Commentaires du "Traité des Pères", "Pirqé Avot" (POCHE) 2864325578, 9782864325574

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Commentaires du "Traité des Pères", "Pirqé Avot" (POCHE)
 2864325578, 9782864325574

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Table of contents :
Couverture
Titre
Introduction
Préléminaire
Les sentences du traité Avot
Situation du traité Avot dans la Michna
Enjeu du traité Avot
Les fins de l'homme
Note pour la présente édition
Chapitre I
Chapitre II
Chapitre III
Chapitre IV
Chapitre V
Chapitre VI
Glossaire
Abréviations bibliques et talmudiques
Table des Matières

Citation preview

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Licence eden-2123-41-4747304-41-96003082-12916387 accordée le 27 avril 2020 à [email protected]

Commentaires du Traité des Pères

Éditions Verdier 11220 Lagrasse

Moïse Maïmonide Rachi, Rabbénou Yona le Maharal de Prague Rabbi Hayim de Volozyne

Commentaires du Traité des Pères Pirqé Avot

Traduction de l’hébreu, introduction et notes par Éric Smilévitch

Verdier/poche

11200 Lagrasse www.editions-verdier.fr Cette édition a reçu le soutien de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah

© Éditions Verdier, 1990 isbn : 978-2-86432-812-4 issn: 1952-2134

INTRODUCTION

« Aimez la vérité et la paix» (Zacharie 8:19) - sache que la vérité désigne les vertus intellectuelles, car elles sont vraies et ne changeront jamais, et que la paix désigne les vertus morales, car c'est grâce à elles qu'aura lieu la paix dans le monde. MOÏSE MAÏMONIDE / RAMBAM, Introduction au Traité Avot, chap. 4.

Préliminaires Du livre coule de l'encre, alors qu'on le croit sec, et qui sait le lire y emplit sa plume; les lettres s'ajoutent ainsi aux lettres, et leur prose s'étire, s'étend siècle après siècle; tellement que l'écriture aurait noyé le monde en son déluge, si elle ne répétait toujours la même chose. L'encre retourne donc au livre, qui interpelle la plume puis réclame son dû. Certains s'en croient quittes et perdent ainsi le sens de leur propre parole. Alors, de leur égarement, ils battent le rappel: « Joignez-vous à nous, c'est impératif, que nous sachions où nous sommes. »Mais où

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règle une dimension historique et généalogique qui ne se refermera plus. Pour en saisir la portée, il faudra cependant se défaire de la relation d'évidence abstraite qui gère communément le rapport de chacun à la règle éthique et intellectuelle, et pour laquelle il importe peu de connaître celui qui parle. On ne comprendrait pas, sinon, que pour« aimer la paix », comme le commandent les Pirqé Avot, il faille devenir le disciple d'Aaron, frère de Moïse, comme on le dit alors 2. Mais si l'on consent à faire un pas hors de la région des abstractions vides, on concevra facilement que la question est d'abord plus ardue qu'elle n'y paraît: le privilège de la paix sur la guerre est une question philosophique ouverte et l'objet, pour chacun, d'un fort débat intérieur; tandis que le privilège de la paix sur ce que chacun considère comme étant son « bon droit » ou son honneur, qui paraît l'enjeu de cette formule des Pirqé Avot à suivre le travail des commentateurs à cet endroit, relève manifestement d'un domaine que peu ont eu l'audace d'envisager. Qui, entendant cette parole, s'avancerait à l'orée de ce champ, comprendrait l'importance de l'assignation d'une telle parole et d'un tel commandement, car la chose ainsi désignée n'est pas offerte au maigre horizon de nos évidences habituelles et si, de plus, on se souciait d'en connaître la signification et la valeur, il nous faudrait savoir auprès de qui l'apprendre. Telle est la configuration du traité Avot: croisement de la règle et de l'enchaînement des générations, puisque le sens d'une parole se découvre seulement auprès de celui qui l'a dite; mais qui se déclarerait quitte de cette recherche des « pères» ne saurait plus situer la« cause » et l'enjeu qui détermine sa pensée et ses actes, ni la signification des mots qui habitent son esprit. On s'épargnera ici l'examen de la profération vide qui s'énonce aujourd'hui sous l'étiquette d'« amour de la paix », car chacun la connaît et la méprise, ouvertement ou secrètement, pour cette raison-là justement, qu'elle se trouve dans toutes les bouches, y compris dans la bouche des assassins. La disparition totale du 2. Chap. 1, michna 12 : « Hillel dit: Soyez les disciples d'Aaron, aimez la paix et recherchez la paix. »

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contenu est le sort qui guette toute parole dont une génération aurait oublié le sens et ne se souviendrait que des mots. Et lorsque la parole se rétracte ainsi et que son sens se raréfie, la conduite humaine qui l'accompagnait et l'exprimait disparaît à son tour, ou bien se mue en quelque imaginaire singerie de ce qu'elle aurait dû être. A cet égard, seule la reprise d'une telle parole, apprise au niveau de celui qui l'a proférée et en a déterminé la signification et la portée, délivre de la répétition vide ou parfois sordide, et inaugure le style particulier de conduites et de mœurs auquel convie la parole sensée. On comprendra mieux, en se faisant cette réflexion, que la dimension historique et généalogique ouverte au cœur de la règle découvre la réalité fragile et précaire de celle-ci, qui ne dure que l'instant d'une parole vivante; elle brille un temps chez quelques hommes, s'éteint, s'éclaire de nouveau, s'éteint et recommence, peu de temps en tout et pour bien peu d'hommes en définitive. Le traité Avot est une trame où se croisent en chaque point diachronie et synchronie: toute règle éthique et intellectuelle lancée dans le courant des générations est arrimée à celui qui l'énonça, lequel s'arrime à son tour à l'enseignement des générations antérieures. Ainsi se constitue la chaîne de la transmission de la Torah qui apparaît dans les premiers chapitres. Cette continuité de fond, dont nous n'avons exposé au demeurant que la raison, saisit l'ensemble des énoncés du livre et les noue à un projet et à une attitude communs qui se déploient depuis la réception de la Torah par Moïse jusqu'aux tanaïm, les maîtres de l'époque de la Michna. Les Pirqé Avot sont ainsi tissés de ces deux fils, la double signification du mot « pères» : les premières générations en ce qu'elles ont fondé et les principes et les causes qui règlent la pensée et l'acte; c'est ce que ce traité décrit sous forme généalogique et c'est ce qu'il énonce dans les sentences des sages. La même raison gouverne à son tour, non seulement l'écriture du traité, mais aussi son existence comme livre: « Ce livre est intitulé Pirqé Avot (chapitres des Pères) parce qu'y sont mises en ordre les paroles des pères qui vinrent en premier et reçurent la Torah les uns des autres, tels Moïse, Josué, les Anciens jusqu'aux gens de la Grande Assemblée,

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Chamaï, Hillel, Rabban Yohanan fils de Zakaï et ses disciples. Et Rabbi (i.e. l'auteur du traité ainsi que de toute la Michna) nous fait connaître [en ce livre11a justesse de leurs comportements ainsi que la manière dont ils mettaient en garde leur génération et la conduisaient sur le droit chemin. De la même façon, il convient que chaque sage mette en garde sa génération et la conduise sur le droit chemin. » 3 De là une remarque, pour clore ces préliminaires: la parole apparentée au genre qui se déploie en ce livre annonce toujours où elle commence, mais ne saurait dire où elle finit. j'entends évoquer ainsi, non seulement son ouverture diachronique relancée au-delà du texte comme il vient d'être dit, mais aussi le mode selon lequel ses énoncés résonnent. L'enchaînement des générations par les cordes de la parole est en effet l'occasion de toutes les fictions et de toutes les impostures. Et la roue de l'histoire des peuples ou des individus tourne souvent en vain autour d'un point imaginaire que le délire de quelque grand personnage a désigné pour centre. Notre intention n'est pas de nous étendre sur ce sujet, mais d'indiquer que l'on trouvera dans ce traité et ses commentaires la matière suffisante pour commencer à s'en délivrer. En ce sens, les sentences des sages n'en finissent pas de se faire entendre, parce qu'elles ne cessent de donner la mesure. Mais cela n'est vrai que si celui auquel elles s'adressent accepte de compromettre un peu sa personne et sa pensée. Car il n'y a de « paroles des sages », en dernière analyse, que pour qui y cherche sa propre parole.

Les sentences du traité Avot

Les Pirqé Avot, ou simplement traité Avot comme le nomme la Guemara (B.Q. 30a), font partie de la Michna et prennent place à la fin du quatrième ordre, soit le Seder 3. Commentaire de la dernière michna du chap. 6, attribué à Rachi.

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Nezikin (ordre des« dommages» ou« préjudices »). Ils ont donc été écrits avec celle-ci au cours du II' siècle de notre ère, par Rabbi Juda Hanassi (le Prince), appelé aussi Rabbi. Mais les sentences qu'il rapporte sont l'enseignement des sages qui vécurent entre le v' siècle avant notre ère et le II' siècle de notre ère, en terre d'Israël pour la plupart d'entre eux. Puisque plusieurs générations de sages apparaissent dans ce livre, nous avons jugé utile de les situer les uns par rapport aux autres et de rapporter en conséquence la présentation qu'en donne le Rambam (Moïse Maïmonide) dans son introduction générale à la Michna, ne retenant que les noms qui figurent dans le traité Avot 4. 1" génération: Chimon le Juste (1 :2) et Rabbi Dossa fils de Harkinos (3:10) ; ce dernier aurait vécu jusqu'à l'époque de Rabbi Akiba '. 2' génération: Antigone de Sokho (1:3). 3' génération: Yossé fils de Yoézer de Tséréda et Yossé fils de Yohanan de Jérusalem (1:4-5). 4' génération: Josué fils de Perahia et Nitaï d'Arbel (1:6-7). 5' génération: Juda fils de Tabaï et Chimon fils de Chatah (1 :8-9). 6' génération: Akabya fils de Mahalalel (3:1), Chemaya et Abtalion (1:10-11). 7' génération: Chamaï (1:13) et Hillel (1:12-14, 2:4-7), Rabbi Yohanan fils de Bagbag (5:22), Rabbi Nehounia fils d'Hakana (3:5), Rabban Gamliell'Ancien, petit-fils d'Hillel (1:16) et son fils Chi mon (1:17). Ces sept générations vécurent entre le début et la fin du second Temple, mais ne connurent pas sa destruction. 4. Nous avons ajouté entre crochets les noms qui ne figurent pas dans la liste du Rambam, lorsqu'il est possible de les situer. Les numéros entre parenthèses qui suivent les noms des sages indiquent successivement le chapitre et la michna où ils apparaissent. Enfin, il n'est pas tenu compte ici du chapitre 6, la raison en est indiquée plus loin. 5. Au sujet de ce personnage, voir chapitre 1, note 1.

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La génération qui suit, en revanche, fut contemporaine de sa destruction. Il s'agit de Rabbi Eliézer fils de Jacob (4: Il), Rabbi Tsadok (4:5), Rabban Yohanan fils de Zakaï (2:8-9) et ses disciples (2:8-14), Rabbi Elazar Hamodaï (3:11), Rabbi Hanania, assistant du grand prêtre (3:2), Rabban Chimon fils de Gamliel, petit-fils de Rabbi Chimon mentionné plus haut (1:18), Rabbi Hanania fils de Dossa (3:9-10), Rabbi Hanania fils de Teradion (3:2), Samuel le Petit (4:19), Rabbi Hanina fils de Hakhinaï (3:4) [et Rabbi Nehounia fils d'Hakana (3:5)]. 2' génération après la destruction du Temple : Rabbi Tarfon (2:15-16), Rabbi Akiba (3:13-16), Rabbi Elazar fils d'Azaria (3:17), Rabbi Ismaël (3:12, 4:5), Rabbi Yohanan fils de Beroka (4:4), Rabbi Ismaël son fils (4:5), Rabbi Elazar Hisma (3:18), Rabbi Juda fils de Teïma (5:20-21), [Rabbi Elazar de Bartota (3:7), Rabbi Matia fils de Harach (4:15) et Elicha fils d'Abouya, surnommé « l'Autre » (4:20)]. 3' génération après la destruction du Temple: Rabbi Méïr (3:8,4:10,4:14), Rabbi Juda (4:13), Rabbi Yossé (4:6), Rabbi Yohanan le Sandalier (4:11), Rabbi Elazar fils de Chamoua (4:12), Chimon fils d'Azaï (4:2), Chimon fils de Zoma (4:1), [Rabbi Eliézerfils de Jacob (4:11) et Rabbi Halafta (3:6) ?J. 4' génération après la destruction du Temple: Rabbi Juda Hanassi (2:1, 4:20), Rabban Gamliel son fils (2:2-4), Rabbi Chimon fils de Yohaï (3:3, 4:13), Rabbi Chimon fils d'Elazar (4:18), Rabbi Ismaël fils de Rabbi Yossé (4:7-8), Rabbi Yonathan (4:9) [et Rabbi Jacob (3:7, 4:16-17)J. Avec cette génération s'achève l'époque des sages de la Michna. Les autres sages cités par le traité Avot sont difficilement situables, il s'agit de Rabbi Lévitas de Yabné (4:4), Rabbi Dostaï (3:8) et celui qui est peut-être son père Rabbi Yanaï (4:15), Rabbi Yossé fils de Juda du village de Babli (4:20), Rabbi Elazar Hakapar (4:21-22) et Ben Hé Hé (4:23). La chronologie des générations des sages qui figurent dans le traité Avot ne suffit cependant pas et notre travail sur ce point ne serait achevé que si, en regard de celles-ci, nous pouvions connaître aussi la situation de leur génération propre-

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ment dite et les attitudes de leurs contemporains, que les sages, par leurs sentences, devaient « mettre en garde et conduire sur le droit chemin ». Car ces sentences ont toujours une destination et le contenu de leur mise en garde varie nécessairement selon les mœurs et, en général, l'horizon moral et intellectuel de leur époque. Certains passages des Pirqé Avot offrent, sur ce point, une netteté particulière, et peuvent être saisis par l'imagination du lecteur à l'endroit même où ils frappaient leurs contemporains. Lorsque Rabbi Hanina dit par exemple: « Priez pour la paix de l'empire, car sans la crainte qu'il inspire les hommes s'entre-dévoreraient tout vifs » (chap. 3, michna 2), les commentateurs ne manquent pas de signaler que l'auteur de ce propos est contemporain de la guerre contre Rome, de la défaite qui s'ensuivit et de la destruction du Temple. De ces événements, cette formule est l'écho réfléchi et offert comme directive à sa génération, pour ce qu'elle peut ainsi apprendre sur elle-même et sur l'attitude qu'elle doit adopter à l'égard du pouvoir, fût-il celui des vainqueurs. Cela ne signifie pas, et ne signifiera jamais, que les événements en question furent la cause de ce jugement de Rabbi Hanina sur la nature des sociétés et sur le fonctionnement du pouvoir auprès des hommes; car rien n'est nouveau sous le soleil, et chacun pourrait aujourd'hui formuler ce jugement pour son compte, y réfléchir et le prolonger: les événements historiques n'ouvrent les yeux que de ceux qui les avaient auparavant fermés. En revanche, l'histoire décide de l'opportunité de son enseignement et de sa formulation, elle en signifie l'importance au moment où ceux-ci sont requis. La destination de cette sentence de Rabbi Hanina, et la manière dont on peut imaginer qu'elle touchait ses contemporains, révèle la façon dont un sage envisageait de conduire sa génération et les mots qu'il lui adressait pour ce faire. Elle montre le sens et la manière dont s'exerçait la direction d'un sage sur ses contemporains, elle indique l'horizon dans lequel se produit ce qu'en ces textes l'on nomme « sagesse », ainsi que l'importance du rôle qui lui est dévolu. Ce point mérite une attention particulière. Car si le traité Avot invite chaque sage à enseigner à son

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tour le « droit chemin à sa génération », cette invitation restera littéralement lettre morte si n'est pas assumée la sagesse dont il est question. Il importe peu de répéter au vent les mots appris en ce traité, croirait-on même les avoir compris. Mais il est décisif de percevoir leur pertinence, c'est-à-dire l'attitude et le souci qui firent que ces mots, en leur contexte, avaient valeur de règle pour la direction de l'esprit et des mœurs. Or, ce qu'une analyse exhaustive de la destination de chaque sentence des sages montrerait sans le moindre doute, est que l'opportunité d'un enseignement ou d'une directive relève exclusivement d'une seule chose: de la sagesse qui les fonde. Telle est la caractéristique d'une règle éthique ou intellectuelle, sa double appartenance à la sagesse si l'on peut dire: la justesse de son contenu, la pertinence de son adresse. Car il ne suffit pas qu'une règle soit vraie, encore faut-il qu'elle règle quelque chose; et si elle n'est pas les deux à la fois, elle n'est rien du tout. Ce creux ou ce décalage à l'intérieur de la règle éthique et intellectuelle est connu du traité Avot et signifié comme tel: « Abtalion dit: Sages, prenez garde à vos paroles, de peur que vous n'encouriez la peine de l'exil et que vous ne soyez déportés vers un lieu aux eaux mauvaises, et que les disciples qui vous suivent n'en boivent et en meurent, et que le nom des cieux ne soit profané » (chap. 1, michna 11). On se reportera au commentaire du Rambam afin de mieux comprendre les éléments de son propos et son importance. Ce second aspect de la règle n'est cependant pas nécessairement historique, l'opportunité n'est qu'une des multiples variables d'un bon usage de la règle. Et quand la destination d'une sentence des sages est clairement reconnaissable, comme lorsqu'une mise en garde est adressée aux juges qui ont à gérer les différends entre les hommes, son usage reste en permanence ouvert au champ de l'expérience et à la multiplicité des situations dans lesquelles elle aura à s'exercer. Il est dit ainsi à l'intention des juges: « Réitère de nombreuses fois l'interrogatoire des témoins et prends garde à tes paroles, de peur qu'à travers elles ils ne s'instruisent pour mentir » (chap. 1, michna 9). Or, Chimon fils de Chatah, l'auteur de cette

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michna, n'a pas précisé combien de fois il faut répéter l'interrogatoire des témoins, ni sous quelle forme, ni s'il faut à chaque fois en modifier la forme; il n'a pas indiqué non plus comment un juge peut, concrètement, prendre garde à ses paroles pour que les témoins ne l'abusent pas, ni si la multiplication des interrogatoires ne risque pas de se retourner contre lui, et comment l'éviter, etc. Si l'on prête attention à cette question, on constatera que la totalité de la pertinence ou de la vérité concrète de cette règle est laissée au soin du travail de l'imagination, de la réflexion et de l'expérience. En dernier ressort, cette michna n'est qu'une invitation à réfléchir dans une certaine direction. La règle qu'elle énonce ne fixe strictement aucun usage, mais requiert seulement une attitude générale de la part des juges, tandis que son application et son incidence concrètes ne relèvent que de leur expérience et de leur sagesse. Déduisons de ces remarques la conséquence la plus généraie: le style des sentences des Pirqé Avot est de tisser une trame très « lâche », dont il revient au lecteur de resserrer les maillons. J'entends que les éléments concrets, qui seuls permettent une compréhension authentique des règles énoncées, sont entièrement laissés à la réflexion et à l'imagination de ceux auxquels elles sont adressées. Mais il faut cependant ajouter que l'adresse elle-même n'est plus pour nous précise, sauf en quelques occasions, ou bien lorsqu'il s'agit des sages eux-mêmes et des juges, car le profil des générations qui devaient être par elles enseignées nous est trop souvent inconnu. Ainsi, cette dimension particulière de la sagesse des sages de la Michna, l'art de diriger leur génération, nous estelle souvent à peine perceptible. C'est une lacune qui, si elle était laissée en l'état, serait considérable, tant pour la compréhension de l'enjeu et de la fin visés par chaque sentence des Pirqé Avot, que pour la compréhension de cet aspect de la sagesse qui hante les rêves des peuples policés, à savoir la sagesse politique. Il n'entre pas dans notre propos de prolonger la réflexion en cette matière, il nous suffit d'indiquer l'importance du problème soulevé. Mais on la reconnaîtra

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peut-être plus facilement par l'intermédiaire d'un exemple. Au chapitre 4, il est écrit: « Rabbi Matia fils de Harach dit: [...] Sois à la queue des lions plutôt qu'à la tête des chacals» (michna 15). Le sens de la directive est clair et Rachi l'exprime parfaitement en disant: « Sois plutôt à la queue des gens de bien qu'à la tête des vauriens. » Mais la difficulté naît aussitôt, car échanger une place au sein d'un groupe humain, pour une autre au sein d'un autre groupe humain, implique un jugement sur la valeur respective des groupes en question. Or, le principe auquel doit obéir un tel jugement n'est pas énoncé. Du coup, la règle est sans doute belle, mais elle ne règle rien, tant que n'a pas été dévoilé le jugement social sur lequel elle repose. Nous pourrions nous arrêter là, et considérer que la morale est sauve, ce qui, aux yeux de beaucoup, constitue l'essentiel. Mais il est dommage de parler pour ne rien dire. Nous ajouterons donc un autre élément, totalement extérieur au traité Avot. Dans la Vie des hommes illustres (César, 11), Plutarque rapporte que Jules César s'était exclamé devant ses soldats: Mieux vaut être premier parmi les Barbares que second à Rome. Son propos est manifestement passé en proverbe. Or, Rabbi Matia fils de Harach partit pour Rome, un peu moins d'un siècle après, et y fonda unE: yéchiva (aeadémie d'étude). Si le rapport entre ees deux formules existe, comme nous le supposons, la sentence énoncée par Rabbi Matia fils de Harach est l'exact contrepied littéraire de l'exclamation de Jules César. Comme exercice de la parole, ce contre-usage littéraire est déjà riche d'enseignement. Mais il y a plus, car la formule de César n'exprime pas un point de vue très original dans le monde romain, mais reflète au contraire assez crument un comportement social élémentaire de la cité gréco-romaine. La philotimia, l'amour des honneurs: « Aucun mot pris dans son sens le plus profond ne mène plus loin dans l'explication des réalisations grecques et romaines 6 » ; car l'ambition sociale et 6. R. Mac Mullcn, cité par P. Brown, Genèse de l'Antiquité tardive, Paris, 1983, p. 72.

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la compétition entre les groupes sociaux est le moteur le plus puissant de la cité antique, sa dynamique et le principe de son expansion. Être le premier, peu importe où, même chez les Barbares, c'est un Romain qui le dit. On conçoit alors un peu mieux quel point la sentence de Rabbi Matia fils de Harach touchait chez ses contemporains, plongés dans la vie de la cité romaine: l'ambition sociale, la philotimia, érigée en principe d'existence. Du coup, il n'importe plus de choisir entre les groupes sociaux, puisque ce que sa formule remet en cause c'est le mécanisme social élémentaire du monde dans lequel il vit. En inversant celui-ci, il n'invite pas à changer de groupe social mais à se détacher d'un certain mode d'insertion dans la vie de la cité. Cela n'est évidemment qu'une interprétation, nous avons peutêtre raison ou bien tort ; ce qui importe au demeurant est de percevoir le commencement de la question: lorsque l'on saisit en soi-même le point visé par la sentence d'un sage, on peut déduire à peu près l'endroit que lui-même visait chez ses contemporains et ce qu'il entendait leur dire; du point de vue moral, la règle alors prend forme. Mais lorsque nous ne percevons plus la pertinence de ces sentences ou de leur style, comme celle de Rabbi Matia fils de Harach, il vaut la peine de chercher la manière dont ses contemporains les recevaient, pour déduire alors inversement ce qui d'elles nous touche encore et de quelle façon. L'enjeu d'une telle recherche n'est pas historique mais moral. Car il est arrivé souvent que l'on justifie la formule de Rabbi Matia fils de Harach - être à la queue des lions plutôt qu'à la tête des chacals - en expliquant que le dernier des lions vaut tout de même mieux qu'un chacal; mais, au fait, puisque tout homme se prend pour un lion, cela revient seulement à dire que ma place est meilleure que la tienne. Une fois la Michna close, le traité Avot aurait dû suivre le destin commun aux autres traités qui la composent. Il s'en échappera cependant, et connaîtra une sorte de double vie. La coutume des communautés juives de Babylonie, qui s'est progressivement étendue à d'autres parties de la diaspora, était, en effet, de lire les Pirqé Avot lors du chabat, pendant une certaine période de l'année. Cette habitude semble remonter à l'époque

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des gueonim et apparaît déjà instituée dans le Sidour de Rav Amram Caon au IX' siècle, qui rapporte au nom de Rav Sar Chalom Gaon qu'il s'agit d'une coutume déjà ancienne, pratiquée dans les yechivot de Babylonie; c'est ce qu'indique aussi le Sidour de Rav Saadia Caon (x' siècle). Elle est mentionnée encore par le Mahzor Vitry (141) au nom de Rav Chalom Sar Gaon et par le Sefer Hapardès (4) de Rachi (fin du XI' siècle), ainsi que dans le Sefer Haètim (197) de Rabbi Yehouda Barzilaï (Barcelone, XII' siècle) au nom de Rav Netronaï qui viendrait de Babylonie. La conséquence de cette institution fut très probablement l'ajout du sixième chapitre à un livre qui n'en comptait à l'origine que cinq, car il semble que la pratique initiale était de lire les Pirqé Avot pendant les six semaines qui séparent Pessah de Chavouot, soit un chapitre par semaine. Ce chapitre, intitulé« L'acquisition de la Torah» ou« Chapitre de Rabbi Méïr », n'a donc pas été écrit par Rabbi; c'est une braita que l'on retrouve en Kala Rabbati 8 et dans le Seder Eliahou Zouta 17, et qui semble d'un siècle au moins postérieure à la Michna. Celui-ci porte la marque de la double vie des Pirqé Avot, puisque de nombreux commentateurs l'ignorent, y compris les Avot de Rabbi Nathan qui sont le premier déploiement du traité Avot à l'époque de Rabbi lui-même, sinon à l'époque de la Guemara. Il est vrai que ce chapitre n'a pas toujours la densité ni la précision du traité Avot, et nous ne l'avons inclus pour notre part dans cette édition que parce que l'habitude s'est progressivement imposée de le joindre systématiquement au reste du traité. Parallèlement, comme livre d'étude, les Pirqé Avot sont scellés à l'ensemble de la Michna, et leur destin de ce côté se joue essentiellement au regard de leur place et de leur rôle à l'intérieur de celle-ci. Ce qu'il nous faut examiner maintenant.

Situation du traité Avot dans la Michna Le genre des Pirqé Avot relève de la morale. C'est ainsi qu'il est reçu ordinairement, tandis que reste dans l'ombre la

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question de savoir ce que l'on entend par là. La difficulté de cette qualification est essentiellement de deux ordres. En premier lieu, la reconnaissance d'une œuvre comme partie du genre « moral » est un procédé classificatoire issu de la doxographie grecque qui distinguait à l'intérieur de la philosophie les domaines « éthique », « logique » et « physique ». De sorte que tout ce qui relève de la correction des mœurs appartient au genre éthique, quels qu'en soient la forme ou le contenu. En réfléchissant un peu, on verra que c'est l'ensemble de la tradition juive qu'il faudrait ainsi inclure dans cette catégorie, et que rien n'y prédestine davantage le traité Avot que n'importe quel autre traité de la Michna '. Dès lors, puisqu'une classification n'a que faire du plus et du moins, on voit mal ce que la qualification d' œuvre éthique ou morale peut apporter quand il s'agit de situer le traité Avot par rapport à l'ensemble de la Michna dont il fait partie. Ajoutons qu'une classe qui inclurait tout ne serait plus une classe à proprement parler, puisqu'elle ne distinguerait plus rien. La seconde difficulté est qu'ordinairement n'est pas davantage exploré l'horizon au sein duquel opère cette classification ni l'intention qui la gouverne, et que même après avoir qualifié l'ensemble de la Torah écrite et orale d'éthique, il n'est pas certain que cette terminologie s'applique bien à 7. Voyez par exemple ce que dit le Rambam dans le Guide des Égarés 3, 27 : « Le but de la totalité de la Torah est double: la correction de l'âme et la correction du corps, etc. » Le Talmud (B.Q. 30a) fait état à cet égard d'une controverse qui intéresse directement notre objet: « Rabbi Juda dit: Qui veut être intègre (hassid) doit accomplir les paroles contenues dans l'ordre Nezikin (i.e. les règles gérant les biens et les personnes). Rava dit: Il doit accomplir les paroles contenues dans le traité Avot; et d'autres disent : Les paroles contenues dans le traité Berakhot (i.e. les règles concernant les bénédictions et les prières). » Commentant ce passage dans l'introduction de son Commentaire sur le Traité Avot, le Maharal de Prague explique que « l'achèvement de l'homme se poursuit dans trois directions distinctes. Car l'homme se doit d'être parfait dans sa relation avec son semblable (i.e. enjeu de l'ordre Nezikin), il doit être parfait en lui-même et être une créature achevée (i.e. enjeu du traité Avot) et il doit être parfait envers son créateur (i.e. enjeu du traité Berakhot) » (Derekh Hayim, p. 8-9).

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son contenu et à son projet; d'autant plus qu'il n'est même pas certain, de toute façon, que la doxographie grecque en question ait parfaitement saisi le sens de son propre héritage philosophique sur ce point. Il importe donc, au premier chef, de ressaisir la situation des Pirqé Avot par rapport à l'ensemble de la Michna, pour dégager l'horizon au sein duquel apparaissent les sentences des sages et savoir en quel sens il peut être question en ces textes de « morale ». Le mieux que nous ayons à faire, en l'occurrence, est de suivre la démarche du Rambam et, supposant que la Michna soit une totalité ordonnée, d'examiner ce que la classification des traités en ordres révèle du traité Avot, au regard de sa place dans le quatrième ordre (ordre des Nezikin, c'est-àdire des « dommages » ou des « préjudices»). Voici ce que le Rambam écrit dans son introduction générale à la Michna: « Une fois achevé l'exposé de tout ce dont les juges ont besoin (i.e. pour régler les affaires entre les hommes), commence le traité Avot. Rabbi plaça le traité Avot à cet endroit pour deux raisons. La première pour te faire connaître la vérité de la transmission et du passage de la Torah orale de groupe en groupe, de sorte que l'homme sage soit tenu en respect et considéré eu égard à son importance, en tant qu'il porte la transmission de la Torah orale. Il est ainsi en sa génération comme l'étaient ses prédécesseurs en la leur, et les sages ont dit à ce sujet que s'il fallait juger du tribunal de Rabban Gamliel, il faudrait alors nécessairement juger à leur tour tous les tribunaux qui se sont succédés depuis l'époque de Moïse (cf. R.H. 25a). Et ils ont ajouté: Samson en son temps est comme Samuel dans le sien. Il s'agit là d'une instruction morale à l'adresse des hommes, afin qu'ils ne se disent pas: Comment puis-je accepter le jugement d'untel? Comment puis-je observer la règle instituée par untel? Il n'en va pas ainsi, car le jugement prononcé par un juge n'appartient pas à la personne du juge mais à l'Éternel qui nous en a enjoint, comme il est dit: " La loi est à Dieu" (Deut. 1:17) et c'est une seule et même loi qui s'est transmise d'individu en individu au long des générations. »

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Ainsi, la chaîne de la transmission de la Torah que l'on reI1contre dans les deux premiers chapitres du traité Avot a-t-elle pour but d'établir l'unité et la continuité d'une même « force de loi », au sens où la force d'un jugement rendu par un tribunal ne réside pas dans la personne du juge (car pourquoi alors accepter ses décisions ?) mais dans le fait que la loi entendue au mont Sinaï se fait entendre aussi dans ce tribunal. L'exposé de la chaîne de la transmission de la Torah prend donc naturellement place à l'intérieur du Seder Nezikin qui examine les règles gérant les biens et les personnes, et après l'exposé du fonctionnement des tribunaux et du rôle des juges. L'organisation des traités de la Michna révèle donc le souci de leur auteur d'arrimer l'ensemble du Seder Nezikin à ce qui fonde la compétence des juges à statuer, ainsi que la validité de leurs jugements aux yeux des hommes, et tel est donc l'objet du traité Avot. Le Rambam poursuit en ces termes : « La seconde raison [pour laquelle ce traité prend place à la fin du Seder Nezikin] est que celui-ci nous donne à entendre la réflexion morale de chacun des sages, afin que nous apprenions d'eux les meilleures dispositions morales. Or, les juges en ont davantage besoin que tout homme. Car si les gens du commun n'étudient pas la morale, il n'en sort nul dommage, sinon pour l'individu luimême; tandis que si un juge n'est pas vertueux et policé, il détruit et perd le peuple par ses préjudices. C'est pourquoi le traité Avot commence par une mise en garde morale à l'intention des juges, en disant: " Soyez circonspects dans le jugement. " Et si un juge suit l'enseignement moral contenu dans le traité Avot, à savoir d'être circonspect dans le jugement, qu'il ne se précipite pas pour rendre son verdict car il se pourrait que l'affaire comporte une fraude [...] et qu'il ne prolonge pas non plus inutilement un procès dans lequel il sait qu'il n'y a aucune fraude [...] et qu'il multiplie l'interrogatoire des témoins en prenant garde toutefois qu'ils n'apprennent de lui une chose susceptible de les aider dans leur dessein. Qu'il n'enseigne pas des arguments aux parties en procès [...] et qu'il ne se comporte pas avec légèreté devant les gens afin qu'ils ne

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le méprisent pas, ni ne se sépare d'eux plus qu'il ne faut afin que les faibles ne soient pas perdus. Et qu'il ne poursuive pas les satisfactions et les plaisirs, afin qu'il ne néglige pas les droits des hommes et que les appétits ne le dominent pas. Et qu'il n'aime pas le pouvoir, ni ne se rue sur la fonction de juge, de peur qu'on ne le tienne en suspicion. Et qu'il recherche dans la plupart de ses sentences la voie de la conciliation entre les parties [...] et n'impose un verdict que lorsque la conciliation est impossible [...]. La règle générale en cette matière est que le juge doit être une sorte de médecin compétent. Car un médecin compétent n'use pas de drogues tant qu'il peut encore guérir à l'aide d'un régime alimentaire. Et lorsqu'il constate que la maladie est trop grave pour être guérie par de simples aliments, il utilise alors des drogues proches par nature des aliments, comme des breuvages et des aromates odoriférants. Et s'il constate que la maladie est encore plus grave et que ces remèdes ne suffisent pas, il emploie des drogues plus fortes [...] parmi les remèdes amers et dégoûtants. De même, le juge doit s'efforcer de concilier les parties; s'il ne le peut, qu'il tranche amicalement et s'abaisse à convaincre les parties de façon douce. Et si l'intransigeance de l'une des parties qui veut gagner par tous les moyens l'en empêche, qu'il lui fasse sentir son emprise et alourdisse son joug [... ]. Et puisque le juge a besoin de toutes ces réflexions morales pour s'y conformer, c'est avec bonheur que Rabbi a placé le traité Avot après le traité Sanhédrin (sur le fonctionnement des tribunaux), avec tout ce qui s'y rattache et qui comporte toutes ces réflexions morales, auxquelles s'ajoutent d'autres réflexions conduisant à la continence dans le monde, au respect de la sagesse et de ceux qui l'étudient, et à tout acte qui relève de la justice et de la crainte des cieux» (éd. Kappah, t. 1, p. 16-17). On constate que le Rambam relève deux choses dans notre traité : d'une part ce qui concerne proprement les juges et d'autre part ce qui s'y ajoute. La vérité est que ce qui s'y ajoute est plus important en proportion que les conseils et les recommandations adressés aux juges, lesquels n'occupent en

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fin de compte qu'une petite place dans l'ouvrage. Et, en réalité, c'est la première partie de son argument qui est décisive ici: les juges, plus que tout homme, ont besoin d'une réflexion morale, car en bien des circonstances le sort des autres est entre leurs mains puisqu'ils « règnent » à leur manière sur leur communauté. Ce ne sont donc pas seulement les règles déontologiques particulières à la fonction de juge qui sont mises en avant dans ce traité, mais toute la morale y est nécessairement mobilisée. Le Rambam a ainsi justifié par ces deux arguments (la continuité d'une même force de loi et l'instruction morale des juges) la place des Pirqé Avot dans le Se der Nezikin, et il a en même temps précisé le contenu de ce traité: la réflexion morale susceptible de former un homme aux meilleures dispositions. Une difficulté subsiste toutefois, qui n'est pas mince. Car on peut se demander ce que Rabbi a voulu ajouter de réflexion morale à un ordre qui traite en long et en large du juste et de l'injuste, des règles du mien et du tien, de la responsabilité à l'égard des autres et de leurs biens, etc. De manière générale, une bonne partie de la Michna ne traite que des rapports entre un homme et son semblable, en fixant ce qu'il convient ou ne convient pas de faire, depuis la pratique de la charité (Péa, dans le Seder Zeraïm) jusqu'aux rapports entre un homme et une femme (Kidouchin et Ketouvot, dans le Seder Nachim), y compris l'interdiction du prêt à intérêt et les conséquences qui en découlent (Baba Metsia, dans le Seder Nezikin). Ainsi, quand bien même le traité Avot ne figurerait pas dans la Michna, celle-ci n'en couvrirait pas moins tout le domaine concerné par les rapports avec autrui, c'est-à-dire la morale dans son ensemble, sans que rien ne paraisse manquer. Et lorsque le traité Avot se propose aux juges chargés de gérer les affaires humaines, on peut considérer que les règles du juste et de l'injuste ayant déjà été pesées et fixées, rien de plus ne peut encore être dit. Savoir le juste et l'injuste ne suffirait-il pas à la formation morale des juges ou de tout homme qui étudierait ces règles? La question est d'autant moins pernicieuse que la réponse de la Michna, que le Rambam paraît mettre en exergue, est manifestement

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négative. Car si les Pirqé Avot ont un sens dans la Michna, ce ne peut être qu'à considérer que le savoir du juste et de l'injuste dans tous ses détails ne suffit pas à rendre un homme juste. Cette considération semble le point de départ obligé de toute appréhension réelle du contenu du traité Avot. En ce sens, les Pirqé Avot énoncent tout à fait autre chose que les règles du juste et de l'injuste, et le commandement de la circonspection dans le jugement ou bien l'invitation faite aux juges d'agir comme des médecins compétents ne disent rien de la justice elle-même, mais plutôt de la manière d'en user. Il en découle qu'il existe un bon et un mauvais usage des règles du juste et de l'injuste, et que la question morale n'est pas close à simplement énoncer celles-ci. Ce qui manquerait donc au Seder Nezikin en l'absence du traité Avot, c'est la sagesse qui doit accompagner la morale, c'est-à-dire le point de vue qui ne prend en considération la règle elle-même que par rapport à sa fin. Car le fait de bien ou mal user d'une chose ne se mesure qu'en regard de sa fin, et c'est seulement en sachant quel but visent ces règles du juste et de l'injuste dans leur ensemble que l'on sait en user à bon escient. A ce titre, les Pirqé Avot s'apparentent moins à la morale entendue comme prescription de ce qu'il convient de faire ou de ne pas faire - car tel est l'objet des autres traités du Seder Nezikin - qu'à la discipline architectonique qui gouverne ces prescriptions parce qu'elle en connaît la fin, et qu'il faut nommer la sagesse morale. Le traité Avot décrit donc très exactement l'horizon dans lequel prennent sens et orientation correcte les autres traités du Seder Nezikin, ainsi que nombre d'autres traités de la Michna qui ont affaire aux rapports avec autrui.

Enjeu du traité Avot Notre problème se complique cependant à nouveau de ce que le Rambam écrit à un autre endroit. Revenant, en effet, sur l'enjeu du traité Avot dans les premiers mots de son introduction particulière à celui-ci, il déclare:

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« Ce traité conduit à une grande perfection et à un vrai bonheur [... ] et les sages ont déjà dit à son propos que qui veut être intègre (N1'tm) doit accomplir les paroles du traité Avot (cf. B.Q. 30a). Or, nous ne connaissons pas d'élévation plus grande que l'intégrité sinon la prophétie elle-même, et celle-ci conduit à celle-là, comme l'ont dit les sages: " L'intégrité (m1'tm) conduit à l'esprit saint (i.e. la prophétie)" (A.Z. 20b). Il ressort donc clairement de leurs paroles que se conduire selon les instructions morales de ce traité mène à la prophétie » (éd. Kappah, t. 2, p. 247). Intégrité Cm1'tm), puis prophétie, tel est l'enjeu du traité Avot. On a dit et écrit beaucoup de choses au sujet de la morale, mais, à ma connaissance, jamais chose pareille n'avait été dite avec une telle clarté et une telle radicalité. Le Rambam ajoute d'ailleurs que c'est l'une des raisons qui l'ont poussé à écrire un commentaire de ce traité, « pour en vérifier la véracité ». L'articulation de ce chemin ouvert par le traité Avot vers la prophétie tient dans la seule mention du nom de hassidout, articulation étrange pour une oreille moderne, habituée hélas à des associations plus chagrines et d'autant plus acceptables qu'elles sont plus fictives. Mais si, comme le veut la guemara citée, la hassidout dépend entièrement de l'accomplissement des paroles inscrites dans les Pirqé Avot, alors celle-ci n'a d'autre contenu que moral. Tout le reste est littérature, chimère et poursuite du vent. De là notre traduction du mot hassidout par « intégrité ». Mais il nous presse d'examiner la nature et la forme de cette « instruction morale» qui ouvre le chemin de la prophétie. Toutefois, le problème est à ce niveau si plein de confusions et d'erreurs, qu'il vaut mieux plutôt nous interroger d'abord sur ce que veut au fond le Rambam. Chemin plus lent, mais plus sûr. Car on ne voit plus du tout, après ces propos, quel rapport peut encore exister entre ce traité et les juges auxquels il est destiné. La formation des juges est une chose, la prophétie en est une autre, et le Rambam lui-même a suffisamment insisté sur ce point au début de son introduction générale à la Michna pour que nous n'ayons qu'à le citer:

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« Lorsqu'a été vérifiée la prophétie annoncée par un prophète, en fonction des critères établis précédemment, et qu'il est connu comme l'étaient Samuel, Elie et les autres, ce prophète peut agir à l'égard des commandements comme aucun homme hormis lui ne le peut, ainsi que je vais te l'indiquer. S'il ordonne d'annuler un des commandements positifs de la Torah ou de transgresser l'une de ses interdictions, nous sommes obligés d'obéir à toutes ses paroles, et qui transgresserait ces dernières serait passible de mort par les cieux, excepté s'il s'agit de l'idolâtrie, comme l'ont dit les sages dans le Talmud (Sanh. 90a) : " En toutes choses, si un prophète dit de transgresser les paroles de la Torah, obéis-lui, sauf pour l'idolâtrie. " [...] En cela seulement, le prophète se distingue des autres hommes dans la Torah; mais dans le raisonnement et la déduction, et dans la réflexion sur les règles de la Torah, il est exactement semblable aux autres sages qui ne sont pas prophètes. Et s'il propose une explication quelconque d'un verset et qu'un autre, qui n'est pas prophète, en propose une autre, même si le prophète ajoute que Dieu lui a dit que son explication était la bonne, on ne l'écoute pas. Au contraire, si mille prophètes, tous de l'envergure d'Élisée, avançaient une explication de la Torah, et que mille et un sages expliquaient l'inverse de ce qu'ils affirment, on suivrait la règle majoritaire et l'on agirait comme le prescrivent les mille et un sages, contre l'avis de ces mille prophètes extraordinaires, etc. » (éd. Kappah, t. 1, p. 7-8). Le propos du Rambam, et des divers traités du Talmud qu'il invoque, est donc clair et ne souffre aucune ambiguïté: la Torah a été remise aux mains des sages, son explication et son application ne relèvent donc que de la seule sagesse, la prophétie n'ajoute rien en ce domaine. On ne voit donc absolument pas en quoi l'instruction morale des juges pourrait avoir partie liée avec la prophétie. Et l'on comprend d'autant moins, que le Rambam paraît déborder dans l'introduction particuliere au traité Avot, le champ de ses propres préoccupations touchant la place de ce traité dans l'économie de la Michna. Car la sagesse morale, dont il ressortait de l'analyse

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des textes précédents du Rambam qu'elle constitue tout l'enjeu des Pirqé Avot, est maintenant doublée d'une perspective totalement différente. Or, c'est derechef la place de ce traité dans la Michna qui devient problématique, et plus précisément la nature de son lien avec les autres traités du Seder Nezikin. Car le débordement de la sagesse morale par la prophétie ne paraît avoir aucune place ni aucun enjeu dans la Michna. Exposer la totalité de ce qui se joue en ce débordement dépasse nos maigres capacités. Nous nous sentons cependant contraint d'en signaler la direction la plus explicite, celle qui nous paraît indispensable à une juste appréhension de l'enjeu du traité Avot. Le cœur de ce débordement est occupé par la question de la hassidout, c'est-à-dire la recherche de l'intégrité morale. Celle-ci nous renvoie conjointement à la prophétie ainsi qu'à l'ensemble de la Michna au sein de laquelle elle s'expose en un traité particulier. Notre propos, volontairement limité, ne veut que saisir la « possibilité» d'une pareille articulation, et ne dira rien de sa nature. Pour ce faire, nous n'avons d'autre choix que de revenir sur les premières analyses du Rambam et de réexaminer le lien qu'il propose entre ce traité et le Seder dans lequel il prend place. La première raison de l'insertion du traité Avot dans le Seder Nezikin est d'assurer la chaîne de la transmission de la Torah de génération en génération. L'enjeu de celle-ci est de reconnaître la pertinence du jugement rendu par tel juge ou tel tribunal à ce jour, et non, comme le croit un préjugé naïf et répandu, de simplement valider les textes ou la tradition que l'on a entre les mains. Ce que sollicite le Rambam, et que sollicitait avant lui la Guemara qu'il cite, est de ne pas poser comme extérieurs l'un à l'autre la Torah, écrite ou orale, et le sage qui, en son temps, décide de son application, mais d'entendre qu'il s'agit d'une seule et même chose. « Samson en son temps est comme Samuel dans le sien », même si l'on sait avec certitude que Samuel est plus grand que Samson, et le fait que Samuel était prophète ne change rien à l'affaire. Mais si la force ou la vérité de la Torah ne varient pas en

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fonction des mains dans lesquelles elle se trouve, d'où tire-telle donc sa force et son incidence concrète ? Et de quoi parle-t-on? Si l'on interrogeait un chacun sur la pertinence de la formule selon laquelle «Samson est en son temps comme Samuel dans le sien », et si l'on demandait plus particulièrement en quel sens une telle chose est vraie, et comment il se peut que la voix entendue au Sinaï résonne encore plusieurs siècles après dans le tribunal de Rabban Gamliel, on sait déjà la débâcle qui s'ensuivrait. Car, en cette matière, qui ne plaiderait en faveur de la pétition de principe? Qui ne s'empresserait de coller ici et là quelques morceaux d'institutions, accompagnés de l'inévitable respect qui leur est dû, pour suturer toute béance et masquer une absence de fond? Nous savons cependant avec certitude que « la Torah n'est pas un héritage » (chap. 2, michna 12), autrement dit, la Torah ne se transmet pas d'une génération à l'autre, et qui veut l'obtenir doit aller la chercher. Elle n'est donc pas un objet qui passerait indifféremment de mains en mains au long des âges. C'est d'ailleurs en ce sens que doit être entendue la longue chaîne de la « transmission» de la Torah qui occupe les deux premiers chapitres du traité Avot; car celle-ci ne bouge évidemment pas de sa place, ni ne « passe » d'un individu à un autre, seuls les hommes, à chaque époque, vont ou ne vont pas à elle. Et si Samson était comme on le dit plus petit que Samuel, la cause en est sans doute qu'il était moins disposé que lui à cette recherche. Dès lors, puisque la prise sur la Torah varie selon les individus, où s'assure la continuité de la transmission de la Torah et d'une même « force de loi» ? Plus encore, puisque la Torah est intransmissible, où peut prendre effet la « force d'une loi » ? La solution, nous semble-t-il, est esquissée par le Rambam dans le redoublement de son explication; car l'insistance des textes qu'il évoque sur l'effacement de la personne du sage ou du juge aux yeux de ceux qui ont en général à accomplir ses décisions, fait pendant à l'insistance absolument symétrique sur la nécessité de son élévation morale et intellectuelle. Et le point de rencontre de ces deux impératifs est à son tour le

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point de trame qui fait l'enseignement des Pirqé Avot. En un mot, pour qu'un jugement ne soit pas le seul fait du juge mais soit un « jugement de Torah », ou autrement dit, pour qu'ait lieu cette synthèse entre le sage et la Torah qui fait que résonne encore la voix entendue au Sinaï, il faut que se produise une certaine transformation du jugement. J'entends qu'il serait sot de prendre cette synthèse pour une évidence déjà donnée, comme s'il suffisait de porter l'habit ou le titre pour délivrer le contenu que ceux-ci sous-entendent. La continuité de la transmission de la Torah et de la même « force de loi» ne se suffit pas de quelques montages juridiques, ni même de connaissances livresques et d'érudition car si celle-ci dépendait d'un savoir elle varierait évidemment selon le plus et le moins. Elle suppose au contraire la continuation de la même synthèse initiale, c'est-à-dire la continuation d'un certain rapport entre l'enseignement et les individus qui y prennent part, ce qui signifie en fin de compte la continuation d'un type particulier d'engagement humain à l'intérieur de cet enseignement. Seule la répétition de cet engagement, génération après génération, assure la continuité de cette « force de loi », par-delà les lacunes et les faiblesses propres à chaque génération. La force de la loi ou sa vérité ne sont donc pas accrochées au ciel, comme le disent explicitement la Torah et la Guemara à plusieurs occasions (cf. Deut. 30:11-14 et B.M. (S9b), mais totalement aux mains des hommes, enracinées dans la démarche des sages et des juges qui y sont engagés. La seconde raison invoquée par le Rambam de l'insertion du traité Avot dans le Seder Nezikin - soit l'instruction morale des juges - reflète donc exactement l'exigence de ceux qui ont à suivre l'enseignement des sages et des juges, en réponse à l'appel initial qui leur est fait de les considérer comme les porteurs de la Torah. Car en cette seconde raison, il ne s'agit finalement que d'exposer concrètement quels genres d'engagement, de démarche et de comportement sont requis par cette continuité. Qu'est-ce qui est demandé, en effet, aux juges en ce traité? Rien d'autre que d'asseoir leurs jugements sur ce qui les fonde. Il est dit ainsi:

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« Soyez circonspects dans le jugement », c'est-il-dire ne vous précipitez pas, ne concluez pas trop vite, réfléchissez. Entendu comme précepte moral ce n'est pas une belle affaire, et je prie ceux qui professent le « judaïsme moral» du traité Avot d'enjoindre ainsi leurs semblables et de s'informer ensuite du résultat. Mais ce quc signifie cettc injonction est qu'un jugement qui ne respecterait pas cette règle n'est pas dans son fond un jugement de la Torah, puisqu'il lui manque la dimension particulière d'engagement et de comportement qu'elle suppose. Et cette maxime des Pirqé Avot a ainsi pour objet de poser précisément quel type de lien et quelle synthèse concrète unissent un individu à l'enseignement, engendrant alors ce qui a nom Torah. On se reportera aux commentaires du Rambam et de Rabbénou Yona pour en saisir les modalités particulières ct les raisons. Bien entendu, s'agissant des juges, leur engagement est invérifiable, ct qui peut dire si, lors de tel jugement, tel juge s'est montré suffisamment circonspect? Qui peut dire si dans telle affaire la conciliation était impossible? C'est pourquoi ce traité est assigné aux juges et à leur conscience, car s'il fallait juger du tribunal d'un tel, « il faudrait alors nécessairement juger à leur tour tous les tribunaux qui se sont succédés depuis l'époque de Moïse ". Ainsi, les Pirqé Avot ne sont-ils que l'exposé des attitudes et des démarches intellectuelles et morales qui reforment à chaque âge l'élément de la loi entendue au Sinaï. Mais il va de soi qu'une loi dont la pertinence concrète ou la vérité repose entièrement sur un tel engagement n'est jamais exempte d'erreurs, et que la grandeur ou la faiblesse des individus ne passe pas inaperçue. C'est pourquoi, immédiatement après les Pirqé Avot, le traité qui conclut le Seder Nezikin est le traité Horayot, où sont examinées justement les erreurs susceptibles d'affecter tout jugement rendu par un tribunal. Ce type d'engagement requis en priorité des sages et des juges, et perpétué de génération en génération, nous lui donnerons le nom que lui assigne la Guemara : la hassidout, c'est-à-dire la recherche de l'intégrité morale. Le traité Avot

