La fragmentation du monde 9782919160846
580 67 1MB
French Pages [111] Year 2018
Table of contents :
Couverture
Page de titre
Préface
Avant-propos
Préambule
1. L’imaginaire de l’effondrement
Une vision romantique de l’effondrement
L’effondrement ne se produira pas comme on se l’imagine
Nous ne sommes pas égaux devant l’effondrement
2. Quelques éléments de collapsologie
Trop nombreux ?
L’écocide ou l’effondrement environnemental
La complexité
La question sociale
Un désastre mondial pour une civilisation mondiale
3. Les impasses du monde présent
Un système à bout de souffle
Brève histoire de l’Anthropocène
Bienvenue dans l’âge des limites
Le réchauffement global
L’illusion technologique
Une économie de bulles en bulles
Pourquoi la croissance ne reviendra pas
Vers un nouveau désordre mondial
Un monde en guerre
Épuisement des ressources et migrations climatiques
La guerre des civilisations : une prophétie autoréalisatrice
Vers l’effondrement ?
4. Les enclaves du futur
Un monde, deux réalités
Gated community vs le(s) reste(s) du monde
L’effondrement est derrière les murs…
Cachez ces pauvres que je ne saurais voir
L’immobilisme forcé des marginaux
Des loisirs exclusifs
Violence des riches, violence des pauvres
Une justice de classes
Un racisme institutionnalisé
Parabole du monde à venir : Israël, une sécurité entre quatre murs
Colonisation hydraulique
Des comportements contre nature
Parabole du monde à venir : Irak, des enclaves à l’abri du chaos
Parabole du monde à venir : les villes américaines, un monde idéal ?
L’effondrement : un projet ?
Effondrement et ultralibéralisme
5. Faire face à l’effondrement
La tentation autoritaire
La lutte des classes au XXIe siècle
Vers un modèle de contestation libertaire
Bibliographie
À propos de l’auteur
Chez le même éditeur en numérique
Copyright
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Notre déclin raconte une histoire qui remonte à la nuit des temps : celle des faibles écrasés par les puissants ; celle d’un pouvoir capitaliste incontrôlable et sans limite qui a pris notre gouvernement en otage, supervisé le démantèlement de notre tissu industriel, ruiné le pays, pillé et pollué nos ressources naturelles. Les cités, une fois détruites physiquement, finissent par s’effondrer moralement1. Chris Hedges
Tout ce qui est bâti sur l’injustice est voué à s’écrouler Keny Arkana
1. HEGES Chris, SACCO Joe, Jours de destruction, jours de révolte, Futuropolis, 2012, p. 83.
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Préface Le livre de Renaud Duterme, De quoi l’effondrement est-il le nom ? a pour première qualité la lucidité. Il se place dans la lignée des travaux de Pablo Servigne et Raphaël Stevens qui ont synthétisé dans leur livre Comment tout peut s’effondrer ? les travaux scientifiques des dernières décennies en montrant que nous allons vers des effondrements systémiques de la civilisation thermo-industrielle. Cette lucidité nous est nécessaire face aux logiques de déni ou au discours encore dominant répété inlassablement par la classe dominante : croissance, compétitivité, emploi ! Or tous les éléments de connaissance dont nous disposons mettent en évidence l’insoutenabilité écologique, sociale et, le grand public occidental l’a appris en 2008, financière du modèle dominant actuel. Cette lucidité vaut, dès le début du livre, pour nous sortir de l’enfermement dans la thématique de « la Crise ». L’auteur montre que ce terme est totalement inadapté à la période historique dans laquelle nous sommes entrés et nous fait croire faussement que nous allons retrouver une situation antérieure dès lors que nous aurons surmonté cette prétendue crise. En réalité, nous vivons tout à la fois les conséquences de ce que Karl Polanyi a appelé dans son livre célèbre une « grande Transformation » et de ce que l’on peut qualifier de « grande Extorsion ». Grande Transformation qui caractérise le changement d’ère auxquels les lecteurs d’Utopia sont sensibilisés, puisqu’il concerne tous les aspects du bouleversement écologique, social et culturel que connaissent des sociétés confrontées à la mutation informationnelle (terme que je préfère à celui plus pauvre de « révolution numérique ») et au basculement géopolitique de la fin de la domination du monde occidental. Mais cette grande transformation pourrait être traitée positivement si les conditions d’une « grande extorsion » n’avaient pas organisé depuis les années 1980 le transfert massif des revenus du travail vers ceux du capital et une domination massive de ce qu’il est plus juste d’appeler à mon avis un ultracapitalisme financier qu’un « néo******ebook converter DEMO Watermarks*******
libéralisme ». C’est en effet faire beaucoup d’honneur à ce système de plus en plus liberticide et autoritaire que de le qualifier de « libéral », puisque, même sur le plan économique, les transnationales et l’oligarchie financière fonctionnent de plus en plus sur le modèle des trusts et des cartels. La seconde qualité de ce livre se situe au niveau de sa capacité d’interpellation par rapport à d’autres travaux qui partagent le même diagnostic mais sont insuffisants, selon l’avis de l’auteur que je partage, sur l’analyse des causes et singulièrement des causes sociales des effondrements en cours. Quels que soient la richesse et l’intérêt de travaux tels que ceux de Diamond sur les effondrements de civilisation et sur l’importance de leurs causes écologiques, il est important de rappeler que la logique de destruction écologique est fortement corrélée avec celle des inégalités sociales, ce qui conduit l’auteur à un vigoureux plaidoyer pour la réintégration d’une approche en termes de lutte de classes dans son approche sur les effondrements présents et à venir. La phrase de Chris Hedges mise en exergue du livre1, résume bien cette perspective. C’est à la fois une bonne introduction au message essentiel du livre et à sa vertu interpellatrice, mais c’est aussi, à mon sens, l’occasion de souligner un vrai point de débat. Car s’il est vrai, je viens de le souligner, que la responsabilité de l’hyper-capitalisme financier est considérable dans les effondrements actuels, on ne peut réduire leurs causes à ce seul système. La démesure du productivisme et de l’extractivisme a été déterminante dans les systèmes dits « collectivistes » et l’économie administrée des systèmes soviétiques et chinois a participé et participe encore pour le second du même aveuglement écologique. Quant à la nomenklatura qu’elles ont générée, elle n’a rien à envier, du point de vue de son aveuglement et de son irresponsabilité, à celle de l’actuelle oligarchie financière du capitalisme. Ainsi, à moins d’englober les systèmes chinois et soviétique sous le vocable de capitalisme, mais alors le concept devient un terme fourre-tout et ne rend de toute manière pas compte d’effondrements antérieurs tels ceux analysés par Diamond, il nous faut bien remonter à des causes plus profondes que celles du seul capitalisme. Or, l’une de ces causes est justement ce que les Grecs nommaient l’hubris, la démesure, qui peut s’exprimer tout autant dans l’ivresse de l’argent que dans celle du pouvoir ou de la technique. Et cette entrée par la démesure a aussi l’avantage de nous mettre sur la voie en examinant elle-même sa cause, en nous posant en quelque sorte la question : ******ebook converter DEMO Watermarks*******
« de quoi la démesure est-elle le nom ? » de nous renvoyer à l’une des causes majeures de la démesure tant sur le plan personnel que sociétal, à savoir le mal-être et le mal de vivre. Le lien entre démesure et mal de vivre est évident sur le plan personnel. Quand une personne est boulimique, alcoolique, toxicomane etc. c’est un indicateur important de mal-être. Si l’on veut se convaincre que ce lien existe également sur le plan sociétal il suffit de lire les rapports mondiaux sur le développement humain du PNUD2 On y lit par exemple que les dépenses annuelles de drogue et de toxicomanie représentent dix fois les sommes qui permettraient d’éradiquer les causes principales de la misère (faim, accès à l’eau potable, aux soins de base, à un logement minimal) et les budgets militaires, vingt fois. C’est donc bien une économie mondiale du mal-être et de la maltraitance qui génère une telle démesure. Quant à la publicité, on peut la caractériser aussi comme un élément central de cette économie du mal-être et du mal de vivre, puisqu’elle ne cesse de nous vanter sous forme de promesses de beauté, de bonheur et… d’amour, ce que le système dominant détruit en permanence. Elle représente aussi plus de dix fois ces mêmes sommes qui pourraient être consacrées à la lutte pour les besoins vitaux de l’humanité. Il me semble ainsi que l’on peut construire une double alternative aux impasses communes du capitalisme et du collectivisme étatique en plaçant comme perspective positive une stratégie de résilience face aux effondrements. C’est ce que le forum social mondial de Belem en 2009 avait caractérisé comme l’enjeu de sociétés du « buen vivir ». Mais comment placer le buen vivir, le bien vivre, au cœur de stratégies de transformation tant personnelles que sociétales quand l’heure semble être au repli identitaire et aux logiques de peur ? Je répondrai comme Matthieu Ricard qu’il est trop tard pour être pessimiste ! La montée des périls qu’ils soient écologiques, sociétaux, politiques etc. nous fait d’autant plus obligation de mobiliser les forces de vie, l’Éros, face aux logiques mortifères de Thanatos. C’est ce que j’appelle la nécessité d’une « stratégie érotique mondiale » ! Nous sommes en effet entrés dans l’une de ces périodes critiques de l’histoire de l’humanité où le pire semble à nouveau possible. Quel pire ? Celui de la combinaison de catastrophes, financières, écologiques, sociales, politiques qui finissent par déboucher à nouveau sur l’emballement des pulsions mortifères et in fine sur des logiques de guerre. Pourtant si nous résistons à cet emballement, à ce que Wilhelm Reich ******ebook converter DEMO Watermarks*******
nommait dans son analyse de la psychopathologie du fascisme, « la peste émotionnelle » nous voyons qu’à condition d’être dans la pleine lucidité sur les grands basculements dans lesquels nous sommes déjà entrés, nous pouvons aussi identifier un chemin vers le meilleur. Ce chemin, nous le nommons, dans le réseau international des Dialogues en humanité, celui de « la pleine humanité ». Pleine humanité au sens quantitatif, c’est-à-dire la possibilité pour tous les êtres humains de sortir de la misère en traitant la question des besoins de base que sont l’alimentation, l’accès à l’eau, aux soins de base et à un logement décent. Et pleine humanité aussi au sens qualitatif, c’est-à-dire la possibilité pour tout être humain de ne pas se cantonner à des logiques de survie, mais à vivre pleinement sa vie, à développer ce qu’Amartya Sen, le prix Nobel indien d’économie, appelle les « capabilities », les potentialités créatrices. Nous avons donc ici une première clef qui positionne l’enjeu du buen vivir, d’une économie, d’une écologie et d’une politique du bien vivre, comme une alternative aux coûts démentiels d’une économie mondiale du mal-être et de la maltraitance. L’enjeu quantitatif de la pleine humanité nous renvoie donc bien à la question du bien vivre. Quant à l’enjeu qualitatif, il nous est visible si nous regardons avec d’autres lunettes les deux problèmes majeurs que sont la fin des temps de forte croissance et le chômage. Car ce qui est en cause, c’est la forme dominante de croissance et d’emploi principalement orientés vers une croissance matérielle et des emplois marchands. Or, sur ce point, il est vrai que nous sommes confrontés à une saturation de cette forme de croissance et à un chômage de masse accru par la révolution numérique qui détruit plus d’emplois qu’elle n’en crée. Mais cela signifie aussi qu’une énorme partie de l’énergie humaine employée pendant des millénaires à de simples stratégies de survie, puis de croissance purement matérielle, est désormais disponible pour des formes plus hautes de créativité et de réalisation des potentialités artistiques, culturelles, spirituelles des êtres humains. Ce que la philosophe Hannah Arendt nommait le passage de la logique du travail à celle de l’œuvre est désormais possible. Comme l’est ce que l’économiste Stuart Mill entrevoyait déjà à travers ce qu’il appelait un « état stationnaire » de la croissance matérielle, permettant de dégager du temps et de l’énergie pour d’autres formes de progrès que strictement matériels. Ce que Teilhard de Chardin anticipait avec son concept révolutionnaire de « noosphère » est ******ebook converter DEMO Watermarks*******
désormais présent à travers la révolution des technologies de l’information et de la communication. Oui, l’humanité est devenue un « réseau pensant » et elle peut employer la forme supérieure de son énergie, son énergie amoureuse et spirituelle, à d’autres activités qu’une croissance matérielle purement marchande. Cela suppose de travailler à un nouveau pacte social fondé sur des « politiques de temps de vie », depuis l’accompagnement de la naissance jusqu’à celui de la mort et qui cesse de raisonner sur les petits temps dits d’activité au sens économique et statistique du terme qui représentent moins de 15 % du temps total de nos vies. Cela suppose de revisiter la notion de « métier », dont le sens originel est celui d’un « ministère mystérieux » (métier est la contraction de ministère et de mystère), qui renvoie donc à des projets de vie et pas seulement à des jobs. Cela exige aussi que des formes de rémunération et de protection sociale ne soient pas réduites à des activités marchandes et que l’on explore les voies d’un revenu d’existence et de la reconnaissance que nombre de contributions sociales ne sont pas marchandes, à commencer par les activités bénévoles qui représentent une masse totale de contributions aussi importante, voire davantage que les activités marchandes. Vaste et ambitieux chantier s’il en est, mais qui peut donner à l’humanité une perspective positive, celle qui, évitant tout à la fois la sortie de route ou de grandes régressions, la mettra sur le chemin de sa pleine humanisation. En finir avec ce gâchis d’humanité, ces « Mozart qu’on assassine », pour reprendre la belle formule de Saint Exupéry, passer de la logique de survie à celle de la pleine vie, du buen vivir, de la vie intense. C’est donc notre capacité tant personnelle que collective à vivre intensément, en pleine présence et donc « à la bonne heure », notre voyage de vie et à traiter les autres non comme des rivaux menaçants mais comme des compagnons de route en humanité qui est l’enjeu ! Un enjeu de vie, d’Éros face à Thanatos, aux logiques mortifères. Donc oui : face aux effondrements analysés lucidement dans ce livre de Renaud Duterme, organisons la Résistance créatrice, l’Expérimentation anticipatrice et la Vision transformatrice, ce que les états généraux de l’économie sociale et solidaire ont nommé la stratégie du REV(e)… Tous éléments à inscrire dans une stratégie érotique mondiale ! Patrick Viveret, janvier 2016. ******ebook converter DEMO Watermarks*******
1. Voir début du livre. 2. Singulièrement celui de 1998, qui donne des ordres de grandeur saisissants, confirmés depuis.
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Avant-propos En avril 2015, à la sortie de notre livre Comment tout peut s’effondrer1, nous n’imaginions pas que nous toucherions tant de personnes et de médias en si peu de temps. Après quelques mois de recul, nous pouvons affirmer que le livre – ou plutôt cette idée que nous vivons les prémices de l’effondrement de notre civilisation thermo- industrielle – répond indéniablement à une intuition partagée par bon nombre de nos concitoyens. C’est dans l’air du temps. Mais attention, ce n’est pas une mode ! Le principal intérêt du livre était de montrer que c’était bel et bien une réalité. Il donnait aussi au lecteur quelques éléments pour pouvoir appréhender ce nouvel avenir avec le plus de sérénité et de sérieux possible. La « collapsologie » était née. Blogs, recensions, articles, vidéos ont fleuri sur la toile, et de nouvelles vocations sont nées. « Comment devient-on collapsologue ? » nous a-t-on demandé plusieurs fois au cours de cette année. Nous n’imaginions pas que de talentueux collapsologues s’empareraient si vite de ce thème avec autant d’ardeur… Notre livre a eu trois effets surprenants. Le premier a été de décomplexer celles et ceux qui y croyaient mais qui craignaient d’en parler à leurs proches. Le deuxième a été de connecter ces personnes, de les mettre en réseau. Enfin, il a surtout donné l’envie aux plus passionné.e.s de contribuer aux recherches en collapsologie. Les réflexions sur l’effondrement du géographe Renaud Duterme ont commencé bien avant la parution de notre livre (et donc avant l’invention du mot « collapsologie »). L’auteur, sensible à l’aspect politique de l’effondrement, a traité le sujet à travers le prisme de la lutte des classes et a ainsi nourri une branche de la collapsologie que nous abordions de manière bien trop succincte dans notre livre. En cours d’écriture, Renaud a eu la gentillesse de placer son livre sous la bannière de la collapsologie. Nous en sommes honorés ! Grâce à son érudition et à sa sensibilité politique, cette ******ebook converter DEMO Watermarks*******
nouvelle analyse transdisciplinaire apporte ainsi une solide contribution à cette toute jeune discipline. Il est désormais évident (et bien montré) que le niveau extrême d’inégalités que notre monde connaît est un puissant facteur d’effondrement. L’auteur creuse ici la question inverse : comment l’effondrement peut aussi contribuer à aggraver les inégalités. Dès lors – et c’est logique –, pour atténuer les effets sociaux désastreux d’un effondrement de nos institutions, il faut s’attaquer directement et immédiatement aux inégalités, ou plus précisément aux causes des inégalités économiques : le capitalisme. Mais aborder l’effondrement sous l’angle du capitalisme n’est pas chose aisée. Chacun sait qu’il est bien plus facile « d’imaginer la fin du monde que celle du capitalisme » (Frederic Jameson). Il faut donc souligner ici le courage et la qualité du travail de Renaud. Au travers de ces passages passionnants sur la politique et la géographie des villes (en particulier le phénomène de « gated communities »), Renaud Duterme souligne que l’effondrement est en train d’avoir lieu… chez les pauvres du monde entier ! Une grande partie de la population mondiale vit déjà dans le « pire des mondes possibles » (Mike Davis). Pire, cet effondrement pourrait même arranger l’autre catégorie de la population, les fameux 0,1 %… Cependant, penser que les hyper-riches sortiront inévitablement gagnants de cet effondrement est pour nous faire preuve d’un optimisme que nous avons perdu ces derniers mois. Notre intuition est que la capacité de résilience des riches est limitée dans le temps. Qu’en penseraient les élites romaines ou mayas, si elles étaient encore vivantes ? Nous touchons là l’une des grandes leçons de l’écologie : il est impossible de s’extraire indéfiniment du système-Terre (climat, écosystèmes, ressources, etc.). Ceux qui y arrivent (les riches), vivent dans des bulles « hors-sol », n’en profitent qu’un temps limité, toujours au détriment des autres, et retombent d’autant plus haut qu’ils ont atteint des niveaux élevés d’opulence. Ce livre est aussi l’occasion pour nous de saluer le courage des Éditions Utopia d’avoir pris au sérieux la notion d’effondrement et de permettre la diffusion de telles analyses auprès du grand public. Espérons que d’autres éditeurs suivront. Puisse cet élan permettre de continuer à connecter ce réseau de réflexion – et d’action ! –, indispensable pour les temps présents et à venir. Longue vie à la collapsologie ! ******ebook converter DEMO Watermarks*******
Pablo Servigne & Raphaël Stevens, janvier 2016.
1. P. SERVIGNE, R. STEVENS, Comment tout peut s’effondrer, Le Seuil, 2015.
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Quelques remarques sur la terminologie La terminologie utilisée dans cet ouvrage pose un certain nombre de problèmes, tant les enjeux qui concernent notre société sont inédits depuis les fondements de celle-ci. Ainsi, plusieurs termes seront utilisés sans pour autant refléter nécessairement le bien-fondé de la situation. Il en est ainsi du mot « crise », lequel suppose un retour à une certaine normalité, retour qui ne pourra pourtant se réaliser tant ce qui se produit est profond et dans de nombreux cas irréversible. Le mot « effondrement » est bien sûr au cœur du livre et peut, comme nous le verrons rapidement, signifier de nombreuses choses. Il sera autant que possible utilisé accompagné d’une explication précise. À propos des théoriciens de la question, tout comme de la discipline qui regroupe leurs travaux, ils formeront respectivement les « collapsologues », spécialistes de la « collapsologie » (du latin collābī, qui signifie tomber ensemble), termes inventés par Pablo Servigne et Raphaël Stevens dans leur livre Comment tout peut s’effondrer1, véritable référence sur le sujet. Bien que ces concepts aient été, de leur aveu même, inventés avec une connotation ironique, la collapsologie mérite d’être considérée comme un domaine de recherche à part entière, son principal atout étant de se situer au carrefour de nombreuses disciplines aussi variées que l’écologie, l’économie, le climat, la géographie, l’histoire, la sociologie ou encore la démographie. Le présent ouvrage espère modestement s’inscrire dans cette discipline, contribuant de la sorte à élargir un débat qui va s’avérer crucial dans les prochaines années.
1. SERVIGNE Pablo, STEVENS Raphaël, 2015.
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Préambule Selon le vocable suivi par la majorité des médias et des économistes, nous sommes depuis plusieurs années dans une situation de « crise ». Cette dernière serait non seulement financière et économique mais également écologique, sociale, politique, identitaire, etc. Pourtant, ce que traversent nos sociétés est beaucoup plus profond. Alors que le concept de crise suppose un retour à la « normale », notre civilisation industrielle capitaliste est à bout de souffle, étouffée par ses contradictions internes ainsi que par des limites écologiques toujours plus préoccupantes. D’où l’émergence d’un concept de plus en plus récurrent pour désigner la situation actuelle, celui d’effondrement. Si cette notion recèle en son sein un certain romantisme (chapitre 1), nous verrons qu’elle possède une grande pertinence à la fois historique (chapitre 2) mais également actuelle (chapitre 3). Le franchissement de frontières écologiques toujours plus nombreuses ainsi que l’impossibilité pour le système de retrouver des taux de croissance qui lui sont nécessaires nous entraîneraient ainsi vers la fin d’un modèle qui s’est étendu à l’ensemble du monde en quelques siècles seulement. Ce mot semble donc approprié à bien des égards, tant ce que nous traversons nécessite une analyse systémique, ce que proposent précisément les théoriciens de l’effondrement. Alors que les économistes insistent sur la crise financière, les écologistes sur l’état de l’environnement, les politologues sur les conflits internationaux et identitaires, l’étude de l’effondrement (nommée ci-après « collapsologie »1) considère ces éléments comme interdépendants, le tout reflétant les failles d’un système organisationnel complexe qui, comme tout système, a un début et donc une fin. Pour autant, chez de nombreux auteurs, la principale lacune de cette notion d’effondrement est de minimiser, voire d’occulter, toute analyse en termes de rapports sociaux et d’exploitation entre les classes. Dans de nombreux cas, l’effondrement est vu comme une menace pour tout un chacun, faisant fi des relations de domination entre les membres de la société. ******ebook converter DEMO Watermarks*******
Le présent ouvrage veut ainsi questionner cette notion d’effondrement en mettant l’accent sur ces antagonismes de classes. Ce faisant, et sans nier la gravité de la situation, on en arrive à considérer l’effondrement autrement, à savoir comme un processus déjà en marche, créant des îlots toujours plus réduits de relative prospérité, quand le(s) reste(s) du monde se démène dans des situations proches de ce que l’imaginaire considère comme des mondes effondrés (chapitres 4 et 5).
1. Voir http://www.collapsologie.fr/
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1. L’imaginaire de l’effondrement « L’architecture, c’est ce qui fait les belles ruines » Auguste Perret, architecte (1874-1954) Autant dans l’imaginaire collectif qu’individuel, l’effondrement de la société est un thème récurrent et souvent très en vogue. Avec la crise globale que traverse le monde depuis plusieurs années, ce thème connaît une certaine résurgence, notamment dans la bouche de nombreux écologistes, économistes et chercheurs de tous horizons. Le succès de plusieurs ouvrages, films ou prophéties permet de se rendre compte du phénomène. Du best-seller Effondrement1 de Jared Diamond, aux modèles du Club de Rome, en passant par la prolifération des mouvements survivalistes, l’imaginaire de l’effondrement touche de larges pans de la société et le développement d’internet n’a fait que diffuser davantage cette idée. Le mot « effondrement » peut ainsi devenir un concept fourre-tout, au point que l’on ne sache plus vraiment ce qu’il englobe. Il est utilisé tant par des courants complotistes (de droite comme de gauche) ou anticapitalistes, que par des mouvements d’écologie profonde en passant par les sphères religieuses (notamment des prédicateurs évangélistes), médiatiques ou même commerciales (interprétation du calendrier maya quant à la fin de notre monde programmée en 2012), avides de profits et de fantasmes postapocalyptiques. Mais dans de nombreux cas, ce qui se cache derrière cette notion est relativement flou. À noter que nous mettons ici de côté les scénarios de fin du monde, d’eschatologie biblique et d’Armageddon récurrents depuis des siècles2. L’effondrement dont il sera question tout au long de cet ouvrage couvre la fin d’un monde, d’une civilisation, laquelle peut être qualifiée de thermo-industrielle. Nous y reviendrons ultérieurement. ******ebook converter DEMO Watermarks*******
Une vision romantique de l’effondrement Le succès de ce concept doit sans doute beaucoup à un certain romantisme de l’effondrement. Comme le dit justement Joseph Tainter dans les premières lignes de son célèbre ouvrage sur le sujet, « l’image des civilisations perdues est fascinante : des cités enfouies sous des amoncellements de sable ou une jungle enchevêtrée ; ruines et désolation, là où jadis se trouvaient des gens et l’abondance »3. À ce titre, les ruines mayas restent certainement emblématiques, en atteste le succès touristique de ces différents sites. De la même façon, qui n’a jamais imaginé une mégapole américaine, avec ses gigantesques gratte-ciel symbolisant la surpuissance capitaliste, dans « laquelle les arbustes engendrent un nouveau sous-sol » et où « le lierre gravit les six étages des immeubles d’habitation et des magasins abandonnés »4. De plus, les crises successives du système économique ainsi que la colère et les protestations de plus en plus récurrentes contre ce dernier entraînent un regain d’attention pour ce passionnant sujet. L’effondrement peut alors être vu comme un châtiment, sinon souhaité, du moins mérité ; un échec cuisant de ce système tant décrié. L’impasse écologique dans laquelle nous nous trouvons contribue également à imaginer un monde où la nature aurait repris le pouvoir sur la société : un monde composé de villes mortes, d’industries en ruines et d’autoroutes désertes sur lesquelles pourrissent des véhicules abandonnés. Un monde similaire aux villes entourant la centrale de Tchernobyl depuis l’accident nucléaire de 1986, un monde sans êtres humains5 devenu progressivement une sorte de réserve naturelle… Toutes proportions gardées, c’est un peu la ligne défendue par certains courants dits d’écologie profonde pour qui l’espèce humaine serait le principal obstacle à une nature s’épanouissant par elle-même (c’est également la trame de fond de l’hypothèse Gaïa de James Lovelock)6. Ce fantasme de l’effondrement se retrouve dans bien des films comme la conséquence de différentes catastrophes : désastres naturels (2012, Le jour d’Après, Waterworld), épidémies (Contagion), hiver nucléaire (La Route7), épuisement des ressources (Mad Max, Soleil Vert), voire même invasion de morts-vivants (Zombies, 28 jours plus tard, World War Z). Le contexte dans lequel évolue ce type de scénario est souvent le même : suite à un événement catastrophique, les protagonistes se retrouvent dans un univers ravagé dans lequel l’organisation qui prévalait se désintègre plus ou ******ebook converter DEMO Watermarks*******
moins rapidement : hôpitaux submergés de patients, magasins pris d’assaut, coupures d’électricité, pénuries de carburants, défaillances des réseaux d’eau potable, amoncellements d’ordures à chaque coin de rue, embouteillages monstres sur les autoroutes desservant la ville, et surtout incapacité de l’État à faire régner l’ordre, entraînant de la sorte émeutes et pillages de part et d’autre. Cette situation voit la plupart du temps émerger des enclaves administrées par un ordre arbitraire, gérant les pénuries à l’abri du chaos extérieur. Dans bien des cas, l’histoire se termine dans un monde moins complexe, avec une population réduite, vivant dans de petites unités spatiales et pratiquant une vie en relative autosuffisance. L’effondrement survient alors quand « les besoins de base (eau, alimentation, logement, habillement, énergie, mobilité, sécurité) ne sont plus fournis à une majorité de la population par des services encadrés par la loi »8.
