Discours, tome 19 : Philippiques I à IV
 2251010726, 9782251010724

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DISCOURS PHILIP.PXQUES I à IV

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CICÉRON DISCOURS

TOME XIX

COLLECTION DES UNIVERSITÉS DE FRANCE publiée sous le patronage de l'ASSOCIATlON GUILLAUMEBUDÉ

CICÉRON DISCOURS TOME XIX

PHILIPPIQUES I à IV TEXTE ÉTABLI ET TRADUIT PAR

André BOULANGER et Pierre WUILLEUMIER Professeurs à la Faculté des Lettres de Paris.

Quatrième tirage revu et corrigé

PARIS SOCIÉTÉ D’ÉDITION « LES BELLES LETTRES , 95, BOULEVARD RASPAIL, 95

1972

Conformément aux statuts de VAssociation Guillaume Budé, ce volume a été soumis à Vapprobation de la com­ mission technique, qui a chargé Af. P. Boyancé d*en faire la révision et dfen surveiller la correction en collaboration avec Μ. P. Wuilleumier.

’ La Loi du 11 Mars 1957 n'autorisant, aux termes des alinéas * 2 et 3 de l'article 41, d'une part, que les ‘copies ou reproductions * strictement réservées à l'usage privé du copiste et non destinées à ‘une utilisation collective' et, d'autre part, que les analyses et les * courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, ’ toute ' représentation ou reproduction intégrale, ou partielle, faite sans le * consentement de l’auteur ou de ses ayants-droit ou ayants-cause, ‘ est *illicite (alinéa 1er de l’Artide 40). ' Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé ' que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les * Articles 425 et suivants du Code Pénal

© Société d’Edition “LES BELLES LETTRES” Paris, 1959

INTRODUCTION

Les Philippiqu.es tiennent une place exceptionnelle dans la vie et l'œuvre de Cicéron : prononcées et rédi­ gées pendant la dernière période de son existence, elles couronnent toute son activité politique et littéraire.

I. — VALEUR HISTORIQUE

Elles révèlent d'abord son caractère sous un éclairage intense et véridique. Dans le drame où il joue, avec le sort de la République, son propre destin, la personnalité de l'homme apparaît, plus vibrante et plus attachante qu'ailleurs. Sa sensibilité poussée à l'extrême le fait passer soudain par des sentiments opposés, de l'affection à la haine, de l'admiration au blâme, de la satisfaction à l'amertume, de la joie au chagrin, de l'espoir à la crainte. Sa nature hésitante se manifeste encore par deux revirements, qu'il explique et dont il s’excuse1 ; mais sa versatilité coutumière se transforme en résolution farouche. Ne pouvant étouffer son orgueil, il reste fier de son neveu et de son fils, qui ne méritaient pas de tels éloges *, fier de son sacerdoce ·, fier surtout, quoiqu'il s'en Le caractère de Cicéron.

1. Phil,t I et XII. 2. III, 18 ; X, 13. 3. Il, 4 ; XIII, 12 ; XIV, 14.

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défende1, de son consulat et de tout son passé politique, de son rang et de son influence actuellea, fier enfin de ses talents et de ses travaux littéraires12345. Mais il reconnaît ses erreurs et ses défauts : il a peur d’Antoine * et craint les vétérans 6. Aussi esquive-t-il leur rencontre, en se donnant pour excuse de sauvegarder sa vie dans l’intérêt de la République ·. Cependant, s’il évite d’affronter l’ennemi face à face, il n’hésite pas à l’attaquer par la parole 789— ce qui distingue, selon lui, l’homme de la bête ·. Après avoir tenté un dernier essai de conci­ liation, il lui assène coups sur coups et demande pour lui le châtiment suprême. Il s’exprime en toute franchise et promet son dévouement complet à l’État ; il fait le sacrifice de sa vie, avec le pressentiment de sa mort ·. La situation politique lui inspire moins de colère que de douleur10* : il souffre des divisions et des jalousies 11 ; il déplore d’avoir à réclamer la guerre quand il a toujours prêché la paix1213 ; il s’émeut à la nouvelle des tourments et des morts Mais il reste obstinément attaché à son idéal de libirté et de dignité. Il élève, en effet, le débat au plan des principes politiques .« et moraux, et il projette sur ses discours — comme sur ses lettres — les thèmes phi­ losophiques, stoïciens surtout, de ses traités antérieurs „ . . Ses principe, politique. et moraux.

1. XII, 21 ; XIV, 13. 2. Passim. 3. II, 20 ; cf. De OfJ., I, 77. 4. Phil., V, 20 ; XII, 19 ; 26. 5. XII, 30. 6. I, 38 ; III, 33 ; IV, 1 ; XII, 21 ; 30. 7. Ad Fam., XII, 22, 1. 8. De OfJ., I, 34. 9. Phil., I, 10 ; 14 ; 38 ; II, 119 ; VI, 2 ; XII, 21 ; cf. Ad AU., XVI, 7, 7 ; Ad Fam., XII, 2 ; Ad Brut., I, 10, 5. 10. Phil., I, 14 ; 31 ; II, 6 ; VIII, 17 ; 19 ; 22 ; X, 5 ; XIV, 16. H. IX, 4; X, 1; 5; XII, 30 ; XIV, 17 ; cf. Ad Fam., XII, 5, 3. 12. Phil., II, 24 ; 113 ; VII, 8 ; 19 ; VIII, 11 ; XIII, 1 . χιν 20. 13. IX ; XI ; XII, 21 ; XIV. ' '

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— le De Republica et le De Legibus — ou contemporains — le Laelius, les Paradoxes et plus encore le De Officiis — en cherchant à mettre sa théorie en pratique. Il faut suivre la tradition des ancêtres 111 et maintenir les lois, expression de la volonté nationale 3. Il faudrait revenir à l'autorité du Sénat, qui jadis dirigeait l'uni­ vers 3, et à la dignité du peuple, vainqueur de toutes les nations4. Mais la décadence de l'aristocratie et les violences des factieux imposent une régénérescence des hommes et des institutionse. Les âmes d'élite, sûres de leur jugement et conscientes de leur valeur, doivent unir leur destin à celui de l’État · ; dans une noble émulation, qui exclut la basse jalousie et dépasse la lutte des partis7, elles prendront des initiatives, fondées sur leur vertu propre 8 et sur l’opinion publique de la Ville et des municipes ®, et elles recevront la direction de la cité. Un tel principat n'a rien de commun avec un commandement exceptionnel, proposé par des tribuns séditieux10, ou avec une dictature, imposée par un tyran sanguinaireu. C’est un rang difficile à tenir, au-dessus des passions humaines12. Il implique l'accord intime de la Sagesse et du Courage 13, la juste 1. V, 25 ; VIII, 14 ; 23 ; 30 ; IX, 3. 2. I, 16 sqq. ; II, 109 ; V, 7 sqq. 3. II, 15 ; III, 34 ; IV, 14 ; V, 1 ; 25 ; VU, 14 ; 19. 4. IV, 15 ; V, 25 ; VI, 19. 5. Cf. E. Lepore, Il princeps, p. 378 sqq. ; J. Béranger, Palaeologia, 1958, p. 8 sqq. ; A. Michel, Acles Congrès G. Budé Lyon, 1958. 6. II. 113; XI, 28 ; XIII, 30. 7. V, 32 ; VIII, 30 ; X, 1 ; XIII, 47 ; XIV, 17-18. 8. III, 3 sqq. ; IV, 2 sqq. ; V, 35 sqq. ; VIII, 22 ; 30-32 ; XI, 27 ; cf. Ad Fam., IX, 14, 2 et 8 ; X, 16, 2 ; XII, 1, 1 ; 4, 2 ; 5, 1 ; 6, 2 ; 7, 2 ; Ad Bruf., I, 5, 1 ; 12, 2 ; 14, 2 ; 15, 12 ; II, 1, 3. 9. Phil., I, 21 ; 30 ; 36-37 ; II, 16 ; 19 ; III, 13 ; 32 ; IV, 6-7 ; VII, 14 ; 20 sqq. ; X, 10 ; XIV, 19 ; cf. Ad Fam., XII, 5, 3 ; Ad Atl.t XIV, 20, 4. 10. Pldl.t XI, 17-18. 11. I, 35 ; II, 116-117 ; X, 7 ; cf. De Off., I, 26 ; II, 2. 12. Phil.t VIII, 29. 13. XIII, 6.

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connaissance et la stricte observance du droit naturel, inspiré par les dieux111 . Loin de se faire craindre et de risquer l’assassinat, on doit chercher la gloire et trouver le bonheur dans l’affection de ses concitoyens et la prospérité de sa patrie’. Il faut assurer avant tout la liberté, privée et publique, condition nécessaire de la paix civile8 ; la servitude est intolérable4, surtout au peuple romain, ardemment épris de liberté8 ; si la fatalité l’impose parfois, elle ne saurait être con­ sentie volontairement ·. Mieux vaut la mort que l’escla­ vage 1 ; un noble trépas apporte un glorieux renom de vertu, qui assure l’immortalité des héros et la conso­ lation de leurs parents · et qui constitue, avec la liberté, le privilège de la race romaine ·. Cet idéal éthique et politique exige une austérité rigide et une intransigeance absolue, sans clémence ni compromis à l’égard des adver­ saires, qui incarnent le mal10. La douceur de l’amitié doit être sacrifiée à la valeur de la liberté xl. Pour le vrai sage, les douleurs morales sont plus fortes que les souf­ frances physiquesla. Le même rigorisme s’impose dans la religion : magistrats et augures doivent prendre et interpréter les auspices en toute conscience18 ; les morts ne sauraient recevoir sans sacrilège les honneurs réservés aux dieux14. Enfin les dieux et la Fortune, 1. XI, 28 ; XIII, 14 ; cf. De Leg., 1, 18 ; 33 ; II, 8-10. 2. Phil.t I, 29; 33; 35; II, 64; 112; 114-116; V, 49-50 ; cf. De Rep.t V, 8 ; Tuse., III, 3 ; V, 57-62 ; Laél.t 52 ; De Ofl.9 I, 65 ; 86 ; II, 23-24 ; 29 ; 31 sqq. ; De Gloria. 3. Phil.9 I, 32 ; II, 20 ; 113 ; XIII, 2 ; 6 ; cf. De Rep.t I, 47. 4. Phil.9 III, 34 ; VIII, 12. 5. I, 29 ; III, 29 ; 36 ; VI, 19 ; X, 20 ; XII, 15. 6. I, 15 ; III, 29 ; VI, 19 ; VII, 14 ; X, 19. 7. II, 113 ; III, 36 ; VII, 14 ; VIII, 29 ; X, 20 ; XI, 24 ; cf. De OfJ.t I, 81. 8. Phil.t XIII, 7 ; XIV, 31 sqq. S. III, 35 ; IV, 13. 10. Passim. 11. II, 3 ; 27 ; X, 5 ; cf. Lael., 36-40. 12. Phil., I, 34 ; XI, 8-9 ; XIII, 34. 13. II, 81 sqq. ; V, 9. 14. I, 13; II, 110.

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moins aveugle qu’il ne semble, veillent sur l’huma­ nité \ . , L’application passionnée et rigoureuse 8on attitu e. ces sentjments et de ces principes à des politiciens timorés ou habiles devait aboutir à des illusions et des déceptions 12. Quand il apprit le meurtre de César, que M. Brutus avait commis en invoquant son nom, Cicéron eut un moment la joie de se croire le symbole de la Liberté et le chef de la République 3. Mais il dut vite déchanter : les conjurés hésitaient, tandis que les vétérans mena­ çaient et qu’Antoine, seul consul, agissait, appuyé par Lépide, maître de la cavalerie. Après avoir refusé le rôle de médiateur, Cicéron favorisa l’accord du 17 mars 44, qui semblait donner satisfaction à tous en assurant à Antoine la ratification des actes de César, à Dolabella le consulat, l’amnistie aux meurtriers, des garanties aux vétérans, et il se félicita de cette réconciliation générale. Mais, après des mesures satisfaisantes, les abus et les trafics d’Antoine renouvelèrent ses craintes de tyrannie ou de guerre civile. Dès le 7 avril, il partit se réfugier dans ses propriétés, à l’affût des nouvelles 45 . L'attitude indépendante de Dolabella lui inspira un moment le fol espoir d’avoir trouvé en lui « le sauveur de la Répu­ blique » *. Après maintes hésitations et consultations, il entreprit le 21 juillet d’aller finir l’année en Grèce jusqu’au consulat de ses amis Hirtius et Pansa, pour y poursuivre en paix les chimères de son idéal républi­ cain ; mais, comme le destin semblait s'y opposer par

1. III, 34 ; 36 ; IV, 7 ; 10 ; XI, 5 ; XIII, 10 ; 12 ; XIV, 5. 2. Sur le détail des événements, cf. notamment M. Gelzer, Λ.-Ζ?., s. v. M. Tullius Cicero, col. 1030-1074 ; H. Frisch, Cicero’s flghtt p. 42-286 ; R. Syme, The Roman Révolution, p. 101 sqq. (qui se montre trop sévère à l’égard de Cicéron). Nous y revien­ drons à propos de chaque discours. 3. Ad Fam.f X, 28, 1. 4. Cf. Jér. Carcopino, Les secrets, I, p. 417 sqq. 5. Ad Fam.t IX, 14.

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des vents contraires, il y renonça. Alors, sur le conseil de M. Brutus, qui lui vanta l’attitude courageuse de L. Calpurnius Piso, et dans la pensée que la situation s’améliorait, il décida de rentrer à Rome le 31 août. Cependant, il s’abstint prudemment d’assister le 1er sep­ tembre à la séance du Sénat, qui devait accorder des honneurs divins à César. Devant la réaction menaçante d’Antoine, il s’y rendit dès le lendemain, en son absence, pour s’expliquer par la lr£ Philippique : sans se départir d’un ton amical, il portait un jugement sévère et donnait des leçons de conduite politique et morale aux deux consuls. Piqué au jeu, Antoine lui répondit au Sénat le 19 septembre, en son absence, par un discours venimeux, et il renouvela ses attaques le 2 octobre en inter­ venant avec violence dans une assemblée du peuple, réunie par le tribun Ti. Cannutius x. Exaspéré, Cicéron donna libre cours à ses sentiments, lui que heurtait toute la personnalité d’Antoine, sa tyrannie et sa forfaiture, son manque de loyauté et de civilité, ses instincts et ses vices, ses allures de soudard et sa vigueur herculéenne. H rumina sa riposte pendant plusieurs semaines. Après avoir sondé en vain C. Cassius et D. Brutus, L. Munatius Plancus et Q. Cornificius 2, il sc retira en Campanie3, pour rédiger le De Officiis et pour lancer les invectives fulgurantes de la 2e Philippique. qui marquent le rai­ dissement de son attitude et annoncent une lutte à mort. Alors, le jeune Octave, qui se dressait de plus en plus en rival d’Antoine, jugea utile d’obtenir son concours et multiplia les avances. Fier de ces démarches flatteuses, désireux d’appliquer ses principes politiques et ne trou­ vant pas d’autre soutien efficace après la volte-face de Dolabella, Cicéron finit par accepter. Cependant, après de nouvelles hésitations, il attendit le départ d’Antoine pour rentrer à Rome le 9 décembre 4. 1. 2. 3. 4.

Ad Fam., XII, 3, 2 ; 23, 3. Ibid., X, 1-2 ; XI, 6, 1 ; XII, 2-3 ; 22-23. Ad Ati., XV, 13. Ad Fam., XI, 5, 1.