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a donc bien un seul et unique enjeu, mais celui-ci peut se for muler de deux façons selon le point de vue sous lequel on l'observe. Par rapport à l'ensemble des règles exposées dans la Michna, et dans le Seder Nezikin en particulier, il en est la sagesse dans l'ordre des fins. Par rapport aux individus engagés dans ['accomplissement et la fixation des dites règles, il énonce le fondement sur lequel reposent la vérité et la validité de celles-ci. Il nous semble que nous tenons, ce faisant, l'exacte nature du lien qui unit les Pirqé Avot au reste de la Michna, et qu'il convient de formuler ainsi: le traité Avot est, pour ainsi dire, la porte d'accès aux autres traités de la Michna, pour autant que s'y recherche cette synthèse vivante de l'enseignement et de ceux qui le répètent, dans son fondement et dans sa fin. Si ce que nous avons avancé est juste, l'articulation de la recherche de l'intégrité morale et de la prophétie n'est plus aussi aberrante qu'elle y paraissait. Et même si celle-ci reste encore tout à fait mystérieuse, la « possibilité » d'un lien de ce genre ne fait en revanche plus mystère: car la recherche de l'intégrité morale est en même temps la recherche du fondement des commandements de la Torah. Il est aussi, pareillement, beaucoup moins étonnant que le sixième chapitre, ajouté ultérieurement, soit connu sous le titre d' « Acquisition de la Torah », ce que son contenu vérifie amplement. On se reportera, en particulier, à la sixième michna de ce chapitre, qui en constitue le cœur et développe les quarante-huit formes de perfection nécessaires à l'acquisition de la Torah. Car ceux qui ajoutèrent ainsi un chapitre au traité ne l'ont pas choisi au hasard, mais ont voulu au contraire l'accorder au style et à l'enjeu des Pirqé Avot. Et, plus originellement, il semble que l'institution de la coutume de lire les Pirqé Avot entre Pessah ct Chavouot, c'est-à-dire pendant les semaines qui précèdent la commémoration du don de la Torah, avait elle aussi le même but, si l'on en croit l'introduction du Midrach Chemouel : « Qui étudie la Torah doit d'abord connaître le chemin de son étude et savoir comment se comporter en elle après l'avoir étudiée. »

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Les fins de l'homme La morale n'est pas ordinairement l'objet de trop de questions, et ceux qui en interrogent les fondements donnent toujours l'impression de vouloir s'en séparer. Mais la Torah est une entreprise d'étude et, ceux qui en acceptent le principe sont inévitablement conduits peu à peu à questionner le fondement des commandements. La Torah connut ainsi à toutes les époques trois grands types humains: celui qui rejette le joug de la Torah pour suivre les désirs de son cœur, celui qui accepte la Torah et l'applique avec l'autorité de la chose reçue, et celui qui l'investit de l'intérieur par l'étude et pousse son engagement jusqu'au cœur de la question du fondement des commandements. Ces trois types ne sont pas toujours purs, il leur arrive de se mêler au sein d'un même être humain, et l'humanité apparaît souvent dans la tunique bariolée des deux premiers genres ou bien des deux derniers. Mais ce qui, nous semble-t-il, distingue radicalement tous les types humains qui se croisent dans l'histoire de l'humanité, c'est la manière dont est abordée la question de la vérité. De fait, si par rapport à l'ensemble de la Michna, le traité Avot a pour objet le fondement et la fin des commandements, en tant qu'il relève de la morale, au sens le plus grec et le plus philosophique du terme, il ne peut avoir pour enjeu que les fins de l'homme. En ce sens, il n'est pas vain de parler ici de vérité, comme on le constatera aussi à la lecture des commentateurs de ce traité, puisque c'est de la rencontre entre la Torah et la fin de l'homme qu'il s'agit en ce livre. Aussi importe-t-il qu'en dernier ressort la question du vrai seule témoigne de cette rencontre, laquelle n'a lieu nulle part ailleurs que dans le corps des hommes. Car la morale ne saurait être spéculative, ou encore, comme le disait Aristote au début de l'Éthique à Nicomaque, l'essentiel n'est pas de savoir ce que sont la morale et la vertu en leur essence, « mais de devenir vertueux, puisqu'autrement cette étude ne servirait à rien» (II, 2, 1103 b). Mais si toute morale se veut par définition pratique, sous peine d'être vaine ou mensongère, la pratique, de son

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côté, ne se laisse pas si facilement réduire. De même qu'il ne suffit pas dc dire, il ne suffit pas non plus de faire, et en ce domaine on ment autant et aussi bien avec son corps qu'avec sa bouche. Cette question est bien la plus radicale, la plus difficile à entendre aussi, que l'on puisse poser à un homme au sujet de ses actes, auraient-ils toutes les apparences de la vertu: relèvent-ils du mensonge ou bien de la vérité? Si l'on scrutait le domaine où se déploient la sagesse et la morale des Pirqé Avot, on verrait que ce problème est précisément le cœur de ce traité et l'endroit de son travail. Le Rambam a conçu une manière particulièrement vive de présenter le problème et d'en faire saillir les arêtes. Dans son Introduction au dixième chapitre du traité Sanhédrin (Perek Helek), il écrit: « Supposons qu'un jeune enfant soit confié à un éducateur pour qu'il lui enseigne la Torah. C'est là un grand bien pour lui du fait des perfections qu'il en tirera, mais sa jeunesse et son manque de discernement font qu'il ne saurait appréhender la valeur de ce bien, ni ce qu'il en tirera pour son perfectionnement. La nécessité conduit ainsi l'éducateur qui le gouverne à le pousser à étudier grâce à une chose désirable pour lui, en fonction de son âge. Il lui dit donc: Étudie et je te donnerai des noix et des figues, ou bien une sucrerie. L'enfant se met alors à étudier, et il fait des efforts, non pour l'étude elle-même, puisqu'il n'en sait pas la valeur, mais dans le but d'obtenir une friandise. Et la consommation de cette friandise est pour lui plus importante et elle représente un bien plus grand que l'étude, sans le moindre doute. Il pense donc que l'étude, ainsi que la peine et l'effort qu'elle coûte, sont le moyen d'atteindre le but qu'il désire, une noix ou une sucrerie. Puis, lorsqu'il grandit et que son entendement s'affermit, la chose à laquelle il accordait tant d'importance par le passé devient négligeable à ses yeux, et il valorise alors d'autres objets. On l'encourage donc à l'aide du nouvel objet devenu le plus important à ses yeux, et son enseignant lui dit donc: Étudie et je t'achèterai de belles chaussures ou un habit de telle forme. Cette fois encore, il ne fait pas d'effort pour l'étude elle-même, mais pour obtenir cet habit puisque celui-

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ci est plus important pour lui que l'étude et qu'il en est la fin. Lorsque son esprit devient plus parfait et que cette chose devient à son tour négligeable à ses yeux, on l'encourage par quelque chose de plus et on lui dit: Étudie cette section de la Torah ou ce chapitre, et l'on te donnera un ou deux dinars. Il étudie et fait effort pour recevoir lesdites pièces et celles-ci lui sont encore une fois plus précieuses que l'étude, puisque la promesse de ces pièces est pour lui la fin visée par l'étude. Puis, devenant plus mûr, cette chose-là aussi se fait négligeable à ses yeux et il en connaît le peu de valeur; on l'encourage donc à l'aide d'une chose plus importante que celle-là et on lui dit: Étudie afin de devenir rav (i.e. maître) ou juge, pour que les gens te respectent, qu'ils se lèvent en ta présence, qu'ils accomplissent tes paroles et que ton nom se répande parmi les hommes pendant ta vie et après ta mort, à l'image d'un tel et d'un tel. Il étudie alors et fait des efforts pour atteindre un tel niveau, et la fin de son étude est que les hommes l'honorent, qu'ils l'élèvent et le louent. Tout cela est évidemment répugnant, mais est rendu indispensable du fait de la pauvreté d'esprit de l'homme qui fait de la fin de l'étude de la sagesse autre chose que la sagesse ellemême. Et si on lui demandait la raison pour laquelle il étudie, il lui faudrait répondre que c'est la poursuite d'une illusion. Ce comportement, les sages l'ont défini en ces termes: « ne pas accomplir une chose pour elle-même », c'est-à-dire apprendre les commandements et les appliquer, étudier la Torah et faire effort, non pour la chose elle-même mais pour autre chose qu'elle. Et les sages nous ont mis en garde contre cette manière d'agir en disant: " Ne fais pas de la Torah une couronne pour t'ennoblir, ni une pioche pour creuser" (Pirqé Avot, chap. 4, michna 5), ce qui fait allusion à ce que je t'ai expliqué, à savoir de ne pas assigner pour fin à l'étude de la sagesse le respect des hommes ni l'acquisition de richesses; ne fais pas de la Torah de Dieu un moyen de subsistance. Mais que la fin de l'étude ne soit pour toi que la seule connaissance de Dieu, et de même que la fin de la vérité n'est que d'être connue comme vraie, puisque les commandements Licence eden-2123-41-4747304-41-96003082-12916387 accordée le 27 avril 2020 à [email protected]

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COMMENTAIRES DU TRAITÉ DES PÈRES

sont vrais, leur fin n'est que d'être accomplis. Et il est interdit à un homme probe de se dire: Si j'ai accompli ces bienfaits et si je me suis retenu de mal agir comme Dieu le commande, quelle sera ma récompense? Car c'est comme lorsqu'un enfant demande: Que me donneras-tu si j'étudie? Et on lui répond qu'on lui donnera telle ou telle chose, car on sait que son manque de maturité l'empêche de considérer la valeur de la chose qu'il réalise et lui fait rechercher une fin à ce qui est déjà en soi une fin. On lui répond donc en fonction de l'étendue de sa stupidité, " réponds au sot selon sa sottise" (Prov. 26:5). Et nos sages nous ont déjà avertis de ne pas poser comme fin et but de notre service et de notre accomplissement des commandements une autre chose qu'eux, quelle qu'elle soit, et c'est le sens du propos de cet homme parfaitement intègre, qui parvint au vrai, Antigone de Sokho : " Ne soyez pas comme des serviteurs qui servent le maître à condition de recevoir une gratification, mais soyez comme des serviteurs qui servent le maître à condition de ne pas recevoir de gratification" (Pirqé Avot, chap. 1, michna 3). Ce qui signifie qu'il faut croire en la vérité pour ce qu'elle a de vrai et c'est cela que l'on appelle" servir par amour ". Et les sages ont dit qu'il est écrit: " Heureux l'homme qui craint l'Éternel et qui désire ardemment ses commandements" (Ps. 111:1)Rabbi Elazar dit: Ses commandements et non le salaire des commandements (A.Z. 19a). N'est-ce pas la meilleure et la plus claire des preuves de tout ce que nous avons avancé ? Mais il en est une plus grande encore, ils ont dit dans le Sifri (paracha Eqev, Deut. Il:13) : " De peur que tu ne dises: Je vais étudier la Torah afin de devenir riche, ou afin d'être appelé Rabbi, ou afin de recevoir un salaire dans le monde à venir, l'Enseignement dit: Lorsque vous accepterez d'obéir au commandement que Je vous ordonne aujourd'hui, pour aimer l'Éternel votre Dieu (Deut. Il:13) - tout ce que vous faites, ne le faites que par amour. " Voilà la question expliquée et il est clair désormais qu'il s'agit là du but des commandements et du fondement de notre foi en les sages, et cela n'est masqué qu'aux sots et aux naïfs, que des hallucinations folles

INTRODUCTION

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et de pauvres représentations imaginaires ont déjà ravagés. Telle était l'élévation d'Abraham notre père qui servait Dieu par amour (cf. Sota 31 a) et c'est à cette voie qu'il faut aspirer. Or les sages connaissaient l'extrême difficulté de la question et savaient que tout homme n'est pas capable de la comprendre, et que même celui qui la saisirait la trouverait étrange au premier abord et ne croirait pas tenir avec cette idée la manière de penser véritable, car le chemin de l'homme est de n'agir que pour obtenir par le truchement de son acte un bénéfice ou pour éloigner un préjudice, et sans ces motifs son acte serait vain. Dès lors, comment dire à l'homme de Torah: Fais tel acte, mais ne le fais pas par peur du châtiment de Dieu, ni par espoir d'une récompense? Une telle chose est extrêmement difficile, car tous les hommes ne comprennent pas la vérité au point de devenir semblables à Abraham notre père. C'est pourquoi ils permirent au peuple de poursuivre dans leur voie, de faire le bien dans l'espoir d'une récompense et de s'éloigner du mal par crainte du châtiment. Ils l'ont donc stimulé dans cette voie et ont affermi son état d'esprit, de sorte que celui qui comprend parvienne à connaître la vérité et à savoir quel est le chemin parfait, comme nous avons l'habitude d'agir avec un enfant lorsqu'il étudie, selon l'exemple rapporté précédemment. Et les sages n'ont guère apprécié l'attitude d'Antigone de Sokho qui a répandu parmi le peuple ce genre de conception et ils ont dit à ce sujet: " Sages, prenez garde à vos paroles, de peur que vous n'encouriez la peine de l'exil et que vous ne soyez déportés vers un lieu aux eaux mauvaises, et que les disciples qui vous suivent n'en boivent et n'en meurent, et que le nom des cieux ne soit profané" comme l'explique le traité Avot (chap. 1, michna Il). D'ailleurs, les hommes ne perdent pas totalement à ce jeu, en accomplissant les commandements par crainte des châtiments ou par espoir d'une récompense, mais ils demeurent dans un état d'inachèvement. Il vaut cependant mieux pour eux que les choses se passent ainsi et qu'ils acquièrent une disposition et une préparation convenant à l'accomplissement de la Torah, afin qu'ils puissent s'éveiller à la vérité et

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COMMENTAIRES DU TRAITÉ DES PÈRES

finissent par servir par amour. Tel est le sens de leur propos (cf. Peso 50b, Naz. 23b, Sota 22b, etc.) : " Que l'homme s'affaire toujours à la Torah, même si ce n'est pas pour ellemême, car à partir de ce qui n'est pas une étude de la sagesse pour elle-même, il en viendra à l'étudier pour elle-même" » (éd. Kappah, t. 2, p. 134-136). En associant la question de la vérité au thème du « service par amour », le Rambam en formule le principe comme la plus formidable question posée au désir de l'homme. Autrement dit, en matière de morale, il ne suffit pas de saisir l'animal humain au collet en demandant: est-il bon, est-il mauvais? Il faut encore se demander si ce bien n'est pas seulement pour lui le détour d'un calcul, et plus profondément si la morale et l'idéal ne sont pas tout simplement le registre commun des hommes pour mentir aux autres et se mentir à eux-mêmes. En ce sens, il n'est pas du tout évident, ainsi que l'a remarqué aussi une certaine modernité, que l'être humain recherche quelque chose comme la vérité, et il se pourrait bien qu'il passe son temps à courir dans l'autre sens à la recherche d'une fiction qui soutiendrait son existence. La parabole de l'enfant et de sa progressive maturation enseigne à tout le moins que ce n'est qu'en ratant la vérité que chacun commence, et même qu'il ne peut en être autrement.

Note pour la présente édition Deux ouvrages ont été traduits intégralement dans ce livre, ce sont les Pirqé Avot et le commentaire du Rambam sur ce traité. Le texte des PIRQÉ AVOT reproduit et traduit dans la présente édition est, en général, le texte imprimé dans l'édition de Vilna (1883), mais nous avons rapporté à maintes reprises les variantes et les leçons retenues par les commentateurs, lorsqu'elles sont significatives. Le commentaire du RAMBAM, Rabbi Moïse fils de Maïmon, dit Maïmonide (Andalousie, Égypte, XII' siècle), est

INTRODUCTION

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traduit de l'hébreu à partir de l'édition de J. Kappah, Michna im Perouch Harambam,Jérusalem, 1963, vol. 2, p. 247-304. Cette édition est en général largement supérieure aux traductions courantes imprimées dans le Talmud et elle offre une version à peu près fiable du texte des Pirqé Avot que le Rambam avait sous les yeux. Le commentaire du Rambam sur le traité Avot est précédé dans la Michna par une courte introduction, connue sous le titre de Traité des Huit Chapitres, qui a déjà été traduite en français (publiée en appendice du Guide des Égarés, Verdier, 1979). Nous avons cependant jugé utile de retraduire dans nos notes tous les passages où le Rambam se réfère explicitement à cette introduction. Nous avons Jomt aux deux ouvrages précédents des extraits des commentateurs suivants: RA CHI, Rabbi Salomon fils d'Isaac (Troyes, capitale du Duché de Champagne, XI-XII' siècle), traduit à partir de l'édition imprimée dans le Talmud de Vilna. Celle-ci est cependant en grand désordre, et la multiplication des versions du commentaire de Rachi dans cette édition indique la multiplicité des mains entre lesquelles il est passé. Nous nous sommes donc aussi servi de l'édition imprimée dans le Derekh Hayim du Maharal de Prague, qui offre un texte plus ordonné, et nous n'avons traduit dans l'ensemble que les passages qui paraissaient à peu près sûrs. RABBÉNOU YONA (Gérone, XIII' siècle), traduit à partir de l'édition imprimée dans le Talmud de Vilna. MAHARAL DE PRAGUE, Rabbi Juda Lœw Betsalel (Prague, XVI' siècle), traduit à partir de l'édition complète de ses œuvres (Sifré Maharal, Bné Braq, 1980). Son commentaire sur les Pirqé Avot est connu sous le titre de Derekh hayim (première édition, Cracovie, 1589). RABBI HAYIM DE VOLOZYNE (Lituanie, XVIII-XIX' siècle), traduit à partir de l'édition Jérusalem, 1945. Son commentaire sur les Pirqé Avot a été édité par son fils sur la base de notes de cours et est connu sous le titre de Rouah hayim.

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COMMENTAIRES DU TRAITÉ DES PÈRES

Nous mentionnons dans nos notes les leçons et les remarques sur le texte des Pirqé Avot contenues dans les ouvrages de deux autres commentateurs médiévaux: Mahzor Vitry, attribué à Rabbénou Simha, un disciple de Rachi (France du nord, XII' siècle), édition Horowitz, Nuremberg, 1923. Magen Avot, de Rabbi Chimon fils de Rabbi Tsemah Douran, dit Rachbats (XIV-XV' siècle, exilé d'Espagne, installé à Alger), édité à Jérusalem, 1961 (première édition: Livourne, 1763).

Avant la lecture de chaque chapitre, on récite le passage suivant (Sanh. 90a): O):J lY.:l)') : ,Y.:ll'O\o ,NJ.il 0)))') p)n Oil) \0' )N'\o' ):J 'N.nrlil) ' l ' il\o),Y.:l ')'DY.:l ,~) ~'N )\0," 0)))') O'P'ï~ .cu il')'\o')

Tout Israël a part au monde à venir, comme il est dit: « Et ton peuple, tous des justes, héritera pour toujours du pays, germe que J'ai planté, œuvre de Mes mains, pour me glorifier » (Is. 60:21). Nos sages ont dit à ce sujet dans le traité Avot: « L'accomplissement d'un commandement entraîne l'accomplissement d'un [autre] commandement [... ] ainsi le salaire du commandement est le commandement» (chap. 4, mi ch na 2), car le salaire du commandement est le commandement lui-même donné en salaire [.. .]. L'homme réside alors véritablement dans le jardin d'Eden et il lui est donc facile d'accomplir un autre commandement [... ]. C'est pourquoi il n'est pas dit que tout Israël a une part dans le monde à venir (N::Iil 0))))::1), mais que tout Israël a part au monde à venir (N::Iil 0)))))). Car, avoir une part dans le monde à venir signifierait qu'une chose déjà constituée et distincte du commandement est prête pour celui qui la mériterait; tandis qu'avoir part au monde à venir, signifie que l'homme constitue maintenant le monde à venir en accomplissant le commandement et que le monde à venir est l'oeuvre de l'homme lui-même. Le commandement est, en effet, l'essentiel du salaire versé à l'homme, la sainteté qui en découle est son jardin d'Eden pendant sa vie et sera son salaire dans les temps à venir. Tâche de bien comprendre cela.

RABBI HAYIM DE VOLOZYNE :

CHAPITRE l

)J\!))j'P) ,)J\!))j'P) j'nom ')'OY.) j'n1n ):1p n\!)Y.) ,'N m\!)Y.) no):> '\!))N) nnoY.) CPN':1)) ,O'N':1)) O')pt) ,O')pt) ,pï:1 o'))nY.) nn : O'î:1ï n\!))\!) )îY.)N on ,n))ïln ,nî)n) l'O )\!))J) ,n:1în O'ï'Y.»)n )ï'Y.»)Jn1

Michna 1. Moïse reçut Torah (enseignement) du Sinaï et l'a transmise à Josué, et Josué aux Anciens, et les Anciens aux prophètes, et les prophètes la transmirent aux hommes de la Grande Assemblée. Ces derniers dirent trois choses: Soyez circonspects dans le jugement, formez de nombreux disciples et faites une haie à la Torah.

Nous avons déjà exposé dans l'introduction générale de notre livre l'ordre du déroulement de la transmission de la Torah; et notre intention ici n'est que d'expliquer les questions morales, pour inciter à l'acquisition de certaines dispositions saines dont le profit est particulièrement important, et pour mettre en garde contre certaines dispositions nocives dont le préjudice est grand. Pour le reste, j'expliciterai seulement les termes employés et quelquesunes des questions abordées, puisque celles-ci sont claires dans l'ensemble, hormis quelques cas particuliers.

RAMBAM :

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COMMENTAIRES DU TRAITÉ DES PÈRES

La Torah reçue et transmise par Moïse est aussi bien écrite qu'orale, car la Torah a été donnée accompagnée de son explication. Si tel n'avait été le cas, il aurait été impossible d'en connaître quoi que ce soit. Il est écrit ainsi par exemple: « Tu ne voleras pas », or tous les dommages causés à son prochain sont inclus dans ce commandement et [les interdits et les règles qui leur sont relatifs] font aussi partie de la Torah que reçut Moïse au Sinaï, bien qu'ils n'aient pas été écrits. Il est dit encore: « Lorsque quelque chose sera hors de ta portée pour juger entre sang [pur] et sang [impur], entre verdict [d'acquittement] et verdict [de culpabilité], entre plaie [pure] et plaie [impure] [...] tu iras vers le prêtre, le lévi et le juge qui siègeront en ce temps-là, tu les interrogeras et ils te diront comment juger » (Deut. 17:8). Or, combien de couleurs particulières de sang, combien de verdicts distincts et combien d'aspects différents de plaie nous sont connus par transmission orale, et s'ils avaient dû tous être écrits, jamais nous n'aurions pu savoir en quel chemin aller. Ainsi, ces choses-là ne sontelles pas explicitement écrites parce qu'elles ne sont pas faites pour l'être. Un autre verset dit: « Dieu dit à Moïse: Viens vers Moi [...] etJe te donnerai les tables de pierre, la Torah et le commandement» (Ex. 24:12) -la« Torah », c'est la Torah écrite, et « le commandement », c'est la Torah orale (Ber. Sa). Ce qui revient à dire que tous les commandements donnés à Moïse au Sinaï étaient accompagnés de leur explication, l'écriture étant nommée Torah écrite et l'explication Torah orale. Et Moïse apprit l'ensemble de la bouche de Dieu et transmit l'ensemble à Josué, ainsi qu'il est écrit: « Dieu parlait à Moïse face à face comme parlerait un homme avec son prochain. Puis Moïse retournait au camp et Josué fils de N oun, qui le servait comme page, ne quittait pas le sein de la tente » (Ex. 33:11). Puis, Josué transmit la Torah aux Anciens, comme il est dit: «Le peuple servit Dieu pendant toute l'époque des Anciens qui survécurent à Josué » Gos. 24:31). Les Anciens la transmirent ensuite aux prophètes, et les prophètes aux

RABBÉNOU YONA :

CHAPITRE 1 - MICHNA 1

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hommes de la Grande Assemblée, c'est-à-dire Ezra et son assistance. Et les prophètes de l'époque du deuxième Temple faisaient aussi partie de cette assemblée, puisque nos sages ont dit dans le traité Yebamot (16a) : « Rabbi Dossa fils d'Harkinos dit que lorsque Hagaï a tenu ce propos il était assis sur cette meule. » Les prophètes de l'époque du deuxième Temple ont donc survécu à sa destruction puisque le prophète Hagaï était connu de Rabbi Dossa '. Ensuite les hommes de la Grande Assemblée ont transmis la Torah aux gens de leur époque, puis les sages à leurs enfants, génération après génération. La transmission s'opérait ainsi de sage en sage, jusqu'à ce que se réunissent tous les sages d'Israël et que tous acquiescent au projet d'écrire la Torah orale. Ils écrivirent donc le Talmud et l'ont clos, pour que rien ne lui soit ajouté ou retranché par la suite. Puis cette génération l'a transmise à son tour aux gueonim et la Torah passa alors de gaon en gaon, puis de rav en rav jusqu'à aujourd'hui. RABBI HAYIM DE VOLOZYNE :

Le verbe

«

recevoir

»

qualifie le

1. Ce passage pose deux problèmes. D'abord, l'expression employée par la version de la Guemara que nous connaissons peut être comprise comme une expression idiomatique, signifiant simplement que le prophète « a traité de cette question ». Visiblement, Rabbénou Yona ne la comprend pas en ce sens et la version de la Guemara qu'il apporte pour preuve ne laisse aucune place à une éventuelle interprétation idiomatique. Par ailleurs ce point de texte fût-il acquis, l'interprétation qu'il propose n'est pas la seule possible, car au lieu de dire que le prophète a survécu à la destruction du Temple parce qu'il connaissait Rabbi Dossa fils d'Harkinos, lequel était connu à son tour des sages de la Michna, on peut dire inversement que Rabbi Dossa fils d'Harkinos vécut très vieux, qu'il connut le prophète dans sa jeunesse au commencement de l'époque du deuxième Temple et que Rabbi Dossa, et non le prophète, survécut à la destruction du Temple. Voir en ce sens la généalogie établie par le Rambam dans son Introduction à la Michna (éd. Kappah, t.l, p. 28), que nous rapportons plus haut, en introduction. Mais la Guemara Guitin (8Ia) paraît cependant tenir Rabbi Dossa pour postérieur à Hillel et Chamaï, ce qui confirmerait l'explication de Rabbénou Yona. De toute façon, dans les deux cas, il faudrait supposer que, soit Rabbi Dossa, soit le prophète Hagaï, a vécu pendant un temps considérable.

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COMMENTAIRES DU TRAITÉ DES PÈRES

rapport de Moïse à la Torah, tandis que le verbe « transmettre » qualifie le rapport de Josué à la Torah [i.e. il n'est pas dit que « Josué reçut de Moïse ", contrairement à Moïse lui-même, mais que Moïse lui « transmit" la Torah], et il faut en rendre compte. La raison en est que, grâce à l'humilité, l'homme mérite tout ce à quoi il est possible d'avoir accès, comme Moïse notre maître, qui était le maître des prophètes et le père des sages, et n'a été pourtant loué que pour son humiiité, car c'est grâce à elle qu'il mérita tout ce qu'il reçut. Et s'il existait aujourd'hui un homme aussi humble que lui, il mériterait évidemment de recevoir la Torah dans sa totalité. Nos sages ont dit ainsi: « Pourquoi la Torah est-elle comparée à l'eau? Parce qu'à l'image de l'eau qui repose en un lieu élevé et coule toujours vers le bas, les paroles de la Torah ne subsistent pareillement que chez celui dont l'esprit s'abaisse toujours davantage " (Taan. 7a). Autrement dit, la Torah coule comme de l'eau de haut en bas et ne subsiste que chez celui qui se fait « bas » lui-même, et c'est de cette façon que la Torah arriva jusqu'à Moïse qui était le plus humble de tous les hommes. De même qu'on augmente la capacité d'un récipient en diminuant l'épaisseur de ses parois, et que l'on peut rendre parfois celles-ci si fines qu'il paraît n'être que pure contenance, de même plus l'homme s'efface et amoindrit sa personne, plus il libère en lui espace et capacité d'accueil pour la Torah. Tandis que s'il gonfle son coeur et sa personne en s'élevant lui-même, il ne reste plus de place disponible pour la Torah et celle-ci le quitte nécessairement [... ]. C'est pourquoi la Torah a été offerte à Moïse en don, comme l'ont dit les sages dans le traité Erouvin (54a) : « Si un homme fait de lui-même un désert que tout le monde foule et qu'il ne tient pas compte de son amour propre, la Torah lui est offerte en don. » Et c'est pourquoi jamais Moïse n'oublia quoi que ce soit de la Torah. Car en aucun endroit nous ne voyons Dieu mettre en garde Moïse au sujet de la Torah, alors qu'on le constate à propos de Josué au verset: « Ce livre de la Torah ne quittera pas ta bouche,

CHAPITRE 1 - MICHNA 1

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tu le méditeras jour et nuit afin d'en observer le contenu» Gos. 1:8). C'est pourquoi il est dit de Moïse qu'il « reçut », c'est-à-dire de lui-même, tandis qu'il« transmit» à Josué, c'est-à-dire sous la forme d'une mise en garde [...]. Et il n'a transmis la Torah à Josué précisément que parce qu'il était lui aussi particulièrement humble. Il est dit dans cette michna que Moïse reçut la Torah du Sinaï, alors que l'on aurait dû dire qu'il la reçut de la bouche de Dieu. En réalité, cela indique de manière essentielle la nature de la réception de la Torah par Moïse. Car Dieu assigna en sa faveur un lieu particulier qui est le mont Sinaï afin de lui donner la Torah, et l'événement ne fut donc pas fortuit ou contingent, à l'inverse de ce que l'on constate à propos des prophètes des nations, au verset: « Bilam dit à Balak : Tiens-toi auprès de ton holocauste et je viendrai peut-être vers toi si Dieu vient à ma rencontre [...]. Et il arriva que Dieu répondit à Bilam» (Nomb. 23:3-4), car Il n'avait pas fixé d'endroit particulier pour lui parler. Et si la chose s'était présentée ainsi pour Moïse, c'est-à-dire de façon fortuite ou contingente, il n'y aurait pas eu lieu de dire que Moïse reçut la Torah de Dieu, car une réception fortuite n'est pas une réception. Recevoir signifie, en effet, que l'on reçoit d'un donneur qui a eu l'intention de nous transmettre quelque chose. Pour ce faire, Il a donc fixé un endroit. C'est pourquoi il est dit que « Moïse reçut Torah du Sinaï », au sens où un endroit particulier était assigné à cet événement et que rien n'arriva fortuitement [...]. Et l'expression « du Sinaï » est à cet égard justifiée puisque celui-ci était l'intermédiaire indispensable à la réception de la Torah et que celle-ci eut lieu grâce à lui.

MAHARAL DE PRAGUE:

Les hommes de la Grande Assemblée dirent trois choses » dont dépend l'existence de la Torah. « Soyez circonspects dans le jugement » : ne concluez pas un jugement rapidement mais sondez-le en profondeur, car la décision de justice siège sur la cime du monde;

RACH! : «

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l'énoncé des dix commandements est, en effet, suivi immédiatement du verset: «Voici les jugements, etc. » (Ex. 21:1), ce qui t'enseigne que ceux-ci sont le corps de la Torah. « Formez de nombreux disciples » - si tu as formé des disciples pendant ta jeunesse, recommence dans ta vieillesse car tu ne sais pas lequel d'entre eux sera le plus réussI. « Soyez circonspects dans le jugement » : patientez avant de conclure un jugement et ne tranchez pas précipitamment tant que vous ne le possédez pas à fond, car il est possible que vous découvriez alors des problèmes qui n'étaient pas perceptibles lors d'une première réflexion. « Faites une haie à la Torah » : il s'agit des décrets et des institutions qui éloignent l'homme de la transgression, comme l'a dit l'Éternel, qu'il soit exalté: « Gardez Ma garde » (Lev. 28:30) et que les sages ont compris ainsi: « Faites une clôture à Ma clôture» (Yeb. 21a, M.Q. Sa).

RAMBAM :

Soyez circonspects dans le jugement » : il s'adresse aux enseignants et à ceux qui décident de la règle à suivre (i1J~Ji1), ainsi qu'à ceux qui rendent la justice, en leur disant de ne pas se fier à leur pensée première, mais d'opérer avec une grande patience, après une réflexion minutieuse, afin de ne pas se tromper dans leur jugement. L'homme qui se presserait d'affirmer serait en effet déclaré fautif, même s'il croyait dire la vérité; car sa faute ne serait pas le résultat d'une simple inattention mais presque une faute volontaire, pour ce qu'il n'a pas pris en compte ce fait, qu'un cœur pressé ne peut comprendre et que l'erreur est en tout homme fréquente. C'est ce qu'ont dit les sages: « Prenez garde dans l'enseignement, car une erreur d'inadvertance commise dans l'enseignement compte autant qu'une faute préméditée» (plus loin, chap. 4, michna 13). Salomon dit à ce sujet: «J'ai vu le sage à ses propres yeux, l'imbécile a plus d'espoir que lui» (Prov. 26:12) et les sages dirent pareillement: « Celui qui s'enorgueillit dans l'ensei-

RABBÉNOU YONA : «

CHAPITRE 1 - MICHNA l

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gnement est un fou, un méchant homme et un fat» (plus loin, chap. 4, michna 7). L'homme qui enseigne doit donc pratiquer longuement la chose, faire mûrir et attendre la pensée, comme disaient les sages (Sanh. 35a) : « On fait mûrir la sentence» (litt. on la fait lever), car par la maturation et la patience une réflexion nouvelle s'ajoute à l'ancienne, un raisonnement nouveau prolonge le précédent, et l'on devient capable de la sorte de rendre une sentence en sa vérité. Car en la pensée seconde on perçoit ce que la pensée première ne nous laissait pas voir [...]. Et i.1 a évoqué ici le « jugement» en particulier, en disant d'être circonspect « dans le jugement », pour mettre davantage en garde s'agissant des règles de justice plus que de toute autre règle; car elles sont l'un des fondements essentiels de la connaissance de Dieu, comme l'a dit Jérémie: « Pense et connais-Moi, car Je suis l'Éternel qui fait la générosité, le jugement et la charité sur la terre, car elles sont les choses que Je désire - oracle de l'Éternel» Ger. 9:23). Or, comment l'homme pourrait-il connaître l'Éternel, c'est chose impossible! Mais il le connaîtra par ce moyen: en établissant la justice et la loi, car Dieu le fait aussi. Tel est le sens du verset: « Rends le jugement du pauvre et du miséreux, ce sera bien; n'est-ce pas là Me connaître? Oracle de l'Éternel » (ibid. 22:16). Et il est écrit ailleurs: « Ce que l'Éternel te demande ce n'est que de rendre la justice et d'aimer la générosité» (Mich. 6:8). Car les règles de justice sont un principe de base de la Torah et c'est sur elles que le monde est fondé, comme l'atteste le Midrach: « Il est écrit avant l'énoncé des dix commandements: " Ils jugeront le peuple à tout instant" (Ex. 18:22), et il est écrit après l'énoncé des dix commandements: " Voici les jugements, etc.» (ibid. 21: 1) - cela ressemble à une grande dame qui se mettrait en chemin avec des serviteurs armés courant devant et derrière elle. »

COMMENTAIRES DU TRAITÉ DES PÈRES

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Michna 2. Chimon le Juste était l'un des derniers représentants de la Grande Assemblée. Il disait: Le monde tient sur trois choses: sur la Torah, sur le service [du Temple] et sur la pure générosité.

Il dit que grâce à la sagesse, appelée ici la Torah, grâce à l'élévation acquise par les dispositions saines, c'està-dire la pure générosité, et grâce à l'accomplissement des commandements de la Torah, c'est-à-dire les sacrifices, se poursuivent l'achèvement du monde et la mise en ordre de sa réalité de la manière la plus parfaite.

RAMBAM :

Chi mon le Juste était grand-prêtre, et on rapporte dans le traité Tamid (21b, cf. Yoma. 69a) qu'il sortit à la rencontre d'Alexandre le Grand vêtu de ses habits de prêtrise et que ce dernier descendit et se prosterna devant lui. Ses serviteurs lui dirent: Notre maître, un roi tel que toi se prosternerait devant un Juif! Il leur répondit: Lorsque je vois l'image de cet homme pendant la guerre, je vaincs l'ennemi. Chimon le Juste disait que ces trois choses sont la raison de la création du monde; et elles ne correspondent pas aux trois choses dont il est dit plus loin que le monde se réalise grâce à elles (michna 18). Il nous faut comprendre ici que ce sur quoi le monde « tient » signifie la raison pour laquelle il a été créé, car ces trois choses sont ce que veut le Saint, béni soit-Il. Autrement dit, le monde a été créé pour les créatures qui seront agréées par Dieu en réalisant ces trois choses. Car celles-ci sont le pilier majeur qui soutient toutes les autres choses au sujet desquelles les sages ont dit aussi que le monde tient grâce à elles. « Sur la Torah », comme il est dit: « Qui recherche le

RABBÉNOU YONA :

CHAPITRE 1

MICHNA 2

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bien demande l'agrément [de Dieu] » (Prov. Il :27), or il n'est de bien que la Torah et c'est pour elle que le monde a été créé, comme il est écrit: « N'ai-Je pas établi Mon alliance (i.e. la Torah) avec le jour et la nuit, n'ai-Je pas imposé les lois des cieux et de la terre» Ger. 33:25). C'est ce qu'a déclaré Salomon: « L'Éternel m'a acquise (i.e. la Torah) au commencement de Sa voie, avant Ses œuvres d'antan» (Prov. 8:22), comme si la Torah disait: Moi, j'ai été créée avant le monde entier et c'est à cause de moi que tous les existants ont été créés, afin de me faire exister. « Sur le service », car le Saint, béni soit-Il, a choisi Israël parmi tous les peuples et la terre d'Israël parmi toutes les terres, et Il a choisi Jérusalem sur toute la terre d'Israël et le mont Sion dans tout Jérusalem, ainsi qu'il est dit: « Car l'Éternel a choisi Sion et le désira pour sa résidence» (Ps. 132:13) ; et de toutes les demeures, Il choisit la Maison d'élection (i.e. le Temple), afin que s'y déroule le service, dont il est écrit qu'il relève de la volonté, au verset: « A la porte de la tente de rencontre, il le sacrifiera volontairement devant l'Éternel» (Lev. 1:3). Tu constates donc que le monde entier a été créé pour le service. Et c'est la prière qui, pour nous aujourd'hui, le remplace, comme l'ont dit les sages (Taan. 2a) : « Il est écrit: " Pour Le servir de tout votre cœur" (Deut. Il :13) - quel est le service qui a lieu dans le cœur? Il faut dire que c'est la prière. » Il est écrit ainsi: « Éternel, ouvre mes lèvres » (Ps. 51: 17). David prononça ces mots pour la faute qu'il commit au sujet de Bat Chéva, qui était une faute délibérée, or on n'apporte pas de sacrifice pour une faute volontaire, c'est pourquoi il ajouta: « Car Tu ne désires pas un sacrifice pour que je Te l'offre, l'holocauste Tu ne l'agréeras pas » (ibid. 18), autrement dit, si j'avais pu apporter un sacrifice pour expier ma faute, je l'aurais fait, mais puisque je ne le peux: « Eternel, ouvre mes lèvres et ma bouche chantera Ta louange » (ibid. 17) - accueille ma prière à la place du sacrifice et pardonne ma faute. De même pour nous, qui n'avons pas de sacrifices pour expier nos fautes, involontaires ou délibé-

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COMMENTAIRES DU TRAITÉ DES PÈRES

rées, que l'Éternel ouvre nos lèvres et accueille notre prière, en remplacement des sacrifices. « Sur la pure générosité », au sens où les sages ont dit: « La pure générosité est plus grande que la charité» (Souk. 49b), car la pure générosité s'exerce tant à l'égard des pauvres que des riches, tandis que la charité ne s'exerce qu'à l'égard des pauvres; la pure générosité s'applique tant au corps de l'homme qu'à ses biens, tandis que la charité ne s'applique qu'à ses biens. Et ils dirent à ce propos: « Qui donne un sou à un pauvre est béni de six bénédictions, mais qui l'apaise par des paroles est béni de onze bénédictions » (B.B. 9b). Font aussi partie de la pure générosité: protéger les pauvres, choisir entre les bons et les mauvais, et donner la prééminence à l'homme pudique et craignant Dieu sur ceux qui ne le sont pas, comme l'a dit Jérémie: « Et ceux qui trébuchèrent devant Toi, à l'heure de Ta colère, agis contre eux » Ger. 18:23) - même lorsqu'ils pratiquaient la charité, ils trébuchaient en donnant à des gens qui n'étaient pas corrects. La pure générosité s'exerce aussi à l'égard des riches, par un prêt d'argent au moment où celui-ci leur fait défaut ct par une offre de conseil, comme l'a dit le roi Salomon: « L'huile et l'encens réjouissent le cœur et la douceur de l'ami qui conseille en son âme» (Prov. 27:9), c'est-à-dire: de même que l'huile et l'encens enchantent le cœur de l'homme, son ami l'adoucit par le conseil de son âme, et lorsqu'il lui prodigue un bon conseil, il s'en réjouit. Grâce à cette disposition à la générosité l'homme est agréé par l'Éternel et c'est pour elle que le monde a été créé, afin qu'elle soit réalisée. Salomon en sa sagesse disait à ce sujet: « La charité élève une nation mais la générosité des peuples est une faute » (Prov. 14:34) et il enchaînait ainsi: « L'agrément du roi va au serviteur intelligent» (ibid. 35): l'agrément du Saint, béni soit-Il, va aux enfants d'Israël qui se montrent intelligents et sensés dans l'accomplissement des choses qu'Il agrée.

CHAPITRE l - MICHNA 3

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Michna 3. Antigone de Sokho reçut de Chimon le Juste. Il disait: Ne soyez pas comme des serviteurs qui servent le maître à condition de recevoir une gratification, mais soyez comme des serviteurs qui servent le maître à condition de ne pas recevoir de gratification '. Et que la crainte des cieux pèse sur vous.

«Ne soyez pas comme des serviteurs qui servent le maître à condition de recevoir une gratification », ce n'est pas là un service parfait, car ils ne le font pas pour leur maître mais pour recevoir une récompense. « Mais soyez comme des serviteurs qui servent le maître à condition de ne pas recevoir de gratification ", [cette version paraît difficile] car l'homme ne saurait accomplir les commandements en pensant qu'il n'en tirera aucune récompense, et il vaut mieux corriger de la manière suivante : « Soyez comme des serviteurs qui servent le maître sans exiger de recevoir une gratification » (tn~ ;':Jp;' !lm ;,y N7'V) ; à savoir que l'homme ne doit pas accomplir les commandements en vue d'une récompense, même s'il sait qu'il recevra un salaire en échange de son service. Il me semble, cependant, que la

RABBÉNOUYONA:

2. Cette version est celle du Rambam, qu'il rapporte pareillement dans son Introduction au dixième chapitre du traité Sanhédrin (p ,'l'?' N?ï1 .''l'0' ,'1'01):) .'1?n

Michna 13. Il disait aussi: Un nom propagé est un nom perdu; qui n'ajoute pas est retranché et qui n'étudie pas est passible de mort; et qui cherche un profit dans la couronne se perd.

Hillel disait que lorsque se répand et grandit le nom d'un homme, sache que sa perte est proche. Et il disait aussi que celui qui n'ajoute pas à l'étude, Dieu le fera mourir, mais que celui qui n'étudie pas du tout, il convient de le tuer; et que celui qui se sert de la couronne est un homme perdu: il s'agit en l'occurrence de celui qui fait de la Torah une profession pour gagner sa vie, et c'est ce que vise Hillel par ces mots comme le montrera la suite de ce traité. Il a d'ailleurs exprimé son propos au moyen d'un signe mnémonique en employant l'anagramme NlIl (couronne) qui est composé des premières lettres des mots N)1nN N1::n ï'y')~Il : « un disciple [mais pas] un autre homme », autrement dit, il est interdit à un sage de recevoir les services de qui que ce soit hormis de ses disciples.

RAMBAM :

«Un nom propagé est un nom perdu»: il s'agit de l'homme qui s'enorgueillit et dont le nom se répand dans le monde du fait de son orgueil et de sa grandeur, si bien que sa renommée égale celle des grands de la terre; l'envers de cette renommée, fruit de la vanité, sera la perte de son nom, l'oubli total dont il ne reste ni mention . . m souvemr. « Qui n'ajoute pas est retranché » : qui est sage mais ne veut plus ajouter à sa sagesse, et se dit en son cœur: J'ai déjà étudié toute la Torah, exploré ses sentiers et ses voies, que gagnerai-je à peiner et à m'épuiser le restant de mes jours, qu'y découvrirai-je que je ne sais déjà! Pourvu que

RABBÉNOUYONA:

CHAPITRE I - MICHNA 14

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cet homme meure et soit recueilli auprès de son peuple! Car pourquoi vivrait-il encore après avoir cessé d'étudier? « Qui n'étudie pas est passible de mort» : qui n'a jamais étudié ressemble à un animal, car il n'est venu au monde que pour comprendre et décider dans la Torah, dont les voies sont des voies agréables; ainsi celui qui ne s'affaire jamais à la Torah pendant toute sa vie et persévère dans son injustice, il ne convient même pas qu'il vive un jour ou même une heure.

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Michna 14. Il disait: Si je ne me soucie pas de moi, qui se souciera de moi? Mais quand je me soucie de moi, que suisje? Et si ce n'est pas maintenant, quand?

Hillel dit que si je ne m'incite pas moi-même à me perfectionner, qui m'y incitera ? Car rien d'extérieur ne pousse jamais un homme à s'éveiller, ainsi que je l'ai expliqué au chapitre 8 de l'introduction à ce traité 6. Et puisque je suis le seul à pouvoir orienter mon existence vers quelque côté que je désire, quelles bonnes actions ai-je donc accomplies? Hillel s'amoindrit pour ainsi dire lui-même et demande: Que suis-je? c'est-à-dire, qu'est-il sorti de moi? Car j'ai beau connaître le problème, je n'ai pas pour autant atteint la perfection. Il recommence alors son questionnement et demande: Si je n'acquiers pas maintenant les vertus, alors que je suis encore jeune, quand le ferai-je? Certainement pas pendant ma vieillesse, car il me sera alors difficile de changer

RAMBAM :

6. « Il est impossible que l'homme naisse naturellement bon ou mauvais, de même qu'il est impossible qu'il naisse en sachant un métier; mais il est cependant possible qu'il soit naturellement enclin au bien ou au mal, c'est-à-dire que la recherche de l'un lui soit plus facile que la poursuite de l'autre [... J. Et sache qu'il est reconnu par tous ceux qui suivent notre

COMMENTAIRES DU TRAITÉ DES PÈRES

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de dispositions, tant les habitudes, bonnes ou mauvaises, se seront renforcées et enracinées en moi. Le sage dit à ce sujet: «Éduque le jeune homme d'après sa voie, en vieillissant il ne s'en écartera pas» (Prov. 2:6). Si je ne fais pas ce qu'il m'est commandé de faire, qui le fera pour moi? Et même lorsque je le fais, jamais je ne m'acquitte totalement de l'obligation qui pèse sur moi. Mais si je ne le fais pas alors que je suis en vie, quand le ferai-je? Car celui qui peine la veille du chabat mangera le lendemain; mais celui qui ne travaille pas, que mangera-t-il le chabat ?

RACHI :

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Michna 15. Chamaï dit: Fais de ta Torah une occupation constante, parle peu et agis beaucoup, et accueille tout homme en lui faisant bonne figure.

Ne te fixe pas des moments dans la journée pour étudier la Torah, mais fais de la Torah ton occupation constante toute la journée.

RACHI :

Fais de l'étude de la Torah ton occupation essentielle et de toutes tes autres activités une occupation subalterne, si elles s'arrangent tant mieux et si elles périclitent tu ne t'en porteras pas plus mal. Les sages ont dit que les

RAMBAM :

Torah et par la philosophie grecque, en ce qu'elle l'a vérifié par des démonstrations probantes, que toutes les actions de l'homme sont remises entre ses mains, que ne pèse sur lui nulle nécessité et que jamais rien d'extérieur à lui ne le pousse à agir en bien ou en mal. Seules entrent en jeu ses dispositions naturelles comme nous l'avons indiqué, qui rendent une chose particulière facile ou difficile pour lui à réaliser; mais en aucun cas il n'est contraint à agir ou dans l'impossibilité d'agir» (éd. Kappah, t. 2, p. 260 sq.).

CHAPITRE!

MICHNA 15

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justes parlent peu et agissent beaucoup (B.M. 87a), comme Abraham notre père qui promit à ses invités un peu de pain et leur apporta du beurre, du lait, un veau et trois mesures de fleur de farine (Gen. 18:4 sq.). Tandis que les injustes parlent beaucoup et ne font pratiquement rien, comme Efron qui parlait de tout donner gratuitement à Abraham, mais qui lui fit payer ensuite jusqu'au dernier dinar au moment de passer à l'acte (Gen. 23:10 sq.). Fais de ta Torah une occupation constante », comme le disent les Avot de Rabbi Nathan: « Qui fait de sa Torah une occupation essentielle et de son travail une activité subalterne, on fait de lui l'essentiel dans le monde à venir. Mais qui fait de sa Torah une activité subalterne et de son travail une occupation essentielle, on fait de lui un subalterne dans le monde à venir », c'est-àdire même s'il n'a pas commis de transgression, et seulement parce qu'il n'a pas fait de sa Torah son occupation essentielle, et bien qu'il mérite d'accéder au jardin d'Eden, il y sera subalterne. « Parle peu et agis beaucoup» : quand tu promets à ton prochain de faire quelque chose en sa faveur, promets peu et fais beaucoup. En ce sens, eette formule est une instruction morale qui relève de la recherche de l'intégrité, et nous l'apprenons d'Abraham notre père, comme il est dit: «J'apporterai un morceau de pain» (Gen 18:5) et il est écrit ensuite: « Il prit du beurre, du lait, un veau, etc. » (ibid. 8). Autre explication: « Parle peu et agis beaucoup >, est une dimension supérieure que nos maîtres (cf. ARNA 13) apprirent du Saint, béni soit-Il, qui promit [à Abraham de délivrer son peuple] par deux lettres [de Son nom] seulement, comme il est dit « Je jugerai (11) le peuple qui les a asservis» (ibid. 15:14), et li les libéra par vingt-sept mots, comme il est dit: « Est-il un Dieu qui ait essayé de venir prendre pour lui un peuple du sein d'un peuple par des épreuves, par des signes, par des prodiges, par la guerre, par une main forte, par un bras étendu et par de grandes ter-

RABBÉNOU YONA : «

COMMENTAIRES DU TRAITÉ DES PF,RES

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reurs " (Deut. 4:34). A ce sujet, Rav Saadia Gaon disait que si - ayant promis à nos pères de les délivrer par deux lettres, Il accomplit en leur faveur tant de miracles et de merveilles, pour la libération à venir dont les promesses écrites emplissent nombre de pages de cahiers et de livres, et nombre de consolations dans le livre de Jérémie et dans les livres des Prophètes - Ses actes seront à fortiori encore plus merveilleux que ce qu'en Son âme omnisciente Il a promis. Il faut savoir cela et y réfléchir, et prendre en considération que l'on recevra un grand salaire du fait des promesses.

