De l'infériorité de la femme dans les civilisations et les religions: Ou quand l'idéologie égalitaire devient un autre problème 9782140348952, 2140348958

Ce livre interroge la question de la femme, moitié de notre humanité hélas trop souvent minorité subalterne de nos socié

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De l'infériorité de la femme dans les civilisations et les religions: Ou quand l'idéologie égalitaire devient un autre problème
 9782140348952, 2140348958

Table of contents :
ÉGALITÉ HOMME/FEMME : VÉRITÉ, CONTRADICTIONS ET EXCÈS
DES « ORIGINES » DE LA QUESTION DE LA FEMME
Se perpétuait le symbolisme de la femme mythique mère de toute vie. C’est elle, identifiée à la masse des eaux primordiales, qui
Tous les grands systèmes et organisations supra-individuels auxquels on pense d’ordinaire à propos du concept de société ne sont
LA RELIGION COMME FACTEUR DE DISCRIMINATION ENVERS LES FEMMES
LA QUESTION DE LA FEMME DANS L’ÉGLISE DEPUIS LE CONCILE VATICAN II ET DÉBATS ANNEXES
Ces dernières années, on a vu s’affirmer des tendances nouvelles pour affronter la question de la femme. Une première tendance s
132 différences, considérées comme de simples effets d’un conditionnement historique et culturel. Dans ce nivelage, la différenc
Le droit à la contraception, avec ce qu’il implique en amont – consentement, droit de choisir son conjoint, droit au divorce rég
À changer notre attitude et notre comportement devant la vie – n’y voyant plus un don de Dieu, mais un matériau qui se gère – c’
LA QUESTION DE LA FEMME DANS LES ÉGLISES EN AFRIQUE ET DÉBATS ANNEXES
CLARIFIER LE DÉBAT… POUR VIVRE EN ÉGLISE
Pour l’homme des siècles futurs, ce sera […] une chance indicible s’il existe encore un lieu, je veux dire l’Église, où il pourr
En Amazonie, il y a des communautés qui se sont longtemps maintenues et ont transmis la foi sans qu’un prêtre ne passe les voir
Devant les difficultés ou simplement l’indifférence, il y a risque chez des femmes de " la surenchère du don de soi" pour obteni
REPENSER LES DROITS HUMAINS DE LA FEMME À LA LUMIÈRE DU LIVRE DE LA GENÈSE ET DE L’ÉVANGILE
Si tu savais le don de Dieu, tu saurais que la parfaite égalité de nature et de dignité – et donc de droits – t’es donnée dès la
L’humain initial a tout pour être heureux dans son jardin de paradis. Le Créateur l’associe même à sa puissance créatrice en lui
L’idée directrice du mythe est claire : même possédant le bien-être, la sécurité et le pouvoir, l’homme sans relation à l’autre
en question, homme ou femme, pour correspondre aux exigences d’une véritable relation, ne peut être qu’irréductiblement différen
Ma référence [au mal] est plus large et fait allusion à une racine culturelle dangereuse. Celle-ci propose implicitement de voul

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Ou quand l’idéologie égalitaire devient un autre problème

Francis Barbey

De l’infériorité de la femme dans les civilisations et les religions

Il aborde ainsi, de manière lancinante, la question de l’infériorité de la femme, tant dans les grandes civilisations à travers l’histoire antique, moderne et contemporaine sur la longue durée, que dans l’Église romaine, tout spécialement en contexte africain. Il dresse enfin l’état des lieux des mythologies sociales et des idéologies réductrices qui ont concouru, jusqu’à nos jours, à dénigrer la dignité et les droits de la femme et, par la suite, à entraver son propre développement et sa participation à l’humanité. (Extrait de la préface de Marie Miran)

Prêtre incardiné dans le diocèse de San Pedro-en-Côte d’Ivoire, Francis Barbey est docteur en sciences de la communication sociale de l’Université pontificale salésienne (UPS) de Rome et spécialiste de l’éducation aux médias et à la communication. Depuis plusieurs années, il a une activité de recherche et d’enseignement universitaires en Afrique et en France. Il est membre titulaire de l’Académie catholique de Côte d’Ivoire (ACACI) et codirecteur de la collection « Éducation et Médias » chez L’Harmattan à Paris.

De l’infériorité de la femme dans les civilisations et les religions

Ce livre interroge la question de la femme, moitié de notre humanité hélas trop souvent minorité subalterne de nos sociétés, sans qui, pourtant, le monde ne peut se construire vertueusement et durablement.

Francis Barbey

De l’infériorité de la femme dans les civilisations et les religions Ou quand l’idéologie égalitaire devient un autre problème

Préface de Marie Miran Illustration de couverture : © 123rf.com

ISBN : 978-2-14-034895-2

23 €

9 782140 348952

De l’infériorité de la femme dans les civilisations et les religions

Religions et Spiritualité fondée par Richard Moreau, Professeur émérite à l’Université de Paris XII dirigée par Gilles-Marie Moreau La collection Religions et Spiritualité rassemble divers types d’ouvrages : des études et des débats sur les grandes questions fondamentales qui se posent à l’homme, des biographies, des textes inédits ou des réimpressions de livres anciens ou méconnus. La collection est ouverte à toutes les grandes religions et au dialogue inter-religieux. Dernières parutions Matthieu ROUILLÉ D’ORFEUIL, Les chrétiens et l’irrationnel. Un monde, des mots et des hommes, 2023. Emmanuel VANGU VANGU, Indissolubilité du lien conjugal et divorces remaries aujourd’hui. Points de repère pour une pastorale de la miséricorde, 2023. Valerry D. A. WILSON, Saint Augustin et le statut de l’âme. Tome 2, 2023. Valerry D. A. WILSON, Saint Augustin et le statut de l’âme. Tome 1, 2023. Thibaut GIRARD, Chemin faisant. Pour une pastorale synodale, 2023. Elvis ELENGABEKA, L’homélie en théorie et en pratique, 2023. Théodore CYEBWA KANYINDA, Parole de Dieu. La bouche du prêtre, 2023. UN RECUEIL DE MÉDITATIONS POUR CHAQUE JOUR SAINT BONAVENTURE (Traduit par Michel Caille avec Jacques Miry), Sermons dominicaux. Volume 2. 27 à 50, 2023. SAINT BONAVENTURE (Traduit par Michel Caille avec Bernard Verten), Sermons dominicaux. Volume 1. 1 à 26, 2023. Jean GUICHENÉ, Jésus et Marie : homme et femme selon Dieu, Le dialogue de la Noce de Cana, 2023. Jean GUICHENÉ, Adam et Ève : homme et femme à l’épreuve, 2023. Jean GUICHENÉ, Le jardin d’Éden : lieu du péché originel, Récit biblique et approche scientifique, 2023.

Francis Barbey

De l’infériorité de la femme dans les civilisations et les religions Ou quand l’idéologie égalitaire devient un autre problème

Préface de Marie Miran

Du même auteur Communication pastorale en Afrique, Paris, L’Harmattan, 2020. L’Église-famille de Dieu en Afrique à l’épreuve de la xénophobie, du tribalisme et de l’autoritarisme, Paris, L’Harmattan, 2020. Côte d’Ivoire, faillite de la morale et crises sociopolitiques, Abidjan, Éditions UCAO, 2020. Amours chaotiques et foi chrétienne. Lettre d’un prêtre à une femme dont l’amour est trahi, Abidjan, Eveyop Éditions, 2021. Éloge de la foi chrétienne. Chemin d’accomplissement et d’éternité pour l’homme, Paris, L’Harmattan, 2019. Pédophilie, l’Église se meurt-elle ? Lomé, Éditions SaintAugustin Afrique, 2019. L’éducation aux médias, un point de vue africain, Paris, L’Harmattan, 2017. Dieu est-il chrétien catholique ? Paris, L’Harmattan, 2017. De qui nous viendra le salut ? Paris, Les impliqués Éditeurs, 2015. Le christianisme dans la modernité, Paris, L’Harmattan, 2013. L’éducation aux médias. De l’ambiguïté du concept aux défis d’une pratique éducative, Paris, Publibook, 2010. Et si Dieu aimait les Noirs ? Contre-enquête sur le racisme au Vatican, Paris, Publibook, 2010. Africain, prêtre et missionnaire en France, Paris, L’Harmattan, 2010. L’Église et la politique en Afrique, Paris, L’Harmattan, 2009.

© L’Harmattan, 2023 5-7, rue de l’Ecole-Polytechnique, 75005 Paris http://www.editions-harmattan.fr ISBN : 978-2-14-034895-2 EAN : 9782140348952

À la mémoire de ma sœur Clémentine dite Tina, qui fut également mon amie. Pour que l’affection et l’amitié continuent de nous unir dans le Seigneur.

« Je suis un fils de femme. Durant un demi-siècle, j’ai consenti, par docilité ou, hélas ! par lâcheté, à faire confiance aux hommes. S’ils dirigent le monde, universellement et depuis l’origine, c’est qu’ils le méritent, n’est-ce pas ? Il a fallu plusieurs guerres et l’imminence de désastres pires pour m’ouvrir les yeux, ou plutôt la bouche. À présent, je prédis et voudrais proclamer que l’humanité sombrera corps et bien, si la Femme ne prend pas enfin sa place dans la Société, et si les hommes persistent à conduire celle-ci à leur seule manière, ingénieuse et violente. Tout ce dont la civilisation a besoin pour survivre, ce n’est plus le génie masculin qui peut le lui fournir. Et, de même que, sans "les moyens pauvres", le christianisme est en chemin de perdition, de même sans le bon sens, la patience, le respect de la vie qu’incarnent les femmes, l’humanité me paraît condamnée ». Gilbert Cesbron Un mémorial de marbre noir

SOMMAIRE Préface .........................................................................................13 Avant-propos ................................................................................17 Chapitre 1 Égalité homme/femme : vérité, contradictions et excès..............41 Chapitre 2 Des « origines » de la question de la femme ...............................73 Chapitre 3 Société, politique et discrimination de la femme ........................95 Chapitre 4 La religion comme facteur de discrimination envers les femmes ....................................................................................................107 Chapitre 5 La question de la femme dans l’Église depuis le Concile Vatican II et débats annexes ........................................................................127 Chapitre 6 La question de la femme dans les Églises en Afrique et débats annexes .......................................................................................149 Chapitre 7 Clarifier le débat… pour vivre en Église ...................................171 Chapitre 8 Repenser les droits humains de la femme à la lumière du livre de la Genèse et de l’Évangile ..........................................................187 Pour ne pas conclure… ..............................................................209 Bibliographie ..............................................................................217

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PRÉFACE

Francis Barbey est un observateur passionné des défis, des manquements et des promesses de notre temps. Ouvert sur le monde mais ancré dans les réalités de l’Afrique, il fait se croiser réflexions intellectuelles et méditations personnelles, nourries autant de lectures savantes, universitaires comme religieuses, que de ses propres expériences et réflexivités. Francis Barbey est un remarquable communicateur qui met ses talents au service de ses engagements : revisiter des questions d’éthique qui lui tiennent à cœur et sont d’une importance centrale dans nos vies tant individuelles que collectives. Il défriche, explore, s’approprie et s’efforce de faire sens de ces questions d’éthique, en les restituant dans leur complexité, sans manquer à l’exigence d’une certaine limpidité, pour qu’elles soient mises en lumière de manière certes nuancée mais aussi accessible au plus grand nombre. Car Francis Barbey est éducateur dans l’âme. Son ambition n’est pas seulement d’augmenter le dépôt de nos savoirs. Son ambition est double. D’abord, partager des enseignements de manière aussi pédagogique que possible, en explicitant soigneusement ses points de départ, sa méthodologie, ses sources, les controverses, ses prises de position, les étapes de sa réflexion et ses principales conclusions. Ensuite, contribuer à élargir le débat social sur les questions étudiées, en interpellant le public de ses lecteurs (et par-delà), tout spécialement de ses lectrices et de ses lecteurs africains. 13

L’ambition la plus ardente de Francis Barbey est en effet d’ouvrir plus loin les débats, en invitant toujours plus d’interlocutrices et d’interlocuteurs dans le cercle de la réflexion et de l’action, non pas de manière fermée et dogmatique, mais de manière ouverte au dialogue et à la pluralité des formes d’engagement, pour construire ensemble un avenir partagé plus juste et plus équitable, dans l’idéal d’une humanité commune attachée à se parfaire. Francis Barbey est l’auteur d’une œuvre déjà considérable, forte de nombreux ouvrages. Chère lectrice, cher lecteur ! Ce nouveau livre n’est pas juste un nouveau livre, c’est un livre important ! Plonges-y toi, partage-le, discutesen ! Il raconte ton passé et ton présent et trace des chemins pour construire de meilleurs lendemains. Ce livre interroge la question de la femme, moitié de notre humanité hélas trop souvent minorité subalterne de nos sociétés, sans qui, pourtant, le monde ne peut se construire vertueusement et durablement. Le livre aborde ainsi, de manière lancinante, la question de l’infériorité de la femme, tant dans les grandes civilisations à travers l’histoire antique, moderne et contemporaine sur la longue durée, que dans l’Église romaine, tout spécialement en contexte africain. Le livre dresse l’état des lieux des mythologies sociales et des idéologies réductrices qui ont concouru, jusqu’à nos jours, à dénigrer la dignité et les droits de la femme et, par suite, à entraver son propre développement et sa participation à l’humanité. Ce livre qui défend la dignité et les droits de la femme, est rédigé d’une plume audacieuse et originale, non seulement parce que son auteur est un homme et un prêtre catholique, mais aussi parce qu’il aborde de front les diverses controverses de source féministe et occidentale autour des questions de la femme et du genre, et qu’il s’en distancie de manière critique, en proposant des contre-argumentations ancrées dans les enseignements de l’Évangile et dans certaines traditions africaines. L’auteur développe sa propre 14

position originale sur la question de la femme : il ne suit les idées convenues ni des zélotes les plus conservateurs, ni des zélotes les plus féministes. Il trace une troisième voie, inspirée par une interprétation des dogmes islamiques et chrétiens plus équitable en ce qui est de la question de la femme, et ancrée dans la conviction que les sociétés africaines ont le droit et même le devoir de produire leurs propres normes et valeurs au lieu d’importer voire de subir des normes et valeurs exogènes et occidentales, insensibles aux spécificités africaines. Ainsi Francis Barbey défend-il l’égalité entre l’homme et la femme, entendue comme une égalité différenciée, mais se dresse-t-il, entre autres, contre l’idée féministe d’une neutralité des sexes. L’auteur n’est pour autant aucunement complaisant face à ce qu’il perçoit comme des défaillances des communautés africaines et en particulier des communautés ecclésiales africaines à l’endroit des femmes. Les derniers chapitres explorent les possibilités que ces communautés puissent se transformer au nom de leurs propres exigences éthiques, pour rendre justice à la femme et élargir sa place dans la société, et ainsi construire un avenir partagé meilleur car plus humain. Ce livre est d’une richesse foisonnante. Il porte, pour une part, une polyphonie de voix « à livres ouverts », car généreux en citations tirées d’ouvrages qui ont nourri l’auteur. Il porte plus encore une voix singulière, à la fois universelle, africaine et chrétienne, voix réflexive qui se mue en vibrant appel au changement. Et cette voix est servie par une plume d’une grande élégance, qui conjugue du plaisir à l’intérêt de sa lecture. Marie MIRAN1 1

Maîtresse de conférences à l’École des Hautes Études en Sciences sociales (EHESS) et membre de l’Institut des Mondes africains (IMAF), Paris.

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AVANT-PROPOS

Cet ouvrage est le fruit d’une curiosité à laquelle j’ai voulu accéder, fortement encouragé par Jacques Gonnet qui soutient que la curiosité est tout, sauf un « vilain défaut ». Du moins si notre rapport au monde repose sur des valeurs communes, dont certaines sont décrites par Carlo Ossola dans un excellent ouvrage1. Ces dites valeurs sont destinées à nous apporter un surcroît d’humanité, pour nous-mêmes et pour vivre en société. Le même Jacques Gonnet prévient : « la curiosité nous entraîne aussi du côté de l’aventure2 ». Elle ne bénéficie donc pas seulement d’un a priori positif, elle est aussi chargée d’imprévus, et même « d’insolite inquiétant ». J’ai pleinement conscience de tout cela. L’aventure, dans ce cas précis, m’a fait lire des travaux inquiétants par un contenu qui pose la problématique de la dignité humaine, de l’égalité homme/ femme et des droits humains de la personne en des termes nouveaux, dont je doute fortement qu’ils traduisent une vraie conscience du progrès humain. Le savoir que procure la curiosité n’est jamais donné facilement. Il s’acquiert. C’est le fruit d’un processus long et fastidieux qui exige recul, discussions et aide. C’est dans ce sens que cette aventure m’a fait rencontrer plusieurs autres 1

Carlo OSSOLA, Les valeurs communes, Paris, Les Belles Lettres, 2020. Jacques GONNET, Les médias et la curiosité du monde, Paris, Puf, 2003, p. 28.

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auteurs dont les travaux sont à tous points de vue éclairants et inspirants ; que j’ai dû revisiter des travaux d’excellents auteurs déjà connus. Des hommes et des femmes qui m’ont tous montré le chemin ! Je ne sais pas si j’ai effectivement pris le chemin qu’ils indiquaient, et si j’y ai persévéré. Mais toujours est-il que, grâce à eux, je crois avoir satisfait en partie ma curiosité, à savoir que la vérité « naturelle », admise dans la plupart des civilisations et des religions et qui consiste à dire que la femme est inférieure à l’homme, m’apparaît désormais plus idéologique1 que naturellement fondée. Pour dire les choses à la façon de Dominique Labarrière, « la ségrégation sexiste relève non seulement d’une inexpiable injustice, mais aussi – et surtout – d’une abyssale sottise2 ». Tout au plus, peut-on évoquer la permanence de mythologies sociales, d’idéologies réductrices et de ce que j’appelle l’ignorance exaltée des hommes qui prétendent tout savoir de la vie, pour régenter jusqu’au plaisir des femmes. En fin de compte, il s’agit de tout ce qui n’explique la subordination de la femme que pour la justifier, sans qu’il soit possible de relativiser la supériorité supposée de l’homme et son pouvoir sur la femme. Certes, il fut un temps, dans les siècles passés, où considérer l’égalité des êtres humains et par ricochet des sexes, dans son sens le plus humain, relevait de la folie ou du blasphème. L’intérêt que l’on peut accorder, dans les sociétés actuelles, à la « question de la femme », réside non seulement dans le fait d’une sensibilité plus vive aux droits de l’homme, suscitée par les violences multiformes infligées à la personne humaine dans l’Histoire, mais également dans le fait que cette question nous situe dans ce que Jean-Claude 1

Au sens de Hannah Arendt, qui découle du terme même, c’est-à-dire selon la logique des idées. L’infériorité de la femme proviendrait donc de la logique de quelques idées. 2 Dominque LABARRIÈRE, Des femmes qui ont inventé notre temps, Paris, Éditions VÉGA, 2022.

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Barreau et Guillaume Bigot appellent « la chaîne des temps », parce que la question de la femme, précisément, s’enracine dans une longue Histoire humaine1. Au-delà de la curiosité que j’ai évoquée, l’actualité de la question de la femme me rejoint aussi chaque jour, comme elle rejoint tous ceux qui vivent dans la médiasphère de l’ère numérique, sans vraiment l’exiger, ni parfois le vouloir. La question de la femme est telle dans l’actualité médiatique qui nous relie au monde, qu’il est devenu impossible de ne pas y prêter attention et de ne pas se saisir d’une telle problématique pour la questionner. Ma position d’homme et de prêtre Il faut dire qu’au fond de moi-même, comme homme et comme prêtre, je ne me suis jamais satisfait du discours patriarcal sur la femme et sur son infériorité supposée, aujourd’hui encore dans beaucoup de sociétés. De mon point de vue, si la femme a une place dans le dessein créateur de Dieu, et si Dieu a inscrit une vocation dans sa féminité, je doute que ce soit pour qu’elle vive sous la domination de l’homme. De là vient la gêne que je ressens toujours quand je vois le regard qui est porté sur la femme, y compris dans certains milieux ecclésiastiques. J’ai le sentiment qu’on a tendance à réduire son engagement dans l’Église, qui serait plutôt mesurable en capacités cognitives, managériales et spirituelles, à des choses rigoureusement secondaires2. Cela ne peut pas laisser indifférent.

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Jean-Claude BARREAU et Guillaume BIGOT, Toute l’histoire du monde. De la préhistoire à nos jours, Paris, Fayard, 2005. 2 Les femmes sont généralement les organisatrices, les décoratrices et les cuisinières attitrées des repas de fêtes paroissiales ! Il est certain que les femmes ont des talents d’artiste, qu’elles savent bien faire ce qu’on leur demande, mais cette image récurrente, dans ce type de besoin communautaire, ne laisse pas de m’interroger.

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À vrai dire, j’avoue avoir toujours eu du mal à comprendre la place de la femme autour de moi-même et dans l’Église. Après y avoir longuement réfléchi, je découvre que je suis en fait héritier, non seulement d’une longue tradition ancestrale sur la question, mais aussi d’un imaginaire clérical et d’usages nourris à la source de la théologie médiévale, elle-même inspirée des Pères de l’Église comme saint Ambroise et saint Augustin, pour citer deux des plus influents sur la question. Pères dont les commentaires de la Genèse et de saint Paul ont inspiré plus tard des théologiens qui laissaient penser que la femme n’est pas créée à l’image de Dieu, mais qu’elle en serait une similitude1. Si, comme le dit Ambroise, c’est par elle que le mal a débuté, que le mensonge a commencé, il est pour Augustin dans l’ordre normal des choses qu’elle soit assujettie à l’homme dont elle est une aide. Devant cet ensemble de conditionnements intellectuels et « théologiques », il est souvent difficile d’émerger pour voir les choses autrement, sans se culpabiliser soi-même de n’avoir rien compris à la vie et au fonctionnement des sociétés et pire, pour moi prêtre, de prétendre discuter les propos réducteurs de certains Pères de l’Église sur la femme. Il n’est pas rare, dans ce cas, d’entendre, au cours des cérémonies de mariages religieux chrétiens, surtout en Afrique, l’un ou l’autre prédicateur affirmer la supériorité de l’homme sur la femme et l’assujettissement de cette dernière, en justifiant ce type de propos par la Parole de Dieu. Ce qui est rigoureusement une interprétation très réduite, sinon erronée des versets en question, comme je vais le montrer dans ce travail. En général, le prédicateur extasié isole un concept de l’ensemble des textes qu’il relie à l’imaginaire populaire, 1

Marie-Thérèse D’ALVERNY, « Comment les théologiens et les philosophes voient la femme ». In : Cahiers de civilisation médiévale, 20e année (n°78-79), avril-septembre 1977, pp. 105-109.

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pour dire exactement ce que les gens pensent déjà, à savoir que la femme serait inférieure à l’homme. Il en est ainsi de la Lettre aux Éphésiens dans laquelle Paul évoque la « soumission » de la femme envers son mari (Ep 5, 22). Au lieu d’interpréter le texte dans la cohérence de l’ensemble dudit texte pour en appeler à une vie d’amour réciproque et de paix entre les futurs époux, c’est-à-dire dans un sens strictement chrétien, on oblige la femme à accepter devant Dieu (!) sa supposée infériorité et la conséquence qui en découle, à savoir sa « soumission » à son époux, avec le sens que suggère l’imaginaire social qui n’est pas celui qui est destiné à nourrir la foi des chrétiens. En effet, telle qu’elle est comprise dans l’imaginaire social, la « soumission » évoque l’idée de crainte chez la personne qui est appelée à se soumettre à une autre personne. Comme l’a si bien exprimé saint Hilaire dans son commentaire du Psaume 127, ce type de crainte est bien différent de ce qu’il appelle la « crainte de Dieu ». Cette dernière est « tout entière dans l’amour, et la charité parfaite mène à son achèvement la peur qui est en elle ». Mais dans l’opinion commune des hommes, « la crainte est l’effroi de la faiblesse qui redoute de souffrir des accidents dont elle ne veut pas. Elle naît et elle s’ébranle en nous du fait de la culpabilité de notre conscience, du droit d’un plus puissant, de l’assaut d’un ennemi mieux armé, d’une cause de maladie, de la rencontre d’une bête sauvage, bref la crainte naît de tout ce qui peut nous apporter de la souffrance ». En réalité, il n’y a rien de nouveau pour la fiancée à qui l’on rappelle sa « place » de future épouse, car c’est de cette façon que fonctionne la société dans laquelle elle vit. La seule différence, c’est qu’elle intègre définitivement son statut d’infériorité supposée et la soumission à son époux, puisque, selon le prédicateur, c’est Dieu lui-même qui l’aurait voulu au début de la Création. La nouveauté de l’Évangile, comme Bonne nouvelle, qui exalte l’égale 21

dignité des personnes, se heurte ici à l’imaginaire social de la hiérarchisation des sexes. Voici comment le prêtre lui-même finit par admettre, peut-être sans y croire vraiment, que si la femme doit avoir une place dans nos sociétés et dans l’Église, ce sera sur le strapontin que l’homme, bien ancré dans ses traditions ancestrales et dans une interprétation erronée des textes bibliques, décide de lui concéder. La lecture « sociétale » de l’Évangile par les pasteurs contribue ainsi fortement à amplifier pour les temps actuels, le procès d’antiféminisme qui est fait au catholicisme en particulier. Dieu qui est pris à témoin dans cette affaire d’infériorité et de soumission ne détermine pas les positions sociales pour que les uns dominent les autres, s’il est vrai qu’il a créé l’homme et la femme dans une égalité humanisante. Ce n’est donc pas l’infériorité supposée de la femme, en tant que femme, qui détermine ce qu’elle doit accomplir dans le monde et dans l’Église. Son implication dans le monde et ce qu’elle doit y accomplir, même si elle le fait différemment, vient du fait qu’elle a en partage avec l’homme la même responsabilité vis-à-vis du monde et de son avenir. Et cette responsabilité vient de la vocation de co-créateurs voulue par Dieu au début de la création, pour l’homme et pour la femme. Pareillement, dans l’Église, c’est la grâce de son baptême qui commande ce qu’elle doit accomplir, comme appelée et envoyée par le Seigneur et au nom du Seigneur, et comme membre du Corps du Christ. Que dans la foi nous reconnaissions que Dieu lui ait donné des charismes particuliers comme « femme » est une certitude. Mais faire de ces charismes un cadre d’exclusion et d’infériorité est antiévangélique. Par ailleurs, nous ne devons pas sous-estimer sa capacité d’initiative et de créativité au service du monde et de la vie de l’Église. Des lieux où la femme peut déployer la part de Dieu qui est en elle, dans le sens de continuer la Création. 22

Ce qui est visé ici, c’est de faire en sorte de ne pas utiliser la Parole de Dieu pour justifier des pratiques humaines antiévangéliques, car nulle part dans les Évangiles Jésus ne mentionne cette infériorité supposée de la femme et son assujettissement à l’homme. Au contraire, si l’on tient compte du « style » de Jésus dans les Évangiles, on peut y lire une affirmation de la dignité absolue de la femme (envers et contre l’imaginaire social de l’époque et les pratiques qui en découlaient), créée elle aussi à l’image et à la ressemblance de Dieu, et cohéritière avec le Christ. Toutes les femmes veulent être partie prenante, partenaires incontournables de la vie de l’Église1 et des décisions qui engagent nos sociétés ; parce que si les femmes veulent être « femmes jusqu’au bout des seins », comme le chante l’artiste français Michel Sardou, elles ne savent pas que donner du lait aux enfants ! Elles savent faire bien d’autres choses, au service du rayonnement de la foi et de l’Église, ainsi que du progrès humain et du bien commun. Le sens de mes interrogations On peut vraiment se demander pourquoi les idées fausses ont si longue vie ! Et pourquoi les idées reçues nous semblent si évidentes à croire. Pourquoi, avant de chercher à comprendre d’où vient la discrimination envers la femme et son assujettissement, faudrait-il croire que les choses sont ainsi faites, et qu’il n’y a rien à faire contre cela ? Pourquoi dit-on habituellement que toutes les femmes sont pareilles ? Pourquoi entend-on dire si facilement d’une femme qui a plusieurs partenaires sexuels qu’elle est une nymphomane – on disait déjà au XVIIIe siècle qu’elle souffrait d’une maladie dite « fureur utérine » –, et d’un homme qui a plusieurs partenaires sexuelles qu’il est un « gentleman » ? Il semble, 1

Edward SCHILLEBEECKX, Pladoyer pour le peuple de Dieu, Paris, Les Éditions du Cerf, 1987, p. 263.

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selon Diane Ducret, qu’on a toujours considéré que « le libertinage est l’apanage des hommes et la maladie des femmes1 ». Le médecin Jean de Bienville, en 1771, traitant de nymphomanie dans un ouvrage, décrit la fureur utérine comme « un délire attribué au sexe qu’un appétit vénérien démesuré porte violemment à se satisfaire, à chercher sans pudeur les moyens de parvenir à ce but, à tenir les propos les plus obscènes, à faire les choses les plus indécentes pour exciter les hommes qui les approchent, à éteindre l’ardeur dont elles sont dévorées […] jusqu’à forcer ceux qui se refusent aux désirs qu’elles témoignent2 ». Mais au fond, quelle expérience commune avons-nous des femmes dans leur ensemble, pour nous autoriser à croire qu’elles sont telles ou telles ? Et qu’est-ce qui nous permet de déduire de ce « comme-ci » et de ce « comme-ça » des « sanctions » discriminatoires et assujettissantes ? Pourquoi avons-nous fait de la différence des sexes un lieu de hiérarchisation humaine – et en réalité un lieu de supplice pour la femme ? Pour le peu qu’on puisse en dire, selon Diane Ducret, « chair interdite depuis la naissance de la civilisation, le sexe des femmes nourrit les peurs des hommes, leur procure plaisir et naissance, attise le désir autant que la haine3 ». Plus que tout, l’ignorance exaltée des hommes a, tout au long des siècles, enfermé les femmes dans ce qui peut être interprété avec nos mots et notre sensibilité d’aujourd’hui, comme les pires dégradations de leur condition humaine, tout simplement parce qu’elles ont un sexe différent. Ce sexe, « jusqu’à nos jours, tantôt exilé, maudit, conspué, tantôt consacré, mutilé autant qu’embrassé, aura toujours quelque chose à se 1

Diane DUCRET, La chair interdite, Paris, Éditions Albin Michel, 2014, p. 65. 2 Jean de BIENVILLE, La Nymphomanie ou traité de la fureur utérine, cité par Diane Ducret, op. cit., p. 66. 3 Diane DUCRET, op. cit., p. 10.

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reprocher »… car il semblerait que la femme soit naturellement imparfaite, du simple fait d’être une femme, avec un sexe différent ! C’est pourquoi, ajoute Diane Ducret, « rapté parfois lorsqu’il se refuse, siège de l’honneur de toute une famille – que dis-je, d’une nation !, muselé chirurgiquement pour ne point prendre trop de libertés, loué par les poètes et croqué par les peintres, le sexe des femmes a dicté ses lois et ses désirs à l’histoire de l’humanité. Tandis que certains hommes, certaines politiques et religions tentaient de lui prescrire leurs volontés, leurs fantasmes, leurs interdits. Ceux-là mêmes qu’ont connus nos mères, et leurs mères avant elles, quels que soient les civilisations, les latitudes, les siècles1 ». Cela dit, mes interrogations et mes étonnements ne filigranent aucune fausse prétention à se faire le champion de la cause des femmes, dans un monde si vieux ! Je revendique cependant d’être un modeste partenaire d’une cause aussi noble que celle qui consiste à reconnaître ouvertement la présence des femmes dans le monde comme une grâce, étant donné leurs charismes et leur potentiel à contribuer au progrès humain. Tous les hommes qui, dans la vie, ont fait l’expérience, au moins une fois, du sentiment de supériorité et de domination des autres, de la déconsidération de la part des autres, qui ont eu à souffrir d’un manque de reconnaissance de leur singularité en tant que différents des autres, savent le sens qu’on peut attacher au fait de vivre sans être obligés de se convaincre d’une sous-humanité. Les blessures que chacun de nous peut porter en lui-même du fait d’une humanité souvent contrariée, humiliée et critiquée, sont les mêmes que tant de femmes dans le monde portent dans leur existence et qui sont devenues comme une composante essentielle de leur humanité. 1

Ibid, pp. 10-11.

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La prise de conscience de ce chemin commun à beaucoup de personnes constitue le fondement d’un engagement qui ne saurait dissocier les hommes qui souffrent et qu’il faudrait aider par humanisme, et les femmes qui souffrent mais dont on conclurait que leur sort est naturel, dans la logique de la faute de Pandore dans la mythologie grecque ou d’Ève dans le livre de la Genèse ! La curiosité, par bien des côtés, exprime alors le fait qu’on ne peut pas vivre dans le monde sans se sentir concerné par l’actualité qui nous relie chaque jour à ce monde. De ce fait, la curiosité ouvre à la connaissance et la connaissance permet de s’opposer, non seulement à l’ignorance, mais également aux évidences trompeuses comme celles par lesquelles les hommes, dans les civilisations et les religions, ont bâti, au cours des siècles, la subordination de la femme à partir du simple fait qu’elle a un corps différent. Bien entendu, l’égalité de la femme et de l’homme que je défends dans le sens d’une égalité différenciée, du point de vue des sexes, est une chose qu’il est impossible de confondre avec le débat sur l’ordination des femmes dans l’Église, qui n’est pas à proprement parler le sujet de ce livre. Néanmoins, je l’évoquerai plus bas, sans m’y attarder, puisqu’il constitue, aux dires des militantes féministes, un point d’achoppement dans le débat actuel sur les droits de la femme dans l’Église. Le message de ce livre Le message premier de ce livre est simple : le corps de la femme, l’anatomie et la physiologie de son sexe en particulier, ne peuvent pas constituer un délit qui la condamne à la subordination à perpétuité, parce que le rôle infantilisant qui est le sien, encore de nos jours et dans bien de sociétés, ne repose finalement sur aucun argument convaincant qui justifierait qu’elle vive en sous-humanité. De plus, pour nous chrétiens, considérer que la femme est inférieure à l’homme 26

est une offense au dessein créateur de Dieu, qui a voulu la femme et l’homme comme son projet d’amour le plus achevé, en ceci qu’ils sont tous deux les fruits de sa grâce créatrice. J’explore donc dans cet ouvrage des situations qui contiennent des informations utiles pouvant aider chacun à sortir des certitudes trompeuses, pour que la vie entre humains, entre l’homme et la femme, dans nos sociétés, n’en reste pas à des idéologies réductrices et ne soit pas exposée à la passion de l’ignorance. L’état de la question Je retiens que je ne suis pas le seul curieux sur la question. D’autres hommes, de diverses spécialités, expriment la même curiosité. Dominique Labarrière, ex-professeur de philosophie et passionné d’histoire, exprime un intérêt particulier pour ce sujet. L’un de ses ouvrages, Des femmes qui ont inventé notre temps, présente de façon remarquable et détaillée plusieurs femmes qui ont marqué leur époque par la force de leur caractère, en brisant « les codes d’un statut qui leur était imposé1 », pour s’extraire de l’infantilisation. La mise en lumière de ces savantes et autres, contredit de fait une certaine idée qui voudrait que l’histoire humaine, dans ses dimensions créative et vertueuse, soit exclusivement une affaire d’hommes. Le mélange des genres que l’auteur s’autorise, allant des « savantes » aux « femmes de pouvoir » en passant par les « indépendantes », les « marginales », les « scandaleuses », les femmes de « plume et d’esprit », et les « révoltées », est révélateur du désir de magnifier l’héroïsme de celles qui, au milieu de multiples interdits, ont réussi avec courage à imposer leur vision des choses et de la vie. Bien entendu que chacune s’est révélée dans un domaine particulier qu’il convient de souligner. Dominique Labarrière a le 1

Dominique LABARRIÈRE, op. cit., p. 11.

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mérite de nous les faire connaître. Mais son choix de celles qui sont ainsi « racontées » repose, selon lui, sur la raison et le cœur. D’un côté, l’auteur estime qu’elles sont « absolument remarquables », parce que chacune révèle une singularité par rapport à la société à laquelle elle a appartenu, et de l’autre, que « indéniablement, ce sont des personnes qu’on aurait aimé côtoyer, fréquenter, accompagner ». Si je suis d’accord avec Dominique Labarrière que toutes ces femmes sont « absolument remarquables », je partage moins le fait qu’il n’y ait aucun doute que ces personnes soient toutes fréquentables. C’est pourquoi, prétendre que tous ces portraits ont contribué à inventer « notre temps » a quelque chose d’universel qui me semble pour le moins discutable. Autrement dit tout dépend du lieu d’où l’on parle. J’adhère à l’idée du caractère injuste de l’infantilisation de la femme dans l’histoire. Sur le fond, je partage avec Dominique Labarrière le refus d’une humanité hiérarchisée. Mais toutes les femmes qui ont fait parler d’elles de façon inhabituelle et dont l’Histoire a retenu quelques souvenirs ne sont pas toutes des héroïnes, au sens d’avoir fait preuve de vertus exceptionnelles. Comme il est également prouvé que tous les hommes dont on peut penser qu’ils ont « fait » l’Histoire, et dont on a retenu les noms ne sont pas forcément tous des héros qui mériteraient d’être reconnus comme les inspirateurs des temps actuels. Je présume pourtant qu’il a existé des femmes qui auraient pu inspirer nos sociétés actuelles sur bien de points, et dont le souvenir s’est comme perdu à jamais, parce que ceux, les hommes, qui écrivaient l’Histoire, l’ont fait pour eux, dans leur sens à eux et souvent dans la déconsidération de la créativité de la femme et de son charisme propre. La façon dont l’auteur présente ces femmes singulières « qui ont inventé notre temps », m’apparaît comme la version non africaine de Reine d’Afrique et héroïnes de la diaspora noire de Sylvia Serbin. On retrouve dans les deux ouvrages 28

une classification spécifique qui serait la clé de lecture de la « célébrité » de chaque groupe de femmes, c’est-à-dire de ce que ces femmes furent comme singularité dans leur société. Sylvia Serbin assume également un mélange des genres qui présente tour à tour et magnifie les « Reines d’Afrique », les « Femmes de pouvoir et d’influence », les « Résistantes », les « Prophétesses et mouvements messianiques », les « Guerrières », les « Romances princières », la « Victime » et les « Mères de héros ». Par cet ouvrage, l’auteure a voulu s’émanciper d’une idéologie qui voudrait que les femmes célèbres de l’Histoire humaine soient exclusivement de peau blanche. De fait, l’auteure ne questionne pas seulement une idéologie sectaire et raciste, mais elle met aussi en débat les faits de célébrité de ces femmes blanches qui auraient mené des combats pour l’humanité. Parce qu’il est un fait que « de plus en plus d’auteurs s’attellent à une relecture du passé pour y trouver des tempéraments féminins à valoriser, fussent-elles épouses ou favorites de rois1 ». L’Histoire est aussi une science, me semble-t-il, et la science prétend à une certaine vérité par rapport à la façon dont elle analyse les faits. Malheureusement, c’est par rapport à cette « vérité scientifique » que pendant longtemps l’on a considéré l’Afrique comme un continent statique, qui serait restée au stade de la préhistoire et qui, pour cela, constituerait pour l’humanité entière ce que Jean-Marc Ela appelle un musée de l’Histoire humaine. Une histoire qui aurait évolué ailleurs, sous d’autres cieux, mais pas en Afrique. Cette science raciste a bien laissé des traces dans les différentes perceptions de l’Afrique d’aujourd’hui, à tel point qu’il se dit encore chez les bien-pensants que l’Afrique n’est pas entrée dans l’Histoire. Face à cela, de plus en plus d’intellectuels africains souhaitent « en découdre » intellectuellement pour prouver que contrairement à la pensée 1 Sylvia SERBIN, Reines d’Afrique et héroïnes de la diaspora, Wuppertal, MeduNeter, 2018, p. 35.

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dominante portée par des intellectuels comme l’historien français Bernard Lugan, l’Afrique est entrée dans l’Histoire et dispose de ses lieux d’invention qui défient l’avenir1. La place des femmes singulières et célèbres dans l’Histoire de l’humanité apparaît dans ce débat historique comme une affaire purement de clan. Et le risque devient de plus en plus grand que les clans finissent par imposer des figures féminines qui ne doivent leur célébrité qu’à une volonté de domination idéologique ou de la défense idéologique de l’existence. Il y a ici comme une forme d’instinct de survie et de conservation. On constate par là que les sociétés existent aussi par les mythes qui s’élaborent autour de personnages dont elles adaptent l’importance à la façon dont elles se perçoivent ou voudraient être perçues. Voilà pourquoi Gilbert Durand explique que le mythe est « une res réelle qu’on peut manipuler, pour le meilleur comme pour le pire2 ». Le livre de Sylvia Serbin est plein d’informations sur l’histoire des sociétés africaines dans laquelle la femme africaine, contrairement à ce que l’on a cru pendant longtemps, est bien présente comme actrice et inspiratrice de progrès humains. Je m’en réjouis personnellement. Mais les propres combats de l’auteure contre ce qu’elle appelle « l’idéologie conservatrice » et sa mobilisation contre les défenseurs acharnés d’une vision unique du monde qui, en plus, tentent de la faire taire pourraient risquer de surévaluer la vision de l’Afrique qu’elle défend. Au lieu de raconter l’Histoire de l’Afrique comme elle devrait être sue à l’intérieur de l’Histoire humaine, les violences qu’elle subit et son désir d’y répondre pourraient transformer sa vérité sur l’Histoire de l’Afrique en un procès de canonisation. 1

Jean-Marc ELA, Restituer l’histoire aux sociétés africaines. Promouvoir les sciences sociales en Afrique Noire, Paris, L’Harmattan, 1994. 2 Gilbert DURAND, Introduction à la mythodologie. Mythes et sociétés, Paris, Éditions Albin Michel, 1996, p. 46.

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Dans tous les cas, l’Histoire de l’Afrique que Sylvia Serbin raconte dans Reine d’Afrique n’est en rien une Histoire inutile. Ce qu’elle écrit et les circonstances qui la poussent à écrire s’inscrivent d’une façon certaine dans la logique d’un travail qui concerne toutes les générations qui doivent y participer. Cette exigence répond à un devoir : la transmission d’un héritage symbolique à préserver. Mais dans ce cas précis, comme dans le cas Des femmes qui ont inventé notre temps de Dominique Labarrière, il faut savoir reconnaître humblement, comme le disait Gilbert Durand, que la science est passible de l’anthropologie. Comme toute œuvre humaine, elle dépend de son « inventeur humain ». Au-delà des controverses, il faut pourtant que les femmes d’aujourd’hui accèdent à leurs droits humains par une mobilisation qui soit à la mesure de la discrimination qu’elles subissent. Voilà pourquoi je souhaite proposer dans cet ouvrage une autre voie qui n’est ni dans la domination idéologique ni dans la revendication idéologique de l’existence, mais qui est fondée sur la dignité humaine. Dans cette analyse de l’état de la question, il est fort instructif de faire appel à deux autres femmes, qui se sont posé, chacune à sa manière, des questions sur le sort des femmes, sur la façon dont les évidences se sont installées dans l’imaginaire collectif à propos des femmes. Elles se sont posé aussi des questions sur la façon dont l’homme, qu’elles considèrent comme l’autre part de l’humanité commune, est arrivé à s’installer dans le fauteuil de « chef », tout puissant, sans qu’il n’y ait eu ni concertation ni élection au préalable ! En dénonçant cette posture tyrannique, elles demandent que toutes les femmes soient reconnues dans leur égale dignité humaine avec les hommes et accèdent à leurs droits humains. Dans Dieu aime-t-il les femmes ?1 Anne Soupa, bibliste, familière des textes fondateurs de la civilisation judéo1

Anne SOUPA, Dieu aime-t-il les femmes ? Paris, Médiaspaul, 2012.

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chrétienne, pose un diagnostic sans concession sur le sort qui est réservé aux femmes, à l’intérieur de l’Église catholique en particulier, et qu’elle estime injuste. Elle embrasse entièrement la cause féministe, au point de faire des considérations que l’Église estime en contradiction avec l’anthropologie chrétienne et sa propre doctrine sur le couple humain. C’est son choix. C’est le choix d’une colère, qu’il faut tout de même entendre. Surtout lorsqu’elle va jusqu’à affirmer sa certitude qu’autant Dieu aime les femmes, autant l’Église les détesterait. Françoise Héritier, quant à elle, a consacré une grande partie de ses travaux de recherche anthropologique au diptyque masculin/féminin. Sa curiosité est partie de ceci : « comment, de la différence anatomique et physiologique objective, matérielle, irréfutable des sexes offerte à l’observation de tout temps, passe-t-on, dans l’histoire de l’Homo sapiens, à la hiérarchie, à la catégorisation en oppositions de type binaire, et à la valorisation ou à la dévalorisation de ces catégories selon qu’elles sont applicables au masculin ou au féminin ?1 ». Les éléments qu’elle met en lumière et les réponses qu’elle formule nous montrent des aspects inattendus de la question. Je reviendrai sur quelques points de son analyse et de ses résultats, qui sont sans aucun doute éclairants, même s’ils ne laissent pas de susciter des interrogations sur sa vision de l’égalité entre l’homme et la femme et sur les implicites qu’elle met en lumière et qui rejoignent, dans une certaine mesure, les revendications de certains mouvements féministes. Pour bien dissocier les choses Croire en l’égalité entre l’homme et la femme et la défendre, comme je vais le faire tout au long de ce livre, 1 Françoise HÉRITIER, Masculin/Féminin I. La pensée de la différence, Paris, Odile Jacob, 1996, p. 291.

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n’empêche pas que certains propos implicites soient soulevés et analysés. Le débat sur l’égalité entre l’homme et la femme, au-delà de son apparence humaniste, contient des subtilités qu’il faut démasquer. On glisse, par exemple, de la nécessité de l’égalité juridique, économique et sociale entre l’homme et la femme, à des approches sexuellement égalitaires et indifférenciées. Nous sommes face à un débat qui, il faut l’avouer, malgré les apports considérables de plusieurs champs disciplinaires, vire par moment à l’idéologie. L’instrumentalisation de la science dans ce cas a de quoi inquiéter. Depuis le temps de l’Homo habilis1, qu’on situe à peu près à deux millions sept cent mille ans, et toutes les évolutions qui ont pu avoir lieu par la suite, dissocier le sexe biologique de l’identité sexuelle et considérer cela comme un progrès humain, relève à mon avis d’un non-sens. Parce que cela touche très précisément au sens même de l’humain. Je veux être clair : ma démarche ne s’inscrit pas dans une logique féministe, avec sa vérité et ses excès, et toutes les idéologies qui gravitent autour. Je ne m’inscris pas non plus dans la justification scientifique du sexe social, comme on l’observe dans certains travaux qui nous disent par exemple que « les lesbiennes ne sont pas des femmes2 », ou que beaucoup de celles qu’on nomme « femmes » ne se reconnaissent plus dans ce terme. Je ne prétends donc pas que la femme et l’homme naissent systématiquement comme des individus indifférenciés que les sociétés détermineraient en « femme » ou en « homme ». J’observe, comme beaucoup, qu’il y a aujourd’hui des questions essentielles, comme celles liées à l’égalité entre l’homme et la femme, aux droits de la femme, à la procréation et à la famille, sur lesquelles 1

Considéré comme le premier homme véritable qui aurait vécu en Afrique de l’Est et du Sud. 2 Monique WITTIG, La catégorie de sexe, cité par Sandra Boehringer et Violaine Sebillotte Cuchet, Hommes et femmes dans l’Antiquité grecque et romaine, Paris, Armand Colin, 2017, 2e édition, p. 15.

