Documents du Parti. Contribution du Président Félix Houphouet-Boigny a la vérité historique sur le RDA

136 91

French Pages [100] Year 1987

Report DMCA / Copyright

DOWNLOAD FILE

Polecaj historie

Documents du Parti. Contribution du Président Félix Houphouet-Boigny a la vérité historique sur le RDA

Table of contents :
Front Cover
PREMIÈRE PARTIE
— la longue traversée du désert
— de la grève des achats a
DEUXIÈME PARTIE
— la paix, c'est notre deuxième religion
— c'est le sacrifice de tous les Ivoiriens
— chefs traditionnels, intellectuels, fonctionnaires,
— les femmes ont toujours été à la pointe de notre combat
— même si on les frappait, les Bobos
— notre lutte n'était pas une lutte de classe

Citation preview

Documents du Parti

CONTRIBUTION DU PRÉSIDENT FÉLIX HOUPHOUET-BOIONT A LA VÉRITÉ HISTORIQUE SUR LE RDA

JQ 3386 A98P2 A45 6

Colloque international amoussoukro 18-

STANFORD

Documents du Parti

CONTRIBUTION DU PRÉSIDENT FÉLIX HOUPHOUET-BOIGNY A LA VÉRITÉ HISTORIQUE SUR LE RDA Colloque international Yamoussoukro 18-25 Octobre 1986

EDITIONS

Avant-propos Venus de nombreux pays, les anciens responsables du Rassem blement Démocratique Africain se sont retrouvés, en octobre 1986 à Yamoussoukro, pour célébrer le quarantième anniversaire de ce grand Mouvement, né à Bamako sur les bords du Niger et qui porta les espérances des peuples dans le décisif parcours de la lutte pour l'indépendance dans la liberté et la dignité retrouvées. L'initiative et l'organisation de ces journées furent le mérite des chercheurs ivoiriens, présidés en la circonstance par M. Joachim Bony, ancien ministre, professeur d'Histoire à l'Université, député à l'Assemblée Nationale. Elles ont permis de recueillir de précieux témoignages, de jeter une lumière précise sur la vérité historique et de faire, une fois pour toutes, table rase des «histoires» concoctées par de prétendus témoins ou acteurs, moins soucieux d'honnêteté objective que de s'attribuer le beau rôle ou de solliciter les faits à l'avantage de leurs propres thèses politiques. Dans sa première intervention, le jeudi 23 octobre, le Président du RDA, Monsieur Félix Houphouet-Boigny, après avoir, une nou velle fois, remis quelques pendules à l'heure, répondit sans détour aux questions des participants. Le lendemain, il tint à saluer et encourager ses compagnons, les valeureux militants des sections du RDA, les exhortant à ne pas se laisser aller au découragement, leur faisant comprendre que, quelles qu'aient pu être depuis, les péripéties politiques qui les ont, en leurs pays, le plus souvent par la violence, écartés du pouvoir, l'Afrique qui ne saurait oublier leur héroïsme des années terribles, a toujours besoin de leur foi, de leur courage, de leur dévouement, toutes valeurs qui ne meurent jamais. Les organisateurs ont annoncé, lors de la clôture des travaux, leur intention de collationner les documents et de les publier. Le rôle des Editions du Parti se borne ici à mettre à la disposition des militants, la déterminante contribution du Président du RDA qui, avec une mémoire remarquable au service d'une objectivité scrupu leuse, a tenu à faire lui-même, en deux interventions désormais historiques, la lumière sur des événements majeurs et sur les moti vations de Paix de leurs acteurs. Fraternité-Hebdo

Messieurs les Ministres, Honorables Délégués et Observateurs, Militants et Militantes du PDCI-RDA, Chers, Très Chers Camarades du RDA, M. Jean Konan Banny, Maire de Yamoussoukro, mem bre du Comité Exécutif du Bureau Politique du PDCI-RDA, membre du Gouvernement, vous a traduit avec beaucoup d'éloquence, la joie immense que nous procure votre pré sence nombreuse et distinguée, à l'occasion du Colloque International sur l'Histoire du RDA. Je m'associe pleinement aux souhaits de cordiale bienvenue, aux remerciements cha leureux, fraternels, qu'il vous a adressés en notre nom à tous. Etant moi-même un des fondateurs de ce grand Mouve ment de lutte émancipatrice, et assumant depuis plusieurs années des responsabilités à divers titres dans ce pays, j'ai été souvent sollicité pour livrer mes mémoires, égrener mes souvenirs sur la marche difficile mais merveilleuse du RDA. Avec humour, alors que le mot n'est pas français, je vous ai toujours répondu en souriant: «II y a, dans l'Histoire du

RDA - Vérité historique

monde, deux grands personnages qui n 'ontjamais rien écrit, pas un mot, pas une seule lettre, mais qui sont cependant les plus lus, ce sont Mahomet et Jésus-Christ». Et vous m'avez rétorqué: «Leurs disciples ont écrit en leur nom». Aujourd'hui, vous êtes ici, jeunes et vieux, disciples de mon action. Je romps devant vous avec le silence. Et je vais, pour vous, apporter ma modeste contribution à l'effort admi rable que les chercheurs et historiens ivoiriens accomplis sent pour faire connaître l'Histoire authentique du RDA, déjouant ainsi les « histoires» que ceux qui ont alors brillé par leur absence, — c'est le moins que l'on puisse dire, — tentent depuis, d'accréditer pour masquer leurs carences. Je ne veux pas passionner le débat. L'Histoire est un témoignage; elle repose donc sur la vérité; et la vérité, vous le savez, est très belle quand elle est nue, quand elle n'est pas affublée de ce vieux tissu déchiré qui masque sa divine beauté. Je vais donc vous livrer ce que j'ai vécu. Je me propose, ce matin, — tout d'abord de vous faire un bref exposé sur les pro blèmes essentiels qui ont motivé la naissance et la vie de notre organisation, — je me soumettrai ensuite volontiers, — les heures ne compteront pas, je pourrai rester jusqu'au soir avec vous —pour y répondre, aux questions que vous voudrez bien me poser. LA NAISSANCE LABORIEUSE DU RDA La naissance laborieuse du RDA est peu connue. Je voudrais, en premier lieu, par un bref retour en arrière, vous faire comprendre pourquoi nous avons créé ce Rassemble ment. En 1 944 — beaucoup de chercheurs ici présents n'étaient pas nés — se situe la grande promesse faite à Brazzaville par le Général de Gaulle. Ce grand homme, qui a beaucoup fait pour notre pays et dont nous ne saluerons jamais assez la mémoire, avait promis de conduire les peuples dont la France avait la charge, jusqu'à la liberté de gérer démocratiquement leurs propres affaires.

RDA - Vérité historique

C'est la raison pour laquelle en 1945, pour la première fois dans l'Histoirede la République Française, nous, ressor tissants de ses territoires et colonies en Afrique, avons été sollicités pour envoyer des représentants au parlement fran çais au sein duquel, jusque-là, seul le Sénégal était représenté. Je vous épargnerai les détails de la lutte difficile que nous avons dû mener pour nous faire élire librement par nos chers compatriotes. Ce que vous devez savoir, c'est que, dans tous les territoires africains, les candidats suscités et appuyés par la colonisation ont tous été battus. L'adminis tration avait pourtant trié, sur le volet, ceux qui seraient admis à voter: les chefs de cantons, les fonctionnaires, les quelques employés de commerce, les anciens combattants. Mais, dans un sursaut de conscience, ceux-là mêmes que l'on avait cru pouvoir ainsi influencer, ont dit : «non»; ils ont voté pour les véritables défenseurs de l'Afrique. Et nous voici à Paris, sur les bords de la Seine: une poignée de jeunes gens venant défendre les libertés confis quées par la colonisation, notre dignité — avez-vous oublié cela? — piétinée par ses tenants. LE PROBLÈME DE L'APPARENTEMENT Dans une Assemblée de 627 membres, nous ne for mions qu'une petite minorité. Force nous était donc de rechercher des alliances. Or en 1945, de Gaulle étant encore au pouvoir, trois formations politiques se partageaient les responsabilités au Parlement, c'étaient: le Parti Socialiste, le MRP et le Parti Communiste. Notre cher doyen d'âge, Lamine Gueye, l'élu du Séné gal, nous avait proposé de nous apparenter tous au parti, dont il était depuis longtemps membre, la SFIO, Section Française de l'Internationale Ouvrière, devenue aujourd'hui le Parti Socialiste. Et c'était moi, le plus jeune, représentant la benjamine des colonies françaises de l'ex-AOF, qui lui avais demandé de ne pas insister, car nous avions besoin des voix concertées et massives de ces trois formations au pouvoir. Je proposais que nous nous répartissions entre ces trois formations pour que, chaque fois que nous aurions à défendre les justes

RDA - Vérité historique

aspirations de nos peuples, nous puissions obtenir leur concours massif. Mes amis ont accepté; mais tous se sont aussitôt empressés de s'inscrire, qui au Parti Socialiste, qui au MRP. C'est moi qui avais suggéré que nous nous associions aux trois formations politiques, et je restais seul. Pas un seul de mes collègues ne s'était inscrit au Parti Communiste. Que faire? Fily Dabo Cissoko — paix à son âme — me dit : «Nous sommes tous deux représentants de la bourgeoisie africaine. Les compagnons de Lénine n'ont pas été recrutés dans la famille des Tsars. Pendant la dernière guerre, les Européens, les Américains, bien que libéraux, se sont joints aux communistes russes pour combattre ensemble l'hitlé risme. Après leur victoire commune, ils se sont séparés. Les Russes ont conservé leur régime, les Américains et les Euro péens les leurs. De même, il ne peut s'agir, pour nous, que d'une alliance temporelle, tactique. Nous ne serons pas membres du Parti Communiste. J'ai des amis: d'Astier de la Vigerie, de Chambrun, Pierre Cot; leur mouvement, le MUR, devenu aujourd'hui le Parti Progressiste Français, est appa renté au groupe parlementaire communiste et non pas au Parti Communiste lui-même. Je vais leur demander de nous accepter comme apparentés à leur groupe. » Nous ne nous sommes donc pas apparentés directement au groupe communiste, encore moins au Parti Communiste, mais uniquement au Parti Progressiste de d'Astier de la Vige rie. Ce sont les députés de ce mouvement qui nous ont présentés, en apparentement, au groupe parlementaire communiste. Et, de 1 945 à l'avant-veille du grand Congrès historique de Bamako en Octobre 1946, tous les élus africains una nimes, quels que soient leurs apparentements, fidèles au principe de l'union dans la diversité, ont soutenu les causes que les uns et les autres défendaient au nom de l'Afrique. C'est ainsi que, lorsque j'ai présenté la proposition de loi abolissant le travail forcé, face à ceux qui ont tenté de faire retarder ce vote, mes amis, comme un seul homme, m'ont soutenu dans mon entêtement à faire voter une loi et non pas un décret auquel certains, par des manœuvres plus que regrettables, voulaient nous conduire à avoir recours.

RDA - Vérité historique

Nous avons travaillé la main dans la main, confiants les uns dans les autres: et nous avons obtenu, lors de l'élabora tion de la première Constituante, des résultats inespérés. Le Président Guy Mollet, qui devait m'appeler à son Gouverne ment en 1956, m'avait dit ceci: «Quand de Gaulle nous a demandé de laisser siéger avec nous des élus des différents territoires d'Outre-Mer, nous avons eu peur. Nous avons craint que vous ne veniez siéger à droite, avec nos adver saires politiques. Ah! si nous avions su que vous alliez tous siéger à gauche, au lieu d'une représentation symbolique nous aurions accepté une représentation vraiment propor tionnelle au chiffre de vos populations. » Et nous avons travaillé si bien qu'au premier projet de Constitution, au titre Huit, nous avons obtenu une augmenta tion numérique de la représentation des Territoires d'OutreMer. Malheureusement, ce projet a été rejeté, sur la demande du Général de Gaulle, non pas en raison des articles qui nous concernaient mais de dispositions concernant la République Française. C'est alors que les colons, tout d'abord surpris par ce sursaut de conscience qui nous avait fait déjouer tous leurs plans, ont trouvé le temps de se ressaisir. Ils se sont réunis à Douala en Etats Généraux de la Colonisation, avec à leur tête, Jean Rosé, le plus raciste des Français de Côte d'Ivoire. Et, à la fin de leurs délibérations, ils ont envoyé une délégation à Paris pour attirer l'attention des parlementaires français et leur recommander de ne pas se laisser abuser par une mino rité d'élus africains, des bourgeois qui voulaient remplacer les Européens, les Français, dans l'exploitation et la surexploita tion de leurs propres frères. Leurs arguments ont porté. Et nous avons vu, avec beau coup de tristesse, Herriot descendre de son fauteuil prési dentiel pour prendre la parole et demander le rejet du titre H uit qui nous avait donné tant d'espoirs : «La France, dit-il, ne veut pas devenir la colonie de ses colonies». Ce propos fut salué par un tonnerre d'applaudissements, et le titre Huit fut rejeté. Nous nous sommes alors réunis pour tirer la leçon de cet échec, et nous nous sommes dit: «Avec une apparence de raison, ils ont dénoncé le fait que nous n'étions que les élus d'une minorité d'Africains». Ce n'était pourtant pas nous qui avions établi le collège électoral; c'étaient les colons qui, voulant avoir affaire à un

RDA - Vérité historique

8

nombre restreint d'électeurs faciles à influencer, les avaient triés sur le volet. Nous avons donc conclu que nous devions pouvoir être appuyés par un grand mouvement africain, populaire, capa ble de prolonger l'action que nous-mêmes venions de mener dans la diversité au Parlement français. Nous étions, je vous l'ai dit, apparentés, les uns avec les communistes (Fily Cissoko et moi), d'autres avec la SFIO ou le MRP, d'autres enfin avec le Parti Radical-Socialiste. Mais nous aurions en Afrique un unique mouvement populaire, indépendant de toute formation politique métropolitaine — soulignons cela — et dont les élus seraient autorisés, pour plus d'efficacité, à s'inscrire à telle ou telle de celles-là. Voilà les raisons qui ont motivé la création du Rassemblement Démocratique Africain, le RDA. LE CONGRÈS DE BAMAKO, 1946 Nous étions donc unanimes à convier toutes les popula tions de l'ancienne Afrique Equatoriale et Occidentale à se retrouver, sur l'invitation expresse de Fily Dabo Cissoko, à Bamako sur les bords du Niger. Et ils sont accourus de partout, au jour choisi, qui à pied, à cheval, à bicyclette, qui par la voie de quelques rares avions, ou par bateau. Mais nous avions compté sans les impénitents, les éter nels diviseurs. L'avant-veille de notre départ de Paris, — vous comprendrez que je ne donne pas de nom, ayons pitié pour ceux qui ont trahi — , on est venu me dire que, sous la pres sion de la rue Oudinot, — je vous épargnerai le détail de ces moyens —, tous les signataires du Manifeste refusaient de rejoindre Bamako. Me considérant comme un homme têtu, on ne m'avait pas mis au courant de l'arrangement intervenu entre eux et la rue Oudinot. Toujours est-il que je me suis retrouvé seul. Au moment de prendre l'avion, mon ami et frère Apithy, ici présent aujourd'hui, est venu me dire fraternellement: « Tu as toujours douté de moi, mais aujourd'hui où tout le monde t'abandonne, je viens avec toi à Bamako». C'étaient les premières difficultés, celles rencontrées à Paris. D'autres nous attendaient dans la capitale de l'exSoudan français, aujourd'hui Mali. Quel n'y fut pas notre

RDA - Vérité historique

étonnement quand, faisant la sieste chez mon ami Louis Sangaré (il était vétérinaire et mon ancien collègue de l'école de Médecine de Dakar), Barbé, d'Arboussier, Ladji Sidibé vinrent me trouver en disant: «Tout est perdu, Fily Dabo Cissoko harangue la foule sur la place du marché, deman dant que non seulement le Soudan français ne s'associe pas au Congrès, mais que le peuple soudanais, celui de Bamako, nous chasse de la capitale. » Et ils me conseillaient de rejoindre Abidjan. Sans savoir vraiment pourquoi, j'ai refusé de repartir ainsi, tête baissée. J'ai décidé de me rendre, moi aussi, sur la place du marché. Vous avez vu, dans le couloir (1 ), le camion sur lequel Fily Dabo Cissoko avait fait installer son micro. Arrivé à cent mètres, j'entendais distinctement sa voix. Il disait: «Houphouet m'a rendu d'immenses services, mais ce n'est pas une raison suffisante pour quej'adopte et vous fasse adopter sa détestable politique». Je tombais des nues. Nous étions tous les deux apparentés au même groupe parlementaire, et c'est lui-même qui m'y avait entraîné par l'intermédiaire de son ami d'Astier de la Vigerie. On me connaissait de nom, au Mali, mais peu me connaissaient de vue. Je suis petit; je me suis faufilé jusqu'au camion et j'ai sauté dans la carrosserie. Quand Fily Cissoko eut terminé son discours, je lui demandais s'il pouvait me permettre de m'adresser à son peuple. Avec beaucoup de suffisance, il dit «oui», pensant que la cause était déjà entendue. Nous n'admirerons jamais assez le courage, le nationa lisme éclairé de nos frères du Mali. Si, en 1 946, un étranger était venu à Abidjan pour m'apporter la contradiction au cours d'un meeting, jamais les Ivoiriens ne lui eussent permis de placer une seule phrase, un seul mot. Mais les Maliens m'ont entendu. Et durant ma longue carrière politique, jamais je n'ai été aussi acclamé, applaudi, que ce jour-là sur la place du marché de Bamako. Qu'ai-je pu leur dire? C'était une véritable improvisa tion, mais elle a porté. (1) Pendant la durée du Colloque, des documents photographiques sur le RDA étaient exposés dans les pas perdus de la Maison du Parti.

RDA - Vérité historique

10

Et, tour à tour, les cadres du Mali appartenant au Parti de Fily Dabo Cissoko, se sont succédé pour l'inviter à reconsi dérer sa position. Ils n'admettraient pas cette trahison. S'il persistait, ils choisiraient Houphouet comme leur seul défen seur, le seul député du Soudan et de la Côte d'Ivoire. Fily Cissoko, subitement, a accepté de siéger avec nous. Le lendemain, à l'ouverture, je l'ai proposé comme président de séance. Et je me souviens encore de l'incident, quand il s'est levé pour commencer sa première phrase: «Votre Congrès...» La salle, debout, unanime, rectifia. «Dites: Notre Congrès.» Il s'est entêté par deux fois, mais la troisième, il n'a pu tenir et il a dit: «Notre Congrès». Il m'a cédé aussitôt la parole, et nous avons pu délibérer librement avec l'accord des participants et le soutien popu laire de nos frères du Mali. Le contenu de ce débat a, par la suite, été déformé par certains témoins. En fait, deux thèses (je dis bien : deux, pas trois) se sont affrontées. Nous avons du expliquer comment les autres partis poli tiques français avaient obligé nos frères à se renier, à trahir l'Afrique. Les jeunes gens, qui parlent beaucoup avec leur cœur, ont demandé que, dans cette circonstance, notre mouvement soit placé sous la protection, l'affiliation directe, du Parti Communiste. C'eut été une erreur. Et j'ai défendu la thèse contraire, parce qu'il fallait laisser une porte ouverte à nos frères qui pourraient se ressaisir. Si nous avions été tous là, la question ne se serait même pas posée. Il s'agissait de continuer l'action que nous avions menée dans l'union, l'union dans la diversité. J'étais plutôt en minorité, étant venu pratiquement seul avec Apithy, tenir ce Congrès; mais j'ai insisté, et je ne sais pas si j'ai pu convaincre mes frères ou si ce fut par considéra tion pour moi, mais ils ont accepté que nous placions notre Mouvement, — ce n'est pas un Parti, c'est un Mouvement politique —, en dehors de toute affiliation avec les partis politiques français. Dans le même temps nos élus, librement comme je l'ai déjà dit, pouvaient pour plus d'efficacité de notre action commune, choisir telle ou telle formation politi que métropolitaine. Nous avons donc laissé la porte ouverte; elle l'est d'ail leurs toujours.