L’effondrement ne se produira pas comme on se l’imagine Sans pour autant se porter en contradiction complète avec cette façon de voir les choses, l’imaginaire de l’effondrement pose problème à plusieurs égards. Il est tout d’abord, sinon « occidentalo-centré », du moins focalisé sur les quotidiens vécus par les classes moyennes. En effet, voir une société s’effondrer implique que cette société soit parvenue à un certain niveau de complexité sociale. Or, dans le système mondial tel qu’il est actuellement, il y a de grandes différences en ce qui concerne les degrés de complexité, tant entre les diverses régions du monde (pays riches et pays pauvres) qu’au sein d’une même région (pensons au décalage qui existe dans bien des pays entre des villes très modernes et des campagnes restées exclues de la plupart des innovations technologiques). Par conséquent, certaines zones vivent déjà dans des situations proches de celles évoquées par les « collapsologues ». C’est bien sûr le cas dans les trop nombreux bidonvilles9 du tiers-monde, « pour l’essentiel faits de brique brute, de paille, de plastique recyclé, de parpaing, de tôle ondulée et de bois de récupération » et dans lesquels les populations vivent « de façon sordide dans la pollution, les excréments et la décomposition »10 ; mais également dans de nombreux quartiers des mégapoles du Nord. La description suivante concernant un ghetto de Chicago ******ebook converter DEMO Watermarks*******
pourrait très bien s’appliquer aux quartiers défavorisés de la majorité des grandes villes des pays du Premier Monde : « lorsqu’on s’y promène, on est frappé plus par la mort de la rue que par sa vie. Littéralement, la destruction de la vie humaine est chose fréquente sur la 47e rue. Pour ce qui est du bâti, de nombreux magasins sont abandonnés et obstrués à l’aide de planches. Certains bâtiments ont des grilles métalliques pour devantures et sont fermés au public, mais ils ne sont pas vides : ils sont utilisés, de façon peu discrète, par des habitants qui s’adonnent à des activités illégales. D’autres pans entiers de la rue se sont métamorphosés en terrains vagues. Tous les bâtiments qui se trouvaient sur ces parcelles n’existent plus depuis longtemps. On ne construit plus rien sur la 47e rue. […] Au fil des ans, les immeubles d’appartements ont été condamnés les uns après les autres et démolis par la ville. Aujourd’hui, de nombreux pâtés de maison ont l’apparence de Berlin bombardée après la seconde guerre mondiale. Kenwood est défiguré par d’immenses zones en friches, couvertes d’herbe, de briques et de bouteilles cassées »11. Ce décor pourrait parfaitement constituer la trame d’un prochain film post-apocalyptique. De la même façon, de nombreuses zones géographiques entières ont déjà connu une sorte d’effondrement : là encore, pensons aux nombreuses villes occidentales frappées de plein fouet par la désindustrialisation, entraînant fermetures d’entreprises, dégradation du bâti, déclin de la population et mise en faillite de la ville. Si Détroit est certainement le cas le plus emblématique (il suffit de voir l’évolution du paysage depuis 2009 pour se rendre compte du désastre économique et social qu’a connu une population, noire à 84 %)12, de nombreuses autres localités connaissent un sort similaire, voire pire. En témoigne cette longue description de l’évolution de la situation à Camden, dans le New Jersey : « les industriels quittèrent progressivement la ville pour trouver une main-d’œuvre meilleur marché […]. Certains quartiers commencèrent à se délabrer. La cohésion économique et sociale de la ville s’effrita. L’exode des blancs s’accéléra après les émeutes d’août 1971 qui éclatèrent suite au décès d’un automobiliste portoricain battu à mort par des policiers. Des secteurs entiers de la ville furent pillés et incendiés. Aujourd’hui, moins de 5 % des habitants sont des blancs, et la population totale de la ville a chuté de 36 % depuis 1950. Les dix-huit cinémas que comptait Camden, les nombreuses églises et les synagogues, le grand hôtel Walt Whitman, avec ses huit étages, ses deux cents chambres, sa salle de danse, ses salles de banquets… tout a disparu, aspiré dans une spirale ******ebook converter DEMO Watermarks*******
infernale […]. Il n’y a plus d’hôtels, plus de motels, plus d’usines. Pas un seul concessionnaire de voitures neuves mais quantité de véhicules d’occasion parqués sur des terrains vagues. L’unique supermarché se trouve à la périphérie de la ville, loin des quartiers dangereux. […] À Camden, la ruine est totale »13. Cette description porte en elle de nombreux éléments (déclin industriel, capitalisme, paysages urbains désertiques, émeutes, tensions ethniques, ségrégation, pauvreté…) caractéristiques de l’image que l’on peut se faire de l’effondrement et sur lesquels nous reviendrons ultérieurement. Pire encore, certains États sont littéralement dans une situation de faillite institutionnelle qui, n’en déplaise à certains anarchistes, est synonyme pour la majorité de la population d’insécurité chronique et de chaos quotidien. Le meilleur exemple est probablement la Somalie, où de vastes zones sont désertées par l’État, livrées à elles-mêmes et par là se retrouvent sous la coupe de seigneurs de guerre locaux. L’essentiel du territoire irakien est dans le même cas (notamment en raison de l’invasion américaine), tout comme de nombreuses régions des deux Soudan. Haïti, notamment suite au tremblement de terre de 2010 et à sa gestion par l’ingérence internationale, laisse également entrevoir des images post-apocalyptiques, même plusieurs années après la catastrophe. En outre, de part et d’autre, on assiste à une polarisation sociale de plus en plus institutionnalisée. Alors que les riches ont la possibilité et les moyens de fuir – peut-être temporairement – ou d’atténuer les effets de l’effondrement tel qu’il se produirait, les pauvres sont contraints de rester sur place et de subir les conséquences d’un désastre dont ils sont la plupart du temps les moins responsables. Il en sera largement question dans la quatrième partie, mais en préambule, « on n’a aucun mal à imaginer un avenir dans lequel un nombre de plus en plus grand de villes, voyant leurs infrastructures fragiles et négligées depuis trop longtemps, détruites par des catastrophes, les laisseront pourrir sur place, sans restaurer ni réhabiliter leurs fonctions essentielles. Les nantis, eux, se réfugieront dans des enclaves résidentielles protégées (gated communities), où des fournisseurs privés répondront à tous leurs besoins »14. Enfin, il est illusoire de croire que l’effondrement de la société se produira en même temps pour l’ensemble des régions du monde. Il est clair que de multiples facteurs, tels que le niveau de développement économique et d’autonomie, l’accès aux ressources naturelles, la puissance militaire ou encore la réponse donnée par le gouvernement, rendent certains pays ******ebook converter DEMO Watermarks*******
beaucoup plus vulnérables que d’autres à une perspective d’écroulement du système politique, économique, social et/ou écologique. Il faut donc relativiser cette notion d’effondrement, notamment en le considérant comme un processus plutôt que comme un événement unique. D’ailleurs, et les quelques exemples mentionnés ci-dessus en attestent, ce processus est déjà en marche et il est probable que les situations décrites se multiplient, voire se généralisent dans toujours plus d’endroits de la planète. Le troisième chapitre reviendra sur les risques réels qui pèsent sur notre société. Toujours est-il qu’il faut bien avoir en tête qu’on décrit souvent l’effondrement comme un événement relativement bref alors qu’il s’étend le plus souvent sur de longues périodes. Comme les périodes de profondes mutations historiques (révolution néolithique, révolution industrielle…), les chercheurs parlent d’effondrement des sociétés passées bien plus tard que le moment auquel il se produit et décrivent ce concept comme se déroulant sur du (très) long terme. L’Empire Romain d’Occident a ainsi mis plusieurs siècles pour se désintégrer ; la civilisation Maya également tout comme la société Viking du Groenland. Conformément à cette idée, la chute de notre civilisation ne se produira sans doute pas de façon telle que l’imaginaire de l’effondrement le prétend : toutes les régions du monde ne s’écrouleront pas simultanément et les populations, aux quatre coins du globe ou au sein d’une même société, ne seront pas touchées de la même façon. Comme le soulignent Pablo Servigne et Raphaël Stevens dans leur livre, « il apparaît évident que la temporalité et la géographie d’un effondrement ne seront respectivement ni linéaires, ni homogènes »15.
Nous ne sommes pas égaux devant l’effondrement Tout cela étant dit, notre propos n’est pas de dire que tout va bien dans le meilleur des mondes et par là de rejeter cette perspective. Au contraire, à la lumière des problèmes qu’augure un avenir très proche, le débat sur l’effondrement est à prendre au sérieux. Mais nous nous détournons d’une perspective de chaos post-apocalyptique global duquel émergerait une situation d’état de Nature et de guerre de tous contre tous, fidèle à la conception de Hobbes (avant l’émergence du Léviathan) et à bien des théories survivalistes. Dans le monde francophone, le plus illustre ******ebook converter DEMO Watermarks*******
représentant de ce mouvement est sans doute Piero San Giorgio, auteur du livre Survivre à l’effondrement économique16. Si la première partie de cet ouvrage est une bonne introduction à la notion d’effondrement, la seconde nous fait vivre un périple effrayant dans un monde dépourvu de lois et de services publics et où les seuls facteurs de survie semblent être le repli sur soi et la violence défensive. Nous sommes avec San Giorgio dans une conception dans laquelle l’État est, sinon le problème, du moins incapable de le résoudre, et où la meilleure solution est donc de se débrouiller par ses propres moyens. Selon San Giorgio, « lorsque le système commencera à s’effondrer, il faudra compter avec un gouvernement qui essaiera de montrer qu’il a toujours de l’autorité et décrétera des mesures de plus en plus contraignantes et autoritaires […]. Tout cela est probablement voué à l’échec car une structure aussi grande et lourde qu’un État ne pourra pas tenir longtemps lors d’une telle crise »17. Cette manière de voir les choses est somme toute relativement conforme aux théories individualistes néolibérales, voire libertariennes. Il n’est d’ailleurs pas surprenant que le mouvement survivaliste soit surtout présent aux États-Unis, terre fertile pour les thèses antiétatiques néolibérales. Dans ce type de raisonnement, il n’y a guère de place pour la solidarité et l’organisation collective. Bien que San Giorgio admette la nécessité d’avoir du lien social, la plupart des principes survivalistes se basent sur des réflexes de survie personnelle dans lesquels l’autre est souvent vu avec méfiance. Loin de nous l’idée d’avoir une vision idyllique d’une pseudo nature humaine mais il faut reconnaître (et espérer) la possibilité d’une société basée sur davantage de vivre-ensemble18. Dans une analyse profonde sur les risques et catastrophes, deux géographes soulignent d’ailleurs que dans la plupart des cas, et contrairement aux images médiatiques, « les organisations pro-sociales sont plus nombreuses que les groupes qualifiés d’antisociaux (pillages, vols) »19. En outre, le principal problème avec ce genre de prévisions est qu’il encourage (implicitement dans le cas de San Giorgio) l’idée que nous (si pas l’humanité, du moins la société) serions tous dans le même bateau et donc touchés par les désastres à venir de façon indifférente selon notre statut, notre classe ou notre richesse matérielle. Or, « les fléaux ciblent les dépossédés, ceux qui sont contraints de faire leur vie dans la trajectoire du danger »20. En d’autres termes, l’imaginaire de l’effondrement revient d’une certaine façon à minimiser les rapports d’exploitation entre classes sociales tout comme les responsabilités à l’origine de ce processus. Par conséquent, et bien que ce ******ebook converter DEMO Watermarks*******
concept soit probablement adéquat pour désigner un avenir proche, chez de nombreux auteurs, la vision de l’effondrement revient à occulter (voire réfuter) les responsabilités du modèle économique dominant et, au travers de ce dernier, des acteurs qui détiennent les principaux pouvoirs économiques, politiques, médiatiques, symboliques et militaires. En résumé, le présent livre cherche à concilier cette approche, selon laquelle notre civilisation est au bord de bouleversements majeurs qu’il convient de caractériser comme un effondrement, avec celle d’une division du monde en classes sociales, de manière à imaginer l’avenir qui nous guette de la façon la plus crédible possible. L’objectif étant évidemment d’encourager modestement une prise de conscience sur le monde d’apartheid économique, social (et racial dans de nombreux cas) tel qu’il est façonné par le 1 % le plus riche. Considérant que l’effondrement, avant de placer l’humanité dans la même barque, va aggraver les inégalités sociales mais aussi environnementales précisément à la source de ce risque d’effondrement, empêcher que ce dernier ne se fasse dans la barbarie implique nécessairement de l’expliquer sous l’angle des antagonismes de classes.
1. DIAMOND Jared, Effondrement – Comment les sociétés décident de leur disparition ou de leur survie, Gallimard, Paris, 2006. 2. Si l’extinction de l’humanité dans un avenir proche est possible (éruption du volcan de Yellowstone, hiver nucléaire, collision avec un météore…), il faut admettre que les probabilités sont assez minces. De plus, la fin de l’espèce humaine ne donnerait lieu à aucune transformation de la société, cela va de soi, et donc ne nécessite aucun débat politique. 3. TAINTER Joseph, L’effondrement des sociétés complexes, éditions Le Retour aux sources, Aube, 2013 (1988). 4. DAVIS Mike, Dead cities, Les prairies Ordinaires, Paris, 2009, p. 93. 5. Voir la bande dessinée de LEPAGE Emmanuel, Un printemps à Tchernobyl, Futuropolis, Paris, 2012. 6. Lovelock conçoit la terre comme un système dynamique qui s’autorégule pour maintenir la vie. Dans cette conception, l’espèce humaine est vue comme intrinsèquement intrusive. 7. Bien que la cause du désastre ne soit pas explicitement évoquée, la nature de la catastrophe laisse penser à des origines nucléaires. 8. D’après Yves Cochet. 9. La comparaison a bien sûr ses limites, notamment le fait que pour la plupart, ces bidonvilles ne résultent pas d’un effondrement de la société mais émergèrent suite à l’exode rural et à la paupérisation des populations (notamment en raison des politiques néolibérales menées par la Banque mondiale et le FMI). 10. DAVIS Mike, Le pire des mondes possibles, La Découverte, Paris, 2006, p. 22. 11. WACQUANT Loïc, Parias urbains – Ghetto, banlieues, État, La Découverte, Paris, 2006, p. 109. 12. Voir le reportage photo à l’adresse suivante : http://goobingdetroit.tumblr.com/ (consulté en
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décembre 2015) 13. HEDGES, SACCO (2012), pp. 89-90. 14. KLEIN Naomi, La stratégie du Choc – La montée d’un capitalisme du désastre, Actes Sud, Paris, 2008, p. 642. 15. SERVIGNE Pablo, STEVENS Raphaël, 2015. 16. SAN GIORGIO Piero, Survivre à l’effondrement économique, Le Retour aux Sources, Aube, 2011. 17. SAN GIORGIO (2011), p. 395. 18. À noter qu’une autre vision antagoniste décrit l’imaginaire de l’effondrement. Certes moins fréquente, celle-ci considère en quelque sorte l’écroulement des structures sociales et politiques que nous connaissons comme la fin de la tyrannie de l’État. Cette façon de voir les choses est notamment défendue par le fameux Comité Invisible, auteur de L’insurrection qui vient. Dans leur deuxième ouvrage, À nos amis, ses membres écrivent : « l’effacement de la civilisation ne prend généralement pas la forme d’une guerre chaotique de tous contre tous. Ce discours hostile ne sert, en situation de catastrophe sévère, qu’à justifier la priorité accordée à la défense de la propriété contre le pillage » (p. 36). Bien que cette phrase comporte une grande part de vérité, le problème est que les auteurs en viennent à envisager a contrario un effondrement dans la joie, selon lequel la mise en danger de l’ordre étatique et coercitif donnerait lieu à une euphorie généralisée et à une autogestion des habitants. Plus loin dans le livre, les auteurs en viennent précisément à souhaiter ce monde d’enclaves autogérées, notamment par les exclus de tous bords : « faire sécession, c’est habiter un territoire, assumer notre configuration située du monde, notre façon d’y demeurer, la forme de vie et les vérités qui nous portent, et depuis là, entrer un conflit ou en complicité. C’est donc se lier stratégiquement aux autres zones de dissidence, intensifier les relations avec les contrées amies, sans soucis de frontières » (p. 187). Comme on le verra, si la tendance est bien à la fragmentation du monde, ça n’est malheureusement pas sur une façon commune de « vivre et résister » mais plutôt sur des réflexes identitaires de plus en plus exclusifs, laissant de nouveau les utopies décrites ci-dessus à certains groupes parmi les plus aisés. 19. DAUPHINE André, PROVITOLO Damienne, Risques et catastrophes, Armand Colin, Paris, 2013, p. 154. 20. MARAIS Hein, cité par KLEIN Naomi (2008), p. 627.
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2. Quelques éléments de collapsologie « Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles » Paul Valéry, La Crise de l’Esprit, première lettre (1919) Après avoir passé en revue l’imaginaire de l’effondrement, tentons maintenant de cerner la réalité et la pertinence du concept. Pour ce faire, une façon de procéder assez fréquente consiste à comparer les effondrements de civilisations passées avec la situation dans laquelle nous nous trouvons. L’objectif est évidemment de nous avertir des risques afin de nous faire prendre conscience de la nécessité de changer les choses. Ainsi, dès le début de son célèbre ouvrage, Jared Diamond voit « le passé comme une riche banque de données dans laquelle nous pouvons puiser pour nous instruire, si nous voulons aller de l’avant »1. Il conclut d’ailleurs son livre de la façon suivante : « nous accumulons des connaissances sur l’effondrement des sociétés d’autrefois afin de tirer un bénéfice concret de ce savoir. Cette intelligence du temps et de l’espace d’hier à aujourd’hui, c’est notre chance, dont aucune société passée n’a bénéficié à un tel degré »2. Avant de questionner la pertinence de cette façon de voir les choses, il est nécessaire d’apporter une tentative d’explication de ce qu’a pu être et ce que pourrait signifier une société qui s’effondre. En ce qui concerne les sociétés passées, la plupart des auteurs s’intéressant à la question conçoivent l’effondrement de la façon suivante, à savoir « une réduction drastique de la population humaine et/ou de la complexité politique/économique/sociale, sur une zone étendue et une durée importante »3. Partant de là, on considère généralement comme victimes de ce phénomène les royaumes babyloniens antiques, l’Égypte Pharaonique, l’Empire Romain d’Occident, la civilisation ******ebook converter DEMO Watermarks*******
maya ou encore l’empire Khmer en Asie du Sud-est. On le voit, la définition de Diamond a le mérite de porter en elle les éléments récurrents dans la plupart des analyses liées à l’effondrement pour expliquer à la fois les facteurs conduisant à la désintégration de la société et le déroulement même de cette désintégration. Parmi ces éléments, nous retiendrons ici la question de la démographie, de la gestion des ressources, de la complexité et enfin celle du pouvoir et de l’autorité. L’objectif de ce chapitre est de questionner cette notion au regard de notre propre civilisation. Dans le suivant, nous sortirons des concepts théoriques afin d’envisager les menaces concrètes qui pèsent sur notre société. À noter que si ces éléments font l’objet de sous-chapitres différents, c’est avant tout par souci de clarté, car comme nous le verrons, de multiples liens existent entre eux et la plupart ne prennent sens que dans un contexte plus large.
Trop nombreux ? Un élément souvent indissociable de la notion d’effondrement est la démographie. La variable de la population est simultanément vue par les collapsologues à la fois comme une cause et comme une conséquence d’une société qui s’effondre. La surpopulation est dans bien des cas un des facteurs privilégiés qui expliquerait le déclin d’une société et à son tour, celui-ci entraînerait une chute drastique du nombre de personnes (soit par décès soit par émigration). Nous ne sommes en fait jamais loin de la vision malthusienne, selon laquelle l’accroissement de la population suivant une logique exponentielle, la quantité de nourriture n’arrive pas à suivre, entraînant de la sorte une pénurie qui conduit à une baisse de la population. Jared Diamond est un des chercheurs qui pointe le plus l’augmentation de la population dans la responsabilité de l’effondrement. Dans son célèbre ouvrage, même s’il admet différentes causes (changements climatiques, épuisement des ressources, relations avec des sociétés voisines…) cette question revient plus ou moins explicitement en trame de fond de l’ensemble de ses études de cas4. Il en revient d’ailleurs à fortement simplifier les choses : c’est le cas de son chapitre sur le génocide au Rwanda. Même si ce pays connut une forte croissance démographique dans les années pré******ebook converter DEMO Watermarks*******
génocide, réduire l’événement à cette question revient purement et simplement à nier les faits historiques, économiques et géopolitiques5. De ce fait, il n’est guère surprenant de voir Diamond soutenir la politique de l’enfant unique appliquée en Chine6, laquelle, rappelons-le, a été appliquée de manière autoritaire, a entraîné des drames sociaux considérables et provoqué un vieillissement de la population sans précédent. Un élément privilégié pour expliquer le goulot d’étranglement que constituerait la croissance de la population est la notion d’exponentielle7. La population suivrait cette tendance alors que la production de nourriture serait dans un accroissement linéaire. De ce fait, une fois atteint un stade, l’effondrement de la population est inévitable. Au regard de la croissance démographique mondiale depuis les débuts de l’humanité, on ne peut balayer cet argument d’un revers de la main. Alors que son nombre au niveau mondial a été relativement stable pendant des siècles, la population a brusquement explosé à partir du XIXe siècle. N’en déplaise à certains, cela n’est évidemment pas sans conséquence pour l’état de la planète. Poser ce constat ne signifie pas pour autant être partisan d’une solution à la chinoise. Les études autour de la transition démographique montrent au contraire qu’il est possible de limiter la taille de la population conjointement à une augmentation du niveau de vie et à une meilleure éducation8. Le problème avec cela, et c’est ce que de nombreux auteurs, souvent marxistes9, refusent de prendre en compte, c’est le décalage temporel entre la dynamique exponentielle de la population et le temps nécessaire pour atteindre une diminution de la natalité. De plus, il faut reconnaître le rôle catastrophique d’un grand nombre d’autorités religieuses (chrétiennes et musulmanes principalement) dans leurs efforts pour saper toute politique de mise en œuvre d’une contraception à grande échelle et de plannings familiaux efficaces. Pour ces raisons, la majorité des analystes prévoient un accroissement de la population mondiale de deux milliards d’ici à 205010. Cet accroissement ne sera évidemment pas sans conséquence pour résoudre les problèmes à venir. Malgré cela, il ne faut pas surestimer l’importance de la taille de la population non seulement dans l’effondrement de la société en général mais également dans la crise globale que notre monde connaît. Bien que la question démographique soit importante, elle est loin d’être le facteur fondamental. Plus que le nombre, c’est davantage le mode de production et de consommation qui pose problème. Un seul chiffre révélateur concernant le réchauffement climatique, on estime que les 500 millions de personnes les plus aisées sont responsables d’environ la moitié des émissions de gaz à effet ******ebook converter DEMO Watermarks*******
de serre11. On peut ainsi réduire drastiquement la population, les crises écologiques et climatiques ne seraient pas résolues pour autant. C’est d’autant plus vrai que les pays n’ayant pas terminé leur transition démographique sont précisément ceux dont les populations émettent le moins de CO2 et ont le mode de vie le plus « soutenable ». À l’inverse, les pays qui ont la plus forte empreinte écologique ont pour la plupart une population nationale qui se stabilise, voir décroît, et ce sans aucune mesure coercitive. Il est ainsi démontré que la réduction des inégalités, l’établissement de systèmes de santé et d’éducation gratuits et efficaces entraîneraient de facto une réduction du nombre de naissances autrement plus significative (car sans coercition et sans souffrances) que des politiques antinatalistes telles qu’elles ont été imposées dans plusieurs pays. En somme, « le comble de l’ironie veut que dans la plupart des cas, l’accroissement démographique ralentisse d’autant plus vite que l’on n’en fait pas une politique prioritaire, valorisant plutôt le droit des femmes et les besoins fondamentaux des habitants »12. En d’autres termes, il faut considérer des taux de natalité élevés comme une conséquence plutôt que comme une cause de la pauvreté, notamment dans le tiers-monde13. En fait, bien souvent, les discours populationnalistes ont pour fonction (volontaire ou non) de « fournir […] aux plus puissants une explication de la misère humaine qui les disculpe et qui rend légitime diverses idéologies de l’exclusion »14. Ainsi, dans de nombreux cas, l’argument démographique sert à justifier des politiques pour le moins réactionnaires, en particulier contre l’immigration, les pauvres et les gens de couleurs : avortements et stérilisation forcés, suppression de l’aide alimentaire, barrières contre l’immigration, baisse des allocations familiales15. Placer la question de la démographie au centre du débat16 revient donc fréquemment à occulter d’autres facteurs, qui pourtant sont primordiaux, tels que les questions du mode de production et des rapports d’exploitation. Un exemple nous en est fourni par Samuel Huntington qui, dans son célèbre livre Le Choc des civilisations, écrit explicitement qu’une croissance démographique importante, entraînant une population jeune, est en elle-même un facteur d’instabilité et de conflits entre civilisations. On ne peut pas balayer cet argument d’un revers de la main mais, comme chez Diamond, cette analyse réductrice occulte souvent les véritables causes profondes des problèmes (histoire, impérialisme, instrumentalisation de la religion, pauvreté, classes sociales, ingérences occidentales…). Même en ce qui concerne l’alimentation, l’équation FAIM DANS LE MONDE = TROP DE ******ebook converter DEMO Watermarks*******
GENS ne tient pas la route car elle fait fi d’autres éléments tels que le gaspillage, la promotion d’un régime alimentaire riche en viande, l’accaparement des ressources et des sols agricoles par une poignée d’acteurs ou encore la structure du commerce international encourageant les cultures commerciales au détriment des besoins alimentaires des paysans. Ainsi, sous prétexte de généralisation abusive, cette vision des choses met l’ensemble de l’humanité devant les mêmes responsabilités. La citation suivante est révélatrice de cette vision des choses : « Nous avons consciemment modifié l’environnement, fait reculer la forêt, défriché ou piétiné les communautés végétales, exterminé ou évincé toutes les espèces animales […]. Nous avons tout empoisonné par des industries pour la plupart aujourd’hui caduques […]. Nous avons façonné des déserts agraires pour la monoculture intensive et concocté des écosystèmes artificiels pour des loisirs contestables »17. À la lecture de cette phrase, le plus dérangeant est qu’aucune distinction n’est faite entre les différentes composantes de l’humanité, la source du problème étant cette dernière dans sa globalité. Soulignons enfin les penchants misanthropes de nombre de ces théoriciens. Le lecteur pourra se faire son point de vue en parcourant le livre Moins nombreux, plus heureux18, dont le titre est pour le moins explicite. L’humanité est ainsi comparée à un cancer (p. 88), à une invasion de poux (p. 87) et est considérée comme « la pire espèce invasive » (p. 158).