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les idéologues continuent de nous abreuver de leurs nouvelles théories explicatives. Malheureusement, nombre de personnes hésitent à se faire leur propre opinion, parce que submergées par de nombreuses théories dans lesquelles elles ont du mal à se repérer. La force des lobbies médiatiques aidant, l’on arrive même, grâce au rabâchage des « experts », qui savent toujours tout sur tous les sujets, à tolérer sinon à adhérer à des thèses dont la vérité n’est pas évidente pour ceux qui s’autorisent à prendre un peu de distance critique. Au milieu de tous les discours sur la question de la femme, je prétends plutôt que le fait qu’il soit admis que la femme est inférieure à l’homme, et qu’elle apparaisse comme le sexe faible, résulte plutôt de la corruption du « processus social qui consiste en l’attribution de caractéristiques "féminines" et "masculines" aux individus en fonction de certains organes spécifiques (les organes génitaux) et en fonction de certaines différences corporelles1 ». Là où le bât blesse, au regard de ce processus social pertinent, c’est lorsque pour certains, cette différenciation justifie et permet d’établir une hiérarchie des sexes et par ricochet une hiérarchie en dignité et en droits humains, au lieu d’exalter l’unité du genre humain dans une différence complémentaire. Je prétends également et absolument que la réponse à la hiérarchisation des sexes ne se trouve pas dans l’indifférenciation sexuelle, c’est-à-dire dans le transsexualisme, comme cela a pu être revendiqué par certains mouvements féministes. J’admets donc sur ce point précis que l’attribution de caractéristiques, en fonction du sexe de naissance, n’est pas forcément contraire à l’ordre naturel des choses. Ce n’est pas parce que c’est socialement admis que c’est forcément erroné. Il faut sortir de la fausse opposition entre nature et culture sur la différence entre l’homme et la femme. Comme l’écrivait le pape Paul VI au président des Semaines sociales, 1

Sandra BOEHRINGER et Violaine SEBILLOTTE CUCHET, op. cit., p.14.

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le 17 juin 1972 : « certes, la culture intervient toujours pour donner son expression et sa signification à cette différence naturelle. Mais, à considérer par trop cette différence comme un simple produit de l’histoire, on méconnaîtrait la réalité. Histoire et nature sont intimement liées ». Il est vrai aussi que nous avons tous tendance à ramener le féminin et le masculin aux apparences et aux comportements des individus : « les vêtements, le maquillage, les gestes, la voix, le type d’activité professionnelle, sexuelle ou physique1 ». Mais bien que cela puisse malheureusement inspirer quelquefois une hiérarchisation des sexes et des comportements discriminatoires, il faut admettre que ce n’est pas non plus totalement dénué de sens. Généralement, les comportements et le sexe se présentent comme des marqueurs de différenciation dans la société ; marqueurs dont nous avons nécessairement besoin pour nous orienter, c’està-dire pour apprendre à aller à la rencontre des autres. Au nom donc de la dignité humaine et de l’égalité en droits des personnes, je m’oppose à la hiérarchisation des sexes et des personnes autant qu’à l’idéologie de l’indifférenciation des sexes. Le cadre de référence Le cadre de référence théorique de mon analyse est fondé sur une anthropologie chrétienne qui n’enferme pas l’homme et la femme dans leur condition déchue, mais considère qu’ils sont, avant tout, les fruits de la grâce créatrice de Dieu (Gn 2, 22-34), c’est-à-dire qu’ils sont traversés par des éclairs d’amour. Comme tels, ils sont appelés à vivre en Dieu, à s’accomplir en lui et à trouver en lui leur éternité. Dans cette approche, on perçoit assez clairement, comment, à travers les Évangiles, Jésus valorise la dignité humaine en la reliant chaque fois à sa source qui est Dieu (Lc 4, 17). S’il 1

Ibid., p. 15.

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est clair qu’être femme est une grâce, il n’est pas moins clair dans la Parole du Christ et dans l’histoire du christianisme que la condition sexuée1, qui met en évidence le « pas un sans l’autre » de l’homme et de la femme, n’est pas un choix culturel. Cela est voulu par Dieu au début de la Création (Gn 2, 22), et Jésus lui-même y fait référence en citant les Écritures (Mc 10, 6). Si par ailleurs, le Christ confie la Bonne Nouvelle de sa résurrection aux femmes (Mc 16, 1-11), on peut l’interpréter comme le signe d’une dignité restaurée, au regard de la situation défavorable de la femme dans le contexte de son époque : la femme ne doit plus être considérée comme une mineure perpétuelle ! Cela indique clairement que par sa « vision » sur la condition humaine, qui suppose un type de relations entre l’homme et la femme dans leur différence complémentaire, la Parole du Christ est destinée au pourrissement de toutes nos inhumanités, parce qu’en vérité, par son Église, « les paroles que le Christ adresse aux hommes ont fait apparaître la singularité qu’elles impliquent de la condition humaine2 ». Notre humanité commune à l’homme et à la femme est une histoire sacrée, qui prend sa source en Dieu et trouve en lui son accomplissement. C’est pourquoi, les Paroles du Christ visent toujours à aller au cœur de notre intimité, de notre intériorité, d’où elles font jaillir, pour ceux qui s’y disposent, la source d’eau vive qui, seule, peut étancher notre soif d’existence, d’accomplissement et d’éternité, comme homme et comme femme, et tous ensemble comme une humanité vivante prédestinée à la communion parfaite avec Dieu. On perçoit déjà cette vérité dans l’Ancien Testament, lorsque la Genèse tente de répondre à quelques-unes des questions les plus importantes qui ont trait à l’homme et la 1

René HEYER, Condition sexuée, Paris, PUF, 2006. Michel HENRY, Paroles du Christ, Paris, Éditions du Seuil, 2002, p. 29.

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femme ; à leur origine ; à leur condition humaine et à leur destinée. D’où viennent-ils, pourquoi vivent-ils et où vontils ? Le texte de la Genèse nous explique alors que l’homme et la femme n’ont pas toujours existé. Ils ont une origine. Ils sont des êtres créés par Dieu. Ils sont les fruits de la grâce créatrice de Dieu (Gn 2, 18-24). Qui parle de grâce parle de gratuité, c’est-à-dire de pureté de l’amour. Comme Dieu est amour (1 Jn 4, 7), et qu’il ne fait rien sans amour, l’homme et la femme doivent ce qu’ils sont, en tant que des êtres créés, ayant en partage la même dignité, uniquement à l’amour de Dieu. Devoir son existence à l’amour de Dieu veut dire que l’homme et la femme sont appelés, chacun par son nom, à vivre en communion avec Dieu et entre eux. Les charismes liés à la condition de femme existent de fait, sans confusion possible avec le mariage et la maternité, bien qu’il existe entre eux une convenance naturelle, voulue par Dieu lui-même, au début de la création. C’est parce que la femme est femme d’abord, à la fois sur le plan spirituel, anatomique, physiologique et psychologique, qu’elle est appelée, selon le dessein créateur de Dieu, à vivre en couple avec l’homme, dans le mariage, dans une différence complémentaire. Ce qui fait qu’on ne peut pas non plus la discriminer sur la base de son statut d’épouse et de mère, qui sont une manifestation objective de sa condition de femme, et une réponse personnelle à une vocation spécifique. Si être une femme ou un homme est une grâce, rien ne justifie que la femme soit perçue et traitée comme le fruit d’une « demigrâce », qui ne pourrait exister dans le projet de Dieu. Dans le même projet de Dieu, la grâce d’être une femme ne peut pas « muter » pour produire un homme, et vice versa. Le Christ conclut : « Donc ce que Dieu a uni, que l’homme ne le sépare pas ! » (Mc 10, 9). Autrement, en plus du fait que Dieu soit au cœur de l’union de l’homme et de la femme, ce sont les différences assumées, à tous les niveaux que cela suppose, qui rendent possible cette union. 37

L’organisation de l’ouvrage Cet ouvrage est divisé en huit chapitres. Dans le premier, je tente de planter le décor en faisant plusieurs considérations sur l’égalité entre l’homme et la femme, avant de m’interroger, dans le deuxième chapitre, sur la façon dont l’on est arrivé, particulièrement dans les tribus prébibliques, à hiérarchiser les êtres humains, au point d’en déduire qu’il y en aurait des faibles et des forts, suivant le sexe biologique. Dans ce même chapitre, je tente d’explorer le statut de la femme dans le contexte de l’Égypte ancienne, en comparaison de ce qui est dit du contexte prébiblique. Dans le troisième chapitre, je montre comment la politique, précisément à Athènes et à Rome, a été un facteur de justification de la discrimination envers les femmes. Dans le quatrième chapitre, je mets en lumière le rôle des religions, de l’islam et du christianisme en particulier, dans la justification de la hiérarchisation des sexes. Dans le cinquième chapitre, j’insiste sur quelques progrès de la question de la femme dans l’Église depuis le Concile Vatican II. Ce qui m’amène à interroger les Églises en Afrique dans le sixième chapitre. Devant les positions tranchées, entre les revendications tous azimuts des militantes féministes et les prises de position de l’Église, je propose, dans le septième chapitre, quelques éléments de réflexion pour clarifier le débat. Dans le dernier chapitre, j’expose les raisons pour lesquelles il nous faut considérer désormais que l’expression humaine dans le féminin n’est en rien une sous-humanité qui autoriserait à croire, sur tous les plans, à une subordination de la femme, et continuer de tout mettre en œuvre, dans l’expression orale comme dans des attitudes culturelles et sociales, pour qu’il n’en soit pas autrement. Tous ces chapitres sont traversés par l’idée d’une égalité différenciée et complémentaire entre l’homme et la femme, égalité qui est porteuse de progrès humain et d’avenir. 38

Remerciements Je termine cet avant-propos par des remerciements à deux femmes : - Claire-Marie Pellegrin, qui a bien voulu jouer le rôle ingrat de relectrice. Ses commentaires intellectuels et ses observations pertinentes m’ont été, comme dans d’autres cas, d’une grande aide. Merci Claire-Marie ! - Marie Miran a accepté d’écrire la préface de ce livre à un moment où, à sa place, j’aurais hésité. Son message d’amitié m’est très bien parvenu : l’amitié a des contraintes qu’elle n’a pas hésité à assumer. Merci Marie !

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Chapitre 1

ÉGALITÉ HOMME/FEMME : VÉRITÉ, CONTRADICTIONS ET EXCÈS

Je suis du même avis qu’Anne Soupa quand elle dit qu’il y a, aujourd’hui, « une question des femmes » qui se pose à la conscience collective. On ne peut y échapper ! Elle se pose dans les sociétés traditionnelles comme dans les sociétés modernes ou postmodernes, dans les grandes institutions internationales, dans le traitement de l’actualité médiatique, dans les organisations politiques locales, dans les cercles religieux, etc. Et elle se pose avec des postures déterminées, selon qu’il s’agisse de l’homme qui exclut la femme de la gestion des « affaires humaines », sous prétexte qu’elle lui est subordonnée, ou de la femme qui revendique d’être reconnue comme l’égale de l’homme en dignité et en droits, et dans certains cas revendique une indifférenciation des sexes. Tout cela suscite des interrogations. C’est pourquoi il faut oser affronter ces questions ouvertement, en privilégiant ce qui va dans le sens de la défense et de la promotion de la dignité humaine. J’observe l’engagement de plusieurs associations de défense des droits humains et civiques en faveur de la femme. J’adhère au discours qui consiste à dénoncer la discrimination de la femme dans nos sociétés, parce que j’estime que le statut social de la femme, fondé sur l’imaginaire d’une humanité hiérarchisée, constitue un vrai problème. Un problème qui nécessite une mobilisation générale, et auquel il convient de 41

donner des réponses claires, mesurées et pressantes, afin de garantir à notre humanité commune un autre avenir que celui pensé par les seuls hommes. Il faut pour cela sortir des contradictions et des excès. Le monde va mal La question de la femme et bien d’autres questions, comme celles liées à la famille, à la procréation, aux droits de l’enfant, etc., montrent que le monde va mal. Pour ce qui est de la question de la femme en particulier, les hommes ont bâti, au cours des siècles, toute une idéologie de l’infériorité féminine qui a fait de la femme, au mieux une machine à procréer (ce dont elle doit tirer sa valeur et son honneur), au pire une mineure perpétuelle confiée aux bons soins de l’homme. Cette perception de la femme a eu pour conséquence de l’exclure socialement1. L’un des effets pervers de cette exclusion a été de contraindre ainsi certaines femmes, pour être reconnues, à renoncer à être femmes, en cherchant à imiter les hommes dans tout ce qu’elles prétendent bien faire. Certaines autres ont voulu carrément être reconnues dans une forme « masculine » de la féminité. L’idéologie, soi-disant de progrès, de la négation de la dualité des sexes à la naissance, qui commence à infuser chez les moins avertis par son discours structuré et relayé par certaines politiques éducatives2, procéderait de cela. Les civilisations qui sont les nôtres et dont nous pouvons être fiers, d’un certain point de vue, ont des limites. Certaines ne semblent plus nous rassurer quant à l’avenir de notre 1

C’est dans cet esprit que beaucoup de métiers sont dits plus masculins que féminins. 2 Académie Catholique de France, Homme et Femme : condition sexuée et liberté. Déconstruction des stéréotypes du genre et altérité, https://academiecatholiquedefrance.fr/wpcontent/uploads/2014/11/images_declaration-2014-11-25-homme-etfemme.pdf, p. 5.

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humanité commune. En clair, les perversions de nos civilisations, si l’on n’y prend garde, vont générer d’autres perversions, et ainsi de suite, jusqu’à ce qu’on parvienne à l’écroulement. Or il est bien entendu que l’écroulement n’est pas la destinée de notre humanité. Tous les acquis des civilisations humaines nous font dire que notre humanité aspire à l’accomplissement et à l’éternité1. Les moyens de nous accomplir ne doivent donc pas contredire notre désir d’éternité, qui trouve une résonnance insoupçonnée à la fois chez les croyants et les non-croyants. Naître humain, pour le devenir un peu plus chaque jour avec les autres et grâce à eux2, est un processus qui demande de recevoir et de donner des choses qui participent à l’humanisation des individus et des sociétés. Transmettre les acquis humanisants de nos civilisations aux jeunes générations, c’est tout simplement les initier à l’humain. C’est une façon de les préparer à continuer l’aventure humaine dans une conscience qui les guide à préserver le sens de l’humain. Car, comme l’écrit justement Charlotte Herfray, « l’humain suscite de l’humain et c’est l’humain qui perpétue l’avènement de l’humain3 ». C’est de cette façon qu’il est possible d’inscrire notre action commune dans une forme d’éternité. Ne s’éternise que ce qui apporte de la Vie comme bien suprême ! Pour sortir de l’enfermement de la subordination, il ne s’agit donc pas pour la femme de prendre des voies sans issue, qui n’apportent pas la Vie. Car, en vérité, l’idéologie de la neutralité des sexes, reprise et relayée par certains mouvements féministes radicaux, conduit notre humanité à sa déchéance définitive. Objectivement, à moins de 1

Francis BARBEY, Éloge de la foi chrétienne. Chemin d’accomplissement et d’éternité pour l’homme, Paris, L’Harmattan, 2019. 2 Alfredo GOMEZ-MULLER (dir), La question de l’humain entre l’éthique et l’anthropologie, Pairs, L’Harmattan, 2004. 3 Charlotte HERFRAY, op. cit., p. 64.

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s’installer dans un confort idéologique qui promeut « le spectre continu des sexes », qui nie la nature sexuée de l’humain, on ne peut affirmer qu’on naît sexuellement neutre, et que le fait d’être femme ou homme relève des conventions sociales. Et que de ce fait, la dualité des sexes est malléable. Dire qu’une chose est sans intérêt et sans valeur parce qu’elle est une convention sociale n’est pas non plus un principe d’explication indiscutable. Ce qu’il faudrait dire, de mon point de vue, c’est que le fait de naître homme ou femme n’établit pas une hiérarchie des sexes et ne définit pas des conditionnements qui nous empêchent a priori de déployer l’humanité qui est en nous, et de promouvoir des valeurs communes au service du progrès de la vie en société. Sur le plan de la préservation de l’environnement, le protocole de Kyoto ratifié en 1997 assigne aux États signataires des engagements contraignants afin de réduire les émissions de gaz à effet de serre et la pollution. Il est devenu évident pour l’homme que les agressions envers la Nature ont un coût. Si la croissance économique peut être une chose positive, il nous faut arrêter de la bâtir sur la fragilisation et la destruction de notre Terre. En fait, la Terre n’est pas inépuisable. Elle a ses limites, et les modifications de ce qui permet la vie humaine, à savoir l’atmosphère, l’hydrosphère et la biosphère, peuvent entraîner, comme c’est déjà le cas avec le réchauffement climatique, dans une proportion relativement faible par rapport à ce qui pourrait arriver, une impossibilité totale pour l’homme de vivre sur la Terre. Un changement radical de paradigme s’impose pour que l’homme change son rapport à la Terre qu’il n’est pas fait pour dominer, mais pour en prendre soin. Il y a des équilibres à préserver pour rendre la vie sur terre encore possible. C’est la condition d’un développement durable, c’est-à-dire d’un développement qui réponde à nos besoins, sans compromettre l’avenir des jeunes générations. Dans ce contexte, le politiquement correct est d’aimer la Nature, de planter des 44

arbres, de protéger les forêts, les mers, etc., et beaucoup de financements circulent dans le monde pour cela. Afficher une sensibilité à la question écologique est un grand paradoxe, lorsqu’on voit, par ailleurs, le tort qui est fait directement à l’Homme lui-même, qu’on dit pourtant vouloir protéger en protégeant la Nature. Quand on préserve l’atmosphère, l’hydrosphère et la biosphère, il faut y voir le fait que vivre suppose de ne pas rendre l’avenir humainement impossible. Pourquoi devrions-nous croire alors, par exemple, que l’agression de notre humanité par des actes contre nature – comme la négation de notre conditionnement biologique et de la dualité des sexes à la naissance, comme la remise en cause de la famille qui repose sur la communauté d’un homme et d’une femme, comme la négation aux enfants le droit de naître et de vivre avec un père et une mère et non avec deux pères ou deux mères – serait-elle sans conséquence pour l’humain et pour l’avenir de notre humanité ? Qui a suffisamment d’expérience pour nous rassurer sur le fait que nous ne risquons rien à déshumaniser ainsi notre propre humanité ? Pourquoi notre espèce semble-t-elle si disposée à s’autodétruire ? Selon Noam Chomsky, « un hypothétique observateur extraterrestre pourrait conclure que les humains ont manifesté cette aptitude tout au long de leur histoire, et de façon vraiment spectaculaire dans les derniers siècles, où ils se sont acharnés sur l’environnement nécessaire à la vie, sur la diversité des organismes complexes et, avec une sauvagerie froide et calculée, les uns contre les autres1 ». Nous nous appliquons à agresser « l’environnement nécessaire à la vie », en pensant que l’espèce humaine peut être ainsi agressée sans risquer de disparaître. C’est en réalité une méconnaissance de l’histoire de la vie sur terre, qui a vu la disparition de près de cinquante milliards d’espèces. 1

Noam CHOMSKY, Dominer le monde ou sauver la planète, Paris, Fayard, 2004, p. 8.

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La reconnaissance de la dignité de la femme, ainsi que la valorisation de ses droits humains est un « environnement nécessaire à la vie ». Nous devons tous y travailler. Mais cela doit se faire sans que l’accès à ces droits autorise une confusion de sens et ouvre la voie à des idéologies libertaires qui tendent à menacer l’avenir de notre humanité commune. Le combat des féministes devrait se faire à partir de la différence des sexes affirmée et assumée. Sinon alors il ne concerne pas toutes les femmes, mais seulement une minorité d’entre elles, dont on peut supposer qu’elles ont un autre agenda. C’est ici qu’il faudrait, sans doute, souhaiter la contribution des contextes culturels non occidentaux à un débat si important pour notre avenir commun. Remettre en cause le conditionnement biologique auquel nous sommes soumis dans la dualité des sexes est tout simplement l’expression d’une volonté destinée à l’autodestruction. Il paraît que c’est le propre de notre espèce ! C’est ce qui a fait dire à Nicole Echivard que « l’univers est aux mains d’un apprenti sorcier qu’attire la mort, quand il a perdu la finalité de l’amour qui donne vie1 ». Au fond, la négation de la dualité des sexes, qui est une approche nouvelle de l’existence humaine, vise fondamentalement à deux choses : une société « gay » et la virilisation2 de la femme pour la rendre identique à l’homme. C’est le point culminant de la négation du mystère de la vie, comme vocation et comme don de Dieu. Le théologien orthodoxe Paul Evdokimov parle alors de « l’anéantissement

1

Nicole ECHIVARD, op. cit., p. 40. Pour approfondir l’histoire de la virilité, voir Georges VIGARELLO (dir.), Histoire de la virilité. De l’invention de la virilité. De l’Antiquité aux Lumières, Paris, Éditions du Seuil, 2011 ; Alain Corbin (dir.), Histoire de la virilité. Le triomphe de la virilité. Le XIXe siècle, Paris, Éditions du Seuil, 2011 ; Jean-Jacques COURTINE (dir.), Histoire de la virilité. La virilité en crise ? Le XIXe-XXIe siècle, Paris, Éditions du Seuil, 2011.

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de l’état charismatique féminin1 », puisqu’il y a ici négation de l’incomplétude qui permet l’alliance entre l’homme et la femme pour parvenir à une seule chair afin que le monde soit en équilibre. Et la science dans tout ça ? La lecture passionnante de quelques travaux de recherche en Sciences de l’Information et de la Communication (SIC) a contribué aussi, ces dernières années, à nourrir ma curiosité sur la « question de la femme2 ». J’observe ainsi qu’une analyse des pratiques médiatiques et des discours révèle des facteurs socioculturels liés au genre, et nous informe sur des postures et des imaginaires dont nous ne soupçonnons pas l’existence3. Mais il n’y a pas que les recherches en SIC qui s’intéressent à ces questions. Des travaux multidisciplinaires4 s’intéressent différemment et analysent les pratiques humaines en utilisant la variable « femme » ou « homme » pour mettre en relief tel ou tel aspect de leur différence ou de leur relation, ou même pour mettre en relief des usages qui sont déduits d’une certaine indifférenciation de ces variables susmentionnées. La recherche nous informe aussi, et fort heureusement, sur la façon dont les idées fausses reçues5, façonnent et s’installent dans les imaginaires pour déterminer le regard que l’on porte sur les pratiques humaines des femmes et des 1

Paul EVDOKIMOV, La femme et le salut du monde, cité par Nicole Echivard, op. cit., p. 48. 2 La question s’est véritablement internationalisée à partir de 1985, à la Conférence mondiale de Nairobi, c’est-à-dire dix ans après la première Conférence mondiale sur les femmes. 3 Voir par exemple, Laurence CORROY et Sophie JEHEL, Stéréotypes, discriminations et éducation aux médias, Paris, L’Harmattan, 2016. 4 Cf. les « gender studies » ou « woman studies ». 5 Raymond BOUDON, L’idéologie ou l’origine des idées reçues, Paris, Fayard, 1986.

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hommes. Dans son ouvrage Les figures d’autorité, Charlotte Herfray analyse ce phénomène en notant qu’il s’agit de murs immatériels que nous élevons entre les autres et nous, et qui nous empêchent de les voir autrement que nous avons décidé qu’ils sont1. Ainsi en est-il de la femme, dont nous disons tous qu’elle est le « sexe faible ». Cette notion de « sexe faible » évoque, en réalité, une infériorité humaine par rapport à l’homme, qui apparaît alors comme le « sexe fort », entendu comme l’expression d’une humanité supérieure et parfaite. Le fait d’être née femme ou homme représente quelque chose de bien plus grand que ce dont nous avons conscience. Si cette dualité est fondée sur la sexuation, elle ne s’y réduit pas. L’individu n’est pas uniquement un être biologique et physiologique. Nous touchons là, visiblement, au grand mystère de la vie. Sur ce mystère, Catherine Vidal évoque des choses incompréhensibles, inexplicables (avec les connaissances actuelles) qui sont observées dans ce qu’elle appelle « la fabrication des filles et des garçons ». Dans les premières années de la naissance, on observe des phénomènes d’apparition et de disparition dans les activités des nouveau-nés, comme agir, sentir, parler, compter, se repérer dans l’espace. Pour elle, « les raisons de la fluctuation de ces différences entre les sexes restent énigmatiques2 ». Rien n’explique, pour le moment, « pourquoi en allant vers l’âge adulte, les garçons ont plus d’activités physiques et de comportement violent que les filles » et le fait que « les filles seraient un peu plus sensibles à divers types de stimulations, olfactives, tactiles, douloureuses, auditives ou visuelles3 ».

1

Charlotte HERFRAY, Les figures d’autorité, Paris, Éditions érès, 2015. Catherine VIDAL, Nos cerveaux, tous pareils tous différents ! Paris, Éditions Belin, 2015, p. 10. 3 Ibid., p. 11. 2

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La science n’a pas les moyens de nous dire réellement, même aux stades du zygote et de la naissance plus tard, « qui est » la personne humaine. Une personne humaine dont le mystère s’approfondit et s’éclaire en même temps qu’il nous échappe, dès qu’on croit en posséder les clés. La science peut par contre nous faire pénétrer jusqu’au seuil du mystère de la personne humaine, et par là nous permettre de nous émerveiller face à la beauté d’un si grand mystère. Mais on peut se demander ici, du mystère de quelle personne humaine s’agit-il ? De celle qui fait la science, c’est-à-dire du scientifique, ou de celle qui en est l’objet, c’est-à-dire de la personne à connaître ? Les deux à la fois, me semble-t-il. Dans le premier cas, le mystère du scientifique est très accessible, par ses propres intérêts, ses hypothèses, ses choix de méthodes, et par les conclusions auxquelles il aboutit. C’est ainsi que Catherine Duval soutient que la science n’est pas neutre : « le choix des conditions expérimentales, des méthodes et l’exploitation des résultats relèvent toujours de l’humain. La science est certes constituée de savoirs fiables, mais qui ne sont pas moins inscrits dans un contexte culturel et social. Les regards portés par les scientifiques sur leurs objets d’analyse et d’expérimentation peuvent s’accorder, diverger, s’opposer… Les débats qu’ils suscitent conduisent à la révision des postulats et à l’émergence d’idées nouvelles. Cette remise en question permanente des savoirs confère à la démarche scientifique son objectivité et sa crédibilité1 ». Autrement dit, la science n’a pas les moyens objectifs d’émettre des vérités éternelles. Les limites de la science, constatées par la science même depuis qu’elle tente de nous dévoiler le mystère de la vie et de la personne humaine, apparaissent comme une chance pour nous tous d’apprendre humblement à explorer d’autres pistes de compréhension de notre humanité et de sa destinée, qui ne sont nullement traductibles en théories scientifiques explicatives. 1

Ibid., pp. 59-60.

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Le fait de naître homme ou femme ne pose aucun problème. C’est ce que nous voulons en faire qui peut contrarier la « grâce » qu’il y a à naître femme ou homme. C’est du respect de la différence des sexes, qui fait qu’une femme n’est pas un homme, que naît la vie, au sens vrai, et que, sans aucun doute, l’aventure humaine peut se poursuivre. Ainsi, nous savons bien que le progrès de la médecine, qui permet de vivre plus longtemps aujourd’hui, ne cherche qu’à prolonger cette aventure humaine, commencée non dans la neutralité des sexes, mais bien dans une humanité sexuée. Mais, et j’insiste là-dessus, cette différence des sexes, bien qu’elle doive être reconnue et affirmée, ne définit pas pour autant des critères de supériorité et ne peut constituer en aucun cas un prétexte à la subordination de la femme. Homme et femme : une affaire d’égalité en dignité et en droits Il faut dire d’emblée que la femme n’est pas un pôle contraire de l’homme, qui serait en opposition perpétuelle avec lui, ni son complément, si ce terme doit être entendu dans le sens où l’homme constituerait l’essentiel de l’humain, et la femme juste un petit morceau pour achever la grande œuvre ! L’exigence d’un droit au droit humain est fondée sur la dignité humaine. Comme le souligne Michel Schooyans, « c’est de sa dignité intrinsèque que l’homme tire ses droits fondamentaux à la vie, au jugement personnel, à la décision libre, à la propriété, à la liberté de s’exprimer, de s’associer, de fonder une famille, etc.1 ». L’homme et la femme sont d’égale dignité. Mais concrètement, qu’entendon par dignité ? Comment s’affirme cette dignité et en quoi fonde-t-elle le droit à l’humanité ? 1 Michel SCHOOYANS, La face cachée de l’ONU, Paris, Sarment, 2002, p. 24.

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La dignité peut être reconnue et défendue, dans la mesure où elle peut malheureusement se trouver confrontée, chez des humains en situation anthropologique auxquels on identifie un corps, à des « exigences de nourriture, de soins, d’abri et d’espace1 », c’est-à-dire seulement, quand on parvient à « reconnaître la fragilité de l’humain ou plutôt la forme humaine de la fragilité ». Or, selon Alfredo GomezMuller, « la fragilité de l’humain ne tient pas seulement au fait que nous sommes un corps : elle marque également, de manière non moins originaire, notre pouvoir de signifier ou de symboliser notre corps et la réalité en général : la culture2 ». Ainsi, l’humain en plus d’être un corps a également « une dimension affective, mentale, sociale, morale et écologique3 ». Si la condition de faiblesse dans laquelle une personne peut se trouver rend urgente la reconnaissance de sa dignité et de ses droits humains, il ne faut pas oublier que ces droits procèdent surtout de la position de l’homme et de la femme en tant que sujets autonomes de droits personnels. La question de la différence originelle des sexes demeure. Pour éviter toute équivoque, c’est à partir d’elle qu’il nous faut poser la question de l’égalité en dignité et en droits, en l’ouvrant sur des situations concrètes, comme celles évoquées par Alfredo Gomez-Muller, c’est-à-dire sans en rester à des considérations émotives et idéologiques. Le philosophe américain Charles Taylor va dans le même sens. Pour lui, il ne s’agit pas de considérer l’égalité comme une simple profession de foi humaniste, basée sur les différences. Il s’agit plutôt de penser l’égalité en la fondant sur certaines propriétés communes ou complémentaires à l’homme et à la femme comme, par exemple, le fait de les définir comme des 1

Alfredo GOMEZ-MULLER (dir), op. cit., p. 9. Ibid. 3 Robin FORTIN, Comprendre l’être humain. Pour une vision multidimensionnelle de l’être humain, Les Éditions Dépul/L’Harmattan, Saint-Nicolas, 2007, pp. 80-190. 2

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êtres doués de raison, capables d’aimer, de se souvenir et de dialoguer. Il faudrait donc dans ce cas et grâce à cette forme d’intelligence humaine, sortir des radicalités pour pouvoir partager « des normes en fonction desquelles les identités en question peuvent mesurer leur égalité. Il doit y avoir un accord fondamental sur les valeurs sans quoi le principe formel d’égalité sera vide ou truqué1 ». Voici pourquoi se sensibiliser à cette question ne doit pas être une affaire seulement individuelle. Cela doit également imprégner les structures sociales et les institutions éducatives, pour qu’en pensée, en paroles et en actes, la femme vive avec un statut pleinement humain, c’est-à-dire qu’il lui soit reconnu son droit aux droits humains. Selon la Déclaration universelle des droits de l’homme, « tous les hommes naissent libres et égaux en dignité et en droits ». Tout s’articule autour de l’homme et de la femme et du primat de leur dignité. L’égalité en droits ne se définit pas par l’indifférenciation ni par l’indétermination mais en matière de traitement équitable2. Elle n’est en rien une égalité sexuellement indifférenciée. Il ne s’agit donc pas d’affirmer, par exemple, d’un côté que tous les métiers peuvent être exercés de façon égale par les hommes et les femmes, et de l’autre, « de promouvoir la déconstruction de l’altérité sexuelle et la reconstruction d’un individu à la sexualité flexible et malléable3 ». Dans le débat sur les droits de la femme, il faudrait redoubler d’attention à la personne humaine qui existe, non pas comme un moyen, mais comme une « fin en soi4 ». Découlent de cela, pour nous chrétiens, au moins trois attitudes : l’amour préférentiel pour les pauvres et les faibles 1

Charles TAYLOR, Le malaise de la modernité, Paris, Cerf, 2005, p. 60. Académie catholique de France, op. cit., p. 7. 3 Ibid. 4 Emmanuel KANT, Œuvres philosophiques, t. II, Paris, Gallimard, 1985, pp. 301-302. 2

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et le combat contre toute sorte de structure de déshumanisation ; la défense du bien commun ; et le respect de la diversité, c’est-à-dire l’ouverture à l’universel. La reconnaissance des droits humains de la femme devient ici la condition d’un vrai progrès humain. Si l’humanité veut marcher vers ce progrès intégré, il lui faudra nécessairement quatre pieds : les deux de la femme et les deux de l’homme. Nicole Echivard insiste pour dire que la question de l’égalité ne doit pas être réduite à l’acquisition des droits politiques et civiques. Ce n’est pas non plus le fait que les femmes « sortent librement de leur foyer, pour qu’une Société aux structures et aux comportements masculins utilise leur intelligence et leur énergie, – tout ce qui les rend semblables aux hommes –, sans accueillir tout ce qui les rend différentes, sinon en le tournant en ridicule, et en le contraignant au silence par une violence psychologique et morale tout à fait illégitime. Que de femmes sont obligées d’exercer certaines responsabilités politiques exactement comme des hommes, tout simplement pour être ce qu’on appelle "crédibles"1 ». Autrement dit, ce qui est en jeu, ce n’est pas une approche minimaliste et mimétique des droits de la femme, mais bien une reconnaissance pleine et entière de ce qui la singularise comme personne humaine. Le revers du progrès de nos civilisations Le monde dans lequel nous vivons nous émerveille. Les grandes transformations de l’existence humaine nous ont fait accéder à un progrès inouï. Malheureusement, les perversions et les carences de nos civilisations sont d’autant plus difficiles à comprendre que nous savons que ce sont ces civilisations qui nous ont permis d’atteindre le niveau de progrès humain que nous connaissons, avec ce que cela nous

1

Nicole ECHIVARD, op. cit., p. 45.

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procure comme conforts1. Jouissant du progrès, il devient difficile d’évoquer les limites des civilisations et de réfléchir sur ce qu’elles nous ont fait perdre en humanité, ou même sur ce que ces progrès de nos civilisations, tels que nous en usons, ne nous permettront jamais d’atteindre. Or c’est peutêtre là un passage obligé, auquel tous ensemble nous devons faire attention, si nous tenons à notre humanité et à sa réelle capacité de progrès et d’accomplissement. L’absence de référence à des valeurs de transcendance a ouvert la voie à une évolution rapide et troublante des mœurs et des idées, particulièrement en Occident. On a alors assisté au triomphe du dieu « moi », avec la naissance de ce que le Pape Benoît XVI appelait le « crédo antichrétien ». Mais à vrai dire, il s’agit de la logique de ceux qui n’arrivent pas à penser leur liberté en dehors de la désacralisation des mystères chrétiens et de la remise en cause systématique du discours chrétien dans l’espace public. C’est peut-être le signe que la parole de l’Église dérange, parce qu’elle a encore du sens dans des sociétés qui sont réduites à des choix politiques qui ignorent complètement les échecs et la souffrance sans avenir2. La divinisation des libertés individuelles a fait basculer certaines sociétés dans des zones où l’on va avoir du mal à dire aux générations futures ce qu’être humain signifie ! Jean-Joseph Goux a eu raison d’écrire que, dans ce contexte, l’homme « se dresse sur fond de néant, pour affirmer ce qui est bien, ce qui est mal, dans le risque, l’aléa, en l’absence de tout critère absolu. Liberté inconditionnée de la conscience qui ne suppose aucun rattachement ni à la nature, ni à l’histoire, ni au ciel d’une quelconque transcendance. Liberté angoissante d’un sujet déraciné, d’un individu 1

Edgar MORIN, Pour une politique de civilisation, Paris, Arléa, 2002, p. 9. 2 Edward SCHILLEBEECKX, La politique n’est pas tout, Paris, Cerf, 1988.

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insulaire1 ». Je ne m’autorise nullement à affirmer ici que les sociétés non occidentales sont devenues un modèle à imiter et qu’elles vivent sur une « île heureuse ». Non, elles ont leurs limites et portent, sans aucun doute, dans leur propre modernité, les outils de leur destruction, si elles n’y prennent garde. Ce que je veux dire, c’est que ce type de posture, qui consiste à justifier le combat de certaines féministes par une condition humaine non essentielle, c’est-à-dire manipulable à souhait, en niant la nécessité de la morale naturelle, est en train de détourner de son but le vrai combat des femmes. Et cela demeure très étrange. D’autant plus que l’idéologie phare, sous-jacente à la revendication de certains mouvements féministes occidentaux, appelle à la transgression de l’ordre naturel du conditionnement sexuel et de la dualité des sexes. Il y a là la revendication objective de ce que le théologien orthodoxe Olivier Clément appelle une « existence contre nature » contre la soif d’éternité qui constitue pourtant la « secrète vérité » de tout homme2. Ce à quoi nous assistons dans des sociétés dont on disait jadis qu’elles étaient avancées, c’est qu’elles ne se perçoivent plus comme devant se référer à un quelconque maître qui fonderait leur action, mais comme des sociétés d’individus libres et égaux et qui, pour cela, n’auraient de compte à rendre qu’à eux-mêmes. C’est peu dire alors que d’affirmer que le Dieu des traditions chrétiennes a été expulsé de la cité des hommes et des traditions qu’il a lui-même fécondées pour faire place au dieu « moi », qui a fini par promouvoir un athéisme passionnel, une morale autonome et une existence contre nature dans des pratiques humaines dont

1

Jean-Joseph GOUX, « Vers une frivolité des valeurs ? » in Jérôme Binde (dir), Où vont les valeurs ? Paris, Unesco/Albin Michel, 2004, p. 53. 2 Olivier CLÉMENT, Questions sur l’homme, Paris, Éditions Stock, 1972, p. 9.

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tout porte à croire, comme l’écrit Chantal Delsol, que nous sommes à La Fin de la chrétienté1. De la question des sexes chez les humains au sexe des mots L’usage des mots et le genre grammatical se sont invités dans le débat sur l’égalité entre l’homme et la femme. Mais on peut observer que le mot féminin, qui est lui-même grammaticalement de genre masculin (sans qu’on ne sache vraiment pourquoi), n’a aucun lien, sur le plan étymologique avec l’homme, à moins qu’il ne s’agisse ici d’un effet de subordination. Au contraire, selon le dictionnaire Larousse, femininus, de femina a un rapport avec la femme. Il s’agit même de ce qui lui est propre. C’est pourquoi, en général, on dit d’une femme aux traits et aux comportements masculins, qu’elle est androgyne, c’est-à-dire une « femme-garçon ». Dans la même logique, Masculinus, de masculus, mâle, a un rapport avec l’homme. C’est pourquoi on désigne par « efféminée » une personne chez qui le rapport entre la masculinité et l’homme n’est pas très évident. Pourrait-on alors affirmer que les mots ont un sexe ? Dans ce cas, on parle du genre des substantifs et non du sexe des mots. Mais tout de même, selon Leslie de Galbert, « leur association permet, cependant, de poser la question du rapport entre le genre des mots et le sexuel du langage. Si le genre des substantifs peut être arbitraire, voire banal – très certainement, il ne l’est pas toujours –, le sexuel du langage est incontournable. Les mots ne sauraient ignorer le sexuel précisément parce qu’ils instituent un pont entre le corps et l’esprit du dualisme cartésien2 ». Il arrive dans ce sens que 1

Chantal DELSOL, La Fin de la chrétienté, Paris, Les Éditions du Cerf, 2021. 2 Leslie DE GALBERT, « Le sexe des mots », in Les Cahiers jungiens de psychanalyse, www.cairn.info/revue-cahiers-jungiens-depsychanalyse-2004-2-page-59.htm, p. 59.

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même dans le langage familier on attribue un genre au prénom : « la » Marie, « la » Catherine, « le » Pierre, « le » Jean, etc. Les mots sont donc vivants. Ils participent de notre rapport au monde. La différenciation entre féminin et femme que certains mouvements féministes, proches des cercles homosexuels, transsexuels et transgenres, veulent marquer et rendre nécessaire appelle à la prudence dès lors qu’il s’agit de justifier leur choix. Ces mouvements estiment même que l’emploi du genre dans le langage est patriarcal et machiste et souhaitent pour cela la mise en place d’un épicène, c’est-à-dire d’une indifférenciation du genre grammatical, comme c’est en débat ces dernières années au Québec, précisément à Montréal1. Il s’agit là, selon le linguiste Claude Simard, d’une confusion totale du « linguistique » et du « sociologique ». Pour lui, « ils plaquent leurs convictions idéologiques sur la langue » et ils espèrent ainsi faire contrepoids à l’histoire patriarcale du français. Le lien sexuel entre le genre et le substantif est certes arbitraire et banal, et il faudrait bien approfondir le fonctionnement réel de cette catégorie grammaticale en français, mais le sexuel du langage reste présent à l’imaginaire social et à l’expression. La reconnaissance de la contribution de la femme, des personnes transsexuelles en tant que personnes humaines, est souhaitable dans la société. Mais à condition de ne pas profiter du débat sur les droits de la femme pour tenter d’imposer à l’ensemble de la société la création d’une nouvelle humanité qui admettrait une indifférenciation des sexes ou l’intersexe. L’humanité que nous formons tous 1

« Montréal veut adopter l’écriture inclusive », in Sputnik, https://fr.sputniknews.com/20200601/montreal-veut-adopter-lecritureinclusive-on-confond-le-linguistique-et-le-sociologique1043879458.html https://fr.sputniknews.com/canada/202006011043879458-montrealveut-adopter-lecriture-inclusive-on-confond-le-linguistique-et-lesociologique/ (consulté le 6 janvier 2021).

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ensemble a une destinée d’avenir. Elle ne se réduit pas à satisfaire des besoins physiologiques. C’est pourquoi « la vie charnelle pensée comme seule fonction reproductrice ou conçue comme pure jouissance confine elle-même à l’absurde1 ». Pour beaucoup, le discours féministe reste audible et le combat digne d’intérêt tant que tout cela s’inscrit dans une logique d’égalité en droits entre l’homme et la femme. Ce qui ne fait pas de la femme un homme, ni de l’homme une femme, et n’autorise en rien la transsexualité et l’intersexualité comme des lieux de progrès humain. On voit aussi que certains mouvements féministes portent en eux-mêmes leurs propres contradictions. Dans ces mouvements, le sexuel du langage est parfaitement assumé, peut-être à leur insu, dans la mesure où les militantes n’ont pas d’autres mots pour se définir et définir leur combat. Féminiser une langue ne s’entend pas de mille manières. Il s’agit de faire en sorte que les mots renvoient à ce qui est propre au féminin, à la femme, comme étant différente de l’homme. En opposant aux langues latines d’autres exemples, on voit bien que la question du genre en tant que telle ne procède pas d’un usage universel. Le problème ne se pose pas de la même façon dans les catégories de discours des langues africaines où il n’existe pas de catégorie genre (masculin/ féminin), mais seulement la catégorie sexe (homme/femme). On n’attribue le morphème sexe qu’aux êtres animés. Le débat autour du fait d’assimiler ou non le féminin à la femme et le masculin à l’homme n’existe donc pas. On naît homme ou femme. On ne le devient pas. Sinon de façon allégorique, lorsqu’on sort de l’enfance pour intégrer une classe d’âge dans certaines sociétés. On peut dire, de ce point de vue, que les langues africaines sont naturellement « sexuées ». 1

Académie catholique de France, op. cit. p.1.

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L’Afrique : nouvelle destination des « idéologies inhumanistes » ? Depuis les explorations du continent africain, et au-delà des événements historiques comme la traite négrière et la colonisation, l’Occident a toujours accordé un intérêt particulier à l’Afrique : à ses richesses naturelles ; à l’organisation de ses sociétés ; à son idée de famille ; à sa démographie ; à son développement ; au statut de la femme ; à ses pratiques médicinales, etc. Si la lutte pour les indépendances en particulier a contraint le colonisateur d’hier à se retirer, il ne demeure pas moins vrai qu’il reste conscient du rôle majeur que les nouvelles générations en Afrique s’apprêtent à jouer dans le positionnement du continent. L’un des enjeux majeurs du monde d’aujourd’hui et de demain, est « l’idée d’humanité » et la manière pour chaque peuple d’orienter le processus d’humanisation. C’est de cela que découlent les grands projets politiques et économiques universalistes qui travaillent, malheureusement pour certains, à vider de son contenu le concept de personne humaine pour n’en retenir qu’une réalité fictive et relative au profit des intérêts idéologiques et matériels. Après la lutte pour les indépendances politiques, la grande tension qui se dessine entre l’Occident et l’Afrique va porter précisément sur une « lutte » pour l’avenir humain de la personne et de notre humanité commune. Un avenir dont l’Afrique ne souhaite pas qu’il soit réduit à la promotion d’idéologies inhumanisantes. Il faut malheureusement observer qu’en Afrique, depuis quelques années, des ONG internationales, des chancelleries diplomatiques, des institutions politiques occidentales, de connivence avec des ONG et des gouvernements locaux,

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tentent, par des « projets sur le genre1 », dits de « développement », d’introduire à grands frais dans les sociétés africaines une approche de l’égalité entre l’homme et la femme qui met en avant la contraception, l’avortement, la libre orientation sexuelle et l’indifférenciation des sexes comme des lieux d’égalité et d’émancipation de la femme africaine. Tout cela est infusé dans les imaginaires par les grands médias internationaux. La méthode est connue : la mise en lumière médiatique de celles et ceux qui ne vivent pas selon les valeurs sociales africaines, longuement éprouvées par le temps, et qui sont les porte-étendards des choix sociétaux occidentaux. Il s’agit clairement d’une forme de procès qui est fait à l’Afrique, par les grandes nations, et une tentative de déstructuration des sociétés africaines, pour les obliger à adhérer à des choix sociétaux exogènes très discutables. Le statut de la relation homme/femme et les implications supposées de leur égalité, telles que revendiquées par certaines sociétés occidentales, comme l’indifférenciation sexuelle, l’homosexualité, l’usage libertaire du corps, l’avortement, la dissociation de la conjugalité et de la parentalité, le nouveau statut de l’enfant qui pourrait naître par parthénogenèse, heurtent de front les valeurs africaines et la façon dont les sociétés africaines entendent s’organiser pour ne pas contrarier leur avenir humain. Tout cela mérite qu’on oppose aux idéologues une autre lecture des choses, pour aider les sociétés modernes africaines, promptes à « avaler » les nouvelles idéologies occidentales comme une plus-value de la modernité, à refuser tous les discours et toutes les pratiques déstructurantes et infamantes pour l’homme et pour notre humanité commune. Dans ce cas, le débat doit porter également sur cette volonté clairement affichée de plusieurs institutions 1

Le terme est très ambigu chez nombre d’acteurs locaux. Mais on devine ses implicites dans l’approche des partenaires au développement.