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Michna 16. Rabban Gamliel disait: Donne-toi un maître, écarte-toi du doute et ne donne pas trop souvent la dîme par approximation.

Le maître que l'on est enjoint de se donner ici n'est pas destiné à l'étude comme précédemment mais à l'instruction relative à la pratique (ï1Nl)ï1). Il faut te donner un maître afin de te fier à lui dans l'ordre du permis et de l'interdit, et d'être quitte du doure, comme il est dit dans le Talmud Yerouchalmi: « Viens voir avec moi l'ancien du village en qui j'ai confiance et tu en seras content» (M.Q. 1:6, Yeb. 12:7). De même, évite de prélever la dîme par approximation car cela fait partie des doutes dont il t'enjoint de t'écarter.

RAMBAM :

Prends ton compagnon pour maître [dans l'instruction relative à la pratique], même s'il n'est pas plus sage que toi et même s'il n'atteint pas ta propre sagesse, afin d'être quitte du doute [.. .]. Car il arrive qu'un sage doute de la manière dont il convient de trancher un problème de cette sorte et ne sache comment répondre à celui qui vient l'inter-

RABBÉNOUYONA :

CHAPITRE 1 - MICHNA 16

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roger: s'il déclare permise une chose qui ne l'est pas, il sera responsable d'un acte dégradant, et s'il interdit une chose permise, il causera préjudice aux biens d'autrui alors que la Torah a toujours égard aux biens des hommes. C'est pourquoi il faut prendre son compagnon pour maître et le questionner lorsque l'on est en proie au doute. Et l'on agira d'après son instruction, même si la chose est évidente et qu'on la pense permise, et même si l'autre n'est pas aussi grand que nous en sagesse. Les gueonim ont dit à ce sujet que lorsque l'on voit dans le Talmud que cc qui est douteux pour l'un est clair pour un autre, la règle à suivre (Nnj~m) dépend de l'avis de celui pour qui la chose est claire, même si celui-ci est le disciple du premier. « Ne donne pas trop souvent la dîme par approximation » : que l'homme ne prélève pas le dixième de ses fruits au jugé en voulant donner généreusement, car ce qu'il a mesuré en plus du dixième, étant lui-même passible de la dîme, restera non rédimé tant qu'il n'aura pas pris conscience qu'il faut aussi le rédimer. Or, puisqu'il n'y a pas pensé, la dîme qu'il donne est défectueuse '. Cette mise en garde au sujet de la dîme est une parabole portant sur le raisonnement que l'homme ne doit pas élaborer par approximation, mais de manière fondamentale et en menant la réflexion jusqu'à son terme. Cela n'est pas possible cependant pour tous les raisonnements, car certains d'entre eux comportent plusieurs possibilités, et même si la pensée du sage penche d'un côté, il comprend et sait qu'un autre sage pourrait suivre une voie différente, bien que celle-ci lui paraîsse plus vraisemblable. Et il est des raisonnements qu'un sage innove et dont il connaît la nécessité au regard d'une réflexion juste, et qui ne laissent pas place il d'autres possibilités et qu'aucun sage ne conteste7. Le principe de la dîme (un dixième de la récolte) est que la récolte n'est permise à !J consommation qu'une fois ce dixième prélevé. Si un homme prélève trop au moment où il évalue la dîme, la partie ajoutée à ce dixième, est clle-même sujette au prélèvement, et ne pourra être consommée qu'après avoir été à son tour rédimée. Voir Rambam, Zer:,..::>:1 O'>':1ï). Et l'on a dit de Rav, le disciple de Rabbi Hiya, qu'il n'a pas tenu un seul propos vain de toute son existence (Souk. 28a). Font aussi partie de cette sorte de parole, le mépris témoigné envers une disposition saine ou l'éloge d'une disposition nocive, qu'elles relèvent de l'éthique ou de l'intellect. La quatrième sorte, le discours souhaitable, est le discours qui loue les dispositions saines, éthiques et intellectuelles, qui dénigre les dispositions nocives dans ces deux domaines, qui incite l'âme au bien par des paroles agréables et des chants, et qui l'écarte du mal par le même moyen. De même, l'éloge des sages et la description de la valeur de leur mode d'existence dans le but de faire aimer aux hommes leur conduite et de leur donner le goût de s'engager dans la même voie, ainsi que le dénigrement des injustes et l'exposition de la bassesse de leur existence afin de dégoûter les hommes de leurs agissements et de leur ôter l'envie de les imiter, font aussi partie de ce genre de paroles. Certains nomment ce type de discours qui consiste dans l'étude des dispositions saines et l'éloignement des attitudes médiocres, le 1" (litt. « chemin du monde»). La cinquième sorte de paroles, le discours permis, est le discours qui concerne l'individu dan~ son commerce, son travail, sa nourriture, sa boisson, son vêtement et le reste de ses

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CHAPITRE 1 - MICHNA 17

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besoins. Ce genre de paroles n'est ni commandé ni réprouvé, et son usage est libre: qui veut les dire les dit, qui ne le veut pas les tait. Mais il est loisible à l'homme de diminuer ce genre de propos et les ouvrages de morale avertissent qu'il convient au moins de ne pas l'accroître. En revanche, s'agissant du discours interdit et du discours réprouvé, il n'est pas nécessaire d'indiquer qu'il faut les taire. Tandis que le discours commandé et le discours souhaitable, si l'homme pouvait les faire siens tout au long de son existence, ce serait le mieux. Deux autres choses doivent cependant les accompagner nécessairement. La première est que ses actes correspondent à ses paroles, comme l'ont dit les sages : « Belles sont les paroles qui sortent de la bouche de qui les accomplit. » (Toss. Yeb. 8). Et c'est à ce sujet qu'il est dit ici: « L'essentiel n'est pas la déclaration mais l'acte. » De l'homme intègre qui enseigne la vertu les sages ont dit: « C'est toi que l'on interroge et c'est à toi qu'il sied de parler. » (B.B. 75a, Sanh. 100a). Et le prophète a dit: « Que les justes chantent en Dieu, la louange des hommes droits est belle» (Ps. 33:1). La seconde chose est la brièveté: s'efforcer de concentrer le maximum de sujets dans le minimum de paroles, et non l'inverse. Et tel est le sens de leur propos: « Qu'un homme enseigne toujours à ses disciples de manière concise» (Pes. 3b, Hou!. 63b). Sache que les poésies et les chants composés dans quelque langue que ce soit, s'analysent en fonction de leur sujet, et qu'il convient de se comporter à leur égard de la même manière qu'envers le discours en général et selon les distinctions établies auparavant. Mais je me sens obligé d'insister sur ce point, bien que la chose soit évidente, car j'ai vu des hommes illustres et des gens intègres de notre peuple qui, invités à un festin ou à un mariage, lorsque quelqu'un voulait chanter en arabe - fût-ce à propos de sujets entrant dans la catégorie du discours souhaitable, comme l'éloge du courage ou du sérieux, ou l'éloge du vin -l'empêchaient absolument de chanter, par tous les moyens, et ne permettaient à personne de l'écouter; tandis que si quelqu'un chan-

80

COMMENTAIRES DU TRAITÉ DES PÈRES

tait un chant traditionnel hébraïque, ils le laissaient faire et n'étaient nullement affectés de ce que ce chant comportait des paroles réprouvées ou interdites. Cette attitude est totalement stupide car la parole n'est pas interdite, permise, souhaitée, réprouvée ou commandée en fonction de la langue dans laquelle elle s'énonce, mais en fonction de son contenu: si le contenu de cette poésie ou de cc chant est de nature élevée, c'est une obligation de le dire quelle que soit la langue; tandis que s'il est de nature infâme, c'est une obligation de le taire et de le faire cesser quelle que soit la langue. J'ajoute qu'à mon avis, lorsque deux chants de même teneur incitent tous deux à la sensualité, louent le désir et entraînent l'âme à le suivre - ce qui fait partie du discours réprouvé, car ils excitent l'âme à s'amoindrir comme nous l'avons expliqué dans l'Introduction au Traité Avot - et que l'un de ces chants est en hébreu et l'autre en arabe ou en persan, le fait d'écouter ce chant en hébreu est davantage réprouvé par la Torah du fait de la sainteté de la langue hébraïque. Car il convient de n'employer l'hébreu qu'à propos de sujets élevés, et à plus forte raison si l'on associe un verset de la Torah ou du Cantique des Cantiques au propos que l'on tient; dans ce cas cela ne fait déjà plus partie de la catégorie du discours réprouvé mais de celle du discours interdit, que nous sommes enjoints de taire. En effet la Torah a interdit de faire d'une expression de la prophétie une vulgaire platitude chantée. Et puisque dans la catégorie du discours interdit j'ai mentionné la mauvaise langue ()J1n l)~)), je vais l'expliquer davantage et rapporter ce qu'en disent les sages; car les gens sont profondément aveugles dans ce domaine, alors que c'est l'un des dévoiements les plus graves, dans lequel l'homme se laisse aller en permanence, en particulier s'agissant de ce que les sages ont nommé « les résidus de la mauvaise langue ()J1n l)~) r::u-'êJy') Oil')'êJ m"l''êJ ".,N l.,ï 0).1 il.,m ïm~11 ml' ~::» .1)).1 11.,.,))) il~\:>::1 il!:nU ,il::>N~y') ily')).1 l'N'êJ il.,m ~::» m::>~'êJ ,0'y')'êJ 0'êJ~ OilY.)).I 0'~Y.)).I Pil' ,")::I~il 0).1 O'~Y.)).Iil ')N il~).IY.) ,0I1N) . ï).l~ l1ïY.))).I 0I1Pï~) ln).l'UY.) Om::lN .011''êJ).I )~N::> il::l.,il "::>'êJ o::>'~).1

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Michna 2. Rabban Gamliel, fils de Rabbi Juda le Prince, dit: C'est bien d'étudier la Torah conjointement à l'exercice d'un métier, car le labeur des deux fait oublier la perversion; et toute [étude de la] Torah qui n'est pas accompagnée d'un

CHAPITRE Il

~

MICHNA 2

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travail finit par s'annuler ct provoque la perversion. Quant à ceux qui œuvrent en faveur de la communauté, qu'ils travaillent avec elle pour le nom des cieux, le mérite de leurs pères les y aidera et leur charité subsistera à jamais. Et Moi, Je vous compterai un salaire aussi grand que si vous les aviez accomplis.

Le ~'N l'i dont il est question ici est le travail nécessaire pour vivre et assurer sa subsistance. Et il déclare que, sans travail, l'étude de la Torah provoque la perversion, selon ce que nous avons déjà expliqué ailleurs; et les sages ont dit: « A la fin il volera les autres » (Kid. 29a). Quant à la phrase, « et Moi, Je vous compterai un salaire, etc. », c'est la parole de Dieu à l'adresse de ceux qui œuvrent en faveur de la communauté. Car il arrive parfois que leurs occupations en faveur de celle-ci les empêchent d'accomplir un commandement, et c'est pourquoi Rabban Gamliel dit que Dieu leur compte le salaire du commandement en question, bien qu'ils n'aient pu l'accomplir, puisqu'ils étaient occupés par les affaires communautaires pour le nom des cieux (i.e. gratuitement).

RAMBAM :

Toute [étude de la] Torah qui n'est pas accompagnée d'un travail finit par s'annuler et provoque la perversion », comme il est dit plus loin (chap. 3, michna 17) : « Sans farine, pas de Torah », qu'il faut entendre littéralement : celui qui délaisse le travail est conduit à la pauvreté ; or, celle-ci entraîne certaines perversions et un grand mal, car à cause d'elle il aimera recevoir les dons et ne vivra pas (cf. Provo 15:27), il sera hypocrite en présence des autres, y compris en présence des injustes, afin qu'ils lui donnent. Puis, lorsque l'argent des dons viendra à manquer, il se fera voleur ou joueur, et rapportera chez lui les vols du pauvre pour ne pas mourir de faim. Lorsqu'un homme arrive à ces extrémités, plus rien ne le retient, plus rien ne le satisfait ni ne le calme tant qu'il n'a pas transgressé toutes les paroles

RABBÉNOU YONA : «

COMMENTAIRES DU TRAITÉ DES PÈRES

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de la Torah, car « la transgression entraîne la transgression» (plus loin chap. 4, michna 2). Les sages dirent à ce sujet (Ber. 8a) qu'il est écrit à propos de qui se nourrit de sa peine: « Lorsque tu te nourris du labeur de tes mains, c'est un bonheur pour toi et un bien pour toi» (Ps. 128:2) c'est un bonheur pour toi en ce monde et un bien pour toi dans le monde à venir. C'est pourquoi le sage doit savoir pratiquer un métier, comme il est dit: « Bonne est la sagesse avec un héritage » (Ecc. 7:11).

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Michna 3. [Il disait aussi :] Prenez garde au pouvoir car rien ne le rapproche de l'homme hormis son intérêt, il apparaît amical tant qu'il en a profit, mais il n'accorde aucun soutien à j'homme au moment de sa détresse.

Prenez garde au pouvoir ", c'est-à-dire à ceux qui règnent et ont le pouvoir d'agir comme ils le veulent. Et comment doit-on s'en garder? En veillant à ne pas être en permanence à leur côté. Car tel est leur usage: ils demandent un emprunt, mais si tu leur donnes, considère que tu as jeté ton bien dans la mer Morte, et n'en espère aucun profit.

RACHI: «

Après avoir appelé à œuvrer en faveur de la communauté, il déclare: « Prenez garde au pouvoir », car le pouvoir est à l'opposé de la communauté. Un homme de pouvoir, du fait de son importance et de sa grandeur, s'est, en effet, exclu lui-même de la communauté, et il est séparé d'elle. C'est le chemin que suit tout homme de pouvoir: même lorsqu'il veut diriger la communauté et paraît s'affairer à ses besoins, ce n'est jamais le cas. Il

MAHARAL DE PRAGUE:

CHAPITRE II - MICHNA 4

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déclare donc: « Prenez garde au pouvoir ", car le pouvoir est séparé de l'ensemble et n'a aucun lien avec l'ensemble; et si tu constates que les gouvernants rapprochent d'eux un homme et semblent être son ami, ne t'empresse pas de croire que le pouvoir est proche de l'homme et l'aime, et qu'il a donc un lien avec les autres. Tout cela n'est rien, car ils n'agissent pas ainsi pour tenir l'homme auprès d'eux, mais seulement pour leur profit ; en effet, puisqu'ils n'accordent aucun soutien il l'homme au moment de sa détresse - ce qui est bien le moins qu'ils puissent faire: être un frère dans l'affliction - ils ne feront donc il fortiori rien en sa faveur quand il n'est pas dans la détresse. La cause en est que l'homme de pouvoir est séparé de la communauté, et il ne rapproche donc pas de lui un homme pour établir un lien ou créer une proximité; et s'il apparaît comme son ami à l'heure de son intérêt, ce n'est certainement pas parce qu'il l'aime.

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Michna 4. Il disait: Accomplis Son désir comme si c'était le tien, afin qu'li accomplisse ton désir comme si c'était le Sien. Suspends ton désir en face du Sien, alors Il suspendra le désir des autres en face du tien. Hillel dit: Ne te sépare pas de la communauté. Ne te fic pas à ce que tu es jusqu'au jour de ta mort. Ne juge pas ton prochain avant de te trouver dans sa situation. Ne dis pas une chose impossible à entendre et qui à la fin sera entendue. Et ne dis pas:]' étudierai quand j'aurai du temps libre, de peur que tu n'aies jamais de temps libre.

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Accomplis Son désir comme si c'était le tien », de même que l'on réalise son désir personnel avec plaisir et avec zèle, le désir de Dieu doit être pareil pour nous. Et l'on ne doit pas distinguer le désir de Dieu d'avec son propre désir mais faire une seule chose des deux, autrement dit ne désirer que ce qui est agréé par Dieu [ ... ]. David dit ainsi: « Tout vient de Toi et ce qui vient de Ta main nous te le donnons » (1 Chrono 29:14). Il conseille aux hommes de dominer leur nature afin d'accomplir le désir et la volonté de Dieu, y compris lorsqu'il s'agit de leurs biens et de leurs propriétés. Car tout a été donné par Dieu et les biens que l'on possède ne sont que des dépôts entre nos mains, et si l'on comprend cela, on accomplira alors de toute façon le désir de leur propriétaire véritable qui est Dieu. En conséquence, on ne craindra plus de les donner en charité, et l'on rendra en cela notre désir semblable au désir de Dieu, volontairement et de bon cœur. « Afin qu'Il accomplisse ton désir comme si c'était le Sien» : Il nourrit tout vivant à satiété et donne du pain à toute chair et à toute créature selon ses besoins, car c'est là Son désir et Sa volonté. Si tu mérites d'être agréé par Lui, alors Il accomplira aussi ton désir touchant tes besoins mondains et Il te donnera le nécessaire pour vivre puisque tel est le désir de tous les êtres humains.

RABBJ:NOU YONA : «

Accomplis Son désir comme si c'était le tien », même lorsque tu réalises ton désir, fais-le pour le nom des cieux. « Afin qu'Il accomplisse ton désir comme si c'était le Sien ", afin que, des cieux, l'on te donne bien ct largement. « Suspends ton désir en face du Sien» : compare le préjudice du commandement à son salaire; « alors Il suspendra le désir des autres» qui se dressent contre toi pour te nuire. « Ne te sépare pas de la communauté », mais associe-toi à elle dans sa détresse afin de te réjouir ensuite avec elle [dans sa délivrance], comme il est dit: « Réjouissez Jérusalem et exultez en elle [ ... ] jubilez avec elle, vous qui vous êtes endeuillés pour elle» (Is. 66:10). Les sages dirent, dans

RACH 1 : «

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le dernier chapitre du traité Taanit (30a-b), que qui ne s'associe pas à la communauté [au moment de son deuil] ne verra pas la consolation de celle-ci, et ne connaîtra jamais un signe de bénédiction. « Ne te fie pas à ce que tu es jusqu'au jour de ta mort ", car Yohanan le grand-prêtre servit dans sa fonction pendant quatre-vingts ans et il se fit finalement sadduccéen (cf. Ber. 29a). « Ne dis pas une chose impossible à entendre et qui à la fin sera entendue", c'est-à-dire: ne dis pas d'une parole de la Torah que tu peux entendre maintenant que tu finiras bien par la comprendre plus tard, mais tends l'oreille aussitôt pour l'entendre. Et ne dis pas une chose secrète qu'il est impossible de faire entendre aux autres, car si tu la dis, le monde finira par savoir que c'est toi qui l'as révélée et tu en auras honte. Nous avons déjà expliqué dans le quatrième chapitre de l'Introduction au Traité Avot qu'il ne convient de se séparer de la communauté des hommes qu'à cause des dommages et des perversions dont ils sont la cause 2. Et Hillel ajoute que même lorsque l'on a acquis en son âme des dispositions élevées et qu'elles s'y sont affermies, on doit sans cesse recommencer à faire le bien afin de les affermir toujours davantage. Et que nul homme ne se convainque d'avoir déjà fait sienne telle ou telle disposition saine, ni ne se dise qu'il est impossible de la perdre, car il est toujours

RAMBAM:

2. « Le fait que quelques hommes intègres, à certaines époques, ont penché vers l'un des extrêmes [i.e. au lieu de s'en tenir à la voie moyenne], comme le jeûne, la diminution du sommeil [... ] et l'isolement dans le désert, n'avait d'autre but que de remédier à certaines imperfections de l'âme comme nous l'avons expliqué [i.e. si l'âme penche trop par nature vers l'un des extrêmes, il convient de « forcer» dans l'autre sens afin de parvenir ensuite à un équilibre]. Et ils ont agi ainsi à cause du dérèglement des gens de leur ville, lorsqu'ils constatèrent qu'ils se corrompaient aussi en les fréquentant et en les voyant agir. Craignant que leur fréquentation ne dérègle leur conduite vertueuse, ils se séparèrent d'eux et allèrent vivre dans le désert» (Rambam, Introduction au Traité Avot, chap. 4, éd. Kappah, p. 253).

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possible de la perdre; et tel est le sens de son propos: « Ne te fie pas à ce que tu es jusqu'au jour de ta mort. » « Ne dis pas une chose impossible à entendre et qui à la fin sera entendue », il s'agit d'une parole dont le sens littéral est confus et vicié mais qui, après réflexion sérieuse, apparaîtra juste. Il met en garde contre cette manière de parler en disant à peu près: que tes paroles n'aient jamais besoin d'explication lointaine et d'une longue réflexion pour être comprises. « Ne dis pas: J'étudierai quand j'aurai du temps libre », c'est-à-dire quand je me libérerai de mes occupations présentes; et ce jugement d'Hillel est de même teneur que l'injonction de son compagnon Chamaï: « Fais de ta Torah une occupation constante » (cf. plus haut, chap. 1, michna 5).

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Michna 5. Il disait: L'inculte ne craint pas la faute et le vulgaire n'est pas intègre; le timoré n'apprend pas et l'irascible n'enseigne pas; ceux qui font beaucoup de commerce ne deviendront pas tous des sages; et là où il n'y a pas d'homme, fais effort pour être homme.

L'inculte est celui qui n'a ni sagesse ni dispositions morales, le vulgaire est celui qui n'a pas de dispositions intellectuelles mais certaines dispositions morales [... ] '. La fin de son propos, « fais effort pour être homme », signifie

RAMBAM:

3. Le Rambam traduit à cet endroit en arabe les adjectifs employés par la michna au sujet dn disciple et du maître, nous avons inclus directement ces indications dans notre propre traduction de la michna.

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qu'il faut se battre avec soi-même et se contraindre à acquérir les dispositions saines, et puisqu'il n'y a personne pour les enseigner chacun doit être son propre éducateur. C'est ainsi qu'Onkelos a traduit l'expression « un homme a combattu (P:1N'1) avec lui » (Gen. 32:25) par 71I1\!1N1 (traduit ici par « il a fait effort »). Et les sages ont dit que la Torah ne se trouve ni chez les gens vaniteux, ni chez ceux qui font des voyages lointains, et ils ont appuyé leur dire de façon métaphorique sur le verset: « [La Torah] n'est pas au ciel [...] ni à l'autre bout de la mer» (Deut. 30:12-13)elle ne se trouve ni chez les gens vaniteux, ni chez ceux qui voyagent à l'autre bout de la mer (cf. Er. 55a). L'inculte est vide de tout, comme dans l'expression « un champ vide (11:1) » ; et il est inférieur au vulgaire car il ignore même la nature des échanges commerciaux. Ainsi « le vulgaire n'est pas intègre », mais il peut savoir craindre la faute puisqu'il a affaire au commerce.

RACHI :

Il convient d'interroger la correspondance entre les termes lorsqu'il déclare que « l'inculte ne craint pas la faute et le vulgaire n'est pas intègre », car apparemment l'inculte et le vulgaire désignent une seule et même chose, à savoir celui qui n'a pas étudié la Torah. Il aurait donc pu aussi bien dire que « le vulgaire ne craint pas la faute et n'est pas intègre ». Et si l'inculte et le vulgaire désignent deux choses distinctes, il faudra se demander pourquoi il a dit que le premier ne craint pas la faute et que le second n'est pas intègre, et non l'inverse [...]. Il déclare encore que « le timoré n'apprend pas et l'irascible n'enseigne pas, et ceux qui font beaucoup de commerce ne deviendront pas tous des sages ». Or, si nous devions expliquer son propos comme la plupart des gens le comprennent, à savoir que le timide n'apprend pas parce qu'il ne demande pas ce qui lui manque dans son étude, que l'irascible n'enseigne pas car l'élève a peur de l'interroger, et que celui qui fait beaucoup de commerce est empêché de

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devenir sage par l'importance de ses activités, dans ce cas n'importe qui aurait pu tenir ce genre de discours, y compris un simple bonhomme [...J. S'agissant des termes d'inculte et de vulgaire, tu dois savoir que ces noms caractérisent deux choses distinctes, bien qu'ils ne s'appliquent qu'à un seul sujet, l'homme qui n'a ni sagesse ni Torah. Car celui-ci a deux noms en fonction de deux aspects différents. Est nommée « inculte » (11:1) la chose déserte, comme au verset: « La terre ne deviendra pas désert» qu'Onkelos traduit par la formule: '1::1I1 N~. Ainsi le champ qui ne porte pas de récolte est-il nommé 11:1 : inculte; pareillement, l'homme qui est dépourvu de sagesse est nommé « inculte », car il est vide de sagesse. Mais ce manque de sagesse fait qu'il est nommé aussi « vulgaire », car un corps humain lié à la sagesse ne ressemble pas à un corps humain dépourvu de sagesse. Il y a donc deux choses en l'homme auquel manque la sagesse: la première est qu'il est vide de la sagesse et la seconde est que le corps humain en lequel devait se tenir la sagesse connaît un défaut du fait de son absence. Par rapport au premier aspect, il est nommé « inculte », et par rapport au second il est qualifié de « vulgaire ». Ainsi, l'homme dépourvu de Torah est-il en situation de défaut dans son corps et dans son intellect; car en tant qu'il n'a pas part à l'intellect il est nommé « inculte », mais puisque toutes les facultés du corps sont à leur tour déficientes du fait de cette lacune, il est nommé encore « vulgaire ». Tel est le sens de son propos: « L'inculte ne craint pas la faute. » La crainte des cieux signifie, en effet, qu'il reçoit la crainte de l'Éternel; or, qui manque de Torah, qui est la sagesse authentique, ne peut recevoir la crainte de l'Éternel. Et les sages disent plus loin à ce sujet: « Sans sagesse pas de crainte» (chap. 3, michna 17). La chose est évidente, car ce n'est que lorsque l'homme est proche du roi qu'il le craint; tandis que s'il est loin, le roi ne l'impressionne pas et il ne le craint pas. Et celui auquel manquerait la Torah qui relève de l'intellect est dit « loin de Dieu» car la proximité avec

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l'Éternel ne s'obtient que dans la Torah, puisque c'est à travers elle que les hommes s'attachent à Lui. Et il est clair que l'attachement de l'homme à Dieu n'est possible que grâce à la Torah qui est en lui, car sans elle l'homme n'est qu'un corps et le corps matériel n'a aucune proximité avec Dieu qui est séparé de toute matière. Ce n'est donc qu'à travers la Torah, qui relève de l'intellect, que l'homme a une proximité avec Dieu. C'est pourquoi qui n'a ni sagesse ni Torah est considéré comme étant loin de Dieu, or il n'est de crainte du roi que pour celui qui est proche de lui. Voilà pourquoi l'inculte, auquel manque la sagesse, ne craint pas la faute puisque cela impliquerait qu'il craigne Dieu, et la chose est entendue. « Le vulgaire n'est pas intègre », car le corps de l'homme en qui la sagesse a demeure est lié à l'intellect, et sa matière est pure. Nul doute, en effet, que le corps de l'homme n'est pas identique au corps de l'animal. Car le corps de l'animal n'ayant aucune proximité avec l'intellect doit être fait d'une matière épaisse et totalement grossière. Tandis que le corps humain, en tant que l'homme est porteur d'intellect, est fait d'une matière fine et pure; et lorsqu'il est totalement sage, il est alors entièrement détaché de l'épaisseur matérielle. Il est donc possible de trouver en lui l'intégrité et il est possible qu'il soit un homme bon agissant généreusement (m1'tm) envers tous. A l'inverse, le vulgaire n'est pas intègre et est éloigné du bien, car la matière de son corps est épaisse et ne supporte pas la générosité. La générosité n'existe, en effet, que pour autant que l'homme est bon, et le bien n'existe qu'auprès de celui qui est détaché de l'épaisseur matérielle et est proche de l'intellect. Or, le vulgaire qui est porteur de matière, ne saurait être intègre et agir en faisant plus que la stricte justice, car cela n'est possible que dans le domaine du bien et le bien n'est pas dans la matière. Telle est la raison pour laquelle il a déclaré que quiconque n'a pas d'intellect [en acte], c'est-à-dire de Torah, ne craint pas les cieux [...] comme le disent aussi les sages: « Sans sagesse pas de crainte. » Et puisque l'élévation de

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l'intellect lui fait défaut, la matière de son corps reste grossière et il n'est donc pas intègre et ne saurait faire le bien qui consiste à dépasser la stricte justice (l'ii1 Jl11\!.1Y.:l O))!l?) ; car cela n'est possible qu'à celui qui est libéré de la matière, tandis qu'en celui qui penche davantage vers elle, le bien ne se peut trouver [.. .]. Il a ajouté que « le timoré n'apprend pas et l'irascible n'enseigne pas », comme il est écrit: « Ma parole n'est-elle pas comme un feu, oracle de l'Éternel » Ger. 23:29) et il est écrit encore: «De Sa droite [Il donna] feu-loi (rn'tlN) à son peuple » (Deut. 33:2). On enseigne au nom de Rabbi Méïr : Pourquoi la Torah a-t-elle été donnée aux enfants d'Israël? Parce qu'ils sont insolents, comme il est dit: « De Sa droite [Il donna] feu-loi à son peuple» (ibid.). Et on enseigne au nom de Rabbi Ismaël: « Feu-loi à son peuple », car celui-ci est apte à recevoir une loi de feu (cf. Betsa. 2Sb). Autrement dit, les enfants d'Israël sont « aptes» à recevoir la Torah parce qu'étant en eux-mêmes impertinents, ils conviennent pour une union avec la Torah qui est de feu. Car tout ce qui relève de l'intellect, comme la Torah, est caractérisé par la force et l'impétuosité, telle feu qui est impétueux (tY). C'est pourquoi la Torah convient aux enfants d'Israël, car ils sont euxaussi impétueux (Dm'). Tel est le sens de son propos: « Le timoré n'apprend pas », car le timoré est le contraire de l'insolent (tY) et il lui est impossible de recevoir la Torah. Car la Torah n'a été donnée aux enfants d'Israël que parce qu'ils étaient insolents, et c'est seulement pour cette raison que celle-ci leur est attribuée. Étant timoré, il ne peut recevoir la Torah car le receveur doit nécessairement avoir quelque rapport avec ce qu'il reçoit; or, puisque la Torah est caractérisée par le feu, si le receveur n'est pas caractérisé à son tour de la même façon, il ne peut la supporter. Inversement, « l'irascible n'enseigne pas », car si l'enseignant est irascible, l'irascibilité relevant aussi du feu, son feu s'ajoute au feu de la Torah. Or il suffit à l'homme porteur d'un corps de recevoir une loi de feu, si le feu s'ajoutait au feu il ne serait plus possible de supporter une chose qui brûle de toutes parts ...

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Il ajouta que « ceux qui font beaucoup de commerce ne deviendront pas tous des sages ». Les sages aussi ont déjà évoqué cette question à propos du verset: « Ce commandement que Je t'ordonne aujourd'hui n'est pas hors de ta portée, ni éloigné. Il n'est pas au ciel pour que l'on dise: Qui s'élèvera pour nous jusqu'aux cieux, le ramènera et nous le fera entendre afin que nous l'accomplissions! Il n'est pas à l'autre bout de la mer pour que l'on s'exclame: Qui ira le chercher pour nous à l'autre bout de la mer, et nous le fera entendre afin que nous l'accomplissions! Mais la chose est très proche de toi, dans ta bouche et dans ton cœur, pour la réaliser» (Deut. 30:11-14). Dans le traité Erouvin (55a), Rabbi Yohanan dit au sujet de ce verset: « La Torah ne se trouve ni chez les gens vaniteux, ni chez les marchands» [... ]. L'explication est la suivante: l'Écriture veut indiquer que la Torah n'est pas une chose matérielle, car l'éloignement caractérise les réalités matérielles, au point que celles-ci sont parfois si éloignées qu'il est impossible de les atteindre. Il signifie donc que la Torah, relevant de l'intellect, n'est pas de cette nature et est dépourvue de toute matérialité; or, la réalité immatérielle est à la fois lointaine et proche, elle est lointaine du point de vue de sa suprême élévation, et elle est proche puisqu'elle n'est affectée d'aucun éloignement local. C'est pourquoi le verset dit de la Torah qu'elle n'est ni hors de ta portée, ni éloignée, c'est-à-dire matériellement. L'Écriture mentionne donc, ce faisant, les différentes formes d'éloignement matériel que sont la hauteur, la longueur et la largeur. En regard de la hauteur, elle dit: « Elle n'est pas au ciel » ; en regard de la longeur et de la largeur, elle dit : « Elle n'est pas à l'autre bout de la mer» [...]. C'est pourquoi les marchands, c'est-à-dire ceux qui vont marchant dans le monde - puisque c'est de là qu'ils tirent leur nom - et le parcourent en long et en large, ne sont pas dans une bonne posture par rapport à la Torah, car celle-ci ne comporte pas cette dimension matérielle qu'est l'éloignement. Or, puisque tous leurs projets de mouvements et de

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voyages qui leur font parcourir le monde en tout sens relèvent de l'éloignement matériel, la Torah qui échappe à ce genre d'éloignement ne saurait leur convenir. Le mouvement des marchands et leurs déplacements montrent, en effet, qu'ils ne sont pas détachés des distances matérielles, mais au contraire orientés vers elles. Une telle posture ne saurait convenir à la Torah qui relève de l'intellect et n'est aucunement matérielle; car qui aime le lointain n'est pas sensible à la chose dépourvue de dimension lointaine comme l'est la réalité intelligible.

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Michna 6. Voyant un crâne flotter à la surface de l'eau, il (lui) dit: Parce que tu as noyé on t'a noyé, et qui t'a noyé sera finalement noyé à son tour.

Hillel dit: Parce que tu as noyé on t'a noyé et celui qui t'a noyé sera noyé aussi - autrement dit, tu as été tué pour avoir tué quelqu'un et celui qui t'a tué sera tué à son tour. L'intention de son propos est d'indiquer que les mauvaises actions retournent toujours à leurs auteurs, selon le verset: « Les fautes de l'injuste le prennent au piège » (Prov. 5:22), et il est dit: « Il a creusé un puits et est tombé au fond» (Ps. 7:16). Les sages ont dit à ce sujet: « La mesure dont un homme se sert est celle qui sert à le mesurer» (Sanh. 90a). C'est là une chose manifeste et fréquente en tout temps et en tout lieu; quiconque commet une mauvaise action et engendre des perversions et des bassesses sera lui-même victime des maux qu'il a créés, car il a enseigné un certain acte qui sera reproduit à son encontre ou à l'encontre des autres. Inversement, quiconque enseigne une disposition morale qui conduit à une

RAMBAM:

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bonne action de nature nouvelle bénéficiera lui-même de cette sorte d'action, car il a enseigné une chose qui sera reproduite à son bénéfice et au bénéfice des autres. Et la formule de l'Écriture à ce sujet est particulièrement avisée: « Il est rendu à l'homme selon son acte» Qob 34:11).

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Michna 7. Il disait: Multiplier la chair c'est multiplier les vers; multiplier les biens c'est multiplier les soucis; multiplier les femmes c'est multiplier les sorcelleries; multiplier les servantes c'est multiplier la débauche; multiplier les esclaves c'est multiplier les vols. Multiplier la Torah c'est multiplier la vie; multiplier l'instruction c'est multiplier la sagesse 4; (multiplier les conseils c'est multiplier le discernement; multiplier les actes de charité e'est multiplier la paix). Acquérir du renom c'est acquérir pour soi-même; acquérir les paroles de la Torah c'est aequérir la vie du monde à venir.

4. Dans l'édition de Vilna et dans la version que connaissait Rabbénou Yona, la proposition est inversée: "Multiplier la sagesse, c'est multiplier la n::P\!I'. " Ainsi, le mot" instruction" par lequel nous traduisions ce dernier terme ne convient plus et il semble que c'est le sens littéral qui s'impose c'est-à-dire yechiva,« académie d'étude". C'est le sens du commentaire de Rabbénou Yona qui écrit que grâce à cette sagesse du maître" les disciples viendront écouter ses paroles nouvelles et affiner leur esprit auprès de lui, afin d'apprendre la nature d'une réflexion qui se renouvelle, car c'est là une sagesse en elle-même ". Par ailleurs les deux propositions qui suivent (" multiplier les conseils [... ] multiplier les actes de charité,,) sont absentes de l'édition du Rambam.

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COMMENTAIRES DU TRAITÉ DES PÈRES

Multiplier la chair c'est multiplier les vers » : l'homme croit que grâce au plaisir et à la bonne chère il prolonge sa vie, car il pense agir ainsi selon la nature, mais il n'a aucun pouvoir sur le jour de sa mort et cela ne l'aide pas et ne lui vaut rien. Et toute cette chair sera seulement sa honte et le bénéfice des vers dans la tombe. « Multiplier les biens c'est multiplier les soucis » : ne crois pas que grâce à la richesse et à l'abondance des biens, tu couleras tes jours dans le bonheur et l'agrément, car l'homme craint toute l'année pour ses biens.

RABBÉNOU YONA : «

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Michna 8. Rabban Yohanan fils de Zakaï reçut de Hillel et de Chamaï, il disait: Si tu as beaucoup étudié la Torah ne t'en fais pas un mérite personnel, car c'est pour cela que tu as été fait. Rabban Yohanan fils de Zakaï avait cinq disciples, à savoir: Rabbi Eliézer fils d'Hourkenos, Rabbi Josué fils de Hanania, Rabbi Yossé le prêtre, Rabbi Chimon fils de Netanèl et Rabbi Elazar fils d'Arakh. Il faisait ainsi leur éloge: Rabbi Eliézer fils d'Hourkenos : « Une citerne close qui ne perd aucune goutte» ; Rabbi Josué fils de Hanania : « Heureuse qui l'a

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enfanté» ; Rabbi Yossé le prêtre: « Intègre» ; Rabbi Chimon fils de Netanèl : « Il craint la faute» ; Rabbi Elazar fils d'Arakh: « Une source qui gonfle ». Il disait: Si tous les sages d'Israël étaient placés dans l'un des plateaux d'une balance et Eliézer fils d'Hourkenos dans l'autre, il les ferait tous basculer. Aba Saül dit en son nom: Si tous les sages d'Israël, et Rabbi Eliézer fils d'Hourkenos avec eux, étaient placés dans l'un des plateaux d'une balance et Rabbi Elazar fils d'Arakh dans l'autre, il les ferait tous basculer.

Si tu as beaucoup étudié la Torah, ne t'en fais pas un mérite personnel », car c'est pour cela que tu es né comme il est dit: « Il fut soir, il fut matin, le sixième jour » (Gen. 1:31) - cela t'enseigne que Dieu posa pour condition à la création du monde qu'Israël reçoive la Torah [le sixième jour du mois de sivanJ, sinon le monde reviendrait au tohu-bohu. Dès lors, l'étude de la Torah est pour tout homme une obligation et non un effet de sa bonté.

RACHI: «

Si tu as beaucoup étudié la Torah ne t'en fais pas un mérite personnel », c'est-à-dire qu'il ne convient pas à l'homme qui a beaucoup étudié la Torah de s'imaginer qu'il a accompli ainsi un acte généreux (mi'tm), car la générosité consiste à accomplir une chose qui n'est pas requise par la juste mesure (ri). Or, l'homme a été créé dès l'origine pour étudier la Torah, et tous les existants ont été créés en fonction de la juste mesure et de la loi, comme il est écrit: « J'ai su que tout ce que Dieu fera durera toujours, il n'y a rien à y ajouter ni rien à en ôter» (Ecc. 3:14). Autrement dit, tout ce que le Saint, béni soit-Il, créa, Il le créa en fonction de la dimension de la juste mesure, comme on le constate dans le récit de l' œuvre de la Genèse où le nom de Dieu qui apparaît est D'ïl~n-(, qui désigne la dimension de la justice. Ainsi, puisque tout a été créé de manière juste, il ne convient ni d'ajouter, ni d'ôter,

MAHARAL DE PRAGUE: «

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COMMENTAIRES DU TRAITÉ DES PÈRES

à ce qui a été fait. C'est pourquoi Rabban Yohanan déclare qu'il ne convient pas que l'homme transforme en mérite personnelle fait de faire quelque chose de bien, en croyant que cette chose ne relève pas en elle-même de la nature créée. Car, en réalité, c'est pour cela que l'homme a été formé, tout comme il a été formé pour le manger et le boire, et la chose fait partie de la nature qui lui a été assignée à sa création. Pareillement, l'homme a été créé pour étudier la Torah avec effort, comme l'indiquent les sages dans le traité Sanhédrin (99b) : Rabbi Elazar dit: L'homme a été créé pour l'effort, selon le verset: « L'homme est né pour l'effort » (Job 5:7) - je ne sais encore si c'est pour l'effort par la bouche ou l'effort du travail. Lorsqu'il dit: « L'âme qui peine [... ] sa bouche la contraint» (Prov 16:26), je sais alors qu'il a été créé pour l'effort de la bouche, mais je ne sais encore si c'est pour l'effort dans la Torah ou l'effort dans la conversation. Lorsqu'il dit: « Que ce livre de la Torah ne quitte point ta bouche jour et nuit» (Jos 1:8)je sais alors que l'homme a été créé pour l'effort dans la Torah. L'explication de ce propos de Rabbi Elazar est la suivante: il est impossible à l'homme, du fait de la nature de sa création, d'être en repos. Seul, en effet, le parfait est en repos puisqu'il est déjà achevé, tandis que l'homme n'étant pas achevé, il ne saurait être en repos, mais il se meut au contraire en permanence vers sa perfection. De plus, même s'il lui était possible de se réaliser entièrement, il ne serait pas en repos pour autant car cela n'est possible qu'aux choses parfaites par nature et ce n'est pas le cas de l'homme. Et il existe trois choses en l'homme: une âme, que possèdent aussi les autres êtres vivants; une âme parlante en plus de sa nature d'être vivant et que les autres animaux ne possèdent pas; un intellect totalement séparé du corps. L'âme parlante n'est pas, en effet, un intellect séparé puisque même un enfant possède cette forme d'intelligence; et celle-ci se nomme l'intellect hylique non séparé, car elle est une puissance opérant dans le corps [...],

CHAPITRE II - MICHNA 8

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or l'homme possède aussi un intellect séparé. Il déclare donc que l'homme a été créé pour l'effort de sorte qu'il ne sera jamais un être en repos, et devra toujours faire passer sa perfection à l'acte, sans arrêt, puisque c'est ce qui convient à la nature qui lui a été assignée à sa création. Car toutes les créatures ont été créées afin d'être parfaites et sans défaut, mais l'homme ne saurait atteindre la perfection au point d'être totalement en repos. On constate ainsi que dans le récit de la Genèse, il n'est pas dit de l'homme que « Dieu vit qu'il était meilleur que les autres existants» ; car tous les existants ont été créés et sont parfaits, seul l'homme n'a pas été créé dans un état d'achèvement. Et la perfection de l'homme est justement de se mouvoir vers l'actuel et de produire en permanence sa perfection. Telle est la perfection de l'homme, de sorte que s'il ne faisait pas du tout passer à l'acte sa perfection, il n'aurait plus aucune perfection, et c'est la raison pour laquelle il lui faut en permanence rendre sa perfection actuelle. Et de même que les cieux se meuvent perpétuellement et ne s'arrêtent jamais, et qu'il leur est impossible de se passer du mouvement et que le mouvement est leur perfection, pareillement l'homme n'ayant pas été créé initialement comme un être en repos parfait dans son achèvement, son effort vers la perfection et vers le repos ne peut connaître un terme, mais sa perfection consiste justement dans ce passage à l'acte permanent. Rabban Yohanan fils de Zakaï loua Rabbi Eliézer pour sa mémoire, Rabbi Josué pour son élévation sur le plan moral, Rabbi Yossé pour son élévation sur le plan moral et sur le plan intellectuel, Rabbi Chimon pour sa continence et Rabbi Elazar pour la qualité de sa réflexion et la rapidité de sa compréhension, tout sujet difficile étant pour lui facile du fait qu'il le dominait par sa compréhensIOn.

RAMBAM :

Rabbi Eliézer fils d'Hourkenos une citerne close qui ne perd aucune goutte » et c'est

RABBI HAYIM DE VOLOZYNE :

était

«

110

COMMENTAIRES DU TRAITÉ DES PÈRES

la caractéristique de qui est 'P:J (i.e. érudit, connaisseur), tandis que Rabbi Elazar fils d'Arakh était « une source qui gonfle» et ç'est la caractéristique de qui est 'l'in (i.e. piquant, incisif). Le désaccord de cette michna au sujet de la valeur respective des deux disciples de Rabban Yohanan fils de ZakaÏ est l'écho d'une controverse plus générale, comme on le voit dans le traité Horayot (14a) : Entre un « Sinaï» [i.e. « qui a étudié la Michna, la braita et en a fait un savoir ordonné, comme lorsqu'elles ont été données au mont Sinaï », Rachi, ad lac] et celui qui « arrache les montagnes » [i.e. « il est piquant et particulièrement pénétrant dans l'étude de la Torah, bien que la Michna et la braita ne se présentent pas chez lui sous forme parfaitement ordonnées », Rachi, ad lac], déterminer lequel vaut mieux que l'autre est l'objet d'une controverse. Le premier avis de notre michna est que le Sinaï l'emporte, tandis qu'Aba Saül pense que celui qui « arrache les montagnes» est plus grand que le Sinaï.

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CHAPITRE II - MICHNA 9

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Michna 9. Il leur dit: Sortez et voyez quelle est la bonne voie à laquelle l'homme doit s'attacher. Rabbi Eliézer dit: Un œil content; Rabbi Josué dit: Un bon compagnon; Rabbi Yossé dit: Un bon voisin; Rabbi Chimon dit: Prévoir ce qui adviendra; Rabbi Elazar dit: Un bon cœur. Il leur déclara: Je préfère les paroles d'Elazar fils d'Arakh à vos paroles, car toutes les vôtres sont contenues dans les siennes. Il leur dit: Sortez et voyez quelle est la mauvaise voie dont l'homme doit s'écarter. Rabbi Eliézer dit: Un œil envieux; Rabbi Josué dit: Un mauvais compagnon; Rabbi Yossé dit: Un mauvais voisin; Rabbi Chimon dit: Emprunter et ne pas rembourser, car emprunter à autrui c'est comme emprunter au Lieu, béni soit-IlS, selon le verset: « L'injuste emprunte et ne rembourse pas, le juste gratifie et donne» (Ps. 37:21) ; Rabbi Elazar dit: Un mauvais cœur. Il leur déclara: Je préfère les paroles d'Elazar fils d'Arakh à vos paroles, car toutes les vôtres sont contenues dans les siennes.

Un œil content est donné à celui qui se satisfait de ce qu'il a et cela fait partie des dispositions éthiques saines, tandis qu'un œil envieux c'est le contraire: il est le fait de celui pour qui beaucoup semble toujours trop peu. L'explication habituelle de l'expression « prévoir ce qui adviendra» est qu'il est possible de prévoir l'avenir à partir de ce que l'on sait du présent, ce qui ne relève pas de la science, mais désigne une disposition intellectuelle qui

RAMBAM :

5. «Le Lieu » est l'un des noms désignant la divinité à partir de l'époque de la Michna. Dans le Midrach Rabba (Gen. 68:9) à propos du verset de Gen 28:11, on demande: « Pourquoi, lorsqu'il s'agit de donner un nom au Saint, béni soit-Il, l'appelle-t-on " le Lieu" ? Parce qu'Il est le lieu du monde et que Son lieu n'est pas le monde, ce que l'on a déduit du verset: " L'Éternel dit à Moïse: Il est un lieu près de Moi" (Ex. 33:21)." Dans un autre midrach les Pirqé de Rabbi Eliézer (chap. 35), on lit: « Pourquoi le nom du Saint, béni soit-Il, est-il" le Lieu" ? Parce qu'en tous lieux où sont les justes Il se trouve avec eux comme il est dit: " En quelque lieu où Je mentionnerai Mon nom Je viendrai vers toi et Je te bénirai" (Ex. 20:24). »

112

COMMENTAIRES DU TRAITÉ DES PÈRES

consiste à déduire le caché du dévoilé. Cependant, l'intention de Rabbi Chimon est toute autre ici; son propos vise l'observation des actions des hommes touchant la conservation de leur existence, et l'analyse des conséquences de leurs actes. En regard de cette réflexion et à l'opposé, il rapporte l'exemple de celui qui emprunte et ne rembourse pas, dont la conséquence évidente est que personne ne lui prêtera plus, et ce manquement témoigne d'une disposition nocive de son âme sur le plan moral. Nous avons déjà expliqué dans le deuxième chapitre de notre Introduction au Traité Avot que les dispositions morales saines ne se trouvent que dans la partie affective de l'âme, et que c'est aussi le lieu des dispositions vicieuses sur le plan moral '. Et nous avons expliqué dans le quatrième chapitre dudit traité qu'une bonne conduite est une conduite équilibrée acquise grâce aux dispositions morales saines. Parallèlement, c'est une chose connue des philosophes et des médecins que la partie affective de l'âme siège dans le cœur, que celui-ci est son réceptacle et qu'elle lui est liée. Et, bien que l'opinion juste en cette matière soit que les puissances ou facultés du corps se déploient toutes à partir du cœur et ont toutes leur origine dans le cœur, la faculté affective, cependant, ne se déploie pas dans le corps, depuis le cœur jusqu'au foie, à la manière dont s'y déploie la faculté nutritive - c'est-à-dire la partie nutritive de l'âme que nous avons décrite dans le premier chapitre du traité précité. Il ressort de tout cela qu'un « bon cœur » 6. Dans le premier chapitre de son Introduction au Traité Avot le Rambam indique que l'âme est une mais se divise en partics ou facultés: la partie nutritive, la partie sensitive, la partie imaginative, la partie affective (" c'est la faculté grâce à laquelle l'homme désire quelque chose ou au contraire la fuit,,) et la partie réflexive. Et il conclut en disant que l'âme avec l'ensemble de ses parties ou facultés est comme une matière vis-à-vis de l'intellect qui en est la forme. Puis dans le deuxième chapitre il écrit: " Les dispositions saines (ou les vertus) sont de deux sortes: morales et intellectuelles [... ]. Les dispositions saines intellectuelles se trouvent dans la partie réflexive de l'âme [... ] tandis que les dispositions saines morales se trouvent dans la partie affective de l'âme" (éd. Kappah p. 250).

CIIAPITRE Il - MIel INA 10

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signifie des actes bons, c'est-à-dire une conduite équilibrée acquise grâce aux dispositions morales saines, lesquelles comprennent évidemment le fait de se satisfaire de ce qu'on a, la fréquentation des gens honnêtes, etc. C'est pourquoi Rabban Yohanan fils de Zakaï déclare que toutes les paroles de ses autres disciples sont contenues dans celles de Rabbi Elazar fils d'Arakh. De même, à l'opposé, un « mauvais cœur» désigne les dispositions vicieuses sur le plan moral et celles-ci incluent tous les avertissements des autres disciples.

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Michna 10. Ils dirent chacun trois choses. Rabbi Eliézer dit: Que l'honneur de ton compagnon te soit aussi cher que le tien; ne sois pas enclin à la colère; et fais retour un jour avant ta mort. Chauffe-toi au feu des sages, mais prends garde à leurs braises, tu pourrais t'y brûler; car leur morsure est comme la morsure du chacal, leur piqûre est comme la piqûre du scorpion, leur sifflement comme le sifflement de la vipère, et toutes leurs paroles sont comme des charbons ardents.