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Aussitôt, il organise la résistance : il préside des réu­ nions chez lui ; il va voir le consul désigné G. Vibius Pansa : il incite L. Munatius Plancus à se rallier ; il décide D. Brutus à défendre la Gaule Cisalpine, où Antoine cherche à imposer son commandement1 : il obtient des nouveaux tribuns la convocation du Sénat le 20 décembre. Prenant le premier la parole, en l'absence des consuls désignés, il emporte l'adhésion de ses col­ lègues, malgré les protestations de L. Varius Cotyla, par Fhabileté de sa 3® Philippique : soutenant qu'Antoine est déchu du consulat, il fait voter une motion qui pro­ longe les pouvoirs de D. Brutus et des autres gouver­ neurs, qui ratifie les levées d'Octave et la rébellion des légions et qui invite Hirtius et Pansa à proposer dès leur entrée en charge les honneurs et récompenses légitimes. Pour vaincre les dernières résistances du Sénat, il s'appuie sur le peuple, auquel il adresse, le soir même, sa 4' Philippique : reprenant et développant les mêmes thèmes, il prétend qu’Antoine a été, sinon déclaré, du moins jugé ennemi public, et il interprète en ce sens les acclamations de la foule. Il croyait pouvoir se féliciter « d’avoir jeté les fondements de la République » a. Mais l’opposition redresse la tête devant la menace de guerre civile. Si les nouveaux consuls convoquent scrupuleusement le Sénat dès le 1er janvier 43, ils donnent d'abord la parole au consulaire Q. Fufius Calenus, beaupère de Pansa, qui propose l'envoi d’une députation auprès d'Antoine. Cicéron combat vivement cet avis par la 5e Philippique, où il soutient qu'une telle ambassade serait contraire aux décisions antérieures, injustifiée par les crimes d'Antoine et dangereuse pour le moral des combattants, et où il demande qu'on vote les pleins pouvoirs aux consuls en décrétant l'état d'alerte et qu'on récompense les chefs de la rébellion, D. Brutus, Lépide, Octave et L. Egnatulcius, ainsi que leurs soldats. Entre ces deux thèses opposées, le Sénat hésite à se prononcer.12 1. Ad Fam., XI, 5 ; 7. 2. Phil., V, 30 ; VI, 2 ; et. Ad Fam., X, 28, 2 ; XII, 25, 2.

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Après quatre jours de discussion, d’ajournement, de retournements et de pressions extérieures, il aboutit à un compromis : il adopte les propositions honorifiques, en y ajoutant des distinctions particulières pour Octave, mais il accepte l’envoi de trois délégués, en leur pres­ crivant d’obtenir en vingt jours l’évacuation de la Cisal­ pine, sous la menace de la guerre. Mécontent de ce retard, Cicéron se tourne de nouveau vers le peuple, qu’il fait convoquer le soir même par le tribun P. Apuleius : dans sa 6« Philippique, il déplore le revirement du Sénat, prédit l’échec des négociations et affirme son accord avec l’opinion unanime. Pendant les semaines qui suivent, sa vigilance ne se relâche pas. Se proclamant < chef du Sénat et du peuple romain » x, il secoue l’apathie de la capitale et stimule l’énergie des provinces3 ; il encourage A. Hirtius à partir contre Antoine et approuve les levées de troupes. Inquiet des bruits selon lesquels Antoine ferait des contrepropositions et de la propagande adverse qui le présente comme un fauteur de guerre à tout crin, il profite d’une séance où le Sénat traite des questions mineures pour ramener l’attention sur le problème essentiel : la 7e Phi­ lippique oppose au courage des consuls et à l’enthou­ siasme du peuple la trahison des consulaires, et elle montre la honte, le danger et l’impossibilité de conclure la paix avec Antoine. Ses inquiétudes étaient fondées. Rentrés à Rome le 1er février, L. Calpurnius Piso et L. Marcius Philippus annoncent la mort de leur collègue Ser. Sulpicius Rufus et apportent un message d’Antoine, qui envoie en outre, pour l’appuyer, son fidèle ami, L. Varius Cotyla. Ces faits provoquent au Sénat de nouveaux débats passion­ nés, auxquels Cicéron prend une part active. Le 2 février, il demande le renvoi de Cotyla et la déclaration de guerre à Antoine. Q. Fufius Calenus s’y oppose et suggère une1 2 1. Ad Fam., XII, 24, 2. 2. Ibid., X, 5 ; 28 ; XI, 8 ; 24 ; XII, 4 ; 24.

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nouvelle députation, qu’approuvent plusieurs consulaires. Soutenu par le consul Pansa, l’oncle d’Antoine, L. Iulius Caesar, fait adopter une motion transactionnelle, qui repousse l’ambassade, mais décrète seulement l’état d’alerte en accordant les pleins pouvoirs aux consuls et à Octave. Déçu par ce vote, qui ratifiait pourtant sa propre motion du lor janvier, et encouragé par un rapport favorable d’Hirtius, Cicéron prononce le lendemain, 3 février, la 8° Philippique, où il exhale sa rancœur en prenant à parti tous ses adversaires et par laquelle il fait voter un sénatus-consulte invitant les partisans d’Antoine à se rallier avant le 15 mars et interdisant toute relation avec lui. Le lendemain sans doute, après avoir revêtu volontairement la tenue militaire, dont les consulaires étaient dispensés *, il reprend la parole pour prononcer dans la 9e Philippique l’éloge funèbre de Ser. Sulpicius Rufus : rejetant les objections de P. Servilius Isauricus, qui tendaient à disculper Antoine, il donne au juriste défunt l’auréole d’un martyr et lui fait attribuer les honneurs d’un héros tué en mission. Dans une séance ultérieure, le Sénat annule tous les actes d’Antoine *, ainsi qu’une loi dirigée contre les pompéiens *. Vers le milieu de février, Pansa convoque les sénateurs à l’improviste pour leur communiquer un rapport de M. Brutus, et leur propose de ratifier Y imperium qu’il s’est assuré, de sa propre initiative, dans la région com­ prise entre l’Adriatique et la mer Égée. De nouveau, Q. Fufius Calenus manifeste son opposition, en soute­ nant les droits de C. Antonius. Cicéron lui réplique énergiquement par la 109 Philippique et fait prendre un sénatus-consulte qui félicite M. Brutus de son action et lui accorde des pouvoirs très étendus sur la Macédoine, 1’Illyrie et la Grèce. Cette décision anti-césarienne montre 1. PhiL, VIII, 32. Nonlus, p. 538, 26. 2. Phil.t XII, 12; XIII, 5; 26. 3. XIII, 32.

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les progrès de son influence. Π écrit aussitôt à Cassius de suivre l'exemple de Brutus \ Or, on apprend bientôt le meurtre de C. Trebonius, gouverneur d'Asie, par Dolabella. Sur l’initiative de Calenus lui-même, le Sénat décide à l'unanimité de déclarer Dolabella ennemi public et de confisquer ses biens. Mais il se divise dès le lendemain sur la direction de la campagne à mener contre lui : l’un propose de la réserver aux consuls après la libération de D. Brutus et d’envoyer des légats en attendant ; L. Caesar suggère de confier un commandement extraordinaire à P. Ser­ vilius Vatia. Cicéron lance la 11e Philippique : après avoir flétri son ancien gendre mais habilement assimilé Antoine à Dolabella, il critique les deux solutions précédentes et soutient qu’il faut désigner C. Cassius en lui donnant Γimperium maius dans tout l'Orient, sans craindre la réaction des vétérans. Ainsi les deux héros républicains domineraient l’ensemble du monde grec. C’en est trop pour les compagnons de César comme pour les partisans d’Antoine : Pansa s’y oppose et fait adopter la première motion. Fidèle à sa tactique, Cicéron se retourne le même jour vers une assemblée du peuple, convoquée aussitôt par le tribun M. Servilius, et fait acclamer son projet. Mais Pansa le contredit de nouveau, en se référant à la famille même de Cassius, qui semble avoir voulu éviter un conflit avec Octave. Vexé mais têtu, Cicéron écrit à Cassius d’agir de lui-même a. Ce double échec marque une éclipse de sa popularité ; il n’ose même plus s'aventurer seul en banlieue un jour de fête et il reste dans sa maison sous la garde de ses amis123. Les excès de son intransigeance, divers rallie­ ments à Antoine, les difficultés militaires, les charges financières provoquent une nouvelle offensive de paix : au début de mars, L. Calpurnius Piso et Q. Fufius Calenus, appuyés par Pansa, imposent au Sénat une seconde 1. Ad Fam., XII, 5. 2. Ibid., XII, 7, 2. 3. Phil., XII, 24.

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députation, composée parles chefs des diverses tendances, L. Caesar, P. Servilius, Piso, Calenus et Cicéron lui-même. Mais, peut-être sous la pression du peuple, un revirement se produit bientôt : Pansa reprend la question dans une séance ultérieure, où il cherche à écarter un soupçon d' « antoinophilie » ; Servilius se récuse, à l'instigation de son entourage. Cicéron prononce la 12e Philîppique, où il avoue qu'il s'est laissé abuser et qu'il ne peut partir en députation auprès d'Antoine. Ces désistements retournent la situation, qui va se précipiter. Le 20 mars, Pansa quitte Rome pour rejoindre Hirtius, en confiant au préteur urbain M. Caecilius Cornutus le soin de remplacer les consuls, mais en laissant à Cicéron, sinon en titre, du moins en fait, le rôle auquel il aspirait depuis longtemps : c’est lui qui va diriger les affaires avec une auctoritas que les anciens ont presque assimilée à a la dictature dans une cité libre » x. Il croit pouvoir enfin concilier ses intérêts et ceux de la Répu­ blique en faisant déclarer la guerre à Antoine. Il doit d'abord repousser les dernières tentatives de négociations. D'une part, Lépide et Plancus avaient adressé des mes­ sages pour exhorter les sénateurs à la paix ; d'autre part, Antoine avait écrit une lettre à Hirtius et à Octave pour les rallier au parti césarien et les dresser contre le péril d'une revanche pompéienne. Dès le 20 mars, Cicéron prononce la 13e Philîppique pour briser cette double offensive, et, s'il approuve une proposition de P. Servilius, qui devait rejeter ces offres, il y ajoute des remerciements et des félicitations à l’adresse de Sex. Pompée. Puis il confirme le vote du Sénat par des lettres impératives à Lépide et à Plancus a. Ce dernier ayant fait aussitôt amende honorable 123, Cornutus réunit le Sénat le 7 avril pour l'annoncer. Ajournée sur de mauvais présages, la 1. Brutus, Ad Bru/., I, 4 a, 2 ; et. Phil., XIV, 18 ; Ad Brut., II, 1, 2. Plutarque, Cic., 45, 4 ; Ant., 17, 1 ; Appien, III, 269 ; IV, 73. 2. Ad Fam., X, 6 ; 27. 3. Ibid.t X, 7-8. 2

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séance reprend les 8 et 9 ; Cicéron rédige un sénatusconsulte élogieux pour Plancus ; P. Servilius s’y oppose et, battu aux voix, provoque l’intercession du tribun P. Titius ; il s’attire alors une violente réplique de Cicéron, qui emporte la décision1. Dans les séances des 13-14 avril, Cicéron doit encore se dresser contre la mansuétude de M. Brutus à l’égard de C. Antonius *, mais nous ignorons les termes de son intervention. Cependant, la première bataille de Modène mettait aux prises les anciens compagnons et vétérans de César. Les premières nouvelles, favorables à Antoine, provoquent à Rome la panique des républicains et une tentative de leurs adversaires pour compromettre et exécuter Cicéron en l’accusant de prendre la dictature. La manœuvre est déjouée par le tribun P. Apuleius, qui réunit le 20 avril une assemblée du peuple pour le sou­ tenir. Peu après arrive l’annonce officielle de la victoire ; Cicérorf est porté en triomphe. Mais le lendemain, au Sénat, il se heurte encore à la résistance des autres consulaires et notamment de P. Servilius, qui propose un nombre réduit de supplications et le retour au costume civil. Cicéron lui réplique vigoureusement par la 149 Philippique, où il demande de continuer la guerre jusqu’à la libération de D. Brutus, de fixer cinquante jours de supplications, en déclarant Antoine ennemi public, d’at­ tribuer aux deux consuls et à Octave le titre à’imperator, d’élever aux morts un monument national et de verser aux soldats et à leurs familles les récompenses promises. Le Sénat le suit, sauf sur la condamnation d’Antoine. Celle-ci est enfin décidée à l’annonce de la deuxième victoire, dans la séance du 26 avril . * Le lendemain, le Sénat confère à D. Brutus le commandement de la guerre contre Antoine1 234 et à C. Cassius, sur la pro­ position de P. Servilius lui-même, la direction de la 1. 2. 3. 4.

Ibid., X, 12 ; Ad Brut., II, 2. QuintiUen, VI, 3, 48. Ad Brut., II, 4-5. Ibid., I, 3, 4 ; 5, 1 ; Ad Fam., X, 21, 4. Tite-Live, Per., CXX ; Appien, III, 302.

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campagne contre Dolabella tandis que Sex. Pompée était placé à la tête des forces navales1. Les efforts de Cicéron semblaient couronnés de succès. Mais il n'était pas capable de mener à la victoire une coalition disparate : sa propre intransigeance, la jalousie des consulaires, la mort des deux consuls, la poussée pompéienne, la réserve de Cassius, les scrupules de M. Brutus, les hésitations de Lépide et de Plancus, l'am­ bition d'Octave, l'habileté d'Antoine, les prétentions des vétérans devaient rompre une union fondée sur l'intérêt et l'équivoque, provoquer le deuxième triumvirat, détruire la République, préparer l'Empire et causer le meurtre de Cicéron le 7 décembre 43. Selon l'expression de Velleius Paterculus, l’orateur < paya de sa vie sa lutte pour la liberté » * Si ces données sont en accord avec la es jugemen s. tradition générale, certains jugements présentent des divergences plus ou moins sensibles soit avec la correspondance de Cicéron lui-même, soit avec les récits de Velleius Paterculus, de Plutarque, d'Appien ou de Dion Cassius1 2345. Ces derniers témoignages sont eux-mêmes sujets à critique. Selon M. Carcopino B, la Correspondance aurait été rassemblée et publiée pour servir la propagande 1. Ad Brut., I, 5,1. Dion Cassius, XLVI, 40, 3 ; XLVII, 28, 5. 2. Velleius Paterculus, II, 73, 2 ; Dion Cassius, XLVI, 40, 3. 3. Velleius Paterculus, II, 64, 3. 4. Velleius Paterculus, II, 58-62 ; 69 ; Plutarque, Cic., 4245; Ant., 14-17; Applen, III, 1-320; Dion Cassius, XLIV, 23-XLVI, 35 ; XLVII, 20-31. 5. Jér. Carcopino, Les secrets. Cette thèse révolutionnaire a soulevé des critiques et des réserves, notamment de MM. A. Piganlol, Reo. Hisl., 201,1949, p. 224-234, et P. Boyancé, Reo. El. Ane., 1949, p. 129-138. Cf. aussi infra, p. 24, n. 6 ; p. 81, n. 3 ; Cicéron lui-même a pris soin dans les Philippiques (1,7) de mettre en garde contre l'utilisation de ses lettres : < Que de plaisanteries, qui sont de mise dans la correspondance, paraîtraient déplacées si on les rendait publiques ! que de choses sérieuses, qui cependant ne sont faites en aucune façon pour être divulguées I >

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d’Octave ; VeUeius Paterculus, qui résume à grands traits, ne cache pas ses sentiments césariens et octaviens ; Plutarque soutient Cicéron et juge en moraliste ; Appien se montre favorable à Antoine, sous l’influence d’Asinius Pollion ; Dion Cassius, qui a utilisé et interprété les Philippiqu.es, fait une large place aux prodiges et à la rhétorique. Sur certains points, les Philippiques offrent la version la plus plausible. Appien commet des erreurs manifestes : dans les discours qu’il attribue à Cicéron et à Piso au début de janvier 43, tout en donnant des indications précieuses, puisées à bonne source, il soutient que Cicéron était présent à Rome quand fut votée la loi qui conférait à Antoine là province de Gaule Cisalpine, alors qu’il se trouvait en Campanie1, et qu’Antoine aurait mené directement son armée de Brindes en Gaule Cisalpine, alors qu’il passa lui-même par Rome 1 ; il accuse Cicéron, contre toute vraisemblance, d’avoir altéré les instructions remises aux délégués1 ; il dénature la réponse d’An­ toine 123456; il prétend que Cicéron s’enfuit de Rome le 20 avril sous la menace de P. Ventidius B, alors que la 14e Philippique évoque seulement des perspectives de départ aux premières nouvelles des combats sous Modène. De son côté, Dion Cassius attribue à Cassius la préture urbaine de Brutus e et interprète mal certaine propo­ sition d’Antoine 7. Mais, sur d’autres points, les Philippiques apparaissent erronées ou tendancieuses. D’une part, les remaniements introduits lors de la rédaction ont altéré certains faits : il en est ainsi notamment dans la 5e, où l’auteur a 1. Appien, III, 225. Cf. supra, p. 11. 2. Appien, III, 217. Cf. Phil., II, 108. 3. Appien, III, 251. Cf. Phil., V-VI. Ce peut être une réplique aux accusations de Cicéron contre Antoine : V, 12 ; XII, 12 4. Appien, III, 257. Cf. Phil., VIII. 5. Appien, III, 270. Cf. Phil., XIV, 10. 6. Dion Cassius, XLVII, 20. 7. Id., XLVI, 30. Cf. Phil., VIII, 27.