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politiques et médiatiques occidentales, d’imposer au reste du monde – surtout aux peuples qu’on dit pauvres et moins avancés –, très souvent par le truchement de l’aide au développement, des choix sociétaux et politiques qui n’ont rien à voir avec leur histoire et le mouvement existentiel de leurs peuples1. Que les peuples aspirent à un mieux-être est incontestable, mais certainement pas en passant par la remise en cause de choix sociétaux endogènes qui ont fait leurs preuves et qui constituent le fondement de ce mieux-être. C’est pourquoi la prétention d’une vocation universelle des grandes nations à humaniser les autres – comme si la norme existentielle était forcément ailleurs – qui tente de réduire la femme à une « pseudo-femme », de nier sa complémentarité avec l’homme, et qui veut, par là, changer complètement le statut de la famille et de l’enfant, est humainement indigeste pour l’ensemble des populations africaines, si on considère les valeurs communes et humanisantes sur lesquelles reposent leurs sociétés. L’Afrique a-t-elle une position à défendre dans ce débat ? Oui, très clairement, et celle-ci correspond à un sens très précis de l’humain et de l’avenir. Si dans les sociétés africaines, le statut de la femme doit évoluer vers une approche humanisante d’égalité avec l’homme, parce qu’ils ont en partage la même dignité et les mêmes droits, c’est pour qu’elle participe pleinement, à la fois comme femme et comme personne humaine, avec ses charismes spécifiques, à rendre notre monde humainement habitable et notre avenir commun certain. Il n’y a pas d’avenir humain en dehors de

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Il faut noter ici que cette volonté d’universaliser des choix sociétaux et politiques est orientée en général vers les peuples africains pour des questions historiques. Les peuples asiatiques restent plutôt imperméables à ce type d’approches sociétales et ont mis en place des politiques qui leur permettent de refuser ce type d’ingérence dite à tort humanitaire !

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l’égalité entre l’homme et la femme, mais il s’agit bien d’une égalité différenciée. La remise en cause systématique des principes anthropologiques les plus anciens par un discours qui valorise la femme pour en faire une « pseudo-femme » ou qui relativise la sexualité en la réduisant à « différents types de sexualité », n’implique pas seulement une rupture culturelle, mais impose de concevoir l’avenir de l’homme et de la femme comme une non-humanité, c’est-à-dire comme une humanité vidée de son essence humaine. Choses qui légitiment un discours de foi pour aujourd’hui, car selon celui-ci, par l’Incarnation, Dieu s’est fait le prochain de l’homme pour faire de notre humanité le lieu de la Révélation divine. Ceci, pour que notre communion avec lui, remise en cause par le péché, redevienne parfaite et que nous soyons en lui et que lui soit en nous pour toujours. Du coup, la personne humaine peut faire remonter sa dignité à l’éternité de l’amour de Dieu, de sorte que personne ne peut la lui ravir ni la remettre en cause sans que cela soit une offense qui faite à Dieu luimême, à l’image de qui toute personne est créée1. C’est, enracinée dans cette conviction que tout ce qui porte atteinte à l’avenir de l’homme inquiète l’Église, parce que le christianisme s’honore de contribuer à la grandeur de la personne. Le christianisme est de ce point de vue une religion de l’avenir2. Il devient de ce fait impossible à la conscience chrétienne de rester hors des questions qui engagent l’avenir de notre humanité dans quelques-uns de ses lieux les plus essentiels, comme la dignité et les droits humains de la femme, mais aussi la dualité des sexes. Comme l’a bien rappelé l’Académie catholique de France, en ce qui concerne la dualité des sexes, l’espèce humaine est « une espèce à reproduction sexuée. La dualité des sexes et 1

Francis BARBEY, Éloge de la foi chrétienne. op. cit., pp. 21-22. Pierre TEILHARD DE CHARDIN, Œuvre, cité par Jean-Michel Maldamé, Prêtres et scientifiques, Paris, Desclée de Brouwer, 2012, p. 150.

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la sexualité qui les rapproche constituent le processus physiologique assurant la pérennité de l’espèce1 ». Toute autre approche de la question, sournoisement dissimulée dans la revendication de l’égalité homme/femme, ne peut procéder que d’un caprice déshumanisant. Au nom de la foi chrétienne, qui éclaire la dignité humaine et le chemin humain, ma démarche insiste sur la reconnaissance d’une égalité différenciée entre l’homme et la femme2. Comme chrétien, et dans la cohérence d’une tradition évangélique qui valorise la grandeur humaine, je m’oppose par conséquent ouvertement aux théories de l’indifférenciation des sexes et de l’intersexe qui nient la dualité des sexes, et qui présentent le sexe comme une chose « assignée à la naissance », pour finir par le considérer que comme une convention sociale. Je suis conscient que la question de l’égalité entre l’homme et la femme agite bien des « QG » et autorise des recherches dans plusieurs disciplines. Par conséquent, je n’éprouve aucun scrupule à évoquer la foi chrétienne pour soutenir ma prise de position dans ce débat, puisqu’elle constitue le cadre de référence de mon analyse. J’affirme ouvertement que la foi chrétienne a sa place dans un tel débat, parce qu’elle a quelque chose à dire sur la personne humaine – et notamment que la personne humaine est une histoire sacrée qui la dépasse. C’est pourquoi rien ne justifie que cette histoire soit amputée de son mouvement intérieur. Le débat n’est pas seulement que scientifique, en jouant sur des statistiques et des cas de pratiques humaines qui justifieraient « d’évoluer ». Ce qui est en jeu, c’est l’avenir 1

Académie Catholique de France, op. cit., p. 3. Des situations humaines très minoritaires font apparaître des hommes efféminés comme des femmes aux allures masculines. Elles ne peuvent pas s’imposer comme une norme. Pour ce qui est de l’intersexualité, l’Académie catholique de France estime qu’en dehors des cas qui ne comportent pas d’ambiguïté sexuelle, « la prévalence est plus proche d’un pour mille ».

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de l’humain. Et sur cet avenir, le christianisme a déjà joué un grand rôle par le passé. En effet, il n’est pas possible de parler de « modernité », c’est-à-dire de l’évolution positive de bien de pratiques humaines, sans une référence explicite au christianisme qui l’a, en vérité, fécondée. Le message chrétien a « contraint » l’homme à assumer avec plus de sérénité sa véritable place dans le monde et à entrevoir « la vie bonne » et l’avenir comme un moment de béatitude en Dieu1. À ce titre, le christianisme est, comme l’affirme Jacques Rollet, « le fondement dernier de la dignité des hommes […]2 ». La part des hommes dans le combat des femmes Il y a des propos qui reviennent souvent sur les femmes et qui sont caractéristiques d’un imaginaire figé : « avec les femmes, on ne sait jamais ! », autrement dit, elles sont comme des gosses, imprévisibles ! Mais pourquoi, les hommes, aussi intelligents soyons-nous, sommes-nous si convaincus de connaître les femmes plus qu’elles ne nous connaissent ? À voir les choses de plus près, on se rend bien vite compte qu’il y a dans notre rapport au monde et aux femmes, en tant qu’hommes, trop de surfait, trop de préjugés qui ne peuvent plus se justifier au regard de notre propre responsabilité vis-à-vis de l’humanité que nous formons tous ensemble. Comme le souligne Thomas De Koninck, « le sens de l’humain est donné par la conscience morale, par cette exigence de nous-mêmes à l’égard de nous-mêmes qui nous fait pressentir qu’en causant injustement un tort à autrui, c’est immédiatement à nous-mêmes que nous faisons du tort3 ». L’engagement pour des sociétés justes, pour 1

Francis BARBEY, Le christianisme dans la modernité. Une chance pour l’homme de demain, Paris, L’Harmattan, 2013, pp. 109-110. 2 Jacques ROLLET, Religion et politique. Le christianisme, l’islam et la démocratie, Paris, Grasset, 2001, p. 273. 3 Thomas DE KONINCK, « Archéologie de la notion de dignité humaine », in Thomas de Koninck et Gilbert Larochelle (Coord), La

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l’égalité des êtres humains, pour l’égalité entre l’homme et la femme, est un engagement à la fois individuel et collectif1. Ce n’est donc pas le seul combat de la femme qui va changer les choses, même s’il ne s’agit pas pour elle de baisser la garde2. Mais c’est aussi lorsque chaque homme le comprendra et l’assumera, à son propre niveau, en en faisant une exigence à l’égard de lui-même, en termes de respect de la dualité des sexes, et de reconnaissance de la femme pour ce qu’elle est : une femme. Il faudra au moins cette prise de conscience pour qu’il soit possible de soutenir véritablement le processus égalitaire entre l’homme et la femme. Fondamentalement, « la reconnaissance des différences […] exige un horizon de signification, plus un horizon partagé3 », sans lequel l’homme et la femme n’ont rien à se dire et la femme n’a rien à exiger. La reconnaissance mutuelle apparaît ainsi comme ce qui rend dignité humaine. Philosophie, droit, politique, économie, médecine, paris, Presses universitaires de France, 2005, p. 39. 1 On pourrait noter la difficulté de la parité dans les postes à responsabilité et dans les institutions. L’ONU reconnait que « l’égalité des sexes, en plus d’être un droit humain fondamental, est essentielle à la mise en place de sociétés pacifiques dotées d’un plein potentiel humain et d’un développement durable. De plus, il a été démontré que l’autonomisation des femmes stimule la productivité et la croissance économique ». Mais le sujet reste très peu politique dans de nombreux pays. Selon l’ONU, « bien qu’un nombre record de 143/195 pays garantissent l’égalité entre les hommes et les femmes dans leur Constitution en 2014, 52 autres n’ont pas encore franchi ce pas. Et malgré cela, les discriminations persistent ». En plus, « à l’échelle mondiale, le salaire des femmes ne représente que 77 pour cent de celui des hommes. Selon l'Union Interparlementaire, la proportion des femmes au parlement a continué d’augmenter à l’échelle mondiale, même si la croissance reste lente. En 2018, la représentation des femmes dans les parlements nationaux a augmenté de près d’un point de pourcentage, passant de 23,4 % en 2017 à 24,3 % en 2018 (+0,9 point) ». Pour toutes les citations de l’ONU, voir https://www.un.org/fr/gender-equality/index.html 2 L’idée de la création d’un ONU-femme en 2010 va dans ce sens. 3 Charles TAYLOR, op. cit., p. 60.

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possible une identité, dans laquelle l’autre est partie prenante. C’est la condition pour « ne pas être ignoré, traité avec condescendance, mépris ou indifférence, bref, d’être reconnu dans ma singularité, de ne pas être noyé dans un tout indifférencié, de ne pas être tenu pour un numéro dépourvu d’attributs identifiables et de fins qui me soient propres1 ». Lorsque ce sentiment de reconnaissance vient à manquer chez un individu, il ne peut que le sentir comme un joug. C’est pourquoi le philosophe Charles Taylor estime que « le défaut de reconnaissance ne trahit pas seulement un oubli du respect normalement dû. Il peut infliger une cruelle blessure, en accablant ses victimes d’une haine de soi paralysante. La reconnaissance n’est pas simplement une politesse que l’on fait aux gens : c’est un besoin humain vital2 ». Pour que cette ère de reconnaissance advienne pour la femme, il nous faut tous ensemble questionner les thèses naturalistes de l’infériorité féminine et de la sujétion de la femme dans les sociétés et dans les religions. C’est à cela que cet ouvrage souhaite contribuer, non sans relever les subtilités des discours féministes radicaux – leurs contradictions et leurs excès – qui rêvent d’une humanité nouvelle en termes de neutralité des sexes. Quelques notes sur le genre Le genre n’est pas l’objet de cet ouvrage. Mais il apparaît nécessaire d’en faire cas, car son ombre plane sur le débat de l’égalité entre l’homme et la femme. Certes, l’ambiguïté qui l’entoure invite à la prudence quant à son emploi, mais on ne peut pas ne pas en dire un mot, tellement le terme mobilise et oppose à la fois. 1

Isaiah BERLIN, Éloge de la liberté, cité par Thomas De Koninck, Ibid., p. 36. 2 Charles TAYLOR, Multiculturalisme. Différence et démocratie, Paris, Flammarion, 1992, p. 42.

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Pour le distinguer du sexe, le théologien Xavier Lacroix invite à comprendre le « "sexe" comme une notion anatomique, corporelle, animale. Tandis que " genre " est une notion complexe, grammaticale, culturelle, qui tient au langage. C’est pourquoi, ce que l’on appelle "l’identité sexuelle", c’est-à-dire le fait de se sentir homme ou femme, ne vient pas seulement du sexe anatomique, mais aussi du psychisme, c’est-à-dire de l’histoire, de l’éducation, des relations1 ». Autrement dit, on naît avec un sexe masculin ou féminin à partir duquel l’on devient historiquement et réellement un homme ou une femme. Les études sur le genre, en France, par exemple, permettent, selon Sandra Boehringer et Violaine Sebillotte Cuchet, « la théorisation des rapports sociaux de sexe2 ». Dans ces études, « le genre désigne ce que les sociétés font du sexe, le sexe étant le substrat matériel et invariant à partir duquel le genre se développe3 ». La définition que donne Françoise Thébaud à ce sujet est également éclairante : « le genre est en quelque sorte le sexe social ou la différence des sexes construite socialement, ensemble dynamique de pratiques et de représentations, avec des activités et des rôles assignés, des attributs psychologiques, un système de croyances. Le sexe est ainsi perçu comme un invariant, tandis que le genre est variable dans le temps et l’espace, la masculinité ou la féminité – être homme ou femme ou considéré comme tel(le) – n’ayant pas la même signification à toutes les époques et dans toutes les cultures4 ». Dans la même logique, NicoleClaude Mathieu estime pour sa part qu’il y aurait une

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Xavier LACROIX, « À propos de la "gender theory" », Laennec, 2014/3 (Tome 62), p. 31-42. DOI : 10.3917/lae.143.0031. URL : https://www.cairn.info/revue-laennec-2014-3-page-31.htm, p. 32. 2 Sandra BOEHRINGER et Violaine SEBILLOTTE CUCHET, op. cit., p. 17. 3 Ibid. 4 Françoise THÉBAUD, Écrire l’histoire des femmes, Paris, ENS éditions, 1998, p. 114.

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surdétermination sociale de la différence des sexes1. Et cela dans plusieurs domaines d’activités humaines dont la base est la division du travail et des moyens de production, et l’organisation sociale du travail de procréation2. C’est pourquoi, à bien des égards, le genre reste un instrument de lutte contre certaines discriminations et inégalités à partir de l’analyse des rôles sociaux. Dans son emploi actuel, la notion de genre apparaît en réalité comme un vrai fourre-tout. Depuis les années 1950, aux États-Unis, en passant par son usage dans le monde anglosaxon des années 1970-1990, pour arriver en France à partir des années 1990, le terme a connu différentes approches qu’il est possible de rappeler brièvement. Dans les années 1950, des médecins américains qui travaillent sur des cas de troubles du développement sexuel chez des enfants distinguent le sexe biologique de l’identité sexuelle. Le terme gender qu’ils utilisent dans leurs travaux correspond alors à « la somme de la masculinité ou de la féminité trouvée dans une personne3 », et qui définit en réalité son identité sexuelle, malgré son sexe biologique objectif. Le gender apparaît donc plus comme un terme culturel que biologique. Finalement, il est considéré comme « un outil permettant d’élaborer des critères de réassignation du sexe4 ». Dans le monde anglo-saxon des années 1970, le gender est repris par les mouvements féministes qui luttent contre la domination masculine et pour l’égalité entre hommes et femmes, sans remettre en question la différenciation des sexes. Les genders studies deviennent un instrument de description des inégalités entre hommes et femmes et 1

Nicole-Claude MATHIEU, « Sexe et genre », cité par Sandra Boehringer et Violaine Sebillotte Cuchet, op. cit., p. 19. 2 Philippe MANGEOT, « Discrétion/placard », cité par Sandra Boehringer et Violaine Sebillotte Cuchet, op. cit., p. 21. 3 Robert STOLLER, Sexe and gender, cité par Xavier Lacroix, op. cit., p. 34. 4 Xavier LACROIX, op. cit., p. 34.

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d’analyse des rôles sociaux. À leur tour, les mouvements homosexuels utilisent le gender contre les préjugés dont ils souffrent et contre la norme hétérosexuelle dont ils remettent en cause l’hégémonie. Ce débat va prendre une tournure radicale lorsque des intellectuels s’en emparent. Judith Butler, philosophe nordaméricaine, soutient que l’identité du genre est une construction sociale qui peut être remise en question. Elle serait donc malléable. « En conséquence, homme et masculin pourraient désigner aussi bien un corps féminin qu’un corps masculin ; femme et féminin autant un corps masculin qu’un corps féminin1 ». Au sein des études de genre, la théorie queer, qui naît aux États-Unis dans les années 1990, et qui promeut une relecture déconstructiviste de certaines questions sociales, nie de fait « la différence sexuelle et promeut la différence des sexualités. Le gender devient un outil de valorisation des pratiques sexuelles plurielles et changeantes2 ». En France, des études sur le genre révèlent également que la différence des sexes est une construction sociale liée à une interprétation des différences entre le corps des hommes et celui des femmes. S’il est admis que des différences existent, elles ne peuvent résulter que d’un processus social. Le féminin ou le masculin sont appliqués aux apparences ou aux comportements. Malgré l’ambiguïté apparente qui entoure le terme de « genre » depuis le début, on peut remarquer qu’en réalité l’ambiguïté n’existe que pour ceux qui émettent des réserves sur la déconstruction des oppositions hommes/femmes et hétérosexuel/homosexuel. Car en fait, depuis ses débuts, le gender apparaît comme le fil rouge de la déconstruction des catégories et des normes, au prétexte qu’il existerait une 1

Judith BUTLER, Trouble dans le genre, cité par Xavier Lacroix, Ibid., p.37. 2 Ibid.

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multiplicité d’identités qui ne seraient plus assignables. Comme le souligne Xavier Lacroix, « pour ceux qui douteraient que l’action du lobby "gay" soit derrière la promotion de ce discours, il suffit de regarder qui monte au créneau pour le soutenir, mettant en avant l’une de ses finalités premières : le dépassement des ostracismes envers les personnes homosexuelles1 ». Cette revendication est dans une logique discutable2. Elle veut imposer la norme homosexuelle en tentant d’accuser tous ceux qui la dénoncent d’homophobie, profitant ainsi de la sensibilité plus grande de nos sociétés actuelles aux questions des droits humains. Mais en oubliant que toute société humaine a en son sein un mouvement humain, qu’il est impossible de réduire à l’Histoire et à des caprices sexuels. La sexualité humaine, pour ce qu’elle représente pour la suite de l’aventure humaine, doit être vécue de sorte à être socialement acceptable et à pouvoir tracer un chemin d’avenir. C’est pourquoi, du point de vue de la morale naturelle, l’homosexualité doit être considérée comme « hors norme ». Elle ne saurait par conséquent s’imposer socialement comme une évidence, comme tentent de l’obtenir les lobbies « gay » et autres mouvements LGBT+. L’homosexualité n’est pas une alternative à l’hétérosexualité, parce que la sexualité humaine ne se réduit pas à faire de son corps ce que l’on veut. L’humanité que le corps de la femme et de l’homme révèle est un bien commun et personne ne peut en disposer à sa guise. L’ostracisme ne peut donc être combattu par la revendication de supposés droits 1

Xavier LACROIX, op. cit., p. 36. Les mêmes lobbies parlent de la défense des droits des minorités sexuelles ! Dans leur logique, il faudrait peut-être parler également de la défense des « droits des anthropophages », « droits des sorciers », « droits des prostituées », « droits des proxénètes », « droits des dealers », etc., pour qu’en fin de compte chaque « minorité » se délie des exigences communautaires et devienne la cause du malheur des autres.

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des homosexuels, mais bien par la revendication des droits humains pour tous. Autrement dit, si l’ostracisme doit être proscrit de nos sociétés au nom des droits humains, c’est dire que c’est au nom de ces mêmes droits que toute personne doit être protégée, et non au nom de son homosexualité. Parce que l’homosexualité ne peut être reconnue comme un droit de l’homme. S’il est vrai qu’il existe des domaines qui gagneraient à être repensés dans le cadre de l’acquisition des droits humains, il apparaît assez surprenant de considérer que les différences culturelles à propos de l’homme et de la femme, à différentes époques, signifient que certaines cultures auraient admis l’indifférenciation des sexes. Il faut surtout voir la question au niveau du statut social, donc des « rapports sociaux de sexe », plutôt qu’en termes d’indifférenciation identitaire. Dans tous les cas, les études sur le genre sont riches en enseignements. En résumé, il semblerait que le genre soit une convention sociale à partir des différences entre le corps des hommes et celui des femmes, mais qu’il existerait, en réalité, une multiplicité d’identités et que celles-ci seraient imprévisibles1. Grâce aux historiens et aux anthropologues, on sait également que le corps serait « construit et modelé, selon les époques, les modes, les pressions sociales et les activités que l’on attribue aux différents groupes sociaux ou aux différents sexes2 ». Si on reste dans cette logique, il faudrait comprendre à partir du « corps construit et modelé », qu’il existerait, à l’origine, entre l’homme et la femme, une indifférenciation corporelle. Si, dans ces conditions, « le genre désigne exclusivement ce que les sociétés font du sexe », il y a fort à parier que certaines études sur le genre apparaissent tout simplement comme la justification scientifique de l’idéologie de l’indifférenciation des sexes, dans la façon dont elle est mise en avant par les mouvements 1

Sandra BOEHRINGER et Violaine SEBILLOTTE CUCHET, op. cit., p. 17. Ibid.

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féministes radicaux et homosexuels. La mise en lumière exclusive du genre comme une convention sociale, c’est-àdire la surévaluation de l’Histoire sur cette question, ne fait que confirmer la volonté de déconstruction de l’hétérosexualité par une coalition de lobbies politiques et « gay », et de féministes radicales, anti-hommes, anti-mariage hétérosexuel et anti-procréation naturelle. Ce que les études ne nous disent pas, c’est en quoi l’indifférenciation des sexes est un tel enjeu majeur pour les sociétés d’aujourd’hui, pour que sa justification en appelle à un changement de sociétés et des normes établies ? Suffiraitil de considérer les revendications de quelques mouvements féministes radicaux et homosexuels pour se convaincre qu’il faut changer d’époque et de société en optant pour une égalité indifférenciée à tout point de vue ? S’il est vrai que travailler sur les hommes et les femmes d’une époque et d’une société implique « des contextes précis où il s’agit de souligner une opposition, une différence, voire une hiérarchie1 », il ne faut pas oublier qu’on fait le même constat lorsqu’on travaille uniquement sur les hommes ou sur les femmes dans des contextes précis. Les oppositions, les différences et les hiérarchies sont des données constantes, lorsqu’on analyse les interactions dans les sociétés. Car alors émerge presque toujours la question du pouvoir : qui est le chef et qui doit gouverner ?

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Ibid., p. 16.

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Chapitre 2

DES « ORIGINES » DE LA QUESTION DE LA FEMME

Je veux le dire d’emblée. Je ne suis pas d’avis que toutes les sociétés traditionnelles aient été de type patriarcal. D’ailleurs, comme cela apparaît dans mon analyse, même celles qu’on présente comme patriarcales n’auraient pas toujours été ainsi. Il faudrait donc garder à l’esprit les différentes variations selon les contextes. Ce qui évite de faire de la femme la victime de l’Histoire humaine. Mais cela ne contredit pas non plus le fait qu’il existe un état d’esprit et des pratiques sociales qui consistent à affirmer que la femme est inférieure à l’homme, et largement partagés et relayés depuis des millénaires. Ceux-ci prétendent que depuis que le ciel, la terre, l’homme et la femme existent, les choses ont toujours été ainsi. Pour m’interroger sur cette conception des choses, aussi « abstraite que douteuse1 », je souhaite remonter le temps : d’abord par la mobilisation du mythe, comme témoin de la façon dont toutes les sociétés se constituent et se racontent ; ensuite par le questionnement de l’idée et du statut de la femme dans les civilisations antiques rayonnantes et dans des tribus prébibliques dont on suppose les influences sur la réception et l’interprétation des textes bibliques ; enfin par l’analyse du statut de la femme dans les mythes hébreux en particulier. 1

Raymond BOUDON, op. cit., p. 40.

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Mythologie et subordination de la femme La subordination de la femme dans les sociétés est telle qu’on ne peut pas ne pas interroger les mythes, dans la façon dont les sociétés se perçoivent, se développent et justifient en leur sein les pratiques sociales, dont certaines nécessitent, parfois, la figure d’un bouc émissaire. Le but de cette grande parenthèse sur le mythe n’est pas d’exposer en détail son mode de construction et les conditions de son émergence dans une société donnée. Je souhaite simplement en évoquer quelques aspects, pour réfuter la supposée naturalité de la subordination de la femme. Je ne prends pas ici le mythe en son sens de vérité falsifiée, de fausse vérité, d’illusion, d’irréel, etc. Il n’y aurait sinon pas de raison que je m’y attarde. Il existe d’abondants travaux sur le mythe, en général dans les champs disciplinaires comme la philosophie, la littérature, l’anthropologie et la sociologie. La qualité de ces travaux n’a pas pu rendre compte de tout le « mystère du mythe », tant il est vrai que le mythe échappe aux cadres. Mais il est possible d’affirmer que grâce aux différents angles d’approche, il se déploie autour du mythe des connaissances complémentaires. Ceci est d’autant vrai que chacun, à son niveau, tente ce que Christophe Carlier et Nathalie Griton-Rotterdam appellent « une traduction fantaisiste du réel1 », bien que le mythe ne soit pas une « fantaisie pure ». En effet, si le mythe suscite un réel intérêt, ce n’est pas parce qu’il s’agit d’un récit qui ait besoin d’être connu, qui soit mieux qu’un autre. C’est plutôt à cause de l’écart entre ce qui rend possible le récit, c’est-à-dire les éléments objectifs qui le constituent, et « les outrances narratives qu’il déploie2 ». Ceci dit, j’arrive au fait que le récit mythologique, de par son fondement et son rôle, 1

Christophe CARLIER et Nathalie GRITON-ROTTERDAM, Des mythes aux mythologies, Paris, Ellipses, 1994, p. 90. 2 Ibid.

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tente d’expliquer la Création, c’est-à-dire « les commencements », de justifier et de faire accepter ce qui « ferait problème » dans la vie des sociétés humaines. De ce point de vue, le mythe nous concerne tous. Il nous révèle à nousmêmes. Il concerne notre vie d’aujourd’hui qu’il tente d’inscrire dans une logique de continuité. Si le terme de mythe est d’origine grecque, il décrit des sentiments et des représentations propres à chaque société. On parle alors de mythologie sociale. Des mythes sociaux Toute société s’organise et se constitue, non pas sur la base d’un projet clair et défini, c’est-à-dire d’un projet « politico-économique », mais sur la base de l’idée qu’elle se fait d’elle-même et que Michel Maffesioli appelle son « imaginaire social1 ». En effet, les sociétés s’organisent et vivent à partir des sentiments et représentations qu’elles tiennent pour importants et qui sont à l’origine de leur agir humain. Ces sentiments et représentations que le sociologue Gérard Bouchard décrit comme des lieux de surconscience ont également une origine. Selon l’anthropologue Maurice Godelier, « les données que la pensée "présente" à la conscience des individus sont de deux ordres : les unes sont tirées de leurs rapports aux autres et à la nature, les autres sont tirées de la vie intérieure des individus2 ». Ce sont ces éléments qui structurent les visions du monde et les idéologies. Comme le dit Maurice Godelier, nous sommes, de fait, dans une situation où la pensée permet « d’organiser des rapports sociaux réels qui font passer dans le monde sensible et matériel les composantes imaginaires et symboliques du 1

Michel MAFFESOLI, La contemplation du monde, figures du style communautaire, Paris, Grasset, 1993, p. 157. 2 Maurice GODELIER, « L’imaginaire, le symbolique et le réel », in Jean-Vincent Holeindre (dir), Le pouvoir. Concepts, Lieux, Dynamiques, Paris, Éditions Sciences humaines, 2014, p. 18.

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pouvoir1 ». C’est à partir de tout cet ensemble culturel qu’émerge, selon Gérard Bouchard, « le domaine hétéroclite, ambivalent, lancinant et fascinant, éclaté, mais omniprésent, du mythe2 ». Cela amène à la question de savoir ce qu’est un mythe social, comment est-il construit et de quelle façon suscite-t-il l’adhésion. Il est intéressant de souligner que le mythe social est une construction3. Gérard Bouchard évoque son instrumentalité, c’est-à-dire le fait que derrière l’émergence et la reproduction d’un mythe social, il y ait des relations et des jeux de pouvoir entre les acteurs sociaux. C’est pourquoi le chercheur définit le mythe social comme « une représentation collective hybride, bénéfique ou nuisible, baignant dans le sacré, commandée par l’émotion plus que la raison, et porteuse de sens, de valeurs et d’idéaux façonnés dans un environnement social et historique donné4 ». Sans doute, d’autres critères pourraient être évoqués pour enrichir cette définition, mais je souhaite en rester au caractère à la fois bénéfique et nuisible de cette représentation collective. C’est ainsi qu’on peut dire que la subordination de la femme est ce que Gérard Bouchard appelle un « mythe dérivé » ou secondaire, parce que cette subordination est l’une des traductions des mythes de la création du monde, telle qu’elle est décrite dans de nombreux récits. Si, à l’origine, le « mythe dérivé » est construit pour le court ou moyen terme, il conserve l’esprit du mythe directeur qu’il remodèle en permanence en fonction de l’époque pour le perpétuer. Dans le cas de la subordination de la femme, plus que d’un remodelage, il s’agit d’une justification fondée sur 1

Ibid. Christophe CARLIER et Nathalie GRITON-ROTTERDAM, op. cit., p. 65. 3 C’est une logique de déconstruction qui plait aux militants de l’indifférenciation sexuelle. Mais mon propos ne se situera pas à ce niveau biologique. 4 Gérard BOUCHARD, op. cit., p. 68. 2

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ce qui serait advenu à la création du monde, ou après, à savoir qu’une « femme mythique » n’aurait pas donné suffisamment de preuves de son égalité avec l’homme, par le fait d’une faute qu’elle aurait commise, ou simplement par le fait d’une incapacité à accomplir les mêmes tâches que l’homme. La justification d’un tel récit ne va pas de soi. C’est pourquoi Gérard Bouchard évoque les stratégies et subterfuges idéologiques qui sont « des procédés discursifs qui commandent la construction d’idéologies (ou de métafigures), au service d’une cause1 ». Ici, on peut évoquer, par exemple, la question physiologique et la dualité des sexes, et comment cela a été détourné pour aboutir à la subordination de la femme. Mon propos ici n’est pas de dire que le « mythe dérivé » de la subordination de la femme est faux, puisque je ne questionne pas sa vérité. Je tente de l’évaluer en fonction de son efficacité symbolique et sociale, qui me semble faible par rapport à l’anthropologie chrétienne qui est le cadre de mon analyse. Ce qui se traduisait dans les rapports sociaux est vécu aujourd’hui comme une inégalité, pire comme une injustice, du fait que les femmes, c’est-à-dire la moitié des êtres humains vivant sur terre sont, autant que les hommes, douées de raisons et capables de décider par elles-mêmes ce qui est bon pour elles. Voilà pourquoi elles refusent leur subordination et aspirent profondément à une égalité en dignité et en droits avec les autres êtres humains que sont les hommes. Je vais tenter ici, dans les points qui suivent, de poser la question de la femme et de son égalité avec l’homme dans différents contextes afin de mesurer les similitudes et les variations au cours de l’histoire.

1

Ibid., p. 74.

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Du statut de la femme dans l’Égypte ancienne Depuis les travaux du sénégalais Cheick Anta Diop et de bien d’autres chercheurs, nous avons une idée un peu plus claire de ce que certaines sociétés d’aujourd’hui doivent à l’Égypte ancienne, en termes de civilisation, de sciences et de progrès humains. Si l’Égypte fut pour beaucoup de savants et d’explorateurs une source de la « connaissance », aucun de ceux qui ont eu ce privilège n’a rapporté avoir été témoin d’une société égyptienne qui exaltait l’infériorité de la femme du fait qu’elle serait le sexe faible par rapport à l’homme. Hérodote, un explorateur grec de cette époque fut surpris du niveau d’émancipation des femmes égyptiennes. Même s’il s’agissait d’une « égalité » ressentie plutôt dans les couches supérieures de la société, donc imparfaite de ce point de vue, il est juste de dire que la place de la femme dans l’Égypte ancienne était globalement appréciable. Pratiquement, la femme pouvait envisager de faire ce qu’elle souhaitait faire pour participer aux affaires publiques : transactions commerciales, recevoir et transmettre un héritage, jouir de ses biens dans le mariage et les récupérer en cas de divorce, etc. Devant la loi, elle était traitée à l’égale de l’homme, avec les mêmes droits et les mêmes devoirs. En dehors de certaines tâches très spécialisées comme celles de nourrice, ou même celles liées à une prédominance masculine, l’accès à la responsabilité ou à certains types de métier n’était pas nécessairement lié à son statut de femme, mais à sa capacité à l’assumer comme il en était de l’homme. Néanmoins, le statut d’épouse dans une famille monogame pour une femme était central. La femme célibataire ne faisait pas partie de l’idéal égyptien, par contre l’harmonie et le bonheur dans le couple si. Pour ce qui est de l’exercice du pouvoir suprême, par exemple, on peut noter l’ouverture de la société égyptienne.

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Certes, les conditions furent sans aucun doute exceptionnelles1 dans le sens où la femme représentait une option admise. Mais il en fut ainsi chaque fois que l’héritier du trône n’était pas en mesure de régner dans l’immédiat. Certains y ont vu une façon assez particulière de protéger le patriarcat. C’est dans ce contexte de régence, uniquement dans celui-ci, qu’il faut voir l’accession au pouvoir suprême de six femmes2. Tout compte fait, la place de la femme, même si selon les spécialistes il a fallu attendre très longtemps, était assez honorable. Comme l’a bien remarqué Robert Solé, si l’Égypte ancienne fascinait divers peuples, comme les Grecs et les Romains de l’Antiquité, c’est parce que la civilisation égyptienne a excellé dans beaucoup de domaines : architecture, art, organisation de l’État, religion, médecine, littérature… Et la femme a été aussi actrice de cette excellence. Mais si « cette civilisation semble incarner l’harmonie, l’équilibre, la sagesse, la beauté3 » qui ont, sans aucun doute, inspiré d’autres peuples, le statut de la femme, si appréciable, n’a pas eu d’impact sur l’imaginaire de ses admirateurs, Grecs et Romains en particulier. Autrement dit, si l’Égypte ancienne a pu inspirer plusieurs civilisations, ce ne fut pas sur le statut de la femme, étant donné que la Grèce des philosophes et de la démocratie, par exemple, n’a pas su dépasser l’idée de l’infériorité de la femme. Il en fut de même pour certaines sociétés africaines qui avaient des liens 1 Merneith, 1ere dynastie (3000-2890 av. Jésus-Christ) ; Néférousobek, 12e dynastie (1985 -1777 av. Jésus-Christ) ; Hatchepsout, 18e dynastie (1550-1295 av. Jésus-Christ) ; Néfertiti, 18e dynastie ; Taousert, 19e dynastie (1295-1186 av. Jésus-Christ) ; Cléopâtre, dynastie lagide (305285 av. Jésus-Christ). 2 Kara COONEY, When women ruled the world, Washington, National Geographic, 2018. 3 Robert SOLÉ, dans le journal Le Monde, https://www.lemonde.fr/ livres/article/2016/01/13/robert-sole-cette-civilisation-incarne-lharmonie-et-l-equilibre_4846495_3260.html (consulté le 14/2/2020).

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d’échanges avec l’Égypte1 et dans lesquelles il est resté admis que la femme était inférieure à l’homme. Ce qui est reconnu par ailleurs, c’est que dans une société aussi politique et religieuse que la société égyptienne ancienne, aucune conception politique, aucune divinité égyptienne connue, n’a jamais prétendu et inspiré, au moins officiellement, le fait que la femme soit considérée comme subordonnée à l’homme. Or, comme nous le verrons, dans les autres civilisations, surtout mésopotamienne, grecque et romaine, c’est précisément la politique et la religion qui vont être les facteurs déterminants par lesquels on va justifier et maintenir la femme dans un statut de subordination. La femme dans la civilisation mésopotamienne La Mésopotamie a laissé le souvenir d’une civilisation rayonnante, qui s’est organisée autour des États, d’abord au Sud, à Sumer, vers - 2600, puis sur le moyen Euphrate, sur le haut Tigre et de nouveau au Sud (avec la ville de Babylone et le grand roi Nabuchodonosor). Pour aujourd’hui, la femme, précisément, reste encore à découvrir dans ce qu’elle fut réellement dans la culture mésopotamienne ancienne, au-delà de ce qu’en disent la tradition classique et les travaux des spécialistes qui reconnaissent eux-mêmes l’étendue des sources à analyser et à faire parler. Les quelques sources analysées ne permettent donc pas, pour l’instant, d’établir de façon linéaire l’histoire et le statut de la femme dans la société mésopotamienne. Mais, selon Cécile Michel, bien que cela reste à étudier de façon approfondie, il est possible de constater « au cours du IIe millénaire une perte d’influence des grandes déesses et une 1

Diverses conférences de Cheick Anta Diop sont disponibles sur You tube ; voir également la collection « Egyptomania » éditée par Altaya/Le Monde, le huitième volume en particulier.

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détérioration du statut des femmes, perceptible par exemple dans les lois médio-assyriennes […]. Celles-ci laissent apparaître l’idée que les femmes auraient un statut inférieur à celui des hommes1 ». La perte d’influence et le constat du statut inférieur des femmes à une certaine époque laisser penser deux choses : que la situation antérieure leur était favorable, au moins comme reconnues à l’égale des hommes ou ayant même un statut supérieur à celui des hommes. Mais alors, qu’est-ce qui se serait passé pour qu’on arrive à la situation décrite plus haut par Cécile Michel et au constat qu’elle fait ? C’est ce que je vais tenter de mettre en relief. La femme en Mésopotamie dans quelques sources antiques Dans la civilisation mésopotamienne, les femmes ne sont pas visibles autant que les hommes le sont. Cependant, elles participent à la vie publique et économique. Les sources historiques sur leur implication dans la société sont diverses et sont liées, pour la plupart, à chacune des communautés qui les ont produites. Les femmes sont présentes dans ces sources avec une place plus ou moins importante. Dans certaines sources, quelques déesses jouent même les premiers rôles, comme par exemple « les déesses mères : Inanna/Ištar, déesse de la guerre et de l’amour qui dispose de la liberté des hommes, Gula, déesse de la médecine, Nisaba, déesse de l’écriture, ou Ereškigal, déesse des Enfers2 ». Dans les archives des palais et des grands domaines du IIIe et du début du IIe siècle, il est fait allusion aux reines, 1

Cécile MICHEL, « Quelle place occupent les femmes dans les sources cunéiformes de la pratique ? », Les nouvelles de l'archéologie [En ligne], 140 | 2015, mis en ligne le 30 juin 2015, consulté le 19 octobre 2021. URL : http://journals.openedition.org/nda/3019 ; DOI : https://doi.org/10.4000/nda.3019, p. 52. 2 Ibid., p. 47.

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aux femmes de l’élite et à une population féminine servile. Les premières, surtout celles qui appartiennent à la famille royale, mènent des activités agricoles et de produits textiles qu’elles président. De telles activités s’observent dans différents contextes et époques et demandent de la maind’œuvre qui, dans ces cas, est essentiellement féminine et de basse condition. La distinction des tâches en référence au genre n’est pas très établie, vu que des tâches dites masculines, comme le port des briques, sont accomplies également par des femmes. Dans certains milieux, il est clairement établi que la femme n’est pas minorée. Elle jouit du droit et de la liberté d’agir par elle-même. Il est fait référence à une égalité avec l’homme dans le mariage, même si l’initiative vient de l’homme. Ainsi, « hommes et femmes peuvent initier une procédure de divorce, les pénalités étant souvent similaires pour les deux sexes1 ». La femme assure cependant les tâches domestiques, comme la préparation du repas et l’éducation des enfants. En l’absence de l’époux, elle assure la gestion de la maisonnée, ce qui suppose qu’il s’agit d’une tâche qui revient prioritairement à l’homme, même s’il est reconnu à la femme une grande influence au sein de la famille. Les sources permettent de dire que les activités de la femme dépassent le cadre domestique. Les femmes de l’élite en particulier, sont reconnues dans des rôles équivalents à ceux des hommes dans différents domaines. Pourtant, des changements notoires apparaissent au cours du II millénaire. Au niveau du Panthéon mésopotamien, les déesses, par exemple, perdent progressivement leur pouvoir au profit de divinités masculines. Le statut de la femme devient objet de réflexion et se retrouve progressivement à être lu dans le sens de la hiérarchisation du genre.

1

Ibid. p. 50.

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La femme mésopotamienne, une menace pour l’homme ? De toute évidence, la différence que représentent les femmes et leurs « manières de faire » sont toujours apparues aux hommes comme « incompréhensibles et inhumains », mais auxquels il convient tout de même de donner un sens marqué par une vision androcentrique de l’existence humaine. De ce fait, à partir d’interprétations classiques, la femme mésopotamienne apparaît sous le prisme de sa supposée « disponibilité sexuelle » qui dériverait de sa relation au divin et au sacré, c’est-à-dire d’une obéissance à une règle du culte. On en déduit, encore aujourd’hui, le rapprochement de la sexualité et de la prostitution d’un acte religieux et du sacré, et aussi d’une situation « politique »1. Il faut préciser ici qu’Inanna/Ishtar, déesse de l’amour et de la guerre, était une divinité complexe, dont les sanctuaires ne devaient pas être très différents des « maisons de plaisir2 ». Le caractère moral de la prostitution n’était pas établi en Mésopotamie, comme il peut l’être aujourd’hui dans la civilisation judéo-chrétienne : « le sexe en soi n’avait en Mésopotamie rien de répréhensible. Et si les prostituées n’avaient pas une réputation très enviable, elles avaient néanmoins un statut social reconnu ; leurs activités pouvaient

1 Maria Grazia MASETTI-ROUAULT, « Femmes, mythes et cultes dans la culture mésopotamienne ancienne », In : Topoi. Orient-Occident. Supplément 10, 2009. Femmes, cultures et sociétés dans les civilisations méditerranéennes et proche-orientales de l’Antiquité, https://www.persee.fr/doc/topoi_1764-0733_2009_act_10_1_2659, p. 131. 2 Dominique CHARPIN, « Civilisation mésopotamienne », https://www.college-de-france.fr/media/dominiquecharpin/UPL4727773788948834688_431_450_Charpin.pdf, p. 442.

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avoir pour cadre les rues ou les lieux proches des murailles, mais surtout les tavernes1 ». Il apparaît dans les textes classiques, comme celui d’Hérodote, l’identification des Babyloniennes à la déesse Inanna/Ishtar dans quelques aspects de sa représentation, comme ses cultes à fond sexuel et « orgiastique »2. La représentation du rôle de la femme mais aussi de l’organisation sociale de la Mésopotamie ancienne procéderait ainsi de l’organisation des relations sexuelles en milieu sacré par la « prostitution sacrée » et le « mariage sacré ». Bien que déesse de la beauté et de l’éros, Inanna/Ishtar apparaît aussi sous un côté obscur, comme une « garce sans scrupules, jalouse et vindicative », « croqueuse d’hommes ». Cet aspect est relevé principalement dans « les textes épiques et mythologiques (qui) présentent d’elle une image beaucoup plus contrastée et tragique, signalant avec préoccupation, mais aussi avec mépris, ses aspects les plus violents, les plus excessifs et les plus destructeurs, dans ses relations amoureuses comme dans ses combats3 ». Voici qui donne à penser, dans ce contexte, à une certaine nature des femmes qui rendrait nécessaires leur asservissement et leur domination. Selon Maria Grazia Mazetti-Rouault, « c’est sur cette grande vérité, révélée par les mythes et l’épopée et réalisée par les lois, que semble se fonder le système social et juridique mésopotamien, qui, contrôlant les femmes, et les mariant, les empêche ainsi de sévir – à l’exception d’une petite réserve, toujours utile, en partie laissée aux dieux, et une autre destinée effectivement à la prostitution, dans les tavernes et dans les bordels4 ».

1

Ibid. Maria Grazia MASETTI-ROUAULT, op. cit., p. 134. 3 Ibid., p. 135. 4 Ibid., p. 136. 2

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L’intérêt ainsi porté à Inanna/Ishtar dans la civilisation mésopotamienne et dans la littérature qui la décrit, y compris les récits mythologiques, reflète très probablement la conscience de l’existence d’un « Autre », différent de l’homme, qui est la femme. Voici pourquoi pour Maria Grazia Masetti-Rouault, « la théologie d’Inanna/Ishar montre que la relation avec la femme et le féminin a été conçue comme le premier degré de la connaissance de l’autre et du monde, et sans doute aussi comme une base pour comprendre le fonctionnement du pouvoir, et du pouvoir politique1 ». Cette conscience naît dans un monde à vision androcentrique. Celui qui regarde, qui pense et qui parle est donc un homme adulte. C’est sans doute pour cette raison que, selon la chercheure, « en Mésopotamie la découverte de l’Autre, - la femme -, avec sa beauté, son énergie, sa capacité à modifier les rapports et les choses, est perçue aussi comme l’ouverture d’une crise, une menace, un danger, contre lequel il faut réagir, renfermant et limitant sa puissance, la dénigrant et la réduisant à un service2 ». Lorsque l’homme pense la femme en en faisant le sujet de sa réflexion, ce n’est pas pour elle-même, pour ce qu’elle est comme « femme », dans sa différence physiologique, biologique, psychologique afin de mieux la connaître et de l’apprécier comme une singularité, comme une part nécessaire de l’humanité. Plutôt, il en fait le sujet de sa réflexion pour luimême, pour prendre le pouvoir sur elle, pour assouvir davantage sa domination qu’il justifie par des arguments subjectifs dont il ne souhaite pas qu’ils soient discutés et éventuellement remis en cause. Après ce survol du statut de la femme dans le monde mésopotamien, il est d’un grand intérêt de voir dans le point suivant la façon dont les choses se présentent pour la femme dans les tribus prébibliques et le lien possible que l’on 1 2

Ibid., p. 138. Ibid., p. 138.