RDA - Vérité historique

11

LA LONGUE TRAVERSÉE DU DÉSERT Ils ne sont pas venus. Et ce fut la longue traversée du désert pour le RDA, l'image douloureuse, de 1946 à 1956, date à laquelle pour la première fois, un premier ministre français, feu Guy Mollet, nous appela à collaborer dans son Gouvernement; alors que, même malgré le désapparentement, nous étions toujours considérés comme l'avant-garde avancée du communisme en Afrique, et combattus comme tels. Nous ne sommes pas ici pour faire des procès, mais pour écrire l'histoire authentique du RDA. Il convient donc de dire que, de 1 946 à 1 956, seuls les militants de notre Rassemble ment ont été combattus; ils ont subi la répression la plus sauvage, parfois même sanguinaire. Aujourd'hui, nombreux sont ceux qui prétendent parler de la lutte anticolonialiste, alors que, pendant tout ce tempslà, ils étaient avec des formations qui réprimaient; certains étaient même membres du gouvernement français. Et nous avons connu nos Soweto: à Dimbokro, à Bouaflé, à Séguéla. Comme là-bas, on a fusillé ici froidement des manifestants sans arme. Personne ne nous a aidés à défen dre leur mémoire. Certains même, à l'Assemblée française, ont pris la parole pour nous faire passer, nous les assassinés, pour des assassins. Oubliez tout cela. Je vous l'ai dit à maintes reprises: chez nous, c'est un homme qui tue l'éléphant, mais c'est à plusieurs qu'on le mange. Vous savez qu'il est très dange reux de s'attaquer à ce pachyderme. Ce dernier, trop sou vent, a eu raison du chasseur qui, chaque fois risque sa vie. Mais lorsque, malgré le danger, il est parvenu à abattre l'ani mal, et qu'il voit ses frères, unis, le dépecer, chacun d'entre eux en prenant un morceau, il ne considère plus les risques qu'il a encourus. Ce qui pourtant réveillera sa souffrance, comprenez-le, ce sera de voir ses frères villageois, dans la mésentente, dans la désunion, laisser le soleil taper sur cette viande jusqu'à ce qu'elle pourrisse au point qu'elle ne puisse plus servir à qui que ce soit. Alors, il regrettera d'avoir bravé inutilement la mort. Ce ne fut pas notre cas à nous; nous sommes fiers de ce que nous avons pu faire ensemble. Je vous ai parlé de cette traversée du désert. Que de larmes, que de sang, que d'humiliations! Mais vous avez tenu. Et grâce à votre ténacité, nous avons pu arriver en

RDA - Vérité historique

12

1956 à la collaboration avec le Gouvernement français. Et nous avons rétabli la vérité. D'autres, avant nous, siégeaient au Parlement français. Que représentaient-ils?: le pays légal grâce à des fraudes électorales. Nous, qui représentions le pays réel, en avions été écartés par ces mêmes fraudes. Mais nous avons tenu. Dieu est venu à notre secours. Et en 1956, nous avons remporté presque tous les sièges. Ils sont là aujourd'hui, les témoins de cette traversée du désert, ceux qu'on avait écartés de l'Assemblée Nationale française à la suite d'une élection dont les fraudes avaient été autorisées par la rue Oudinot. On nous avait accordé seule ment trois sièges : un pour le Mali (feu Mamadou Konaté), un pour Brazzaville (feu Chicaya), un pour la Côte d'Ivoire (votre humble serviteur). Tous nos autres camarades colistiers avaient été écartés. Lisette est là, qui nous représentait au Tchad; il avait été écarté au profit d'un analphabète, le chef de canton Soukat. On pourrait ironiser sur son nom, «Quat'sous». Nous sommes donc restés trois pour mener la lutte, tant en France qu'à l'extérieur. Des lettres nous parvenaient de tous côtés, plus déchirantes les unes que les autres. Nous avons tenu. Et nous sommes arrivés à la Loi-Cadre. Je vous ai dit que je ne ferai que survoler quelques élé ments de cette lutte. LA LOI -CAD RE Ceux qui prétendent écrire l'Histoire, ont, là encore, déformé les faits, sur la Loi-Cadre comme sur la Commu nauté franco-africaine, comme sur les indépendances. • Je me dois de rétablir la vérité. Et personne ne pourra m'apporter le plus petit démenti. L'Histoire est un témoi gnage. J'ai les hommes et j'ai les faits, écrits. Et les autres parlent, mais ils ne peuvent rien apporter de précis, rien; parce qu'ils n'ont pas été témoins dans cette lutte-là! Je vous ai dit qu'en 1944, le Général de Gaulle avait promis, au nom de la France, de nous conduire jusqu'à la liberté de gérer démocratiquement nos propres affaires. C'était la voie tracée vers l'indépendance des pays africains francophones. Et nous avons perdu dix ans dans la division. On ne se battait plus contre le colonialisme, on se battait contre le RDA, partout. On nous obligeait à lutter sur deux fronts à la

RDA - Vérité historique

13

fois. Nous avons résisté. Guy Mollet a compris la leçon de son prédécesseur Daniel Mayer, lequel disait qu'on ne traite jamais avec des amis mais avec des ennemis. Si donc c'étaient nous les ennemis de la France, puisque c'est ainsi qu'on nous étiquetait, il fallait traiter avec nous et non pas avec ceux dont la représentation en France avait été assurée grâce à des fraudes électorales. Au lendemain de notre vic toire, il a envoyé Gazelle, présent aujourd'hui dans cette salle, me demander d'oublier le passé et de participer, avec notre grand Rassemblement, au Gouvernement de la Répu blique Française. Defferre était à l'Outre-Mer, moi à la Présidence du Conseil chargé des problèmes des étudiants, comme Mahtar M'Bow vous l'a rappelé l'autre jour. Il s'agissait de la préparation de la Loi-Cadre. Il y a d'au tres témoins qui étaient chargés aussi de travailler avec Def ferre. Defferre connaissait ses amis, il devait vaincre leurs réticences. Je connaissais mes frères africains qui avaient trop souffert et qui étaient pressés d'en finir, qui voulaient que l'on allât plus vite. Mais il fallait obtenir les voix néces saires pour faire passer les textes. Les socialistes et les com munistes étaient d'accord pour nous soutenir. Les autres formations étaient quelque peu réticentes. Je prends un exemple pour illustrer ma pensée: l'ensem ble du projet a failli capoter au sujet d'un passage. Il s'agis sait de la responsabilité du Gouvernement français. Selon ce texte, dans chaque territoire, le Conseil des Ministres pou vait être mis en minorité par un vote de l'Assemblée territo riale; une crise pouvait s'ensuivre. Et les autres formations politiques françaises, en dehors du Parti socialiste et du Parti communiste, ne voulaient pas que l'application d'un tel texte puisse permettre de déboucher sur un changement de Gou vernement. Leur souci était de limiter, dans une certaine mesure, les crises nombreuses dont souffrait la France ellemême. Mes amis, par contre, disaient que supprimer cette responsabilité des Gouvernements revenait à limiter les droits souverains des Assemblées territoriales; le MRP refu sait de voter le texte si l'on n'acceptait pas de modifier cet article. Et je faisais le va-et-vient entre Defferre, qui essayait de convaincre ses frères français, et les miens, surtout feu Sékou Touré et feu Ouezzin Coulibaly, nos jeunes et braves turcs.

RDA - Vérité historique

14

Finalement mes amis ont accepté. Il était 3 heures du matin. Et c'est avec leur accord, donc l'accord du RDA que le texte a pu être voté. Si je me le rappelle, c'est quelque temps après que notre frère Ouezzin Coulibaly, Vice-Président du Conseil de HauteVolta, aujourd'hui Burkina-Faso, a été mis en minorité à Ouagadougou par le groupe de Nazi Boni. Et tout de suite, sans avoir communiqué le résultat du vote au Gouvernement français, ses amis ont désigné Nazi comme Vice-Président du Conseil de Haute-Volta. C'était une erreur d'interpréta tion de la loi. Bâ Ousmane, qui est là aujourd'hui, était mem bre de ce gouvernement. Ouezzin Coulibaly l'a envoyé auprès de moi à Paris. Defferre, entre-temps, avait quitté le Gouvernement — dont j'étais, moi, le ministre «permanent» — , et c'était son collègue Jacquet qui avait accepté cette décision de Ouagadougou, parce qu'il ne connaissait pas le texte. Chaban-Delmas, au téléphone, a suggéré: «Deman dons l'avis du Président Houphouet». J'étais à la campagne. On m'a saisi. Et j'ai dit: «La désignation de Nazi Boni est illégale». J'ai demandé à Ouezzin Coulibaly de m'envoyer certains de ses collaborateurs conduits par Bâ Ousmane. Et j'ai ajouté : «Jusqu'au prochain Conseil, nous avons le temps de changer la face des choses. » Maurice Yaméogo, avec trois de ses collègues de Koudougou, n'avait pas été mis sur la liste du RDA, par la faute de Conombo, ici présent aujourd'hui. Ce dernier avait mini misé l'importance, la capacité de Maurice Yaméogo et, mal gré ma présence à Bobo pour les aider à constituer une liste valable, ils l'avaient écarté en disant qu'il serait battu. Mais c'était lui qui les avait battus, nous enlevant quatre sièges. Alors, ils avaient fait appeler Dieth, un Européen, et je lui avais demandé d'aller voir Maurice Yaméogo pour qu'il repense sa position, et rejoigne le RDA. J'ai rejoint Paris. Le lendemain, au Conseil des Minis tres, j'ai démontré que la désignation de Nazi Boni était illégale et qu'il fallait recommencer le vote, ce qui a été fait. Avec les quatre voix de Maurice Yaméogo, nous avons ren versé la situation, et Ouezzin fut maintenu au pouvoir jusqu'à cette journée tragique où nous l'avons perdu le 7 septembre 1958 à Paris. Sachant que le mal qui le rongeait allait l'emporter, l'homme courageux qu'il était nous consolait, alors que nous

RDA - Vérité historique

15

le savions perdu. Quand je lui ai demandé: «Mon cher frère, la convalescence sera longue, mais pendant ton absence qui devrions-nous appuyer pour la direction des affaires de la Haute-Volta?» C'est lui-même, Ouezzin, qui a désigné sur son lit de mort Maurice Yaméogo. C'est pour cela que nous avons appuyé ce dernier, et qu'il a conduit son pays à l'indé pendance avec nous. Voilà. Nous en avons terminé avec la Loi-Cadre. DE L'AUTONOMIE À L'INDÉPENDANCE Ce n'était pas l'indépendance, c'était l'autonomie; mais une autonomie insuffisante puisque, dans chaque territoire, c'était le représentant de la France qui assumait la Prési dence du Conseil de Gouvernement. De Gaulle revient au pouvoir qu'il avait quitté en Janvier 1946. Et il me fait appeler à ses côtés. Il me demande de participer au Conseil chargé de la rédaction de la nouvelle Constitution. Nous étions quatre ministres d'Etat : Guy Mol let, Pflimlin, Jacquinot et moi. Pompidou, qui devait plus tard devenir Premier Ministre, était le Directeur de Cabinet du Général. Il y avait en fait deux organismes: un Conseil constitutionnel qui siégeait sous la présidence du Général de Gaulle à Matignon et dont Debré était le rapporteur, et un Comité consultatif qui comprenait tous les élus d'Outre-Mer sous la présidence de Paul Reynaud. Le Général de Gaulle avait beaucoup d'égards pour cet homme d'Etat; vous savez que c'est lui qui l'avait appelé pour la première fois à ses côtés, dans un Gouvernement; malheureusement, c'avait été au moment de la «débâcle», en 1 940. Le Général de Gaulle s'est souvenu de cette attention particulière de Paul Reynaud. Donc, j'étais le seul Africain, membre du Conseil consti tutionnel; et tous nos autres élus étaient membres du Comité consultatif. Et je veux que vous reteniez cela pour qu'on ne parle plus des «histoires» alors que les faits sont là, et les acteurs toujours présents; même si nous en avons perdu deux, Dieu merci les autres sont encore en vie. De Gaulle m'avait chargé de demander à mes frères d'Outre-Mer, notamment les Africains, de dire ce qu'ils voulaient voir insérer dans la nouvelle Constitution. Nos amis se sont d 'abord opposés à ce que nous fassions

RDA - Vérité historique

16

appel aux autres (je ne veux pas les Désigner nommément; «les autres» c'est suffisant). J'ai insisté; et c'est tous ensem ble que nous nous sommes réunis Salle Colbert qui était, en ce temps-là, la plus grande salle au Parlement français. Tous les élus d'Outre-Mer étaient présents. Nous avions même invité certains étudiants. La discussion a duré plus de quatre heures. Le débat était libre. Et nous avons su ce que voulaient nos frères : l'élargissement de la Loi-Cadre. Qu'estce à dire? Au lieu d'un vice-président dans chaque territoire, on aurait un Président du Conseil dans une autonomie plus large. Le nombre des «affaires communes» serait ramené à trois: la Monnaie, la Défense, les Affaires Etrangères. Et nous avons désigné trois de nos militants, deux RDA et un non-RDA, pour tirer la leçon du débat et préparer un mémorandum. J'avais désigné Sékou Touré; mais ceux qui l'avaient devancé au Parlement français où il n'était entré qu'en 1 956, n'étaient pas contents. J'avais toujours eu un faible pour ce garçon. Il m'avait été recommandé par sa grand-tante, fille de Samory, à laquelle j'avais donné ma parole. Et même pendant la dure période de nos différends, j'ai considéré ceux-là comme une sorte de délit mineur. C'était un dépit amoureux entre lui et moi, qui était intervenu à la suite de son choix de 1958(1). Les dépits amoureux peuvent conduire parfois au suicide, or je ne voulais pas mourir. Donc, voici le mémorandum rédigé par trois de nos col lègues: Lisette ici présent, Sékou Touré aujourd'hui disparu et, au nom des indépendants d'Outre-Mer, Léopold Sédar Senghor. Ce texte m'a été communiqué par nos deux repré sentants: Sékou Touré et Lisette; et, avec mon accord, il a été rendu définitif. Si je rappelle cela, c'est parce que vous avez posé une question : «Qui a rédigé le Manifeste?» Or le problème n'est pas là. Nous étions d'accord pour écrire le Manifeste. Ce qui importe, ce n'est pas la main qui a écrit, mais l'idée que nous avons mise dans ce texte. Trois exemplaires identiques ont été remis, le premier par Sékou Touré au Général de Gaulle, le second par Léopold Sédar Senghor à Debré rapporteur de notre Commission, le (1 ) Le référendum du 28 Septembre 1958, où la Côte d'Ivoire vota «ou/» massive ment, alors que la Guinée, conduite par Sékou Touré, vota «non».

RDA - Vérité historique

17

troisième par Lisette à moi-même qui étais chargé de défen dre ce texte au sein du Conseil. Vous savez, je n'ai pas l'audace de ceux qui ne savent pas, je les excuse. J'ai la prudence de celui qui sait un peu. Et c'est une règle: quand on a accédé aux secrets d'Etat avec d'autres, on ne peut écrire seul ses mémoires. Si l'on veut prendre à témoin certains de ses collègues, on doit préalable ment recevoir leur accord. Feu le Président Guy Mollet devait écrire son mémoire, et il voulait m'en soumettre un passage pour recueillir mon avis. C'est de règle. Malheureusement, trois semaines avant son arrivée prévue à Abidjan, il a été terrassé par la mort. Il y a donc des choses que je ne dois pas publier sans l'accord de ceux qui ont coopéré avec moi. Néanmoins, je puis vous livrer ceci: il n'a pas été facile de faire accepter le mémorandum. J'ai rencontré l'incompréhension de l'un des membres du Conseil. Je ne le désignerai pas. Ce dernier ne pouvait, disait-il, accepter ce qu'il considérait comme une démission de la France. Et moi, je disais que je ne pouvais pas demeurer plus longtemps pour servir de caution à une action qui irait à ('encontre du grand mouvement qui secouait le monde depuis la dernière guerre. Partout, c'était le souffle de la liberté, de l'indépendance. Ce que nous demandions était un minimum, et ce minimum devrait être accepté. A l'issue de la discussion, le Général de Gaulle avait suspendu la séance. Je fais le va-et-vient tout seul, étant le seul Noir parmi eux. Celui contre lequel je m'étais élevé s'est approché de moi et m'a dit : « Vous avez été émouvant». Je lui ai répondu: «J'aurais préféré vous avoir convaincu». A la reprise, — je l'ai trouvé ce jour-là beaucoup plus grand —, le Général de Gaulle a dit: «Nous prenons comme base de discussion le mémorandum des Africains défendu par le Président Houphouet. » Et grâce à lui, nous avons eu satisfaction de A à Z. Je me suis empressé de communiquer la nouvelle à mes amis. Et Sékou s'est empressé, lui aussi, de rejoindre Conakry. Alors, nous avons envoyé le texte au Comité consultatif pour avis. Et retenez cela, vous les chercheurs et historiens: que personne ne vienne vous parler des «indépendances». Le texte nous a été renvoyé après une série d'amendements. Le Général de Gaulle a rejeté tous ceux qui concernaient la

RDA - Vérité historique

18

République française; par contre il a retenu un de ceux pré sentés par le Comité consultatif, celui qui prévoyait la révision quinquennale des accords de Communauté. J'ai demandé le rejet de cet amendement; j'ai déclaré que c'était «constitutionnaliser la méfiance entre la France et nous: nous devrions attendre cinq ans pour examiner ce que nous deviendrions? Quel serait notre comportement avant d'aller plus loin, alors qu'ailleurs, partout, le vent soufflait pour l'indépendance ? » Après une suspension, le Général a interrogé un de mes collègues: «Quel est votre avis?». Il a dit: «Président vous aviez raison, mais le Président Houphouet aussi a raison». C'était un Normand qui avait oublié de naître en Normandie; je ne dirai pas son nom. Guy Mollet a dit : «Monsieur le Président, sauf le respect que nous vous devons, c'est le Président Houphouet qui a raison. Il ne faut pas constitutionnaliser la méfiance. Avec ce texte proposé par le MRP, les amis de nos amis, nous ruine rions tout le beau travail que nous avons effectué». Avant que le Général de Gaulle ne reprenne la parole, j'ai dit : «Mon Général, faites-nous confiance, faites confiance à l'Afrique et, — alors que je n'étais pas mandaté j'ai cepen dant osé le dire — , par ma voix l'Afrique vous fait une égale confiance». L'indépendance était là. Ceux qui viennent aujourd'hui parler des actions des jeunes étudiants, des travailleurs, prennent leurs désirs pour des réalités. Croyez-vous que le Général de Gaulle était homme à se soumettre aux injonctions des uns et des autres? Que repré sentaient les étudiants, en ce temps-là, en France? Rien! Ils avaient le droit de parler, mais on n'allait pas prendre cela en considération, jamais! C'est le Général de Gaulle qui, à la suite de ma demande de rejeter le mémorandum du MRP, a dit librement: «Dans ces conditions, pourquoi ne pas inscrire l'indépendance dans nos textes, indépendance à prendre à tout moment par les Territoires d'Outre-Mer, selon un vote positif de leurs Assemblées Nationales». Il s'est tourné vers Debré, rapporteur, et Pompidou son Directeur de Cabinet, et il a dit : «Mettez cela au point et que cette disposition figure dans les textes».

RDA - Vérité historique

19

J'ai rencontré feu Sékou Touré (paix à son âme) à Faranah quelques six ans avant sa mort. Ç'avaient été des retrou vailles fraternelles. Nous n'avions pas pu nous entendre, uniquement parce qu'il m'avait demandé l'extradition des cadres guinéens(1). J'avais refusé. Mais nous avions néan moins tenu une réunion commune. Philippe Yacé était pré sent, avec Konan Kanga, Lazéni Coulibaly et tant d'autres. Malheureusement, ceux qui accompagnaient Sékou Touré sont presque tous morts. Je lui avais posé la question devant eux: «Aujourd'hui, nous sommes entre amis politiques; volontairement je n'ai pas voulu diminuer l'auréole de gloire qu'on t'a attribuée à la suite de ton vote négatif de 1958, mais je te pose une ques tion devant tous: dans le mémorandum que tu as rédigé de concert avec Senghor et Gabriel Lisette et quim 'a été soumis avant que vous le remettiez, toi à de Gaulle, Senghor à Debré, et Lisette à moi-même, est-ce que le texte comportait le mot «Indépendance?» Il a baissé la tête et a répondu : «Non; il y était seulement question d'une aspiration à l'indépendance». J'ai dit : « Ce n'était pas sérieux. Je vous dis aujourd'hui la vérité : c'est moi qui ai fait que tu as pu accédera l'indépen dance en 1 958. Si nous t'avions suivi, si nous avions rejeté la Constitution et, appuyés en cela par des gens qui se seraient empressés de nous imiter, pour nuire au Général de Gaulle, nous retombions dans la loi-cadre, et personne ne pouvait en sortir indépendant. Mais, c'est parce que j'ai fait voter la Communauté, qui portait en elle l'indépendance à prendre à tout moment, que ton vote négatif a été considéré comme entraînant la sortie de la Communauté. Voilà la réalité». Donc, certains ont parlé ici des « indépendances»; je leur demande de cesser d'égarer les chercheurs. Ils ont un travail difficile; apportez-leur la vérité pour les aider, ne la masquez pas sous des défroques vieilles, usées, déchirées. La vérité est belle, je le répète, mais toute nue. Et l'on vient vous dire qu'il y avait des travailleurs, des ouvriers qui se réunissaient à Cotonou; et qu'il y avait le Parti dit « Indépendant»; ce sont des vues de l'esprit. Le Général de Gaulle n'était pas homme à se soumettre à qui que ce soit, même pas en France, a fortiori ailleurs. (1 ) NDLR : réfugiés en Côte d'Ivoire.

RDA - Vérité historique

20

Et quand le moment du choix est arrivé pour nous, nous n'avons même pas eu à recourir à un vote pour devenir indépendants. Les gens n'ont pas compris pourquoi. Or c'est moi qui avais dit au Général de Gaulle, devant témoin: «Faites confiance à l'Afrique en supprimant l'amendement, et l'Afrique, par ma voix, vous fera une égale confiance.» C'est grâce à cette adresse au Général que l'indépendance avait été insérée dans la loi sur la Communauté. Vous comprendrez donc pourquoi, lors du référendum, j'avais fait campagne pour qu'il soit approuvé dans nos terri toires d'Outre-Mer. Et l'on vient vous parler d'Houphouet-Boigny qui n'ai mait pas l'indépendance! Vous savez, il y a beaucoup de gens qui, matin et soir, ou même en allant à la Mecque, ou à la communion, prient et crient: «Dieu, Dieu, Dieu», mais qui pourtant n'obéissent à aucun de ses commandements. Il y en a par contre, qui ne prononcent jamais son Nom, mais qui les exécutent fidèle ment, qu'ils soient musulmans, chrétiens ou juifs. Voyez-vous, Kennedy a dit, je ne cesse de le répéter, que «la victoire a plusieurs papas, mais la défaite est orpheline». On trouve aujourd'hui beaucoup de papas pour l'indépen dance; ils n'étaient pas avec nous dans cette lutte. Cepen dant, il y en a un qui s'est grandi à mes yeux, — je ne le citerai pas parce que je ne veux pas donner de noms, mais je me suis dit qu'il disait alors la vérité —, il a eu ce courage, cette grandeur d'âme un jour de 1 973, au cours d'un banquet, de dire: «Je regrette qu'en 1946, je n'aie pas pu répondre à l'appel de l'Afrique.» En 1946, c'était le Congrès de Bamako. Imaginez..., l'accord passé entre les signataires du Manifeste! S'il avait été suivi, nous n'aurions pas connu cette traversée lamentable du désert, où seuls nos militants ont subi la plus sauvage, sanguinaire parfois, des répres sions. Nous aurions gagné dix ans ensemble. Nous aurions pu alors demander le respect de la promesse du Général de Gaulle, promesse de 1 944. Si nous avions maintenu la cohé sion qui nous avait jusqu'alors permis d'obtenir de grands succès, de 1 945 à la veille du Congrès de Bamako en 1 946, on ne nous l'aurait pas refusée, et nous n'aurions pas connu cette lutte fratricide.

RDA - Vérité historique

21

DE LA GRÈVE DES ACHATS A LA MARCHE DES FEMMES SUR GRAND-BASSAM Mais on a utilisé nos frères contre nous; on a multiplié provocations sur provocations. Je vous donne un exemple, très pénible : pour aider nos frères emprisonnés injustement, après plusieurs heures de délibérations nous avons accepté la suggestion de l'une de nos militantes — elle est là, aujour d'hui, c'est Anne-Marie Raggi — ; elle a dit : « Voilà ce qu'on a fait au Ghana: il y a eu la grève des achats qui a touché profondément l'économie du pays; et l'on a révisé la position à rencontre de Kwame N'Krumah». Alors, nous avons décidé, nous aussi, grâce à Anne-Marie Raggi, cette politi que de grève des achats. On ne peut pas obliger des gens à acheter. Au bout de six jours, la grève avait entraîné une baisse des recettes au niveau de toutes les sociétés de commerce installées chez nous; et les responsables de ces sociétés protestaient, non plus contre nous mais contre leurs frères fonctionnaires qui, eux, gardaient leurs salaires. Nous allions gagner. Malheu reusement, nous n'avions pas compté avec la jeunesse des membres de notre Parti. A Dimbokro, nous sommes tombés dans une provocation. Nos adversaires ont demandé à un de nos frères africains d'aller acheter un mètre de calicot. Nous avions interdit les achats, mais nous n'avions pas à empê cher ceux qui voulaient acheter. Nous étions les plus nom breux; on comptait sur les doigts d'une main nos opposants dans chaque centre. Malheureusement, Samba Ambroise, avec sa fougue, est allé non seulement arracher le mètre de calicot objet de la provocation, mais il a giflé l'acheteur. Et les provocateurs étaient là, qui surveillaient. On arrête Samba Ambroise. On le jette en prison. La population se soulève et manifeste contre son arrestation. Froidement, on tire sur nos militants : treize morts sur place, d'autres ailleurs. Même les blessés, leurs parents avaient peur de les faire soigner de crainte c!es représailles de l'admi nistration locale. Une triste situation, que vous ne connais sez pas. On a parlé de la ma :he des femmes sur Bassam. Ce fut une marche glorieuse, mais non préparée. Anne-Marie Raggi

RDA - Vérité historique

22

venait de nous suggérer de recourir à la grève des achats, proposition positive. Je me rends à Yamoussoukro, après avoir arrêté toutes les décisions; survient d'Arboussier — paix à son âme — , et alors que nous étions déjà en difficultés, il va trouver les femmes à Adjamé, à Treichville, leur disant que le Parti Communiste ne considère pas comme une atti tude virile, digne de militants en lutte, cette position anti économique de refus des achats. Selon eux, il fallait manifester, marcher sur Bassam. C'est ainsi que, toutes, comme un seul homme, les femmes sont parties pour exiger la libération de leurs frères, de leurs maris, de leurs amants. Mais personne n'avait considéré la position stratégique de Bassam: un seul pont(1) devant lequel six gardes pou vaient empêcher le passage massif de nos sœurs. De l'autre côté, au «quartier France», vivent les Apolloniens, braves militants. Je ne médis de personne, mais je connais mes frères; on ne change pas du jour au lendemain les comportements; jusqu'aujourd'hui vous verrez deux Apolloniens se chamailler à longueur de journée, ils n'en viennent jamais aux mains; vous savez, ils sont beaux comme Apollon, c'est pourquoi on les appelle les Apollo niens. Et ce sont ceux-là qui allaient appuyer nos femmes? Pas un n'a bougé. Donc les femmes arrivent; on laisse passer les pre mières, et on ferme le pont. Le gros de la troupe est resté derrière. Gadeau, qui est là aujourd'hui, peut porter témoi gnage avec moi. Ce sont les faits. C'est lui qui est venu frapper à ma porte, la nuit, à Yamoussoukro pour me dire: « On a arrêté nos femmes». Je lui demande pourquoi. Et lui de me conter ce qui s'était passé. J 'ai dit : « Vous n 'auriez pas dû faire cela». Nous avons délibéré pendant des heures pour trouver une solution qui permette d'obtenir leur libération, comme c'avait été le cas au Ghana-. Nous sommes partis sur Bassam. Arrivés au «quartier Impérial», nous avons trouvé toutes les femmes qui étaient là. Je vais voir Péchoux. Je lui dis : « Vous en êtes arrive-la, maintenant? Vous ne vous contentez plus de jeter en prison des hommes innocents, vous arrêtez des femmes?» Il me (1 ) Le pont qui relie le quartier « Impérial» au quartier « France» situé entre mer et lagune, et où se trouvaient concentrés les bâtiments administratifs et la prison.