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condensé et modifié le déroulement de plusieurs séances sénatoriales au début de janvier 43 1. D’autre part, Cicéron simplifie la situation quand il la réduit à une lutte morale de tous les gens de bien contre une bande de vauriens *. Quoi qu’il en dise, le conflit était aussi politique que dans les précédentes guerres civiles 8, et les Romains aussi désunis. Loin de se montrer unanime à prendre les armes, l’opinion publique redoutait la guerre civile1 23456 — comme Cicéron lui-même dans les premiers mois. Le Sénat était trop divisé pour faire preuve de fermeté : l’aristocratie jalousait Vhomo nouas, désireux d’être princeps, et se méfiait d’Octave ; les césariens méprisaient les pompéiens et se partageaient entre Octave et Antoine. L’ordre équestre et la banque étaient attachés à L. Antonius ®. Les vétérans, dont Cicéron sous-estime l’importance ·, exigeaient les récom­ penses promises et restaient fidèles aux lieutenants de César. L’orateur tend aussi à embellir son action personnelle. S’il nie catégoriquement avoir inspiré le meurtre de César, l’analyse de la Correspondance et des autres témoignages amène M. Carcopino à le convaincre de « complicité morale > 7. S’il se vante d’avoir prêché l’amnistie dans la séance du 17 mars 44, il prend Atticus à témoin dans une lettre du 27 avril que la pression des vétérans l’em­ pêchait de parler librement, et, selon les indications d’Appien, l’initiative de l’accord semble revenir à Antoine, qui menait les débats ·. S’il accuse ensuite Antoine d’avoir brusquement changé d’attitude au début de juin, c’est en partie pour justifier à la fois son inter­ 1. Cf. Jules Humbert, Les plaidoyers écrits, p. 266, η. 1 ; infra, p. 29, n. 6 ; t. XX, Notice 5® Phil, 2. Passim. 3. V, 32 ; VIH, 7-9 ; XIII, 39 ; 47. 4. Ad Alt., XVI, 2, 3. Dion Cassius, XLVI, 32, 1. 5. Cf. Phil., VI, 13-15. 6. I, 6; X, 15-19; XI, 37-39 ; XII, 29-30. 7. II, 25-30. Jér. Carcopino, Les secrets, II, p. 37 sqq. 8. Phil.r I, 1 ; Ad Ati., XIV, 14, 2. Appien, II, 555-563.

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vention antérieure et ses démarches consécutives» en dissimulant qu'il avait quitté Rome le 7 avril x. Puis il se garde de préciser qu'il a demandé à Dolabella une mission en Syrie avant d’entreprendre son voyage en Grèce. S'il finit par rentrer à Rome le 31 août, c'est surtout pour défendre ses intérêts matériels et moraux, après avoir appris non seulement l'adoucissement d'An­ toine, mais surtout l'intervention d'Octave®. En atta­ quant les distributions et les distributeurs de terres, il cherche à protéger sa propriété de Tusculum, pour laquelle il semble avoir sollicité l'intervention d'Atticus 4, et l’abrogation de la loi agraire, qu’il réclame et dont il se félicite à plusieurs reprises, a peut-être été ob­ tenue, sur la proposition de L. Caesar, en échange de l'ambassade auprès d’Antoine ·. S'il pousse à la guerre après l'avoir redoutée, c’est en partie pour venger une blessure d'amour-propre ·. La haine le rend excessif. Π exagère complaisamment les vices d’Antoine — comme dans ses lettres 1II,— et l'accuse à tort de lâcheté®. Π interprète tendancieuse­ ment sa carrière politique de 55 à 45 ·. Π modifie de même certains faits postérieurs aux ides de mars 44. Tout en raidissant son attitude au début de juin, Antoine a poursuivi sa politique de compromis avec le Sénat, en cherchant à s'appuyer sur lui contre Octave. Avant de manquer à la bienséance en utilisant publiquement une lettre privée de Cicéron, il l’avait consulté poliment 1. Phi!., I, 6. 2. Ad Ait., XV, 11, 4. Plutarque, Clc., 43. 3. Phil., I, 7-10 ; Ad AIL, XVI, 7. Dion Cassius, XLV, 15. Cf. Jér. Carcopino, Les secrets, II, p. 147 sqq. 4. Passim ; Ad Ait., XVI, 3, 1. 5. Phil., V, 6 ; VI, 14 ; VIII, 9 ; XI, 13. Cf. H. Frlsch, Ciccro’s flght, p. 184. 6. Phil., II, 1-2. 7. Passim ; ad Pam., XI, 2. Cf. Jér. Carcopino, Les secrets, II, p. 54 sqq. 8. Phil., II, 74-75 ; 78. Cf. Plutarque, Ant., 3 ; 8. 9. Phil., II, 50 sqq. Cf. infra, p. 82-84.

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sur le rappel de son ennemi Sex. Clodiusx, comme sur la colonisation de Capoue . * En exécutant des centu­ rions et des soldats à Blindes, il appliquait son droit légal de · décimer « des mutins, que des émissaires d'Oc­ tave poussaient à la désertion . * La résistance d'un préteur, la concurrence d'un priuatus et la révolte de deux légions ne pouvaient lui enlever son titre légal de consul4 ; en marchant contre eux, il n'avait pas à remplir les mêmes formalités qu’en partant pour la guerre ·. S'il avait commis au préalable tant d'exac­ tions à Rome, sénateurs et chevaliers ne seraient pas allés lui rendre hommage à Tibur, comme le rapporte Appien ·. Pendant la campagne de Modène, il a mul­ tiplié les efforts de conciliation, et ses propositions méri­ taient un examen plus sérieux que le persiflage de la 8' et de la 13' Philippique 7. Cicéron pousse le parti-pris contre Antoine jusqu'à glorifier par antithèse César ·, Tarquin · et Annibal10 et jusqu’à lui reprocher ironique­ ment de ne pas célébrer le culte du dictateur111 Il traite de même son entourage. Π traîne dans le ridicule et dans la boue son frère L. Antonius, auquel les trente-cinq tribus, les chevaliers, les tribuns mili­ taires et les banquiers ont élevé quatre statues hono­ rifiques et qu'Atticus a remercié d'avoir ménagé Cicé­ ron111 *. Π accable aussi Dolabella, peu après l'avoir sollicité et félicité, en exagérant, semble-t-il, les tor­ 1. Phil., II, 7-10 ; Ad AM., XIV, 13. 2. Phil., II, 102. 3. III, 4; 10; 30; V, 22; XII, 12; XIII, 18. Cf. TiteLlve, Per., 117 ; Appien, III, 175 sqq. ; Dion Cassius, XLV, 13. 4. Phil., III, 14 ; IV, 5 ; 9. 5. III, 11 ; 24 ; V, 24. 6. XIII, 19. Cf. Appien, III, 188 ; 192. 7. Phil., VIII, 25-28 ; XIII, 22-48. 8. II. 109; 116: V, 7. 9. III, 9-11. 10. V, 25 ; XIV, 9. 11. II, 110 ; XIII, 41. 12. Passim. Cf. supra, p. 21, n. 5 ; p. 22, n. 4.

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tures qu’il aurait fait subir lui-même à Trebonius x. Inversement, il encense tous les adversaires d’Antoine, non seulement les républicains et les pompéiens, qui le décevaient d’après ses lettres *, mais les césariens qu’il croit susceptibles d’abattre son ennemi mortel. Il com­ mence par exalter Dolabella, malgré les réserves d’Atti­ cus *. Il comble d’éloges P. Vatinius, que Velleius Paterculus couvre de blâme * et que lui-même avait successivement attaqué et défendu. Enfin et surtout, il porte aux nues Octave : après avoir passé son nom sous silence dans les deux premières Philippiques, à l’époque de ses négociations avec Antoine, il le présente brusque­ ment et jusqu’à la fin comme le sauveur de la Répu­ blique ; or, dans sa Correspondance, il émettait des juge­ ments plus nuancés et plus méfiants 5, il recevait les avertissements d’Atticus e et les reproches de M. Bru­ tus ’. Cependant, il ne pouvait étaler en public ces hésitations, qui, sans révéler la duplicité dont certains l’ont accusé 8, le montrent moins irréfléchi que beau­ coup ne l’ont dit. Anciens et modernes ont eu beau jeu de lui reprocher après coup son aveuglement9 : en décembre 44, il pouvait apprécier en Octave le chevalier d’origine provinciale, assez jeune et inexpérimenté .pour se laisser diriger, dont les initiatives répondaient aux principes du De Legibus et du De Officiis, qui, 1. Phil., XI, 1-10 ; XIV, 8. Cf. Appien, III, 97-101. 2. Cf. Jér. Carcopino, Les secrets, II, p. 108-109. 3. Phil., I, 27 ; 29 ; II, 75 ; 99; 107 ; et. Ad Fam., IX, 14 ; Ad Ati., XIV, 15-20 ; XVI, 11, 2. 4. Phil., X, 13. Cf. Velleius Paterculus, II, 69, 3. 5. Cf. Jér. Carcopino, Les secrets, II, p. 177 sqq. 6. Ad Alt., XVI, 15, 3. Cette allusion aux réserves d’Atticus semble peu compatible avec le rôle que M. Jér. Carcopino lui attribue dans la publication de la Correspondance. 7. Ad Brut., I, 4 ; 10 ; 16 ; 17. 8. Velleius Paterculus, II, 62, 3. — Jér. Carcopino, Les secrets, II, p. 174 sqq. 9. Saint Augustin, De Civ. Dei, III, 30. — Jér. Carcopino, Les secrets, II, p. 138 sqq. ; R. Syme, The Roman Révolution, p. 149 sqq.

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par ses actes et ses paroles, semblait donner des garanties au régime sénatorial, auquel faisait confiance un tri­ bun de la plèbe aussi républicain que Ti. Gannutius1, pour lequel d’autres sénateurs multipliaient les hon­ neurs a, le seul enfin et surtout qui pût vaincre Antoine. C’est au printemps de 43 que Cicéron s’est laissé manœuvrer par Octave — après la fin des ΡΛίlippiqu.es.

II. — VALEUR LITTÉRAIRE Si ces déformations nuisent à l’intérêt historique, elles contribuent à la valeur littéraire. Cicéron connaît et pratique toutes les Adaptation ressources de l’avocat. Fin psychologue, à l'auditoire. il sait adapter le sujet à l’auditoire. Comme l’a montré D. Mack, les discours prononcés le même jour au Sénat et à l’assemblée présentent des variations caractéristiques123. Dans la curie, Cicéron doit faire face à des politiciens avertis et critiques45 : il évite la vantardise ; il invoque la liberté de l’État, les intérêts de l’aristocratie ; il s’attache à la précision des faits, à la rigueur de l’argumentation, aux problèmes juridiques ; il multiplie les attaques personnelles, en maniant l’ironie et l’invective. Devant le peuple6, il ne craint aucune opposition : il parle en chef ; il embellit la situation ; il insinue et suggestionne ; il fait appel au courage et à l’imagination ; il souligne les manifes1. Cf. Ad Alt., XVI, 15, 3. Vellelus Paterculus, II, 64, 3 ; Appicn, III, 167-169. 2. Cf. Auguste, Res Gest., 1 ; Tite-Live, Per., 118; Vellelus Paterculus, II, 61 ; Appien, III, 209 ; Dion Cassius, XLVI, 29. — Infra, t. XX, Notice Phil. 3. D. Mack, Senatsreden und Volksreden bei Cicero. Nous y reviendrons à propos de chaque discours. 4. In Pis., 68 ; De Oral., II, 333 ; Brut., 111. Cf. Quintilien, XI, 1, 45. 5. Phil., IV; VI

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tâtions divines ; il remplace les preuves par les témoi­ gnages ; il pose des questions et lance des exclamations passionnées ; il amuse par des traits comiques.

Orateur accompli, Cicéron sait adapter .le ton aux circonstances. . T . Les ΡΛιlippiques marquent l’apogée de son éloquence dans tous les genres oratoires. On y retrouve notamment la fougue du Pro Roscio Amerino, les sarcasmes des Verrines, la solennité du De Imperio Cn. Pompei, la dialectique du De Lege Agraria, l’ardeur patriotique des Catilinaires, la verve du Pro Murena, les invectives du Pro Flacco et de l’Zn Pisonem, les appels dramatiques du Pro Milone. Chacune d’elles résonne d’un accent particulier et souvent compositex. La première, d’un ton modéré, mêle l’adjuration pressante à des pointes mouchetées. La deuxième, écrite à loisir pour la publication, mais aussi vivante qu’une improvisation, lance des éclairs : elle concentre sur la tête d’Antoine tous les traits qu’avaient reçus Verrès et Catilina, Piso et Clodius; l’indignation, la haine et le mépris déchaînent le pathé­ tique, le sarcasme et l’ironie. La troisième est catégorique ■ et grandiloquente ; la quatrième, plus passionnée et plus familière. La cinquième se répand en invectives et tourne au panégyrique. La sixième, plus personnelle, est émaillée de traits incisifs ou comiques. La septième a un ton solen­ nel et dogmatique. La huitième exprime la douleur et l’indignation sur un mode violent et ironique. La neu­ vième contient l’émotion et la gravité d’un éloge funèbre. La dixième lance un vigoureux défi, avec des souvenirs d’Homère et de Démosthène. La onzième passe du réalisme tragique à la diatribe philosophique et à la violence sarcastique. La douzième traduit à la fois la .... . variété de ton.

1. Cf. notamment E. Bignone, Storia delta Letteratura romana, Florence, III, p. 556 sqq. ; A. Haury, L’ironie et l’humour chez Cicéron, p. 205 sqq. Nous y reviendrons à propos de chaque discours.

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gêne et l'habileté d'un désaveu par l'accumulation des arguments. La treizième contient des éléments variés, déclaration énergique, condamnation méprisante, dia­ lectique morale, altercation ironique. La quatorzième évoque tristement le passé, puis célèbre la victoire en louant les braves et en pleurant les morts, avec la même élévation que les oraisons funèbres des orateurs attiques. Enfin, suivant les analyses détaillées de La angue Laurand1, les Philippiques consacrent et e ety e. y épanouissement de la langue et du style cicéroniens. Sans recourir, comme certains l'ont cru à des familiarités exceptionnelles, elles frappent par la pureté du vocabulaire, la justesse des termes, la variété des figures, la densité des expressions, la vigueur des phrases, la vivacité des questions et des dialogues fictifs, l'abon­ dance des parenthèses, la rapidité du rythme, le martèle­ ment des clausules, où se traduisent la passion de l'homme et l'ardeur de la lutte.

Les quatorze discours qui nous sont par, . , .. , venus ne représentent qu une partie de 1 en­ semble : le grammairien Arusianus Messius cite deux phrases empruntées à une 16· et une 17· Philippique*, et deux scholiastes signalent que P. Ventidius était traité de mulio « dans les Philippiques » — sans doute dans la seizième 1 2345— comme dans une lettre à Plancus du 18 mai 43 ·. Postérieurs au 20 avril, date de la 14· Philippique, les derniers discours ont dû être pro­ noncés à partir des séances sénatoriales des 26-27 avril. Le chiffre total s'élevait peut-être à 18, conformément „ Nombre.

1. L. Laurand, Études sur le style des discours de Cicéron, I, p. 332-342 ; Cicéron, p. 77 sqq. 2. O. Hauschled, De sermonis proprietatibus quae in Phi­ lippicis... inueniuntur. 3. Arusianus Messius, Gramm. LatVII, p. 467. 4. Ad Cicéron, Pro Mil., 29 ; ad Juvénal, Sat., VII, 199. 5. Ad Fam., X, 18, 3. Cf. W. Sternkopf, Woch. f. klass. Phil., 1917, coi. 400.

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au goût des anciens pour la numération duodécimale. Il ne comprenait d’ailleurs pas toutes les interventions de Cicéron, qui prit encore maintes fois la parole, notam­ ment au Sénat le 4 janvier1 et le 2 février a, à l’assem­ blée du peuple le soir de la 11e Philippique , * au Sénat le 9 1 2345et les 13-14 avril 6.