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pourrait établir avec l’influence des civilisations égyptienne et mésopotamienne. De l’idée de la femme dans les tribus prébibliques Plusieurs spécialistes montrent dans leurs travaux qu’il est impossible de comprendre le monde des Hébreux par les seuls textes sur son organisation et sa foi, auxquels on a habituellement accès1, parce qu’il ne s’agit pas d’une histoire qui s’est faite de manière isolée par rapport à son environnement. L’étude de ses origines et de son organisation convoque donc l’influence des grandes civilisations de l’Égypte et de la Mésopotamie. L’histoire de l’unité des minuscules peuplades qu’ils étaient n’est compréhensible que si elle est reliée à une histoire beaucoup plus grande, qui est celle des civilisations de cette époque2. C’est ainsi qu’une analyse attentive de l’ensemble des textes et une référence aux peuples environnants, ainsi qu’une interprétation des acquis archéologiques, permettent aujourd’hui de tenter de comprendre, dans une certaine mesure, le monde des tribus d’avant Yahvé, qui seront identifiées comme le peuple hébreu. Mais, je n’en ferai pas ici une analyse exhaustive. Je souhaite montrer, de façon succincte, la façon dont la figure de la femme apparaît dans ce contexte « pré yahvétique ». Et comment tout cela va imprégner par la suite, l’histoire religieuse des Hébreux… et de l’Occident chrétien. 1

Roger Klaine a mené sur la question des recherches dignes d’intérêt. Il a relu l’ensemble du corpus biblique en relevant les évidences métaphysiques et religieuses du contexte de son écriture. Je m’inspire de ses recherches sur l’idée de Dieu chez les Hébreux d’avant notre ère et sur le commentaire des deux récits de la création dans le livre de la Genèse. Voir Le destin de l’univers selon les écrits bibliques d’avant notre ère, I, Paris, Les Éditions du Cerf, 2000 et Le devenir de l’humanité selon les écrits bibliques d’avant notre ère, II, Paris, Les Éditions du Cerf, 2000. 2 Roger KLAINE, I, op. cit., p. 8.

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De la Mère unificatrice de l’univers à Yahvé Celui que les Hébreux vont finalement appeler El, Elohim, El Shaddaï ou Yahvé, n’est pas à l’origine de leur pensée religieuse, lorsque les petites tribus qu’ils étaient s’unirent au Xe siècle avant notre ère. El, dans sa compréhension originelle, n’apparaît pas comme une divinité stable, mais plutôt comme une divinité dont l’image et la compréhension sont appelées à s’enrichir et à se clarifier. Comme l’a bien montré Roger Klaine, à l’origine apparaît la figure d’une divinité féminine, représentée dans les figurines domestiques de l’époque. « Elle représente une divinité unificatrice de l’univers […]. Elle est, en fait, la première expression assurée d’une structure particulière du sacré, un sacré d’en haut duquel tout procède1». Cette Mère, de qui procèdent la vie et la nature, est associée au taureau, présent lui aussi dans le système religieux, également en tant que source de la vie humaine, animale et végétale. On note ainsi avec Roger Klaine qu’en Chaldée, comme dans tout le Proche-Orient : Se perpétuait le symbolisme de la femme mythique mère de toute vie. C’est elle, identifiée à la masse des eaux primordiales, qui avait engendré par parthénogenèse les dieux des trois étages du monde : le dieu des hauteurs du ciel, le dieu des profondeurs aquatiques de la terre et le dieu de son atmosphère. Chacune de ces personnalisations avait d’ailleurs son pendant féminin lui permettant de cumuler toutes les forces de son domaine propre. Par ailleurs, il faut ajouter que le dieu du ciel avait délégué une part de sa lumière 1

Ibid., p. 39.

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aux astres. Ce qui nous met en finale devant une triade de dieux planétaires, chacun étant masculin et féminin : le Soleil, la Lune et Vénus, dont le plus important et le plus représentatif était le dieu de la lune assisté de sa compagne1.

On retrouve ici, comme chez beaucoup d’autres peuples, l’imaginaire polythéiste avec, en plus, l’évocation des dieux ayant des compagnes. Roger Klaine ajoute : Il apparaît donc bien évident que le divin, sous les formes de la Femme, du Taureau ou de la Lune, se confondait, pour l’ensemble du Proche-Orient, avec l’énergie universelle qui suscite l’être et la vie. C’est, quoi qu’il en soit, la signification essentielle du mot El : « puissance vitale ». Or, il faut savoir que ce terme, avec ses déterminatifs comme El Elyon (le Très Haut) ou El Shaddai (le Dieu des montagnes, le puissant) et surtout avec son pluriel « El Ohîm » ou Elohim (la divinité au sens générique) se trouve être l’appellation la plus archaïque et de loin la plus employée par le Premier Testament pour désigner le Dieu d’Isra-El, El : le Grand Taureau2.

On en déduit qu’avant d’être un principe éternel, Dieu a aussi été perçu comme une force active, exprimée justement dans la figure du Grand Taureau3. 1

Ibid., p. 42. Ibid., pp. 44-45. 3 Edmond JACOB, Théologie de l’Ancien Testament, Neuchâtel, Delachaux & Niestlé, 1968, p. 29. 2

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Ce que je souhaite montrer ici, c’est l’idée d’une divinité féminine dans le contexte « pré yahvétique ». Il y a une pensée religieuse évolutive, mais dont le début est marqué par la question du don de la vie, c’est-à-dire de la présence d’une « énergie universelle » qui « suscite l’être et la vie » dans l’univers. L’idée du don de la vie par une puissance vitale, rime d’abord avec une divinité féminine identifiée à une « mère » qui engendre par pathogenèse. Même lorsque le divin apparaît également sous la forme du Taureau, il n’est nullement question de faire de la « mère » qui « donne vie » une divinité inférieure. Tout au plus, si la personnalisation des dieux masculins avait son pendant féminin, s’agissait-il de « cumuler toutes les forces de son domaine propre ». Le masculin et le féminin mis ensemble représentaient une « grande force ». Reste à savoir d’où est partie plus tard l’idée de la hiérarchisation du genre. La foi en Yahvé : une pensée évolutive La foi en une divinité spéciale et suprême émerge avec la « sortie d’Égypte », dont Moïse est le porte-étendard, pour conduire ses frères à Canaan. De fait, à travers la marche dans le désert du Sinaï, Moïse apparaît comme celui qui donne une conscience commune à ses frères, fondée sur la foi en un Dieu qui se nomme Yahvé et qui est le Dieu de l’ancêtre Abraham. À côté donc des autres dieux1, c’est Celui qui a appelé Abraham et a dialogué avec lui, qui est l’Unique à donner vie au monde. De lui, le psalmiste dira « Toutes les nations que tu as faites viendront se prosterner devant toi, et rendre gloire à ton nom, Seigneur, car tu es grand et tu fais des merveilles, toi Dieu le seul » (Ps 85, v. 9 et 10). Ou encore : « Il tient dans sa main les fondements de la terre, et 1

« Aucun parmi les (autres) dieux n’est comme toi », lit-on au verset 8 du psaume 85. Ou encore : « Car c'est un grand Dieu que Yahvé, un grand roi au-dessus de tous les dieux », psaume 95, verset 3.

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les sommets des montagnes sont à lui. À lui la mer, car c’est lui qui l’a faite ; la terre aussi : ses mains l’ont formée. Venez, prosternons-nous et adorons, fléchissons le genou devant Yahvé, notre Créateur » (Ps 95, v. 4, 5, 6). De la représentation de Dieu à la hiérarchisation du genre Le Grand Taureau présent dans le système religieux de l’époque évoque sans doute une « force active », une puissance. Cette force a pu être identifiée à la masculinité surtout, à partir des critères biologiques et physiologiques rapportés aux individus1. La question ici est de savoir comment se présentent ces critères biologiques et physiologiques pour avoir eu un tel impact ? Voici l’hypothèse que j’émets : l’impact de la quantité de testostérone produite par l’humain sur la physionomie, soit qu’on est homme ou qu’on est femme, n’est pas la même dans les deux cas. Il est connu que la quantité de testostérone secrétée par les testicules est supérieure à celle produite par les glandes surrénales chez la femme. Or, la testostérone a des effets sur le corps, puisqu’il s’agit d’une hormone qui agit sur le volume et la forme musculaire. Du coup, la différence de l’expression physiologique, ajoutée à l’exaltation de la force somatique qui sera plus tard nécessaire pour les guerres, se serait révélée comme un facteur de discrimination qui a répandu l’idée que le féminin est inférieur au masculin. On en arrive à la conclusion, provisoire, que le biologique et le physiologique ont contribué à nourrir dans l’imaginaire social et dans les faits l’impossibilité de considérer une égalité entre l’homme et la femme. Certains textes, comme la Genèse, auraient ainsi été reçus, lus et interprétés en faveur des hommes dans ce contexte déjà androcentrique et patriarcal. Par opposition, on 1

Françoise HÉRITIER, Masculin/Féminin II. Dissoudre la hiérarchie, Paris, Odile Jacob, 2002, p. 11.

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verra comment Jésus interprète les mêmes textes sans la mention de la supériorité supposée de l’homme, Lui qui prend position en faveur de la dignité des exclus, des faibles et des pauvres, dont les femmes font alors partie. Françoise Héritier avait déjà mis en relief l’impact du biologique et du physiologique sur l’idée sociale de la hiérarchie des sexes. Elle avance le terme de « valence différentielle » des sexes pour répondre à la question qu’elle pose sur les systèmes de pensée qui valorisent le masculin. Elle évoque l’impact du biologique et du physiologique sur l’origine de toute pensée, du fait de l’observation. Tout serait donc parti « du corps, d’unités conceptuelles inscrites dans le corps, dans le biologique et le physiologique, observables, reconnaissables, identifiables en tout temps et tous lieux1 ». Elle reconnaît que cette valence différentielle des sexes est déclinable selon les cultures, mais celle-ci exprime toujours « un rapport conceptuel orienté, sinon toujours hiérarchique, entre le masculin et le féminin, traduisible en termes de poids, de temporalité (antérieur/postérieur), de valeur2 ». Ainsi, sur les « origines » de la question de la femme, tant chez les Hébreux que chez divers autres peuples, les travaux de Roger Klaine et l’approche de Françoise Héritier sont éclairants sur la façon dont a pu se construire, au cours des millénaires, la pensée selon laquelle la femme serait inférieure à l’homme. Dans la même logique, il n’est pas inutile d’explorer la place de la femme dans les mythes hébreux, pour voir comment concrètement tout cela est traduit et réinterprété dans le cours de l’histoire.

1

Ibid., p. 22. Ibid., p. 24.

2

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La femme dans les mythes hébreux L’hypothèse que j’ai émise plus haut porte à interroger les mythes hébreux pour voir comment est perçue concrètement l’infériorité de la femme. Des mythes hébreux Comme déjà mentionné, le terme « mythe » est d’origine grecque et renvoie, dans toute étude spécifique sur les mythes, plus ou moins à des modèles grecs. Il en est ainsi de l’étude des mythes hébreux et bibliques, pour lesquels on peut établir quelques liens de parenté avec certains mythes grecs, sans que dans les deux cas, cela évoque nécessairement le même sens. Mais on peut également noter une différence fondamentale, à savoir que le mythe, chez les Grecs, convoque « des dieux, des déesses qui prennent part aux affaires humaines, chacun favorisant des héros en situation de rivalité, alors que la Bible, elle, ne connaît qu’un seul Dieu universel1 ». La question de la femme est posée dans la mythologie hébraïque, dans les contextes prébibliques et bibliques. Le féminin y occupe d’abord une place honorable, parce que, dans un cas, il est associé aux dieux et est un être divin, et dans l’autre cas, sa présence est liée à une certaine matriarcalité dans la sphère divine. Robert Graves et Raphael Patai estiment, en effet, qu’il y a plusieurs « indices d’une ancienne culture matriarcale dans la Genèse, comme la matrilocalité du mariage de Gn 2, 24, à savoir que "l’homme quittera son père et sa mère et s’attachera à sa femme"2 ». De façon plus générale, la Création, elle-même, selon ces

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Robert GRAVES et Raphael PATAI, Les mythes hébreux, Paris, Fayard, 1987, p. 9. 2 Ibid., p. 11.

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auteurs, était conçue « en termes de procréation, et non de fabrication, la figure centrale en fut matriarcale1 ». Toutefois, le statut divin de la femme va changer, c’est-àdire que « des rapports sociaux nouveaux émergent historiquement avec toutes leurs dimensions et leurs symboles2 ». En effet, la femme se retrouve être responsable d’une transgression qui fait le malheur de l’humanité. Dans la mythologie grecque, Pandore, qui s’entendait d’abord comme mère et déesse créatrice, devient, dans la fable d’Hésiode, la cause des malheurs qui accablent l’humanité, lorsqu’elle laisse échapper de la boîte la maladie, le grand âge et les vices. Dans la Bible, Ève mange la pomme interdite et en donne à Adam, et ils se retrouvent tous les deux chassés du jardin, à cause de ce qui apparaît « naturellement » comme la faute de Ève. Dans les interprétations classiques de la subordination de la femme, on peut y déceler le rôle du mythe, tel qu’on pouvait le percevoir : il « a servi de validation succincte pour des lois, des rites et des coutumes sociales énigmatiques3 ». C’est ainsi que Robert Graves et Raphael Patai estiment que la mythologie hébraïque, en particulier, patriarcale et monothéiste, dont l’Église a eu connaissance, a participé à nourrir les imaginaires et à « forger les principes éthiques de la vie de l’Occident4 ». Partant alors de l’idée de la femme chez les Hébreux, on peut dire que la réception des récits de la Création du livre de la Genèse a été faite dans un contexte androcentrique et patriarcal. Ce qui laisse imaginer la façon dont la subordination de la femme s’est enrichie et s’est imposée par la suite dans la civilisation judéo-chrétienne. On peut évoquer également le cas de l’Islam qui a eu, dans ce sens, une influence 1

Ibid., p. 46. Maurice GODELIER, op. cit., p. 18. 3 Ibid., p. 10 4 Ibid., p. 17 2

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considérable à partir du VIIe siècle à travers les conquêtes musulmanes dans le monde. Si on ajoute à tout cela le rayonnement de la démocratie athénienne et son exclusion de la femme de l’espace public, ainsi que l’infantilisation de la femme dans le droit antique romain, on retrouve les deux facteurs importants de la sujétion de la femme, à savoir la religion et la politique.

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Chapitre 3

SOCIÉTÉ, POLITIQUE ET DISCRIMINATION DE LA FEMME

La structure idéelle est fondée sur l’imaginaire, que la sociologie de l’imaginaire a sorti de sa qualification d’irréel, de chimérique, et de fantaisiste1. Désormais, l’efficacité de l’imaginaire est considérée comme un instrument pour entrer en contact et pour « reconstruire le monde » autour de nous, afin de le comprendre. Comme l’écrit Gilbert Durand, l’imaginaire n’est nullement absent du fondement des phénomènes sociaux liés à la religion, à l’art, à la communication et à la vie quotidienne2. Concrètement, l’imaginaire émane de ce que l’auteur appelle le trajet anthropologique et apparaît comme « l’incontournable représentation, la faculté de symbolisation d’où toutes les peurs, toutes les espérances et leurs fruits culturels jaillissent continûment depuis les quelques un million et demi d’années qu’homo erectus s’est dressé sur la Terre3 ». À partir de là, les interactions sociales créent progressivement des histoires et du sens, et de ce fait définissent des 1

Valentina GRASSI, Introduction à la sociologie de l’imaginaire. Une compréhension de la vie quotidienne, Ramonville Saint-Ange, érès éditions, 2005, p. 12. 2 Gilbert DURAND, Les structures anthropologiques de l’imaginaire, Paris, Dunod, 1992, p. 54. 3 Gilbert DURAND, L’imaginaire, sciences et philosophie de l’image, Paris, Hatier, 1994, p. 77.

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rôles et des statuts, que leurs « acteurs » intègrent, consciemment ou non. Les sociétés, qu’elles soient plus anciennes ou actuelles, ne peuvent donc se comprendre qu’en prenant en compte toutes les formes d’interaction qui y sont à l’œuvre, sans privilégier l’une d’entre elles. Autant le processus est important à connaître et à comprendre, autant la société ellemême, selon Georges Simmel, est à connaître à partir des influences réciproques, « quelquefois de médiocre importance », de ceux et celles qui la constituent. C’est dans leurs rencontres et leurs relations, ainsi que dans leurs actions réciproques que les gens se constituent dans ce qui les différencie comme dans ce qui les individualise. Ainsi, pour Georges Simmel : Tous les grands systèmes et organisations supra-individuels auxquels on pense d’ordinaire à propos du concept de société ne sont rien d’autre que des moyens de consolider -dans des cadres durables et des figures autonomes- des actions réciproques immédiates qui relient d’heure en heure ou bien la vie durant les individus. Elles acquièrent ainsi autorité et autonomie, pour se poser et s’opposer en fonction des formes d’existence par lesquelles les êtres se conditionnent réciproquement. En tant qu’elle se réalise progressivement, la société signifie toujours que les individus sont liés par des influences et des déterminations éprouvées réciproquement. Elle est par conséquent quelque chose de fonctionnel, quelque chose que les individus font et subissent à la fois1. 1

Georg SIMMEL, Sociologie et Épistémologie, Presses universitaires de France, Paris, 1981, p. 90.

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On peut déduire de cela, la façon dont la politique et la religion en particulier, en tant que systèmes supra-individuels, ont permis de définir des sociétés que les femmes subissent, plus qu’elles ne les font, même si l’histoire humaine retient le souvenir de quelques femmes influentes et célèbres. La politique comme facteur et justification de la discrimination des femmes à Athènes et dans la Rome antique La politique a toujours été un facteur déterminant dans l’institutionnalisation des positions et des rapports sociaux. À l’origine, la politique a pour fonction de réaliser les conditions du vivre-ensemble, afin que personne ne cède à la tyrannie de ses ambitions. Mais la philosophe Hannah Arendt se demande si la politique a encore un sens dans les sociétés actuelles1. Elle soutient que si la politique doit avoir un sens, celui-ci ne peut être que dans la liberté. Cependant, sa propre expérience l’oblige à reconnaître que de nos jours, « cette réponse n’est plus ni évidente ni immédiatement claire2 ». Pour une raison liée au « désastre que la politique a déjà suscité en notre siècle et du désastre encore plus grand qui menace de jaillir d’elle3 ». C’est ainsi que pour Hannah Arendt « émerge un doute concernant la compatibilité de la politique et de la liberté, la question de savoir si la liberté en général ne commence pas précisément là où cesse la politique, en sorte qu’il n’y a précisément plus de liberté là où la politique ne trouve nulle part sa fin et ses limites4 ». La situation de la femme à Athènes et à Rome procède justement du « tout politique », c’est-à-dire de la centralité 1

Hannah ARENDT, Qu’est-ce que la politique ? Paris, Éditions du Seuil, 1995. 2 Ibid., p. 64 3 Ibid., pp. 64-65 4 Ibid., p. 65.

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de la politique qui, malheureusement, a non seulement maintenu les hommes prisonniers de leur androcentrisme, mais a également justifié l’enfermement de la femme dans un état de subordination. De l’idéal féminin à Athènes L’organisation politique sous la forme de la démocratie est née à Athènes au Ve siècle avant Jésus Christ. Il en a été comme de toutes les inventions : les Athéniens en ont été fiers puisqu’ils y trouvaient le moyen de soustraire leur organisation politique à la concentration de tous les pouvoirs dans les mains d’une personne ou d’un groupe de personnes. Ils optaient ainsi pour le fait de penser ensemble les conditions institutionnelles de leur vivre ensemble. Ce fut de cette invention comme de beaucoup d’inventions dans le monde : un vrai progrès, car cela permettait de s’opposer à la tyrannie et de faire reculer la violence politique. L’une des imperfections de la démocratie athénienne cependant, et dont les démocraties modernes ne se départiront pas, est de n’avoir pas pu mettre fin à la vision patriarcale de la société grecque et d’avoir maintenu la femme en dehors de la citoyenneté. Ainsi, presque fatalement, les femmes ne faisaient pas partie du demos, c’est-à-dire des membres de la communauté civique. Pis, la misogynie avait cours à Athènes, au regard de l’idéal masculin de citoyenneté. L’imaginaire social des Grecs était fondé sur le groupe comme miroir de l’individu. Ce dernier ne se pensait et ne se percevait qu’à travers le regard des autres. Par rapport à luimême, le « je » était un « autre ». Dans ce contexte, les domaines de vie des hommes et des femmes étaient différents. L’intérieur et le privé étaient réservés aux femmes et l’extérieur et le public, réservés aux hommes. Dans Économique, Xénophon, disciple de Socrate, rapporte un dialogue que son maître aurait eu avec Ischomaque, un Athénien prospère, au sujet du noble titre d’homme de bien 98

(kalos kagathos). C’est dans ce dialogue qu’Ischomaque rend compte du sens que lui et son épouse donnent au fait que les époux sont de l’extérieur et les épouses de l’intérieur1. C’est bien la pratique d’exclusion de la femme de l’espace public qu’Ischomaque tente d’idéaliser. À Athènes, l’androcentrisme était de mise sur le plan social. C’est la qualité de citoyen, que seuls pouvaient avoir les hommes libres et jouissant de leurs droits, qui définissait alors l’individu. La femme, tout en étant épouse d’un citoyen et mère d’enfants légitimes, et dont les fils étaient de futurs citoyens, était exclue de la citoyenneté. Ceci, parce qu’elle était une femme et que l’imaginaire social l’avait mise dans une position d’infériorité par rapport à l’homme. Comme l’affirme Françoise Frontisi-Ducroux, « la finalité de l’existence féminine était le mariage, et l’étape majeure de la vie d’une femme était la mise au monde d’un enfant mâle2 ». Cela devait être entendu comme un « idéal civique » que de garantir à la société athénienne, par la maternité, la naissance d’enfants mâles. Il ressort d’une telle conception des choses qu’une femme sage, selon l’idéal de la femme grecque, était une femme réservée, discrète, soumise et passive. À cela, il faut ajouter l’amour du travail bien fait de la laine, et surtout la posture (assise) et « l’habileté de la fileuse ». C’est même autour de ce travail – auquel on associait l’éducation culturelle des filles, avec ce que cela supposait d’histoires mythologiques à raconter et de chants à exécuter – que s’organisait l’activité féminine. Les fils étaient aussi éduqués par leur mère, mais seulement jusqu’à l’âge de sept ans. En dehors de l’éducation

1

XÉNOPHON, Économique, VII, 18, 22-28, in Sandra Boehringer, Violaine Sebillotte Cuchet, op. cit. pp. 165-166. 2 Françoise FRONTISI-DUCROUX, Idéaux féminins : le cas de la Grèce ancienne, in « Topique » 2003/1 n° 82, https://www.cairn.info/revuetopique-2003-1-page-111.htm, p. 113.

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que lui donnait sa mère, la femme, épouse d’un citoyen, n’allait pas à l’école et ne savait ni lire ni écrire. La société, selon un imaginaire social bien enraciné, survit grâce aux « valeurs solidaires » que sont la maternité et le travail de la laine. L’absence de ces valeurs était perçue comme vouant inexorablement la société à la disparition. Pourtant, dans le même temps et dans le cas où ces valeurs étaient assumées, il n’était pas indiqué de parler d’héroïsme. Au contraire, le mari pouvait imposer une seconde épouse « non légitime et librement choisie » à son épouse légitime. Sans oublier la présence de l’hétaïre (femme étrangère en général), qui faisait office de compagne d’un époux légitime dans les lieux de « plaisir collectif » des citoyens, comme les banquets. Au Ve siècle avant notre ère, dans la Grèce ancienne, on n’aime pas sa femme ! « C’est un grand ridicule1 » que de l’exprimer. Même s’il est de coutume qu’une femme plaise à son époux, en prenant régulièrement soin de sa propre beauté. La beauté de la femme, acquise par le maquillage, donc artificielle, restait au nombre des idéaux féminins définis par la société grecque. Dans sa Théogonie2, le poète Hésiode raconte le mythe de la création de l’ancêtre des femmes. Cette première femme, Pandore, est présentée dans le poème comme un « mal si beau » pour ses qualités plaisantes et de séduction. C’est d’elle qu’est sortie « l’engeance maudite des femmes ». Si un homme a la chance de rencontrer une bonne épouse, « il voit toute sa vie le mal compenser le bien ». Et s’il a le malheur de tomber sur « une espèce folle, alors sa vie durant, il porte en sa poitrine un chagrin qui ne quitte plus son âme ni son cœur, et son mal est sans remède ». Malgré cela, la place de Pandore peut être lue dans le sens de la création de 1

Ibid., p. 116. HÉSIODE, Théogonie, in Sandra Boehringer, Violaine Sebillotte Cuchet, op. cit., pp. 82-83.

2

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l’épouse à travers qui on transmet un héritage. « Avec elle est créée la sexualité de l’ordre matrimonial1 ». Pour Françoise Frontisi-Ducroux, l’imaginaire social sur le statut de la femme pourrait se résumer finalement dans le mythe de la création de Pandore, la première femme. On arrive de fait à une représentation grecque de la femme qui oscille entre deux pôles : « d’une part, c’est une créature sauvage qu’il faut domestiquer et civiliser pour l’intégrer à la société par le mariage, d’autre part, c’est une créature hyper artificielle qui séduit l’homme2 ». Qu’en était-il de la question de la femme à Rome ? La question du statut de la femme dans la Rome antique est complexe, non seulement à cause des situations réelles, mais surtout à cause des évolutions qui ont pu avoir lieu sur certains aspects. Je n’en ferai donc pas ici une étude exhaustive. Je vais néanmoins tenter de saisir le statut de la femme au cours de quatre siècles, de Scipion l’Africain à Caracalla. Quatre siècles qui, selon Danielle Gourevitch et MarieThérèse Raepsaet-Charlier, « représentent une évolution des mentalités dans un cadre sociologique finalement assez stable […]3 ». L’accès à des textes de l’époque romaine, traduits et commentés par des spécialistes, donne à penser d’emblée que le statut des femmes, dont on perçoit quelques traces chez les auteurs latins, n’était pas un problème de société, comme il peut nous apparaître de nos jours. Il faut noter également que très peu de femmes ont laissé des traces dans la littérature latine pour parler d’elles-mêmes et des femmes. La plupart des sources de cette époque sur les femmes 1

Violaine SEBILLOTTE CUCHET, « Pandore, première épouse », in Sandra Boehringer, Violaine Sebillotte Cuchet, op. cit., p. 84. 2 Françoise FRONTISI-DUCROUX, op. cit., p. 117. 3 Danielle GOUREVITCH et Marie-Thérèse RAEPSAET-CHARLIER, La femme dans la Rome antique, Paris, Hachette Littératures, 2001, p. 30.

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viennent des hommes. Nous n’avons donc accès aux femmes qu’à partir de paroles d’hommes. Globalement, les quelques textes que rapportent Danielle Gourevitch et Marie-Thérèse Raepsaet-Charlier dans le préambule de La femme dans la Rome antique sont traversés par une perception de la femme qui est doublement questionnante : d’une part, la femme est de mauvaise vie, ce qui procéderait de son imperfection naturelle ; d’autre part, elle est vertueuse, en ce sens qu’elle accède à la vertu en faisant ce que font les hommes, car seul l’homme est naturellement capable de vertu, c’est-à-dire d’une qualité propre à l’homme véritable. Mais la femme dans la société romaine, c’est probablement plus que ce qu’en disent ces textes, surtout quand on sait l’existence d’un vocabulaire multiple pour désigner la femme romaine1. Il faut également différencier la femme romaine de la femme romanisée des territoires conquis. Dans Actions et paroles mémorables2, Valère Maxime revient sur le cas de quelques femmes, vraies ou mythiques, qui auraient plaidé leur propre cause ou celle d’autrui, devant un magistrat. Il s’agit, dans le contexte, d’une prise de parole trop inédite pour ne pas l’évoquer. Des femmes mentionnées, l’une est épouse de sénateur, l’autre est fille de sénateur et la dernière fille d’avocat. Il s’agit donc globalement de femmes de l’élite. Ces femmes ont transgressé les règles habituelles de confinement qui procédaient de leur « condition naturelle ». Maesia Sentina, accusée, fut acquittée en première instance. Elle parla avec courage et compétence oratoire « en présence d’une grande foule de citoyens ». Cependant, elle reçut de l’opinion publique le surnom grec d’« Androgyne », 1

Amita (tante), Domina (maîtresse de maison), Mater (femme mariée pour devenir mère), Nouerca (marâtre, seconde femme, prise par un veuf), etc. Voir pp. 24-25. 2 Valère MAXIME, Actions et paroles mémorables, VIII, 3, in Sandra Boehringer, Violaine Sebillotte Cuchet, op. cit., pp. 152-153.

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c’est-à-dire « la Femme-Homme ». Ce qui veut clairement dire « qu’elle n’incarne pas pleinement le modèle féminin socialement attendu, les compétences oratoires étant celles, attendues, d’un citoyen1 ». La seconde, Carfania, était l’épouse du sénateur Licinius Bucco. Elle foula aux pieds toutes les règles par impudence, mais en plus, elle prit l’habitude de porter devant les tribunaux, par des « aboiements », des accusations sans fondement que Valère Maxime appelle « accusation féminine ». C’est ainsi qu’elle fut blâmée par l’opinion publique, en référant son nom aux « comportements immoraux des femmes ». La troisième, Hortensia, était la fille de Quintus Hortensius, qui fut avocat et illustre orateur. Elle défendit les femmes riches de Rome auxquelles l’on avait imposé une mesure fiscale destinée à lever des fonds pour financer la politique militaire en 43 avant J-C. Elle fut présentée comme la digne fille de son père, qui ressuscita en elle par des paroles inspirées par lui. Elle obtint une réduction importante de la contribution financière attendue. Dans tous les cas, « ce sont des femmes qu’elle représente, et non des hommes, ce qui diminue la gravité de la transgression2 ». On peut citer quelques-unes d’autres comme Turia, Caecilia Métella, Térentia, dont les oraisons funèbres ou l’évocation dans des correspondances pour leurs œuvres donnent à penser à une certaine considération et à une évolution de la condition féminine3. Mais on doit remarquer qu’il s’agit en général de femme de condition honorable. Pour la majorité des femmes, de basse condition, très peu de traces existent pour décrire leur situation. C’est pourquoi, selon Danielle Gourevitch et Marie-Thérèse Raepsaet-Charlier, il est moins risqué de 1

Philippe MOREAU, « Quand les femmes prennent la parole en public », in Sandra Boehringer, Violaine Sebillotte Cuchet, op. cit., p. 153. 2 Ibid, p. 154. 3 Danielle GOUREVITCH et Marie-Thérèse RAEPSAET-CHARLIER, op. cit., pp. 47-49.

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tenter de percevoir la femme romaine à l’intérieur de « la citoyenneté romaine, du droit romain, des religions romaines, des traditions du mos maiorum1 ». En référence donc au droit antique romain, la femme romaine était une mineure perpétuelle qui subissait trois jougs : la patria potestas du pater familias, la tutela et la manus. La femme ne peut avoir sur ses propres enfants la puissance paternelle qui procède du statut du père de famille. « Seul l’homme accède à la pleine capacité en qualité de pater familias sur ses enfants légitimes et sur leurs descendants par les mâles en ligne directe2 ». La tutelle, en dehors d’un choix testamentaire du père, revenait au frère, à l’oncle ou au neveu. Il remplace donc le père de famille défunt pour les mineures et les personnes du sexe faible, c’est-à-dire les femmes, quel que soit leur âge. Évidemment, quelques mesures introduites plus tardivement, et sur lesquelles je ne m’attarde pas ici, permettaient aux femmes de faire remplacer un tuteur dont elles ne souhaitaient pas la tutelle. Dans le cadre du mariage, il existe deux types de mariage liés surtout à la vie de l’épouse : le mariage cum manu par lequel l’époux acquiert un certain type de puissance sur son épouse, par convention, et le mariage sine manu. Dans le premier cas, l’épouse est « totalement intégrée à la famille de son mari et, en principe, sans esprit de retour, tandis que l’épouse sans manu vit avec son mari, mais reste soumise à la patria potestas de son père (ou grand-père paternel), lequel peut toujours intervenir pour la protéger ou la recueillir3 ». Dans les deux cas, la femme reste sous la tutelle d’un homme, parce qu’on estime qu’elle est mineure. L’évolution des choses a dû atténuer la portée d’une telle réalité. Ce qui est cependant attendu de l’épouse d’un citoyen romain, c’est 1

Ibid., p. 31. Ibid., p. 66. 3 Ibid., p. 70. 2

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la modération, la pureté, la finesse, l’affection envers son mari et la piété. L’épouse de Pline le Jeune, à qui il adresse une lettre1, semble être de cette classe d’épouses idéales de la société aristocratique romaine. En vérité, une telle idéalisation ramène forcément à l’époux, qui se trouve être alors l’époux idéal2. Dans tous les cas, la subordination de la femme dans le droit romain limite son action en la privant de droits politiques. La situation de la femme dans la Rome antique est assez particulière, en ce sens que, alors qu’elle était reconnue comme citoyenne, elle ne pouvait jouir de ses droits civiques au même titre que l’homme. Bien que ciuis Romana, « la femme ne peut exercer aucun des droits essentiels du citoyen romain : servir dans l’armée, voter dans les assemblées, se faire élire magistrat3 ». Cette incapacité judiciaire de la femme débouche sur son impossibilité d’adopter, étant donné la question de la pérennisation du nom qui en était alors le but essentiel. Si les femmes ne peuvent pas adopter, elles sont également rarement adoptées. Pour résumer les quelques points abordés concernant le statut juridique de la femme romaine, il est instructif d’entendre le jurisconsulte Papinien : « En maintes règles de notre droit, la condition des femmes est pire que celle des hommes4 ». Après avoir évoqué rapidement la politique comme facteur de discrimination envers les femmes à Athènes et à Rome, voyons ce qu’il en est de la religion.

1

Pline le Jeune, Lettres, IV, 19 ; VI, 4 ; VII, 5, in Sandra Boehringer, Violaine Sebillotte Cuchet, op. cit., pp. 122-123. 2 Adeline ADAM, « L’épouse idéale », in Sandra Boehringer, Violaine Sebillotte Cuchet, op. cit., pp. 123-125. 3 Danielle GOUREVITCH et Marie-Thérèse RAEPSAET-CHARLIER, op. cit., p. 77. 4 Ibid., p. 65.

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Chapitre 4

LA RELIGION COMME FACTEUR DE DISCRIMINATION ENVERS LES FEMMES

Le christianisme et l’islam n’échappent pas à la critique, par rapport au statut de la femme. On dit de ces deux religions qu’elles sont à caractère patriarcal. Comme telles, et à cause de leur visée universelle, elles auraient contribué à répandre dans diverses sociétés une image infantilisante et dévalorisante de la femme à partir d’interprétations de textes inspirés, qui ne reconnaissaient pas à la femme d’avoir été créée à l’égale de l’homme. La femme, selon ces interprétations, aurait été donnée par le Créateur en complément de l’homme comme une aide dont il prendrait néanmoins soin. On peut admettre qu’il s’agit de faux procès faits à l’Islam et au Christianisme, si l’on se réfère à l’analyse exégétique des textes en cause. Mais les contextes de leur réception et de leur interprétation semblent avoir contribué à faire dire aux textes sacrés ce qui ne fut probablement pas l’intention de leurs auteurs. L’islam et le statut de la femme Le statut de la femme dans l’Islam est sans équivoque, qu’on en discute avec des croyants cultivés, ou qu’on en parle avec des croyants modestes, tous affirmant ne s’en tenir qu’au Coran. Il est tout à fait vrai que la vie spirituelle et temporelle du croyant musulman est régie par le Coran qui 107

est la Révélation de la loi de Dieu par le Prophète. Mais, historiquement, le Coran, à lui tout seul, n’a pas constitué une source suffisante pour rythmer la vie spirituelle et sociale du croyant musulman. Il a été complété par d’autres sources. Selon Roger Arnaldez, « la plus importante de ces autres sources est celle que forment des traditions recueillies et réunies en volumes : les hadîth, qui rapportent une parole, une action voire un silence du Prophète, ainsi que les propos et les conduites de ses compagnons, des "suivants" de ses compagnons, ou des "suivants des suivants", considérés comme témoins crédibles de l’enseignement oral de Muhammad1 ». Ces autres sources ont enrichi les explications souvent brèves, ou même inexistantes, sur les questions de foi ou de pratiques sociales. Elles ont, de fait, accompagné « les règles coraniques et prophétiques » d’une société à une autre, d’une époque à une autre. Le consensus autour d’une interprétation donnée pouvait également constituer une source légitime et donner lieu à diverses autres interprétations selon les communautés et les écoles. C’est ainsi que « le sort de la femme variera selon qu’on se trouve dans un pays du monde musulman régi par le mâlékisme, le shâffisme, le hanéfîsme ou le hanbalisme2 ». Sur le plan religieux, le Coran admet une parfaite égalité entre l’homme et la femme, entre le croyant et la croyante. Il est en effet écrit : « les croyants et les croyantes sont amis les uns des autres. Ils commandent le bien et interdisent le mal. Ils accomplissent la prière et donnent l’aumône. Ils obéissent à Dieu et à son Envoyé » (9, 71-72). Il n’est nullement fait allusion à une quelconque différence, encore moins à une infériorité de la femme.

1

Roger ARNALDEZ, « Statut juridique et sociologique de la femme en Islam », in: Cahiers de civilisation médiévale, 20e année (n°7879), avril-septembre 1977, p. 131. 2 Ibid.

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Selon Roger Arnaldez, il faut être attentif à un autre verset, qui dit ceci : « Les musulmans et les musulmanes, les croyants et les croyantes, ceux et celles qui prient avec ferveur, ceux et celles qui sont véridiques, ceux et celles qui craignent Dieu, ceux et celles qui supportent avec patience, ceux et celles qui font acte d’humilité, ceux et celles qui font l’aumône, ceux et celles qui jeûnent, ceux et celles qui gardent leur chasteté, ceux et celles qui se souviennent fréquemment de Dieu, Dieu leur a préparé un pardon et une énorme rétribution » (33, 35). Là également, il s’agit de « ceux » et de « celles », sans une autre forme de distinction. Malheureusement, il apparaît que les commentateurs n’utilisent que des mots masculins pour expliquer le texte. Il s’agit, semble-t-il, d’une tendance à la déformation et à l’atténuation de ce qui était en faveur des femmes, qui s’est accentuée progressivement après la mort du Prophète. Ceci, pour dire que le Coran et le Prophète ne briment nullement la femme envers qui il est mentionné une vraie attention et une protection contre certaines coutumes dans des familles patrilinéaires de l’époque. Même si toute la tradition antéislamique n’était pas remise en cause, ses conséquences sur bien des aspects n’étaient plus les mêmes. Il en était ainsi des pratiques de la dot, de la polygamie et de la répudiation. La dot allait dorénavant être remise par l’homme à la femme qu’il épousait, comme un don et non plus comme son prix d’achat aux parents de celle-ci. Quant à la polygamie, elle allait finir par être réglementée à quatre épouses, entre lesquelles il est exigé une stricte justice de la part du mari. La répudiation finit par être déconseillée. Mais si elle avait lieu, il était demandé de reconnaître à la femme et de lui garantir ses droits, pour qu’elle ait de quoi vivre pour un temps. En fin de compte, si la femme est tirée de l’homme (30, 21), ce n’est pas une cause d’infériorité, parce qu’il y a entre

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eux ce que Dieu y a mis, à savoir l’amour et la compassion. La femme doit être épanouie dans le mariage. Il y a cependant dans le Coran des sentences redoutables à l’égard des femmes, lorsqu’elles viennent à commettre des fautes : « quant à celles de vos femmes qui se livrent à la turpitude (al-fâhisha), faites témoigner contre elles quatre d’entre vous. S’ils portent témoignage, retenez ces femmes dans vos demeures jusqu’à ce que la mort les rappelle ou que Dieu leur offre une voie » (4, 15). Certains commentateurs expliquent la sévérité de ce verset par le fait que, malgré une situation largement favorable aux femmes, elles doivent être rappelées à la modération et au sens de leurs devoirs dans le mariage. Mais l’on a surtout prétendu lire la subordination de la femme en s’appuyant sur le verset 4, 34 : « les hommes ont autorité (ils sont qawwâmûn) sur les femmes, du fait que Dieu place les uns au-dessus des autres (faddala bà'dahum 'alâ ba'd) et en raison de la dépense qu’ils font de leurs biens... Celles dont vous redoutez l’indocilité (nushûz), admonestezles, reléguez-les dans leurs chambres à coucher, battez-les ». On aurait prétendu à cette supériorité de l’homme en référence, semble-t-il, au fait que l’homme, comme chef de famille, doit pourvoir à tous les besoins de la famille. Il est, de ce fait, astreint à des obligations. En conséquence, il lui revient de détenir l’autorité. Au verset sus cité, il faut ajouter un autre (2, 228) : « quant à elles, elles ont des droits équivalents à leurs obligations. Mais les hommes ont un degré au-dessus d’elles ». Selon Roger Arnaldez, il ne s’agit pas d’une supériorité qualitative, mais plutôt quantitative : « ils font plus de travaux ; ils ont plus de dépenses à faire. Cette différence quantitative se retrouve dans l’héritage1 ». Malgré une situation globalement favorable à la femme dans le Coran, et qui est précisée par les commentateurs, elle reste, selon les coutumes locales et les structures sociales, 1

Ibid., p.137.

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confinée dans un rôle de maîtresse de maison et d’éducatrice des enfants. Elle est de ce fait interdite de tout travail rémunéré à l’extérieur de la maison. Elle ne peut, par conséquent, accéder à des activités politiques et économiques. La femme, épouse, est destinée à enfanter. Le but du mariage, c’est la procréation. Comme l’a bien souligné Rochdy Alili, « le mariage procréateur est considéré en islam comme une obligation quasi religieuse1 ». C’est pourquoi la femme, comme mère, doit être vénérée par ses enfants. Toujours est-il que le développement de l’islam a rencontré une situation de la femme considérée comme étant inférieure à l’homme dans différents contextes, qu’il n’a pas pu dépasser. Pour sûr, « les sociétés où l’islam s’est répandu ont souvent eu beaucoup de mal à adopter les usages coraniques. En effet, ce qui a été reçu du message du Coran par les cultures auxquelles il s’imposait ne fut pas ce qui rompait avec les usages en place et permettait plus de liberté, mais ce qui entérinait – ou semblait entériner – ces usages. Ainsi, la Révélation avait-elle ouvert la voie d’une limitation de l’extrême violence qui présidait aux rapports entre sexes, entre les groupes, entre les individus, parfois en pure perte2 ». Le rôle des juristes a été, entre autres et malheureusement, de légitimer des coutumes sociales qui avaient été adoptées au premier siècle de l’Hégire, et qu’ils ont fait entrer sous la législation divine. Pour Roger Arnaldez, « les mœurs d’une époque ont ainsi été fixées pour l’éternité. Les modes de vie des femmes, admis au VII ou au VIIIe siècle de l’ère chrétienne, sont devenus des règles inviolables de vie. De là vient en grande partie le drame actuel de l’islam. Les écoles juridiques qui ont le plus étendu la Loi divine en y faisant entrer les pratiques de leur temps ou une réglementation

1

Rochdy ALILI, Qu’est-ce que l’islam ? Paris, Éditions La Découverte, 1996, p. 114. 2 Ibid., p.115.

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exigée par la civilisation de leur temps sont celles qui sont pour les femmes, en particulier, les plus oppressives1 ». Finalement, le statut de la femme dans l’islam, qui varie d’un pays à l’autre, « particulièrement en fonction des écoles juridiques qui y sont reconnues et dont les règles sont appliquées2 », n’est pas à relier systématiquement au Coran ni à l’enseignement du Prophète. Il s’agit de conceptions androcentriques qui ont prévalu dans des sociétés antéislamiques et qui ont été relayées par certains commentateurs et juristes, non seulement en utilisant le canal de l’islam, mais en en faisant même une justification. Le statut de la femme dans le christianisme La communauté ecclésiale n’est pas sortie de nulle part. C’est au cœur d’Israël qu’elle a germé. Elle est née d’un mouvement de réforme initié par Jésus de Nazareth. Ce Jésus historique conteste l’image de Dieu et de la personne humaine défendue par les autorités religieuses de son temps, ainsi que leur interprétation de la Loi qu’ils imposent comme un lourd fardeau à leurs compatriotes. C’est là que les paroles du Christ opèrent ce que Michel Henry appelle la « décomposition du monde humain » et le « bouleversement de la condition humaine3 ». De fait, le Christ appelle à une nouvelle naissance tous les hommes et toutes les femmes, à commencer par les chefs religieux de son époque qui pensaient « détenir » Dieu et parler et agir « saintement » en son nom. Cette nouvelle naissance n’est possible que par l’accueil des paroles du Christ, parce que celles-ci constituent un « ferment explosif de mise en question de toute chose au nom de la vérité qui est Jésus Christ, au nom de

1

Roger ARNALDEZ, op. cit., p. 140. Ibid. 3 Michel HENRY, op. cit., pp. 29-52. 2

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l’Incarnation1 ». L’humanisme et la sagesse humaine sont dépassés et deviennent la cible de critiques violentes dans le discours du Christ : « Vous avez appris qu’il a été dit… Et bien moi je vous dis… » (Mt. 5, 43-48). Tout ceci montre que, dans son rapport au Christ, le christianisme est une « religion fondée ». Elle a donc une origine. Elle naît d’un personnage et d’un message « qui ne fondent pas l’ordre établi, mais introduisent une vision nouvelle de l’homme dans le monde et des relations humaines ainsi qu’une nouvelle manière de vivre et fondent par là une communauté nouvelle 2 ». L’Évangile, comme accomplissement des prophètes et de la Loi, c’est-à-dire comme Bonne Nouvelle, suffit alors à prouver que les temps sont accomplis. Les prises de position de Jésus en faveur des pauvres et des petits, pour les défendre de l’oppression des lois juives, montrent clairement que si la prophétie d’Isaïe s’accomplit en lui (Lc 4, 14, 22), c’est pour tous les hommes et toutes les femmes, en particulier les petits, les pauvres, les sans-grade, les esclaves, les prisonniers et tous les exclus. La situation particulière de la femme en faisait, dans ce cas, une exclue. La Parole du Christ témoigne d’une espérance libératrice qui ne contredit en rien le désir d’humanité, de liberté et de vie heureuse qui habite le cœur de toute personne. Au contraire, cette espérance valorise la vie des femmes et des hommes en investissant toutes ses dimensions qu’elle renouvelle pour leur conférer un sens nouveau. La Parole du Christ est pour ainsi dire une parole de grâce et de salut. C’est pourquoi la place qu’occupent les femmes dans l’annonce du mystère du Christ n’autorise guère à prétendre que leur infériorité soit approuvée par le Rédempteur.

1

Jacques ELLUL, La subversion du christianisme, Paris, La Table ronde, 2001, p. 65. 2 Maurice VIDAL, À quoi sert l’Église, Paris, Bayard, 2008, p. 32.

