, le 9 mai 1790. Voir aussi ici même p. 122.

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esprits dans tout le corps de l’animal »61. Furetière érige ce phénomène en cause quasi universelle du mal-être. « La pluspart des maladies ne viennent que de l’obstruction des vaisseaux, ce qui est causé par quelques corps estranger qui les bouche.»62 Comme la pléthore, l’obstruction peut être ressentie ou détectée par la palpation de l’extérieur du corps63. L’« embarras », dans une localisation interne, signale un début d’obstruction64. Le terme est employé communément dans ce sens par les laïcs. Les embarras sont répertoriés dans de nombreux emplacements corporels distincts, certains clairement arrêtés comme la poitrine, la tête, l’estomac65, les hypocondres*, les reins, mais un embarras peut aussi affecter les idées66. Alors qu’elle se plaint de fièvre, Isabelle de Charrière l’associe à un « embaras de gorge et de poitrine »67, la même se plaint ailleurs d’embarras de reins68 et d’embarras de tête69. Jeanne-Marie Bellamy souffre également et à plusieurs reprises d’embarras de tête et, à une occasion, se félicite de l’absence de « vapeurs de sang » au même endroit70. L’embarras semble avoir ici une cause physique. L’identification et l’appréciation de la transformation d’une obstruction sont des indices de la nature et du progrès du mal71. Les proches d’Ambrosius Pieter 61 62

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Académie 1694. Furetière. Gianna Pomata souligne l’importance de ce concept dans les description de maladies à Bologne au cours de l’époque moderne. Pomata 1998, pp. 133-134. Le terme savant est « opilation »: « obstructions qui se forment dans les vaisseaux du corps de l’animal ». Académie 1762. Les termes « opilation » et « obstruction » sont employés indifféremment dans les textes vantant les mérites de recettes de remèdes domestiques. ACV, P. Charrière Ce1-Ce4. Selon la troisième édition de l’Académie. Les éditions antérieures et Furetière se cantonent à « difficulté, obstacle qu’on trouve à marcher, soit à faire autre chose ». Voir p. 130. Charrière O. C., t. 2, p. 441, Charles-Emmanuel de Charrière à Isabelle de Charrière, Genève, le 2 novembre 1784. Voir plus haut p. 109. Voir p. 104. Charrière O. C., t. 2, p. 308, Isabelle de Charrière à Vincent Maximiliaan Tuyll van Serooskerken, s.l., le 21 juin 1773. Voir p. 124. Suzanne Tulleken est soulagée, par exemple, que De la Roche ne lui trouve pas d’obstruction (ici même p. 488), alors que la belle-sœur d’Horace-Bénédict de Saussure tient à ce que le médecin lui trouve une obstruction, signe clair d’un

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Tulleken désespèrent de sa santé au moment de la visite de Tissot. Celui-ci « lui palpa le foye. Il affirma que le volume en diminuait sensiblement d’un coté, et que l’obstruction s’etait fort amollie ». Le malade et ses proches reprennent espoir72. La mobilité propre aux fluides et aux vapeurs internes du corps s’impose comme une évidence dans les écrits de laïcs. Un mouvement régulièrement reconnu et analysé est celui du sang. Cette humeur est clairement associée à un déplacement circulaire. Bonne ou mauvaise, la circulation, mise à jour au siècle précédent, est au XVIIIe siècle une variable sanitaire largement admise73. L’évaluation de la circulation est individuelle et relève, en l’absence de tout appareillage technique, du subjectif. De nombreux acteurs se plaignent que leur sang circule anormalement. Jeanne-Marie Bellamy affirme que son « sang circule mal » lorsque ses jambes sont froides et sa tête étourdie et agitée74. Les pathologies du sang ne se réduisent pas à des questions de décélération du précieux liquide. Une habitante de Vevey éprouve « une espece de circulation de sable dans les veines » explique son fils pour justifier l’interruption d’une cure d’eau de Seltz75. Il demeure difficile de rendre compte des sensations corporelles exprimées. Tout au plus peut-on inférer un sens général à partir du contexte. Isabelle de Charrière, par exemple, fait état de sa réaction à une phrase lue qui « me mit pour un instant hors de moi fit aller mon sang à rebours, je crois, dans toutes mes veines »76. Benjamin Constant, pour sa part, se morfond dans une grande lassitude, « en vous écrivant » s’exclame-t-il dans une lettre à une correspondante, « j’ai repris quelque courage, et mon sang circule avec plus d’activité »77. Dans ces deux derniers exemples, le sang prend un

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mal-être autrement diffus. BGE, Archives Saussure 239/160, Nicolas Théodore de Saussure à Judith de Saussure, Chambésy, le 13 juillet 1807. Charrière O. C., t. 4, p. 89, Susanna Tulleken à Isabelle de Charrière, Belleroche, les 4-5 juin 1793. Les dictionnaires de langue en font tous mention à la fin du XVIIe siècle. Furetière; Académie 1694. L’expression est commune, voir notamment ici même pp. 123 & 186. FT, II/146.01.03.18, L. Arthaud, Vevey, le 16 juillet 1768. Charrière O. C., t. 5, p. 47, Isabelle de Charrière à Benjamin Constant, s.l., le 11 février 1795. Charrière O. C., t. 4, p. 378, Benjamin Constant à Isabelle de Charrière, les 5-7 avril 1794, Bienne, Liestal, Bâle.

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sens plus général pour signifier l’être dans son ensemble. La circularité n’est pas le propre de tous les mouvements internes. Les vapeurs se déplacent à l’intérieur de l’enveloppe corporelle selon un axe vertical, le plus souvent du bas vers le haut. Contrairement aux humeurs, elles sont toujours pathologiques. Les vapeurs ou « humeur subtile » constituent un des effets négatifs de la mobilité intérieure. Elles provoquent, très logiquement, des maux de tête78. Chez Jeanne-Marie Bellamy, c’est une affection associée à la suppression de ses règles. Il est peu étonnant dès lors, qu’elle se plaigne des « vapeurs de sang » à la tête79. Son interprétation peut être associée à une longue tradition médicale dont la quintessence est résumée dans l’article Vapeurs de Furetière: « Les vapeurs de la matrice ont causé de tout temps de grands emportements aux femmes, soit de douleur, soit de folie »80. Les « vapeurs » ou « maux de mere » sont de l’avis de commentateurs aussi distincts que Prévost et Frêne, des maux à la mode81. Il n’y a pas une seule famille de vapeurs. Les vapeurs peuvent être éprouvées par des hommes qui se trouvent ainsi féminisés82. La gouvernante Jeanne-Louise Prévost présente cette affection comme une caractéristique noble, propre aux esprits sensibles. La réaction de sa pupille signale que cette dernière n’agrée pas au diagnostic; elle souffrirait d’un mal physique83. La nature même des souffrances est peu explicitée, une crise vaporeuse, selon Isabelle de Charrière, commence « toujours par sentir de la peine et de l’angoisse lorsqu’on parle haut ou que deux personnes parlent à la fois »84. S’agit-il de vapeurs de la matrice? La barrière des mots est ici encore difficile à franchir. L’attention constante prêtée au bon écoulement des évacuations corporelles, les selles, les urines, les règles et les sueurs, est régulièrement attestée dans les écrits sur la santé. La consommation d’aliments et de boissons est également prise en compte. La nature particulière ou l’excès d’alimentation demeurent des indices possibles 78 79 80 81 82

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Furetière. Voir pp. 122-124. Furetière. Voir aussi plus haut pp. 90-91. Voir pp. 94 & 224. Jean-Jacques Rousseau et Louis Odier en témoignent dans leurs écrits. Voir ici même p. 377 Voir plus haut p. 94 Voir plus haut p. 102.

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d’un dérangement présent ou à venir85. Le pasteur Saladin signale dans son journal que « M. de la Croix […] devient mélancolique, et l’on croit qu’il deviendra hydropique: a tous les repas, il lui faut 2 pots de vin, 2 livres de pain »86. Dans les lettres adressées à Tissot, le rapport entre ce qui est ingéré par le corps et ce qui en est expulsé, se trouve exposé en détail et doit permettre de lire ou d’interpréter les (dys)fonctionnements internes. Le régime de Claret de Genève consiste essentiellement en soupe, vin rouge et viande. Il souffre de « reins lourds », d’un « point à l’estomach » et « des poignements et chaleur » dans la poitrine et le ventre. « Si je manque le lieux, j’en ai jusqu’au lendemain, alors le fecul est moullé et verdatre. Les urines du matin sont rougeatres et 1 à 2 heures après un sediment au fond du bol ». Il précise que son « crachat est comme de l’empois »87. La nature et la quantité de ces évacuations sont corrélées au fonctionnement obscur du corps, à la qualité du mouvement intérieur et surtout, avec sa possible obstruction. L’observation constante permet de relever des anomalies. Un exemple extrême est l’émoi de la mère de Théophile Rémy Frêne en examinant ses propres selles… peu avant son décès88. Plus souvent, l’évacuation spontanée est perçue comme salutaire. « La nature commenca à se debarasser d’une humeur noire, poiseuse et infecte. L’évacuation a duré près de trois semaines et a fini par des glaires et de la bile »89. Même des écoulements courants comme l’urine sont analysés90. L’estomac et l’appareil digestif se trouvent au centre de cette économie corporelle. Une fois établie, la conséquence d’une obstruction peut être – suivant des métaphores empruntées au processus de putréfaction – qualifiée. L’humeur 85 86

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Voir plus bas la question du régime, p. 431 et suiv. BGE, Fonds SHAG, Papiers Edmond Pictet 94, Journal du pasteur Jacques Sarasin (1641-1704), le 18 février 1666. Claret se fait de toute évidence « palper » par un tiers. FT, II/144.05.02.28, J. Claret, Genève, le 7 avril 1790. Jnl Frêne, p. 201. FT, II/144.04.02.18, Mémoire à consulter pour M. De Polignac, s.n., Lausanne, le 1er octobre 1791. Voir plus haut l’attention portée par les Lullin aux urines d’Antoine Louis (voir p. 249) ou par les Saussure à celles de la mère de Horace-Bénédict (voir p. 234). Michel Schüppach et d’autres soignants procédaient de même. Le « capitaine Mayer », par exemple, en soignant une femme enceinte d’une fièvre bilieuse, se fait apporter ses urines. AEG, PC 13043, Déclaration du Sieur André Desclé, le 17 novembre 1777.

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« stagne », est « corrompue » ou « viciée »91. L’analyse peut être complétée par une palpation. Albertine de Saussure, à la suite d’une « colique inflammatoire », aurait conservé une « dureté » dans le coecum: le principe dartreux dont elle souffre se serait « porté » là92. Ce déplacement intérieur se retrouve dans la logique même des fluxions* et des obstructions. Une liqueur corporelle viciée stagne ou « se jette » sur un emplacement corporel précis. Une autre entité contenue dans le corps, les « vents » ou l’« air enfermé dans le corps des animaux » est également susceptible de sortir « par haut, ou par bas »93. Les vents provoquent des douleurs; Frêne les rend responsables de ses maux à l’anus, l’abbé Spicher d’une crise de picotements, mais, à l’exception des hydropisies de vents, mentionnées dans les dictionnaires94, les maux occasionnés sont peu inquiétants95. Pour conserver une bonne santé, il s’agit de garantir un équilibre entre l’évacuation des humeurs malsaines (viciées ou corrompues) et l’accumulation ou la conservation de forces. La fluidité et le mouvement sont nécessaires au bon fonctionnement interne du corps qui est foncièrement hydraulique. Les troubles se résolvent le plus souvent par une évacuation naturelle, qu’il s’agisse de la transpiration, de la diarrhée, de dévoiement*, de colique ou de la suppuration de quelque bouton ou blessure. La diarrhée dont souffre Jeanne-Marie Bellamy en février 1773, par exemple, peut être interprétée soit comme une maladie soit comme un bienfait96. Mme Bonnet, pour sa part, perturbée par la mauvaise santé de ses parents, « fait beaucoup d’exercice, et elle use de lait de chèvre par le conseil de M. Tronchin. Il passe assés bien ». Les effets bienfaisants sont une « assés forte diarrhée » et de grandes éruptions pendant environ quatre mois consécutifs97. La diarrhée n’est qu’une des variables de l’économie 91 92

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Voir par exemple la « corruption » du sang, p. 284. Ce sera la cause d’un voyage de santé à Plombières. BGE, Archives Saussure, 4/3-4, Consultation par Butini du 6 août 1778. Cette définition est prise de Furetière. L’Académie 1694 se contente de « air retenu dans le corps animal », sans évoquer la sortie des vents. Voir plus bas p. 336. La mauvaise odeur peut inquiéter en suggérant une pourriture intérieure, voir ici même p. 139. Voir p. 121 et suiv. Wellcome Library, Londres, Charles Bonnet à François De la Rive, [Genthod], le 19 juin 1761.

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des écoulements corporels, toujours sujette à interprétation. Une des caractéristiques de la diarrhée salutaire, comme du dévoiement*, est de ne pas occasionner de douleur. Par contre, les mêmes symptômes accompagnés de douleur sont pathologiques et appelés colique98 ou encore, lorsque le flux est sanguinolent, dysenterie99. Maîtriser parfaitement ces finesses sémantiques est hors de la portée du plus grand nombre et un flou certain règne dans les écrits laïcs100. De saines souffrances L’ambiguïté caractéristique des écoulements corporels débouche souvent sur un sentiment de perplexité. Mme Doxat de Champvent en souffre: « Je ne sais à quoi je dois attribuer une irruption que j’ai de puis trois jours dans les bras […] lors que les boutons veulent sortir, je ressens comme si une puce me piquoit.»101 En règle générale, de tels phénomènes, à l’instar du bouton apparu sur le visage de Saussure en 1790, sont lus comme des évacuations salutaires102. Les exemples sont nombreux. Des aphtes poussent sur la langue du jeune Cart: « Nous regardions cela comme un bien qui nous donnoit quelque espérance », écrivent ses parents. Pourtant, les symptômes de la maladie de leur fils ne disparaissent pas pout autant et ils ne peuvent imaginer d’autre issue heureuse qu’« au cas que les eaux renfermés dans le ventre et les jambes pussent, en s’écoulant, entrainer les principes du rhumatisme »103. Certains souffrants se voient même taxés d’optimisme exagéré. « Une dartre le tourmente, il y voit un preservatif à mille autres maux », écrit Isabelle de Charrière de

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« Maladie fort douloureuse qui se forme dans les intestins par des flatuositez, ou par la bile esmeuë et dilatée » (Furetière). De nombreux exemples figurent plus haut: des coliques simples (pp. 257 & 278), des coliques inflammatoires (pp. 266) ou des coliques d’estomac (p. 360) et des coliques épidémiques (p. 344). Furetière. M. Du Pan, par exemple, fait part d’une « colique » à Tissot dans une lettre avant de rectifier: il s’agit plutôt d’un dévoiement « car il n’étoit accompagné d’aucune douleur ». Voir ici même p. 185. FT, II/144.05.02.22, Marianne Doxat de Champvent, Yverdon, le 2 mai 1790. BGE, Archives Saussure 1/30, Louis Odier à Horace-Bénédict de Saussure, Genève, le 15 juin 1790. FT, V/144.03.06.13, M. Cart Roten, Vufflens-le-Château, le 5 mai 1785.

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son ami Chaillet104. Elle se déclare pourtant elle-même enchantée d’attraper une maladie infantile en raison de la vertu « dépurative » des boutons105. Même l’ample « suppuration » consécutive à la petite vérole par inoculation* peut être considérée comme un bien. Les récits de curistes séjournant aux bains de Loèche font état d’éruptions cutanées et celles-ci ont certainement contribué à la réputation croissante de ces eaux dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle106. Mme Carrard-Tavel s’étonne d’être encore malade après sa cure balnéaire dans cette ville. Elle avait éprouvé des démangeaisons: « L’on pensoit que ce seroit peut être un bien, mais les maux ont egalement continué.»107 D’autres bains provoquent des écoulements salutaires. L’empressement avec lequel Saussure, paralytique, cherche à favoriser un écoulement suintant de ses yeux lors d’une cure à Plombières, est emblématique de l’espoir suscité par de tels phénomènes108. L’écoulement constitue une voie par laquelle l’humeur corrompue peut sortir. Si l’issue s’interrompt, l’humeur peut « se porter ailleurs ». C’est en un mot ce qui arrive à la sœur de M. Magelli, correspondant de Tissot. Un écoulement aurait succédé à des boutons pour laisser la place, à la suite de leur « cessation », à des maux d’estomac109. C’est là un processus morbide courant. Le malade est alors attentif à ce que le mal ne prenne pas racine et cherche à l’attirer vers les confins du corps, voire idéalement, à l’extérieur de celui-ci. La belle-sœur d’Isabelle de Charrière raconte la progression de la maladie d’une amie souffrant d’une « petite rechute de fievre tierce, qu’on attribue à un dérangement d’estomach »: « Apparemment qu’il y a encor des glaires et de la bile, parcequ’elle a eu des envies, et a fait des efforts pour vomir.» Le lendemain, sans doute pour encourager 104

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Il souffrait alors d’une « dartre au croupion ». Charrière O. C., t. 3, pp. 194 & 202, Isabelle de Charrière à Vincent Maximiliaan Tuyll van Serooskerken, s.l., le 20 avril 1790; Isabelle de Charrière à Caroline Chambrier, s.l., 14-15 mars 1790. Charrière O. C., t. 5, p. 325, Isabelle de Charrière à Caroline de Sandoz-Rollin, s.l., le 27 juin 1797. Isabelle de Charrière l’affirme dans une lettre à son frère (ici p. 104). Jacob Vernet explique que sa fille, souffrant d’une suppression de règles « desire » l’ébullition « qui est bien efficace pour attirer les regles ». Burgerbibliothek, Bern, N Haller 1084, Jacob Vernet à Albrecht de Haller, Loèche, le 29 juin 1761. FT, II/144.05.07.08, M. Carrard-Tavel, Grandson, le 1er février 1793. BGE, Archives Saussure 221/6, p. 21. FT, II/144.05.07.24, M. Magelli, Fribourg, le 28 mai 1793.

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ce réflexe naturel, elle prend un vomitif. « On croit, et je suis du même avis, qu’elle sera mieux et plus parfaitement rétablie après cette seconde indisposition, parcequ’elle sera encor mieux purifiée, et qu’elle sentira la nécessité de se ménager, ayant fait la preuve de la délicatesse de son estomach.»110 Le phénomène est ici à la fois l’occasion de purger le corps et une expérience porteuse de renseignements sur son dysfonctionnement interne. L’observation et l’analyse d’évacuations corporelles confèrent ainsi une certaine transparence au corps opaque111. Plusieurs maux inquiétants sont associés à l’interruption d’écoulements réguliers. L’absence de transpiration signale une « transpiration arrêtée », l’interruption des règles une « suppression ». Cela dit, si toutes les évacuations sont sensées provoquer une amélioration de l’état de santé, leur maintien dans la durée, comme dans le cas de la diarrhée de Jeanne-Marie Bellamy, peut leur conférer un statut inquiétant. Les interprétations laïques de tels phénomènes sont régulièrement confirmées par des soignants. En définitive, le corps est constamment menacé d’obstruction et d’engorgement, oscillant entre fluidité et stagnation. La mobilité interne du corps et les changements subséquents inhérents au mal-être sont les principales raisons du faible nombre de maladies nommées. Mouvement, écoulement, déplacement et obstruction, autant de termes qui désignent la mobilité comme étant un trait essentiel de l’intérieur du corps. Mais alors, les maladies ont-elles un siège, au XVIIIe siècle? L’utilisation du terme pour désigner la situation physique d’une maladie n’est pas attestée dans les dictionnaires contemporains112. Le sens du « siège de la maladie » apparaît pourtant dans des écrits personnels. Praticiens et laïcs recherchent un siège. Rousseau demande dans son testament que son corps soit autopsié afin que des spécialistes étudient sa maladie dans son « siège ». Il est convaincu qu’il se trouve dans son appareil urinaire et le siège est ici clairement déterminé113. Jean Antoine Cramer (1707-1775), docteur 110

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Charrière O. C., t. 2, p. 399, Johanna Catharina van Tuyll van Serooskerken à Isabelle de Charrière, s.l., [avril 1784]. Par exemple: FT, II/144.05.06.01, Betty [Trembley], Rolle, s.d. Cette acception n’est pas retenue dans les éditions ultérieures de l’Académie. Voir Dufour 1907, p. 15. En 1745, l’homme politique Sir Walpole, souffrant luiaussi de la pierre, réclamait également l’ouverture de son cadavre pour le bien de l’humanité. Wild 2006, p. 77.

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en médecine à Genève, évoque le cas d’une malade qui souffrait de ne pouvoir tenir sa tête. Le praticien incrimine d’abord le « muscle mastoidien », mais « depuis près d’une année le siège de la maladie paroit avoir un peu changé » et il le situe désormais dans les « muscles splenius, complexu, et autres »114. Le siège change ! Ce n’est pas un cas isolé. Madame Doxat de Champvent aurait, selon les commentaires apposés par Tissot sur des feuilles annexées à son dossier, « une tumeur considérable qui occupe tout le coté droit de la matrice et qui est très enflée et très dure dans le milieu de son étendue ». La malade écrit plus tard que si la tumeur n’a pas évolué: « Il me parroit pour ce momment que le siége du mal n’est pas là, les nerfs de la gorge sont aussi affectés car j’ai de la difficulté d’avaller, de la secheresse dans la bouche.»115 Le siège de la maladie se révèle mobile ! NOMMER ET DÉCRIRE Le registre sémantique mobilisé dans le discours laïc sur la santé ne se réduit pas à celui de la médecine humorale. S’il est vrai que le paradigme humoral sert de cadre à de nombreuses interprétations médicales, le corps qui émerge des écrits laïcs est de nature syncrétique et sans cesse décrit en fonction de multiples champs lexicaux. Les plus courants sont ceux du corps mécanique, du corps chimique et du corps nerveux. Le corps mécanique s’exprime au moyen de la métaphore de la machine et, dans son expression la plus floue, renvoie à un état général. Certains phénomènes corporels comme l’échauffement répondent à des logiques mécaniques, alors que le terme de « ressort » reflète la capacité de deux composantes corporelles à interagir ou explique une fatigue fonctionnelle d’une partie mobile du corps (mâchoire, yeux)116. La nature chimique des fluides

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Burgerbibliothek, Berne, N Haller 200, Jean Antoine Cramer à Albrecht de Haller, le 20 décembre 1756. Charles Bonnet cherche également à plusieurs reprises à déterminer le siège de ses troubles visuels. Voir pp. 74 & 82. Berguer, dans une consultation sur un de ses malades signale le déplacement du « siège de l’irritation ». FT, II/144.05.02.25 & 144. 03.04.30, Marianne Doxat de Champvent, Yverdon, [juillet 1790]; Berguer, Morges, le 16 mars 1784. Ici même, pp. 85, 96, 228, 293 et 400. Voir Jnl Frêne, p. 1308. Dans l’étude qu’elle réalise des lettres adressées au chirurgien Heister, Marion Maria Ruisinger constate l’absence de métaphores mécaniques, Ruisinger 2008, p. 117.

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corporels peut être appréhendée par l’analyse commune des liquides corporels, voire encore dans l’interprétation des caractéristiques d’une humeur comme le sang. Les allusions à ces registres sont régulières, mais non pas aussi significatives que le recours au vocabulaire dérivé du corps nerveux qui exprime, quant à lui, un soi fragile et vulnérable très répandu dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle117. L’évolution sémantique attestée dans les dictionnaires de langue signale le changement. Chez Furetière, « nerf » est un terme d’anatomie désignant les tendons et les muscles, ainsi qu’« une partie spermatique du corps de l’animal, qui nait du cerveau ou de la moelle de l’espine […] elle porte l’esprit animal pour le sentiment et le mouvement ». A partir de la quatrième édition de l’Académie (1762), un glissement se produit. Est alors nerf la « partie intérieure du corps de l’animal, qu’on regarde comme l’organe général des sensations. Les nerfs sont des cordons blanchâtres de différentes grosseurs, qui tirent leur origine du cerveau ». La transformation sémantique propulse les sensations corporelles au premier plan ou, plus précisément, exprime cette promotion. La compréhension physiologique de tout un chacun est plus difficile à saisir. D’un point de vue pragmatique, la sensibilité désigne la vulnérabilité ou la fragilité du corps. Un extrait d’une lettre de Suzanne Baux véhicule ces deux expressions de la sensibilité corporelle: Je suis d’un tempérament robuste, mais j’ai les nerfs délicats et tres mobiles, les plus legeres affections de l’ame suffisent pour déranger toute l’économie de mon existence, […] je me sens un peu de tension dans les nerfs de la tête et du col, que croyez vous qu’il faille faire pour ces sortes de choses la? Je hais invinciblement les drogues et les remèdes. Quand mes nerfs sont un peu trop tendus, j’ai une imagination toute de flamme, je suis métaphisicienne enthousiaste; l’épuisement et la faiblesse succèdent à cette effervescence, je deviens douce et tendre, mon cœur est alors ouvert aux impressions agréables, et c’est le moment de l’amour, c’est du moins le moment ou cette passion aurait le plus de prise sur moi. Je passe ainsi ma vie à n’être jamais moi même, dépendante des plus petites choses, et souvent fort mal à mon aise118.

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L’essor des théories nerveuses à cette époque est bien connu. Voir Rousseau 1991; Vila 1998. BGE, Ms fr 4152, Suzanne Baux à Louis Odier, le 15-16 décembre 1771.

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La vulnérabilité de l’être se trouve en quelque sorte canalisée dans le vocabulaire nerveux. Le ressentir d’une fragilité physique se lit, il est vrai, déjà au XVIIe siècle chez certains, comme Louis XIV et Mme de Sévigné, qui rechignaient à subir des thérapies violentes. Un siècle plus tard, les saignées et les purges abondantes sont réputées détériorer l’état des nerfs. La fragilité du nerf exprime la fragilité ressentie de l’être. Au début de l’année 1772, Belle de Zuylen reconnaît elle-même avoir abusé de son corps en travaillant dans son jardin et en lavant du linge. Elle se compare à Nausicaa dans l’Odyssée. Un de ses correspondants est scandalisé: Nausicaa « n’avoit pas de l’esprit comme vous, elle n’avoit pas des ner[fs] come des cheveux […] je ne puis soufrir que vous fassiés la lavandiere, ni la nimfe potagere; vous vous ferés du mal, vous deviendrés couperosée, vos dents tomberont, et vos cheveux aussi.»119 La sensibilité associée aux nerfs se reporte sur la qualité même de la personne et trahit son statut social120. Une sensibilité exacerbée peut être pathologique. « M. de Charrière est assez bien à la foiblesse près et une grande irritabilité ou mobilité* des nerfs », écrit par exemple Isabelle de Charrière121. Un mois plus tard, elle décrit plus précisément son état. « Cet homme si doux s’impatiente souvent d’un rien, cet homme presque froid ou qui paroissoit tel à ma vivacité s’attendrit et s’emeut de ce qui me laisse parfaitement tranquile.»122 L’irritabilité des nerfs se rapproche ici de l’émotivité et n’est pas loin de la « mobilité » dont Isabelle de Charrière souffre elle-même123. Une irrégularité d’humeur ou mobilité est le signe d’un trouble nerveux dont les contemporains se plaignent abondamment. Dans d’autres contextes, l’usage du concept de nerf et du vocabulaire associé, soit l’irritabilité et la sensibilité, recouvre une réalité large. Anne-Caroline Tronchin, par exemple, rapporte avoir eu des maux de dents nerveux124. Caroline de 119

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Charrière O. C., t. 2, p. 268, Constant d’Hermenches à Isabelle de Charrière, Bellegrange, le 17 mars 1772. Voir le développement de Rousseau 1991, pp. 32-41. Charrière O. C., t. 5, p. 218, Isabelle de Charrière à Jean-Pierre Chambrier d’Oleyres, s.l., le 16 mars 1796. Charrière O. C., t. 5, p. 238, Isabelle de Charrière à Dorothea Henriette van Tuyll van Serooskerken-de Pagniet, s.l., le 26 avril 1796. Voir ici même p. 102 et suiv. BGE, Ms Bonnet 70, f. 255, Charles Bonnet à M. De la Lande (copie mss), Genthod, le 17 août 1761.

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Sandoz-Rollin est étonnée par une sensation de chaleur à l’extrémité d’un pouce. Elle explique « que c’est nerveux, mais je ne sais trop ce que je dis » signalant encore l’imprécision de cette qualification125. Une demoiselle Glardon de Vallorbe souffre de maux de bouche et d’inquiétudes de sang, au point de devenir mélancolique « à la maladie », avant de souffrir de « tiraillemens de nerfs convulsifs »126. Les nerfs, comme les humeurs, sont mobiles. Ainsi, l’excès ou l’insuffisance de mouvement cause du mal-être. M. de Tournes « eut quelques secousses de nerfs et se leva pour se promener dans la chambre »127. En invitant sa jeune amie Isabelle Gélieu à venir chez elle, Isabelle de Charrière se justifie par l’avantage pour elle de ne pas entendre « de si près ce coup de canon matinal qui ouvre une journée d’artilleurs. Vous apprendrez par d’autres si cela est desagreable et propre à ebranler des nerfs convalescents »128. Les termes « nerf », « nerveux », « irritable » ou « sensible » sont érigés en mots passe-partout, exprimant davantage une intensité de mal-être qu’une condition particulière129. L’exemple d’un jeune juriste genevois est saisissant. Souffrant d’une maladie dont un excès d’application dans ses études et le recours à des purgatifs « violents » seraient responsables, il aurait sombré dans une « noire mélancolie ». Il conclut, après avoir minutieusement décrit ses maux: «[mes] intestins sont affecté en même temps de deux maux sensibles, d’une langueur* très grande et d’une irritabilité épouventable.»130 Le registre nerveux ne se substitue pas au registre humoral; les deux registres se superposent l’un sur l’autre. Dans tous les cas, et comme l’a démontré Anne Vila pour le discours médical, l’irritabilité n’est pas systématiquement propre aux muscles dans les écrits laïc, ni la sensibilité 125

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Emphase de l’auteur de la citation. Charrière O. C., t. 6, p. 37, Caroline de Sandoz-Rollin à Isabelle de Charrière, s.l, le 12 mars [1800]. FT, II/144.04.01.01, s.n., s.l., s.d. Charrière O. C., t. 2, p. 441, Charles-Emmanuel de Charrière à Isabelle de Charrière, Genève, le 2 novembre 1784. Charrière O. C., t. 5, p. 347, Isabelle de Charrière à Isabelle Gélieu, s.l., les 23-24 [septembre 1797]. Ceci les rapproche bien entendu de la logique humorale. Le fait est d’autant moins étonnant que certains médecins considèrent les nerfs comme des « vaisseaux remplis de fluide nerveux ». Rey 1992, p. 273. Mise en évidence dans le manuscrit. FT,146/34, s.n., s.l., s.d. Tissot fait de même lorsqu’il décrit l’onanisme, une maladie répondant d’abord à une logique humorale, en des termes nerveux. Stolberg 2000, pp. 4-5.

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aux nerfs131. Les nerfs, comme d’autres composantes corporelles, font partie du corps obscur et sont, par conséquent, sujets à de multiples interprétations. Les troubles nerveux ne se distinguent pas clairement d’autres maux. Parmi les remèdes conservés par la famille de Charrière de Sévery, seuls cinq sont destinés à soigner des maux de vapeurs, alors que quatorze doivent soulager des maux de type nerveux. Aucun de ces remèdes ne traite, le fait mérite d’être souligné, à la fois les vapeurs et les nerfs132. Les maladies nerveuses sont régulièrement confondues avec des maladies de langueur* ou avec les vapeurs. Au XVIIIe siècle, les maux de nerfs sont à la mode et corrélés avec la mélancolie et l’inquiétude133. Si les traités médicaux distinguent les affections caractérisées par des vapeurs de celles touchant les nerfs, les laïcs ne cessent de les confondre. Frêne, par exemple, évoque les maux de nerfs de sa femme, « dits mal de mere ou vapeurs »134. Ailleurs des états similaires sont décrits comme relevant soit des nerfs soit des vapeurs. Jeanne-Marie Bellamy qualifie clairement ses maux comme étant provoqués par des vapeurs. Par contre, elle se reconnaît une sensibilité exacerbée pour les événements qui l’entourent135. Sans directement épouser le vocabulaire nerveux, elle exprime l’essence de cette sensibilité qui traduit au mieux le sentiment de soi dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle. D’autres malades, souffrant de maux comparables à ceux de Bellamy, s’appuient sur le vocabulaire nerveux. « A l’age de 54 ans où je suis parvenu, j’ai passé ma vie moins dans les douleurs que dans un état d’angoisse et d’anxieté, une mobilité dans les nerfs très grande m’a mis dans le cas de soufrir moins de maux réels que de la crainte de maux jusques à présent imaginaires.»136 Le mouvement peut aider à distinguer entre différents termes. La langueur* est statique, la seule dynamique perceptible est le dépérissement. Les vapeurs connaissent un mouvement d’élévation qui part du centre du corps vers la tête, un déplacement suivi grâce à des sensations intérieures. La « mobilité des nerfs », souvent ressentie par les malades, touche 131 132 133

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Vila 1998, pp. 37 et suiv. ACV, P Charrière, Ce 1- Ce 4. Charrière O. C., t. 2, p. 440, Charles-Emmanuel de Charrière à Isabelle de Charrière, le 2 novembre 1784. Voir ici même p. 224 et Franklin 1891, p. 42. Jnl Bellamy, les 11 et 17 février 1773. FT, II/149.01.05.25, M. Pictet, Genève, le 17 juillet 1767.

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l’ensemble du corps. Pour une femme de Vevey, souffrant d’attaques de nerfs, le mouvement serait dû à l’exacerbation d’une irritation qui « a été très forte, sur les genouils au point de ne pouvoir marcher que pas à pas un moment avec une canne et le leger mouvement augmentoit encore l’irritation, à mettre ses nerfs en mouvement »137. Dans le cas d’Isabelle de Charrière, la mobilité* dont elle se plaint s’apparente à des sautes d’humeur138. Pour d’autres, c’est un mal ponctuel et spectaculaire. « Elle prit sur les 11h une attaque des nerfs très violent, des secousses, des mouvemens de l’irritation, de l’effarouchement dans les esprits, qui dura assés longtems.»139 Les maux de nerfs ne se démarquent pas clairement de maux plus anciens. Le vocabulaire nerveux surdétermine le mal-être et les paradigmes s’interpénètrent. Comment lire autrement le cas d’un malade souffrant d’« hypocondrie* nerveuse »? LE CORPS COMPROMIS La corrélation entre le mal-être et un nom de maladie est peu systématique au XVIIIe siècle. Qu’est-ce alors qu’un diagnostic? Selon Furetière, le diagnostic permet aux médecins de connaître la « nature » et les « causes » des maladies. Absent des deux premières éditions de l’Académie, le terme est défini comme un « symptôme qui indique la nature d’une maladie »140. La maladie nommée n’a que rarement une existence ontologique, mais dénote une stratégie langagière dont la finalité est de résumer un état de santé. Les laïcs évitent de recourir à un nom précis pour polariser leur attention sur le pronostic et les symptômes. A ces deux titres, ils se reconnaissent des compétences et contestent régulièrement les mots avancés par les praticiens. Nommer une maladie est ainsi, du point de vue du malade et de ses proches, un réflexe de médecin141. Même les victimes de maladies

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FT, II/146.01.03.18, L. Arthaud, Vevey, le 16 janvier 1768. Pour un exemple, voir p. 96. FT, II/146.01.03.18, L. Arthaud, Vevey, le 16 janvier 1768. Académie 1740. Voir Porter 1991a, p. 278; Walser-Wilhelm 1993; Imhof 1995, p. 21. Pour une illustration historique: Charrière O. C., t. 2, p. 153, Belle de Zuylen à Constant d’Hermenches, Utrecht, le 2 novembre 1769. Des exceptions existent, un

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graves conçoivent leur mal comme étant composé d’une série de « maladies »142. Au début de l’année 1770, par exemple, alors que Diederik Tuyll van Serooskerken se remet d’un « redoublement » de fièvre, sa sœur lui écrit: « Je suis fachée que la première lettre que vous ayez été en état de lire après votre maladie vous ait fait de la peine.» Ici, de toute évidence, la « maladie » n’est pas le mal chronique dont il souffre, mais bien la crise des semaines précédentes143. Ce n’est pas une formule hasardée. Les symptômes ne focalisent pas l’attention sur la poitrine; Diederik se plaint aussi de maux de tête et d’une douleur au bras144. De tels symptômes sont plutôt rassurants. Ils indiquent que l’humeur viciée bouge et se porte sur d’autres parties du corps; de là à pouvoir la chasser, il n’y a qu’un pas. La hiérarchie des maux, du moins inquiétant au plus dangereux, répond à une cartographie corporelle allant de l’extérieur vers l’intérieur du corps: « Je me console de votre main mon cher Dittie quand vous me dites [d’une seule haleine] que votre toux va mieux » écrit Isabelle à son frère, « c’est là notre grande ennemie, celle qu’il faudroit sur tout detruire »145. Le soignant est bien plus enclin à mettre un mot sur une série de symptômes que le patient. C’est une preuve de sa compétence, mais également une illustration possible de la fragilité de ce savoir: le nom avancé est régulièrement démenti par les faits. « M. Perlet a dit que c’etoit une descente », rapporte Charles-Emmanuel de Charrière à sa femme en évoquant la maladie dont souffrait M. Chaillet de St-Aubin146, pourtant, « il s’est trouvé que c’etoit un amas d’eau »147. De nombreux malades refusent d’accepter le nom de

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patient de Tissot, par exemple, exige de savoir s’il souffre d’une hypocondrie* nerveuse ou d’une maladie de nerfs. FT, II/144.05.05.01, M. Gabriel Bégue, Aubonne, le 3 septembre 1792. Marion Maria Ruisinger fait un constat analogue dans son analyse des lettres adressées au médecin Lorenz Heister (1683-1758), Ruisinger 2008, pp. 112115. Charrière O. C., t. 2, p. 165, Belle de Zuylen à Diederik Tuyll van Serooskerken, Utrecht, le 31 janvier 1770. Charrière O. C., t. 2, p. 166, Belle de Zuylen à Diederik Tuyll van Serooskerken, Utrecht, le 26 février 1770. Charrière O. C., t. 2, p. 171, Belle de Zuylen à Diederik Tuyll van Serooskerken, Utrecht, le 16 mars 1770. Samuel de Chaillet (1712-1803). Charrière O. C., t. 2, p. 494, Charles-Emmanuel de Charrière à Isabelle de Charrière, s.l., le 19 septembre 1785.

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maladie qui leur est proposé pour expliquer leur mal-être. M. Magelli, par exemple, évoque dans une lettre à Tissot les maux d’une femme âgée de 50 ans qui « fit une maladie assés longue que les medecins nommérent épanchement de bile » sans proposer d’autre interprétation148. L’attribution d’un nom à une maladie est souvent rapportée comme étant le fait d’un praticien149. L’erreur de diagnostic, ou plus souvent encore, plusieurs diagnostics divergents pour un même mal, confortent les patients dans une réserve sceptique. Le commerçant Claret à Genève souffre d’une série de crises dont « on me fit le traittement de fievre billieuse » rapporte-t-il et alors que ses maux deviennent chroniques et sont caractérisés par une lourdeur à la tête et des faiblesses dans différentes parties du corps, « on me traitta alors comme atteint de maux de nerfs »150. Les malades se gardent de cautionner une interprétation particulière de leur état; ces étiquettes résument simplement une interprétation professionnelle à un moment donné. M. Develay souffrait d‘une maladie inconnue. « Un bon médecin [...] le conduisit aussi bien qu’il le put, sans pouvoir donner à sa maladie d’autre nom que celui d’une singulière espèce de maladie ». Des années après, le même patient souffre d’une « petite fièvre catarrhale » selon un autre médecin. Lors d’une consultation, le même praticien est accompagné d’un collègue: « Ces Messieurs nommèrent sa maladie du moment une petite inflamation de poitrine, soit peripneumonie survenue, jointe à un épanchement de bile ». Le parcours du malade se décompose, dans le récit, en une suite de maladies successives151. Le jeune Ami Odier aurait souffert d’une fièvre bilieuse, de fièvre, de diarrhée avant de succomber finalement à un hydrocéphale152. La succession rapide de termes tend à faire naître la confusion dans les esprits. La fille de M. Robillard, « traittée pour maladie nephétique, ensuitte pour maladie des nerfs » n’aurait éprouvé aucun soulagement de ces traitement se désole son père153. La perplexité peut être partagée avec le soignant. Louise de Corcelles rapporte « que pendant cinq heures je fus entre la vie et la 148 149

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FT, II/144.05.07.24, M. Magelli, Fribourg, le 28 mai 1793. Voir par exemple Jnl Frêne, p. 3040; FT, II/144.02.06.28, Marie Agier, Genève, le 9 septembre 1775. FT, II/144.05.02.28, J. Claret, Genève, le 7 avril 1790. FT, II/146.01.05.03, Elisabeth Antonette Develay, Genève, le 21 mai 1792. Voir pp. 243-244. FT, V/144.02.06.25, Jean Louis Robillard à maître Levade, le 14 mai 1767.

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mort, et de quoi dites-vous? Oh ! Certes, ni moi ni M. Tissot, n’en savons rien »154. L’aveu n’est pas exceptionnel155. La multiplicité des avis, la succession de termes plus ou moins savants, font de chaque diagnostic une interprétation parmi d’autres. La difficulté éprouvée par le malade à se reconnaître dans une entité nosologique renforce la singularité de chaque parcours. C’est parfois un titre de gloire. Frêne rencontre M. Freudenberger, « nouvellement de retour de Bienne, où il avoit passé quelques jours chés M. Perregaux, croyant se rétablir; mais il y avoit encore décru de 2 doigts. En tout, il nous dit qu’il étoit racourcit depuis sa maladie de 11 doigts. En revanche, il a une grosse bosse s[ur] le dos, sans être d’ailleurs courbé, ni en devant ni autrement. Il nous avoua que ni lui ni son médecin n’avoient jamais rien oui, ni lu de semblable et que son cas étoit unique »156. L’originalité peut être déstabilisante ou même effrayante. « Il est bien affreux de desirer la mort d’une mére cherie, et cependant il y auroit de la barbarie de ne la pas demander au ciel […]. Jamais, Monsieur, on a vüe d’exemple d’une pareille maladie, puissent-il être le seul »157. Les limites de la nosologie sont une source d’affliction: « Mlle Crousaz Corsier est morte à 11 h. du soir après une maladie affreuse et inconnue qui dure depuis le 31 de janvier » relève Catherine Charrière de Sévery158. La maladie prend racine dans le passé du malade et relève de sensations et de symptômes subjectifs; elle est historique plutôt qu’objective. « Ma maladie est intérieure, il n’y a que moi qui la sente; j’ai cru aussi qu’il n’y avoit que moi qui put la décrire » précise une malade qui exprime ainsi un ressenti répandu159. De fait, plutôt que l’incompréhension de la nature même de la maladie, c’est ici la difficulté d’établir un pronostic qui est lourde à porter160. Entre la théorie savante et le mal mys154

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Charrière de Sévery [1924], p. 67, Louise de Corcelles à Catherine Charrière de Sévery, Corcelles, le 4 octobre. FT, II/144.03.02.25, J. H. Kronauer, Orbe, le 12 février 1781. Voir aussi Charrière O. C., t. 6, p. 127, Isabelle de Charrière à Willem-René van Tuyll van Serooskerken, s.l., les 29-30 août 1800. Jnl Frêne, pp. 509-510. FT, II/146.01.03.16, L. Arthaud, Vevey, le 25 décembre 1767. Jnl Sévery, du 23 octobre 1786. Cité dans Louis-Courvoisier et Pilloud 2000, p. 943. Pour un autre exemple, FT, II/144.02.03.13, J[ean] François Nomar, Genève, le 8 octobre 1773. Michael Stolberg propose de voir une continuité entre la méfiance classique pour le diagnostic et les critiques actuelles sur l’objectivation et déshumanisa-

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térieux, de nombreux mots qualifient les états maladifs. Les pages qui suivent s’emploient à explorer ce paysage sémantique. Mots anodins, maux sérieux Nommer une maladie est un acte porteur de sens161. Les termes plus neutres renvoient à des maux anodins. La « fièvre » est le terme le plus fréquemment évoqué; c’est une des manifestations pathologiques les plus courantes162. Annoncée par un frisson, caractérisée par une augmentation de la fréquence du pouls163, la fièvre peut être associée à d’innombrables qualificatifs pour désigner toutes sortes de maladies. Parmi les plus graves, il faut signaler la fièvre bilieuse164, les fièvres chroniques165, la fièvre catarrhale166, la fièvre d’accès, la fièvre de marécage, ou la fièvre maligne167. D’autres fièvres sont décrites plus grossièrement: la « grosse fièvre » ou la « fièvre de rhume » ou encore la « fièvre chaude »168. Cette dernière appellation signale une fois encore la difficulté de traduire des maux d’hier par des termes usuels aujourd’hui. Si cette nosologie comprend de nombreuses maladies fiévreuses, la fièvre résume avant tout un mal singulier qui demande encore à être qualifié en fonction

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tion de la médecine contemporaine: deux manières de défendre l’intégrité de soi. Stolberg 2003, pp. 39-40. Certaines maladies sont, ou étaient, lourdement connotées. Sontag 1990; Quétel 1984; Grmek 1990. La fièvre suffit parfois à désigner un état de santé, ailleurs elle figure parmi une liste de symptômes, voir plus haut pp. 84, 101, 109, 145, 182, 183, 215, 228 et 235. Voir p. 306 et suiv. Voir ici même pp. 236, 243 et 245. La différence entre les fréquences d’accès est connue, la fièvre tierce serait « moins tenace » qu’une fievre quarte*. Huguenot Society, Londres, Famille Deluc, Fdl 1/1, Jean-François Deluc à Jean-André Deluc, Amsterdam, le 13 août 1781. Cette maladie doit être placée parmi les « fluxions ». En effet, une « caterre » selon Furetière, est une « fluxion et distillation d’humeurs sur le visage, sur la gorge ou sur autre partie du corps ». D’un point de vue médical, la catarrhe est une fluxion allant de la tête vers les poumons. L’élément causal invoqué est l’excès de froid ou de chaud, French 1993. Voir plus haut, p. 154. Voir respectivement ici même p. 248; Rousseau et Tissot 1911, p. 34, JeanJacques Rousseau à Samuel Tissot, Bourgoin, janvier [1769]; BGE, Ms fr 4152, Suzanne Baux à Louis Odier, Genève, le 23 août 1773. Ici même pp. 83-84, 201 et 255.

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de symptômes (présents et passés). Le rhume est un second mal commun, courant en hiver, mais peu inquiétant et peu dangereux169. Le rhume s’explique aisément. C’est une « fluxion* causée par une humeur qui coule du cerveau »170, soit la pituite171. Le mal s’attrape par un temps froid et humide. « Le mauvais temps que j’essuyai en allant à la classe me donna un rhume » confie Frêne à son journal en mai 1780172. Le rhume est parfois confiné à la tête: « Un gros rhume de cerveau m’a empêchée d’aller à ma leçon de dessin », regrette Albertine de Saussure dans son journal173. Il peut se déplacer, voire même se transformer comme toute fluxion*. « Depuis mon retour d’Aix j’ai eu constamment une espece de fluxion dans la tête tantot sous forme de rhume de cerveau, tantôt sous celle de mal de dents et de mal aux yeux etc. et je sens qu’elle n’est pas encore à sa fin.»174 Le rhume peut aussi cohabiter avec d’autres maladies comme la fièvre. Son innocuité peut être trompeuse. Jean-Jacques Rousseau se souvient d’un épisode de sa vie à Paris. « Par la suite d’un rhume je gagnai une fluxion de poitrine dont je faillis mourir.»175 Souffrir d’un rhume est suffisant, dans certains cas, pour garder la maison, peutêtre pour éviter, justement, une détérioration ultérieure176. C’est un signe de mauvaise santé à ne pas négliger. D’autres fluxions sont moins anodines. Le catarrhe est proche du rhume, mais peut être plus grave. La « caterre » ou « catarre » selon les dictionnaires de langue est une fluxion « qui tombe sur quelque partie du corps »177. Elle est souvent corrélée avec des changements importants de température178. Bellamy se plaint pendant plusieurs

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Voir ici même, pp. 109, 125 et 126. Académie 1694. Appelée aussi phlegme, cette humeur froide et humide est produite par l’estomac et serait cause de rhumes. Académie 1694 et Furetière. Jnl Frêne, mai 1780, p. 1373. Le rhume de cerveau est un terme courant. Voir ici même p. 126. Charrière O. C., t. 2, p. 439, Claude de Narbonne-Pelet de Salgas à Isabelle de Charrière, le 22 octobre 1784. Rousseau 1959, p. 293. Frêne reste confiné à domicile pendant 3 semaines au cours de ses études, voir p. 135. Académie 1694. Furetière l’affirme et Renauldin le confirme dans l’article consacré à cette affection plus de cent ans plus tard dans le Panckoucke. Voir aussi French 1993.

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semaines d’un rhume avant de l’attribuer à une « humeur catharale » qu’elle associe à une série de maux dont un enrouement et des maux de bras et de tête179. Les catarrhes dont se plaint Bonnet à la fin de sa vie occasionnent, selon lui, à de l’asthme180. Le catarrhe est passager mais, comme le rhume, peut se transformer en une autre maladie. D’autres fluxions ont des conséquences plus graves. Le rhumatisme est de celles-là. Comme le rhume, il est associé à l’humidité, au froid et « se jette sur diverses parties du corps »181. Face à une telle fluxion, le malade doit se tenir au chaud. Ainsi, lorsque Saussure en est frappé, sa femme se réjouit de la chaleur ambiante: c’est l’été182. En automne, Isabelle de Charrière conseille un « gilet de la plus fine flanelle » pour un malade, « cela le garantira du froid de l’air, du froid de l’inaction après le chaud et la sueur du mouvement, en un mot du rhumatisme »183. L’année suivante, au mois de novembre, elle conseille au même de l’exercice, certainement pour l’échauffer; « la saison du rhumatisme est là » avertit elle184. Le terme de rhumatisme est employé facilement par les malades. Il désigne une douleur intérieure, une douleur caractéristique. « Les douleurs de ma sœur ont diminué mais n’ont pas encore cessé et elle a presque tous les soirs plus ou moins de fievre. Cela ressembleroit assez à du rhumatisme.»185 Le rhumatisme peut restreindre la mobilité du malade. L’abbé Durocher « est au lit très malade très triste, très plaignant. C’est pour le coup un pur rhumatisme mais si bien conditionné qu’il ne peut remuer ni pied ni patte »186. Le Landamann de Baar, lui aussi 179 180

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Voir p. 126. BGE, Archives Saussure 238/174, Charles Bonnet à H. B. de Saussure, mon côteau, le 4 février 1787. Furetière. Les Charrière s’inquiètent pour Alphonse de Sandoz, souffrant d’un rhumatisme général et confronté à la pluie. Charrière O. C., t. 5, p. 147, Isabelle de Charrière à Caroline de Sandoz-Rollin, s.l., le 5 octobre 1795. BGE, Archives Saussure 237/231 & 243, Amélie de Saussure à HoraceBénédict de Saussure, s.l., 21 et 26 juin 1794. Elle aurait elle-même utilisé de la flanelle lors d’un mal de hanche trois ans auparavant. Charrière O. C., t. 5, pp. 257 & 259, Isabelle de Charrière à Caroline de Sandoz-Rollin, s.l., les 15 & 24 octobre 1796. Charrière O. C., t. 5, p. 370, Isabelle de Charrière à Caroline de Sandoz-Rollin, s.l., le 4 novembre 1797. Charrière O. C., t. 5, p. 136, Claude de Narbonne-Pelet de Salgas à Isabelle de Charrière, Rolle, le 21 août 1795. Charrière O. C., t. 3, p. 322, Isabelle de Charrière à Henriette L’Hardy, s.l., le 1er décembre 1791.

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« afligé de rhumatisme » ne peut plus entreprendre de longues promenades187. Le rhumatisme peut être localisé dans différents emplacements corporels. Pendant quelques temps, Bonnet ne peut écrire, un rhumatisme s’étant « jetté » sur son bras188. D’autres malades souffrent des jambes189, la comtesse de La Rivière de la tête et de la clavicule190 et d’autres encore d’un « rhumatisme général ». C’est le cas d’Alphonse de Sandoz, « toutes les parties de son corps ont été successivement attaquées », ses maux sont « de ceux qu’on appelle aigus ou inflamatoires »191. Parfois, rhumatisme qualifie une douleur peu explicitée. « Il est certain qu’il se joint du rhumatisme à tous les maux de seins c’est ce que tous les chirurgiens m’ont assuré. Cela augmente les douleurs et par conséquent les inquiétudes quelles donnent.»192 Le rhumatisme est une maladie grave qui fait peur. Mme Pilet redoute d’en être atteinte. « Je crois que ma maladie est en partie un rhumatisme, dans ce cas je crois que je ne pourrois guères espérer de guérison.»193 Le couple Cart désespère de conserver un fils souffrant d’une maladie compliquée, caractérisée par l’inflammation du ventre et des jambes, dont ils espèrent que le « principe de rhumatisme » partira en même temps que l’eau194. Comme d’autres entités morbides, le rhumatisme peut évoluer pour devenir autre chose, une goutte par exemple195. Parmi les fluxions*, l’hydropisie est à la fois familière et redoutée. Furetière la caractérise comme une « enflure des membres du corps causée par une eau qui se coule entre cuir et chair » ou, quand elle est sèche, par des « vents ». Le mal est visible. Le marchand Butini, habitué à relever succinctement les maux et la mort de ses proches dans son journal, précise que sa tante Mallet, « est morte à la suite 187

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Charrière O. C., t. 4, p. 32, Henriette L’Hardy à Isabelle de Charrière, [Baar], les 13-15 avril 1793. Voir plus haut p. 84. Voir p. 278. Voir p. 449. Voir p. 176. Charrière O. C., t. 5, p. 91, Julie de Chaillet à Isabelle de Charrière, s.l., le 4 ou 5 mai 1795. FT, II/144.04.02.17, Marianne Pilet, Yverdon, le 18 juillet 1791. Voir ici même 212. BGE, Archives Saussure 237/233 & 243, Amélie de Saussure à Horace-Bénédict de Saussure, s.l., 26 juin 1794 et [5 juillet 1794] et ici même p. 365.

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d’une hydropisie »196. L’hydropisie peut résulter, selon un praticien consulté par Frêne, d’un nombre trop conséquent de saignées197. En 1798, une jeune Genevoise, Louise Dubois, se trouvant mal est étonnée, sentant « quelque chose » lui « sortir hors du corps ». Elle affirme, au cours de l’instruction lancée à la suite de l’étranglement de son enfant par le cordon ombilical, avoir ignoré être sur le point de devenir mère198. Son entourage, comprenant sa sœur, une voisine et un chirurgien qui l’avait examiné précédemment, était convaincu qu’elle souffrait d’hydropisie; une maladie dont sa propre mère serait morte199. Plus que de savoir ce que pensait ou ressentait cette femme au cours de sa grossesse, le plus significatif aujourd’hui est qu’elle ait pu convaincre ses juges, ainsi que le chirurgien Gabriel Cambessedès, de son innocence: « Après avoir sérieusement réfléchi sur la mort du dit enfant, je suis très persuadé qu’il ni a eut aucun mauvais dessin de la part de la mère, puisqu’elle ne croyait pas être enceinte.»200 L’hydropisie est, comme le signale la mort de la mère de Dubois, une maladie dangereuse. Jean-François Deluc en apprenant à son père la mort d’une cousine, y voit une source de consolation. « Je crois qu’elle est bien heureuse elle étoit hydropique, ensorte que si elle n’étoit morte à présent, elle aurait mené une fin de vie assez triste.»201 Les fluxions, et c’est un indice de la prépondérance du paradigme humoral, comptent parmi les maladies les plus dangereuses. Il en est d’autres comme l’apoplexie*, une maladie aux mécanismes obscurs. Elle « attaque le cerveau et […] oste tout à coup le mouvement » rapportent les éditions successives de l’Académie. Le mal « frappe » ou « attaque »; le recours à de tels verbes dénote la rapidité avec laquelle les malades sont terrassés202. C’est une des maladies citées dans ce dictionnaire pour expliciter l’usage médical de l’« attaque »203. 196

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AEG Archives de la Famille Butini 1538-1772/2, Journal Butini, le 9 mars 1759. Voir plus haut p. 142. D’autres parturientes affirmaient ignorer être enceintes. Castan 1991, p. 476; Duden 1991, pp. 159-160. Sur l’hydropisie, voir ici même p. 498. AEG, P.C. 16491, 1798, Rapport de Cambessedès, chirurgien, du 30/7/1798. Huguenot Society, Londres, Famille Deluc, Fdl 1/1, Jean-François Deluc à Jean-André Deluc, Genève, le 9 juin 1777. Par exemple, respectivement: Jnl Frêne, pp. 625 & 1303. Les laïcs l’utilisent souvent en conjonction avec l’apoplexie, Jnl Frêne, pp. 651, 771, 1434 et 2427.

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Celle-ci n’est pas toujours mortelle. « Son affaire alloit assès bien », rapporte Frêne du pasteur Himely, victime d’une apoplexie204. Les maladies foudroyantes sont comparées à l’apoplexie. Au début du mois de septembre 1793, par exemple, Frêne a la satisfaction de recevoir la visite d’une connaissance, M. Weber, « relevant d’une maladie dont il avoit été attaqueé à la façon d’une apoplexie »205. A la rapidité de l’apoplexie s’oppose la lenteur d’une autre maladie sérieuse: la maladie de langueur*. La langueur désigne d’abord un état proche de l’abattement et de la faiblesse206. Elle s’accompagne d’épuisement et peut annoncer une menace morbide sérieuse pour la santé: une maladie de langueur. Les maladies de langueur sont, à en croire Tissot, des maladies résultant essentiellement d’une faiblesse de constitution207. Il s’agit d’une maladie embrassant l’ensemble de l’être. La langueur de Rousseau est clairement, à ses débuts, un état de faiblesse. L’association de cet état avec des troubles de poitrine incite Rousseau à redouter une phtisie208. C’est pourtant en « tristesse » que la maladie se « transforme »209, pour devenir ensuite une véritable « maladie de langueur », répondant alors parfaitement à la définition de Furetière, soit une « diminution des forces » causée par une maladie lente et associée à une fièvre chronique. Cette maladie n’est-elle pas à corréler avec l’âge et le sexe? Rousseau, comme Bonnet et Frêne, en souffre au début de l’âge adulte210... Maux repoussants, mots rassurants Au-delà de la dangerosité des états de santé, la nature de la maladie affecte la représentation sociale du malade. La catégorie de maux la plus apparente est celle qui est connotée négativement211. Les

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Jnl Frêne, p. 1303. Jnl Frêne, pp. 2745-2746. Voir p. 315. Tissot écarte les remèdes violents et prône la prévention, Tissot 1993, chap. 34. Rousseau 1965/1998, t. 1, p. 25, Jean-Jacques Rousseau à Isaac Rousseau, [printemps 1735]. Rousseau 1959, p. 223. Voir ici même pp. 74 & 136. Michael Macdonald signale un pourcentage élevé (36%) de malades âgés de 20 à 30 ans et souffrant de dérangements mentaux dans la clientèle de Richard Napier, MacDonald 1981, p. 41. Peter 1986, p. 67.

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affections de la peau suscitent, selon Louis Odier, et sans jeux de mots, un rejet épidermique. C’est une réalité confirmée par de nombreuses sources. Le nombre important d’admissions à l’Hôpital genevois de malades souffrant de maladies cutanées212 ou encore le fait que Belle de Zuylen considère la « galle » comme peu « honnête » et que Frêne la qualifie comme une « vilénie » en attestent213. Un bon exemple de l’impact de ce type de maux est offert par les De la Rive et les Saussure qui se reconnaissent une propension aux dartres, caractéristique qui influence à la fois la façon dont ils se perçoivent et leurs stratégies de santé. Outre l’aspect physique repoussant et une référence possible au mal infligé par Dieu à Job, la qualité héréditaire prêtée à ces maux justifie leur forte stigmatisation sociale214. Le même facteur héréditaire est invoqué pour expliquer le rejet des malades de la poitrine qui crachent du sang. Etre poitrinaire engage dans tous les cas à envisager sa fin comme proche. « Je souffre beaucoup de ma poitrine, quand je fais le fanfaron je me dis tant mieux cela sera plutôt fini et puis d’autres fois je regrette un peu de voir terminer si promptement une carrière que je m’etais flatté dans des moments plus heureux de rendre agréable à mes amis, douce aux autres et utile à moi – j’ai toujours eu la poitrine très faible.»215 Les enfants Lullin et la mère d’Horace-Bénédict de Saussure sont les victimes de maladies de la poitrine. La façon dont les familles abordent cette épreuve tend à nier que leurs membres souffrent de phtisie et donne la mesure des limites de la nosologie: chacun souffre d’une maladie singulière… La singularité des maladies répond à celle des corps et permet ainsi au malade et à ses proches d’élaborer une interprétation moins dramatique du corps malade, une lecture qui peut être cautionnée par des praticiens. Encore en 1768, alors que son frère Diederik tousse et maigrit, sa sœur l’encourage à se soigner, mais écrit à un autre frère: « Cette toux, cette maigreur et ce teint brouillé me faisoient beaucoup de peine; il n’y a pourtant aucune 212 213

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Louis-Courvoisier 2000, pp. 47-51. Voir ici même p. 351 et Charrière O. C., t. 2, p. 155, Belle de Zuylen à Constant d’Hermenches, Utrecht, le 7 novembre 1769. La présence héréditaire « d’humeurs froides » à Chambéry est une variable invoquée dans la discussion sur l’opportunité pour Belle de Zuylen d’épouser le marquis de Bellegarde. Voir ici même p. 394. Charrière O. C., t. 4, p. 306, Camille de Malarmey de Roussillon à Isabelle de Charrière, Kisen, vendredi [3 janvier 1794].

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raison de s’inquieter, la poitrine est sans atteinte, tous les medecins l’ont dit et le disent »216. Du point de vue des malades et de leurs proches, plutôt que de nommer la maladie de chacun, ce qui importe en premier lieu c’est l’espoir d’une stabilisation de l’état de santé. L’état présent, l’accident récent sont connus; les suites demeurent obscures217. Y a-t-il lieu de s’alarmer, y a-t-il du danger? Ce sont des interrogations courantes. « Je me porte assez mal » écrit Charles Chaillet, avant de préciser, « non pas dangereusement, mais je soufre »218. Le désir de connaître l’issue de la maladie justifie l’importance dont bénéficiait alors le pronostic. Du point de vue des malades et de leur entourage, cet art est plus important que celui du diagnostic219. Les premiers signes d’un mal-être déstabilisent, non seulement à cause du mal en soi, mais également en raison des suites possibles. Ami Lullin, alors qu’il vient de quitter son ami Abraham de Crousaz à Morges, évoque le cas de son valet « qui se portoit bien et qui mal à propos s’etoit effraié d’un simple acces de fièvre qui n’a pas eu de suite »220. L’expertise médicale a ici essentiellement la fonction de rassurer. « M. Tissot a donné a ma sœur les meilleures esperances au sujet de ses yeux », se réjouit Charles-Emmanuel de Charrière dans une lettre à sa future femme221. Benjamin Constant est souffrant et confiné à domicile en automne 1793; le praticien consulté, Abram-Frédéric Scholl lui promet qu’il sera « parfaitement rétabli » au terme de quinze jours222. Dix jours plus tard, Constant n’a plus foi en cette promesse223. C’est 216

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Charrière O. C., t. 2, p. 100, Belle de Zuylen à Vincent Maximiliaan Tuyll van Serooskerken, s.l., le 1er août 1768. Par exemple, Huguenot Society, Londres, Famille Deluc, Fdl 1/1, JeanFrançois Deluc à Jean-André Deluc, Amsterdam, le 18 mars 1780. Charrière O. C., t. 5, p. 233, Charles Chaillet à Isabelle de Charrière, s.l., [avril 1796]. Le « diagnostic rassurant » n’est pas aussi systématiquement rassurant pour le malade que l’infèrent les Porter et Robert Jütte. Jütte 1992, p. 28; Porter et Porter 1988, p. 134. BCUL Dorigny, Fonds de Crousaz, VII/273, Ami Lullin à Abraham de Crousaz, Geneve, le 1er mars 1735. Charrière O. C., t. 2, p. 189, Charles-Emmanuel de Charrière à Belle de Zuylen, Colombier, le 28 mai 1770. Charrière O. C., t. 4, p. 227, Benjamin Constant à Isabelle de Charrière, [Lausanne], les 16-18 octobre1793. Charrière O. C., t. 4, p. 243, Benjamin Constant à Isabelle de Charrière, Lausanne, le 28 octobre 1793.

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en sa qualité de pronostiqueur que le praticien est le plus écouté, mais aussi le plus vulnérable. Mlle Johannot « est mieux », rapporte Jean-François Deluc à son père, « elle a été bien mal, mais le médecin assure qu’à présent elle recouvrera sa première santé.»224 Les praticiens n’hésitent pas à formuler un avis négatif ou à « abandonner » les malades dont l’état est jugé irrémédiable225. Le plus choquant pour les laïcs est le décès inattendu. « J’ai eu le malheur de perdre ma mere », écrit la belle-sœur d’Isabelle de Charrière, « une perte qui m’à afligé au dela de toute expression et d’autant plus qu’elle m’a surprise, ne croiant pas sa maladie dangereuse du tout »226. Une série de termes rassurent quant à l’évolution de l’état du malade, ils sont associés à un pronostic favorable. Les affections caractérisées par un suintement ou un écoulement d’un fluide corporel, notamment les hémorroïdes et les éruptions cutanées, sont perçues comme les remèdes naturels à un mal intérieur227. Les maux situés aux extrémités du corps, notamment aux membres, forment une seconde catégorie rassurante. Le frère d’Isabelle de Charrière mentionne deux symptômes en novembre 1768, un retour de toux et une enflure au pied. La succession des symptômes dans son récit laisse entendre que le mal migre vers un emplacement peu vulnérable, se transformant ainsi au passage en maladie moins grave. La réponse d’Isabelle signale le poids de cette géographie des symptômes. « Cette rechute, cette toux recommencée avec violence, cette copieuse saignée, c’etoit là un facheux presage de votre lettre; heureusement la convalescence et l’enflure au pied suivent de près ». Et encore: «Votre lettre nous a fort rassurés et m’a fait en particulier un plaisir inexprimable. J’aurois sauté avec votre medecin de cette enflure au pied, et pour lui faire honneur les titres qu’il lui a donnés ne m’auroient pas encore parus assez longs ni assez importans »228. 224

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Huguenot Society, Londres, Famille Deluc, Fdl 1/1, Jean-François Deluc à Jean-André Deluc, Amsterdam, le 2 octobre 1780. Charrière O. C., t. 2, p. 196, Constant d’Hermenches à Belle de Zuylen, Huningue, le 3 juillet 1770. Charrière O. C., t. 2, p. 481, Dorothea Henriette van Tuyll van Serooskerken-de Pagniet à Isabelle de Charrière, Kermestijn, le 10 août 1785. Voir plus haut p. 321 et suiv. Charrière O. C., t. 2, pp. 127-128¸Belle de Zuylen à Diederik Jacob Tuyll van Serooskerken, Zuylen, le 7 novembre 1768.

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Une fluxion* particulière, caractérisée par une « humeur acre sur les articulations ou jointures du corps » selon Furetière, est celle qui incarne systématiquement cette logique. La goutte est la maladie qui préserve d’autres maladies229. Le corps médical félicite le patient souffrant de la goutte !230 La goutte au pied pouvait être bénéfique, mais la maladie n’était pas sans ambiguïté. Un curiste à Loèche redoute que son rhumatisme ne se transforme en goutte. Il a de bonnes raisons pour cela. La fluxion qui en est responsable peut se déplacer vers un emplacement corporel plus vulnérable. Les exemples sont légion. « Il n’avait auparavant la goutte qu’aux pieds », écrit la femme du comte Golowkin, « depuis ces bains elle se répandit sur tout le corps »231. Albrecht de Haller le constate par lui-même: « Mon mal m’a paru une goutte déplacée, et renvoyée à l’estomac, mais d’une force médiocre.»232 Et son correspondant d’exprimer un souhait partagé par tous les acteurs de la santé: « Cette goutte dont vous me parlés me fait de la peine; je n’aime pas qu’elle change de place. Dieu veuille qu’elle ne se porte jamais de la circonference au centre.»233 Parmi les maux à connotation positive, il faut mentionner l’asthme. C’est un mal aux contours mal définis, mais généralement identifié par les malades eux-mêmes. Il se caractérise par une « difficulté à respirer » selon les lexicographes de l’époque. Furetière en mentionne plusieurs sortes: « Maladie du poulmon, courte haleine, difficulté de respirer, ou une frequente respiration sans fievre, comme celle de ceux qui ont couru trop vite.» Du point de vue des laïcs, il est le plus souvent associé à l’oppression, terme signifiant la sensation d’un poids sur la poitrine assortie d’une difficulté à respirer234. Asthme et oppression sont apparemment des termes inter-

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Porter et Rousseau 1998. ACV, P Charrière, Bj 525, Théodore Tronchin à Mme de Mex, s.l., 28 août 1756. Charrière de Sévery 1928, pp. 50-51, comtesse Golowkin à Tissot, Berlin, le 13 juin [1766]. Corr. Haller, p. 454, Albrecht de Haller à Charles Bonnet, Berne, le 15 décembre 1765. Corr. Haller, p. 456, Charles Bonnet à Albrecht de Haller, Genthod, le 16 décembre 1765. Pour une esquisse de l’histoire de l’asthme, voir Major 1953.