RDA - Vérité historique

23

répond: «Monsieur le Député, voyez la situation devant laquelle on me place. Les femmes ont assiégé la prison de Bassam. Si je les libère, je perds la face, la France perd la face. Que les autres quittent « Impérial» etje vous remets vos femmes appréhendées. Quant aux hommes qui sont en pri son, ils doivent être jugés». Vous avez ici Ayache, un ancien administrateur, qui était avec nous. Il est de ceux qu'on avait arrêtés pour manifesta tion sans autorisation préalable. Il peut en témoigner. Et les femmes se sont étonnées: «Comment? Alors que nous n'avons pas réussi à libérer nos frères, nos maris, c'est lui, le Président que nous chérissons, qui vient nous dire de quitter Bassam sans même obtenir qu'on relâche au moins nos sœurs!» Et ils étaient là, les militants, ceux qui écrivent la glo rieuse histoire; mais '"c; .l'ont pas eu, ce jour-là, le courage d'affronter les femmes pour confesser leurs erreurs. Après trois heures de discussions, c'est une femme de Treichville, Mamie Ako, qui leur a dit : «Le Président ne nous a jamais trompées. Ce n'est pas lui qui nous a demandé de marcher sur Bassam. Ce sont ceux-là; ils sont présents; et pas un ne prend la parole. Lui, nous demande de rejoindre Treichville et il restera pour ramener nos sœurs. Il faut que nous partions». Elles ont repris le chemin d'Abidjan et on m'a remis les femmes qui avaient été appréhendées. Voilà ce que nous appelons les «glorieuses journées». Tout est parti d'une erreur commise par Samba Ambroise, arrêtant et brutalisant un homme qui n'était pas de notre Parti et qui avait acheté, par provocation des colonialistes, un mètre de tissu. En maintes autres reprises, notre combat a consisté à réduire les effets des provocations. On a envoyé Sékou Baradji provoquer nos braves militants de Bouaflé; ils y ont répondu, et on a tiré sur eux, impunément. Ce fut aussi le cas au marché de Séguéla. Et durant toute cette période, je n'ai cessé de répéter : «Nous ne combattons pas pour les autres. Notre combat à nous est pacifique». Nous ne devions pas tomber dans ces provocations. On me demande: «Pourquoi ce combat pacifique?» Je tiens à vous le dire sans rougir. Cela a dépendu beaucoup de

RDA - Vérité historique

24

moi. C'était en 1916, je venais de quitter Yamoussoukro pour l'E.P.S. de Bingerville. J'avais perdu les miens, mon père, mon oncle. A dix ans j'étais chef de famille, animiste. J'avais la garde des modestes biens qu'ils m'avaient laissés, mais aussi celle de tous les fétiches qui accompagnent la chefferie. Donc à Bingerville, le Père Gorju m'entreprend, il me convainc. J'abandonne l'animisme, les fétiches, et je me fais baptiser. Un an plus tard, je reviens à Yamoussoukro. C'est alors que j'ai compris. Il y a aujourd'hui, dans cette salle, des descendants des Glélé, l'un d'entre eux porte même ce nom; il y a des descen dants de Béhanzin, et l'un d'eux qui est ancien Président du Bénin. Ils savent combien a coûté en vies humaines, en sacrifices, une mauvaise interprétation des exigences de l'au-delà. Et j'ai pris, moi, la décision de ne jamaisfaire verser le sang humain, — on en avait trop versé dans ma petite famille, dans toutes les familles akan —, ni moi ni à cause de moi en Côte d'Ivoire ou ailleurs dans le monde. A Bingerville, j'ai appris autre chose: «Aime ton pro chain comme toi-même». Ce n'est pas un précepte à réciter du bout des lèvres. Si vous aimez votre prochain comme vous-même, puisque vous ne pouvez pas vous faire du mal à vous-même, vous satisfaire de votre propre malheur, vous devez également ne pas faire de mal à autrui, vous satisfaire du malheur qui lui arrive. Cette philosophie, je l'ai faite mienne grâce au Révérend Père Gorju dont j'entretiens tou jours la tombe à Bingerville. Dans cette lutte tout était difficile. Un jour, les gens de maison m'ont envoyé une délégation à Yamoussoukro pour me dire : «Ici on tue nos frères avec impunité; nous sommes décidés à faire mourir tous ceux qui tuent les nôtres. Nous n'avons pas besoin de produits pharmaceutiques. Nous connaissons suffisamment de poisons discrets pour qu'en quarante-huit heures il n 'y ait plus de Blancs dans tout le pays. » J'étais très touché. C'était le syndicat des gens de mai son. Et je sais qu'ils ont assez de poisons discrets mais efficaces. Je leur ai répondu: «Je vous remercie. Mais la vie de ces hommes appartient à Dieu, comme la nôtre. Lui seul peut la leur reprendre. Nous luttons contre la survie de leurs privilèges et, avec l'aide de Dieu, nous tuerons ces privilèges;

RDA - Vérité historique

25

et nous allons réussir. Mais de grâce, ne tuez personne. Nous gagnerons. L'amour l'emportera sur la haine». Nous avons fait nôtre cette doctrine. Et le jour où, en 1956 pour la première fois, Guy Mollet m'a appelé à faire partie de son Gouvernement, je lui ai dit: «Nous allons nous efforcer, en Afrique Noire, d'éviter les heurts et les incom préhensions qui ailleurs, en Asie comme en Afrique du Nord, ont conduit la France aux situations que nous déplorons». Mendès- France avait retenu longtemps cette phrase. Nous avons respecté cet engagement. Si nous n'avons pas répondu aux provocations, ce n'est pas par peur. Nos anciens combattants sont là pour témoigner de la valeur militaire de nos hommes; sur leurs poitrines scintillent des médailles qui l'attestent. Mais nous avons voulu que notre lutte demeure pacifique. Et vous devez la continuer, mes chers frères, quelles que puissent être les difficultés. Votre exemple dépassera le cadre de la Côte d'Ivoire. L'ESPRIT PACIFIQUE DU RDA NE MOURRA PAS Voyez-vous, en créant le RDA, sur les bords du Niger, nous avons allumé le feu de la liberté, de l'émancipation. Et nous entretenons cette flamme en Abidjan, à Yamoussoukro, pour éclairer le chemin de la Côte d'Ivoire, le chemin difficile qui conduit au progrès, donc au bonheur dans la paix, dans la justice, dans la solidarité, dans la fraternité et dans l'amour, pour nous et pour le RDA dans son ensemble. Je vous ai promis d'être bref. C'étaient là les points essentiels. Mais je suis à votre entière disposition, mes frères, pour répondre à toutes les questions que vous vou drez bien me poser, pour vous aider à écrire la vraie, l'authen tique histoire de notre Mouvement de lutte émancipatrice. L'esprit du RDA ne mourra pas. Il sera de solidarité effective, de vraie camaraderie, de vraie fraternité. Avec ces armes-là, nous pourrons construire, sur un socle dur, le cer cle d'amour. Et Dieu fera que les maisons du RDA, partout, tiendront. Même quand elles ne sont pas visibles, elles sont dans vos cœurs, dans vos esprits; et c'est cela qui compte. Nous avons gagné la bataille politique. Nous luttons pour la bataille économique; elle est dure. Mais nous vous

RDA - Vérité historique

26

engageons, dès maintenant, à vous armer pour la vraie bataille, celle que Dieu prêche à travers le Monde depuis sa création : la bataille pour la Paix promise aux hommes de bonne volonté, à tous les hommes. Chercheurs, je vous ai dit, l'autre jour, que je vous réserve la Fondation qui porte mon nom. Je veux que vous lui donniez une dimension non pas ivoirienne à la mesure de ma modeste personne; mais, comme nous l'avons été en 1 944, 1945 et 1946 quand nous avons créé le RDA, soyez plus ambitieux, donnez-lui une dimension internationale. Appelez même les prix Nobel de la Paix. Demandez à tous les chercheurs du monde les moyens de parvenir à la Paix, de détruire la citadelle de méfiance qui rend impossible toute solution de Paix. Il faut abattre cette muraille entre les deux forces, les deux idéologies qui se partagent le monde. Tant qu'elle restera debout, on se réunira mille fois, à Genève, en Islande, rien n'en sortira. Les hommes doivent être conscients et se demander si vraiment, pour des ques tions d'amour-propre, d'idéologies passagères, ils vont assister indifférents à la ruine de l'humanité, à sa mort. J'ai déjà posé la question; je vous la pose à nouveau aujourd'hui, parce que c'est triste. Est-ce qu'on croit à la vérité historique du Déluge? Quand Dieu a puni les hommes qui nous ont précédés en faisant tomber la pluie pendant quarante jours et quarante nuits. Et seule la barque de Noé aurait été sauvée. Qu'avaient-ils bien pu faire de pire que nous actuellement? Qu'est-ce que Dieu va nous destiner? Il faut que nous y réfléchissions. Personne n'est petit. La lumière d'amour qui doit éclairer le chemin de l'humanité peut venir du plus modeste. Le vrai combat n'est pas terminé. Il ne le sera jamais. C'est le combat pour la Paix. Et vous êtes mieux armés, vous qui avez souffert du mépris des autres. Si vous dépassez ce mépris dans lequel on vous a longtemps tenus, pour considé rer que les hommes sont tous des frères créés par le même Dieu, Dieu nous aidera.

Deuxième Partie

Le Président Houphouet-Boigny répond aux questions des participants

RDA - Vérité historique

28

De l'apparentement des parlementaires africains au groupe communiste puis à l'USDR

«On peut mourir pour un idéal, mais on ne meurt pas pour des alliances tempo raires. »

M. Robert Cornevin, historien français. Je voudrais intervenir sur les circonstances exactes du désapparentement, car le Président Houphouet-Boigny a très justement évoqué cette période de 1946 à 1956 comme étant une marche longue et difficile. Mais il y a eu l'inauguration du Port d'Abidjan, qui a été tout de même aussi un événement très important. M. Sirieix(1 ) en parle avec abondance, je crois, perti nence et exactitude. J'ai recueilli d'autre part sur ce sujet le point de vue du Président René Pleven qui a été Président de l'Académie des Sciences d'Outre-Mer à laquelle, M. le Prési dent, nous avons eu l'honneur de vous élire à l'unanimité. Et j'ai eu aussi, ayant servi au Togo sous ses ordres, de 1952 à 1954, les confidences de Laurent Péchoux. Ce dernier était un grand chasseur, et comme il n'y avait pas de gibier à tous les coins de brousse, il lui arrivait de se confier, en général, beau coup plus sur la Côte d'Ivoire que sur le Togo. Et il manifestait, au cours de ses promenades cynégétiques, une estime pour (1 )«Félix Houphouet-Boigny, homme de la Paix», par Henri Sirieix, Editions Seghers, Paris.

RDA - Vérité historique

29

votre personne et votre talent politique; ce que je tiens à signa ler dans cette salle, quelles que soient les relations qu'il ait pu avoir naguère en Côte d'Ivoire. Donc ma question porte sur les circonstances exactes du désapparentement, les démarches qui ont eu lieu à Paris, que Sirieix a rapportées; et surtout, sur ce qui a été considéré un petit peu par la presse comme un coup de tonnerre lors de l'inauguration du Port d'Abidjan. Le Président Houphouet-Boigny Je vous ai exposé dans quelle circonstance nous fûmes amenés à nous apparenter, par l'intermédiaire du groupe de d'Astier de la Vigerie, au groupe parlementaire communiste. Je vous ai dit que, dès le départ, il s'agissait d'alliances. Et j'ai fait la comparaison avec d'autres alliances de plus grandes dimensions qui ont eu lieu entre, d'une part les Européens et les Américains, libéraux, et d'autre part les Russes communistes, dans leur lutte contre Hitler qui voulait dominer le monde. Après leur victoire commune, malheureusement, il y a eu la guerre froide. Aujourd'hui, on peut la qualifier de tiède, et nous pouvons craindre que demain elle devienne chaude. Donc, l'apparentement avec les communistes n'était pas pour nous l'idéal. On peut mourir pour un idéal, mais on ne meurt pas pour des alliances temporaires. En France, il y a eu de telles alliances. En 1947, Ramadier, un socialiste, a chassé les communistes du Gouverne ment. Dès lors, ils ne pouvaient plus nous apporter le moindre soutien, puisqu 'eux-mêmes étaient passés dans l'opposition. C'est alors que j'ai demandé à mes frères d'ac cepter de rompre un apparentement auquelje les avais moimême amenés, mais qui, compte tenu de la nouvelle situation, était non seulement devenu inutile mais pouvait s'avérer dangereux. De toute façon, c'est à la France que nous avions à faire face. En 1945, les communistes, aux élections françaises obtenaient 25 à 27% des voix. Ce qui veut dire que, même dans l'armée, on pouvait compter un communiste sur quatre soldats. Et, je vous le demande, est-ce que ces communis tes-là, lors des conflits d'Indochine, d'Algérie, ont sympa

RDA - Vérité historique

30

thisé avec ceux qui luttaient contre l'armée française? Non. Ils étaient avant tout Français; et ils avaient raison. Si les communistes ont alors été écartés du Gouverne ment français, c'est parce que leurs députés n'avaient pas voulu voter le budget pour l'Indochine; mais ils sont restés Français. Et c'est l'ensemble des Français qui constituaient la puissance coloniale dont nous voulions nous séparer; dans l'amitié certes, mais nous séparer absolument. Donc, j'ai eu du mal à faire accepter cela par mes frères, comme j'avais eu du mal, je viens de vous le rappeler, en 1946 à Bamako, à soustraire notre Mouvement de l'obé dience communiste. Il y a des militants qui ne m'ont alors pas suivi dans le désapparentement, — plusieurs sont aujour d'hui dans cette salle — , mais j'ai tenu. Lorsque certains de nos braves militants, innocents, ont été jetés en prison, je les ai fait défendre par des avocats communistes, de brillants avocats. Mais ce n'était pas gra tuit; j'ai payé. Et pourtant, s'ils ont été condamnés, c'est parce qu'ils ont été défendus par des communistes. Et j'ai dû attendre l'opportunité: se désapparenter était une chose, où aller en était une autre. Nous n'étions pas assez nombreux pour constituer, seuls, un groupe parlemen taire. Nous devions donc rechercher l'apparentement avec d'autres groupes français; et nous avons commencé par nous adressera nos frères dits « Indépendants d'Outre-Mer», présidés par Senghor. Ce fut un refus. Nous étions des pesti férés. Ils ne pouvaient nous accepter. Ils nous ont même demandé, eux qui ne constituaient qu'une petite unité, un groupuscule, de venir à eux, les solliciter individuellement en renonçant l'un après l'autre au sigle du RDA. Cette fin de non-recevoir nous a été signifiée par les Sallers, les Aujoulat... Nous nous sommes ensuite tournés vers les partis poli tiques français; tous nous ont refusés. C'est alors que nous avons rencontré un membre du Cabinet du Président Pleven. C'est Pleven qui était président de l'UDSR, ce n'était pas Mitterrand. Après plusieurs rencontres, il a demandé à me rencon trer moi-même. Nous nous sommes vus à Matignon; il a été convaincu par notre sincérité et il a demandé que nous venions à l'apparentement avec l'UDSR. Mitterrand était son ministre des Territoires d'Outre-Mer. Nous n'avons pas

RDA - Vérité historique

31

nié que par la suite il ait changé, et vraiment il a changé, mais au départ il n'avait pas accepté la proposition de Pleven. Vous parlez du Port d'Abidjan. La cérémonie d'inaugura tion de ce port a été pénible pour nous, bien que nous nous soyons déjà désapparentés du groupe communiste. Nous devions assistera cette inauguration. Lagarosse et les colons étaient allés voir le Président Vincent Auriol pour lui demander de m'interdire le retour dans mon propre pays, sous prétexte que le gouvernement local ne pourrait pas y assurer ma sécurité. Vincent Auriol leur dit: «Voilà deux fois que vous me demandez quelque chose au sujet de cet homme». J'avais fait venir une Cadillac — c'était la première en Afrique — ; /7s avaient refusé de la faire dédouaner sous pré texte que ce véhicule allait augmenter mon pnstige auprès des populations. Et il a fallu Vincent Auriol pour leur dire: «De quoi vous mêlez-vous? Qu'on l'autorise». Alors ils m'avaient fait payer double taxe. J'avais tout de même retiré cette voiture. Et voilà que, sous prétexte de me protéger, ils demandaient qu'on me retienne à Paris, alors que Péchoux avait ameuté toute la population d'Abidjan pour l'inaugura tion du Port. Mitterrand a refusé de me prendre dans son avion. Quand il en est descendu, on ne m'a pas vu à ses côtés et, dans un silence glacial, on a laissé partir sa voiture de l'aéro drome vers le Palais. Lorsqu'une demi-heure plus tard, je suis moi-même des cendu d'un deuxième appareil, avec Gazelle et certains dépu tés qui ne me connaissaient pas, ce fut un tonnerre d'applaudissements. On voulait même soulever ma voiture. C'est ainsi que nous sommes arrivés à Abidjan. Le lendemain, pour la cérémonie, aucune place ne m'était réservée à la tribune. J'étais à l'arrière sur un banc. En présence de Péchoux, de Mitterrand, c'est Capri Djédjé, — je lui ai pardonné, le pauvre, et je ne veux pas revenir sur son comportement — , que l'on a utilisé pour lire un texte préparé par Péchoux. Et, au lieu de parler du port, ce n'était qu'attaques contre notre Mouvement. Je n'ai rien dit. La cérémonie terminée, les officiels ont rejoint le Palais dans le même silence. Je n'ai pas voulu m'y rendre avec eux; ils auraient partagé les applaudissements qui m'étaient destinés.

RDA - Vérité historique

32

Et comme Mitterrand est un homme très intelligent, il a écouté les Français qui sont allés lui dire: «Attention! Péchoux est en train de vous égarer. Cet homme a le soutien de tout son peuple; il faut compter avec lui». C'est de ce jour-là qu'il a changé d'attitude. Après notre victoire de 1956, à la fin du repas, il a répondu à notre toast en disant: «Je n'ai pas de remords, mais j'ai des regrets. Pas de remords, parce que mes prédécesseurs m'avaient demandé d'appliquer la circulaire limitant le nombre desélus du RDA, et j'ai laissé faire; mais des regrets parce que, vous connaissant mieux comme je vous connais maintenant, je déplore qu'on ait privé le Parlement français d'hommes de votre stature politique». Et à partir de ce moment-là, nous avons coopéré étroite ment. Mais c'est Pleven qui nous avait acceptés à l'UDSR. C'est grâce à Pleven que nous avons eu nos premiers colla borateurs français. Vous avez entendu, l'autre jour Kosciusko-Morizet qui fut mon premier Directeur de Cabinet; Madame Plazanet aussi était une militante UDSR. Cependant, nous avons voulu oublier; parce que nous considérons notre coopération avec la France sous un autre angle; c'est avec la France éternelle que nous coopérons étroitement, quels que soient les hôtes éphémères de l'Elysée. Voyez-vous, je demande à mes frères, en toutes circons tances, dans toutes relations humaines, d'aller au-delà du pardon, jusqu'à l'oubli. Personne ne saurait survivre aux malheurs qui nous frappent si nous ne cultivons pas l'oubli. Le RDA sait oublier. Ceux qui, hier l'ont maltraité, nous les avons oubliés; nous les avons traités non pas avec mépris mais en frères malheureux. Vous trouverez, non loin de la mosquée de Yamoussoukro, une petite construction où je reçois tous les jours quel que deux cents mendiants. Je les nourris, je les soigne. Ils partent quand ils veulent. Si je rappelle cela, c'est que j'ai désigné pour s'occuper d'eux, un homme qu'on appelle Mié N'gou(1). Ainsi, je considère que tous les hommes sont nos frères. On doit aller au-delà du pardon. (1) «Camarade», en baoulé.

RDA - Vérité historique

33

«La paix, c'est notre deuxième religion»

«La guerre ne paie ± plus; il s'agit de lutter avec les armes du savoir".

M. Papa Seck, Chercheur sénégalais. Monsieur le Président, j'aimerais connaître votre senti ment sur un point précis: la formation de l'idéal de justice et de paix par le combat contre le colonialisme que vous avez mené avec vos camarades compagnons du RDA. Vous avez parlé du RDA tout à l'heure, et l'histoire de ce grandmouvement s'iden tifie plutôt à votre parcours personnel. Et c'est pour cela que nous sommes présents ici; nous voulons en savoir plus. A la fin de votre prestation, vous avez parlé de vos origines de jeune enfant akan. Et vous avez essayé de montrer: — en quoi l'idéal que vous avez toujours défendu, s'incarne aujourd'hui dans une doctrine d'appel à la Paix, — et combien le sens de l'humain doit être important dans le combat politique, y compris à l'égard de l'adversaire. J'aimerais savoir, pour vous Félix Houphouet-Boigny et également pour vos compagnons ici présents, qui étiez desti nés à être des privilégiés, en quoi votre formation par l'éduca tion coloniale a pu déterminer en vous un sens de la justice sociale et de l'humanité.