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Avec le Dieu de Jésus-Christ, il est ainsi possible d’entonner l’hymne de la liberté en tant que lieu d’enracinement de la vie nouvelle dans le Christ. Conséquemment, selon le dominicain Sibde Semporé, une personne ne peut être libre d’une liberté infinie que dans le « ventre de Dieu », là où se trouve l’abondance de la vie et du pardon. On n’invente pas la liberté. Chaque homme et chaque femme ne peut que la recevoir du Créateur, parce que tout acte de liberté doit soutenir notre désir d’humanité qui est un don de la grâce créatrice de Dieu. Notre liberté ne peut grandir et s’épanouir que dans la fidélité à l’amour de Dieu. L’homme ne devient ainsi véritablement libre qu’en accueillant la donation perpétuelle de Dieu manifestée en Jésus, lui qui est venu pour que les hommes aient la vie et qu’ils l’aient en abondance (Jn 10, 10). La liberté est le droit de faire tout ce que commande la loi d’amour de Dieu dans le mystère du Christ. Le christianisme est donc distinct en ses fondements, en sa foi et en son expression. Il est né du Judaïsme, mais affirme sa foi en JésusChrist, le Fils unique de Dieu, qui a souffert, qui est mort et qui est ressuscité. Et par là, assume une différence fondamentale avec le judaïsme qui y voit un scandale quand les païens parlent, eux, de folie (1Co 1, 23). Le christianisme est fondé sur une promesse de libération. Ce qui en fait une espérance pour les faibles, les petits, les pauvres et tous ceux qui peinent sous le poids d’un fardeau. Comment serait-on alors arrivé au détournement du prescrit évangélique sur la dignité humaine au point que l’Église soit accusée de misogynie, s’il est vrai qu’elle est à la fois chemin qui, par le Christ, mène à Dieu, et témoin privilégié de la vérité et de la vie en Dieu ? La grande interrogation D’où vient qu’il soit fait reproche au christianisme en général, et à l’Église catholique en particulier, d’avoir contribué à la subordination de la femme, après que le Christ 114

lui a rendu sa dignité et qu’il est mort et ressuscité pour que cette dignité-là soit sauve ? C’est à cette question que je vais tenter d’apporter quelques éléments de réponse. Aucune des nombreuses sources consultées sur la question de la femme ne relie le « problème » au Christ et aux Évangiles. Il ne me reste alors qu’à interroger quelques aspects de l’histoire du développement du christianisme, surtout à partir du IVe siècle, dans le sens de ce que Jacques Ellul appelle l’évangélisation de masse et de la naissance du moralisme dans l’Église. En dehors de toute considération de foi qui voudrait que Dieu ne soit pas étranger au cours des événements historiques, l’Église doit, pour le spécialiste profane, sa catholicité au pouvoir politique, jusqu’à devenir la religion de l’Empire au IVe siècle. Selon l’historienne Marie-Françoise Baslez, en considérant la nouveauté qu’apportait le christianisme dans l’histoire des religions, à savoir ses deux fondements que sont l’incarnation et la mort rédemptrice du Christ, Constantin a trouvé là l’inspiration d’une rupture et d’un changement politique. Il peut par conséquent nous apparaître aujourd’hui à la fois comme un stratège et comme un opportuniste. La religion chrétienne est de plus en plus tolérée et davantage visible. Comme le remarque Jacques Paul, « ce changement est, tout à la fois, imprévu et décisif, car la législation lui donne un caractère irrévocable1 ». On parlera alors de l’édit de Milan qui consacre la liberté religieuse en 313. Grâce à la sollicitude de Constantin, l’Église se trouve dans une situation inédite par rapport à certaines périodes de son histoire précédente. Un chemin d’entente semble la rapprocher du pouvoir impérial à l’intérieur duquel des conversions s’opèrent. Mais les élites politiques, sociales et les intellectuels qui ont adhéré à la foi dans l’Empire ont apporté avec elles, dans l’Église, un rituel 1 Jacques PAUL, Le christianisme occidental au Moyen Age. IVe - XVe siècles, Paris, Armand Colin, 2004, p. 61.

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social, c’est-à-dire un « esprit juridique romain », une « interprétation philosophique du monde grec », une « méthode d’action politique » et un ensemble d’intérêts1. En les accueillant, comme ils sont venus, avec leur poids culturel et leur imaginaire, l’Église, par cette forme d’inculturation, a littéralement abandonné ce que Jacques Ellul appelle le « radicalisme de Jésus et des prophètes ». Elle a ainsi donné l’impression d’avoir « adopté des coutumes et des croyances étrangères à l’Évangile2 ». Certains observateurs parlent alors de la paganisation de l’Église. Mais rien n’est si simple, car en vérité, « l’on ne peut pas annuler en un instant la structure mentale antérieure, les thèmes idéologiques de base, et la grille d’interprétation du monde et de la vie3 ». Ceci n’est possible qu’à la faveur « d’une triple mutation : la conversion profonde à la foi chrétienne, l’abandon, réciproque, de toutes les croyances antérieures, la transformation culturelle correspondante4 ». Ce qui n’a pas été le cas, au moins dans l’immédiat, parce qu’en réalité, la conversion n’est pas un simple renoncement. C’est une métanoïa, c’est-à-dire un retournement. Or, comme le souligne Olivier Clément, « le retournement n’est pas seulement un sentiment moral de culpabilité. C’est la conscience de mon désir irrassasiable, de ce désir qui est en moi comme un vide devenant appel, comme le creux d’une plénitude inconnue5 ». Malheureusement, certaines conversions de masse sont restées à une foi de masse vécue sans idéal, sans désir profond de s’élever, sans désir de « renaissance », sans engagement individuel. Le « problème » de la femme, pour qui tout vient à se compliquer dans l’Église à partir du IVe siècle, a sans aucun 1

Jacques ELLUL, op. cit., p. 37. Ibid., p. 38. 3 Ibid., p. 97. 4 Ibid. 5 Olivier CLÉMENT, op. cit., p. 23. 2

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doute emprunté le canal des coutumes juives apportées par des convertis juifs depuis le début, mais aussi et surtout par le canal des coutumes païennes, et a été amplifié par la survivance, chez les convertis, des imaginaires et des valeurs de conquête, de pouvoir et de domination de l’Empire. Il faut dire aussi que dans l’antique droit domestique romanohellénistique, la femme était, comme l’esclave, la propriété de l’homme et lui était soumise. Le christianisme, à partir du IVe siècle, n’a pas pu dépasser cette pratique païenne. Pour Edward Schillebeeckx, « trahissant la tendance fondamentale de l’esprit chrétien des origines directement issu de Jésus, le christianisme a, au bout d’un certain temps, adopté ce code domestique païen et l’a en outre, dans la suite, théologiquement légitimé1 ». Il faut également noter que l’un des problèmes auxquels l’Église doit faire face sur les chemins de son développement, c’est la question des mœurs légères et de l’immoralité dans certaines villes et communautés. Étant donné que cet immoralisme touchait principalement le domaine sexuel, c’est à celui-ci que s’est attaquée la réaction moralisante. La victime principale de cette réaction moralisante fut la femme, dont il faut dire que la situation globale était variable selon les régions, mais qui avait rétrogradé après l’écroulement de l’Empire2. Juste après ou longtemps plus tard, l’Église, dans des environnements plus ou moins patriarcaux, avait soutenu la prééminence absolue de l’homme par rapport à la femme en interprétant les signaux de la domination masculine. Mais on notera surtout l’ambiguïté créée par certains Pères de l’Église, Grecs comme Latins, et qui a eu pour conséquence de nourrir les imaginaires et d’accompagner des pratiques basées sur une interprétation des récits de la création et de Saint Paul défavorable à la femme. Jean Chrysostome, 1

Edward SCHILLEBEECKX, Plaidoyer pour le peuple de Dieu, op. cit., p. 263. 2 Jacques ELLUL, op. cit., pp. 114-116.

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Clément d’Alexandrie, Origène, Cyrille d’Alexandrie, Grégoire de Nysse, Grégoire de Nazianze, Basile de Césarée, Saint Ambroise, saint Augustin, saint Thomas d’Aquin, etc., furent de ces Pères dont l’exégèse de certains versets de la Bible n’a pas été favorable aux femmes. Et de nombreux théologiens, après eux, vont analyser cette même question de la femme, non pas en retournant prioritairement aux sources que sont les Écritures, à l’esprit et à la lettre de l’Évangile, mais en relayant des prises de position d’interprétation, probablement contextuelles, de ces Pères. La question de la femme et le tournant des Pères de l’Église C’est un fait que les sociétés auxquelles ont appartenu les Pères de l’Église, qu’ils soient grecs ou latins, ont été marquées par l’androcentrisme, c’est-à-dire par une vision sociale qui envisage le monde du point de vue des hommes et qui, dans un sens tout à fait clair, fait dépendre les femmes des hommes. Mais ce n’est pas par un détour social que les Pères abordent la question de la femme, mais plutôt en l’analysant pour savoir si la femme est, comme l’homme, à l’image de Dieu. Dans une étude très instructive1 que propose le théologien Hervé Legrand sur le thème, il montre qu’en réalité, la question est prédéterminée par l’interprétation rabbinique de la Genèse qui établit un lien entre l’image de Dieu et Adam qui fut le premier à être créé (Gn 1, 26-27). Il est vrai que la tradition rabbinique honore la femme dans son rôle d’épouse et de mère. Mais la femme n’est pas familière des lieux publics ni de la synagogue. Selon la loi juive, les femmes doivent observer la pureté liée à la 1

Hervé LEGRAND, « Les femmes sont-elles à l’image de Dieu de la même manière que les hommes ? Sondages dans les énoncés de quelques pères grecs », Nouvelle revue théologique, 2006/2 Tome 128, pp. 214-239.

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menstruation ; elles doivent prélever la pâte, quand elles font le pain ; elles doivent allumer les lumières du Shabbat, chaque vendredi soir. Dans le Talmud de Jérusalem, à propos du Shabbat, il est dit : « Elles perdent du sang parce qu’Ève a versé le sang d’Adam et introduit la mort dans le monde ; elles doivent prélever de la pâte parce qu’Adam était la pâte du monde ; enfin, il leur faut allumer les lumières du Shabbat parce qu’elles ont éteint la lumière du monde » (II, 6). Selon Hervé Legrand, la traduction de la Septante a en effet favorisé une telle interprétation dans l’Église, car elle dit d’Ève qu’elle est une aide qui est faite pour Adam, qui lui préexiste. C’est également très probablement cette ligne d’interprétation rabbinique qui a influencé Paul, quand il écrit que : « l’homme est l’image de la gloire de Dieu. Mais la femme est la gloire de l’homme. Car ce n’est pas l’homme qui a été tiré de la femme, mais la femme de l’homme. Et l’homme n’a pas été créé pour la femme, mais la femme pour l’homme » (1 Co 11, 7-9). On retrouve la même logique dans la lettre à Timothée où il dit explicitement que « c’est Adam en effet qui fut formé le premier. Ève ensuite. Ce n’est pas Adam qui fut séduit, mais c’est la femme qui, séduite, tomba dans la transgression » (1 Tm 3, 12-13). Le constat qui se dégage de ces interprétations, c’est qu’Ève n’est pas seulement coupable d’avoir été créée après Adam, mais aussi du fait d’avoir conduit l’homme dans la chute par la transgression. On arrive chez les Pères au refus du fait que la femme soit créée à l’image de Dieu au même titre que l’homme. Si l’argumentation des Pères varie selon les écoles1, et même s’il se trouve des Pères à considérer et à défendre que 1

Hervé Legrand évoque dans son article des Pères de la tradition antiochienne, comme Jean Chrysostome, de la tradition alexandrine, comme Clément d’Alexandrie, Origène et Cyrille d’Alexandrie, des Cappadociens, comme Grégoire de Nysse, Grégoire de Nazianze et Basile de Césarée.

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la femme est à l’image de Dieu de la même manière que l’homme, « ils se bornent à énoncer son statut coram Deo, dans le domaine sotériologique et eschatologique, mais n’en déduisent pas son égalité sociale ou ecclésiale avec l’homme1 ». Et Hervé Legrand ajoute que « la meilleure réflexion théologique des Pères grecs (ou latins !) ne les a pas conduits à dépasser l’androcentrisme inhérent à leur culture2 ». Les théologiens, qui s’en sont inspirés, établissent une analogie entre la création de la femme, issue de la côte d’Adam (Gn 2, 21-23), et la naissance de l’Église, née du côté ouvert du Christ en Croix. Le chapitre 3 du livre de la Genèse évoque la chute d’Adam et Ève. L’analyse biblique et théologique de celuici va porter sur la responsabilité de chacun, c’est-à-dire sur son degré de culpabilité. Mais le second des châtiments encourus par la femme ("tu seras sous la domination de l’homme" en Gn 3, 16), va nourrir la réflexion autour de la question de la femme. Comme chez les Pères grecs, les latins s’inspirent également de Saint Paul dont les positions sur le statut de la femme sont sans ambiguïté : la tête de la femme, c’est l’homme, comme le Christ l’est pour l’homme (Ép 5, 23 ; 1Co 11, 3), même si on retrouve en Galates 3, 28, un rappel du fait que dans le Christ, il n’y a plus de différence3. Saint Pierre va dans le sens de l’appel de Dieu qui ne fait pas de différence, lorsqu’il parle des femmes comme « cohéritières de la grâce de vie » (1 P 3, 1-7). Selon MarieThérèse d’Alverny, « dans les débuts du christianisme, l’égalité de la femme et de l’homme devant Dieu est affirmée ; mais c’est une égalité dans la vie spirituelle et non dans les coutumes des communautés ; cependant, la sujétion

1

Hervé LEGRAND, op. cit., p. 237. Ibid. 3 Il faudrait approfondir avec les spécialistes ce changement de ton de Saint Paul qui répond à différentes communautés 2

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de la femme devient un devoir accepté librement, et tempéré par l’amour et les égards qui lui sont dus1 ». Jean Paul II va plus loin dans la méditation de l’Épître aux Éphésiens, surtout en s’arrêtant aux concepts de « tête », de « chef », de « corps », de « soumission ». Pour lui, « l’auteur de l’Épître aux Éphésiens ne craint pas d’accueillir ces concepts qui étaient propres à la mentalité et aux mœurs de ce temps-là ; il ne craint pas de parler de la soumission de la femme au mari ; il ne craint pas, ensuite […], de recommander à la femme de « révérer son mari » (cf. 5, 33). En effet, il est certain que lorsque le mari et la femme seront soumis l’un à l’autre « dans la crainte du Christ, tout trouvera un juste équilibre, un équilibre tel qu’il corresponde à leur vocation chrétienne dans le mystère du Christ2 ». Les propos de Jean-Paul II, sans le revendiquer ouvertement, affirment une rupture dans l’interprétation du texte pour aujourd’hui, en évoquant ainsi, également la soumission du mari à sa femme en vue de trouver un juste équilibre dans le Christ. Saint Ambroise et saint Augustin en particulier ont eu une grande influence en Occident par rapport à leur interprétation de la Genèse. Pour saint Ambroise, la création de la femme était destinée à la propagation du genre humain, bien que sachant qu’elle provoquerait la chute. La femme n’a pas été digne d’avoir été créée dans le paradis en se laissant séduire pour ensuite séduire son mari qui se trouve être plus vertueux, puisqu’il a été créé hors du paradis. Saint Ambroise croit que « c’est par la femme qu’a débuté le mal, qu’a commencé le mensonge. C’est la femme qui a été pour l’homme l’agent de la faute, non l’homme pour la femme, ainsi que le dit Paul3 ». Il estime également que sur le plan de leur nature, l’homme est dans l’intelligence et la femme 1

Marie-Thérèse D’ALVERNY, op. cit., p. 108. Audience générale du 11 août 1982. Cf. Documentation catholique du 3 octobre 1982, p. 858. 3 Cité par Marie-Thérèse D’ALVERNY, op. cit.,, p. 108. 2

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dans la sensibilité. Non seulement comme le signe de la supériorité de l’homme, mais également comme le signe de l’inséparable union des deux, parce que la femme en tant que telle, est un adiutorium bonum pour l’homme, bien qu’un inferior adiutorium. C’est pourquoi, pour éviter l’erreur, la femme doit se tourner vers son mari et trouver protection dans son autorité. Saint Ambroise y voit même « la préfiguration de l’Église vers le Christ et de sa pieuse servitude au Verbe de Dieu, bien préférable à la liberté de ce monde1 ». Pour saint Augustin, la femme doit être dominée et gouvernée par l’homme. La femme a été faite comme une aide pour l’homme : il gouverne, elle obéit. Saint Augustin se réfère également à Paul et affirme que le chef de l’homme, c’est le Christ ; le chef de la femme, c’est l’homme. Mais saint Augustin estime aussi que l’union de l’homme et de la femme est voulue par Dieu en signe d’amour qui doit les unir. Comme saint Ambroise, il y voit un symbole sacré. Ève, formée de la côte d’Adam, préfigure l’Église naissant du côté du Christ en croix. Du point de vue de la responsabilité de chacun dans la chute, Augustin les tient tous deux pour coupables, puisque l’homme n’a pas fait usage de sa raison. La femme est donc punie pour la faute et non par nature. Le fait que l’homme gouverne est une sentence divine de la faute. Il est rapporté également des commentaires de saint Jérôme, à partir de l’Ecclésiaste 7, 26-27, qui estime que la femme est un piège, et qu’elle est plus amère que la mort. Pour lui, « la femme est le principe de tous les maux ; c’est par elle que la mort est entrée dans le monde ; elle capture les âmes précieuses des hommes. Lorsqu’elle envahit l’esprit de son amant infortuné, elle l’entraine, sans le laisser même regarder où il marche, et enchaîne le cœur de l’adolescent dans ses filets. Si Salomon a ainsi parlé des femmes, ce n’est pas à la légère, mais

1

Marie-Thérèse D’ALVERNY, op. cit., p. 109.

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d’expérience ; c’est parce qu’il s’est laissé prendre par les femmes qu’il a offensé Dieu1 ». La pensée de certains Pères de l’Église sur la femme, comme je viens de le montrer, n’est pas anodine. En référence à leur autorité théologique et intellectuelle, elle apporte un éclairage majeur sur le débat actuel sur l’égalité entre l’homme et la femme. Elle aide à la compréhension de ce qu’Edward Schilebeeckx appelle la légitimation théologique de la « violence structurelle » que subissent les femmes. La figure d’Ève chez les Pères, révèle la façon dont nos imaginaires sur la femme – au moins dans la civilisation judéo-chrétienne, sinon dans toutes les civilisations qui décrivent le péché et la souffrance humaine en lien avec une femme mythique qui en est la cause –, se sont construites en faisant de la femme le bouc émissaire de la déchéance et du drame humains. Ce qui est inquiétant, c’est que cette chute d’Adam et Ève, dont il est dit qu’Ève fut la première responsable, ait des conséquences ciblées sur leur descendance féminine, de telle manière que toutes les femmes se retrouvent coupables du péché d’Ève et en subissent les conséquences bibliques, qui auraient manifestement une portée sociale. Peut-on vraiment considérer que l’écrivain sacré ait voulu nous dire de la part de Dieu que l’humanité de la femme était possible, mais à condition de ne la concevoir que comme une humanité de seconde zone ? C’est peut-être le lieu, pour nous chrétiens, de nous interroger sur ce que Dieu nous dit de la femme à partir d’une lecture chrétienne et évangélique de la Genèse, parce que, tout compte fait, il y a quand même entre la Genèse et nous, Jésus Christ ! Et ce n’est pas rien. Il devient très injuste, dans ce sens, de séparer l’Ancien et le Nouveau Testament à propos de la femme. Si comme le dit Hans Urs Von Balthasar Balthasar, Jésus est la clé de l’interprétation de la création et de Dieu, il y a très précisément à se demander la façon dont il accomplit la Genèse pour lui donner son véritable sens. En réalité, « dans la 1

Ibid., p. 110.

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vie du Christ, l’Ancien Testament est caché, mais véritablement représenté avec la Nouvelle Loi1 ». Pourquoi les Pères, au moins dans les commentaires de la Genèse qui accablent Ève, ne font-ils pas allusion par exemple à Marie-Madeleine et aux autres femmes qui sont messagères de la Bonne Nouvelle de la Résurrection du Christ, comme d’un contrepoids à la faute d’Ève qui a désobéi ? Cela n’élimine pas la faute d’Ève, mais aide à comprendre que, comme l’affirme Gilbert Durand, « tout mythème est gros d’une hérésie : tout mythème est capable d’être privilégié jusqu’au "contresens" 2 ». Si Jésus accomplit l’histoire par sa vie, et si cette dernière se présente comme « la plénitude de l’histoire », c’est dire qu’elle devient, selon Hans Urs Von Balthasar, « la norme de toute vie historique, et par conséquent de toute histoire3 ». Clairement dit, « si l’histoire humaine concourt à une vraie humanisation, elle se fait l’histoire salvifique de Dieu4 ». Et cela ne peut se faire que par l’accomplissement des Écritures par Jésus, c’està-dire en allant jusqu’à créer, là où cela s’avère nécessaire, soit un « contrepoids », soit un « contresens ». Tout cela aide à saisir le sens qu’il faut accorder à la permanence du mythe dans les changements de l’histoire5. En réalité, l’histoire, comme le dit Gilbert Durand, c’est l’adaptation de la nature humaine, en tant que structures anthropologiques de l’imaginaire, aux événements des environnements naturel ou inter-humain. Le mythe est un récit. L’histoire aussi est un récit. Et le récit est une forme de 1

Hans Urs VON BALTHASAR, Théologie de l’histoire, Paris, Parole et Silence, 2016, p. 80. 2 Gilbert DURAND, « Permanence du mythe et changement de l’histoire », in Cahiers de l’Hermétisme, Le mythe et le mythique, Colloque de Cerisy, Paris, Albin Michel, 1987, p. 20. 3 Hans Urs VON BALTHASAR, op. cit., p. 22. 4 Edward SCHILLEBEECKX, La politique n’est pas tout, op. cit., p. 25. 5 Gilbert DURAND, « Permanence du mythe et changement de l’histoire », op. cit., p. 17

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représentation de l’existence humaine. Il représente également cette existence humaine, lorsqu’elle vient à s’ouvrir à la réalité divine. C’est pourquoi, pour Jerome Bruner, « la "mission" du récit est de résoudre l’inattendu, d’apaiser le doute de l’auditeur ou, d’une certaine manière, de redresser ou d’expliquer le "déséquilibre" qui a porté l’histoire racontée au premier plan. Une histoire a, de ce fait, deux aspects : une séquence d’événements et une évaluation implicite des événements racontés1 ». Si le discours de foi qui s’appuie sur les Écritures a une signification propre, qui mérite qu’il soit raconté et entendu, c’est dire qu’il est fait pour « affronter » l’extérieur. Et c’est dans cet extérieur, aux discours multiples, qu’il doit devenir signifiant. Le défi ici est alors de traduire le discours de foi, audelà du contexte qui l’a produit, en des termes qui le valident comme une façon singulière de comprendre le monde et de l’habiter, selon le projet de Dieu. Comme je l’ai déjà noté plus haut, ce ne sont pourtant pas les femmes très inspirantes qui manquent dans la tradition biblique (Sarah, Esther, Déborah, Phoebe, Priscille, etc.). Marie, la mère de Jésus représente même le contrepoids au Mal. Comme l’écrit Proclius de Constantinople, « par Marie, toutes les femmes sont bienheureuses. La femelle n’est pas maudite, car sa race a obtenu de quoi surpasser même les anges en gloire. Maintenant, Ève est guérie…2 ». Dieu n’a donc pas attendu la fin du monde pour régler ses comptes aux femmes, mais il oppose à la faute d’Ève, Marie qui est « le fruit le plus excellent de la Rédemption » en vertu des mérites de son Fils3. Dans la conception immaculée de Marie, le Saint-Esprit la pétrit et la forme comme une nouvelle créature4, il en fait son sanctuaire5 1

Jerome BRUNER, L’Éducation, entrée dans la culture. Les problèmes de l’école à la lumière de la psychologie culturelle, Paris, Retz, 1996, p. 152. 2 Cité par Jacques Gonnet, op. cit., p. 33. 3 Vatican II, Sacrosanctum concilium, n°103. 4 VaticanII, Lumen Gentium, n°56. 5 Ibid., n°53.

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en se posant sur elle à l’aube de son existence1. Associée généreuse2 de son Fils dans son œuvre de Rédemption, Marie est le disciple fidèle qui écoute sa parole et qui la garde dans son cœur (Lc 2, 19, 51). Par sa vie et son obéissance à cette parole, Marie revalorise la dignité humaine bafouée dans la désobéissance. Cela fonde la vérité selon laquelle la femme n’est en rien la part douloureuse et inférieure de notre humanité. Au plus haut point que cela représente, Marie est devenue, pour toutes les femmes et pour tous les hommes, le modèle parfait de foi (Je suis la servante du Seigneur ; que tout se passe pour moi selon ce que tu as dit) ; d’Action de grâce (mon âme exalte le Seigneur) ; d’émerveillement (le Seigneur fit pour moi des merveilles) ; de persévérance (elle gardait tous ces événements dans son cœur et les méditait) ; d’humilité (il s’est penché sur son humble servante). Voilà qui trace un chemin de libération et de liberté, non seulement pour les femmes, mais également pour les hommes. Si les Pères ont eu une influence considérable sur nos imaginaires par leur commentaire de la Genèse et de saint Paul, c’est surtout à travers les travaux de théologiens et de commentateurs biblistes qui s’en sont inspirés, à partir du Moyen-âge. Mais dans ce cas précis, malgré leur sainteté et leur valeur estimable, la Parole de Dieu interprétée ici, dans un contexte patriarcal et androcentrique est, comme le dit Hans Urs Von Balthasar, « parole divine et humaine tout ensemble ». Actualisons la question, et voyons dans le chapitre suivant, la façon dont se pose désormais la question de la femme dans l’Église, et les évolutions depuis le Concile Vatican II.

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Académie Mariale Pontificale Internationale, La Mère du Seigneur, Paris, Salvator, 2005, p. 73. 2 Vatican II, Lumen Gentium, n° 61.

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Chapitre 5

LA QUESTION DE LA FEMME DANS L’ÉGLISE DEPUIS LE CONCILE VATICAN II ET DÉBATS ANNEXES

Le Concile Vatican II fut une grande chance pour l’Église. On pourrait brièvement situer son émergence au croisement d’au moins trois périodes, qui s’étendent sur plusieurs siècles. La première convoque ce qu’on pourrait appeler l’histoire politique de l’Église, favorisée par le constantinisme à partir du IVe siècle. Elle est marquée par le césaropapisme et par des théories théocratiques1. Le Concile Vatican II arrive comme un terme à cette conception « politique » de l’Église et de sa place dans le monde. La deuxième période est caractérisée par plusieurs événements, dont l’invention de l’imprimerie, suivie des Lumières et de la Révolution française, qui marquent fortement l’Église catholique. Pour John O’Malley, « le Concile fut une tentative de guérir certains aspects de l’histoire de l’Église de cette période et de se dégager du poids résiduel de son passé2 ». La troisième période a trait à tout ce qui touche à la Seconde Guerre mondiale, à la Guerre froide et toute la période préconciliaire avec, par exemple, les indépendances 1

Francis BARBEY, L’Église et la politique en Afrique. Éléments de réflexion pour dédramatiser le débat, Paris, L’Harmattan, 2009. 2 John W. O’MALLEY, L’événement Vatican II, Bruxelles, Éditions Lessius, 2011, p. 15.

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dans les colonies. Le Concile espérait ainsi contribuer à la Paix universelle et à une civilisation de l’amour entre les hommes. Tout cela explique l’exhaustivité des thèmes abordés par les Pères conciliaires. Des seize documents promulgués par le pape Paul VI, quatre peuvent être théoriquement considérés comme « les plus élevés en dignité ». Ce sont les « constitutions » : Sacrosanctum Concilium, sur la liturgie ; Lumen Gentium, sur l’Église ; Dei Verbum, sur la Révélation divine et Gaudium et spes, sur la place de l’Église dans le monde moderne. Tous les autres documents du Concile devraient donc se lire à la lumière de ces quatre constitutions. Dans le sens de l’aggiornamento1, c’est-à-dire d’actualisation, le Concile Vatican II constitue un repère incontournable d’appréciation et d’orientation de la vie de l’Église dans le monde actuel. Benoit XVI y a vu « un authentique signe de Dieu pour notre temps2 ». Le Concile Vatican II, une chance pour les femmes Le Concile reconnaît l’égalité essentielle des personnes. Bien qu’il en soit ainsi, il souligne l’inégalité qui peut exister sur le plan des capacités physiques, intellectuelles et morales, sans que ce soit lié forcément au sexe. C’est pourquoi le Concile affirme que « toute forme de discrimination touchant les droits fondamentaux de la personne, qu’elle soit sociale ou culturelle, qu’elle soit fondée sur le sexe, la race, la couleur de la peau, la condition sociale, la langue ou la religion, doit être dépassée et éliminée, comme contraire au dessein de Dieu3 ». Le ton était donné et il se voulait 1

Terme utilisé par le pape Jean XXIII mais qui reste très marginal quant à son utilisation dans les documents du Concile où il n’y a aucune confrontation entre un passé révolu et un présent teinté de modernité. Cf. John W. O’Malley, Ibid., pp. 22-23. 2 Benoît XVI aux catholiques réunis à Lourdes pour les 50 ans de Vatican II. 3 Vatican II, Gaudium et spes, 29, § 2.

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clair1.Tous les documents qui suivront sur la dignité humaine et sur les droits des femmes2 iront dans ce sens. Il faut ainsi éviter de transposer dans le contexte d’aujourd’hui des situations du passé, comme la preuve irréfutable du fait que l’Église est une institution misogyne. La notion de progrès qui touche à toute organisation et à tout corps concerne également l’Église, et on ne peut pas continuer à lui faire de faux procès, en superposant les situations et les époques. Car, il faut bien le dire, malgré une histoire de l’Église qui peut être lue globalement comme une histoire d’hommes, parce qu’elle est marquée par un réel androcentrisme, on ne peut pas nier toutes les initiatives ecclésiales ou isolées, qui s’efforcent de dépasser et d’éliminer toute discrimination qui porterait atteinte aux droits de la femme, en tant que d’égale dignité avec l’homme. De ce point de vue, autant j’ai apprécié l’ouvrage d’Anna Soupa qui alerte, à sa façon, sur le fait qu’il y a un problème sur la question de la femme dans l’Église, autant j’estime que tout n’est pas bon à prendre dans son argumentation ! Il est vrai que tous les sujets qu’elle aborde sont presque les mêmes qui mobilisent les féministes. Mais l’Église les analyse en y mettant des nuances. Parler du célibat des prêtres, ce n’est pas la même chose que de parler de l’avortement ou de l’homosexualité. Ce sont en réalité des thèmes que l’Église connaît très bien, puisque ce sont les mêmes thèmes sur lesquels on proclame sa supposée ringardise. Des thèmes sur lesquels elle s’est déjà prononcée, mais dont on trouve la réponse insatisfaisante, parce qu’elle ne va pas dans le sens des mouvements féministes et de la modernité.

1

Avec ce Concile, il n’est plus nécessaire, à moins d’une étude spécifique ou comparative, d’interroger les autres Conciles sur la place de la femme dans l’Église. 2 Voir par exemple La lettre apostolique Mulieris Dignitatem de JeanPaul II en 1988, et sa Lettre aux femmes du 29 juin 1995.

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Je veux être clair ici. Je ne dis pas qu’il n’y a pas de problème concernant la femme dans l’Église. Et que des femmes, comme Anne Soupa, auraient eu tort de vouloir tisser, comme le dit Edward Schillebeeckx, « une sororité entre toutes les femmes du monde qui, d’une manière ou d’une autre, sont opprimées par la société et par l’Église1 ». Je dis que depuis le Concile Vatican II, on ne peut pas dire que l’Église ait fermé la porte de la question de la femme. On peut constater des lenteurs ici et là, et même des oppositions chez certains clercs et dans certaines Églises particulières. Il faut en rechercher les causes. Mais il est impossible de faire croire que les textes de l’Église continuent de minorer la femme et de la réduire exclusivement à une fonction procréatrice. Et puis, on le voit bien, le discours sur le genre, qui peut être sur certains aspects un discours audible et digne d’intérêt, s’est accommodé, au long des années, d’idéologies subtiles et perverses, qui sont de nature à contredire la doctrine et la morale de l’Église. Il est donc essentiel de ne pas se tromper de lieu de débat ni d’objet. L’Église n’est pas une institution idéologique. Elle ne saurait donc être perméable à tous les discours qui plaisent à leurs énonciateurs. Avec le Concile Vatican II, on voit bien que l’Église a en elle-même les moyens spirituels, moraux, intellectuels et pastoraux pour apprécier ce qui lui convient dans le sens de sa mission dans le monde, de son expertise en humanité et de son engagement au service de la dignité de l’homme et de la femme. Les débats annexes et les craintes de l’Église Qu’on fasse reproche à l’Église de ne pas avoir suffisamment travaillé à une transparence communicationnelle à propos du statut de la femme et de sa place dans des postes 1

Edward SCHILLEBEECKX, Plaidoyer pour le peuple de Dieu, op. cit., p. 263.

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de décisions est acceptable. Mais lui reprocher d’être prudente et d’en appeler à la clarté dans la formulation des revendications féministes en son sein n’est pas recevable. Si l’Église est dite mère, elle a le droit de revendiquer de l’être jusqu’au bout, comme dans toute œuvre éducative parentale qui demande certes de l’amour, de la confiance, du respect, mais aussi du discernement, de la prudence et quelquefois un refus mesuré et expliqué. Ce n’est pas tout à fait insensé de la part de l’Église d’exprimer des craintes et des réserves face aux jeux de mots et aux subtilités des revendications souvent confuses des mouvements d’un féminisme dont on a du mal à voir la limite, parce qu’il se veut à la fois radical, agressif et anti-homme. C’est dans ce sens qu’il faut comprendre la réaction des responsables de la Congrégation pour la doctrine de la foi dans le document intitulé : Lettre aux évêques de l’Église catholique sur la collaboration de l’homme et de la femme dans l’Église et dans le monde1. Je voudrais rapporter ici, pour le lecteur, le même passage cité par Anne Soupa dans son ouvrage déjà évoqué plus haut. Il s’agit de faire entendre de nouveau ce qui fait la préoccupation de l’Église : Ces dernières années, on a vu s’affirmer des tendances nouvelles pour affronter la question de la femme. Une première tendance souligne fortement la condition de subordination de la femme, dans le but de susciter une attitude de contestation. La femme, pour être ellemême, s’érige en rivale de l’homme […] Une deuxième tendance apparaît dans le sillage de la première. Pour éviter toute suprématie de l’un ou de l’autre sexe, on tend à gommer leurs 1

Joseph RATZINGER et Angelo AMATO, Lettre aux évêques de l’Église catholique sur la collaboration de l’homme et de la femme dans l’Église et dans le monde, 2004.

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différences, considérées comme de simples effets d’un conditionnement historique et culturel. Dans ce nivelage, la différence corporelle, appelée sexe, est minimisée, tandis que la dimension purement culturelle, appelée genre, est soulignée au maximum et considérée comme primordiale. L’occultation de la différence ou de la dualité des sexes a des conséquences énormes à divers niveaux. Une telle anthropologie, qui entendait favoriser les visées égalitaires pour la femme, en la libérant de tout déterminisme biologique, a inspiré en réalité des idéologies qui promeuvent, par exemple, la mise en question de la famille, par nature bi-parentale, c’est-àdire composée d’un père et d’une mère, ainsi que la mise sur le même plan de l’homosexualité et de l’hétérosexualité, un modèle de sexualité polymorphe.

Le commentaire qu’Anna Soupa fait de ce texte est qu’il est « dur envers la contestation des femmes, accusée de saper les fondements de la famille » et que « pour le Vatican les "visées égalitaires pour la femme" ne seraient que le cheval de Troie de l’homosexualité1 ». En restant à ce niveau d’interprétation, j’ai bien peur qu’il s’installe un vrai quiproquo, et que le désir d’accuser l’Église de tous les péchés d’Israël ne soit plus fort que de chercher à comprendre ce qui l’inquiète dans la façon dont le débat se pose. Il faut arrêter cette prise à partie continue et médiatique de l’Église, comme si toutes ses prises de position en faveur de la dignité humaine n’étaient liées qu’au tempérament de ceux qui la dirigent, ou même comme si les « prophètes » et les 1

Anne SOUPA, op. cit., p.107.

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vrais connaisseurs de l’Église n’étaient que du côté de ceux qui ont « l’esprit de critique », c’est-à-dire ceux que tout discours de l’Église sur les questions de société, agace. Le texte n’accuse pas les femmes de quoi que ce soit. Il s’oppose au discours féministe, tel qu’il se présente dans le débat public actuel : idéologique et ambigu. La question égalitaire est devenue très idéologique et ne correspond plus à une revendication juste. Oui à l’égalité entre l’homme et la femme, mais non dans le sens d’inspirer une opposition entre nature et culture, pour finir par considérer que le fait d’être femme ou homme ou même hétérosexuel, par exemple, serait une invention culturelle. On passe d’une revendication majeure, face à la réalité objective d’inégalité des droits, à une idéologie d’indifférenciation des sexes. Tel que le débat se pose, y aurait-il des raisons de croire que l’Église devrait dire autre chose que ce qui est conforme à sa mission et à sa morale ? Simone de Beauvoir, dans Le deuxième sexe1, peut avoir dit qu’on ne naît ni femme ni homme, mais qu’on le devient. On peut le lui concéder, mais seulement dans le sens où l’on n’efface pas le lien qui existe, de ce point de vue, entre nature et culture, à savoir qu’en plus d’être né avec un sexe masculin ou féminin, donc naturellement comme homme ou femme, l’éducation nous apprend effectivement à l’être et à nous insérer socialement. La dualité des sexes attachée à l’existence humaine, donne à différentes cultures de garder un lien humain qu’il est impossible de remettre en cause sans renoncer à l’humanité commune qui est la nôtre. Dans ce sens, on peut dire que les cultures tiennent allumés des éclats de lumière venant de la nature, dans le sens de maintenir cette différence des sexes. Il ne s’agit nullement d’un réductionnisme. Le fait d’être né avec un sexe féminin ou masculin, donc comme femme ou homme, démontre naturellement que 1

Simone vol. II.

DE

BEAUVOIR, Le deuxième sexe, Paris, Gallimard, 1976,

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l’humanité est sexuée et que la différence sexuelle existe. C’est pourquoi il y a fort à parier que la plupart des femmes du monde ne se reconnaissent que très difficilement dans le discours des mouvements féministes occidentaux, parce qu’en réalité, ces autres femmes cherchent plutôt à s’accomplir en s’engageant à faire reconnaître leur dignité humaine et leurs droits humains, en tant que femmes, pour participer au progrès du genre humain. L’Église face aux « droits » sexuels de la femme On ne l’a que trop bien compris, les revendications de certains mouvements féministes, se rattachent à des implicites auxquels on souhaiterait que l’Église adhère en fermant les yeux. Si on reconnaît l’égalité, faudrait-il alors souscrire à une idéologie de la neutralité des sexes dans laquelle chacun choisirait son orientation sexuelle ? L’Église estime que cela ne correspond pas à son idée d’humanité et de liberté. Je m’explique. Le message essentiel de Masculin/ Féminin II de Françoise Héritier, par exemple, tourne autour de la victoire remportée par les femmes par l’acquisition du droit à la contraception. Le phénomène de la dépossession des femmes de leur pouvoir par les hommes – pouvoir dont les hommes se seraient aperçus qu’il concernait la survie du groupe, rendue possible par celles qui se reproduisent à l’identique et qui sont capables de reproduire des hommes aussi – initiait un vrai chemin de croix pour les femmes. Le moteur de la hiérarchie primitive était là : « dans l’appropriation de la fécondité et sa répartition entre les hommes1 ». Du coup, l’incapacité qui frappe l’homme dans l’impossibilité de se reproduire à l’identique, « assoit le destin de l’humanité féminine », par ce qu’on peut appeler ici un coup d’État. Clairement dit, on serait passé d’un gynécocentrisme certain à l’androcentrisme actuel. 1

Françoise HÉRITIER, Masculin/Féminin II, op. cit., p. 20.

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Voici comment, pour Françoise Héritier, « le destin de la femme aurait été scellé dès l’origine consciente, sur la base à la fois, d’une part de l’observation de la différence sexuée qui conditionne l’émergence pour la pensée des catégories binaires, hiérarchisées et valorisées parce qu’elles sont connotées respectivement des signes masculins et féminins, et d’autre part du fait que les hommes doivent passer par les femmes pour se reproduire à l’identique, ce qui implique l’appropriation et l’asservissement de ces dernières à cette tâche, et leur infériorisation1 ». Il ne restait plus aux femmes qu’une seule solution, et de loin la plus importante et la plus utile dans le combat pour la reconquête de leur prétendu pouvoir perdu : la contraception qui est l’outil stratégique pour dire à un homme, « non, tu n’auras personne à l’identique » qui prolongerait la souffrance des femmes ! Étant donné que c’est à cause de leur statut de reproductrices qu’elles auraient été mises sous tutelle, c’est donc en prenant leur liberté sur cette question qu’elles espèrent accéder à l’autonomie et à la dignité. Je voudrais revenir à ce qu’implique précisément pour Françoise Héritier le droit à la contraception, dont je ne cache pas que l’Église le tient en mésestime, dans les termes où ils sont posés. Et à juste titre ! Je donne la parole à Françoise Héritier : Le droit à la contraception, avec ce qu’il implique en amont – consentement, droit de choisir son conjoint, droit au divorce réglé par la loi et non simple répudiation, interdiction de donner en mariage des fillettes prépubères, etc., celui de disposer de son corps – constitue le levier essentiel parce qu’il agit au cœur même du lieu où la 1

Ibid., pp. 25-26.

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domination s’est produite. C’est la première marche : le reste, pour nécessaire et significatif qu’il soit – revendication de parité politique, d’égalité d’accès à l’enseignement, d’égalité professionnelle, salariale et de promotion dans l’entreprise, de respect dans les esprits et dans les mœurs, de partage des tâches, etc., ne peut avoir d’effet significatif et durable si cette première marche n’est pas gravie par toutes les femmes1.

L’idée centrale de tout cela, c’est que la femme dispose de son corps comme l’expression de sa liberté individuelle absolue. En permettant la contraception, la loi consacrerait cette liberté individuelle. Sans m’étendre là-dessus, je voudrais noter les subtilités qui sont contenues dans le droit de disposer de son corps, lorsqu’on veut être reconnu dans sa dignité humaine et ses droits humains. L’expression « disposer de son corps » ne s’arrête pas à ce qu’implique en amont le droit à la contraception tel que cela est présenté par Françoise Héritier. Cela implique, certes, la contraception, mais également et surtout tout ce qui est contenu dans le « etc. », et que je vais analyser plus loin. Je suis d’avis qu’il n’appartient pas aux hommes de régenter le corps des femmes et leur plaisir, sans que la réciproque ne soit objectivement possible et visible. En effet, dans l’histoire des sociétés, il apparaît clairement que les femmes ne sont pas maîtresses de leur propre corps, y compris de leur sexe. La domination masculine est passée par là. Non seulement la physiologie du sexe féminin fait que sa description échappe à la femme elle-même, mais en plus, il est interdit aux femmes d’en disposer à leur gré, si ce n’est pour le plaisir des hommes et la maternité. « L’humiliation, 1

Ibid., p. 26.