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changeables235. Amélie Odier s’inquiète de voir son père en souffrir: « Combien j’ai besoin de me repeter souvent que cette maladie est un brevet de vie !»236 C’est bien là une indication du fait qu’un symptôme ou une série de symptômes peuvent augurer d’un mieux: en définitive ce n’est pas le nom de la maladie qui inquiète, c’est l’issue. Certains malades se définissent eux-mêmes asthmatiques. C’est le cas de Salomon Charrière de Sévery dont les crises ponctuent le journal de sa femme pendant des décennies237. L’asthme peut aussi être un malaise passager, c’est ainsi qu’il se présente dans les parcours de Louise de Corcelles238 et de Charles Bonnet239. Comme d’autres maladies, le danger principal est de le voir prendre racine. Pour les asthmatiques, le médecin Louis Odier préconise du camphre et du miel pour soulager le malade ou, régime sudorifique de Dover240 ou « tout autre moyen qui pourrait changer la constitution de la malade »241. Maux «collectifs»242 Les maladies les plus fréquemment nommées, celles qui sont invariablement associées à des symptômes spécifiques, sont des maladies épidémiques243. Les modalités de leur diffusion sont rarement

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Jnl Sévery, les 5, 24 et 28 octobre ainsi que le 31 décembre 1770 et le 6 mai 1771. BGE, Ms fr. 5641/214, Amélie Odier à Mme Bochsa, le 18 avril, La Malmaison. Jnl Sévery, le 14 septembre 1773, les 28 septembre et 28 novembre 1774, les 16 avril, 13 mai et 12 juin 1786, le 28 juillet 1787 et le 14 août 1790. Voir aussi ici même p. 213 (n. 10). Sur Corcelles, voir p. 166. Voir p. 88. Il donne lui-même la composition de cette préparation populaire dans Odier 1811, p. 402. BGE, Ms fr 4158, Louis Odier à Daniel De la Roche, [Genève], 26 décembre 1793. Cette section prolonge une réflexion développée dans Rieder 1998b. Le terme peut être associé à la contagion selon Furetière, mais il est imprécis. La définition de l’Académie 1762 est intéressante: « Attaque générale ou populaire de quelque maladie qui dépend d’une cause commune et accidentelle, comme l’altération de l’air ou des alimens ».

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analysées. L’usage fréquent du terme de « contagion »244 signale la communication possible de la maladie par le contact avec un malade. Associé à un lieu, la contagion désigne une épidémie245. Les attitudes et les stratégies des contemporains attestent des différentes manières d’appréhender la propagation des épidémies. La diffusion miasmatique des maux par l’air est alors une interprétation courante et entraîne le recours à d’autres odeurs pour les combattre246. Les parfums forts comme le musc portaient des risques sanitaires alors que des parfums végétaux, plus doux, protégeaient des odeurs malsaines247. Ainsi, lors de son séjour au Danemark au printemps 1763, Salomon Charrière de Sévery constate que « l’air n’est pas sain et qu’il y avait une contagion ». Dans le dessein de se préserver, il embaume tous les jours son appartement avec du parfum de bois de genièvre248. L’expérience individuelle et collective incitait à identifier les maladies dangereuses propres à chaque lieu. Cela dit, les critères mobilisés pour évaluer le danger sont individuels et parfois étonnants. Frêne s’inquiète particulièrement, par exemple, du sort de son beau-frère, malade de la petite vérole, étant donné que ce dernier était alors âgé précisément de 29 ans !249 Les maux collectifs sont définis empiriquement: ils désignent un grand nombre de malades souffrant simultanément dans un espace déterminé. De fait, plusieurs malades souffrant de maux similaires dans une même localité suffisent pour que la réalité d’une épidémie soit attestée. Sa nature n’est pas toujours précisée. Nicolas Théodore de Saussure rapporte avoir été « un peu tourmenté pendant quelques jours par des douleurs de colique », un « mal » qu’il aurait eu « en 244

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Contagion: « mal qui se gagne par communication » selon Furetière et « communication d’une maladie maligne », selon l’Académie 1762, t. 1, p. 380. Par exemple, la « contagion d’Utrecht »: Charrière O. C., t. 1, p. 44, JeanneLouise Prévost à Belle de Zuylen, Genève, le 20 avril 1754. Corbin 1986, pp. 72-78. Isabelle de Charrière assure une amie de ne pas avoir souffert de son parfum (musc), mais s’inquiète des effets de ce parfum sur la santé de cette dernière. Charrière O. C., t. 5, p. 325, Isabelle de Charrière à Isabelle Gélieu, s.l., le 28 juin [1797]. Lettre du 12 avril 1763, citée dans Charrière de Sévery 1978, t.1, p. 104. Le même parfum est utilisé chez les Gélieu lors de l’inoculation* d’un des enfants. Charrière O. C., t. 6, p. 53, Isabelle de Charrière à Isabelle Gélieu, s.l., le 19 avril 1800. Jnl Frêne, p. 1006.

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commun avec plusieurs habitants de Rolle ». La saison, la fin de l’été, place cette épidémie dans le processus normal des choses250. Les diarrhées d’automne étaient fréquentes, même si elles ne frappent pas toujours précisément en automne251. Le lieu et une alimentation de mauvaise qualité seraient la cause d’une « espèce de fièvre billeuse » dont souffre Judith de Saussure; « il y en a eu beaucoup dans le quartier de Rive » précise sa belle-sœur252. Les laïcs sont ainsi capables d’identifier non seulement la nature épidémique d’une maladie, mais parfois également ses causes. La même maladie présente dans différents corps en même temps s’explique par l’assujettissement des corps aux mêmes phénomènes. Dès la fin du XVIIe siècle, les épidémies font l’objet d’études statistiques, ce sont les premiers travaux où le vécu individuel du malade s’efface devant l’étude de la maladie253. Les maladies épidémiques ont contribué à façonner la notion vague de maladie en une série d’entités cohérentes254. Les maladies épidémiques sont pourtant d’abord des menaces pour chaque individu. Les réseaux sociaux sont mis à l’épreuve, voire cassés, face au danger. Les modalités de la diffusion de la maladie ne sont pas toujours claires et, au moindre doute, le malade peut être placé à l’écart en raison de sa dangerosité pour autrui: « Un peu d’enflure et beaucoup de rougeur à l’oreille droite et à la joue, ont eté honnorés du beau nom d’eresipelle et jugée contagieuse », écrit Suzanne Moula alors en service dans la famille royale anglaise, « consequemment pendant trois jours j’ai eté prisonniere dans mon galetas »255. L’isolement peut être ressenti comme un abandon. Belle de Zuylen, inoculée des années plus tôt, se plaint de l’attitude de la bonne société à son égard alors qu’elle passe ses journées avec son

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BGE, Archives Saussure 238/91, Nicolas Théodore de Saussure à HoraceBénédict de Saussure, Rolle, le 29 août 1795. La diarrhée frappe bien Mme Frêne en octobre 1763, mais également Charles Bonnet en avril 1755. Jnl Frêne, pp. 391-392; ici même p. 84 (n. 101). BGE, Archives Saussure 237/233, Amélie de Saussure à Horace-Bénédict de Saussure, s.l. [Genève], 26 juin 1794. Riley 1987. Voir aussi le débat autour de l’inoculation*, notamment Brockliss et Jones 1997, pp. 471-472. Sigerist 1961, p. 105. Pour un bibliographie, voir Harley 1999, pp. 416-417. Charrière O. C., t. 2, p. 421, Susette Moula à Isabelle de Charrière, Windsor, le 17 juillet 1783.

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amie Mme d’Athlone dans une maison où trois enfants venaient d’être inoculés256. Elle est identifiée comme un vecteur possible de la maladie et son horizon social s’en ressent: « Tout le monde avoit ridiculement peur d’une contagion dont je n’etois pas infectée car je ne voyois dans cette maison que Mme d’Athlone et l’enfant. Mme de Golofkin et son mari se sont joliment distingués en ma faveur ils sont comme ma sœur et Mme de Rosendael pour les raisons d’avoir peur, leur enfant n’a pas eu la petite vérole cependant ils m’ont invité a souper a diner avec toute l’aisance et la politesse possible »257. Surmonter sa peur de tomber malade soi-même peut être l’occasion d’affirmer un attachement pour une personne. Les démographes décrivent la deuxième moitié du XVIIIe siècle comme étant peu perturbée par de grandes maladies épidémiques dans la région lémanique258. La dernière épidémie de peste européenne d’Ancien Régime, celle de Marseille en 1720, ne l’atteindra pas. Si certains pasteurs présentent encore l’événement comme une punition divine, c’est une corrélation qui ne convainc plus259. Le lien entre les maladies et Dieu persiste implicitement, mais les causes des maux épidémiques sont dès lors cherchées plus souvent dans l’environnement naturel260. L’arc lémanique sort de ce que Claudine Herzlich et Janine Pierret qualifient comme « l’ancien régime du mal »261. Il se trouve dans une phase de transition démographique caractérisée par une augmentation importante de la population262. Les données démographiques permettent d’établir plus précisément le contexte sanitaire263. La maladie la plus meurtrière est la petite vérole (variole) dont les crises chroniques reviennent tous les 4 à 5 ans et emportent un quotient important

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Charrière O. C., t. 2, p. 67, Belle de Zuylen à Diederik Tuyll van Serooskerken, Utrecht, le 21 décembre 1767. Charrière O. C., t. 2, p. 72, Belle de Zuylen à Diederik Tuyll van Serooskerken, s.l., le 14 janvier 1768. De manière notable dès 1670. Riley 1989, p. 110. Maurice 1722. Par exemple, Jnl Frêne, p. 214. Herzlich et Pierret 1984, p. 23. Riley 1989, pp. 102-127; McKeown 1976; Smith 1993, p. 1674. Les méthodes de travail des auteurs sont différentes. Eugène Olivier s’appuie essentiellement sur les rapports médicaux (et les statistiques de mortalité) alors que Perrenoud et Sardet basent leur étude sur le Livre des morts genevois. Les deux études convergent dans leur respect de la terminologie d’Ancien Régime.

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d’enfants: la maladie est responsable d’un peu plus de 10% des décès à Genève264. Les autres maladies infantiles comme la rougeole et la scarlatine sont bien moins meurtrières265. Les quelques maladies épidémiques qui touchent l’ensemble de la population répondent à un fort mouvement saisonnier. Les pleurésies* règnent en hiver et au printemps (mars-mai)266, alors que la petite vérole frappe le plus souvent de juillet à septembre267, où elle côtoie des « diarrhées » et des « dysenteries »268. D’autres épidémies sont qualifiées comme des « fièvres putrides » ou des « fièvres malignes » et n’obéissent pas à un calendrier particulier. La capacité de comprendre la nature d’un mal épidémique et d’éviter d’en être la victime sont alors des facteurs de survie. Parmi les affections épidémiques reconnues figurent les maladies infantiles (rougeole, scarlatine, petite vérole), les maladies d’automne (diarrhées et dysenteries) et les pleurésies*. Une des caractéristiques de la première catégorie est l’immunité assurée à celui qui avait survécu à la maladie. Certains individus qui n’ont pas eu la petite vérole dans leur enfance passent leur vie d’adulte à fuir les lieux où la maladie règne et à éviter tout contact avec des personnes malades269. Le danger de contagion indirecte était reconnu. Ainsi, Frêne cherche à protéger son beau-frère qui « évite tant qu’il peut cette maladie qu’il n’a pas eue encore ». Avant de lui rendre visite, il fait attention de ne pas s’arrêter auprès des « enfans de la Chatelane-

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Perrenoud 1979, pp. 455-466 & 464-465. Perrenoud 1979, p. 478. La pleurésie est caractérisée par la difficulté à respirer, une fièvre et une douleur de côté (voir ici même p. 144). Perrenoud et Sardet 1991, p. 282, fig. 8; Olivier signale une pleurésie maligne en mars 1762 (les Ormonts, Leysin, Aigle, Pays-d’Enhaut), une pleurésie maligne en février-mars 1763 (Pays-d’Enhaut), une pleurésie putride en janvier-mai 1765 (Lausanne), etc. Olivier 1939/1962, t. 2, pp. 1144-1189. L’aspect saisonnier est moins fort au XVIIe siècle et dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle. Voir Perrenoud 1979, pp. 475-477. Perrenoud et Sardet 1991, p. 277. La liste des épidémies établie par Eugène Olivier confirme cette configuration. La dysenterie sévit à la fin de l’été dans divers endroits (1704, 1726 1741, 1743 1749, 1750, 1755, 1765, 1768, 1771, en hiver 1766, en automne et en hiver 1769, 1771, etc. Olivier 1939/1962, t. 2, pp. 1144-1189. Charrière O. C., t. 2, p. 449, Susanne Moula à Isabelle de Charrière, Windsor, le 9 janvier 1785.

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rie [qui] poussoient la petite vérole »270. La tante d’Horace-Bénédict de Saussure agit de même en évitant ses petits-neveux après leur inoculation*: une de ses amies ne l’aurait pas eu271. Les autres maladies infantiles font nettement moins peur. Si certains adultes évitent d’entrer en contact avec les malades272, la rougeole semble être abordée plus souvent avec un certain fatalisme273. L’issue de la maladie était rarement fatale, mais pouvait être grave. Une des filles de la cousine d’Isabelle de Charrière l’a sans complications, alors qu’une autre se trouve en « danger » pendant plus de dix jours274. La nature de la maladie était reconnue à l’apparition des boutons. « Friedrich », écrit Mme Perregaux, « na pas poussé la rougeole je crois qu’il n’aura qu’un très violent rhume ». Pourtant, quelques jours plus tard, la même reprend: « Grace au ciel Friedrich poussa hier dans l’après midi la rougeole. Il en est couvert.»275 Le soulagement s’explique à la fois par le fait que la rougeole n’était pas redoutée et que l’apparition des boutons signale le début de l’élimination de la maladie. Les certitudes demeurent peu nombreuses et les surprises courantes. En avril 1783, Kitty Fabry se croit immunisée pour avoir eu la rougeole antérieurement, mais tombe malade au même moment que ses sœurs276. De toute évidence, l’identification des maladies infantiles demeure approximative. L’assujettissement nécessaire des corps au même environnement et aux mêmes phénomènes climatiques est une cause explicative souvent avancée pour expliquer des phénomènes épidémiques. Une « fièvre pestilentielle » qui menace Turin au cours de l’hiver 17941795, par exemple, serait contenue par le froid, selon Jean-Pierre Chambrier d’Oleyres277. Parfois, la nature contagieuse d’une épidé-

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Jnl Frêne, p. 2085. Elle s’inquiète également pour elle-même. BGE, Archives Saussure 238/168 &192, Charles Bonnet à Horace-Bénédict de Saussure, Genthod, le 9 décembre [1786] & Marie-Jeanne Bonnet à Horace-Bénédict de Saussure, s.l., s.d. [1771]. Voir l’attitude de la veuve Klos, ici même p. 199. Voir ici même p. 134 (n. 67). Voir p. 199. Charrière O. C., t. 5, pp. 278-279, Charlotte Louise de Perregaux-de Gaudot à Isabelle de Charrière, s.l., les 16 et 20 décembre [1796]. Saussure 1939/1940, n° 10, pp. 82-86, du 16 au 19 avril 1783. Charrière O. C., t. 5, p. 37, Jean-Pierre Chambrier d’Oleyres à Isabelle de Charrière, Turin, le 15 janvier 1795.

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mie est redoutée. Certains maux touchent des maisonnées entières. Une « fièvre » ou « fièvre millière » règne au Chêne278 en 1773 et tous les habitants en sont malades. Catherine Charrière de Sévery les évite, de « crainte d’apporter cette fièvre » à ses enfants279. Solidement retranché dans son village, Théophile Rémy Frêne analyse avec soin les menaces sanitaires qui l’entourent. Outre les maladies infantiles, il redoute les épidémies de pleurésie* en fin d’année. Frêne attribue une première épidémie de pleurésie à une maladie qu’un de ses amis aurait rapportée de Bienne en décembre 1755. La suite signale le danger inhérent aux déplacements non seulement pour soi, mais également pour ses voisins: en un mois, quatre villageois en meurent « de sorte que chacun etoit en allarme ». Les années suivantes, Frêne constate les retours réguliers de cette maladie contagieuse en fin d’année et comptabilise les victimes. Ses observations l’incitent à conclure que cette maladie touche plus les hommes que les femmes280. Les crises s’inscrivent dans le rythme du village, elles sont attendues et le diariste ne manque pas de constater, le cas échéant, leur absence à la fin de l’année281. La pleurésie pouvait également être induite par un comportement inadéquat. Un rhume mal soigné, ou encore un excès d’exercice sont des causes fréquemment avancées. La femme d’Horace-Bénédict de Saussure incite son mari à éviter les déplacements et l’exercice à cheval de peur que son rhume ne dégénère en pleurésie282. La non compliance à de telles injonctions peut être jugée fatale. La mort du compagnon de Mme de Warens, Claude Anet (1697-1734), serait due à une course « en haut des montagnes pour aller chercher du génipi […], [il] s’échauffa tellement qu’il gagna une pleuresie »283. Si les malades peuvent se sentir responsables de leur pleurésie, il n’en est pas de même de ceux qui souffrent de la dysenterie dont la propagation paraît inexorable. 278

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Plusieurs localités vaudoises portent le nom de Chêne. Un hameau sur la commune de Perroy ou la commune Chêne-Pâquier dans la commune de Molondin. Dict. historique, géographique, t. 1, pp. 415-416. Jnl Sévery, du 25 au 27 septembre 1773. Jnl Frêne, pp. 214-215. Jnl Frêne, p. 232. BGE Archives Saussure 237/109, Amélie de Saussure à Horace-Bénédict de Saussure, Rolle, s.d. [1767]. Un exemple proposé dans l’Académie 1694 confirme cette interprétation: « Il s’est tellement échauffé qu’il en a gagné une pleurésie »; Rousseau 1959, p. 205.

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Le terme désigne parfois la diarrhée, un mal plus ambigu284. La « vraie » dysenterie sévit généralement à la fin de l’été. Au cours des années 1760, alors que Frêne est père de famille, il réunit dans son journal les données qu’il récolte au quotidien et offre des commentaires sur l’étendue du mal et le nombre de victimes285. Présente dans la région depuis deux mois, l’épidémie se rapproche en octobre 1766 et suscite une grande « allarme ». Le 22 octobre, il fait prendre à sa femme et à ses enfants de la rhubarbe, un remède purgatif « comme un préservatif contre la dysenterie »286. La dysenterie peut également être confinée dans un espace particulier, un village ou une grande maison. Le 29 août 1771, Catherine Charrière de Sévery constate lors d’une visite qu’« il règne à Lisle une horrible dissentrie ». Comme Frêne, elle purge son fils à titre préventif et soigne un domestique malade selon les recommandations de l’Avis au peuple287. L’année suivante, alors que la saison est plus avancée, la dysenterie se manifeste à nouveau. Mme de Charrière s’en inquiète, la maladie « regne encore dans quelques endroits des montagnes et emporte beaucoup de gens »288. Si les Frêne et les Charrière de Sévery consultent l’ouvrage du médecin Tissot lorsqu’ils sont confrontés à ces épidémies, ce n’est pas là qu’ils trouvent l’idée de purger afin de prévenir la dysenterie. L’auteur de l’Avis au peuple propose tout simplement de manger des fruits, un moyen moins violent d’atteindre un effet similaire289. C’est donc les Frêne et les Charrière de Sévery eux-mêmes qui décident de procéder à des purgations. L’évocation de la progression chiffrée des victimes, la lecture de livres de vulgarisation, la prise de remèdes préventifs, témoignent du fait que ces laïcs cherchent par eux-mêmes à comprendre l’épidémie et, surtout, à prendre des mesures pour s’en prémunir. L’incertitude qui caractérise les modalités de propagation des épidémies rend la prévention difficile. Deux affections, la gale et la petite vérole, incarnent à elles seules deux extrêmes du spectre épi284 285 286

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Jnl Frêne, p. 10. Jnl Frêne, pp. 489 et 497. Pour cet épisode particulièrement inquiétant de la santé de sa femme, voir p. 222 et suiv. Jnl Sévery, le 29 août 1771 et les 2 & 3 septembre 1771. Charrière O. C., t. 2, p. 287, Isabelle de Charrière à Diederik Tuyll van Serooskerken, le 21 octobre 1772. Tissot 1993, § 338.

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démique et les récits qu’elles occasionnent illustrent la palette des stratégies laïques adoptées. La gale est une maladie de la peau à la fois bénigne et courante, mais extrêmement désagréable et contagieuse. A chaque fois qu’il en souffre, Frêne parvient à identifier la personne qui lui avait communiqué la maladie. Pourtant, en décembre 1764, lorsque sa fille est affectée, il rapporte que la maladie était « causée aparemment par son changement de sejour ». Ce n’est donc pas seulement par le contact avec un malade que la gale se répand290. Le fait de l’avoir généré spontanément n’empêche pas que la malade ne la transmette ensuite aux autres membres de sa maisonnée, une possibilité qui inquiète son père. « Moyennant la grace de Dieu et l’ordonnance de M. le Docteur Scholl, elle fut avant le commencement de l’année delivrée de cette vilenie.»291 La seconde menace épidémique, la petite vérole, ne peut être ignorée. Elle était la plus meurtrière des maladies épidémiques en Europe au XVIIIe siècle. Le schéma cyclique et la classe d’âge cible de cette maladie, les enfants, sont identifiés par les contemporains comme par les historiens de la démographie. Pierre-Elisée Maurice (env. 1700-1785), un médecin originaire de France, prépare à l’intention de la famille de Chandieu un mode de vivre pour les enfants. « La petite vérole étant une maladie dans laquelle la préparation est absolument nécessaire, comme cette épidemie est toujours regnante les personnes susceptibles de quelqu’accidents et particuliérement les enfans qui ne l’ont pas eu doivent être présumés susceptibles comme devant l’avoir.»292 Comme il n’est pas possible de fuir, le mieux à faire était de préparer l’enfant à supporter l’épreuve et à le soigner pendant sa maladie. L’histoire de la santé du jeune Théophile Rémy Frêne dont les grandes lignes ont été rapportées plus haut, ne permet pas d’éclairer comment les membres de sa famille concevaient le passage de la 290

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Isabelle de Charrière conseille d’inspecter les draps dans les auberges et d’y dormir habillé pour éviter « la gale et d’autres vilaines choses ». Charrière O. C., t. 5, p. 559, Isabelle de Charrière à Willem-René van Tuyll van Serooskerken, le 26 mars 1799. Jnl Frêne, p. 423. La préparation de Maurice comprend une saignée, un émétique et un remède composé de thiops minéral, du succin et de cochenille. Les soins que préconise ce même praticien en cas de maladie comprennent: une saignée, une potion calmante, un régime (bouillons), une crème pour les lèvres et « l’eau de famille » pour prévenir les marques. ACV, P Charrière Ce 4, Morisse, Ordonnance pour la petite verolle.

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petite vérole d’un individu à l’autre, mais atteste du fait que les parents disposent de peu de moyens pour protéger leur fils. Ils s’interdisent de l’entraîner dans les lieux où règne la maladie, mais ne peuvent lui éviter le danger lorsque l’épidémie frappe leur village. D’autres, plus aisés, jouent à cache-cache avec la maladie jusqu’au moment jugé opportun pour l’inoculer* à leur enfant293. La petite vérole n’est pas redoutée uniquement en raison de sa létalité. La maladie pouvait affecter la vue ou encore, affaiblir irrémédiablement un état de santé. Les deux étapes de la dégradation de la santé de Jean Antoine Lullin, une fièvre quarte* et une « phtisie », sont comprises comme étant des conséquences de sa petite vérole. Outre la mort, le risque le plus courant et le plus effrayant est que la maladie laisse des traces disgracieuses à même la peau. Les visages abîmés sont alors courants et attestent de la prévalence de la maladie294. Dès que la maladie se déclare, la possibilité que le malade soit défiguré hante les proches295. En apprenant la maladie de Mme de Segur, Constant d’Hermenches s’inquiète: « Peut être n’allons nous plus voir qu’un cadavre, ou qu’un monstre, la cour, la ville en sont d’une emotion affreuse, elle a 30 ans, deux enfants charmans »296. Selon certaines, mieux valait mourir. « Je plaindrois moins Mme de Segur [...] de mourir, que de perdre sa beauté et de n’être plus aimée »297. Les observateurs guettent le convalescent, et surtout la convalescente, tout particulièrement quand il ou elle était célibataire: les traces laissées par la petite vérole affectaient négativement une position sur le marché matrimonial298. « On n’entend pas deux jugemens uniformes sur le visage de la Princesse mais je pense 293

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Voir plus haut pp. 240-241. Dans les petites communautés du Nouveau monde, des familles entières désertent les villes infectées. McLean Ward 1992, pp. 5152. La létalité de la maladie tendait à baisser. Perrenoud 1979, p. 455. Charrière O. C., t. 1, pp. 504-505, Constant d’Hermenches à Belle de Zuylen, Enghein, le 18 septembre 1766; Charrière O. C., t. 2, p. 124, Belle de Zuylen à Vincent Maximilien Tuyll van Serooskerken, Zuylen, le 13 octobre 1768. Charrière O. C., t. 1, p. 384, Constant d’Hermenches à Belle de Zuylen, Paris, le 24 février 1765. Charrière O. C., t. 1, p. 394, Belle de Zuylen à Constant d’Hermenches, s.l., le 2 mars 1765. D’autres conditions mal vues sur le marché matrimonial sont les maladies touchant les organes de la génération et une propension à subir des crises d’épilepsie. Voir Stolberg 2003, pp. 71-75.

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qu’elle est encore jolie quoiqu’elle soit assez marquée, son né a souffert le reste ne seroit rien »299. Les statistiques signalent une forte majorité de filles inoculées – au moins deux fois plus que les garçons – dans les premières inoculations* genevoises300. Cette technique médicale qui consistait à donner artificiellement la maladie à un enfant en bonne santé était alors la seule mesure préventive disponible. La pratique était perçue comme apportant une garantie nouvelle contre le danger d’être défiguré. Jeanne-Louise Prévost assure que « l’incersion prévient les désordres qu’elle [la petite vérole] fait dans ses caprices »301. Des femmes présidaient à l’inoculation de leurs filles et il semble bien y avoir, en arrière-fond, une préoccupation pour leur beauté à venir302. N’est-il pas, dès lors, plus important d’inoculer ses filles que ses fils? Les hommes souffrent pourtant également du changement de leur apparence. Jean-Daniel Blavignac se souvient que lorsqu’il était malade, sa « peau se détachait par lambeaux »; privé de miroir « ce ne fut pas sans chagrin » qu’il constata plus tard « la velouté de la pêche [de sa peau] changé en une surface rugueuse.»303 Que ce soit pour déjouer les incertitudes de la maladie ou pour garantir une figure vierge de tout défaut, l’inoculation se présente comme un dilemme pour les parents qui devaient prendre une décision dont dépendaient à la fois la survie et l’avenir social des enfants. La pratique de l’inoculation, importée en Europe de l’Empire Ottoman dans le premier tiers du XVIIIe siècle, se répand dans la région lémanique à partir de 1750. Si la jeune statistique médicale tend à la soutenir dès ses débuts304, la mort de cohortes d’enfants d’une maladie épidémique ne pèse pas du même poids que la mort d’un seul par une maladie induite par un opérateur305. Au-delà des

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Charrière O. C., t. 2, p. 173, Belle de Zuylen à Diederik Tuyll van Serooskerken, Utrecht, le 16 mars 1770. Wenger 2004, p. 113 Charrière O. C., t. 1, p. 71, Jeanne-Louise Prévost à Belle de Zuylen, Neuchâtel, le 10 mai 1755. Charrière O. C., t. 2, p. 390, Johanna Catharina van Tuyll van Serooskerken à Isabelle de Charrière, s.l., [mai 1783]. AEG, Archives de famille, Blavignac 1ère série, p. 34. Voir à ce propos Jarcho 1973. McLean Ward 1992, pp. 47 et sqq.

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débats médicaux et moraux, inoculer se révèle toujours être une pratique « dangereuse »306. En définitive, elle ne touchera qu’un faible pourcentage de la population. Les bonnes familles romandes font bien souvent partie de cette minorité307. Au milieu du siècle, on attend l’adolescence des jeunes avant de tenter l’opération. Belle de Zuylen est inoculée à l’âge de quinze ans en 1755. Dans le dernier tiers du XVIIIe siècle, on se décide à inoculer plus tôt. Louis Odier s’appuie sur des statistiques pour démontrer que les enfants de moins de quatre ans sont les plus touchés par les retours chroniques de l’épidémie, incitant ainsi les parents à inoculer leurs enfants avant cet âge308. Il est déjà question d’inoculer Wilhelm Charrière de Sévery, âgé de trois ans, en août 1770. La rougeole qui règne alors incite à différer l’opération309. Finalement, ce n’est qu’une année plus tard et sans commentaire que Catherine Charrière de Sévery écrit dans son journal: « M. Tissot a visité Wilhelm et a décidé qu’on l’inoculeroit après demain »310. La décision de principe semble avoir été prise plus tôt dans cette famille partisane de la technique depuis plusieurs décennies311. La présence d’un inoculateur de renom attire des clients désireux d’assurer l’immunité à leur progéniture, voire les adultes inquiets pour leur propre avenir. Forte de plusieurs inoculateurs, Daniel Guyot (1704-1780), Théodore Tronchin (1709-1781), Jean-Antoine Butini (1723-1810) et plus tard, François-David Cabanis (1727-1794), Gaspard Vieusseux (1746-1814), Louis Odier (1748 -1817) et Charles Dunant (env. 1744- 1808), pour n’en citer que les plus connus, Genève est un lieu où des étrangers se rendent

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Pour les débats sur l’inoculation*, voir Peter 1979; Maehle 1995. Sur la petite vérole à Genève, voir Perrenoud 1979, pp. 454-477; Wenger 2004. Gautier 1906, p. 401. Tissot affirme le report nécessaire surtout pour éviter d’inquiéter les parents. ACV, P Charrière Ba 104/6068, Samuel Tissot à Catherine Charrière de Sévery, [Lausanne], le 27 août 1770. Elle se plaint d’être « bien émue » en voyant son fils se faire inoculer. Les jours suivants elle veille son fils en pleurant d’émotion. Le 31 mai, le malade a de la fièvre et des convulsions. Tissot lui fait plonger les pieds dans l’eau froide et mettre des vésicatoires. Les boutons paraissent le 3 juin, le surlendemain l’enfant quitte son lit. Jnl Sévery, le 22 mai 1771. La famille Chandieu figure parmi les premières familles lausannoises à inoculer leurs enfants et Catherine Charrière de Sévery avait elle-même été inoculée. Olivier 1939/1962, t. 2, p. 683.

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afin d’être inoculés312. Etablie à Paris, Albertine Necker y envoie son fils pour être inoculé auprès de ses grands-parents313. Il s’agit de choisir le bon moment. « J’ai fait consulter M. Odier sans les nommer et il a repondu que l’épidémie de rougeole etoit encore très considérable et qu’il seroit dangereux d’inoculer des enfants qui n’auroient point eu cette autre maladie. Il a cependant inoculé un enfant il y a peu de temps malgré lui et ses remontrances, l’expérience n’a pas été funeste, mais il croit qu’il y auroit du danger à le répéter.» Odier préconise également d’éviter les chaleurs « contraires » à la petite vérole314. L’opération est accompagnée d’une série de mesures médicales auxquelles s’ajoutent encore des précautions médicales d’usage: régime, isolement et purgation315. Les allusions à des pratiques d’inoculation* sont nombreuses dans les journaux personnels et les correspondances privées du temps. Loin du débat éthique, l’atmosphère y est sereine. « Je ne dois pas oublier », écrit Jean-François Deluc, alors étudiant en philosophie, « de vous dire que je viens d’être inoculé, et qu’ainsi je suis sûr de ne jamais prendre la petite vérole, pour pouvoir être plus sûr mon cousin a inoculé avec moi un autre jeune enfant, qui l’eue et moi je n’ai rien eu »316. Les préparations pour l’inoculation sont minutieuses. Si les parents n’ont pas les moyens d’isoler les jeunes malades, les membres de la maisonnée s’efforcent de restreindre leurs déplacements ou d’interrompre leur correspondance de peur d’infecter des tiers317. Il faut une souche pour inoculer, et cette souche se trouve être un malade. Des techniques de conservation (notamment en séchant le poison

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Certaines communautés son réfractaires. Sander 1989, p. 101. BGE, Archives Saussure 238/22, Albertine Necker à Horace-Bénédict de Saussure, [Paris], s.d. BGE, Archives Saussure 238/32 et 35, Albertine Necker à Horace-Bénédict de Saussure, le 8 juin 1790 et s.d. Il s’agit d’éviter les autres maladies infantiles (rougeole, scarlatine), la période de la dentition et encore, de préparer l’enfant selon les principes médicaux établis: soit au gré du praticien un choix ou la combinaison de régime, de bains, de purges et de saignées. Voir Peter 1979, p. 257; Wenger 2004. Huguenot Society, Londres, Famille Deluc, Fdl 1/1, Jean-François Deluc à Jean-André Deluc, Genève, le 4 octore 1775. Le cousin mentionné est probablement Gaspard Vieusseux (1746-1814). Charrière O. C., t. 6, p. 42, Isabelle Gélieu à Isabelle de Charrière, s.l, [vers le 25 mars 1800].

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sur un fil) sont tentées, mais s’avèrent peu sûres318. Par conséquent, la plupart des inoculations se font alors que l’épidémie sévit319. A Genève, il est question de confiner les personnes inoculées, ou alors de leur prévoir des espaces isolés, afin d’éviter qu’elles ne contaminent leurs concitoyens320. Epidémies naturelles et artificielles de petite vérole se chevauchent. L’urgence aide à prendre la décision, mais ne garantit pas le succès. Il n’est pas rare que des enfants, comme Louis Odier et son frère, attrapent la petite vérole alors que les « préparatifs » pour leur inoculation étaient déjà en cours321. S’ils ne veulent ou ne peuvent inoculer leurs enfants, la marge de manœuvre des parents est réduite et consiste à éloigner leurs enfants des foyers épidémiques. La décision de tenter l’opération demeure difficile à prendre. Les conséquences pouvaient être catastrophiques. Le dilemme, perçu aujourd’hui essentiellement comme un dilemme de santé publique, était surtout un dilemme humain. Une malade de Tissot, Marianne Doxat de Champvent « souffre beaucoup des inquiétudes » consécutives à l’inoculation de sa fille, qui « a été si mal, que j’ai faillis la perdre », écrit la mère atterrée, « voilà de puis cinq semaines, que je vis dans des engoisses qui ne peuvent être bien apreciées que par des peres et meres »322. Le débat autour de l’inoculation, la prise de position morale qu’elle sous-entend, confère aux histoires médicales particulières – par là il faut entendre les mauvaises expériences – un intérêt remarquable. L’inoculation permet de taquiner la Providence et les échecs sont douloureux. Belle de Zuylen encourage sa propre mère à se faire inoculer: « Si la maladie est un peu serieuse je serai d’autant plus mal à mon aise que je crois avoir contribué à la resoudre », confie-t-elle à Constant d’Hermenches323. Après les préparatifs

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Louis Odier et Daniel De la Roche s’envoient « de la petite-vérole » par la poste entre Genève et Paris afin de pouvoir inoculer même en l’absence d’épidémie. BGE, Ms fr 4158, Louis Odier à Daniel De la Roche, Genève, les 25 avril et 20 mai 1796. BGE, Ms fr. 5641/103-104, Andrienne Odier à Amélie Odier, Genève, le 29 mai 1800. AEG, R.C., 281, p. 422, le 2 octobre1780. BGE, Ms fr 4152, Louis Odier à Andrienne Lecointe, s.d. [mai 1779]. FT, II/144.05.02.25, Marianne Doxat de Champvent, Yverdon, [juillet 1790]. Charrière O. C., t. 2, p. 125, Belle de Zuylen à Constant d’Hermenches, s.l., le 28 octobre 1768.

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d’usage, M. Williams, un docteur anglais, procède à l’opération une première fois, mais sans succès. L’opérateur recommence quelques semaines plus tard. Cette fois, la mère de famille attrape la petite vérole « heureusement ». Pourtant, dix jours plus tard, un mal de gorge vient troubler notre joye, ils nous faisoit de la peine sans nous faire peur car elle étoit sans fievre. Tout a coup le 3 de ce mois a 8 heures du soir la fievre survient avec une telle violence, l’oppression augmente d’une telle sorte que toutes les saignées toutes les vessicatoires, les remedes de toute espece multipliés les uns sur les autres pendant toute la nuit ne changerent rien à son etat; quand ses forces furent epuisées ses angoisses diminuerent et le lendemain à midi elle passa d’un sommeil paisible à la mort324.

Il n’est pas étonnant de voir la bonne société reprocher à la famille d’avoir tenté l’inoculation. « On nous plaint mais on fait dans le monde mille contes qui nous accusent.»325 La mère de Belle n’est pas la seule victime de l’inoculation et ces drames servent à alimenter les critiques de la pratique. « M. De Wulknitz avoit un fils et plusieurs filles, ces enfans ont demandé instamment qu’on les innoculât, les parens ont consenti avec peine, le petit garçon est mort.»326 Au second plan, les victimes de l’inoculation sont les parents qui prennent le risque en soumettant leurs enfants à l’opération. « La mort vient de porter un rude coup au duc et a la duchesse de Buccleugh, en leur enlevant un fils unique, agé de deux ou trois mois dans l’inoculation. D’autant plus dur pour le duc, que plusieurs personnes de la famille etoient contre.»327

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Charrière O. C., t. 2, p. 136, Belle de Zuylen à Constant d’Hermenches, Utrecht, le 15 décembre 1768. Charrière O. C., t. 2, p. 136, Belle de Zuylen à Constant d’Hermenches, Utecht, le 15 décembre 1768. Charrière O. C., t. 2, p. 173, Belle de Zuylen à Diederik Tuyll van Serooskerken, Utrecht, le 16 mars 1770. Charrière O. C., t. 2, p. 85, Jan Walraad van Welderen à Belle de Zuylen, Londres, le 30 mai 1768.

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« Ces misérables corps sont trop peu de choses et nous les possédons trop peu pour en faire tant de cas: qu’est-ce que cette vie en comparaison de celle qui nous est promise? A peine un songe, du quel nous devons bien prendre garde de n’avoir point à rougir ». Jeanne-Louise Prévost, avril 17551.

II. LE CORPS ÉPROUVÉ La souplesse des termes employés au XVIIIe siècle pour décrire les aléas de la santé est dissuasive pour celui qui cherche à identifier des entités nosologiques précises. L’état de santé du moment est alors un état transitoire et instable. La maladie naît de cette précarité et est le plus souvent perçue comme un dysfonctionnement interne, voire un déséquilibre entre le corps et son environnement. Les mots mobilisés traduisent des réalités et des sensations aujourd’hui obscures. C’est à un niveau cénesthésique que se lit d’abord la dégradation d’une santé, l’arrivée d’une maladie ou le mieux-être menant à la guérison. Les sensations sont subjectives, mais elles sont considérées objectivement par les malades, leurs proches et les praticiens. Les craintes ou les sensations intérieures sont centrales à la construction de sens, mais également à l’élaboration de stratégies thérapeutiques: « La malade se [sent] des dispositions à un nouveau retour », s’inquiète par exemple le frère d’une malade en mal d’une réponse de Tissot2. Même les termes génériques sont pervertis par des appréciations et des qualificatifs particuliers. Charles Bonnet souffre d’un « indice » d’hydropisie3, Claude de Salgas se plaint d’une « espece de gripe mal decidée »4, alors que 1

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Charrière O. C., t. 1, p. 75, Jeanne-Louise Prévost à Belle de Zuylen, Neuchâtel, le 2 juin 1755. Par exemple FT, II/146.01.03.17, L. Arthaud, Vevey, le 11 janvier 1768. Voir plus haut p. 68. Charrière O. C., t. 5, p. 224, Claude de Narbonne-Pelet Salgas à Isabelle de Charrière, Rolle, le 19 mars 1796.

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Judith de Saussure souffre d’une « espèce de fièvre billeuse »5. Il est possible de prolonger indéfiniment l’énumération. L’ensemble des discours tend à souligner la singularité des maux individuels. Pourtant, la prise de conscience d’un mal-être est régulièrement décrite comme une agression. Est-ce un signe que certains maux étaient perçus comme des entités ontologiques? Belle de Zuylen, malade, voit ses organes « attaqués » l’un après l’autre6, Jeanne-Marie Bellamy est « attaquée » par des vapeurs de sang à la tête7, de nombreux malades déclarent être « attaqués » par les maux de nerfs8. Les maladies graves et spectaculaires (paralysie, apoplexie*, oppression, rhumatisme, convulsions, folie), les maux épidémiques, et même la fièvre et le mal de tête « attaquent »9. En dépit de l’omniprésence de ce registre sémantique martial, ces formulations ne signifient pas simplement l’altérité et la nature invasive du mal-être. L’agression est ontologique et reflète la remise en cause de la cohésion de celui ou de celle qui en est la victime, elle signifie la rupture d’un rapport au monde particulier10. L’attaque désigne la soudaineté de l’événement et la surprise de la victime. N’étant pas conscient d’avoir enfreint une règle d’hygiène ou d’avoir mis lui-même sa santé en péril, le malade exprime ici son étonnement. Le vocabulaire médical commun est assez souple pour exprimer non seulement une grande variété de maux, mais également la spécificité de l’état du corps malade. Pour celui qui cherche à y déceler un sens, le principal danger est de se perdre dans la toile descriptive dans laquelle le malade est lui-même empêtré. Mme Carrard-Tavel, par exemple, souffre d’une perte de force, de faiblesses et de coliques d’estomac, de maux de tête, de douleurs de dents, d’une diarrhée, d’une accumulation de glaires, d’un manque d’appétit (sinon au dîner), d’une digestion difficile, d’angoisse, de palpitations (très fortes), de maux de cœur, de pesanteur et de chaleur (au réveil), de mains brûlantes et sèches (au réveil), de fatigue (au réveil), de mouvements convulsifs (quelques fois). Et ce n’est là qu’une liste abrégée 5

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BGE, Archives Saussure 237/233, Amélie de Saussure à Horace-Bénédict de Saussure, s.l. [Genève], 26 juin 1794. Voir ici même p. 101. Voir p. 123. FT, II/146.01.03.18, L. Arthaud, Vevey, le 16 janvier 1768. Respectivement pp. 68, 190, 218, 225 et 247. L’analyse de Michael Stolberg va dans le même sens. Stolberg 2003, pp. 38-39.

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de ses symptômes. Les maux de tête surviennent, par exemple, lorsqu’elle reste assise « un peu longtemps »11. Les descriptions sont agrémentées de métaphores et d’images personnalisées. M. Hartmann commence par décrire « un croacement continuel » dans son bas ventre qui accompagne ses douleurs d’entrailles12. Un mois plus tard, il souffre d’un état qu’il qualifie lui-même comme étant indéfinissable: « Il me semble que tout mon être est dans une vibration continuelle, foiblesse, pésanteur [...] et si l’on compare le corps humain à une horloge, je puis dire que le mouvement du bas ventre est encore toujours dérangé »13. L’horloge est loin d’être la seule référence dans ce langage fortement imagé et métaphorique. Parfois les malades expriment leurs sensations en les comparant à des actions. Les douleurs ressenties par Mme de Diesbach se focalisent alternativement sur sa tête et son estomac; elles sont accompagnées d’un « déchirement et, en méme tems, d’un serrement très douloureux dans le creux de l’estomach »14. Jacques-Antoine du Roveray souffre également de l’estomac et se plaint d’une « langueur qui sembloit décomposer mon être »15. Le mal prend ailleurs la forme d’un ennemi sadique. « Il lui paroit quelqu’un qu’on lui arrache les cheveux, elle diroit qu’ils sont sensibles et qu’ils lui font mal »16. Le corps ou plutôt, l’être se fracture, se « défait » par l’effet de la maladie17. Ces caractéristiques particulières, décrites dans un langage libre, fleuri et aussi singulier que l’était le corps lui-même, sont pertinentes à la fois pour le malade et pour ses soignants18. Les quelques pages qui suivent visent à mettre en valeur les traits communs aux récits des expériences vécues en interrogeant les caractéristiques médicales et individuelles du corps avant toute perturbation pathologique, pour analyser ensuite les facteurs invoqués comme influençant positivement 11 12 13 14 15

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FT, II/144.05.05.50, Mme Carrard-Tavel, Grandson, le 9 octobre 1792. FT, II/144.05.05.31, M. Hartmann, Villeneuve, le 22 mai 1792. FT, II/144.05.05.32, M. Hartmann, St-Maurice, le 19 juin 1792. FT, II/144.05.01.01, C. de Diesbach, Carrouge, le 16 décembre 1789. BGE, Ms fr 4161, Jacques-Antoine Du Roveray à Louis Odier, Genève, le 20 avril 1769. FT, II/146.01.05.04, Elisabeth Antoinette Develay, Genève, le 21 mai 1791. Charrière de Sévery [1924], p. 100, Louise de Corcelles à Catherine Charrière de Sévery, s.l., s.d. Comparer avec les évolutions ultérieures décrites dans Foucault 1972; Latour 1984; Figlio 1977.

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ou négativement la santé. C’est une esquisse à la fois du sens que pouvait prendre la perte de la santé et des conséquences pratiques et identitaires d’une maladie. LA DURÉE Le temps du corps s’inscrit dans le rythme des saisons, dans les articulations de la vie. Ces variables sont souvent implicites dans les récits de santé laïcs. La maladie, comme le corps, connaît un rythme et une durée. Différents événements viennent en ponctuer la progression. L’augmentation d’une fièvre à un moment donné est un phénomène inquiétant et qualifiée comme un « redoublement »19. Des moments « critiques », des crises, des symptômes ou d’autres accidents, scandent la temporalité du corps souffrant et sont réputés décisifs quant à l’issue de la maladie. Ces moments sont difficiles à repérer comme à interpréter, et cela aussi bien du point de vue du laïc que du soignant. Pour les malades et leur entourage, l’essentiel est d’établir s’il y a danger – les exemples donnés dans un dictionnaire de langue pour illustrer l’adjectif dangereux proviennent du registre de la santé20. L’inquiétude pour la vie, la peur de perdre une connaissance, un parent, voire encore, sa propre vie, sont clairement attachées à l’emploi des termes de « danger » et d’« alarme »21, des concepts récurrents. « Elle a une espèce de fièvre billeuse […] [qui] avoit pris une tournure allarmante »22... Une maladie qui s’étend dans la durée tend à être considérée comme dangereuse ou alarmante et, tout comme l’intensité du dérangement ou de la douleur ressentie, la temporalité de la maladie constitue un critère descriptif courant. La variable temps qualifie la maladie négativement. Une colique, par exemple, peut être qualifiée par son intensité23 ou sa

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Voir ici même pp. 246 et 250. « Un mal dangereux. Maladie dangereuse. Blessure dangereuse ». Académie 1694. Evoque le plus souvent une inquiétude aiguë face à des symptômes particuliers. Voir ici même p. 280. BGE, Archives Saussure 237/233, Amélie de Saussure à Horace-Bénédict de Saussure, s.l. [Genève], 26 juin 1794. Affreuse, vive, forte. Voir ici même pp. 137 & 226.

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durée24. Combien de temps faut-il attendre avant qu’une maladie inquiète? Il n’y a pas de seuil absolu dans la temporalité du pathologique. La nature de l’affection et la sensibilité individuelle entrent en ligne de compte. Le soulagement éprouvé par le passage rapide d’un mal est certainement ahistorique25. Des durées plus longues peuvent être considérées d’une manière alarmante ou pas, en fonction de critères particuliers. Quelques jours, chez Frêne, renvoient à un mal peu grave26. Deux semaines suffisent à Marie Johannot pour qu’elle adresse une consultation à Tissot27. Magdelon, une domestique, souffre deux mois avant de soigner, avec « des remedes de M. Chopard », un mal de sein. « Si l’on avoit differé d’y apporter du remede, cela auroit pu donner un cancer » commente Frêne28. Le rhume est saisonnier et en souffrir pendant plusieurs mois en hiver n’est pas démesurément inquiétant. En règle générale, la durée voit la maladie s’aggraver, mais elle peut offrir des indices sur l’issue naturelle du mal-être. Isabelle de Charrière suggère d’attendre six semaines avant de soigner une enfant souffrant des suites d’une petite vérole par inoculation*29. Après un mois, un dévoiement*, une diarrhée, une suppression ou tout autre symptôme, inquiètent. Plusieurs mois suffisent pour conférer à un malaise le statut de maladie et c’est l’inquiétude du changement (pour le pire) à venir qui incite de nombreux malades à consulter. Marie Agier, par exemple, affirme pouvoir souffrir longtemps sans se plaindre, mais « un plus long silence agraverait mes meaux », assure-t-elle dans sa lettre à Tissot30. Isabelle de Charrière conseille à Alphonse de Sandoz, souffrant d’un rhumatisme, de renoncer à son poste de secrétaire du Conseil d’Etat: « Quiter dans six mois ne guerit pas le mal actuel qui peut s’etablir ou

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Par exemple Huguenot Society, Londres, Famille Deluc, Fdl 1/1, Jean François Deluc à Jean André Deluc, Amsterdam, [mars] 1781. Voir ici même p. 137. Voir ici même pp. 150 & 494. Voir plus haut p. 150. Voir ici même p. 271. Jnl Frêne, p. 921. Charrière O. C., t. 5, p. 445, Isabelle de Charrière à Caroline de Sandoz-Rollin, s.l., le 1er mai [1798]. Voir plus haut p. 55 (n. 46).

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augmenter », argue-t-elle31. Ainsi, un mal s’enracine et augmente, parfois en passant par un temps « critique ». L’adjectif qualifie, selon Furetière, un « symptome, accident qui fait juger de l’évenement de la maladie. On le dit des jours où ces accidents arrivent ordinairement ». Il est des moments de la vie qui sont regardés comme critiques. L’épisode que vit Jeanne-Marie Bellamy au moment de la rédaction de son journal en est une bonne illustration. Agée de plus de quarante ans, elle traverse alors un « temps critique », la ménopause32. Les précautions qu’elle prend, saignées et purgations, sont des précautions usuelles pour évacuer les humeurs néfastes. Une maladie longue est décrite comme grave, « opiniâtre », voire encore « invétérée ». Ce dernier terme est propre au domaine médical et signifie littéralement « laisser vieillir »33. Dans le discours laïc, le terme est courant. Le danger que le mal perdure peut être appréhendé dès les premiers signes du mal-être. Isabelle de Charrière encourage une amie à faire prendre des bains de marc de raisin à son mari, en dépit des désagréments: « Je voudrois que cette habitude rhumatismale ne s’etablit pas dans la belle et bonne et saine personne de votre mari »34. Le mal, suivant une métaphore végétale commune, peut « prendre racine » dans le corps35. La constitution même du malade risque d’être ébranlée. « La continuation du simptome qui existoit encore la derniere fois que je vous consultois, ne laisse pas de me causer quelqu’inquiétude », écrit Mme Wilmsdorff à Tissot36. Même un rhume persistant peut inciter à prendre des mesures défensives. « Prenez Liegtan », conseille Isabelle de Charrière, « si malheureusement votre rhume trainoit assez en longueur pour devenir inquietant et menacer de miner votre bonne constitution »37. Ainsi, plus le temps passe, plus le retour à la santé paraît difficile. La 31

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Dans une lettre adressée à sa femme: Charrière O. C., t. 5, p. 323, Isabelle de Charrière à Caroline de Sandoz-Rollin, s.l., le 20 juin 1797. Voir ici même p. 117 (critique) et pp. 123 & 129 (crise). « Il ne faut pas laisser inveterer un vilain mal, un ulcere. Les maux qui sont inveterez deviennent incurables ». Furetière. Charrière O. C., t. 5, p. 147, Isabelle de Charrière à Caroline de Sandoz-Rollin, s.l., le 5 octobre 1795. FT, II/144.05.05.20, Monsieur F. L. Gauteron, Yverdon, le 30 août 1792. FT, II/144.05.07.43, Mme A. H. Wilmsdorff, Orbe, le 8 avril 1790. Charrière O. C., t. 3, pp. 488-489, Isabelle de Charrière à Henriette L’Hardy, s.l., le 23 janvier 1793.

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nature du mal évolue selon ce principe. Le rhume « négligé » de Rousseau devient, avec le temps, une fluxion* de poitrine38; la fièvre de Julie Chaillet-de Mézerac dégénère en fièvre bilieuse39. La maladie comporte un caractère historique qui la voit passer par une succession de transformations40. La peur de voir des symptômes muer en une seconde série plus « dangereuse », constitue une incitation à prendre des mesures préventives. Ailleurs, c’est le spectre de l’hérédité qui suscite l’inquiétude. Marianne Moula, au cours d’une cure héroïque aux bains de Loèche, rencontre le comte de Randsau, promis à un bel avenir selon cette dernière, si « le rhumatisme pour le quel il est venu ici dont il est fort incomodé et qui degenere en goute dans sa famille ne lui empeche pas de faire son chemin »41. Au-delà d’une certaine limite, pourtant, les souffrants au long cours taisent leurs maux – comme Isabelle de Charrière – ou prennent le risque, à l’instar de Mme Bonnet, de passer pour des malades imaginaires. CONSTITUTIONS ET TEMPÉRAMENTS « PARTICULIERS » Les notions clés de constitution et de tempérament sont essentielles pour aborder le corps sous l’Ancien Régime. Selon Furetière, une constitution est un « assemblage de plusieurs parties pour faire la composition d’un tout ». La constitution renvoie aux éléments formant l’architecture du corps, l’infrastructure de base et la qualité des parties. Le tempérament témoigne d’une propension à un état de santé fondamental, soit schématiquement l’équilibre humoral propre à chaque individu42. Charles Bonnet, par exemple, se dit sanguin et un peu bileux43. Dans le langage courant, les termes sont parfois confondus: chacun

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Rousseau 1959, p. 293. Charrière O. C., t. 5, p. 161, George de Chaillet-de Mézerac à Isabelle de Charrière, [fin 1795]. Voir plus haut p. 247 et suiv. Charrière O. C., t. 5, p. 131, Marianne Moula à Isabelle de Charrière, Leuck, le 21 juillet [1795]. Tempérament: « Complexion, habitude ordinaire du corps de l’homme, sa constitution naturelle, la disposition des humeurs ». Furetière. Voir ici même p. 73.

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bénéficie d’une constitution et d’un tempérament particuliers44. La constitution et le tempérament sont les caractéristiques d’origine. Ils donnent sens aux petits maux chroniques dont beaucoup souffrent45. Ne pas avoir une bonne constitution suffit à justifier une mort précoce46. Un bon tempérament peut expliquer une guérison imprévue47. Dans tous les cas, il faut s’en accommoder. Le laïc peut définir son tempérament et ce constat sert de point de départ aux raisonnements étiologiques et thérapeutiques. Les cas particuliers signalent d’emblée qu’il serait réducteur de diviser les corps en fonction des quatre humeurs, voire encore en seize combinaisons de deux humeurs suivant l’habitude des contemporains de se reconnaître deux humeurs dominantes. La réalité est bien plus complexe. Isabelle de Charrière partagerait une mobilité* exacerbée avec d’autres membres de sa famille, alors que la santé de Rousseau demeure une énigme pour le principal intéressé jusqu’à la fin de sa vie, mais peut être caractérisée, selon ses propres propos, par un tempérament ardent et un vice naturel caché. La particularité du tempérament entraîne les acteurs dans des nuances langagières difficiles à saisir aujourd’hui. Chacun hérite son tempérament et sa constitution de ses parents et ne manque pas d’en informer le médecin, comme J. Claret qui précise être « né de parens très sains » dans sa lettre à Tissot48. L’état de santé des parents, celui d’autres membres de la famille sont des variables connues et constamment réaffirmées pour donner un aperçu de la constitution du malade. L’affiliation est souvent positive, mais ce n’est pas une règle absolue. L’exemple de la famille Saussure, dont les membres se reconnaissent un sang âcre, une incapacité à transpirer et une propension à souffrir de dartres, en est ici une illustration. D’autres exemples abondent dans le même sens. Alors qu’une petite fille de 4 à 5 ans souffre d’une maladie « opiniâtre », son médecin s’informe des « maladies de famille » et trouve éclairant que sa tante soit morte

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Voir Ciocco 1936; Neuburger 1913; Sigerist 1929b. Sander 1989, p. 102. Charrière O. C., t. 5, pp. 395-396, Isabelle de Charrière à Isabelle Gélieu, s.l., s. dl. [1798-1799]. C’est ainsi que Frêne justifie la guérison de Marguerite Girod, gravement blessée d’un coup de fusil. Jnl Frêne, le 30 juillet 1780, p. 1383. FT, II/144.05.02.28, J. Claret, Genève, le 7 avril 1790.

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d’une phtisie, « outre cela j’ai lieu de la croire attaquée d’humeur froide, elle a eu un écoulement quelle disoit être des fleurs blanches et pour lesquels elle s’est fait traitter a Bâle, au surplus le père avoit une très forte gonorrhée49 peu de jours avant de se marier qu’on lui a fait passer d’une horrible façon. Il lui est même resté un écoulement pour lequel il n’a jamais voulu prendre le tems de se traiter »50. En marge des possibles conséquences pathologiques, le tempérament peut être rendu responsable de parcours de vie particuliers. HenriDavid Chaillet attribue différents vices à son « tempérament ardent », sa consommation excessive de vin, son goût pour le jeu et son « abus des plaisirs du mariage »51. Comme Rousseau, il affirme souffrir de sa nature passionnée. Mais qu’entendent ces deux hommes par passion? Parmi les nombreuses acceptions du mot, deux ont un sens pour la santé. Selon la première édition de l’Académie, la passion serait le « mouvement de l’ame excité dans la partie concupiscible, ou dans la partie irascible ». La passion est ici ellemême pathogène. Passion signifie également « l’affection qu’on a pour quelque chose que ce soit »52. C’est en quelque sorte l’expression du mouvement de l’âme. Ainsi, Charles Bonnet, alors qu’il ne se définit nullement comme un homme passionné, voit sa santé se dégrader, victime de sa passion pour l’histoire naturelle53. Le tempérament affecte non seulement le corps, mais également son rapport aux autres. Les implications sociales ne sont pas aisées à saisir, mais des cas limites confèrent une idée de leur ampleur. Au mois de novembre 1702, devant le Consistoire, le Conseiller Humbert invoque le tempérament particulier de sa femme pour justifier leur séparation. Madame Humbert étant obligée depuis longtemps de vivre de régime parce qu’elle est incommodée toutes les nuits d’une si abondante sueur qu’elle baigne ses draps, cela empechoit que M. son mari ne peust s’accommoder de sa table et de son lit54. 49

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« C’est un flux de semence involontaire […]. Il y en a une autre virulente qui se fait lors que la matière est corrompuë. […] on l’appelle ardeur d’urine ». Furetière. FT, II/144.05.08.03, Dr Voumard, Morat, le 7 juin 1793. Guyot 1946, pp. 81 & 92-93. Académie 1694. Voir pp. 74, 75 et 79. AEG, R. Consist. 70, p. 89, le 30 novembre 1702.

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Face à cette explication extraordinaire, les pasteurs et les anciens se contentent de faire savoir au couple qu’il serait bien « séant » et « édifiant » de vivre ensemble, et cela « bien qu’il paroisse que leur mannière de vivre est moins un effet d’aversion ou de mésintelligence qu’il y ait entreux, que de la différence de leur complexion ou de leur tempérament »55. Des sueurs abondantes suffisent-elles à engendrer une gêne au quotidien? Rien n’est dit du régime particulier de Mme Humbert, ni en quoi ce régime pouvait déranger son mari. Le type de comportement justifié par le tempérament touche souvent des habitudes alimentaires ou des préférences de mode de vie. Dans la deuxième moitié du siècle, une caractéristique constitutionnelle commune est une grande sensibilité. Le terme n’est pas défini systématiquement56, mais renvoie le plus souvent à une vulnérabilité face au moindre changement de l’environnement57 ou aux réactions excessives produites par un remède. David Emmanuel Develay, né avec une « bonne constitution », serait, selon sa femme, d’une « sensibilité peu commune » et souffrirait « d’une grande faiblesse de tête ». Il ne boit pas plus d’une sorte de vin, « point de liqueur, ni caffé dont il s’interdisait lui même, et par sistême, l’usage »58. La sensibilité du siècle se construit sur des composantes corporelles classiques. Le paradigme humoral demeure omniprésent, même si certains termes nerveux prennent une place particulière dans la grammaire laïque de la santé au XVIIIe siècle. Des humeurs significatives : le sang et la bile Le sang représente le tout, l’être et l’hérédité. « C’est une demoiselle entre 30 et 40 d’un bon sang », résume Reverdil dans une lettre à Tissot. L’état du sang peut être établi à la suite d’une saignée (couleur, quantité)59, par l’observation des règles ou encore à la suite d’un accident. La nature, la composition et la rapidité de circulation du 55

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La complaisance trahit le statut social des Humbert. AEG, R. du Consist., vol. 70, pp. 93-94, le 7 décembre 1702. Charles Bonnet emploie ce terme pour désigner la vulnérabilité de sa femme. Corr. Haller, pp. 115 & 388-389, Charles Bonnet à Albrecht de Haller, Genthod, les 13 septembre 1757 et 28 août 1764. Voir p. 378. FT, II/146.01.05.03, Elisabeth Antonette Develay, Genève, le 21 mai 1792. Frêne constate que le sang de sa femme est « épais » au moment d’une saignée, voir p. 144.

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sang sont couramment invoquées pour signifier un état de santé60. Ces informations qualifient aussi la personne, ici la corrélation avec des sensations corporelles est particulièrement frappante. La demoiselle de bon sang de M. Reverdil est dépeinte comme perturbée par des violences (verbales et physiques) proférées contre elle. « Ces scenes reviennent trop souvent pour ne pas tomber sur les époques et ses violentes émotions lui decompose naturellement le sang; et l’on rendu partie eau et le reste comme des petites parties noires attachées ne circulant point.»61 L’accumulation de sang dans un emplacement spécifique du corps est redoutée. Le ministre Carrard décrit sa femme comme souffrant « de vomissements, et de maux de cœur, depuis quelque tems son sang se porte à la tête »62. L’accumulation s’oppose à la circulation, réputée bonne. Un signe commun de l’imperfection du sang est son âcreté63. Cette qualité néfaste se traduit, ou se lit, par une peau boutonneuse ou dartreuse: « Un sang très âcre a longtemps procuré des boutons au visage », raconte M. Magelli en évoquant la santé de sa sœur âgée de 52 ans et souffrant de l’estomac64. Les imperfections du sang sont rendues responsables de toutes sortes d’affections. Des « vices dans le sang » seraient, selon une correspondante d’Isabelle de Charrière, responsables des cancers du sein65. Le sang est ici constitutionnellement pathologique, ailleurs il est constitutionnellement sain66. Mme Rostaing souffre, pour sa part, d’un « point » au gosier et au palais qui lui rend très pénible le simple fait de se sustenter. « J’ay asses d’apétit si je pouvois avaler », écrit-elle dans la lettre où elle évoque ses douleurs, et rapporte vivre essentiellement de soupes et de tisanes, avant de conclure: « Je ne me rebutiré [rebuterai] point, ma cure sera longue puisque c’est le sang qu’il faut guèrir.» Il s’agit ici d’écoulements menstruels: « Mes reigles n’ont point parus le cinquième mois de

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Sur le mouvement du sang, voir ici même pp. 317-318. FT, II/144.04.02.16, Reverdil, Lausanne, le 17 juillet 1791. FT, II/144.05.07.08, M. Carrard, Grandson, le 1er février 1793. L’âcreté peut également frapper d’autres composantes corporelles comme la peau ou les autres humeurs. FT, II/144.05.07.24, M. Magelli, Fribourg, le 28 mai 1793. Charrière O. C., t. 5, p. 91, Julie de Chaillet à Isabelle de Charrière, s.l., le 4 ou 5 mai 1795. Isabelle de Charrière se félicite de son « bon » sang. Voir p. 94 (n. 151).

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leurs sessation court tout se porte a la gorge », termine-t-elle67. Le sang véhicule des indices héréditaires, l’interruption des règles est pathologique, mais le sang peut également véhiculer la maladie. « Pour peu que Mlle Michel eut encore dans le sang de ce qui a causé son ebulition elle a fort bien fait de ne pas sortir hier car il faisoit un vilain tems », commente Isabelle de Charrière68. Le sang s’échauffe aussi. Benjamin Constant se plaint des effets d’une nouvelle dont Isabelle de Charrière lui aurait fait part dans une précédente lettre: elle « ma forcé a des courses et causé des insomnies, et des inquiétudes qui m’ont enflammé le sang »69. Souffrir d’une inflammation du sang est une plainte courante et peut donner lieu à plus grave. Un malade, objet d’une consultation adressée à Tissot, souffre depuis une année de « plusieurs accès d’une fièvre provenante d’un sang enflame »70. Certaines pathologies sont ainsi associées directement à des troubles sanguins. Des maux de dents peuvent être corrélés à l’agitation du sang71. Rien d’étonnant, dès lors, à ce que certains malades ressentent le besoin de purifier leur sang72. Si l’importance accordée au sang dans l’économie corporelle laïque résonne avec celle qui lui est prêtée aujourd’hui, la place prise par la bile noire ou mélancolie détonne ostensiblement. En vertu de son poids dans les discours, la bile noire s’impose comme un fluide corporel essentiel pour comprendre la santé de l’élite sociale au XVIIIe siècle. De nombreux auteurs le répètent à souhait, l’excès de bile noire signale une personne de qualité. Dans ce sens, et contrairement au sang, le terme de mélancolie tel qu’il est employé recouvre moins un fluide corporel dont on devine les caractéristiques ou le mouvement, qu’un (mal) être général associé à une série de symptômes (absence de sommeil, tristesse). Le genre du malade est important. La mélancolie est associée à la vie et au corps de la 67 68

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FT, II/144.05.07.35, Rostaing, Fribourg, le 6 décembre 1793. Charrière O. C., t. 5, p. 379, Isabelle de Charrière à Caroline de Sandoz-Rollin, s.l., le lundi [20 novembre 1797]. Charrière O. C., t. 3, p. 43, Benjamin Constant à Isabelle de Charrière, s.l., le 18 février 1788. FT, II/144.02.02.08, M. Gounon Laborde, Mémoire à consulter. Voir aussi Charrière de Sévery 1928, p. 114. Charrière O. C., t. 4, p. 498, Henriette L’Hardy à Isabelle de Charrière, la Tourne, le 11 juillet 1794. FT, II/144.05.07.43, Mme A. H. Wilmsdorff, Orbe, le 8 avril 1790.

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femme. Isabelle de Charrière, Jeanne-Marie Bellamy et Judith de Saussure se définissent comme mélancoliques. Elles souffrent de vapeurs, d’hypocondries*, de sautes d’humeur. Charrière se plaint de ne pouvoir contrôler cette humeur et affirme l’enracinement organique de son mal, ne pouvant apprécier les aléas de sa vie, écrit-elle qu’au « gré de ses organes, au gré d’une imagination qui exagere tout »73. Noires vapeurs, tristesse, hypocondrie*, inquiétude et agitation sont des symptômes qu’elle décrit longuement jusqu’à son mariage, et plus discrètement, après. La mélancolie est valorisée, tout comme les vapeurs avec lesquelles elle est associée, comme le lot de « personnes d’esprit » susceptibles de « sentiments délicats »74. Ces attributs sont féminins et parfois corrélés aux vapeurs elles aussi féminines. Les vapeurs et la mélancolie peuvent être associées avec des pratiques intellectuelles. Jean Trembley écrit dans ce sens à Judith de Saussure pour la rassurer. « Je ne voudrois pourtant pas que vous vous inquietassiez trop de ce sentiment de melancolie dont vous vous plaignez. La mélancolie est la maladie des etres pensans, et qui est-ce qui n’est pas sujet à ce dégout de la vie que la monotonie des plaisirs et la variété des chagrins produisent nécessairement dans les ames sensibles et actives.»75 La mélancolie et les vapeurs ne sont pas l’apanage exclusif de la gent féminine. Des hommes sensibles, notamment des hommes de lettres, en souffrent également. L’état mélancolique est ici souvent passager, résultant d’excès passés. Charles Bonnet, par exemple, rapporte avoir sombré dans la mélancolie suite au constat de la détérioration de l’état de ses yeux et de l’impossibilité de poursuivre ses travaux microscopiques76. Selon Jean-Jacques Rousseau, ses vapeurs et sa mélancolie seraient survenues une première fois alors qu’il était âgé de 23 ans et atteint dans sa santé. Son récit invite à distinguer la mélancolie de l’ennui, mais la rapproche de la langueur77. Comme d’autres termes de la culture médicale laïque, le concept de mélancolie s’avère polysémique.

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Voir ici même p. 93 et p. 97 (n. 162). Ici même p. 94 (n. 149). BGE, Archives Saussure 239, C6/230-231, Jean Tembley à Judith de Saussure, Genève, le 26 novembre 1779. Voir plus haut p. 74. Rousseau 1959, p. 223

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Les distinctions entre la mélancolie, un état d’esprit passager (un excès de contrariétés)78, la mélancolie constitutionnelle et la mélancolie (folie) sont ténues. Belle de Zuylen affirme souffrir d’un mal physique plutôt que de vapeurs. Deux de ses correspondants masculins, Constant d’Hermenches et Charles-Emmanuel de Charrière portent des regards critiques sur son état. Le premier est inquiet qu’il s’agisse non d’un mal naturel, mais d’une maladie, alors que pour le second son état pourrait avoir une cause physique79. L’interprétation d’Hermenches est présentée comme alarmante, et celle de Charrière serait, selon son auteur, rassurante. Il y a de quoi éprouver une certaine confusion ! Pour Ami Lullin, appelé à examiner son gendre, un mélancolique au long cours, les vapeurs dont celui-ci souffrait relèveraient d’un mal physique qu’il estime préférable au chagrin: Nous avons trouvé M. Boissier tout abbatu. La tristesse commença vendredy, depuis lors il a eu un mélange d’agitation et d’accablement tel que l’on éprouve dans les grands chagrins. Il n’a aucun appétit, il est altéré plus qu’à son ordinaire, et c’est beaucoup dire; il n’a pas dormi deux heures ces deux nuits, il se promène d’un air concentré, […] s’il s’assied il rève et garde le silence, vous jugés assé que toutes ses idées sont tristes, mais après un examen attentif et vû tous les entretiens que j’ai eu avec lui, j’ai tout lieu de croire que c’est la disposition du corps qui occasionne le chagrin uniquement. Son pouls est très réglé, il ressent de tems en tems des chaleurs dans l’estomac, il a la tête pesante, le ventre est libre, […] il raisonne bien à cela près qu’il attribue son état au chagrin, mais il avoue en même tems qu’il se trouve dans un état extraordinaire. [...] Encore une fois il y bien moins ici de chagrin réel que de vapeurs80.