L’écocide ou l’effondrement environnemental Toute société a besoin de ressources pour perdurer. C’est d’ailleurs l’objet de base de l’économie. Ces ressources peuvent être naturelles ou humaines. Nous allons surtout nous pencher sur les premières. Parmi les ressources que nous fournit la nature, distinguons celles dont le caractère est non renouvelable à l’échelle humaine des autres, renouvelables. Les ressources non renouvelables comprennent bien entendu l’ensemble des ressources énergétiques fossiles telles que le charbon, le gaz, le pétrole ou l’uranium, mais aussi l’ensemble des minerais. De leur côté, les ressources renouvelables comprennent non seulement les ressources infinies telles que le vent, la force de l’eau ou l’énergie solaire, mais également de nombreuses ressources renouvelables, si tant est que la vitesse de leur exploitation ne soit ******ebook converter DEMO Watermarks*******
pas plus rapide que celle de leur renouvellement19. Il en est ainsi des forêts, des terres arables et des réserves d’eau potable. Jusqu’à notre époque, c’est globalement la surexploitation de ce dernier type de ressources qui aurait causé la chute de plusieurs civilisations, parfois associée à des aléas climatiques et à des guerres. Toujours est-il que selon cette variable, une société s’effondre lorsque les ressources qui lui sont nécessaires ne sont plus au rendez-vous en quantité suffisante. Même si les causes sont encore débattues (rivalités entre les chefs, colonisation, importation de rats…) la société traditionnelle de l’île de Pâques aurait suivi pareille destinée, tout comme certaines sociétés nord-américaines précolombiennes. Ces cas ont notamment été popularisés par Jared Diamond et vus précisément comme une mise en garde au regard de notre exploitation déraisonnée des ressources. Si l’objectif paraît louable, il est une limite importante que le célèbre biologiste ne mentionne guère, à savoir la différence d’organisation de la production entre les sociétés passées et la nôtre. Comme l’explique Daniel Tanuro, la plupart de ces sociétés ont pressuré leur environnement et leurs ressources à des fins de pénurie. En d’autres termes, il y a eu décalage entre des besoins surpassant toujours plus les réserves (soit en raison d’une forte population, de calamités naturelles ou d’une mauvaise gestion). En revanche, dans notre société productiviste, la surexploitation des ressources provient le plus souvent non pas de la pénurie mais de l’abondance. Pour le dire autrement, on ne surexploite pas notre environnement pour satisfaire des besoins mais plutôt pour encourager un profit. Cette différence est évidemment capitale car là où de nombreux auteurs pointent la surpopulation ou l’excès de technologie comme les principales causes de nos problèmes, Tanuro accuse, avec raison nous semble-t-il, un système basé sur le gaspillage des ressources en question et leur accaparement par une minorité20. Comme le souligne Franz Broswimmer, de l’Université d’Hawaï, « le plus gros des dégradations environnementales d’aujourd’hui est le fait de deux groupes : le milliard le plus riche et le milliard le plus pauvre. Les plus riches détruisent l’environnement global par leur surconsommation rapide des ressources et leur généreuse production de déchets, tandis que les plus pauvres détruisent leurs ressources par nécessité et par absence de choix »21. Malgré cette limite, il faut admettre que même une organisation relativement égalitaire ne suffit pas à épargner une société d’une gestion déraisonnée de ses ressources. L’île de Nauru constitue ainsi une inquiétante parabole de notre monde actuel. Un ******ebook converter DEMO Watermarks*******
temps la plus riche du monde, cette économie, exclusivement basée sur l’exploitation du phosphate (principalement destiné au secteur des engrais industriels), est devenue en quelques années un désastre écologique et social, puisque l’épuisement de son unique ressource a conduit à une désintégration complète de la société ainsi qu’à l’écroulement de son économie22. On peut également faire rentrer dans la relation entre l’environnement et la société les changements climatiques. Sans doute en raison de l’omniprésence du réchauffement global dans les débats qui balayent nos sociétés, ce facteur est fréquemment invoqué pour expliquer (parmi d’autres) la chute de plusieurs civilisations, notamment la Rome antique23, la civilisation maya24, la société viking du Groenland25 ou encore la cité d’Angkor26.
La complexité Pour autant, dans la plupart des cas, les facteurs conduisant une société à l’effondrement sont souvent multiples et s’inscrivent dans un contexte plus large de difficultés organisationnelles de la société. En fait, la nature même d’une société complexe est sa capacité à faire face aux adversités qui peuvent la menacer. Par conséquent, si cette société ne peut affronter une ou un ensemble d’adversités, il est probable que ce soit en raison de défaillances fonctionnelles internes. D’où un élément fondamental pour comprendre ces processus de désintégration des sociétés : la complexité. Cette notion est trop souvent absente des multiples analyses de l’effondrement, alors qu’elle nous semble pourtant essentielle. C’est Joseph Tainter qui a le premier analysé la question, analyse que l’on retrouve dans son ouvrage L’effondrement des sociétés complexes. Son raisonnement est somme toute assez simple : plus une société croît et se complexifie, plus ses coûts de gestion augmentent, de la sorte qu’une fois atteint un certain stade, ces coûts absorbent toujours plus de ressources au détriment de progrès potentiels dans d’autres domaines (Tainter parle de rendements décroissants). Il en résulterait que le destin final de toute société complexe serait le déclin voire l’effondrement. L’histoire de l’Empire Romain d’Occident illustre bien ce destin tragique. Si de multiples facteurs semblent avoir causé la perte de ce puissant empire (invasions barbares, changements climatiques, épuisement des sols, manque d’esclaves, comportement ostentatoire des classes ******ebook converter DEMO Watermarks*******
dirigeantes…), ils n’ont pu être déterminants que dans un contexte de déclin et de dépassement des limites, causés par la nature même de l’organisation de la société romaine. En effet, l’expansion continue avait comme avantage de doter l’empire de toujours plus de ressources, non seulement naturelles (des terres en particulier) mais surtout humaines à travers l’esclavage. Le problème fut qu’à partir d’un certain moment, l’immensité et la complexité de l’empire étaient devenues de plus en plus difficiles et coûteuses à gérer. Il en a résulté que les bénéfices liés à l’expansion étaient finalement entièrement absorbés par les coûts de fonctionnement. Bientôt, les nouvelles conquêtes ne suffisaient plus à satisfaire ces coûts, entraînant l’empire dans un déclin progressif qui aura raison de lui en quelques siècles. Chris Harman, dans sa monumentale Histoire populaire de l’Humanité, ne dit pas autre chose : « la puissance économique de l’empire était menacée en permanence par ce même facteur qui avait été décisif au début de sa prospérité : l’esclavage. Tandis que prenaient fin les guerres de conquêtes qui avaient donné naissance à l’empire, l’afflux de captifs nouveaux commença à se tarir et le prix des esclaves à augmenter. […] Par conséquent, alors que la consommation de luxe des riches et le coût du maintien de l’empire étaient plus intenses que jamais, le surplus que l’esclavage avait fourni sous la république n’était désormais plus disponible. La classe dirigeante n’avait désormais pas d’autre choix que de persévérer comme par le passé, en exerçant une pression encore plus forte sur la paysannerie »27, ce qui allait avoir raison de la stabilité interne de l’empire, lequel allait décliner sous le poids des désordres sociaux et des invasions extérieures pour donner lieu à un ensemble d’unités géographiques et politiques nettement moins complexes. Cette théorie a l’avantage de recontextualiser d’autres facteurs souvent pointés dans l’effondrement de telle ou telle société. Ainsi, la raréfaction des ressources, l’émergence d’une catastrophe naturelle, des invasions extérieures ou encore la perte d’un partenaire commercial ne peuvent bien souvent expliquer la chute d’une société que parce que ces événements dépassent sa capacité à absorber le désastre et à s’en rétablir28. Et cette situation est justement liée à la question de la complexité, puisque toujours plus d’excédents étant consacrés aux besoins croissants de fonctionnement, de moins en moins seront disponibles pour faire face à des adversités majeures29. Cette notion de complexité permet en outre d’expliquer la fuite en avant illusoire dans laquelle bien des sociétés sur le déclin ont continué à s’enfoncer et la difficulté d’apporter une réponse quand les contradictions ******ebook converter DEMO Watermarks*******
d’un système politico-économique deviennent trop importantes. Ainsi, cette théorie est d’une saisissante pertinence pour comprendre la crise de notre civilisation. La complexité est parvenue à un degré jamais atteint auparavant et, même si persistent des différences au niveau mondial, l’essentiel des populations sont de plus en plus dépendantes d’une production industrielle basée sur les énergies fossiles bon marché. De ce fait, comme l’écrivent René Riesel et Jaime Semprun, « en achevant de saper toutes les bases matérielles, et pas seulement matérielles, sur lesquelles elle reposait, la société industrielle crée des conditions d’insécurité, de précarité de tout, telle que seul un surcroît d’organisation, c’est-à-dire d’asservissement à la machine sociale, peut encore faire passer cet agrégat de terrifiantes incertitudes pour un monde vivable »30. De leur côté, les auteurs du fameux livre Les limites à la croissance, font implicitement le lien entre cette notion de complexité et les problèmes que pose notre système économique : « l’expansion de la population et du capital physique contraint petit à petit l’humanité à consacrer davantage de capital à la résolution de problèmes nés de l’association de plusieurs limites. Au bout du compte, ces problèmes accaparent tellement de capital qu’il devient impossible d’alimenter la croissance de la production industrielle. Le déclin de l’industrie empêche alors d’assurer la production dans d’autres secteurs : alimentation, services et autres formes de consommation »31.
La question sociale Pour autant, il ne faut pas considérer l’ensemble de la planète comme étant sur le même bateau. Rendre la notion d’effondrement au plus proche de la réalité implique de la considérer au regard des évidences de notre monde, à savoir en posant la question du pouvoir et des inégalités sociales. Historiquement, dans bien des cas, la désorganisation d’une société relevait notamment de politiques irresponsables, voire autodestructrices, de la part des sphères dirigeantes. Le cas des Mayas est à cet égard emblématique. Il est dorénavant communément admis qu’une série de sécheresses inhabituelles seraient à l’origine de la disparition de la civilisation maya32 à l’aube du neuvième siècle. Cette dernière se trouvait en effet dans une zone météorologiquement instable. Pour pallier à cet aléa, les Mayas usaient de ******ebook converter DEMO Watermarks*******
technologies similaires à celles des sociétés hydrauliques telles que des réservoirs au sommet des collines, des canaux et autres systèmes d’irrigation complexes. L’ensemble de ces procédés dépendaient de ce fait pour une grande partie des pluies saisonnières33. Par conséquent, un déficit pluviométrique ne pouvait que compromettre grandement l’organisation de la cité. Si cet exemple doit nous pousser à prendre au sérieux le problème des changements climatiques, il doit aussi nous faire prendre conscience de plusieurs autres leçons. Ainsi, les sécheresses successives ne furent vraisemblablement déterminantes que dans le contexte d’un équilibre écologique devenu de plus en plus précaire plusieurs décennies avant l’effondrement des Mayas. Or, les atteintes aux écosystèmes résulteraient avant tout des luttes intestines entre les élites mayas, lesquelles « rivalisèrent en construisant des pyramides de plus en plus grandes, en surexploitant les ressources et en repoussant les terres cultivables et la paysannerie à la périphérie du territoire »34. Cette rivalité conduisit à une déforestation toujours plus importante (combustible, usage de plâtre…) qui contribua à un accroissement de l’érosion, lequel fut à l’origine d’une diminution notable des terres fertiles. Le déboisement a également perturbé le cycle de l’eau, ce qui a dû accentuer davantage les sécheresses futures. Si ces dernières semblent avoir constitué l’élément déclencheur de l’effondrement des sociétés mayas, l’attitude des élites a donc été désastreuse pour l’ensemble de la société. Focalisées sur leurs intérêts à court terme (prestige, édification de monuments, guerres…), elles ont monopolisé des ressources considérables en nourriture, en main-d’œuvre, en terres cultivables et en forêts et ont sacrifié de ce fait l’avenir de leur société. Cet exemple démontre bien que les aléas climatiques, bien qu’importants, doivent être pris en compte dans le contexte de domination sociale dans lequel l’effondrement survient. Tainter évoque également cette question. Selon lui, l’objectif des sociétés complexes est d’assurer la légitimité du pouvoir. Les bases de cette légitimité seraient le sacré (religieux ou laïc) et les bases matérielles. On peut donc supposer que la perte de légitimité, par la désintégration de ses bases, est une source d’effondrement35. Toujours chez les Mayas, la société était très hiérarchisée. Pour maintenir une stabilité politique et l’allégeance de ses sujets, le souverain faisait également office de prêtre. Grâce au développement des sciences mathématiques et astronomiques mayas, cette élite théocratique pouvait faire des prévisions agricoles et « informer ses disciples sur les jours fastes ou néfastes, sur la pluie et la sécheresse »36. Les paysans supportaient ******ebook converter DEMO Watermarks*******
donc le mode de vie luxueux du monarque et de sa cour parce qu’il leur avait promis la fertilité37. Or la diminution des terres fertiles en raison à la fois de l’érosion et de la baisse des précipitations provoqua une perte de légitimité pour les autorités. Ces dernières n’étant plus en mesure de garantir leurs promesses de fertilité, la cohésion sociale fut donc mise à mal, ce qui se serait traduit par un soulèvement des masses contre une théocratie toujours plus exigeante38. La fin de la civilisation mycénienne (Grèce) lors du deuxième millénaire avant notre ère ou la disparition de la civilisation de l’Indus (Pakistan actuel) 1 700 ans avant notre ère constituent vraisemblablement d’autres exemples d’effondrements internes, dans lesquels « le niveau de richesse accumulé par les élites suggère un système oppressif et surdimensionné »39. C’est sans doute pour cette raison que Tainter associe l’effondrement à une désintégration de l’administration du territoire40. Cet effondrement de l’ordre traditionnel peut ainsi déboucher sur une crise sociale de grande ampleur. Dans leur excellent « manuel de collapsologie », Pablo Servigne et Raphaël Stevens expliquent que, selon une équipe pluridisciplinaire cofinancée par la NASA, « une forte stratification sociale rend difficilement évitable un effondrement de civilisation »41. Les études de cas montreraient que cet effondrement résulterait soit d’une surexploitation des classes populaires par une caste d’élites (le cas des Mayas), soit d’une surexploitation de la nature dans un contexte d’inégalités sociales42. Or, nous pouvons affirmer sans risque de nous tromper que le capitalisme nous entraîne dans ces deux situations à la fois, surexploitant à la fois la Nature et les peuples pour le profit d’une infime minorité. Reste maintenant à savoir quelles sont les perspectives d’effondrement et à quoi il ressemblera.
Un désastre mondial pour une civilisation mondiale Dans un livre récent, l’archéologue Eric H. Cline analyse ce qu’il nomme « l’effondrement de la civilisation de l’âge du Bronze »43, à savoir un ensemble de sociétés éparses autour de la mer Méditerranée. De nombreux facteurs sont évoqués pour expliquer cette chute, tels que des tremblements de terre à répétition, des épisodes de sécheresse, des invasions ainsi que des révoltes internes. Néanmoins, aucun n’aurait pu à lui seul être la cause déterminante. Nous serions plutôt face à une combinaison de causes pour ******ebook converter DEMO Watermarks*******
« produire un scénario dans lequel les répercussions de chacune d’elles ont été décuplées ». Ainsi, « la faillite d’un élément du système pourrait aussi être à l’origine d’un effet domino, entraînant partout d’autres faillites ». Cline ajoute que « l’« effondrement systémique » pourrait avoir provoqué la désintégration des sociétés les unes après les autres, en partie à cause de la fragmentation de l’économie globale, et la rupture des interconnexions dont chaque civilisation dépendait ». En effet, ce qui est singulier ici en comparaison à d’autres études de cas est le caractère globalisé de ces sociétés, reliées entre elles par des routes commerciales44. Mais bien entendu, ce réseau fut limité dans l’espace à une région précise, contrairement à notre monde. Car, si les exemples historiques peuvent être intéressants à plus d’un titre, il est une particularité de notre époque probablement unique depuis les débuts de l’humanité : l’avènement d’une civilisation mondiale. Il existe bien entendu de multiples différences culturelles entre les diverses régions du monde. Pour autant, la quasi-totalité des pays est dorénavant empêtrée dans un système économique capitaliste45 avançant (vers l’abîme ?) main dans la main avec un complexe thermo-industriel basé sur l’exploitation frénétique des énergies fossiles. Mondialisation oblige, l’ensemble de la planète est interconnecté, pour le meilleur (contacts, communication, voyages…) mais aussi pour le pire (épidémies, criminalité, crises financières, pollution, impérialisme culturel…). Or, ce dernier point est important car, comme nous allons le voir dans le chapitre suivant, cette interconnexion a fait perdre à la majorité des sociétés leur capacité de résilience46. De l’alimentation à l’énergie en passant par la communication, il n’existe quasiment plus d’autonomie pour bien des pays, rendant ces derniers extrêmement vulnérables à un choc externe dont ils ne sont pas responsables. La transmission de la crise américaine en 2008 à l’ensemble du monde est là pour nous le rappeler. C’est également le cas pour les problèmes écologiques. Alors que les exemples passés étaient tous limités dans l’espace (île, région, souscontinent), les externalités de notre mode de production touchent dorénavant la totalité de la planète (bien qu’à des degrés divers, nous y reviendrons) et c’est bien l’ensemble des populations qui perd petit à petit sa capacité de résilience. Nous portons ainsi un regard critique à la thèse d’Erik M. Conway et Naomi Oreskes qui, dans un livre récent intitulé L’effondrement de la civilisation occidentale47, projettent l’effondrement des puissances ******ebook converter DEMO Watermarks*******
occidentales au profit de la Chine, laquelle a pu éviter la catastrophe par des mesures autoritaires. Si le livre a le mérite de pointer la responsabilité de l’idéologie néolibérale dans le déclin de l’Occident, il fait fausse route en occultant le fait que la Chine, tout comme la quasi-totalité des États de la planète, est empêtrée dans une logique productiviste et extractiviste qui commence déjà à avoir raison de la « croissance chinoise », en atteste l’état déplorable de l’environnement du pays (au moment d’écrire ces lignes, la pollution de l’air dans les mégapoles chinoises donne d’ailleurs lieu à des images dignes des films d’anticipation les plus pessimistes). Si certains États pouvaient éventuellement éviter les désordres qui s’annoncent (voir chapitre 3), cela nécessiterait impérativement un renforcement radical de leur autonomie, en particulier dans les domaines alimentaire et énergétique. Or, force est de constater que, depuis plusieurs décennies, la néolibéralisation du monde a précisément pour principale conséquence de casser cette autonomie au profit d’une dépendance excessive au marché mondialisé. Soulignons enfin, pour illustrer cette relative similarité entre les différentes régions du monde, que la totalité des pays est régie par un même système sociopolitique d’organisation, à savoir l’État-nation centralisé. En conclusion, « bien qu’un réseau homogène et hautement connecté montrera dans un premier temps une résistance au changement, car les pertes locales sont absorbées grâce à la connectivité entre les éléments, il sera soumis à des effets de cascade et donc à des effets catastrophiques, si les perturbations se prolongent »48.
1. DIAMOND (2006), p. 16. 2. Ibid., p. 792. 3. Ibid., p. 16. Cette définition se décline avec quelques différences selon les auteurs. 4. http://www.monde-diplomatique.fr/2007/12/TANURO/15400 5. Pour un résumé des facteurs ayant conduit au génocide, voir l’ouvrage DUTERME Renaud, Rwanda – Une histoire volée, Tribord, Mons, 2013. 6. DIAMOND (2006), p. 590. Il espère que le gouvernement chinois adopte des politiques environnementales aussi audacieuses et volontaristes que sa politique de planning familial. 7. Servigne, San Giorgio, les époux Meadows… L’exemple fictif suivant, parmi d’autres, permet de se rendre compte des implications d’une telle croissance : « un nénuphar double de surface chaque année, de sorte qu’au bout de 39 ans, il couvre la moitié de l’étang. Combien d’année mettra-t-il à couvrir tout l’étang ? Un an de plus car au cours de la quarantième année, il croît de la moitié de la surface de l’étang, autant que pendant les 39 années précédentes ». Cité par Jean-Pierre Berlan dans sa préface à Broswimmer Franz, Une brève histoire de l’extinction en masse des espèces, Agone, Marseille, 2010 (2002). 8. Pour un résumé de la question, lire VANDERMOTTEN Christian, La production des espaces
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économiques, t. 1, Université Libre de Bruxelles, Bruxelles, 2010, pp. 159-179. 9. Sans doute plus par opposition idéologique à Malthus que par véritable analyse. 10. Bien que pour certains la raréfaction des ressources risque fort de conduire à des catastrophes démographiques atténuant quelque peu ces prévisions. Pour en savoir plus, lire le chapitre de Pablo Servigne dans SOURROUILLE Michel (sous la direction de), Moins nombreux, plus heureux, L’urgence écologique de repenser la démographie, éditions Sang de la Terre, Paris, 2014. 11. Chiffres cités par Stephen Pacala, directeur de l’Environmental Institute de Princeton et codirecteur de la Carbon Mitigation Initiative. Cité dans KLEIN (2015), p. 138. 12. Betsy Hartmann, citée dans ANGUS Ian, BUTLER Simon, Une planète trop peuplée ?, Éditions Écosociété, Montréal, 2014, p. 149. 13. ANGUS Ian, BUTLER Simon (2014), p. 266. 14. Nicolas Hildyard dans ANGUS Ian, BUTLER Simon (2014), p. 112. 15. SOURROUILLE (2014), p. 99. 16. Cette tendance est surtout l’apanage de courants de pensée anglo-saxons. Pour une analyse exhaustive de ces théories, lire notamment ANGUS Ian, BUTLER Simon (2014). 17. SOURROUILLE (2014), p. 152. Les italiques sont de nous. 18. Ibid. 19. Ce qui n’est pas le cas pour la plupart dans notre société productiviste. 20. Pour plus de développement sur cette question, lire notamment DE RUEST Éric, Duterme Renaud, La dette cachée de l’économie, Les Liens qui Libèrent, Paris, 2014. 21. BROSWIMMER (2002), p. 174. Loin s’en faut, cela ne signifie pas que la pauvreté signifie irrémédiablement une pression accrue sur les ressources (voir l’environnementalisme des pauvres). 22. Lire Luc FOLLIET, Nauru, l’île dévastée. Comment la civilisation capitaliste a détruit le pays le plus riche du monde, Paris, La Découverte, 2009. 23. Les cahiers de Science et Vie, « Quand le climat écrit l’histoire ». 24. Voir ci-après. 25. DIAMOND (2006). 26. Les cahiers de Science et Vie, « Quand le climat écrit l’histoire ». 27. HARMAN Chris, Une histoire populaire de l’Humanité, La Découverte, Paris, 2011 (2008), pp. 103-104. 28. TAINTER (2013), p. 26. 29. Ibid., pp. 141-142. 30. RIESEL René, SEMPRUN Jaime, Catastrophisme, administration du désastre et soumission durable, Éditions de l’encyclopédie des nuisances, Paris, 2008, p. 22. 31. MEADOWS Donella et Denis, RANDERS Jorgen, Les limites de la croissance, Rue de l’échiquier, Paris, 2012, p. 15. 32. Pour plus de détails sur ce point, voir l’article « Pourquoi les Mayas ont-ils disparu » in la revue Pour la science, juillet-septembre 2011. Cet article cite notamment Richardson Gill qui stipule que l’effondrement des Mayas se déroula en trois phases, chacune correspondant à une sécheresse. Une analyse similaire est également développée par Jared Diamond dans l’ouvrage précité ainsi que par Franz Broswimmer. 33. C’est moins vrai pour la zone nord de la civilisation, dans laquelle il persistait des Mayas lors de l’arrivée des Espagnols. Ceci s’explique par le fait notamment que la nappe phréatique était plus accessible qu’ailleurs. Les populations de la région dépendant donc moins des pluies saisonnières, les effets des sécheresses se firent moins dévastateurs. 34. DEMOULE Jean-Paul, « Le cimetière des civilisations », in la revue Pour la science, juilletseptembre 2011. 35. TAINTER (2013), pp. 31-32.
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36. HORNA Hernan, La conquête des Amériques vue par les Indiens du Nouveau Monde, Éditions Demi-Lune, Paris, 2009, p. 53. 37. DIAMOND (2006), p. 263. 38. L’anthropologue Eric Thompson cité par HORNA (2009), p. 55. 39. DEMOULE, op. cit. 40. TAINTER (2013), p. 21. 41. SERVIGNE, STEVENS (2015), p. 161. 42. Selon ce modèle, il peut également y avoir effondrement en raison d’une surexploitation de la nature malgré une relative égalité entre les citoyens. Le destin de Nauru pourrait constituer un bon exemple. 43. CLINE Eric H., 1177 avant J.-C., Le jour où la civilisation s’est effondrée, La découverte, Paris, 2014, p. 187. 44. Nous touchons ici au concept d’économie-monde chère à Fernand Braudel. À noter que Diamond pointe également des exemples historiques où le risque d’effondrement fut la rupture de relations d’interdépendance entre différentes îles. Selon lui, ce serait le cas pour les îles Pitcairn et Henderson dans le Pacifique-Sud. 45. D’aucuns citeront peut-être Cuba et la Corée du Nord comme contre-exemples. Dans le premier cas, la transition vers le capitalisme est en train de se faire alors que pour la Corée du Nord, il semblerait que les rares échos en provenance de ce pays laissent penser à une économie totalitaire autarcique gérant une pénurie permanente, notamment grâce au chantage nucléaire. Il est par conséquent difficile de qualifier cela de système économique. 46. Dans le Manuel de Transition, la résilience est définie comme « la capacité d’un système à absorber un changement perturbant et à se réorganiser en intégrant ce changement, tout en conservant essentiellement la même fonction, la même structure, la même identité et les mêmes capacités de réaction ». HOPKINS Rob, Manuel de Transition, Éditions Écosociété, Montréal, 2010, p. 60. En somme, on peut la définir comme le contraire de l’effondrement. 47. CONWAY Erik, ORESKES Naomi, L’effondrement de la civilisation occidentale, Les Liens qui libèrent, Paris, 2014. 48. SERVIGNE, STEVENS, (2015), p. 152.