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l’irritation et la souffrance sont ainsi le prix à payer pour garantir au propriétaire du sexe d’une femme la jouissance exclusive de son territoire1 ». À Athènes, au IVe siècle av. J.C, avant que les femmes ne soient autorisées, sur leur propre revendication, à se porter secours pour l’accouchement, ce fut d’abord une prérogative masculine que d’assister une parturiente. Ce sont les hommes qui nomment le sexe de la femme et qui décrivent ce qu’il représente dans un corps féminin. Platon en parle comme d’un « être vivant possédé du désir de faire des enfants2 ». Même la France des Lumières n’a pas pu libérer la femme de cette domination masculine matérialisée par la ceinture de chasteté, « le pantalon de fer », que décrit Diderot : « cette ceinture est composée de deux lames de fer très flexibles assemblées en croix ; ces lames sont couvertes de velours. L’une fait le tour du corps, au-dessus des reins, l’autre passe entre les cuisses, et son extrémité vient rencontrer les deux extrémités de la première lame ; elles sont toutes trois réunies par un cadenas dont le mari seul a le secret3 ». La ceinture de chasteté blesse la chair et l’âme de la femme, mais rien n’y fait. Les femmes latines, à cause de la physiologie « assez particulière » de leur sexe, ne résisteraient nullement à se jeter dans les bras d’un homme. C’est ainsi qu’un époux, qui se préoccupe de la vertu de sa femme lui explique le bienfondé de la ceinture de chasteté : « si tu es vertueuse, tu ne t’en fâcheras pas ; dans le cas contraire, tu conviendras que c’est avec raison que je suis porté à agir de la sorte4 », c’està-dire à lui attacher une ceinture de chasteté. La ceinture est faite de chaînettes en or et constellée de pierres précieuses. 1

Diane DUCRET, op. cit., p. 59. Platon, Œuvres complètes, t. 10, Timée, Critias, texte établi et traduit par A. Rivaud, les Belles Lettres, 1925. 3 Cité par Diane Ducret, op. cit., p. 58. 4 Nicolas CHORIER, Dialogues de Luisa Sigea, cité par Diane Ducret, op. cit., p. 55. 2

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L’époux ajoute : « je te ferai donc honneur, tout en semblant te faire injure ». Rigoureusement dit, le contraire de la phrase est plus vrai dans ce cas précis, à savoir que « je te fais injure en semblant te faire honneur ». L’on voit aussi comment, même la modernité de nos sociétés actuelles, sur bien des aspects, définit des cadres et contribue, par un imaginaire figé sur l’infériorité supposée de la femme et des pratiques sociales douteuses, à insinuer qu’une femme est faite pour être sous la domination de l’homme, mais jamais son égale et à plus forte raison sa supérieure. La revendication de la femme de disposer désormais de son corps, dans des sociétés de plus en plus sensibles à la question de la dignité humaine et des droits humains, est donc recevable et doit être encouragée et soutenue. Mais au-delà de la nécessité de reconnaître à la femme ses droits humains, qui passent aussi par le droit de choisir son conjoint, de régler son divorce par la loi, de refuser le mariage de fillettes prépubères, de refuser que l’homme régente son sexe et son plaisir, le corps a une signification qui dépasse les seuls besoins de la personne qui l’incarne, qu’elle soit femme ou homme. En voulant contribuer à mettre des mots sur les maux de la femme pour réparer ou éviter des injustices, il faudrait peut-être éviter de nourrir des excès, pour ne pas que la question de la femme ne devienne plus clivante qu’elle ne l’a été. Le corps est le moyen de nous inscrire dans une communauté humaine et d’en assumer les interactions. La corporéité humaine nous rend présents aux autres comme nous le sommes à eux et nous permet de construire des significations dans notre environnement. C’est pourquoi la violence faite sur le corps d’autrui est punie par la loi. Même lorsqu’il est sans vie, le corps est honoré dans le souvenir de la dignité humaine de la personne qu’il fut. Si disposer de son corps, c’est le protéger contre les agressions de toute sorte, il s’agit alors d’une approche à promouvoir. Mais si 138

c’est dans le sens de l’offrir en pâture à toutes sortes de caprices de la liberté individuelle absolue, alors il me semble qu’il y a problème dans la compréhension du corps lui-même et de la liberté. Le corps a une signification sociale, et son usage ne peut pas seulement dépendre de ce que je veux en faire en tant que l’incarnant, sans que ne soit posée la question des conséquences sociales et morales sur la communauté. Dans certaines sociétés en Afrique, par exemple, dès la naissance ou au moment des cérémonies d’initiation, le corps est marqué par des scarifications qui établissent des signes d’appartenance à un groupe. Dans le sens de la foi chrétienne, saint Paul fonde une théologie du corps à partir de notre appartenance au Christ : « Ne le savez-vous pas ? Votre corps est un sanctuaire de l’Esprit Saint, lui qui est en vous et que vous avez reçu de Dieu ; vous ne vous appartenez plus à vous-mêmes, car vous avez été achetés à grand prix. Rendez donc gloire à Dieu dans votre corps » (1Co 6, 19-20). Il est impossible que l’Église saute à pieds joints par-dessus tout cela pour adhérer aux implicites de « disposer de son corps », comme l’entendent certains mouvements féministes occidentaux. Si le fait de « disposer de son corps » expose le corps de la femme à des « blessures » volontaires, comme par exemple dans des sociétés de l’image et des écrans de plus en plus érotiques, sous le prétexte de liberté et de droits, il apparaît impossible dans le même temps de rechercher des boucs émissaires au choix d’une volonté qui s’est librement exprimée. L’individu est indivisible, dans tous les sens que cela suppose. C’est un individuum. Il ne peut donc pas s’autoflageller d’un côté, et demander de l’autre d’être reconnu dans ses droits humains, parce que l’autoflagellation est une forme de déshumanisation. Dans ce cas précis, il aurait été le premier à fouler aux pieds ses propres droits. Si les revendications des féministes catholiques, en particulier, sont soutenues par ce type de théories qui consistent à faire 139

de la contraception une arme stratégique de combat en faveur des femmes, je ne comprends pas pourquoi Anne Soupa, par exemple, s’étonne que l’Église n’aille pas dans leur sens. La réponse de la contraception, telle qu’elle est présentée, n’est pas efficace et ne le sera jamais. Puisqu’autour de celle-ci gravitent d’autres questions du même genre, comme l’avortement, dont l’Église estime qu’il n’est pas moralement acceptable, du point de vue de la valeur absolue de la dignité de la personne humaine dès sa conception. Pour l’Église donc, la fin ne doit pas justifier les moyens. Face aux théories d’assujettissement des femmes, comme face à celles qui tentent de justifier une humanité sexuellement indifférenciée, il revient à l’Église, comme à nous tous, opposés à l’instrumentalisation de l’humain, de ne « jamais faiblir dans notre détermination à démonter les erreurs scientifiques qui ont été employées à des fins sociales pernicieuses1 ». Nouvelle humanité et « droits » sexuels de la femme : l’Église face à Pierre Simon Il faut, à mon avis, simplifier le débat pour mieux nous comprendre. Anne Soupa estime qu’il y a désormais une prise de conscience [chez les féministes] du décalage qui existerait « entre une "femme" (individu de sexe féminin), le féminin, ensemble de qualités reconnues aux femmes, le "genre" en somme, et l’orientation sexuelle, c’est-à-dire l’attrait pour un même sexe ou pour un sexe différent2 ». Elle a probablement raison. Mais être une femme et revendiquer, par exemple, une orientation sexuelle qui ne serait pas l’hétérosexualité, pose problème à l’Église ! Le décalage dont elle parle n’est pas évident pour nous tous, sauf pour ceux qui ne s’attardent pas sur les subtilités discursives d’un 1 2

Stephen Jay GOULD, cité par Catherine Vidal, op. cit., p. 66. Anne SOUPA, op. cit., p. 108.

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sujet aussi important que l’égalité entre l’homme et la femme. C’est donc la dissociation qu’évoque Anne Soupa qui fait problème pour l’Église. Ce n’est pas l’Église qui a créé les liens entre les différents points évoqués. Les liens se créent d’eux-mêmes. Être une femme, c’est-à-dire être un individu de sexe féminin, suppose des « qualités » reconnues aux femmes et une orientation sexuelle précise, qui ne peut être qu’hétérosexuelle. Ce qui ne remet nullement en cause le fait qu’une femme puisse disposer de charismes créatifs et ingénieux, qui sont le fruit d’une humanité qu’elle a en partage avec l’homme et dont ils doivent travailler au progrès. Lorsque ces liens sont remis en cause, l’Église a le droit d’exprimer son avis et éventuellement ses craintes, parce qu’il s’agit de choix qui touchent au bien commun qu’est l’humanité. Tel que certaines féministes posent le problème, ce sont elles-mêmes, en fait, qui créent le soupçon. Si le droit à la contraception permet à la femme de disposer de son corps, qu’est-ce qui l’empêcherait d’opter pour une homosexualité, par exemple ? Elle aurait même une réponse simple à donner à ceux qui s’en étonneraient : « je dispose de mon corps comme je l’entends ! ». Ce qu’il nous faut comprendre, c’est que tout ce que Françoise Héritier et Anne Soupa, en particulier, tentent de nous expliquer par le droit à la contraception ou le décalage qui existerait entre certaines questions qui ont trait au débat sur les droits de la femme, repose étrangement sur une matrice idéologique qui a ses origines dans une pensée intellectuelle et maçonnique déconstructiviste des années 1960 et 1970. Pour ces intellectuels et milieux maçonniques, tout serait le fruit de l’histoire. Il n’y aurait alors aucune limite à la critique de l’histoire et à la déconstruction des réalités anthropologiques considérées comme culturelles. C’est ainsi qu’est suggérée une nouvelle anthropologie, qui se trouve être improbable à tous les égards. Deux livres, en

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particulier, du gynécologue Pierre Simon1, à l’époque Grand Maître de la Grande Loge de France, se présentent comme le manifeste d’une humanité nouvelle, déliée de Dieu par la critique acerbe du catholicisme, et considérée comme un matériau auquel il deviendrait possible de donner un nouveau corps, un sens nouveau. L’homme se donnerait ainsi à luimême licence pour changer la nature humaine en la remodelant. La révolution sexuelle occupe une grande place dans ce processus de remodelage, parce qu’elle ouvrirait au bonheur des individus. C’est ce que Jean-Pierre Dickès et Godeleine Lafargue décrivent comme « la Rédemption par la sexualité2 ». La sexualité devient alors un axe central de tous les changements prévus. Il découle d’une telle logique la libération de la femme, qui passerait précisément par le droit de disposer de son corps. Dans La vie avant toute chose, Pierre Simon, qui fut l’inspirateur et le rédacteur des lois sur la contraception et l’avortement, explique ici et là : - À changer notre attitude et notre comportement devant la vie – n’y voyant plus un don de Dieu, mais un matériau qui se gère – c’est l’avenir tout entier que nous voyons basculer… - L’adoption de ces techniques (de procréation) correspondra à la dernière phase d’un transfert de responsabilité en matière de procréation, de Dieu au prêtre, du prêtre au prince, du législateur au couple, du couple à la femme seule. 1

Rapport sur le comportement sexuel des Français, Paris, Ed. Charron et Julliard, 1972 ; De la vie avant toute chose, Paris, Éditions Mazarine, 1979. 2 Jean-Pierre DICKÈS et Godeleine LAFARGUE, L’homme artificiel. Essai sur le moralement correct, Paris, Éditions de Paris, 2006, p. 86.

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- Celui qui engendrera n’est plus forcément celui qui sera le père. La sexualité sera dissociée de la procréation, et la procréation de la paternité. C’est tout le concept de famille qui est en train de basculer : le père n’est plus le géniteur, mais celui qui élève l’enfant. - Le bonheur sera sans Marx et sans Jésus ; le mariage deviendra une commodité sociale. Son problème : ne pas empiéter sur la vie sexuelle. - Après l’exploitation de l’homme par l’homme, puis de la femme par l’homme, le consensus des sexes enfin délivré du capitalisme et du productivisme, voici donc venir la cruelle nécessité de réinventer de nouvelles relations entre les sexes1.

Tout ira, par la suite, dans le sens voulu par les réseaux auxquels appartenait Pierre Simon, à savoir, « l’extension du droit à l’avortement, les bébés-éprouvette, les mères porteuses, la dissolution de la famille, la libération sexuelle, le nudisme, l’homosexualité, la stérilisation, l’euthanasie, l’incinération du corps, la rose sur le cercueil (il ne faut rien oublier), et même une cérémonie initiatique à l’usage des familles des défunts (et même des vivants). Toute la panoplie de la Libre-pensée revue au prisme des lumières de la biologie2 ». Les discours des mouvements féministes radicaux, français en particulier, ont un lien indiscutable avec les thèses de Pierre Simon qui ont infusé dans leur société depuis ce temps. Ces discours, comme ceux qui les ont inspirés, n’ont de légitimité sociale que dans la guerre contre le 1

Pierre Simon, cité par Jean-Pierre Dickès et Godeleine Lafargue, op. cit., p. 86. 2 Jean-Pierre DICKÈS et Godeleine LAFARGUE, op. cit., p. 82.

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catholicisme, dont on suppose que la morale multiséculaire empêche l’homme de prendre son véritable envol en matière de remodelage de l’humanité qui doit reposer sur de nouvelles idéologies liées au sexe et à la procréation. Ce remodelage de l’humanité a pour grande alliée la technique. De ce schéma, en dissociant la procréation de la sexualité, on voit les résultats visibles aujourd’hui : « l’enfant quand je veux » = contraception ; « l’enfant si je veux » = avortement ; « l’enfant comme je veux » = PMA (Procréation médicalement assistée)1, GPA (Gestation pour autrui) 2 et toutes les manipulations en cours pour satisfaire le « comme je veux ». Et ce sont ces types d’idées qu’on voudrait rendre universelles, parce que certains auraient mieux compris que les autres ce qu’être humain signifie ! Devant cette conception problématique de notre humanité commune, l’Église qui, soit dit en passant, n’est pas une institution politique ni idéologique, prend conscience plus que jamais que ses positions en faveur de la sauvegarde de la vie sont d’actualité, et qu’il lui faut ne pas baisser la garde. Car, des discours hautement structurés sur l’humanité nouvelle mettent carrément en danger la « condition humaine » et occultent les vrais problèmes de la femme dans le monde. Au fond, s’il peut y avoir un discours clair sur la question de la femme, et que des discussions et de nouvelles postures 1

Appelée désormais AMP (Assistance médicale à la procréation). Il semblerait que les enfants qui naissent de cette façon, comme tous les autres, n’auraient besoin que d’amour ! Un argument très limité qui a même valeur que l’adoption d’un animal. Car en vérité un chien aussi ressent de l’affection et n’a besoin que de ça… Un enfant n’a pas besoin que d’amour, comme le prétendent les idéologues. Il a aussi besoin d’avoir une généalogie ! c’est-à-dire d’avoir une histoire humaine fondée sur la figure d’un père (homme) et d’une mère (femme). Parce que c’est aussi cela qui l’enracine dans la communauté humaine et qui éclaire son désir d’avenir. Certes, il existe des enfants qui n’ont pas eu cette chance, pour des raisons liées à ceux qui les ont conçus. Mais il ne s’agit nullement d’une possibilité raisonnable et admissible dans le sens de l’avenir de notre humanité commune. 2

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peuvent faire progresser les choses, ce dont il faut avoir peur, c’est la justification scientifique de choix discutables qui prétendent vouloir mettre fin au débat. Sur ce point, il faut saluer l’honnêteté intellectuelle d’Anne Fausto-Sterling qui justifie sa « science » et avoue que sa perception du problème n’est pas neutre, lorsqu’elle soutient à propos de ses recherches sur Corps en tous genres que : « c’est ma culture, ce sont mes expériences liées à une certaine forme de féminisme qui m’ont encouragée à essayer de créer une compréhension du genre, du sexe et du corps qui soit défendable à la fois empiriquement et politiquement1 ». Ça explique bien le fait « qu’aucun observateur scientifique ne peut éviter d’être influencé par sa manière subjective de percevoir2 ». La science ne peut être un paravent pour défendre des positions dogmatiques sur la question de la personne humaine et de son devenir humain. C’est pourquoi, de la même façon que la science ne peut pas cautionner des vérités dites naturelles pour justifier la subordination de la femme, de la même façon, elle ne doit pas être un prétexte pour justifier ce que beaucoup considèrent comme des approches contre nature de la condition humaine. Que des qualités soient reconnues aux femmes et qu’une femme puisse être capable de grande créativité, comme cela arrive à des hommes, ne l’assimile pas à un homme. Cela ne fait que valoriser notre humanité commune. Mais que le fait d’être femme soit culturel et que l’orientation sexuelle puisse désormais procéder de la liberté individuelle, reste discutable du point de vue de l’Église et de l’intérêt qu’elle accorde à la personne humaine et à sa dignité. La mission de l’Église ne consiste nullement à discuter du sexe des personnes, déjà nées, homme ou femme, mais à témoigner de l’amour de 1

Anne FAUSTO-STERLING, Corps en tous genres. La dualité des sexes à l’épreuve de la science, Paris, La Découverte, 2012, p. 15. 2 Gregory BATESON et Jurgen RUESCH, Communication et société, Paris, Éditions du Seuil, 1988, p. 23.

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Dieu à tout homme et à toute femme venant en ce monde, comme une histoire sacrée. Je fais ces précisions pour mieux dissocier la position défendue dans ce livre et les subtilités des combats féministes. J’ai souhaité pour ma part que le problème de la femme, qui est réel, ne se noie pas dans des considérations périphériques et sans grand intérêt pour la plupart des femmes dans le monde qui veulent être « femmes » sans que leur statut de femme soit réduit à l’allaitement. Je suis donc d’avis que l’humanité de la femme soit reconnue dans une égalité parfaite avec l’homme, et que les qualités humaines qui lui sont reconnues, en tant que différente de l’homme, ne soient pas des cloisonnements discriminants qui annihilent la créativité et qui l’empêchent de participer au progrès du monde, au même titre que l’homme. Je ne vois pas cela en termes de destin, mais d’accomplissement du genre humain, qui assume une différence unifiée. Si l’Église est consciente de cela, de réels efforts restent cependant à accomplir dans les Églises particulières, surtout en Afrique, où la question de la femme est très peu discutée en ecclésialité. Pour résumer les quelques points abordés dans ce chapitre, il est très éclairant d’écouter une autre femme. Sur la place et le rôle de la femme dans les Églises1, Élisabeth Parmentier pose plusieurs questions liées à la problématique féministe. Elle constate, en effet, que la théologie féministe du XIXe siècle travaillait à un projet de réconciliation de l’être humain, homme et femme, avec son corps. Autour de cela, le mouvement féministe a fini par se diversifier et semble s’être transformé en un mouvement radicalisé qui n’a plus grand-chose à voir avec le christianisme. Pis, en Europe, vers 1970, une partie de ce mouvement est devenu anticlérical, face aux positions sans concession du Magistère 1

Joseph FAMERÉE, « Le Christianisme est-il misogyne ? Place et rôle de la femme dans les Églises », in Revue théologique de Louvain, 40, 2009, pp. 599-600.

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sur des questions comme la contraception et l’avortement. Cette période correspond étrangement en France à la publication des thèses de Pierre Simon. Chez les féministes radicales, on observe aussi une certaine réappropriation intellectuelle de la Bible, qui relègue le Christ, en tant que Parole de Dieu, au second plan. Certaines féministes sont allées jusqu’à se demander, à propos de Jésus-Christ, si un sauveur mâle peut sauver des femmes ? Visiblement, « la cohérence de la foi chrétienne est ainsi mise en péril », sans oublier la revendication d’une Ecclesia de femmes avec leur liturgie. Devant un tel constat, pourquoi devrions-nous encore nous étonner de la prudence de l’Église face aux injonctions des féministes ? Depuis le Concile Vatican II, en dehors du fait que l’Église continue son aggiornamento pour que la femme prenne en son sein toute la place qui est la sienne, en tant que baptisée, et d’égale dignité avec l’homme, il me semble que l’incompréhension se creuse, et de plus en plus. D’un côté, nous avons les mouvements féministes radicaux, qui attendent de l’Église une réponse idéologique et politique à leurs revendications, et de l’autre côté, l’Église elle-même, qui n’a aucunement l’intention de transformer son message évangélique en une idéologie égalitaire asexuée. Il reste par ailleurs que les revendications des mouvements féministes radicaux, comme je l’ai déjà noté, sont très marginales par rapport aux vrais problèmes de la femme dans le monde. Si les textes de l’Église, depuis le Concile Vatican II, sont en faveur d’une égalité entre l’homme et la femme, une telle question mérite d’être posée dans le contexte des Églises en Afrique, où les sociétés demeurent encore profondément androcentriques et patriarcales.

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Chapitre 6

LA QUESTION DE LA FEMME DANS LES ÉGLISES EN AFRIQUE ET DÉBATS ANNEXES

Il faut tout d’abord souligner que l’Afrique est une, mais multiple dans sa diversité culturelle. Jean-Marc Ela a bien mis en évidence, dans ses travaux, la complexité de l’Afrique (ou des Afriques) et la nécessité d’une attention particulière aux réalités africaines. Malgré cette diversité, certaines réalités s’expriment à peu près de la même façon dans divers contextes, dessinant une certaine particularité par rapport à d’autres peuples. Il en est ainsi du statut de la femme, dont on peut dire qu’il n’est pas le même que celui de l’homme, qui se trouve en situation d’époux et de chef de famille, donc qui jouit logiquement d’une supériorité. De la fraîcheur des pratiques culturelles africaines dans les Églises En Afrique, l’Église (des missionnaires) a été aux avantgardes du combat pour la libération et l’émancipation de la femme, par l’éducation scolaire, professionnelle et universitaire, parce que, comme le souligne la Congrégation pour l’éducation catholique, elle a « aussi bien la mission que l’expérience pour indiquer les parcours éducatifs adaptés aux défis actuels. Sa vision de l’éducation est au service de la

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réalisation des objectifs les plus élevés de l’humanité1 ». Malheureusement, il reste que les imaginaires sociaux évoluent très lentement dans le sens de l’égalité entre l’homme et la femme et sur l’intérêt à accorder aux droits de la femme dans tous les domaines. Le problème est que dans les sociétés modernes africaines, comme dans la réalité des Églises particulières, tous sont rattrapés par les traditions culturelles qui font très peu de place à la femme. Les imaginaires restent donc marqués par les histoires familiales individuelles, qui se rejoignent sur le fait que la femme est inférieure à l’homme et doit prendre uniquement la place que celui-ci lui accorde. L’androcentrisme des sociétés de base, c’est-à-dire la conception du monde du point de vue des sujets de sexe masculin, est la matrice sur laquelle repose toute interprétation de la vie en société et en Église. Généralement, dans des contextes patriarcaux et androcetriques, ce sentiment de la subordination de la femme, qui est transmis de génération en génération par l’éducation familiale, est mis en œuvre individuellement par chaque homme dans son vécu quotidien et par les structures sociales qui, dans leur expression, donnent à penser que le sexe est un organe de hiérarchisation sociale. Les cérémonies d’initiation différenciées participent à cette discrimination envers la femme. Les classes d’âge évoluent, chacune, en mettant en œuvre ce qui doit être fait et reconnu, et qui définit des rôles sociaux basés sur le sexe. Les cérémonies d’initiation des jeunes garçons, par leur caractère viril, sont destinées à convaincre ces jeunes, qui passent des étapes éprouvantes, de leur destin de chef en tant qu’homme et des rôles sociaux qui leur sont exclusivement dévolus. Au futur chef, il est rappelé

1

Congrégation pour l’éducation catholique, Éduquer à l’humanisme solidaire. Pour construire une civilisation de l’amour 50 ans après l’Encyclique Populorum Progression. Orientations, Cité du Vatican, 2017, p. 7.

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les valeurs de force, de courage et d’abnégation. L’anthropologue Maurice Godelier rapporte de son expérience de plusieurs années avec les Baruya de Nouvelle-Guinée, une description précise de cet état de fait qui éclaire mon propos. Les jeunes garçons sont initiés aux secrets de l’origine du cosmos et de l’humanité. Pendant une dizaine d’années, ils sont préparés à vivre dans un monde masculin, et à exercer leur domination sur les femmes. Séparés de leur mère dès l’âge de neuf ans, ils entrent dans une nouvelle dimension de leur initiation : « dans le secret de la maison des hommes, les jeunes hommes pubères, de quinze à vingt ans, pas encore mariés, donneront régulièrement leur semence à boire aux jeunes garçons qu’on vient de séparer brutalement du monde féminin. Cette pratique signifie que les hommes s’efforceront de "réenfanter" en quelque sorte les garçons, sans l’intermédiaire, cette fois du corps des femmes. On les "surmasculinise" en leur donnant comme nourriture une substance masculine vierge de toute pollution féminine1 ». Les cérémonies d’initiation des jeunes filles s’inscrivent dans la même démarche, qui consiste à les convaincre de leur fonction procréatrice et du rôle discret qu’elles sont appelées à jouer, comme épouses et comme mères2. Dans la tribu Baruya que décrit Maurice Godelier, le rapport homme/femme est déjà inscrit dans les cérémonies d’initiation. Selon le chercheur, « c’est au nom de leur impureté, associée à leurs corps, au sang menstruel qui en découle, que les femmes sont réellement et pratiquement écartées du partage du pouvoir3 ». Ce qui ne révèle rien d’autre que la subordination de la femme.

1

Maurice GODELIER, op. cit., pp. 16-17. Voir Jean-Claude OULAI, L’excision en question : le cas des Dan de Logoualé (Côte d’Ivoire), Thèse de doctorat, Université Alassane Ouattara, Bouaké, 2009. 3 Maurice GODELIER, op. cit., p. 17. 2

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Néanmoins, le discours ambiant, surtout dans les sociétés traditionnelles en Afrique, c’est que la femme occupe une grande place dans la vie sociale. Et c’est vrai. Sauf qu’elle est généralement de « l’intérieur » et ne peut, dans ce cas, être visible que par son époux ou les hommes de sa parenté qui, eux, sont de « l’extérieur ». En réalité, la femme est très honorée, mais comme épouse et comme mère1. Elle reste assujettie à son mari qui la gouverne. Sa vocation est d’avoir un époux et de faire des enfants qui sont le signe d’une vie de femme accomplie. Des variations existent sans aucun doute. Il faudrait pouvoir les identifier et les analyser en profondeur2. Dans les Églises locales, on arrive à cette même conception, à savoir qu’il y a des choses dévolues aux femmes qui, pour cela, ne doivent prétendre à rien d’autre. Il m’est, dans ce sens, arrivé d’observer le rôle de la femme en général, et celui des religieuses en particulier dans certaines Églises particulières en Afrique. Certes, il existe des femmes – très peu ! – qui assument des charges décisionnelles. Mais la majorité d’entre elles excellent dans des tâches de seconde zone où on pense que c’est là leur place. On observe ainsi dans certains pays africains, le cas de religieuses commises au service de figures d’autorité épiscopales, qu’elles accompagnent à l’occasion dans leurs déplacements pastoraux. Et là, elles jouent, dans le même lieu et simultanément, le rôle de secrétaire, de sacristine et quelquefois même de

1

En témoigne le rituel de la procréation après le premier accouchement de la femme chez les Akan lagunaires de Côte d’Ivoire. La femme est célébrée et honorée comme déesse de la procréation (embonpoint, pagnes kita, parure, etc.). 2 L’analyse du statut de la femme dans les cultures Akan en Côte d’Ivoire en particulier, aurait des choses à nous apprendre sur la question. Je n’ai pas osé l’approfondir pour ne pas me perdre dans ce qui pourrait apparaitre comme une exception par rapport à l’ensemble des cultures locales.

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goûteuse1 ! Le constat, c’est que beaucoup d’entre elles ont un bon niveau d’étude théologique et universitaire, et sont très attentives à la vie de l’Église dans leurs différents pays. Malheureusement, il est rare de trouver – au moins dans les Églises ouest-africaines francophones – une femme voire une religieuse qui siégerait dans les instances dirigeantes de l’Église locale. Les organes de décision diocésains seraient donc réservés aux hommes ordonnés, et tout ce qui concerne le service à la personne et aux figures d’autorité ecclésiastique, réservés aux femmes. Ce qu’il faut comprendre ici, ce n’est pas que les femmes ne puissent pas aider dans différentes formes de services, humbles et discrets. Mais c’est le fait qu’on les destine exclusivement à cela qui me semble contredire le Concile Vatican II, parce que nous sommes de fait dans des situations de discrimination fondée sur le sexe. C’est tellement ancré dans les mentalités et les pratiques que cela passe pour être révélé. On peut signaler quelques évolutions dans telle ou telle Église particulière. Mais, il faut reconnaître que si quelques pratiques de nos sociétés traditionnelles reprennent de la fraîcheur, ce n’est pas forcément les plus inspirantes en ce qui concerne les droits de la femme. Ce qui fait qu’autour de la femme, le discours en église sur l’émancipation reste généralement très ambigu. Comment se pose alors concrètement dans ces conditions la problématique féministe ? La problématique du féminisme dans les Églises en Afrique Les prises de parole discrètes, puisque le débat est discret, ne se font pas sur la notion d’égalité entre l’homme et la femme qui irait, comme ailleurs, jusqu’à nier la dualité des 1

C’est très paradoxal car dans ce cas, elles éviteraient à la figure épiscopale un risque d’empoisonnement… en donnant elles-mêmes leur vie !

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sexes. Ni sur la revendication de la contraception et de l’avortement, pensés sur le plan des droits de la femme. Encore moins sur l’accès aux ministères ordonnés dans l’Église. Doit-on conclure que les femmes africaines, parmi lesquelles on trouve des femmes éduquées à un niveau très élevé, n’auraient rien compris des enjeux du combat des mouvements féministes occidentaux ? Il faut plutôt y voir le fait que, bien que l’égalité des droits soit une revendication majeure de la plupart des femmes de la modernité, elle s’adapte à la relativité des cultures. En effet, en Afrique, il existe une notion très ancrée de la communauté, au sens où l’entend le sociologue Ferdinand Tönnies, c’est-à-dire comme Gemeinschaft, une communauté de sang, de lieu et d’esprit qui exalte des questions d’altérité, de sociabilité et de progrès de la communauté, par opposition à la Gesellschaft, la société de l’individualisme débridé1. S’il est juste que les femmes accèdent à leurs droits humains, ce qui apparaît comme une exigence en Afrique également, cela ne peut pas se concevoir au détriment du progrès de la communauté. C’est donc également au regard du progrès de la communauté qu’il faudrait faire réfléchir les individus sur l’égalité des droits humains. Les individus vivent en communauté, à cause des choses matérielles et immatérielles qu’ils partagent. Et la communication est la façon dont ils réussissent à posséder des choses communes. Ce qu’ils doivent avoir en commun pour former une communauté, ce sont les buts, les croyances, les aspirations, la connaissance et même la façon de comprendre les choses qui les concernent2. L’Église est une communauté de foi. Et comme telle, nous croyons en elle, « une, catholique et apostolique ». Nous reconnaissons cette Église dans des valeurs prisées, dans des comportements adoptés par les chrétiens et inspirés de l’Évangile, et dans la manière 1 2

Ferdinand TÖNNIES, Communauté et société, Paris, Puf, 1977. John DEWEY, Democratia e educazione, Milano, Sansoni, 2004, p. 6.

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dont elle s’organise1. Cela n’est pas dit pour occulter ni justifier l’injustice qui est faite à la femme, en confinant sa collaboration à son « destin » de femme. Surtout quand cela va dans le sens où l’on pense qu’elle est inapte à la prise de décision dans la vie de l’Église à laquelle elle appartient comme baptisée, de plein droit, au même titre que l’homme. Au contraire, la femme de nos Églises en Afrique aspire à être reconnue comme femme à égale dignité avec l’homme, exprimant dans son vécu les richesses insoupçonnées de notre humanité commune. Mais sans que cela s’inscrive dans un combat pour disposer de son corps dans un sens très discutable par rapport aux valeurs communes. La femme aspire à un partenariat homme femme et à des responsabilités de décision qui apparaissent comme le critère sans équivoque de sa présence reconnue dans une Église qu’elle a appris à servir dans de petites choses. Si l’on écoute l’Évangile et qu’on voudrait tenter de le mettre en pratique, il serait peutêtre temps de reconnaître les droits de la femme et d’ouvrir la gestion des choses communes et ecclésiales à celles qui ont été fidèles en peu de choses ! La reconnaissance de la présence de la femme, comme membre à part entière de nos Églises, est une exigence baptismale. Il nous faut alors, dans une démarche qui ne peut être que prophétique, commencer par libérer la vie de l’Église de l’androcentrisme hérité de nos sociétés traditionnelles et de l’histoire de l’Église. Il nous faut faire évoluer le regard qui est habituellement porté sur la femme, parce qu’elle est femme ! Il nous faut nous ré-alphabétiser, pour être en mesure de faire évoluer nos imaginaires. C’est l’ensemble de notre rapport au monde qui doit être renouvelé, car c’est ce qui nous permet d’être en mesure de reconnaître, ou non, l’égale dignité que nous partageons avec la femme et ses droits humains. Si notre rapport au monde se renouvelle à la lumière de l’Évangile, nul doute que les 1

Maurice VIDAL, op. cit., p. 11.

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choses iront plus sûrement et dans le sens du dessein créateur de Dieu. Je sais que lorsque nos imaginaires de subordination de la femme sont traduits par les seuls termes de « l’expression ethnique », il n’est pas aisé de prétendre faire changer les choses aussi rapidement qu’on le voudrait. Au fond, ce sont aussi ces termes qu’il faut questionner. Mais comment réécrire nos langues pour les adapter à une vision égalitaire entre l’homme et la femme ? Tel est l’un des défis majeurs des pasteurs locaux. Il ne s’agit nullement ici de remettre en cause le fait que les langues africaines soient des langues sexuées. Mais le fait que dans cette humanité sexuée que tentent de traduire ces langues, la hiérarchisation des sexes doit être proscrite. Pour cela, il faudrait sans doute exiger des politiques publiques un engagement sans ambiguïté en matière d’éducation. Les Églises locales aussi devraient repenser leurs projets éducatifs pour répondre à cette exigence de changement de mentalité. L’école apparaît comme l’une des nombreuses pistes d’action susceptible de promouvoir les droits de la femme et de travailler à faire évoluer les imaginaires sur une égalité « non-hiérarchique » et « complémentaire ». De l’école comme lieu de promotion égalitaire entre l’homme et la femme Il faudrait arriver à créer les conditions d’accès à l’école et la rendre obligatoire pour tous les enfants, en la rapprochant de leur lieu de vie. Mais quel type d’école pourrait remplir une mission aussi noble que de travailler, entre autres, à la promotion égalitaire entre l’homme et la femme dans le sens que souhaitent les femmes de la modernité africaine et les acteurs sociaux de la cause de la femme en Afrique ? Il est un fait que l’école, dans sa forme actuelle, est un legs de la colonisation. Vue dans ce sens, l’école est peut-être 156

même le legs colonial qui impacte le plus les structures sociales africaines, parce que, plus que tout, elle génère des hommes et des femmes moulés dans une certaine conception du monde et des choses, bien éloignée des réalités africaines. Par rapport à elle-même, selon l’historien Joseph Ki-Zerbo, « l’Afrique est débranchée1 ». L’expérience de tous ceux qui ont fait cette école-là montre que celle-ci ne sert pas seulement à permettre une insertion professionnelle. Elle est également un lieu de conditionnement par rapport à des savoirs qui, en réalité, n’ont pas toujours d’incidences réelles sur le devenir des sociétés africaines et qui, du coup, fabriquent des déracinés culturels et une « poudrière sociale ». Selon Joseph Ki-Zerbo, malheureusement, « l’espace de l’éducation scolaire est un domaine verrouillé et interdit, où aucune réforme fondamentale n’a encore pu pénétrer dans presque aucun pays africain au sud du Sahara. Et pour cause : c’est un bastion stratégique au cœur du réseau des facteurs qui maintiennent le statu quo. Il joue un rôle focal et catalytique dans cette réaction en chaîne négative du dépérissement africain2 ». L’école du colonisateur était destinée à la reproduction de commis pour la fonction publique. Elle n’a pas su intégrer ce qui faisait des Africains, des humains vivant dans un environnement social et culturel donné. L’espace de l’éducation scolaire s’est voulu un lieu à part, un lieu de « déculturation linguistique3 », afin de modifier le sens des choses et la vision du monde de ceux qui la fréquentaient, puisque la langue est le support de la culture. C’est à l’école que l’on apprend, encore aujourd’hui, à se dessaisir de ses traditions et de sa culture. C’est là qu’on apprend à déconsidérer les réalités africaines pour épouser des savoirs, 1

Joseph KI-ZERBO, Éduquer ou périr, Paris, Unesco/Unicef, 1990, p. 15. 2 Ibid., p. 16. 3 Ibid., p. 20.

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des savoir-être et des savoir-faire venus d’ailleurs, et supposés plus gratifiants. Ce qui oblige à voir le monde, comme le dit Joseph Ki-Zerbo, à travers la rétine des autres. Faudrait-il alors militer, comme Ivan Illich, pour une société (africaine) sans école (des Blancs) ? En réalité, ce n’est pas tant l’école définie comme institution éducative qui pose problème en Afrique ni ceux qui y enseignent. Mais bien ce qu’on y enseigne et comment cela est enseigné. Qu’elle prépare à une insertion professionnelle est une chose. Que l’école ouvre des horizons est également une autre. Mais qu’en le faisant, elle contrarie l’Afrique dans ses attentes de progrès est une question sur laquelle il est impossible de ne pas ouvrir le débat. Si l’école doit participer à renouveler les sociétés africaines en faveur de la femme et du progrès de la communauté, il faut nécessairement qu’elle le fasse à partir du questionnement du sens que l’on accorde aux pratiques éducatives et initiatiques dans les sociétés africaines. L’avantage d’une telle démarche, c’est qu’elle partirait d’une situation qui touche directement ou indirectement la plupart des apprenants. Cela les situerait d’abord dans une logique qui les rapproche de l’histoire de leur communauté de vie et de ses lieux d’invention, pour les ouvrir ensuite progressivement aux nouvelles interrogations qui émergent d’une société traditionnelle qui doit se réinventer pour continuer son aventure humaine. Il s’agit d’un processus d’humanisation qui ne remettrait pas en cause l’apprentissage de compétences professionnelles. Plus que tout, l’école deviendrait également un lieu d’initiation, de promotion des valeurs communes et des droits humains, au sens de préparer les jeunes, filles comme garçons, à être de vrais acteurs du monde dans lequel ils sont appelés à vivre, et qui ne sera pas nécessairement celui de leurs parents. Il faudrait, de ce point de vue, rendre l’école à l’Afrique. Cette conception africaine de l’école moderne réduirait l’écart entre ce qu’elle enseigne 158

et l’environnement social dans lequel vivent les enfants et qui est appelé à repenser la question de la femme. Autrement dit, l’école ne serait plus perçue comme le lieu où l’on fabrique exclusivement « ceux qui feront le même travail que les Blancs », ni le lieu où les familles souhaitent se décharger de leurs devoirs éducatifs, mais une sorte de « bois sacré », où l’éducation familiale se poursuivrait autrement par la prise en compte d’une réalité sociale qui va au-delà de la réalité individuelle et familiale. C’est dans ce contexte qu’il nous faudrait repenser la promotion de la femme en Afrique. Il faudrait également intégrer cette approche aux programmes d’enseignement supérieur, car comme le disait si justement Jean-Marc Ela, il faut restituer à l’Afrique son histoire par la prise en main des programmes de formation de sa jeunesse, depuis la maternelle jusqu’au supérieur. Vu le poids de l’histoire et des habitudes acquises, cela provoquerait inévitablement des « dérangements ». Mais sur le moyen et le long terme, cela amènerait de vrais changements dans le sens d’un modèle qui correspondrait à notre idée de progrès humain, à notre façon de « défier » l’avenir et de préparer nos jeunes, filles comme garçons, à jouer les premiers rôles dans la mondialisation. Il nous faut penser cette école, ensemble, rigoureusement, avec la conviction que c’est possible. L’école, telle que nous la connaissons aujourd’hui est une invention humaine qui a correspondu et qui correspond encore, surtout dans les sociétés occidentales, aux besoins d’avenir de ces sociétés. Il est temps pour l’Afrique d’inventer la sienne, celle qui correspond à ses propres besoins. Parce que, telle que nous la connaissons en Afrique, l’école est organisée sur le modèle du maître et de l’esclave. Le maître qui sait tout décide de tout. L’intellectuel brésilien Paolo Freire parle à ce propos d’éducation bancaire. Ceux qui ont, donnent à ceux qui n’ont rien. L’esclave, c’est-à-dire l’apprenant, exprime sa loyauté et sa soumission dans des 159

apprentissages dont certains sont en réalité sans intérêt pour lui-même et pour la communauté. Telle que nous la connaissons, l’école est élitiste. Elle est sensible et accompagne plus sérieusement ceux qui ont des facilités d’apprentissage et qui savent rendre les « mots » du maître. Il y a donc d’un côté les « brillants », et de l’autre les « médiocres » et les « nuls ». Ceux qui sont « nuls » sont en général invités, à un moment donné, à « sortir » de l’école. L’école n’a pas assez de temps à leur consacrer, parce que les programmes sont insérés dans un intervalle de temps. Mais plus sérieusement, comment peut-on dire d’un jeune qui, par exemple, joue parfaitement à un instrument de musique, traditionnel ou moderne, qui sait pêcher, qui joue à « l’awalé » pour se divertir, qui connaît la fonction des proverbes dans sa société et qui les utilise à l’occasion, etc., qu’il est nul ? Et si ce sont les logiques de l’école, telle que nous la connaissons, qui ne seraient pas adaptées à l’environnement des apprenants en Afrique ? Y aurait-il vraiment une seule façon de faire l’école ? Il nous faut éviter de croire que ce que nous n’avons pas fait est impossible à faire tant que nous ne l’avons pas essayé. Il nous faut sortir de la peur d’être différents, parce que le mimétisme est sclérosant, à la fin. L’école a une dimension idéologique importante. Il nous faut nous l’approprier pour la survie de nos sociétés actuelles. Selon Joseph Ki-Zerbo, « l’Afrique est le seul continent qui ne dispose pas d’un système contrôlé d’autoreproduction collective. L’éducation scolaire apparaît comme un kyste exogène, une tumeur maligne dans le corps social1 ». Tous les enfants sont porteurs de dons exceptionnels, y compris en Afrique. Il appartient à l’école et à toutes les institutions éducatives, dans les différents contextes, de les identifier et de les promouvoir au bénéfice du progrès humain. 1

Ibid., p. 16.

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Si l’école doit contribuer à promouvoir les droits de la femme en Afrique, il faut éviter, absolument, d’y faire entrer des programmes d’enseignement qui auraient été conçus ailleurs, hors du continent, sur des approches culturelles qui ne sont pas les nôtres, c’est-à-dire des programmes venant de certains pays amis et institutions internationales dont nous savons désormais le mode de fonctionnement. Ils imposent à l’Afrique des idéologies sociétales occidentales, qu’ils prétendent universelles, alors qu’elles contribuent à déstructurer nos sociétés et à les priver d’avenir. En vérité et rigoureusement parlant, aucun pays de la communauté internationale et aucune institution internationale ne se préoccupe vraiment du développement de l’Afrique ! Sinon, après 60 ans d’indépendance, ça se verrait1 ! Depuis le temps que nous sommes « amis », rien ne change vraiment pour l’Afrique, si ce n’est de soutenir des dictateurs véreux au service des intérêts étrangers. Le doute a fini par habiter l’esprit de beaucoup d’Africains sur le vrai désir de la communauté internationale, c’est-à-dire des pays développés, d’aider l’Afrique à se développer. De l’avis de beaucoup d’intellectuels africains, l’Occident ne s’intéresserait à l’Afrique que pour ses ressources naturelles. Voici qui explique en partie, le développement des mouvements panafricanistes et souverainistes africains, mais surtout la défiance grandissante des jeunes à l’égard des intérêts occidentaux en Afrique. Dans cette logique, les années à venir nous réservent plein de surprises liées à une revendication majeure des Africains : jouir de leurs indépendances et de leur souveraineté à tous les niveaux et être capables de choisir « leurs amis », pour des partenariats gagnant-gagnant.

1

Comme je l’ai déjà analysé dans d’autres ouvrages, il existe, bien entendu, des raisons endogènes à ce sous-développement.

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Éviter à l’Afrique des idéologies importées sur les droits humains Sur la question des droits de la femme en Afrique, il faut éviter que se reproduise le même discours que dans le cas du VIH-Sida. On a en effet estimé que l’Afrique était le continent le plus exposé à la pandémie et que le nombre de victimes était de loin le plus élevé au monde. Il fallait donc venir à son secours. La trithérapie était inconnue et le moyen le plus sûr pour arrêter la pandémie, selon les institutions internationales et les pays développés, était l’usage du préservatif dans les rapports sexuels à risque. Voici l’illusion qui a été vendue dans des programmes inefficaces, et sur laquelle l’Afrique s’est assise pour continuer de pleurer ses morts ! Car, plusieurs années après, le constat est que non seulement le VIH-Sida continue de tuer, aux dires de ceux et celles qui sont vraiment au contact des populations, mais en plus on en parle moins, comme si tout était rentré dans l’ordre, comme si tous les préservatifs avaient été efficaces ! Dès le début de la pandémie, l’Église a parlé d’éducation à la continence et à la fidélité, comme le moyen le plus sûr de l’arrêter sur le moyen et le long terme. Elle a été raillée sous prétexte qu’elle était naïve de proposer une telle solution, dans des contextes qu’on disait très érotiques. On se souvient encore que le 17 mars 2009, dans l’avion qui le menait au Cameroun dans le cadre d’une visite pastorale, le Pape Benoît XVI réitérait la position de l’Église et estimait que, non seulement le préservatif était inefficace pour lutter contre le VIH-Sida, mais qu’il contribuait à « augmenter le problème ». Dans les heures qui suivaient, tous les représentants des lobbies du préservatif et plusieurs médias occidentaux l’avaient pris à partie pour dénoncer ce que certains qualifiaient d’attitude irresponsable. Mais quelques années après, beaucoup de ceux qui avaient estimé que le préservatif était la solution se demandent aujourd’hui : « et si l’Église avait eu raison de proposer l’éducation à la 162

continence et à la fidélité ? » En réalité, qu’est-ce qu’on observe lorsqu’on parle avec des adolescents et des jeunes, en particulier ? C’est qu’ils n’ont pas l’argent pour se payer une boîte de préservatifs, car les meilleurs seraient, selon leurs dires, vendus en pharmacie à un prix trop élevé pour leurs maigres moyens. En plus, beaucoup estiment « qu’on ne peut pas manger un bonbon avec son emballage ». Résultat des courses : le seul moyen dont ils disposent pour se rassurer qu’un partenaire est sain, c’est sa bonne foi. Et le nombre important de grossesses dans les milieux scolaires montre que les jeunes ont des rapports non protégés ou que les préservatifs seraient de mauvaise qualité. Du coup, les jeunes deviennent tous des sujets à risque. Le drame, c’est qu’il s’agit des jeunes et la résonnance est particulière pour l’avenir de nos pays et pour notre continent. Mais qu’auraient pu faire nos gouvernants pour refuser des programmes de lutte contre le VIH-sida imposés par les bailleurs de fonds qui, parfois, conditionnent l’aide au développement ? C’est le même schéma que nous voyons se mettre en place avec la promotion du genre, la reconnaissance des droits des homosexuels, l’avortement, etc. Le Sénégal avait déjà donné le ton des réserves de l’Afrique sur les changements souhaités de l’extérieur par les partenaires au développement. Au président Barack Obama, alors Président des États-Unis d’Amérique et au Premier ministre canadien, Justin Trudeau, le Président Macky Sall avait courageusement exprimé le désir du Sénégal de ne pas se voir imposer des choix sociétaux, comme les droits des homosexuels, qui ne correspondent pas aux valeurs du peuple sénégalais. Le sens de la différence des sexes entre un homme et une femme, et l’intérêt que l’islam accorde à la vie de famille et à la procréation, c’est-à-dire à l’hétérosexualité, n’autorisaient pas le Président Macky Sall, président d’un pays à plus de 90 % musulman, avec des traditions bien ancrées, à promettre le contraire à ses interlocuteurs 163

occidentaux. L’Afrique peut identifier ses problèmes et les vraies attentes des populations, et tenter de leur apporter des réponses endogènes, avec l’aide de ses partenaires au développement, si possible. Si l’Afrique n’avait pas une réelle capacité de s’assumer et de se renouveler, il est à parier qu’elle aurait disparu après tous les aléas de l’histoire qu’elle a connus. Comme le dit si parfaitement Jean-Marc Ela, l’Afrique sait se réinventer par rapport à l’avenir. L’Afrique vit à ses rythmes et survit à ses changements de rythme. Tel est son destin, qu’elle assume parfaitement avec une notion de temps qui lui est propre. Je ne dis pas pour autant qu’elle se suffise à elle-même et qu’elle doive s’isoler, car un continent qui évite de se confronter aux autres, qui s’isole, s’étiole et meurt de sa belle mort. L’Afrique veut aller à la rencontre des autres, même avec empressement, mais avec ce qu’elle est, c’est-à-dire ses valeurs et son patrimoine humains. Elle ne renoncera jamais à son partenariat historique avec l’Occident. Mais ce partenariat devra être maintenu dans le strict respect des différences, ainsi que des rythmes de changement de chacun. L’ingérence de ce qu’il est convenu d’appeler la communauté internationale et des experts internationaux sur des questions des droits de la femme qui débouchent sur l’avortement, le droit de disposer de son corps et de choisir son orientation sexuelle, sur les droits des homosexuels, sur les modèles de développement, etc., est inappropriée et cultive assez souvent chez beaucoup d’Africains, le sentiment d’un manque de respect de la part de ceux qui pensent avoir tout compris de la vie et des changements à y apporter. Le partenariat de l’Afrique et de l’Occident est irrévocable. Mais il ne peut être un partenariat gagnant-gagnant qu’à condition de sortir des attitudes de condescendance, pour qu’aucune partie ne prétende imposer à l’autre ses valeurs et ses idéologies, c’est-à-dire ce qu’il y a de plus personnel, parce que ça touche au sens même de la vie. C’est ce qui fait 164

que les nouvelles générations en Afrique n’ont plus aucun complexe à rappeler aux donneurs de leçons qu’ils doivent faire preuve de réserve et de mesure dans leur prétention à « sauver » l’Afrique et à vouloir (re)définir ses choix de vie. René Dumont s’est fait naguère l’un des Porte-paroles des donneurs de leçon, de ces lieux communs, qui considèrent la croissance démographique en Afrique comme un vrai drame1. Les comparaisons que toutes ces personnes évoquent dans le processus de développement de l’Afrique sont sans intérêt si c’est pour que l’Occident devienne le modèle. Mais ce qui est très intéressant dans les propos de René Dumont, c’est la réponse qu’il propose à ce qu’il appelle le « drame » de l’Afrique : la planification familiale. Plus que tout, « le droit à l’avortement ne peut être séparé des luttes plus globales des femmes pour obtenir l’égalité avec les hommes dans tous les aspects de la vie2 ». Clairement dit, le modèle de développement qu’il propose à l’Afrique doit s’inspirer de l’Occident, de la manière dont ce dernier pose désormais la question de la famille, de la procréation, de la femme, de la sexualité, etc. Mais encore, avoue René Dumont, « faudrait-il parvenir à convaincre l’ensemble des dirigeants politiques – et si possible religieux – de l’opportunité de telles mesures3 ». C’est une chose très étrange de voir comment des personnes extérieures à l’Afrique, à tous points de vue – sauf à croire qu’on peut la connaître d’en haut –, pensent posséder les clés de son progrès humain et réduisent les changements sociétaux à la seule volonté de leurs amis, c’est-à-dire des « dirigeants politiques » africains. Il est vrai que ce fut ainsi au sortir des indépendances, à savoir que les chefs d’État

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René DUMONT, Démocratie pour l’Afrique, Paris, Les Éditions du Seuil, 1991. 2 Ibid., p. 64. 3 Ibid., p. 65.