Boissier soignera ses maux par un voyage de santé. M. de Tournes, souffre d’un mal similaire; il est dépeint comme « fort mal par intervalle; il a eu des accès de maux de nerfs et de la melancolie la plus

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Lettre de Mme Polier de Corcelles à Catherine Charrière de Sévery, citée dans Charrière de Sévery 1978, t. 1, p. 179, le 3 novembre 1773. Voir Charrière O. C., t. 2, pp. 140-143, Belle de Zuylen à Constant d’Hermenches, Utrecht, le 9 mars 1769; Constant d’Hermanches à Belle de Zuylen, Hieres, le 17 avril 1769. BGE, Ms Lullin 2 B7/230, Ami Lullin à M. Lubières [beau-frère], le 4 septembre 1746.

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noire qui duroient huit heures de suite. A present les accès sont courts mais je crois assés frequent ». Pour l’observateur, CharlesEmmanuel de Charrière, mélancolie se traduit plus simplement par tristesse. « Il ne peut voir ni sa fille ni son gendre. Il dit sans doute des choses fort tristes dans sa melancolie; sa femme est navrée. D’ailleurs la santé de M. de Tournes est excellente; il dort bien, mange beaucoup, a plus de force qu’a l’ordinaire pour faire de continuelles promenades; sa maladie a commencé par une insomnie de trois semaines. [...] J’oubliois de dire qu’actuellement hors de ses accès de melancolie il est comme a l’ordinaire fort gai quelquefois.»81 Ces quelques commentaires illustrent la collusion constante entre tempérament et pathologie, tout en signalant la difficulté à distinguer les maladies constitutionnelles des maux accidentels, les affections corporelles des maux qu’on aurait aujourd’hui envie de classer parmi les maladies de l’esprit. Corps changeants Le sang et la bile ne sont que deux des quatre principales humeurs, les deux autres étant le phlegme et la bile jaune. Plutôt que d’énumérer l’éventail des caractéristiques et des variations possibles de ces humeurs, il est plus parlant de considérer la continuelle transformation des tempéraments et des constitutions au cours du temps. Dans un contexte laïc, la notion de tempérament*, soit l’équilibre particulier des quatre humeurs propre à chaque personne, et la qualité première du corps, sa constitution*, sont souvent confondues. Si personne n’est responsable de la constitution de son corps, ni de son tempérament initial, le comportement, l’environnement, les actions et les expériences vont les affecter82. Les premières atteintes sont portées très tôt: « Je suis née naturellement robuste », écrit Mme d’Ostervald à Tissot, mais, « la négligence d’une nourice m’occasionna une diformité de la taille qui en empêcha le développement », précise-t-elle83. Parmi les nombreux facteurs invoqués, certains reviennent régulièrement. Madame De la Rive, par exemple, est

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Charrière O. C., t. 2, pp. 440-441, Charles-Emmanuel de Charrière à Isabelle de Charrière, le 2 novembre 1784. FT, II/144.04.02.18, Mémoire à consulter pour M. De Polignac, s.n., Lausanne, le 1er octobre 1791. FT, II/146.01.01.08, [Mme Ostervald], Neuchâtel, le 14 février 1778.

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décrite comme « naturellement forte, mais affoiblie par de longs et violens chagrins »84. Les causes de transformation sont multiples. « Sa blessure receue il y a deux ans, son violent amour de l’année passée pour Caroline de Meserac ont porté une trop forte atteinte à son foible temperament », écrit Isabelle de Charrière de la santé de Chaillet « qui se meurt selon toute apparence »85. Les thérapeutes tiennent compte du fait qu’un même remède peut agir différemment sur le même corps en raison du changement de tempérament ou de constitution intervenu dans l’intervalle86. Ils cherchent à empêcher de telles transformations si elles sont perçues comme mauvaises pour la santé et à les favoriser dans le cas contraire... Une fille de 4 à 5 ans, selon le rapport d’un docteur établi à Morat, souffre d’une « fièvre lente ». Elle aurait passé l’hiver sans problème, rapporte-t-il au début du mois de juin, « sujete a des constipations et d’un naturel collerique on suposa dans le commencement que cela pouvoit influer sur son phisique ». Le traitement est radical: « On lui fit prendre des délayans, pour nourriture, des pruneaux, cerises, bouillons.»87 Une fois atteinte, la constitution pervertie peut donner lieu à des troubles de santé pendant des années. Le père d’un jeune homme « attaqué d’une mélancolie noire » cherche les origines du mal dans les maladies subies par son fils depuis l’âge de 6 ans. Atteint d’abord d’une « coqueluche opiniâtre qui lui dura 14 à 15 mois », il aurait souffert ensuite de « la petite verole qui fut très maligne ». La confrontation à des vapeurs toxiques alors qu’il travaillait à Lausanne est un autre facteur évoqué « qui pourrait avoir contribué à déteriorer son temperament »88. La chaîne causale se construit rétrospectivement. Torchon Dufourchet, âgé de plus de quarante ans, corrèle sa frilosité avec l’habitude qu’avait sa mère de le trop couvrir89. Les événements passés donnent sens au corps présent. Ainsi, des expériences de 84 85

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FT, II/146.01.09.11, Des Marches, Genève, le 3 août 1773. Charrière O. C., t. 2, p. 383, Isabelle de Charrière à Vincent Maximiliaan Tuyll van Serooskerken, Colombier, le 2 février 1782. Pour un autre exemple, voir Cooper 2007, p. 5. Pour une exemple, voir Corr. Haller, p. 379, Charles Bonnet à Albrecht de Haller, Genthod, le 28 mai 1764. FT, II/144.05.08.03, Dr Voumard, Morat, le 7 juin 1793. FT, II/144.05.02.12, M. Lanjuinais, Moudon, le 25 janvier 1790. FT, II/144.03.06.19, M. Torchon Dufourchet, avril 1785. Je remercie Micheline Louis-Courvoisier et Séverine Pilloud de m’avoir communiqué ce dossier.

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nature très différentes peuvent opérer des transformations. La liste des causes invoquées porte aussi bien sur des accidents de santé, des habitudes (alimentaires, de comportement) et des émotions ressenties. L’essentiel pourtant demeure la nature des changements constatés ou redoutés. « Le tempérament de mon fils en santé étoit plustot l’indolence que l’activité, son humeur étoit calme, aujourd’hui elle est triste mêlée de vivacité.» La maladie sépare ces deux états et transforme le malade lui-même: « Je ne relève cette circonstance très ordinaire », ajoute le père, « que pour vous donner une idée de sa constitution »90. Le temps peut aussi apporter des améliorations. Constant d’Hermenches se lamente du tempérament originel de son fils. « Cet enfant est très délicat, la nature s’est trompée il a pris le temperament de sa mere »91 et, en dépit d’un séjour en Angleterre, il n’aurait pas « prosperé du coté fisique »92. « Il n’est pas malade », lui rétorque Belle de Zuylen, « il est seulement delicat, le tems peut le rendre plus robuste, mille exemples vous doivent donner cette esperance; et puis c’est rarement qu’on voit une ame forte, un cœur sensible, un esprit delié dans la compagnie de gros nerfs et d’une santé invulnerable »93. La constitution des personnes raffinées ne peut être que fine et exquise, si ce n’est pas le cas, elle peut le devenir… LE CORPS SEXUÉ En dépit de la proximité théorique des modèles anatomiques masculins et féminins, énoncée par Thomas Laqueur, la lecture des textes engage à mettre en avant les distinctions de genre dans une logique plus proche de l’héritage hippocratique94. A côté du modèle de corps unique décrit par Laqueur, il subsiste un modèle autre du corps féminin, présent lui aussi dans la tradition médicale savante. 90

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BGE, Ms Lullin, 2 B5/149, Ami Lullin à [Théodore Tronchin] (copie mss), Genève, le 11 mai 1745. Charrière O. C., t. 1, p. 485, Constant d’Hermenches à Belle de Zuylen, Landreci, le 28 juin 1766. Charrière O. C., t. 1, p. 272, Constant d’Hermenches à Belle de Zuylen, s.l., le 21 août 1764. Charrière O. C., t. 1, p. 275, Belle de Zuylen à Constant d’Hermenches, s.l., le 23 août 1764. Laqueur 1990.

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Ce modèle ne s’oppose pas au premier, il en serait plutôt complémentaire. La femme y est décrite comme étant froide et humide, sujette à des vapeurs. Des changements d’humeur au moment des règles sont reconnus. Dans un sens, le corps féminin est caractérisé par ses pathologies et non par ses particularités physiologiques95. C’est peut-être cette dernière perspective, celle d’un modèle féminin différent de celui de l’homme, qui pèse le plus dans l’appréciation des femmes au quotidien96. En effet, l’évolution de leur santé est systématiquement associée à l’écoulement régulier de leurs règles: les cas évoqués des femmes Saussure, Frêne et Bonnet attestent de la réalité de ce principe97. De nombreux auteurs médicaux partagent cette conviction et s’interrogent sur les causes physiques des règles. Le plus souvent celles-ci sont corrélées à la faiblesse particulière du corps féminin98. Certains corps masculins sont également réputés faibles et grevés de caractéristiques féminines. Les écoulements réguliers, qu’ils proviennent de corps masculins ou de corps féminins garantissent un certain équilibre interne des humeurs. Leur interruption entraîne logiquement un déséquilibre et donc un changement d’état de santé99. Les règles ne sont ainsi pas l’apanage du seul genre féminin. Les hémorroïdes ou tout autre écoulement peuvent faire office de « règles masculines »100. L’interruption de tels écoulements est parfois la bienvenue, mais si elle est associée à une dégradation de santé, la stratégie médicale la plus logique est de rétablir l’écoulement interrompu. La solution proposée par plusieurs prati-

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Joan Cadden démontre la persistance dans les écrits médicaux d’autres modèles théoriques, alors que Helen King retrace la continuité d’un modèle hippocratique distinguant clairement la femme de l’homme jusqu’au XIXe siècle. Cadden 1993, pp. 13-53; King 1998, pp. 11 et suiv. Selon Michael Stolberg, un courant dominant en médecine reconnaissait la différence fondamentale entre hommes et femmes à partir de 1600, Stolberg 2005, pp. 93-94. Ici même pp. 224 & 233. Voir aussi Lord 1999, pp. 38-39; Louis-Courvoiser 2003, pp. 305-307. Lord 1999, pp. 46-48. Voir Biaudet 1956, p. 129; Lord 1999, pp. 41-42. Micheal Stolberg affirme qu’en vertu de l’explication pléthorique des menstrues, des règles masculines n’impliquaient pas une féminisation de l’homme; cette distinction savante semble avoir peu d’effet sur les patients. Stolberg 2005, pp. 96-97. Voir Duden 1991, pp. 115-119 et surtout Pomata 2001 & Stolberg 2005, pp. 9598.

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ciens aux troubles visuels de l’abbé de Bellelay en est une bonne illustration. « L’origine du mal venoit de la suppression depuis deux ans des hemorhoîdes, auxquelles M. l’abbé étoit sujet »: il s’agit donc de les rétablir. La constitution ou encore le mode de vie peut contribuer à réduire la distance entre les genres. Il importe au jeune homme, afin de se distinguer des femmes, de s’adonner à l’exercice. La différence sexuelle est ici artificielle101. Les corps de certains hommes sont « féminisés ». C’est le cas de ceux de Louis Odier102 et de JeanJacques Rousseau103: des corps dépourvus de force virile et habités par des pathologies féminines, des « vapeurs ». Les règles peuvent être le garant de la bonne santé d’un homme affaibli, mais dans le cas de femmes constitutionnellement faibles ou constitutionnellement pléthoriques, elles sont attendues. Les premières règles sont une articulation importante dans la santé d’une femme104. Amélie de Saussure n’en fait pourtant pas un drame lorsqu’elle annonce que sa fille est devenue femme. « Albertine vint hier mattin en rougisant m’anoncer qu’elle étoit grande fille, elle en à les yeux un peu battus, mais nulle incomodité ». Pour la mère, l’événement signifie avant tout que sa fille approche de l’âge adulte. La seule précaution qu’elle lui impose est une restriction à ses promenades le soir105. Cette nonchalance apparente cache un intérêt certain: l’âge des premières règles est notée et l’état de santé de la jeune fille suivi de près. Le fait que Judith de Saussure soit au fait de la date des 101

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Sur les exercices physiques masculins, voir Huguenot Society, Londres, Famille Deluc, Fdl 1/1, Jean-François Deluc à Jean-André Deluc, Genève, mars 1778. Pour l’abbé de Bellelay, voir Frêne, p. 1444. « Je ne laisse cependant pas de d’être femme à bien des égards. Il y a quatre ans que je ne mange ni viande ni poisson. Pendant tout le temps de mon séjour en Ecosse et en Angleterre, j’ai bu que de l’eau. Je n’ai pris que très peu d’exercice, aussi j’ai quelque fois des vapeurs, mais c’est tant mieux. Je suis quitte d’une infinité de maladies auxquelles j’étois sujet, et il me suffit de ne point faire d’excès pour me porter aussi bien que je souhaite ». BGE, Ms fr 4152, Louis Odier à Suzanne Baux, Leyden, 23 avril 1773. Rousseau souffre de vapeurs dans sa jeunesse sans les associer au genre féminin. Il développe ailleurs l’idée de la féminisation du corps masculin. Voir plus haut p. 91 (n. 135). L’ethnologue Yvonne Verdier assimile cette étape à celle de la première communion sans qu’il y ait corrélation automatique, comme le signale Jacques Gélis, avec la date des règles. Gélis 1984, pp. 33-34. BGE, Archives Saussure 237/173, Amélie de Saussure à Horace-Bénédict de Saussure, Genève, mercredi midi.

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premières règles de sa belle-sœur, Amélie de Saussure, atteste à la fois de l’attention particulière qui entoure cet épisode et du sens médical attaché à l’événement106. Comme à d’autres moments critiques, des excès ou des accidents à ce moment particulier peuvent avoir des suites fâcheuses. C’est le cas d’une jeune fille dont l’histoire est rapportée dans une lettre adressée à Tissot: arrivée à « l’age critique » (16-17ans), elle aurait sombré dans « des tristesses des envies de pleurre[r] des yeux bouffis, une grande paleur, beaucoup de sensibilité pour le froid, une inquiétude dans l’estomac, sur tout lors qu’elle s’occupoit de quelque chose ». Au-delà de la puberté, la régularité des règles d’une femme, moyennant une certaine profusion et qualité, constitue un gage de bonne santé. En conséquence, il s’agit de relever tout changement de rythme, signe possible d’une détérioration de santé. Angletine Charrière de Sévery insère une croix dans son journal au moment de ses règles pour en surveiller la chronicité107. Si elles s’interrompent, sont irrégulières ou peu abondantes, elles suscitent des inquiétudes108. La suppression des règles effraye. Les proches guettent leur retour et les souhaitent « abondantes »109. Provoquer le retour des règles de femmes malades constitue ainsi un objectif thérapeutique commun110. Un succès dans ce domaine éveille des attentes. « Les regles sont revenues de puis 2 jours, lors que nous ne l’esperions plus quoiqu’elles ne viennent pas tres abondamment » écrit Mme Roquefeuil, « il me semble que ce simptome est trop important pour n’en pas concevoir beaucoup d’esperance »111. Certaines pathologies sont plus particulièrement féminines. C’est le cas des maux de seins, des vapeurs ou « mal de mère », cette dernière expression renvoyant à un mal qui serait provoqué par la matrice112. 106

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Voir ici même p. 237. L’âge moyen des premières règles en France serait alors seize ans. Gélis 1984, p. 34. Les croix sont parfois qualifiées par « le matin » ou « après midi ». ACV, P Charriere Ci 33, Angletine Charrière de Sévery, [Journal], les 21 mars, 26 avril, 4 juin 1790. FT, II/144.05.01.34, M. Ricou, Bex, le 2 août 1790. Un observateur regrette que le retour des règles n’ait pas été à même de « détourner » les humeurs. FT, II/144.05.01.18, J. de Bottens, Neuchâtel, le 14 décembre 1789. FT, II/144.05.01.01, C. de Diesbach, Carrouge, le 16 décembre 1789. Voir également plus haut p. 124. FT, II/144.05.06.17, Mme Roquefeuil, Vevey, le 27 novembre. King 1998, p. 34.

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Le terme « mal de mère » est ancien, mais usuel. Madame Pilet souffre dans tous ses membres, son ventre et même son cœur, elle aurait des vents et, croit-elle, un « dérangement de mère »113. Le mal de mère est associé soit à des vapeurs soit à des maux nerveux. Le lien avec les vapeurs est logique: elles proviendraient de la matrice elle-même. Le rapport avec les nerfs est plus ténu. Les nerfs des femmes sont réputés plus délicats, plus sensibles que ceux des hommes114. Souffrir de vapeurs, comme des nerfs, est un signe de sensibilité et d’une certaine distinction. « Une femme qui a de l’esprit naturel et acquis et de la sensibilité, mais qui a un penchant à la tristesse et aux vapeurs, qui même en a eû, dit-on, des accès trèspénibles » est le portrait que dresse Pierre Prévost pour recommander une femme à Isabelle de Charrière. La dichotomie entre les vapeurs et l’esprit est apparente, mais de fait l’ensemble est cohérent115. Un certain tour d’esprit et des vapeurs vont de pair. La mélancolie générée par des vapeurs en est un avatar. « Je suis depuis quelques jours disposée à la tristesse », écrit Susanne Baux, « sans savoir trop pourquoi, je m’imagine que les femmes sont sujettes à ce malheur la.»116 La tristesse peut être un symptôme, mais également la cause d’une nouvelle dégradation de santé. « J’ai lieu de me réjouïr », écrit une correspondante anonyme d’Isabelle de Charrière, de « l’empressement que j’ai mis à conjurer ma mère de bannir de son esprit les idées sombres qui s’opposent au rétablissement de sa santé »117. Les femmes sont réputées plus vulnérables aux émotions, notamment le chagrin et le désespoir: le soin que Frêne prend de sa femme à des moments de haute intensité émotive sont ici emblématiques. Plus généralement, le corps féminin est réputé faible et nécessite des précautions particulières, notamment au moment des règles. Un passage d’une lettre d’Isabelle de Charrière, rédigé à l’intention d’une jeune neuchâteloise appelée à séjourner dans des contrées allemandes, est à ce propos révélateur. En signalant l’absence d’attentions pour les femmes allemandes au moment de leurs règles, elle

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FT, II/144.04.02.17, Marianne Pilet, née Ducrot, Yverdon, le 18 juillet 1791. Georges S. Rousseau 1991, p. 46. Charrière O. C., t. 5, p. 87, Pierre Prévost à Isabelle de Charrière, Genève, le 1er mai 1795. BGE, Ms fr 4152, Suzanne Baux à Louis Odier, Genève, le 12 avril 1773. Charrière O. C., t. 5, p. 244, s.n. à Isabelle de Charrière, Carouge, le 20 mai 1796.

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décrit les ménagements réservés aux femmes à Neuchâtel : « Elle ne doit pas s’attendre à trouver dans le paÿs où elle va les mêmes menagemens qu’on observe dans celui ci. On se gène un jour ou deux tout au plus, et les femmes qui ne sont pas malades de cette affaire là, ne se genent point du tout. Si l’on ne danse pas autant qu’à l’ordinaire on danse cependant, on se promene on fait des visites. Je n’ai jamais vu d’affiche ni menagemens comme on en a à Neuchatel, et il ne me paroit pas que les femmes s’y portent mieux qu’ailleurs.»118 L’anecdote révèle que les mêmes particularités corporelles pouvaient donner lieu à des pratiques différentes en dépit de leur enracinement dans un même paradigme médical. Dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle, un trait rassemble les corps féminins de différents lieux, c’est leur sensibilité. Partout elles requièrent des précautions particulières. Isabelle de Charrière recommande, par exemple, à Mme Huber, récemment accouchée, d’« éviter tout ce qui peut affecter des nerfs trop délicats, soit par l’ouïe, soit par l’odorat »119. Pour les jeunes filles malades, souffrant de vapeurs ou des nerfs, le mariage est désigné comme une mesure thérapeutique possible120. Certaines jeunes filles en sont elles-mêmes convaincues. En août 1767, Louis Odier se promène en compagnie de Mlle D’Ivernois : « Elle nous parlait des maux de nerfs. Le mariage disait-elle, décide ces maux-là. Souvent il les aggrave ; souvent aussi il les guérit », résume-t-il dans son journal d’adolescent121. La science médicale tend à confirmer ce fait. Les statistiques signalent l’infériorité de l’espérance de vie des filles par rapport à celle des femmes mariées, et cela en dépit des morts en couches évaluées à 1 sur 80122.

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Charrière O. C., t. 5, p. 397, Isabelle de Charrière à Caroline de Sandoz-Rollin, s.l., le 11 janvier 1798. Charrière O. C., t. 5, p. 92, Ludwig Ferdinand Huber à Isabelle de Charrière, s.l., le 7 mai 1795. Par exemple, Charrière O. C., t. 4, p. 500, Henriette L’Hardy à Isabelle de Charrière, s.l., le 14 juillet 1794. BGE, Ms fr. 5643/1, Louis Odier, Journal N° 2. le 1er août 1767 L’auteur de cette analyse évoque la possibilité que les filles malades se marient moins, mais estime d’autres facteurs importants, notamment l’aisance, la dignité que les femmes trouvent dans leur statut de mère et la tenue d’un ménage « les occupe d’une manière plus suivie et plus favorable à la santé ». Odier 1814, pp. 11-13.

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A priori, le corps masculin doit être perçu comme étant construit négativement. Un corps sans matrice, sans vapeurs et sans règles systématiques… Pourtant, il demeure un domaine où le corps des hommes s’impose dans sa différence, c’est celui de l’économie de la semence. Comme pour les autres fluides corporels, un flux modéré mais régulier serait garant d’une bonne santé, alors que toute perte excessive de sperme présagerait d’un déséquilibre sanitaire important. Les préoccupations masculines sur ce point se lisent dans certains documents. Les causes les plus souvent évoquées pour expliquer le déséquilibre de cette économie sont des « pollutions nocturnes », la fréquentation excessive des femmes et l’onanisme123. Horace-Bénédict de Saussure relève ses pollutions nocturnes dans des cahiers quotidiens, témoignant ainsi de sa volonté d’en établir la fréquence. En déployant une rhétorique allusive, mais claire, Louis Odier avoue à sa fiancée avoir été initié aux pratiques d’Onan par ses amis au Collège. Il se déclare pourtant heureux de n’avoir pas sombré démesurément dans ce « vice », rassurant ainsi sa future épouse sur le risque d’un déclin ultérieur de sa santé124. Odier n’est pas explicite quant aux effets médicaux qu’il aurait encourus s’il avait persévéré dans cette voie « funeste ». Antoine Louis Lullin est plus précis dans l’examen de conscience qu’il rédige en 1745: L’impureté [...] nous fait plaire à de mauvaises lectures, elle salit notre ame par des pensées criminelles, elle nous fait tenir des propos indécens, elle détruit la pudeur, la douce innocence, et conduit à des libertez contraires à la chasteté, condamnées dans l’écriture, mais de plus très pernicieuses et funestes à la santé, de même qu’au bonheur de nos jours. Non seulement ces libertés souillent notre ame par des desirs et des projets de paillardise, même quelque fois d’adultère, mais elles apprauvrissent nôtre sang, elles ruinent les organes de la génération, elles otent le beaume de la vie, et le principe de la vigueur, elles affoiblissent l’estomac qui ne faisant plus qu’une coction indigeste distribue un chile mal préparé dans toutes les parties du corps et forme un sang inflammatoire. Dans cet état on porte le levain intérieur de plusieurs maladies, de la langueur* d’estomac, de l’embonpoint mol et lache, des 123

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Tissot ne consacre qu’une courte section aux onanistes de sexe féminin, Tissot 1991b, pp. 61-67. BGE, Ms Fr 4153, Louis Odier à Andrienne Lecointe, s.d. [1779]. Sur les onanistes, voir Stolberg 2000, p. 9.

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aigreurs, de la diarée, de la vue offusquée et nuageuse, tot ou tard des ardeurs d’urine, et même du gravier dans les reins. Plusieurs jeunes gens ont avancé leur mort, par l’habitude de ces détestables libertés, et beaucoup d’autres dans l’age suivant se sont vus privés d’avoir une famille; tels sont les funestes malédictions attachées à de pareils excès125.

Cet extrait des résolutions prises avant la première communion du jeune homme illustre la forte imbrication médico-morale de l’onanisme et du libertinage au XVIIIe siècle, et signale par la même occasion la solide implantation d’idées médicales sur ces pratiques bien avant la sortie de l’Onanisme de Tissot en 1760126. Le contexte d’énonciation, un examen de conscience, rend hasardeuse toute interprétation quant aux pratiques du jeune homme. Par contre, le niveau de savoir théorique et médical est probant: certains des malades « onanistes », écrivant à Tissot ou à Geoffroy, emploient le même euphémisme de « liberté » et décrivent une vaste palette de maux dont plusieurs figurent sur la liste de Lullin127. Le corps «enceint» Le corps des femmes se singularise par sa capacité à donner la vie. Qu’il s’agisse d’un phénomène naturel ou d’un processus hautement surveillée par des médecins, la grossesse est un moment délicat dans la vie d’une femme. Le faible nombre de développements sur les femmes enceintes dans les textes autobiographiques est à la fois consternant et intrigant128. La correspondance privée est remplie d’allusions à des accouchements heureux, à des naissances difficiles ou à des agonies atroces129. Le silence plane sur les stratégies déployées pour concevoir un enfant, ou encore sur la lecture des 125

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L’auteur de la citation souligne. BGE, Ms Lullin 2 B3, Lullin, Antoine Louis, Résolutions à ma première Comunion de Noël 1745. Le dépérissement, la perte de poids, la langueur, la détérioration des organes de la génération, le mauvais fonctionnement de l’estomac figurent parmi les symptômes évoqués, Tissot 1991b. Stolberg 2000, pp. 13-14. La pudeur peut être responsable de certaines omissions, mais également le cadre formel de l’écriture autobiographique. Voir à ce propos Piller 2007, p. 119. Par exemple Charrière O. C., t. 2, p. 274, Belle de Zuylen à Constant d’Hermenches, Colombier, le 23 avril 1772; BGE, Ms fr 4158, Louis Odier à Daniel De la Roche, Genève, le 14 septembre 1795.

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signes corporels trahissant une femme enceinte130. Il faut recourir aux procédures criminelles, notamment aux instructions menées sur des naissances illégitimes, pour trouver explicitées des conceptions sur la génération. Le contexte est alors particulier; les femmes, souvent d’extraction modeste, cherchent à convaincre l’officier de justice qu’elles ne sont pas responsables de ce qui leur arrive131. Plusieurs filles mères déclarent devant les autorités pénales ne pas considérer s’être mises dans le cas d’être enceintes; elles affirment ne pas avoir été consentantes et donc, en niant leur plaisir, rejettent de fait la possibilité d’être enceintes132. Louise Dubois parvient même à tromper ses proches, les soignants et peut-être même elle-même, jusqu’à son accouchement133. Cette incertitude n’exprime pas que l’embarras des femmes devant répondre de leur comportement, même des femmes mariées et d’un rang élevé éprouvent des états de grossesse ambigus. La grossesse de la Princesse d’Orange « a été declarée solennellement », écrit Belle de Zuylen en juillet 1770. « On a douté longtems, elle n’a point été comme une femme qui se porte bien et qui n’est pas grosse depuis la petite verole: les indices sur lesquels on s’est aparemment determiné sont quelquefois trompeurs »134. Selon les chiffres réunis par Alfred Perrenoud, la norme à Genève au XVIIIe siècle serait d’un ou deux enfants par couple135. Ces données suggèrent une forme de planning familial. Les motivations des couples et les pratiques mises en œuvre pour atteindre une telle moyenne ne sont pas explicitées dans les sources conservées. Même la grossesse est peu documentée136. Catherine Charrière de Sévery et 130

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Les signes reconnus de la grossesse sont l’interruption du cycle des règles, les nausées, un certain embonpoint. La grossesse serait admise dès que le mouvement de l’enfant était attesté. Laget 1982, pp. 43-44. Pour l’histoire de la paillardise et les affaires de viol instruites à Genève, voir Burgy 1980; Egli 1982; Porret 1992; Rieder 1998a. Le plaisir est encore considéré comme un facteur essentiel à la procréation au siècle des Lumières. Par exemple AEG, PC 9841 & 12865. Sur les idées médicales, voir McLaren 1985; Laqueur 1990. Voir p. 337. La durée de la grossesse l’incite à douter encore quatre mois de sa réalité. Charrière O. C., t. 2, pp. 199 & 228, Belle de Zuylen à Diederik Tuyll van Serooskerken, Zuylen et Utrecht, les 9 juillet 1770 et 29 novembre 1770. Perrenoud 1979, pp. 111-118. Voir Monter 1980, pp. 198-199. De telles pratiques seraient rares en France avant la fin du XVIIIe siècle. Laget 1982, pp. 101-104.

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Amélie de Saussure ont laissé quelques allusions à leurs grossesses. L’état du corps pendant les premiers mois est particulièrement ambivalent et confirme les incertitudes sur la réalité de la grossesse137. Une lettre rédigée au printemps de l’année 1767 laisse entendre que les époux Saussure pourraient attendre un heureux événement: « J’écris devant ma fenetre qui est ouverte », écrit Amélie à son mari, « air de printems m’en chante, que ce seroit dommage de ne pas profiter du prochain selon nos plans. Mais que j’ai peur de ne pas pouvoir, car je ne deviens point malade, ha mon mari, je crois que vous êtes un fripon qui m’avez trompé, qui peut être vous êtes trompé vous même. Je n’en ai cependant pas d’autres preuve que celle de me porter trop bien.»138 L’allusion est elliptique, mais les lettres suivantes confirment la réalité d’une grossesse. Cette mère en devenir, apparemment incapable d’identifier le début de la gestation, délègue d’autres aspects de la grossesse à sa grand-mère. Le bébé à venir « fait du bruit, mais bien plus honnetement que les premiers jours qui suivirent cette vilaine collique. Sait tu que mama m’a prouvée qu’elle etoit dans son 7eme mois cette petite car je crois que c’en est une »139. La mère a une intuition quant au genre de l’enfant à venir – qui s’avérera fausse –, mais n’évalue pas elle-même son terme ! Prévoir le terme suggère la connaissance du moment de la conception. Antoinette Vernet, par exemple, reconnue « foible d’esprit » par le Consistoire, accuse un certain Flournois de l’avoir rendue enceinte en s’appuyant sur le fait qu’il avait prévu la date de son accouchement140. Le journal que tient Catherine Charrière de Sévery ne donne que peu de renseignements sur la manière dont elle vit sa grossesse. Elle ne signale pas par quels signes ni à quelle date elle prend conscience de son état. Pour en reconstituer l’historique, il faut partir de la date de son accouchement le 21 novembre 1770. Elle devait être enceinte depuis le mois de février précédent. Son journal atteste qu’elle avait été « malade » les 8 et 13 mars. A la mi-avril, elle 137 138

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Gélis 1984, pp. 109 et suiv. ; Duden 1991, pp. 159-160. BGE, Archives Saussure 237/92, Amélie de Saussure à Horace-Bénédict de Saussure, Rolle, mardi matin [Printemps 1767]. Selon Zola, des nausées constituaient une preuve attendue, voire bienvenue, d’une grossesse. Zola 1966, p. 618. BGE, Archives Saussure 237/150, Amélie de Saussure à Horace-Bénédict de Saussure, s.l., mercredi à 3h 30 [juillet 1767]. AEG, R. Consist. 82, le 3 juin 1734.

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souffre d’une colique et de vomissements pendant plusieurs jours. Ce sont peut-être là des signes qui lui confirment son statut de mère en devenir141. Ses amis ne se manifestent qu’au sixième mois. Le 13 août, son amie Louise de Corcelles lui intime l’ordre de se ménager: « Je veux toujours savoir précisément comme vous vous portez. Je vous demande en grâce de ne pas vous échauffer.»142 Pendant plusieurs mois, la future mère se plaint de fatigue et de langueur*. Le 10 septembre, elle apprend la mort d’une connaissance en couches: « Il ne m’a pas semblé que cela m’eut donné de l’émotion. Cependant cela m’a boulversée par réflection, j’ai beaucoup pleuré. La vie m’est si douce, avec mon cher ami et mon enfant, que la pensée de les quitter me peine le cœur.» Elle pleure à plusieurs reprises les jours suivants. Le 20 septembre, deux mois avant son terme, elle se décrit comme inquiète et vulnérable. Le lendemain, elle souffre de « maux de reins »143. Ses inquiétudes la reprennent et elle pleure encore. Le 28 septembre, elle confie à son journal: « Je suis malade, triste, je me fais des remords affreux avec l’idée de mourrir en couche, qui ne me quitte point […], le cher Culotin144 doit partir dimanche pour Mex, cela me fait maigrir de chagrin, le reverrai-je? Peut-être mourai-je en couche.» A d’autres moments elle fait preuve d’une certaine distance. Lorsqu’elle souffre d’une colique à la fin de sa grossesse, « on croyoit que j’allois faire ma pondaison », rapporte-t-elle145. Elle piétine à l’approche de son terme et toute la maisonnée est sur le quivive. « Mon cher ami à tout moment attend que j’accouche.» Il n’est pas seul. « J’attends à tout moment la petite fille, espérant s[’il] p[laît] à Dieu que tout ira bien », confie la mère en devenir à son journal146. Le 20 novembre elle rapporte avoir pleuré tout le jour: « J’avois déjà des venues de maux de reins.»147 Le lendemain, « avant 4 heures du matin la petite fille est venue au monde le plus heureusement du monde. Mon bon ami et Tissot ont eu des soins de moi qui

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Jnl Sévery, les 12 au 18 avril 1770. Charrière de Sévery [1924], p. 54, Louise de Corcelles à Catherine Charrière de Sévery, les Jaunin, le 13 août 1770. Jnl Sévery, le 22 septembre 1770. Son fils Wilhelm Charrière de Sévery. Jnl Sévery, le 12 octobre 1770. Jnl Sévery, le 13 novembre 1770. Jnl Sévery, le 20 novembre 1770.

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ne se peuvent exprimer, ma couche a été heureuse. Je n’ai vu personne que le 11e jour, ils ont été bien scandalisés au Chesne, mais ma première envie étoit de me tirer d’affaire, et j’aurois pris le transport au cerveau, si on m’était venue agiter »148. La nature pathologique d’un état d’esprit changeant, relevé ailleurs à de nombreuses reprises, l’incite à prendre des dispositions sociales conséquentes. Le journal de Catherine ne rapporte pas si elle avait pris un remède « pour prévenir les tranchées qui tourmentent quelquefois ces pauvres femmes » dont la recette lui est adressée par un parent de son mari149. Elle se lève pour la première fois le 26 novembre. Par la suite elle est alternativement « bien » et « moins bien ». Le 28, à la suite d’une mauvaise nuit, elle rapporte: « On m’a retranché la nourriture et je ne me suis pas levée ». Elle est purgée le 30 novembre et se purge encore le 11 décembre. Catherine continue à surveiller de près sa santé et à prendre des fortifiants. Etonnamment, elle ne signale pas avoir été saignée pendant sa grossesse; c’était pourtant une mesure prophylactique commune, un moyen courant de se prémunir contre le danger d’un excès de sang consécutif à l’interruption des règles150. Tissot, un praticien souvent consulté par la famille Charrière de Sévery, encourage une amie à se faire tirer du sang alors qu’elle souffre d’« incommodités » au cours de sa grossesse. Ces dernière « diminueront dès que l’on vous aura saignée, aussi si cela n’est pas fait je vous conseille de le faire sans différer, mais que la saignée soit petite », lui recommande-t-il151. Les laïcs eux-mêmes trouvent des raisons de faire saigner les femmes enceintes. Les « frequentes hemoragies » dont souffre Henriette Monachon enceinte, incitent sa maîtresse à la faire saigner et à lui poser des sangsues au dessous de l’oreille: « Le mal n’est pas grave à ce que je crois. C’est moins de la tête que vient le sang que d’un engorgement de petits

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Jnl Sévery, le 21 novembre 1770. ACV, P Charrière, Ce 4, M. de Mex à Salomon Charrière de Sévery, le 23 janvier 1767, Pour les femmes nouvellement accouchées. Mirabeau nie la nécessité de la saignée pendant la grossesse à moins que « la nature n’en indique le besoin; ce qu’elle fait souvent par de grands maux de tête, des éblouissemens, et, en un mot, des symptômes qu’ il ne faut point être médecin ou chirurgien pour reconnaître ». Mirabeau 1792, pp. 40-41, le comte de Mirabeau à Sophie, le 16 août [1777]. Voir aussi Laget 1982, p. 50. Charrière de Sévery 1928, p. 42, Tissot à la comtesse Golowkin, s.l., le 8 juin [1765]. Pour les saignées des femmes enceintes, voir aussi ici-même p. 62.

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vaisseaux.»152 D’autres ménagements, il est peu question. Catherine Charrière de Sévery ne modifie que peu ses habitudes, si ce n’est en restreignant ses déplacements, alors qu’Amélie de Saussure se ménage constamment, évitant le moindre effort et adaptant son régime au plus près de ce qui est considéré comme le mieux153. Pour la femme enceinte, les ménagements prescrits portent notamment sur leurs émotions: l’imagination des femmes est réputée pouvoir marquer l’enfant à venir154. Ainsi, l’inquiétude, la peur, toute émotion violente précédant l’accouchement suscitent des mesures thérapeutiques. Les envies de femmes enceintes ne doivent être frustrées, faute de quoi l’enfant pourrait porter les traces de la frustration. « Une raison de vous croire grosse », écrit Isabelle de Charrière à une jeune mariée en octobre 1803, « c’est qu’on a demandé des abricots pour vous à ma belle sœur comme si on craignoit pour votre enfant une tache de couleur d’abricot »155. Un désir frustré peut laisser une tache à même la peau de l’enfant alors qu’une frayeur peut provoquer une fausse-couche156 ou laisser une marque représentant la cause de l’effroi. Les femmes cherchent à s’en prémunir, comme Albertine Necker qui évite de saluer son père lors de son départ pour une course périlleuse, de crainte des effets de l’émotion sur son enfant157.. Si d’aventure l’émotion était ressentie en dépit des précautions, un sentiment de culpabilité pouvait s’ensuivre. « Au moment qu’elle vit son frere revenir seul et ne ramenant pas le pere de son enfant elle sentit une émotion puis une revolution fort grande et elle

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Charrière O. C., t. 3, p. 329, Isabelle de Charrière à Caroline de Sandoz-Rollin, s.l., le 7 janvier 1792. Elle s’interdit le café et prend des aliments légers. Laget 1982, pp. 33-35 et p. 46 et suiv. Gélis 1984, pp. 118 et suiv. En 1726, l’affaire de Mary Toft en Angleterre illustre l’indécision des penseurs médicaux à ce propos. Voir Seligman 1961. Plus généralement consulter Nicolson et Rousseau 1968; Wilson 1992; Marx 1980, pp. 151-153. Charrière O. C., t. 6, p. 549, Isabelle de Charrière à Isabelle Morel-Gélieu, s.l., les 2-3 octobre 1803. « Juillet 1739. [....]. Cette couche prematurée fut vraysemblablement ocasionée par la frayeur d’un carosse dont les courroyes de derriere rompirent en revenant de souper ». Huguenot Society, Londres, Famille de La Motte, Livre de raison de Jean Lagier Lamotte. « J’ai craint une émotion trop vive pour l’enfant que je porte » s’excuse-t-elle dans une lettre. BGE, Archives Saussure 238/24, Albertine Necker à HoraceBénédict de Saussure, s.l., s.d.

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dit: Mon enfant meurt je le sens, je me suis trop livrée à mon desespoir !» rapporte Isabelle de Charrière de Françoise Sandoz (17641794) qui accouchera d’un mort-né. « Elle le regret[te] et des reproches qu’elle se fesoit sans les avoir merités se joignirent à ses autres douleurs.»158 Ainsi, une émotion vive, une envie frustrée, la peur, la crainte ou l’inquiétude peuvent être nuisibles aux femmes enceintes ainsi qu’aux enfants qu’elles portent. Certains théologiens assimilent même à un infanticide tout acte involontaire et imprudent, toute émotion ou activité violente susceptible de provoquer une fausse-couche159. Les angoisses de Catherine Charrière de Sévery à l’idée d’accoucher sont à la fois motivées et courantes160. Contrairement à la résignation évoquée par Mireille Laget, les sources privées signalent l’inquiétude des femmes enceintes et les stratégies de survie qu’elles élaborent161. La mort de femmes en couches est assez commune pour que les jeunes femmes aient connaissance du danger avant de devenir elles-mêmes mères. L’horreur se raconte. Corcelles [...] m’apprend que d’Hoïn a reçu la nouvelle de la mort de la comtesse de Callemberg au neuvième jour de sa couche, me voilà absolument renversée, craignant pour la petite femme [Madame de Saint-Cergues]; voyant en imagination Callemberg nous arriver en pleureuse, en convulsions, tourmenter notre vie. Enfin, je vis tout à la fois tant de choses odieuses que je n’en suis pas remise, je n’en ai pas fermé l’œil et me voilà plus abattue, plus retardée que si j’avais été à la charrue; par surcroît la pauvre Lavanchy est au mal d’enfant depuis deux jours et n’accouche point, je ne la perds pas de vue et mes servantes y sont jour et nuit162.

Le potentiel émotif, couplé à la possibilité des effets sur la santé de la future mère et de son enfant, conditionnent les stratégies des proches et les incitent à chercher à rassurer à tout prix. Tissot, par exemple, 158

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Charrière O. C., t. 4, p. 666, Isabelle de Charrière à Henriette L’Hardy, s.l., le 9 décembre 1795. Laget 1979, pp. 180-182. Les Frêne s’inquiètent également, ici même pp. 221-222. Voir aussi Macfarlane 1977, pp. 84-85. Laget 1982, pp. 44 et suiv. Charrière de Sévery [1924], pp. 132-133; Charrière de Sévery 1978, t. 2, pp. 228-229, Louise de Corcelles à Catherine Charrière de Sévery, s.l., s.d.

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s’efforce de combattre les « craintes chimériques » d’une femme enceinte qui « affectent toutes les femmes » enceintes, mais ne lui donneraient « pas la plus petite inquiétude »163. Il n’est pas le seul à tenir de tels propos164. La circularité est parfaite. L’inquiétude devient une cause possible de mauvaise santé et donc de nouvelles inquiétudes. LE CORPS PERMÉABLE Le fort enracinement des corps dans leur environnement au XVIIIe siècle est un principe qui émerge clairement des parcours individuels et collectifs. L’idée est fermement engoncée dans la culture médicale et doit être associée à des notions médicales héritées de l’Antiquité, notamment celles énoncées dans le classique Airs, Eaux, Lieux du corpus hippocratique (Ve-IVe siècles av. J. C.)165. Le lieu y est décrit comme étant central à la compréhension et à l’interprétation médicale des maladies de ses habitants166. Cette perspective est reprise et radicalisée à partir du XVIIe siècle et surtout au XVIIIe siècle, par un courant médical dit « néohippocratique », lequel répète inlassablement l’importance de l’environnement pour la santé167. L’air propre du lieu contribuerait à façonner le tempérament individuel, et cela d’autant plus que l’enfant est jeune. Les effets sont parfois collectifs. Constant d’Hermenches postule que le climat serait responsable de l’atmosphère à La Haye; « l’indiference et le mauvais gout, circulent pele mele avec le scorbut dans le sang de votre chere patrie ma chere Agnes »168. La tirade d’Hermenches est réductrice et certainement provocatrice, mais elle repose sur les corrélations toujours établies entre les corps, le lieu et le climat. Les objectifs de cer163

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Charrière de Sévery 1928, p. 44, Tissot au comte et à la comtesse Golowkin, s.l., [le 4 septembre 1765]. Isabelle de Charrière adresse des propos similaires à sa sœur enceinte. Charrière O. C., t. 2, p. 375, Isabelle de Charrière à Dorothea Henriette van Tuyll van Serooskerken, Genève, le 30 juin 1781. Au sujet de cette permanence, voir Miller 1962. Hippocrate 1996, pp. 187-188. Pour une histoire de cette école médicale, voir Riley 1987 et Rey 1992, pp. 270-272. Charrière O. C., t. 2, p. 69, Constant d’Hermenches à Belle de Zuylen, Besançon, le 31 décembre 1767.

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tains auteurs médicaux du siècle sont de cerner plus clairement les causes environnementales de la morbidité. Un genre scientifique particulier en émane, la topographie médicale: des traités où chaque lieu est associé à la fois à une disposition particulière, à un terrain type, à un climat propre et à une flore/faune déterminée169. Si les conséquences de cette production savante sur les conceptions laïques sont peu claires, force est de constater que personne ne conteste l’importance de l’environnement sur la santé. La littérature de vulgarisation médicale le répète à souhait. Antoine Porchon, par exemple, l’auteur des Regles de la santé. Ou le veritable regime de vivre, que l’on doit observer dans la santé et dans la maladie, publié en 1684, recommande d’emblée d’opter pour un lieu de vie où l’air soit « subtil, clair, serein, agréable, libre et découvert, s’il se peut à tous les vents ». La qualité de l’air est, dans cette médecine, directement influencée par les vents, les émanations telluriques, la végétation, la disposition des lieux et de nombreuses autres caractéristiques. Il peut, comme le rappelle le même auteur, être influencé par « le voisinage des étangs, cloaques, rivière ou ruisseaux qui reçoivent quantité d’égouts et d’immondices; s’il est renfermé de montagnes, et voisin de plantes vénéneuses ou de mauvaise odeur, non seulement il prive les esprits de leur nourriture, mais il les infecte et corrompt les humeurs »170. Contrairement à ce que laisse entendre le conseil médical qui précède, les particuliers ne pouvaient que rarement choisir librement leurs lieux d’établissement. Ils sont la plupart du temps enchaînés au lieu qui les a vu naître. Que signifie cet enracinement au quotidien? Une évaluation possible du lien entre le corps et son environnement consiste à observer les conséquences de sa rupture. Le plus souvent l’effet est négatif. Au cours de l’hiver 1774-1775, les Charrière de Sévery demeurent à Hanau171: le lendemain de son arrivée et après avoir lu avec émotion des lettres de Suisse, Catherine se déclare malade, incapable de se « remuer », souffrant toujours de la « même angoisse pour [s]on paÿs »172. La nature de son malaise n’est pas 169

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La floraison contemporaine de ces topographies est frappante, Le Roy Ladurie et Desaive 1972; Meyer 1972; Peter 1989. Voir aussi Histoire et mémoires de la Société Royale de médecine 1779/1785. Porchon 1684, pp. 2-3. Voir aussi Patin 1632, pp. 3-10; Guthrie 1944a, p. 509 Ils avaient quitté Lausanne en juillet 1774. ACV, P Charriere Ci 12, Catherine Charrière de Sévery, Notre voyage d’Allemagne en 1774, les 7 & 8 novembre 1774.

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claire, bien que le mal du pays en soit une composante évidente. L’examen des termes employés dans de tels récits incite à ne pas interpréter ces plaintes comme un simple spleen passager. Le « mal du pays » ou nostalgie était alors un malaise reconnu, aussi tangible qu’une maladie pouvait l’être au XVIIIe siècle173. Il frappe des personnes de toutes les conditions sociales. On y trouve des mercenaires suisses174, mais aussi le célèbre médecin Tissot qui en aurait souffert au moment de ses études à Montpellier175. Plus généralement, lorsqu’un voyageur est atteint d’un mal considéré comme « dangereux », on lui recommande de rentrer chez lui pour retrouver l’air du pays176. Ainsi, « respirer l’air natal » ou « humer l’air du pays »177 sont des expressions courantes et littérales pourvues d’un sens médical précis178. Comme pour d’autres maladies, le malade en ressent d’abord de l’étonnement. A son corps défendant, Benjamin Constant se surprend à rêver de la Suisse et languit de s’en approcher; il « serait singulier », écrit-il, « que moi qui ai toujours mis une sorte de vanité à détester mon pays, je fusse atteint de Heimweh.»179 Pour un malade, le lien entre soi et son lieu natal peut être remis en question ou réaffirmé de façon inattendue180. Lorsque la comtesse Golowkin retourne en Allemagne avec son mari, leur médecin constate « avec le plus vif chagrin » s’être trompé « en espérant que Mme la comtesse allait jouir d’une santé ferme, et que l’air natal opérerait ce que les remèdes n’ont pas pu produire »181. La comtesse souffre peut-être 173 174 175

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Pour un bon aperçu de l’évolution des idées médicales, Rosen 1975. Starobinski 1966. Il déclare éviter de voyager pour cette raison. Voir Emch-Deriaz 1992b, pp. 1819, 101, 113 et 149. L’effet négatif de l’air d’Ypres sur sa santé incite le médecin Herrenschwand à renoncer à un poste lucratif. Burgerbibliothek, Bern, N Haller 446, Johann Friedrich von Herrenschwand à Albrecht de Haller, Morat, le 11 août 1743. Des convalescents ou des malades reviennent sur les lieux de leur enfance pour « humer » l’air de leur pays. Par exemple Jnl Frêne, 1209. Voir BCUL Dorigny, Fonds de Crousaz, VII/213, Ami Lullin à Abraham De Crousaz, Genève, le 24 août 1734. Charrière O. C., t. 4, p. 68, Benjamin Constant à Isabelle de Charrière, s.l., le 17 mai 1793. Il était rare de considérer son lieu natal comme néfaste à sa santé. Pour un exemple, Charrière O. C., t. 2, p. 151, Belle de Zuylen à Frederik Christiaan van Tuyll van Serooskerken, Utrecht, le 19-20 décembre 1763. Charrière de Sévery 1928, p. 22, Tissot au Comte de Golowkin, s.l., le 15 janvier 1765.

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d’une transformation de constitution comme Mlle Henry, « sans cesse incomodée. Son air natal lui étoit devenu étranger »182. C’est rare et alors difficile à concevoir. Certains malades déracinés, établis dans un pays étranger, attribuent un rôle déterminant au changement de lieu de séjour dans la dégradation de leur santé. « Je suis curé de Pontarlier, ville frontiere de France et je reside en Suisse depuis 10 mois », écrit le curé Colin dans sa lettre à Tissot. Ces quelques mots anodins servent à présenter un malade jusqu’alors inconnu du thérapeute, mais les références aux lieux reviennent plus loin dans la description de ses maux. « Depuis que je suis en Suisse je crains de me coucher parce que d’abord que je suis au lict et que je me suis endormi l’espace d’un quart ou demi heure je me réveille en épprouvant dans les pieds un mal etre ». Il précise avoir déjà souffert d’un mal semblable « etant en France » trois ans auparavant mais « cette maladie m’a reprise dans ce pays sans presque me quitter », conclut-il183. L’impression véhiculée par sa lettre est bien qu’il souffre du fait de son déracinement. Dans son cas, le malaise est plus désagréable qu’inquiétant. La décision de rentrer au pays prise par Jeanne-Louise Prévost, alors la gouvernante de Belle de Zuylen, lorsqu’elle tombe malade en Hollande, signale une maladie autrement alarmante. Elle n’affirme pas à proprement parler souffrir du mal du pays, mais le récit qu’elle fait de l’évolution de sa santé s’articule clairement autour du lieu où elle se trouve: «Vous avez vû que ma santé ne vouloit pas s’accommoder de l’air de ce pays », écrit-elle à Belle alors qu’elle est en route pour Genève. «Vous avez même été assez raisonnable pour dire que si vous croyez que celui de mon pays lui fut plus favorable vous sacrifieriez sans peine la satisfaction que vous aviez de m’avoir avec vous a celle de me savoir bien portante.»184 Sa santé se dégrade encore lors d’une halte à Paris, seul son « empressement de respire[r] l’air de Geneve » lui aurait « donné le courage » de se mettre en route185: à son arrivée au bord du lac Léman, elle se porte mieux, mais évite de dan182

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Charrière O. C., t. 6, p. 198, Isabelle de Charrière à Willem-René van Tuyll van Serooskerken, s.l., les 13-14 janvier 1801. FT, II/144.05.05.09, Le curé Colin, Fribourg, le 6 juin 1792. Charrière O. C., t. 1, p. 19, Jeanne-Louise Prévost à Belle de Zuylen, s.l., [29 septembre 1753]. Charrière O. C., t. 1, p. 26, Jeanne-Louise Prévost à Belle de Zuylen, De la diligence de l’Eau, le 15 novembre 1753.

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ser, « crainte de déranger ma santé dont je sens tout le prix, j’ai peine à comprendre qu’elle me soit revenue dans si peu de tems, cependant un grand appetit et l’embonpoint que j’ai m’en sont garans »186. Après un séjour à Nyon qui n’est pas agréable à sa santé, elle s’installe à Neuchâtel où elle déclare être mieux, mais ne peut « l’atribuer au changement d’air puisque je n’en crois pas de meilleur que celui de Nyon »187. Le corps est implanté dans un lieu propre et en fait littéralement partie. Comme le suggère le récit de Prévost, il profite, comme les végétaux, de l’air particulier du lieu188. Les lieux étrangers sont redoutés et leurs effets sanitaires sans cesse commentés. L’étranger peu pourtant s’avérer bénéfique. Charles Chaillet, par exemple, après un séjour à la Chaux-de-Fonds, disserte sur la qualité de vie à la montagne. Vous n’ignorez point qu’en général on est plus riche aux montagnes que dans le bas, qu’on a une nourriture mieux choisie, des habillemens plus éclattans et plus élégans, un air si subtil, que tous les esprits vitaux en acquièrent une vie nouvelle, en sorte que les hommes y sont grands et bien formés, les femmes y sont belles et douées d’attraits enchanteurs, l’un et l’autre sexe d’une grande fermentation d’ideés, qui semble devoir produire à la fin quelque chose d’excellent […] le même air qui produit des corps plus grands, plus forts et bien formés, donne plus d’agitation au sang, multiplie les sensations et fait naitre un plus grand nombre d’idées189.

L’air de la montagne est ici investi de vertus thérapeutiques190. De telle informations sur la salubrité supposée de différents lieux suggère à la fois l’importance de ce savoir et son emprise sur le quotidien. Alors que Belle de Zuylen se propose d’épouser le marquis de

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Charrière O. C., t. 1, p. 30, Jeanne-Louise Prévost à Belle de Zuylen, Genève, le 11 décembre 1753. Charrière O. C., t. 1, pp. 46 & 55, Jeanne-Louise Prévost à Belle de Zuylen, Genève, le 11 mai 1754 et Neuchâtel, le 5 septembre 1754. « Nous parlames entre autres de la salubrité de l’air de la cure de Tavanne, qui se remarquoit entre autres par les arbres et le fruit qui y reussissoient si bien ». Jnl Frêne, p. 413, le 20 août 1764. Charrière O. C., t. 5, p. 280, Charles Chaillet à Isabelle de Charrière, Neuchâtel, [hiver 1796-1798]. Pour un autre exemple: Charrière O. C., t. 5, p. 445, Isabelle de Charrière à Caroline Sandoz-Rollin, s.l., le 1er mai [1798].

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Bellegarde, son entourage s’efforce de l’en dissuader. « On m’a dit que les humeurs froides regnoient de pere en fils a Chamberi dans presque toutes les familles », écrit-elle à son ami Constant d’Hermenches191. L’association d’un lieu à des maladies héréditaires est un cas de figure extrême, mais chaque lieu a plus ou moins bonne réputation sanitaire. Ces appréciations sont associées aux odeurs, à l’expérience de tiers ou à une simple impression192. Albrecht de Haller tient compte de la réputation de l’air de Göttingen où il envisage de s’établir: « Assurément l’air de Berne est plus sain que celui de Gottingue », regrette t-il, tout en constatant que certains habitants y vivent néanmoins jusqu’à un âge avancé193. Isabelle de Charrière s’inquiète à l’idée que son ami Constant d’Hermenches, engagé dans la guerre de Corse (1768), soit posté à « San Fiorenzo où l’air est si mal sain à ce que dit Boswell »194. Elle reviendra à plusieurs reprises dans sa correspondance sur cette question en insistant pour qu’il y prenne « des precautions des preservatifs contre le mauvais air: « Le serein sans doute est pernicieux et la prudence est necessaire quant à la nourriture »195. Deux ans plus tôt, Constant d’Hermenches avait lui-même déconseillé à Isabelle un déplacement en Angleterre: vaporeuse et parfois mélancolique, elle « ne ferait qu’y attiser ses tendances naturelles »196. En définitive, et après s’être renseigné, le voyageur décide lui-même d’affronter les risques inhérents au voyage. Ainsi, Samuel Luke, aristocrate anglais, guide son neveu dans son grand tour par correspondance. En 1644, il l’autorise à poursuivre son voyage vers l’Italie « si vous le désirez et pensez votre corps à même de le supporter »197. Son précepteur s’en inquiète.

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Charrière O. C., t. 1, p. 421, Belle de Zuylen à Constant d’Hermenches, s.l., le 9 juin 1765. « Mon fils ainé est à Berg op Zoom, qui est un endroit mal sain ou il règne de fievres, il en a eu sa part ». Charrière O. C., t. 4, p. 644, Johanna Catharina van Tuyll van Serooskerken-Fagel, Zuylen, le 23 novembre 1794. Corr. Haller, p. 432, Albrecht de Haller à Charles Bonnet, [Berne], le 12 juillet 1765. Belle avait lu le livre de Boswell sur la question Corse, Boswell 1768, pp. 25-26. Charrière O. C., t. 2, pp. 92-93, Belle de Zuylen à Constant d’Hermenches, [Zuylen], le 30 juin [1768]. Charrière O. C., t. 1, p. 508, Constant d’Hermenches à Belle de Zuylen, Mezieres, le 25 septembre 1766. Luke 1963, p. 208, Samuel Luke à Oliver Luke, s.l., le 22 mars 1645.

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«Votre neveux a été dangereusement malade. Les médecins ne pensent pas qu’il soit bon pour lui de s’aventurer si loin de son air natal.»198 Au milieu du XVIIe siècle, l’Italie n’avait pas encore gagné ses lettres de noblesse en tant que lieu de cure qui fera son succès au siècle suivant. La campagne La voie la plus rapide vers le bon air, au XVIIIe siècle, est celle qui mène à la campagne. L’insistance avec laquelle les malades racontent leurs cures d’air champêtre témoigne de cette conviction. La campagne s’inscrit ainsi dans de nombreuses listes de thérapies possibles, de thérapies tentées ou de thérapies efficaces. C’est un espace souvent protégé des maux épidémiques. Isabelle de Charrière se félicite de vivre dans une maison isolée: « Un courant d’air qui nous separe du village a toujours eu assez de force et de vertu pour que nous n’ayons partagé aucune épidémie pendant tout le tems que j’ai habité le pays »199. La campagne est un lieu sain. Louis Odier résume cette conviction en envisageant la possibilité de s’y établir avec sa promise, Susanne Baux. N’y eut-il qu’une raison pour se retirer aux champs, elle est excellente. C’est que nous y jouïrons d’une meilleure santé, et que nous y vivrons plus selon la nature, non que les gens les plus robustes soyent toujours les plus heureux, mais parce que sans y avoir de grands maux, l’on y est plus à portée d’épurer cette délicatesse de sentiment qui fait le charme de la société, et dont il n’y a guères que les constitutions foibles comme les nôtres qui puissent connoitre le prix200.

Son exposé est emblématique de l’image positive de la nature et pourrait tenir de la théorie si elle n’était énoncée que par un jeune médecin201. Nombreux sont les auteurs à exprimer des convictions similaires. Le Colonel Pictet, par exemple, malade des nerfs, ajoute en post-scriptum à sa consultation: « Quoi que je datte de Genève, il

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Luke 1963, p. 607, M. Mowet à Madame, Lyons, le 28 février 1645. Charrière O. C., t. 4, pp. 579-580, Isabelle de Charrière à Henriette L’Hardy, s.l., les 26-27 septembre 1794. BGE, Ms fr 4152, Louis Odier à Suzanne Baux, Paris, le 23 avril 1773. D’autres médecins adoptent des vues similaires, Emch-Deriaz 1992b, p. 73.

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est bon de vous prévenir que je passe ma vie ou du moins les trois quarts dans une campagne renommée pour la bonté de l’air et la salubrité des eaux.»202 Pour les citadins, la campagne s’érige en refuge, particulièrement pour les enfants dont on redoute la vulnérabilité face au mauvais air203. Les habitants aisés des villes se rendent dans leur résidence à la campagne pour profiter d’un air « pur et vif, qui rend léger »204. Quand la famille ne peut se déplacer en corps, les enfants y sont envoyés, notamment les bambins qu’on craint de voir souffrir de l’insalubrité de la ville. Louis Odier, luimême placé à la campagne entre ses 4 et ses 6 ans, se lamente de ne pouvoir présenter sa fiancée à l’un de ses neveux, alors en pension à Céligny. Il « a toujours eu de la râche205, surtout lorsqu’il est en ville. En campagne, il est beaucoup mieux. Il faut absolument qu’il y demeure pour sa santé »206. Des enfants plus grands y sont également placés pour se rétablir. Jeanne-Marie Bellamy envoie son fils René, âgé de 23 ans et malade depuis deux semaines d’une « transpiration arrêtée », à Avully207. Son second fils tombe malade à son tour et il part trois semaines plus tard avec son frère, tout juste rentré d’Avully mais toujours souffrant, pour Thônex. « Ils y changent d’air » rapporte leur mère dans son journal, « ils respirent celui de la campagne dont ils avoient grand besoin ». L’habitude de se réfugier à la campagne en cas de trouble de santé se prend jeune et se perd tard. Le récit fait par Nicolas Théodore de Saussure des derniers jours de son grand oncle en est une illustration. « Il etoit etabli a Saconnex depuis le commencement de la semaine passée [...] ce changement d’air et de position avoit paru le ranimer et lui rendre des forces. Mais ce moment d’espérance a été bien court. Dès le troisième jour il s’est affoibli d’une manière sensible. Sa poitrine s’est embarassée, il a perdu connoissance et s’est eteint sans paroitre sou-

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FT, II/148.01.05.25, Colonel Pictet, Genève, le 17 juillet 1767. Morel 1977, p. 1015. Charrière de Sévery [1924], p. 64, Louise de Corcelles à Catherine Charrière de Sévery, Corcelles, jeudi soir. C’est « un mot vague sous lequel on désigne les maladies éruptives de la tête, surtout celles qui affectent spécialement les enfans ». Panckoucke, t. 46, p. 557. BGE, Ms fr 4153, s.d., s.l., Louis Odier à Andrienne Lecointe. Le 5 septembre 1772. Jnl Bellamy, les 17 et 23, 28 août et 3 septembre 1772. C’est un réflexe commun dans les familles genevoises.

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frir.»208 Si le remède n’est pas infaillible, il est peu courant de rendre la campagne responsable de maladies conséquentes. M. Torchon Dufourchet s’interroge si les émanations respirées lors d’un forage voisin auraient pu jouer un rôle dans la dégradation de sa santé. « J’ai tout le jour respiré la vapeur d’une terre vitrolique et sulfureuse », rapporte-t-il, avant d’écarter cette hypothèse étant donné que des ouvrières qui y travaillaient n’auraient pas été incommodées209. L’appréciation positive de l’air de la campagne est une réalité qui se confirme empiriquement. Un déplacement à la campagne est assimilé à une mesure radicale; elle est tentée là où d’autres thérapies ont échoué et lorsque le médecin, peut-on penser non sans malice, se trouve à court d’idées et désire se débarrasser d’un patient encombrant. Un séjour à la campagne représente une alternative possible au voyage de santé lorsque le malade est intransportable, trop pauvre ou retenu chez lui pour toute autre raison. La ville L’image sanitaire de la ville se construit par opposition à celle de la campagne. L’air y est considéré comme malsain, infecté notamment par les émanations miasmatiques résultant d’une concentration élevée d’habitants210. Les résidents urbains se languissent pour l’air campagnard et se réfugient promptement à la campagne en cas de maladie ou à la suite de l’insuccès des thérapies usuelles211. Le ministre Frêne, après quelques incursions citadines dans sa jeunesse, vivra dans un village où il ne cessera d’accueillir des citadins malades ou convalescents212. Dans la sécurité relative de sa résidence champêtre, il rapporte les discussions qu’il a avec des voyageurs sur les difficultés de survivre dans des villes telles que Londres ou Rome213.

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BGE, Archives Saussure 238/54, Nicolas Théodore de Saussure à HoraceBénédict de Saussure (à Aix), [juillet-août 1790]. FT, II/144.03.06.19, M. Torchon Dufourchet, avril 1785. Voir Corbin 1986, pp. 56-65. Les auteurs médicaux le proclament à souhait, Emch-Deriaz 1992b, pp. 212. Parmi de nombreux exemples: FT, II/144.05.02.28, J. Claret, Genève, le 7 avril 1790; Saussure 1939/1940, n° 10, p. 90, le 13 mai 1783. La liste des citadins malades hébergés par Frêne est impressionnante. Voir Jnl Frêne, pp. 503, 908, 1459, 1745 et 1747. Jnl Frêne, pp. 1670-1671 & 2031.

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Les stratégies invoquées pour s’y maintenir en bonne santé comprennent des mesures simples comme celle d’éviter le serein214, ou encore de se protéger de la fraîcheur de la nuit. La simplicité des avis communs contraste vivement avec la complexité des commentaires particuliers215. Certains tempéraments sont réputés trop faibles pour survivre à l’expérience urbaine. Là encore, les singularités corporelles conditionnent des parcours. Au début des années 1730, par exemple, Ami Lullin se charge d’une jeune réfugiée française. Il se renseigne sur la possibilité de l’envoyer à Londres. La réponse qu’il reçoit d’une amie anglaise est défavorable. « On ne pourrait l’entretenir par là bas fut-ce à la campagne, car pour l’air de Londres, elle ne pourroit le supporter vù l’etat de sa poitrine. Elle y mourroit de consomption en moins de quelques mois.»216 Londres, une des plus grandes villes européennes, fait régulièrement souffrir ses visiteurs. Une femme de chambre manque d’y succomber et ne se serait rétablie que grâce à un séjour in extremis dans la campagne anglaise. Sa maîtresse rapporte avoir été « prodigieusement inquiette », notamment à l’idée d’être responsable de sa mort en raison de son séjour dans cette ville217. Londres a décidément mauvaise réputation. M. Laubscher, de retour de voyage, étonne Frêne en lui tenant des propos qui vont à l’encontre de ce qu’il avait pu entendre jusqu’alors. Il affirmait « qu’à Londres, l’air y étoit aussi serein qu’ailleurs, qu’à la vérité la fumée des huilles et tourbes causoit une espece de nuage sur la ville quand le temps étoit très tranquile, mais que tout cela se dissipoit pour peu de vent qu’il fit »218. Certaines villes sont corrélées à des dangers sanitaires particuliers. Jean-François Deluc, en visite à Amsterdam, s’inquiète d’y attraper une fièvre tierce219 alors qu’un séjour à Genève, en 1747, voit le jeune Frêne se méfier d’une mystérieuse « fièvre » qui y régnerait: « On se moque à Genève du bruit qui 214 215

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Voir p. 394. Le statut sanitaire de Rome préoccupe de nombreux penseurs médicaux. Emch-Deriaz 1992b, pp. 211-212; Wrigley 2000, pp. 212-212. BCUL Dorigny, Fonds de Crousaz, VII/233, Ami Lullin à Abraham De Crousaz, Genève, le 6 novembre 1734. Charrière O. C., t. 2, p. 34, Belle de Zuylen à Constant d’Hermenches, Hunger Hill en Surrey, 20 mars 1767. Jnl Frêne, pp. 2031 & 2032. Pour le Surinam, p. 668 et Rome, pp. 1670-1671. Huguenot Society, Londres, Famille Deluc, Fdl 1/1, Jean-François Deluc à Jean-André Deluc, Amsterdam, le 13 août 1781.

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court, qu’on y est sujet à la fièvre », s’inquiète-t-il220. S’agit-il de la fameuse « fièvre bilieuse » sans bile, « très ordinaire chez nous » dont souffre Mme de Saussure en 1790?221 Ou encore de la « fièvre rouge »222 attestée par plusieurs Genevois dans la deuxième moitié du siècle? La fièvre rouge serait une maladie endémique dans la ville et crainte par ses habitants223. Dans la famille Juventin, lorsque le fils attrape cette maladie, le père décide de prolonger le séjour de la famille à la campagne jusqu’à son entière guérison224. La campagne constitue l’antidote idéale aux aux maux urbains ! La ville est aussi le lieu où se concentrent les praticiens, notamment les docteurs en médecine et les chirurgiens. Elle est ainsi, paradoxalement, la destination d’un courant de malades aisés venant de la campagne225. Les Charrière de Sévery, établis dans un domaine à quelques 20 km de Lausanne, se rendent à plusieurs reprises en trombe à Lausanne y quérir des « secours »226. Le désir de consulter ou la volonté de maintenir le malade à la portée immédiate de praticiens établis incite des patients à se transporter ou à être déplacés en ville227. D’autres variables rentrent en ligne de compte. La ville serait plus confortable en cas de mauvais temps228, mais surtout, en raison de la logique des constitutions et des tempéraments singuliers, le danger d’une ville ou d’un air particulier réside moins dans une quelconque qualité de son air, que dans l’effet de cet air sur un corps particulier. La variation des effets suscités par Paris – souvent connotée 220 221

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Jnl Frêne, p. 118. BGE, Archives Saussure 1/21, Louis Odier, Mémoire à consulter (Genève, le 16 février 1790). « Fièvre rouge » est une des appellations retenues par le Panckoucke pour la scarlatine. Voir aussi Odier 1811, p. 108. Jnl Bellamy, le 26 mars 1773. AEG, Archives de la famille Romilly, Marie-Joséphine-Christine Romilly, Journal 1788-1789, f. 7, dimanche 2 novembre 1788; f. 9, mardi 4 novembre 1788. La polarité ville/campagne; malsain/sain; médicalisé/non médicalisé se retrouve sous la plume d’auteurs médicaux, voir Morel 1977. Voir par exemple Jnl Sévery, du 27 juin au 1er juillet 1769. Malades, David Emanuel Develay et Charles Bonnet sont transportés en ville sur ordre des médecins. FT, II/146.01.05.03, Elisabeth Antonette Develay, Genève, le 21 mai 1792; Saussure [1793], p. 27. Charrière de Sévery [1924], p. 87, Louise de Corcelles à Catherine Charrière de Sévery, Corcelles, ce jeudi au soir [1769].