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3. Les impasses du monde présent « Les choses se défont, se désagrègent petit à petit » Mike Davis1 Malgré les avertissements que constituent les études de cas réalisées par les théoriciens de l’effondrement, existe-t-il un fatalisme qui pousserait toute civilisation complexe (et a fortiori la nôtre) à embrasser le destin funeste des empires romain et de la civilisation maya ? Il est difficile d’apporter une réponse précise à cette question mais, comme nous allons le voir, une chose est certaine, notre système économique et énergétique est à bout de souffle, ce qui augure irrémédiablement des mutations profondes dans un avenir proche. Pour la plupart des auteurs cités dans cet ouvrage, il est évident que ces mutations engendreront des problèmes considérables (quel euphémisme !) et que les conséquences de ces problèmes dépendront de la réponse de nos sociétés. Yves Cochet résume en quelque sorte cette thèse de plus en plus populaire : « avant 2020, une catastrophe globale transformera profondément le cours des choses […]. Il ne s’agirait pas d’un événement unique et spectaculaire, mais plus probablement de la synergie de plusieurs dislocations dans plusieurs registres différents mais connectés par la mondialisation. Je pense surtout à l’écroulement du système financier mondial, coïncidant avec le déclin de la production pétrolière, avec quelque cataclysme climatique, écologique ou géologique de forte ampleur »2. Audelà d’une posture catastrophiste, comme nous allons le voir à la lumière de recherches et d’analyses crédibles, les inquiétudes d’Yves Cochet sont tout à fait fondées, et pour cause, le moteur sur lequel repose in fine le système économique qui s’est élargi au monde entier ne pourra perdurer. Malgré tout, le chapitre suivant visera à nuancer quelque peu cette vision des choses. ******ebook converter DEMO Watermarks*******
Un système à bout de souffle Analyser l’ensemble des menaces qui pèsent sur notre monde dépasserait le cadre de cet ouvrage. Nous allons donc nous concentrer sur les principales impasses dans lesquelles se trouvent nos systèmes organisationnels. Parmi celles-ci, l’absence de croissance économique se trouve au cœur du débat. Loin de nous l’idée que la croissance soit un objectif en soi pour la société, mais les choses sont telles que le capitalisme, maintenant déployé à l’échelle mondiale, a besoin de croissance. Or, celle-ci est amorphe dans les pays riches depuis au moins trois décennies et celle des pays en développement commence à montrer ses limites. Or, et contrairement aux dires d’économistes et de politiciens de tout bord, cette croissance ne reviendra pas, ce qui va nous conduire indéniablement à un certain nombre de problèmes dont la crise que le monde connaît depuis 2008 n’est qu’un des aspects.
Brève histoire de l’Anthropocène3 Bien que cet élément passe souvent au second plan, l’humanité se trouve bel et bien face à une « crise » écologique probablement sans précédent depuis l’avènement de l’Homo Sapiens. Grosso modo, cette crise débute au XIXe siècle avec l’industrialisation de l’Europe, de l’Amérique du Nord et dans une moindre mesure du Japon, conjointement avec le développement du système capitaliste, lequel a pour unique objectif la recherche du profit. Ces deux éléments vont permettre la mise en place d’un système productiviste, basé principalement sur la combustion d’énergies fossiles (d’abord le charbon puis le pétrole, le gaz et l’uranium4) et l’approvisionnement de matières premières à bon marché grâce à l’impérialisme colonial et néocolonial. Tout cela sera amplifié considérablement au cours du XXe siècle avec l’imposition au monde entier de ces éléments, notamment par le processus de mondialisation de l’économie. La division du travail5, avec son lot de délocalisations (entraînant une multiplication des transports), de mise en concurrence des travailleurs et d’exploitation humaine va permettre le développement d’une (sur)consommation de masse, encouragée par la publicité et l’obsolescence programmée ; le mode de vie à l’américaine (banlieues, séparation des lieux d’activités, tout à l’automobile…) va ******ebook converter DEMO Watermarks*******
s’imposer, d’abord dans les pays du Centre puis de plus en plus dans les régions moins « développées », notamment via l’influence culturelle hégémonique des États-Unis. Si les bilans sociaux et économiques de ce nouveau monde globalisé peuvent être discutés selon les régions, ceux de l’environnement sont catastrophiques, car tous les problèmes apparus lors de l’ère industrielle vont être considérablement amplifiés et élargis à l’ensemble de la planète : accumulation des émissions de gaz à effet de serre dans l’atmosphère, épuisement des sols en raison d’une production agricole intensive, surexploitation et pollution des océans, augmentation et dégradation des prélèvements d’eau douce, déforestation, extinction d’espèces suite à la destruction d’habitats, pollutions chimiques diverses (déchets, rejets de fabrication, agriculture industrielle, déversement de molécules artificielles dans la nature…), épuisement des ressources, etc. Si la croissance démographique est souvent pointée du doigt pour expliquer cet accroissement exponentiel des problèmes, elle n’explique pas tout. Comme nous l’avons vu dans le chapitre précédent, il faut inévitablement prendre en compte également le mode de production et de consommation. Dans un monde où 20 % de la population consomme 80 % des richesses, réduire la question écologique à un problème démographique relève au mieux de la naïveté, au pire de l’hypocrisie. En réalité, l’épuisement des ressources et la saturation des exutoires6 obéissent davantage à une logique de surproduction, in fine le moteur de notre système capitaliste productiviste. Le but est de produire toujours plus pour faire toujours plus de profit, faisant fi des limites écologiques et sociales de la planète et de la société. Il n’est guère surprenant que le dépassement de ces limites depuis quelques décennies coïncide avec l’élargissement à la planète entière de ce système économique si particulier. Une bonne part de la crise écologique provient en effet de politiques néolibérales désastreuses telles que l’ouverture des frontières aux marchandises, la liberté accordée aux grands groupes écocidaires transnationaux (empêchant de la sorte toute réglementation écologique sous peine d’un chantage à la délocalisation), la libre circulation des capitaux, l’omniprésence de la publicité et la diffusion de l’« American Way Of Life ». Tout cela a encouragé la concentration d’une demande toujours plus importante sur des zones d’offres limitées dans l’espace7, ce qui entraîne une exploitation intensive sans aucune prise en compte des écosystèmes.
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Bienvenue dans l’âge des limites Parmi l’ensemble des menaces citées ci-dessus, deux risquent fort d’être en première ligne pour imposer des limites à un système dont la nature est de ne pas en avoir : l’épuisement des ressources énergétiques fossiles, en particulier le pétrole, et le réchauffement climatique global. En réalité, et comme le dit Rob Hopkins, ces deux menaces doivent être considérées ensemble8, sous peine de passer à côté des conséquences qu’elles provoqueront9. Pour bien comprendre l’interrelation entre les deux, commençons par expliquer très brièvement la question du pic pétrolier. Contrairement à une idée parfois répandue, le pic pétrolier ne signifie pas l’épuisement de la totalité des réserves de pétrole. Ce pic signifie grosso modo que nous avons épuisé la moitié des réserves mondiales de pétrole. Ce qui est inquiétant, c’est que la première moitié fut la plus facilement exploitable. La seconde nécessitera plus de moyens financiers et énergétiques (il faudra toujours plus d’énergie pour extraire la même quantité de pétrole) et comportera plus de risques. Facteur aggravant, la demande mondiale va probablement augmenter de façon importante, notamment en raison du « développement » de toute une série de pays dits émergents (voiture individuelle, augmentation des voyages et de la consommation, banlieues résidentielles, etc.). De ce fait, nous allons vers un décalage toujours plus important entre besoins et disponibilité, ce qui va inévitablement se traduire par une augmentation progressive des prix. En d’autres termes, le pic pétrolier signifie la fin d’un pétrole bon marché. Or, et c’est surtout vrai dans les pays les plus riches, nos sociétés sont totalement dépendantes d’un accès à ce pétrole bon marché. Notre agriculture industrielle est entièrement basée sur cette énergie, de la fabrication des engrais et des produits chimiques au transport et à la mécanisation de la production ; la plupart des villes ont une autonomie alimentaire de quelques jours au grand maximum et la grande majorité des aliments proviennent d’autres pays (théorie des avantages comparatifs) et sont approvisionnés par bateaux, camions et/ou avions ; l’aménagement du territoire et l’urbanisme suivent une division du territoire selon les activités (banlieues résidentielles, centre-ville consacré au secteur tertiaire, complexes commerciaux géants à la périphérie des villes) impossibles à considérer sans pétrole ; l’Europe, les États-Unis et la plupart des régions du premier monde étant clairement en voie de désindustrialisation, nous sommes incapables de trouver des substituts à la ******ebook converter DEMO Watermarks*******
plupart des objets manufacturés que nous consommons, car ils proviennent des quatre coins de la planète. En d’autres termes, et pour paraphraser Rob Hopkins, nos sociétés sont totalement dépourvues de résilience. De nombreux débats entourent le scénario du pic pétrolier mais, globalement, il est admis par la plupart des parties en présence. La question fondamentale est : quand sera-t-il atteint ? Il y a ici un vif débat entre d’une part des géologues indépendants et de l’autre les compagnies pétrolières, les secondes ayant évidemment intérêt à ne pas inquiéter les consommateurs et leurs investisseurs. Toujours est-il que la majorité des experts s’accorde pour dire que le pic se produira entre 2010 et 202010. Ces prévisions sont peu à peu remises en cause par la découverte ou l’exploitation de nouveaux gisements, exploitation rendue possible par le prix élevé du baril11. Or, cela n’exclut pas ce qui précède, car justement, pour pouvoir être rentables, ces gisements devront inévitablement s’accompagner d’un prix du brut plus élevé que ce qu’on a connu ces dernières décennies. Par ailleurs, un engouement est palpable autour des sources de pétrole non conventionnel, à savoir les sables bitumineux et les gaz de schiste. Là encore, fuite en avant illusoire en raison d’une part des impacts dramatiques sur les écosystèmes (environnement ravagé pour les premiers, émissions de méthane, pollution des nappes phréatiques et risques sismiques pour les seconds) mais également si l’on tient compte de ce que l’on nomme l’énergie nette (ou REEI pour ratio du retour d’énergie sur l’énergie investie). Pour le dire simplement, l’extraction d’une quantité d’énergie nécessite un investissement en énergie. Il va de soi qu’il est indispensable que cette énergie investie soit inférieure à celle qui est extraite. Or, on remarque que ces dernières décennies le REEI ne cesse de baisser, non seulement pour les puits traditionnels (la première quantité de pétrole étant la plus facile à exploiter) mais également pour les ressources non conventionnelles énoncées ci-dessus (notamment en raison de leur nécessaire transformation). Ainsi, alors qu’aux États-Unis au début du XXe siècle ce retour sur énergie était de 100 :1 (100 unités récupérées pour 1 investie), il n’est aujourd’hui que de 11 :1 pour le pétrole conventionnel et descend jusqu’à 4 :1 au maximum en ce qui concerne les pétroles non conventionnels12. Ce REEI est également insuffisant pour d’autres énergies « substituables » tels que les agrocarburants (aux alentours de 1,6 :1 en plus de leurs impacts environnemental et social déplorable) et même les énergies renouvelables13. Par ailleurs, les ressources énergétiques ne sont pas les seules ayant des limites naturelles en passe d’être dépassées : les ressources ******ebook converter DEMO Watermarks*******
de phosphore (nécessaire à l’agriculture industrialisée), les terres arables, l’eau douce, les forêts tropicales ou encore de nombreux métaux ont également un avenir incertain quant à leur possible utilisation par nos sociétés. Sur les minerais, comme l’explique Richard Heinberg, « plus la quantité décline, plus la quantité d’énergie nécessaire à l’extraction de la ressource augmente (ainsi que, bien souvent, la quantité d’eau requise) »14. On constate donc bien un scénario d’effet boule de neige dans lequel la raréfaction conjointe des ressources énergétiques et matérielles peut faire basculer nos sociétés dans une situation plus que précaire. C’est d’autant plus vrai que le manque de certaines ressources risque d’encourager une pression supplémentaire sur d’autres substituts (pétrole et charbon ou charbon et bois par exemple). Tout ceci prouve que nous sommes bien ancrés dans l’âge des limites, piégés dans un système qui n’en connaît aucune.
Le réchauffement global Par ailleurs, quand bien même, en raison de l’exploitation de nouveaux gisements, les estimations quant à la date du pic pétrolier seraient trop pessimistes (ce qui est peu probable étant donné ce qui précède), il serait tout simplement irresponsable de continuer à extraire des hydrocarbures de façon inconsidérée. C’est ici que le deuxième volet de l’âge des limites intervient, à savoir le réchauffement climatique. Mis à part quelques climato-sceptiques, l’immense majorité des scientifiques s’accorde à dire que l’augmentation des gaz à effet de serre liée à l’activité humaine a précipité la planète dans un réchauffement global. Les effets se font déjà sentir, en particulier sous les latitudes tropicales et il est clair qu’ils vont se généraliser à l’ensemble du monde dans les prochaines décennies, voire les prochaines années, et ce d’autant plus que l’on continue à brûler des quantités colossales d’hydrocarbures fossiles. Selon une étude du Postdam Institute, pour éviter un réchauffement global de plus de 2 °C15, il ne faudrait pas émettre plus de 565 gigatonnes de CO2 d’ici à 2050. Or la combustion de toutes les réserves prouvées de pétrole, charbon et gaz de la planète engendrerait 2 795 gigatonnes de CO2, soit cinq fois plus ! Si l’on veut respecter les préconisations des scientifiques, ce sont donc 80 % de ces réserves qui ne doivent pas être extraites et consommées16. Dans le cas contraire, on va rapidement aller vers un emballement climatique en raison de toute une série ******ebook converter DEMO Watermarks*******
de boucles de rétroactions positives. La fonte du permafrost va ainsi libérer d’immenses quantités de méthane, gaz à effet de serre plus puissant que le CO2, accentuant de la sorte le réchauffement ; la diminution de l’albédo17 en raison de la fonte des glaces va augmenter la quantité de chaleur absorbée par la terre ; le réchauffement des océans va diminuer leur capacité à absorber le CO2 ; etc. On sous-estime ainsi les conséquences du réchauffement, notamment car elles sont pour l’instant relativement circonscrites, du moins dans les pays riches. Toutefois, de par la fonte des glaciers (océaniques et continentaux) et de par l’augmentation de la dilatation de l’eau en raison de son réchauffement, de nombreuses zones côtières subissent déjà les effets de ces changements climatiques. Des sociétés entières sont en passe d’être profondément déstructurées, comme le Bangladesh (156 millions d’habitants pour une densité de plus de 1 000 habitants/km²) ou les îles Kiribati (110 000 habitants), dont la disparition pure et simple est annoncée dans les prochaines décennies18, tragique succession après l’écroulement de la société Nauruane19. Mais ces cercles vicieux climatiques risquent fort d’entraîner des conséquences sur un laps de temps très court. Même si les émissions de CO2 tombaient à zéro du jour au lendemain (chose inconcevable en l’état actuel) ce scénario serait inéluctable, les particules de CO2 stagnant plusieurs dizaines d’années dans l’atmosphère. Par conséquent, il faut s’attendre à des bouleversements sociétaux considérables dans un avenir proche : augmentation des catastrophes climatiques, modification de la géographie des maladies, dérèglement des saisons, assèchement des rivières, menaces pour l’agriculture, etc. Ce dernier point est sans doute le plus problématique, car de plus en plus de personnes vivent dans un monde totalement déconnecté de la production de leur nourriture. Les villes sont exemplaires à cet égard, puisque la plupart sont complètement dépendantes d’un approvisionnement extérieur : or le renchérissement du pétrole ainsi que les contraintes climatiques vont grandement fragiliser cet approvisionnement, mettant de la sorte des millions de personnes dans un désarroi qu’ils n’imaginent certainement pas encore. De plus, et contrairement à une idée répandue, les changements climatiques ne sont pas le seul problème environnemental, puisqu’ils se combinent à d’autres tout aussi préoccupants tels que la perte de la biodiversité, la désertification croissante, l’empoisonnement chimique de la planète, la pollution des sols et des mers, etc. Cette combinaison de problèmes est inédite dans l’histoire humaine, tout comme son caractère ******ebook converter DEMO Watermarks*******
mondial. Par conséquent, le panel de solutions reste assez restreint. En résumé, comme l’écrit la philosophe Isabelle Stengers, « en cette nouvelle époque, nous avons affaire non plus seulement à une nature « à protéger » contre les dégâts causés par les humains, mais aussi à une nature capable, pour de bon, de déranger nos savoirs et nos vies »20. Et il faut malheureusement admettre que nos sociétés ne sont absolument pas prêtes à faire face à ce genre de « dérangements » : les coûts pour limiter les dégâts s’annoncent faramineux et les régions les plus précarisées seront les premières victimes.
L’illusion technologique Une réaction à l’impasse environnementale dans laquelle est plongée l’humanité est de croire au côté salvateur de la technologie. Le discours est grosso modo le suivant : « oui, le monde est en mauvaise posture mais l’innovation humaine est sans limite et nous allons très prochainement trouver des solutions ». On peut également rajouter dans cet état d’esprit une confiance en l’économie de marché, souvent considérée comme un moteur de l’innovation21. Que certains problèmes soient résolus grâce à des trouvailles technologiques est à la fois un souhait et une évidence. Ce que ce raisonnement oublie, c’est que nous avons, peut-être pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, à faire face à une conjonction de problèmes tous aussi importants les uns que les autres et surtout qui s’alimentent mutuellement. Pire encore, depuis plusieurs siècles, la résolution d’un problème environnemental engendre généralement d’autres nuisances, souvent plus graves. Ainsi, la destruction du couvert forestier européen à la fin du Moyen Âge a été partiellement résolue par le recours au charbon. Les nuisances atmosphériques liées au charbon ont été atténuées par l’utilisation du pétrole et de l’énergie nucléaire (du moins dans les pays les plus riches), etc. Il est malheureusement fort à craindre que dans un contexte de productivisme généralisé tel qu’on le connaît, de nombreuses avancées technologiques ne feront que reporter le problème, voire en créer d’autres, notamment parce que, bien souvent, leur développement nécessite de grandes quantités d’énergie fossile. Par ailleurs, comme le soulignent les auteurs de Limites à la Croissance, les techniques coûtent de l’argent et leur mise au ******ebook converter DEMO Watermarks*******
point prend du temps22. Or, ce temps nous est limité et de plus, dans le contexte d’austérité qui tend à se généraliser, de nombreux budgets destinés à la Recherche et à l’Enseignement sont réduits de façon significative. Par ailleurs, et c’est souvent ce que les partisans de la technique oublient, ça n’est pas parce qu’une technologie existe qu’elle est à même de résoudre les problèmes indépendamment des rapports d’exploitation entre pays et classes sociales. Daniel Tanuro illustre bien cela en évoquant l’avènement de la machine à vapeur. Selon lui, si cette trouvaille a été utilisée pour produire toujours plus de marchandises au lieu de l’être pour satisfaire des besoins en réduisant le temps de travail, c’est bien évidemment en raison du contexte de rapports sociaux capitalistes dans lequel elle émergea23. Plus récemment on sait que, n’en déplaise aux défenseurs des Organismes Génétiquement Modifiés, le problème de la faim dans le monde n’est nullement une question d’un manque de quantités produites mais plutôt de gaspillage, d’inégalités sociales et de modèle économique24. Dans le même ordre d’idées, les progrès médicaux ayant permis une augmentation significative de l’espérance de vie n’empêchent en rien que des centaines de millions de personnes à travers le monde n’en profitent pas. durablement. De ce fait, on peine à imaginer qu’à l’instar de la thèse défendue par Jeremy Rifkin, l’ensemble de la planète soit demain composé de producteurs autonomes de leur énergie à travers des réseaux informatiques horizontaux. Si la thèse paraît séduisante, elle passe complètement à côté des réalités sociales (surexploitation de la main-d’œuvre pour la fabrication des composants, pauvreté croissante) et environnementales (raréfaction des ressources minérales nécessaires aux nouvelles technologies, émissions de CO2 d’internet…). Plus grave encore, pour Philippe Bihouix, en misant sur le tout-technologique, nous risquons fort de créer de nouvelles pénuries et donc d’aggraver le problème, notamment du fait que les technologies vertes sont généralement basées sur des métaux moins répandus, plus complexes et donc plus difficiles à recycler25. Et ne parlons pas des solutions d’apprentis sorciers telles que la prolifération nucléaire ou la géo-ingénierie, entièrement basée sur des hypothèses spéculatives et non vérifiables. La technologie est donc loin d’être neutre et ses conséquences (positives ou négatives) ne peuvent se comprendre qu’au sein du contexte de rapports sociaux dans lequel elle évolue. La technologie ne peut donc à elle seule constituer une porte de sortie.
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Une économie de bulles en bulles Bien entendu, on ne peut parler d’effondrement sans parler du capitalisme et de l’impasse dans laquelle il se trouve, impasse illustrée par la crise débutée en 2008 et dont on peine à voir le bout. Depuis l’éclatement de la bulle immobilière aux États-Unis, même si l’on peut constater ici ou là quelques soubresauts, force est de constater que l’essentiel des économies du monde est atone et que le niveau de vie de la majorité stagne, voire régresse et ce en dépit des quantités astronomiques de richesses existantes. Depuis les années 80, coïncidant avec la montée des taux d’intérêt par le gouvernement des États-Unis, l’émergence du néolibéralisme et la déréglementation du secteur bancaire, on remarque une financiarisation croissante de l’économie, au détriment de ce que l’on nomme l’« économie réelle ». Cette financiarisation n’est que l’aboutissement logique d’un système exclusivement basé sur la recherche du profit et est à la source de crises successives causées par la formation de bulles spéculatives et leur éclatement. Loin du concept de « destruction créative » de Schumpeter, ces bulles n’ont d’autre fonction que de déconnecter encore plus la finance de la sphère productive (la somme des actifs financiers représente dix fois la valeur du PIB mondial26), avec pour résultats une expansion des inégalités par l’enrichissement d’une minorité et l’appauvrissement des autres, notamment en faisant payer le coût de la crise par les États et donc les populations. En outre, la financiarisation a aussi intensifié l’interconnexion des institutions capitalistes27, créant de la sorte une concurrence entre les différentes régions du monde et accentuant leur interdépendance. Tout cela n’augure rien de bon pour l’avenir, tant les ingrédients ayant permis l’éclatement de la crise sont encore toujours bien présents, voire accentués par d’autres facteurs tels que le trading à haute fréquence28 et l’absence de régulation conduisant à une dissémination des risques et à la création de produits financiers dont personne ne comprend plus rien. Il est ainsi clair que l’on va vers la formation de nouvelles bulles et leur éclatement29. Il suffit de voir la quantité astronomique de liquidités injectée par les banques centrales dans le secteur financier pour s’en convaincre. Ironie du sort, un aperçu de ce à quoi pourrait ressembler un effondrement nous est donné dans les villes américaines ou espagnoles ravagées par l’explosion de la bulle immobilière. Mais plus généralement, l’externalisation des processus de production, ******ebook converter DEMO Watermarks*******
indispensable en raison de la mondialisation de la concurrence, a rendu extrêmement vulnérable l’ensemble de la chaîne à la moindre perturbation d’un seul maillon : catastrophes naturelles, actes terroristes, guerres civiles, endommagement des infrastructures de transports et des câbles sous-marins, etc. En d’autres termes, « en augmentant la longueur et la connectivité [des] chaînes d’approvisionnement, et en réduisant les stocks à néant, le système économique mondial a gagné en efficacité ce qu’il a perdu en résilience »30.
Pourquoi la croissance ne reviendra pas Plus qu’à une « crise », la situation dans laquelle le monde est plongé depuis plusieurs années ressemble à un marasme, voire à une impasse somme toute logique quand on analyse les choses avec du recul. Bien que de grosses différences subsistent entre les diverses régions du monde (pensons aux pays émergents qui bénéficient de taux de croissance particulièrement envieux pour les pays riches), les contradictions liées au système capitaliste sont pourtant bien les mêmes de part et d’autre31. Commençons par les pays arrivés pour ainsi dire au stade ultime de la société marchande, à savoir les pays dits « développés ». À de rares exceptions près, ces pays sont en crise depuis les années 70, période qui a vu simultanément apparaître un chômage structurel, des contraintes énergétiques (chocs pétroliers) et une crise de surproduction. Ces tendances sont inhérentes au système capitaliste puisqu’elles relèvent d’une contradiction déjà constatée par Marx entre « sa tendance à développer les forces productives de manière illimitée et les bornes étroites qu’il doit obligatoirement imposer à la consommation individuelle et sociale de la masse des travailleurs, puisque le but de la production reste le maximum de plus-value, ce qui implique forcément la limitation des salaires »32. En d’autres termes, la recherche insatiable de profit à conduit aux délocalisations et au remplacement des travailleurs par les machines, créant de la sorte à la fois une désindustrialisation et un chômage structurel qui n’a fait que s’aggraver depuis et qui ne pourra se résoudre sans une diminution du temps de travail (on ne recréera jamais autant d’emplois que ceux qui ont été ou vont être détruits), mais également un manque de débouchés pour les marchandises produites, entraînant une crise de surproduction. Cette crise a été un temps résolue par l’obsolescence ******ebook converter DEMO Watermarks*******
programmée, la publicité et bien sûr le recours au crédit. Mais il est clair que ces réponses ne pouvaient être que temporaires et que le système serait rattrapé par ses contradictions, comme ce fut globalement le cas en 2008. Ainsi, il est illusoire d’espérer un retour à la croissance puisque, excepté par un changement radical, les contradictions évoquées ci-dessus ne vont que s’accentuer, notamment sous la pression de la mondialisation du capital et des politiques d’austérité en vigueur dans la plupart des pays. Dans ce contexte, un autre effet mis en évidence par bien des théoriciens de l’effondrement est l’impossibilité de rembourser les montagnes de dettes publiques accumulées depuis la financiarisation de l’économie. En effet, l’idée même de prêt à intérêt suppose une croissance. Dès lors que celle-ci se fait absente, le cercle vicieux de l’endettement se met en place (l’effet boule de neige) puisque les États, contraints d’emprunter pour rembourser d’anciennes dettes, se retrouvent dans une situation dans laquelle le paiement des intérêts ampute toujours plus le budget alors que dans le même temps, la dette continue d’augmenter33. Il faut cependant aller plus loin que la critique keynésienne de cette situation, laquelle postule en gros que parvenir à un retour de la croissance implique une relance de l’économie dans le but de stimuler la demande : les instruments privilégiés par cette vision des choses sont notamment une forte intervention de l’État, une baisse des taux d’intérêt ainsi qu’une augmentation des prestations sociales dans le but d’impulser un cercle vertueux dopé par un meilleur pouvoir d’achat. Cette politique s’inspire des Trente Glorieuses ou du New Deal américain. Plusieurs problèmes rendent impossible un retour à cette politique. 1. Le rapport de force actuel est clairement au profit des détenteurs des capitaux et de l’oligarchie financière, lesquels n’ont aucun intérêt à voir émerger ce type de politique (excepté de façon homéopathique pour sauvegarder le système). 2. Une bonne partie des fruits de la croissance liée à ces politiques le furent grâce à un approvisionnement bon marché en matières premières provenant des anciennes colonies. En d’autres termes, les progrès économiques et sociaux se sont notamment faits sur le dos d’un tiers-monde majoritairement sous tutelle occidentale. 3. Enfin, et surtout, les limites physiques de la planète empêchent cette politique de relance puisque d’une part l’épuisement des ressources et d’autre ******ebook converter DEMO Watermarks*******
part la saturation des exutoires (atmosphère, biosphère…), rendent cette croissance préjudiciable pour les générations futures. Pour ces raisons, il n’est tout simplement pas souhaitable de parvenir à un retour à de telles politiques. Cela montre bien l’impasse dans laquelle notre système économique nous a conduits puisque ce sont les conditions de sa pérennité (par l’accès d’une bonne partie au stade de la consommation de masse) qui ne sont aujourd’hui plus possibles. En ce qui concerne le reste du monde (qui constitue tout de même 80 % de l’humanité), malgré des taux de croissance plus élevés que ceux des pays riches, sa situation n’en reste pas moins précaire : inégalités sociales et spatiales croissantes, surexploitation de la main-d’œuvre, gestion environnementale calamiteuse, tensions sociales récurrentes. Bref, un ensemble d’éléments qui n’augure rien de véritablement enviable pour l’avenir.