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africains pensaient que les experts occidentaux et les institutions financières internationales avaient la solution aux problèmes des peuples africains. Par conséquent, ils restaient à leur écoute et faisaient ce qu’ils leur demandaient de faire. On se rappelle le coût humain des politiques d’ajustement structurel pour l’Afrique ! Soixante ans après les indépendances, comme dirait l’artiste, « on a tout compris ! », et les temps ont bien changé ! Ils vont encore changer au fur à mesure que de nouvelles générations d’hommes et de femmes politiques vont se mettre en place et apprendre à désoccidentaliser leur regard sur le monde. Le temps de ceux qui écoutaient plus l’extérieur que leur peuple est en train de passer, parce qu’il y a une prise de conscience que l’Occident n’est pas le centre du monde et que sa vision du monde est partielle. Il est certes un partenaire historique, mais pas un modèle à copier dans tous les sens de la vie. Ce que les peuples africains exigent désormais, c’est d’être écoutés ! On a déjà vu ces dernières années ce qui arrive à ceux des dirigeants africains qui n’en font qu’à leur tête. Pour tout dire, les priorités de l’Afrique, des sociétés africaines et de la femme en Afrique, ne sont pas le droit à l’avortement et les autres droits du même genre. La jeunesse de sa population est la plus grande richesse dont dispose l’Afrique pour affronter l’avenir, si elle se donne les moyens d’une bonne éducation et de réduire le rêve d’expatriation de ses jeunes vers l’Occident. Un rêve constamment alimenté par l’idée de réussite véhiculée par les grands médias mondiaux et les politiques économiques appauvrissantes de plusieurs chefs d’État africains. Il n’y a qu’à ceux qui savent bien que c’est au niveau des jeunes que se joue l’avenir du monde que la croissance démographique de l’Afrique fait peur. L’Afrique n’a pas encore dit son dernier mot dans le concert des Nations, et les projections économiques alarmistes ne l’arrêteront pas. Comme le dit un proverbe chinois, « il ne faut pas faire de prophéties, surtout 166

quand elles concernent l’avenir ». Lorsque l’Afrique prendra conscience que la planification familiale est à organiser dans un sens qui ne contredit pas ses valeurs d’humanité, elle n’aura pas besoin de conseillers extérieurs pour le faire et il n’est pas sûr que son modèle vienne d’ailleurs. Le chemin des puissances émergentes du continent asiatique fait l’objet de réflexion chez les nouvelles générations africaines qui y trouvent des éléments très inspirants quant à l’avenir d’un continent africain dont personne ne doute des potentialités économiques. Entre Quand la Chine s’éveillera… le monde tremblera, en 1973, et La Chine s’est éveillée, en 1996, Alain Peyrefitte nous assure de la marche de chaque peuple vers son progrès. Il faut peut-être du temps et d’énormes sacrifices, mais tout finit par arriver pour qui sait prendre son propre chemin. Nul besoin alors de lancer des fatwa contre le Vatican pour son opposition au contrôle des naissances en Afrique, façon René Dumont : « le Vatican refuse de voir que son opposition au contrôle des naissances, répétée en Afrique en février 1990, le rend complice de la famine qui monte. Il le paiera un jour1 ». De l’avis de nombre d’experts, la croissance économique de plusieurs pays africains, ces dernières années, est un signal fort des futures batailles économiques et idéologiques, lorsque l’on commencera à émettre des doutes sur ladite fragilité de leur position. Cela nous est déjà donné de le voir, par exemple, entre certaines puissances occidentales et des « géants » asiatiques comme la Chine, la Corée du Sud et le Japon. Aucune société ne refuse les changements dans le sens de l’accomplissement de ses membres, et c’est mal connaître les Africains et l’Afrique que de supposer qu’elle le fasse. Il faut apprendre à tous les « vieux connaisseurs de l’Afrique », qui souhaitent une Afrique sans les Africains, de la « reconnaître » au-delà du miroir, comme le suggère l’excellent 1

Ibid., p. 61.

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ouvrage de Boubacar Boris Diop1. Tous les historiens, qui font de l’histoire une science, savent que l’Afrique n’a pas toujours été dans le rôle de « dernier de classe », comme on peut le supposer depuis cinq siècles. Il y a eu une autre Afrique durant plusieurs autres siècles, avant les premières explorations des Portugais, des Hollandais, des Britanniques, des Belges et des Français à partir du XVe siècle, et tout ce qui s’en est suivi. Mais comme le disait Franz Fanon, nous ne voulons plus « chanter le passé aux dépens […] du présent et de […] (l’)avenir2 », parce qu’une nouvelle Afrique est possible, au-delà des préjugés. Il existe une puissance de vie, d’initiative et de créativité dans les entrailles de l’Afrique que seuls peuvent sentir véritablement ceux qui connaissent l’Afrique – connaître, c’est naître avec – de l’intérieur, et qu’aucune science ne peut juger de l’extérieur. La science peut faire des hypothèses, dont certaines peuvent se vérifier à court terme. Mais la science n’a nullement les moyens de prédire que l’Afrique est condamnée à se contenter de la dernière place, à tous les niveaux. La science (en Occident) n’avait pas prévu en des termes très clairs que l’Asie deviendrait le « supermarché » du monde au XXIe siècle et que plus de la moitié des principes actifs indispensables à la production de médicaments dans les industries pharmaceutiques seraient en provenance de la Chine et de l’Inde. Elle a été prise de court par des changements qui n’étaient pas dans ses prévisions. Désormais, elle tente, désespérément de comprendre les choses, qu’il lui sera en vérité difficile d’expliquer dans sa logique à elle. Sinon que de conclure, peut-être, à une tempête dans un verre d’eau ! Les émotions et les mots pour décrire de l’extérieur la réalité de l’Afrique ont souvent fait douter certains Africains 1

Boubacar Boris DIOP, L’Afrique au-delà du miroir, Paris, Éditions Philippe Rey, 2007. 2 Franz FANON, Peau noire masques blancs, Paris, Éditions du Seuil, 1952, p. 8.

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de leurs vraies capacités à être les acteurs de leur progrès humains, en leur infligeant une haine paralysante de soi. En ces temps qui sont les derniers, et où le « soleil » commence à « se lever » en Asie, beaucoup reviennent de cette haine de soi, comme d’une maladie dont ils sont guéris, et qu’il faut vite oublier pour se mettre au travail comme en Asie. Le relativisme culturel n’est donc pas un refus de changement. Et puis, de quels changements nous parle-t-on ? On le devine, au moins par l’entremise des grands médias qui nous rendent compte de l’actualité des sociétés dites avancées. Si les Africains pouvaient transformer leurs États en puissante communauté internationale, il est sûr, à partir de ce que l’on entend dire des choix occidentaux sur la famille et la sexualité, qu’ils s’ingéreraient dans les affaires d’homosexualité et de mariage pour tous, par exemple, pour demander de retirer les lois en faveur de ces questions. Bien sûr que la communauté internationale des Occidentaux peut s’interroger sur les réalités africaines, comme elle sait bien le faire en allant jusqu’à vouloir les marquer de son hégémonie. Mais il faut savoir que les Africains n’ont que trop souffert de cette même communauté internationale. Le souvenir est encore frais que c’est elle qui a déstabilisé la Libye, et ainsi livré certaines populations africaines, y compris les femmes, à la loi des criminels djihadistes, violeurs sans foi. Beaucoup ont puisé leurs armes dans les stocks importants que Kadhafi achetait à certains pays de la communauté internationale, lorsqu’il était encore ami avec eux. Comme le dit un proverbe africain, « lorsqu’on a été victime d’une piqûre de serpent, on a peur, même d’un ver de terre ! ». Face à l’ingérence idéologique des grandes puissances, n’en déplaise aux « René Dumont », l’Église, comme porteparole des sans-voix et des faibles, et comme experte en humanité, a également un témoignage à donner, dans le sens où elle a son mot à dire sur des choix politiques dont elle 169

estime qu’ils mettent en danger l’équilibre social et le sens de la famille en Afrique. Son rôle de guetteur est plus que requis dans ce cas précis. Et il devient plus nécessaire que jamais pour l’Église de créer des académies catholiques pour explorer la complexité du monde, et de maintenir ses institutions éducatives, préscolaires, scolaires et universitaires. Pour conclure, il faut rappeler que le témoignage des Églises en Afrique sur l’égalité entre l’homme et la femme doit porter sur des questions qui peuvent apparaître comme difficiles, du point de vue de ceux qui ne croient pas en Jésus, mais qui sont des lieux où l’Évangile ne peut pas ne pas être annoncé en vérité. Des progrès ont été accomplis par certaines Églises dans le combat contre le mariage précoce et forcé des filles, dans la scolarisation et l’éducation des filles, dans les projets d’alphabétisation pour les femmes en milieu rural, etc. Mais il est un fait qu’à l’intérieur des Églises ellesmêmes, il n’y a pas clairement de choix formels et objectifs dans le sens de la promotion de la femme qui soit en cohérence avec le Concile Vatican II. Tout cela demande que le débat de société sur la promotion de la femme, qui concerne également l’Église, soit bien clarifié et se départisse de sa dimension idéologique. Pour qu’à la fin, à côté du tintamarre idéologique et médiatique des grands médias, on sache bien de quoi on parle, et pourquoi il faut en parler.

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Chapitre 7

CLARIFIER LE DÉBAT… POUR VIVRE EN ÉGLISE

Partons ici du fait que l’Église est fondée sur le Christ, dont la vie et les œuvres annoncent le Royaume de Dieu. Dans cette annonce, Jésus conteste l’image de Dieu et de l’homme défendue par les autorités religieuses de son temps, ainsi que leur interprétation de la Loi, en indiquant la véritable dimension de la personne humaine1. Les dons que le Christ fait à son Église, comme témoin authentique de son mystère, sont destinés à cela : sauver tous les hommes et les rassembler dans une même famille de Dieu. Ainsi, « à chacun d’entre nous, la grâce a été donnée selon la mesure du don fait par le Christ » (Ép. 4, 7). Il découle de cela que dans l’Église, chaque ministère et chaque charisme, dans ce qu’il représente comme appel du Christ, doivent être compris et assumés comme un service et comme une mission de salut pour le monde. Comme l’affirme Saint Paul, « de cette manière, les fidèles sont organisés pour que les tâches du ministère soient accomplies et que se construise le corps du Christ, jusqu’à ce que nous parvenions tous ensemble à l’unité dans la foi et la pleine connaissance du Fils de Dieu⦋…⦌» (Ép. 4, 13). Ce qui est en jeu ici, c’est l’Église, Corps du Christ, dont nous sommes tous membres, hommes et femmes. C’est

1

Jacques ROLLET, op. cit., p. 170.

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uniquement à sa construction que sont ordonnés les ministères et les charismes. C’est à l’intérieur de ce cadre que les pasteurs doivent stimuler la présence active des femmes, en s’engageant à révéler le charisme que Dieu a mis en chacune d’elle, pour qu’avec elles et tous ensemble, nous soyons d’Église et vivions en Église. Textes officiels et pratiques de terrain Il faut dire que dans les textes, l’Église est en parfaite cohérence avec le Christ, à propos de la façon dont nous sommes, hommes et femmes, et chacun, membres du Corps du Christ. Dans Lumen Gentium, le Concile Vatican II fait état de la dignité des laïcs comme membres du Peuple de Dieu : « quant à la dignité et à l’activité commune à tous les fidèles dans l’édification du Corps du Christ, il règne entre tous une véritable égalité1 ». Ce à quoi le Code du droit canonique de 1983 fera écho : « Entre tous les fidèles, du fait de leur régénération dans le Christ, il existe quant à la dignité et à l’activité, une véritable égalité en vertu de laquelle tous coopèrent à l’édification du Corps du Christ, selon la condition et la fonction propre à chacun » (Canon 208). La différenciation liée à la condition propre et à la fonction de chacun, selon la diversité des charismes, est tout à fait recevable et évoque implicitement la diversité des lieux de mission et de sanctification dans la même spiritualité ecclésiale. Sur la question spécifique de la femme, l’Église conciliaire a une vision lucide et pragmatique. Dans son message aux femmes, le Concile Vatican II soutient la vérité sur l’égalité complémentaire entre l’homme et la femme, et fonde une nouvelle espérance pour l’accès des femmes à tous leurs droits humains : 1

Vatican II, Lumen Gentium, n° 32c.

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L’Église est fière, vous le savez, d’avoir magnifié et libéré la femme, d’avoir fait resplendir au cours des siècles, dans la diversité des caractères, son égalité foncière avec l’homme. Mais l’heure vient, l’heure est venue où la vocation de la femme s’accomplit en plénitude, l’heure où la femme acquiert dans la cité une influence, un rayonnement, un pouvoir jamais atteints jusqu’ici […] Retenez la main de l’homme qui, dans un moment de folie, tenterait de détruire la civilisation humaine1.

L’ensemble du texte peut être analysé en long et en large. Je ne crois pas qu’il soit juste un paravent pour ruser avec la question de la femme. La tendance générale sur la question de la femme dans l’Église est positive. Malheureusement, les positions de l’Église semblent toujours poser problème, surtout dans le contexte des pays développés, où l’interprétation des questions qui en appellent à son point de vue et à la morale vire systématiquement à la critique facile et au harcèlement médiatique de l’Église catholique. Chaque fois que l’Église s’exprime sur des questions de société, elle a forcément tort, parce qu’il ne serait pas de son ressort de s’exprimer sur tel ou tel point. Ou encore, parce qu’elle serait une institution moyenâgeuse, qui n’aurait aucune légitimité à se prononcer sur les problèmes de la société (post) moderne actuelle. C’est une situation assez curieuse dans des sociétés fondées sur la liberté d’expression. Autrement dit, cette liberté d’expression ne serait bonne que pour les lobbies médiatiques et ceux et celles qui répandent de nouvelles idéologies sur l’humanité qui nous est commune.

1

Concile Vatican II, Message aux femmes.

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Droits de la femme, accès aux ministères ordinaires et controverses théologiques Paradoxalement, c’est dans un tel contexte d’engagement de l’Église catholique pour la dignité et les droits humains de tout homme et de toute femme que la revendication de l’ouverture aux ministères ordonnés aux femmes est posée par les mouvements féministes, qui, semble-t-il, considèrent que l’accès à ces ministères serait le chemin le plus sûr pour gagner tous les autres combats liés à l’égalité entre l’homme et la femme. De fait, il semblerait que le sacerdoce ministériel soit « l’un des derniers grands bastions des domaines réservés du masculin1 ». Il faut se demander le sens de cet esprit de conquête sans limites, qui estime que les femmes ne peuvent accéder à leurs droits qu’en effaçant tous les symboles et toutes les différences qui, du coup, apparaissent comme des constructions sociales qui n’auraient pas vocation à traverser les âges. Françoise Héritier estime même que les arguments évoqués par l’Église pour justifier la non-ouverture des ministères ordonnés aux femmes sont « sans valeur », et allègue ce qu’elle appelle le « coup des deux cravates », à savoir que Jésus, ne pouvant pas prendre les hommes et les femmes à la fois, aurait pris les hommes pour le représenter, sans les préférer pour autant aux femmes. Elle ajoute que Jésus aurait tenu compte « du moule offert par la société, qui privilégiait le masculin bien avant l’apparition des religions révélées2 ». Si la première affirmation est vraie, à savoir que le choix des hommes n’est pas lié au fait qu’ils soient plus aimés que les femmes par le Christ, la seconde est discutable et semble très loin des intentions du Christ, si on se réfère à son mystère de salut et à son « style » dans les Évangiles. Quelqu’un que ses contemporains présentaient comme un 1

François HÉRITIER, Masculin/Féminin I, op. cit., p. 297. Ibid., p. 297.

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ami des publicains et des femmes de mauvaise vie, ne peut absolument pas être présenté comme s’accommodant du « moule offert par la société », pour justifier le choix des Apôtres – qui n’étaient d’ailleurs pas tous des gens très distingués. Sur ce point, le problème qui se dessine chez Françoise Héritier, c’est que, pour elle, tout choix historique d’établir des fonctions différentes dans l’égalité des droits est suspect, même lorsqu’on en souligne la portée spirituelle. Un théologien comme Edward Schillebeeckx semble approuver cela. Il estime que le droit des femmes à être l’Église, c’està-dire « des sujets capables, responsables de la foi, de l’expression de la foi et de la réflexion sur la foi », autorise à ce qu’elles accèdent à « une fonction dirigeante dans l’Église, y compris aux fonctions ministérielles1 ». Le théologien pense même que le combat des femmes, à cause de leur nombre toujours croissant dans l’Église, finira par changer « la face de l’Église jusque dans ses structures ministérielles2 ». La position d’Edward Schillebeeckx sur le lien entre les droits des femmes dans l’Église et leur accès aux ministères ordonnés est très discutable. Il est vrai que, comme le dit le Concile Vatican II, l’Église est « une réalité sociale de l’histoire3 ». À ce titre, elle a pu s’adapter à des contingences historiques, surtout en ce qui concerne le ministère ordonné. Edward Schillebeeckx évoque une conception moderne du sacerdoce influencée par Bérulle et son Oratoire, SaintSulpice, Pie X, Pie XI et Pie XII4. Soit. Il est possible que, de nos jours, les changements sociétaux advenus dans le monde 1

Edward SCHILLEBEECKX, Plaidoyer pour le peuple de Dieu, op. cit., p. 265. 2 Ibid. 3 Vatican II, Gaudium et spes, 44, §1. 4 Edward SCHILLEBEECKX, Plaidoyer pour le peuple de Dieu, op. cit., p. 12.

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interrogent le théologien et qu’à son tour, « le théologien interroge la vie même de l’Église au cours des siècles ». Mais, il faut reconnaître également que les changements dont il est question et qui appelleraient à une réflexion sur les ministères dans le sens que souhaitait Edward Schillebeeckx n’ont pas la même portée dans toutes les Églises. La réflexion autour des ministères en Afrique, par exemple, ne se pose pas en termes de diminution drastique des prêtres et du risque qu’il y aurait à laisser les communautés sans vie sacramentelle. Et il me semble qu’en dehors de l’Europe et de l’Amérique du Nord, une telle question ne préoccupe guère les théologiens, sinon peut-être très ponctuellement. On ne peut donc pas en faire une généralité et la considérer comme une vraie question d’Église. Ce qui ne veut pas dire que le débat est sans intérêt. Je veux simplement souligner que l’approche socio-historique qu’adopte le théologien néerlandais, dans sa démarche explicative, n’est valide que si l’on perd de vue le fait que, comme le dit Hans Urs Von Balthasar, « on ne peut réaliser aucun accord définitif en ce monde entre la théologie et les autres disciplines. On pourra toujours à ce sujet accuser la théologie d’orgueil, le refus de cet accord n’est en réalité rien d’autre qu’une requête méthodologique de son objet1 ». Il s’agit du mystère du Christ, vrai Dieu et vrai homme. « Mystère qui ne peut être dominé et jugé d’aucun observatoire de la science humaine, et qui projette désormais sa lumière et son ombre plus ou moins directement sur toutes les valeurs intérieures au monde2 ». Pour tout dire, l’Église n’est pas seulement une « réalité sociale de l’histoire », qui n’aurait pour vocation que d’aller dans le sens de l’histoire pour repenser chaque fois ses ministères. Et qui nous dit qu’actuellement l’histoire tourne dans le bon sens ? En vérité, l’Église aurait perdu de sa réalité concrète si sa vocation se résumait à s’adapter à l’histoire sans pouvoir donner sens à 1 2

Hans Urs VON BALTHASAR, op. cit., p. 16. Ibid.

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cette histoire. Par conséquent, et Edward Schillebeeckx le reconnaît, il nous faut comprendre que « le ministère n’est pas uniquement un donné sociologique ou historique1 ». Mais Edward Schillebeeckx utilise le « pas uniquement » pour réfuter « brillamment » la critique qu’on oppose à sa position sur les ministères dans l’Église. Il construit, à ce propos, un argumentaire qui repose sur le fait que le langage de la foi, qui voit dans les formes du ministère « une manifestation de la grâce » n’est possible que parce que l’histoire a donné aux ministères leur forme actuelle et que l’histoire et la sociologie, comme disciplines, sont capables de les expliquer. Edward Schillebeeckx énonce alors que « la grâce, même si elle transcende les formes où elle se manifeste, ne se décèle que dans ces formes2 ». Ce qui reste très discutable dans l’analyse d’Edward Schillebeeckx, c’est de conditionner le sens des ministères à l’histoire dans une Église qui n’est pas qu’historique. C’est vrai que nous ne parlons de grâce que parce qu’elle agit en nous en tant que nous sommes dans le mouvement de l’histoire. Mais une autre compréhension du rapport entre grâce et histoire nous permet de dépasser le conditionnement de l’histoire. Pour ce faire, il est intéressant de considérer aussi la position de Hans Urs Von Balthasar. Pour lui, « la grâce est intérieurement historique et elle informe l’histoire, non en ce sens qu’étant en elle-même supra-historique, elle serait intégrée dans son histoire par le bon plaisir de l’homme, mais parce qu’elle contient elle-même et apporte avec elle la mesure et le sens de l’histoire prévus par Dieu à chaque instant3 ». L’Église n’est pas exclusivement le fruit de l’histoire et de ce fait n’est pas totalement dans la matérialité de la communauté visible et historique. Elle est 1

Edward SCHILLEBEECKX, Plaidoyer pour le peuple de Dieu, op. cit., p. 12. 2 Ibid., p. 13. 3 Hans Urs VON BALTHASAR, op. cit., p. p. 64.

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aussi le Corps mystique du Christ. Et comme le dit le Concile, « les deux ne doivent pas être considérées comme deux choses, elles constituent au contraire une seule réalité complexe, faite d’un double élément humain et divin1 ». La théologie peut donc travailler, comme discipline, sur le même matériau que l’histoire et la sociologie. Mais il serait surprenant qu’elle puisse le faire en dehors de la contemplation du « Mystère » et d’une certaine mystique. C’est probablement ce que les autres disciplines appellent son « orgueil » et son impossible accord avec elles. Jésus et le choix des hommes comme ministres ordonnés Si l’Église se laissait conditionner par l’Histoire, il n’y aurait plus lieu de parler de dignité à propos de la personne humaine, car comme je l’ai montré plus haut, la subordination de la femme dans les civilisations humaines est antérieure à la naissance de l’Église dans l’Histoire. Et comme je vais le montrer plus loin, c’est parce que Jésus est libre des conditionnements socio-historiques que la femme n’est pas absente de son mystère de Salut. C’est bien dans ce cadre d’une Église qui n’est pas seulement historique que je voudrais noter que le choix des hommes par le Christ pour le représenter de façon spécifique, comme prêtre, ne procède d’aucun jugement de valeur. Il n’y a, dans ce choix, aucune affirmation de la sainteté du prêtre ni de sa supériorité en dignité. Sinon, il faudrait aussi se demander pourquoi, dans une société où le témoignage de la femme n’était pas considéré comme fiable, Jésus ressuscité apparaît d’abord aux femmes et leur demande d’aller annoncer la nouvelle à Pierre et aux autres, donc aux hommes ? Nul ne sait rien, ni du choix des hommes comme prêtre ni du choix des femmes comme messagères de la Bonne nouvelle de la Résurrection. 1

Vatican II, Lumen Gentium, n°8.

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Aucune théorie socio-historique ne peut l’expliquer. Tout procède de la grâce de Dieu en faveur de son œuvre de salut. Dans l’Église, tout est d’abord une question d’appel et d’envoi. C’est Dieu qui, par grâce, appelle et envoie. Dans le grand mystère de son amour, la dualité des sexes a un sens, sans que cela soit pour autant un lieu de hiérarchisation humaine et de domination d’un sexe sur l’autre. L’Esprit souffle où il veut et il fait de son Église ce qu’il veut, sans que nous puissions exiger, individuellement ou même collectivement, qu’elle soit à notre goût si changeant ! Dans la diversité des charismes et des ministères, il y a un appel de Dieu. Et il appartient à l’Église, comme témoin authentique du Christ ressuscité qui appelle et qui envoie, comme le Père l’a lui-même envoyé, d’authentifier ces charismes et de conférer ces ministères pour que le Corps du Christ grandisse et se fortifie. Le témoignage des Apôtres ne fait pas mention de Marie, la mère de Jésus, ni d’aucune autre femme qui aurait participé au repas du Jeudi saint, au cours duquel le sacrement de l’ordre a été institué. Dans la foi, l’Église conclut que le Seigneur n’a pas voulu que les femmes le servent de cette manière-là et dans cette forme spécifique de service. Pour la Congrégation de la foi, cette doctrine fait partie du « dépôt de la foi ». En tout état de cause, il est hors de question que ce soit les militantes féministes qui disent à l’Église ce qu’elle doit être, ce qu’elle doit faire et comment le faire. Battre le pavé pour acquérir des « pouvoirs » comme la contraception et l’avortement est une chose, dans des États qui l’autorisent. Exiger de l’Église d’ouvrir l’accès aux ministères ordonnés aux femmes et d’adhérer à des choix sociétaux qu’elle considère comme contraires à sa doctrine et à sa Tradition en est une autre. En fait, la réalité, c’est que l’Église apparaît à certaines féministes comme une institution dont les prises de positions sur des sujets liés à la vie sexuelle et à la procréation en particulier, délégitiment moralement leur combat d’égalité, 179

dans les termes dont le débat est posé. Les positions de l’Église nourriraient ainsi une certaine lutte des féministes avec leur propre conscience. En vérité, l’Église constitue la seule garante bimillénaire d’une conscience morale en faveur de la personne humaine et de notre humanité. Lorsque, de la revendication des droits de la femme, on arrive à l’acquisition de « nouveaux pouvoirs », comme, par exemple, la contraception, l’IVG et le droit de disposer de son corps, l’Église est en droit de reconnaître qu’elle ne mène pas le même combat en faveur de la dignité humaine que les mouvements féministes radicaux. L’imaginaire sous-jacent au combat de ces mouvements ne peut lui apparaître que comme le rêve d’une humanité nouvelle sans humanité. C’est donc à juste titre que Karl Rahner écrivait : Pour l’homme des siècles futurs, ce sera […] une chance indicible s’il existe encore un lieu, je veux dire l’Église, où il pourra conserver intégralement sa naturelle indépendance humaine. Ce sera un refuge sans prix […]. L’homme de demain considérera comme une bénédiction d’avoir encore à sa portée un lieu où il réussira à conserver dans son existence un peu de place où régnera – comme dans le bon vieux temps – le facteur purement humain […] sa dimension concrète d’homme1.

On l’aura aussi bien compris, par la faute d’un cléricalisme aux relents misogynes, les ministères ordonnés apparaissent comme de vrais lieux de pouvoir, des chasses 1

Karl RAHNER, Missione et grazia, cité par Franco Lever, Fabio Pasqualetti et Valentin A. Presern, DaiLoro frutti li riconoscerete, Rome, LAS, 2011, p. 141.

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gardées, et les militantes féministes catholiques en particulier, ne peuvent les percevoir que dans ce sens. Et ainsi, pour elles, c’est en accédant à ces prétendus pouvoirs, dans le contexte des débats actuels sur les droits de la femme, qu’elles pensent vraiment être d’Église. Ce qui est évidemment une approche très limitée de la question. D’ailleurs, la théologienne française Anne-Marie Pelletier, qui a émis des réserves sur l’ordination des femmes, pense qu’il y aurait un risque à créer une nouvelle caste, précisément si le diaconat féminin était autorisé1. Le Pape François, dans Querida Amazonia, donne une explication qui me semble également clarifier le débat : En Amazonie, il y a des communautés qui se sont longtemps maintenues et ont transmis la foi sans qu’un prêtre ne passe les voir ; durant même des décennies. Cela s’est fait grâce à la présence de femmes fortes et généreuses. Les femmes baptisent, sont catéchistes, prient, elles sont missionnaires, certainement appelées et animées par l’Esprit Saint. Pendant des siècles, elles ont maintenu l’Église debout dans ces régions avec un dévouement admirable et une foi ardente. Elles- mêmes, au Synode, nous ont tous émus par leur témoignage. Cela nous invite à élargir le champ de vision pour éviter de réduire notre compréhension de l’Église à des structures fonctionnelles. Ce réductionnisme nous conduirait à penser qu’on n’accorderait aux femmes un statut et 1

« Le pape relance la réflexion sur le diaconat féminin », https://africa.la-croix.com/le-pape-relance-la-reflexion-sur-lediaconat-feminin/

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une plus grande participation dans l’Église seulement si on leur donnait accès à l’Ordre sacré. Mais cette vision, en réalité, limiterait les perspectives, nous conduirait à cléricaliser les femmes, diminuerait la grande valeur de ce qu’elles ont déjà donné et provoquerait un subtil appauvrissement de leur apport indispensable. Jésus-Christ se présente comme Époux de la communauté qui célèbre l’Eucharistie à travers la figure d’un homme qui la préside comme signe de l’unique Prêtre. Ce dialogue entre l’Époux et l’épouse, qui s’élève dans l’adoration et qui sanctifie la communauté, ne devrait pas nous enfermer dans des approches partielles sur le pouvoir dans l’Église. Car le Seigneur a voulu manifester son pouvoir et son amour à travers deux visages humains : celui de son divin Fils fait homme et celui d’une créature qui est une femme, Marie. Les femmes apportent leur contribution à l’Église d’une manière spécifique et en prolongeant la force et la tendresse de Marie, la Mère. Ainsi, nous ne nous limitons pas à une approche fonctionnelle, mais nous entrons dans la structure intime de l’Église. Nous comprenons radicalement pourquoi, sans les femmes, elle s’effondre, comme beaucoup de communautés de l’Amazonie seraient tombées en lambeaux si les femmes n’avaient pas été là, en les soutenant, en les maintenant et en s’occupant d’elles.

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Cela montre ce qui caractérise leur pouvoir1.

Le point de vue du Pape est en parfaite cohérence avec la Tradition et la doctrine de l’Église et invite chacun à comprendre que le débat autour de l’ordination des femmes ne doit pas se réduire à donner des réponses spécifiques à des situations assez originales ni même à « récompenser » les femmes pour leur engagement dans l’Église. Il faut plutôt lutter contre le cléricalisme et l’androcentrisme qui accentuent le sentiment que le pouvoir est détenu par les clercs dans l’Église. Car, à dire vrai, il n’y a pas que les ministères ordonnés qui font vivre l’Église et « servent Jésus2 ». Lutter contre le cléricalisme et l’androcentrisme dans l’Église Il est important de souligner de nouveau que la contribution de la femme sur le plan pastoral ne relève pas de la volonté propre du pasteur. C’est une exigence liée à son baptême et rendue obligatoire par l’Église elle-même, pour sa croissance. On peut ainsi constater globalement des évolutions ces dernières années. Des femmes occupent des postes à responsabilité et sont plus visibles comme femmes, y compris au Vatican, où leur nombre est en nette progression. Des habitudes, plus liées au cléricalisme et aux cultures locales qu’autre chose, persistent ci et là. Mais nul doute que ce sont des résistances qui, avec le temps, et sous l’action de l’Esprit Saint, avec d’incessantes interpellations de l’autorité pontificale, vont se réduire jusqu’à disparaître. La dynamique est lancée et elle va se poursuivre. Au fond, on peut le dire, la question de la femme n’est pas un problème dans 1

Pape François, Querida Amazonia, Exhortation apostolique, 2020. Albert DECOURTRAY, « Préface », in Nicole Echivard, Femme, qui estu ? Lyon, Édition Criterion, 1985, p. 14.

2

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l’Église, au sens où celle-ci ferait la promotion d’une « doctrine » d’exclusion basée sur le sexe. C’est plutôt un problème d’hommes d’Église qui, quelquefois retranchés dans leur propre histoire testostéronnienne et patriarcale, utilisent l’Église comme un paravent pour discriminer les femmes. C’est ainsi qu’Alphonse Borras affirme : Devant les difficultés ou simplement l’indifférence, il y a risque chez des femmes de " la surenchère du don de soi" pour obtenir une reconnaissance en tant que nouveaux acteurs de la pastorale. Certes, en rigueur, cela ne tient pas à la féminité comme telle, au sexe social, à une question de genre. Mais cela n’arrange rien que, sous l’effet persistant de l’androcentrisme séculaire et d’une mentalité patriarcale, cela soit vécu par des êtres humains féminins. Cela constitue même un obstacle supplémentaire dans une dynamique qui relève en définitive du changement institutionnel et non d’abord de la différenciation sexuelle. C’est du changement dont on a peur ! Or, la peur est plus grande quand le changement est opéré par des femmes, car l’imaginaire social se les présente, en Église comme dans la société, soumises aux hommes, ce qui peut nourrir chez eux la crainte d’une révolte, l’angoisse à un retournement du rapport de force1.

N’oublions pas que, comme l’affirme Michel de Certeau, la foi nous pousse à reconnaître Dieu comme différent, comme un Dieu qu’on ne peut pas avoir la certitude de

1

Alphonse BORRAS, Hommes et femmes en Église, « Transversalités » 2014/3 N° 131, https://www.cairn.info/revue-transversalites-2014-3page-85.htm, p. 101.

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posséder1. Cela nous ouvre à la différence et à la diversité comme le lieu de notre catholicité. Si dans ce cas, l’autre n’est pas le contraire de « moi », il ne peut être qu’un autremoi. C’est toute la richesse de l’accueil de l’autre qui se déploie dans cette vision. La différence affirmée et assumée de la femme doit être vue comme porteuse de grâces, car les femmes de l’Église ont des histoires riches d’expérience dans leur rapport au monde. Leur désir d’engagement, qui procède aussi de la charité, doit être accueilli avec Action de grâce, parce que la charité qui les pousse « établit la communauté sur la base des différences respectées, mais reconnues indispensables les unes aux autres ; elle fait de l’amour ce qui ne cesse de découvrir et de marquer l’originalité de l’autre ou des autres 2 ». De fait, « il n’y a plus ni juif, ni grec, il n’y a plus ni esclave ni homme libre, il n’y a plus l’homme et la femme, car tous, vous ne faites plus qu’un dans le Christ Jésus » (Gal 3, 28). Il faut, au niveau des pasteurs, prendre acte du fait que les temps ont changé ! La différenciation profonde qui déterminait à chacun son espace dans l’Église, clercs et laïcs, hommes et femmes, est révolue. Il nous faut apprendre à penser en des termes de charisme, de service, de communion, de synodalité. Selon Hervé Legrand, l’unanimité de l’Église ancienne et médiévale sur l’infériorité supposée de la femme procédait de l’androcentrisme, c’est-à-dire de « cette vision partagée par les théologiens les plus classiques et les plus influents comme saint Augustin et saint Thomas d’Aquin, selon laquelle la femme est relative à l’homme sans que la réciproque ne soit jamais envisagée, parce que l’homme est vu comme le sexe exemplaire de l’humanité – anthropologie qui n’est certainement pas révélée3 ». Sur ce point précis, il 1

Michel de CERTEAU, L’étranger ou l’union dans la différence, Paris, Éditions du Seuil, 2005, p. 17. 2 Ibid. 3 Cité par Alphonse BORRAS, op. cit., p. 103.

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n’y a pas que les clercs qui sont concernés et qui doivent procéder à ce qu’Alphonse Borras appelle « un travail de purification de la mémoire », pour changer d’imaginaire sur la femme. C’est toute la civilisation judéo-chrétienne qui doit se réinventer dans les témoins d’aujourd’hui, pour réenchanter la condition humaine. Ce n’est nullement impossible, car, comme le soutient Olivier Clément, ceux qui renouvellent les civilisations sont ceux qui les dépassent, c’est-à-dire ceux qui, parce qu’ivres de Dieu, voient le monde et y agissent pour que le règne de Dieu y arrive comme au ciel.

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Chapitre 8

REPENSER LES DROITS HUMAINS DE LA FEMME À LA LUMIÈRE DU LIVRE DE LA GENÈSE ET DE L’ÉVANGILE

Je souhaite rappeler que depuis le début de cet ouvrage, mon souci est de poser ouvertement la question de la dignité et des droits de la femme dans nos sociétés actuelles, à partir de ce qu’ils ont été dans les civilisations et dans les religions. Mais il importe de ne pas se tromper de débat. Car, malheureusement les femmes sont en train d’être dépossédées de leur lutte au profit d’autres causes, qui ne font que nourrir la peur des hommes et justifier la prudence de l’Église et son refus de prendre part à des débats d’inhumanité qui tolèrent des positions idéologiques qui portent atteinte à la morale naturelle et à la doctrine catholique. Tout compte fait, il existe un problème de la femme qu’il est impossible de laisser aux seules femmes. Nous y avons tous intérêt. Par devoir de vérité vis-à-vis de nous-mêmes et de notre humanité commune. Car des millions de femmes dans le monde veulent participer au progrès humain. Pour cela, il nous revient, à nous tous, de les libérer des prisons des clichés qui nourrissent, encore aujourd’hui, des exclusions sociales. C’est un combat que chaque homme devrait mener à son propre niveau, déjà en changeant de regard sur la femme et en assumant de nouvelles expressions plus valorisantes pour la désigner. Mais la femme elle-même doit 187

pouvoir entendre résonner dans son cœur l’appel de Dieu à contribuer à la nouvelle création. C’est pourquoi le Pape Paul VI pouvait s’adresser à la femme, au Centre féminin italien, le 30 mai 1965, en ces termes : Si tu savais le don de Dieu, tu saurais que la parfaite égalité de nature et de dignité – et donc de droits – t’es donnée dès la première page de l’Écriture. La justice qui t’est due ne consiste pas, en effet, en une assimilation banale de ta vie au mode de vie masculin ni en une négation des aspirations profondes qui sont propres à ton âme. Elle consiste dans le respect et l’élévation de ta féminité, laquelle est d’autant plus satisfaite et heureuse que sa spécificité, son originalité, les prérogatives de sa psychologie et de sa fonction sont mieux connues. Tout cela, qui rend ta mission complémentaire de celle de l’homme, ne la déprécie pas, ne l’avilit pas, mais la valorise dans sa mission éternelle au service des valeurs les plus hautes de la vie humaine.

Ceci est d’autant plus nécessaire que je souhaite revenir sur les récits de la création du livre de la Genèse ; récits sur lesquels beaucoup d’imaginaires se sont figés dans la civilisation judéo-chrétienne pour définir le statut de la femme et sa subordination et pour promouvoir des coutumes païennes. Je vais le faire en tentant d’accéder aux représentations attachées aux mots et aux lieux, c’est-à-dire à ce que les écrivains sacrés ont vraiment écrit, et pourquoi ils l’ont écrit à partir de leur contexte symbolique.

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Réappropriation des récits de la Création Tout part de la façon dont les hommes et les femmes s’observent vivre dans leur communauté de vie, à partir du moment où ils sont devenus plus ou moins sédentaires. Et comme l’a dit très précisément Michel Schooyans, la sociabilité humaine ne peut pas être « simplement utilitaire ni encore moins purement instinctive ; elle n’est pas réductible à une simple complémentarité. Elle est la conséquence naturelle du fait qu’étant doués de raison et de volonté, les hommes peuvent discerner le vrai du faux, le bien du mal, s’entendre, dialoguer, délibérer, coopérer […]. Les hommes sont capables de découvrir ensemble certaines vérités concernant leur vie et leur mort, et d’en tenir compte dans leur conduite1 ». L’écrivain sacré que Dieu inspire et qui écrit présente l’homme et la femme comme des êtres qui ne peuvent exister sans nouer de relations d’aide mutuelle avec les autres créatures. L’Homme n’a d’existence possible que dans des rapports de réciprocité avec le milieu naturel et les animaux qui le peuplent. « Il ne peut avoir d’authentique personnalité sans la libre association qu’il est appelé à fonder avec un partenaire2 ». C’est ce qui fonde le récit qui situe l’homme dans la Création3. Le premier homme, ha-adam, est créé hors du jardin. Sur la question de ce ha-adam, de cet être générique, les interprétations de Roger Klaine et d’Anne Soupa4 ne sont pas très différentes. Cette première phase de la création humaine ne semble pas achevée, puisque l’Homme ici doit être compris comme l’expression de toute l’humanité indifférenciée. L’homme mâle, Ish, va apparaître plus tard, en même 1

Michel SCHOOYANS, op. cit., p. 24. Roger KLAINE, Le devenir de l’humanité selon les écrits bibliques d’avant notre ère, II, Paris, Les Éditions du Cerf, 2000, p. 33. 3 Roger Klaine explique que Gn 2, 4b-5a.c.7-8.18-23a, est la version que les spécialistes estiment être la plus ancienne sur cette création. 4 Anne Soupa, op. cit., pp. 11-17. 2

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temps que Ishah la femme (Gn 2, 24.12). Et c’est là qu’il devient Adam, sans la connotation globalisante originelle, mais plutôt chargé d’une connotation expressive d’une particularité. L’humanité indifférenciée du début qu’on dit « l’Adam initial », donc ha-adam, demeure dans la logique du texte, comme d’une œuvre de création inachevée. Le Créateur luimême en prend conscience, puisqu’il l’avoue : « il n’est pas bon que l’homme soit seul » (Gn 2, 18a). Selon Roger Klaine, le « il n’est pas bon », qui traduit en tôv en hébreu, est « l’affirmation d’une insuffisance malheureuse et regrettable ». Clairement dit, le Créateur lui-même constate que le jardin, avec toutes les richesses qu’il contient, ne suffit pas à l’homme. Il se sent trop seul. Il fait l’expérience d’un manque. Le Créateur décide alors à combler ce manque : « je vais lui faire une aide qui lui correspondra » (Gn 2, 18b). C’est très remarquable de voir ici, alors qu’on s’attend à ce que ce soit d’abord la femme qui soit créée « comme une aide », ce sont plutôt les animaux qui constituent cette aide (Gn 2, 19). Il faut voir là, la relation que la tradition hébraïque ancienne établissait entre l’homme et les animaux. La création des animaux vient combler un vide, et leur présence permet de vaincre la solitude. Tout compte fait, « leur existence est conçue d’emblée en fonction de leur relation avec l’homme1 ». On peut être tenté d’en faire cas, mais il ne faut pas y voir un fondement des théories évolutionnistes, qui n’étaient pas inconnues dans d’autres mythes. Ici, le récit indique clairement que l’humanité était constituée avant la création « des bêtes des champs », auxquelles l’homme donne un nom. On ne peut donc pas affirmer que l’intention de l’auteur sacré fut de nous dévoiler le secret de

1

Albert DE PURY, « Animalité de l’homme et humanité de l’animal dans la pensée israélite », cité par Roger Klaine, Le devenir de l’humanité selon les écrits bibliques d’avant notre ère, II, op. cit., p. 38.

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notre développement, de « bêtes des champs » à l’humain tel que nous le connaissons aujourd’hui. Ce que Roger Klaine appelle la troisième phase de la création de l’homme1 est caractérisé par une sorte de dédoublement, de l’Adam primitif à la formation d’un couple. Le problème, c’est que le récit de Gn 1, 1-2, 3, qui a été ajouté par la Tradition sacerdotale cinq siècles plus tard, est resté le plus commenté et c’est lui qui anime tant de débats sur la création humaine et sa déchéance. Alors que, selon Roger Klaine et Anne Soupa, les deux versions ne s’opposent pas. L’Adam primitif est créé dans un contexte où l’imaginaire de l’époque du récit est marqué par l’imperfection de la terre et par ses manques. L’Homme qui en est issu est logiquement imparfait. Il n’est donc pas encore parfaitement constitué en masculin et féminin, sauf qu’il a en lui déjà cette capacité d’accomplissement de tout l’être en état de le devenir. La question de « l’aide » revient, et il se trouve que la traduction française minore sa portée en l’appliquant à la femme dont certaines cultures ont pu supposer par là son infériorité à l’homme. Alors qu’il n’en est rien, en tout cas pas du point de vue de l’origine du mot. Le mot hébreu ezer, qui est traduit en français par « aide », « signifie essentiellement le secours dont bénéficie un individu ou un groupe en difficulté ». Sur la soixantaine de fois qu’il est employé dans le Premier Testament, « six s’appliquent à des individus apportant leur soutien à d’autres et dix-huit concernent des troupes "prêtant main-forte" à Israël ou à différents peuples, et cela en tant qu’alliés. Pour le reste, la majorité des emplois (trente) désignent le secours apporté par Yahvé en personne à Israël ou à des croyants en

1

J’écris Homme ici avec grand « H » pour marquer qu’il ne s’agit pas du masculin en particulier, mais de l’être générique. Je note également que les deux premières phases sont la création de ha-Adam et les conditions de sa re-création pour se présenter comme homme et femme.

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difficulté1 ». Le fait est qu’ici, l’humain imparfait, non achevé, est en situation difficile et qu’il va falloir compter sur Yahvé, comme un associé pour l’en sortir. Pour Roger Klaine, le problème, c’est qu’il s’agit d’une aide « qui lui soit assortie ». Cela pourrait ne pas convenir encore à la traduction de Ke-negdô qui veut dire littéralement « vis-à-vis de lui » ou « en face de lui2 », expressions qui évoquent l’idée d’un partenariat entre deux êtres différents. Finalement, le récit va suggérer la volonté de Dieu de trouver à l’Adam générique, un « vis-à-vis », un égal qui lui soit partenaire. Le récit n’ira pas chercher loin, mais dans l’humain générique lui-même qui devient le lieu et la matière de la création du « vis-à-vis » : « Alors le Seigneur Dieu fit tomber sur lui un sommeil mystérieux » (Gn 2, 21a). Dans la pensée, « le sommeil » est l’état des morts ou proche de la mort (Jr 51, 36). L’homme générique redevient symboliquement terre, d’où il est venu. Et c’est de cette terre qu’il va ressortir en n’étant plus le même. En vérité, « il ne s’agit pas de la création de la femme, comme cela est dit trop souvent. Il est question de la mise au monde de la femme et en même temps de l’homme à partir de l’Adam générique3 » (Gn 2, 21-22). L’expression « os de mes os et chair de ma chair » qui apparaît en Gn 2, 23a, interroge à plus d’un titre. L’homme aurait-il vraiment reconnu ce « vis-à-vis » depuis attendu ? L’homme aurait-il déjà reconnu la femme comme ce partenaire ? Non, selon l’avis de Roger Klaine, qui estime que le Gn 2, 23b est extérieur au récit, et ne peut par conséquent traduire l’expression du sentiment de l’homme mâle (ish) à la vue de Ishah. Pour lui, c’est « l’humanité qui, par cette affirmation, reconnaît la femme comme l’un de ses 1

Roger KLAINE, Le devenir de l’humanité selon les écrits bibliques d’avant notre ère, II, p. 46. 2 Ibid., p. 47. 3 Ibid., p. 48.