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négativement229 – explicite cette logique. Dans l’anamnèse qui sert d’introduction au mémoire qu’il adresse à Tissot sur sa santé, M. Torchon Dufourchet mentionne Paris où il était « resté depuis l’age de quinze ans jusqu’à vingt un ans ». Son séjour aurait été marqué, selon lui, par la sobriété et la tempérance230: « J’ai toujours été de la conduite la plus régulière [...] ny l’onanisme ny le libertinage d’aucune espece » précise-t-il. La mention du séjour à Paris pourrait répondre essentiellement à une logique narrative. Pourtant, les protestations véhémentes sur la régularité de sa conduite soulignent les dangers que le destinataire de sa lettre, le médecin et auteur de L’onanisme231, Tissot, aurait pu voir dans l’environnement social de la grande ville232. Cette dernière pouvait être à l’origine de passions dangereuses pour la santé. Benjamin Constant, soupçonné par certains de ses biographes d’avoir attrapé la vérole en France, rend Paris responsable de sa maladie233. « L’échauffement, l’ennui et l’affaiblissement que mon séjour a Paris a laissé dans toute ma machine, après m’avoir tourmenté de tems en tems, se sont fixés dans ma tête et dans ma gorge. Un mal de tête affreux m’empêche de me coiffer, un rhume m’empeche de parler, une dartre qui s’est repandue sur mon visage me fait beaucoup souffrir et ne m’embellit pas.»234 La plupart des malades affirment se porter mieux... ailleurs qu’à Paris235. Certains s’y épanouissent pourtant. Jeanne-Louise Prévost y rencontre un hollandais, Hendrik Willem Jacob van Tuyll. « Je lui ai trouvé, assez bon visage mais très maigre comme il parloit de partir et que l’air de Paris paroit lui être favorable nous l’avons fort exhorté à rester jusqu’à ce qu’il eut toutes ses forces.»236 La nature du tempérament de chacun conditionne sa capacité à vivre en différents

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Mme de Sévigné le déclarait déjà au siècle précédent. Freudmann 1973, p. 84. C’est un moyen classique de se prémunir des maux contagieux. Maurice 1722, p. 341; Jnl Frêne, 118. Tissot 1991b. FT, II/144.03.06.19, M. Torchon Dufourchet, avril 1785. Folman 1959, p. 27. Charrière O. C., t. 3, p. 43, Benjamin Constant à Isabelle de Charrière, le 18 février 1788. Charrière O. C., t. 3, p. 204, Marie-Anne-Jeanne Saurin à Isabelle de Charrière, Rocheguion, le 27 avril 1790. Charrière O. C., t. 1, p. 22, Jeanne-Louise Prévost à Belle de Zuylen, [Paris], le 19 octobre 1753.

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lieux, certains étant bénéfiques pour les uns, mais néfastes pour d’autres. Le temps et les saisons L’environnement, l’air et le lieu sont logiquement associés à une autre variable, le temps: le temps qu’il fait, le temps qui passe, le climat propre d’un lieu. La distinction entre les lieux et le temps répond au besoin de donner sens ici à différentes composantes de l’environnement, elle est artificielle du point de vue des logiques médicale et laïque exposées ici: pour les contemporains, lieu, climat et air forment un tout cohérent. Changer de lieu signifie changer d’air et de climat. Cela dit, les avantages et les inconvénients de différents climats sont éprouvés. Amélie de Saussure s’inquiète de l’état des yeux de sa belle-sœur, Judith, résidant depuis des années à Montpellier: J’espère que tes yeux reprendront et leur beauté et leurs fonctions. Je desirerois pour eux nos pluyes continuelles cela rend tout si verd et si frais, peut être que vos secheresses et ce sable qu’éleve le mistral leur est contraire. Mais notre humidité est ennuyeuse et entretient d’autres meaux. Aussi tout est compensé en fait de climat237.

Le climat du lieu peut ainsi être corrélé à des problèmes de santé. Le climat d’Angermünde est une cause possible de la mauvaise santé d’Henriette L’Hardy, selon son amie. « Peut-être que ce climat si septentrional ne convient gueres qu’à ceux qui y sont nés ou qu’au mieux il faut un temperamment plus robuste que le votre pour le supporter », hasarde cette dernière238. Comme le lieu, les saisons et le climat sont des variables qui confèrent du sens à un état santé. Les particularités médicales attribuées au temps sont associées aux conditions générales: humidité, soleil, vent, etc., mais aussi aux aléas de la température. Le corps emprunte des qualités de l’environnement, se chauffe dans les chaleurs de l’été et se refroidit lors des froids hivernaux239. « Les rougeurs au visage augmentent au lieu de 237

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BGE, Archives Saussure 239, 162-163, Amélie de Saussure à Judith de Saussure, Genthod, le 14 août [180?]. Charrière O. C., t. 5, p. 108, Isabelle de Charrière à Henriette L’Hardy, s.l., le 20 juin 1795. Le langage courant atteste encore aujourd’hui le sens des « refroidissements ». Voir Sander 1989, p. 102.

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diminuer », se plaint Mme Wilmsdorff à Tissot, « c’est surtout quand il fait un peu chaud »240. Dufourchet décrit un rapport à la température et au temps plutôt subtil: « Jamais trop de chaleur dans mon lit a moins que ce ne soit à la veille d’une grande pluye, dans ce moment seul, j’epouve des chaleurs qui m’obligent de me découvrir et mon corps est plus sur qu’un barometre pour m’annoncer les pluyes.»241 Si tous ne sont pas aussi sensibles, l’effet du chaud et du froid sur le corps est régulièrement souligné, parfois en fonction de la saison242. Les chaleurs de l’été peuvent s’avérer délétères. « Je suis allé à pied de Mex à Penthaz » écrit, par exemple, Charles-Emmanuel de Charrière en août 1788, « il faisoit très chaud; je crois que c’est de la que me vient une bètise extreme et un vuide de téte que je n’ai pas pu surmonter hier ni aujourd’hui »243. Les raisonnements tiennent compte de nombreux autres facteurs, mais les effets du temps sur les corps sont constamment réitérés. Charles Bonnet conseille à une connaissance de différer sa visite en raison de la maladie de sa femme: « C’est vers la my septembre qu’elle se trouve le mieux ordinairement », annonce-t-il244. Les particularismes individuels sont ici encore nombreux. Quelques exemples suffisent pour s’en assurer. Le printemps est la saison de l’espoir. « La santé de Mlle Berger continue à être très foible: on espère que le printems lui fera du bien », écrit Jean-François Deluc à son père245. Le retour de la belle saison peut être l’occasion de tenter de nouvelles thérapies. La domestique Lisette est malade depuis longtemps. « Le printems venu ou plutot venant je lui ai fait prendre des remedes adoucis par M. Liegthan », explique Isabelle de Charrière246. Comme toujours,

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FT, II/144.05.07.43, Mme A. H. Wilmsdorff, Orbe, le 8 avril 1790. FT, II/144.03.06.19, M. Torchon Dufourchet, avril 1785. Un extrême comme l’autre peut être seul rendu responsable d’une altération de santé. Voir ici même le récit de la dernière maladie du jeune Odier, pp. 243-244. Consulter à ce propos Wrigley 2000, pp. 213-215. Charrière O. C., t. 3, p. 98, Charles-Emmanuel de Charrière à Isabelle de Charrière, s.l., le 18 août 1788. BGE, Ms Bonnet 70, f. 198, Charles Bonnet à M. de la Lande (copie mss), le 18 août 1760. Huguenot Society, Londres, Famille Deluc, Fdl 1/1, Jean-François Deluc à Jean-André Deluc, Amsterdam, le 6 février 1780. Charrière O. C., t. 5, p. 79, Isabelle de Charrière à Henriette L’Hardy, s.l., le 4 avril 1795.

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les corps réagissent différemment. Jeanne-Louise Prévost redoute cette saison. « Le printemps est ici très beau mais il est malsain; il y a plusieurs personnes attaquées de pleurésies* et qui en meurent »247. M. Schilden, pour sa part, se plaint de supporter difficilement à la fois le printemps et l’automne. Guéri d’une première série de maux par des bains en Westphalie, il souffre encore d’« un mal de nüques tres incomode dont les douleurs etans tres aigues la nuit, surtout l’automne et le printemps », le privant de sommeil. Au printemps sa respiration serait particulièrement difficile248. Le jeune François Louis Gauteron, âgé de vingt ans, subit le printemps. Après un voyage au cours de l’hiver 1789, « aux approches du printems de la même année je m’apperçus que j’avois des pollutions nocturnes ». De nouveau l’année suivante, après l’automne passé à la montagne et l’hiver à Lausanne, « le retour de la belle saison a produit sur moi un changement défavorable »249. Rien ne garantit que l’effet des saisons soit toujours le même. Isabelle de Charrière, par exemple, s’étonne au printemps 1776 de ne pas tomber malade; la saison lui était habituellement délétère250. De tels changements se révèlent déstabilisants. « Je suis […] assès sujette à cès petits boutons au printems et en automne », commente Mme Doxat de Champvent dans une lettre à un médecin, en s’étonnant d’en souffrir au mois de juillet251. L’hiver est la saison la plus rude, c’est également une épreuve pour la santé. Il est vrai que certains, comme le curé Colin, affirment se porter mieux en hiver. « Il n’y a que le froid qui m’a paru prévenir ma maladie », confie-t-il à Tissot, « aussi je l’eprouve moins en hiver qu’en été »; il nuance cette loi en précisant que l’eau froide lui fait du mal, suggérant ainsi que ce n’est pas simplement le froid qui lui est bénéfique, mais bien la saison hivernale252. Son cas est plutôt rare, les malades sont nombreux à redouter l’hiver ou à s’en plaindre. Amélie 247

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Charrière O. C., t. 1, p. 69, Jeanne-Louise Prévost à Belle de Zuylen, Neuchâtel, le 17 avril 1755. FT, II/144.05.02.01, M. Schilden, Lausanne, le 5 mai 1790. FT, II/144.05.05.19-20, F. L. Gauteron, Yverdon, les 10 juillet et 30 août 1792. Charrière O. C., t. 2, pp. 319-320, Isabelle de Charrière à Vincent Maximilien Tuyll van Serooskerken, [Neuchâtel], le 7 avril 1776. Le printemps lui fut à certaines occasions « contraire », notamment l’année de son mariage, voir ici même pp. 101-102. FT, II/144.05.02.25, Marianne Doxat de Champvent, Yverdon, [juillet 1790]. FT, II/144.05.05.09, le curé Colin, Fribourg, le 6 juin 1792.

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de Saussure s’efforce de rétablir sa fille « avant l’hiver »253. Les raisons pour lesquelles Judith de Saussure supporte mal l’hiver répondent à une logique médicale. Sa peau est « séche et imperméable », explique son frère, « c’est apparemment à cause de la transpiration qu’elle se trouve mieux en été; et qu’elle est toujours plus malade en hiver »254. Louise de Corcelles a l’habitude de voir la chaleur lui être bénéfique255. Le froid, par contre, serait mauvais pour sa santé. « Demi-pied de neige au Jurat, et autant dans ma tête », écrit-elle à une occasion. La chute de neige et le froid ne pèsent pas que sur l’esprit; « cette neige me flanqua une jolie crampe dans l’estomac » se plaint-elle256. Comme Bellamy, Louise de Corcelles s’étonne lorsque la corrélation entre sa santé et la température ne répond pas à ses attentes: « Je me trouve mieux malgré le froid », écrit-elle à une amie, « c’est-à-dire lorsque l’été nous reviendra je me porteroi à ravir »257. Les saisons rythment aussi les maladies. Une femme de Vallorbe est traitée pendant des années pour des problèmes de rougeur et de maux de bouche; « on observoit », précise l’auteur d’une consultation anonyme adressée à Tissot, « que ces maux de bouche étoient beaucoup plus violens en hiver qu’en été » et encore, lorsque la même malade prend pendant cinq semaines des bains de sept heures par jour à Loèche, « dans les tems chauds et sereins l’éruption se manifestoit et disparoisoit dès que le tems changeoit »258. Si le froid en hiver est réputé contenir les maladies épidémiques, il est contre-indiqué pour des convalescents259. L’hiver et le froid sont souvent corrélés avec la détérioration de la santé des personnes plus âgées. La 253

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BGE, Archives Saussure 237/154, s.l., [juillet 1768], Amélie de Saussure à Horace-Bénédict de Saussure. Le principe est largement répandu. Voir aussi ici même p. 234. Haller et Saussure 1990, p. 477, Horace-Bénédict de Saussure à Albrecht de Haller, Genève, le 11 décembre 1773. Charrière de Sévery [1924], pp. 38-39, Louise de Corcelles à Catherine Charrière de Sévery, Lausanne, le 10 août 1769. Charrière de Sévery [1924], p. 153, Louise de Corcelles à Catherine Charrière de Sévery, s.l., s.d. Il est vrai qu’ailleurs la même rapporte s’être « bien ressentie » d’une baisse subite de température. Charrière de Sévery [1924], pp 109 & 114, Louise de Corcelles à Catherine Charrière de Sévery, s.l.., [1774]. FT, II/144.04.01.01, s.n., s.l., s.d. Charrière O. C., t. 5, p. 37, Isabelle de Charrière à Henriette L’Hardy, s.l., le 20 janvier 1795.

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logique provient du lien établi entre les quatre saisons et les quatre âges de la vie: l’hiver serait la pire saison pour les aînés. Albrecht de Haller est tenté, à l’âge de 64 ans, de chercher des cieux plus cléments. Le froid n’est plus seulement un inconfort, mais une menace. « Ma santé est trez bonne depuis quelques semaines: il me faudroit un climat plus chaud, du moins pour l’hyver, mais c’est un souhait impossible.»260 Pouvoir changer de lieu au gré des saisons est un luxe réservé à quelques privilégiés. Les aléas des saisons d’une année à l’autre constituent des variables souvent mises en avant par ceux qui cherchent les causes de leurs maux. Les effets sont ressentis collectivement. Le rythme saisonnier décrit est banal. « L’hyver continue à ressembler au printemps. Toujours du vent, de la pluye, aussi les rhumes ont été abondans, mes sœurs en sont à peine quitte.»261 Le caractère saisonnier de certaines maladies épidémiques est reconnu par la communauté. « Il régna ici », écrit Mme Possel de St-Quentin, « après les grandes challeurs quantités de maladies, surtout des fièvres billieuses, nous vîmes dans cette petite ville qui contient au plus 10000 ames, 900 malades »262. A l’occasion, toute la population semble être affectée. Gédéon Martine rapporte les effets dévastateurs du mauvais temps sur les habitants de Genève au début des années 1740: Après avoir passé un hiver des plus doux par les vents, les pluyes et les fontes de neiges les plus abondantes qui ont par tout causé de grandes et dommageables inondations, nous eprouvons depuis trois mois une secheresse inouïe dans cette saison, par une durée continuelle des vents d’est, et nord qui nous entretiennent un air froid non moins pernicieux que la secheresse aux fruits de la terre aussi bien peut être qu’aux corps humains, quoi qu’on ne sçait autrement à quoy attribuer la quantité extraordinaire de malades de pleurésie* et d’inflammation de poitrine qui meurent depuis un mois263.

Les constats sont empiriques. En 1771, Isabelle de Charrière note que « beaucoup de gens ont mal aux dens, beaucoup d’autres la 260

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Corr. Haller, p. 1032, Albrecht de Haller à Charles Bonnet, Berne le 26 juillet 1772. BGE, Archives Saussure 239/209-210, M. Turrettini-Boissier à Judith de Saussure, Genève, le 21 février [1799]. FT, V/149.01.01.20, Mme Possel née Fromaget, St-Quentin, le 8 octobre 1778. AEG, Mss Hist. 75, Journal de Jacques et de Gédéon Martine.

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fievre tierce. D’un jour à l’autre nous avons passé de l’hiver à la canicule, à present la chaleur est plus moderée »264. L’état du corps conditionne les effets du temps. « Le tems qui fut à peu près le même jeudi que celui de lundi qui vous avoit été si funeste, me faisoit craindre que dans une position de corps plus critique vous n’en fussiez encore plus affecté; la fourrure me tranquilisoit un peu; mais la tête, les pieds n’étant point à couvert, je languissoit beaucoup de vous savoir heureusement arrivé.»265 A un échelon individuel, les cycles sont même parfois plus courts, la qualité de l’air pouvant changer au cours de la journée. L’effet négatif du serein* sur le corps revient régulièrement sous la plume des auteurs laïcs. Ce phénomène est encore redouté par certains patients dans le dernier tiers du XXe siècle !266 Les questions du chaud, du froid et du temps affectent l’organisation des journées. Jeanne-Louise Prévost se lamente qu’à Neuchâtel « il n’y a que peu ou point de promenades, et rien dans les environs à près d’une lieue, il y fait trés chaud ou trés froid et un vend presque tous les soirs qui est reputé pour fort mal sain »267. Elle ne peut se promener en fin de journée »268. Le froid et l’humidité sont communément associés aux rhumes. Le phénomène peut être ponctuel: « Le mauvais tems que j’essuyai en allant à la classe me donna un rhume », confie Frêne à son journal269. Les effets d’un changement de température peuvent être rapides. « Le 5 janvier », écrit Louis Odier en décrivant la maladie de son fils, nous eumes une incendie terrible dans notre voisinage qu’on éteignit avec de l’eau bouillante, comme vous l’avez su et qui boulversa toute la ville, parce qu’il faisoit une forte bise, et un

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Charrière O. C., t. 2, pp. 239-240, Isabelle de Charrière à Diederik Tuyll van Serooskerken, Utrecht, le 13 mai 1771. Huguenot Society, Londres, Famille Deluc, Fdl 1/1, Jean-François Deluc à Jean-André Deluc, Amsterdam, le 5 décembre 1779. Helman 1978, p. 115. Charrière O. C., t. 1, p. 81, Jeanne-Louise Prévost à Belle de Zuylen, Neuchâtel, le 7 août 1755. Charrière O. C., t. 1, p. 85, Jeanne-Louise Prévost à Belle de Zuylen, Neuchâtel, le 13 septembre 1755. Jnl Frêne, p. 1373. Parmi de nombreux exemples, Charrière O. C., t. 2, p. 293, Isabelle de Charrière à Constant d’Hermenches, [Colombier], le 14 février 1773.

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froid terrible. Soit l’émotion qui lui donna cet événement, soit le froid qui pénétra peut être ce soir là dans notre appartement par les fenetres que la curiosité faisoit ouvrir de tems en tems lui donnèrent une rechute. Il reprit la fièvre, un peu de diarrhée, et quelques vomissemens de tems en tems270.

Des changements rapides de température peuvent être invoqués pour justifier des virages importants dans l’évolution d’une santé ; la dialectique chaud/froid revient constamment. Le récit que fait François Louis Gauteron de sa maladie en est un bon exemple. Le mal-être se déclare après un voyage au cours duquel il aurait éprouvé « successivement une grande chaleur et un froid si vif ». Il évolue ensuite au gré des saisons. Le malade adapte sa thérapie aux effets attendus de changements de température : « J’ai cessé de faire usage du lait d’anesse », écrit-il dans une lettre à Tissot, « à cause du froid survenu tout à coup »271. Des dangers différents guettent chacun en fonction de sa constitution, de son tempérament et de son âge. Il s’agit de les identifier afin de s’en préserver. La mère d’HenriDavid de Chaillet lui adresse des recommandations pour sa santé lors de son séjour à Bâle, lui défendant des veilles et de s’« exposer trop aux vapeurs et soleil du printemps »272. Si des jeunes gens tels que Chaillet prennent un risque en s’exposant à ces périls, celui ou celle dont la santé est déjà compromise doit se méfier davantage encore. En premier lieu, ce sont ceux dont la santé est fragile qui souffrent. « Nous avons un hiver pluvieux, humide et trop doux pour la santé », écrit Louise de Corcelles à son amie absente, « tous nos valétudinaires sont souffrants »273. Plusieurs années plus tard, Isabelle de Charrière se plaint d’« un tems deplorable qui ne laisse aux gens delicats aucune possibilité de n’être pas malades »274. Les changements de saison, le temps qu’il fait, sont des variables dont laïcs et praticiens tiennent compte pour interpréter l’évolution

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BGE, Ms fr 4158, Louis Odier à Daniel De la Roche, Genève, le 14 mars 1789. FT, II/144.05.05.23, F. L. Gauteron, Yverdon, le 29 septembre 1792. Guyot 1946, p. 38, lettre du 7 mai 1768. Charrière de Sévery [1924], p. 123, Louise de Corcelles à Catherine Charrière de Sévery, s.l., le 15 février 1775. Charrière O. C., t. 2, p. 384, Isabelle de Charrière à Vincent Maximiliaan Tuyll van Serooskerken, Colombier, le 18 mai 1782.

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d’une santé275. Isabelle de Charrière, en apprenant que son ami Benjamin Constant était malade, lui écrit à la fin de l’été: « Croyez que le tems extraordinaire qu’il a fait et cette horrible et longue sécheresse y est pour beaucoup et qu’independamment d’un regime que j’approuve, vous serez mieux dès qu’il aura bien plu.»276 Le temps peut excuser l’inefficacité du thérapeute. « Nous avons lieu de croire », écrit un M. Duvoisin à l’occasion d’une rechute de sa femme, « que ce triste changement soit causé en partie par les tems fâcheux que nous éprouvons, et en partie par les embarras que lui a donné le mariage de notre fille »277. Le temps qu’il fait et les effets de la saison en cours, sont considérés avec un certain fatalisme; il n’est pas toujours possible de se déplacer pour des raisons de santé. M. Du Pan de Genève se plaint, par exemple, d’une toux subséquente à un « remède de lézards » pris contre une éruption cutanée278. Il en propose une explication au médecin: « Si j’osois hasarder une conjecture là dessus je croirois que c’est plutôt la faute de nôtre climat que les lezards qui peuvent produire d’excellens effets dans les pays chauds ou la transpiration qu’ils procurent n’est pas supposée c’être interrompue subitement comme elle l’est souvent ici.»279 La réponse de Tissot n’est pas conservée, mais il adopte lui-même de telles logiques dans ses écrits médicaux: la thérapeutique est spécifique aussi bien au malade, qu’à la région, au climat et à l’environnement dans lesquels celui-ci évolue280. La périlleuse vie en société : «les émotions malsaines» L’économie des émotions telle qu’elle se donne à lire dans les écrits laïcs est à la fois répandue et responsabilisante pour chacun. La vie, les interactions sociales et culturelles ne manquent pas de

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Tissot corrèle les fièvres billieuses aux printemps qui succèdent à des hivers chauds et humides. Emch-Deriaz 1992b, pp. 39-40. Charrière O. C., t. 4, p. 163, Isabelle de Charrière à Benjamin Constant, s.l., le 28 août 1793. FT, II/144.05.05.16, A. H. Duvoisin, Grandson, le 10 octobre 1792. FT, V/144.03.04.23, Du Pan, Genève, le 24 août 1784. FT, V/144.03.04.24, Du Pan, Bains de Leuche, [s.d]. Les seules périodes non propices aux purgations, selon Tissot, seraient les saisons extrêmes. Il distingue aussi les suffocations « quand le mal attaque par un temps pluvieux, un vent de midi » des autres espèces de suffocations. Tissot 1993, § 520 & §557.

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constituer des occasions pour développer des « passions »281. Chacun se doit de contrôler les siennes et d’adapter sa destinée, ses activités, ses pensées et ses projets aux caractéristiques et capacités de son corps particulier. « Si votre ame etoit tranquile votre corps seroit bientot gueri », écrit Charles-Emmanuel de Charrière à sa femme282. De tels messages sont largement diffusés par les auteurs médicaux. Une série de commentaires faite par Paul Dubé (1645-1670) en sont une bonne illustration. « Que le médecin entreprendra inutilement de prévenir ou de guérir, par les remèdes les maladies des pauvres, s’il n’en trouve un contre les passions ou afflictions de leur esprit ». Dans son explication, l’auteur du Médecin charitable concède que la plupart de ces afflictions étaient dues aux conditions de vie des pauvres et s’avèrent ainsi insensibles aux remèdes. L’incapacité des pauvres à s’adapter à leur situation serait, d’après l’auteur, la principale cause de leurs maux; il ne lui reste d’autre solution que de leur proposer des consolations spirituelles et des « maximes salutaires »283... Le seul moyen d’agir sur la santé passe ici par le contrôle des passions. C’est loin d’être négligeable. Le risque de voir sa santé se détériorer à la suite d’une émotion malsaine est présent dans tous les esprits284. Le spectre des pathologies provoquées par l’émotion est large. Marie Anne Jeanne Saurin contracte des maux de tête et souffre de mélancolie suite au décès d’un ami285. Mme De la Rive, la belle-mère de Charles Bonnet, ne résiste pour sa part pas au spectacle de son mari souffrant d’un « furieux depot sur les deux jambes » au point d’être « si effrayée, si tourmentée des suites que pouvoit avoir ce depot, que sa santé, qui s’étoit fort retablie, en a reçu une atteinte très facheuse. La vesicule du fiel* s’est fortement contractée, la bile s’y est epaissie, et de là divers symptomes »286. Ces interprétations sont confirmées par des ouvertures cadavériques. Frêne reproduit dans son journal le rapport fait par un praticien sur l’ouverture 281 282

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Pour une défintion de ce terme, voir ici même p. 367. Charrière O. C., t. 2, p. 494, Charles-Emmanuel de Charrière à Isabelle de Charrière, s.l., le 25 septembre 1785. Dubé 1693, p. 382 et suiv. Voir plus haut pp. 309 & 387. Charrière O. C., t. 3, p. 318, Marie-Anne-Jeanne Saurin à Isabelle de Charrière, Paris, le 30 novembre 1791. Wellcome Library, Londres, Charles Bonnet à François De la Rive, [Genthod], le 19 juin 1761.

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du corps d’une femme morte de chagrin; la bile « s’étoit pétrifiée » pour ne laisser « dans la vésicule du fiel* que 13 pierres brunes, savonneuses et cubiques »287. Le paradigme est solidement implanté et ressentir une émotion forte engendre une inquiétude pour l’avenir, inquiétude qui s’avère à son tour pathologique. Le malade est ici son propre pire ennemi. Le seul moyen connu pour palier au danger est de vivre sereinement. Des exemples édifiants servent de modèles. Le 26 avril 1773, par exemple, Jeanne-Marie Bellamy rend visite à une ancienne voisine, Mme Gallatin, âgée de 81 ans et « convalescente d’une maladie qui paroissait très grave ». Dans son journal, elle commente: « C’est une belle chose qu’un bon tempérament*, joint à un bon esprit, la douçeur, l’égalité d’humeur contribue beaucoup à la bonne santé. Si par dessus tout cela vous joignés une dose de gayeté. Ah ! La bonne recette pour vivre heureux.»288 M. Chaillet, « dangereusement malade » d’une « grosseur énorme dans les bourses » survit, au grand étonnement de tous, y compris de l’opérateur qui la lui enleva, grâce à « la douceur de son sang et de son caractère »289. Le désir de se protéger soi-même, et les autres, des émotions est constamment réitéré. Les femmes seraient particulièrement vulnérables. Jeanne-Louise Prévost adresse plusieurs recommandations allant dans ce sens à Belle de Zuylen alors convalescente de la petite vérole. « Il est trés important d’avoir l’humeur égale pour cet effet il faut résister héroïquement aux petits nuages qui peuvent se présenter à l’imagination ils sont pernicieux a l’esprit et au corps.»290 La bataille contre ses propres écarts est constante et la sérénité idéale demeure illusoire. Nombreux sont ceux qui échouent. David Develay se reproche ses propres emportements. Les progrès de sa convalescence s’interrompent à la suite de l’émotion ressentie lorsqu’un « petit arbre, mais très joli, qui avoit été ébranlé par [ses] enfans et ensuite renversé par l’orage » est perdu. « Cette scène violente lui fit un mal infini d’après son propre aveu, il s’en repentit sur le moment 287 288 289

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Jnl Frêne, p. 1354, le 29 novembre 1779. Jnl Bellamy, le 27 avril 1773. Charrière O. C., t. 2, p. 494, Charles-Emmanuel de Charrière à Isabelle de Charrière, s.l., le 19 septembre 1785. Frêne signale la guérison spectaculaire d’une femme blessée par un coup de fusil, une guérison attribuée à l’égalité de son tempérament. Voir p. 366 (n. 47). Charrière O. C., t. 1, p. 78, Jeanne-Louise Prévost à Belle de Zuylen, Neuchâtel, le 4 juillet 1755.

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même », précise sa femme291. D’autres sont plus fatalistes. « Je ne me vanterai cependant pas d’une egalité d’humeur et d’une tranquillité d’esprit telle que peut être on devroit attendre de moi », écrit Suzanne Moula, alors engagée dans des projets de mariage, « ma santé qui quoique assés bonne, ne laisse pas souvent que d’influer etrangement sur mon esprit, la semaine passée par exemple et le commencement de celle ci ont été facheux; mon esprit etoit inquiet, mon cœur agité, j’etois dans une espèce de perplexité qui me desoloit.»292 Les proches s’adaptent à ce péril, en se basant à la fois sur la nature de l’émotion attendue et sur une évaluation de la constitution de celui ou de celle qui se trouve menacé. L’effet des émotions est parfois immédiat. C’est le cas lorsque les Charrière de Sévery reçoivent un envoi de Paris en 1771. « Il y a eu un bruit, un fracas, un train dans la rue et dans la chambre, qui a redonné de la fièvre à l’enfant, et a moi un mal aise affreux », se plaint Catherine Charrière de Sévery dans son journal293. Les émotions provoquées par des mauvaises nouvelles peuvent être morbides; elles expliquent la rapidité avec laquelle un veuf ou une veuve suit son conjoint dans la tombe294. L’inquiétude se porte ainsi logiquement vers les proches en deuil. Les pharmacies domestiques offrent de l’eau de fleur d’oranger comme antidote295; le conseil médical donné aux « victimes » de telles émotions est systématiquement le même: il s’agit de se distraire296. De tels conseils s’avèrent pourtant souvent inadéquats. Les effets dévastateurs surviennent trop rapidement. « La mort imprévue d’un parent », écrit Gédéon Turrettini à Albrecht de Haller dans un mémoire portant sur la santé de sa femme, « dans le tems de ses régles lui occasionna un saisissement qui a produit dans son mal une

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FT, II/146.01.05.03, Elisabeth Antonette Develay, Genève, le 21 mai 1792. Charrière O. C., t. 2, p. 461, Suzanne Moula à Isabelle de Charrière, Londres, les 10-11 mars 1785. Jnl Sévery, le 7 juin 1771. Le 24 janvier 1760, Frêne, alors ministre de Courtelary, se rend à Tavannes, apâté par la perspective de succéder à un pasteur dont la femme venait de décéder. Jnl Frêne, p. 299, le 24 janvier 1760. Selon Louis Odier. Le même rapporte qu’en Suisse on se sert d’essence douce et en Angleterre, de l’esprit de cornes de bœuf. Voir Vaj 2002, p. 286. C’est le conseil que d’Hermenches adresse à Belle de Zuylen à la suite de la mort de sa mère. Voir ici même p. 99.

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nouvelle révolution ». Elle en perd la voix297. D’autres récits sont plus dramatiques encore. «Vous a t’on dit », écrit Isabelle de Charrière à son frère, « Mme de Park devenue malade d’afliction de l’etat de Mme Reede », sa fille, « etoit un peu mieux quand Mme de Reede mourut. On avoit resolut de lui annoncer cette nouvelle le plus prudemment possible, mais à la parade où l’on n’avoit pas battu la caisse pendant la maladie de Mme Reede on savoit sa mort arrivée à trois heures du matin, on bat donc la caisse Mme de Park l’entend s’evanouit et meurt le lendemain »298. La stratégie, ici avortée, est courante299. Les femmes et les vieillards seraient les plus susceptibles de souffrir dans leur santé d’émotions. Les futures mères sont particulièrement ménagées. « Etant d’une santé très delicate et d’une sensibilité excessive, son mari voulut lui faire un mistere de la mort de sa mere jusques après ses couches; je suis encore étonnée que le secret ait été si bien gardé.» Le poids n’en est que plus grand pour l’entourage: «Vous jugez madame combien il etoit dur de l’entendre parler journellement de sa mere qu’elle aimoit tendrement, et qu’elle savoit malade et cela pendant près de 4 mois.»300 Une hiérarchie de précautions est instaurée en fonction de la vulnérabilité supposée de chacun. Lorsque le beau-frère de Théophile Rémy Frêne contracte une dette importante, toute la famille s’en émeut. Des précautions sont prises dans la circulation de la nouvelle. Aux femmes, « mes freres se chargeoient de le leur insinuer tout doucement ». Mais l’impératif qui guide le comportement de toute la famille est de cacher la nouvelle aux parents âgés, « pour ne pas donner la mort à ces deux vieillards »301. Si l’attention donnée aux femmes paraît ici moindre que celle prêtée aux deux personnes âgées, la vulnérabilité particulière des femmes aux émotions justifie la mise en place de mesures prophylactiques. Lors de la mort de sa mère, la femme de Frêne est saignée préventivement. De telles précautions ne sont pas jugées nécessaires pour Frêne lui-même quand ses propres parents décè297

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Burgerbibliothek, Bern, N Haller 1061, Mémoire à consulter, Gédéon Turrettini à Albrecht de Haller, [Genève], [juin 1764]. Charrière O. C., t. 2, p. 298, Belle de Zuylen à Diederik Tuyll van Serooskerken, Colombier, le 23 mars 1773. Voir ici même pp. 211-212. Charrière O. C., t. 4, p. 357, Marie Catherine Bentinck à Isabelle de Charrière, La Haye, le 4 mars 1794. Jnl Frêne, p. 1343.

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dent. Les règles ne sont pourtant pas rigides et des hommes souffrent également dans leur santé des effets de mauvaises nouvelles. JeanFrançois Deluc se lamente ainsi de n’avoir su préparer son père à la nouvelle de la mort de sa tante, la sœur de celui-ci. «Vos lettres nous apprirent combien vous avies été étonné et affligé de cette mort; en sorte que j’aurois un reproche bien grand à me faire, si c’etoit par ma faute que vous avez été frappé sans y être préparé.»302 Le laïc, qu’il soit en santé ou en maladie, doit dominer ses émotions. La crainte, le chagrin, l’inquiétude, la peur ou le désespoir sont pathogènes et les personnes émotives se reconnaissent une fragilité particulière. Les efforts déployés par Bellamy pour se maîtriser ellemême sont emblématiques de cette configuration. Elle redoute « une maladie », et en même temps cherche à éviter les angoisses qui accompagnent cette peur. Elle n’établit pourtant pas clairement une corrélation entre ces deux objets: l’évidence ne se proclame pas toujours. Le 5 novembre 1772, elle écrit: « Crainte de maladies, crainte de la mort, fuyés loin de moi, et qu’une résignation sincère et douce tranquilité prenne votre place.» Le lendemain, elle se prescrit ellemême un changement d’idées: « Les malaises que j’ai, l’état où je suis exigent absolument que je me distraise.»303 D’autres laïcs se présentent comme les victimes d’émotions. Ils n’ont pas été eux-mêmes submergés par une émotion mal contenue, mais pris au piège d’une situation qu’ils ne contrôlaient pas. Les chagrins seraient la cause première, écrit Marie Augier, de ses maux: « J’arrivai ici avec un léger crachement de sang et une maigreur extrême suite des longs chagrins auxquels sans doute j’eusse succombé, sans la consolation de ne pas me les être atirés.» Le chagrin est ici provoqué par un élément extérieur à soi et l’auteure de la lettre est, par conséquent, une victime. Il y a étonnamment peu de fatalité dans l’appréhension des pathologies émotives. Les praticiens cautionnent la responsabilisation des individus dans la prise en charge de leur émotivité. Le célèbre George Baker (1722-1809) ne voit de salut pour Judith de Saussure que « moyennant que vous protégiez votre esprit de votre sensibilité qui semble avoir été par trois fois la cause première de vos

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Cette mort aurait pourtant été, selon lui, inattendue. Huguenot Society, Londres, Famille Deluc, Fdl 1/1, Jean-François Deluc à Jean-André Deluc, [Genève], le 9 février 1776. Jnl Bellamy, le 6 novembre 1772.

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malaises »304. Le praticien joue cependant aussi un rôle dans la gestion des émotions des malades. Daniel De la Roche et Louis Odier reconnaissent à la consultation de plusieurs praticiens au chevet d’un malade un « air de formalité qui effraye presque toujours un malade, et peut par là souvent lui nuire »305. Le praticien isolé peut aussi représenter un danger pour son patient. Un pronostic défavorable, par exemple, suffit à l’occasion à aggraver l’état de santé du malade. Horace-Bénédict de Saussure s’inquiète ainsi des réactions possibles de sa mère face à une mauvaise nouvelle. Il achève une consultation adressée à Théodore Tronchin, alors à Paris, par une invitation à ne pas communiquer de mauvaises nouvelles directement à la malade: « Si [...] vous auriés quelques craintes sur la suite de sa maladie ou même sur sa nature, je vous conjure de ne point le marquer dans le corps de la lettre, que ma mère voudra surement lire elle-même et qui surement [mot illisible] augmenteroit de même si elle lui donnoit des nouvelles craintes.»306 Si les proches s’inquiètent pour le malade, celui-ci peut aussi redouter les effets de sa propre défaillance sur son entourage. Certains minimisent ou cachent leurs maux, mais d’autres vont plus loin encore dans leur volonté de préserver des proches. Sur son lit de mort à Naples, Diederik Tuyll van Serooskerken, cherche à prévenir les effets de la nouvelle de son décès sur la santé fragile de sa sœur. « Il auroit voulu qu’on put m’adoucir cette affreuse nouvelle », se lamente celle-ci dans une lettre à un autre de ses frères: On ne la pas pu, les précautions ont manqué par des malentendus assez ordinaires. Nous soupions [...]. On vint apeller Mlle de Penthaz l’ainée en lui disant qu’on venoit d’aporter une lettre pour elle, je vis d’abord ce que c’etoit je la suis à la cuisine, je lui arrache sa lettre, je cherche, je vois ces mots... et il m’a recommandé avant de mourir d’épargner sa douleur 307.

Ironiquement, le procédé employé par Diederik Tuyll ne fait que renforcer l’intensité émotive du moment ! Isabelle de Charrière ren304

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BGE, Archives Saussure 239/213, Dr George Baker à Judith de Saussure, Londres, 14 novembre 1790. Odier et De la Roche 1773, p. 2. BGE, Archives Saussure 241/83-86, Horace-Bénédict de Saussure à Théodore Tronchin (copie mss), [Genève], le 2 juin 1780. L’auteur de la lettre souligne. Charrière O. C., t. 2, p. 308, Isabelle de Charrière à Vincent Maximilien Tuyll van Serooskerken, [Colombier], le 21 juin 1773.

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dra l’avis de la mort de son frère responsable d’une détérioration subséquente de sa santé. Ainsi, quoique chacun cherche constamment à se préserver et à protéger ses proches des mauvaises nouvelles, la santé des uns et des autres ne cesse d’en pâtir. Les malades eux-mêmes deviennent pathogènes et les soins qui leur sont donnés ne vont pas sans risques pour la santé de leurs soignants. « Je crains que le mauvais air, le trouble, le chagrin, les soins, les fatigues, la contrainte, tous ces maux réunis n’aient absolument dérangé sa faible santé », s’inquiète Louise de Corcelles en apprenant qu’une amie assistait à l’accouchement difficile de sa sœur308. Les émotions les plus difficiles à contrôler sont subites. Le futur malade subit un choc imprévisible, un choc qu’il est difficile de parer. « Ayant appris en sortant de diner le danger subit que couroit une de ses sœurs malade […] [il] éprouva un saisissement si fort qu’il tomba dans des convulsions », explique l’auteur anonyme d’un mémoire sur la santé de l’évêque de Meaux309. C’est une sorte de contagion par sympathie qui gagne les proches. La jeune Amélie Boissier tombe malade de la petite vérole le 4 mai 1750. Deux jours après le commencement de la maladie, le 6 mai, son grand-père relève fidèlement son état sur une feuille volante: « Douleur de bras dés le mercredi 6 éruption d’Albertine – bouleversement de sa mere.» Il entame alors un second journal de santé pour suivre l’état de sa fille, la mère d’Amélie310. S’ils n’éprouvent pas eux-mêmes les effets d’émotions dans leur chair, les laïcs sont entourés de trop d’exemples pour en ignorer le danger. Les émotions sont solidement enracinées dans les relations sociales. Le professeur de latin de la comtesse Dönhoff souffre d’une fièvre depuis trois mois, la comtesse en impute la responsabilité aux « dernières scenes de l’artificieuse Pauline qui l’ont trop émue »311. Eviter les contrariétés sociales s’apparente à de la médecine préventive. Judith de Saussure y recourt sans cesse en fuyant Genève; « l’extrême dérangement » de sa santé l’incite à « redouter les chagrins » 308

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Charrière de Sévery [1924], pp. 89-90, Louise de Corcelles à Salomon Charrière de Sévery, Lausanne, le 31 [août 1769]. FT, II/144.04.02.18, s.n., Mémoire à consulter pour M. De Polignac, Lausanne, le 1er octobre 1791. BGE, Ms Lullin 2/175-176, Lullin, Ami, Journal d’une [barré: de deux] petite verole de 1750. Charrière O. C., t. 5, pp. 270-271, Sophie Julie de Dönhoff à Isabelle de Charrière, s.l., le 30 novembre 1796.

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qu’elle y éprouve312. S’agit-il là d’une excuse? Si l’émotion est un danger sanitaire reconnu, elle est parfois invoquée à des fins stratégiques. C’est en quelque sorte la confirmation de l’universalité de cette conception. Louis Odier, par exemple, se voit interdire la maison de sa fiancée en raison de « l’agitation » que sa présence pourrait occasionner au père de sa future femme313. Des émotions apparemment moins intenses peuvent également porter à conséquence. L’ennui d’être éloigné de ses amis et de sa famille est une raison invoquée pour expliquer le dépérissement d’Henriette L’Hardy à Angermünde en 1795. « Le sang ne circule pas quand on s’ennuye j’entens qu’il ne circule pas bien et quand on vient à s’impatienter à sentir avec chagrin l’amertume ou la secheresse d’une vie toute forcée, toute contrainte, c’est bien pis; le sang galoppe, les artères battent; si l’on mange on ne digere pas, si l’on dort on fait de mauvais rêves.»314 Le seul récit des malheurs d’un tiers peut s’ériger en péril sanitaire et même des émotions intuitivement favorables ont à l’occasion des conséquences néfastes315. Dans le récit fait par Odier de la maladie d’une parturiente, les ennuis commencent deux jours après l’accouchement. L’enfant meurt, la mère « en conçoit beaucoup de chagrin, mais d’ailleurs sa santé n’en est pas dérangée. Au 12e jour, sa mere arrive inopinément de loin. Le plaisir qu’éprouve la malade lui donne un grand mal de tête et beaucoup de fièvre. Le lendemain survient la diarrhée [...] elle meurt au 11e jour de la maladie »316. C’est exceptionnel. Plus souvent les émotions pathogènes sont des émotions comportant une connotation négative317. Elles peuvent survenir aux moments les plus inattendus. « Un homme qui s’est coupé le cou dans la maison que nous habitions m’a donné une frayeur très malsaine », écrit Isabelle de Charrière à son frère pour justifier la

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BGE, Archives Saussure 239/13, Judith de Saussure à Horace-Bénédict de Saussure, Montpellier, 8 février 1779. Odier cherchera ailleurs à ne pas « agiter » son futur beau-père. BGE, Ms fr 4152, Louis Odier à Andrienne Lecointe, Genève, s.d. Charrière O. C., t. 5, p. 108, Isabelle de Charrière à Henriette L’Hardy, s.l., le 20 juin 1795. Charrière O. C., t. 3, p. 149, Isabelle de Charrière à Jean-Pierre d’Oleyres, s.l., le [9 ou 16 septembre] 1789. BGE, Ms fr 4158, Louis Odier à Daniel De la Roche, Genève, le 14 septembre 1795. Tissot 1993, § 504.

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dégradation de sa propre santé. L’émotion ne résulte pourtant pas de la mort du suicidé; « l’evenement n’etoit point triste, et l’emotion une fois passée il ne nous en est pas resté l’horreur que je redoutois », mais de l’inquiétude suscitée par les cris entendus. « Jugez ce que je sentis moi qui ne savois pas ce qui se passoit et qui ne voyois ni mon mari ni mes domestiques. Ils etoient allé voir passer une procession, j’etois seule depuis un instant, j’etois malade et j’avois pris medecine. Ma frayeur se porta sur cette procession, je craignis que quelque protestant n’eut insulté à la ceremonie nos domestiques y etoient… enfin ce moment fut horrible.»318 L’émotion peut être publique et collective; la vie en société s’avère alors pathogène. La fin de l’Ancien Régime voit la multiplication d’émotions collectives. François Tronchin a partagé l’effroi de nombreux Parisiens lors de l’accident de la fête de Paris de 1760319. Il avait été confronté à la cohue, aux blessés, aux mourants et aux cadavres, et l’expérience ne manque pas de marquer le cours de sa santé, et cela sans qu’il ait été lui-même plus que « froissé ». En effet, « depuis lors » écrit-il, « je tousse, et je maigris encore, et cela ne m’est rien, si seulement ma tête ne mange plus mon corps »320. Le climat révolutionnaire de Paris près d’un quart de siècle plus tard est plus violent encore. Louis Odier s’inquiète de l’effet des événements, notamment de la journée du 4 août, sur son ami médecin des Gardes suisses: Je craignois que les chagrins que vous avez eus, les scenes atroces dont vous avez pour ainsi dire été le témoin, tant de souvenirs cruels et déchirans, joints à la perspective d’un avenir si incertain n’eussent opéré sur vous l’effet qu’ils produisent chez bien des gens, quelque affection organique du cœur ou des gros vaisseaux, peut être quelque dilatation dans les ventricules321.

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Charrière O. C., t. 2, p. 341, Isabelle de Charrière à Vincent Maximiliaan Tuyll van Serooskerken, Colombier, le 30 août 1777. Lors des feux d’artifices, une fête donnée par Louis XVI, il y eut une bousculade et de 1500 à 1800 personnes périrent. Mercier 1782/1788, chapitre 21, pp. 61-62. BGE, Archives Saussure 241/102, François Tronchin à Horace-Bénédict de Saussure, Paris, le 9 juillet 1770. BGE, Ms fr 4158, Louis Odier à Daniel De la Roche, Genève, le 20 novembre 1792. Pour le rôle de De la Roche dans les soins aux Gardes suisses, Mallet 1890, p. 26.

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L’idée est ancienne, mais bien présente au XVIIIe siècle322. C’est dans cette même catégorie de « maux politiques » qu’il faut situer les effets des crises politiques genevoises des années 1780 et 1790 sur la santé des habitants de la ville. « Il fut extraordinairement affecté de la révolution de Genève en 1782 », écrit Elisabeth Develay de la santé de son mari, « ayant toujours été singulièrement attaché à cette ville, et sensible comme il l’est, toutes nos dissentions politiques, et leur suite, ont beaucoup eprouvé son tempérament ». Les symptômes immédiats sont des « serremens de cœur si violens, que cela lui occasionna dans un court espace de tems plusieurs évanouissemens »; sa santé s’en trouve altérée323. Une bonne santé à la suite d’« émotions politiques » suscite l’étonnement324. Les médecins de la région lisent l’effet des troubles politiques sur la santé de leurs patients325 et tous reconnaissent l’effet de la Révolution sur les nombreux français exilés qui séjournent dans la région à la fin du siècle326. L’économie des émotions est complexe, mais apparemment claire pour les acteurs qui lisent les effets sur la santé de leurs proches, voire sur leurs propres corps. Ce qui l’est moins, dans tous les cas pour l’historien, c’est de cerner les conséquences de cette menace continue sur la vie quotidienne. Si les émotions sont souvent invoquées directement pour rendre compte de l’évolution d’un état de santé, leur portée va bien au-delà de ce qu’il est possible de supposer à partir de l’énumération qui précède. Les émotions interfèrent, par exemple, avec d’autres variables de l’hygiène comme le sommeil. Certaines émotions suscitent des insomnies327 et des troubles alimentaires328. Il y a ainsi des effets à la fois directs et indirects sur la santé

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Les autorités médicales cautionnent ces interprétations. Par exemple, Tissot 1993, § 504–506. FT, II/146.01.05.03, Elisabeth Antonette Develay, Genève, le 21 mai 1792. Charrière O. C., t. 2, p. 458, Isabelle de Charrière à Dorothea Henriette van Tuyll van Serooskerken – de Pagniet, [Colombier], le 11 août 1784. BGE, Ms fr 4158, Louis Odier à Daniel De la Roche, Genève, le 9 octobre 1793 et le 20 mai 1795 et FT, II/144.05.02.28, J. Claret, Genève, le 7 avril 1790. Voir le cas de M. Fegeli établi à Fribourg. FT, II/144.05.01.06, M. Fegeli, Fribourg, le 23 mai 1790. Charrière O. C., t. 1, p. 292, Belle de Zuylen à Constant d’Hermenches, s.l., le 4 septembre 1764. Charrière O. C., t. 1, p. 311, Belle de Zuylen à Susanna Elisabeth Hasselaer, Amsterdam, le 27 septembre 1764.

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LE CORPS ÉPROUVÉ

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au point que les effets collatéraux sont difficiles à évaluer. La maladie d’Henri de Bourdeau à Londres en 1784, donne une idée du spectre possible. « L’amour etoit la cause de sa maladie, il l’a avoué a son pere », rapporte Charles-Emmanuel de Charrière, tout en précisant que le père du malade était prêt à céder tant que la famille de la demoiselle était « honnête ». L’amour n’est-il pas ici une pathologie particulière requérant un mariage thérapeutique?329 ENJEUX DE LA CULTURE MÉDICALE LAÏQUE L’analyse textuelle signale la cohérence de la culture médicale laïque et l’importance de cette culture dans la gestion quotidienne de la santé. La complexité des pathologies et des situations répond à la variété des corps et des parcours. Le tableau demeure pointilliste et les variantes possibles s’étendent à l’infini. Le choix des symptômes jugés significatifs dépend de jugements singuliers. Pour en comprendre la grammaire, l’empirisme du chercheur rejoint celui du patient. Une des réalités qui émerge de cette reconstruction conforte les constats dérivés de la lecture de textes rédigés à la première personne du singulier: le mal-être saisit l’être et non le corps seul. Ainsi, l’impression d’ensemble des différents discours sur le corps demeure l’impossibilité de procéder à la distinction entre son corps et soi. L’unité et la subjectivité de l’être sont fortement enracinées330. Outre l’appréhension du corps, une seconde caractéristique constatée ici est l’ouverture du corps au monde. Cette ouverture se concrétise par la présence saillante des voies de communication entre l’intérieur et l’extérieur du corps, les voies d’entrée et de sortie de matières et de fluides si importants pour la santé. Ces mêmes caractéristiques sont décrites dans d’autres travaux portant sur des périodes antérieures. On les retrouve dans le « corps grotesque » décrit par Bakhtine dans son étude de Rabelais331 et encore dans les discours des malades et soignants de Bologne, au cours de l’époque moderne, rapportés par 329

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Charrière O. C., t. 2, p. 430, Charles-Emmanuel de Charrière à Isabelle de Charrière, [Colombier], le 11 août 1784. Loux et Richard 1978, pp. 11-13. Voir aussi Loux 1993/1994. L’auteur y voit un lien étroit avec les textes hippocratiques. Bakhtine 1968, notamment pp. 355-362.

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VERS UNE GRAMMAIRE DES MAUX

Gianna Pomata332. Ces points communs mettent en valeur des caractéristiques apparemment stables du corps, un corps inscrit dans un paradigme humoral. Le modèle se retrouve dans le traitement thématique réalisé dans l’ouvrage déjà maintes fois cité de Dorothy et Roy Porter sur le cas britannique. Est-il utile de penser la physiologie laïque d’Ancien Régime en termes historiques? La réponse étayée plus bas tend vers l’affirmative. Si le paradigme théorique n’a que peu changé, l’accent est souvent différent d’une période à l’autre. Certaines constantes attendent encore une explication. Pourquoi y a-t-il une prépondérance du sang et de la mélancolie dans les textes, aux dépens de la bile jaune et du flegme? L’assimilation du flegme au « rhume » explique peut-être l’absence apparente de cette humeur, mais la bile jaune? L’invasion du vocabulaire nerveux est une seconde particularité caractéristique, cette fois, du siècle des Lumières, mais là aussi, de nombreuses questions sur l’interaction entre les discours savants et les discours laïcs subsistent. Comment rendre compte de l’instabilité et des incohérences apparentes de ces discours? Quant à l’interprétation des stratégies thérapeutiques, le fort enracinement environnemental et social du corps est un facteur de subjectivisation à la fois du corps et du discours. Chaleur, saison, temps et lieu, environnement physique et social, tout contribue à former une situation particulière. La constance de ces variables, en fonction notamment de l’écoulement des saisons, incite certains observateurs à en tirer des conclusions: leurs corps seraient acclimatés à un lieu et devraient, en cas de déplacement, se réacclimater. L’état de santé de certains malades rend, au contraire, leur corps incompatible avec leur lieu de résidence habituelle. Les variables sont nombreuses, mais si elles sont constantes et pathogènes, il y a danger.

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Pomata 1998, p.133.

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QUATRIÈME PARTIE

« NE L’OUBLI PAS, CELA PEUT ÊTRE UTILE »: LAÏCS, REMÈDES ET SAVOIRS MÉDICAUX

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« Quand on s’est une fois bien persuadé que sans la santé on ne peut jouir d’aucun plaisir et d’aucun bien, on se résout sans peine à faire quelques sacrifices pour conserver la sienne.» Mme du Châtelet, 1746-17471

Le bonheur individuel est un objectif commun au XVIIIe siècle. La santé s’impose comme un des ingrédients nécessaires à cet état idéal2. Mais qu’est-ce alors que la « bonne » santé ? Le corps sans maux, est-il, selon l’expression de Belle de Zuylen, un corps « alegre »? L’allégresse dont elle fait état en octobre 1768 est l’expression d’une sensation rarement rapportée, celle d’un état positif du corps. Pour expliciter son idée, elle estime pourtant nécessaire d’y accoler une construction négative : « Je n’ai ni migraine, ni maux de dens, ni maux d’oreilles.»3 L’absence de maux suffit-elle à définir la bonne santé ? Les généralités sont fuyantes en la matière. L’objectif poursuivi par ceux qui tentent des remèdes nous échappe le plus souvent. Mais même si on part du présupposé qu’il s’agit d’un état antérieur, d’un état sans symptômes, le sens donné à des sensations éprouvées et à des symptômes recensés est clairement distinct des nôtres. Quelques exemples suffisent pour justifier le respect d’une attention particulière dans l’interprétation des effets attendus de remèdes et des signes possibles d’une amélioration de santé. La souffrance peut signifier un mieux, ou alors être perçue comme un symptôme. Jeanne-Marie Bellamy, par exemple, rapporte souffrir d’une diarrhée et d’un accablement « sans douleur »4.

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3

4

Châtelet 1997, p. 39. Voir Mauzi 1960, pp. 300-314. L’association entre bonheur et santé pourrait avoir une assise plus large: elle est explicitée dans les cahiers de doléances du Pays nantais, Croix 1989. Charrière O. C., t. 2, p. 121, Belle de Zuylen à Diederik Tuyll van Serooskerken, Zuylen, le 11 octobre 1768. Voir ici même pp. 125 & 127.

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La formule est ici intrigante. La diarrhée est, par définition, indolore et la redondance véhiculée dans l’expression peut signifier une surdétermination exprimant un soulagement, soit encore, et plus probablement, une indication que l’utilisation faite des termes recensés dans le chapitre précédent est imprécise5. La mention d’un accablement « sans douleur » confirme, en second lieu, le sens de l’accablement tel qu’il a été esquissé plus haut : il ne se réduit pas à un état d’esprit, mais peut être associé à des sensations corporelles. Des états maladifs ne sont pas forcément douloureux, mais la souffrance peut être pathogène. « Je n’aime pas les souffrances », écrit Isabelle de Charrière, « dabord parce qu’elles sont souffrances, puis parce qu’elles allument le sang et irritent les nerfs »6. En bref, être malade ne signifie pas forcément souffrir, et si être en bonne santé renvoie à un état insaisissable, il s’agit de mieux cerner ce que recouvrent ces états avant d’entamer une exploration de l’arsenal thérapeutique. L’état de santé tel qu’il est exprimé sous la plume de laïcs peut être représenté comme évoluant sur une échelle graduée qui relierait la meilleure santé à la déchéance physique la plus extrême. Le passage d’un échelon à un autre correspond à des nuances de santé, avant qu’un basculement imperceptible ne se produise, incitant le sujet à se définir comme étant malade plutôt qu’en santé ou vice-versa. La bonne santé peut être qualifiée d’une manière analogue à la maladie: elle connaît de nombreuses variations et peut être appelée à s’établir pendant une durée de temps plus ou moins longue. D’un point de vue interprétatif, le modèle est peu satisfaisant: l’alternance des deux états est peu explicitée. Si l’état de santé présent demeure insaisissable, les moyens mis en œuvre pour retrouver la santé, ou du moins pour l’améliorer, ne le sont nullement. Le nombre quasi infini de facteurs influençant l’état de santé, énumérés soit dans des écrits autobiographiques, soit dans les archives de la relation thérapeutique, signale non seulement l’omniprésence de dangers, mais également la multitude de variables qu’il s’agit de surveiller afin de contrôler son évolution sur l’échelle santé-maladie. La thérapie mise

5 6

Voir plus haut p. 321. Charrière O. C., t. 4, p. 651, Isabelle de Charrière à Caroline de Sandoz-Rollin, s.l., le 29 novembre1794.

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en place pour conjurer une mauvaise santé est généralement composite : un régime (comprenant un régime alimentaire et un mode de vivre) et différents remèdes. Pour une « fluxion*», par exemple, Louis Odier conseille à sa future femme « d’éviter pendant quelques jours avec le plus grand soin tous les courans d’air, le froid, l’humidité, les veilles et la trop grande chaleur », mais aussi de prendre « des bouillons d’herbes le matin, des bains de pieds le soir, des poudres de nitre* deux ou trois fois chaque jour »7. C’est là un exemple des armes thérapeutiques des praticiens. Les pages qui suivent ne prétendent pas reconstituer cet arsenal dans son ensemble, mais visent plus modestement à rassembler des données sur les stratégies thérapeutiques laïques. Chaque choix thérapeutique renvoie à la compréhension de l’origine de la dégradation de santé. D’emblée, un constat s’impose : les interprétations surnaturelles de maux sont peu nombreuses. Le cadre spirituel était une source de consolation reconnue : le mieux-être est souvent ponctué d’un « grâce à dieu ». La religion donne un cadre dans la mesure où Dieu est reconnu comme l’architecte de toutes choses ; au quotidien son intervention n’est ni redoutée ni espérée activement. Ainsi, le religieux et le surnaturel sont rarement présents dans les pages qui suivent. Il y a une contradiction apparente entre cette absence et les pratiques mentionnées par les livres de vulgarisation médicale8. Ce décalage résulte peut-être de l’importance conférée ici à des sources émanant de milieux lettrés et aisés. Certaines traces incitent à penser qu’il en va autrement dans d’autres milieux. Une malade souffrant de convulsions s’imagine, écrit le pasteur Frêne, les « avoir reçu des ennemis d’une femme d’Evillard »9. Devant le Consistoire genevois, certains malades attribuent leurs maux aux « démons » qui leur auraient été envoyés par des tiers10. Plus intéressant est le fait que plusieurs malades sont convaincus d’avoir consulté un jésuite et d’avoir touché une « bague de St François Xavier » aux fins de guérir de leurs maux11. Le surnaturel était encore bien présent ; nombre

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BGE, Ms Fr 4153, Louis Odier à Andrienne Lecointe, s.d. [1779]. Voir Loux et Richard 1989. Jnl Frêne, p. 231, le 23 janvier 1757. Par exemple AEG, R. Consist. 71, le 16 octobre 1703. Rieder 2010.

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de personnes sont accusées de pratiquer la divination ou la magie, voire d’y avoir recours12. Pourtant, au-delà de ces quelques traces, la nature et l’importance de l’aspect thérapeutique de telles pratiques échappent au regard de l’historien, peut-être en raison de leur incompatibilité avec le discours rationalisant des Lumières. La perspective adoptée dans les pages qui suivent se confine à explorer les stratégies de soins avouables et avouées. Pour des raisons de commodité, celles-ci sont organisées en deux groupes, l’un regroupant les thérapies qui relèvent du mode de vie en général et l’autre qui se caractérisent par un remède particulier. LA MORALE DE LA MODÉRATION: LA DISCIPLINE DE SOI La complexité des liens de causalité dressés par les acteurs, malades ou en santé, pour expliquer des troubles de santé au cours de l’Ancien Régime est manifeste et révèle une appréhension sanitaire d’ensemble tenant compte de l’environnement (passé et présent), des actions (passées et présentes) et des états d’esprits (passés et présents) du malade. La nature variée des données pouvant altérer une santé, susciter un changement brusque de tempérament ou faire naître une maladie, est telle que les laïcs, surtout les convalescents, prennent des mesures préventives pour limiter les risques. La nature de ces mesures varie, mais elles gravitent autour d’une idéeclé, celle de modération. Cette prise en charge de soi par soi est le pendant logique de l’importance du corps singulier; chaque état de corps étant unique, il exige un comportement adapté et spécifique. Un M. Hartmann, par exemple, explique à Tissot qu’il cherche à se ménager en se mettant davantage en mouvement13. La stratégie répond à des variables spécifiques à l’individu. Chaque personne se devant de trouver la formule qui lui est adaptée. C’est quasiment un devoir et la responsabilité entraîne l’expression de sentiments de

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Par exemple AEG, R. Consist. 69, le 3 août 1699; vol 70, le 9 mars 1702; vol. 79, le 9 août 1725; vol. 81, le 27 novembre 1732 et le 9 avril 1733; vol. 89, le 18 avril 1770. FT, II/144.05.05.32, M. Hartmann, Villeneuve, le 19 juin 1792.

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culpabilité. « Il faut d’abord vous convenir de mes torts », affirme la comtesse de La Rivière au début de sa lettre à Tissot. Elle aurait « laissé aller [son] appétit à ses excès et [son] irrégularité pour les heures de [ses] repas », inconduite qui serait responsable du « comble du désordre » régnant dans sa santé14. « Si je pouvais m’astreindre a suivre un régime » se lamente pour sa part Benjamin Constant, « ma santé se remettrait, mais l’impossibilité de m’y astreindre fait partie de ma mauvaise santé »15. L’impossible quête du contrôle de soi, mais encore de ses émotions, est emblématique du poids de cette responsabilité. Les injonctions au calme surviennent de tout part : « Tenés vous le cœur gay et le ventre libre c’est une des meilleures receptes pour se porter à merveille »; « habillez vous chaudement, ne vous tourmentez l’esprit de rien »16. Les amis et les proches proclament ainsi, dans un sens large, l’importance de la modération. La nature de leurs recommandations signale la diversité des variables possibles. « Il me semble que deux mois passés tranquilement avec moi, avec du repos et une bonne conscience sans medecin ni medecines vous remettroient fort bien ; mais il faudroit ne vous pas etourdir ne pas agiter votre sang ni fatiguer votre tête, je m’imposerois un regime de paroles au moyen du quel je ne vous ferois point de mal », écrit Belle de Zuylen à un ami malade17. Elle-même se fait sermonner par d’autres. Jeanne-Louise Prévost l’incite à la prudence dans la période de convalescence qui suit sa petite vérole : Ne nêgligez pas les mênagemens, sur tout rien qui puisse vous échauffer, du régime dans votre nourriture, couchez vous de bonne heure etc., l’on a remarqué a Geneve qu’il reste une fermentation dans le sang que exige bien des attentions je ne vous crois pas ennemie du dorlotage usez en dans cette occasion18.

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FT, II/144 05.05.43, comtesse de La Rivière, Fribourg, le 4 janvier 1792. Charrière O. C., t. 3, p. 236, Benjamin Constant à Isabelle de Charrière, s.l., le 17 septembre 1790. Respectivement Charrière O. C., t. 4, p. 668, Isabelle de Charrière à Henriette L’Hardy, s.l., les 9-13 décembre 1794 et ACV, P Charrière, Ce 4, M. de Mex à Salomon Charrière de Sévery, le 20 janvier 1767. Charrière O. C., t. 1, p. 445, Belle de Zuylen à Constant d’Hermenches, s.l., le 5 décembre 1765. L’auteure de la lettre souligne. Charrière O. C., t. 1, p. 75, Jeanne-Louise Prévost à Belle de Zuylen, Neuchâtel, le 2 juin 1755.

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La diversité apparente des conseils cache le message essentiel adressé au malade. Il s’agit de prendre soin de soi. Toute fragilité physique et tout trouble de santé appellent des ménagements particuliers, qu’il s’agisse d’une période critique, de maladie, de la grossesse19, des suites de couches, d’une vive émotion, d’un sommeil agité, d’une perte de poids ou toute autre perturbation survenue dans sa santé. Après son accouchement, Catherine Charrière de Sévery, par exemple, refuse les visites de ses parents pendant 11 jours pour éviter toute agitation pathogène20. Les malades et les convalescents sont suivis de près. Mme Vieusseux, convalescente, fréquente à nouveau le culte: « Elle a pu soutenir le chant des pseaumes, elle prend toujours la précaution de ne pas se mettre prêt mais elle n’en a point été incommodée », rapporte son neveu21. Soit la force du son soit l’ampleur de l’émotion qui pouvait en résulter sont ainsi identifiées comme des dangers pour sa santé. Comment le malade identifie-t-il l’aspect de son régime ou de sa vie qui doit être ménagé? Des variables contextuelles sont communément invoquées. A l’occasion de son premier hiver à Colombier, par exemple, Isabelle de Charrière attrape un rhume qui dure plusieurs semaines. « Je vai me menager », projette-t-elle, notamment « bien [me] garder du soleil et de la bize »22. Plus souvent encore, la connaissance par soi ou par son entourage de la nature des excès récents est une piste possible. Les origines de l’impératif de la modération se trouvent très logiquement dans les conséquences perçues des excès, de toute évidence néfastes. M. Schilden se décrit comme actif « tant par la chasse, la promenade et de tres frequents voyages ». Il voit ses habitudes basculer à la suite d’une nouvelle fonction officielle: Un travail assidu avec la plume, je fus obligé de sieger chaque jour durant tout l’hiver et une partie de l’été a mon tribunal tout le matin, c’est alors que je dine, et apres le diner les jours d’hiver sont si court chez nous que je ne puis plus sortir, les soirs sont donc voués à la correspondance, a la lecture ou aux sociétés, tout cela augmente ma vie sédentaire. 19

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A titre d’exemple, Charrière O. C., t. 5, p. 212, Isabelle de Charrière à Caroline de Sandoz-Rollin, s.l., le 25 février 1796. Voir p. 386. Huguenot Society, Londres, Famille Deluc, Fdl 1/1, Jean-François Deluc à Jean-André Deluc, Genève, le 4 octore 1775. Charrière O. C., t. 2, p. 269, Isabelle de Charrière à Constant d’Hermenches, s.l., le 18 mars 1772.

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Cette vie lui aurait « causé les incomodités dont depuis j’ai eté si fortement ataqués »23. L’absence d’exercice peut être pathogène, comme peuvent l’être tout changement de régime ou d’habitude. La consommation de remèdes est à l’occasion perçue comme excessive. Les traitements extrêmes sont ainsi réputés dangereux, notamment les évacuations répétées24. Un nombre immodéré de saignées peut déboucher sur une hydropisie, rapporte Frêne. Le spectre des domaines concernés paraît illimité. Même les excès sexuels comportent des risques25. Les amants les plus enflammés se retiennent eu égard à leur santé ou à celle de leurs partenaires. Madame de Larnage, la plus sensuelle des maîtresses de Rousseau, constitue un exemple emblématique de tels comportements. « J’eus lieu de croire aux ménagemens forcée qu’elle m’imposoit », rapporte son amant, « que quoique sensuelle et voluptueuse elle aimoit encore mieux ma santé que ses plaisirs »26. Des excès communs dans les milieux lettrés sont l’excès de lecture et d’écriture. M. Veillard, régent au Collège de Genève, meurt en 1777. « Il paroit qu’il est mort la victime de son travail. C’est acheter trop cher le bien que l’on acquiert pour le laisser à ses successeurs, que de l’acheter au dépend de sa santé », commente un de ses anciens élèves27. Tous n’ont pourtant pas la chance de mourir à la fin d’une longue carrière. Une connaissance de Frêne, un jeune homme établi à Paris pour se perfectionner dans la peinture, « est mort d’une fievre chaude, effet de son trop d’application », commente amèrement Frêne qui l’avait pris en affection28. Quelle que soit la cause du désordre de santé, retrouver l’équilibre désirable requiert un comportement adéquat; de simples malaises pouvant dégénérer en véritables maladies. Face à une quelconque dégradation de santé, il s’agit avant tout de réagir promptement.

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Ses « incomodités » comprennent un « opressement de poitrine », un souffle court et la goutte. FT, II/144.05.02.01, M. Schilden, Lausanne, le 5 mai 1790. Richard Baxter se plaignait de l’insuccès des médecins et rendait les thérapies tentées resposables de la dégradation de sa santé. Cooper 2007, p. 11. Voir notamment p. 381 et suiv. Rousseau 1959, p. 252. Le lucre serait la cause de ses excès. Huguenot Society, Londres, Famille Deluc, Fdl 1/1, Jean-François Deluc à Jean-André Deluc, Genève, le 9 mai 1777. Jnl Frêne, pp. 893-895. De nombreuses personnes se voient contraints d’abandonner tout travail intellectuel pour cette raison.

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« Je me porte mieux », écrit Charles-Emmanuel de Charrière dans une des premières lettres qu’il adresse à Belle de Zuylen, « mais je suis encore enrumé. Je crains que ce rhume qui dure depuis trois mois, ne dure tout l’hiver. Je ne sais point me menager, on me le reproche, je veux me corriger, et je ne me corrige point »29. Quatre ans plus tard, ses conclusions sont les mêmes: « Je souffre peu mais je suis fort inquieté; des que je m’echaufe ou que je sens le vent il me prend un acces; j’ai la tête embrassé et les yeux gros; je prens le parti de me ménager »30. Le ménagement occupe ainsi une place honorable dans la médecine préventive, dite néo-hippocratique, en vogue au XVIIIe siècle. Il incite à une certaine complaisance ou indulgence visà-vis de soi. Marc Auguste Pictet, chargé de lire une comédie, n’en fait rien. Les « occupations forcées et continues lui donnent de fréquents maux de tete »31. Il est vrai que la morale de la modération peut être invoquée pour excuser nombre de manquements et de comportements asociaux; certains en font un mode de vie. La carrière de Charles Bonnet en est une excellente illustration, mais d’autres respectent la même logique. Jeanne-Louise Prévost, par exemple, se dispense d’abord « d’amusemens » afin de ne pas déranger sa santé32. Les ménagements s’étendent ensuite, sa santé étant toujours mauvaise, aux promenades. Elle estime devoir se « borner au genre de vie le plus tranquile au moins jusqu’à ce que je soit plus forte »33. Des mois plus tard, elle avoue ne se soigner que par un « peu de ménagement »34. Elle n’aura pas lieu de regretter cette résolution35.