Ne sois pas enclin à la colère» : ne te mets pas en état d'énervement et de colère. Les sages ont déjà mis en relief l'aspect vil de la colère, au point de dire que « celui qui se met en colère adore une idole» (Chab. lOSb). Et ils ont appuyé leur dire sur le verset: « Qu'il n'y ait pas en toi un dieu étranger et ne te prosterne pas devant un dieu inconnu » (Ps. 81:10) - c'est-à-dire que les deux choses sont égales. « Et fais retour un j our avant ta mort» : puisque l'on

RAMBAM: «

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COMMENTAIRES DU TRAITÉ DES PÈRES

ignore le jour de sa mort, l'injonction vaut donc pour chaque jour de notre vie. La fin de son propos ( : 1):)N)\!.I N1i1 111::1 01p):)il ')!)7 o')unm o'):)n1 .(::1 7NP' il)l1il 7)1 oml itm ::111 O'!)N 11N N1i1 om11 .1):)~)I ')!)::I )I\!.I1 'ilTl 7Nl

Michna 13. Rabbi Chimon dit: Sois attentif à réciter le Chéma et la prière; et lorsque tu pries, ne rends pas ta prière pesante mais sensible et suppliante devant le Lieu, béni soitIl, comme il est dit: « Car Il se laisse émouvoir et prend pitié, Il est lent à la colère, grand en générosité et Il revient du mal » Ooë12:13) ; et ne sois pas mauvais devant toi-même. Sois attentif à réciter le Chéma », c'est-à-dire à le réciter en son heure [...J. « Ne rends pas ta prière pesante », comme si pesait sur toi un fardeau et une obligation qui te feraient dire : Me voilà obligé à ceci et à cela, quand m'ôterai-je donc ce joug? « Mais sensible et suppliante » : sois présent dans ta prière. « Car Il se laisse émouvoir et prend pitié », tu sais dès lors qu'Il accueille favorablement les suppliques et qu'Il prend pitié aussitôt. Enfin, « ne sois pas mauvais devant toi-même », c'est-à-dire ne fais pas une chose aujourd'hui qui te rendra méprisable à tes propres yeux demain, lorsque tu te demanderas: Pourquoi ai-je commis cette méchanceté ?

RACHI: «

Si un homme se considère comme mauvais, se dévoyer ne sera plus grave à ses yeux. Et nous l'avons déjà expliqué: la signification de la « pesanteur » évoquée, c'est que la prière nous pèse et qu'on la considère comme une charge accomplie uniquement pour mieux s'en débarrasser.

RAMBAM :

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CHAPITRE II - MICHNA 14

119

Michna 14. Rabbi Elazar dit: Sois persévérant dans l'étude de la Torah; sache quoi répondre à l'émancipé; et considère devant qui tu peines et que le maître de ton ouvrage te payera fidèlement le salaire de ton travail. Concentre-toi sur l'étude de la Torah afin de répondre aux propos des émancipés, car si l'on ne réplique pas à leurs arguments et à leurs mensonges, le monde suivra leur enseignement et boira des eaux amères en les voyant triompher, et le nom des cieux en sera profané. L'émancipé (tJn1j:))!:ll'() dont il s'agit ici est celui qui renie la Torah orale, mais il en va de même pour celui qui enseigne d'agir différemment de la halakha (i.e. de la règle à suivre). Le terme tJn1j:p!:ll'( vient du mot îj?!:ll'( (i.e. ee qui est délivré du joug ou émancipé). « Sache devant qui tu peines» : devant Celui qui scrute les entrailles et le coeur. Ainsi lorsque tu étudies la Torah, efforce-toi de faire en sorte que ta pensée la rejoigne et en cela tu sauras répondre à l'émancipé. Enfin, lorsque tu auras peiné dans la Torah, amuse-toi avec elle car nous voyons que la Torah elle-même dit: « Dieu m'a acquise au commencement de Son chemin avant Ses oeuvres d'antan» (Prov. 8:22) et il est écrit ensuite: «J'étais auprès de Lui cachée et j'étais Son amusement quotidien» (ibid. 30). Tu constates que Dieu s'amusait avec la Torah et tu peux en faire autant selon le verset: « Elle joue au creux de sa terre et est l'amusement des hommes» (ibid. 31). Autrement dit, de même que la Torah était l'amusement de Dieu avant la création du monde, elle joue aussi dans le monde, après sa création, et est l'amusement des hommes.

RABBÉNOU YONA :

Sache devant qui tu peines» : c'est-à-dire véritablement en sa présence et Il se tient luimême auprès de toi, car la seule part de Dieu en Son monde ce sont les quatre coudées de la halakha. Et cela suffit à éveiller l'oreille dans l'étude, car le Dieu des armées réside là.

RABBI HAYIM DE VOLOZYNE : «

120

COMMENTAIRES DU TRAITÉ DES PÈRES

VERSION DU RAMBAM :

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Rabbi Elazar dit: Sois persévérant dans l'étude de ce que tu répondras à l'émancipé, sache devant qui tu peines et qui

est le maître de ton ouvrage. Il enjoint d'étudier les choses que l'on peut répondre aux athées des nations, de disputer avec eux et de répondre à leurs questions. Mais les sages ont dit que le propos de Rabbi Elazar« ne concerne que l'émancipé nonjuif et non l'émancipé juif, car ce dernier secoue ce dont tu proviens, à savoir une « goutte de semence putride» ; enfin, « ton créateur » te rappelle aussi la tombe qui t'attend, endroit de « poussière, de pourriture et de vers ».

RACHI :

«Sache d'où tu viens », et lorsque tu considères l'endroit d'où tu proviens, cette réflexion te conduit à l'effacement de soi et te sauve du vice de l'orgueil dont il est dit: « Tout orgueil est une abomination pour l'Éternel » (Prov. 16:4). « Où tu vas? Vers un endroit de poussière, de pourriture et de vers» : lorsque tu songes au lieu vers lequel tu te diriges, tu n'as plus le désir des plaisirs quels qu'ils soient, car [tu sais que] le bénéfice de ton labeur sera pour les vers, et même la richesse et la gloire deviennent méprisables à tes yeux. Et tout bien t'inquiète, car tout est vanité et esprit sordide. Le roi Salomon écrivit sur ce sujet le livre de l'Ecclésiaste, qu'il ouvrit par ces mots : « Vanité des vanités », afin que tout bien et toute chose précieuse deviennent des sujets d'inquiétude. Puis, après avoir jeté le soupçon sur toute chose, il conclut: « En fin de compte, tout est entendu, crains Dieu et garde Ses commandements, car c'est là tout l'homme » (12:13). « Devant qui tu passeras en jugement et à qui tu devras rendre des comptes », car les créatures n'ont été faites que pour craindre l'Eternel. Et comment l'homme fauterait-il s'il pense à celui devant qui il devra passer en jugement et auquel il devra rendre des comptes? Et plus encore s'il songe aux châtiments et aux épreuves que lui vaudront ses fautes, car il en éprouvera une honte terrible. A l'image d'un homme qui se présente devant le roi, si ce dernier découvre en lui quelque fraude dans ses actes ou le mensonge dans sa bouche, celui-ci n'en éprouvera-t-il pas une grande honte? A

RABBÉNOUYONA:

CHAPITRE III - MICHNA 2

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plus forte raison devant le roi des rois de rois, le Saint, béni soit-Il. D'autant que la honte qu'éprouve l'âme séparée du corps est plus grande que celle qu'elle éprouve lorsqu'elle lui est encore associée; car la nature du corps est d'oublier, et lorsque l'homme accomplit un acte indigne, il en a honte devant les autres un an ou deux, puis la chose s'efface et il l'oublie; et même s'il s'en rappelle encore, il n'en a plus honte [.. .]. Il n'oublie certes jamais tout, mais puisque la nature du corps se mêle à celle de l'âme, la première domine suffisamment la seconde pour estomper la chose, ce qui est déjà une manière de l'oublier un peu puisque s'efface ainsi la majeure partie de la honte. Mais lorsque l'âme se retrouvera seule, [séparée du corps,] l'oubli disparaîtra, car elle est toute pureté et transparence, et elle ne comporte nulle nature matérielle. La honte qu'elle éprouvera alors, devant le roi des rois de rois, le Saint, béni soit-Il, durera éternellement avec la même intensité qu'à l'heure où elle l'éprouva pour la première fois [.. .]. C'est pourquoi celui qui songe à cela ne se dévoiera jamais.

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Michna 2. Rabbi Hanina, assistant du grand-prêtre, dit: Priez pour la paix de l'empire, car sans la crainte qu'il inspire les hommes s'entre-dévoreraient tout vifs!

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COMMENTAIRES DU TRAITÉ DES PÈRES

Rabbi Hanania fils de Teradion dit: Si deux hommes sont assis ensemble et n'échangent pas des paroles de Torah, c'est une réunion de railleurs, comme il est dit: « Il ne prend pas place dans la société des railleurs » (Ps. 1:1). Mais si deux hommes sont assis ensemble et échangent des paroles de Torah, alors la Chekhina 1 a demeure entre eux, selon les mots: « Ceux qui craignaient l'Éternel se parlèrent l'un à l'autre, l'Éternel fut attentif et Il écouta, et un livre du souvenir fut écrit devant Lui pour ceux qui craignent l'Éternel et se soucient de Son nom» (Mal. 3:16). Et comment sait-on que même si une personne seule est assise et s'occupe de Torah, le Saint, béni soit-Il, lui assigne un salaire? Du verset: « Qu'il s'assoie solitaire et méditant, car il prend pour cela» (Lam. 3:28).

Priez pour la paix de l'empire, etc. », c'est-à-dire: sans la peur de l'empire, nous nous dévorerions tout vifs.

RAMBAM: «

«Priez pour la paix de l'empire. » Rabbi Hanina vécut l'époque de la destruction du Temple par les Romains et de la prolifération des malheurs qui nous frappèrent. Malgré cela, il s'éleva afin de demander à son peuple de prier pour la paix de l'empire Romain, comme le savent tous ceux qui étudient les livres de nos sages: la Torah nous fait une obligation de veiller au respect de la parole du roi et des princes [.. .]. Tel est le sens littéral. Mais le Ritva a expliqué que la rm~n en question (trad. ici « l'empire») est la royauté céleste. Son propos s'éclaire si l'on considère ce que disent les sages : « A chaque fois que tu trouves mention dans l'Écriture de la puissance de Dieu, tu trouves aussi mention de son humilité. Il est écrit ainsi dans la Torah: " Car l'Éternel votre Dieu est le juge suprême, le seigneur des seigneurs, le Dieu grand puissant et redoutable" et il est écrit juste après: " Il rend la justice à la veuve et à

RABBI HAYIM DE VOLOZYNE :

1. Nom que l'on a coutume de rendre par" présence divine", mais qui signifie litt. " la résidante », de la racine pl!! : résider, demeurer.

CHAPITRE III - MICHNA 2

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l'orphelin, Il aime l'étranger et lui donne le pain et le vêtement" (Deut. 10:17-18), etc. » (Meg. 31a). Et ils ont dit aussi: « On a instauré que les mots" Béni soit le nom de son règne glorieux éternellement " [que l'on récite à la suite de la déclaration du Chéma sur l'unité de Dieu] doivent être prononcés en secret [et non à voix haute] [...]. Cela ressemble à la fille d'un roi qui sent l'odeur appétissante d'un plat de viandes fortement épicé. Si on le dit elle en aura honte, mais si on le tait elle en souffrira. Alors on se met à le lui apporter en secret» (Pes. 56a). A première vue, on ne comprend pas quelle honte il y aurait à dire les mots : « Béni soit le nom de son règne glorieux éternellement. » Cependant, le problème devient perceptible si l'on prête attention au sens de notre déclaration selon laquelle « notre Dieu est un ». Car notre intention à la lecture du Chéma n'est pas simplement de dire qu'Il est le seul Dieu, mais aussi qu'Il est réellement unique [i.e. seul] et qu'hormis lui il n'existe rien dans le monde. Car s'Il retirait sa volonté de tous les mondes, ne fut-ce qu'un instant, ils seraient tous anéantis et c'est là l'étendue véritable de sa gloire. Ainsi, lorsque nous disons qu'il règne sur nous, nous ressemblons tout simplement à- ceux qui cherchent à faire l'éloge d'un grand roi en disant qu'il règne sur un petit village, ce qui est le comble de la dépréciation. Comment dès lors évoquer son règne sur nous ! Mais, de toute façon, nous nous devons de respecter sa volonté car c'est là que se montre sa gloire, dans le fait qu'Il parle et que soient accomplis ses commandements. Et il a voulu tirer du néant des créatures et se faire appeler par elles « roi du monde» pour la grandeur de son humilité. C'est pourquoi il s'agit véritablement d'une honte pour lui, pour ainsi dire, de le faire règner sur ce genre de choses ; et toute la gloire dont nous le grandissons ce faisant, n'est en réalité que l'expression de son humilité, et c'est là ce qu'Il a voulu. Ainsi, même lorsque son règne sur nous était dévoilé dans la splendeur de son éminence, à l'époque de la sortie d'Égypte ou du Temple, la grandeur de son humilité le faisait malgré tout être appelé notre roi. A plus forte raison de nos jours, alors que sa présence se cache [...].

128

COMMENTAIRES DU TRAITÉ DES PÈRES

Et Rabbi Hanina ajoute que « sans la crainte qu'Il inspire, etc. » ; j'ai déjà écrit bien des fois que la crainte du châtiment est utile, car grâce à elle on ne craint ni les fauves, ni les serpents; tandis que celui qui ne craint pas Dieu en vient nécessairement à redouter la plus infime des nuisances. C'est pourquoi il dit : « Priez pour la paix de l'empire » [i.e. la paix de l'État] car grâce à elle les hommes ne s'entre-dévorent pas tout vifs [car s'ils ne craignent pas Dieu, ils craignent au moins la force de l'État] ; et ensuite il ramène le fait tout entier au seul point de vue de la crainte de Dieu [priez pour la paix de Son règne, c'est-à-dire pour que Son règne reste pacifique et que le monde ne connaisse pas le châtiment, etc.]. « Si deux hommes sont assis ensemble et n'échangent pas des paroles de Torah, c'est une réunion de railleurs » : lorsqu'il n'y a pas d'échanges entre eux mais que chacun étudie de son côté, c'est la preuve que chacun raille et se moque de la Torah de l'autre. « Mais si deux hommes sont assis ensemble et échangent des paroles de Torah, alors la Chékhina a demeure entre eux, selon les mots: " Ceux qui craignaient l'Éternel se parlèrent l'un à l'autre, etc. " (Mal. 3:16) »,.il n'est pas dit simplement qu'ils « parlèrent » mais qu'il « se parlèrent l'un à l'autre» ; c'est-à-dire qu'ils étudient ensemble pour l'amour du vrai et que ce que l'un ne comprend pas son compagnon le lui explique. De ce fait, l'essentiel n'est plus pour chacun ce qu'il a à dire, mais ce que l'autre a à lui dire, et leur but commun est d'entendre de l'autre l'explication de ce qu'ils ne comprennent pas. C'est pourquoi il est dit qu'ils « se parlèrent », au sens où chacun écoutait passivement la parole de l'autre. La conséquence de cette attitude est le salaire qui en découle, à savoir que Dieu écoute à son tour leurs prières, comme il est dit : « L'Éternel fut attentif et Il écouta » (ibid.), ce qui consiste à rendre mesure pour mesure: parce qu'il a dressé l'oreille et écouté les paroles d'autrui, sans prendre en considération ses propres paroles, Dieu fait de même envers lui et écoute sa prière.

CHAPITRE III - MICHNA 2

129

Le verset évoquant la « socIete des railleurs» [...] s'applique à ceux qui font acte de se réunir durablement dans le but de converser, d'échanger des paroles vaines, et qui se rendent quittes de la Torah en se libérant de son joug au moment où ils ne sont plus occupés à travailler. Ils n'ont, d'ailleurs, même pas besoin de parler de ces choses, et ils ne se réunissent que dans le but d'échanger des futilités. Voilà ce qui s'appelle « une société de railleurs », au sens où ils négligent la Torah, puisque la négligence de la Torah est le sujet de tout ce chapitre.

RABBÉNOU YONA :

Le mot on') (( méditant ») est une manière d'évoquer la pensée, comme dans l'expression « lorsque je réfléchissais ('S·l'Y.li) » (Nomb. 33:56), c'est-à-dire qu'il réfléchit aux paroles de la Torah. « Car il prend pour cela» : car il prend son salaire pour cette occupation, le mot JI:)) étant semblable au mot J1\)' . Mais certains disent que le mot J\:» désigne l'action de « protéger» quelque chose, comme au verset: « Il a protégé le tabernacle» (Ex. 40:3), qu'Onkelos traduit par J'\:>m 2.

RACHI :

VERSION DU RAMBAM DE LA FIN DE l.A MICHNA;

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[ ... ] Et comment sait-on que même si une personne seule est assise et étudie, c'est comme si elle réalisait toute la Torah? Du verset: « Qu'il s'assoie solitaire et silencieux, car il prend sur lui» (Lam. 3:28). 2. Pour la traduction que nous donnons de ce verset, voir Rachi ad loc. En mettant en avant cette seconde explication du mot 7'-'l, Rachi oblige à tenir compte d'une autre version de la fin de ce passage qui serait à peu près la suivante: « Et comment sait-on que, même si une personne seule est assise ct s'occupe de Torah, la Chekhina est avec elle, etc. ? " L'existence d'une teUe version est attestée par le Maharal de Prague dans son commentaire sur cette michna. Voir aussi plus loin, michna 6.

130

COMMENTAIRES DU TRAITf: DES PÈRES

Il a déduit que l'on appelle « société de railleurs " toute assemblée dans laquelle il n'est pas parlé de Torah, de la fin du verset cité qui déclare: « Car dans la Torah de Dieu seul est son désir" ; autrement dit, son désir portant sur la Torah de Dieu, s'il ne prend pas place parmi les railleurs, c'est qu'il n'y a pas de paroles de Torah dans leur société. Quant au mot 011') du verset des Lamentations cité à la fin, il désigne les choses plus secrètes encore que le « fin silence ,,(npl nm:n) (cf. l Rois 19:12). De ce fait, le Targoum a expliqué que les mots rmN 011') c'est-à-dire: « Aaron se tut" (Lev. 10:3) signifient: «Aaron a loué» [au moment de la mort de ses deux fils]. Enfin, la fin du verset: « Il prend sur lui ", lui sert de preuve pour affirmer qu'il prend sur lui toute la Torah, comme si la Torah toute entière reposait sur lui seul.

RAMBAM :

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Michna 3. Rabbi Chimon dit: Trois hommes qui mangèrent à la même table et n'y dirent pas des paroles de Torah, c'est comme s'ils avaient mangé des sacrifices de morts, selon le verset: « Car toutes les tables sont pleines de vomissures et

3. Cf. chap. 2, note 4. Dans le texte du prophète, toutefois, le mot 01i'IJ est employé au sens propre et il signifie tout simplement que, l'ordure recouvrant tout, il n'y avait plus de « place ". Mais, pour qui y serait sensible, ce manque de place peut être aussi perçu comme l'attestation et le signe de l'absence de celui qui, par excellence, « fait place" et « donne lieu ", comme il donne lieu au monde dans sa totalité.

CHAPITRE III - MICHNA 3

131

d'excréments sans le Lieu 3 » (Is. 28:8). Mais trois hommes qui mangèrent à la même table et y dirent des paroles de Torah, c'est comme s'ils avaient mangé à la table du Lieu, béni soit-Il, selon les mots: « Et il me dit: Voici la table qui est devant l'Éternel» (Ez. 41:22).

Et n'y disent pas des paroles de Torah ", les gens ont pris l'habitude d'être quittes de cette obligation en disant la prière finale du repas (Birkat Hamazon). L'expression « des sacrifices de morts " désigne l'idolâtrie, comme au verset: « Ils se sont attachés à Baal Péor et ont mangé des sacrifices de morts» (Ps. 106:28). « Vomissures et excréments» : c'est-à-dire des choses dégoûtantes. « Sans le Lieu» : sans que ne soit mentionné le nom du Lieu à leur table. « Et il me dit, etc. » : aussitôt que sont prononcées des paroles de Torah, leur table est appelée « la table qui est devant l'Éternel ». Mais d'autres le déduisent du début du verset: « L'autel de bois mesure trois mY.lN de haut, etc. » (Ez. 41:22) Ne prononce pas amot (coudées) mais imot (mères), comme dans la formule N1j?Y.l' ON \!l' (litt. « il y a une mère pour l'écriture») : l'écriture de la Torah est la référence du sens 4. [Ces trois « coudées» évoqueraient donc] les trois livres que sont le Pentateuque, les Prophètes et les Hagiographes, et selon d'autres, l'Écriture, la Michna et la Guemara. [Et si leur table mesure ces trois « coudées» de haut,] alors celle-ci est appelée « la table qui est devant l'Éternel ».

RACHI : «

RAMBAM:

«Des sacrifices de morts» : ce sont les sacrifices pra-

4. Rachi fait référence à une controverse du Talmud (Sanh. 4a) : faut-il comprendre la Torah selon l'écriture de ses lettres (par ex. lettres pleines ou défectives) ou bien selon la massora qui l'accompagne et la modifie parfois? Au sujet de la massora, voir plus loin michna 13.

132

COMMENTAIRES DU TRAITÉ DES PÈRES

tiqués par les idolâtres, comme l'indique l'Écriture (cf. Ps. 106:28), ainsi que nous l'avons expliqué dans notre commentaire du troisième chapitre du traité Avoda Zara (michna 8). Et ils sont aussi qualifiés de « vomissures et excréments» de manière méprisante, puisque l'Écriture elle-même qualifie l'idolâtrie de « déchet» et de « tas d'immondices» (cf. II Rois 23:24). De plus, le verset cité par Rabbi Chimon est précédé dans la prophétie d'Isaïe d'une description de ceux qui se livrent au manger et au boire, délaissent la Torah et son étude, c'est pourquoi ce qu'ils mangent à leur table ressemble à une chose répugnante et sale, c'est-à-dire à une nourriture d'idolâtre. Il est dit ainsi: « Ils s'égarent dans le vin et se dévoient dans la boisson [...] toutes les tables sont pleines de vomissures et d'excréments, etc. » (Is. 28:7-8).

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Michna 4. Rabbi Hanina fils de Hakhinaï dit: Celui qui se réveille pendant la nuit, se met seul en chemin, et dont le cœur se tourne vers l'abandon, faute en son âme.

Rabbi Hanina fils de Hakhinaï dit que celui qui se réveille de son sommeil pendant la nuit et se met seul en chemin, lorsqu'il lui vient des pensées de reniement, se rend passible de châtiment de la part de Dieu.

RAMBAM :

La nuit est un moment privilégié et l'on ne doit songer alors qu'aux choses privilégiées par le Lieu, c'est-à-dire aux paroles de la Torah. Car ces heures sont particulièrement précieuses et conviennent particulièrement à la méditation sur la Torah, puisque l'on ne travaille pas et que l'on n'entend pas le bruit des hommes; et si l'on

RABBÉNOU YONA :

CHAPITRE III - MICHNA 5

133

tourne alors son cœur vers des choses vaines, on faute en son âme, car on perd un moment susceptible de donner lieu à une pensée claire et pertinente, et l'on se détourne de la méditation des paroles de la Torah.

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Michna s. Rabbi Nehounia fils d'Hakana dit: Quiconque accepte le joug de la Torah est délivré du joug du prince et du joug des nécessités du monde. Mais à celui qui s'affranchit du joug de la Torah sont assignés le joug du prince et le joug des nécessités du monde.

Le joug de la Torah » c'est l'obligation d'étudier; le joug du prince » c'est la charge de servir le prince et le poids de son pouvoir sur nous; « le joug des nécessités du monde » c'est la pression du temps. Il dit ainsi que le salaire de celui qui accepte le joug de la Torah est que Dieu le sauve du pouvoir des princes et allège pour lui le joug du temps. Et « celui qui s'affranchit du joug de la Torah », c'est celui qui déclare que la Torah vient du ciel mais qu'il ne la supporte pas (cf. Yer. Péa 1:1). Les sages dirent à ce sujet [à partir du verset: « Les tables étaient l'œuvre de Dieu et l'écriture était l'écriture de Dieu, rmn sur les tables» (Ex. 32:16)J : « Ne prononce pas harout : gravée, mais herout : liberté, car il n'est d'homme libre que celui qui s'adonne à l'étude de la Torah (cf. Er. 54a et plus loin chap. 6, michna 2). Autrement dit, est libéré des obligations du temps et des obligations du prince, celui qui accueille en lui les choses écrites explicitement sur les tables.

RAMBAM: « «

134

COMMENTAIRES DU TRAITÉ DES PF:RES

Il te faut comprendre le propos selon lequel il n'est d'homme libre que celui qui s'adonne à l'étude de la Torah. La raison en est qu'en s'adonnant à l'étude de la Torah, l'homme s'élève au-dessus du monde matériel, car l'intellect est supérieur au monde matériel, et de ce fait il est libéré du cours naturel du monde et du pouvoir des princes; car ce dernier ne s'exerce qu'en ce monde tandis que celui qui s'adonne à l'étude de la Torah sort de la limitation de ce monde. C'est pourquoi l'on dit ici qu'il est « délivré du joug du prince et du joug des nécessités du monde », car même s'il est impossible à l'homme de vivre sans moyens de subsistance et qu'il lui faut travailler pour pouvoir s'adonner à l'étude de la Torah, il est libéré cependant du « joug» en question en ce que ses moyens de subsistance lui viennent aisément lorsqu'il « accepte le joug de la Torah ». Car il est alors voué totalement à Dieu et s'élève au-dessus de ce monde. Mais s'il s'affranchit du joug de la Torah, il penche alors nécessairement vers ce monde matériel [... ] et lui sont assignés en conséquence le joug du prince et le joug des nécessités du monde, car ce sont eux les maîtres du monde. Et à chaque fois qu'il se détache un peu plus de ce niveau supérieur au comportement naturel et penche vers le monde matériel, règnent alors davantage sur lui ces deux déterminations que sont le pouvoir du prince et la pression des besoins [... J. Sache, en outre, que le joug du prince et le joug des nécessités du monde sont deux choses distinctes qui se font pendant, car les besoins relèvent de l'ordre naturel du monde tandis que le joug du prince ne relève pas de la nature mais de l'humanité seule. Et la Torah s'élève au-dessus des deux et rend l'homme libre de leur pouvoir et de leur limitation, et cette explication suffira pour ceux qui comprennent.

MAHARAL DE PRAGUE:

CHAPITRE III - MICHNA 6

135

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Michna 6. Rabbi Halafta fils de Dossa du village de Hanania dit: Si dix hommes sont assis et s'affairent à la Torah, la Chekhina a demeure entre eux, comme il est dit: « Dieu se tient dans l'assemblée divine » (Ps. 82:1). Et comment savons-nous qu'il en va de même pour cinq aussi? Parce qu'il est écrit: « Il a établi Son faisceau sur la terre» (Am. 9:6). Et comment savons-nous qu'il en va de même pour trois aussi? Parce qu'il est écrit: « C'est au milieu des juges qu'Il jugera» (Ps. 82:1). Et comment savons-nous qu'il en va de même pour deux aussi? Parce qu'il est écrit: « Ceux qui craignent l'Éternel se parlèrent l'un à l'autre, l'Éternel fut attentif et Il écouta» (Mal. 3:16). Et comment savons-nous qu'il en va de même pour un aussi? Parce qu'il est écrit: « En quelque lieu où Je mentionnerai Mon nom, Je viendrai vers toi et Jete bénirai» (Ex. 20:24).

Nous avons déjà expliqué au début du tralte Sanhédrin (1:6) que le mot i11Y (assemblée) ne s'emploie jamais pour désigner un rassemblement de moins de dix hommes; nous avons indiqué aussi qu'il n'y a pas de tribunal de moins de trois juges, et ce sont eux qui sont nommés ici O'i1~no( [un des noms désignant en d'autres occurrences Dieu], en tant qu'ils rendent la justice. Quant au mot « faisceau» (j'J1UN), il désigne ce que l'homme lie

RAMBAM :

136

COM~IENTAIRES DU TRAITÉ DES PÈRES

dans sa main, laquelle compte cinq doigts grâce auxquels il lie et assemble des éléments disparates, et la poignée de cinq doigts elle-même est aussi appelée « faisceau ».

(1)1N)

« En quelque lieu où Je mentionnerai Mon nom », c'est-à-dire que Je mettrai dans ton cœur le désir de mentionner Mon nom, « Je viendrai vers toi, etc. » : ce qui montre qu'il s'agit d'une seule personne. On apprend donc ici que la formule «Je mentionnerai Mon nom» signifie: J'enseignerai aux autres à mentionner Mon nom.

RACH! :

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Michna 7. Rabbi Elazar de Bartota dit: Donne-lui ce qui lui appartient, car toi et tes biens êtes il lui. Il en allait ainsi de David qui disait: « Car tout vient de Toi et ce qui vient de Ta main nous te le donnons» (1 Chrono 29:14). Rabbi Jacob dit: Celui qui va en chemin en répétant son étude et qui s'interrompt pour dire: Le bel arbre que voici! ou : Quel beau labour! l'Écriture le lui compte comme s'il avait fauté en son âme.

Il en allait ainsi de David qui disait: Car tout vient de Toi, etc. ", David évoque par ces mots son action d'amasser or et argent pour la construction du Temple. « Car tout vient de Toi» : car tout ce qu'Israël possède provient de Toi, et après avoir reçu de Ta main ce que Ta bénédiction leur donne, ils te le rendent pour subvenir aux besoins de Ta maison.

RACH! : «

ClIAPITRE III - MICH0IA 8

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Celui qui va en chemin en répétant son étude et qui s'interrompt, etc. », c'est-à-dire lorsqu'il se sépare de la Torah et s'écarte de Celui qui l'accompagne en permanence lorsqu'il étudie (cf. michna 6, plus haut). Car si un homme se tient devant le roi et s'entretient avec lui, puis s'interrompt soudain pour converser avec les passants qui s'approchent, il se sépare alors du roi et montre qu'il ne désire pas rester auprès de lui, ce qui est évidemment dirigé contre la personne-même du roi. Pareillement, celui qui interrompt son étude pour de tels prétextes, « l'Écriture le lui compte comme s'il avait fauté en son âme ».

MAHARt\L DE PRAGUE: «

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Michna 8. Rabbi Dostaï fils de Rabbi Yanaï dit au nom de Rabbi MEir: Qui oublie une seule chose de ce qu'il a appris, l'Écriture le lui compte comme s'il avait fauté en son âme, comme il est dit: « Garde-toi seulement et garde bien ton âme, de peur que tu n'oublies les choses que tes yeux ont vues » (Deut. 4:9). Mais cela concerne-t-il aussi le cas où son étude est difficile? L'Enseignement dit: « De peur qu'elles ne s'écartent de ton cœur tous les jours de ta vie» (ibid.) ; aussi ne sc rend-il coupable en son âme que s'il les écarte délibérément de son cœur.

L'oubli étant chose fréquente chez les hommes, on doit réviser de nombreuses fois une règle à suivre (i1:J7n) et y penser jour et nuit jusqu'à ce qu'elle ne

RABBtNOU Y00lA :

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COMMENTAIRES DU TRAITÉ DES PÈRES

puisse quitter notre cœur. Et si on ne le fait pas, on se rend coupable; car on enseignera alors d'après son souvenir, en disant « mon maître m'a dit », on interdira le permis et l'on permettra l'interdit, et l'on sera responsable d'une situation dégradante pour autrui. Un tel oubli est considéré comme une faute car, dans l'enseignement, les erreurs involontaires sont comptées comme des fautes intentionnelles [... ]. Mais si l'oubli est la conséquence de la vieillesse ou de quelqu'autre contrainte contre laquelle l'homme est impuissant, la Torah le tient pour quitte. Le cas où son étude est difficile », lorsque l'on oublie une chose contre notre gré parce qu'elle est trop ardue.

RACHI : «

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Michna 9. Rabbi Hanina fils de Dossa dit: Celui pour qui la crainte de la faute précède la sagesse, sa sagesse durera. Mais celui pour qui la sagesse précède la crainte de la faute, sa sagesse ne durera pas. Il disait aussi: Celui dont les actions excèdent la sagesse, sa sagesse durera. Mais celui dont la sagesse excède les actions, sa sagesse ne durera pas.

Ce jugement de Rabbi Hanina est l'objet d'un accord général qui Vaut aussi parmi les philosophes. Car l'habitude des dispositions saines et élevées, lorsqu'elle précède la sagesse et se réalise en l'homme au point d'être en lui comme une seconde nature, se renforce ensuite par l'étude de la sagesse; elle intensifie son lien avec la sagesse,

RAMBAM :

CHAPITRE III

~

MICHNA 9

139

son amour de celle-ci et accroît son ardeur à étudier toujours davantage, car elle éveille en lui une chose à laquelle il est déjà habitué. Mais, inversement, si de mauvaises dispositions précèdent l'étude de la sagesse, cette dernière sera pour lui une entrave aux désirs et aux penchants auxquels il est habitué, elle deviendra pesante pour lui et il l'abandonnera.

Celui dont les actions excèdent la sagesse, sa sagesse durera », car lorsque les actes de l'homme dépassent sa sagesse, son désir pour la sagesse ne peut plus être satisfait par ce que lui offre sa propre sagesse; et en conséquence, il ajoute chaque jour davantage par l'étude à la sagesse qu'il a déjà acquise. « Mais celui dont la sagesse excède les actions, sa sagesse ne durera pas », car son désir pour la sagesse sera alors toujours inférieur à ce que sa propre sagesse lui offre déjà, et celle-ci ira donc en diminuant. Telle est l'explication de cette michna que nous avons reçue de nos prédécesseurs. Mais il y a lieu de se demander comment il se peut faire que les actes d'un homme excèdent sa sagesse. Car s'il ne connaît pas la Torah et les commandements, comment pourrait-il les accomplir? Cette michna est donc davantage le conseil, adressé à celui qui ne connaît pas, de ne pas perdre son âme et d'accepter d'accomplir toutes les choses que lui diront les sages, de ne pas dévier de leurs paroles d'un côté ou de l'autre, ainsi qu'il est dit: «Agis d'après l'enseignement qu'ils énonceront et d'après le jugement qu'ils porteront, et ne dévie pas de ce qu'ils t'ont dit à droite ou à gauche» (Deut. 17:11). Dès que l'on accepte cela, qu'on l'accueille en soi de bon cœur et que notre âme nous y porte, un salaire nous est compté comme si l'on avait reçu tous les commandements. C'est à ce sujet qu'il est dit ici que « celui dont les actions excèdent la sagesse, sa sagesse durera» [ ... ] comme l'ont expliqué les Avot de Rabbi Nathan (chap. 22) sur la base du verset: « Nous

RABBÉNOU YONA : «

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COMMENTAIRES DU TRAITÉ DES PÈRES

ferons et nous écouterons » (Ex. 24:7). Au moment de recevoir la Torah, les enfants d'Israël ont fait précéder le « faire» à l' « écoute », alors qu'ils auraient dû dire: nous écouterons puis nous ferons, car avant d'agir il faut savoir quoi faire. Mais cela signifie qu'ils ont accepté par avance de faire tout ce qu'on leur ordonnerait et d'écouter. Et ils reçurent aussitôt un salaire égal à ce qu'ils auraient reçu s'ils avaient effectivement réalisé tous les commandements. « Mais celui dont la sagesse excède les actions, sa sagesse ne durera pas », car un homme ne doit pas se dire : J'étudierai cette règle (i1:J::m) et ensuite je la mettrai en pratique, ou j'étudierai d'abord tout le Talmud et ensuite je l'appliquerai. Car il faut avant tout améliorer ses dispositions et ses mœurs, qui sont la seule base sur laquelle la sagesse peut durer.

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Michna 10. Il disait: Qui est aimé des créatures est aimé par le Lieu; mais qui n'est pas aimé des créatures n'est pas aimé du Lieu. Rabbi Dossa fils d'Harkinas dit: Le sommeil du matin, le vin de midi, le babillage avec les enfants et prendre place dans les synagogues des gens du vulgaire expulsent l'homme du monde.

Qui est aimé par les créatures est aimé par le Lieu », c'est-à-dire: qui se montre agréable dans ses rapports avec autrui et en qui les autres ont confiance. Il est dit ainsi dans le traité Yoma (86a) : « Il est écrit: " Tu aimeras l'Éternel ton Dieu" (Deut. 6:5) et cela signifie:

RABBÉNOU YONA : «

CHAPITRE lIT - MICHNA la

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que le nom des cieux soit aimé grâce à toi. Car celui qui étudie la Torah et la Michna, qui sert les sages, et en qui les autres ont confiance dans leur commerce avec lui et qui parle avec douceur aux créatures, les gens disent de lui: Heureux son père qui lui enseigna la Torah, heureux son maître qui lui enseigna la Torah, malheur à ceux qui n'étudient pas; voyez un tel qui a étudié la Torah, comme ses actions sont douces, etc. ! » Pour cette raison, il est aussi aimé par le Lieu car la Torah est louée grâce à lui. A l'inverse, celui qui n'est pas aimé par les créatures n'est pas non plus aimé du Lieu, et il ne saurait être innocent vis-àvis de Dieu et vis-à-vis d'Israël. « Rabbi Dossa fils d'Harkinas dit : Le sommeil du matin ", car il fait négliger de prier à l'heure voulue. « Le vin de midi» ,car il fait négliger l'étude de la Torah et conduit au dévoiement. « Le babillage avec les enfants », car cet amusement est attirant pour le cœur de l'homme du fait de son affection pour les enfants, et la Torah s'en trouve délaissée. « Prendre place dans les synagogues des gens du vulgaire » : combien de perversions attendent l'homme qui fait partie de ce genre d'assemblée. «Expulsent l'homme du monde », car l'homme n'a été créé que pour s'affairer à la Torah et celle-ci est l'allongement de sa vie. Or, s'il se laisse prendre à ces choses-là, pourquoi vit-il encore? Il vaut mieux l'expulser du monde, car il est un homme vain et vaine est sa vie; et puisqu'il a déjà vécu tant d'années, s'occupant à ses affaires, sans que cela lui profite puisqu'il a négligé la Torah, pourquoi continuerait-il à vivre? Cela ressemble à un roi qui donnerait cent pièces d'argent à son serviteur, lequel s'empresserait de les jeter à la mer; lorsque le même serviteur viendrait en réclamer d'autres, ne serait-il pas juste de ne pas lui en donner davantage ? Il en va de même pour celui qui ne s'affaire pas à la Torah. RAMBAM :

Rabbi Dossa fils d'Harkinas dit que les comporte-

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COMMENTAIRES DU TRAITÉ DES PÈRES

ments en question [i.e. « le sommeil du matin, le vin de midi, etc. »] annulent les dispositions saines qu'un homme a acquises, jusqu'à l'expulser du monde et le perdre.

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Michna 11. Rabbi Elazar Hamodaï dit: Qui profane les choses saintes, qui méprise les jours de fête, qui fait honte à son prochain en public, qui renverse l'alliance d'Abraham notre père, qui fait l'arrogant dans la Torah 5, bien qu'il ait étudié la Torah et accompli de bonnes actions, n'a aucune part au monde à venir.

Les éléments de cette michna ont été déduits du verset: « Puisqu'il a méprisé la parole de l'Éternel » (Nomb. 15:31) - il s'agit de l'émancipé (un)j."!)N) - « et qu'il a renversé son commandement» (ibid.) - c'est celui qui renverse l'alliance de chair - « retranchée, son âme sera retranchée» - c'est-à-dire de ce monde et du monde à venir (cf. Sanh. 99a). De là, Rabbi Elazar Hamodaï dit

RACHI :

5. Il existe deux versions de ce passage. Celle que nous éditons et traduisons ici est commune à la plupart des commentateurs médiévaux : Rambam, Rachi, Rabbénou Yona et on la retrouve dans le Mahzor Vitry qui repousse explicitement la seconde. Ceux-ci l'expliquent suffisamment et nous n'avons nul besoin d'y revenir. L'autre version consiste à ajouter deux mots à la fin, cc qui, pour certains, suffit à modifier la compréhension de la phrase: il:J'il:J N'I!! il" n:l D')~ il'lY.lil - d'après ces derniers, il faudrait traduire: " Celui qui dévoile des aspects de la Torah qui ne lui sont pas conformes ", tcl est le sens des commentaires de Bartenora et Tossefot Yom Tov dans l'édition de Vilna. Voir Sanh. 99a où l'on retrouve les deux versions et le Magen Avot qui rapporte les deux explications mais sans en faire, semble-t-il, un problème de versions.

CHAPITRE III - MICHNA Il

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que celui qui« profane les choses saintes », c'est-à-dire qui ne veille pas sur elles comme le veut la règle et profane ainsi leur sainteté, et qui « méprise les jours de fête », en ne respectant pas les jours de demi-fête (i),)):) 7'l1 ùm), soit parce qu'il travaille, soit parce qu'il mange et boit comme d'ordinaire, et ne se soucie pas de veiller à la sainteté de ces moments parce que celle-ci n'est pas aussi grande que lors des jours de fête proprement dits - au sujet de qui se comporte ainsi il est dit: « Puisqu'il a méprisé la parole de l'Éternel, » en adoptant à leur égard un comportement méprisant, « son âme sera retranchée ». « Qui renverse l'alliance d'Abraham notre père » : car celui qui refuse de se circoncire renverse l'alliance. « Qui fait l'arrogant dans la Torah », c'est l'émancipé, tel Manassé qui interprétait la Torah pour la dénigrer, en disant: Quelle mouche a piqué Moïse d'écrire que Timna était une concubine (cf. Sanh. 99b) ! Celui-là aussi fait partie de ceux qui méprisent la parole de Dieu. Qui fait honte à son prochain en public » (litt. fait blanchir le visage de son prochain, etc. ») : celui qui le rend pâle de honte. « Qui fait l'arrogant dans la Torah » : celui qui transgresse publiquement les commandements de la Torah et avec éclat, ce qui est le comble du reniement, comme il est dit: « La personne qui transgressera à visage découvert [...] puisqu'il a méprisé la parole de l'Éternel [...] son âme sera retranchée » (Nomb. 15:30-31). L'expression utilisée ici est D'~!l i17lY.J (litt. « dévoiler la face »), car il agit à visage découvert et avec arrogance, et c'est l'expression utilisée couramment par les sages pour désigner ce genre d'attitude, comme dans la Guemara Péa (Yer. Péa 1:1) : « Celui qui dévoile la face dans la Torah, c'est celui qui transgresse les paroles de la Torah publiquement, tel Yehoyakim fils d'Isaïe. » Quant à celui « qui renverse l'alliance d'Abraham notre père », c'est celui qui conserve un prépuce, c'est-à-dire

RAMBAM : « «

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COMMENTAIRES DU TRAITÉ DES PÈRES

celui qui ne se circoncit pas à l'âge adulte parce qu'il n'a pas été circoncis dans son enfance. Et, de toutes ces choses, les sages ont dit que celui qui s'en rend responsable n'a pas part au monde à venir. Ils ont ajouté que cela ne s'applique évidemment pas à celui qui s'est repenti de ses actes passés, car rien ne résiste à celui qui se repent, mais à celui qui ne s'est pas repenti et est mort en châtiment de sa faute. Autrement dit, la gravité des dévoiements mentionnés ici est telle qu'il n'a pas part au monde à venir et que, contrairement aux autres transgressions, ni les châtiments, ni la mort ne les effacent.

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Michna 12. Rabbi Ismaël dit: Montre-toi facile avec le chef, doux avec la jeunesse et accueille tout homme dans la JOIe.

Facile» : accommodant; « doux» : calme et patient. Il signifie par cette injonction que lorsque l'on a affaire à un grand homme, on doit se montrer accommodant avec lui, le servir selon sa volonté et se tenir à sa disposition. Tandis que lorsque l'on a affaire à un homme à la chevelure noire ., c'est-à-dire à un homme jeune, il faut au contraire se montrer sérieux envers lui, et ne pas se conduire avec légèreté ni avec trop de simplicité à son égard. Puis il ajoute que son avertissement de ne pas se montrer familier avec un homme jeune ne signifie pas que

RAMBAM : «

6 Le terme que nous traduisons par « jeunesse» est I1"n\!!I1 qui paraît désigner l'époque où un homme a les cheveux noirs (,m\!!). Rachi comprend ici que ce mot désigne la « vieillesse» et appuie cette interprétation sur Ecc. 11:10 où est employé le mot m,n\!!. Mais dans son propre commentaire sur ce verset, Rachi explique que le mot m,n\!! désigne la « jeunesse », pour la raison signalée plus haut.

CHAPITRE III - MICHNA 13

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l'on doive l'accueillir avec morgue et irritation; mais qu'il est au contraire normal de recevoir tout homme, grand et petit, libre ou esclave, tout individu de l'espèce humaine, dans la joie et la gaieté. Et c'est là plus que n'en demandait ChamaÏ qui disait qu'il faut accueillir « tout homme en lui faisant bonne figure » (cf. plus haut, chap. 1, michna 15).

l'~:n:nY.l \!.IN1 m?p) pm\!.l : 1Y.l)N Kl'py ':11 .l' m\!.lY.l l"U l1n\!.lYY.l ,inm? l"U 111)UY.l : 1Y.l)N nm Nm .m1Y? .np'l1\!.1 nY.l:>n? l"U ,11)\!.I'1!)? l"U O'1ï~ ,1\!.1W?

Michna 13. Rabbi Akiba dit: La gaudriole et l'insouciance habituent l'homme à la débauche. Il disait: La massorêt est une haie pour la Torah, les dîmes sont une haie pour la richesse, les vœux d'abstinence sont une haie pour la continence, et la haie de la sagesse c'est le silence.

La massorêt est une haie pour la Torah» : les choses qui paraissent un dommage mais dont la fin est de procurer un avantage, il les a comparées à une haie. Car lorsqu'un homme en a fini avec les dépenses de son champ, semailles, labour, bêchage et sarc,lage, il lui faut encore une haie pour l'enclore. Et il se peut qu'il se désole de ce qu'elle lui coûte [ ...] de toute façon, il sait que sans haie son champ et son labeur finiront piétinés. De même, les massorot [i.e. tradition de lecture et d'écriture du texte biblique] qui consistent à calculer le nombre de toutes les lettres et de tous les mots, à créer des signes de repère, se rencontrent bien des fois dans la Bible; et bien qu'elles paraissent une perte de temps, car celui qui les ignore ne perd rien, elles sont en réalité une enceinte protégeant la Torah, et l'ensemble de son étude est ainsi conservée et protégée de l'oubli en leur sein, grâce à leurs repères.

RABBI HAYIM DE VOLOZYNE : «

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COMMENTAIRES DU TRAITÉ DES PÈRES

La massorêt est une haie pour la Torah » : la massorêt, ce sont les lettres pleines et défectives, ainsi que la ponctuation [du texte biblique] que les sages ont transmis (non) à leurs disciples et qui constituent une haie pour la Torah, de sorte qu'il n'existe de versions différentes du texte biblique qu'en très peu d'endroits. Ce qui n'est pas le cas des livres du Talmud où les versions différentes abondent en bien des endroits; de plus, chaque jour les idées changent et chacun écrit une version du texte en fonction de sa compréhension, puisque l'absence de massorêt lui en laisse la possibilité. Car il n'existe aucun livre au monde qui soit demeuré intact et n'ait subi d'altération, et chacun fait dépendre la faute du livre et non de sa compréhension. « Les dîmes sont une haie pour la richesse », comme il est dit dans le traité Taanit (9a) : un enfant lisait le verset: « Prends la dîme (1\!.1)l), tu prendras la dîme (1\!.1)ln) sur l'ensemble de la récolte que tes semailles ont produites dans le champ, année après année» (Deut. 14:22). Il en demanda la signification à Rabbi Yohanan qui lui dit: l\!.lYl1l1\!.1 ?':l\!.l:l l\!.lY - prends la dîme afin de t'enrichir. Il répliqua: Comment le sais-tu? Va le mettre à l'épreuve, lui répondit Rabbi Yohanan. Il lui rétorqua : Depuis quand est-il permis de mettre à l'épreuve le Saint, béni soitIl, n'est-il pas écrit: « Ne mettez pas à l'épreuve l'Éternel votre Dieu » (ibid. 6:16) ? Il lui répondit Rabbi Ochaya a dit que ce verset justement fait exception, car il est écrit: « Ils amèneront toute la dîme dans la grange et il y aura de la nourriture dans Ma maison; et pour la raison que vous vous êtes montrés gracieux envers Moi, l'Éternel des armées, Je jure d'ouvrir les écluses du ciel et de déverser sur vous la bénédiction au-delà de toute suffisance » (Mal. 3:10). C'est pour cette raison qu'il est dit ici que les dîmes sont la haie de la richesse, car qui veut s'enrichir donnera les dîmes avec largesse. Et que l'homme ne se dise pas: Je dispose de mille mesures, comment en donnerai-je cent de dîme alors que cela vaut tant! Mais qu'il les donne, car

RABBÉNOU YONA : «

CHAPITRE III - MICHNA 13

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Dieu lui remboursera fidèlement tout ce qu'il a donné et Il multipliera son salaire, et l'expérience prouve que la chose est vraie. En cela la charité est semblable aux dîmes, car en multipliant les actes de charité on devient plus riche qu'on ne l'était auparavant. Que l'homme ne se retienne donc jamais de donner largement aux pauvres de peur d'entamer son bien et de ne plus avoir à sa suffisance, car de savoir qu'il s'enrichira sera pour lui un motif d'agir avec équité. Et que le riche ne s'imagine pas qu'en donnant beaucoup en charité il aura la conscience tranquille, s'il ne donne à proportion de sa richesse et de l'ampleur de ses biens; car il lui viendrait alors à l'esprit ce calcul sordide: combien d'argent ai-je dépensé en charité et combien d'êtres humains seraient morts de faim si je ne les avais sauvés! Or, il ignore qu'en ce domaine le pauvre qui donne scrupuleusement une grosse somme comme la dîme, quand bien même n'a-t-il récolté qu'une seule mesure, vaut mieux que le riche qui en récolte deux mille mais ne donne que cent quatre-vingt-dix neuf mesures de dîme: le pauvre a la conscience nette par rapport à ses biens alors que le riche s'est fourvoyé et a failli '. Il en va de même pour la charité, et tout homme doit donner à proportion de tout ce qu'il a, qu'il ait peu ou beaucoup. 7. Cette explication de Rabbénou Yona repose, semble-t-il, sur le principe suivant, à savoir que le fait de donner une partie de ses biens à autrui comporte deux aspects; la relation du donateur à celui ou à ceux qui reçoivent de lui, et sa relation avec ses propres biens. Si la relation à autrui devient déterminante dans l'acte, ou, en d'autres termes, si la portée sociale de l'acte est vécue comme sa dimension essentielle et comme sa justification, alors se profile le calcul sordide qu'il évoque. En revanche, si c'est le rapport avec ses propres biens qui est mis en avant par le donateur et qui détermine le sens de son acte, celui-ci implique alors davantage un changement dans le style de la propriété et dans l'attachement d'un homme à ses biens, qu'une activité sociale ou humanitaire. C'est dans ce sens que Rabbénou Yona expliquait déjà la michna 4 du chapitre 2, plus haut, et c'est, semble-t-il, le point central que vise toujours dans l'ensemble son approche de cette question. A noter que ce passage (r.:p:n n)!))pn ,n1::l~n '!:lU

Michna 18. Rabbi Elazar Hisma dit: kinim (i.e. les règles relatives à l'offrande des oiseaux) et pithé nida (i.e. les règles relatives aux premiers temps de la menstruation) sont le corps des règles de la Torah. Le calcul des cycles célestes et la géométrie sont des friandises pour la sagesse 12.