Ces lacunes amènent à poser le double R oac ion problème de la rédaction et de la publiet publication. catfon> Cicéron déclare lui-même qu’en général les orateurs écrivent leurs discours après coup · ; Calenus lui reproche vivement cette pratique, sous la plume de Dion Cassius 78 9; Quintilien atteste qu’il rédi­ geait l’essentiel et méditait le reste avant de prendre la parole e. En fait, la plus longue des Philippiques, la deuxième, qui est présentée comme un discours au Sénat du 19 septembre 44, n’a jamais été prononcée et a été publiée postérieurement : Cicéron a envoyé son texte à Atticus, de Pouzzoles à Rome, le 24 octobre, en lui laissant le choix de le garder ou de le diffuser, mais en se demandant quand viendrait le jour propice à la publication et en penchant plutôt pour l’abstention · ; Atticus lui a répondu le 31, en approuvant l’ensemble, mais en suggérant d’estomper un procès de Sicca, d’atté­ nuer l’éloge de Dolabella, de changer le nom d’une villa, de préciser une allusion et de remplacer un comparatif par un superlatif ; Cicéron accepta le 5 novembre — quitte à négliger la dernière correction — en espérant « voir 1. PMI., VI, 16. On ne saurait en conclure, avec L. Simon (Neue Jahr. Alt., 1911, p. 412-417), à l’existence d’une « Philippique inconnue » : ci. Jules Humbert, Les plaidoyers réels, p. 266, η. 1 ; infra, t. XX, Notice Phil. 2. Phil., VIII, 1. 3. Ad Fam., XII, 7. 4. Quintilien, VI, 3, 48. 5. Ad Brut., II. 4-5. 6. Brut., 91 ; Tuse., IV, 55. 7. Dion Cassius, XLVI, 7, 3. 8. Quintilien, X, 7, 30. 9. Ad AU., XV, 13, 1-2.

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le jour où cette harangue aura une diffusion suffisante pour pénétrer jusque dans la maison de Sicca » et en demandant à Atticus de la soumettre au jugement de 8ex. Peducaeus1 ; celui-ci, attendu avec impatience, lui parvint à Arpinum fin novembre en termes très aimables1 2. Fort de cette approbation, Cicéron a dû prier Atticus de procéder à la diffusion dès qu'Antoine eut quitté Rome et que lui-même y fut rentré ; rien n'incite à penser avec M. Geizer qu'Atticus ait attendu la mort de Cicéron3. Toutes les autres Philippiques ont été prononcées devant le Sénat ou le peuple. Mais le texte a dû être modifié au moment de la rédaction, puis soumis pour l'édition au jugement d'Atticus. Il a conservé des traces de remaniements. Dans la première, après le nom de Dolabella, l'omission des mots qui es mihi carissimus dans le plus ancien manuscrit peut remonter à la volteface définitive du personnage45 6; et l'hypothèse finale d'une nouvelle abstention, qui contredit une promesse antérieure, semble avoir été ajoutée après coup pour justifier a posteriori l'attitude de Cicéron *. La cin­ quième a été modifiée sur des points essentiels d'après les interventions de plusieurs orateurs et de Cicéron lui-même dans les séances des 2-4 janvier ®. La hui­ tième contient une critique détaillée des contre-pro­ positions d'Antoine, que Cicéron avait dû combattre dès son discours de la veille, inconnu de nous7. La onzième peut emprunter aussi certains éléments au débat 1. Ad AU., XVI, 11. Cf. Phil., II, 3 ; 75 et 107 ; 103 ; 106 ; 86. 2. Ad AU., XVI, 14-15. 3. M. Geizer, R.-E., s. v. M. Tullius Cicero, col. 1047. Éd. Rémy (Trois Philippiques, II, p. 139) fixe sans preuves la date du 28 novembre, M. Jér. Carcopino, (Les secrets, II, p. 153) la deuxième semaine de novembre. 4. Phil., I, 29. Cf. Jér. Carcopino, Les secrets, I, p. 302. 5. Phil., I, 38 ; 14. Cf. H. Friscb, Cicero*s fight, p. 130. 6. Cf. Jules Humbert, Les plaidoyers réels, p. 266, η. 1 ; infra, t. XX, Notice Phil. 7. Cf. supra, p. 14 ; 28, n. 2 ; infra, t. XX, Notice S» Phil.

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de la veille123. Dans la treizième, la mention de Plancus a dû être écourtée et amendée au reçu de ses lettres 8. Comme Fa indiqué Jules Humbert8, en récrivant ses discours, « Cicéron a voulu agir sur Fopinion » et « poursuivre devant le monde romain la polémique menée au sénat et dans l’assemblée du peuple ». Après avoir été publiés séparément, ils ont dû être groupés en un recueil, soit avant le deuxième triumvirat, soit après la mort d’Antoine, sous le nom de Philippiques — auquel Cicéron n’avait pas songé d’abord. Sans doute annonçait-il à Atticus dès le mois de juin 60 son intention de publier la série de ses « discours consulaires », « à l’exemple de Démosthène, qui s’était particulièrement distingué dans ses harangues de caractère politique appelées Philippiques »45 6. Depuis lors, dans tous ses traités de rhétorique et de philosophie, il avait professé pour Démosthène une admiration enthou­ siaste. Aussi était-il porté à donner le nom même de Philippiques à ses discours contre Antoine. Cependant, il ne lança l’idée « en plaisantant » que dans une lettre à M. Brutus, qui l’approuva le 1er avril 43, après avoir lu la cinquième et la dixième, et il s’en réjouit dans sa réponse du 12 ·. M. J. Gagé croit pouvoir en conclure que le terme de Philippiques visait par une « pointe mordante » les discours prononcés en 77 par le consulaire Marcius Philippus contre la rébellion de Lepidus, pro­ consul de Gaule Cisalpine, et de son associé lunius Brutus, retranché à Modène, que Pompée fit capituler ·. L’hypothèse est plus ingénieuse que plausible : si la situation présentait, en effet, des analogies curieuses, Cicéron n’y fait aucune allusion, même voilée, ni dans ses discours ni dans ses lettres. 1. 2. 3. 4. 5. 6.

Cf. H. Frisch, Cicero's fl ght, p. 228. Phll.t XIII, 16 ; 44. Cf. infra, t. XX, Notice 72- Phil. Jules Humbert, Les plaidoyers réels, p. 266, η. 1. Ad Aü.t II, 1, 3. Ad Brut., II, 3-4. J. Gagé, Rev. Et. Lot., 1952, p. 66-68.

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Attesté aussi par Quintilien, Juvénal, Plutarque, Appien et Lactance123, le mot est employé commu­ nément dans les textes et les manuscrits, sauf dans la tradition des rhéteurs, chez Sénèque et Aulu-Gelle, qui conservent le nom primitif d*Antonianae L’effet de ces discours fut rapide et le renom Renom, âurable. Tandis qu’Atticus et Sex. Peducaeus, C. Cassius et M. Brutus y prenaient plaisir8, Antoine s’en montra si furieux qu’il fit bientôt couper la tête et les mains à l’auteur456. A en croire une tirade d’Asinius Pollion, Cicéron se serait « empressé de renier ses discours contre Antoine, qu’il avait lancés avec tant de passion, et aurait proposé de les réfuter par des écrits plus nom­ breux et plus soignés, allant jusqu’à les lire en personne devant l’assemblée » ·. Mais, en rapportant ces mots, Sénèque le Rhéteur ajoute que Pollion se montra tou­ jours le détracteur le plus acharné de Cicéron, que son témoignage est entièrement faux et qu’il l’a inséré après coup dans une plaidoirie, sans oser le prononcer devant les triumvirs ni le reproduire dans ses histoires, où il rend justice à son adversaire. De même, si Didyme lança peu après une diatribe en six livres contre la politique de Cicéron, Ammien Marcellin la compare « aux piteux aboiements d’un chien qui flaire de loin un lion frémis­ sant » ·. Auguste semble avoir repris, jusque dans le rythme, l’éloge que Cicéron avait décerné à son initiative privée 7. Velleius Paterculus le félicite « d’avoir imprimé sur la mémoire d’Antoine une flétrissure étemelle... de 1. Quintilien, III, 8, 46 ; Juvénal, X, 125 ; Plutarque, Cic., 24 ; 28 ; Appien, IV, 77 ; Lactance, Inst,, VI, 18 ; 28. 2. Sénèque le Rhéteur, Suas., VI-VII ; Aulu-Gelle, I, 22, 17 ; VI, 11, 3 ; XIII, 1, 1 ; 22, 6. 3. Ad Att., XVI, 11 ; 15 ; Ad Fam., XII, 2 ; Ad Brut., II, 3-4. 4. Tite-Live, ap. Sénèque le Rhéteur, Suas., VI, 17. 5. Ibid., VI, 14-15. 6. Suidas, s. v. Δίδυμος ; Ammien Marcellin, XXII, 16. 7. Auguste, Res Gest., I, 1. CL. J. Béranger, Palaeologia, 1958, p. 2.

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sa voix éblouissante et céleste » x. Lucain s’est inspiré de sa 2e Philippique 2, que Juvénal trouvait « divine » s. Les rhéteurs ont tiré de ses discours deux suasoriae, et les grammairiens y ont abondamment puisé, surtout dans les deux premiers. Enfin, les scribes ont multi­ plié les copies.

III. — LA TRADITION

Les Philippiques nous ont été transmises Γ . , , par un certam nombre de manuscrits, qui dérivent du même archétype, comme le prouvent des omissions, additions ou corruptions communes et des variantes résultant de doubles leçons *, mais qui se répar­ tissent en deux familles distinctes : V 1) La première est représentée par un seul exem­ plaire, le plus ancien et le principal, le Vaticanus Basilicanus H 25, du ixe siècle, écrit en minuscules sur trois colonnes et trente lignes à la page. Composé jadis de seize cahiers, il n’en comprend plus aujourd’hui que dix. Le premier cahier, qui contenait le début du discours In Pisonem, a disparu ; le deuxième en a conservé les §§ 33 à 74 ; les troisième, quatrième, cinquième et sixième, qui sont perdus, comportaient la fin du discours contre Piso, la première partie du Pro Fonteio et le début du Pro Flacco. Le septième donne à la suite un important fragment du Pro Flacco (§§ 39-54) et la „ .. Manuscrits.

1. Velleius Paterculus, II, 64. 2. Cf. S. Reinach, Rev. Phil., 1908, p. 30-35. 3. Juvénal, Sat., X, 125. 4. Cf. P. Lutz, Quaestiones criticae in Ciceronis orationes Phi­ lippicas, Diss. Strasbourg, 1905, p. 25. L’ensemble de la question a été repris et précisé par Fr. Schoell, Edition, p. xvn sqq. ; Silzungsberichte der Heidelberger Akademie der Wissenschaft, 1918, 4. Nous avons nous-même revu et corrigé sur certains points la collation des manuscrits n, b, Parisinus 5802 et Harleianus 2682, grâce aux photographies qu’a bien voulu nous communiquer très obligeamment Mn· J. Vielliard, Directrice de l’institut de Recherche et d’Histoire des Textes.

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seconde partie du Pro Fonieio (§11 sqq.), qui se termine à la deuxième page du huitième cahier (fol. 17). C'est au feuillet suivant que commencent les Philippiques, et elles se poursuivent jusqu'à la fin du quinzième cahier (fol. 18-80), en s'arrêtant aux mots O rem acerbam (XIII, 10) ; la disparition du seizième a fait perdre les quarante derniers paragraphes de la 13° Philippique et la 14e tout entière. D'autre part, deux grandes lacunes interrompent le texte de XI, 22 fortissimum à XII, 12 (pos)sumus et de XII, 23 si autem à la fin du discours. Ce manuscrit présente encore des omissions de lignes ou de mots, des répétitions, transpositions ou interpolations, des confusions et des variantes ortho­ graphiques, beaucoup d’abréviations et plusieurs signes critiques. Deux réviseurs successifs, Va et V1 23, y ont intro­ duit des corrections, tirées en partie de l'autre groupe. Il a été souvent étudié depuis la Renaissance, et d’une manière exhaustive par Fr. Schoellx. D 2) La seconde famille groupe tous les autres manus­ crits connus, dont la parenté est attestée par trois lacunes importantes : II, 93 sunt ea — 96 fin ; V, 31 (jnenttyonem — VI, 18 nullam ; X, 8 populus — 10 infjesta), par de nombreuses interpolations et par quelques corrections ; on les désigne depuis C. Halm par le sigle D, qui signifie, non pas deteriores, mais decuriati. Les principaux sont les suivants : c Le plus proche de V est un manuscrit d’Angelius Colotius, utilisé par Girolamo Ferrari en 1542 *, aujour­ d'hui perdu. Il ne contenait que les quatre premières Philippiques. A. C. Clark a relevé son accord avec le Bcrolinensis (ex Philippsius) 201, du xn° siècle, et avec les Parisini 5802 et 6602, du xin° siècle3. 1. Il a déjà été mentionné dans cette collection, t. VII, p. 17 ; XII, p. 68. 2. G. Ferrari, Emendationes in Philippicas Ciceronis, Aide, 1542. 3. A. C. Clark, The Classical Review, 1900, p. 40 sqq. ; 249 sqq. ; 402 sqq. 3

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t Le meilleur est le Tegernseensis, aujourd'hui Mono.censis 18787, du xie siècle, où manque seulement la fin de la 14 * Philippique, depuis le § 25 Vnius, et qui, malgré beaucoup d'erreurs, semble reproduire assez fidè­ lement son modèle. Π .a été recensé par G. Halm et revu partiellement par Fr. Schoell. b Le Bernensis 104, du xin· siècle, examiné par J.-G. 8 aiter, présente aussi de bonnes leçons à côté d'interpolations. a Le Bambergensis Μ IV 15, du xin· siècle, a été examiné par G. Halm et revalorisé par Fr. Schoell. n Le Leidensis Vossianus O 2, du Xe siècle, qui s'arrête à XIII, 29 Italia, a été signalé et apprécié par A. G. Clark. o De même YOxoniensis Collegii Noui CCLII, qui dérive du précédent avant mutilation. I De même encore le Londiniensis, British Museum 15 A XIV, du xi® siècle, qui s'arrête à XIII, 46 dubitaiurumne et présente deux autres lacunes : VIII, 9 illud — 15 Catilinam ; IX, 8 sarciamus — 14 nostri. g Au précédent se rattache le Gudianus, aujourd'hui Wolfenbuttelanus 278,du xni® siècle,qui s'arrête à XIII,20 operibus — d'après la recension d'A. Fleckeisen pour l'édition de C. Halm. / De la même source dérive aussi un lenensis, du xiii® siècle, qu'ont étudié O. Guenther et J.-K. Schoenberger.

Bien que des interférences empêchent d'établir une filiation précise, le stemma suivant peut rendre compte de la parenté générale.

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Aucun manuscrit ne remporte nettement : si V donne en général une meilleure leçon, il contient beaucoup d’erreurs et de graves lacunes ; si la famille de JD, sur­ tout k et -, a parfois raison et reste seule assez souvent, elle est trop fantaisiste. L’éclectisme s’impose — et il ne suffît pas à résoudre toutes les difficultés : de nombreux passages ont suscité maintes corrections, parfois inutiles, et plusieurs restent douteux.

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Les Philippiques ont été souvent publiées ensemble ou séparément. Voici les princi­ pales éditions : *

A — Éditions complètes de Cicéron. a) Avec apparat critique : J.-C. Orellï, J.-G. Baiter et G. Halm, II, Zürich, 2° éd., 1856. J.-G. Baiter et G. L. Kayser, V, Leipzig, 1863. C. F. W. Mueller et G. Friederich, II, 3, Leipzig, 1886. A. C. Clark et W. Peterson, VI, Oxford, Clarendon Press, 2® éd., 1917. Fr. Schoell, VIII, Leipzig, Teubner, 1918. b) Avec traduction française : J.-V. Leclerc, XV-XVI, Paris, 2® éd.» 1826. D. Nisard, Paris, Didot, 1840. Gh. du Rozoir et M. Heguin de Guerle, XI, Paris, Garnier.

c) Avec traduction anglaise : W. C. A. Ker, Londres et Cambridge, Loeb, 1926 ; 2° éd., 1938.

B — Éditions complètes des Philippiques.

G. G. Wernsdorf, 2 vol., Leipzig, 1821-2. J. R. King, Oxford, Clarendon Press, 2® éd., 1878. C — Éditions partielles des Philippiques.