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Charrière O. C., t. 1, p. 515, Charles-Emmanuel de Charrière à Belle de Zuylen, Colombier, le 11 octobre 1766. Charrière O. C., t. 2, p. 189, Charles-Emmanuel de Charrière à Belle de Zuylen, Colombier, le 28 mai 1770. Charrière O. C., t. 2, p. 450, Claude de Narbonne-Pelet de Salgas à Isabelle de Charrière, le 11 janvier 1785. Charrière O. C., t. 1, p. 30, Jeanne-Louise Prévost à Belle de Zuylen, Genève, les 1-11 décembre 1753. Charrière O. C., t. 1, p. 46, Jeanne-Louise Prévost à Belle de Zuylen, Nyon, le 11 mai 1754. Charrière O. C., t. 1, p. 55, Jeanne-Louise Prévost à Belle de Zuylen, Neuchâtel, le 5 septembre 1754. Charrière O. C., t. 2, p. 243, Diederik Tuyll van Serooskerken à Isabelle de Charrière, Lausanne, le 20 août 1771.

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TRANSFORMATIONS DOUCES : LE RÉGIME Le principe de la modération prévaut également au niveau du régime, une composante essentielle de la thérapeutique d’Ancien Régime. Le régime alimentaire doit être modéré36. Manger léger s’oppose aux excès de la chair: A l’egard de ma santé je crois la mênager assez je soupe bien aussi légérement que vous et je ne me couche pas plus tard un peu avant ou après neuf heures pour l’ordinaire – je ne retarde que quand je ne puis en quelque façon pas faire autrement a l’egard du manger je m’en tiens toujours au plus simple vous savez que je ne péche pas par la quantité37.

L’auteure ne précise pas en quoi son souper est léger. La chair et le vin étaient traditionnellement compris dans le groupe des aliments « qui rend fort »38, mais leur consommation se trouve associée à la lourdeur et au risque d’indigestion39. Des régimes nourrissants ont pour objectif de combattre la faiblesse et de renforcer le corps, alors que des régimes plus légers visent à le soulager. Les prescriptions de médecins en matière d’alimentation sont suivies avec réticence; le malade peine à se départir de ses habitudes40. Chacun possède un avis sur ce qui est bon pour sa santé et n’hésite pas à le faire savoir à son médecin. Le détail des mets consommés chaque jour est cependant généralement passé sous silence. Charles Bonnet décrit un régime raisonnable selon ses propres critères: « A diner, du mouton et du légume; à souper, du mouton ou du veau, un peu de légume et une poire. Voilà mon ordinaire de presque tous les jours. Joignez-y une aile de volaille, et vous verrez si c’est trop. J’ajoute que je ne prends jamais que fort peu de sauce.»41 C’est plutôt nourrissant, en comparaison des habitudes alimentaires auxquelles le jeune Louis Odier est soumis dans la maison paternelle, régime qu’il qualifie, il 36

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On retrouve cette logique dans les proverbes populaires. Loux et Richard 1972, pp. 279-281. Charrière O. C., t. 1, p. 86, Jeanne-Louise Prévost à Belle de Zuylen, Neuchâtel, le 6 octobre 1755. Loux et Richard 1972, p. 274. Jnl Frêne, p. 158. Par exemple, Charrière de Sévery [1924], p. 151, Louise de Corcelles à Catherine Charrière de Sévery, s.l., s.d. Voir ici même p. 86.

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est vrai, d’austère. Au lever, il déjeune d’une soupe à la farine et au lait, remplacé parfois par un morceau de pain pris sur le chemin de l’école. A 11 h, de retour à la maison, il mange « la soupe et la bouillie ». Un gouter est placé après l’école, à 3 h, et se réduit à un « morceau de pain et un peu de fruit ou du fromage ». Plus tard, le soir, « a 8 heures au plus tard, on soupoit avec un roti nouveau ou réchauffé et un plat de légumes »42. L’essentiel n’est pas d’observer un régime idéal, mais de suivre le meilleur régime pour soi. Alors que d’Hermenches se repose à Toulon après la campagne de Corse, sa correspondante s’inquiète: « Ne faites pas trop bonne chere et menagez vous; les deux extremes sont egalement dangereux surtout quand ils se suivent immediatement »43. On retrouve le principe de la modération. En cas de maladie, le régime se mue en thérapie. Frêne conclut, par exemple, s’être guéri d’une inflammation à l’anus par un régime « sobre » et sans vin44. C’est en dernier lieu le malade qui évalue ce qui est bon pour lui, quitte à encaisser les reproches quand sa santé se détériore45. Les récits de santé adressés à Tissot se révèlent peu informatifs quant aux habitudes alimentaires. Les quelques cas mis à jour ici confirment avant tout la singularité des corps: au-delà des contingences matérielles, les habitudes alimentaires se définissent en fonction d’un rapport particulier entre l’être et son environnement. L’expérience est ici primordiale. Jean-François Deluc souffre de sa « tête mal à son aise ». Il décide alors de réduire sa consommation de lait et il lui paraît dès lors que sa « tête est plus libre ». Si ce bien perdure, il projette de renoncer complètement au lait46. Des décisions hardies, comme celle prise par Saussure de suivre un régime essentiellement carné après sa première maladie, se justifie par le fait qu’il s’en trouve mieux. Au moment de sa dernière maladie, il change de stratégie et devient végétarien. Les conclusions du malade sont subjectives, mais ce sont les données à partir des quelles les malades et leurs 42 43

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BGE, Ms fr 4153, Louis Odier à Andrienne Lecointe, s.d. [1779]. Charrière O. C., t. 2, p. 134, Belle de Zuylen à Constant d’Hermenches, Zuylen, le 27 novembre 1768. Voir p. 148. Charrière O. C., t. 2, pp. 228-229, Belle de Zuylen à Diederik Tuyll van Serooskerken, Utrecht, le 29 novembre 1770. Huguenot Society, Londres, Famille Deluc, Fdl 1/1, Jean-François Deluc à Jean-André Deluc, Genève, reçu à Lausanne le 4 octore 1775.

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soignants doivent raisonner. M. Dufourchet, explique pour son propre compte: Mon estomach m’a toujours donné de la défiance, toutes les viandes faisandées et qui ne sont pas fraîches me donnent a coup sur une indigestion. J’en ai eu pour avoir mangé des fraises dans le bois à jeun et sans pain, le matin il y a plus de dix ans. Je ne mange pas de salade le soir parce qu’elle me revient à la bouche en me levant le matin, la seule salade qui ne m’incommodoit pas le soir etoit le cellery. Lorsque j’en mangeois copieusement le soir, j’en eprouvois des chaleurs, les nuits et comme un dégorgement de la pituite qui me faisoit beaucoup cracher47.

Le régime prescrit par un praticien casse les habitudes et s’oppose souvent aux convictions des malades. L’accueil qui lui est réservé varie d’un individu à l’autre. Le malade expérimente lui-même avant de livrer crûment son verdict, rapportant souvent des adaptations importantes. Le curial Briod, par exemple, vante la fidélité avec laquelle sa femme suivait l’ordonnance de Tissot, pourtant: « Elle a manqué au régime quelque fois à cause de l’absence de fruits et jardinages conseillés. D’autre fois dans le tems des regles, ou elle s’est permise quelques brins de viande et un quart de verre de vin, parce qu’elle croyoit un peu de fortifiant propre à favoriser l’écoulement de ses menstrues d’autres fois sous pretexte de l’anéantissements qui lui surviennent, pour avoir pris une nourriture trop legère.»48 D’autres patients renoncent même à en faire l’essai. Dans une lettre qu’il écrit à Tissot, Elie de Beaumont affirme n’avoir pu « prendre sur lui de renoncer à l’usage de la soupe ou du riz ou du vermicelle qui en tient lieu, parce qu’un préjugé de l’enfance lui a toujours persuadé qu’elle était nécessaire à sa santé et que le bouillon rafraîchit les viscères »49. Le mari de Baby Develay, sa femme en est convaincue, met sa santé en péril en refusant de renoncer à manger des oignons50. La nécessité d’adapter son alimentation aux besoins de son corps est un principe connu de tous.

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FT, II/144.03.06.19, M. Torchon Dufourchet, avril 1785. FT, II/146.01.05.07, Le Curial Briod, Lucens, le 5 avril 1787. Teysseire 1995b, pp. 57-58. FT, II/146.01.05.03, Elisabeth Antoinette Develay, Genève, le 21 mai 1792.

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REDONNER DES FORCES, CHASSER LE MAL : LES REMÈDES L’histoire des remèdes est truffée d’a priori. « On ne rencontre nulle part un champ d’expérience où l’erreur ait aussi surabondamment fleuri et essaimé », écrit François Dagognet avant de se lancer dans une diatribe dans laquelle la thérapeutique ancienne est décrite comme « archaïque », dans l’« erreur », fruit de « divagations » et d’« égarements »51. Son analyse est centrée sur le rapport entre le remède et le raisonnement thérapeutique moderne, les remèdes du passé servant à mettre en valeur les spécificités de ceux d’aujourd’hui52. Engluée dans des savoirs « faux », l’histoire des remèdes peine à sortir du catalogue de l’inutile. Il faut attendre une période récente pour voir exprimée la volonté de revoir cette histoire53. La finalité ici n’est pas d’explorer ce domaine à peine défriché, mais d’interroger les rapports sociaux et culturels entre le remède et le consommateur. Le remède est une entité floue, peu codifiée et peu contrôlée. La panoplie des médicaments disponibles est vaste54; chaque remède doit être dosé individuellement et peut susciter différents effets en fonction des constitutions et des tempéraments particuliers. En toute logique, le patient est lui-même le juge des effets d’un médicament. Certaines recettes sont domestiques, mais si elles nécessitent des connaissances précises ou comprennent des ingrédients dangereux, les préparations sont réalisées par des apothicaires. Ceux-ci n’ont pas toujours les compétences nécessaires. Le savon de tartre conçu dans la boutique Le Royer serait trop âcre, selon Théodore Tronchin55. Le désagrément provoqué par cette âcreté est mineur par rapport à celui éprouvé par d’autres

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Dagognet 1964, pp. 5-13. Dagognet 1964, p. 28. Le constat a été fait par Rosenberg 1979. Pour une évaluation historiographique, voir Faure 1994; Faure 1999; Maehle 1999. Pour le nouveau monde: McLean Ward 1992, pp. 46-50. Les encarts publicitaires dans les périodiques signalent l’importance des remèdes. A la fin du siècle, les propriétaires de remèdes secrets adressent 698 requêtes pour des patentes à la Société Royale de Médecine. Ramsey 1982, p. 222. Le savon de tartre comprend de la potasse et de l’huile essentielle de térébenthine. BGE, Archives Saussure 13/43, Théodore Tronchin à Horace-Bénédict de Saussure, [Paris], 15 septembre 1772.

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clients. Jean Antoine Normendie meurt en 1761 à la suite d’un lavement à base de mercure. L’ordonnance du docteur Rabours serait pourtant, selon les experts, conforme à la bonne pratique prescrite par les livres de médecine56. Par contre, sans tirer des conséquences claires, le remède lui-même « contenoit plus d’esprit de nitre*» qu’une nouvelle préparation faite suivant l’ordonnance originale57. Un doute subsiste, mais le pharmacien préparateur n’est pas mis en cause. Les remèdes et produits pharmaceutiques suivent une multitude de voies avant d’atteindre le patient. Le fait de faire payer un remède peut valoir une condamnation pour pratique illégale de la médecine. Pourtant, la limite entre échanges de bons procédés et l’exercice illégal demeure floue et certaines pratiques, ni sanctionnées ni réprimées par les autorités médicales, attestent de la distribution de remèdes par des laïcs. En 1703, c’est à propos du paiement qu’il y a dissension. L’enfant de Lucresse Mermillon souffrant de la fièvre, cette dernière achète à une voisine, Marguerite David, un remède pour la « faire passer ». Plus tard, peut-être parce que le remède n’avait pas donné satisfaction, Lucresse Mermillon exige le remboursement des dix-huit sols dépensés58. C’est un exemple isolé de pratiques au sein de couches modestes de la population. Le constat de l’insuccès d’une thérapie est courant et trouve de nombreuses explications. La constitution du malade, le cours particulier de sa maladie, son état, mais aussi les particularités de l’environnement dans lequel il évolue sont des causes possibles d’échec. Le remède adéquat se trouve souvent par tâtonnements. Les malades essayent des remèdes comme ils tentent des régimes et adaptent prescriptions et conseils quel qu’en soit l’auteur59. Mme Briod, par exemple, qui observe à sa façon le régime végétarien prescrit par Tissot, en fait de même des remèdes: elle avait pris « les trois premiers vomitifs [...]

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AEG, PC 10905, Deposition d’Antoine Metral du 23 Aoust 1761. En France, même des remèdes secrets autorisés par la Société Royale (dès 1781) devaient être soumis à l’approbation des autorités médicales locales avant d’être distribués dans les provinces. Ramsey 1982, p. 221. AEG, PC 10905, Raport des sieurs docteurs medecins et des maitres jurés pharmaciens au sujet du remede donné par le sieur Le Royer pere et fils du 23 aoust 1761 (signé Joly, Bonet, Butini et Reynet, Colladon). AEG, R. du Consist. 71, p. 1, le 28 juin 1703. Le phénomène est répandu. Voir Stolberg 1999a; Ruisinger 2008, p. 169.

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dans le tems, mais elle a cru devoir suprimer les deux suivants, parce que le dernier lui avoit laissé l’estomac un peu affoibli ». Et elle avait également renoncé aux bains qui « lui déplaisent et ne lui font pas le même bien »60. La singularité du corps donne ainsi une autorité incontestée au malade lui-même. Les propos d’une autre malade rapportés par son fils sont éloquents. Sa mère refuse les bains domestiques. « Elle les a en horreur elle est si persuadée qu’ils lui ont fait mal qu’il seroit inutile de lui en proposer ». La malade préfère le thé à la crème qui « paroit lui adoucir ces tiraïllemens », rapporte son fils61. Le thé à la crème et les bains se trouvent placés ici sur le même niveau. Tous deux affectent le corps malade. L’énorme offre thérapeutique répond à la grande variété des états de santé. Ainsi, comme les manifestations de maladies, l’effet des remèdes est avant tout inconstant. « Les bains tièdes lui faisoient autrefois du bien », écrit Saussure à Haller à propos de sa sœur, « mais à présent ils semblent avoir perdu leur efficace quoiqu’elle les ait pris derniérement pendant plusieurs heures chaque jour ». Les expériences passées guident le malade dans son appréhension. « En général elle croit n’avoir jamais éprouvé de soulagement que de remédes qui ont favorisé la transpiration », continue Saussure qui explique ailleurs que sa peau serait, précisément, peu encline à la transpiration62. Les stratégies de rétablissement du corps répondent à des caractéristiques particulières, mais également à des logiques externes. « Me voici arrivé à la saison la plus propre a faire quelques remèdes que vous jugerés necessaires au soutien de ma santé », écrit M. Fegeli à Tissot, signalant à la fois l’importance de la saison de l’année – le printemps – pour la thérapeutique et l’existence de finalités particulières dans les attentes de patients: il réclame un remède qui « soutienne » sa santé et non qui la « rétablisse »63. Dans un sens, le corps singulier d’Ancien Régime ne peut réagir de manière prévisible à un remède particulier. Face à la multiplicité des corps et la liste interminable de remèdes, il faut tout « essayer ». « Mes trois medecins […] firent l’impossible et peut être trop pour ma guérison », écrit J. Claret. « Sangsues au

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FT, II/146.01.05.07, Le Curial Briod, Lucens, le 5 avril 1787. FT, II/146.01.03.18, L. Arthaud, Genève, Vevey, le 16 juillet 1768. Bonnet et Saussure 1990, p. 477, Horace-Bénédict de Saussure à Albrecht de Haller, Genève, le 11 décembre 1773. FT, II/144.05.01.06, M. Fegeli, Fribourg, le 23 mai 1790.

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fondement aux tempes, vésicatoires sur la tette et a la nuque du col, 75 bains domestiques sur 18 seillées d’eau deux bouillantes, une livre de glace sur la tette que je ne pus suporter que 7 a 8 fois. Enfin des remedes de toutte espece, des eaux, de lait, des elixirs et de regime differents.»64 Les remèdes comprennent une variété d’ingrédients dont des plantes, des minéraux, des excréments, des tissus animaux et même d’autres médecines composées65. Certains comportent aussi un ingrédient surnaturel66. Pourtant, tout comme la catégorie des remèdes « efficaces », ces appellations ne rendent qu’imparfaitement compte de la qualité intrinsèque du remède tel qu’il s’impose au malade, celle d’être appropriée à la fois à une constitution et à un état de santé particuliers. Les malades, les citations qui précèdent suffisent pour s’en convaincre, ont une idée de ce qui leur convient et parfois le recours au soignant vise avant tout à obtenir la caution d’un projet thérapeutique67. La marge de manœuvre du praticien est alors réduite, parfois confinée à répondre aux questions posées par des malades ou à cautionner un remède proposé. « Je prens la liberté, Monsieur, de vous laisser ce billet pour vous consulter si vous jugez à propos que je prenne des bains du lac, ou de quelque rivière froide, pour fortifier mes nerfs qui quelquefois sont encore très faibles », écrit, par exemple, la comtesse Golowkin à Tissot68. Le recours au remède peut être désagréable, douloureux et même dangereux pour la santé. Essayer un médicament signifie adapter son quotidien à l’éventualité d’un effet désagréable et parfois indésirable. C’est une opération sérieuse, requérant le plus souvent le confinement chez soi69. « M. Tissot m’a fait commencer des remèdes que je prendrai trois semaines et qui ne peuvent se transporter », écrit Louise de Corcelles pour justifier un séjour prolongé à

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FT, II/144.05.02.28, J. Claret, Genève, le 7 avril 1790. Voir Cabanès 1905; Franklin 1891 Andrew Wear a relevé que « la distinction entre des sorcières blanches et des charlatans était ambiguë aux yeux de certains individus ». Une panacée vendue par un charlatan pouvait se voir attribuer des caractéristiques surnaturelles, Wear 1995, p. 22. C’est la stratégie adoptée par Bonnet dans ses lettres à Van Swieten, voir pp. 81-82. Charrière de Sévery 1928, p. 19, comtesse Golowkin, s.l., s.d. C’est le cas, par exemple, de Bellamy lors de ses prises de rhubarbe, voir plus haut p. 120.

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Lausanne en automne 177370. La nécessité de prendre un remède est parfois perçue comme étant impérieuse. « Je n’ai pù vous faire ce matin ma réponse à votre dernier billet, ayant passé cette matinée comme celle de hier à avaler des eaux ameres et purgatives dont un derangement precedent m’avoit fait un besoin absolù.»71 Prendre médecine est une raison suffisante pour renoncer à toute activité. C’est aussi une excuse justifiant un comportement asocial, ou, du moins, pouvant être perçu comme tel. Isabelle de Charrière ne voit que rapidement Voltaire lors d’une visite qu’elle lui rend en 1777. « Madame Cramer nous dit qu’il etoit de mauvaise humeur, qu’il avoit pris de la casse, qu’elle le tracassoit que cependant il se proposoit de revenir auprès de nous mais il y vint d’autre monde des gens que M. de Voltaire n’aime pas des especes de parens, parasites, etablis à Fernex et d’autes gens encore de sorte que Voltaire resta sur sa chaise percée.»72 Susciter des réactions, faire couler des fluides corporels et créer des voies pour dégager des obstructions ou extraire des humeurs corrompues font partie des effets attendus de la pharmacopée traditionnelle. Les remèdes aux effets moins violents étaient accueillis avec soulagement par certains. Sur la recette d’un des remèdes de Salomon Charrière de Sévery contre l’asthme, comprenant de la casse, de la quinquina, du sirop capillaire et de la réglisse, figure, outre l’affirmation qu’il s’agit là d’un des meilleurs remèdes contre l’asthme, la mention « n’empeche point les occupations du malade, ny la gene pour la nourriture »73. C’est rare. On peut se demander où les laïcs trouvaient la détermination nécessaire pour essayer tant de préparations désagréables et souvent dégoûtantes. Une des réponses possibles est celle qu’offre Claude de Salgas en juin 1784, au début de la saison des bains: « Je compte […] être à Aix du 30 au 2 de juillet. J’avois bonne envie de me dispenser de ce voyage et j’y aurai renoncé malgré les sollicitations de mes sœurs et l’avis de M. Butini si de légers retours de douleurs et une augmenta70

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Charrière de Sévery [1924], p. 102, Louise de Corcelles à Catherine Charrière de Sévery, Lausanne, le 12 novembre 1773. Charrière O. C., t. 3, p. 277, Pierre-Alexandre Du Peyrou à Isabelle de Charrière, s.l., les 18-19 février 1790. Charrière O. C., t. 2, p. 339, Isabelle de Charrière à Vincent Maximiliaan Tuyll van Serooskerken, Colombier, le 7 juin 1777. ACV, P Charriere Ce 4, Salomon Charrière de Sévery, Recette des Pilulles pour l’astme huymide.

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tion de roideur ne m’avertissoit qu’il faut encore le faire, ne fut ce que pour n’avoir rien à me reprocher.»74 L’argument est régulièrement avancé pour justifier la répétition effrénée de nouvelles tentatives thérapeutiques75. Etant donné la variété à la fois des tempéraments et des maux, tout nouveau remède peut relancer l’espoir: «[Mon fils] ainé (comme vous le saurés peut etre) est sujet depuis sa tendre enfance a des accidens que jusqu’ici tout l’art de la medecine n’a pu surmonter; je nourris cependant quelqu’espoir », écrit la baronne de Rosendaalde Rode van Heeckeren, « puisse un nouveau remède qu’on vient de m’indiquer, et dont on me promet beaucoup ne pas le tromper comme tant d’autres »76. L’échec de la thérapie peut provenir de son agencement dans le temps, d’un mauvais dosage ou d’un état de santé déjà trop sévèrement compromis: Il y avoit trop longtemps qu’elle etoit atteinte d’un mal dont on ne guerit presque jamais. Quand on a pensé à certains remedes, et à la faire demeurer dans une étable, il étoit beaucoup trop tard. Les bains n’ont pas été salutaires mais le pis qu’on en puisse penser c’est qu’ils ont pu abreger de quelques jours une bien triste vie77.

En dépit du scepticisme que suscitent aujourd’hui les remèdes du siècle, les laïcs s’en sentent soulagés, se trouvent mieux ou encore, guéris. La précision de leurs appréciations sur des remèdes tentés est impressionnante. Isabelle Gélieu, par exemple, prend un verre d’eau avec une cuillerée d’élixir: « Il me semble que c’est un peu purgatif mais cela me réchauffe interieurement, quoiqu’en me faisant frissonner tout le corps.»78 Pour sa part, Frêne est capable d’énumérer les effets des remèdes de différentes préparations prises par sa femme 74

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Charrière O. C., t. 2, pp. 408-409, Claude de Narbonne-Pelet à Isabelle de Charrière, Bursins, le 12 juin 1784. Les parents Cart adressent une ultime consultation à Tissot au sujet de la santé de leur fils, « pour ne pas avoir de reproche à nous faire plutost que par le sentiment d’une espérance que nous n’avons plus ». FT, V/144.03.06.13, M. Cart Roten, Vufflans-le-Château, le 5 mai 1785. Charrière O. C., t. 3, p. 244, Eusebia Jacoba Torck à Isabelle de Charrière, Rosendael, le 2 novembre 1790. Charrière O. C., t. 5, p. 396, Isabelle de Charrière à Isabelle Gélieu, s.l., s.d. [1798-1799]. Charrière O. C., t. 5, p. 146, Isabelle Gélieu à Isabelle de Charrière, s.l., [automne 1795].

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pour pallier à une purge trop puissante. Une décoction d’orge trouvée dans L’Avis au peuple « calma les douleurs et appaisa la violence des trenchées » alors que l’essence de rhubarbe prescrite par Scholl « diminua les selles » et la tisane, également proposée par Scholl, « fit aussi bon effet »79. Une telle lecture des effets sur le corps signale la connaissance pratique des remèdes qu’avaient les malades, mais aussi l’importance de l’automédication. Lorsque M. Develay commence à divaguer, sa femme prend les choses en main: « Je lui donnai sur le champ un lavement de camomilles et de miel chaud pour le degager », confie-t-elle au médecin, et les effets de ces remèdes sont tout à fait heureux. « Il avait commencé à se sentir froid aux pieds et chaud à la tête et une grande angoisse, le lavement le soulagea, lui fit un grand effet, amenna beaucoup de bile.»80 En dépit de si bons résultats, la santé de son mari ne cesse pourtant d’empirer. Renforcer et engraisser Une série de recettes peut être placée entre le complément alimentaire et le médicament à proprement parler. Si Furetière distingue clairement le médicament de l’aliment c’est que « celuy-cy se convertit en nostre susbstance, et l’autre l’altere ». La limite est pourtant floue et le même concède que « quelquefois l’aliment sert aussi de médicament»81. Ainsi, la composition d’un bouillon peut obéir à une prescription. Dans un tel remède entrent des plantes et des herbes et parfois des préparations médicinales toutes faites. Recette pour des bouillons de poulet, donnée par M. Tissot 1 Poulet médiocre, ou la 1/2 d’un gros; 1 poignée de fumetaire; 1 de cresson de fontaine; 1 de dent de Lyon, ou chicorée sauvage; 1 de cerfeuil. Il faut premièrement faire cuire le poulet. Et quand il est cuit, on sort la viande de la cassette. Ensuite on met dans la cassette, les gerbes ci-dessous, qu’on doit auparavant bien piler dans un mortier. Puis quand elles ont donné quelque ondes. Et que le bouillon est réduit en volume de 3 vers, on les coule par un linge, et on en exprime bien le jus. Ces 3 verres, on les prend tièdes, à jun, en mettant de l’un à l’autre, une heure de distance. Ces bouillons

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Voir plus haut pp. 222-223. FT, II/146.01.05.03, Elisabeth Antonette Develay, Genève, le 21 mai 1792. Furetière.

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n’exigent pas un régime bien austère, et on peut également travailler en les prenant. N.b. La Detry82, qui est à l’Hôpital, pouroit procurer les herbes83.

La recette est datée du 2 décembre 1773 et provient des archives de la famille Gaulis. Cette famille a également conservé d’autres recettes de bouillons, dont une, datée du 18 avril 1775, « pour le cons[eiller] Gaulis », porte les commentaires: « Commencés le 19 du dit, et pris pendant 45 jours, avec efficace » et « recommencé le 17 avril 1781 et fini le 9 mai, pris 22 matins », avec cette fois du veau à la place du poulet84. Le bouillon est une partie intégrante de la thérapie. Le commentaire « avec efficace » laisse entendre que le malade en était satisfait. La conservation de ces recettes indique leur réutilisation possible et apparente la collection à un livre de recettes. Le bouillon est peut-être, comme le suggère le voyageur Tobias Smollet, un remède typique de l’espace francophone85. Les praticiens comme Tissot, formés en France, en prescrivent volontiers86. Après deux semaines de maladie aiguë (la petite vérole) et trois jours avant son décès, Marie Charlotte Lullin reçoit des bouillons de trois heures en trois heures87. Il s’agit de redonner de la force à une malade épuisée. Les laitages remplissent un rôle similaire et doivent engraisser des malades et des convalescents jugés trop maigres. Le petit-lait, le lait de chèvre et le lait d’ânesse sont largement consommés et prescrits. Ce sont des denrées communes, mais seul l’achat d’une chèvre ou, le cas échéant, d’une ânesse, permet de garantir un approvisionnement régulier88. Le lait d’ânesse est souvent recommandé en cas de phtisie, de consomption ou de toux invétérée89. Pris en hiver, alors que les animaux mangent du foin, le remède signale une situation extrême, 82

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Il s’agit peut-être de Jean-Jacques Ladreyt, apothicaire établi à Lausanne de 1770 à sa mort en 1814, et associé alors de la veuve Lanteires, apothicaire des pauvres réfugiés. Olivier 1939/1962, t. 2, pp. 972 & 1088. ACV, P De Gaulis Ca 150. ACV, P De Gaulis Ca 151. Smollet 1979, p. 106. FT, II/144.05.01.38, Samuel Auguste Tissot à Torchon, Lausanne, le 5 mai. Voir BGE, Ms Lullin 2/175-176, Lullin, Ami, Journal d’une [barré: de deux] petite verole de 1750. Charrière O. C., t. 2, p. 153, Belle de Zuylen à Diederik Tuyll van Serooskerken, Utrecht, le 2 novembre 1769. ACV, P Charriere Ce 3. Voir aussi Olivier 1939/1962, t. 2, p. 699.

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comme l’infère Mme Achard en s’inquiétant de la santé de la fille d’une amie. « Elle ne le dit pas qu’elle soit inquiete peut-être n’ose t’elle pas l’être mais je sai ce qu’il en faut croire et de la toux et du lait d’anesse qu’on donne au milieu de l’hiver »90. Les cures de laitages sont typiquement entreprises au printemps91, à un moment où l’herbe fraîche en renforçait les qualités thérapeutiques92. Le petitlait est un remède courant dans la médecine domestique. Il est composé notamment du résidu laiteux qui se détache au moment où le lait est cuit à petit feu et caille93. On le prépare le plus souvent chez soi (voir figure 5). D’autres substances sont également réputées soutenir et renforcer le corps, notamment les élixirs, des liqueurs spiritueuses extraites « des parties d’une ou de plusieurs substances »94. Dans une de ses dernières maladies, Frêne, affaibli, se voit prescrire un « elixir fortifiant » contenant de la cannelle95. « L’elixir de longue vie », sensé « restaurer la force » est pris régulièrement et dans un dessein similaire par Isabelle de Charrière96. La recette de cet élixir circule sans cesse au cours du siècle. Certaines familles en conservent plusieurs copies. Elle est même publiée intégralement dans le Journal Encyclopédique en septembre 177197. Sa préparation nécessite une dizaine de jours et requiert des ingrédients rares et chers, soit de l’aloès succotrin, du zédoaire, de la gentiane, du safran, de la rhubarbe fine, de l’agaric blanc et de la thériaque de Venise98.

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Charrière O. C., t. 3, p. 477, Isabelle de Charrière à Caroline Sandoz-Rollin, s.l., le 27 décembre 1792. Pour une domestique mal acclimatée, Isabelle de Charrière propose au printemps un cure de jus d’herbes et de petit-lait (ici même p. 448). A une autre occasion, et sur les recommandations de Tissot, son mari prend une cure de petit-lait au mois de janvier (ici même p. 279). « Le petit lait est fait avec du lait qui est à l’herbe fraiche ». FT, II/144 05.02.22, Marianne Doxat de Champvent, Yverdon, le 2 mai 1790. Académie 1740. Académie 1762. Voir ici même p. 154. Voir ici même p. 108. Elle commence toujours ainsi: « Cette recette est du Docteur Yernest Suédois, mort a l’age de 104 ans d’une chute de cheval […]». ACV, P. Charrière, Ce1Ce4; Couvreur 1953, t. 2, pp. 487, 592-593. Le projet de prolonger la vie est partagé par différents penseurs au XVIIIe siècle. Mauzi 1960, pp. 305-306.

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Figure 5: « Maniere de faire le petit lait », ACV, P. Charrière, Ce 1.

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Bouillons, élixirs, laitages et petit-lait sont souvent pris spontanément99. Au printemps 1754, Jeanne-Louise Prévost est malade et s’autoprescrit du lait de chèvre100. « Je n’ai que peu de force, je prens depuis dix jours les remédes du medecin de Paris je n’aperçois point quel en sera l’effet […] et ensuite je prendrai le lait de chèvre par mon ordonnance.»101 Quoique composé d’ingrédients simples, les fortifiants peuvent être associés à la guérison de nombreux maux, mais comme les aliments lourds, ils provoquent également des troubles digestifs. Mme Bonnet ne parvient pas à digérer du petitlait et le rend responsable d’une diarrhée et d’éruptions cutanées102. Charles d’Apples en est indisposé, le remède serait trop lourd pour son estomac103, alors que Mme Arthaud s’en plaint ouvertement: « Le petit-lait a augmenté visiblement, les vents et les seignemens; il resserroit; et on l’a laissé pour ce debarrasser de cette bile.»104 Certaines femmes, après une maladie ou à la suite d’une perte de poids, prennent d’elles-mêmes soit du lait de chèvre105 soit du petit-lait. La motivation première est esthétique, mais santé et apparence sont inextricablement liées. « Je vais prendre du petit lait affin d’être fraiche et grasse à ton arrivée tu m’aime[s] comme cella », annonce par lettre Amélie de Saussure à son mari106. De telles cures colportent des dangers à long terme. Le surpoids s’avère, comme tout excès, inquiétant pour la santé. Saussure elle-même doit prêter attention à son embonpoint à la veille de son cinquième lustre107, tout

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Pour des exemples, voir pp. 106, 128, 449 et 450. Charrière O. C., t. 1, p. 46, Jeanne-Louise Prévost à Belle de Zuylen, Genève, le 11 mai 1754. Charrière O. C., t. 1, p. 48, Jeanne-Louise Prévost à Belle de Zuylen, Genève, le 5 juin 1754. Voir ici même p. 320. Charrière O. C., t. 4, Charles d’Apples à Isabelle de Charrière, [Lausanne], les 22-26 juin 1793, p. 110. FT, II/146.01.03.19, L. Arthaud, Vevey, le 1er septembre 1768. Le petit-lait aurait même « attiré » une fièvre tierce sur la fille de Jacob Vernet. Burgerbibliothek, Bern, N Haller 1084, Jacob Vernet à Albrecht de Haller, Loèche, le 29 juin 1761. BGE, Ms fr 4151, Susanne Baux à Louis Odier, Genève, le 26 mars 1773. BGE, Archives Saussure 237/169, Amélie de Saussure à Horace-Bénédict de Saussure, s.l., samedi 25 [juillet 1778]. BGE, Archives Saussure 237/272, Amélie de Saussure à Théodore de Saussure, s.l., vendredi matin [1793-1794].

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comme Andrienne Odier peu avant ses quarante ans, toutes deux jadis de belles jeunes filles bien en chair108. Un lien de causalité évident lie la volonté des femmes d’être grasses aux problèmes de poids qu’elles rencontrent plus tard. Purger, saigner et évacuer L’état du malade est évalué en premier lieu par l’analyse de ce qui entre et de ce qui sort du corps: c’est une conséquence de l’importance du paradigme humoral. En cas de dysfonctionnement des échanges usuels entre l’intérieur et l’extérieur, la logique thérapeutique commune vise à rétablir l’état originel, le plus souvent en faisant sortir les matières et les fluides considérés comme excédentaires ou corrompus. L’évacuation artificielle, qu’elle soit induite par une purge, un lavement ou une saignée, est destinée à aider le corps à retrouver un équilibre perdu. Cette logique guide d’autres gestes thérapeutiques. En cas d’hydropisie, par exemple, la ponction est une stratégie possible109. La saignée, le remède emblématique de la pharmacopée traditionnelle, est une action thérapeutique courante. C’est aussi un geste violent, entouré de précautions et tenté après mûre réflexion110. Jean-Frédéric Chaillet commente sa lecture d’un tome de la correspondance éditée du célèbre Guy Patin (1601-1672), en réprouvant le recours régulier de celui-ci à la saignée111. Son commentaire peut être lu comme une trace de l’évolution des sensibilités face aux remèdes au XVIIIe siècle, bien que la saignée réponde encore parfois à un sentiment de besoin physique, comme le « besoin d’une saignée » éprouvé par Bellamy au printemps 1773112. Les saignées préventives effectuées à cette période de l’année sont fréquentes, justifiées par la conviction que le sang surabonde en cette 108

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Elle se rendra alors aux bains (à Spa) dans l’espoir de perdre du poids. BGE, Ms fr 4158, Louis Odier à Daniel De la Roche, Genève, le 4 avril 1788 et le 24 octobre 1795. Jnl Frêne, p. 1354, le 29 novembre 1779. Les saignées avaient des effets négatifs reconnus. Elles empêchaient les malades d’écrire (par exemple ici même p. 58), les affaiblissaient (Jnl Frêne, pp. 232 & 421) et elles pouvaient être rendues responsables de morts précoces (plus haut p. 293). Voir ici même p. 52 (n. 31). Sur Patin et la saignée, voir Franklin 1891, p. 20 et Patin 2001. Jnl Bellamy, le 9 mars 1773.

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saison113. Elles sont jugées appropriées pour nombre de maux différents. Il était courant de se faire saigner en prévention d’une vive émotion, ou encore, après en avoir éprouvé une. Un cousin de Frêne se fait saigner avant ses examens de théologie114, sa belle-mère subit une phlébotomie peu après la mort de son époux115 et l’énumération pourrait se poursuivre indéfiniment. Les accidentés qui perdaient du sang étaient considérés comme chanceux. Le sang qui coulait ainsi pouvait contrebalancer les effets négatifs de l’émotion résultant du traumatisme: « Il a perdu beaucoup de sang », raconte Marianne Moula en évoquant une chute faite par Charles Abel de Bosset (17321811), « ce qui a été un bien et a prevenu un depot »116. Mais là aussi, à défaut de pertes accidentelles de sang, les blessés se font tirer du sang117. La sangsue était un autre moyen d’évacuer du sang; elle pouvait être placée sur presque toute la surface du corps, au plus près de l’emplacement supposé de l’humeur corrompue ou pléthorique118. Le vésicatoire, un remède à l’origine de petites ampoules sur la peau, des vessies, œuvre en quelque sorte comme un bouton naturel et pouvait également être posé sur l’emplacement désiré119. C’est un remède courant, peu violent, appliqué sous forme d’onguent, de cataplasme* ou d’emplâtre*. Les vésicatoires sont préférés lorsque le malade est jeune ou faible120. Ils sont employés dans des affections locales, comme la tache dans l’œil du jeune Frêne121, ou la première attaque qui touche la main et le bras « engourdis » de Saussure122. La violence 113

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Kuriyama 1995, p. 12; Franklin 1891, p. 166. Les équinoxes étaient considérés comme des occasions favorables. Ruisinger 2008, pp. 177-178. Jnl Frêne, p. 275, le 22 janvier 1759. Jnl Frêne, pp. 2245-2246, le 30 août 1788. Charrière O. C., t. 4, pp. 475-476, Marianne Moula à Isabelle de Charrière, s.l., le 26 juin 1794. M. Necker se fait saigner directement après un accident de carosse. Plus tard, à l’arrivée sur place de Butini et de Cabanis, il est à nouveau saigné. BGE, Archives Saussure 238/286, Louis Necker de Germagny à Horace-Bénédict de Saussure, s.l., le 24 juillet 1786. A côté de l’oreille (p. 386) ou encore au fondement (pp. 436-437). Voir le récit d’une patiente de Tissot, ici même p. 271. Wilhelm (1767-1838), le fils des Charrière de Sévery, pris de convulsions en avril 1769, âgé d’un peu plus de deux ans, se voit appliquer des vésicatoires. Voir ici même p. 239. Voir plus haut p. 135. Rieder et Barras 2001b, p. 504.

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invasive de la saignée incite certains malades à préférer le recours à des sangsues ou à la pose de vésicatoires. Les praticiens ne cautionnent pas systématiquement de telles substitutions. Théodore Tronchin, par exemple, dans un avis médical sur une épidémie (probablement de pleurésie*), souligne la nécessité de saigner les malades et ajoute qu’il ne lui est « guères possible de determiner les cas, où les vesicatoires conviennent »123. La purge est, en termes de médecine, une action provoquée par un médicament, un purgatif, qui doit « nettoyer le corps des humeurs impures et grossieres », selon l’Académie (1694). Les éditions ultérieures du même dictionnaire insistent moins sur les humeurs et davantage sur la nature corrompue de la matière évacuée qualifiée comme, « ce qu’il y a de grossier, d’impur, de superflu, de malfaisant dans le corps ». En bref, c’est un remède pris par la bouche qui aide le laïc à aller à selle. La purge est la thérapie la plus fréquemment rencontrée dans la culture médicale des Lumières. Mme Charrière de Sévery mentionne 43 purgations au cours des quelques 12 ans que couvre son journal. Sur ces 43 purgations, 24 sont prises lors d’un malaise, à la suite d’un accident, en préparation ou à la suite d’une inoculation*, après une maladie ou encore lors d’un changement de temps. Les 19 autres sont prises sans avertissement aucun et sans commentaire124. Le nombre de purges prises en hiver infère un lien avec le froid, peut-être l’expression d’un besoin découlant de l’habitude en cette saison de rester davantage confiné à l’intérieur125. Les purgatifs les plus usités sont la rhubarbe, la manne, la casse et l’aloès. Certains laïcs ressentent spontanément le besoin de se purger. François Calandrini, éprouvé par un « mal derrière le col » en octobre 1718, et se « sentant d’ailleurs fort plein, n’ayant pas été purgé depuis longtemps » résolut de prendre un purgatif126. Purger demeurait une action thérapeutique commune, souvent une précaution, et clairement un des premiers gestes thérapeutiques tentés. La purge peut répondre à un mal-être vague. Isabelle de Charrière propose une purgation pour une domestique mal acclimatée à Berlin. 123 124 125

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BGE Ms fr 296/200, Théodore Tronchin à n.n., s. l, le 26 avril 1763. Jnl Sévery. L’habitude de se purger au printemps aurait encore cours au début du XXe siècle. Bouteiller 1966, p. 54. BGE, Fonds Société d’Histoire et d’Archéologie, Ms 70 (Papiers Edmond Pictet), Extraits du journal du sindic François Calandrini (1717-1750).

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« Avant la prise de remèdes violents ou avant un événement jugé dangereux, il est de bon ton de se purger. Au printems il faudroit la purger lui donner des jus d’herbe, du petit lait etc.»127 La purge est aussi prise préventivement alors qu’un danger sanitaire se profile à l’horizon. Frêne en prend contre la dysenterie128, la comtesse Golowkin se propose de purger son jeune fils, Georges, avant que ses dents ne poussent129. C’est un moyen d’assurer le maintien de « voies » dégagées et un principe hygiénique largement diffusé. Purger et saigner peuvent affecte la santé. Les malades n’hésitent pas, tout comme Louis XIV, à résister à des projets thérapeutiques violents130. L’avis du patient, reste souverain quand il est question de prendre un remède et il n’est pas rare de le voir renoncer ou adapter la prescription d’un médecin. Louise de Corcelles écrit à une amie pour l’engager à renvoyer la prise d’un purgatif à une date ultérieure: « Je voudrois tant », écrit-elle, « que vous prissiez pas Glober131 demain, votre présence m’est toujours agréable, mais particulièrement demain […]; renvoyez à mardi la purgation et venez »132. Refuser une stratégie thérapeutique attendue n’est pourtant pas anodin et suscite l’inquiétude. Lorsqu’une de ses sœurs refuse de prendre un remède, Amélie de Saussure s’en indigne dans une lettre à son mari: Mlle Boisier ne peut point prendre sa médecine, par la raison contraire, qui me dépite, elle est mieux ce me semble beaucoup mieux, mais mon tendre ami, il faut que tu lui dise fortement, qu’elle ne doit point prendre de liqueurs chaudes tous les matins. Elle avale son chocolat, elle boit du vin d’Espagne parce qu’elle s’est mis dans la tête qui lui convient. J’ai voulu faire quelque 127

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Charrière O. C., t. 3, pp. 315 & 317, Henriette L’Hardy à Isabelle de Charrière, [Berlin], les 24-27 octobre 1791; Isabelle de Charrière à Henriette L’Hardy, s.l., le 15 novembre 1791. Mais aussi lorsqu’il souffre de la gale, d’une fluxion à l’œil et d’un trouble digestif. Voir ici même pp. 135, 137, 146, 150 et 222. Charrière de Sévery 1928, p. 20, comtesse Golowkin à Tissot, s.l., le 13 septembre [1764]. Le dégoût qu’inspirait la saignée à Louis XIV est bien documenté. Voir Caroly 1990, p. 12. Peut-être une préparation du chimiste Jean-Rodolphe Glauber (?- 1668). [Vandermonde] 1764, t. 2, p. 511. Charrière de Sévery [1924], p. 149, Louise de Corcelles à Catherine Charrière de Sévery, s.l., s.d.

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représentation mais j’ai été rabrouée. Elle prendra mieux ce qui viendra de mon mari, pour cette medecine je ne sai si elle poura se garder, si tu avois le tems de parler à Butini133.

Le principe de la nécessité de l’évacuation d’un fluide est rarement contesté, même si les malades choisissent ou s’accrochent au moyen d’évacuation auquel ils sont habitués et qui, selon leur propre expérience, leur convient le mieux. Il est rare, cela étant, de ne prendre qu’une seule mesure thérapeutique à la fois et la distinction ici est artificielle. Les remèdes qui évacuent constituent un des piliers de la thérapeutique d’alors, ils sont souvent pris avec des remèdes de la catégorie précédente, ceux qui redonnent des forces. Les malades se prescrivent parfois des thérapies complexes répondant à des réflexions analogues à celles de médecins. La stratégie adoptée par la comtesse de La Rivière est ici emblématique. Lorsqu’elle sent son être se « décomposer », elle réorganise elle-même son régime, mais souffre d’un rhumatisme du côté gauche de la tête et de la clavicule jusqu’aux environs du cœur au point de redouter la mort. La comtesse se soigne elle-même: Je me suis traitée seule pendant les crises, j’ai pris des bains de pieds dans une eau chargée de savon, des demis bains pendant une heure, une décoquetion [...] mêlée avec du petit lait, elles se sont un peu calmées, soubsonnant que mon humeur dartreuses dans le sang pouvoit jouer le 1er rôle dans cet état, j’ai imaginé de prendre aussi une tisanne de bois de gayac coupée aussi avec du petit lait, mais j’ai éprouvée plus de chaleur dans le corps, une plénitude dans la tête (je ne peux l’exprimer autrement) qui m’ettoit insuportable [...]. Pendant 3 jours, de mon ordonnance, je me suis purgée avec du gros de magnésie et 20 graines de rhubarbe [...] fatiguée de l’état de ma tête et de ses espéces de vertiges, j’ai crûe que l’application de deux sangsues au cou du côté droit me soulageroit et j’en ai mis, je l’ai été effectivement, mais avec peu de durée134.

Aperçu d’un arsenal thérapeutique L’énumération des essais médicamenteux faits par la comtesse illustre la variété des remèdes employés au XVIIIe siècle. Il n’est pas

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BGE, Archives Saussure 237/98, Amélie de Saussure à Horace-Bénédict de Saussure, Rolle, s.d. [1767]. FT, II/144.05.05.43, comtesse de La Rivière, Fribourg, le 4 janvier 1792.

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possible de proposer ici un inventaire des articles entrant dans cet arsenal, mais il est nécessaire de chercher à cerner l’usage qui en est fait par les patients. Or, la première constante qui émane des textes est que les malades en quête de mieux-être avaient pour habitude d’essayer, ce terme est couramment employé, des remèdes les uns après les autres. Le nombre de remèdes finalement tentés dépend de la durée de la maladie, mais aussi de l’étendue de sa propre culture médicale et du nombre de conseils reçus. En août 1784, par exemple, M. Du Pan se dit souffrant depuis près de deux ans, successivement d’une colique et d’une éruption dartreuse au visage et sur ses membres. Il avait essayé, à partir du printemps 1783, différents remèdes pour mettre un terme à cette dernière affection: sangsues, vésicatoires, petit-lait, eaux de Seltz et d’autres eaux. Seule la liqueur de Wauwitter semble avoir apporté un mieux-être. Puis, poursuit-il « ennuyé de ces differens remèdes, et craignant même qu’ils n’alterassent à la longue le fond de ma santé qui étoit d’ailleurs excellente (car je ne me suis jamais mieux porté que pendant ce tems là), je suspendis tout ». C’est une attitude courante. Le recours prolongé à un remède est rare et les malades eux-mêmes interrompent généralement le traitement de leur propre chef. La résolution de Du Pan n’est pas définitive et bientôt il tentera un autre remède, « dont on disoit beaucoup de bien: je pris pendant un mois ou 6 semaines des lezards ». Une toux persistante l’engage à interrompre également ce traitement. La finalité thérapeutique est maintenant de combattre la toux: des sangsues, du bois gentil, un séton et du lait d’ânesse sont tentés. Le patient ajoute ensuite: « J’ai omis surement beaucoup de choses, surtout parmi les remèdes que j’ai pris car ils sont innombrables, par exemple j’ai essayé l’orme pyrramidal, j’ai eu pendant 8 mois un cautère, j’ai pris beaucoup de bains tièdes.»135 L’exemple de Du Pan est particulièrement explicite et sa propension à tenter et à interrompre à des intervalles rapides une succession de remèdes était commune; il ne fallait pas être très persuasif pour engager un malade à essayer un nouveau remède, et ce en dépit du fait que nombre de patients affichaient, à l’instar de Rousseau, une forte aversion pour les médecins et les médecines. Si l’efficacité des remèdes peut parfois être lue dans des manifestations corporelles immédiates, elle est plus clairement liée au mieux-

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FT, II/144.03.04.23, M. Du Pan, Genève, le 18 août 1784.

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être à moyen terme, soit à l’atténuation des symptômes. Le malade est ici le juge… et ce n’est pas toujours chose facile pour ses proches. « Ma sœur vous a écrit ma bonne tante qu’elle avoit interrompu et repris les remedes du medecin de Paris pour la surdité. Il est certain qu’elle entend un peu mieux depuis quelque temps. Mais avant qu’elle fit aucun remede, son état varioit beaucoup en bien ou en mal sans qu’on put en assigner la cause.»136 Les interruptions de thérapies ou adaptations des prescriptions répondent parfois à des contingences pratiques. Les ingrédients nécessaires sont souvent chers, rares ou encore soumis à une contrainte saisonnière. Le bon lait produit par des vaches ou des chèvres paissant sur de l’herbe fraîche n’est disponible ni partout ni à toute époque de l’année137. Les tortues souvent prescrites en bouillons par des praticiens de Montpellier, ne se trouvent pas facilement dans la région lémanique138. M. de Bermont, souffrant de la poitrine, en conserve plusieurs vivantes afin de pouvoir faire des bouillons suivant l’ordonnance de son médecin139. Frêne commence à se gargariser avec de la crème à défaut de pouvoir essayer les gargarismes avec des figues qui lui avaient été préscrits140. Dans la même logique, toutes les activités thérapeutiques conseillées ne sont accessibles aux plus démunis. Pour monter à cheval ou voyager en carrosse, il faut pouvoir disposer d’un animal voire d’un attelage. Les malades s’organisent dans la mesure de leurs moyens et de leurs réseaux141; le prêt d’un cheval pour des promenades thérapeutiques constitue une des premières étapes dans la cour que le pasteur Morel fait à la jeune convalescente, Isabelle Gélieu, sa future femme142. Mais tous ne bénéficient pas d’un admirateur généreux et certains remèdes demeurent hors de la portée du

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BGE, Archives Saussure 239, C4/162, Nicolas Théodore de Saussure à Judith de Saussure, Chambésy, le 6 juin 1809. Louis-Courvoisier 2001a, p. 287. Judith de Saussure prend des bouillons de tortue et en fait parvenir à son frère pour la femme de celui-ci, à la suite d’une consultation avec un praticien de Montpellier. BGE, Archives Saussure 239/51, Judith de Saussure à HoraceBénédict de Saussure, Montpellier, 25 février [1790]. Jnl Frêne, pp. 840-841. Il doit faire venir les figues. Voir plus haut p. 147. FT, II/144.05.07.22, S. Hervilly-Caniry, Deniécourt, le 9 mars 1793. Charrière O. C., t. 6, p. 373, Isabelle Gélieu à Isabelle de Charrière, [Tavannes], le 8 juillet 1801.

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plus grand nombre. Les auteurs d’ouvrages de vulgarisation proposent deux recettes, l’une comprenant des ingrédients exotiques (pour les malades aisés) et l’autre avec des ingrédients courants (pour les malades pauvres). Le coût de la santé est une préoccupation constante pour le plus grand nombre. En dépit des bienfaits ressentis à la suite de la prise de pilules de Morton143 prescrites par Tissot, le prêtre Fournier ajoute à la fin d’une lettre, ces « pillules de Mourton […] me coutent fort cher et [...] m’occasionnent une depense qui me surcharge.» Il n’hésite pas à réclamer du praticien un « autre remede moins dispendieux et qui produise le même effet »144. Les remèdes courants, ceux qui sont tentés dès les premiers symptômes, échappent le plus souvent à la reconstruction historique. Associées au monde obscur de la cuisine, aux gestes quotidiens et au royaume des femmes, la confection et la conservation de remèdes domestiques demeurent floues. Les recettes et ordonnances trouvées dans certains fonds d’archives colportent des indices sur ces pratiques. Un fonds particulier servira ici d’exemple. Il s’agit de la collection de Salomon et de Catherine Charrière de Sévery qui comprend des extraits d’ouvrages médicaux, des recettes et des ordonnances pharmaceutiques145. Le carton en question résulte d’une collecte régulière et donne une idée de la gestion familiale de la santé, de la nature des remèdes domestiques et des réseaux d’information médicale. Les recettes sont rédigées par différentes mains, mais celles de Salomon et de Catherine Charrière de Sévery reviennent le plus souvent. La collection compte quelque 390 recettes et prescriptions. Les recettes sont écrites sur de nombreux supports distincts, sur des feuilles volantes, dans de petits cahiers et même au dos de cartes à jouer. La plupart des ordonnances pharmaceutiques portent la mention « renvoyés la recette s.v.p.». De toute évidence, la collection est délibérée. Il s’agit de garder la trace des remèdes les plus utiles, mais aussi des recettes anciennes: une « Recette pour guérir les douleurs rhumatismales » porte, par exemple, la mention 143

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Les « pilules de Morton », « incisives et balsamiques*: elles sont fort employées dans les ulceres de poitrine ». [Vandermonde] 1764, t. 2, p. 508. Il avait déjà qualifié cette dépense comme étant « un peu forte » dans sa lettre du 1er janvier. FT, II/144.05.07.19, M. Fournier, Bellefaux près de Fribourg, le 18 janvier 1793. ACV, P Charrière, Ce 1-Ce 4. A ce fonds il faut joindre P Charrière, Ci 12, Livre de recettes 1730.

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« trouvée dans d’anciens papiers »146. Différentes dates à même les recettes signalent la régularité de la collection. Un mode de vivre préservant de la petite-vérole et signée Morisse147 date des années 1750148. Le mode de préparation d’un sirop porte la mention « Recepte d’un sirop de santé qui m’a été donnée par Mlle Mariane de Chandieu l’année 1752 »149. Parmi les pièces datées, certaines remontent aux années 1730, mais l’essentiel de la collection est postérieur à 1752 et la dernière d’entre elles est une prescription rédigée par Tissot en 1795. Les quelques indications à même les documents attestent de provenances hétéroclites. Une caractéristique récurrente est la présence en marge des deux articulations typiques des préparations, soit la liste des ingrédients et la marche à suivre, d’informations attestant de l’efficacité, de la scientificité ou de la renommée du remède. La recette d’un baume porte la mention « tiré du livre des enfants, M. de Fourcroy ». La préparation de cet auteur comprend des plantes et des fruits, de la thériaque, du safran et de l’aloès. C’est, selon Fourcroy, la recette d’un remède secret débité antérieurement par « le Chevalier de la Borde »150. Le fait d’avoir été longtemps élaboré secrètement et d’avoir coûté cher, confère à cette recette un prestige particulier. Parmi les 390 recettes et prescriptions figurent des remèdes tout faits (37), des recettes de sirop (2), des informations médicales d’un ordre général (6), des informations sur les simples151 et des prescriptions ou des posologies de préparations à faire faire par l’apothicaire (113). Les dernières renvoient à la médecine officielle et sont d’emblée écartées du développement qui suit. La présentation des 232 préparations restantes est proche de celle d’une recette de cuisine. Certaines sont copiées dans des publications périodiques (6), recommandées par un praticien local, une connaissance ou une autorité médicale (70), mais le plus grand nombre ne porte aucune indication de provenance (156). Les ingrédients mentionnés dans ces recettes sont communs et faciles à trouver. Parmi les composantes les plus

146 147 148 149 150 151

ACV, P Charrière, Ce 4. Voir ici même p. 351. ACV, P Charrière, Ce 4. ACV, P Charrière, Ce 1. Fourcroy 1774, pp. 386-396. Des plantes médicinales.

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courantes figurent des produits culinaires; vinaigre, vin (rouge/ blanc), huile (olive, amande), eau de vie (cerise), ail, citron, miel, sucre, moutarde, épices (muscade, cannelle, safran), et une grande variété de plantes vulgaires (dent-de-lion, oseille, fenouil, lierre terrestre, ortie, cresson, chicorée, gentiane, menthe, genévrier), des fleurs (glaïeuls, roses, tilleul, camomille, fleurs d’oranger, marguerites, œillets), des ingrédients animaux (écrevisses, sperme de grenouille, jaune d’œuf, peau de lièvre, sang de bouquetin), mais on y trouve également des minéraux et des produits exotiques (arabique en poudre, mercure, gayac, quinquina, pavot), voire encore des remèdes déjà préparés (liqueur anodine d’Hoffman, crème de tartre, sirop de capillaire). L’élaboration des recettes ne requiert qu’un minimum de connaissances culinaires: il s’agit le plus souvent de couper, de moudre, de mélanger et de cuire. La liste des maux que ces préparations domestiques doivent soulager figure à même la recette, alors que les prescriptions particulières de praticiens ne portent que rarement le nom d’un mal spécifique et sont clairement destinées à traiter un état de santé donné (158). La grande variété d’affections mentionnées à même les recettes est instructive à plus d’un titre. Les remèdes peuvent être spécifiques comme c’est le cas du « Syrop vermifuge », du « Sirop de lierre, remède éprouvé contre l’asme », ou encore de la préparation réputée « bon[ne] pour les durillons aux pieds ». D’autres soignent des familles de maux: la goutte et le rhumatisme sont régulièrement traités ensemble. Les remèdes de type panacée portent le plus souvent un nom (de leur inventeur, de leur lieu d’origine, etc.). « L’eau d’Alibourg specifiphique et vulneraire », par exemple, est un remède qu’il est possible de préparer soi même (camphre, esprit de vin, safran, vitriol de Chypre, consoude, eau) et qui « consolide playes de fer et de feu, consolide nerfs, arrête les hémorragies, appoplexie, brûlures, maux de tête ». Une « Recepte des poudres d’or » serait « bonne pour oter les aigreurs, elle fortifie l’estomac, guerit les toux inveterés, ainsi que les diarées »152. Les catégories de maux traités les plus courants sont l’asthme (25), les rhumes (15), les nerfs (14), les fièvres (11), la goutte (8), le rhumatisme (8), l’hydropisie (4). Quelques remèdes généraux soignent les fluxions* (4), les obstructions (3) et les vapeurs (5). Une série importante de remèdes est réputée combattre

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Figure 6: « Remede contre les douleurs » rédigé sur le dos d’une carte à jouer. ACV P Charrière Ce 3.

la douleur (17), parfois de manière tout à fait générale comme dans le « Remède contre les douleurs » (figure 6), mais ailleurs de façon spécifique (gravelle, rhumatisme, goutte, pleurésie*, fluxion, estomac, reins, membres). La collection de formules médicinales répond à l’occasion à des dangers sanitaires propres aux lieux. Il y a des recettes, et même de véritables régimes de vie, contre la pleurésie (5) et la dysenterie (9), dont certaines sont adressées par des proches au plus fort d’une crise épidémique. D’autres recettes répondent à des états ou à des maux singuliers. Les cinq remèdes pour les yeux et la consultation signée par St-Yves, « chirurgien oculiste » à Paris153, ont peut-être un lien avec les troubles oculaires dont Catherine Charrière de Sévery souffrait dès 1770154.

153 154

Du 10 juillet 1784. Voir ici même p. 281 (n. 130). Jnl Sévery, le 20 février 1771.

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Son époux, Salomon Charrière de Sévery est âgé de 61 ans lorsqu’il résume, en janvier 1785, les travaux de Daubenton sur l’âge de retour, l’époque de la vie qu’il traversait alors, soit la période allant de l’âge de 45 ans à la vieillesse155. Le même était un asthmatique notoire. Ce n’est donc pas un hasard si le nombre le plus important de remèdes conservés concerne cette affection (25). Parmi ceux-ci, un remède, intitulé « Pilulles pour l’astme huymide », porte un commentaire, probablement d’un autre malade: De tous les remedes pour l’asthme, celuy cy m’a toujours le plus soulagé. Il detache les flegmes et tient le ventre libre, et n’empeche point les occupations du malade, ny le gene pour la nourriture. […] souvent je mets des intervalles de 8 jours, à continuer les pilulles, surtout dans les chaleurs de l’été que je suis le moins opressé, mais dans le cas du changement de tems où des orages, que je suis le plus incommodé, je les continue exactement de même j’en prends 6 où 7 le soir en me couchant, ayant fait la digestion, et pour faciliter a prendre sans degout les dites pilulles, je prend une goute d’eau fraîche suffisante pour les avaller. Ces pillules se conservent très longtems, ainsy on peut faire une quantité suffisante à la fois.

La provenance de quelques préparations est signalée à même la recette. Elles sont communiquées par des proches ou associées: une tisane laxative porte la mention « médecine de Toinette 1780 »; une recette pour la « douleur de coté » porte la mention « a guéri Mlle de Grille »; une tisane que prend « Mlle Fraumond » aurait un effet purgatif ; un remède contre la gravelle est réputé avoir guéri un certain « M. Champreneau »; une recette pour des enflures porte la mention « Remède de M. Bourgt pour la jambe de Mme Moret ». Cette liste atteste de la nature empirique du savoir médical laïc. Des histoires de guérisons sont couchées à côté des recettes, le plus souvent sur la même feuille. Parfois l’autorité d’un seul nom, celui du fournisseur de la recette, suffit pour qu’elle soit précieusement conservée. L’association des noms à des recettes renvoie certainement à un échange oral dont la trace n’est pas conservée. C’est ainsi que le nom de M. de Penthaz de Colombier est lié à une graisse « pour fortifier les nerfs » et celui de M. Casenove à une préparation contre les vers... D’autres remèdes sont cautionnés par des célébrités médicales. C’est le cas,

155

L’Esprit des journaux, janvier 1785, pp. 369-372.

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par exemple, d’une recette pour des « Foulures de nerf » donnée par « M. Schultz à Hanau »156 et encore des tisanes pour les nerfs de M. de Lamur, professeur à Montpellier. Des célébrités locales sont aussi mentionnées. Un remède contre la coqueluche porte le nom du chirurgien genevois Cabanis, et Théodore Tronchin voit son nom associé à une recette « pour les opilations », mais aussi à « la marmelade de Tronchin ». D’autres préparations sont associées à des figures historiques. C’est le cas d’un remède de Fagon, médecin de Louis XIV, d’un « Remede de Paracelse pour les cancers »157, d’une recette contre le rhumatisme intitulée « Tisanne qui a gueri le chevalier Acton » et des pilules (« Gran Agelica ») inventées par le médecin de Charles Ier 158. Si les noms de médecins célèbres cautionnent certaines préparations, les Charrière de Sévery sont aussi séduits par des remèdes dont l’efficacité est attestée par des soignants modestes ou par des récits formulés par de simples connaissances159. L’hétérogénéité des autorités cautionnant les remèdes donne une idée de la variété de leurs origines. Il est vrai qu’il faudrait pouvoir distinguer entre ceux qui furent tentés et ceux qui ne le furent pas, avant de déterminer un quelconque rapport entre l’origine du remède et son utilisation… Les écrits privés et les correspondances des membres de cette famille ne livrent que peu de détails sur la régularité du recours à cette pharmacie domestique. Les mêmes sources tendent à mettre en valeur les remèdes chers, exotiques ou, plus simplement, nouveaux et à la mode. Mireille Laget a certainement raison de distinguer les recettes « populaires », faites avec des ingrédients locaux, et les recettes « savantes » contenant des produits exotiques160. Des récits de cas, comme celui du fermier Rutty, décédé en toute probabilité d’une prise excessive d’opium, signalent la perméabilité des modèles: n’est-on pas prêt à faire un sacrifice financier en cas de maladie? Le développement de la société de consommation tend à rendre certains produits exotiques abordables. L’opium, le café, le 156 157 158 159

160

ACV, P Charrière, Ce 1. ACV, P Charrière, Ce 1 et Ce 4. Voir plus bas p. 460 (n. 181). Alisha Rankin et Elaine Leong trouvent également des origines variées dans les collections médicales respectives d’Elisabeth de Rochlitz (1502-1557) en Saxe au XVIe siècle et d’Elizabeth Freke (1641-1714) en Grande-Bretagne au début du XVIIIe siècle. Rankin 2008, pp. 113-114; Leong 2008, pp. 149-153. Laget 1984, p. 575.

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quinquina et le tabac, abondamment prescrits au XVIIIe siècle, témoignent de nouvelles habitudes de consommation161. Remèdes nommés et remèdes secrets A côté des recettes domestiques et des prescriptions médicales figurent des préparations nommées dont la formule est connue. C’est le cas du remède déjà cité du chevalier de la Borde. Ces préparations sont incorporées dans les pharmacopées et se vendent dans les pharmacies: la thériaque, la poudre tempérante (de Stahl)162 et la liqueur anodine (de Hoffman) sont du nombre. D’autres sont des recettes qui circulent, portées par le nom de l’inventeur célèbre auquel elles sont associées. Le « Remede de Paracelse pour les cancers » ou le « Remede de M. Helvetius pour les hemoroides » reviennent constamment dans les documents familiaux163. Le fait que leur composition et leur mode de préparation soient connus les distingue d’un autre groupe de remèdes, ceux dits secrets, débités par le détenteur du secret (ingrédients et recette) permettant leur confection164. La possession exclusive d’une telle recette assure des revenus à celui qui l’exploite commercialement165. Rien ne laisse entendre que les malades ou les médecins s’en méfient particulièrement. Le remède anti-vermifuge de la veuve Nouffer de Morat, par exemple, est recommandé par Tissot et une fois son secret acheté par le Roi de France, sa composition sera largement diffusée. A la même époque, l’apothicaire Daniel Matthieu (1741-1804) établi à Berlin, vend son secret pour l’expulsion du tænia à Frédéric II de Prusse166. Le rachat de certains remèdes secrets par des monarques cautionne leur efficacité. Des préparations moins célèbres trouvent également une place dans les collections privées. Des réclames pour des élixirs, pilules et opiats « secrets » commercialisés par des marchands, des laïcs ou des vendeurs établis ou itinérants sont conservées par les 161 162 163

164 165

166

Voir ici même pp. 87, 95, 228 et 477. Voir p. 123 (n. 33). ACV P. Charrière, Ce 4. Pour des données sur la carrière de Jean-Adrien Helvétius (1661-1727), voir Brockliss et Jones 1997, pp. 622-623. Sur le remède secret, voir Ramsey 1982, pp. 215-216. Laget 1984, p. 572, voir aussi l’excellente étude de David Haycock et de Patrick Wallis sur le remède commercialisé par Anthony Daffy au XVIIe siècle, Haycock et Wallis 2005. Cornaz 1864, p. 20.

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Charrière de Sévery. De telles informations se relaient en société167. Même les docteurs s’intéressent aux encarts publicitaires. En septembre 1788, par exemple, Louis Odier explique à un collègue qu’il veut essayer « l’eau distillée du rhus radica[ns]168 dont vous avez vu sans doute les merveilleux effets annoncés dans les journaux pour les maladies cutanées et les paraplégies »169. Le médecin comme le patient compile les encarts publicitaires dans les journaux170. L’intermédiaire d’un professionnel de la santé n’est pourtant pas nécessaire. Les Charrière de Sévery recopient une réclame pour le caustique de Dorez contre le cancer171, vendu chez le propriétaire « rue du PontRouge, n° 105, à Paris »172. Une simple lettre et quelques pièces suffisent pour se procurer la préparation. L’utilisation faite des renseignements pris comme celle des remèdes commandés est mal connue. Judith de Saussure fait bien venir à plusieurs reprises des bouteilles de l’« eau cordiale de Colladon »173 vendue par l’apothicaire genevois du même nom174. Cette eau serait agréable à prendre, mais aurait eu, selon Legrand D’Aussy, peu de succès en raison de son prix élevé175. Le même apothicaire commercialise également un « Baume du commandeur »176. D’autres élixirs, opiats et panacées sont débités par des vendeurs ambulants ou prescrits par des praticiens177. 167

168

169 170 171 172

173 174 175

176 177

Pierre Alexandre Du Peyrou transmet l’information, trouvée dans des « papiers français » et publié dans le Journal de Paris, à Isabelle de Charrière. Charrière O. C., t. 4, p. 58, Alexandre Du Peyrou à Isabelle de Charrière, le 10 mai 1793. Plus communément connu sous l’appelation de sumac grimpant, herbe à la puce ou bois de chien. Http://www.florelaurentienne.com/flore/Groupes/Spermatophytes/Angiospermes/Dicotyles/064_Anacardiacees/R_radicans.htm, consulté le 28 juillet 2008. BGE, Ms 4158, Louis Odier à Daniel De la Roche, Genève, le 16 septembre 1788. MHS, Z 92/3, Memorandum, recueils, compilations, extraits, etc. (1788). ACV, P Charrière Ce 1, sur une carte à jouer. Le Journal Encyclopédique publie en août 1786 un rapport sur ce remède signé par des docteurs en médecine et suivi de plusieurs témoignages de patients. Couvreur 1953, pp. 511-518. Sur les Colladon, voir Gautier 1906, pp. 465-466. Voir plus bas, p. 483. Elle serait composée d’huile essentielle d’écorce de citrons, d’alcool rectifié, de sucre et d’eau de mélisse. Cabanès 1905, t. 1, p. 396. ACV, P Charrière, Ce 1. Le meilleur arrêt sur image des remèdes secrets provient des études sur les tentatives de contrôle du marché des remèdes par la Société Royale de Médecine à la fin de l’Ancien Régime. Voir Ramsey 1982; Ramsey 1988b, Kibleur1999.