Vers un nouveau désordre mondial Au vu de ce qui précède, il est indispensable de considérer les impasses économiques et environnementales comme concomitantes et comme révélatrices des contradictions du capitalisme. Contrairement à beaucoup de déclarations tapageuses, cela ne signifie probablement en rien la fin de ce capitalisme, mais plutôt la fin de ses avantages pour de plus en plus de personnes. La raréfaction des ressources n’entraînera pas leur disparition, mais plutôt une augmentation des prix telle que seuls les riches pourront se les payer. Si rien ne change, il est illusoire de croire que l’humanité qui en est aujourd’hui exclue aura dans l’avenir accès à ces avantages. Hervé Kempf pose le constat en ces termes : « la convergence entre les deux mondes se produit alors que la violence du désir de rattrapage par les uns s’accorde au refus obstiné des autres de modifier leur mode de vie dispendieux. Il en résulte une course généralisée aux ressources dont les conséquences écologiques planétaires deviennent de plus en plus menaçantes »34. Plusieurs cas de figure sont d’ores et déjà à l’œuvre. La fonte des glaces permettrait l’ouverture de nouvelles routes maritimes et favoriserait l’accès à des réserves d’hydrocarbures (potentiel cependant très incertain comme on l’a vu plus haut) disputées par les États limitrophes. L’accaparement des terres par ******ebook converter DEMO Watermarks*******
des États dont l’autonomie alimentaire est menacée ou par des instances privées avides de profits a déjà attisé des révoltes de la population contre ce néocolonialisme agraire, notamment à Madagascar35. Plus grave encore, de nombreuses analyses pointent le réchauffement climatique et les sécheresses récurrentes pour expliquer (parmi d’autres facteurs) les terribles guerres qui ravagent le Darfour36 et la Syrie37. En d’autres termes, puisque les limites écologiques interdisent le « rattrapage » des pays dits en développement, la persistance du capitalisme mondialisé augure d’importants conflits à venir, laissant entrevoir ce que Lester Brown appelle une « géopolitique de la pénurie »38.
Un monde en guerre Une des grandes préoccupations pour le monde de demain est la multiplication des risques de conflits liés aux sombres perspectives évoquées ci-dessus. Deux éléments risquent fort d’être sur le devant de la scène dans un avenir très proche : l’épuisement des ressources et la question des migrations.
Épuisement des ressources et migrations climatiques Le monde étant ce qu’il est, à savoir sous la férule d’un système exclusivement basé sur la compétition, il est clair que la raréfaction des ressources (énergétiques, minérales, alimentaires, hydrologiques) va entraîner des tensions importantes entre différents pays, voire au sein des pays euxmêmes. On le voit déjà maintenant avec le pétrole, pour une grande partie la cause de la déstabilisation du Moyen-Orient, mais on assiste au même cas de figure pour d’autres ressources, telles que les minerais rares dans l’est de la République Démocratique du Congo. Et comme nous l’avons vu, la libération des vastes zones arctiques des glaces va attiser la convoitise des pays limitrophes (Russie, Canada, États-Unis, Danemark, Norvège…). Il n’est point question de prédire une troisième guerre mondiale, expression totalement anachronique, mais plutôt d’imaginer une recrudescence de tensions déstabilisatrices comme c’est déjà le cas dans de nombreux endroits. ******ebook converter DEMO Watermarks*******
La question de l’eau, déjà au cœur de plusieurs conflits (Israël-Palestine, Égypte-Soudan…) risque également de se voir accentuée avec le réchauffement global pouvant entraîner un stress hydrique dans des endroits en manque d’eau. Dernier exemple, et non des moindre : les risques qui pèsent sur l’alimentation. Raréfaction des terres arables ; empoisonnement chimique généralisé ; dépendance par rapport à un modèle agricole et de transport reposant entièrement sur les énergies fossiles ; perturbations climatiques entraînant des sécheresses, multiplication des parasites et inondations ; de multiples éléments rendant la sécurité alimentaire de millions (de milliards ?) de personnes beaucoup plus précaire sont à craindre39, renforçant de la sorte l’instabilité à la fois au sein et entre les nations (émeutes, révoltes mais aussi conflits, famines…). Bien entendu, les populations ne vont pas regarder leur environnement devenir de plus en plus invivable en restant les bras croisés. Si l’on pourra heureusement compter sur de nombreuses énergies positives luttant contre les désastres à venir, force est de constater qu’un grand nombre de personnes sera contraint de quitter sa région pour une autre. Or si les migrations ne sont évidemment pas un problème en soi elles peuvent le devenir dans un contexte de précarité toujours plus grande et d’instrumentalisation des questions identitaires par les élites politiques. On le voit déjà dans de nombreux pays. Dans les pays du premier monde, l’immigration est ainsi de plus en plus criminalisée et ceux-ci se réfugient toujours plus dans des forteresses causant la mort de milliers de victimes à leur porte ; l’Inde construit son mur en prévision des millions de réfugiés bengalis à venir ; des dizaines de milliers d’habitants des îles du Pacifique en voie de submersion quémandent l’asile aux pays riches principalement responsables de cette situation et les tensions entre autochtones et étrangers se multiplient de part et d’autre. Bref, il est clair que l’afflux de réfugiés syriens en Europe n’est que le début d’un phénomène plus global, ce qui, dans un contexte de détérioration des conditions de vie pour la majorité, risque de faire passer à la trappe les idéaux d’interculturalité au profit de replis identitaires plus ou moins virulents.
La guerre des civilisations : une prophétie autoréalisatrice Dans un célèbre livre paru il y a quelques années, Samuel Huntington prévoyait un avenir conflictuel entre les mondes occidental et islamique. Au ******ebook converter DEMO Watermarks*******
travers d’une grille de lecture simpliste, il voyait une incompatibilité entre les valeurs des démocraties occidentales et un monde musulman replié sur luimême et prisonnier d’un obscurantisme persistant. Si certains événements semblent donner raison à cette thèse, il nous semble nécessaire de poser le problème dans l’autre sens : à savoir considérer la succession d’éléments semblant accréditer ce propos non comme le résultat mais plutôt comme la conséquence de cette théorie. En d’autres termes, envisager l’augmentation des tensions, réelles, comme un effet collatéral de la promotion de cette idée, notamment par les néoconservateurs américains et par la droite dure européenne. Ainsi, il est indéniable que la politique étrangère américaine au Moyen-Orient, le soutien occidental à Israël malgré les exactions dans les territoires occupés, la politique de deux poids deux mesures en matière de Droits de l’Homme voulant condamner le terrorisme islamiste tout en soutenant les régimes obscurantistes du Golfe, principaux financiers de ces terroristes, le refoulement des minorités ethniques dans des ghettos à la périphérie des villes, etc., sont pour beaucoup dans la méfiance grandissante d’une partie des musulmans vis-à-vis des « valeurs » occidentales. Nombre d’entre eux n’y voyant (souvent à juste titre) qu’un prétexte pour s’ingérer dans les affaires de leurs pays ou pour rappeler à ceux vivant dans les pays occidentaux leur statut d’étrangers malgré le fait que bon nombre d’entre eux y sont nés. Comme l’écrit l’essayiste Jean Bricmont, « le fait que l’Occident mène des politiques de pillage des ressources et de soutien massif à Israël tout en se présentant comme le champion de la modernité et des Lumières ne fait que discréditer ces dernières idées, particulièrement dans le monde musulman »40. Même Huntington reconnaît les conséquences néfastes des ingérences occidentales hors de leurs frontières, quand il écrit que « toute intervention de l’Occident dans les affaires des autres civilisations est probablement la plus dangereuse cause d’instabilité et de conflit généralisé »41. Les fiascos irakien et libyen sont là pour nous le rappeler. Par ailleurs, il est clair que la situation économique précaire et le chômage de masse ne font que renforcer des replis identitaires et sectaires dans lesquels des jeunes démunis tentent de retrouver un certain sens à leur vie. Le plus désolant est que tout ce qui vient d’être dit renforce précisément cette thèse du choc des civilisations, les uns et les autres s’excluant mutuellement. De ce fait, la tendance de notre monde à la séparation et au cloisonnement augure un terreau très fertile aux jeunes pousses nationalistes, religieuses et/ou racistes. ******ebook converter DEMO Watermarks*******
On peut évidemment faire le lien entre le début du chapitre et cette idée de choc des civilisations et de recrudescence des tensions entre populations. En fait, la dernière chose que le capitalisme pourrait produire à grande échelle sera sans doute un désespoir social qui finirait par miner la cohésion relative de nos sociétés dans leur ensemble au profit de replis sur soi désastreux (à la fois entre nations mais également au sein même des différents pays, comme en attestent les multiples États dans lesquels resurgissent des violences entre communautés42). Malgré les limites de sa grille de lecture, Huntington ne dit pas autre chose quand il écrit que « la chute de l’ordre et de la société civile crée des vides qui sont remplis par des groupes religieux souvent fondamentalistes »43. La complexité de notre époque et le manque de perspectives alimentent la recherche de réponses simplistes et toutes faites prônant un modèle de société clé en main (religion, nation) et pointant des boucs émissaires tout désignés (Occidentaux, immigrés, Musulmans…). Ça n’est d’ailleurs pas un hasard si de nombreux groupes religieux puisent leurs effectifs chez des populations urbaines précarisées en manque de repères : « les groupes religieux forment ainsi de petites communautés sociales aptes à remplacer celles que l’urbanisation a fait disparaître »44. C’est d’autant plus vrai que dans bien des cas, une des raisons du succès des mouvements religieux est leur prise en charge de problèmes sociaux délaissés par l’État, notamment suite aux politiques néolibérales45. Même en ayant une vision critique du modèle proposé par Huntington, force est de constater que les politiques mises en œuvre depuis la parution de son ouvrage (dont de nombreuses furent justement menées au nom de ce modèle) risquent fort de rendre cette grille de lecture conforme à la réalité : les politiques guerrières alimentent un rejet croissant de l’Occident, lequel réagira par une méfiance grandissante vis-àvis du monde arabo-musulman, ce qui augmentera à son tour le sentiment d’exclusion de nombreux musulmans. Par ailleurs, un facteur pour le moins inquiétant est la multiplication ces derniers temps d’actes de terroristes relativement « isolés ». Contrairement aux spectaculaires attaques de groupes tels qu’Al Qaeda du type 11 septembre, on assiste à des attaques meurtrières très décentralisées et étant le fruit de citoyens sans histoire. Cette tendance est particulièrement à l’œuvre dans les pays occidentaux et est préoccupante au moins à deux égards : d’une part la contribution au sentiment (réel ou fantasmé) qu’aucun endroit et aucune personne ne sont à l’abri de ce genre d’attaque et d’autre part, découlant de cela, un sentiment généralisé de peur ******ebook converter DEMO Watermarks*******
qui peut ouvrir la voie à l’acceptation de mesures d’exception allant à l’encontre de la démocratie et de la cohésion sociale (dispositifs sécuritaires, surveillance généralisée, rejet de l’immigration, tensions entre communautés, racisme…)46. Ce qui risque encore d’accentuer davantage la méfiance réciproque entre les « valeurs » occidentales et les exclus de tout bord et de tout endroit. De plus, le décalage entre une population toujours plus nombreuse (la croissance démographique est plus importante dans le monde musulman, sans doute en raison de l’influence religieuse) et le manque grandissant de débouchés au niveau de l’emploi risque fort de détourner une partie de la population vers des mouvements réactionnaires et/ou intégristes. Dans son analyse sur les mobilisations en faveur de Charlie Hebdo, Emmanuel Todd montre bien que l’incertitude économique peut facilement entraîner des réactions bellicistes47. À moins que des mouvements progressistes tels que ceux qui ont donné lieu aux Printemps Arabes parviennent de nouveau à coaliser une population contre les oligarchies au pouvoir.
Vers l’effondrement ? À l’inverse des catastrophismes des siècles passés (mouvements millénaristes, prophéties religieuses…), les menaces qui pèsent sur notre monde ne sont pas que des élucubrations sans fondements visant à effrayer leurs adeptes, mais sont bien réelles et pour certaines prouvées scientifiquement. De nombreux seuils écologiques sont en passe d’être franchis, avec un basculement du monde vers une situation pour le moins incontrôlable, le système économique se démène dans des contradictions toujours plus grandes et le complexe thermo-industriel semble également montrer des signes de vulnérabilité préoccupants, augurant de bouleversements considérables pour des centaines de millions de personnes. Et il est clair que cela va, sinon causer, du moins amplifier les animosités entre les populations. Ces différents aspects sont respectivement étudiés par de nombreuses personnes, mais le grand apport des théoriciens de l’effondrement est d’insister sur le caractère systémique de ces « crises », à savoir leur interconnexion mutuelle. C’est bien cette interconnexion qui peut (va ?) ******ebook converter DEMO Watermarks*******
conduire à un bouleversement irréversible de nos sociétés. Par contre, la grande faiblesse de la plupart de ces théoriciens est d’omettre48 le lien pourtant essentiel entre ces crises et le système capitaliste qui s’est imposé au monde depuis les colonisations européennes. Or, il est indéniable que l’omniprésence des lois du marché, de la concurrence et de la recherche du profit est la grande responsable de la situation actuelle (crises économiques, catastrophes écologiques, guerres, surpopulation…). En fait, c’est la base même du système, à savoir la recherche inconditionnelle du profit, qui pose précisément les conditions de sa vulnérabilité à des chocs toujours plus importants. Ainsi, les délocalisations du système industriel ont entraîné une perte d’autonomie problématique dans des domaines aussi divers que l’alimentation, l’énergie ou encore le commerce. La priorité aux moyens de transport individuels et l’organisation du territoire en fonction de cet élément (notamment au profit des grandes firmes pétrolières et automobiles) nous ont conduits à une société exclusivement dépendante d’un pétrole bon marché. La déréglementation de la finance entraîne une instabilité dont la crise de 2007-2008 risque de n’être qu’un aperçu de ce qui pourrait se produire. Les politiques socio-économiques et néolibérales produisent une misère sociale toujours plus grande, laquelle constitue un terreau pour le moins fertile de réflexes identitaires mettant à mal la cohésion sociale. Enfin, l’exploitation abusive de la nature pose des problèmes qui pourraient à terme remettre en cause la survie même de l’espèce humaine. Par conséquent, ne pas pointer la logique capitaliste comme la cause majeure du problème risque fort de nous conduire à des alternatives, sinon stériles, du moins grandement insuffisantes. En d’autres termes, sans s’attaquer aux racines profondes des problèmes, de nombreuses propositions resteront lettre morte. Admettre cela ne veut pas dire adhérer à une collectivisation forcée de la société, mais plutôt accepter la confrontation et réduire drastiquement (voire démanteler) le pouvoir des grands groupes multinationaux et autres oligopoles. Cela étant dit, ce n’est pas parce que le système capitaliste montre ses limites qu’il va s’effriter. Comme le souligne Craig Calhoun, directeur de la London School of Economics, le capitalisme n’est pas une « structure institutionnelle spécifique », mais plutôt un « ensemble d’activités pouvant être pratiquées par des capitalistes partout dans le monde »49. Dès lors, on imagine mal un écroulement du système politico-économique tel que cela s’est produit dans le cas de l’URSS par exemple. De ce fait, plus que cet ******ebook converter DEMO Watermarks*******
hypothétique effondrement, on pourrait craindre « une tendance croissante au déséquilibre, augmentant par là les coûts de cohésion du système, les pressions politiques, en engendrant des tensions sociales »50. C’est déjà ce à quoi nous assistons de part et d’autre. Un concept intéressant mis en évidence par Lester Brown sur la base du classement de Foreign Policy est celui d’« États défaillants ». Ce concept désigne « une situation dans laquelle les gouvernements nationaux perdent le contrôle de tout ou partie de leur territoire et ne peuvent plus garantir la sécurité de leurs habitants »51. On rejoint ainsi ce qu’entend Yves Cochet par l’effondrement52. Le risque est évidemment d’assister à une multiplication de ces États vides de contenu, avec comme conséquence de fortes perturbations pour l’ensemble du monde. Ces derniers temps semblent voir se multiplier des États se rapprochant de cette situation (Irak, Syrie, Libye, Centrafrique, Yémen, Burundi, nord du Mexique, Afghanistan, Grèce…). Bien entendu, les causes de ces défaillances ne sont pas identiques et la responsabilité de ces situations incombe souvent aux grandes puissances occidentales et capitalistes. Il n’empêche que de nombreux facteurs semblent récurrents : accaparement des richesses par une minorité, tensions écologiques et sociales fortes, raréfaction des ressources, le tout dilué dans des revendications identitaires plus ou moins radicales. Le problème de ces États défaillants est justement leur perte du pouvoir de réaction face à des adversités majeures, rendues de plus en plus probables comme nous l’avons vu plus haut. Toujours dans leur livre sur l’effondrement, Pablo Servigne et Raphaël Stevens écrivent que l’effondrement est une combinaison d’un événement déclencheur et d’une série de facteurs internes déstructurant la société. Ces derniers rendent donc une société « mûre » pour l’effondrement, car vulnérable à un choc extérieur53. Même sans atteindre ce stade, on constate déjà à maintes reprises, de par la complexité de notre époque, une interconnexion des désastres : des catastrophes naturelles (séismes, inondations…) peuvent ainsi avoir été amplifiées par des négligences humaines (construction d’une centrale nucléaire sur des zones de faille, mauvais entretien des digues, présence d’habitations précaires à flanc de collines, destruction des barrières naturelles telles que les forêts ou les mangroves, bétonisation de zones naturelles), ce qui peut engendrer une grave crise économique (pertes financières, baisse des investissements étrangers et du tourisme, endommagement des usines et des voies de communication), sociale (émeutes, migrations, instabilité politique, ******ebook converter DEMO Watermarks*******
guerre civile), voire sanitaire (malnutrition, épidémies, manque d’eau potable…). Il va de soi que cet ordre n’est évidemment pas figé et que les cas de figure peuvent être multiples. Mais il est intéressant de faire remarquer que la catastrophe n’est peut-être pas l’événement en tant que tel, mais la façon dont la société y répond. Or, la multiplication de catastrophes liées au changement climatique ainsi que l’incertitude de notre système économique laissent à penser que ce genre de réactions en chaîne risque fort de se multiplier aux quatre coins de la planète. L’effondrement risque en outre d’être plus difficile dans les pays riches, puisque beaucoup parmi leurs populations ont atteint un niveau de vie si confortable matériellement qu’il entraîne nécessairement une perte de résilience. En fait, la perspective de l’effondrement renverse l’ordre du monde, car les pays de la périphérie sentiront probablement moins ses conséquences (moins grande dépendance au marché, plus d’autonomie locale, mode de vie moins dépendant des énergies fossiles…). Dans de nombreux précédents historiques, l’aveuglement des élites semble avoir été déterminant dans la désintégration de la société. De la même façon, la nature du capitalisme l’empêche de faire émerger des solutions radicales visant à renverser la tendance. Au contraire et comme nous allons le voir, la situation chaotique que ce système a engendrée va précisément lui donner la possibilité d’étendre son emprise dans des domaines jusque-là épargnés, tels que les conquêtes sociales ou les écosystèmes. Comme l’écrit Isabelle Stengers, « c’est dans la nature du capitalisme d’exploiter les opportunités »54, même si celui-ci « tend à détruire ce qui rend possible son existence même (état, société, nature), le néolibéralisme et la financiarisation extrême ne faisant qu’aggraver cette tendance »55. Le résultat est dans bien des cas une « érosion du consensus autour du compromis implicite qui fait que les gens acceptent les coûts sociaux et environnementaux du système au nom de la croissance »56. Comme nous l’avons vu, le risque de choc dans un ou plusieurs des domaines du quotidien est réel, tout comme celui de réaction en chaîne qui pourrait conduire à ce que d’aucuns nomment un effondrement de notre société. Cela étant dit, force est de constater que bien que le système tienne vaille que vaille en place, de plus en plus de personnes vivent un quotidien similaire à ce qu’on imagine quand on parle d’effondrement : précarité, travail et logement informels, absence de couverture sociale, autonomie alimentaire contrainte, défaillance au niveau de la sécurité (physique et ******ebook converter DEMO Watermarks*******
sociale). Par conséquent, on serait tenté de dire que l’effondrement est déjà en marche, avec des effets encore très inégaux selon les régions et surtout selon les classes sociales.
1. DAVIS Mike, Au-delà de Blade Runner – Los Angeles et l’imagination du désastre, éditions Allia, Paris, 2014 (1998), p. 14. 2. COLLECTIF, Où va le monde ? 2012-2022 : une décennie au-devant des catastrophes, Mille et Une Nuits, Paris, 2012, pp. 10-11. 3. Du grec anthropos (être humain) et kainos (récent, nouveau), ce concept désigne une nouvelle ère géologique caractérisée par l’influence croissante de l’humain sur la structure géophysique de la planète. Il a été formulé la première fois par le prix Nobel de chimie Paul Crutzen en 2002. 4. Bien que pour cet élément, on ne peut parler à proprement dit de combustion mais de fission. 5. Rendue possible notamment par les progrès dans les transports (containeurs, avions…) et dans les télécommunications (principalement internet). 6. Un exutoire est défini comme la capacité d’un écosystème à absorber les externalités de l’activité humaine, à savoir la pollution, les nuisances etc. 7. MCNEIL John, Du nouveau sous le soleil – Une histoire de l’environnement au xxe siècle, Champ Vallon, Paris, 2010, p. 423. 8. C’est d’autant plus nécessaire qu’elles sont provoquées par les mêmes causes, citées auparavant. 9. HOPKINS (2010), p. 37. 10. Notamment l’Association for the Study of Peak Oil and Gas (ASPO), l’International Energy Agency (IEA) ainsi que la plupart des auteurs cités dans cet ouvrage. 11. Au moment de l’impression de ce livre, les prix du baril sont anormalement bas. Ceci s’explique surtout par des rivalités géopolitiques ainsi que par des phénomènes boursiers, et n’exclut donc en rien l’ensemble de cette analyse. 12. Ces chiffres proviennent de rapports scientifiques cités dans SERVIGNE Pablo et STEVENS Raphaël (2015), pp. 52-53. 13. Pour cette question de rendement énergétique, voir notamment HEINBERG Richard, Pétrole, la fête est finie, éditions Demi-Lune, Paris, 2008, pp. 180-238. Selon lui, la priorité absolue doit par conséquent être la recherche de la sobriété énergétique. 14. HEINBERG Richard, La fin de la croissance, éditions Demi-Lune, Paris, 2012, p. 183. 15. À noter que ce seuil a été fixé arbitrairement par la plupart des dirigeants politiques. 16. Article de Maxime Combes sur BastaMag.net, cité dans SERSIRON Nicolas, Dette et extractivisme, éditions Utopia, Paris, 2015, p. 109. 17. Définis comme le pouvoir réfléchissant d’une surface. 18. Géo, novembre 2014. 19. Voir chapitre 2. 20. STENGERS Isabelle, Au temps des catastrophes, éditions La Découverte, Paris, 2009, p. 10. 21. Cette affirmation est toutefois à relativiser tant de nombreuses inventions, depuis la révolution industrielle, l’ont été sur la base de recherches et de fonds publics. 22. MEADOWS (2012), p. 305. 23. http://www.lcr-lagauche.org/pablo-servigne-et-rafael-stevens-ou-leffondrement-dans-la-joie/ 24. Pour s’en convaincre, lire notamment ZIEGLER Jean, Destruction massive. Géopolitique de la faim, Seuil, Paris, 2011.
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25. BIHOUIX Philippe, L’âge des low tech, Seuil, Paris, 2014, p. 71. 26. COLLECTIF, Le capitalisme a-t-il un avenir, La Découverte, Paris, 2014, p. 227. 27. Ibid., p. 228. 28. Capable de passer des ordres sur les marchés en un dix millième de seconde. 29. Lire à ce sujet le livre de TOUSSAINT Éric, Bancocratie, Aden, Bruxelles, 2014, en particulier le chapitre 15. À noter qu’Éric Toussaint fut un des rares économistes à anticiper la crise des Subprimes aux États-Unis. 30. SERVIGNE, STEVENS, (2015) p. 112. 31. Si d’aucuns objecteront que la Chine n’est pas un pays capitaliste, force est de constater que, malgré l’appellation de son instance dirigeante, le tournant marqué par Deng Xiaoping l’a plongé la tête la première dans une économie de marché assez débridée. Voir à ce sujet HARVEY David, Brève histoire du néolibéralisme, Les Prairies ordinaires, Paris, 2014. 32. MANDEL Ernest, Introduction au marxisme, éditions formation Léon Lesoil, Bruxelles, 2007, p. 75. 33. La plupart des pays occidentaux sont dans ce cas de figure. Il est d’ailleurs clair que ces dettes ne seront pour la plupart jamais remboursées. Pour la dette privée (ménages et entreprises), la situation est quelque peu différente puisqu’ils ne peuvent fuir en avant comme les états. En ce qui les concerne, le défaut de paiement conduit à la vente des actifs (le logement par exemple) ou à la mise en faillite. 34. KEMPF Hervé, Fin de l’Occident, naissance du monde, Seuil (Points d’essais), Paris, 2014, p. 53. 35. BROWN Lester R., Basculement, Comment éviter l’effondrement économique et environnemental, Rue de l’échiquier, Paris, 2011, p. 89. 36. KEUCHEYAN Razmig, La nature est un champ de bataille, éditions Zones, Paris, 2014 et WELZER Harald, Les guerres du climat, Gallimard, Paris, 2012. 37. Ce cas est intéressant car il illustre le fait que de plus en plus, les notions de réfugiés politiques et climatiques vont finir par se confondre en raison des conséquences socio-politiques du réchauffement climatique. 38. BROWN (2011), p. 92. 39. SERVIGNE Pablo, Nourrir l’Europe en temps de crise, éditions Nature et Progrès, Bruxelles, 2014. 40. BRICMONT Jean, Impérialisme humanitaire, Bruxelles, Aden, 2005, p. 88. 41. HUNTINGTON Samuel P., Le choc des civilisations, Odile Jacob, Paris, 2000 (1996), pp. 470-471. Toujours dans son livre, il livre le même diagnostic que Bricmont quand il dénonce le double langage dans les prétentions occidentales à l’universalisme : « on défend la démocratie, mais pas si elle porte au pouvoir les fondamentalistes islamistes ; on prêche la non-prolifération pour l’Iran et l’Irak mais pas pour Israël ; le libre-échange est l’élixir de la croissance économique mais pas pour l’agriculture ; les droits de l’Homme représentent un problème en Chine mais pas en Arabie Saoudite ; une agression contre le Koweït riche en pétrole est repoussée avec vigueur mais pas les assauts contre les Bosniaques qui n’ont pas de pétrole » (p. 267). 42. Exemples parmi d’autres : violences contre les immigrés en Grèce ; actes islamophobes en Europe occidentale ; crimes racistes envers les Latinos et les Noirs aux États-Unis ; violences interethniques en Inde, en Centrafrique, au Congo ; persécution des minorités religieuses en Irak… 43. HUNTINGTON (2000), p. 136. 44. HUNTINGTON (2000), p. 135. 45. L’organisation Daesh (État Islamique) fournit ainsi à sa population des services sociaux et médicaux, bien entendu toujours dans les limites de leur idéologie fascisante. 46. Le cas le plus emblématique est le Patriot Act américain mais, suite aux attentats de 2015 perpétrés à Paris, les autorités françaises semblent également accentuer leurs dispositifs de surveillance, au nom de la lutte contre le terrorisme. 47. TODD Emmanuel, Qui est Charlie ?, Seuil, Paris, 2015, p. 98.