Pour signifier ce qui constitue le corps des règles de la Torah, il a pris deux choses en particulier [i.e. l'offrande des oiseaux et les premiers temps de la menstruation], car dans le traité Kinim (2:1) il est enseigné

MAHARAL DE PRAGUE:

12. Le mot que nous traduisons par « géométrie », conformément aux commentaires du Maharal de Prague et de Rabbénou Yona (car cette michna est absente de l'édition du Rambam), est mN',or.l'l que Rachi comprend en un autre sens: « Le calcul des lettres et le notarikon » qui sont deux procédés d'interprétation midrachique de la Torah (voir un exemple de notarikon, chap. 6, michna 2).

CHAPITRE III - MICHNA 18

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qu'une femme qui a pris deux pigeons [pour le sacrifice après son accouchement], sans préciser lequel devait servir de sacrifice expiatoire et lequel était destiné à l'holocauste, et que l'un d'entre eux s'est envolé, doit prendre un autre pigeon et l'associer à celui qui est resté. Et dans ce même chapitre, il est enseigné un grand nombre de règles concernant les doutes survenant à l'intérieur des nids [cP)v, sont appelés « nids » les couples de pigeons offerts en sacrifice, dont l'un vient en expiation et l'autre en holocauste] et lorsque se produisent des mélanges entre les nids. Pareillement, les pithé nida désignent les règles qu'une femme doit suivre lorsqu'elle a perdu son commencement, c'est-à-dire lorsqu'elle ne sait plus si elle est dans la période qui suit ses menstruations ou dans la période qui fait suite à un écoulement [le calcul du nombre des jours d'impureté varie en conséquence], et tel est le sens de l'expression pithé nida (m) mn!l) : à partir de quand commence-t-elle (nnm!l) le compte du nombre des jours? Ces deux choses désignent donc des règles à suivre relatives à des situations de doute; et il y avait lieu de penser que puisque ces règles n'ont d'autre objet que le doute, elles ne constituent pas le corps des règles de la Torah et que n'est tenue pour telle que la chose dont on est sûr [...]. Car toute sagesse doit être de l'ordre de la certitude et une chose douteuse en est naturellement exclue, puisque dans ce domaine il ne convient de parler que de choses strictement nécessaires et non de choses simplement possibles. C'est pourquoi il y avait tout lieu de croire que ce genre de choses ne constitue pas l'essentiel de la Torah. Or, il fait justement de cela le corps des règles de la Torah. Tandis que le calcul des cycles célestes et la géométrie - au contraire de kinim et de pithé nida dont les règles sont essentiellement le produit du doute et du mélange - sont deux sciences rigoureuses et nécessaires d'où le doute est exclu. Cependant, ces dernières ne constituent pas une sagesse parfaite et ne sont que les friandises de la sagesse, au sens où les friandises préparent au repas mais ne nour-

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COMMENTAIRES DU TRAITÉ DES PÈRES

rissent pas en elles-mêmes; pareillement, ces deux grandes sciences que sont le calcul des cycles célestes et la géométrie ne nourrissent pas l'âme, car seule la sagesse est la nourriture de l'âme [ ... ]. De plus, le choix de kinim et de pithé nida en référence aux doutes qui leur sont liés correspond à la nature même des règles de la Torah, lesquelles consistent dans le choix d'un acte à accomplir et d'un chemin à suivre au sein de la confusion et du doute, à la manière dont on choisit le droit chemin parmi l'ensemble des voies qui s'offrent à nous. C'est pourquoi ces règles-là sont le corps des règles de la Torah, car la règle de la Torah (m'il) consiste dans le choix d'une démarche (11"iI) entre plusieurs voies possibles, et c'est pourquoi elle est nommée amsl. Le calcul des cycles célestes et la géométrie sont les friandises de la sagesse », parce que ces deux sciences comportent de nombreux calculs et que la science du calcul aiguise l'esprit de l'homme.

RABBÉNOU YONA : «

CHAPITRE IV

,0ïN 7JY-l ïY-l17i1 ,0Jn 1i1PN : ïY-l1N NY-lH P .IN i1)'lIY-l 0'7i1n) '7 i1n''lI 1mn)) 'J 'n7J'lIi1 'ïY-l7Y-l 7JY-l ïY-lN)'lI 1ïN :11\) ïY-lN)'lI ,n~p nN 'lI:J1:Ji1 ,ï1:Jl 1i1t'N .(\)'P 1i1t'N .(t\) '7'l1Y-l) ï')) ïJ7Y-l mn:J 7'l1m ï1:JlY-l O'!:)N l'ï'llN 7JNn 'J l'!:)J ))'l' ïY-lN)'lI ,1p7n:1 nY-l'llil , ï''lI)) 071))7 17 :11\J) mi1 071)):1 l'ï'llN ,(nJp 0'7i1n) 17 :11\)1 'ï:1JY-l 'J ïY-lN)'lI ,nPï:Ji1 nN ï:1JY-li1 ,ï:11J>::l 1i1PN .N:li1 .(:J N 7N1n'll) 17P' 't:J1 ï:1JN

Michna 1. Ben Zoma dit: Qui est sage? Celui qui apprend de tout homme, comme il est dit: «De tous ceux qui m'ont appris j'ai retenu» (Ps. 119:99). Qui est puissant? Celui qui asservit son penchant, scion les mots: « Qui est lent à la colère est meilleur que le puissant, et qui gouverne son tempérament, que celui qui s'empare d'une ville » (Prov. 16:32). Qui est riche ? Celui qui se réjouit de sa part, comme il est dit : « Lorsque tu te nourris du labeur de tes mains, c'est un bonheur pour toi et un bien pour toi» (Ps. 128:2) -« c'est un bonheur pour toi» dans ce monde, « et un bien pour toi» dans le monde à venir. Qui est honoré? Celui qui honore les créatures, comme il est dit: « Car J'honore ceux qui m'honorent et ceux qui me méprisent seront amoindris» (1 Sam. 2:30).

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COMMENTAIRES DU TRAITÉ DES PÈRES

Cela est évident et nous avons déjà évoqué cette question au cours de l'introduction '.

RAMBAM :

Celui qui apprend de tout homme », même de qui n'est pas plus grand que lui en sagesse, celui-là se fraye un passage partout où se trouvent des hommes de Torah sans en avoir honte. « De tous ceux qui m'ont appris j'ai retenu» : j'ai écouté et retenu les paroles de tous ceux qui voulurent m'enseigner quelque chose, sans honte aucune. « Celui qui asservit son penchant » et ne le suit pas; « qui est lent à la colère» : qui n'aime pas la colère et domine son penchant est plus puissant que l'homme fort [ .. .]. « Celui qui se réjouit de sa part» : il accepte avec bienveillance toute part que le Saint, béni soit-Il, apprête à son intention. Autre version: Il a l'âme libre et le cœur content avec la part que le Saint, béni soit-Il, lui a assignée, qu'elle soit bonne ou mauvaise, abondante ou maigre, et il ne s'en désole pas pour courir avec empressement acquérir et amasser plus qu'il n'a. En effet, s'il n'était heureux de se nourrir du labeur de ses mains, quel bonheur lui resteraitil ? Car serait-il le plus riche des hommes, s'il craint et souffre pour sa part il est absolument semblable au plus pauvre des hommes. Il est donc évident que Ben Zama fait

RACHI : «

1. "Sache que tout prophète ne prophétise qu'après avoir acquis toutes les dispositions intellectuelles saines et la plupart des dispositions éthiques saines et les plus importantes d'entre elles. Et c'est ce qu'ont déclaré les sages: " La prophétie ne réside qu'en l'homme sage, puissant et riche" (Chab. 92a, Ned. 38a). " Sage" est celui qui inclut toutes les dispositions intellectuelles saines sans aucun doute. " Riche" désigne l'une des dispositions éthiques saines, c'est-à-dire" avoir l'oeil bienveillant" [... ] et tel est le sens de leur définition du riche: " Qui est riche? Celui qui se réjouit de sa part", autrement dit celui qui se contente de ce que le cours du temps lui apporte et qui ne se lamente pas sur ce qu'il ne lui apporte pas. De même, être" puissant" fait aussi partie des dispositions éthiques saines, au sens où un homme dirige ses facultés en fonction de la pensée [... ] comme l'ont dit les sages : " Qui est puissant ? Celui qui asservit son penchant " (Rambam, Introduction au Traité Avot, chap. 7, éd. Kappah, p. 259).

CHAPITRE IV - MICHNA 1

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allusion à celui qui est heureux de ce dont il se nourrit et il l'appelle « riche)} parce que le verset fait son éloge [et non au regard de sa fortune]. « C'est un bonheur pour toi dans ce monde » de n'avoir point besoin des autres, et « dans le monde à venir », car en jouissant de ton propre labeur tu ne seras pas tenté de voler et tu hériteras ainsi des deux mondes [... ]. « Car J'honore ceux qui m'honorent, etc. », c'est l'une des voies du Saint, béni soit-Il, apprends à connaître Ses voies et tu seras honoré. Il y a lieu de se demander pour quelle raison il qualifie de sage celui qui apprend de tout homme et non celui qui connaît bien la Torah [.. .]. De même, qualifier de riche celui qui se réjouit de sa part est en soi juste puisqu'il se suffit à lui-même, mais ce faisant il exclut explicitement de son propos toute autre forme de richesse, puisqu'il donne à entendre que seul celui qui se réjouit de sa part est riche. Une telle exclusion est embarrassante, car pourquoi ne serait pas aussi qualifié de riche celui qui possède des champs, des vignobles et des esclaves par centaines [... J ? Enfin, pourquoi ne retient-il en particulier que ces quatre vertus (sagesse, richesse, puissance et honneur) et n'inclut-il pas dans son propos d'autres types de vertus? La réponse générale est la suivante: Ben Zoma a voulu expliquer la nature des biens qui sont propres à l'homme [... J. Or, ne sont considérés comme des biens que ceux qui font partie intégrante de l'individu lui-même, ainsi ces quatre choses sont liées à l'homme et entrent dans sa définition: la sagesse s'applique à l'intellect de l'homme pour autant qu'il est homme, la puissance s'applique à l'âme de l'homme pour autant qu'il est homme, la richesse s'applique aux acquisitions de l'homme pour autant qu'il ne peut s'en passer et l'honneur est propre à l'homme lui-même comme nous l'expliquerons. C'est pourquoi il a déclaré que ces quatre choses, pour autant qu'elles sont liées à l'homme en tant que tel, chaque être humain doit les faire siennes et ne pas les traiter comme des biens extérieurs à lui.

MAHARAL DE PRAGUE:

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COMMENTAIRES DU TRAITÉ DES PÈRES

En ce sens, il a déclaré : « Qui est sage ? Celui qui aprend de tout homme. » Car le terme de sage qualifie l'homme en lui-même en tant qu'il est nommé ainsi [i.e. on dit « c'est un sage »J ; et puisque ce nom est attribué à l'individu, il convient de ne qualifier ainsi que celui qui possède par lui-même cet attribut. A l'inverse, par exemple, de quelqu'un qui possède une maison; puisque celle-ci n'est pas un attribut du sujet lui-même mais qu'il y réside simplement, elle ne servira jamais à le qualifier. De plus, même les termes qui qualifient l'homme (i.e. les prédicats habituels du sujet « homme »), mais qui ne sont pas le fait de l'homme lui-même, ne sont pas attribuables totalement à celui-ci puisqu'ils ne proviennent pas de lui. C'est pourquoi il ne convient pas de qualifier un homme de sage pour une sagesse indépendante de lui et qui ne lui est pas due. Il a donc déclaré qu'il convient d'appeler « sage» celui qui apprend de tout homme, c'est-à-dire celui qui désire par lui-même la sagesse au point de l'apprendre de tout homme. Un tel homme est à ce titre digne du nom de « sage» car la sagesse ne se trouve pas chez lui par accident, mais parce qu'il en est avide et la recherche auprès de tout homme. Tandis que s'il n'apprend pas de tout homme mais seulement d'un maître réputé pour sa grande sagesse, sa sagesse sera dépendante du maître en question, elle viendra de l'extérieur et non de lui-même, puisque c'est l'importance du maître qui en conditionnera la réception; il ne conviendra donc pas de le nommer sage [...J. Et seul celui qui apprend de tout homme est digne de ce nom, car tous les hommes étant égaux auprès de lui puisqu'il apprend de tous, la sagesse ne dépend alors que de celui qui la reçoit et il est ainsi digne du nom de « sage » car c'est la sagesse elle-même qu'il reçoit directement en apprenant de tous, sans distinction de grand ou de petit 2. De plus, 2. La sagesse ne consiste donc pas dans une connaissance ou un savoir, mais dans la manière dont cette connaissance est acquise. Ainsi, un même contenu de savoir peut être ou non objet d'une sagesse, selon la manière

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sache que la sagesse est séparée de l'homme qui en est le sujet; et nous avons maintes fois expliqué que la sagesse qui est en l'homme, lequel est doté d'un corps, est distincte de lui, alors que le nom de sage est appliqué à l'individu comme tel pour autant que la sagesse provient de lui. C'est pourquoi il est exclu de qualifier quelqu'un de sage pour une sagesse qui serait en lui [sous forme d'un savoir], car il n'est pas de rapport entre un corps et la sagesse sinon que celui-ci désire la recevoir. Ainsi, lorsque la sagesse se trouve en l'homme sous la forme de ce désir, le sujet qui est l'homme recevant et la sagesse qu'il reçoit forment ensemble une substance, à la manière dont se substantifie la matière qui reçoit avec la forme qu'elle reçoit. Mais n'était le désir du sujet, qui est matière, envers la réception de ladite forme, la réception de la forme ne pourrait avoir lieu complètement [...]. Il a dit de même: « Qui est puissant? Celui qui asservit son penchant », autrement dit tout bien doit pouvoir exister de par le sujet auquel il est attribué et non provenir d'autre chose que lui. Et s'il est appelé « puissant » parce qu'il a su vaincre quelqu'un d'autre, sa puissance sera due à celui qu'il a vaincu et ne sera pas empreinte dans le vainqueur même, car ce n'est pas par lui-même qu'il a vaincu '. Aurait-il conquis nombre de villes, le nom de « puissant » dont le sujet le reçoit: si la valeur de ce qu'il reçoit se mesure à la valeur de celui qui l'enseigne, ce n'est pas une affaire de sagesse, mais une affaire d'opinion ou de réputation; si, en revanche, la valeur de ce qu'il reçoit est indépendante de celui qui l'enseigne, c'est que cette valeur dépend du contenu même dont il est question et en ce cas, il n'apprend de personne en particulier mais de la sagesse elle-même, dont il est directement l'élève. 3. Dans le combat entre deux hommes, ou en général entre un homme et autre chose que lui, la victoire ou la défaite sont le résultat d'un rapport entre la force de l'un et la faiblesse de l'autre; elles n'ont rien à voir avec la valeur de chacun des protagonistes en eux-mêmes mais seulement avec leur relation ponctuelle. En ce sens, la puissance est par définition relative et n'exprime rien du sujet quant à ce qui le fait être ce qu'il est: elle est un accident.

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est censé qualifier ici l'individu comme tel, tandis que prendre des villes en grand nombre est le fait du vaincu et dépend de lui, et n'est pas considéré comme une particularité du vainqueur; autrement dit, le bien en question doit appartenir en lui-même au sujet auquel il est attribué et non être dû à autre chose, et dans le cas de celui qui soumet des villes, n'était le vaincu on ne trouverait nulle trace de la moindre puissance [ ... ]. Soumettre son penchant, en revanche, est le fait de l'homme lui-même et ne lui vient pas d'un autre; c'est la raison pour laquelle il convient de le nommer« puissant ». C'est pourquoi il a déclaré: « Qui est puissant? Celui qui asservit son penchant », car la puissance est auprès de lui alors même qu'il n'a vaincu personne, ainsi le nom de « puissant » revient-il uniquement au sujet [...]. De plus, il est exclu de tenir pour puissant celui qui montre sa force en asservissant autrui pour la raison que ce genre de force se trouve davantage chez l'animal que chez l'être humain, et qu'elle n'est pas un bien qui serait propre à l'homme en tant qu'homme. Tandis qu'asservir son penchant est un acte de connaissance et de sagesse qui n'est propre qu'à l'homme, en tant qu'il est sujet au savoir et à la connaissance, et c'est un tel homme qu'il convient de nommer « puissant ». Il déclara pareillement: « Qui est riche? Celui qui se réjouit de sa part », car il ne convient pas non plus de qualifier quelqu'un de riche en fonction de l'abondance des richesses qu'il conserve dans sa grange ou dans son coffre, parce que cela ne qualifie pas l'homme et sa richesse ne lui est pas due. Il ne convient de nommer « riche» que celui qui se réjouit de sa part, car ce faisant il est riche en esprit - et c'est là être riche car c'est alors par lui-même qu'un homme est riche [... ]. Il trouve de plus une preuve à son propos dans le verset qui loue celui qui se suffit à lui-même car il ne manque de rien et mérite en conséquence ce monde et le monde à venir. Untel homme est, en effet, le plus riche des hommes, car à toute richesse il manque toujours quelque chose et celui qui a des milliers paraît pauvre

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en regard de celui qui a des millions. Tandis que celui qui se satisfait de ce qu'il a ne manque de rien, il n'existe pas de plus riche que lui à qui le comparer et c'est pourquoi lui seul est effectivement riche [ ... ]. Ainsi, celui qui jouit du labeur de ses mains [mérite les deux mondes] car il se sépare alors de la matière ; la matière est, en effet, le manque permanent qui reçoit d'un autre comme nous l'avons expliqué maintes fois, et c'est précisément à cause de ce manque qu'elle doit recevoir d'un autre [i.e. de la forme]. Or, qui se réjouit de sa part ne manque de rien et c'est là l'une des manières de se défaire radicalement du règne matériel. En ce sens il a déclaré: « C'est un bonheur pour toi en ce monde» en ce que tu es détaché du règne matériel; et à plus forte raison « dans le monde à venir» qui est totalement débarrassé de la matière, connaîtra-t-il un bien parfait, qui est évidemment le plus élevé des biens ... Enfin, il dit de même: « Qui est honoré? Celui qui honore les créatures », pour la même raison, à savoir qu'il ne convient pas d'attribuer l'honneur à celui que les autres honorent, car cet honneur n'est pas l'effet du sujet auquel il s'applique puisqu'il est aux mains des autres qui l'honorent. Et ce n'est pas parce que les autres l'honorent que l'honneur se trouve en lui, alors qu'un tel bien doit pouvoir exister au sein même de l'individu. Il a donc déclaré que seul celui qui honore les autres est honoré, et il est tenu pour honoré en ce que l'honneur est avec lui [... ]. Ainsi, qui honore autrui est réellement le sujet de l'honneur et c'est lui qu'il sied d'honorer 4. 4. r:honneur étant, par définition, une forme de relation à autrui dom on est l'objet, celui-ci n'échappe au mensonge social et à l'opinion que si la cause de la relation appartient au sujet qualifié ct existe par lui. Ainsi, celui qui honore les autres est celui par qui l'honneur et le respect existent dans le monde, à ce titre il est bien le sujet de l'honneur, mais il n'en est pas encore l'objet à moins qu'autrui ne l'honore. Ce n'est donc que lorsque l'on honore ou respecte un homme parce qu'il honore ou respecte les autres que celui-ci est honoré véritablement.

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Il semble que Ben Zoma a conçu l'enchaînement de son propos à la manière de ce qu'ont dit nos maîtres: « La Chekhina ne réside qu'auprès de celui qui est puissant, riche, sage et humble» (Ned. 38a). Car c'est apparemment incroyable de leur part d'avancer chose pareille; pourquoi, en effet, tel homme aurait-il une moindre valeur alors qu'avant même que son embryon ne soit formé avait été décidé par le Juge Suprême s'il serait pauvre ou faible, comme en fait état le traité Nida (16b) : « L'ange préposé à la grossesse et dont le nom est" nuit ", prend la goutte de semence et l'amène devant le Saint, béni soit-Il, en lui demandant: Maître du monde, qu'en sera-t-il de cette goutte: puissant ou faible, sage ou sot, riche ou pauvre? » Pourquoi donc le Saint, béni soit-Il, n'épancherait-il pas de Son esprit sur celui qui est digne de la Chekhina par ses seuls actes 5 ? Mais il est clair que le mérite d'être la résidence de la Chékhina n'est dû qu'à l'humilité [...]. Or, qui ne dispose d'aucune sorte d'avantage aura beau abaisser sa personne, il ne pourra cependant être qualifié d'humble, car que vaut l'humilité de celui qui n'a pas de quoi s'enorgueillir? Tandis que celui qui possède de tels avantages et ne les ressent cependant aucunement et efface sa personne est à bon droit appelé « humble ». Et c'est en fonction du nombre et de l'importance de ces avantages que se mesurera la grandeur de son humilité. Ainsi, entre deux hommes dont l'un posséderait deux avantages et l'autre trois, même si tous deux sont aussi effacés l'un que l'autre, le deuxième sera cependant plus humble que le premier; et si tous les avantages étaient réunis en un seul être humain et que malgré cela il conservait son humilité dans sa simplicité et son innocence, il serait le plus humble des hommes. Or, tous les avantages du monde sont inclus dans les trois suivants : sagesse, puissance et richesse.

RABBI HAYIM DE VOLOZYNE :

5. Car le texte du Talmud invoqué continue en disant que de « juste ou injuste, il n'est pas question» dans cette décision et que c'est le destin de l'homme et sa liberté d'avoir à se déterminer lui-même par ses actes comme juste ou injuste.

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Les sages ont donc voulu signifier que la Chékhina ne réside qu'auprès de celui qui est puissant, sage et riche et qui cependant reste humble; car lui seul est véritablement humble. Mais ces trois avantages ne sont pas en eux-mêmes nécessaires à la chose [...]. C'est cela que Ben Zoma a pris ici en considération, c'est-à-dire ces trois avantages en tant que l'humilité les accompagne tous. Il a donc déclaré sage celui chez qui se rencontre la sagesse, mais pour autant qu'il se montre humble à travers elle et n'en fait pas un avantage personnel, mais apprend au contraire de tout homme, fût-il inférieur à lui. De même, est puissant celui chez qui se rencontre la puissance, mais pour autant qu'il se soumet et s'abaisse, et ne tient en considération sa puissance que pour asservir son penchant et non pour dominer de plus faibles que lui. De même encore, est riche celui qui tient pour un avantage le fait de se réjouir de sa part, autrement dit, qui ne prend pas en considération sa propre personne pour son aptitude à la richesse et ne s'enorgueillit pas de voir ses frères plus pauvres que lui, mais la considère comme une grâce que Dieu lui a faite et se réjouit de sa part... Tâchons toutefois d'approfondir l'explication de la question « qui est sage », en fonction de ce que disent nos maîtres dans le traité Berakhot (55a), à savoir que le Saint, béni soitIl, ne donne la sagesse qu'à celui qui a en lui la sagesse, selon les mots: « Il donne la sagesse aux sages » (Dan. 2:21). Et ils ont ajouté que la mesure dont se sert le Saint, béni soit-Il, n'est pas pareille à la mesure dont l'homme se sert: pour un homme un réceptacle vide peut recevoir quelque chose tandis qu'un réceptacle plein ne le peut plus, alors que pour le Saint, béni soit-Il, seul un réceptacle plein peut recevoir quelque chose tandis qu'un réceptacle vide ne le peut pas. Il reste donc à comprendre de qui, dans ce cas, est issu le commencement de la sagesse? [...] Nous trouvons réponse à la question dans ce qu'avancent les sages dans le traité Chabat (31 b), à savoir que le Saint, béni soit-Il, n'a pour lui en Son monde que la seule crainte des cieux, selon les mots: « Maintenant Israël, ce que l'Éternel ton Dieu te demande ce n'est que de le

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craindre» (Deut. 10:12) et il est écrit: « Il dit à l'homme: 1i1 la crainte de l'Éternel est la sagesse» Gob 28:28), car c'est de cette manière que la langue grecque nomme l'Un: 1i1 (ên). Il en ressort que seule la crainte des cieux est la sagesse et qu'il n'est pas de sagesse sans elle. Et Salomon a dit en sa sagesse: « Le début de la sagesse est la crainte des cieux » (Prov. 9:10) et il est dit dans les Psaumes: « Le commencement de la sagesse est la crainte de l'Éternel » (Ps. 111:10). Ainsi la crainte est-elle le commencement et le début de l'élévation à la sagesse, et l'une de ses extrémités. Dès lors, comprenons que la crainte, qui est elle aussi nommée « sagesse » par l'Écriture, est précisément ce que l'homme peut atteindre par lui-même, comme l'ont dit les sages dans le traité Berakhot (33b) : « Tout est aux mains des cieux excepté la crainte des cieux, selon les mots : " Ce que l'Éternel ton Dieu te demande ce n'est que de le craindre" (Deut. 10:12). » Or, puisque la liberté est donnée aux hommes de prendre le mal en dégoût et de choisir le bien, il devrait en aller pareillement de tous les commandements de l'Éternel et pas seulement de la crainte; mais il est clair que le principe de tout est la crainte authentique de Dieu, grâce à laquelle le Saint, béni soit-Il, gratifie un homme de connaissance et d'entendement afin qu'il comprenne la Torah, le commandement, les décrets et les lois, afin qu'il apprenne, qu'il observe, qu'il accomplisse et réalise, et Il lui donne la sagesse. Tel est le sens du propos des sages selon lequel Dieu ne donne la sagesse qu'à celui qui a en lui la sagesse, c'est-à-dire à celui qui a en lui la crainte qui est elle aussi nommée« sagesse ». C'est pourquoi l'on dit aussi que seul un réceptacle plein peut recevoir quelque chose tandis qu'un réceptacle vide ne le peut pas, car la crainte est sagesse, le commencement et le début de toutes les sagesses car elles découlent toutes d'elles. Et sans la crainte la sagesse n'existe pas, tandis qu'une crainte qui serait dépourvue de sagesse est tenue pour rien, puisqu'elle n'est qu'un réceptacle destiné à donner lieu à la sagesse, sans laquelle elle n'est qu'un récipient vide ...

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C'est en ce sens que la Michna demande ici « qui est sage? » c'est-à-dire qui est sage en lui-même et par luimême, de sorte que le Saint, béni soit-Il, lui donne la sagesse, ainsi qu'il est dit: « Il donne la sagesse aux sages » (Dan. 2:21), ce qui désigne donc la crainte appelée elle aussi « sagesse » et qui est entre les mains de l'homme. Cette crainte nécessaire est la honte que ressent un homme devant son peu de valeur et qui le conduit à apprendre de tout homme. Car de cette manière nous ne pourrons croire que nous comprendrons la Torah grâce à la force de notre intelligence ou à une disposition avantageuse de notre nature, mais seulement que notre labeur nous amène à faire une découverte. C'est là, en effet, la seule raison susceptible de pousser un homme à apprendre de tout homme, car qui est plus petit que lui peut avoir fait une découverte aussi bien que qui est plus grand que lui, et le Saint, béni soit-Il, peut faire découvrir au petit ce que ne trouvera pas le grand, dans la mesure où il peut être en réalité plus grand que lui dans la crainte des cieux et acquérir ainsi une plus grande sagesse. Il est dit à ce propos: « De tous ceux qui m'ont appris j'ai retenu, car Tes témoignages sont pour moi parlants » (Ps. 119:99) ; autrement dit, dans mon étude de la Torah, c'est la Torah elle-même qui me parle et qui s'offre à moi comme découverte, et c'est elle qui m'enseigne et non moi ... « Qui est honoré? Celui qui honore les créatures [...] car J'honore ceux qui m'honorent, etc. » Cela signifie qu'est honoré celui qui honore tous les hommes sans se soucier s'ils sont plus petits que lui, car il pense qu'ils possèdent tous la forme de Dieu et sont ses créatures, que tout ce que l'Éternel a créé ne l'a été que pour sa gloire et qu'en les honorant il honore leur Créateur. De ce fait, celui qui honore ainsi autrui honore l'Éternel [...] et l'honneur qu'on lui témoigne est alors véridique; car qui est honoré pour une raison quelconque sans en être digne, n'est honoré qu'au moment où il reçoit des témoignages d'honneur; veut-il résigner sa dignité ou la transmettre à un autre, il ne lui reste plus rien.

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Michna 2. Ben AzaÏ dit: Empresse-toi autant vers le commandement facile que vers le commandement difficile et fuis la transgression; car l'accomplissement d'un commandement entraîne l'accomplissement d'un [autre] commandement et la transgression entraîne une [autre] transgression; de plus le salaire du commandement est le commandement et le salaire de la transgression la transgression.

Ben AzaÏ dit: Empresse-toi autant vers le commandement facile, etc. », ils en ont déjà donné une raison au début du chapitre 2 (michna 1), à savoir que tu ne connais pas le salaire des commandements, et Ben AzaÏ ajoute ici une seconde raison en disant qu'il faut se précipiter vers le commandement facile car l'accomplissement d'un commandement entraîne l'accomplissement d'un autre commandement de manière naturelle. En accomplissant un petit commandement, en effet, l'homme se rapproche de Dieu et s'habitue à le servir; l'accomplissement d'un autre commandement lui paraît alors plus facile, quand bien même demanderait-il plus d'effort que le premier. Mieux encore, parce qu'il a déjà habitué sa nature au travail des commandements, lorsqu'il devra en accomplir un deuxième puis un troisième, même s'ils lui coûtent beaucoup plus d'efforts que le premier, il les accomplira cependant aisément pour la raison que l'habitude gouverne l'homme, et lorsque celle-ci le gouvernera de manière particulièrement forte il accomplira alors tous les commandements. « La transgression entraîne une [autre] transgression » est aussi un phénomène naturel, puisqu'après avoir commis une

RABBÉNOU YONA : «

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transgression et s'être éloigné du service de Dieu, il viendra à en commettre une deuxième, quand bien même son penchant ne l'y incite pas autant qu'il l'incitait à commettre la première, car c'est son tempérament, lequel se forme sous l'effet du penchant, qui le gouverne alors; et même s'il n'a pas grand désir de la chose, il commettra cependant toutes les transgressions pour la seule raison que sa nature est habituée à commettre toutes les abominations que Dieu hait. « Car le salaire du commandement est le commandement » : Ben Azaï invoque ici une raison autre que la nature à son propos. Il veut dire que le Saint, béni soit-Il, n'a pas remis entre les mains de l'homme le bien et le mal mais uniquement le libre choix, ainsi qu'il est dit: « C'est la vie et la mort que J'ai placées devant toi, la bénédiction et la malédiction, et tu choisiras la vie afin de vivre, toi et ta descendance» (Deut. 30:19). Et puisque Dieu a déjà décidé du chemin que l'homme doit suivre, si celui-ci s'engage dans la voie du bien, Dieu sera avec lui et lorsqu'il accomplira un commandement Il l'aidera à en accomplir un deuxième, car de lui-même l'homme est impuissant aussi à faire le bien. C'est pourquoi il est dit que « le salaire du commandement est le commandement et le salaire de la transgression la transgression )', mais cela ne signifie pas, Dieu nous garde, que ce serait là leur salaire! Car dans ce cas que recevraiton ? Il est donc clair que le salaire des commandements demeure pour le monde à venir '. Mais il veut dire que le fruit du commandement est le commandement, et que l'on en mange les fruits dans ce monde en ce que Dieu nous aide à accomplir d'autres commandements, tandis que le capital de notre salaire augmente et demeure pour le monde à venir. Tel est le sens du verset: « Ils disent au juste qu'il est bon car c'est le fruit de leurs actes qu'ils mangeront» (Is. 3:10). « Et le salaire de la transgression est la transgression» : 6. Voyez à l'inverse le commentaire de Rabbi Hayim de Volozyne au début de ce livre, à propos de la formule: " Tout Israël a part au monde à venir », et note suivante.

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si l'on choisit la voie de la mort et du mal et que l'on commet une transgression, le Saint, béni soit-Il, s'éloigne de nous et nous abandonne aux mains de notre nature mauvaise. Tel est le fruit qui germe de la transgression: l'abandon qui nous amène à en commettre une autre, car il n'est pas au pouvoir de l'homme de se détourner de ce chemin [une fois qu'il s'y est engagé]. En effet le chemin qu'un homme suit ne lui appartient pas du fait que Dieu a décidé pour lui par avance du chemin qu'il convient de suivre, et tel est le sens du verset : « Le malheur du méchant est le mal, car c'est la rétribution de ses actes qui lui sera rendue» (ibid. 11). Nos maîtres ont ainsi déclaré à ce sujet: « Qui veut se purifier, on l'aide à ce faire; mais qui veut se rendre impur, on lui en offre tous les moyens» (Chab. 104a, A.Z. 55a, etc.) ; autrement dit, celui qui veut se rendre impur ne reçoit pas une aide qui le détournerait de son intention, mais lui sont données au contraire maintes occasions de la réaliser; il ne pourra dès lors que s'enfoncer toujours dans la même voie et mal agir, puisqu'il a été abandonné à ce qui paraît droit à ses yeux. Nous avons donné une explication suffisante du propos de Ben AzaÏ dans l'Introduction du dixième chapitre de la Michna Sanhédrin 7. Et les sages ont déjà éveillé notre attention à ce phénomène extraordinaire que l'on trouve dans la Torah, à savoir qu'elle comporte une dimension d'empressement dans l'accomplissement des commandements. Car il est écrit: « Alors Moïse distingua trois villes sur la rive orientale du Jourdain, afin que puisse s'y réfugier le meurtrier qui aurait tué son prochain involontairement, etc. » (Deut. 4:41-42), or l'on sait que ces villes ne servaient à rien et n'avaient pas le statut de villes de refuge tant que n'avaient pas été distinguées trois autres villes [ayant même office] en terre de Canaan. Et nos sages ont dit que Moïse savait pertinemment que ces trois villes situées à l'est du

RAMBAM :

7. Cf. chap. 1, note 2.

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Jourdain ne pouvaient servir de refuge au meurtrier involontaire tant que trois villes de ce genre n'existaient pas en terre de Canaan, puisqu'il est dit: « Vous disposerez de six villes de refuge» (Nomb. 35:14), or ces dernières ne pouvaient pas encore être distinguées à cette heure [puisqu'Israël n'avait pas encore pénétré en terre de Canaan] ; mais parce qu'un commandement s'était présenté à lui, il s'était dit: Je l'accomplirai (cf. Mak. 10a). Or, si Moïse notre maître, le plus parfait des hommes, celui qui a atteint la vérité, s'est efforcé d'ajouter l'accomplissement d'un demi-commandement à son élévation et à sa perfection, combien est-ce plus nécessaire encore à ceux dont l'âme est souillée et conserve cette souillure en vieillissant !

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Michna 3. Il disait: Ne sois méprisant envers aucun homme et ne mésestime aucune parole, car il n'est pas d'homme qui n'ait son lieu ni de parole qui n'ait son heure.

Il déclare qu'il y a nécessairement pour tout homme un moment au cours duquel il peut te nuire ou te procurer des avantages, serait-ce même par la plus petite des choses ou par ce qui a la plus infime valeur; et si tu l'as auparavant méprisé, il te nuira en te portant un préjudice quelconque.

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Michna 4. Rabbi Lévitas de Yabné dit: Sois très, très effacé car l'espérance de l'homme c'est la vermine.

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Rabbi Yohanan fils de Beroka dit: Quiconque profane le nom des cieux en secret devra rendre des comptes en public; agir par mégarde ou délibérément revient au même dans la profanation du Nom.

Nous avons indiqué dans les chapitres précédents (i.e. Introduction au Traité Avot, chap. 4) que l'humilité est l'une des suprêmes dispositions saines et qu'elle est la juste moyenne entre l'orgueil et l'effacement de soi. Cette vertu a pour nom en hébreu ;-1))Y, tandis que l'orgueil (ml'o) a de nombreux synonymes: :JJ il)) - fierté, nmi O')'Y - arrogance, i1l'O - suffisance, Di - être hautain; et les sages lui ont donné d'autres noms encore parmi lesquels: m)) nn infatuation, min mo) - fatuité, nN)lln - vanité. Et à l'extrême opposé de l'orgueil on trouve l'effacement de soi nnn ll1'!)"'. Nous avons de plus eu l'occasion d'expliquer au cours du chapitre 4 de notre introduction, qu'il convient en général de pencher davantage vers l'un des deux extrêmes dans le but de border d'une « haie» sa conduite et de se tenir ainsi en permanence dans la voie moyenne. La question de l'orgueil fait cependant exception au regard de toutes les autres formes de conduite, car du fait de la gravité de ce vice selon le jugement des sages qui connaissent le préjudice qui en résulte, ils ont poussé l'éloignement de l'orgueil jusqu'à son extrême opposé et ont penché vers un total effacement de soi, afin que ne reste absolument aucune trace d'orgueil en l'âme. Dans un livre de morale j'ai lu que l'on demandait à un homme intègre: Quel fut le plus beau jour de ta vie? Il répondit: Un jour où je voyageais en bateau et que j'occupais l'endroit le plus inférieur du navire. J'étais alors vêtu de haillons alors que sur le même bateau voyageaient aussi des commerçants et des hommes prospères. Or tandis que j'étais allongé à ma place l'un des voyageurs se leva pour satisfaire ses besoins. La vue de mon infériorité et de la médiocrité de mon état l'affecta tant qu'il se déculotta et urina sur moi. J'étais tellement stupéfait de l'emprise de l'arrogance sur son

RAMBAM :

CHAPITRE IV - MICHNA 4

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âme que je ne fus même pas peiné de son acte et qu'il n'éveilla en moi aucun sentiment. Alors j'ai éprouvé une très grande joie en constatant que j'étais parvenu au point où ne m'irritait nullement le mépris que me témoignait cet individu taré et où je ne faisais même plus attention à lui. Il n'y a pas de doute que c'est là la limite extrême de l'effacement de soi auquel peut nous porter l'éloignement de l'orgueil. Je vais rapporter maintenant une partie de ce que les sages ont dit touchant l'éloge de l'humilité et la réprobation de l'orgueil, ce qui amena Ben Azaï à nous enjoindre de s'approcher de l'effacement de soi en disant: « Sois très, très effacé », de crainte qu'en restant dans les limites de l'humilité il ne demeure en nous un reste d'orgueil, car l'humilité est proche de celui-ci dans la mesure où elle est une disposition moyenne comme nous l'avons expliqué. Les sages louèrent l'humilité en disant Ger. Chab. 1:3) : Parce que la Torah a fait de la sagesse une couronne pour son front, elle a fait de l'humilité l'empreinte de sa grandeur selon le verset: « Le commencement de la sagesse est la crainte de Dieu» (Ps. 111:10). Ce qui prouve que la crainte de Dieu est plus élevée que la sagesse et qu'elle est la cause de son existence; et il est dit: « L'empreinte de l'humilité est la crainte de Dieu » (Prov. 22:4) ; autrement dit, la crainte de Dieu prend naissance au bord de l'humilité, si bien qu'en conclusion l'humilité est beaucoup plus grande que la sagesse. Et ils ont dit (cf. Meg. 31a) qu'à chaque fois qu'il est fait mention de la puissance du Saint, béni soit-Il, il est aussitôt fait mention de son humilité et qu'il en est question une première fois dans la Torah, une deuxième fois dans les Prophètes, et une troisième fois dans les Hagiographes. Il est écrit dans la Torah: « Le Dieu grand, puissant et redoutable », et il est dit ensuite: « Il rend la justice pour la veuve et pour l'orphelin, Il aime l'étranger et lui donne pain et vêtement» (Deut. 10:17-18). Le fait se répète dans les Prophètes: « Ainsi parle Celui qui est élevé et suprême, demeurant éternellement, dont le nom est saint, résidant dans les hauteurs de la sainteté », et il est écrit ensuite: « Je suis aux côtés de l'humilié et

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de l'effacé pour donner vie aux humbles et aux cœurs brisés " (Is. 57:15). Et il se répète une troisième fois dans les Hagiographes: « Louez Celui qui chevauche les nues dont le nom est puissance 8 » et il est dit ensuite: « Le père des orphelins, le défenseur des veuves» (Ps. 68:5-6). Prends de plus exemple sur Moïse notre maître qui était parfait dans toutes les dispositions morales et intellectuelles, outre qu'il avait été élevé jusqu'à la prophétie, père en sagesse, J'ère en prophétie et père en Torah; or au lieu de tout cela l'Ecriture ne l'a loué que pour son humilité, comme il est dit: « L'homme Moïse était très humble, plus que tout homme sur la terre » (Nomb. 12:3). Les sages ont dit que le mot « très» (ïNn) dénote le fait de pencher vers l'autre extrême, et l'on trouve écrit de même: « Que sommes-nous? » (Ex. 16:7). David pareillement - « l'oint du Dieu de Jacob, le chantre des cantiques d'Israël» (II Sam. 23:1), le roi dont les ordres sont obéis, dont l'Éternel a élevé le règne, qu'Il a rendu victorieux et qu'Il avait promis à Israël par l'intermédiaire de Moïse notre maître en disant: « Une étoile filera de Jacob ,) (Nomb. 24:17), ainsi que l'ont expliqué nos maîtres (cf. Targoum Onke/os), le prophète, le prince de soixantedix Anciens, ainsi qu'il est dit: « Voici les noms des puissants de David siègeant dans l'assemblée de la sagesse» (II Sam. 23:8 et cf. M.Q. 16b) -le même David déclare malgré tout cela à son propre sujet: « Un souffle cassé, un cœur brisé et humilié» (Ps. 51 :19). Et nombreuses sont les expressions de cette sorte témoignant d'une absolue humilité. Quant à l'orgueil, les sages dirent (cf. Sota 4b) que tout homme qui s'enorgueillit, c'est comme s'il adorait une idole, car il est écrit: « Tout orgueil est une abomination pour l'Éternel» (Prov. 16:5), et il est écrit ailleurs: «Ne fais entrer aucune abomination (i.e. idole) dans ta maison» (Deut. 7:26). Ils ont dit encore que c'est comme s'il reniait le Fondement, selon le verset: «Ton cœur deviendra hautain et tu oublieras 8. Litt. les deux premières lettres du Tétragramme, nous suivons l'explication de Rachi ad. loc.

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l'Éternel ton Dieu qui t'a fait sortir d'Égypte, de la maison d'esclaves » (ibid. 8:14). Ils ont déclaré aussi que le dévoiement d'orgueil est semblable à la transgression de toutes les unions interdites, car il est dit: « Tout orgueil est une abomination pour l'Éternel » (Prov. 16:5), et il est écrit ailleurs au sujet des unions interdites: « Car ils ont commis toutes ces abominations » (Lev. 18:27). Et ils ont ajouté que la vanité est semblable pour l'Éternel à l'idolâtrie elle-même, sur la base du verset: « Vous cesserez alors de faire l'homme qui a une âme dans le nez » - ce qui désigne l'infatuation - « car pour quoi (noj) se prend-il? » (Is. 2:22) - ils ont dit: Ne lis pas bamé mais bima (i.e. il se prend pour un « autel »). Les sages dirent encore qu'il conviendrait de tuer l'homme qui s'enorgueillit et ils déclarèrent (cf. Sota Sa) qu'il convient d'abattre tout homme infatué comme on abat un arbre de Achéra [relatif à l'idolâtrie], car il est dit: « Les gens de haute taille seront abattus » (Is. 10:33), et il est écrit ailleurs: « Vous abattrez leurs arbres de Achéra » (Deut. 7:5). Ils expliquèrent aussi que l'Éternel ne ressuscitera pas les orgueilleux au moment de la résurrection des morts, en disant de l'homme infatué que sa poussière ne s'éveillera pas; car il est écrit: « Que revivent tes morts et que se dressent mes cadavres, ceux qui voisinent avec la poussière s'éveillent et chantent » (Is. 26:19), et l'on peut constater que le prophète n'évoque pas ceux qui reposent dans la poussière en général, mais seulement « ceux qui voisinent avec la poussière », ce qui désigne ceux qui ont voisiné avec la poussière pendant leur vie, c'està-dire les humbles, ceux-là seuls revivront. Enfin, ils ont poussé les choses à l'extrême en disant que la Chekhina pleure l'homme infatué, comme il est dit: « Car l'Éternel est élevé mais Il voit l'humble, tandis qu'Il sait par avance le châtiment de l'orgueilleux » (Ps. 138:6). Et il existe encore bien d'autres jugements de cette sorte dans leurs paroles, comme par exemple (cf. Sota sb) que la lèpre est le châtiment des vaniteux, puisqu'il est dit: « Voici l'enseignement relatif à toute plaie et lèpre [...] à l'enflure, au dartre, etc. » (Lev. 14:54-56) ; or il n'est d'enflure que celle du cœur, car il est

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dit: « Voici le jour où l'Éternel rendra leur dû à tous les gens vaniteux et hautains [...] à tous les monts élevés et à toutes les collines enflées» (Is. 2:14). Comme si la Torah voulait dire que le « dartre» est réservé à celui qui est « enflé" de sa personne. Enfin les sages ont dit pour finir au nom de Rava : « Anathème pour celui qui en a et anathème pour celui qui n'en a pas» (Sota 5a); ce qui signifie qu'il ne faut pas pousser à l'extrême l'effacement de soi, car celui-ci n'est pas au nombre des vertus. Ils ont donc donné la mesure qui convient à ce sujet en la nommant métaphoriquement « un soixante-quatrième ". A savoir que si l'on pose comme premier extrême l'orgueil puis comme extrême opposé l'effacement de soi, et que la distance entre les deux soit divisée en soixante-quatre intervalles, l'homme doit se tenir sur le soixante-troisième intervalle à l'opposé de l'orgueil. Les sages ont donc refusé la voie moyenne en ce domaine afin d'éloigner l'homme de l'orgueil; en ce sens, celui auquel manquerait l'un desdits intervalles et s'approcherait de l'orgueil serait frappé par l'anathème. Telle est la démarche de Rava sagissant de la question de l'humilité. Mais Rav Nahman a tranché en disant qu'il ne faut en aucun cas qu'il y ait en l'homme la moindre trace d'orgueil, qu'elle soit importante ou infime, car cette faute n'est pas mince. Une disposition qui rend, en effet, l'homme odieux auprès de l'Éternel, comment pourrait-on s'en approcher si peu que ce fût! Ils ont dit, en conséquence, au nom de Rav Nahman fils d'Isaac: « Ni lui (i.e. l'orgueil), ni sa plus infime partie, car il est écrit: " Tout orgueil est une abomination pour l'Éternel" (Prov. 16:5). " C'est pourquoi, à cause de la gravité de ce dévoiement, il est affirmé ici: « Sois très, très effacé, car l'espérance de l'homme c'est la vermine ", autrement dit: corrige-toi de manière à te détacher de l'orgueil en méditant le sort de ton corps qui finira en vermine. Quiconque profane le nom des cieux en secret », en commettant une transgression en secret, « devra rendre des comptes en public" : le Saint, béni soit-Il, dévoilera sa

RACHI : «

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honte au monde, comme il est dit: « Celui qui recouvre la haine d'obscurité, son infamie sera dévoilée en public» (Prov. 26:26). Et tout cela pourquoi? Pour que le nom des cieux ne soit pas profané à cause de lui, c'est-à-dire pour que les gens ne s'exclament pas: J'ai vu qu'un tel, qui est sage et fait tant de bonnes actions, a été frappé de tel et tel malheur ! En conséquence, commettre par mégarde ou délibérément une profanation du Nom revient au même: le Saint, béni soit-Il, le dévoile à tous. Tu sais par l'Écriture que la faute commise par mégarde est un dévoiement et qu'elle nécessite donc une expiation à travers un sacrifice, au sujet duquel il est dit: « L'Éternel lui pardonnera la faute qu'il a commise » (Lev. 19:22, cf. ibid. 5:10). Mais il ne fait aucun doute qu'une faute commise par mégarde n'est pas semblable à un dévoiement intentionnel, car ce serait faire insulte à Sa justice que d'assimiler de quelque façon que ce soit un acte intentionnel avec un acte qui ne l'est pas. Rabbi Yohanan fils de Beroka dit donc ici à propos de la profanation du Nom: qu'elle soit commise délibérément ou par mégarde, c'est publiquement que son auteur devra rendre des comptes. S'il a agi délibérément il sera châtié pour une faute délibérée, et s'il a agi par mégarde il sera châtié pour une faute de cette nature, cependant que [malgré leurs différences] les deux châtiments seront publics.

RAMBAM :

Quand Dieu juge les injustes et applique la sentence qui leur revient, sa gloire dans le monde en est grandie. Ainsi, celui qui a profané le nom de sa gloire, il convient que Dieu le juge de manière à grandir sa gloire au regard de la profanation qu'il a commise, afin qu'à travers ce jugement Il rende à sa gloire sa grandeur première. C'est pourquoi celui qui profane le nom des cieux en secret devra rendre des comptes en public, afin que tous sachent que Dieu juge ce fauteur qui a profané le nom de sa gloire. Et lorsque Dieu le châtie, Il fait en sorte que soit connue sa faute et le

MAHARAL DE PRAGUE:

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fait qu'il a profané sa gloire [...J, alors sa gloire grandit dans le monde au regard de la profanation commise.

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Michna 5. Rabbi Ismaël son fils dit: A celui qui étudie afin d'enseigner est donné d'étudier et d'enseigner, mais à celui qui étudie afin d'accomplir est donné d'étudier, d'enseigner, de garder et d'accomplir. Rabbi Tsadok dit: Ne fais pas de la Torah une couronne pour t'ennoblir ni une pioche pour creuser. Car comme le disait Hillel : « Qui cherche un profit dans la couronne se perd », ce qui t'enseigne que celui qui tire profit des paroles de la Torah ôte sa vie du monde.