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La collection des Charrière de Sévery atteste d’apports français, voire italiens, mais il est surtout frappant d’y trouver des préparations anglaises178. L’initiative prise par plusieurs étudiants en médecine de la région d’effectuer des stages dans des hôpitaux britanniques ou des études dans des universités anglo-saxonnes, favorise l’intégration de drogues britanniques dans les pharmacopées locales179. Mais d’autres voies moins savantes servent la même cause. Le « sel d’Angleterre » est vanté par un certain Manare, « opérateur Italien » qui soigne également avec une « bague chimique sympathique » tout en divertissant ses clients avec des chants et une mandoline. Une réclame proclame les mérites des « véritables pilules ecossoises », ou « Grana Angelica » débitées par Jacques Inglish180. Certains de ces imprimés, notamment le dernier nommé, sont des traductions littérales de publicités anglaises. Leur présence signale le succès commercial britannique assuré grâce à un mode de production industriel assurant des normes de qualité inégalées ailleurs181. Les réseaux laïcs participent à ce succès. Un imprimé commercial décrivant les effets thérapeutiques de « Benjamin Dawson’s Pectoral Lozenges » est en anglais et accompagné d’une liste de lieux de vente en Grande-Bretagne. Ces documents proviennent peut-être de l’historien britannique Gibbon, un des proches des Charrière de Sévery. Certains usagers requéraient de l’aide pour déchiffrer les modes d’emploi. Ainsi, alors que « la petite Pourtalès », était malade, ses parents envoient « chercher M. de Ch[arrière] pour traduire la direction jointe aux poudres de James qu’on veut donner pour dernière tentative »182. Les pilules de Belloste, des pilules mercurielles, étaient célèbres. Inventées par le chirurgien parisien Augustin 178

179

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Seul un remède attribué à Louise de Corcelles (1781) contre la goutte et le rhumatisme est traduit de l’allemand. ACV P Charrière, Ce 4. Docteur en médecine et formé à Edimbourg, Louis Odier en énumère plusieurs dans son Manuel de médecine pratique, notamment les poudres de James et de Dover. Odier 1811, pp. 396-441. Ce remède se vend dès 1630. Le « secret » se perpétue de père en fils jusqu’en 1916, date à laquelle il disparaît des catalogues pharmaceutiques. Jackson 1987. En 1672, la Société des apothicaires de Londres a créé un laboratoire central, l’« Elaboratory », afin de produire des préparations pour toutes les boutiques de la ville. Charrière O. C., t. 3, p. 143, Isabelle de Charrière à Jean-Pierre de Chambrier d’Oleyres, s.l., le 7 juin 1789.

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Belloste (1654-1730), elles étaient réputées bonnes notamment pour les « sciatiques, rhumatismes, gouttes naissantes, vertiges, oppressions d’estomach, opilations, obstructions »183. Leur parcours commercial va dans l’autre sens. Produites d’abord en France où elles sont approuvées, plus tard, par la Société Royale de Médecine et obtiennent un privilège pour 30 ans en 1781184, elles sont également commercialisées en Grande-Bretagne dès les années 1730185. Les pilules de Belloste connaissent un succès commercial international et sont alors répandues dans la région lémanique. Les Charrière de Sévery conservent des feuilles publicitaires vantant leur mérite; « Pierre et Théodore L’Huillier »186 établis à Genève « vis-à-vis de l’Hôtel de M. le Resident de France » et Pierre Reynet, « maitre pharmacien chymiste », également actif dans la même ville, commercialisaient ces pilules187. La collection des Charrière de Sévery est le pâle reflet d’un marché pharmaceutique alors en plein essor; le nombre de références et de recettes accumulées explique le désarroi des patients quand il s’agissait de choisir le remède le plus approprié pour une maladie donnée. L’eau L’eau figure parmi les remèdes les plus usités188. Intégrée dans une stratégie thérapeutique globale, elle est employée à des fins médicales soit comme une boisson, soit sous forme de douche, soit encore pour immerger le corps (bain). La manière de prendre les eaux est souvent dictée par des contingences pratiques. Pour profiter des bains et des douches des villes d’eau, il faut attendre la saison et entreprendre un voyage189. Les bains domestiques pris par Belle 183 184

185 186 187

188

189

ACV, P Charrière, Ce 1-Ce 4. Ramsey 1988b, p. 97; Ramsey 1982, pp. 230-231. Voir aussi Brockliss et Jones 1997, pp. 623-624. Wellcome Library, London, Analysis of Belloste’s Pills, London [1733]. Il n’y a alors pas de praticiens agrégés portant ce nom à Genève. L’apothiciare Pierre Reynet (1718-1764) dont la boutique se trouve stratégiquement placée dans la ville basse, entre les places de Longemale et du Molard. Les eaux connaissent un regain d’intérêt dès le XVIe siècle. L’engouement est alimenté par les discours sur leurs propriétés « chimiques ». Hamlin 1982. La seule alternative est de s’en faire envoyer en bouteille et de le boire chez soi. Saussure cherche, par exemple, à se faire envoyer des eaux de Vaudier. Voir Rieder et Barras 2001b, p. 516.

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de Zuylen dans sa jeunesse le sont à titre préventif190. Ailleurs, la même recourt à des bains tièdes, à des fins thérapeutiques et sur l’ordonnance de Tissot191. Etonnamment, les bains sont pris avec précaution. Le bain peut être d’eau commune, de rivière, de lac ou de mer192. La nature du bain, sa durée et sa température sont arrêtées avec précision, en fonction de l’état du malade et de la nature de son mal. Le nombre de bains entrant dans une cure peut être conséquent. Suzanne Baux en prend cinquante au cours de l’été 1771193. La durée de chaque bain peut être de plusieurs heures. La température est contrôlée. Après une première attaque paralytique, Saussure prend des bains domestiques froids à 14°, mais la précision est ici extrême194. Le bain donné à Jean Antoine Normendie est simplement rafraîchissant et la fraîcheur de l’eau vise à soulager un véritable embrasement intérieur dont le patient souffre195. Les différents usages médicaux de l’eau forment une catégorie de remèdes violents, dont la capacité à faire du bien comme du mal est réputée élevée. Les thérapies aquatiques purgent, renforcent ou soulagent… dans les meilleurs cas. Les eaux consommées et les bains pris épuisent les corps. Mme de Verrey de Fribourg aurait ressenti une « grande faiblesse » suite aux bains prescrits par Savary196. Les eaux sont rarement prises à la légère197. Leurs effets, qu’ils soient positifs ou négatifs, sont lus à même le corps. Face au danger, les malades prennent leurs précautions. Charles Bonnet interrompt entre autres choses sa correspondance lorsqu’il entreprend une cure d’eau de Spa198. Du point de vue des malades, un bain domestique, un bain de lac ou une immersion dans la mer ne nécessitent pas une réflexion particulière: on se sert des moyens à disposition, de l’eau du lieu. Pour les cures d’eau minérale, il en va tout autrement. A la fin de l’Ancien

190 191 192 193 194

195 196 197 198

Voir ici-même p. 98. Voir p. 102. Voir aussi p. 270. BGE, Ms fr 4151, Suzanne Baux à Louis Odier, le 15-16 décembre 1771. Respectivement ici même p. 365 et BGE, Archives Saussure 93, Récapitulation de la maladie de H.-B. de Saussure, feuille volante, s.d. Voir ici même p. 14. FT, II/144.05.07.39, M. De Verrey, Fribourg en Suisse, le 4 août 1793. Coley 1979, p. 191. Voir p. 82.

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Régime, la Société Royale recense 478 sources pour la seule France et les particuliers n’hésitent pas à boire des eaux importées199. Le nombre d’allusions rencontrées dans les deux premiers chapitres de cet ouvrage confirme largement l’importance du phénomène. Il est, comme pour les autres remèdes, difficile d’isoler les arguments thérapeutiques qui font préférer aux malades une eau plutôt qu’une autre. La composition des eaux (ferrugineuses, salines, gazeuses, sulfureuses, etc.), évaluée selon des procédures peu standardisées, est à l’origine de débats médico-chimiques200. Il en est de même de leurs effets thérapeutiques201. Les malades sont certainement influencés dans leurs choix par les récits de cures, les encarts publicitaires et la réputation d’une eau. A Genève et dans l’arc lémanique, les apothicaires et marchands débitent les bouteilles remplies de l’eau des sources à la mode. L’approvisionnement n’en est pourtant pas aisé, comme le signalent, par exemple, les difficultés rencontrées par Bonnet alors qu’il cherche à se procurer des eaux de Pfeffers pour sa femme202, ou encore l’incapacité de Benjamin Constant lors d’un séjour à Lausanne, de mettre la main sur des bouteilles d’eau de Pyrmont qu’il estime alors nécessaires à son bien-être203. Comme pour d’autres remèdes, les malades boivent souvent de leur propre initiative. Cela dit, outre les arguments classiques, l’usage des eaux répond à des modes. Les eaux de Pfeffers « ont fait dans notre ville des cures inesperées », écrit par exemple Bonnet pour justifier l’emploi de ces eaux pour soigner sa femme en 1757204. Elles sont réputées à la fois bonnes pour résorber des obstructions et « légères », 199

200 201

202 203 204

Cosma-Muller 1982, p. 253. Pour des données sur les prix et la provenance des eaux distribuées à Paris, Voir Franklin 1891, pp. 180-194. Les eaux minérales constituent le thème le plus fréquemment traité dans les Philosophical Transactions et le premier sujet pharmacologique des Medical Essays and Observations. Maehle 1999, pp. 10-11. Hamlin 1982; Cosma-Muller 1982, pp. 251-252. Christopher Hamlin situe ces discours sur le fonds de la concurrence que se livrent les différents lieux d’eau et l’évolution professionnelle des chimistes, et cela par opposition à l’idée que la composition des eaux et leurs vertus médicinales seraient alors progressivement dévoilées pour le bien des curistes. Hamlin 1990. Voir p. 227. Voir p. 493. Corr. Haller, p. 120, Charles Bonnet à Albrecht de Haller, Genthod, le 14 octobre 1757.

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enfin, assez légères pour permettre à Mme Bonnet de les essayer. Le même lit un imprimé publicitaire vantant les mérites des eaux de Gourniguel, mais ne s’y fie pas, l’auteur lui « parut ressembler beaucoup à un charlatan »205. Parmi les eaux minérales les plus courantes, il faut mentionner les eaux de Sedlitz206. Les vertus thérapeutiques de l’eau de cette ville sont louées dans le Journal Encyclopédique de juin 1780. Des « analyses souvent répétées et une expérience journalière » auraient démontré que cette eau serait « délayante, atténuante, adoucissante, résolutive, balsmatique, apéritive, diurétique, déobstruante et diaphorétique ». Par ailleurs, et outre cette liste de bienfaits, elle « purge sans douleur, sans dégoût et sans tranchées », elle convient aux personnes faibles et aux enfants et, somme toute, à la sensibilité des malades de la fin du siècle207. Les eaux de Sedlitz sont à la mode208. Tissot en prescrit à profusion. La mode ne suffit pourtant pas pour conditionner les stratégies et certains buveurs choisissent patiemment les eaux en fonction de leurs maux en s’intéressant à la fois à la composition chimique des eaux et aux effets thérapeutiques possibles. Le couple Bonnet se déplace à une occasion jusqu’à Rolle pour y boire les eaux: Nous sommes venus ici, mon bon ami, ma femme et moi pour essayer les eaux minerales de Rolle dont nous ne sommes qu’à 25 minuttes. Je dis pour essayer; car nous ignorons encore si elles produiront l’effet que nous en attendons. Nous avons commencé à les boire le 14 du courant, d’abord par petites doses, ensuite par doses un peu plus fortes: ma femme est arrivée au demi pot, moi au pot et au-delà; mais jusqu’ici la saison est un peu contraire; le défaut des chaleurs et des pluyes assés fréquentes les ont renduës foibles, et elles le sont déjà naturellement. Leur qualité est férugineuse, et elles contiennent avec le métal une petite quantité de terre absorbante. Vous comprenés que les eaux […] martiales conviennent aux nerfs de ma femme et qu’un peu d’absorbans diminuent les acretés. Nos docteurs ont pensé aussi qu’elle pouvoient être bonne pour mes yeux, usés par l’excès du travail et des microscopes209. 205 206 207 208

209

Voir p. 227. C’est le cas également à Paris. Cosma-Muller1982, p. 259. Cité dans Couvreur 1953, t. 2, p. 529. La comtesse de La Rivière vante leurs bienfaits. FT, II/144.05.05.43, comtesse de La Rivière, Fribourg, le 1er janvier 1792. L’auteur de la citation souligne. BGE, Ms Bonnet 71/f. 224, Charles Bonnet à M. le Major de Chateauvieux (copie mss), Perroy, le 23 juillet 1765.

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Voyages, eaux et santé Le séjour à la campagne, l’arsenal thérapeutique familial et les remèdes des laïcs et des praticiens consultés s’avèrent parfois insuffisants pour assurer le rétablissement du malade. La possibilité d’un voyage de santé s’impose alors comme un dernier espoir. Les cyniques pourraient croire que c’est en désespoir de cause que la communauté médicale et laïque est acculée à envoyer le malade agoniser ailleurs. La décision d’obéir ou non à de telles injonctions dépend du ressentir et de la sensibilité du malade, mais aussi de ses moyens et de sa mobilité. Dans les milieux aisés les préoccupations médicales côtoient souvent des considérations sociales. Après avoir été malade à Lille pendant près de six semaines, Constant d’Hermenches se rend auprès du marquis de Cernay à Raismes pour « changer d’air ». Mais ce n’est là qu’une étape d’un déplacement pour voir des amis à Landrecies210. Pour d’autres, comme Jean Antoine Lullin, au terme d’un long parcours thérapeutique, le voyage de santé est envisagé comme la dernière chance. La destination idéale peut être arrêtée selon des critères médicaux, mais il y a toujours un risque en raison d’une possible inadéquation entre le corps malade et le lieu. En changeant l’environnement physique et social, une véritable révolution est opérée sur les variables agissant sur la santé du malade. La violence même de tels changements incite à les appréhender, voire à les redouter. Tissot écrit, en évoquant la situation de Rousseau, que pour des raisons de santé, celui-ci ne devrait pas envisager un refuge dans les pays du nord211. C’est en suivant cette logique que Salomon Charrière de Sévery, un asthmatique notoire, prend des renseignements avant d’accepter une offre de travail au Danemark212. Il se décrit comme souffrant « de rhume, d’asthme et d’oppressions » et consulte un médecin « pour savoir s’il pensait que je pusse supporter l’air » de ce pays. Il s’attend à une réponse négative et est étonné de recevoir le feu vert. Il n’a plus qu’à 210

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212

Ville forte du nord de la France éloignée d’environ 40km de Landrecies. Charrière O. C., t. 1, p. 442, Constant d’Hermenches à Belle de Zuylen, [Raismes], le 27 novembre 1765. Charrière de Sévery 1928, p. 33, Tissot au Comte Golowkin, s.l., le 22 mars [1765]. Il avait été prié de reprendre en main l’instruction des Princes de Hesse en 1760, alors au Danemark. ACV, P Charrière, Ci 1, Louis de Charrière, Notice biographique sur Salomon de Charrière, Seigneur de Sévery.

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préparer ses malles ! L’expérience retracée dans sa correspondance donne raison au praticien: « Je m’accoutume à l’air et à la vie de Copenhague et je suis ici agréablement », écrit-il à sa tante peu de temps après son arrivée. D’autres villes nordiques, comme Friedensbourg et Hanau lui seront « contraires »213. Si les voyageurs ne tombent pas gravement malades, ils ne sont pas forcément heureux et nombre parmi eux se plaignent de difficultés d’acclimatation. La comtesse Golowkin, par exemple, est mal à l’aise à La Haye. « Je ne saurois me faire à l’air humide de ce pays et à la mauvaise eau qui, malgré toutes les précautions que je prends, me cause un dérangement d’estomac.»214 L’incompatibilité entre le corps et le lieu peut se lire dans une dégradation rapide de la santé. La comtesse de Champagne voit son état s’empirer rapidement alors qu’elle est soignée par l’empirique Schüppach à Langnau. « L’air devint si vif, et mon état empira si sensiblement que le médecin commença à craindre; en effet, après une diminution sensible de forces, ma poitrine jugea à propos de se mettre de la partie, un étouffement continuel, de la douleur, la circulation tout à fait arrêtée, froid aux extrémités à tous momens; le bon docteur [Schüppach] perdit la tête et m’annonça que je ne pouvais vivre quatre jours en cet état, qu’il fallait changer d’air.»215 Ce qui est vrai pour un séjour passager l’est aussi pour l’environnement permanent. Si le tempérament d’un individu ne résiste pas à son cadre de vie habituel, la solution peut être simplement d’en changer ! Trouver un nouveau lieu de vie, respirer un air distinct et se distraire sont les principales caractéristiques du voyage de santé. Elles sont indiquées pour certains troubles de l’esprit216. Le beau-fils d’Ami Lullin, Jean-Jacques Boissier (1717-1766) souffre d’idées 213

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Lettre datée du 2 décembre [1760], citée dans ACV, P Charrière, Ci 1, Louis de Charrière, Notice biographique sur Salomon de Charrière, Seigneur de Sévery. Charrière de Sévery [1924], p. 115, Louise de Corcelles à Catherine Charrière de Sévery, Lausanne, le 20 octobre 1774. Charrière de Sévery 1928, p. 64, comtesse Golowkin, La Haye, le 10 novembre [1767]. Cité dans Charrière de Sévery 1978, t. 2, pp. 141-142, lettre du 14 octobre [1774]. Ce remède est employé depuis l’Antiquité. Andrews 2000, pp. 27-28. BGE, Ms Lullin 2/231, Lubières à la famille Lullin, s. l, le 26 octobre 1746. Samuel Tissot raisonne dans ce sens pour engager Rousseau à faire voyager Isabelle d’Ivernois, tombée en démence après son accouchement. Rousseau et Tissot 1911, p. 26.

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noires et serait hypocondriaque*. Après avoir épuisé l’arsenal thérapeutique, il ne reste plus que le voyage particulièrement utile, selon les auteurs médicaux, aux mélancoliques et aux hypocondriaques217. Boissier, pour sa part, entreprendra son voyage avec un jeune médecin, Jean-Frédéric Herrenschwand218. A Marseille, ce dernier rédige un rapport à l’intention du beau-père de son patient: Je n’ai jusqu’ici pas quitté un moment monsieur Boissier, je l’ai engagé pendant que j’écris mes lettres d’aller à l’opéra. Il se porte à tous égards mieux, mais il y a des heures et des moments, ou il n’en veut pas convenir, nous avons fait plusieurs promenades de demi heures et audelà, des qu’il est en compagnie ou amusé il sent moins ses meaux, quand il est seul, il leur donne pleine audience, et j’ai bien de la peine de le rassurer, de le persuader qu’il guérira, et que sa maladie n’est pas dangereuse ni sans exemple. Il a ordinairement de l’embaras aux hypocondres*, et il prend souvent des tressaillements dans les muscles. Il commencera demain les eaux de Balruc219, j’espère que Dieu bénira ce remède220.

Vingt ans plus tard, le malade souffre d’une maladie similaire, une « affection vaporeuse et hypocondriaque* accompagnée d’une tristesse profonde »221. Un ami anglais, Jean Turton, fort de son statut de docteur, atteste du fait que Boissier se plaignait bien « d’affections vaporeuses » depuis l’année précédente et que son mal avait empiré dans l’intervalle. Il lui aurait recommandé « de continuer l’exercice du cheval, de prendre toutes sortes de distractions et même de changer d’air et de séjour »222. Ces principes thérapeutiques sont les mêmes que ceux qui avaient guidé sa prise en charge quelques décennies plus tôt. En dépit de ces efforts, le 17 octobre 1766, le corps sans vie de Boissier est repêché dans le Rhône223. Les malades 217

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C’est un remède que tentent d’autres « mélancoliques ». Charrière O. C., t. 2, pp. 440 & 456, Charles-Emmanuel de Charrière à Isabelle de Charrière, le 2 novembre 1784; Claude de Narbonne-Pelet de Salgas à Isabelle de Charrière, le 20 février 1785. Voir pour un cadre plus large Andrews 2000, p. 32. Voir ici même p. 248 (n. 165). Ces eaux se trouvent près de Montpellier. BGE, Ms Lullin 2/147, Johann Friedrich von Herrenschwand à Ami Lullin, Marseille, le 17 octobre 1746. AEG, PC 11548, Rapport du sieur Butini du 17 octobre 1766. AEG, PC 11548, Déposition du sieur Jean Turton du 17 octobre 1766. AEG, PC 11548, Dépositions des sieurs Jaques Veyrat et Jacob Ravy du 17 octobre 1766.

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hypocondriaques*, mélancoliques ou nostalgiques sont incités à voyager et forment un contingent important de malades voyageurs. Le groupe de malades itinérants le plus conséquent est celui des voyageurs issus de pays au climat tempéré souffrant de maladies « humides », de maladies de poitrine (notamment de phtisie, de consomption et d’étisie). Le voyage vers le sud avec le changement de climat correspondant doit, littéralement, assécher leurs maux. La littérature de voyage, la plupart du temps britannique, n’a de cesse de qualifier les lieux de villégiature en fonction de la qualité de leurs airs respectifs. L’air de Nice serait, selon Tobias Smollet, « sec, pur, lourd et élastic » alors que celui de Pise est qualifié par le même auteur de « malsain en raison des exhalaisons émanant d’eaux stagnantes dans le voisinage de la cité »224. Cela dit, il convient de rappeler ici la souplesse des limites séparant les maladies225. Troubles de l’esprit, affections pulmonaires et voyages sont intimement liés au XVIIIe siècle. Avant de songer au dépaysement, le malade tente les remèdes classiques. La décision de partir s’apparente à la recherche d’une autre vie ou, simplement dit, à la fuite de soi-même. L’urgence et la nécessité d’essayer une dernière thérapie constituent des pressions extrêmes pour les familles des malades et la décision de tenter ou non un voyage est difficile à prendre. La stratégie comporte ses propres risques. De nombreux malades font fi des liens qui les retiennent et affrontent les fatigues du déplacement et les inconforts du changement de lieu. C’est le thème central d’un des livres de Laurence Sterne, lui-même poitrinaire et voyageur226. Le voyage de santé entraîne des séparations. «Votre éloignement m’afflige et me tourmente », écrit Belle de Zuylen à son frère, « quoi malade si loin de nous »! Elle l’exhorte à se rétablir, « ne fut-ce que pour me donner le plaisir de vous revoir »227. Le déplacement d’une personne malade suscite une attention redoublée. Le temps qu’il fait peut influencer à la fois l’état des routes et la santé des voyageurs. Même des distances relativement courtes, parcourues par des individus en bonne santé 224 225

226 227

Smollet 1979, pp. 187 & 214. Le médecin Leopold Auenbrugger, par exemple, publie un écrit sur la percussion en 1761 dans lequel il affirme avoir constaté que la nostalgie provoquait une détérioration pulmonaire, Rosen 1972. Sterne 1967. Charrière O. C., t. 2, p. 165, Belle de Zuylen à Diederik Tuyll van Serooskerken, Utrecht, le 31 janvier 1770.

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préoccupent. « Nous fumes tous attentif au jour de votre depart sur le tems que vous deviez trouver en chemin, s’il avoit plû ou que vous eussiez été incommodé, je ne me serois jamais pardonné de vous avoir laissé partir », écrit Ami Lullin à son ami et collègue Abraham de Crousaz, voyageant de Genève à Lausanne228. L’inquiétude n’est pas infondée; il n’est pas rare de voir des voyageurs défaillir en route229. Ces dangers entrent en ligne de compte dans la prise de décisions thérapeutiques. « Il est certain que ce voiage ne lui convient point, outre que sa santé n’est pas en état de supporter les fatigues du voiage », écrit Ami Lullin à propos d’une jeune réfugiée catholique230. Les voyageurs eux-mêmes s’inquiètent de leur vulnérabilité en route. « J’espère que si j’etois asses malade en route pour avoir besoin des secours de ma famille, tu voudrais bien faire partir mon neveu Alphonse », s’inquiète Judith de Saussure231. Le pire peut survenir. Le triste équipage que rencontre le même Alphonse lors de son voyage de retour de Montpellier en est une illustration. « J’ai rencontré à Avignon un Monsieur qui venoit d’y perdre sa femme: il l’y avoit conduite pour rétablir sa santé.»232 Les nombreux cas de malades décédés en route attestent d’une mortalité élevée parmi les voyageurs de santé233. Quelle que soit l’issue, le chemin emprunté peut être long234. Le jeune Diederik Tuyll van Serooskerken commence son épopée en juillet 1768. Il se rend alors près de Zutphen afin de prendre des 228

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BCUL Dorigny, Fonds de Crousaz, VII/59, Ami Lullin à Abraham de Crousaz, Genève, le 20 juin 1732. Salomon Charrière de Sévery, dans son voyage de retour de Hesse en 1760, tombe malade à Darmstadt et séjourne jusqu’à sa guérison dans la ville proche d’Offenbach où il a des amis. ACV, P Charrière, Ci 1, Louis de Charrière, Notice biographique sur Salomon de Charrière, Seigneur de Sévery. BCUL Dorigny, Fonds de Crousaz, VII/197, Ami Lullin à Abraham de Crousaz, Ruth, le 27 juillet 1734. BGE, Archives Saussure 239/101-103, Judith de Saussure à Amélie de Saussure, [Montpeller], s.d. BGE, Archives Saussure 239/170, Alphonse de Saussure à Judith de Saussure, Genève, jeudi le 25 février [180?]. La mort de Cramer, par exemple. British Library, Londres, Ms Add 24, 210/35, J. Butini à Monsieur le sindic Cramer (Genève), Marseille, le 17 janvier 1752; Bonnet 1948, p. 144. Voir aussi Pugh 1784, pp. 6 et sqq. Benjamin Pugh retrace le parcours qu’il avait effectué en trois ans avec son malade, M. Wollaston. Il passe par Naples, Rome, Pise, Nice, Avignon, Nîmes et Montpellier (Balaruc). Pugh 1784.

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remèdes pour une maladie caractérisée par des maux d’estomac et une toux. Il séjourne à Aix en octobre et se rend ensuite à Paris. Il tousse toujours et sa sœur lui propose Montauban. Diederik rentre cependant pour l’hiver en Hollande235. Au cours de l’automne suivant, il se décide pour Montauban236. Sa poitrine et sa toux continuent à le troubler. Au début de l’année 1770, et en dépit du séjour à Montauban, son état de santé ne cesse de se détériorer. « Je suis allarmée de ce redoublement de rhume et de cette fievre dont parle votre medecin », lui écrit sa sœur. L’hiver se passe mal237. Un régime sans viande ni poisson s’ajoute alors aux mesures thérapeutiques déjà prises238. L’espoir que le malade souffre moins qu’ailleurs est le seul réconfort pour ses proches qui en demeurent séparés239. Au printemps, la santé « revient », mais ne dure pas240. Diederik voyage en France et s’arrête en été 1770 à Bagnols d’où il adresse des rapports qui relancent les espoirs de sa famille. Un médecin lui conseille « de voyager toujours et d’aller passer l’hiver en Italie »241. En attendant, il visite le Languedoc, le Dauphiné et la Provence242. C’est sans doute pour répondre aux exhortations de sa sœur qu’il fait un détour par Lausanne afin de consulter Tissot. Son père le met en garde contre un séjour prolongé dans cette ville, ne considérant pas « que l’air soit sain » pour sa poitrine, l’air de Lausanne serait trop subtil et affecté par la bise243. Victime d’une nouvelle rechute dans cette ville, 235

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Charrière O. C., t. 2, p. 152, Belle de Zuylen à Diederik Tuyll van Serooskerken, Utrecht, le 2 novembre 1769. Charrière O. C., t. 2, p. 154, Belle de Zuylen à Diederik Tuyll van Serooskerken, Utrecht, le 6 novembre 1769. Charrière O. C., t. 2, p. 165, Belle de Zuylen à Diederik Tuyll van Serooskerken, Utrecht, le 31 janvier 1770. Charrière O. C., t. 2, p. 164, Belle de Zuylen à Diederik Tuyll van Serooskerken, s.l., le 25 janvier 1770. Charrière O. C., t. 2, p. 173, Belle de Zuylen à Diederik Tuyll van Serooskerken, Utrecht, le 16 mars 1770. Charrière O. C., t. 2, p. 182, Belle de Zuylen à Diederik Tuyll van Serooskerken, s.l., le 19 avril 1770. Charrière O. C., t. 2, p. 209, Belle de Zuylen à Diederik Tuyll van Serooskerken, Zuylen, le 23 août 1770. Charrière O. C., t. 2, p. 227, Belle de Zuylen à Diederik Tuyll van Serooskerken, Utrecht, le 26 novembre 1770. Charrière O. C., t. 2, pp. 214 & 217, Belle de Zuylen à Diederik Tuyll van Serooskerken, Zuylen, le 28 septembre 1770; Diederik Tuyll van Serooskerken à Belle de Zuylen, Lausanne, le 3 octobre 1770.

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il décide de repartir pour Nice où sa santé « se rétablit »244. Des bonnes et des mauvaises nouvelles se succèdent alors dans ses lettres245. Au mois de juillet, il se trouve à Marseille246. En août, il reprend la route de Lausanne pour retrouver sa sœur247, d’où il repart au début du mois de novembre, cette fois pour Naples, en passant par Marseille, Aix et Nice248. En avril, le malade se trouve à Rome d’où il écrit se porter « mieux qu’à l’ordinaire »249. Au début du mois d’août il séjourne chez sa sœur à Colombier250, mais en repart à l’automne pour passer l’hiver à Naples où « l’air lui convient », selon sa sœur251. Le malade reprend le chemin de Colombier au printemps252. Il ne parviendra jamais jusqu’à sa sœur: le 21 mai 1773, il s’éteint à Naples, après plus de cinq ans passés à pourchasser l’espoir d’une meilleure santé253. La durée et le coût de ce voyage le placent hors de la portée du plus grand nombre. S’il est vrai que des économies familiales ou un subside communal pouvaient être mobilisés pour donner à un individu d’origine modeste l’accès à une thérapie onéreuse, ce type de financement ne pouvait suffire pour assumer le financement d’un tel voyage254. 244

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Il ne serait plus malade, mais convalescent. Charrière O. C., t. 2, p. 227, Belle de Zuylen à Diederik Tuyll van Serooskerken, Utrecht, le 26 novembre 1770. Charrière O. C., t. 2, pp. 230 & 235, Belle de Zuylen à Diederik Tuyll van Serooskerken, s.l., le 13 décembre 1770; Belle de Zuylen à Constant d’Hermenches, s.l., le 15 janvier 1771. Les réponses de Diederik ne sont pas conservées, mais à cette date c’est encore à Marseille que sa sœur lui adresse ses lettres. Charrière O. C., t. 2, p. 242, Isabelle de Charrière à Diederik Tuyll van Serooskerken, Paris, le 23 juillet 1771. Il arrive dans cette ville le 19 août 1771. Charrière O. C., t. 2, p. 242, Diederik Tuyll van Serooskerken à Isabelle de Charrière, Lausanne, le 20 août 1771. Charrière O. C., t. 2, pp. 251 & 257, Isabelle de Charrière à Diederik Tuyll van Serooskerken, Colombier, le 6 novembre 1771; Diederik Tuyll van Serooskerken à Isabelle de Charrière, Nice, le 14 décembre 1771. Charrière O. C., t. 2, pp. 272 & 274, Isabelle de Charrière à Diederik Tuyll van Serooskerken, Lausanne, le 19 avril 1772; Isabelle de Charrière à Constant d’Hermenches, Colombier, le 23 avril 1772. Charrière O. C., t. 2, p. 284, Isabelle de Charrière à Catherine de Sévery, le 15 août 1772. Charrière O. C., t. 2, p. 292, Isabelle de Charrière à Constant d’Hermenches, Colombier, le 14 février 1773. Charrière O. C., t. 2, p. 302, Belle de Zuylen à Diederik Tuyll van Serooskerken, Colombier, le 18 avril 1773. Charrière O. C., t. 2, pp. 306-307, Belle de Zuylen à Vincent Maximiliaan Tuyll van Serooskerken, Colombier, le 14 juin 1773. Black 1992, pp. 181-197; Rieder 2006b, pp. 44-46.

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Parmi les malades sur la route, certains recherchent, outre de nouveaux lieux et un climat spécifique, le bienfait d’eaux minérales. Le séjour dans une ville d’eau est une expérience sociale intense. De véritables sociétés de malades se forment ainsi pendant la saison estivale dans des endroits isolés. Les gens illustres y côtoient de bons bourgeois et c’est une occasion de faire des rencontres. Les distances sociales s’amenuisent face aux mêmes contingences et de nombreux correspondants se félicitent des sociétés brillantes rencontrées dans des villes d’eaux255. « Je me suis un peu liée avec Miladi Leitrim », rapporte un notable lausannois, « une femme douce, assés jolie, nous cherchons des yeux à l’assemblée, car la société particulière est inconnue à Spa.»256 Un séjour aux eaux s’envisage en fonction de cette sociabilité et parfois dans un esprit festif257. La description qu’en fait Louise de Corcelles est colorée: « Me voici depuis huit jours dans ce vilain trou de Plombières, qui réunit des sources de toutes les espèces, des ruines, des visages de toutes les couleurs, des gens de toutes les figures, de tous les païs; mille maux; cent petites maîtresses; un tas de prètres; des croix de Saint-Louis à foison; des évêques, des magistrats, des intendants; un peuple de laquais insolents et toute une nation de soubrettes impertinentes.»258 La sociabilité un peu forcée des villes d’eaux n’est pas gratuite, elle peut même faire partie de la thérapie259: on s’y amuse donc la conscience tranquille. Comme le voyage de santé, il s’agit d’une option médicale coûteuse et donc hors de la portée du plus grand nombre260. Le séjour aux eaux comprend à la fois des caractéristiques thérapeutiques propres au voyage de santé et d’autres attribuées à l’eau261. Comment 255

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Parmi d’autres BGE, Archives Saussure 237/171, Amélie de Saussure à HoraceBénédict de Saussure, s.l., mercredi matin [1778]; Charrière O. C., t. 2, p. 150, Belle de Zuylen à Constant d’Hermenches, Zuylen, le 18 septembre 1769. FT, II/144.04.01.09, Le conseiller Polier, Lausanne, le 9 juillet 1788. Louise de Corcelles propose, par exemple, un « séjour amusant à Plombières » à une amie souffrant des yeux. Charrière de Sévery [1924], pp. 40-41, Louise de Corcelles à Catherine de Sévery, Lausanne, le 10 août 1769. Charrière de Sévery [1924], p. 56, Louise de Corcelles à Catherine Charrière de Sévery, Plombières, le 7 août 1771. Cosma-Muller1982, p. 254. Eugène Olivier signale un malade scrofuleux soigné aux frais de sa commune et auquel un séjour à Loèche est octroyé. Olivier 1939/1962, t. 2, p. 701. Selon Diderot les eaux seraient « le dernier espoir de la médecine poussée à bout. On compte plus sur le voyage que sur le remède ». Cité dans Franklin 1891, p. 165.

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choisir une eau adaptée à son propre cas? Des considérations économiques, des avis médicaux et les conseils d’autres curistes influencent les choix. Certains commencent par essayer les centres thermaux les plus proches. La sœur de M. Magelli, souffrant de maux de ventre et d’un embarras aux yeux avait « deja pris les eaux de Vichy qui sont dans son voisinage, mais sans succès »262. En cas d’insuccès, le malade peut être alors disposé à pousser plus loin. Il cherche alors une adéquation plus précise entre la nature de la maladie et les caractéristiques reconnues d’une eau particulière. L’intérêt que prend Horace-Bénédict de Saussure pour les eaux de Vaudier, reconnues efficaces dans le soulagement de paralytiques comme lui, est à ce propos emblématique. Il avait déjà tenté avec un succès mitigé les eaux de Plombières, d’Aix et de Bourbon. Pour guider son choix, il peut se reposer sur les cas relatés dans les ouvrages publicitaires ou encore les expériences et les récits d’autres curistes263. Même Isabelle de Charrière, préférant pour des raisons de confort et de sociabilité Aix à Loèche, se plie aux impératifs médicaux et se rend par deux fois à Loèche264. L’argumentation que la même déploie dans une lettre à son frère explicite ce fait. Alors qu’il souffre d’une foulure, elle lui propose de la rejoindre aux bains de Loèche: «Vous verez du paijs le plus extraordinaire de la Suisse vous plongerez votre épaule et votre pied dans ces eaux qui sont bonne pour tous les maux, étisie et hidropisie exceptées ». Elle précise qu’une cure aux bains du Valais ne dure que 14 jours, alors qu’une « double cure » s’étend sur 5 semaines. « Si vous me demandez quelle certitude j’ai que ces bains conviennent à des foulures et à leurs suites je repondrai que je n’en ai aucune, mais je sai que ces eaux sont fortifiantes et qu’elles ont remis dans leur etat naturel des membres racourcis, roidis, afoiblis par des chutes et des maladies.»265 Si faire une cure complète dans une ville d’eau est à l’ordre du jour de nombreux malades, la manière dont ceux-ci vont prendre les eaux varie considérablement. En règle générale, la cure commence graduellement, souvent avec des litres d’eau à boire, ensuite vien262 263 264 265

FT, II/144.05.07.24, M. Magelli, Fribourg, le 28 mai 1793. Giobert 1793. Voir ici même p. 104. Son mari s’y rend pour « la bile et les fluxions ». Charrière O. C., t. 2, pp. 324-325, Isabelle de Charrière à Vincent Maximiliaan Tuyll van Serooskerken, Colombier, le 12 mai 1776.

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nent successivement des douches et des bains pour des durées et à des températures qui varient en fonction de la nature de la cure attendue et de l’état du malade. Le plus souvent, le ou la curiste adopte son propre programme, partant d’une prescription spécifique ou de conseils généraux, alternant les différents usages médicaux des eaux et en adaptant la fréquence, la quantité et la durée en fonction de son propre ressentir. L’effet attendu peut être préventif ou curatif, mais il comporte toujours le danger de susciter des réactions inattendues. Les effets négatifs, comme les effets positifs, sont spectaculaires. « A peine en a-t-il tâté qu’il est saisi d’une maladie qui dans trois jours le couche au tombeau », rapporte Louise de Corcelles en évoquant la fin d’un riche et jeune hollandais rencontré à Plombières266. S’ils ne succombent pas tous ainsi, certains ne manquent pas, comme Saussure, de faire la corrélation entre une cure mal adaptée et une dégradation de leur santé. Une malade prolonge même son séjour aux bains pour se remettre… des effets des douches. « Les douches m’ont causé tant de petits accidens qu’il a fallu les suspendre et ensuite me soigner, je n’en ai plus que deux à prendre, puis quelques bains et mardi vingt de ce mois j’arriverai à achever.»267 Ainsi, la force du remède incite certains curistes à le craindre. « Je ne doute pas que la fatigue n’arrive à son tour et tout un mois encore employé à ces exercices me fait peur », confie Louise de Corcelles à une amie. Les curistes ne se contentent pas des opinions d’experts médicaux. Leur expérience contribue à forger les vertus thérapeutiques de chaque lieu. Ils guettent des manifestations corporelles particulières. Les histoires publiées de cures sont légion et les récits de succès thérapeutiques circulent, tout comme ceux de déboires cuisants. Les bains d’Yverdon, selon Isabelle de Charrière, portent « un peu à la peau et debarass[ent] à un certain point le sang et les humeurs de leur acreté »268. L’espoir que suscite chez HoraceBénédict de Saussure un écoulement oculaire à Plombières, ou encore les éruptions cutanées éprouvées et attendues par les baigneurs de Loèche, rappellent la prédominance de la logique humo266

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Charrière de Sévery [1924], pp. 55 & 60, Louise de Corcelles à Catherine Charrière de Sévery, Plombières, le 7 août 1771. BGE, Archives Saussure 223/2, p. 25, Mme de Montesson à Horace-Bénédict de Saussure (copie mss), Aix, 11 juillet [1790]. Charrière O. C., t. 6, p. 185, Isabelle de Charrière à Caroline Sandoz-Rollin, le 24 décembre 1800.

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rale: les bains doivent avant tout contribuer à chasser les humeurs corrompues du corps269. Les renseignements échangés en société ou par correspondance confirment l’importance des effets thérapeutiques des eaux. En convalescence à Lausanne, Charles-Emmanuel de Charrière se renseigne sur différents lieux de cure: « M. De la Roche approuve l’ordonnance des eaux de Schinchatz [...]. Il a hésité si des bains me conviendroient; des bains thermales redonnent des forces, mais les eaux de Schinznach se chauffent; il auroit mieux aimé Loeche d’un autre coté des bains pourroient avoir des inconveniens qu’il ne m’a pas dit; somme totale il approuve que je prenne les eaux chés moi ou dans l’endroit ou je me trouverai le mieux pour la distraction et l’amusement.»270 La concentration de malades à s’y rendre fait des villes d’eau des centres de conférences médicales laïques. C’est un des lieux où la mode médicale est dictée. Rien d’étonnant, dès lors, qu’à Plombières en 1771, Louise de Corcelles signale que « les malades d’ici se mettent dans l’esprit d’aller voir M. Tissot »271. L’attitude de touristes aisés peut être désinvolte; la cure obéit alors à un agenda social. Le malade souffrant d’une maladie chronique en attend, pour sa part, de grandes « révolutions » dans sa santé. Les remèdes maudits : conséquences inespérées Les remèdes usuels, tout particulièrement ceux qui évacuent, ont une certaine efficacité reconnue. Celle-ci peut s’avérer excessive et l’affaiblissement du corps consécutif à l’abus de médecines, comme à l’abus des eaux, est redouté. Là encore, il s’agit d’éviter la démesure. Louis Odier, par exemple, s’inquiète de l’excès de transpiration causé par les douches d’Aix sur la personne d’Amélie de Saussure. « Il ne faudra pas les continuer bien longtems de peur de perdre d’un côté par la faiblesse qui résulteroit de cette évacuation plus peut être qu’on ne gagneroit de l’autre », écrit-il au mari de sa patiente272. Les

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Voir Rieder et Barras 2001b, p. 518. Charrière O. C., t. 5, p. 243, Charles-Emmanuel de Charrière à Isabelle de Charrière, s.l.[Lausanne], le 16 [mai 1796]. Charrière de Sévery [1924], pp. 57 & 59, Louise de Corcelles à Catherine Charrière de Sévery, Plombières, le 7 août 1771. BGE, Archives Saussure 1/26, Louis Odier à Horace-Bénédict de Saussure, Genève, le 30 mai 1790.

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plaintes suscitées par des remèdes ou adressées à leurs prescripteurs sont monnaie courante273. Les conséquences violentes, effectives ou supposées, incitent de nombreux patients à prendre des précautions et à renoncer à leurs occupations courantes. Benjamin Constant souffre et rend les remèdes responsables de la progression de sa maladie274. « On m’a tant purgé, j’ai tant sué, j’ai tant fait toutes les opérations médicinales, que je n’en puis plus, et je suis si faible que je ne puis finir mon papier ni voir ce que je vous écris.»275 M. Fegeli, dans une lettre à Tissot, se félicite de l’élixir viscéral, le « soutien » de sa santé. Par contre, il a « le genre nerveux si facile a irritter que la moindre émotion rend l’elixir visceral inutile et [l]’accable »276. Un nombre excessif de saignées ou de purges peut donner lieu à de longues maladies277. La purge malheureuse qui manque de peu d’emporter Marie Marguerite Frêne est une bonne illustration de la portée des méfaits de certaines initiatives thérapeutiques278. Même des préparations destinées à renforcer le corps sont décriées: «[Son] état de desespoir est afreux, les remedes fortifians lui ont fait du mal », rapporte Mme des Marches dans une lettre à Tissot279. Les prescripteurs sont mis en cause. Le « premier médecin » cité dans un mémoire anonyme concernant la santé de l’évêque de Meaux aurait assuré que « la promenade, la dissipation et quelques stomachiques pouroit [le] guerir ». Pourtant, « ces remedes chauds augmentoient l’irritation et les convulsions, une fievre se déclara ». Il faut faire appel à un second médecin pour trouver d’autres solutions thérapeutiques280. L’enracinement d’une maladie est régulièrement associé à une mauvaise décision prise à ses débuts. L’erreur la plus conséquente entraîne la mort immédiate du malade. Le pasteur Frêne impute la mort de sa belle-mère aux remèdes violents

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C’est le cas d’un juriste genevois anonyme évoqué plus haut p. 327. Charrière O. C., t. 4, p. 243, Benjamin Constant à Isabelle de Charrière, Lausanne, le 28 octobre 1793. Charrière O. C., t. 4, p. 247, Benjamin Constant à Isabelle de Charrière, Lausanne, le 1er novembre 1793. FT, II/144.05.01.06, M. Fegeli, Fribourg, le 23 mai 1790. Parmi de nombreux exemples, voir FT, II/149.01.06.14, Mme Fol, Genève, le 26 août 1766; Trembley 1794, p. 76 et ici même p. 228. Voir ici même p. 222. FT, II/146.01.09.11, Mme des Marches, Genève, le 3 août 1773. FT, II/144.04.02.18, Mémoire à consulter pour M. De Polignac, Lausanne, le 1er octobre 1791.

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pris à l’occasion de l’opération de sa cataracte, soit une diète sévère, une saignée et un vésicatoire281... L’instruction pénale ouverte au décès du fermier Rutty provient du soupçon de l’existence d’un lien de causalité entre cet événement et une dose d’opium prescrite par un certain Lambelet, « empyrique à Bonvard »282. La violence et même la dangerosité de l’arsenal thérapeutique incitent certains à renoncer à son usage. La faiblesse ou une trop grande « sensibilité » sont des arguments communs évoqués pour justifier une méfiance particulière vis-à-vis de la médecine283. Des précautions s’imposent. Henriette L’Hardy, atteinte d’un rhume en janvier 1793, prend un vomitif. Isabelle de Charrière la gronde de son empressement. « Je suis très fachée d’apprendre que vous ayez été assez serieusement malade pour en avoir pris mauvais visage. Vous etes bien promte à prendre un vomitif.» Elle lui conseille des remèdes plus doux, notamment du petit-lait à prendre le matin pendant dix jours et « un peu de rhubarbe rapée » à mélanger dans une première cuillerée de soupe284. Il est vrai qu’au-delà de la sensibilité déclarée, l’espoir persiste que des remèdes violents puissent opérer des changements spectaculaires. Ainsi certains malades, loin de se plaindre de la violence des remèdes, en redemandent. « La malade désire d’avoir des remedes plus actifs, elle s’impatiente », écrit le praticien Prêtre à Tissot285. Cette catégorie de patients désespère de la médecine expectative et douce. « Mon médecin cherchoit à soulager cet état par des adoucissans des palliatifs dont l’effet n’étoit que fort momentané, et me mit à l’usage des eaux de Setter et de bains tièdes », écrit Mme d’Ostervald à Tissot, mais, « l’envie de presser ma guérison me les fit prendre froids »286. Prendre ou non un remède est 281 282

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Voir plus haut, p. 293 (n. 204). AEG, PC 11622, Conclusion de Bonet, châtelain de Jussy, le 11 juillet 1767. Des accidents dus à l’abus d’opium surviennent également dans des milieux aisés, voir BGE, Archives Saussure 237/134, Amélie de Saussure à HoraceBénédict de Saussure, s.l., [juillet 1780]. Le père de Frêne, par exemple, ne prend pas les remèdes qui lui sont adressés à la suite d’une attaque. Jnl Frêne, p. 413. Charrière O. C., t. 3, pp. 496-497, Isabelle de Charrière à Henriette L’Hardy, le 9 février 1793. Tissot aurait conseillé à Prêtre de ne pas céder sur ce point. FT, II/ 144.05.01.19 et 144.05.01.20, M. Prêtre, Neuchâtel, les 5 et 24 mars 1790. D’autres malades se plaignent également des mêmes eaux. FT, II/146.01.03.18, L. Arthaud, Genève, le Vevey, le 16 juillet 1768.

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perçu comme une décision importante et les malades cherchent régulièrement les assurances d’une autorité médicale avant de s’engager dans une direction où ils perçoivent un danger. Les garanties savantes ne les empêchent pas d’adapter ensuite eux-mêmes la prescription287. « J’ay exactement suivit l’ordonence que Monsieur le docteur a eu la bonte de donner a mon amie a la reserve que je nay pas fait une seconde saignée », écrit Salomé Petit à Tissot sans en préciser la raison288. « Je n’ai voulu faire aucun des remedes que l’on ma indiqué, sauf quelques lave pié tiedes et l’usage de la tisanne d’euphraise », rapporte Colons Gaynier sans dévoiler, lui non plus, ses raisons289. Plusieurs patients de Tissot font clairement le tri dans la prescription que celui-ci leur adresse et en réfèrent de nouveau à leur conseiller médical habituel pour cautionner leur choix. M. Turrettini de Genève rapporte que sa femme avait réduit de deux à une once la quantité de patience employée pour sa tisane « vû la doze d’eau donnoient une infusion trop forte »290. M. Hartmann de Villeneuve avoue pour sa part ne pas s’être abstenu entièrement de vin comme le médecin le lui avait recommandé. « J’etois d’ailleurs trop interessé, Monsieur, pour ne pas supposer que vous parliez du vin que j’etois accoutumé à prendre entre les repas », hasarde-t-il avant d’interroger Tissot sur un éventuel verre de bière supplémentaire au goûter, qui croit-il, ne lui ferait « point de mal »291. Les déclarations les plus véhémentes de l’obéissance la plus aveugle se succèdent en tête de consultations épistolaires dont le contenu ne cesse de les nier. Ayant commencé son régime de vie le 29 décembre, l’abbé Spicher affirme hardiment s’être fait une loi de ne pas s’écarter « d’un jota de la regle de vie prescrite ». Il avoue cependant plus bas que les « frottemens prescrits » le rendaient apathique, et concède avoir employé les remèdes « jusqu’au second de janvier ». Il les a arrêté après cinq jours parce qu’ils l’auraient « presque reduit et ôté l’appetit »292. Ainsi, 287

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La formule: « Je ne puis pas vous repondre du succès, mais je vous répond qu’il n’y a aucun inconvement à l’employer » auquel Tissot a ici recours pour accompagner un remède destiné à une jeune mariée, est souvent employé par le corps médical. ACV P Charrière Bc B 118, Samuel Auguste Tissot à Angletine Effinger de Wildegge-Sévery, 11 août. FT, II/149.01.05.23, Salomé Petit, Genève, le 8 mars 1767. FT, II/149.01.06.08, s.n., Genève, le 21 janvier 1768. FT, II/144.04.02.25, M. Turrettini, [Genève], le 27 septembre 1791. FT, II/144.05.05.31, M. Hartmann, Villeneuve, le 22 mai 1792. FT, II/144.05.01.07, abbé Spicher, Fribourg, le 19 janvier 1790.

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comme la maladie, la prise de remèdes répond à une logique dictée par la particularité individuelle. Le corps soigné est singulier. Ne faut-il pas prendre, en dernier lieu, des remèdes contre les effets des remèdes? L’idée n’est pas saugrenue. Les Charrière de Sévery conservent, par exemple, la recette de la composition d’un emplâtre* « de M. Bourget pour la jambe de Mme Moret que des vesicatoires avoit mise dans un etat d’enflure et d’inflammation très douloureux »293 et encore un « calmant pour les soirs qu’il a pris médecine » comprenant notamment du pavot rouge des champs, du laudanum et des eaux de mélisse294. DE CAS EN CAS : LES LAÏCS ET LES SAVOIRS Les deux premières sections de cet ouvrage engagent à appréhender les remèdes, comme les maux, à la fois dans le contexte dans lequel ils sont mentionnés et dans leur matérialité (composition, apparence, provenance, etc.). Les considérer ainsi met en évidence la porosité des limites entre remèdes savants et remèdes populaires. La diffusion de savoirs savants vers la culture laïque est avérée, mais les données sur les remèdes glanées dans les corpus analysés attestent surtout de l’importance de la circulation des remèdes issus de pratiques laïques vers les milieux érudits295. Le travail de contrôle réalisé par la Société Royale de Médecine à la fin de l’Ancien Régime s’apparente de fait à une récupération de remèdes populaires au profit de la pharmacopée officielle296. Est-il nécessaire pour autant, comme l’affirment certains, que le praticien et le malade partagent le même cadre interprétatif ?297 L’hypothèse est tentante, mais demande à être nuancée. Le malade et son soignant partagent des conceptions médicales communes, lesquelles peuvent être travesties

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ACV, P Charrière Ce 3, Remède de M. Bougat pour la jambe de Mme Moret. ACV, P Charrière Ce1. Voir notamment Laget 1984, pp. 572-573; Loux 1999, pp. 380-381. Voir p. 459 (n. 177). Jean-Pierre Peter relève l’intérêt des auteurs de topographies médicales, dans le dernier tiers du XVIIIe siècle, pour le « savoir populaire ». Peter 1989, p. 107. Rosenberg 1979, p. 4.

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par d’autres théories, mais demeurent fondamentalement humorales. Le malade demande bien à être convaincu, mais plus que par une démonstration théorique, c’est par un ensemble d’arguments parmi lesquels figurent la conviction du soignant et la crédibilité des récits de guérison de cas semblables. Le discours de persuasion adressé aux malades par les soignants comme par des laïcs doit tenir compte du fait que le corps malade est, par bien des traits, un corps unique. Dès lors, comment convaincre de l’utilité du remède? Comment promouvoir une médecine dont les effets varient d’un corps à l’autre? Du point de vue des malades, les possibilités thérapeutiques sont innombrables, sans doute, mais la plupart des stratégies adoptées trouvent leur origine dans deux principes explicités dans les conseils adressés par Charles-Emmanuel de Charrière à sa femme souffrante. Il l’engage à essayer des lavements ou de l’hieble, deux remèdes qui lui auraient donné satisfaction à d’autres occasions, mais aussi à se méfier « des remedes indiqués par les voisines »298. La recommandation de reprendre des remèdes dont les effets s’étaient avérés satisfaisants auparavant, tient du bon sens. Les malades acquièrent une connaissance empirique de la plupart des remèdes usuels et sont à même d’affirmer lesquels leur conviennent, au point d’ailleurs que les praticiens, de guerre lasse, leur proposent parfois des remèdes déjà rejetés à plusieurs reprises, en s’appuyant sur la possibilité que leur état (ou leur tempérament) ait changé dans l’intervalle. L’alternative, déconseillé par Charrière, consiste à partir à l’aventure, s’informer des nouveautés et solliciter des avis de tiers, ne serait-ce que des voisines est une seconde stratégie laïque possible. Une telle démarche permet de prendre connaissance d’autres cas similaires au sien299. Quelles que soient leurs expériences avec les remèdes usuels, les laïcs – malades ou pas – sont intéressés par de nouveaux produits ou principes thérapeutiques. La nature de l’engagement et de la responsabilité prise par chacun vis-à-vis de sa santé, ainsi que les moyens de communication et de publicité qui régissent le marché thérapeutique, confèrent à cet intérêt les apparences d’une stratégie

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Charrière O. C., t. 2, p. 429, Charles-Emmanuel de Charrière à Isabelle de Charrière, [Colombier], le 11 août 1784. Séverine Pilloud parvient à une conclusion similaire dans son analyse narrative de lettres de patients. Pilloud 2008, p. 396.

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de survie. Les figures rencontrées dans les premiers chapitres de cet ouvrage se communiquent facilement des conseils thérapeutiques. Ami Lullin, s’il recourt, notamment lors des maladies de ses fils, à des conseils de tiers, voire à la littérature médicale, n’hésite pas à d’autres occasions, à offrir des conseils à ses amis. Le 2 février 1734, par exemple, il s’inquiète de l’état de santé du fils d’Abraham de Crousaz et décrit les poudres de Heidegger comme étant « souveraines contre les pleurésies*»300. De tels conseils sont légion. « J’ay vu hier M. de Charriere un moment », écrit Pierre-Alexandre Du Peyrou, « je lui conseillé pour M. Constant le bain froid, mais instantané, et faute de pouvoir se precipiter dans un grand bain tel le lac, de se faire verser à commencer par la tête, plusieurs sceaux d’eau, bien promptement »301. Des conseillers laïcs sont parfois sollicités pour des raisons contingentes plutôt que pour leur expertise. Le malêtre se manifeste de façon inattendue, parfois dans des contextes sociaux peu familiers. Les pharmacies particulières s’ouvrent spontanément face au malaise de l’autre. Le couple de Normendie ameute ses voisins un lundi d’août 1761 à 10 h. du soir, alors que l’époux est pris d’une souffrance subite. Ils quittent bruyamment leur appartement pour la garde-robe tout proche. La première personne à rejoindre le couple est une voisine, Antoinette Chapeaurouge, âgée de 58 ans, attirée par le bruit. « Effectivement la deposante voyant souffrir le dit sieur Normendie lui toucha le front d’où les goutes coulait quatre à quatre ». Elle remonte chez elle, réveille son mari et « prit une bouteille d’eau des Carmes »302 avant de redescendre. Là, elle présente sa médecine et précise à la femme du malade qu’il « faudroit en donner dans un verre d’eau à M. Normendie cela lui feroit peut être du bien ». L’épouse de Normendie décline l’offre, son mari aurait « deja le feu dans le corps »303. Pour calmer l’embrasement, le concierge de l’Hôtel de ville lui prépare un bain304 tout en lui profé300

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BCUL Dorigny, Fonds de Crousaz, VII/133, Ami Lullin à Abraham de Crousaz, s.l., le 2 février 1734. Charrière O. C., t. 4, p. 346, Pierre-Alexandre Du Peyrou à Isabelle de Charrière, s.l., le 26 février [1794]. Ce remède est débité au couvent des Carmes à Paris. Sur son histoire, voir Franklin 1891, pp. 218-219. AEG, PC 10905, Deposition de dame Antoinette De Chapeaurouge du 24 aoust 1761. AEG, PC 10905, Deposition de Jean Jaques De Chapeaurouge du 24 aoust 1761.

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rant ses propres conseils: « J’ay toujours entendu dire que l’huille d’amande douce étoit fort bonne pour adoucir quand on a des colliques.» La femme de Normendie lui répond que son mari en a déjà pris. Le concierge évoque alors la possibilité que le mourant souffre d’un « miserere*» et énumère des solutions thérapeutiques appropriées305. Même dans une situation dramatique et en présence du docteur Gédéon Rabours, les conseils laïcs affluent. L’analyse des traces de pratiques de santé confirme la perméabilité des différents pans de savoirs médicaux et les incessants échanges entre laïcs et praticiens306. Thérapies d’ailleurs Les remèdes et les médecins ne sont pas les mêmes partout. Attachées à des traditions culturelles particulières, les régions offrent des panoplies de services et de commodités médicales différentes. La demande médicale obéit également à des données socio-culturelles. Des spécificités régionales sont relevées par certains voyageurs. Guillaume Sandoz explique, par exemple, le peu de succès de la thérapeutique prônée par Kämpf (1726-1787) dans les contrées francophones: « Comme la classe des gens sédentaires est plus nombreuse en Allemagne que par tout ailleurs, l’hypocondorie* y est aussi plus commune.»307 Du point de vue de l’usager, accéder à des remèdes d’ailleurs constitue un moyen d’améliorer ses chances de guérison. Les annonces insérées dans les périodiques sont un moyen courant de s’informer des pharmacopées d’autres lieux. Les réseaux de correspondants en sont un autre. La correspondance est ici une source privilégiée, même si elle n’apporte pas toujours des informations quant à l’utilisation effective d’un remède, ou la raison pour laquelle un remède spécifique est recherché. Le nombre d’allusions à des remèdes qui s’y trouve signale l’importance de la lettre dans la circu305

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AEG, PC 10905, Declaration du sieur François Jean Felix du 22 aoust 1761; Deposition de dame Judith Danse du 22 aoust 1761; Deposition de dame Marie Françoise Lombard du 22 aoust 1761; Deposition de Guillaume Danse du 22 aoust 1761. Séverine Pilloud conclut à l’absence de déterminisme entre les théories médicales, l’expression des malades et l’influence exercée par les malades sur les médecins. Pilloud 2008, pp. 391-392. Charrière O. C., t. 5, p. 83, Guillaume Sandoz à Isabelle de Charrière, s.l., le 22 avril [1795].

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lation d’informations médicales. Charles Bonnet réclame de Haller des adresses de pharmaciens et commande plusieurs médecines par voie de courrier, soit à Haller, soit directement aux boutiquiers bernois. En dépit de la richesse de l’offre médicale de Montpellier où elle vit, Judith de Saussure demande que son frère lui adresse des « bouteilles de cordialle de M. Colladon », apothicaire genevois308. Le succès d’un premier envoi est mitigé: Judith accuse réception de six bouteilles, mais trois d’entre elles étaient vides309... Plus logique est la circulation des médicaments de la ville vers la campagne. Anne Bontems adresse à Isabelle de Charrière des sels des apothicaires genevois Le Royer et Tingry à Colombier310. Les stratégies professionnelles suivent les mêmes voies. Les échanges, laïcs et professionnels, véhiculent des thérapies prônées par des autorités médicales locales. Certaines sont familiales. « Mon oncle Sarasin, le médecin à Neufchastel », écrit par exemple le pasteur Jacques Sarasin dans son journal, « conseilla à une personne malade de ce qu’elle ne pouvait pas dormir, qu’elle alloit souvent au presche et essayât d’y dormir, ce que le malade fit et y réussit, et jamais ne dormit mieux »311. Plus souvent, une autorité étrangère est invoquée. Lorsqu’une jeune hollandaise se plaint de vapeurs, sa correspondante établie à Genève lui vante les mérites de l’exercice « comme le grand remède de M. Tronchin », alors depuis peu le médecin le plus en vue à Genève312. Certains conseils sont particuliers à la culture médicale régionale. Isabelle de Charrière fait parvenir, par exemple, un remède de Cabanis pour les hémorroïdes à titre préventif à sa belle-sœur hollandaise, alors enceinte, de crainte de voir celle-ci souffrir de cette affection dans ses suites de couches313. Judith de Saussure, valétudinaire

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Sur les remèdes secrets et l’eau cordiale de Colladon, voir ici même pp. 458-461. BGE, Archives Saussure 239/35, Judith de Saussure à Horace-Bénédict de Saussure, Montpellier, s.d. [hiver 1781]; 239/57, Judith de Saussure à HoraceBénédict de Saussure, Paris, 3 janvier [179?]. Charrière O. C., t. 5, p. 475, Anne Bontems à Isabelle de Charrière, s.l., le 31 août 1798. BGE, Fonds SHAG, Papiers Edmond Pictet 94, Journal du pasteur Jacques Sarasin (1641-1704), le 3 décembre 1665. Charrière O. C., t. 1, p. 115, Jeanne-Louise Prévost à Belle de Zuylen, Neuchâtel, le 28 décembre 1758. Charrière O. C., t. 2, pp. 376-377, Isabelle de Charrière à Dorothea Henriette van Tuyll van Serooskerken, Genève, le 30 juin 1781.

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établie à Montpellier, s’érige progressivement en spécialiste médicale avec une connaissance particulière de la thérapeutique de ce centre médical. Au début de l’année 1779, elle adresse à son frère une recette de bouillon d’escargots pour leur mère malade d’une toux chronique: « Il n’y a rien de plus adoucissant pour la poitrine, ils sont meilleurs pour la poitrine que les bouillons de tortue.»314 Elle conseille des calmants à son frère malade de la coqueluche dont « les médecins de ce pays ci font beaucoup plus d’usage.»315 Lors de la grande maladie de sa belle-sœur, elle se demande si « les bains entiers ou les bains de siège ne seroit il pas un bon remede [?] On en fait usage ici dans les maladies bilieuses quand aux règles les bains de jambes avec beaucoup de moutarde sont de tous les remèdes les plus actifs ». Ces conseils s’appuient sur un cas de guérison qu’elle résume pour son correspondant316. Réseaux laïcs : les femmes, les hommes et les remèdes L’importance du rôle joué par les femmes dans les soins est attestée par de nombreuses sources. Les soignants réguliers se plaignent des amatrices. Ils reconnaissent leur emprise sur les malades et assimilent les pratiques médicales domestiques à des pratiques « de vieilles femmes »317. Le savoir féminin constitue un contre-modèle pour la médecine officielle318. Le rôle pris par de nombreuses femmes se situe quelque part entre la médecine domestique et le praticien de premier recours. La légitimité de leur action provient des liens existant entre les remèdes domestiques, la cuisine et la maison, des

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BGE, Archives Saussure 239/13, Judith de Saussure à Horace-Bénédict de Saussure, Montpellier, 8 février 1779. Le bouillon d’escargot est alors un remède classique pour soigner les poitrinaires. Bouteiller 1966, p. 20. BGE, Archives Saussure 239/37, Judith de Saussure à Horace-Bénédict de Saussure, Montpellier, 9 janvier [1786]. BGE, Archives Saussure 239/47-48, Judith de Saussure à Horace-Bénédict de Saussure, Montpellier, 1er février [1790]. Pour un exemple, voir BGE, Ms Fr 4152, Louis Odier à Andrienne Lecointe, s.d. [mai 1779]. Daniel De la Roche décrit la médecine pratiquée à Genève en 1770 comme étant dans le « style de vieilles femmes ». Royal Society (London), Ms 821, Daniel De la Roche à Charles Blagden, [Genève, été 1771]. Les femmes offrant des conseils étaient un sujet de critique, voir à ce propos Wear 1993, pp. 107108.

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sphères féminines319. Leur autorité est éprouvée et bien souvent reconnue. « Mlle de Mezerac m’a fait prendre avec autorité une pillule dont je me suis bien trouvé », écrit par exemple CharlesEmmanuel de Charrière320. Il n’est pas nécessaire de connaître intimement une personne pour prodiguer des conseils; une rencontre fortuite peut suffire. Les douleurs de dents de l’immigré qu’elle voit le 25 août 1794, à Schaffouse, suscitent la pitié d’Henriette L’Hardy qui regrette de ne pouvoir conseiller ses « remèdes pour les dents à ce pauvre sire »321. Une Parisienne rencontrée par Frêne en 1802 lui communique un remède contre l’indigestion qu’il s’empresse d’essayer322. Les conseils émanent parfois de véritables soignantes amateurs, telles Isabelle de Charrière et Judith de Saussure, qui n’ont de cesse d’offrir des conseils médicaux323. Le savoir transmis s’inscrit dans des relations sociales, émane d’expériences et d’histoires de vie qui sont connues. Les conseillers les plus aguerris sollicitent à leur tour des recettes de tiers. «Vous souvient-il que le grand Chaillet est tout-à fait sourd d’une oreille?», écrit Isabelle de Charrière à son frère, « nous en parlions lui et moi l’autre jour. Je me suis rapellée que Mme de Renswoude avoit été guerie d’une surdité fort ancienne […]. Pourroit-on m’envoyer le remede ou la recette?»324 L’échange de recettes et de remèdes entre dans les relations de bon voisinage et d’amitié. Marie-Claude Estièvre s’octroie même un titre. « En qualité de medecin j’ai été fortement tentée de vous remettre moi même cet emplâtre* – mais demander a entrer si matin chez vous, en verité cela ennuyroit de ma figure toute votre maison »325. Les femmes ne 319

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Le rapport spécifique et privilégié des femmes avec les corps est affirmé dans d’autres contextes culturels. Muchembled 1983, pp. 145-149. Pour le rôle des femmes dans la confection de remèdes, voir Leong 2008 Charrière O. C., t. 2, p. 417, Charles-Emmanuel de Charrière à Isabelle de Charrière, s.l., le 21 juin 1784. Charrière O. C., t. 4, p. 542, Henriette L’Hardy à Isabelle de Charrière, Sour & Schaffouse, les 24-26 août 1794. Voir plus haut p. 153. Parmi de nombreux exemples Charrière O. C., t. 2, pp. 405 & 478, Julie de Mézerac à Isabelle de Charrière, Neuchâtel, les 22 et 29 avril 1784; Charles-Emmanuel de Charrière à Isabelle de Charrière, s.l., le 27 juillet 1785. Charrière O. C., t. 2, p. 389, Isabelle de Charrière à Vincent Maximiliaan Tuyll van Serooskerken, Colombier, le 7 décembre 1782. Charrière O. C., t. 3, pp. 205-206, Marie-Claude Estièvre de Trémauville à Isabelle de Charrière, [mai] 1790.

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cessent de dispenser des conseils et d’apporter leur expertise. La nature de leur savoir n’est pas incompatible avec celui des médecins; bien souvent elles confèrent même avec ces derniers. C’est le cas de Judith de Saussure qui commente elle-même la consultation concernant sa belle-sœur qu’elle présente au médecin Paul-Joseph Barthez (1734-1806). Elle participe aussi à la réponse: « Nous l’avons lues ensemble et je lui ai tenue que la crainte que ce mot de paralysie me causoit. Il m’a extremement rassurée.» Avant d’insister pour que la cautérisation prescrite par le chirurgien Louis Jurine soit réalisée326. La faible densité médicale et la difficulté d’accéder à un praticien reconnu ont souvent été invoquées pour expliquer la propension des laïcs à se soigner eux-mêmes ou à chercher conseil auprès de nonmédecins. Ce n’est pourtant là qu’une partie de l’histoire. Le savoir médical laïc est basé sur des cas, tout comme l’est celui des docteurs médecins327. La distinction entre les perspectives laïque et professionnelle est artificielle, la permanence des échanges étant attestée328. Prendre l’initiative en matière de médecine est un réflexe courant aussi bien des malades que de leurs proches et personne ne songe à cacher ces initiatives aux praticiens. Si les femmes s’imposent dans ce territoire interstitiel, les hommes n’en sont pas absents. Les conseils thérapeutiques offerts par des non-médecins sont basés avant tout sur un savoir empirique alors peu contestable: leur propre expérience. Des recommandations surviennent spontanément ensuite d’un succès éprouvé. Belle de Zuylen invite ainsi Constant d’Hermenches à tester l’eau de Pyrmont qui lui fait du bien et HoraceBénédict de Saussure, à peine guéri de la coqueluche, adresse à sa tante un des remèdes qu’il avait apprécié329. L’autorité du laïc est d’autant plus grande qu’il connaît lui-même le trouble de santé dont il est question. Ainsi, Isabelle de Charrière transmet à plusieurs de ses correspondants des remèdes contre les maux de tête alors que Saussure voit son nom associé à un remède contre les maux de gorge dans un livre de recettes domestiques. Il était de notoriété publique 326

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BGE, Archives Saussure 239/51, Judith de Saussure à Horace-Bénédict de Saussure, Montpellier, 25 février [1790]. Voir Lawrence 1987, p. 22. Laget 1984, p. 582. Charrière O. C., t. 1, p. 510, Belle de Zuylen à Constant d’Hermenches, Zuylen, les 5-7 octobre 1766; BGE, Archives Saussure 238/194, Marie-Jeanne Bonnet à Horace-Bénédict de Saussure, s.l., vendredi après-midi [fevrier 1786].