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48. Ceci ne réduit en rien la qualité de leurs analyses. En outre, un de leurs principaux mérites est d’insister sur une analyse transdisciplinaire de la société. Cette approche est sans doute la plus pertinente pour comprendre de nombreux phénomènes, actuels et historiques. 49. COLLECTIF (2014), p. 220. 50. Ibid., p. 224. 51. BROWN (2011), p. 112. 52. Voir chapitre 1. 53. SERVIGNE, STEVENS (2015). 54. STENGERS (2009), p. 43. 55. COLLECTIF (2014), p. 244. 56. Ibid., p. 243.
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4. Les enclaves du futur « Sécurisées par leurs hauts murs et leurs caméras de surveillance, ces résidences constituent en fait une chaîne de communautés fermées dont le système nerveux, […], mène aux bureaux et cabinets de consultation, restaurants et cliniques privées du centre de Londres. Elles demeurent complètement séparées des communautés locales, à l’exception d’une sousclasse, réduite mais soigneusement sélectionnée, de chauffeurs, de femmes de ménages, chargées de maintenir les propriétés en parfait état. Leurs enfants restent entre eux dans de coûteuses écoles privées ou dans les clubs de sport luxueusement équipés construits dans les enceintes résidentielles ». J.-G. Ballard, auteur de science-fiction1. Malgré tout ce qui vient d’être dit, la thèse de ce livre est que l’effondrement global tel qu’il est fantasmé par les survivalistes n’arrivera probablement pas à court ou moyen terme. Loin de l’idée que tout aille bien dans le meilleur des mondes, nous tendons plutôt vers une accentuation de la tendance actuelle, dans laquelle de plus en plus de zones correspondent à l’imaginaire de sociétés effondrées (manque de ressources alimentaires, pénuries énergétiques, catastrophes naturelles, guerres et désordre, urbanisme dévasté, systèmes de santé publique inexistants…) et cohabitent avec des îlots de paix et de prospérité relative (Gated Communities, zones vertes, centres-villes flambants neufs…). Plus généralement, nous considérons l’effondrement moins comme un événement que comme un processus qui a déjà débuté et qui mène à une situation d’apartheid permanent entre d’une ******ebook converter DEMO Watermarks*******
part des populations privilégiées ayant les moyens de sauvegarder leur niveau de vie (lesquelles seront de moins en moins nombreuses au fur et à mesure du temps) et d’autre part le reste du monde, victime d’un marasme économique, de calamités naturelles ou de guerres dévastatrices. Par conséquent, l’effondrement serait vu comme une dégradation des conditions de vie de la classe moyenne (à l’exception d’une minorité ayant les possibilités de tirer les marrons du feu), laquelle provoque un affaiblissement de la cohésion sociale et politique, source de tensions croissantes. Auparavant, il est utile de rappeler quelques scandaleuses statistiques sur le monde d’aujourd’hui : en 2014, 1 % de la population mondiale se partageait 48 % de la richesse globale. Les 80 personnes les plus riches détenaient une fortune équivalente à celle de 50 % de la population mondiale (soit 3,5 milliards de personnes) et l’on recensait au cours de la même année 1 645 milliardaires (en dollars)2. Le chiffre est en constante augmentation. Comme nous allons le voir, cette tendance ne se reflète pas que dans les chiffres, mais dans la plupart des domaines de la vie quotidienne. Tout cela augurant d’un avenir pour le moins incertain.
Un monde, deux réalités En fait, la séparation entre riches et pauvres est déjà une réalité dans de nombreux endroits, et est visible jusque dans l’espace géographique. Dans notre conception, ce dernier comprend le logement, l’urbanisme, l’aménagement du territoire, mais aussi l’accès à la sécurité, aux transports, aux services publics, aux loisirs, à la santé, à la culture… Or dans l’ensemble de ces éléments nous assistons depuis plusieurs années à une ségrégation à la fois dans l’accès mais aussi dans la gestion politique et économique. Pour le dire autrement, on constate une privatisation toujours plus importante de l’espace public au sens large, au bénéfice d’une minorité qui est amenée à se réduire davantage à court, moyen et long terme. Cela a des conséquences pratiques dans de nombreux domaines. À titre d’exemple, la comparaison de l’espérance de vie entre les quartiers d’une même ville est dans bien des cas révélatrice du fossé se creusant entre classes populaires et élites économiques et politiques. Si la situation est bien entendu la plus criante dans les pays du tiers-monde, la tendance est également visible dans les économies les plus ******ebook converter DEMO Watermarks*******
prospères, surtout dans les pays anglo-saxons dans lesquels le libéralisme économique est le plus virulent (voir le cas de Glasgow3). Ainsi, comme nous l’avons vu, de nombreux progrès sanitaires ou techniques sont de facto réservés aux populations ayant les moyens d’y avoir accès (cela relativise les débats stériles sur la faisabilité technologique, les progrès médicaux… la question centrale étant avant tout l’accès à ce qui existe). La question de l’éducation est également révélatrice de cette tendance. Nous assistons de plus en plus à un clivage entre des écoles publiques médiocres bon marché dépourvues de matériel et d’infrastructures et des établissements privés dont les coûts d’inscription excluent de facto une partie significative de la population4. Cela réduit ainsi tout espoir d’ascension sociale tel qu’il a pu exister avant l’avènement du néolibéralisme.
Gated community vs le(s) reste(s) du monde Un élément vicieux de cette situation de société à deux vitesses est le cloisonnement spatial progressif dans lequel évoluent les différentes classes sociales. D’où une méconnaissance de l’autre si ce n’est par les représentations simplistes qu’en font les médias. La prolifération de quartiers privés révèle cette tendance. Le terme de Gated community est difficilement traduisible en français mais il désigne en gros une enclave résidentielle fermée. À l’origine surtout présente dans des zones urbaines fortement inégalitaires (mégapoles brésiliennes et sud-africaines notamment) et réservée aux populations les plus aisées, cette façon de vivre volontairement entre quatre murs est de plus en plus présente aux quatre coins du monde et est très prisée par une partie de la classe moyenne. Le sentiment de sécurité physique et psychologique conduit de plus en plus de familles à se replier dans un endroit clos, surveillé et surtout à l’abri des indésirables en tout genre (catégorie difficilement définissable autrement que par la négative : sans-abri, sans emploi, sans argent, sans voiture5…). Le résultat est une population homogène6 vivant une existence relativement paisible en vase clos bien à l’écart des réalités quotidiennes des « autres ». Cette récente façon de vouloir vivre a des effets désastreux sur la société dans son ensemble : « les gated communities proposent une réponse pragmatique à la dégradation de l’environnement urbain : peu importe que le contexte se détériore, puisqu’il ******ebook converter DEMO Watermarks*******
est derrière des murs. Mais elles ne protègent qu’à l’intérieur de leurs murs : en ignorant leur environnement, elles contribuent à sa dégradation. Y habiter, c’est renoncer à résoudre le problème de la société. Dans un cercle vicieux, elles se défendent contre la violence urbaine qu’elles continuent à créer »7. Cette logique est donc beaucoup plus perverse qu’elle n’en a l’air, puisqu’elle encourage une « bipolarisation de la ville, dans laquelle tout est organisé pour qu’il n’existe aucune communication entre les « bons » et « mauvais » quartiers 8. Il y a donc une homogénéisation choisie (Thierry Paquot parle de ghettos de riches) qui fait face à une homogénéisation subie (celle des quartiers défavorisés). Or, plus ces derniers sont isolés, plus ils deviennent dangereux et plus les quartiers « normaux » doivent s’enfermer pour s’en protéger »9. Le phénomène est par ailleurs aggravé par un désinvestissement dans les quartiers les plus pauvres (éducation, mobilier urbain, transports et services publics) étant donné la faible assiette fiscale en raison de l’exode des ménages plus fortunés10. Dans une comparaison entre les ghettos américains et les banlieues françaises, le sociologue urbain Loïc Wacquant fait explicitement le lien entre l’abandon des quartiers par l’administration et la proportion de violence et de misère présente dans ces endroits11. Ce qui peut paraître paradoxal, c’est que c’est également un manque de confiance en l’État qui encourage la demande pour des résidences sécurisées privées. Ainsi, des deux côtés, la ghettoïsation est à la fois une cause et une conséquence du déclin des pouvoirs publics dans leur gestion du territoire. Ajoutons à cela la stigmatisation qui s’amplifie également, puisque dorénavant la pauvreté est concentrée sur un espace délimité à l’écart de la ville, renforçant de la sorte l’isolement de la zone concernée ainsi qu’un statut d’« anomalie sociale » pour ses habitants12. Outre la sécurité, deux autres raisons laissent entrevoir un succès grandissant pour les gated communities. D’une part la recherche d’un environnement préservé (et souvent reconstruit de toutes pièces)13 et d’autre part le désir d’une certaine homogénéité socio-économique14. Chez de nombreux promoteurs de ce mode d’habitat, on voit d’ailleurs souvent l’insistance sur l’existence de lien social entre des habitants faisant partie d’une même catégorie socio-professionnelle. On peut sans doute y voir une réaction face aux incertitudes liées à l’anonymat et à l’isolement croissant qui caractérisent nos sociétés urbanisées et informatisées. Mais encore une fois, ce type de réflexes peut avoir des effets désastreux sur la société dans son ensemble, puisqu’il induit une solidarité restreinte et accroît la méfiance vis******ebook converter DEMO Watermarks*******
à-vis des « autres »15.
L’effondrement est derrière les murs… Comme l’affirme le très bon documentaire « Bunker Cities », le XXIe siècle sera le siècle des murs16. D’Israël aux États-Unis en passant par le Bangladesh, le Zimbabwe et plus récemment la Hongrie, la fortification de murs a le vent en poupe et on peut clairement analyser cette tendance sous l’angle des catastrophes politiques, économiques et environnementales actuelles et à venir. Ainsi, le mur érigé par l’Inde le long de sa frontière avec le Bangladesh17 risque fort de se consolider dans les années à venir avec la montée du niveau des océans, puisqu’une partie du territoire bengali se trouve au-dessous du niveau de la mer (les millions de personnes, pour la plupart déjà fortement précarisées, qui perdront leur terre dans ce pays enclavé seront bien contraintes de migrer pour survivre, accroissant de la sorte les tensions avec le voisin du nord) ; le mur entre Israël et les territoires occupés palestiniens trouve sa légitimité dans l’opinion publique par des motifs sécuritaires visant à faire cesser les attentats et la lutte contre le trafic de drogues justifie fréquemment la construction de la barrière entre les ÉtatsUnis et le Mexique. Mais plus généralement, on constate que la plupart des murs ont pour fonction, sinon officielle, du moins de facto, de séparer une population d’un extérieur différent et souvent plus pauvre. Selon Wendy Brown, philosophe américaine, « ces nouveaux murs servent moins à dissuader qu’à générer l’image de la frontière »18. Elle voit dans le désir de murs la perte, réelle ou supposée, de repères tels que la souveraineté de l’État, l’identité nationale ou l’appartenance à une classe moyenne19. La clôture permet de la sorte de « ressusciter une vieille image de l’État : l’État défenseur des pouvoirs de protection et d’autodétermination […] »20. Cette analyse est pertinente pour notre sujet, car il est clair que l’impasse de notre civilisation capitaliste productiviste va conduire à une multiplication des craintes, particulièrement chez les classes moyennes soucieuses de garantir leur sécurité physique et matérielle. Ces craintes seront alimentées par les dommages collatéraux du déclin sociétal, comme l’augmentation des inégalités, des migrations forcées, des replis identitaires, du terrorisme. Elles encourageront les dirigeants à choisir « la meilleure façon de ne rien faire ******ebook converter DEMO Watermarks*******
tout en donnant l’impression de faire quelque chose »21, à savoir l’érection de murs. Cet élément est désastreux car il participe à la destruction pure et simple de l’espace public et éloigne de ce fait des populations pourtant géographiquement très proches. Mais l’impact le plus pernicieux est sans doute de donner aux gens un tableau du monde rassurant les poussant à se détourner de l’extérieur tant que cet extérieur ne vient pas perturber leur quotidien. Nous avons une bonne illustration de ce phénomène avec les attentats de novembre dernier à Paris. Alors que de nombreuses régions limitrophes de l’Europe subissent quotidiennement des attaques similaires, il a suffi que ces menaces franchissent les murs (physiques ou symboliques) pour nous faire sortir de notre indifférence et déclencher des réflexes toujours plus sécuritaires et/ou identitaires.
Cachez ces pauvres que je ne saurais voir La gestion de l’espace selon une logique de ségrégation n’est pas inédite, loin s’en faut, puisque cette tendance est déjà à l’œuvre dans bien des domaines.
L’immobilisme forcé des marginaux Malgré le fait que les plus fervents défenseurs de la mondialisation soulignent les facilités de circulation des personnes en raison de l’ouverture des frontières, des progrès dans les moyens de transport, etc., force est de constater que cette liberté de circulation ne concerne encore une fois qu’une minorité au niveau mondial. Les pays riches monopolisent une grande part du tourisme international et, même au sein de ces pays, une large part des populations en sont de facto exclues22. Et ne parlons pas de l’immigration définitive, quasiment exclusivement, légalement du moins, réservée aux plus nantis. Il suffit de voir la prolifération de murs et de dispositifs hypersécurisés aux zones frontalières entre pays riches et pays pauvres (barrières entre les États-Unis et le Mexique ; dispositif Frontex aux frontières de l’Europe ; surveillance et refoulement des migrants asiatiques par l’Australie…) pour s’en convaincre, et ce malgré les catastrophes humaines ******ebook converter DEMO Watermarks*******
toujours plus nombreuses. À l’inverse, on constate une facilité toujours plus grande de s’installer dans bien des endroits pour toute personne ayant les moyens. Il en est ainsi pour les sportifs de haut niveau, les élites économiques et politiques des pays pauvres ou encore les travailleurs qualifiés pouvant combler certaines professions en pénurie dans les pays d’accueil. Certains pays monnayent d’ailleurs explicitement l’acquisition de la nationalité pour quiconque le désire comme c’est le cas pour Malte23. Cela permet sans doute de comprendre le décalage entre les éloges faites à la mondialisation par une frange de la population totalement intégrée à l’espace mondialisé – les expatriés – (par les voyages, les échanges académiques ou encore la participation à des réunions internationales) et une autre partie, de facto « assignée à résidence » et ne pouvant que contempler les effets négatifs de la globalisation sur son quotidien. Dans de nombreux cas, cette frange n’aura la possibilité de quitter son pays que sous la contrainte et au prix d’un trajet dangereux, avec in fine des interrogatoires suspicieux et des procédures d’asile aussi méprisantes qu’humiliantes.
Des loisirs exclusifs Même pour des mouvements de population limités dans le temps, la ségrégation entre les différentes strates de la société se fait sentir. Bien que le fait touristique touche de plus en plus de personnes, il tend paradoxalement à devenir de plus en plus exclusif. Dans bien des destinations, le tourisme n’est organisé que par une séparation entre ceux qui ont les moyens et les autres. Tout est fait pour que de nombreux touristes aient leur moment de privilèges leur permettant de se projeter pour un laps de temps dans la vie des plus riches : hôtels luxueux barricadés, domestiques à disposition, visite des centres d’affaires, bars lounge avec vue sur les skylines des grandes mégapoles, etc. On démocratise temporairement le luxe afin d’encourager ce que Veblen appelait l’effet d’imitation. Ce point accentue encore la ségrégation spatiale, avec des conséquences durables de cloisonnement des différents quartiers, des « bulles touristiques » dépourvues de promiscuité avec les classes populaires et ayant en leur sein « une armée d’employés de service mal payés, en grande partie invisibles […] faisant tourner la machine de l’irréalité »24. On retrouve un phénomène similaire lors des grandes compétitions ******ebook converter DEMO Watermarks*******
sportives telles que la Coupe du Monde de football ou les Jeux Olympiques. Ces événements ne font rien d’autre qu’institutionnaliser la ségrégation. La Coupe du Monde au Brésil a ainsi vu déferler des dizaines de milliers de supporters ivres d’excès alors que dans le même temps des milliers de Brésiliens, pour la plupart n’ayant pas les moyens d’aller voir un match, étaient expulsés de la vitrine internationale et refoulés dans les favelas des métropoles brésiliennes. Les Jeux Olympiques en Russie et en Chine se sont déroulés de la même façon, et ne parlons pas de la Coupe du Monde future au Qatar, où les stades sont érigés sur la sueur, les larmes et le sang de migrants du sous-continent indien se tuant à la tâche pour satisfaire les désirs du foot business.
Violence des riches, violence des pauvres Tout ce qui précède n’est évidemment pas accepté passivement par de nombreux pans de la société, en particulier dans les classes les plus défavorisées. Des émeutes de la faim aux Printemps Arabes et au mouvement des Indignés en passant par les mobilisations contre la Coupe du Monde au Brésil, les mouvements étudiants au Québec ou encore le mouvement Occupy Wall Street, de plus en plus de personnes sont bien décidées à ne pas laisser le rouleau compresseur capitaliste écraser ce qu’il leur reste de dignité. Bien que ces luttes soient malheureusement restées trop dispersées, il est fort à parier qu’un peuple ayant fait l’expérience de la rue et de sa force collective reste vigilant et soit prêt à réitérer l’expérience quand le vent de révolte se fera sentir. Malheureusement, de nombreux démunis privilégient plutôt une violence contre leurs semblables au lieu de s’attaquer aux responsables de la dégradation de leur quotidien. Il suffit de voir l’exemple des violences urbaines des grandes métropoles américaines et européennes, dans lesquelles les premières victimes de ces jeunes défavorisés sont avant tout les habitants de leurs quartiers. Pour expliquer le fait que la violence des pauvres est très souvent à destination d’autres pauvres (terrorisme, violences urbaines, actes criminels…), il faut sans doute tenir compte du côté diffus du système capitaliste25. À d’autres périodes historiques oppressives (colonisation, esclavage, dictature…) la tyrannie était perceptible, voire personnalisable : la puissance coloniale, les dirigeants de plantations, le pouvoir autoritaire. Or, « le capitalisme n’est pas un espace physique tel un palais royal ou un ******ebook converter DEMO Watermarks*******
quartier financier qui pourrait être investi par une foule révolutionnaire ou devenir la cible de manifestations idéalistes »26. Dans ce cas, le responsable de la misère des pauvres est assimilable à la recherche d’argent (bien que des politiques économiques soient la cause première). On ne sait donc pas contre qui diriger sa colère, ce qui rend la perspective de lutte très difficile et encourage plutôt, ironie du sort, des comportements immoraux, voire délictueux, qui tendent justement à renforcer le système. C’est donc bien la violence de la structure économique qui encourage la violence d’en bas. Un habitant d’une cité désindustrialisée raconte : « il ne fait pas bon d’être pauvre de nos jours. J’entends des personnes de mon âge raconter qu’ils étaient miséreux dans leur enfance, au point de mettre du carton dans leurs souliers. Certes, mais les enfants d’hier n’avaient pas conscience d’être dans la misère. Ceux d’aujourd’hui ont la télévision, qui se charge tous les jours de le leur rappeler. Cela crée de la colère dans le cœur des jeunes. Un gamin de 17 ans regarde la télé et se dit : « Eux, ils ont tout alors que moi je n’ai rien ». Alors forcément, il a la haine. La violence des programmes télé est une mauvaise chose, mais celle des pages publicitaires l’est davantage encore. Oui, je crois que c’est dans la pub que réside la véritable violence. Le gamin voit toutes ces choses qu’il pourrait posséder s’il avait de l’argent. Cette frustration peut se transformer à tout moment en une colère incontrôlable »27. Ce qui est désolant, c’est que cette colère a de grandes chances de le conduire en prison, à la morgue ou, s’il a de la chance, dans une position d’exploiteur ou d’artiste menant la vie dont il rêvait et lui supprimant toute valeur positive de changement social. Pour s’en convaincre, il suffit de regarder la plupart des rappeurs américains28 ou les footballeurs professionnels venant des quartiers dits sensibles. Les inégalités au niveau mondial permettent également de comprendre la prolifération des menaces « terroristes ». Le mot est volontairement mis entre guillemets car, dans l’opinion publique dominante, il ne concerne que les attentats commis par des groupes marginaux et exclut en permanence le terrorisme d’État, non seulement plus meurtrier mais également souvent à l’origine des « représailles » des mouvements extrémistes29. Ce qui est préoccupant est le fait que ces « représailles » ont tendance à prendre de plus en plus la forme d’attaques aveugles visant à faire le plus de victimes possible, surtout parmi les civils. La voiture piégée (et ses dérivés que sont les attentats-suicide) est ainsi devenue l’arme idéale en rapport au contexte actuel : le « bombardier du pauvre », pour reprendre les mots de Mike ******ebook converter DEMO Watermarks*******
Davis30, frappe avant tout les cibles les plus vulnérables, les plus nantis tout comme les lieux de pouvoir renforçant sans cesse leur sécurité à l’aide de technologies de pointe. Il est donc fort à parier que ce genre d’attentats, intrinsèquement fascistes31, a de beaux jours devant lui, la voiture piégée « fleurissant dans les territoires sinistrés par une inégalité extrême, à la périphérie des villes pauvres et même dans les recoins désespérés du MiddleWest américain »32. Par conséquent, la panoplie de mesures sécuritaires ne sera que palliative et ne pourra être efficace « en l’absence de réformes socioéconomiques ou de concessions politiques susceptibles de promouvoir “le désarmement des esprits” »33. Dans son livre polémique sur les réactions de la société française aux attentats contre Charlie Hebdo, Emmanuel Todd fait une assez bonne analyse de la situation très compliquée qui caractérise de nombreuses sociétés occidentales : alors que les classes moyennes supérieures soutiennent des politiques économiques creusant les inégalités, les exclus de ces politiques en viennent à se tourner vers des revendications pour le moins préoccupantes, telles que le rejet des immigrés dans les classes populaires ou l’antisémitisme dans les banlieues. Dans le pire des cas, ces rejets peuvent donner lieu à des actes de violences telles que les attaques de janvier 2015. Il dénonce par la suite : « c’est pourtant bien cette classe moyenne confite de bonne conscience qui a, par son égoïsme et son mépris, autorisé le pourrissement au bas de la société française et qui persiste, jour après jour, à condamner des catégories entières à la relégation sociale dans laquelle elles auront tout loisir de recuire leur frustration et leur rage »34. Si cette citation peut paraître provocatrice, il n’en demeure pas moins qu’il faut, si l’on parle de violence, insister sur la violence structurelle qui gangrène nos sociétés et qui s’exerce majoritairement sur les plus démunis. Il faut donc aller au-delà de la responsabilité de ces classes moyennes et pointer cela comme la conséquence d’un système profondément inégalitaire reléguant les pauvres vers les bas-fonds de la société et rendant l’avenir de ceux qui s’en échappent tellement incertain qu’ils en viennent à adopter des attitudes de moins en moins solidaires, rompant ainsi avec toute sorte de contrat social.
Une justice de classes Bien entendu, la réaction et la répression des classes dirigeantes aux protestations et aux violences du bas de l’échelle sont considérables et ******ebook converter DEMO Watermarks*******
s’insinuent dans de multiples aspects de la vie quotidienne. Criminalisation des mouvements sociaux, multiplication des moyens de répression et des institutions carcérales, surveillance généralisée, stigmatisation de pans entiers de la population, etc. Or le moins que l’on puisse dire c’est que les différentes classes sociales ne subissent pas cette répression de la même façon. Alors que les prisons sont surpeuplées (la palme revient évidemment aux États-Unis, où deux millions de personnes sont emprisonnées35), on remarque d’une part une proportion considérable de détenus incarcérés pour des larcins liés au trafic de drogue ou pour des vols et d’autre part une surreprésentation des milieux les moins favorisés. Cela n’est guère étonnant si l’on s’intéresse à la prison dans le contexte d’assaut néolibéral. Comme le souligne la célèbre militante antiraciste américaine Angela Davis, il nous faut « considérer le châtiment (la prison) en lien avec les intérêts politiques, la quête de profit des grandes entreprises et l’exploitation médiatique de la criminalité »36. Preuve en est le recours de plus en plus récurrent (en premier lieu aux États-Unis mais la pratique est également à l’œuvre en Europe) à la main-d’œuvre carcérale par des entreprises extérieures, lesquelles y trouvant là des salaires alléchants sans s’encombrer des luttes syndicales. À l’inverse, (trop) nombreux sont les cas de criminels en col blanc ayant échappé aux foudres de la justice pour des crimes extrêmement plus graves que ceux précités. Malgré les conséquences de leurs actions sur la société dans son ensemble, combien de chefs d’État, de dirigeants de grandes banques ou de multinationales ont été inquiétés37 ? Le concept de justice de classe semble bel et bien approprié pour qualifier de nombreuses situations. Pourtant, loin de résoudre le problème, la prison telle qu’elle est pensée dans nos sociétés en fait partie intégrante. Il suffit de voir l’état délabré des établissements carcéraux et l’absence de politique de réinsertion au profit de mesures uniquement axées sur la répression. Les résultats sont éloquents : taux de récidive considérables, radicalisation des emprisonnés, criminalisation de comportements à géométrie variable (emprisonnement de nombreux jeunes toxicomanes et liberté pour de nombreux consommateurs de drogue des classes supérieures telles que les traders, les célébrités, etc.), instrumentalisation des incarcérés par rapport à des questions de religion38 ou d’idéologie politique39, etc. Comme l’écrit si bien Emmanuel Todd, « c’est l’injustice du monde qui remplit les prisons »40 et force est de constater que la citation « construire des prisons pour enrayer la délinquance, c’est comme ******ebook converter DEMO Watermarks*******
construire des cimetières pour enrayer l’épidémie » est plus que jamais d’actualité. Il faut ainsi absolument considérer la politique carcérale et de répression à l’œuvre un peu partout pour ce qu’elle est, à savoir un moyen de contrôle social destiné à apporter une réponse populiste aux problèmes de fond de nos sociétés.