RDA - Vérité historique

34

Je sais, Monsieur le Président, — et il m'a été donné à un moment de l'écrire en tant que chercheur —, que l'éducation coloniale n'a pas toujours réussi à remplir pleinement la mis sion qui lui était dévolue par le système, français notamment. Cette école-là a eu pour but de créer une pépinière déjeunes, dévoués à la cause coloniale; et pourtant elle a aussi engendré une importante fraction de lajeunesse africaine quia combattu le colonialisme. Vous avez raillé tout à l'heure les étudiants; à mon corps défendant, — le chercheur est toujours un grand étudiant —, je serai porté aussi à vous dire que, malgré tout, vous les avez toujours considérés aux affaires comme étant vos enfants. Et vous vous êtes toujours battu. . . pour la promotion de l'homme à l'école. Je voudrais savoir en quoi la formation que vous avez reçue, vous et vos compagnons à William Ponty par exemple, puisque c'était la grande école, a pu vous donner le sentiment d'un combat de justice sociale en Afrique. N'étant pas né à ce moment-là, puisque j'ai plutôt l'âge d'un petit-fils, je voudrais vous demander, pour terminer, parce que je pense que ce serait beaucoup plus intéressant, que vous mêliez à votre réponse, comme vous l'avez fait tout à l'heure, certains souvenirs personnels. Le Président Houphouet-Boigny Mon Cher Fils, si vous m'avez suivi, vous aurez compris déjà la réponse que vous attendez de moi! Je vous ai dit les raisons pour lesquelles je suis fonda mentalement, entièrement attaché à la paix! Je vous ai rap pelé ce commandement «Aime ton prochain comme toi-même». Je vous ai dit aussi, et je vous le rappelle, que beaucoup de choses qui ont été faites ici, l'ont été parce que j'ai appelé la population à me suivre dans cette voie, la voie de la paix. Et d'ici, aujourd'hui vous pouvez aller dans les plus petites de nos écoles; partout on vous dira: « La Paix, ce n'est pas un mot mais un comportement». On vous dira même mieux: «La Paix, c'est notre deuxième religion». Le peu que nous avons réalisé dans ce pays, —je ne cesse de le répéter —, a été fait sans un litre de pétrole, sans un kilo de fer, de cuivre, de manganèse, de bauxite, d'uranium; nous l'avons réalisé grâce au travail de nos paysans, dans un cli mat de paix. Donc, le préalable à tout développement, c'est

RDA - Vérité historique

35

la Paix. C'est pour cela que nous l'enseignons à nos enfants. Banny, l'autre jour, l'a expliqué: quand on a déclenché la campagne contre nous, nos enfants, enthousiastes comme le sont tous les jeunes, ont voulu créer un mouvement de lutte : la Jeunesse RDA. Sije les avais appuyés, — parce qu'on attendait que je les appuie — , ils auraient tous été renvoyés de l'école. Nous aurions gagné politiquement, mais en fait nous aurions perdu. Or, nous voulions que ces jeunes gens soient instruits. Nous n'avions aucune école secondaire en Côte d'Ivoire. Barthe, quand nous lui avions demandé de créer un lycée, avait répondu, à la Chambre de Commerce dont il était le Président, qu'il préférait quelques kilomètres de rails Decauville à un lycée pour nègres. Nous avons donc été obligés d'envoyer nos enfants collégiens en France. Et le Gouverneur qui a accepté alors de répondre à notre attente, malgré les grands services qu'il a rendus à la colonisation, a été limogé pour cela, c'est Latrille. Aujourd'hui, nous restons égaux à nous-mêmes. Notre raison d'être, c'est la jeunesse. Il faut la mettre dans une situation telle qu'elle puisse consacrer tous ses efforts pour nous forger les vraies armes de l'indépendance. Voyez-vous, je suis un des hommes qui dénoncent cha que jour la détérioration des termes de l'échange, les bas prix offerts pour nos produits agricoles, miniers, minéraux. Mais je ne me fais aucune illusion. Tant que nos jeunes ne seront pas techniquement formés pour que nous puissions transfor mer sur place tout ou partie de nos matières premières, tant que nous devrons nous borner à dire à ces hommes qui vivent précisément de cette détérioration et qui continueront à pra tiquer cette spéculation, que si cette situation se poursuit, si cet état d'esprit demeure, nous ne pourrons pas, nous autres, avancer, nous ne ferons qu'amuser la galerie. Nous avons raté l'ère industrielle. Ce ne fut pas de notre faute; nos anciens maîtres eux aussi l'ont ratée. Mais aujour d'hui, une nouvelle ère s'annonce, celle de l'informatique; et nous voulons que nos jeunes gens s'insèrent dans cette ère là, pour qu'ils aient enfin la réponse à toutes nos préoccupa tions d'égalité. On parle de la loi du marché; elle n'est valable qu'entre pays d'égal développement. Lorsqu'un même partenaire fixe

RDA - Vérité historique

36

également les prix des marchandises que vous importez de chez lui. et ceux de vos matières premières avec lesquelles il fabrique ces marchandises qui vous reviennent très cher, tant qu'il continue à vous faire payer cher les services, parce que vous n'avez pas suffisamment de cadres, il n'y a pas de solution. Il ne suffit pas que nous soyons conscients de cette réalité, il faut que nous mettions notre jeunesse dans des dispositions telles qu'elle puisse combattre efficacement. Et il ne s'agit pas de se battre avec des armes de guerre; c'est dépassé, la guerre ne paie plus; il s'agit de lutter avec les armes du savoir. Prenez l'exemple du Japon. Ce pays n 'a pas de matières premières, ni minérales, ni agricoles, ni minières. Mais, par la qualité de ses hommes, par un nationalisme éclairé, il est arrivé en soixante-dix ans, à gravir l'échelle économique. Et nous pourrions y mettre moins de temps, puisque nous avons plus d'atouts que les Japonais, pour nous insérer, même dans certains domaines comme l'électronique, très près du géant américain. Nous le pourrions, nous qui avons les matières premières, avec des hommes capables d'assimi ler comme les autres, en entretenant un climat de paix qui empêche nos enfants de perdre leur temps et leur vie. Le sang a coulé partout autour de nous. Si nous avons fait en sorte qu'aucune goutte de sang n'a été versée ici, ce ne fut pas pour nous épargner, nous les vieux, mais pour préserver nos jeunes. Nous ne voulons pas les voir, anciens combattants de telle ou telle guerre; nous voulons les voir combattants permanents pour la paix, seule capable de nous faire rattraper notre retard dans la voie du progrès.

RDA - Vérité historique

37

« En aucun cas, je n'aurais accepté de me faire arrêter

«Ce n'est pas seule ment à Yamoussoukro qu'on a voulu attenter à ma vie. »

M. Jean-Marie Koné, Union Soudanaise, ancien Ministre. Monsieur le Président, avec votre permission, je vais vous poser deux petites questions. Voulez-vous, Monsieur le Président, nous parler un peu du combat intérieur qui s'est opéré en vous, de la tempête que vous avez ressentie lorsque le procureur d'Abidjan a voulu vous arrêter à Yamoussoukro? Deuxièmement, j'ai entendu dire qu'en 1920, il existait ici à Yamoussoukro, un grand arbre touffu sous lequel ne man quait jamais la nourriture déposée pour les étrangers de pas sage même quand on ne les connaissait pas. Voulez-vous, Monsieur le Président, nous faire indiquer l'emplacement de cet arbre? Le Président Houphouet-Boigny Je répondrai d'abord à votre deuxième question.

RDA - Vérité historique

38

Un jour, une des femmes qui avait servi sous la grande Yaa N'So, m'avait dit: «On prétend que vous êtes généreux, mais vous n'êtes rien par rapport à votre grand-tante. Vous recevez les hommes qui viennent chez vous, et vous les conviez à votre table. Mais, avec la vieille c'était autre chose. Dans les pays akan, la route ne devait pas traverser le village, qui lui était relié par un petit sentier ou une route secondaire. Donc, nous allions au bord de la grand-route pour demander à ceux qui avaient faim et soif, s'ils voulaient bien faire un détour jusqu'au village où ils seraient servis. Et ce n'était que vers la minuit, quand on n'attendait plus de visiteurs, que nous donnions le reste aux pauvres du village.» Je lui ai répondu par une autre question : « Pourquoi alors ce nom de «Hié» que la grand-tante, chaque fois que l'un d'entre eux mourait, redonnait à un autre de ses serviteurs?» Hié, signifie « le bien »; et quand on l'appelle, la personne qui répond à ce nom déclare: « Le petit mal est le mal, même s'il est aussi insignifiant que celui que fait l'enfant à sa mère quand il lui mord le sein». Mais un petit bien n'est pas du bien. Si vous prétendez faire le bien, mesurez d'abord vos moyens car, ensuite, vous n'aurez plus le droit de vous arrêter. Voyez-vous, la grand-tante avait plus de moyens que nous; tout le monde travaillait pour elle seule. Les temps ont changé. Nous restons dans la tradition de générosité ensei gnée par la famille, mais nous n'avons pas les mêmes possi bilités qu'elle; et nous faisons ce que nous pouvons. Quand au grand arbre dont vous parlez, il serait aujour d'hui deux ou trois fois centenaire. Il a disparu, mais l'esprit de générosité est demeuré. Pour répondre à votre première question, j'ai déjà dit que nous avons oublié tout le mal qu'on avait voulu nous faire. Et vous faites bien de vouloir corriger aujourd'hui l'Histoire pour qu'on écrive la vérité sur cette arrestation, et non pas des histoires. Les choses ne se sont pas passées comme certains l'ont prétendu. On avait fusillé nos frères à Bouaflé. Et tout ce que j'avais pu faire avait été de m'y rendre pour consoler les parents des victimes.

RDA - Vérité historique

39

A mon retour à Yamoussoukro, arrive dans ma cour le juge Pautrat avec deux inspecteurs européens armés de revolvers. Je sors sous ma véranda, devant ma maison. Ils me disent: «Nous venons vous arrêter au nom de la loi». Je dis: «Au nom de quelle loi?» Ils ajoutent: « De flagrant délit». Et j'interroge : «Quel flagrant délit? Avant qu'on vous auto rise à arrêter un député, il faut un débat à l'Assemblée Natio nale pour juger des preuves de ce flagrant délit. Vous êtes venus, mais je ne vous suivrai pas. Vous ne pourrez pas m'arrêter. Et je tiens à vous prévenir, parce que j'ai toujours prié Dieu qu'on ne verse pas de sang humain à cause de moi, que ce sera peut-être mon cadavre que vous emporterez; mais dans ce cas, mon cadavre ne serait pas le seul». Ils ont eu peur, parce que toute la population s'était ameutée, avec des sagaies; et d'Abidjan jusqu'à Yamous soukro des barrages avaient été dressés pour les empêcher de passer. Ils sont repartis bredouilles. Pautrat a payé pour n'avoir pas réussi à me faire arrêter. Mais avant d'être limogé, il a dit à Péchoux: «J'aurais voulu vous voir à ma place à Yamoussoukro». En aucun cas je n'aurais accepté de me faire arrêter. Dieu est avec nous. Je n'ai pas l'habitude d'en parler, mais ce n'est pas seulement à Yamoussoukro qu'on a voulu attentera ma vie. A Gagnoa aussi, j'ai échappé de justesse. Guy Mollet venait de me demander de rentrer à Paris. Un avion m'attendait, mais je devais auparavant me rendre de Yamoussoukro dans cette ville où devait me rejoindre un autre groupe conduit par Ladji Sidibé. L 'ancien avocat Amani Thierry, qui est aujour d'hui ici, était avec nous. Nous étions dans la dernière phase de la campagne électorale destinée à récupérer toutes les régions qui nous avaient échappé à la suite des fraudes élec torales. Donc, le matin, mes amis qui venaient de Daloa, arrivent à Gagnoa. Ne me voyant pas, ils se disent: « On a dû le retarder sur le chemin d'Oumé». Et ils repartent à ma rencontre. A quelques kilomètres de Gagnoa, ils tombent sur un barrage. Et on a tiré sur eux parce qu'on a cru que c'était moi qui revenais de Gagnoa. Deux de nos frères sont morts et Hamaciré fut blessé. C'est Capri Djédjé qui dirigeait ce guetapens pour m'assassiner. Je lui ai pardonné. Il a été ensuite l'un des militants de notre RDA.

RDA - Vérité historique

40

Cette même année, en 1957, à Sinématiali, chez DonaFologo, un autre attentat a été perpétré contre nous sur la place publique. J'ai dû ma vie à Palenfo, le père de l'actuel colonel. On avait demandé aux gendarmes d'aller constater le décès; et quand ils ont vu la furie avec laquelle les gens de Sinématiali nous attaquaient, ils ont frappé tous ceux qui étaient autour de moi, mais ils ne m'ont pas touché, disant: «Nous n'allons pas laisser tuer notre bienfaiteur». Devant eux, tous les agresseurs se sont enfuis. J'ai été sauvé par Dieu une fois encore. Je pourrais vous citer plusieurs autres cas. Mais, voyezvous, mieux vaut chercher refuge en Dieu que de se confier; c'est ce que j'ai toujours fait. Dieu, qui nous a protégés jusqu'ici, continuera. Vous m'avez tous souhaité longue vie à l'occasion de mes quatre-vingt-un ans. Et j'ai dit que je donne aux jeunes les huit dizaines: de quatre-vingt-un, je ne retiens qu'un. J'ai désormais «un an».

RDA - Vérité historique

41

«C'est le sacrifice de tous les Ivoiriens qui m'a permis de conduire le Mouvement...»

«Porté par un seul, le fardeau l'écrasera. »

M. Sirabou Diallo, journaliste. Monsieur le Président, d'où venaient les fonds nécessaires au financement de la vie du RDA? Les cotisations des membres suffisaient-elles à financer toute cette vie politique? Ou alors, comme certains l'ont dit et écrit, la fortune de votre famille a-t-elle largement contribué à la vie du Rassemblement? Le Président Houphouet-Boigny Je ne vous répondrai pas directement. Mais vous êtes très intelligent et vous pourrez me comprendre. J'ai dit que, dès la création du RDA, à Bamako en 1946, nous avons soustrait notre organisation de la tutelle des partis politiques métropolitains. Et ce mouvement, cepen dant a vécu. Abassodi, qui est ici aujourd'hui, me rappelait le temps où ils attendaient, au Tchad, l'arrivée de Côte d'Ivoire, des moyens nécessaires pour continuer leur lutte. Puisque nous sommes là pour dire la vérité, je vous dirai que, quand nous dépensions pour engager les autres pays à notre suite dans la lutte contre le colonialisme, beaucoup me demandaient: « Pourquoi ces dépenses?». Je leur répondais: «Nous dépensons par égoïsme». Qu'est-ce à dire? Si nous

RDA - Vérité historique

42

avions gardé notre argent, nous aurions supporté seuls le poids de la lutte et nous aurions été écrasés. C'est donc par égoïsme que nous devions aider les autres à partager avec nous les souffrances, les misères. Porté par un seul, le far deau l'écrasera; mais si, grâce à Dieu, la charge est partagée, elle pourra être supportée. C'est ce que nous avons fait. Un proverbe de chez nous dit: « Quand on a un bœuf sur la lange, on ne peut pas la remuer». Durant toute notre lutte, nous ne nous sommes jamais adresés à une banque en Côte d'Ivoire; aucune ne nous a prêté le moindre centime. Aujourd'hui encore, nous n'avons jamais emprunté un centime à nos frères riches en pétrodol lars. Si, indirectement, par quelque jeu de montage finan cier, des intérêts, arabes par exemple, ont pu se trouver indirectement dans des opérations financières, nous n 'avons pas à le savoir. En tout état de cause, la Côte d'Ivoire considère que la coopération doit se pratiquer dans le respect de la dignité de chacun. Si nous avons lutté, ce ne fut pas seulement pour recouvrer notre liberté confisquée, mais et surtout notre dignité piétinée. Alors, à votre questionne répondrai: c'est le sacrifice de tous les Ivoiriens qui m'a permis de conduire le Mouvement, et de continuer sans aucun emprunt. Voilà ce que je peux vous dire.

RDA - Vérité historique

43

Il n'y a pas de Nation africaine

«Problèmes de per sonnes, c'est le gra ve problème. *

M. Ibrahima Baba Kaké, Guinéen, Professeur Agrégé d'Histoire. Monsieur le Président, votre opposition, au sein du Grand Conseil de l'A OF, ne militait pas en faveur d'une fédération des Etats africains. Vous étiez en cela opposé à Senghor. Peut-on savoir pourquoi? Avec le référendum de 1958, le Général de Gaulle permet tait l'indépendance immédiate aux pays africains avec, comme conséquence, bien entendu, la sécession. Vous aviez toujours milité pour l'émancipation africaine; l'ultime émancipation n'était-elle pas l'indépendance? Le Président Houphouet-Boigny Au cours de mon exposé préliminaire, j'ai volontaire ment laissé certaines réponses en suspens. Mais vous avez le droit, en tant qu'historien et chercheur, de me demander quelques précisions. Prenons le cas de ce problème dit de balkanisation. Le mot est venu d'un poète, et il a fait balle; mais il ne recouvre pas la réalité.

RDA - Vérité historique

44

Aucun continent au monde ne compte qu'une seule nation. Il n'y a pas de nation européenne, pas de nation africaine, pas de nation américaine, pas de nation asiatique. Chaque nation est bordée par des frontières qui sont des cicatrices de l'histoire. Mes frères n'ont pas voulu me com prendre; ils ont cru que j'agissais par égoïsme. Non! Le Général de Gaulle disait qu'en politique on ne règle aucun problème, on le déplace. Mais il y a des situations difficiles à résoudre; et quand il s'agit de problèmes de per sonnes, si l'on ne fait pas attention, ils peuvent déchirer la famille. Vous me demandez pourquoi je n'ai pas accepté que l'on regroupe les anciens territoires de l'ex-AOF, par exem ple, en une seule fédération? Si la chose avait été possible, le Président du RDA se serait empressé de la réaliser. Je vous citerai trois cas pour illustrer ma pensée. Quand nous avions été appelés à siéger au gouverne ment français, on nous avait offert deux sièges: un de Minis tre et un de Secrétaire d'Etat. C'était la première fois, dans l'histoire de la France, qu'on appelait un Africain à siéger dans le gouvernement français avec un titre de ministre à part entière; tous ceux qui m'avaient précédé, les Kandji Saliou, les Biaise N'Diaye, les Lamine Gueye, les Senghor n'avaient été que Secrétaires d'Etat, lesquels, avant que le Général de Gaulle change cela, ne siégeaient pas au Conseil des Ministres à moins qu'une affaire de leur ressort y soit étudiée; après sa discussion, ils se retiraient. Donc, après cette traversée du désert difficile, doulou reuse, je venais de conduire notre Mouvement à la victoire qui nous donnait la majorité, ce dont le gouvernement fran çais a tenu compte. On nous a donné ces deux sièges, alors que l'UDSR, qui nous avait tendu la main dans les circons tances si difficiles que je vous ai relatées, n'en avait qu'un seul parce que c'était une petite formation. Et vous allez comprendre les difficultés. Je présidais l'Assemblée Territoriale de Côte d'Ivoire,l'étais Président du Comité de coordination du RDA; cela faisait trop de charges sur les épaules d'un seul. Je dis à mes amis: «Je suis fils unique; je n'ai que des femmes à la maison. Je pouvais bien m'absenter quatre, cinq ou six mois; mais, comme ministre, je vais être obligé d'être là-bas (en France) de façon perma

RDA - Vérité historique

45

nente». Et je leur ai demandé de désigner l'un d'entre nous, tous étant capables d'assumer des responsabilités ministé rielles. Sékou Touré, qui ne mâchait pas ses mots, dit ceci: « Si tu veux que ton œuvre survive, accepte le poste ministériel que le gouvernement de Guy Mollet nous propose. Avec toi nous accepterons de nous incliner; mais si tu te retires, nous nous battrons tous pour avoir ce poste, et nous allons nous diviser, nous séparer les uns les autres». On devait me renouveler cette même proposition quand, en A vril 1 957, nous nous sommes réunis icià Yamoussoukro pour tirer la leçon de notre brillante victoire aux élections cantonales. Nous devions occuper le siège de Président du Grand Conseil; ce fauteuil nous revenait de droit puisque nous y étions largement majoritaires. A nouveau, j'avais rappelé que j'étais déjà Président de l'Assemblée Territoriale de Côte d'Ivoire, Président du RDA, Ministre à part entière. Et je leur avais demandé de désigner l'un d'entre nous pour assumer les responsabilités de Président du Grand Conseil. C'avait été la même réponse: «Jamais! Si vous n'acceptez pas, nous voudrons tous être Président et nous allons nous séparer». Problème de personnes; c'est le grave problème. Vous dites que Senghor ne m'a pas suivi. Mais ce fut pour lui une cuisante leçon; parce que Senghor, qui est un grand homme, un grand érudit, ne connaît pas l'Afrique, lla accepté de créer un partià l'image de la fédération, la Fédéra tion du Mali. De quoi s'est-il agi? Après le référendum de 1958, puisque Sékou nous avait quittés, j'ai réuni tous les leaders à mon ministère, rue de Lille, pour leur dire que nous abordions une seconde phase de notre lutte. Nous avions gagné la bataille politique, nous devions affronter la grande bataille économique. Bien que l'on s'ingénie à ne pas le reconnaître, nous étions politiquement indépendants. La Communauté, c'était l'indépendance à prendre de façon pacifique par un simple vote des assemblées nationales. Donc j'ai dit à mes amis: «Hier, pour la lutte politique, nous nous réunissions au niveau de la fédération pour établir en commun les programmes de cette lutte; aujourd'hui nous allons gérer les affaires publiques à partir de nos indépen dances. Il faut que nous maintenions cette cohésion, que nous continuions à délibérer ensemble pour chercher les

RDA - Vérité historique

46

meilleurs moyens de conduire la vie économique et sociale de nos pays. Les décisions seront appliquées comme nous l'avons fait dans la lutte politique, selon les réalités et les moyens propres à chacun. Nous pourrons définir certaines bases communes. Par exemple, s'il est clair que chacun ne pourra pas payer ses fonctionnaires aux mêmes taux, nous devons cependant, pour le recrutement, les avancements, les sanctions mêmes, établir des règles communes». Tous avaient accepté. J'ai fait venir aussi tous les res ponsables de l'ex-AEF, et nous avons donné un nom à cette union: Le Conseil de l'Entente. C'était tout un programme: «S'entendre d'abord pour s'unir et s'unir pour bâtir l'Afrique.» Et j'ai ajouté avec le sourire: «On a trop chanté, trop dansé, il faut que nous construisions ensemble». Mais, après cette acceptation, comme dans tout mouve ment démocratique, — Ahomadegbé en est témoin — , nous avions demandé que les responsables retournent dans leurs sections territoriales pour informer la base; car toute construction au sommet qui ne repose pas sur une base de libre consentement ne tient pas. Et il a suffi qu 'on se sépare pour que tout croule. Comme cela a été malheureusement le cas pour d'autres tentatives d'union. Alors que tout le monde était d'accordpour ce vaste Conseil de l'Entente qui devait grouper tous les leaders du RDA , quelle ne fut pas ma surprise de voir Modibo Kéita revenir sur sa parole et dire que le Mali ne voulaitpas de cela. Il s'en tenait à la Fédération. C'était à nouveau le même débat que nous avions eu en 1957 à Bamako, après notre victoire aux Assemblées Territoriales. Nous nous sommes réunis à Yamoussoukro. Les gouver neurs étaient encore les représentants de la puissance colo niale et tous souhaitaient le maintien d'un exécutif fédéral. J'ai dit à mes amis : « Moi, je suis un petit propriétaire; j'ai des travailleurs; pour faciliter leur travail j'en ai confié la direc tion à des hommes de confiance. C'était dans mon intérêt, et pas seulement dans l'intérêt des travailleurs. En ce qui concerne la Fédération, on nous a regroupés, pourquoi? Pas dans notre intérêt, dans l'intérêt de la puissance coloniale».