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que la première souffrait de migraines et que le second avait constamment la gorge irritée330. Les liens entre l’expérience personnelle et les remèdes sont parfois explicités. Nicolas de Saussure adresse des conseils à son fils pour soigner son mal de gorge, « tu sais que j’y suis sujet, j’en ai quelque fois guéri avant la formation de l’abcès. Ca été une fois au moyen d’un simple remède, et une autre d’une légère purgation, sans préjudice des garggarrismes »331. L’argumentation est courante332. Un récit à la première personne du singulier qui accompagne un conseil ou un remède en renforce la crédibilité. Tout exemple peut être rassurant et des récits de la guérison d’un tiers sont un moyen d’accréditer un remède ou une stratégie thérapeutique. En apprenant qu’une connaissance de son amie souffrait de rhumatisme, Isabelle évoque le cas de l’abbé Durocher lequel, écrit-elle, « eut ici un rhumatisme inflamatoire, il fut très malade mais il ne l’a été qu’une fois que je sache. Je l’ai vu longtems n’avoir aucune atteinte du même mal, aucune enflure, aucune douleur »333. La présence physique du malade et l’observation directe de l’auteur du conseil sont ici mis en avant pour renforcer la fiabilité du remède. Ces récits ne sont pas vains; le malade en est facilement influencé334. « Ce qui a déterminé le comte en faveur de Wiesenbaden », écrit la comtesse Golowkin à Tissot après lui avoir demandé de trancher entre ces thermes et ceux de Plombières, « ce sont deux goutteux dans le même cas que lui, qu’il a vus et qui se sont absolument rétablis par les bains d’ici »335. Pour certains, les cas des autres sont de véritables enseignements. «Vous souvenez vous de cette Lisette qui a pris inutilement les remedes qui vous etoient ordonnés et dont vous vous trouviez bien? Elle est guérie. Une jeune fille lui a dit prenez de 330

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Pour les migraines d’Isabelle de Charrière, voir plus haut pp. 98-109. Une recette de remède contre les maux de gorge figurant dans un recueil familial est présenté comme étant celui de Saussure. AEG, Fonds de la famille Saladinvan-Berchem, armoire 4, Recueil de remèdes, s.d. BGE, Archives Saussure 237/64, Nicolas de Saussure à Horace-Bénédict de Saussure, Frontenex, 26 décembre 1768. Pour un autre exemple, voir Charrière de Sévery [1924], p. 88, Louise de Corcelles à Catherine Charrière de Sévery, Corcelles, ce jeudi au soir [1769]. Charrière O. C., t. 6, pp. 184-185, Isabelle de Charrière à Caroline de SandozRollin, le 22 décembre 1800. Lamberg 1776, t. 1, p. 181. Charrière de Sévery 1928, p. 52, comtesse Golowkin à Tissot, Wiesbaden, le 7 août [1766].

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la remise en infusion, (je crois que c’est de l’armoise) elle l’a fait et n’a plus de maux d’estomac.»336 La difficulté majeure est de mettre en rapport ses spécificités corporelles avec celles d’autres malades... Nonobstant les incertitudes, les praticiens eux-mêmes s’appuient lourdement sur le récit de cas similaires pour convaincre et rassurer leurs malades. Lorsque Suzanne Tulleken souffre d’une rechute d’une fluxion* de poitrine, elle reçoit « la visite de M. De la Roche comme une visite d’amitié »337. Le médecin palpe « le foye, le cœur, les reins, toutes les parties sujette aux obstructions. Il les a trouvés toute saines ». Le mal serait dû à une ulcération du poumon et il estime que « l’aplication directe de la meche sur la partie malade, dessecherait peut-etre promtement l’ulceration ». L’opération est terrifiante et l’argumentation avancée pour convaincre la malade n’est pas théorique. Le praticien cite deux personnes, connues de la malade, « exactement à ce que dit M. De la Roche dans un etat pareil au mien ». En dépit de la douleur éprouvée, la patiente ne doute pas de la bonne foi du médecin, un soignant: « Infiniment doux, prudent et humain il m’a traitée non en medecin mais en ami et en pere tendre il m’a plus observé plus attentivement que ne l’a jamais fait M. Liechtenhahn.»338 L’attention prêtée par des médecins à leurs malades peut paraître plus affectée que celle des proches, mais tous recourent à des récits de cas pour convaincre de la validité de leurs conseils. Lorsque les thérapies ayant réussi pour des connaissances ne suffisent pas, le parcours thérapeutique du patient s’allonge, impliquant une multiplication d’avis et de conseils, ainsi que le risque de voir la maladie se muer en maladie dangereuse. Il y a urgence et les propositions de tous horizons sont prises en considération, provoquant une véritable crise de gestion de l’information. Les dilemmes des parents Cart constituent un cas en l’espèce. Forts de leurs observations, ils estiment que les poudres comprenant du nitre*, prescrites par Tissot, font du tort au ventre de leur fils. Ils administrent alors du « jus de cerfeuil » au malade, incités par un tiers anonyme à considérer que ce remède ne serait pas « dangereux », et c’est sur ce point 336

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Charrière O. C., t. 6, p. 63, Isabelle de Charrière à Caroline de Sandoz-Rollin, le 26 avril 1800. Charrière O. C., t. 5, p. 57, Suzanne Tulleken à Isabelle de Charrière, Lausanne, le 10 mars 1795. Charrière O. C., t. 5, p. 66, Suzanne Tulleken à Isabelle de Charrière, Lausanne, le 16 mars 1795.

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qu’ils interrogent encore Tissot339. Dans une réaction caractéristique, reflétant l’humilité du praticien, le médecin approuve l’abandon des poudres. Les Cart poursuivent leur quête du bon remède. « Nous avons essayé les jus de cerfeuil, et la batuë», mais « il a fallu les laisser de côté. L’effet en étoit un gonflement terrible, accompagné d’angoisses ». De nouveaux conseils affluent. « Une dame de notre connoissance, femme d’un ministre, aïant apris l’état de notre fils nous a fait écrirre qu’elle avoit fait prendre au sien, dont la maladie paroissait ressemblante, par les conseils d’un medecin, des cloportes dans du vin ». Cette fois les Cart consultent un cousin, le docteur Guey340, lequel déclare l’innocuité de ce remède. La famille décide de reprendre les poudres de Tissot, « le seul remède qui eut produit dans cette maladie quelque bon effet », mais de deux jours l’un en raison des réactions secondaires redoutées. « Nous conjecturames que le nitre* pouvoit en être la cause, les sels quelconques depuis 3 ans faisant à notre malade tout le mal possible. Nous conclumes qu’il falloit essayer « l’oximel scillétique », comme vous le prescrivez quelque part dans votre Avis au peuple, puisque la scille étoit un des remèdes que vous aviez ordonné »341. Ce remède s’avère plus acceptable pour le malade, mais ne guérit pas l’inflammation. Le Dr Guey scarifie alors les pieds du malade, « pour augmenter le nombre des issues et faciliter l’écoulement », maintient l’oximel scillitique et prescrit également le colchique342. La famille ajoute alors une série de remèdes, de l’onguent ityray343 pour empêcher la gangrène aux plaies, une décoction de scordium344 et de la « kina dans un vin 339 340

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FT, II/144.03.06.15, M. Cart Roten, Vufflans-le-Château, le 25 mai 1785. Peut-être Ferdinand-Gabriel Guex (1744-1803) chirurgien militaire et médecin à Aubonne. Olivier 1939/1962, t. 2, p. 955. L’oxymel scillitique, « un sirop qui se prépare en ajoutant du miel à une infusion de scille dans du vinaigre » selon Odier 1811, p. 409, entre dans le remède n° 8 de l’ouvrage de Tissot (les autres composantes étant l’antimoine diaphorétique et l’infusion de sureau). La préparation est prescrite en tant que vomitif pour évacuer un corps arrêté à la gorge § 415, dans certains cas de suffocation § 520, en cas de rougeole § 226, de pleurésie § 95 et d’inflammation de poitrine. Tissot 1993, §§ 54; 74; 81 et 290. Plante fleurit en automne dans les prés humides. Le suc des bulbes est utilisé comme diurétique. Nouv. dict. hist. de médecine. Peut-être de « l’onguent styrax » un « anti-septique fort estimé ». [Vandermonde] 1764, t. 2, p. 507. Plante indigène avec des vertus toniques et stimulante. Nouv. dict. hist. de médecine.

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blanc, avec un peu d’eau de vie camphrée »345. La succession d’avis et d’essais thérapeutiques illustre bien le fait qu’aucun des soignants ne dirige véritablement les opérations. Les praticiens, le phénomène a déjà été relevé, sont le plus souvent conciliants dans la gestion de l’ensemble de ces interventions. Leur souplesse frise la complaisance. Lors d’une des maladies de sa tante, Horace-Bénédict de Saussure lui propose de prendre des « noix de Galles »346. Il n’est pas le seul à lui prodiguer des conseils. Elle « s’est mise, d’après mon conseil » rapporte son mari, « à manger des sorbe[t]s, et ce petit remède paroît réussir. Son docteur avoit conseillé l’infusion de glands; elle y viendra si les sorbes n’aggissent pas assez ; puis à l’infusion de noix de galles que lui a indiqué son cher neveux, et qui est plus astreingente que celle de glands »347. Le remède du docteur sera tenté au même titre que les autres ! La multiplication des prescriptions est un phénomène récurrent et tous ne sont pas capables d’organiser les remèdes si simplement. Face à l’incohérence des trois avis médicaux qu’elle avait sollicités, Isabelle de Charrière finit par prendre un remède proposé par un ami et ce avec l’aval des trois soignants !348 LE BESOIN DE SAVOIR : CERTITUDES ET INCERTITUDES La portée du questionnement développé dans le dernier volet de cette enquête se cantonne essentiellement aux classes moyennes et supérieures de la population. La consultation de séries de sources à même d’élargir l’assise sociale de l’entreprise ne mène pas très loin. Les archives corporatives révèlent peu des stratégies et des pratiques laïques et les procès criminels, quoique précieux en vertu de la qualité des informations apportées, sont peu nombreux à porter sur des pratiques de soins. Cela dit, les quelques cas se rapportant à des individus issus de couches modestes de la population incitent à considé345 346

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FT, V/144.03.06.16, M. Cart Roten, Vufflans-le-Château, le 21 juin 1785. BGE, Archives Saussure 238/177, Charles Bonnet à Horace-Bénédict de Saussure, Genthod, le 20 avril 1790. BGE, Archives Saussure 238/180, Charles Bonnet à Horace-Bénédict de Saussure, s.l., 20 octobre 1790. Charrière O.C., t. 2, p. 388, Isabelle de Charrière à Maximilien Tuyll van Serooskerken, Neuchâtel, le 7 décembre 1782.

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rer les principales logiques interprétatives comme étant similaires quelle que soit l’origine sociale de l’individu en question349. Il y a bien, dans ce sens, une culture médicale. Le matériel mobilisé ici atteste de l’existence d’une culture médicale laïque dynamique. Cette culture conditionne les usages et en dépit de la variété des affections, un schéma cohérent de comportement et d’interprétation en émane. Si l’accès aux soins demeure théoriquement réservé à ceux qui pouvaient payer, d’autres couches de la population parviennent à en profiter soit par la mobilisation exceptionnelle de réserves, soit par le recours à des réseaux sociaux ou à la charité350. Les écrits laïcs apportent des informations importantes sur l’usage des remèdes, sur les relations entre les soignants et les soignés et sur l’évolution des savoirs. La quête continuelle des laïcs pour de nouveaux soins et la volonté de trouver, pour chaque cas, la solution thérapeutique adéquate sont sans cesse confirmées. L’autonomie des patients par rapport à leurs conseillers médicaux se révèle conséquente. Les malades sont la plupart du temps à même d’isoler eux-mêmes la cause probable de chaque aléa dans leur parcours de santé. Nommer le mal n’est pas ici l’essentiel: la source de la maladie est en soi ou dans son comportement (passé). Plutôt que l’absence d’intérêt pour l’étiologie de la maladie (« disease ») souvent reprochée à la médecine de ce siècle, on peut arguer que la cause de la maladie (« illness ») est recherchée ailleurs351. C’est de la connaissance intime du corps que découlent les appréciations de chacun sur la cause de sa maladie et sur l’état présent de sa santé. Et c’est à la recherche de nouvelles expériences, de nouveaux savoirs, que ce soit en matière thérapeutique ou en matière explicative, que les laïcs exercent une pression sur le marché des soins. S’il est possible d’évaluer l’incidence des usagers sur le monde des soins, selon le projet énoncé par Colin Jones, c’est bien à travers l’étude du comportement des clients sur le marché352. Les certitudes des laïcs émergent des liens qu’ils tissent entre leurs propres observations, leurs sensations et les faisceaux d’expli349

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Il est vrai que du point de vue des pratiques de santé quotidiennes, des différences sont apparentes. Sur l’accès à la culture médicale populaire, voir Loux 1999. Voir à ce propos Rieder 2006a. Par exemple Jewson 1976a, p. 370. Jones 1987, pp. 57-58.

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cations possibles. Un environnement nouveau, un temps inattendu ou encore un éventail apparemment illimité d’événements inhabituels ou marquants, peuvent être invoqués pour justifier un changement d’état de santé. Les liens de causalité sont souvent triviaux. « La chaleur que j’ai éprouvée au retour » d’un déplacement à Neuchâtel, écrit par exemple Charles-Emmanuel de Charrière à sa femme, « ma donné un violent mal de tête »353. De telles appréciations renvoient peut-être à des sensations intérieures et certainement à des convictions basées sur la culture médicale décrite plus haut: tout échauffement peut entraîner une défaillance de l’équilibre corporel. Le cheminement menant à d’autres interprétations est plus obscur. Comment un mari parvient-il à la conclusion que la détérioration de la santé de sa femme serait due à la « grande agitation dans laquelle elle vit et les variations du tems »?354 Sur quelles bases Salomon Charrière de Sévery, le « cœur triste, le corps enrhumé », peut-il affirmer qu’il sent « que [s]a santé ira bien »?355 La logique inhérente à de telles affirmations s’éclaircit face au modèle du corps singulier fortement enraciné dans la culture médicale. Certains malades tirent de leur propre vécu des vérités générales. « Depuis plus de deux mois que je me baigne », écrit Belle de Zuylen à son frère, « mon pere n’a pas laissé passer une seule occasion de soutenir que cela etoit inutile et que la promenade faisoit le même effet sans que tout ce que moi et les autres avons pu dire et le bien etonnant que m’ont fait ces bains ait changé la moindre chose à son raisonnement ou plutot à son assertion qui ne semble presque pas positive tant elle est doucement et modestement exprimée mais auprès de laquelle la mule du pape n’a aucune fermeté »356. Belle est convaincue de détenir elle-même une vérité. Les expériences corporelles du père et de la fille s’avèrent incompatibles et donc leurs conclusions médicales aussi. Des certitudes sur le corps découlent empiriquement de l’interprétation de l’effet des remèdes. Certains s’en félicitent. D’autres se 353

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Charrière O. C., t. 2, p. 435, Charles-Emmanuel de Charrière à Isabelle de Charrière, le 21 août 1784. Sa femme rend elle-même le froid responsable de sa propre perte de santé. Charrière O. C., t. 2, pp. 244-245, Charles-Emmanuel et Isabelle de Charrière à Diederik Tuyll van Serooskerken, Paris, le 25 août 1771. Cité dans: ACV, P Charrière, Ci 1, Louis de Charrière, Notice biographique sur Salomon de Charrière, Seigneur de Sévery. Charrière O. C., t. 2, p. 128, Belle de Zuylen à Diederik Tuyll van Serooskerken, Zuylen, le 7 novembre 1768.

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trouvent rapidement en état de dépendance. « Pourriez [-vous] me procurer 20 bouteilles d’eau de Pyrmont357. Vous m’avez dit qu’on en trouvoit à Neufchatel. On n’en a point ici sans peine, et tout de suite car si je ne puis les avoir immédiatement je n’aurai plus le tems de les boire, si dis je, sans peine et tout de suite vous pouvez faire qu’on me les expédie, vous rendrez un grand service a ma frêle santé.»358 Chacun et chacune connaît les remèdes utiles à sa santé. La notion d’efficacité ne pose pas de problème épistémologique aux contemporains. Si le ou la malade observe l’effet escompté ou se porte simplement mieux, l’action du remède est jugée bénéfique. « La petite n’a pas été bien, le soir elle a été fort mal », écrit Catherine Charrière de Sévery à propos de sa fille alors âgée de quatre mois, « un vomitif la tiré d’affaire »359. Le constat, toujours aussi assuré, peut être négatif. Souffrant d’un testicule enflé, Jean François Nomar se voit prescrire une saignée par un chirurgien. « L’on me saigna pour m’apaisser la fievre et cella ne me fit rien.»360 Le praticien est contraint de s’appuyer sur les certitudes de ses patients pour orienter sa thérapie. Il dépend ainsi d’informations provenant d’un tiers pour évaluer les effets de différents remèdes sur le corps malade. « Une fois l’elixir de Garrhus361, une fois les eaux de Plombières, quelques fois la kina ont été utiles. Toujours les laits, les eaux minerales ou gazeux lui ont nui. Il a retiré quelque avantage de celles qui ne sont que subtiles et penétrantes »362. Les évaluations par les laïcs de l’effet des prescriptions médicales sur leur santé s’avèrent à l’occasion favorable au médecin. Tissot, « vous a-t-il dit combien nous lui avons d’obligation d’avoir fait saigner si à propos notre papa », s’interroge Louise de Corcelles, « il est bien, Dieu en soit loué; Marianne heureusement n’a pas su et ignorera toujours à quel point cette saignée était essentielle. Bon Dieu, à quoi tient la vie de ceux que nous chérissons ! C’est toujours, comme je vous dis, l’épée 357 358

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Lieu situé en Westphalie. Charrière O. C., t. 4, pp. 543-544, Benjamin Constant à Isabelle de Charrière, Lausanne, 20 « et quelque » août 1794. Jnl Sévery, le 25 mars 1771. FT, II/144.02.03.13, J[ean] François Nomar, Genève, le 8 octobre 1773. L’elixir de Garrus, soit de Joseph Garrus (?-1723), docteur de Montpellier, est censé fortifier le corps et rétablir la santé. La recette de ce remède populaire sera achetée à sa veuve en 1723. Brockliss et Jones 1997, p. 627. FT, II/144.03.04.30, Berguer, Morges, le 16 mars 1784.

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suspendue sur notre tête »363. La même s’excuse de n’avoir pas écrit en janvier à son amie, alors à Hanau, « depuis un mois j’ay toujours été assez malade, mauvais rhume, etc., le tout s’est terminé par un vésicatoire », rapporte-t-elle364. Comme toujours dans l’interprétation d’histoires, il y a de la place pour le doute, ou est-ce un effet rhétorique? Un symptôme chassé par le remède, peut donner lieu à la résurgence du mal sous une nouvelle forme. M. Du Pan relève les succès d’un praticien. « Je rapportai encore ici un reste de dévoyement qui me dura plusieurs mois. M. Butini le fit cesser par des stomachiques mais il me vint aussitôt des boutons aux lèvres.» Le mal n’a pas été vaincu, il s’est simplement déplacé365. La dynamique interne au corps est parfois présentée comme mineure, au profit d’autres variables médicales. M. Schilden a passé l’hiver à Francfort: « L’hiver fut tres doux et m’étoit aussi utile que si j’avois été a Aix ou Avignon comme je l’avois projeté.» Cela dit, il n’y est pas pour autant en bonne santé, un « manque de régime » lui aurait causée « une maladie dangereuse, la goute entra dans l’estomac, accompagné d’une fievre bilieuse »366. Le malade exprime sa conviction que son choix de passer l’hiver à Francfort n’avait pas porté préjudice à sa santé. Il espère peut-être voir le médecin cautionner cette interprétation. Au-delà des appréciations dérivées du ressentir, le malade possède une connaissance particulière du passé et de l’habitus de son corps, soit les causes du mal présent. Les parcours de laïcs suivis sur une période longue donnent quelques clés de lecture pour comprendre les raisonnements des uns et des autres sur leur santé. Dès ses premiers problèmes de vision, Bonnet ainsi que ses amis et ses correspondants les associent à l’abus du microscope. Les seules raisons invoquées pour cautionner cette interprétation sont puisées dans le passé du malade367. L’histoire du patient avant sa perte de santé s’avère ainsi centrale pour la compréhension de la maladie elle363

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Charrière de Sévery [1924], p. 148, Louise de Corcelles à Catherine Charrière de Sévery, Lausanne, Mardi. Charrière de Sévery [1924], p. 117, Louise de Corcelles à Catherine Charrière de Sévery, s.l., le 15 février 1775. FT, II/144 03.04.23, M. Du Pan, Genève, le 18 août 1784. FT, II/144.05.02.01, M. Schilden, Lausanne, le 5 mai 1790. BGE, Ms Bonnet 80, f. 154, Charles Bonnet au Dr Butini (copie mss), Genthod, le 22 janvier 1786.

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même; il faut en reconstituer la genèse. Les causes plausibles sont ainsi systématiquement recherchées. Les résultats sont parfois surprenants. « On croit se rappeller que peu avant l’époque de ce changement, il s’étoit endormi, la tête appuyée sur sa mauvaise oreille contre une fenêtre entr’ouverte », écrit M. Du Pan en dissertant sur les causes premières de la surdité d’un proche368. C’est un réflexe commun que de chercher des liens de causalité entre la santé présente et des actions (ou défauts d’actions) passées. Encore une fois, l’individu dont la santé est ébranlée est la principale source de certitudes. «Vous me demandéz si le manque de chauffepied que je voulois prendre a causé mon rhume: absolument pas », écrit Benjamin Constant à Isabelle de Charrière, « ce n’etoit qu’un rhume de cerveau et uniquement causé par l’impression de l’air après deux mois de retraite »369. Les médecins partagent cette capacité de jugement... du moins quand il s’agit de leur propre santé !370 L’enracinement de la maladie tend à en expliciter la nature et, avec le temps, les hypothèses énoncées par les patients se transforment en certitudes. Dans un système aussi souple, les certitudes sont rassurantes. Au moment de ressentir de nouvelles sensations, alors que son état de santé évolue, le laïc est parfois perplexe, incapable de discerner entre les effets du mal et ceux du remède. « Nous ne savons pas si c’est encore le germe du mal ou le remede qui travaille », écrit M. de Verrey à Tissot à propos de la santé de sa femme371. L’inquiétude naît avant tout d’un écart par rapport aux sensations habituelles. « J’avois été si « low spirited » tout hier que je comptois selon l’ordre physique de ma triste et pitoyable machine sur de plus « high spirits » aujourdhui. Ma regle ma manqué »372. L’absence de cause claire suscite l’étonnement et parfois le désespoir. « J’ai cet été la jambe gauche continuellement un peu enflée par le bas avec une sensation desagreable. Je ne sais d’ou cela vient », se plaint Charles-

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FT, II/144 03.04.25, Du Pan, Genève, le 1er octobre 1784. Charrière O. C., t. 3, p. 66, Benjamin Constant à Isabelle de Charrière, [Brunswick], les 9-14 mars 1788. Corr. Haller, p. 330, Albrecht de Haller à Charles Bonnet, Roche, le 22 avril 1763. FT, II/144.05.07.39, M. De Verrey, Fribourg en Suisse, le 4 août 1793. Charrière O. C., t. 3, p. 84, Benjamin Constant à Isabelle de Charrière, s.l., les 1314 avril 1788.

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Emmanuel de Charrière373. Les détériorations graves et incompréhensibles suscitent un désarroi plus grand encore. Le frère poitrinaire de Belle de Zuylen séjourne à Lausanne au début de l’automne 1770. Sa santé serait meilleure depuis qu’il obéit aux injonctions de Tissot. « Cependant mon grand regret, aujourdhuy et depuis hier au soir je suis moins bien je ne sais pourquoi, si c’est l’effet d’un vent assés froid que nous avons eu deux jours mais il est sur que j’ai toussé et craché.»374 Ces symptômes sont inattendus et malvenus. L’année suivante, il en tire une nouvelle conviction. L’air hivernal de Lausanne lui serait contraire. Il se résout à quitter la ville plus tôt dans la saison cette année-là375. Les explications ne sont pas toujours aussi simples. La description que fait Belle de Zuylen du corps émacié de son amie la marquise du Chateler en est une illustration: On a cru que le chagrin avoit part a ce prodigieux deperissement, mais je suis persuadée du contraire, elle n’est pas susceptible d’un grand chagrin […]. L’air de Bruxelles qui lui est evidemment contraire, une fausse couche, une coqueluche, la petite verole, les veilles, un excellent cuisinier, un boureau de medecin, des accidens terribles depuis sa grossesse voila ce qui l’a mise dans cet etat376.

De la peau à l’os : les causes Déterminer les causes d’un dérèglement de santé est un des éléments clés pour guider l’observateur ou le malade lui-même dans le choix du traitement adéquat. C’est dans la suite de cette logique qu’il faut situer les ouvertures pratiquées à titre privé sur des cadavres377. Elles pouvaient être sollicitées par les familles elles-mêmes378. Le 373

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Charrière O. C., t. 2, p. 435, Charles-Emmanuel de Charrière à Isabelle de Charrière, le 21 août 1784. Charrière O. C., t. 2, p. 217, Diederik Tuyll van Serooskerken à Belle de Zuylen, Lausanne, le 3 octobre 1770. Charrière O. C., t. 2, p. 246, Diederik Tuyll van Serooskerken à Isabelle de Charrière, Lausanne, les 1-8 septembre 1771. Un mois plus tard la marquise accouche et la mère et l’enfant se portent bien. Charrière O. C., t. 2, pp. 195 & 198, Belle de Zuylen à Constant d’Hermenches, Utrecht et Zuylen, le 5 juin et le 9 juillet 1770. L’intérêt pour l’anatomie est alors important. Voir ici même p. 138 et Jones 1987, p. 71. Pour le cas de Jean Antoine Lullin, voir p. 252 (n. 186).

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contenu du rapport d’autopsie donne quelques indications sur l’intentionnalité heuristique qui la guide. Après avoir constaté le « vice considerable des poumons » du défunt Jean Antoine Lullin, le chirurgien Jaques Coudougnan (1686-1766) s’étonne que le sujet ait vécu si longtemps. Il trouve une explication possible dans la vigueur du défunt « qui pouvoit expectorer avec assés de facilité les matières qui par leur sejour auroient produit une suffocation ». Et poursuit, «[c]’est ce qui faisoit encore que les crachats quoyque purulents n’avoient pas une odeur fetide ». Il conclut finalement que « le sang du malade qui étoit exempt de vice héréditaire, n’étoit pas susceptible d’une si grande altération »379. L’absence d’odeur des crachats, comme précédemment l’absence d’âcreté des mêmes crachats, était une des sources d’espoir de la famille. L’affirmation quant à la nature héréditaire du mal répond aux inquiétudes des proches face au devenir du frère du défunt, malade lui aussi; l’ouverture véhicule ici l’espoir que la maladie du puîné n’aurait pas la même conclusion fatale380. L’autopsie du corps d’Ami Odier âgé de six ans est une opération douloureuse pour son père, mais une investigation porteuse de consolation: en découvrant des tubercules dans ses poumons, Odier conclut que son fils serait devenu phtisique381. Ces deux exemples révèlent la portée possible d’investigations anatomiques au sein de la culture médicale laïque. La volonté de comprendre la ou les causes du décès est un besoin ressenti par de nombreuses familles aux XVIIe et XVIIIe siècles382. 379

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BGE, Ms Lullin 2/165bis, 09/11/1745, Certificat de M. Coudougnan du 9 novembre 1745 sur l’ouverture du corps du pauvre Lullin.. La peur d’être confronté à une maladie héréditaire est la principale raison invoquée pour les postmortems privées en Italie à la Renaissance. Un parent demande l’autopsie d’un de ses fils pour pouvoir préserver la santé de ses autres enfants. Park 1994, p. 9. Dix ans plus tard, c’est sans aucune consolation qu’il rapporte l’ouverture du cadavre d’un second fils décédé. BGE, Ms fr 4158, Louis Odier à Daniel De la Roche, Genève, le 14 mars 1789; Ms fr 4159, Louis Odier à Daniel De la Roche, Genève, le 30 janvier 1799. Parmi d’autres exemples on peut citer l’autopsie du fils de John Evelyn et de celui de John Pennant au XVIIe siècle. Les cas cités par Katherine Park révèlent que des pratiques similaires étaient attestées en Italie à la Renaissance. Selon Guenter Risse, certaines familles de patients décédés au Royal Infirmary d’Edimbourg dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle réclamait l’ouverture du corps. Voir respectivement McCray Beier 1987, p. 152; Huttman 1983, p. 44; Park 1994, p. 9; Risse 1986, pp. 262-266.

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Figure 7: « Certificat de M. Coudougnan du 9 novembre 1745 sur l’ouverture du corps du pauvre Lullin ». BGE, Ms Lullin 2/165bis.

La nature de la curiosité varie en fonction des personnalités. Charles Bonnet commente froidement plusieurs ouvertures; son appréciation des résultats de celle de sa belle-mère illustre la rigueur de son esprit, mais également la finalité de ses observations. Son attention porte sur les causes du décès et le sens à lui donner. Elle est morte d’une hydropisie du péricarde, qu’on n’avoit pu soupçonner, parce que le pouls avoit été toujours ou presque toujours parfaitement égal, et ce fait nous paroitra digne d’une grande attention. L’ouverture du corps a prouvé que nos mede-

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cins s’étoient trompés dans les différentes conjectures qu’ils avoient formées sur le siège de la maladie. Tous les viscères, et tout le système vasculeux étoient dans le meilleur état; mais la vésicule du fiel* renfermoit dix huit pierres ou concretions bilieuses. Cette digne femme avoit éprouvé pendant une longue suite d’années des aflictions de bien des genres et la plûpart très cuisantes, qu’elle avoit soutenues en véritable héroine chretienne, et qui n’avoient sans doute pas peu contribué à abreger des jours si précieux à sa famille, aux indigences et à la société383.

L’autopsie permet ainsi de confirmer ou d’infirmer les interprétations médicales. L’indignation est grande lorsqu’une incohérence est décelée. Le duc de Guines se plaint amèrement de l’inadéquation entre le traitement donné par Tissot à sa femme et les résultats de l’autopsie de son corps384. Plus souvent, les ouvertures privées ont la finalité de rassurer les vivants sur la pertinence des thérapies tentées et sont réalisées avec le concours d’un chirurgien385. Louis Odier mentionne un cas emblématique de cette préoccupation. Les médecins et les chirurgiens consultés à propos d’une jeune malade n’arrivaient pas à se mettre d’accord sur le traitement à lui donner. Certains préconisaient une ponction, d’autres y étaient opposés. La malade meurt avant qu’ils aient pu se décider, mais l’ouverture convainc tous les praticiens concernés que l’opération aurait été inutile: «Vous sentez […] que nous [fumes] tous bien contens de pouvoir calmer les regrets des parens en leur racontant ce qui s’est passé.»386 Prises ensemble, les autopsies laïques trahissent un désir, peutêtre croissant, de comprendre les mécanismes intérieurs du corps et certainement de répondre à « la » question. Comment ça marche? Le pasteur Frêne, par exemple, est un observateur curieux et s’il ne participe pas aux autopsies lui-même, il évoque leurs résultats avec des praticiens. Ses appréciations comme celles d’autres incitent à ne pas considérer ces ouvertures comme entrant dans une culture du luxe et de la mise en avant d’une famille particulière comme le suggère Maria Ruisinger, mais à la fois comme un moment privilégié d’inves383

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Corr. Haller, p. 313, Charles Bonnet à Albrecht de Haller, A Genève, 19 janvier 1763. Charrière de Sévery 1978, pp. 175-177. Tissot aurait pratiqué des autopsies. Emch-Deriaz 1992b, pp. 144-145. BGE, Ms fr 4158, Louis Odier à Daniel De la Roche, Genève, le 14 mars 1789.

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tigation du corps pour des lettrés curieux et une source de réconfort pour des familles endeuillées387. Frêne commente avec son ami le Dr Watt l’autopsie d’une « veuve d’environ 50 ans, morte à la suite de plusieurs années de chagrin ». Le médecin en trouve des traces dans le cadavre, le chagrin « lui avoit tellement gaté la bile que cette liqueur s’étoit pétrifiée et que M. Watt ne trouva plus dans la vésicule du fiel* que 13 pierres brunes, savonneuses et cubiques, de la grandeur de dez mediocres »388. Ailleurs la curiosité est moins ciblée. A l’occasion de l’ouverture du corps du pasteur Gibollet, Frêne rapporte que « l’on avoit trouvé l’intérieur de son corps et les principaux visceres plein de squirres, et beaucoup d’eau dans la cavité du ventre, l’epiploon à peu près consummé, etc., etc.»389 S’il est possible de réunir un certain nombre de commentaires sur ces cas d’ouvertures privées, c’est peut-être aussi que la pratique demeure encore relativement peu commune. Pour se faire une idée de leur fréquence, il faut recourir à d’autres approches. Margaret Cox, par exemple, ne compte que sept squelettes présentant des traces d’investigations post mortem sur les 987 restes humains ensevelis au XVIIIe siècle sous Christ Church à Londres390. Faire ouvrir le corps d’un proche décédé demeure un geste plutôt rare, mais un geste compréhensible en vue de la soif dans le public pour les récits de cas individuels et de conclusions claires. L’accumulation de savoirs sur son propre cas et sur les cas d’autres constitue la base des savoirs laïcs et des savoirs professionnels. La distinction est moins dans la nature du récit des cas, que dans leur nombre. C’est bien l’expérience empirique et presque systématique qui confère une aura au praticien. Des difficultés épistémologiques subsistent. Les praticiens se disputent encore le sens à donner aux symptômes. Louis Odier fait part à un collègue de plusieurs cas où des malades auraient connu des « maladies » semblables, à un intervalle plus ou moins éloigné avant leur décès, et auxquelles il aimerait associer les aberrations organiques constatées

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Ruisinger constate également une demande laïque et suggère un intérêt religieux pour la mise à nu d’une partie cachée de la création. Voir Ruisinger 2008, pp. 208-210. Jnl Frêne, p. 1345, fin novembre 1779. Jnl Frêne, pp. 814 & 870-871. Cox 1996, p. 97.

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à l’ouverture391. Son collègue, Pierre Butini (1759-1838), prétendait que de telles anomalies pouvaient être imputées aux seuls derniers symptômes éprouvés par le mourant392… Même lorsque les différends sont moins extrêmes, le sens à donner à l’ouverture peut être sujet à débat. En 1786, Dunant, docteur en médecine, reproche au chirurgien Jurine de ne pas avoir fait tirer le lait d’une accouchée malade, faute de quoi le lait se serait épanché sur la rate et dans la tête et aurait provoqué la mort. « Le fait est », écrit Louis Odier à un correspondant, « qu’à l’ouverture, on a en effet trouvé une croute purulente sur un des lobs du cerveau, et un ulcere à la ratte qui avoit rongé le diaphragme – mais sont-ce là des dépots laiteux, produits par la matière même du lait déviée et dégénérée. C’est ce dont vous douterez peut être, ainsi que moi »393.

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En 1788, la Société de médecine dont Odier fait partie décide d’enregistrer toutes les ouvertures. BGE, Ms fr 4158, Louis Odier à Daniel De la Roche, Genève, le 29 juillet 1786. BGE, Ms fr 4158, Louis Odier à Daniel De la Roche, s.d., [Genève]. BGE, Ms fr 4158, Louis Odier à Daniel De la Roche, Genève, le 10 juin 1786.

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ÉPILOGUE Le chemin parcouru dans les quatre articulations de cet ouvrage incite à considérer le patient comme un acteur à part entière du marché thérapeutique, du moins pour la période qui précède les transformations induites par l’école anatomo-clinique du XIXe siècle. C’est là la conclusion sociale de cette étude. La capacité d’analyse médicale, les ressources thérapeutiques et le bon sens du patient font partie de la vie quotidienne et ne sont pas incompatibles avec la médecine savante1. La multiplication des points de vue et des interprétations particulières frustre la tendance naturelle de l’historien qui l’incite à privilégier les théories médicales dominantes. N’est-il pas vrai que « les théories médicales étaient toujours destinées à être utilisées et devaient être plausibles aux yeux des patients »?2 La richesse de la culture médicale laïque tend à nuancer l’importance de la culture médicale dominante et du processus de diffusion des savoirs des milieux savants vers le grand public. Le patient, ou pour être plus exact, la culture médicale laïque doit également être envisagée comme jouant un rôle dans les transformations du savoir médical. L’attention, par exemple, avec laquelle les laïcs se renseignent sur d’autres histoires de santé les amène à collecter, tout comme les médecins d’alors, les histoires de cas. L’insistance avec laquelle les familles cherchent à comprendre ce dont souffraient « vraiment » leurs proches malades, ce jusqu’à faire pratiquer des autopsies, est emblématique de cette volonté de savoir. La cohérence du patient en tant qu’objet historique se construit ici à partir de celle de l’individu et de son parcours, en tant que membre d’un groupe ou en tant que spécialiste de soi et de sa santé. Les stratégies et les décisions prises par chacun au quotidien sont décidées en fonction de notions propres à cette culture médicale. Cela dit, il serait erroné de laisser entendre qu’il n’y avait qu’une seule culture médicale avant la

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Voir Rosenberg 1979. Harley 1999, pp. 407-408.

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médecine scientifique; les preuves documentaires attestent bien au contraire qu’elle était multiple. Les cultures médicales locales, par exemple, intègrent des précautions sanitaires et des comportements adaptés à la nocivité particulière du lieu, du climat ou de toute autre configuration socio-géographique conçue comme susceptible d’exercer une influence sur la santé3. S’il y a bien une culture médicale laïque, elle est le plus petit commun dénominateur de toutes ces cultures; c’est une grammaire commune qui permet l’énonciation et la compréhension de troubles de santé. L’étude de cette culture médicale de base permet d’élucider le sens des pratiques de santé. Le cadre étant étonnamment souple, chacun envisage avec une certaine autonomie l’interprétation et la gestion de sa propre santé. L’expérience corporelle traduite en récits par les malades ou leurs proches alimente la culture médicale et conditionne les stratégies médicales des laïcs. L’importance de l’interprétation laïque est dès lors essentielle aussi bien dans la gestion de la santé que dans la conceptualisation de soi et, si tout le monde ne parvient pas à la même interprétation d’un cas donné, chacun possède un bagage suffisant pour raconter et interpréter son cas, voire celui d’un tiers4. Le laïc, le malade, l’usager de services médicaux, le patient du médecin même, s’avèrent être, au terme de cette enquête, des acteurs dynamiques dans le monde de la santé. Ces termes renvoient, et la multiplication de substantifs le signale déjà, à tout un chacun plutôt qu’à une figure clairement délimitée. Chaque individu historique envisagé s’avère être responsable de sa santé et de fait, un sujet possible pour cette étude. Aujourd’hui, ces figures peuvent être réunies sous la bannière « patient » dans le sens contemporain le plus large, c’est-à-dire celui de non-médecin. Cette idée habite l’historiographie des dernières décennies, mais les tentatives faites pour ériger cet acteur en figure active du marché médical échouent systématiquement. Il est possible d’énoncer différentes raisons pour expliquer cet échec. Une première raison tient à l’assise du patient: son engagement n’est ni fixe ni professionnel comme c’est le cas pour les autres acteurs du marché thérapeutique. Le patient est une facette de l’individu. Il doit ainsi être pensé comme le consommateur, le fidèle, 3 4

Pour des exemples, voir Smollet 1979, p. 33 et Forster 1986, p. 309. On peut aller au-delà des assertions de Lisa Wynne Smith qui limite sa démonstration à saisir l’importance pour le patient de donner sens à la douleur Smith 2008.

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l’employé et l’enfant et non pas comme une figure professionnelle telle que le chirurgien, l’apothicaire et le médecin. D’une manière générale, pour employer le terme patient afin de désigner des réalités d’Ancien Régime, il faut lui adjoindre une acception active qui doit être cohérente avec la place et l’importance de son rôle historique. Le patient doit ainsi être associé à une composante historique et identitaire du laïc qui exprime sa capacité à donner sens à l’évolution de sa santé et à prendre des décisions thérapeutiques. Cet usage particulier du terme est nécessaire pour rendre compte d’une réalité qui paraît autrement diffuse. Il est d’autant plus utile qu’il répond à l’évolution de la figure du patient d’aujourd’hui, actif dans les débats médicaux, sinon membre d’un groupe de pression. Force est de constater qu’ici aussi le terme patient ne désigne pas irrémédiablement la passivité non plus... En suivant la suggestion faite récemment par Flurin Condrau, il est possible d’affiner l’usage du terme en fonction de la nature de l’étude entreprise, mais aussi, de la période envisagée5. Le règne du patient actif des Lumières dont il a été question dans cet ouvrage s’estompe au siècle suivant. Il lui succède une nouvelle figure du patient, plus proche du sens étymologique du terme, et dont l’ascension accompagne l’introduction en français du terme patient, non plus pour désigner l’individu soumis à une souffrance extrême, mais comme usager de services médicaux. Dès lors, le terme patient désigne le laïc qui entre dans une relation asymétrique avec un membre du corps médical. Cette évolution ne peut être comprise en dehors du contexte du développement des cliniques hospitalières et de ce qui a été désigné comme l’école anatomo-clinique en médecine. Le patient est ici un cas et non plus une figure active. La transformation est progressive, toujours partielle, et s’il est seyant, à la suite d’Erwin Ackerknecht et de Nicholas Jewson, de considérer que le patient objet de la médecine ou cas aurait été inventé à la fin du XVIIIe siècle6, l’historiographie plus récente tend à nuancer cette assertion. D’une part la clinique ne s’est imposée que progressivement et le récit du patient est resté une donnée importante pour le médecin et, d’autre part, la posture du patient passif se dessinait déjà avant cette date dans des contextes caritatifs et

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Voir l’analyse dans Condrau 2007, pp. 527-529. Ackerknecht 1982; Jewson 1976b.

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militaires7. Le modèle évolutif qui se dessine alors demande encore à être nuancé, mais peut être schématisé par un développement en trois moments. Le premier serait le temps du patient d’Ancien Régime, un laïc actif sur le marché médical qui assume ses propres décisions thérapeutiques, voire celles concernant ses proches. Il participe à l’élaboration du sens qui doit être donné à l’évolution de sa santé et à celle de ses connaissances. L’histoire de l’évolution de son rôle, de ses pratiques et des variables qu’il mobilise n’est encore que peu connue. L’interprétation de la santé a de fortes racines dans l’histoire de l’individu et véhicule des composantes identitaires. Le second temps est celui du patient qui émerge aux XIXe et XXe siècles. Inventé dans un contexte hospitalier, le patient s’étend bientôt dans tout l’espace social. Soumis, il est un cas utile pour le médecin; il accepte l’interprétation scientifique qui lui est donnée de son état de santé et confie l’essentiel des décisions thérapeutiques au corps médical. Le troisième patient hérite des deux premières figures. Apparu dans les dernières décennies du XXe siècle, nourri par les critiques adressées au monde médical et par l’impuissance de la médecine face à la pandémie du sida, il est le plus souvent inscrit dans une relation thérapeutique, mais tient à jouer un rôle important dans la prise de décisions médicales et à faire valoir ses intérêts. Le schéma est grossier et correspond davantage au modèle dominant à chaque période qu’à la réalité des vécus individuels. L’influence de chaque modèle pèse pourtant sur les pratiques et sur le rôle que joue chacun dans la mise en scène de la rencontre thérapeutique. Un obstacle important à l’affinage de ce modèle est méthodologique. Les egodocuments qui pourraient servir à prolonger cette histoire en amont sont peu nombreux et, surtout, élaborés à partir d’autres modèles littéraires. De même, dans une logique sociale, les recherches centrées sur des archives privées tendent à privilégier le point de vue des individus issus de classes aisées et lettrées, ce qui a 7

Colin Jones décrit la pluralité des acteurs médicalisant l’hôpital au cours de l’Ancien Régime, soit surtout des ordres infirmiers et des soignants subalternes comme des chirurgiens. Il fait état d’un processus peu systématique et clairement non linéaire par lequel des groupes sont successivement inclus ou exclus de l’hôpital entre le XVIe et la fin du XIXe siècle, suggérant au passage le patient comme étant d’abord issu des rangs des soldats, ensuite de pauvres mâles et finalement du groupe des femmes. Jones 1996b. Sur l’importance du récit du malade, voir Digby 1997, pp. 298-299 et sur le développement de la clinique au XVIIIe siècle, voir Keel 2001.

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incité certains historiens à considérer qu’il s’agit là d’une histoire des classes moyennes8. Les documents considérés dans cette étude concernent, il est vrai, dans leur grande masse, des figures issues de ces mêmes classes sociales. Cela dit, la voix de couches plus modestes transpire d’autres séries documentaires. L’ensemble évoque un paradigme médical essentiellement similaire quel que soit le statut social de l’individu considéré. Il est vrai que des distinctions sont alors opérées entre les santés des personnes aisées et des travailleurs, voire entre différents groupes de travailleurs, mais la même logique gouverne ces distinctions: le discours médical insiste sur les effets du mode de vie sur l’état de santé9. Les corps de riches et de pauvres pouvaient être différents, étant confrontés à des variables sanitaires distinctes, mais la lecture de l’évolution de la santé de tous obéissait à une même logique. La figure historique du patient a une incidence qui va au-delà du constat de sa propre cohérence. Les histoires individuelles offrent une perspective originale sur le monde médical d’Ancien Régime. Ceci est vrai pour le XVIIIe siècle, mais aussi pour les deux siècles précédents, une période pour laquelle quelques travaux tendent à confirmer à la fois l’autonomie du patient et l’importance du paradigme humoral pour les uns et les autres10. Le corollaire de ce constat est la question de savoir pourquoi de nombreux laïcs couchaient par écrit leurs préoccupations de santé à l’époque des Lumières? Faut-il y lire, comme le propose Wayne Wild, l’expression d’une sensibilité nouvelle articulée autour de la grammaire des nerfs? Ou faut-il suivre Michael Stolberg pour y chercher l’apparition d’un habitus bourgeois du corps? Le sens à donner aux transformations observées dans les discours laïcs doit être évalué avec prudence. Les données sont discursives, s’inscrivent dans des genres reconnus et obéissent à la mode. L’usage de la terminologie nerveuse, par exemple, ne trahit pas forcément une révolution dans la conception du corps: les mêmes maux pouvant être exprimés dans une variété de registres sémantiques distincts. L’adoption rapide du vocabulaire nerveux semble trahir une sensibilité particulière, une sensation de sa propre fragilité et la quête d’une médecine à même de répondre à cette

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Loetz 1993, p. 30. Voir aussi Ernst 1999, p. 102. Voir notamment Pomata 1998; Rankin 2008.

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perception. D’autres constats suscitent des hypothèses nouvelles. En premier lieu, la concentration sur les parcours individuels, présentés sous la forme de biographies médicales dans la première section de ce travail, confère une certaine profondeur à des stratégies laïques. Le récit de sa santé, qu’il émane d’une lettre à un proche, d’un appel au secours adressé à un praticien ou de la reconstitution d’un récit à partir de différents documents (journal, autobiographie ou lettre), constitue une trace du contrôle par soi sur sa santé, mais aussi un chapitre de l’histoire de l’écriture de soi. Il est tentant d’y lire une nouvelle expression de soi, un signe d’une introspection accrue, et de placer l’épisode dans le récit de l’émergence progressive de la notion de l’individu. C’est un récit connu, tracé en premier lieu par l’historien Jacob Burckardt et repris depuis à de nombreuses occasions, associé à différentes dynamiques socioculturelles, notamment la transmission de pratiques de soi par la hiérarchie ou encore, la dynamique protestante11. Le schéma ne fonctionne pourtant pas ici. L’individualisme médical si présent au XVIIIe siècle, régresse par la suite: l’autonomie en matière de santé est mise à mal par la médecine clinique du XIXe siècle et davantage encore par la médecine scientifique du XXe siècle. Par ailleurs, le modèle imaginé par Burckardt se trouve ébranlé par des auteurs qui insistent soit sur les traces d’individualisme au Moyen Age12, soit sur l’inefficacité de l’explication religieuse13, soit encore sur le danger de surinterpréter les changements des formes d’expression14. Face à ce récit discrédité, les données rassemblées ici incitent à réaffirmer la complexité de la place de l’expression de soi dans l’histoire15. Les transformations médicales des XIXe et XXe siècles ont redéfini la santé en fonction de critères non plus individuels, mais collectifs et objectifs: la maladie se définit en fonction de lésions physiques relevées post mortem, voire encore, d’entités microscopiques isolées et analysées à l’extérieur du corps 11

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L’Italie de la Renaissance serait le catalyseur du mouvement. Becker 1972; Le Breton 1985. D’autres isolent l’effet de la Réformation comme étant une variable importante Weber 1967. Pour une reprise critique de cette histoire, voir Porter 1997a, pp. 1-7. Macfarlane 1985. Sawday 1997, pp. 30-31. Burke 1997. La multiplication des usages du concept d’individualisme en réduit l’efficacité. Porter 1997a, pp. 8-13; Lukes 1971.

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humain. Dans ce sens, Erwin Ackerknecht et Nicholas Jewson ont raison de présenter l’individu comme perdant le contrôle de son corps au cours de l’époque contemporaine – bien que l’expropriation soit progressive et, au vu des évolutions contemporaines, provisoire16. La définition déjà mentionnée de Karl Figlio est plus utile pour appréhender le monde d’avant cette transformation. Il s’agit d’une époque où le corps vivant pouvait être considéré comme une « extension inséparable de soi » et « portant sur un volume corporel unique et inviolable »17. C’est à l’aide d’une telle définition de soi que le corps perméable d’Ancien Régime devient intelligible, et le soi mis en évidence dans les biographies esquissées plus haut peut être saisi non pas comme une étape vers l’ultime soi, celui d’aujourd’hui, mais comme un soi que nous avons perdu. Le choix de traquer les traces de la culture médicale laïque et les pratiques médicales dans des sources improbables en apparence, soit des archives privées, le Consistoire et les registres de la Compagnie des Pasteurs, s’avère précieux pour sortir de la perspective réduite de la « relation thérapeutique », laquelle est le plus souvent grevée de valeurs d’aujourd’hui18. L’éclatement consécutif des sources a entraîné un autre choix méthodologique peu explicité jusqu’ici, celui de centrer l’attention sur un nombre d’acteurs restreint. C’est ici que l’enquête se distingue en premier lieu de celle menée par Dorothy et Roy Porter sur la gestion de la santé en Grande-Bretagne ou encore des études centrées sur le corps malade de Michael Stolberg19. Le résultat s’avère payant du point de vue de la sûreté de l’interprétation. Horace-Bénédict de Saussure, par exemple, traité isolément, demeure une énigme et le propriétaire d’un corps ambigu. Considéré, au contraire, dans son contexte social, son comportement et ses stratégies thérapeutiques s’organisent autour d’une pathologie familiale particulière. L’analyse des récits individuels s’enrichit ainsi lorsqu’elle intègre la culture familiale et

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Ackerknecht 1986; Jewson 1976b. Figlio 1977, pp. 273 & 285. Ces deux axes possibles sont revendiqués dans un contexte prospectif pour l’histoire sociale de la médecine. Jordanova 1995, p. 362; Wolff 1998, p. 208. Ces auteurs proposent un regard horizontal en prenant sur un même pied l’ensemble des discours relatifs à la santé rencontrés, et ce sur une période de 200 ans. Porter et Porter 1988; Stolberg 2003. Voir aussi Rieder 2003.

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d’autres éléments disparates. Le chantier implique ainsi l’accumulation de traces et de récits. L’ensemble est ballotté par la succession des modes médicales et des registres sémantiques qui les accompagnent. Si certains auteurs tendent à y voir une suite de cultures médicales laïques, la réalité qui se dégage incite à présenter un tableau plus nuancé de l’évolution du monde médical. Une évolution dont la clé n’est pas une série de paradigmes théoriques qui se succèdent dans le temps, mais une culture médicale qui peut être conceptualisée comme une multitude de vernis superposés : les nouvelles couches écornant les vernis plus anciens sur lequel elles prennent pourtant lourdement appui. Roy Porter projetait l’écriture d’une histoire du patient à même de nourrir des chantiers de l’histoire sociale de la médecine et de contribuer à l’exploration du marché thérapeutique20. La seconde section du travail tend à montrer le potentiel, mais aussi les limites de cette idée. En adoptant la perspective du patient, la fragilité et la souplesse du rôle de chacun s’impose comme une constante. La réalité est banale. Le soignant est également un acteur social. Louis Odier, par exemple, figure dans le cadre de ce travail d’abord en tant que diariste adolescent, ensuite en tant qu’étudiant et finalement en tant que médecin. Fallait-il dès lors l’écarter de l’enquête? Le malaise n’a duré qu’un temps. Face à l’interpénétration des mondes de soignants et de soignés et la délimitation imprécise des statuts des uns et des autres, la réponse s’est imposée d’elle-même. Odier est bien docteur en médecine, mais il est aussi, selon ses propres affirmations, un homme au corps efféminé et sujet à des vapeurs. Il se trouve aussi être le père d’une fille souffrant d’une malformation et d’un petit garçon qui meurt en dépit des soins qu’il lui prodigue. L’intégration sociale et non professionnelle des praticiens sédentaires est une réalité caractéristique du marché thérapeutique de l’Ancien Régime; le médecin est une connaissance, un voisin ou même un ami de ses malades. L’utilisation faite par les usagers des services médicaux confirme à la fois la tolérance des soignants vis-à-vis d’autres et le recours circonspect des malades. Même le très docte Théodore Tronchin ne peut résister au désir et à la persuasion d’un opérateur autodidacte qui cherche à rétablir la santé de sa fille ! Les bons citoyens comme Bonnet et d’autres recourent aussi bien aux docteurs

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Porter 1985a, p. 185.

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et aux chirurgiens agrégés qu’à des itinérants aux statuts peu précis. Les laïcs, les proches et les voisins, se révèlent être des acteurs importants du monde des soins. On le supposait depuis longtemps, mais à travers le prisme du patient, les contours de leurs activités se précisent. Le fort enracinement social du malade et de sa santé révèle l’importance du consensus qui se forme face à un problème de santé donné et permet d’aborder la question des effets sociaux de la maladie. Ce consensus, le bon sens médical, confère des indications sur comment était envisagée la gestion collective des maux et des connaissances médicales au sein d’un groupe social donné21. En dépit de la souplesse du système interprétatif et de la diversité des savoirs médicaux, plusieurs malades se trouvent confrontés à des avis convergents quant à la solution thérapeutique à adopter: c’est le cas de Bellamy qui voit, par exemple, ses « sueurs » étiquetées comme des choses bonnes; c’est aussi le cas de Saussure dont les malaises sont associés à un excès d’exercice, ou encore des Lullin qui font face à plusieurs avis les incitant à envoyer leur fils en voyage de santé. La gestion de ces pressions par les acteurs eux-mêmes signale leur plus ou moins grande autonomie décisionnelle. Le modèle proposé pour rendre compte de la cohérence de la culture médicale laïque, dans le troisième volet du travail, rappelle les recherches bien connues sur l’évolution des comportements sociaux, le contrôle progressif des émotions et manifestations corporelles depuis le Moyen Age: modération, contrôle de soi et de ses émotions sont des messages clairs adressés à chacun en matière de santé. Audelà de la cohérence, c’est la rhétorique de l’autocontrôle qui est frappante. Est-ce une articulation dans l’histoire des phénomènes d’acculturation du corps, du contrôle croissant des « manifestations émotives », décrits par Robert Muchembled et Norbert Elias?22 Comment interpréter cette rhétorique disciplinaire? La question suggère l’importance des cultures laïques dans l’évolution globale des rapports avec la santé. Dans un même temps, l’attention prêtée aux cas de malades dans les échanges médicaux, aussi bien par des laïcs que par des soignants, est intrigante et atteste de l’importance

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C’est par ce biais, me semble t-il, que cette histoire évite le risque du « positivisme » individuel mis en avant par Weindling 1987, p. 194. Kern Paster 1993, p. 16. Voir Elias 1973; Muchembled 1988.

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des transferts entre différents pans de la culture médicale23. Ici, l’analyse incite à penser la question de la perception et de la gestion de la santé en des termes nuancés. Suffit-il de déduire, comme le fait, par exemple, Michael Stolberg, que les « innovations telles que l’importance accordée à partir du XVIIe siècle aux nerfs et aux fibres, à la tension, à la sensibilité, à l’irritabilité, étaient relativement faciles à intégrer dans des conceptions profanes du corps et de la maladie »?24 La certitude acquise à travers la lecture de ces monceaux d’écrits laïcs renvoie à une réalité plus complexe. Le vocabulaire des nerfs n’est pas seulement une nouvelle interprétation des maux dont souffrent les malades, il incarne une nouvelle sensibilité25. Dès lors, le succès médical de ces conceptions n’est-il pas, justement, tributaire de déplacements de sensibilités exprimés dans un contexte social large? Avant de clore définitivement cette exploration de la figure du patient, un dernier point mérite d’être soulevé. C’est la pertinence de figure pour l’historiographie du champ de l’histoire de la médecine. L’histoire faite depuis le « point de vue du patient », pour reprendre la formule de Porter, a revêtu, dès sa conception, des attentes importantes mais vagues. Il s’agit dans un premier temps de décrire, explique Porter, de constituer un « atlas »26. Ce vaste projet n’a pas été réalisé en tant que tel. La portée des apports de l’historiographie sur le patient dans l’histoire a, par contre, modifié durablement l’appréhension de certains problèmes. Ainsi, la perspective du patient dans l’historiographie anglo-saxonne permet de remettre en question des préconceptions usuelles, notamment sur la prépondérance du praticien dans le cadre des soins et sur l’importance de la négociation entre les parties concernées27. C’est effectivement un des acquis des travaux publiés dans les années 198028. Est-ce, suivant le 23

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L’argumentation médicale se retrouve dans le discours laïc. Le phénomène va à l’encontre de la logique même du corps singulier pourtant solidement enraciné. Voir Wear 1989, pp. 305-307. Stolberg 1999a, p. 360. De nombreux auteurs ont relevé la sensibilité particulière, une tolérance moindre à la douleur, des hommes et des femmes de la deuxième moitié du XVIIIe siècle. Voir par exemple Stolberg 2003, p. 48. Porter 1985a. Leavitt Walzer 1990, p. 1478; Brandt 1991, pp. 208-209. Porter et Porter 1988; Porter et Porter 1989; McCray Beier 1987; Duden 1991.

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projet initial de Porter, le fondement d’une histoire alternative de la médecine?29 Un apport reconnu et régulièrement réitéré de cette approche est de renverser la vision du développement de la science médicale, perçue comme véhiculée par les découvertes efficaces des soignants, pour permettre d’envisager, au contraire, la pression des malades comme étant un des moteurs suscitant de nouvelles efficacités30. Les résultats de cette étude étayent cette hypothèse. D’une manière générale, l’importance du contrôle du laïc dans la gestion de la santé incite à soutenir la réalité de cette influence; l’évolution des sensibilités face aux remèdes et la quête constante de certitudes ont certainement également joué un rôle important en stimulant le monde médical. L’analyse permet d’aller au-delà des postulats de la réceptivité des laïcs face aux nouvelles théories médicales et à l’existence d’une culture commune telles qu’elles ont pu être énoncées à partir de travaux centrés sur les lettres de consultation31, pour peindre un tableau plus hardi du rôle actif des laïcs dans l’évolution même de la médecine savante.

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Porter 1985a, p. 176. Jones 1987; Faure 1995, pp. 325-326. Wild 2006.

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LISTE DES ABRÉVIATIONS

Académie

Dictionnaire de l’Académie française, Paris, 1ère-5e éditions.

ACV

Archives Cantonales Vaudoises.

AEG

Archives d’Etat de Genève.

BCUL

Bibliothèque cantonale et universitaire de Lausanne.

BGE

Bibliothèque de Genève.

Biog. universelle Michaud, Louis-Gabriel (éd.), 1811-1862. Biographie universelle, ancienne et moderne, 45 vol., Paris, L. Vivès. Charrière O. C. Charrière, Isabelle de, 1979-1984. Correspondance, Dubois, Simone; Dubois, Pierre H. et al. (éds), Œuvres complètes, 10 vol. Amsterdam, G. A. Van Oorschot, t. 1- 6. Corr. Haller

Bonnet, Charles; Haller, Albrecht von, 1983. The Correspondence between Albrecht von Haller and Charles Bonnet, Sonntag, Otto (éd.), Berne, Stuttgart etc., H. Huber.

Dict. historique Rey, Alain (dir), 1993. Dictionnaire historique de la langue française, Paris, Dictionnaires Le Robert. Dict. historique, Mottaz, Eugène, 1982 [1914-1921]. Dictionnaire historique, géographique géographique et statistique du canton de Vaud, Genève, Slatkine. Dict. historique Dezeimeris, Olivier; Raige-Delorme et al., 1828-1839. de la médecine Dictionnaire historique de la médecine ancienne et moderne, 4 vol., Paris & Bruxelles, Béchet jeune & Leroux et Périchon. Furetière

Furetière, Antoine. 1690. Dictionnaire universel, contenant généralement tous les mots françois tant vieux que modernes, et les termes de toutes les sciences et des arts […], 3 vol., La Haye, A. et R. Leers.

FT

Fonds Tissot (Bibliothèque cantonale et universitaire Lausanne-Dorigny, IS 3784). Lettres adressées à Tissot.

Jnl Bellamy

BGE, Ms fr 4734, Journal de Jeanne-Marie Bellamy.

Jnl Frêne

Frêne, Théophile Rémy, 1993/1994. Journal de ma vie, Bandelier, André; Gigandet, Cyrille et al. (éds), Porrentruy &

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Bienne, Société jurassienne d’émulation & Editions intervalles. Jnl Sévery

ACV, P Charriere Ci 11-Ci 14, Journal de Catherine Charrière de Sévery.

Larousse

Le Petit Larousse illustré, Paris, Larousse, 2009.

MHS

Musée d’histoire des sciences (Genève).

Nouv. dict. hist. Béclard, A. ; Chomel, A. Fr. et al., 1821-1822. Nouveau de médecine dictionnaire de médecine, chirurgie, pharmacie, etc., 2 vol., Paris, Crochard & Méquignon-Malvis. Panckoucke

Panckoucke, C. L. F. (dir), 1812-1822. Dictionnaire des sciences médicales: par une société de médecins et de chirurgiens, Paris, Panckoucke.

PC

Procès criminel.

R. C.

Registre du Conseil de Genève.

R. Consist.

Registre du Consistoire de Genève.

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GLOSSAIRE Amers (prendre des ): « Prendre des bouillons fait d’herbes amers ». Académie, 4e éd., 1762. Apoplexie: « Maladie qui attaque le cerveau et qui ôte tout à coup le mouvement et le sentiment. Apoplexie de sang. Fausse apoplexie. Etre frappé d’apoplexie». Académie, 3e éd., 1740. Balsamique: « Qui se dit des choses qui ont une propriété, une vertu, une qualité semblable à celle du baume ». Académie, 4e éd., 1762. Cataplasme: « Espèce d’emplâtre propre à fomenter, à fortifier une partie débilitée, à amollir et à résoudre les duretez. Faire un cataplasme. Appliquer un cataplasme». Académie, 4e éd., 1762. Colique: « Maladie fort douloureuse qui se forme dans les intestins par des flatuositez, ou par la bile esmeuë et dilatée […]». Furetière. « Sorte de maladie qui cause des tranchées dans le ventre. Colique bilieuse. Colique venteuse. Colique graveleuse ou néphrétique. Colique d’estomac. Furieuse colique ». Académie, 4e éd., 1762. Constitution: « On dit [...] qu’un homme est de bonne constitution, lorsqu’il est composé de parties saines et robustes, qu’il endure le froid, le chaud sans en estre incommodé ». Furetière. Composition. La forme & la matière entrent dans la constitution du corps naturel. Académie, 1ère éd. 1694. Crise: « Effort que fait la nature dans les maladies, qui est d’ordinaire marqué par une sueur, ou par quelque autre symptome, et qui donne à juger de l’évenement d’une maladie. Bonne crise. Mauvaise crise. Crise imparfaite. Jour de crise. Attendre la crise. [...] « Jugement qu’un Medecin fait d’une maladie par quelque symptome qui arrive au plus fort du mal, quand la nature tâche de se degager de ses mauvaises humeurs. Cette crise nous a donné de belles esperances. La crise est un soudain changement de la maladie, qui se retourne à la santé, ou à la mort. La crise se fait ou par excretion, comme flux de sang, d’urine, de ventre; ou par sueurs et vomissements; ou bien par absés. Les crises viennent d’ordinaire le 7. le 14. ou le 20. jour. Les maladies fort aiguës se jugent la plus-part dans le septiéme jour ». Académie, 1ère éd., 1694.

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Critique: « Symptome, accident qui fait juger de l’évenement de la maladie. On le dit des jours où ces accidents arrivent ordinairement ». Furetière. « Il se dit du jour où il arrive ordinairement quelque crise. Jour critique. Le septieme, et le quatorziesme sont des jours critiques». Académie, 1ère éd., 1694. Dartre: « Mal qui vient sur la peau en forme de gratelle. Dartre farineuse. Dartre vive. Faire sécher une dartre. Empêcher qu’une dartre ne s’étende». Académie, 4e éd., 1762. Dévoiement: « Flux de ventre. Il a un dévoiement. Les raisins lui ont donné le dévoiement. Il est mort d’un dévoiement.» Académie, 3e éd., 1740. Dysenterie: «(On prononce comme s’il y avoit dyssenterie). Dévoiement avec douleur d’entrailles, espece de flux de sang. Causer la dysenterie. Arrêter la dysenterie. […]». Académie, 3e éd., 1740. Echauffer: « Donner de la chaleur […]. On dit figurément, qu’Une chose échauffe le sang,la bile à un homme, pour dire qu’elle l’impatiente […]. Il se joint quelques fois avec le pronom personnel, S’échauffer. Ne courez pas tant, vous vous échaufferez. Il s’est échauffé à marcher. Il a pris une pleurésie pour s’être trop échauffé». Académie, 4e éd., 1762. Elixir: « Liqueur spiritueuse extraite des parties d’une ou de plusieurs substances […]. C’est la substance la plus pure que l’on tire de certaines choses ». Académie, 4e éd., 1762. Emplâtre: « Onguent étendu sur un morceau de linge, de cuir, ou autre chose, pour l’appliquer sur la partie malade et affligée. Appliquer un emplâtre. Mettre un emplâtre. Oter un emplâtre. Lever un emplâtre. Une emplâtre qui résout, qui attire, qui amollit». Académie, 4e éd. Epanchement: « Effusion. Epanchement de bile. Son plus grand usage est au figuré. Epanchement de cœur. Epanchement de joie. Académie, 3e éd., 1740. Erysipèle: « Tumeur superficielle, inflammatoire, qui s’étend facilement sur la peau, qui est accompagnée d’une chaleur âcre et brûlante. Erysipèle dartreux, érysipèle flegmoneux». Académie, 4e éd., 1762. Fiel: « Liqueur jaunâtre et amère, contenue dans un petit réservoir qui est attaché au foie, et qu’on appelle la vésicule du fiel […]. Il signifie au figuré. Haine, animosité […].» Académie, 3e éd., 1740. Fièvre: « Maladie qui vient d’une intemperie chaude et seche du sang et des humeurs, qui du cœur se communique à tout le corps par les veines et les arteres, et qui se connoit par une violente agitation du pous, et est ordinairement precedée d’un frisson ». Furetière. Fièvre quarte « On appelle Fièvre quarte, une sorte de fièvre intermittente qui revient après deux jours d’intervalle ». Académie, 3e éd., 1740. Fluxion: « Ecoulement d’humeurs malignes sur quelque partie de corps. Fluxion froide. Fuxion chaude. Fuxion âcre. Il est sujet aux fluxions. Arrêter la fluxion […]». Académie, 4e éd., 1762.