I-X : C. Halm, G. Laubmann et W. Sternkopf, 3 vol., Berlin, 1905-1913. I, II, III, V et VII : J. R. King et A. C. Clark, Oxford, 2® éd.» 1924.

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I, II, III et VII : J. Bach, 2 vol., Münster, 1909-10. I, II et VII : J. Strenge, Gotha, 1893. I et II : H. A. Koch et A. Eberhard, Leipzig, 3e éd., 1929. J. D. Denniston, Oxford, 1926. I, III, IV et VI : L. dal Santo, Florence, 1940-1951. I, IV et XIV : E. R. Gast, Leipzig, 1891. I, VIII et XIV : Ed. Remy, C. Hanoteau et S. Patris, 2 vol., Louvain, 1941 (avec traduction française). I : H. de la Ville de Mirmont, Paris, Klincksieck, 1902. E. Saginati, Milan, 1941. II : J. E. B. Mayor, Londres, 1861. J. Gantrelle, Paris, Hachette, 1881. G. Lanson, Paris, Delagrave, 1881. A. Rossilli, Turin, 1901. M. Dalbecq, 2 vol., Liège, 1939-41. III et IV : A. de Lorenzi, Naples, 1935-1936. L. dal Santo, Florence, 2· et 3® éd., 1946. III : V. Colla, Naples, 1936. IV et XIV : E. Pasoli, Bologne, 1956-1957. VI, VII et VIII : A. Maniet, Bruxelles, 1943 (avec tra­ duction française). XIV : C. Giorni, Florence, 1933. D. Fobelli, Turin, 1955. V. Ragazzini,. Florence, 1957. De nombreuses études ont été consacrées soit u βί* à rétablissement du texte, soit à la valeur historique ou littéraire, notamment : *

a) Philologiques. H. Belling, Woch. Klass. Phil., 1901, col. 84. K. Busche, Neue Jahrb. Phil., 1896, p. 571-3 ; Woch. Klass. Phil., 1912, col. 830-3 ; 1916, col. 463-7 ; Hermes, 1914, p. 602-11. A. C. Clark, Class. Rev., 1900, p. 39-48 ; 249-51 ; 402-11 ; The descent of manuscrits, Oxford, 1918, p. 162 sqq. C. G. Cobet, Mnemos., 1879, p. 113-79.

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H. Deiter, Philol., 1894, p. 191-4 ; 1896, p. 317 ; Woch. Klass. Phil., 1895, col. 712. A. von Domaszewski, Rh. Mus., 1899, p. 311. F. L. Ganter, Neue Jahrb. Phil., 1894, p. 636. J. Gantrelle, Rev. Phil., 1881, p. 100-2 ; 191 ; 1882, p. 185-7 ; 1884, p. 100. O. Guenther, De Ciceronis Philippicarum codice lenensi, Dissert., lena, 1909. Th. Hasper, Neue Jahrb. Phil., 1878, p. 269-72. L. Havet, Rev. Phil., 1922, p. 25. W. Hirschfelder, Neue Jahrb. Phil., 1871, p. 206-10. J. J. B. Kan, Mnemos., 1881, p. 341. A. Klotz, Rh. Mus., 1914, p. 416. H. A. Koch, Rh. Mus., 1858, p. 286-8. A. Kornitzer, Wien. Stud., 1909, p. 309-11. C. A. Lehmann, Hermès, 1879, p. 454 ; 1880, p. 572-3. F. Leo, Hermes, 1902, p. 315. P. Lutz, Quaestiones criticae in Ciceronis orationes Phi­ lippicas, Dissert., Strasbourg, 1905. L. A. Mac Kay, Class. Phil., 1934, p. 344. M. Manitius, Hermes, 1903, p. 317-8. H. Roehl, Woch. Klass. Phil., 1912, col. 1325. F. W. Schmidt, Neue Jahrb. Phil., 1874, p. 743. O. E. Schmidt, Rh. Mus., 1880, p. 315-6 ; Phil., 1882, p. 205. Fr. Schoell, Ueber die Haupthandschrift von Ciceros Philippiken nebst Bemerkungen zu Stellen dieser Reden, Sitz. Heid. Akad., 1918, 4. J. K. Schoenberger, Woch. Klass. Phil., 1912, col. 1325-7 ; Phil. Woch., 1941, col. 479. O. Sieroka, Neue Jahrb. Phil., 1884, p. 616. Th. Stangl, Rh. Mus., 1910, p. 262. W. Sternkopf, Hermes, 1902, p. 485 ; Woch. Klass. Phil., 1916, col. 879-88 ; 928-34 ; 1917, col. 353-9 ; 400-6. R. Sydow, Phil., 1937-8, p. 223-38 ; Rh. Mus., 1942, p. 353-65 ; 1943-4, p. 281-4. Sp. Vassïs, Άθηνδ, 1898, p. 341.

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b) Historiques et littéraires.

J. Béranger, L'accession d'Auguste et l'idéologie du « privatus », Palaeologia, VII, I, 1958, p. 1-11. J. Béranger, Cicéron précurseur politique, Hermes, 1959, p. 103-117. Jér. Carcopino, Histoire romaine, II, Paris, 4® éd., 1950, p. 1005-7. — Les secrets de la Correspondance de Cicéron, 2 vol., Paris, 1947. E. Ciaceri, Cicerone e i suoi tempi, Gênes-Rome, 2° éd., 1941. F. R. Cowell, Cicero and the Roman republic, Londres, 1948. W. Drumann et P. Groebe, Geschichte Roms, V-VI, Leipzig, 2® éd., 1899-1929. H. Frisch, Cicero’s fight for the republic, Copenhague, 1946. J. Gagé, Le nom des Philippiques de Cicéron, Rev. Ét. Lat., 1952, p. 66-8. F. L. Ganter, Chronologische Untersuchungen zu Ciceros Briefcn an M. Brutus und Philippischen Reden, Neue Jahrb. Phil., 1894, p. 613-36. M. Gelzer, Real.-Enc., VII A1, 2® éd., 1939, s. v. M. Tullius Cicero, col. 1030-74. P. Grenade, Remarques sur la théorie cicéronienne dite du « principal ». Mél. Ec. Fr. Rome, 1940, p. 32-63. P. Grenade, Essai sur les origines du principal, Paris, 1961. P. Groebe, De legibus et senatusconsultis anni 710, quaestiones chronologicae, Dissert., Berlin, 1893. A. Haury, L'ironie et l'humour chez Cicéron, Leyde, 1954. O. Hauschied, De sermonis proprietatibus in Cic. ora­ tionibus Phil., Dissert. Hal., 6, 1886, p. 233-305. R. Holmes, The Roman Republic and the foundation of Empire, Oxford, 1921. L. Homo, Histoire romaine, III, Paris, 1933, p. 2-6.

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Jul. Humbert, Les plaidoyers écrits et les plaidoiries réelles de Cicéron, Paris, 1925. L. Laurand, Études sur le style des discours de Cicéron, Paris, 3® Là., 1928, I, p. 332-42. — Cicéron, 2 vol., Paris, 3® Là., 1934-9. E. Lepore, Il princeps Ciceroniano e gli ideali politici délia tarda repubblica, Naples, 1954. D. Mack, Senatsreden und Volksreden bei Cicero, Dis­ sert., Würzburg, 1937. J. Mesk, Ciceros Nachruf an die legio Martia (Phil. XIV 30-35J, Wien. Stud., 1904, p. 228-34. A. Michel, Éloquence et principal : Cicéron et le pouvoir politique en 43, Actes Congrès G. Budé Lyon, Paris, 1958. C. Morawski, De M. lunii Bruti genere dicendi et Phi­ lippica decima Ciceronis, Eos, 1911, 1. E. PARATORE, II dramma politico e spirituale di Cicerone nella seconda Philippica, Palerme, 1936. L. Piotrowicz, D. M. Antonii in Ciceronem inuectiuis, Mél. Morawski, Krakow-Leipzig, 1922, p. 221-30. M. Rambaud, Lucius Munatius Plancus gouverneur de la Gaule, d'après la correspondance de Cicéron, Cahiers d’Histoire, III, 2, 1958, p. 103-28. S. Reinach, La divine Philippique, Rev. Phil., 1908, p. 30-35 — Amalthée, II, Paris, 1930, p. 74-81. Ed. Rémy, Les buts et les tendances de la première Phi­ lippique, Nova et Vetera, 1921, p. 385-98. — La VIII® Philippique de Cicéron, Les Études Clas­ siques, 1934, p. 458-84. — Notes sur la Irc Philippique de Cicéron, Nova et Vetera, 1936, p. 328-39. — Notes sur la VIIIe Philippique, 7 à 10, Les Études Classiques, 1938, p. 30-40. E. Ruete, Die Correspond. Cic. in d. J. 44 u. 43, Dissert., Marburg, 1883. O. Seel, Cicero, Wort, Staat, Welt, Stuttgart, 1953.

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L. Simon, Die Spuren einer unbekannten Philippik Ciceros, Neue Jahrb. Alt., 1911, p. 412-7. P. Stein, Die Senatussitzungen der Ciceronischen Zeit (68-43), Dissert., Münster, 1930. W. Sternkopf, Die Verteilung der Rômischen Provinzen vor dem Mutinensischen Kriege, Hermes, 1912, p. 321401. J. L. Strachau-Davidson, Cicero and the fait of the Roman republic, Londres, 1895 ; New-York, 1905. R. Syme, The Roman Révolution, Oxford, 2° éd., 1952. R. Y. Tyrrell et L. C. Purser, The correspondence of M. Tullius Cicero, VI, Dublin-Londres, 1933. P. WUILLEUMIER.

SIGLA

V — Vaticanus Basilicanus H 25, saec. IX, usque ad XIII, 10 O rem acerbam. D — consensus sequentium codicum. 8 — consensus nonnullorum ex sequentibus codicibus. c — consensus codicis Angel. Colot. usque ad IV in fine, nunc deperditi, Parisini 5802, Parisini 6602, Berolinensis Philippsi 201. t — Tegemseensis, nunc Monacensis 18787, saec. XI, usque ad XIV, 25 auertit. b — Bemensis 104, saec. XIII. a — Bambergensis Μ IV 15, saec. XIII. n — Leldensis Vossianus O 2, saec. X, usque ad XIII, 29 Italia. o — Oxo ni ensis Collegii Noui CCLII, saec. XII. I — Londiniensis Musaei Britannici 15 A XIV, saec. XI, usque ad XIII 46 dubitaturumne. g — Gudianus, nunc Wolfenbuttelanus 278, saec. XIII, usque ad XIII, 20 operibus. / — lenensis, saec. XIII. Amst. = Amstelodamensis 77, saec. XIII.

PREMIÈRE PHILIPPIQUE

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NOTICE

Prononcée le 2 septembre au Sénat, dans le temple de la Concorde1, sous la présidence de Dolabella, la 1« Philippique évoque une partie des événements sur­ venus depuis le 17 mars. Ce jour-là, qui était consacré aux Liberalia, Antoine avait réuni les sénateurs dans le temple de Tellus, sur l'Esquilin ■. En l'absence des conjurés, demeurés au Capitole, sous la pression des vétérans, qui manifestaient aux abords, il ouvrit la déli­ bération sur la situation créée par l'assassinat de César ; aux orateurs républicains il opposa les conséquences générales et personnelles qu’entraînerait l’annulation de ses actes ; après plusieurs interventions, il proposa de décréter à la fois la ratification des acta Caesaris et l'impunité des meurtriers ; Cicéron appuya ce compromis, en se référant à la formule juridique de l'amnistie appli­ quée à Athènes en 403, après la chute des Trente Tyrans ; la décision fut prise à la majorité. Les vétérans obtinrent aussi la garantie des terres concédées ; et Antoine retira l'opposition qu’il avait faite en tant qu’augure à la dési-1 2 1. Phil., V, 18. 2. Sur cette séance, et. Phil., 1,1 ; II, 89-90 ; Ad Att., XIV, 10 ; 14 ; XVI, 14, 1. Tite-Live, Per., 116 ; Velleius Paterculus, II, 58, 2 ; Suétone, Tib., 4 ; Florus, IV, 7, 3 ; Plutarque, Cés., 67 ; Cic., 42 ; Ant., 14 ; Brut., 19 ; Appien, II, 525-569 ; Dion Cassius, XL IV, 22-34.

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gnation de Dolabella comme consul, sans toutefois pro­ céder à une élection régulière, ce que Cicéron devait lui reprocher plus tard1. Ces décisions furent approuvées le lendemain par le peuple. Brutus et Cassius allèrent dîner chez Lépide et Antoine, dont le jeune fils servit d’otage. Cependant, l’accord reposait sur une équivoque : on n’avait pas précisé la portée de l’expression acta Caesaris ; aussi Antoine, qui s’était fait remettre, dès le soir du meurtre, avec la cassette privée, tous les papiers de César, ne tarda-t-il pas à en abuser et à en trafiquer. Pour apaiser les soupçons, il appuya un sénatus-consulte de Ser. Sulpicius Rufus, qui interdit la publication de tout acte postérieur au 15 mars 1 ; puis il proposa luimême au Sénat l’abolition perpétuelle de la dictature, qui fut votée sans débat ·. Mais il n’en continua pas moins sa fructueuse exploitation, en ajournant, semble-t-il, la réunion d’un comité institué par sénatus-consulte1 23456. D’autre part, le Sénat lui attribua pour 43 la province de Macédoine, où stationnaient six légions, tandis que la Syrie était dévolue à Dolabella ·. Cependant, Cicéron se sentait impuissant et se croyait menacé. Il quitta Rome furtivement le 7 avril et, par des chemins détournés, il atteignit Pouzzoles, d’où il rayonna ensuite ·. Π reçut d’abord de bonnes nouvelles. Vers le milieu d’avril, Antoine fit massacrer un médecin grec, Herophilos, qui avait latinisé son nom en Amatius 1. Phil.t II, 81-84 ; 88 ; III, S ; V, 9. 2. I, 3 ; II, 91 ; V, 10. Dion Cassius, XLV, 23, 7. 3. Phil.t I, 3 ; 32 ; II, 91 ; 115 ; V, 10. Auguste, Res Gest., I, 5 ; Tite-Live, Per,t 116 ; Appien, III, 94 ; 148 ; Dion Cassius, XLIV, 51. 4. Phil.t II, 100 ; Ad Att.t XVI, 16, 11 sqq. Cf. Dion Cassius, XLIV, 53, 4. 5. Cette décision semble antérieure au milieu d’avril : cf. W. Sternkopf, Hermes, 1912, p. 350 sqq. 6. Cf. Jér. Carcopino, Les secrets, I, p. 417 sqq.