RDA - Vérité historique

47

Je vais vous dire une chose: pendant toute la lutte colo niale, une bonne partie des fonds qui servaient à alimenter la caisse de la Fédération, ne nous venaient pas de France; c'étaient nos recettes, prélevées au niveau de nos territoires, qui les constituaient, puisque nous avions voté le budget de la Fédération quand nous siégions au Conseil. Nous avons demandé qu'hommage soit rendu à la France pour l'effort qu'elle a fait et qui nous a permis de constituer des mouvements politiques à cheval sur les divers territoires, ce qui n'a pas été le cas chez les anglophones, les lusophones. Malgré cela, la base n'était pas préparée à cette solidarité; pour maintenir la cohésion elle devait se sentir responsable, elle ne l'était pas. Nous étions les plus nombreux, et si nous exigions un vote démocratique, j'aurais chaque fois été élu président de cet ensemble fédéral. Les Senghor, se sentant les parents pauvres, n'auraient pas pu y demeurer. Par contre, si nous organisions une présidence tournante basée sur l'égalité des peuples composant cette entente, chacun d'entre nous y trouverait sa place. Je l'ai donc proposée. Mais c'était sans compter avec les Cornut-Gentille, ces diviseurs impénitents. Ils ont travaillé Senghor, auquel j'avais fait une place dans ce Conseil de l'Entente, d'Arboussier, Modibo Kéita. Et Modibo, sans consulter la base de Bamako, — je l'ai su par la suite — , me dit que le Mali n'en voulait pas. C 'est alors qu 'ils ont lancé le mot « balkanisé »; et les jeunes poètes ont continué à parler de balkanisation. Il n'y a pas eu de balkanisation. Disons la vérité. Il n'y a pas de nation africaine, je le répète, pas plus qu'il n'y a de nation américaine, asiatique, européenne. Les Européens ont tenté de se regrouper à partir de cinquante-quatre Etats; ils sont douze aujourd'hui. Et chaque année, lorsqu'ils débat tent des prix agricoles, leur ensemble risque l'éclatement; rien n'est définitif. Donc, ils sont allés dire au Général de Gaulle, que c'était moi qui voulait balkaniser l'Afrique. Ils voulaient le tromper; il s'en est ouvert à moi par la suite. Alors, on a convoqué à Dakar, une réunion qui regrou pait le Mali actuel (ex-Soudan Français), la Haute-Volta (aujourd'hui Burkina-Faso), le Bénin (alors Dahomey) et la Mauritanie, pour jeter les bases d'une fédération. A la

RDA - Vérité historique

48

deuxième réunion, nos amis de Ouaga et de Cotonou ont demandé des précisions sur ce que serait la répartition des postes de responsabilités entre les différents Etats. Puisqu'au niveau de l'Entente c'était l'égalité qui était la base, quelles seraient les responsabilités des uns et des autres au niveau de la Fédération? Là aussi, on a voulu faire de la poésie; on a parlé dans le vague. Ceci ne les a pas satisfaits, et la Haute-Volta nous a rejoints, le Dahomey de même. Combien restait-il d'Etats? Deux: l'ex-Soudan français et le Sénégal, réunis en une fédération dite du Mali. Ce qui devait arriver arriva : il ne pouvait pas y avoir deux présidents, il fallait en désigner un. Et les choses se sont gâtées; ils se sont séparés. Et le Sénégal a dit qu'il recouvrait son indépendance véritable, à partir de cette séparation, parce qu'il avait risqué de devenir la colonie du Mali. Imaginez, un seul instant, que nous soyons partis ensemble à l'indépendance, avec des gens aux comporte ments aussi divers. Que serait-il advenu d'une telle fédéra tion, vouée aux luttes intestines? Un triste sort, un retard dans l'évolution. Voyez-vous, j'ai dit à mes frères, ici, que: « la vie est une course qu'on ne juge pas au départ mais à l'arrivée». Les grands pays développés nous ont devancés, mais aucun d'eux, fut-il les Etats-Unis, n'a encore atteint son complet développement. Il y a toujours place dans la course, pour tout le monde. De même, avec nos indépendances; là se justifie ce que je viens de vous dire: certains l'ont prise en 1 958, nous en 1960. Où en sommes-nous aujourd'hui, les uns et les autres? Voilà les raisons pour lesquelles j'ai agi ainsi, connais sant mieux les hommes parce queje suis resté dans mon pays jusqu'à l'âge de 40 ans avant d'aller en France, alors que d'autres y étaient restés et ne sont revenus ici qu'après l'âge de 40 ans. Ils ne connaissaient pas l'Afrique; c'est pourquoi ils ont commis ces erreurs. Ils sont excusables. Mais moi, je n'ai pas le droit d'entraîner nos frères dans des guerres fratri cides. J'ai dit que j'ai juré de ne pas faire verser une seule goutte de sang humain; et il ne faut pas qu'on en verse à cause de moi. Grâce à moi, l'Afrique a échappé aux déchirements que

RDA - Vérité historique

49

connaissent bien des pays. «Ote-toi de là pour que je m'y place»; est-ce que vous ne constatez pas cela tous les jours? Et dans des pays qui se disent vastes, peuplés, tous les deux mois, tous les deux ans, ce sont de nouveaux maîtres que l'on voit apparaître. C'est à cela que vous destinez l'Afrique? Est-ce que ce n 'est pas assez du mauvais exemple de l'Amérique latine où dans certains pays comme la Bolivie, une crise éclate tous les huit mois? Après deux siècles d'in dépendance, ils ne sont guère avancés. Au Nord de ce même continent, c'est la stabilité; et c'est aussi le progrès prodi gieux, du fait que ce sont d'anciennes colonies de peuple ment de l'Angleterre, qui était alors le premier pays du monde. Evitons tout ce qui peut nous diviser. La division com mence par les hommes; et nous savons tous qu'il n'y a pas de solution aux rivalités, aux oppositions entre les personnes. On pourra trouver des solutions pour les problèmes politi ques, économiques, sociaux, mais jamais aux problèmes de personnes. C'est la raison pour laquelle je refuse, pour mon pays, une politique qui irait au déchirement, à la guerre civile. Non ! Je ne le ferai pas. On a parlé de conflit idéologique entre d'Arboussier et moi. C'est inexact. Nous avions créé un Mouvement et nous avions des responsabilités. Nous étions convenus, dès le départ à Bamako, de ne pas nous affilier à un parti politique métropolitain, affiliation qui nous aurait conduits à choisir une idéologie. Nous luttions pour la liberté, pour la dignité; et aujourd'hui pour le développement. Avec quelle idéologie aurions-nous réussi tout cela? On dira que nous suivions les Français. Mais est-ce que les Français ont une idéologie politique? Il y a les socialistes d'un côté, les partisans de Le Pen, etc... Il n'y a pas d'idéologie! C'est le pragmatisme que nous adoptions les uns et les autres. Or d'Arboussier, — paix à son âme, puisque nous nous sommes finalement réconciliés et il est mort pratique ment dans mes bras — , n'avait pas de responsabilités au plan humain. Il représentait notre section à Dakar; et s'il s'agissait d'une élection municipale, orateur le plus brillant de nous

RDA - Vérité historique

50

tous puisqu'il maîtrisait bien la langue française, il se faisait applaudir au cours d'un meeting. Il était comme Pierre Cot; ce dernier était apparenté au groupe communiste, et on venait l'applaudir à chacune de ses interventions au Parle ment français; il parlait sans notes; mais si brillant orateur fut-il, quand il s'agissait de voter on votait contre lui, parce qu'il était avec les communistes. C'était la même chose pour d'Arboussier: les Sénégalais venaient l'applaudir, sous le charme de son éloquence; mais quand il s'agissait de voter pour lui, ils se dérobaient. Et Lamine Gueye avait proposé, pour fa Mairie de Dakar, un partage des sièges: 30% pour nous et 70% pour le Parti Socialiste. J'étais à Paris; d'Arboussier écrit à ses amis qu'il a la situation en mains, qu'il exige 50% des sièges, c'est-àdire un partage équitable. On m'a consulté; j'ai dit que d'Ar boussier ne connaissait pas nos frères sénégalais, quejamais ils ne voteraient pour lui, donc pour nous. On le lui a dit; il s'est entêté; il a récolté 5% des voix. Vous savez, le héron de la fable a dédaigné les goujons et finalement il a dû se contenter d'une limace. Si d'Arboussier n'a rien obtenu, c'est parce qu'il ne connaissait pas les masses qui souffraient. On nous envoyait des télégrammes que l'on signait « Sfaline». C'étaient des faux qui étaient expédiés de Paris. Ils disaient: «On est avec vous, on vous soutient». Et nos hommes mouraient ici; et personne ne pouvait venir à notre secours. J'ai alors compris qu'on ne construit pas avec des motions. Mais, puisque nous recevions des encouragements de Staline, j'ai envoyé feu Mamadou Konaté à Moscou, pour aller voir et se rendre compte surplace des sentiments de ces leaders russes. Il a passé douzejours là-bas. Il n'y a rencontré personne. Il est revenu et il a dit: « C'est vous qui aviez raison, on se moquait de nous». Cependant d'Arboussier a pris cette position-là et il en a entraîné d'autres dans la mort. Ruben Um-Nyobé était le leader incontesté du Came roun. Il avait passé quinze jours avec moi à Yamoussoukro. C'était un garçon intelligent, brillant, honnête, qui faisait l'unanimité parmi son peuple; il avait avec lui l'ethnie la plus agissante, les Bamiléké. Son pays avait une vocation natu relle à l'indépendance; c'était un territoire protégé par les Nations Unies. Il s'est séparé de moi, il a suivi d'Arboussier, il a été tué. Et notre Section camerounaise a disparu avec lui.

51

RDA - Vérité historique

Quand on a la responsabilité des hommes, il faut réflé chir, ne pas prendre ses désirs pour des réalités mais faire en sorte que les désirs deviennent des réalités. Il y faut du temps.

PDC.I.-RDA . I

£

*—

î Le Président du RDA se remémore devant l'exposition historique.

RDA - Vérité historique

52

« Chefs traditionnels, intellectuels, fonctionnaires, planteurs, tous pourraient me suivre»

«Sachez que je n'o béis à aucun souci d'argent, ni à aucun souci de prestige. »

M. Djédjé Mady, Ministre ivoirien de la Santé Publique. M. le Président, comme vous l'avez rappelé tout à l'heure, vous adressant au Général de Gaulle sans être mandaté par les Africains, vous avez osé, et vous lui avez dit que: s'il faisait confiance à l'Afrique, par votre voix l'Afrique lui ferait une égale confiance. Venant à ce micro sans être mandaté par les militants du PDCI-RDA, je m'inspirerai de cette audace pour affirmer que nos militants voudraient vous dire: merci pour cette leçon d'Histoire. M. le Président, au cours des travaux de ce colloque, cer taines questions se sont posées auxquelles vous avez large ment répondu. Traitant le thème choisi, à savoir l'Histoire du RDA, nous comprenons qu'il est tout à fait normal que votre récit parte de votre séjour en France, des conditions qui ont amené les élus africains à concevoir les bases du RDA et à venir à Bamako. En faisant ce récit, vous avez également souligné un certain nombre de points qui, si l'on ne les reprenait pas un peu plus, ceux du moins qui ne vous ont pas déjà écouté sur ces points, auraient de la difficulté à comprendre.

RDA - Vérité historique

53

Vous avez dit tout à l'heure, parlant de la scène du camion, qu'à Bamako l'on vous connaissait de nom mais pas de vue, et qu'en vous faufilant dans la foule, vous avez «sauté dans la tôlerie» et avez pris le micro. Et vous avez ajouté que, si cela s'était passé en Côte d'Ivoire, vous auriez mis quiconque au défi de pouvoir renverser la vapeur auprès des militants ivoiriens. Cela suppose une lutte intérieure à Bamako, en 1946. La compréhension de ces faits nécessite, de la part des militants du PDCI-RDA, pour une fois que nous avons cette occasion officielle, et même pour les historiens, un enchaînement sur lequel il serait peut-être utile, si vous en jugez ainsi, M. le Président, de donner quelques lumières. Plus d'un historien a eu à parler d'idéologie au PDCI-RDA. Vous avez répondu en parlant de pragmatisme, mais un prag matisme dirigé, ayant un fil conducteur. Car, sans vouloir remonter, M. le Président, à votre onzième année, à laquelle vous-même vous êtes référé pour parler de votre baptême, sans vouloir ici souligner l'esprit de justice et d'équité qui vous a toujours habité, faisant allusion à votre refus de chanter à l'école primaire une chanson où nos aïeux étaient insultés, sans vouloir revenir sur votre revendication de pouvoir voyager sur le bateau dans la même classe avec les étudiants qui venaient du Dahomey, sans vouloir insister ici sur votre démarche pour prendre la défense d'un de vos collègues à l'école de Dakar, sans vouloir vous demander de revenir sur tout cela, M. le Président, nous militants qui savons que le PDCI-RDA est de 1946 et que le Syndicat Agricole a précédé le PDCI et le RDA, pouvez-vous nous donner quelques éléments qui, servant de fil conducteur, rétablissent le pont entre le PDCI et le RDA; parce que, si nous savons que le PDCI est une section du RDA, le fils, pour une fois, semble être né avant le père. Le Président Houphouet-Boigny Mais c'est vrai. M. Alphonse Djédjé Mady Donc, M. le Président, pour que l'auditoire ne pense pas que cette autorité et cette philosophie que vous avez défendues dans le RDA, sont nés sur les bords du Niger, pouvez-vous nous rappeler quelques points de votre lutte en Côte d'Ivoire, qui vous ont amené au RDA; par exemple, ces refus à Guiglo où le

RDA - Vérité historique

54

commandant militaire vous invitait à assister à des exécu tions...; en un mot, pouvez-vous faire la jonction entre le PDCI et le RDA? Le Président Houphouet-Boigny Mon Cher Mady, bien que je sois un tout petit homme, une toute petite créature, j'ai dit — Dieu me préserve de prétendre m'élever à leur niveau —que comme Jésus, comme Mahomet, pour transcrire et porter leur parole à la connaissance des hommes, il me fallait des disciples. Pour ce que vous rappelez, permettez que nous mettions dans nos entretiens, ici, une certaine dose d'humilité. Si j'en venais à vous dire: «Voilà ce que j'ai fait depuis mon départ de Yamoussoukro en 1 91 5 et jusqu'à notre sor tie de Dakar, et tout ce dont j'ai souffert et qui m 'a façonné», nous resterions trop longtemps ici à égrener tant de souve nirs. J'ai préféré, pour vous quiètes mes disciples de tous les jours et qui connaissez ce que vous me demandez de porter à la connaissance des autres, que ce soit vous qui demain l'écriviez. Il est très difficile de parler de soi. Si vous avez su appré cier ce que, jeune encore, j'aipu faire, et qui illustre ma vie de maintenant, c'est-à-dire une constance de ma vie politique, c'est vous qui le connaissez et c'est vous qui devriez l'écrire. Quant à la jonction Syndicat Agricole - PDCI-RDA, rap pelons tout d'abord que la création du premier n'a pas été chose facile. Mes aînés ont commencé par refuser de me suivre, de m'écouter. Quand on est venu, douze ans avant 1 944, leur proposer un syndicat agricole commun, une asso ciation entre les colons de ce temps-là et nos cultivateurs, je leur ai dit de faire attention: «II s'agissait d'une association du cheval et du cavalier, et leur place y était connue d'avance, ce serait celle du cheval. Nous devions nous replier sur nous-mêmes et créer un syndicat autonome», lis ne m'ont alors pas compris. Puis vint la guerre mondiale, l'occupation de la France, les difficultés de ravitaillement. On ne pouvait plus exporter les produits d'Afrique vers la France; mais pour ne pas décourager les cultivateurs, l'administration les achetait, à bas prix certes mais c'était au moins quelque chose. Malheu reusement, deux tarifs différents avaient été fixés, un pour

RDA - Vérité historique

55

les colons quel que soit le lieu de production, un autre pour les indigènes. Alors que les premiers voyaient leurs productions rému nérées partout au même tarif, que ce soit à Abidjan ou à Man, nous, planteurs africains, subissions la retenue de frais hypo thétiques de transport pour des récoltes qui étaient brûlées surplace. Et nos frères ont compris qu'on s'était bien moqué d'eux. Ils sont venus me trouverpour me convaincre de prendre leur tête. Mais, comme je vous l'ai dit, ayant successivement perdu tous les miens: à trois ans (1908) mon père et à cinq ans mon oncle, en 1936 ma mère et trois ans après, mon frère unique, plus récemment mon fils aîné, j'étais seul, tris tement seul. Je m'étais replié sur moi-même. Et Gabriel Dadié, avec cette intelligence qui le caractérisait, sans se lasser, est venu par deux fois me dire les raisons pour les quelles on faisait appel à moi. Face d'une part aux intellec tuels, médecins, ingénieurs, instituteurs, cadres de notre génération, et d'autre part aux planteurs, les gros planteurs, il s'agissait d'obtenir, dès le départ, une unité minimum. Et il se trouvait que j'étais alors le seul à la fois sorti d'une famille de chefs et ayant fréquenté l'école avec les enfants du peu ple. Ils estimaient que, si l'on choisissait un cadre sorti du peuple, qu'il soit médecin, instituteur, un intellectuel capa ble, l'administration coloniale dresserait les chefs contre lui; et si l'on préférait un chefanalphabète, ce seraient les cadres qui refuseraient de le suivre. C'est pour cela qu'il était venu me dire, au nom de ses camarades, que je réunissais les conditions qui permet traient de réaliser, au départ, un minimum d'unité. Les chefs me suivraient parce que j'étais un des leurs,, et les jeunes gens qui avaient fréquenté l'école avec moi, et avec eux les anciens fonctionnaires avec qui j'avais servi pendant treize ans, et aussi tous les planteurs puisquej'étais devenu, de par la mort de mon frère, un des plus gros planteurs du pays, tous pourraient me suivre. Et feu Dadié avait ajouté ceci: «Vous avez perdu votre mère, votre frère unique, votre fils aîné, mais si vous accep tez les responsabilités que nous voulons vous confier, Dieu fera que vous trouverez, en toutes les femmes qui ont l'âge de votre maman, de nombreuses mamans et, parmi les

RDA - Vérité historique

56

hommes qui ont l'âge de votre frère ou de votre fils, plusieurs frères et plusieurs fils». J'ai été touché, et j'ai accepté. Et c 'est cette politique d'unité qui toujours m 'habite; c'est à elle que nous sacrifions tout. Voyez-vous, chaque fois que vous me voyez agir, sachez que je n'obéis ni à un souci d'argent nia un souci de prestige. Je ne préside aucune organisation africaine, quand bien même j'aie été à la base de la création de certaines. J'obéis à un seul souci: le souci de la paix entre les enfants de ce pays. Alors, mon Cher Mady, vous pouvez compléter vousmême et répondre à ma place. Je vous remercie.

Le Président et ses compagnons Ouezzin Coulibaly, Mamba Sano, Mamadou Traoré dit Ray Autra.

RDA - Vérité historique

57

Ouezzin a souffert de la séparation

«Regardons vers un avenir de coopéra tion confiante entre le Burkina-Faso et la Côte d'Ivoire. »

M. Kargougou, Burkina-Faso M. le Président, vous avez bien voulu livrer à la réflexion de tout un chacun, les dernières volontés du grand lutteur que fut Daniel Ouezzin Coulibaly. Cela est tout à fait exact et cela nous honore tous. Mais je me dois de dire que, à vous aussi le Président Maurice Yaméogo, mon frère et mon ami, doit énormément d'avoir eu à succéder au Président Ouezzin Coulibaly. Il a dû également sa nomination à la compréhension des gens qui avaient eu à lutter auprès du Président Ouezzin Couli baly en Haute-Volta. Parce que, sans le respect scrupuleux de la mémoire de feu Ouezzin Coulibaly, Maurice Yaméogo n'au rait pas été le premier Président de notre pays. C'est une vérité. Il y a eu alors pas mal de tractations autour de cette succes sion. Et j'ai encore bonne souvenance que, dans la grande salle de délibérations de la Commission des Finances de l'Assem blée de notre pays, une réunion fort laborieuse avait eu lieu, précédant le vote sur la désignation du successeur du Président Ouezzin Coulibaly. Il y avait 32 participants. Maurice Yaméogo,

RDA - Vérité historique

58

comme d'autres, avait réussi à recueillir 30 voix. Aucun des candidats n'en avait recueilli 31 . Un seul, que je ne nommerai pas, avait réuni sur son nom les 32 voix; et ce n'était pas Maurice Yaméogo. Dieu merci, celui-ci, avec son ami feu Begnon Koné, res pectant de façon particulièrement scrupuleuse, je le répète, la mémoire du Président Ouezzin Coulibaly, et pensante l'apport du Président Maurice Yaméogo pour nous aider à sortir de la crise politique que nous venions de vivre de façon douloureuse, a entrepris des démarches pour sensibiliser la plupart des députés qui ont alors accepté de voter pour que Maurice Yamé ogo devienne le successeur du Président Ouezzin Coulibaly. Le Président Houphouet-Boigny

Puisque vous voulez écrire l'histoire authentique de notre Mouvement, je profite de la communication très perti nente de Kargougou, pour vous livrer ce que volontairement j'ai tu jusqu'ici, s'agissant de nos rapports avec l'ancienne Haute-Volta, à partir de notre choix commun dans le RDA et grâce à la coopération fraternelle qui nous a unis jusqu'à sa mort, Ouezzin Coulibaly et moi. Nous avons été tous deux déchirés par le fait qu'à cause de notre choix politique, le gouvernement Bidault, d'accord avec Monseigneur Tebenou et le Ministre de la France d'Outre-Mer, ait séparé de nous l'ancienne Haute-Volta qui était jusque-là la Haute-Côte d'Ivoire, jusqu'à hauteur de Kaya, de Ouagadougou et de Tenkodogo. En 1919, ce grand pays — et nous ne le regrettons pas, mais la vérité historique veut que j'éclaircisse pour vous des aspects parfois négatifs de notre Mouvement — la HauteVolta avait été partagée en trois: la plus grande partie, les trois cinquièmes au moins, rattachée à la Côte d'Ivoire; un cinquième, toute la région de Ouahigouya, au Mali actuel (ex-Soudan Français); et un petit cinquième au Niger, toute la région de Don. Or il s'est trouvé que le Niger, le Mali, l'ancienne HauteVolta et la Côte d'Ivoire étaient influencés par le RDA , consi déré par nos amis du MRP, hostiles aux communistes, comme l'avant-garde avancée de ces derniers dont il fallait à tout prix réduire l'influence. C'est pourquoi en 1 948, il a été décidé de reconstruire l'ancienne Haute-Volta. Ce fut un déchirement, pour Ouezzin et pour moi-même.