Un racisme institutionnalisé Par ailleurs, et contrairement aux déclarations sur nos valeurs libérales, sur cette ségrégation sociale se greffe indéniablement une ségrégation ethnique ou raciale. C’est évidemment vrai aux États-Unis où les quartiers les plus pauvres sont majoritairement habités par des populations non blanches (noires mais également hispaniques ou amérindiennes) mais également au Brésil, en Afrique du Sud et dans une moindre mesure dans la plupart des pays industrialisés (où les pauvres sont essentiellement constitués de minorités provenant de l’immigration post-coloniale ou, dans le cas d’Israël, des Juifs originaires de la corne de l’Afrique). Un seul exemple concernant la Belgique : alors que 14 % des Belges vivent sous le seuil de pauvreté, ce taux monte jusqu’à 59 % pour les personnes d’origine turque et 56 % pour celles en provenance du Maroc. Pour Bruxelles, dans la zone dite du « croissant pauvre », constituée des communes de Saint-Josse, de Saint-Gilles, de Molenbeek et de Schaerbeek, la proportion de population d’origine étrangère est respectivement de 70, 60, 56 et 55 %41. Cela se ressent également dans les domaines judiciaires et carcéraux où dans bien des cas ce sont les groupes ethniques marginalisés qui constituent l’essentiel des effectifs. Il suffit de regarder la population majoritaire dans les prisons pour constater que les minorités sont systématiquement surreprésentées. Comme le dit Angela Davis, « ces gens atterrissent en prison non pas tant pour les crimes qu’ils ont peut-être commis, mais parce que leur communauté d’origine est criminalisée »42. En fait, à ma connaissance, il n’y a pas un seul endroit dans le monde où la population blanche constitue un groupe minoritaire dans une situation plus précaire (économiquement et/ou socialement) que la majorité et/ou le groupe marginalisé de la société. À ce racisme d’état viennent s’ajouter des tendances identitaires préoccupantes, qu’on peut clairement mettre en lien avec le délitement du tissu économique et social dont souffrent ******ebook converter DEMO Watermarks*******
de nombreux endroits. Il suffit de voir la montée des partis et des idées xénophobes dans la plupart des pays d’Europe ou les replis nationalistes aux quatre coins du monde. Sans se perdre dans une théorie du complot, il est clair que les différences religieuses, ethniques ou culturelles sont instrumentalisées par les pouvoirs en place, notamment dans le but d’empêcher la constitution d’un rapport de forces transcendant ces différences. C’est d’autant plus vrai que les émeutes concernant souvent des minorités ethniques, de par leur surexposition aux fléaux économiques que sont le chômage et la précarité de masse, accentuent encore les amalgames sur les migrants et de ce fait la répression de l’immigration. Chaque épisode de violences urbaines donne malheureusement lieu à son lot de déclarations démagogiques considérant des personnes nées dans le pays comme des étrangers. À l’image de Los Angeles, « les discours politiques mettent constamment en avant le ressentiment, à l’égard des pauvres et des gens de couleur, alors qu’ils passent discrètement sous silence les structures réelles de l’inégalité urbaine »43. Pour David Harvey, « la question du traitement des travailleurs paupérisés, précarisés et exclus qui constituent désormais un bloc majoritaire et prétendument dominant dans de nombreuses villes capitalistes pourrait devenir un problème politique majeur, à tel point que les stratèges militaires travaillent maintenant beaucoup sur la gestion des mouvements urbains insurrectionnels et potentiellement révolutionnaires »44. Cela n’est guère étonnant car de tout temps, le capitalisme a eu besoin d’un État gendarme à sa disposition afin de contenir toute velléité révolutionnaire. Si la plupart des endroits sont peu à peu touchés par tout ce qui précède, ces logiques sont plus ou moins marquées selon les endroits. Trois exemples (parmi d’autres) illustrent ce qui pourrait augurer le monde à venir : Israël, l’Irak et les grandes mégapoles au cœur de la mondialisation, dont les villes américaines sont sans doute le meilleur exemple.
Parabole du monde à venir : Israël, une sécurité entre quatre murs Ce qui frappe le visiteur attentif quand il rentre en Cisjordanie45 c’est la ******ebook converter DEMO Watermarks*******
politique de ségrégation qui est partout mise en œuvre pour séparer les colonies israéliennes, de surcroît illégales au regard du droit international, des populations palestiniennes. De la législation à l’urbanisme en passant par l’accès aux voies de communication, tout est fait pour séparer deux mondes qui vivent pourtant côte à côte. Cette ségrégation touche également les écosystèmes, puisque l’on constate directement une différence de traitement quant à l’aménagement de l’espace : alors que le territoire israélien frappe par sa « propreté impeccable », on constate dans de nombreux endroits de Cisjordanie46 une défaillance quant au ramassage des ordures. Cela fait partie intégrante de la stratégie de transfert silencieux47 mise en place par la politique coloniale, puisque de nombreuses zones dépendent dans les faits de l’administration israélienne en ce qui concerne le traitement des déchets. Situation similaire dans la région d’Hébron, où l’armée israélienne interdit l’importation d’un acide destiné à traiter des eaux usées (officiellement, comme toujours, pour des raisons de sécurité), entraînant leur déversement dans la nature48. Plus grave encore, à de nombreux endroits, les terres palestiniennes font office de décharges pour des déchets israéliens en tout genre, provoquant des problèmes de santé et de pollution des sols chez les populations locales. Plus globalement, l’occupation et surtout la prolifération des colonies empêchent de prendre des mesures efficaces de protection de l’environnement. Les rationnements, le manque de moyens (l’Autorité Palestinienne dépend fortement de l’aide extérieure) et la non-continuité du territoire49 rendent difficile la mise en œuvre ou la restauration des réseaux d’approvisionnement et d’évacuation des eaux. Ainsi, dans certaines régions, jusqu’à 45 % de l’eau serait perdue en raison des rationnements et de la vétusté du réseau50. La qualité de l’eau s’en trouve d’ailleurs détériorée, notamment suite à la rouille des canalisations non remplacées. Par ailleurs, les moyens déployés pour mener à bien cette ségrégation spatiale ont un impact non négligeable sur les paysages palestiniens, puisqu’on remarque sur le terrain une multiplication de routes, de tunnels, de check-points, de murs et de clôtures superflus qui entraînent un déboisement et une pression accrue sur les sols. Face à tout cela, la création de « parcs naturels » (sur les terres palestiniennes il va sans dire) ou les plantations de forêts de conifères (arbre non adapté aux milieux de la région) pèsent peu de poids51.
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Colonisation hydraulique La Palestine étant une région connaissant un stress hydrique important, les ressources hydrauliques se trouvent logiquement perturbées par la politique mise en œuvre. Cela engendre une inégalité flagrante dans la répartition des réserves d’eau potable, puisqu’en moyenne, en Cisjordanie, un colon consomme 487 litres d’eau par jour contre 70 pour un Palestinien52. Le scandale ne s’arrête pas là, car la plupart des nappes phréatiques situées dans les sous-sols palestiniens sont de facto exploitées par Israël, notamment par le biais de la compagnie nationale Mekorot, laquelle revend cette eau aux populations palestiniennes pouvant se le permettre. Dans la vallée du Jourdain, l’injustice environnementale saute aux yeux, puisque des colonies fleuries et verdoyantes, qui pour la plupart bénéficient d’un accès à l’eau courante en permanence, côtoient des camps de Bédouins ou des villages palestiniens quasiment dépourvus d’eau potable, si ce n’est par des systèmes de récupération des eaux de pluie. Entre les deux, des stations de pompage installées le long des routes et reliées à des tuyaux traduisent l’accaparement des ressources hydrauliques par les colons. Si les autorités israéliennes se félicitent régulièrement d’avoir fait « verdir le désert », il ne fait aucun doute que cela s’est fait au détriment des multiples villages originaires et d’une gestion durable des écosystèmes. C’est d’autant plus vrai que l’on remarque dans cette région de nombreuses monocultures (dates, vignes, tomates, etc.) reliées à des systèmes d’irrigation faisant baisser de façon préoccupante les réserves d’eau douce. Outre cela, ces cultures intensives multiplient l’utilisation d’engrais et de produits chimiques, préjudiciables pour le milieu naturel puisqu’ils se retrouveront tôt ou tard dans les sous-sols palestiniens. La situation est encore pire dans la bande de Gaza. En raison du blocus israélien, des pénuries de carburants entraînent de nombreux dysfonctionnements dans les systèmes d’évacuation, d’épuration et d’alimentation des eaux. Conséquence de cela : des fuites ont entraîné des inondations de quartiers entiers par les eaux d’égout, ainsi que le rejet de plusieurs millions de litres d’eaux usées dans la mer, polluant ainsi des zones de pêche déjà restreintes53.
Des comportements contre nature ******ebook converter DEMO Watermarks*******
Ce que l’on constate également, c’est l’importation d’un mode de vie en rupture totale avec les pratiques traditionnelles et les équilibres écologiques de la région. Les colonies se caractérisent pour la plupart par de vastes blocs de maisons ou d’appartements semblables aux gated communities. Elles contrastent avec l’urbanisme palestinien, plus en phase avec l’environnement et plus en accord avec la réalité historique et paysagère. Un exemple emblématique de cette situation est le village de Wadi Fukin, peuplé de 1 000 habitants et entouré par une colonie de plus de 40 000 personnes. Cette situation d’accaparement des terres rend de plus en plus difficile pour les habitants du village la pratique de leurs activités traditionnelles telles que l’agriculture. Par ailleurs, des conséquences collatérales de cette colonisation sont aussi visibles, en particulier dans les colonies les plus extrémistes idéologiquement : arrachages d’oliviers et de vignes, empoisonnement d’animaux et de terres, destruction de panneaux solaires ou encore rejets des eaux usées font partie des comportements constatés chez des colons de Cisjordanie. Loin d’être des actes isolés, ces délits font partie d’un véritable projet de colonisation d’un territoire par une puissance étrangère, acte condamné par nombre de résolutions du droit international. Parabole du monde à venir ? Expression sans doute exagérée mais néanmoins révélatrice d’une tendance à la ségrégation qui peut rapidement s’institutionnaliser au nom de la sécurité auprès d’une population se sentant vulnérable. L’exemple israélien illustre également une situation d’apartheid environnemental qui risque de se généraliser dans de nombreuses régions suite aux problèmes climatiques et environnementaux déjà à l’œuvre. On retrouve donc ici la métaphore de la gated community puisque l’essentiel du territoire israélien est en fait constitué de bulles préservées de l’insécurité par des barrières physiques mais aussi symboliques, permettant à la population israélienne de ne pas (vouloir ?) voir la réalité vécue par les Palestiniens. Pour qui s’est déjà rendu dans cette partie du monde, Tel Aviv illustre cela à la perfection. Mais cet exemple montre surtout que l’obsession sécuritaire, sans s’attaquer à la cause du problème (ici la colonisation), n’est qu’une fuite en avant alimentant la rancœur et le désespoir de l’autre côté des murs. Et les attaques au couteau de ces derniers mois montrent que, quelle que soit la hauteur des murs, les désespérés finiront par les franchir, de n’importe quelle façon.
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Parabole du monde à venir : Irak, des enclaves à l’abri du chaos Suite à la deuxième invasion américaine de l’Irak, justifiée au nom du démantèlement de prétendues armes de destruction massive, le pays a été plongé dans un chaos sans nom dont les conséquences se font sentir jusqu’à aujourd’hui et au-delà des frontières du pays. De nombreux observateurs avaient prédit cela et il est clair que l’armée américaine, tout comme de nombreux médias, durent leur optimisme à la fragmentation du territoire entre zones sécurisées et le(s) reste(s) du pays. Naomi Klein a très bien analysé la situation en décrivant la collusion entre l’armée et les firmes privées, pour créer un monde fidèle aux principes des fondamentalistes du marché : construction de gated communities, systèmes de sécurité privés instaurant de facto un modèle de ségrégation spatiale entre les populations, situation insurrectionnelle permanente. D’après elle, « la Zone verte de Bagdad est l’expression flagrante de ce nouvel ordre mondial. Elle a son réseau électrique, son réseau téléphonique, son réseau d’égouts, sa réserve de pétrole et son hôpital de pointe équipé de salles d’opérations immaculées, le tout protégé par des murailles de cinq mètres d’épaisseur », tout cela au milieu d’une mer de violence et de désespoir54. Et la célèbre journaliste d’ajouter « qu’après avoir parcouru des zones sinistrées pendant des années, je sais maintenant qu’une Zone verte apparaît chaque fois que le complexe du capitalisme du désastre s’abat sur une région, où il creuse un fossé infranchissable entre privilégiés et marginaux, protégés et damnés »55. Pour ce qui concerne l’Irak, comment ne pas voir un lien entre cette déstabilisation à grande échelle du pays et l’émergence de groupes fondamentalistes se nourrissant du chaos et profitant de la défaillance de l’État pour imposer la terreur.
Parabole du monde à venir : les villes américaines, un monde idéal ? Malheureusement, les villes américaines semblent augurer ce à quoi ******ebook converter DEMO Watermarks*******
ressembleront de nombreux endroits du monde si la tendance actuelle se poursuit. Ces villes donnent en effet l’impression à qui les visite d’avoir institutionnalisé la ségrégation (entre riches et pauvres, entre Noirs et Blancs, etc.). Ce qui est déconcertant est l’apparente acceptation de cette ségrégation de la part des différents groupes. Chicago est certainement emblématique. Alors que le centre-ville correspond en tout point à l’idéal de la ville américaine, avec ses gratte-ciel, ses bars branchés et ses artères commerciales de luxe, un détour vers la périphérie proche du Loop56 laisse la place à un scénario en totale opposition avec le rêve américain : immeubles délabrés, ghettos raciaux, transports publics défaillants, usines désaffectées, terrains vagues jonchés de détritus, etc. Le visiteur croisera certainement les personnes de ces quartiers ayant la chance d’avoir un emploi derrière les comptoirs des fast-foods, dans les laveries des hôtels ou dans les taxis de Downtown à toute heure de la nuit. Il les verra aussi chaque jour dans le métro aérien faisant la navette entre leur lieu de travail au milieu des beaux quartiers et leur monde résidentiel, tous deux séparés par l’immense autoroute Dylan Express construite à cet effet57. Ce phénomène se déroule dans de nombreuses villes à travers le monde, de São Polo à New Dehli en passant par Johannesburg. Dans un livre prémonitoire sur la ville de Los Angeles, Mike Davis, encore lui, a analysé comment l’urbanisme façonne et institutionnalise cet apartheid. Bancs anti-clochards, systèmes d’arrosage automatique, parkings intégrés au sein des immeubles de bureaux, diminution de la taille des trottoirs, non-accessibilité en transports en commun, toute une série de choses qui peuvent paraître anodines mais qui, analysées dans leur ensemble, répondent à des objectifs de ségrégation au profit des classes moyenne et supérieure58. La prolifération des centres commerciaux obéit à une logique similaire. À l’origine de la disparition de nombreux centres-villes animés59, ces galeries marchandes, fermées sur elles-mêmes, gorgées de caméras de surveillance et baignant dans une atmosphère consumériste de marques internationales et de parfums artificiels, constituent une curieuse conception de l’espace public. Un autre spécialiste de l’urbanisme, Thierry Paquot, considère de son côté le gratte-ciel même comme une illustration de la ségrégation à l’œuvre. Selon lui, « le capitalisme mondialisé […] mise sur l’édification de gratte-ciel pour marquer sa puissance, tant économique que médiatique »60. La disposition de ces bâtiments crée artificiellement une sorte de canyon dans lequel, même leur principal moyen de transport, l’ascenseur, est de plus en plus ******ebook converter DEMO Watermarks*******
compartimenté61. Plus généralement, l’adhésion de nombreuses municipalités à l’idéologie néolibérale et à la théorie du Trickle Down effect62, conduit ces dernières à préférer la construction d’immeubles grand luxe à destination des plus riches ou des grandes entreprises, idéale pour les rentrées fiscales et l’image extérieure de la ville, à celle des logements sociaux pour les plus démunis. Ces derniers sont de facto contraints de déserter les centres-villes pour des enclaves de misère et de pauvreté à l’abri des regards. Le modèle américain tant vanté de part et d’autre ne peut conduire qu’à ancrer la vision d’effondrement chez de plus en plus de personnes. Si les villes américaines furent sans doute les premières à s’organiser de la sorte, c’est une tendance visible de par le monde et que David Harvey analyse sous l’angle d’un entrepreneurialisme urbain dicté par la concurrence instituée par le capitalisme mondialisé. Chaque ville se voit assigner l’objectif de faire sa place dans la nouvelle division mondiale et de tenter de se rendre plus compétitive en termes de centres de commandement (finance, gouvernements…), de consommation (centres commerciaux, grands projets urbains, quartiers gentrifiés) et de mettre la priorité sur la recherche de capitaux63. Toujours selon Harvey, cette tendance accentuée avec la crise du fordisme a augmenté les disparités et engendre de fortes instabilités au sein du système urbain64. Dans ce contexte, « l’apparence de prospérité occulte des difficultés sous-jacentes et produit une image de réussite qui se diffuse à l’échelle internationale »65.
L’effondrement : un projet ? Ce n’est pas un hasard si les pays les plus touchés par le phénomène sont les pays anglo-saxons et les pays dits émergents, deux types de pays dans lesquels les inégalités se renforcent suite aux politiques menées depuis une trentaine d’années. Le processus de ségrégation décrit auparavant est ainsi très lié à l’idéal néolibéral, puisqu’il se nourrit essentiellement de la montée des inégalités sociales issues des mots d’ordre compétitivité et croissance. Or cet idéal proscrit toute intervention de l’État dans l’économie, en particulier dans le domaine des impôts pour les plus riches, des aides sociales ou des services publics. Et il est évident que globalement il y a un lien entre le ******ebook converter DEMO Watermarks*******
besoin ou l’utilisation des services publics et le niveau de richesse des personnes. Le néolibéralisme institutionnalise donc en quelque sorte la séparation entre d’un côté des populations aisées ayant les moyens de payer des services fournis par des entreprises privées et de l’autre le reste de la population cantonné à l’utilisation des services publics vidés de leur substance justement par l’idéologie néolibérale. La logique poussée à l’extrême entraîne la création de villes entièrement privées telles que Sandy Springs aux États-Unis, dans la banlieue d’Atlanta. Cette ville créée de toutes pièces ne possède aucun service public excepté la police, excluant de facto les populations précaires de la ville. Tout ce qui précède sur la privatisation de l’espace peut être mis en lien avec l’idéal libéral, voire libertarien, pour lequel tout, jusqu’à la sécurité, doit être confié à des entreprises privées. Sandy Springs n’est pas très différente des projets d’« utopies flottantes », projets de villes-bateaux réservées aux ultras riches et dépourvues de toute règle étatique contraignante66. En fait, on peut sans se tromper décrire la philosophie qui est en œuvre de la façon suivante : « puisqu’il n’y a aucun espoir de voir les investissements publics augmenter dans le but d’améliorer les conditions sociales, nous sommes obligés de consacrer de plus en plus d’argent public et privé à la sécurité des personnes »67 (en particulier ceux qui en ont les moyens). Plus généralement, on assiste à une tendance qu’Harvey mettait en exergue (déjà en 1989) et qui peut être intitulée « néolibéralisation de la ville », laquelle désigne « le passage d’un régime keynésien de régulation, qui s’appuie sur le contrôle par la puissance publique de la distribution et de l’allocation des usages de l’espace, à un régime où l’espace devient avant tout une marchandise […] »68. Cette mutation s’explique notamment par la transformation de l’économie, puisque des endroits propres aux anciens cycles productifs (zones portuaires, manufacturières) sont reconvertis en nouvelles zones destinées à insérer la ville au sein de la concurrence internationale, au détriment des finances publiques et des dimensions sociales69. C’est dans ce contexte que l’on peut comprendre l’obsession des pouvoirs publics pour les Grands Projets Urbains (aéroports, stades, centres commerciaux et de loisirs, etc.). En effet, dans une étude sur le sujet menée dans treize villes européennes, trois géographes remarquent que, de plus en plus, les fonds publics sont retirés des programmes universels au profit de projets territorialisés70. Cela participe ainsi au processus d’exclusion et ******ebook converter DEMO Watermarks*******
contribue à donner l’image d’une ville à deux vitesses, des beaux quartiers ultramodernes coexistant près de quartiers de plus en plus négligés. On peut évidemment faire le lien entre tout ce qui vient d’être dit et le propos du livre, à savoir que l’effondrement peut déjà être considéré comme effectif dans de nombreuses zones urbaines mais également que les catastrophes peuvent être considérées par les élites politiques et économiques comme des « opportunités » pour redorer le blason d’une ville dans la hiérarchie mondiale. L’effondrement peut dès lors devenir souhaitable, car utilisé comme un prétexte pour faire avancer la privatisation du quotidien. Naomi Klein nomme cela la stratégie du choc, consistant à profiter du désarroi d’une population pour imposer des mesures impopulaires. Les catastrophes à venir vont ainsi, à l’image de la Nouvelle-Orléans, permettre de nouvelles offensives pour le Capital mondialisé au détriment des plus démunis condamnés à s’exclure de ce nouveau monde (Isabelle Stengers parle d’ailleurs de « Nouvelle-Orléans à l’échelle planétaire »)71. Contrairement à l’idéal libéral qui associe nécessairement liberté du marché et démocratie, Naomi Klein montre que dans bien des cas les néolibéraux n’hésitent pas à sacrifier la démocratie pour imposer leurs mesures de classe. De ce fait, les impasses économiques et écologiques risquent fort de fournir des prétextes à l’imposition forcée de ce modèle, justement la cause de ces impasses. Si l’on considère, comme Yves Cochet, l’effondrement comme l’impossibilité pour l’État de gérer les multiples aspects de la vie quotidienne, on peut faire confiance aux grandes firmes privées pour proposer leurs services moyennant bien sûr une redevance financière. De la sécurité à la santé en passant par l’enseignement ou la gestion des ordures, il n’est pas improbable de voir l’ensemble des services privatisé au grand dam de celles et ceux qui ne peuvent se les payer. Tout cela n’échappe pas aux professionnels du secteur, lesquels anticipent une multiplication des catastrophes, comme en atteste la déclaration suivante d’un géant de l’armement : « les affaires ne manqueront sans doute pas de connaître un bel essor lorsque les consommateurs entreprendront d’adapter leurs comportements et leurs besoins aux changements climatiques, notamment concernant la demande en produits et services militaires, car des problèmes de sécurité pourraient se multiplier en raison des sécheresses, des inondations et des tempêtes provoquées par le changement climatique »72. De nombreuses sociétés immobilières misent ainsi sur le dérèglement climatique pour proposer à leurs clients des résidences auxquelles sont intégrées des ******ebook converter DEMO Watermarks*******
infrastructures d’urgence telles que des systèmes d’éclairage de secours et des portes anti-inondations73. La gestion des frontières constitue un autre secteur offrant d’excellentes perspectives de rentabilité dans l’avenir. L’augmentation des réfugiés (climatiques et politiques) et la sécurisation des zones frontalières étant déjà en grande part en liens très étroits avec des entreprises privées. Un autre exemple qui illustre cette logique a été mis en avant par Razmig Keucheyan. Dans son livre La nature est un champ de bataille, il analyse le développement par les compagnies d’assurances de nouveaux produits destinés à se prémunir contre des risques liés aux catastrophes naturelles. Avec les produits financiers destinés à parier sur les aléas naturels, ces produits constituent une source potentielle de profits considérables, surtout au regard des conséquences du réchauffement climatique74, et illustrent également la défaillance des sociétés à faire face à ces risques précis. Par ailleurs la raréfaction des ressources et la multiplication des catastrophes peuvent encourager une gestion autoritaire par une oligarchie d’État. Dans ce cas, on est en droit de se demander si l’effondrement tel qu’il est souvent fantasmé ne prendra pas la forme d’un nouveau fascisme à la façon du monde dans lequel évolue l’histoire d’Hunger Games, à savoir un monde divisé en territoires selon une division du travail exacerbée75. Ce scénario n’exclut pas ce qui précède, car de nombreux exemples illustrent la compatibilité d’un capitalisme dans sa forme la plus libérale avec une gestion autoritaire. Il est en outre à craindre que la multiplication conjointe des frustrations et des atteintes aux conditions de sécurité (économiques mais également identitaires, etc.) ne conduisent de plus en plus de personnes à sacrifier leur liberté au profit de mesures d’exception (dispositifs sécuritaires, contrôle social, politiques xénophobes, etc.). Plus que jamais, l’opposition entre sécurité et liberté ne doit par conséquent pas nous faire embrasser une gestion despotique d’élites charismatiques.
Effondrement et ultralibéralisme Le lecteur me pardonnera la reproduction ici d’un long passage du dernier livre de Naomi Klein, plusieurs fois cité plus haut. Il résume parfaitement la thèse défendue ici, à savoir que l’effondrement peut être considéré comme un ******ebook converter DEMO Watermarks*******
processus déjà en marche et accéléré par l’imposition d’un capitalisme dérégulé à l’ensemble de la planète. Selon la célèbre journaliste, si les choses se poursuivent comme tel, « la ligne de conduite des entreprises en quête de ressources naturelles deviendra de plus en plus rapace, de plus en plus violente. L’accaparement des terres arables en Afrique se poursuivra afin que celles-ci fournissent aliments et combustibles aux sociétés les plus prospères, déclenchant ainsi une nouvelle vague de razzias néocolonialistes dans les endroits qui comptent déjà parmi les plus pillés de la planète. Lorsque les vagues de chaleur et les tempêtes destructrices auront décimé les petites fermes et les villages de pêcheurs, la terre sera cédée à de gros promoteurs immobiliers qui y feront construire de vastes installations portuaires, de luxueux complexes touristiques et des fermes industrielles. Les paysans, jusqu’alors auto-suffisants, perdront leurs terres et seront exhortés à déménager dans des bidonvilles de plus en plus surpeuplés […]. La sécheresse et la famine continueront à servir de prétexte à l’utilisation de semences génétiquement modifiées, aggravant ainsi l’endettement des agriculteurs. Dans les pays les mieux nantis, on protégera les grandes villes à l’aide de digues et de barrières anti-tempêtes, et on laissera de vastes étendues littorales aux pauvres et aux autochtones, qui seront à la merci du gros temps et de la hausse du niveau de la mer. […] Au lieu de reconnaître la dette des pays riches envers les migrants forcés d’abandonner leurs terres du fait de nos actions (et de notre inaction), nos gouvernements construiront toujours plus de forteresses sophistiquées et adopteront des lois de plus en plus draconiennes pour contrer l’immigration. Au nom de la « sécurité nationale », ils interviendront à l’étranger dans des conflits en cours relatifs à l’eau, au pétrole et aux terres arables, si toutefois ils ne les déclenchent pas eux-mêmes. En bref, notre culture continuera à faire ce qu’elle fait déjà, mais de manière plus violente et plus barbare, car telle est la finalité du système »76. L’ensemble de ce chapitre vise en fait à faire prendre conscience que loin d’être tous égaux devant les catastrophes écologiques, énergétiques, économiques et sociales à venir, ces dernières ne vont faire que renforcer une dynamique de classe au profit de celles et ceux qui sont responsables de ces désastres. Comme nous l’avons vu, cette logique est déjà à l’œuvre dans bien des domaines et bien des endroits.