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et qui provoquait des troubles en se faisant passer pour un petit-fils de Marius x. Puis, à la fin du mois, tandis qu’Antoine cherchait à établir des colons et à recruter des vétérans en Campanie, Dolabella réprima énergique­ ment une émeute et fit abattre une colonne en marbre, où la foule prétendait offrir des sacrifices à César, ce qui lui valut des félicitations enthousiastes de son ancien beaupère a. Enfin, Antoine lui demanda l'autorisation de rappeler d'exil Sex. Clodius 3. Mais, quand il eut formé une armée de vétérans, il devint plus autoritaire. Devant la résistance passive des sénateurs, à commencer par les consuls désignés, convo­ qués pour le 1er juin, il en appela au peuple dès le 2, et, sans tenir compte ni des délais ni des jours légaux ni des coups de tonnerre, sous la pression de la force armée, il emporta le vote de plusieurs lois 4. L’une, complétant et modifiant sans doute le sénatus-consulte antérieur, chargeait les consuls de fixer, sur avis d'un comité, les acta Caesaris *. Une autre, d’inspiration tribunicienne, permettait, semble-t-il, à Antoine d'échanger la province de Macédoine contre celles de Gaule Cisalpine et de Gaule Chevelue, en y transférant quatre légions sur les six de Macédoine, et elle portait à cinq ans la durée de ce gouvernement et de celui que Dolabella devait exercer en Syrie, contrairement à la limitation fixée par César à deux ans pour les consulaires et un an pour les pré­ toriens ·. Une troisième instituait une commission de sept 1. Phil., I, 5 ; Ad Att.» XIV, 8,1. Tlte-Live, Per., 116 ; ValèreMaxime, IX, 15, 1-2 ; Appien, III, 6-9. 2. Phil., I, 5 ; 30 ; II, 107 ; Ad Fam., IX, 14 ; Ad Ali., XIV, 15-20. Suétone, Cés., 85. 3. Phil., I, 3 ; II, 7-10 ; Ad Att., XIV, 13. 4. Phil., I, 6 ; 25 ; II, 109 ; III, 9 ; 30 ; V, 7-9 ; VI, 3 ; VII, 15 ; XII, 12 ; XIII, 5. La date précise de ces lois reste incertaine, sauf celle de la première, la seule que Cicéron n'attaque pas. 5. Phil., II, 100 ; Ad Alt., XVI, 16, 11 sqq. 6. Phil., 1,19 ; II, 109 ; V,7; VII, 3 ; VIII, 25-28 ; Ad A»., XIV,

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membres, présidée par L. Antonius, afin de procéder à une distribution de terres x. De plus en plus inquiet, Cicéron demanda d’abord à Dolabella de lui accorder une légation en Syrie, qu’il hésita ensuite à accepter1. Π fut un moment récon­ forté par l’enthousiasme du peuple aux jeux Apollinaires, donnés le 6 juillet au nom et en l’absence de M. Brutus, préteur urbain, mais déçu, d’après les lettres, de son apathie politique1 Alors, il prit le chemin de la Grèce. Évitant par prudence le port de Blindes où transitaient les légions d’Antoine, il s’embarqua à Pompéi le 17 juillet, fit escale à Syracuse le 1er août, repartit dès le lendemain pour Leucopetra et reprit la mer le 6 en direction de l’Est ; mais, refoulé du large par le vent du midi, il fit demi-tour le jour même, et les nouvelles qu’il reçut de Rome par des habitants de Rhegium le décidèrent à rebrousser chemin4. Antoine, désireux de se ménager contre Octave l’appui des optimales, avait prononcé devant l’assemblée du peuple un discours conciliant. Cicéron partit donc pour la Campanie et fit relâche à Velia le 17 août, afin d’y rencontrer M. Brutus. Celui-ci lui montra l’édit qu’avec C. Cassius il avait adressé à Antoine pour régler leur situation1 et lui apprit les propos courageux que L. Cal14, 4. Tite-Live, Per., 117 ; Appîen, III, 26 ; 102-104 ; Dion Cassius, XLV, 9. Cf. W. Stemkopf, Hermes, 1912, p. 360 sqq. 1. Phil., V, 7 ; 20 ; 33 ; VU, 17 ; VIII, 9 ; XI, 13 ; XII, 20 ; XIII, 37. 2. I, 6 ; Ad Ait., XV, 8, 1; 11, 4 ; 18, 1 ; 19, 2 ; 20 ; 29, 1. Plutarque, Cic., 43. 3. Phil., I, 36 ; II, 31 ; X, 7-8 ; cf. Ad Att., XVI, 2, 3 ; 5, 1. Plutarque, Brut., 21. 4. Phil., I, 7-8; Ad Att., XVI,3;6;7..Ad Fam., XII, 25, 3. Velleius Paterculus, II, 62, 3. 5. Phil., I, 8 ; Ad Att., XVI, 7, 7 ; Ad Fam., XI, 3, 1. Velleius Paterculus, II, 62, 3. Ils reçurent d’abord des missions frumen­ taires en Asie et en Sicile, puis, pour 43, le gouvernement de la

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purnius Piso Caesoninus, le beau-père de César, avait tenus au Sénat le lor août, sans toutefois recueillir l'approbation d’aucun consulaire ni oser revenir le len­ demain x. Il dut lui annoncer aussi la popularité croissante d’Octave et l’inciter à regagner Rome2. Cicéron y rentra le 31 août, sous les applaudissements de la foule, les réserves des consulaires et les moqueries d’Antoine s. Celui-ci voulait renforcer son autorité. D’une part, pour flatter les vétérans et pour se garantir, ainsi que ses amis, contre une action judiciaire, il proposait au peuple de rétablir une troisième décurie de juges, que César avait supprimée, en l’ouvrant, sans condition de cens, aux anciens centurions et aux anciens soldats qui avaient servi dans la fameuse légion des Alouettes 4, et d’accorder le droit d’appel au peuple dans les procès de ui ou maiestatis ·. D’autre part, il venait de convoquer le Sénat au 1er septembre pour lui demander d’ajouter à toutes les supplications un jour en l’honneur de César. Il pressa Cicéron de s’y rendre, pour l’obliger à se pro­ noncer publiquement ; Cicéron s’excusa, en alléguant la fatigue du voyage ; Antoine, qui présidait la séance, entouré de soldats, dans le temple de la Concorde, menaça de faire enfoncer sa porte et fit adopter la motion ·. Sou­ cieux de se justifier et de soigner sa « rentrée parlemen­ taire », Cicéron inaugura dès le lendemain, en l’absence Crète et de la Cyrénaïque : Phil., II, 31 ; 33 ; 97 ; XI, 27. Cf. W. Sternkopf, Hermes, 1912, p. 381 sqq. Mais ils allèrent occu­ per la Macédoine et la Syrie : cf. t. XX, Notices 10e et lie Phil. 1. Phil., I, 10 ; 14 ; V, 19 ; X, 8 ; XII, 14 ; Ad AU., XVI, 7. 5-7 ; Ad Fam., XII, 2, 1. 2. Dion Cassius, XLV, 15. Cf. Jér. Carcopino, Les secrets, II, p. 147 sqq. 3. Phil., II, 76. Plutarque, Cic., 43. 4. Phil., I, 19-20 ; V, 12-16 ; VIII, 27 ; XIII, 3 ; 37. 5. I, 21-23. 6. I, 11-13; II, 110; V, 19. Plutarque, Cic. 43. 4

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d'Antoine, qui s'était excusé à son tour, la série des Philippiqu.es \ Ce premier discours est un chef-d’œuvre d’habileté. L’avocat défend d’abord sa propre cause en justi fiant sa conduite, en glorifiant son attitude, en exaltant son patriotisme, en proclamant sa sérénité. Il vante la concorde. Il évoque les héros du passé, L. lunius Brutus et App. Claudius Caecus ; il salue les résistants, M. Bru­ tus, dont il dramatise le départ ’, L. Calpurnius Piso, qu’il félicite de son indépendance, A. Hirtius, dont il souhaite ardemment le rétablissement ’, deux tribuns de la plèbe — Ti. Cannutius et L. Cassius * — prêts à inter­ céder ; il accueille favorablement et interprète politique­ ment les manifestations du public aux jeux Apollinaires. Ses attaques restent courtoises et flatteuses : s’il rappelle les consulaires à la conscience de leur dignité, il excuse le silence de certains ; s’il réprimande Antoine avec vigueur et Dolabella avec douleur, il limite leurs exac­ tions, il développe leurs mérites, il les presse de revenir aux nobles sentiments de l’amitié, de l’affection et de la gloire. S'il critique le décret relatif aux supplications, en des termes aussi élevés que prophétiques, c'est au nom du principe qu'aucun défunt, fût-il héros ou prince, ne doit être associé au culte des dieux immortels S’il dénonce les manipulations d'Antoine, il accepte les 1. Phil.t I; V, 19 ; Ad Font., XII, 2, 1 ; Ad Brut., I, 15, 6. 2. Phil., I, 9 ; cf. X, 8. 3. I, 37 ; cf. VII, 12 ; VIII, 5; X, 16. 4. I, 25 ; 36 ; cf. III, 23 ; Ad Ait., XIV, 2, 1, Vellcius Pater­ culus, II, 64, 2. 5. I, 13. Cf. Jér. Carcopino, Les secrets, II, p. 154, n. 3. La leçon nusquam, que donnent la plupart des manuscrits et que préfère M. Carcopino, est contraire au raisonnement de Cicéron, qui oppose le tombeau d’un mortel, quel qu’il soit, au culte des dieux, et au témoignage de Dion Cassius, XLIV, 51, 1, d’après lequel les cendres de César furant déposées dans le tombeau de ses pères.

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acta Caesaris, et, pour attaquer les mesures d'Antoine, il défend les lois de César. Enfin, il varie le ton, de l’adju­ ration pathétique à l'insinuation ironique, de la grandeur tragique à la froideur méprisante, du syllogisme rigou­ reux à l'abandon cordial, du dialogue vivant à la citation poétique. Il obtint en séance l’adhésion de P. Servilius Isauricus, par lettre les félicitations de C. Cassius1 et dans la postérité l'éloge de Martianus Capella, qui admirait « l'étonnante finesse avec laquelle il attaque discrètement la tyrannie d'Antoine, au point de tout dire sans avoir l'air de rien dire âprement > *. Mais il ne put rallier la majorité des consulaires et il provoqua sa rupture définitive avec Antoine.1 2 1. Ad Fam.t XII, 2, 1 ; cf. XII, 25, 4. 2. Martianus Capella, Rhei. Lai., p. 464, 24.

!

I

Exorde 1.

1Γβ Partie : Cicéron

justifie son attitude

1-15.

A) Les raisons de son départ 1-6 : a) la situation politique d’abord satisfaisante 1-5, b) devenue brusquement dramatique 6.

B) Les raisons de son retour 7-10 : a) les vents contraires 7 ; b) les nouvelles favorables 8 ; c) l’entretien avec M. Brutus 9-10. . C) Les récents événements 11-15 : a) l’attitude d’Antoine à son égard 11-12 ; b) le décret sur les supplications à l’adresse de César 13 ; c) la proposition de L. Calpurnius Piso 14-15.

2e Partie : Cicéron

exprime son avis

16-38.

A) Les actes de César et les mesures d’Antoine 16-26 : а) les lois de César 16-18 ; б) les mesures d’Antoine 19-25 ; c) le respect de la légalité 25-26.

B) Appel à Dolabella et à Antoine 27-38 : a) il leur propose un pacte de non-agression 27-28 ; b) il les incite à la vraie gloire, en évoquant le passé de chacun d’eux et l’idéal des ancêtres 29-35 ; c) il dénonce leur impopularité 36-38. Péroraison 38.

PREMIÈRE PHILIPPIQUE

Exorde. I 1 Avant de dire, Sénateurs, sur la situa­ tion politique ce que réclament, à mon avis, les circons­ tances présentes, je vous exposerai en bref les raisons qui m’ont fait quitter Rome et ensuite rebrousser che­ min î.

17® Partie : Cicéron justifie

son attitude.

Quand je gardais l’espoir que le gou­ vernement de l’Etat était enfin rendu à votre conseil et à votre autorité, je me faisais une loi de rester comme en faction à mon poste de consulaire et de sénateur. En fait, je ne m’en éloignais jamais et je ne détournais pas mes yeux de la République depuis le jour où nous avons été convoqués dans le sanc­ tuaire de Tellus *. Dans ce temple, autant qu’il a été en mon pouvoir, j’ai jeté les fondements de la paix * et j’ai repris un antique exemple des Athéniens ; j’ai même eu recours au mot grec dont s’était servie cette cité pour

Les raisons de son départ.

1. Le terme reuersio, que Cicéron emploie de même Ad. AU., XVI, 7, 5, implique un retour brusqué. 2. Dédié en 268, ce temple se dressait sur la pente de l’Esquilin, près de la maison de Pompée, où résidait Antoine. 3. Même métaphore : Phil., V, 30 ; VI, 2 ; Ad Fam., I, S, 12 ; XII, 25, 2. Sur le rôle joué alors par Cicéron et par Antoine, cf. aupra, p. 45.

PHILIPPICA Ι·

I 1 Antequam b de re publica, patres conscripti, dicam ea quae dicenda hoc tempore arbitror, exponam c uobis breuiter consilium et profectionis et reuersionis meae. Ego cum sperarem aliquando ad uestrum consilium auctoritatemque rem publicam esse reuocatam, manen­ dum mihi statuebam quasi in uigilia quadam consulari ac senatoria. Nec d uero usquam discedebam nec a re publica deiciebam oculos ex eo die quo in aedem Telluris conuocati sumus. In ® quo templo, quantum in me fuit, ieci fundamenta pacis Atheniensiumque renouaui uetus exemplum ; Graecum etiam uerbum usurpaui, quo tum in sedandis discordiis usa erat » Cicéron, Ad Fam., XII, 2, 1 ; 25, 4. Martianus Capella, Rhet. Lat., p. 464, 24. d antequam ... meae Grillius, Rhet. Lat., p. 604, 12 || ° expo­ nam ... meae Nonius, p. 222,13 et 299, 8 M || d nec uero ... oculos Nonius, p. 289, 3 || ® in quo ... pacis Nonius, p. 327, 24.

1 patres conscripti dicam VD : d - p - c - Grill. |1 breuiter om. Grill. || et profectionis VD : p - Non. Grill. || reuersionis VD Grill : regressionis Non. || discedebam om. Non. || renouaui V8 : reuocaui c t || quo V 8 : quod t a g || discordiis usa erat V : d - erat la g discordauerat c discors erat n.

II

Illi· i-2

PREMIÈRE PHILIPPIQUE

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apaiser ses discordes et j’ai proposé d’effacer tout sou­ venir des discordes par un oubli éternel. 2 Magnifique fut alors le discours de Marc Antoine, excellentes aussi ses intentions ; enfin, grâce à lui et à son enfantx, la paix fut solidement conclue avec les plus éminents citoyens. Et la suite fut en accord avec ces commence­ ments. Pour les conférences qu’il tenait chez lui sur les affaires publiques, il avait recours aux premiers de l’Etat ; il soumettait à notre ordre sénatorial les plus sages pro­ positions ; à cette époque on ne découvrait dans les notes de César rien qui ne fût connu de tous ; c’est avec un parfait esprit de suite qu’il répondait à ce qu’on lui demandait. 8 « Des exilés sont-ils rappelés ?» — « Un seula, disait-il, et pas d’autres. » — « Des exemptions ontelles été accordées ?» — - Pas une », répondait-il. Il voulut même obtenir notre assentiment à la proposition de l’honorable Ser. Sulpicius1 23, interdisant l’affichage de toute tablette postérieure aux ides de mars, concernant quelque décision ou faveur de César. Je passe quantité de faits et des plus remarquables, car mon discours a hâte d’en venir à un acte de Marc Antoine de valeur exceptionnelle. La dictature, qui avait fini par prendre la force de la puissance royale, il la supprima totalement de notre constitution. Sur cette question nous n’avons même pas exprimé nos avis 4 ; il apporta tout rédigé le sénatusconsulte qu’il voulait faire voter ; après en avoir entendu la lecture, nous avons adopté sa proposition avec enthou­ siasme et l’avons remercié par un sénatus-consulte en termes magnifiques. II 4 C’était comme une lumière 1. Antyllus, fils de Fulvia, âgé de deux ans : c£. § 31 ; II, 90. Emploi archaïque du pluriel pour désigner un seul enfant, d’après Aulu-Gelle, II, 13. 2. Sex. Clodius, parent et conseiller de P. Clodius, avait été condamné en 52 ; cf. Phil., II, 7-9. 3. Rufus ; consul en 51, jurisconsulte fameux ; cf. Phil., IX. 4. Cicéron critique III, 20 et 24 cette procédure accélérée.

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PHILIPPICA I

ι-2

ciuitas illa, atque omnem memoriam discordiarum obliuione sempiterna delendam censui. 2 Praeclara tum oratio M. Antoni, egregia etiam uoluntas ; pax denique per eum et per liberos eius cum praestantissimis ciuibus confirmata est. Atque his principiis reliqua consentiebant. Ad deliberationes eas quas habebat domi de re publica principes duitatis adhibebat ; ad hunc ordinem res optimas deferebat ; nihil tum nisi quod erat notum omnibus in C. Caesaris commentariis reperiebatur ; summa constantia ad ea quae quaesita erant respondebat. 3 « Numqui Λ exules restituti ? » — Vnum aiebat, praeterea neminem. « Num immu­ nitates datae ?» — « Nullae », respondebat. Adsentiri etiam nos Ser. Sulpicio, clarissimo uiro, uolujt, ne qua tabula post Idus Martias ullius decreti Caesaris aut benefici figeretur. Multa praetereo eaque praeclara ; ad singulare enim M. Antoni factum festinat oratio. Dictaturam, quae iam uim regiae potestatis obsederat, funditus ex re publica sustulit. De qua ne sententias quidem diximus ; scriptum senatus consultum quod fieri uellet attulit ; quo recitato, auctoritatem eius summo studio secuti sumus eique amplissimis uerbis per senatus consultum gratias egimus. II 4 Lux à num ... datae Nonius, p. 30, 13.