RDA - Vérité historique

59

Ouezzin me demandait: «Est-ce que tu vas nous laisser partir de cette coopération fraternelle, de cette collabora tion?» Mais que pouvions-nous faire d'autre que pleurer. Nous n'avions pas les moyens matériels de nous opposer à cela : même pas de moyens politiques parce que nos amis qui auraient pu nous soutenir venaient d'être chassés du gouver nement français après la démission du Général de Gaulle et l'élection du Président Vincent Auriol en 1947. Ouezzin a souffert de cette séparation. Aujourd'hui comme hier, vous et nous devons obéir à certains impératifs auxquels nous ne pouvons nous soustraire, impératif géographique, notamment, qui nous a fait voisins et grâce auquel nous avons lutté ensemble au sein du PDCI-RDA. Et mon second, aurais-je honte de le dire? ce fut Ouezzin Coulibaly. Alors, acceptez, mon cher Kargougou, l'héritage qu'il vous a laissé. A ujourd'hui, tout cela est dépassé. Vous n 'avez plus Maurice Yaméogo. Tournons la page, regardons vers l'avenir, un avenir de coopération confiante entre le BurkinaFaso et la Côte d'Ivoire.

Le Chef de l'Etat. A sa gauche le ministre d'Etat Camille Alliali, à sa droite le professeur Joachim Bony et le recteur Touré Bakary.

RDA - Vérité historique

60

« Les femmes ont toujours été à la pointe de notre combat»

«De plus en plus, on trouvera les femmes à la direction de nos affaires. »

Mme Henriette Diabaté, de l'Université Nationale.

M. le Président, deux petites questions à propos des femmes. En 1949, dans le numéro 387 du journal «Le Soleil», vous écriviez: « Les femmes ont toujours été dans le passé le moteur essentiel de notre vie. Nous ne ferons jamais rien de grand, de puissant, de durable qui ne s'appuiera sur elles.» Les femmes ont participé, de façon active, à la lutte du RDA et, le 17 Septembre 1986, lors de l'anniversaire de notre Prési dente, vous l'avez constaté vous-même en ces termes: «Les femmes ont toujours montré une hauteur de vues exception nelle dans le combat que nous avons mené en défendant tou jours, contrairement à beaucoup d'hommes, les causes qui sont les nôtres, avec un désintéressement total.» Les femmes ont donc agi. Et, en dehors de la marche des femmes, qui vient d'en prendre un coup dans l'aile, nous savons qu'elles ont effectivement eu des actions parfois plus discrètes mais toujours efficaces et qu'elles ont servi, sije peux employer ce mot, à côté des hommes.

RDA - Vérité historique

61

Ma première question est donc de savoir qu'elle est la conception du PDCI-RDA, en ce qui concerne l'action des femmes dans le Parti. La deuxième question vient d'un constat: Vous disiez, le 1 er Mai, qu'un déséquilibre dangereux est apparu dans la popu lation entre les femmes tenues trop paresseusement à l'écart de l'évolution du pays, et les hommes toujours plus engagés dans la lutte de la vie moderne. Il semble donc qu'à un moment donné, les femmes soient sorties de la scène politique sur la pointe des pieds. Je voudrais savoir si cela est juste et, dans ce cas, qu'est-ce qui est fait pour les réintégrer dans la vie politique moderne? Je vous remercie. Le Président Houphouet-Boigny Madame Diabaté, mon jugement sur les femmes, tout d'éloge mérité, n'a pas varié. Les femmes ont toujours été à la pointe de notre combat. Elles ont toujours été désintéressées; et nous disons commu nément: «Ce que femme veut, Dieu le veut.» L 'assurance que je puis vous donner, et que vous devez rapporter fidèlement à nos sœurs, à nos mères, à nos filles, c'est que, au fur et à mesure de leur formation qui a subi un certain retard par rapport à celle des hommes, nous associe rons nos femmes aux postes de responsabilités. Et vous en êtes le plus bel exemple, vous professeur Diabaté. Nous avons commencé avec deux ministres, — je ne sais pas combien il y en a dans le gouvernement français — ; nous allons poursuivre, et pas seulement au niveau ministériel. Les femmes, toujours désintéressées, ont donné l'exemple de la bonne tenue des mairies qu'elles occupent. Déplus en plus, on les trouvera à la direction de nos affaires. Soyez patientes.

RDA - Vérité historique

62

« Nous avons pris notre indépendance en dehors de la Communauté»

«Je suis resté sur le parvis, mes fleurs fa nées à la main. »

M. Babacar Sine, Directeur du CESTI, à Dakar. Monsieur le Président, je voudrais simplement recevoir quelques éclaircissements sur les derniers moments de la Communauté, et particulièrement sur l'attitude du RDA et de vous-même, notamment à l'occasion de cette fameuse réunion à Saint-Louis du Sénégal. Que s'est-ilpassé alors exactement? Deuxième question. Alors que vous avez été le premier à vouloir que la possibilité en soit prévue par la Constitution française, sur le plan pratique vous n'avez pas été le premier à prendre l'indépendance. Et même, à la veille de votre décision, il y a eu la phrase célèbre que vous avez lancée: «Nous atten dions sur le parvis les fleurs fanées à la main». Quel est le sens et la portée de cette déception, et de ce malaise général qui a entouré la fin de la Communauté? Le Président Houphouet-Boigny «Nous avons attendu la mariée; elle n'est pas venue, et nos fleurs se sont fanées sur le parvis de l'église». Qu'est-ce à dire?

RDA - Vérité historique

63

Quand nous avons décidé, après l'acceptation de de Gaulle, d'inscrire dans le projet de Communauté soumis à référendum, l'éventualité de l'indépendance, le Général entendait assortir cela d'un certain transfert des industries en faveur de nos territoires membres de cette Communauté. Et j'avais dit: «La Communauté sera égalitaire et fraternelle ou ne sera pas?» C'est moi qui ai demandé au Général de Gaulle d'atten dre le vote du référendum avant de rendre publiques ces propositions de transfert d'une partie des industries en notre faveur. Mais il y a eu les colonialistes impénitents; ils se sont réunis pour dire que j'allais tromperle Général, et que si nous ne partions pas tout de suite, le mot de Herriot que je vous ai rappelé allait devenir une réalité: la France deviendrait «la colonie de ses colonies». Ils disaient: «Tant que sa pluviomé trie sera ce qu'elle est, tant que son sous-sol regorgera des immenses richesses que ne connaît plus la France, l'Afrique aura besoin de nous livrer ses matières premières. Le fer de Lorraine qui a fait couler tant d'encre, tant de sang, tant de larmes, n'a plus rien d'exploitable. Si donc on transfère les industries en Afrique, alors que rien n'est durable, assuré de pérennité ici-bas, le jour où elle en viendra à se séparer, la France aura toujours besoin de ses richesses agricoles, minières et minérales». Ils estimaient que, plus tôt nous partirions de la Commu nauté mieux cela vaudrait pour la France. Et ils ont entrepris mes frères un à un; comme si j'étais opposé, moi, à l'indé pendance, alors que je me suis battu pour l'obtenir. Un soir, j'avais réuni mes amis dans mon appartement; et à la fin du repas ce fut le doyen d'âge, feu Léon M'Ba qui prit la parole en me disant: « Président, nous ne comprenons pas. Vous nous aviez dit de voter ce référendum, et que nous tirerions de cette Communauté un maximum d'investisse ments. Le Gabon n'a que 50 km de routes! Il n'a pas d'équi pements. Et maintenant, comment se fait-il que ce n'est pas vous qui nous demandez de partir tout de suite à l'indépen dance? Ce sont d'autres». Je savais ce qui motivait ces autres. Voyez-vous, dans le livre où elle défend la mémoire de son père, la fille de Laval écrit ceci: «Mon père m'a dit qu'il

RDA - Vérité historique

64

avait dans son Cabinet un jeune attaché: il est très intelli gent, il ira très loin, il trompera tout le monde.» Je ne vous dirai pas son nom. Donc, je leur ai dit: «Je n'ai pas d'amourpropre d'auteur; nous sommes d'accord pour partir de la Communauté, puisque, pour nous, elle doit être égalitaire et fraternelle alors que d'autres , .e veulent pas qu'elle le soit. Et c'est là que j'ai dit que «sur le parvis de l'église, mes fleurs se sont fanées parce que la mariée n'est pas venue». Et j'ai réuni mes amis du Conseil de l'Entente ici à Yamoussoukro, — aujourd'hui, deux sont absents, Yaméogo et Amani Diori, mais les autres sont là — , et je leur ai dit: «Nous allons prendre notre indépendance, mais pas dans la Communauté.» // faut que les historiens se penchent sur ce fait-là: en dehors de la Communauté, parce qu'il n'y avait plus d'égalité ni de fraternité, mais de mauvaisjugements cachant de mau vaises consciences. J'ai dit à mes amis: «Nous allons à Paris, et je vais proposer à Debré, le premier ministre, et à de Gaulle, les dates de notre accession à l'indépendance, mais en dehors de la Communauté. Et nous établirons les bases nouvelles de la coopération entre la France et nous, sur le principe de l'égalité». Je suis parti, etj'ai fait part de notre intention au premier ministre qui a pris ça en mal, disant: «S'il en est ainsi, on procédera aux élections conformément à la loi». Effectivement, il y avait dans le texte constitutionnel un passage qui prévoyait que tous ceux qui veulent sortir de la Communauté, prendre leur indépendance inscrite dans les textes, pouvaient le faire sur un vote positif de leurs assem blées nationales. Mais, en fait, personne n 'a eu recours à ce vote. Etj'ai dit à Debré qu'il s'était laissé tromper, que je n'irais pas à Abid jan pour assister à un vote qui déciderait de notre indépen dance, un vote pour nous faire sortir de la Communauté, par lequel mes frères, mes compatriotes, auraient à se prononcer avec ou contre la France. Debré a compris qu'on l'avait amené très loin. Je l'ai quitté pour aller, avec mes amis, voirle Général de Gaulle. Et j'ai dit au Général: «Vous savez toute la vénération que j'ai pour vous, — pour moi, c'est un des plus grands hommes

RDA - Vérité historique

65

pour ne pas dire le plus grand de notre temps —, je suis prêt à sacrifier mes intérêts d'homme, ma liberté d'homme, mes biens d'homme aux intérêts de la Côte d'Ivoire; mais en aucun cas je n'accepterai pourquoi que ce soit et de qui que ce soit, le sacrifice des intérêts de mon pays à l'intérêt des autres. Je viens vous dire que nous allons prendre notre indépendance en dehors de la Communauté». Et j'ai fixé les dates: le 1 er Août pour le Dahomey (Bénin actuel), le 3 pour le Niger, le 5 pour la Haute-Volta, et le 7 (je me servais le dernier) pour la Côte d'Ivoire. Le Général de Gaulle, avec cette générosité qui le carac térise, cette grande âme qui est la sienne, a dit: «J'ai com pris. Vous devez le faire, comme les intérêts de vos pays le commandent». Et chaque fois, il me disait: «Mon cher Président, il faut toujours savoir exister, exister en tant qu'homme indépen-dant, exister en tant que Nation indépendante». Et c'est ainsi que j'ai accompagné mes frères pour la proclamation de l'indépendance, le 1er Août à Cotonou, le 3 à Niamey, le 5 à Ouagadougou. Ils m 'on t ensuite accompagné à A bidjan pour la proclamation de notre indépendance, le 7 Août 1960. Si, depuis, nous avons reporté la date de cette commé moration au 7 Décembre, c'est pour des raisons climatiques. Ici, le mois d'Août corresponde la petite saison des pluies; ce sont également les grandes vacances dans le monde. Et nos étudiants, qui sont l'avenir du pays, qui doivent participer à ces manifestations, — c'est leur honneur, leur avenir — ,sont aussi en vacances; ailleurs, nos ambassades sont vides, et ici, les ambassadeurs accrédités dans notre pays ont rejoint leurs pays d'origine. C'est la raison pour laquelle nous avons changé de mois. Nous avions proclamé la République de Côte d'Ivoire en Décembre 1959, et l'indépendance le 7 Août 1960; nous avons donc retenu Décembre, mois de la proclamation de la République, et le « 7», jour en Août de la proclamation de notre indépendance. C'est pourquoi nous célébrons désormais, le 7 Décembre, notre Fête Nationale. Voilà quelques faits quej'ai tenu à vous faire connaître. Il est bon que la Côte d'Ivoire demeure très attentive à l'écoute du peuple. Ce que nous entreprenons, c'est dans l'intérêt du peuple, et singulièrement dans l'intérêt de notre avenir, c'est-à-dire de notre raison d'être: la jeunesse ivoirienne.

RDA - Vérité historique

66

« Même si on les frappait, les Bobos répondaient toujours: Houphouet, Houphouet»

« Vous avez détruit le pont, mais nous som mes passés. »

M. Georges Déga, chercheur burkinabé. Monsieur le Président, vous avez évoqué tout à l'heure, en réponse à la question de M. Kargougou, la mémoire de celui qui fut un grand combattant, un grand exemple, le Président Ouezzin Cpulibaly. Dans votre exposé introductif, vous avez rappelé la crise qui secoua son gouvernement de Décembre à Février 1958. Et vous avez fortjustement dit et souligné la complémen tarité qui avait existé entre la Basse et la Haute-Côte d'Ivoire, complémentarité qui demeure entre la Côte d'Ivoire et le Burkina-Faso. Monsieur le Président, cette complémentarité s'est mani festée après les élections qui ont suivi la première guerre mondiale. C'est pourquoi, je voudrais vous demander votre éclairage sur un point d'Histoire de cette période. Pouvez-vous nous rappeler les péripéties qui ont entouré vos campagnes électorales pendant ces années: 1 ) votre lutte contre les candidats suscités par l'administration coloniale, et singulièrement contre le candidat du Moro Naba, le Baloum Naba, en Octobre 1945?

RDA - Vérité historique

67

2) la liste d'union que vous avez pu composer lors des élections de Novembre 1946, liste que vous avez présidée avec comme membres Philippe Zinda Kaboré et Ouezzin Coulibaly? Le Président Houphouet-Boigny Vous me donnez l'occasion, une nouvelle fois, de rendre un hommage mille fois mérité à feu notre ami et frère Ouez zin Coulibaly. Pour m 'écarter de l'élection à l'Assemblée Nationale Constituante, la colonisation avait imaginé toutes sortes d'obstacles. D'abord, en Septembre, parce qu'il aurait pu nous aider, nous comprendre, le Gouverneur Latrille avait été muté. Il y avait 14.000 électeurs en Basse-Côte, 4.000 dans le centre administratif de Bobo et 14.000 dans la région de Ouaga. Quand les chefs coutumiers m'ont demandé de me pré senter, alors que je ne voulais pas, j'ai subordonné ma réponse à la position du Moro Naba. Et, à cet effet, je lui ai envoyé Alloh Jérôme, ici présent, qui avait fait le service militaire avec lui. C'est sur l'assurance formelle du Moro Naba qu'il sou tiendrait ma candidature, que j'ai accepté la proposition de mes frères de la Basse-Côte. Malheureusement, de Mauduit, sur les injonctions du Parti Radical-Socialiste qui occupait alors la rue Oudinot, a donné l'ordre au Moro Naba de revenir sur sa position et de présenter contre moi un candidat, en l'occurrence le Baloum Naba. Je ne savais pas que j'atteindrais un jour son âge et même le dépasserais. Il avait 72 ans; il était analphabète et on lui avait laissé entendre qu'il aurait un secrétaire à l'As semblée Nationale, comme si un étranger, non parlemen taire, pouvait entrer dans l'hémicycle. C'était la même situation que pour le Soukat du Tchad dont j'ai déjà parlé. Nous décidons donc de mener la campagne en HauteCôte d'Ivoire. Et le hasard a fait que Doudou Gueye, un Sénégalais, médecin comme moi, et qui était le camarade d'école de Ouezzin Coulibaly, a été informé simultanément par nous deux de notre passage à Agboville. Il arrive pour nous accueillir et pour nous accompagnerjusqu'à la limite de la subdivision. Je ne connaissais pas Ouezzin. C'était la pre mière fois que nous nous rencontrions. Doudou m'a

RDA - Vérité historique

68

demandé des nouvelles des élections. Je les lui ai fournies, et nous avons déploré la manœuvre de division. Ouezzin, avec cette intelligence pénétrante qui le carac térisait, a saisi le jeu que la colonisation voulait lui faire mener. On lui demandait de venir se présenter dans la région de Bobo, pour m'enlever les 4.000 voix; ceci aurait assuré l'élection du Baloum Naba, puisque aussi bien ce n'était pas avec ces 4.000 voix qu'il pouvait lui-même se faire élire. Ouezzin a dit: «Je ne tomberai pas dans ce piège-là. Non seulement je n'irai pas à Bobo pour me présenter, mais je vais écourter mon voyage. Je vais envoyer ma femme auprès de son cousin Bakassa; et je monterai avec toi en Haute-Volta, pour faire campagne en ta faveur». Ce qui fût dit, fut fait. Le Baloum Naba était un candidat malheureux; il ne voulait pas aller à Paris; mais il était surveillé de près par des officiels. Et, chaque fois qu'ilpouvait s'échapper, il disait aux électeurs: «Votez pour Houphouet». Nous voici donc avec 14 candidats, dont 13 en BasseCôte, pour partager les 14.000 voix de cette région, la Côte d'Ivoire actuelle, et un en Haute-Côte d'Ivoire, aujourd'hui Burkina-Faso, assuré des 14.000 voix du pays mossi. D'après nos adversaires, notre défaite était certaine. Ils n'avaient pas prévu le sursaut de conscience de nos peuples. A leur grande surprise, nous avons été élus au premier tour. Ils ne se sont pas découragés pour autant. A la veille de prendre l'avion pour rejoindre Paris avec tous mes collègues élus comme moi au premier tour, l'administration annonce que les résultats étaient entachés par une erreur de transmis sion concernant le nombre des voix pour la région de Mankono. Je n'oublierai jamais cela! Et nous avons été convoqués à la Maison des Anciens Combattants, près du Monument aux Morts. C'est Massieye, qui devint plus tard un de nos meilleurs militants, qui présidait le bureau de recensement. Et j'entendais les mili taires, qui étaient dans le camion, dire en baoulé pour que je comprenne: «Si on nous donne l'ordre de tirer sur quelqu'un, nous savons sur qui nous allons tirer aujourd'hui, pas sur notre bienfaiteur; nous tirerons sur les autres», c'est-à-dire les Européens. Je savais qu'on allait proclamer le ballotage; alors j'ai demandé une suspension à Massieye et je me suis adressé à

RDA - Vérité historique

69

la foule massée au-dehors pour lui dire que, quel que soit le résultat que nous allions apprendre, elle devait s 'en retourner en silence et dans la discipline, qu'il y aurait de nouvelles élections et que nous les gagnerions. Puis je suis rentré dire à Massieye: « Maintenant, annon cez vos chiffres». // a proclamé le ballotage. J'ai réuni immédiatement mes amis, et j'ai donné de l'argent à mon neveu Jacques Aka et à mon ami Alloh Jérôme leur disant d'aller acheter de l'essence et des planches. Je ne savais pas que les événements allaient me donner aussi vite raison. Ils ont acheté le carburant nécessaire pour notre cam pagne; et deux heures après, par la radio, nous apprenions que la vente de l'essence était interdite. Trop tard, nous avions fait le nécessaire. Nous sommes partis, Ouezzin et moi, pour la Haute-Côte d'Ivoire, assurés que nous étions des voix de la Basse-Côte. Nos adversaires, une fois de plus, n'ont pas tardé à se ressaisir. Nous arrivons à la frontière. Au mois de Décembre, il ne pleut pas en Haute- Volta, pourtant le pont n 'existait plus sur la rivière; emporté par quel courant? Le tablier lui-même avait été jeté au loin. Alors, j'ai dit: «Descendez les fûts d'essence, et mettez les planches dessus». Et nous avons traversé. Nous sommes allés trouver Couderc, le chef de poste de la région; nous lui avons dit, en passant: «Vous avez détruit le pont et nous sommes passés. C'est un présage heureux. Il n'y aura plus de ballotage; nous allons passer!» Je continue sur Ouaga etj'envoie Ouezzin à l'Est. Entre Diébougou et Gaoua, les militaires étaient en train d'enlever les traverses des ponts. Ouezzin leur dit: «Arrêtez; nous sommes envoyés pour aller prévenir rapidement ceux qui sont devant, afin qu'ils enlèvent les ponts, parce qu'on ne veut pas que les mauvais garnements que vous allez voir tout à l'heure, puissent passer». Ils s'arrêtent, Ouezzin passe et leur dit: «C'est moi Ouezzin Coulibaly, lieutenant de notre ami Houphouet». Nous avons atteint un record qui a étonné et surpris: deux fois plus de voix. Les Mossis ont voté pour moi; toute la Basse-Côte s'était

RDA - Vérité historique

70

ressaisie et, grâce à Ouezzin, toute la région de Bobo, una nime, a voté pour moi. Vous savez, je le dis pour ceux qui ne le savent pas, il y a eu des esclaves qu'on a envoyés par-delà les mers, mais il n'y a jamais eu d'esclave du pays Bobo, parce qu'un Bobo qui est vaincu, se donne la mort pour ne pas subir l'esclavage. Et là, pour les élections, il n'y avait pas d'urne; chacun allait voter librement. Mais, pour influencer les gens de Bobo, il y avait la chicotte. On leur demandait: «Pour qui votez-vous?» Et même si on les frappait, ils répondaient toujours: «Houphouet, Houphouet». Nous avons obtenu l'unanimité dans ces régions. Voilà comment nous avons vu notre candidature triompher dès la première consultation électorale. A la deuxième consultation, j'ai tenu à associer la HauteCôte d'Ivoire avec la Basse-Côte, mais en maintenant Ouez zin sur ma liste. C'est pour cela que j'ai retenu trois noms: Houphouet-Boigny, le jeune Kaboré Zinda, — je crois que sa fille doit être aujourd'hui ici parmi vous — , et Ouezzin Coulibaly. Notre liste est passée. Et nous avons créé le RDA. Je n'y reviendrai pas. Ce fut la traversée douloureuse; on nous a séparés de la HauteVolta. Notre liste n'a plus comporté que deux noms: Ouezzin Coulibaly et Houphouet-Boigny. La fraude a été telle que nous avons perdu un siège. Et nos ennemis se sont amusés à écrire: «L'éléphant a perdu une dent». Mais l'éléphant est demeuré vivant! Nous avons pris notre revanche lors de la consultation suivante. Ouezzin et moi avons été élus. Et Ouezzin a été appelé par ses frères pour présider l'Assemblée Territoriale de Haute-Volta en tant que Premier VicePrésident du Conseil. Voilà comment les choses se sont passées. C'était entre nous une coopération confiante, exemplaire, sans le moindre nuage. Le ciel de nos relations était au plus beau fixe. C'est ce que je souhaiterais voir se perpétuer entre le Burkina-Faso et nous.