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L’hypocondre/hypocondriaque « La plupart escrivent hypocondre la partie du ventre au dessous des costes, au costé droit, ou au costé gauche […]». Un hypocondriaque est « Malade des fumées de la ratte des hypochondres, causées par une bile noire, qui le rendent extremement melancholique et visionnaire ». Académie, 3e éd., 1740. Inoculation: «(On sous-entend de la petite vérole.) Opération par laquelle on communique artificiellement cette maladie. Ce mot est synonyme d’insertion, cette opération ayant beaucoup d’analogie avec celle de l’ente ou de la greffe des arbres.» Académie, 4e éd., 1762. Langueur: « Diminution des forces, de santé, causée par une maladie lente, et souvent mortelle. Beaucoup d’enfans meurent en chartre, en langueur. Les fiévres ectiques et autres maladies qui viennent de consomption font mourir en langueur et lentement ». Furetière. « Abattement, état d’une personne qui languit. Grande langueur. Langueur mortelle. Extrême langueur. Etre en langueur. Tomber en langueur. Il est mort en langueuer». Académie, 3e éd., 1740. Mars: « Terme de chimie, signifie le fer; et l’on donne le nom de mars à tous les médicamens dans lesquels il entre du fer ». Académie, 4e éd., 1762. Mélancolie: « C’est une des quatre humeurs qui sont dans les corps, la plus pesante et la plus incommode. La mélancolie cause la tristesse, le chagrin. La mélancolie noire cause queqluefois la folie. […] En termes de Medecine, est aussi une maladie qui cause une resverie sans fievre, accompagnée d’une frayeur et tristesse sans occasion apparente, qui provient d’une humeur ou vapeur melancolique, laquelle occupe le cerveau, et altere sa temperature ». Furetière. Miséréré: « Terme de médecine. Sorte de colique très-violente & très-dangereuse, dans laquelle on rend les excrémens par la bouche.» Académie, 4e éd., 1762. Mobilité: « Facilité à être mû. La mobilité des corps sphériques. On dit figurément, mobilité de caractère, d’esprit, d’imagination, pour dire, la facilité à passer promptement d’une disposition à une autre, d’un objet à un autre.» Académie, 5e éd., 1798. Nitre: « Sel formé par l’union de l’acide qu’on nomme nitreux, & d’un alcali fixe. Il a la propriété de fuser sur le feu. C’est la même chose que le salpêtre. Académie, 4e éd., 1762. Obstruction: « Bouchement des vaiseaux et des conduites par lesquels se portent les humeurs et les esprits dans tout le corps de l’animal ». Académie, 1ère éd., 1694. Pleurésie: « Est une maladie qui emporte le malade en peu de temps, qui est causée par l’inflammation de la pleure [membrane qui enceint et

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LA FIGURE DU PATIENT AU XVIIIe SIÈCLE

comprend toutes les parties contenues dans la poitrine] avec une fievre aiguë, difficulté de respirer, et grande douleur de costé ». Furetière. « Inflammation de la plèvre, douleur de côté avec fluxion sur la poitrine. Il s’est tellement échauffé, qu’il en a gagné une pleurésie. Il est mort d’une pleurésie». Académie, 1ère éd., 1694. Purgation: « Evacuation par le moyen d’un remède qui purge. Il se porte beaucoup mieux depuis sa purgation. La purgation est nécessaire aux personnes replètes.» Académie, 4e éd., 1762. Redoublement: « Accroissement, augmentation […]. Son grand usage est dans la fièvre. Le redoublement des accés. La fiévre avec sez redoublements. Ce malade a eu un grand redoublement. Il est dans son redoublement.» Académie, 1ère éd., 1694. «[…] Quand on le dit absolument, il s’entend des accés de fiévre, qui sont plus violens que la fiévre continuë dont on est malade. Les accès ne luy viennent pas par frissons, mais par des redoublemens.» Furetière. Rhumatisme: « Sorte de fluxion sur quelque partie du corps, ou sur tout le corps. Rhumatisme douloureux. Il a un rhumatisme. Il est sujet au rhumatisme. Rhumatisme sur les épaules ou sur les reins. Rhumatisme universel sur tout le corps. Rhumatisme goutteux». Académie, 3e éd., 1740. Rougeole: « Sorte de maladie épidémique, qui vient communément aux enfants, et cause des rougeurs au visage et par tout le corps ». Il a eu la rougeole. Il y a bien de la rougeole en notre quariter». Académie, 3e éd., 1740. « Maladie qui vient particulierement aux enfans, et qui ressemble à la petite verole. Voyez Vérole.» Furetière. Sérein: «Vapeur froide et maligne, qui retombe au coucher du soleil. Le serein est plus dangereux en certains pays qu’en d’autres. Le serein est plus dangereux l’esté […]» Académie, 4e éd., 1762. Spécifique: « Ce qui est propre à chaque particulier, qui le distingue des autres » Furetière. Ou « propre spécialement à quelque chose ». Un exemple donné est « La quinquina est un remede specifique » et le second précise « Il est quelquefois subst. La theriaque est un bon specifique contre le poison ». Académie, 1ère éd., 1694. Sublimé: « Mercure qui a été sublimé [élevé un corps volatil, par le moyen du feu dans un matras, ou dans une cornuë]». Académie, 1ère éd., 1694. « On appelle ainsi Les parties volatiles du mercure, élevées par le moyen du feu dans un matras, ou dans une cornue ». Académie, 4e éd., 1762. Succin: « C’est la même chose que l’ambre jaune ». Académie, 4e éd., 1762. Tempérament: « Complexion, habitude ordinaire du corps de l’homme, sa constitution naturelle, la disposition des humeurs [...]». Furetière. Topique: « Il ne se dit guère qu’en cette phrase, remède topique, qui signifie, un remède qui n’opère qu’etant appliqué sur la partie malade, ou sur

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celle qui y répond. Les emplâtres qu’on donne pour le mal de dents, sont des remèdes topiques». Académie, 4e éd., 1762. Vésicatoire: « Qui fait venir des vessies [de petites ampoules sur la peau]. Les emplâtres vessicatoires. Il est aussi substantif masculin. Il faut appliquer un vésicatoire, des vésicatoires». Académie, 4e éd., 1762. Furetière est plus précis quant à l’application et les effets attendus: « C’est un onguent, cataplasme ou emplastre fait de medicamens acres, qui ont faculté d’attirer les humeurs du dedans au dehors, d’ulcerer la peau, et faire vessies, ce qui l’a fait ainsi nommer.» Vulnéraire: « Il se dit des médicamens qui sont propres à guérir les plaies ». Académie, 4e éd., 1762.

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BIBLIOGRAPHIE SOURCES MANUSCRITES Archives cantonales vaudoises Série P (Archives privées) Fonds Albenas 144 – Correspondance de famille (1773-1774). Fonds Albenas 170 – Correspondance (1793-1795). Fonds Barbe 8-25 – Documents de famille. Fonds Charrière de Sévery Acb 208-209 – Salomon Charrière de Sévery. «Voyages »; « Livre de comptes comprenant diffférents effets, comptes de jeux, voyages. Commencé 1774 ». Acb 668-834 – Correspondance concernant des rentes sur la tête des enfants des Charrière de Sévery (1778-1847). Carnet avec des notes diverses. Acb 879 – « Livre de ménage » de Salomon et Catherine Charrière de Sévery. Ada 1011-1030 – Angletine-Charlotte de Chandieu-Villars. Comptes généraux, notes comptables, « souvenirs », etc. (1725-1774). Ada 1012 – Angletine-Charlotte de Chandieu-Villars. « Livre de comptes avec différentes annotations dont un projet de testament ». Adc 495-750 – Famille Effinguer de Wildegg (1795-1847). «Voyages ». Fonds Charrière B 117/2041-2103 – « Maladie d’Angletine ». Correspondance Caroline Fischer (1826-1837). Ba 104/6068-61179 – Série de lettres de Samuel Tissot à Catherine Charrière de Sévery (1770-1795). Ba 2200-2383 – Famille Chandieu. « Correspondance ». Ba 2814-2819 – Lettres de Jean-François Monod à Mlle DevillarsChandieu (1734-1773).

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Ba 2822 – M. Pazzi à Mlle Devillars-Chandieu (1741). Ba 2826 – De La Porte à Mlle Devillars-Chandieu (1741). Ba 2858 – Lettre de Samuel Tissot à Angletine-Charlotte Chandieu-Villars, Pampigny, le 4 juillet 1748. Ba 3080-3083 – Correspondance adressée à Gravier. Bcb 118 – Famille Effinger de Wildegg. « Correspondance ». Bh 84 – Consultations de Samuel Auguste Tissot pour Angletine (adressée à M. Hestermann à Mex) et lettres adressées à M. Hestermann. Bj 525-526 – Théodore Tronchin à Madame de Mex, 1756; Samuel Auguste Tissot à Mme de Sévery (s.d.). Ce 1-4 – Famille Charrière de Sévery. « Médecine: ordonnance, recettes, etc.» Ci 1 – Charrière de, Louis. « Notice biographique sur Salomon de Charrière, Seigneur de Sévery ». Ci 9-11 et Ci 13-14 – Catherine Charrière de Sévery. « Journal ». Ci 12 – Catherine Charrière de Sévery. « Notre voyage d’Allemagne en 1774 ». Ci 33 – Angletine Effinguer de Wildegg. « Journal » (1781-1795). Cl 1-15 – Travaux historiques de William Charrière et Clara. Fonds Charrière de Crausaz Bb 1-2 – Pierre Charrière. « Journal, notes personnelles » (1727-1729). Bb 19-20 – Lucie Charrière. « Notices, journal intime » (env. 1809). De Gaulis Ca 135-160 – Recettes culinaires et médicales (1756-1852). Jean-AbramRodolph Gaulis et Jeanne-Dorothée (1773-1781). Diagnostics et remèdes. De Goumoëns 282 – « Journal de Jérémie de Goumoëns commencé le jour de ses noces avec Anne, fille de Benoît Chambrier, contractée le 5 avril 1620 ». Grandchamp 1 enveloppe – Jean-Samuel de Chexbres. Livre de comptes. 1 enveloppe – Correspondance familiale (env. 1775). René Monod 432-486 – Correspondance de Etienne-Henri-George Polier de Vernand.

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Série PP (Archives privées) De Senarclens PP 17/88 – « Journal de Sébastien de Senarclens, seigneur de Chigny, 1685 » (copie manuscrite de 1819). Archives de l’Etat de Genève (AEG) Archives de famille Blavignac 1ère série, I-II – Jean-Daniel Blavignac. « Autobiographie ou journal personnel jusqu’au 4 janvier 1876 ». Butini/3e série/2 – « Journal de Jean Antoine Butini-Plantamour » (16931778). De Launey/32 bis – Curé de Launay. Correspondance. De Launey/66 – « Livre journalier concernant les comptes de mes censiers » [1702]. De Launey/77 & 81 – Correspondance familiale. Chapeaurouge/15 – Lettre de Jacques Chapeaurouge à Jean-Dauphin Chapeaurouge, s.l., (2 juillet 1785). Lyanna/92 – Lettres de B. Lyanna à M. Janot, s.l., [1789]. Lyanna/33 – « Livre de mémoires d’un fils de Pierre Lyanna et de Marguerite Massé (1729-1730)». Romilly/3e série – « Fragments d’un journal intime de Marie-JosephineChristine Romilly (1770-1823)». Mss Hist. 75 – « Journal […] par Jacques Martine et son frère Gédéon Martine (1725-1773)». Galiffe/2e série/I – « Grand livre de Compte de Pierre Galiffe » (16901731). Galiffe/2e série/II – Jean-Galiffe (1733-1782). « Pièces et notes personnelles et biographiques ». Archives administratives Santé F1 – Recueil des ordonnances de la médecine et procès-verbaux de la Faculté de médecine (1569-1818). Registre du Conseil – Nos 202 (1702), 207 (1707), 264 (1764). Archives ecclésiastiques Registre de la Compagnie des Pasteurs – Vols 18 (1701) & 24 (1734). Registre du Consistoire – Vols 66, 67, 68, 69, 70, 71, 71 (1678-1707).

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Vols 78, 79, 80, 81, 82 (1723-1734). Vols 87, 89, 90 (1764-1776).

Archives judiciaires Procès criminels, 1ère série – 4184, 5571, 7169, 7369, 9841, 10905, 10908, 11001, 11548, 11622, 11723, 12766, 12865, 13043 British Library (Londres) Additional Manuscripts Add 23 899/8-28 – Gabriel Cramer (1745-1747). Correspondance. Add 24,210/35 – Lettre de J. Butini à Monsieur le sindic Cramer (Genève), Marseille, le 17 janvier 1752. Add 29320 – Samuel Auguste Tissot à Fontana, Lausanne, le 7 septembre 1792. Add 30271 – R. Garmston Esq. « A Journal of Travels Through France, Switzerland and to Mont Blanc in Chamony ». Add 50261/4 & 26 – Horace-Bénédict de Saussure. Lettres autographes. Egerton Collection Egerton 1724/190-219 – Lettres de Thomas Isaac de Larrey à Abraham Trembley (1742). Burgerbibliothek de Berne Fonds Haller Correspondance Haller Albrech von Haller. Correspondance passive, 24 lettres d’auteurs genevois et lausannois. Bibliothèque de Genève Fonds de la Société d’Histoire et d’Archéologie Ms 6 – « Journal de Perdriau ». Ms 94, Papiers Edmond Pictet – « Extraits du Journal du pasteur Jacques Sarasin (1641-1704)». Ms 70, Papiers Edmond Pictet – « Extraits du Journal du Sindic François Calandrini ».

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Fonds Gautier Ms 2176-2183 – Matériaux pour servir à l’histoire de la médecine recueillis par Léon Gautier. Fonds Bonnet Ms Bonnet 23 – Charles Bonnet, « Mémoires sur ma vie et mes écrits [...].» Ms Bonnet 28, 29, 30, 66, 70, 71, 77, 78, 80 – Correspondance de Charles Bonnet. Fonds Lullin Ms Lullin 2/1-254 – « Enfants d’Amy Lullin ». Ms Lullin 4/16-70 – Papiers Ami Lullin. Ms Lullin 11 – Dossiers personnel d’Ami Lullin. Ms Lullin 73 – « Compte de caisse par Sieur Jean Rodolph Coch commencée le premier janvier 1729, jusques au 31 décembre dite année inclus » Ms Suppl. 1601 – « Sermons d’Ami Lullin ». Fonds Odier Ms fr. 3289 – Louis Odier. « Diarium in caeptam » [11 mars- 11 mai 1767]; « Diarii mei n° 1. Supplementum » [11 mars 1767-1er août 1767]. Ms fr. 5643/1 – Louis Odier. « Journal N° 2 » [18 mai 1767- 1 août 1767]). Ms fr. 5643/2 – « Journal de Louis Odier. Cytoyen de Genève » [31 août 1767- 26 août 1769]. Ms fr. 4151-4152 – « Correspondance entre Louis Odier et Suzanne Baux sa fiancée ». Ms fr. 4153-4154 – « Correspondance entre Louis Odier et Andrienne Lecointe, sa fiancée ». Ms fr. 4155 – « Correspondance entre Louis Odier et Andrienne Lecointe, sa seconde femme ». Ms fr. 4156 – « Correspondance entre Louis Odier et ses fils Jean-Louis et Jacques ». Ms fr. 4157 – « Correspondance entre Louis Odier et sa fille Amélie ». Ms fr. 4158-4159 – « Correspondance de Louis Odier avec Daniel de la Roche ». Ms fr. 4161 – « Lettres adressées à Louis Odier » Ms fr 5641/1-183 – « Correspondance de Louis Odier et de divers membres de sa famille »

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Fonds Prévost Ms fr 4734 – « Journal de Jeanne-Marie Prévost Bellamy » Ms fr 4734/1-21 – Correspondance entre Jeanne-Marie Bellamy et Charles Victor de Bonstetten, 11 lettres (1774-1779). Fonds Saladin-Van Berchem Armoire 4 - Recueil de remèdes, s.d. Fonds Saussure Archives Saussure 1-13 – Correspondance de H.- B. de Saussure avec divers médecins. Archives Saussure 29 – H.-B. de Saussure. « Route de Plombières par Besançon…» Archives Saussure 30 – H.-B. de Saussure. Carnet « Aix 1790 et 1794 ». Archives Saussure 65 – H.-B. de Saussure. « Expériences de physiologie indiquées par Dr Odier ». Archives Saussure 93 – H.-B. de Saussure. « Journal de santé 1789-1794 ». Archives Saussure 102 – H.-B. de Saussure. [Journal], 7 carnets (1769 à 1774). Archives Saussure 12/5 – « Mémoire sur les eaux minérales ». Archives Saussure 119/4 – « Journal détaillé de la cure d’Horace-Bénédict à Plombières, août 1797 et journal de santé de la fin de l’année ». Archives Saussure 120 – Horace Bénédict et Nicolas Théodore de Saussure. Notes extraites de livres médicaux. Archives Saussure 221/6 – « Brouillon commencé à Conches le 23 avril 1797 ». Archives Saussure 223 – Correspondance d’Horace-Bénédict. Copies par Henry F. Montagnier. Archives Saussure 237/1-291 – Correspondance d’Horace-Bénédict avec sa femme. Archives Saussure 238/1-308 – Correspondance d’Horace-Bénédict et ses proches parents. Archives Saussure 239/1-282 – Correspondance Judith de Saussure. Archives Saussure 240/1-288 – Correspondance Judith de Saussure. Archives Saussure 241/1-242 – Horace-Bénédict de Saussure. Correspondance avec ses parents et ses amis.

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Divers Ms Suppl 371 – Collection Coindet: autographes de médecins et de scientifiques. Ms Suppl 485 – « Journal de l’enfance de M. le Baron de Constant de Rebecque, General au service de la Hollande » copie mss par Victorine Rilliet de Constant. Ms Tronchin 205 – Copies de lettres par Théodore Thronchin. Ms fr. 602/50-60 – Lettres de Nicolas Fatio à ses proches (1687-1690). Ms fr 296/196, 198, 199, 200 – Lettres autographes de Théodore Tronchin (1763). Ms Var 88/1-6 – Lettres autographes de Théodore Tronchin (1759). Ms Suppl. 880 – René Prévost et Olympe Prévost-Dassier. « Journal d’éducation de Marianne et de Charles Prévost ». Ms suppl. 1062/10 – Pierre Prévost. « Harangue pour les écoliers […]», 1785. Bibliothèque universitaire de Dorigny Fonds Tissot Is 3784/II/127 – Journal concernant 35 malades. Is 3784/II/144 à 146 – Lettres de malades envoyées à Tissot. Is 3784/II/131.01.01 à Is 3784/II/149.01.07.19 – Lettres envoyées depuis la région lémanique en fonction d’un tri réalisé par Séverine Pilloud et Micheline Louis-Courvoiser dans leur base de données « Le Courrier du corps au 18e siècle ». Fonds Jean-Pierre Crousaz VII & XIV – Lettres d’Ami Lullin à Abraham de Crousaz (1722-1753). Huguenot Society (Londres) Famille Deluc Fdl 1/1 Jean-André Deluc. Correspondance familiale. Famille Lamotte F Lm 1 « Journal de raison ».

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BIBLIOGRAPHIE

Musée d’histoire des sciences (Genève) Fonds Odier (Z 92) Z 92/1 – « Journal intime de Louis Odier » Z 92/3 – « Memorandum, recueils, compilations, extraits, etc.» (1788). Z 92/4 – « Mémoire sur la discrétion médicale », le 2 juillet 1803 (pour la Société de médecine et de chirurgie) Z 92/5 – « Premier mémoire sur les différentes professions médicales » (lu le 25 janvier 1810 à la Société de Médecine et de Chirurgie). Z 92/10 – « Mémoire sur la dernière maladie et la mort du Citoyen H.-B. de Saussure » (lu à la Société de Physique et d’Histoire naturelle). Royal Society (Londres) Ms 821 – Correspondance de Charles Blagden. Wellcome Library Charles Bonnet Lettres autographes à François De la Rive, Bonfioli et Jean-Henri-Samuel Formey, 1761-1774.

SOURCES PUBLIÉES Bardeleben, Adolf ; Bergmann, Ernst von, 1888. La maladie de l’empereur Frédéric III d’après les rapports officiels des médecins, Paris, L. Westhausser. Bessonnet, Jacob, 1728. Sermons sur divers textes de l’Ecriture sainte, Genève, M.-M. Bousquet. Bonnet, Charles, 1769. La palingénésie philosophique, ou idées sur l’état passé et sur l’état futur des êtres vivants, 2 vol., Genève, C. Philibert & B. Chirol. Bonnet, Charles, 1948. « Mémoires autobiographiques », in Savioz, Charles (éd.), Mémoires autobiographiques de Charles Bonnet de Genève, Paris, J. Vrin. Bonnet, Charles; Haller, Albrecht von, 1983. The Correspondence between Albrecht von Haller and Charles Bonnet, Sonntag, Otto (éd.), Berne, Stuttgart etc., H. Huber Publishers. Boswell, James, 1768. An Account of Corsica, the journal of a tour to that Island; and memoirs of Pascal Paoli, Glasgow & London, A. Foulis & E. & C. Dilly. Buffon, Georges Louis Leclerc de, 1743. « Dissertation sur la cause du strabisme ou des yeux louches », Histoire de l’Académie des Sciences, 231-248.

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Cahier, Gabriella; Campagnolo, Matteo et al. (eds), 1989. Registres de la Compagnie des pasteurs, sous la dir. des Archives d’Etat de Genève, t. IX (1604-1606), Genève, Droz. Charrière, Isabelle de, 1979-1984. Correspondance, Dubois, Simone; Dubois, Pierre H. et al. (éds), Œuvres complètes, 10 vol. Amsterdam, G. A. Van Oorschot, t. 1- t. 6. Charrière, Isabelle de, 1981. Essais, vers, musique, Candaux, Jean-Daniel; Courtney, Cecil Patrick et al. (éds), Œuvres complètes, 10 vol., Amsterdam, G. A. Van Oorschot, t. 10. Châtelet, Gabrielle-Emilie, 1997 [1779]. Discours sur le bonheur, Badinter, Elisabeth (préf.), Paris, Payot & Rivages. Constant, Benjamin, 1957. Adolphe; Le cahier rouge, Alfred Roulin (éd.) Paris, Gallimard. Coulson, Mavis, 1988. Southwards to Geneva : 200 Years of English Travellers, Gloucester, A. Sutton. Desault, Pierre, 1738 [1733]. Dissertation sur les maladies vénériennes contenant une méthode de les guérir sans flux de bouche, sans risque et sans dépense avec deux dissertations, l’une sur la rage, l’autre sur la phtisie et la manière de les guérir radicalement, Paris, J. Guerin. Dubé, Paul, 1693. Le médecin et chirurgien des pauvres, Paris, Edme Coterot. Flournoy, Jacques, 1994. Jacques Flournoy. Journal 1675-1692, Fatio, Olivier (éd.), Genève, Droz. Fourcroy, Jean-Louis de, 1774. Les enfants élevés dans l’ordre de la nature ou abrégé de l’histoire naturelle des enfans du premier age, Paris, Frères Estienne. Frêne, Théophile Rémy, 1993/1994. Journal de ma vie, Bandelier, André; Gigandet, Cyrille et al. (éds), 5 vol., Porrentruy & Bienne, Société jurassienne d’émulation & Editions intervalles. Giobert, Jean-Antoine, 1793. Des Eaux sulphureuses et thermales de Vaudier, Turin, Jaques Fea. Girardin, Stanislas, 1824. Lettre de Stanislas Girardin à M. Musset-Pathay sur la mort de J. J. Rousseau, Paris, Dupont. Grimm, Frérédic Melchior; Diderot, Denis, 1812 [1770-1773], Correspondance littéraire, philosophique et critique adressée à un souverain d’Allemagne, depuis 1770 jusqu’en 1782, 2 vol., Paris, F. Buisson. Haller, Albrecht von; Saussure, Horace-Bénédict de, 1990. The Correspondence between Albrecht von Haller and Horace-Bénédict de Saussure, Sonntag, Otto (éd.), Bern, Stuttgart, etc., Hans Huber Publishers. Hippocrate, 1996. Airs, Eaux, Lieux, Jouanna, Jacques (texte trad. et établi par), Paris, Belles-lettres. Histoires et mémoires de la Société royale de médecine, 1776-1785, Paris, Didot.

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LISTE DES ILLUSTRATIONS Figure 1 BGE, Centre d’iconographie genevoise, Levesque de Pouilly 1794, p. 128, Au chevet de Charles Bonnet . . . . . . . . . . . . . . . . . . Figure 2 BGE, Ms Bonnet 23, p. 479bis, Esquisses des numbercules gênant la vision de Charles Bonnet . . . Figure 3 BGE, Ms Lullin 2/176, « Journal d’une petite vérole de 1750 » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Figure 4 BGE, Ms Lullin 2/130, Journal de la maladie d’Antoine Louis Lullin (1747) . . . . . . . . . . . . . . . . . . Figure 5 ACV, P. Charrière, Ce 1, « Maniere de faire le petit lait ». Photo Rémy Gindroz. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Figure 6 ACV P Charrière Ce 3, « Remede contre les douleurs » rédigé sur le dos d’une carte à jouer. Photo Rémy Gindroz . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Figure 7 BGE, Ms Lullin 2/165bis, « Certificat de M. Coudougnan du 9 novembre 1745 sur l’ouverture du corps du pauvre Lullin » . . . . . . . . . .

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INDEX DES NOMS CITÉS Les femmes ont été classées sous le nom de famille de leur mari. Un travail d’uniformisation a été réalisé afin de clarifier les multiples graphies d’un même nom présent dans les documents. Les variantes et des informations complémentaires sont signalées après le nom, entre parenthèses. Lorsque la mention est confinée dans une note en bas de page, le numéro de page correspondant est accompagné d’un (n). Les prénoms usuels sont soulignés lorsqu’ils sont connus. Dans les cas où la personne n’a pu être identifiée, le nom est suivi de l’indicateur de genre et d’état civil donné par le contexte (M., Mme et Mlle). Achard, Anne-Renée (née Bontems): 442. Ackerknecht, Erwin: 505, 509. Acton, chevalier de: 457. Agier, Marie: 55, 363. Allamand, Jean Nicolas Sébastien: 80. Alleon, Mme: 197.. Ambos, Lisette: 283. Ambos, Louise: 282. Anderson, Lorin: 72. Andrieu, M. : 77, 78, 291, 293. Anet, Claude: 349. Anselment, Raymond: 39. Ariès, Philippe: 17. Arthaud, Mme L. : 444. Athlone: voir Reede. Auber: 196. Aubonne, M. de: 289. Augier, Marie: 413. Baker, George: 413. Bakhtine, Mikhaïl: 419. Balsamo, Joseph (dit comte de Cagliostro): 105, 265, 294.

Bandelier, André: 136. Barde, Pernette Louise (dite petite): 245. Bardin, Jeanne: voir Butini Barthez, Paul-Joseph: 237, 486. Baumgartner, Jean: 242, 285. Baux, Suzanne: 185, 212, 325, 379, 395, 462. Beck, Emanuel: 192. Bégue, Gabriel: 269. Bellamy, Jeanne-Marie: voir Prévost. Bellamy, Renée (née Duval): 115. Bellelay, abbé de: voir Monnin. Belloste, Augustin: 460-461. Bensoussan, David: 64. Bergeon, Monette: 192. Berger, Mlle: 402. Berguer, Jean-Joseph: 302, 324(n). Bermont, M. de: 451. Besson, M. : 201. Binns, Joseph: 24, 36. Blacklock, Sarah (née Johnston): 191. Blandin, Pierre (chirurgien): 272.

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Blandin, Pierre (médecin): 273. Blavignac, Jean-Daniel: 48(n), 353. Boissier, Amélie: voir Saussure. Boissier, Anne-Caroline: voir Tronchin. Boissier, Elisabeth-Charlotte: voir Tronchin. Boissier, Jean-Jacques: 57, 372, 466-467. Boissier, Marie Charlotte (née Lullin): 56, 62, 179, 197, 246-247, 415, 441. Boltanski, Luc: 12(n), 36. Bonafont, Cete: 168, 281, 310. Bonafont, Mme: 168, 310. Bondeli, Julie: 19-20, 100. Bonhôte, David-François: 177. Bonnet (famille): 231, 272, 273(n), 277, 290, 464. Bonnet, Charles: 31, 55, 57, 60, 61, 62, 63, 65(n), 66-90, 122(n), 130, 136, 138, 158, 162, 163, 168, 169, 170, 176, 187, 195, 203(n), 211-212, 219, 226-231, 254, 290, 291, 295, 302(n), 309, 311, 324(n), 335, 336, 338, 343, 345(n), 359, 365, 367, 368(n), 371, 399(n), 402, 409, 430, 431, 437(n), 462, 463, 464, 483, 490, 494, 498, 510. Bonnet, Georges: 70. Bonnet, Marie-Jeanne (née De la Rive): 70, 122(n), 226-231, 235, 289, 290, 308, 320, 348, 365, 376, 444, 464, 490. Bontems, Anne: 483. Borde, chevalier de la: 453. Borel, Eugénie: 197. Boschung, Urs: 36. Bosset, Charles Abel de: 446. Bossis, Mireille: 176. Boswell, James: 200(n), 394.

INDEX DES NOMS CITÉS

Bouillé, Madeleine: 57. Bourdeau, Henri de: 419. Bourget, M. : 456, 479. Brackel, Nancy de: 185, 315. Bräker, Ulrich: 18, 166(n). Braun, Angelica: 19. Bressonnaz (famille): 315. Breugel, Johanna Maria van: 186. Briod, le curial: 218, 433. Briod, Mme: 433, 435. Brockliss, Lawrence: 24. Brown, Mlle: 289. Brun, Daniel: 206. Buccleugh, duc et duchesse de: 357. Budé de Boissy, M. : 312. Bueche, Jean Pierre: 285. Buffon, Georges Louis Leclerc de: 77, 114. Buisson, M. : 293. Burckardt, Jacob: 508. Buren, Charlotte de: 200. Butini, Jean-Antoine: 70(n), 77, 80, 122, 206, 226, 233, 244, 270, 277, 278, 354, 435(n), 438, 446(n), 449, 494. Butini, Jeanne (née Bardin): 276. Butini, M. (marchand): 336. Butini, Pierre: 70(n), 276, 501. Cabanis, François-David: 205, 259, 275, 279, 281, 289, 354, 446(n), 457, 483. Cagliostro, comte de: voir Balsamo. Calandrini, François: 447. Callemberg, comtesse de: 388. Cambessedès, Gabriel: 337. Caraman, Charles Riquet duc de: 70. Carrard (pasteur): 369. Carrard, Mme (née Tavel): 322, 360, 369. Cart, (pasteur et famille): 212, 213, 314, 321, 336, 439(n), 488-489.

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INDEX DES NOMS CITÉS

Casenove, M. : 456. Chaillet, Charles de: 59, 340, 393. Chaillet, Henri-David de: 52(n), 105(n), 106, 220(n), 367, 407. Chaillet, Jean-Frédéric de (dit le grand Chaillet): 52(n), 322, 445, 485. Chaillet, Marianne Louise Julie (née Mézerac de): 365, 485. Chaillet, Samuel de (dit Chaillet de St-Aubin): 293, 330, 374, 410. Chambrier, Caroline: 53, 187. Chambrier d’Oleyres, Jean-Pierre: 348. Champagne, comtesse de: 269, 466. Champvent, Marianne Doxat de: 193, 272, 321, 324, 356. Chandieu (famille): 351, 354(n). Chandieu, Loÿs de: 256. Chandieu, Marianne de: 453. Chandieu, Angletine-Charlotte (dite Mme de Villars): 50, 315(n). Chapeaurouge, Antoinette de: 204, 481. Chapeaurouge, Jean Jaques: 204. Chapuis, Abram: 281. Charles Ier (d’Angleterre): 457. Charrière (famille): 182, 197, 214, 268, 274, 277, 280, 285, 335(n). Charrière, Charles-Emmanuel de: 59, 93, 101, 144(n), 160, 185, 193, 197, 219, 270, 277, 278(n), 279, 285, 304, 314, 326, 330, 340, 372, 373, 402, 409, 419, 430, 460, 475, 480, 481, 485, 492, 496. Charrière, Isabelle de: 31, 35, 50, 51, 56, 61, 62, 75(n) 90-111, 113, 134(n), 158, 159, 160, 162, 166, 168, 169, 170, 171, 172, 176, 178, 184, 187, 189, 191, 192(n), 193, 194, 196, 198, 200,

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202, 203(n), 211, 213, 214, 216, 240, 245, 254, 255(n), 268, 277, 283, 289, 300, 303(n), 308, 311, 314, 316, 317, 318, 321, 322, 326, 327, 329, 330, 335, 339, 344(n), 345, 350, 354, 356, 360, 363, 364, 365, 366, 369, 370, 371, 372, 374, 375, 379-380, 383, 387, 388, 389(n), 392, 393, 394, 395, 402, 403, 405, 407, 408, 410, 412, 414, 416, 423, 424, 427, 428, 438, 442, 447, 459(n), 462, 468, 473, 474, 477, 483, 485, 486, 487(n), 490, 492, 496. Charrière de Mex, Madeleine (née de la Tour de Pin): 203. Charrière de Sévery (famille): 182, 193, 240, 281, 286-287, 328, 350, 386, 390, 399, 411, 452461, 479. Charrière de Sévery, Angletine : 240, 286(n), 286-287, 378, 385. Charrière de Sévery, Louise Jacqueline Catherine (née de Chandieu): 35, 36(n), 49, 50, 51, 158, 182, 193, 203, 238, 256, 267, 274, 277, 286, 315, 332, 349, 350, 354, 383-387, 388, 390, 411, 428, 447, 455, 493. Charrière de Sévery, Salomon: 49, 198, 213(n), 218, 274, 277, 281, 343, 344, 438, 456, 465, 469(n), 492. Charrière de Sévery, Wilhelm (fils de Catherine et de Salomon): 274, 280, 286, 354, 385, 385, 446(n). Chateler de Courcelles, Catharina Elisbeth marquise de (née Hasseler): 496. Châtelet, Marquise de (Gabrielle Emilie Le Tonnelier de Breteuil): 61, 423.

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Chatillon, Mme de: 195. Cheyne, George: 267(n). Chopard, Abram: 140(n), 147, 148, 150, 192, 224, 363. Claret, J[ean]: 167, 274, 277, 319, 331, 366, 436. Clavière, Mme: 212. Colin (curé): 392, 403. Colladon, famille: 459, 483. Condrau, Flurin: 505. Constant, Benjamin: 36(n), 45, 102, 105(n), 106(n), 108, 109, 111, 161, 259, 270-271, 310, 317, 340, 370, 391, 400, 408, 427, 463, 476, 481, 495. Corcelles, Jonathan de: voir Polier. Corcelles, Louise de: voir Polier. Coudougnan, Jaques: 497-498. Cox, Margaret: 284(n), 500. Cramer, Mme: 438. Cramer, Jean Antoine: 323. Cramer, Philibert: 212. Croix, M. de la: 319. Cronor, M. : 273. Crommelin, Pierre: 207. Crousaz, Abraham de: 177, 203, 340, 469, 481. Crousaz de Corsier, Mlle: 332. Dagognet, François: 33, 434. Danse, Daniel: 195. Danse, Judith: 194. D’Apples, Charles: 444. Daran, Jacques: 63. Darlay, Claudine: 201. Dassier, Jeanne (née Le Cointe): 243. Daubenton, Louis Jean Marie: 456. Dauphin: 196. Dauphine: voir Marie-Thérèse. Davene, Mme: 200. David, Marguerite: 435. Dawson, Benjamin: 460.

INDEX DES NOMS CITÉS

Delachana, François: 205. De la Rive (famille): 227, 339. De la Rive, François: 230. De la Rive, Horace-Bénédict: 195, 409. De la Rive, Jeanne-Marie (née Franconis): 226, 409, 498. De la Rive, Marie-Jeanne: voir Bonnet. De la Rive, Mme: 373. De la Roche, Daniel: 158, 212, 243, 244, 265, 266, 267, 268, 288, 316(n), 355, 414, 475, 484(n). Deluc, Jean-André (père de JeanFrançois): 59, 413. Deluc, Jean-André (cousin de Jean-François): 214, 311. Deluc, Jean-François: 59, 170, 171, 172, 178, 184(n), 189, 193, 337, 341, 355, 398, 402, 413, 432. Demours, Pierre: 82. Denis, Marie-Louise (née Mignot): 62. Dentand, Robert: 287. D’Epinay, Louise (Tardieu d’Esclavelles, Louise Florence Pétronille): 194. Desault, Pierre: 249, 250, 251. Deschamps, M. : 183. Desclé, Abram: 275. Desvoignes, Marie-Catherine: 153. Develay, David Emmanuel: 215, 218, 311, 331, 368, 399(n), 410, 440. Develay, Elisabeth Antonette (Baby) [née]: 218, 272(n), 418, 433. Diesbach, C. de: 361. Dönhoff, Sophie Julie comtesse de: 205, 219, 241, 283, 415. Dover, Thomas: 343, 460(n). Dubé, Paul: 409.

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INDEX DES NOMS CITÉS

Dublé, Charles-Louis La Gacherie: 283. Dubois, Louise: 337, 383. Ducommun, Esaïe (ancien du Consistoire): 195. Ducommun, M. : 177. Duden, Barbara: 24, 31(n), 35, 37, 204(n), 300. Duhamel de Monceau, HenriLouis, 229. Dunand, François: 287. Dunant, Charles Guillaume: 239, 354, 501. Du Pan, M. : 185, 321(n), 408, 450, 494, 495. Du Peyrou, Pierre-Alexandre: 157, 459(n), 481. Dupraz, Mme: 197. Durocher, Jean-Antoine (abbé): 335, 487. Duval (famille): 119, 120. Duval, M. : 193. Duvoisin, A. H. : 408. Elias, Norbert: 511. Elie-de-Beaumont, Jean Baptiste Jacques: 433. Esaïe (le prophète): 124. Estièvre, Marie-Claude: 485. Exchaquet, Emmanuel: 281. Ezéchias (13e roi de Juda): 124. Fabry, Catherine (dite Kitty): 348. Fagon, Guy-Crescent: 457. Fatio, Jean-Antoine (pasteur): 206. Fatio de Duilier, Nicolas: 58. Faure, Olivier: 261. Fayod, Mme: 304. Fegeli, M. : 436, 476. Felice, Charles-Frédéric de: 154. Feusier, Abram: 147. Figlio, Karl: 172, 509. Fissel, Mary: 22-23. Fizes, Antoine: 247.

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Flournois, M. : 384. Flournoy, Théodore: 89. Foisil, Madeleine: 162. Forester, Thérèse: 197. Formey, Henri-Samuel: 85, 86. Foucault, Michel: 21-22, 295. Fourcroy, Jean-Louis de: 453. Fournier (prêtre): 260, 452. Fraumond, Mlle: 456. Frédéric (prince): voir Wangen. Frédéric-Guillaume II (roi de Prusse): 219, 458. Freke, Elizabeth: 39, 457(n). Frêne (famille): 285, 388. Frêne, Isabelle: 351. Frêne, Marie Marguerite (née Imer): 142, 144, 146, 148, 152, 220-225, 226, 231, 241, 277, 282, 285, 345(n), 376, 388, 412, 476. Frêne, Rémy: 132, 133, 142, 477(n). Frêne, Susanne (née Bosset): 133, 135, 278, 319. Frêne, Théophile Rémy (le père): 39, 48, 49, 50, 53, 55, 61, 114, 132-156, 158, 160, 162, 163, 181(n), 183, 191(n), 192, 196(n), 203(n), 219, 220, 220225, 226, 231, 240, 241, 246, 254, 262, 268(n), 273, 277, 278, 279, 282(n), 284, 288, 293, 307, 311, 318, 319, 320, 328, 332, 334, 337, 338, 339, 344, 347, 349, 350, 351, 363, 366(n), 368(n), 326, 379, 388, 397, 398, 406, 409, 410(n), 411(n), 412, 425, 429, 432, 439, 442, 446, 448, 451, 476, 485, 499, 500. Frêne, Théophile Rémy (le fils): 141(n), 221. Freudenberger, Uriel: 332. Gachet (Gatschet) de Cerlier, M. : 276.

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Gagnebin, Daniel: 140, 145. Gaillard, André: 187. Gallatin (famille): 114. Gallatin, Catherine: 410. Garrus, Joseph: 493. Gaudy, Pierre: 207. Gaulis (famille): 441. Gaulis, M. (le conseiller): 441. Gauteron, François Louis: 277, 403, 407. Gaynier, Colons: 478. Geertz, Clifford: 29, 41, 299. Gélieu, Isabelle: voir Morel. Geoffroy, Etienne-François: 24, 26, 382. George III (roi d’Angleterre): 64. Gérard, Claude: 106, 278. Gerwer, Johann-Jakob: 276. Gibbon, Edward: 199(n), 460. Gibollet, François Alphonse: 500. Girod, Marguerite: 142, 366(n). Glardon, Mlle: 273, 327. Godet, Philippe: 95, 101(n), 105(n), 111. Godwin, William: 59. Goethe, Johan Wolfgang von: 52. Golofkin (Goloffkin), Mme: 276, 346. Golowkin, Alexandre Alexandrovitch comte de: 186, 268(n), 391. Golowkin, Amélie: 309. Golowkin, Georges: 186, 448. Golowkin, Wilhelmine (née Mosheim) comtesse de: 268(n), 309, 342, 391-392, 437, 448, 466, 487. Gordoni, Carlo: 60. Goubert, Jean-Pierre: 24, 25, 32(n), 63(n), 268(n). Goulart, Simon: 208. Goumoëns, Jérémie de: 47(n), 302. Grille, Mlle de: 456. Grimm, Melchior: 193, 194, 234.

INDEX DES NOMS CITÉS

Grmek, Mirko: 16. Guex, Ferdinand Gabriel: 489. Guillebaud (Guillebeau), Frédéric Christian: 209. Guines, duc de (Adrien Louis de Bonnières): 499. Guyot, Daniel: 354. Haller, Albrecht de: 36, 63, 77, 78, 79, 80, 87, 140(n), 168, 171, 175, 202, 226, 227, 228, 229, 230, 233, 234, 295, 342, 394, 405, 436, 483. Hardy, Mlle: 287. Harsu, Jacques de: 229. Hartmann, M. : 361, 426, 478. Hedelofer, Samuel: 273. Heidegger, M. : 481. Heister, Lorenz : 25, 324(n), 330(n). Helvetius, Jean Adrien: 458. Henry, Mlle: 392. Hermenches, David-Louis Constant d’: 57, 62, 95, 96, 97(n), 99, 106, 181, 200, 203, 352, 372, 375, 389, 394, 411(n), 432, 465, 486. Herrenschwand, Jean-Frédéric : 143, 248, 252(n), 391(n), 467. Herzlich, Claudine: 346. Hilmer, Joseph Frédéric: 265, 291292. Himely, Jacques: 137, 338. Hippocrate: 88, 212, 375, 389. Hoffmann, Friedrich: 226, 454, 458. Holliger, Christian: 18. Hornecca (Horngacher), JeanPhilippe: 188. Huber, Thérèse (née Heyne): 380. Humbert, Michel: 367-368. Icare: 85. Imer, David: 133, 412.

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INDEX DES NOMS CITÉS

Imer, Marguerite Esabeau (née Gallandre): 293, 412. Imer, Marie Marguerite: voir Frêne. Inglish, Jacques: 460. Isabelle, reine de Hongrie: 75. Ivernois, César d’: 307. Ivernois, Mlle d’: 380. Jaccard, Pierre-Frédéric: 243. Jallabert, M. : 196. Jambon, Philibert: 286-287. Jewson, Nicholas: 21-22, 505, 509. Job: 339. Johannot, Marie: 271, 341, 363. Joly, Abraham: 209. Joly, Gaspard: 281, 435(n). Jones, Colin: 491, 506(n). Jonquière, M. (soldat): 287. Josselin, Ralph: 9, 10, 19, 20, 136(n). Jurine, Louis: 262, 486, 501. Justamont, Annibal: 275. Jützeler. M. (oculiste à Berne): 143, 151, 288, 293. Juventin (famille): 399. Kalckreuth, Friedrich-Adolphe comte de: 177. Kämpf, Johannes: 482. Keats, John: 54. Klos (veuve de): 199. Lachmund, Jens: 21. La Doucette, M. (dentiste): 285. La Feronnays (famille): 17, 249(n). Lafon, M. : 290-291. Laget, Mireille: 388, 457. Lalande, André: 72. Lambelet, M. (empirique): 477. Lamure, François: 232, 457. Lane Martin, Betty: 29. Langhans, David: 103. Laqueur, Thomas: 375.

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La Rivière, comtesse: 185, 336, 427, 449, 464(n). Larnage, Suzanne-Françoise (née Saulzey): 187, 429. Laubel, Eustache-Philippe: 183. Laubscher, M. : 398. Lavanchy, Mme de: 388. Lavater, Gaspard: 182. Lavergne, Louis-Marie: 24, 270(n). Le Breton, David: 12 (n), 29-30, 304. Lecointe, Louise (née Galiffe): 242. Le Fort, Isaac: 188. Le Fort, Jean-Ami: 188. Le Fort, M. : 209. Le Fort, Pierre: 188. Legrand D’Aussy, Pierre JeanBaptiste: 459. Leitrim, Mme de: 472. Le Royer, Augustin (dit Le Royer fils): 110(n), 435 (n), 483. Le Royer, Gabriel (dit Le Royer père): 434, 435(n). Leschaux, M. : 283. Levesque de Pouilly, Jean Simon: 67, 69, 70. Leveville, Agathe de (née Closlange): 214. Levi, Giovanni: 40. L’Hardy, Henriette: 50, 58, 108, 177, 205, 401, 416, 477, 485. Liegtenhan (Liechtenhahn, Liegtan): 254, 268(n), 270, 278(n), 283, 364, 402, 488. Liegtenhan (Liechtenhahn, Liegtan; dit le fils): 283. Loten, Letitia (née Cotes): 193. Louis XIV (roi de France): 39(n), 64, 326, 448, 457. Louis XV (roi de France): 61. Louis XVI (roi de France): 417(n), 458.

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Louis-Courvoisier, Micheline: 25, 199(n), 262(n), 374(n). Louison (somnambule): 257. Loux, Françoise: 32(n), 33. Lubières, M. : 196. Lubières, Susanne Albertine Langes de: voir Lullin. Luginbühl-Weber, Gisela: 72. Luke, Samuel: 394. Lullin (famille): 196, 197, 231, 245253, 272, 319(n), 339, 511. Lullin, Ami: 177, 196, 197, 203, 204, 235, 245-252, 291, 292293, 295, 308, 340, 372, 398, 466, 469, 481. Lullin, Antoine Louis: 55, 165, 166, 246, 252-253, 319(n), 381-382, 497, 498. Lullin, Charles: 89, 293. Lullin, Jean Antoine: 55, 56, 163, 164, 165, 246(n), 246-252, 254, 352, 465, 497. Lullin, Marie Charlotte: voir Boissier. Lullin, Susanne Albertine (née Langes de Lubières): 59, 196, 246. Macaire, Louis Benjamin: 290. Macdonald, Michael: 23, 239(n), 338(n). Macfarlane, Alan: 9-10. Magelli, M. : 322, 331, 369, 473. Malarmey, Camille de Roussillon: 213. Malarmey, Pierre de Roussillon: 191. Mallet, Mme: 336. Mallet, M. : 196. Manare (opérateur itinérant): 460. Manget, Jean-Jacques: 140. Manget, Jean-Louis: 275. Mangeant (Mengeant), Marc-Bernard: 51, 209.

INDEX DES NOMS CITÉS

Marchand, Jean-Pierre: 142. Marches, Mlle des: 104. Marches, Mme des: 476. Marie-Thérèse d’Espagne (la Dauphine): 62. Martine, Gédéon: 405. Mathieu, Daniel: 458. Mathieu, Etienne: 286. Maudry, Isaac: 206. Mauduyt de la Varenne, Pierre: 237. Maurice (Morisse), Pierre-Elisée: 280(n), 351, 453. Mauriceau, François: 140. Mayer, M. (capitaine): 275-276, 319(n). Mayerne, Théodore Turquet de: 24. McCray Beier, Lucinda: 19, 24. Meaux, évêque de (Pierre VII Thuin): 304, 415, 476. Mermillon, Lucresse: 435. Meserac, Caroline: 374. Mesmer, Franz Anton: 257. Mestrezat, Judith: 121. Metral, Antoine: 255. Meuschler (famille): 151. Mex, Mme de: voir Charrière de Mex. Mézerac, Marianne Louise Julie de: (voir Chaillet ). Michel, Louise-Marguerite: 58(n), 370. Migy, Béat Henry: 293. Milton, John: 39, 54, 64. Monachon, Henriette: 109, 239, 282, 386. Monachon, Prosper: 239. Monin, David-Louis: 140. Monnin, Jean-Baptiste: 377. Montesquieu, Charles-Louis de Secondat, baron de: 80, 288, 291.

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INDEX DES NOMS CITÉS

Montrond, M. de: 267. Moreau de la Sarthe, Jacques Louis: 182. Morel, Charles-Ferdinand (pasteur): 451. Morel, Charles-Henri (pasteur): 150. Morel, Isabelle (née Gélieu): 51(n), 108, 153, 158, 216, 327, 344(n), 439, 451. Moret, Mme: 456, 479. Morsier, Georges de: 90. Moudre, Mme: 207. Moula, Marianne: 198, 278, 310, 365, 446. Moula, Suzanne: 345, 411. Muchembled, Robert: 511. Nance, Brian: 24. Napier, Richard: 23, 170(n), 239(n), 338(n). Nausicaa (personnage de l’Odysée): 326. Naville, Isaac Louis: 209. Necker, Albertine (née Saussure): 200, 320, 334, 355, 377, 387, 404, 451. Neuhaus, Jean-Rodolphe: 140(n), 221. Neuhaus, Susanne-Madeleine: 142. Newton, Isaac: 69. Nicolson, Marjorie Hope: 65, 66. Nomar, Jean François: 493. Normendie, Jean Antoine de: 14, 194, 204, 254-255, 278, 435, 462, 481. Normendie, Madeleine-Lucrèce (née Courtonne): 18, 204, 255, 481-482. Nouffer, Mme: 458. Odier, Amélie: 242, 343. Odier, Ami: 243-245, 331, 402(n), 497.

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Odier, Andrienne (dite Driette, née Lecointe): 216- 217, 242, 243, 244, 285(n), 445. Odier, Antoine: 215. Odier, Jean-Louis: 36, 184. Odier, Joseph: 242. Odier, Louis: 49, 51, 53, 60, 110(n), 117(n), 118(n), 158, 160, 188, 190, 196(n), 197(n), 198(n), 202, 209, 215, 216, 217, 237, 238, 242-245, 259, 264(n), 265, 266, 267, 268, 270, 276, 284, 285, 301, 318, 339, 343, 354, 355, 356, 377, 379, 380, 381, 395, 396, 406, 411(n), 414, 416, 417, 425, 431-432, 459, 460(n), 475, 497, 499, 500, 501, 510. Odier, Louise (née de Vilas): 188. Onan: 385. Orléans, Louis Philippe duc d’: 61. Ostervald, Mme d’: 373, 477. Paracelse (Theophraste Bombast von Hohenheim): 457, 458. Park, Magdalena Elisabeth van Lynden van de (née van den Boetzelaer): 412. Pascal, Blaise: 69. Pasteur, Bénédict: 262. Patin, Guy: 52(n), 445. Pelletier, M. (dentiste): 286. Pellier, [Guillaume]: 143. Penthaz, Louise de (sœur de Charles-Emmanuel de Charrière): 414. Penthaz, M. de Colombier: 456. Pepys, Samuel: 19(n), 29. Perdriau, [Jean]: 47(n), 188. Perlet (Perrelet), David: 283, 330. Perregaux, Charlotte Louise: 348. Perregaux, François-Louis: 137, 332. Perrenoud, Alfred: 346(n), 383.

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Petit, Salomé: 478. Petitpierre, [Lisette]: 270. Pictet, Charles (le colonel): 395. Pictet, Marc Auguste: 430. Pierret, Janine: 346. Pilet, Marianne (née Ducrot): 336, 379. Pilet, Paul-Emile: 72. Piller, Gudrun: 20. Pilloud, Séverine: 25, 162, 374(n), 480(n), 482(n). Polier de Loÿs, M. (conseiller): 256-258. Polier de Corcelles, Jonathan (dit M. de Corcelles): 388. Polier de Corcelles, Marie Louise (née Saussure, dite Mme de Corcelles): 167, 182, 186, 212, 255, 288, 303(n), 315, 331, 343, 385, 388, 404, 407, 415, 437, 448, 460(n), 472, 474, 475, 493. Pomata, Gianna: 23, 161(n), 275(n), 312, 316(n), 420. Pope, Alexander: 64, 65, 66. Porchon, Antoine: 390. Portalès (Pourtalès), Mlle: 460. Portefaix, Louis: 277. Porter, Dorothy: 26, 33, 151, 170, 184(n), 340(n), 420, 509. Porter, Roy: 13, 26, 30, 32, 33, 37, 38(n), 60, 151, 170, 184(n), 340(n), 420, 509, 510, 512, 513. Possel, Mme: 405. Prêtre, Charles-Henri: 145, 147, 268(n), Prêtre, David: 151, Prêtre, M. : 477. Prévost (famille): 51, 277. Prévost, Abraham: 114, 217, 277. Prévost, Antoine François (l’abbé Prévost): 221. Prévost, Jeanne-Louise: 93, 94, 99, 294, 303, 318, 353, 359, 392-

INDEX DES NOMS CITÉS

393, 400, 403, 406, 410, 427, 430, 444. Prévost, Jeanne-Marie (née Bellamy): 51, 52(n), 55, 56, 61, 114-132, 155, 158, 160, 161, 162, 166, 171, 217, 277, 285, 308, 309, 310, 316, 317, 318, 320, 323, 328, 334, 360, 364, 371, 396, 404, 410, 423, 437(n), 445, 511. Prévost, Pierre: 114, 115(n), 127, 128, 158, 379, 396. Prévost, René Guillaume: 114, 115(n), 118, 285, 128, 129, 239, 396. Prince Frédéric: voir Wangen. Princesse d’Orange: 383. Rabelais, François: 419. Rabours, Gédéon: 194, 204, 212, 255, 278, 435, 482. Ramsey, Mathew: 260-263. Randsau, comte de: 365. Raynal, Guillaume: 193. Réal, Marguerite: 275. Reede, Anne Elisabeth comtesse d’Athlone: 240, 346. Reede, Frits van Athlone: 240. Reede, Heilwich Adriana Amaranta (née van Lynden van de Parck): 412. Reine de Hongrie: voir Isabelle. Renswoude, Mme de: 485. Reverdil, M. : 204, 368-369. Rey, Marc-Michel: 62. Reynet, Pierre: 287, 461. Richardson, Samuel: 52. Rilliet, Marc: 196. Robillard, Jean-Louis: 331. Rochemont, Daniel de: 124-125. Rochemont, François de: 196. Romilly, Marie: 15. Roquefeuil, Mme: 378.

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INDEX DES NOMS CITÉS

Rosendaal (Rosendael): voir Torck. Rosselet, Samuel Gottlieb: 143. Rostaing, Mme: 310, 369. Rousseau, George S. : 38(n), 65, 66, 304(n). Rousseau, Jean-Jacques: 48, 52, 57, 62, 63, 64, 65, 66, 68, 89, 91, 92, 113, 121(n), 136, 138, 158, 159, 160, 161, 168, 169, 170, 176, 183, 187, 193, 194, 211, 299, 309(n), 310, 313, 318(n), 323, 334, 338, 365, 366, 367, 371, 377, 429, 450, 465, 466(n). Roveray, Jacques-Antoine du: 361. Ruisinger, Maria Marion: 25, 324(n), 330(n), 499, 500(n). Rutty, M. (fermier): 457, 477. Sadoc, Jean-Jacques: 14, 255. Saint-Cergues, Mme de: 388. Saint-Cierges (famille): 287. Saint François Xavier: 425. Saladin, Jacques: 319. Saladin, M. : 197. Saladin, M. (le colonel): 190. Salgas, Claude de Narbonne-Pelet: 191, 288, 313, 359, 438. Sander, Sabine: 20. Sandos: 197. Sandoz, Guillaume: 482. Sandoz-Rollin, Alphonse de: 169, 176, 245, 335(n), 336, 363. Sandoz-Rollin, Caroline de: 50, 58, 108, 245, 283, 327. Sandoz-Rollin, Françoise: 388. Sarasin, Jacques: 483. Sarasin, M. (médecin à Neuchâtel): 483. Saurin, Marie Anne Jeanne: 409. Saussure (famille): 231, 234, 319(n), 339, 366, 384. Saussure, Albertine de: voir Necker.

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Saussure, Alphonse de: 190, 469. Saussure, Amélie Albertine de (née Boissier): 34, 117, 177, 178, 183, 190, 192, 200, 230, 231, 235-237, 349, 376, 377, 378, 384, 387, 399, 401, 404, 415, 444, 448, 475, Saussure, César de: 201, 261, 265(n), 269(n). Saussure, Horace-Bénédict de: 48, 51, 58, 62, 63, 66, 67, 68, 69, 70, 76(n), 88, 89, 113, 130, 138, 158, 159, 161, 168, 170, 171, 176, 177, 202, 203(n), 206, 219, 231235, 236, 237, 238, 254, 258, 270, 278, 307, 308, 310, 313, 316(n), 321, 322, 335, 349, 381, 384, 414, 432, 436, 444, 446, 461(n), 462, 473, 474, 486, 487(n), 490, 509, 511. Saussure, Judith de: 59, 60, 113, 190, 194, 233-235, 237, 345, 360, 371, 377, 378, 401, 404, 413, 415, 436, 451(n), 459, 469, 483-484, 485, 486. Saussure, Nicolas de: 232, 487. Saussure, Nicolas Théodore de: 206, 232, 238, 276, 344, 396. Saussure, Renée (née De la Rive): 192, 232-233, 319(n), 339, 376. Sauvan, André: 275, 291, 294. Savary, M. : 462. Savioz, Raymond: 72. Sawyer, Ronald: 294. Schaafroth (Schafroth), M. (vacher): 150. Schafter, Charles Théodore: 153, 154. Schaltenbrandt, Benedikt: 153. Schilden, M. : 403, 428, 494. Schnegg, Brigitte: 19. Scholl, Abram-Frédéric: 270-271, 281, 340.

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Scholl, Friedrich Salomon: 144, 222, 277, 278, 279, 351, 440. Schultz, M. : 457. Schüppach, Michel: 201, 261, 265, 269, 278, 294, 295, 319(n), 466. Ségur, Mme de: 352. Senarclens, Sébastien de: 47. Servan, Antoine Joseph Michel: 257. Sévigné, Madame de: 52, 56(n), 92(n), 114, 176, 218, 326, 400(n). Sigerist, Henry: 11. Sirvin, Mlle: 257. Six, François: 273. Sloane, Hans: 26, 247. Smith, Lisa Wynne: 26, 504(n). Smollet, Tobias: 160(n), 441, 468. Sontag, Susan: 30. Soubeyran, Jean-Louis: 157, 159. Spicher, M. (l’abbé): 306(n), 320, 478. Staël, Germaine de (née Necker): 91-92. Stahl, Georg Ernest: 123(n), 458. Sterne, Laurence: 60(n), 468. Stolberg, Michael: 24, 25, 90(n), 166(n), 216(n), 332(n), 360(n), 376(n), 507, 509, 512. Stollberg, Gunnar: 21. Storch, Johann: 24, 35, 130, 204(n). Sturler, M. : 302. St-Yves: 281, 455. Sutton, Robert: 289. Swieten, Gerard van: 60, 80, 81(n), 82, 89, 232, 437(n). Taylor, John, chevalier de: 291. Tingry, Jean-François: 110(n), 483. Tissot, Samuel Auguste: 25, 32, 57, 84(n), 87, 89, 99, 102, 104,

INDEX DES NOMS CITÉS

116(n), 121, 122, 138(n), 140, 141(n), 144, 146, 158, 159, 160(n), 162, 166, 167, 168, 181, 192(n), 213, 222, 238, 239, 241, 256, 256(n), 266-269, 270, 272, 274, 279-281, 288, 294, 295, 301, 312, 313, 314, 317, 324, 327(n), 330(n), 338, 340, 350, 354, 359, 381(n), 382, 385, 386, 388, 391, 400, 408, 433, 435, 437, 440, 441, 442(n), 446(n), 452, 453, 458,462, 464, 465, 466(n), 475, 477(n), 478(n), 488-489, 493, 496, 499. Torchon Dufourchet, M. : 374, 397, 400, 402, 433. Torck, Eusebia Jacoba (baronne de Rosendaal-Rode van Heeckeren): 346, 439. Torrel, Mme: 198. Tournes Rilliet, Jean de: 327, 372373. Tournes Rilliet, Judith de: 218, 309. Trembley (famille): 124. Trembley, Jean: 66-70, 89(n), 371. Tronchin, Anne-Caroline (née Boissier): 190, 241(n), 326, 448. Tronchin, Elisabeth-Charlotte (née Boissier): 205. Tronchin, François: 417. Tronchin, Théodore: 75, 76, 77, 78, 80, 168, 226, 228, 229, 232, 234, 249, 251, 264(n), 273, 281, 287, 320, 354, 434, 447, 457, 483, 510. Tucker: 190. Tulleken, Ambrosius Pieter: 316317. Tulleken, Suzanne: 195, 288, 316(n), 488. Turrettini, Gédéon: 411. Turrettini, Jean-Alphonse: 208. Turrettini, Jean-Jacques: 313.

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Turrettini, M. : 478. Turton, John: 230, 467. Tuyll van Serooskerken (famille): 103. Tuyll van Serooskerken, Diederik Jacob van (le père): 470, 492. Tuyll van Serooskerken, Diederik Jacob van (dit Dittie, le fils): 186, 330, 339, 341, 414, 469-471. Tuyll van Serooskerken, Helena (née de Vicq): 189, 289, 356357. Tuyll van Serooskerken, Hendrik Willem Jacob van: 400. Tuyll van Serooskerken, Isabella Agneta Elisabeth: voir Charrière, Isabelle. Tuyll van Serooskerken, Johanna Catharina (née Fagel): 58. Tuyll van Serooskerken, Johanna Maria: 245, 322. Tuyll van Serooskerken, Reinout Diederik van: 178. Tuyll van Serooskerken, Vincent Maximiliaan van: 35, 178. Twickel, Charles de: 96. Van Swift: 281. Veillard, Georges Louis: 429. Verdeil, François: 168(n), 257(n), 281. Vernet, Antoinette: 384, 444(n). Vernet, Jacob: 313, 322(n). Verrey, M. de: 495. Verrey, Mme de: 462. Vieusseux, Barbe (née Rotmond): 178, 428. Vieusseux, Gaspard: 244, 275, 354, 355(n).

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Vieux, M. : 204. Vigarello, Georges: 17-18. Vignier, Pierre: 209. Vila, Anne: 327. Villardin, Mme: 315. Villars, Mme de: voir Chandieu, Angletine Charlotte. Voirol, David: 223. Voltaire (Arouet, François-Marie): 62, 63, 64, 159(n), 191, 234, 438. Voulonne, Ignace: 281. Voumard, Pierre: 145, 221. Vulmude: 281. Walker, Corinne: 205. Wangen, Frédéric (prince-évêque de Neuchâtel): 284. Warens, Françoise-Louise de: 168, 349. Watt, Friedrich-Ludwig: 142, 153, 224, 225, 277, 279, 500. Weber, M. (chambrier de l’abbé de Bellelay): 338. Weber, Max: 29. Wetzel, M. (médecin): 251, 313(n). Wild, Wayne: 26, 113(n), 218(n), 507. Williams, M. : 289, 357. Wilmsdorff, Mme A. H. : 364, 402. Wingan, M. (chirurgien-médecin): 141. Winslow, Jacques-Bénigne: 140. Witz, Gaspard: 137, 144. Wulknitz, M. de: 357. Zimmermann, Johann Georg: 19. Zuylen, Belle de: voir Charrière, Isabelle de.

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INDEX DES LIEUX CITÉS Aigle: 137, 347(n). Aix-en-Provence: 470, 471, 494, 470. Aix-les-Bains: 56, 103, 207, 213, 334, 438, 473, 475. Alicante: 228, Allemagne: 291(n), 391, 482. Amsterdam: 58, 398. Angermünde: 401, 416. Angleterre: 22, 184(n), 262(n), 375, 377(n), 387(n), 394, 411(n), 460. Aubonne: 281, 489(n). Avignon: 469, 494. Avully: 396. Baar: 205, 335. Bagnols: 470. Bâle: 133, 136, 141, 291(n), 367, 407. Balruc (eaux de): 467, 469(n). Bellegarde: 394 Bellelay, abbaye: 225, 377 Berlin: 447, 458. Berne: 36, 103, 133, 137, 139, 143, 151, 227, 248(n), 293, 394. Bex: 229, Bienne: 135, 137, 144, 153, 221, 222, 225, 279, 332, 349. Bologne: 23, 419. Bonvard: 477. Bordeaux: 237, 311. Boujean: 138. Bourbon: 473. Büren an der Aare: 138. Castres: 256.

Céligny: 396. Cernay: 465. Chaindon: 134, 150, 154. Chambéry: 262, 339(n), 394. Châtelaine: 275, Chaux-de-Fonds: 393 Chêne (Chesne): 349, 386. Chexbres: 105, 219, Chypre: 454. Colombier: 102, 106, 194, 268, 395, 428, 471,483. Copenhague: 466. Corgémont: 150, Corse: 200, 394, 432. Cossonay: 257, Court: 285. Courtelary: 133, 145, 221, 282(n), 347, 411(n). Danemark: 344, 465. Dauphiné: 275, 470. Ecublens: 256. Edimbourg: 51(n), 53, 190. Espagne: 448. Europe: 24, 52(n), 283, 314(n), 351, 353. Evilard: 425. Fernex: 438. France: 141, 143(n), 187, 291(n), 305, 351, 378(n), 383(n), 392, 400, 435(n), 441, 458, 461, 463, 465(n), 470. Franches-Montagnes: 53, 132. Friedensbourg: 466.

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Fuerstenstein (château): 152, Genève: 46(n), 51(n), 57, 62, 77, 80, 104, 127, 185, 187(n), 188, 194, 195, 196, 198, 215, 233, 236, 238, 246, 261, 274, 275, 276, 282(n), 286, 289, 292, 311, 313, 319, 324, 331, 347, 353(n), 354, 355(n), 356, 383, 395, 398399, 405, 408, 415, 418, 427, 429, 461, 461(n), 463, 469, 478, 483, 484(n). Genthod: 87, 190, 229, 249. Göttingen: 394. Grande-Bretagne: 264, 457(n), 460, 461, 509. Gourniguel (eaux): 227, 464. Hanau: 390, 457, 466, 494. Hollande: 128, 213, 391(n), 392, 470. Hongrie: 75. Italie: 106, 143(n), 187, 394, 395, 470, 497(n), 508(n). Jura: 255, 404. Landrecies: 465. Langnau: 201, 466. Languedoc: 470. La Haye: 203, 389, 466. Lausanne: 149, 201, 203, 240, 268, 270, 274, 280, 281(n), 289, 347(n), 374, 399, 403, 438, 441(n), 463, 469, 470, 471, 475, 496. Lavaux: 79. Lille: 465 L’Isle: 280, 350. Loèche: 103, 104, 257, 273, 322, 342, 365, 404, 472(n), 473, 474, 475.

INDEX DES LIEUX CITÉS

Londres: 183(n), 206, 397, 398, 419, 460(n), 500. Lucerne: 144. Lyon: 197, 248, 274(n), 286, 287. Marseille: 106, 346, 467, 471, 471(n). Mex: 240, 241, 274, 385, 402. Montauban: 470. Montpellier: 235, 237, 237(n), 238(n), 247, 248, 261, 262(n), 273(n), 391, 401, 451, 451(n), 457, 467(n), 469, 483, 484, 493(n). Morat: 248, 374, 458. Morges: 269(n), 271, 274, 340. Moutier Grandval: 276. Naples: 414, 469(n), 471. Neuchâtel: 46(n), 58(n), 135, 140, 202, 220, 268, 270, 283, 311, 380, 395, 406, 483, 492. Neuveville: 153, 224. Nice: 468, 469(n), 471. Nîmes: 469. Nouveau monde: 352. Nyon: 286, 393. Orbe: 243, 273. Orvin: 132. Paris: 39, 47, 102, 106, 129, 158, 248(n), 260, 261, 283, 334, 355, 392, 399-400, 411, 414, 417, 429, 444, 451, 455, 459, 463(n), 464(n), 470, 481(n). Payerne: 106. Pays-d’Enhaut: 347(n). Penthaz : 402. Perroy: 87, 348, Péry: 134, 135, 282(n), 352. Pfeffer (Pfeffers): 227, 463. Pise: 468, 469(n).

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INDEX DES LIEUX CITÉS

Plombières: 104, 269, 320(n), 322, 472, 473, 474, 475, 487, 493. Pontarlier: 392. Provence: 470. Prusse: 219, 458. Pyrmont: 463, 486, 493. Raismes: 465. Reuchenette: 138, 141. Rhône: 467. Roche (près de Bex): 79 Rolle: 87, 177, 203, 205, 345, 464. Rome: 397, 398(n), 469(n), 471. Saconnex: 396. Sacourt: 153 San-Fiorenzo: 394. Schinznach: 475. Sedlitz : 464. Seltz : 317, 450. Sévery: 274. Smyrne (Izmir): 213 Sornetan: 262. Spa: 82, 103, 237, 445(n), 462, 472. St-Gervais: 244, 252. St-Imier: 132, 144, 154. St-Médard (paroisse à Paris): 295. St-Quentin: 405.

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Strasbourg: 139, Suisse: 143(n), 390, 391, 392, 411(n), 473. Suisse alémanique 46(n), Suisse romande: 46. Tavannes: 133, 137, 138, 152, 153, 293, 349, 393(n), 411(n). Thônex: 396. Toulon: 432. Tramelan: 137. Turin: 348, Valais: 104, 473. Vallorbe: 327, 404. Vaudier: 461(n), 473. Venise: 150, 442. Vevey: 104, 269, 317, 329. Vichy: 473. Villeneuve: 478. Vuache: 151. Westphalie: 403. Wiltshire: 289. Yverdon: 272, 273, 277, 474. Zutphen: 469.

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TABLE DES MATIÈRES Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Le « patient » et l’histoire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Concepts et méthodes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

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Première partie – « Je » et santé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . I. Corps publics ou cas privés? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Du « syndrome » de l’homme de lettres à celui de Charles Bonnet . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Femme de lettres: la vie chaotique d’Isabelle de Charrière . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . II. Hommes et femmes, parcours ordinaires . . . . . . . . . . . . . . Chronique d’une maladie annoncée: « Quand hiver et hiver se rencontrent, il n’y a pas moyen d’éviter le gel ». Un homme, une vie: le pasteur Frêne (1727-1804) . . . . . III. « Je souffre dans moi »: maux et sens . . . . . . . . . . . . . . . . .

43 61

114 132 157

Deuxième partie – Santé et société . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . I. Malades en communauté . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Apparences et santé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Le groupe patient: rendre visite, soigner . . . . . . . . . . . . . . II. Observateurs et soignants laïcs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . La famille et le cadre domestique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Rôles laïcs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . III. Les « secours »: l’intervention des professionnels . . . . . . . Empathie, tact et distance professionnelle . . . . . . . . . . . . . Malades et praticiens: l’appartenance? . . . . . . . . . . . . . . . Les secours: un bilan . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

173 181 182 191 211 214 253 259 267 270 294

Troisième partie – Vers une grammaire des maux . . . . . . . . . . . . I. Nomenclature laïque de la santé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Fonctionnements invisibles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Nommer et décrire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Le corps compromis . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

297 307 312 324 329

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II. Le corps éprouvé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . La durée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Constitutions et tempéraments « particuliers » . . . . . . . . . Le corps sexué . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Le corps perméable . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Enjeux de la culture médicale laïque . . . . . . . . . . . . . . . . .

359 362 365 375 389 419

Quatrième partie – « Ne l’oubli pas, cela peut être utile »: laïcs, remèdes et savoirs médicaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . La morale de la modération: la discipline de soi . . . . . . . . Transformations douces: le régime . . . . . . . . . . . . . . . . . . Redonner des forces, chasser le mal: les remèdes . . . . . . . De cas en cas: les laïcs et les savoirs . . . . . . . . . . . . . . . . . Le besoin de savoir: certitudes et incertitudes . . . . . . . . .

421 426 431 434 479 490

Epilogue . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 503 Liste des abréviations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 515 Glossaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 517 Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Sources manuscrites . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Sources publiées . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Monographies, chapitres d’ouvrages et articles . . . . . . . .

523 523 530 535

Liste des illustrations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 565 Index des noms cités . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 567 Index des lieux cités . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 581

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