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membres, à part entière. Autrement dit, par ce cri de joie, homme et femme sont déclarés, l’un comme l’autre, humains de naissance1 ». Anne Soupa confirme une telle logique, du fait « qu’il n’y a donc pas d’antériorité de l’un sur l’autre sexe2 ». Puisque la question du sexe ne se posait pas. C’est ce qu’exprime très certainement le rédacteur sacerdotal en Gn 5, 2, étant donné qu’en plus, « os de mes os » fait allusion à la parenté corporelle, de famille et de clan. Le résumé que Roger Klaine fait de sa contribution éclairante et inspirante au débat très actuel, non seulement sur la subordination de la femme qui serait inscrite dans l’ordre naturel des choses, mais aussi sur la neutralité des sexes qui nie la dualité des sexes inscrite dans l’humanité, mérite qu’on le rapporte en entier : L’humain initial a tout pour être heureux dans son jardin de paradis. Le Créateur l’associe même à sa puissance créatrice en lui donnant la capacité de nommer les animaux. Et pourtant Yahvé-Elohim constate que cet être "bisexué3" et seul se trouve dans une situation douloureusement mauvaise. L’idée directrice du mythe est claire : même possédant le bien-être, la sécurité et le pouvoir, l’homme sans relation à l’autre ne peut trouver le bonheur. Un vis-à-vis lui est indispensable. Il lui faut découvrir et accepter qu’il n’est pas un homme accompli s’il ne vit pas l’altérité des sexes. L’homme et la femme selon 1

Ibid., p. 49. Anne SOUPA, op. cit., p. 16. 3 C’est moi qui mets ce mot entre guillemets, parce qu’il me semble inapproprié, du fait qu’à ce moment-là, si on suit bien l’analyse de Roger Klaine, il n’est pas encore question de sexe, de sexué, de sexuel, d’asexué, de bisexué. 2

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la Bible sont ainsi déclarés n’exister que par leur relation à l’autre, dans une interdépendance qui les constitue. Cependant, l’autre en question, homme ou femme, pour correspondre aux exigences d’une véritable relation, ne peut être qu’irréductiblement différent et indépendant1.

Il est clair que toute position, dans le débat actuel sur la femme, qui défendrait sa subordination et l’indifférenciation des sexes en se référant à la Genèse pour se légitimer, ne mérite pas d’être prise au sérieux. Pendant longtemps, en effet, dans les Églises chrétiennes, l’on a cru comprendre que c’est dans le sens de la subordination de la femme, – qu’il fallait quand même aimer de tout son cœur ! – que se posait la question du couple. La grâce du Concile Vatican II est venue nous ouvrir au souffle de l’Esprit Saint, et nous apprendre à reconnaître chez la femme l’image de Dieu et une chance pour notre humanité, autant que les hommes peuvent l’être. C’est un véritable tournant pour l’Église puisque nous sommes sur des questions de dignité humaine et de droits humains sur lesquels elle ne peut pas avoir plus d’une voix. Et l’Évangile dans tout ça ? Je voudrais replacer la démarche chrétienne dans son vrai contexte, qui est celui de l’Évangile. Je veux rappeler ici le thème de l’accomplissement, tel que les Apôtres l’appliquent à Jésus, parce que, entre le livre de la Genèse, qui serait le fondement de la subordination de la femme revendiquée par la culture judéo-chrétienne en particulier, et nous (l’Église), il y a quand même Jésus-Christ. Ce qui suppose que pour nous chrétiens, une lecture chrétienne de la Genèse s’impose, 1

Ibid., p. 51.

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et il est fort à parier que Jésus n’a jamais assumé la subordination de la femme en s’appuyant sur la Genèse. Anne Soupa parle même d’une histoire d’amour entre Jésus et les femmes de l’Évangile. Ce qui nous indique le dépassement de la question par Jésus. Mais voyons ensemble de quoi il s’agit. Des sources existent, parmi lesquelles il y a bien sûr les Évangiles, qui nous permettent de nous faire une idée du statut de la femme au temps de Jésus, et sur le lien que ce dernier a entretenu avec elle. Il faut le dire d’emblée, dans la société juive du temps de Jésus, « selon la Torah, la femme est en toute chose inférieure à l’homme1 ». L’idée d’avoir été créée comme « une aide adéquate » justifiait sa subordination et son absence dans l’espace public et religieux. En dehors de sa maison, elle n’avait pas à être là où étaient les hommes. Elle était réduite à avoir des enfants et à se mettre au service de son mari, qu’elle appelait ba’ali, qui se traduit par « mon seigneur ». Dans tous les cas, elle passait de l’autorité d’un père à celle d’un mari, et revenait à la case départ en cas de répudiation. Sa vie religieuse était réduite à ce qui se faisait à la maison. Elle n’était pas tenue d’avoir une vie religieuse publique stricte. Au temple, par exemple, pour des raisons liées à sa nature de femme, comme la menstruation et l’accouchement, elle était déclarée impure à accéder aux parties saintes. Globalement, la situation de la femme au temps de Jésus n’était pas très favorable. Le théologien espagnol José Antonio Pagola estime même qu’elle était « plus sévère et plus négative encore ». La femme « n’était pas seulement considérée comme source de tentation et occasion de péché. Elle était, en outre, frivole, sensuelle, paresseuse, cancanière, et désordonnée2 ». Tout dans cette description indique que 1

Flavius JOSEPHE, cité par José Antonio Pagola, Jésus. Approche historique, Paris, Les Éditions du Cerf, 2019, p. 223. 2 José Antonio PAGOLA, op. cit., p. 221.

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d’un côté, nous avons les hommes, supposés tous vertueux et de l’autre, les femmes a priori toutes vicieuses. Dieu, dans cette opposition, était supposé plus proche des hommes que des femmes. Quoi qu’il en soit, « les femmes juives, sans autonomie réelle, servantes de leurs époux, recluses dans leur propre maison, suspectes d’impureté rituelle, discriminées sur le plan religieux et juridique, constituaient un secteur profondément marginalisé de la société juive1 ». C’est dans ce contexte que Jésus annonce la venue du Royaume de Dieu, dont il dit que les « publicains et les prostituées » y précédent les chefs religieux ! (Mat 21, 31). Or, nul doute que Jésus savait la méfiance vis-à-vis des femmes et leur rejet par la société à laquelle il appartenait. Encore davantage lorsqu’elles étaient de « mauvaise vie », répudiées et sans mari. Les femmes pouvaient ainsi être assimilées à la catégorie dite des pécheurs et des exclus, bien que leur situation ne fut pas la même. Plus que les situations elles-mêmes de fragilité, de maladie, d’abandon, etc., ce qui est remarquable, c’est le bon accueil et la compassion de Jésus à leur égard, sans considération de leur origine et de leur statut social. Parmi celles auxquelles il faisait bon accueil, il faut noter aussi la présence de non-juives (Mc 7, 26). Rigoureusement parlant, Jésus n’a pas formulé un projet social pour les femmes. Mais vis-à-vis d’elles, il se dégage « le profil d’une personnalité dont la liberté paraît être l’élément le plus manifeste2 » dans « l’instant de la rencontre ». Christian Duquoc, dans Jésus homme libre, en parle comme d’un homme libre de la liberté de Dieu à l’égard des préjugés sociaux. C’est dans la mission reçue de son Père qui l’a envoyé pour le salut du monde, que Jésus est reconnu comme un homme libre. Sur les questions sociales, il 1

Ibid., p. 223. Christian DUQUOC, Jésus homme libre. Esquisse d’une christologie, Cerf, Paris, 2003, p. 26.

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apparaît ouvertement dans les Évangiles que « Jésus explicite, dans un style paradoxal, le ressort de sa propre conduite ; elle n’a pas d’autres règles que son attitude filiale à l’égard de Dieu et son amour effectif du prochain1 ». Sur chacune des femmes qu’il rencontre donc, Jésus « pose son regard ». Par sa proximité avec ces femmes, dont certaines le suivent, il les déclare fréquentables et s’oppose ainsi à leur prétendue impureté, ainsi qu’à l’idée qu’elles étaient source de tentation. Dans cette annonce du Royaume, car c’est bien de cela qu’il s’agit d’abord, on note donc une certaine remise en cause des clichés concernant les femmes. Chez Marthe et Marie, la réaction de Jésus face à la demande de Marthe, qui estime que sa sœur n’accomplit pas son rôle de ménagère, est inattendue. À la requête de Marthe, Jésus oppose un appel plus valorisant, à savoir que sa sœur a choisi la meilleure part (Lc10, 42). En ramenant Marthe à Dieu et à sa Parole comme à la source de tout bien, il l’invite à considérer que la valeur propre de la femme, comme celle de l’homme, est toujours à mettre en lien avec Dieu, qui en est la source. C’est de Dieu que nos vies tirent leur véritable raison d’être qui ne se réduit pas, pour la femme, à la cuisine ! Cette « bonne part » que Marie choisit, tous les hommes et toutes les femmes y ont droit et y sont invités. Pourvu qu’ils la désirent réellement. La femme adultère, c’est-à-dire qui a des relations sexuelles avec un homme qui n’est pas son mari (Jn 8, 1-8), est pardonnée par Jésus, contrairement à ce que prévoit la Loi qui semble avoir aux yeux du Seigneur un « double critère de moralité ». L’hypocrisie des chefs religieux est devenue insupportable à Jésus. Car ceux qui interprètent la Loi lorsqu’il s’agit d’eux, et qui l’appliquent lorsqu’il s’agit d’autres personnes, sont tous pécheurs. Et dans le cas de cette femme, s’il y a adultère, c’est bien qu’il y a eu un homme comme partenaire. Comment se fait-il qu’elle doive toute 1

Ibid., p. 31.

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seule en payer la peine ? Dans tous les cas, la miséricorde de Dieu est à l’œuvre, car ce ne sont pas les bien-portants qui ont besoin de médecin, mais les malades. Le regard de Jésus sur la femme adultère est différent, parce qu’il ne la juge pas : « Moi non plus, je ne te condamne pas. Va et désormais ne pèche plus ». Il lui offre cependant de faire l’expérience du jaillissement de la vie divine en elle par son ouverture à la grâce de Dieu. En Jésus, il n’y a plus de condamnation pour ceux que le monde a déjà jugés comme pécheurs. Par sa descente en notre humanité dans le mystère de l’Incarnation et dans son mystère pascal, il s’abaisse pour nous aider à nous relever avec lui. C’est dans cette logique qu’il faudrait situer aussi la réponse de Jésus en Mt 19, 1-9, lorsqu’il dénonce une pratique qui est légale, mais injuste, à savoir la répudiation décidée par l’époux, souvent sur la base de fausses allégations, alors que l’homme et la femme sont une seule chair. À supposer un instant que Jésus soit allé dans le sens de l’interprétation classique de la Genèse et du statut social de la femme dans la société juive de son époque, jamais il n’aurait eu une telle attitude de dénonciation du tort qui était fait aux femmes répudiées. Nous sommes là sur un cas tout aussi éclairant que les autres, de l’option dénonciatrice de Jésus sur le traitement, socialement et légalement admis, qui était infligé aux femmes de son temps. Et il s’agit d’une option inspirante pour l’Église, pour faire face aux injustices, qu’elles touchent des femmes ou des hommes. C’est pourquoi je me permets de rapprocher ici l’attitude de Jésus vis-à-vis des femmes de son époque et l’accomplissement des promesses de libération et de salut en Dieu. Promesses de libération et de salut dont on sait qu’elles concernent aussi bien les juifs que les non-juifs. La samaritaine en donne une signification hautement appréciable dans son dialogue avec Jésus en Jn 4, 1-42 : « Je sais qu’il vient, le Messie, celui qu’on appelle Christ. Quand 198

il viendra, c’est lui qui nous fera connaître toutes choses ». Jésus lui dit : « Je le suis, moi qui te parle ». À une femme triplement pécheresse selon les Juifs, parce qu’elle est d’abord samaritaine, ensuite femme et enfin parce qu’elle vit avec un homme qui n’est pas son mari, Jésus se révèle comme Celui qui vient pour faire accéder tout homme et toute femme à la vérité de sa vie et des choses. Et ainsi de faire surgir en tout homme et en toute femme la source d’eau vive qui désaltère de toutes les soifs. L’option fondamentale de Jésus est de rétablir toute personne dans sa dignité de fils et de fille de Dieu. C’est pourquoi son action « consista, en majeure partie, à fonder la communication sociale, à établir la communication, précisément là où excommunication et expulsion avaient force de loi1 ». On peut le dire, dans l’annonce du Royaume, Jésus ne s’est pas « battu » en particulier pour les femmes, pour leur rendre justice à elles seules. Et il faut bien comprendre, comme le dit Claude Heriard que « ce n’est pas dans la loi de l’égalité et de la justice humaine que nous conduit Jésus, c’est dans une invitation à un autrement qu’être, où l’amour débordant, sans mesure est le seul critère2 ». Sa préférence va donc aux personnes exclues, aux pauvres et aux faibles. C’est pour toutes ces personnes qu’il s’est « porté garant du Dieu libérateur qui aime les hommes3 ». Il s’est donc « battu » contre un système déshumanisant, pour que la Loi soit mise au service de l’amour. En Jésus, la promesse de Dieu se réalise pour tous les hommes et pour toutes les femmes qui sont, à divers niveaux, des « pauvres », des « exclus », des « faibles ». Ce que cela nous inspire dans la foi, c’est que, comme l’affirme Jacques Ellul, « toute promesse accomplie donne 1

Edward SCHILLEBEECKX, La politique n’est pas tout, op. cit., p. 31. Claude HERIARD, À genoux devant l’homme, CreateSpace Independent Publishing Platform, 2013, p. 156. 3 Edward SCHILLEBEECKX, La politique n’est pas tout, op. cit., p. 33. 2

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naissance à une nouvelle promesse, il y a un rebondissement vers un autre horizon, à la fois historique et éternel, puisque l’historicité ne prend valeur que parce qu’elle est pénétrée par la promesse de l’Éternel. La conjonction de la réalisation de l’ancienne promesse et de l’apparition de la nouvelle fait que nous sommes appelés à vivre la situation actuelle dans l’Espérance1 ». De l’accomplissement des promesses de Dieu L’idée d’accomplissement que Jésus lui-même évoque dans les Évangiles, puise ses origines dans une longue tradition religieuse, authentifiée par les écrits de l’Ancien Testament dont le Concile Vatican II dira si justement que : « l’économie de l’Ancien Testament avait pour mission d’être majeure de préparer l’avènement du Christ Sauveur du monde, et de son royaume messianique, d’annoncer prophétiquement cet avènement (cf. Lc 24. 44 ; Jn 5. 39 ; 1 P 1. 10) et de le signifier par diverses figures (cf. 1 Co 10. 11)2 ». L’accomplissement, qui est rapporté à la personne du Christ, procède de la mise en relation de la vie de Jésus avec l’histoire de son peuple. Aussi, comme l’affirme Hans Urs Von Balthasar, « l’accomplissement de la Loi et l’approfondissement de sens apportés par l’homme Jésus-Christ sont ainsi le fondement et la mesure de tout autre accomplissement ou non-accomplissement. Mais en tant que l’accomplissement du Christ se produit précisément sous la forme de la "kénose", dans une chair semblable à celle du péché, et pour le "péché" (Rm 8, 3), le Fils de Dieu possède en luimême non seulement l’expérience de la situation humaine en général, mais aussi celle de toutes les situations qui se trouvent entre l’accomplissement parfait et le parfait non-

1 2

Jacques ELLUL, op. cit., p. 228. Vatican II, Dei Verbum, n°15.

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accomplissement1 ». C’est en lui que tout est récapitulé (Ep 1, 9), pour qu’en lui se renouvelle toute chose. En ce sens, si l’homme a un « à-venir », et s’il en espère quelque chose, cela ne saurait être en dehors du mystère du Christ, lui notre Salut. Dieu s’est fait l’un de nous dans le Christ pour être notre présent et notre Pâque éternelle. L’avenir dans lequel il nous engage devient ainsi dans le mystère du Christ, la force qui nous fait vivre librement notre « aujourd’hui », dans l’espérance du Salut. Telle est la certitude qui émerge des Évangiles. La foi en Jésus, en même temps qu’elle interroge le passé, le présent et l’avenir de son peuple, lui apporte aussi une réponse valable2. Dans toute rencontre avec lui, Jésus se saisit de « tout l’homme » et c’est dans sa reconnaissance comme notre Seigneur et notre Salut, et son accueil comme le compagnon de notre chemin d’existence que nous sommes éclairés dans nos questions de vie. C’est pourquoi son mystère pascal devient à la fois un chemin d’accomplissement et une ouverture sur l’avenir, c’est-à-dire sur le commencement d’une nouvelle histoire sur laquelle brille déjà la lumière des Temps nouveaux. En Jésus, c’est dans la découverte de Dieu comme profondeur et mystère que l’homme se perçoit et se comprend comme un « être étonnant » et l’« œuvre de Dieu » (Ps 138). Cet accomplissement, dans le sens qu’en donnent les Apôtres, évoque aussi un certain lien entre Jésus et les grandes figures de l’Ancien Testament (Lc 9, 30). C’est pourquoi, selon Hans Urs Von Balthasar, « dans la vie du Christ, l’Ancien Testament est caché, mais véritablement représenté avec la Nouvelle Loi ; chaque instant de cette vie est plus que lui-même : il est présence de tout accomplissement, "plénitude des temps" en un sens qualitatif, parce 1

Hans Urs VON BALTHASAR, op. cit., p. 58. Edward SCHILLEBEECKX, Le monde et l’église, Cep, Bruxelles, 1965, p. 301.

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que temps élevé sur le plan de l’éternité1 ». Non seulement Jésus ne réfère pas toute son action et sa personne à l’Ancien Testament, comme l’accomplissant en tous points, mais il revendique une autorité à son égard : « vous avez appris qu’il a été dit… Eh bien moi je vous dis… » (Mt 5, 43-48). Le Jésus prophète prend ici tout son sens. De fait, dira Christian Duquoc, si Jésus est prophète, c’est « parce que dans une fidélité absolue à sa mission et une liberté sans compromission, il annonce l’exigence radicale de Dieu, avec pleine lucidité sur les enjeux individuels et sociaux2 ». Des usages coutumiers au prophétisme évangélique J’ai conscience, pourtant, que dans les différents contextes des Églises, en Afrique particulièrement, la tâche va être rude pour prendre ouvertement parti pour les droits de la femme à la façon de Jésus3. Pour plusieurs raisons, dont deux que je souhaiterais évoquer spécifiquement. La première, c’est que l’interprétation classique de la Genèse, qui subordonne la femme à l’homme, correspond tout à fait à l’imaginaire social africain sur la question, et il apparaît difficile d’échapper à l’impact social d’une telle vision. L’autre raison, c’est qu’en général, le prêtre est perçu dans la hiérarchie pastorale comme le fantassin de l’évangélisation. Si la charge d’une communauté de fidèles lui est confiée (canon 515) et s’il administre un territoire (canon 518), cela 1

Hans Urs VON BALTHASAR, op. cit., p. 80. Christian DUQUOC, op. cit., p. 43. 3 On pourrait s’étonner que j’exprime là un véritable pessimisme. Un quasi-échec pressenti ! Bien entendu que des actions sont menées ici et là, mais elles demeurent trop isolées et ne permettent pas de se saisir publiquement du problème. Il faudrait peut-être voir dans ce mouvement lent, le saisissement du problème de la femme, non pas sous l’effet de la pression médiatique et des lobbies, mais dans le sens de l’intelligence de nos sociétés africaines qui ont leur rythme de vie et leur façon à elles de travailler à l’avenir. 2

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suppose une organisation qui nécessite des collaborateurs. Les changements sociaux qui se sont opérés ces dernières années en Afrique, comme l’augmentation des populations, la présence des villes aux portes des villages avec de gros projets urbains, se sont accompagnés d’exigences organisationnelles nouvelles auxquelles les prêtres ne sont pas toujours préparés. C’est dans ce contexte qu’en Afrique, comme ailleurs, « d’homme-orchestre, le clerc catholique est devenu chef d’orchestre. Un tel changement exige de lui des compétences nouvelles, ce qui pose la question de l’adéquation entre la formation reçue au séminaire et la réalité du travail de terrain et donne à voir la pénétration d’un discours de type managérial dans la sphère catholique1 ». La nécessité de faire une place aux laïcs, dans ce contexte, est affirmée comme l’expression de leur participation à la vie de l’Église. À cette nécessité, il a été donné une existence juridique dans le Code de 1983. Malheureusement, dans la plupart des cas, « […] les prêtres, plus sans doute que d’autres ministres, mesurent la difficulté de "faire Église" dans la diversité des vocations, des charismes, des sensibilités spirituelles, des options ecclésiologiques ou des choix idéologiques2 ». Malgré tout, des efforts sont à signaler au niveau de la collaboration avec les laïcs hommes. Mais avec les femmes, la collaboration souffre plus de prudence, et peut être marquée, quelquefois, par des comportements maladroits, qui sont plus le fait de l’instabilité apparente que provoque la présence d’une femme que d’un rejet systématique. Il faut y voir les traces d’un poids culturel. Le célibat presbytéral est mis en avant comme un signe sacrificiel, dans un environnement où le mariage revêt un sens particulier. C’est donc par le « sacrifice » du célibat que le prêtre est reconnu vrai et par conséquent qu’il est légitimé dans son ministère. Il y a là une 1

Céline BÉRAUD, Le métier de prêtre, Paris, Les Éditions de l’Atelier, 2006, p. 65. 2 La Vie, citée par Céline Beraud, op. cit., p. 81.

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forme de figure héroïque qui sied bien au prêtre et que luimême cultive par sa prudence vis-à-vis de la femme. Il faut ajouter à cela la forme d’autorité que le prêtre souhaite incarner dans son ministère. Si son modèle repose sur l’androcentrisme culturel ambiant, il y a fort à parier que son autoritarisme de chef place la femme à un niveau tel qu’il lui sera difficile d’être sensible à une collaboration féminine de « haut niveau ». Voici pourquoi les femmes sont généralement réduites à des tâches plus ou moins permanentes que le prêtre pense être « affaires de femmes ». Ces tâches peuvent apparaître comme discriminatoires, si dans le même temps, les femmes ne peuvent pas accéder à des postes de responsabilité et de décisions dans les paroisses et dans différentes structures de l’Église. La question de la femme, et la façon dont elle se pose dans notre actualité, devrait intégrer les programmes de formation dans les séminaires, pour éviter que les prêtres soient dépassés par des problèmes qui se mondialisent. La rencontre du prêtre avec la femme, dans le cadre de son ministère pastoral, est quasi quotidienne. La femme est là, en quête de reconnaissance pour ce qu’elle fait déjà. D’autres veulent s’engager. Mais comment le faire et jusqu’à quel point ? Les femmes en Afrique souhaitent être utiles à la vie de leur Église. Utiles, parce qu’elles ont déjà pour la plupart une expérience de vie : familiale, professionnelle, associative. Elles veulent valoriser cela dans le service gratuit de l’Église, dans le strict respect de la spécificité de l’Église, comme Corps du Christ et famille de Dieu. Tout cela est vrai. Mais que peut faire le prêtre, en réalité ? Les réponses sont multiples et variées. Elles peuvent provenir de la figure d’autorité épiscopale locale, comme elles peuvent provenir du prêtre lui-même. Dans les deux cas, il ne s’agit pas d’une réponse simple et facile, parce qu’il y a un environnement culturel sur la question qui, même si on ne l’avoue pas, ne manque pas de nous impacter. Et puis il y a les habitudes acquises. Les imaginaires figés. On ne change 204

pas d’idée comme on change de soutane ! Une soutane se change dès qu’on se dit qu’elle n’est plus propre. Une idée, bien qu’elle ne soit pas propre, donc fausse, a le pouvoir de circuler normalement comme circulent les bonnes idées. Or de l’infériorité supposée de la femme, il se dit des tas de choses, qui ne sont pas vraies : que les femmes ont des périodes « d’impureté » menstruelles qui ne sont pas compatibles avec un service important d’Église ; qu’elles sont inaptes à quoi que ce soit lorsqu’elles sont enceintes ; qu’elles traînent chaque fois des gosses qui hurlent ; qu’elles ont toujours besoin d’être accompagnées, sinon elles vont dans tous les sens ; et cætera et cætera. Si l’on peut rattacher au fait d’être femme des charismes spécifiques, comme le reconnaît le Concile Vatican II, il nous faut éviter d’en faire des cloisonnements qui les infantiliseraient et qui les soushumaniseraient. D’ailleurs, contrairement à ce qui est habituellement cru, il n’y aurait pas de différences de capacités cognitives entre le cerveau d’une femme et celui d’un homme1. La place de la femme est à ce titre irremplaçable dans la société et dans l’Église. Ce qu’il y aurait alors à faire pour les prêtres en particulier c’est, en se conformant au Concile Vatican II et à tous les autres textes de l’Église sur la question, non pas de prendre des « mesurettes » sans lendemain, ni même de devenir sur ce sujet des hommes du repentir. Si repentir il doit y avoir, il doit conduire à être, comme le dit Olivier Clément, des « hommes de désir » : désir de Dieu ; désir d’altérité ; désir de synodalité ; désir d’une Église famille de Dieu où la place de la femme n’est pas relative à l’homme sans que le contraire soit vrai. Femme, un terme chargé de présupposés « Femme » est un terme d’exclusion. Et il l’est en vérité, à partir du moment où le sexe et la physiologie d’un individu 1

Catherine VIDAL, op. cit., p. 66.

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lui détermineraient systématiquement une place sociale secondaire et son assujettissement à un autre individu. Comme tous les hommes sensibles à un processus d’humanisation et de progrès humain, les femmes peuvent apporter une contribution insoupçonnable qui procède, non seulement du fait qu’elles sont différentes sur bien des aspects, mais également de toutes les richesses contenues dans leur humanité. L’idée de la différence complémentaire n’est pas à situer au seul niveau de la différence des sexes et d’une certaine psychologie de l’homme et de la femme. Certes, tout cela n’est pas à remettre en cause. Mais il faut également prêter attention à ce qui fait la particularité de l’homme et de la femme, c’est-à-dire à toute leur capacité commune à poursuivre l’œuvre de la Création. Ce qui nécessite, pour l’homme ou pour la femme, d’avoir de la créativité pour mesurer son propre engagement ; d’avoir le sens de la beauté pour apprendre à s’émerveiller ; d’avoir le sens de l’intériorité pour apprendre à revenir à soi et à Dieu ; d’avoir le sens de l’altérité comme une démarche pour trouver chez l’autre un lieu d’oxygénation et d’humanisation ; d’avoir le sens de l’effacement pour éviter d’être un obstacle au projet commun. Dans une telle logique, il y a ceux qui s’engagent à cette œuvre de création et de re-création, et ceux qui ne pensent qu’à la détruire. Mais il y a surtout, et c’est là le plus important, le fait que la participation de ceux qui s’y engagent est toujours différente, même si elle peut être identique à l’occasion. Que ce soit uniquement entre les hommes, ou entre les femmes, et bien sûr que ce soit aussi entre les hommes et les femmes. C’est à ce niveau que la différence complémentaire prend tout son sens. L’humanité reste certes multiple et variée dans son expression, mais elle demeure indivisible et inhiérarchisable. La méconnaissance de la diversité humaine et le refus de l’autre ont déjà causé un grand mal à notre humanité. Les 206

choses peuvent être différentes, si nous sommes capables de promouvoir et de démultiplier ce que Hans Jonas appelle « la créativité de l’agir humain ». Dans ce cas précis et comme le remarque cet auteur, « il ne s’agit pas seulement de signaler un nouveau type d’action, jusqu’à présent négligé, mais de mettre au jour dans tout agir humain une dimension créative qui n’est pas suffisamment prise en compte dans les modèles théoriques de l’action rationnelle et de l’action à visée normative1 ». À partir de là, je formule quelques certitudes, apparemment amusantes, mais qui traduisent le fait que la créativité de l’agir humain reste limitée, tant que celle de la femme n’est pas suscitée et prise en compte. Si l’homme avait été attentif à la valeur de la créativité de la femme, en prenant au sérieux la puissance de sa participation au progrès humain, il y a longtemps qu’aucun enfant ne mourrait plus d’une maladie, le paludisme, transmise par cet insecte insignifiant qu’est le moustique ! La révolution numérique serait advenue depuis au moins l’Empire romain. L’exploration de la Lune et des autres planètes aurait eu lieu depuis le Moyen-âge. C’est ce que Jésus a bien compris en défendant la dignité humaine et les droits humains dans leur globalité, et en confiant aux femmes la Bonne Nouvelle de sa Résurrection à annoncer. Le Christ peut en être fier, car nous qui n’y étions pas, la nouvelle nous est parvenue ! C’est donc à juste titre que le Pape nous invite à redécouvrir la place de Marie-Madeleine dans le mystère de l’Église, en nous proposant de la célébrer chaque année comme disciple. Finalement, voici où le monde en est rendu avec les hommes : quelques acquis certes, mais des violences récurrentes dans un monde où les choix sont réduits à être, comme disait Voltaire, enclume ou marteau ; après avoir inventé l’arme atomique et « fixé » sa tente sur la Lune, l’homme demeure toujours notoirement incapable de faire face à des 1 Hans JONAS, La créativité de l’agir humain, Paris, Les Éditions du Cerf, 1999, p. 14.

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« petits virus » de quartier ; tout cela sur fond d’un « moi » surdimensionné qui emprisonne des hommes sûrs d’euxmêmes dans des prisons qu’ils se sont fabriquées, et où, comme le dit Maurice Zundel, « n’importe qui peut détecter en soi un narcissisme au petit pied, qui le fait graviter sans fin autour de soi1 ». Il y a pire, mais je ne veux pas continuer de faire peur aux femmes, que nous avons rendues étrangères à notre monde ! Évidemment, je ne dis pas que les femmes seules auraient la solution aux problèmes actuels de l’humanité. Je dis que les hommes seuls n’ont pas la solution. Sinon ça se verrait. Le génie masculin a montré ses graves limites et si rien n’est fait, si l’homme persiste à gérer seul les « affaires humaines », il faudrait s’attendre à un « à-venir » plus catastrophique que tout ce que nous avons déjà vécu, et que nous pensions être désormais un mauvais souvenir. Il nous faut absolument intégrer les femmes aux recherches du meilleur pour nous et pour notre monde. Nul doute que si les femmes avaient eu les mêmes opportunités que les hommes, en termes d’éducation et de responsabilité dans la gestion des affaires du monde, nous serions plus que fiers d’être tous ensemble les filles et les fils d’une humanité généreuse, plus joyeuse et plus accomplie. La question de la femme est un vrai problème qui se pose à la conscience collective. Elle doit être au cœur de la défense des droits humains, comme elle l’est pour tous ceux qui, privés de leurs droits humains, se battent pour les acquérir. Et les femmes n’ont pas à être seules et abandonnées à leur sort dans ce combat. Nous avons tous le devoir moral et chrétien de les y aider, en commençant par sortir, déjà nousmêmes, des idéologies androcentriques et de ce sentiment si « masculin », partagé et constamment relayé, qui consiste à croire et à faire croire que la femme est inférieure à l’homme.

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Maurice ZUNDEL, Quel homme et quel Dieu. Retraite au Vatican, Paris, Fayard, 1976, p. 72.

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POUR NE PAS CONCLURE… Faut-il conclure cette analyse ? Oui, mais à condition de préciser qu’il ne s’agit pas d’un point final au débat sur la question de la femme. Il s’est donc agi d’un point de vue, dans un débat si actuel, si important, houleux et douloureusement excessif parfois ! Ce que j’observe, comme bien d’autres, ce n’est pas simplement qu’une injustice ait pu être faite à une femme par un homme. C’est plutôt l’existence d’une subordination légitimée sur le plan civilisationnel, culturel, politique et religieux par des mythologies sociales, des idéologies réductrices, aussi bien païennes qu’inspirées des Textes des religions révélées. J’ai tenté de montrer que les arguments sur lesquels repose et qui justifient cette subordination de la femme, sont discutables. Les textes religieux et les mythes sociaux, en particulier, ont été reçus, interprétés et même construits dans des sociétés patriarcales, uniquement dans un sens androcentrique. La question de la femme repose de ce fait sur un imaginaire collectif multimillénaire qui approuve socialement une humanité hiérarchisée. Les sociologues de l’imaginaire nous informent que celuici n’est pas de l’ordre du chimérique et de l’irréel, comme on l’a prétendu pendant longtemps. L’imaginaire est le produit, chez chacun de nous, selon Gilbert Durand, du naturel psychologique et de la culture1. C’est en tant que réel qu’il nous permet de rentrer en contact avec le monde et de nous 1

Gilbert DURAND, Les structures anthropologiques de l’imaginaire, op. cit., p. 40.

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y situer, à travers « un acte de reconstruction active, sans quoi le cosmos demeure inconnaissable1 ». Le problème, c’est que ce qui nourrit les deux bornes desquelles émerge l’imaginaire peut reposer sur une illusion, sur une mauvaise interprétation, sur une erreur d’appréciation, sur un mensonge, sur une manipulation, sur la ruse, sur du faux, etc. Mais aussi, il peut reposer sur la façon dont chaque groupe humain, à diverses époques, décide d’interpréter son existence et de lui donner un sens. Si, du temps des Grecs, des Romains et autres, la question de la femme, telle que nous l’envisageons dans nos sociétés actuelles, ne se posait pas, il nous faut peut-être éviter de reporter nos critères d’interprétation et de jugement sur des situations du passé, et de nous émouvoir projectivement sur des affaires de cette époque. Car, il faut bien le dire, même si elle nous concerne tous, l’approche de la question de l’égalité, aujourd’hui, n’en est pas moins rigoureusement située. Tout cela invite à la modération dans le discours et à la clarification du débat. Ceci étant dit, il faut quand même noter que lorsque l’on reprend l’interprétation de certains textes révélés à partir desquels des « vérités » multimillénaires se sont établies, en les situant dans leur contexte – comme c’est le cas des trois premiers chapitres du livre de la Genèse – on arrive à la conclusion heureuse que la dignité humaine n’a jamais été conçue comme une dignité à deux vitesses, une, supérieure, qui serait celle des hommes, et l’autre, inférieure, qui serait celle des femmes. L’humanité est une et tous les humains, hommes et femmes, ont en partage la même dignité et les mêmes droits. Si nos sociétés actuelles, plus que celles d’autres époques, sont devenues plus sensibles à cette égalité dont il faut saisir et clarifier les vrais enjeux – et se mobilisent pour la promouvoir –, cela ne peut que se situer dans la logique du progrès humain. 1

Valentina GRASSI, op. cit., p. 12.

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Malheureusement, même si la prise de conscience est enclenchée, le problème des droits de la femme en particulier, tel qu’il se pose dans nos sociétés, reste encore globalement marginal, par rapport aux grandes questions liées, par exemple, à la pauvreté dans le monde, à l’économie mondiale, à l’écologie, etc. Le problème de la femme mobilise très peu, et à tous les niveaux, malgré l’engagement des organisations de défense des droits humains, ainsi que le parrainage de l’ONU. C’est pourquoi il faut éviter que l’ONUfemme, l’agence spécialisée de l’ONU pour « promouvoir la parité et l’autonomisation des femmes partout dans le monde », soit exclusivement une affaire de femmes ! Il faut souhaiter qu’un homme puisse en prendre la direction lorsque ce sera possible, pour que le « combat » pour les droits de la femme ne continue pas de créer des clivages. Au fond, on n’a peut-être pas compris que la question de la femme était nécessairement liée à toutes les grandes questions qui mobilisent par ailleurs tant de financements et de rencontres de haut niveau à travers le monde. Elle est même plus importante que celles-ci, dans la mesure où le respect des droits de la femme, donc leur participation au progrès humain à tous les niveaux, ouvre à d’autres possibilités de résolutions de ces problèmes. Le monde n’appartient pas aux hommes seuls, et il faut avoir le courage et l’humilité de reconnaître que les hommes n’ont pas la solution à tout. Mais ont-ils vraiment les moyens de faire évoluer la question des droits de la femme ? Oui, parce que la sensibilité grandissante de nos sociétés à la question de la dignité humaine nous donne de pouvoir apprécier ensemble les pratiques sociales qui nous valorisent tous, hommes et femmes, comme appartenant à la même communauté humaine et devant avoir accès aux mêmes droits. Mais aussi, cette sensibilité nous donne de savoir nous interroger sur les pratiques sociales exclusives de ceux d’entre nous qui apparaissent comme des faibles, parmi lesquels il faut 211

compter les femmes. Elle nous donne enfin de savoir prendre la mesure et de nous engager à défendre notre humanité face à ce qui contribue à la blesser par des choix d’inhumanité. Les hommes sont assez intelligents pour voir, et en voyant la femme vivre dans les sociétés actuelles, avec une réelle capacité à participer au progrès humain d’une façon tout à fait honorable, créative et ingénieuse, on constate bien qu’elle ne correspond en rien au produit d’une sous-humanité qui mériterait de ne vivre qu’en subordination, en attendant le retour du Christ pour le salut définitif des faibles et des pauvres ! La condition actuelle de la femme dans nombre de sociétés la situe du côté des pauvres et des faibles, selon la Bible. La question du droit des pauvres ainsi que la dénonciation des injustices à leur égard sont très présentes dans les Écritures. Tout cela s’inscrit dans une dynamique de libération, dans la mesure où « celui qui libère fait vivre ; il donne de nouvelles possibilités d’existence à celui qui est bridé. Il le met au large1 ». C’est ce qui est clairement exprimé dans le livre de l’Exode, notamment en Ex 22, 2022. C’est également cette dynamique de libération qui explique que des prophètes comme Amos, Isaïe et Michée dénoncent les riches qui spolient les pauvres. Ezéchiel ne se taira pas non plus devant ceux qui n’assurent pas le droit et la justice. C’est aussi ce qui fait que le Concile Vatican II traite d’infâme tout ce qui offense la dignité de l’homme, « comme les conditions de vie sous-humaines, les emprisonnements arbitraires, les déportations, l’esclavage, la prostitution, le commerce des femmes et des jeunes ; ou encore les conditions de travail dégradantes qui réduisent les travailleurs au rang de purs instruments de rapport, sans égard pour leur personnalité libre et responsable2 ». 1 2

Jacques ROLLET, op. cit., p. 29. Vatican II, Gaudium et spes, n°27, §3.

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Il est donc bien entendu que le problème de la femme dans nos sociétés actuelles est un problème de droits humains liés à la dignité humaine. L’humanité est une. Tous ensemble, nous pouvons en faire une humanité juste, solidaire, compatissante, vertueuse, accomplie et éternelle. Dans le sens du fait que nous l’avons en commun comme bien, nous avons le droit de nous opposer à ceux qui souhaitent la déshumaniser, qui la dévalorisent en voulant en exclure la femme. Mais aussi, nous devons nous opposer à celles et ceux qui veulent la faire accéder à une humanité nouvelle, sans humanité. Les idéologies qui, ces dernières années, se sont greffées sur la question de la femme sont de cet ordre de blessure et de dévalorisation de notre bien commun. Nous devons tous nous mobiliser, pour que, de minorité que leurs promoteurs sont, ils ne noient pas les vrais problèmes de la femme dans des « affaires inhumaines », et ne parviennent, par leurs puissants réseaux médiatiques, à nous convaincre que c’est nous la majorité qui sommes dans le faux. Autant il faut combattre la subordination de la femme, autant il faut refuser l’idée de la neutralité des sexes et de l’orientation sexuelle libre qui s’est greffée sur le problème des droits de la femme comme une des agressions les plus dangereuses de notre humanité. De ce point de vue, le Pape François a parfaitement raison de considérer que la théorie du genre est l’une des manifestations du mal à notre époque : Ma référence [au mal] est plus large et fait allusion à une racine culturelle dangereuse. Celle-ci propose implicitement de vouloir détruire à la racine le projet de création que Dieu a voulu pour chacun de nous : la diversité, la distinction. Obtenir un tout homogène, neutre. C’est s’attaquer à la différence, à la créativité de Dieu, à l’homme et à la femme […]. Ce n’est pas la suppression 213

de la différence qui nous rapprochera, mais l’accueil de l’autre dans sa différence, dans la découverte de la richesse de la différence. C’est la fécondité présente dans la différence qui fait de nous des êtres humains uniques à l’image et à la ressemblance de Dieu, mais surtout capables d’accueillir l’autre pour ce qu’il est et non pour ce en quoi nous voulons le transformer. Le christianisme a toujours donné la priorité aux faits plutôt qu’aux idées. Dans le cas du genre, on voit que l’on veut imposer une idée à la réalité, et cela de manière subtile. On veut saper la base de l’humanité dans tous les domaines et dans toutes les déclinaisons éducatives possibles, et cette volonté est en train de s’imposer en norme culturelle qui, au lieu de naître d’en bas, est imposée d’en haut par certains États comme le seul chemin culturel possible auquel il faut se conformer1.

Sous nos yeux, et dans plusieurs pays, le combat pour l’égalité entre l’homme et la femme est devenu le lieu de la promotion de la théorie du genre, de cette espèce d’utopie qui consiste à faire croire que la condition humaine est malléable. La conscience du bien commun semble s’être évaporée des pratiques humaines au point que, au nom d’une prétendue liberté et évolution, les hommes s’attaquent à ce qui les constitue : leur humanité.

1

Papa Francesco (con Luigi Maria Epicoco), San Giovanni Paolo Magno, Roma, San Paolo editrice, 2020, pp. 103-105. Pages traduites par https://fr.aleteia.org/2020/02/06/pape-francois-lideologie-dugenre-lun-des-pires-maux-de-notre-societe/

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La recherche du bien commun et sa protection se présentent, pourtant, comme la finalité parmi les finalités propres à notre vie en communauté, parce que sinon, la liberté individuelle absolue deviendrait dangereuse et finirait par se dresser contre ceux-là mêmes qui la revendiquent. Mais il est un fait que le bien commun n’est pas l’association des intérêts particuliers ou communautaires. Le Concile Vatican II le définit comme « l’ensemble des conditions sociales qui permettent, tant aux groupes qu’à chacun de leurs membres, d’atteindre leur perfection d’une façon plus totale et plus aisée1 ». Cela, ajoute le Concile Vatican II, « recouvre des droits et des devoirs qui concernent tout le genre humain2 ». Une telle définition promeut la personne, dans sa réalité particulière et communautaire, chacune comme une fin. Selon Maurice Vidal, « elles sont déjà réunies dans le "nous" ecclésial, où aucun "je" ne se dissout ni s’aliène, mais s’élargit à tous ceux pour qui le Christ est mort3 ». L’ensemble de cette réflexion se résume dans le fait que, « lorsque la personne se détourne de Dieu, elle ne peut plus contenir sa nature, elle devient un individu – atomos ! – dans lequel se brise cette nature […] Devenue impersonnelle, la nature asservit l’homme et l’engloutit dans la mort4 ». En vérité, la Parole de Jésus, lorsqu’elle est accueillie et vécue, permet à la condition humaine de marcher vers sa vraie destinée. La personne humaine ne trouve donc son vrai chemin d’homme et de femme qu’en s’accueillant ellemême comme une œuvre sacrée, comme une œuvre de Dieu appelée à s’accomplir en Lui. C’est là qu’elle trouve son éternité5. À un moment où, selon Nicolas Berdiev, le sens de 1

Vatican II, Gaudium et spes, n°26, §1. Ibid. 3 Maurice VIDAL, op. cit., pp. 133-134. 4 Olivier CLÉMENT, op. cit., p. 10. 5 Francis BARBEY, Éloge de la foi chrétienne, op. cit., pp. 117-118. 2

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l’histoire se résume peu à peu dans le choix entre la « divinohumanité » et la « bestialo-humanité », il n’est pas vain de rappeler l’universalité des paroles du Christ, notre Seigneur et notre Dieu, afin que tout homme renoue avec la destinée divine de notre humanité. Dans le projet d’amour de Dieu pour l’humanité, le conditionnement biologique et la dualité des sexes ne constituent pas la condition éternelle de l’homme et de la femme. Ils sont une condition transitoire, mais importante, car voulue par Dieu qui en a fait un lieu de complémentarité, de communion et un chemin de sainteté. Et là, on peut le dire, cette condition transitoire est indissociable de la procréation. Elle lui est rigoureusement liée. À la fin des temps, pourtant, il n’en sera plus ainsi. Nous serons tous en Dieu. Et lui en nous, pour toujours. Pour ces temps-là, « en effet, on ne prend ni femme ni mari, mais on est comme les anges dans le ciel » (Mt 22, 30). Borie, Verteuil D’Agenais (France) Août 2022.

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Ou quand l’idéologie égalitaire devient un autre problème

Francis Barbey

De l’infériorité de la femme dans les civilisations et les religions

Il aborde ainsi, de manière lancinante, la question de l’infériorité de la femme, tant dans les grandes civilisations à travers l’histoire antique, moderne et contemporaine sur la longue durée, que dans l’Église romaine, tout spécialement en contexte africain. Il dresse enfin l’état des lieux des mythologies sociales et des idéologies réductrices qui ont concouru, jusqu’à nos jours, à dénigrer la dignité et les droits de la femme et, par la suite, à entraver son propre développement et sa participation à l’humanité. (Extrait de la préface de Marie Miran)

Prêtre incardiné dans le diocèse de San Pedro-en-Côte d’Ivoire, Francis Barbey est docteur en sciences de la communication sociale de l’Université pontificale salésienne (UPS) de Rome et spécialiste de l’éducation aux médias et à la communication. Depuis plusieurs années, il a une activité de recherche et d’enseignement universitaires en Afrique et en France. Il est membre titulaire de l’Académie catholique de Côte d’Ivoire (ACACI) et codirecteur de la collection « Éducation et Médias » chez L’Harmattan à Paris.

De l’infériorité de la femme dans les civilisations et les religions

Ce livre interroge la question de la femme, moitié de notre humanité hélas trop souvent minorité subalterne de nos sociétés, sans qui, pourtant, le monde ne peut se construire vertueusement et durablement.

Francis Barbey

De l’infériorité de la femme dans les civilisations et les religions Ou quand l’idéologie égalitaire devient un autre problème

Préface de Marie Miran Illustration de couverture : © 123rf.com

ISBN : 978-2-14-034895-2

23 €

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