RDA - Vérité historique

«Le Général de Gaulle m'a honoré de son amitié»

«Les autres sont tou jours membres de la Communauté. »

M. Edmond Jouve, Maître de conférences à la Sorbonne.

Monsieur le Président, nous avons appris, au cours de ce Colloque, que vous aviez rencontré une première fois le Géné ral de Gaulle sous la Ve République, pendant la traversée du désert du Général, parce qu'il a eu la sienne lui aussi. Eh bien! est-ce que, M. le Président, nous pouvons en savoir un petit peu plus, sur cette première rencontre historique? Merci. Le Président Houphouet-Boigny C'était la deuxième rencontre. La première avait eu lieu à Abidjan, quand le gouvernement français avait autorisé le Général à visiter les Territoires d'Outre-Mer. Il était arrivé à Abidjan et le gouvernement local, ayant peur, n'avait pas voulu organiser sa réception. J'avais pris sur moi d'aller l'accueillir comme un Chef d'Etat, et je l'avais salué sur l'esplanade des Anciens Combattants. C'avait été notre pre mier contact. Quand ensuite j'ai été choisi par feu Guy Mollet comme membre de son gouvernement, je me suis installé rue de Solférino. Au 19 se trouvait le bureau du Général de Gaulle;

RDA - Vérité historique

72

je n'avais qu'un pas à faire, et je l'ai fait très souvent, pour le rencontrer. Il déplorait la situation qui prévalait malheureu sement en ce temps-là en France, avec les instabilités chroni ques qui retardaient la reprise des affaires françaises dans le monde. Puis, un jour, il me fit appeler; etj'entendis un autre langage; il me dit: «Si la France m'appelle, je réponds pré sent». Je me dis: « II y a quelque chose de changé». Etj'ai vu défiler mes collègues qui venaient le voir. Il est appelé par Coty à Matignon. Il me demande si je peux continuer, dans son gouvernement, comme Ministre d'Etat. J'ai accepté. Et nous étions quatre ministres d'Etat: Guy Mollet, Pflimlin, Jacquinot et moi. Ce que je puis vous dire, moi qui le connais puisqu'il m'a honoré de son amitié, c'est que c'est l'un des plus grands hommes de notre temps, pour ne pas dire le plus grand. Sous cette écorce dure qui apparaît à ceux qui ne le connaissent pas, bat un cœur d'or, fait de règles de conduite très chères: fidélité à des principes, fidélité à des amitiés. Voilà le Général de Gaulle. Il m'a honoré de son amitié. Et j'ai retenu de lui de nombreux exemples. Je ne l'imiteraijamais assez. J'ai beau coup appris avec lui pendant le peu de temps où j'ai été membre de son Gouvernement, et aussi pendant le peu de temps où j'ai pu poursuivre nos relations en tant que Chefde mon pays devenu indépendant; et ce, malgré les déceptions. C 'est ici l'occasion pour moi de rappeler aux chercheurs, aux historiens, comment, pour avoir choisi l'indépendance, mais en dehors de la Communauté, nous avons été pénali sés; je ne dis pas: «moi», cela importerait peu, mais nos Anciens Combattants qui, en vertu de la loi Debré, perçoi vent, encore aujourd'hui, moins que les Anciens Combat tants des autres pays, toujours considérés comme membres de cette Communauté que nous avons alors quittée. Et moi, qui ai passé quinze ans en France comme parle mentaire puis comme membre du gouvernement, je perçois des indemnités nettement inférieures à celles des Senghor et autres; parce que, eux n'ont pas fait sortir leurs pays de la Communauté, ils en sont toujours membres: Etats indépen dants mais membres de la Communauté! Je ne devrais pas siéger à la Francophonie; c'est en souvenir de de Gaulle que j'ai accepté cette rencontre avec les autres. Nous étions un pays indépendant, nous ne

RDA - Vérité historique

73

devions pas avoir affaire avec la Rue Monsieur (1 ). Mais pour ne pas laisser les autres seuls, je suis venu avec eux. Et nous continuons. (1)Le ministère des Colonies, puis le ministère de la France d'Outre-Mer était installé, à Paris, rue Oudinot. Rue Monsieur, se situait le siège de la Délégation de la Communauté.

RDA - Vérité historique

74

«Notre lutte n'était pas une lutte de classe»

«Le résultat, c'est que j'ai réussi. »

M. Joseph Roger, Maître Assistant de recherches à l'IFAN. Monsieur le Président, dans votre lettre-réponse adressée à Gabriel d'Arboussier, publiée dans «l'Afrique Noire» du 24 Juillet 1952, vous disiez que le Congrès d'Abidjan, de Janvier 1949, avait été une déviation par rapport à l'esprit de Bamako, en particulier en introduisant la lutte des classes dans le pro gramme du RDA. Pouvez-vous nous dire la place de ce Congrès dans l'Histoire du RDA? Le Président Houphouet-Boigny C'est sous l'instigation de d'Arboussier qu'il y a eu cette déviation. Je venais d'expliquer que notre lutte n'était pas une lutte de classes mais une lutte contre la domination française, que même si la chaîne de l'esclavage était dorée, c'était une chaîne, et qu'il fallait la briser. Je n'étais pas d'accord avec d'Arboussier parce qu'il voulait traiter ce problème-là sous l'angle de la lutte des classes. Certes, nous pouvions nous considérer comme des alliés objectifs des communistes français, puisqu'ils lut

RDA - Vérité historique

75

talent contre leur bourgeoisie et que celle-ci nous écrasait dans nos pays! Ils sont arrivés à réduire sa capacité d'oppres sion grâce aux lois sociales. Mais leurs frères bourgeois continuaient à s'enrichir à nos dépens. Donc, j'ai dit à d'Arboussier: « II ne s'agit pas de lutte des classes; il s'agit d'une lutte pour sortir de la dépendance, ce sont deux choses différentes». Malheureusement, il avait été suivi — Etcheverry est là pour en témoigner —, par une minorité de nos frères mili tants du RDA du Sénégal, du Niger, et malheureusement encore par le pauvre Um-Nyobé. C'est la raison pour laquelle j'ai dit que d'Arboussier, n'ayant pas de responsabilité humaine, n'a jamais entendu les pleurs de ceux qui ont été victimes de sa démagogie. Je lui ai dit qu'il fallait mettre fin à cela, que moij'avais des responsabilités et que je devais en tenir compte. C'est ce qui a été fait; le résultat c'est que j'ai réussi.

Le Président du RDA et M. Mathar M'Bow devant l'affiche commémorative des quarante ans du RDA.

r^

^

I

Troisième Partie

Le RDA, hier et aujourd'hui

RDA - Vérité historique

78

Le RDA, du Sénégal à Djibouti

«Ils sont là, nos ca marades des temps héroïques; ils s'inter rogent. . . »

Honorables Délégués, Militants et Militantes du PDCI-RDA, Chers Camarades RDA, Jeunes et très Chers Militants, Je me suis invité moi-même ce matin, pour revenir com pléter et préciser certaines déclarations que je vous ai faites hier. En effet, je vous ai donné les raisons pour lesquelles nous avons créé le RDA. Je vous ai dit les difficultés que nous avons rencontrées au départ. Mais je n'ai pu préciser les actions du Rassemblement au niveau de ses différentes sec tions. Le RDA, ce n'était pas qu'Abidjan; il ne se limitait pas à la seule Côte d'Ivoire. Son ambition et son but étaient de rassembler les Africains pour une lutte commune en vue de l'émancipation sociale et politique de notre cher Continent. Nous avons eu des sections dans presque tous les pays fran cophones de l'ex-AOF et de l'ex-AEF.

RDA - Vérité historique

79

Nous avons même été plus loin. Nous avions créé une section à Djibouti, dont le Président actuel était notre Secré taire Général. Au Sénégal, malgré la très forte position de feu Lamine Gueye et de Senghor, le RDA s'était fait l'honneur de créer une section territoriale. Et cette section a mené la lutte pour l'ensemble de notre Rassemblement non seulement au seul Sénégal, mais dans l'ensemble des pays où le RDA se battait. Le Sénégal nous a fourni des cadres dans la plupart de ces pays. Je le préciserai tout à l'heure. Nous étions donc au Sénégal, en Guinée, au Soudan français (actuel Mali), au Niger, en Haute- Volta (aujourd'hui Burkina-Faso), au Dahomey (maintenant Bénin), au Gabon, au Congo-Brazzaville, au Tchad, en Oubangui Chari (devenu la République Centrafricaine) où nous avons eu une section jusqu'à l'indépendance. La lutte a été dure. Je vous ai parlé de la traversée du désert; elle fut pénible. Je ne voudrais pas relater ce dont ont souffert les autres sections territoriales. Mais, ailleurs, comme au Sénégal qui bénéficiait de plus de libertés parce que pays le plus ancien, trois cents ans de vie commune avec la France, — les Sénéglais étaient même Français avant les Corses! — , il y a eu la répression sous une forme plus dis crète, mais pourtant pénible. Les fonctionnaires y ont été révoqués; on a coupé des crédits aux commerçants RDA. Et cependant, notre Rassemblement a tenu au Sénégal. Ce n'est qu'après l'indépendance que je lui ai demandé de se saborder et de rejoindre Senghor pour l'aider à bâtir le Séné gal indépendant. Nous avons eu certains de nos militants, de braves mili tants, dans le gouvernement de Senghor, les M'Baye, les M'Bengué. Ils ont été très dignes de notre Mouvement, et ils étaient très appréciés au niveau du Sénégal. Nous n'avons pas créé de section en Mauritanie bien que deux délégations soient venues nous le demander. Nous avons estimé qu'à partir du moment où Ould Daddah, le leader de leur pays, pratiquait la même politique de lutte émancipatrice, il fallait se joindre à lui pour participer à ce combat que nous menions nous-mêmes au niveau des autres territoires.

RDA - Vérité historique

80

Pendant la traversée du désert, le Niger aussi a souffert. Nous n'y avions plus de représentant. Plus de représentant non plus au Gabon; notre leader, feu Léon M'Ba en avait été expulsé, interné en Centrafrique. Ce n'est qu'après notre arrivée au gouvernement français que j'ai pu le faire revenir dans son pays où, grâce au triomphe du RDA en 1956, il a pu faire accéder le Gabon à l'indépendance en même temps que nous. Je vous l'ai dit, nous avons perdu notre siège de député au Tchad. A l'unanimité, l'Assemblée Française a réduit notre représentation au Mali. On n'a même pas autorisé la candi dature de nos deux représentants qui, quelques mois plus tard, devaient enlever les sièges de la Guinée. C'est ainsi que, pendant longtemps, nous n'avons pas eu un seul représen tant à l'Assemblée Territoriale de Guinée. Au départ, un de mes anciens collègues de promotion à l'Ecole Normale d'Ins tituteurs de Corée, Mamba Sano, nous avait représentés; malheureusement, avec les difficultés, mon frère Mamba Sano , paix à son âme, s'était retiré de la lutte. Et il y eut un vide qu'heureusement ont ensuite comblé deux braves parmi les plus braves militants du RDA: Madeira Kéita au Mali, et Ray Autra en Guinée. Le pouvoir colonial les a mutés purement et simplement au Dahomey. Et c'est grâce à eux, Madeira et Ray Autra, que nous avons pu créer la section territoriale RDA du Bénin. La répression, je vous l'ai dit hier, a été plus brutale dans l'ex-AEF que dans l'ex-AOF. Nous avons eu du mal à recruter un responsable du Tchad; c'est Gabriel Lisette, alors admi nistrateur des colonies, qui a accepté d'assumer les respon sabilités de la direction de notre section territoriale, avec sa femme, une Française plus africaine que bien des Africains. Comment combler le vide guinéen? Madeira et Ray Autra partis, nous avons recruté des jeunes originaires, vivant en Côte d'Ivoire. Et, sous la direction d'un brave jeune sénégalais, N'Diaye, et avec l'appui d'un chef de canton de la frontière, nous avons installé une tête de pont en Guinée. En cas de difficulté extrême, nous avions la possibilité de les replier sur la Côte d'Ivoire. Mais ce grand pays restait vide. La Guinée n'avait pas de cartes du Parti; nous y avons envoyé des cartes de Côte d'Ivoire avec l'éléphant et, en surimpres sion : « Guinée PDCI ». C'est pour cela que l'éléphant de Côte d'Ivoire est devenu le « Syli» de Guinée. Puis, un beau jour, on

RDA - Vérité historique

81

m'a appris qu'il y avait là-bas un jeune syndicaliste qui vou lait rallumer le flambeau de la lutte du RDA. C'était Sékou Touré. Je me suis déplacé, je l'ai rencontré chez sa grandtante qui me l'a recommandé; je l'ai fait venir à Abidjan avec son cousin, petit Touré, époux de ma propre nièce. Celui-là aussi n'est plus. Voilà comment, petit à petit, nous avons pu faire revivre, après le départ de Madeira et de Ray Autra, notre section de Guinée. Mais pas un seul membre du RDA à l'Assemblée Territoriale de Conakry. La lutte, en Guinée, n'était pas une lutte contre la colonisation, c'était une lutte contre le RDA. Lorsque, à la suite d'une vacance dans la région de Beyla, nous avons décidé d'y présenter Sékou Touré, je m'y suis rendu en compagnie du Gouverneur-Général CornutGentille. Je ne demandais pas l'appui du gouvernement, des pouvoirs locaux, mais simplement la neutralité. Elle m'avait été promise; je me suis rendu dans la nuit, avec le Gouverneur-Général, dans les campements administratifs du Mont Nimba. Mais nous n'avons pas été logés sous le même toit. Tout semblait arrangé. Cornut-Gentille avait convoqué les administrateurs et donné des instructions pour que la neutralité soit absolument respetée. Le lendemain, à Man, j'apprenais le contraire, Je suis retourné pour lui demander ce qui s'était passé dans la nuit? Il m'a dit: «J'ai donné des instructions, mais ils ne m'ont pas obéi. Ils n'obéissent qu'à Roudino». La fraude a donc fait que nous n'avions toujours per sonne en Guinée. Il nous a fallu attendre jusqu'à 1 956 pour obtenir, sur l'ensemble du territoire africain français, la neu tralité de l'administration. Et le résultat ne s'est pas fait attendre : nous avons enlevé deux sièges en Guinée, deux au Mali, deux au Niger. Entre-temps, la Haute-Volta avait été reconstituée, et ses élus sont devenus RDA. Nous avions nos amis du Bénin. Maga n'était pas avec nous au départ; il était avec les autres, et s'il paraissait quel que peu embarrassé dans ses déclarations, c'est en raison de cela. Mais il s'est ressaisi; il a milité de cœur avec nous, au sein de l'Entente et pendant la lutte pour l'indépendance. Au Congo, nous avons perdu le siège de Félix Thicaya au bénéfice de l'Abbé Fulbert Youlou, devenu ensuite lui aussi membre actif du RDA. Lisette a repris sa place au Tchad. Voilà donc le RDA triomphant.

RDA - Vérité historique

82

II fallait compléter cela par les élections territoriales. Là, ce fut le raz-de-marée. Nous avons balayé tous les anciens dirigeants des partis nés des fraudes électorales. Nous avons repris la majorité. Et c'est cette majorité qui, après le départ de la Guinée en 1 958, a conduit à l'indépendance le Mali, le Niger, la Haute-Volta, le Dahomey, le Gabon, le Tchad. Nous avions une section en République Centrafricaine avec Antoine Darlan, mais j'avais beaucoup d'amitié pour feu Barthélémy Boganda, de telle sorte que, volontairement, nous n'avons pas développé cette section en Centrafrique. Aujourd'hui, le fils de Darlan coopère étroitement avec le gouvernement centrafricain. «LES ANCIENS S'INTERROGENT. ILS DOIVENT CONTINUER À SERVIR» Et maintenant? C'est pour cela que je suis venu, ce matin, vous voir. Ils sont là, nos camarades des temps héroïques, nos militants du RDA. Ils n'assument plus de responsabilités au niveau de leurs pays respectifs, au Mali, au Niger, au Burkina-Faso, au Bénin, à Brazzaville, au Tchad. Eux tous sont venus, invités par les organisateurs du Colloque sur l'histoire du RDA. Ils s'interrogent. Ils étaient avec nous pour construire l'Afrique. Ils sont encore jeunes. Puisque celui qui est en face de vous, et qui est leur doyen d'âge, dit qu'il a «un an». Ils peuvent donc servir encore. Je leur demande de continuer, même s'ils ne sont pas au pouvoir. Ils doivent proposer leurs services, non pas avec servilité mais avec dignité, à ceux qui, aujourd'hui, tiennent les rênes du pouvoir dans leurs pays respectifs. Il n'y a pas de honte à le faire. On se grandit au contraire. Beaucoup avaient connu la prison au cours de notre lutte émancipatrice; ils ont continué à travailler; ils ont oublié cela . S'ils ont, depuis l'indépendance, connu à nouveau la privation de liberté, qu'ils ne se découragent pas. Je ne veux pas qu'ils aillent fomenter des coups d'Etat. D'ailleurs ils sont tous des civils. Je ne crois pas que ce soient des civils qui fassent des coups d'Etat.

RDA - Vérité historique

83

Mais je veux qu'ils travaillent; qu'ils demandent à travail ler et qu'on les aide à servir leur pays. Ils sont encore utiles. Nous n'avons pas suffisamment de cadres pour bâtir l'Afrique. Alors, le bilan du RDA c'est votre bilan à vous, qui êtes venus des pays où vous n'exercez plus de responsabilités. Ce bilan doit être fait. Vous ne pouvez pas le faire; ce sont les nouveaux dirigeants de vos pays respectifs qui le font, comme nous le faisons ici. Le Rassemblement Démocratique Africain porte la volonté de rassembler, donc d'assurer l'unité. Nous avons lutté ensemble pour la liberté et la dignité. Il est encore dans vos coeurs et dans votre raison, ce Grand Parti de lutte émancipatrice. Et en votre nom, puisque vous m'avez désigné comme Président de coordination du RDA, chaque matin, je pose la question: est-ce que l'Ivoirien est plus libre aujour d'hui qu'hier? Je n'hésite pas à répondre: «Oui, il l'est davantage». L'Ivoirien, à l'intérieur, n'a plus besoin de laissez-passer; il peut sortir de son pays et y rentrer sans demander l'autori sation à qui que ce soit; il peut circuler; il jouit de la liberté et de la paix. «LA PAIX DES CŒURS A PERMIS ICI LE DÉVELOPPEMENT DANS TOUS LES DOMAINES» Et cette paix que nous avons assurée dans ce pays ce n'est pas une paix par la force, — elle serait sans lendemain —, c'est la paix des cœurs et des esprits, qui a permis le développement dans tous les domaines. Dans le domaine économique d'abord. Je vous l'ai dit et je le répète, bien que nous n'ayions pas vendu jusqu'ici un litre de pétrole, — nous en vendrons très bientôt mais, pour le moment, nous n'en avons pas encore vendu —, pas un kilo de fer, de cuivre, d'uranium, de bauxite, pas un gramme d'or, pas un carat de diamant, grâce à la paix que nous avons assurée, préalable à tout développement, nos braves paysans ont réussi à faire de ce petit pays de Côte d'Ivoire, le plus grand producteur agri cole de l'Afrique: le premier au monde pour le cacao, totali sant la production du Cameroun, du Nigeria et du Ghana réunis: 580.000 tonnes, c'est le bilan de la traite l'année

RDA - Vérité historique

84

dernière; le troisième pays producteur de café dans le monde. Et en Afrique, nous sommes le premier producteur de bananes, d'ananas, d'huile de palme. Pour ce dernier produit nous dépassons même le cadre de l'Afrique puisque nous venons immédiatement après la Malaisie. Dire cela, ce n'est pas faire du triomphalisme, c'est per mettre à nos anciens des autres pays, de pouvoir dire: « Voilà ce que le RDA a pu faire ailleurs. » Nous avons commencé avec 6.000 tonnes de coton, nous arrivons aujourd'hui à 212.000 tonnes, troisième producteur africain après l'Egypte et le Soudan; et nous nous proposons de dépasser le Soudan. Sur le plan social, nous avions trois universitaires à l'In dépendance: Je vous ai dit hier comment on nous avait interdit la construction d'un lycée en Côte d'Ivoire. J'ai dû envoyer nos premiers lycéens, nos premiers jeunes gens issus du primaire, en France. Aujourd'hui, nous avons des milliers d'universitaires. Nous avons ouvert beaucoup plus d'écoles que n'importe quel pays africain. Notre réseau routier est un des meilleurs. Nous avons construit des villages, des maisons en dur pour nos paysans. Nous leur avons assuré l'approvisionnement en eau : plus de 12.000 puits. Nos grandes villes ont l'adduction d'eau. Les chefs-lieux de sous-préfectures commencent à être dotés de châteaux d'eau. Nous allons passer bientôt à la relève paysanne, grâce aux jeunes. Les anciens ont fait ce qu'ils ont pu. Je viens de dresser le bilan de leur action. Mais on ne peut pas demander à leurs enfants de continuer cette exploitation du café, du cacao, avec la daba et la machette. On ne travaille plus avec ces outils dans les pays déve loppés. Si leur agriculture est florissante, c'est grâce à la mécanisation. Or, nous avons des terres cultivables et nous avons des jeunes gens qui ne demandent qu'à travailler. A condition qu'on leur trouve autre chose que la daba et la machette, ils seront fiers, même licenciés, d'être au volant des tracteurs. On le fait ailleurs, pourquoi pas ici? Voilà donc brièvement et succinctement le bilan de votre frère aîné, le pays de la Côte d'Ivoire, qui est resté sous la bannière du RDA.

RDA - Vérité historique

85

«JE SUIS CONSTRUCTEUR ET NON PAS DIVISEUR»

Hier, certaines questions m'ont été posées. Et, bien que les chercheurs doivent continuer leurs recherches, je veux qu'on nous comprenne une fois pour toutes parce que c'est le problème, et on me l'a posé de façon très nette: «Com ment se fait-il que vous, qui aviez l'ambition de rassembler les Africains dans le cadre d'un grand parti, d'un grand mou vement comme le RDA , vous n 'ayez pas conduit l'ex-A OF et l'ex-AEF dans une fédération d'Etats? Et vous avez balkanisé l'Afrique». Je vous ai dit qu'il faut servir la vérité. La politique c'est la saine appréciation des réalités. Les réalités sont celles-ci: il n'existe nulle part dans le monde un seul gouvernement pour tout un continent. Ça n'a jamais été possible. C'était le rêve du très cher feu Kwamé N'Krumah : l'Afrique, avec un seul gouvernement, une seule assemblée; c'était de l'utopie. Les Européens n'ont pas réussi. Depuis plus de vingtcinq ans, ils se cherchent; après avoir réalisé leurs unités nationales. Et cette réalisation, au niveau de chaque pays, n'a pas été chose facile; elle a nécessité un travail qui a duré des siècles. Nous, nous sommes encore des Etats hérités de la colo nisation, avec nos différentes tribus, les coutumes, les dia lectes. Nous sommes obligés, pour communiquer entre nous, d'adopter la langue du pays colonisateur. Nous n'avons pas à être complexés pour cela. Les immigrés de pays anciens, qui sont partis aux EtatsUnis, ont dû abandonner leur langue, alors qu'ils étaient beaucoup plus évolués que nous. Ils avaient un passé cultu rel, historique; mais ils ont dû abandonner le français, l'alle mand, l'italien pour adopter l'anglais, langue des Etats-Unis. Ils ne se sont pas sentis diminués pour autant. Nous, nous ne pouvons pas, en l'état actuel de notre développement interne, réaliser une fédération. On m'a lancé un appel très flatteur: «Vous, vous le pouviez».