1. Cité par PAQUOT Thierry, Désastres urbains, La Découverte, Paris, p. 132.
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2. Ces chiffres proviennent du rapport d’Oxfam sur les inégalités dans le monde de janvier 2015 disponible à l’adresse suivante : https://www.oxfam.org/ (consultée le 31 mars 2015). 3. La différence d’espérance de vie entre un enfant né dans un quartier riche de Glasgow - au sud et à l’ouest - et un autre mis au monde dans un quartier pauvre de la même ville - à l’est - atteignait vingthuit ans en 2008. Voir http://www.monde-diplomatique.fr/2010/08/BRYGO/19565. 4. Voir l’exemple de Chicago dans WACQUANT (2006), pp. 227-228. 5. La plupart de ces enclaves sont en effet le plus souvent très mal (voire pas du tout) desservies par les transports en commun de façon à préalablement réserver l’accès aux personnes ayant les moyens d’avoir un véhicule personnel. 6. En effet, outre l’aspect sécuritaire, de nombreuses gated communities trouvent également leur raison d’être dans un désir d’homogénéité sociale. À titre d’exemple, Sun City, en Arizona, ne peut accueillir que des habitants d’un certain âge, il n’y a ni enfants ni école. 7. DEGOUTIN Stéphane, Prisonniers volontaires du rêve américain, éditions de la Villette, Paris, 2006, p. 161. 8. DEGOUTIN (2006), p. 263. 9. Ibid., pp. 263-264. 10. Encore une fois, et Stéphane Degoutin le rappelle, l’enclavement des logements n’est plus l’apanage des très riches. C’est d’ailleurs ce qui est préoccupant puisqu’on assiste à une généralisation de la privatisation du quotidien. 11. WACQUANT (2006), p. 169. 12. Ibid., p. 177. 13. PAQUOT (sous la direction de), Ghettos de riches, Paris, Perrin, 2009, p. 160. 14. Ibid. (2014), p. 132. 15. Ibid. (2009), p. 141. 16. Bunker Cities, réalisé par Paul Moreira, 2012, 4’53. 17. Voir à ce sujet les photos de TURINE Gaël, publiées dans le livre « Le mur et la peur », parut aux éditions Actes Sud en 2014. 18. BROWN Wendy, Murs, Les Prairies Ordinaires, Paris, 2009, p. 141 19. Ibid., pp. 194-195. 20. Ibid., p. 142. 21. Ibid., p. 143. 22. Selon l’Organisation Mondiale du Tourisme, le nombre d’arrivées touristiques se chiffrait en 2013 à 1 milliard. Les prévisions pour 2030 sont de l’ordre de 1,8 milliard. Cela dit, on parle bien ici d’arrivées et non de personnes. De nombreux vacanciers partant plusieurs fois par an, le nombre de touristes se situe par conséquent bien en deçà de ces estimations. 23. Il vous en coûtera un peu plus d’un million d’euros pour devenir citoyen de cette petite île méditerranéenne. Voir les conditions précises sur le site du cabinet spécialisé dans l’expatriation http://www.bradleyhackford.com/obtention-nationalite-malte/. En Belgique, on constate également une plus grande tolérance envers les femmes et hommes d’affaires se domiciliant dans le plat pays que celle vis-à-vis des migrants fuyant la guerre et la misère. 24. DAVIS Mike (2014), pp. 79-80. 25. Tenir compte également du fait que les quartiers riches sont sécurisés, voire inaccessibles. 26. COLLECTIF (2014), p. 15. 27. HEDGES, SACCO (2012), pp. 126-127. 28. Alors que les racines du rap étaient contestataires, de nombreux adeptes ont dorénavant adopté à la perfection le créneau capitaliste consistant à s’enrichir sans se soucier des autres. 29. Par ailleurs, l’appellation de terroriste varie en fonction du point de vue dans lequel on se trouve. Il est fréquent que les dictateurs qualifient comme tels les opposants politiques, et même dans les pays
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dits démocratiques l’utilisation de ce mot pour les partis au pouvoir a souvent des connotations électoralistes (à titre d’exemple, alors que la tuerie contre Charlie Hebdo fut attribuée à des terroristes, il n’en a pas été de même concernant celle dans une église des États-Unis contre des fidèles de couleur noire par un suprématiste blanc). 30. DAVIS Mike, Petite histoire de la voiture piégée, La Découverte, Paris, 2007, p. 148. 31. Ibid. 32. Ibid., p. 233. 33. Ibid., p. 240. 34. TODD (2015), p. 220. 35. DAVIS Angela, La prison est-elle obsolète ?, éditions Au Diable Vauvert, La Laune, 2014, p. 11. 36. Ibid., p. 140. 37. Quelques « exemples » en vrac : la dévastation de l’Irak par l’armée américaine ; la destruction de l’environnement et des populations par les compagnies pétrolières ; l’agression sexuelle commise par Dominique Strauss-Kahn ; les multiples affaires de corruption et de fraude fiscale dans lesquelles baignent de nombreux dirigeants politiques ; la débâcle bancaire, déclencheuse de la plus grave crise économique depuis celle de 1929 ; la tolérance vis-à-vis de la grande fraude fiscale, etc. 38. Il est avéré que la prison est un des moyens les plus efficaces de la radicalisation religieuse. Les auteurs de l’attentat en France contre Charlie Hebdo semblent avoir comme point commun un séjour en prison pour petite délinquance dans lequel ils se seraient fait endoctriner. 39. En particulier l’extrême droite. 40. TODD (2015), p. 91. 41. JAMOULE Pascale, MAZZOCCHETTI Jacinthe, Adolescence en exil, Academia, Louvain-laNeuve, 2011, p. 125. 42. DAVIS Angela (2014), p. 141. Un exemple qui illustre cela à merveille est le changement dans la politique américaine vis-à-vis de la consommation d’héroïne. De nombreux analystes expliquent le basculement d’une politique répressive à une politique sociale par le fait que de plus en plus de jeunes blancs de la classe moyenne tombent dans le piège d’addiction à la drogue. Lire Courrier international, novembre 2015. 43. DAVIS Mike, (2014), p. 105. 44. HARVEY David, Le capitalisme contre le droit à la ville, éditions Amsterdam, Paris, 2011, p. 81. 45. Ce paragraphe se base en grande partie sur une mission d’observation civile effectuée en avril 2014 et organisée par l’Association Belgo-Palestinienne. Sauf mention contraire, les informations fournies le sont sur base de témoignages et de constatations lors de cette mission. 46. À noter que 60 % du territoire de la Cisjordanie est de facto sous contrôle israélien. 47. Le transfert silencieux désigne l’ensemble des politiques appliquées par le gouvernement israélien pour rendre la vie dans les territoires occupés impossible, de façon à encourager le départ des populations palestiniennes des zones concernées. 48. http://www.arte.tv/fr/cisjordanie-l-occupation-et-ses-consequences/7800008,CmC=7800852.html 49. Voir la carte de l’archipel palestinien réalisée par le Monde Diplomatique et disponible à l’adresse suivante : http://www.monde-diplomatique.fr/carnet/2009-04-30-L-archipel-de-Palestine-orientale 50. C’est le cas de Yatta. Chiffres donnés par la mairie. 51. D’autant plus que ces mesures servent à s’accaparer des terres palestiniennes ou à dissimuler des villages détruits. 52. Chiffres fournis par l’Association Belgo-Palestinienne. 53. Rabab KHAIRY, « Gaza, un blocus implacable à lever de toute urgence », CNCD-11.11.11 : http://www.cncd.be/Gaza-un-blocus-implacable-a-lever 54. KLEIN (2008), p. 638 55. Ibid., p. 640.
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56. Nom donné au quartier des affaires de Chicago. 57. DIAMOND Andrew, NDIAYE Pap, Histoire de Chicago, Fayard, 2013, Paris, p. 259. 58. DAVIS Mike, City of Quartz, Los Angeles, Capitale du Futur, La Découverte, Paris, 2000 (1991), pp. 212-216. 59. C’est surtout vrai dans les villes de petite et de moyenne taille. Les grandes mégapoles parviennent à garder un centre-ville attractif notamment en raison de l’aspect touristique. 60. PAQUOT (2014), p. 109. 61. Ibid., p. 110. 62. Ou effet de ruissellement, selon lequel toute richesse déversée finira nécessairement par toucher les catégories au bas de l’échelle sociale. Dans le même ordre d’idée, la métaphore de la marée montante qui porte tous les bateaux, quelle que soit leur taille, sert à justifier des politiques en faveur des hauts revenus. 63. David Harvey dans GINTRAC Cécile, GIROUD Matthieu (sous la direction de), Villes contestées – Pour une géographie critique de l’urbain, Les Prairies ordinaires, Paris, 2014, pp. 107-115. 64. GINTRAC, GIROUD (2014), p. 118. 65. Ibid., p. 122. 66. Lire le chapitre « Utopies Flottantes », dans DAVIS Mike et MONK Daniel B, Paradis infernaux, Les Prairies ordinaires, Paris, 2007. 67. DAVIS Mike, (2014), p. 18. 68. GINTRAC, GIROUD (2014), p. 137. 69. Ibid., p. 138. 70. Ibid., p. 152. 71. STENGERS, (2009), p. 13. 72. Cité dans KLEIN Naomi, Tout peut changer, capitalisme et changement climatique, Actes Sud/Lux éditeur, Paris/Montréal, 2015, p. 20. 73. Ibid., p. 70. 74. KEUCHEYAN (2014). 75. Dans cette fiction, le monde est divisé en treize districts, onze étant au service du premier pour l’approvisionnement des ressources, permettant à ses habitants de vivre dans un luxe insolent. Le treizième district a été éradiqué suite à une rébellion. 76. KLEIN (2015), pp. 67-68.
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5. Faire face à l’effondrement « Si nous ne sortons pas de la voie dans laquelle nous sommes engagés, les réponses aux changements climatiques seront dictées par de puissants acteurs issus du milieu des affaires, des secteurs industriels et du domaine militaire, qui créeront un monde constitué d’une petite clique de ploutocrates entourés de légions de laissés-pour-compte ». Naomi Klein1 Il faut admettre que l’essentiel du contenu du présent livre ne pousse pas à l’optimisme. Il reflète plusieurs années de lutte et de réflexion personnelles au cours desquelles l’enjeu ne nous a jamais paru avoir l’importance qu’il devrait avoir. Cela se traduit dans les perspectives, puisque le réchauffement de la planète de deux degrés supplémentaires est maintenant inévitable et tout porte à croire que ce seront les plus précaires (au Sud comme au Nord) qui en paieront le prix en premier. Les perspectives économiques ne sont guère plus réjouissantes, puisqu’il est clair que le chômage massif va s’aggraver et que la croissance ne reviendra pas2, et certains défis comme les migrations et les tensions qui habitent nos sociétés sont à court et moyen terme tout simplement insolubles. Comme nous l’avons vu, ce qui est intéressant dans la notion d’effondrement est la mise en évidence d’une approche systémique, focalisée sur l’interconnexion de tous ces éléments Or, si cette interconnexion est pour le moins préoccupante, elle permet également d’entrevoir une convergence des luttes, donnant justement de nombreuses raisons de voir cet effondrement comme une aubaine pour établir une autre société sur des bases nouvelles. Avant d’esquisser ce qui suit, une mise en garde s’impose : malgré le ******ebook converter DEMO Watermarks*******
climat ambiant qui refuse le défaitisme et qui privilégie les initiatives positives, nous allons adopter une démarche quelque peu différente. Nous renvoyons le lecteur qui désire trouver une grille de prêt-à-penser concernant les alternatives au système à d’autres travaux existants et qu’il serait inutile de résumer ici. L’accent sera plutôt mis sur trois axes qui nous semblent fondamentaux pour faire face à ce qu’on peut donc nommer un effondrement de nos structures organisationnelles, à savoir des mobilisations populaires massives, focalisées contre les acteurs responsables du désastre et organisées de manière la plus horizontale et démocratique possible.
La tentation autoritaire Comme souligné à maintes reprises dans cet ouvrage, et même si cela n’a rien d’inéluctable, la multiplication de catastrophes encourage des réponses autoritaires, d’une part en raison de la situation d’exception qui émerge suite au désastre (pensons à l’état d’urgence suite aux attentats de Paris en novembre 2015) et d’autre part suite au désarroi des populations, lesquelles peuvent accepter des mesures qu’elles ne toléreraient pas en temps normal. Les situations d’urgence, de pénurie et de crise peuvent également favoriser l’émergence de mouvements plus ou moins despotiques. De nombreuses dictatures se sont ainsi consolidées en profitant de la détresse des gens pour proposer des réponses simplistes. C’est d’autant plus vrai que, comme nous l’avons vu, la situation est telle que le statu quo est inenvisageable, pour ne pas dire impossible. Le risque est ainsi grand de voir toujours plus de populations se tourner vers des politiques « innovantes », pour le meilleur mais aussi pour le pire. On le voit déjà avec la prolifération de mouvements de droite dure en Europe ou avec l’engouement autour de la candidature de Donald Trump aux États-Unis. Puisque dans son immense majorité la classe politique persiste dans des politiques inadaptées à ce que la société traverse (on ne retrouvera pas le modèle d’avant), l’évolution du capitalisme sera telle que ce système perdra progressivement sa légitimité, laissant de côté toujours plus de personnes subissant dès lors une perte de repères. Cette anomie (au sens sociologique du terme) est évidemment propice à l’émergence de pouvoirs forts, lesquels apporteront des réponses souvent simplistes permettant d’apercevoir des espoirs de compréhension, de stabilité et surtout ******ebook converter DEMO Watermarks*******
de sécurité (réels ou fantasmés). On peut avoir un aperçu de ce phénomène dans la lutte contre le terrorisme, prétexte utilisé, souvent sans grandes protestations, pour piétiner nombre de nos droits fondamentaux. Plus généralement, le concept même de démocratie peut être menacé si, n’étant plus synonyme pour la plupart des gens de prospérité et de sécurité (physique et économique), il est associé aux désillusions dont est victime une partie grandissante de la population. Comme l’écrit Francis Fukuyama, « le plus gros problème des sociétés qui aspirent à la démocratie a été leur incapacité à assurer durablement ce que les gens sont en droit d’attendre de leur gouvernement : sécurité des personnes, redistribution équitable des fruits de la croissance et services publics de base – autant d’éléments indispensables à la réalisation des aspirations individuelles de chacun »3. En fait, ce phénomène est déjà bien présent et il est clair que nos gouvernants en sont les principaux responsables. Professionnalisation de la politique oblige, la démocratie est vidée de sa substance et les grands débats de société cèdent peu à peu la place à des discussions technocratiques et bureaucratiques dont est exclue toute véritable voix dissidente (il suffit de voir l’érection de barrières et de dispositifs de sécurité pour séparer les grandes rencontres internationales des mobilisations populaires quand celles-ci ne sont tout simplement pas interdites). L’émergence de cette bureaucratie n’a rien de neutre, puisqu’elle « permet aux gouvernements d’exercer leur pouvoir de domestication dans la plus parfaite légitimité, au nom des principes de nécessité, de précaution ou d’égalité qui conviennent à tous »4. Par ailleurs, comptons sur d’autres forces réactionnaires pour canaliser les rancœurs vis-àvis de ces nouveaux pouvoirs, associées à des replis identitaires destructeurs de la cohésion sociale. Parmi celles-ci, les mouvements religieux et xénophobes seront certainement en premier ligne. Ces tendances, déjà bien présentes, risquent ainsi de se renforcer avec les menaces qui surviendront bien assez vite. Migrations forcées, conflits, attentats, situations de pénurie (énergie, eau potable, alimentation, minerais, etc.) sont autant de facteurs pouvant encourager des réactions égoïstes et l’émergence de ce que d’aucuns appellent un écofascisme. Ce néologisme pourrait être défini de la façon suivante, à savoir « comme l’idée que certains individus ont le droit de consommer beaucoup de ressources et de polluer beaucoup en raison de leur nationalité, de leur citoyenneté ou de leur race, tandis que tous les autres, c’est-à-dire la vaste majorité de la population, sont dénués de ce droit. Et pour garantir cet acquis, il faut les maintenir où ils ******ebook converter DEMO Watermarks*******
sont »5. Nous aurions ainsi un monde composé d’îlots de civilisation dans un monde en ruine, lesquels useraient de la force militaire pour repousser les réfugiés climatiques6. Comme nous l’avons vu et toutes proportions gardées, c’est bien la route que notre civilisation est en train de suivre. Cette voie n’est cependant pas inéluctable. L’histoire est en marche, mais s’en détourner implique d’intégrer d’autres considérations si l’on veut envisager d’autres perspectives.
La lutte des classes au XXIe siècle S’il y a bien une chose que tout ce qui précède illustre, c’est que les problèmes écologiques et économiques sont les deux facettes d’un même système et sont causés par les mêmes responsables, à savoir une minorité dominante s’accaparant toujours plus de richesses produites par la majorité et laissant les conséquences négatives de tout cela à cette même majorité (travailleurs, classes moyennes, pauvres, démunis, minorités sexuelles et ethniques, etc.). Ces conséquences ne sont d’ailleurs pas prises en compte dans les calculs de la croissance du capital (les économistes les nomment des « externalités »). La tragédie de cette histoire est qu’alors que ces exclus ont toutes les raisons d’avancer et de lutter ensemble, ils sont tiraillés dans des luttes intestines identitaires (nationaux contre étrangers, chrétiens contre musulmans, etc.) ou séparatistes (avec ou sans travail ; écologistes et syndicalistes, etc.). Or il est nécessaire d’insister sur une réactualisation et surtout une éducation à la lutte des classes. Il n’est point question ici de lutte au sens primaire, à savoir une révolution avec barricades et décapitation de souverain à la clé, mais plutôt de mobilisations populaires définies en termes d’objectif de classe, à savoir par des moyens d’action visant prioritairement à lutter contre les intérêts des dominants : la grève, le boycott, l’expropriation, une déprofessionnalisation de la politique, une réappropriation de notre quotidien, l’annulation de la dette et la mise au pas de la finance, une réduction du temps de travail sans perte de salaire, etc. Les luttes menées ces derniers temps contre les Grands Projets Inutiles et Imposés (GPII) augurent peut-être d’une convergence d’intérêts au-delà des divisions sociales et/ou raciales. Mais force est de constater que ces luttes restent encore trop souvent fractionnées. ******ebook converter DEMO Watermarks*******
La question de la lutte des classes doit donc être mise en avant pour expliquer la plupart des faits politiques et économiques, notamment en soulignant qui en profite et au détriment de qui : de l’immigration illégale en passant par les guerres ou les politiques économiques menées, la grande majorité des débats de société prendrait une tout autre tournure si les responsabilités, les motivations, les causes ainsi que les profiteurs de chaque fait d’actualité apparaissaient clairement. Pour ce faire, il nous semble fondamental, sinon de se distancer, du moins d’aller au-delà des traditionnelles grilles de lecture en sciences politiques, à savoir les visions « réalistes » et/ou « civilisationnelles ». Pour rappel, les premières considèrent l’État comme l’acteur fondamental des relations internationales. Il n’est pas question de nier l’importance de cette institution qu’est l’État, mais plutôt de la relativiser à travers une lecture des rapports de force et de domination existant au sein des États. Une guerre entre deux États signifie la plupart du temps de nombreux morts parmi les civils dans les deux camps, ce qui est rarement le cas pour les dirigeants et les classes dominantes. Même remarque en ce qui concerne les politiques économiques, notamment à travers cet indicateur pernicieux qu’est le PIB. De la même façon, si la grille de lecture de Samuel Huntington selon laquelle le monde est divisé en plusieurs civilisations semble séduisante, en plus de son côté simplificateur (il minimise les différences au sein de chacun de ses blocs ; à titre d’exemple, il mentionne à peine la différence entre Sunnites et Chiites au sein du monde musulman, pourtant fondamentale), elle fait totalement l’impasse sur les différents intérêts de classe au sein de ces blocs. Au contraire, la lecture de son ouvrage nous fait pénétrer dans un monde fictif (bien que passionnant à plusieurs égards) constitué de relations (conflictuelles ou amicales) entre différentes cultures relativement homogènes. Ce qu’il ne mentionne que très peu, c’est que bien souvent la culture ne prend ou ne perd de son importance qu’en fonction de la situation socio-économique des populations. Ainsi, si l’on assiste à une recrudescence du sentiment religieux dans bien des régions du monde, il y a fort à parier que c’est à mettre en relation avec le déclin de la cohésion sociale et économique, poussant de nombreuses personnes à embrasser des thèses simplistes donnant un sens et un espoir à leur vie. Comme nous l’avons vu, au-delà de la culture et de l’économie, l’antagonisme de classes est perceptible dans la plupart des domaines du quotidien. L’insistance sur la géographie urbaine dans le chapitre précédent a ******ebook converter DEMO Watermarks*******
pour but de montrer que cette lutte des classes n’est nullement un concept théorique, mais qu’elle s’inscrit durablement dans la gestion des territoires, des villes en premier lieu. N’en déplaise à certains, on peut évidemment reconnaître que cette réalité historique est présente, sans pour autant adhérer au projet communiste de Marx et Engels. D’ailleurs il faut reconnaître, comme le souligne Bertrand Russel, que cet antagonisme de classe a depuis la révolution industrielle « perdu de sa netteté »7. Il n’y a plus des patrons ivres de profits d’un côté et des pauvres prolétaires de l’autre. Des cadres aux artisans en passant par les chefs de petites entreprises, il existe toute une série de personnes se situant entre les deux. Une actualisation intéressante de cette opposition entre classes a été proposée par le mouvement Occupy Wall Street, lequel appelait les 99 % à se réapproprier le pouvoir détenu par le 1 %. Hervé Kempf résume bien la situation dans laquelle nous sommes : « Au total, le système social est aujourd’hui organisé de telle façon dans tous les pays qu’il permet d’attribuer une grande part du produit de l’activité collective à un petit nombre dirigeant la société. Et les oligarchies de tous les pays du monde forment une classe transfrontalière. Celle-ci partage un intérêt commun – maintenir les conditions de leur richesse –, se conduit solidairement […] et s’appuie autant que faire se peut sur les classes riches et moyennes, qui jouissent du mode de vie occidental ou espèrent y parvenir »8. La situation est telle que « les élites capitalistes ne cherchent même plus à dissimuler la façon dont elles accaparent massivement les richesses, même si jusqu’à présent, le système a suffisamment distribué de miettes à d’autres secteurs pour bâillonner la protestation »9. Ainsi, dans la plupart des régions du monde, on constate la même domination d’une infime minorité sur l’ensemble de la société. Il s’agit tantôt des oligarques proches du pouvoir, tantôt une bureaucratie technocratique, tantôt un groupement d’actionnaires et de chefs d’entreprise à la tête des principales multinationales et des principaux médias, le tout chapeauté par une certaine caste politique complètement déconnectée des réalités vécues par les peuples. Cet état de fait n’a rien de complotiste car il est relativement avéré de part et d’autre, même parmi les plus nantis. Dans une célèbre déclaration à une radio américaine, Warren Buffet disait reconnaître en substance la réalité de cette lutte des classes, précisant tout de même que c’était la sienne qui était en train de gagner. Cela ne doit néanmoins pas dissimuler une profonde inquiétude chez ces classes, lesquelles savent que leur domination n’a rien d’inéluctable. En effet, « la ******ebook converter DEMO Watermarks*******
principale hantise des gouvernements du monde entier […] est d’éviter un soulèvement des chômeurs alliés à une classe moyenne dont l’épargne et les retraites sont en train de s’évaporer »10. Or ce qui est sans doute le point positif dans la conjonction de crises qui nous touchent c’est la quantité de personnes d’horizons très variés victimes d’une même logique mortifère. Il y a là un potentiel de changement social considérable, si tant est que les différences existant au sein de ces groupes ne prennent pas le pas sur leur situation commune. La situation peut être comparée à celle d’une course entre trois concurrents : les tenants du statu quo, lesquels, jusqu’à leur défaite, nous conduisent toujours plus près de l’abîme ; les replis identitaires (religieux, nationalistes, régionaux, etc.) et les forces progressistes internationalistes. Pour s’assurer de la victoire de ces dernières, la première étape est sans doute de déconstruire de nombreux discours dominants sur les grandes impasses de notre présent (chômage, croissance, crise écologique, conflits religieux, etc.) et de les analyser sous l’angle des intérêts privés cachés derrière les politiques menées. L’objectif est évidemment d’éviter autant que possible tout repli sur soi qui pourrait avoir des conséquences désastreuses. Bien entendu, cela ne suffira pas et il est impératif que des revendications concrètes émergent des différents mouvements contestataires. Mais une chose est certaine : le dénominateur commun des constats posés dans ce livre est l’explosion des inégalités. On peut d’ailleurs considérer le processus d’effondrement à la fois comme un symptôme et comme une cause de ces disparités. Par conséquent, tout combat à mener devra se faire dans un cadre plus large de lutte pour une meilleure répartition des richesses.
Vers un modèle de contestation libertaire Il faut également, pour terminer, que ces contestations se détournent autant que possible d’une gestion centralisée de la mobilisation. Les expériences désastreuses du communisme réalisé ont, à juste tire, dégoûté une grande partie des forces progressistes des partis de la gauche bureaucratique. À l’inverse, on voit proliférer de part et d’autre des mouvements radicaux, horizontaux et surtout hétérogènes se focalisant sur des luttes concrètes à mener. Le principal espoir se trouve sans doute là, si tant est que ces mouvements parviennent d’une part à se fédérer dans des luttes transversales ******ebook converter DEMO Watermarks*******
et communes contre des responsables désignés explicitement et d’autre part à proposer des revendications globales et radicales concrètes telles que la socialisation des grands moyens de production, de la finance et la démocratisation de la sphère économique. Il est clair que les classes dirigeantes ont une responsabilité écrasante dans l’impasse civilisationnelle dans laquelle nous nous trouvons. De ce fait, la première chose à faire est de réduire le pouvoir de ces classes, ce qui passera nécessairement par une réduction drastique des inégalités. Cela devra bien entendu s’accompagner de mesures institutionnelles (impôts, lois, etc.) mais, en raison de la nature de l’État et du système de démocratie représentative, les « élites » font partie intégrante de ces classes dirigeantes. Par conséquent, il faut également (et surtout ?) prendre des mesures radicales en dehors de l’État, telles que la réappropriation de notre quotidien (alimentation, gestion du territoire, comptes publics, entreprises, etc.). Partant de là, de nombreux exemples nous poussent à être optimistes : villes en transition, mouvements de protestation contre les projets inutiles, mouvements sociaux divers, occupations d’entreprises, etc. Mais une chose est certaine : la seule raison de voir l’effondrement comme le début d’un autre modèle, plus émancipateur, est de ne pas laisser sa gestion à ceux qui en sont responsables. Dans le cas contraire, le monde continuera à voir les opprimés s’entre-déchirer sous le regard indifférent des plus aisés.
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1. KLEIN (2015), p. 79. 2. Encore une fois, l’objectif de croissance est bien entendu à remettre en cause. Mais c’est un fait qu’il soit nécessaire au système dans lequel nous nous trouvons. Par conséquent, une croissance morne sur du long terme conduira inévitablement à des désordres profonds. Ce qu’il faut admettre par ailleurs est qu’au-delà des débats sur le bien-fondé ou non de la croissance, il est hautement improbable que cette dernière revienne durablement. 3. Courrier international 1274, avril 2015.
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4. COTTA Alain, La domestication de l’humain, Fayard, Paris, 2015, p. 192. 5. Eric Neumayer, Cité dans ANGUS Ian, BUTLER Simon, (2014), p. 161. 6. ANGUS Ian, BUTLER Simon, (2014), p. 58. 7. RUSSEL Bertrand, Le monde qui pourrait être, Luxéditeur, Montréal, 2014 (1973), p. 67. 8. KEMPF Hervé, (2014), p. 84. 9. COLLECTIF (2014), p. 244. 10. Ibid., p. 55.
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Renaud Duterme est licencié en sciences du développement et de la population de l’Université Libre de Bruxelles. Il enseigne la géographie en Belgique et est membre actif du CADTM (Comité pour l’annulation de la dette du tiers-monde). Il est l’auteur de Rwanda, une histoire volée, éditions Tribord, 2013 et co-auteur avec Éric de Ruest de La dette cachée de l’économie, Les Liens qui Libèrent, 2014.
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Direction artistique/couverture : Fabienne Couderc Maquette : Palimpseste Corrections : Myriam Michel, Erick Montagne et Jean-Jacques Pascal © Les Éditions Utopia, 2018 Les Éditions Utopia 61, boulevard Mortier – 75020 Paris [email protected] www.editions-utopia.org www.mouvementutopia.org ISBN : 9782919160846 © 2018, version numérique Primento et Les Éditions Utopia Ce livre a été réalisé par Primento, le partenaire numérique des éditeurs
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