A celui qui étudie afin d'enseigner, etc. » : il ne s'agit évidemment pas de celui qui étudierait afin d'enseigner mais non d'accomplir, car à celui-là ne serait donné ni d'étudier ni d'enseigner; mais il est question ici de celui qui étudierait dans l'intention d'observer le permis et l'interdit en appliquant ce qu'il trouve écrit littéralement, et sans peiner ni réfléchir beaucoup au cas où certaines choses permises seraient peut-être interdites, car il prend les choses comme elles se donnent. Sa pensée est donc la mesure de ce qui lui sera donné de réaliser, à savoir uniquement étudier et enseigner. «A celui qui étudie afin d'accomplir est donné d'étudier, d'enseigner et d'accomplir» : son intention est de discuter tout ce qu'il étudie afin d'en connaître la vérité, et il est résolu

RABBÉNOU YONA : «

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à peiner plusieurs jours et plusieurs années pour comprendre fût-ce une petite chose, et se conduire d'après la vérité; celuilà étudie afin d'accomplir, car sa pensée vise essentiellement l'accomplissement seul dans ce qu'il a d'authentique. C'est pourquoi il lui est donné d'étudier, d'enseigner et d'accomplir, car tout est inclus dans l'accomplissement. RAMBAM : J'avais

pensé d'abord ne pas parler de l'injonction de Rabbi Tsadok parce qu'elle est tout à fait claire, et parce que je sais par avance que ce que j'en dirai ne plaira nullement à la plupart des grands de la Torah, sinon à tous. Mais je me suis décidé à en parler quand même, sans prêter attention ni me soucier de mes devanciers ou de mes contemporains. Sache que ce propos de Rabbi Tsadok : « Ne fais pas de la Torah une pioche pour creuser », signifie: ne la considère pas comme un moyen de subsistance; et il poursuit en expliquant lui-même que quiconque tire profit de la gloire de la Torah en ce monde retranche son âme de la vie du monde à venir. Mais les gens ont été aveuglés par son expression qui est pourtant claire et l'ont dédaignée, ils ont pris ses paroles à la lettre de sorte qu'elles sont devenues incompréhensibles, et il me faut donc les expliquer. Certains ont instauré qu'ils avaient des droits sur les particuliers et sur les communautés, et ils ont transformé la tutelle de la Torah en taxe réglementée; et les gens ont pensé avec une parfaite crédulité que c'était un devoir pour eux et une nécessité d'aider les sages, les disciples et les gens qui s'occupent de Torah et pour lesquels leur Torah est leur ouvrage. Or, tout cela n'est qu'une erreur qui n'a aucun fondement dans la Torah et ne repose absolument sur aucune base. Car si l'on prend soin d'observer ce qui nous est rapporté des agissements des sages, on constatera qu'on ne les voit jamais en train de se faire payer par les gens, ni en train de recueillir des aumônes en faveur des yechivot (académies d'étude) éminentes et renommées, qu'il s'agisse des exilarques, des juges, des enseignants de la Torah, des dirigeants et des autres hommes. On constate, en revanche, que ccr-

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tains d'entre eux connaissaient un sort des plus misérables tandis que d'autres étaient extrêmement riches. Et je n'entends pas dire par là, que l'on me fasse grâce d'une telle idée, qu'ils n'étaient pas des hommes généreux, pratiquant la charité; car celui qui connaissait un sort misérable n'avait qu'à tendre la main pour que les autres remplissent sa maison d'or et de pierres précieuses. Mais ils n'en voulaient pas et préféraient travailler pour se procurer leur subsistance, aussi bien dans l'abondance que dans la misère, et ils dédaignaient les biens des autres hommes car la Torah les empêchait de les accepter. Et tu sais déjà (cf. Yoma 3sb) qu'Hillell' Ancien était bûcheron de profession et qu'il étudiait devant Che maya et Abtalion dans une pauvreté totale; or, sa grandeur était connue puisque ses disciples étaient alors comparés à Moïse et à Josué, et que le plus petit d'entre eux était Rabban Yohanan fils de Zakaï (cf. Souk. 21a, B.B. 134a). Et il ne fait aucun doute pour tout homme sensé, que, si Hillel avait accepté que les gens se montrent généreux envers lui, jamais ceux-ci ne l'auraient laissé travailler comme bûcheron. Et Hanania fils de Dossa, au sujet duquel «un écho de la voix proclama: Le monde entier n'est nourri que grâce à Hanania Mon fils et Hanania Mon fils se contente d'une mesure de caroube par semaine chaque veillée de chabat » (Ber. 17b, Taan. 24b, Houl. 86a) ne demandait rien aux hommes. De même, Kama, qui était juge de tout le pays d'Israël, était puiseur d'eau; et lorsque les parties paraissaient en jugement devant lui, il leur disait: Soit vous me trouvez un remplaçant pour puiser l'eau pendant que je m'occupe de votre affaire, soit vous me donnez la valeur correspondant à l'arrêt de mon travail et je jugerai pour vous (cf. Ket. 10Sa). Or, les enfants d'Israël qui vivaient à leur époque n'étaient ni cruels ni dénués de générosité; et nous n'avons pas non plus l'exemple d'un seul sage dont le sort était misérable dénigrant les gens de sa génération parce qu'ils ne l'enrichissaient pas -loin d'eux une telle attitude! Mais ils étaient gens intègres, croyant en la vérité pour ellemême, croyant en l'Éternel et en la Torah de Moïse notre

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maître, grâce à laquelle l'homme accède au monde éternel, et ils ne se sont jamais permis de demander de l'argent aux hommes. Ils voyaient en cela, en effet, une profanation du Nom aux yeux du peuple, car les gens auraient alors pensé que la Torah est une profession comme une autre qui sert à nourrir son homme, et elle en serait devenue méprisable à leurs yeux; et à celui qui aurait agi ainsi s'appliquait le verset: « Il a méprisé la parole de l'Éternel» (Nomb. 15:11). Ceux qui refusent la vérité et récusent les énoncés parfaitement clairs rapportés précédemment se sont égarés en prenant aux hommes leur argent, avec ou même sans leur consentement, à cause des histoires qu'ils avaient lues dans le Talmud au sujet d'individus souffrant d'infirmités corporelles ou bien particulièrement âgés, au point de ne pouvoir travailler, et qui n'avaient d'autre moyen de vivre que de recevoir de l'argent des autres. Et que voulait-on qu'ils fassent? Qu'ils se laissent mourir? Cela, la Torah ne les y obligeait pas. Le fait dont ils s'inspirent - tu le constateras - est qu'il est dit que le verset: « Elle (la Torah) est semblable aux bateaux de commerce, elle fait venir de loin son pain» (Prov. 31:14) s'applique à ceux qui souffrent d'infirmités et ne peuvent travailler (cf. BM 84b). Cependant, celui qui est capable de pourvoir à sa subsistance n'a pas à chercher pareille voie dans la Torah! A l'inverse, Rav Yossef, la paix soit sur lui, était porteur de poutres et disait que « le travail est une grande chose car il réchauffe son homme » (Guit. 67b), autrement dit: au moment où ses membres peinaient (que soit glorifié leur repos) en transportant de lourdes poutres, ils réchauffaient bien entendu son corps, et il en était content et s'en réjouissait; il était ainsi satisfait du sort qui lui était fait, car il y trouvait son contentement. l'ai déjà aussi entendu les sots en question justifier leur conduite en invoquant le principe : « Que celui qui veut profiter profite comme Élisée, et que celui qui ne le veut pas ne le fasse pas comme Samuel » (Ber. lOb), mais il n'y a aucun rapport entre ce propos et leur conduite; et ce procédé est au contraire, à mes yeux, une tromperie flagrante, car le

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propos des sages est clair et n'offre aucune possibilité d'erreur. Élisée ne recevait en effet aucun argent des hommes; à plus forte raison n'en demandait-il pas ni n'obligeait-illes autres à lui payer l'impôt, qu'on lui fasse grâce d'une telle chose! Il se contentait seulement d'accepter les marques d'honneur qu'on lui témoignait; ainsi, lorsqu'il voyageait et qu'on lui offrait l'hospitalité, il logeait et mangeait alors chez son hôte une nuit ou un jour, puis s'en retournait à ses affaires (cf. II Rois 4:8). Tandis que Samuel ne pénétrait dans la maison d'aucun homme et ne mangeait jamais le pain d'autrui. C'est à ce sujet que les sages ont dit: les disciples des sages qui voudraient ressembler à l'un d'eux et ne pénétrer dans la maison d'aucun homme ont permission de le faire ; et s'ils sont invités chez quelqu'un : lorsqu'ils sont pressés par la nécessité, quand ils voyagent ou lors d'une circonstance semblable, il leur est aussi permis d'accepter l'invitation de leur hôte. Car les sages ont déjà préconisé de ne manger à la table d'autrui que si c'est nécessaire et ils ont déclaré: « Tout disciple des sages qui prend de multiples repas en tout endroit finira par détruire sa maison, par rendre veuve sa femme et orphelins ses enfants, par oublier son étude, etc. » (Pes. 49a). Et ils ont ajouté: « Tout banquet qui n'est pas lié à la célébration d'un commandement, il est interdit à un disciple des sages d'en profiter » (ibid.). Mais pourquoi m'étendre davantage sur ce sujet? Il me suffit de rapporter l'histoire mentionnée et explicitée par le Talmud (cf. Ned. 62a), et qui veut disputailler et récuser agira comme bon lui semble. C'est l'histoire d'un homme qui avait un vignoble que des voleurs pillaient régulièrement. Chaque jour, il inspectait sa vigne et constatait que le nombre des raisins diminuait et qu'il en manquait. Depuis qu'un voleur s'était intéressé à son vignoble, celui-ci ne lui suffisait plus et il s'en désola affreusement jusqu'à l'époque des vendanges. Il récolta alors ce qui restait, puis étala ses raisins à terre pour les faire sécher et les recueillir ensuite une fois séchés. Or les gens ont l'habitude, lorsqu'ils recueillent

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ces fruits secs, d'abandonner les petites figues ou les grains de raisins tombés à terre; il est donc permis à tout homme de les manger puisque, leur propriétaire les ayant volontairement abandonnés du fait de leur petit nombre, ils sont à la disposition du premier venu. Or, voici qu'à l'occasion Rabbi Tarfon pénétra un jour dans ce vignoble, s'assit pour recueillir les raisins secs qui étaient restés à terre et les mangea. Le propriétaire survint à ce moment et pensa qu'il avait affaire à son voleur qui l'avait dépouillé toute l'année, car il ne connaissait Rabbi Tarfon que de nom. Il se précipita, se jeta sur lui, l'empoigna et le mit dans un sac; puis il plaça le sac sur son dos et courut à la rivière pour l'y jeter. Lorsque Rabbi Tarfon comprit qu'il était perdu, il cria à pleine voix: Malheur à toi, Rabbi Tarfon, car celui-là va te tuer! A ces mots, le propriétaire du vignoble s'arrêta net, l'abandonna et s'enfuit en s'apercevant qu'il avait commis une énorme méprise. Mais tout le restant de sa vie, Rabbi Tarfon souffrit et s'attrista de cet épisode au cours duquel il avait sauvé sa vie grâce à la gloire de la Torah, alors qu'il était personnellement très riche et qu'il aurait pu lui dire aussi bien: Laisse-moi la vie et je te donnerai tant et tant de dinars, sans lui faire savoir qui il était, sauvant ainsi sa vie grâce à son argent et non grâce à la gloire de la Torah. Les sages rapportèrent à son propos: « Toute sa vie ce juste se lamenta de cet épisode en disant: Malheur à moi! J'ai profité de la couronne de la Torah et qui en profite est arraché du monde! » Et les sages en donnèrent la raison: « Car Rabbi Tarfon était très riche et qu'il aurait pu apaiser l'homme avec de l'argent. » [Autre exemple,] notre maître le saint [Rabbi], la paix soit sur lui, ouvrit ses réserves de blé lors d'une année de famine et proclama: Qui veut recevoir de la nourriture n'a qu'à venir la chercher, à condition qu'il soit disciple des sages. Vint Rabbi Yonathan fils d'Amram et il se présenta devant lui, alors que Rabbi ne le connaissait pas. Il lui dit: Donne-moi de quoi me nourrir. A quel niveau d'étude en es-tu? demanda Rabbi. Il lui répondit: Nourrismoi comme sont nourris le chien et le corbeau - c'est-à-

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dire, même si je n'ai pas étudié, car de même que l'Éternel nourrit l'animal impur et l'oiseau impur, fais-en autant pour moi, un homme du vulgaire ne vaut pas moins qu'un animal. Il lui donna donc ce qu'il lui demandait. Mais il se repentit après coup de s'être laissé séduire par ses paroles et s'exclama : Malheur à moi, le vulgaire a profité de mes biens! Ceux auxquels il conta l'épisode lui dirent: Peut-être s'agit-il en réalité de Rabbi Yonathan fils d'Amram, ton disciple, qui évite de profiter de la gloire de la Torah par tous les moyens, y compris la ruse. Ils enquêtèrent et constatèrent que c'était effectivement le cas. Ces deux récits suffiront à faire taire tous ceux qui veulent disputer sur ce sujet. La Torah a permis, en revanche, aux disciples des sages, de confier de l'argent à un homme afin qu'il le fasse fructifier à son gré s'il accepte; et celui qui agirait ainsi recevrait un salaire pour son acte (cf. Ber. 34b, Ket. l11a, Sanh. 99a) et tel est le sens de leur propos: « Quiconque prend en charge l'approvisionnement de la poche des sages méritera de s'asseoir dans la yéchiva (académie) d'en haut » (Pes. 53b). Elle leur a permis aussi de vendre leurs marchandises les premiers au marché, avant tous les autres commerçants (cf. BB 22a) et d'être aussi servis les premiers. Et l'Éternel a instauré ces privilèges en leur faveur, de même qu'Il a instauré des donations pour le prêtre et des dîmes pour le lévi, ainsi que nous l'apprend la transmission orale. Car ces deux types de comportements sont aussi pratiqués parfois par les commerçants entre eux pour se témoigner de l'estime, sans qu'il soit question de la sagesse, et il convient qu'un disciple des sages soit au moins à cet égard comme un homme du vulgaire que l'on honorerait. Pareillement, la Torah a exempté tous les disciples des sages des taxes d'État, comme l'impôt, les frais d'hébergement de l'armée et les taxes qui pèsent sur chaque individu en particulier et que l'on nomme « la capitation ». C'est la communauté qui doit se charger de les payer à leur place, de même que la construction des murailles de la ville et autres dépenses semblables (cf. B.B. 7b). Et même si un disciple des sages est extrêmement riche, il n'en est pas

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moins absolument quitte de tout cela. Rabbénou Yossef Halévi a déjà établi ce point à propos d'un habitant d'Espagne qui possédait des vergers et des vignobles valant des milliers de dinars, qu'il a cependant exempté d'impôt car il était disciple des sages, alors même que le plus pauvre des Juifs était contraint de le payer. C'est là un jugement de la Torah, et la Torah a pareillement exempté les prêtres de payer le demi-sicle d'argent annuel au Temple, comme nous l'avons expliqué à l'occasion (M. Chekalim 1:4), et de même pour tout ce qui est de cet ordre.

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Michna 6. Rabbi Yossé dit: Qui respecte la Torah, son corps est tenu en respect par les créatures; mais qui profane la Torah, son corps est profané devant les créatures.

Respecter la Torah» c'est respecter ses commandements et se montrer empressé pour les accomplir, c'est respecter les sages qui la font exister et les livres écrits à son sujet. « Profaner la Torah » c'est faire l'inverse de ces trois choses.

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Michna 7. Rabbi Ismaël son fils dit: Celui qui s'épargne la fonction de juge se délivre de la haine, du vol et du vain serment; celui qui s'enorgueillit dans l'enseignement est un fou, un méchant homme et un fat.

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Rabbi Ismaël fils de Rabbi Yossé dit: Celui qui s'épargne la fonction de juge, etc. », bien qu'il est écrit: « Tu te donneras des juges et des agents exécutant leurs décisions dans toutes tes portes» (Deut. 16:18) et « tu chercheras la justice la plus juste» (ibid. 20), car c'est un commandement de juger les affaires des hommes. Cela n'est vrai que lorsqu'il n'y a pas d'autres juges sur la place; et tant que l'on peut s'épargner la fonction de juge, il vaut mieux en laisser la charge aux autres et se tenir éloigné de nombre d'indécisions. « Il se délivre de la haine », car celui que le tribunal rend coupable sort en haïssant ses juges; « du vol », car il peut lui arriver d'obliger quelqu'un à payer alors qu'il n'est pas coupable, et sa sentence pèse dès lors sur lui comme s'il l'avait personnellement volé; « du vain serment », car il se peut qu'il oblige quelqu'un à jurer dans un cas où il n'a pas à le faire, et il l'aura alors fait trébucher par un vain serment. « Celui qui s'enorgueillit dans l'enseignement» : Rabbi Ismaël a fait suivre son précédent propos concernant celui qui s'épargne la fonction de juge, par celui qui en est l'exact opposé. Car qui refuse d'être juge veut s'épargner la charge d'une décision qui demande patience et longue réflexion, tandis que celui qui enseigne avec vanité pense qu'il sait enseigner la règle à suivre et qu'il ne saurait se tromper, or une telle attitude montre qu'il est fou. Car est appelé « fou» qui est sage à ses propres yeux, et il n'y a pas plus fou que celui-là puisqu'à côté de lui, même l'imbécile a encore de l'espoir. En effet, l'imbécile qui commet des transgressions n'ignore pas qu'il ne suit pas le bon chemin et il ne s'imagine pas qu'il ne se trompe pas. Il y a donc encore un espoir pour lui, car il peut revenir vers Dieu. Celui qui se prend pour un sage, en revanche, et qui s'enorgueillit dans l'enseignement, quel espoir lui reste-t-il puisqu'il se croit sage? Comment pourrait-il revenir puisque cela signifierait à ses yeux l'abandon de la sagesse et de la connaissance? Et il est aussi un « méchant homme» car, même après l'avoir qualifié de fou, Rabbi Ismaël n'a pas exclu qu'il pouvait craindre la faute. C'est pourquoi il est contraint d'ajouter qu'il est

RABBÉNOU YONA : «

CHAPITRE IV - MICHNA 8

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«méchant» (Y\!Jl), car s'il craignait les cieux il ne se précipiterait pas tant pour parler, sachant que l'erreur est fréquente chez les hommes et que l'homme est toujours près de se tromper. Et après l'avoir qualifié de fou et avoir dit qu'il ne craint pas la faute, il ajoute qu'un sage qui s'enorgueillit, fûtil particulièrement grand et avisé, montre par sa vanité et son infatuation qu'il ne cherche que le pouvoir et que sa prétention à l'enseignement n'a d'autre but que d'impressionner le monde par la rapidité avec laquelle il tranche une affaire, et de montrer aux autres qu'il est sage afin qu'ils le nomment à leur tête et en fassent leur maître. Telle est sa sordide pensée. Ces trois choses sont donc propres à celui qui enseigne avec vanité et décide sans crainte ni peur. Que le Lieu nous délivre de ce genre d'hommes par Sa grande pitié. Celui qui s'enorgueillit dans l'enseignement» : il ne redoute pas d'enseigner et il approche l'enseignement sans angoisse et sans sûreté de jugement.

RAMBAM : «

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Michna 8. Il disait aussi: Ne juge pas seul car personne, excepté l'Un, ne juge seul; et ne dis pas aux autres: Adoptez mon avis, car ce sont eux qui décident et non toi.

La Torah a permis à celui qui est compétent auprès des gens de juger seul, comme nous l'avons expliqué dans le traité Sanhédrin (1:1) 9; mais si la Torah en reste là, les

RAMBAM :

9. Pour la plupart des affaires concernant les biens ou l'argent des hommes, trois hommes suffisent à faire un tribunal s'ils ne sont pas reconnus comme particulièrement compétents. Mais un seul suffit à cette tâche s'il est compétent auprès des gens. Et le Rambam écrit à ce sujet:

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COMMENTAIRES DU TRAITÉ DES PÈRES

sages, de leur côté, mettent en garde ici celui qui voudrait agir ainsi, non sous forme d'interdit, mais dans une perspective morale. Et Rabbi Ismaël ajoute: si tes compagnons sont en désaccord avec ton point de vue, ne les contrains pas à l'accepter, car ils sont libres d'accepter ou non tes paroles tandis que tu n'es pas libre de les y contraindre.

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Michna 9. Rabbi Yonathan dit: Qui réalise la Torah dans la misère finira par l'accomplir dans la richesse; et qui néglige la Torah dans la richesse finira par la négliger dans la misère.

Il dit que celui qui étudie la Torah alors qu'il est pauvre et pressé par la nécessité, et qui doit s'oppresser luimême pour ce faire, finira par l'étudier dans l'aisance et sans que rien ne trouble son étude. Tandis que celui qui néglige l'étude à cause de l'ampleur de ses biens, parce qu'il est occupé à manger, à boire et à profiter, finira dans la ruine et le temps lui fera défaut, de sorte que son abandon de l'étude aura alors pour cause sa gêne à se procurer son pain quotidien.

RAMBAM :

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« Est dit compétent auprès des gens, celui dont l'étude et le haut degré de sagesse sont connus du monde; ainsi lorsqu'on sait qu'un tel a été mis à l'épreuve par les sages et qu'ils ont accepté ses décisions. »

CHAPITRE IV - MICHNA la

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Michna 10. Rabbi Méïr dit: Restreins tes affaires et affairetoi à la Torah. Sois effacé devant tout homme. Et si tu négliges la Torah, il y a de nombreuses choses négligeables qui t'attendent; mais si tu peines dans la Torah, il y a un important salaire à te donner.

Il dit qu'il faut restreindre son commerce et se consacrer à la Torah. « Sois effacé devant tout homme », c'est-à-dire pas seulement devant les grands mais devant tout homme; ainsi, quel que soit l'homme avec qui tu te trouves, tu dois converser et te lier avec lui en faisant comme s'il était plus grand que toi, ce qui a pour fin de t'éloigner de l'orgueil comme nous l'avons expliqué plus haut (cf. michna 4). « Il y a nombre de choses négligeables qui t'attendent » : il y a beaucoup de choses négligeables qui attendent que quelqu'un s'en occupe, et si tu ne t'affaires pas à la Torah, on t'embarrassera l'existence avec l'une d'entre elles.

RAMBAM :

Sois effacé devant tout homme » : il arrive, en effet, lorsqu'on est seul avec soimême, que l'on prenne conscience de son insuffisance et l'on en devient humble. Mais, lorsque l'on est en compagnie d'autres hommes, on oublie tout et l'on retrouve sa superbe. C'est pourquoi il faut être humble « devant» (i.e. en présence) de tout homme.

RABBI HAYIM DE VOLOZYNE : «

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COMMENTAIRES DU TRAITÉ DES PÈRES

Michna 11. Rabbi Eliézer fils de Jacob dit: Qui accomplit un commandement acquiert en sa faveur un avocat, mais qui commet une transgression acquiert contre lui un accusateur. Le repentir et les bonnes actions sont comme un bouclier en face du châtiment. Rabbi Yohanan le Sandalier dit: Tout rassemblement qui se fait pour le nom des cieux a pour fin de demeurer, mais celui qui ne se fait pas pour le nom des cieux n'a pas pour fin de demeurer.

(avocat) : c'est celui qui défend l'homme devant le roi et s'efforce de le laisser vivre. 1U'IJP (accusateur) : c'est celui qui dénonce l'homme devant le roi et s'efforce de le perdre. Et il ajoute que le repentir après de mauvaises actions ou bien les bonnes actions elles-mêmes ont chacun pouvoir d'empêcher que les souffrances et les plaies ne s'abattent sur l'homme.

RAMBAM : IJ'':1P1!l

Tout rassemblement qui se fait pour le nom des cieux etc. » : un rassemblement pour la Torah et les bonnes actions, c'est là ce qui s'appelle un rassemblement pour le nom des cieux. « Mais celui qui ne se fait pas pour le nom des cieux, etc. » : c'est-à-dire lorsque les hommes se rassemblent pour que l'un ait pouvoir sur l'autre et que chacun se glorifie aux dépens du prochain.

RABBÉNOU YONA : «

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Michna 12. Rabbi Elazar fils de Chamoua dit : Que l'honneur de ton disciple te soit aussi cher que le tien, et l'honneur de ton compagnon autant que la crainte de ton maître, et la crainte de ton maître autant que la crainte des cieux.

CHAPITRE IV - MICHNA 12

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Rabbi Elazar fils de Chamoua dit: Que l'honneur de ton disciple te soit aussi cher que l'honneur de ton compagnon (T1:ln ï1:lJJ T?Y l'ln lï'n?n ï1:lJ 'il') 10», c'est-à-dire chacun selon l'honneur qui lui est dû. Il ne veut pas dire, en effet, qu'il faut honorer son disciple autant que son compagnon, car telle n'est pas la règle, mais que de même que tu n'as pas le droit d'amoindrir le respect dû à ton compagnon, tu n'as pas non plus le droit de diminuer le respect dû à ton disciple. « L'honneur de ton compagnon autant que la crainte de ton maître et la crainte de ton maître autant que la crainte des cieux » : l'honneur fait partie de la crainte tandis que la crainte ne fait pas partie de l'honneur, comme le montre le verset: « Un fils honore son père et un esclave son maître; si Je suis père où est Mon honneur? Et si Je suis maître où

RABBÉNOU YONA : «

10. Telle est la version de Rabbénou Yona, de Raehi et du Rambam sur place (bien que ce dernier ne commente pas cette michna) ; c'est aussi celle du Mahzor Vitry et celle que l'auteur du Magen Avot avait sous les yeux mais qu'il repoussa, comme le fera après lui le Maharal de Prague. Car, dans leurs autres ouvrages, ni Rachi ni le Rambam ne suivent ladite version mais plutôt celle qui est rapportée ici dans la Michna. Dans son commentaire sur la Torah, à propos du verset: "Moïse dit à Josué : Choisis-nous des hommes et sors combattre Amalek " (Ex. 17:9), Rachi fait remarquer, en effet, qu'il est écrit: "Choisis-nous: c'est-à-dire, pour moi et pour toi, ce qui montre que Moïse fit de Josué son égal. De là les sages ont dit:" Que l'honneur de ton disciple te soit aussi cher que le tien. " " Et l'honneur de ton compagnon autant que la crainte de ton maître ", d'où l'apprend-on? Du verset: " Aaron dit à Moïse: De grâce, mon maître" (Nomb. 12:11) - or, Aaron était plus âgé que son frère, il a donc fait de son compagnon son maître. " Et la crainte de ton maître autant que la crainte des cieux" est tiré du verset: " Josué fils de Noun, qui sert Moïse depuis sa jeunesse, s'exclama: Mon maître Moïse, extermine-les! " (Nomb. 11:28) - c'est-à-dire, anéantis-les car ceux qui se retournent contre toi sont passibles d'extermination comme s'ils s'étaient retournés contre le Saint, béni soit-Il. "Et dans le Michné Torah, Hilkhot Talmoud Torah 5:12, le Rambam écrit: " De même que les disciples ont obligation d'honorer le maître, le maître doit honorer ses disciples et les rapprocher de lui. Les sages dirent ainsi: " Que l'honneur de ton disciple te soit aussi cher que le tien. " Et l'homme doit veiller sur ses disciples et les aimer car ils sont les fils qui agrémentent ce monde et le monde à venir. "

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COMMENTAIRES DU TRAITÉ DES ptRES

est Ma crainte? » (Mal. 1:6) Il est fait mention de l'honneur au regard du fils et de la crainte au regard de l'esclave, car les choses sont effectivement ainsi. Et la michna évoque conjointement la crainte du maître et celle des cieux, car la crainte du maître est le fondement de la crainte des cieux puisque le maître enseigne à son disciple la Torah et la crainte de l'Éternel. En retour, qui aime la Torah aime aussi les sages, et qui craint la parole de l'Éternel découvre aussi la crainte des cieux auprès de celui qui l'enseigne et qui le conduit dans le droit chemin. Voilà pourquoi il est question d'une crainte du maître. En revanche, s'agissant d'un disciple ou d'un compagnon, il n'est question que d'honneur et non de crainte, car on n'a pas obligation de les craindre. Enfin, cette michna t'apprend que l'honneur de ton disciple doit être finalement aussi cher à tes yeux que l'obligation de la crainte des cieux, et que tu n'as pas à négliger davantage celui-ci que celle-là puisqu'ils constituent un ensemble dans lequel chacun dépend de l'autre. Tous les quatre se donnent ainsi conjointement sur le même plan: l'honneur en fonction de ce qui convient à chacun et la crainte en fonction de ce qui est requis pour chacun.

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11X)\!J\!J , ïUJ;'11:l ,'i1l ')i1 :

Michna 13. Rabbi Juda dit: Prends garde dans l'enseignement car une erreur d'inadvertance commise dans l'enseignement compte autant qu'une faute préméditée. Rabbi Chimon dit: Il y a trois couronnes: la couronne de la Torah, la couronne de la prêtrise et la couronne de la royauté. Et la couronne du renom les dépasse toutes.

CHAPITRE IV - MICHNA 13

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Rabbi Juda dit: Prends garde dans l'enseignement, etc. » : il dit qu'il faut revenir sans cesse sur son étude jusqu'à ne plus pouvoir l'oublier et jusqu'à pénétrer au fond des choses. Car la nature de l'homme est telle que sa compréhension de la sagesse est toujours trop étroite et que l'oubli lui est fréquent; et l'on ne peut non plus se fier à sa pensée première comme nous l'avons écrit au début de ce livre (chapitre 1, michna 1). Dans ce domaine, l'inattention est donc considérée comme une faute délibérée. En chaque parole et en chaque commandement de la Torah l'oubli est présent; en ne lui prêtant pas attention on commet donc une faute et non une simple erreur, et elle vaut à celui qui n'y prendrait garde d'être appelé « fauteur », car il aurait dû savoir que tout homme se trompe, et prendre garde à ne pas fauter, ce qu'il n'a pas fait.

RABBÉNOU YONA : «

Il y a trois couronnes » : ce sont les trois plus hautes élévations qui aient été offertes au peuple d'Israël dès le début de sa conformation au commandement, à savoir: la prêtrise, la royauté et la Torah. Aaron mérita la prêtrise, David mérita la royauté et la couronne de la Torah est laissée à la disposition de quiconque veut s'en coiffer. Les sages ont ajouté (cf. Yoma. 71b) que si tu penses que cette dernière est inférieure aux deux autres, sache que ce n'est pas le cas, mais qu'elle est au contraire plus grande que celles-ci, car elles n'existent que grâce à elle, comme il est dit: « Par moi (la sagesse, i.e. la Torah) les rois règneront [... J et les princes serviront» (Prov. 8:15-16). Quant à la couronne du renom, elle s'acquiert aussi dans la Torah, c'est-à-dire dans son étude et dans l'accomplissement de ses commandements, car c'est de cette façon que se forme une renommée véritable.

RAMBAM : «

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COMMENTAIRES DU TRAITÉ DES PÈRES

Michna 14. Rabbi Nehoraï dit: Exile-toi vers un lieu de Torah, et ne dis pas qu'elle te suivra [ni que] [car] Il tes compagnons te la remettront entre les mains, et ne te fie pas à ton intelligence.

Rabbi Nehoraï, c'est Rabbi Elazar fils d'Arakh, comme l'ont indiqué les sages dans le traité Chabat (14 lb), et il était appelé ainsi parce qu'il éclairait (î)i1))J) les sages dans la halakha. « Exile-toi vers un lieu de Torah» : vers le lieu où se trouve le maître. « Et ne dis pas qu'elle te suivra » : que le maître se déplacera pour venir t'enseigner à l'endroit où tu te trouves. « [Ni que] tes compagnons te la remettront entre les mains» : qu'ils répondront à toutes tes incertitudes 12. « Et ne te fie pas à ton intelligence» : ne crois pas que tu n'as pas besoin d'aller étudier auprès d'un maître et que tu peux de toi-même atteindre le fond de la

RACH! :

halakha. Il dit de rechercher un lieu d'étude, car avec l'aide des autres ton étude s'affermira et prendra consistance. Et

RAMBAM :

11. Deux versions à cet endroit, et même si elles ne sont pas nécessairement décisives pour les deux interprétations proposées, elles ont néanmoins valeur d'indication: soit la lettre de conjonction" 1 » est ajoutée au mot et dans ce cas il faut lire: " Ni que tes compagnons te la remettront entre les mains », soit le mot se présente sans conjonction avec ce qui précède et dans ce cas il est possible de lire: " Car tes compagnons te la remettront entre les mains ». La première version ou interprétation est commune à Rabbénou Yona, au Magen Avot et probablement à Rachi. La seconde est retenue par le Rambam, comme le confirme son commentaire, ct c'est aussi la version du Mahzor Vitry et de l'édition de Vilna. 12. Le sens du présent commentaire de Rachi paraît imposer la première des deux interprétations mentionnées plus haut, c'est-à-dire: ne crois pas que tes compagnons te la remettront entre les mains. Cependant, dans le traité Chabat (147b) où apparaît cette michna des Pirké Avot, la version rapportée par la Guemara ne comporte pas la conjonction" 1 " et Rachi explique clairement à cet endroit: " Exile-toi vers un lieu de Torah: si tu es disciple des sages, ne réside que dans un endroit où demeurent déjà des dis-

CHAPITRE IV - MICHNA 15

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ne te fie pas à ton intelligence en t'imaginant que tu n'as pas besoin des autres, ni de disciples qui t'éveilleront.

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Michna 15. Rabbi YanaÏ dit: Ni le confort des injustes, ni même la souffrance des justes, ne sont entre nos mains. Rabbi Matia fils de Harach dit: Sois le premier à saluer tout homme, et sois à la queue des lions plutôt qu'à la tête des chacals.

Ni le confort des injustes, ni même la souffrance des justes, ne sont entre nos mains », car la raison pour laquelle la voie des injustes leur réussit nous est inconnue. Selon d'autres, ce propos signifie que la logique veut que les méchants ne vivent pas dans le confort ni les justes dans la souffrance, mais que le sort n'en est pas entre nos mains, mais aux mains du Saint, béni soit-Il, qui donne la tranquillité [en ce monde] au méchant afin que celui-ci prenne sa part et la part du juste dans la géhenne, et donne la souffrance au juste [en ce monde] afin qu'il prenne sa part et la part du méchant dans le jardin d'Eden. Car tout homme a deux parts, l'une dans le jardin d'Eden et l'autre dans la géhenne;

RACHI : «

ciplcs des sages, et ne dis pas que les disciples viendront à toi [... ]. Tes compagons te la remettront entre les mains: habitue-toi à être auprès d'eux, et lorsque tu répéteras un traité et eux un autre, tu feras entendre ton étude à voix haute et elle sera alors ordonnée en ta bouche et tu ne l'oublieras plus. »

200

COMMENTAIRES DU TRAITÉ DES PÈRES

et le juste qui mérite prend sa part et celle de qui n'est pas juste, tandis que le méchant qui se rend coupable prend sa part et celle de qui n'est pas méchant. Telle est l'explication que j'ai entendue. « Sois le premier à saluer tout homme» : même le nonjuif que tu rencontres au marché. « Sois à la queue des lions, etc. », c'est-à-dire, sois plutôt à la queue des gens de bien qu'à la tête des vauriens. Il dit qu'il vaut mieux se faire plutôt le disciple de qui est plus grand que soi en sagesse que de qui nous est inférieur, car on y gagne dans la première situation tandis qu'on y perd dans la seconde. Tu comprendras cela en te reportant à ce que nous avons expliqué dans le traité Sanhédrin (4:4, 37a), à savoir: sur la base du principe selon lequel, dans l'ordre du saint, on élève toujours au degré supérieur et on ne fait jamais descendre au degré inférieur (cf. Ber. 28a, Chab. 21b, et passim), les sages instaurèrent que le chef du tribunal de vingt-trois membres serait le dernier du grand tribunal de soixante-et-onze membres; ils virent donc en cela une élévation pour celui-ci.

RAMBAM :

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Michna 16. Rabbi Jacob dit: Ce monde ressemble à un portique ouvert sur le monde à venir; prépare-toi en ce portique afin de pénétrer dans le palais.

La parabole est facile à comprendre et son sens est connu, car en ce monde sont acquises les dispositions saines grâce auxquelles l'homme mérite la vie du monde à venir, et ce monde n'est que le chemin et le passage qui y mène.

RAMBAM :

CHAPITRE IV - MICHNA 17

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Michna 17. Il disait aussi: Une heure de repentir et de bonnes actions en ce monde est plus belle que toute la vie du monde à venir. Mais une heure de contentement dans le monde à venir est plus belle que toute la vie en ce monde.

Nous avons déjà expliqué, dans l'Introduction au dixième chapitre du traité Sanhédrin, qu'il n'y a, après la mort, ni perfection ni augmentation, ct que l'homme n'acquiert la perfection ct n'augmente sa proximité d'avec le vrai qu'en ce monde seulement. C'est à cela que fait allusion Salomon en disant: « Tout ce que ta main trouve à faire qui est en ta puissance, fais-le; car il n'y a ni œuvre ni compte ni connaissance ni sagesse dans le Chéol vers lequel tu vas » (Ecc. 9:10). Ainsi, la situation dans laquelle l'homme s'en va est celle qu'il conservera éternellement. Il convient donc de faire effort pendant ce court laps de temps et de ne le passer qu'en étude seulement, car le défaut d'étude est une lacune énorme que rien ne peut remplacer ni rembourser. Pour avoir compris cela, les sages ont conçu de consacrer leur temps à l'étude et à l'accroissement de leur sagesse. Et à la vérité, ils profitèrent de leur temps dans sa totalité et n'en perdirent que fort peu à s'occuper de choses matérielles, s'affairant seulement à ce dont il est impossible de se passer. Tandis que les autres perdirent totalement leur temps à s'occuper des seules chose matérielles, et ils quittèrent le monde comme ils y étaient venus, « il part semblable à ce qu'il était en arrivant» (Ecc. 5:15) et la perte qu'ils subissent est éternelle. Mais les gens du commun renversent la vérité et affirment en chœur que c'est le premier groupe qui a

RAMBAM :

202

COMMENTAIRES DU TRAITÉ DES PÈRES

manqué le monde, tandis que le second seul en a profité, mais c'est exactement l'inverse comme il a été dit: « Ils disent du mal qu'il est bien et du bien qu'il est mal, prennent l'obscurité pour la lumière et la lumière pour l'obscurité, confondent l'amer et le doux et le doux et j'amer. Malheur à ceux qui se croient sages et qui se prennent pour des gens intelligents» (Is. 5:20-21) -- malheur à ceux qui perdent en vérité! Et Salomon a fait de cette question le fondement de l'Ecclésiaste, louant le fait de profiter [véritablement] du monde et dénigrant le fait de le perdre; et il a dit explicitement qu'il n'y a pas de profit nouveau après la mort, ni aucune possibilité d'obtenir ce qui a été perdu ici. Tout cela est juste, et si tu réfléchis à ce livre de cette manière, la vérité s'éclairera pour toi.

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.m;'p;'p Michna 18. Rabbi Chimon fils d'Elazar dit: Ne cherche pas à calmer ton compagnon au moment de sa colère, ni à le consoler tant que le mort [qu'il pleure] est étendu devant lui, ni à le questionner au moment de son vœu et ne t'efforce pas de le voir au moment de son déshonneur.

Ne cherche pas à calmer ton compagnon au moment de sa colère », il en viendrait, en effet, à dire des choses inconvenantes, car cela ajouterait encore à sa colère. « Ni à le consoler tant que le mort est étendu devant lui », car en ce moment douloureux, la consolation provoquerait sa colère et il en viendrait à proférer de mauvaises paroles. « Ni à le questionner au moment de son vœu» : ne lui demande pas quelles possibilités de le libérer de son vœu il

RABBÉNOUYONA:«

CHAPITRE IV - MICHNA 19

203

a laissé ouvertes, en lui disant: C'est bien dans telle intention que tu as formulé ton vœu? Car, alors qu'il est sous le coup de la colère et fait un serment, il en viendrait à répondre à toutes les questions qu'on lui pose et à en inclure tous les aspects dans son vœu, de sorte qu'il ne resterait plus la moindre possibilité de l'en libérer; la conséquence lui serait donc préjudiciable. « Et ne t'efforce pas de le voir » et de lui faire honte à ton tour, « au moment de son déshonneur », c'est-à-dire au moment où il subit un tort ou bien au moment où il commet une faute et où il en a honte; dans ces moments-là tu n'as pas à le voir ni à l'humilier. Cela est évident et fait partie des questions morales qui améliorent une société, à savoir que l'homme ne doit déposer ses paroles qu'à l'endroit qui leur convient.

RAMBAM:

nY.)\uTI ?N l':J')N ?!)):J : 'Y.»)N lt>j:m ?Nm\U .'t>' i1)\uY.) V?~Y.) :J'\uïn V)'~:J ~') '11 11N" 1!) ,1:J? ?)' ?N )?\Uj:J) .('jj '?\UY.» )!)N

Michna 19. Samuel le Petit dit: « Ne te réjouis pas de la chute de ton ennemi et n'égaye pas ton cœur lorsqu'il trébuche, de peur que l'Éternel ne le considère mal et qu'Il ne détourne de lui Sa colère» (Prov. 24:17-18).

Samuel le Petit» est appelé ainsi parce qu'il était plus petit que Samuel le prophète, [bien qu'il n'ait rien de petit en lui-même] puisqu'il est dit qu'un écho de la Voix a déclaré de lui qu'il était digne que la Chékhina réside sur lui, comme Moïse notre maître, mais que sa génération ne le méritait pas (cf. Sanh. lla). « Ne te réjouis pas de la chute de ton ennemi, etc. » : le verset était fréquent dans sa bouche. « Il détournerait de lui

RACH! : «

204

COMMENTAIRES DU TRAITÉ DES PÈRES

Sa colère» : Ilia détournerait de ton ennemi et la projetterait sur toi. AUTRE VERSION DE LA FIN DE LA MICHNA:

N;'N 'r.JN:l N;' 1!)Nlnn - il n'est pas écrit Sa colère» mais « sa face », ce qui nous enseigne que toutes ses fautes lui seraient alors pardonnées 13.

1!)N «

Bien que l'auteur de ce propos soit Salomon, ce sage enseignait cette disposition saine en particulier et mettait en garde contre ce genre de dévoiement.

RAMBAM :

Que vient nous apprendre Samuel le Petit par ces mots, n'est-ce pas en soi un verset dont l'auteur est Salomon? Samuel avait toutefois l'habitude de répéter ce ',erset, parce que c'est un enseignement nécessaire et que les hommes trébuchent régulièrement sur ce point. En effet, même si ton ennemi est un injuste, tu n'as pas à te réjouir de son malheur si ce n'est par rapport à l'Éternel seul. Je veux dire que le juste ne doit pas se réjouir de la chute des méchants, sauf si sa joie signifie qu'à travers cette chute s'exprime la gloire des cieux, ni chercher à contenter de cette manière sa haine des injustes. Et cela vaut à fortiori pour celui dont les actions sont aussi pourries que celles de son ennemi, car s'il égaye « son cœur lorsque [ce dernier] trébuche» son mal est grand; pourquoi se réjouirait-il, en effet, puisqu'il ne vaut pas mieux que lui ? Au regard de tout cela il est dit: « Ne te réjouis pas de la chute de ton ennemi et n'égaye pas ton cœur lorsqu'il trébuche, de peur que l'Éternel ne le considère mal et qu'Il ne détourne de lui

RABBÉNOU YONA :

13. Cette seconde version consiste à lire ainsi la fin du verset: au lieu de " Il détournerait (J'vm) de lui (P)))Y.'I) Sa colère (l!lN) ", " Il lui rendrait (P7))Y.'I J'vm) sa face (l!lN) », c'est-à-dire Ille relèverait. Cette version est celle du MalJZor Vitry, de l'édition du Rambam (mais son commentaire n'en fait aucun état, contrairement à ce qu'indique l'édition courante, qui n'est qu'un ajout du traducteur), et elle est mentionnée par Rachi, Rabbénou Yona et le Magen Avot.

CHAPITRE IV - MICHNA 20

205

Sa colère» (Prov. 24:17-18). Telle était donc l'intention de Samuel le Petit lorsqu'il répétait constamment ces paroles. Il est fait état cependant d'une autre version, qui se terminerait ainsi: « Il n'est pas écrit" Sa colère" mais" sa face ", ce qui nous enseigne que toutes ses fautes lui seraient alors pardonnées. » Dans ce cas, Samuel nous donne à entendre une chose particulièrement neuve; en voyant quelqu'un se réjouir de la chute de son ennemi, Dieu pardonnerait à cet ennemi et le relèverait, en guise de châtiment pour celui qui s'est réjoui.

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Michna 20. Elicha fils d'Abouya dit: A quoi peut être comparé celui qui étudie la Torah dans son enfance? A une encre tracée sur un parchemin neuf. Et à quoi peut être comparé celui qui étudie la Torah dans sa vieillesse? A une encre tracée sur un palimpseste. Rabbi Yossé fils de Juda du village de Babli dit: A quoi peut être comparé celui qui apprend la Torah d'hommes jeunes? A celui qui mange des raisins verts et boit du vin sortant du pressoir. Et à quoi peut être comparé celui qui apprend la Torah d'hommes âgés? A celui qui mange des raisins mûrs et boit du vieux vin. Rabbi dit: Ne t'intéresse pas au récipient mais à ce qui est dedans. Il y a des récipients neufs pleins de vieux vin et des récipients anciens qui ne contiennent même pas de vin nouveau.

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COMMENTAIRES DU TRAITÉ DES PÈRES

« Elicha fils d'Abouya dit: A quoi peut être comparé celui qui étudie la Torah dans son enfance, etc. » : Il dit que ce que l'on étudie étant jeune dure et ne s'oublie pas facilement, tandis que ce que l'on étudie dans un âge avancé, c'est le contraire. Et cela est clair et connu. Rabbi Yossé dit que les connaissances des hommes jeunes comportent un certain nombre de doutes et de questions non analysées, et qu'elles ne sont pas non plus libérées de toutes les objections susceptibles de leur être opposées, car le temps leur a manqué pour revenir sur ces connaissances et en écarter les éléments douteux. Mais Rabbi dit: ne juge pas le vin à son récipient, car il y a des récipients nouveaux qui contiennent du vieux vin et des récipients anciens qui sont vides et ne contiennent rien du tout. De même, il existe des hommes jeunes dont les questions et les connaissances ont été épurées et débarrassées de leur confusion, à l'image du vieux vin débarrassé de sa lie et de ses parties grossières; tandis qu'il existe des hommes âgés dépourvus de toute sagesse, et qui n'ont donc même pas, à fortiori, de connaissances confuses et mélangées.

RAMBAM

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Michna 21. Rabbi Elazar Hakapar dit: La jalousie, la concupiscence et l'ambition expulsent l'homme du monde.

Il dit que la jalousie, la concupiscence et l'amour de la gloire expulsent l'homme du monde, car ces mauvaises dispositions, ou même une seule d'entre elles, lui feront perdre nécessairement la foi en la Torah, et il n'acquerra ni saine disposition intellectuelle ni saine disposition morale.

RAMBAM:

CHAPITRE IV - MICHNA 22

207

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Michna 22. Il disait: Ceux qui naissent vont à la mort et ceux qui meurent seront ressuscités; et les vivants vont au jugement afin que l'on sache, que l'on fasse savoir et que soit su qu'Il est Dieu, qu'Il est le formateur, qu'Il est le créateur, qu'Il est la clairvoyance, qu'Il est le juge, qu'Il est le témoin et la partie, et qu'Il est appelé à rendre sentence. Béni soit-Il, car en sa présence n'est nulle injustice, nul oubli, nulle partialité et nulle corruption, car tout lui appartient; et sache que tout compte. Et que ton penchant ne te fasse pas espérer un refuge outre-tombe car c'est malgré toi que tu as été fait, c'est malgré toi que tu es né, c'est malgré toi que tu vis, c'est malgré toi que tu meurs et c'est malgré toi que tu passeras en jugement et que tu rendras des comptes devant le Roi des Rois de Rois, le Saint, béni soit-Il.

1"

Il a énoncé: « Pour que l'on sache, que l'on fasse savoir ct que soit su », c'est-à-dire pour que sachent ceux qui

RAMBAM :

14. Telle est la version de Rachi, de Rabbénou Yona, du Rambam, etc. Mais l'édition de Vilna fait état d'une version quelque peu différente: "Et que ton penchant ne te fasse pas espérer que l'outre-tombe sera ton refuge ", on la retrouve aussi dans le Mahzor Vitry qui explique: " Ne crois pas que la tombe sera ton refuge et que tu seras quitte du jugement en entrant dans la tombe » ; cf. la deuxième explication rapportée par Rabbénou Yona. Cette seconde version suppose simplement l'absence de la lettre" J " dans le mot ~'N~:J.

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COMMENTAIRES DU TRAITÉ DES PÈRES

vont naître, ceux qui vivent actuellement et vont mourir, et ceux qui seront ressuscités après leur mort, afin donc que ces trois groupes sachent « qu'Il est le formateur et qu'Il est le créateur ». Et lorsqu'il énonce « qu'Il est juge» et qu'il répète ensuite « qu'Il est appelé à rendre sentence », il veut dire qu'Il juge actuellement la totalité, dans la vie et la mort, et pour toute question qui relève du monde, et qu'Il est appelé aussi à juger ceux qui ressusciteront à la fin, pour les récompenser ou les châtier. Et lorsqu'il déclare qu'il n'est« en sa présence nulle [...] partialité et nulle corruption », tout comme lorsqu'il est écrit pareillement dans la Torah: « Car l'Éternel votre Dieu est le juge des juges et le seigneur des seigneurs, le Dieu grand, puissant et redoutable, qui ne fait acception de personne et ne se laisse pas corrompre » (Deut. 10:17), il ne vise évidemment pas ici le fait d'accepter de l'argent. Car la simple vérité exige de nier de Dieu ce qu'il est impossible de se représenter même par l'imagination, car comment Le soudoierait-on et avec quoi! Son propos suppose, en réalité, ce qu'ont expliqué nos sages (Sifré Devarim, sur Deut. 32:4), à savoir que les bonnes actions n'influencent pas Son jugement; au sens où si un homme a accompli mille bonnes actions et une seule mauvaise, Il ne lui passera pas cette faute à cause des mille autres en la déduisant, pour ainsi dire, du compte des biens qu'il a faits, mais l'homme devra rendre des comptes pour celle-ci et il recevra un salaire pour celles-là. Tel est le sens de la formule « Il ne se laisse pas corrompre ». Pareillement, s'agissant des mots « Il ne fait acception de personne », il faut comprendre que l'homme le plus grand doit payer même la plus petite des fautes, comme Moïse notre maître dut payer la faute de s'être mis en colère, comme nous l'avons expliqué dans les chapitres de l'introduction 15, et inversement que Esaü l'injuste fut récompensé pour avoir toujours respecté père et mère (cf. Gen. R. 65) et 15. "Moïse fauta en ce qu'il pencha vers l'un des extrêmes parmi les dispositions qui relèvent de l'éthique, vers l'extrême opposé à la patience qui est la colère, comme il est dit: " Moïse et Aaron réunirent le peuple devant le rocher et il leur dit: Écoutez donc, révoltés que vous êtes, est-ce

CHAPITRE IV - MICHNA 22

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Nabuchodonozor pour avoir respecté la gloire de l'Éternel, c'est-à-dire Son Nom, comme l'indique le traité Sanhédrin (96a). Tel est le sens de la formule: « Il ne fait acception de personne » ou bien « en Sa présence n'est nulle partialité ». Et si tu réfléchis à sa déclaration selon laquelle c'est malgré toi que tu as été fait, etc., tu constateras qu'il ne mentionne que les choses naturelles, dans lesquelles la liberté humaine n'a rien à faire et à propos desquelles les sages ont dit: « Tout est aux mains des cieux » (Ber. 33b, Meg. 25a, Nid. 16b). Mais il n'a pas dit que c'est malgré toi que tu fautes ou que tu te dévoies, ou que tu te tiens debout ou que tu marches, ni rien de ce qui relève de ce domaine, car toutes ces choses sont aux mains de l'homme et ne comportent nulle nécessité, ainsi que nous l'avons expliqué dans le huitième chapitre de l'introduction. Sache que tout est pris en compte, qu'il s'agisse du bien ou du mal. Et que ton penchant ne te fasse pas espérer qu'il existe un refuge outre-tombe semblable à ce qui te paraît être un refuge en ce monde, ou comme disent les hérétiques qu'il n'y a ni jugement ni juge après la mort. N'en crois rien car c'est faux, puisque« c'est malgré

RABBÉNOU YONA :

que de ce rocher nous ferions jaillir de l'eau? » (Nomb. 20:10). Et l'Éternel n'accepta pas qu'un tel homme s'emporte en présence de l'assemblée d'Israël à un moment où la colère ne convenait pas. Une telle attitude de la part d'un tel homme était une profanation du Nom, car tous prenaient exemple sur ses moindres mouvements et sur ses moindres paroles dans l'espoir de mériter ainsi ce monde et le monde à venir [...] et ils examinaient tout ce qu'il disait ou faisait. Or, lorsqu'ils le virent en colère, pensant que Moïse n'était pas de ces hommes qui ont de mauvaises dispositions, ils se dirent que si l'Éternel ne s'était pas irrité à leur égard à cause de leur demande d'eau et s'ils ne l'avaient pas mis en colère, jamais Moïse ne se serait permis de s'emporter. Mais nous ne voyons aucune trace de colère ou de courroux de la part de l'Éternel dans son dialogue avec Moïse à ce sujet puisqu'Il lui a simplement dit: « Prends le bâton, etc. » » (Rambam, Introduction aux Pirqé Avot, chap. 4, éd. Kappah p. 255-256).

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COMMENTAIRES DU TRAITÉ DES PÈRES

toi que tu as été fait, c'est malgré toi que tu es né, c'est malgré toi que tu vis, c'est malgré toi que tu meurs et c'est malgré toi que tu passeras en jugement et que tu rendras des comptes devant le Roi des Rois de Rois, le Saint béni soit-Il ».