RDA - Vérité historique

86

Je vous ai dit que c'était très difficile, parce qu'il s'agit là de problèmes de personnes et non pas de problèmes politi ques ni de problèmes économiques. Ceux-là trouvent tou jours leur solution, mais pour les problèmes de personnes, —ôte-toi de là pour que je m'y mette — , il n'y a guère de solution. Même si j'avais réussi, et sans doute l'aurais-je pu, la suite, c'est cela qui importe, aurait été désastreuse. Je connais les leaders africains; ils se seraient divisés pour ne plus jamais se retrouver ensemble. Il est très difficile de réaliser, au sommet, une fédération qui dure. Certains l'ont tenté. Je vous ai dit qu'après l'indé pendance de nos différents pays, nous nous sommes réunis, rue de Lille (1 ), pour, étroitement unis comme nous l'avions été dans la lutte politique, jeter les bases d'une nouvelle union qui puisse nous permettre d'aborder les problèmes du développement économique. Ça n'a pas duré. Un mois après, c'était la dislocation. Je me suis retrouvé seul à Abid jan!, c'est ce que les jeunes doivent comprendre. Les autres membres du RDA ont voulu tenter la Fédéra tion; je savais qu'elle ne serait pas viable, je connaissais les hommes. Ce que vous les jeunes ne savez pas, c'est que votre ancien connaît ses frères, incapables de se dépasser, de s'effacer pour assurer une unité. C'est le «moi» qui parle chez eux; le «moi» est toujours haïssable. J'ai laissé faire. On m'a dit que je voulais balkaniser l'Afrique. Et les jeunes, parce que le mot venait d'un poète, ont répété le poème, ils ont récité: «balkanisateur». Non. Je suis constructeur, pas diviseur. Nous avons perdu le temps, parce qu'ils n'ont pas accepté ma proposition d'un grand rassemblement du peu ple africain indépendant, sur la base d'une action commune dans l'égalité absolue. J'avais proposé une présidence tournante, pour que per sonne ne puisse se sentir le parent pauvre; il ne devait même pas être besoin de voter, chacun assumant à tour de rôle la responsabilité de la direction. N'est-ce pas ce que l'on fait maintenant au niveau de l'OUA? C'est ce qu'on m'a refusé en 1958. (1) Siège du Ministère d'Etat du Pdt Houphouet-Boigny, à Paris.

RDA - Vérité historique

87

Alors, on attendait la Fédération. Et ils sont partis à Dakar, à cinq d'abord, puis à quatre, et finalement à deux, pour se séparer bientôt définitivement. Rupture des rela tions, coupure du chemin de fer Dakar-Bamako. Je me suis dérangé; je suis allé à Bamako offrir le port d'Abidjan au Mali. Et nous avons repris, non plus avec notre ambition pre mière de réunir tous les Etats africains, — cette ambition s'était rétrécie comme une peau de chagrin — , mais seule ment à quatre: le Niger, le Burkina-Faso, le Bénin, la Côte d'Ivoire, dans le Conseil de l'Entente. DE L'ENTENTE ÀL'OUA C'est au cours d'une de nos réunions à Abidjan, que le Président Senghor a envoyé son Premier Ministre Mamadou Dia, pour confesser qu'il s'était trompé. Cela faisait deux fois qu'il se trompait. Il n'avait pas été avec nous à Bamako, retardant alors le regroupement des Etats africains francophones. Il s'était donc à nouveau trompé. Et il me demandait de les réunir, puisqu'il avait échoué. J'ai accepté, et j'ai lancé l'appel, d'Abidjan à tous les Etats francophones, anciens du RDA ou non, opposants même de notre Rassemblement. A ma grande satisfaction, tous, comme un seul homme, ont répondu favorablement à notre invitation. Ils sont venus à Abidjan, à l'exception de notre collègue de Madagascar, qui avait accepté mais qui en raison de l'éloignement n'a pas pu nous rejoindre à temps. J'aurais pu leur dire d'adopter le sigle de l'Entente. J'ai préféré respecter leur dignité et leur suggérer de chercher un autre nom. Nous, nous restions RDA, et nous restions dans l'Entente. Et depuis, chaque fois, au rendez-vous de la soli darité, vous voyez toujours le petit noyau du RDA, partout. Les autres vivent isolés, qu'ils soient francophones, lusophones ou anglophones. Nous, nous sommes restés solidaires, quatre au début, cinq ensuite; et ce sont ces cinq là qui ont réussi. Donc, en l'absence de Tsiranana, j'ai projeté une seconde réunion à Brazzaville, d'où le nom de «groupe de Brazzaville» qui a été donné à ceux qui se sont rencontrés

RDA - Vérité historique

là-bas. Ce fut la première et dernière fois que j'ai eu à présider une organisation africaine sous-régionale, régionale ou même continentale. Je vous ai dit hier que mes actions ne sont motivées par aucun souci d'argent, de prestige, mais par le seul souci de la paix dans la justice et la fraternité. Au nom de mes amis du R D A et de ceux qui nous avaient rejoints à Brazzaville, nous avons lancé l'appel aux Etats africains indépendants, pour un regroupement en vue de mener une action salvatrice au niveau de notre continent au-dessous du Sahara. Je n'ai obtenu que trois réponses: la première, celle de Kwamé N'Krumah qui m'a dit: «D'accord mais à condition que vous intégriez le groupe de Casablanca». Ce groupe comprenait le Maroc, l'Egypte, le , Ghana, la Guinée; et le Mali qui, après la défaite cuisante subie dans la constitution de sa fédération avec le Sénégal, ne voulant plus se retrouver avec Senghor, nous avait quittés pour rejoindre ce groupe; ce qui les portait à cinq. Nous, nous restions à douze. La deuxième réponse fut celle de Sir Aboubakar Tafawa Balewa, un grand homme que l'Afrique a perdu, l'ancien premier ministre de la Fédération du Nigeria. Vous savez, chez les anglophones, il n'y a jamais eu de regroupement d'Etats; la petite Gambie ignorait la Sierra Leone, la Sierra Leone ignorait le Ghana et le Ghana ignorait le Nigeria; et de l'autre côté, à l'est de l'Afrique, c'était la même situation. C'était donc un problème nouveau que nous leur posions, nous francophones qui, même pendant l'occupa tion française, avions l'habitude du regroupement. Tafawa Balewa demandait à réfléchir avant de me donner sa réponse. La troisième, de loin la plus positive, avait été celle de Modibo Kéita. Il nous avait quittés pour les raisons que je viens de vous rappeler. Et il me dit : «Président, tu connais les raisons pour lesquelles je t'ai quitté. Tu n'as pas d'amourpropre d'auteur; tu veux l'unité africaine; c'est une constance de ta politique. Mais, les choses étant ce qu'elles sont, parce que l'invitation vient de toi, nos amis ne répon dront pas, n'accepteront pas. Alors, puisque ce que tu veux c'est notre unité au niveau du continent, pour une construc tion qui serve les véritables intérêts d'une A frique libre, pros

RDA - Vérité historique

89

père et fraternelle, je te propose de t'adresser à un pays neutre». Ce pays neutre, je ne suis pas allé loin pour le trou ver; je n'ai pas cherché du côté de l'Afrique Orientale; je me suis adressé à notre voisin immédiat, le Président William Tubman du Liberia. Et je lui ai proposé d'inviter les Africains à ce regroupement. Il m'a dit: «d'accord». Je me trouvais, à ce moment-là, en visite officielle au Mali, quand il a ajouté : «Je demande à ce que vous co-parrainiez cette invitation; vous êtes douze, je suis tout seul; on ne me prendrait pas au sérieux». Je lui ai répondu : «Qu'à cela ne tienne, je vais vous proposer mieux : pour notre groupe de Brazzaville, je vous propose vous et votre serviteur, moi-même; pour le groupe de Casablanca, je propose Kwamé N'krumah et Modibo Kéita; et pour les neutres: Sir Aboubakar Tafawa Balewa et SyIvanus Olympio du Togo». A-t-il retenu cette proposition? Toujours est-il qu'il a lancé l'appel à nous rencontrer au Liberia. Comme un seul homme, les douze de Brazzaville se sont retrouvés le jour «J» à Monrovia. Se sont joints à nous: le Nigeria, le Togo et, venant de l'Est, l'Ethiopie et la Somalie représentées par leurs Premiers Ministres, et la Sierra Leone bien entendu, voisin du Liberia. Nos amis, qui avaient par rainé cette invitation, ont brillé par leur absence. C'est pourquoi, je vous le disais hier, Kennedy avait raison de dire que «la victoire a plusieurs papas mais la défaite est orpheline». Beaucoup, aujourd'hui revendiquent la paternité de cette Unité Africaine que nous avons construite dans des conditions très difficiles. Ils ne sont pas venus; et nous ne pouvions pas, seuls, en jeter les bases. Mais nous avons au moins débattu de quelle unité nous allions construire. Deux thèses étaient en présence: la nôtre, très souple, dont on avait retardé trop longtemps l'application depuis notre concertation rue de Lille, et celle du groupe de Casablanca. A la reprise de séance, feu Tafawa Balewa a pris la parole pour dire que le Nigeria, refusant la thèse de Kwamé N'Krumah et se ralliant à la nôtre, beaucoup plus souple, n'accep terait jamais la supranationalité. Mais comme, je le répète, ceux de Casablanca n'étaient pas venus, nous devions, sans nous lasser, tenter une autre invitation.

RDA - Vérité historique

90

Et c'est moi qui, au nom de notre groupe, ait proposé à Sir Aboubakar Tafawa Balewa de nous rassembler à Lagos. Là, nous les attentions; mais je ne pensais pas que nos frères anglophones allaient nous attaquer de cette façon là. La lutte continuait entre la France et l'Algérie: les troupes du GPRA se battaient avec beaucoup d'héroïsme, mais ne contrôlaient aucun territoire. Et nos frères de Casablanca nous demandaient quoi? La participation à part entière du GPRA dans la construction que nous voulions réaliser à partir des Etats indépendants et souverains. C'est Senghor qui présidait notre groupe. Et à la réunion, j'ai dit que c'était un faux problème. S'il s'était agi d'un banquet anti-colonialiste, la place de choix à la table d'honneur serait revenue sûrement au GPRA. Mais il s'agis sait de construire une unité africaine, à partir des Etats libres, indépendants et souverains. Si nous allions envisager par exemple, l'installation d'une ligne de communications entre nous, le GPRA ne contrôlant aucun territoire, ne pourrait y souscrire. Nous pourrions, si nous réalisions l'unité, appuyer tous les mouvements en lutte pour l'indépendance de leurs pays, mais nous ne pouvions pas les associer, en tant que mouve ments, à la construction de l'Unité Africaine. La cause a été entendue au niveau de notre groupe, et Senghor m'a man daté comme porte-parole. Le lendemain, à la séance plénière, à laquelle est venu se joindre pour la première fois l 'ex-Empereur d'Ethiopie Haïlé Sélassié, — je vous ai dit qu'à la réunion de Monrovia, il s'était fait représenter par son Premier Ministre — , j'ai exposé ce que je viens de vous dire, en le développant un peu plus; et on a suspendu la séance. On a transmis au groupe de Casablanca notre volonté d'aider le GPRA comme tout autre mouvement en lutte, mais à partir de la constitution d'une unité organisée, recon nue de par le monde. Ce fut une fin de non recevoir. Donc, le groupe de Casablanca, une fois de plus, s'était dérobé, n'était pas venu au rendez-vous. Et c'est encore moi, parce que doyen, qui, au nom de notre groupe qu'on avait baptisé «Groupe de Monrovia», ai proposé à l'Empereur Haïlé Sélassié, de tenter la troisième invitation. Ce qu'il fit. Entre-temps, l'Algérie avait accédé à l'indépendance; il

RDA - Vérité historique

91

n'y avait plus de raison pour retenir nos frères de Casablanca . Vous connaissez la suite, la réunion à Addis-Abeba pour la constitution de l'OUA. Et, je dois lui rendre justice même si je n'étais pas d'ac cord avec lui pour certaines prises de position, c'est notre frère Emile Derlin Zinsou qui a donné le nom à l'Organisa tion. En effet, pendant une demi-heure, le représentant de Madagascar avait demandé, comme il l'avait obtenu de nous à l'OCAM, qu'on dise: «Organisation Commune Africaine et Malgache». Nous avons dit: «Non». Il ne s'agissait plus seu lement du groupe des francophones, mais d'une unité qui englobe tout le Continent. Zinsou a dit: «De même qu'il y a une Organisation des Nations Unies, pourquoi ne nous mettrions-nous pas d'accord pour donner à notre organisa tion le nom: «Unité Africaine». J'ai fait accepter cela par Tsiranana, le Président de Madagascar. Voilà comment est née l'OUA, avec des principes sûrs, des objectifs sûrs: la décolonisation complète de l'Afrique d'abord, la disparition des discriminations raciales et notamment de l'Apartheid. Il fallut ensuite se pencher sur l'économie de notre Continent; c'est pourquoi nous avons créé la BAD, Banque des Etats Africains. Si je rappelle cela, c'est pour que vous connaissiez l'ac tion du RDA, partie de Bamako. Voilà l'action que le RDA a menée dans sa volonté de rassembler les Africains. Cette action avait été arrêtée chez nous, alors que nous étions tous encore membres du RDA. Nous n'avons pas failli à ce devoir. «IL Y A DE GRANDES CHOSES ENCORE À RÉALISER POUR L'AFRIQUE» Aujourd'hui, nous restons seuls, au pouvoir. Mais, je vous l'ai dit hier, cela nous rassure, vous demeurez avec nous par le cœur et par l'esprit. Et il y a de grandes choses encore à réaliser pour l'Afrique. Nous sommes très en retard. Je le répète parce que c'est la réalité: on ne doit pas se découra ger, nous sommes tous dans la course; on ne juge qu'à l'arrivée, et personne n'est arrivé. Alors n'hésitons pas; fai sons tout pour rattraper les autres. Pour cela, il nous faut la paix. Sans ce préalable, nous ne les rattraperons jamais. C'est pour cela que je fais appel à vous, anciens du RDA.

RDA - Vérité historique

92

Quelles que soient les peines subies dans vos pays res pectifs, dépassez ces peines-là. Voyez nos pays en marche vers le progrès. Offrez vos services. Même si on ne les accepte pas, vous aurez fait votre devoir. Mais aussi, de bouche à oreille, parlez de la paix. Il faut que la paix s'instaure en Afrique. Je ne crois pas que les «grands» puissent réaliser la paix. La citadelle de méfiance entre les deux blocs, les deux idéologies, est telle que, tant qu'elle n'aura pas été brisée, ils se réuniront dix fois, cent fois à Genève, en Islande, n'importe où..., rien n'en sortira. Mais vous pouvez, vous Africains, qui avez souffert et qui devez oublier la souffrance, vous considérer comme frères des autres hommes, tendre une main fraternelle; vous pouvez aider à la construction de cette paix universelle, à partir de la paix que vous réaliserez d'abord chez vous. Et quand nous parlons de l'unité, de la fédération, sachons que cela viendra, mais à partir déjà paix, de l'unité renforcée au niveau de chacun de nos pays. Alors seulement, au sommet, nous pourrons partir pour l'Unité. Sans ce préa lable, elle ne reposerait que sur du sable qui se disperserait au moindre souffle de vent. Je ne voudrais pas être plus long; mais votre Colloque s'est penché sur l'Histoire du RDA. Certes, le RDA ne fut qu'un des monuments de l'Histoire de l'Afrique, un simple petit monument. Le RDA n'est pas toute l'Afrique. Alors je vous demande, chercheurs et historiens, ivoiriens et venus d'ailleurs: allez au-delà. Voyez-vous, hier, notre jeune ministre Djédjé Mady, rap pelait le peu que nous avons fait quand nous étions jeunes. C'était en 1915, j'avais dix ans, j'étais à l'EPS. On nous demandait de chanter un hymne à la France. C'était un hymne composé par un inspecteur de l'Enseignement du Soudan français, aujourd'hui Mali, qui s'appelait d'Assomp tion. Plus petit que les autres, j'étais donc au premier rang, je croisais les bras, et je ne chantais pas. Notre institutrice, Madame Combes était étonnée. Elle s'approcha de moi : « Tu ne chantes pas?» Je dis: «Non!» «Pourquoi? On nous dit de chanter un hymne à la France, la France qui est venue briser nos liens contre les tyrans qui nous vendaient comme des bêtes de somme. Moi, on ne m'a pas vendu. Donc je ne peux pas dire ce queje ne sens pas du plus profond de moi-même ».

RDA - Vérité historique

93

Mais aujourd'hui, je vois que j'ai eu tort. C'est vrai, on parle beaucoup d'esclavage. Et on en montre les vestiges à Gorée pour pleurer sur le passé. Mais les historiens ivoiriens et les historiens africains doivent se dépasser pour rétablir la réalité. Sinon vous faussez le jugement de nos jeunes. Vous devez trouver les moments qui rapprochent et non des faux moments qui divisent. Ce moment de l'histoire, celui de l'esclavage, est vrai. Mais alors l'Afrique n'était pas occupée, c'étaient nos frères africains qui librement ven daient leurs frères. Et ce ne sont pas non plus les Africains qui ont mis fin à cette traite qui nous a dévalorisés. A un ami, Noir américain, qui me parlait de la révolte, estimant que nous devions passer à l'action, prendre les armes contre les Blancs d'Afrique du Sud, j'ai dit: «Tout cela est très beau. Mais avec quels moyens? Ce n'est pas une question de nombre, mais de technique. Les Arabes sont 1 00 millions, et les Israéliens deux millions et demi. Les Arabes sont très braves, ils constituent un peuple héroïque qui sait se sacrifier. Mais, techniquement inférieurs aux Israéliens, ils ont été battus. Les Noirs d'Afrique du Sud, leurs frères aînés les Zoulous, étaient beaucoup plus nombreux que la centaine de Blancs débarqués là-bas. Ils se sont battus contre eux; ils ont été vaincus parce qu'ils n'avaient que des bâtons, des sagaies, contre des armes à feu. » La situation n'a pas change. A l'heure où je vous parle, l'armée la plus forte d'Afrique, et l'une des plus fortes du monde, c'est l'armée sud-africaine. On ne vous dit pas la vérité. Qu'on n'envoie pas à l'abattoir nos frères! Il faut qu'on trouve d'autres moyens pour amener les Blancs d'Afri que du Sud à comprendre que leur devoir d'hommes, créés par Dieu comme les autres, les Noirs, c'est de parvenir à l'égalité des droits et des devoirs politiques. On peut y arri ver. Ce n'est pas facile. Ceux qui proposent d'autres solutions, violentes, ne feront que retarder la véritable libération de nos frères afri cains. Certains disent avec beaucoup légèreté : «Nous allons envoyer des escadrilles». Leurs escadrilles ne dépasseront pas la frontière de leurs pays; elles seront détruites. Les Blancs d'Afrique du Sud ont des fusées; ils ont tout et nous n'avons rien. Je ne dis pas cela pour vous décourager, au contraire, mais pour que vous preniez conscience du danger et cherchiez un moyen de le circonscrire.

RDA - Vérité historique

94

« IL FAUT SAVOIR SE BATTRE, MAIS POUR GAGNER, SURVIVRE ET VIVRE» Et les moyens existent; je ne peux pas développer tout cela aujourd'hui, mes chers frères, parce qu'on dira : «Celuilà ne veut pas qu'on se batte». Il faut savoir se battre, mais pas se battre pour perdre, se battre pour gagner, pour survi vre et vivre. Ce sont là quelques précisions que j'ai tenu à vous appor ter ce matin, pour faire comprendre à nos jeunes frères qu'ils ne doivent pas se laisser abuser. Un proverbe de chez nous dit qu'il y a des chutes heureuses, celles qui vous guérissent d'un lumbago : vous avez mal au dos, vous tombez et en vous relevant, vous vous retrouvez guéri! J'ai dit un jour à un de nos frères, un ami, Noiraméricain : « Vos ancêtres ont été vendus, non pas par des Européens, mais par leurs propres frères nos aïeux à nous. Et eux, n'ont pas lutté pour quitter l'Amérique, mais pour l'égalité, pour avoir les mêmes droits que les Américains blancs sur cette terre qui n'était même pas celle des Américains blancs au départ, qui était la terre des Peaux-Rouges, des Indiens. »

Quand ils ont lutté, ils ont eu d'abord recours à la vio lence; ils ont incendié des bâtiments, des magasins, des véhicules. Cela n'a rien donné. Pourtant, tous les Amériains n'étaient pas racistes, mais il était difficile devant cette situation, de les rassembler, de les unir. Et un homme est venu qui a compris, — il n'est plus, mais son idée a triomphé —, Martin Luther King. Il a demandé à ses frères de ne pas recourir à la violence. Ils gagneraient avec l'aide de Dieu. C'était un Pasteur. Aujourd'hui, aux Etats-Unis, c'est l'égalité raciale. Un Noir a même brigué dernièrement le mandat de Président de la Fédération des Etats-Unis. Et l'honneur que les Américains n'ont pas rendu à la mémoire de Washington qui les a conduits à l'Indépen dance, à celle de Lincoln leur plus grand Président, lui aussi assassiné comme feu John Kennedy, ils viennent de le rendre à Martin Luther King, un Noir. Le 15 Janvier de chaque année, sera célébré à la mémoire de Luther King.

RDA - Vérité historique

95

J'ai donc dit à ce frère américain: «Comme vous l'avez trouvée chez vous grâce à Luther King, aidez-moi à trouver une solution pacifique à ce drame qui déchire notre conscience à tous, qui nous révolte, à la situation qui est faite à nos frères noirs en Afrique du Sud. Elle nous révolte, mais qu'on nous aide à lui trouver une solution pacifique. On peut la trouver». Et, lui contant l'exemple du lumbago guéri par une simple chute, j'ai ajouté: «Cet exemple de chute heu reuse s'applique à vous, Noirs américains. Nos aïeux ont vendu vos aïeux. Et aujourd'hui vous êtes devenus citoyens à part égale du plus grand pays du monde. Est-ce que vous accepteriez de changer votre sort actuel contre le sort de ceux dont les aïeux ont vendu les vôtres? Non. Alors, laisseznous combattre avec nos armes à nous. Ne venez pas nous conseiller les armes que vous avez laissé tomber dans votre lutte. C'est la non-violence qui triomphera, c'est l'amour». Mes jeunes frères, et les anciens qui ne peuvent plus officiellement assumer les responsabilités, c'est cet amour que nous vous demandons de cultiver entre les hommes. Grâce à l'amour, Dieu nous aidera et l'amour vaincra. Je vous remercie.

TABLE DES MATIÈRES PREMIÈRE PARTIE Première intervention du Pdt Houphouet-Boigny

3

— la naissance laborieuse du RDA — le problème de l'apparentement — le Congrès de Bamako, 1 946 — la longue traversée du désert — la loi-cadre — de l'autonomie à l'indépendance — de la grève des achats a la marche des femmes sur Grand-Bassam — l'esprit pacifique du RDA ne mourra pas

4 5 8 11 12 15 21 25

DEUXIÈME PARTIE Le Pdt Houphouet-Boigny répond aux questions des participants — des apparentements — la paix, c'est notre deuxième religion — en aucun cas, je n'aurais accepté de me faire arrêter — c'est le sacrifice de tous les Ivoiriens qui m'a permis de conduire le Mouvement — il n'y a pas de Nation africaine — chefs traditionnels, intellectuels, fonctionnaires, planteurs, tous pourraient me suivre — Ouezzin a souffert de la séparation — les femmes ont toujours été à la pointe de notre combat — nous avons pris notre indépendance en dehors de la Communauté — même si on les frappait, les Bobos répondaient toujours: «Houphouet, Houphouet» — le Général de Gaulle m'a honoré de son amitié — notre lutte n'était pas une lutte de classe

TROISIÈME PARTIE

27 28 33 37 41 43 52 57 60 62