2 nisi ... omnibus om. D || reperiebatur V (in ras.) D : -at Krafïert (fort, recte) || constantia V : cum dignitate c-O. 8 num *V D : nunc V1 || restituti D : - uit V || aiebat V : aleb- 8 || nullae respondebat om. D || clarissimo uiro V : u c - 8 || eaque praeclara V : ea quae clara sunt D || iam uim V8 : uim iam c n iam 11| potestatis D : potestis V || qua VD : qua re Amst.

π-5

PREMIÈRE PHILIPPIQUE

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qui semblait s’offrir à nos yeux : nous étions délivrés non seulement de la tyrannie que nous avions endurée, mais même de la crainte de la tyrannie ; c’était un gage éclatant qu’il donnait à la patrie de son attachement aux institutions républicaines, en supprimant totalement de notre constitution le titre de dictateur, qui souvent avait été légal, en raison du souvenir récent de la dictature perpétuelle. 5 A quelques jours de là, le Sénat fut délivré du péril d’un massacre et on traîna au croc1 cet esclave fugitif qui s’était approprié le nom de C. Marius. Tout cela en commun avec son collègue. Il y a aussi des mesures particulières à Dolabella, mais qui, si son collègue n’avait été absent, leur auraient été, je crois, communes à tous deux123. Car un mal s’insinuait2 sans limite dans la Ville et s’étendait tous les jours davantage : ceux-là mêmes élevaient un monument funéraire dans le Forum45qui avaient organisé ces fameuses funérailles, qui n’étaient pas des funérailles ·, et de plus en plus chaque jour des hommes tarés, avec des esclaves semblables à eux, menaçaient les maisons et les temples de la Ville ; mais telle fut la répression de Dolabella tant contre des esclaves impudents et criminels que contre des hommes libres infâmes et abominables, tel fut le renversement de cette colonne maudite que je suis stupéfait de voir quelle grande discordance il y eut entre cette seule journée et la période qui suivit. β Car voilà qu’aux calendes de juin, jour où un édit d’Antoine nous avait convoqués, tout était changé : rien ne se faisait plus par le Sénat ; nombre de décisions 1. On traînait ainsi au Tibre les cadavres des criminels. 2. Cicéron devait dire l’inverse II, 107. 3. Cette image apparaît déjà Ad Att., XIV, 15, 1. 4. Pour protester contre les honneurs divins rendus à César, Cicéron les ramène à des manifestations funéraires, qui étaient interdites au Forum {De Leg., II, 58). Cf. § 13 ; 30. 5. Cf. Phll.f II, 90, où Cicéron met en cause Antoine.

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PHILIPPICA I

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quaedam videbatur oblata, non » modo regno quod pertuleramus, sed etiam regni timore sublato, magnumque pignus ab eo rei publicae datum se liberam dui­ tatem esse velle, cvm dictatoris nomen, qvod saepe iustum fuisset, propter perpetuae dictaturae recentem memoriam funditus ex re publica sustulisset. 5 Libe­ ratus periculo caedis paucis post diebus senatus : uncus b impactus est fugitiuo illi, qui in C. Mari nomen inuaserat. Atque haec omnia communiter cum collega. Alia porro propria Dolabellae, quae, nisi collega afuisset, credo iis futura fuisse communia. Nam, cum serperet in urbe infinitum malum idque manaret in dies latius idemque bustum in foro facerent quic illam insepultam sepulturam effecerant, et cotidie magis magisque perditi homines cum suifs] similibus seruis tectis ad templis urbis minitarentur, talis animaduersio fuit Dolabellae cum in audacis sceleratosque seruos tum in impuros et nefarios liberos talisque euersio illius exsecratae columnae ut mihi mirum uideatur tam ualde reliquum tempus ab illo uno die dissensisse. 6 Ecce enim Kalendis luniis, quibus ut adessemus edixerat, mutata omnia : nihil per senatum, multa et à non ... sublato Nonius, p. 385, 24. b uncus ... inuaserat Schol., ad Horace, Od.t I, 35,20 || o qui... effecerat Schol., ad Lucain, I, 98. quod pertuleramus om. Non. liberatus V : 1 - est 8 || periculo caedis V : c - p - D \\ est om. Schol. || G. om. V || afuisset V· : abf- D f- Vx || urbe 3 : -em V a n || effecerant VD : -rat Schol. || sui Angeli : suis VD || mini­ tarentur V : minar- D || in impuros 8 î imp- V ( || nefarios D : in- V. 6 edixerat t : -ant V8 4 5

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PREMIÈRE PHILIPPIQUE

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importantes étaient prises par le peuple, soit en l'absence du peuple soit même contre son gré ; les consuls désignés déclaraient qu'ils n'osaient se rendre au Sénat1 ; les libé­ rateurs de la patrie étaient privés de cette Ville 1 qu'ils avaient délivrée du joug de l'esclavage, et cependant les consuls eux-mêmes faisaient leur éloge dans les assem­ blées publiques et dans toutes leurs conversations ; ceux qu'on appelait les vétérans ·, à qui notre ordre sénatorial avait témoigné tant de sollicitude, étaient engagés, non pas à conserver les biens qu'ils possédaient, mais à espérer un nouveau butin. Comme j'aimais mieux apprendre tout cela par ouï-dire que le voir de mes yeux et que j'avais le droit d'aller librement en mission 1 2345, je quittai Rome avec l'intention d'y être rentré aux calendes de janvier, époque à laquelle je croyais que commencerait la session du Sénat. III 7 Je viens d'exposer, Sénateurs, la raison qui m'a fait quitter Rome ; maintenant, c'est celle qui m'a fait rebrousser chemin, ce qui est plus surprenant, que je vais exposer brièvement. J'avais évité, non sans motif, Brindes et l'itinéraire usuel vers la Grèce, et j'arrivai aux calendes d'août à Syracuse, parce qu'on recomman­ dait la facilité de la traversée entre cette ville et la Grèce. Cette ville, à laquelle m'unissent pourtant des liens étroits ·, ne put me retenir, malgré son désir, plus d'une nuit : j’ai craint que mon arrivée soudaine chez des amis Les raisons de son retour.

1. C. Vibius Pansa et A. Hirtius. Cf. Ad AU.t XV, 5, 2. 2. M. Brutus et C. Cassius. Cf. Ad Fam.t XI, 2. 3. Cette expression curieuse, qu'on hésite à maintenir, peut laisser entendre que tous les soldats d'Antoine n'avaient pas droit au titre de ueteranus, qui impliquait 16 ans de service. 4. Les sénateurs, qui ne pouvaient quitter l'Italie sans auto­ risation, se faisaient donner une mission théorique. Cicéron ne dit pas qu'il l'avait obtenue de Dolabella. 5. Après avoir exercé la questure en Sicile, Cicéron avait

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PHILIPPICA. I

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magna per populum, et a absente populo et inulto; consules designati negabant se audere in senatum uenire ; patriae liberatores urbe carebant ea cuius a ceruicibus iugum seruile deiecerant ; quos tamen ipsi consules in contionibus et in omni sermone laudabant ; ueteranib qui appellabantur, quibus hic ordo diligen­ tissime cauerat, non ad conseruationem earum rerum quas habebant, sed ad spem nonarum praedarum inci­ tabantur. Quae cum audire mallem quam uidere haberemque ius legationis liberum, ea mente discessi ut adessem Kalendis Januariis, quod initium senatus cogendi fore uidebatur. III 7 Exposui, patres conscripti, profectionis con­ silium ; nunc reuersionis, quae plus admirationis habet, breuiter exponam. Cum Brundisium iterque illud quod tritum in Graeciam est non sine causa uitauissem, Kalendis Sextilibus ueni Syracusas, quod ab ea urbe transmissio in Graeciam laudabatur. Quae tamen urbs mihi coniunctissima plus 0 una me nocte cupiens reti­ nere non potuit : veritus sum ne meus repentinus ad meos necessarios aduentus suspicionis aliquid adferret, Λ et... inulto Arusianus Messius, Gramm. Lat.t VII, p. 454, 4 |1 b ueterani... cauerat Id., p. 488, 24. c plus ... potuit Arusianus Messius, Gramm. Lal.t VIT, p. 499, 25.

β culus D : cautus V || in contionibus V : et in c - D || qui appellabantur V n l : qui appellantur c t om. Aras. dei. Jordan post habebant (qui dei.) transt. Hirschfelder qui placabantur Sydoio || cauerat V’ 8 : -tant V1 timebat V’ i11| conseruationem 8 : conuersat- V l || audire 8 : -rem V11. 1 ea urbe V : u- e- D || in Graeciam V’D : G- i- V1 G- V' || urbs mihi V : m- u- 81| me nocte cupiens VD : n-c-me Aras.

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PREMIÈRE PHILIPPIQUE

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n’éveillât des soupçons, si je m’y attardais. Donc, de Sicile les vents me portèrent à Leucopetra, promontoire du territoire de Rhegium ; je m’embarquai là pour la tra­ versée ; mais je n’avais pas fait beaucoup de chemin, quand le vent du midi me rejeta au lieu même où je m’étais embar­ qué. 8 La nuit était avancée1 ; je demeurai dans la villa de P. Valerius, mon compagnon et mon ami intime * ; le lendemain, je restais encore chez lui dans l’attente du vent, quand plusieurs habitants de Rhegium vinrent me voir et, parmi eux, certains arrivés récemment de Rome1. C’est par eux que j’ai d’abord connaissance d’une assemblée tenue par Marc Antoine, et j’en fus si satisfait que, après avoir lu son discours, je me mis à songer pour la première fois à rebrousser chemin. Peu de temps après, on m’apporte un édit de Brutus et de Cassius, qui, peut-être parce que, dans l’affection que je leur voue, j’ai encore plus égard à l’intérêt de l’État qu’à nos relations amicales, me paraissait plein d’équité4. Ces informateurs disaient en outre (car presque toujours, dans l’empressement que l’on met à apporter une bonne nouvelle, on y ajoute de son cru pour la rendre plus agréable encore) que l’accord allait se faire ® : aux calendes, le Sénat se réunirait en nombre ; Antoine renverrait ses mauvais conseillers, renoncerait au gouvernement des Gaules et reconnaîtrait de nouveau l’autorité du Sénat. IV 9 Alors, je fus pris d’un si vif désir de rentrer que ni vents ni rames · ne pouvaient satisfaire mon impa­ tience ; ce n’est pas que je pensasse ne pas arriver à temps, défendu la province contre Verrès en 70 et il avait conservé de nombreuses relations à Syracuse. 1. Cf. Varron, De L. L., VII, 72 : quo tempore nihil agitur. 2. Souvent cité dans la Correspondance, notamment Ad AU., XVI, 7, 1. 3. Cicéron reprend l’expression même de sa lettre, Ibid. 4. Cf. supra, p. 48, n. 5. 5. Même locution : Ad Ati., IX, 6, 2. 6. Cette expression est employée au figuré Tuse., III, 11.

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PHILIPPICA I

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si essem commoratus. Cum autem me ex Sicilia ad Leucopetram, quod est promontorium agri Begini, uenti detulissent, ab eo loco conscendi, ut transmit­ terem, nec ita multum prouectus, reiectus austro sum in eum ipsum locum unde conscenderam. 8 Cumque intempesta nox esset mansissemque in uilla P. Valeri, comitis et familiaris mei, postridieque apud eundem, uentum exspectans, manerem, municipes Regini com­ plures ad me uenerunt, ex a iis quidam Roma recentes. A quibus primum accipio M. Antoni contionem, quae mihi ita placuit ut, ea lecta, de reuersione primum coeperim cogitare. Nec ita multo post edictum Bruti adfertur et Cassi, quod quidem mihi, fortasse quod eos plus etiam rei publicae quam familiaritatis gratia diligo, plenum aequitatis uidebatur. Addebant praeterea — fit enim plerumque ut ii qui boni quid uolunt adferre adfmgant aliquid, quo faciant id quod nuntiant laetius — rem conuenturam : Kalendis [Sextilibus] senatum frequentem fore ; Antonium, repudiatis malis suaso­ ribus, remissis prouinciis Galliis, ad auctoritatem senatus esse rediturum. IV 9 Tum uero tanta sum cupi­ ditate incensus ad reditum ut mihi nulli neque remi neque uenti satis facerent, non quo me ad tempus â ex ... recentes Ahustanus Messius, Gramm. Lat.t VII, p. 505, 23. 7 transmitterem ... reiectus D : transmitteremus V11- si conuictus proiectus V·. 8 intempesta V«D : -ate V1 || in uilla *V D : in illa V1 || (i) is V t b : his a g Anis. || M. om. V || quo 8 : quod V t n || Sextilibus dei. Madvig (cf. Ad AU., XVI, 7, 1) || repudiatis V : -utatis 8 || prouinciis Galliis V : G- p- 8.

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mais je craignais de ne pouvoir féliciter l’État aussi tôt que je le désirais. Donc, débarqué promptement à Velia, je vis Brutus — avec quelle douloureuse émotion, je renonce à le dire : j’éprouvais de la honte à oser rentrer moi-même dans une ville que Brutus quittait et à pré­ tendre y vivre en sécurité quand cela lui était impossible. Lui, je ne le trouvai pas, comme moi, profondément bouleversé ; exalté par la conscience de son noble et bel exploit, il ne déplorait nullement son sort, mais grandement le vôtre. 10 C’est par lui que j’ai su d’abord quel avait été dans la séance du Sénat, aux calendes d’août, le discours de L. Piso x. Bien que celui-ci n’eût trouvé qu’un trop faible appui (je tenais cela pré­ cisément de Brutus) chez ceux qui auraient eu le devoir de l’assister, cependant, toujours au témoignage de Brutus (et quel autre peut avoir plus de poids ?) et d’après les rapports élogieux de tous ceux que j'ai vus ensuite, il me paraissait s’être acquis beaucoup de gloire. Je fis donc diligence pour imiter son exemple, puisque ceux qui étaient présents ne l’avaient pas fait, non pour obtenir un résultat (je ne l’espérais pas et je ne pouvais en donner l’assurance), mais, s’il m’arrivait un de ces malheurs inhérents à la condition humaine (et tant de dangers semblent nous menacer, en dehors même de ce que comportent l’ordre de la nature et la destinée *), j’ai voulu cependant qu’aujourd’hui ma voix laissât à la République le témoignage de mon constant dévouement envers elle. 1. Cf. supra, p. 49, η. 1. L. Calpurnius Piso Caesoninus, qui avait partagé le consulat en 58 avec A. Gabinius, avait été violemment attaqué par Cicéron, notamment dans le De frouinciis Consularibus et Vin Pisonem. 2. Sur ce pressentiment, que traduit un rythme haletant, cf. supra, p.8,n. 9. Si, comme en discute Aulu-Gelle, XIII, 1, 1, les termes natura et fatum ne sont pas synonymes, on peut penser que Cicéron distingue, selon la doctrine stoïcienne (cf. De Fatot 26 ; 45), les causes internes, externes et volontaires, c’est-à-dire la mort naturelle, l’assassinat et le suicide.

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occursurum non putarem, sed ne tardius quam cuperem rei publicae gratularer. Atque ego celeriter Veliam deuectus, Brutum uidi, quanto meo dolore non dico : turpe mihi ipsi uidebatur in eam urbem me audere reuerti ex qua Brutus cederet, et ibi uelle tuto esse ubi ille non posset. Neque uero illum similiter atque ipse eram commotum esse uidi ; erectus enim maximi ac pulcherrimi facti sui conscientia, nihil de suo casu, multa de uestro querebatur. 10 Exque eo primum cognoui quae Kalendis Sextilibus in senatu fuisset L. Pisonis oratio. Qui, quamquam parum erat — id enim ipsum a Bruto audieram — a quibus debuerat adiutus, tamen et Bruti testimonio — quo quid potest esse grauius ? — et omnium praedicatione quos postea uidi magnam mihi uidebatur gloriam consecutus. Hunc a igitur ut sequerer properaui, quem praesentes non sunt secuti, non ut proficerem aliquid — nec enim sperabam id nec praestare poteram — sed ut, si quid mihi humanitus accidisset — multa b autem impendere uidentur praeter naturam etiam praetorque fatum — huius tamen diei uocem testem rei publicae relinquerem meae perpetuae erga se uoluntatis. a hunc... uoluntatis Aulu-Gelle, XIII, 1,1 || b multa... fatum Servius, ad Virgile, En., IV, 653. Lactantius Placidus, ad Stace, Theb., III, 205 (cf. ad II, 191 ; IV, 677). 9 non putarem V : p- D Bake || publicae om. *V || deuectus * D V : sedu- V1 || audere V'D : audire V1 \\ non posset om. V‘|| atque V8 : et c t b || esse V : ipse 8. 10exque V : ex quo D || id D : inde V || praesentes V : p- dixit pro populo p- 8 || nec enim V : neque e- D Geli. || impendere VD Geli. Lacf. : mihi imminere Sero. || uidentur V Geli. Lact. : uidehan- D Sero. || etiam om. D Sero. Lact. || praetorque VD Geli. : et praeter Lact. || tamen om. D Geli.