CHAPITRE V

ïH:l?n ilD) .D?))m N1:l) m1DND il1'V)I:l .'N m'VD lD )I1!:lil? N?N .mN1:lil? ?D' ïnN 1DND:J N?il ,1DN? ,nnDND il1'V)I:l N1:l)'V D?1Yil nN l'ï:lND'V D')I'V1il N1:l)'V D?))Iil nN l'D'PD'V D'P'ï~? :l)tJ 1:J'V ln?1 .m1DND il1'V)I:l

Michna 1. Le monde a été créé par dix paroles. Et qu'est-ce que cela nous enseigne, une seule parole n'aurait pas suffi pour toute la création? En fait, c'est pour punir les injustes qui détruisent le mqnde que celui-ci a été créé par dix paroles et c'est pour donner un meilleur salaire aux justes qui font exister le monde que celui-ci a été créé par dix paroles.

Par dix paroles », car il est écrit neuf fois « Il dit» dans le récit de la Genèse et le premier mot « au commencement » (Gen. 1:1) est lui aussi une parole puisqu'il est dit: « Par la parole de l'Éternel furent faits les cieux» (Ps. 33:6). « Et qu'est-ce que cela nous enseigne? » c'est-à-dire qu'apprenons-nous du fait que le Saint, béni soit-Il, a eu recours à dix paroles pour créer le monde, alors qu'il Lui suffisait de le créer par une seule parole? En fait, c'est pour augmenter le châtiment des injustes qui détruisent le

RACH! : «

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COMMENTAIRES DU TRAITÉ DES PÈRES

monde que le Saint, béni soit-Il, a tant peiné pour le créer, ainsi que pour donner un meilleur salaire aux justes. Lorsque tu considères combien de fois il est écrit il dit » dans le récit de la Genèse, tu verras qu'il y a neuf occurrences, et le premier mot « au commencement » (Gen. 1:1) tient lieu de dixième parole; en effet, bien qu'il ne soit pas écrit explicitement à son propos « il dit », le contexte montre qu'il s'agit bien de cela, puisque c'est comme s'il était écrit: « Dieu dit: Qu'il y ait des cieux et une terre », car ils n'ont pas été faits sans une parole. Mais il aurait pu inclure la totalité de la création dans une seule parole, sous la forme: « Dieu dit: Qu'il y ait des cieux et une terre, que les eaux se rassemblent, que la terre fasse sortir des végétaux, etc. » Il a, cependant, spécifié chaque sujet par une parole particulière afin de te faire entendre la grandeur de cette réalité et son ordre, de telle sorte que celui qui l'abîme abîme une grande chose et que celui qui l'arrange arrange une grande chose. Je veux dire par le mot « abîmer », qu'il abîme son âme et ne la rend pas parfaite dans son espèce, et inversement par le mot « arranger », qu'il améliore son âme. Car c'est là ce qui est aux mains de l'homme et qu'il peut détruire ou améliorer, et l'âme est la fin dernière de l'ensemble de la réalité à propos de laquelle ont été proférées dix paroles, ainsi que nous l'avons expliqué dans l'introduction de notre Commentaire sur la Michna '.

RAMBAM : «

1. «Sache que les anciens ont effectué une enquête extraordinaire grâce à leur savoir et à la qualité de leur intellection, et ils ont conçu avec certitude que tout existant a par nécessité une fin en vertu de laquelle il existe, car il n'existe rien en vain. Lorsque cette donnée générale s'est trouvée pour eux vérifiée, ils se proposèrent d'examiner en détaill'ensemblc des existants pour connaître la fin en vertu de laquelle existe chaque espèce. Ils constatèrent que les choses artificielles ont un but reconnu, au sujet duquel aucune enquête n'est nécessaire, puisqu'un artisan ne fabrique un outil qu'après avoir conçu la fin à laquelle il est destiné. Telle scie, par exemple, n'a été fabriquée par le forgeron qu'après qu'il eut réfléchi à la manière dont il est possible de découper tel bois, qu'il eut imaginé en son esprit la forme de la

CHAPITRE V - MICHNA 2

213

11N i1Y.:l:J Y'j)i1J ln) jY1 DjNY.:l n11n i11'l1Y .'::t i1)'lIY.:l N'::ti1'l1 jY l'N::t1 l'tI'Y:JY.:l ),i1 nnni1 J:J'lI ,)')!)J D'!)N ,Di11::tN jY1 mY.:l nnn i11'l1Y .J1::tY.:li1 'Y.:l nN DmJY l'tI'Y:JY.:l ),i1 nn1ji1 J:J'lI ,)')!)J D'!)N 11N i1Y.:l:J Y'j)j"JJ .DJ:J 1:J'lI J::tp1 Di11::tN N::t'll jY l'N::t1

Michna 2. Il Y eut dix générations d'Adam à Noé pour que soit connue sa longue patience, car toutes ces générations le contrarièrent continuellement jusqu'à ce qu'Il les noie dans les eaux du déluge. Il y eut dix générations de Noé à Abraham pour que soit connue sa longue patience, car toutes ces générations le contrarièrent continuellement jusqu'à ce qu'Abraham vienne et reçoive le salaire de tous. scie et qu'il s'est proposé de la réaliser afin de scier grâce à elle. Ainsi, la fin de la scie est de servir à scier, et pareillement, la fin de la pioche est de creuser, la fin de l'aiguille est de coudre ensemble des pièces de vêtement, et de même pour tout existant dont l'existence est artificielle. En revanche, pour les choses que l'art divin et la sagesse de la nature a produit (sic), les différentes sortes de fruits, de plantes, de métaux, de pierres et d'êtres vivants, la fin en vertu de laquelle existent certains d'entre eux se laisse découvrir après une courte enquête, tandis que d'autres nécessitent une enquête plus longue; mais il en est d'autres encore dont la fin est si profonde et cachée qu'elle ne se révèle que par la prophétie ou par la connaissance des choses secrètes, et non par la seule enquête scientifique. Car il n'est pas au pouvoir de l'homme de connaître la raison pour laquelle la nature produisit des fourmis ailées et des fourmis sans ailes, ou bien une espèce de ver pourvu de beaucoup de pattes et une autre espèce qui en a peu, ni quelle est la fin en vertu de laquelle existent ce ver et cette fourmi. Pour les choses plus grandes, cependant, et dont l'activité est plus manifeste, les gens de savoir sont en controverse s'agissant de leur fin, et quiconque est plus instruit, pius assidu et plus intelligent connaît mieux la fin en vertu de laquelle les choses existent. C'est pourquoi, lorsque l'Éternel donna à Salomon la sagesse qu'II lui avait promise, celui-ci connut la fin des choses qu'il est possible à l'homme de connaître, en tant qu'il est homme. Il parla ainsi de la fin des arbres, des plantes et des différentes espèces d'animaux, comme l'indique l'Écriture: " Il parla des plantes, depuis le cèdre du Liban jusqu'à l'ésope qui court le long des murs, il parla du bétail, de l'oiseau, du reptile, du poisson" (1 Rois 5: 13). C'était la preuve qu'il possédait une faculté

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COMMENTAIRES DU TRAITÉ DES PÈRES

Sa longue patience », car Il attendit dans l'espoir qu'ils se repentiraient. « Abraham [... ] reçoive le salaire de tous» : Abraham reçut le salaire qui leur serait revenu à eux tous s'ils avaient été justes, en ce qu'il prit sa part et leur part dans le monde à venir.

RACHI : «

divine, et il est écrit ensuite que" tous les peuples venaient écouter la sagesse de Salomon" (ibid. 14). La règle générale en ce domaine est que tous les existants du monde sublunaire n'existent qu'en fonction de l'homme seulement. Parmi les animaux, certains lui servent de nourriture, comme le petit et le gros bétail, et ce qui leur est apparenté; d'autres lui sont utiles d'une autre façon, tel l'âne qui lui sert à transporter ce qu'il ne peut transporter à la main ou le cheval qui lui fait franchir de longues distances en peu de temps. Il existe encore d'autres espèces dont nous ne connaissons pas l'utilité, bien qu'elles soient utiles à l'homme et qu'il l'ignore. De même, parmi les fruits et les plantes, certains lui servent d'aliments, d'autres de remèdes pour ses maladies, et il en va ainsi de toutes les espèces. Et si une chose, parmi les animaux ou les plantes, ne paraît pas utile et n'est pas comestible à ton avis, cela n'est dû qu'à notre manque de connaissance. Et toute plante, tout animal, depuis l'éléphant jusqu'au vermisseau, a nécessairement une utilité quelconque pour l'homme. La preuve en est qu'à

chaque génération l'on découvre des formes d'utilité aux plantes et aux fruits que l'on ne connaissait pas auparavant, et dont on tire de grands profits. Car il n'est pas au pouvoir de l'homme de cerner d'un seul coup l'utilité de l'ensemble des végétaux de la terre, mais celle-ci se dévoile progressivement grâce aux expériences successives au long des générations [... ]. Une fois établi que la fin de tout cela est l'existence de l'homme, il devenait obligatoire de rechercher aussi la raison pour laquelle l'homme existe et quelle est sa fin. En approfondissant cette enquête, ils découvrirent qu'il existe en l'homme une grande quantité d'activités. Car les animaux et les végétaux n'ont qu'une ou deux formes d'activité, et une seule finalité. Nous pouvons constater, par exemple, que le palmier ne fait que produire des dattes, ct pareillement pour les autres arbres. Quant aux animaux, certains tissent comme l'araignée, d'autres construisent [des nids] comme (l'hirondelle ?), d'autres accumulent comme la fourmi. L'homme, en revanche, accomplit une foule d'activités différentes; et ils réfléchirent donc à chacune de ses activités prise individuellement, afin de connaître la fin visée par chacune d'elles. Ils découvrirent ainsi que la fin en vertu de laquelle l'homme existe est une seule de ses activités, et que toutes les autres n'ont pour but que d'assurer la conservation de son existence, de sorte que se perfectionne cette activité unique, qui est l'appréhension des intelligibles et la connaissance parfaite de la vérité. Car il ne sc peut que la finalité de l'homme soit de manger,

CHAPITRE V - MICHNA 2

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On notera, cependant, qu'il n'est pas dit de Noé qu'il reçut le salaire de tous, car il n'était pas aussi juste, comme il est dit: « Noé, homme juste et parfait en sa génération» (Gen. 6:9), mais non en d'autres générations [i.e. il n'était parfait que par rapport à l'imperfection de sa génération]. de boire, d'avoir des rapports, de bâtir une maison ou d'être roi ; ces activités ne sont, en effet, que des accidents qui lui sont passagers et qui n'ajoutent rien à sa propre essence. De plus, elles sont communes aussi aux autres animaux, tandis que la sagesse est la seule chose qui ajoute à son essence et l'élève de degré en degré, du niveau le plus bas au niveau le plus haut. Car, grâce à la sagesse, l'homme qui était un homme en puissance devient un homme en acte; tandis qu'avant d'étudier, il n'est qu'un animal, puisque seule la connaissance rationnelle le distingue des autres animaux, en tant qu'il est un animal doué de raison, c'est-à-dire capable d'appréhender les intelligibles, et de connaître le plus grand d'entre eux, l'unité du créateur, loué soitIl, ainsi que tout ce qui se rattache à cette connaissance dans le domaine métaphysique. Car les autres savoirs ne sont qu'une préparation à la métaphysique, et s'il fallait achever ce sujet, il nous faudrait par trop nous étendre sur cette question. Toutefois, avec l'appréhension des intelligibles, se produit l'obligation d'abandonner toute exagération dans les plaisirs corporels; car, par intuition immédiate, chacun sait que l'avantage du corps est la ruine de l'âme et que l'avantage de l'âme est la ruine du corps. Et si l'homme court après les plaisirs et privilégie la connaissance par les sens, il rend son intellect esclave de son désir et se fait semblable au bétail ou aux autruches, qui n'ont pour toute représentation en leur imagination que le manger, le boire et les rapports. Dans cette situation, la faculté divine, c'est-à-dire l'intellect, n'est plus discernable ; et l'homme n'est plus alors qu'un tas [de poussière] perdu dans l'océan de la màtière. Ainsi s'éclaire, à la lueur des raisons exposées précédemment, que la finalité de ce monde et de tout ce qui s'y trouve est un homme sage et doué de dispositions morales saines, comme on le rencontre auprès de celui qui appartient à l'espèce des hommes de savoir et d'acte. l'entends par « savoir» l'appréhension parfaite des vérités et la compréhension de tout ce qu'il est possible à l'homme d'atteindre. Par « acte» j'entends la voie moyenne et équilibrée dans les choses naturelles, qui évite de se vautrer en elles, et ne prend d'elles que ce qui concerne la conservation du corps, ainsi que la progression dans le domaine des dispositions morales. Un homme qui serait dans cette situation serait la finalité de l'existence du monde [sub-lunaire] dans sa totalité. Ajoutons que ce fait n'est pas connu seulement grâce à l'enseignement de la prophétie, car même les sages des nations antiques qui

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COMMENTAIRES DU TRAITÉ DES PÈRES

Ces générations sont décrites explicitement par la Torah selon leur ordre: « Un tel engendra un tel, etc. ». Et il n'évoque celles-ci que pour la raison qu'il a mentionné les dix paroles qui recèlent une instruction pour l'homme et qui le pressent d'améliorer son âme par les dispositions éthiques et intellectuelles saines, ce qui est le but de ce traité.

RAMBAM :

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Michna 3. Abraham notre père subit dix épreuves et il les surmonta toutes afin que soit connue l'ampleur de l'amour d'Abraham notre père. ne connurent pas les prophètes et n'entendirent pas leurs paroles savaient déjà que l'homme n'est parfaitement homme que s'il réunit le savoir et l'acte. Et il nous suffira de mentionner à cc propos cc que dit le plus grand des philosophes : " Le but de Dieu en nous est que nous soyons con naissants et justes. " Car un homme qui serait sage et instruit, mais courrait après les plaisirs, ne serait pas un sage véritable. Les prémices de la sagesse sont, en effet, de ne prendre des plaisirs du corps que ce qui touche à la conservation de celui-ci, et dans notre Commentaire du Traité Avot nous achèverons de traiter de ce sujet comme il doit l'être [.. .]. Inversement, si un homme était continent et craignant Dieu, s'il s'écartait de tout plaisir qui n'est pas de l'ordre de la conservation du corps, agissait en toutes choses naturelles scion la voie moyenne, et avait acquis toutes les vertus morales, mais n'était pas sage, il ne serait pas non plus parfait, bien que sa situation fût meilleure que celle du précédent. Car ses actes ne seraient pas issus d'une connaissance juste ni menés d'une manière vraie. C'est pourquoi les sages ont dit: " L'inculte ne craint pas la faute et le vulgaire n'est pas intègre" (traité Avot, chap. 2, michna 5). Et qui soutiendrait que le vulgaire est intègre récuserait le jugement définitif que les sages ont porté sur ce sujet et récuserait l'intelligible. Tu constateras qu'en conséquence, dans toute la Torah, il est ordonné: « Vous apprendrez" et ensuite" vous ferez" (cf. Deut. 5:1) -l'étude précède l'acte, car l'étude conduit à l'acte tandis que l'acte ne conduit pas à l'étude. Les sages dirent ainsi: " I; étude est plus grande car elle conduit à l'acte" (Kid. 40b) " (Rambam, Introduction-à la Michna, éd. Kappah, vol. 1, p. 21-23 et Guide des Égarés, III, 13).

CHAPITRE V - MICHNA 3

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Les dix épreuves d'Abraham notre père sont décrites dans les Pirqé de Rabbi Eliézer (chap. 26, 5q.) : 1) Nemrod voulut le tuer et il se cacha sous terre pendant treize ans, 2) puis ils le jetèrent dans la fournaise, 3) il s'exila de son pays natal, 4) le Saint, béni soit-Il, envoya une famine à son époque, 5) Sarah fut prise dans la maison de Pharaon, 6) les rois déportèrent Lot son neveu, 7) Dieu lui montra, lors de l'alliance entre les parties des animaux, l'esclavage que les quatre royaumes feraient subir à ses enfants, 8) Il lui ordonna de se circoncire et de circoncire son fils, 9) il dut renvoyer son fils Ismaël avec sa mère, 10) Il lui ordonna d'égorger son fils Isaac. Telles furent les dix épreuves qu'Abraham endura, sans ne jamais suspecter la conduite du Saint, béni soit-Il, à cause de l'abondance de son amour. Et il est écrit dans la aggada que notre père Abraham a été éprouvé par dix fois par rapport aux dix paroles avec lesquelles le monde a été créé, pour t'enseigner que le monde ne subsiste que grâce à son mérite. Tu peux constater à ton tour, que le Saint, béni soit-Il, a suspendu la sentence des dix générations d'Adam à Noé dans l'espoir qu'ils se repentiraient, à cause des dix paroles avec lesquelles le monde a été créé, et qu'Il n'envoya le déluge sur terre qu'après avoir patienté tout ce laps de temps. Or, même Noé ne put sauver que sa femme et ses enfants avec lui, tandis qu'Abraham sauva le monde entier après que le Saint, béni soit-Il, eut montré la même patience pendant dix générations, parce qu'Abraham les conduisit au repentir. Et Dieu donna à Abraham un grand salaire car c'est pour lui que le monde subsiste, or le Saint, béni soitIl, désire le repentir des injustes et non leur mort, et il est dit au sujet de ce repentir: « L'âme qu'ils (Abraham et Sarah) avaient faite à Haran » (Gen. 12:5) [i.e. les conversions qu'ils avaient opérées au sein du peuple de HaranJ.

RACHI :

La première épreuve d'Abraham eut lieu à Our Kasdim, lorsque Nemrod le fit jeter dans une fournaise et qu'il en réchappa, elle n'est pas mentionnée explici-

RABBÉNOU YONA :

Licence eden-2123-41-4747304-41-96003082-12916387 accordée le 27 avril 2020 à [email protected]

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COMMENTAIRES DU TRAITÉ DES PÈRES

te ment par la Torah et n'est connue que par transmission orale. Nous en avons toutefois une allusion dans la Torah, en ce qu'avant la section Lekh-lekha (Gen. 12:1 sq.) Our Kasdim est évoquée à deux reprises, ce qui suggère que c'est parce qu'il a surmonté cette épreuve que le Saint, béni soit-Il, lui promit de l'amener en terre d'Israël; car ce fut le cas de Noé, au sujet duquel il est écrit d'abord: « Noé trouva grâce aux yeux de l'Éternel » (ibid. 6:8), et dont on rapporte ensuite, dans la section Noah (ibid. 6:9 sq.), qu'il a été sauvé du déluge, précisément pour la raison qu'il avait trouvé grâce à Ses yeux. La deuxième épreuve fut le commandement de quitter son pays, comme il est dit: « Vat'en de ta terre, de ton pays natal » (ibid. 12:1). La troisième épreuve fut « la famine dans le pays» (ibid. 10) ; et bien que le Saint, béni soit-Il, lui ait assuré que « par toi seront bénies toutes les familles de la terre» (ibid. 3), lorsqu'Il envoya la famine, il ne suspecta pas sa conduite. La quatrième épreuve fut l'enlèvement de Sarah par Pharaon. La cinquième épreuve fut la guerre des quatre rois au cours de laquelle, avec seulement 318 hommes, il partit délivrer son neveu, confiant dans le Saint, béni soitIl, et par miracle il sauva sa vie, celle de son neveu, ainsi que tout le butin de Sodome et Amora ; et il supporta tous ces événements grâce à sa bonté et son mérite. La sixième épreuve fut la circoncision qu'il pratiqua sur lui-même à l'âge de 99 ans, mettant ainsi en danger sa vieillesse, et dont il sortit indemne. La septième épreuve fut l'enlèvement de Sarah par Abimélec. La huitième épreuve fut le renvoi d'Hagar et de son fils Ismaël par ordre de l'Éternel; et malgré les maux que devait endurer son fils, il accomplit son commandement. La neuvième épreuve fut le sacrifice de son fils Isaac au sujet duquel il est écrit: «Je sais maintenant que tu crains Dieu» (ibid. 22:12). Or, que sut-Il alors qu'Il ne savait déjà? Tout n'est-il pas dévoilé et connu devant Lui? Mais ce n'est que lorsque la chose fut connue des créatures que le Saint, béni soit-Il, déclara: «Je sais maintenant que tu crains Dieu» - pour enseigner à

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tous que la crainte de Dieu est plus grande que tous les commandements de la Torah. En effet, à propos d'aucune autre épreuve que celle-là, Il ne lui dit: « Tu crains Dieu », car cette épreuve fut la plus terrible de toutes, puisqu'il dut prendre son fils et en faire un holocauste. La dixième épreuve fut l'enterrement de Sarah. Il lui avait dit, en effet: Lève-toi et parcours cette terre de long en large, car c'est à toi que Je la donnerai; or, lorsque sa femme mourut, il n'avait même pas d'endroit où l'enterrer, il dut l'acquérir, et il n'en conçut pas de soupçon pour autant [à l'égard de son créateur]. Dieu l'éprouva donc pour faire connaître [au monde] l'ampleur de l'amour d'Abraham notre père, pour dévoiler aux créatures qu'il craignait Dieu et qu'il était parfait dans toutes les vertus. Ces dix épreuves qu'endura Abraham notre père sont toutes décrites explicitement par la Torah. La première fut l'exil, lorsqu'Il lui dit: «Va-t'en de ta terre, de ton pays natal » (Gen. 12:1). La deuxième fut la famine qui s'abattit sur la terre de Canaan au moment où il y habitait, alors qu'Il lui avait promis: « Je ferai de toi un grand peuple, Je te bénirai et Je grandirai ton nom» (ibid. 2) ; ce fut une épreuve terrible, évoquée au verset: « Il y eut une famine dans le pays» (ibid. 10). La troisième fut la perfidie des Égyptiens qui lui enlevèrent Sarah (ibid. 15). La quatrième fut son conflit avec les quatre rois (ibid. 14:12). La cinquième fut de prendre Hagar pour femme lorsqu'il désespéra d'avoir une descendance avec Sarah (ibid. 16:2-3). La sixième fut la circoncision qui lui fut ordonnée à un âge très avancé (ibid. 17:24). La septième fut la perfidie du roi de Guerar qui lui enleva Sarah (ibid. 20:2). La huitième fut le renvoi de Hagar après avoir été construit par elle (i.e. après avoir obtenu une descendance grâce à elle). La neuvième fut le renvoi de son fils Ismaël, comme il est dit: « Que ce qui concerne le garçon et ta servante ne soit pas un mal à tes yeux» (ibid. 21:12) ; et l'Écriture a déjà témoigné que leur renvoi lui fut extrêmement pénible, en disant: « La chose

RAMBAM :

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déplut fortement à Abraham» (ibid. 11), mais il accepta le commandement de Dieu et les renvoya. La dixième fut le sacrifice d'Isaac.

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Michna 4. Dix miracles furent accomplis pour nos pères en Égypte et dix autres à la mer Rouge. [Le Saint, béni soit-Il, amena dix plaies sur les Égyptiens en Égypte et dix autres à la mer Rouge.] Nos pères éprouvèrent le Lieu, béni soit-Il, par dix fois dans le désert, comme il est dit: « Ces dix fois-là ils m'éprouvèrent et ils n'écoutèrent pas Ma voix » (Nomb. 14:22).

Les dix miracles accomplis pour nos pères en Égypte sont d'avoir été épargnés par les dix plaies, car chaque plaie ne frappa que les Égyptiens et non Israël, ce qui relève sans aucun doute du miracle. Et il est écrit explicitement dans la Torah que chaque plaie concerna exclusivement les Égyptiens, hormis la vermine au sujet de laquelle rien n'est précisé. Mais l'on sait qu'elle ne toucha pas les enfants d'Israël et qu'elle ne leur fit aucun mal, même lorsqu'elle se trouvait chez eux, selon l'enseignement des sages; mais pour les autres plaies, en revanche, tout est écrit explicitement. Ainsi, au sujet du sang, il est dit: « Les Égyptiens ne purent boire l'eau du Nil» (Ex. 7:21), ce qui signifie qu'eux seuls en souffrirent. Au sujet des grenouilles, il est dit: « Elles viendront dans ta maison, dans ta chambre à coucher, sur ton lit [ ... ], sur toi, sur ton peuple et sur tes serviteurs» (ibid. 28-29). Au sujet de la bête féroce, il est

RAMBAM :

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dit: «Je tiendrai à l'écart ce jour-là le pays de Gochem où réside Mon peuple» (ibid. 8:18). Au sujet de la peste, il est dit: « Tout le bétail des Égyptiens périt tandis que pas une seule bête des troupeaux d'Israël ne périt » (ibid. 9:6). Au sujet des ulcères, il est dit: « L'ulcère frappa les magiciens et toute l'Égypte» (ibid. Il). De la grêle, il est dit: « Seul le pays de Gochem où était le peuple d'Israël fut épargné par la grêle» (ibid. 26). Des sauterelles, il est dit: « Elles empliront ta maison, la maison de tous tes serviteurs et les maisons de toute l'Égypte» (ibid. 10:6). Enfin, de l'obscurité, il est dit: « Il y avait de la lumière pour tous les enfants d'Israël dans leurs résidences» (ibid. 23). En revanche, les dix miracles accomplis en faveur de nos pères lors du passage de la mer Rouge ne sont connus que par transmission orale. Le premier d'entre eux fut le partage des eaux qu'indique littéralement l'Écriture: « Les eaux se fendirent» (ibid. 14:21). Le deuxième miracle fut qu'après s'être fendues, les eaux se recourbèrent et formèrent une sorte de plafond en arche; ainsi le chemin qui traversait la mer ressemblait-il à une sorte de tunnel au milieu des eaux, que celles-ci entouraient en haut, à droite et à gauche; c'est ce qu'exprime allusive ment Habacuc: « Par son bâton la tête de ses ouvertures fut percée» (Hab. 3:14). Le troisième miracle fut que le sol de la mer durcit et se solidifia pour eux, comme il est dit: « Les enfants d'Israël marchèrent à pied sec au milieu de la mer» (Ex. 14:29), au lieu de demeurer fangeux et boueux comme l'est le lit des fleuves. Le quatrième miracle fut que le chemin des Égyptiens au milieu de l'eau était collant de boue, comme il est dit: «Tes chevaux foulèrent la mer, dans la boue des grandes eaux » (Hab. 3:15). Le cinquième miracle fut que beaucoup de chemins furent ouverts dans la mer, en fonction du nombre des tribus d'Israël, sous forme d'arcs de cercle emboités les uns dans les autres, et tel est le sens du verset: « Pour avoir découpé la mer Rouge en multiples couloirs» (Ps. 136:13). Le sixième miracle fut que les eaux gelèrent et durcirent comme des pierres et il est dit à ce sujet: «Tu fracassas les têtes des pois-

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COMMENTAIRES DU TRAITÉ DES PÈRES

sons géants sur les eaux» (Ps. 74:13) - autrement dit, les eaux se durcirent au point que leurs têtes s'y brisèrent. Le septième miracle fut qu'elles ne gelèrent pas comme de la glace, c'est-à-dire en un seul bloc, mais en multiples morceaux séparés et empilés les uns sur les autres, comme il est dit: « Par Ta puissance Tu émiettas la mer» (ibid.). Le huitième miracle fut que les eaux gelèrent comme du verre ou comme de la pierre de saphir, c'est-à-dire qu'elles étaient transparentes et qu'ils pouvaient se voir [i.e. les tribus pouvaient se voir entre elles] en traversant la mer, comme il est dit : « Tu amoncelas les eaux comme au profond des nuages» (II Sam. 22:12), c'est-à-dire que cette cristallisation des eaux était semblable à la substance même des cieux qui est transparente. Le neuvième miracle fut qu'il ruisselait de ces parois de l'eau douce pour leur boisson. Le dixième miracle fut que cette eau douce gelait dans son ruissellement après qu'ils s'étaient servis de quoi boire, afin qu'elle ne tombe pas à terre; et tel est le sens du verset: « Les ruissellements se dressèrent comme une muraille et les puits gelèrent au cœur de la mer» (Ex. 15:8), c'est-à-dire que ce qui ruisselait gelait au cœur de la mer. Nous savons, de plus, par transmission orale, qu'il s'abattit plus de plaies sur les Égyptiens à la mer Rouge qu'en Égypte; et que ces plaies étaient de même nature que les dix genres de plaies qu'ils subirent en Égypte, mais qu'elles se divisèrent alors en multiples espèces, et il est fait allusion à cela au verset: « Les Philistins prirent peur [...] et ils dirent: Malheur à nous, qui nous sauvera de la main de ces dieux si puissants! Ce sont les dieux qui frappèrent les Égyptiens par toutes les plaies dans le désert » (1 Sam. 4:6-8), c'est-à-dire dans le désert de la mer Rouge. En revanche, les dix épreuves que nos pères firent subir au Lieu correspondent toutes à des versets de la Torah. La première épreuve eut lieu à la mer Rouge lorsqu'ils dirent à Moïse: « Est-ce parce que l'Égypte manque de tombes que tu nous a emmenés mourir dans le désert? » (Ex. 14: Il). La deuxième épreuve eut lieu à Mara, comme il est dit: « Le

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peuple se plaignit auprès de Moïse en disant: Que boironsnous? » (ibid. 15:24). La troisième épreuve eut lieu dans le désert de Sin, lorsqu'ils demandèrent de la manne, en disant : « Que ne sommes-nous morts de la main de l'Éternel en terre d'Égypte, auprès d'une marmite de viande, en mangeant du pain à satiété» (ibid. 16:3). La quatrième épreuve fut leur désobéissance au sujet du surplus de manne, qu'ils conservèrent pour le lendemain, comme il est dit : « Ils n'écoutèrent point Moïse et des gens en conservèrent jusqu'au matin» (ibid. 20). La cinquième épreuve fut leur désobéissance lorsqu'ils sortirent chercher de la manne le jour du chabat : « Le septième jour, certains parmi le peuple sortirent pour recueillir [de la manne] et ne trouvèrent rien» (ibid. 27). La septième épreuve eut lieu à l'Horeb, lorsqu'ils firent le veau d'or (cf. ibid. 32:1). La huitième épreuve eut lieu à Tavera, lorsqu'ils doutèrent à cet endroit des questions touchant la vérité et se révoltèrent, comme il est dit: « Le peuple se mit à altérer la vérité» (Nomb. 11:1 et cf. Ex. 17:7). La neuvième épreuve eut lieu à Kivrot Hataava, lorsqu'ils demandèrent de la viande, comme il est dit: « La populace qui était en leur sein se mit à désirer, etc. » (Nomb. 11:4). La dixième épreuve eut lieu dans le désert de Parân, à propos des explorateurs, et c'est à cet endroit qu'il est dit: « Ces dix fois-là, ils M'éprouvèrent et n'écoutèrent pas Ma voix» (ibid. 14:22).

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COMMENTAIRES DU TRAITÉ DES PÈRES

Michna 5. Dix miracles furent accomplis pour nos pères dans le Temple: jamais une femme n'avorta à cause de l'odeur de la viande des sacrifices, jamais la viande des sacrifices ne pourrit, jamais on ne vit une mouche dans l'abattoir du Temple, jamais il n'arriva de pollution au grand prêtre le jour de Kippour, jamais la pluie n'éteignit le feu du tas de bois [de l'autel], jamais le vent ne prévalut contre la colonne de fumée [s'élevant de l'autel], jamais on ne trouva motif d'invalider l'omer ni les deux pains ni le pain d'exposition, on se tenait debout serré mais on se prosternait aisément, jamais on ne fut blessé par un serpent ou un scorpion à Jérusalem, et jamais un homme n'a dit à son compagnon: « Le lieu est trop étroit pour moi » (Es. 49:20) pour que je puisse passer la nuit à Jérusalem.

«Jamais une femme n'avorta » à cause du désir que suscitait en elle l'odeur de la viande sainte que les prêtres faisaient rôtir à leur profit. Ou encore: « Jamais une femme n'avorta » à cause de l'odeur s'élevant des parties des animaux sacrifiés se consumant sur l'autel ; bien qu'elles sentissent cette odeur et qu'on ne leur donnât pas [ce qu'elles désiraient], elles n'avortaient pas pour autant. «Jamais la viande des sacrifices ne pourrit » : lorsqu'ils n'avaient pas le temps de brûler toutes les parties qui restaient pendant la nuit, ils les entassaient le soir sur l'autel, et un miracle avait lieu car elles ne pourrissaient pas pendant le temps nécessaire à leur combustion. «Jamais on ne vit une mouche dans l'abattoir du Temple » : dans la cour où se trouvaient les tables de marbre sur lesquelles étaient nettoyées les parties des animaux sacrifiés, jamais une mouche ne descendit, ce qui t'enseigne que la Chekhina y demeurait. « Jamais il n'arriva de pollution au grand prêtre », car cette forme d'impureté, puisqu'elle sort du corps, est plus dégoûtante et plus repoussante que toutes les autres formes d'impureté. Cependant, en raison d'autres causes possibles d'invalidation, ils avaient l'habitude de prévoir un grand

RACHI:

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prêtre de remplacement, comme on le voit dans le traité Yoma (12b) à propos de Yossef ben Ilam, qui fut remplacé pour une autre cause d'impureté, par exemple le contact de la vermine morte ou la projection de salive du vulgaire sur son vêtement. Il est écrit dans cette michna: «Jamais la pluie n'éteignit le feu du tas de bois [de l'autel] et jamais le vent ne prévalut contre la colonne de fumée [s'élevant de l'autel]. » !l me semble qu'il s'agit d'une confusion, car dans le traité Yoma (21a) qui mentionne cette michna, ces deux éléments ne figurent pas mais sont au contraire ajoutés par la suite comme étant l'enseignement exclusif d'une braira. Considère donc qu'ils ne font pas partie de notre michna et compte l'omer, les deux pains et le pain d'exposition comme trois choses distinctes, ce qui aura pour effet de reformer une liste de dix choses. Et s'agissant de ceux-là, c'est parce qu'ils sont tous trois des offrandes d'ordre collectif et non d'ordre individuel qu'on ne trouva jamais de motif pour les invalider. « L'omer » : jamais l'offrande de l'omer ne subit le contact d'une vermine morte ou jamais la poignée offerte ne fut non conforme à la halakha. Et c'est là un grand miracle, car si l'omer était invalidé, il était totalement repoussé et l'on ne disposait d'aucune possibilité de réparer le dommage; car celui-ci ne pouvait être fauché et récolté que la nuit du 16 nissan, comme l'indique le traité Menahot. «Les deux pains» de Atsérêt (fête de Chavouot) ne connurent jamais d'invalidation, car ils n'avaient pas non plus de possibilité de réparation, puisqu'il fallait les cuire la veille du jour de fête et non le jour même de la fête, comme l'indique le traité Pessahim ; ils auraient donc été aussi totalement repoussés si l'on avait trouvé en eux un motif d'invalidation. Pareillement, « le pain d'exposition », s'il était invalidé, était repoussé au chabat suivant, puisqu'il est impossible de le mettre en place un autre jour que le chabat, comme il est dit: « Le jour du chabat il les installera » (Lev. 24:8). Et puisque ces trois choses n'avaient pas de possibilité de réparation, ils étaient enclins à veiller sur elles plus que sur toute autre offrande.

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COMMENTAIRES DU TRAITÉ DES PÈRES

Lorsque les enfants d'Israël se rassemblaient dans la cour du Temple, lors des fêtes de pèlerinage ou les autres jours de l'année, ils s'y tenaient debout serrés et pressés les uns contre les autres; cependant, lorsqu'ils se prosternaient vers la Chekhina en demandant grâce, l'espace entre eux s'élargissait tant que chacun était distant de son prochain de quatre coudées, de sorte que personne n'entendait la prière de son voisin et que nul n'avait honte d'avouer ses fautes. Telle est l'explication que j'ai trouvée dans la aggada. « Jamais on ne fut blessé par un serpent» : jamais un homme ne mourut du fait de la morsure d'un serpent. « Le lieu est trop étroit pour moi », c'est-à-dire l'heure est difficile pour moi et je ne parviens plus à trouver ma subsistance. Car le Saint, béni soit-Il, apprêtait la subsistance de tous ceux qui habitaient Jérusalem, de sorte que jamais l'un de ses habitants n'eut à recourir à l'aide de son prochain ou ne dut quitter l'endroit et s'exiler. Tu sais que l'autel était au milieu de la cour, cela sera précisé à sa place (Midot 3), et qu'il était ouvert sur les cieux; or, malgré cela, jamais la pluie n'éteignit le feu et jamais le vent ne dispersa la colonne de fumée s'élevant des sacrifices, car au moment du sacrifice, l'air était calme. Ceux qui se tenaient dans la cour étaient debout les uns à côté des autres, et au moment de se prosterner, il n'y avait ni pression ni bousculade entre eux, grâce à la force du sentiment de respect qui les saisissait en ce lieu.

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COMMENTAIRES DU TRAITÉ DES PÈRES

Michna 9. Il Y a quatre périodes pendant lesquelles la peste augmente: pendant la quatrième année, pendant la septième année, au sortir de la septième année et chaque année au sortir de la fête (de Soukot). Pendant la quatrième année, à cause de la dîme du pauvre [que l'on n'a pas donnée] lors de la troisième année. Pendant la septième année, à cause de la dîme du pauvre [que l'on n'a pas donnée] lors de la sixième année. Au sortir de la septième année, à cause [de la transgression du commandement concernant] les fruits de la septième année. Chaque année au sortir de la fête, à cause du vol des dons dus aux pauvres.

Nous avons déjà expliqué maintes fois dans le Seder Zeraïm l'ordre selon lequel sont prélevés les dons sur la récolte, et en particulier que les troisième et sixième années est prélevée d'abord la première dîme que l'on donne au lévi comme tous les ans, et qu'est prélevée ensuite une seconde dîme que l'on destine aux pauvres et qui remplace la seconde dîme prélevée les autres années du cycle de sept ans. « Les dons dus aux pauvres » : ce sont la glane (Lev. 19:9), la gerbe oubliée (Deut. 24:19), le coin du champ (cf. Lev 19:9), les grains de raisin (Lev. 19:10) et le grappillon (ibid.) ; car une fois la fête (de Soukot) passée, tout cela est fini puisque le travail des champs est terminé, ainsi celui qui a offert tous ces dons est quitte, tandis que celui qui les a volés les a volés une fois pour toutes.

RAMBAM :

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Michna 15. Quatre genres d'hommes s'assoient devant les sages : l'éponge, l'entonnoir, le filtre et le tamis. L'éponge absorbe tout; l'entonnoir fait pénétrer d'un côté et fait ressortir de l'autre; le filtre fait sortir le vin et retient la lie; et le tamis fait sortir la farine et en retient la fleur.

Il a comparé l'homme qui a bonne mémoire et se souvient de tout ce qu'il entend, sans distinction du vrai et du faux, à une éponge, qui est une plante marine qui absorbe tout. Il a comparé ensuite celui qui comprend vite

RAMBAM :

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COMMENTAIRES DU TRAITÉ DES PÈRES

mais entre les mains duquel rien ne subsiste, ni le vrai, ni le faux, à un entonnoir. Il a comparé encore celui dans l'esprit duquel subsistent les choses fausses et une réflexion incorrecte, et qui oublie les choses vraies alors qu'elles sont la règle de la conduite, à un filtre qui ne recueille que la lie et rejette les parties épurées. Enfin, il a comparé celui chez qui c'est l'inverse du précédent à un tamis qui rejette la poussière et la boue par ses ouvertures et retient la farine, en évoquant précisément le tamis à farine, car celui-ci rejette les parties fines qui sont inutiles et retient les gros éléments. L'éponge » : dans une éponge pénètrent toutes sortes de boissons et, lorsqu'on la presse, elle rejette un liquide unique qui est le mélange de toutes les boissons différentes qu'elle a absorbées; de même le disciple qui a reçu de son maître plusieurs explications et plusieurs sujets, les uns après les autres, et qui ne sait énoncer chaque chose distinctement dans un ordre correct lorsqu'on l'interroge, mais mélange toutes les explications par incompréhension du contenu propre à chaque élément. « L'entonnoir» est celui qui oublie régulièrement ce qu'il a entendu de son maître, aussitôt après l'avoir entendu. « Le filtre fait sortir le vin et retient la lie », la parabole désigne celui qui a l'esprit droit et sélectionne les explications vraies et bonnes, puis les « sort» en les communiquant; et il « retient la lie », c'est-à-dire qu'il ne dit pas ce qui n'est pas juste ni vrai, car il sait que parfois, dans l'étude de la halakha, se présentent au début à l'esprit maintes réflexions incorrectes et que ce n'est seulement qu'après étude que Dieu l'aide et l'éclaire pour le conduire à la vérité. « Le tamis fait sortir la farine et retient la fleur », c'est l'inverse du filtre; c'est-à-dire qu'il a l'esprit particulièrement tordu et qu'il lui semble que les réflexions fausses qui se présentent en premier à son jugement sont vraies, tandis

RABBI HAYIM DE VOLOZYNE : «

CHAPITRE V - MICHNA 16

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que les réflexions véritablement justes qui lui viennent après étude il ne les communique jamais. La conséquence de notre explication est que le « filtre» est la meilleure des quatre mesures citées et le « tamis» la pire d'entre elles, ce qui reflète la structure des michnayot précédentes : « Quatre genres en l'homme» (michna 10), « Quatre genres de tempéraments» (michna Il), etc., lesquelles mentionnent toujours en avant-dernière place le meilleur d'entre eux et en dernier le pire.

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Michna 16. Tout amour qui dépend d'une chose cesse lorsque cette chose disparaît; mais un amour qui ne dépend de rien ne cessera jamais. Quel amour dépend d'une chose? Celui de Amnon et Tamar. Et lequel ne dépend de rien ? Celui de David et Jonathan.

Voici la manière dont il faut comprendre son propos: tout amour qui dépend d'une chose vaine, lorsque la chose disparaît son amour disparaît avec elle; tandis qu'un amour qui ne dépend pas d'une chose vaine ne cessera jamais. Et tu sais que toutes les causes corporelles sont vaines et passagères, et que la cessation du désir découle nécessairement de la cessation de ses causes. En conséquence, si la cause de l'amour est une chose divine, c'est-à-dire le vrai savoir, sa cessation est alors à jamais impossible puisque sa cause existe éternellement.

RAMBAM :

RACH! : «

Tout amour qui dépend d'une chose », de toute

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COMMENTAIRES DU TRAITÉ DES PÈRES

chose désirable dans le monde et non du seul souci de proximité et d'amitié, « cesse lorsque cette chose disparaît », comme Amnon qui n'aima Tamar que par goût pour l'adultère, et il est écrit à ce propos: « Puis Amnon la haït d'une haine immense, et la haine qu'il éprouva envers elle était plus grande que tout l'amour dont il l'avait aimée. » (II Sam. 13:15). Et lequel ne dépend de rien? Celui de David et Jonathan » : il s'agit d'un amour qui n'a pas de cesse, même si la mesure humaine est telle qu'il ne peut pas ne pas souffrir un peu de tort et de diminution, et dont le modèle est David et Jonathan. Car, bien que David dût prendre la place de Saül, le père de Jonathan, et ôter à ce dernier la royauté, leur amitié resta profonde. C'est ce que déclara le roi David dans son oraison funèbre pour Jonathan: « Ton amitié est plus extraordinaire pour moi que l'amour des femmes » (II Sam. 1:26) : c'est-à-dire, comment sais-je que ton amitié est plus extraordinaire pour moi que l'amour des femmes? Parce que lorsque je servais auprès de Saül, les femmes disaient: « Saül frappa des milliers et David des myriades » (1 Sam. 18:7) et Saül en fut jaloux, bien entendu. Or, non seulementJonathan ne le jalousa pas, mais il le sauva même de la main de son père. Telle est la différence entre son amour et l'amour corporel, et il est dit à ce sujet: « L'âme de Jonathan était liée à l'âme de David, et celui-ci aimait Jonathan comme son âme »(ibid. 1). Quant à l'amour d'Amnon et de Tamar, il est connu et il n'y a rien à ajouter.

RABBÉNOU YONA : «

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CHAPITRE V - MICHNA 18

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cieux finira par disparaître. Quelle controverse a lieu au nom des cieux? La controverse entre Hillel et Chamaï. Et quelle est celle qui n'eut pas lieu au nom des cieux? La controverse de Coré et de toute son assemblée.

Tout cela est clair, et les choses avancées dans cette michna 14 se déploient à travers la question du salaire et du châtiment. Car celui qui manifeste son désaccord non pour une basse fin mais par souci de rechercher le vrai, ses paroles subsisteront et il n'en tombera pas un mot.

RAMBAM :

Son intention, en disant que « toute controverse qui a lieu au nom des cieux finira par subsister », est que la controverse se poursuivra toujours; aujourd'hui ils s'opposent sur un sujet et demain ils s'opposeront sur un autre, leur controverse se prolongera et durera toute leur vie, et en plus on leur ajoutera de longues années de vie. « Mais celle qui n'a pas lieu au nom des cieux finira par disparaître » : dès la première controverse, ils concluront, achèveront et périront là, comme il arriva à la controverse de Coré.

RABBÉNOU YONA :

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Michna 18. Quiconque rend la collectivité méritante, la faute ne l'atteint pas; mais quiconque fait fauter la collectivité 14. Dans son édition et dans son commentaire le Rambam associe cette michna à la michna suivante.

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COMMENTAIRES DU TRAITÉ DES PÈRES

ne pourra jamais se repentir. Moïse mérita et rendit la collectivité méritante, et le mérite de celle-ci lui fut imputé, comme il est dit: « [Moïse] appliqua la justice de l'Éternel et Ses lois avec Israël» (Deut. 33:21). Jéroboam fauta et fit fauter la collectivité, et la faute de celle-ci lui fut imputée, comme il est dit: « Pour les fautes de Jéroboam qui fauta et qui fit fauter Israël » (1 Rois 15:30).

Quiconque conduit les hommes dans le bon chemin, l'Éternelle récompense en l'empêchant de fauter; tandis que celui qui égare les hommes, l'Éternelle châtie en l'empêchant de se repentir. Cela est clair et ne pose aucun problème si l'on a compris ce que nous avons exposé dans le huitième chapitre de l'introduction ".

RAMBAM :

Quiconque rend la collectivité méritante, etc. », afin qu'il ne soit pas dans la géhenne alors que ses disciples seraient dans le jardin d'Eden, selon les mots: « Car Tu n'abandonnes pas mon âme au Chéol, ni ne donnes à Tes bienfaits de voir la fosse » (Ps. 16:10). « Mais quiconque fait fauter la collectivité, etc. », afin qu'il ne soit pas dans la jardin d'Eden alors que ses dis-

RACHI: «

15. «II n'y a aucune étrangeté à dire qu'il y a des hommes que Dieu punit de telle sorte que leur châtiment soit de ne pouvoir se repentir et de ne plus disposer de leur liberté pour revenir [de leurs actions], car Il connaît l'importance des fautes, et Sa sagesse et Sa justice fixent la mesure du châtiment approprié. Il y a ainsi des hommes qu'Il châtie en ce monde seulement, d'autres qu'Il ne châtie que dans le monde à venir, et d'autres encore qu'Il châtie dans les deux mondes ensemble. De même, Son châtiment en ce monde varie: certains sont punis dans leur corps, certains dans leurs biens et certains dans les deux ensemble - comme lorsqu'Il annule une partie des mouvements d'un homme sur laquelle s'exerce sa liberté, par mesure de châtiment, par exemple en rendant sa main invalide comme Ille fit pour Jéroboam (cf. l Rois 13:14), ou en rendant ses yeux aveugles comme Ille fit pour les gens de Sodome attroupés autour de Loth (cf. Gen. 19: Il). Il annule donc pareillement chez certains le désir de se repentir de sorte que l'idée ne leur viendra pas à l'esprit et Il les anéantit dans leur

CHAPITRE V - MICHNA 19

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ciples seraient dans la géhenne, selon les mots: « L'oppresseur [qui arrache] l'âme dans le sang fuira jusqu'à la fosse sans trouver d'aide» (Prov. 28:17).

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Michna 19. Quiconque a ces trois choses fait partie des disciples d'Abraham notre père, mais quiconque a ces trois autres choses fait partie des disciples de Bilam l'injuste. L'œil content, l'effacement de soi et la retenue de l'âme sont le propre des disciples d'Abraham notre père; tandis que l' œil envieux, l'infatuation et l'empâtement de l'âme sont le propre des disciples de Bilam l'injuste. Quelle différence y a-t-il entre les disciples d'Abraham notre père et les disciples de Bilam l'injuste? Les disciples d'Abraham notre père [jouisfaute. Et nous n'avons pas l'obligation de connaître Sa sagesse au point de savoir la raison pour laquelle Il a châtié un tel de telle façon et non d'une autre, comme nous ne connaissons pas non plus la cause qui fit que telle espèce animale a telle forme et non telle autre; mais la règle est que: " Toutes Ses voies sont de justice" (Deut. 32:4), et qu'Il châtie le fauteur à proportion de sa faute et récompense l'homme généreux à proportion de sa générosité» (Rambam, Introduction aux Pirqé Avot, chap. 8, éd. Kappah, p. 2_64).

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COMMENTAIRES DU TRAITÉ DES PÈRES

sent en ce monde et] 16 héritent du monde à venir, selon le verset: « Il y a de quoi donner en héritage à Mes aimés et Je remplirai leurs trésors» (Prov. 8:21). En revanche, les disciples de Bilam l'injuste ont la géhenne en partage et sont précipités dans la fosse de la destruction, selon les mots: « Et Toi, Dieu, Tu les précipites dans la fosse de la destruction, ces hommes sanguinaires et perfides qui n'atteindront pas la moitié de leur âge. Quant à moi, j'ai confiance en Toi » (Ps. 55:24).

Il aurait pu abréger son propos, et plutôt que de poser d'abord une règle générale pour en exposer ensuite les détails, il aurait pu affirmer directement d'emblée: « Tous ceux en qui se reconnaissent l'œil content, l'effacement de soi et la retenue de l'âme, sont les disciples d'Abraham notre père, etc. » Pourquoi avoir placé en exergue une règle générale et avoir repris ensuite l'exposé de son détail ? En fait, il veut enseigner que dans les trois choses mentionnées dans la première liste est contenu l'ensemble de toutes les perfections, et que dans les trois choses contraires énoncées ensuite sont contenues toutes les imperfections. Car, s'il avait abrégé son dire, comme nous l'avons proposé précédemment, il aurait laissé entendre que si celui qui a ces trois choses est bien un disciple d'Abraham notre père, les disciples de celui-ci ont cependant bien d'autres perfections encore, dont le nombre ne s'arrête pas là. C'est pourquoi il affirme d'emblée que celui qui a les trois choses qu'il va énoncer est totalement le disciple d'Abraham notre père, puis il les énumère, indiquant de la sorte qu'elles recèlent toutes les perfections d'un disciple d'Abraham notre père, puisque c'est grâce à elles qu'il est nommé son disciple.

RABBÉNOU YONA :

16 Les mots « jouissent en ce monde» ne figurent pas dans l'édition du Rambam. De plus, dans son édition, l'ordre d'exposition des destinées futures des deux genres de disciples est inversé, et, au lieu du « monde à venir », les disciples d'Abraham hériteront du « jardin d'Eden ».