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11 Puisque les motifs de mes deux réso­ lutions, Sénateurs, ont eu, je m’en flatte, votre approbation, avant d’aborder la question politique, je me plaindrai en quelques mots du procédé injurieux qu’Antoine a eu hier à mon égard. Je suis son ami et j’ai toujours reconnu hautement que j’y étais obligé par plus d’un service qu’il m’a rendus. V Quel motif avait-il donc pour me convoquer hier au Sénat avec tant de rudesse ? Étais-je seul absent ? n’avez-vous pas été souvent moins nombreux ? la ques­ tion à l'ordre du jour était donc telle qu’il fallût même faire transporter les malades ? Annibal était, j’imagine, aux portes de Rome x, ou bien il était question de la paix avec Pyrrhus * ? ce fut, en effet, pour cette raison que le fameux Appius lui-même, tout aveugle, tout vieux qu’il fût, a été porté au Sénat, à ce que nous apprend l’histoire. 12 Des supplications étaient à l’ordre du jour î En pareil cas, les sénateurs, d’ordinaire, ne manquent pas la séance 3 ; ce qui les y oblige, ce n’est pas la crainte des amendes, mais le désir de se faire bien voir de ceux qu’il s’agit d’honorer ; il en va de même lorsqu’un triomphe est à l’ordre du jour. Les consuls montrent tant d’in­ différence que les sénateurs ont la liberté presque entière d’être absents. Cet usage m’était connu, le voyage m’avait fatigué et je ne me sentais pas bien ; j’envoyai donc, par égard pour notre amitié, quelqu’un l’en avertir. Mais lui (vous l'avez entendu), il dit qu’il se rendrait chez moi avec des ouvriers. Voilà bien de la colère et fort peu de retenue î Car à quel méfait s’applique un pareil châtiment, pour qu'il ait osé dire devant notre ordre sénatorial qu’avec des ouvriers de l’État il démolirait une maison construite Les récents événements.

1. Le. drame de 212 était passé en proverbe : De. Fin., I V, 22. 2. En 279. Même allusion : Brut., 55; 61; Tuse., V, 112; (!. M.t 16. ' 3. En principe, les sénateurs absents versaient un gage, qu’ils, perdaient à défaut d’excuse valable.

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Quoniam utriusque consili causam, patres con­ scripti, probatam uobis esse confido, priusquam de re publica dicere incipio, pauca querar de hesterna M. Antoni iniuria. Cui sum amicus, idque me nonnullo eius officio debere esse prae me semper tuli. V Quid tandem erat causae cur in senatum hesterno die tam acerbe cogerer ? Solusne aberam an non saepe minus frequentes fuistis, an ea res agebatur ut etiam aegrotos deferri oporteret ? Hannibala, credo, erat ad portas aut de Pyrrhi pace agebatur, ad quam causam etiam Appium illum et caecum et senem delatum esse memo­ riae proditum est. 12 De supplicationibus refere­ batur, quo in genere senatores deesse non solent : coguntur enim non pignoribus, sed eorum de quorum honore agitur gratia ; quod idem fit, cum de triumpho refertur. Ita sine cura consules sunt ut paene liberum sit senatori non adesse. Qui cum mihi mos notus esset cumque e uia languerem et mihimet displicerem, misi pro amicitia, qui hoc ei diceret. At ille, uobis audien­ tibus, cum fabris se domum meam uenturum esse dixit. Nimis iracunde hoc quidem et ualde intemperanter 1 Cuius enim malefici tanta ista poena est ut dicere in hoc ordine auderet se publicis operis disturbaturum publice ex senatus sententia .aedificatam domum ? à Hannibal ... agebatur Schol., ad Lucain, I, 30 ; III, 159. 11 uobis J) : nos V || hos Lerna ... tam *V D : h- in senatum tain V1 || hesterno V3 : ext- 8 || deferri D : -re V || Pyrrhi om. V1. 12 solent *V D : -et V1 || de quorum V : q- d- D || idem *V D : diem V1 || ei diceret V : ed- D || audientibus ... se om. V1 || tanta om. D.

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aux frais de l’État, par décision du Sénat1 ? Qui a jamais usé de la menace d'un tel préjudice pour contraindre un sénateur ? y a-t-il un moyen de coercition plus sévère que la caution et l'amende ? Mais s'il avait su l’opinion que j’aurais exprimée, il aurait à coup sûr rabattu quelque chose de la rigueur de sa contrainte. VI 13 Pensez-vous donc, Sénateurs, que moi, j'au­ rais voté le décret que vous avez adopté à contrecœur et qui mêlait le culte des morts aux supplications, qui introduisait dans la religion officielle des pratiques sacri­ lèges, qui décrétait des supplications à un mort1 234— et quel mort ? je ne le dis pas. Même s'il s’était agi dû fameux L. Brutus, qui non seulement a délivré, quant à lui, l’État de la tyrannie royale, mais qui a perpétué sa race pendant près de cinq cents ans pour un semblable héroïsme et un semblable exploit3, je ne pourrais consentir à associer un mort, quel qu’il soit, au culte des dieux immortels, à permettre que celui dont il existe quelque part un tombeau ·, où l'on peut lui rendre des honneurs funèbres, reçoive des supplications au nom de l’État. Quant à moi, j’aurais exprimé, Sénateurs, un avis qui me permît de me justifier aisément auprès du peuple romain pour le cas où quelque grand malheur atteindrait l’État : guerre, épidémie, famine, maux dont les uns nous frappent dès maintenant et dont les autres, je le crains, sont suspendus sur nos têtes. Mais puissent les dieux immortels pardonner ce décret au peuple romain, qui ne l’approuve pas, et à notre ordre sénatorial, qui l’a voté à contre cœur ! 14 Eh quoi ! des autres maux politiques, est-on libre d’en parler ? Moi, je suis libre de le faire et je serai 1. Ou plutôt restaurée, quand Gicéron fut rappelé d’exil : cf. Discours, t. XIII, p. 15 sqq. 2. Cicéron rejette catégoriquement la divinité de César; cf. § 5; 24 ; 32; II, 110. 3. De 509 à 44. Sur cette pseudo-descendance, cf. II, 26. 4. Sur le texte et la valeur de ce passage, cf. supra, p. 50, n. 5.

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Quis autem umquam tanto damno senatorem coegit aut quid est ultra pignus aut multam ? Quodsi scisset quam sententiam dicturus essem, remisisset aliquid profecto de seueritate cogendi. VI 13 An me cen­ setis, patres conscripti, quod uos inuiti secuti estis, decreturum fuisse ut parentalia cum supplicationibus miscerentur, ut inexpiabiles religiones in rem publicam inducerentur, ut decernerentur supplicationes mortuo ? nihil dico cui. Fuerit * ille L. Brutus, qui et ipse domi­ natu regio rem publicam liberauit et ad similem uirtutem et simile factum stirpem iam prope in quingen­ tesimum annum propagauit ; adduci tamen non possem ut quemquam mortuum coniungerem cum deorum immortalium religione, ut, cuius sepulcrum usquam exstet ubi parentetur, ei publice supplicetur. Ego uero eam sententiam dixissem, patres conscripti, ut me aduersus populum Romanum, si qui accidisset grauior rei publicae casus, si bellum, si morbus, si fames, facile possem defendere, quae partim iam sunt, partim timeo ne impendeant. Sed hoc ignoscant di immortales uelim et populo Romano, qui id non probat, et huic ordini, qui decreuit inuitus ! 14 Quid ? de reliquis rei publicae malis licetne dicere ? Mihi uero licet et semper licebit dignitatem » fuerit ... propagauit Schol., ad Lucain, VII, 589 (cf. ad V, 207). 18 mortuo V : -uorum D \\ cui c a : cui’ n qui V t b l g || L. D : om. V licet Schol. \\ ad similem ... factum om. Schol. || iam prope in V : in p- b a in t g p- Schol. || deorum om. V || usquam b g : nusV8 || p. c. om. V || si qui V : si quis c g si quid t ||.id om. 8. 14 dicere mihi V8 : m- d- t g \\ uero V : -rum D.

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toujours libre de défendre nia dignité et de mépriser la mort ; qu'on me laisse seulement la possibilité de venir en ce lieu, je ne me dérobe pas au danger d’y parler. Et plût aux dieux, Sénateurs, qu’il m’eût été possible d’assister à la séance des calendes d’août ! non que pût être obtenu un résultat utile, mais pour éviter qu’il n’y eût qu’un seul consulaire — comme ce fut le cas — à se révéler digne de ce titre, digne de la République. Quant à moi, j’en ressens un profond chagrin, en voyant que des hommes honorés des faveurs les plus hautes du peuple romain ne se sont pas rangés à l’avis de L. Piso, qui pre­ nait l’initiative d’une proposition excellente. Est-ce pour cela que le peuple romain nous a faits consuls ? pour que, parvenus au plus haut degré des honneurs, nous comp­ tions pour rien l’intérêt public ? Pas un des consulaires 1 par sa parole ni même par son regard n’a approuvé L. Piso. 15 Malheur 1 Qu’est-ce donc que cette ser­ vitude volontaire ? Je veux bien qu’une fois elle ait été imposée par la nécessité1 2. D’ailleurs, moi, je n’exige pas cela de tous ceux qui expriment leur avis dans la catégorie des consulaires : je distingue le cas de ceux à qui je par­ donne leur silence 3 et le cas de ceux dont je réclame la parole ; ceux-ci du moins, je souffre de les voir soup­ çonnés par le peuple romain d'avoir, non seulement par la peur (ce qui serait déjà une honte), mais chacun pour une raison particulière, forfait à leur honneur. VII C’est pourquoi, tout d’abord, je témoigne et je garde à Piso une très grande reconnaissance de ce qu’il a songé moins à ce qu’il pouvait réaliser dans l’État qu’à son devoir personnel. Ensuite, je vous demande, à vous, Sénateurs, même si vous n’osez pas vous associer à mon 1. La leçon consularis est « plus difficile » et meilleure. 2. Sous la tyrannie de César. Cf. supra, p. 10, n. 6. 3. Cicéron pense surtout à L. Iulius Caesar, oncle d’Antoine * cf. VIII, 1 ; XII, 18.

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tueri, mortem contemnere ; potestas modo ueniendi in hunc locum sit, dicendi periculum non recuso. Atque utinam, patres conscripti, Kalendis Sextilibus adesse potuissem l non quo profici potuerit aliquid, sed ne unus modo consularis, quod tum accidit, dignus illo honore, dignus re publica inueniretur. Qua quidem ex re magnum accipio dolorem, homines, amplissimis populi Romani beneficiis usos, L. Pisonem, ducem optimae sententiae, non secutos. Idcircone nos populus Romanus consules fecit, ut, in altissimo gradu digni­ tatis locati, rem publicam pro nihilo haberemus ? Non modo uoce nemo L. Pisoni consularis, sed ne uultu quidem adsensus est. 15 Quae », malum, est ista uoluntaria seruitus ? Fuerit quaedam necessaria. Neque ego hoc ab omnibus iis desidero qui sententiam consu­ lari loco dicunt : alia causa est eorum quorum silentio ignosco, alia eorum quorum uocem requiro ; quos quidem doleo in suspicionem populo Romano uenire non modo metu, quod ipsum esset turpe, sed alium alia de causa deesse dignitati suae. VII Quare b primum maximas gratias et ago et habeo Pisoni, qui non quid efficere posset in re publica cogitauit, sed quid facere ipse deberet. Deinde a nobis, patres con* quae ... seruitus Aquila Romanus, Rhet. Lal.t p. 37, 3 || b quare gratias Pisoni maximas et ago et habeo Grillius, Com­ mentp. 38 Martin. 14altissimo V1D : a- amplisshnoque V’ || Pisoni V n’ : -nis 81| consularis in1/ : -rl Vcn’ consulenti Sydoiu. 15 neque edd. : necque V necD || (i) is V : his D || uocem D : -erem V \\ modo om. D Cobet || metu D : metusi V. Faerné || causa deesse dignitati D : casus adesse dignitatis V || primum om. Grill. || ago et habeo V Grill. : h- et a-D || Pisoni V Grill. ; L. P- D,

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point de vue et à mon initiative, de in’écouter du moins avec bienveillance, comme vous Pavez fait jusqu'ici. 2® Partie : Cicéron exprime

son avis.

16 Ainsi donc, avant tout, j’estime qu’il faut main­ et les mesures d'Antoine. tenir les actes de César, non que je les approuve (car qui pourrait le faire ?), mais parce que j’estime que par-dessus tout il faut avoir égard à la paix et à la tranquillité. Je voudrais qu’Antoine fût pré­ sent, toutefois sans ses assistants x. (Mais il a, j’imagine, le droit d’être indisposé, droit qu’il ne m’a pas reconnu hier.) Il m’apprendrait, ou plutôt il vous apprendrait, Séna­ teurs, comment il défend, quant à lui, les actes de César. Est-ce que, quand ils consistent en brouillons, en notes autographes, en carnets, et qu’ils sont produits sous la seule garantie d’Antoine — et pas même produits, mais seulement allégués — les actes de César auront toute autorité, alors que les textes que César a fait graver sur bronze, pour en faire l’expression de la volonté du peuple et des lois définitives, ne seront tenus pour rien ? 17 J’estime, quant à moi, que rien ne peut compter pour actes de César autant que les lois de César. Et les promesses qu’il aura faites, seront-elles irrévocables s’il n’a pu les tenir ? C’est ainsi que nombre de promesses faites à nombre de gens n’ont pas été tenues par lui ; et pourtant ces promesses se sont trouvées après sa mort bien plus nombreuses que les faveurs que, pendant toutes les années de sa vie, il a accordées au mérite ou octroyées en pur don. Mais à cela je ne change rien ; je n’y touche pas ; je défends de tout mon zèle les actes admirables de cet homme. L’argent déposé dans le temple d’Ops, Les actes de César

1. Terme juridique, appliqué ironiquement aux gardes.

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scripti, peto ut, etiamsi sequi minus audebitis [ojrationem atque auctoritatem meam, benigne mc tamen, ut adhuc fecistis, audiatis. 16 Primum igitur acta Caesaris seruanda censeo, non quo probem — quis enim id quidem potest ? — sed quia rationem habendam maxime arbitror pacis atque oti. Vellem adesset M, Antonius, modo sine aduocatis — sed, ut opinor, licet ei minus ualere, quod mihi heri per illum non licuit — doceret me uel potius uos, patres conscripti, quem ad modum ipse Caesaris acta defenderet. An in commentariolis et chirographis et libellis, se uno auctore prolatis — ne prolatis quidem, sed tantummodo dictis — acta Caesaris firma erunt, quaea ille in aes incidit, in quo populi iussa perpetuasque leges esse uoluit, pro nihilo habebuntur ? 17 Equidem existimo nihil tam esse in actis Caesaris quam leges Caesaris. An si cui quid ille promisit, id erit fixum quod idem facere non potuit ? Vt multis multa promissa non fecit ; quae tamen multo plura illo mortuo reperta sunt quam a uiuo beneficia per omnis annos tributa et data. Sed ea non muto, non moueo ; summo studio illius praeclara acta defendo.

a quae ... incidit Arusianus Messius, Gramm. Lat., VII, p. 487, 14. 15 rationem Gomperz : or- VD || adhuc fecistis V : f- a- Z). 16 adesset M. Halm : adessem V adesset D || licuit (in ras.) V‘ : -cedat D || doceret om. V1 || prolatis V : proba- δ \\ ne V : ac ne D. 17 facere VD : non f- Muret || a uiuo V : u- 8 || studio illius praeclara V : etiam s- p- illius D.

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