CHAPITRE V - MICHNA 19

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Nous avons déjà eu plusieurs fois l'occasion d'indiquer que l'expression « l'œil content» désigne la sobriété, la« retenue de l'âme» c'est la continence et l' « effacement de soi» l'humilité dépassée, comme nous l'avons expliqué au chapitre précédent (cf. michna 4). Quant aux trois choses contraires, la course aux richesses est signifiée par l'expression« l'œil envieux », l'appétit sexuel par l'expression « l'empâtement de l'âme » et l'orgueil par le terme « infatuation ». Or, puisque c'est Abraham notre père qui fit connaître ces trois dispositions saines, celui qui les possède est appelé son disciple car il adopte ses règles. Inversement, celui qui posséderait ces trois dispositions vicieuses serait un disciple de Bilam puisqu'il adopte ses manières. Je mentionnerai maintenant les endroits où sont exposées les dispositions saines d'Abraham notre père et les dispositions vicieuses de Bilam, qui sont tous des versets de la Torah. L'œil content d'Abraham notre père se manifeste dans sa réponse au roi de Sodome: « Si je prenais un filou un lacet de soulier, etc. » (Gen. 14:23), ce qui est le comble de la sobriété en ce qu'il abandonne ainsi un énorme butin sans en profiter du tout, pas même d'une infime partie. La continence d'Abraham notre père se reconnaît dans les mots qu'il adressa à Sarah lorsqu'ils se rendirent en Égypte: « Voici que je ne savais pas que tu es une femme de belle apparence» (ibid. 12:11), et dont l'explication est qu'il n'avait jamais observé pleinement son aspect avant ce jour, ce qui est le comble de la continence (cf. B.B. 16a). De même, lorsqu'il déclara de Hagar après l'avoir épousée: « Voici, ta servante est entre tes mains » (ibid. 16:6) en s'adressant à Sarah, cela laisse clairement entendre qu'il n'avait que faire de ses charmes et de ses grâces; et lorsque Sarah lui demanda de la renvoyer avec Ismaël, l'Écriture témoigne que seul le renvoi d'Ismaël lui était pénible, afin de prévenir tout soupçon de concupiscence de sa part envers Hagar. Tous ces éléments sont des signes de continence, comme il est écrit: « La chose déplut fortement à

RAMBAM:

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COMMENTAIRES DU TRAITÉ DES PÈRES

Abraham au sujet de son fils» (ibid. 21:11). Quant à son humilité, elle est reflétée dans sa déclaration : « Je suis poussière et cendre» (ibid. 18:27). Le goût de Bilam pour la richesse se révèle en ce qu'il vint d'Aram Naaraïm (ville au bord de l'Euphrate) pour nuire à Israël contre salaire, comme il est dit: « Pour avoir payé contre toi (Israël) Bilam fils de Péor, de Ptor Aram Naaraïm, pour te maudire» (Deut. 23:5). Sa concupiscence se manifeste dans le conseil qu'il donna à Balak de débaucher les femmes [de son peuple] pour qu'elles se dépravent avec Israël, et de faire d'elles des prostituées; or, si la concupiscence n'était un trait caractéristique de son âme, et si la chose n'était appréciée et désirée par lui, jamais il ne lui aurait commandé chose pareille. Car le commandement qu'un homme donne découle de la forme de son esprit, et jamais les gens de bien ne commandent de pratiquer le vice mais ils mettent au contraire en garde contre lui. Le passage de l'Écriture qui l'indique est le suivant: « Voici, elles étaient aux enfants d'Israël sur l'ordre de Bilam » (Nomb. 31:16). Et les sages ajoutèrent que Bilam avait des relations avec son ânesse (cf. Sanh. 105a) et il ne fait aucun doute que celui dont tel était l'état d'esprit se livrait à de tels actes. Enfin, son orgueil est connu par sa déclaration: « Oracle de celui qui entend les dires de Dieu, etc. » (ibid. 24:16). Quant à la preuve invoquée par la michna au sujet de Bilam, à savoir: « Et Toi, Dieu, Tu précipites dans la fosse de la destruction les hommes sanguinaires et perfides» (Ps. 55:24), elle s'applique bien à lui puisqu'il fit mourir les enfants d'Israël par l'effet d'un fléau et multiplia les manigances pour leur nuire, comme nous l'avons expliqué, ce qui montre suffisamment qu'il était sanguinaire et perfide. Enfin, la preuve invoquée au sujet des disciples d'Abraham, au verset: « Il y a de quoi donner en héritage à Mes aimés» (Prov. 8:21), elle reflète le nom qui leur est donné: « Descendance d'Abraham Mon aimé» (Is. 41 :8).

CHAPITRE V - MICHNA 20

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Michna 1. Les sages ont enseigné dans la langue de la Michna, béni soit celui qui les a choisis, eux et leur Michna: Rabbi Méïr dit: Qui se consacre à la Torah pour elle-même acquiert par son mérite beaucoup de choses et, de plus, il vaut le monde entier. Il est appelé ami et aimé, il aime le Lieu et il aime les créatures; il réjouit le Lieu et il réjouit les créatures. Cette

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COMMENTAIRES DU TRAITÉ DES PÈRES

étude le revêt d'humilité et de crainte, elle le prépare à être juste, intègre, droit et digne de confiance; elle l'éloigne de la faute et le rapproche du mérite; et grâce à elle, les gens profitent de son conseil et de sa sagacité, de son discernement et de sa puissance, comme il est dit: « A moi le conseil et la sagacité, je suis le discernement et la puissance m'appartient » (Prov. 8:14). Elle lui confère royauté, pouvoir et jugement pénétrant. Elle lui révèle les secrets de la Torah et le transforme en une source qui gonfle, en un fleuve au cours intarissable. Grâce à elle, il devient pudique, patient et il pardonne l'insulte; enfin, elle le grandit et l'élève plus que ne le feraient tous les exploits.

Les sages ont enseigné dans la langue de la Michna », autrement dit, il s'agit d'une braita enseignée dans la langue de la Michna, mais qui ne fait pas partie de la Michna. Et qu'ont-ils enseigné? «Rabbi Méïr dit, etc. » Puisque tous les chapitres précédents appartenaient à la Michna, il était nécessaire d'indiquer que commence ici une braïta ; et puisque cette dernière relève de la aggada et concerne l'étude de la Torah, on a pris l'habitude dans les synagogues de la réciter avec les autres chapitres du traité Avot.

RACH! : «

Qui se consacre à la Torah pour cllemême» : en précisant « pour elle-même », il veut dire à l'exclusion de tout autre chose, car ce n'est que lorsqu'il l'étudie pour elle-même qu'il acquiert l'élévation de la Torah, puisque c'est pour elle qu'il étudie. Tandis que s'il l'étudie en vue d'autre chose qu'elle, il n'acquiert rien de tout cela, puisque son étude n'a pas pour fin la Torah ellemême mais la gloire ou une chose semblable. Ainsi, toutes les perfections mentionnées ici sont dues à la nature même de la perfection de la Torah; si bien que celui qui l'étudie pour elle-même acquiert, ce faisant, la perfection qui revient à la Torah elle-même, alors que celui qui l'étudie dans un autre but ne saurait acquérir la Torah [et ses perfections] puisqu'il vise autre chose qu'elle.

MAHARAL DE PRAGUE: «

CHAPITRE VI - MICHNA 2

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Michna 2. Rabbi Josué fils de Lévi dit: Chaque jour un Écho de la Voix sort du mont Horev, clamant ces mots : Malheur aux créatures qui ont humilié la Torah! Car qui ne s'affaire pas à la Torah est appelé « réprouvé ", comme il est dit: « C'est un anneau d'or au groin d'un porc qu'une belle femme dépourvue de sens» (Prov. 11:22). Et il est écrit: « Les tables étaient l'œuvre de Dieu et l'écriture était l'écriture de Dieu, gravée sur les tables ), (Ex. 32:16) - ne lis pas « gravée» mais « liberté », car il n'est d'homme libre que celui qui s'adonne à l'étude de la Torah. Et qui s'affaire à la Torah s'élève, comme il est dit: « De Matana à Nahaliel et de Nahaliel à Bamot » (Nomb. 21:19).

Un Écho de la Voix» : il ne s'agit pas d'un ange mais de la dimension de la Voix qui d'elle-même sort, telle vent qui souffle. Et Rav Saadia Gaon a expliqué qu'elle ressemble à ce qui se produit lorsqu'un homme crie vers les montagnes: on lui répond d'entre les arêtes des montagnes et d'entre les grottes creusées dans les rochers. « Du mont Horev », c'est-à-dire l'endroit où a été donnée la Torah et c'est pourquoi la Voix se fait entendre à partir de là. « Réprouvé» ('lm) est un notarikon (i.e. une forme d'acrostiche) des mots "12'~m 1N ,ïnN pl~ n::m):) ï):)Ùi1.'l m\!m 1:1 li1)? P'l~ ,11nN 111N 1?~N 1N ,inN 11:1i 1N ,inN ?!)11mN):) ï):)? N?\!J ,?Nl\!J' 1?):) i1i:1 1)'~):) p\!J ,i1:1::J : l):)N)\!J , WïP):)1 1!)1?N 1:11 1Nlp , ï:1?:1 O'l:1ï ')\!J N?N N1?i11 .('i1) O'?i111) 'YiP):)1 '~1?N '::11Y::1 \!J1)N i111N1 ï):)? N?\!J ,?Nl\!J' 1/1:) ï1ï i1):)1 .1):)1n1 ?P O'l:1ï 1!)1?N 1:11 1Nlp ,i:1?:1 O'l:1ï ')\!J N?N ?!)11'nN):) p1tJ~ 1N ,11nN i1::J?i1 1N , ïnN pl~ n:1n):) i):)1?i1 ,1YiP):)1 i1):)::1 11nN ?Y ,11nN 111N 1?~N 1N ,ïnN l1:1ï 1N ,ïnN l):)N)\!J ,i11111 N?N i1:1::J pN1 .i1:1::1 1:1 lm? 1'1~\!J i1):)::11 O\!J) :11\:> 1?n)' 0'):)'):)111 ('l '?\!J):) 1?n)' o'):)::1n i1:1::1 : '1111) ::11\:> np? '::1 : l):)N)\!J ,i11111 N?N :11\:> l'N1 .('n::J .('ï O\!J) 1:1HY11 ?N '111111 0::1?

Michna 3. Celui qui apprend de son prochain un seul chapitre, ou une seule règle à suivre, ou un seul verset, ou une seule parole, ou bien même une seule lettre, doit lui faire honneur. Car nous trouvons cela chez David roi d'Israël, qui apprit seulement deux choses d'Ahitofel et l'appela néanmoins son maître, son prince et son enseignant, comme il est dit: « Et c'est toi, homme en tout mon égal, mon prince et mon enseignant» (Ps. 55:14). N'y a-t-il pas place ici pour un raisonnement à fortiori? Si David roi d'Israël, qui n'apprit

CHAPITRE VI - MICHNA 3

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d'Ahitofel que deux choses, l'appela son maître, son prince et son enseignant, à plus forte raison celui qui apprend de son prochain un seul chapitre, ou une seule règle à suivre, ou un seul verset, ou une seule parole, ou bien même une seule lettre, doit-il lui faire honneur. Et l'honneur n'est autre que la Torah, car il est dit : « Les sages hériteront de l'honneur » (Prov. 3:35) ; et il est dit: « Les parfaits hériteront du bien» (ibid. 28:10), or le bien n'est autre que la Torah, selon le verset: « Car Je vous ai donné une bonne instruction, Ma Torah, ne l'abandonnez pas» (ibid. 4:2).

Nous trouvons cela chez David [...] qui apprit deux choses d'Ahitofel », Ahitofel dit en effet à David: « Car ensemble nous adoucissons le secret, dans la maison de Dieu nous allons avec émotion» (Ps. 55:15). Ahitofel vit un jour David étudier seul, il lui dit: Que fais-tu! Vois, il est écrit: « L'épée est sur les faiseurs de fictions (0'1)), et ils s'abrutiront ())l-m) » Ger. 50:36) -l'épée est sur les disciples des sages qui étudient chacun dans leur coin (ï:t:t ï:t), et en plus ils deviennent sots, puisqu'il est écrit ici ))N)) et qu'il est écrit ailleurs: « La faute d'être devenus sots ())N))) et d'avoir fauté» (Nomb. 12:11). Que puis-je faire? rétorqua David. Il lui répondit: « Car ensemble nous adoucissons le secret» (Ps. 55:15), c'est-à-dire, étudions la Torah tous les deux. Une autre fois, il le vit se diriger vers la maison d'étude la taille dressée; il lui dit: Que fais-tu! Vois, il est écrit: « Mon sanctuaire, craignez-le» (Lev. 19:30) - un homme doit y pénétrer avec angoisse, afin que la crainte des cieux pèse sur lui. Te! est le sens des mots qu'il lui adressa: « Dans la maison de Dieu nous allons avec émotion ('lin)) » (Ps. 55:15), c'est-àdire dans la peur et la crainte. D'autres expliquent qu'il le vit entrer seul dans la maison d'étude, et lui dit: « Dans la maison du roi nous allons 'li)') » (ibid.) - c'est-à-dire « en foule» (Oïl'( '):1 Il\!)),:t), car « c'est dans un peuple nombreux qu'est la splendeur du roi » (Prov. 14:28), allons-y donc tous les deux.

RACHI : «

Licence eden-2123-41-4747304-41-96003082-12916387 accordée le 27 avril 2020 à [email protected]

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Michna 5. Ne recherche pas ta grandeur et ne désire pas la gloire. Fais plus que tu n'étudies. Et n'envie pas la table des rois, car ta table est plus grande que leur table et ta couronne plus haute que la leur. Tu peux être sûr que le maître de ton ouvrage te payera le salaire de ton travail.

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CHAPITRE VI - MICHNA 6

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Michna 6. La Torah est plus grande que la prêtrise et que la royauté. Car la royauté est acquise grâce à trente formes de perfections et la prêtrise grâce à vingt-quatre, tandis qu'il en faut quarante-huit pour acquérir la Torah, à savoir: par l'étude, par une écoute attentive, par la disposition des lèvres, par le discernement du cœur, par la peur, par la crainte, par l'humilité, par la joie, par la pureté, par le service des sages, par la minutie des compagons d'étude, par la dialectique des disciples, par la fermeté d'esprit, par l'Écriture, par la Michna, par la diminution des affaires, par la diminution de la fréquence des rapports, par la diminution des plaisirs, par la réduction du sommeil, par la diminution des conversations, par la diminution de la plaisanterie, par la patience, par un bon cœur, par la confiance dans les paroles des sages, par l'acceptation des châtiments, en connaissant sa place, en se réjouissant de sa part, en faisant une haie à ses paroles, en ne s'accordant pas de mérite personnel, en étant aimé, en aimant le Lieu, en aimant les créatures, en aimant la charité, en aimant la rectitude, en aimant les remontrances, en s'écartant de la gloire, en ne tirant pas vanité de son étude, en ne prenant pas plaisir à rendre sentence, en partageant le joug de son compagnon, en le jugeant en bonne part, en l'établissant sur la vérité et en l'établissant sur la paix, en affermissant son cœur dans l'étude, en questionnant et en répondant, en écoutant et en complétant, en étudiant afin de pouvoir enseigner et en étudiant afin de pouvoir accomplir, en rendant son

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maître sage et en citant soigneusement son enseignement, et en rapportant une parole au nom de celui qui l'a dite. Vois, tu as appris que qui rapporte une parole au nom de celui qui l'a dite apporte la délivrance au monde, comme il est écrit : « Esther parla au roi au nom de Mardochée» (Est. 2:22).

La royauté est acquise grâce à trente formes de perfections » : celles-ci sont enseignées dans le livre de Samuel (1, 8) ; lorsque les enfants d'Israël demandèrent un roi, Samuel leur répondit: Sachez que la loi du roi sera telle et telle. Si tu fais le compte, en leur associant ce qui est enseigné dans le traité Sanhédrin (chap. 2), à savoir que le roi juge mais n'est pas jugé, etc., tu en trouveras trente. Quant à la prêtrise, il s'agit des vingt-quatre dons offerts aux prêtres (cf. Nomb. 18:8 sq.) : dix dans le Temple, quatre à Jérusalem et dix dans le reste du pays. « Par la disposition des lèvres » : en prononçant son étude et en la faisant entendre à tous les membres de son corps au moment où elle est mise en ordre dans sa bouche. « Par le discernement du cœur », c'est-à-dire par l'intelligence du cœur, qui réfléchit par objections, puis revient sur elle-même et considère de quelle manière répondre et comprendre la chose en son fond et qui établit les sens possibles et les évalue. « Par la joie », car la Chekhina ne réside pas au sein de l'affliction mais dans la joie du commandement. « Par le service des sages » : en les servant et en accomplissant leur travail afin d'apprendre d'eux l'enseignement et la réflexion. Car Mara dit (Ber. 47b) : « Le service de la Torah est plus grand que son étude », et les sages ont dit de plus que le vulgaire est celui qui a étudié la Torah et la Michna mais n'a pas servi les sages. « Par la minutie des scribes (C"'!110 î'11î'1J)>>: par l'assiduité, car plus un homme est assidu plus il devient sage; et les sages ont dit ainsi: Si quelqu'un te déclare qu'il a peiné mais n'a pas trouvé, ne le crois pas.

RACHI : «

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« Par l'acceptation des châtiments» : si des châtiments s'abattent sur un homme, qu'il les accueille avec amour et ne leur lance pas des ruades, ni ne détourne son cœur de l'étude de la Torah par défi, en s'écriant qu'il peine pour rien puisque la Torah ne le protège pas des châtiments. « En ne prenant pas plaisir à rendre sentence », c'est-àdire en craignant d'avoir trébuché dans les paroles de la Torah.

Une fois éclaircies les quarante-huit choses grâce auxquelles la Torah est acquise, il convient d'examiner le genre d'étude que pratique notre génération pour savoir si ces quarante-huit choses lui conviennent ou non. Or, malgré notre profonde et extrême faiblesse, nous pensons n'avoir nullement besoin de ces dispositions élevées, ni même d'une seule d'entre elles, et cependant les sages de notre génération continuent d'être tenus pour tels et notre faiblesse est supposée convertie en un immense profit. Tandis qu'en vérité, un tel profit nous confine plutôt dans la misère. C'est avec angoisse et le cœur meurtri que je fais ce constat, en me prosternant devant les petits et les grands du peuple d'Israël, et je ne me crois nullement apte à critiquer qui que ce soit, ni ne dis que les choses que je dénonce ne se pourraient trouver en moi. Car, pour ma part, j'ai commencé comme eux ou pire encore dans mon étude; et pour cette raison, j'ai pu observer l'étendue de l'indigence qui se trouvait en moi. Voilà pourquoi je peux m'endeuiller et me lamenter à ce sujet, dans l'espoir que m'entendront ceux qui étudient honnêtement, qui ont la force de se dominer comme des lions dans la Torah, de gravir un à un les échelons de la perfection, au point que tous les sages de la génération seront tenus pour rien à côté d'eux, et qui ne suivent pas notre coutume néfaste et amère de courir après des chimères pour s'en abuser. Que ferons-nous, dans les temps derniers, lorsque nous nous présenterons devant le roi des rois de rois, dans la nudité et le dénuement total, nudité des

MAHARAL DE PRAGUE:

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actes et dénuement de toute sagesse, comme le montre la conduite de cette génération? Car pas un d'entre nous ne cherche à réaliser son propre enseignement en révisant son étude, qu'il s'agisse de l'Écriture, de la Michna ou du Talmud. D'ailleurs, en ce qui concerne la Michna, ce langage ne convient même pas; car la vérité est qu'on ne lui prête aucune attention, et nul ne se soucie des paroles des sages dans le traité Sanhédrin (99a), lorsqu'à propos du verset: « Car il a méprisé la parole de Dieu et renversé Son alliance » (Nomb. 15:31), Rabbi Nathan dit: « Cela désigne celui qui ne tient pas la Michna sous sa garde. » Or, telle est précisément la conduite de cette génération, où pas un n'est prêt à un tel engagement, sous prétexte que n'est tenu pour « sage » que celui qui s'adonne au Talmud, qui est le lieu du questionnement et de la recherche, ce qui a pour effet d'attirer le cœur de l'homme et de vouer la Michna à l'abandon. De qui agit ainsi on dit qu'il méprise la parole de l'Éternel, car « la parole de l'Éternel » désigne le corps des commandements qui est enseigné dans la Michna. Qui ne tient pas la Michna sous sa garde méprise donc Sa parole, car il n'étudie que pour la sagesse, or tout homme cherche par nature à devenir sage, mais il ne désire pas connaître en eux-mêmes les commandements de Dieu qui constituent la Michna. De plus, le fait de ne pas revenir sur son étude et d'oublier le lendemain la mesure que l'on a apprise la veille, est aussi compris dans le jugement : « Il a méprisé la parole de l'Éternel », comme l'établit une brai'ta (ibid.). On enseigne, en effet: « Rabbi Josué fils de Koreha dit: Qui étudie mais ne révise pas son étude ressemble à un homme qui sème mais ne récolte pas. Rabbi Josué dit: Qui étudie la Torah puis l'oublie ressemble à une femme qui enfante puis enterre. Rabbi Akiba dit: Un chant chaque jour, un chant chaque jour. Rabbi Isaac dit: Que signifie le verset: " L'âme peine, sa peine est pour lui" (Prov. 16:26) ? Quand il peine à tel endroit, sa Torah peine pour lui à un autre endroit. Rabbi Eliézer dit: L'homme a été créé pour peiner comme il est

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dit: " L'homme est né pour l'effort" Qob 5:7) » [.. .]. Or, que veulent dire ces tanaïm, aussi bien que ceux qui les ont précédés, en associant le verset : « Il a méprisé la parole de l'Éternel» au fait de ne pas réviser son étude, sinon justement que celui qui ne le ferait pas, et ressemblerait ainsi à un homme qui sème mais ne récolte pas, « méprise » en cela « la parole de l'Éternel » ? Car il n'est pas de plus grand mépris que celui de l'homme qui sème et abandonne sa récolte aux oiseaux des cieux. Nul doute qu'il méprise la semence en l'abandonnant ainsi, et il en va de même de celui qui étudie mais ne révise pas son enseignement: il méprise la Torah. C'est aussi la raison pour laquelle Rabbi Josué compare celui qui étudie la Torah puis l'oublie à une femme qui enfante puis enterre ses enfants, dans le cas où dès l'origine son enfantement était voué à la perte et à la tombe; pareillement, oublier son étude revient à vouer dès l'origine cette étude à l'oubli. En cela, il méprise évidemment la parole de l'Éternel. Réfléchis à la comparaison des sages entre celui qui ne révise pas son étude et celui qui sème mais ne récolte pas. Elle signifie que la réception de l'étude ressemble à un ensemencement. Car lors de l'ensemencement de la terre, la semence se perd d'abord dans la terre, puisqu'elle s'y enracine et que tout ce qui est attaché à la terre lui est semblable. Ce n'est qu'au moment de la récolte qu'il sépare et dissocie la semence de la terre, et non avant. En ce sens, l'homme est semblable à la terre pour ce qui est de la réception initiale de la sagesse; et puisque l'homme est un corps, la parole de sagesse se perd d'abord dans le corps qui la reçoit. Qui ne réviserait pas son étude ressemble donc à celui qui ne récolterait pas sa semence perdue dans le sol; la parole de Torah qu'il a reçue est, en effet, perdue dans le corps et n'est pas encore intelligible, détachée de la matière, car c'est un corps qui l'a reçue. Mais lorsqu'il revient sur son étude, la parole se fait alors intelligible et se détache entièrement de la matière; et en agissant ainsi, il ressemble à celui qui sépare en fauchant la récolte du sol et dissocie celle-ci de la terre. Tâche de bien comprendre cela.

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Et Rabbi Josué ajoute que celui qui étudie la Torah puis l'oublie, ressemble à une femme qui enfante puis enterre ses enfants. Il signifie ainsi que l'oubli de la Torah n'est pas une chose de peu d'importance, car la Torah est une création divine de l'Éternel, tout comme la naissance d'un enfant. Et lorsqu'une femme enfante puis enterre, elle perd une création divine et c'est une grande honte que de voir une création divine se perdre et être détruite. Pareillement, celui qui oublie les paroles de la Torah assiste à la disparition d'une création divine, et ce spectacle est une grande honte. C'est la raison pour laquelle les sages ont dit que celui qui oublie une chose de son étude se rend coupable en son âme (cf. plus haut, chap. 3, michna 8), car il détruit la Torah divine et son oubli est considéré comme égal à la perte et à la destruction de l'âme divine qui est en l'homme. Voilà pourquoi deux tanaïm pensent que cela fait partie du jugement: « Il a méprisé la parole de l'Éternel », car en ne revenant pas sur son étude, on oublie sa Torah, ce qui démontre un mépris total. Puis Rabbi Akiba ajoute qu'il faut réviser son étude, en disant: « Un chant chaque jour, un chant chaque jour », c'est-à-dire: même s'il a étudié un chapitre hier, qu'il le recommence aujourd'hui, et ainsi de suite tous les jours. Tel est le sens du verset: « L'âme peine, sa peine est pour lui» (Prov. 26:16), c'est-à-dire la peine qu'il a prise [dans la Torah lui restera], comme nous l'avons expliqué plus haut à propos de la déclaration de Rabban Yohanan fils de Zakaï: « Si tu as beaucoup étudié la Torah, ne t'en fais pas un mérite personnel» (chap. 2, michna 8), car l'homme a été créé pour l'effort, c'est-à-dire pour faire passer à l'acte le dire de la Torah. Rabbi Akiba déclare donc: «Un chant chaque jour », signifiant ainsi que l'homme doit peiner et faire passer à l'acte le dire de la Torah; et même s'il ne découvre rien de nouveau ce faisant, qu'il révise les choses qu'il a étudiées hier. Car la mesure de l'homme ne peut être uniquement de vivre dans l'effort sans en venir à la fin [pour laquelle il a été créé] : devenir parfait en acte. Et si

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l'homme était déjà parfait en acte, en ne dévoilant pas chaque jour quelque chose de nouveau dans son étude il manquerait sa propre fin qui est d'être actuellement parfait. Mais il n'en va pas ainsi, car l'homme n'atteint pas la perfection actuelle; et il ne lui reste que l'effort de la tension vers la perfection réalisée qu'il n'atteint jamais. C'est pourquoi il déclara: « Un chant chaque jour », car grâce à cela l'homme peine dans son étude. Tel est le sens du verset: « L'homme est né pour l'effort» Gob 5:7), comme nous l'avons expliqué plus haut dans le deuxième chapitre, car l'homme toujours demeure en puissance et jamais n'atteint le terme de la perfection en acte; il reste donc toujours attelé à l'effort qui est le sien, et ces choses sont extrêmement claires. Telles étaient les paroles des premiers tanaïm, dont le haut degré de sagesse est sans pareil, comme Rabbi Josué et Rabbi Akiba. Et ce sont eux qui préconisent de réviser son étude chaque jour. Si l'on considère que ceux qui se consumaient de clairvoyance, au point qu'aucune créature dans le monde ne leur est comparable, [enseignaient à agir de la sorte,] nous n'aurons plus de doute que telle est bien la cause de la disparition totale de la Torah en nos régions. Car même chez les générations ultérieures, et non seulement les générations des Baalé Tossefot (XII'-XIV' siècle) mais aussi les générations beaucoup plus tardives, la connaissance de la Torah est manifeste, aussi bien dans les six ordres de la Michna que dans tout le Talmud, comme il ressort de leurs réponses, en ce qu'ils apportent des preuves à l'appui de leurs décisions puisées en tous les endroits de la Torah. La cause est qu'ils révisaient sans cesse leur enseignement, et ne cessaient jamais d'étudier, matin, midi et soir [... ]. Mieux encore, ils réalisaient la Torah dans la plus grande gêne et sous l'oppression des peuples; tandis que nous, nous sommes assis paisiblement et tranquillement en nos maisons, et lorsqu'un jugement se présente ou qu'une décision dans la pratique de la Torah doit être prise, nous fouillons les recoins et les trous pour

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trouver quelque chose, plus que nous le ferions pour accomplir le commandement de détruire toute pâte levée la veille de Pessah. On fouille ainsi les tables des matières (litt. les signes mnémoniques) jusqu'à ce que l'on trouve l'objet recherché ou la fiction imaginée; puis l'on déclare: J'y suis arrivé, j'ai trouvé. Croie-le! Et l'on invoquera pour se justifier le traité Erouvin (54b), disant que« la Torah n'est acquise que grâce à ses signes mnémoniques »> alors que l'on se trompe tout simplement sur le sens de cette formule. Une voie encore plus courte s'est fait jour récemment, au point que l'homme trouve la« table disposée» (Choulkhan Aroukh) devant lui. Et l'on s'écrie: C>est la table qui est devant Dieu, grands et petits y sont appelés et invités, « le prince n'y est pas distinct du misérable» Oob 34:19), à la table d'en haut tous ont droit! Ignorants du sens et dépourvus de réflexion, ils enseignent la règle à suivre (i1:l~m) en répétant la Michna. Dans le traité Sota, il est enseigné : « Les tanaïrn corrompent le monde ». Crois-tu vraiment qu'ils corrompent le monde? Rava dit: Il s'agit de ceux qui enseignent la règle à suivre en répétant leur Michna. » Et Rachi explique à cette occasion qu'ils « corrompent le monde par des enseignements faux, car ils ignorent le sens de la Michna et comparent parfois des choses qui ne sont pas comparables ». Il y a évidemment de cela ici, toutefois l'expression « corrompre le monde » ne s'entend pas ainsi et il semble plutôt que ceux qui enseignent la règle à suivre en répétant leur Michna ne prêtent aucune attention au Talmud qui est l'essentiel de la Torah. Pour cette raison, « ils corrompent le monde » car ils effacent le Talmud du monde. Or, la Michna n'a pas été enseignée pour que soit établie à partir d'elle la règle à suivre, mais elle a été enseignée pour que soit expliqué son sens dans le Talmud [i.e. par l' étude] et que la règle à suivre soit décidée à travers le Talmud[i.e. à travers l'étude] , car c'est ensemble que tous deux sont bons. Une telle chose corrompt bien entendu le monde, comme nous pouvons le constater. Si un homme sage venait à songer à notre coutume, il en serait stupéfait. Combien l'Éternel a-t-Il accru nos plaies et

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perdu la sagesse de nos sages, car nous sommes à la queue et non à la tête! Les tanaïm, les amoraïm et les guéonim, puis tous ceux qui leur succédèrent, étudiaient de manière ordonnée, en commençant par l'Écriture, étudiant ensuite la Michna puis le Talmud. De nos jours, on commence par le Talmud, pourvoyant ainsi à l'éducation d'un enfant de six ou sept ans, et l'on finit par la Michna. On ne cherche d'ailleurs pas à étudier mais seulement à connaître les règles à suivre déjà établies, comme nous l'avons dit, et c'est la raison pour laquelle on commence par le Talmud et l'on conclut par la Michna. Ils auraient mieux fait de réfléchir que, puisque leur but est d'en arriver là, il fallait à tout le moins commcncer par étudier la Michna, pour que celle-ci leur reste au moins à la fin. Car il ne leur reste actuellement plus ricn : ni Talmud, ni décision fixe, ni aucun enseignement, sinon après ratissage et fouille. La cause de cette grave destruction est que le mensonge pris pour commencement engendre à la fin déformation et corruption. Ils commencent, en effet, par de vains exercices dialectiques dans l'élucidation de la règle à suivre, en sachant pertinemment qu'eux-mêmes n'auraient jamais songé à parler de la sorte, et montrent des aspects de la Torah qui ne s'y trouvent pas, en arguant qu'il faut bien s'affiner l'esprit. Or, non seulement, il aurait été souhaitable que soit épargné à notre peuple de devoir s'aiguiser l'esprit par le mensonge, et de perdre ainsi son temps dans le mensonge alors que la Torah est vérité, mais il faudrait même se déchirer le cœur devant pareille attitude, qui consiste à renverser la vérité en mensonge sous prétexte qu'il faut bien s'affiner l'esprit! De plus, tout cela ne vaut dans les faits strictement rien; car si la dialectique fallacieuse ressemblait à la dialectique vraie, il aurait été possible de croire que l'on s'élèverait, à la suite de ce genre d'exercices inconsistants, à la vraie dialectique. Mais il n'en est rien, car elles ne se ressemblent absolument pas, tant sous le rapport des objections que sous le rapport des réponses. Comment peut-on croire affiner son esprit par ce genre d'exercices et savoir ensuite raisonner vraiment? Il est

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évident, au contraire, que loin de devenir sage on s'abrutit de la sorte ; car on prend alors l'habitude d'une dialectique dépourvue de toute sagesse, et jamais celle-ci ne préparera à l'autre. N'est-ce pas une chose que chacun peut constater? Et si l'on prétendait que l'esprit s'aiguise de toute manière, même de cette façon et même si cette finesse ne ressemble pas à une dialectique vraie, il vaudrait mieux dans ce cas apprendre la menuiserie ou tout autre métier, ou encore l'humour qui est connu pour recéler sagesse et ingéniosité, et affiner ainsi son esprit. Cela serait plus convenable que de rechercher des aspects de la Torah qui ne correspondent pas à la règle à suivre, « il conçoit la peine et enfante le mensonge» (Ps. 7:5). Car lorsque l'homme s'habitue au mensonge de cette sorte, qui est intentionnel et conscient, tous ses actes découlent ensuite du mensonge et il ment jusque dans ses gestes car sa bouche en a pris l'habitude. Comment, en effet, le mensonge pourrait-il engendrer la vérité? Ainsi, parmi les quarante-huit choses grâce auxquelles la Torah est acquise, est-il enseigné « l'amour de la rectitude », c'est-à-dire l'éloignement du mensonge, « en établissant son compagnon sur la vérité », ce qui implique à tout le moins que l'on s'y établisse soi même en premier; et toutes ces choses sont des dispositions droites et bonnes. Mais existe-t-il une aberration comme celle-là: tordre les paroles de la Torah pour s'affiner l'esprit par la dialectique et l'argumentation qui ne ressemblent en rien à des raisonnements vrais ? A propos de ceux que cela concerne, j'appliquerai le verset: «J'ai placé devant eux (i.e. Babel et Achour) le jugement et ils te jugeront d'après leurs lois » (Ez. 23:24). Mais vous, chers disciples auxquels Dieu a donné un cœur compréhensif et un esprit clairvoyant, donnez votre force à la Torah et non aux étrangetés et aux mensonges. Pensez aux temps derniers, à l'ampleur du salaire des gens de Torah. Pourquoi dépenseriez-vous votre temps en de pareilles sottises, pourquoi peineriez-vous pour des choses vides qui ne sont d'aucun bénéfice? Comment pourriez-vous croire qu'il existe une rétribution pour ce genre de choses, alors qu'au

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fond de vous vous savez pertinemment qu'il n'en est rien? Ne devriez-vous pas craindre pour vos âmes devant cette humiliation de la Torah? Mais que votre penchant ou bien celui qui vous enseigne ne vous fassent pas croire que c'est une bonne chose, car c'est là une espérance vaine. Et qui empêchera que le salaire de celui qui vous enseigne ne soit perdu à cause de ses carences, si ce n'est pire ? J'ai vu des enfants dont le cœur était semblable à la porte d'entrée du Temple, capable de recevoir la Torah toute entière et qui finirent perdus, comme s'ils n'avaient jamais existé, comme le reste du vulgaire. Par la vie de l'Éternel, ne doit-on pas déchirer son vêtement et s'endeuiller à ce spectacle comme devant un livre de la Torah brûlé ! Les sages dirent ainsi (Chab. 105b) : «Qui assiste à la sortie de l'âme du corps doit déchirer son vêtement », et Rachi explique que la raison de ce deuil [pour un inconnu] est que jusqu'à présent il avait la force d'étudier la Torah, et que cela s'est interrompu à sa mort. A fortiori, en cette génération où nous assistons à l'annulation de la Torah et à sa perte, doit-on déchirer son vêtement et s'endeuiller comme devant un livre de la Torah brûlé. Quant à celui qui s'écarterait de la voie du mensonge et forcerait sa personne et les autres avec lui à s'engager dans le chemin de la vérité et de la rectitude, l'Écriture dit de lui: « Ainsi parle l'Éternel: Si tu reviens, Je te ferai revenir, devant Moi tu te tiendras ; et si tu fais émerger le précieux du médiocre, tu seras comme Ma bouche» Ger. 15:19). Et la Torah le protège en ce monde et dans le monde à venir [...]. Si nous devions écrire comment se sont produits cette embûche et cet obstacle à notre époque, la vie n'y suffirait pas. Mais je promets ceci: la chose qui n'est point et qui ne peut se tenir, à plus forte raison ne saurait demeurer et le sceptre du mensonge ne saurait l'emporter sur le sort de la vérité, qui est la Torah de vérité que l'Éternel nous a donnée. Car Il sera cause que s'affermiront les lèvres véridiques pour toujours, éternellement, et Il nous soulagera de ceux qui « transforment le jugement en écœurement» (Amos 5:7) et disent de l'amer qu'il est doux. Amen.

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COMMENTAIRES DU TRAITÉ DES PÈRES

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Michna 7. La Torah est grande car elle donne la vie à ceux qui l'accomplissent, en ce monde et dans le monde à venir, selon les mots: « Car elles (i.e. les paroles de la Torah) sont la vie pour celui qui les trouve et une guérison pour toute sa chair » (Prov. 4:22) ; et il est dit : « Elle sera un remède pour ton nombril et une sève pour tes os » (ibid. 3:8) ; et il est dit: « Elle est un arbre de vie pour ceux qui s'en saisissent, et qui s'attache à elle est heureux » (ibid. 18) ; et il est dit: « Elle est un lien de grâce pour ta tête et un collier pour ton cou» (ibid. 1:9); et il est dit: « Pose sur ta tête un lien de grâce et ceins-toi d'une couronne d'estime» (ibid. 4:9); [et il est dit: «En moi tes jours se multiplieront et des années de vie te seront ajoutées » (ibid. 9: Il) ;] et il est dit: « L'allongement de la vie est dans sa droite et dans sa gauche sont la richesse et la gloire» (ibid. 3:16); et il est dit : « Car une longue vie, des années de vie de paix te seront ajoutées» (ibid. 2) ; et il est dit: « Ses voies sont des voies de douceur et tous ses sentiers sont de paix» (ibid. 17).

« Elle donne la vie à ceux qui l'accomplissent » : ils en mangent les fruits en ce monde et leur capital est conservé pour le monde à venir. « Car elles sont la vie pour ceux qui les trouvent» - ne lis pas Oi1'N~m : ceux qui les trouvent, mais Oi1)N)~lY.l :

RACHI :

CHAPITRE VI - MICHNA 7

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ceux qui la produisent par leur bouche en ce monde. « Une sève pour tes os », car elle sera la boisson de tes os dans la tombe. « Elle est un arbre de vie pour ceux qui s'en saisissent» : pour le monde à venir. Peut-être diras-tu qu'il mérite ainsi la vie du monde à venir, mais pourquoi mériterait-il aussi la richesse, car il est des hommes auxquels échoit une pauvreté telle qu'ils préfèrent la mort à la vie? C'est pourquoi il ajoute: « Elle est un lien de grâce pour ta tête et un collier pour ton cou » ; or, quelle chose amène l'homme à trouver grâce auprès des gens, sinon la richesse? Peut-être diras-tu que même s'il lui est donné des biens, il ne sera pas honoré par les hommes pour autant. C'est pourquoi il ajoute:« Ceins-toi d'une couronne d'estime. »Peut-être diras-tu que même sans étudier la Torah pour elle-même il méritera de telles choses. C'est pourquoi il ajoute: « L'allongement de la vie est dans sa droite », c'est-à-dire que ceux qui sont droits en elle obtiennent une longue vie et, cela va sans dire, la richesse et la gloire; « dans sa gauche », c'est-à-dire à ceux qui gauchissent la Torah reviennent « la richesse et la gloire », mais non l'allongement de la vie (Chab. 63a). Peut-être diras-tu qu'il mérite la vie et la richesse, mais non la paix; c'est pourquoi il dit enfin: « Des années de vie et de paix te seront ajoutées. »

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COMMENTAIRES DU TRAITÉ DES PÈRES

Michna 8. Rabbi Chimon fils de Menassia dit au nom de Rabbi Chimon fils de Yohaï: La beauté, la force, la richesse, la gloire, la sagesse, l'ancienneté " et les enfants siéent aux justes et siéent au monde, comme il est dit: « L'âge vénérable est une couronne d'estime, c'est sur le chemin de la justice qu'on le trouve» (Prov. 16:31) ; et il est dit: « L'estime des jeunes gens est leur force et l'âge vénérable est l'ornement des anciens » (ibid. 20:29) ; et il est dit: « La couronne des sages est leur richesse » (ibid. 14:24) ; et il est dit: « Les petits enfants sont la couronne des anciens et l'estime des enfants, ce sont leurs pères » (ibid. 17:6) ; et il est dit: « Alors la Lune sera confuse et le Soleil honteux, car l'Éternel des armées règnera au mont Sion et à Jérusalem, et Ses anciens seront environnés de gloire» (Is. 24:23). Rabbi Chimon fils de Menassia dit: Ces sept qualités énumérées par les sages au sujet des justes se sont toutes réalisées chez Rabbi et ses enfants.

La beauté », c'est-à-dire l'éclat du visage qui lui donne l'aspect d'un roi et fait que ses paroles sont écoutées. « La force » pour courir devant Lui, et parce que la Torah épuise l'homme.

RACHI : «

Ces sept degrés d'élévation contiennent toutes les formes d'élévation. Car la beauté est une élévation pour le corps en ce qu'elle le rend seyant; c'est donc une élévation corporelle, et c'est pourquoi il a commencé par elle. Puis il a évoqué la « force» qui est une élé-

MAHARAL DE PRAGUE:

1. La plupart des éditions ajoutent ici le mot n:l'\!)n1 qui désigne « l'âge vénérable », mais ce mot redouble alors le terme d'« ancienneté» (illpl) déjà évoqué. De plus, il faudrait compter dans ce cas huit choses et non sept comme l'indique la fin de la Michna. Enfin, on constatera en se reportant au commentaire du Maharal de Prague que celui-ci ignore totalement ce terme.

CHAPITRE VI - MICHNA 8

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vation pour l'âme, car c'est l'âme qui est forte. Puis il a mentionné la « richesse » qui est pour l'homme une acquisition, car après avoir évoqué la beauté et la force qui sont des perfections du corps et de l'âme, lesquels constituent l'homme lui-même, il a mentionné la richesse qui est l'acquisition de l'homme comme nous l'avons maintes fois expliqué. Puis il a évoqué la « sagesse », parce que celle-ci est aussi une acquisition de l'homme, car l'homme doit s'approprier la sagesse tout comme il doit s'approprier la richessse. C'est pourquoi le sage est appelé ancien, comme il est dit dans le traité Kidouchin (33a) : « N'est ancien que celui qui a acquis la sagesse. » Ainsi, ces quatre formes d'élévations constituent-elles chacune un degré en soi. Puis il a évoqué les « enfants» qui sont les engendrements de l'homme en même temps qu'une acquisition. Il s'agit d'une réalité intermédiaire entre une acquisition et une chose qui lui serait propre; car pour autant que le fils n'est pas la substance même du père, il est l'acquisition de celui-ci; mais en tant qu'il est la chair de sa chair, il est une réalité consubstantielle au père. Puis il a mentionné l' « ancienneté », car celle-ci est l'achèvement de l'homme qui termine sa vie. C'est un degré d'élévation en soi, particulier à l'homme achevé et rassasié de vie, sans privations. De plus, lorsque l'homme se fait vieux, il n'est plus l'homme matériel que représentent les enfants plongés naturellement dans la matière; et c'est là un degré d'élévation en soi, en tant que l'homme est alors séparé de la matière, comme le sont les anciens dont le corps est devenu faible. Enfin, la septième qualité est la « gloire », car la gloire qui provient de l'Éternel est une perfection spirituelle, comme il est dit: « Les sages hériteront de la gloire» (Prov. 3:35), ce qui montre que la gloire convient aux sages précisément.

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COMMENTAIRES DU TRAITÉ DES PÈRES

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Michna 9. Rabbi Yossé fils de Kisma dit: Me trouvant une fois en chemin, un homme me croisa et me salua, et je le saluai à mon tour. Il me demanda: Rabbi, de quel endroit estu ? D'une grande ville de sages et de scribes, lui répondis-je. Il me dit: Rabbi, si tu acceptes de venir habiter auprès de nous, dans notre contrée, je te donnerai des milliers de milliers de dinars d'or, des pierres précieuses et des perles. Je lui répondis: Mon fils, même si tu me donnais tout l'argent et tout l'or, toutes les pierres précieuses et toutes les perles du monde, je continuerais à n'habiter que dans un lieu de Torah; car au moment de la mort, ce ne sont ni l'argent ni l'or ni les pierres précieuses ni les perles qui accompagnent l'homme, mais seulement la Torah et les bonnes actions, selon le verset: « Qu'elle te guide dans ta marche, qu'elle veille sur toi lorsque tu es couché, qu'elle parle avec toi à ton réveil» (Prov. 6.:22). « Qu'elle te guide dans ta marche » en ce monde, « qu'elle veille sur toi lorsque tu es couché» dans la tombe, « qu'elle parle avec toi à ton réveil» dans le monde à venir. Et il est écrit dans le livre des Psaumes, œuvre de David, roi d'Israël: « Meilleure est pour moi la Torah de Ta bouche que Licence eden-2123-41-4747304-41-96003082-12916387 accordée le 27 avril 2020 à [email protected]

CHAPITRE VI - MICHNA 10

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des milliers d'or et d'argent » (Ps. 119:72). Et il est écrit: « A Moi l'or et à Moi l'argent, oracle de l'Éternel des armées» (Hag.2:8).

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Rabbi Hanania fils d'Akachia dit: Le Saint, béni soit-Il, voulut donner du mérite à Israël et pour ce faire Il multiplia à leur intention la Torah et les commandements, comme il est dit: « L'Éternel voulut Sa justice, Il grandit la Torah et la renforça» (Is.42:21).

L'un des fondements de la foi en la Torah est que si un homme accomplit l'un des six cent treize commandements de manière correcte, et sans lui associer aucunement pour fin l'une des fins de ce monde, mais en accomplissant le commandement pour lui-même et par amour, comme je te l'ai déjà expliqué, il mérite alors en cela la vie du monde à venir. C'est pourquoi Rabbi Hanania dit que grâce à la multiplicité des commandements, il est impossible qu'un homme n'en accomplisse pas un chaque jour de sa vie de manière parfaite et ne mérite ainsi l'immortalité de l'âme. Témoigne de ce fondement, la question que posa Rabbi

RAMBAM :

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COMMENTAIRES DU TRAITÉ DES PÈRES

Hanina fils de Teradion à Rabbi Yossé fils de Kisma: « Où en suis-je par rapport à la vie du monde à venir? Il lui répondit: Aucun acte n'est-il venu entre tes mains? » C'est-à-dire: as-tu eu l'occasion d'accomplir un acte de manière correcte? Et il lui répondit qu'il avait accompli le commandement de pratiquer la charité avec la plus grande perfection possible, et il mérita en cela la vie du monde à venir (cf. A.Z. 18a). Quant à l'explication du verset cité, elle est la suivante: L'Éternel voulut rendre juste Israël et, dans ce but, il a grandi la Torah et l'a renforcée '.

2. Passage tiré du Commentaire sur le traité Makot (3:16).

GLOSSAIRE

Aggada : récit. Amora (pluriel amoraiin) : de amar (dire), maître de l'époque de la Guemara (III' au VI' siècle de notre ère). Braita : leçon extérieure, tout enseignement de l'époque des tanaiin que ne rapporte pas la Michna. Chema : Écoute, récitation de trois passages de la Torah matin et soir (Deut. 6:4-9, 11:13-21, Nomb. 15:37-41).

Gaon (pluriel gueonim) : éminence; les gueonim succédèrent aux amoraiin à la tête des académies (yechivot) de Babylonie, et dirigèrent le peuple juif jusqu'au début de l'époque médiévale. Guemara : complément, achèvement; commentaire et amplification de la Michna dus aux amoraiin. .

Halakha : de holekh (aller), règle à suivre, institution des sages, commandement de la Torah. Michna: de chana (répéter), codification de la Torah orale due à Rabbi Juda le Prince (dit Rabbi). Elle se divise en six ordres, qui se divisent en traités, lesquels se divisent à leur tour en chapitres, et ces derniers en michnayot (pluriel de michna). Midrach: recherche et/ou exposition; par extension, le terme désigne une certaine forme de commentaire de la Torah. Rav : maître.

Richon (pluriel richonim): premier, maître de l'époque médiévale. Talmud: ensemble formé par la Michna et la Guemara.

Tana (pluriel tanaiin) : de tana (enseigner), maître de l'époque de la Michna. Targoum Onkelos : traduction du Pentateuque en araméen (II' siècle) due à Onkelos. Tossefta : addition; amplification de la Michna due à Rabbi Hiya, disciple de Rabbi.

ABRÉVIATIONS BIBLIQUES Am. Canto IChr. U Chr. Dan. Deut. Ecc. Es. Est. Ex. Ez. Gen.

Hab. Hag. Is. Jer. Job Joël Jon. Jos.

: Amos : Cantique des Cantiques

Jug. Lam.

: 1 Chroniques : 2 Chroniques

Lev.

: Daniel : Deutéronome : Ecclésiaste

: ESTa : Esther : Exode : Ezéchiel : Genèse : Habacuc : Haggaï (Aggée) : Isaïe : Jérémie : Job : Joël : Jonas : Josué

Mal. Mich. Nah. Neh. Nomb. Ob. Os. Provo Ps. IR. UR. Ruth ISam. U Sam. Soph. Zac.

: Juges : Lamentations : Lévitique

: Malachie : Michée :Nahoum : Néhémie : Nombres : Obadia : Osée : Proverbes : Psaumes

: 1 Rois :2 Rois : Ruth : 1 Samuel : 2 Samuel : Sophonie : Zacharie

ABRÉVIATIONS TALMUDIQUES J. M. Tos. Ar. A.Z. B.B. Bek. Ber. Bet. Bik. B.M. B.Q. Chab. Cheb. Chebu. Cheq. Dem. Ed. Er. Git. Hag. Ha!. Hou!. Ka!. Ke!. Ker. Ket. Ki!. Maas.

: Talmud de Jérusalem : Michna : Tossefta

: Arakhin : Avoda Zara : Baba Bathra : Bekhorot : Berakhot : Betsa : Bikourim : Baba MelSia : Baba Qama : Chabat :Chebiit : Chebouot : Cheqalim : Demaï : Edouyot : Erouvin

: Gitin : Hagiga : Hala : Houlin : Kala : Kelim : Keritot : Ketoubot

: Kilaïm : Maasérot

Mass.Ch. Mak. Makch. Meg. Méi!. Men Mid. Miq. Mo.Q. Naz. Ned. Neg. Nid. Oho. Oq. Ora. Or!. P.A. Par. Péa Peso Qid. Qin. R.H. Sanh. Sot. Souk. Taan. Tarn.

: Maaser Chéni : Makot : Makhchirim : Meguilah : Méila : Menahot : Midot : Miqvaot : Moed Qatan : Nazir : Nedarin : Negaïm : Nida :Oholot :Oqtsim : Orayot : Orla : Pirqé Avot : Para : Péa : Pesahim : Qidouchin : Quinim : Roch Ha-Chana : Sanhédrin : Sota : Souka : Taanit : Tamid

TABLE DES MATIÈRES

INTRODUCTION ...................................................................

7

Préliminaires.. ... .... ..... ... .... .... ...... .... ... .... ..... .... .... ... .... ..... 7 Les sentences du traité Avot.......................................... Il Situation du traité Avot dans la Michna....................... 19 Enjeu du traité Avot....................................................... 25 Les fins de l'homme ....................................................... 33 Note pour la présente édition ....................................... 38 CHAPITRE I..........................................................................

43

CHAPITRE II ........................................................................

85

CHAPITRE III ....................................................................... 123 CHAPITRE IV ....................................................................... 161 CHAPITRE V ........................................................................ 211 CHAPITRE VI ....................................................................... 267

Glossaire .............................................................................. 295 Abréviations bibliques et talmudiques ............................. 297

Licence eden-2123-41-4747304-41-96003082-12916387 accordée le 27 avril 2020 à [email protected]